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CASSIRER ET LA PHILOSOPHIE DES SCIENCES EN FRANCE

Author(s): Jean Seidengart


Source: Rivista di Storia della Filosofia (1984-) , 1995, Vol. 50, No. 4, ERNST CASSIRER 50
ANNI DOPO (1995), pp. 753-783
Published by: FrancoAngeli srl

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44023124

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CASSIRER ET LA PHILOSOPHIE DES SCIENCES
EN FRANCE

di Jean Seidengart

Vers la fin du siècle dernier et au début du XXe siècle, la France


avait acquis une réputation internationale tout à fait remarquable pour
ses travaux en épistémologie et en histoire des sciences. Des auteurs
comme Pierre Duhem, Henri Poincaré, Paul Tannery, Louis Couturat,
Gaston Milhaud, Léon Brunschvicg, Emile Meyerson et Alexandre Koyré
placèrent l'épistémologie française au devant de la scène intellectuelle
de l'époque. Notre investigation se propose un double objectif: d'une
part, déterminer l'influence qu'exerça cet ensemble de recherches sur
la pensée de Cassirer, et, d'autre part analyser la façon dont l'oeuvre
épistémologique de Cassirer a été reçue et perçue en France au cours
de la première moitié du XXe siècle. Certes, dans le cadre restreint
de cette étude nous ne cherchons nullement à couvrir de façon exhaus-
tive l'ensemble de cette vaste question; nous entendons seulement dégager
les traits saillants de ces rapports réciproques entre la Philosophie
française des sciences et la théorie cassirerienne de la connaissance
scientifique. Nous aurons donc à explorer tout d'abord le statut de
la fonction symbolique, puis la question de l'historicité de la science
et, enfin, les relations épistémologiques de Meyerson et de Cassirer.
Nous pourrons alors déterminer le sens des rapports intellectuels (Est-
Ouest) qui rapprochèrent, pendant près d'un demi-siècle, ces grands
représentants de la philosophie européenne des sciences.

1. Science et fonction symbolique: Cassirer lecteur de Duhem et de


Poincaré

Pour Cassirer, la Révolution copernicienne aboutit à la «théorie

Rivista di storia della filosofia n. 4, 1995

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fonctionnelle de la con
dont le support ultime
1906):

«Les concepts de la science n'apparaissent plus alors comme des imitations


d'existants objectifs, mais comme des symboles représentant les arrangements
et les liaisons fonctionnelles qui ce trouvent à l'intérieur du réel»2.

Bien que les éléments principaux de cette théorie du signe ou du


symbole n'aient pas encore été systématiquement développés à cette
époque (1906/1910), Cassirer trouve dans le symbolique le medium
objectif où s'opère la relation effective de la connaissance avec son
objet. C'est la fonction symbolique qui rend possible le recul réflexif,
la répudiation de l'impression immédiate, et la récognition du sens
des contenus empiriques, au moyen du symbole qui fonctionne comme
substitut ou représentant du réel. Surtout, entre le représentant et le
représenté il est vain de chercher une ressemblance ou une similitude,
là où il n'y a en fait qu'une «correspondance fonctionnelle de structure
à structure »3. A partir de Substance et Fonction , on constate que
la théorie de la conceptualisation scientifique s'inscrit dans le cadre
plus général de la théorie de la symbolicité. Mais, par delà cet élargis-
sement de perspective, c'est toujours l'activité formatrice du jugement
dans la connaissance qui est au centre des préoccupations gnoséologi-
ques de Cassirer.
Substance et Fonction étudie du point de vue systématique les con-
cepts fondamentaux de la science classique que Erkenntnisproblem
I-II avait envisagé sur le plan historique . Comme les deux plans se
recoupent, Substance et Fonction n'a recours à l'histoire que pour
illustrer les principaux caractères systématiques des sciences exactes.
Tout se passe comme si les exemples n'étaient cités que pour confirmer
et illustrer une thèse unique qui recoupe à la fois l'axe systématique
et l'axe historique:

«L'analyse critique aurait atteint son but si elle parvenait à [...] codifier,
en leur donnant la puissance du concept, les grandes fonctions qui se conser-

1. Zur Einsteinschen Relativitätstheorie , Bruno Cassirer, Berlin 1921, rééd. Zur modernen
Physik , Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt 1957, p. 49.
2. Das Erkenntnisproblem , I, Bruno Cassirer, Berlin 19223, p. 3.
3. Substanzbegriff und Funktionsbegriff , Bruno Cassirer, Berlin 1910, p. 404 (Subs-
tance et Fonction , tr. fr. Caussat, Minuit, Paris, p. 344).

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Cassirer et la philosophie des sciences en France

vent au cours du mouvement qui conduit d


sont les conditions requises par toute théo
ne peut permettre d'atteindre parfaitemen
à titre d'exigence et il détermine, dans le
continu des systèmes d'expérience, une or

Cette thèse unique est donc aux yeux


générale qui se dessine, au-delà même
s'arrêtait Erkenntnisproblem II), jusqu'
cle: c'est le passage de la conception sub
pée par Aristote dans sa théorie de l'ab
tionnelle de la connaissance:

«A la logique du concept générique régi et contrôlé, comme nous l'avons


vu, par le concept de substance, s'oppose désormais la logique du concept
mathématique de fonction»5.

Qu'il s'agisse du chosisme péripatéticien ou même de l'empirisme


psychologiste, leur théorie de la conceptualisation privilégiait les sup-
ports aux dépens des rapports. En outre, en se mathématisant, le lan-
gage scientifique a pu élargir les actes catégoriaux que le langage ordi-
naire réduisait soit à la relation méréologique du tout et de la partie,
soit à la relation d'appartenance de la chose et des propriétés. La
mathématisation du langage scientifique a ainsi introduit le développe-
ment a priori d'une théorie générale des relations , ce qui garantit la
pureté des fonctions judicatoires dans le processus de la connaissance.
Loin de sacrifier le particulier dans un universel abstrait de plus en
plus vide de déterminations, la logique de la "relation fonctionnelle"
nous livre:

«une règle universelle nous permettant de composer et de combiner l'élément


particulier en personne. [...] Les cas particuliers ne sont pas éliminés du débat,
ils se voient au contraire décerner le statut de phases entièrement déterminées
au sein d'un processus général de variation»6.

Cassirer renverse la conception traditionnelle de la formation des


concepts en montrant que « le concept n'est pas dérivé , mais pré-

4. Ivi, p. 357 (tr. fr., pp. 304-305).


5. Ivi, p. 27 (tr. fr., p. 33).
6. Ivi, p. 25 (tr. fr. pp. 31-32).

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sumé»1. Cela ne
res relationnelle
mais simplemen
de mise en form
"présomption lo
1) catégorie: To
2) catégorie: Ch
Traditionnellem
rait toujours «
et le mettre en
nis»8. C'est cette «mise en forme judicatoire» que Cassirer appelle
«actes catégoriaux». Or, ces deux types d'actes catégoriaux ne sau-
raient épuiser à eux seuls toutes les relations possibles pouvant interve-
nir pour structurer les contenus. C'est pourquoi il faut les situer dans
une théorie générale des relations qui ressortit plutôt des sciences for-
melles que d'une philosophie empiriste attachée aux choses et aux
sensations. C'est une raison supplémentaire d'abandonner la catégorie
de chose ou de substance:

«La catégorie de chose se révèle d'ailleurs intenable puisque, avec la mathém


tique pure, nous possédons un domaine de savoir d'où sont exclues par pri
cipe les choses et leurs configurations et dont les concepts qui le fondent
répugnent à se laisser asservir, sans plus par les propriétés le plus commun
de choses»9.

Tandis que la conception substantielle de la connaissance sacrifiait


dédaigneusement les particularités pour s'élever par abstraction ver
1' "universel abstrait" (nécessairement de plus en plus pauvre), la con
ception fonctionnelle:

«cherche, au contraire, à dévoiler la nécessité de la manifestation et de l'enchaî-


nement de ces particularités elles-mêmes. Ce qu'elle nous propose c'est une
règle universelle nous permettant de composer et de combiner l'élément part
culier en personne»10.

7. Ivi, p. 22 (tr. fr., p. 29).


8. Ibid.
9. Ibid.
10. Ivi, p. 25 (tr. fr., p. 31).

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Cassirer et la philosophie děs sciences en France

Donc rien n'est perdu de la richesse d


valeurs individuelles, ou du particulier:
ainsi à l'universel concret. Cet univers
loi de variation des grandeurs. En un m
se confond avec le concept de loi scientifique. La loi, à ce niveau
d'analyse, est une relation fonctionnelle (c'est-à-dire définie par une
équation fonctionnelle) qui permet de sauver du flux des variations
la forme des variations, et c'est pourquoi elle reste elle-même inva-
riante. C'est ainsi que la loi de la série permet de trouver chacun
de ses termes constitutifs particuliers, tout en les intégrant dans une
formule unitaire condensée qui les réunit nécessairement. Les termes
de la série expriment le déploiement de la loi, la loi unifie sous une
règle invariante la pluralité des termes particuliers. La loi fonctionnelle
fournit le nouveau paradigme épistémologique qui permet de résoudre
le problème traditionnel de l'Un et du Multiple, de l'Universel et
du Particulier, de la Constance et du Changement, du Même et de
l'Autre, sur le plan de la théorie de la connaissance. Cassirer reconnaît
ainsi que les sciences exactes montrent, avec une plus grande pureté
que la philosophie traditionnelle, la puissance judicatoire de l'esprit
humain:

«le problème intéresse tout autant le domaine relevant de la connaissance


de la nature, car le concept de fonction contient, tout à la fois, le schéma
général qui donne son sens au concept moderne de nature, et le modèle sur
lequel s'est réglé son développement historique»11.

