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Enseigner l’analyse sensorielle du vin

Ressorts didactiques et déjà-là sensoriel de l’enseignant


Études de cas en didactique clinique
Citations

« Sans la participation de l’odorat, il n’y a point de dégustation complète. »

Jean Anthelme Brillat-Savarin1, « La physiologie du goût »

« (…) dans la dégustation interviennent des données physico-chimiques, neurobiologiques,


psychologiques et socioculturelles : diversité des vins et complexité (…) »

Guy Caro2, « De l’alcoolisme au savoir-boire »

« La dégustation est un sport exigeant qui requiert régularité, rigueur, méthode et humilité (…) »

Pascal Lardellier3, « Opéra bouffe, une anthropologie gourmande de nos modes alimentaires »

« Finalement les jeunes retiennent davantage l’image valorisée du vin,


précisément parce que le vin auquel ils pensent à ce moment-là est le vin de la modération,
celui qu’ils associent aux valeurs familiales, celui qui est un inestimable objet de la transmission
et qui reste un produit culturellement porteur d’une identité à transmettre. »

Céline Simmonet-Toussaint4, « Le vin sur le divan, des représentations sociales aux représentations
intimes »

« [la dégustation des vins] c’est un art, et comme tous les arts,
elle préconise une éducation des plus étendue et un état d’esprit »

Max Léglise5, « Une initiation à la dégustation des grands vins »

1
Jean Anthelme Brillat-Savarin est gastronome et auteur culinaire du XIXè siècle.
2
Guy Caro est médecin psychiatre et enseignant-chercheur.
3
Pascal Lardellier est professeur en sciences de la communication à l'université de Bourgogne (Dijon).
4
Céline Simmonet-Toussaint est docteur en psychologie.
5
Max Léglise est œnologue, professeur en œnologie, directeur honoraire de la station œnologique de Beaune.
Remerciements

Ce travail de recherche n’aurait pas été possible sans la participation de plusieurs personnes. Je tiens
à leur témoigner ma grande reconnaissance.

Je remercie Marie-France Carnus, ma directrice de thèse, pour la qualité de son accompagnement,


pour la richesse de nos échanges, pour sa disponibilité sans faille, pour le temps qu’elle m’a
consacré, pour sa rigueur et sa méthode. Je lui dois beaucoup.

Je remercie tous les enseignants qui ont répondu au questionnaire exploratoire.

Je remercie les quatre enseignants collaborateurs qui ont accepté de se livrer durant les entretiens et
qui m’ont ouvert leur classe. Je remercie aussi leurs élèves qui m’ont accepté, par caméra interposée,
durant la leçon.

Je remercie Dominique Berger, Robert Desbureaux, Cécile Gardiés et Denis Loizon qui me font
l’honneur de participer à ce jury de thèse.

Je remercie les membres de L’ÉDiC, équipe de didactique clinique, et les membres de l’entrée 1 de
l’UMR EFTS, pour le bon accueil qu’ils accordent à mon sujet, « exotique » en sciences de
l’éducation et de la formation, ainsi que pour la richesse de nos échanges.

Je remercie Françoise Dumoulin pour le soin et la méticulosité de ses lectures et corrections.

Je remercie Myriam, Élise et Jeanne pour leur patience et leur compréhension, j’espère qu’elles sont
aussi fières de moi que je suis fier d’elles.
Sommaire

Citations ................................................................................................................................................. 7

Remerciements....................................................................................................................................... 9

Sommaire ............................................................................................................................................. 10

Préambule ............................................................................................................................................ 14

Introduction .......................................................................................................................................... 16

Chapitre 1. Délimitation de l’objet d’étude : options notionnelles retenues pour la recherche ........... 21

1. Précisions terminologiques, de la dégustation à l’analyse sensorielle du vin .............................. 22

2. Les objectifs de l’AS, de l’œnologie à la sommellerie ................................................................. 27

3. Les savoirs savants de la physiologie du goût .............................................................................. 30

4. La pratique sociale de référence des sommeliers ......................................................................... 42

5. Le savoir à enseigner : l’AS des vins en formation HR ............................................................... 52

6. Options notionnelles retenues ....................................................................................................... 68

Chapitre 2 : Options théoriques et conceptuelles de la recherche ....................................................... 71

1. Épistémologie et théorie de la didactique clinique ....................................................................... 72

2. Concepts et outils mobilisés dans l’étude ..................................................................................... 77

Problématique et questions de recherche ............................................................................................. 90

Chapitre 3 : Dispositif méthodologique ............................................................................................... 93

1. Préambule épistémologique .......................................................................................................... 94

2. Le questionnaire exploratoire ....................................................................................................... 96

3. De l’étude de cas à la construction du cas .................................................................................. 104

4. Tableaux synthétiques du dispositif méthodologique ................................................................ 137

Chapitre 4 : Les résultats.................................................................................................................... 139

1. Analyse du questionnaire exploratoire ....................................................................................... 140

2. Analyse et construction des cas .................................................................................................. 160


2.1. Philibert : « Comme je peux ». ............................................................................................... 161

2.2. Nadia : « Faire appel à ses références d’enfance » ................................................................. 196

2.3. Christian : « Personne n’a tort (…) il faut suivre un chef, un modèle, un mentor »............... 236

2.4. Jérémy : « C’est difficile (…) leur transmettre les connaissances que j’ai pu avoir moi » .... 276

3. Rapprochement des cas .............................................................................................................. 316

Chapitre 5 : Discussion et réponses aux questions de recherche ....................................................... 343

1. Réponses aux questions de recherche ......................................................................................... 344

2. L’après-coup du chercheur : effet chercheur et effet recherche ................................................. 392

3. Limites et perspectives ............................................................................................................... 402

Conclusion générale ........................................................................................................................... 405

Bibliographie...................................................................................................................................... 406

Table des figures, tableaux et schémas .............................................................................................. 412


Abréviations

AS Analyse sensorielle des vins

PO Partie olfactive de l’analyse sensorielle des vins

DC Didactique clinique

DL Déjà-là

AC Après-coup

EP Épreuve

MC som Mention complémentaire sommellerie

TACD Théorie de l'action conjointe en didactique

SEGPA Section d'enseignement général et professionnel adaptée

HR Hôtellerie-restauration

SSS Sujet supposé savoir

DLS Déjà-là sensoriel


Sigles

AOC Appellation d’origine contrôlée

AOP Appellation d'origine protégée

BNF Bibliothèque nationale de France

BTS Brevet de technicien supérieur

CAP Certificat aptitude professionnelle

CAPLP Concours d'accès au corps des professeurs de lycée professionnel

CNRS Centre national de la recherche scientifique

CNRTL Centre national de ressources textuelles et lexicales

CSR Commercialisation et services en restauration

ÉDiC Équipe de didactique clinique

EPS Éducation physique et sportive

ESPE École supérieure du professorat et de l'éducation

GRETA Structures de l'éducation nationale organisant des formations pour adultes

IGP Indication géographique protégée

INAO Institut national de l’origine et de la qualité

INRA Institut national de la recherche agronomique

ISO Organisation internationale de normalisation

IUFM Instituts de formation des maîtres

MC Mention complémentaire

MEEF Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation

MOF Concours « Un des Meilleurs Ouvriers de France »

OIV Organisme international du vin

OPMSPI Ouverture professionnelle en milieu scolaire dans un cadre pluridisciplinaires et inter-degrés

PFMP Période de formation en entreprise

PLP Professeur de lycée professionnel

REF Recherche éducation formation

STS HR Sciences et technologies des services en hôtellerie-restauration

UDSF Union de la sommellerie Française

UNESCO United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization


Préambule

L’enseignement de l’analyse sensorielle des vins semble absent des recherches scientifiques comme
le montre la revue des titres de thèses publiées depuis 1985. Cependant c’est un sujet qui mérite
d’être traité, d’abord parce qu’il est original et inédit, puis parce qu’il concerne plusieurs centaines
d’enseignants du domaine.

Un objet d’étude absent des recherches

En effet, l’analyse sensorielle des vins est un objet d’étude quasiment absent des recherches en
sciences de l’éducation, comme le montre le moteur de recherche en ligne « thèse.fr » qui recense les
thèses soutenues ou en préparation, depuis 1985. Dans la base qui recense 456 518 thèses6, une
requête avec les mots clés qui concernent notre recherche donne les résultats suivants :

 « Vin » dans le titre : 212 thèses7 dont 1 en sciences de l’éducation8 ;


 « Vins » dans le titre : 226 thèses9 dont 1 en sciences de l’éducation (celle-ci) ;
 « Vin » ou « vins » + « didactique » dans le titre : 1 thèse (celle-ci) ;
 « Analyse sensorielle » dans le titre : 65 thèses10 dont 1 en sciences de l’éducation (celle-ci).
Même si les recherches en thèse de doctorat mentionnant le mot « vin(s) » représentent presque11
0,1 % des manuscrits, toutes disciplines confondues, soutenues ou en préparation, l’association des
termes « vin(s) » et « didactique » n’est actuellement pas présente, y compris dans le domaine des
sciences de l’éducation.

L’intérêt de cette recherche

Mener une recherche originale et inédite est un avantage car c’est l’occasion d’investiguer un terrain
encore vierge et de prendre ainsi en compte des préoccupations restées sans réponse. Cependant,
c’est aussi une difficulté car il est alors impossible de s’appuyer et de construire sur les fondations
validées des recherches scientifiques antérieures.

6
Site de recensement des thèses soutenues et à soutenir depuis 1985 [en ligne], accessible à l’adresse :
http://www.theses.fr, consulté le 24 avril 2019
7
Les titres, auteurs, disciplines de ces thèses sont disponibles dans les annexes numériques dans le fichier nommé AN1.
8
« Le moment du vin, une éducation tout au long de la vie », par Laurence Marie-Claire Zigliara
9
Les titres, auteurs, disciplines de ces thèses sont disponibles dans les annexes numériques dans le fichier nommé AN1.
10
Les titres, auteurs, disciplines de ces thèses sont disponibles dans les annexes numériques dans le fichier nommé AN1.
11
Les 437 thèses avec le mot « vin(s) » dans leur titre représentent 0,09 % des 456 518 thèses au total.

14
Ces questions concernent pourtant, potentiellement, 1 482 enseignants « Hôtellerie12 : services,
tourisme » des lycées techniques et professionnels ayant l’injonction institutionnelle d’enseigner
l’analyse sensorielle des vins à leurs élèves et étudiants dans le domaine de l’hôtellerie-restauration.

12
D’après les statistiques de l’éducation nationale (sources : MEN-MESRI-DEPP, Bases relais) « Répartition des
enseignants en charge d’élèves à l’année dans le second degré par groupe de disciplines en 2017-2018 », [enligne]
accessible grâce à l’adresse : https://www.education.gouv.fr consultée le 25/04/2019

15
Introduction

Cette partie introductive poursuit l’objectif de préciser l’origine du choix de ce thème de recherche.
Il est certainement fortement en lien avec mon rapport à cet objet d’étude. Les enjeux de cette
recherche sont ensuite présentés avant d’en préciser la structure du développement.

Pourquoi le choix de ce thème ?

Les enseignants du secondaire, intervenant dans les formations en hôtellerie-restauration à tous les
niveaux de diplômes du Certificat d’Aptitudes Professionnelles au Brevet de Technicien Supérieur
dans les lycées13, aux Masters Hôtellerie dans les universités14, sont susceptibles d’enseigner
l’analyse sensorielle des vins dans l’objectif principal de valoriser les vins dans le cadre de la
restauration, c’est à dire « conseiller la clientèle, proposer une argumentation commerciale » d’après
le référentiel du baccalauréat professionnel commercialisation et services en restauration (2011, p
12).

L’analyse sensorielle des vins se décompose en trois phases chronologiques15, une partie visuelle,
une partie olfactive et une partie gustative. Nous choisissons de nous focaliser sur la phase olfactive16
car elle est centrale dans l’analyse sensorielle et particulièrement délicate. En effet, comme l’indique
Manetta & Urdapilleta (2011), elle pose problème tant au niveau de la perception que de la
description. La partie olfactive de l’analyse sensorielle est d’ailleurs considérée comme difficile à
enseigner pour 75 % des enseignants interrogés dans le cadre du questionnaire exploratoire17 de cette
recherche.

13
CAP commercialisation et services en hôtel-café-restaurant ; MC employé barman ; sommellerie ; organisateur de
réception ; bac pro commercialisation et services en restauration ; bac techno STHR (sciences et technologies de
l'hôtellerie et de la restauration) ; BTS (brevet de technicien supérieur) management en hôtellerie-restauration : option A
management d'unité de restauration (d’après le site de l’Onisep [en ligne] accessible sur le site : http://www.onisep.fr,
consulté le 25/04/2019).
14
Master Tourisme, management en hôtellerie-restauration de l’ISTHIA à Toulouse 2 université par exemple [en ligne]
accessible à l’adresse : http://www.isthia.fr, consulté le 25/04/2019.
15
Ces trois phases sont présentées et détaillées dans le chapitre 1.
16
Ce choix est développé dans le chapitre 1.
17
La présentation de ce questionnaire exploratoire se trouve dans le chapitre 3 alors que son analyse se trouve dans le
chapitre 4.

16
Mon rapport à l’objet d’étude

Mon rapport avec l’objet d’étude est intime et passionnel. L’analyse sensorielle des vins fait partie
intégrante de mon déjà-là18. Ma première dégustation de vin est difficile à situer précisément
cependant elle s’inscrit assurément dans mon histoire gastronomique familiale. J’ai le souvenir
lointain d’avoir grandi dans une ambiance d’amateurs de bonne chère, rythmée par les nombreux
rendez-vous familiaux19 autour de banquets et grands repas de fêtes. Mon grand-père paternel était
pâtissier. Mon grand-père maternel possédait une vigne et les vendanges étaient un moment fort de
l’année. C’est tout naturellement vers des études en hôtellerie-restauration que je me suis tourné,
apprenant au lycée et en périodes de stages en entreprises, l’analyse sensorielle, la valorisation et le
service des vins (entre autres). Différentes expériences professionnelles au poste de sommelier, dans
des restaurants gastronomiques (Chez Delphin20, Les jardins de l’opéra21, La ferme de Bernadou22)
m’ont conforté dans cette passion. Devenu enseignant certifié services accueil en lycée
technologique hôtellerie-restauration, ma « coloration » sommellerie m’influence de façon
importante. Après dix ans d’enseignement auprès d’élèves de niveau Bac et BTS j’ai l’opportunité
d’intégrer l’IUFM23 de Toulouse, un des deux centres au niveau national, à proposer une formation
de formateurs d’enseignants dans le domaine spécifique de l’hôtellerie-restauration. C’est ainsi que,
depuis treize ans, j’enseigne la didactique disciplinaire aux étudiants du domaine, en insistant
naturellement sur la sommellerie dont l’analyse sensorielle est un pilier. Cette passion dépasse le
milieu scolaire puisque je participe, dans le domaine associatif, à l’Union de la Sommellerie
Française Sud-Ouest Occitanie24 et à l’association des Sommeliers Formateurs25.

Mon itinéraire de recherche commence en 2012 lors de ma formation en master OPMSPI26 à l’ESPE
de Toulouse. C’est déjà autour de l’enseignement de l’analyse sensorielle des vins que mon mémoire

18
Le concept de déjà-là est central en didactique clinique, il est présenté dans le chapitre 2.
19
Familial au sens large : grands-parents, parents, oncles, tantes et cousins.
20
Un macaron Michelin à Sucé sur Erdre, proche de Nantes.
21
Deux macarons Michelin à Toulouse, place du Capitole.
22
Un macaron Michelin à Villemur-sur-Tarn.
23
Maintenant devenu l’ESPE.
24
Plus d’informations disponibles [en ligne], accessible à l’adresse : http://www.sudouest-occitanie.fr/, consultée le
25/04/2019.
25
Plus d’informations disponibles [en ligne], accessible à l’adresse : https://www.sommelier-formateur.com/, consulté le
25/04/2019.
26
Parcours MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) Ouverture Professionnelle en Milieu
Scolaire dans un cadre Pluridisciplinaire inter degrés.

17
de master 227, soutenu en juin 2014, est élaboré. Je souhaitais, dans ce travail de mémoire, décrire et
comprendre les effets de l’utilisation d’une carte mentale des arômes du vin, outil original créée pour
l’occasion, sur les élèves et sur le professeur dans le cadre d’un enseignement en baccalauréat
technologique hôtellerie. Les résultats de ce travail ont été publiés dans la revue « Recherche en
didactique » (Alvarez, 2017). La recherche actuelle est, en quelque sorte, la suite logique de ce
travail de master.

Enjeu de cette recherche

Selon la classification de Van Der Maren (1996), l’enjeu de cette recherche est plutôt de type
nomothétique28, elle vise à stabiliser des principes généraux, à échafauder des théories29. Il ne s’agit
pas d’obtenir la paternité d’une loi ni la reconnaissance de pairs mais plutôt de développer la
compréhension. Il s’agit de travaux monographiques (ibidem) qui, à partir de traces d’un passé
proche ou plus ancien, cherchent à décrire pour comprendre en dégageant les régularités et en
poursuivant une certaine causalité. Cette recherche prend la forme de la compréhension de cas par
une théorie du singulier (ibidem).

S’il est nécessaire de présenter l’enjeu de cette recherche, il convient d’en présenter aussi le type de
discours (Van Der Maren, 1996). Ce travail de thèse s’inscrit dans une triple théorie : en majorité
empirique (descriptive) et herméneutique (interprétative) et pour partie stratégique (praxéologique).

Ce travail de recherche considère la façon avec laquelle l’analyse sensorielle des vins, et
particulièrement la partie olfactive, s’enseigne. Partant de l’intuition forte que cet enseignement est
plutôt semblable pour tous les enseignants du domaine puisqu’il s’ancre dans un savoir à enseigner
plutôt lisible a priori30, il s’avère que la réalité didactique sur le terrain laisse apparaître une grande
diversité de pratiques, parfois opaques. Pour répondre à la question de départ : comment la partie
olfactive de l’analyse sensorielle s’enseigne-t-elle, nous convoquons la didactique clinique pour
tenter de décrire et de comprendre les pratiques enseignantes.

27
« Les effets de la carte heuristique des arômes dans l’apprentissage de la partie olfactive de l’analyse sensorielle des
vins. Une étude de cas en baccalauréat technologique hôtellerie ». Sous la direction de Marie-France Carnus.
28
De « nomos » la loi en grec et « tithèmi » poser (Van Der Maren, 1996).
29
Cette recherche ne vise pas les autres enjeux selon Van Der Maren, ni « politique » pour changer les normes, ni
« pragmatique » pour résoudre des problèmes, ni « ontogénétique » pour changer les pratiques.
30
Et notamment au travers de sa partie méthodologique en plusieurs phases chronologiques.

18
Présentation de la structure

Cette thèse se structure en cinq chapitres.

Le chapitre 1 délimite l’objet d’étude en présentant les options notionnelles retenues. Il est, dans un
premier temps, nécessaire de poser des précisions terminologiques pour distinguer la dégustation de
l’analyse sensorielle spécifique du vin. Les objectifs de l’analyse sensorielle des vins sont présentés
pour distinguer ceux de l’œnologie, science qui a pour objet principal la fabrication du vin, de ceux
de la sommellerie, qui prend en charge le service des boissons dans un restaurant. Dans un second
temps, les phénomènes de la physiologie du goût sont posés comme savoirs savants et la pratique
sociale de référence des sommeliers est mise en avant comme savoir expert pour délimiter
spécifiquement le savoir à enseigner dans les formations hôtellerie-restauration.

Le chapitre 2 pose les options théoriques et conceptuelles de la recherche. La didactique clinique est
présentée, de ses origines à ses fondements. La théorie du sujet pris dans le didactique, fondamentale
en didactique clinique, se trouve très adaptée pour notre objet d’étude. Plusieurs de ses concepts
centraux, déjà-là décisionnel, position symbolique de sujet supposé savoir (SSS), impossible à
supporter, conversion didactique et trois rapports à (l’institution, l’épreuve et au(x) savoir(s)) sont
mis en avant. Les autres concepts didactiques mobilisés dans l’étude, moments didactiques et
épaisseur ostensive sont aussi exposés.

Ce cadre théorique posé permet d’articuler la problématique pour montrer comment la didactique
clinique permet de suivre et de comprendre les enjeux de savoir, à travers l’éclairage du sujet
enseignant, dans l’enseignement de la partie olfactive de l’analyse sensorielle des vins.

Le chapitre 3 présente le dispositif méthodologique. Il s’agit de l’instrumentation, construite grâce à


une triangulation de données (Van Der Maren, 1996) en adoptant une posture clinique de recherche.
Un questionnaire exploratoire concourt à sélectionner les quatre enseignants collaborateurs qui
permettent de passer de l’étude des cas à la construction des cas. Cette partie méthodologique vise la
présentation des données collectées. Plusieurs entretiens et observations de classe participent de la
construction de vignettes didactiques cliniques, réunissant les éléments saillants de chacun des quatre
cas.

Le chapitre 4 réunit les résultats de la thèse. Grâce au questionnaire exploratoire, les quatre
enseignants collaborateurs, appartenant à chacun des quatre profils types des enseignants de la partie
olfactive de l’analyse sensorielle des vins, sont sélectionnés. Chaque cas est ensuite construit et

19
analysé : Philibert « Comme je peux »31 enseignant expérimenté non-spécialiste, Nadia « Faire appel
à ses références d’enfance » enseignante débutante, Christian « Personne n’a tort (…) il faut suivre
un chef, un modèle, un mentor32 » enseignant chevronné et Jérémy « C’est difficile (…) leur
transmettre les connaissances que j’ai pu avoir moi » enseignant novice. Lors du rapprochement des
cas, des indicateurs de pratiques enseignantes émergent.

Le chapitre 5 discute les résultats à la lumière du cadre théorique et propose des réponses aux
questions de recherche. La partie olfactive de l’analyse sensorielle apparaît comme un savoir sous
l’influence d’un déjà-là sensoriel du sujet enseignant, elle semble animée par des ressorts didactiques
qui agissent sur les pratiques enseignantes. La dernière partie de ce chapitre réunit des propositions
praxéologiques : les résultats de la recherche participent de la mise en place de préconisations. La
didactique clinique propose des outils heuristiques pour la formation des enseignants. L’après-coup
du chercheur est ensuite convoqué puis les limites et les perspectives de cette recherche sont posées.

31
La partie entre guillemets est la formule de l’enseignant. C’est un extrait du verbatim jugé représentatif du cas par le
chercheur.
32
D’après le CNRTL : « Personne servant de conseiller sage et expérimenté à quelqu'un ».

20
Chapitre 1. Délimitation de l’objet d’étude : options notionnelles retenues pour la recherche

Ce chapitre présente l’objet d’étude qui est au centre de ma recherche : l’analyse sensorielle des vins
et particulièrement sa partie olfactive.

Il est nécessaire, dans un premier temps, d’apporter quelques précisions terminologiques pour
distinguer la dégustation de l’analyse sensorielle des vins. C’est dans un second temps que les
objectifs de l’analyse sensorielle des vins sont présentés. Il faut d’ailleurs différencier les objectifs de
l’œnologie de ceux de la sommellerie qui est au centre de cette recherche. Dans une troisième partie
sont évoqués les savoirs savants de la physiologie du goût, ce qui permet de bien comprendre
comment les sens mobilisés dans l’analyse sensorielle fonctionnent et spécifiquement le sens de
l’odorat. C’est ensuite sur la pratique sociale de référence de la sommellerie que nous nous
concentrons pour stabiliser la méthodologie et le vocabulaire de la partie olfactive de l’analyse
sensorielle des vins. Dans une cinquième partie le savoir à enseigner est présenté à travers la
programmation didactique des référentiels de trois diplômes du domaine, à travers un manuel
scolaire de référence et à travers le curriculum caché de l’analyse sensorielle.

21
1. Précisions terminologiques, de la dégustation à l’analyse sensorielle du vin

Pour définir les termes « dégustation » et « analyse sensorielle » c’est, dans un premier temps, avec
une approche généraliste que sont convoqués dictionnaires et encyclopédies, puis dans un second
temps, avec une approche spécialiste et des sources scientifiques du domaine. La dégustation
gastronomique est d’abord le fait des amateurs de bonne chère et aussi un outil de dégustateurs
professionnels. La dégustation s’adosse enfin à l’analyse sensorielle pour s’appuyer sur une approche
scientifique.

1.1. De la dégustation

Selon le CNRTL33, la dégustation est l’action de déguster, c’est-à-dire de goûter attentivement et


lentement une boisson ou un aliment pour en apprécier les qualités. C’est le fait de déguster, de
goûter pour définir la nature et la qualité d’après le dictionnaire de l’Encyclopédie Universalis34.

Même si le terme « déguster » n’apparaît qu’en 1519 (Burtschy, 2016), la dégustation est
certainement aussi ancienne que la vinification (Coutier, 1994). C’est probablement, d’après Chassin
(2011), le philosophe Aristote qui évoque le premier la dégustation, en produisant la première théorie
sur les saveurs, dans son ouvrage « Du sens et du sensible35 ». Mais c’est le scientifique Eugène
Chevreul (1824)36 qui énumère et précise les phénomènes à l’œuvre dans la dégustation (Chassin,
2011). Jean Anthelme Brillat Savarin37 dans « La physiologie du goût » (1825, p 37), formule une
analyse du goût en trois sensations différentes, ceci ressemble à sa définition de la dégustation : « La
sensation directe est ce premier aperçu qui naît du travail immédiat des organes de la bouche (…) la
sensation complète (…) frappe tout l’organe par son goût et son parfum (…) la sensation réfléchie
est le jugement que porte l’âme sur les impressions qui lui sont transmises par l’organe ». Jean
Anthelme Brillat Savarin ne considère pas dans son ouvrage, la dégustation des vins en particulier
mais la gastronomie en général. Martine Coutier (2007), linguiste au CNRS, définit la dégustation

33
Centre national de ressources textuelles et lexicales [en ligne] disponible à l’adresse : http://www.cnrtl.fr/, consultée le
24/09/2018
34
Encyclopédie Universalis [en ligne] disponible à l’adresse : https://www-universalis--edu-com.nomade.univ-tlse2.fr/,
consultée le 24/09/2018
35
Traduction du titre de l’ouvrage « De sensu et sensibilibus » en latin, d’après le site de la bibliothèque nationale de
France, BNF [en ligne] disponible à l’adresse : http://data.bnf.fr, consultée le 24/09/2018
36
Chevreul Eugène, Considérations sur l’analyse organique et sur ses applications, Paris, Levrault, 1824
37
Jean Anthelme Brillat Savarin gastronome et auteur culinaire français du XIXè siècle

22
comme l’activité qui consiste à analyser les caractères organoleptiques38 d’un ou plusieurs vins. Le
docteur Gérard Debuigne, dans le dictionnaire des vins Larousse (1991, p 132), définit la dégustation
comme une opération à la fois simple et extrêmement complexe. « La dégustation est (…) un moyen
de communiquer avec ses semblables (…) mais aussi, plus prosaïquement, le moyen d’appréciation
le plus simple et le plus sûr que possèdent les vignerons, les négociants, les sommeliers ». La
dégustation est pour Émile Peynaud (1980, p 2), considéré comme l’un des pères de l’œnologie
moderne par Jean Ribéreau-Gayon39, « l’ensemble des méthodes et des techniques permettant de
percevoir, d’identifier et d’apprécier, par les organes des sens, un certain nombre de propriétés, dites
propriétés organoleptiques ». Pour Georges Pertuiset40 (2003), la dégustation trouve dans son origine
latine degustare, la réalisation d’un accomplissement, grâce au préfixe de, et gustare l’action de
goûter au sens propre41 comme au sens figuré42. Max Léglise43 (1984, p 170) associe à la dégustation
la formation et l’apprentissage : « c’est un art, et comme tous les arts, elle préconise une éducation
des plus étendue et un état d’esprit. Le dégustateur de vins n’accèdera à une parfaite connaissance
que par une large ouverture sur l’univers sensoriel et une capacité d’appréciation gustative (…) ».

Pour Pierre Casamayor44 (1998) la pratique de la dégustation est à opposer à l’acte de boire45. C’est
une pratique qui stimule tous les sens, l’ouïe, la vue, l’odorat, le goût et le toucher. Pour l’auteur
déguster n’est pas boire, c’est analyser et parler. Jacques Vivet46 (1993) définit la dégustation comme
un acte réfléchi destiné à analyser les différentes propriétés (…) en particulier celles des vins.

Les principaux auteurs qui définissent la dégustation, associent souvent d’autres termes et
expressions en guise de synonymes. Georges Pertuiset (2003) stipule que l’analyse sensorielle, est
parfois plus simplement appelée dégustation ou examen organoleptique. Émile Peynaud (1980) met
au même niveau les termes d’analyse ou évaluation sensorielle, examen sensoriel, métrologie

38
Qui sont capables d'impressionner les récepteurs sensoriels. D’après le CNRTL
39
Jean Ribéreau Gayon, professeur et créateur de l’institut d’œnologie de Bordeaux en 1949
40
Georges Pertuiset, meilleur sommelier de France en 1980
41
Percevoir, par l'intermédiaire du récepteur sensoriel qu'est le goût, une impression qui constitue une information sur la
saveur de quelque chose. (CNRTL)
42
Éprouver un sentiment ou une sensation agréable. (CNRTL)
43
Max Léglise, œnologue , professeur en œnologie, directeur honoraire de la station œnologique de Beaune
44
Pierre Casamayor, œnologue et maître de conférences à l’université de Toulouse III
45
Ce qui est de nature à inciter à cracher. Ce rapport au « cracher » est développé dans les chapitres 4 et 5.
46
Jacques Vivet, expert en vins auprès de la cour d’appel de Paris, il anime depuis les années 1980 l’école du vin à Paris

23
sensorielle, examen organoleptique, mesures ou analyse des propriétés organoleptiques. Dans son
ouvrage il choisit d’appeler l’analyse sensorielle simplement dégustation.

1.2. À l’analyse sensorielle

L’analyse sensorielle trouve probablement son origine dans les années 60 (Chassin, 2011) mais c’est
la démarche qualité de l’industrie agro-alimentaire qui lui permet de se développer. Son approche
scientifique apporte de nombreux éclairages au monde du vin. L’analyse sensorielle tend à fixer un
cadre pour objectiver les informations sensorielles obtenues dans la description organoleptique. Pour
éviter certains biais, l’analyse sensorielle tend à garantir les qualités de bonnes mesures (Chassin,
2011). Selon cet auteur, une bonne mesure doit être pertinente (elle correspond à la qualité
organoleptique recherchée), répétable (deux mesures effectuées par le même dégustateur doivent
donner le même résultat) et reproductible (une analyse pratiquée dans d’autres circonstances avec
d’autres dégustateurs doit donner les mêmes résultats). Il ressort de cette approche une volonté de
maîtrise, voire de domination du vin par l’homme.

Une des définitions de l’analyse sensorielle passe par la norme ISO 1103547. Cette norme vise à
rechercher et sélectionner des descripteurs pour l'élaboration d'un profil sensoriel. D’après la
présentation de l’organisation internationale de normalisation :

« Elle [l’analyse sensorielle] prescrit une méthode de recherche et de sélection de


descripteurs permettant ensuite d'élaborer le profil sensoriel d'un produit. Elle décrit les
différentes étapes du processus de mise en place des essais qui permettent d'aboutir à une
description complète des propriétés sensorielles d'un produit : sur le plan qualitatif, en
définissant à l'aide de descripteurs l'ensemble des perceptions permettant de discriminer un
produit entre d'autres du même type ; sur le plan quantitatif, en évaluant l'intensité de chaque
descripteur (impression plus ou moins prononcée analysée par le sujet sur un élément de la
perception globale). Il s’agit de la méthode dite du profil sensoriel (…) ».
Dans le cadre de l’analyse sensorielle, la méthode du profil sensoriel est la principale méthode
utilisée (Manetta & Urdapilleta, 2011). Cette méthode passe par l’utilisation d’une liste de
descripteurs utilisés par les dégustateurs48 pour qualifier leurs perceptions sensorielles.

Après cette revue de littérature et pour définir l’analyse sensorielle des vins à l’aide d’une approche
synthétique de l’ensemble des sources convoquées ci-dessus, il est possible de stabiliser les éléments
qui suivent.

47
D’après l’organisation internationale de normalisation [en ligne] disponible à l’adresse https://www.iso.org, consulté le
24/09/18
48
Les personnes réalisant une analyse sensorielle sont nommés « dégustateurs » plutôt qu’« analyseurs ».

24
Tableau 1 : proposition de définition de l'analyse sensorielle des vins grâce aux auteurs référents

L’analyse sensorielle des vins c’est… D’après les auteurs…


L’acte de goûter attentivement, CNRTL
pour définir la nature et la qualité Encyclopédie Universalis
des caractères organoleptiques d’un vin. Martine Coutier
C’est une opération complexe Dictionnaire des vins Larousse
qui nécessite méthode et techniques pour percevoir, identifier et
Émile Peynaud
apprécier (dans le sens d’évaluer) un vin.
L’analyse sensorielle nécessite une éducation, une instruction,
Max Léglise
une formation
car elle stimule tous les sens (ouïe, vue, odorat, goût et
Pierre Casamayor
toucher).
Jacques Vivet
C’est un acte réfléchi
Jean Anthelme Brillat Savarin
qui permet de rechercher et de sélectionner des descripteurs
Norme ISO 11035
dans le but de décrire les perceptions et d’évaluer leur intensité.
Il est intéressant de noter que l’ensemble des référentiels des diplômes du domaine hôtellerie-
restauration font référence à l’analyse sensorielle des vins.

Tableau 2 : référence à l'analyse sensorielle des vins dans les référentiels du domaine

Diplômes Extraits du référentiel Situations dans le référentiel


Mention complémentaire Procéder à une analyse
Référentiel de certification
sommellerie sensorielle
Baccalauréat professionnel
le candidat réalise une analyse Définition des épreuves, E3
commercialisation et service en
sensorielle du vin sélectionné épreuve professionnelle
restauration
À partir d’analyses sensorielles,
Baccalauréat sciences et on montrera comment on peut
Programme STS HR seconde
technologies des services mettre en valeur les produits
auprès du client (deux vins).
En menant une analyse
Baccalauréat sciences et sensorielle, on s’attachera à Programme STS HR première et
technologies des services déterminer les qualités terminale
organoleptiques des produits
Brevet de technicien supérieur Utiliser le vocabulaire adapté à
Référentiel de certification
hôtellerie-restauration l’analyse sensorielle

1.3. Le vin

Le vin est un produit particulièrement complexe et varié. Même si la définition légale du vin est
plutôt simple, il n’existe pas un vin mais une multitude de vins (au niveau mondial, en termes
d’appellations et de différents producteurs).

25
La définition légale, d’après le code international des pratiques œnologiques49, est : « Le vin est
exclusivement la boisson résultant de la fermentation alcoolique complète ou partielle du raisin frais,
foulé ou non, ou du moût de raisin. Son titre alcoométrique acquis ne peut être inférieur à 8,5%
vol50 ».

La production mondiale de vin est d’environ 246 millions d’hectolitres (chiffres 2017 de l’OIV). Il
existe 22 principaux pays producteurs de vin (chiffres 2017, OIV) dont les 10 plus gros producteurs
sont l’Italie, la France, l’Espagne, les États-Unis, l’Australie, l’Argentine et la Chine.

D’après le site de l’institut national de l’origine et de la qualité (INAO51), il existe 4 438 signes de
qualités différents pour les vins français dont 3 163 vins en appellation d’origine contrôlée (AOC)52
et 1 275 vins en indication géographique protégée (IGP). La production de vins en France est de 3,67
milliards de litres (chiffres 2017, sources ministère de l’agriculture) dont 46 % d’AOC, 28 % d’IGP,
9 % sans indication géographique et 17 % destinés à la production d’eau de vie.

Il y a 85 000 exploitations viticoles en France (chiffres 2018, ministère de l’agriculture)53 qui


produisent sur 755 000 hectares de vignes (ibidem).

1.4. Pour résumer…

Dans le cadre de cette recherche, « l’analyse sensorielle des vins » (AS) est le syntagme retenu car il
est présent dans les référentiels des diplômes du domaine de la restauration. Ce syntagme sera défini
de la façon suivante : l’analyse sensorielle des vins est l’acte de goûter attentivement, pour définir la
nature et la qualité des caractères organoleptiques d’un (des) vin(s). C’est une opération complexe
qui nécessite méthodes et techniques pour percevoir, identifier et apprécier (dans le sens d’évaluer)
un vin. L’analyse sensorielle stimule tous les sens (ouïe, vue, odorat, goût et toucher). C’est un acte
réfléchi qui permet de rechercher et de sélectionner des descripteurs dans le but de décrire les
perceptions et d’évaluer leur intensité. L’analyse sensorielle nécessite une éducation, une formation,
un enseignement. Le vin est un produit complexe et varié, il existe une multitude de vins différents :
22 principaux pays producteurs, 4 438 signes de qualité pour les vins français et 85 000 exploitations
vinicoles en France.

49
D’après les normes de l’OIV (Organisme international du vin) [en ligne] consultable grâce au lien : http://www.oiv.int
50
Il s’agit du degré d’alcool : 8,5 % par vol = 8,5° d’alcool.
51
Institut national de l’origine et de la qualité [en ligne], disponible à l’adresse : https://www.inao.gouv.fr/, consulté le
13/05/19
52
Le label de qualité AOC est une reconnaissance française, le label AOP (Appellation d’Origine Protégée) est européen.
La plupart des AOC françaises sont aussi reconnues comme AOP en Europe.
53
Infographie de la viticulture [en ligne] accessible grâce au lien http://agriculture.gouv.fr, consulté le 30/11/18

26
2. Les objectifs de l’AS, de l’œnologie à la sommellerie

L’analyse sensorielle, professionnelle par essence, vise à répondre à plusieurs objectifs (Peynaud,
1980). Le tableau suivant est une synthèse des différents types d’analyses sensorielles associées à
leur(s) but(s) dans le cadre de l’élaboration du vin, de la vigne au chai. Les acteurs concernés ici sont
nommés professionnels du vin hors restauration car ils interviennent autour d’un ou de plusieurs
maillon(s) de l’élaboration du vin à sa commercialisation avant sa vente dans un restaurant.

Tableau 3 : objectifs de l'analyse sensorielle pour les professionnels du vin (hors restauration) d’après Peynaud (1980)

Professionnels utilisant54 l’AS Objectifs de l’AS


Suivre les maturités (en sucre, en acide, en matière phénoliques)
Chef de culture, vigneron
Choisir la date de récolte (vendange)
Suivre les fermentations (alcoolique, malo-lactique), les cuvaisons
(couleur et tanin)
Maiître de chai, vinificateur Choisir les soins (soutirage, pigeage, remontage)
Élaborer les assemblages, constitution les cuvées
Suivre l’élevage, l’évolution
Choisir les soins
Œnologue
Éviter, supprimer les défauts
Commission d’agrément Éliminer les vins ne respectant pas les cahiers des charges
Courtier, négociant Choisir, acheter les vins pour ses clients
Jurys de concours Sélectionner les meilleurs vins d’un panel
Expert technique ou judiciaire, Vérifier la conformité avec un cahier des charges, avec une
répression des fraudes règlementation
Ce travail de recherche ne considère pas l’AS des professionnels du vin cités dans ce tableau. Il se
concentre sur l’AS des personnels en charge du service des vins dans la restauration. Le sommelier
(la sommelière55) est le personnage compétent chargé de la cave et des boissons dans les restaurants
importants (Debuigne, 1991). Il peut être spécialiste des boissons et des vins en particulier, dans une
restauration de renommée internationale (Margeon, 2009) ou sommelier polyvalent dans une
restauration plus familiale. Le sommelier est toujours présent dans les grands restaurants ou
restaurants de types gastronomiques, il devient plus rare ailleurs (Peynaud, 1980). Il convient de

54
Les enseignants et formateurs visent les mêmes objectifs que les professionnels concernés par les référentiels des
diplômes.
55
Pour faciliter la lecture, le terme générique « sommelier » est utilisé dans la suite du texte. Il est évident qu’il concerne
autant les femmes que les hommes. Malgré le soin apporté pour rédiger un texte épicène, le choix de l’auteur est de ne
pas utiliser les signes de féminisation rendant la lecture plus difficile (comme par exemple : sommelier-ère-s).

27
considérer maintenant dans cet écrit, le sommelier et le personnel en charge du service des vins au
restaurant de façon générique quel que soit le type de restauration ou le concept.

Dans le cadre de la restauration, les objectifs56 de l’AS (Peynaud, 1980) pour ces personnels visent
à:

 acheter les vins pour constituer la cave ;


 concevoir, organiser et rédiger les supports commerciaux (carte, ardoise…) ;
 conserver et stocker les vins dans les meilleures conditions, suivre son évolution et respecter
les durées de garde optimale ;
 conseiller les vins en fonction des souhaits du client (et du contexte du repas au niveau
économique, social, régional, gastronomique…) ;
 accorder les vins avec les mets servis dans le restaurant, associer type de vins et type de
plats ;
 présenter les vins aux clients avec quelques explications adaptées et compréhensibles ;
 mettre en température et conditionner le vin (en seau, en panier, debout sur la table) ;
 préparer (carafer, décanter), servir (sélectionner le verre le plus adapté) et assurer le suivi du
vin.

Cette recherche se focalise sur la mise en œuvre, par l’AS, de l’interaction qui se déroule durant la
prise de commande des vins au restaurant (Hugol-Gential, 2011). Les objectifs de l’AS se
concentrent donc autour de la dimension commerciale dans le restaurant autour du conseil, de
l’accord et de la présentation du vin. Il s’agit d’explorer l’utilisation de l’analyse sensorielle à des
fins commerciales. En effet pour présenter et proposer les vins dans un concept de restauration, le
serveur, au sens générique du terme (personnel de service en contact avec la clientèle), doit composer
une « argumentation commerciale » du produit à valoriser, il ne peut pas se contenter de demander
aux clients si celui-ci « désire du vin », cette fonction n’est d’ailleurs pas une place facile dans la
restauration (Stengel, 2012). La plupart du temps, celle-ci se fait de façon orale. En effet, le client
doit choisir un produit (le vin) grâce à une présentation écrite (le support commercial, carte, ardoise)
et grâce à une présentation orale du personnel en charge du conseil. Le client doit pouvoir se faire
une idée des sensations procurées par le vin au travers des mots utilisés par le personnel. Le
professionnel, dans le cadre de la commercialisation du vin en restauration doit veiller à ne pas créer

56
Ces objectifs ne sont pas hiérarchisés, ni par ordre chronologique, ni par ordre d’importance.

28
de désenchantement. Nicolas Grimaldi57 (cité par Tahon, 2005) explique ce phénomène par l’écart
que la description risque de créer entre l’imagination, le désir et la réalité. La description issue de la
dégustation ne doit pas générer une stimulation démesurée de l’imagination du récepteur (le client du
restaurant) créant potentiellement un différentiel avec la réalité du vin lors de sa propre dégustation /
consommation au restaurant, occasionnant le désenchantement évoqué par Grimaldi.

Pour résumer…

Dans le cadre de cette recherche, les objectifs de l’AS retenus sont ceux qui concernent le
sommelier58 ou, de façon plus générique, le personnel de service en charge du service du vin au
restaurant. Ces personnels mobilisent l’AS pour plusieurs raisons. Ce travail de thèse se penche
spécifiquement sur la façon dont s’enseigne la conduite de l’AS afin de produire une présentation des
vins aux clients à l’aide de termes adaptées et compréhensibles.

57
Nicolas Grimaldi, philosophe français du XXè siècle
58
Dans la restauration disposant de ce type de personnel

29
3. Les savoirs savants de la physiologie du goût

Dans sa présentation de la transposition didactique inspirée des travaux du sociologue Michel Verret
(1975), Yves Chevallard (1985) définit les savoirs savants comme issus de la recherche et produits
par une communauté scientifique. Les savoirs savants nécessitent d’être mis en texte pour devenir
des savoirs à enseigner dans un cadre scolaire. Ce sont les travaux du professeur Patrick Mac Léod59,
d’Annick Faurion60 et d’André Holley61 qui font références dans le domaine de la physiologie du
goût (Chassin, 2011). La présentation suivante interroge le fonctionnement des sens dans l’AS en
suivant la chronologie de la phase visuelle, de la phase olfactive puis de la phase gustative (y
compris l’approche trigéminale62). Une focalisation est naturellement opérée sur la phase olfactive au
centre de cette recherche.

3.1. Comment fonctionnent les sens ?

Pour schématiser le fonctionnement complexe des sens, il est possible de dire que le stimulus excite
un sens qui génère une sensation (Peynaud, 1980). Cela se produit par un enchaînement de réactions
physiques (le stimulus atteint l’organe des sens), chimiques (les molécules olfactives ou sapides
entrent en contact avec les cellules de l’organe sensoriel), électriques (les cellules produisent un
signal électrique vers le cerveau) puis cognitive (l’information est traitée par le cerveau).

Les sens mobilisés lors de l’AS fonctionnent tous de la même manière. Ils passent par quatre phases :
la transduction, le codage, le traitement de l’information et l’intégration (Chassin, 2011). La
transduction est la stimulation de l’organe sensoriel puis l’amplification et la transformation de cette
stimulation en signal électrique. Le codage est la différenciation qualitative et quantitative du signal.
Il a pour objectif de différencier les signaux transmis. Le traitement de l’information est la réalisation
d’une image sensorielle contrastée et identifiable transmise au cortex cérébral. L’intégration est la

59
Patrick Mac Léod, médecin de formation, président de l'institut du goût, fondateur et ancien directeur de laboratoire de
neurobiologie sensorielle de l'École Pratique des Hautes Études. Ses travaux portent particulièrement sur les mécanismes
de l’olfaction et de la gustation.
60
Annick Faurion, docteur es sciences, chargée de recherche au CNRS, laboratoire de neurobiologie sensorielle de
Massy
61
André Holley, professeur émérite, directeur du laboratoire de recherches neurosensorielles de l’université Claude
Bernard de Lyon 1, puis directeur du Centre du goût à l’université de Dijon.
62
De nerf trijumeau, « cinquième nerf crânien qui innerve la peau de la figure, la langue, les dents et se divise en trois
branches : nerf ophtalmique, nerfs maxillaires supérieur et inférieur » d’après Le Petit Robert de la langue française. Voir
la partie 3.5 de ce même chapitre pour plus de détails.

30
confrontation, au niveau du cortex cérébral, de la perception, de la mémorisation, de l’affect (les
émotions) et de la cognition (traitement des informations63).

Figure 1 : Les quatre phases de la perception sensorielle

Bien que l’audition participe de l’analyse sensorielle des vins (effervescence, bruit lors du service du
vin dans un verre…) ce travail de recherche évoque principalement les organes de la vision, de
l’olfaction et de la gustation. Un soin particulier est porté à l’olfaction, cœur de la problématique de
cette thèse centrée sur l’enseignement de la partie olfactive de l’AS des vins.

3.2. La vision

Comme l’indique le CNRTL, la vision est la perception par l'œil de la lumière, des couleurs, des
formes. C’est l’ensemble des mécanismes physiologiques par lesquels les radiations lumineuses
reçues par l'œil déterminent des impressions visuelles de natures variées. Lors de l’AS, la vue est
souvent considérée comme un sens dominant, représentant environ 40 % des informations véhiculées
vers le cerveau (Chassin, 2011). La vue permet le premier contact avec le vin, cette perception est
très rapide (Mac Léod, 1986). Cette prépondérance donne une certaine confiance au dégustateur.
L’appareil optique est un ensemble d’éléments qui permet de fixer la lumière et les couleurs. Grâce

63
À cela s’ajoutant la part du sujet.

31
aux trois couleurs élémentaires, l’œil est capable de reproduire l’ensemble des couleurs. L’œil serait
capable de distinguer des nuances de facteur 1 à 1 000 000 (Peynaud, 1980).

L’approche visuelle est cependant source de biais (Chassin, 2011). Une étude (Morrot et al, 2001),
permet de mettre en lumière, les erreurs d’attente et les effets d’influence liés à la vision. Selon cette
étude, les dégustateurs sont sous l’influence de la couleur des vins pour décrire leurs perceptions
aromatiques. Voilà pourquoi, parfois, des AS « à l’aveugle » sont conduites L’objectif de telles AS
est de réduire voire d’annuler les informations visuelles en utilisant des verres noirs (teintés dans la
masse) qui ne laissent entrevoir aucune information visuelle. L’accent est ainsi mis sur les parties
olfactives et ou gustatives.

3.3. L’olfaction

L’olfaction est le sens permettant la perception des odeurs (CNRTL). Ce sens étant au centre de ce
travail de recherche (la partie olfactive de l’AS), le développement est plus précis que les phases
visuelle et gustative. Ainsi le système olfactif est présenté ci-dessous, de la perception à la
verbalisation.

3.3.1. La perception des arômes

L’olfaction est un sens chimique (Manetta & Urdapilleta, 2011). Les molécules odorantes sont
canalisées par la cavité nasale (voie orthonasale ou et rétronasale64) pour se fixer sur les récepteurs
(les neurocapteurs, composés de 5 à 30 cils par cellule qui baignent dans le mucus) de l’épithélium
olfactif. L’épithélium olfactif représente 3 cm² et va transmettre un message nerveux au bulbe
olfactif (d’après Purves et coll, 1999 cités par Brand, 2001), capable de former une cartographie des
odeurs qui est ensuite transmise au cortex primaire pour traitement de l’information par le cerveau.
S’il a longtemps été considéré que l'espèce humaine était capable de discriminer près de 10 000
odeurs différentes (Brand, 2001), il semble, d'après les études les plus récentes, que ce nombre ait été
très fortement sous-estimé, et que l'on soit plus proche du million, voire du milliard (Bushdid et al,
2014).

64
Voir, ci-dessous, la figure 2.

32
Figure 2 : Représentation schématique de l'olfaction, d’après le CNRS (dessin de l’auteur)

Le seuil de détection correspond à la sensibilité olfactive pour laquelle le sujet signale une présence
sans pouvoir l’identifier (Brand, 2001). Les seuils de détection sont très personnels. Ils dépendent à
la fois des caractéristiques des individus et de la nature des molécules odorantes (Manetta,
Urdapilleta, 2011). Ces auteurs remarquent qu’il existe une très grande variabilité de détection intra
et interpersonnelle. Lorsque certaines personnes sont anosmiques pour certaines odeurs (Chassin,
2011), d’autres sont hypersensibles à cette même odeur. De nombreux facteurs influencent la
perception des odeurs : facteurs endogènes comme l’âge ou le sexe, facteurs exogènes comme la
culture, l’expérience et la familiarité aux odeurs (Manetta, Urdapilleta, 2011).

Le seuil différentiel correspond à la différence minimale de concentration nécessaire entre deux


stimuli pour que la différence soit perceptible par le sujet (Brand, 2001). Le phénomène d’adaptation
génère une réduction de sensibilité. Il peut s’agir d’une auto-adaptation lors d’une exposition
prolongée ou d’une adaptation croisée lors de l’apparition d’une nouvelle odeur (Brand, 2001). Un
arôme peut être très intense dès la première approche puis semble se dérober par la suite au cours de
l’analyse sensorielle.

33
Figure 3 : Perception de l'intensité olfactive en fonction de l'âge (Enquête CNRS, 2014)

Une grande enquête inédite du CNRS65 en 2014 mesure les déficits olfactifs des français. Les plus
jeunes sont plus sensibles aux perceptions olfactives. Il y a une baisse de la sensibilité avec l’âge qui
s’appelle la presbyosmie, ce qui peut être rapproché de la presbytie (pour la vue) et de la
presbyacousie (pour l’ouïe).

3.3.2. L’identification des arômes

Le seuil de reconnaissance correspond au seuil d’identification : le sujet est capable de nommer


l’odeur perçue (Brand, 2001). La familiarité concerne la ou les expositions préalables à l’odeur. Plus
la familiarité augmente et meilleure est la reconnaissance et l’identification de l’odeur.

L’hédonicité concerne le caractère plaisant ou déplaisant de la stimulation. C’est une donnée


première, évoquée rapidement, dans toutes les stimulations olfactives (Brand, 2001). Il existe un
rapport entre le caractère hédonique et les performances mnésiques. L’identification dépend à la fois
de l’étendue des capacités des capteurs sensoriels mais aussi de l’opération mentale (Brand, 2001).
Les stimuli sont classés par rapport aux catégories grâce à la mémoire sémantique.

Gérard Brand (2001) cite une expérience qui met en lumière que, sur 12 odeurs communes, un tiers
des personnes identifie deux odeurs ou moins, un tiers des personnes identifie entre deux et quatre
odeurs et un tiers des personnes nomme plus de quatre odeurs.

L’identification augmente après des tâches d’apprentissages (Brand, 2001). Dans un test sur un
mélange de deux composés odorants, si la moitié des personnes identifie les odeurs séparément,

65
« L’odorat en France : une étude à grande échelle pour mieux cerner les déficits olfactifs et comprendre les variations
entre individus en matière d’odeurs » [en ligne] consultable grâce au lien : http://www.olfaction.cnrs.fr consulté le
2/11/18

34
seulement 12 % les identifient dans le mélange. Dans un mélange olfactif, comme le vin, les
personnes novices ne seraient capables d’identifier que trois ou quatre dimensions olfactives (cité par
Brand : Jinks & Laing, 1999, Livermore & Laing, 1996), alors que les personnes expertes et
entraînées seraient capables de reconnaître jusqu’à 5 composants d’une odeur complexe (cité par
Brand : Laing, 1991, Livermore & Laing, 1996).

Figure 4 : Capacité d'identification des odeurs en fonction de l'âge (enquête CNRS, 2014)

Selon le graphique ci-dessus (CNRS, 2014), les jeunes de moins de 15 ans identifient moins d’odeur
que les adultes. Ceci n’est pas dû à leur sensibilité qui est bonne (voir graphique supra) mais à leur
connaissance des odeurs et de leur nom qui est en construction. Leur culture olfactive est en
développement.

3.3.3. La mémorisation des arômes

Le processus de mémorisation des odeurs fonctionne en trois phases chronologiques (Manetta,


Urdapilleta, 2011). Le premier stade est l’encodage : c’est le moment ou le dégustateur sélectionne
l’information à retenir. Le deuxième stade est la rétention : moment où l’odeur est stockée en
mémoire. Enfin le troisième stade est l’actualisation : phase de récupération de l’information stockée
(Manetta, Urdapilleta, 2011). La mémoire olfactive fonctionne différemment des autres systèmes
mnésiques. La mémoire olfactive est plus stable et moins brouillée par des tâches d’interférence
(Brand, 2001). La mémoire olfactive fait appel majoritairement à la mémoire épisodique (contexte) :
les odeurs sont rarement isolées du contexte (Larsson, 1997, cité par Brand). L’encodage d’une odeur
inclut les éléments contextuels (Manetta, Urdapilleta, 2011). Il s’agit à la fois des éléments du
contexte externe, c’est-à-dire les éléments de la scène dans laquelle se fait la perception des odeurs,
mais aussi des éléments du contexte interne, c’est-à-dire l’évaluation hédonique du sujet et l’état
émotionnel dans lequel il se trouve (Manetta, Urdapilleta, 2011).

35
La mémoire olfactive est très stable dans le temps par rapport aux mémoires visuelles et auditives.
Contrairement à la mémoire visuelle, elle n’a pas besoin de répétition pour être stockée (Brand,
2001).

L’encodage est bien meilleur si l’odeur est associée à une image ou au nom de l’odeur par rapport à
l’encodage de l’odeur seule. Mais l’encodage est encore meilleur lorsqu’il associe l’odeur à son nom
et à une image. La mémorisation sera meilleure si le contexte d’encodage de l’odeur est cohérent66
avec celle-ci (Manetta, Urdapilleta, 2011). L’odeur est un indice de récupération en mémoire :
lorsqu’une odeur est mémorisée elle a une grande force d’évocation, c’est le syndrome proustien
(d’après la madeleine dans l’œuvre de Marcel Proust « Du côté de chez Swann », 1913).

Est-il possible de représenter une image mentale d’une odeur (Elmes, 1998, cité par Brand) ? La
perception olfactive est très facilement associée à la mise en mémoire, aux émotions et à la cognition
en général. Pierre Laszlo (2003) l’exprime grâce à une métaphore « Toute odeur est une étincelle,
allumeuse de pensée ». En effet, selon Maurice Chassin (2011), les informations olfactives transitent
dans trois zones corticales. Le système limbique intervient dans la mémoire olfactive. Le néocortex
par le thalamus responsable de la conscience des odeurs. L’hypothalamus dans laquelle les
informations olfactives se mêlent à l’affect, rendant ici leurs traces plus diffuses, floues voire
nébuleuses.

3.3.4. La verbalisation des arômes

Bien qu’il soit difficile de donner un nom à une odeur, il semblerait que verbalisation et encodage
des odeurs soient intimement liés. Cependant la communauté scientifique n’est pas unanime sur ce
point (Manetta, Urdapilleta, 2011).

Les auteurs notent que les difficultés d’identification pourraient être dues au manque de lien existant
entre le traitement de l’information olfactive et le langage. La terminologie olfactive est plus ou
moins dense selon les différentes cultures. Elle est plutôt lacunaire dans les cultures occidentales qui
n’ont d’ailleurs pas l’usage courant de ce champ lexical. Les odeurs font rarement l’objet d’échanges
verbaux (Brand, 2001).

66
C’est-à-dire si l’encodage se fait dans les conditions proches de la « réalité », par exemple l’odeur de fraise d’une
« vrai » fraise dans un jardin potager ou sur l’étal d’un marché ou dans une salade de fruits, par opposition à l’odeur d’un
dessert lacté aromatisé à la fraise.

36
Certains auteurs (Lawless et Engen 1997) évoquent la difficulté des personnes à nommer une odeur
tout en étant convaincu de sa connaissance. Ils parlent du phénomène du « tip of the nose » comme si
les dégustateurs avaient l’odeur « au bout du nez » et son nom « au bout de la langue ».

3.3.5. L’optimisation de la perception des arômes du vin

La perception olfactive est tributaire de l’attention et de la concentration de la personne (Holley,


1999). Ce dernier doit se focaliser sur l’olfaction et manifester une attention sélective pour optimiser
la perception des signaux. Pour être perceptibles par l’organe olfactif, les molécules odorantes
doivent posséder plusieurs propriétés, la volatilité, la solubilité et la capacité de liaison. Elles doivent
être facilement acheminées vers le haut des fosses nasales. Le poids moléculaire est donc important
ainsi que la vitesse de déplacement dans l’air et la température. Les molécules odorantes doivent être
à la fois hydrophiles et lipophiles : solubles dans le milieu aqueux du mucus qui recouvre les
muqueuses olfactives et solubles dans le milieu lipidique des cils olfactifs. Elles doivent s’associer
facilement avec les récepteurs olfactifs et c’est la flexibilité des liaisons entre atomes qui va favoriser
ces contacts. (Brand, 2001).

3.4. La gustation

Le terme, emprunté au latin gustatio qui signifie action de goûter, regroupe la perception des saveurs,
d’après le CNRTL. La gustation est, comme l’olfaction, un sens chimique. Les molécules du vin vont
rencontrer les cellules de l’organe sensoriel. La perception s’effectue par un demi-million de cellules
réparties dans 7 000 à 8 000 bourgeons gustatifs (Chassin, 2011) formant une centaine de papilles
gustatives. Ces papilles gustatives sont réparties, prioritairement sur la langue, mais sont aussi
présentes sur les parois internes de la bouche, sur la voûte du palais, sur l’épiglotte et sur le haut du
pharynx (Peynaud, 1980). Les cellules ne sont pas spécialisées67 et il n’existe pas de cartographie de
la langue68 (Faurion, 2004). Les saveurs, au nombre de quatre historiquement depuis Platon (sucré,
salé, amer et acide), se révèlent beaucoup plus nombreuses depuis les dernières études (Faurion,
2004) avec la perception de la saveur umami (savoureux en japonais) ou mono-glutamate de sodium
(considérée comme la cinquième saveur de base), la saveur réglisse, la saveur « gras » … Les cinq
saveurs primaires trouvent leur origine dans des besoins évolutifs précis, d’après Loïc Briand69. Le

67
Elles seraient toutes capables de reconnaître plusieurs stimuli.
68
Pendant longtemps il était convenu que la partie avant de la langue détectait la saveur sucrée, que les parties latérales
étaient sensibles à la saveur acide et que l’amer était perçu par l’arrière de la langue.
69
Loïc Briand, directeur de recherche au Centre des sciences du goût et de l’alimentation, à Dijon d’après le journal du
CNRS, [en ligne] disponible à l’adresse : https://lejournal.cnrs.fr/, consulté le 13/10/18.

37
sucré permet de détecter les nutriments riches en énergie, le salé aide à maintenir l’équilibre hydro-
électrolytique, l’acide informe de la maturité des fruits, l’umami de la présence de protéines et l’amer
aide à repérer les molécules toxiques.

Les informations gustatives suivent le même chemin que les informations olfactives (Chassin, 2011).
Cette double convergence entretient la confusion entre les dimensions gustatives et olfactives.

3.5. Les sensations trigéminales

Ce sont les sensations déclenchées par le nerf trijumeau, nerf crânien de la cinquième paire qui se
divise en trois branches au niveau du ganglion de Gasser: le nerf ophtalmique, le nerf maxillaire
supérieur et le nerf maxillaire inférieur, d’après le CNRS.

Figure 5 : Représentation schématique du nerf trijumeau, d’après CNRS (dessin de l’auteur)

Le nerf trijumeau véhicule les sensations somesthésiques (Chassin, 2011). Il permet de percevoir le
thermique (chaud, brulant, froid, glacé…), le tactile (rondeur de l’alcool, astringence des tannins,
piquant de l’acide, effervescence du gaz carbonique) et le chimique (irritant de certaines épices,
fraîcheur du menthol ou de certaines réglisses). Les sensations trigéminales sont perceptibles en
bouche, grâce à la branche maxillaire inférieure du nerf et dans les fosses nasales, grâce à la branche
maxillaire supérieure.

3.6. La partie olfactive de l’AS, odeur(s) et arôme(s)

La partie olfactive (PO) de l’AS est particulièrement délicate à évoquer, elle est chronologiquement
au centre de l’AS (après la phase visuelle et avant la phase gustative). La PO est composée de deux

38
parties imbriquées lors de l’AS : la partie orthonasale concerne les odeurs et la partie rétronasale
concerne les arômes du vin.

3.6.1. La PO est centrale et délicate

La description olfactive, plus communément appelée le nez du vin est le deuxième des trois piliers,
après l’approche visuelle et avant l’approche gustative, d’une analyse sensorielle des vins qui se
déroule en trois phases. La description olfactive est un exercice périlleux, « (…) tout le savoir du
connaisseur consiste à mettre en accord la bouche qui goûte et la bouche qui parle » précise Martine
Chatelain-Courtois (Chatelain-Courtois, 1984, p 6). La description olfactive pose un problème
particulièrement complexe : pour décrire les odeurs du vin il faut tisser du lien entre le langage et
l’olfaction (Manetta & Urdapilleta, 2011). Dans la mesure où, comme ces auteurs l’indiquent, il est
difficile de nommer spontanément une odeur, comment faciliter l’accès aux termes de la
description ? Manetta et al (2011) indiquent qu’il existe une très grande variabilité de détection
olfactive intra et interpersonnelle ce qui rend la PO particulièrement difficile à évoquer et à
enseigner70.

3.6.2. La PO par voie orthonasale

Le terme odeur est assez peu utilisé spontanément dans le domaine du vin pour décrire l’émanation
des molécules volatiles spécifiques perçues par les organes de l’olfaction (Coutier, 2007). À ce terme
trop générique, les dégustateurs préfèrent utiliser un vocable qui leur semble plus adapté et plus
spécifique tel qu’arôme ou bouquet. Cependant, le terme odeur est le plus souvent employé pour
distinguer les odeurs perceptibles par voie nasale directe (voie orthonasale) tandis que le terme
arôme est réservé aux perceptions sensibles par voie indirecte (voie rétronasale), c’est à dire les
arômes de bouche perçus par rétro-olfaction (Casamayor, 1998).

D’autres termes génériques du domaine de la description des odeurs sont parfois utilisés à la marge
dans l’analyse sensorielle des vins : senteurs, parfums et fragrances. Le plus souvent rencontrés au
pluriel dans le domaine de l’œnologie, ils désignent les odeurs agréables exhalées par le vin (Coutier,
2007). Leur usage est attesté par la littérature du domaine. Olivier de Serre (cité par Coutier) a utilisé
le terme senteur à propos d’un vin nouveau en 1603 dans le « Théâtre d’agriculture et mesnage des
champs ». Parfum est parfois utilisé par opposition à bouquet pour désigner les arômes primaires
d’un vin. « Le raisin de muscat est très parfumé et ce parfum dit musqué que l’on retrouve dans le
moût existe toujours, affiné, dans le vin » (Engel, 1980 cité par Coutier). Le parfum et le vin sont des

70
En considérant que « enseigner » est à la fois, éduquer, instruire et former.

39
domaines assez proches comme l’indique Jean-Paul Guerlain71, grand créateur de parfum de la
maison éponyme, en comparant l’élaboration d’un parfum à celui d’un vin : « Comme pour le vin, la
matière première est essentielle dans un parfum (…) Vin et parfum doivent être mémorisables et
procurer du plaisir ». Dans son analyse du goût, non spécifique au vin, Jean Anthelme Brillat Savarin
évoque le terme fragrance pour désigner l’arrière-goût (Brillat Savarin, 1825).

3.6.3. La PO par voie rétronasale

Arôme est couramment utilisé dans la littérature par les dégustateurs pour désigner l’ensemble des
odeurs exhalées par le vin (Coutier, 2007). Ce terme concerne surtout les sensations perçues par les
voies rétronasales. Le mot arôme est attesté dès 1801 dans le Traité théorique et pratique sur la
culture de la vigne par J-A Chaptal (Chaptal, 1801). Cependant, à la fin du XXè siècle, les
professionnels de l’œnologie ont souhaité préciser la terminologie de la dégustation et ont proposé
une différenciation pour le terme arôme. Certains ont proposé de limiter l’utilisation de ce terme aux
sensations rétronasales, aux arômes de bouche (Coutier, 2007). Tandis que d’autres ont choisi de
l’utiliser pour décrire les seuls principes odorants des vins dans leur jeunesse, l’opposant ainsi au
bouquet, qui se développe dans les vins lors de leur garde (Ribéreau-Gayon et Peynaud, 1961).

La notion d’arômes primaires est évoquée pour décrire les odeurs délivrées par le matériel végétal,
elles existent dans les raisins et le moût (Chauvet, 1950, cité par Coutier). Les odeurs ou arômes
primaires sont appelés variétaux car leur origine se trouve dans le cépage, le terroir et le climat
(Chassin, 2011). Les arômes primaires ou arômes variétaux sont issus de la grappe de raisin dans son
système général : la vigne d’un cépage particulier, se nourrit dans un environnement spécifique, le
terroir, qui influence les arômes du vin (Moisseeff et Casamayor, 2002). Les arômes secondaires sont
générés par la fermentation, ils se développent sous l’action des levures sur le moût, le jus de raisin,
puis s’atténueront pour disparaître avec la garde et le vieillissement (Ribéreau-Gayon et Peynaud,
1961). Les arômes secondaires sont aussi appelés arômes fermentaires. Les arômes tertiaires se
développent lors du vieillissement du vin en bouteille (Coutier, 2007). Par opposition à l’arôme, le
bouquet concerne l’ensemble des principes odorants acquis avec la garde (Coutier, 2007). Il concerne
donc uniquement les vins blancs et vins rouges de garde. Lorsque les arômes primaires et
secondaires s’estompent, le bouquet se développe en évoquant des notes plus complexes (Dambly,
1997). Le mot bouquet est parfois employé dans un sens plus générique pour désigner le parfum du
vin par analogie avec le parfum d’un bouquet de fleurs. (Coutier, 2007). Les arômes primaires,

71
Jean-Paul Guerlain « Les grands vins ont accompagné la vie du créateur des parfums Vétiver, Habit rouge et Samsara »
dans la Revue du vin de France, n°556, novembre 2012.

40
secondaires et tertiaires font partie d’une classification dite « interprétative » car ils mettent en
relation la perception avec une origine supposée (Chassin, 2011).

Certains termes ne semblent pas encore stabilisés dans la description olfactive des vins72. C’est le cas
de flaveur tiré de l’anglais flavour et de l’américain flavor, signifiant à la fois goût, saveur et parfum.
Utilisé pour décrire l’ensemble des sensations procurées par les arômes et les saveurs, ce mot est
utilisé pour la description au nez et en bouche (Coutier, 2007). Pierre Poupon (cité par Coutier) dans
« Plaisirs de la dégustation » indique que flaveur est à la fois gustative et olfactive. Cependant
certains auteurs73 se refusent à utiliser ce terme car celui-ci ne désigne rien de mesurable ni rien de
scientifiquement perceptible.

3.7. Pour résumer…

Les savoirs savants de la physiologie du goût renseignent sur les sens et sur leur fonctionnement dans
l’AS. C’est sur la partie olfactive de l’analyse sensorielle des vins que ce travail de recherche se
focalise. L’olfaction est un sens chimique (il y a contact entre les molécules olfactives et les
récepteurs olfactifs). La PO passe par un processus en quatre phases : la perception, l’identification,
la mémorisation et la verbalisation. Elle est, à la fois, concernée par les odeurs (voie orthonasale) et
par les arômes (voie rétronasale).

72
La partie résultats de cette recherche montre à quel point cet aspect est fondamental dans l’enseignement.
73
Hervé This, physico-chimiste à l’INRA, dirige l’équipe INRA de gastronomie moléculaire, directeur scientifique de la
Fondation Science & Culture Alimentaire (Académie des sciences), membre correspondant de l’Académie d’Agriculture
de France, et conseiller scientifique de la revue pour la science d’après le site de l’Institut des sciences et industries de
vivant et de l’environnement [en ligne] accessible grâce au lien http://www2.agroparistech.fr, consulté le 02/11/18

41
4. La pratique sociale de référence des sommeliers

La notion de pratique sociale de référence (Martinand, 1989) est la référence culturelle qui interroge
les liens, les buts et les contenus de l’enseignement avec les situations et les tâches de pratiques
existantes en dehors de l’école (Reuter et al, 2013). Ce sont des pratiques réelles (toujours
d’actualité), issues d’un espace social déterminé (ici le milieu de la restauration et spécifiquement de
la sommellerie), qui servent de référence (ce sont des pratiques reconnues et validées à la fois par les
praticiens du domaine professionnel et aussi par les praticiens du domaine didactique). Samuel
Johsua (1996) parle même de savoirs experts pour décrire les pratiques qui font référence dans un
domaine social, sans être des savoirs savants.

Comme l’indique Senia Fedoul (2018), le boire « froid » des œnologues se distingue du boire
« chaud74 » des sommeliers. Selon Claude Fischer (1999), le discours œnologique « chaud du
sommelier » provient de l'art de la sommellerie tel que pratiqué aujourd'hui, un art qui mobilise
essentiellement un discours nourri de références culturelles, de jugements de valeurs et de
considérations esthétiques (ibidem). Le discours œnologique « froid » des œnologues « insiste sur la
dimension technique et méthodologique de la dégustation « saine », une dégustation qui traque les
défauts objectifs en premier lieu, et qui vise à rectifier si nécessaire la conduite de la maturation des
vins » (ibidem, P.3).

L’AS est attachée à l’œnologie (Peynaud, 1981) comme savoirs savants, néanmoins c’est la pratique
sociale et les savoir d’experts des sommeliers qui sont enseignés dans les lycées professionnels et
technologiques d’hôtellerie-restauration (Alvarez, 2017). La PO se compose d’une approche
procédurale, c’est la méthodologie de la PO et d’une approche lexicale, ce sont les mots de la PO.
D’où la double construction à construire chez les élèves.

4.1. Le sommelier

Selon Senia Fedoul (2018) le sommelier est un des acteurs primordiaux du système de la vigne et du
vin. Il est responsable de la théâtralisation du service et de la consommation du vin dans la
restauration gastronomique. Le sommelier est associé au monde de la restauration de luxe à la
« française » (ibidem). Selon l’auteur, il existe, à l’origine avant les années 1950, deux types de
sommeliers. Le sommelier de cave se charge de l’élevage des vins et de la mise en bouteille car les

74
Ces terminologies proviennent de l’ouvrage du sociologue Claude Fischer, Du vin, Paris, Edition Odile Jacob, 1999,
pour qui il existe un boire froid, technique, qui dissèque, analyse, chasse le défaut, et un boire chaud qui rêve, imagine,
fantasme, se souvient, désire, festoie, s’enivre de sensation (…)

42
vins sont systématiquement livrés en barrique à cette époque et le sommelier de salle qui se charge
du service aux consommateurs. À partir du milieu des années 1970 les vins sont mis en bouteille
dans les domaines et les châteaux, le sommelier de cave disparaît. Le sommelier se consacre ainsi
exclusivement à son rôle de service au restaurant.

En hôtellerie-restauration, la sommellerie est reconnue assez tôt par l’éducation nationale pour
entériner la pratique sociale de référence comme le montre la création et l’évolution des diplômes :
CAP75 sommelier caviste (1954), CAP sommelier (1968), CAP employé sommelier (1980), MC76
employé sommelier (1985), MC sommellerie (1996).

4.2. La méthodologie de la PO

La PO passe par une méthodologie assez précise qui vise à collecter un maximum d’informations
lors de l’AS. Le flairage est la façon de humer le vin. Quatre phases successives, appelées premier,
deuxième, troisième et quatrième nez permettent de percevoir et d’identifier les odeurs du vin. C’est
enfin dans la bouche, en grumant, que sont appréhendés les arômes puis leur persistance aromatique
est évaluée en fin de bouche.

4.2.1. Le flairage

Le flairage ou le reniflage (Peynaud, 1980) est une respiration volontaire et attentive qui permet aux
sensations olfactives de se développer durant quelques instants, c’est la phase optimale. Après 4 à 5
secondes, les sensations diminuent et finissent par disparaître. Gérard Brand (2001) indique que le
flairage, par des inspirations successives et rapides qui accroissent le débit aérien (le nez assurant la
canalisation de l’air), augmente la probabilité d’impact des molécules odorantes sur la muqueuse
nasale (Sobeletal, 1998, cité par Brand). Lors de la respiration normale, seul un faible pourcentage
d’air passe sur l’épithélium olfactif (Brand, 2001). Jacques Blouin et Émile Peynaud (2005)
recommandent de contrôler le rythme de la respiration. Les inspirations ne seront pas trop profondes.
Il est judicieux de pratiquer 2 à 3 inspirations de 2 à 4 secondes chacune. Les auteurs recommandent
d’espacer chaque série par des temps de repos.

4.2.2. Premier, deuxième, troisième et quatrième nez

Toutes les odeurs ne vont pas se manifester d’emblée, le vin ne les libère pas immédiatement.
Philippe Faure Brac (2006) indique que les notes aromatiques vont se révéler par vagues successives.

75
Certificat d’aptitudes professionnelles
76
Mention complémentaire

43
Cela explique les phases chronologiques du nez du vin utilisées lors des analyses sensorielles. Le
premier nez consiste à flairer lentement l’atmosphère qui se trouve juste au-dessus du verre de vin
rempli au tiers (Peynaud, 1980). Le verre77 est immobile, seules les molécules les plus volatiles vont
se diriger vers le bulbe olfactif. Gérard Margeon, sommelier en chef du groupe Alain Ducasse,
recommande vivement de ne pas agiter le verre à ce stade-là, ni durant la phase visuelle, ni de façon
automatique dès le premier nez, de manière à éviter « un gaspillage inutile d’arômes » (Margeon,
2009). Le deuxième nez propose de flairer l’atmosphère au-dessus du verre consécutivement à une
agitation circulaire du vin. Le mouvement de rotation, en creusant la surface du vin, augmente son
contact avec l’air et accentue l’évaporation des substances odorantes (Peynaud, 1980). Philippe
Faure-Brac (2006) évoque un troisième nez puisque, selon lui, la palette aromatique ne va pas cesser
d’évoluer pendant plusieurs minutes ; au bout d’un quart d’heure, il serait donc possible d’accéder à
l’expression du troisième nez. En cas de suspicion de défauts olfactifs, Émile Peynaud recommande
une agitation vive et saccadée du vin dans le verre pour « briser » le vin ; à l’extrême, il est même
possible de boucher le verre avec la main pour remuer très vivement le vin. Cette procédure oblige
les molécules odorantes les plus discrètes à se manifester. Le quatrième nez consiste à flairer les
odeurs attachées au verre vidé du vin. Les molécules les plus lourdes sont ainsi détectées. Le
quatrième nez est surtout utilisé dans l’analyse sensorielle des eaux de vie.

4.2.3. Arômes de bouche et persistance aromatique intense

Les arômes de bouche sont particulièrement perceptibles lorsque 2 à 3 cl de vin sont sur la langue et
que le dégustateur grume. Cette opération s’obtient grâce à 2 ou 3 légères aspirations lèvres
resserrées, joues creusées. L’air aspiré va agiter le vin réchauffé par la bouche à presque 32°C et les
vapeurs odorantes vont être chassées vers l’arrière-gorge grâce à ce barbotage gazeux (Peynaud,
1980). Une fois la bouche du dégustateur vidée de son vin, c’est le phénomène de la persistance
aromatique intense qui va se manifester. Les arômes du vin demeurent perceptibles durant un certain
temps et cette persistance en bouche, ou longueur de bouche, est valorisée en caudalies, une caudalie
correspondant à une seconde de persistance aromatique en bouche (Casamayor, 2002). D’après
Gérard Margeon (2009), il serait nécessaire de patienter au moins 45 secondes en finale, vin hors
bouche lorsque la sensation vineuse a disparu, pour percevoir l’ensemble des sensations et être sûr de
laisser s’exprimer toutes les notes aromatiques du vin et notamment les petits défauts cachés,
oxydation et goût de bouchon (ibidem).

77
Le verre recommandé pour réaliser une AS est un verre à pied de type INAO (en forme de tulipe et dont les
caractéristiques sont précisées dans la norme ISO 3591 de 1977).

44
4.2.4. Adaptation et habituation

La chronologie des « quatre » nez permet de contourner le phénomène de l’adaptation (Brand, 2001).
L’adaptation provoque une réduction de la sensibilité de la perception olfactive. Il peut y avoir auto-
adaptation lors d’une exposition prolongée aux mêmes molécules olfactives. L’adaptation croisée
génère quant à elle une baisse de la sensibilité aux arômes perçus dans le cas de l’apparition de
nouvelles odeurs. Gérard Brand (ibidem) nous indique que l’adaptation est différente de
l’habituation. L’habituation est un processus cognitif qui conduit à une diminution ou suppression de
la réactivité aux stimuli olfactifs lors de répétitions successives et monotones. L’habituation est un
phénomène cognitif alors que l’adaptation est un phénomène fonctionnel localisé au niveau des
récepteurs (Brand, 2001). Lors de l’analyse sensorielle des vins, les différents et successifs « coups
de nez » doivent permettre aux différents arômes de se manifester, des molécules les plus volatiles
aux plus lourdes, des plus expressives aux plus discrètes, mais doivent aussi permettre au dégustateur
de contourner les phénomènes d’adaptation et d’habituation.

4.3. Les mots de la PO

La PO passe par l’acquisition et la mobilisation à bon escient d’un lexique complexe. La description
de la PO s’inscrit dans une longue histoire. Les mots mobilisés s’organisent autour de la description
de la qualité puis de la complexité olfactive et aromatique. Ils permettent ensuite d’évoquer les
origines supposées des nuances aromatiques. Les mots s’organisent de la description à
l’interprétation.

4.3.1. Une volonté historique de décrire la PO

De nombreux auteurs proposent des listes de termes dans le but de faciliter la description des odeurs
et des arômes dans les opérations d’analyse sensorielle (Pfister, 2006). La dégustation des vins est
aussi ancienne que la vinification (Coutier, 1994). Les termes utilisés pour décrire le vin ont évolué
du Moyen Âge à nos jours. Dès le Moyen Âge, certains termes sont déjà utilisés (bon, bonté, douceur
au sens de « souplesse », force, franc, puissant, etc.) comme l’atteste Henry (1996) cité par Martine
Coutier (2007). Aux XVè et XVIè siècles, le langage des « goûteurs », c'est-à-dire des courtiers-
gourmets professionnels reste limité à un petit nombre de termes de base (Peynaud 1980). À partir du
XVIIIè siècle, le vocabulaire se développe sous l’impulsion des progrès dans la viticulture et
l’élaboration du vin. Le nom de « dégustateur » au sens professionnel du terme apparaît pour la
première fois (Coutier, 2007). Une des premières classifications des odeurs est proposée par Carl von
Linné en 1764. Il propose sept classes hétérogènes : 1. Odores aromatic (laurier), 2. Odores
fragrantes (fleur de tilleul, du lys ou du jasmin), 3. Odores ambrosiaci (ambre, musc), 4. Odores

45
alliace (ail), 5. Odores hircini (bouc), 6. Odores tetri (plantes de la famille des solanées), 7. Odores
nausei (plantes putrides) (Linnaeus, 1764). En 1822, plus de 90 termes techniques sont cités et
rassemblés dans un ouvrage « Topographie de tous les vignobles connus » d’André Jullien (1822).
C’est la fin du XIXè siècle qui apporte d’importants progrès techniques et scientifiques. Jusque dans
les années 1930, les discours sur le vin existent surtout comme outil de contrôle contre la fraude
(Fernandez, 2004). La législation qui se développe autour du vin (création de l’INAO le 30 juillet
1935) permet de libérer les dégustations techniques de la recherche des défauts pour l’orienter vers
un discours plus esthétisé (Reckinger, 2012). Durant le XXè siècle, le diplôme d’œnologue est créé
en 1955, l’œnologie est une science qui se développe et, dans son sillage, l’analyse sensorielle
devient un outil incontournable. Les professionnels de l’élaboration des vins souhaitent alors préciser
la terminologie de la dégustation, description olfactive comprise. Max Léglise (1976) œnologue
français de la station œnologique de Beaune (INRA Bourgogne) est un des initiateurs de l’analyse
sensorielle des vins. Émile Peynaud (1980), œnologue et professeur à l’université de Bordeaux, est
surnommé « le père » de l’œnologie moderne. Son ouvrage « Le goût du vin » est un des piliers de
l’analyse sensorielle des vins. Ann C Noble (1984), chimiste de l’analyse sensorielle de l’université
de Davis en Californie, propose la roue des arômes du vin (aroma whell). À partir des années 60, les
manuels de dégustation développent des conseils pratiques et précis (Fernandez, 2004). Le « Précis
d’initiation à la dégustation » de Jacques Puisais, paru en 1969, est l’un des premiers ouvrages
définissant une méthodologie de la dégustation en France (Reckinger, 2012). C’est à partir de cette
période que Rachel Reckinger remarque, grâce à une recherche sur le catalogue collectif de la
Bibliothèque nationale de France, l’augmentation exponentielle des publications autour des mots du
vin.

4.3.2. Des mots pour exprimer la qualité de la PO

La description qualitative de la partie aromatique d’un vin passe par trois notions : (1) la netteté ou la
franchise, (2) l’intensité et (3) la finesse ou élégance.

4.3.2.1. Netteté (ou franchise)

La netteté est une condition sine qua non : dès le contact avec le vin, la première impression est
bonne ou mauvaise (Pertuiset, 2003). La présence de défaut interrompt irrémédiablement la
dégustation, la moindre impression douteuse est rédhibitoire. Le vocabulaire convoqué exprime la
nécessaire franchise et netteté des odeurs. D’ailleurs le manque de franchise est souvent d’origine
extérieure (Vivet, 2006). Ce sont souvent soit le matériel végétal à la base du vin, soit les étapes de la
vinification ou de l’élevage qui génèrent des défauts. Les mots pour exprimer la netteté sont

46
(Pertuiset, 2003 et Vivet, 2006) : franc, net, précis, propre, ciselé, honnête, droit, pur et pour
exprimer le manque de netteté : sale, indécis, flou. Le manque de netteté est dû à la présence d’un ou
plusieurs défauts olfactifs dont voici une liste, d’après les auteurs de référence (Peynaud, 1980,
Léglise, 1984, Casamayor, 2002, Pertuiset, 2003, Pfister, 2006) : oxydation, acroléine, évent,
madérisation, noix rance, rance, pharmaceutique, alcool, alcooleux, désinfectant, éthanal,
infirmerie, médicinal, naphte, phéniqué, phénol, solvant, sorbiqué, réduction, mercaptan, moisi, œuf
pourri, placard, poussière, réduit, serpillère, sale, croupi, diacétyle, mauvais bois, pourri, terre,
souffre, H2S, SO2, sulfuré, vinaigre, acescent, acétique, bois mouillé, bouchon, caoutchouc, ensilage,
essence, géranium, hydrocarbure, liège78.

4.3.2.2. Intensité

L’intensité aromatique va dépendre du type de vin ou du cépage utilisé (un vin d’Alsace, cépage
gewurztraminer, est généralement très expressif) mais un premier nez exubérant peut parfois être le
signe d’un manque de finesse et une intensité excessive peut devenir un défaut (Pertuiset, 2003). Une
intensité plus discrète peut être due à un vin dit « réservé » ou « fermé ». Un vin réservé et
temporairement discret, pourra se révéler au cours du repas ou après un carafage79. Un vin est fermé
s’il n’est pas servi au meilleur moment de son évolution. Les mots pour exprimer l’intensité
aromatique sont (Pertuiset, 2003 et Vivet, 2006) : muette, aqueuse, faible, pauvre, diluée, neutre,
discrète, délicate, moyenne, suffisante, soutenue, forte, intense, puissante, violente, excessive,
brûlante.

4.3.2.3. Finesse ou élégance

La hiérarchie des vins est souvent élaborée à partir de leur finesse aromatique (Pertuiset, 2003). La
finesse (dont les caractères sont subtils, harmonieux et mesurés) est indissociable de l’élégance
(qualification d’un vin fin et harmonieux) selon Martine Coutier (2007). Les mots pour exprimer la
finesse ou l’élégance aromatique sont (Pertuiset, 2003 et Vivet, 2006) : fin, élégant, gracieux, suave,
raffiné, racé, subtil, distingué, noble, de grande classe, et pour exprimer le manque de finesse et
d’élégance : vulgaire, grossier, commun, banal, ordinaire, rustique, simple.

78
Il est intéressant de constater que ces termes peuvent être classés en termes techniques (c’est-à-dire qui ont un sens
œnologique précis, exemple : oxydation, réduit, soufré), en termes familiers (c’est-à-dire qui sont aussi utilisés dans le
langage courant, exemple : propre, pur) et en termes métaphoriques (c’est-à-dire qui évoquent une chose ou une personne
tout à fait différentes du domaine, par exemple : ciselé, élégant)
79
Le carafage est le passage du vin dans une carafe. Son objectif est multiple, il sert principalement à oxygéner le vin et à
développer son intensité aromatique.

47
4.3.3. Des mots pour exprimer la complexité de la PO

La complexité aromatique est décrite par l’évocation des notes et nuances perceptibles dans un vin.
La complexité aromatique d’un vin s’exprime par étapes progressives, les notes et les nuances ne se
révèlent pas toutes au même moment, ce qui justifie en partie la méthodologie des différents « nez »
de la PO. Max Léglise (1976) propose de recueillir, dans un premier temps, les effluves les plus
délicats ou les plus éthérés en conservant le vin immobile, sans agiter le verre. Cette étape permet de
saisir les odeurs les plus légères, aériennes, celles qui sont les plus fugitives. Dans un second temps
sont perçus les arômes de volatilité moyenne, après une agitation discontinue, grâce à un coup de
poignet toutes les 15 à 20 secondes (Léglise, 1976). L’agitation continue révèle les odeurs les plus
lourdes. Après 15 minutes, ces odeurs évoluent, certaines disparaissent, d’autres apparaissent. Du
verre vidé s’échappent enfin les effluves
Nombre de termes capiteux, c’est le quatrième nez.

249 Il n’existe pas de liste exhaustive


stabilisée dans le domaine de la PO.
Plusieurs auteurs, considérés comme
140 149
136
référents (Peynaud, 1980, Léglise, 1984,
84 Casamayor, 2002, Pertuiset, 2003,
Pfister, 2006), proposent des listes de
termes d’une ampleur différente comme
Max Léglise Pierre Georges Richard Emile le montre le graphique ci-contre.
Casamayor Pertuiset Pfister Peynaud
Figure 6 : Nombre de termes descriptifs de la complexité aromatique par auteur

Parmi ces listes de 84 à 249 descripteurs (selon les auteurs), seul 24 termes sont communs à
l’ensemble de ces cinq experts80 en AS : abricot, anis, café, cannelle, caramel, cassis, cerise, citron,
coing, cuir, foin, framboise, groseille, musc, muscade, noisette, pain grillé, pin, pruneau, réglisse,
rose, thym, vanille, violette. Chacun des auteurs organise ces descripteurs autour de plusieurs
niveaux. Le niveau 1 concerne les familles aromatiques, (exemple : fruits frais), le niveau 2 concerne
les sous-familles aromatiques, (exemple : agrumes) et le niveau 3 concerne les arômes plus précis,
(exemple : citron vert). Une compilation de l’ensemble des termes, supprimant les doublons, aboutit
à une liste de 366 termes descriptifs aromatiques de niveau 3. Sur les 61 familles aromatiques

80
Ces termes ne sont pas forcément le dénominateur commun de tous les enseignants du domaine.

48
évoquées, 7 sont communes81 : animal, empyreumatique (grillé, odeur de torréfaction), épicé, floral,
fruité (fruit frais), fruité (fruit sec), végétal.

Dans le cadre du travail de recherche de master (Alvarez, 2017), j’ai organisé ces termes autour de
10 familles (niveaux 1, par exemple « fruits frais »), 15 sous-familles (niveau 2, par exemple
« baies »), 5 sous-sous-familles (niveau 2 bis, par exemple « fruits noirs ») et 366 arômes précis
(niveau 3, par exemple « mûre »). J’ai ainsi schématisé une carte heuristique82 visant l’exhaustivité
des termes descripteurs. Sur la carte mentale ci-dessous n’apparaissent pas les 366 arômes précis
mais seulement 2 arômes par sous-famille en guise d’exemples (Alvarez, 2017). La liste complète
des 366 termes se trouve en annexe papier83 n°1.

Figure 7 : Carte heuristique des arômes du vin (Alvarez, 2017)

81
Ces termes ne sont pas non plus le dénominateur commun de tous les enseignants du domaine
82
Cette carte heuristique des arômes du vin a été conçue dans le cadre d’un mémoire de master en sciences de
l’éducation à l’ESPE Université de Toulouse II (Alvarez, 2014), « Les effets de la carte heuristique des arômes dans
l’apprentissage de la partie olfactive de l’analyse sensorielle des vins. Une étude de cas en baccalauréat technologique
hôtellerie ». Sous la direction de Marie-France Carnus.
83
Deux types d’annexes sont jointes à cette thèse : les annexes « papier » sont imprimées et reliées ; les annexes
« numériques » sont stockées sur un support numérique. Pour faciliter la consultation des annexes durant la lecture, les
notes de bas de page ou les renvois mentionnent « annexe papier » ou « annexe numérique ».

49
4.3.4. Les mots de l’origine supposée de la PO

La présence des molécules aromatiques est justifiée par diverses causes (Burtschy, 2016). Le cépage
et son état de maturité, les types de vinifications, le vieillissement et l’élevage, le terroir participent,
plus ou moins, à la complexité et à la qualité aromatique.

Il est possible d’appréhender la PO en reliant la perception à une origine supposée (Chassin, 2011).
Les arômes primaires ou variétaux sont issus du raisin, du cépage (comme variété de vitis vinifera),
du terroir et du climat du millésime. Les arômes secondaires ou fermentaires sont issus des deux
fermentations, alcoolique et malo-lactique. Les arômes tertiaires ou d’élevage, appelés aussi bouquet,
sont issus de l’évolution du vin de façon réductrice, garde du vin en bouteille bouchée, ou de façon
oxydative, élevage du vin en barrique ou en muid84.

Les arômes donnent des indications sur les conditions de réalisation du vin (Pertuiset, 2003). Les
arômes sont liés à l’état de la vendange : les fruits verts sont souvent indicateurs de faible maturité
des raisins alors que les fruits très mûrs ou compotés sont plutôt signe de « surmaturité ». Les arômes
sont en rapport étroit avec l’âge du vin : les fruits frais, le floral et le végétal sont signe de fraîcheur
et de jeunesse du vin alors que les notes empyreumatiques, les fruits secs et le bouquet animal sont
souvent associés à des vins évolués. Les arômes sont aussi en relation avec les vinifications et
l’élevage : les notes amyliques85 sont souvent présentes dans les vins réalisés en macération
carbonique ou semi-carbonique, les notes vanillées, de chêne ou de café sont présentes dans les vins
élevés sousbois.

La réalisation d’accords entre les mets et les vins nécessite une connaissance préalable des caractères
organoleptiques du vin proposé (Brunet, 1993) et notamment par la PO. Le mariage des mets et des
vins vise une alliance harmonieuse, elle passe par l’assortiment des parfums, des saveurs et des
textures (Faure-Brac, 2006). Pour réussir cette harmonie il faut tenir compte de plusieurs éléments et
en premier lieu, selon Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde en 1992, des parfums
(suivis de la structure, de la matière et de la densité du vin et du plat). La PO est donc un moyen
privilégié pour associer le vin et la gastronomie (Alvarez, 2017).

84
Le muid est un type de tonneau d’environ 280 litres. Il est particulièrement utilisé avec les cépages méditerranéens
ainsi que le demi-muid qui, paradoxalement contient entre 500 et 650 litres.
85
Arômes de ferments, de banane, de bonbon anglais, assez fugaces et que l’on retrouve dans les vins jeunes.
Dictionnaire des vins, bières et spiritueux du monde, édition bilingue, 2005

50
4.4. Une double compétence : le sentir et le dire

L’enseignement de la sommellerie est difficile (Stengel, 2012) à cause de l’exhaustivité de ses


appellations et du contenu culturel abondant. La plupart des diplômes de la restauration (surtout des
niveau IV et V) tendent à former des élèves à des postes de serveurs, commis de salle, chef de rang et
sommelier, se destinant tous à pratiquer au quotidien la commercialisation du vin (ibidem).

La commercialisation du vin qui s’appuie sur l’AS requiert le développement d’une double
compétence : le sentir et le dire (Alvarez, 2017). L’approche méthodologique de l’AS avec sa
gestuelle complète et adaptée vise la compétence « sentir ». Le développement du discours adapté et
pertinent passe par l’acquisition et la maîtrise d’un vocabulaire complexe, c’est la compétence
« dire ».

4.5. Pour résumer…

C’est la pratique sociale de la sommellerie qui est enseignée dans les lycées en hôtellerie-
restauration. Elle se compose de savoirs méthodologiques (le flairage, les différents nez successifs
[premier, deuxième, troisième et quatrième nez] et la rétro-olfaction) et de savoirs lexicaux (les mots
pour exprimer la qualité [netteté, intensité et finesse], les mots pour exprimer la complexité [familles
aromatiques et arômes précis] et les mots pour évoquer l’origine supposée de la PO [cépages, terroir,
vinification ou élevage]).

51
5. Le savoir à enseigner : l’AS des vins en formation HR

Dans le processus de transposition didactique externe (Chevallard, 1985), le savoir à enseigner est
une mise en texte du savoir pour satisfaire les contraintes de la transmission scolaires (Reuter, 2013).
Les exemples les plus courants de cette mise en texte sont les programmes et les manuels. Cette
partie évoque d’abord la présence de l’AS dans les programmes, puis sa présence dans un manuel de
référence et enfin sa présence implicite et diffuse qui dépasse les programmes et les manuels.

5.1. Programmation didactique dans les curriculums

Le curriculum est l’ensemble des programmes disciplinaires (Reuter, 2013). Les référentiels des
programmes sont à la disposition des enseignants pour organiser la découverte progressive des
contenus d’enseignement sur la durée de la formation. Les programmes disciplinaires des classes
concernées par la recherche actuelle86 sont le baccalauréat professionnel commercialisation et service
en restauration (bac pro CSR), le brevet de technicien supérieur hôtellerie-restauration (BTS HR) et
la mention complémentaire sommellerie (MC som). Les présentations suivantes reprennent la mise
en forme de chaque curriculum et s’organisent autour du référentiel d’activités professionnelles87 et
du référentiel de certification88. Elles évoquent la présence et le poids de l’AS dans les programmes.

5.1.1. Bac pro commercialisation et service en restauration

Le référentiel de ce diplôme s’appuie sur l’arrêté du 31 mai 2011 : « Le titulaire du baccalauréat


professionnel commercialisation et services en restauration est un professionnel qualifié,
opérationnel dans les activités de commercialisation et de service en restauration ».

5.1.1.1. Référentiel d’activités professionnelles89

L’AS est présente dans les cinq compétences suivantes, qui passent de la maîtrise de la démarche de
l’AS à sa mise en œuvre en situation de commercialisation.

86
Conformément aux classes des enseignants qui ont accepté de participer à cette recherche.
87
Le référentiel d’activités professionnelles, décrit les fonctions, les tâches et les conditions de l’exercice professionnel.
88
Le référentiel de certification décrit les capacités, compétences et savoirs exigés pour l'obtention de la certification
visée.
89
Page 2 de l’annexe 1 du référentiel du diplôme de baccalauréat professionnel commercialisation et services en
restauration

52
Tableau 4 : extrait du référentiel d'activités professionnelles du Bac Pro

Compétences90 du Conditions de réalisation /


Compétences Savoirs associés /
pôle d’activité Critères et indicateurs de
opérationnelles Connaissances
professionnelle performance
C5-2.2 Contrôler la qualité Qualité de l’analyse organoleptique
C5-2 Maintenir la L’identification des phases de
organoleptique des matières des produits, qualité de l’analyse
qualité globale l’analyse sensorielle
premières et des productions sensorielle
Phases de l’entretien : écoute
Pertinence des conseils et de
C1-1.5 Conseiller la clientèle, active, questionnement,
C1-1 Prendre en l’argumentation pour répondre aux
proposer une argumentation reformulation, argumentation,
charge la clientèle demandes et aux attentes de la
commerciale objections. Le vocabulaire
clientèle
professionnel
Qualité de la valorisation des
L’identification des principales
C1-3 Vendre des produits (connaissances historiques,
C1-3.1 Valoriser les produits spécialités et des produits
prestations géographiques, climatiques,
marqueurs par région (vins…)
culturelles…)
C1-3.3 Mettre en œuvre les Qualité de l’argumentaire de vente L’identification de la chronologie
C1-3 Vendre des
techniques de ventes des mets (bonne connaissance des produits, de l’acte de vente : de l’accueil à
prestations
et des boissons personnalisation de l’argumentaire) la prise de congé
C1-3.4 Proposer des accords Fiches de dégustation mets et/ou
C1-3 Vendre des Énumération des principes
mets – boissons ou boissons - boissons, qualité de l’argumentation
prestations classiques d’accords
mets des propositions
La première compétence vise la mise en œuvre de la démarche et des phases de l’AS. La seconde
définit la prise en compte des attentes du client pour proposer le vin aux caractéristiques recherchées.
La troisième évoque la mise en œuvre de la valorisation du vin qui s’appuie, en partie, sur l’AS. La
quatrième concerne la mise en œuvre de l’argumentaire de vente du vin qui s’appuie, en partie, sur
l’AS. Et enfin la dernière propose la mise en œuvre de fiche de dégustation de vin, issue de l’AS,
pour proposer le vin qui s’accorde avec les plats choisis par le client du restaurant.

5.1.1.2. Référentiel de certification

L’AS fait partie intégrante de l’évaluation certificative du bac pro CSR. Elle intervient directement
lors de l’épreuve professionnelle E3, dans la sous-épreuve de communication et commercialisation
E31. « Le candidat réalise une analyse sensorielle du vin sélectionné, propose des accords mets
vins ». Cette épreuve est évaluée avec un coefficient de 4 sur un total de 29. L’AS représente donc
directement 14 % de la certification du diplôme de bac pro CSR.

90
Tous les termes de ce tableau sont issus du référentiel du diplôme.

53
Tableau 5 : extrait de la grille d'évaluation de l'épreuve E31 du Bac pro

Atelier SOMMELLERIE (20 points – 30 minutes maximum)


C1-1 Prendre en C1-1.5 Conseiller la clientèle,
Pertinence des conseils et de
charge la proposer une argumentation 0 1 2 3
l’argumentation
clientèle commerciale
1 /14
Cohérence de l’accord
C1-3 Vendre des C1-3.4 Proposer des accords
0 1 2 3 Originalité-modernité de la
prestations mets-boissons et boissons-mets
proposition
(…)
C5-1 Appliquer C5-2.2 Contrôler la qualité
5 la démarche organoleptique des matières 0 1 2 3 Qualité de l’analyse sensorielle /6
qualité premières et des productions
Ce tableau est extrait de la feuille d’évaluation de l’épreuve E31 concernant l’atelier de sommellerie.
À noter l’opacité des critères d’évaluation qui laissent de la marge aux évaluateurs. Les enseignants
peuvent aussi considérer les critères d’évaluation comme des éléments du savoir à enseigner.

