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Mc Gregor, les X et les Y

Historiquemnt, le courant humaniste est une réponse aux attaques


marxistes de la fin des années cinquante et des années soixantes,
dans lesquelles l'économie et l'idéologie libérales étaient accusées
de provoquer "l'aliénation des travailleurs".
Plus qu'une dimension humaine, le courant humaniste introduit
dans le management les concepts de progrès humain infini et
d'évolution sociale, partant d'une société fortement hiérarchisée,
pour aller vers un individu autonome et libre. C'est le fondement du
progressisme libéral. L'arrière plan démocratique légitime la
théorie.

Douglas Mc Gregor 1906-1964

Théorie des X et des Y

Psycho-sociologue américain, Douglas McGrégor formule en 1960,


dans son ouvrage La dimension humaine de l'entreprise, la théorie
X (management autoritaire) et la théorie Y (management
participatif.) Une des idées clés de McGrégor est que les divers
styles de direction des entreprises résultent directement des
convictions et des conceptions de leurs dirigeants : "derrière
chaque décision de commandement ou d'action il y des
suppositions implicites sur la nature humaine et le comportement
des hommes".{mosimage}
La théorie X suppose ce qu'avaient exprimé les tenants du
taylorisme (cf. citation de Le Chatelier) : la plupart des êtres
humains sont supposés paresseux. Ils n'aiment pas le travail. Ils ont
besoin, pour travailler, d'avoir la perspective d'un gain. Ils ne
recherchent pas les responsabilités et sont incapables de trouver
des motivations dans le travail. Pour les forcer à avancer, il faut
mettre en place un certain nombre de mesures de rétorsion.
La théorie Y, au contraire, postule que les individus, en réalité, ont
un besoin psychologique qui les pousse au travail. Ils désirent
s'accomplir personnellement et progresser dans l'exercice des
responsabilités.
Si nous admettons que le travail de McGregor correspond à une
théorie de management, nous devons d'abord poser la question de
son objet. Quel est-il ? Les X et les Y représentent-ils, pour
McGregor des théories sur la nature humaine qui serait orientée
structurellement vers le pôle X ou le pôle Y ? Ou bien les X et les Y
représentent une typologie de conceptions sur l'homme qui
animeraient les dirigeants ? La réponse n'est pas aisée. McGregor
indique que l'origine de la théorie X est à rechercher dans la Bible,
dans le bannissement d'Adam et Eve du paradis terrestre, (Genèse
III, 17) "A l'homme Dieu dit " : Parce que tu as écouté la voix de ta
femme et que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais interdit de
manger, maudit soit le sol à cause de toi ! A force de peine tu
tireras subsistance tous les jours de ta vie. Il produira pour toi
épines et chardons et tu mangeras l'herbe des champs. A la sueur
de ton visage tu mangeras ton pain jusqu'à ce que tu retournes au
sol puisque tu en fus tiré."

Mc Gregor retrouve ce classement de l'humanité dans l'Athènes de


Périclès du côté de la société Y, et dans Sparte du côté de la société
X. Toutefois, ces indications suffisent-elles pour affirmer que
McGregor tient les théories des X et des Y pour des théories sur la
nature humaine ? Certainement pas. La question est importante,
car nous devons savoir si McGregor s'est penché sur la nature
humaine ou bien s'il s'est penché sur l'étude des idées et des
conceptions des dirigeants. Si McGregor étudie les conceptions de
management et non la nature humaine, la référence au
bannissement d'Adam, liée à la conception X, indique que notre
auteur croit que le Dieu de la Bible est issu d'une conception
autoritaire toute humaine, exprimée dans la pensée judéo-
chrétienne, projetée ensuite sur la société et sur le travail en
particulier. C'est la conception classique des rationalistes
allergiques aux considérations religieuses. S'il croit véritablement
que les X et les Y sont deux types humains attestés par la Bible,
c'est qu'il donne au texte sacré une interprétation à saveur
protestante, teinté de prédestination.
Les principales affirmations des théories X et Y, que nous
reproduisons ci-après, sont toutes tirées de La dimension humaine
de l'entreprise.