Or, il ne suffit pas de substituer à la logique substantialiste du


concept générique, la logique du concept mathématique de fonction,
encore faut-il analyser la constitution de la connaissance scientifique
proprement dite en développant une théorie de la fonction symbolique
qui permet à la fois d'en saisir la spécificité et de la rattacher aux
autres formes culturelles.
Pour Cassirer, le concepts de symbole et de fonction symbolique
sont ce par quoi l'esprit s'arrache au jeu des forces vitales pour entrer
dans le monde de la culture. Cassirer avait défini le symbole comme
un instrument qui permet à l'homme d'opérer une médiation active
entre le concret et le concept, c'est-à-dire comme un opérateur culturel
à l'aide duquel: «entre le sensible et le spirituel se noue une nouvelle

11. Ivi, p. 27 (tr. fr., p. 33).

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forme de relation récip


la fonction symbolique
sique du sensible et de

«au moyen duquel le conte


au moyen duquel seulemen
tion conceptuelle d'un contenu va de pair avec sa fixation dans un signe
caractéristique»13.

La théorie cassirérienne du symbole prend sa source dans celle que


Kant avait esquissée au § 59 de sa troisième Critique . Chez ce dernier,
comme on sait, les passages consacrés à l'étude de cette question et
du langage sont extrêmement rares, mais très féconds: à tel point
qu'il ne serait pas déplacé de dire que toute la philosophie de Cassirer
est partie de la Critique de la faculté de juger où Kant tentait d'élargir
son projet philosophique général tout en développant une théorie du
symbole.
a) L'idée de Kant, c'est que le symbole peut fournir une intuition
sensible qui sert d'illustration indirecte à un concept a priori. Cette
illustration indirecte n'est assurée que par la médiation d'une analogie.
Ainsi, c'est la faculté de juger qui constitue le symbole proprement
dit en effectuant une double opération:

«Elle applique en premier lieu le concept à l'objet d'une intuition sensible


et en second lieu elle applique la simple règle de la réflexion sur cette intuition
à un tout autre objet, dont le premier n'est que le symbole. [...] S'il n'y
a en effet aucune ressemblance entre un Etat despotique et un moulin à bras,
il y en a bien entre les règles de la réflexion sur eux et sur leur causalité.
Cette opération a été jusqu'à présent bien peu analysée, alors qu'elle mérite
une profonde recherche; mais ce n'est pas le lieu ici de s'y arrêter. Notre
langue est remplie de telles représentations indirectes d'après une analogie,
où l'expression ne contient pas le scheme propre pour le concept, mais seule-
ment un symbole pour la réflexiofl»14.

12. E. Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen , I, Die Sprache , Bruno Cassi-
rer, Berlin 1923, rééd. Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt 1964, p. 19 {Philo-
sophie des formes symboliques , vol. I, tr. fr. Minuit, Paris 1972, p. 28).
13. Ivi, p. 18 (tr. fr., p. 27).
14. I. Kant, Kritik der Urtheilskraft , Akademie- Ausgabe, Kant's gesammelte Schrif-
ten , Reimer, Berlin 1900 sq., V, § 59, p. 352 ( Critique de la faculté de juger , tr.
fr. A. Philonenko, Vrin, Paris 1968, p. 174).

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Cassirer et la philosophie des sciences en France

Kant appelle "hypotypose symbolique"


opération de la faculté de juger qui per
figurés d'objets proprement infigurab
ment, il n'y a aucune ressemblance ent
concept auquel il sert d'illustration; don
que de ce que Kant appelle un jugemen
d'un jugement de notre pensée sur ses
possible de découvrir certaines démarch
quent à des objets totalement différen
intervient précisément lorsque le jugem
objet intuitif représente indirectement te
tion d'une analogie entre les règles d
l'autre; ainsi peut-il y avoir similitude
sur les objets sensibles et sur les obj
Kant, l'hypotypose symbolique désigne

«le transfert de la réflexion sur un objet de


auquel, peut-être, une intuition ne peut jam

Nous restons bien au niveau d'une mé


d'une ontologie. Avec la théorie kant
débarrasse aussi bien de l'idée de sub
traditionnel), que de la conception em
reposait naïvement sur une prétendue
représentant et le représenté. Toutefois
pose symbolique n'intervenait qu'au-
possible, pour Cassirer elle doit permet
tion de la connaissance scientifique.
symbolicité s'inspire également des trav
holtz, de Hertz, de Duhem et de Poincaré.
C'est ici qu'intervient la première importation par Cassirer des élé-
ments de l'epistemologie française, mais elle semble s'intégrer harmo-
nieusement à l'intérieur du cadre général de la philosophie allemande
qu'elle ne fait que renforcer et confirmer. Voyons brièvement quels
sont leurs éléments convergents dans le cas de la connaissance scientifi-
que.
b) Tout d'abord, Cassirer reprend à Humboldt l'idée que tout lan-
gage est médiateur: il médiatise les rapports entre l'individu et la société,
entre le sujet et l'objet, entre l'intériorité et l'extériorité, entre le sen-

15. Ivi, pp. 352-353 (tr. fr., pp. 174-175).

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sible et l'intelligibile. D
détour par la langue16
activité de l'esprit où l'
ment à l'intérieur d'une
tion des relations qu'il
contexte global. Par con
pre pensée doit la couler
de la langue") qui expri
auquel il appartient. Or
l'autre la priorité de la
c) Helmholtz montre d
les objets empiriques sur
et que ces impressions sensibles ne sont que des signes des objets,
non leur décalque. Ainsi Cassirer trouve dans la théorie de Helmholtz
un moyen efficace pour renverser la conception empiriste de la con-
naissance et pour lui substituer une théorie fonctionnelle complexe,
d'allure plutôt idéaliste:

«Le signe, en revanche, [contrairement à Pimage] n'exige aucune similitude


de fait entre les éléments en présence, il suppose la seule correspondance
fonctionnelle de structure à structure. Ce qu'il actualise, c'est, non pas l'allure
particulière de l'objet qu'il désigne, mais les rapports objectifs susceptibles
d'être transposés entre régions homologues. [...] C'est pourquoi, grâce à nos
représentations, nous connaissons, non pas sans doute le réel lui-même, dans
son être en soi, mais bien les règles qui président à ce réel et conditionnent
les changements qui s'y produisent. Ce que nous pouvons atteindre sans équi-
voque, le fait auquel nous pouvons nous fier [...], c'est l'immanence de la
légalité dans le phénomène (das Gesetzliche in den Erscheinungen ); et cette
légalité qui conditionne notre possibilité de concevoir les phénomènes est,
en même temps, la seule propriété que nous puissions rapporter aux choses
mêmes»17.

En définitive, Helmholtz opère une synthèse entre la conception


kantienne des impressions sensibles et la théorie leibnizienne de l'expres-
sion (entendue comme correspondance fonctionnelle entre une projec-

16. Philosophie der symbolischen Formerly I, cit., p. 102 (tr. fr., pp. 104-110).
17. Substanzbegriff und Funktionsbegriff , cit., pp. 404-405 (tr. fr. p. 344). Cf. aussi
Die Philosophie der symbolischen Formen , III, Phänomenologie der Erkenntnis , Bruno
Cassirer, Berlin 1929, rééd. Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt 1990, pp. 335-
356 (Philosophie des formes symboliques , vol. III, tr. fr., Minuit, Paris 1972, p. 358).
Dans ce passage, Cassirer cite un extrait de Hermann von Helmholtz tiré de son Handbuch
der physiologischen Optiky Voss, Hamburg und Leipzig 18962, pp. 586 et 947.