5.1.1.3. Estimation horaire91

La formation bac pro restauration se déroule sur 3 ans, soit 84 semaines de formation, 22 semaines
de période de formation en entreprise (PFMP) et 2 semaines d’examen. La formation professionnelle
dure 1 152 heures soit environ 13 heures par semaine. Deux heures chaque année peuvent être
consacré à l’apprentissage des bases et de la maîtrise de la méthodologie de l’AS, (soit 3 x 2 heures =
6 heures). Dans les contextualisations professionnelles du restaurant pédagogique d’application, l’AS
peut être mise en pratique sur un vin différent chaque semaine (mise en avant du vin de la semaine en
fonction de la progression pédagogique choisie) des classes de première et de terminale,
correspondant à 56 séances (15 minutes par vin soit 56 x 15 = 840 minutes, soit 14 heures). Au total,
20 heures peuvent être allouées à l’AS des vins92.

5.1.2. Mention complémentaire sommellerie

Le référentiel de ce diplôme s’appuie sur l’arrêté du 31 juillet 1996. « Le titulaire de la mention


complémentaire sommellerie est un professionnel de la restauration et de la commercialisation des
boissons ».

91
D’après les modalités et grilles horaires des baccalauréats professionnels [en ligne] accessible grâce au lien
http://eduscol.education.fr, consulté le 30/11/18
92
Cette estimation horaire est la proposition du chercheur, chaque enseignant ayant la liberté d’organiser son
enseignement dans le cadre des référentiels.

54
5.1.2.1. Référentiel d’activités professionnelles

L’AS est présente dans les deux compétences et dans les trois connaissances suivantes.

Tableau 6 : extrait des compétences du référentiel d'activité professionnelles de la MC Som

Compétences93 Critères et indicateurs de performance


C3-1 Déguster les boissons et argumenter, procéder à Résultats logiques judicieux, avis argumenté et
une analyse sensorielle progression dans l’analyse sensorielle des boissons
Langage précis et accessible au client
C4-3 Conseiller la clientèle, évaluer et prendre en
Prise en compte réelle des attentes de la clientèle
compte les attentes de la clientèle, orienter les choix
(goût…)
de la clientèle, argumenter
Accord satisfaisant mets et vins
Ce sont les compétences de savoir-faire associées à l’AS.

Tableau 7 : extrait des connaissances du référentiel d'activité professionnelles de la MC Som

Connaissances Limites des connaissances


Les mécanismes
neurophysiologiques de l’analyse Explication du processus des stimulations organoleptiques
sensorielle
Conditions physiques, physiologiques et psychologiques (probité, modestie,
Aspects humains
objectivité)
On se limitera aux différentes phases et aux descriptions essentielles en
évitant l’inflation du vocabulaire.
Commentaires de dégustation logiques, structurés, utilisant un vocabulaire
Méthode (visuelle, olfactive, précis et adaptés aux circonstances
gustative, interprétation, conclusion)
Interprétation, conclusion, dégustation orientée vers l’achat et la vente
Mise en avant du produit
Présentation du produit à la vente
Ce sont des savoirs déclaratifs et procéduraux associés à l’AS.

5.1.2.2. Référentiel de certification

L’AS fait partie intégrante de l’évaluation certificative de la MC som. Elle intervient dans la pratique
professionnelle. L’analyse sensorielle sera d’une durée de 45 minutes : le candidat doit procéder à
l’examen visuel, olfactif et gustatif de deux vins. Il devra préciser les mets pouvant être associés à
ces deux vins, en apportant ses propres conclusions quant à la qualité de ces deux vins. L’objectif de
cette analyse n’est pas de deviner une appellation mais de construire une recherche progressive par

93
Tous les termes de ces tableaux sont issus du référentiel du diplôme.

55
une analyse descriptive cohérente, suggestive devant conduire à une synthèse logique d’appréciation
et à une conclusion94.

L’AS représente un coefficient de 3 sur un total de 12 pour la pratique professionnelle soit 25 %.

5.1.2.3. Estimation horaire

La formation de MC Som se déroule sur une année (29 semaines dont 12 semaines de stage). L’AS
est enseignée et pratiquée 4 heures par semaines sur 17 semaines soit 68 heures et les AS des
différents vins sont menées durant toutes les pratiques professionnelles (au restaurant d’application,
en stage et lors des enseignements des crus des vins). L’AS est omniprésente en MC Som.

5.1.3. BTS Hôtellerie-restauration

Le référentiel de ce diplôme s’appuie sur l’arrêté du 3 septembre 1997. « Le titulaire du BTS


Hôtellerie-restauration : (1) organise, pilote, anime et peut aussi concevoir un système de production
et de distribution de biens et services ; il participe à leur production et à leur distribution ; (2)
élabore, analyse et exploite des données du système d’information ; (3) conçoit, réalise et contrôle la
communication externe et la commercialisation ».

5.1.3.1. Référentiel d’activités professionnelles

L’AS est présente, de façon implicite, dans les capacités et compétences suivantes :

Tableau 8 : extrait des capacités et compétences du référentiel d'activité professionnelles du BTS

Capacités et compétences

1.1.1 Participer à la conception d’une unité de restauration (restauration et connaissances des boissons)

1.4.1 Concevoir et élaborer les prestations

1.4.2 Choisir les méthodes de services

1.4.3 Organiser le service, l’assurer, le contrôler et l’évaluer

L’AS est présente, de façon implicite, dans les savoirs associés suivants :

94
Cette partie du référentiel de certification ressemble beaucoup au contrat didactique.

56
Tableau 9 : extrait des savoirs associés du référentiel d'activité professionnelles du BTS

Savoirs associés

5.2 connaissance du patrimoine vitivinicole

7.3 phases de la vente : argumentation (vendre une prestation de restauration)

8.4 les standards de production (…) analyse sensorielle, tests organoleptiques (Argumenter sur le choix des
produits)

5.1.3.2. Référentiel de certification

L’AS fait potentiellement partie de l’évaluation certificative du BTS HR. Elle peut intervenir dans la
pratique professionnelle dans trois des quatre ateliers pratiques (dans les exemples en gras) :

 Atelier 1 : vente – communication


o Exemples d’épreuves : phase d’accueil ; prise de commande, négociation (banquet,
cocktail, réception, salons)
 Atelier 2 : réalisation d’une prestation technique
o Exemples d’épreuves : création de cocktails ; création de hors-d’œuvre, desserts, etc. ;
facturation ; dressage de buffet, plateau de fromages ; mise en place de bar, cave du
jour ; animation par des techniques (flambage, découpage, finition, dégustation, etc.).
 Atelier 3 : animation et organisation
o Lancement d’activités ; démonstrations d’utilisation de matériels, de produits ;
commentaires, explications de prestations (plateau de fromages, boissons,
dégustation) ; conduite d’une équipe, d’une brigade, répartition, organisation du
travail, préparation d’une activité.

Ces ateliers représentent un coefficient de 1,5 sur un total de 4,5 pour la pratique professionnelle, soit
33 %.

5.1.3.3. Estimation horaire

La formation de BTS hôtellerie se déroule sur deux années de 29 semaines de cours et de 16


semaines de stages en entreprise. Les horaires hebdomadaires consacrés à la « restauration et
connaissances des boissons » est de 3 heures en première année et 4 heures en deuxième année. Il est
probable que l’AS des vins représente 2 heures en première année pour l’apprentissage des bases,
puis 15 minutes par séance de travaux pratiques au nombre d’environ 10 par an (10 x 15 = 150

57
minutes soit 2 h 30). L’AS représente donc 7 heures au total : 2 heures (année 1) + 2 h 30 (pratique
année 1) + 2 h 30 (pratique année 2).

5.2. Place de l’AS dans un manuel de référence

L’AS et la PO tiennent une place notable dans les manuels de sommellerie. Pour commencer il est
question, dans ce chapitre, de justifier le choix d’un ouvrage de référence en sommellerie pour
constater ensuite, la place de l’AS et les thèmes traités dans ce manuel, pour enfin évoquer la place
de la PO dans ce même manuel.

5.2.1. Un manuel de référence

L’AS est présente dans la plupart des manuels scolaires de « technologie restaurant » et de
« restaurant (F&B95) » comme le montre une recherche sur les sites internet de deux des principales
maisons d’édition du domaine de l’hôtellerie-restauration96. Le seul manuel, d’après ces deux
éditeurs, à n’évoquer que le domaine de la sommellerie de façon spécifique et complète est l’ouvrage
de Paul Brunet « le vin et les vins au restaurant » publié pour la première fois en 1990. Ce manuel est
une référence dans le domaine de la sommellerie car son auteur est reconnu, s’adresse à tous les
élèves et étudiants du domaine et couvre la totalité des programmes. Son auteur associe, comme
l’indique la quatrième de couverture, une pratique professionnelle de sommelier97 et une pratique
professionnelle d’enseignant de la sommellerie98. Ce manuel est destiné, dans le domaine de la
sommellerie à « apporter aux élèves et aux étudiants des écoles hôtelières et des centres de
formation, un outil où ils trouveront, quel que soit leur niveau de formation, tous les thèmes qui
figurent dans les programmes d’enseignement » (Brunet, 2001, p 4). Cet ouvrage peut donc être
considéré comme une référence car il traite de la sommellerie dans son entier, à destination de tous
les niveaux d’élèves et en couvrant tous les éléments des programmes.

5.2.2. La place de l’AS dans le manuel de référence

L’AS (nommée dégustation dans le manuel) est un des thèmes présents dans cet ouvrage de
référence :

95
Food & Beverage : soit le service des mets et des boissons au restaurant
96
D’après les sites internet des éditions Delagrave [en ligne] consultable avec le lien : https://www.editions-delagrave.fr,
et des éditions BPI [en ligne] consultable avec le lien : https://www.editions-bpi.fr, liens consultés le 27/10/18
97
Paul Brunet a travaillé pendant plus de vingt ans dans la restauration et a été élu deux fois meilleur sommelier de
France.
98
Paul Brunet a été professeur certifié dans la spécialité « restaurant » et a enseigné pendant 23 ans le vin et les vins.

58
Tableau 10 : Répartition des thèmes du manuel

Thèmes de l’ouvrage Nombre de pages %


La vigne en France 6 2%
Vin et raisin 6 2%
La fermentation alcoolique 4 1%
Les vinifications 5 2%
Le stockage et la conservation des vins 8 3%
La dégustation 13 4%
Le vin et la loi 14 5%
Le service des vins au restaurant 11 4%
L’étude des vignobles (de France et quelques vignobles étrangers) 195 64 %
Les eaux de vie et les liqueurs 4 1%
Les autres boissons 7 2%
Les approvisionnements 7 2%
La commercialisation 9 3%
Les accords vins et mets 18 6%
TOTAL 307 100 %
L’AS fait partie intégrante du thème « la dégustation ». Hormis le thème « étude des vignobles » qui
représente la majeure partie de l’ouvrage, l’AS est le troisième thème le mieux représenté parmi les
treize autres.

5.2.3. Les thèmes de l’AS dans le manuel de référence

Dans le chapitre de l’AS, l’auteur aborde plusieurs thèmes différents :

 « Les généralités » concerne la définition et les objectifs de la dégustation ;


 « Comment aborder la dégustation » évoque la reconnaissance des saveurs de base, la
sensibilisation aux perceptions olfactives et l’influence des conditions de dégustation ;
 « Phases de la dégustation » détaille les phases visuelle, olfactive et gustative ;
 « Vocabulaire du vin » liste quelques mots incontournables de la dégustation ;
 « Caractéristiques de quelques cépages » évoque les principaux cépages blancs et rouges en
présentant leurs principales caractéristiques organoleptiques ;
 « Dégustations particulières » concerne la dégustation des vins effervescents et des eaux de
vie.

59
5.2.4. La PO dans le manuel de référence

Au sein de la partie AS, la PO est traitée en suivant l’approche suivante :

Tableau 11 : La PO dans le manuel de référence

Pages du manuel Présence de la partie olfactive de l’AS


Sensibilisation aux perceptions olfactives
71
Difficultés et exercices d’apprentissages
Phase olfactive de l’AS
Méthodologie
75 Arômes primaires, secondaires et tertiaires
Familles et types d’arômes
Association des arômes avec les appellations et les types de vin
78 Vocabulaire du vin, partie olfactive

80 Association cépages et arômes


Vocabulaire de l’examen olfactif proposé par le Bureau interprofessionnel des vins de
394 (annexe)
Bourgogne (ce document est en annexe du manuel de référence)

5.3. Le curriculum caché de l’AS

Comme l’indiquent Georgette et Jean Pastiaux (1997, p 86), « l’ensemble des contenus et des
situations d’apprentissage mis en œuvre selon un ordre de progression déterminé tout au long du
cursus définit le curriculum ». Les auteurs rappellent qu’il est nécessaire de distinguer le curriculum
construit qui correspond à la programmation délibérée à partir d’objectifs explicitement définis dans
les programmes, du curriculum caché ou latent qui correspond à tout ce que l’élève apprend dans
l’institution99 (école, collège, lycée) sans que ce soit explicitement enseigné. Le curriculum caché
n’est donc pas expressément formulé dans les programmes.

Plusieurs éléments de la pratique sociale de référence de la sommellerie ne sont pas mentionnés dans
les programmes des référentiels de formation. Le vin étant une boisson alcoolisée, l’approche
professionnelle de l’AS implique de cracher pour rejeter l’alcool. L’AS fait partie intégrante du
patrimoine gastronomique et culturel de la France et sa transmission est nécessaire. L’enseignement
de l’AS est aussi le moyen d’éduquer au savoir-boire, mission qui est traditionnellement affectée à la
famille et notamment au père. L’AS touche enfin à l’intime de chaque personne par le plaisir qu’elle
procure.

99
Et même dans d’autres lieux comme dans la famille par exemple

60
5.3.1. Rejeter le vin lors de l’AS

Il est possible d’avoir un rapport ambivalent100 au vin (Simmonet-Toussaint, 2006). D’un côté c’est
un produit culturel qui est fortement associé à la grandeur gastronomique de la France lorsqu’il est
consommé avec modération (représentation des grands crus). D’un autre côté c’est un produit
alcoolisé, potentiellement dangereux, associé à la misère sociale et à l’alcoolisme (représentation du
« gros rouge qui tâche ») (ibidem). L’AS ne conduit pas à boire, elle sous-entend le rejet
systématique de l’alcool. L’action de cracher fait implicitement partie de la méthodologie de l’AS
même si cracher n’est pas une action anodine.

Faire une AS n’est pas boire, surtout dans le cadre scolaire

Réaliser une AS ne consiste pas à boire : « Il faut boire pour vivre, avant même d’avoir soif. Cette
façon de boire est dénuée de plaisir, elle est automatique, sans s’appesantir sur la boisson, sans
prendre conscience de « l’objet » boisson » (Tahon, 2005, p 33) alors que « La dégustation impose
de prendre son temps, pour observer avec attention et concentration. L’acte de déguster ne peut pas
se faire de façon automatique et sans intérêt. » (ibidem).

Faire l’AS du vin et rejeter l’alcool

Pour conserver le discernement nécessaire à l’analyse sensorielle d’une boisson alcoolisée, le


dégustateur « recrache le plus complètement possible la gorgée de vin » (Peynaud, 2013, p 128). Le
vin ingéré risque, de plus, de causer des « dommages » (Peynaud, 2013), il est fait ici allusion à
l’ingestion de l’alcool contenu dans le vin potentiellement responsable de maladies101 « L’alcool peut
provoquer des maladies digestives, neurologiques ou cardiovasculaires, des cancers et des troubles
cognitifs ».

Une étude de la commission vin et santé102 démontre que lors des dégustations professionnelles, un
rejet systématique des vins permet une assez bonne maîtrise de l’ingestion d’alcool. Cette étude
portant sur 125 dégustateurs montre que, en crachant le vin, 78 % des personnes du panel n’ont pas
d’alcoolémie décelable, pour 13 % d’entre elles, l’alcoolémie est comprise entre 0 et 0,25 g/l, pour

100
Présence simultanée dans la relation à un même objet, de tendances, d’attitudes et de sentiments opposés, par
excellence l’amour et la haine, d’après le dictionnaire Laplanche et Pontalis.
101
D’après l’assurance maladie [en ligne] grâce au le lien : https://www.ameli.fr, consulté le 28/10/18
102
Descout J-J, Augris A, Bonbourg L, Blache D, Observations sur l’alcoolémie du dégustateur, Revue Française
d’Œnologie - novembre/décembre 2001 - N° 191

61
8 % des dégustateurs elle se situe entre 0,25 et 0,50 g/l et pour 1 % seulement, elle est supérieure à
0,50 g/l.

Cracher lors d’une AS

Émile Peynaud (2013, p 129), dans son ouvrage de référence de l’analyse sensorielle des vins, donne
des consignes très précises sur la façon de cracher dans une situation d’AS professionnelle :

« Pour cracher le vin, on le ramène sur le devant de la bouche, on resserre et avance les
lèvres, on augmente la pression buccale et le vin, poussé en piston par la langue, est éjecté
plus ou moins complètement et adroitement, suivant l’habileté des lèvres à modeler la
trajectoire ».
Pourtant, l’évocation de l’action de cracher ou de rejeter le vin, n’est pas ou très peu présente dans la
plupart des ouvrages sur l’AS. Il n’est, d’ailleurs, pas fait mention de « cracher » dans les manuels
scolaires. Le mot n’apparaît qu’une seule fois dans le manuel de référence (Brunet, 2001) dans la
partie « dégustation » lorsque l’auteur évoque la phase gustative, il indique simplement pour clôturer
cette partie : « à ce moment-là, mâcher le vin, puis, soit l’avaler, soit le recracher (tout ou partie) »
(p 77). Il est à noter que l’auteur laisse l’alternative au dégustateur de boire ou d’avaler le vin, tout en
sachant qu’il s’adresse à des jeunes en formation (du CAP au BTS) comme l’indiquent très
clairement les objectifs de l’ouvrage en introduction (p 4). Cette prise de risque est alors de la
responsabilité de l’enseignant.

Ce que cracher veut dire

Pour le CNRTL cracher signifie simplement rejeter hors de la bouche mais cette action n’est pas si
anodine. Pour Pascal Le Maléfan (2011) le crachat possède une valeur anthropologique voire
culturelle : « cracher apparaît (…) comme un comportement ayant eu une dimension symbolique et
sociale » (ibidem, p 65). Parmi les différentes dimensions évoquées par l’auteur (sexuelle, pubertaire,
de mise à distance…) c’est la bifonctionnalité de la bouche qui interpelle. La bouche qui crache est
aussi la bouche qui parle : « on crache et on parle par le même orifice » (ibidem, p 62). L’auteur met
alors en relief une certaine incompatibilité que l’adolescent s’inflige, il crache pour ne pas parler ou
il ne peut pas parler parce qu’il crache.

5.3.2. L’AS comme transmission d’un patrimoine culturel

Le vin dans la dégustation (ou AS), passe d’un statut de produit « aliment » à un statut de produit
culturel. Son rôle social est alors primordial, il se transmet comme un patrimoine immatériel.

62
Les repas, composés de dégustation de mets et boissons (dont le vin) ne visent pas seulement
l’assouvissement des besoins physiologiques mais sont des évènements culturels mêlant des aspects
sociaux, linguistiques et cognitifs (Hugol-Gential, 2015). Les discours autour du vin (et des mets)
sont anciens autour de la table. Comme l’indique l’auteur (2015, p 28), au XVè siècle : « le gourmet
est celui qui teste le vin et qui a le vocabulaire adéquat pour décrire et rendre compte de la subtilité
des breuvages ». Elle précise ensuite qu’au XIXè siècle le mot gourmet s’étend à celui qui aime faire
bonne chère, ce qui signifie déguster des aliments et boissons de qualité mais aussi employer le bon
vocabulaire. Le terme gastronomie apparaît pour la première fois en 1801 dans un poème de Joseph
Berchoux (ibidem) et comme l’indique Pascal Ory (1998, p 13) « le gastronome sera non celui qui
sait le plus, mais celui qui parle le mieux ».

Jean-Luc Fernandez, cité par Rachel Reckinger (2012), indique que le vin devient aussi culturel
grâce à la pratique de la dégustation (professionnelle et amatrice). Le produit vin se transforme de la
sorte en un « boire cultivé et esthétisant » (ibidem). Cette approche culturelle du vin est d’ailleurs,
après apprentissage, à la portée de tout un chacun (Reckinger, 2012). D’après un sondage Ifop / Vin
& société103, 67 % des jeunes de 18 à 30 ans indiquent être d’accord avec le fait que le vin est un
élément de l’art de vivre à la française.

Le discours culturel autour du vin est par là même un vecteur indispensable de la transmission du
patrimoine gastronomique et culturel. L’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science
et la Culture104 (UNESCO) a reconnu, comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2010,
que le vin était une partie importante du repas gastronomique des français, tout comme sa gestuelle
spécifique de dégustation, et qu’il était nécessaire de veiller à la transmission orale et écrite de ce
patrimoine aux jeunes générations.

« Le repas gastronomique des Français est une pratique sociale coutumière (…). Il s’agit d’un
repas festif dont les convives pratiquent, (…), l’art du « bien manger » et du « bien boire ». (…).
Parmi ses composantes importantes figurent : (…) ; le mariage entre mets et vins ; (…) ; et une
gestuelle spécifique pendant la dégustation (humer et goûter ce qui est servi à table). (…) Des
personnes reconnues comme étant des gastronomes, qui possèdent une connaissance approfondie
de la tradition et en préservent la mémoire, veillent à la pratique vivante des rites et contribuent
ainsi à leur transmission orale et/ou écrite, aux jeunes générations en particulier ».

103
Étude réalisée lors du Vinocamp de 2016 [en ligne] accessible grâce au lien http://www.vinetsociete.fr, consulté le
03/11/18
104
UNESCO, Patrimoine immatériel de l’humanité, le repas gastronomique des Français, [en ligne]
http://www.unesco.org, consulté le 18 juin 2015

63
Le texte de l’UNESCO met, dans cet extrait, particulièrement en relief la gestuelle spécifique de la
dégustation ainsi que la nécessité de la transmission de ce patrimoine immatériel aux jeunes.

5.3.3. L’AS comme éducation au « savoir-boire »

Dans l’enseignement de l’AS figurent implicitement plusieurs éléments concernant le rapport au


savoir-boire. De l’enfance à la fin de l’adolescence, les jeunes passent par plusieurs phases
d’alcoolisation. C’est au sein de la famille que l’éducation au savoir-boire se transmet
traditionnellement avec une place symboliquement forte du père. D’après un sondage Ifop (voir
supra), 63 % des jeunes français de 18 à 30 ans pensent que le vin s’apprend en famille. Ils disent
reproduire, d’après cette enquête, le modèle culturel traditionnel transmis par leurs parents, ce qui
concerne l’image du vin et la façon de le déguster.

Les phases du rapport à l’alcool

Le savoir-boire des jeunes passe par trois phases (Simmonet-Toussaint, 2006). (1) L’alcoolisation
expérimentale (entre 11 et 18 ans) correspond à une recherche des limites personnelles. Elle se
manifeste par une consommation de grande quantité d’alcool en fin de semaine. (2) La découverte de
la consommation en jeune adulte (entre 20 et 25 ans) coïncide avec le moment où les jeunes se
rapprochent du monde des adultes. (3) L’alcoolisation adulte se stabilise, la plupart du temps, par une
consommation raisonnée autour des repas. Les jeunes en formation hôtelière se trouvent surtout dans
la première phase de ce rapport à l’alcool (ils ont entre 15 et 20 ans en moyenne), avant de découvrir
la consommation en tant que jeunes adultes, autour des repas principalement.

Lors de la phase d’alcoolisation expérimentale, le vin est rejeté car il est associé symboliquement à la
culture des adultes. Les adolescents cherchent leur autonomie et aspirent à se séparer, durant cette
période de leur vie, du modèle de leurs parents. Ils se tournent alors vers une consommation plus
massive d’alcool plus neutre (vodka, gin) en visant l’ivresse rapide et forte. Lors de la découverte de
la consommation en jeunes adultes, la consommation d’alcool devient plus raisonnée, elle se fait
avec modération dans une vraie recherche de plaisir gustatif. Le vin devient, dans cette période, un
véritable apparat d’adulte (Simmonet-Toussaint, 2006).

La transmission du savoir-boire

Les tous premiers contacts avec le vin lors de la transmission du savoir-boire passent par un interdit.
Lors de l’enfance la consommation de l’alcool est réservée aux adultes. Le vin est alors un fantasme
pour l’enfant qui voudrait faire « comme les grands ». Le parent propose de « tremper les lèvres »

64
(Simmonet-toussaint, 2006). Puis, lors de l’adolescence, les adultes commencent à l’autoriser, c’est
le rite de passage. C’est à ce moment-là que la dégustation est de plus en plus appréciée. Le parent
propose de goûter un « fond de verre » à l’occasion des repas festifs, fêtes de fin d’année, repas de
famille, anniversaires… (ibidem) Pour les jeunes adultes, c’est enfin la reconnaissance de
l’autonomie. Les adultes autorisent la consommation de vin, lors de la fin de l’adolescence, c’est la
période de la première bouteille, souvent pour l’anniversaire des 18 ans, la bouteille du millésime de
l’année de naissance (ibidem).

Une transmission familiale

La famille forge la première expérience sociale de l’enfant. Les parents initient aux us et coutumes
de la dégustation du vin, omniprésente lors des repas de famille (Simmonet-Toussaint, 2006). La
famille, comme groupe social, impose ses normes de la consommation ritualisée du vin. Cette culture
familiale va même jusqu’à façonner la personnalité des enfants en dictant les préférences, les goûts
autour des vins. Céline Simmonet-Toussaint (2006) indique que la culture de la dégustation ritualisée
du vin par la famille est transmise, elle construit les individus et les incite à transmettre eux-mêmes
aux générations suivantes. « Cette idée d’une nécessité de transmettre le goût de la dégustation du
vin de génération en génération est donc centrale chez tous les jeunes de notre population »
(Simmonet-Toussaint, 2006, p 31). L’AS est nodale dans l’acculturation des jeunes au vin : « c’est en
goûtant, en étant finalement initiés que certains jeunes pensent avoir reçu ce qu’ils savent, ce qu’ils
pensent du vin » (ibidem, p 49).

Le rôle du père

Le père joue un rôle particulièrement central dans la transmission de l’AS du vin : « le père, investi
d’un pouvoir tout-puissant sur les membres de sa famille dans le droit romain, reste symboliquement
la figure emblématique de l’autorité. Il est ainsi celui qui autorise, qui censure la consommation du
vin » (Simmonet-Toussaint, 2006, p 71). C’est le père qui est, le plus souvent, chargé de la partie
cave : remonter les bouteilles, ouvrir, servir, gérer la dégustation. Et c’est naturellement, avec sa
position de détenteur d’une partie de l’autorité dans la famille (ibidem), qu’il régule la consommation
du vin, tour à tour permissif ou interdicteur : le père édicte les règles de l’AS.

5.3.4. L’AS, le plaisir, le sujet, le vin

L’AS transmet le rapport à l’alcool, le rapport au vin et au savoir-boire, elle est aussi influente sur le
rapport au plaisir personnel et au partage. Enseigner l’AS c’est conduire sur la connaissance de son
goût, sur l’histoire de son goût et aussi son rapport au vin.

65
L’AS c’est le plaisir

Le repas familial est un moment éducatif. Les changements de l’approche du vin, d’une
consommation journalière comme « vin-aliment », à une consommation occasionnelle et festive
comme « vin-plaisir » ont révolutionné les représentations autour de l’AS (Simmonet-Toussaint,
2006). L’AS du vin est inséparable de sa mise en mots : « parler du vin ce n’est pas seulement
évoquer une boisson mais c’est raconter le contexte associé à cette boisson (…) il s’agit de parler des
plaisirs (…) le plaisir gustatif, boire et apprécier un goût, mais aussi, le plaisir du partage. Il s’agit là
d’un échange avec un autre que soi » (ibidem, p 74). L’AS c’est le plaisir : « la famille transmet
finalement quelque chose de bien plus personnel, de bien plus singulier et c’est le rapport au plaisir »
(ibidem, p79). Ce plaisir est à la fois solitaire car il est personnel, intime, subjectif et aussi partagé
« car on goûte ce que l’autre nous propose et on goûte en même temps que l’autre » (ibidem, p 79).

L’AS c’est parler de soi

En replaçant l’AS dans ce contexte familial, parler du vin revient à parler de son enfance, de ses
parents, de sa vie privé (Simmonet-Toussaint, 2006). La culture du vin ne peut se détacher de la
transmission, de la tradition, de l’emprise familiale. Comme l’indique Jacques Lacan (1977) « le
langage, avant de signifier quelque chose, signifie pour quelqu’un » dans le contexte de l’AS, parler
du vin revient à signifier ce que l’on ressent à un autre car la parole est adressée (ibidem). Lorsque
quelqu’un parle du vin, il parle de lui-même. Céline Simmonet-Toussaint indique (2006, p 101)
« goûter le vin, comme penser le vin, c’est faire nécessairement appel à la subjectivité du sujet ; et
comme l’écrit Michel Serres (1985), si vous goûtez le vin, il vous donnera votre goût en vous
donnant son goût.

66
5.4. Pour résumer…

Le savoir à enseigner, concernant la PO, se trouve dans le « curriculum construit ». Il est présent
dans les référentiels des diplômes et dans les manuels de références :

Tableau 12 : synthèse des compétences attendues en AS par titulaire des diplômes

Diplômes Le titulaire est… Il sera capable de…


Un professionnel qualifié, opérationnel dans les
Réaliser une analyse sensorielle d’un vin et
Bac pro CSR activités de commercialisation et de service en
valoriser un argumentaire de vente
restauration (dont le vin)
Procéder à l’examen visuel, olfactif et gustatif de
Mention Un professionnel de la restauration et de la
vins. Il devra préciser les mets pouvant être
complémentaire commercialisation des boissons (particulièrement
associés et apporter ses propres conclusions
sommellerie le vin)
quant à la qualité des vins analysés.
Un professionnel qui organise, pilote, anime (…)
participe à la production et à la distribution (…) Organiser, réaliser, animer et contrôler une
BTS hôtellerie-
élabore, analyse et exploite (…) conçoit, réalise dégustation de vin, une négociation et une prise
restauration
et contrôle (le vin est une partie de ses de commande de vin.
prérogatives)

Le savoir à enseigner, concernant la PO, se trouve aussi dans le « curriculum caché ». Il se compose
d’éléments enseignés sans être affichés : le rapport à l’alcool et au cracher, la transmission d’un
patrimoine gastronomique culturel immatériel, l’éducation au savoir-boire traditionnellement confiée
à la famille et particulièrement au père et le rapport au plaisir et à la découverte de son goût et de son
histoire.

67
6. Options notionnelles retenues

Pour clôturer ce chapitre 1, nous synthétisons les options notionnelles que nous retenons pour la suite
de ce travail de recherche.

Précisions terminologiques : l’analyse sensorielle des vins (AS) est l’acte de goûter attentivement,
pour définir la nature et la qualité des caractères organoleptiques d’un (des) vin(s). C’est une
opération complexe qui nécessite méthode et techniques pour percevoir, identifier et apprécier (dans
le sens d’évaluer) un vin. L’analyse sensorielle stimule tous les sens (ouïe, vue, odorat, goût et
toucher). C’est un acte réfléchi qui permet de rechercher et de sélectionner des descripteurs dans le
but de décrire les perceptions et d’évaluer leur intensité. L’analyse sensorielle nécessite une
éducation.

Les objectifs de l’AS : produire une présentation des vins aux clients du restaurant grâce à plusieurs
termes adaptées et compréhensibles.

Les savoirs savants de la physiologie du goût et de l’œnologie : la partie olfactive de l’AS (PO)
passe par un processus en quatre phases : la perception, l’identification, la mémorisation et la
verbalisation. Elle est, à la fois, concernée par les odeurs (voie orthonasale) et par les arômes (voie
rétronasale).

La pratique sociale de référence de la sommellerie : la PO se compose de savoirs


méthodologiques (le flairage, les différents nez successifs [premier, deuxième, troisième et quatrième
nez] et la rétro-olfaction) et de savoirs lexicaux (les mots pour exprimer la qualité [netteté, intensité
et finesse], les mots pour exprimer la complexité [familles aromatiques et arômes précis] et les mots
pour évoquer l’origine supposée de la PO [cépages, terroir, vinification ou élevage]).

Le savoir à enseigner « curriculum construit » : les titulaires des diplômes de l’hôtellerie-


restauration sont des professionnels du service des vins, ils seront capables de réaliser une AS de vin
et de valoriser un argumentaire de vente.

Le savoir à enseigner « curriculum caché » : l’AS comprend des éléments implicites tels que le
rapport à l’alcool, le rapport au savoir-boire, le rapport à la transmission paternelle de la culture du
vin et le rapport au goût.

68
Figure 8 : Partie olfactive de l’AS, options notionnelles

69
Chapitre 2 : Options théoriques et conceptuelles de la recherche

Dans ce chapitre sont présentées les options théoriques et conceptuelles de la recherche. La


didactique clinique est au centre de ce travail de recherche, ses origines, ses fondements et sa théorie
du sujet pris dans le didactique sont détaillés dans un premier temps. Puis, dans une seconde partie
sont exposés les principaux outils conceptuels convoqués pour ce travail de recherche : transposition
et conversion didactique, moments didactiques, déjà-là décisionnel, position symbolique de SSS,
impossible à supporter et trois rapports à (à l’institution, à l’épreuve et au savoir).

71
1. Épistémologie et théorie de la didactique clinique

C’est dans le cadre théorique de la didactique clinique (DC) que ce travail de recherche s’inscrit. La
première partie de ce chapitre en présente l’origine pour ensuite en préciser les fondements. Il est, ici,
choisi d’entrer dans le triangle didactique par la focale du sujet enseignant. Ainsi, la dernière partie
de ce chapitre met en relief la théorie du sujet, considérant le sujet enseignant comme un des acteurs
majeurs de l’action didactique.

1.1. Les origines

D’après André Terrisse (2009), le véritable déclencheur de l'option « clinique » en didactique


remonte à la soutenance de la thèse de Marie-France Carnus intitulée « Analyse du processus
décisionnel de l'enseignant d'EPS en gymnastique : une étude de cas croisée » (Carnus, 2001). C’est
dans le domaine de l’éducation physique et sportive (EPS) que la didactique clinique (DC) est née.
Elle apparaît pour répondre à des objectifs de meilleure compréhension de ce qui se joue dans
l’espace didactique : « L'émergence de la DC de l'EPS repose sur le constat de l'insuffisance des
cadres didactiques actuels pour lire certains phénomènes relatifs à la transmission / appropriation des
savoirs » (Carnus, 2013, p 23). Comme l’indique Gérard Sensevy (2001), une part importante des
déterminants de l’action didactique reste opaque pour l’enseignant. C’est à partir de ce constat qu’un
des buts de la DC est d’apporter une lecture nouvelle du fonctionnement didactique « en ouvrant sur
des réseaux de signification différents et complémentaires » (Carnus, 2013, p 23). Les cadres et
théories didactiques « classiques » ayant des limites pour expliquer certains phénomènes didactiques,
la DC se donne pour objectif de se tourner vers le sujet enseignant comme « auteur et créateur de
savoir » (Beillerot, 1996).

Initialement fondé dans le domaine de l’EPS, la DC se développe aujourd’hui dans de nombreux


autres domaines, l’éducation à la santé en école primaire (thèse d’Yves Léal en 2012), l’évaluation
en école primaire dans le cadre de la polyvalence (thèse de Patricia Mothes en 2017), le français en
lycée professionnel (thèse de Sandra Cadiou en 2018) pour ne donner que quelques exemples.
Depuis 2001, de nombreuses publications prennent pour cadre théorique la DC105.

105
13 thèses (soutenues ou en préparation) mentionnent les termes « didactique clinique » dans leur titre, d’après une
recherche sur le site http://www.theses.fr [en ligne] consulté le 12/11/18.
Le site « isidore », plateforme et moteur de recherche permettant la recherche et l'accès aux données numériques et
numérisées de la recherche en sciences humaines et sociales, [en ligne] disponible à l’adresse
https://www.rechercheisidore.fr/ consulté le 12/11/18, donne 107 résultats d’articles scientifiques publiés comportant
« didactique clinique » dans leur titre.

72
1.2. Les fondements

Comme l’indique Marie-France Carnus (2015), la didactique clinique associe la didactique


« classique », où le savoir est le principal organisateur de la pratique enseignante et une clinique
psychanalytique du sujet avec l’hypothèse freudienne de l’inconscient. Ainsi les concepts et les
méthodes de la didactique clinique sont empruntés aux champs de la didactique et de la psychanalyse
(Carnus, 2009). D'après Marie-France Carnus (2013), la DC se situe donc dans une double filiation
didactique prospective et critique106 (Martinand, 1992) et clinique d'orientation psychanalytique en
sciences de l'éducation (Beillerot, Blanchard-Laville, Mosconi, 1996). Comme son nom l’indique, la
DC est donc « à l'interface du didactique et de la clinique, ce positionnement scientifique renouvelle
la lecture du fonctionnement didactique, en autorisant l'accès à d'autres réseaux de signification »
(Carnus, 2013, p23). L'ancrage à la fois didactique et clinique peut se justifier par la difficulté de
tracer les limites du personnel et du professionnel tant ces deux sphères sont imbriquées dans
l’épistémologie du sujet enseignant (Loizon, 2013). La question fondamentale, pour la DC, est de
découvrir la part de l’enseignant dans « le choix et le traitement des savoirs en classe » (Carnus,
Terrisse, 2013). Il s’agit de déterminer la logique énigmatique de l’enseignant pour comprendre,
voire expliquer, les raisons subjectives du traitement proposé (ibidem).

1.3. Une théorie du sujet pris dans le didactique

L’approche de la DC intègre donc, a priori, la dimension du sujet (Carnus, 2003). La DC prend en


compte le point de vue de l’enseignant comme porte d’entrée principale. Aux contraintes extérieures,
traditionnellement investiguées par les didactiques classiques, la DC questionne les contraintes
internes à l’enseignant qui orientent fortement son action didactique (Blanchard-Laville, 1996). La
centration sur le sujet enseignant est le fondement de la DC (Touboul, 2013, p 42). Elle permet
d’analyser « ce avec quoi l'enseignant se débat, parfois à son insu, pour exercer sa mission en
répondant aux injonctions institutionnelles » (Carnus, 2013, p 24). Il ne s'agit pas de démontrer ni de
prouver mais d'apporter des éléments de réflexion à la compréhension de la pratique du sujet
enseignant dans sa dynamique (Jourdan, 2013). « Le cadre théorique de la DC permet d'une part,
d'observer et de décrire les pratiques d'enseignement et d'autre part, d'analyser et d'interpréter les
faits observés en donnant la parole à l'enseignant » (Touboul, 2013, p 42).

106
Pour Martinand (1992) il existe trois déclinaisons de la didactique (1) la didactique praticienne, c’est celle que met en
place l’enseignant pour faire apprendre à ces élèves, (2) la didactique normative, c’est celle du législateur et des
concepteurs des programmes pour donner des prescriptions aux formateurs et (3) la didactique prospective et critique,
c’est celle qui concerne le chercheur en didactique, celle qui produit des connaissances pour décrire et comprendre les
pratiques professionnelles des enseignants.

73
La DC considère le sujet, enseignant et apprenant, comme singulier, assujetti et divisé. Dans le cadre
de ce travail de recherche la focale est mise spécifiquement107 sur le sujet enseignant.

1.3.1. Singulier ≠ générique

L’intérêt pour un sujet singulier dans sa dynamique à la fois psychique et sociale (Beillerot,
Blanchard-Laville et Mosconi, 1996) est en rupture avec l'idée d'un sujet générique, épistémique108
(Carnus, 2003). Ce parti pris de la DC oblige à « passer d'un sujet enseignant épistémique pour la
didactique à un sujet empirique109 pour la clinique » (Jourdan, 2009, p 48). Compte-tenu du fait qu’il
existe une importante variabilité intra et interindividuelle dans l'activité décisionnelle des enseignants
(Carnus, 2003), la DC postule d’observer des sujets enseignants singuliers tout en convenant qu’ils
sont autonomes et responsables devant leurs choix (Carnus, 2015). La prise en compte de la
singularité du sujet se traduit dans la recherche par un travail « au cas par cas, au un par un110 »
(Terrisse, 2009). Chaque sujet s’inscrit dans son « déjà-là », son histoire et sa singularité. Ce concept
majeur de la DC est développé dans un chapitre suivant.

1.3.2. Assujetti = sujet de l’institution

Cette notion d’assujettissement provient de la dimension anthropologique du didactique (Chevallard,


1992). Le sujet est pris dans le didactique (Carnus, 2015). La formule est matérialisée dans la figure
ci-dessous, qui est un remaniement (Carnus, 2013) de l’approche ternaire du triangle didactique
(Alstolfi, 1997), dans laquelle le sujet enseignant se retrouve au centre de plusieurs influences : le
savoir (enjeu de la transmission / appropriation), l’institution (ensemble de codéterminations qui vont
de la plus générique « l’école, l’établissement » à la plus spécifique « la discipline scolaire, le
programme ») et l’épreuve (c’est la rencontre avec le réel, la contingence de toute situation
d’enseignement / apprentissage).

107
Ce travail n’exclut cependant pas les apprenants puisque, naturellement, la situation didactique intègre dans son milieu
l’enseignant, les élèves et le savoir (pris dans un sens générique et englobant). L’enseignant est inextricablement liée aux
élèves et à leurs activités. Les élèves ne sont donc pas absents de cette recherche même s’ils ne sont pas l’axe principal de
l’observation.
108
En didactique : Relatif à une épistémè, à l'ensemble des connaissances propres à un groupe social, à une époque.
109
C’est-à-dire qui s’appuie sur l’expérience.
110
Cette notion sera reprise et développée dans le chapitre méthodologique « de l’étude de cas à la construction du cas ».

74
Figure 9 : Sujet pris dans le didactique (Carnus, 2013)

Comme le montre la schématisation, le sujet est assujetti par l'institution qui est à la fois contraintes
et ressources (Carnus, 2015). Intégré dans un cadre institutionnel et dans un contexte déterminé, ces
contraintes vont pousser l’enseignant à se créer un espace de liberté et à y évoluer (Carnus, 2009).

1.3.3. Divisé par son inconscient

Le sujet est divisé dans et par son inconscient, il y a une part d'insu qui échappe à sa conscience,
entre ce qu'il faudrait qu'il fasse et ce qu'il ne peut s'empêcher de faire (Carnus, 2015). La dimension
de l'inconscient est source de nombreuses divisions chez le sujet enseignant (Carnus, 2009).

L'enseignant est divisé (Lacan, 1977) : entre ce qu'il prévoit d'enseigner (son intention) et ce qu'il
enseigne réellement (Loizon, 2013), entre ce qu'il dit avoir enseigné et ce qu'il a enseigné réellement
(ibidem), entre ce qu'il avait l'intention d'enseigner et ce qu'il ne peut s’empêcher d'enseigner
(Carnus, 2013), entre ce qu'il sait et ce qu'il est supposé savoir (Carnus, 2009), entre ce qu'il est et ce
qu'il est supposé être (Carnus, 2009). La division apparaît aussi entre le motif rationnel « raison » et
le mobile irrationnel « désir » : la contrainte ou le plaisir, comme par exemple suivre son plan, sa

75
préparation de cours, son scénario de leçon ou contrôler sa classe pour assouvir son désir d’emprise
(Carnus, 2009). Cette « hypothèse freudienne » permet d'éclairer la part d'insu dans le remaniement
des contenus d'enseignement (Carnus, 2009).

1.4. Pourquoi la DC est-elle un cadre théorique adapté à cette recherche ?

La DC procure un cadre théorique éprouvé depuis son émergence en 2001. Elle a été mobilisée,
depuis, par de nombreux chercheurs, français et étrangers et nourrit de nombreuses publications. La
DC, grâce à sa double filiation, fournit une lecture renouvelée des phénomènes didactiques, en
suivant le fil du savoir (dimension didactique) à travers la logique du sujet (dimension clinique), en
particulier l’enseignant. La DC met au centre de la recherche le sujet de l’inconscient. Nous nous
focalisons ici sur le sujet enseignant comme l’acteur, parfois à son insu, de ses choix. La DC le
considère comme un sujet singulier, assujetti et divisé. La DC nous semble particulièrement adaptée
à cette recherche sur l’enseignement de la PO :

 car il oscille entre sphère publique et sphère privé ;


 car il est dépendant de pratiques sociales et de savoirs savants ;
 car il est très dépendant de l’enseignant qui va s’en emparer.

76
2. Concepts et outils mobilisés dans l’étude

Parmi les concepts empruntés aux champs de la didactique, de la clinique et ceux développés
conjointement en DC, seuls ceux mobilisés dans cette recherche feront l’objet d’une description dans
ce paragraphe.

Si c’est grâce au concept de transposition didactique que le savoir est d’abord appréhendé, la DC
lui associe celui de conversion didactique, adaptation clinique en didactique. La chronogenèse111
reste centrale dans la visibilité et le déroulement du savoir enseigné. Les quatre moments
didactiques sont convoqués, en insistant tout particulièrement sur les moments phares de dévolution
et d’institutionnalisation. L’épaisseur ostensive de la situation didactique est la densité avec
laquelle l’enseignant donne à voir le savoir.

La DC propose des concepts-outils puissants pour analyser la situation didactique. Le « déjà-là


décisionnel » est un des déterminants de l’action didactique. Chaque enseignant habite
singulièrement la position de sujet supposé savoir et montre, parfois, comme un « impossible à
supporter », écart entre ce qu’il fait et ce qu’il voulait faire. « Les trois rapports à » est l’un des
derniers outils de la DC permettant de situer l’enseignant en fonction de son rapport à l’institution,
rapport à l’épreuve et rapport au(x) savoir(s).

2.1. De la transposition didactique…

La transposition didactique, concept princeps dans la recherche en didactique, est issue des travaux
sociologiques de Michel Verret (1975). Il s’agit du passage d'un contenu de savoir précis à une
version didactique de cet objet de savoir. Yves Chevallard (1985, p.39) évoque la transposition
didactique interne112, qui est particulièrement l’affaire de l’enseignant : « Un contenu de savoir ayant
été désigné comme savoir à enseigner subit dès lors un ensemble de transformations adaptatives qui
vont le rendre apte à prendre place parmi les objets d'enseignement ».

111
La notion de chronogenèse est introduite par Chevallard (1985) dans le cadre de sa présentation de la transposition
didactique. Apparaissent également les notions de topogenèse (place par rapport au savoir selon Reuter et al, 2013) et de
mésogenèse (position du savoir dans le milieu didactique). Seule la notion de chronogenèse est développée dans le cadre
de cette recherche.
112
Chevallard parle aussi de transposition didactique externe concernant le passage du savoir savant au savoir à
enseigner. Cette partie de la transposition didactique n’est pas développée dans ce travail.

77
Figure 10 : Schématisation de la transposition didactique selon Chevallard ou des transpositions didactiques selon Martinand

D’après Yves Chevallard (1985) les savoirs savants sont issus de la recherche et sont produits par
une communauté scientifique. Cependant, tous les savoirs à enseigner n’ont pas pour origine des
recherches scientifiques. Selon Jean-Louis Martinand (1989), les pratiques sociales de référence sont
les pratiques réelles appartenant à un espace social déterminé qui servent de référence au même titre
que les savoirs savants. Samuel Johsua (1996) compare ces pratiques de références à des savoirs
d’experts et les place au même niveau que les savoirs savants. Les savoirs savants, pratiques sociales
de référence et savoirs d’experts nécessitent d’être mis en texte pour devenir des savoirs à enseigner
dans un cadre scolaire. Il s’agit de la transposition didactique externe, elle n’est pas du ressort de
l’enseignant. La transposition interne concerne la transformation des savoirs à enseigner en savoirs
réellement enseignés. Le passage des savoirs enseignés en savoirs appris est l’affaire des élèves.

Il existe des écarts entre le savoir à enseigner et le savoir enseigné. Les écarts constatés sont
complexes et ne peuvent pas être expliqués par les seules contraintes externes au système enseignant
et/ou enseigné. Néanmoins, ces écarts entre savoir à enseigner et savoir enseigné ne sont pas
considérés comme « des manquements mais comme des révélateurs de ces processus inconscients
qui animent tout sujet enseignant » (Carnus, 2013, p 136). Les cadres et théories didactiques
« classiques » ont des limites pour expliquer ces phénomènes (Carnus, 2009). La DC propose de
questionner la transposition didactique interne pour dépasser les allants de soi.

78
Figure 11 : Modélisation de la ternarité en didactique clinique (Carnus, 2009)

La modélisation de la ternarité selon Carnus (2009, p 65) :

« À la représentation schématique triangulaire mettant en évidence trois pôles distincts et


interdépendants, nous superposons trois instances circulaires mettant en évidence des zones
d’intersection qui varient en fonction de la singularité des sujets et des contextes d’enseignement.
Dans le schéma, la zone d’intersection des trois logiques n’occupe qu’une petite surface. Cette
représentation illustre la contingence de la rencontre entre les trois logiques qui peut se faire ou
ne pas se faire. »
2.2. … à la conversion didactique

Le concept de transposition didactique interne prend une dimension intime et heuristique en DC,
s’appuyant sur une théorie du sujet pris dans le didactique comme une notion centrale.

En didactique clinique, le terme transposition expérientielle (Jourdan, 2005) a d’abord été introduit
pour mettre l'accent sur la part expérientielle – plus particulièrement corporelle puisque qu’il
s’agissait de l’enseignement de l’EPS à l’origine – du sujet dans l’émergence des contenus
d'enseignement. La dimension intime des pratiques motrices participe d'un savoir en « je » qui agit
sur la transposition didactique interne (Carnus, 2013). Il semble nécessaire d'avoir un vécu dans
l'activité enseignée pour pouvoir l'enseigner. Le vécu de l’enseignant prend ainsi la place du savoir
de référence (Jourdan, 2013), Frédéric Heuser (2013) évoque la Référence de l’enseignant.
L'enseignant transpose, au sens « chevallardien » du terme, sa propre expérience vécue en savoir de
référence (Jourdan, 2005). L'enseignant est amené à mettre en scène son propre rapport au savoir qui
est fortement ancré dans son histoire personnelle, ce n'est alors pas le savoir qui s'expose mais c'est le

79
sujet (Blanchard-Laville, 2001). Cette transformation du contenu de l’expérience en contenu de
l’enseignement rend compte d’une nouvelle forme de transposition (Buznic Bourgeacq, 2010).

Pour rendre compte de cette transformation des objets de savoir tout en prenant en compte la part
importante du sujet enseignant dans cette transformation, la DC parle de conversion didactique
(Carnus, 2013). Ce concept se trouve à l’intersection de la conversion somatique (référence
empruntée à la psychanalyse freudienne qui décrit la conversion d’éléments psychiques en
symptômes somatiques) et de la transposition didactique interne (Verret, 1975, Chevallard, 1985). La
conversion didactique permet d'étudier la conversion du contenu de l'expérience du sujet (corporelle
et autre) en contenu d'enseignement élaboré et transmis par ce même sujet enseignant (Carnus,
2013). La conversion didactique est un outil conceptuel puissant qui permet de revisiter la référence
des savoirs scolaires en identifiant la part du sujet enseignant qui les fonde dans leur transmission
effective (ibidem).

2.3. Les moments didactiques

La DC s’inscrit dans un positionnement comparatiste en didactique (Mercier, Schubauer-Leoni,


Sensevy, 2002). La temporalité de la situation didactique (la chronogenèse) peut être schématisée en
quatre actions principales (Sensevy, 2011).

2.3.1. La chronogenèse et les quatre moments didactiques

La chronogenèse est un concept élaboré par Chevallard (1985) dans le champ de la didactique des
mathématiques. C’est la temporalité de la relation didactique, la description du savoir enseigné et sa
construction dans le temps. La chronogenèse joue un rôle important dans la description et la
compréhension des actions didactiques de l'enseignant. La notion est alors convoquée de façon
méthodologique. Ce relevé des actions signifiantes a pour but la construction de modèles pour rendre
compte des actions des enseignants (Reuter et al, 2013). Selon la théorie des situations didactiques
(Brousseau, 1985) et la théorie de l'action conjointe en didactique (Sensevy & Mercier, 2007),
l’action de l’enseignant peut se manifester de quatre façons, par les actions différentes suivantes :
définir, dévoluer, réguler et institutionnaliser. « Définir » est le moment durant lequel l'enseignant
transmet des règles que les élèves doivent comprendre pour s'engager dans l'activité. « Dévoluer » est
le moment durant lequel les élèves assument la responsabilité d'affronter le problème seul. Ils
acceptent, et l’enseignant aussi, la responsabilité de l’acquisition du savoir. « Réguler » est le
moment durant lequel l'enseignant influe sur la stratégie des élèves. « Institutionnaliser » est le
moment durant lequel l’enseignant reconnaît et fixe les comportements légitimes adéquats à la
situation didactique, il stabilise le savoir à retenir.

80
2.3.2. Dévoluer et institutionnaliser

Le processus de dévolution est l’action de l’enseignant qui souhaite rendre l’élève responsable de la
résolution du problème (Reuter et al, 2013), comme l’indique Brousseau (1998, p 303) : « La
dévolution est l’acte par lequel l’enseignant fait accepter à l’élève la responsabilité d’une situation
d’apprentissage (adidactique) ou d’un problème et accepte lui-même les conséquences de ce
transfert ». Ce concept est d’ailleurs, d’après Brousseau (1986), paradoxal car l’enseignant a
l’obligation d’enseigner mais plus il dévoile à l’élève ce qu’il souhaite de lui et plus il risque de le
faire échouer dans son apprentissage.

Le processus d’institutionnalisation est l’action qui vise à instaurer dans la classe un rapport
« officiel » au savoir. Ce savoir est rendu public, il est présenté comme important, il doit être appris
et il sera l’objet d’évaluation (Reuter, 2013). Ce moment d’institutionnalisation est plus ou moins
ritualisé, il est assumé par l’enseignant, conduit par les élèves ou mené de façon conjointe.

Dans cette recherche cette caractérisation des moments didactiques contribue à suivre le fil du savoir
à travers la logique du sujet enseignant.

2.4. Phénomènes ostensifs, outils symboliques et matériels

L’ostension113, dans une situation didactique est l’acte par lequel l’enseignant donne à voir le savoir.
Il peut utiliser différents moyens pour montrer le savoir, de façon plus ou moins visible, au centre de
la situation d’enseignement-apprentissage. Alain Mercier (1998) parle de formes d’adidacticité114
identifiables. Il évoque l’ostension totale, l’ostension partielle et l’absence d’ostension. L’ostension
totale est présente dans une situation très didactisée. Berthelot et Salin (1992) parlent d’ostension
assumée : l’enseignant montre directement le savoir. L’ostension partielle est elle aussi présente dans
une situation didactique cependant le savoir apparaît de façon moins visible. Parfois cette ostension
est déguisée (Matheron, Salin, 2002), l’enseignant organise le milieu pour que l’élève voit lui-même
le savoir. Lorsque l’ostension est absente, notamment dans les situations de dévolution, l’enseignant
confie la responsabilité à l’élève de découvrir le savoir (Brousseau, 1986). Ce concept d’ostension a
été repris en DC par plusieurs chercheurs (Léal, 2013, Buznic-Bourgeacq, 2013, Robert, 2013).

113
« Action de montrer ou de se montrer », selon le CNRTL
114
Selon la théorie des situations didactiques (Brousseau, 1998) une situation didactique est celle dans laquelle un
enseignant organise un dispositif qui manifeste son intention de modifier ou de faire naître les connaissances d’un élève.
Une situation adidactique est celle dans laquelle l’enseignant ne mène pas d’intervention directe au sujet de
l’apprentissage (Glossaire de quelques concepts de la théorie des situations didactiques en mathématiques, 1998, p 2).

81
L’enseignant articule les différents registres ostensifs (Bosch, Chevallard, 1999) verbaux, non
verbaux ou combinés. Les registres ostensifs verbaux concernent l’oralité, les sons de l’enseignant au
travers de son discours, des mots qu’il prononce, des explications qu’il donne. Les registres ostensifs
non verbaux passent par des éléments picturaux, le graphisme, les traces laissées (écritures, schémas,
croquis…). Le non-verbal ou paraverbal s’exprime aussi par les gestes, la gestualité (c’est le
« deixis » de Chevallard, l’action de montrer), les déplacements, la proxémie. Les registres ostensifs
concernent enfin la manipulation d’objets, de matériels et de matériaux. L’épaisseur ostensive
(ibidem) d’une séance sera donc dépendante du recours aux éléments des registres ostensifs.

D’autres auteurs parlent d’outils à la disposition des enseignants. Ces outils, manipulés par
l’enseignant, sont (Reuter et al, 2013) : des outils physiques (manuels, stylos…), des outils
psychologiques (langage…), des outils symboliques (signes…).

Tableau 13 : épaisseur ostensive d'après l'échelle des ostensions des savoirs (Robert, 2013)

N° Niveau d’adidacticité Ostensif Exemples

Gestuelle de l'enseignant L'enseignant montre le geste

Gestuelle dirigé de L'enseignant manipule ou dirige le geste de


l'élève l'élève
Ostension directe ou Matériel L'enseignant manipule un objet
1
assumée
Graphique L'enseignant montre un croquis, un schéma

Scriptural L'enseignant écrit


Discursif L'enseignant décrit, énonce

L'enseignant aménage le milieu didactique pour


2 Ostension déguisée Aménagement du milieu
que l'élève découvre le savoir

Pas d'ostension, L'enseignant confie à l'élève la responsabilité de


3 Aucun
dévolution son apprentissage

2.5. Le « déjà-là décisionnel »

En DC, le « déjà-là » (DL) est à la fois le premier temps de la méthodologie de collecte des données
et à la fois un des déterminants du processus décisionnel de l’enseignant (Carnus, 2013). Ce
paragraphe cible particulièrement le processus décisionnel, l’approche méthodologique est abordée
dans le chapitre 3, options méthodologiques.

82
2.5.1. Le DL est un filtre de l’action didactique

Le « déjà-là décisionnel » renvoie à une part latente115 et très influente de l'histoire des sujets qui agit
comme un « filtre de l'action didactique » : « Les filtres personnels interviennent à deux moments
dans l'action didactique : dans la phase de préparation (sélection des objets de savoir) puis lors de
l'action face à la classe avec les prises de décision » (Loizon, 2009, p 85). Le DL est constitué
d’éléments biographiques de l’histoire personnelle du sujet (ibidem, p 85) : « Les épisodes de vie
font partie de l'épistémologie professionnelles de l'enseignant » (ibidem). Pour Denis Loizon (2009)
le DL est un ensemble très hétéroclite composé de savoirs divers mais aussi de croyances, de valeurs
et d'intentions. Au carrefour de sa vie privée et de sa vie publique (d’enseignant), « son
épistémologie (…) est un élément central dans ces décisions » (Carnus, 2013, p 69). Le DL exerce
une influence constante sur les démarches décisionnelles de l'enseignant (Carnus, 2003). Il éclaire le
passage de l'intention à la décision. (ibidem). Si le DL oriente certaines des actions de l’enseignant, il
agit souvent à l’insu de celui-ci mais sous sa responsabilité (Loizon, 2013).

2.5.2. DL expérientiel, conceptuel et intentionnel

Le DL se trouve au carrefour de trois registres (Carnus, 2013). Le DL expérientiel est le registre de


l’histoire personnelle, sociale et professionnelle de l’enseignant. Le DL conceptuel est le registre de
la cognition, c’est l’ensemble des conceptions, des croyances, des valeurs et des représentations de
l’enseignant. Le DL intentionnel relève du registre de la conation, c’est-à-dire des intentions
éducatives, didactiques et pédagogiques. Le DL intentionnel est général, composé d’intentions
didactiques générales, sur un long terme ou spécifique, ce sont les intentions didactiques spécifiques
à un cours ou à une séance (Loizon, 2009).

2.6. La position symbolique de sujet supposé savoir

Cette proposition s’inspire de l’approche lacanienne des rapports entre analysant et analyste durant la
cure psychanalytique116. En DC, par analogie, c’est l’enseignant qui incarne cette position de celui
qui sait dans la classe (Carnus, 2013). Cette assertion est un outil conceptuel mobilisé en DC comme
éclairant « la manière singulière dont chaque enseignant occupe la fonction de détenir et de
transmettre le savoir » (ibidem).

115
Latente car elle peut parfois rester cachée, mais demeure susceptible de se manifester à tous moments.
116
En effet l’analysant transfère à l’analyste le savoir de « ce qui lui arrive ». Il suppose que celui-ci sait d’où vient le
mal dont il souffre (Carnus, 2013).

83
La façon avec laquelle un enseignant assume et maintient cette position symbolique dans l’institution
donne du sens à ses choix didactiques. Pablo Buznic-Bourgeacq (2013) indique même que cette
« supposition d’une position de savoir » constitue un élément organisateur de ses pratiques
professionnelles.

Historiquement la professionnalité du maître s’appuie et se fonde sur son savoir. Il sait ce qu’il faut
pour l’élève et il en sait plus que lui. La transmission rend nécessaire cette position de savoir
(ibidem). L’institution imposant à l’enseignant cette position de SSS, il convient de constater, dans le
réel de la classe, les alignements et les décalages du sujet avec cette position symbolique (ibidem).
Dans le système didactique117, le contrat didactique118 qui concerne les interactions entre l’enseignant
et ses élèves, les place dans une situation asymétrique : l’enseignant est supposé savoir et l’élève est
supposé ne pas savoir (Carnus, 2017). Les élèves et l’enseignant sont dans deux positions différentes
de la topogenèse119 (Chevallard, 1991, p 74).

« Non seulement l’enseignant, supposé savoir et supposé anticiper, doit montrer qu’il peut
conduire la chronogenèse didactique, affirmant ainsi son pouvoir (…) mais (…) il va affirmer
le caractère singulier de sa place propre dans la construction du savoir (…) ».
La contingence120 de la situation didactique amène les enseignants à habiter singulièrement la
position de sujet supposé savoir.

2.7. L’impossible à supporter

Ce syntagme a pour origine une tournure Lacanienne. Il fait référence au réel qui résiste à la
symbolique c’est-à-dire qu’il ne peut pas se mettre en mot. La théorie « RSI », pour réel, symbolique
et imaginaire est utilisé par Jacques Lacan (1977) pour comprendre l’évolution de la personnalité au
cours de la vie. Ainsi pour Lacan, l’imaginaire, qui n’est pas l’imagination, est l’ensemble des
images qui forgent l’identité de la personne. C’est aussi l’image de soi, image renvoyée par les
autres. La symbolique est le registre du langage, langage qui se tourne obligatoirement vers les
autres. L’homme est un « parlêtre » selon l’expression de Lacan. Pour l’auteur, le signifiant (mot,
image acoustique) prime sur le signifié (chose nommée) et le signifiant, parmi d’autre signifiant,

117
Le système didactique peut être vu comme la mise en relation des trois éléments : l’élève, l’enseignant et le savoir,
ainsi que la relation ternaire qui les unie.
118
Ce contrat didactique est, selon Brousseau (1998), réel (il est posé par l’enseignant aux élèves) ou hypothétique
(l’enseignant cherche à le mettre en place avec ses élèves).
119
La topogenèse désigne les lieux (au sens symbolique) des acteurs du système didactique (élèves et enseignant) par
rapport au savoir.
120
Manière d’être d’une réalité susceptible de ne pas être (d’après CNRTL)

84
constitue des chaînes signifiantes. Enfin le réel, différent de la réalité (qui est accessible par les sens)
est ce que Lacan considère comme impossible à décrire, l’impossible à dire dans sa complexité. Le
réel est donc la limite du savoir, il ne peut pas être appréhendé, il est seulement cerné (le trou du
savoir), il est déduit.

En DC, l’impossible à supporter « est un outil conceptuel pour analyser les manifestations (en parole
ou et en acte) d’un sujet confronté à l’épreuve de l’enseignement. [L’impossible à supporter] révèle
un écart entre ce que le sujet enseignant sait qu’il faut faire et ce qu’il ne peut s’empêcher de faire »
(Carnus, 2013, p 143).

2.8. Les trois « rapports à »

La modélisation des « trois rapports à », présents à chaque sommet du triangle didactique clinique,
est en cours de finalisation dans les récents travaux de l’EDIC121. C’est un outil conceptuel
permettant de positionner le sujet enseignant pris dans le didactique, à un moment donné.

Figure 12 : Les axes en tension pour situer le sujet pris dans le didactique (Carnus, 2016)

Il est possible de stabiliser chacun de ces « rapport à » avant d’en commenter les axes.

2.8.1. Rapport à l’institution

Au carrefour de l’approche didactique (Chevallard, 1988) (qui considère l’institution comme un


univers culturel à l’intérieur duquel et par lequel l’enseignant est assujetti122), et de l’approche

121
Équipe de didactique clinique

85
clinique (Carnus, 2013) (qui envisage l’institution comme structurante, sécurisante et aussi aliénante,
voire destructrice), le rapport à l’institution s’avère, paradoxalement, être une aide et une contrainte.
L’institution est traversée par le sujet dans son histoire épistémique. De l’établissement scolaire, au
parcours de formation et parcours professionnel, l’enseignant nourrit un ensemble de relations à
l’institution « entre soumission et émancipation, besoin de sécurité et de reconnaissance » (Carnus,
2013, p 31). Certains auteurs parlent même de souffrance dans les institutions (Kaës, 2009).

Le rapport à l’institution se décline en trois axes : axes de l’assujettissement, axe du confort et axe de
la reconnaissance.

L’axe de l’assujettissement va de la soumission à l’émancipation. Du côté de la soumission,


l’enseignant est réduit à la dépendance, à l’obéissance comme à l’autorité incontournable qui lui
impose ses injonctions. À l’opposé, du côté de l’émancipation, l’enseignant est libéré d’une
dépendance morale, il est porté par l’organisation sociale qui lui donne et développe en lui force et
initiative. Sur cet axe, le rapport à l’institution oscille entre la dépendance, la contrainte et la liberté.

L’axe du confort va du risque à la sécurité. Du côté du risque, l’enseignant est en danger,


l’organisation, le cadre de l’institution l’enferment dans une situation inconfortable. À l’opposé, du
côté de la sécurité, l’institution le maintient dans un environnement prévenant, dans lequel il
rayonne. Sur cet axe, le rapport à l’institution oscille entre la mise en danger aliénante (risque) et la
bienveillance (sécurité).

L’axe de la reconnaissance va de l’exclusion à l’inclusion. Du côté de l’exclusion, l’enseignant est,


ou se sent, évincé de sa position symbolique de sujet supposé savoir. À l’opposé, du côté de
l’inclusion, il est, ou se considère, intégré comme un rouage indispensable du système. Sur cet axe, le
rapport à l’institution oscille entre le rejet et l’intégration.

2.8.2. Rapport à l’épreuve

En DC, l’épreuve est d’abord celle du sujet (Terrisse, 1994). Elle est associé indubitablement à la
contingence123 car « l’enseignant n’est jamais assuré du succès de la transmission du savoir et l’élève
de son appropriation » (Carnus, 2013). L’épreuve est le moment de vérité où l’enseignant est
convoqué, c’est la rencontre avec le réel lacanien124. L’épreuve est le temps où l’enseignant

122
C’est-à-dire qu’à la fois l’institution contraint et oblige et à la fois elle assure la stabilité (d’après CNRTL)
123
C’est-à-dire ce qui peut ne pas être.
124
C’est-à-dire où l’on ne peut pas savoir ce qui va se passer.

86
« éprouve et s’éprouve » dans la classe, devant ses élèves (ibidem, p 30). À la fois il soumet la
qualité de sa leçon (et sa préparation didactique) et à la fois il se soumet lui-même à ce moment de
vérité qu’est la situation didactique. Le rapport du sujet à l’épreuve est souvent anxiogène (ibidem).

Le rapport à l’épreuve se décline en trois axes : axe de l’expérience, axe de la contingence et axe de
l’affect.

L’axe de l’expérience va de l’étrangeté à la familiarité. Du côté de l’étrangeté, l’enseignant fait


preuve de peu d’expérience dans sa fonction. À l’opposé, du côté de la familiarité, il est considéré
comme expérimenté. Sur cet axe, le rapport à l’épreuve oscille entre le manque d’expérience et
l’ancienneté dans le métier, de façon quantitative (années d’enseignement) et qualitative (diversité et
richesse des expériences).

L’axe de la contingence va de l’inhibition à l’excitation. Du côté de l’inhibition, l’enseignant traverse


l’incertitude de la situation didactique avec retenue et prise de distance, il reste sur la réserve. À
l’opposé, du côté de l’excitation, il montre un état de participation important et dynamique. Sur cet
axe, le rapport à l’épreuve oscille entre la mise en retrait et la prise en main de la situation par
l’enseignant.

L’axe de l’affect va de la souffrance au plaisir. Du côté de la souffrance, l’épreuve occasionne des


sentiments pénibles, négatifs, non valorisants, l’enseignant subit la situation didactique. À l’opposé,
du côté du plaisir, l’épreuve lui procure des sensations et des sentiments agréables, gratifiants, il
éprouve une valorisation dans laquelle il se confond. Sur cet axe, le rapport à l’épreuve oscille entre
la manifestation d’affects pénibles et agréables pour l’enseignant.

2.8.3. Rapport au(x) savoir(s)

Des propositions sont en cours d’élaboration125 pour faire émerger, à l’interface du savoir
disciplinaire et du « savoir y faire » (Terrisse, 2009), un savoir de l’inconscient comme un savoir
insu. Ce savoir, que le sujet ne sait pas qu’il sait, est appelé savoir intime (Cadiou, 2018), il est
différent du non-savoir. La didactique clinique revisite le rapport au(x) savoir(s) de l'enseignant
(Carnus, 2015) en convoquant différentes approches de cette notion : approche psychanalytique
(Beillerot, Blanchard-Laville, Mosconi, 1996), de l’université de Nanterre, Paris X ; l’approche

125
Dans le cadre des séminaires de l’équipe de didactique clinique (ÉDiC) et dans le cadre du REF : rencontres
internationales du réseau recherche éducation formation (Toulouse, 2019).

87
sociologique (Charlot, 1997), de l’université de Saint Denis, Paris VIII et l’approche didactique
(Chevallard, 1989), de l’ESPE de Marseille.

Le rapport au(x) savoir(s) de l'enseignant est à la fois intime et public (savoir en je), endogène et
exogène à la relation didactique (savoir en jeu), interne et externe au sujet enseignant (savoir enjeux)
(Carnus, 2015). Les choix didactiques de l'enseignant sont influencés par ces doubles rapports
(ibidem).

Le rapport au(x) savoir(s) se décline en trois axes : axe de l’expertise, axe du désir et axe de la
rencontre.

L’axe de l’expertise va de la distance à la proximité. Du côté de la distance, l’enseignant ne possède


pas la maîtrise du savoir, il n’a pas eu la formation (initiale ou continue) lui permettant la maîtrise ou
il ne se l’est pas approprié. Du côté de la proximité, il domine le sujet grâce à sa pratique personnelle
et professionnelle de l’objet d’enseignement. Sur cet axe, le rapport au savoir oscille entre non-
maîtrise du savoir et incorporation du savoir.

L’axe du désir va de la répulsion à l’attirance. Du côté de la répulsion, l’enseignant n’éprouve pas de


désir ou de pulsion épistémophilique126, il ne montre pas de désir d’enseigner le savoir ou manifeste
un souhait de le minorer, cela peut même aller jusqu’à un sentiment de rejet. Du côté de l’attirance, il
fait preuve de beaucoup de pulsion épistémophilique, de soin et de sollicitude à l’endroit de l’objet
d’enseignement. Jacky Beillerot dit à ce sujet : « Il n’y a de sens que du désir » (1996) Sur cet axe, le
rapport au savoir oscille entre le rejet et l’attrait.

L’axe de la rencontre va de la nouveauté à l’ancienneté. Du côté de la nouveauté, l’enseignant


considère le savoir de façon récente, son exploration est proche. Du côté de l’ancienneté, il entretient
une relation de longue date avec le savoir127. Marie-France Carnus (2019, à paraître, p.5) précise
d’ailleurs que « La première rencontre avec le savoir ayant plus ou moins marqué le sujet ». Sur cet
axe, le rapport au savoir oscille entre contact récent et ancien.

126
« Désir incessant d'accumuler du savoir » d’après l’Encyclopédie Universalis
127
Sans pour autant le maîtriser même si, par exemple, la familiarité avec les odeurs évoquée dans le chapitre 1 partie
3.3.2, permet une meilleure identification lors de la perception.

88
2.9. En résumé, quels sont les concepts de la didactique clinique mobilisés ?

La conversion didactique est une adaptation clinique de la transposition didactique interne qui met le
sujet enseignant au centre de la situation transpositive. Le découpage de la chronogenèse en moments
didactiques, et notamment les phénomènes de dévolution et d’institutionnalisation, permettent un
éclairage de ce qui se joue dans la situation didactique. L’épaisseur ostensive, grâce au repérage de
différents registres ostensifs, donne aussi du sens à la logique didactique de l’enseignant. Ces
concepts empruntés à la didactique participent du suivi des enjeux de savoirs.

Le « déjà-là » décisionnel est considéré comme un filtre de l’action didactique, il se situe au


carrefour de l’expérientiel, du conceptuel et de l’intentionnel. La position symbolique de SSS est
incontournable dans une situation didactique asymétrique par essence, chaque enseignant l’habite de
façon personnelle. L’impossible à supporter permet d’éclairer certaines des manifestations de
l’enseignant dans sa confrontation avec l’épreuve de l’enseignement. Les trois rapports à …
(l’institution, l’épreuve et le savoir) permettent de situer l’enseignant, comme sujet pris dans le
didactique, lors d’une situation donnée, dans un système d’axes en tension.

Figure 13 : Concepts mobilisés dans le cadre de cette recherche

89
Problématique et questions de recherche

Comme l’indique Gaston Mialaret (2004, p 23) : « Toute recherche scientifique est orientée par une
idée, par une question, par un problème que le chercheur veut, soit explorer, soit approfondir, soit
vérifier ». Nous choisissons de présenter la nôtre par un cheminement qui pourrait prendre la
métaphore d’un entonnoir128, pour schématiser notre cheminement d’un sujet général à des questions
de recherches précises.

Le thème :

La présentation du thème de la recherche permet d’en évoquer le sujet : « Il ne suffit pas d’énoncer
un titre de recherche (…) il faut préciser le sujet » (Mialaret, 2004, p 22). Le thème est le sujet
général de la recherche, il présente le contexte. Notre thème concerne l’enseignement de de l’analyse
sensorielle des vins (AS) en lycées professionnels et technologiques du domaine hôtellerie-
restauration et particulièrement sa partie olfactive (PO).

Question de départ :

La question de départ est le questionnement qui amène le chercheur à s’impliquer dans la recherche.
Elle est parfois générée par « l’intuition du chercheur ». Cette question est plutôt large, elle permet
de déclencher l’état de l’art, ou la revue de littérature pour « (…) se situer par rapport à tout ce qui a
été fait avant (…). C’est ce que l’on appelle faire une « revue de question129 », travail essentiel pour
tous ceux qui veulent entreprendre une recherche. En fait, il s’agit de préciser ce que l’on sait déjà
quand on entreprend une recherche (…) » (Mialaret, 2004, p 22).

Notre question de départ est : comment la PO s’enseigne-t-elle ?

Cadre théorique de la recherche :

Le cadre théorique est la grille de lecture de la revue de littérature qui permet la problématisation de
la question de départ. Ce cadre théorique est composé des options notionnelles130 et des options

128
Voir à ce sujet la figure schématique en fin de partie.
129
Ou, pour d’autres auteurs : « revue de littérature » ou « état de l’art ».
130
C’est la délimitation de l’objet d’étude, il est présenté dans le chapitre 1.

90
conceptuelles131 retenues. Nous mobilisons la didactique clinique qui permet de suivre et comprendre
les enjeux de savoir à travers l’éclairage de la logique du sujet enseignant.

La problématique :

Le cadre théorique posé permet de lire la question de départ différemment, c’est la charnière132
nécessaire, la problématisation, qui va déterminer la suite de la recherche. Le chercheur doit :
« définir son problème (d’où le terme de « problématique ») » (Mialaret, 2004, p 22). La
problématique précise la question de départ. Ce n’est pas forcément une question mais souvent une
constatation issue de la revue de littérature.

Notre problématique est la suivante : la partie olfactive de l’analyse sensorielle des vins s’enseigne à
l’interface de l’intime et du public. L’intention de ce travail est de décrire et comprendre ce
processus afin de le rendre moins opaque.

Questions de recherche :

Les questions de recherche ne sont pas des hypothèses133. Elles viennent préciser, détailler et
développer la problématique. Nous proposons de dérouler notre problématique en trois questions de
recherche. La suite de la recherche va tenter de répondre à ces trois pistes de questionnement.

 Question n°1 : dès l’amont de la leçon, la PO est un savoir sous l'influence d'un « déjà-là »
sensoriel (DLS) du sujet enseignant. Comment définir le DLS ? Quelles sont les traces du
DLS dans l’enseignement de la PO ? (Partie descriptive) ;
 Question n°2 : la PO semble animée par des « ressorts didactiques » qui agissent sur les
pratiques enseignantes. Dans quelle(s) mesure(s) ces ressorts didactiques sont-ils des moteurs
ou des freins dans l’enseignement de la PO ? (Partie descriptive) ;
 Question n°3 : la didactique clinique propose des outils heuristiques pour la formation des
enseignants. Comment les concepts, les méthodes et les résultats de cette recherche peuvent-
ils être mobilisés dans la formation des enseignants à l’enseignement de la PO ? (Partie
prospective, stratégique, praxéologique).

131
Ce sont les concepts qui vont éclairer l’objet d’étude, ils sont présentés dans le chapitre 2.
132
Charnière dans le sens où la problématique est l’interface entre le cadre théorique (options notionnelles et
conceptuelles) et la partie empirique de la recherche (collecte et analyse des données).
133
Les hypothèses sont plutôt utilisées dans les recherches de types quantitatives dont l’objectif principal est la
vérification. Notre travail de recherche est tourné vers la description et la compréhension.

91
Figure 14 : Schématisation de la problématisation

92
Chapitre 3 : Dispositif méthodologique

Ce chapitre présente le dispositif méthodologique mis en place pour collecter et analyser les données
de cette recherche. Ce chapitre ne présente pas de résultats (ils seront développés dans le chapitre 4).

Le dispositif mis en place dans le cadre de ce travail est conçu pour s’adapter à une démarche de
recherche clinique qualitative, à visée majoritairement empirique (descriptive) et herméneutique
(interprétative) et pour partie stratégique (praxéologique), d’après Van Der Maren (1996).

L’instrumentation est le dispositif de collecte de données mis en place dans cette recherche pour
constituer le corpus et conserver les traces à analyser. Il s’agit de la démarche qui « implique la
construction d'instruments, c'est-à-dire de systèmes d'inscriptions qui permettent l'enregistrement de
traces » (Van Der Maren, 1996, p 193). Ainsi nous avons recours à plusieurs moyens de recueils de
données :

1. Un questionnaire exploratoire, dont les trois objectifs sont : (1) de récupérer les éléments
constitutifs d’un DL sensoriel auprès d’un panel d’enseignants de la PO et (2) de constituer
un vivier représentatif de la population interrogée (3) pour rechercher les cas à approfondir. À
l’issue du questionnaire exploratoire, nous nous penchons spécifiquement sur la construction
des quatre études de cas contrastées et représentatives des profils d’enseignants de la PO
repérés.
2. La construction des cas est conduite, pour chaque sujet, grâce à un dispositif méthodologique
classique en DC, qui comporte quatre phases chronologiques : (1) un entretien ante d’accès
au déjà-là ; (2) une observation de leçon dans la classe de l’enseignant collaborateur au temps
de l’épreuve ; (3) un entretien post à chaud ; (4) un entretien d’après-coup plusieurs mois
après l’observation.

C’est le dispositif méthodologique puis le traitement des données qui sont présentés dans ce chapitre.
Dans un premier temps, l’instrumentation est précisée (constitution, présentation, utilisation) puis
dans un second temps, après la collecte, le traitement des données est détaillé (transcription, codage,
analyse de contenu, condensation des résultats, analyses). Les résultats sont analysés dans le chapitre
4.

93
1. Préambule épistémologique

Avant la présentation du dispositif méthodologique, il est nécessaire d’évoquer la triangulation des


données et la posture clinique du chercheur.

1.1. La triangulation des données

Pour limiter certains biais de nature méthodologique et pour éviter les écueils, Van Der Maren
(1996) évoque la triangulation des données : « le fait de recouper une forme ou une source de
données par d'autres (au moins deux) afin d'évaluer la précision obtenue ou les limites de la
confiance à accorder à chacune » (Van Der Maren, 1996, p 84). C’est ainsi que le recours aux
données invoquées, provoquées et suscitées permet de mettre en œuvre cette triangulation. Les
données invoquées sont les données « dont la constitution est antérieure ou extérieure à la recherche ;
(…) leur format (c'est -à-dire la nature de leur support et leur forme) est indépendant du chercheur »
(ibidem, p 82). Les données invoquées de cette recherche sont constituées par les ouvrages des
auteurs de références sur l’AS, les manuels scolaires et les curriculums des diplômes. Les données
provoquées sont produites par « des appareillages et procédures spécifiquement construits ou choisis
afin de fournir des données dont le format répond à des catégories définies à l'avance » (ibidem, p
83). Les données provoquées de cette recherche sont les vidéos des séances de cours des professeurs
enseignant l’AS. Les données suscitées ou d'interaction sont les données obtenues « dans une
situation d'interaction entre le chercheur et les sujets » (ibidem, p 83). Les données suscitées de cette
recherche sont issues de plusieurs entretiens avec les enseignants collaborateurs.

Il existe quatre principaux types de données collectées, selon la classification de De Ketele et


Roegiers (1996) : les questionnaires, les interviews, les études de documents et les observations. Ces
quatre types de données sont mobilisés dans le cadre de cette recherche. La revue de littérature
(études de documents) permet de cerner l’objet d’étude (l’enseignement de l’AS et de la PO des vins
en lycées professionnels et techniques du domaine de l’hôtellerie-restauration). Un questionnaire
exploratoire permet de repérer les quatre profils contrastés d’enseignants enseignant l’AS. Quatre cas
sont approfondis grâce à des observations (de leurs séances d’enseignement de l’AS) et grâce à des
interviews (entretiens ante, post et d’après-coup).

1.2. La posture clinique du chercheur

Les choix du chercheur, notamment dans l’instrumentation, ne sont pas neutres car le chercheur fait
partie intégrante du dispositif de recherche. En didactique clinique, cette subjectivité incontournable
du chercheur est reconnue, assumée et même revendiquée : « dans la stratégie de recueil et de

94
traitement des données issues de l’observation et de l’analyse des pratiques enseignantes, la
subjectivité du chercheur se combine de manière plus ou moins avouée à la démarche scientifique
qu’il a choisie » (Carnus, 2009, p 48). La posture clinique se définie comme : « l’engagement dans la
construction d’une posture clinique qui consiste à intégrer explicitement a priori et a posteriori la
subjectivité du chercheur (…) ses choix d’objets de recherche, ses options conceptuelles et
méthodologiques, ses hypothèses interprétatives » (Carnus, 2009, p 46).

La posture clinique reconnaît l’effet chercheur comme potentiellement perturbateur134 : « la prise en


compte plus ou moins explicite et assumée des « perturbations » (…) occasionnées chez les
praticiens par les dispositifs mis en place par le chercheur pour recueillir et traiter le matériel de
recherche » (Carnus, 2009, p 47). La posture clinique impose de questionner et de présenter les choix
du chercheur pour « (…) questionner de l’intérieur les dimensions éthique et déontologique de la
recherche sur les pratiques d’enseignement – apprentissage » (Carnus, 2009, p 50).

C’est donc en connaissant, en reconnaissant, en dévoilant et en présentant la subjectivité des choix du


chercheur que la posture clinique permet de limiter certains biais d’inférence ou et d’interprétation
dans le travail de recherche. Cette position assumée par le chercheur participe de rendre le processus
de recherche plus transparent, plus éthique et plus déontologique car le chercheur a lui aussi un déjà-
là, il est lui aussi singulier, assujetti et divisé.

134
« Ce n’est pas l’étude du sujet, mais celle de l’observateur qui donne accès à l’essence de la situation d’observation »
(Devereux, 1980, p 19)

95
2. Le questionnaire exploratoire

Cette partie expose l’instrumentation et le traitement du questionnaire exploratoire.

2.1. Généralités sur le questionnaire exploratoire

Selon Mialaret (2004), le questionnaire est un instrument introduit entre le chercheur et les sujets. Ce
dispositif, visant une observation armée, est particulièrement appréciable pour sonder une population
importante. Ce questionnaire exploratoire intervient au tout début de la recherche avec pour objectif
principal de scruter le terrain avant une étude de cas approfondie. Ce questionnaire préliminaire n’a
pas pour objectif de mener une enquête quantitative sur un panel représentatif mais vise plutôt un
premier contact prospectif pour explorer le terrain d’étude de la recherche empirique. Il vise
finalement un double objectif, faire émerger les invariants d’un déjà-là en matière d’AS chez les
enseignants du domaine et constituer un vivier d’enseignants collaborateurs pour la recherche.

D’après les principales fonctions du recueil d’informations (De Ketele, 1996), la principale mission
de ce questionnaire exploratoire est descriptive. En effet, dans sa fonction descriptive, le
questionnaire permet de montrer des phénomènes ou une situation (enseignement de l’AS) ainsi que
de nommer et caractériser un objet, un sujet (enseignants de l’AS).

Ainsi cette première collecte de données ambitionne plusieurs objectifs. Le premier est
d’appréhender plusieurs types d’enseignants de l’AS (genre, grade, ancienneté, expertise). Le second
est d’approcher leur déjà-là (DL) expérientiel (c’est-à-dire leur expérience dans l’enseignement et
leur expertise dans l’objet d’étude). Le troisième est de faire émerger leur DL conceptuel (c’est-à-
dire leur conception de l’AS et de la PO) puis enfin leur DL intentionnel (c’est-à-dire leur intention
d’enseigner l’AS et la PO). Le DL sensoriel (leurs représentations personnelles de leurs aptitudes135
olfactives) est établi pour terminer.

2.2. Instrumentation

Le questionnaire exploratoire a été rédigé, puis testé avant d’être diffusé. Il est composé de 28
questions, le temps estimé pour le compléter est de 15 minutes. Il comprend neuf questions ouvertes,
pour lesquelles le sujet interrogé rédige librement ses réponses (voir l’exemple ci-dessous136).

135
Terme pris ici comme synonyme de « capacités » ou de « compétences ».
136
Ces exemples sont des extraits du questionnaire complet qui est disponible en annexe papier n°3.

96
Figure 15 : Exemple de question ouverte

Le questionnaire comprend aussi 15 questions fermées, le sujet interrogé choisit une réponse binaire
(oui / non) ou avec trois possibilités (oui / non / ne sait pas) ou avec un choix de réponses multiples
(réponse A / réponse B / réponse C / réponse D…).

Figure 16 : Exemple de question fermée avec réponse binaire

Figure 17 : Exemple de question fermée avec réponse triple

Figure 18 : Exemple de question fermée à réponses multiples

97
Phase de test et diffusion

Une phase de test est nécessaire pour valider la pertinence du questionnaire. Il a été testé par un petit
groupe de personnes que Gaston Mialaret (2004) nomme des « cobayes137 ». Cette phase de test
permet de recueillir les informations critiques de manière à modifier ou à optimiser l’instrument tant
sur le fond (tournure des questions, choix des termes, ajustement des propositions de réponses) que
sur la forme (ordre des questions, syntaxe et orthographe). Trois essais ont été menés, des
adaptations ont été ensuite apportées.

Le questionnaire validé138 a été diffusé en ligne139 accompagné d’un un courriel140. L’enquête s’est
déroulée durant 37 jours, du 5 octobre au 11 novembre 2015. Le panel sélectionné est issu d’un
échantillon de convenance141 de 103 enseignants. Il est composé de 24 anciens professeurs stagiaires
de l’ESPE (ex IUFM) de Toulouse entre 2006 et 2012 (enseignants titulaires, au moment de
l’enquête, dans différentes académies), de 45 enseignants titulaires (de différentes académies) ayant
validé un master MEEF à l’ESPE de Toulouse en formation à distance entre 2013 et 2015 et de 34
enseignants en mention sommellerie en France. À partir de cet échantillon de convenance s’est opéré
un effet « boule de neige »142. C’est ainsi qu’au moment de la clôture de l’enquête, 122 enseignants
du domaine ont répondu au questionnaire. Les données sont collectées dans un tableau
récapitulatif143 par ordre chronologique horodaté.

2.3. Traitement

Les réponses au questionnaire ont été collectées sous forme de tableaux de données. Ce tableau
comprend 122 lignes (une ligne par enseignant ayant répondu au questionnaire) et 28 colonnes (une
colonne correspond à une question) soit 3 416 cellules à analyser144.

137
Ce vocable, utilisé par l’auteur, est un peu dissonant en didactique clinique, il pourrait être remplacé par « sujets
préalables de l’expérimentation ».
138
Le questionnaire complet se trouve en annexe papier n°3.
139
Le questionnaire est diffusé grâce à une liste de diffusion et le lien suivant : http://goo.gl/forms/dLwM6Si0Rk
140
Le courriel se trouve en annexe papier n°2.
141
L’échantillon de convenance est choisi parmi les enseignants connus par le chercheur pour des raisons pratiques
d’accessibilité et de coût. Il n’a pas été sélectionné « statistiquement » par la méthode des quotas pour être représentatif
de la population visée.
142
Les sujets sélectionnés par le chercheur répondent au questionnaire et sont chargés d’identifier d’autres sujets
concernés par l’étude et de leur diffuser à leur tour le questionnaire et ainsi de suite.
143
Le tableau des réponses est disponible dans les annexes numériques dans le fichier nommé AN2.
144
Le tableau des réponses est disponible dans les annexes numériques dans le fichier nommé AN3.

98
Nous conduisons plusieurs types de traitement pour parvenir aux résultats exposés dans le chapitre
4 : statistiques descriptives simples, tris croisés, analyses lexicales puis sémantiques.

Un traitement statistique descriptif simple permet de décrire les déclarations des enseignants de l’AS
qui ont répondu au questionnaire exploratoire. Par exemple, pour savoir si les personnes ayant
répondues trouvent la PO difficile à enseigner, les données brutes ci-dessous sont traduites en
pourcentage pour être représentées par un graphique expressif (graphique en secteurs).

Oui 91
Non 31
TOTAL 122

Figure 19 : Réponses à la question « Trouvez-vous l'enseignement de la PO difficile ? » données brutes

Figure 20 : Représentation graphique des réponses à la question « Trouvez-vous l'enseignement de la PO difficile ? »

Nous choisissons d’opérer ensuite un traitement statistique en tris croisés pour rapprocher les
réponses entre elles. Les tris croisés permettent d’obtenir plus de sens et plus de précision avec les
données collectées. Un sens plus nuancé apparaît parfois, comme par exemple, lorsque la question
précédente est croisée avec le profil type des enseignants.

Nombre de La partie olfactive de l'analyse sensorielle des vins est-elle difficile à enseigner ? Étiquettes de colonnes
Étiquettes de lignes Oui Non Total général
0 novice 47 10 57
1 débutant 20 7 27
2 expérimenté 14 6 20
3 chevronné 11 7 18
Total général 92 30 122

Figure 21 : Tri croisé des réponses à la question en fonction des profils types d'enseignants

99
Figure 22 : Représentation du croisement des réponses à la question « la PO est-elle difficile à enseigner ? » avec le profil type
des enseignants

Pour le traitement des questions ouvertes, nous conduisons une analyse lexicale. Le logiciel
Tropes145 permet de quantifier les occurrences des termes les plus cités pour les représenter ensuite
sous forme de nuages de mots146 dont la police est proportionnelle aux nombres de citations. Les
nuages de mots ayant surtout un objectif de visualisation, l’analyse se base sur le comptage des
occurrences.

Figure 23 : Capture d'écran du logiciel Tropes pour quantifier les fréquences d'apparition des occurrences

145
Tropes et un logiciel d’analyse sémantique de texte libre, disponible en ligne à l’adresse https://www.tropes.fr/,
consulté le 23/01/2019
146
C’est grâce au logiciel « wordle » que nous avons constitué les nuages de mots, disponible en ligne à l’adresse
http://www.wordle.net, consulté le 23/01/2019

100
Figure 24 : Représentation sous forme de nuage de mots des termes les plus cités en réponse à la question

Nous menons ensuite une lecture flottante (Bardin, 1977) des réponses pour repérer les catégories
récurrentes. Les réponses sont ensuite codées pour être regroupées par catégories. Par exemple, voici
le codage opéré pour la réponse à la question 17 « Citez 5 mots-clés à l'évocation spontanée des
termes arômes du vin ». La lecture flottante permet de repérer les catégories suivantes :

1. Type147 (fruité, floral…), il s’agit du type d’arômes et leur(s) famille(s) ;

2. Qualité (complexe, élégant…), il s’agit de l’évaluation de la qualité des arômes ;

3. Plaisir, il s’agit des émotions positives suscitées par les arômes ;

4. Origine (primaire, secondaire…), il s’agit des origines supposées des arômes ;

5. Synonyme (parfum, senteur…), il s’agit de termes proches du mot arôme ;

6. Autres, il s’agit de tous les mots qui ne sont pas classés dans les rubriques supra ;

7. Réponses vides ou non conforme (des ??? ou des phrases alors qu’il fallait donner cinq mots).

Nous codons ensuite les données. Comme le montre l’exemple ci-dessous.

147
Les catégories 1, 2 et 4 sont définies dans le chapitre 1 de cette recherche.

101
Exemple de réponse à la questions Codage

Fruité, floral, minéral, vanillé, boisé Type d’arôme

Figure 25 : Exemple de codage d'une question ouverte

Le codage nous permet ensuite d’accéder à un traitement quantitatif simple, par exemple pour
quantifier le poids de chacune des catégories.

Figure 26 : Quantification des catégories de la conception des enseignants pour "arômes des vins"

La catégorie « autre » comprend les éléments qui ne rentrent pas dans les catégories « type, qualité,
plaisir, origine et synonyme ». La catégorie « non conforme » comprend les réponses non conformes
aux réponses escomptées (point d’interrogation, phrase complète à la place des cinq mots
attendus…).

Un tri croisé des données permet enfin d’accéder à la représentation de la conception des enseignants
en fonction de leur profil type.

Figure 27 : Quantification des catégories de la conception des enseignants pour "arômes des vins" en fonction du profil type
d'enseignant

102
2.4. Pour résumer…

La figure ci-dessous schématise et figure l’instrumentation et le traitement des données concernant le


questionnaire exploratoire.

Figure 28 : Instrumentation et traitement du questionnaire exploratoire

103
3. De l’étude de cas à la construction du cas

La DC base ses travaux sur les études de cas. La construction du cas (Terrisse, 2013) est une mise en
perspective des traces ponctionnées chez l’enseignant avec les énoncés hypothétiques posés par le
chercheur. Il s’agit enfin d’élever le cas au niveau d’un paradigme, pour accéder à une certaine
modélisation.

3.1. Généralités sur l’étude de cas

La DC s’appuie fortement sur une théorie du sujet148, « la centration sur le sujet enseignant149 est le
fondement de la DC » (Touboul, 2013, p 42). Il semble donc logique d’associer un sujet enseignant à
une étude de cas. La plupart des travaux de la DC repose sur l’analyse des pratiques d’un enseignant
pour en extraire les enjeux de savoir (Terrisse, Carnus, 2009). Tous ces travaux se basent sur des
études singulières d’enseignants, en considérant qu’un enseignant est un cas unique150.

Cependant, une étude de cas passe difficilement par une description lisible de ce qui se joue dans la
classe, « le cas est une énigme » (Terrisse citant Freud, 2013, p 126). L’enseignant, au centre de la
construction du cas par le chercheur, est pris dans le didactique, le chercheur vise alors à « analyser
ce avec quoi l'enseignant se débat, parfois à son insu, pour exercer sa mission en répondant aux
injonctions institutionnelles » (Carnus, 2013, p 24). Comme l’indique Terrisse (1999), les travaux en
DC passent par « un travail au cas par cas, au un par un ». Les cas sont considérés de façon singulière
et autonome. Il y a une rupture avec l'idée d'un sujet générique, épistémique151 (Carnus, 2003).

3.2. La construction du cas en didactique clinique

Pour passer de l’étude d’un cas à la construction du cas152, la DC prend en compte a priori le point
de vue du sujet (Carnus, 2003). Le cadre théorique de la DC permet de donner du relief au cas. Après
une sélection des données, elle donne au chercheur la possibilité « d'une part, d'observer et de décrire
les pratiques d'enseignement et d'autre part, d'analyser et d'interpréter les faits observés en donnant la
parole à l'enseignant (Touboul, 2013, p 42).

148
Pour plus d’informations consulter le chapitre 2 cadre théorique de la didactique clinique, une théorie du sujet
149
Même si les recherches en didactique clinique concernent de plus en plus les sujets élèves ou apprenants.
150
Nous faisons ici référence à l’ouvrage de Passeron et Revel « Penser par cas ».
151
Voir chapitre 2 « Options théoriques et conceptuelles de la recherche ».
152
La construction du cas relève de la responsabilité du chercheur.

104
Dans la plupart des cas construits en DC, l’enseignant est entendu d’abord (entretien ante d’accès au
déjà-là), puis il est observé dans sa classe, enfin il est entendu en entretien post (entretien d’après-
coup). Il produit ainsi un discours sur sa pratique, il soutient « la conception qu’il s’en fait et les
raisons qu’il en donne » (Terrisse, 2013, p 128). Ce sont l'analyse du discours153 de l'enseignant et
l'observation in situ « qui posent les bases de la construction du cas, au sens freudien du terme, c'est à
dire d'élaborations hypothétiques, par un chercheur lui aussi sujet, qui créent des liens entre diverses
sources de données et proposent une compréhension globale de ce qui s'enseigne » (Carnus, 2015, p
11).

La construction du cas procède à rebours, partant de la description des effets observés (par le
chercheur) et déclarés (par l’enseignant) pour tenter de mettre en relief des indices, des causalités
possibles (Carnus, 2015). Terrisse cite Freud (2013, p 128) « le chercheur garde le droit de
reconstruire en complétant, assemblant les restes conservés » les restes conservés correspondant ici à
toutes les traces (vidéo, entretiens…) collectées dans le cadre de la recherche.

3.2.1. Élever le cas en paradigme

La construction du cas n’est pas suffisante pour conduire à la généralisation154, il existe une
« difficulté à généraliser nos résultats tant ces études sont uniques, singulières, à l'image des sujets
enseignants » (Loizon, 2013, p 19). L’objectif visé n’est pas, dans les travaux de la DC, de conduire
à la validation de preuve : « il ne s'agit pas de démontrer ni de prouver mais d'apporter des éléments
de réflexion à la compréhension du sujet enseignant dans sa dynamique » (Jourdan, 2013).

« La validation scientifique repose moins sur un processus de généralisation que sur la rigueur de
l'étude de cas qui a pour finalité d'élever le cas au stade de paradigme155 » (Terrisse, 2009, p 31). De
la description du cas en passant par l’étude du cas, la construction du cas amène à une certaine
formalisation des cas. Pour parvenir à hisser le cas au stade de paradigme, la construction du cas
exige du chercheur156 une grande rigueur dans l’extraction et le traitement des données. Les

153
Discours constitué par l’ensemble des entretiens.
154
Cette généralisation n’est d’ailleurs pas l’objectif de la construction du cas, même si elle peut parfois relever du
fantasme du chercheur.
155
Paradigme : conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique
donnée, qui fonde les types d'explications envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée
(d’après CNRTL).
156
Elle exige aussi une prise en compte du « contre transfert » du chercheur, pour plus de détail à ce sujet, consulter la
partie « L’après-coup du chercheur » dans le chapitre 5.

105
analyseurs, cohérents avec la méthode de recueil des données, permettent de construire le cas
(Terrisse, 2013).

3.2.2. Les quatre cas de cette recherche

Cette recherche se base sur la construction de quatre cas repérés, parmi les enseignants interrogés
dans le cadre de l’enquête exploratoire, comme appartenant à chacun des quatre profils contrastés157.
La dernière question du questionnaire158 propose aux personnes interviewées de se manifester s’ils
souhaitent poursuivre la recherche et acceptent de donner à voir leur enseignement de l’AS des vins.
43 enseignants donnent une suite favorable et acceptent d’être sollicités. Quatre enseignants sont
retenus par le chercheur car ils correspondent aux critères suivants :

 ils ont donné leur accord de principe et sont volontaires pour la suite de la recherche ;
 ils appartiennent à un des 4 profils différents159 (un novice, un débutant, un expérimenté non-
spécialiste et un chevronné) ;
 ils connaissent le chercheur160 sans être de proches collègues161 ;
 ils sont acculturés à la formation des enseignants du domaine162 ;
 ils enseignent dans quatre académies différentes163.