Théorie des X

"Théorie X : point de vue traditionnel sur la direction et le


contrôle :
1. L'individu moyen éprouve une aversion innée pour le travail, qu'il
fera tout pour éviter.
2. A cause de cette aversion caractéristique à l'égard du travail, les
individus doivent être contraints, contrôlés, dirigés, menacés de
sanctions, si l'on veut qu'ils fournissent les efforts nécessaires à la
réalisation des objectifs organisationnels.
3. L'individu moyen préfère être dirigé, désire éviter les
responsabilités, a relativement peu d'ambition, recherche la
sécurité avant tout". (p 28)

Théorie des Y
Les hypothèses fondamentales que l'on trouve dans la Théorie des
Y sont tout à fait opposées à celles de la Théorie des X.
"1. La dépense d'effort physique et mental dans le travail est aussi
naturelle que le jeu et le repos. L'individu moyen n'éprouve pas
d'aversion innée pour le travail. Dans certaines conditions
contrôlables, le travail peut être une source de satisfaction (et sera
volontairement accompli) ou une source de sanction (et sera évité
si possible).
2. Le contrôle externe et la menace de sanction ne sont pas les
seuls moyens pour obtenir un effort dirigé vers des objectifs.
L'homme peut se diriger et se contrôler lui-même lorsqu'il travaille
pour des objectifs envers lesquels il se sent responsable.
3. La responsabilité envers certains objectifs existe en fonction des
récompenses associées à leur réalisation. La plus importante de ces
récompenses, c'est à dire la satisfaction de l'ego et du besoin de
réalisation de soi, peut s'obtenir directement par l'effort dirigé vers
les objectifs.
4. L'individu moyen apprend, dans les conditions voulues, non
seulement à accepter, mais à rechercher les responsabilités. Le fait
d'éviter les responsabilités, le manque d'ambition, l'importance
conférée à la sécurité sont généralement les conséquences de
l'expérience et non pas des caractéristiques innées de l'être
humain.
5. Les ressources relativement élevées d'imagination, d'ingéniosité
et de créativité pour résoudre les problèmes organisationnels sont
largement et non pas étroitement distribuées dans la population.
6. Dans les conditions de la vie industrielle moderne, le potentiel
intellectuel de l'individu moyen n'est que partiellement employé".
(p 40)
Revenons encore une fois à l'objet d'étude de McGregor. Les deux
grandes catégories de management (directif et participatif)
résultent-elles des conceptions des managers ou bien les X et les Y
désignent-ils deux pôles d'une nature humaine qui expliquerait le
management orienté tantôt sur les caractéristiques X, tantôt sur les
caractéristiques Y ? Autrement dit : le management découle-t-il des
opinions subjectives des managers ou bien de la réalité ? Il semble
que McGregor n'ait jamais tranché l'alternative et qu'il ait pensé
des deux manières. A preuve : il est vraisemblable qu'il pense
parfois décrire la nature humaine, puisqu'il introduit la notion
d'évolution, à certains moments, pour passer du comportement des
X au comportement des Y. Il classe alors les désirs humains en
ordre "croissant", partant des besoins X pour aller vers les besoins
Y. les comportements de la théorie des X, peuvent se rapporter à un
stade de développement social. Ultérieurement, les besoins
humains évoluant, les individus adoptent les comportements Y.
McGregor introduit dans le management une pensée évolutionniste
et progressiste qui semble se rapporter davantage à l'étude du
sujet humain qu'aux conceptions de management. Mais ce point de
vue évolutionniste n'élimine pas, chez McGregor, la possibilité
d'étudier les conceptions des managers (conceptions X ou Y) : le
point de vue évolutionniste vient s'ajouter. Reste pendante la
question de savoir si la théorie des X et des Y correspond à des
types humains ou uniquement à des conceptions subjectives.
Voici quelques extraits de La dimension humaine de l'entreprise qui
expriment l'essentiel des opinions de McGregor. Il décrit d’abord