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tion de perspective et son géométral) en établissant une cor


fonctionnelle entre les sensations et les objets empiriques. D'où le
retour en force de la conception de Substance et Fonction d'après
laquelle on ne peut accéder aux objets qu'à partir de la catégorie
de relation .
d) C'est surtout dans l'ouvrage de Heinrich Hertz, Die Prinzipien
der Mechanik (1876, 2ème éd. 1894), que Cassirer trouve une théorie
du symbole qui s'applique tout particulièrement au domaine de la
connaissance scientifique. C'est dans cet ouvrage que Hertz avait rejeté
la théorie de la vérité scientifique entendue comme simple copie du
réel, et lui avait substitué une théorie du symbole (, Symboltheorie ).
La connaissance scientifique est une connaissance par purs signes, un
"monde de purs signes (eine Welt reiner Zeichen )" qui n'est pas une
explication du réel, mais un processus d'interprétation complexe qui
entretient une correspondance fonctionnelle entre les termes symboli-
ques et les faits conformément aux postulats initiaux de la théorie
scientifique. Ces termes symboliques ne sont ni des résumés d'expé-
riences, ni des copies ou des décalques des objets, mais des «projets
constructifs ( konstruktive Entwürfe )», tout comme les concepts fonda-
mentaux de la physique théorique sont des modèles pour des expérien-
ces possibles18.
C'est dans ce contexte précis, mais très surchargé de sens, que Cassi-
rer intégra les analyses des grands épistémologues français Duhem et
Poincaré. Voyons tout d'abord le cas de Poincaré.
e) Henri Poincaré emboîte le pas à Hertz en montrant que le fait
scientifique se distingue du fait brut en ce que le premier doit être
préalablement mis en forme au sein du symbolisme mathématique dont
il dépend et qui le connecte ainsi aux autres faits scientifiques. Poin-
caré a montré avec vigueur que les théories physiques sont construites
avec une entière liberté de pensée sans une contrainte quelconque venant
du monde de l'expérience et qu'un fait isolé n'a en lui-même aucune
espèce de signification. Cassirer se contente de souligner que le conven-
tionnalisme de Poincaré laisse à l'esprit l'initiative de créer librement
un symbolisme mathématique approprié et de sélectionner les faits qu'ils

18. Philosophie der symbolischen Formen , III, cit., p. 25 (tr. fr. p. 33); cf. aussi
le t. 1, p. 26 et Substanzbegriff und Funktionsbegriff , cit., pp. 244-245 (tr. fr., p.
215); ainsi que Das Erkenntnisproblem , IV, Kohlhammer Verlag, Stuttgart 1957, p.
114 sq.

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considère comm
rer:

«La liberté de construire des hypothèses et des théories physiques ne signifie


nullement pour lui [Poincaré] quelque chose d'arbitraire. Car les relations
qui s'expriment en elles sont continuellement sujettes au contrôle de l'expé-
rience dont elles tirent leur validité objective. C'est seulement le langage des
symboles et des théories physiques que nous appliquons à l'expérience qui
se présente comme quelque chose de variable; toutefois, cette variabilité n'exclut
pas la continuité ni la cohérence logique des théories, mais au contraire elle
apparaît comme un moyen qui permet de les sauvegarder»20.

Il n'est assurément pas difficile, pour Cassirer, d'intégrer Poincaré


dans le cadre d'une théorie néo-kantienne de la science en faisant
ressortir d'une part cette liberté créatrice de l'esprit qui peut seul con-
férer aux énoncés scientifiques leur nécessité et leur universalité qui
ne saurait nullement être tirée de l'expérience. Dans sa reconstruction
mathématique des faits, la physique moderne permet encore de mieux
faire ressortir le caractère déterminant des initiatives théoriques du
sujet épistémique dans l'acte même de connaître, car la physique se
détourne désormais des figurations imagées pour devenir de plus en
plus une «physique des principes»21.
f) Enfin, c'est dans la Théorie physique de Duhem que culmine
la critique cassirérienne de Mach (esquissée par Hertz et Poincaré),
car elle montre avec force que le moindre fait scientifique ne peut
jamais être séparé des principes fondamentaux de la théorie ni de
l'ensemble systématisé de ses énoncés.

«La codification quantitative la plus simple d'un fait physique entraîne aussi-
tôt celui-ci dans un réseau de présuppositions théoriques, en dehors desquelles
la possibilité de mesurer le processus ne pourrait même pas être évoquée.
C'est au labeur philosophique des physiciens eux-mêmes que l'on doit d'avoir
souligné l'importance de ce fait pouj la théorie de la connaissance et de l'avoir

19. Ivi, pp. 116-118. Cassirer se réfère la plupart du temps à La valeur de la Science ,
Flammarion, Paris 1907, pp. 155-163 où on lit par exemple p. 162: «Tout ce que
crée le savant dans un fait, c'est le langage dans lequel il l'énonce. S'il prédit un
fait, il emploiera ce langage, et pour tous ceux qui sauront le parler et l'entendre,
sa prédiction est exemtre d'ambiguïté. D'ailleurs une fois cette prédiction lancée, il
ne dépend pas évidemment de lui qu'elle se réalise ou qu'elle ne se réalise pas».
20. Das Erkenntnisproblem , IV, cit., pp. 117-118.
21. Ivi, pp. 116-117.

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Cassirer et la philosophie des sciences en France 763

mis toujours davantage en lumière. Duhem surtout a su trouver le


les plus simples et les plus fortes pour exprimer cette relation récipr
le fait et la théorie physique»22.

D'où P étroite solidarité qui règne entre les faits expérim


les énoncés théoriques , accordant ainsi une importance pri
au théorique sur les éléments strictement empiriques. Cass
prend clairement que Duhem transforme la distinction opéré
caré entre fait brut et fait scientifique : il la considère non
une différence de degrés, mais comme une différence de n
va sans dire que Y experimentům crucis de Bacon perd tout
de pertinence dans cette perspective23. Au terme de ce parc
sirer pense que les analyses de Duhem et de Poincaré n'ont
confirmer sa propre conception structuro-fonctionnaliste de
de la connaissance scientifique. Par-delà le statut de la sym
c'est surtout l'histoire de la science classique qui rapprocha
Cassirer de la philosophie française des sciences, parce qu'au
de ce problème réside la question cruciale de l'idéalisme.

2. La question de Y idéalisme en histoire des sciences: Cassirer, Duhem,


Brunschvicg et Koyré

2.1 Duhem

Certes, la position de Duhem est beaucoup trop subtile et nuancée


pour se laisser grossièrement réduire à une sorte de continuisme plat
en histoire des sciences. A bien y regarder des près, Duhem s'efforce

22. Substanzbegriff und Funktionsbegriff , cit., p. 190 (tr. fr., p. 171). Peu après
Cassirer ajoute: «Aucun physicien n'expérimente et ne mesure vraiment avec l'instru-
ment particulier qu'il manipule; il substitue en pensée une instrumentation idéale d'où
sont éliminées toutes les imperfections fortuites inhérentes à la particularité de l'instru-
ment donné. [...] (Cfr. l'admirable présentation du probléme due à Duhem lui-même
et où cette interdépendance se trouve mise en lumière dans tous ses aspects, sans la
moindre omission, in La Théorie Physique , Paris 1906)».
23. Cassirer cite bien évidemment ce célèbre passage de la Théorie Physique , son
objet , sa structure , Rivière, Paris 1906; rééd. Vrin, Paris 1981, p. 240: «Ce que le
physicien énonce comme le résultat d'une experience, ce n'est pas le récit des faits
constatés; c'est l'interprétation de ces faits, c'est leur transposition dans le monde idéal,
abstrait, symbolique, créé par les théories qu'il regarde comme établies». Texte cité
in Das Erkenntnisproblem, IV, cit., pp. 118-120. Cf. aussi Philosophie der symbolischen
Formen , III, cit., p. 26 (tr. fr., p. 34).

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764 Jean Seidengart

de montrer que malgré


se sont succédés et affr
temporaine, il est possib
tuelles bien distinctes q
des énoncés théoriques.
à montrer qu'il existe d
tifique, par delà toutes
tions théoriques; or ces
théories, mais leur rapp
ne voient dans leurs con
permettant d'unifier leu
ver les phénomènes {salva
dire de produire des én
aux phénomènes. Mais i
que les énoncés théoriqu
voire Y essence de la ré
dernière attitude qui se
donné que l'histoire des
données par les progrès
côté, Duhem admet le p
certaine approximation
il refuse de voir dans q
de la réalité, justement
connaissance scientifiqu
pour Duhem ne peut pr
des choses, ni même êtr
limiter à "sauver les ap
avec les faits expérimen

«Ainsi, une théorie vraie,


physiques, une explication
sente d'une manière satisfai
rie fausse, ce n'est pas une
contraires à la réalité; c'es
pas avec les lois expérimen
rie physique , l'unique crit

Duhem sait pertinemm

24. P. Duhem, La Théorie physique , cit., p. 26.

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Cassirer et la philosophie des sciences en France 765

séquences justes, comme la logique traditionnelle nous l'app


le faux peut impliquer le vrai25.
C'est pour cette raison que Duhem défend un réalisme pru
se borne à sauver les apparences ), c'est-à-dire qui procède hy
quement (ex suppositione ), contre un autre tour de réalisme
tend posséder absolument la connaissance du réel. Or, ce der
de "réalisme" est pour Duhem inconséquent et surtout intran
donc en marge de la science proprement entendue, parce qu
absolument de son objet: il fait de la métaphysique et non pas de
la science .
Dès lors, Duhem porte des jugements sur l'histoire des sciences en
général et plus particulièrement sur l'histoire de l'astronomie et de
la cosmologie. Tout d'abord, il reproche à Galilée d'avoir une concep-
tion baconienne de la méthode expérimentale26. Cette attaque duhé-
mienne de la position de Galilée, mais aussi de Copernic et de Kepler,
va aboutir à une réhabilitation indirecte d'Osiander, de Bellarmin et
du Pape Urbain VIII, sous prétexte que ces derniers avaient refusé
de voir dans le système de Copernic le véritable système du Monde.
Ce ne pouvait être autre chose qu'une hypothèse commode pour éta-
blir un bon calendrier, de bonnes tables astronomiques, tout comme
le système de Tycho Brahé. Ainsi, Duhem entendait récupérer les acquis
les plus performants des promoteurs de la science classique (Copernic,
Kepler et Galilée), tout en condamnant leur inconséquence épistémolo-
gique en tant qu'ils pensaient être détenteurs de la vérité. Le plus