Après une prise de contact par courriel164, ils donnent tous leur accord lors d’un entretien
téléphonique. Le contrat de recherche165 est présenté par le chercheur, de façon synthétique par
téléphone, puis est envoyé par mail avec une demande de validation. Le calendrier de la collecte des
données est détaillé dans le contrat de recherche, il est proposé, avec des dates flottantes166, à chacun
des enseignants collaborateurs. Les différentes phases sont présentées dans le contrat de recherche

157
Novice, débutant, expérimenté non-spécialiste et chevronné.
158
Question n°24 du questionnaire exploratoire : « Accepteriez-vous qu'une de vos séances sur l'apprentissage de
l'analyse sensorielle des vins soit observée dans le cadre de cette recherche ? Si oui, je vous remercie de compléter votre
adresse courriel ci-dessous. »
159
Il demeure cependant un risque de biais puisqu’il se trouve parmi les sujets retenus une femme et trois hommes.
160
Le fait de connaître le chercheur et un facteur facilitant dans la prise de contact initiale. Les quatre enseignants
collaborateurs sollicités ne connaissent pas la problématique de la recherche pour ne pas biaiser leurs réponses.
161
Voir à ce sujet la partie « Effet chercheur » dans le chapitre 5.
162
Ils ont suivi une formation initiale de formation à l’IUFM ou à l’ESPE (selon les années) et sont donc acculturés à la
formation des enseignants et à son intérêt.
163
Même si nous ne pensons pas qu’il puisse exister un « effet académie ».
164
Le courriel de contact se trouve en annexe papier n°8.
165
Le contrat de recherche se trouve en annexe papier n°9.
166
Le calendrier est présenté en détail dans la partie suivante, tableau synthétique des données collectées.

106
(les entretiens, ante d’accès au DL, post à chaud et d’après-coup ainsi que l’observation de classe),
ce document évoque aussi la suite du travail de recherche (communication des résultats et des
données collectées).

Les quatre enseignants 167 retenus pour cette recherche sont :

 Jérémy, enseignant novice (débutant et nonspécialiste de l’AS) ;


 Nadia, enseignante débutante spécialiste de l’AS ;
 Philibert, enseignant expérimenté non-spécialiste de l’AS ;
 Christian, enseignant chevronné (expérimenté et spécialiste de l’AS).

La méthodologie des trois temps de la didactique clinique : entretien ante d’accès au déjà-là,
observation d’une leçon, l’épreuve, entretien post à chaud et entretien post d’après-coup est
mobilisée pour la construction des quatre cas de cette recherche.

3.2.3. Le déjà-là

En DC, le concept de DL est à la fois un des déterminants du processus décisionnel de l’enseignant


(Carnus, 2013) et à la fois le premier temps de la méthodologie de collecte des données. Ce
paragraphe se penche spécifiquement sur la partie méthodologique, la partie décisionnelle est
développée dans le chapitre théorique et conceptuel (chapitre 2). Nous présentons d’abord
l’instrumentation, le prélèvement des données, puis le traitement de ces données.

3.2.3.1. Instrumentation

Voici la description du dispositif mis en œuvre ou mobilisé dans cette recherche pour obtenir une
trace (Van Der Maren, 1996) des données à analyser.

a) Entretien ante de déjà-là

Les éléments de DL sont accessibles dans les données collectées lors d'entretiens la plupart du temps
(Carnus, 2013). Même si les DL168 sont perceptibles grâce à tous les entretiens, ante, post et d'après-
coup (Loizon, 2013), c’est prioritairement lors d’un premier entretien que les principaux éléments
expérientiels, cognitifs et conatifs sont récoltés. En DC, l’appellation « entretien d’accès au DL » est

167
Les prénoms mentionnés ne sont pas les prénoms réels des enseignants collaborateurs. Ils sont modifiés pour préserver
l’anonymat nécessaire à cette recherche scientifique.
168
Sous la nomination « les DL » (au pluriel) sont évoqués le DL expérientiel, le DL conceptuel et le DL intentionnel
(voir le chapitre théorique et conceptuel pour plus de détails).

107
d’ailleurs courante pour désigner le premier entretien, qui est majoritairement destiné à recueillir les
premières traces du DL décisionnel (Carnus, 2013).

C’est lors de cet entretien ante de DL, que l'enseignant précise ce qui orientera son enseignement
(Terrisse, 2009), la conception qu'il se fait de l'activité qu'il va enseigner, la conception qu'il se fait
de sa transmission (Terrisse, 2009) et les éléments biographiques, c'est à dire son histoire personnelle
(Loizon, 2009) car les épisodes de vie font partie de l'épistémologie professionnelle de l'enseignant
(ibidem).

b) Méthodologie d’accès au déjà-là

Après une prise de rendez-vous conforme au contrat de recherche, nous entendons chacun des quatre
enseignants de la recherche lors d’un entretien d’accès au DL. Compte-tenu de l’éloignement de
certains enseignants se trouvant dans des académies lointaines, le choix a été fait de conduire, pour
tous, des entretiens téléphoniques. Le lieu dans lequel se déroule l’interview est ainsi familier de
l’enseignant, ce qui est un facteur facilitant pour créer un bon climat (Mialaret, 2004).

Les entretiens sont de types semi-directifs (ibidem) ; c’est-à-dire qu’une liste de questions est prévue,
sans ordre précis pour laisser parler librement l’interviewé sur le thème, assortie de questions de
« relance » pour les thèmes pas spontanément ou pas suffisamment abordés.

Un guide d’entretien semi-directif est rédigé169 par le chercheur pour conduire efficacement
l’entrevue. Il est composé de trois phases chronologiques : la prise de contact (assorties de questions
« légères » avec peu d’implication pour mettre le sujet enseignant à l’aise), l’accès au DL (partie
principale de l’interview) et la prise de congé (pour vérifier que l’interviewé ne souhaite rien ajouter
à ce qu’il a dit, pour le remercier de sa participation et pour évoquer la suite du contrat de recherche).
Les questions sont systématiquement ouvertes pour permettre à l’enseignant de dépasser une réponse
binaire de type oui/non. L’enseignant n’est pas interrompu, il parle et répond librement. L’accès au
DL (partie centrale de l’entretien) est organisé en thèmes.

169
Il est disponible en annexe papier n°12.

108
Les thèmes170 ne sont pas présentés lors de l’entretien, ils apparaissent implicitement dans les
questions ou dans les relances171 :

 Approche du DL expérientiel
o Parcours de formation et expérience professionnelle
o Travail et motivation
o Expérience professionnelle de l’enseignement de l’AS
 Approche du DL conceptuel
o De l’enseignement en général et professionnel en particulier
o De l’AS
o De la PO
 Approche du DL intentionnel
o De l’enseignement en général
o De l’enseignement de l’AS
o De l’enseignement de la PO

Les échanges sont enregistrés grâce à un dictaphone numérique. Ils durent entre 31 et 41 minutes. Ils
sont retranscrits pour constituer des verbatim.

3.2.3.2. Traitement

Les données collectées ne sont pas entièrement exploitables par le chercheur dans leur état brut. Le
traitement est constitué par un ensemble d’opérations qui permet de tirer parti des données. Les
entretiens de DL sont transcrits puis ils sont codés pour préparer l’analyse.

a) Transcription

Les enregistrements audio des entretiens sont transcrits172 grâce à l’utilisation d’un logiciel de
reconnaissance vocale173. Pour transcrire l’entretien audio en verbatim, nous nous inspirons174 de
« La transcription en sciences sociales » (Rioufreyt, 2016) que nous adaptons notamment, pour tous
les éléments non verbaux qui sont ajoutés entre parenthèses dans les verbatim pour fournir au lecteur

170
Les thèmes sont liés au questionnaire exploratoire, ils constituent un approfondissement des sujets évoqués par les
enseignants lors de ce questionnaire.
171
Les questions et les relances se trouvent en annexe papier n°12.
172
Les verbatim des entretiens de DL se trouvent en annexes papier n°13, 14, 15 et 16.
173
Grâce au logiciel professionnel « Dragon »
174
La transcription d'entretien en sciences sociales enjeux, conseils et manières de faire Par Thibaut Rioufreyt [en ligne]
disponible à l’adresse https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01339474/document consulté le 23/01/2019

109
des informations de la communication. Voici les principaux éléments para-verbaux que nous avons
transcrits dans les verbatim175 :

Tableau 14 : Protocole de transcription des éléments para-verbaux dans les verbatim

Éléments para-verbaux de l’entretien oral Mode de transcription dans le verbatim


Tics de langage (euh), (ben)…
Rire, sourire (rire), (sourire)…
Blanc, silence, hésitation (blanc), (silence)…
Silence (silence 2), avec indication de durée en secondes
Insistance sur mot, phonème Très complexe (avec partie accentuée en gras)
Tons, intonations remarquables (ironique), (autoritaire)…
Gestuelle, kinésique, attitude, proxémie, paralangage (touche son nez)…

b) Codage des verbatim

Nous traitons les verbatim de façon à isoler chaque unité de sens avant de transférer les verbatim
traités dans un tableur. Le tableur nous permet de repérer chaque élément grâce au codage ci-
dessous :

175
Les éléments entre parenthèse matérialisent la transcription des éléments para-verbaux dans les verbatim.

110
Tableau 15 : Codage des verbatim

Type de DL Éléments du verbatim Codage


Questions du chercheur durant l'entretien semi-directif Q
Expérience dans l'enseignement A1
Expérience en hôtellerie-restauration A2
Déjà-là expérientiel Expérience en sommellerie A3
Expérience en analyse sensorielle A4
Compétences personnelles olfactives A5
Conception de l'enseignement en général B1
Conception de l'enseignement professionnel ou technique B2
Déjà-là conceptuel
Conception de l'analyse sensorielle B3
Conception de la partie olfactive de l'AS B4
Intention d'enseigner en général C1
Déjà-là intentionnel Intention d'enseigner l'analyse sensorielle C2
Intention d'enseigner la partie olfactive de l'AS C3
Autres X
Les données sont ensuite triées puis condensées pour être analysées.

Figure 29 : Extrait d'un tableau de codage des données de l'entretien de DL

111
Le tableau de codage176 permet d’opérer un tri des extraits de l’entretien par groupe de sens. Les
éléments triés sont ensuite réunis dans un tableau de condensation des données.

Figure 30 : Extrait du tableau de condensation des données de l'entretien d’accès au déjà-là

Le tableau complet de condensation des données se trouve en annexe177.

c) Analyses

L’analyse des verbatim se fait en plusieurs temps : une analyse descriptive des unités de sens
(analyse sémantique), un repérage des termes récurrents dans la retranscription de l’entretien (grâce à
une lecture flottante (Bardin, 1977), une quantification des termes dont la récurrence est remarquable
(grâce à la fonction « rechercher, ctrl + F » du traitement de texte), analyse de la récurrence de
termes remarquable (analyse lexicale) (Carnus, 2008).

176
Les tableaux de codage des verbatim des entretiens d’accès au DL sont disponibles en annexes numériques nommées :
AN14, AN15, AN16 et AN17.
177
Annexe numérique nommée AN18.

112
Figure 31 : Extrait du tableau d'analyse des données de l'entretien de DL

Par exemple, l’analyse lexicale dans l’extrait ci-dessus concerne les termes « enfant » (cité trois fois)
et le terme « enfance » dans le même champ lexical selon le logiciel Tropes.

L’analyse sémantique, dans l’extrait ci-dessus, permet de passer des éléments du verbatim (voir les
extraits de l’entretien ci-dessus) à une production de sens : pour Nadia, il semblerait que les
compétences olfactives sont enracinées dans le passé, dans la sphère privée : « relations enfantines,
ce qui rappelle notre enfance, en famille ».

3.2.3.3. Pour résumer…

La figure ci-dessous présente l’instrumentation et le traitement des données concernant l’entretien


d’accès au déjà-là.

113
Figure 32 : Instrumentation et traitement des entretiens de déjà-là

3.2.4. L’épreuve

L’épreuve est le deuxième temps de la méthodologie de la DC (Carnus, Terrisse, 2013). C'est la


rencontre entre l'enseignant, les élèves et le savoir. La séance de cours est une épreuve (au sens
sportif du terme) qui est fortement liée à la notion de contingence car ni l'enseignant, ni les élèves, ni
le chercheur ne savent comment la leçon va se passer (Terrisse, Carnus, 2009). Comme le précise
Terrisse, en DC l’épreuve est avant tout « l’épreuve de l’enseignant », c’est d’ailleurs durant ce
moment qu’il vérifie sa qualité (ibidem). Nous présentons d’abord l’instrumentation, le prélèvement
des données, puis le traitement de ces données.

3.2.4.1. Instrumentation

Voici la description du dispositif mis en œuvre ou mobilisé dans cette recherche pour obtenir une
trace (Van Der Maren, 1996) des données à analyser.

a) Observation du « didactique ordinaire »

Nous proposons aux enseignants collaborateurs d’observer une de leur séance, telle qu’ils la réalisent
habituellement, sans modification. Nous souhaitons étudier une manifestation du « didactique
ordinaire » dans une situation non manipulée. Nous demandons à voir un cours le plus proche

114
possible de l’habitus professionnel178 de l’enseignant c’est-à-dire celui qu’il a l’habitude de faire face
à ses élèves. Il n’est donc pas mis en place d’ingénierie didactique, seul le thème précis de la leçon
est imposé. En effet la seule consigne négociée lors du premier entretien fondant le contrat de
recherche, impose de voir le premier cours concernant l’analyse sensorielle des vins. Il s’agit d’une
séance qui concerne les bases de l’AS, pour les classes débutantes, ou un rappel des bases de l’AS
pour les classes qui ont déjà eu une initiation à l’AS dans les classes antérieures. L’objectif du
chercheur et de saisir comment le sujet enseigne les fondements de l’AS. Cette séance a
traditionnellement, en fonction des progressions pédagogiques des enseignants, lieu en début d’année
scolaire, souvent lors du premier semestre. Chaque enseignant collaborateur a donc la latitude de
choisir la classe avec laquelle il compte donner à voir179 sa leçon et le moment précis qui correspond
à cet enseignement. Aucune autre consigne n’est donnée.

b) Un dispositif technique « léger »

Le dispositif prévu pour capter les données de l’épreuve est plutôt « léger ». Derrière ce terme se
trouve la volonté de troubler le moins possible ce que certains auteurs appellent « l’écologie de la
classe ». Cette logistique plutôt peu intrusive est de nature à minimiser les interférences du chercheur
(Van Der Maren, 1996).

Le dispositif que nous proposons aux enseignants collaborateurs exclut la présence du chercheur
dans la classe. C’est directement l’enseignant collaborateur qui va donner à voir la leçon qu’il choisit
de rendre publique. Ce choix répond à une double intention : troubler le moins possible le
« didactique ordinaire » et permettre à l’enseignant d’organiser lui-même la captation vidéo, en
termes de date (la plus flexible possible), de lieu, de classe et d’organisation logistique en général.
Cette logistique a déjà été utilisée en DC par Yves Léal (2013).

Le format des données à collecter impose cependant de suivre des consignes de captage assez
précises. Celles-ci sont formalisées et expliquées par le chercheur dans un document180 envoyé aux
enseignants collaborateurs. Ce document nommé « Les consignes pour le captage vidéo et audio de
la séance de cours », couvre les domaines ci-dessous :

178
L’habitus professionnel est un concept utilisé par Pierre Bourdieu qu’Anne-Catherine Wagner (2014) définit de la
façon suivante : l’habitus est un ensemble de dispositions durables, acquise au cours de la prime éducation et des
premières expériences sociales, qui engendrent des pratiques sociales ajustées. Anne-Catherine Wagner, « Habitus »,
Sociologie [En ligne], Les 100 mots de la sociologie, mis en ligne le 01 mars 2012, consulté le 29 avril 2014. URL :
http://sociologie.revues.org/1200
179
L’expression « donner à voir » prend ici le sens propre et le sens figuré car l’enseignant choisit la leçon, filme la leçon
et envoie le filmage au chercheur.
180
Ce document est disponible en annexe papier n°11.

115
 Quelle séance filmer et quand ? (Bases de l’AS, en début d’année)
 Comment filmer ? (Caméra sur pied, plan large en fond de classe face à l’enseignant)
 Comment enregistrer l’audio ? (Dictaphone ou smartphone embarqué sur l’enseignant avec
un micro-cravate)
 Comment envoyer les données collectées ? (Sur support numérique, carte SD fournie)

c) Une prise de risque technique

Le choix de confier la collecte technique des données directement aux enseignants collaborateurs est
assez risqué. Le chercheur doit accepter de lâcher prise sur les choix techniques réalisés le jour du
filmage, il doit envisager l’éventualité d’un échec technique (son inaudible, vidéo inexploitable…). Il
est ainsi prévu un entretien post à chaud, c’est-à-dire une entrevue qui se déroule par téléphone, tout
de suite après la captation de l’épreuve (le soir même) pour vérifier, avec l’enseignant, l’absence de
problème technique et la réussite des enregistrements (vidéo et audio). L’entretien post à chaud
commence toujours par la question : « Est-ce que tout s’est passé comme prévu ? ». L’entretien a
aussi permis de finaliser l’envoi des données sur les supports numériques par courrier postal, le
volume des données181 étant trop important pour permettre un envoi par courriel, ou le dépôt sur une
plateforme de stockage en ligne. Après réception des supports numériques, l’ensemble des vidéos et
des fichiers audio se sont avérés exploitables, de bonne qualité, répondant aux exigences du
chercheur.

Il est à noter, cependant, que tous les enseignants ont signalé un problème technique de batterie de
caméra, ce qui occasionne la coupure de toutes les captations avant la fin effective des leçons182. Les
entretiens post à chaud et les enregistrements audio embarqués autonomes permettent toutefois de
confirmer que les « manques » ne dépassent pas cinq minutes. Nous considérons que ces problèmes
techniques n’impactent pas la représentativité des séances filmées, les données étant très faiblement
tronquées au regard des leçons filmées.

3.2.4.2. Traitement

Les données collectées ne sont pas entièrement exploitables par le chercheur dans leur état brut. Le
traitement est constitué par un ensemble d’opérations qui permet de tirer parti des données.

181
Le poids des vidéos numériques est de 2 à 100 Go.
182
Ces coupures évoquent de toute évidence un problème technique. Bien qu’elles interviennent toutes en fin de leçon, au
moment de l’institutionnalisation, les éléments collectés ne nous permettent pas de penser à un « acte manqué » même si
la coïncidence est troublante.

116
a) Transcription

Les enregistrements audio des épreuves sont transcrits183 grâce à la même méthode que celle utilisée
pour les entretiens de DL (voir supra).

b) Réalisation d’un synopsis

Le synopsis184 de l’épreuve est, dans ce chapitre, le tableau présentant une vue synoptique de
l'ensemble de la leçon (d’après la définition du CNRTL). Le synopsis est composé de trois parties : le
découpage chronométrique en phases de la séance, l’observation de l’enseignant et l’observation des
élèves.

Figure 33 : Capture d'écran le la partie « Phases de la séance » du synopsis

Dans la partie « Phases de la séance » se trouve la chronogenèse185, c’est la description temporelle du


savoir enseigné. La chronogenèse est la temporalité de la relation didactique. La chronogenèse joue
un rôle important dans la description et la compréhension des actions didactiques de l'enseignant. La
notion est alors convoquée de façon méthodologique. Ce relevé des actions signifiantes a pour but la

183
L’ensemble des verbatim des épreuves des quatre enseignants collaborateurs sont disponibles en annexes papier n°18,
19, 20 et 21.
184
Les quatre synopsis des quatre épreuves des enseignants collaborateurs sont disponibles en intégralité en annexes
numériques nommées : AN19a, AN19b, AN20, AN21 et AN22.
185
Cette notion est présentée dans le chapitre 2.

117
construction de modèles pour rendre compte des actions des enseignants (Reuter et al, 2013). Le
repérage chronométrique permet une quantification de la durée de chacune des phases de l’épreuve.

Figure 34 : Capture d'écran de la partie "Observation de l'enseignant" du synopsis

Dans cette partie du synopsis apparaissent plusieurs des activités déployées par les enseignants afin
qu'au travers de situations formelles les élèves effectuent des tâches qui leur permettent de s'emparer
des contenus spécifiques (Reuter et al, 2013). Le détail de l’observation de l’enseignant (moments
didactiques, intervention verbales…) se trouve dans les parties suivantes.

Figure 35 : Capture d'écran de la partie "Observation des élèves" du synopsis

118
Cette partie permet de repérer les activités des élèves et de vérifier leur conformité avec les moments
didactiques suivis par l’enseignant.

c) Analyse des moments didactiques

Il existe quatre moments didactiques selon la théorie de l'action conjointe en didactique (TACD)
(Sensevy, Mercier, 2007). Le moment « définir », est celui durant lequel l'enseignant transmet des
règles que les élèves doivent comprendre pour s'engager dans l'activité. « Dévoluer » concerne les
moments durant lesquels les élèves assument la responsabilité d'affronter un problème. Le moment
« réguler » est celui durant lequel l'enseignant influe sur la stratégie des élèves. « Institutionnaliser »
concerne les moments affectés à reconnaître et fixer les comportements légitimes adéquats à la
situation.

Pour exemple, le tableau ci-dessous représente le poids de chaque moment didactique dans la leçon
de l’enseignant.

Moments didactiques Durée de chaque partie % de la leçon


Définir 6 min 20 s 13 %
Dévoluer 4 min 45 s 9%
Réguler 3 min 48 s 8%
Institutionnaliser 35 min 19 s 70 %
Durée totale 50 min 14 s 100 %
Figure 36 : Durées des moments didactiques de la leçon de Christian

L’analyse de la répartition et du poids des moments didactiques de la leçon d’un enseignant


renseigne sur sa façon d’enseigner l’AS. La comparaison entre enseignant sur cet indicateur permet
également une lecture en corrélation avec les profils types des enseignants.

d) Analyse des outils matériels utilisés

Les outils utilisés par l’enseignant sont des outils matériels (manuel…) et symboliques (gestuelle,
langage…) (Brousseau, 1998). Les outils peuvent aussi être catégorisés (Reuter et al, 2013) en outils
physiques (manuels, stylos…), en outils psychologiques (langage…) et en outils symboliques
(signes…). Nous choisissons de ne traiter, dans ce chapitre, que les outils matériels. Les outils
symboliques et psychologiques sont évoqués dans les parties suivantes.

119
Outils matériels Philibert Nadia Christian Jérémy

Vin, verre, crachoir X X X X

Fiche d'AS X X X

Fiche activités X X

Fiche synthèse X X

Fiche de descripteurs X X

Projection de vidéo X X

Projection du cours X X

Tableau blanc X X X

Fioles odeurs « nez du vin » X

Nombre d’outils mobilisé 5 8 1 7


Figure 37 : Type d'outils matériels mobilisés par les enseignants

Le choix (quantitatif et qualitatif) d’utiliser tel ou tel matériel laisse apparaître dans l’analyse, des
invariances et des singularités. Ces éléments sont à rapprocher d’autres indicateurs pour produire du
sens.

e) Analyse des déplacements, le locogramme

Les déplacements de l’enseignant dans la classe durant la leçon filmée (l’épreuve) sont représentés
de façon graphique. Les locogrammes186 (Parlebas, 1981) permettent de matérialiser les
déplacements de l’enseignant dans sa classe.

186
Nous adaptons le vocable de locogramme défini par Parlebas comme « Représentation schématique du déplacement
spatial d'un ou plusieurs joueurs (éventuellement d'un objet tel le ballon) au cours d'une séquence définie d'un jeu » dans
le Lexique commentée en science de l’action motrice (1981)

120
Éléments de compréhension Plan n°1

Repères chronométriques :

du début à 14 min 55 s

Figure 38 : Locogramme n°1 de la leçon de Christian

Chaque plan187 de salle est réalisé pour situer les mobiliers et les espaces. Les déplacements de
l’enseignant sont représentés par une ligne continue. Chaque arrêt de l’enseignant est matérialisé par
un point. Plus la surface du point est importante et plus l’arrêt est long. Un locogramme est réalisé
pour chacune des phases chronométriques représentatives des moments didactiques.

f) Analyse des proxémies188

Selon E. T. Hall « La dimension cachée » (1971), la proxémie distingue 4 distances dans les relations
sociales. Il s’agit de la distance entre l’enseignant et ses élèves durant la leçon. Ces distances sont
définies comme « intime » : de 0 à 40 cm, « personnelle » : de 45 à 125 cm, « sociale » : de 120 à
330 cm et « publique » : au-delà de 360 cm. En guise d’exemple, voici le schéma des proxémies de
Nadia.

187
Les plans sont réalisés de façon schématique, à partir des vidéos, l’échelle n’est pas respectée.
188
Comme discipline scientifique qui étudie l'organisation signifiante de l'espace des différentes espèces animales et
notamment de l'espèce humaine (Parlebas, 1981).

121
Tableau 16 : Proxémies durant la leçon de Nadia

Légende Représentation schématique du milieu didactique

Zone publique

Zone personnelle

Les proxémies (Carminatti, 2019) sont à rapprocher des locogrammes et des moments didactiques
pour générer du sens. Dans cette analyse, la place de l’enseignant dans sa classe passe alors du sens
propre (la place physique de l’enseignant dans sa classe) au sens figuré (dans le sens de posture, de
position symbolique). Le chercheur rapproche les positions, les déplacements et les proxémies du
sujet de la position symbolique189 de celui-ci.

g) Analyse des interactions verbales

Les interactions verbales concernent les échanges avec les élèves. Le comptage se fait à chaque fois
qu’un ou plusieurs élèves prennent la parole pour répondre à une sollicitation de l’enseignant ou de
façon spontanée. Les interactions de la leçon font, la plupart du temps, parties d’un cours dialogué190
(Veyrunes, 2008).

Une première analyse, de type plus quantitative, permet de repérer la répartition des interactions
parmi les phases de la leçon. Ces éléments sont rapprochés ensuite d’autres indicateurs comme les
moments didactiques pour prendre toute leur dimension.

189
Et notamment la position symbolique de sujet supposé savoir (voir à ce sujet le chapitre options théoriques et
conceptuelles de la recherche).
190
Le cours dialogué a été caractérisé comme une forme prototypique d’interaction publique en classe, selon trois temps :
une initiation (question du professeur), une réaction des élèves (recherche de la réponse) et une réaction du professeur
(fréquemment sous la forme d’une évaluation) (Veyrunes, 2008).

122
Parties de la leçon Nombre d’interactions % de la leçon

Phase visuelle de l’AS 16 27 %

Phase olfactive de l’AS 10 17 %

Phase gustative de l’AS 23 38 %

Synthèse générale 11 18 %

Durée totale 60 100 %


Figure 39 : Nombre d'interactions verbales par phase de la leçon de Philibert

Une deuxième analyse lexicale et sémantique est ensuite menée grâce à la ponction d’extraits
représentatifs d’interactions du verbatim.

h) Analyse du discours de l’enseignant

Les analyses suivantes sont réalisées à partir du verbatim de l’épreuve. Le nombre de termes est
compté grâce à la fonction statistique du logiciel de traitement de texte.

 Le débit de parole des enseignants durant la leçon (totale191)

Le débit de parole des enseignants est calculé grâce à un indice. Cet indice permet de situer les
enseignants à la fois les plus prolixes sur le sujet en tenant compte de la durée de chaque leçon (c’est
ceux qui verbaliseront le plus de mots) et aussi les plus rapides dans leur élocution. Plus l’indice est
élevé et plus le discours de l’enseignant est abondant et rapide. Cet indice est obtenu de la façon
suivante : nombre total de termes de la leçon (hors moments de dévolution) / durée totale de la leçon,
en minutes, hors moments de dévolution. Le débit de parole, dans une situation de communication
orale, est proche de 200 mots par minute (Rist, 1999). Selon l’auteur, si le débit se stabilise autour de
175 mots par minute pour un expert, il est plutôt de 130 mots dans une situation pédagogique.

Le débit de la parole de l’enseignant est ensuite rapproché du nombre d’interactions verbales pour
mettre en relation le débit et la participation des élèves.

 Analyse lexicale du discours de la PO192

Il s’agit de l’analyse lexicale du discours de l’enseignant, dans la partie PO, comme indicateur (entre
autres) de la marque de l’expertise (Carnus, 2008). Le discours de la PO est isolé dans le verbatim

191
Cet indice prend en compte la totalité de la leçon de l’AS
192
Cette analyse prend en compte la partie PO de la leçon de l’AS seulement.

123
complet, les termes spécifiques et techniques sont étudiés. Les termes retenus sont les mots qui
concernent directement la PO dans les paroles de l’enseignant. Voici un exemple dans la leçon de
Jérémy :

« Tu vas sentir tout ce que tu connais pas comme arômes quand tu es en cuisine (…) par
exemple (…) le chef a ramené un arôme que tu connais pas ou le gingembre par exemple
c’est pas une odeur que pour toi tu sens habituellement (…) »

Les termes « sentir », « arômes », « arômes », « gingembre », « odeur » et « sens » sont les unités
terminologiques de la PO mobilisés par Jérémy dans cet extrait.

 Poids et champs des unités terminologiques de la PO

Un nuage193 des unités terminologiques de la PO est réalisé pour représenter graphiquement leur
mobilisation par l’enseignant. Les unités terminologiques sont ensuite réparties dans les différents
champs selon la littérature194 : méthodologie, complexité aromatique, qualité aromatique et
perspectives de service.

 Densité du discours de la PO

La densité du discours de la PO195 est ensuite étudiée. Il s’agit du rapport entre les unités
terminologiques de la PO et des termes totaux du discours de la PO. Plus ce rapport est bas et plus
l’enseignant étaye son discours. C’est-à-dire qu’il entoure les termes techniques (unités
terminologiques de la PO) par des termes plus courants pour rendre intelligible son message. Il s’agit
véritablement d’un apprêt didactique (Chevallard, 1985). La densité du discours est exprimée en
pourcentage. Voici un exemple tiré de la leçon de Nadia, les unités terminologiques de la PO sont
graissées dans l’extrait du verbatim suivant. La densité de la phrase suivante est de 18,64 % (celle-ci
n’est pas représentative du cas, elle sert seulement l’exemple).

« Donc c’est à vous de détecter au nez qu’est-ce qu’il sent comme odeurs, est-ce que c’est floral,
animal, végétal, ou autre chose d’accord ? Donc il y a le deuxième nez, le vin dans le verre, puis
je ressens une deuxième fois donc je hume les arômes pour savoir ce que c’est »

 Technicité du discours de la PO

193
La réalisation de ce nuage suit le même protocole que celui utilisé dans la partie « traitement du questionnaire
exploratoire ».
194
Le détail des différents champs évoqués se trouve dans le chapitre options notionnelles.
195
La densité du discours de la PO = unités terminologiques de la PO / termes totaux du discours de la PO x 100

124
Les unités terminologiques exclusives sont ensuite repérées. Ce sont les unités, parmi les unités
terminologiques de la PO, qui ont une signification uniquement dans le domaine de la PO. Par
exemple le mot « caudalie » est un terme technique spécifique et exclusif à la PO, il indique la
persistance aromatique d’un vin en bouche, une caudalie correspond à une seconde de persistance
des arômes en bouche après disparition du vin de la bouche. Ce terme n’a pas de signification dans le
langage courant (il ne donne pas de résultat dans le CNRTL, ni dans le dictionnaire Larousse).

La technicité du discours de la PO196 est le rapport entre les unités terminologiques exclusives de la
PO et la totalité des unités terminologiques de la PO. Cet indicateur est, probablement, un des signes
de l’expertise de l’enseignant selon Carnus (2008). Il est exprimé en pourcentage. Voici un exemple
tiré de la leçon de Nadia, les unités terminologiques sont graissées et les unités terminologiques
exclusives de la PO sont graissées et soulignées dans l’extrait du verbatim suivant. La technicité de la
phrase suivante est de 38,46 % (celle-ci n’est pas représentative du cas, elle sert seulement
l’exemple).

« Nadia : on sent pas l’alcool aussi au nez ?


Élève : si
Nadia : Empyreumatique, empyreumatique
Élève : empyreumatique après en fin de bouche il est court enfin moyen il a 4 caudalies
Nadia : 4 caudalies donc c’est très court en bouche »

196
La technicité du discours de la PO = unités terminologiques exclusives de la PO / unités terminologique de la PO x
100

125
Figure 40 : Analyse du discours de la partie olfactive de l'AS

3.2.4.3. Pour résumer…

La figure ci-dessous présente l’instrumentation et le traitement des données concernant l’épreuve.

126
Figure 41 : Instrumentation et traitement des épreuves

3.2.5. L’après-coup

En didactique clinique, « l’après-coup » est à la fois un des trois temps méthodologiques (entretien
semi-dirigé post séance) et aussi un concept, outil de l’analyse. L’après-coup (AC) est le troisième
temps de la méthodologie de la DC (Carnus, Terrisse, 2013). Le sujet enseignant est alors amené à
réaliser un « remaniement » (Chevallard, 1985), un retour sur sa pratique professionnelle (grâce aux
données, aux traces recueillies) afin d'atteindre les causes de ses actes ou les raisons de ses décisions
(Carnus, Terrisse, 2013). Le terme d’AC est fréquemment évoqué par Freud, « des traces mnésiques
sont remaniées ultérieurement (…) » comme le rapporte Laplanche et Pontalis (1967, p 48). Il s'agit
d'une mise à distance, la reconstruction de l'enseignant favorisant la compréhension (Terrisse,
Carnus, 2009). Ce qui est recherché est la raison de l'acte didactique, le choix et le traitement des
savoirs par l'enseignant observé (ibidem). Dans la production scientifique de la DC cette phase est
incontournable et primordiale car « l'on ne sait qu'après-coup » (Carnus, Terrisse, 2013). L'étape de
l’AC est essentielle car elle permet au sujet enseignant de revenir sur son action pour éviter au
chercheur les contresens et les interprétations abusives (Van der Maren, 1996, Terrisse, 2000).
L'après-coup est considéré comme un processus de reconstruction rétroactif dans lequel le sujet
remanie lui-même les traces mnésiques de ces expériences (Carnus, 2013).

127
Le concept d’AC entremêle197 plusieurs temporalités, celle du sujet et celle de la recherche. Comme
l’indique André Green198 (2000, p 45) « le temps où ça se passe n’est pas le temps où ça se signifie ».
Ainsi dans le cadre de l’entretien d’après-coup, le chercheur compte sur le décalage temporel entre le
moment de l’épreuve (la leçon de l’enseignant,) et le moment de l’AC pour que le sujet enseignant
génère du sens ou un sens nouveau sur ce qui s’est passé durant la leçon. Comme l’indique Terrisse
(2009) le sujet est particulièrement bien placé pour rendre compte de ses actes. Ce délai entre l’action
et la réflexion rétroactive est nécessaire au sujet pour assimiler, digérer et mettre à distance ce qui
s’est déroulé et pour en dire « quelque chose » de façon rétroactive. Le concept d’AC participe de la
clarification d’un processus interne au sujet comme une : « maturation organique », qui va
« permettre au sujet d’accéder à un nouveau type de significations et de réélaborer ses expériences
antérieures » (Chaussecourte, 2010, p.44).

Nous présentons dans les parties suivantes, l’instrumentation de l’AC, le prélèvement des données,
puis le traitement de ces données.

3.2.5.1. Instrumentation

Voici la description du dispositif mis en œuvre ou mobilisé dans cette recherche pour obtenir une
trace (Van Der Maren, 1996) des données à analyser.

a) Matrice de rapprochement du DL et de l’épreuve

L’entretien d’AC s’appuie sur le rapprochement du DL et de l’épreuve (EP) pour mettre en lumière
les écarts et les similitudes. Grâce à un tableau199 nommé « Matrice de rapprochement du DL et de
l’E » les traces du DL présentes dans l’E et les écarts entre ce que le sujet prévoyait de faire (lors du
DL) et ce qu’il fait en réalité (durant l’E) sont repérées.

197
Ou plutôt cherche à démêler dans le sens de distinguer, séparer, discerner le fil (emmêlé) du savoir dans la logique de
l’enseignant
198
André Green est un psychiatre et psychanalyste français (1927 – 2012).
199
Toutes les matrices de rapprochement du DL et de l’E se trouvent en annexes numériques, dans les fichiers nommés
AN27, AN28, AN29 et AN30.

128
Figure 42 : Extrait de la Matrice de rapprochement du DL et de l'EP de Philibert

Dans le tableau ci-dessus, les traces concernent les similitudes (les continuités) et les tensions
concernent les écarts (les ruptures).

b) Proposition d’énoncés interprétatifs

En fonction des modalités repérées, les intentions déclarées (lors de l’entretien de déjà-là) sont
rapprochées des actions constatées (lors de l’épreuve) pour déceler s’il y a continuité ou rupture entre
déjà-là (DL) et épreuve (EP). Une première analyse permet de croiser les deux premiers temps de la
méthodologie (DL et EP), de révéler en particulier des écarts entre les effets attendus et les effets
constatés et d’élaborer des énoncés interprétatifs sur ces écarts (Carnus, 2008). Les énoncés
interprétatifs200 sont des propositions du chercheur201 au regard des questions de recherche pour
proposer une explication plausible des choix opérés par l’enseignant en tenant compte de la part
d’insu. Les questions de recherche constituent, bien sûr aussi, également un fil conducteur dans la
construction des entretiens d’AC et des énoncés interprétatifs.

Le tableau202 ci-dessous est un extrait de la proposition d’énoncés interprétatifs de la leçon de


Philibert.

200
Les constructions des énoncés interprétatifs sont intégralement en annexes papier n°26, 28, 30 et 32.
201
Probablement en écho avec son « déjà-là », consulter à ce propos le chapitre 5 « l’après-coup » du chercheur.
202
Tous les tableaux concernant chaque sujet de cette recherche sont présents dans la partie résultat

129
Tableau 17 : Repérage des ruptures ou des continuités entre DL et EP

Modalité repérée Méthodologie de la PO : compétence « perception »


Intention déclarée « la dégustation c'est le respect d'un protocole » (entretien de déjà-là)
Action constatée Démonstration d’un geste qui ne fait pas partie de la méthodologie
classique : donner un mouvement circulaire au vin dans le verre (type 2ème
nez) puis poser sa main sur le verre (pour empêcher les arômes de
s’échapper) puis sentir le vin (action constatée durant l’épreuve)
Rupture ou continuité Rupture
Le repérage ci-dessous renvoie au verbatim de la leçon. Ceci permet de situer précisément la source
pour la discuter avec l’enseignant collaborateur lors de l’entretien d’AC.

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

De la ligne 20 à la ligne 31 : « bricolage » remuer le verre avec la main dessus

Énoncé interprétatif n°1 : La distance avec le savoir à enseigner de l’enseignant influence, à son
insu, le savoir enseigné.

Autant d’énoncés interprétatifs sont avancés que de ruptures ou de continuités entre les DL et les E
de chaque cas étudié.

Tableau 18 : Nombre d'énoncés interprétatifs par cas étudié

Cas de la recherche Nombre d’énoncés interprétatifs


Philibert 5
Nadia 6
Christian 4
Jérémy 5

c) Construction du guide d’entretien d’AC

Les énoncés hypothétiques ne sont pas directement évoqués avec le sujet dans le cadre de l’entretien
d’AC (pour éviter de biaiser les réponses du sujet) car ce sont les hypothèses ou les intuitions du
chercheur. Ils servent cependant au chercheur à garder le cap de la recherche de causalité et le fil
conducteur de ses questions de recherche. L’objectif de l’entretien d’après-coup n’est pas de pousser
le sujet à se justifier, les questions ne sont pas posées en « pourquoi » mais en « comment ». Les
questions sont ouvertes pour permettre l’expression libre et la moins contrainte possible. L’entretien

130
d’AC est semi-dirigé, dans les mêmes mesures que pour l’entretien d’accès au DL203. La
transcription de l’épreuve a été envoyée au sujet plusieurs jours avant l’entretien d’après-coup.
L’enseignant a la possibilité de relire le verbatim de sa leçon. Des références aux lignes de la
transcription sont réalisées durant l’entretien d’après-coup. L’enseignant peut, ainsi, retrouver
facilement des traces mnésiques de ce qui a été dit et fait durant l’épreuve de la leçon.

Le guide d’entretien204 est composé de questions en rapport avec les énoncés hypothétiques, assorties
de questions de relance si le sujet interviewé n’évoque pas directement le thème sur lequel le
chercheur souhaite l’entendre.

d) L’entretien d’après-coup

L’entretien d’AC est un entretien post séance réalisé entre 1 mois et plusieurs années après la leçon
(selon les différentes études des chercheurs de l’équipe de DC), ce qui est un gage de fiabilité
(Terrisse, 2009).

Épreuve Entretien d’après-coup Temps entre l’EP et l’AC


Jérémy 15 septembre 2016 8 décembre 2017 449 jours
Nadia 10 octobre 2016 24 mai 2017 226 jours
Philibert 30 septembre 2016 8 mars 2017 159 jours
Christian 7 septembre 2016 31 octobre 2017 419 jours
Figure 43 : Temps écoulé en jours entre la leçon et l'entretien d'après-coup

Durand l'entretien d'après-coup, l'enseignant est amené à se livrer de façon plus personnelle, voire
intime (Heuser, 2013). Les entretiens d'après-coup sont semi-dirigés (De Ketele, Roegiers, 1996)
pour laisser une part importante d'expression libre à l'enseignant (Heuser, 2013). Ceci donne des
durées d’entretien assez contrastées en fonction de la participation des enseignants.

Entretien d’après-coup

Jérémy 43 min 22 s
Nadia 23 min 23 s
Philibert 33 min 24 s
Christian 38 min 59 s
Figure 44 : Durée des entretiens d'après-coup en minutes et secondes

203
Voir le chapitre instrumentation du DL pour plus de détails.
204
Les questions se trouvent directement à la suite des énoncés interprétatifs, après le repérage des éléments dans le
verbatim de l’épreuve et les commentaires du chercheur.

131
Pour les mêmes raisons que pour les entretiens de DL, les entretiens d’AC se sont déroulés par
téléphone. Les entretiens ont été enregistrés grâce à un enregistreur numérique pour faciliter la
transcription.

3.2.5.2. Traitement

Les données collectées ne sont pas entièrement exploitables par le chercheur dans leur état brut. Le
traitement est constitué par un ensemble d’opérations qui permet de tirer parti des données.

a) Transcription des verbatim

Les verbatim205 ont été transcrits avec le même protocole que pour les entretiens de DL.

b) Codage et condensation des unités de sens

Le codage et la condensation des unités de sens sont traités avec la même procédure que pour les
entretiens de DL. Le tableau ci-dessous donne un exemple concernant l’AC de Christian.

Tableau 19 : Grille de codage du verbatim de l'épreuve de Christian206

205
Les verbatim des quatre entretiens d’AC se trouvent en intégralité dans les annexes papier n°27, 29, 31 et 33.
206
Toutes les grilles de codage sont disponibles en annexes numériques : les fichiers sont nommés AN31, AN32, AN33
et AN34. Les grilles de codage se trouvent en feuille numéro 2 des fichiers.

132
Tableau 20 : Extrait du tableau de condensation207 des données de l'AC de Christian

Les parties du verbatim en rouge sont repérées dans la recherche de causalité.

c) Analyse

L’analyse de l’AC se réalise en confrontant les traces mnésiques remaniées par l’enseignant avec les
éléments du DL et de l’EP. L’analyse des tableaux de condensations des données est menée en
suivant le même protocole que pour l’analyse des DL (analyse lexicale et sémantique).

3.2.5.3. Pour résumer…

La figure ci-dessous présente l’instrumentation et le traitement des données concernant l’entretien


d’après-coup.

207
Tous les tableaux de condensation des données sont disponibles en annexes numériques : les fichiers sont nommés
AN31, AN32, AN33 et AN34. Les tableaux de condensation sont en feuille numéro 1 des fichiers.

133
Figure 45 : Instrumentation et traitement des entretiens d'après-coup

3.3. Les données produites

La construction (ou la reconstruction) du cas en didactique clinique conduit à la présentation d’une


vignette didactique clinique. Celle-ci apparaît d’abord sous une forme diachronique208 puis sous une
forme synchronique. La « formule » est le signifiant du cas au regard de la problématique du
chercheur.

3.3.1. La vignette didactique clinique

La vignette didactique clinique est la cristallisation et la synthèse des éléments saillants de l’étude
d’un cas (Carnus, 2013). Elle se bâtit par la reconstruction du cas en fonction de la problématique du
chercheur (Carnus, 2007) grâce aux éléments extraits ou sélectionnés dans les données des entretiens
(DL et AC) et des observations de classe, l’épreuve (EP). La construction du cas en didactique
clinique fonctionne la plupart du temps à rebours, c’est-à-dire en partant des effets observés dans la
classe et effets déclarés lors des entretiens pour aller vers les énoncés interprétatifs. C’est ainsi que
cette construction du cas aboutit à l’élaboration d’une vignette didactique clinique qui rassemble les
éléments que le chercheur retient (voir à ce sujet l’effet chercheur dans le chapitre 5 « résultats »)
comme se détachant de façon pertinente et adaptée à la lumière de la problématique.

208
Qui concerne l'appréhension d'un ensemble de faits dans son évolution à travers le temps. Source : CNRTL.

134
La vignette didactique clinique s’inscrit dans une présentation précise (diachronique et synchronique)
mais relève des choix du chercheur, qui assume cet espace de liberté et de créativité, en fonction de
ses questions de recherche (Carnus, 2007). Les vignettes didactiques sont, selon Carnus, « de courtes
présentations synthétiques de cas entendu comme des sujets singuliers observés dans un
environnement et une temporalité spécifique » (Carnus, 2013, p 25).

La présentation d’une vignette didactique passe véritablement par une construction, car comme le
précise Terrisse (2013), il faut se méfier du terme interprétation et des abus de suggestion du
chercheur sur les dires de l’interviewé209.

3.3.1.1. Analyse diachronique

La forme diachronique de la vignette didactique clinique reprend les éléments saillants de la


construction du cas en suivant la méthodologie chronologique de la DC : le déjà-là, l’épreuve et
l’après-coup. Nous respectons, dans la présentation de la vignette DC, la structure suivante :

 Déjà-là de l’enseignant
o DL expérientiel
o DL conceptuel
o DL intentionnel
 Épreuve de l’enseignant
 Après-coup de l’enseignant

Dans la rédaction de la vignette DC, nous appuyons systématiquement nos affirmations par des
éléments des verbatim tirés soit des entretiens de DL (pour la partie DL), soit des interactions lors de
la leçon (pour la partie épreuve), soit des entretiens d’AC (pour la partie AC). Ces extraits de
verbatim sont retenus car ils sont, pour le chercheur, significatifs du discours (Jourdan, 2013).

3.3.1.2. Analyse synchronique

La forme synchronique de la vignette didactique clinique reprend les éléments saillants de la


construction du cas en suivant la structure des trois « rapports à » (Carnus, Mothes, 2016).

209
Voir le chapitre sur « l’effet chercheur ».

135
Pour cette partie synchronique nous respectons, dans la présentation de la vignette DC, la structure
suivante :

 Rapport au(x) savoir(s)


o Axe de l’expertise (entre distance et proximité)
o Axe du désir (entre répulsion et attirance)
o Axe de la rencontre (entre nouveauté et ancienneté)
 Rapport à l’épreuve
o Axe de l’expérience (entre étrangeté et familiarité)
o Axe de la contingence (entre inhibition et excitation)
o Axe de l’affect (entre souffrance et plaisir)
 Rapport à l’institution
o Axe de l’assujettissement (entre soumission et émancipation)
o Axe du confort (entre risque et sécurité)
o Axe de la reconnaissance (entre exclusion et inclusion)
Lors de la rédaction de la partie synchronique de la vignette DC, l’enseignant est situé sur chacun des
axes, puis les analyses du chercheur sont illustrées par des extraits des verbatim (dans le même esprit
que pour l’analyse diachronique).

3.3.2. La formule du sujet

La formule est tirée des mots de l’enseignant. Pour Terrisse (2013) la formule est énoncée par le
sujet, « extraite du discours de l’enseignant(e) ». Freud (1937) parle du travail d’extraction de la
formule. Le choix de la formule est opéré par le chercheur. Le chercheur retient une formule, extraite
des dires du sujet, comme éléments signifiants sous lesquels l’enseignant se range et « qu’il promeut
à l’égard du chercheur » (Terrisse, 2013).

La formule prend toute sa dimension après la construction du cas, elle vient en clôture de la
construction du cas (Terrisse, 2013). Alors qu’elle n’était qu’une énigme lorsqu’elle a été
ponctionnée dans le discours du sujet. La formule est un éclairage, pour le chercheur, de la pratique
de l’enseignant. La formule est, pour lui, une « clé d’intelligibilité » (Terrisse, 2013).

La formule acquiert une autonomie, elle devient une représentation du sujet au regard de la
problématique du chercheur. La formule est un « prélèvement » (Terrisse, 2013) des signifiants du
sujet en référence à Lacan « le signifiant210 représente le sujet pour un autre signifiant » (Lacan,
1973, p.626).

210
Le terme de signifiant est employé en linguistique. Ferdinand de Saussure, cité par Juignet (2003), considère la langue
comme un système composé d’une image acoustique (le signifiant) et d’un concept (le signifié).

136
4. Tableaux synthétiques du dispositif méthodologique
Tableau 21 : Tableau croisé selon le classement de Van Der Maren (1996)

Données invoquées Données provoquées Données suscitées


Ouvrages des auteurs de Questionnaire exploratoire
références sur l’AS
Entretiens avec les enseignants de
Manuels scolaires de références l’AS (ante, post et d’après-coup)
Vidéos des séances de cours de
Curricula des diplômes l’AS

Tableau 22 : Tableau croisé selon le classement de De Ketele, Roegiers (1996)

Questionnaire Interview Étude de document Observation


Ouvrages de références
Entretiens avec les
Questionnaire sur l’AS
enseignants de l’AS Vidéos des séances
exploratoire des profils
(ante, post et d’après- Curricula des diplômes d’enseignement de l’AS
d’enseignants de l’AS
coup)
Manuels scolaires

Tableau 23 : Tableau croisé chronologique entre les 4 cas et les 3 temps méthodologiques de la DC

Données collectées
Enseignants Entretien post à Entretien d’après-
Entretien de déjà-là Épreuve
chaud coup

3 juin 2016 15 septembre 2016 15 septembre 2016 8 décembre 2017


Jérémy
36 min 56s 2 h 13 min 0 s 8 min 35 s 43 min 22 s
27 mai 2016 10 octobre 2016 10 octobre 2016 24 mai 2017
Nadia
31 min 27 s 1 h 07 min 35 s 3 min 54 s 23 min 23 s
15 juin 2016 30 septembre 2016 21 octobre 2016211 8 mars 2017
Philibert
41 min 53 s 18 min 45 s 7 min 14 s 33 min 24 s
13 juin 2016 7 septembre 2016 8 septembre 2016 31 octobre 2017
Christian
33 min 56 s 50 min 14 s 14 min 35 s 38 min 59 s

Les entretiens de DL se sont tous déroulés de fin mai à mi-juin 2016 (début de la collecte des
données). Les épreuves sont filmées en septembre et octobre 2016 (durant le premier semestre de la

211
Pour le cas de Philibert, l’entretien post à chaud ne s’est pas déroulé le jour même de la séance car l’enseignant n’a
pas prévenu le chercheur de la date précise de son intervention.

137
formation des élèves, à la date choisi par l’enseignant collaborateur car la séance est une des
premières de la progression pédagogique). Les entretiens d’après-coup se déroulent plusieurs mois
après l’épreuve dans l’ordre de traitement (par ordre croissant de durée de l’épreuve212) des données
(DL et EP).

212
Il s’agit d’un choix logistique du chercheur.

138
Chapitre 4 : Les résultats

C’est dans ce chapitre que sont présentés les résultats de l’analyse des données collectées.

Dans un premier temps est développée l’analyse du questionnaire exploratoire, de façon descriptive
d’abord puis de façon interprétative ensuite. La deuxième partie concerne la construction et l’analyse
des quatre cas précis de l’étude : Philibert, Nadia, Christian et Jérémy. La troisième et dernière partie
propose un rapprochement de ces quatre cas pour mettre en relief les éléments constants et les
éléments variables dans l’enseignement de la partie olfactive de l’analyse sensorielle des vins chez
ces quatre enseignants.

139
1. Analyse du questionnaire exploratoire

L’analyse du questionnaire exploratoire213 est composée d’une analyse descriptive et d’une analyse
interprétative.

1.1. Analyse descriptive

Cette analyse descriptive présente les sujets qui ont répondu au questionnaire. Il s’agit du portrait des
enseignants de l’échantillon et de la présentation de leur DL expérientiel. Parmi ces répondants au
questionnaire se trouve les quatre enseignants retenus pour la construction des cas (Nadia, Jérémy,
Philibert et Christian). Nous les incluons dans les résultats soit dans les graphiques ci-dessous, soit
dans l’annexe papier n°5 pour des facilités de présentation.

Tableau 24 : Répartition des enseignants du secondaire en hôtellerie, service, tourisme en 2017 / 2018214

Collèges et Lycées Lycées


Enseignants Autres Total
segpa215 professionnels technologiques
Hôtellerie, service,
28 1044 147 261 1482
tourisme
Le panel sondé dans le questionnaire exploratoire n’est pas échantillonné de façon représentative à la
population des enseignants d’hôtellerie, service, tourisme (voir tableau ci-dessus) cependant il
représente un peu plus de 8 % de la population totale et l’analyse suivante montre qu’il est proche de
la population ciblée.

Une analyse statistique descriptive permet de décrire le portrait des enseignants qui ont répondu au
questionnaire216.

213
Le questionnaire est disponible en annexe papier n°3, les données brutes des réponses aux questionnaires sont dans les
annexes numériques AN2 et les données triées se trouvent en annexes numérique AN3.
214
Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche 2018 [en ligne] accessible grâce
au lien suivant http://www.education.gouv.fr/cid57096/reperes-et-references-statistiques.html consulté le 2/12/2018
215
Section d’enseignement général et professionnel adapté.
216
Les données triées présentant les enseignants ayant répondus au questionnaire se trouvent en annexe numérique AN3
et la présentation des répondants est en annexe numérique AN4.

140
Figure 46 : Genre des enseignants ayant répondu au questionnaire

La répartition entre enseignantes et enseignants ayant répondu au questionnaire est assez proche de la
répartition en genre des enseignants du second degré du domaine, selon les statistiques de l’éducation
nationale en 2017 (enseignantes 48 % et enseignants 52 %).

Figure 47 : Contexte des enseignants ayant répondu au questionnaire

Selon les statistiques de l’éducation nationale (2017) les enseignants en lycées professionnels
représentent 70 % des enseignants du domaine217.

217
Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche 2018 [en ligne] accessible grâce
au lien suivant http://www.education.gouv.fr/cid57096/reperes-et-references-statistiques.html consulté le 2/12/2018

141
Figure 48 : Âge des enseignants ayant répondu au questionnaire

Cette figure est conforme à la pyramide des âges des enseignants. L’âge moyen des enseignants des
lycées professionnels est de 46,6 ans (en 2017).

Figure 49 : Pyramide des âges des enseignants en lycée professionnel (statistiques éducation nationale, 2017)

Sur la pyramide des âges, les barres bleu foncé concernent le secteur privé et les barres bleu clair le
secteur public.

Figure 50 : Ancienneté des enseignants ayant répondu au questionnaire

142
66 % des enseignants interviewés ont plus de 20 ans dans l’enseignement ; ce graphique permet
d’évaluer l’ancienneté dans le domaine, il contribue à rendre compte de l’expérience des
enseignants218.

Figure 51 : Sentiment d'expertise des enseignants ayant répondu au questionnaire

80 % des enseignants sondés pensent avoir une certaine expertise219 dans le domaine de l’AS des
vins. Ce résultat est à nuancer avec d’autres éléments. L’expérience et l’expertise (Touboul, 2013)
des enseignants ayant répondu au questionnaire sont croisés pour déterminer les principaux profils.
L’expérience de l’enseignant est évaluée, dans l’enquête, grâce à la somme de plusieurs indicateurs :
l’ancienneté (moins ou plus de 20 d’enseignement), l’enseignement dans différents types
d’établissements (différentes régions, zones rurales ou urbaines) et l’enseignement de l’analyse
sensorielle à différents niveaux de classes (moins ou plus de 2 niveaux différents). L’expertise de
l’enseignant est évaluée, quant à elle, grâce à la formation initiale ou continue dans le domaine de
l’analyse sensorielle des vins et grâce aux expériences professionnelles dans le domaine de la
sommellerie (moins ou plus de 2 expériences)220.

218
Les données triées présentant l’expérience des enseignants ayant répondu au questionnaire se trouvent en annexe
numérique AN5.
219
Les données triées présentant l’expertise des enseignants ayant répondu au questionnaire se trouvent en annexe
numérique AN6.
220
Le tableau de codage des profils d’enseignants se trouve en annexe papier n°4.

143
Figure 52 : Répartition des enseignants ayant répondu au questionnaire entre expérience et expertise

Le schéma ci-dessus permet de repérer quatre profils contrastés d’enseignants :

 les novices n’ont pas d’expérience et ne sont pas experts dans l’AS ;
 les débutants n’ont pas d’expérience et sont experts en AS ;
 les expérimentés non-spécialistes ont de l’expérience et ne sont pas experts en AS ;
 les chevronnés ont de l’expérience et sont experts en AS.

144
Figure 53 : Profils des enseignants ayant répondu au questionnaire

Cette répartition statistique en profil des enseignants interviewés n’a pas pour prétention d’être
représentative de la population totale. Elle permet cependant, de représenter quatre tendances des
enseignants de l’AS grâce aux profils contrastés qui se dessinent et que nous avons retenu pour notre
étude de cas.

1.2. Analyse compréhensive

Cette analyse compréhensive est constituée du déjà-là conceptuel, intentionnel et sensoriel des
enseignants interrogés.

1.2.1. DL conceptuel des enseignants interrogés

L’analyse statistique permet de découvrir les principales conceptions des enseignants interrogés au
sujet de l’AS et de la PO221.

Importance de la PO

L’AS est constituée de trois phases chronologiques, la phase visuelle, la phase olfactive et la phase
gustative222. Les enseignants sont interrogés sur l’importance qu’ils accordent à ces moments de
l’AS.

221
Les données triées et les tableaux de codage concernant le DL conceptuel des enseignants se trouvent en annexes
numériques AN7a, AN7b, AN8 et AN10.
222
Voir le chapitre options notionnelles, la pratique sociale des sommeliers

145
Figure 54 : Importance des phases de l'AS

Une assez grande majorité (2/3) des enseignants interrogés (64 %) considère que les trois phases de
l’analyse sensorielle des vins ont une importance équivalente. Il faut remarquer cependant, que pour
un quart des enseignants répondants, la phase gustative est plus importante que les autres phases :
pour eux c’est en bouche que l’analyse principale se déroule.

Figure 55 : Importance des phases de l'AS en fonction des profils d'enseignants

En menant une analyse croisée des résultats, il apparaît que les enseignants débutants accordent plus
d’importance à la phase gustative de l’AS. Un débutant sur deux considère que toutes les phases sont
aussi importantes les unes que les autres, comme 65 % des expérimentés, 68 % des novice et 72 %
des chevronnés.

146
Situation des quatre enseignants retenus pour l’étude : Nadia, Jérémy et Philibert sont conformes
à leur profil type, ils considèrent que les trois phases sont toutes les trois importantes. Christian se
distingue du profil type des chevronnés puisqu’il considère que c’est la phase gustative qui est plus
importante.

La phase olfactive ne semble pas être prioritaire sur les autres phases de l’AS, selon les personnes
interrogées. Quelle-est donc son importance à leurs yeux ?

Figure 56: Importance de la description de la partie aromatique d'un vin

Les 88 % des enseignants ayant répondu à l’enquête jugent la description de la partie aromatique
d’un vin importante à très importante. Rappelons qu’elle se réalise223 pour partie par les odeurs
(voies orthonasales) lors de la phase olfactive et par les arômes (voies rétronasale) lors de la phase
gustative.

223
Voir le chapitre options notionnelles, l’olfaction, la perception des arômes

147
Figure 57 : Importance de la description de la partie aromatique d'un vin en fonction des profils d'enseignants

Ce sont les enseignants les plus experts du panel (débutants et chevronnés) qui considèrent la
description de la PO très importante.

Situation des quatre enseignants retenus pour l’étude : Tous sont conformes avec leur profil type,
Nadia juge la PO très importante (elle est dans le profil des débutants) et les trois autres enseignants
la juge importante.

Conception de la PO

La question n°17 du questionnaire exploratoire est une question ouverte : « Citez 5 mots clés à
l'évocation spontanée des termes arômes du vin ». Cette question participe de l’évaluation du DL
conceptuel des enseignants, elle donne une image de leur représentation.

Une analyse lexicale224 de ce corpus de mots clés, permet de quantifier les occurrences des termes les
plus cités dans la conception des enseignants concernant les arômes du vin. Le nuage de mots ci-
dessous est la représentation schématique225 de ce traitement. Les mots les plus cités ont une police
plus grande.

224
À l’aide du logiciel Tropes.
225
Schéma réalisé avec le logiciel en ligne wordle (consulter la partie méthodologique).

148
Figure 58 : Conception de "arômes du vin" pour les enseignants ayant répondu

D’après le tableau de fréquence d’apparition des mots-clés226, traité par le logiciel Topes, le mot
« fruité », qui revient le plus souvent dans le corpus étudié, est cité par 37 enseignants, « floral » par
27, « plaisir » par 22 et « boisé » par 21. Une lecture flottante (Bardin, 1977) des réponses permet de
repérer les catégories227 récurrentes. Les réponses sont ensuite codées pour être regroupées dans les
catégories suivantes :

226
Ce tableau est disponible en annexe numérique AN13.
227
Si plusieurs notions apparaissent dans la réponse parmi les cinq mots cités c’est, soit la notion majoritaire c’est-à-dire
représentée par au moins trois mots sur les cinq qui est retenue, soit le premier terme si les cinq termes évoquent des
catégories différentes.

149
1. type (fruité, floral…), il s’agit du type d’arômes, leur(s) famille(s) ;

2. qualité (complexe, élégant…), il s’agit de l’évaluation de la qualité des arômes ;

3. plaisir, il s’agit des émotions positives suscitées par les arômes ;

4. origine (primaire, secondaire…), il s’agit des origines supposées des arômes228 ;

5. synonyme (parfum, senteur…), il s’agit de termes proches du mot arôme ;

6. autres, il s’agit de tous les mots qui ne sont pas classés dans les rubriques supra ;

7. réponses vides ou non conforme (des ??? ou des phrases alors qu’il fallait donner cinq mots).

Figure 59 : Conception des enseignants, classée en catégories, à l'évocation de "arômes des vins"

Sur les six catégories, un tiers des enseignants a une image mentale des arômes du vin grâce à leur
type (fruité, floral…), un quart évoque la qualité (complexe, élégant…) et 11 % les origines
(primaire, secondaire…) soit 67 % des réponses. Les réponses « type », « qualité » et « origine » sont
très proches du savoir à enseigner229, ces notions sont présentes dans les programmes des diplômes,

228
Voir la partie 4.3.4.
229
Voir le chapitre options notionnelles, le savoir à enseigner : l’AS des vins en formation HR

150
dans les manuels scolaires. Il est à noter que 13 % des sondés évoquent le plaisir associé aux arômes
du vin, l’olfaction semble pour eux indissociable du côté hédonique230.

Une répartition par profil d’enseignant permet une analyse plus fine.

Figure 60 : Conception des enseignants, classée en catégories, à l'évocation de "arômes des vins" par profil

Le déjà-là conceptuel des enseignants novices est marqué par la quasi absence de la notion de plaisir,
ce qui ne semble pas illogique. Pour ces enseignants, les arômes du vin sont des types d’arômes, des
qualificatifs et des origines. L’approche hédonique semble évitée pour empêcher une contamination
du savoir à enseigner. Voici, en guise d’exemple, la vignette de l’enseignant novice 10231 : fruité,
floral, minéral, vanillé, boisé.

Le déjà-là conceptuel des enseignants expérimentés est également dominé par les notions de type et
de qualité. Malgré leur expérience plus importante, ces enseignants ont aussi peu d’expertise que les
novices. Comme le montre, par exemple, cette vignette de l’enseignant expérimenté 40 : Animal,
Floral, Fruité, Séduisant, Ouvert/fermé.

Le déjà-là conceptuel des enseignants chevronnés laisse apparaître la notion de plaisir


majoritairement. Ces enseignants experts et expérimentés semblent « affranchis » du cadre
institutionnel (mais il ne faut pas généraliser) pour laisser apparaître la dimension hédonique liée

230
Voir le chapitre options notionnelles, le curriculum caché de l’AS : L’AS, le plaisir, le sujet, le vin
231
Il s’agit des cinq mots clés proposés par le novice n°10 de l’enquête

151
indubitablement aux arômes du vin. Par exemple, voici la vignette de l’enseignant chevronné 45 :
plaisir, découverte, enrichissement, mémoire sensorielle, jeu.

Le déjà-là conceptuel des quatre enseignants retenus pour l’étude se trouve en annexe papier n°5.

1.2.2. DL intentionnel des enseignants interrogés

Une analyse statistique permet de découvrir les principales intentions d’enseigner la PO des
enseignants sondés232.

Difficulté d’enseigner la PO

Cette partie aromatique de l’AS ne semble pas facile à enseigner.

Figure 61 : Difficulté d'enseignement de la PO

75 % des enseignants interrogés affirment que la partie olfactive de l’analyse sensorielle des vins est
difficile à enseigner.

232
Les données triées et les tableaux de codage concernant le DL intentionnel des enseignants se trouvent en annexes
numériques AN9 et AN11.

152
Figure 62 : Difficulté d'enseignement de la PO par profil

Globalement l’ensemble des enseignants trouve la PO difficile à enseigner. Cependant cette difficulté
semble un peu moins prégnante avec l’expérience et l’expertise.

Les quatre enseignants retenus pour l’étude considèrent que la PO est difficile à enseigner, leur
réponse est conforme à leur profil type.

Intention d’enseigner la PO

La question n°12 est une question ouverte : « De façon générale, que souhaitez-vous transmettre à
vos élèves ? ». Cette question participe de l’évaluation du DL intentionnel des enseignants.

Une lecture flottante (Bardin, 1977) des réponses permet de repérer des catégories récurrentes
suivantes :

1. commercialisation (accord mets et vins, vente) ;

2. plaisir (envie, passion) ;

3. méthodologie (vocabulaire spécifique, phases de l’AS) ;

4. découverte (goût, sens, développer la curiosité) ;

5. connaissances (types de vin, bases de l’œnologie, terroir, viticulture) ;

6. autres.

153
Figure 63 : Déjà-là intentionnel des enseignants sondés

Dans une vision globale, les enseignants privilégient l’approche commerciale de l’AS, ce qui fait
effectivement partie des programmes. Les notions de plaisir (faisant partie implicitement du
curriculum caché) et la méthodologie (présente dans les programmes) sont aussi souhaitées par de
nombreux enseignants.

Figure 64 : Déjà-là intentionnel des enseignants sondés par profil

Le déjà-là intentionnel des enseignants peu expérimentés interrogés (novices et débutants) semble
davantage marqué par la présence de la notion commerciale. L’enseignement s’adresse à de futurs

154
professionnels de la restauration dont une des principales missions est de vendre des prestations
comprenant le vin, comme indiqué dans les référentiels. C’est ce que confirme, par exemple, la
vignette de l’enseignant novice 5 : La connaissance des différents produits afin que les élèves soient
à l'aise face aux clients lors de la commercialisation des mets et des boissons. Ces enseignants peu
expérimentés accordent également une certaine importance à la méthodologie de l’analyse
sensorielle, cette notion est très présente dans les injonctions institutionnelles au travers du savoir à
enseigner. Ceci est visible, par exemple, dans la vignette du débutant 32 : Une bonne méthode de
dégustation et développer leur esprit d'analyse et de critique. Un enseignant novice et débutant sur
deux souhaite enseigner l’AS autour de la commercialisation et de la méthodologie. Ces deux
éléments semblent au centre de l’AS pour les enseignants en début de carrière.

Concernant les enseignants chevronnés, c’est le plaisir qu’ils souhaitent transmettre en priorité à
leurs élèves. C’est particulièrement présent dans la vignette de l’enseignant chevronné 71 : La
passion, l'envie, le plaisir.

À noter qu’un seul enseignant évoque l’alcool du vin et ses dangers, c’est le novice 117 : Les mettre
en garde également liés au danger de la consommation.

Le déjà-là intentionnel détaillé des quatre enseignants retenus pour l’étude se trouve en annexe
papier n°5. À noter, pour les grandes tendances, que Jérémy met en avant l’aspect
« méthodologique » (conforme au profil type des novices), Nadia met en avant l’aspect
« commercialisation » (conforme au profil type des débutants), Philibert met en avant l’aspect
« méthodologique » (ce qui est plutôt conforme au profil type des expérimentés non-spécialistes) et
Christian met plutôt en avant l’aspect « commercialisation » (ce qui n’est pas conforme au profil type
des chevronnés qui valorisent plutôt l’aspect « plaisir »).

1.2.3. Un DL sensoriel chez les enseignants interrogés233

Le DL sensoriel est une approche personnelle sur le terrain du « sensible » concernant la PO. Grâce à
la validation (ou l’invalidation) de plusieurs affirmations234, les enseignants se situent intimement par
rapport à leur sens de l’olfaction, de la perception (le sentir) et de la communication (le dire).

233
Cette notion est particulièrement développée dans le chapitre 5.
234
Les données triées concernant le DL sensoriel se trouvent en annexes numériques AN12.

155
Figure 65 : Déclaration de la sensibilité aux odeurs des enseignants

La sensibilité olfactive correspond à la capacité à percevoir les odeurs. Sept enseignants (6 % des
sondés) seulement se jugent peu ou pas du tout sensibles aux odeurs (ils ont répondu plutôt pas
d’accord et pas du tout d’accord). Ils sont peut-être atteints d’anosmie235 (totale ou sélective).
Toutefois la majorité des enseignants se dit sensible. Les enseignants chevronnés se considèrent
particulièrement à l’aise dans la perception.

Les quatre enseignants retenus pour l’étude figurent dans le graphique grâce au codage suivant : J
pour Jérémy, N pour Nadia, P pour Philibert et C pour Christian. Nous notons que seul Christian
n’est pas dans la tendance de son profil type.

235
Diminution ou perte complète de l'odorat (2018 Dictionnaires Le Robert - Le Petit Robert de la langue française).

156
Figure 66 : Déclaration de la capacité d’identifier les odeurs par les enseignants

Il s’agit de la capacité à identifier et à nommer les odeurs après leur perception. 27 enseignants (soit
22 % des sondés) pensent éprouver des difficultés dans cette compétence (ils ont répondu plutôt pas
d’accord et pas du tout d’accord). C’est l’expertise qui semble limiter ces difficultés puisque ce sont
les débutants et les chevronnés qui s’en plaignent le moins. Les enseignants ayant une certaine
expertise se sentent davantage capable d’identifier une odeur. Les quatre enseignants de l’étude
(figurant sur le graphique grâce à leur initiale) semblent en accord avec leur profil type sauf Philibert.

Figure 67 : Déclaration de la mémorisation des odeurs par les enseignants

157
Il s’agit de la capacité à stocker l’odeur236 et son nom dans l’objectif de la retrouver dans une AS de
vin notamment. 20 enseignants (soit 16 % des sondés) se sentent en difficulté dans cette compétence
(ils ont répondu plutôt pas d’accord et pas du tout d’accord). Là aussi les chevronnés se disent plus
compétents que les autres profils du panel. Les quatre enseignants de l’étude semblent en accord
avec leur profil type sauf Philibert.

Figure 68 : Déclaration de la capacité de description des odeurs par les enseignants

Il s’agit de la capacité à qualifier l’odeur perçue et identifiée, en termes de qualité, d’intensité, de


finesse. 30 enseignants (soit 25 % des personnes interrogés) pensent éprouver des difficultés dans
cette compétence (ils ont répondu plutôt pas d’accord et pas du tout d’accord). L’expertise aide les
enseignants dans cette démarche, les débutants et les chevronnés déclarent y parvenir davantage que
les autres enseignants. Grâce à leur formation à l’AS et leur pratique de l’AS, ils se sentent munis de
cette compétence. Là aussi les quatre enseignants de l’étude semblent en accord avec leur profil type
sauf Philibert.

236
La mémoire olfactive est très stable dans le temps par rapport aux mémoires visuelles et auditives, comme indiqué
dans le chapitre 1.

158
Figure 69 : Déclaration de l'attrait de l'identification des odeurs par les enseignants

La démarche d’identification des odeurs est une phase incontournable de l’AS. Cette quête procure
du plaisir à la majorité des enseignants du domaine même si ce sont surtout les chevronnés qui sont
unanimes sur ce point. 13 enseignants (10 %) seulement parmi les novices, les débutants et les
expérimentés disent ne pas éprouver de plaisir dans la recherche du nom d’une odeur durant l’AS. Il
est donc intéressant de noter que même si la majorité des enseignants trouvent l’enseignement de la
PO difficile, ils déclarent aussi massivement aimer la quête de l’identification des odeurs. Les quatre
enseignants de notre étude sont dans la tendance de leur profil type.

1.2.4. Pour résumer…

L’enquête exploratoire permet d’appréhender le terrain d’étude des enseignants qui ont en charge
l’enseignement de l’AS dans les lycées professionnels et technologiques en hôtellerie-restauration.

Ces enseignants appartiennent à quatre profils contrastés quant à leur expérience et leur expertise :
novices, débutants, expérimentés non-spécialistes et chevronnés. Tous les enseignants sont
convaincus de l’importance de la PO. Ils sont unanimes pour convenir que la PO est difficile à
enseigner. La plupart d’entre eux se considère en capacité de percevoir, identifier, mémoriser et
parler des odeurs, une majorité déclare même y prendre du plaisir.

159
2. Analyse et construction des cas

L’analyse du questionnaire exploratoire nous permet de sélectionner, parmi les volontaires, quatre
enseignants collaborateurs qui appartiennent à chacun des profils représentatifs des enseignants du
domaine. Cette partie deux présente l’analyse et la construction des cas de Philibert (expérimenté
non-spécialiste), de Nadia (débutante), de Christian (chevronné) et de Jérémy (novice). Les réponses
au questionnaire exploratoire de ces quatre enseignants sélectionnés permettent de les situer parmi
l’ensemble des personnes interrogées dans les graphiques présents en annexe papier n°5.

160
2.1. Philibert : « Comme je peux ».

D’après notre « classification »237, Philibert est un enseignant expérimenté dans l’enseignement et
non-spécialiste de l’analyse sensorielle des vins.

2.1.1. Présentation et analyse diachronique du cas

Les données collectées contribuent à la construction et à la présentation du cas Philibert. Elles sont
produites par trois entretiens et une observation de classe : un entretien ante séance de « déjà-là »
(DL), l’observation d’une leçon « l’épreuve » (EP), un entretien post à chaud et un entretien post
« d’après-coup » (AC).

Figure 70 : Rappel de la chronologie de la collecte des données pour Philibert

En demandant à Philibert comment il enseigne la PO, sa réponse est : « comme je peux ». Cette
formule238 est encore une énigme, les éléments suivants vont l’éclairer.

2.1.1.1. Le déjà-là décisionnel

Le déjà-là décisionnel de Philibert est reconstruit grâce à un codage239 et un traitement de la


transcription de l’entretien de déjà-là240. Il associe un volet expérientiel (ensemble des expériences
professionnelles et personnelles), un volet conceptuel (c’est le pôle cognitif, ensemble des croyances,
représentations, valeurs et conceptions) et un volet intentionnel (c’est le pôle conatif, réseau
d’intentions didactiques et d’éducation). Le déjà-là sensoriel est la partie du déjà-là décisionnel qui

237
Pour plus de précisions, consulter les chapitres précédents et notamment l’analyse du questionnaire exploratoire
238
La formule est un choix du chercheur comme indiqué dans les options méthodologiques.
239
Ce document est le tableau repérant et classifiant toutes les facettes du déjà-là de l’enseignant dans le verbatim de
l’entretien ante de déjà-là. Il est disponible en annexe papier n°17.
240
Le verbatim de l’entretien se trouve dans l’annexe papier n°13.

161
concerne spécifiquement l’objet d’enseignement, ici l’analyse sensorielle des vins, dont la partie
olfactive. Ce déjà-là sensoriel est présenté et détaillé dans la partie discussion des résultats de la
thèse.

a) Déjà-là expérientiel

Le déjà-là expérientiel de l’enseignant est composé de ses expériences professionnelles (dans


l’hôtellerie-restauration et dans l’enseignement), de ses expériences dans le domaine du savoir à
enseigner (en sommellerie et en analyse sensorielle des vins) et de ses compétences olfactives
personnelles.

Philibert a suivi des études en hôtellerie-restauration. Il a assuré des vacations, en remplacement d’un
enseignant titulaire, dans un lycée hôtelier puis après l’obtention du concours241 de l’Éducation
nationale, il est enseignant depuis plus de dix-huit ans dans le domaine. Philibert a toujours vécu
dans le milieu de la restauration, il est issu d’une famille d’hôteliers restaurateurs de plusieurs
générations. Il était d’ailleurs promis à la reprise de l’entreprise familiale. Il a eu plusieurs
expériences professionnelles dans différents hôtels, restaurants et palaces. Philibert se sent proche du
métier : « j’avais cette fibre en moi de formation hôtelière (…) je suis un professionnel dans l’âme ».

Philibert n’a pas d’expérience dans le domaine de la sommellerie. Il indique avoir fait seulement un
stage chez un caviste pour travailler les notions d’accords mets et vins durant sa formation initiale à
l’IUFM. Philibert considère qu’il a peu d’expériences en analyse sensorielle des vins : « non
franchement non » et il trouve sa formation personnelle initiale insuffisante : « on n’a pas été formé
en dégustation de vin moi j’ai fait avec mon expérience (…) c’est juste une sensibilisation que j’ai ».
Il estime ne pas avoir de compétence particulière dans le domaine olfactif de l’analyse sensorielle, il
indique faire : « comme je peux, avec mes sensations personnelles, avec mon passé, avec mon vécu ».

Synthèse du déjà-là expérientiel : Philibert est un professionnel de la restauration « dans l’âme »,


c’est un enseignant expérimenté. Il se déclare non-spécialiste de l’AS des vins et sans compétence
olfactive particulière. Il dit enseigner la PO « comme je peux ».

241
CAPLP : Concours d'Accès au corps des Professeurs de Lycée Professionnel, sources : [en ligne] disponible sur :
http://www.devenirenseignant.gouv.fr consulté le 28/02/18

162
b) Déjà-là conceptuel

Le déjà-là conceptuel réunit les représentations, les croyances, les valeurs de l’enseignant concernant
l’enseignement en général, l’enseignement technique et professionnel, l’analyse sensorielle et la
partie olfactive de l’analyse sensorielle en particulier.

Philibert estime que le métier d’enseignant comporte de moins en moins de pédagogie laissant
apparaître d’autres fonctions périphériques : « au lieu de faire 90 % de pédagogie on se retrouve en
train de faire 60 % de social, 20 % d’administratif ». Cette évolution des tâches de l’enseignant le
peine : « je me trouve un petit peu pas aigri mais un petit peu désabusé ». L’enseignant trouve que
son public est en difficulté : « avec ce contexte (…) social, de difficultés des élèves, on doit travailler
beaucoup le social » et que cela complexifie le travail de l’enseignant : « les jeunes ça évolue, ça
devient compliqué (…) disons difficile quoi (…) c’est difficile, c’est super difficile » ajouté à cela « ce
manque de motivation (…) on a des élèves pas tous motivés, d’un niveau social difficile ». Philibert
indique apprécier son métier : « j’aime transmettre (...) la théorie d’un produit la connaissance d’un
produit (...) le côté vécu ». Il est conscient que sa mission évolue de la transmission d’un savoir-faire
brut : « je ne privilégie plus le geste, la performance technique » vers une place grandissante du
savoir-être : « le relationnel qui je pense est le plus intéressant » dans lequel les élèves doivent
s’épanouir psychologiquement242 : « et encore plus important (…) à travers un rayonnement, à
travers un bon esprit voilà le côté aisance ». Philibert pense privilégier la dimension de la
valorisation commerciale du métier : « je pense que ce qui est intéressant pour l’élève c’est le côté
commercial c’est (…) relationnel avec le client ».

Cette approche commerciale prend toute sa dimension dans les objectifs principaux de l’analyse
sensorielle des vins pour Philibert : « en tant que professionnel c’est dans le but de vendre un vin et
de l’accorder avec le plat choisi par le client, dans le but de commercialiser ». L’approche
hédonique243 est omniprésente pour Philibert dans cet enseignement : « déguster un vin c’est une
notion de plaisir donc la dégustation c’est aussi une notion de plaisir (…) Mais le but c’est de se
faire plaisir moi je vois beaucoup de plaisir dans la dégustation ». Le terme « plaisir » est cité à huit
reprises durant l’entretien à propos de la dégustation ou de l’analyse sensorielle des vins.

Philibert indique que l’analyse sensorielle des vins : « doit (…) répondre à une certaine (…)
démarche (…) il y a tout un protocole ». L’enseignant fait ici référence aux phases chronologiques de

242
(Opposé à physiquement) Mentalement, moralement. D’après le Petit Robert de la langue française [en ligne] consulté
le 28/02/18
243
Qui se rapporte à l'hédonisme, à la recherche du plaisir, selon CNRTL.

163
l’AS, l’approche visuelle, puis olfactive et enfin gustative. Philibert souhaite accorder une place de
choix à la phase aromatique : « le nez c’est extrêmement important quoi, extrêmement important ».
Pour définir la partie olfactive de l’AS, il évoque spontanément : « Alors un mot juste, (…)
complexité, complexité ». Il est persuadé de cette qualité : « au niveau aromatique, le vin c’est le
produit le plus complexe [en insistant sur chaque syllabe] au monde au niveau des senteurs, de
l’olfaction ». Il place même le vin au-dessus des eaux de toilette : « c’est beaucoup plus complexe
qu’un parfum (…) c’est extrêmement complexe la fragrance (…) c’est plus complexe que ça encore
le vin (…) les senteurs, l’olfaction c’est beaucoup plus complexe que votre parfum ». L’enseignant
évoque le syndrome proustien associant très fortement la PO avec la mémoire contextuelle et
l’éducation enfantine : « tu sais quand la grand-mère elle faisait un petit plat ça sent la lavande, ça
sent la cannelle, ça sent les épices aussi, ça sent (il renifle) » mais il est plutôt dubitatif sur l’intérêt
porté par ses élèves sur ce sujet et sur leur apprentissage sensoriel initial : « est-ce qu’ils sont
intéressés, est-ce qu’ils ont une éducation déjà ? ». L’enseignant conscient de ces lacunes compte y
pallier : « toi tu te rappelles cette odeur de chez toi quand ça sentait mais maintenant tu n’as plus
rien de tout ça alors il te faut le retravailler ».

Synthèse du déjà-là conceptuel : pour Philibert sa mission d’enseignant a évolué vers une approche
sociale et administrative au détriment de la transmission des savoirs. Pour lui, l’AS passe par une
démarche méthodologique et est fortement associée à la notion de plaisir. Il considère que la PO est
importante et complexe244, dans le double sens de vaste et de difficile à enseigner. Il juge ces élèves
en difficulté. Ils n’ont pas, d’après lui, les repères nécessaires dans leur éducation familiale.

c) Déjà-là intentionnel

Le déjà-là intentionnel rassemble les intentions de l’enseignant : intentions éducatives d’enseigner en


général, intentions didactiques d’enseigner l’analyse sensorielle et intentions d’enseigner la partie
olfactive de l’analyse sensorielle en particulier. Selon Loizon, (2013) la temporalité du DL
intentionnel va du plus général au plus spécifique.

Philibert souhaite que ses élèves obtiennent leur diplôme ou valide, à minima, un niveau d’étude :
« qu’ils arrivent au bout pour décrocher au moins un niveau bac pro » et qu’ils puissent travailler
dans le domaine qu’ils ont sélectionné et qu’ils apprécient : « ils ont choisi ce métier et bien j’espère
que c’est ce qu’ils aimeront faire plus tard ».

244
Sens n°1 : qui contient, qui réunit plusieurs éléments différents. Sens n°2 : difficile, à cause de sa complexité.
Sources : Le Petit Robert de la langue française [en ligne] consulté le 28/02/18

164
Il considère que de nombreuses compétences importantes se jouent durant leur formation hôtelière :
« ils ont appris avec nous (…) le respect, la rigueur, l’éducation, l’assiduité, l’intégrité (…) de
travailler ensemble, de se respecter, travailler en groupe ». Philibert est persuadé que dans ce type
de lycée (dont le sien) sont transmises des notions primordiales : « l’école hôtelière, on le dit, c’est
une école de la vie ».

Pour enseigner l’AS Philibert doit lutter contre les idées fausses sur le vin et les réserves des élèves :
« il y a beaucoup de réticences là-dessus, j’aime pas le vin, ça ne m’intéresse pas (…) il faut éviter
ces a priori » ; pour mener à bien son projet, il compte sur le développement d’un apprentissage sur
le long terme : « tu aimes ou (…) tu n’aimes pas, tu es un peu jeune, mais ça s’apprend, c’est long,
c’est un apprentissage ». Le produit vin est complexe et sa connaissance ne va pas de soi, Philibert
indique pourtant que son enseignement est important : « car le vin c’est un produit noble, c’est la
vigne, ça a une histoire (…) il y a une histoire derrière (…) donc il faut travailler tout ça, tu te rends
compte le travail qu’il faut faire là-dessus ».

Philibert déplore le manque d’éducation au « savoir-boire245 » de ses élèves (Simmonet-Toussaint,


2006) : « vous n’avez pas cette éducation à l’alcool et ça c’est extrêmement important ». Cette
éducation se réalisait avant dans le cercle familial : « autrefois c’était le père qui expliquait à l’enfant
à boire, à consommer l’alcool » il insiste sur le rôle central du père : « autrefois (…) le père il avait
sa bouteille de rouge ». L’apprentissage de la dégustation du vin se faisait par cette figure
paternelle : « qui expliquait à l’enfant à boire, à consommer l’alcool, à monter en état d’ébriété,
d’abord c’était du vin avec un petit peu d’eau après on diminuait l’eau, on apprenait comme ça à
déguster le vin ». Lors de l’entretien de DL, Philibert n’évoque pas directement son père et ne parle
pas non plus de l’éducation de ses enfants. Lorsqu’il est questionné sur ce point, dans l’entretien
d’AC, il passe rapidement sur cet aspect personnel et semble l’éviter, sans donner plus de précision.

L’enseignant exprime que l’abandon de cette éducation par les parents peut occasionner un rapport
particulier entre les jeunes et l’alcool : « maintenant ça n’existe pas, c’est vous qui consommez
l’alcool de suite, très fort, très vite, mal et vous n’avez pas cette éducation à l’alcool ». Philibert
exprime probablement là une crainte et une frustration.

Philibert semble désireux d’assumer ce rôle d’initiateur du père : « c’est nous qui devons (…) vous
apprendre ça ». Pour mener à bien cet objectif, il commence toujours par mener une AS comparative

245
Le « savoir-boire » des jeunes correspond à leur habitude de consommation de boissons alcoolisées. Céline
Simmonet-Toussaint indique que le « savoir-boire » est l’objet de nombreuses études. Ce thème est traité dans le
chapitre 1.

165
de deux vins très contrastés : « je pars toujours de l’approche d’une dégustation d’un vin par la
dégustation comparative : je pars avec un rouge léger, un rouge corsé, un vin blanc sec et un vin
blanc moelleux ». Cette approche, présente à la fois dans son DL expérientiel et intentionnel, lui
permet d’évoquer les phases chronologiques de l’AS : « les phases de la dégustation, les trois
phases, la vue, l’odorat et le goût ». Philibert se sert de l’AS pour développer l’approche
commerciale, pour passer du « sentir » au « dire » (Alvarez, 2017) : « je les fais goûter, parler »,
mais il constate que la communication est plutôt difficile à faire aboutir : « c’est vachement difficile
la communication » même si l’objectif principal est de produire une valorisation commerciale du
produit pour le présenter aux clients du restaurant : « ce vin qu’est-ce qu’il a de bien, un petit mot
pour le vendre, parce qu’on l’a dégusté ».

Quand il s’agit d’enseigner spécifiquement la PO, Philibert signale qu’il ne se sent pas à l’aise : « ’il
faudrait que je me perfectionne un peu (…) par rapport à cette phase olfactive c’est plutôt à moi
d’être un peu plus (…) perspicace là-dessus (…) c’est vrai que l’olfaction c’est difficile, là-dessus
c’est extrêmement complexe ». Philibert manifeste ses difficultés à transmettre les messages dans ce
domaine : « c’est une complexité et c’est vrai souvent je n’arrive pas bien à faire passer (…) j’ai
quelques difficultés là-dessus ».

Il juge son enseignement insuffisant et sa façon d’aborder la PO trop succincte : « je fais avec ce que
j’ai (…) mais ça reste très très simple (…) je suis très léger là-dessus (…) je suis très sommaire là-
dessus (…) c’est excessivement simple (…) ça reste très très sommaire je ne vais pas dans le détail
(…) je pourrais aller beaucoup plus loin (…) je vais pas très loin ». Philibert aimerait être plus
performant sur ce sujet, il manifeste, là aussi, une frustration. Il juge même que ses techniques
pédagogiques ne sont pas très académiques : « c’est un peu du bricolage (…) après concrètement
voilà ça reste un petit peu du bricolage » il exprime ne pas avoir les éléments pour enseigner
correctement : « on n’a pas forcément les outils (…) mais souvent ça manque un peu de vécu et de
recul ».

166
Synthèse du déjà-là intentionnel : Philibert, dans son enseignement, vise l’obtention d’un diplôme
pour ses élèves mais aussi les valeurs de ce qu’il appelle « l’école de la vie ». Concernant l’AS, il dit
lutter contre les réticences des élèves vis à vis du vin et tente même de remplacer la figure centrale
du père dans l’éducation au savoir-boire. Philibert déclare ne pas être à l’aise avec la PO, il se dit en
difficulté pour transmettre ce thème, il juge son enseignement insuffisant, il ne se trouve pas à la
hauteur. Il ne donne pas d’indication sur la façon qu’il compte utiliser pour transmettre le plaisir qu’il
associe pourtant à l’AS. Philibert montre le désir de se substituer au père même s’il est conscient de
ses limites dans le domaine.

2.1.1.2. L’Épreuve

L’épreuve est analysée à partir d’un syllabus246. La grille de lecture de l’épreuve s’attache à décrire
la chronogenèse, les moments didactiques, les interactions verbales, les outils mobilisés, les
déplacements de l’enseignant, la proxémie et la conformité des activités des élèves aux attendus de
l’enseignant.

246
Le syllabus est le tableau de condensation de différents éléments observés durant la leçon grâce au filmage et à la
transcription du verbatim. Le syllabus de la leçon de Philibert se trouve en annexe papier n°22.

167
Présentation des éléments matériels et humains du milieu didactique247

Salle de classe classique, disposition en « salle de classe », plusieurs tables de 2 élèves

Rétroprojection sur la partie Utilisation du tableau blanc


gauche du tableau blanc (1/4 sur la partie droite, pour la
du tableau) de 2 fiches d’AS présentation des étiquettes
vierges (cadre, méthodologie des vins analysés par les
et proposition de termes) côte élèves (type de vin,
à côte en format portrait appellations, domaines,
cépages, millésimes)

Classe de terminale Bac Pro en demi-groupe, 5 élèves sont présents (4 sont visibles sur la
vidéo)
Chaque élève dispose devant lui d’une fiche de dégustation double, préremplie, à compléter
(la même que celle qui est projetée), 2 verres (un verre à vin et un verre INAO248) 1 gobelet
d’eau et un crachoir pour 2 ou 3 élèves

a) Chronogenèse

La chronogenèse est la temporalité de la relation didactique. C'est la description du savoir enseigné et


son évolution dans le temps.

La leçon donnée à voir par Philibert dure 18 minutes et 45 secondes. La vidéo se coupe avant la fin
de la leçon, probablement pour une raison technique (fin de la batterie ou problème de stockage des
données). L’enseignant conduit, avec ses élèves, une analyse sensorielle comparative de deux vins
rouges, un vin rouge léger (une AOP249 Gaillac) et un vin rouge corsé (une AOP Madiran). La séance
se divise en quatre parties qui correspondent aux trois parties chronologiques de l’AS (phase visuelle,
phase olfactive et phase gustative) suivies d’une synthèse générale. Pour chacune des trois premières
parties, Philibert commence par faire un rappel méthodologique puis il met en pratique l’AS avec les
élèves, sur les deux vins prévus. Il co-construit ensuite avec les élèves une synthèse de l’AS de
chaque produit. La durée de chacune des parties de la leçon se répartit de la façon suivante :

247
Le milieu didactique est ce avec quoi ou contre quoi les élèves agissent (Brousseau, 1990).
248
Le verre INAO (Institut National des Appellations d’Origines) est un verre à pied normalisé pour conduire les
analyses sensorielles des vins.
249
Appellation d’Origine Protégée

168
Tableau 25 : durées des différentes parties de la leçon de Philibert

Parties de la leçon Durée de chaque partie % de la leçon


Phase visuelle de l’AS 6 min 39 s 35 %
Phase olfactive de l’AS 3 min 51 s 21 %
Phase gustative de l’AS 6 min 41 s 35 %
Synthèse générale (vidéo interrompue)250 (1 min 34 s) (9 %)
Durée totale 18 min 45 s 100 %
Ce sont les phases visuelle et gustative qui prennent le plus de temps durant la leçon de Philibert. La
phase olfactive a une durée plus courte que toutes les autres parties. Elle représente un cinquième de
la leçon totale et, environ, la moitié de la phase visuelle ou gustative.

b) Moments didactiques

Les quatre moments didactiques251 sont : définir, dévoluer, réguler et institutionnaliser. Lors du
moment « définir », l'enseignant transmet des règles que les élèves doivent comprendre pour
s'engager dans l'activité ; lors du moment « dévoluer », les élèves assument la responsabilité
d'affronter un problème en autonomie ; lors du moment « réguler », l'enseignant influe sur la
stratégie des élèves et lors du moment « institutionnaliser », l’enseignant reconnaît et fixe les
comportements légitimes adéquats à la situation. Le repérage des moments didactiques de la leçon se
trouve dans le syllabus en annexe numérique.

Tableau 26 : durées des moments didactiques dans la leçon de Philibert

Moments didactiques Durée de chaque partie % de la leçon


Définir 7 min 0 s 37 %
Dévoluer X 0%
Réguler X 0%
Institutionnaliser 11 min 45 s 63 %
Durée totale 18 min 45 s 100 %
Durant sa leçon, Philibert ne mobilise ni la dévolution ni la régulation. Il conduit la séance
uniquement en définissant, pour un tiers du temps et en institutionnalisant pour les deux tiers du

250
Cette partie, visiblement écourtée sur la vidéo pour des raisons techniques, doit durer plus longtemps dans la réalité,
nous choisissons de ne pas tenir compte de celle-ci dans la répartition car elle ne semble pas représentative de la réalité.
De plus Philibert précise, dans l’entretien post à chaud (consécutif à la leçon), qu’il ne manque que quelques minutes de
sa leçon sur la vidéo.
251
Selon la « théorie des situations didactiques » et la « Théorie de l'action conjointe en didactique » Sensevy et Mercier,
2007

169
temps. Pourtant Philibert avait organisé le milieu didactique pour dévoluer la mise en pratique de
l’AS à ses élèves en régulant le moment venu. Ce point sera repris dans l’AC.

c) Interactions verbales

Les interactions verbales concernent les échanges avec les élèves. Le comptage se fait à chaque fois
qu’un ou plusieurs élèves prennent la parole pour répondre à une sollicitation de l’enseignant ou de
façon spontanée.

Tableau 27 : répartition des interactions durant les parties de la leçon de Philibert

Parties de la leçon Nombre d’interactions % de la leçon


Phase visuelle de l’AS 16 27 %
Phase olfactive de l’AS 10 17 %
Phase gustative de l’AS 23 38 %
Synthèse générale (vidéo interrompue)252 (11) (18 %)
Durée totale 60 100 %
C’est lors de la partie olfactive que les interactions avec les élèves sont les moins nombreuses. Les
élèves participent moins durant cette partie de la leçon. C’est durant la partie gustative que les
échanges verbaux sont les plus nombreux.

Les interactions de la leçon font partie d’un cours dialogué (Veyrunes, 2008). Philibert initie une
question (initiation), les élèves répondent (réaction des élèves) et l’enseignant évalue (réaction de
l’enseignant). Deux interactions sont particulièrement remarquables dans la leçon de Philibert.

Tout d’abord, Philibert cherche à susciter chez les élèves la description comparative de l’intensité
aromatique des deux vins : « l’intensité maintenant (…) en comparant les deux ». Un élève propose :
« plutôt moyenne pour le léger et forte pour le corsé » ce à quoi Philibert répond : « Très bien
moyenne et puissante ou faible et moyenne on voit qu’il y a un même degré ». Dans un premier
temps, l'enseignant reformule en remplaçant « forte » par « puissante », terme plus adapté pour la
description d'une intensité aromatique importante, il rectifie en mobilisant le savoir. Dans un
deuxième temps, l'enseignant introduit une alternative maintenant la différence d'intensité entre les
deux vins mais ne stabilise pas la proposition de l'élève dans l'échelle de l'intensité. Ce faisant,
l'enseignant introduit un doute, une incertitude. Il semblerait que l’enseignant ait du mal, ici, à
trancher, sa distance au savoir semble lui poser problème.

252
Dans cette partie, visiblement écourtée sur la vidéo pour des raisons techniques, nous choisissons de ne pas tenir
compte de celle-ci dans la répartition car elle ne semble pas représentative de la réalité.

170
Philibert questionne ensuite les élèves sur la synthèse de la PO comparative : « conclusion comment
on pourrait conclure ici en prenant quelques mots », un élève propose : « vin franc », Philibert
répond alors : « Vin fruité élégant simple et nous on dira sans défaut il n’y a pas de gêne
particulière ». L’élève convoque seulement le terme « franc », ce qui est très en deçà des apports de
Philibert concernant la PO. Cependant l'enseignant ne relève pas, ne confirme pas mais n'infirme pas
non plus. Il préfère proposer lui-même directement la partie conclusion (qui doit reprendre les
principaux éléments retenus au préalable). Il stoppe le cours dialogué en énonçant lui-même
l’institutionnalisation : « Vin fruité élégant simple et nous on dira sans défaut », qui s’appuyait
d’ailleurs sur une pseudo-dévolution.

d) Analyse lexicale

Il s’agit de l’analyse lexicale du discours de l’enseignant comme indicateur, entre autres, de la


marque de l’expertise (Carnus, 2008). Le discours de la PO est isolé dans le verbatim complet, les
termes spécifiques et techniques sont étudiés. Ces termes retenus sont les mots qui concernent
directement la PO dans les paroles de l’enseignant.

171
Figure 71 : Unités terminologiques de la PO dans le discours de Philibert

Ce nuage de mots est constitué grâce aux unités terminologiques de la PO du discours de Philibert.
Plus les mots sont cités et plus leur représentation est importante dans le schéma. Ainsi l’occurrence
« nez » est mentionnée à 5 reprises, « sent » 4 fois, « fruit » 4 fois et « fruité » 4 fois. Il paraît logique
de penser que l’enseignant mobilise l’organe sensoriel « nez » et le verbe « sentir » dans le cadre de
la PO. L’utilisation importante des descripteurs « fruit » et « fruité » est le signe d’une approche
plutôt simple, réductrice, indiquant un manque d’expertise.