une nature censée être humaine
"L'homme est un animal qui a des besoins – aussitôt qu'un de ses
besoins est satisfait, un autre apparaît à sa place. Ce processus est
infini. Il se déroule de la naissance à la mort. L'homme fait un effort
continuel ou travaille si vous voulez, pour satisfaire ses besoins. (…)
(Op. cit. p. 30)
Quand les besoins physiologiques sont raisonnablement satisfaits,
ceux du niveau supérieur commencent à dominer le comportement
de l'homme – à le motiver. Ce sont les besoins de garantie, de
protection contre les dangers, les menaces et les privations… Ce
dont il a besoin, c'est "de la meilleure situation possible." Quand il
est sûr de cela, il est plus que désireux de prendre des risques.
Mais quand il se sent menacé et dépendant, son plus grand besoin
est un besoin de protection et de sécurité. "
Mc Gregor introduit un facteur d’évolution
" Quand les besoins physiologiques de l'homme sont satisfaits et
qu'il n'est plus anxieux pour son bien être physique, ses besoins
sociaux deviennent d'importants moteurs de son comportement ;
besoins d'appartenance à quelque chose, d'association, besoins
d'être accepté par ses semblables, de donner et de recevoir de
l'amitié et de l'amour. (…)
Au-dessus des besoins sociaux, (…) nous trouvons des besoins d'une
très grande importance pour la direction et pour l'homme lui-
même. Ce sont des besoins de l'ego ; ils sont de deux sortes :
1. les uns se rapportent à l'estime qu'on a de soi même : besoin de
respect et de confiance en soi, d'autonomie et de réussite, de
compétence, de savoir ;
2. les autres se rapportent à sa propre réputation : besoin d'avoir
un statut, d'être reconnu et apprécié et besoin d'être digne du
respect de ses semblables. Contrairement aux besoins inférieurs,
ceux-ci sont rarement satisfaits : l'homme cherche indéfiniment à
satisfaire davantage ses besoins, dès qu'ils deviennent importants
pour lui ". (p. 31)
De ces stades d'évolution, il résulte que les théories X ou Y peuvent
être parfois adaptées et parfois inadaptées. La responsabilité du
dirigeant consistera donc à identifier sans se tromper les besoins
de ses employés. En passant à la description de conceptions de
management, Mc Gregor retient toujours l’idée d’évolution. Mais
on ne sait plus s’il s’agit de l’évolution de la nature des hommes ou
bien s’il s’agit de l’évolution des idées. Il cumule en fait l'hypothèse
de l'évolution, l'hypothèse nouvelle de l'existence de natures
humaines X et Y et l'étude de conceptions managériales.
"La carotte et le bâton", théorie de la motivation associée à la
théorie X, "marche" assez bien dans certaines circonstances. La
direction peut procurer ou retirer les moyens de satisfaire les
besoins physiologiques et dans certaines limites, les besoins de
garantie. L'emploi lui-même est un de ces moyens, ainsi que le
salaire, les conditions de travail et autres avantages. Aussi
longtemps que l'individu luttera pour sa subsistance, ces moyens
permettront de le contrôler. L'homme tend à vivre seulement pour
gagner son pain quand il y en a peu. Mais la théorie "de la carotte
et du bâton" ne marche plus du tout une fois que l'homme a atteint
un niveau de subsistance convenable et est motivé principalement
par des besoins supérieurs. La direction ne peut pas donner à
l'homme le respect de soi, le respect de ses camarades, ni satisfaire
ses besoins de plénitude. On peut créer des conditions qui
encouragent l'homme à chercher par lui-même de telles
satisfactions ou on ne s'y prête pas, et on le frustre (…)
La philosophie du commandement par direction et contrôle – qu'il
soit rigide ou souple – n'est pas propre à fournir des motivations
parce que les besoins humains sur lesquels elle s'appuie sont des
moteurs de peu d'importance dans notre société contemporaine. La
direction et le contrôle sont de valeur limitée pour motiver les
hommes dont les besoins importants se rapportent au social et à
l'ego". (p. 35).