25. A cet égard, Duhem cite en exemple la position du célèbre astronome jésuite,
Christophe Clavius de Bamberg qui déclare dans son Commentaire sur la Sphère de
Sacro Bosco , cf. Sozein ta fainomena. Essai sur la notion de Théorie Physique de
Platon à Galilée , (1908), rééd. Vrin, Paris 1982, p. 111: «il peut fort bien arriver
que les apparences véritables puissent être défendues par des orbes excentriques et des
épicycles, bienm que ceux-ci soient entièrement fictifs et ne soient nullement les vraies
causes de ces apparences; car du faux, on peut conclure le vrai, ainsi qu'il résulte
de la Dialectique d'Aristote». Duhem connaît parfaitement les lois logiques de l'implica-
tion et donne toute sa puissance au célèbre ex falso sequitur quodlibet.
26. Ivi, p. 132: «Galilée a, de la valeur de la méthode expérimentale et de l'art
d'en user, à peu près l'opinion que va formuler François Bacon; il conçoit la preuve
d'une hypothèse à l'imitation de la démonstration par l'absurde usitée en géométrie;
l'expérience, en convainquant d'erreur un système, confère la certitude au système opposé.
[...] Cette manière de concevoir la méthode expérimentale était appelée à avoir une
grande vogue; mais elle est entièrement fausse, parce qu'elle est trop simple. Que les
phénomènes cessent d'être sauvés par le système de Ptolémée; le système de Ptolémée
devra être reconnu certainement faux. Il n'en résultera aucunement que le système
de Copernic soit vrai, parce que le système de Copernic n'est pas purement et simple-
ment la contradictoire du système de Ptolémée».

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766 Jean Seidengart

étonnant dans cette arg


avoir établi que le vérit
de ses propres limites e
c'est-à-dire celui qui ap
copernicien et celui qui
ciellement par l'Eglise.
Cela dit, la redoutable
de dialectique silencieus
y a ce que les scientifiq
personnelle à l'édificat
qu'ils ont effectivemen
d'avoir le recul historiq
peut en disposer; c'est
ment étonnant sur les fo

«Lorsqu'un Kepler, lorsqu


pour hypothèses des prop
cette affirmation, une en
bien distinctes. [...] Galilé
que les hypothèses copern
mais la vérité qu'ils intr
même Dynamique doit, en
représenter les mouveme
des graves; ils croyaient r
de Kepler et de Galilée, no
que les hypothèses de la p
destinés à sauver les phé
leur demandons de sauver
nimé»27.

Ce texte étonnant, mais tout à fait caractéristique de la pensée duhé-


mienne, reconnaît explicitement que l'attachement de Galilée et de
Kepler aux hypothèses de Copernic peut recevoir deux significations
bien distinctes: la première relève d'un réalisme plat et manifeste que
Duhem condamne vigoureusement, tandis que la seconde est beaucoup
plus subtile. D'après Duhem, elle contient secrètement le germe de
la science newtonienne, dans la mesure où elle s'efforce de rattacher
à «un même ensemble de postulats , formulés en la langue des Mathé-
matiques »28 toute la diversité des phénomènes étudiés afin de les

27. Ivi, pp. 139, 140.


28. Ivi, p. 140.

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Cassirer et la philosophie des sciences en France

"sauver" sur le plan d'une théorie un


sens soit de loin le plus important et le
qu'il soit resté «profondément caché »2
C'est là qu'intervient l'une des toutes
de Cassirer face à l'interprétation génér
insiste sur la puissance des symboles au
et sur les liens indissolubles qui unissen
ques, Cassirer y voit un appui solide po
que. En revanche, Cassirer s'insurge
qui prétend que Galilée et Kepler, en vo
de l'héliocentrisme copernicien en s'app
d'ordre physique, ont eu raison d'agir
avoir véritablement conscience de la po
train de faire. L'interprétation "réaliste
par Kepler et Galilée n'inquiète nullem
il sait bien que c'est grâce à la puissanc
théoriques , que ces savants coperniciens
tion les données observationnelles afin
des apparences décrites «naïvement» pa
c'est-à-dire sans une critique préalable
lité. Dans la seconde édition de son Erk
rer a jugé indispensable de rajouter un
qu'il se détache vigoureusement du "fic
sa conception du sens de l'histoire des sciences:

«Voir l'abondant matériau récemment publié par Pierre Duhem, aebÇetv xà


çatvófievoi, Essai sur la notion de Théorie physique de Platon à Galilée, Paris,
1908. - Contre le jugement qui est appliqué ici à Kepler, je dois pourtant
rester fermement attaché à la présentation qui figurait dans ma première édi-
tion. Bien qu'il combatte énergiquement le ' 'réalisme* * astronomique de Kepler
et de Galilée, Duhem lui-même, reconnaît qu'il contient en lui une nouvelle
et importante motivation essentielle: c'est la première fois qu'est formulée
l'exigence de déduire d'un seul et même ensemble de principes et de rendre
compréhensible les différents domaines des phénomènes naturels - tels que
la chute des corps graves, le mouvement des planètes ou le phénomène des
marées - (p. 139 sq.). Toutefois, Duhem a tort de supposer que ce motif
soit resté "profondément caché" pour Kepler lui-même; au contraire, il ressort
des sources elle-mêmes que Kepler l'a pleinement compris dans sa clarté métho-

29. Ibid. Duhem précise au passage que ce second sens «profondément caché, ni
Copernic, ni Kepler, ni Galilée ne l'apercevaient nettement».

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768 Jean Seidengart

dologique, même s'il est v


des bornes qui l'ont empêc

2.2 Brunschvicg

Bien qu'ils se soient lus


sirer et Léon Brunschvi
vues philosophiques qui
l'une de l'autre au sein d
philosophies se sont dév
mais dans un esprit com
des philosophies du juge
dans son activité judicat
entre les propositions et
avec le réel. En outre, l
dit Brunschvicg, de «ch
ment , dans son activité,
non le produit qu'une a
à part »32. Cette formu
avec celles où Cassirer m
de s'élever à l' auto-con
travers l'étude reflexive
sous toutes ses formes33

30. Das Erkenntnisproblem


31. Brunschvicg voit dans Ca
et de la philosophie, qu'il défe
de Leibniz contre les attaques
Les Etapes de la Philosophjie
205 et note 3 de la même pag
ser le système de la philosoph
[Leibniz* System in seinen wis
semble que MM. Russell et Co
et la profondeur». Cassirer de
d'histoire des sciences, en par
utilise et cite fréquemment.
III, cit., pp. 439, 470 (tr. fr.,
cit., p. 38 note 19.
32. L. Brunschvicg, La modalité du jugement , Alean, Paris, 1897, p. 4.
33. Cf. par exemple Cassirer, Das Erkenntnisproblem , I, cit., pp. 1-4, 6. Dans Die
Philosophie der Aufklärung , Mohr, Tübingen, 1932, p. 123, on lit: «La pensée ne
peut se diriger vers le monde des objets extérieurs sans se retourner, du même coup,
vers elle-même, cherchant à s'assurer d'un seul et même acte de la vérité de la Nature
et de sa proprie vérité».

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Cassirer et la philosophie des sciences en France 769

ses productions culturelles, l'esprit peut se livrer à une sort


de conscience pour déterminer ce qui, dans son propre dev
seulement contingent et ce qui participe au contraire essen
à la vérité intrinsèque de son être propre. Cassirer et Brun
restent assurément les derniers représentants de l'optimisme (hé
Lumières), au cours du premier tiers du XXe siècle, dans la
où ils défendent expressément l'idée qu'il existe un «progrè
coscience», non seulement dans les sciences, mais aussi dans
ses formes de la culture occidentale.
Malgré toutes ces affinités intellectuelles, Cassirer et Léon Brunsch-
vicg qui eurent l'occasion de se recontrer personnellement à Davos
(en mars - avril 1929) dans les Grisons, ne prirent pas nettement
coscience des analogies frappantes qui existent entre leurs démarches
philosophiques respectives. Nous avons le témoignage précieux et direct
de M. Maurice de Gandillac qui rapporte le ton général de cette ren-
contre entre Brunschvicg et Cassirer à laquelle il eut la chance de
participer:

«NT étant glissé dans la partie du train où Cassirer avait pris place, je lui
fus présenté par Léon Brunschvicg, dont renseignement, à la Sorbonne et
à l'Ecole, avait marqué toute notre génération. Sur bien des points les perspec-
tives de deux maîtres se rejoignaient et ils professaient encore le même opti-
misme. Brunschvicg lisait P allemand mais ne le parlait guère; F entretien se
déroula en français, langue que Cassirer maîtrisait parfaitement comme à peu
près tous les intellectuels européens de sa génération. Autant qu'il m'en sou-
vienne il fut assez peu question de philosophie, et Brunschvicg amusa la galerie
par de savoureuses anecdotes sur son condisciple Marcel Proust. Après bientôt
soixante années je garde vivante en ma mémoire l'exquise courtoisie de ces
grands professeurs à l'égard de leurs étudiants, mais, il m'en faut convenir,
plus décisive pour moi que cette journée, et même que cette quinzaine, fut
l'influence prolongée des écrits de Cassirer»34.