172
Figure 72 : Répartition des unités terminologiques du discours de Philibert dans les champs de la PO

Les unités terminologiques de la PO utilisées par Philibert peuvent être réparties en différents
champs selon la littérature253. Philibert énonce majoritairement des termes décrivant la complexité
aromatique et la qualité aromatique de la PO. Les perspectives de services sont aussi évoquées alors
que la partie méthodologique est la moins représentée. Cela vient corroborer la moindre expertise de
Philibert dans le domaine. Philibert est l’enseignant qui développe le plus la partie de la qualité
aromatique, phase dans laquelle il semble le plus à l’aise en évoquant les accords mets et vins
comme le montre l’extrait ci-dessous :

« Philibert : La qualité ?
Élève : banale
Philibert : oui banale simple banale
Élève : rustique
Philibert : et là on a le côté un peu rustique, un peu terroir, ces vins très authentiques, on
retrouve un petit peu cette notion de du cru, du terroir, que l’on pourra associer, on en
parlera toute à l’heure, avec des plats très locaux »

253
Le détail des différents champs évoqués se trouve dans la partie méthodologique.

173
La densité du discours de la PO254 est de 9 %255, ce qui est plutôt bas256, tout comme les autres cas de
l’étude257. Le discours de l’enseignant est peu dense, il étaye son discours. Il semble compenser son
impression de moindre expertise par l’usage de la fiche technique de l’AS qui reste projetée au
tableau :

« on est sur des notes boisées un peu plus complexes, très bien, boisée mais on a le fruit
aussi, [il montre la fiche technique projetée sur le tableau blanc] mais il est un peu plus réduit
(euh) un peu plus concentré »
La technicité du discours de la PO258 est égale à 0 % puisque Philibert ne mobilise aucune unité
terminologique exclusive.

e) Outils mobilisés

Les outils utilisés par l’enseignant sont des outils matériels (manuel…) et symboliques (gestuelle,
langage…) (Brousseau, 1998). Philibert mobilise différents outils physiques durant la leçon : (1) le
tableau sur lequel il écrit les informations concernant les deux vins supports de l’AS (ces
informations restent visibles durant toute la séance), (2) la projection de fiches d’AS vierges avec
termes descripteurs grâce à un rétroprojecteur (qui reste allumé durant toute la séance), (3) les deux
verres remplis des deux vins. Il mobilise aussi des outils psychologiques puisqu’il (4) parle en
continu durant la séance. Il use enfin d’outils symboliques car il mène de nombreuses (5)
démonstrations pour dérouler les gestes de l’AS. La mobilisation de nombreux objets ostensifs
(Bosch, Chevallard, 1999), donne une assez grande épaisseur ostensive à sa leçon. Chevallard parle
d’épaisseur ostensive : « (qui) évolue toujours entre différents registres articulés de manière
complexe » (1999, p.103).

f) Déplacements

Les déplacements de l’enseignant dans la classe durant la leçon filmée (l’épreuve) sont représentés
de façon graphique. Les locogramme (Parlebas, 1981) permettent de matérialiser les déplacements de

254
Rappel : la densité du discours de la PO = (unités terminologiques de la PO / termes totaux du discours de la PO) x
100
255
Il n’existe pas d’échelle normée dans la littérature concernant la densité du discours. Cet indice est un indicateur.
256
Ce qui est bas dans l’absolu, en considérant qu’un indice de 50 %, par exemple, correspondrait à un discours à moitié
composé d’unités terminologiques de la PO et à moitié de termes communs.
257
Cette comparaison est reprise dans la partie rapprochement des cas
258
Rappel : la technicité du discours de la PO = (unités terminologiques exclusives de la PO / unités terminologique de la
PO) x 100

174
Philibert dans sa classe. La leçon est divisée en plusieurs parties suivant la chronogenèse259. Le plan
n°1 correspond à la phase visuelle de l’AS, le plan n°2 à la phase olfactive et le plan n°3 à la phase
gustative et à la synthèse. Le plan n°2, point central de ce travail de recherche est présenté ci-
dessous.

Tableau 28 : locogramme de la phase olfactive de la leçon de Philibert

Éléments de compréhension Plan n°2 : phase olfactive

Présentation de la partie olfactive des


éléments de la fiche technique d’analyse
sensorielle vierge projetée au tableau

Manipulation des 2 verres de vins posés sur


la table de l’enseignant

Les déplacements de l’enseignant se concentrent exclusivement entre son bureau, le tableau


blanc et la projection. Ils sont nombreux et courts. L’enseignant réalise les gestes professionnels de la
partie olfactive de l’AS en manipulant ses verres de vin posés sur sa table. Puis il montre directement
les éléments de la fiche technique projetés au tableau et les caractéristiques de l’étiquette du vin
marqués sur le tableau blanc. L’enseignant s’arrête plus souvent et plus longtemps devant le tableau.
Il ne se déplace jamais parmi les élèves durant cette partie de la leçon.

Ce qui n’est pas tout à fait le cas durant la phase visuelle schématisée ci-dessous.

259
Voir syllabus détaillé en annexe papier n°22 pour les repères chronométriques précis

175
Tableau 29 : locogramme de la phase visuelle de la leçon de Philibert

Éléments de compréhension Plan n°1 : phase visuelle

Les moments où Philibert se rapproche des


élèves concernent la distribution de feuilles
de papier blanc pour constituer un fond
neutre pour évaluer la couleur des vins par
transparence lors de la phase visuelle de
l’AS.

La phase gustative est également différente comme le montre le schéma suivant.

Tableau 30 : locogramme de la phase gustative de la leçon de Philibert

Éléments de compréhension Plan n°3 : phase gustative

Les moments où Philibert se rapproche des


élèves concernent l’utilisation des crachoirs
posés sur la table des élèves du premier rang
en face de la table de l’enseignant

g) Proxémie

Selon E. Hall « La dimension cachée » (1971), la proxémie distingue 4 distances dans les relations
sociales : intime : de 0 à 40 cm, personnelle : de 45 à 125 cm, sociale : de 120 à 330 cm et publique :
au-delà de 360 cm.

176
Durant l’épreuve, Philibert reste majoritairement à distance sociale de ses élèves. À deux reprises
seulement il est à une distance personnelle des élèves. Pour leur distribuer une feuille blanche durant
la partie visuelle et pour accéder au crachoir d’un élève durant la partie gustative. Il reste
exclusivement à distance sociale durant la PO. Est-il possible d’associer cette distance proxémique
avec sa propre distance au savoir ?

h) Activités des élèves

Dans le syllabus, les activités des élèves sont repérées par rapport à leur conformité avec les
moments didactiques de l’enseignant. Toutes les activités des élèves de Philibert sont conformes. En
effet quand l’enseignant est dans un moment de définition, les élèves écoutent, lorsqu’il est dans un
moment d’institutionnalisation les élèves répondent aux questions et prennent en note les validations
de l’enseignant.

Une seule activité semble non conforme : Philibert propose une pseudo-dévolution : « je vous laisse
faire l’exercice et je vous écoute sur les conclusions » mais sans attendre ni laisser les élèves
expérimenter l’activité proposée il provoque une institutionnalisation immédiate : « alors déjà est-ce
que vous avez un doute que vous sentez un bouchon ou quelque chose ? ». Les élèves répondent :
« non ».

2.1.1.3. L’après-coup

Le rapprochement du déjà-là et de l’épreuve de l’enseignant (parties descriptives) fait émerger des


énoncés interprétatifs (partie compréhensive au regard des questions de recherche). Ces hypothèses
contribuent à constituer le guide d’entretien d’après-coup, entretien durant lequel l’enseignant
reconstruit et donne du sens à l’épreuve. C’est grâce à ces moments sélectionnés que les entretiens
d’après-coup (AC) ont été construits et structurés.

a) Construction du guide d’entretien d’après-coup

En fonction des modalités repérées, les intentions déclarées (lors de l’entretien de déjà-là) sont
rapprochées des actions constatées (lors de l’épreuve) pour repérer s’il y a continuité ou rupture entre
déjà-là (DL) et épreuve (EP). Une première analyse permet de croiser les deux premiers temps de la
méthodologie (DL et EP), de repérer – entre autres – des écarts entre les effets attendus et les effets
constatés et d’élaborer des énoncés interprétatifs sur ces écarts (Carnus, 2008).

Énoncé interprétatif n°1 :

La distance avec le savoir à enseigner de l’enseignant influence, à son insu, le savoir enseigné

177
Modalité repérée Méthodologie de la PO : compétence « perception »
Intention déclarée la dégustation c'est le respect d'un protocole (déjà-là)
Action constatée Le protocole est présent mais est incomplet et peu mobilisé durant l’épreuve
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription260 de l’épreuve :

De la ligne 77 à la ligne 84 (rappel méthodologique)

De la ligne 85 à la ligne 115 (analyse sensorielle sans référence à la méthodologie)

Commentaires du chercheur :

Philibert déclare dans le DL que la méthodologie est un élément important et précis dans l’AS. Dans
sa leçon il rappelle rapidement les phases principales de la méthodologie de la PO (méthodologie des
1er et 2ème nez) mais n’appuie pas l’analyse des vins sur ces outils méthodologiques. Il invite les
élèves à trouver des termes qualificatifs sans mentionner les notions de 1er nez, 2ème nez, arômes de
bouche, persistance en bouche…

Philibert sera questionné dans l’entretien d’AC sur la façon dont il mobilise la partie méthodologique
dans sa leçon.

Modalité repérée Méthodologie de la PO : compétence « perception »


Intention déclarée la dégustation c'est le respect d'un protocole (déjà-là)
Démonstration d’un geste qui ne fait pas partie de la méthodologie classique :
Action constatée donner un mouvement circulaire au vin dans le verre (type 2ème nez) puis poser sa
main sur le verre (pour empêcher les arômes de s’échapper) puis sentir le vin
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

De la ligne 80 à la ligne 84 (« bricolage » remuer le verre avec la main dessus)

Commentaires du chercheur :

260
La transcription du verbatim se trouve en annexe papier n°18.

178
Philibert réalise un geste qui est une "construction" personnelle (elle n'existe pas dans la littérature).
C’est un « bricolage » (comme il le dit lui-même dans son entretien de DL) entre le 2ème nez
(perception de la complexité aromatique) et l'agitation vive verre bouché par la main (en cas de
suspicion de défaut). Il explique aux élèves que c’est un moyen de pallier à sa difficulté de
perceptions des arômes.

Philibert sera questionné dans l’entretien d’AC sur ce geste qu’il qualifie lui-même de « bricolage ».

Description de la complexité aromatique : compétence « description,


Modalité repérée
verbalisation »
Intention déclarée En un mot, pour Philibert, la PO c’est la complexité (déjà-là)
Utilisation de peu de termes (fruité, boisé)
Action constatée
Utilisation de termes de niveau 1 : familles aromatiques
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

de la ligne 110 à 111 : description du vin en conclusion : franc, fruité, élégant, simple

de la ligne 113 à la ligne 115 : description par Philibert du 2ème vin en conclusion

Commentaires du chercheur :

Philibert semble ne pas s’aventurer en profondeur avec les élèves sur le terrain de la description de la
complexité aromatique des vins (malgré l’importance qu’il déclare lui accorder durant l’entretien de
DL) car il admet ne pas maîtriser cette partie (entretien de DL). Il préfère évoquer plus largement la
qualité et l’intensité car ces notions lui semblent certainement plus facilement objectivables.

Philibert sera questionné dans l’entretien d’AC sur la notion de la complexité aromatique et sur ses
attentes vis-à-vis de ses élèves au niveau des termes de description.

Énoncé interprétatif n°2 :

La grande « épaisseur ostensive » (Chevallard, Bosch,1999) de la leçon de Philibert est un moyen de


garder le contrôle d’une séance dont il n’est pas spécialiste.

179
Modalité repérée Interaction et participation des élèves
Intention déclarée Participation majoritaire des élèves, intention d’une ostension déguisée (entretien
à chaud)
Action constatée Peu d’interactions, ostension directe : usage de nombreux outils ostensifs
(projection, fiches, tableau, démonstration, discours) (épreuve)
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

Organisation du milieu didactique lors de l’épreuve

Commentaires du chercheur :

L’enseignant a organisé le milieu pour une ostension déguisée : chaque élève dispose de 2 verres
comprenant les 2 vins, 1 crachoir, 1 fiche technique à compléter (pour conduire les analyses
sensorielles des 2 vins). Mais il déroule une ostension directe avec une grande épaisseur ostensive : il
mobilise de nombreux objets ostensifs (geste, tableau, explications orales et scripturales) avec très
peu d’interactions.

Philibert sera questionné dans l’entretien d’AC sur la façon dont il mène sa leçon, sans dévolution.

Énoncé interprétatif n°3 :

Philibert navigue entre le plaisir que dégage la PO (et l’AS en général) et la souffrance de ne pas
aboutir à ses fins.

Modalité repérée Plaisir généré par la PO


Intention déclarée L’AS c’est du plaisir (déjà-là)
Action constatée Absence de la notion de plaisir durant la leçon
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

Absence dans l’épreuve

Entretien de déjà-là : « il y a beaucoup de réticences là-dessus j’aime pas le vin (euh) ça ne


m’intéresse pas (...) tu vas apprendre je veux que tu découvres ça il faut éviter ces a priori (…)
autrefois c’était le père qui expliquait à l’enfant à boire à consommer l’alcool à monter en état

180
d’ébriété d’abord c’était du vin avec un petit peu d’eau après on diminuait l’eau on apprenait
comme ça à déguster le vin (…) maintenant ça n’existe pas c’est vous qui consommez l’alcool de
suite très fort très vite mal et vous n’avez pas cette éducation à l’alcool et ça c’est extrêmement
important (…) c’est nous qui devons presque vous apprendre ça. »

Entretien de DL : « la dégustation (...) c’est se faire plaisir » et le mot « plaisir » est cité 8 fois à ce
propos dans l’entretien

Commentaires du chercheur :

Philibert évoque à de nombreuses reprises le plaisir de l’AS mais cette notion n’apparaît pas durant
sa leçon. Philibert évoque l’apprentissage familial, l’éducation au « savoir-boire » et le rôle
prépondérant du père. Il déplore le manque d’éducation et les lacunes de ses élèves.

Philibert sera questionné dans l’entretien d’AC sur la façon avec laquelle il donne à voir (ou pas) la
notion de plaisir durant sa leçon.

b) Émergence des énoncés interprétatifs

À l’issu du rapprochement de l’intentionnel déclaré (dans le DL) et des actions constatées (dans
l’EP), il est possible de formaliser les énoncés interprétatifs suivants :

1. Il n’y a pas de lien direct entre la méthodologie de la PO et la production de la description du vin


car la distance de l’enseignant avec le savoir à enseigner est trop grande.
2. Philibert ajoute un geste, dans la méthodologie, pour pallier à ses difficultés de perception dans la
PO.
3. La complexité aromatique est peu évoquée car l’enseignant ne souhaite pas prendre de risque, la
qualité et l’intensité de la PO sont davantage mobilisées car elles lui paraissent moins difficiles à
aborder.
4. Philibert mobilise une grande épaisseur ostensive et ne dévolue pas, pour garder la maîtrise de sa
leçon.
5. Le plaisir de l’AS n’apparaît pas dans l’épreuve. L’enseignant ne s’autorise pas à transmettre
cette approche du savoir.

181
c) Analyse de l’après-coup

Pour chacun des énoncés interprétatifs, numérotées de 1 à 5, nous rapprochons la reconstruction du


sens à travers l’évocation des traces mnésiques mobilisées par le sujet, collectées durant l’entretien
d’après-coup261, avec les éléments collectés durant l’épreuve et les éléments du déjà-là.

1. Il n’y a pas de lien direct entre la méthodologie de la PO et la production de la description du vin


car la distance de l’enseignant avec le savoir à enseigner est trop grande.

Durant sa leçon, Philibert conduit, dans un premier temps, un rappel méthodologique de la PO en


réalisant les gestes devant les élèves. Il rappelle principalement les phases du premier nez et du
deuxième nez : « nous allons faire deux nez, un premier nez le verre est immobile et un deuxième nez
regardez ici on agite le verre et on le porte au nez » Les élèves réalisent, en parallèle et en silence,
les mêmes gestes que l’enseignant. Philibert évoque et montre les phases méthodologiques de façon
autonome, sans les présenter comme des outils pour produire une description. Il n’y a pas
d’interaction orale entre l’enseignant et les élèves durant cette partie de la leçon. Il invite, dans un
deuxième temps, les élèves à rechercher des termes qualificatifs pour décrire les vins. Durant cette
phase de recherche, l’enseignant ne mentionne plus les notions méthodologiques présentées en
amont : « Enseignant : qu’est-ce que vous trouvez au niveau du vin rouge léger ? Élève : il est
franc ; Enseignant : Oui au niveau de la description peut-être : Élève : il est fruité ; Enseignant : Oui
il est plutôt fruité et en comparaison avec le corsé ? Élève : il est boisé ».

Pourtant, dans l’entretien d’après-coup, l’aspect méthodologique reste important pour Philibert, cette
notion revient à sept reprises dans l’entretien : « j’explique que moi je fais deux nez ». Elle est
majoritairement associé à la recherche de la description aromatique mais l’enseignant reste vague
voire hésitant sur les objectifs de ces outils méthodologiques : « essayer de sentir les arômes (…)
pour sortir quelques arômes ». Il n’indique pas précisément quelles sont les relations entre ces outils
méthodologiques (les moyens) et les termes descripteurs escomptés (la production finale). D’après la
littérature, le premier nez permet d’évoquer la netteté, l’intensité et les premières familles
aromatiques perceptibles, le deuxième nez permet ensuite de détailler les familles, les sous-familles
et les arômes précis ainsi que la qualité générale du vin.

2. Philibert ajoute un geste, dans la méthodologie, pour pallier à ses difficultés de perception de la
PO.

261
Le verbatim de l’entretien de Philibert se trouve en annexe papier n°27.

182
Durant l’épreuve, Philibert montre un geste qu’il présente comme complémentaire : « vous remuez,
vous fermez [il bouche le haut du verre avec sa main] et vous portez directement au nez [il retire sa
main lorsque le verre est sous le nez] ». Ce geste n’existe pas, sous cette forme, ni dans la littérature
ni dans la pratique sociale de référence. Il est proche d’un geste, entre le troisième et le quatrième
nez, décrit comme « une agitation vive et saccadée » utilisé seulement dans le cas de « suspicion de
défaut ». Pourtant Philibert propose de l’utiliser comme une aide à la recherche des notes
aromatiques difficiles à saisir. Il indique, dans l’AC, que ce geste permet : « d’enfermer l’arôme (…)
pour ressentir un arôme plus précisément (…) pour être plus concentré (…) quelque chose où on a
du mal à percevoir (…) toutes les senteurs qui explosent ».

Philibert est, malgré tout, conscient que ce geste ne s’utilise pas en situation commerciale : « bien sûr
on ne le fera pas devant les clients, on est en exercice là » Il sait d’ailleurs que ce geste n’est pas
utilisé de façon académique : « on le fait pas en dégustation classique ». Il ne doute, cependant pas,
du bien-fondé de cette pratique : « tu le savais pas ça ? » répond-t-il pour justifier son origine qu’il
indique tenir de façon sûre depuis sa propre formation initiale d’enseignant en hôtellerie-
restauration : « moi j’avais appris ça à l’IUFM je crois avec monsieur X, monsieur Y, je l’ai toujours
vu, je l’ai toujours appris ça je l’ai appris en dégustation de vin à l’IUFM ». Ce « bricolage » est
comme sa réponse incorporée pour pallier à ses difficultés à percevoir les odeurs du vin en situation.

3. La complexité aromatique est peu évoquée car l’enseignant ne souhaite pas prendre de risque : la
qualité et l’intensité de la PO sont davantage mobilisées car elles lui paraissent moins difficiles à
transmettre.

Dans la partie description de la PO, Philibert tient à ne pas produire de longue présentation, il insiste
sur le côté synthétique (le mot synthèse est cité quatre fois) des productions dont l’objectif est la
valorisation face à la clientèle : « je fais une synthèse générale qui sert d’argumentaire
commercial ». Il indique qu’il faut savoir parler du vin aux clients de façon simple (cité 6 fois). Il
pense qu’il est suffisant de ne retenir qu’un nombre mesuré de mots face à la clientèle : « j’essaye de
faire en sorte qu’ils me trouvent trois, quatre mots vendeurs qu’ils puissent bien donner la
caractéristique du vin ». Philibert conseille à ses élèves d’éviter d’utiliser des termes trop techniques
ou peu compréhensibles par les clients néophytes, tel que « empyreumatique ». Il souhaite rester
objectif et ne pas aller trop loin dans une description improbable : « sans partir (dans) des arômes de
(…) foutre de lièvre (…) etc. On va pas si loin ».

Philibert rappelle, lors de l’AC, ses difficultés olfactives : « percevoir un petit peu les arômes, bon
c’est assez compliqué je te l’avais déjà dit », il trouve que le champ des familles aromatiques

183
décelables dans un vin est très (trop) grand : « tous les arômes du fruité, minéral, floral, végétal etc.
boisé, cuir enfin bon voilà on pourrait aller très très loin comme ça ». Il préfère évoquer plus
largement, dans les interactions avec les élèves (voir tableau ci-dessous), la qualité, l’intensité et la
finesse (23 termes mobilisé) du nez des vins plutôt que leur gamme et leur complexité aromatique
(11 termes mobilisés). D’ailleurs lorsqu'il décrit de mémoire durant l’AC la partie olfactive de sa
fiche d'analyse sensorielle des vins qu’il utilise avec ses élèves durant l’épreuve (les élèves ont
chacun la fiche imprimée sur leur feuille et elle est projetée simultanément au tableau durant toute la
leçon), il mobilise huit termes concernant la qualité et l'intensité : « douteux, franc, propre ou altéré
(…) puissance (…) léger, moyen, intense » et seulement cinq familles aromatiques : « floral, minéral,
végétal, boisé, épicé ». Cela démontre, à nouveau, l’intérêt qu’il porte à la description de la qualité
plutôt qu’à la description de la complexité aromatique.

Tableau 31 : savoir à enseigner, savoir enseigné par Philibert et savoir mobilisé par les élèves

Savoir mobilisé par les


Savoir à enseigner262 Savoir enseigné par Philibert
élèves
Netteté ou franchise Bouchon, francs, franc, sans défaut Franc
Faible, puissante,
Intensité Moyenne (cité 2 fois), puissante, faible,
moyenne, forte
Banale (cité 2 fois), simple (cité 2 fois), rustique,
Finesse, élégance Banale, rustique
terroir, élégant, une certaine rusticité

Famille aromatique Fruité (cité 2 fois), fruit Fruité, boisé

Boisé (cité 2 fois), fruit réduit concentré évolué,


Sous famille aromatique boisé du fût, évoluées au-delà du fruit, fruit un (non évoquées)
peu plus confit un peu plus maturé
Arôme précis (les arômes précis ne sont pas évoqués) (non évoqués)
Philibert exprime la volonté de traiter chaque phase de l’AS avec le même soin : « c’est équilibré il y
a autant à dire à l’œil, qu’au nez, qu’en bouche (…) pour moi, elles sont toutes aussi importantes ».
Il exprime l’intention de ne pas défavoriser ni privilégier de partie : « non franchement non, j’essaye
d’équilibrer (…) dans les phases respectives je n’accorde pas une importance ou délaisser une
autre ». Et pourtant, à son insu, le temps consacré, dans la leçon, à la partie olfactive de l’AS est très
inférieur aux deux autres parties : la phase visuelle dure 6 min 39 s, la phase olfactive dure 3 min 51
s et la phase gustative dure 6 min 41 s.

262
L’après la revue de littérature du champ

184
4. Philibert mobilise une grande épaisseur ostensive et ne dévolue pas, pour garder la maîtrise de sa
leçon.

Pour sa leçon, l’enseignant a organisé le milieu pour une ostension déguisée (Matheron, Salin,
2002) : chaque élève dispose de deux verres comprenant les deux vins, d’un crachoir, d’une fiche
technique à compléter pour conduire les analyses sensorielles des deux vins. Cette organisation laisse
penser que Philibert souhaite confier la responsabilité à l’élève de découvrir lui-même le savoir grâce
à une dévolution (Brousseau, 1990). Mais il déroule une ostension directe (Berthelot, Salin, 1992)
avec une grande épaisseur ostensive. Il mobilise de nombreux objets ostensifs (Bosch, Chevallard,
1999) : les sons, l'oralité (mots, explications donnés), les graphismes, les traces (écritures, schémas,
croquis au tableau), les gestes, la gestualité (« deixis » de Chevallard), manipulations d’objets (les
verres, le vin).

Durant l’épreuve, Philibert n’a recours qu’à des moments didactiques (Sensevy, Mercier,
2007) durant lesquels il définit et il institutionnalise (voir tableau partie 2.1.1.2 b). À aucun moment
il ne dévolue ni ne régule. L’analyse du logogramme (voir schéma partie 2.1.1.2 f) met en lumière les
déplacements de l’enseignant dans la classe. Ces déplacements se concentrent exclusivement entre
son bureau, le tableau blanc et la projection. Ils sont nombreux et courts. L’enseignant s’arrête plus
souvent et plus longtemps devant le tableau, pour faire référence à la fiche technique projetée, que
durant les autres parties de l’AS (visuelle et gustative). Le locogramme confirme que l’enseignant ne
régule pas les activités des élèves ne se rapprochant pas de ces derniers. L’analyse proxémique (Hall,
1971) indique que l’enseignant reste à une distance « sociale » des élèves, c’est-à-dire entre 120 et
330 cm.

Au début de son intervention lors de la PO, Philibert entreprend une pseudo-dévolution mais ne
l’installe pas réellement et génère une institutionnalisation immédiate.

La phase olfactive de la PO est la partie de la leçon durant laquelle les élèves participent le moins,
dix interactions pour la partie olfactive soit seulement 17 % des interactions de la leçon. En
comparant avec les autres interactions de la leçon il est possible de constater que les élèves sont
beaucoup moins sollicités comme si l’enseignant voulait « garder la main », comme si les
interactions pouvaient mettre en danger sa position de sujet supposé savoir qu’il juge instable.

Pour l'enseignant, faire un cours sur la PO c'est mener soi-même la dégustation : « tu as trouvé que
(…) c’est moi qui menais trop la dégustation, tu m’as dit que je devais faire un cours » répond-il
lorsque le chercheur lui montre l’absence de dévolution. L'enseignant est pourtant conscient que les

185
élèves devront être capables de conduire une dégustation de vin en autonomie pour valider leur
certification : « ils devront le faire à l’épreuve » mais ne peux s’empêcher de le faire quand même :
« normalement c'est eux qui pilotent la dégustation ». Des formules identiques avec « normalement »
sont utilisées à cinq reprises durant l’entretien d’après-coup par Philibert, comme pour justifier le fait
qu’il ne puisse pas s’empêcher de mener lui-même l’AS au détriment de la participation de ses élèves
tout en étant conscient de la situation. Cependant, l’enseignant nous déclare mettre souvent les élèves
en situation d'AS de façon informelle : au bar « avec un cocktail », au restaurant « le fond de
bouteille », avec des produits « papaye (…) parmesan ». Il est persuadé que les élèves devront
maîtriser cette compétence pour l’examen : « mais de toute façon ils devront le faire à l’épreuve ils
ont une épreuve à faire au bac ».

5. Le plaisir de l’AS n’apparaît pas dans l’épreuve. L’enseignant ne s’autorise pas à transmettre
cette approche du savoir.

Philibert évoque à de nombreuses reprises le plaisir de l’AS : « la dégustation c’est une affaire de
plaisir, absolument, bien sûr » mais cette notion n’apparaît pas durant sa leçon. Toutes les références
qu’il fait au plaisir de la dégustation du vin sont des anecdotes personnelles, il ne donne pas
d’exemple en situation didactique : « (…) en vacances (…) tu le bois avec des copains tu passes un
super moment tu passes à la cave tu rachètes six bouteilles tu le fais avec un repas de famille un
dimanche à la maison (…) moi quand j’ai des copains une bonne bouteille de vin et on discute (…) et
on apprécie le vin c’est la notion plaisir, détente, évasion ». Et même si cela n’est pas présent dans
l’épreuve, l’enseignant pose malgré tout, ce concept en préalable à la progression de ses élèves :
« mais bon du moment qu’il y a la notion de plaisir et cette petite appétence je crois que c’est
gagné ».

L’AS est naturellement associée à l’hédonisme, « La psychanalyse nous enseigne (…) que les
expériences de plaisir et de déplaisir liées à la sphère orale seraient en partie orientées par ces
premières expériences de l’alimentation dès le plus jeune âge. Ainsi, les plaisirs de la table
pourraient rappeler et raviver ces premiers temps de satisfaction » (Simmonet-Toussaint, 2006, p
99).

Pour présenter la chronologie des trois phases successives de l’AS (parties visuelle, olfactive et
gustative) Philibert utilise spontanément et à l’occasion des deux entretiens (de DL et d’AC), une
comparaison entre l’AS et la façon d’aborder une belle femme : « déguster c’était comme parler
(euh) s’adresser à une femme ». Philibert évoque sans équivoque la beauté : « c’est comme une jolie
dame (…) c’est comme une belle femme ». Il poursuit l’analogie entre l’AS et la rencontre :

186
« d’abord on la regarde », en mobilisant de plus en plus de sensualité : « ensuite on la sent » pour
finir par évoquer, en filigrane, une relation sexuelle : « et après on la déguste ». Il évoque d’ailleurs
la sensualité de l’AS : « c’est un protocole une sensualité ».

« Penser l’analogie entre la scène d’amour et la scène de dégustation permet ici de mettre à jour un
désir inconscient (…) en mettant en relation ces deux champs sémantiques jusque-là disjoints »
(Simmonet-Toussaint, 2006, p115).

Philibert évoque l’apprentissage familial, la formation au « savoir-boire » et le rôle prépondérant du


père. Il déplore le manque d’éducation et les lacunes de ses élèves. D’après l’enseignant, le rapport à
l’alcool est nodal : « éduquer l’enfant avec l’alcool et aller non pas jusqu’à l’ébriété mais au moins
montrer jusqu’où il peut aller avant d’être saoul ». Il semble ne voir que le côté « alcoolisé » de
l’éducation au bien boire : « c’était comme ça, le père il disait vas-y (…) et à 10 ans, 12 ans tu avais
une petite rasade après il y a toute une culture là-dessus le rapport à l’alcool (…) cette éducation à
l’alcool ». Il n’évoque pas, à ce niveau-là, la complexité aromatique des vins, thème qu’il nous
déclare central et qu’il souhaite pourtant véhiculer dans son cours.

La famille est très importante aux yeux de Philibert. Son orientation professionnelle dans le domaine
de la restauration trouve un fort ancrage dans l’hôtellerie familiale : « je suis issu d’une formation
hôtelière de trois voire quatre générations donc j’avais cette fibre en moi de formation hôtelière ».
Le passé professionnel familial est d’une influence majeure pour Philibert : « mes parents étant de
formation hôtelière j’envisageais aussi d’avoir un point d’attache avec l’entreprise familiale ». Son
enfance est très influencée par le métier de ses parents, le vin est omniprésent depuis toujours : « oui
j’ai toujours été dans le milieu du vin ». Lorsqu’il devient enseignant en obtenant le concours de
l’Éducation nationale, il souhaite mener de front son activité au sein de l’entreprise familiale et sa
fonction d’enseignant : « j’ai choisi le PLP (…) je voulais essayer de concilier les deux (…) j’étais
encore très attiré par l’entreprise familiale ».

Le père de Philibert a dû jouer un rôle important dans la transmission de l’AS : « autrefois c’était le
père qui expliquait à l’enfant à boire à consommer l’alcool (…) on apprenait comme ça à déguster le
vin ». Cependant Philibert ne développe pas ce thème, malgré les sollicitations durant l’entretien.
L’AS reste empreinte de l’image du père « Le vin qui représente symboliquement le père »
(Simmonet-Toussaint, 2006, p115).

187
2.1.1.4. Conclusion provisoire

Le rapprochement déjà-là, épreuve et après-coup permet de conforter des pistes d’interprétation pour
chacun des énoncés interprétatifs qui structurent la construction du cas.

1. Il n’y a pas de lien direct entre la méthodologie de la PO et la production de la description du


vin : il y a une distance entre l’enseignant et le savoir à enseigner.

La distance entre Philibert et le savoir à enseigner le contraint, à son insu, à ne pas lier les éléments
méthodologiques et leur objectif de description. Les phases chronologiques de la PO sont des outils
au service de la présentation détaillée des qualités organoleptiques des vins. Ce manque de formation
en AS, qu’il évoque dans le DL, doit probablement être à l’origine de ses difficultés à conduire
l’enseignement de la PO de la partie méthodologique à la partie mise en pratique.

2. Philibert ajoute un geste, dans la méthodologie, pour pallier à ses difficultés de perception de
la PO : il développe une stratégie, de façon inconsciente, pour maintenir sa position de sujet
supposé savoir.

Philibert s’est, certainement, convaincu inconsciemment de la pertinence de ce geste pour pallier à


ses propres difficultés dans la perception aromatique. Il aurait construit, à son insu, un outil
personnel, en combinant plusieurs éléments de son DL expérientiel. Son statut symbolique
d’enseignant « supposé savoir » le poussant ainsi à transmettre cette construction à ses élèves.

Cette initiative méthodologique personnelle est probablement un moyen de dépasser les obstacles
(qu’il évoque sans détour durant les entretiens) dans la double compétence « sentir et dire ».
L’expérience de Philibert lui permet, finalement, d’agir ou de réagir à bon escient durant cette leçon
en prenant l’initiative d’un geste qui lui semble adapté à cette situation contingente. Il semblerait que
ce geste soit, paradoxalement, l’improvisation (Tochon, 1993) qui émerge de son DL, lui permettant
d’assurer son statut de sujet supposé-savoir (Carnus, Terrisse, 2013). C’est ce que Terrisse (ibidem)
nomme le « savoir y faire ».

3. La complexité aromatique est peu évoquée contrairement à la qualité et à l’intensité de la


PO : l’enseignant conduit une stratégie d’évitement pour ne pas mettre en difficulté sa
position de SSS.

La faible évocation de la complexité aromatique vient, probablement, de ses difficultés pour la PO


déclarées dans son DL le poussant à délaisser une description aromatique au bénéfice de la qualité et
de l’intensité. Il considère, vraisemblablement, ces critères comme plus faciles à objectiver en

188
situation d’enseignement alors qu’il évoque, à plusieurs reprises dans le DL, ses difficultés à propos
de la perception et de l’identification aromatique. À cause de son rapport au savoir qui pose
problème, Philibert développe une stratégie d’évitement pour ne pas se mettre en difficulté durant
l’épreuve. Il lui serait probablement « impossible à supporter » de perdre la face devant ses élèves.

4. Philibert mobilise une grande épaisseur ostensive et ne dévolue pas : il développe une
stratégie de verrouillage pour ne pas mettre en danger sa position de sujet supposé savoir.

Philibert est conscient qu’il « verrouille » sa leçon comme s’il craignait qu’elle ne lui échappe. Il ne
peut pas s’empêcher de faire le cours lui-même. Il appréhende, plausiblement, de dévoluer, au risque
d’être mis en difficulté devant ses élèves. Ses lacunes, dont il est conscient dans ce domaine dont il
n’est pas spécialiste, le poussent assurément, à camper dans un rôle symbolique de SSS. Il souhaite
certainement montrer (à ses élèves et aussi au chercheur) qu’il maîtrise son sujet. Il ne peut pas
supporter de perdre la maîtrise de la leçon.

5. Le plaisir de l’AS n’apparaît pas dans l’épreuve : la place symbolique du père semble difficile
à tenir pour l’enseignant

Philibert semble s’interdire d’évoquer le plaisir de l’AS devant ses élèves. Il n’assume pas, durant
l’épreuve, la métaphore érotique de l’AS. Philibert prend, malgré lui, la place symbolique du père
pour éduquer ses élèves au savoir-boire. Cette position symbolique le pousse à tenir une position qui
dépasse le rôle qu’il attribue, dans son DL, à un enseignant, le mettant dans une situation
inconfortable, cette situation l’affecte. Il ne peut pas évoquer le plaisir de l’AS qui lui est cher en
assumant la place symbolique du père. Il semblerait qu’il s’agisse, à nouveau, d’un impossible à
supporter pour lui. Il se censure263 lui-même en repoussant ce plaisir de l’AS dont il est convaincu
mais qu’il ne s’autorise pas à enseigner.

2.1.2. Vignette didactique clinique du cas

La vignette didactique clinique est la cristallisation et la synthèse des éléments saillants de l’étude
d’un cas (Carnus, 2013), elle se bâtit par la reconstruction du cas au regard de la problématique du
chercheur (Carnus, 2007) grâce aux éléments collectés dans les données des entretiens (DL et AC) et
des observations de classe (EP). La question de recherche interroge ce qui s’enseigne (savoir
enseigné) dans le cadre de la PO.

263
La censure, au sens Freudien du terme, serait un phénomène de défense : « entre l' « antichambre » où se pressent les
désirs inconscients et le « salon » où séjourne la conscience, veille un gardien, plus ou moins vigilant et perspicace, le
censeur » (Freud, Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, 1916-17)

189
2.1.2.1. Forme diachronique de la vignette didactique clinique

La forme diachronique reprend les éléments saillants de la construction du cas en suivant la


méthodologie chronologique de la didactique clinique : le déjà-là, l’épreuve et l’après-coup.

a) Déjà-là de Philibert : les obstacles à l’enseignement de la PO

Déjà-là expérientiel : Philibert déclare être un professionnel dans l’âme : « j’avais cette fibre en moi
de formation hôtelière », il dit posséder des « expériences professionnelles un petit peu partout »,
c’est un enseignant expérimenté : « professeur de commercialisation et service en restauration (…)
ça va faire 18 ans ». Il indique ne pas avoir de formation en AS : « on n’a pas été formé en
dégustation de vin » et il explique ne pas avoir de compétence olfactive, ce qui constitue pour lui un
obstacle : « non franchement non (…) c’est une complexité (…) j’ai quelques difficultés là-dessus ».

Déjà-là conceptuel : Philibert confie être affecté par l’évolution de sa mission d’enseignant : « au
lieu de faire 90 % de pédagogie on se retrouve en train de faire 60 % de social (…) je me trouve (…)
un petit peu désabusé ». Il considère ses élèves en difficulté : « des élèves pas tous motivés, d’un
niveau social difficile » y compris au niveau de l’objet de savoir : « il y a beaucoup de réticences là-
dessus, j’aime pas le vin, ça ne m’intéresse pas [disent ses élèves] ». Il considère la PO difficile à
appréhender : « le vin c’est le produit le plus complexe au monde au niveau des senteurs, de
l’olfaction ». Il juge que la partie méthodologique est importante : « il y a tout un protocole », et que
l’AS est fortement associée au plaisir : « déguster un vin c’est une notion de plaisir ».

Déjà-là intentionnel : Philibert déclare transmettre des valeurs importantes : « le respect, la rigueur,
l’éducation, l’assiduité, l’intégrité (…) l’école hôtelière, on le dit, c’est une école de la vie ». Il
déplore le manque d’éducation de ses élèves sur le « savoir-boire » : « vous n’avez pas cette
éducation à l’alcool », il indique devoir prendre le rôle du père sur ce point : « autrefois c’était le
père qui expliquait à l’enfant à boire (…) c’est nous qui devons (…) vous apprendre ça ». Philibert
exprime sa peine à enseigner la PO : « souvent je n’arrive pas bien à faire passer (…) j’ai quelques
difficultés là-dessus », il se sent en souffrance et plutôt démuni : « ça reste très très simple (…) je
suis très léger (…) je suis très sommaire (…) je vais pas très loin ». Il dit ne pas avoir tous les
moyens nécessaires : « c’est un peu du bricolage (…) on n’a pas forcément les outils ». Il ne parle
pas de la façon avec laquelle il compte transmettre la notion de plaisir.

b) Épreuve de Philibert : une leçon sous contrôle

Philibert présente une leçon verrouillée, la participation des élèves est sous contrôle. Il mobilise une
ostension directe (Berthelot, Salin, 1992) avec de nombreux objets ostensifs (Bosch, Chevallard,

190
1999) : tableau, projection, fiche technique, gestes, explications orales et scripturales. L’enseignant
conserve la maîtrise personnelle de la séance, il définit et institutionnalise, sans dévoluer (Sensevy,
Mercier, 2007). Il semble développer une stratégie d’évitement : la PO est la partie la moins
développée de la leçon, il y a moins d’interactions avec les élèves que durant les autres phases de la
séance, les déplacements se concentrent entre le tableau et le bureau de l’enseignant, il reste à
distance sociale de ses élèves (Hall, 1971). Il choisit d’ailleurs de réduire le champ du savoir
enseigné, il aborde peu la description de la complexité aromatique et semble se retrancher derrière la
partie méthodologique. Il a recours à un bricolage pour pallier à ses difficultés : « si vous n’arrivez
pas à sentir véritablement les arômes volatiles je vous conseille de faire ceci (…) bien sûr on ne le
fera pas devant les clients, on est en exercice là ».

c) Après-coup de Philibert : les stratégies pour maintenir la position de sujet


supposé savoir

Philibert met en place plusieurs stratégies dans son enseignement de la PO : une stratégie de maintien
de sa position de SSS, une stratégie d’évitement et une stratégie de verrouillage.

Philibert développe une stratégie de maintien de sa position de SSS. Il ajoute, en situation, un geste
méthodologique émergeant de son DL, pour garder sa position de sujet supposé savoir Philibert
développe inconsciemment cette stratégie, en ayant recours à une construction personnelle, pour
pallier à ses difficultés de perception et d’identification de la PO.

L’enseignant développe une stratégie d’évitement. Il évoque peu la complexité aromatique


contrairement à la qualité et à l’intensité de la PO. Il ne fait pas de lien direct entre la méthodologie
de la PO et la production de la description du vin. La distance de Philibert avec le savoir à enseigner
le contraint à ne pas évoquer la complexité aromatique et à ne pas faire le lien entre la partie
théorique, méthodologique de la PO et la partie pratique, description réelle du vin.

Philibert développe, enfin, une stratégie de verrouillage, il mobilise une grande épaisseur ostensive et
ne dévolue pas, inconsciemment, il ne souhaite pas mettre en danger sa position de SSS. Ne pas
maîtriser son objet de savoir ni le déroulement de sa leçon lui est « impossible à supporter ». Il prend,
malgré lui, la place symbolique du père pour éduquer ses élèves au « savoir-boire ». Il se censure
inconsciemment en ne parvenant pas à transmettre le plaisir de l’AS dont il est pourtant convaincu de
l’importance.

191
2.1.2.2. Forme synchronique de la vignette didactique clinique

La forme synchronique reprend les éléments saillants de la construction du cas en les rapprochant des
trois rapports à : rapport au(x) savoir(s), rapport à l’épreuve et rapport à l’institution (Carnus,
Mothes, 2016).

a) Rapport au(x) savoir(s)

Le rapport au savoir est constitué de trois axes : axes de l’expertise, du désir et de la rencontre.

Distance X Proximité Axe de l’expertise

Sur l’axe de l’expertise, Philibert est à distance du savoir. Il déclare ne pas avoir d’expérience
significative dans le domaine, ni de compétence olfactive et il indique manquer de formation (DL
expérientiel). Son rapport au savoir est clairement distancié, il en est très conscient.

« [des expériences en sommellerie ?] non, aucune (…) [des compétences olfactives ?] non,
franchement non (…) j’ai quelques difficultés là-dessus (…) l’olfaction c’est difficile » (extrait de
l’entretien de DL).

Répulsion X Attirance Axe du désir

Sur l’axe du désir, Philibert met en relief le plaisir associé à l’AS qui émerge fortement de son DL.
Cependant cette hédonicité n’est pas visible dans l’épreuve. L’enseignant ne s’autorise pas à manier
cette notion (AC). Son rapport semble ici tiraillé, entre un plaisir assumé dans le DL et censuré dans
l’EP.

« La dégustation c’est aussi une notion de plaisir (…) moi je vois beaucoup de plaisir dans la
dégustation » (extraits de l’entretien de DL). Pas de traces du « plaisir » dans l’épreuve.

Nouveauté X Ancienneté Axe de la rencontre

Sur l’axe de la rencontre, Philibert enseigne l’AS depuis plus de 18 ans mais se considère éloigné du
savoir depuis les débuts de sa vie professionnelle (dans la restauration et dans l’enseignement) et
depuis sa formation initiale (ou son manque de formation). Son rapport éloigné avec le savoir est
ancien.

« On n’a pas été formé en dégustation de vin moi j’ai fait avec mon expérience (…) c’est juste une
sensibilisation que j’ai ». (Extrait de l’entretien de DL).

192
b) Rapport à l’épreuve

Le rapport à l’épreuve est constitué de trois axes : axes de l’expérience, de la contingence et de


l’affect.

Étrangeté X Familiarité Axe de l’expérience

Sur l’axe de l’expérience, Philibert est un enseignant expérimenté. Il enseigne depuis longtemps, y
compris l’AS, car même s’il n’est pas spécialiste du domaine, il compose avec l’injonction
institutionnelle.

« En poste depuis (…) 1998, donc ça va faire 18 ans (…) je dispense aussi des cours [d’AS] par
l’intermédiaire du GRETA et je le fais aussi au lycée ». (Extraits de l’entretien de DL).

Inhibition X Excitation Axe de la contingence

Sur l’axe de la contingence, Philibert semble « cadenasser » la rencontre didactique l’impliquant


avec ses élèves et le savoir. Il ne dévolue pas, il manie une grande épaisseur ostensive, il limite les
interactions. Il verrouille la contingence comme pour éviter de subir une situation qui pourrait lui
échapper.

« Je vous laisse faire l’exercice et je vous écoute sur les conclusions » et après deux secondes, il
reprend la parole sans laisser les élèves prendre la responsabilité de l’apprentissage : « alors déjà est-
ce que vous avez un doute que vous sentez un bouchon ou quelque chose ? Les élèves répondent :
non ». (Extraits de l’EP).

Souffrance X Plaisir Axe de l’affect

Sur l’axe de l’affect, Philibert paraît en souffrance. Il est divisé entre le plaisir de l’AS qu’il aimerait
transmettre à ses élèves (DL) en endossant le rôle d’un père éducateur et son impossible à supporter,
c’est-à-dire ne pas tenir la position du SSS.

« Avec ce contexte (…) social (…) de difficultés des élèves, on doit travailler beaucoup le social
avant de passer à la pédagogie (…) autrefois c’était le père qui expliquait à l’enfant à boire (…)
vous n’avez pas cette éducation (…) c’est nous qui devons presque vous apprendre ça (…) je suis
très léger là-dessus je t’avoue que pour moi je suis très sommaire là-dessus ». (Extraits de l’entretien
de DL).

193
c) Rapport à l’institution

Le rapport à l’institution est constitué de trois axes : axes de l’assujettissement, du confort et de la


reconnaissance.

Soumission X Émancipation Axe de l’assujettissement

Sur l’axe de l’assujettissement, Philibert fait preuve de dépendance. Sa distance avec le savoir ne lui
permet pas de prendre des initiatives ni d’enseigner comme il souhaiterait être capable de le faire. Il
manifeste une réelle déception. Cependant il assure son enseignement, avec les moyens dont il
dispose, pour répondre à l’injonction de l’institution. Il sait pertinemment qu’il doit enseigner la PO
même s’il ne se juge pas à la hauteur.

« Il faudrait que je me perfectionne un peu (…) j’aurais bien aimé avoir le nez du vin [coffret de
fioles d’odeurs du vin] des choses comme ça, je fais avec ce que j’ai comme sensation mais ça reste
très très simple ». (Extrait de l’entretien de DL).

Risque X Sécurité Axe du confort

Sa distance au savoir et la gestion « sociale » des élèves ne lui permettent pas de se sentir en sécurité.
Il a les moyens de compenser, grâce à son expérience et il maîtrise les gestes professionnels pour
éviter de s’exposer sur un terrain sur lequel il ne se considère pas à l’aise. Il maintient ainsi une
situation peu confortable mais acceptable.

« Avant de passer à la pédagogie, régler les problèmes des uns et des autres, cette masse
d’administratif (…) avant de passer à ce qu’on sait faire le mieux, ce qu’on aime faire, ce qu’on a
été formé pour faire, c’est ce côté pédagogique et professionnel ». (Extrait de l’entretien de DL).

Exclusion X Inclusion Axe de la reconnaissance

Il est contrarié par l’évolution de son métier. La place de la didactique se contracte au détriment de
l’éducation. Les contraintes administratives grandissent également. Philibert ne se reconnaît pas dans
ces nouvelles missions. Il se sent de plus en plus exclu de son institution.

« Au lieu de faire 90 % de pédagogie on se retrouve en train de faire 60 % de social 20 %,


d’administratif 25 % et le reste de pédagogie enfin je grossis un peu mais de plus en plus moi je me
trouve un petit peu pas aigri mais un petit peu désabusé parfois par cette masse de d’administratif de
toutes ces difficultés que l’on a avec ce contexte (…) social » (Extrait de l’entretien de DL).

194
2.1.2.3. Formule du sujet

Pour Terrisse (2013) la formule est énoncée par le sujet, les mots de Philibert « comme je peux » sont
issus de l’entretien ante de DL. Ils ne sont pas directement dans la réponse de l’enseignant à la
question de recherche « comment enseignez-vous la PO ? ». La formule est retenue car elle est
signifiante aux yeux du chercheur.

La formule prend toute sa dimension après la construction du cas, elle vient en clôture de la
construction du cas (Terrisse, 2013). Alors qu’elle n’était qu’une énigme lorsqu’elle a été
ponctionnée, par le chercheur, dans le discours du sujet. La formule est un éclairage, pour le
chercheur, de la pratique de l’enseignant. La formule est, pour lui, une « clé d’intelligibilité »
(Terrisse, 2013). Lorsque Philibert prononce « comme je peux », le sujet chercheur entend :

 Avec les moyens dont je dispose (pas de formation, pas d’expérience, pas d’expertise,
bricolage)
 Comme je peux de façon antagoniste à comme je veux (bricolage, autocensure, souffrance au
lieu de plaisir)
 Parce que l’institution me l’impose (pas de dévolution, nombreux ostensifs, injonction
institutionnelle)

La formule acquiert une autonomie, elle devient une représentation du sujet au regard de la
problématique du chercheur.

195
2.2. Nadia : « Faire appel à ses références d’enfance »

D’après notre classification264, Nadia est une enseignante débutante : elle est peu expérimentée dans
l’enseignement et possède une certaine expertise dans le domaine de l’analyse sensorielle des vins.

2.2.1. Présentation et analyse diachronique du cas

Les données collectées contribuent à la construction et à la présentation du cas Nadia. Elles sont
produites par trois entretiens et une observation de classe : un entretien ante séance de « déjà-là »
(DL), l’observation d’une leçon « l’épreuve » (EP), un entretien post à chaud et un entretien post
« d’après-coup » (AC).

Figure 73 : Rappel de la chronologie de la collecte des données pour Nadia

En demandant à Nadia comment elle enseigne la PO, sa réponse pourrait être265 : « faire appel à ses
références d’enfance ». Cette formule est encore une énigme, les éléments suivants vont l’éclairer.

2.2.1.1. Le déjà-là décisionnel

Comme pour Philibert, le déjà-là décisionnel de Nadia est reconstruit grâce à un codage266 de la
transcription de l’entretien de déjà-là267. Il associe un volet expérientiel (ensemble des expériences
professionnelles et personnelles), un volet conceptuel (c’est le pôle cognitif, ensemble des croyances,
représentations, valeurs et conceptions) et un volet intentionnel (c’est le pôle conatif, réseau
d’intentions didactiques et d’éducation). Le déjà-là sensoriel est la partie du déjà-là décisionnel qui

264
Pour plus de précisions, consulter les chapitres précédents et notamment l’analyse du questionnaire exploratoire
265
Cette formule est rédigée au conditionnel car la question n’a pas été posée en ces termes précis.
266
Il est disponible en annexe papier n°17.
267
Le verbatim de l’entretien se trouve dans l’annexe papier n°14.

196
concerne spécifiquement l’objet d’enseignement, ici l’analyse sensorielle des vins, dont la partie
olfactive. Ce déjà-là sensoriel est présenté et détaillé dans la partie discussion des résultats de la
thèse.

a) Déjà-là expérientiel

Le déjà-là expérientiel de l’enseignante est composé de ses expériences professionnelles (dans


l’hôtellerie-restauration et dans l’enseignement), de ses expériences dans le domaine du savoir à
enseigner (en sommellerie et en analyse sensorielle des vins) et de ses compétences olfactives
personnelles.

Nadia possède plusieurs expériences dans différents établissements hôteliers et de restauration : « j’ai
travaillé (...) des hôtels du nord (…) un autre hôtel et le Royal (…) l’Hayat regency et le Sheraton
j’ai travaillé aussi dans un hôtel-restaurant en Auvergne au Mont-Dore et aussi un autre hôtel à côté
de Montpellier (…) et puis dans un restaurant ». Elle n’a pas d’expérience spécifique en sommellerie
mais indique avoir occupé cette fonction de valorisation et de service des boissons : « j’ai eu
l’occasion, bien sûr, de proposer le vin, de le servir ».

Nadia a suivi une formation à l’analyse sensorielle des vins : « j’ai eu l’occasion de le faire pendant
le stage à l’école hôtelière (…) j’ai fait un mois (…) avec la section sommellerie », elle considère
ainsi, d’après le questionnaire exploratoire, avoir une certaine expertise dans ce domaine. Elle
indique suivre une veille technologique, au travers de lectures (livres, magasines, internet...), de
visites de vignobles, de dégustations et d’analyses sensorielles régulières268.

Nadia a enseigné plusieurs années à l’étranger et possède également quelques expériences dans des
écoles privées en France. Elle a suivi une formation à l’IUFM et enseigne depuis quatre ans, depuis
l’obtention du concours PLP et après son année de professeur stagiaire, dans le même lycée hôtelier
en France.

L’enseignante se déclare sensible aux odeurs, elle dit entretenir un rapport à l’olfaction privilégié :
« Je crois que mon côté légèrement maniaque me permet de me rappeler davantage d'odeurs et de
les trier ». Elle a développé ses compétences olfactives pour être performante dans ce domaine :
« avec le temps je pense que (…) j’ai quelques réflexes qui sont des références ». Elle n’hésite pas à
se tester régulièrement pour progresser : « quand j’ai l’occasion de boire un vin, soit avec la famille
ou même avec les élèves (...) je prends aussi le verre (...) j’essaye de voir ce que ça donne et je

268
Voir ses réponses au questionnaire exploratoire, disponibles dans l’annexe numérique AN2 et AN3.

197
compare mes sensations avec celles des élèves pour voir : est-ce qu’on est sur la même longueur
d’onde ? ».

Nadia considère que les compétences olfactives sont enracinées dans le passé et la sphère privé :
« relations enfantines (…) ce qui rappelle notre enfance (…) en famille », les mots « enfant » et
« enfance » reviennent à plusieurs reprises durant l’entretien, à l’évocation de l’olfaction. Mais cela
est aussi omniprésent dans sa culture269 : « références culturelles (…) dans ma culture d'origine (…)
cuisine maghrébine (…) aliments très parfumés (anis, cannelle, épices) (…) ». Elle affirme que cette
variété, cette richesse ont contribué à son efficacité dans le domaine : « ça aussi c’est un élément qui
m’a permis (...) d’avoir plus facilement une approche un peu développée de la sensation que
d’autres ».

Synthèse du déjà-là expérientiel : Nadia est une enseignante débutante. Elle enseigne depuis
quelques années et possède une certaine expertise dans le domaine de l’analyse sensorielle grâce à
ces expériences professionnelles et à sa formation initiale et continue. Nadia déclare tirer ses
compétences olfactives de son enfance, d’une culture et d’une gastronomie où les odeurs sont riches
et variées.

b) Déjà-là conceptuel

Le déjà-là conceptuel réunit les représentations, les croyances, les valeurs de l’enseignante
concernant l’enseignement en général, l’enseignement technique et professionnel, l’analyse
sensorielle et la partie olfactive de l’analyse sensorielle en particulier.

Nadia est une enseignante qui aime son métier, le terme « aimer » revient à plusieurs reprises dans
son discours, elle indique « j’aime bien le contact ». Elle considère qu’il n’y a pas de routine dans
son métier : « l'élève il change tous les ans, ils sont tous différents, tous les jours différents, pas les
mêmes élèves », elle apprécie le challenge à relever : « amener les élèves d'un point A à un point B ».

Elle nous confie être parfois un peu déçue par l’échec: « des élèves qui ne réussissent pas parfois »
ainsi que par les difficultés qu’elle associe à leur jeune âge et à leur manque de motivation : « ils ne
comprennent pas des fois, ils sont un peu immatures, ils ne comprennent pas leur intérêt ».

Nadia considère que son expérience professionnelle lui est très utile : « bagage professionnel (cité 2
fois), une certaine expérience professionnelle, connaître le milieu, y avoir travaillé, ne pas arriver

269
Nadia a des origines marocaines.

198
directement de l'école », cette expertise lui semble nécessaire, elle dit que : « l'élève se projette à
travers l'enseignant ».

Nadia déclare que : « le vin est un élément important de la gastronomie française ». Elle cite
clairement les objectifs de l'AS : « connaître le produit pour le présenter, le valoriser et le vendre ».

Elle constate que l'AS divise les élèves : « certains sont réfractaires, c'est pas bon et ça pue [disent-
ils] », d'autres sont davantage motivés et trouvent l'AS et son cours : « nouveau (…) c’est
intéressant ».

Elle trouve que la PO est difficile à enseigner : « car elle se base sur notre propre expérience
personnelle: background d'enfance, culturel, etc. » d’après ses réponses au questionnaire
exploratoire.

Nadia positionne l’olfaction comme un sens important et prioritaire : « c’est par le nez qu’on
commence à appréhender tout ce qui est autour de nous », elle est bien consciente que l’approche
olfactive est très personnelle : « chacun a ses références (…) ça dépend des élèves ».

Synthèse du déjà-là conceptuel : Nadia aime son métier d’enseignante. Elle est convaincue de
l’importance du vin dans son enseignement même si certains de ses élèves ne partagent pas cet
intérêt. La PO est difficile à enseigner car elle est personnelle et dépend des références de chacun.

c) Déjà-là intentionnel

Le déjà-là intentionnel rassemble les intentions de l’enseignante : intentions éducatives d’enseigner


en général, intentions didactiques d’enseigner l’analyse sensorielle et intentions d’enseigner la partie
olfactive de l’analyse sensorielle en particulier.

Nadia considère qu’elle a une mission éducative importante, elle aide à devenir : « un bon citoyen
ouvert sur le monde, tolérant, beaucoup de choses quoi ».

Elle souhaite transmettre à ces élèves : « l'importance du vin dans un restaurant, au niveau chiffre
d'affaires et au niveau art de vivre à la française. Je souhaiterais que mes élèves prennent
conscience que la culture du vin est plus importante que toute autre boisson ». Et pour parvenir à
cette fin elle souhaite les ménager : « ne pas trop les forcer, ne pas les braquer, puis ça se passe
mieux », ainsi ses intentions didactiques sont progressives : « découverte au début, commencer
doucement, un atelier par mois, découvrir petit à petit, avec le temps ». Elle privilégie le côté
dynamique et professionnel de l’enseignement : « j’aime bien la pratique professionnelle, en atelier

199
expérimental, parce que je trouve que l’élève il passe d’un atelier à l’autre et c’est vivant, donc il a
un échange c’est un travail aussi en groupe donc ça permet une synergie et il n’est pas statique ».

Concernant ses intentions d’enseigner la PO elle cite à plusieurs reprises « méthodologie » et


« technique » pour développer les gestes et phases des : « 1er nez, 2è nez et 3è nez ». Cette méthode
est au service, selon l’enseignante, de la recherche de la complexité aromatique du vin : « dans le vin
il y a plusieurs arômes (…) une palette d'arômes (…) une sensation nasale très riche (…) arômes et
palette aromatique (…) multitude d'arômes (…) palette aromatique (…) arômes spécifiques ».

Nadia souhaite développer une approche de l'enseignement de la PO qui prend en compte l'élève, qui
met l'élève au centre de l'approche olfactive : « une part de la personne (…) qui dépend des
références de chacun », pour remplir cet objectif, l'enseignante déclare favoriser la liberté de ses
élèves, pour que chacun mobilise : « ses références personnelles d'enfance » pour qu’ils sollicitent
la : « recherche de leurs propres descripteurs », qu’ils sachent : « faire appel à leurs souvenirs
d'enfance ».

Synthèse du déjà-là intentionnel : Nadia souhaite enseigner la méthodologie et la complexité de la


PO. Pour parvenir à ce but, elle compte ménager ses élèves en menant une pédagogie pratique et
progressive. Elle veut conduire l’élève à solliciter ses propres références personnelles.

2.2.1.2. L’Épreuve

L’épreuve est analysée à partir d’un syllabus270. La grille de lecture de l’épreuve s’attache à décrire
la chronogenèse, les moments didactiques, les interactions verbales, les outils mobilisés, les
déplacements de l’enseignante, la proxémie et la conformité des activités des élèves aux attendus de
l’enseignante.

270
Annexe papier n°23

200
Présentation des éléments matériels et humains du milieu didactique

Salle de classe normale, disposition en 3 « îlots », 3 groupes de 3 élèves

Tableau blanc mobile avec


les objectifs de la leçon et les Vidéo projecteur sur l’écran,
éléments que l’enseignant vidéo et présentation de la
marque au fur et à mesure de leçon
la leçon

Classe de seconde Bac Pro en groupe, 9 élèves sont présents dont 1 fille et 8 garçons. Chaque
groupe a un crachoir et chaque élève un verre INAO. Documents distribués aux élèves : fiche
expérimentale d’analyse sensorielle avec des termes à entourer, fiche synthèse du cours.

a) Chronogenèse

La chronogenèse est la temporalité de la relation didactique. C'est la description du savoir enseigné et


son évolution dans le temps.

La leçon donnée à voir par Nadia dure 1 heure et 7 minutes. La vidéo se coupe avant la fin de la
leçon, probablement pour une raison technique (fin de la batterie ou problème de stockage des
données). D’après l’entretien post « à chaud » l’enseignante confirme qu’il ne manque que la fin de
la synthèse finale sur la vidéo, c’est-à-dire quelques minutes seulement.

La leçon de Nadia peut se décomposer en cinq parties remarquables. La première partie correspond à
une partie théorique. L’enseignante transmet les savoirs concernant l’AS, les sens sollicités et les
bases méthodologiques. Dans la deuxième partie de la leçon, elle met les élèves en activité pour créer
une fiche d’AS conforme aux apports théoriques énoncés en première partie. Lors de la troisième
partie, Nadia soumet un vin différent (un vin blanc, un rosé et un rouge) à chacun des trois groupes
pour mettre en application la démarche de l’AS. La quatrième partie de la leçon correspond aux
synthèses des groupes. Lors de la cinquième et dernière partie, l’enseignante fait la synthèse générale
de son cours.

La durée de chacune des parties de la leçon se répartit de la façon suivante :

201
Tableau 32 : durées des différentes parties de la leçon de Nadia

Parties de la leçon Durée de chaque partie % de la leçon


Partie 1 : Théorique et méthodologique 24 min 21 s 36 %
Partie 2 : Réalisation en groupe d’une fiche d’AS 6 min 14 s 9%
Partie 3 : AS pratique en groupe 28 min 25 s 42 %
Partie 4 : Synthèse de chaque groupe 6 min 45 s 10 %
Synthèse générale (vidéo interrompue)271 (1 min 50 s) 3%
Durée totale 1 h 7 min 35 s 100 %

b) Moments didactiques

Les quatre moments didactiques272 sont : définir, dévoluer, réguler et institutionnaliser. Le repérage
des moments didactiques de la leçon se trouve dans le syllabus en annexe numérique.

Tableau 33 : durées des moments didactiques dans la leçon de Nadia

Moments didactiques Durée de chaque partie % de la leçon


Définir 29 min 51 s 44 %
Dévoluer 12 min 27 s 19 %
Réguler 15 min 15 s 22 %
Institutionnaliser 10 min 00 s 15 %
Durée totale 1 h 7 min 35 s 100 %
Durant sa leçon, Nadia passe une majorité du temps à définir. Elle apporte du savoir273 et fixe les
consignes pour transférer aux élèves la responsabilité de l’acquisition de ce savoir. La partie
dévoluée est relativement importante dans la leçon de Nadia. Durant la dévolution, les élèves font
des activités de groupe, la partie régulation concerne à la fois les interventions qu’elle fait à
destination de toute la classe mais aussi les interactions qu’elle mène dans chaque groupe, en aparté.
Nadia fait autant de régulation que de dévolution car elle mène une leçon avec des premières années
de Bac professionnel, qui se dissipent facilement et qu’elle a besoin de recadrer souvent : « il y en a
qui sont un peu immatures c’est normal de plus en plus on a des élèves qui sont jeunes ils ne
comprennent pas leur intérêt » (entretien de DL). La partie institutionnalisée est, quant à elle, en

271
Cette partie, visiblement écourtée sur la vidéo pour des raisons techniques, doit durer plus longtemps dans la réalité,
nous choisissons de ne pas tenir compte de celle-ci dans la répartition car elle ne semble pas représentative de la réalité.
De plus Nadia précise, dans l’entretien post à chaud (consécutif à la leçon), qu’il ne manque que quelques minutes de sa
leçon sur la vidéo.
272
Pour rappel, leur définition se trouve dans la partie méthodologique.
273
Elle évoque les sens mobilisés lors d’une analyse sensorielle, la méthodologie et les phases chronologiques. Elle
donne aussi plusieurs éléments de vocabulaire typique de l’AS.

202
retrait. Ces moments d’institutionnalisation sont d’ailleurs pris en charge par les élèves puisque ce
sont des moments de synthèse, confiés aux élèves et validés par l’enseignante.

c) Interactions verbales

Les interactions verbales concernent les échanges avec les élèves. Le comptage se fait à chaque fois
qu’un ou plusieurs élèves prennent la parole pour répondre à une sollicitation de l’enseignante ou de
façon spontanée.

Tableau 34 : répartition des interactions durant les parties de la leçon de Nadia

Parties de la leçon Nombre d’interactions % de la leçon


Partie 1 : Théorique et méthodologique 36 38 %
Partie 2 : Réalisation en groupe d’une fiche d’AS 8 8%
Partie 3 : AS pratique en groupe 18 19 %
Partie 4 : Synthèse de chaque groupe 29 30 %
Synthèse générale (vidéo interrompue)274 5 5%
Nombre total 96 100 %
Naturellement, la plupart des interactions entre l’enseignante et les élèves ont lieu durant les
moments où il y a « échange » de savoirs. C’est-à-dire, en premier lieu, lors des apports théoriques
car l’enseignante met en œuvre un cours dialogué et en deuxième lieu, lors des phases
d’institutionnalisation, lorsque l’enseignante stabilise le savoir. Logiquement les interactions
(enseignant-élèves) sont inférieures quand les élèves sont en activité de groupe, Nadia fait alors de la
régulation mais elle laisse les élèves découvrir et mettre en pratique sous consignes, ses interventions
sont alors moins nombreuses.

Voici un extrait des interactions entre Nadia et un élève durant le cours dialogué de la partie 1 de la
leçon :

Nadia : « on va passer à la phase olfactive pour la phase olfactive on a dit qu’il y avait deux
étapes le premier nez, Quentin on sent pour voir s’il y a » élève : « il y a de l’alcool » Nadia :
« oui alors on peut sentir l’alcool par le nez c’est vrai » élève : « les arômes » Nadia : « les
arômes surtout quels arômes » élève : « fruités » Nadia : « alors soit fruité » élève : « floral »
Nadia : « floral » élève : « boisé » Nadia : « boisé animal ou minéral ça peut être tout et
n’importe quoi ».

274
Cette partie, visiblement écourtée sur la vidéo pour des raisons techniques, doit durer plus longtemps dans la réalité,
nous choisissons de ne pas tenir compte de celle-ci dans la répartition car elle ne semble pas représentative de la réalité.
De plus Nadia précise, dans l’entretien post à chaud (consécutif à la leçon), qu’il ne manque que quelques minutes de sa
leçon sur la vidéo.

203
Il est intéressant de noter l’apparition spontanée de l’alcool dans la bouche de l’élève ainsi que la
notion de complexité aromatique avec la citation de plusieurs familles aromatiques même si
l’expression « tout et n’importe quoi » est troublante, laissant entendre que toutes les odeurs, sans
distinction, sont susceptibles d’être présentes dans un vin.

Voici un extrait des interactions lors de la synthèse d’un groupe lors de la partie 4 de la leçon :

Nadia : « On écoute s’il vous plait » élève : « floral et fruité » Nadia : « d’accord alors au nez
au premier nez on a des arômes floral et fruité ensuite après au deuxième nez » élève : « au
deuxième nez on sent surtout les fruits rouges » Nadia : « d’accord fruits rouges ».
L’enseignante reçoit les commentaires de l’élève, rappelle la méthodologie, demande des précisions
et valide les descripteurs.

d) Analyse lexicale

Il s’agit de l’analyse lexicale275 du discours de l’enseignant.

275
Pour rappel, consulter la partie méthodologique.

204
Figure 74 : Unités terminologiques de la PO dans le discours de Nadia

Ce nuage de mots est constitué grâce aux unités terminologiques de la PO du discours de Nadia. Plus
les mots sont cités et plus leur représentation est importante dans le schéma. Ainsi l’occurrence du
verbe « sentir » est mentionnée à 35 reprises sous différentes formes, « nez » 10 fois, « arôme » 9
fois puis « deuxième nez » 8 fois et « premier nez » 6 fois. Nadia conduit sa leçon en invitant
vivement ses élèves à « sentir les arômes, en utilisant leur nez », c’est la partie méthodologique qui
apparaît ensuite avec le premier et le deuxième nez.

205
Figure75 : Répartition des unités terminologiques du discours de Nadia dans les champs de la PO

Les unités terminologiques de la PO utilisées par Nadia peuvent être réparties en différents champs
selon la littérature276. Nadia énonce majoritairement des termes décrivant la méthodologie de la PO,
comme le montre l’extrait de verbatim suivant :

« Donc la première fois que vous le sentez le vin, ça s’appelle le premier nez, donc sans le
bouger, vous sentez le vin pour voir c’est quoi l’arôme qu’il dégage, donc quand vous sentez
le vin vous allez sentir : est-ce qu’il sent le fruit ? Est-ce qu’il sent la fleur ? Est-ce qu’il sent
le bois ? Est-ce qu’il sent autre chose ? Donc c’est à vous de détecter au nez qu’est-ce qu’il
sent comme odeurs, est-ce que c’est floral, animal, végétal, ou autre chose d’accord ? Donc
il y a le deuxième nez, le vin dans le verre, (elle fait un mouvement qui tourne avec la main),
puis je ressens une deuxième fois (elle inspire au-dessus de sa main) donc je hume les arômes
pour savoir ce que c’est »
La densité du discours de la PO277 est de 11 %278. Cela signifie que l’enseignante étaye son discours,
elle entoure les termes techniques par des termes plus courants pour rendre intelligible son message.
Il s’agit véritablement d’un apprêt didactique (Chevallard, 1985). L’extrait de l’épreuve suivant est
assez significatif :

« Le deuxième nez, on regarde si les arômes que l’on avait au début se sont développées ou
pas, si le vin a besoin d’être mis en carafe, vous savez ce que c’est une carafe ? Vous avez ça

276
Le détail des différents champs évoqués se trouve dans la partie méthodologique.
277
Rappel : la densité du discours de la PO = (unités terminologiques de la PO / termes totaux du discours de la PO) x
100
278
Cet indice est détaillé dans la partie Rapprochement des cas

206
à la maison pour mettre de l’eau mais il y a des carafes pour le vin. Il y a des vins, il faut les
mettre en carafe pour les consommer, on peut pas les consommer comme ça parce qu’ils sont
fermés, il faut les aérer. Le vin, il reste dans des bouteilles fermées pendant des années et des
années donc quand on peut le consommer il faut l’aérer, surtout si c’est un vieux vin mais
vous avez des vins mêmes s’ils sont jeunes ils ont besoin d’être carafés pour exalter leur
caractère pour développer leurs arômes. »
La technicité du discours de la PO279 est assez haute (soit 7 %) puisque Nadia mobilise deux unités
terminologiques exclusives différentes, qu’elle répète à plusieurs reprises. Elle cite le terme
« empyreumatique » quatre fois et « caudalie(s) » cinq fois. Cet indicateur est un des signes d’une
certaine expertise (Carnus, 2008).

e) Outils mobilisés

Les outils utilisés par l’enseignant sont des outils matériels (manuel…) et symboliques (gestuelle,
langage…) (Brousseau, 1998). Nadia utilise différents outils durant sa leçon, elle les alterne pour
diversifier la transmission des savoirs. Elle a recours à une présentation assistée par ordinateur
projetée sur un écran. Elle diffuse une vidéo à deux reprises, une fois entière puis une seconde fois de
façon séquencée. Elle utilise un tableau blanc. Elle distribue des documents papier aux élèves
(synthèse méthodologique, liste de descripteurs, palette de couleurs et une fiche d’AS à compléter).
Elle commente les supports par son discours et elle fait les gestes et démonstrations techniques de la
démarche de l’AS.

f) Déplacements

Les déplacements de l’enseignante dans la classe durant la leçon filmée (l’épreuve) sont représentés
de façon graphique. Les locogrammes (Parlebas, 1981) permettent de matérialiser les déplacements
de Nadia dans sa classe. La leçon est divisée en plusieurs parties suivant la chronogenèse280. Les
plans sont présentés ci-dessous.

279
Rappel la technicité du discours de la PO = (unités terminologiques exclusives de la PO / unités terminologique de la
PO) x 100
280
Voir syllabus détaillé en annexe papier n°23 pour les repères chronométriques précis

207
Tableau 35 : locogrammes de la leçon de Nadia

Légende Représentation schématique de l’espace


didactique
Projection sur le tableau du vidéoprojecteur

Tableau blanc effaçable

Table de l’enseignante
Tables en îlots numéroté (pour 3 élèves)

Zone filmée par la caméra

Caméra fixe sur pied


Légende Représentation schématique de l’espace
didactique

Déplacements de l’enseignant (lignes)

Arrêts de l’enseignant (points)


Plus le diamètre du point est grand et plus
l’arrêt est long

La leçon est divisée en sept parties qui renvoient à des repères chronométriques précis. Les
locogrammes suivants sont présentés dans l’ordre chronologique de la leçon de Nadia.

208
Tableau 36 : locogramme de la leçon de Nadia, partie prise en main de la classe

Éléments de compréhension Plan n°1

Repères chronométriques :

du début à 11 min 30 s

Durant le début de la séance (prise en main de la classe, présentation de la méthodologie et des


phases chronologique de l’AS), l’enseignante reste majoritairement devant son bureau (pour
actionner l’avancée de la présentation vidéo-projetée ou pour lancer et arrêter la vidéo). Elle se
déplace à trois reprises devant chacun des trois îlots d’élèves pour distribuer trois documents
nécessaires à la réalisation des activités.

Tableau 37 : locogramme de la leçon de Nadia, partie présentation méthodologique

Éléments de compréhension Plan n°2

Repères chronométriques :

de 11 min 30 s à 24 min 21 s

Durant cette partie de la leçon (présentation de la méthodologie), Nadia actionne la vidéo. Elle reste
assise devant son bureau durant la projection. La vidéo est diffusée une fois en entier puis Nadia la
diffuse une seconde fois, en la stoppant pour commenter les éléments importants. L’enseignante se
lève et donne des explications complémentaires devant son bureau majoritairement. À trois reprises
elle se rend devant le premier îlot (îlot n°1) comme pour se rapprocher de l’ensemble de la classe.

209
Tableau 38 : locogramme de la leçon de Nadia, partie activité fiche d'AS

Éléments de compréhension Plan n°3

Repères chronométriques :

de 24 min 21 s à 29 min 10 s

Les élèves réalisent leur fiche d’analyse sensorielle (activité n°1). L’enseignante se déplace vers les
trois îlots à plusieurs reprises pour réguler. Des arrêts avec interactions avec les élèves se produisent
dans les trois îlots. Un arrêt plus long est à remarquer dans un îlot en particulier (îlot n°2).

Tableau 39 : locogramme de la leçon de Nadia, partie retour de l'activité

Éléments de compréhension Plan n°4

Repères chronométriques :

de 29 min 10 s à 34 min 56 s

Nadia demande à une élève de l’îlot n°3 de faire le retour de l’activité. Elle reste plus longtemps
devant cet îlot n°3 durant l’intervention de l’élève. Puis elle réalise, avec des élèves appartenant aux
îlots 1 et 2, la mise en place de l’activité suivante en distribuant dans chaque îlot des verres INAO,
des crachoirs et les bouteilles de vin à déguster. Elle donne enfin les consignes pour l’activité n°2 : il
s’agit de mettre en pratique la méthodologie de l’AS sur un vin (îlot n°1 vin blanc, îlot n°2 vin rouge
et îlot n°3 vin rosé).

210
Tableau 40 : locogramme de la leçon de Nadia, partie dévolution de l'AS

Éléments de compréhension Plan n°5

Repères chronométriques :

de 34 min 56 s à 1 h 1 min 25 s

Durant ce moment de dévolution, Nadia passe dans tous les groupes pour réguler l’activité. Elle
intervient particulièrement et prioritairement dans les îlots 2 et 3. Ces arrêts dans ces groupes sont
plus nombreux et plus longs.

Tableau 41 : locogramme de la leçon de Nadia, partie institutionnalisation de l'AS

Éléments de compréhension Plan n°6

Repères chronométriques :

de 1 h 1 min 25 s à 1 h 6 min 35 s

Un élève désigné par Nadia dans chaque groupe passe au tableau pour lire le bilan de l’AS du groupe
devant la classe. Le tracé de couleur orange correspond à l’îlot n°3, le tracé vert à l’îlot n°2 et le tracé
rose à l’îlot n°1. Nadia reste à proximité de l’élève qui s’exprime en tenant et montrant la bouteille
concernée. Ce sont les élèves qui se chargent de l’institutionnalisation sous la validation de
l’enseignante. Ils se trouvent devant le tableau, face à la classe, dans une situation magistrale, c’est-à-
dire à la place traditionnelle du maître.

211
Tableau 42 : locogramme de la leçon de Nadia, partie synthèse de la leçon

Éléments de compréhension Plan n°7

Repères chronométriques :

de 1 h 6 min 35 s à 1 h 7 min 35 s

Nadia distribue une feuille de synthèse lacunaire du cours. Un élève fait la lecture. Nadia commente
et complète.

g) Proxémie

Selon E. Hall « La dimension cachée » (1971), la proxémie distingue 4 distances dans les relations
sociales281.

Durant sa leçon, trois proxémies différentes alternent en fonction du moment de la séance. Nadia ne
se retrouve jamais à distance intime de ses élèves. Ce sont les moments didactiques « définir » qui
appellent une distance sociale et publique. Nadia s’adresse à toute la classe d’un endroit stratégique
duquel elle est visible et audible pour tous comme devant son bureau ou devant le tableau. Durant les
moments de « dévolution » Nadia se rapproche, en alternance, de chaque groupe pour réguler. Elle se
trouve, alors, à distance personnelle pour répondre aux interrogations des élèves, pour contrôler
l’avancement des activités, pour remettre sur le chemin de l’activité si nécessaire. Enfin elle est à
distance personnelle de chaque élève représentant son groupe lors de l’institutionnalisation. La
répartition des zones de proxémie pourrait se schématiser de la sorte :

281
Pour rappel, consulter la partie méthodologique.

212
Légende Représentation schématique de l’espace
didactique

Zone publique

Zone personnelle

h) Activités des élèves

Dans le syllabus, les activités des élèves sont repérées par rapport à leur conformité avec les
moments didactiques de l’enseignant. Seuls deux moments semblent en rupture avec le contrat initial
durant la leçon de Nadia.

La première rupture concerne le moment de la dévolution où un élève ne réalise pas l’activité


proposé par Nadia, il boit directement la totalité de son verre de vin sans réaliser les gestes de l’AS,
en échappant à la surveillance de l’enseignante (repère chronométrique 39 min 50 s sur la vidéo,
ligne 346 du verbatim de l’épreuve282).

La deuxième rupture concerne le moment de l’institutionnalisation où le même élève lit la synthèse


de l’activité réalisé par son groupe. Il présente des éléments des phases visuelles et gustatives sans
mentionner la phase olfactive. Nadia valide pourtant cette présentation incomplète (repère
chronométrique 59 min 03 s sur la vidéo, ligne 451 du verbatim de l’épreuve).

2.2.1.3. L’après-coup

Le rapprochement du déjà-là et de l’épreuve de l’enseignant (parties descriptives) fait émerger des


énoncés interprétatifs (partie compréhensive au regard des questions de recherche). Ces hypothèses
contribuent à constituer le guide d’entretien d’après-coup, entretien durant lequel l’enseignant

282
Annexe papier n°19.

213
reconstruit et donne du sens à l’épreuve. C’est grâce à ces moments sélectionnés que les entretiens
d’après-coup (AC) ont-été construits et structurés.

a) Construction du guide d’entretien d’après-coup

En fonction des modalités repérées, les intentions déclarées (lors de l’entretien de déjà-là) sont
rapprochées des actions constatées (lors de l’épreuve) pour repérer s’il y a continuité ou rupture entre
déjà-là (DL) et épreuve (EP). Une première analyse permet de croiser les deux premiers temps de la
méthodologie (DL et EP), de repérer – entre autres – des écarts entre les effets attendus et les effets
constatés et d’élaborer des énoncés interprétatifs sur ces écarts (Carnus, 2018).

Énoncé interprétatif n°1 :

L’enseignante ne sollicite pas les références personnelles de ses élèves, contrairement à son intention
déclarée lors de l’entretien de DL. Il lui est difficile de faire une approche individualisée de la PO.

Modalité repérée Termes descripteurs


Intention déclarée Recherche de leurs propres descripteurs (DL)
Action constatée Utilisation d’une fiche de description avec proposition de termes standards
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

Ligne 274 : « je vais vous donner une fiche d’analyse sensorielle vous écoutez je vais vous donner
une fiche d’analyse sensorielle qui a été préparée par mes soins qui comprend tous les éléments que
vous devez observer l’œil l’olfactif et le gustatif et vous allez entourer bien sûr les éléments qui
correspondent à votre vin ».

L’enseignante évoque le mot (nouveau, difficile) « empyreumatique » sans explication et sans


remarque ou incompréhension des élèves L401

Les élèves réutilisent le terme « empyreumatique », est-il employé à bon escient ? L505

Commentaires du chercheur :

Nadia indique lors de l’entretien de déjà-là que « L'olfaction est personnelle, dépend de chaque élève
avec ses références (…) Une approche de l'enseignement de la PO qui prend en compte l'élève, qui
met l'élève au centre de l'approche olfactive : une part de la personne, qui dépend des références de

214
chacun, l'enseignant laisse la liberté, ses références personnelles d'enfance, recherche de leurs
propres descripteurs, faire appel à leurs souvenirs d'enfance ». Durant l’épreuve Nadia fournit aux
élèves une fiche comprenant ses propres descripteurs.

Dans l’entretien d’AC Nadia sera questionnée sur l’origine de cette fiche, de ces descripteurs ainsi
que la façon avec laquelle elle l’utilise pour solliciter les références personnelles de ses élèves.

Énoncé interprétatif n°2 :

L’enseignante évoque ses références personnelles au lieu de pousser les élèves à évoquer les leurs.

Modalité repérée Termes descripteurs


Intention déclarée Ses références personnelles d'enfance, faire appel à leurs souvenirs d'enfance
(DL)
Action constatée Fait appel à ses références personnelles à elle
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

« Alors le premier nez, c’est pas floral c’est quoi c’est minéral vous ne trouvez pas que cela sent la
terre mouillée ou de la roche que vous avez gratté avec le couteau vous n’avez jamais fait ? » L398

Commentaires du chercheur :

Nadia passe dans un groupe d’élèves et fait la dégustation avec eux en proposant des termes
descripteurs. Elle fait appel à ses propres références. Ses références ne sont pas forcément
« compatibles » avec les références des élèves, il n’est pas sûr qu’elles fassent écho chez eux.

Dans l’entretien d’AC Nadia sera questionnée sur l’origine de cette référence personnelle.

Énoncé interprétatif n°3 :

L’enseignante ne souhaite pas que ses élèves évoquent le côté hédonique du vin (j’aime ou je n’aime
pas). Ceci appartient au domaine privé et elle ne souhaite pas que cela pénètre le domaine public.

215
Modalité repérée Approche hédonique
Intention déclarée L'AS divise les élèves : « certains sont réfractaires, c'est pas bon et ça pue » (DL)
Action constatée Demande de ne pas évoquer le « j’aime ou je n’aime pas »
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

Élève : « non on peut pas dire s’il est bon » Enseignante : « aimer c’est personnel » L289
Élève : « madame c'est pas bon » L376 Enseignante : « ça je vous ai dit c'est personnel »
Commentaires du chercheur :

Nadia demande aux élèves de ne pas manifester le côté hédonique qui appartient au domaine privé.
Selon elle, ils ne doivent pas donner leur avis, ils ne doivent pas évoquer leur goût personnel. Elle
indique que lors d’une AS il faut produire une description objective (et laudative) pour valoriser le
vin auprès des clients et générer des ventes au restaurant. Les élèves sont dans une situation
paradoxale, d’un côté ils doivent (et ne peuvent) avoir recours à leurs références personnelles et d’un
autre côté ils doivent se contenir pour ne pas donner leur avis privé sur le produit.

Dans l’entretien d’AC Nadia sera questionnée sur ce paradoxe.

Énoncé interprétatif n°4 :

L’action de cracher à un retentissement particulier dans la sphère privée ou (et) la culture de


l’enseignante.

Modalité repérée Méthodologie


Intention déclarée Si vous n’avalez pas il faut cracher (DL)
Action constatée Approche ambivalente de l’action de cracher
Rupture ou continuité Rupture ou continuité

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

« vous avez le droit de cracher » L23 « vous allez cracher si vous n'aimez pas » L24
« après que je l’ai craché ou que je l’ai avalé » L81
« le vin après l’avoir craché, vous pouvez il n’y a pas de problème » L192

216
« pour ceux qui n’aiment pas avaler le vin, vous pouvez cracher » L272
cracher ou craché ou crachoir sont cités 12 fois lors de la leçon : L23 L23 L24 L24 L74 L81 L191
L240 L270 L271L362 L392
Commentaires du chercheur :

Bien que ses élèves soient tous mineurs (classe de seconde bac pro), Nadia ne semble pas interdire
strictement la consommation d’alcool lors de la séance d’AS. L’action de « cracher » (qui évite
l’absorption d’alcool, néfaste à l’AS et à la santé pour les élèves mineurs comme pour les élèves
majeurs) semble être une possibilité offerte par l’enseignante aux élèves seulement dans le cas où ils
n’aiment pas le vin. Pour Nadia, cracher n’est pas obligatoire. Cependant l’enseignante crache
systématiquement durant la leçon.

Cracher semble important pour Nadia mais elle ne peut pas supporter de le rendre obligatoire. Dans
l’entretien d’AC Nadia sera questionnée sur ce rapport ambivalent.

Énoncé interprétatif n°5 :

Nadia a un rapport singulier à l’alcool. Elle se trouve en tension entre la prévention et la maîtrise de
la consommation des élèves lors de la leçon d’AS.

Modalité repérée Rapport à l’alcool


Intention déclarée L'intention d'enseigner des valeurs nobles : devenir un bon citoyen, être tolérant
(DL)
Action constatée Incident de l’élève qui boit le vin sans réaliser l'AS
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

L21 « c’est un produit alcoolisé et aussi à consommer avec modération ça c’est la loi qui le dit et
nous on fait attention parce que vous êtes jeunes donc je vais vous donner juste une petite (euh) la
moitié d’un verre pour analyser le vin donc vous avez aussi le droit de cracher »
L347 (les élèves d’un groupe boivent leur verre d’un trait sans le sentir) « qu’est-ce que vous avez
fait vous avez bu d’un seul coup (39 min50 s) non on boit pas d’un seul coup je vais vous expliquer
Mettez moi un petit peu de vin dans le verre »
L'alcool est présent tout au long de la séance : alcool et alcoolisé sont cités 22 fois durant la leçon :

19 fois par l'enseignante L21 L21 L158 L185 L211 L215 L238 L290 L393 L402 L406 L406 L430
L443 L444 L446 L446 L492 L504 et 3 fois par les élèves : L20 L214 L457

217
Commentaires du chercheur :

Nadia semble attacher de l’importance au fait que le vin soit un produit alcoolisé.

Cependant Nadia fait peu de réprimande suite à l’incident de l’élève qui boit directement son verre
entier. Peut-être a-t-elle un doute sur la réalité de ce qui s’est passé n’ayant pas pu prendre les élèves
sur le fait. Elle montre ensuite des signes d'autorité. Elle réprimande les élèves, vide les verres,
supprime la bouteille, menace de sanction, durant la suite de la leçon mais elle n’évoque pas « les
valeurs nobles, être un bon citoyen », valeurs qu’elle mentionnait dans l’entretien de DL, c’est-à-dire
le rapport mesuré avec l’alcool, la consommation responsable.

Dans l’entretien d’AC Nadia sera questionnée sur son rapport à l’alcool.

Énoncé interprétatif n°6 :

Nadia revoit ses exigences de description de la complexité aromatique à la baisse durant l’épreuve.
Le manque d’expérience la pousse à être moins ambitieuse sur ses exigences.

Modalité repérée Complexité aromatique


Intention déclarée Recherche de la complexité aromatique du vin (DL)
Action constatée Chez les élèves : pas de description du nez (pour le groupe des « buveurs ») ou
utilisation de 1 à 2 familles seulement (pour les autres groupes)
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

L430 commentaire du 1er groupe (groupe des buveurs) :

Élève : « la couleur de la robe est pelure d’oignon les larmes sont fines » Nadia : « Très bien ça veut
dire que c’est pas très sucré pas très alcoolisé quoique 13,5 c’est alcoolisé » Élève : « le disque est
fin » Nadia : « Oui le disque est fin » Élève : « la limpidité est brillante » (pas de commentaire du nez
du vin) « c’est un vin doux doux qui passe facilement » Nadia : « Combien de temps vous le gardez
en bouche 5 secondes c’est rapide il est pas long en bouche il est très court en bouche (elle s’adresse
à la classe) Qu’est-ce que vous en pensez de l’analyse du jeune homme parfait merci vous pouvez
retourner à votre place »
L452 commentaire du 2è groupe :

Nadia : « On écoute s’il vous plait » Élève : « floral et fruité » Nadia : « D’accord alors au nez au
premier nez on a des arômes floral et fruité ensuite après au deuxième nez » Élève : « au deuxième
nez on sent surtout les fruits rouges » Nadia : « D’accord fruits rouges » Élève : « il est franc »

218
Nadia : « D’accord » Élève : « 10 à 20 secondes » Nadia : « Donc reste longtemps en bouche il est
long en bouche ».
L480 : commentaires du 3è groupe :

Élève : « au premier nez il est minéral » Nadia : « D’accord » Élève : « au deuxième nez il est
moyennement ouvert » Nadia : « D’accord » Élève : « il est (euh) » Nadia : « On sent pas l’alcool
aussi au nez » Élève : « si » Nadia : « Empyreumatique, empyreumatique » Élève :
« empyreumatique après en fin de bouche il est court enfin moyen il a 4 caudalies » Nadia : « 4
caudalies donc c’est très court en bouche » Élève : « voilà »
Commentaires du chercheur :

Nadia souhaite mobiliser la complexité aromatique des vins, elle nous indique dans le déjà-là que
cela est important pour elle. Pourtant durant l’épreuve elle évoque surtout le niveau 1, famille
aromatique. Les élèves qui ont bu le vin directement ne mentionnent pas le nez du vin dans leurs
commentaires. Ceci semble logique puisqu’ils n’ont pas fait le « nez du vin » de l’AS. Nadia ne
relève pas et trouve que leur intervention est « parfaite ». Les autres élèves mentionnent surtout des
termes descripteurs de niveau 1 familles aromatiques (au niveau qualitatif) et confrontent 1 à 2
familles au maximum (au niveau quantitatif).

Dans l’entretien d’AC Nadia sera questionnée sur ses exigences en termes de description de la PO.

b) Émergence des énoncés interprétatifs

À l’issu du rapprochement de l’intentionnel déclaré (dans le DL) et des actions constatées (dans
l’EP), il est possible de formaliser les énoncés interprétatifs suivants :

1. L’enseignante ne sollicite pas les références personnelles de ses élèves, il lui est difficile de
faire une approche individualisée de la PO.
2. L’enseignante évoque ses références personnelles au lieu de pousser les élèves à évoquer
les leurs.
3. L’enseignante ne souhaite pas que ses élèves évoquent le côté hédonique du vin (j’aime
ou je n’aime pas). Ceci appartient au domaine privé et elle ne souhaite pas que cela
pénètre le domaine public.
4. L’action de cracher à un retentissement particulier dans la sphère privée ou (et) la culture
de l’enseignante.
5. Nadia a un rapport singulier à l’alcool. Elle se trouve en tension entre la prévention et la
maîtrise de la consommation des élèves lors de la leçon d’AS.

219
6. Le manque d’expérience pousse Nadia à revoir ses exigences de description de la
complexité aromatique à la baisse durant l’épreuve.

c) Analyse de l’après-coup

Pour chacun des énoncés interprétatifs, numérotées de 1 à 6, nous rapprochons la reconstruction du


sens à travers l’évocation des traces mnésiques mobilisées par le sujet, collectées durant l’entretien283
d’après-coup, avec les éléments collectés durant l’épreuve et les éléments du déjà-là.

1. L’enseignante ne sollicite pas les références personnelles de ses élèves, il lui est difficile de faire
une approche individualisée de la PO.

L’évocation du côté personnel des références olfactives dans l’entretien d’AC semble embarrasser
Nadia, c’est visiblement, un sujet délicat à aborder. Elle reste en retrait comme l’indique le début de
l’entretien :

Chercheur : « vous m’aviez dit que pour vous l’olfaction c’était très personnel »
Nadia : « oui »
Chercheur : « et que ça dépendait beaucoup de chaque élève et notamment des références des
élèves »
Nadia : « oui »
Chercheur : « parce que chacun a ses références »
Nadia : « oui »
Elle acquiesce mais ne développe pas, comme si elle ne souhaitait pas évoquer ce sujet intime et
délicat.

D’après Nadia, les élèves éprouvent des difficultés à mobiliser les références olfactives, ils n’ont pas
l’habitude de solliciter ce sens, ils n’ont pas le réflexe de sentir, ils ont tendance à privilégier
l’approche visuelle : « ils sont actuellement très attirés par le visuel cela vient un petit peu perturber
[la PO] ». Nadia indique que ses élèves ne stimulent pas leurs références olfactives car ils
n’apprécient pas spontanément cette approche concernant le vin : « en général ils disent ça sent
mauvais (…) ils n’aiment pas trop (…) généralement les adolescents n’aiment pas trop les odeurs du
vin ». Les références viennent aussi de l’entourage direct et Nadia regrette que les parents ne
s’investissent pas dans l’éducation à la culture du vin : « il y en a beaucoup qui me disent mes
parents ils ne boivent pas de vin ». L’approche viti-vinicole est souvent moins présente qu’une

283
Le verbatim de l’entretien d’après-coup est disponible dans l’annexe papier n°29.

220
consommation d’autres eaux-de-vie : « ils me disent non on n’achète pas de vin ou alors ils boivent
du whisky ».

Pour leur permettre de dépasser les obstacles à la PO, elle propose d’inhiber le sens visuel pour
mettre en lumière la PO : « alors moi je leur dis de se rappeler (…) en fermant les yeux de voir un
petit peu les odeurs (…) on va bander les yeux ». Cette expression « bander les yeux » revient à trois
reprises consécutives dans les conseils de Nadia. Il est d’ailleurs intéressant de constater que Nadia,
elle-même, parle : « de voir (…) les odeurs ». Malgré tous ces obstacles, Nadia persiste à vouloir
solliciter les références personnelles des élèves : « je leur dis de se rappeler (…) les arômes que ça
peut (…) faire référence ». C’est dans le passé personnel, familial que chacun doit aller puiser selon
Nadia, la transmission est importante : « quand ils étaient enfants les arômes quand ils vont chez leur
mamie ». Nadia déplore le manque de détermination et de perspicacité des élèves dans cette quête :
« vous n’allez pas très très loin dans vos souvenirs pour puiser (…) pour dire à quoi ça ressemble
donc (…) moi je leur dis : il faut chercher un peu plus loin ». Les références ont une grande
variabilité interpersonnelle : « ça dépend des personnes ».

Pour réaliser une AS, un des outils parmi les plus utilisés est une fiche sur laquelle se trouvent les
phases chronologiques et des propositions de termes. Nadia nous indique que la fiche qu’elle
distribue durant la leçon est une découverte pour ses élèves, c’est une première utilisation284 : « oui
c’est la première fois oui », cette leçon est aussi la première concernant le thème. La fiche n’est pas
co-construite, pour solliciter les références des élèves, c’est une proposition de l’enseignante. Quand
le chercheur questionne : « vous n’aviez jamais travaillé avec eux là-dessus », Nadia répond : « non
celle-là non je leur ai juste donnée pour qu’ils aient une idée ». Elle leur propose de s’approprier les
termes, de vérifier si elle est compatible avec leur ressenti : « je leur ai demandé (…) ce qu’ils voient
et qu’ils ressentent (…) est-ce qu’il y a des éléments qui peuvent les aider sur la fiche qu’ils puissent
(…) cocher ». À ce propos un terme technique de l’AS (empyreumatique), qui ne peut pas faire partie
des références des élèves car il est très technique et plutôt opaque pour des néophytes, est utilisé
spontanément par Nadia, durant la leçon, sans être particulièrement défini. Lorsque le chercheur
demande ce que représente ce terme pour les élèves, Nadia répond clairement : « alors pour eux ça
représente rien du tout ».

Nadia oscille entre la volonté de mobiliser les références personnelles des élèves et les difficultés que
cela engendre.

284
S’agit-il ici d’un effet de la recherche ? Se sachant observée, Nadia souhaite montrer une leçon « extraordinaire » ce
qui pourrait, aussi, expliquer l’utilisation de cette fiche. Cette fiche fait peut-être aussi partie de son habitus.

221
2. L’enseignante évoque ses références285 personnelles au lieu de pousser les élèves à évoquer les
leurs.

Nadia puise ses références personnelles dans sa culture286, dans sa gastronomie quotidienne :
« goûter des choses avec de la cannelle de l’anis » mais aussi dans le vécu de son enfance : « m’être
par exemple promenée dans les bois, être dans les étables quand j’étais enfant ».

Nadia est convaincue que ses références personnelles, d’enfance, sont une aide pour la PO : « ce sont
des choses qui peuvent faciliter l’analyse olfactive ». Elle fait d’ailleurs directement le lien entre son
enfance et les notes aromatiques des vins. En effet dans la même phrase elle évoque la cannelle,
l’anis de sa culture et les épices du vin287, ses balades dans les bois et les notes boisés du vin288, sa
connaissance des étables et le côté animal d’un vin289. Son vécu lui permet de saisir la richesse
aromatique des vins.

Nadia nous livre deux anecdotes pour nous présenter les références personnelles qu’elle évoque
durant sa leçon. Il s’agit de véritable « tranches d’enfance290 » qui paraissent agir comme une
madeleine de Proust pour Nadia tant elles semblent générer des images, agréables et précises. Nadia
évoque devant les élèves, à propos des arômes d’un vin blanc291 : « ça sent la terre mouillée la roche
grattée avec un couteau ». Lorsque le chercheur demande à Nadia d’évoquer ce passage-là, elle
narre : « parce que quand j’étais enfant il faisait très chaud alors parfois on arrosait devant la
maison pour un petit peu rafraîchir (…) et puis quand j’étais enfant aussi on jouait avec des pierres,
pour faire des dessins sur les pierres on les grattait pour avoir des petits reliefs ».

La mobilisation de ses références personnelles, comme exemple, est le moyen que Nadia a trouvé
pour étayer l’apprentissage des élèves. Dans le cadre de son enseignement, Nadia cherche à faire
progresser ses élèves. En utilisant ses références personnelles, elle cherche à faire visualiser les

285
Frédéric Heuser (2010) parle de « la Référence de l’enseignant ». Heuser définit la Référence comme l’ensemble des
influences internes et externes au sujet qui se conjuguent, s’activent et s’actualisent dans les enjeux de savoirs, à l’insu du
sujet.
286
Nadia est d’origine marocaine. Elle a passé son enfance au Maroc, elle y a suivi sa formation hôtelière et a eu ses
premières expériences professionnelles dans ce pays.
287
Certains vins, issus de certains cépages (la syrah par exemple) développent souvent des notes épicées.
288
C’est particulièrement l’élevage en barrique de chêne qui développe les arômes boisés dans un vin.
289
Les notes animales sont des notes « nobles » qui apparaissent dans les grands vins rouges de garde tel que le cuir.
Alors que la note « étable » serait plutôt du côté des défauts olfactifs.
290
Dans l’idée d’une « tranche de vie », c’est-à-dire s'en tenant à une reproduction fidèle de la réalité quotidienne,
d’après le CNRTL.
291
Certains vins blancs développent parfois des notes minérales telles que le silex ou la pierre à fusil.

222
odeurs : « j’ai essayé de leur mettre un petit peu des images pour que ce soit plus réaliste ». Elle
évoquait ainsi l’expression « voir les odeurs » plus tôt dans l’entretien. Elle fait appel à cette image
qu’elle juge presque universelle292 (terre mouillée et roche grattée) pour aborder, au passage, une
notion très complexe en AS, l’influence du terroir sur les vins : « je leur explique comme quoi le vin
ça peut aussi avoir des arômes et des intensités soit de la terre de la roche de la terre etc. pour dire
que cela vient d’un terroir et que cela donne des qualités de certains vins ».

Nadia sait très bien que l’apprentissage de l’AS s’inscrit dans le temps : « je pense que c’est avec le
temps, avec le temps ça se travaille ». Elle est lucide, l’AS ne s’acquiert pas immédiatement. C’est
un apprentissage guidé par l’enseignant mais aussi personnel (élève en autonomie), qui nécessite un
investissement progressif : « avec le temps ça se construit ».

En outre, Nadia évoque dans l’AC, une séance d’AS qui s’est déroulée après la leçon filmée. Elle
constate des progrès chez un élève qui, pour évoquer les arômes d’un vin, parvient à solliciter ses
références personnelles : « il y en a un qui m’a dit ça sent le crayon (…) des fois quand j’ai un
crayon je le ressens et j’ai l’impression que c’est la même chose ». Ce sont bien des références
personnelles car Nadia ne semble pas partager celles-ci : « je ne sais pas comment il a fait ça (…) je
lui dis c’est bien déjà c’est un début ». De plus, elle ne peut s’empêcher de ponctuer son récit de petit
rire comme pour prouver qu’elle est dubitative sur cette proposition.