Il résulte des théories de McGregor que les directions d'entreprises


sont les principales responsables de la motivation du personnel.
Alors que la théorie des X pouvait donner à l'encadrement l'excuse
facile d'expliquer ses déboires par la nature humaine, limitée et
hostile au travail, la théorie des Y renvoie la responsabilité à
l'encadrement.
" Les suppositions de la théorie Y mettent en valeur le fait que les
limites touchant à la collaboration humaine dans une organisation
ne se trouvent pas dans la nature humaine mais dépendent de
l'ingéniosité de la direction pour découvrir le moyen de réaliser le
potentiel représenté par ces ressources humaines... Si les employés
sont paresseux, indifférents, peu désireux de prendre des
responsabilités, intransigeants, sans esprit d'initiative ou de
collaboration, la théorie Y donne à entendre que cela est dû aux
méthodes d'organisation et de contrôle. (p. 40)
La théorie Y suppose que les gens feront preuve d'auto-direction et
d'auto-contrôle dans la mesure où ils se sentent engagés envers les
objectifs. Si cet engagement est limité, seul un moindre degré
d'auto-direction et d'auto-contrôle est probable et une quantité
substantielle d'influence extérieure sera nécessaire. Si
l'engagement est solide, beaucoup de moyens traditionnels de
contrôle seront relativement superflus, et jusqu'à un certain point
se détruiront eux-mêmes. La politique et la pratique de la direction
affectent concrètement ce degré d'engagement.
L'autorité n'est pas le bon moyen pour obtenir un engagement
envers certains objectifs". (p 45) McGregor n'est pas contredit si
l'on énonce plus crûment : c'est en n'exigeant pas qu'on obtient
beaucoup et c'est en exigeant qu'on provoque des comportements
régressifs.

A la lecture de ces textes, il ne semble faire aucun doute que


McGregor désigne par les X et les Y des conceptions, et
principalement les conceptions des dirigeants sur la nature
humaine, et non la description réaliste du sujet humain. Toutefois,
Peter Drucker soutient que McGregor croyait décrire la nature
humaine. "Il est clair, écrit-il, que la théorie X et la théorie Y ne
sont pas, comme le soutenait McGregor, des théories sur la nature
humaine". La caractéristique de cette théorie est en fait de reposer
sur une ambiguïté insurmontable.

Caractère évolutionniste et progressiste de la théorie.