Malheureusement, tant que la correspondance de Cassirer n'aura


pas été publiée, il ne sera guère possible d'aller plus avant dans l'explo-
ration de cette question. Il faut donc se contenter d'établir un certain
parallèle entre leur deux philosophies, sans prendre position prématu-
rément sur la question d'une influence directe éventuelle.

34. M. de Gandillac, L'image de la Renaissance chez E. Cassirer , in Ernst Cassirer ,


de Marbourg à New-York: l'itinéraire Philosophique , sous la direction de J. Seidengart,
Editions du Cerf, Paris 1990, p. 18.

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770

2.3 Koyré

Rejoignant expl
reste attaché à l
selon laquelle un
depuis les début
la "révolution sc
phique: c'est le retour du "platonisme" de Galilée qui provoqua la
ruine du péripatétisme médiéval. Dès lors, la pensée scientifique nou-
velle a subverti le concept de réalité en substituant à l'objet empirique
un objet rationnel et mathématisé, qui demeure donc analysable et défi-
nissable comme tout autre objet mathématique. Mais il convient de
ne jamais oublier que cette subversion est l'oeuvre de Y esprit humain.
Cassirer considère pour sa part que le trait saillant des sciences
exactes, c'est de parvenir à une construction symbolique à l'aide de
jugements physiques qui «idéalisent» en quelque sorte, à l'aide d'un
passage à la limite, le point de convergence des valeurs numériques
que livrent les énoncés de mesures35. Cette procédure d'idéalisation ,
qui constitue Y objet physique en le distinguant radicalement de Y objet
empirique y est ce que Cassirer appelle le " platonisme " de la connais-
sance scientifique. Certes, Cassirer, qui cite le célèbre passage du Phé-
don où Platon oppose les " logoï " et les " pragmata "36, ne fait pas
de Platon le fondateur de la physique classique, mais il voit dans
celle-ci le retour à un certain platonisme. C'est le sens de ce platonisme
qu'il nous faut préciser, puisqu'il caractérise en propre la science exacte,
c'est-à-dire: « la fin du processus d'objectivation»31 .
Il est vrai que ce thème du platonisme des sciences exactes était
un leit-motiv du fondateur de l'Ecole de Marbourg. Hermann Cohen
aimat à répéter déjà que la voie de la mathématisation de la nature
avait été ouverte par Platon38. Pourtant, le jeune Cassirer était resté
prudent en distinguant soigneusement entre le platonisme géométrico-
physique de Galilée et celui qui se trouve dans les écrits de Platon:

35. Cf. Philosophie der symbolischen Formen , III, cit., pp. 501-507 (tr. fr., pp. 474-481).
36. Platon, Phédon , 99e (tr. fr. L. Robin, Belles Lettres, Paris 1965, p. 72): «Je
craignis de devenir complètement aveugle de l'âme, en braquant ainsi mes yeux sur
les choses (rcpòç xà 7tpáy{iaTa) et en m'efforçant, par chacun de mes sens, d'entrer en
contact avec elles, il me sembla dès lors indispensable de me réfugier du côté des
idées (eíç xouç Xóyouç) et de chercher à voir en elles la vérité des choses».
37. Philosophie der symbolischen Formen , III, cit., p. 524 (tr. fr., p. 494).
38. H. Cohen, Logik der reinen Erkenntnis , Berlin, Bruno Cassirer 19142, p. 32.

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Cassirer et la philosophie des sciences en France 771

«Pour Galilée, l'idéal universel platonicien de la connaissance reste


valide: ne peut être objet de science que ce qui conserve de façon
le caractère de l'unité. Mais tandis que pour Platon une telle idée n
sa pleine confirmation que dans la mathématique, pour Galilée elle
désormais atteinte directement et plus rigouresement dans les objets
[...] A la nature, prise au sens véritablement scientifique du mot, a
nent seulement les choses vraies et nécessaires pour lesquelles il est
d'être autrement»39.

Autrement dit, le platonisme géométrique de Galilée cons


chercher sous les changements et variations bigarrées du mo
ble, des invariants mathématiques (c'est-à-dire ici, les lois de
et plus précisément celles du mouvement des graves). En fai
le suggérait la formule de Cassirer, si l'on peut parler d'un p
de Galilée, c'est en un tout autre sens étranger aux écrits m
Platon40. D'ailleurs, le " mente concipio " de Galilée ne saur
identifié à la conversion platonicienne vers les "/ ogo'i". En e
Cassirer, la visée idéalisante des sciences ne porte pas sur d
mais sur des relations et, contrairement aux essences plato
les invariants ne relèvent pas de la ' 'réminiscence", mais d
truction opérée par l'esprit humain activement. En outre, la
hypothétique part de simples postulats ("ex suppostitene"),
pour remonter vers Y"anhypotheton" , mais pour examiner l
fécondité de ses conséquences expérimentales. C'est donc ver
tructivisme intellectualiste que tend l'interpretation cassireri
nullement vers un essentialisme pythagorico-platonicien. Pou
constructivisme produit un monde idéal que Cassirer appell
la Philosophie des formes symboliques , le monde de la " sign

«Au-dessus de la réalité du "phénomène" s'élève a présent un nouvea


de la "signification" pure, seul à fonder désormais toute sûreté et t
toute vérité définitive de la connaissance. D'autre part le monde
des "significations", même s'il renonce à toute "ressemblance" avec
empirico-sensible, ne peut pourtant pas exclure toute relation av
fondateurs de la science exacte des temps modernes, les platoniciens

39. E. Cassirer, Das Erkenntnisproblem , I, cit., p. 389.


40. Koyré lui-même a largement suivi Cassirer sur la voie de cette interprétation
de l'oeuvre de Galilée lorsqu'il écrit, par exemple, que son platonisme consiste: «à
avoir prouvé que le mouvement de la chute des corps est sujet à la loi des nombres.
Le mouvement gouverné par les nombres» ( Galilée et Platon in Etudes d'histoire de
la pensée scientifique , Gallimard, Paris 1966, p. 191).

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772

comme Galilée et
voie nouvelle»41

Cette voie nouv


cés théoriques d
appartient moin
laquelle on l'envisage»42. L'idée d'une science débarrassée de toute
contingence et de toutes particularités, n'est qu'une idée transcendan-
tale, c'est-à-dire un point situé à l'infini pour l'homme, une tâche
infinie à accomplir: l'idéal de la connaissance.
Koyré, pour sa part, rejoint non seulement les analyses de Cassirer
sur le "platonisme de Galilée"43, mais en outre il pense que ce point
est désormais l'objet d'un consensus quasi-unanime chez les historiens
des sciences: «Je viens d'appeler Galilée un platonicien . Je crois que
personne ne mettra en doute qu'il le soit . De plus, il le dit lui-
même»44. C'est dans l'oeuvre scientifique de Galilée que s'opère la
subversion du concept de réalité puisque celle-ci n'est plus le sensible,
mais le fond d'invariance qui sous-tend les phénomènes physiques et
qui n'est accessible qu'aux seules mathématiques:

«Avant l'avènement de la science galiléenne, nous acceptions avec plus ou


moins d'accommodation et d'interprétation, sans doute, le monde donné à
nos sens comme le monde réel. Avec Galilée, et après Galilée, nous avons
une rupture entre le monde donné aux sens et le monde réel, celui de la
science. Ce monde réel, c'est de la géométrie faite corps, de la géométrie

41. Philosophie der symbolischen Formen , III, cit., p. 529 (tr. fr., pp. 498-499).
42. Ivi, p. 559 (tr. fr., p. 525).
43. Cf. par exemple Koyré, Galilée et Platon , cit., p. 192. Dans une note de cette
même page, Koyré évoque le cas de l'interprétation de Cassirer dont il dit: «Cassirer,
Das Erkenntnisproblem , 1911, I, p. 389 sq., insiste sur le platonisme de Galilée dans
son idéal de la connaissance». Cf. aussi Etudes galiléennes , Hermann, Paris 1966, pp.
214-215, note 2: «Le platonisme de Galilée, fait, à notre avis, de toute première impor-
tance [...] a été remarqué par quelques historiens récents du grand florentin. [...] M.E.
Cassirer, dans son Erkenntnisproblem , v. I, estime que Galilée a renouvelé l'idéal plato-
nicien de la science qui comprend: d'où suit pour Galilée (et Kepler) la nécéssité de
mathématiser la nature, car (p. 389) "Das platonische Ideal des Begreif ens ist nur
von dem möglich , was in dauernder Einheit sich erhält ". Malheureusement (à notre
avis du moins), M. Cassirer kantise, si l'on peut dire, Platon. Aussi le "platonisme"
de Galilée se traduit-il, pour lui, par la prévalence donnée par celui-ci, à la fonction
(p. 402) et à la loi (p. 397) sur l'être et la substance. Galilée aurait ainsi renversé
la proposition scolastique operatio sequitur esse».
44. A. Koyré, Galilée et Platon , cit., p. 192. Koyré se réfère expressément dans
ce passage à l'autorité de Olschki, Burtt, Léon Brunschvicg, et Cassirer.