L’évocation de ses références personnelles et le moyen, pour Nadia, de guider l’apprentissage de ses
élèves.

3. L’enseignante ne souhaite pas que ses élèves évoquent le côté hédonique du vin (j’aime ou je
n’aime pas). Ceci appartient au domaine privé et elle ne souhaite pas que cela pénètre le domaine
public.

Ce rapport hédonique à l’AS est ambivalent dans le discours de Nadia.

D’un côté elle semble contrariée que les jeunes n’apprécient pas le vin : « ils n’aiment pas trop (…)
les adolescents n’aiment pas trop les odeurs du vin (…) en général ils n’aiment pas ça ». Ils
préfèrent les boissons plus alcoolisées : « ils boivent du whisky », le premier contact avec les
boissons alcoolisées passe rarement par le vin : « ils préfèrent commencer par la vodka
directement », Nadia est consciente de cette alcoolisation : « y en a qui tous les week-ends ils boivent
de la vodka ». Elle déplore que les jeunes recherchent l’alcoolisation plutôt que l’approche de la

292
Elle postule que l’ensemble de ses élèves ont ces expériences-là.

223
culture viti-vinicole : « c’est tout ce qui est binge drinking293 ça ce n’est pas marrant ». Nadia pense
qu’il faut savoir apprécier ce vin qui représente, pour elle, un produit culturel et complexe : « nous
on est un pays (…) qui a je ne sais pas combien de références en vin c’est très très riche, l’histoire
est vraiment complexe du vin, l’élaboration du vin, les différents cépages etc. ». Elle est persuadée
qu’estimer et apprécier le vin est une condition sine qua non pour progresser dans le domaine de
l’AS : « je pense que c’est avec le temps il faut qu’ils aiment d’abord le produit et puis après et bien
avec le temps ça se construit ». Pour démontrer à quel point elle porte le vin en grande estime, elle
associe le vin à un enfant de façon métaphorique : « un vin je leur dis toujours c’est un enfant il naît,
il faut l’élever, s’il est bien il peut grandir comme il faut et donner de bons résultats et si on ne le
consomme pas tout de suite et bien il peut mourir ».

D’un autre côté Nadia indique clairement que « aimer, c’est personnel ». La démarche de l’AS n’est
pas une démarche hédonique individuelle : « je leur dis quand vous faites une analyse sensorielle
c’est pas pour vous (…) nous on n’est pas en ligne de compte là-dedans ». Elle considère que l’AS
est un outil professionnel dépersonnalisé pour bâtir une présentation commerciale à destination de la
vente au restaurant : « c’est pour pouvoir faire un argumentaire pour pouvoir convaincre un client
pour acheter ». En outre, elle compare l’AS pour la vente de vin au restaurant, à la vente d’une
voiture : « chez le vendeur de voitures on leur donne la voiture quand elle sort de l’usine on leur
donne la voiture presque un mois pour qu’ils la conduisent, ils la connaissent à fond comme ça
lorsque vous arrivez vous comme acheteur, ils arrivent à vous la vendre parce qu’ils l’ont manipulée
ils l’ont touchée ils ont vu comment elle réagissait sur la route etc. c’est pareil pour l’analyse
sensorielle ». Selon Nadia, les élèves doivent pratiquer l’AS de façon professionnelle, sans éprouver
de plaisir personnel car le vin est un produit de consommation comme un autre, comme une voiture.
Elle a la volonté de former des « vendeurs », des « commerciaux » qui doivent savoir présenter
objectivement le vin proposé au restaurant.

4. L’action de cracher a un retentissement particulier dans la sphère privée ou (et) la culture de


l’enseignante.

Émile Peynaud (1980) indique que le dégustateur professionnel « recrache le plus complètement
possible la gorgée de vin ». L’auteur du grand livre de la dégustation signale que recracher un vin ne
rend pas l’AS meilleure, « au contraire même », mais « il serait impossible au goûteur de boire sans

293
Le binge-drinking, ou « biture express » ou encore « beuverie express », est un mode de consommation qui consiste à
boire de l’alcool ponctuellement, le plus rapidement possible et en grandes quantités d’après le site « jeune alcool info
service » disponible sur : http://jeunes.alcool-info-service.fr [en ligne] consulté le 15 avril 18

224
dommage ». L’œnologue précise que ne pas boire relève d’une « obligation de prudence », il fait
directement allusion à l’ingestion d’alcool, problématique tant au niveau de la santé que de la perte
du discernement durant l’AS.

À l’évocation de l’action de « cracher » dans le cadre de l’enseignement de l’AS, Nadia n’évoque


pas les mêmes notions. Elle mentionne, successivement, des problèmes d’allergies, de plaintes des
parents, d’aération du vin et de responsabilité de l’enseignant.

Ce sont les allergies qui justifient, dans un premier temps, le rejet du vin selon Nadia : « j’ai trois
élèves qui étaient allergiques au vin (…) [s]’ils ne sont pas allergiques il n’y a aucun souci ». C’est
aussi un moyen d’éviter les reproches des parents : « une maman qui m’a dit nanani nanana vous
donnez du vin à mon enfant tout ça (…) il faut aussi penser aux parents qui sont un peu procéduriers
des fois voilà on peut avoir des problèmes (…) j’ai eu une maman qui m’a dit c’est quoi ça : vous
donnez à goûter de l’alcool ? ». De façon plus surprenante, Nadia pense, sans en être persuadée, que
l’action de cracher aurait un avantage perceptif dans l’AS : « on cracherait peut-être pour aérer ce
qui reste dans la bouche peut-être ». Elle parle ensuite de la responsabilité de l’enseignant : « s’il
leur arrive un problème à l’extérieur on est responsable » elle évoque directement sa responsabilité :
« s’il arrive un problème je serais mise en cause ». Nadia pense qu’elle pourrait être inquiétée dans
le cadre d’un accident consécutif à une ingestion d’alcool : « si un jour il arrive un problème avec un
élève alcoolisé qui sort et qui trébuche et se fait mal ou un truc comme ça je pense qu’on pourrait
avoir des problèmes moi je m’attends toujours au pire ». Finalement cette évocation des problèmes
possibles si les élèves ne crachent pas intervient en dernier ressort dans l’entretien. Nadia n’évoque
pas directement l’ingestion d’alcool dans le cadre de la santé ni dans la perte du discernement. Il
s’agit peut-être d’un déni294 d’une esquive ou d’un évitement. Dans la culture d’origine de Nadia, la
consommation d’alcool est prohibée. L’enseignante a pris des distances par rapport à cette
interdiction puisqu’elle indique consommer elle-même du vin dans plusieurs occasions : « quand j’ai
l’occasion de boire un vin, soit avec la famille ou même avec les élèves ».

Le fait de cracher ne semble pas obligatoire dans l’enseignement pour Nadia. Elle fait une analogie
directe avec l’AS d’un autre produit pour lequel il n’est pas nécessaire de cracher : « je leur dis même
si quand on vous donne un fromage vous le goûtez et bien là c’est pareil le vin il faudra le goûter ».
Elle préfère donner une petite quantité de vin et ne pas imposer de cracher car cela fait partie du
programme : « je n’en donne pas énormément (…) juste de quoi apprécier le produit pour pouvoir le

294
Mode de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la réalité, d’après le dictionnaire Laplanche Pontalis

225
commercialiser ça fait partie du référentiel, des compétences qu’il faut acquérir ». Nadia pense
même qu’il faudrait ne pas cracher, que cela n’est pas nécessaire : « normalement on devrait pas, on
devrait pas parce que c’est un produit qui est bien fait etc. moi je vois pas pourquoi est-ce qu’on
cracherait ». Elle recommande même de ne pas le faire : « oui bien sûr il faut pas, il faut pas le
gaspiller ». Lorsque le chercheur lui demande si cracher est problématique pour elle, elle acquiesce
directement, chercheur : « quelque part ça vous pose problème de cracher le vin ? » Nadia : « oui
oui ». Elle ne développe pas au-delà cet aspect, le chercheur respecte ce choix et change de sujet.
Cependant, durant la leçon filmée, Nadia recrache systématiquement le vin : « (elle met le vin en
bouche et elle crache), Élèves : vous ne buvez pas madame ? Nadia : Je ne vais pas gouter à toutes
les tables sinon après à la fin de la journée ». Elle est consciente du volume d’alcool qu’elle
ingurgiterait et qui serait pénalisant (ivresse, euphorie,…).

5. Nadia a un rapport singulier à l’alcool. Elle se trouve en tension entre la prévention et la maîtrise
de la consommation des élèves lors de la leçon d’AS.

Nadia n’a pas le même rapport à l’alcool que ses élèves. Elle ne positionne pas au même niveau le
vin et les autres produits alcoolisés tel que whisky et vodka.

Selon elle, les élèves cherchent à s’alcooliser chaque fois que possible : « il y a des petits malins qui
cherchent à finir le verre » bien que Nadia montre sa volonté de maîtriser l’ingestion d’alcool :
« nous on fait l’analyse avec une cuillère ou une paille mais il n’y en a quand même qui essayent de
finir le verre ». Les élèves vivent leur adolescence dans une culture du boire beaucoup et vite, Nadia
le déplore : « tout ce qui est binge drinking ça, ce n’est pas marrant ». Elle imagine qu’ils ont déjà
franchi un stade : « est-ce qu’ils sont alcoolisés déjà à la base ou quoi ? ». Nadia ne comprend pas ce
rapport à l’alcool : « il y en a quand même qui essayent de finir le verre, je sais pas pourquoi
d’ailleurs ».

Nadia exprime un rapport ambivalent à l’alcool. Elle utilise le terme « enivrer » à deux reprises
durant l’entretien. Dans un premier temps sous forme d’une injonction : « je leur ai dit on n’est pas
là pour s’enivrer, on est là pour analyser sensoriellement ». Puis, dans un second temps, sous forme
d’une possibilité : « vous n’avez pas le droit normalement de vous enivrer » où le terme
« normalement » introduit une interdiction « molle », interdiction qui pourrait être transgressée dans
certains cas. En effet Nadia semble pouvoir accepter une légère ivresse de ses élèves à propos du
vin : « si c’était du vin on peut dire que ça fait partie de la culture de la gastronomie française »,
culture qu’elle partage et qu’elle enseigne.

226
Pour gérer son rapport aux produits alcoolisés, Nadia choisi de faire preuve d’autorité dans sa classe,
elle indique utiliser la méthode des retenues et punitions : « je vous préviens si je vous attrape vous
serez collés ». Elle dit utiliser la méthode « forte » avec succès : « je leur fais peur une fois ou deux
fois et ça se calme ». Selon l’enseignante, il faut imposer les règles dès le début. Le chercheur
questionne : « au niveau de l’autorité ils sont sensibles à ça ? » et Nadia de répondre : « ah oui oui,
ah oui oui, moi je le vois ceux que j’ai en seconde après ça se passe très bien en première et
terminale si je ne les avais pas avant après c’est la porte ouverte à tout, ils font n’importent quoi ».
Nadia semble osciller entre une interdiction permissive et une interdiction autoritaire.

6. Le manque d’expérience pousse Nadia à revoir ses exigences de description de la complexité


aromatique à la baisse durant l’épreuve.

Nadia n’évoque pas, dans l’AC, l’impasse olfactive de la description du groupe des buveurs. Elle est
peut être préoccupée par son rapport à l’alcool et à la notion de cracher, laissant entièrement de côté
son objectif de description de la complexité de la PO.

Pourtant elle persiste, dans l’AC, à souhaiter que ses élèves développent un certain niveau de
description : « pour me sortir un maximum de descriptifs », elle continue à espérer un grain de
précision assez fin : « je leur ai dit il faut que ça soit (…) une phrase quand même assez détaillée ».
Cela est de nature à engendrer des tensions au cœur du déjà-là intentionnel.

Nadia à l’intention de leur faire dépasser le niveau 1 familles aromatiques pour évoquer des arômes
plus précis : « c’est vrai Madame vous avait dit ananas oui je pense que ça sent un peu l’ananas »,
elle les pousse à passer de la famille à l’arôme : « alors je dis ça sent pas un peu épicé là vous diriez
pas que c’est un peu poivré ? ». Pour remplir cet objectif, Nadia cherche à les mettre sur la voie tout
en étant convaincu de leur nécessaire implication : « j’essaye de leur donner moi des petites pistes
mais normalement c’est eux qui doivent chercher ».

Nadia est consciente que la PO est difficile à appréhender lors des premières leçons : « pour les
secondes c’est un peu très très vague pour l’instant », malgré ses efforts et les bases
méthodologiques elle indique: « je pense que c’est abstrait », elle conçoit que : « ça n’est pas très
très parlant », la représentation que les élèves se font de la PO : « [n’est] pas très approfondie dans
leur tête ».

Nadia pense que c’est avec le temps que cette compétence olfactive et linguistique va se développer :
« ça va arriver avec le temps plus vous allez analyser le produit plus vous allez accumuler (…) du
langage et ainsi de suite des descriptifs et ça va venir », elle fait rentrer les élèves dans une

227
dynamique qui deviendra opérationnelle dans plusieurs mois : « ça viendra avec le temps et en
terminale-là ils vont vraiment connaître (…) les tenants et les aboutissants de ce qu’ils font comme
analyse ». D’ailleurs pour appuyer ce sentiment, Nadia évoque les progrès déjà réalisés lors d’une
séance suivante, qu’elle qualifie de : « un peu plus dynamique », elle note l’apparition d’arôme plus
précis : « ils commencent à me dire à oui Madame c’est vrai-là on sent, on dirait que c’est de
l’ananas » l’enseignante remarque même le recours à des références personnelles : « moi j’ai déjà
goûté du gingembre Madame, on dirait que c’est du gingembre ».

2.2.1.4. Conclusion provisoire

Le rapprochement déjà-là, épreuve et après-coup permet de conforter des pistes d’interprétation pour
chacun des énoncés interprétatifs qui structurent la construction du cas.

1. L’enseignante ne sollicite pas les références personnelles de ses élèves, il lui est difficile
de faire une approche individualisée de la PO.

Nadia semble un peu gênée d’évoquer cette partie intime. Ses élèves n’ont pas l’habitude ni le goût
de solliciter la PO, ils ont plus facilement recours à l’approche visuelle. Nadia ne met pas en doute la
présence de leur « passé olfactif » mais elle déplore leurs lacunes à le stimuler. Nadia sait que
l’utilisation d’une fiche technique d’AS n’est pas optimale mais c’est un outil pour activer les
relations entre références personnelles et odeurs du vin. Nadia ambitionne de faire voir les odeurs,
peut-être par la mobilisation d’images mentales.

2. L’enseignante évoque ses références personnelles au lieu de pousser les élèves à évoquer
les leurs.

Nadia possède de puissantes références olfactives grâce à sa culture et à son enfance. Elle est
persuadée que ses références personnelles sont indispensables à l’apprentissage de l’AS de ses
élèves. Elle met donc en relief ses propres références, pour aider les élèves à visualiser les odeurs, en
escomptant que cette capacité se développera chez eux avec un temps d’apprentissage plus long.

3. L’enseignante ne souhaite pas que ses élèves évoquent le côté hédonique du vin (j’aime
ou je n’aime pas). Ceci appartient au domaine privé et elle ne souhaite pas que cela
pénètre le domaine public.

Nadia possède un rapport ambivalent au plaisir véhiculé par le vin. À la fois elle pense qu’il est
nécessaire d’apprécier le vin comme un produit noble et de valeur, et à la fois elle recommande de

228
faire abstraction de ce plaisir personnel pour dépersonnaliser l’acte de vente au restaurant. Il est
possible que Nadia fasse, dans ce domaine, une autocensure295.

4. L’action de cracher a un retentissement particulier dans la sphère privée ou (et) la culture


de l’enseignante.

Pour Nadia les justifications de l’action de cracher durant l’AS ne sont pas en phase avec les raisons
invoquées par la littérature (obligation de prudence, atteinte à la santé, perte du discernement). Elle
évoque prioritairement les risques allergiques, les plaintes des parents d’élèves et la responsabilité de
l’enseignant. En plus de le rendre facultatif dans le cadre de l’apprentissage, Nadia considère l’action
de cracher comme peu nécessaire voire déconseillé dans l’AS. Pourtant, elle crache
systématiquement après chaque mise en bouche. Son rapport avec l’action de « cracher » est
ambivalent296.

5. Nadia a un rapport singulier à l’alcool. Elle se trouve en tension entre la prévention et la


maîtrise de la consommation des élèves lors de la leçon d’AS.

Les élèves, en pleine adolescence, ont une approche d’alcoolisation massive de type « binge-
drinking ». Nadia ne le tolère pas, elle fait preuve d’autorité pour gérer le rapport avec les produits
alcoolisés. Cependant, elle accepte un léger enivrement pour l’AS du vin qu’elle ne positionne pas au
même niveau que les autres alcools. Elle a un rapport ambivalent à l’alcool.

6. Le manque d’expérience pousse Nadia à revoir ses exigences de description de la


complexité aromatique à la baisse durant l’épreuve.

Même si Nadia n’est pas consciente d’une baisse d’exigence durant sa première leçon, elle persiste à
souhaiter le développement de descriptions aromatiques assez précises. Cet écart entre son
intentionnel et la réalité de l’EP peut être responsable d’une certaine tension. Elle connaît les
difficultés des élèves débutants et met en place un système d’exigences sur le long terme qui aboutira
en fin de cycle, en classe de terminale.

295
« Fonction qui tend à interdire aux désirs inconscients (…) l’accès au système préconscient-conscient » d’après le
dictionnaire Laplanche Pontalis
296
« Présence simultanée dans la relation à un même objet, de tendances, d’attitudes et de sentiments opposés » d’après
le dictionnaire Laplanche et Pontalis

229
2.2.2. Vignette didactique clinique du cas

La vignette didactique clinique est la cristallisation et la synthèse des éléments saillants de l’étude
d’un cas (Carnus, 2013). Elle se bâtit par la reconstruction du cas au regard de la problématique du
chercheur (Carnus, 2007) grâce aux éléments collectés dans les données des entretiens (DL et AC) et
des observations de classe (EP). La question de recherche interroge ce qui s’enseigne (savoir
enseigné) dans le cadre de la PO.

2.2.2.1. Forme diachronique de la vignette didactique clinique

La forme diachronique reprend les éléments saillants de la construction du cas en suivant la


méthodologie chronologique de la didactique clinique : le déjà-là, l’épreuve et l’après-coup.

a) Déjà-là de Nadia : le poids des références personnelles

Déjà-là expérientiel : Nadia est une enseignante débutante. Elle enseigne depuis quelques années :
« depuis mon intégration dans l’éducation nationale j’ai enseigné au lycée (…) et puis depuis 2012
septembre 2012 j’enseigne au lycée (…) » et indique posséder une certaine expertise dans le domaine
de l’analyse sensorielle grâce à ces expériences professionnelles : « j’ai eu l’occasion de proposer le
vin, de le servir » et grâce à sa formation : « avec la section sommellerie ». Nadia déclare tirer ses
compétences olfactives de son enfance : « relations enfantines (…) ce qui rappelle notre enfance (…)
en famille », d’une culture et d’une gastronomie où les odeurs sont riches et variées : « références
culturelles (…) dans ma culture d'origine (…) aliments très parfumés (anis, cannelle, épices) ».

Déjà-là conceptuel : Nadia dit aimer son métier d’enseignante : « Personnellement j’adore mon
métier ». Elle est convaincue de l’importance du vin dans son enseignement : « le vin est un élément
important de la gastronomie française » même si certains de ses élèves ne partagent pas cet intérêt :
« certains sont réfractaires, c'est pas bon et ça pue ». La PO est difficile à enseigner car elle est
personnelle : « elle se base sur notre propre expérience personnelle: background d'enfance, culturel,
etc. » et dépend des références de chacun : « chacun a ses références (…) ça dépend des élèves ».

Déjà-là intentionnel : Nadia considère sa mission éducative importante, elle apprend à devenir :
« un bon citoyen ouvert sur le monde, tolérant ». Nadia souhaite insister sur la méthodologie : « 1er
nez, 2è nez et 3è nez ».et sur la complexité de la PO : « dans le vin il y a plusieurs arômes (…) palette
aromatique (…) multitude d'arômes ». Pour parvenir à ce but, elle compte ménager ses élèves : « ne
pas trop les forcer, ne pas les braquer » en menant une pédagogie pratique et progressive :
« découverte au début, commencer doucement, un atelier par mois, découvrir petit à petit, avec le
temps ». Elle veut conduire l’élève à solliciter ses propres références personnelles : « recherche de

230
leurs propres descripteurs », qu’ils sachent : « faire appel à leurs souvenirs d'enfance » pour
développer la double compétence « du sentir et du dire ».

b) Épreuve de Nadia : les élèves au centre de la leçon

Nadia mène une séance variée, en donnant des apports théoriques (les sens concernés par l’AS, la
méthodologie de l’AS), en mettant les élèves en activité (constitution d’une fiche d’AS) et en
proposant une approche pratique (mise en œuvre d’une AS sur trois vins de trois couleurs
différentes). Elle conduit différents moments didactiques, elle définit, dévolue, régule et
institutionnalise (Sensevy, Mercier, 2007). La participation des élèves est assez importante, Nadia les
stimule, les interactions sont nombreuses. Nadia mobilise et alterne plusieurs outils matériels
(Brousseau, 1998) tels que présentation projetée, vidéo séquencée, tableau blanc ainsi que plusieurs
documents papier (liste de descripteurs, fiche d’AS). Suivant les moments didactiques, l’enseignante
se déplace dans la classe, elle se rapproche des élèves pour réguler leur activité le cas échéant,
comme en témoigne les locogrammes (Parlebas, 1981). Elle sait occuper l’espace public de la classe
tout en étant proche des groupes en activité, elle alterne les différentes proxémies (Hall, 1971). Les
activités des élèves sont conformes aux consignes de l’enseignante. Il est à noter une rupture du
contrat didactique lorsque des membres d’un groupe boivent le vin, rapidement et à l’insu de Nadia,
sans suivre les consignes de Nadia ni réaliser l’AS. Ils se trouvent alors incapables de faire une
description de la PO lors du compte-rendu devant l’ensemble de la classe.

c) Après-coup de Nadia : ambivalence entre sphère privée et publique

Nadia est persuadé que la PO passe par la mobilisation de références personnelles. Elle connaît les
lacunes et difficultés de ses élèves et ne peut pas s’empêcher d’exposer les siennes pour les pousser à
visualiser les odeurs du vin. Elle prévois que l’apprentissage de la description de la complexité
aromatique des vins se développera sur le long terme. Dans son enseignement, lors de ce premier
cours, elle donne à voir ses propres représentations intimes.

Pourtant Nadia véhicule un rapport ambivalent entre la sphère privée (les représentations intimes des
odeurs) et la sphère publique (la présentation marchande des arômes du vin). Il demeure un écart
entre l’approche hédonique, nécessairement associé au vin, produit noble et de qualité qu’elle
valorise, et la dissimulation du plaisir en situation commerciale qu’elle exige de ses élèves.

Nadia entretient aussi un rapport ambivalent avec l’alcool, elle condamne l’alcoolisation de ses
élèves adeptes du « binge drinking » et en même temps tolère une légère ivresse dans le cadre de la
dégustation du vin. Ce qui n’est pas sans incidence sur son rapport à l’action de « cracher » qu’elle a

231
du mal à justifier dans le cadre de son enseignement. Elle la présente comme facultative pour ses
élèves alors qu’elle se l’impose à elle-même.

2.2.2.2. Forme synchronique de la vignette didactique clinique

La forme synchronique reprend les éléments saillants de la construction du cas en les rapprochant des
trois rapports à : rapport au(x) savoir(s), rapport à l’épreuve et rapport à l’institution (Carnus,
Mothes, 2016).

a) Rapport au(x) savoir(s)

Le rapport au savoir est constitué de trois axes : axes de l’expertise, du désir et de la rencontre.

Distance X Proximité Axe de l’expertise

Sur l’axe de l’expertise, Nadia est à proximité du savoir. Elle considère avoir une certaine expertise
dans le domaine. Ses expériences professionnelles, ses formations et sa veille scientifique lui
confèrent une assurance face à la PO. Elle s’appuie sur de puissantes références olfactives tirées de
son enfance, de sa culture et de sa gastronomie d’origine.

« Avec le temps je pense que (…) j’ai quelques réflexes qui sont des références ». « Dans ma culture
d'origine (…) ça aussi c’est un élément qui m’a permis (...) d’avoir plus facilement une approche un
peu développée de la sensation que d’autres » (Extraits de l’entretien de DL).

Répulsion X Attirance Axe du désir

Sur l’axe du désir, Nadia affirme aimer son métier ainsi que l’enseignement de l’AS. Pour enseigner
la PO, elle mobilise ses représentations olfactives comme de véritables « madeleines de Proust ».
Elle associe très fortement vin et plaisir comme condition sine qua non à l’apprentissage de la PO.
Elle est particulièrement attirée par le savoir de la PO.

« J’aime bien le contact, je trouve que l’élève il change tous les ans il y a toujours un challenge à
relever (…) Tous les jours c’est différent (...) on a pas toujours les mêmes élèves ça évolue, c’est ça
qui me plaît on s’ennuie pas ». « L’olfaction (…) c’est la relation de toute la partie aromatique d’un
vin (…) c’est par le nez qu’on commence à appréhender tout ce qui est autour de nous (…) j’aime
bien ça ». (Extrait de l’entretien de DL).

Nouveauté X Ancienneté Axe de la rencontre

232
Sur l’axe de la rencontre, Nadia situe l’approche olfactive dans son enfance, la plupart de ses
références remonte à cette période. Bien qu’elle enseigne depuis quelques années seulement, elle
pratique l’AS depuis longtemps. Son rapport avec le savoir est donc ancien.

« on a une relation très très enfantine avec, (…) ce qui nous rappelle notre enfance en général (…)
j’arrive à trouver plus ou moins à quoi ça correspond au niveau de de l’olfaction surtout pour les
vins (...) je pense que ça aussi c’est un élément qui m’a permis (...) d’avoir plus facilement une
approche un peu développée de la sensation que d’autres peut-être (...) j’aime bien ça » (Extraits de
l’entretien de DL).

b) Rapport à l’épreuve

Le rapport à l’épreuve est constitué de trois axes : axes de l’expérience, de la contingence et de


l’affect.

Étrangeté X Familiarité Axe de l’expérience

Sur l’axe de l’expérience, Nadia enseigne depuis peu. Son intention de développer chez les élèves la
double compétence « sentir et dire » semble encore trop ambitieuse par rapport à la contingence de
l’épreuve. Elle a recours à une fiche d’AS trop complète pour ses élèves débutants et elle utilise des
unités terminologiques « empyreumatique (…) caudalies » plutôt complexes pour une première
séance.

« Pour les secondes c’est un peu très très vague pour l’instant (…) ça n’est pas très très parlant ».
(Extrait de l’entretien d’AC).

Inhibition X Excitation Axe de la contingence

Sur l’axe de la contingence, Nadia mène l’épreuve avec une certaine assurance. Elle semble
cependant un peu déstabilisée par la rupture du contrat didactique des élèves qui ingèrent l’alcool
sans réaliser l’AS. Elle fait également preuve d’un rapport équivoque à l’action de cracher.

« Qu’est-ce que vous avez fait vous avez bu d’un seul coup ? Non on boit pas d’un seul coup ! Je vais
vous expliquer ». « Vous avez le droit de cracher (…) vous allez cracher si vous n'aimez pas (…)
après que je l’ai craché ou que je l’ai avalé (…) le vin après l’avoir craché vous pouvez il n’y a pas
de problème (…) pour ceux qui n’aiment pas avaler le vin vous pouvez cracher ». (Extrait de l’EP).

Souffrance X Plaisir Axe de l’affect

233
Sur l’axe de l’affect, Nadia ne semble pas s’autoriser pleinement le plaisir qu’elle recommande pour
l’AS. Elle s’impose de cracher systématiquement le vin alors qu’elle tolère, voire recommande, à ses
élèves de boire. Il est probable qu’une frustration s’installe lors de la contingence de l’épreuve.
L’enseignante est consciente de ses responsabilités et dit s’attendre au pire.

« Normalement on devrait pas, on devrait pas parce que c’est un produit qui est bien fait etc. moi je
vois pas pourquoi est-ce qu’on cracherait (…) il faut pas le gaspiller ». « Si un jour il arrive un
problème avec un élève alcoolisé qui sort et qui trébuche et se fait mal ou un truc comme ça je pense
qu’on pourrait avoir des problèmes moi je m’attends toujours au pire » (Extrait de l’EP).

c) Rapport à l’institution

Le rapport à l’institution est constitué de trois axes : axes de l’assujettissement, du confort et de la


reconnaissance.

Soumission X Émancipation Axe de l’assujettissement

Sur l’axe de l’assujettissement, Nadia est soumise à l’institution, comme c’est souvent le cas chez les
enseignants débutants. Son rapport ambivalent au « cracher » en est le signe : elle aimerait s’en
affranchir tout en ne pouvant s’empêcher de le conseiller. Elle sait que son action s’inscrit dans un
cadre précis dont elle est la garante. Elle suit de très près les programmes, elle répond à la commande
institutionnelle. Nadia semble également assujettie aux parents de ses élèves mineurs. Elle assure
l’enseignement des valeurs que lui confie l’école, former de « bons citoyens » en faisant preuve
d’autorité.

« Je n’en donne pas énormément (…) juste de quoi apprécier le produit pour pouvoir le
commercialiser ça fait partie du référentiel, des compétences qu’il faut acquérir ». (Extrait de l’EP).

« Il faut aussi penser aux parents qui sont un peu procéduriers des fois voilà on peut avoir des
problèmes ». (Extrait de l’entretien d’AC).

Risque X Sécurité Axe du confort

Sur l’axe du confort, Nadia prend le risque d’exposer ses élèves au savoir de la PO. Elle dévolue
l’AS pratique de vin (produit alcoolisé) tout en régulant fortement pour guider les apprenants sur le
chemin de leur apprentissage. En faisant manipuler et ingérer un produit alcoolisé à ses élèves
mineurs, Nadia sait qu’elle se met en danger. Elle reste exposée à plusieurs risques, les reproches des
parents, l’accident après le cours, les allergies…

234
« S’il arrive un problème je serais mise en cause (…) j’ai trois élèves qui étaient allergiques au
vin ». (Extrait de l’entretien d’AC).

Exclusion X Inclusion Axe de la reconnaissance

Sur l’axe de la reconnaissance, Nadia se sent plutôt reconnue par l’institution. Elle maintient sa
position d’adulte face à l’initiation « au savoir-boire » d’un produit alcoolisé avec des élèves
débutants et mineurs dont la propension à consommer de l’alcool est sensible. Sa maîtrise du savoir
lui permet d’être plutôt en sécurité, sans être complètement à l’abri d’une rupture (comme les élèves
qui boivent directement et en cachette). Elle assure son statut de sujet supposé savoir.

Chercheur : « au niveau de l’autorité ils sont sensibles à ça ?

Nadia : « ha oui oui, ha oui oui. Moi je le vois ce que j’ai en seconde après ça se passe très bien en
première et terminale. Si je ne les avais pas avant après c’est la porte ouverte à tout. Ils font
n’importent quoi, donc ils deviennent de plus en plus durs parce que les parents, les parents, les
parents les défendent même s’ils ont tort ».

(Extrait de l’entretien d’AC).

2.2.2.3. Formule du sujet

La formule est tirée des mots de l’enseignant. Les mots de Nadia « faire appel à ses référence
d’enfance » sont issus de l’entretien ante de DL. Ils ne sont pas directement dans la réponse de
l’enseignante à la question de recherche « comment enseignez-vous la PO ? ». Ils sont retenus par le
chercheur car ils semblent représentatifs des choix de Nadia pour enseigner la PO. La formule est
signifiante pour le chercheur.

Lorsque Nadia prononce « faire appel à ses référence d’enfance », le chercheur entend :

 Mobiliser ses propres références d’enfance, puissantes, riches et agréables ;


 Stimuler les références d’enfance de ses élèves mêmes si elles sont difficiles à mobiliser ;
 Ne pas rendre obligatoire l’action de cracher le vin par respect pour ce produit de valeur et
emblématique de l’art de vivre à la française en référence à des valeurs de son enfance ;
 Tolérer une légère ivresse pour le vin mais bannir l’alcoolisation avec les autres eaux-de-vie
comme vestige d’un interdit d’enfance.

La formule acquiert une autonomie, elle devient une représentation du sujet au regard de la
problématique du chercheur.

235
2.3. Christian : « Personne n’a tort (…) il faut suivre un chef, un modèle, un mentor »

D’après notre classification297, Christian est un enseignant chevronné : il est expérimenté dans
l’enseignement et il est expert dans le domaine de l’analyse sensorielle des vins.

2.3.1. Présentation et analyse diachronique du cas

Les données collectées contribuent à la construction et à la présentation du cas Christian. Elles sont
produites par trois entretiens et une observation de classe : un entretien ante séance de « déjà-là »
(DL), l’observation d’une leçon « l’épreuve » (EP), un entretien post à chaud et un entretien post
« d’après-coup » (AC).

Figure 76 : Rappel de la chronologie de la collecte des données pour Christian

En demandant à Christian comment il enseigne la PO, sa réponse pourrait être298 : « Personne n’a
tort (…) il faut suivre un chef, un modèle, un mentor ». Cette formule est encore une énigme, les
éléments suivants vont l’éclairer.

2.3.1.1. Le déjà-là décisionnel

Le déjà-là décisionnel de Christian est reconstruit grâce à un codage299 de la transcription de


l’entretien de déjà-là300. Il associe un volet expérientiel (ensemble des expériences professionnelles et
personnelles), un volet conceptuel (c’est le pôle cognitif, ensemble des croyances, représentations,
valeurs et conceptions) et un volet intentionnel (c’est le pôle conatif, réseau d’intentions didactiques

297
Pour plus de précisions, consulter les chapitres précédents et notamment l’analyse du questionnaire exploratoire
298
Cette formule est rédigée au conditionnel car la question n’a pas été posée en ces termes précis.
299
Il est disponible en annexe papier n°17.
300
Le verbatim de l’entretien se trouve dans l’annexe papier n°15.

236
et d’éducation). Le déjà-là sensoriel est la partie du déjà-là décisionnel qui concerne spécifiquement
l’objet d’enseignement, ici l’analyse sensorielle des vins, dont la partie olfactive. Ce déjà-là sensoriel
est présenté et détaillé dans la partie discussion des résultats de la thèse.

a) Déjà-là expérientiel

Le déjà-là expérientiel de l’enseignant est composé de ses expériences professionnelles (dans


l’hôtellerie-restauration et dans l’enseignement), de ses expériences dans le domaine du savoir à
enseigner (en sommellerie et en analyse sensorielle des vins) et de ses compétences olfactives
personnelles.

Christian est enseignant titulaire depuis plus de 18 ans. Il a enseigné dans différents lycées. Il a
plusieurs expériences professionnelles dans le domaine de l’hôtellerie-restauration en France et à
l'étranger, dans différentes formules de restauration et d'hébergement. Il a plusieurs expériences
professionnelles en sommellerie, durant des stages et dans un établissement gastronomique étoilé au
guide Michelin. Christian a suivi une formation classique en hôtellerie-restauration, il a obtenu les
diplômes techniques du domaine (baccalauréat technique hôtelier, BTS et licence en hôtellerie-
restauration). Il y a naturellement suivi durant ses études une formation à l'AS, il l'enseigne depuis le
début de sa carrière et la pratique de façon très intensive dans son enseignement et pour la
préparation du concours du MOF301 sommellerie : « aptitudes que j’ai approfondies dans mon métier
à force de travail à force de dégustations (…) à me préparer pour le concours [du meilleur ouvrier
de France en sommellerie] ». Christian considère détenir des compétences personnelles olfactives
même si elles sont toujours perfectibles : « je dis toujours dans le milieu de la sommellerie on en a
toujours à apprendre », il déclare : « à force de le travailler on développe un peu plus de sensibilité
(…) c’est un exercice que je fais quasiment, pas tous les jours, mais presque ».

Synthèse du déjà-là expérientiel : Christian est un enseignant chevronné. Il est expert dans le
domaine de la PO, il a une formation en AS, des expériences en sommellerie, il enseigne l’AS depuis
plusieurs années, dans différents lycées et à plusieurs types d’élèves. Il s’entraîne à l’AS des vins
quasi quotidiennement, dans le cadre de son enseignement et pour sa préparation au concours du
MOF.

301
Le concours « Un des Meilleurs Ouvriers de France » est organisé sous l’égide du ministère de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Le diplôme « Un des Meilleurs Ouvriers de France » est, depuis 2001, un
diplôme d’État de niveau III. Il est délivré par le ministère de l’Éducation nationale. Source : site internet du concours
MOF, [en ligne], disponible avec le lien : https://www.meilleursouvriersdefrance.org/, consulté le 5 mai 2018

237
b) Déjà-là conceptuel

Le déjà-là conceptuel réunit les représentations, les croyances, les valeurs de l’enseignant concernant
l’enseignement en général, l’enseignement technique et professionnel, l’analyse sensorielle et la
partie olfactive de l’analyse sensorielle en particulier.

La volonté d’enseigner est venue, pour Christian, du modèle de plusieurs de ses professeurs lorsqu’il
était élève : « ça démarre un peu comme ça : deux trois modèles de professeurs dont je voyais un peu
la passion, la lumière dans les yeux quand ils faisaient cours ». Christian considère comme
passionnel son métier dans la sommellerie : « de voir le plaisir qu’ils avaient [ses professeurs
modèles] à faire leur métier (…) c’est vraiment ça qui m’a motivé et qui me motive encore tous les
jours ». Le terme « passion » est cité 17 fois dans l’entretien. Il a envie de la transmettre, de
l’enseigner : « notre métier est une passion puis après on a aussi envie de l’enseigner, de le
partager ». Christian dit développer beaucoup de plaisir à enseigner, le terme « plaisir » apparaît 10
fois dans l’entretien. Il considère que le rôle de l’enseignant déborde souvent du cadre professionnel
de la restauration : « un peu papa-maman sur certains niveaux de classe (…) on a des jeunes qui sont
pas toujours éduqués à la base, je dirais qu’ils manquent un peu d’un repère social, une forme
d’autorité quelque part qu’ils n’ont pas toujours eu avant ». Christian se voit lui aussi comme un
modèle pour ses élèves : « le plaisir de le transmettre aux jeunes et de voir à leur tour la lumière un
peu dans leurs yeux ». Il se présente à la fois comme un professionnel et comme un enseignant, il est
à la fois dans le théorique et dans la pratique professionnelle : « moi je me considère autant comme
un professionnel que comme un enseignant » dit-il à deux reprises durant l’entretien.

Christian est passionné par la sommellerie, par son enseignement et particulièrement celui de l’AS :
« c’est cette matière là que je préfère ». Il enseigne d’ailleurs cette matière à ses différents élèves :
« l’analyse sensorielle avec les mises à niveau302 (...) les BTS (...) et après bien sûr avec les
sommeliers303, bien sûr on fait systématiquement de l’analyse sensorielle mais à trois niveaux
différents ». Il est persuadé que le travail et l’entraînement payent puisqu’il dit que : « ça
s’apprend ». Pour Christian, l’AS a pour principal objectif la valorisation commerciale des vins au
restaurant : « apprendre à parler d’un vin à un client (…) la dégustation elle ne sert que la vente que

302
« Cette classe fait partie intégrante du cycle d’études préparant au brevet de technicien supérieur Management en
hôtellerie-restauration considéré (…) Les candidats à l’admission dans une section de techniciens supérieurs management
en hôtellerie-restauration qui n’ont pas suivi un second cycle du domaine de l’hôtellerie-restauration sanctionné soit par
le baccalauréat technologique Sciences et Technologies de l’Hôtellerie et de la Restauration (STHR), soit par le
baccalauréat professionnel « Commercialisation et services en restauration », soit par le baccalauréat professionnel «
Cuisine » doivent suivre la formation de la classe de mise à niveau. » d’après le référentiel du diplôme novembre 2017.
303
Mention complémentaire sommellerie.

238
la commercialisation du produit (...) c’est surtout dans une approche commerciale (...) qu’est-ce que
je vais pouvoir raconter à mon client pour le vendre ? ». Il est d’ailleurs très critique sur certains
aspects de l’AS et notamment l’approche olfactive : « ça nous fera une belle jambe de savoir qu’il
sent la framboise ». Christian souhaite développer l’expression des élèves par l’AS : « le tout c’est de
donner envie aux gens de parler puis de s’exprimer ».

Christian considère que la PO est importante mais moins que la partie gustative de l’AS : « pour moi
la partie la plus importante ça reste la bouche ». Il se demande même si elle peut exister seule :
« moi elle va participer à la bouche (...) la grosse partie pour moi c’est quand même la partie
gustative ». Il recommande même d’être prudent avec la PO (qui précède la partie gustative lors de
l’AS) pour garder l’harmonie de la description : « moi je suis toujours très prudent sur la partie
olfactive du vin (…) je dis toujours aux élèves ne vous prononcez pas trop vite, attendez de goûter le
vin (…) parce que cela permet d’être cohérent sur sa dégustation ». De plus, la PO pose problème à
Christian car elle dépend de chaque personne : « la perception elle reste très personnelle » et
nécessite des compétences particulières : « forcément il faut des aptitudes ». Christian semble troublé
lorsqu’il ne perçoit pas les mêmes arômes que ses élèves : « on peut tomber face à un élève qui va te
faire ressortir un arôme auquel tu n’as pas pensé parce que tu n’es pas dans ce registre-là et pour
autant il a raison ». Christian exprime une ambivalence, à la fois il indique que tout le monde à son
mot à dire sur l’expression aromatique d’un vin : « personne n’a jamais vraiment raison en termes de
dégustation » et il vise comme objectif d’amener ses élèves sur une description consensuelle : « c’est
arriver à se mettre d’accord ensemble ». Pour parvenir à cela, Christian se positionne comme la
référence : « le tout c’est d’arriver à fédérer les personnes autour de soi », il se positionne
clairement comme le modèle : « il faut suivre un chef un modèle, un mentor qui va te dire et bien là
ça sent ça et la finalité de ça elle est où ? Que l’on soit tous d’accord ».

Synthèse du déjà-là conceptuel : Christian trouve sa vocation pour l’enseignement de la


sommellerie en suivant le modèle de certains professeurs de sa propre formation. Ce métier est pour
lui passionnel, l’AS est son enseignement préféré. Cependant, la PO est problématique pour
Christian, ce n’est pas, pour lui, la partie principale de l’AS. De plus, la PO est personnelle :
« personne n’a jamais vraiment raison ». Pour enseigner la PO, il se positionne comme le mentor.

c) Déjà-là intentionnel

Le déjà-là intentionnel rassemble les intentions de l’enseignant : intentions éducatives d’enseigner en


général, intentions didactiques d’enseigner l’analyse sensorielle et intentions d’enseigner la partie
olfactive de l’analyse sensorielle en particulier.

239
Spontanément, pour définir son intention d’enseigner en général, Christian répond : « c’est de la
passion, qu’ils soient contents d’aller au travail le matin ». Sa passion du métier, il dit vouloir
l’inscrire dans le temps pour ses élèves : « c’est qu’ils aient envie de continuer dans ce métier ».
Christian ne perd pas de vue les objectifs certificatifs du diplôme : « on travaille sur le futur mais on
travaille en grande partie sur les objectifs d’examen ».

Christian est convaincu que l’AS passe par un réel apprentissage : « ça s’apprend vraiment ». Cela
s’enseigne et il souhaite d’ailleurs maîtriser la totalité de cet apprentissage, même si certains de ses
élèves ont déjà des notions en AS, Christian indique vouloir refixer les bases : « remise à plat : on
repart à zéro (…) histoire de partir sur de bonnes bases », il dit considérer : « qu’ils n’ont jamais
goûté, qu’ils ne savent pas goûter, pour reprendre les choses de la base ». Il préfère donc donner, à
nouveau, les outils basiques de façon très structuré et organisé, il dit vouloir installer l’architecture de
l’AS : « une trame de dégustation qui est un peu rigide au départ (…) assez normée (…) remettre des
codes en place (…) il faut installer un format de dégustation ». Dès que la structure de base est
maîtrisée, Christian invite les élèves à développer leur lexique : « s’exprimer avec du vocabulaire un
peu de plus en plus riche », l’enseignant fournit pour cela : « pas à pas tous les trimestres par
exemple une liste de vocabulaire », pour leur permettre de pouvoir, ensuite : « évoluer (…) avec un
peu plus de sensibilité ».

Une fois que la méthodologie de base est installée, Christian souhaite développer les ressentis
personnels des élèves : « après il faut le faire avec sa sensibilité et puis sa conviction (…) ce que
peuvent ressentir les autres ». Il indique que sa méthode d’enseignement passe, dès le début, par la
communication : « c’est l’échange essentiellement », il dit mobiliser participation et écoute : « il faut
toujours que cela reste du partage, de la dégustation, de l’échange (…) et il faut pas hésiter à faire
parler les autres », même si cette communication ne semble pas facile : « on essaye d’échanger (…)
j’essaye d’écouter ce qu’ils ont à me dire ». Christian dit rester en retrait pour favoriser la
communication de ses élèves : « se montrer humble et modeste par rapport à ce que nous-mêmes on
ressent et ne pas chercher à impressionner la galerie ce n’est pas le but ». Il indique mettre ses
élèves dans de bonnes conditions pour s’exprimer : « mettre en confiance les personnes (…) les
encourager leur montrer qu’elles progressent ».

Christian semble bien conscient, que dans la perception de l’AS, les avis peuvent être différents :
« on peut pas dire c’est ça et penser avoir raison parce qu’on a jamais forcément raison », mais il
pose en référence ces capacités dans l’AS grâce à son DL expérientiel : « il y a des chances que l’on
soit [je sois] un peu plus dans le vrai dû à l’habitude et à l’expérience », étant le SSS, il s’impose,

240
ainsi, de remettre sur la voie les élèves qui ne le suivent pas sur les mêmes sensations : « c’est à moi
de recadrer en fonction des perceptions ». L’enseignant dit obtenir, en fin de formation : « des jeunes
qui goûtent [sous-entendu qui mène bien l’AS] plutôt bien et avec une trame et avec un style »,
même s’il est bien conscient de l’influence qu’il a sur l’apprentissage et les compétences de ses
élèves : « une pâte du corps enseignant que ce soit un prof ou l’autre ou même une équipe mais qui
donne un style dans l’approche de la dégustation et ça se reconnaît à la fin ».

Christian pense que ses élèves n’ont pas tous un répertoire d’odeurs suffisant : « ils n’ont pas encore
forcément tous ces repères là où cette éducation olfactive », cela fait partie d’une éducation
personnelle, privé : « on fait appel à des souvenirs olfactifs à une mémoire sensorielle que tout le
monde n’a pas ou qui est en développement ». Pour conduire l’apprentissage de la PO, Christian dit
ne pas aimer utiliser des arômes synthétiques : « c’est pas toujours très fidèle », mais préférer faire
sentir, parfois, des odeurs naturelles moins communes : « je leur ramène des bourgeons de cassis
(…) des feuilles de buis (…) sur des arômes je veux dire un peu atypiques (…) dont ils n’ont pas de
repères par exemple l’aubépine (…) ou le jasmin (…) ou le chèvrefeuille ».

Les exigences visées par Christian sont, dans un premier temps, d’évoquer la famille aromatique,
sans rentrer dans une précision trop délicate : « le nom de l’arôme ne m’intéresse pas dans un
premier temps parce qu’ils vont pas me dire que ça sent la cerise la burlat où la framboise mais au
moins la gamme fruitée », pour devenir, par la suite : « de plus en plus précis », pour obtenir des
informations importantes et techniques : « qu’on soit capable de préciser si ce sont des notes
primaires, plutôt secondaires ou des notes de vieillissement, tout ça pour retrouver un peu des
informations sur le vin ou sur le cépage ou sur l’âge du vin », pour finir avec une certaine exigence :
« ce que j’attends d’eux c’est qu’ils soient assez justes dans le vin, dans ce qu’ils retrouvent ».

Il dit être à l’écoute des élèves, disposé à accueillir leurs descriptions aromatiques des vins, il déclare
les laisser s’exprimer : « moi je suis toujours très ouvert vis-à-vis de la dégustation », il pense que
chacun dispose de sa vérité, c’est-à-dire de l’expression de ce qu’il a réellement perçu, il est donc
difficile de contredire un élève : « parce que personne n’a tort, on peut pas dire qu’un élève à tort
sur un arôme, moi j’y vais toujours doucement là-dessus ». Mais au final, Christian dit conserver le
dernier mot : « le ressort c’est le prof c’est-à-dire quand un moment il faut trancher pour dire ça ça
sent ça ou ça ça sent ça », il se positionne en repère, en modèle : « mais à la fin celui qui va trancher
celui qui va donner l’information et l’information qu’ils doivent retenir (…) c’est celle validée par le
prof ». Christian indique que, pour finir, les élèves doivent tous se retrouver autour de l’enseignant :
« à un moment il faut qu’on puisse tous se mettre tous d’accord (…) c’est le prof qui va dire ça c’est

241
une note d’hydrocarbure ça ça sent le poivre blanc ça c’est le piment ça c’est le menthol ». Il se dit
investi par une position : « c’est le rôle du prof de dire alors là vous êtes sur tel type d’arôme et on
se met vite d’accord », qui n’est pas contestée par ses élèves : « ils auraient pu dire moi ce vin là je
perçois autre chose (…) j’ai jamais entendu ça (…) j’ai jamais un élève qui m’a dit ah bon vous
sentez ça moi je suis pas d’accord ». L’enseignant fait autorité dans la phase d’institutionnalisation.

Synthèse du déjà-là intentionnel : Christian préfère repartir de zéro pour enseigner la PO, il
souhaite fixer ses bases. Il met en place une trame normée et rigide. Il dit laisser, ensuite, s’exprimer
les élèves mais s’inscrit, finalement, comme le modèle à suivre, comme la référence qui met tout le
monde d’accord. C’est lui le mentor, celui qui tranche.

2.3.1.2. L’épreuve

L’épreuve est analysée à partir d’un syllabus304. La grille de lecture de l’épreuve s’attache à décrire
la chronogenèse, les moments didactiques, les interactions verbales, les outils mobilisés, les
déplacements de l’enseignant, la proxémie et la conformité des activités des élèves aux attendus de
l’enseignant.

304
Annexe papier n°24

242
Présentation des éléments matériels et humains du milieu didactique

Salle de classe d’analyse sensorielle, disposition en U.

Tableau blanc fixe

Classe de mention complémentaire sommellerie, 10 élèves sont présents, assis en U autour


du bureau de l’enseignant, face au tableau.

Chaque élève a un crachoir individuel (mini lavabo) un verre d’AS type « Chef et
sommelier305 ».

a) Chronogenèse

La chronogenèse est la temporalité de la relation didactique. C'est la description du savoir enseigné et


son évolution dans le temps.

La leçon donnée à voir par Christian dure 50 minutes et 14 secondes. La vidéo se coupe avant la fin
de la leçon, pour une raison technique (fin de la batterie). D’après l’entretien post « à chaud »
l’enseignant confirme qu’il ne manque que la fin de la synthèse finale sur la vidéo.

La leçon de Christian peut se décomposer en trois parties remarquables. La première partie


correspond au passage des consignes et à la mise en place de l’activité par l’enseignant. Dans la
deuxième partie de la leçon, il met les élèves en activité pour réaliser l’AS individuelle d’un vin
blanc sec. Lors de la troisième partie, l’enseignant conduit la synthèse de l’activité en recueillant le
retour des élèves et en stabilisant le savoir.

La durée de chacune des parties de la leçon se répartit de la façon suivante :

305
Chef et sommelier est une marque de verres « Nos lignes (…) associent l’expertise de la dégustation, l’élégance et la
résistance de matériaux innovants » d’après le site internet de la marque : https://www.chefsommelier.com/fr/ [en ligne],
consulté le 23 août 18

243
Tableau 43 : durées des différentes parties de la leçon de Christian

Parties de la leçon Durée de chaque partie % leçon % leçon


Partie 1 : consignes et mise en place 6 min 20 s 13 % 13 %
Partie 2 : activité individuelle élève 8 min 35 s 17 % 17 %
Partie 3 : synthèse, partie visuelle 8 min 7 s 16 %
Partie 3 : synthèse, partie olfactive 13 min 10 s 26 %
Partie 3 : synthèse, partie gustative 12 min 23 s 25 % 70 %

Partie 3 : synthèse générale (vidéo


1 min 39 s 3%
interrompue)306
Durée totale 50 min 14 s 100 % 100 %
Presque trois quarts (70 %) de la leçon sont affectés à la synthèse durant laquelle l’enseignant
recueille les retours de l’AS des élèves, les commente et les complète. La partie olfactive est la partie
qui mobilise le plus de temps durant la leçon, juste devant la partie gustative (qui comprend
également des évocations aromatiques de l’AS). Ces deux parties, représentent la moitié de la séance
entière.

b) Moments didactiques

Les quatre moments didactiques307 sont : définir, dévoluer, réguler et institutionnaliser. Le repérage
des moments didactiques de la leçon se trouve dans le syllabus en annexe numérique.

Tableau 44 : durées des moments didactiques dans la leçon de Christian

Moments didactiques Durée de chaque partie % de la leçon


Définir 6 min 20 s 13 %
Dévoluer 4 min 45 s 9%
Réguler 3 min 48 s 8%
Institutionnaliser 35 min 19 s 70 %
Durée totale 50 min 14 s 100 %
Durant sa leçon, Christian est très présent face aux élèves, il mène la séance durant 90 % du temps. Il
passe presque les trois quarts du temps à institutionnaliser. Il sollicite le retour des élèves sur la
dévolution, qui représente un dixième de la leçon. Il y a un peu de régulation durant l’apprentissage,

306
Cette partie, visiblement écourtée sur la vidéo pour des raisons techniques, doit durer plus longtemps dans la réalité,
nous choisissons de ne pas tenir compte de celle-ci dans la répartition car elle ne semble pas représentative de la réalité.
De plus Christian précise, dans l’entretien post à chaud (consécutif à la leçon), qu’il ne manque que quelques minutes de
sa leçon sur la vidéo.
307
Pour rappel, consulter la partie méthodologique.

244
en fin de la partie dévolution. Cette leçon est plutôt de type magistral, le savoir est surtout, et
majoritairement, du côté de l’enseignant.

c) Interactions verbales

Les interactions verbales concernent les échanges avec les élèves. Le comptage se fait à chaque fois
qu’un ou plusieurs élèves prennent la parole pour répondre à une sollicitation de l’enseignant ou de
façon spontanée.

Tableau 45 : répartition des interactions durant les parties de la leçon de Christian

Parties de la leçon Nombre d’interactions % leçon % leçon


Partie 1 : consignes et mise en place 6 5% 5%
Partie 2 : activité individuelle élève 7 6% 6%
Partie 3 : synthèse, partie visuelle 19 17 %
Partie 3 : synthèse, partie olfactive 40 37 %
Partie 3 : synthèse, partie gustative 34 31 % 89 %

Partie 3 : synthèse générale (vidéo


4 4%
interrompue)308
Nombre total 110 100 % 100 %
C’est lors de la partie olfactive que les interactions avec les élèves sont les plus nombreuses (37 %).
Les interactions de la partie gustative sont également assez importantes (31 %). C’est lors de ces
deux phases réunies que les échanges verbaux des élèves avec l’enseignant sont les plus nombreux.
En prenant en compte le fait que lors de la partie gustative, la partie aromatique du vin est largement
évoquée, il est alors possible d’affirmer que les interactions verbales concernent très majoritairement
la PO. Ceci alors que Christian indique, dans l’entretien de DL, que la PO n’est pas la partie la plus
importante de l’AS pour lui.

Les interactions de la leçon font partie d’un cours dialogué (Veyrunes, 2008). Christian pose une
question (initiation), les élèves répondent (réaction des élèves) et l’enseignant évalue et complète
(réaction de l’enseignant). Les deux interactions suivantes donnent une idée assez représentative des
échanges verbaux de la leçon de Christian. Ce premier échange a lieu durant la phase olfactive.

Christian : vous allez comprendre avec le deuxième nez. Qu’est-ce qu’on fait au deuxième
nez de différent du premier nez ?

308
Cette partie, visiblement écourtée sur la vidéo pour des raisons techniques, doit durer plus longtemps dans la réalité,
nous choisissons de ne pas tenir compte de celle-ci dans la répartition car elle ne semble pas représentative de la réalité.
De plus Christian précise, dans l’entretien post à chaud (consécutif à la leçon), qu’il ne manque que quelques minutes de
sa leçon sur la vidéo.

245
Élève : on doit bouger le verre pour le…
Christian : on doit ?
Élève : on aère
Christian : on aère le vin pour ?
Élève : pour les arômes
Christian : qu’est-ce qui se passe ?
Élève : ouvrir le vin
Christian : ouvrir le vin. Qu’est-ce qui se passe quand tu remues le verre ?
Élève : l’oxygène rentre
Christian : l’air rentre il devient support des molécules et les fait partir dans le verre
Élève : il vaporise
Christian : donc là on va sentir un vin qui a déjà pris un peu l’air. Bon à quoi ça sert ?
Élève : à développer les odeurs
Christian : à développer les odeurs si des fois mon vin est un peu fermé, au premier nez bon
le fait de l’aérer un peu je produis un carafage rapide dans mon verre bon sang il va se
réveiller ça c’est juste. Maintenant quel est l’intérêt de faire le premier nez et le deuxième nez
si au premier nez j’ai plein d’arômes ? Quel intérêt de faire le deuxième nez alors qu’on vous
demande de faire les deux ? C’est marrant ces questions qui se posent avec lui il a plein de
questions bizarres ! Ah oui mais il faut comprendre pourquoi on déguste et comment on
déguste. Quel intérêt de faire un deuxième nez par rapport au premier nez l’explication est
dans le geste que vous venez de traduire.
Pour justifier la phase méthodologique du deuxième nez, Christian conduit un cours dialogué. La
participation des élèves, sous forme de réponses aux questions posées par l’enseignant, sont courtes
et peu structurées. Elles se composent souvent d’un sujet et d’un verbe : « on aère (…) ouvrir le
vin ». L’enseignant relance le dialogue jusqu’à obtenir la réponse qu’il attend. À noter les dernières
remarques de Christian qui exprime à voix haute ce que pensent (ou devraient penser selon lui) les
élèves à ce stade-là de la leçon : « C’est marrant ces questions qui se posent avec lui il a plein de
questions bizarres ! ». Christian apporte lui-même la réponse à la question que les élèves ne se
posent peut-être pas, comme pour justifier la pertinence de sa leçon : « Ah oui mais il faut
comprendre pourquoi on déguste et comment on déguste ». Cette situation semble un peu artificielle
car l’enseignant fait ici lui-même les questions et les réponses, il s’agit d’ostension déguisée
(Matheron, Salin, 2002). N’est-ce pas aussi représentatif du cours dialogué précédent qui ressemble à
l’effet Topaze309 présenté par Brousseau (1998) ?

309
Brousseau présente l’effet Topaze dans son glossaire de quelques concepts de la théorie des situations didactiques en
mathématiques comme la situation durant laquelle « l’enseignant ne pouvant pas accepter d'erreurs trop grossières et ne

246
Ce deuxième échange a lieu durant la phase gustative.

Christian : qu’est-ce que vous avez senti comme arômes ?


Élève : fruits frais
Christian : alors fruits frais ça c’est la gamme aromatique on verra qu’avec le temps on
essaiera d’être plus précis et de citer le nom des fruits qui vous intéressent
Élève : moi je sens l’ananas
Christian : alors il y a un côté exotique, ananas c’est juste
Élève : agrumes
Christian : agrumes moi j’ai un côté orange sanguine que j’avais beaucoup en bouche
Élève : moi aussi pareil
Christian : voilà ensuite
Élève : je sens un peu du coing un peu
Christian : alors oui coing frais plutôt mais pas la confiture de coing encore le coing frais
Élève : (inaudible)
Christian : alors le coing ça s’écrit c o i n g c’est pas le coin du mur
Élève : (rire)
Christian : ensuite ça sent pas bon d’ailleurs le coin du mur ensuite
Élève : le melon ?
Christian : d’un côté peut-être légèrement (en secouant la tête, dubitatif) qu’est-ce que j’ai
noté moi (il lit ses notes) agrume, vanillé, légèrement boisé (silence), moi j’avais un petit côté
noisette au tout début, noisette fraîche au tout début que je n’ai pas eu après mais premier
nez j’ai eu un nez de la noisette. »

Dans la recherche de la complexité aromatique, Christian sollicite les élèves puis précise et complète
largement les propositions : « Élève : agrumes, Christian : agrumes moi j’ai un côté orange
sanguine ». Lorsqu’il ne partage pas les descriptifs des élèves : « Élève : le melon ? Christian : d’un
côté peut-être légèrement », il ne valide pas clairement, il reste hésitant et préfère évoquer ces
perceptions personnelles en guise de conclusion, pour clore les propositions.

d) Analyse lexicale

Il s’agit de l’analyse lexicale310 du discours de l’enseignant.

pouvant pas non plus donner directement le savoir, il "suggère" la réponse en la dissimulant sous des codages didactiques
de plus en plus transparents »
310
Pour rappel, consulter la partie méthodologique.

247
Figure 77 : Unités terminologiques de la PO dans le discours de Christian

Dans ce nuage de mots, la grandeur de la police est proportionnelle à la récurrence des termes. Les
expressions « arômes » (cité 25 fois), « nez » (cité 21 fois) et « premier nez » (cité 18 fois) sont les
plus mobilisés. Christian met au premier plan les arômes du vin, partie gustative des odeurs du vin.
En effet la littérature indique que le terme odeur est utilisé pour présenter les perceptions
orthonasales et le terme arôme pour présenter les perceptions rétronasales. Mais il semble insister
aussi sur le nez, organe principal de la PO tout en priorisant le « premier nez » affecté
spécifiquement à l’appréhension de la qualité et de l’intensité de la PO. Alors que le deuxième nez,
qui lui, est affecté prioritairement à la description de la complexité aromatique, arrive en second
plan.

248
Figure 78 : Répartition des unités terminologiques du discours de Christian dans les champs de
la PO

Les unités terminologiques de la PO utilisées par Christian peuvent être réparties en différents
champs selon la littérature311. Il s’avère que l’enseignant mobilise prioritairement des termes
évoquant la méthodologie de la PO comme le montre l’extrait suivant : « si des fois mon vin est un
peu fermé au premier nez bon le fait de l’aérer un peu je produis un carafage rapide dans mon verre
bon sang il va se réveiller ça c’est juste », puis des termes pour décrire la qualité aromatique : « la
netteté quoi qu’est-ce que ça veut dire la netteté olfactive ? ».

La densité du discours de la PO312 est le rapport entre les unités terminologiques (présentes dans le
nuage de mots ci-dessus) prononcées par l’enseignant et la totalité des mots utilisés lors du discours
de la PO. Cette densité, pour Christian, est de 6 %, ce qui est plutôt faible par rapport aux autre cas
de l’étude313. Cela signifie que le message de l’enseignant semble étayé, plus étayé que pour les
autres cas. Christian entoure son discours d’explications, dans un langage courant, pour rendre
accessible les notions de la PO comme l’indique l’extrait suivant : « La phase olfactive314 maintenant
alors là le vin a réchauffé il a changé il faut faire appel à vos notes de tout à l’heure car le vin a pris

311
Le détail des différents champs évoqués se trouve dans la partie méthodologique.
312
Rappel la densité du discours de la PO = (unités terminologiques de la PO / termes totaux du discours de la PO) x 100
313
Cette comparaison est reprise dans la partie rapprochement des cas
314
Les termes en gras sont des unités terminologiques de la PO.

249
maintenant peut-être 6° ou 7° et il faut faire appel à ce que vous avez noté sur le papier tout l’intérêt
de la dégustation écrite alors qu’est-ce que je mesure au nez ? ».

La technicité du discours de la PO315 est le rapport entre les unités terminologiques exclusives de la
PO et la totalité des unités terminologiques de la PO. La technicité du discours de Christian est de
6 %, il cite onze unités terminologiques exclusives : « caudalies » sept fois, « balsamique »,
« grume », « piqure acétique » et « rétro-olfaction » une fois. Cet indicateur est, probablement, un
des signes de l’expertise de l’enseignant selon Carnus (2008).

e) Outils mobilisés

Les outils utilisés par l’enseignant sont des outils matériels (manuel…) et symboliques (gestuelle,
langage…) (Brousseau, 1998). Christian utilise très peu d’outil matériel. Seuls les verres à
dégustation et la bouteille de vin support de l’AS sont mobilisés. Chaque élève utilise son cahier ou
une feuille personnelle pour prendre des notes de la leçon. Christian n’utilise ni support, ni outils. Par
contre Christian exploite les outils symboliques. Il use du langage pour de nombreuses explications.
Il déploie une gestuelle riche et démonstrative. Il montre de nombreux gestes tout au long de la
leçon. Comme Christian reste assis, les gestes du haut de son corps sont comme mis en exergue, en
relief.

Voici quelques images emblématiques de la gestuelle de Christian.

« Il a pris l’oxygène il s’est


« C’est logique non ? » « Mais tu ne la sens pas ? »
aéré »

315
Rappel la technicité du discours de la PO = (unités terminologiques exclusives de la PO / unités terminologique de la
PO) x 100

250
« Les odeurs c’est plutôt au
« Premier nez (…) sans « Qu’est-ce qui ce passe en
nez, les arômes c’est en
bouger le vin dans le verre » remuant ton verre ? »
bouche »

f) Déplacements

Les déplacements de l’enseignant dans la classe durant la leçon filmée (l’épreuve) sont représentés
de façon graphique. Les locogrammes (Parlebas, 1981) permettent de matérialiser les déplacements
de Christian dans sa classe. La leçon est divisée en plusieurs parties suivant la chronogenèse316. Les
plans sont présentés ci-dessous.

316
Voir syllabus détaillé en annexe papier n°24 pour les repères chronométriques précis

251
Tableau 46 : locogrammes de la leçon de Christian

Légende Représentation schématique de l’espace


didactique

Tableau blanc effaçable

Table de l’enseignant

Poste individuel d’analyse sensorielle

Zone filmée par la caméra

Caméra fixe sur pied

Légende Représentation schématique de l’espace


didactique

Déplacements de l’enseignant (lignes)

Arrêts de l’enseignant (points)

Plus le diamètre du point est grand et plus


l’arrêt est long

La leçon est divisée en deux parties qui renvoient à des repères chronométriques précis. Les deux
plans suivants correspondent aux deux parties chronologiques de la leçon de Christian.

252
Tableau 47 : locogramme de la leçon de Christian, partie prise en main de la classe

Éléments de compréhension Plan n°1

Repères chronométriques :

du début à 14 min 55 s

Durant le début de la séance, Christian reste statique de longs moments face à la classe ou debout
derrière son bureau pour indiquer aux élèves le déroulement de la séance et les consignes de
l’activité. Les seuls déplacements concernent la fermeture des portes (en haut à gauche et en haut à
droite du plan) et le service du vin à chaque élève, support de l’activité.

Tableau 48 : locogramme de la leçon de Christian, partie principale

Éléments de compréhension Plan n°2

Repères chronométriques :

de 14 min 55 s à 50 min 14 s

Durant toute la fin de la leçon, Christian reste assis derrière son bureau. Il n’y a aucun déplacement.
Son immobilité tranche avec les nombreux gestes du haut de son corps qu’il manifeste quasiment en
permanence pour appuyer son discours.

253
g) Proxémie

Selon E. Hall « La dimension cachée » (1971), la proxémie distingue 4 distances dans les relations
sociales317.

Christian est majoritairement à distance sociale de ses élèves. Il est soit debout devant son bureau,
soit assis derrière son bureau. La configuration de la salle ne lui permet pas d’être ni à distance
intime (les postes d’analyse sensorielle forment un U) ni à distance publique (la salle n’est pas
suffisamment grande). Les seuls moments (fugaces) où il se retrouve face à chacun de ses élèves, à
une proxémie personnelle, se déroulent lors du service du vin. La plupart des moments didactiques
laisse voir l’enseignant à distance sociale comme le schématise la répartition des zones de proxémie
suivante :

Tableau 49 : zones de proxémie durant la leçon de Christian

Légende Représentation schématique de l’espace


didactique

Zone sociale

h) Activités des élèves

Dans le syllabus, les activités des élèves sont repérées par rapport à leur conformité avec les
moments didactiques de l’enseignant. Aucun moment n’est en rupture durant la leçon de Christian.

2.3.1.3. L’après-coup

Le rapprochement du déjà-là et de l’épreuve de l’enseignant (parties descriptives) fait émerger des


énoncés interprétatifs (partie compréhensive au regard des questions de recherche). Ces hypothèses

317
Pour rappel, consulter la partie méthodologique.

254
contribuent à constituer le guide d’entretien d’après-coup, entretien durant lequel l’enseignant
reconstruit et donne du sens à l’épreuve. C’est grâce à ces moments sélectionnés que les entretiens
d’après-coup (AC) ont été construits et structurés.

a) Construction du guide d’entretien d’après-coup

En fonction des modalités repérées, les intentions déclarées (lors de l’entretien de déjà-là) sont
rapprochées des actions constatées (lors de l’épreuve) pour repérer s’il y a continuité ou rupture entre
déjà-là (DL) et épreuve (EP). Une première analyse permet de croiser les deux premiers temps de la
méthodologie (DL et EP), de repérer – entre autres – des écarts entre les effets attendus et les effets
constatés et d’élaborer des énoncés interprétatifs sur ces écarts (Carnus, 2018).

Énoncé interprétatif n°1 :

L’AS, dont la PO, s’apprend et s’enseigne dans le travail et l’effort, entre plaisir et souffrance.

Modalité repérée Plaisir versus travail


Intention déclarée Transmettre la passion du travail (déjà-là)
Action constatée L’enseignant évoque le travail mais n’évoque pas le plaisir de l’AS
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

L26 « au début ça va pas forcément être toujours agréable j’insisterai sur les termes que je n’ai pas
entendus de façon assez ferme puis après vous aller voir que au deuxième semestre ça va venir de
façon assez spontanée vous y penserez naturellement »
L48 « dès que nous attaquons la dégustation chacun travaille pour soi »
L101 « si déguster un vin c’est seulement le regarder le sentir le goûter et s’arrêter là vous allez
perdre votre temps c’est agréable mais vous allez perdre votre temps »
L339 « (parlant à la place des élèves) c’est marrant ces questions qui se posent avec lui il a plein de
questions bizarres ah oui mais il faut comprendre pourquoi on déguste et comment on déguste »
L411 « c’est bon (silence) là je vous sens ah (il fait le geste de quelqu’un d’estomaqué) »
L414 « c’est la révélation non enfin peut-être pas pour tout le monde c’est une forme de révélation
ils se disent bon sang mais c’est ce que l’on va faire toute l’année »
L427 « imaginez l’attaque comme une claque une gifle on frappe pas les élèves enfin pas moi mais
si je vous mets une claque elle est comment est-ce qu’elle est forte est-ce qu’il est vive est-ce qu’elle
est molle est-ce qu’elle est plate »

255
L501 « c’est quand on l’a dans la bouche qu’il faut tirer le plus d’informations et c’est le point avec
lequel vous aurez le plus de mal dans un premier temps »
L593 « (silence) ça fait beaucoup d’informations non »
Commentaires du chercheur :

L’enseignant évoque dans l’entretien de déjà-là le plaisir (cité 10 fois) et la passion (citée 17 fois) de
l’AS. Mais ces notions n’apparaissent pas durant la leçon. La formule de Christian aurait pu être « le
plaisir dans l’effort » ou « l’effort sans le plaisir ». En effet, l’enseignant insiste durant le cours sur le
travail à fournir, sur la somme d’informations à retenir, sur la rigidité de la méthodologie à respecter.
Selon lui, l’apprentissage de l’AS est contraignant, il ne va pas de soi, il nécessite des efforts. Le
travail à fournir peut même se passer dans la douleur : « vous aurez le plus de mal ». L’enseignant
évoque la souffrance occasionnée par ce travail. Plusieurs termes du registre sémantique de la
douleur sont utilisés : « ça va pas forcément être toujours agréable », « de façon ferme », « imaginez
l’attaque comme une claque une gifle ».

Ce travail et cette relative souffrance, semblent être un passage obligé dans l’apprentissage de l’AS
selon Christian. À de multiples reprise durant la leçon l’enseignant exprime l’injonction : « il va
falloir », « il faut » (cité 20 fois durant la leçon). N’est-ce pas une projection, une auto-injonction (le
sujet enseignant se donne à lui-même ces obligations) ?

Christian sera questionné dans l’AC sur cette association : apprentissage – souffrance – plaisir.

Énoncé interprétatif n°2 :

L’enseignant évoque très majoritairement la partie méthodologique de l’AS durant sa leçon. Il


relègue au second plan la sollicitation des perceptions-identifications personnelles des élèves.

Modalité repérée Objet de savoir de l’AS : méthodologie + perception-identification


Intention déclarée Repartir de zéro (déjà-là)
Action constatée Rappels puissants en méthodologie mais faible évocation des perceptions-
identifications
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

L183 « j’ai l’impression qui en a certains qui redécouvrent la dégustation là ou qui la découvrent
tout court non ? Ce qui est logique en fonction des cursus, c’est normal »

256
Les actions à mettre en place dans les objectifs fixés par l’enseignant :

L9 « rappeler (…) ce que vous connaissez », L10 « remettre (…) tout ça dans l'ordre », L15 « faire
une dégustation (...) de façon académique », L17 « se mettre d'accord sur l'organisation de la
dégustation », L19 « se mettre d'accord », L20 « repartir tous du bon pied », L120 « éclaircir les
étapes ensemble (...) en s'écoutant les uns les autres », L219 « tout le monde doit maîtriser la
démarche ça doit être automatique », L281 « varier le vocabulaire et l'enrichir »
Les éléments évoqués dans les objectifs fixés par l’enseignant :

L10 « les différentes phases », L11 « langage commun », L12 et L13 « structure » (cité 2 fois), L13
« différents éléments », L16 « grands items » (cité 2 fois), L19 « l'organisation », L19 « les
perceptions », L21 « modèle de dégustation » (cité 2 fois), L25 « les termes »
Commentaires du chercheur :

L’enseignant se positionne comme détenteur de « la bonne » méthode d’apprentissage de l’AS en


proposant à ses élèves de « repartir à zéro », « repartir du bon pied », « remettre tout ça dans
l’ordre ». Il leur propose avec insistance (impose) de faire « table rase » de leurs apprentissages
passés dans le domaine de l’AS pour reconstruire, avec lui, sur les fondations de son enseignement. Il
se positionne en modèle à suivre au niveau de la méthodologie et aussi du savoir. Dans les intentions
de l’enseignant (déjà-là) la méthodologie figure en place dominante. Cette méthode solide n’est-elle
pas utilisée telle une protection pour se renforcer comme le sujet supposé savoir ?

En effet l’intention de faire parler les élèves (DL), de développer leur sensibilité, de produire de
nombreux échanges ne semble pas être conduite à son terme durant la leçon. La séance est un cours
dialogué mais les élèves échangent surtout des mots uniques, sans phrase, en réponse aux
sollicitations de l’enseignant. C'est l’enseignant qui parle le plus.

L’AS oblige le sujet, enseignant comme élève, à se révéler, à ne pas se dissimuler, à se prononcer, à
prendre le risque de se tromper. Cela ne serait-il pas un « impossible à supporter » pour
l’enseignant ?

Christian sera questionné dans l’AC sur cette volonté de repartir sur ses bases méthodologiques, sur
leur prépondérance par rapport à la perception-identification personnelle.

Énoncé interprétatif n°3 :

L’enseignant s’inscrit comme le modèle à suivre par ses élèves tout en affichant respecter leur avis
personnel.

257
Modalité repérée L’enseignant comme modèle à suivre
Intention déclarée Je suis le mentor (déjà-là)
Action constatée « vous allez prendre la patte X (nom du prof) » (épreuve)
Rupture ou continuité Continuité

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

Un modèle à suivre incontournable

L11 « alors d’abord en début d’année en termes d’état de la dégustation de structure et puis vous
verrez que avec le temps on arrive à s’émanciper de tout ça tout en gardant la structure »
L21 « vous avez tous des expériences qui sont les Vôtres (...) le modèle de dégustation que vous
appliquerez à la fin ce sera le Nôtre [sous-entendu le mien] »
L22 « Après rien n'empêche d'avoir ses perceptions (…) on est complémentaire »
L24 « mais le modèle il est figé (...) il est quand même très strict »
L45 « chacun travaille pour soi (...) il n’y a pas d’échange entre vous, vous avez vu que les box
étaient cloisonné (...) donc on le fera de façon très autonome avec vos souvenirs avec ce que vous
avez déjà dégusté avec vos expressions avec votre rhume avec votre état mais surtout avec vous et
après on va échanger »
L364 « il faut y aller il faut se parler franchement cette année y compris de dire des bêtises ça n’a
pas d’importance et personne n’a vraiment raison ça c’est important »
L365 « le prof il est là pour vous remettre sur les rails gentiment sur une perception aromatique ou
gustative »
L367 « on va être de plus en plus d’accord au fur et à mesure de l’année parce que vous allez
prendre la patte X (nom du prof) »
L370 « il y a une incidence sur celui qui vous forme inexorablement et on sera de plus en plus
d’accord »
L450 « j’en parle pas des caudalies pour moi ça n’existe pas mais vous verrez y a pas une règle en
dégustation personne n’a raison personne n’a tort il y a des grands préceptes »
L’enseignant valide les propositions des élèves et les précise ou les complète lors de
l’institutionnalisation
L559 « élève : boisé – prof : le nez légèrement boisé agréable des notes vanillées qu’apporte le
bois »
L565 « prof : qu’est-ce que vous avez senti comme arômes – élève : fruits frais - prof : alors fruits
frais ça c’est la gamme aromatique on verra qu’avec le temps on essaiera d’être plus précis et de
citer le nom des fruits qui vous intéresse »

258
L562 « élève : moi je sens l’ananas – prof : alors il y a un côté exotique ananas c’est juste-élève :
agrumes – prof : agrumes moi j’ai un côté orange sanguine (...) – élève : je sens un peu du coing un
peu – prof : alors oui coing frais plutôt mais pas la confiture de coing encore le coing frais »
L’enseignant ne contredit pas mais ne valide pas, institutionnalisation impossible (Léal, 2013)
de la PO ?
L569 « élève : le melon ? – prof : D’un côté peut-être légèrement (en secouant la tête) »
L’enseignant donne ses repères
L582 « qu’est-ce que j’ai noté moi (il lit ses notes) agrumes vanillé légèrement boisé (silence) moi
j’avais un petit côté noisette au tout début noisette fraîche au tout début que je n’ai pas eu après
mais premier nez j’ai eu un nez de noisette alors là on se dit nez de noisette fruits à coques »
Commentaires du chercheur :

L’enseignant est partagé entre la volonté de respecter les propositions des élèves et la volonté
d’imposer sa vision, « sa patte », son modèle. L’enseignant se rassure derrière l’idée que personne
n’a raison et personne n’a tort et ne peut s’empêcher d’imposer son point de vue : « on va être de
plus en plus d’accord au fur et à mesure de l’année parce que vous allez prendre la patte X (nom du
prof) ». L’enseignant utilise l’expression « prendre la patte de » qui n’est pas une expression
courante. Elle est une adaptation personnelle spontanée et inconsciente de deux expressions
existantes : « avoir de la patte318 » et « mettre la patte sur319 ». À son insu, l’enseignant considère
qu’il a une certaine virtuosité et un certain style dans sa façon de conduire l’AS et qu’il oblige les
élèves à s’approprier inexorablement ce style. Ce style ne serait-il pas la manifestation du désir
d’enseigner du sujet comme désir d’emprise sur les élèves (Natanson, 2003) ?

L’enseignant indique que l’apprentissage de l’AS passe par les phases suivantes :

 Débuter en autonomie avec ses souvenirs, ses expériences, ses perceptions « de façon très
autonome avec vos souvenirs (…) Personne n’a raison, personne n’a tort » ;
 Suivre le modèle figé et la structure incontournable du prof « Suivre le modèle du prof » ;
 Être tous d’accord « il faut qu’on puisse tous se mettre tous d’accord »;
 S’émanciper pour « voler de ses propres ailes ».

Christian sera questionné dans l’AC sur cette position de mentor, de modèle.

Énoncé interprétatif n°4 :

318
« (Avoir de) la patte ». Habileté, virtuosité, style caractéristique d'un artiste, perceptible dans ses œuvres. (CNRTL).
319
« Mettre la patte sur ». Se saisir de quelqu'un ou de quelque chose pour se l'approprier de manière exclusive
(CNRTL).

259
L’enseignant enseigne la PO (méthodologie) mais ne s’appuie pas sur cette partie pour décrire la
partie aromatique du vin qu’il relègue, octroie naturellement à la partie « bouche ».

Modalité repérée La PO n’est pas importante pour Christian


Intention déclarée La PO est une partie de la phase gustative, elle ne peut pas exister seule (déjà-là)
Action constatée La description de la PO ne se fait pas lors du nez mais lors de la bouche
Rupture ou continuité Continuité

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

L108 « moi c’est ce qui va m’intéresser tout au long de l’année c’est pas que cela sente la pomme
verte ça ça ne m’intéresse pas ça peut m’intéresser si je veux le marier avec un plat à base de
pomme verte voyez mais ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus »
L160 « si c’est se prononcer pour dire l’inverse juste après il vaut mieux ne rien dire »
L410 « de cochon qui s'en dédit si c’est pour dire quelque chose et sans dédire juste après parce
qu’on n’a pas du tout la même sensation en bouche ça ne sert à rien »
L290 « ça me fait une belle jambe de savoir que ça sent la pomme ou la poire »
L402 « en plus c’est surtout la bouche le vin est fait surtout pour être bu avant tout pas pour être
respiré »
L501 « le vin est fait pour être bu320 non ? Donc c’est quand on l’a dans la bouche qu’il faut tirer le
plus d’informations »
L546 « alors les arômes à la fin c’est pas ce qui m’intéresse tout de suite quand on parle de la
bouche »
L557 « les arômes là on peut en parler maintenant on est passé dessus rapidement au nez on n’en a
pas parlé tout à l’heure qu’est-ce qu’on ressent en bouche comme arôme »
Commentaires du chercheur :

L’enseignant déroule la PO et la méthodologie des différents nez mais n’en tire pas de description
aromatique. Il décrit la gamme aromatique du vin seulement lorsque le vin est en bouche.
L’enseignant a-t-il conscience de ce décalage ? L’enseignant se rend-il compte qu’il ne fait la
description aromatique qu’à partir de la phase gustative ? Se sent-il plus performant ou plus à l’aise
pour faire la description aromatique en bouche ? Le nez est-il réellement peu important pour le sujet
enseignant ? Est-ce une stratégie d’évitement ? La peur de ne pas savoir ou de se tromper est-elle un

320
L’enseignant et les élèves (sans consigne particulière) crachent le vin durant toute la leçon. Le mot cracher n’est
pourtant pas cité ni dans l’entretien de DL ni durant l’EP (le mot « recracher » est cité une fois durant la leçon).

260
« impossible à supporter » pour l’enseignant ? Il y a une distance entre la conception de l’enseignant,
« le vin est fait surtout pour être bu avant tout pas pour être respiré » et la pratique sociale de
références des sommeliers.

Christian sera questionné dans l’AC sur cette prépondérance de la bouche sur le nez pour aborder la
PO.

b) Émergence des énoncés interprétatifs

À l’issu du rapprochement de l’intentionnel déclaré (dans le DL) et des actions constatées (dans
l’EP), il est possible de formaliser les énoncés interprétatifs suivants :

1. L’AS, dont la PO est constitutive, s’apprend et s’enseigne dans le travail et l’effort, entre
plaisir et souffrance.
2. L’enseignant évoque très majoritairement la partie méthodologique de l’AS durant sa
leçon. Il relègue au second plan la sollicitation des perceptions-identifications
personnelles des élèves.
3. L’enseignant s’inscrit comme le modèle à suivre par ses élèves tout en affichant le respect
de leur avis personnel.
4. L’enseignant enseigne la PO (méthodologie) mais ne s’appuie pas sur cette partie pour
décrire la partie aromatique du vin qu’il relègue, octroie naturellement à la partie
« bouche ».

c) Analyse de l’après-coup

Pour chacun des énoncés interprétatifs, numérotées de 1 à 4, nous rapprochons la reconstruction du


sens à travers l’évocation des traces mnésiques mobilisées par le sujet, collectées durant l’entretien321
d’après-coup, avec les éléments collectés durant l’épreuve et les éléments du déjà-là.

1. L’AS, dont la PO, s’apprend et s’enseigne dans le travail et l’effort, entre plaisir et souffrance.

L’AS et la PO s’apprennent et s’enseignent avec des efforts constants. Christian signale que l’AS
passe par un enseignement / apprentissage : « C’est quelque chose qui s’apprend (…) tout le monde
peut apprendre l’analyse sensorielle », qui nécessite un effort constant au risque de régresser : « par
manque de pratique (…) ils ne pratiquent plus suffisamment ». Durant l'apprentissage, les élèves se
mesurent aux odeurs du vin pour développer leurs sensibilités : « ils se confrontent aux

321
Le verbatim de l’entretien d’après-coup est disponible dans l’annexe papier n°31.

261
perceptions ». Cet apprentissage est permanent, il ne s’arrête jamais : « on va en apprendre tous les
jours, on se dit qu’on en connait plus qu’il y a 10 ans et qu’on en sait beaucoup moins que dans 10
ans ».

L’enseignement – apprentissage de la PO est difficile, parfois peu agréable voire douloureux.


Christian considère que l’apprentissage de l’AS est difficile, les difficultés viennent d’abord des
prérequis des élèves : « le niveau est tellement (…) faible quand ils arrivent » associé à une
méconnaissance du travail à fournir : « c’est (…) quelque chose de plus compliqué que ce qu’ils
envisagent dans un premier temps ». Selon Christian, l’enseignement : « n’est pas toujours
agréable » (cité trois fois dans la phrase), car il est exigeant : « on est de plus en plus rigide au début
d’année sur ce que l’on attend », il dit imposer une certaine fermeté : « une partie un peu
contraignante (…) il faut de la rigueur ». Christian est lucide sur les difficultés de la PO : « c’est dur
au niveau des arômes ». Le phénomène de la perception ne va pas de soi, il nécessite parfois un
effort parsemé d’obstacles : « quand on force son nez sur des arômes que l’on ne trouve pas, des fois
on évoque des difficultés parce que c’est pas toujours très simple, parce que c’est compliqué ». L’AS
impose, selon Christian, d’aller plus loin, de persévérer : « il faut aller au-delà (…) on peut toujours
aller un peu plus loin ». Ces efforts sont presque sportifs, d’après l’enseignant, il mobilise le corps et
impose un dépassement de soi : « il faut qu’ils se battent sur quelque chose, c’est comme en sport on
veut (…) progresser et bien il faut toujours s’affronter à quelqu’un qui est un peu plus fort, du
niveau supérieur sinon on ne progresse pas (…) il faut se confronter aux autres ».

Durant l’enseignement-apprentissage de la PO, le passage de l’intime au public est un passage délicat


durant lequel les élèves se confrontent à l’autre : « tu as toujours le regard des uns et des autres » ce
qui peut devenir problématique parfois : « gêné ou humilié par rapport aux regards des autres ». Ce
moment où les perceptions privées deviennent publiques n’est ni automatique, ni spontané pour la
plupart des élèves pour l’enseignant qui dit : « les forcer à s’exprimer ». Il indique les pousser : « à
prendre la parole (…) allez-y prononcez-vous (…) il ne faut pas être honteux ou gêné ». Ce passage à
l’acte, pour Christian, se fait parfois dans la douleur : « les élèves ils montent au charbon » malgré
ces encouragements et sa bienveillance : « j’essaye toujours de ne pas les plus brusquer (…) de les
encourager ».

La PO devient un moment de plaisir grâce à l’enseignement de Christian et son charisme. Christian


est convaincu d’associer son enseignement de l’AS à la joie : « c’est un moment de plaisir (…) ils ont
tous le sourire, c’est plutôt le moment de bonheur », la PO suscite, selon lui, la bonne humeur grâce à
son approche pratique : « c’est le moment plaisant où on va mettre quelque chose de concret ».

262
L’enseignant considère y être pour beaucoup dans le plaisir de la PO. Cela tient à son exaltation
personnelle : « c’est l’enthousiasme » mot que Christian cite trois fois, il déclare avoir une
responsabilité dans cette maîtrise, en tant qu’enseignant chevronné et passionné : « c’est d’abord le
contenu, le fond de l’enseignant c’est-à-dire son savoir le fait qu’ils comprennent qu’en face d’eux
ils ont quelqu’un qui maîtrise, sans tout savoir, mais qui maîtrise le sujet ça c’est rassurant pour
eux ». Il dit participer à la transmission de sa passion, de son plaisir : « s’ils voient quelqu’un qui est
passionné en face d’eux, ils vont le devenir (…) moi je mise davantage sur l’effet contagion ».
Christian mentionne que son enseignement, sa façon de mener la leçon, contribue au plaisir de l’AS :
« j’essaye de varier les supports et les outils pour que ce soit varié et plaisant ». C’est dans ces
retours valorisants que Christian dit développer le plaisir et la motivation des élèves : « ils voient
dans le feed-back du professeur dans le regard que tout va bien même si ce n’est pas parfait », le
plaisir apparaît dans la progression, lorsqu’ils constatent leur évolution vers la réussite, ce que ne
manque pas de souligner Christian : « on est là pour les encourager les féliciter et pour leur dire que
tout va bien et qu’ils vont pouvoir progresser ».

2. L’enseignant évoque très majoritairement la partie méthodologique de l’AS durant sa leçon. Il


relègue au second plan la sollicitation des perceptions-identifications personnelles des élèves.

Pour Christian, l’enseignement de la partie méthodologique de l’AS est incontournable. Christian


explique que la partie méthodologique de la PO est un passage obligatoire : « il faut apprendre la
méthode, une structure ». La maîtrise de la trame de l’AS contribue à l’acquisition de la
compétence : « plus ils maîtrisent la technique et (…) plus ils se sentent à l’aise », avec le
développement du lexique adapté : « il faut qu’ils travaillent une certaine forme de vocabulaire ».
Lorsque ces apprentissages sont acquis, ils sont durablement stabilisés : « ils n’oublient pas la trame
ça c’est important, ils n’oublient pas le fond ».

Cette partie méthodologique ne va pas de soi pour les élèves. Pourtant il est difficile, pour les élèves,
de respecter les phases de la méthodologie en début d’apprentissage, cela n’est pas intuitif, selon
Christian : « ils ont du mal à structurer (…) parce que c’est une rigueur à laquelle ils n’ont pas
l’habitude et ils mélangent les étapes ». La démarche très structurée, presque normalisée n’est pas
naturelle, les perceptions nécessitent, d’après Christian, d’être canalisées par la méthodologie : « ils
ont souvent une perception de l’analyse sensorielle plus ou moins spontanée plus ou moins fleurie ça
on peut l’avoir mais ce sera dans un deuxième temps ». L’enseignant programme cet aspect
méthodologique en préambule indispensable, ce qui surprend les élèves : « il faut d’abord faire appel
à de la structure ce n’est pas toujours ce qu’ils envisageaient ».

263
Christian sait que la perception-identification est difficile à enseigner. Il insiste sur la partie
méthodologique comme pour se rassurer. L’approche méthodologique est la réponse, le choix de
Christian pour son enseignement ; il se contraint à sceller les phases chronologiques chez ses élèves
pour installer comme un réflexe pavlovien322 : « on impose de respecter les étapes pour que après ils
puissent le faire sans s’en rendre compte ». L’enseignant indique s’obliger à cette structure
rigoureuse dès le début de l’apprentissage : « il faut se forcer au début quand on les forme, c’est
d’être un peu rigide (…) c’est là où ça n’est pas marrant ». Christian considère que l’enseignement
de la perception-identification des arômes du vin est complexe dans l’apprentissage de la PO : « c’est
de la sensibilité la dégustation (…) c’est difficile à matérialiser » et il choisit donc de se réfugier
derrière la partie méthodologique : « la technique à laquelle on se raccroche, la démarche ». Cela
ressemble à un mécanisme de défense323 grâce auquel l’enseignant assure son statut de sujet supposé
savoir.

3. L’enseignant s’inscrit comme le modèle à suivre par ses élèves tout en affichant le respect de leur
avis personnel.

Christian est le modèle à suivre pour ses élèves car il en détient les qualités. Christian dit être
davantage enclin à percevoir les odeurs et les arômes du vin que ses élèves : « normalement le prof il
est un peu plus sensible que les autres », mais il a aussi un avantage sur l’expression de la PO : « on
a forcément un impact au moins au niveau de la formulation (…) sur la façon de les formuler ». Il
considère être le modèle grâce à son expérience, cela lui permet d’être crédible dans sa classe : « la
crédibilité (…) se dire qu’on est le modèle mais c’est l’expérience et le retour d’expérience qui font
qu’à un moment ils peuvent nous écouter ». Christian est le mentor car il dit ne pas avoir tort :
« personne n'a vraiment raison mais le prof a toujours raison car c'est le prof », d’ailleurs il dit ne
pas être contesté dans sa classe : « on a peu d’élèves qui viennent contester (…) cela arrive
rarement ».

Christian se considère comme un modèle reconnu. L’enseignant se positionne comme un modèle au


même niveau qu’un sommelier de grande réputation : « le modèle ça peut être celui qui a une
expérience, ça peut être l’enseignant, ça peut être, peut-être, le meilleur sommelier d’Europe, du
monde », il compare sa reconnaissance à l’égal d’autres professionnels à la notoriété incontestable :
« que ce soit le prof qui soit le modèle ou le chef sommelier dans l’équipe ou la personne titrée avec

322
Comme un automatisme, d’après les travaux du physiologiste Pavlov, d’après le CNRTL.
323
Expression usitée en psychanalyse pour désigner plusieurs types d'opérations psychiques destinées à « protéger » le
moi. Sources Encyclopédie Universalis [en ligne] disponible sur https://www.universalis.fr, consulté le 23 août 18

264
un titre international, si elle en est arrivée là c’est que forcément il y a une forme de compétences
qui est reconnue ». Le modèle doit corriger les élèves dans leurs erreurs : « si quelqu’un dit une
bêtise trouve une odeur de bois alors qu’il n’y en a pas alors c’est pas grave on essaye juste
d’expliquer pourquoi il n’y a pas d’odeur de bois dans ce vin-là ou avec quoi il aurait pu la
confondre tout simplement ». Le modèle se doit de compléter, de recadrer : « j’aime bien compléter
parfois certaines informations auprès des élèves pour qu’ils restent dans le cadre de ce qu’on
attend ». Christian est un modèle omniprésent pour ses élèves : « on retrouve un style qui est plus lié
à un enseignant soit moi par exemple ».

Christian, lui aussi, a un modèle, voire des modèles. Même s’il indique, de prime abord, ne pas avoir
réellement de modèle : « moi je n’ai pas eu vraiment de modèle car à l’époque, enfin quand j’avais
leur âge (…) il n’y avait pas de cours de sommellerie », il cite cependant un enseignant de sa
formation professionnelle : « c’est venu un peu à l’IUFM, un peu grâce à [le nom de l’enseignant]
quelque part qui a su nous apporter le modèle (…) même si ç’était pas un modèle pour tout ».
Christian évoque ensuite un autre collègue enseignant, qu’il fréquente régulièrement et qu’il installe
comme modèle : « il m’avait fait progresser (…) il a une stature et un titre qui fait qu’il est
impressionnant (…) je pense qu’il a plus une autorité charismatique (…) quand il parle il n’est pas
très contestable tu as envie de lui dire oui Monsieur ». Christian indique enfin qu’il tient en modèle
« collectif » la référence de l’association des sommeliers de France (UDSF324) : « c’est un modèle
(…) c’est le modèle des sommeliers », qu’il partage avec les autres enseignants du domaine : « on
s’est mis assez d’accord avec l’UDSF et les autres professeurs de sommellerie pour avoir une trame
de dégustation relativement commune ».

Christian évoque comment s’émanciper du modèle, en gardant la « patte », sans tuer le père.
Christian est conscient que ses élèves vont progressivement s’émanciper de son modèle, le verbe
« s’émanciper » est prononcé six fois durant l’entretien d’AC. L’enseignant dit que les élèves vont se
détacher de lui : « ils prendront leur propre personnalité », ils vont continuer à apprendre dans
d’autres circonstances : « ils apprennent leur propre vocabulaire (…) et souvent ils s’émancipent un
peu ils prennent un peu de personnalité on va dire et c’est normal », mais ils garderont toujours les
bases de leur modèle : « ils s’émanciperont de cela mais ils se souviendront quand même de la base
c’est important ». Christian pense que les élèves dépassent le maître à la fin de leur apprentissage :
« il n’y a plus vraiment de modèle, le modèle c’est eux quoi parce qu’ils sont devenus généralement

324
Union de la sommellerie française [en ligne], disponible grâce au site https://www.sommelier-france.org/, consulté le
15/05/19.

265
d’un bon niveau » et ils trouveront de nouveaux modèles pour poursuivre leur formation : « après ils
vont partir sur le marché de l’emploi ils vont rencontrer d’autres personnes (…) qui vont les faire
progresser ». Même si Christian trouve cette émancipation normale et dans la suite logique de son
enseignement, cela doit certainement l’affecter à son insu car il mentionne à deux reprises : « tuer le
père ». N’est-ce pas, aussi, un impossible à supporter pour l’enseignant ?

4. L’enseignant enseigne la PO (méthodologie) mais ne s’appuie pas sur cette partie pour décrire la
partie aromatique du vin qu’il relègue, octroie naturellement à la partie « bouche ».

Christian considère que la PO est moins importante que l’analyse gustative. Lorsque l’enseignant est
questionné sur le fait qu’il a traité, durant sa leçon, la partie consacrée à la description aromatique du
vin presque exclusivement durant la phase gustative (la bouche du vin), il dit ne pas l’avoir
remarqué : « là non pas forcement ». Christian signale à plusieurs reprises durant l’entretien d’AC,
que pour lui la PO est moins importante que la partie gustative : « une place importante mais pas
essentielle pour moi la phase la plus importante c’est la phase gustative », il dit assumer ce point de
vue : « cette phase olfactive qui moi ne me semble pas être la plus importante », il va même jusqu’à
dire que cette phase n’est pas indispensable : « la partie olfactive (…) est pas primordiale », il la
relègue même à la seule recherche de défaut dans le vin : « on travaille quand même sur la phase
olfactive parce qu’il faut qu’ils déterminent si le vin est consommable pas consommable, au cas où il
serait bouchonné par exemple ».

La PO est une partie difficile dans l’AS, la partie gustative est plus accessible selon lui. Christian
constate que les élèves amalgament les perceptions aromatiques et l’analyse gustative : « les jeunes
confondent odeurs et saveurs alors je leur dis la saveur c’est buccal (…) ils confondent souvent la
bouche et la perception des arômes ». Pour appréhender les arômes du vin, l’enseignant préfère
travailler en bouche : « c’est plus facile avec la bouche », c’est le conseil qu’il dit donner à ses
élèves : « si tu n’as pas senti au nez la plupart des vins qui sont fermés (…) en bouche ils ne le sont
pas (…) parce que tu réchauffes ton vin ». Selon Christian, l’analyse en bouche permet de détecter
des arômes non perçus avec le nez : « si on ne sentait pas les arômes au niveau du nez là au niveau
de la bouche on va les sentir ».

L’analyse gustative est, pour Christian, un moyen de pallier aux difficultés de l’approche olfactive.
Christian mentionne que les élèves sont en difficulté lors de la PO et que l’analyse gustative est un
moyen plus efficace d’avancer : « en début de formation comme ils ont du mal avec le nez (…) je
passe directement à la bouche, ça leur permet de révéler les arômes beaucoup plus facilement et plus
rapidement ». Il souligne que cela répond aussi à des difficultés personnelles : « si je ne sens pas

266
grand-chose je travaille la bouche directement (…) tu sens toujours quelques arômes forcément
parce que tu le réchauffes les molécules explosent ». Christian explique ne pas octroyer beaucoup
d’intérêt à la partie olfactive avant d’enchaîner sur la partie gustative : « quand (…) au niveau du nez
c’est pas très précis (…) moi j’ai tendance à accélérer rapidement sur la partie du nez ». Christian
affirme que cette pratique est partagée par de nombreuses personnes du domaine : « t’as plein de
gens (…) qui mettent directement le vin en bouche (…) parce que quand tu en goutes beaucoup (…)
tu ne prends pas le temps de faire le nez ». Il ajoute que plusieurs experts, ayant l’habitude de l’AS,
fonctionnent aussi de la sorte : « le nez tu peux le faire en même temps que la bouche quand tu as un
peu l’habitude ». Ceci ressemble, là aussi, à un mécanisme de défense, comme pour se justifier.

2.3.1.4. Conclusion provisoire

Le rapprochement déjà-là, épreuve et après-coup permet de conforter des pistes d’interprétation pour
chacun des énoncés interprétatifs qui structurent la construction du cas.