On peut nous rétorquer que McGregor décrit une évolution de la
nature humaine de X en Y qui, en tant que telle, est censée
correspondre peu ou prou à une réalité. Mais il ne s'agit en fait que
d'un élément théorique, dont le rôle est de conférer une cohérence
interne aux différentes affirmations produites. Examinons comment
fonctionne ce critère d'évolution. Nous avons lu plus haut, à propos
de la théorie de la carotte et du bâton "Aussi longtemps que
l'individu luttera pour sa subsistance, ces moyens permettront de le
contrôler. L'homme tend à vivre seulement pour gagner son pain
quand il y en a peu. Mais la théorie "de la carotte et du bâton" ne
marche plus du tout, une fois que l'homme a atteint un niveau de
subsistance convenable et est motivé principalement par des
besoins supérieurs".
Le critère d'évolution sert donc à juger de la pertinence ou de
l'inadaptation d'une politique d'encadrement. La réussite d'une
politique confirmera la théorie par le constat d'une bonne
adéquation entre l'encadrement et le stade supposé d'évolution des
besoins. L'échec d'une politique d'encadrement confirmera tout
autant la théorie des X et des Y par l'affirmation d'une inadéquation
entre la politique d'encadrement et le stade d'évolution des
besoins. Le critère d'évolution sert à assurer à la théorie une
validation dans toutes les situations. La pensée est ici
particulièrement faible.
En revanche, ce qui est clairement posé, c'est le rôle des
dirigeants, qui est de répondre aux besoins du personnel. Si les
directions d'entreprises sont responsables de la motivation du
personnel, elles doivent veiller à la satisfaction de leurs besoins.
L'action de direction est ordonnée aux biens particuliers des
individus. McGregor ne parle pas du bien commun. Il y a une
inversion des hiérarchies d'importance entre bien commun et biens
particuliers.
Le critère d'évolution permet en outre de dépasser le stade du
constat des comportements. Nous avons lu : "Si les employés sont
paresseux, indifférents, peu désireux de prendre des
responsabilités, intransigeants, sans esprit d'initiative ou de
collaboration, la théorie Y donne à entendre que cela est dû aux
méthodes d'organisation et de contrôle". Cette dernière affirmation
est à souligner dans la mesure où elle tend à minorer l'existence
des tempéraments X d'abord postulés. Elle laisse penser que les Y,
à notre époque, prévalent partout. Il ne s'agit plus de la description
de deux types humains : d'après le texte de McGregor, les gens
seraient de type Y, mais les méthodes d'organisation et de contrôle
auraient la puissance de provoquer une sorte de régression, de
transformer les comportements de Y en X. Le présupposé de
d'évolution générale élargie à une humanité Y peut ainsi être
postulé.
Ce type d'affirmation invite à l'interprétation des comportements et
permet encore une autovalidation permanente de la théorie. Si les
employés adoptent un comportement Y, tout est parfait, le
management est adapté, la théorie se vérifie. Si les employés
adoptent un comportement X, cela est dû aux méthodes
d'organisation de type X. La théorie le prévoit. Les faits confirment
la prévision. Ce qui veut dire : le comportement X n'est pas un
comportement naturel, mais le comportement d'une nature forcée
et frustrée. Question : à ce compte, les X ont-ils jamais vraiment
existé ?
Nous ne sommes plus dans la description, mais dans le domaine de
l'hypothèse, de la supposition. Ce qui soulève la question suivante :
comment distinguer entre les comportements X résultant d'une
nature humaine perçue à un stade d'évolution justifiant la politique
d'encadrement fondée sur le commandement et le contrôle, et les
comportements X résultant d'une nature humaine frustrée,
engendrée par la même politique d'encadrement ? Question sans
réponse. Nous sommes sortis du réel.

Confusion entre besoins et motivations

Une autre ambiguïté résulte de la théorie des besoins et des


motivations. La motivation résulte-t-elle du besoin, donc de la
frustration ou bien de la satisfaction d'un besoin ? Il semble, là
encore, que McGregor n'ait pas tranché. D'un côté, il affirme que la
satisfaction des besoins est facteur de motivation. "La philosophie
du commandement par direction et contrôle – qu'il soit rigide ou
souple – n'est pas propre à fournir des motivations parce que les
besoins humains sur lesquels elle s'appuie sont des moteurs de peu
d'importance dans notre société contemporaine." Autrement dit : la
motivation résulte logiquement d'une correspondance entre une
politique d'entreprise susceptible de satisfaire certains besoins et
les besoins existants. Si la politique de l'entreprise ne satisfait pas
les besoins existants, il est logique que les gens ne soient pas
motivés. L'entreprise est alors responsable de la satisfaction et
donc de la motivation du personnel.
Par ailleurs, il est affirmé que les besoins, et donc l'attente (et non
la satisfaction), engendre la motivation. Ce qui n'est pas la même
chose. "L'homme est un animal qui a des besoins – aussitôt qu'un
de ses besoins est satisfait, un autre apparaît à sa place. Ce
processus est infini. Il se déroule de la naissance à la mort.
L'homme fait un effort continuel ou travaille si vous voulez, pour
satisfaire ses besoins". Ici, la motivation résulte clairement de la
frustration et de la recherche infinie de soi-même.
Selon McGregor les besoins changent de nature selon le stade
dévolution des individus. Les premiers besoins disparaissent pour
céder la place à de nouveaux. " Quand les besoins physiologiques
sont raisonnablement satisfaits, ceux du niveau supérieur
commencent à dominer le comportement de l'homme – à le motiver.
Ce sont les besoins de garantie, de protection contre les dangers,
les menaces et les privations… Ce dont il a besoin, c'est "de la
meilleure situation possible." Quand il est sûr de cela, il est plus
que désireux de prendre des risques. Mais quand il se sent menacé
et dépendant, son plus grand besoin est un besoin de protection et
de sécurité".
Cette théorie revient à décrire l'homme comme un perpétuel
insatisfait. Si on l'accepte, il est évident que la frustration ne peut
plus apparaître comme un critère déterminant pour juger la qualité
d'une politique d'encadrement, car l'homme restera,
indépendamment de la politique menée, perpétuellement
insatisfait. L'insatisfaction ou la frustration est un trait de la nature
humaine. Dans cette mesure, dépend-il encore du management de
motiver le personnel ?
Résumons nos questions.
1. Est-ce le stade d'évolution de la nature humaine en X ou en Y qui
appelle un style de management adapté ou bien est-ce le style de
management X ou Y qui engendre les comportements X ou Y ? Où
est la cause, où est l'effet ?
2. La motivation résulte-t-elle de la satisfaction des besoins ou bien de
la nature humaine qui se recherche perpétuellement ? L'entreprise
est-elle responsable de la frustration du personnel, doit-elle
rechercher la satisfaction des besoins et la motivation des
personnes ? Ou bien l'insatisfaction étant un trait de la nature
humaine, la frustration peut-elle être un critère d'évaluation des
politiques d'entreprise ?