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Cassirer et la philosophie des sciences en France

réalisée. Par là, nous sortons de la Renaissa


ces bases-là, sur la base de la physique galilé
sienne, que se construira la science telle que nous la connaissons, notre
science»45.

La grande différence qui sépare l'idéalisme épistémologique koyréen


de celui de Cassirer, c'est que ce dernier faisait une place importante
(bien que de second ordre) à l'expérimentation; en revanche, pour
Koyré, l'expérience devient presque accessoire. C'est à se demander
si Koyré avait entendu parler de Ernst Mach qui voyait dans l'oeuvre
de Galilée le point de départ de la méthode expérimentale46. Même
la lunette de Galilée et les expériences " cent fois répétées " du savant
italien ne réussirent pas à amender le moins du monde l'interprétation
idéaliste forcenée que Koyré nous donne de la révolution scientifique:

«Il est clair également que c'est en braquant sa lunette sur la voûte céleste,
en observant les cieux, que Galilée a porté un coup mortel au cosmos médié-
val; il est certain aussi que l'oeuvre de Galilée est pleine d'appels et de recours
à l'expérience et à l'observation: expérience du pendule, du plan incliné, etc...
et d'attaques violentes contre les gens qui se refusent à admettre ce qu'ils
voient, puisque ce qu'ils voient est contraire aux principes. [...] Et cependant,
ce n'est pas le porte-parole de Galilée, Salviati, mais l'aristotélicien Simplicio
qui est présenté comme le champion de l'expérience, et c'est Salviati, au con-
traire, qui en proclame l'inutilité»47.

Sans nier le recours de Galilée à l'expérience, Koyré en diminue


considérablement la portée en montrant que la théorie n'a pas à " sau-
ver les phénomènes", qu'elle n'est pas opposée à l'expérimentation
ni dérivée d'elle, mais qu'elle exprime seule Y essence du réel48. Cas-
sirer
45. A. Koyré, L'apport scientifique de la Renaissance , reproduit in Etudes d'histoire
de la pensée scientifique , cit., p. 60.
46. Ernst Mach écrivait, au contraire, in La Mécanique , tr. fr., Hermann, Paris
1904, rééd. 1925, pp. 122, 131: «Galilée ne cherche pas à faire une théorie de la chute
des corps. Tout au contraire, il observe le phénomène de la chute et l'étudié sans
idées préconçues. [...] Galilée possède l'esprit moderne: Il ne demande pas pourquoi
les corps tombent, mais comment ils tombent. [...] Pour en déterminer la loi, il fait
certaines hypothèses; mais, au contraire d'Aristote, il ne se borne pas à les poser;
il cherche à en prouver l'existence par l'expérience».
47. A. Koyré, Etudes Galiléennes, cit., pp. 226-227.
48. Koyré écrit dans ses Etudes Galiléennes> cit., p. 156: «Le fond de la philosophie
de la nature de Galilée, c'est que les lois de la nature sont des lois mathématiques.
Le réel incarne le mathématique. Aussi n'y a-t-il pas, chez Galilée, d'écart entre l'expé-
rience et la théorie; la théorie, la formule ne s'applique pas aux phénomènes du dehors,
elle ne "sauve" pas ces phénomènes, elle en exprime l'essence».

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IIA Jean Seidengart

de son côté, restant en cela fidèle à la pensée de Kant, a reconnu


l'importance croissante de l' expérimentation dans la science moderne,
qui s'accompagne corrélativement d'un recours de plus en plus poussé
à l'abstraction mathématique pour en construire la modélisation
théorique49.

3. Les relations épistémologiques de Cassirer et Meyerson

A première vue, on pourrait être surpris de voir émerger la figure


privilégiée de Meyerson dans une étude consacrée aux relations entre
Cassirer et la philosophie française des sciences. Certes, s'il est vrai
que le philosophe Emile Meyerson n'acquit qu'assez tardivement la
nationalité française, il faut reconnaître qu'il s'établit définitivement
en France dès 1882, lorsqu'il fut nommé assistant du chimiste français
P. Schutzenberger au laboratoire de chimie minérale du Collège de
France. En outre, Meyerson publia la totalité de ses ouvrages et arti-
cles de philosophie exclusivement en français. Sa tournure d'esprit
s'est totalement intégrée à la communauté scientifique et philosophi-
que françaises, comme le souligne son disciple André Metz50.
Bien que la philosophie soit le bien commun de la communauté
intellectuelle internationale, il existe en France un vaste mouvement
continu de philosophie des sciences qui va, comme le constate expres-

49. Cf. par exemple E. Cassirer, An Essay on Man , Yale University Press, New
Haven and London 1944, pp. 220-221 (Essai sur l'homme , tr. fr. Minuit, Paris 1975,
p. 307): «Le savant ne saurait atteindre son but sans une obéissance stricte aux faits
de la nature. Mais cette obéissance n'est pas une soumission passive. Le travail de
tous les grands physiciens - Galilée ou Newton, Maxwell ou Helmholtz, Planck ou
Einstein - ne se réduisait pas à une collection de faits; c'était un travail théorique,
c'est-à-dire constructif. Cette spontanéité et cette productivité est au coeur même de
toute activité humaine. C'est le pouvoir suprême de l'homme [...] qui le rend capable
de comprendre et d'interpréter, d' articuler et d'organiser, de synthétiser et d'universali-
ser son expérience». Voir aussi sur ce point notre article, Théorie de la connaissance
et épistémologie de la physique dans l'oeuvre de Cassirer , in Ernst Cassirer , De Mar -
bourg à New-York , cit., pp. 159-176.
50. Cf. A. Metz, Meyerson , une nouvelle philosophie de la connaissance , 2e édition
revue et corrigée, Alean, Paris 1934, p. 8: «M. Meyerson a commencé sa carrière
dans la science expérimentale. Originaire de Pologne, il a étudié et pratiqué la chimie
en Allemagne au laboratoire de Bunsen, et en France auprès de Schutzenberger. C'est
dans ce dernier pays qu'il s'est fixé définitivement. Naturalisé français depuis peu,
on peut dire néanmoins qu'il est des nôtres depuis de nombreuses annés: non seulement
il a écrit tous ses ouvrages philosophiques en français, mais encore la France est, en
quelque sorte, sa patrie spirituelle».

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Cassirer et la philosophie des sciences en France

sèment Meyerson: «des philosophes de


siècle, et notamment de D'Alembert
puis à Auguste Comte et à Cournot, et
ainsi aux contemporains»51. En fait, M
ment et Pa prolongé tout au long de sa
Ton pourrait croire, les trois années qu
Allemagne auprès du physicien et chim
de 1878 à 1881, ne lui avaient pas perm
amitiés et encore moins d'acquérir une
gne, Meyerson était un illustre inconn
célèbre peu après la publication d 'Iden
mière Guerre mondiale n'a pas arrangé
et Meyerson se plaint même dans une lettre à son maître et ami,
le philosophe Harald Hoffding, de n'avoir pratiquement plus aucune
relation en Allemagne, à la seule exception de Ernst Cassirer:

«Je n'ai plus à présent aucune relation en Allemagne. [...] Dans ces conditions,
évidemment, l'étranger a peu de chance, à moins d'être porté par un grand
succès populaire, comme le fut par exemple, M. Bergson (car les Allemands,
de toute profession, ont été de tout temps, grands adorateurs du succès);
mais cette sorte de succès, je ne l'aurai jamais et n'y aspire aucunement d'ail-
leurs. Par le fait, je crois que, depuis la guerre, un seul philosophe allemand
a parlé de mes écrits, assez brièvement du reste, à savoir M. Cassirer»52.

Bien que Meyerson ne fasse état de ses relations avec les intellectuels
allemands ici que depuis la fin de la première Guerre mondiale, force
est de reconnaître que Cassirer et Meyerson ont découvert, à peu près
simultanément, l'existence de leurs travaux réciproques53. Plutôt que
de relever chacune des occurrences où l'oeuvre de l'un est mentionnée
dans l'oeuvre de l'autre et réciproquement, mieux vaut analyser l'impor-

51. E. Meyerson, De l'Explication dans les Sciences , Payot, Paris 1921, tome II,
pp. 172-173.
52. Lettre du 24 janvier 1925 de E. Meyerson à Harald Hoffhing, in Correspondance
entre Harald Heffding et E. Meyerson , publié par Fritjof Brandt, Hans Hoffding et
Jean Adigard des Gautries, Copenhaguen 1939, pp. 86-87: en note, Meyerson mentionne
une référence de Cassirer explicite à son oeuvre philosophique dans Zur Einsteinschen
Relativitätstheorie.
53. Ainsi trouve-t-on une mention du livre de Meyerson Identité et Réalité , dans
le tome II de Das Erkenntnisproblem en 1911; de même Meyerson cite à plusieurs
reprise Das Erkenntnisproblem dans Identité et Réalité , 4e édition, Alean, Paris 1932
(cf. spécialement pp. 443 et 491).