1. L’AS, dont la PO, s’apprend et s’enseigne dans le travail et l’effort, entre plaisir et
souffrance.

Pour Christian, l’apprentissage/enseignement de la PO passe inéluctablement par des efforts plutôt


douloureux car cet objet d’enseignement est difficile, contraignant, il demande rigueur et
dépassement de soi. La souffrance apparaît durant la perception–identification mais aussi durant le
passage de l’intime au public, dans le regard de l’autre, lorsque les élèves doivent exprimer leur
ressenti. Christian se considère, en partie, responsable du plaisir présent dans son enseignement de la
PO. En étant expert et passionné de l’AS, il pense transmettre naturellement l’enthousiasme à ses
élèves grâce à son charisme.

2. L’enseignant évoque très majoritairement la partie méthodologique de l’AS durant sa


leçon. Il relègue au second plan la sollicitation des perceptions-identifications
personnelles des élèves.

Pour Christian, l’enseignement de la compétence perception-identification des arômes du vin est


difficile à enseigner. Il s’impose donc d’enseigner prioritairement la partie méthodologique pour
installer chez ses élèves un réflexe de structure et de cadre. Cet enseignement rigoureux est la
réponse qui lui permet de se rassurer dans les difficultés de la PO et de maintenir son rôle de sujet
supposé savoir.

267
3. L’enseignant s’inscrit comme le modèle à suivre par ses élèves tout en affichant le respect
de leur avis personnel.

Pour Christian, il est légitime de s’inscrire comme modèle pour ses élèves car il dispose des qualités
nécessaires au même titre que d’autres professionnels de la sommellerie, de notoriété importante.
Cette position symbolique lui semble normale puisqu’il a lui aussi ses propres modèles. Les élèves
s’émanciperont de Christian mais garderont probablement son influence, ce qu’il souhaite
ouvertement.

4. L’enseignant enseigne la PO (méthodologie) mais ne s’appuie pas sur cette partie pour
décrire la partie aromatique du vin qu’il attribue naturellement à la partie « bouche ».

Pour Christian la PO est clairement moins importante que la partie gustative. De plus, comme il
considère la PO plus ardue et la partie gustative plus accessible, il n’hésite pas à privilégier l’AS en
bouche pour pallier à ses difficultés rencontrées lors de la phase olfactive et celles de ses élèves.

2.3.2. Vignette didactique clinique du cas

La vignette didactique clinique est la cristallisation et la synthèse des éléments saillants de l’étude
d’un cas (Carnus, 2013), elle se bâtit par la reconstruction du cas au regard de la problématique du
chercheur (Carnus, 2007) grâce aux éléments collectés dans les données des entretiens (DL et AC) et
des observations de classe (EP). La question de recherche interroge ce qui s’enseigne (savoir
enseigné) dans le cadre de la PO.

2.3.2.1. Forme diachronique de la vignette didactique clinique

La forme diachronique reprend les éléments saillants de la construction du cas en suivant la


méthodologie chronologique de la didactique clinique : le déjà-là, l’épreuve et l’après-coup.

a) Déjà-là de Christian : un modèle à suivre

Déjà-là expérientiel : Christian est un enseignant chevronné. Il est expert dans le domaine de l’AS,
il a une formation hôtelière complète, plusieurs pratiques professionnelles en restauration et en
sommellerie : « des expériences riches et variées », il enseigne l’AS depuis plus de 18 ans, dans
différents lycées et à plusieurs niveaux de classes d’élèves : « en BTS (…) et en mention
sommellerie ». Il s’entraîne à l’AS des vins quasi quotidiennement : « à force de le travailler on
développe un peu plus de sensibilité ».

268
Déjà-là conceptuel : Christian découvre sa vocation pour l’enseignement de la sommellerie en
suivant le modèle de certains professeurs de sa propre formation : « deux trois modèles de
professeurs dont je voyais un peu la passion, la lumière dans les yeux quand ils faisaient cours ».
Cette profession est pour lui passionnelle : « notre métier est une passion puis après on a aussi envie
de l’enseigner, de le partager », l’AS est son enseignement préféré. Cependant, la PO est
problématique pour Christian, ce n’est pas, pour lui, la partie principale de l’AS : « moi je suis
toujours très prudent sur la partie olfactive du vin ». De plus, la PO est délicate à cerner : « personne
n’a jamais vraiment raison ». Pour enseigner la PO, il se positionne comme le mentor.

Déjà-là intentionnel : Christian préfère maîtriser les fondations de l’apprentissage de la PO chez ses
élèves : « remise à plat : on repart à zéro (…) histoire de partir sur de bonnes bases », il souhaite
réinstaller les assises méthodologiques : « remettre des codes en place (…) il faut installer un format
de dégustation ». Il instaure une structure fixe et rigoureuse : « une trame (…) un peu rigide au
départ (…) assez normée ». Il dit vouloir, ensuite, laisser s’exprimer les élèves : « il faut toujours que
cela reste du partage (…) de l’échange (…) et il faut pas hésiter à faire parler les autres (…) je suis
toujours très ouvert (…) personne n’a tort ». Mais il s’inscrit, finalement, comme le modèle à suivre,
comme la référence consensuelle : « mais à la fin celui qui va trancher (…) c’est le prof (…) pour
dire ça : ça sent ça ou ça : ça sent ça (…) il faut qu’on puisse tous se mettre tous d’accord »

b) Épreuve de Christian : plus qu’un modèle, un mentor

Christian mène la première séance de l’année concernant l’AS devant sa classe de mention
complémentaire sommellerie. La leçon dure moins d’une heure (50 minutes), se déroule dans une
salle dédiée à l’AS. Les 10 élèves sont assis derrière leur poste individuel d’AS, disposés en U autour
du bureau de l’enseignant. La leçon comporte trois phases. L’enseignant passe les consignes et met
les élèves en activité, dans un premier temps. Les élèves réalisent l’AS d’un vin blanc sec dans un
second temps. Puis la leçon se termine par la synthèse de l’activité par l’enseignant. Selon la
chronogenèse (Chevallard, 1985, 1991) c’est cette dernière partie de la séance qui est la plus longue
puisqu’elle représente 70 % du temps. La PO y est d’ailleurs majoritairement représentée (26 %)
juste devant la partie gustative (25 %), dans laquelle, d’ailleurs, il mobilise de façon importante la
description aromatique du vin. Selon l’analyse des moments didactiques (Sensevy, Mercier, 2007),
Christian conduit la leçon durant 91 % du temps (70 % d’institutionnalisation, 13 % de définition et
8 % de régulation). Il dévolue aux élèves durant 9 %. La leçon est plutôt de type cours magistral, le
savoir est surtout du côté de l’enseignant.

269
Les interactions de la leçon font parties d’un cours dialogué (Veyrunes, 2008). Elles sont plus
nombreuses durant la PO (37 %) puis durant la partie gustative (31 %). Les interventions des élèves
sont courtes et peu structurées, du type de l’échange suivant : « Christian : qu’est-ce que vous avez
senti comme arômes ? Élève : fruits frais ». Christian intervient beaucoup, il commente, complète,
justifie systématiquement les participations des élèves.

L’analyse lexicale des termes employés par Christian dans son discours sur la PO participe de son
expertise (Carnus, 2008). La densité d’occurrences techniques est assez importante. C’est
majoritairement le champ de la méthodologie qui est couvert.

Christian ne mobilise, durant sa leçon, aucun outil matériel hormis le verre de vin support de
l’activité des élèves. En revanche, il convoque de façon très appuyée des outils symboliques
(Brousseau, 1998) tel que le langage et la gestuelle. L’analyse des déplacements de Christian grâce à
des locogrammes (Parlebas, 1981), permet de constater que l’enseignant reste assis derrière son
bureau en face des élèves durant 90 % de la leçon. La gestuelle du haut de son corps (visage, bras et
tronc) est alors particulièrement mise en valeur. L’évocation de la proxémie (Hall, 1971) indique que
Christian conserve une distance sociale entre sa position magistrale et ses élèves.

Les activités des élèves sont conformes aux propositions de Christian.

c) Après-coup de Christian : un mentor qui a aussi des failles

Christian se positionne comme un mentor incontestable : « se dire qu’on est le modèle (…) le prof a
toujours raison car c'est le prof », qui a fait ses preuves : « le prof (…) forcément il y a une forme de
compétences qui est reconnue ».

Néanmoins, la PO est un enseignement-apprentissage difficile pour Christian : « c’est (…) quelque


chose de plus compliqué que ce qu’ils envisagent », qui demande des efforts parfois douloureux :
« pas toujours agréable (…) contraignante (…) c’est dur (…) on force son nez ». En conséquence,
Christian fonde son enseignement sur la partie méthodologique : « plus ils maîtrisent la technique et
(…) plus ils se sentent à l’aise », car il considère que la partie perception-identification de la PO est
complexe à enseigner : « c’est de la sensibilité (…) c’est difficile à matérialiser ».

Pour Christian, la PO est plus difficile à saisir que la partie gustative : « c’est plus facile avec la
bouche (…) si on ne sentait pas les arômes au niveau du nez là au niveau de la bouche on va les
sentir ». Il semblerait que l’importance moindre qu’il accorde à la PO soit sa réponse aux difficultés
qu’il rencontre : « si je ne sens pas grand-chose je travaille la bouche directement ».

270
Christian sait que son emprise va diminuer progressivement : « ils s’émanciperont de cela », ses
élèves vont s’affranchir de son influence : « il n’y a plus vraiment de modèle » ils iront même
jusqu’à : « tuer le père ».

2.3.2.2. Forme synchronique de la vignette didactique clinique

La forme synchronique reprend les éléments saillants de la construction du cas en les rapprochant des
trois rapports à : rapport au(x) savoir(s), rapport à l’épreuve et rapport à l’institution (Carnus,
Mothes, 2016).

a) Rapport au(x) savoir(s)

Le rapport au savoir est constitué de trois axes : axes de l’expertise, du désir et de la rencontre.

Distance X Proximité Axe de l’expertise

Sur l’axe de l’expertise, Christian est un enseignant chevronné, c’est-à-dire qu’il est plus qu’expert, il
est aussi expérimenté. Il est particulièrement proche du savoir de l’AS, celui-ci lui est très familier
voire omniprésent. L’enseignant dispose d’un tel niveau d’expertise qu’il s’autorise à hiérarchiser les
phases de l’AS en privilégiant la partie gustative à la PO.

« Obtention du CAPET en 1998 (…) et depuis enseignant au lycée hôtelier (…) en BTS
essentiellement et en mention sommellerie (…) j’ai eu des expériences en France et à l’étranger (…)
j’ai travaillé dans des restaurants gastronomiques » (extrait de l’entretien de déjà-là)

Répulsion X X Attirance Axe du désir

Sur l’axe du désir, Christian est très attiré par l’AS, c’est son enseignement préféré, son rapport est
passionnel tant au niveau de sa pratique que de son enseignement. Cependant, il manifeste une forme
de dénigrement à l’encontre de la PO spécifiquement. Il minimise la partie olfactive (les odeurs du
vin) pour valoriser la partie gustative (les arômes du vin). Il y a une forte ambivalence dans cette
partie du rapport au savoir.

« C’est cette matière là que je préfère [l’AS] » (extrait de l’entretien de DL).

« Moi (…) ce qui va m’intéresser tout au long de l’année, c’est pas que cela sente la pomme verte
(…) c’est surtout la bouche, le vin est fait surtout pour être bu avant tout, pas pour être respiré »
(extrait de l’EP).

271
Nouveauté X Ancienneté Axe de la rencontre

Sur l’axe de la rencontre, Christian profite d’une assez grande ancienneté avec l’AS. Il tient à la fois
ce savoir de sa propre formation initiale et continue, de ses expériences professionnelles mais aussi
de l’actualisation permanente de son expertise dans cet enseignement. Il mobilise ce savoir de façon
presque quotidienne depuis plusieurs années. Néanmoins, il ne mobilise pas de référence d’enfance
concernant la PO, peut-être par pudeur ou par résistance, les éléments de l’AC ne le mentionnent pas.

« Aptitudes que j’ai approfondies dans mon métier à force de travail, à force de dégustations »
(extrait de l’entretien de DL)

b) Rapport à l’épreuve

Le rapport à l’épreuve est constitué de trois axes : axes de l’expérience, de la contingence et de


l’affect.

Étrangeté X Familiarité Axe de l’expérience

Sur l’axe de l’expérience, Christian enseigne l’AS depuis de nombreuses années, il est
particulièrement expérimenté dans ce domaine. Il fait preuve durant l’EP d’une aisance
incontestable, preuve de sa maîtrise et de son expérience. Il paraît très familier de l’enseignement de
l’AS.

« En dégustation c’est pareil que ce soit le prof qui soit le modèle (…) si elle [la personne] en est
arrivée là c’est que forcément il y a une forme de compétences qui est reconnue » (extrait de
l’entretien d’AC).

Inhibition X Excitation Axe de la contingence

Sur l’axe de la contingence, Christian assure une présence magistrale, posée, qui fait référence.
L’absence de déplacement durant l’EP donne un relief tout particulier à sa gestuelle et à ses
interventions, nombreuses et complètes.

« On retrouve un style qui est plus lié à un enseignant soit moi par exemple » (extrait de l’entretien
d’AC).

Souffrance X Plaisir Axe de l’affect

272
Sur l’axe de l’affect, Christian se positionne plutôt vers le plaisir. Il évoque précisément la passion à
propos de l’enseignement de l’AS. Même si le plaisir semble moins démonstratif durant l’EP qu’il
n’est évoqué durant le DL, Christian ne montre aucun signe de souffrance, il rayonne dans sa leçon.
Cependant, il prône l’enseignement-apprentissage de l’AS (et de la PO) dans le travail et l’effort.

« l'analyse sensorielle (…) ça s'apprend » (extrait de l’entretien de DL), « Ça va pas forcément être
toujours agréable » (extrait de l’EP).

c) Rapport à l’institution

Le rapport à l’institution est constitué de trois axes : axes de l’assujettissement, du confort et de la


reconnaissance.

Soumission X Émancipation Axe de l’assujettissement

Sur l’axe de l’assujettissement, Christian assume une certaine émancipation lorsqu’il recommande,
sans détour, de privilégier la phase gustative à la phase olfactive. Il déroule ainsi, de façon assumée,
sa conversion didactique concernant la PO, « la partie olfactive (…) est pas primordiale » (extrait de
l’entretien d’AC).

Il reste toutefois en phase avec l’institution, en conduisant un enseignement dans la lignée directe du
« modèle » inscrit dans son DL décisionnel : « on s’est mis assez d’accord avec l’UDSF et les autres
professeurs de sommellerie pour avoir une trame de dégustation relativement commune » (extrait de
l’entretien d’AC). Et il se dit proche des programmes : « on travaille en grande partie sur les
objectifs d’examen » (extrait de l’entretien de DL).

Risque X Sécurité Axe du confort

Sur l’axe du confort, Christian tient une position sécurisée, ne mettant jamais en difficulté sa place de
modèle dans l’enseignement de l’AS devant ses élèves. Il mène une leçon avec une maîtrise naturelle
durant laquelle il n’est contesté à aucun moment. Pourtant, que ses élèves contestent sa position de
sujet supposé savoir lui est insupportable : « ils auraient pu dire moi ce vin là je perçois autre chose
(…) j’ai jamais entendu ça (…) j’ai jamais un élève qui m’a dit à bon vous sentez ça moi je suis pas
d’accord » (extrait de l’entretien d’AC).

Exclusion X Inclusion Axe de la reconnaissance

273
Sur l’axe de la reconnaissance, Christian s’impose comme le modèle qu’il revendique dans la logique
de son DL. Il assume cette position avec une reconnaissance jamais démentie.

« Moi je suis toujours très ouvert (...) mais à la fin celui qui va trancher celui qui va donner
l’information et l’information qu’ils doivent retenir (...) c’est celle validée par le prof » (extrait de
l’entretien de DL) « vous avez tous des expériences qui sont les vôtres (...) le modèle de dégustation
que vous appliquerez à la fin ce sera le nôtre » (extrait de l’EP).

2.3.2.3. Formule du sujet

La formule est tirée des mots de l’enseignant. Les mots de Christian « personne n’a tort (…) il faut
suivre un chef, un modèle, un mentor » sont issus de l’entretien ante de DL. Ils ne sont pas
directement contenus dans la réponse de l’enseignant à la question de recherche « comment
enseignez-vous la PO ? ». Ils sont retenus par le chercheur car ils semblent représentatifs des choix
de Christian pour enseigner la PO. La formule est signifiante pour le chercheur.

Lorsque Christian prononce « personne n’a tort (…) il faut suivre un chef, un modèle, un mentor », le
chercheur entend plusieurs raisonnements différents :

 « Personne n’a tort »


o Les élèves peuvent s’exprimer librement durant l’apprentissage de la PO ;
o Christian prône un enseignement-apprentissage de la PO basé sur l’écoute mutuelle,
l’échange, avec bienveillance et ouverture d’esprit ;
o Les élèves évoquent des perceptions personnelles, ils ne peuvent donc pas avoir tort
puisqu’il s’agit de leur propre ressenti ;
o Les élèves convoquent leur DL intime, leur référence ;
o Les élèves n’ont pas tort, Christian n’a pas tort, personne n’a tort ;
o La vérité n’existe pas dans le domaine de la PO, ces savoirs ne sont pas stabilisés
(sont-ils d’ailleurs stabilisables ?)

D’une origine bienveillante (l’écoute des élèves) et de la prise en compte et du respect des références
personnelles, cette première partie de la formule de Christian évolue vers une interrogation
épistémologique sur la quête inatteignable de la « vérité », de la réalité dans le cadre de la PO.

 « Il faut suivre un chef, un modèle, un mentor »


o Un mentor est une personne sage et expérimentée (CNRTL) ;

274
o Le mentor est une personne qui jouit d'une grande autorité, notamment au sein d'un
groupe restreint, parce qu'elle y est populaire et exerce un ascendant réel (CNRTL) ;
o Le mentor est un maître à penser, une référence à suivre.
 « Personne n’a tort (…) il faut suivre une chef, un modèle, un mentor »
o Si personne n’a tort, alors tout le monde a raison, pourquoi faudrait-il suivre un
mentor ?
o Le mentor est-il un menteur ?
o Le mentor est-il un manipulateur, un gourou qui cherche à endoctriner ?
o Christian est le mentor. Il dit à ses élèves, vous n’avez pas tort mais c’est moi qui ai
raison, vous devez me suivre.

La formule complète de Christian ressemble à un syllogisme : « comme personne n’a tort dans la PO,
et qu’il faut parvenir à une description consensuelle, alors il faut suivre un chef, un modèle, un
mentor, donc il faut me suivre », qui trouve les limites évoquées ci-dessus. De plus elle comporte à la
fois une logique implacable, due probablement à sa forme de syllogisme, et à la fois elle apparaît
antinomique. La formule de Christian ne présente-t-elle pas un idéal inatteignable ? La PO serait-
elle, pour lui, un impossible à enseigner ?

275
2.4. Jérémy : « C’est difficile (…) leur transmettre les connaissances que j’ai pu avoir
moi »

D’après notre classification325, Jérémy est un enseignant novice : il n’est ni expérimenté dans
l’enseignement ni expert dans le domaine de l’analyse sensorielle des vins.

2.4.1. Présentation et analyse diachronique du cas

Les données collectées contribuent à la construction et à la présentation du cas Jérémy. Elles sont
produites par trois entretiens et une observation de classe : un entretien ante séance de « déjà-là »
(DL), l’observation d’une leçon « l’épreuve » (EP), un entretien post à chaud et un entretien post
« d’après-coup » (AC).

Figure 79 : Rappel de la chronologie de la collecte des données pour Jérémy

En demandant à Jérémy comment il enseigne la PO, sa réponse pourrait être326 : « c’est difficile (…)
leur transmettre les connaissances que j’ai pu avoir moi ». Cette formule est encore une énigme, les
éléments suivants vont l’éclairer.

2.4.1.1. Le déjà-là décisionnel

Le déjà-là décisionnel de Jérémy est reconstruit grâce à un codage327 de la transcription de l’entretien


de déjà-là328. Il associe un volet expérientiel (ensemble des expériences professionnelles et
personnelles), un volet conceptuel (c’est le pôle cognitif, ensemble des croyances, représentations,

325
Pour plus de précisions, consulter les chapitres précédents et notamment l’analyse du questionnaire exploratoire
326
Cette formule est rédigée au conditionnel car la question n’a pas été posée en ces termes précis.
327
Il est disponible en annexe papier n°17.
328
Le verbatim de l’entretien se trouve dans l’annexe papier n°16.

276
valeurs et conceptions) et un volet intentionnel (c’est le pôle conatif, réseau d’intentions didactiques
et d’éducation). Le déjà-là sensoriel est la partie du déjà-là décisionnel qui concerne spécifiquement
l’objet d’enseignement, ici l’analyse sensorielle des vins, dont la partie olfactive. Ce déjà-là sensoriel
est présenté et détaillé dans la partie discussion des résultats de la thèse.

a) Déjà-là expérientiel

Le déjà-là expérientiel de l’enseignant est composé de ses expériences professionnelles (dans


l’hôtellerie-restauration et dans l’enseignement), de ses expériences dans le domaine du savoir à
enseigner (en sommellerie et en analyse sensorielle des vins) et de ses compétences olfactives
personnelles.

Jérémy est un nouveau titulaire, c’est sa première année d’enseignement après son année de stagiaire.
Dans le cadre de ses études en hôtellerie-restauration, il a eu l’occasion de découvrir plusieurs
établissements dans différents domaines durant les stages et les saisons estivales : « de nombreux
stages (…) à Megève en service (…) à l’hôtel de Paris à Monaco (…) au restaurant (…) en cuisine
(…) de la boulangerie (…) une expérience professionnelle (…) à l’hôtel Purpan aéroport (…) j’ai
travaillé en tant que chef de rang au moulin de l’abbaye à Brantôme c’est un restaurant
gastronomique (…) au Trianon palace (…) à Versailles au bar ». Même s’il a réalisé le service des
boissons, il indique ne jamais avoir pratiqué spécifiquement la sommellerie : « j’ai jamais vraiment
travaillé dans la sommellerie pure ». Il a une expérience scolaire de l’analyse sensorielle des vins et
juge ne pas avoir de compétences olfactives particulières mais il souhaite développer ses capacités en
même temps que ses élèves : « quand j’utilise le nez du vin329 j’ouvre les capsules et je les sens aussi
moi, je ne regarde pas directement la réponse et je le fais aussi avec eux comme ça, ça me permet
aussi de me remettre un peu en question ».

Synthèse du déjà-là expérientiel : Jérémy est un enseignant novice. Il est peu expérimenté dans
l’enseignement et n’est pas spécialiste de l’AS. Grâce à des stages, il a plusieurs expériences en
restauration, mais pas en sommellerie. Il indique ne pas avoir de compétences olfactives particulières
et dit continuer à se former en même temps que ses élèves.

329
Il s’agit du coffret d’odeurs aux éditions Lenoir.

277
b) Déjà-là conceptuel

Le déjà-là conceptuel réunit les représentations, les croyances, les valeurs de l’enseignant concernant
l’enseignement en général, l’enseignement technique et professionnel, l’analyse sensorielle et la
partie olfactive de l’analyse sensorielle en particulier.

Jérémy montre un net attrait pour l’enseignement : « j’aimais apprendre et divulguer ma passion du
métier ». Sa conception s’inscrit dans une vision plutôt traditionnelle et descendante de
l'enseignement, le verbe « divulguer » est cité deux fois et le verbe « transmettre » huit fois. Jérémy
évoque une représentation plutôt classique du maître et du savoir : « transmettre ce que je savais (…)
qu'ils soient réceptifs (…) leur apporter des connaissances (...) je veux leur transmettre mon savoir
(...) Je veux leur transmettre les connaissances (...) que j’ai pu avoir moi (...) je veux leur transmettre
ce que je sais, en fait tout ce que je sais ». Toutefois, concernant son enseignement, il déclare varier
les méthodes et les façons de transmettre : « un professeur technique (…) est un bon technicien (…)
mais également un bon théoricien (…) qui sait allier la théorie et la pratique (…) de plusieurs
manières (…) des méthodes différentes (...) diverses façons d’enseigner ».

L’AS vise plusieurs objectifs commerciaux selon lui : « acheter (…) pouvoir le vendre (…) accorder
aux plats de ma carte (…) conserver », il déclare que c’est une compétence essentielle pour ses
élèves : « Elle est importante oui, je dirais même très importante », ils auront à la mettre en œuvre
dans leur futur métier : « je forme de futurs (...) chefs de rang ou futurs responsables (…) imaginons
un collègue tombe malade en sommellerie et il faut le remplacer ».

Jérémy explique que la PO commence par la compétence perception sensorielle : « on va sentir, on


va découvrir les premiers arômes du vin (…) les premières familles et sous-familles » et poursuit par
une compétence cognitive : « je parle d’un arôme que je connais, dans ma tête j’ai des tiroirs, dans
ma tête je connais cet arôme et maintenant il faut que j’y mette un nom ». La PO est difficile à
enseigner, Jérémy le justifie ainsi : « parce que chaque élève est différent ». La conversion
didactique est par définition très personnelle et semble peu aisée pour Jérémy : « c’est difficile oui
parce qu’ils n’ont pas la même palette, la même palette d’arôme que moi ».

Synthèse du déjà-là conceptuel : Jérémy exprime une vision assez traditionnelle et descendante de
l’enseignement. Il mentionne vouloir varier les méthodes. L’AS est pour lui très importante et en
phase avec le futur métier de ses élèves. La PO nécessite, selon lui, plusieurs compétences, difficiles
à mobiliser car personnelles et dépendantes des acquis de chacun.

278
c) Déjà-là intentionnel

Le déjà-là intentionnel rassemble les intentions de l’enseignant : intentions éducatives d’enseigner en


général, intentions didactiques d’enseigner l’analyse sensorielle et intentions d’enseigner la partie
olfactive de l’analyse sensorielle en particulier.

Jérémy pense qu'il faut passer par une partie plus « théorique » qui ne motive pas trop les élèves
mais qui est nécessaire : « le côté un peu trop théorique (...) malheureusement il faut leur apprendre
parce qu’ils ne l’ont pas ». Cette partie consiste à fixer les fondations de l’AS, Jérémy mentionne :
« remettre vraiment à plat toutes les bases liées à l’analyse sensorielle ». Il affirme utiliser plusieurs
supports : « des vidéos j’utilise beaucoup de la vidéo qui me permet de montrer (...) concrètement les
choses (...) c’est du texte, des exercices (...) pas de livre », et vouloir développer un cours
dynamique : « sous forme d'ateliers ou sous forme d'activité (...) je leur fais goûter plusieurs produits
(...) le cours est plus vivant avec une analyse sensorielle ». Jérémy expose une intention de produire
une leçon organisée et structurée : « j’ai saccadé les différentes étapes, la vue, le nez et la bouche ».
Il explique que c’est l’occasion pour l’élève d’exprimer ses ressentis : « l’analyse sensorielle c’est un
côté propre à chacun donc du coup ça nous permet de voir ce que chaque élève ressent (...) on peut
échanger avec les élèves on a vraiment leur point de vue, ce qu’ils ressentent ».

Jérémy ajoute que la PO passe aussi par une partie pratique : « je leur ai fait sentir des petits
bouchons d’arômes liés au vin, ils devaient découvrir les bouchons d’arômes », une découverte
progressive : « découvrir des arômes (…) que l’on peut peut-être placer dans une famille puis dans
une sous-famille ». Durant la PO, l'enseignant prétend ménager les élèves car certains n'apprécient
pas certains vins ou manquent de confiance en eux dans la perception/description des notes
aromatiques : « je commence souvent par les vins qui sont le plus agréable pour eux, pour éviter (…)
certains vins rouges s’ils sont trop corsés, les élèves (...) ils disent j’aime pas trop les vins rouges
(...) c’est mettre aussi en confiance l’élève (...) qui n’aime pas trop le vin ».

Au final, il souhaite les rendre capable d'exprimer leur ressenti face aux clients du restaurant, c’est la
compétence « dire » : « un client qui va être un peu connaisseur sur le domaine du vin qui va leur
demander alors vous qu’est-ce que vous ressentez ? Alors vous, quels arômes avez-vous à mettre en
avant sur ce vin ? C’est qu’ils puissent en parler, c’est qu’il puisse dire alors voilà sur ce vin je
ressens tel arôme, telle famille d’arômes ».

279
Synthèse du déjà-là intentionnel : Jérémy souhaite développer, dans le cadre de la PO, l’acquisition
de plusieurs compétences : sentir (percevoir), identifier, classer (en famille), dire (verbaliser) et
mémoriser. Pour parvenir à ces objectifs il mobilise approches théoriques et pratiques en donnant
confiance à ses élèves.

2.4.1.2. L’Épreuve

L’épreuve est analysée à partir d’un syllabus330. La grille de lecture de l’épreuve s’attache à décrire
la chronogenèse, les moments didactiques, les interactions verbales, les outils mobilisés, les
déplacements de l’enseignant, la proxémie et la conformité des activités des élèves aux attendus de
l’enseignant.

Présentation des éléments matériels et humains du milieu didactique


Classe de BTS année 1, 11 élèves sont présents.
Durant sa leçon, Jérémy organise trois dispositions différentes de sa classe durant trois moments
successifs.

Disposition salle de classe n°1

Élèves assis en disposition 4 tables de 2 élèves331


« salle de classe » devant le
3 tables d’un élève
bureau de l’enseignant, face
au tableau. Tableau blanc fixe

Disposition salle de classe n°2

Élèves assis en disposition 2 îlots de 4 élèves332


« îlots ». Un îlot de 3 élèves

330
Annexe papier n°25
331
La répartition des élèves n’est pas imposée par l’enseignant, les élèves s’installent par affinité.
332
L’enseignant impose une répartition équitable (en nombre d’élèves par îlot).

280
Disposition salle de classe n°3

Élèves assis en disposition


11 élèves en U
« U ».

a) Chronogenèse

La chronogenèse est la temporalité de la relation didactique. C'est la description du savoir enseigné et


son évolution dans le temps.

La leçon donnée à voir par Jérémy dure 2 heures et 13 minutes. La vidéo se coupe avant la fin de la
leçon, pour une raison technique (fin de la batterie). D’après l’entretien post « à chaud » l’enseignant
confirme qu’il ne manque que la fin des rangements sur la vidéo, c’est-à-dire quelques minutes
seulement.

La leçon de Jérémy peut se décomposer en trois parties remarquables. La première partie correspond
au passage des consignes, des objectifs et à la stabilisation de plusieurs définitions. Dans la deuxième
partie de la leçon, il met les élèves en activité en groupe. Lors de la troisième partie, l’enseignant
conduit la synthèse des activités en recueillant le retour des élèves, puis stabilise le savoir.

La durée de chacune des parties de la leçon se répartit de la façon suivante :

281
Tableau 50 : durées des différentes parties de la leçon de Jérémy

Parties de la leçon Durée de chaque partie % leçon % leçon


Partie 1 : Lancement, objectifs 2 min 15 s 2%
Partie 1 : Principales définitions et mots de
10 min 30 s 8% 9%
vocabulaire spécifiques en anglais
Partie 1 : Mise en place des ateliers 1 min 18 s 1%
Partie 2 : Activités en groupe 13 min 57 s 10 %
Partie 2 : Activités en groupe 13 min 18 s 10 % 33 %
Partie 2 : Activités en groupe 17 min 14 s 13 %
Partie 3 : Synthèse des ateliers 24 min 38 s 19 %
Partie 3 : Mise en pratique sur un vin, fin de la
47 min 50 s 36 % 57 %
synthèse des ateliers
Partie 3 : Rangements 2 min 00 s 2%
Durée totale 2 h 13 min 100 % 100 %
Une grande partie (57 %) de la leçon est affectée à la synthèse durant laquelle l’enseignant recueille
les retours de l’AS des élèves, les commente et les complète. Durant un tiers du temps de la leçon
(33 %), les élèves sont en activité.

b) Moments didactiques

Les quatre moments didactiques333 sont : définir, dévoluer, réguler et institutionnaliser. Le repérage
des moments didactiques de la leçon se trouve dans le syllabus en annexe numérique.

Tableau 51 : durées des moments didactiques dans la leçon de Jérémy

Moments didactiques Durée de chaque partie % de la leçon


Définir 16 min 12 %
Dévoluer 33 min 25 %
Réguler 11 min 8%
Institutionnaliser 1 h 12 min 55 %
Durée totale 2 h 13 min 100 %
Durant sa leçon, Jérémy fixe les objectifs et les fondations de la séance, il définit puis met
rapidement ses élèves en activité (au bout d’un quart d’heure de cours). Puis la dévolution tient une
place importante, puisque les élèves sont responsables de l’acquisition des savoirs durant un tiers du
temps de la leçon. Il n’y a pas de régulation globale, Jérémy laisse les élèves découvrir et réaliser les
exercices en surveillant discrètement leurs avancées, même s’il intervient parfois pour insister sur

333
Pour rappel, consulter la partie méthodologique.

282
une consigne, pour conseiller, orienter ou pour estimer l’avancée les travaux. Pendant plus de la
moitié de la leçon Jérémy institutionnalise, avec les élèves, il gère les propositions des élèves et se
met en position de stabiliser le savoir. Cette partie se déroule durant la phase de synthèse qui a lieu
en dernière partie de la leçon.

c) Interactions verbales

Les interactions verbales concernent les échanges avec les élèves. Le comptage se fait à chaque fois
qu’un ou plusieurs élèves prennent la parole pour répondre à une sollicitation de l’enseignant ou de
façon spontanée.

Tableau 52 : répartition des interactions durant les parties de la leçon de Jérémy

Parties de la leçon Nombre d’interactions % leçon % leçon


Partie 1 : Lancement, objectifs 8 3%
Partie 1 : Principales définitions et mots en anglais 39 15 % 18 %
Partie 1 : Mise en place des ateliers 0 0%
Partie 2 : Activités en groupe 2 1%
Partie 2 : Activités en groupe 14 5% 9%
Partie 2 : Activités en groupe 9 3%
Partie 3 : Synthèse des ateliers 77 29 %
Partie 3 : Mise en pratique sur un vin 118 44 % 73 %
Partie 3 : Rangements 0 0%
Nombre total 267 100 % 100 %
Très peu d’échanges ont lieu durant les phases de dévolution : l’enseignant laisse les élèves réaliser
les activités en intervenant le moins possible. Il semble vouloir laisser les élèves découvrir et
expérimenter sans son intervention. C’est lors des parties institutionnalisées que les interactions
élèves-enseignant sont les plus denses ; les trois quarts de celles-ci se jouent dans cette partie de la
leçon. Les interactions de la leçon font partie d’un cours dialogué (Veyrunes, 2008). Jérémy pose une
question (initiation), les élèves répondent (réaction des élèves) et l’enseignant évalue et complète
(réaction de l’enseignant). L’enseignant sollicite beaucoup les élèves pendant cette partie du cours,
les élèves sont amenés à faire un retour de leurs activités, l’enseignant valide, rectifie ou corrige le
cas échéant mais il laisse aussi parfois planer le doute.

Après cette approche plutôt quantitative des interactions, trois extraits du verbatim permettent de
situer les échanges verbaux de façon qualitative. L’interaction suivante se déroule durant la synthèse
au moment d’évoquer la partie olfactive avec le verre de vin distribué. Les élèves ont une fiche

283
d’analyse sensorielle du vin lacunaire, ils lisent les phases chronologiques, les suivent pas à pas et
complètent avec l’enseignant :

Jérémy : donc on a fait la six maintenant on va faire la sept c’est quoi la sept ? [six et sept sont
les phases chronologiques de l’AS notées sur la fiche guide]
Élève : le premier nez
Jérémy : alors le premier nez, le premier nez vous allez déjà mettre votre nez dans le verre, on
va chercher à savoir si vous sentez le goût de torchon, on dit le goût de torchon parce que oui
des fois ça peut sentir le torchon, ça peut sentir le carton parce qu’on vient de sortir les verres
du carton et vous venez de mettre le vin directement. Est-ce que ça sent quelque chose, est-ce
que ça sent quelque chose est-ce que vous pensez qu’il y a un problème ?
Élève : non
Jérémy : non, l’autre en termes d’intensité, vous allez remettre votre nez et est-ce que vous
pensez qu’en termes d’intensité c’est fort ?
Élève : moyen
Jérémy : vous sentez quelque chose ? Est-ce que vous sentez rien du tout ? Est-ce que vous
sentez quelque chose ? C’est puissant pour vous ? Pour vous c’est puissant ou pas ?
Élève : non
Jérémy : non, effectivement mais il y a quand même quelque chose on sent quelque chose ok
vous avez bien senti maintenant on va passer Marie ?
Élève : au deuxième nez
Lors de cette interaction Jérémy s’appuie sur la fiche d’AS, il la suit à la lettre et complète ou et
explique. Cette interaction, comme moment institutionnalisé, est fortement adossée à l’outil « fiche
d’AS ».

L’interaction suivante se déroule aussi lorsque les élèves mettent en pratique la méthodologie de la
PO sur le vin et réalisent la description de la complexité aromatique du produit :

Jérémy : là maintenant vous sentez par rapport à l’atelier que l’on a fait tout à l’heure sur
les arômes vous devez mettre une famille. Quelle famille à votre avis ?
Élève : (faiblement) le raisin (rire des élèves)
Jérémy : de quoi le raisin et oui (rire) Sébastien essayez de me dire une famille là
Élève : agrume
Jérémy : agrume tu sens l’agrume là ?
Élève : oui un peu un fond
Jérémy : (il sent) ok pas de problème peut-être qu’il y a de l’agrume
Élève : les fleurs ?
Jérémy : Tu sens le côté floral là ? Quoi comme fleur ? Une fleur blanche ?
Élève : moi je sens pas mal les fruits

284
Jérémy : fruité ok, floral pas de problème ok, vous avez vos familles pour le moment pas de
problème, est-ce que vous pouvez mettre un nom ? (sans attendre) Est-ce que vous sentez peut
être un côté un peu miel ?
Élève : non
Jérémy : non, ok pas de problème y’a pas de souci (rire)
Dans cette interaction, Jérémy et les élèves se trouvent confrontés à la réalité d’un vin. Ils mettent à
profit la méthodologie de la PO et mobilisent une triple compétence : sentir, identifier et dire. Jérémy
respecte les propositions des élèves, même s’il ne semble pas les partager. Les élèves, quant à eux, ne
partagent pas toutes les propositions de l’enseignant. Cette interaction a lieu durant la partie
institutionnalisation mais Jérémy ne tranche pas. Cette phase de la leçon correspond à un moment
d’officialisation du savoir même si Jérémy ne semble pas assumer ce rôle-là.

Cette dernière interaction se déroule durant la synthèse de l’atelier n°3 dans lequel les élèves doivent,
dans une première activité, classer les termes aromatiques proposés dans des familles :

Jérémy : le thé (silence de trois secondes) Marie


Élève : (inaudible) floral ?
Jérémy : végétaux
Élève : mais ça dépend des thés
Jérémy : oui ça dépend des thés mais on prend un thé vert ou autre (silence) bois
Élève : boisé ?
Jérémy : bien (en insistant)
Autre élève : mais on peut aussi le mettre dans empyreumatique
Jérémy : oui mais quand il est fumé
Élève : donc on peut mettre dans trois
Jérémy : pourquoi pas, si c’est un bois sec, on va mettre dans boisé, si c’est un bois vert on met
dans végétaux et bois fumé dans empyreumatique, très bien.
Cet échange a aussi lieu durant une phase de stabilisation du savoir. Néanmoins, en ne décidant pas,
Jérémy introduit un flottement. Y-a-t-il véritablement stabilisation du savoir ? Les élèves risquent de
manquer de repères. L’objectif prioritaire de l’activité qu’il propose, c’est-à-dire classer des arômes
dans leur famille, trouve dans cet extrait ses limites. Il ne semble pas fonctionner comme Jérémy le
prévoyait.

285
d) Analyse lexicale

Il s’agit de l’analyse lexicale334 du discours de l’enseignant.

Figure 80 : Unités terminologiques de la PO dans le discours de Jérémy

Ce nuage de mots est constitué grâce aux unités terminologiques de la PO du discours de Jérémy.
Plus les mots sont cités et plus leur représentation est importante dans le schéma. Ainsi l’occurrence
« arômes » est mentionnée à 28 reprises, « sent » 13 fois, « sentez » 12 fois et « sentir » 11 fois. Il est
central pour Jérémy d’évoquer les arômes dans le cadre de la PO, il convoque le verbe « sentir » de
façon presque impérative, compulsive ?

334
Pour rappel, consulter la partie méthodologique.

286
Figure 81 : Répartition des unités terminologiques du discours de Jérémy dans les champs de la PO

Les unités terminologiques de la PO utilisées par Jérémy peuvent être réparties en différents champs
selon la littérature335. Jérémy énonce majoritairement des termes décrivant la complexité aromatique
de la PO, comme le montre l’extrait de verbatim suivant :

« Dans l’atelier trois c’est tout ce qui est les arômes. Au départ vous allez mettre tout ce qui
est théorique dans le tableau. Vous allez me ranger dans le tableau (…) la cerise par exemple
si c’est un fruit rouge ou si c’est un agrume vous mettez dans la colonne concernée ensuite je
vais vous donner des arômes, dessus il n’y a rien d’écrit, à vous de me dire. Vous allez les
mettre dans l’ordre dans lequel je vais vous les donner dans un premier temps, un arôme de
banane à vous de le placer et de découvrir que c’est la banane ».
La densité du discours de la PO336 est de 9 %, ce qui est plutôt bas337 comme pour les autres cas de
l’étude338. Cela signifie que l’enseignant étaye son discours, il entoure les termes techniques par des
termes plus courants pour rendre intelligible son message. Il s’agit véritablement d’un apprêt
didactique (Chevallard, 1985). L’extrait de l’épreuve suivant, avec usage de répétitions, est assez
significatif :

« Tu vas sentir tout ce que tu connais pas comme arômes quand tu es en cuisine (…) par
exemple (…) le chef a ramené un arôme que tu connais pas ou le gingembre par exemple

335
Le détail des différents champs évoqués se trouve dans la partie méthodologique.
336
Rappel la densité du discours de la PO = unités terminologiques de la PO / termes totaux du discours de la PO x 100
337
Il n’existe pas d’échelle normée dans la littérature concernant la densité du discours. Cet indice est un indicateur.
338
Cette comparaison est reprise dans la partie rapprochement des cas

287
c’est pas une odeur que pour toi tu sens habituellement et là le gingembre tu vas le sentir et
là à toi d’enregistrer dans ton tiroir de la tête de dire et bien voilà le gingembre j’enregistre
et de toute façon un jour tu vas tourner un vin [il fait le geste] et tu vas dire ah ça sent le
gingembre tu vois c’est ça le but aussi ».
La technicité du discours de la PO339 est assez haute (soit 7 %) puisque Jérémy mobilise quatre unités
terminologiques exclusives différentes, qu’il répète à plusieurs reprises. Il cite le terme
« caudalie(s) » treize fois, « empyreumatique » huit fois, « grumer » une fois et « rétro-olfaction »
sept fois. Malgré sa position d’enseignant novice dans la PO, cet indicateur est un des signes d’une
certaine expertise (Carnus, 2008) ou d’une volonté de l’acquérir.

e) Outils mobilisés

Les outils utilisés par l’enseignant sont des outils matériels (fiche, verres et bouteille de vin…) et
symboliques (gestuelle, langage) (Brousseau, 1998).

Jérémy s’appuie très largement sur des documents écrits tout au long de sa leçon. Durant la première
partie, moment où il pose les définitions, il distribue aux élèves une fiche à textes lacunaires. Les
consignes et exercices à compléter se trouvent sur la deuxième fiche utilisée durant la phase de
dévolution. Enfin une feuille de synthèse à compléter est mobilisée durant la dernière phase de la
leçon, au cours de l’institutionnalisation. L’utilisation de ces outils ne serait-elle de nature à pallier
son manque d’expérience (et aussi d’expertise) ce qui est fréquent chez les enseignants novices ?

Jérémy utilise d’autres outils matériels tels que des verres à dégustation, des crachoirs et une
bouteille de vin blanc, les petites fioles du « nez du vin »340, un ordinateur portable pour diffuser une
vidéo support d’une activité et le tableau blanc.

339
Rappel la technicité du discours de la PO = unités terminologiques exclusives de la PO / unités terminologique de la
PO x 100
340
Le nez du vin de Lenoir

288
Tableau 53 : Exemples d'outils matériels mobilisés par Jérémy

L’enseignant utilise des fiches à compléter L’enseignant utilise des fioles « le nez du
par les élèves vin », odeurs du vin à sentir

f) Déplacements

Les déplacements de l’enseignant dans la classe durant la leçon filmée (l’épreuve) sont représentés
de façon graphique. Les locogrammes (Parlebas, 1981) permettent de matérialiser les déplacements
de Jérémy dans sa classe. La leçon est divisée en plusieurs parties suivant la chronogenèse341. Les
plans sont présentés ci-dessous.

341
Voir syllabus détaillé en annexe papier n°25 pour les repères chronométriques précis

289
Tableau 54 : Locogrammes de la leçon de Jérémy

Légende Représentation schématique de l’espace didactique

Tableau blanc effaçable

Table de l’enseignant

Bureaux d’élève

Zone filmée par la caméra

Caméra fixe sur pied

Légende Représentation schématique de l’espace didactique

Déplacements de l’enseignant (lignes)

Arrêts de l’enseignant (points)

Plus le diamètre du point est grand et


plus l’arrêt est long

La leçon est divisée en quatre parties qui renvoient à des repères chronométriques précis et à des
dispositions de salle de classe différentes. Les plans suivants schématisent les parties chronologiques
de la leçon de Jérémy.

290
Tableau 55 : Locogramme de la leçon de Jérémy, partie prise en main de la classe

Éléments de compréhension Plan n°1

Repères chronométriques :

du début à 14 min 3 s

Durant le début de la séance, Jérémy se déplace dans une salle de classe disposée de façon classique.
Les bureaux des élèves sont disposés deux par deux en trois rangées orientées vers le tableau.
L’enseignant présente les objectifs de sa leçon, c’est un moment où il définit de façon très
majoritaire. Ces déplacements se concentrent devant le tableau qu’il utilise d’ailleurs à plusieurs
reprises pour noter les mots importants ou nouveaux.

Tableau 56 : Locogramme de la leçon de Jérémy, partie mise en activité des élèves

Éléments de compréhension Plan n°2

Repères chronométriques :

de 14 min 3s à 58 min 32 s

Durant cette phase de la leçon, Jérémy a organisé la classe de façon à créer trois îlots de quatre
bureaux pour permettre à trois groupes de mener successivement les trois ateliers en autonomie.
C’est le moment de la dévolution. Durant cette partie de la leçon, l’enseignant se déplace beaucoup,
il se dirige alternativement et sans cesse, vers chaque îlot pour surveiller le bon déroulement des
activités. Il semblerait qu’il passe plus de temps à proximité de l’îlot dédié aux arômes (travaux de
perception, identification, classement d’arômes) qui se trouve en bas à gauche du plan. Il est plus

291
attentif à ce qui se passe dans ce groupe, il semble ne pas pouvoir s’empêcher d’intervenir et
participe même parfois en s’asseyant avec les élèves. Les nombreux points, de surfaces plus
importantes, représentent ces moments où il reste auprès de cet îlot.

Tableau 57 : Locogramme de la leçon de Jérémy, partie institutionnalisation

Éléments de compréhension Plan n°3

Repères chronométriques :

De 58 min 32 s à 1 h 23 min 10 s

Durant cette partie de la leçon, Jérémy a organisé la salle avec une disposition en U. Tous les élèves
se voient, ils peuvent prendre la parole et s’écouter. L’enseignant ne se déplace pas pendant ce
moment d’institutionnalisation. Il est à demi-assis sur un bureau, au centre du U, visible de tous les
élèves, quasiment à la même distance de chaque élève.

Tableau 58 : Locogramme de la leçon de Jérémy, partie activité de synthèse

Éléments de compréhension Plan n°3

Repères chronométriques :

De 1 h 23 min 10 s à 2 h 13 min

Dans cette partie du cours Jérémy propose une analyse sensorielle d’un vin blanc. Il se déplace pour
organiser la mise en place matérielle, pour distribuer les crachoirs, pour présenter la bouteille… Dans

292
cette phase d’institutionnalisation, il sollicite alternativement chaque élève pour dérouler la
méthodologie de l’AS matérialisée sur la fiche de correction des ateliers. Il reste le plus souvent
debout ou demi-assis au centre du U, d’où il voit et entend tous les élèves et d’où il est visible et
audible de chacun des élèves.

g) Proxémie

Selon E. Hall « La dimension cachée » (1971), la proxémie distingue 4 distances dans les relations
sociales342.

Jérémy est majoritairement à distance sociale de ses élèves. Il est soit debout entre son bureau et le
tableau lors des moments de définition de la leçon, soit debout ou demi-assis en face de ses élèves
lors des moments d’institutionnalisation. Cette distance sociale est majoritairement mobilisée durant
la leçon de Jérémy comme le montre, en exemple, l’illustration ci-dessous. De façon beaucoup plus
rare et seulement à quelques reprises durant la phase de dévolution, Jérémy se trouve à distance
personnelle de quelques élèves. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il s’installe dans un îlot pour
participer avec les élèves à l’activité comme le montre l’image ci-dessous.

Tableau 59 : Exemples de distances sociales durant la leçon de Jérémy

Exemple de distance sociale en phase Exemple de distance personnelle en phase de


d’institutionnalisation dévolution

h) Activités des élèves

Dans le syllabus, les activités des élèves sont repérées par rapport à leur conformité avec les
moments didactiques de l’enseignant. Aucun moment n’est en rupture durant la leçon de Jérémy.

342
Pour rappel, consulter la partie méthodologique.

293
2.4.1.3. L’après-coup

Le rapprochement du déjà-là et de l’épreuve de l’enseignant (parties descriptives) fait émerger des


énoncés interprétatifs (partie compréhensive au regard des questions de recherche). Ces hypothèses
contribuent à constituer le guide d’entretien d’après-coup, entretien durant lequel l’enseignant
reconstruit et donne du sens à l’épreuve. C’est grâce à ces moments sélectionnés que les entretiens
d’après-coup (AC) ont-été construits et structurés.

a) Construction du guide d’entretien d’après-coup

En fonction des modalités repérées, les intentions déclarées (lors de l’entretien de déjà-là) sont
rapprochées des actions constatées (lors de l’épreuve) pour repérer s’il y a continuité ou rupture entre
DL et EP. Une première analyse permet de croiser les deux premiers temps de la méthodologie (DL
et EP), de repérer, entre autres, des écarts entre les effets attendus et les effets constatés et d’élaborer
des énoncés interprétatifs sur ces écarts (Carnus, 2018).

Énoncé interprétatif n°1 :

Jérémy (enseignant novice) n’a pas de compétence particulière en PO. Il les développe en même
temps que ses élèves. L’enseignant apprend en même temps que ses élèves, ce qui est fréquent chez
les enseignants novices.

Modalité repérée Rapport au savoir PO


Intention déclarée « Je le fais aussi avec eux » (DL)
Action constatée L’enseignant ne semble pas assumer sa position symbolique de sujet supposé
savoir
Rupture ou continuité Continuité

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

L283 (il s’installe dans l’atelier sent une fiole et la passe à une élève) « Celui-là tu l’as forcément
déjà senti chut (vers un autre) peut être ce n’est pas ça »
L286 « je n’ai pas la science infuse tu pourras pas dire en sortant du cours de Monsieur X ça y est je
suis sommelière mais c’est pour ça qu’on commence par ce premier cours pour pouvoir gravir »
L483 « élève : mami prof : et umami et unami (sourire) c’est quoi unami élève : (inaudible) prof :
c’est quoi unami je l’ai entendu dire mais je suis pas sûr je suis vraiment pas sûr je crois que c’est
quand on n’a plus d’arômes quand on sent plus rien on est on a de l’unami ou de l’umami c’est un
truc comme ça je rechercherai élève : c’est pas tout ce qui est (inaudible) ou un truc comme ça prof :
non vraiment je sais pas élève : moi non plus je sais pas prof : tu n’arrives pas à savoir quand je dis

294
vrai ou quand je dis donc je ne sais pas il faudrait que je recherche il me semblait que c’était quand
quand on dit que quelqu’un c’est ce côté unami ou umami c’est quand il a (il cherche son téléphone
du regard) tu peux regarder sur le téléphone et en même temps on avance ».
Commentaires du chercheur :

Durant la mise en activité et la dévolution, l’enseignant participe, à plusieurs reprises, avec les élèves
aux ateliers « odeurs ». Il sent aussi certaines fioles, sans regarder la solution (le numéro qui renvoie
à la liste du nom des odeurs est inscrit sous chaque flacon) et fait aussi quelques activités de l’atelier.
À cet instant, l’enseignant souhaite-t-il vraiment se tester comme il l’indiquait pendant l’entretien de
DL ? Compte-t-il profiter de ce moment pour progresser dans le domaine de la perception –
identification de la PO ?

Dans le deuxième extrait, il affirme à ses élèves ne pas avoir la science infuse : il se considère
comme un enseignant « qui ne sait pas tout ». Il s’inscrit, lui aussi, dans une dynamique de
progression, il ne se considère pas comment un sujet supposé savoir. En outre, Jérémy se retrouve,
dans le dernier extrait ci-dessus, dans une situation où il ne maîtrise pas une notion. Il a, en effet, un
doute sur la signification du mot « umami » (5ème saveur de base)343. Pour garder la maîtrise de sa
leçon, il demande à un élève d’en rechercher le sens sur son téléphone durant le cours.

Jérémy sera questionné dans l’AC sur sa position de sujet supposé ne pas tout savoir.

Énoncé interprétatif n°2 :

L’enseignant semble avoir une vision traditionnelle de l’enseignement, il dit souhaiter transmettre
tout ce qu’il sait. Mais durant sa leçon il rend ses élèves plutôt acteurs, il les fait participer
(dévolution et cours dialogué). Il change de vision de l’enseignement entre sa conception (qu’il a
peut-être vécu comme élève) et sa pratique.

Modalité repérée Rapport à l’épreuve


Intention déclarée Vision magistrale de l’enseignement (DL)
Action constatée Mise en activité et participation active des élèves
Rupture ou continuité Rupture

343
L’umami, est un mot japonais qui signifie « savoureux ». Il vient d’entrer dans l’édition 2016 du Petit Robert. C’est
l’une des cinq saveurs de base avec le sucré, l’acide, l’amer et le salé. La saveur umami est présente dans les
champignons, la tomate, les épinards, certains bouillons, les fromages (comme le parmesan), la sauce soja, les viandes et
poissons grillés, etc.

295
Repérage dans la transcription de l’épreuve :

L686 « Prof : là maintenant vous sentez par rapport à l’atelier que l’on a fait tout à l’heure sur les
arômes, vous devez mettre une famille. Quelle famille à votre avis ? Élève : (faiblement) le raisin
(rire des élèves) Prof : de quoi le raisin et oui (rire) Sébastien essayez de me dire une famille là
Élève : agrume Prof : agrume tu sens l’agrume là ? Élève : oui un peu un fond Prof : (il sent) OK
pas de problème peut-être qu’il y a de l’agrume ».
L697 Prof : vous avez vos familles pour le moment pas de problème est-ce que vous pouvez mettre
un nom (sans attendre) est-ce que vous sentez peut être un côté un peu miel Élève : non Prof : non
OK pas de problème y’a pas de souci (rire) ».
Commentaires du chercheur :

Les élèves sont mis en activité, ils sont actifs (voir syllabus344 de la leçon et analyse des moments
didactiques345). Il y a des parties assez importantes attribuées à la dévolution dans la leçon de
Jérémy. Durant les autres moments didactiques, l’enseignant mène, le plus souvent, un cours
dialogué et fait participer les élèves (voir la partie interactions verbales).

Lors de la PO il semble ouvert lors des propositions d’identification des arômes (compétence dire), il
ne rejette pas les propositions des élèves qu’il ne partage pas et, de la même manière, il n’impose pas
ses propres propositions. Là encore Jérémy n’assume pas la position du SSS comme sa conception de
l’enseignement, évoquée dans le DL, le laissait présager. Il ne se montre pas en position de détenir le
savoir et de vouloir le transmettre à ses élèves. Peut-être ne se sent-il pas légitime pour
institutionnaliser la PO ? Il ne dévolue pas complètement l’institutionnalisation aux élèves mais il
fait appel à leurs réponses de façon systématique avant de stabiliser.

En fin de cours il demande un retour aux élèves sur leur ressenti de la leçon.

Jérémy sera questionné dans l’AC sur cette rupture entre sa conception de l’enseignement et sa
position face à la classe.

Énoncé interprétatif n°3 :

Le rapport au savoir de l’enseignant tourne autour d’une approche théorique et visuelle de la PO.

344
Annexe papier n°25.
345
Annexe numérique AN36.

296
Modalité repérée Rapport au savoir
Intention déclarée Arômes : j’ai des tiroirs dans la tête (DL)
Action constatée « Placard d’odeurs, petit tiroir des arômes, commode, palette (d’odeurs) »
Rupture ou continuité Continuité

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

L203 Déjà –là : « J’ai des tiroirs dans ma tête, je connais cet arôme et maintenant il faut que j’y
mette un nom et ça c’est plus compliqué. C’est vraiment ce qui m’intéresse à moi »
L231 « Tu peux taper sur la table tu ne découvriras pas quand même ! Oui justement c’est ça que je
veux : je veux que votre placard d’odeurs (il fait le geste de quelque chose de droit et d’organisé) »
L523 « Vous avez chacun des tiroirs (il montre sa tête) la tête c’est une commode (…) vous avez
aussi les arômes : un tout petit tiroir, les arômes »
L528 « Là le gingembre, tu vas le sentir et là à toi d’enregistrer dans ton tiroir de la tête de dire et
bien voilà le gingembre j’enregistre »
L534 « Et bien parce que c’est toi-même qui dois le savoir, tu dois créer ta propre palette OK ? »
Commentaires du chercheur :

Dans l’atelier n°3, Jérémy demande, dans un premier temps, aux élèves de classer des odeurs (les
mots des odeurs) dans un tableau de familles. Cette première activité écrite est théorique car elle
demande aux élèves de manipuler des mots, des concepts d’odeurs et pas les odeurs elles-mêmes. Il
semblerait que l’enseignant ait une conception très théorique, voire visuelle de la PO. Effectivement,
il évoque les termes « palette » (allusion à la palette d’un peintre), « placard à odeurs » et « tiroirs
dans la tête ». Jérémy use de métaphores durant sa leçon, il souhaite peut-être transmettre des
conceptions chez ses élèves. Il reproduit, de façon didactique, le système cognitif qu’il dit efficace
pour lui, il s’agit bien ici de conversion didactique.

Jérémy sera questionné durant l’AC sur cette conception personnelle métaphorique.

Énoncé interprétatif n°4 :

La conception personnelle de Jérémy (le classement en famille, « les tiroirs dans la tête ») pour
mémoriser les odeurs ne semble pas être un outil efficace pour ses élèves. Cela n’est pas toujours ni
adapté, ni pertinent, ni consensuel.

297
Modalité repérée Rapport au savoir
Intention déclarée « On sent des arômes puis des familles puis des sous-familles » (Déjà-là)
Action constatée Le classement des arômes en famille n’est pas toujours pertinent
Rupture ou continuité Rupture

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

de la L854 à la L957 (synthèse d’une activité durant laquelle les élèves devaient replacer les mots des
odeurs dans un tableau des familles)
« prof : la menthe élève : épices et aromates prof : épices et arômes (silence 1) a bon ce n’est pas un
végétaux ? (silence 2) je ne sais pas je te demande (silence 4) ça peut être un aromate mais là on le
classe dans végétaux c’est plutôt végétaux la menthe, c’est végétaux (...) !
prof : le cèdre, Marie élève : boisé prof : boisé ? Est-ce que ça sent pas plutôt quelque chose de
résineux ? Le cèdre ça a un peu un côté résine de sapin, résine de (euh) est-ce que ça n’irait pas
mieux ? (silence 2) Je te le demande (silence 2) élève : dans les deux prof : on peut mettre
effectivement dans ce côté boisé mais également dans le côté balsamique (silence 6 les élèves
corrigent) (...)
prof : champignons (silence 2) élève : fermentation (euh) fermentaire pardon prof : ou est-ce que tu
trouves les champignons élève : dans la forêt prof : dans la forêt donc du coup c’est plutôt élève :
boisé prof : boisé, boisé (silence 3) (...)
prof : l’ananas élève : agrumes et fruits exotiques prof : agrumes et fruits exotiques oui
prof : le beurre élève : animal (euh) animaux prof : (le professeur est dubitatif) de la graisse
animale, c’est de la graisse animale oui mais le beurre quand on le sent, c’est un côté fermentaire,
c’est ce que l’on a (silence 3) (...)
prof : le gingembre élève : avec les fruits exotiques prof : ah non ! élève : épices et arômes prof :
épices et aromates, le gingembre toi qui as fait un bac pro cuisine, le gingembre tu t’en sers comme
quoi ? élève : comme épice prof : pourquoi aller chercher plus loin alors ? (rire) élève : pourtant
cela se rapproche du citron prof : (fait la grimace) ça se rapproche un petit peu du citron mais après
Élève : après le goût c’est différent prof : voilà sinon c’est de la citronnelle que tu utilises allez c’est
pas grave
prof : bois élève : boisé prof : bien (en insistant) autre élève : mais on peut aussi le mettre dans
empyreumatique prof : oui mais quand il est fumé élève : donc un peut mettre dans trois prof :
pourquoi pas si c’est un bois sec on va mettre dans boisé, si c’est un bois vert on met dans végétaux
et bois fumé dans empyreumatique, très bien (silence) »
Commentaires du chercheur :

Lors de l’institutionnalisation de l'atelier « classer les odeurs dans les familles » apparaissent certains
problèmes.

298
Certaines odeurs sont classées dans plusieurs familles. Si une même odeur peut, avec une certaine
logique, être classée dans plusieurs familles, cette méthode est-elle facilitante dans l’apprentissage
des élèves ? C’est l’exemple du bois qui peut intégrer, selon Jérémy, la famille boisée (le bois
comme matière), la famille végétale (le bois vert est un végétal) et dans la famille empyreumatique
(le bois fumé ou brulé comme les douelles des barriques).

L’association de certaines odeurs et certaines familles sont discutables, voire erronées dans le
discours de Jérémy par rapport aux auteurs de référence de la PO. C’est l’exemple du champignon
que Jérémy classe dans la famille boisé sous prétexte qu’il pousse dans les bois. La littérature classe
plutôt les champignons dans la famille végétale.

Jérémy chamboule, parfois, la logique des élèves, troublant ainsi leurs repères. C’est l’exemple du
beurre que les élèves proposent de classer dans la famille animale346, en invoquant que c’est une
graisse animale. Jérémy rétorque que le beurre fait partie de la famille fermentaire347, sans fournir ni
raison, ni logique, installant ainsi un doute dans la situation didactique.

Avec l’exemple de l’odeur de cèdre, l’enseignant ne parvient pas non plus à installer une méthode
efficace de classement en famille. En effet, un élève suggère d’associer le cèdre au groupe des
boisés, le cèdre étant un arbre. Ce classement est d’ailleurs celui qui est retenu dans la littérature.
Jérémy tente alors d’expliquer que le cèdre est un résineux, qu’il contient de la résine et qu’il est plus
judicieux de le classer dans la famille balsamique348. Devant la réticence de l’élève : « on peut le
mettre dans les deux ? » il concède et ne tranche pas.

La conception théorique du classement en famille ne semble pas un savoir incorporé pour Jérémy,
rendant difficile, voire impossible sa conversion didactique.

Jérémy sera questionné dans l’AC sur la pertinence de cette approche difficile (impossible ?) à
transmettre.

Énoncé interprétatif n°5 :

L’enseignant est vigilant sur le niveau de maîtrise du savoir de ses élèves. Il souhaite remettre à plat
les bases des élèves, faire une remise à niveau des élèves sur la PO.

346
Qualifie une famille d’odeurs rappelant le cuir, le musc, l’ambre, la venaison, la fourrure… souvent caractéristiques
des vins rouges vieux, selon le dictionnaire de la langue du vin (Coutier, 2007)
347
Les arômes fermentaires apportent des notes de levure, mie de pain, beurre, banane…, selon le dictionnaire de la
langue du vin (Coutier, 2007)
348
Qui évoque l’odeur du baume, des résineux, de l’encens, selon le dictionnaire de la langue du vin (Coutier, 2007)

299
Modalité repérée Élèves supposés apprendre (c’est à dire ne pas encore savoir)
Intention déclarée Remettre à plat les bases des élèves
Action constatée Jauger les élèves, reprendre les bases
Rupture ou continuité Continuité

Repérage dans la transcription de l’épreuve :

L151 du déjà-là : « le côté un peu trop théorique (...) malheureusement il faut leur apprendre parce
qu’ils ne l’ont pas, c’est revoir certaines bases qui me gêne parce que certains ont déjà vu d’autres
non (...) c’est un peu ce côté redondant mais il faut aussi le faire parce que ça fait partie de notre
cours »
L37 « élève : alors je ne m’en souviens plus mais je sais qu’il y a deux phases prof : alors je t’écoute
élève : euh prof : deux phases les autres ? (…) élève : il y a le premier nez et le deuxième on laisse le
vin et après on revient prof : ok, on a dit d’abord on voit, on regarde, ensuite on va sentir donc on va
sentir du coup il va y avoir deux manières, d’abord le premier nez et après ensuite le deuxième nez
ok ? Ensuite ? »
L120 « prof : alors l’analyse sensorielle qui l’a déjà traitée ? Toi tu l’as traitée parce que tu étais en
bac pro c’est ça ? élève : oui prof : vous l’avez approfondie bien ? élève : un tout petit peu prof : un
tout petit peu, toi tu as vu juste les bases ? élève : oui prof : vous aussi vous l’avez vu mais c’est les
bases juste vous avez vraiment détaillé pendant combien de temps le thème ? élève : une heure prof :
une heure vous avez fait c’est tout ? élève : et il y avait une journée portes ouvertes où on l’avait
fait. »
L197 « prof : vous commencez par la première activité, un qui lit et vous regardez et après vous
passerez aux petites fioles (…) c’est pareil à cet atelier commencez par ce qui est un peu théorique
vous le regardez ensemble vous le faites ensemble »
L273 de l’entretien de déjà-là : « c’est mettre aussi en confiance l’élève (euh) un élève qui n’aime
pas trop le vin et qui vient sentir ah je sens le miel ou moi je sens plutôt l’orange ou moi je sens je
sens plutôt de façon plus globale les fruits et bien voilà je vais avoir tendance à lui dire c’est bien tu
vois tu as des arômes tu découvres quelque chose »
L228 « (…) comme vous avez fini un peu plus tôt vous allez avoir des odeurs en plus (le prof donne
des fioles d’odeurs à sentir alors que ce n’est pas l’atelier dédié aux odeurs) »
Commentaires du chercheur :

L’enseignant indique dans son DL intentionnel, qu’il souhaite aller de la théorie à la pratique pour
remettre à plat les bases des élèves, pour faire une remise à niveau. Ainsi il prend la peine durant
l’épreuve d’évaluer le niveau de ses élèves par un questionnement direct. Étant novice dans
l’enseignement de la PO, Jérémy ne craint-il pas d’avoir dans sa classe des élèves qui maîtrisent
mieux que lui l’AS ? Jérémy doit tenir et assumer la position symbolique du SSS et les élèves celle
de sujets supposés apprendre, c’est-à-dire ne pas encore savoir.

300
Alors qu’un groupe a fini ses activités plus tôt que les autres groupes, Jérémy aménage le milieu
didactique en ajoutant des fioles à sentir en plus de celles prévues initialement dans l’atelier. Quel est
son objectif à ce moment-là ? Ne supporte-t-il pas de voir les élèves inactifs ou plus performants que
ce qu’il avait prévu ? Souhaite-t-il mettre les élèves en difficultés pour rester le sujet supposé
maîtriser la situation ? Souhaite-t-il, au contraire, mettre les élèves en confiance en leur donnant des
activités complémentaires ?

Jérémy sera questionné dans l’AC sur sa position de sujet supposé savoir.

b) Émergence des énoncés interprétatifs

À l’issu du rapprochement de l’intentionnel déclaré (dans le DL) et des actions constatées (dans
l’EP), il est possible de formaliser les énoncés interprétatifs suivants :

1. Jérémy est un enseignant novice, il n’a pas de compétence particulière en PO. Il les
développe en même temps que ses élèves. L’enseignant apprend en même temps que ses
élèves.
2. L’enseignant semble avoir une vision traditionnelle de l’enseignement, il dit souhaiter
transmettre tout ce qu’il sait. Mais durant sa leçon il rend ses élèves plutôt acteurs, il les fait
participer (dévolution et cours dialogué). Il change de vision de l’enseignement entre sa
conception (au regard de ce qu’il a peut-être vécu comme élève) et sa pratique.
3. Le rapport au savoir de l’enseignant tourne autour d’une approche métaphorique de la PO.
4. La conception personnelle des odeurs de la PO de Jérémy ne semble pas être un outil efficace
pour ses élèves. Cela n’est pas toujours ni adapté, ni pertinent, ni consensuel.
5. L’enseignant est vigilant sur le niveau de maîtrise du savoir de ses élèves. Il souhaite remettre
à plat les bases des élèves, faire une remise à niveau des élèves sur la PO.

c) Analyse de l’après-coup

Pour chacun des énoncés interprétatifs, numérotées de 1 à 5, nous rapprochons la reconstruction du


sens à travers l’évocation des traces mnésiques mobilisées par le sujet, collectées durant l’entretien
d’après-coup349, avec les éléments collectés durant l’épreuve et les éléments du déjà-là.

1. Jérémy est un enseignant novice, il n’a pas de compétence particulière en PO. Il les
développe en même temps que ses élèves. L’enseignant apprend en même temps que ses
élèves.

349
Le verbatim de l’entretien d’après-coup est disponible dans l’annexe papier n°33.

301
Jérémy n’habite pas la fonction symbolique du sujet supposé savoir. Il se considère comme un
enseignant novice, il l’affirme devant ses élèves « je dis que je n’ai pas la science infuse », il
s’autorise à être un sujet qui ne sait pas tout : « je peux ne pas tout savoir ». Cependant cette situation
l’inquiète, il signale que : « ça me gêne (…) je me dis mince je n’ai pas la réponse (…) je ne peux pas
lui répondre ». Il se dit déçu car : « c’est vraiment important pour moi ».

Ne pas assumer la position du SSS comporte des risques, selon Jérémy. L’enseignant formule : « je
ne peux pas rester sans réponse face à mes élèves », il prétend que ne pas assumer la position du SSS
est dangereux : « je peux me tromper (…) il y a des petites choses sur lesquelles parfois on peut
hésiter ne pas tout savoir (…) et surtout ne pas leur dire de bêtises ». Alors il choisit d’assurer le rôle
de SSS avec un différé : « je ne peux pas répondre (…) et bien voilà je leur répondrai la prochaine
fois », Jérémy dit se renseigner entre deux leçons : « pour pouvoir y répondre la fois prochaine et dès
la fois prochaine j’y ai répondu ».

Pour prendre en charge la position symbolique du SSS, Jérémy continue à se former. Il explique
s’appuyer d’abord sur son DL expérientiel : « j’ai eu une formation qui m’a été faite, qui m’a été
enseignée à l’ESPE ». Concernant la PO, il indique s’adosser aussi sur son DL sensoriel : « tout ce
qui est olfactif je n’ai pas réellement de problème (…) la partie olfactive vraiment je ne pense pas
avoir de lacune ». Puis il mentionne progresser en poursuivant sa formation : « je m’auto-forme
parce qu’il y a des choses que j’ai oubliées ou que je remets un peu dans ma pensée », pour parvenir
à ce but il rapporte avoir recours, par exemple, à : « une formation sur les vins de Bourgogne avec un
sommelier plus expérimenté (…) j’y étais en tant que spectateur » qui est bénéfique : « ça c’est bien
ça m’a permis de m’améliorer sur ces points-là ». Jérémy continue à apprendre aussi avec ses élèves,
il bâti sa position de SSS : « je leur montre que moi aussi j’ai besoin tous les jours et continuellement
de sentir, pour progresser, pour m’améliorer et dans le but d’être le meilleur possible dans ce
domaine et pouvoir ne pas avoir de difficultés (…) face à un élève (…) lorsque une question (…)
m’est posée ». Jérémy s’associe à la démarche d’apprentissage de ses élèves : « oui : ils progressent,
nous progressons ».

2. L’enseignant semble avoir une vision traditionnelle de l’enseignement, il dit souhaiter


transmettre tout ce qu’il sait. Mais durant sa leçon il rend ses élèves plutôt acteurs, il les
fait participer (dévolution et cours dialogué). Il change de vision de l’enseignement entre
sa conception (qu’il a peut-être vécu comme élève) et sa pratique.

Jérémy ne souhaite pas reproduire l’enseignement traditionnel et magistral qu’il a pu vivre dans sa
formation initiale, il mentionne qu’« un cours magistral de deux heures (…) je l’ai vécu, je l’ai

302
vécu ». Il considère que ce type d’enseignement : « c’est long, c’est long du moment qu’on ne
pratique pas (…) cela reste du parler et de l’écrit ». Il indique clairement ne pas vouloir reproduire
cela avec ses élèves : « les systèmes pédagogiques où on est devant les élèves et où on ne fait que
parler, parler, parler et raconter je ne suis pas dans ça ».

De plus l’enseignement de la PO ne peut pas passer par une méthode magistrale. Jérémy soutient que
cet enseignement ne peut pas rester théorique : « c’est difficile de dire : je sais faire une analyse
sensorielle sur le papier », la participation et la mise en pratique lui semble nécessaire : « tant qu’on
ne pratique pas, on ne peut pas savoir ». Jérémy dit privilégier un type d’enseignement actif :
« j’aime bien la touche (…) pratique, c’est hyper important pour moi ce type de pédagogie et je crois
qu’en plus l’élève il est plus acteur », il est persuadé que rendre les élèves acteurs est plus efficace :
« à partir du moment où il est plus acteur et bien il le ressent plus, il retient plus, voilà quoi ça
marche beaucoup mieux ». Ces premières années d’enseignement lui permettent déjà d’avoir un
retour positif : « cette pédagogie et plus performante, en tout cas dans ce que je vois et ce que j’ai pu
opérer depuis que j’enseigne : ça marche ».

Jérémy est conscient d’être influencé par son DL expérientiel : « des précurseurs ou des personnes
qui m’ont (…) inculqué certaines (…) valeurs liées à des domaines que je maîtrisais moins, à savoir
la sommellerie », pour rendre pratique son enseignement : « il y a plein de choses que (…) j’ai
apprises (…) à partir du moment où c’était du concret et des choses qui sortent un peu de
l’ordinaire : ça me reste, ça me marque », il juge sa formation initiale nécessaire : « c’est aussi pour
ça que j’ai fait l’ESPE : ça m’a apporté (…) des méthodes ».

Jérémy se définit, dans son enseignement, comme structuré et exigeant : « je suis quelqu’un de carré
et (…) j’aime que les choses soient faites quand je le demande », il accepte de générer une ambiance
conviviale : « on peut rigoler un tout petit » mais il ne veut pas se laisser déborder dans sa gestion de
la classe : « je suis quelqu’un de sérieux qui ne se prend pas au sérieux », car, au fond, il reste posé
et réfléchi : « après quand il faut être sérieux, on est sérieux ».

3. Le rapport au savoir de l’enseignant tourne autour d’une approche métaphorique de la PO.

Pour mener à bien l’apprentissage de ses élèves, Jérémy imagine leur structure cognitive : « en fait
(…) je m’imagine leur tête », il conçoit l’apprentissage de la PO de façon très imagée et visuelle :
« ils ont une commode dans laquelle chaque tiroir représente une famille », cet apprentissage est
aussi kinesthésique, il met en mouvement les parties du corps : « chaque tiroir représente une famille
(…) et à l’intérieur de ce tiroir, ils l’ouvrent et ils y ont rangé plusieurs arômes », de manière très

303
explicite, séquencée, comme des phases précises et aisées à mettre en œuvre : « ils vont dans la
commode, ils vont chercher le tiroir fleur, ils vont chercher l’arôme rose, ils vont sentir, ça va
s’imprégner (…) ils repositionnent l’arôme dans le tiroir, il ferme le tiroir ». Chacun de ses élèves
est, cependant, singulier : « chacun à un panel d’arômes qui est plus ou moins développé, il y en a
qui ont dans (…) le tiroir de la famille animale (…) peut-être cinq arômes, d’autres en ont que trois,
d’autres en ont dix (…) chacun est différent, chacun a sa commode ».

Jérémy retrace et met en scène, sans détour, sa propre conception : « oui je fonctionne comme ça
moi », il postule que ce qui fonctionne pour lui peut fonctionner pour ses élèves : « j’essaye de leur
donner des aides, des moyens, une méthode pour qu’ils puissent réussir, mon but c’est qu’ils
réussissent ». Cette structure cognitive est plutôt intime : « c’est peut-être un peu aussi ma
personnalité qui fait que j’ai l’esprit dans les choses un peu carrées », cela semble très familier pour
lui, il l’exprime de façon presque possessive : « nos tiroirs dans notre cerveau, que je range dans ma
petite commode où je range mes arômes ». Jérémy est persuadé que sa façon d’appréhender
l’apprentissage de la PO est la bonne : « j’essaye de leur faire comprendre que s’ils ne classent pas
les choses c’est le bordel et l’esprit de la commode ça reste aussi l’esprit de : ils sont classés, ils sont
ordonnés dans leur tête », ainsi, il le traduit par une injonction : « si on est ordonné, on sera ordonné
dans une analyse sensorielle, parce qu’il faut être ordonné ». Jérémy espère même devenir un
modèle : « des anciens BTS qui étaient avec moi et qui sont maintenant en mention sommellerie et on
va voir qu’ils ont les petits gestes, les petits mots, les petites mimiques qui nous ressemblent à nous
enseignants et c’est drôle (…) c’est bien (…) c’est top » Jérémy comprend finalement que c’est cela
qu’il transmet réellement ses gestes, ses mots, ses mimiques.

L’activité que Jérémy demande à ses élèves de réaliser est la traduction directe de sa représentation
de la commode avec des tiroirs à odeurs : « ils ont une liste d’arômes qu’ils connaissent ou pas et
(…) puis ils ont un tableau avec les familles et du coup ils devaient classer ces arômes au sein des
familles ». Ne connaissant pas la composition de chaque commode personnelle, Jérémy explique
constituer les classements avec : « les familles que l’on retrouve (…) le plus communément dans les
vins (…) des familles les plus représentatives ». Une fois le système, le modèle, la structure installés,
Jérémy dévolue le développement de la compétence sur le long terme. Il montre, là aussi, une vision
très intime de son fonctionnement : « un jour, ils vont aller dans la rue, ils vont offrir des fleurs à
leur mère ou à leur copine, ils vont sentir la rose hop et, un peu comme l’esprit de la madeleine de
Proust, ils vont sentir cet arôme de rose (…) et un autre jour ils vont tomber devant un vin ils vont
dire (…) je sens (…) les roses que j’ai offertes à ma mère la dernière fois (…) ça m’a l’air d’être
l’esprit de la rose (…) de la famille des fleurs ».

304
4. La représentation personnelle des odeurs de la PO de Jérémy ne semble pas être un outil
efficace pour ses élèves. Cela n’est pas toujours ni adapté, ni pertinent, ni consensuel.

Jérémy est convaincu que sa méthode de classement en famille est facilitante dans l’apprentissage de
la PO : « le fait de cadrer au début je pense que ça peut les aider ». Cependant, il concède que ce
classement n’est pas stable : « ils découvriront que leurs familles (…) elles sont toutes modulables ou
elles peuvent se changer », que la frontière entre les familles n’est pas étanche : « ça s’entrecoupe »,
et que ce classement peut même évoluer : « les familles ne sont pas figées ». Jérémy ne maîtrise pas
l’organisation en famille comme il le souhaiterait, il manque d’arguments : « c’est le côté sur lequel
j’ai peut-être moins appuyé (…) elle me dit (…) cèdre et effectivement le cèdre ça peut être du bois
donc c’est juste mais (…) dans la base de la base c’est un côté sapin ». Il va même jusqu’à transiger,
parfois, pour maintenir la motivation de ses élèves : « il faut pas non plus qu’on les froisse, pour
éviter qu’ils soient réfractaires, parce que s’ils ne donnent que des mauvaises réponses, après (…)
ils abandonnent trop vite ».

Comment Jérémy résout-il le dilemme d’un élève qui n’identifie pas la (ou les) même(s) odeur(s) que
lui ? Jérémy rappelle que, selon lui, la PO est personnelle : « l’analyse sensorielle elle est propre à
chaque personne ». Il avance également que l’identification passe obligatoirement par la familiarité :
« si on n’a jamais goûté du miel, on peut pas sentir du miel dans un vin. Si on ne connaît pas ce que
sent (…) la rose ben on peut pas du jour au lendemain sortir de là et dire (…) je trouve que ça sent
la rose : impossible », s’il n’y a pas eu, chez l’élève, une perception/identification préalable, alors
Jérémy pense que la compétence est difficile à valider : « le cuir ils ne l’ont jamais senti et bien (…)
s’il ne l’a jamais senti, il ne pourra pas me dire (…) oui je trouve que cela sent le cuir ».

Lorsque Jérémy considère que les élèves sont dans l’erreur : « quand les élèves me disent là ça sent
les agrumes alors que moi je sens peut-être autre chose (…) si l’élève sent l’agrume on est vraiment
à l’opposé, (…) sur ce type de produit c’est plutôt rare », il prétend tenter de les rapprocher petit à
petit de son point du vue, qu’il considère comme la réalité du vin : « j’écoute dans un premier temps
et j’essaye de leur dire et bien voilà est-ce que tu as l’impression de sentir tel agrume, tel agrume ?
Et au final, on voit qu’au fur et à mesure des propositions (…) il change et petit à petit en fait il se
rapproche de de la réalité du du vin ou de la réalité du proche, plus proche de la réalité ».
Cependant, Jérémy signale avoir des difficultés pour convaincre les élèves : « je vais essayer de les
rapprocher de la réalité du produit, du mieux que je peux en tout cas ».

Il se retrouve face à une situation ambivalente, il doit être le SSS : « moi je sais que j’ai plus les
compétences dans le domaine et je suis plus sûr de ce que je sens » qui n’arrive pas à

305
institutionnaliser : « je vais essayer de lui faire comprendre que ce qu’il dit ce n’est pas faux, mais ce
que je dis c’est plus juste ». Il concède que les élèves peuvent être en désaccord avec lui : « si tu n’es
pas d’accord ça ne me dérange pas », que parfois il a tort : « bien sûr ça peut arriver (…) comme je
dis personne n’est parfait ». Pour justifier cette situation embarrassante, il évoque les divergences
que la PO peut occasionner même chez d’autres professionnels tels que sommeliers et vignerons :
« imaginons un sommelier fait déguster un produit, en face de lui c’est le vigneron. Le sommelier dit
un arôme et le vigneron dit un autre (silence) qui croire, le sommelier ou le vigneron ? (silence) Là
telle est la question ? ». Il laisse penser, ainsi, que la vérité de la PO n’existe pas.

5. L’enseignant est vigilant sur le niveau de maîtrise du savoir de ses élèves. Il souhaite
remettre à plat les bases des élèves, faire une remise à niveau des élèves sur la PO.

Se considérant comme un enseignant novice, Jérémy recherche à capter les retours de ses élèves pour
progresser : « l’objectif c’est d’avoir leur point de vue (…) avoir un peu leur ressenti (…) qu’ils me
disent s’ils ont aimé ou pas aimé », il tiendra compte de ces éléments pour faire évoluer sa leçon,
pour optimiser son enseignement : « l’année suivante, j’essaye de changer, de modifier (…) pour
pouvoir être toujours plus performant, pour leur apprendre, pour qu’il puisse bien retenir ».

Jérémy indique « jauger leur niveau » dans l’objectif de constituer des groupes : « un moins bon, un
moyen et un très bon, je les mets ensemble et au final on voit que le mélange, l’alchimie des trois ça
fait quelque chose de sympa ». Les indicateurs implicites de Jérémy se trouvent dans les origines des
élèves : certains viennent de baccalauréat technologique, d’autres de baccalauréat professionnel et
enfin certains d’une année de mise à niveau après un baccalauréat général. Il constate aussi que la
maîtrise de l’AS (et de la PO) est faible : « je sais qu’il y en a qui ont un niveau zéro (…) qui a vu
l’analyse sensorielle très rapidement », ce qui le pousse à densifier son enseignement : « je leur
donne des choses, je leur donne plein de choses » car, même si Jérémy mentionne qu’ils ne pourront
pas « recracher tout le cours mot à mot » il les considère comme des « éponges (…) ils s’en
souviennent, ils le réutilisent ».

Jérémy déclare vouloir faire progresser ses élèves : « que le niveau des très faibles arrive vite au
niveau des très bons ». Il a préparé les activités dans le but de les mettre face à des obstacles car il
déclare que : « c’est dans la difficulté qu’on apprend (…) la difficulté fait partie aussi de
l’apprentissage ». Néanmoins, ces objectifs sont différenciés, il dit être attentif à la confiance que les
élèves ont en eux-mêmes, pour « celui qui est très bon, qui a bien confiance en lui, mon but ne va
pas être de le casser, mon but va être qu’il progresse encore et du coup j’ai essayé de lui donner

306
peut-être dans la difficulté », alors que pour « l’élève qui va être un tout petit peu moins bon, je ne
vais pas le mettre dans la difficulté parce qu’il va perdre encore plus confiance en lui ».

Jérémy ne mets pas de limite à la progression des bons éléments : « que les très bons puissent encore
progresser, pour être encore meilleurs, voire meilleur que moi ». Il imagine logiquement que
« l’élève dépasse le maître », expression qu’il mobilise à deux reprises. Il juge cela normal et positif :
« je trouve ça bien, je trouve ça cool, je trouve ça top, ça veut dire que j’aurais réussi à (…) faire
mon métier (…) les faire aimer et les faire rester dans un domaine qu’ils ont appris ». Mais cette
perspective d’être dépassé par ses élèves ne lui est pas facile : « ça ne sera pas simple, en tant
qu’enseignant, si on a des élèves qui sont meilleurs que nous. À accepter c’est dur », cela le pousse à
vouloir progresser lui-même encore pour éviter cette situation : « on se dit maintenant il faut aussi
que je me bouge un peu moi que j’aille aussi m’améliorer sur mes compétences ». Il met en relief ici
un sentiment ambivalent, la satisfaction de voir progresser ses élèves jusqu’à dépasser l’enseignant et
la crainte de perdre sa position symbolique de sujet qui sait en opposition avec les élèves qui sont
supposés ne pas savoir.

2.4.1.4. Conclusion provisoire

Le rapprochement déjà-là, épreuve et après-coup permet de conforter des pistes d’interprétation pour
chacun des énoncés interprétatifs qui structurent la construction du cas.

1. Jérémy est un enseignant novice, il n’a pas de compétence particulière en PO. Il les
développe en même temps que ses élèves. L’enseignant apprend en même temps que ses
élèves.

Le rapport au savoir de Jérémy ne lui permet pas d’habiter la fonction symbolique de sujet supposé
savoir, ce qui l’oblige à prendre le risque de se tromper durant l’épreuve ou de différer la
transmission du savoir. Pour pallier ses lacunes, il poursuit sa propre formation y compris durant ses
enseignements.

2. L’enseignant semble avoir une vision traditionnelle de l’enseignement, il dit souhaiter


transmettre tout ce qu’il sait, mais durant sa leçon il rend ses élèves plutôt acteurs, il les
fait participer (dévolution et cours dialogué). Il change de vision de l’enseignement entre
sa conception (qu’il a peut-être vécu comme élève) et sa pratique.

307
Pour en finir avec son DL expérientiel d’élève, Jérémy ne mobilise pas de méthode magistrale durant
sa leçon. Il tient à rendre ses élèves acteurs de leur apprentissage car il juge cela, grâce à sa formation
d’enseignant à l’ESPE, plus adapté à la PO. Il qualifie son enseignement de structuré et de sérieux.

3. Le rapport au savoir de l’enseignant tourne autour d’une approche métaphorique de la PO.

La structure cognitive sur laquelle Jérémy base son enseignement de la PO (l’armoire à odeurs avec
des tiroirs de classement prise ici comme une métaphore) est une conception personnelle voire
intime. Il postule que tous ses élèves fonctionnent sur le même modèle et le prône sous cette forme
puisqu’il bâtit sa séance sur cette image.

4. La représentation personnelle des odeurs de la PO de Jérémy ne semble pas être un outil


efficace pour les élèves. Cela n’est pas toujours ni adapté, ni pertinent, ni consensuel.

Jérémy persiste à penser que le classement des odeurs en famille est judicieux dans le cadre de son
enseignement, tout en percevant, durant l’épreuve, que cette procédure n’est pas totalement
efficiente. L’enseignant se retrouve même dans une situation délicate où il peine, voire renonce, à
institutionnaliser.

5. L’enseignant est vigilant sur le niveau de maîtrise du savoir de ses élèves. Il souhaite
remettre à plat les bases des élèves, faire une remise à niveau des élèves sur la PO.

Jérémy souhaite faire progresser tous ses élèves. Il est disposé à « leur donner plein de choses » et à
leur proposer des situations, des problèmes pour stimuler leur apprentissage. Il espère même que les
élèves « dépassent le maître », ce qui génère deux impressions contradictoires : la satisfaction du
travail efficace du maître et la peur de perdre sa position de seul SSS dans la classe.

2.4.2. Vignette didactique clinique du cas

La vignette didactique clinique est la cristallisation et la synthèse des éléments saillants de l’étude
d’un cas (Carnus, 2013), elle se bâtit par la reconstruction du cas au regard de la problématique du
chercheur (Carnus, 2007) grâce aux éléments collectés dans les données des entretiens (DL et AC) et
des observations de classe (EP). La question de recherche interroge ce qui s’enseigne (savoir
enseigné) dans le cadre de la PO.

2.4.2.1. Forme diachronique de la vignette didactique clinique

La forme diachronique reprend les éléments saillants de la construction du cas en suivant la


méthodologie chronologique de la didactique clinique : le déjà-là, l’épreuve et l’après-coup.

308
a) Déjà-là de Jérémy : des bases minimes mais de l’ambition

Déjà-là expérientiel : Jérémy est un enseignant novice, il enseigne depuis un an comme titulaire, il
n’est pas spécialiste de l’analyse sensorielle des vins : « j’ai jamais vraiment travaillé dans la
sommellerie ». Jérémy a une expérience universitaire de la PO : « je pense avoir des bases qui m’ont
été divulguées au sein du master, après je pense que mes bases sont très minimes ». Il dit poursuivre
sa formation en même temps que ses élèves : « ça me permet aussi de me remettre un peu en
question et ça me permet de me dire est-ce que j’ai un bon nez ? ».

Déjà-là conceptuel : Jérémy présente une façon plutôt traditionnelle, magistrale de l’enseignement :
« je veux leur transmettre mon savoir (...) les connaissances (...) que j’ai pu avoir moi (...) je veux
leur transmettre ce que je sais en fait tout ce que je sais », tout en souhaitant varier les méthodes et
les activités : « allier la théorie et la pratique (…) de plusieurs manières (…) des méthodes
différentes (...) diverses façons d’enseigner ». L’enseignement de l’AS lui semble incontournable :
« Elle est importante oui je dirais même très importante », même si la PO est particulièrement
difficile à enseigner : « parce que chaque élève est différent (…) parce qu’ils n’ont pas (...) la même
palette d’arôme que moi ».

Déjà-là intentionnel : Jérémy souhaite générer chez ses élèves plusieurs compétences associées à la
PO. Cet enseignement passe par la compétence sentir : « je leur ai fait sentir des petits bouchons
d’arômes liés au vin, ils devaient découvrir les bouchons d’arômes », par la compétence identifier :
« qu’il puisse me dire après si ce vin va être plutôt un vin plutôt boisé ou plutôt sur les fruits », par la
compétence classer : « découvrir des arômes que l’on peut (…) placer dans une famille, puis dans
une sous-famille », par une compétence dire : « c’est qu’ils puissent en parler, c’est qu’ils puissent
dire alors voilà sur ce vin je ressens tel arôme » et enfin par la compétence mémoriser : « je parle
d’un arôme que je connais dans ma tête, j’ai des tiroirs dans ma tête, je connais cet arôme et
maintenant il faut que j’y mette un nom ».

b) Épreuve de Jérémy : une PO difficile (impossible) à institutionnaliser

Jérémy conduit, devant onze élèves de BTS 1ère année, la première séance d’AS de l’année. Il s’agit,
normalement, d’une révision puisque tous les élèves de la classe viennent d’un cursus soit de
baccalauréat professionnel ou technologique, soit d’une année de mise à niveau professionnelle. La
leçon se déroule dans une salle de classe classique dans laquelle l’enseignant formalisera trois
dispositions différentes : une de type « salle de classe », une de trois îlots séparés et une de type
« tables en forme de U ». La leçon dure deux heures et treize minutes. La séance se décompose en
trois parties : stabilisation de définitions et passage de consignes, mise en activité des élèves dans

309
trois ateliers en alternance et synthèse de la leçon. Selon la chronogenèse (Chevallard, 1985, 1991),
c’est cette dernière partie de la séance qui est la plus longue puisqu’elle représente 57 % du temps.
Conformément à l’analyse des moments didactiques (Sensevy, Mercier, 2007), Jérémy dévolue aux
élèves durant 25 % du temps. Pendant les 55 % d’institutionnalisation, Jérémy sollicite
systématiquement les élèves. C’est d’ailleurs au cours de cette partie que les interactions des élèves
sont les plus denses (73 %). Sous la forme d’un cours dialogué (Veyrunes, 2008), Jérémy fait
beaucoup participer les élèves à l’institutionnalisation. Cela occasionne, parfois des difficultés dans
l’approche du savoir :

Jérémy : est-ce que vous sentez peut-être un côté un peu miel ?


Élève : non
Jérémy : non, ok pas de problème y’a pas de souci (rire)
L’analyse lexicale des termes employés par Jérémy dans son discours sur la PO, fait preuve d’une
certaine technicité, malgré sa position d’enseignant novice. C’est surtout le champ de la complexité
aromatique qui est très majoritairement évoqué.

Jérémy emploie plusieurs outils matériels. Chaque phase de la leçon est ainsi accompagnée d’une
fiche (consignes, exercices, définitions, textes lacunaires). Les élèves la complètent et l’enseignant
s’y conforme tout au long de la séance : « je fais le cours en version papier : une version prof et une
version élèves ». L’analyse des déplacements de Jérémy, grâce à des locogrammes (Parlebas, 1981),
permet de visualiser plusieurs stratégies : l’enseignant est plutôt immobile face à ses élèves dans les
phases de définition et d’institutionnalisation, il est à distance sociale, alors qu’il est très mobile
durant les phases de dévolution et se rapproche à distance personnelle dans chaque groupe. La
distance proxémique (Hall, 1971) semble en accord avec ces déplacements. Les activités des élèves
sont conformes aux propositions de Jérémy.

c) Après-coup de Jérémy : un sujet supposé savoir en devenir

Jérémy est conscient qu’il est un enseignant novice « je sais que mon expérience dans le domaine du
vin n’est pas aussi pointilleuse qu’un sommelier (…) je suis encore jeune dans l’enseignement », qui
n’habite pas la position symbolique du SSS : « je dis que je n’ai pas la science infuse (…) je peux ne
pas tout savoir ».

Son enseignement est structuré et organisé : « j’ai l’esprit dans les choses un peu carrées », cela lui
permet de dévoluer l’apprentissage aux élèves sans s’exposer directement : « j’aime bien marcher
sous des systèmes d’atelier (…) où on est devant les élèves et où on ne fait pas que parler, parler,

310
parler et raconter. Je ne suis pas dans ça et j’aime bien la touche (…) pratique, c’est hyper
important pour moi ».

Pourtant sa propre conception de la PO, qu’il valorise durant la leçon : « une commode dans laquelle
chaque tiroir représente une famille », le conduit dans une situation d’institutionnalisation
impossible : « ils peuvent ne pas être d’accord avec moi (…) voilà si tu n’es pas d’accord, ça ne me
dérange pas ».

La progression de ses élèves est son objectif prioritaire : « j’essaierai que le niveau des très faibles
arrive vite au niveau des très bons », même si elle le conduit dans une situation ambivalente,
dépasser le maître est, d’un côté, un signe de réussite pour lui : « l’élève dépassera le maître, bien
voilà, c’est bien, je trouve ça bien », mais aussi une injonction à progresser pour devenir, et rester, le
SSSS (seul sujet supposé savoir) dans sa classe : « maintenant il faut aussi que je me bouge un peu
moi que j’aille aussi m’améliorer sur mes compétences ».

2.4.2.2. Forme synchronique de la vignette didactique clinique

La forme synchronique reprend les éléments saillants de la construction du cas en les rapprochant des
trois rapports à : rapport au(x) savoir(s), rapport à l’épreuve et rapport à l’institution (Carnus,
Mothes, 2016).

a) Rapport au(x) savoir(s)

Le rapport au savoir est constitué de trois axes : axes de l’expertise, du désir et de la rencontre.

Distance X Proximité Axe de l’expertise

Sur l’axe de l’expertise, Jérémy est plutôt à distance du savoir de l’AS. Son DL expérientiel ne lui
permet pas d’être suffisamment expert dans le domaine même si sa formation initiale d’enseignant
lui a permis d’acquérir des bases. Il dit avoir un rapport scolaire concernant la PO.

« Non (…) j’ai jamais eu la chance de travailler en sommellerie (…) je pense que mes bases sont très
minimes » (extrait de l’entretien de DL), « je n’ai pas la science infuse » (extrait de l’EP).

Répulsion X Attirance Axe du désir

Sur l’axe du désir, Jérémy fait preuve d’une volonté de participation importante. Durant l’épreuve il
se confrontera aux odeurs durant une activité des élèves en testant lui-même les fioles aromatiques.

311
Lors de la leçon, la PO est centrale dans plusieurs exercices. Il apprécie l’approche pratique et
conviviale de l’enseignement de l’AS. Il fait preuve d’une certaine curiosité.

« Je suis assez curieux donc les choses que je connais pas, je vais avoir tendance à sentir, à vouloir
goûter si je connais pas, à vouloir découvrir par moi-même » « ce qui est pratique c’est qu’on peut
échanger avec les élèves, on a vraiment leur point de vue ce qu’ils ressentent et le cours est plus
vivant avec une analyse sensorielle je trouve ça plus intéressant » (extraits entretien de DL)

Nouveauté X Ancienneté Axe de la rencontre

Sur l’axe de la rencontre, Jérémy s’est acculturé à la PO durant sa formation d’enseignant à l’ESPE.
C’est donc plutôt récent dans son histoire car il est néotitulaire. Il ne donne pas de traces de son
éducation olfactive dans son passé d’enfant.

« J’ai eu une formation qui m’a été faite, qui m’a été enseignée à l’ESPE » (extrait de l’entretien
d’AC)

b) Rapport à l’épreuve

Le rapport à l’épreuve est constitué de trois axes : axes de l’expérience, de la contingence et de


l’affect.

Étrangeté X Familiarité Axe de l’expérience

Sur l’axe de l’expérience, Jérémy est un nouveau titulaire, c’est un enseignant débutant dans sa
première année d’enseignement comme titulaire après ses années de formation et de stagiaire.

« J’ai 24 ans, bientôt 25, je suis enseignant depuis trois ans, deux années de stagiaire une à X
[stagiaire après l’obtention du PLP] et une à Y [stagiaire après l’obtention du CAPET] et la première
année de titularisation là que je fais au lycée hôtelier de Z » (extrait de l’entretien de DL).

Inhibition X Excitation Axe de la contingence

Sur l’axe de la contingence, Jérémy montre une leçon dynamique, variée, il met en activité les élèves
et régule lorsqu’il le juge nécessaire. Il organise la diffusion du savoir à l’aide de différents outils
didactiques.

« Le restaurant c’est vraiment mon domaine (euh) après enseigner en travaux pratiques on va dire je
préfère enseigner ce qui est technique tout ce qui est pratique (…) technologies appliquées et travaux
pratiques me plaisent davantage parce que il y a plus de terrain et j’apprécie plus le terrain » « un

312
bon technicien mais également un bon théoricien c’est-à-dire quelqu’un qui sait allier la théorie et la
pratique et qui sait (…) divulguer son enseignement de plusieurs manières, des éléments, des
méthodes différentes » (extraits de l’entretien de DL).

Souffrance X Plaisir Axe de l’affect

Sur l’axe de l’affect, Jérémy déplore que certains élèves ne soient pas aussi motivés que lui pour
progresser dans le domaine du service au restaurant en général et de la PO en particulier.

« C’est difficile parce que chaque élève et différent (…) en fonction de nos apprenants (…) certains
sont plus réceptifs que d’autres (…) certains sont pas intéressés (…) donc ça peut être un peu
gênant » (extraits de l’entretien de DL).

Jérémy souffre de sa position de novice. Il trouve inconfortable de ne pas habiter totalement le statut
de SSS.