Faut-il être d'accord avec l'ensemble de la théorie en disant : "oui,


parfois ; oui, un peu ? Dans certains cas, pourquoi pas ?" Et s'il en
est ainsi, en quoi les affirmations de McGregor sont-elles
déterminantes ? Quels gains peut-on retirer de tout ce travail ?

Un objet d'étude incertain.

Pour ne pas avoir clairement et définitivement choisi son objet


d'étude, la théorie de McGregor reste floue et ambiguë dans ses
attendus et dans ses implications. S'agit-il de la nature humaine ?
Si oui, il s'agit plus spécifiquement de la subjectivité humaine.
"L'homme est un animal de désir". Tel est le postulat. Nous sommes
loin d'Aristote qui mettait l'intelligence et la volonté à la pointe de
l'esprit humain. La hiérarchie de l'esprit est inconnue. Tout n'est
que désirs et besoins.
Par ailleurs, il est affirmé que les politiques d'entreprise dépendent
de conceptions de l'homme. "Derrière chaque décision de
commandement ou d'action il y des suppositions implicites sur la
nature humaine et le comportement des hommes". L'objet d'étude
semble se porter sur les conceptions des dirigeants et leurs
implications dans l'organisation.
Il est enfin affirmé que l'organisation influe sur les comportements,
par exemple que la frustration engendrée par une structure
autoritaire pouvait expliquer des comportements de type X. Ce qui
est différent que d'affirmer que les comportements de types X
résultent des besoins. L'objet d'étude semble donc devenir : la
relation de l'homme avec la politique de l'entreprise et l'impact de
la politique de l'entreprise sur l'homme.
Rien n'empêchait d'aborder ces trois domaines distinctement. Mais
nous sommes obligés de constater que lorsque McGregor expose la
théorie des X nous ne pouvons pas savoir exactement de quoi il
parle.
"1. L'individu moyen éprouve une aversion innée pour le travail,
qu'il fera tout pour éviter.
1. A cause de cette aversion caractéristique à l'égard du travail, les
individus doivent être contraints, contrôlés, dirigés, menacés de
sanctions, si l'on veut qu'ils fournissent les efforts nécessaires à la
réalisation des objectifs organisationnels" etc. McGregor a-t-il en
tête les managers supposés penser ainsi la nature humaine ? Parle-
t-il du sujet humain ? Parle-t-il de la relation de l'homme à la
politique de direction de l'entreprise ? La réponse n'est pas aisée.
On conviendra qu'il est important d'en décider, car s'il s'agit
d'étudier la nature humaine, la référence biblique de la
condamnation d'Adam sera interprétée comme une recherche de
confirmation d'une théorie. Mais s'il s'agit d'étudier les
conceptions, les idées sur la nature humaine à travers l'histoire on
ne fait pas la même étude. Si l'on y ajoute le domaine de l'influence
des formes de commandement sur les comportements, la référence
biblique devient alors l'origine des idées de domination, la
légitimation de l'autoritarisme, ce qui est un tout autre thème.
L'interprétation bienveillante qu'on peut faire de McGregor
consistera à se contenter de déplorer un objet d'étude incertain.
Cette confusion, ce glissement perpétuel d'un domaine à l'autre,
enlève beaucoup d'intérêt et de crédibilité aux études de McGregor.
Toutefois les affirmations qu'elles contiennent, permettent de
dégager certains a priori qu'il importe de remarquer.