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776 Jean Seidengart

tant compte-rendu du g
problem in der Philoso
dressa magistralement
que et de Morale?*. Da
avec une étonnante per
que que Cassirer comme
part il critique celle-ci
venait de développer en
Réalité . Nous avons aff
puisque l'on appréhen
critique que nous en do
D'emblée, Meyerson so
d'ensemble de Das Erke
et la philosophie dans l
sance. Or, selon Meyerson, ce double traitement du problème est
une pratique courante chez les philosophes des sciences en France,
alors que cela n'arrivait qu'à titre tout à fait exceptionnel en Allema-
gne:

«Ce qu'il faut tout particulièrement louer, c'est la manière dont l'auteur établit
l'étroite corrélation, la mutuelle et intime action qui a existé entre la pensée
des philosophes dans le sens étroit du terme et celle des savants des mêmes
le époques. Ce n'est pas au public philosophique français qu'il est nécessaire
de démontrer à quel point cette méthode s'impose, combien il serait vain
de prétendre séparer les deux domaines, de tenter d'exposer la pensée métaphy-
sique d'un Descartes ou d'un Leibniz en laissant de côté leur activité scientifi-
que. [...] En Allemagne la séparation entre la philosophie et la science a
été, longtemps, presque de tradition. [...] L 'Erkenntnisproblem est l'oeuvre
la plus importante qu'un discipline du maître de Marburg [i.e. Hermann Cohen]
ait produit à ce jour; et comme l'accueil qu'elle a reçu de la critique allemande
a été général et enthousiaste, son importance propre est doublée de l'action
qu'elle est sans doute appelée à exercer sur la marche future de la pensée
philosophique dans ce pays»55. .

54. Cf. Mayerson, L'Histoire du Probléme de la Connaissance de M. E. Cassirer ,


«Revue de Métaphysique et de Morale», XIX (1911), pp. 100-129. Cf. à ce sujet aussi
les notations importantes de Massimo Ferrari in II giovane Cassirer e la scuola di
Marburgo , Franco Angeli, Milano 1988, pp. 175-177; sans oublier son article très péné-
trant intitulé La genèse de "Das Erkenntnisproblem in Ernst Cassirer , De Marbourg
à New-York, cit., pp. 97 sq.
55. L'Histoire du problème de la Connaissance de M. E. Cassirer , cit., p. 101.

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Cassirer et la philosophie des sciences en France

Meyerson a parfaitement compris que


de Cassirer est à la fois historique et s
le second point de vue qui l'emporte su
Meyerson ne manque pas de souligner a
constante des perspectives historique e
«anomalies»51 regrettables dans l'éco
Tout d'abord, Meyerson dénonce les lacu
bles de ce vaste travail: d'une part la c
de la chimie) brille par son absence58,
gieuse est laissée pour compte59. De m
totalement Cassirer qui a fait l'économ
passant directement à la Renaissance ap
assez brèves sur l'Antiquité. Cette criti
Meyerson se réclame d'un continuisme
gnements de Duhem, car il refuse à so
tance du moyen âge:

«Il nous semble que la part qu'il lui a faite [i.e. au moyen âge] n'est pas
tout à fait suffisante. Il y a là un parti-pris, fort compréhensible d'ailleurs,
si l'on songe que, pour diverses raisons, la plupart du temps étrangères à
la philosophie et à la science, on est souvent porté de nos jours à exagérer
plutôt le rôle de cette époque. Et comme la Renaissance a été surtout une
réaction contre le moyen âge, il est naturel qu'en commençant l'histoire à
ce tournant, on soit porté à rattacher les temps modernes directement à l'anti-
quité. C'est néanmoins, dans bien des cas, faire fausse route et se priver
de points d'appui précieux pour l'entente des théories. En philosophie surtout,
lutte indique souvent dépendance; et beaucoup de penseurs de la Renaissance
qui n'ont cessé de médire de la scolastique, se montrent en réalité très imbus
de son esprit»60.

Meyerson procède ensuite à la présentation des grands moments


de cette histoire du problème de la connaissance qui s'étend de Ni-

56. Ivi, p. 100: «Le livre de M. Cassirer [...] n'est une histoire qu'en apparence.
C'est au fond un livre systématique, une oeuvre dominée par une théorie que l'auteur
cherche précisément à étayer par l'étude de l'évolution philosophique et scientifique
des temps modernes. C'est cette prévalence d'un point de vue unique qui, facilitant
les synthèses, constitue un des attraits les plus puissants de l'ouvrage».
57. Ivi, p. 101.
58. Ivi, pp. 102-103.
59. Ivi. DD. 103-104.
60. Ivi, pp. 104-105.

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778

colas de Cues à Kant. Dans cette "revue" relativement rapide61,


Meyerson fait preuve d'une rare probité intellectuelle, même s'il lui
arrive de critiquer fermement certaines maladresses de Cassirer, notam-
ment à propos des chapitres du livre V consacrés à la philosophie
anglaise qui figurent dans le tome II. En revanche, le recenseur ne
tarit pas d'éloges à propos des chapitres des deux derniers livres consa-
crés à la préhistoire du criticisme (de "Newton à Kant"62) et à la
philosophie critique proprement dite. A propos de cette dernière, Meyer-
son déclare:

«Nous voici enfin parvenus à Kant, fin et couronnement de l'oeuvre. On


est habitué d'attendre beaucoup de l'école de Marburg dès qu'il s'agit de
Kant; on ne pourra pourtant s'empêcher d'admirer dans ces pages la richesse
du détail et la profondeur de la compréhension»63.

Le plus intéressant reste, sans aucun doute, la présentation et la


discussion critique, faite par Meyerson, de la philosophie des sciences
que Cassirer défend à travers toutes ces analyses historiques. Pour
Meyerson, cette «théorie des sciences» de Cassirer se réduit à une
thèse unique qu'il condense ainsi:

«La thèse paraît en elle-même fort simple: c'est la prédominance nécessaire


du concept de règle ou de fonction mathématique sur celui d'essence ou de
substance, allant jusqu'à l'annihilation définitive du second au profit du pre-
mier. [...] Il croit établir que "la physique mathématique se détourne de l'essence
des choses et de leur intérieur substantiel pour se tourner vers leur ordre
et liaison numériques et leur structure fonctionnelle et mathématique" (II,
p. 530)»64.

Meyerson a d'autant plus de mérite à avoir dégagé aussi clairement


et distinctement la "thèse" de Cassirer, qu'il ne connaissait pas encore

61. Ivi, pp. 105-121.


62. Ivi, p. 116: «L'auteur s'applique à démontrer que la matière des questions particu-
lières qui sont au fond de la philosophie kantienne se trouvait avoir été préparée et
tous ses détails par l'activité philosophique et scientifique du XVIIIe siècle tout entier
(p. 319-320), et cet historique de la préparation du criticisme que M. Cassirer poursuit
jusque dans ses affluents les plus minces, constitue peut-être la partie la plus remarqua-
ble et la plus attachante de cette oeuvre distinguée».
63. Ivi, p. 118.
64. Ivi, pp. 121-122. Meyerson reprendra cette formule caractéristique de Cassirer
dans Identité et Réalité , jusqu'à sa dernière édition (cf., p. 443).

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Cassirer et la philosophie des sciences en France 119

l'existence de Substanzbegriff und Funktionsbegriff 5 au m


il rédigeait cette recension. Avant de discuter et de critiquer
partiellement , le fond de la thèse de Cassirer, Meyerson obj
d'abord que certains cas historiques importants échappent à
ception générale de la connaissance scientifique, à savoir: Bo
Descartes. En effet, le premier qui est l'inventeur du terme "
laire ", a cherché la constitution des corps sans supprimer
de substance ; quant à Descartes, on ne saurait prétendre qu'
abstraction du désir scolastique de connaître l'essence des ch
car (comme R. Lenoble le montrera clairement plus tard) c'
senne, au contraire, qui affichera cette position à l'égard de l
sance scientifique67. Meyerson objecte également à la thèse
rer que Kepler n'a pas cherché à évacuer le concept de cause sous
prétexte qu'il cherchait avant tout les lois des orbites planétaires. Dans
un même ordre d'idées, en dépit de son célèbre «hypotheses non fingo »,
Newton considérait comme réelle la théorie de l'émission qu'il déve-
loppe dans son Optique ; tout comme Boscovich considérait la force
comme un être réel dans sa Theoria philosophiae naturalis . Ces quel-
ques contre-exemples suffisent à montrer que la science classique ne
s'est jamais totalement détourné de la recherche des causes ni d'une
certaine ontologie . Or, c'est là que Meyerson se démarque radicale-
ment de la thèse de Cassirer, malgré leurs profondes convergences
épistémologiques et méthodologiques: pour le premier, la science reste
attachée au monde des réalités objectives , c'est-à-dire à une certaine
exigence d'ontologie**. Du moins, tel est le sens de la critique finale
que Meyerson adresse à la philosophie de Cassirer:

65. C'est ce qu'il signale dans une note {L'Histoire du Problème de la Connaissance
de M. E. Cassirer , cit., p. 123): «Cet article, écrit dans le courant de l'été 1910, était
déjà composé quand a paru le dernier ouvrage de M. Cassirer».
66. Ivi, p. 124; ici, Meyerson traduit directement un passage de Das Erkenntnispro-
blem , I, pp. 391-393. Meyerson ajoute plus loin dans le même sens (ivi, p. 127): «Il
faut beaucoup de bonne volonté pour trouver, même dans les oeuvres philosophiques
de Descartes, les passages dirigés contre la recherche de la substance ou de la cause
ou contre l'emploi d'hypothèses».
67. C'est même un thème récurrent chez Mersenne que d'affirmer que nous ne pou-
vons pas connaître l'essence des choses ici-bas, cf. par exemple: Mersenne, La vérité
des sciences contre les Sceptiques , (1625), rééd. Frommann, Stuttgart-Bad Cannstatt
1972, pp. 109, 212-213, 913-914.
68. Meyerson écrira plus tard dans De l'explication dans les sciences , cit., tome I,
p. 31: «La science entière repose sur le tuf, peu apparent sans doute (puisqu'on a
tenté de nier l'existence de cette assise) mais néanmoins solide et profond de la croyance
à l'être indépendant de la conscience».