« Ça me gêne (…) je me dis mince je n’ai pas la réponse (…) je ne peux pas lui répondre (…) je ne
peux pas rester sans réponse face à mes élèves » (extraits de l’entretien d’AC).

c) Rapport à l’institution

Le rapport à l’institution est constitué de trois axes : axes de l’assujettissement, du confort et de la


reconnaissance.

Soumission X Émancipation Axe de l’assujettissement

Sur l’axe de l’assujettissement, Jérémy semble très sensible à l’injonction institutionnelle, il prend
son rôle très au sérieux. Il indique que ses préparations de cours sont importantes pour lui. Il dit être
soucieux de varier les méthodes.

« Je prépare de toute manière tous mes cours (…) je refais toujours tous mes cours (…) je pars
vraiment du plus général vers le plus précis et après voilà je fais le cours en version papier une
version profs et une version élèves (…) un bon enseignant arrive à trouver diverses façons
d’enseigner » (extrait de l’entretien de DL).

Jérémy stipule suivre de près les référentiels et les programmes.

« Compétences dans la sommellerie (…) c’était rien parce que les programmes actuels (…)
n’aidaient pas là-dedans parce qu’il n’y avait pas beaucoup d’heures en fait qui y étaient consacrées

313
maintenant dans la prochaine réforme du BTS il y a des heures je crois qui vont être alloués à la
sommellerie » (extrait de l’entretien d’AC).

Risque X Sécurité Axe du confort

Sur l’axe du confort, Jérémy se retrouve, à plusieurs reprises, en dehors de la zone dans laquelle il est
à l’aise. Il prend des risques en évoquant et développant des notions qu’il ne maîtrise pas
suffisamment, ce qui est le cas pour le concept « umami ».

« c’est quoi unami ? Je l’ai entendu dire mais je suis pas sûr, je suis vraiment pas sûr, je crois que
c’est quand on n’a plus d’arômes (…) c’est un truc comme ça je rechercherai » (extrait de l’EP).

Il prend des risques en ne stabilisant pas le savoir lors de l’institutionnalisation. Il semble ne pas
assumer le rôle de sujet supposé savoir.

« Jérémy : Sébastien essayez de me dire une famille là, Élève : agrume, Jérémy : agrume tu sens
l’agrume là ? Élève : oui un peu un fond, Jérémy : ok pas de problème peut-être qu’il y a de
l’agrume, Élève : les fleurs, Jérémy : Tu sens le côté floral là ? Quoi comme fleur une fleur
blanche ? Élève : moi je sens pas mal les fruits, Jérémy : fruité ok, floral pas de problème ok, vous
avez vos familles pour le moment pas de problème, (…) est-ce que vous sentez peut être un côté un
peu miel ? Élève : non, Jérémy : non ok pas de problème y’a pas de souci (rire) ». (extrait de l’EP).

Jérémy va même jusqu’à affirmer qu’il n’est pas le sujet qui sait.

« Je dis que je n’ai pas la science infuse (…) je peux ne pas tout savoir ».

Exclusion X Inclusion Axe de la reconnaissance

Sur l’axe de la reconnaissance, Jérémy est plutôt du côté de l’inclusion. En effet il a le sentiment
d’être bien considéré par ses anciens élèves de BTS qui poursuivent en mention complémentaire
sommellerie, une formation spécialisée.

« Mon but c’est qu’ils réussissent et je l’ai dit il y en a peut-être des anciens BTS qui étaient avec
moi et qui sont maintenant en mention sommellerie » (Extrait de l’entretien d’AC).

En assistant à une leçon d’un collègue chevronné dans l’enseignement de l’AS, Jérémy constate que
son propre cours est à la hauteur des exigences :

314
« J’ai pu remarquer que ce que je faisais, (…) c’était totalement dans les clous et dans ce qui se fait
dans la profession » (extrait de l’entretien d’AC).

2.4.2.3. Formule du sujet

La formule est tirée des mots de l’enseignant. Les mots de Jérémy « C’est difficile (…) leur
transmettre les connaissances que j’ai pu avoir moi » sont issus de l’entretien ante de DL. Ils ne sont
pas directement contenus dans la réponse de l’enseignant à la question de recherche « comment
enseignez-vous la PO ? ». Ils sont retenus par le chercheur car ils semblent représentatifs des choix
de Jérémy pour enseigner la PO. La formule est signifiante pour le chercheur.

Lorsque Jérémy prononce « C’est difficile (…) leur transmettre les connaissances que j’ai pu avoir
moi », le chercheur entend plusieurs échos différents, cette formule peut avoir plusieurs
résonnances :

 C’est difficile d’enseigner la PO (et cela tient au savoir), c’est difficile de transmettre ce type
de savoir ;
 C’est difficile de transmettre mon savoir, car il est personnel, singulier, il appartient à un seul
sujet, il est unique et donc intransmissible ;
 Je n’ai pas suffisamment de savoir à transmettre, pas assez d’expérience ni de pratique, pas
assez de formation initiale ni de formation continue.
 Ma formation initiale et continue est insuffisante, je continue à modeler mon savoir en même
temps que mes élèves comme l’indique la phrase suivante qui est aussi une formule
signifiante : « je le fais aussi avec eux » (entretien de déjà-là).
 Les connaissances que j’ai pu avoir appartiennent au passé, sont-elles encore d’actualité ?
Sont-elles encore valables ? Ne faudrait-il pas les actualiser ?
 Mon fonctionnement est le bon, j’ai la bonne façon d’enseigner : « dans ma tête j’ai des
tiroirs » (épreuve).

315
3. Rapprochement des cas

Les cas sont rapprochés grâce à plusieurs indicateurs sélectionnés pour leur pertinence au regard de
la problématique de la recherche. Ce sont des indicateurs des pratiques enseignantes. Chaque
indicateur mobilisé permet de mettre en relief les singularités et les régularités des quatre cas étudiés.
Ces points communs et ces différences sont de nature à fournir des éléments de réponse aux
questions de recherche suivantes :

 Comment l’AS, et particulièrement la PO, s’enseigne(nt)-t-elle(s) ?


 Dans quelle(s) mesure(s) la PO est-elle un savoir sous l'influence d'un « déjà-là » sensoriel
(DLS) du sujet enseignant ?
 Dans quelle(s) mesure(s) la PO est-elle animée par des « ressorts didactiques » qui agissent
sur les pratiques enseignantes ?
 Comment les concepts, les méthodes et les résultats de cette recherche peuvent-ils être
mobilisés dans la formation des enseignants à l’enseignement de la PO ?

Sept des indicateurs350 évoqués dans l’analyse des quatre cas351 sont repris et développés dans ce
chapitre : (1) la dévolution et l’institutionnalisation comme moments didactiques charnières, (2)
l’analyse lexicale des discours enseignants, (3) les outils mobilisés durant la leçon, (4) les
déplacements et la proxémie dans la classe, (5) le maintien de l’équilibre de la position de sujet
supposé savoir, (6) le recours aux métaphores et enfin (7) le rapport des enseignants à l’institution,
au savoir et à l’épreuve. L’enjeu de la mobilisation de ces indicateurs est d’extraire des invariants au-
delà de la singularité des quatre cas analysé.

3.1. Les moments didactiques entre dévolution et institutionnalisation

Les moments didactiques (Sensevy, Mercier, 2007) rythment la chronogenèse des pratiques
enseignantes352.

350
Les indicateurs retenus sont ceux qui nous paraissent les plus pertinents et les plus opérationnels pour déceler les
points de similitudes et les points de divergences parmi les quatre cas singuliers étudiés.
351
La présentation et l’analyse des quatre cas se trouvent dans les premières parties de ce chapitre.
352
Ces données sont issues de l’analyse de la chronogenèse de chaque enseignant grâce au syllabus de leur leçon. Les
données brutes sont disponibles en annexe numérique nommée : AN36.

316
Figure 82 : Répartition des moments didactiques par enseignants (en pourcentage)

Légende complémentaire de la figure :


La couleur bleue est affectée aux enseignants expérimentés, la couleur rouge est affectée aux
enseignants non expérimentés.
Le remplissage quadrillé concerne les enseignants non-experts, le remplissage non quadrillé
concerne les enseignants experts.

3.1.1. La dévolution de la situation didactique de référence comme signe d’une certaine


expertise

La « situation didactique de référence » est la mise en œuvre, dans le cadre didactique, de


compétence(s) complexe(s) de la pratique sociale de référence (Martinand, 1989). Boda et Recope
(1991) définissent la situation de référence comme une tâche choisie par l’enseignant pour sa
puissance à favoriser l’examen de comportements jugés significatifs. Cette situation de référence
tient à la fois compte de la logique de la pratique sociale de référence, dont elle est très proche, et de
la logique de l’apprenant, car c’est une situation didactisée.

Il est possible de noter, dans un premier temps, que les enseignants non expérimentés (Jérémy et
Nadia) ont le plus recours à la dévolution. Leur formation initiale à l’ESPE, plutôt récente, les
pousse, probablement, (conformément aux dernières préconisations des référentiels rénovés du

317
domaine), à rendre les élèves acteurs de leur formation en leur demandant de s’approprier le savoir
eux-mêmes au travers d’activités, en travaux de groupe.

Seuls les deux enseignants experts dévoluent la situation didactique de référence, qui est de réaliser
l’AS (dont la PO) d’un vin. Il s’agit d’une tâche complexe qui occasionne, d’ailleurs, un (ou des)
écart(s) entre l’activité des élèves et la tâche donnée par l’enseignant, comme l’élève de Nadia qui ne
suit pas les consignes. Les deux enseignants non-experts ne dévoluent pas la PO d’un vin comme
tâche complexe, Philibert ne dévolue pas du tout et Jérémy propose des activités intermédiaires
(percevoir, identifier et classer des odeurs de fioles « le nez du vin »). L’expertise des enseignants
leur permet de confier aux élèves la responsabilité de l’apprentissage de la PO en situation proche de
la pratique sociale de référence (Martinand, 1989).

3.1.2. La PO, un savoir difficile à enseigner et impossible à institutionnaliser

L’institutionnalisation est un moment didactique incontournable dans les leçons des quatre
enseignants observés comme le montre le graphique ci-dessus. Cependant, il s’avère que ce moment
n’aboutit pas toujours à l’objectif escompté par l’enseignant.

Les enseignants expérimentés (Christian et Philibert) sont les enseignants qui institutionnalisent le
plus et dévoluent le moins, comme le montre la Figure 82 : Répartition des moments didactiques par
enseignants (en pourcentage). La façon de « faire le cours », pour eux, consiste à transmettre le
savoir magistralement, de l’enseignant vers les élèves. Il s’agit, comme le nomme Gérard Sensevy
(2007) d'une topogenèse haute, c’est-à-dire où la partition épistémique est majoritairement du côté de
l’enseignant.

Concernant les enseignants non-experts en PO, deux rapports à l’institutionnalisation s’opposent.


Philibert a un recours massif à l’institutionnalisation, il ne dévolue pas. C’est probablement car il est
dans un mécanisme de défense, il mobilise lui-même le savoir de façon magistrale et descendante de
peur que celui-ci ne lui échappe. L’extrait de la partie institutionnalisé du cours dialogué ci-dessous
en est une illustration :

Philibert : comment on pourrait conclure ici ? En prenant quelques mots…


Élève : vin franc
Philibert : Vin fruité, élégant, simple et nous on dira sans défaut. Il n’y a pas de gênes
particulières par contre pour le Madiran, le Cahors plutôt pardon pour le Cahors ?
Élève : vin rustique
Philibert : Oui une certaine rusticité, un peu plus évolué, des notes un peu plus complexes, on
est peut-être sur un côté boisé du fût, des notes un peu plus évoluées, on est au-delà du fruit,

318
on le sent au nez ça sent un peu plus le fruit et peut-être le fruit un peu plus confit, un peu
plus maturé d’accord ?

Jérémy accorde, lui aussi, une place importante à l’institutionnalisation mais il fait beaucoup
participer les élèves sur ce moment didactique, il « dévolue l’institutionnalisation » car il montre
comme un impossible à trancher, un impossible à stabiliser. L’extrait ci-dessous reprend le moment
où Jérémy institutionnalise, avec ses élèves, l’AS d’un vin blanc. Moment durant lequel les élèves
semblent diriger la synthèse aromatique :

Jérémy : là maintenant vous sentez, par rapport à l’atelier que l’on a fait tout à l’heure sur les
arômes, vous devez mettre une famille. Quelle famille à votre avis ?
Élève : (faiblement) le raisin (rire des autres élèves)
Jérémy : de quoi le raisin et oui (rire) Sébastien essayez de me dire une famille là…
Élève : agrume
Jérémy : agrume, tu sens l’agrume là ?
Élève : oui un peu, un fond
Jérémy : (il sent) ok pas de problème, peut-être qu’il y a de l’agrume…
Élève : les fleurs
Jérémy : Tu sens le côté floral là ? Quoi comme fleur ? Une fleur blanche ?
Élève : moi je sens pas mal les fruits
Jérémy : fruité ok, floral pas de problème (…)

3.1.3. Les régularités

Chez les quatre enseignants apparaît un impossible à institutionnaliser (Léal, 2013). Comme
l’indique Yves Léal (2013, p 112) : les divisions de l’enseignant « entre ce qu’il est supposé savoir et
ce qu’il ne peut s’empêcher de faire (…) ne sont que le reflet de l’ambivalence qu’exposent les
adultes aux yeux des élèves ».

Nadia dévolue entièrement l’institutionnalisation à ses élèves et ne semble pas remarquer que le
groupe qui n’a pas réalisé la PO selon ses consignes, en buvant le vin directement, ne fait aucun
commentaire sur la PO. L’a-t-elle vu ou ne veut-elle pas le voir ? Peut-être est-ce une forme de
déni353 ? Elle valide pourtant cette institutionnalisation non conforme en s’adressant à toute la
classe : « Qu’est-ce que vous en pensez de l’analyse du jeune homme ? Parfait merci, vous pouvez

353
Pour répondre à ces questions persistantes, un nouvel entretien d’après-coup s’avèrerait très judicieux. Il n’a pas été
réalisé dans le cadre de cette recherche. Cela est discuté dans la partie « limites et perspectives ».

319
retourner à votre place ». Travaillée à son insu par son rapport à l’alcool, Nadia autorise
implicitement ses élèves à consommer de l’alcool tout en sachant qu’ils ne doivent pas le faire, il lui
est impossible de vérifier la validité de l’institutionnalisation qu’elle a confiée à l’élève, ne
souhaitant visiblement pas s’étendre sur le cas du groupe qui, ayant bu « d’un seul coup le vin », n’a
pas réalisé la PO. Nadia se trouve coincée dans une situation où les élèves font ce qu’elle ne peut se
résoudre à interdire (boire le vin) et ne font pas ce qu’elle leur demande de faire (l’AS préalable).

Jérémy transfère aussi, pour partie, l’institutionnalisation à ses élèves. Il n’arrive pas à stabiliser le
savoir lors de cette phase comme l’illustre cet extrait de l’épreuve : « Jérémy : fruité ok, floral pas de
problème ok, vous avez vos familles pour le moment pas de problème, est-ce que vous pouvez mettre
un nom (sans attendre) est-ce que vous sentez peut-être un côté un peu miel ? Élève : non Jérémy :
non, ok pas de problème y’a pas de souci (rire) ». Dans sa volonté de respecter le point de vue de ses
élèves, il est impossible à Jérémy de proposer une institutionnalisation tranchée et il choisit de se
mettre en retrait. Ce savoir (la PO) est-il impossible à stabiliser pour Jérémy ou est-il impossible à
stabiliser en général ? Finalement la PO paraît tellement personnelle qu’elle en devient non
stabilisable dans la classe. Jérémy ne dévolue-t-il pas l’institutionnalisation pour pallier à sa
difficulté à le faire ?

Christian oscille souvent entre sa volonté d’imposer son point de vue de modèle : « on va être de plus
en plus d’accord au fur et à mesure de l’année parce que vous allez prendre la patte X (nom de
Christian) », et la difficulté de trancher : « en dégustation personne n’a raison, personne n’a tort ».
Christian souhaite prendre en compte l’avis de ses élèves mais il lui est impossible de ne pas
institutionnaliser, impossible pour lui de ne pas avoir le dernier mot.

Philibert a du mal à assumer une institutionnalisation fixe et solide. Comme, par exemple, lorsqu’il
introduit un flou dans la réponse donnée à ses élèves lors de la synthèse de la leçon : « Très bien
moyenne et puissante ou faible et moyenne » pour décrire l’intensité de la PO des deux vins analysés
comparativement. Sa distance au savoir dans la PO rend son institutionnalisation approximative. Lui
aussi, comme Christian, montre comme un impossible à ne pas institutionnaliser.

3.1.4. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?

L’expertise permet de dévoluer la PO en situation didactique de référence, proche de la pratique


sociale de référence (Martinand, 1989), l’AS d’un vin.

La PO apparaît comme un savoir impossible à institutionnaliser (Léal, 2013).

320
Les enseignants expérimentés semblent en proie à l’impossible à ne pas institutionnaliser eux-mêmes
alors que les enseignants débutants s’autorisent à dévoluer l’institutionnalisation.

3.2. Analyse lexicale du discours des enseignants

Pour observer le discours des enseignants, nous nous penchons sur leur débit de parole, sur la densité
et la technicité de leur propos lors de la séance de la PO.

3.2.1. Le débit de parole de l’enseignant durant sa leçon

Figure 83 : Débit de la parole des enseignants en nombre de mots par minute

Le débit de parole dans le discours des enseignants est calculé grâce à un indice354. En guise de
rappel, ce débit est proche de 200 mots à la minute dans une situation de communication orale (Rist,
1999). Selon l’auteur, si le débit se stabilise autour de 175 mots par minute pour un expert, il est
plutôt de 130 mots dans une situation pédagogique.

Ce sont les deux enseignants experts qui utilisent le débit le plus soutenu (entre 135 et 171
mots/minute). Ils ont beaucoup d’informations à faire passer, ils sont, peut-être, dans une disposition
de combler le « trou du savoir355 ». Le débit de parole de Philibert et de Nadia se situe proche de la
norme évoquée par Rist. Celui de Christian est au-dessus (son expertise le pousse certainement à
vouloir évoquer de nombreuses notions), celui de Jérémy est en dessous (il n’est pas expert et cela le
contraint probablement à moins se manifester durant la leçon).

354
Le mode de calcul de cet indice est indiqué dans le chapitre méthodologique.
355
Jacques Lacan propose le terme « trou-matisme » pour évoquer le symbolique qui vient trouer le réel. Le symbolique
permet de donner un « bord », un contour pour tenter de définir le réel. Ici le « trou du savoir » permet d’en dessiner les
contours, d’en évoquer les bords, les limites extérieures.

321
Tableau 60 : Débit de parole par rapport au nombre d'interactions

Philibert Nadia Christian Jérémy


Débit de parole 120 135 171 91
Nombre d’interactions avec les élèves 60 96 110 267
Nombre d’interactions/minutes356 3,2 3,1 2,5 3
En rapprochant le débit et le nombre d’interactions avec les élèves durant la leçon apparaît le cas
symptomatique de Jérémy : il présente le débit le plus bas et le nombre d’interactions parmi les plus
hauts (le ratio du nombre d’interactions à la minute est dans la moyenne des autres enseignants
collaborateurs). Jérémy est novice et il fait beaucoup participer ses élèves dans le cadre d’un cours
dialogué. Il préfère faire émerger le savoir chez les élèves. Il ne se sent peut-être pas capable ou il
pense ne pas avoir les moyens de mener la situation didactique seul.

C’est Christian qui mobilise un débit important (171 mots/minute) tout en ayant le ratio
d’interactions à la minute le plus faible du panel. Christian s’inscrit comme le modèle devant ses
élèves. Il a le débit d’un expert selon Rist (1999).

Figure 84 : Présence de la PO dans le discours de l'AS des enseignants (en pourcentage)

Ce schéma montre l’importance qu’accorde l’enseignant à la PO dans son discours. Philibert et


Nadia attribuent un poids raisonnable, logique357 à la PO (entre le quart et le tiers du discours de la

356
Ce ratio est calculé en divisant le nombre d’interactions par la durée de la leçon en minute (hors dévolution).

322
leçon complète), alors que Jérémy et Christian accordent une dimension plus importante à la PO. Il
s’agit, peut-être, d’un effet recherche358, d’autant plus que Christian indique clairement, dans son
entretien d’AC, qu’il trouve la PO moins importante que les autres parties de l’AS et,
paradoxalement, c’est lui qui lui donne la plus grande portée dans son discours.

3.2.2. La maîtrise de la PO dans le discours

Figure 85 : Discours de la PO (en nombre de mots)

Cette figure souligne l’utilisation, dans le discours de l’AS des enseignants, la présence des termes
concernant la PO. Il existe deux types de termes nommés : « unités terminologiques non exclusives
de la PO359 » et « unités terminologiques exclusives de la PO ». Il est à noter que les quatre
enseignants mobilisent de façons très différentes une quantité de termes de la PO durant leur leçon.
Cela est à mettre en relation avec la durée de la leçon, voilà pourquoi il est certainement plus
pertinent d’analyser le discours grâce aux ratios de la figure suivante.

357
En considérant que l’AS est composée de quatre parties principales : l’approche visuelle, l’approche olfactive,
l’approche gustative et la synthèse générale qui comprend les accords avec les mets, les règles de service et de
conservation.
358
Les enseignants sont influencés, consciemment ou non, par le thème annoncé (la PO) dans le contrat de recherche.
359
Les unités terminologiques sont tous les termes appartenant au champ de la PO. Ce sont, par exemple, les termes
graissés dans l’extrait du verbatim de Nadia : « On sent pas l’alcool aussi au nez ? (…) Empyreumatique,
empyreumatique (…) 4 caudalies donc c’est très court en bouche ». Les termes « sent » et « nez » sont des unités
terminologiques non exclusives et les termes « empyreumatique » et « caudalies » sont des unités terminologiques
exclusives car ils sont spécifiques et n’appartiennent qu’au seul registre de la PO.

323
Figure 86 : Densité du discours de la PO (en pourcentage)

Ce schéma donne une indication sur la densité360 du discours de l’enseignant concernant la PO. Plus
le ratio « unités terminologiques » est bas et plus l’enseignant étaye son propos, plus il entoure les
termes techniques, ses explications, d’exemples et d’illustrations pour faciliter l’apprentissage des
élèves. C’est Christian qui semble étayer le plus son discours de la PO. Cela est aussi accentué par le
fait que Christian est l’enseignant qui a le débit le plus haut, qui accorde le plus d’importance à la PO
dans son discours et qui a le moins d’interactions avec les élèves à la minute.

Figure 87 : Technicité du discours de la PO (en pourcentage)

360
Il s’agit du rapport entre les unités terminologiques de la PO et des termes totaux du discours de la PO

324
Plus le ratio361 « unités terminologiques exclusives » est haut et moins l’enseignant vulgarise son
discours, utilisant un pourcentage de mots très techniques typiques de la PO parmi l’ensemble des
unités terminologiques du discours de la PO.

Le cas de Philibert est ici à remarquer particulièrement. C’est un enseignant expérimenté non-expert
parmi ceux qui étayent le moins son cours sur la PO. Cela est à rapprocher du fait que Philibert passe
un temps très court sur la PO (moins de 4 minutes) comme pour ne pas développer, ni faire durer un
sujet qu’il dit ne pas maîtriser. Il n’utilise pas de termes techniques spécifiques (unités
terminologiques exclusives) ce qui est en accord avec son profil.

L’utilisation et la présence des unités terminologiques exclusives est un indicateur de l’expertise de


l’enseignant (Carnus, 2008). Étonnamment, Jérémy et Nadia en mobilisent un tout petit peu plus que
Christian. Il s’agit peut-être d’un effet recherche ou d’une volonté de progresser, d’aller de l’avant,
ce que Jérémy indique dans son entretien d’AC, en s’appuyant sur de nombreux documents et sur
une préparation solide de leur leçon. Il s’agit aussi probablement d’une marque de l’expertise pour
Nadia.

Figure 88 : Répartition des termes de la PO en champs spécifiques362 (en pourcentage)

361
Ce ratio est le pourcentage d’unités terminologiques exclusives, par rapport aux unités terminologiques de la PO.

325
Les enseignants experts dans le domaine mentionnent avec plus d’importance la partie
méthodologique de la PO, c’est, probablement, un signe de maîtrise du savoir, de la partie
procédurale et technique. Seuls les enseignants expérimentés citent, de façon significative, le champ
de la qualité aromatique363 de la PO. La qualité aromatique semble plus subtile à évoquer, elle
nécessite plus d’expérience et de recul. Pour Philibert, l’évocation dominante de la qualité agit
comme une alternative à la partie méthodologique et à la partie description de la complexité
aromatique. C’est un moyen de défense pour pallier les lacunes qu’il confie avoir sur ces domaines.

Jérémy évoque de façon majoritaire la complexité aromatique durant sa leçon. Même s’il se heurte à
un « impossible à institutionnaliser », il choisit de conduire ses élèves sur ce champ comme pour ne
pas se risquer trop longtemps sur le terrain méthodologique sur lequel il dit ne pas être expert : « moi
non plus je sais pas, après vous avez le droit, entre guillemets, de ne pas être d’accord mais c’est sûr
que s’il y a cassis, il y en a un qui me dit fermentaire et l’autre boisé »364.

3.2.3. Les régularités

Tous les enseignants de l’étude ont un nombre d’interactions par minute avec leurs élèves
sensiblement identique (entre 2,5 et 3,2 interactions par minute) durant leur leçon de l’AS.

La PO représente entre le quart et la moitié de la leçon de l’AS.

L’usage des unités terminologiques, non exclusives et exclusives et l’évocation des champs
spécifiques de la PO sont des marqueurs de l’expertise et de l’expérience de l’enseignant.

La densité des discours de la PO est assez proche (entre 6 % et 11 %), tous les enseignants concernés
étayent beaucoup leur discours entourant les unités terminologiques d’explications.

3.2.4. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?

Les enseignants expérimentés s’expriment davantage durant le cours de la PO. Leur débit est plus
soutenu leur donnant l’occasion d’évoquer davantage d’éléments.

La PO est présente de façon importante dans la leçon d’AS chez ces quatre d’enseignants.

362
Pour clarifier le graphique, le champ concernant la synthèse globale de l’AS, c’est-à-dire concernant les accords avec
les mets et les spécificités de service n’ont pas été retenus.
363
La qualité permet de décrire la gamme aromatique, comme le montre les termes graissés dans le verbatim de
Philibert : « C’est peut-être plus difficile à évaluer la qualité ? (…) Oui banale, simple, banale et là on a le côté un peu
rustique, un peu terroir, ces vins très authentiques, on retrouve un petit peu cette notion de (euh) du cru du terroir (…) ».
364
Extrait du verbatim de l’épreuve de Jérémy

326
L’usage des unités terminologiques typiques du domaine sont en relation avec l’expertise de
l’enseignant.

3.3. Outils mobilisés par les enseignants durant l’épreuve

Tous les enseignants de l’étude ont recours à des outils symboliques tels que le langage et la
gestuelle (Brousseau, 1998). Cette dernière est, du reste, particulièrement convoquée pour
l’enseignement de la PO qui nécessite l’apprentissage de gestes méthodologiques tels que la
technique du premier nez (sentir le vin dans le verre directement sans mouvement), la technique du
second nez (sentir le vin dans le verre après avoir initié une rotation) et la technique de la rétro-
olfaction (grumer, c’est-à-dire aspirer un filet d’air en gardant quelques centilitres de vin dans la
bouche).

Figure 89 : Nombre d'outils matériels mobilisés par les enseignants

Il semblerait, dans un premier temps, que le nombre d’outils matériels mobilisés soit en rapport
inversement proportionnel avec l’expérience : plus l’enseignant est expérimenté et moins il utilise
d’outils. Dans un second temps, le rapport au(x) savoir(s) paraît aussi lié à l’utilisation des outils,
plus l’enseignant est à distance et plus il use d’outils lors de sa leçon. L’épaisseur ostensive serait
alors un indicateur d’une moindre maîtrise du savoir.

327
Tableau 61 : type d'outils matériels mobilisés par les enseignants

Outils matériels Philibert Nadia Christian Jérémy


365
Vin, verre , crachoir X X X X
Fiche d'AS X X X
Fiche activités X X
Fiche synthèse X X
Fiche de descripteurs X X
Projection de vidéo X X
Projection du cours X X
Tableau blanc X X X
Fioles odeurs « nez du vin » X
Nombre d’outils mobilisé 5 8 1 7

Ces conclusions ne correspondent pas au profil de Nadia. Il est possible que celle-ci ait choisi de
multiplier les outils avec son public spécifique d’élèves de première année de baccalauréat
professionnel car ce sont les élèves les plus jeunes (ils sont tous mineurs) et débutants (c’est leur
première leçon d’AS) du panel.

Tableau 62 : nombre d'outils mobilisés en fonction du niveau des élèves

Outils matériels Philibert Nadia Christian Jérémy


Nombre d’outils mobilisé 5 8 1 7
Classe des élèves Terminale Bac pro Seconde Bac pro MC Sommellerie 1ère année BTS
Niveaux des élèves en AS initiés débutants spécialistes initiés
Le nombre d’outils mobilisés par les enseignants et aussi probablement en lien avec le niveau et la
classe des élèves. Plus ils sont débutants et plus d’outils sont utilisés.

365
Les verres utilisés sont soit des verres à vin à pied et verres à dégustation INAO (Philibert), soit des verres à
dégustation INAO (Jérémy et Nadia), soit des verres à dégustation « Chef et sommelier » (Christian).

328
Tableau 63 : Types de vin analysés par les enseignants

Enseignants Vins utilisés durant la leçon


Jérémy AS d’un vin blanc moelleux AOP Alsace vendanges tardives
Christian AS d’un vin blanc sec AOP Anjou
Chaque groupe a un vin différent : groupe 1 AOP Côte de Provence (vin rosé), groupe 2 AOP
Nadia
Bourgogne aligoté (vin blanc sec), groupe 3 AOP Beaujolais (vin rouge)
AS successive comparative de 2 vins rouges, 1 AOP Gaillac (vin léger) et 1 AOP Madiran (vin
Philibert
corsé)

3.3.1. Les régularités

Concernant les objets symboliques, l’ensemble des enseignants mobilise le langage, même si comme
le montre le paragraphe précédent, chacun choisit et utilise le registre lexical de son choix. La
gestuelle est éminemment adoptée pour l’enseignement de la PO car elle s’appuie sur des
mouvements du corps, principalement du bras, de la main, de la tête et sur la mobilisation intensive
du nez et de la rétro-olfaction.

Concernant l’utilisation d’objets matériels, tous les enseignants ont employé verres, crachoirs et
bouteilles de vin comme un recours qu’ils jugent obligatoire dans l’enseignement de la PO. Quel que
soit le moment de la chronogenèse choisi par l’enseignant, la mise en œuvre de la situation
didactique de référence passe par l’AS d’un vin.

3.3.2. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?

Dans le cadre de l’enseignement de la PO : la gestuelle est particulièrement mobilisée.

Le nombre d’outils (vidéo projection, tableau, fiches…) utilisés par les enseignants est en rapport
avec leur expertise, leur degré d’expérience, leur rapport au savoir et le niveau des élèves.

Les outils matériels nécessaires à la situation didactique de référence (verres, crachoirs, bouteille de
vin) s’avèrent incontournables.

3.4. Les déplacements et la proxémie des enseignants comme révélateurs de leur expérience
et de leur expertise

L’étude des déplacements des enseignants, grâce aux locogrammes (Parlebas, 1981) associée à
l’étude des distances sociales ou proxémie (Hall, 1971) donnent plusieurs pistes de signification.

Le nombre moins important de déplacements et une proxémie en moyenne de type sociale (de 120
à 330 cm) semble être commune aux deux enseignants expérimentés de l’étude. L’expérience de ces

329
enseignants leur permet certainement de rayonner (au sens symbolique) dans leur classe sans
rayonner (au sens physique).

L’association des déplacements et de la proxémie apparaît également prendre du sens avec la


position singulière de l’enseignant dans sa classe durant la PO.

Tableau 64 : déplacements, proxémie et position symbolique des enseignants

Déplacements/Proxémies et positions des enseignants Illustrations

Philibert indique être à distance du savoir de la PO. Il


reste loin de ses élèves, il se protège avec une grande
épaisseur ostensive et ses déplacements se concentrent
entre son bureau et le tableau

Christian s’inscrit comme le modèle à suivre dans


l’apprentissage de la PO. Il reste assis derrière son bureau
comme un conférencier à son pupitre.

Jérémy déclare se former et progresser en même que ses


élèves. Il n’hésite pas à être proche de ses élèves en
s’installant à leur côté durant certaines activités.

Nadia exprime un rapport ambivalent à l’alcool et sa


position dans la classe l’amène à tourner le dos à certains
de ses élèves à plusieurs reprises et en alternance comme
pour tourner le dos symboliquement à ce rapport à
l’alcool en autorisant à ne pas cracher, tout en
n’autorisant pas à boire.

3.4.1. Les régularités

Les déplacements et la gestion des distances sociales sont en relation étroite avec l’expertise et
l’expérience des enseignants ainsi qu’avec leur position symbolique par rapport au savoir.

330
3.4.2. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?

Déplacements et distances sociales apparaissent, dans ce travail, dépendants de l’expertise et de


l’expérience. En tant que marque singulière de chaque enseignant, ils sont constitutifs d’une
signature professionnelle « en ce sens qu’ils participent d’une logique propre au sujet enseignant.
Cette logique est sous-tendue par des stratégies inconscientes qui amènent les sujets enseignants à
combiner diverses modalités ostensives, gestuelles et proxémiques pour éviter à avoir à se confronter
à un impossible à supporter [ici un impossible à institutionnaliser] et tenter de satisfaire leur désir
d’enseigner » (Robert, Carnus, 2013, p 92).

3.5. La position symbolique de sujet supposé savoir

L’outil conceptuel de SSS en didactique clinique (Carnus, Terrisse, 2013), permet d’analyser la
manière singulière avec laquelle chaque enseignant occupe la fonction de détenir et transmettre le
savoir.

Tableau 65 : Position des enseignants comme sujet supposé savoir

sujet supposé savoir sujet supposé savoir


-- - + ++
Jérémy Philibert Nadia Christian
Leur transmettre les
Ses références Suivre un chef, un
connaissances que j’ai pu Comme je peux
d’enfances modèle, un mentor
avoir moi
Tous les enseignants de l’étude sont supposés savoir mais ils habitent cette position symbolique de
façon singulière, comme le laisse entrevoir leur formule.

3.5.1. Jérémy : s’affirmer comme le « sujet qui ne sait pas tout » mais devenir un
« sujet qui sait ».

Jérémy est un enseignant non-expert, il en est conscient, et n’hésite pas à l’assumer devant ses
élèves. Il indique durant l’épreuve de la leçon : « je n’ai pas la science infuse (…) je peux ne pas tout
savoir ». Il trouve que son DL sensoriel n’est pas suffisant dans le domaine de la PO, néanmoins il
souhaite délivrer le savoir qu’il a acquis durant sa formation : « (…) leur transmettre les
connaissances que j’ai pu avoir moi ». Cependant, Jérémy est lucide, cette situation ne tiendra pas
longtemps : « l’élève dépassera le maître » et il ne trouve pas cette situation confortable : « je ne
peux pas rester sans réponse face à mes élèves » (AC). La solution qu’il préconise est de progresser
pour devenir le sujet qui sait : « maintenant il faut aussi que je me bouge un peu moi, que j’aille
aussi m’améliorer sur mes compétences » (AC).

331
3.5.2. Philibert : les stratégies pour protéger sa position de sujet supposé savoir.

Philibert annonce dans l’entretien de DL qu’il n’est pas expert dans le domaine de la PO. Durant
l’épreuve, il développe plusieurs stratégies pour répondre à l’injonction institutionnelle : « je devais
faire un cours » (AC) et habiter son rôle de SSS. Pour commencer, une stratégie de maintien de sa
position de SSS, avec une improvisation incorporée : il ajoute un geste, dans la méthodologie, pour
pallier à ses difficultés de perception de la PO : « si vous n’arrivez pas à sentir (…) je vous conseille
de faire ceci » (EP), qui lui permet de faire face à la contingence de l’épreuve. Cela ressemble au
« savoir y faire » (Terrisse, 2009) qui permet à l’enseignant de réagir dans la contingence d’une
situation qui lui échappe. Puis une stratégie d’évitement, il évoque peu la complexité aromatique car
il juge cela difficile : « percevoir un petit peu les arômes bon c’est assez compliqué ». Et enfin une
stratégie de verrouillage grâce à une grande épaisseur ostensive, il montre le savoir par de multiples
moyens et ne dévolue pas, dans la topogenèse, le savoir reste toujours de son côté, du côté de
l’enseignant.

3.5.3. Nadia : être un sujet supposé savoir incontournable.

Nadia est convaincue que ses références de SSS sont une aide pour la PO : « ce sont des choses qui
peuvent faciliter l’analyse olfactive » (AC). Elle sait s’imposer comme le SSS dans la classe face à
ses élèves qui sont supposés ne pas savoir : « Je vais vous expliquer (…) bon je vais vous expliquer
une fois pour toute » (EP) dit-elle après que plusieurs élèves n’aient pas respecté ses consignes. Elle
ajoute de nombreuses démonstrations pour stabiliser le savoir : « regardez comment je fais » (EP) et
s’inscrit clairement comme le SSS. Nadia réclame plusieurs fois l’attention des élèves : « écoutez-
moi (…) vous m’écoutez s’il vous plait », elle est détentrice du savoir et souhaite le transmettre.

3.5.4. Christian : être un sujet supposé savoir incontestable.

Christian s’inscrit sans détour comme le SSS. Il commence son cours par faire la liste des objectifs
que les élèves devront acquérir avec beaucoup d’aisance car lui-même les maîtrise : « les différentes
phases (…) langage commun » (…) structure » (…) différents éléments (…) grands items (…)
l'organisation (…) les perceptions (…) modèle de dégustation (…) les termes » (EP). Il déclare tenir
son rôle de SSS : « il y a des chances que l’on soit [je sois] un peu plus dans le vrai dû à l’habitude
et à l’expérience (…) c’est à moi de recadrer en fonction des perceptions » (DL). Il s’impose comme
le SSS incontestable et jamais contesté : « ils auraient pu dire : moi ce vin-là, je perçois autre chose
(…) j’ai jamais entendu ça (…) j’ai jamais un élève qui m’a dit à bon vous sentez ça moi je suis pas
d’accord » (EP).

332
3.5.5. Les régularités

Tous les enseignants de l’étude ont montré une forme d’instabilité dans le maintien de l’équilibre
plus ou moins précaire de leur position symbolique de SSS.

Jérémy se trouve, lors une interaction avec les élèves, dans une situation où sa position de SSS
vacille. Un élève évoque la cinquième saveur umami et questionne l’enseignant : « élève : mami ? »,
Jérémy ne sait plus comment prononcer ce mot d’origine japonaise : « et umami et unami (sourire)
c’est quoi unami ? ». Il concède ouvertement devant ses élèves qu’il ne sait pas : « c’est quoi unami,
je l’ai entendu dire mais je suis pas sûr, je suis vraiment pas sûr je crois que c’est quand on n’a plus
d’arômes quand on sent plus rien on est en a de l’unami ou de l’umami c’est un truc comme ça je
rechercherai (…) non vraiment je sais pas ».

Nadia ne sait pas comment se situer avec ses élèves par rapport à l’alcool. Elle indique que le vin
n’est pas destiné à être bu durant le cours : « C’est pas pour boire c’est pour faire une analyse »,
mais elle autorise à boire implicitement puisqu’elle indique que seuls : « ceux qui n’aiment pas
avaler le vin, vous pouvez cracher ». Pour Nadia « cracher » durant l’AS est seulement un « droit »
et non une obligation : « vous avez aussi le droit de cracher il y a des crachoirs ». Par contre Nadia
crache systématiquement et lorsqu’un élève la questionne à ce sujet : « vous ne buvez pas
madame ? » elle esquive : « Je ne vais pas gouter à toutes les tables sinon après à la fin de la
journée… alors il est le vin ? Il est doux ? » sans donner finalement, ni raison, ni justification, ni
explication. Nadia est dans une forme d’esquive, qui se traduit en classe par une forme d’évitement
(Léal, 2013)

Christian s’accroche à sa position de SSS, il ne souhaite pas qu’elle bascule. Pourtant, il sait que
certains de ses élèves vont le dépasser, vont devenir meilleurs que lui et qu’il va perdre son statut de
seul SSS : « ils vont continuer à progresser voire à tuer un peu le père », cela ne le réjouit pas trop :
« pourquoi pas, ça ce n’est pas grave » dit-il de façon probablement ironique durant l’entretien
d’AC. Il n’accepte pas que « tuer le père » passe par un renoncement, il espère que son enseignement
restera gravé : « qu’ils n’oublient pas d’où ils viennent, ni les bases de l’analyse sensorielle » (AC).
Christian désire dépasser la position de 3S (Sujet supposé savoir) vers le statut de 4S (Seul sujet
supposé savoir).

Lors de certaines interactions, Philibert n’assume pas son statut de SSS, dont il doute d’ailleurs, en
ne stabilisant pas et en laissant planer le doute. Lors d’une proposition d’élève, il ne prend pas
position : « Élève : plutôt moyenne pour le léger [vin léger] et forte pour le corsé [vin corsé],

333
Philibert : Très bien moyenne et puissante ou faible et moyenne ». Lors d’un autre échange, il ne
valide, ni n’invalide la proposition de l’élève de façon claire : « Élève : vin franc, Philibert : Vin
fruité, élégant, simple et nous on dira sans défaut ». Il ne se positionne pas clairement comme le
SSS, alors que le terme franc signifie effectivement sans défaut.

3.5.6. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?

Les enseignants habitent la fonction symbolique de SSS de façon singulière, tous sont vigilants au
maintien de l’équilibre de cette position durant la contingence de l’épreuve car cette position de SSS
peut vaciller à chaque instant. Ils développent des stratégies pour contrebalancer cette instabilité en
développant des stratégies (voir schéma ci-dessous), souvent à leur insu.

Figure 90 : Stratégie d’équilibration

Dans la figure ci-dessus, la position la plus haute semble être la plus confortable pour l’enseignant.

3.6. Le recours aux métaphores des enseignants

D’après l’Encyclopédie Universalis366 « Le terme « métaphore » appartient, à l'origine, au


vocabulaire technique de la rhétorique et désigne une « figure de signification par laquelle un mot se
trouve recevoir dans une phrase un sens différent de celui qu'il possède dans l'usage courant ». Pour

366
Définition de métaphore [en ligne] grâce au lien https://www-universalis--edu-com, consulté le 29/10/18

334
Lacan (2004) « le symptôme367 est une métaphore, que l'on veuille ou non se le dire, comme le désir
est une métonymie, même si l'homme s'en gausse ». Ainsi dans l’optique Lacanienne, la métaphore
serait l’expression d’un conflit inconscient.

La linguistique cognitive (Lakoff cité par Negro, 2016), pour laquelle la phraséologie368 est centrale,
attribue une place fondamentale à la métaphore. D’ailleurs la théorie de la métaphore conceptuelle
soutient que « les métaphores informent notre pensée, notre action et notre langage » (Negro, 2016, p
308).

3.6.1. Philibert : la métaphore érotique

Philibert retrace à deux reprises, dans le DL et l’AC, une métaphore érotique, il évoque la séduction
et le rôle initiateur du père.

« Je lui dis que de déguster c’était comme parler (euh) s’adresser à une femme, je lui dis
comme ça (…) c’est comme une femme : d’abord on la regarde, ensuite on la sent et après on
la déguste (…) c’est un peu ça, avant d’aborder quelqu’un avant on la regarde, après on la
sent et après on la déguste voilà » (DL).
Philibert évoque le rôle central du père dans l’éducation au « savoir-boire » :

« Autrefois c’était le père qui expliquait à l’enfant à boire, à consommer l’alcool, à monter
en état d’ébriété » (DL).

« Penser l’analogie entre la scène d’amour et la scène de dégustation permet ici de mettre à jour un
désir inconscient (…) en mettant en relation ces deux champs sémantiques jusque-là disjoints »
(Simmonet-Toussaint, 2006, p115). Le champ lexical de l’érotisme est omniprésent dans la langue
du vin. La sensualité et la sexualité se retrouvent d’ailleurs, dans plusieurs champs métaphoriques du
vin (Coutier, 2007) :

 Le corps : chair (avoir de la), charnel, charnu, corps, corpulence, cuisse (avoir de la), jambes,
profil ;
 L’élégance : robe, maquillé, maquillage, pommadé, élégant, gracieux ;
 La séduction : féminin, féminité, masculin, viril, avenant, aguicheur, charme, charmeur,
enjôleur, flatteur, séducteur, séduisant, séduction, vulgaire ;

367
Définition psychanalytique de symptôme : « Expression d'un conflit inconscient donnant généralement naissance à un
phénomène de compromis entre le désir refoulé et les exigences de l'instance refoulante » d’après le CNRTL [en ligne]
grâce au lien http://www.cnrtl.fr consulté le 29/10/18
368
Ensemble des tournures typiques d'une langue, soit par leur fréquence, soit par leur caractère idiomatique, d’après le
CNRTL.

335
 La sensualité : sensuel, sensualité, voluptueux, caressant, doux, suave, s’allonger.

3.6.2. Nadia : la métaphore de l’enfance

Nadia relate ses souvenirs d’enfance et le vin devient un enfant, de façon métaphorique. Lors de la
description de la PO d’un vin, Nadia s’adresse à ses élèves et mobilise des termes personnels
évoquant clairement ses propres références d’enfance :

« Alors le premier nez, c’est pas floral ? C’est quoi c’est minéral ? Vous ne trouvez pas que
cela sent la terre mouillée ou de la roche que vous avez gratté avec le couteau ? Vous n’avez
jamais fait ça ? » (EP).
Nadia évoque directement ses souvenirs d’enfance lors de l’entretien d’après-coup :

« Quand j’étais enfant, il faisait très chaud alors parfois on arrosait devant la maison pour
un petit peu rafraîchir et alors je trouve que certains vins blancs ont cet arôme là (euh) et
puis quand j’étais enfant aussi on jouait avec des pierres pour faire des dessins sur les
pierres on les grattait pour avoir des petits reliefs » (AC).
L’instinct maternel de Nadia apparaît dans la métaphore qu’elle convoque durant sa leçon :
« Un vin je leur dis toujours : c’est un enfant, il nait, il faut l’élever, s’il est bien il peut
grandir comme il faut et donner de bons résultats et si on ne le consomme pas tout de suite et
bien il peut mourir voilà (euh) et ça il faut aussi qu’ils le voient chez eux car il y en a
beaucoup qui me disent : mes parents ils ne boivent pas de vin » (AC).
« Le vin (…) représente symboliquement le père » (Simmonet-Toussaint, 2006, p115). Nadia
s’empare de l’autorité parentale qui éduque, la figure maternelle qui initie au « savoir-boire ». Ces
extraits sont peut-être aussi révélateurs du désir de Nadia, c’est-à-dire de sa volonté de rétablir les
expériences de satisfaction de son enfance. « Dans la conception dynamique freudienne, un des pôles
du conflit défensif : le désir inconscient tend à s’accomplir en rétablissant, selon les lois du processus
primaire, les signes liés aux premières expériences de satisfaction. » Selon de vocabulaire de la
psychanalyse Laplanche et Pontalis (1967).

3.6.3. Jérémy : la métaphore des tiroirs

Pour expliquer la mémorisation des odeurs du vin Jérémy utilise la métaphore d’une commode avec
des tiroirs.

« Vous vous avez chacun des tiroirs (il montre sa tête) la tête c’est une commode il y a la
gestion, les mathématiques et vous avez aussi les arômes, un tout petit tiroir les arômes et tu
vas sentir tout ce que tu connais pas comme arômes (…) et là à toi d’enregistrer dans ton
tiroir de la tête » (EP)

336
Jérémy, à l’évocation de cette métaphore, est très directif et se pose comme le père qui demande à
son enfant de ranger sa chambre. La commode est sa proposition personnelle pour répondre à
l’injonction qu’il leur adresse : « si on est ordonné, on sera ordonné dans une analyse sensorielle,
parce qu’il faut être ordonné » (AC).

3.6.4. Christian : la métaphore de la gifle

Christian utilise la métaphore d’une gifle pour conceptualiser l’attaque (moment des premières
sensations gustatives en bouche).

« Imaginez l’attaque comme une claque une gifle, on frappe pas les élèves enfin pas moi,
mais si je vous mets une claque, elle est comment ? Est-ce qu’elle est forte ? Est-ce qu’elle est
vive ? Est-ce qu’elle est molle ? Est-ce qu’elle est plate ? C’est la première perception en
bouche, dès que vous mettez le vin en bouche, quelle est cette perception, la durée de la
claque ? Moi c’est l’image que je donne souvent, je trouve que c’est assez parlant parce que
sinon on sait pas trop où ça s’arrête l’attaque en bouche » (EP).
En mobilisant cette formule métaphorique de la gifle, Christian semble se positionner dans la peau
du modèle paternel. Il montre ainsi une figure plutôt traditionnelle, assortie d’une certaine sévérité.
Christian manifeste un rapport au vin ferme et directif comme l’éducation traditionnelle et virile d’un
père. Ce type d’éducation « muette qui renonce à toute explication discursive et rationnelle et
s’exprime par des signes non verbaux » (Grewe, 2016, p 91) fait d’ailleurs partie de la fonction
éducatrice du repas familial selon Grewe, « où, à travers les manières de table, les enfants font
l’apprentissage des valeurs de la société en général ».

3.6.5. Les régularités

Les métaphores représentent probablement, d’après l’aphorisme de Lacan (1977), des manifestations
inconscientes du rôle que les enseignants se donnent ou se sentent obliger d’endosser dans leur
enseignement de la PO. La place du père ou de la mère comme pilier de la transmission est présent
chez chacun des cas de l’étude. Philibert se sent investi du rôle du père qui initie aux plaisirs. Il
regrette, de plus dans l’entretien, que ce rôle ne soit plus tenu par le père biologique de ses élèves.
Nadia se voit comme la mère qui transmet la culture des odeurs à ses enfants. Elle constate que les
parents de ses élèves ne leur donnent pas cette éducation au savoir déguster un vin. Jérémy ne peut
s’empêcher d’être le père qui apprend à ranger sa chambre (la commode est un meuble bas avec de
grands tiroirs pour ranger linge et vêtements369) et cela est commode (comme adjectif, ce qui est
particulièrement adapté à l’usage que Jérémy en attend). Christian s’imagine investi de l’autorité du

369
D’après le CNRTL

337
père (avec le symbole de la gifle paternelle) comme noyau central de l’éducation « un peu papa-
maman sur certains niveaux de classe (…) on a des jeunes qui sont pas toujours éduqués à la base »
(entretien de DL). La métaphore mobilisée par chaque enseignant dit certainement quelque chose de
leur façon d’enseigner la PO. Elle pourrait être prise comme un signifiant de chacun des sujets :

Tableau 66 : Sens de la métaphore dans l'enseignement de la PO

Enseignants Métaphore Signifiant dans l’enseignement de la PO


Elle voudrait une éducation bienveillante et permissive, modèle
La mère qui éduque et qu’elle tire de son enfance
Nadia
protège ses enfants
Extrait de la formule de Nadia : « références d’enfances »
Le père qui initie aux Il évoque un plaisir qu’il ne se sent pas capable de transmettre
Philibert plaisirs « de la chair » (de
la chère370 ?) Extrait de la formule de Philibert : « comme je peux »

Il cherche à transmettre les solutions (la commode) qui


Le père qui fait ranger sa fonctionne pour lui à ses élèves
Jérémy
chambre Extrait de la formule de Jérémy : « transmettre ce que j’ai appris
moi », c’est-à-dire ce qu’il y a dans ses tiroirs
Il est le mentor incontournable qui se fait respecter
Christian Le père modèle sévère
Extrait de la formule de Christian : « suivre le mentor »

3.6.6. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?

Tous les enseignants de l’étude utilisent, à leur insu, une ou des métaphores. Elles sont
vraisemblablement le symptôme d’une manifestation inconsciente. Les métaphores portent
probablement du sens et sont certainement révélatrices du désir inconscient des sujets enseignants.

Durant l’enseignement de la PO, les enseignants assument et prennent en charge la fonction de


transmission paternelle (ou maternelle) dans le domaine du vin. Ce rôle est traditionnellement et
symboliquement tenu par le père (Simmonet-Toussaint, 2006).

3.7. Les 3 rapports à…

Le tableau ci-dessous est une compilation des formes synchroniques des vignettes didactiques
cliniques des quatre cas.

370
« Faire bonne chère » bien manger en bonne compagnie, se régaler largement, être gourmet (d’après le CNRTL).

338
Figure 91 : Positionnements sur les axes en tension : au-delà des singularités, des régularités

Légende complémentaire de la figure :


La couleur verte est associée aux enseignants non-experts (Ph et Jé), la couleur rouge est associée
aux enseignants experts (Na et Ch).
Les représentations des enseignants expérimentés sont penchées (Ph et Ch) alors que celles des
enseignants débutants est droite (Jé et Na).

Rapport à l’institution

La plupart des enseignants de l’étude sont soumis à l’institution, sur l’axe de l’assujettissement. Ils
répondent à l’injonction qui leur est faite. Seul un enseignant chevronné semble s’émanciper et
prendre des distances avec le savoir à enseigner (Christian considère que la PO n’est pas prioritaire)
tout en restant majoritairement fidèle (car il l’enseigne tout de même).

L’institution assigne aux enseignants la position de SSS, leur façon singulière d’habiter cette position
symbolique nous permet de les situer sur l’axe du confort. Néanmoins ils semblent percevoir
l’instabilité de cet équilibre et l’inconfort qui en découle sans forcément en contrôler les tenants et

339
les aboutissants. L’expertise semble assurer aux enseignants une certaine sécurité (Nadia et
Christian).

Les enseignants se sentent plutôt reconnus et soutenus par l’institution, bien que chaque
positionnement sur l’axe soit singulier, même si apparaissent de nouvelles difficultés avec
l’évolution des programmes et des missions de l’enseignant qui leur impose de nouvelles fonctions
pour lesquelles ils ne se sentent pas toujours bien armés.

Rapport à l’épreuve de l’interaction

Même si le positionnement des sujets est contrasté sur les axes, le degré d’expérience des
enseignants les polarise logiquement sur l’axe de l’expérience. Les enseignants ayant peu
d’expérience (Nadia et Jérémy) sont du côté de l’étrangeté ce qui peut parfois occasionner des
moments de doute et de moindre maîtrise durant l’épreuve, alors que les enseignants expérimentés
(Christian et Philibert) sont du côté familiarité et montrent une bonne maîtrise de la conjoncture.

La non-expertise (Philibert) semble être très influente sur l’inhibition lors de la contingence. Il est
vraisemblable que l’expérience ne puisse pas remplacer l’expertise dans une situation
d’enseignement (Carnus, 2015) mais il s’avère qu’elle tend à être compensée dans certaines
situations.

L’expertise semble être une condition nécessaire, mais non suffisante, pour viser le plaisir dans
l’épreuve. Tous les enseignants ont évoqué le plaisir qu’ils associaient à l’enseignement de la PO
néanmoins ce plaisir n’est pas perceptible dans toutes les leçons. Si le plaisir est unanimement
associé avec l’objet de savoir de l’AS, il n’apparaît pas systématiquement durant l’épreuve, c’est-à-
dire la rencontre entre l’enseignant, les élèves et l’AS (Carnus, 2013). Certains enseignants (Philibert
et Nadia) semblent même s’autocensurer, ils manifestent l’intention de montrer le plaisir mais n’y
parviennent pas.

Rapport au(x) savoir(s)

Le degré d’expertise des enseignants les place logiquement sur l’axe de l’expertise. Philibert et
Jérémy (non-expert) sont à distance du savoir sur l’axe de l’expertise alors que Nadia et Christian
sont à proximité du savoir.

L’AS, mobilise majoritairement de l’attirance sur l’axe du désir. La plupart des enseignants
témoignent une attirance évidente pour la PO, l’olfaction génère tantôt de l’intérêt, du plaisir, voire
du fantasme (Philibert suggère métaphoriquement un plaisir érotique). Seul Christian assume son

340
désintérêt pour la PO à laquelle il n’attribue pas le même attachement que la partie gustative. Son
émancipation par rapport à l’institution lui permet d’assumer ce désamour.

La rencontre avec la PO semble plutôt ancienne et elle dépend de la singularité des sujets. Elle
remonte à la formation initiale des enseignants pour Jérémy (formation récente puisqu’il est novice)
et pour Christian (formation plus ancienne car il a plusieurs années d’expérience). La rencontre avec
la PO est parfois plus précoce et date de l’enfance. Philibert évoque en filigrane son éducation
familiale et Nadia mentionne, avec beaucoup de détails, ses références d’enfances et ce lien très fort
qui relient intimement son rapport au savoir avec son déjà-là.

3.7.1. Les régularités

Une tendance semble se dessiner dans les trois rapports à :

 Rapport à l’institution
o Les enseignants sont plutôt soumis à l’institution, celle-ci est pour eux une contrainte
c’est-à-dire un cadre à l’intérieur duquel ils peuvent rayonner ;
o Les enseignants sont assignés à la position de sujet supposé savoir, leur expertise
contribue à leur assurer une certaine sécurité.
 Rapport à l’épreuve de l’interaction
o L’expertise a un effet plutôt positif sur le retentissement émotionnel chez l’enseignant
durant l’épreuve de l’interaction ;
o L’expérience ne remplace pas le manque d’expertise même si elle peut le compenser
parfois.
 Rapport au savoir
o Il est plutôt ancien pour la plupart des enseignants ;
o Il est source d’attirance sur l’axe du désir ;
o Il est très en lien avec le déjà-là des enseignants comme les deux autres rapports à…

3.7.2. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?

Les enseignants sont assujettis à l’institution qui est à la fois ressource et contrainte pour le sujet. Ils
sont assignés et enfermés dans une position de sujet supposé savoir, dans une recherche permanente
d’équilibre.

Dans le rapport à l’épreuve, l’expertise est influente sur l’axe de la contingence et de l’affect.
L’expérience peut compenser, en partie, le manque d’expertise pour remplir l’injonction

341
institutionnelle mais elle est insuffisante pour remplir entièrement la mission de l’enseignant. La
maîtrise de sa discipline est une des compétences du référentiel de l’enseignant et donc constitutive
de son identité professionnelle.

Le rapport au savoir est intimement lié au déjà-là de chaque enseignant. Il est plus ou moins ancien et
moteur du désir d’enseigner.

342
Chapitre 5 : Discussion et réponses aux questions de recherche

Dans ce chapitre, nous discutons les résultats du chapitre précédent à la lumière de la problématique
de la thèse. Cette discussion se traduit, dans une première partie, par des propositions de réponses
aux questions de recherche. Dans une seconde partie est évoqué l’après-coup du chercheur. Les
limites de la recherche sont ensuite évoquées, puis la discussion s’oriente enfin vers les perspectives
de ce travail.

343
1. Réponses aux questions de recherche

Rappel des questions de recherche371 :

 Question n°1 : Dès l’amont de la leçon, la PO est un savoir sous l'influence d'un « déjà-là »
sensoriel (DLS) du sujet enseignant. Comment définir le DLS ? Quelles sont les traces du
DLS dans l’enseignement de la PO ? (Partie descriptive et compréhensive)
 Question n°2 : La PO semble animée par des « ressorts didactiques » qui agissent sur les
pratiques enseignantes. Dans quelle(s) mesure(s) ces ressorts didactiques sont-ils des moteurs
ou des freins dans l’enseignement de la PO ? (Partie descriptive et compréhensive)
 Question n°3 : La didactique clinique propose des outils heuristiques pour la formation des
enseignants. Comment les concepts, les méthodes et les résultats de cette recherche peuvent-
ils être mobilisés dans la formation des enseignants à l’enseignement de la PO ? (Partie
prospective, stratégique, praxéologique)

Cette partie de discussion des résultats tente, à travers les régularités entre nos quatre cas, d’apporter
des éléments de réponses aux questions de recherche qui découlent de la problématisation principale
de ce travail : comment la PO s’enseigne-t-elle ? Comment rendre moins opaque l’enseignement de
la PO ?

Après être revenu sur les principales régularités, au-delà de la singularité des cas relevée dans cette
étude, nous apportons des éléments de réponse à chacune des trois questions de recherche et passons
d’un domaine de singularité à un domaine de généralités.

1.1. Les régularités dans l’enseignement de la PO

Les principales conclusions du chapitre 4 « les résultats » sont issues de la construction et du


rapprochement des cas. Ces conclusions contribuent à répondre à la problématique générale. La
plupart de ces éléments invariants seront repris et développés dans la partie praxéologique.

1.1.1. Dévolution de la situation didactique de référence : les élèves plus ou moins seuls
face au vin

L’expertise semble permettre de dévoluer la PO en situation proche de la pratique sociale de


référence (Martinand, 1989), c’est-à-dire l’AS complète d’un vin telle que celle réalisée par un
sommelier. Les deux enseignants non-spécialistes choisissent, en effet, de ne pas confier cette
responsabilité en autonomie à leurs élèves. Cependant tous les profils d’enseignants ont recours à

371
Il s’agit d’un rappel de la partie problématisation et questions de recherche qui se trouvent à l’issue du chapitre 2.

344
l’AS d’un ou de plusieurs vins dans le cadre de leur enseignement de la PO, même s’ils ne dévoluent
pas tous cette activité. Cette activité, très proche de la pratique didactique de référence est donc
maintenue dans toutes les situations d’enseignement/apprentissage. Le fait que le vin soit un produit
alcoolisé ne va pas sans poser de problème dans certaines configurations.

1.1.2. Impossible à institutionnaliser : les écarts entre l’intention et l’action

Chez les quatre enseignants apparaît un impossible à institutionnaliser (Léal, 2013). Il demeure un
écart entre ce que l’enseignant à l’intention de faire faire à ses élèves et ce qu’ils font réellement
(Nadia), entre le savoir que souhaite montrer l’enseignant et le savoir qu’il montre en réalité
(Philibert), entre la volonté de dévoluer l’institutionnalisation et l’impossible à stabiliser (Jérémy),
entre la volonté de laisser ses élèves découvrir le savoir et son impossible à ne pas le montrer lui-
même (Christian). Dans tous les cas de notre étude, la partie institutionnalisation de la leçon semble
avoir posé problème à l’enseignant, d’une façon ou d’une autre. Si la PO est effectivement
impossible à institutionnaliser, quelle attitude l’enseignant peut-il avoir lors de ce moment didactique
important de la séance ? Ceci est développé dans la partie 1.4.3 de ce même chapitre « Résultats ».
1.1.3. Discours des enseignants : entre débit, densité et technicité

Les enseignants expérimentés s’expriment davantage durant le cours de la PO. Leur débit est plus
soutenu leur donnant l’occasion d’évoquer davantage d’éléments. La PO est présente de façon
importante dans la leçon d’AS chez les quatre d’enseignants collaborateurs, les discours sont peu
denses, tous les enseignants étayent leur discours pour faciliter l’apprentissage. L’usage des unités
terminologiques typiques du domaine, la technicité du discours, apparaît en relation avec l’expertise
de l’enseignant.

1.1.4. Outils symboliques et outils matériels : épaisseur ostensive de la leçon

Dans le cadre de l’enseignement de la PO, la gestuelle (bras, mains, tête et nez) est un outil
symbolique particulièrement mobilisée. Le nombre d’outils matériels (vidéo-projection, tableau,
fiches…) utilisés par les enseignants semble être en rapport avec leur expertise, leur degré
d’expérience, leur rapport au savoir et le niveau des élèves de la classe. Les outils matériels
nécessaires à la situation didactique de référence (verres, crachoirs, bouteille de vin) se révèlent, par
contre, incontournables. Les enseignants font, de façon consciente ou à leur insu, le choix d’une
ostension plus ou moins prononcée dans leur enseignement de la PO.

345
1.1.5. Position physique de l’enseignant dans la classe : une présence sous influence

Les déplacements et la proxémie (distances sociales entre l’enseignant et ses élèves) semblent en
étroite relation avec l’expérience et l’expertise des enseignants. Ils paraissent également en phase
avec le DL des enseignants. Ce constat corrobore la position symbolique de l’enseignant dans la
classe.

1.1.6. Position symbolique de l’enseignant dans la classe : un équilibre instable

Les enseignants habitent la fonction symbolique de SSS de façon singulière, tous sont vigilants au
maintien de l’équilibre de cette position durant la contingence de l’épreuve car cette position de SSS
peut vaciller à chaque instant : déplacement du sujet qui ne sait pas tout vers le sujet qui sait
(Jérémy), protection de la position du sujet supposé savoir (Philibert), position du sujet supposé
savoir incontournable dans la classe (Nadia) et sujet supposé savoir incontestable (Christian). Tous
les enseignants développent des stratégies pour maintenir l’équilibre instable de leur position de SSS.

1.1.7. Position incarnée par les enseignants à leur insu : suppléer la transmission
familiale

Durant leur enseignement de la PO, les enseignants prennent en charge et assument, à leur insu, la
transmission paternelle (ou maternelle) dans le domaine du vin : de l’éducation au « savoir-boire » à
la recherche du plaisir charnel (Philibert), l’évocation des satisfactions de l’enfance (Nadia), la
fermeté (Christian) et la rigueur (Jérémy) d’une éducation traditionnelle.

1.1.8. Rapport à l’institution, à l’épreuve et au savoir : entre expérience et expertise

Dans leur rapport à l’institution, les enseignants sont plutôt assujettis même si l’institution est à la
fois ressource et contrainte. Dans leur rapport à l’épreuve, l’expertise est influente sur la
l’appréhension de la contingence, sur la nature de l’affect et il semblerait que l’expérience peut
compenser, en partie, le manque d’expertise. Le rapport au savoir est intimement lié au déjà-là de
chaque enseignant. Il est plus ou moins ancien et moteur du désir d’enseigner.

1.2. La PO sous l'influence d'un « déjà-là » sensoriel

Cette partie apporte des éléments de réponse à la première question de recherche. Elle contribue à
atteindre l’objectif descriptif de ce travail de recherche. Dès l’amont de la leçon, la PO est un savoir
sous influence d'un « déjà-là » sensoriel (DLS) chez le sujet enseignant. Comment définir le DLS ?
Quelles sont les traces du DLS dans l’enseignement de la PO ? Les paragraphes suivants poursuivent
l’objectif de répondre à ces questions.

346
1.2.1. Comment définir le DLS ?

En nous appuyant sur le DL décisionnel (Carnus, 2013) comme déterminant du processus


décisionnel de l’enseignant, nous avons cherché à approcher le DL expérientiel, conceptuel et
intentionnel de chacun des enseignants collaborateurs. Notre méthodologie nous a conduits, à travers
l’entretien ante, vers la découverte partielle de ce DL. Cependant, la collecte des autres données
(épreuve et entretien d’après-coup) laisse apparaître un DL plus large372 que celui que nous avions
envisagé selon notre intuition préalable. Les éléments de DL que nous mobilisons dans cette partie
sont issus de l’ensemble des entretiens (ante et d’après-coup).

Pour définir le DLS nous nous focalisons sur l’objet d’enseignement, soit l’AS dont la PO. Nous
considérons ainsi, que le DLS est une partie précise du DL décisionnel. Le DLS est donc la partie
spécifique du DL qui concerne spécifiquement l’objet d’enseignement qui nous intéresse. Le DLS est
lui aussi composé d’un DLS expérientiel, conceptuel et intentionnel. Nous complétons le DLS373 de
chaque sujet avec des éléments extraits de l’entretien d’après-coup.

Nous reprenons les DL de chaque cas pour en extraire, pour en spécifier, les parties qui relèvent
typiquement de l’enseignement de l’AS, en général, et de la PO, en particulier.

372
Nous découvrons que le DL n’est pas seulement présent dans les entretiens d’accès au DL mais aussi dans toutes les
autres données collectées (et notamment dans l’entretien d’après-coup).
373
Le DL est pris ici dans son acception de concept et non de temps méthodologique, d’après le glossaire de l’ouvrage
« Didactique clinique de l’EPS » (Carnus, Terrisse, 2013, p 142).

347
1.2.1.1. DLS de Philibert
Tableau 67 : Déjà-là sensoriel de Philibert

Déjà-là Sensoriel de Philibert


Pas de formation à l’AS : « on n’a pas été formé en dégustation de vin »
DLS expérientiel
Pas de compétence olfactive spécifique : « j’ai quelques difficultés là-dessus »
La PO est difficile à appréhender : « le vin c’est le produit le plus complexe au
monde au niveau des senteurs, de l’olfaction »
DLS conceptuel Le plaisir de l’AS est réservé au cadre privé, à la sphère personnelle : « pas un
bruit, (…) ceux qu’on aime le bon moment ce qu’il faut pour grignoter et la bonne
bouteille de vin (…) et on apprécie le vin, c’est la notion plaisir (…) »
Prendre le rôle du père sur l’apprentissage du « savoir-boire » : « autrefois c’était
le père qui expliquait à l’enfant à boire (…) c’est nous qui devons (…) vous
DLS intentionnel apprendre ça »
Dit ne pas avoir les tous les moyens nécessaires : « c’est un peu du bricolage (…)
on n’a pas forcément les outils »

1.2.1.2. DLS de Nadia


Tableau 68 : Déjà-là sensoriel de Nadia

Déjà-là Sensoriel de Nadia


Possède une certaine expertise dans le domaine de l’AS, grâce à ses
expériences : « j’ai eu l’occasion de proposer le vin, de le servir » et grâce à sa
DLS expérientiel formation : « avec la section sommellerie »
Tire ses compétences olfactives de son enfance : « relations enfantines (…) ce
qui rappelle notre enfance (…) en famille (…) références culturelles »
La PO est difficile à enseigner : « chacun a ses références (…) ça dépend des
élèves »
DLS conceptuel
L’enseignement de la PO est problématique : « Allergiques au vin (…) élève
alcoolisé (…) les parents d’élèves »
Inscrire l’enseignement dans le temps : « découvrir petit à petit, avec le temps »
DLS intentionnel Solliciter les références personnelles : « faire appel à leurs souvenirs d'enfance »
comme « savoir y faire » dans l’épreuve.

348
1.2.1.3. DLS de Christian
Tableau 69 : Déjà-là sensoriel de Christian

Déjà-là Sensoriel de Christian


Formations et expériences ont forgées son expertise : « des expériences riches et
variées »
DLS expérientiel
Un entraînement quotidien : « à force de le travailler on développe un peu plus de
sensibilité »
La PO est problématique : « moi je suis toujours très prudent sur la partie olfactive
du vin »
DLS conceptuel
La PO ne va pas de soi : « travailler vraiment sur la dégustation (…) on travaille
(…) sur la phase olfactive »
Laisser s’exprimer les élèves : « il faut toujours que cela reste du partage (…) je
DLS intentionnel suis toujours très ouvert (…) personne n’a tort »
S’inscrire comme le modèle « mais à la fin celui qui va trancher (…) c’est le prof »

1.2.1.4. DLS de Jérémy


Tableau 70 : Déjà-là sensoriel de Jérémy

Déjà-là Sensoriel de Jérémy


Pas spécialiste de l’AS « j’ai jamais vraiment travaillé dans la sommellerie (…)
DLS expérientiel
mes bases sont très minimes »
La PO est difficile à enseigner : « parce que chaque élève est différent (…) parce
DLS conceptuel
qu’ils n’ont pas (...) la même palette d’arôme que moi ».
Vers une triple compétence, sentir : « je leur ai fait sentir des petits bouchons
d’arômes liés au vin », classer : « placer dans une famille, puis dans une sous-
DLS intentionnel
famille » puis dire : « c’est qu’ils puissent dire alors voilà sur ce vin je ressens tel
arôme »

1.2.2. Quelles sont les traces du DLS dans l’enseignement de la PO ?

Comme le montre la schématisation ci-dessous, le DLS est influent sur la transposition didactique
interne (Chevallard, 1985) qui est du ressort de l’enseignant, et sur ce que nous appelons, en DC, la

349
conversion didactique374. En effet, au temps de l’épreuve, le savoir à enseigner se trouve modelé par
le DLS de l’enseignant pour devenir le savoir enseigné.

1.2.2.1. Le DLS au cœur du DL décisionnel

Figure 92 : Le déjà-là sensoriel au cœur du déjà-là décisionnel

La figure ci-dessus représente le DL décisionnel du sujet enseignant (représenté par le cercle noir).
Le DL décisionnel est composé du DL expérientiel (en orange), du DL conceptuel (en vert) et du DL
intentionnel (en bleu). À l’intersection de ces trois éléments de DL se trouvent tous les DL
spécifiques en fonction de l’objet d’enseignement du professeur.

374
Ce rapprochement entre les deux concepts de « transposition didactique interne » (TDI) et « conversion didactique »
(CD) est encore en débat dans l’équipe de didactique clinique (DC). Certains considèrent que la CD est la traduction en
DC de la TDI alors que d’autres estiment que la CD est un élément de la TDI.

350
Figure 93 : Zoom sur le Déjà-là sensoriel

Grâce à la focalisation sur la zone de recouvrement des trois éléments de DL sur la figure ci-dessus,
nous mettons en relief le DLS. Nous réalisons un prélèvement375 pour extraire et observer le DLS.

Figure 94 : Les strates du Déjà-là sensoriel

375
Les géologues parlent de carotte comme « échantillon de terrain (roche, argile, etc.), en forme de cylindre allongé,
prélevé dans un trou de sondage » (d’après le CNRTL).

351
Le DLS est composé de trois strates. La plus profonde est le DLS expérientiel376, la couche
intermédiaire est le DLS conceptuel377, la partie qui affleure est le DL intentionnel378. Denis Loizon
(2013), lorsqu’il évoque les filtres DL de l’enseignant, situe le DL expérientiel dans le niveau le plus
profond, « de nature souvent inconsciente (…) révélé (…) lorsqu’il reconstruit son histoire en
remontant dans cette chaîne d’influence » (ibidem, p 20). Le niveau du DL conceptuel, qui est
intermédiaire, « va donner naissance au noyau dur des conceptions » (ibidem). Le DL intentionnel
affleure « cette fois plus conscient (…) va se traduire dans le savoir y faire pendant l’épreuve »
(ibidem).

1.2.2.2. Le DLS, une bascule entre sphère privée et sphère publique

À l’instar de « l’oscillation symbolique » définie par Yves Léal (2013) nous pensons que le DLS est
le lieu d’une bascule permanente entre la sphère privée et la sphère publique. L’oscillation
symbolique est un « mouvement de va-et-vient ponctuel et récurrent qui se traduit par la perte de la
position symbolique d’enseignant au profit de la posture privée » (Léal, 2013, p 109). Les sujets
enseignants puisent, inconsciemment dans leur DLS lors de l’enseignement de la PO. Dans
l’épreuve, ils se nourrissent de leur DLS pour mobiliser un savoir insu379.

Quand le DLS de Philibert est teinté de son manque de formation, d’expérience et qu’il considère la
PO complexe et difficile à enseigner, il a recours à un « bricolage » car il considère qu’il n’a « pas
forcément les outils ». Dans l’action de sa séance, lors de l’épreuve, il propose à ses élèves le moyen
qu’il utilise probablement personnellement pour percevoir les arômes : « vous remuez, vous fermez
[il bouche le haut du verre avec sa main] et vous portez directement au nez [il retire sa main lorsque
le verre est sous le nez] ». Ce « bricolage », tel un savoir insu380 (Carnus, à paraître), est la réponse à
ses difficultés qu’il transfère à ses élèves. Ce geste permet : « d’enfermer l’arôme (…) pour ressentir
un arôme plus précisément (…) pour être plus concentré (…) quelque chose où on a du mal à

376
Le DLS expérientiel trouve ses racines, ses fondations parfois très tôt, dans l’enfance pour certain, en formation
initiale, lors des différentes expériences professionnelles… ce qui explique qu’il se trouve schématisé en bas sur la figure.
377
Le DLS conceptuel s’appuie sur le DLS expérientiel, il est construit, en partie, par les différentes expériences du sujet.
378
Le DLS intentionnel se fonde sur les deux autres DLS, se qui explique qu’il se trouve au sommet, adossé sur le DLS
conceptuel et le DLS expérientiel.
379
Ce concept est actuellement en discussion au sein de l’équipe de didactique clinique qui travaille à une « théorie du
savoir ». Les savoirs pourraient être appréhendés comme des savoirs sus (le sujet sait qu’il sait), des savoirs non sus (le
sujet sait qu’il ne sait pas), des savoirs insus (il ne sait pas qu’il sait). Le savoir insu est proche du savoir y faire tel
qu’André Terrisse l’a formalisé (Terrisse, 2013).
380
« Le savoir insu chez le sujet qui ne sait pas qu’il sait. Ce savoir insu chez le sujet est un savoir incorporé,
potentiellement mobilisable et non conscientisé de l’univers des savoirs. Maintes fois repéré dans nos travaux, il apparaît
sous différentes appellations : savoir y faire (Terrisse, 1994 ; Montagne, 2011), savoir intime (Cadiou, 2018), ça voir
(Touboul, 2011 ; Carnus, 2015b) » Actes du Symposium du REF ; Toulouse 2019, à paraître.

352
percevoir (…) toutes les senteurs qui explosent ». Il semblerait que cela soit sa réponse, son
invention pour pallier au problème de perception des arômes du vin qu’il semble partager avec ses
élèves.

Le DLS de Nadia est très imprégné de ses références personnelles d’enfance. Elle dit souhaiter
solliciter, chez ses élèves, leur passé olfactif : « faire appel à leurs souvenirs d'enfance ». Lors de la
séance, en participant à la description olfactive d’un vin blanc, elle fait remonter une de ses
« madeleine de Proust » lorsqu’elle évoque : «: « ça sent la terre mouillée la roche grattée avec un
couteau ». Cette proposition, qui arrive spontanément lors de l’AS du vin, est sa réponse naturelle et
instinctive à la difficulté des élèves de décrire le profil aromatique du vin support de l’activité. Cette
bascule est un exemple de l’oscillation symbolique qu’elle ne peut s’empêcher d’opérer durant sa
leçon. Elle escompte que la mobilisation de son DLS participe de l’apprentissage des élèves.

Le DLS de Christian est empreint d’expériences, de formation et de travaux quotidiens pour assouvir
sa passion de l’AS. Et même s’il est désireux de rester très ouvert, en considérant que « personne n’a
tort », il ne peut s’empêcher de rester le modèle. L’épreuve de Christian est émaillée de la notion de
travail, de difficultés à franchir et parfois même d’une certaine souffrance : « n’est pas toujours
agréable (…) partie un peu contraignante (…) c’est dur ». Christian cherchera souvent à avoir le
dernier mot, il considère que « le prof a toujours raison car c'est le prof », d’ailleurs « on a peu
d’élèves qui viennent contester (…) cela arrive rarement ». L’oscillation symbolique dans sa
pratique est possible grâce à son DLS, il ne peut s’empêcher d’y avoir recours lors de l’enseignement
de la PO. L’oscillation symbolique peut être perçue comme le processus créateur de savoir insu.
L’enseignant y a recours inconsciemment pour mobiliser des ressources (savoirs) qu’il ne pensait pas
avoir.

Jérémy est un enseignant novice, il n’est pas spécialiste de l’AS. Son DLS est coloré par son profil
ainsi que par sa volonté d’enseigner ce qu’il a lui-même appris dans sa formation initiale. Il dit être
attaché à un triple objectif, dans l’enseignement de la PO, qui passe par la perception, le classement
et l’identification des arômes du vin. En situation, durant sa leçon, il a recours à la métaphore de la
commode : « (…) vous avez chacun des tiroirs (il montre sa tête) la tête c’est une commode : il y a la
gestion, les mathématiques et vous avez aussi les arômes, un tout petit tiroir les arômes et tu vas
sentir tout ce que tu connais pas comme arômes quand tu es en cuisine (…) le gingembre par
exemple c’est pas une odeur que pour toi tu sens habituellement et là, le gingembre, tu vas le sentir
et là, à toi d’enregistrer dans ton tiroir de la tête de dire et bien voilà le gingembre j’enregistre et de
toute façon un jour tu vas tourner un vin (il fait le geste) et tu vas dire : ah ça sent le gingembre, tu

353
vois c’est ça le but ». Jérémy est conscient qu’il met en scène sa propre conception de l’apprentissage
de la PO. Son oscillation symbolique est la conséquence (entre autres) de son manque à savoir et le
pousse à avoir recours à son DLS.

1.2.2.3. La bascule du DLS, la patte du sujet enseignant

Chaque enseignant de notre étude convoque de façon incontournable, à un moment ou à un autre, son
DLS dans l’épreuve de sa leçon. Cette bascule entre privé et public, comme une oscillation
symbolique entre la position de sujet supposé savoir, dans la classe, et le recours à des ressources
enfouies dans la sphère privée, est peut-être la réponse que chacun trouve dans la contingence de la
séance pour répondre à l’injonction de l’enseignement. Christian évoque « la patte de l’enseignant »
durant sa leçon. Derrière cette expression nous entrevoyons plusieurs sens. Dans un premier temps, il
peut s’agir de la patte, en référence au tour de main, c’est-à-dire le style de l’enseignant, son savoir
en acte, durant l’épreuve. Dans un deuxième temps, l’homophonie peut être envisagée avec la pâte,
comme la pâte à pain du boulanger ou l’argile du potier que modèle l’enseignant. Dans cette
expression, la pâte devient sa recette, son truc, sa création. La bascule dans le DLS pourrait-être
considérée ainsi comme la patte du sujet enseignant dans l’enseignement de la PO comme un
« savoir y faire » dans la contingence de l’épreuve.

1.3. La PO animée par des ressorts didactiques

Cette partie répond à la deuxième question de recherche. Elle contribue, aussi, à atteindre l’objectif
descriptif et compréhensif de ce travail de recherche. La PO semble animée par des « ressorts
didactiques » qui agissent sur les pratiques enseignantes. Dans quelle(s) mesure(s) ces ressorts
didactiques sont-ils des moteurs ou des freins dans l’enseignement de la PO ?

1.3.1. Les ressorts didactiques

Pour construire ce nouveau concept, nous nous appuyons sur une définition du CNRTL pour
l’adapter à notre problématique381 : « Le ressort didactique est un mobile plus ou moins apparent qui
est la cause, l’impulsion profonde ou agissante d'une action de l’enseignant ». Cette deuxième
définition382 vient compléter la première : « Ce ressort absorbe plusieurs éléments internes et
externes au sujet enseignant pour produire une énergie dans l’enseignement de la PO ». Ce ressort
est, probablement, en lien avec le désir d’enseigner : « Le plaisir d’apprendre renvoie à une pulsion
de savoir, appelée parfois pulsion épistémophilique » (Natanson, 2003, p 12). Nous avons retenu le

381
Les mots en italique sont des ajouts du chercheur dans la définition du CNRTL
382
D’après la définition du mot « ressort » par le dictionnaire Robert 2017

354
terme « ressort » car il implique une dynamique que l’on retrouve aussi dans la pulsion comme
processus dynamique consistant en une poussée383.

Figure 95 : Structure du ressort didactique

Le DLS (comprenant, entre autres, les DL expérientiel, conceptuel et intentionnel) agit comme un
filtre dans ce ressort transpositif ou plutôt « conversif » pour faire référence à la conversion
didactique en DC. Ce ressort peut prendre plusieurs aspects (comprimé, tendu…), ces aspects sont
présentés dans les parties suivantes.

Les ressorts didactiques sont ancrés sur la modélisation du triangle didactique clinique (Carnus,
2013). Les trois rapports à : rapport(s) au savoir(s), rapport à l’épreuve et rapport à l’institution, sont
les sommets du triangle didactique clinique.

Figure 96 : Extrait du triangle didactique clinique selon Carnus (2013)

383
D’après le vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis.

355
Le triangle didactique clinique prend une troisième dimension en devenant une pyramide. Les trois
rapports à deviennent, alors, les fondations de la pyramide didactique clinique. Le sujet pris dans le
didactique se retrouve en équilibre instable au sommet de la pyramide.

Figure 97 : Pyramide didactique clinique

Les ressorts didactiques sont attachés et en relation avec les trois rapports à (au savoir, à l’épreuve et
à l’institution). Ainsi le triangle didactique revisité par Carnus (2013), devient une pyramide en trois
dimensions sous l’impulsion (ou la contraction) des ressorts didactiques.

Figure 98: Les ressorts didactiques cliniques

356
Chaque ressort didactique est lui-même constitué de trois ressorts internes qui se meuvent sous
l’effet des axes en tension. Chaque rapport à (l’institution, à l’épreuve et au savoir) est actionné par
ses trois axes en tension comme des mini ressorts internes.

Figure 99 : Les ressorts internes du rapport à l'institution

Figure 100 : Les ressorts internes du rapport à l'épreuve

357
Figure 101 : Les ressorts internes du rapport au(x) savoir(s)

1.3.2. Frein ou moteur

Ces ressorts peuvent être, pour le sujet enseignant, de véritables moteurs comme des freins en
situation d’enseignement / apprentissage.

Figure 102 : Le ressort est moteur Figure 103 : Le ressort est un frein

Nous reprenons les éléments principaux de chacun des cas de cette thèse, et notamment à partir des
formes synchroniques des vignettes didactiques des enseignants collaborateurs, pour tenter de
visualiser les ressorts didactiques comme frein ou comme moteur dans le cadre de l’enseignement de
la PO.

358
1.3.2.1. Philibert « comme je peux », des ressorts didactiques un peu crispés

Les ressorts didactiques deviennent frein ou moteur selon la dynamique des axes en tension. Voici le
rappel des rapports à de
Philibert :

Figure 104 : Les axes en tension de


Philibert

Les ressorts didactiques de


Philibert, dans son
enseignement de la PO,
pourraient être représentés de la
façon suivante :

Les ressorts didactiques agissent comme un…


Rapport…
Frein Moteur
Philibert assume l’injonction institutionnelle dans une situation peu confortable, ne
À l’institution se reconnaissant plus dans les missions que lui confie son lycée.
Quand bien même il est familier de la PO, Philibert verrouille sa leçon, ne dévolue
À l’épreuve pas et déroule une grande épaisseur ostensive. Il ne semble pas prendre plaisir
dans l’épreuve.
Même si la rencontre avec la PO est ancienne, Philibert se déclare à distance de
Au(x) savoir(s) ce savoir. Il est tiraillé entre le plaisir de la PO (qu’il souhaiterait) et la censure qu’il
s’impose pour maintenir sa position de SSS.
Représentation
schématique des
ressorts
didactiques de
Philibert

359
1.3.2.2. Nadia « souvenirs d’enfance », des ressorts didactiques qui freinent en partie

Les ressorts didactiques deviennent frein ou moteur selon la dynamique des axes en tension. Voici le
rappel des rapports à de Nadia :

Figure 105 : Les axes en tension de


Nadia

Les ressorts didactiques de


Nadia, dans son enseignement
de la PO, pourraient être
représentés de la façon
suivante :

Les ressorts didactiques agissent comme un…


Rapport…
Frein Moteur
Même si Nadia assure sa position d’adulte
dans l’institution, elle est consciente de
À l’institution
s’exposer à des risques avec l’alcool
(accidents, allergies, reproches des parents)
Une certaine frustration apparaît, peut-être
due à un rapport ambivalent à l’alcool et « au
À l’épreuve
cracher » ainsi qu’à l’ambition importante de
son enseignement de la PO
La rencontre avec la PO est enracinée dans l’enfance
Au(x) savoir(s) de Nadia, elle est attirée par cet enseignement dans
lequel elle déploie toute son expertise

Représentation
schématique
des ressorts
didactiques de
Nadia

360
1.3.2.3. Christian « je suis le mentor », des ressorts didactiques plutôt tendus et
fermes

Les ressorts didactiques deviennent frein ou moteur selon la dynamique des axes en tension. Voici le
rappel des rapports à de Christian :

Figure 106 : Les axes en tension de


Christian

Les ressorts didactiques de


Christian, dans son
enseignement de la PO,
pourraient être représentés de la
façon suivante :

Les ressorts didactiques agissent comme un…


Rapport…
Frein Moteur
Christian se sent consacré par l’institution. Il rayonne en position
À l’institution
confortable avec une reconnaissance incontestable
Christian a une position magistrale, il est au centre de la classe. Sa
À l’épreuve leçon renvoie à des notions de travail et d’efforts nécessaires, ce qu’il
assume
Christian est un enseignant chevronné, ce qui lui permet de siéger
Au(x) savoir(s)
sur une position de modèle incontesté

Représentation
schématique des
ressorts
didactiques de
Christian

361
1.3.2.4. Jérémy « transmettre les connaissances que j’ai pu avoir moi », des ressorts
didactiques dynamiques mais encore sur la retenue

Les ressorts didactiques deviennent frein ou moteur selon la dynamique des axes en tension. Voici le
rappel des rapports à de
Jérémy :

Figure 107 : Les axes en tension de


Jérémy

Les ressorts didactiques de


Jérémy, dans son enseignement
de la PO, pourraient être
représentés de la façon
suivante :

Les ressorts didactiques agissent comme un…


Rapport…
Frein Moteur
Malgré sa situation parfois en dehors de la
zone de confort, Jérémy assume les
À l’institution
contraintes de l’institution avec application,
il y gagne d’ailleurs de la reconnaissance
Si Jérémy produit un enseignement
dynamique et varié, il semble subir,
À l’épreuve
quelquefois, la contingence de la leçon
dans sa position de novice.
Même s’il est attiré par l’enseignement de la
Au(x) savoir(s) PO, Jérémy est relativement à distance de
ce savoir qui est assez nouveau pour lui

Représentation
schématique des
ressorts
didactiques de
Jérémy

362
1.4. Formation des enseignants à l’enseignement de la PO

Cette partie répond à la troisième question de recherche. Elle contribue à l’objectif praxéologique de
ce travail de recherche, elle est stratégique et prospective. La didactique clinique propose des outils
heuristiques pour la formation des enseignants. Comment les concepts, les méthodes et les résultats
de cette recherche peuvent-ils être mobilisés dans la formation des enseignants à l’enseignement de
la PO ? Dans ce chapitre nous nous nourrissons de cette recherche pour proposer des perspectives de
mises en œuvre des résultats dans le cadre de la formation des enseignants du domaine de
l’hôtellerie-restauration. Les parties suivantes sont des propositions, du chercheur, pour optimiser
l’enseignement de la PO. Elles passent par le repérage et l’exploitation du déjà-là sensoriel dans un
premier temps, puis par la dynamisation des ressorts didactiques dans un deuxième temps pour finir
avec les pistes pour enseigner ce savoir impossible à institutionnaliser pour finir.

1.4.1. Rechercher, découvrir et exploiter son déjà-là sensoriel

Les outils conceptuels et méthodologique de la DC ont une grande portée heuristique. Nous
proposons de les adapter à la formation des enseignants. La recherche et l’exploitation du DLS peut
s’organiser à deux niveaux, lors de la formation initiale des enseignants durant leur formation
alternée en deuxième année et lors de la formation continue sur le thème de la PO.

1.4.1.1. Intégrer des entretiens d’accès au DLS en formation initiale

Comme nous le recommandions dans une étude précédente (Carnus, Alvarez, 2019), l’approche du
DLS pourrait se dérouler lors d’un entretien ante dans la formation initiale des enseignants du
domaine. En effet, les étudiants en deuxième année du master MEEF, ayant réussi les épreuves du
concours de l’Éducation nationale, suivent une formation alternée dans une ESPE et un lycée. Ils
sont étudiants à l’université et professeurs stagiaires à mi-temps dans un lycée professionnel ou
technique. Le « suivi de la pratique professionnelle » est une des unités d’enseignement (UE) du
premier et du second semestre de l’année de master 2. Concernant cette UE, le formateur en ESPE
organise deux visites dans la classe du professeur stagiaire. Ces visites formatives se composent
d’une observation d’une action de formation, suivie d’une auto-analyse (du professeur stagiaire) et
d’une analyse des pratiques (du formateur ESPE). Il n’existe pas, à notre connaissance, de phase
préliminaire à la visite du formateur de l’ESPE en dehors de la programmation et de la prise de
rendez-vous. Nous proposons ainsi d’ajouter un entretien de déjà-là pour éclairer, a priori, la leçon
du professeur stagiaire dans sa classe lors de la visite.

363
De manière analogue aux entretiens que nous menons en recherche en DC, cet entretien de déjà-là est
composé de plusieurs éléments. Le déjà-là expérientiel permet de resituer le professeur stagiaire dans
ses expériences d’enseignement, dans ses expériences professionnelles en hôtellerie-restauration
ainsi que dans ses expériences concernant l’objet d’enseignement qui concerne la visite programmée.
Le déjà-là conceptuel permet d’évoquer sa conception du métier d’enseignant en général, sa
conception de l’enseignement technique et professionnel en hôtellerie-restauration et sa conception
de l’enseignement de l’objet précis. Enfin, le déjà-là intentionnel permet d’appréhender son intention
d’enseignement en général et son intention d’enseignement de l’objet concerné par la visite en
particulier. Cet entretien mettra en relief des éléments de compréhension du DLS traditionnellement
non visibles (ou non lisibles) directement dans la classe lors de l’épreuve de l’action de formation du
professeur stagiaire et permettra de repérer, avec lui, les inéluctables tensions au cœur de son rapport
au(x) savoir(s), à l’épreuve et à l’institution.

Ces éléments préalables à la leçon pourront être ensuite rapprochés, voire confrontés aux éléments de
l’observation pour mettre en relation les effets attendus (évoqués lors de l’entretien de déjà-là) et les
effets observés (repérés lors de la leçon). Cette intégration d’un premier temps préalable à la leçon
est de nature à éviter une évaluation de l’épreuve du professeur stagiaire « en creux » (c’est-à-dire en
insistant sur ce qui manque ou qui n’est pas maîtrisé dans sa leçon) et permettra de repérer,
d’analyser et de comprendre l’influence des tensions au cœur du déjà-là décisionnel de chaque sujet
afin de travailler de manière plus individualisée sur les perspectives, les remédiations et les pistes de
progression. Ce dispositif est de nature à favoriser un travail réflexif du professeur stagiaire en
préparant à la « rencontre avec soi-même » (Heuser, 2014).

1.4.1.2. Intégrer des entretiens d’après-coup en formation continue

Il est possible d’imaginer une formation continue sur le thème de l’enseignement de l’AS (thème
plus large intégrant la PO). La démarche initiée par cette action de formation continue thématique
pourrait viser malgré tout une plus grande ambition. En effet, les éléments méthodologiques et
conceptuels mobilisés et développés apparaissent, avec quelques adaptations, transférables à un
ensemble plus grand de thématiques du domaine de l’hôtellerie-restauration.

L’enseignant en formation continue sera amené à prendre du recul sur sa propre action de formation.
Il s’agira de l’amener à accéder lui-même à son DLS, à produire une séance de cours devant les
élèves avec son habitus professionnel puis à reconstruire les pistes de causalité des écarts entre son
intentionnel (le déclaratif) et le réel (le constaté) pour prendre conscience de l’influence de son DLS
sur ses pratiques. Ainsi nous proposons d’articuler la formation en trois temps.

364
a) Accéder au DLS

Nous imaginons un moyen d’accéder au DLS sans avoir recours à un entretien ante384 et à sa
transcription. Nous invitons l’enseignant en formation à accéder, en autonomie avant la séance de
formation, à son DLS ainsi qu’à un auto-positionnement sur les axes en tension des trois rapports à.
À l’aide d’un questionnaire385 précis qui reprend les différents éléments du DLS, nous lui demandons
de préciser, par écrit, les volets expérientiels, conceptuels et intentionnels du DLS. Ce questionnaire
écrit aura l’avantage de constituer directement la trace qui permettra le rapprochement avec la phase
suivante : l’épreuve. Cette phase de questionnaire devrait se dérouler très en amont de la séance de
formation continue, probablement dès l’inscription, en guise de travail préparatoire.

b) Conduire l’épreuve de la contingence

Toujours avant la séance de formation, l’enseignant pourrait donner à voir sa séance de cours.
Comme nous l’avons conduit pour cette thèse, nous pourrions demander aux enseignants de se filmer
dans le cadre de leur habitus professionnel avec un dispositif vidéo et audio plutôt léger et peu
intrusif386. Cette phase de filmage aura lieu à la convenance du sujet, le plus tôt possible en amont de
la formation continue. La vidéo ne sera pas transcrite en verbatim387. Nous recommanderons le
filmage d’une séance plutôt courte (environ une heure) pour faciliter la mise en œuvre et la gestion
du temps durant la formation continue en présentiel durant laquelle les vidéos seront diffusées.

c) Reconstruire les éléments de causalité après-coup

C’est ensuite durant la formation, en présentiel, que nous prévoyons de travailler sur la recherche
d’éléments de causalité après-coup. Les enseignants seront ainsi amenés à découvrir388 les influences
intrinsèques probablement influentes sur leurs logiques décisionnelles en acte durant l’épreuve de la
leçon. Les enseignants seront répartis en binômes en évitant d’associer des personnes qui se
connaissent. Cette contrainte est importante pour limiter les jugements et les préjugés. Lors d’un
travail individuel, chaque enseignant lira les réponses du questionnaire d’accès au DLS de son
binôme puis regardera la vidéo de sa séance avec une grille de lecture lui permettant de repérer les

384
Le recours à un questionnaire permet de mettre en place une logistique plus légère qui permettra de réaliser le même
protocole avec l’ensemble des enseignants formés.
385
Ce questionnaire sera composé exclusivement de questions ouvertes. Il sera assez proche du guide d’entretien semi-
directif utilisé dans cette recherche et présent en annexe papier n°12.
386
Consultez à ce sujet le chapitre méthodologique.
387
Pour des raisons évidentes de temps (pour les formés et pour les formateurs).
388
Cette activité pourrait être menée de façon individuelle et de façon collective en fonction des moments.

365
écarts entre l’intentionnel (déclaré dans le questionnaire) et le réel (constaté lors du visionnage de la
vidéo). C’est ensuite lors d’un entretien389 d’après-coup390, que chaque personne pourra amener391
son binôme à évoquer les éléments repérés (les écarts). L’objectif de cette phase de la formation
devra être clairement affiché, il ne s’agit pas d’être dans le jugement mais d’amener les enseignants à
prendre conscience de l’influence de leur DLS sur leur pratique en classe et de mettre en lumière, en
relief les tensions présentes.

Le rôle du formateur consistera à guider les différentes phases en précisant les consignes
intermédiaires. Puis il conduira la phase de prise de conscience de l’influence du DLS sur la leçon.
La deuxième journée de la formation continue s’orientera sur les moyens à actionner pour dynamiser
les ressorts didactiques. Nous présentons cela dans la partie suivante.

1.4.2. Dynamiser les ressorts didactiques

Les ressorts didactiques sont des systèmes complexes, comme nous avons tenté de le montrer dans le
chapitre précédant. Ils agissent comme des moteurs ou comme des freins dans le cadre de
l’enseignement de la PO. Sans vouloir les réduire ou en diminuer le potentiel heuristique, nous nous
penchons spécifiquement sur trois éléments qui nous semblent majeurs392 dans ce qui se joue dans la
classe : le discours, la place physique et les outils ostensifs de l’enseignant. Nous suggérons des
pistes pour dynamiser les ressorts didactiques durant l’épreuve de la leçon en actionnant ces
éléments. Ces pistes stratégiques sont de nature à s’inscrire soit dans la formation initiale soit dans la
formation continue des enseignants.

1.4.2.1. Le discours de l’enseignant de la PO

Nous avons présenté, dans les chapitres précédents, que le discours de l’enseignant pouvait
s’observer, entre autres, sous trois perspectives différentes : le débit, la densité et la technicité. Nous
reprenons ces approches pour les assortir de conseils et de remarques concernant l’enseignement de
la PO.

389
À la conduite duquel chaque participant aura été formé.
390
Il peut être intéressant d’enregistrer cet entretien (avec un smartphone par exemple) pour permettre à l’enseignant
interviewé d’écouter ses réponses pour travailler sur la prise de conscience.
391
Le questionnement de l’entretien d’après-coup sera guidé, chaque question de l’interviewer devra commencer par
« Pouvez-vous me parler [raconter, évoquer, narrer…] du [le] moment de la leçon où [moment où l’écart avec
l’intentionnel a été repéré] ? ».
392
Ces trois éléments sont directement issus de l’analyse des cas de cette recherche, dans laquelle ils apparaissent comme
des régularités de l’enseignement de la PO.

366
a) Choisir un débit adapté

Rist (1999) évoque les différents débits en fonction du type de discours. Il est ainsi possible de
construire une échelle des débits :

Tableau 71 : échelle des débits des discours d'après Rist (1999)

Type de discours Pédagogique Expert Classique


Débit en nombre de mots
Entre 120 et 140393 175 200
par minute
Cet indice (rapport entre le nombre de mots et le temps) renseigne à la fois sur la rapidité de la parole
de l’enseignant (il parle plus ou moins vite), sur le nombre de mots prononcés (il est plus ou moins
prolixe) mais doit aussi être rapproché des interactions avec les élèves et de leurs prises de parole (en
nombre et en durée).