Les idées de commandement et d'autorité hiérarchique.

McGregor ne veut pas infirmer le taylorisme. L'appellation neutre X


ou Y vient de ce qu'il ne porte aucun jugement de valeur : les gens
sont comme ils sont. Il range d'ailleurs dans les X les organisations
issues des théories de Max Weber et de Fayol. Le management
selon McGregor se scinderait donc en deux grandes catégories : le
directif et le participatif. La conception X engendre un management
directif ; la conception Y un management participatif.
Il est à noter que le taylorisme, qui de fait, avait supprimé la notion
d'autorité personnelle puisque les hiérarchies et singulièrement la
hiérarchie de production n'étaient qu'une hiérarchie de
surveillance, ne décidant de rien, est tout de même rangé parmi les
managements directifs. McGregor assimile donc la directivité à une
pauvreté des relations humaines : politique de la carotte et du
bâton, transmission des directives et contrôle strict. A contrario, le
management Y est fondé sur l'échange, la concertation, la
participation et de ce fait, il est caractérisé par le terme de
"participatif". Notons dès maintenant la faiblesse de cette
conception qui voit la directivité dans la déficience des relations
humaines et qui assimile l'autre management, où les relations
humaines augmentent, à un échange plus démocratique et donc
moins hiérarchique. Est-ce bien ainsi que se pose le mécanisme des
relations ? On en arrive au total à certaines attaques de McGregor
contre la hiérarchie : "La philosophie du management par la
direction et le contrôle (…) ne propose aucun facteur de motivation,
tout simplement parce que la satisfaction des besoins humains sur
laquelle elle s'appuie, a un effet relativement peu important sur le
comportement dans notre société actuelle". McGregor pense que
les individus possèdent des potentiels infiniment plus importants
que l'encadrement ne peut l'imaginer. "Il existe des preuves
substantielles qui montrent que le potentiel de l'individu moyen est
bien au-dessus de celui sur lequel nous tablons aujourd'hui dans
l'industrie". Il pense que les gens sont capables de se diriger eux-
mêmes "La théorie des Y suppose que les gens feront preuve
d'auto-direction et d'auto-contrôle dans la mesure où ils se sentent
engagés envers ces objectifs. (…) La politique et la pratique de la
direction affectent concrètement ce degré d'engagement. L'autorité
n'est pas un bon moyen pour obtenir un engagement envers
certains objectifs". Libérer les énergies consisterait donc à les
libérer de l'encadrement. C'est ce qui est tenu en germe dans la
théorie X, Y et qui l'était tout autant chez un Rensis Likert ou
Tannenbaum & Schmidt.

Le parti pris subjectiviste

Etudier l'homme et la relation humaine par le côté des besoins,


procède d'un a priori subjectiviste, qui n'atteint pas l'essentiel. Car,
encore une fois, l'homme n'est pas le seul animal à éprouver des
besoins. Si l'homme travaille pour satisfaire ses besoins, quelle
différence y aura-t-il entre l'homme et l'abeille ou l'homme et la
fourmi ? Le terme même de besoin est ambivalent, car il a un côté
objectif : il faut manger pour vivre ; et un côté subjectif : ceux qui
vivent pour manger pensent qu'ils ont besoin de beaucoup manger.
Ceci est particulièrement vrai pour les besoins qui se "rapportent à
sa propre réputation : besoin d'avoir un statut, d'être reconnu et
apprécié et besoin d'être digne du respect de ses semblables".
Jusqu'où va le besoin ? Quand commence le narcissisme ? La prise
en compte de tels besoins est fréquente dans la mentalité moderne
actuelle, qui accrédite l'idée du "développent de soi". Aspect
ambigu, et pour tout dire inconsistant du culte de soi. Pour en
montrer toute la vanité, revenons à St Benoît et à St Bernard, qui
nous ont laissé la charte du développement spirituel dans les douze
degrés de l'humilité et des douze degrés de l'orgueil, aux antipodes
du développement personnel.