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780

«le concept d'une


sans support, est
un monde de réal
elle en crée aussit
ne peut détruire
qu'elle détruit l'a

Inversement, o
côté, en mettan
sance aux dépen
tement une sort
de «fonction». D
son est revenu
ments antérieur
beau fleuron, en
de rapports sans
de tout substrat éventuel:

«C'est une des pierres angulaires du système de l'école de Marburg. On sait,


en effet, que ces philosophes, dont l'oeuvre constitue un ensemble incompara-
ble, professent que le concept de fonction mathématique est le fondement
de notre raison; le concept de substance lui est subordonné, et son rôle dans
la science et dans la philosophie se bornerait, en quelque sorte, à préparer
l'accession, la pénétration du premier; l'identité ne serait qu'un instrument
de la connaissance. C'est donc que, tout comme chez M. Bergson, l'entende-
ment créerait le constant dans son souci de saisir le variable»70.

Définie en des termes propres à la philosophie des sciences de Meyer-


son, la critique de Cassirer en reçoit davantage de vigueur et de netteté.
En effet, Meyerson reproche à Cassirer de défendre une philosophie
de la légalité qui prétend pouvoir se passer de la causalité . C'est une
inconséquence de la part de Cassirer, puisque le principe de légalité
est un principe de changement et d'évolution qui n'a de sens que
s'il est lié au principe de causalité qui est pour Meyerson un principe
de conservation du tout. Contre Cassirer et contre le positivisme, Meyer-
son affirme que le lois scientifiques exigent le concept de chose , c'est-
à-dire, une fois encore, la référence à un substrat qui soit pourvu
d'une certaine consistance ontologique indispensable pour qu'une théorie

69. L'Historire du Problème de la Connaissance de M. E. Cassirer . cit.. d. 129.


70. E. Meyerson, Identité et Réalité , cit., p. 491.

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Cassirer et la philosophie des sciences en France 781

soit véritablement explicative. De son côté, Cassirer montr


tout autre sens dans Y Introduction de son Erkenntnisprob
si la science a besoin d'invariants qu'elle fixe dans des conce
ne signifie nullement qu'elle doive concevoir ceux-ci nécess
sous la forme massive et grossière d'une chose stable71. D'o
relative méprise de Meyerson au sujet de la position philoso
exacte de Cassirer:

«L'auteur [Cassirer] a le profond sentiment que science et métaphysique sont


des activités connexes de Pesprit humain £t tendent vers un même but; c'est
là, [...] la source ultime de la puissante inspiration qui anime les pages de
son beau livre et en fait un tout vraiment organique. Ce sentiment, selon
nous est juste; mais le point de recoupement n'est pas là où il le cherche,
il n'est pas à une distance mesurable, mais dans l'infini, dans l'acosmisme:
c'est là la limite dont science et philosophie s'approchent asymptotiquement;
mais elles ne peuvent l'atteindre qu'en s 'anéantissant»72.

Meyerson n'a pas suffisamment pris conscience du caractère problé-


matique et non conclusif du titre de l'ouvrage de Cassirer. C'est d'ail-
leurs pour cette raison que Cassirer commença par étudier le processus
historique au cours duquel la pensée scientifique et philosophique pro-
duisirent successivement, en vue de traiter ce problème de la connais-
sance, des appareils conceptuels et des méthodes que Y Erkenntnispro-
blem s'efforce rétrospectivement de dégager et d'élucider73. Par con-
séquent, lorsque Cassirer situe ce «point de recoupement» entre science
et philosophie «à une distance mesurable », il entend seulement dési-
gner un point historique et, par conséquent, relatif. Jamais Cassirer

71. Das Erkenntnisproblem I, cit., pp. 3-4: «La réalité des objets s'est réduite pour
nous à un monde idéal fait notamment de rapports {Beziehungen) mathématiques; on
a construit un monde spirituel de concepts purs et d' ť 'hypothèses' ' à la place du monde
des choses. Mais la valeur des idées pures ne repose pas sur le même plan de fixité
et de stabilité que celle que l'opinion habituelle attribue aux choses sensibles. La signifi-
cation des idées n'apparaît pleinement que dans la progressive mise en forme (Gestal-
tung) de l'expérience scientifique: et cette mise en forme ne peut se produire autrement
que du fait que l'idée s'y présente sous diverses figures logiques {logischen Gestalten)».
C'est nous qui traduisons.
72. E. Meyerson, L'Histoire du problème de la Connaissance de M. E. Cassirer ,
cit., p. 129.
73. Cassirer précise à ce propos: «La tâche qui revient à la philosophie, dans chacune
des phases particulères de son développement, consiste en somme à mettre sans cesse
en relief, dans un complexe historique concret de concepts et de principes scientifiques
déterminés, les fonctions logiques générales de la connaissance».

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782

n'a manif
provisoir
Certes, c
pas résolument opposé au concept de chose . Cependant, ce que ce
dernier rejette expressément, c'est toute espèce de substantialisme gros-
sier issu d'un réalisme naïf qui n'est ni surmonté ni critiqué. Pour
Cassirer, nous ne devons faire de la "chose" ni le point de départ
de la connaissance, ni son support, mais plutôt le point de fuite vers
lequel convergent toutes les démarches de la connaissance scientifique:

«Nous construisons une connaissance de l'objet, en opérant certaines délimita-


tions à P intérieur du cours uniforme des contenus d'expérience et en retenant
tels éléments et tels enchaînements invariants destinés à opérer la liaison de
l'expérience. Pris en ce sens, le concept d'objet n'est plus un obstacle au
savoir. [...] Il désigne l'avoir logique du savoir lui-même et non un au-delà
obscur qui lui échapperait à jamais. Ainsi, la "chose" est-elle, non plus la
référence inconnue, la substance massive qui s'impose à nous, mais une expres-
sion pour désigner la forme et le mode de Pacte même du concept»74.

Pour Meyerson, toute explication par la loi est insuffisante si elle


ne s'élève pas aussi à l'explication par la cause. Or, expliquer c'est
identifier, c'est réduire l'autre au même, en montrant l'identité d'un
phénomène étudié et d'un phénomène déjà connu; ce qui pose un
grave problème, car la connaissance ferait ainsi s'évanouir progressive-
ment la diversité du réel qu'elle prétendait initialement pouvoir attein-
dre et reconnaître comme telle. Pour Cassirer, comme pour Brunsch-
vicg et pour Bachelard, la science n'est pas réductrice, mais créatrice
ou productrice15 . En France, Bachelard a utilisé l'idéalisme de Léon
Brunschvicg pour combattre le "réalisme" de Meyerson76. De même,

74. E. Cassirer, Substanzbegriff und Funktionsbegriff , cit., p. 403 sq. (tr. fr., p. 343).
75. De ce point de vue, la philosophie des sciences de Cassirer échappe aux critiques
que Bachelard adressa plus tard à Pencôntre de celle de Meyerson dans L'activité ratio-
naliste de la physique contemporaine , PUF, Paris, 1951, p. 86: «Si P "explication"
n'est qu'une réduction à la connaissance vulgaire, elle n'à rien à voir avec l'essentielle
production de la pensée scientifique».
76. Cf. par exemple G. Bachelard, Le rationalisme appliqué , PUF, Paris 1962 , p.
9: «Ce n'est pas un accident de doctrine qui a entraîné chez Meyerson une conception
statique de la psychologie de l'esprit scientifique. [...] L'histoire des sciences est à cet
égard souvent trompeuse. Elle ne restitue presque jamais les obscurités de pensée. [...]
On croit donc à une raison constituée avant tout effort de rationalité. Léon Brunschvicg
a vu la faiblesse de cette position d'absolu et il a insisté souvent sur la relativité essen-
tielle de la raison et de l'expérience».

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Cassirer et la philosophie des sciences en France

rengagement idéaliste de Cassirer le co


les éléments de la philosophie française
mettaient de combattre le plus efficac
le positivisme qui commençaient à s'im
dans le champ de l'epistemologie. Il ne
attitude sélective un manque d'intérêt à
ques de la pensée française proprement
intimement convaincu, toute sa vie du
en son sens fonctionnel , en tant qu'el
a pour vocation de s'élever vers l'unive

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