St Benoît : les douze degrés de l'humilité


1. La crainte de Dieu qui consiste à garder sans cesse en soi la présence
de Dieu.
2. Le détachement de la volonté propre.
3. La soumission aux supérieurs.
4. La patience dans l'obéissance, qui consiste surtout à garder le silence
dans les humiliations.
5. La confession sincère à l'abbé.
6. Se considérer comme un ouvrier inutile.
7. Se croire intimement le plus vil de tous les hommes.
8. La soumission totale à la règle et aux usages du monastère.
9. Garder le silence tant qu'on n'est pas interrogé.
10. La proscription du rire.
11. La douceur et la gravité dans le langage.
12. L'humilité dans toutes les occupations quotidiennes.

St Bernard : Les douze degrés de l'orgueil


12. L'habitude de pécher (consuetudo peccandi).
11. La liberté de pécher (libertas peccandi).
10. La révolte (rebellio).
9. L'aveu feint et orgueilleux de ses fautes (simulata confessio).
8. L'excuse de son propre péché (defensio peccatorum).
7. La présomption (praesemptio).
6. L'arrogance (arrogantia).
5. La singularité (singularitas).
4. La jactance (jactancia).
3. La sotte joie (inepta laetitia).
2. La légèreté d'esprit (levitas animi).
1. La curiosité (curiositas).
St Benoît propose qu'on gravisse un à un les degrés de l'humilité ;
St Bernard, qu'on s'efforce de régresser dans le péché, car en
diminuant l'orgueil, on gagne en humilité Certes, nous savons que
l'entreprise n'est pas le monastère, ni le chef d'entreprise le père
Abbé. Nous savons également que l'aveu de ses fautes en public,
sauf nécessité, est inapproprié et risque de scandale. Toutefois, en
changeant ce qu'il faut changer, la disposition fondamentale d'un
esprit chrétien reste l'humilité, au monastère comme ailleurs.
Qu'on n'aille pas dire qu'il ne faut pas mélanger les plans. La
recherche de Dieu en toutes choses n'est pas, pour le chrétien, une
proposition exagérée. Il est difficile de concilier la bénéfique
inquiétude chrétienne avec la recherche exaspérée de soi, à travers
"les besoins d'avoir un statut, d'être reconnu et apprécié" et de la
quête éplorée "du respect de ses semblables".

L'allure progressiste

La confusion entretenue sur l'objet d'étude permet d'atténuer la


thèse idéologique qui sous-tend le discours de McGregor. Si notre
auteur a voulu étudier les conceptions de management, et non
spécialement la nature humaine, il nous livre deux conceptions
historiques : l'une "autoritaire", l'autre "démocratique". La
conception X est affublée de l'adjectif "traditionnel", ce qui permet
de concevoir Y en contrepoint, comme une conception nouvelle,
émancipatrice, posant un regard optimiste sur l'homme. C'est le
thème idéologique partout présent : humanisme contre hiérarchie ;
émancipation contre oppression. Le management y trouve son
opium, sa raison d'être, son "supplément d'âme".
Par contre, si McGregor a effectivement voulu décrire deux types
humains, il assigne aux hommes de type X une antériorité par rapports
aux types Y, plus tardifs. C'est ce qui permet de classer
chronologiquement les besoins sociaux comme antérieurs aux besoins
psychologiques individuels. Cette chronologie implique une
hiérarchisation selon laquelle l'individu ou plus exactement, la conscience
individuelle, est un progrès par rapport aux valeurs et aux critères
sociaux. C'est le fondement du progressisme protestant, du libéralisme et
de l'agnosticisme moral actuel. C'est la proclamation de l'indépendance
de la conscience personnelle face aux devoirs et singulièrement face aux
devoirs envers la famille et envers toute la société en général.

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