Le débit conseillé pour enseigner la PO devrait se stabiliser entre 120 et 140 mots par minute, en
fonction des élèves, comme l’indique le tableau ci-dessus dans un cadre pédagogique. Ce débit du
discours pédagogique, pourrait ainsi permettre à tous les élèves d’optimiser leur apprentissage. Pour
s’approcher de ce débit, l’enseignant devrait viser à être éloquent, prolixe mais ni bavard, ni verbeux.

Préconisations praxéologiques394

Comment tenir un discours avec un débit autour de 130395 mots / minute ?

 Soigner ses mots, ses expressions, ses constructions de phrase (parfaire son discours va
naturellement en diminuer le rythme).
 Laisser des silences et des respirations pour donner du relief aux paroles.
 Solliciter un feedback verbal des élèves (ne pas rechercher seulement les hochements de tête).
 Favoriser la participation active des élèves, les faire reformuler pour vérifier la
compréhension (en attendant en réponse des phrases construites et pas seulement des mots
isolés).
 S’entraîner à parler avec un débit pédagogique.

393
En fonction des publics scolaires.
394
Le paragraphe 1.4 intitulé « Formation des enseignants à l’enseignement de la PO » est la partie stratégique,
prospective et praxéologique (Van Der Maren, 1996) de cette recherche. Le chercheur, nourrit par l’étude et la
construction des quatre cas dans le cadre théorique fixé dans cette recherche, réinvestit ici sa posture de formateur. Ces
parties « Préconisations praxéologiques » concernent les recommandations du formateur dans le cadre de l’enseignement
de la PO spécifiquement et de l’enseignement en général. Ces conseils et préconisations proposent des pistes de réponses
aux questions posées. Ils émaillent chaque thème de cette partie 1.4.
395
130 est le débit entre 120 et 140 pour exemple.

367
Pour s’entraîner396 à parler avec un débit pédagogique de 130 mots/minute, le texte ci-dessous,
comportant 21 mots, devrait être prononcé en 10 secondes397 :

Le premier nez consiste à flairer lentement l’atmosphère qui se trouve tout juste au-dessus du
verre de vin rempli au tiers.

Les apports de la didactique clinique398 : le débit du discours est parfois aussi un indicateur du
profil de l’enseignant à son insu. Les deux enseignants expérimentés ont tendance à choisir un débit
adapté (exemple de Philibert). Les deux enseignants experts ont tendance à tenir un débit assez
(trop ?) soutenu (exemple de Christian).

Le débit pédagogique est un élément important du discours de la PO mais la gestion de la densité du


discours est nécessaire et complémentaire.

b) Régler la densité

La densité du discours de l’enseignant est le rapport entre le nombre d’unités terminologiques de la


PO par rapport aux termes totaux du discours de la PO. La densité du discours de nos quatre
enseignants collaborateurs se trouve dans une fourchette plutôt réduite (entre 6 % et 11 %) avec une
moyenne proche de 10 %. Cette densité correspond à un mot concernant la PO dans une phrase de
dix mots du discours. La densité de la phrase suivante est d’ailleurs de 10 %399 :

Le premier nez consiste à flairer lentement l’atmosphère qui se trouve tout juste au-dessus du
verre de vin rempli au tiers pour percevoir les premiers éléments à analyser.

A la lumière des observations et analyses de cette recherche, cette densité de 10 % paraît adaptée
pour permettre un étayage favorisant la compréhension et l’apprentissage des élèves.

Préconisations praxéologiques

Comment tenir un discours avec une densité proche de 10 % ?

 Respecter la répartition d’une unité terminologique par phrase courte.

396
Le lecteur pourra tester son débit en lisant et enregistrant cette phrase sur son smartphone pour ensuite vérifier si le
temps de l’enregistrement est bien de 10 secondes pour la phrase complète.
397
130 mots / 60 seconde = 2,16 soit environ 2 mots par seconde.
398
Ces conseils sont en lien direct avec les analyses, en didactique clinique, des constructions de cas de ce travail de
recherche. Ils trouvent leur fondement au carrefour de la didactique (où le savoir est le principal organisateur de la
pratique enseignante) et de la clinique psychanalytique du sujet (avec hypothèse freudienne de l’inconscient).
399
3 unités terminologiques en gras, sur 28 termes de la phrase

368
 Étayer son discours pour faciliter la compréhension.
 Reformuler les phrases contenant de nouvelles unités terminologiques.
 Renforcer son discours par l’usage de synonymes.
 Illustrer son propos avec des exemples.
 Entourer les unités terminologiques spécifiques d’explications.

Les apports de la didactique clinique : la densité du discours est un moyen pour l’enseignant
d’habiter sa position de sujet supposé savoir. Un enseignant non-spécialiste peut veiller à densifier
son discours par une préparation de leçon solide pour maintenir sa position de SSS (exemple de
Jérémy). Ceci sera bien sûr à confronter à d’autres cas.

La densité du discours est aussi influencée par l’usage d’unités terminologiques exclusives.

c) Ajuster la technicité

Les unités terminologiques exclusives sont les termes typiques et spécifiques de la PO, ils participent
de la technicité du discours. L’usage de ces termes techniques varie, chez nos enseignants
collaborateurs de 0 % à 7 %, ce qui est une fourchette assez large. Notre étude montre que la
technicité du discours est en rapport étroit avec l’expertise de l’enseignant. Cependant la technicité
du discours devrait être rapportée au niveau et à la classe des élèves.

Tableau 72 : Niveau de technicité du discours et niveaux des élèves

Enseignant Philibert Nadia Christian Jérémy


% de technicité 0% 6,5 % 5,6 % 7%
Première année
Classe des élèves Terminale bac pro Seconde bac pro MC sommellerie
BTS
Niveau des élèves Avancé Débutant Expert Avancé
Rapport technicité et
Décalé Accord Décalé Accord
niveau des élèves

Préconisations praxéologiques

Comment tenir un discours avec une technicité adaptée400 au niveau des élèves ?

400
Les pourcentages proposés dans cette partie sont directement issus de la construction des cas de notre recherche. Il
n’existe pas d’autres références dans la littérature actuelle à notre connaissance.

369
 Pas de technicité (0 %) pour les élèves débutants qui suivent une initiation ou la première
séance sur le thème :
o classes de secondes (CAP, baccalauréat professionnel et bac technologique).
 Technicité modérée (proche de 5 %) pour les élèves évolués ayant déjà suivis une initiation :
o classes de première et terminale (CAP, baccalauréat et BTS).
 Technicité soutenue (proche de 10 %) pour les élèves visant le niveau expert :
o classes de mention complémentaire et BP sommellerie.

Les apports de la didactique clinique : la technicité du discours est aussi un indicateur de la façon
d’habiter la position de SSS. Jérémy, par exemple, veut devenir un enseignant ayant une certaine
expertise. Il mobilise un discours plutôt technique. Le niveau (haut ou bas) de technicité du discours
est parfois le signe d’un impossible à supporter. C’est le cas de Christian, qui ne veut pas cautionner
certains termes techniques de la PO (niveau bas) car il ne peut s’empêcher de favoriser les sensations
gustatives. Il indique qu’il ne souhaite pas enseigner des termes techniques tels que « caudalie » par
exemple pour ne pas privilégier la PO au détriment des sensations en bouche.

d) En résumé…

Comment optimiser le discours dans l’enseignement de la PO ?

 Discours d’un débit autour de 130 mots par minute :


o stabiliser le rythme, faire participer les élèves.
 Discours d’une densité proche de 10 % :
o étayer le discours, 1 mot sur 10 est spécifique.
 Discours d’une technicité adaptée au niveau des élèves :
o pas de technicité pour les élèves débutants à une technicité soutenue pour les élèves
plus experts.

1.4.2.2. La place de l’enseignant de la PO

Grâce à la réalisation des locogrammes, nous avons analysé les déplacements des enseignants ainsi
que leur proxémie dans plusieurs dispositions de classes différentes. Nous sommes persuadés que ces
éléments ont une influence sur les ressorts didactiques. Nous présentons ci-dessous des
préconisations pour optimiser l’enseignement de la PO.

370
a) Aménager la disposition des élèves en classe

Durant la séance de la PO, les enseignants vont dérouler les différents moments didactiques (définir,
dévoluer, réguler, institutionnaliser). Les dispositions des élèves dans la classe sont plus ou moins
adaptées à chacun de ces moments de l’enseignement.

Tableau 73 : Les dispositions les plus adaptées aux moments didactiques

Type de disposition
Moments didactiques
En rangée En îlots En U
Définir + - +
Dévoluer -- ++ -
Réguler -- ++ +
Institutionnaliser - -- ++
Légende du tableau : -- pas du tout adapté, - peu adapté, + adapté, ++ très adapté

Comme le réalise Jérémy durant la séance qu’il nous a donné à voir, il est judicieux de faire varier
les dispositions401 des élèves dans la classe en fonction des moments didactiques.

Préconisations praxéologiques

Comment disposer les élèves dans la classe durant la séance de la PO402 ?

 La disposition en rangée ou en U est adaptée au moment « définir ». C’est durant cette partie
que l’enseignant fixe les bases de la séance et donne les consignes des activités, il y a peu
d’interactions durant ces phases.
 La disposition en îlots est adaptée aux moments « dévoluer » et « réguler ». C’est durant cette
partie que les élèves sont en activités de découverte, il y a beaucoup d’interactions entre
élèves et entre élèves et enseignant durant ces phases.
 La disposition en U est adaptée au moment « institutionnaliser ». C’est le moment ou
l’enseignant stabilise le savoir avec les élèves, il y a beaucoup d’interactions entre
l’enseignant et les élèves.

Les apports de la didactique clinique : les dispositions de classe choisies par l’enseignant sont
parfois en lien avec sa façon d’habiter sa position de SSS. Les rangées peuvent sembler plus facile en

401
Chaque fois que cela est possible au niveau du matériel et du mobilier. Il est possible, dans le secondaire, de faire
participer les élèves dans cette mise en place.
402
Il est à noter que ces remarques pourraient être applicables à d’autres séances et à d’autres objets d’enseignement.

371
conduite de classe que les îlots. Par exemple, Philibert conserve le savoir de son côté face à une
disposition en rangée. Christian « trône » au centre de ses élèves disposés en U car il se pose en
modèle. Les dispositions de classe sont en relation étroite avec le déjà-là proxémique (Carminatti,
2019).

b) Diriger les déplacements de l’enseignant dans la classe

Nous avons constaté que les déplacements de l’enseignant étaient en relation étroite avec sa position
symbolique dans la classe (façon avec laquelle il habite la posture de sujet supposé savoir), avec son
expérience, avec son expertise et avec son désir d’enseigner. Nous recommandons, aussi, d’adapter
les déplacements avec les moments didactiques et les dispositions des élèves.

Tableau 74 : Types de déplacements de l'enseignant en fonction du moment didactique

Type de déplacements
Moments didactiques
Fréquence Amplitude Justifications
L’enseignant est visible et audible de tous les
Définir Pas ou peu Courte
élèves.
L’enseignant se met en retrait pour laisser les
Dévoluer Peu Grande
élèves en activité.
L’enseignant surveille et intervient seulement
Réguler Beaucoup Grande
si nécessaire
L’enseignant est visible et audible de tous les
Institutionnaliser Peu Moyenne
élèves
En fonction de la disposition des élèves dans la classe, l’enseignant peut vouloir être visible de tous
les élèves et il peut vouloir vérifier les activités de tous les élèves.

Tableau 75 : Types de déplacements de l'enseignant en fonction de la disposition des élèves

Type de déplacements
Dispositions des élèves
Fréquence Amplitude Justifications
L’enseignant passe dans les rangées et
En rangées Pas ou peu Moyenne
devant la première rangée
L’enseignant passe alternativement dans
En îlots Beaucoup Grande
chaque îlot
En U Pas ou peu Moyenne L’enseignant se déplace à l’intérieur du U

Préconisations praxéologiques

Pourquoi l’enseignant peut-il se déplacer durant la séance de la PO ?

372
 Pour être vu de tous les élèves.
 Pour voir tous les élèves.
 Pour être entendu de tous les élèves.
 Pour entendre tous les élèves.
 Pour vérifier les activités de tous les élèves.
 Pour interagir avec les élèves.

Les apports de la didactique clinique : les déplacements de l’enseignant sont souvent en lien avec
sa façon d’habiter sa position de SSS. Philibert et Christian se déplacent peu, ils renvoient, à leur
insu, une image de maîtrise. Nadia et Jérémy sont peu expérimentés, ils « quadrillent » la classe
comme pour occuper403 le terrain et assoir leur position (Carminatti, 2019).

c) Ajuster les distances sociales enseignant/élèves

Nous remarquons que la proxémie est aussi corrélée avec la disposition des élèves et avec les
moments didactiques. C’est pour s’adresser404 à un ou des élèves que l’enseignant va déterminer la
distance sociale de sa communication. Nous reprenons nos recommandations précédentes :

Tableau 76 : Proxémies en fonction des dispositions des élèves dans la classe

Moments didactiques et
Proxémie Justifications
dispositions des élèves
Définir en rangées Publique L’enseignant s’adresse à la classe entière
Sociale ou
Dévoluer en îlots L’enseignant s’adresse à un groupe ou à un individu
personnelle
Sociale ou
Réguler en îlots L’enseignant s’adresse à un groupe ou à un individu
personnelle
Publique et
Institutionnaliser en U L’enseignant s’adresse à la classe ou à un individu
personnelle

Préconisations praxéologiques

À quelle distance sociale l’enseignant peut-il se trouver durant la séance de la PO ?

 À distance publique s’il s’adresse à la classe.


 À distance sociale s’il s’adresse à un groupe d’élèves.

403
Les termes font, ici, référence métaphoriquement à une stratégie militaire.
404
Aller, se tourner vers quelqu'un, pour lui parler et obtenir quelque chose d’après le CNRTL.

373
 À distance personnelle s’il s’adresse à un élève.

Les apports de la didactique clinique : les distances sociales pratiquées, à leur insu, par les
enseignants sont très fortement influencées par ce que Nathalie Carminatti (2019) nomme « le déjà-là
proxémique », comme « éclairage du positionnement subjectif du sujet » dans son espace didactique
(Carminatti, 2019, p 18).

d) En résumé…

Voici les recommandations pour les déplacements et les distances sociales de l’enseignant en
fonction des dispositions de classe, des moments didactiques et des façons avec lesquelles
l’enseignant s’adresse à son (ou ses) interlocuteur(s).

Tableau 77 : Disposition en rangée

Cette disposition est recommandée pour les moments « définir ». L’enseignant va présenter les bases
de la PO, il va utiliser des outils d’ostension (tableau, vidéo projection…). Les élèves écoutent,
participent peu ou pas et doivent voir l’enseignant et les outils d’ostension.

374
Tableau 78 : Disposition en U

Cette disposition est recommandée pour les moments « institutionnaliser ». Elle est particulièrement
adaptée pour la situation didactique de référence : l’AS d’un vin. C’est la disposition à privilégier
pour que l’enseignant soit visible et audible des élèves (gestuelle et démonstration) tout comme les
élèves (vérification de la mise en œuvre de l’AS de façon conforme).

375
Tableau 79 : Disposition en îlots

Cette disposition est recommandée pour les moments « dévoluer » et « réguler ». Les élèves sont en
activité en autonomie sous contrôle. L’enseignant peut réguler si nécessaire, soit en intervenant sur
un élève (distance personnelle) soit en intervenant sur le groupe (distance sociale).

1.4.2.3. Les outils ostensifs de l’enseignant

Durant sa séance l’enseignant choisi et conduit l’épaisseur ostensive de sa leçon : c’est la façon avec
laquelle il souhaite montrer le savoir à ses élèves.

a) Choisir l’épaisseur ostensive

Durant la séance de PO, il convient de sélectionner l’épaisseur ostensive adaptée à l’objectif


pédagogique visé : pas d’ostension (dévolution totale), ostension déguisée (dévolution guidée),
ostension directe ou assumée. Je postule que la dévolution intégrale (autonomie complète des élèves)
est risquée avec la situation didactique de référence, il est, en effet, dangereux de laisser les élèves en
autonomie en présence d’un produit alcoolisé. La situation vécue par Nadia est représentative de ce
qui peut se passer, bien qu’il ne s’agissait pas d’une dévolution intégrale. L’ostension déguisée est à
mettre en œuvre dans le cadre d’activité de découverte durant lesquelles les élèves sont guidés dans
le milieu didactique organisé par l’enseignant. C’est ce que déroule Jérémy lorsqu’il propose à ses
élèves de réaliser plusieurs activités dans les trois ateliers tournants qu’il a organisé. L’ostension

376
directe est assumée par l’enseignant lors des moments didactiques où il définit et où il
institutionnalise.

Préconisations praxéologiques

Quelle épaisseur ostensive l’enseignant peut-il choisir ?

 Pas de dévolution intégrale avec le vin.


 Ostension déguisée pour les découvertes en ateliers.
 Ostension directe ou assumée pour les phases définir ou et institutionnaliser.

Les apports de la didactique clinique : l’épaisseur ostensive choisie par l’enseignant est un
indicateur de son rapport au savoir (comme Nadia qui ne peut s’empêcher de confier la dévolution de
l’AS des vins pour que ses élèves en découvrent toute la complexité) et aussi un indicateur de la
position de SSS à l’insu de l’enseignant (comme Philibert qui ne peut s’empêcher de dérouler une
ostension directe pour contrôler toute la leçon).

b) Réaliser une ostension directe

Concernant l’enseignement de la PO, il paraît logique de parler de savoir incorporé, dans le double
sens d’absorber et aussi de faire corps, de revêtir une forme corporelle. La gestuelle trouve donc une
place inévitable dans cet enseignement. Comme indiqué dans le chapitre 1, l’incorporation (des
odeurs et du vin) lors de la PO, implique la réalisation des quatre phases suivantes : perception,
identification, mémorisation et verbalisation. L’approche méthodologique de la PO, quant à elle,
comporte un ensemble de gestes qui passent, dans l’enseignement, par une démonstration de
l’enseignant suivie d’une réalisation des élèves. Comme nous l’avons détaillé dans le chapitre 1, la
méthodologie de la PO se manifeste par plusieurs gestes à réaliser, nous les présentons dans le
tableau ci-dessous :

377
Tableau 80 : Gestes à réaliser durant l'enseignement de la PO

Méthodologie de la PO Gestes à réaliser405


Réaliser une respiration volontaire et attentive de 2 à 3 inspirations, pas trop
profondes, de 2 à 4 secondes chacune. Réaliser plusieurs séries de flairage
Flairer
espacées de temps de repos de quelques secondes pour éviter les phénomènes
d’adaptation406 et d’habituation.
Flairer lentement l’atmosphère qui se trouve juste au-dessus du verre de vin
Réaliser le premier nez
rempli au tiers, verre immobile
Flairer l’atmosphère au-dessus du verre consécutivement à une agitation
Réaliser le second nez
circulaire du vin dans le verre
Boucher le haut du verre avec la main et réaliser une agitation vive et saccadée
Rechercher un défaut
avant de sentir l’atmosphère au-dessus du verre
Réaliser le troisième nez Réaliser à nouveau la technique du premier nez un quart d’heure après
Réaliser le quatrième nez Flairer les odeurs attachées au verre vidé du vin
Réaliser 2 ou 3 légères aspirations lèvres resserrées et joues creusées en ayant
Grumer 2 à 3 cl de vin sur la langue pour chasser les vapeurs odorantes dans le fond de
la gorge
Évaluer la persistance Compter le nombre de caudalies (une seconde de persistance des arômes en
aromatique intense (PAI) bouche) dès que la bouche est vidée du vin
L’enseignant est amené à réaliser différents types de gestes dont les objectifs sont différents. Ces
gestes sont, parfois, en interaction directe avec les élèves. Nous reprenons407 le classement et la
présentation de la gestuelle de l’enseignant de Michel Robert (Robert, Carnus, 2013) pour l’adapter à
l’enseignement de la PO.

405
Ces gestes sont présentés en détail dans le chapitre 1.
406
L’adaptation provoque une réduction de la sensibilité de la perception olfactive (pour plus de détails consultez le
chapitre 1).
407
Ce classement est présenté dans le chapitre 2.

378
Tableau 81 : Types de gestes lors de l'enseignement de la PO, d'après Robert, Carnus (2013)

Objectifs de
Gestes… Exemples dans l’enseignement de la PO Interaction
l’enseignant
L’enseignant montre aux élèves comment
de Montrer le geste à Enseignant
impulser un mouvement circulaire au vin dans le
démonstration réaliser seul
verre et réaliser ensuite le second nez
Montrer l’erreur de L’enseignant reproduit l’erreur de l’élève, par
Enseignant
de reproduction l’élève à ne pas exemple lorsqu’il n’entrouvre pas ses lèvres lors
seul
commettre du grumage
L’enseignant désigne la partie resserrée du
Enseignant
de désignation Montrer une information buvant408 du verre à dégustation endroit où se
seul
condensent les arômes lors de la PO
L’enseignant compte avec ses doigts le nombre
Enseignant
d’indication Donner une information de caudalies lors de la réalisation de la phase de
seul
la PAI (persistance aromatique intense)
Représenter
L’enseignant réalise le mouvement circulaire Enseignant
d’évocation symboliquement une
avec sa main vide pour figurer le second nez seul
partie du geste
En
Faire une partie du
L’enseignant met le verre sous le nez de l’élève interaction
de substitution geste à la place de
pour qu’il perçoive les odeurs du premier nez enseignant
l’élève
et élève
En
Intervenir auprès de
L’enseignant manipule la main de l’élève pour lui interaction
de manipulation l’élève lors de la
faire faire le mouvement circulaire du second nez enseignant
réalisation du geste
et élève

Préconisations praxéologiques

Comment réaliser une « monstration409 » dans le cadre de l’enseignement de la PO ?

 En fonction de l’objectif visé :


o montrer le(s) geste(s) à faire et celui (ceux) à ne pas faire,
o désigner, donner, montrer une (des) information(s),
o évoquer symboliquement une partie du (des) geste(s),
o manipuler l’élève ou se substituer à lui pour faire une partie du (des) geste(s).

Les apports de la didactique clinique : la façon avec laquelle l’enseignant montre le savoir par
l’exemple de différents gestes (voir tableau ci-dessus) semble en très forte corrélation avec la façon

408
Le buvant est la partie haute du calice du verre sur lequel le dégustateur va poser ses lèvres.
409
Monstration vient du latin monstrare qui signifie : faire que quelqu’un voit quelque chose. D’après le CNRTL.

379
avec laquelle il a incorporé ce savoir. Le DLS de l’enseignant agit, à son insu, sur ses réflexes de
monstration. Christian, par exemple, ne se déplace pas mais il réalise de nombreux gestes de
monstration, ce qui contraste avec le fait qu’il reste assis. Il est le modèle, ses gestes sont assurés,
précis et nombreux, autant dire naturels.

c) Recourir aux outils matériels

Comme le montrent nos observations de classes, l’enseignement de la PO passe systématiquement


par l’utilisation d’outils. Nous laissons de côté volontairement, dans cette partie, les outils verbaux
(ils sont traités dans la partie consacré au discours de l’enseignant), les outils gestuels (ils sont traités
dans la partie monstration) les outils proxémiques (ils sont traités dans la partie déplacements et
distances sociales) pour nous focaliser sur les outils physiques ou matériels. En nous inspirant du
classement de Reuter et al (2013) nous proposons la classification suivante, dans laquelle les outils
sont regroupés en fonctions du sens qu’ils stimulent majoritairement chez les élèves apprenant.

Tableau 82 : Types d'outils matériels en fonction du sens sollicité prioritairement

Types d’outils matériels Exemples


Vidéo-projection, projection, présentation type diaporama,
Collectifs projetés
image, croquis, schéma, dessin

Collectifs Sur tableau (blanc, noir, interactif)


Visuel
scripturaux Croquis, schéma, dessin, mots, phrase, plan détaillé
Fiche technique d’AS, fiche de consigne, fiche activité, fiche de
Individuels
synthèse, liste de termes descripteurs
Visuel + Auditif Collectifs projetés Vidéo, film, présentation diaporama commentée
Kinesthésique,
Individuels Verre à dégustation, bouteille, étiquette, crachoir
toucher
Fioles « nez du vin », parfums, odeurs sur testeurs de
Olfactif individuels
parfumeurs
Visuel + Olfactif +
Individuel Mélanges à base d’eau, vin, autres boissons
Gustatif
À l’image du choix de l’épaisseur ostensive, nous imaginons une utilisation inversement
proportionnelle au niveau des élèves. En effet les outils matériels mobilisés par l’enseignant en guise
d’étayage peuvent progressivement s’effacer pour se recentrer sur le seul vin dans le cadre de la
pratique didactique de référence. Ainsi Nadia, avec ses élèves débutants, mobilise un large panel
d’outils matériels, alors que Christian et ses élèves experts se recentrent seulement sur l’AS d’un vin.
C’est pourquoi nous proposons le schéma suivant qui indique les outils à utiliser en fonction du
niveau des élèves :

380
Tableau 83 : Types d'outils matériels à utiliser en fonction du niveau des élèves

Types d’outils à utiliser410 Élèves débutants411 Élèves avancés412 Élèves experts413


Visuel, olfactif, gustatif individuel X X X
Kinesthésique, toucher X X X
Visuels collectifs scripturaux X X
Visuels individuels X X
Olfactifs X X
Visuels collectifs projetés X
Visuels, auditifs X

Préconisations praxéologiques

Quels outils matériels utiliser dans l’enseignement de la PO ?

 Plus les élèves sont débutants et plus l’enseignant enrichira son cours d’outils matériel.
 Plus les élèves sont débutants et plus les outils matériels solliciteront les différents sens.
 Plus les élèves sont experts et plus l’enseignant se focalisera sur le vin à analyser.

Les apports de la didactique clinique : la quantité et le type d’outils matériels mobilisés par
l’enseignant est révélateur, à son insu, de son rapport au(x) savoir(s) ainsi que sa façon d’habiter sa
position de SSS. Philibert, par exemple, met en œuvre de nombreux outils comme pour maintenir sa
position de sachant alors qu’il se dit non-spécialiste de l’objet d’étude.

d) En résumé…

Comment l’enseignant peut-il montrer le savoir durant l’enseignement de la PO ?

 Choisir l’épaisseur ostensive de son intervention (entre dévolution complète et ostension


directe).
 Réaliser une monstration en fonction de l’objectif visé (montrer, évoquer, reprendre une
partie du geste de l’élève).
 Recourir aux outils matériels adaptés au niveau de ses élèves.

410
D’après la classification du tableau précédent « type d'outils matériels en fonction du sens sollicité prioritairement ».
411
Comme les élèves de seconde bac pro de Nadia.
412
Comme les élèves de terminale bac pro de Philibert et les 1ères année BTS de Jérémy.
413
Comme les élèves de mention complémentaire sommellerie de Christian.

381
1.4.3. Enseigner un savoir impossible à institutionnaliser

D’après le dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques (Reuter et al, 2013),
l’institutionnalisation peut être considérée comme un moment et comme un processus pour légitimer
un savoir officiel. L’institutionnalisation est d’abord le moment de la séance durant lequel le savoir
« officiel » est instauré. Ces contenus d’enseignement (savoir, savoir-faire, savoir-être…) sont rendus
publics, ils sont repérés comme importants, ils doivent être appris par les élèves et deviendront des
objets d’évaluation. Ce moment peut d’ailleurs précéder les apprentissages, notamment dans une
approche magistrale de l’enseignement. Institutionnaliser est aussi le processus par lequel
l’enseignant conduit les élèves à reconnaître les apprentissages réalisés. Dans ce cas, l’enseignant
légitime les savoirs acquis consécutivement à la phase de découverte des élèves. Ce processus
d’institutionnalisation peut ainsi être considéré comme « le processus réciproque de celui de la
dévolution » (Reuter, 2013, p120).

Dans cette partie nous considérons que la PO est un savoir impossible à institutionnaliser. C’est
d’abord un savoir difficile à officialiser pour l’enseignant : il est difficile de le rendre officiel
compte-tenu de la variabilité inter et intrapersonnelle, il est difficile de partager des références
intimes et il est difficile d’accueillir les propositions différentielles des élèves. C’est ensuite un savoir
difficile à appréhender (dans le sens « d’étudier » et de « délimiter ») : il est composé de notions
absentes des référentiels et des programmes (le rapport au vin et le rapport à l’alcool) et c’est un
savoir qui dépasse le cadre de l’école.

1.4.3.1. Enseigner un savoir difficile à officialiser

La PO est un savoir difficile à légitimer car soumis à une grande variabilité entre sujets puisque
intrinsèquement issu de références personnelles, et difficile à stabiliser, ce qui peut poser des
problèmes à l’enseignant lors de propositions des élèves différentes des siennes.

a) Tenir compte de la variabilité inter et intrapersonnelle de la perception

Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre 1, la perception des odeurs et des arômes est très
variable entre les individus (Manetta, Urdapilleta, 2011). Certaines personnes peuvent être très
sensibles à une odeur alors que d’autres ne la perçoivent pas. Il existe même une grande variabilité
intrapersonnelle : une même personne sera plus ou moins sensible à différentes odeurs. L’enseignant
de la discipline peut se retrouver dans des situations délicates : comment être sûr d’évoquer la même
perception que ses élèves ? Comment être sûr de ce que perçoit l’élève ? Comment évoquer une
sensation que l’élève ne partage pas ?

382
Jérémy transfère cette compétence en utilisant les fioles du « nez du vin ». Cet outil permet d’évaluer
la perception des élèves (je sens, je ne sens pas l’odeur) et de se réfugier derrière l’expertise de
l’auteur/concepteur (la fiole étiquetée « cuir » sent effectivement le cuir). Malgré ces précautions et
bien que Jérémy s’appuie sur la rigueur de cette « boîte à odeurs » élaborée avec beaucoup de
précision, il ne peut pas s’empêcher de préciser que « la boîte est neuve » comme pour anticiper les
réactions de certains élèves qui contesteraient la réalité de l’odeur en argumentant que l’outil est
ancien, passé, oxydé ou abimé, donc pas représentatif.

L’utilisation de plantes, fleurs ou aliments dégageant naturellement l’odeur est aussi le moyen de
faire percevoir et identifier la « vraie odeur » de la chose décrite. C’est d’ailleurs ce que Christian dit
préférer : « Ça m’arrive mais rarement, des arômes synthétiques, parce que j’y crois pas trop et c’est
pas toujours très fidèle (euh) moi la plupart des arômes que j’utilise sont des vrais arômes » (extrait
de l’entretien de déjà-là).

Préconisations praxéologiques

Comment tenir compte de la variabilité des perceptions chez les élèves ?

 Privilégier les tests avec des odeurs naturelles (les fruits, les fleurs…).
 Organiser des tests avec des odeurs pures, avec des bases pour « faire ses gammes414 »
(exemple « le nez du vin »).
 Tester et vérifier la perception des odeurs et arômes dans un milieu complexe comme le vin.

Les apports de la didactique clinique : la compétence associée à la perception des odeurs et arômes
est très fortement influencée par le DLS de l’enseignant et par le DLS de ses élèves. L’enseignant
prendra garde à être conscient du fait que tous les élèves sont différents et singuliers face à cette
compétence sensorielle. L’enseignant lui-même est concerné par cette variabilité inter et
intraindividuelle de perception des odeurs.

b) Partager des références a priori intimes et égotiques

Lors des séances autour de l’AS, la communication est souvent rendue difficile par l’usage de
références (de part et d’autre) personnelles (exclusives à la personne), singulières (uniques), intimes
(qui relève de la vie privée), intériorisés, incorporés, voire égotiques (elles en disent davantage sur la

414
Cette expression fait référence aux musiciens qui consolident en permanence leurs bases dans le cadre de leur
apprentissage.

383
personne qui parle que sur le vin et les sensations décrites). Il est difficile de rendre public ce savoir
lors de la phase d’institutionnalisation.

Lorsque Nadia évoque spontanément « la terre mouillée la roche grattée avec un couteau » pour
décrire à un groupe d’élève les odeurs qu’elle perçoit dans le vin blanc, elle évoque, sans le savoir, le
pétrichor415. Nadia se heurte rapidement à l’incompréhension de ses élèves, ces références
personnelles ne sont pas partagées par ses élèves alors que, pour elle, l’image de son enfance est
encore très présente416. Comme nous l’indiquons dans le chapitre 1, la mémoire olfactive est
probablement la plus tenace des mémoires sensorielles.

Pour matérialiser la constitution de références olfactives, Jérémy raconte une anecdote : « Quentin
quand tu offres une rose à ta chérie et bien voilà tu n’as jamais senti la rose et bien sens la rose
avant de la lui acheter et hop comme ça ce sera mieux, pareil pour vous Mesdames quand vous la
sentez quand votre compagnon vous offre une rose vous la sentez et là vous direz (il fait semblant de
sentir) ça sent trop bon ». Il est probable que cette histoire fasse partie du déjà-là expérientiel de
Jérémy417.

Préconisations praxéologiques

Comment partager des références dans l’enseignement de la PO ?

 S’efforcer de parler le même langage, d’utiliser des mots communs, connus, dont le sens est
maîtrisé.
 Définir, décrire les termes utilisés pour clarifier la sensation.
 Utiliser et solliciter le référentiel des élèves.
 Évoquer ses références privées en les contextualisant, en les rendant audibles.
 Chercher des ponts entre les références des élèves et les références de l’enseignant.
 Construire un référentiel commun.

415
Le mot pétrichor est lié à l'odeur particulière que prend l'atmosphère après la pluie. Il a été forgé en 1964 par Isabel
Joy Bear et Roderick G. Thomas (dans la revue « nature »), à partir du grec πέτρα (« pierre ») et ιχώρ (« sang, fluide »),
ιχώρ désignant le sang des dieux dans la mythologie grecque. D’après le site wikipédia https//fr.wikipedia.org/wiki/ [en
ligne] consulté le 2 avril 2019. Ce mot est absent des dictionnaires.
416
Revoir à ce propos l’analyse de l’après-coup de Nadia dans le chapitre 4 pour constater que cette évocation de la terre
mouillée et de la roche grattée à un fort effet « madeleine de Proust » sur Nadia.
417
Un deuxième entretien d’après-coup aurait permis à Jérémy de répondre à cette question. Ce deuxième après-coup
n’est pas réalisé dans le cadre de cette étude.

384
Les apports de la didactique clinique : la mobilisation de références personnelles est très fortement
marquée par le DLS de l’enseignant. Le recours aux références personnelles est récurent et se fait à
l’insu du sujet. L’enseignant ne peut pas s’empêcher de recourir à ses références personnelles comme
tout sujet en proie avec la PO.

c) Accueillir les propositions différentielles des élèves

En considérant que la perception et l’identification des odeurs sont éminemment personnelles, il faut
convenir qu’une institutionnalisation consensuelle est impossible à obtenir. Lorsqu’un élève fait une
proposition différente de l’enseignant, celui-ci réagit de façon contrastée. Doit-il obligatoirement
trancher ? Doit-il imposer son point de vue ? Doit-il mettre tout le monde d’accord ? Dans quelles
mesures l’élève a-t-il tort ou raison ?

Jérémy accepte les propositions des élèves qu’il n’a pas lui-même identifiées en les mettant dans le
champ des « possibles » : « Élève : agrume, Jérémy : agrume tu sens l’agrume là ? Élève : oui un
peu, un fond, Jérémy : (il sent) ok pas de problème peut-être qu’il y a de l’agrume ».

Même si Nadia n’est pas convaincue par la proposition de certains de ces élèves, elle les reçoit et les
encourage à poursuivre : « il y en a un qui m’a dit (rire) ça sent le crayon (rire) je ne sais pas
comment il a fait ça (rire) des fois quand j’ai un crayon je le ressens et j’ai l’impression (rire) que
c’est la même chose et je lui dis c’est bien déjà c’est un début (rire) ».

Parfois l’enseignant est persuadé que l’élève se trompe, peut-il rectifier ? Peut-il laisser planer le
doute ? Peut-il tout accepter sous prétexte que la PO est personnelle ?

Lors de l’entretien d’après-coup, Christian nous explique comment il procède si un élève est dans le
faux selon lui : « l’exemple que l’on cite c’est souvent à travers le bois par exemple il [l’élève]
trouve un arôme boisé dans un vin qui n’est pas boisé ». Christian reste ferme sur ses propres
sensations, il ne transige pas : « moi je ne le sens pas ». Il propose ensuite de sonder l’ensemble des
élèves pour vérifier si cette perception – identification est partagée : « essayez de confronter les
différentes perceptions des uns et des autres des différents élèves, de savoir qui l’a senti qui ne l’a
pas senti parce que ça leur permet de voir s’ils sont tout seuls ou pas, ça c’est important ». Christian
recherche ensuite les arguments dont il dispose pour chercher une explication à la présence (ou à
l’absence d’une odeur) : « effectivement dans le vin il n’y a pas de bois, on sait que pendant la vinif

385
et l’élevage418 il n’y en a pas eu ça conforte l’idée qu’il n’y en a pas », mais Christian reste toujours
encourageant et ouvre la discussion : « maintenant ce n’est pas grave essaye de mettre le nez, tu
remets le nez dans ton verre et sens ton vin et on va essayer de trouver l’arôme qui t’a fait penser à
l’arôme boisé, si tu as un arôme vanillé qui s’en rapproche ».

Préconisations praxéologiques

Comment accueillir les propositions différentielles des élèves ?

 Rester ouvert et bienveillant.


 Accepter et étudier les propositions alternatives.
 Accéder au sens de leur référence.
 Rechercher le champ des possibles.
 Faire un sondage parmi l’ensemble des participants.
 Rechercher des pistes d’explications valides (fiche technique, étiquette) et stabiliser le cas
échéant.

Les apports de la didactique clinique : la façon avec laquelle l’enseignant accueille les
propositions des élèves est symptomatique de sa façon de maintenir, d’habiter la position de SSS.
Philibert coupe court aux négociations comme pour ne pas entrer dans un débat dans lequel il serait
mal à l’aise. Christian laisse la possibilité à ses élèves de faire des propositions alternatives et les
accepte tout en dénonçant celles qui ne lui semblent pas pertinentes.

1.4.3.2. Enseigner un savoir difficile à stabiliser

Plusieurs notions attachées à l’enseignement de la PO ne sont pas présentes dans les référentiels.
Elles sont sous-entendues, elles sont implicitement intégrées ce qui pose des problèmes au niveau de
leur transmission. Ce sont des « allant de soi » qui ne vont pas de soi. Ce savoir est difficile à cerner
et il est parfois aussi difficile à comprendre.

Nous indiquons dans le chapitre 1 qu’une partie de la PO est constituée d’un curriculum caché et
latent (Pastiaux, 1997). Dans ces objets de savoir non explicitement mentionnés dans les programmes
et référentiels nous plaçons le rapport au vin et au savoir-boire, le rapport à l’alcool et au cracher.
Les enseignants peuvent se sentir démunis et se questionner sur la façon d’enseigner ces savoirs qui
ne s’enseignent pas habituellement à l’école. En enseignant l’AS et la PO, les enseignants

418
L’élevage en fût a tendance à générer un échange aromatique entre le vin et le bois de la barrique. Le vin prend ainsi
des notes boisées plus ou moins présentes suivant le fût (barrique neuve ou déjà utilisée) et la durée d’élevage.

386
transmettent un certain rapport à l’alcool et au vin et ont parfois l’impression de dépasser le rôle que
l’institution leur a confié.

a) Aborder le rapport à l’alcool

Faire entrer des produits alcoolisés dans l’enceinte de l’école n’est pas anodin. Comme le vin est un
produit omniprésent dans les enseignements du domaine, les enseignants sont amenés à évoquer le
rapport à l’alcool, même à leur insu, avec leurs élèves.

Nadia se retrouve en proie avec l’enseignement du rapport à l’alcool et du « savoir-cracher » malgré


elle. Elle qui est très organisée et très directive dans ses consignes, semble laisser de côté
l’apprentissage du « savoir-cracher ». Lors de son premier cours d’AS avec des élèves débutants, elle
n’évoque ce savoir-faire qu’en filigrane sans être affirmative sur ses directives. Elle doit ainsi, durant
la partie analyse d’un vin en atelier, gérer la situation d’un élève qui a bu son vin en trompant sa
surveillance. Elle est consciente de ce rapport à l’alcool, elle sait que ses élèves mineurs ne doivent
pas consommer de l’alcool dans le cadre scolaire mais elle ne peut se résoudre à les obliger à cracher
et « gaspiller » ce vin qu’elle considère comme un produit de qualité419 « normalement on devrait
pas, on devrait pas parce que c’est un produit qui est bien fait etc. moi je vois pas pourquoi est-ce
qu’on cracherait ».

Nadia n’a clairement pas le même rapport à l’alcool que ses élèves. Eux connaissent ou sont adeptes
du « binge drinking », consommation rapide et massive d’alcools forts pouvant conduire à des comas
éthyliques, tandis qu’elle ne « tolèrerait » qu’une légère ivresse avec le vin, produit culturel de
qualité : « du vin on peut dire que ça fait partie de la culture de la gastronomie française ».

Préconisations praxéologiques

Comment enseigner le savoir-cracher durant l’AS des vins et éviter l’ingestion d’alcool ?

 Ne mettre à disposition de chaque élève que 4 à 6 cl de vin.


 Présenter le geste comme obligatoire en AS.
 Donner des consignes sur l’action « le cracher », pour la réaliser discrètement et proprement.
 Organiser des entraînements au cracher avec de l’eau.
 Organiser la logistique nécessaire pour faciliter le rejet du vin (crachoir en nombre suffisant).
 Proscrire l’absorption de l’alcool.

419
Voir à ce propos l’analyse de l’après-coup de Nadia dans le chapitre 4.

387
 Veiller au rejet total et général de tous les élèves.

Les apports de la didactique clinique : le rapport à l’alcool est un enseignement hors référentiels
associés à la PO. Il est très dépendant du DLS de l’enseignant. Comme ce rapport à l’alcool n’est pas
un savoir clairement explicité dans le « savoir à enseigner »420, le sujet ne disposant pas de consignes
précises ne peut s’empêcher de transmettre son propre rapport au(x) savoir(s)421, très fortement teinté
de ses expériences (de ce qu’il a lui-même appris) et de ces conceptions.

b) Transmettre le rapport au vin

Le vin n’est plus un produit aliment, c’est-à-dire accessoire liquide du repas, c’est un produit culturel
qui est bien plus qu’un liquide fermenté, alcoolisé.

Nadia, dans son discours, considère le vin comme un enfant : « Un vin (…) c’est un enfant, il naît, il
faut l’élever, s’il est bien il peut grandir comme il faut (…) et si on ne le consomme pas tout de suite
et bien il peut mourir ». Compte-tenu du fait que le vin est un produit alcoolisé et que ses élèves sont
mineurs, Nadia indique : « on n’est pas là pour s’enivrer, on est là pour analyser sensoriellement ».
Cela passe par l’action de rejeter le vin, de le cracher après l’analyse en bouche mais Nadia montre
quelques réticences à cet égard : « on devrait pas, (…) c’est un produit qui est bien fait (…) il faut
pas le gaspiller ». Nadia semble posséder un rapport au vin bienveillant, respectueux, voire laxiste
telle une mère avec un enfant, qui souhaite l’éduquer sans interdire.

Pour Christian, l’enseignement de l’AS : « n’est pas toujours agréable », il est exigeant : « on est de
plus en plus rigide au début d’année sur ce que l’on attend », il dit imposer une certaine sévérité :
« une partie un peu contraignante (…) il faut de la rigueur ». L’enseignant évoque d’ailleurs un
enseignement de l’AS où le vin est un instrument symbolique de l’autorité du maître : « Imaginez
l’attaque [du vin] comme une claque, une gifle (…) si je vous mets une claque, elle est comment ?
Est-ce qu’elle est forte ? Est-ce qu’elle est vive ? Est-ce qu’elle est molle ? Est-ce qu’elle est
plate ?(…) la durée de la claque ? ». Christian manifeste un rapport au vin ferme et directif comme
l’éducation traditionnelle et virile d’un père.

Philibert prône le rapport convivial au vin, le plaisir : « les copains les amis c’est-à-dire ceux qu’on
aime le bon moment ce qu’il faut pour grignoter et la bonne bouteille de vin (…) c’est la notion

420
N’est-il pas d’ailleurs plus un « savoir à apprendre » qu’un « savoir à enseigner » ?
421
Voir à ce propos le travail de Claudine Blanchard-Laville (2013). Ce que l’enseignant transmet n’est pas le savoir
mais son rapport au savoir.

388
plaisir détente évasion c’est simple ça et souvent que tu ne retrouves pas dans un restaurant ». Il
associe le vin avec la commensalité et la convivialité. Cependant il confisque422 cette approche
durant son cours et propose une leçon verrouillée, durant laquelle le plaisir est peu ou pas évoqué. Il
semblerait que Philibert ne parvienne pas à déplacer dans sa classe le rapport au vin-plaisir dont il est
pourtant convaincu423.

Préconisations praxéologiques

Comment transmettre le rapport au vin ?

 Présenter des vins de qualité, offrant un intérêt organoleptique424 et éthique425.


 Présenter la complexité, la variété, la richesse des vins426.
 Présenter l’approche culturelle du vin comme élément de la gastronomie française427.
 Présenter les cépages, le terroir, les travaux du viticulteur et du vigneron comme des éléments
constitutifs indispensables du vin.

Les apports de la didactique clinique : le rapport au vin n’est pas explicitement évoqué dans les
référentiels de diplômes du domaine de l’hôtellerie-restauration. Les enseignants s’emparent, malgré
eux, de cette notion qui apparaît alors particulièrement colorée par leur DLS. Nadia éduque au vin
noble, de qualité que l’on doit respecter et ne pas cracher. Christian transmet une éducation
rigoureuse souvent difficile et parfois contraignante. Philibert souhaite transmettre le plaisir du vin
convivial même s’il peine à le concrétiser dans sa leçon.

c) Dépasser le rôle de l’école, l’éducation au savoir-boire

Le rapport à l’alcool et le rapport au vin sont des notions qui dépassent le cadre de l’école. Les
frontières sont perméables et la culture du vin appartient originellement à la famille428 dans laquelle

422
Se censure-t-il ?
423
Pourrait-on parler de « surmoi professionnel » qui mettrait une barrière entre privé et public ?
424
Il s’agit de valoriser l’apprentissage du goût pour le « bon vin » de qualité
425
Il s’agit de valoriser les vins d’auteurs (vignerons, artisans) respectant une morale sociale (protection des salariés),
travaillant en ménageant les ressources (viticulture biologique, biodynamique ou en culture raisonnée). Plutôt que d’avoir
recours à des vins à bas coût (usage intensifs de fertilisants, de désherbants, d’intrants œnologique) et standardisés (dont
les caractéristiques sont gommées par des processus industrialisés pour plaire au plus grand nombre).
426
Voir à ce sujet la partie « le vin » du chapitre 1
427
Le vin est un élément de l’art de vivre à la française comme indiqué dans la partie « l’AS comme transmission d’un
patrimoine culturel » du chapitre 1
428
Comme l’indique Céline Simmonet-Toussaint (2006)

389
de nombreux contacts avec le vin se produisent tout au long de la vie familiale429. Ce savoir est
impossible à institutionnaliser si ce moment se déroule dans la famille.

Philibert est persuadé que c’est le rôle du père de faire, dans la famille, l’initiation au vin, au savoir-
boire, à gérer le rapport à l’alcool : « éduquer l’enfant avec l’alcool (…) voilà ça c’était l’éducation
(…) c’était comme ça le père (…) il y a toute une culture là-dessus le rapport à l’alcool ». Il déplore
que cela ne se pratique plus de nos jours pour la majorité des enfants (élèves) : « mais je te dis qu’il y
avait cette éducation à l’alcool que malheureusement il n’y a plus ». Cette mission éducative se
trouve transféré à l’enseignant dans les formations en restauration : « c’est nous qui devons (…) vous
apprendre ça ». Philibert considère cette mission périlleuse : « voilà c’est important car le vin c’est
un produit noble, c’est la vigne ça a une histoire voilà (…) tu te rends compte le travail qu’il faut
faire là-dessus ».

Nadia prend, à son insu, le rôle maternel quand elle a recours à la métaphore de l’enfant pour décrire
le vin (voir supra). Elle indique que plusieurs de ses élèves n’ont pas cette éducation familiale au
savoir-boire : « et ça il faut aussi qu’ils le voient chez eux car il y en a beaucoup qui me disent : mes
parents ils ne boivent pas de vin ». S’ils n’ont pas la culture du vin, ils ont par contre, d’après Nadia,
un rapport aux alcools forts par une pratique régulière extrascolaire du binge drinking, ce qu’elle
déplore : « c’est tout ce qui est binge drinking ça ce n’est pas marrant ». Elle pense même qu’ils
sont, pour certains, déjà touchés par une certaine forme d’alcoolisme : « est-ce qu’ils sont alcoolisés
déjà à la base ou quoi ? ».

Préconisations praxéologiques

Comment partager l’éducation au savoir-boire ?

 S’appuyer sur l’éducation transmise dans le cercle familial430.


 Transmettre un message de prévention quant à la consommation d’alcool.
 Prôner une consommation modérée, avec parcimonie.
 Organiser des AS sans ingestion d’alcool dans le cadre de l’école.
 Être au clair sur son propre « savoir-boire ».

429
Le sujet de la transmission familiale et du rôle du père est évoqué plus longuement dans la partie « l’AS comme
éducation au savoir-boire » dans le chapitre 1
430
Lorsque celle-ci existe.

390
Les apports de la didactique clinique : les enseignements associés à la PO ont un très fort
retentissement en dehors de l’école. Si ce lien est distendu ou inexistant, le sujet enseignant ne pourra
s’empêcher de prendre une partie du rôle paternel ou maternel. L’analyse des métaphores prononcées
par les enseignants présente une régularité sur la place du père ou de la mère qu’ils prennent, à leur
insu, ce qui nous laisse penser qu’ils ne peuvent pas s’empêcher d’assurer une partie de l’éducation
au savoir-boire dans le cadre de leur enseignement.

1.5. Conclusion intermédiaire

Pour clore cette partie de discussion des résultats, après avoir tenté de répondre aux trois questions de
recherche, nous réaffirmons que la partie praxéologique de cette recherche s’inscrit dans une
démarche de formation des enseignants où « il faut préparer les (…) professeurs à cette confrontation
avec eux-mêmes » (Métoudi, 2013, p 5). Grâce et aux travers de la construction des quatre cas de
notre étude, nous avons, d’abord, constaté qu’un certain nombre de régularités apparaissaient dans
l’enseignement de la PO. Nous avons, ensuite, mis en lumière l’influence d’un déjà-là sensoriel chez
l’ensemble des enseignants pour constater, enfin, que leur enseignement de la PO est animé par des
ressorts didactiques personnels. Nous formulons pour finir que, dans le cadre de la formation des
enseignants, la didactique clinique permet d’établir que « l’acte d’enseigner fait écho à la personne et
au vécu de l’enseignant » (ibidem, p 5). Ainsi, nos préconisations visent à amener le sujet enseignant
à une rencontre avec lui-même, à la recherche de son déjà-là sensoriel pour dynamiser ses propres
ressorts didactiques en vue d’enseigner ce savoir impossible à institutionnaliser.

391
2. L’après-coup du chercheur : effet chercheur et effet recherche

Après le temps de l’analyse, ce chapitre est l’occasion d’une prise de recul. Nous mobilisons le
concept431 « d’après-coup » directement pour le sujet-chercheur comme processus de reconstruction
rétroactif dans lequel nous remanions les traces mnésiques de cette expérience de recherche (Carnus,
2013). Cette prise de distance permet d’évoquer l’influence du dispositif de recherche sur ce travail
de thèse, c’est l’effet recherche, ainsi que les diverses influences provenant et occasionnées par le
chercheur, c’est l’effet chercheur.

2.1. Effet recherche

Comme l’indique Marie-France Carnus (2007) l’effet du dispositif de recherche est potentiellement
présent et latent durant tout le travail de thèse. Aucune méthodologie n’est neutre, l’objectivité
intégrale n’existe pas. Bien que la posture clinique432 soit posée comme intégrant, dès le début, la
subjectivité du chercheur, il serait illusoire de croire que tous les biais possibles sont évités ou
annihilés. La posture clinique s’impose, dans une certaine mesure, comme une garantie en postulant
que « le chercheur n’a pas à avoir honte de ses orientations de ses préférences et de ses
spécialisations méthodologiques. Quand il les respecte, elles indiquent sa force et balisent sa
crédibilité » (Van Der Maren, 1996, p 359).

L’effet recherche est probablement à l’œuvre dans la collecte des données de cette recherche. Nous
l’avons signalé, directement en bas de page, chaque fois que nous le suspectons d’intervenir dans le
dispositif de recherche. Ainsi la leçon que nous donne à voir Philibert est peut-être plus ou moins
éloignée de son habitus professionnel. Ne serait-ce pas la leçon qu’il pensait que le chercheur voulait
voir : « tu m’as dit que je devais faire un cours » ? nous dit-il durant l’entretien d’après-coup. De la
même façon, si Christian parle autant à ses élèves de la PO, alors que c’est une partie qu’il juge
secondaire : « c’est surtout la bouche, le vin est fait surtout pour être bu avant tout pas pour être
respiré » (entretien d’après-coup), n’est-ce pas parce qu’il accueille le chercheur qui lui a présenté le
thème de sa recherche autour de la PO ? Le fait que Jérémy mobilise un discours particulièrement
technique (il est l’enseignant qui mobilise le plus de termes techniques de la PO parmi les quatre cas
de l’étude), alors qu’il est un enseignant novice, n’est-il pas dû au contrat de recherche formalisé
autour de la PO ?

431
Ce concept est présenté dans le chapitre 3.
432
La posture clinique est présentée plus en détail dans le chapitre 3.

392
L’effet chercheur est probablement aussi à l’œuvre dans l’analyse des données collectées : « si le
chercheur reste en apparence libre dans l’élaboration de sa problématique, les cadres conceptuels
plus ou moins composites qu’il convoque, déforme et reconstruit, l’engagent plus ou moins à son
insu à élaborer une forme d’intelligibilité des phénomènes dont il a le projet de rendre compte »
(Carnus, 2009, p 15). En effet le chercheur est lui aussi un sujet singulier, assujetti et divisé. Il est
également pris dans un triple rapport : au savoir, à l’institution et à l’épreuve. Je suis conscient, par
exemple, que les énoncés interprétatifs, formulés pour initier les entretiens d’après-coup, en mettant
en lumière les écarts entre le déjà-là du sujet et l’observation de sa leçon, sont sous l’influence de
mon propre déjà-là. Je n’ai pas pu m’empêcher de lire ces écarts à travers la grille de mon propre
déjà-là, « la subjectivité du chercheur dans sa recherche, subjectivité constitutive des objets, théories,
démarches, matériel et résultats de sa recherche, subjectivité empreinte d’une histoire et d’une
trajectoire singulière » (Carnus, 2009, p 17).

Si le dispositif de recherche, au travers de son instrumentation et de son analyse, met en exergue


l’effet chercheur, le chercheur fait partie intégrante des dispositifs de recherche qu’il conçoit et met
en œuvre (Carnus, HDR 2009, p 16). Je m’autorise, enfin, à parler à la première personne pour tenter
de mettre en lumière, dans le paragraphe suivant, mon effet chercheur.
2.2. Effet chercheur

L’observation des sujets et l’analyse des données par le chercheur occasionnent des perturbations
selon Devereux (1980) « Les perturbations induites par l’existence de l’observateur et par ses
activités dans le cadre de l’observation. Le comportement de l’observateur : ses angoisses, ses
manœuvres de défense, ses stratégies de recherche, ses décisions » (ibidem, p 19). Marie-France
Carnus parle de l’effet chercheur (Carnus, 2009).

Durant toute la rédaction de cette thèse, je me suis heurté à la difficulté de parler à la première
personne, d’employer le « je ». J’ai utilisé la voix passive pour l’ensemble des chapitres un et deux.
Cela est probablement dû au fait qu’il s’agissait de délimiter l’objet d’étude académique (appelé
aussi état de l’art ou revue de littérature) et les options théoriques et conceptuelles de la recherche
(constituant le cadre théorique). C’est le « nous » qui a été employé pour les chapitres trois et quatre
pour marquer le travail réalisé en association avec ma directrice de thèse. Le « je » n’est mobilisé que
dans cette cinquième partie, de façon mesurée au début puis de façon plus complète enfin. Je
reconnais seulement à ce stade de la rédaction la perturbation (au sens de Devereux, 1980)
occasionnée. D’où vient cette difficulté de parler en « je » ? Est-ce le désir de prendre du recul ? Est-
ce un mécanisme de défense ? Est-ce une volonté de laisser une distance entre les sujets enseignants-
collaborateurs (dont l’analyse des entretiens et des séances de classe me semble tellement intrusive)

393
et ma position de chercheur ? Les paragraphes suivants, évoquant l’effet chercheur, me donnent
l’occasion de parcourir les pistes de réponses possibles à ces questionnements.
2.2.1. Ma position de chercheur-formateur

Comme indiqué dans l’introduction de cette thèse, je suis en position de chercheur-formateur. Cette
situation n’est pas des plus confortable pour mener une recherche. En effet, je suis parti avec une
intuition forte, voire même avec des certitudes et j’ai découvert des facettes profondes et puissantes
de l’enseignement de l’AS que je n’imaginais pas. Pour rédiger cet après-coup du chercheur, je
choisis de me soumettre au questionnaire exploratoire que j’ai proposé aux enseignants du domaine
et qui m’a permis de sélectionner les quatre enseignants collaborateurs parmi les quatre profils
principaux. J’escompte que cette rencontre avec moi-même (Heuser, 2014) éclairera mon parti pris.
Je réponds dans l’ordre des questions du questionnaire exploratoire laissant apparaître mes déjà-là
(expérientiel, conceptuel, intentionnel et sensoriel). Ce questionnaire exploratoire est disponible en
annexe433. Je me positionne aussi parmi les autres enseignants ayant répondu dans les représentations
présentes en annexe434.

2.2.1.1. Mon déjà-là expérientiel


Je suis formateur à l’ESPE, après avoir enseigné en lycée technique. J’ai entre 40 et 50 ans,
j’enseigne depuis 23 ans dans différents types d’établissements, à plus de deux niveaux de classe.
J’ai moi-même suivi plusieurs formations à l’analyse sensorielle des vins (en BTS, à l’IUFM, avec
des organismes professionnels, tels le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, de Saint
Émilion, le Bureau national interprofessionnel de l’Armagnac, etc). J’ai plus de deux expériences
dans le domaine de la sommellerie et je pense avoir une certaine expertise en analyse sensorielle des
vins. Dans le domaine du vin, je pratique régulièrement de nombreuses activités (lectures
quotidiennes : livres, magasines, consultation internet…), je suis membre de plusieurs associations
(UDSF Sud-ouest Occitanie, association des Sommeliers formateurs), plusieurs fois par an je visite
des vignobles, je rencontre des acteurs de la filière, je participe à des concours et à des jurys et
plusieurs fois par mois je participe et organise des dégustations et analyses sensorielles . D’après ma
classification435 des enseignants du domaine, je suis un enseignant chevronné dans le domaine de
l’AS.

433
Voir annexe papier n°3.
434
Voir annexe papier n°5.
435
Consultez à ce propos les graphiques présents en annexe papier n°5.

394
2.2.1.2. Mon déjà-là conceptuel
Je pense que l’analyse sensorielle des vins contribue à la valorisation commerciale des vins face à la
clientèle d’un restaurant en donnant à ses clients une description, la plus précise possible, du vin
qu’ils vont choisir pour accompagner leur repas. L’AS permet de donner des éléments
organoleptiques concrets d’un produit quand, pour le client, la seule lecture du support commercial
reste abstraite.

J’estime que toutes les phases de l’analyse sensorielle des vins sont importantes mais surtout les
parties olfactive et gustative. La description aromatique me semble très importante.

De mon point de vue, la partie olfactive de l’analyse sensorielle des vins a pour objectif de collecter
des descripteurs, de situer la qualité, de procurer du plaisir sensoriel et esthétiques436 au dégustateur
et de lui donner des repères culturels (encépagement, influence du terroir, travail du vigneron).

À l’évocation spontanée des termes « arômes du vin » je cite les cinq mots clés suivants : fruité,
intense, envoûtant, personnel, complexe.

Cité en 1er Cité en 2è Cité en 3è Cité en 4è Cité en 5è


5 mots-clés
fruité intense envoûtant personnel complexe
cités
Catégories type qualité qualité autre qualité
Le terme fruité renvoie à une caractéristique omniprésente dans le vin, n’est-il pas réalisé
avec le jus d’un fruit fermenté ? L’intensité est importante car c’est le gage de la
perception : n’est-il pas décevant de ne rien sentir ? Le nez du vin exerce une ascendance
Commentaires
et une fascination sur le sujet qui sent, cette sensation réveille des réactions très
personnelles voire intimes. Le nez du vin est à la fois divers, varié et difficile à saisir
(complexe).
Ma définition de la partie olfactive de l’analyse sensorielle des vins est constituée d’une partie
méthodologique (premier nez, second nez, rétro-olfaction…), d’une partie descriptive de la qualité
(netteté, intensité, finesse), d’une partie descriptive de la complexité aromatique (familles et odeurs)
et d’une partie recherche de l’origine supposée (cépages, travail du vigneron…). Il s’agit d’un savoir
et d’un savoir y faire (Terrisse, 2009).

2.2.1.3. Mon déjà-là intentionnel


Je trouve que la PO est difficile à enseigner car elle fait appel à des phénomènes difficiles à stabiliser
car au cœur d’une grande variabilité inter et intrapersonnelle. Il est impossible d’avoir les mêmes
références. Il est difficile d’acquérir la double compétence « sentir et dire ».

436
Motivé par la perception et la sensation du beau, d’après le CNRTL.

395
Pour enseigner la PO je mets en place plusieurs objectifs et moyens : la procédure et les phases
chronologiques, les gestes, les familles d’arômes, la carte heuristique des arômes, le lien entre
phases, description et interprétation, des tests avec des fioles d’odeurs, avec des testeurs et des sprays
d’odeurs et bien sûr l’analyse (et analyse comparative) de plusieurs vins (blanc, rouge,
effervescent…).

Je souhaite transmettre à mes étudiants la possibilité d’avoir un métier passionnant dans lequel ils
pourront rayonner, l’AS n’est pas seulement un but, c’est aussi un moyen. Pour affronter ce métier
dur et exigeant (enseignant de service et commercialisation en restauration), je souhaite leur donner
les outils, les codes, les armes et la passion. Je suis persuadé qu’ils auront à enseigner des savoir-être,
savoir-faire et savoirs très larges, qui dépassent le métier de la restauration. J’ai tendance à
considérer que notre formation est parfois une école de la vie. Finalement, ce n’est pas que l’AS que
je transmets mais mon rapport à l’AS (Blanchard Laville, 2013).

2.2.1.4. Mon déjà-là sensoriel


Pour décrire, en quelques mots, mon rapport à l’olfaction je mêle à la fois le plaisir, le fait d’être
réceptif en permanence (je suis capable de me retourner sur le passage d’un fumeur de cigare pour
tenter de voir le module437 fumé par exemple) et la difficulté de traduire en mots mes perceptions, la
difficulté de passer de la perception à l’identification. C’est aussi l’enseignement de cette partie
olfactive qui me questionne, m’interpelle et me passionne. J’ai un attachement particulier à cet objet.

Je suis tout à fait d’accord avec le fait que je suis sensible aux odeurs et que j’aime rechercher leur
nom. Je suis plutôt d’accord avec le fait que je suis capable de mettre un nom sur une odeur, que j’ai
une bonne mémoire des odeurs et que je suis capable de décrire une odeur.

2.2.1.5. Mon triple rapport à

Je tente de m’autopositionner dans les axes en tension pour évoquer mon triple rapport : au(x)
savoir(s), à l’épreuve et à l’institution.

a) Rapport au(x) savoir(s)

Le savoir considéré ici est l’AS et particulièrement la PO.

Distance X Proximité Axe de l’expertise

437
Désignation de la taille spécifique d’un cigare en trois paramètres : le diamètre, la longueur et le poids, d’après le
« Havanoscope de l’amateur de cigare, Kaufmann et al, 2004, édition Solar, Paris.

396
Tout en étant conscient que le savoir de la PO est impénétrable et complexe, je considère que ma
position d’enseignant chevronné m’autorise une certaine proximité avec ce savoir.

Répulsion X Attirance Axe du désir

Je suis très attiré par l’AS, et par la PO. Mon rapport est passionnel tant au niveau de sa pratique que
de son enseignement.

Nouveauté X Ancienneté Axe de la rencontre

Je suis persuadé que ma rencontre avec l’olfaction et la gastronomie est très ancienne. Elle débute
dans un cercle familial bienveillant et riche. Ma rencontre « académique » avec l’AS et la PO est
ancienne aussi, elle commence avec ma formation secondaire en lycée d’hôtellerie.

b) Rapport à l’épreuve

L’épreuve considérée ici est l’enseignement de l’AS et de la PO en particulier.

Étrangeté X Familiarité Axe de l’expérience

Ma position d’enseignant chevronné me permet d’avoir une bonne familiarité sur l’axe de
l’expérience. J’enseigne la PO depuis plus de 23 ans.

Inhibition X Excitation Axe de la contingence

Sur l’axe de la contingence, la leçon de la PO est toujours un moment intense, qui me permet de
mobiliser une grande latitude d’outils, de concepts et d’activités. Cet enseignement est dynamique et
varié.

Souffrance X Plaisir Axe de l’affect

L’enseignement de la PO est toujours un grand plaisir. Cette séance dégage un attrait très important,
pour moi comme pour la plupart des élèves et étudiants.

c) Rapport à l’institution

Le rapport à l’institution concerne le lieu d’exercice de l’enseignement (l’ESPE) et aussi la pratique


sociale de référence (association des sommeliers entre autres).

Soumission X Émancipation Axe de l’assujettissement

397
Je suis conscient d’enseigner dans un cadre institutionnel plutôt précis mais je le considère davantage
en termes de ressources que de contraintes. Je suis vigilant à rester en phase avec les
recommandations.

Risque X Sécurité Axe du confort

J’ai l’impression d’avoir le recul (expérience et expertise) nécessaire pour m’assurer un certain
confort lors de l’enseignement de la PO. Toutefois, ce savoir impossible à enseigner réserve parfois
des surprises dont aucun enseignant ne peut se préserver. Un élève peut ne pas sentir d’odeurs, être
en désaccord avec l’enseignant, soutenir des propositions extravagantes…

Exclusion X Inclusion Axe de la reconnaissance

Je me sens et me considère reconnu par l’institution, par les étudiants et par les collègues.

Cet après-coup438 me permet de me situer439 par rapport aux quatre cas de cette étude.

2.2.2. Mon rapport aux sujets collaborateurs

Mon rapport aux sujets collaborateurs de cette recherche pourrait se définir par une relative
proximité et par une mise en lumière de phénomènes de transferts et contre-transferts.

2.2.2.1. Une relative proximité

Comme indiqué dans le chapitre 3 qui présente le dispositif méthodologique, je connaissais les
enseignants collaborateurs avant de les solliciter dans le cadre de ce travail de recherche. J’ai postulé
que le fait de se connaître faciliterait la mise en place du contrat de recherche, qu’ils s’engageraient
plus aisément et avec moins d’appréhension dans le dispositif. Les enseignants collaborateurs étaient
d’ailleurs plus ou moins initiés à la démarche de recherche, soit pour y avoir eux-mêmes été
confrontés lors de leur master MEEF hôtellerie440, soit par la connaissance du dispositif de formation
de l’ESPE depuis la réforme de la masterisation en 2013. Je ne peux donc exclure les biais éventuels

438
Même si celui-ci est guidé, et s’il ne peut prétendre à la valeur d’un véritable « après-coup » tel que l’entend la
didactique clinique.
439
Les graphiques sont disponibles en annexe papier n°5.
440
Deux des quatre sujets sont d’anciens étudiants du master MEEF Hôtellerie à l’ESPE alors que les deux autres étaient
étudiants de l’IUFM avant la réforme, donc avant la mise en place de l’initiation à la démarche de recherche avec la
rédaction d’un mémoire de master. Deux des quatre enseignants collaborateurs étaient étudiants du chercheur à l’ESPE.

398
liés à cette position même s’il n’y a aucune proximité441 entre le chercheur et les enseignants
collaborateurs.

Le rapport à l’anonymat m’a interpellé depuis le début de la collecte des données. J’ai changé les
prénoms pour préserver les enseignants collaborateurs depuis le début des transcriptions, comme
l’exigent toutes recherches scientifiques en sciences humaines. Malgré tout, ma crainte persiste que
les enseignants puissent être identifiés par le lecteur et qu’ils le ressentent comme une trahison. Je
suis bien conscient que la démarche clinique puise profondément dans l’intimité du sujet, qu’elle
ressemble à une mise à nu, qu’elle est fortement intrusive. Je redoute qu’à la lecture de ce document
les enseignants collaborateurs au centre de l’étude ne se sentent investigués jusque dans leur intimité.
De plus, pour préserver la progression méthodologique des trois temps de la didactique clinique
(déjà-là, épreuve et après-coup) je n’ai pas communiqué avec les quatre sujets en dehors des
entretiens programmés. J’espère que la lecture de cette thèse n’offensera pas, ne décevra pas et
surtout, ne remettra pas en question la confiance accordée lors de la « contractualisation » établie à
l’origine et que j’ai particulièrement souhaité protéger tout au long de ce travail.

2.2.2.2. Transfert et contre-transfert

Le transfert « « signe, en psychanalyse, le processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent
sur certains objets dans le cadre d’un certain type de relation établie avec eux et éminemment dans le
cadre de la relation analytique » (Laplanche et Pontalis, 1967, p 492). Il s’agit d’une transposition,
d’un report sur une autre personne (l’analyste dans la cure) de désirs, de sentiments éprouvés par le
sujet (en cure) initialement destinés à des personnes de l’histoire du sujet. L’utilisation du terme
« éminemment », utilisé dans la définition du vocabulaire de la psychanalyse (ibidem), laisse penser
que le transfert est potentiellement à l’œuvre dans d’autres situations que la cure analytique
(Chaussecourte, 2017). Claudine Blanchard Laville (citée par Chaussecourte, 2017) parle d’ailleurs
de transfert didactique. Il est ainsi fort probable que le transfert soit mobilisé dans le cadre de la
recherche qui nous intéresse, dans les données suscitées comme dans les données provoquées (Van
Der Maren, 1996).

Est-il, ainsi, possible d’imaginer que le sentiment de Philibert de ne pas maîtriser suffisamment son
objet d’enseignement soit transféré vers le chercheur qui est formateur chevronné ? Christian ne

441
Le chercheur ne fréquentait pas les enseignants collaborateurs, il n’a jamais collaboré avec eux, il n’a jamais pénétré
dans leurs classes auparavant et il n’a aucune idée de ce qui se joue dans leurs séances.

399
transfère-t-il pas son sentiment de modèle vers le chercheur qui représente, peut-être pour lui,
l’image d’un modèle (le seul) dans la recherche sur la didactique de l’AS ?

Le contre-transfert, quant à lui, est « l’ensemble des réactions inconscientes de l’analyste à la


personne de l’analysé et plus particulièrement au transfert de celui-ci » (Laplanche et Pontalis, 1967
p 103). Il est ainsi possible d’imaginer que le contre-transfert est, comme le transfert, potentiellement
un phénomène agissant dans le cadre d’une recherche. Chaussecourte (2017) considère que Devereux
est l’auteur qui a le mieux mis en lumière l’importance cruciale du contre-transfert dans les sciences
du comportement, démontrant même que l’étude de l’observateur, plus que celle de l’observé,
permet l’accès à l’essence de la situation étudiée (Devereux, 1980).

Ainsi, la volonté du chercheur de faire systématiquement et intégralement cracher ses étudiants ne


résonne-t-elle pas avec la gestion de l’AS de Nadia qui peine (selon elle) à éviter l’ingestion de
l’alcool ? Le désir obsessionnel de structurer du chercheur n’est-il pas en phase avec l’armoire et les
tiroirs de Jérémy qui se définit comme sérieux et carré ? L’obstination du chercheur à vouloir tout
maîtriser (difficulté à lâcher prise) ne fait-elle pas écho à la stratégie de verrouillage de Philibert ? La
position de modèle du chercheur-formateur en AS n’est-elle pas symétrique à celle de mentor de
Christian ?

2.2.3. Mon rapport à la clinique

Je suis persuadé que la didactique clinique propose un cadre théorique puissant et complexe pour une
recherche en sciences de l’éducation. Il est très rassurant de pouvoir s’appuyer sur sa méthodologie
structurée en trois temps ainsi que sur ses concepts. Cependant, il est parfois déconcertant de
mobiliser certains de ces outils conceptuels. Je me suis d’abord heurté, dans les débuts, à la distance
qui me séparait initialement du champ psychanalytique, doutant même de ma légitimité à le
convoquer ; puis je me suis trouvé en proie à une sorte de gêne devant certains pans intimes des
sujets au travers de versants difficiles à questionner. Puis j’ai fait lentement mon chemin et creusé
mon sillon à ma manière.

Mon déjà-là de didacticien dans un domaine technique et professionnel ne m’a pas donné les clefs
pour intégrer facilement la dimension clinique de la didactique clinique. Même si, au terme de cette
rédaction, je dois admettre que mon déplacement vers la clinique est effectif, j’en suis persuadé, je ne
peux oublier les difficultés rencontrées. C’est globalement un sentiment de non-légitimité qui m’a
longtemps poursuivi, surtout dans l’analyse des données collectées. Il est en effet troublant de

400
s’immiscer dans l’intimité des enseignants collaborateurs pour creuser ou investiguer des parties
habituellement cachées des situations didactiques.

C’est ensuite une volonté de n’engendrer qu’une intrusion minimale, lors des entretiens notamment,
qui m’a certainement freiné lors des entretiens cliniques. L’entretien clinique nécessite une certaine
congruence442, une considération positive443 et une compréhension emphatique444 (Poussin, 2012).
Chacune de ces postures, associées à un type d’entretien dans lequel il est crucial de laisser
s’exprimer librement le sujet, relève d’une délicate entreprise.

Il est probable que je n’ai ni osé, ni souhaité conduire, avec insistance, les enseignants-collaborateurs
sur certains terrains que je jugeais trop personnels ou trop intimes. De la sorte, lorsque Nadia
n’évoque pas spontanément l’influence possible de la religion sur son rapport à l’alcool alors que je
la dirige vers la causalité de son rapport au cracher, je ne me suis pas senti la légitimité d’insister sur
ce sujet. De même, lorsque Philibert ne développe pas son rapport familial au savoir-boire après ma
question : comment son père avait procédé avec lui étant jeune, je ne souhaite pas insister sur ce
souvenir pour ne pas pousser Philibert à évoquer, peut-être, un jardin secret qu’il ne souhaite pas
parcourir avec moi.

442
Le chercheur reçoit les paroles de l’interviewé avec authenticité et sans faire « semblant ».
443
Le chercheur ne juge pas l’interviewé.
444
Le chercheur montre une capacité à comprendre et à s’identifier à ce que l’interviewé ressent.

401
3. Limites et perspectives

Pour évoquer les limites et les perspectives de cette recherche, il faut considérer dans un premier
temps, la validité locale et contextuelle de ce travail. La didactique clinique d’inspiration
psychanalytique permet de faire allusion à la frustration et aux mécanismes de défense à l’œuvre
dans cette recherche. Je mets enfin en perspectives les suites de ce travail.

3.1. Une validité locale

Cette recherche s’appuie sur l’étude de quatre cas, les résultats présentés restent pertinents dans les
limites de validité locales et contextuelles (Van Der Maren, 1996). Cependant, AndréTerrisse (2013)
indique que la construction des cas permet d’atteindre une certaine modélisation. Sans recherche
d’une quelconque généralisation, il convient de préciser qu’il existe une « difficulté à généraliser nos
résultats tant ces études sont uniques, singulières, à l'image des sujets enseignants » (Loizon, 2013,
p19).

3.2. Frustration et mécanismes de défense

Comme l’indique Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis (1967), la frustration est la condition du
sujet qui se voit refuser ou se refuse la satisfaction d’une demande pulsionnelle (la pulsion étant une
poussée qui fait tendre l’organisme vers un but). Cette frustration est à l’œuvre conjointement avec
les mécanismes de défense dans ce travail de thèse. La nécessité de devoir s’arrêter (frustration),
dans le processus de collecte de données, et de façon concomitante dans l’analyse de ces données,
résulte de la peur de ne pas avoir le temps de traiter tout le corpus, la peur d’être submergé par trop
d’informations à coder. En effet, par exemple, un deuxième après-coup aurait probablement permis
d’aller plus loin dans la recherche de la causalité. Ma position de chercheur didacticien clinicien ne
m’ayant pas permis de donner tout le sens recherché, des suites à ce travail de recherche sont
envisageables.

Si, pour poursuivre les travaux de cette thèse, un deuxième après-coup est envisagé, des perspectives
et des sillons sont à creuser pour chacun des cas. Ils sont évoqués dans les suites de la recherche.

3.3. Les suites de la recherche…

Dans le cadre d’articles de recherche se fondant sur l’ouverture créée par cette thèse, il est possible
d’imaginer une collecte de données complémentaires. Un deuxième entretien d’après-coup
permettrait de creuser plusieurs sillons comme le rapport à l’alcool et au vin chez Nadia ou le rapport
au père chez Philibert.

402
La didactique clinique est un nouveau cadre théorique pour l’hôtellerie-restauration. La DC est
probablement très opérante pour questionner les pratiques didactiques encore vierges du domaine.
J’envisage de poursuivre les investigations du sujet pris dans le didactique en hôtellerie-restauration.

Ma position de formateur de formateur, et mon désir de chercheur, me poussent à développer la


recherche en didactique critique et prospective (Martinand, 1992) pour décrire et comprendre les
pratiques professionnelles des enseignants du domaine, en déployant la démarche clinique de la DC
(Carnus, 2013). Les suites de cette recherche se dérouleront certainement dans le cadre de mes
enseignements (en formation initiale ou continue) pour poursuivre, développer et rendre compte, des
avancées de la recherche en DC.

La DC offre un cadre théorique opérationnel et heuristique au développement duquel j’aimerais


participer et particulièrement à la stabilisation méthodologique de ses piliers. A l’instar des trois
temps qui organisent et balisent la progression de la collecte des données, j’apprécierais de
contribuer à stabiliser et développer encore, avec l’équipe de DC, les outils méthodologiques à
destination des futurs chercheurs (étudiants de master, doctorants et chercheurs expérimentés).

403
Conclusion générale

Parce qu’il faut maintenant conclure…


Cette thèse s’inscrit dans un temps assez long : 1 507 jours séparent la date de mon inscription445 en
première année de thèse de la date de soutenance446, il y a eu 5 heures 17 minutes et 38 secondes
d’entretien447 avec les enseignants collaborateurs, 4 heures 29 minutes et 34 secondes de vidéo des
leçons des enseignants soit un total d’environ448 586 minutes d’enregistrements audio au total qui ont
nécessité, d’après mon estimation449, 58 heures450 de transcription pour rédiger les verbatim. Je ne
peux pas estimer les heures de réflexion et de rédaction de la thèse…
Au-delà du temps qu’elle a mobilisé cette thèse est un déplacement : tout d’abord déplacement de ma
position de formateur en lycée technique hôtellerie d’origine à formateur de formateur à l’IUFM
(devenu ESPE) ; puis déplacement vers ma position de formateur-apprenti chercheur lors de la
recherche en vue de mon mémoire de master ; par la suite déplacement vers ma position de
formateur-chercheur durant le début de ma période de doctorant ; et enfin déplacement vers une
position de chercheur-formateur durant la fin de ma période de doctorant.
Cette thèse est un cheminement : de mes intuitions fortes au début du travail de recherche (les
enseignants ont tous plus ou moins les mêmes pratiques pour enseigner la PO) naissent des questions
initiales (comment les enseignants enseigne-t-ils la PO ?). Le travail de recherche apporte des
réponses mais génère de nouvelles questions plus nombreuses et plus larges. Ce travail de recherche
tout en apportant des réponses ouvre des pistes de questionnement sur un horizon encore plus grand
(les différents ressorts didactiques à l’œuvre).
Cette thèse est une étape : si elle a permis de rendre moins opaque certaines pratiques enseignantes
dans l’enseignement de l’analyse sensorielle des vins et de relever plusieurs régularités, si elle a mis
en lumière l’influence d’un déjà-là sensoriel chez les enseignants du domaine, si elle a éclairé leurs
ressorts didactiques à l’œuvre dans la classe et si elle a ouvert des perspectives de formations
initiales et continues dans le secteur, elle ouvre aussi un large champ de recherche actuellement
vierge.

445
Inscription administrative en première année de thèse le12 octobre 2015.
446
Soutenance de la thèse le mercredi 27 novembre 2019.
447
En ajoutant les entretiens ante d’accès au déjà-là, les entretiens post à chaud et les entretiens post d’après-coup.
448
Sans compter les secondes…
449
J’estime passer environ 30 minutes pour transcrire 5 minutes d’audio.
450
586 minutes d’audio / 5 minutes x 30 minutes de transcription = 3 516 minutes soit un peu plus de 58 heures.

405
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411
Table des figures, tableaux et schémas

Figure 1 : Les quatre phases de la perception sensorielle ...................................................................................................................... 31


Figure 2 : Représentation schématique de l'olfaction, d’après le CNRS (dessin de l’auteur).................................................................. 33
Figure 3 : Perception de l'intensité olfactive en fonction de l'âge (Enquête CNRS, 2014) ...................................................................... 34
Figure 4 : Capacité d'identification des odeurs en fonction de l'âge (enquête CNRS, 2014) .................................................................. 35
Figure 5 : Représentation schématique du nerf trijumeau, d’après CNRS (dessin de l’auteur) .............................................................. 38
Figure 6 : Nombre de termes descriptifs de la complexité aromatique par auteur .................................................................................. 48
Figure 7 : Carte heuristique des arômes du vin (Alvarez, 2017) ............................................................................................................. 49
Figure 8 : Partie olfactive de l’AS, options notionnelles ........................................................................................................................... 69
Figure 9 : Sujet pris dans le didactique (Carnus, 2013)........................................................................................................................... 75
Figure 10 : Schématisation de la transposition didactique selon Chevallard ou des transpositions didactiques selon Martinand .......... 78
Figure 11 : Modélisation de la ternarité en didactique clinique (Carnus, 2009) ....................................................................................... 79
Figure 12 : Les axes en tension pour situer le sujet pris dans le didactique (Carnus, 2016) .................................................................. 85
Figure 13 : Concepts mobilisés dans le cadre de cette recherche .......................................................................................................... 89
Figure 14 : Schématisation de la problématisation .................................................................................................................................. 92
Figure 15 : Exemple de question ouverte ................................................................................................................................................ 97
Figure 16 : Exemple de question fermée avec réponse binaire .............................................................................................................. 97
Figure 17 : Exemple de question fermée avec réponse triple ................................................................................................................. 97
Figure 18 : Exemple de question fermée à réponses multiples ............................................................................................................... 97
Figure 19 : Réponses à la question « Trouvez-vous l'enseignement de la PO difficile ? » données brutes ........................................... 99
Figure 20 : Représentation graphique des réponses à la question « Trouvez-vous l'enseignement de la PO difficile ? » ..................... 99
Figure 21 : Tri croisé des réponses à la question en fonction des profils types d'enseignants ............................................................... 99
Figure 22 : Représentation du croisement des réponses à la question « la PO est-elle difficile à enseigner ? » avec le profil type des
enseignants ........................................................................................................................................................................................... 100
Figure 23 : Capture d'écran du logiciel Tropes pour quantifier les fréquences d'apparition des occurrences ....................................... 100
Figure 24 : Représentation sous forme de nuage de mots des termes les plus cités en réponse à la question ................................... 101
Figure 25 : Exemple de codage d'une question ouverte........................................................................................................................ 102
Figure 26 : Quantification des catégories de la conception des enseignants pour "arômes des vins" .................................................. 102
Figure 27 : Quantification des catégories de la conception des enseignants pour "arômes des vins" en fonction du profil type
d'enseignant........................................................................................................................................................................................... 102
Figure 28 : Instrumentation et traitement du questionnaire exploratoire ............................................................................................... 103
Figure 29 : Extrait d'un tableau de codage des données de l'entretien de DL ...................................................................................... 111
Figure 30 : Extrait du tableau de condensation des données de l'entretien d’accès au déjà-là ............................................................ 112
Figure 31 : Extrait du tableau d'analyse des données de l'entretien de DL ........................................................................................... 113
Figure 32 : Instrumentation et traitement des entretiens de déjà-là ...................................................................................................... 114
Figure 33 : Capture d'écran le la partie « Phases de la séance » du synopsis ..................................................................................... 117
Figure 34 : Capture d'écran de la partie "Observation de l'enseignant" du synopsis ............................................................................ 118
Figure 35 : Capture d'écran de la partie "Observation des élèves" du synopsis ................................................................................... 118
Figure 36 : Durées des moments didactiques de la leçon de Christian................................................................................................. 119

412
Figure 37 : Type d'outils matériels mobilisés par les enseignants ......................................................................................................... 120
Figure 38 : Locogramme n°1 de la leçon de Christian .......................................................................................................................... 121
Figure 40 : Nombre d'interactions verbales par phase de la leçon de Philibert ..................................................................................... 123
Figure 41 : Analyse du discours de la partie olfactive de l'AS ............................................................................................................... 126
Figure 42 : Instrumentation et traitement des épreuves ........................................................................................................................ 127
Figure 43 : Extrait de la Matrice de rapprochement du DL et de l'EP de Philibert ................................................................................. 129
Figure 44 : Temps écoulé en jours entre la leçon et l'entretien d'après-coup ....................................................................................... 131
Figure 45 : Durée des entretiens d'après-coup en minutes et secondes............................................................................................... 131
Figure 46 : Instrumentation et traitement des entretiens d'après-coup.................................................................................................. 134
Figure 47 : Genre des enseignants ayant répondu au questionnaire .................................................................................................... 141
Figure 48 : Contexte des enseignants ayant répondu au questionnaire ............................................................................................... 141
Figure 49 : Âge des enseignants ayant répondu au questionnaire ....................................................................................................... 142
Figure 50 : Pyramide des âges des enseignants en lycée professionnel (statistiques éducation nationale, 2017) .............................. 142
Figure 51 : Ancienneté des enseignants ayant répondu au questionnaire ............................................................................................ 142
Figure 52 : Sentiment d'expertise des enseignants ayant répondu au questionnaire ........................................................................... 143
Figure 53 : Répartition des enseignants ayant répondu au questionnaire entre expérience et expertise ............................................. 144
Figure 54 : Profils des enseignants ayant répondu au questionnaire .................................................................................................... 145
Figure 55 : Importance des phases de l'AS ........................................................................................................................................... 146
Figure 56 : Importance des phases de l'AS en fonction des profils d'enseignants ................................................................................ 146
Figure 57: Importance de la description de la partie aromatique d'un vin ............................................................................................. 147
Figure 58 : Importance de la description de la partie aromatique d'un vin en fonction des profils d'enseignants ................................. 148
Figure 59 : Conception de "arômes du vin" pour les enseignants ayant répondu ................................................................................. 149
Figure 60 : Conception des enseignants, classée en catégories, à l'évocation de "arômes des vins" .................................................. 150
Figure 61 : Conception des enseignants, classée en catégories, à l'évocation de "arômes des vins" par profil ................................... 151
Figure 62 : Difficulté d'enseignement de la PO...................................................................................................................................... 152
Figure 63 : Difficulté d'enseignement de la PO par profil....................................................................................................................... 153
Figure 64 : Déjà-là intentionnel des enseignants sondés ...................................................................................................................... 154
Figure 65 : Déjà-là intentionnel des enseignants sondés par profil ....................................................................................................... 154
Figure 66 : Déclaration de la sensibilité aux odeurs des enseignants ................................................................................................... 156
Figure 67 : Déclaration de la capacité d’identifier les odeurs par les enseignants ................................................................................ 157
Figure 68 : Déclaration de la mémorisation des odeurs par les enseignants ........................................................................................ 157
Figure 69 : Déclaration de la capacité de description des odeurs par les enseignants ......................................................................... 158
Figure 70 : Déclaration de l'attrait de l'identification des odeurs par les enseignants............................................................................ 159
Figure 71 : Rappel de la chronologie de la collecte des données pour Philibert ................................................................................... 161
Figure 72 : Unités terminologiques de la PO dans le discours de Philibert ........................................................................................... 172
Figure 73 : Répartition des unités terminologiques du discours de Philibert dans les champs de la PO .............................................. 173
Figure 74 : Rappel de la chronologie de la collecte des données pour Nadia....................................................................................... 196
Figure 75 : Unités terminologiques de la PO dans le discours de Nadia ............................................................................................... 205
Figure76 : Répartition des unités terminologiques du discours de Nadia dans les champs de la PO ................................................... 206
Figure 77 : Rappel de la chronologie de la collecte des données pour Christian .................................................................................. 236

413
Figure 78 : Unités terminologiques de la PO dans le discours de Christian .......................................................................................... 248
Figure 79 : Répartition des unités terminologiques du discours de Christian dans les champs de la PO ............................................. 249
Figure 80 : Rappel de la chronologie de la collecte des données pour Jérémy .................................................................................... 276
Figure 81 : Unités terminologiques de la PO dans le discours de Jérémy ............................................................................................ 286
Figure 82 : Répartition des unités terminologiques du discours de Jérémy dans les champs de la PO ............................................... 287
Figure 83 : Répartition des moments didactiques par enseignants (en pourcentage) .......................................................................... 317
Figure 84 : Débit de la parole des enseignants en nombre de mots par minute ................................................................................... 321
Figure 85 : Présence de la PO dans le discours de l'AS des enseignants (en pourcentage)................................................................ 322
Figure 86 : Discours de la PO (en nombre de mots) ............................................................................................................................. 323
Figure 87 : Densité du discours de la PO (en pourcentage) .................................................................................................................. 324
Figure 88 : Technicité du discours de la PO (en pourcentage) ............................................................................................................. 324
Figure 89 : Répartition des termes de la PO en champs spécifiques (en pourcentage) ....................................................................... 325
Figure 90 : Nombre d'outils matériels mobilisés par les enseignants .................................................................................................... 327
Figure 91 : Stratégie d’équilibration ....................................................................................................................................................... 334
Figure 92 : Positionnements sur les axes en tension : au-delà des singularités, des régularités .......................................................... 339
Figure 93 : Le déjà-là sensoriel au cœur du déjà-là décisionnel ........................................................................................................... 350
Figure 94 : Zoom sur le Déjà-là sensoriel .............................................................................................................................................. 351
Figure 95 : Les strates du Déjà-là sensoriel .......................................................................................................................................... 351
Figure 96 : Structure du ressort didactique ............................................................................................................................................ 355
Figure 97 : Extrait du triangle didactique clinique selon Carnus (2013) ................................................................................................ 355
Figure 98 : Pyramide didactique clinique ............................................................................................................................................... 356
Figure 99: Les ressorts didactiques cliniques ........................................................................................................................................ 356
Figure 100 : Les ressorts internes du rapport à l'institution ................................................................................................................... 357
Figure 101 : Les ressorts internes du rapport à l'épreuve ..................................................................................................................... 357
Figure 102 : Les ressorts internes du rapport au(x) savoir(s) ................................................................................................................ 358
Figure 103 : Le ressort est moteur ......................................................................................................................................................... 358
Figure 104 : Le ressort est un frein ........................................................................................................................................................ 358
Figure 105 : Les axes en tension de Philibert ........................................................................................................................................ 359
Figure 106 : Les axes en tension de Nadia ........................................................................................................................................... 360
Figure 107 : Les axes en tension de Christian ...................................................................................................................................... 361
Figure 108 : Les axes en tension de Jérémy ......................................................................................................................................... 362

414
Table des matières
Citations ..................................................................................................................................................................................................... 7
Remerciements.......................................................................................................................................................................................... 9
Sommaire ................................................................................................................................................................................................ 10
Abréviations ........................................................................................................................................................................................ 12
Sigles .................................................................................................................................................................................................. 13
Préambule ............................................................................................................................................................................................... 14
Un objet d’étude absent des recherches ............................................................................................................................................ 14
L’intérêt de cette recherche ................................................................................................................................................................ 14
Introduction .............................................................................................................................................................................................. 16
Pourquoi le choix de ce thème ?......................................................................................................................................................... 16
Mon rapport à l’objet d’étude .............................................................................................................................................................. 17
Enjeu de cette recherche .................................................................................................................................................................... 18
Présentation de la structure ................................................................................................................................................................ 19
Chapitre 1. Délimitation de l’objet d’étude : options notionnelles retenues pour la recherche ................................................................ 21
1. Précisions terminologiques, de la dégustation à l’analyse sensorielle du vin ................................................................................ 22
1.1. De la dégustation.................................................................................................................................................................. 22
1.2. À l’analyse sensorielle .......................................................................................................................................................... 24
1.3. Le vin .................................................................................................................................................................................... 25
1.4. Pour résumer… .................................................................................................................................................................... 26
2. Les objectifs de l’AS, de l’œnologie à la sommellerie .................................................................................................................... 27
3. Les savoirs savants de la physiologie du goût ............................................................................................................................... 30
3.1. Comment fonctionnent les sens ? ........................................................................................................................................ 30
3.2. La vision ............................................................................................................................................................................... 31
3.3. L’olfaction ............................................................................................................................................................................. 32
3.3.1. La perception des arômes .......................................................................................................................................... 32
3.3.2. L’identification des arômes ......................................................................................................................................... 34
3.3.3. La mémorisation des arômes...................................................................................................................................... 35
3.3.4. La verbalisation des arômes ....................................................................................................................................... 36
3.3.5. L’optimisation de la perception des arômes du vin ..................................................................................................... 37
3.4. La gustation .......................................................................................................................................................................... 37
3.5. Les sensations trigéminales ................................................................................................................................................. 38
3.6. La partie olfactive de l’AS, odeur(s) et arôme(s) .................................................................................................................. 38
3.6.1. La PO est centrale et délicate ..................................................................................................................................... 39
3.6.2. La PO par voie orthonasale ........................................................................................................................................ 39
3.6.3. La PO par voie rétronasale ......................................................................................................................................... 40
3.7. Pour résumer… .................................................................................................................................................................... 41
4. La pratique sociale de référence des sommeliers.......................................................................................................................... 42

415
4.1. Le sommelier ........................................................................................................................................................................ 42
4.2. La méthodologie de la PO .................................................................................................................................................... 43
4.2.1. Le flairage ................................................................................................................................................................... 43
4.2.2. Premier, deuxième, troisième et quatrième nez ......................................................................................................... 43
4.2.3. Arômes de bouche et persistance aromatique intense ............................................................................................... 44
4.2.4. Adaptation et habituation ............................................................................................................................................ 45
4.3. Les mots de la PO ................................................................................................................................................................ 45
4.3.1. Une volonté historique de décrire la PO ..................................................................................................................... 45
4.3.2. Des mots pour exprimer la qualité de la PO ............................................................................................................... 46
4.3.3. Des mots pour exprimer la complexité de la PO......................................................................................................... 48
4.3.4. Les mots de l’origine supposée de la PO ................................................................................................................... 50
4.4. Une double compétence : le sentir et le dire ........................................................................................................................ 51
4.5. Pour résumer… .................................................................................................................................................................... 51
5. Le savoir à enseigner : l’AS des vins en formation HR .................................................................................................................. 52
5.1. Programmation didactique dans les curriculums .................................................................................................................. 52
5.1.1. Bac pro commercialisation et service en restauration ................................................................................................ 52
5.1.2. Mention complémentaire sommellerie ........................................................................................................................ 54
5.1.3. BTS Hôtellerie-restauration......................................................................................................................................... 56
5.2. Place de l’AS dans un manuel de référence ........................................................................................................................ 58
5.2.1. Un manuel de référence ............................................................................................................................................. 58
5.2.2. La place de l’AS dans le manuel de référence ........................................................................................................... 58
5.2.3. Les thèmes de l’AS dans le manuel de référence ...................................................................................................... 59
5.2.4. La PO dans le manuel de référence ........................................................................................................................... 60
5.3. Le curriculum caché de l’AS ................................................................................................................................................. 60
5.3.1. Rejeter le vin lors de l’AS ............................................................................................................................................ 61
5.3.2. L’AS comme transmission d’un patrimoine culturel .................................................................................................... 62
5.3.3. L’AS comme éducation au « savoir-boire » ................................................................................................................ 64
5.3.4. L’AS, le plaisir, le sujet, le vin ..................................................................................................................................... 65
5.4. Pour résumer… .................................................................................................................................................................... 67
6. Options notionnelles retenues........................................................................................................................................................ 68
Chapitre 2 : Options théoriques et conceptuelles de la recherche .......................................................................................................... 71
1. Épistémologie et théorie de la didactique clinique ......................................................................................................................... 72
1.1. Les origines .......................................................................................................................................................................... 72
1.2. Les fondements .................................................................................................................................................................... 73
1.3. Une théorie du sujet pris dans le didactique......................................................................................................................... 73
1.3.1. Singulier ≠ générique ................................................................................................................................................. 74
1.3.2. Assujetti = sujet de l’institution .................................................................................................................................... 74
1.3.3. Divisé par son inconscient .......................................................................................................................................... 75
1.4. Pourquoi la DC est-elle un cadre théorique adapté à cette recherche ? .............................................................................. 76
2. Concepts et outils mobilisés dans l’étude ...................................................................................................................................... 77

416
2.1. De la transposition didactique… ........................................................................................................................................... 77
2.2. … à la conversion didactique ............................................................................................................................................... 79
2.3. Les moments didactiques ..................................................................................................................................................... 80
2.3.1. La chronogenèse et les quatre moments didactiques ................................................................................................ 80
2.3.2. Dévoluer et institutionnaliser ....................................................................................................................................... 81
2.4. Phénomènes ostensifs, outils symboliques et matériels ...................................................................................................... 81
2.5. Le « déjà-là décisionnel » ..................................................................................................................................................... 82
2.5.1. Le DL est un filtre de l’action didactique ..................................................................................................................... 83
2.5.2. DL expérientiel, conceptuel et intentionnel ................................................................................................................. 83
2.6. La position symbolique de sujet supposé savoir .................................................................................................................. 83
2.7. L’impossible à supporter....................................................................................................................................................... 84
2.8. Les trois « rapports à » ......................................................................................................................................................... 85
2.8.1. Rapport à l’institution .................................................................................................................................................. 85
2.8.2. Rapport à l’épreuve..................................................................................................................................................... 86
2.8.3. Rapport au(x) savoir(s) ............................................................................................................................................... 87
2.9. En résumé, quels sont les concepts de la didactique clinique mobilisés ? .......................................................................... 89
Problématique et questions de recherche ............................................................................................................................................... 90
Chapitre 3 : Dispositif méthodologique .................................................................................................................................................... 93
1. Préambule épistémologique........................................................................................................................................................... 94
1.1. La triangulation des données ............................................................................................................................................... 94
1.2. La posture clinique du chercheur ......................................................................................................................................... 94
2. Le questionnaire exploratoire ......................................................................................................................................................... 96
2.1. Généralités sur le questionnaire exploratoire ....................................................................................................................... 96
2.2. Instrumentation ..................................................................................................................................................................... 96
2.3. Traitement ............................................................................................................................................................................ 98
2.4. Pour résumer… .................................................................................................................................................................. 103
3. De l’étude de cas à la construction du cas................................................................................................................................... 104
3.1. Généralités sur l’étude de cas ............................................................................................................................................ 104
3.2. La construction du cas en didactique clinique .................................................................................................................... 104
3.2.1. Élever le cas en paradigme ...................................................................................................................................... 105
3.2.2. Les quatre cas de cette recherche ........................................................................................................................... 106
3.2.3. Le déjà-là .................................................................................................................................................................. 107
3.2.4. L’épreuve .................................................................................................................................................................. 114
3.2.5. L’après-coup ............................................................................................................................................................. 127
3.3. Les données produites ....................................................................................................................................................... 134
3.3.1. La vignette didactique clinique .................................................................................................................................. 134
3.3.2. La formule du sujet ................................................................................................................................................... 136
4. Tableaux synthétiques du dispositif méthodologique................................................................................................................... 137
Chapitre 4 : Les résultats ....................................................................................................................................................................... 139
1. Analyse du questionnaire exploratoire ......................................................................................................................................... 140

417
1.1. Analyse descriptive............................................................................................................................................................. 140
1.2. Analyse compréhensive ..................................................................................................................................................... 145
1.2.1. DL conceptuel des enseignants interrogés ............................................................................................................... 145
1.2.2. DL intentionnel des enseignants interrogés .............................................................................................................. 152
1.2.3. Un DL sensoriel chez les enseignants interrogés ..................................................................................................... 155
1.2.4. Pour résumer…......................................................................................................................................................... 159
2. Analyse et construction des cas................................................................................................................................................... 160
2.1. Philibert : « Comme je peux ». ................................................................................................................................................ 161
2.1.1. Présentation et analyse diachronique du cas ................................................................................................................ 161
2.1.1.1. Le déjà-là décisionnel .......................................................................................................................................... 161
2.1.1.2. L’Épreuve ............................................................................................................................................................. 167
2.1.1.3. L’après-coup ........................................................................................................................................................ 177
2.1.1.4. Conclusion provisoire ........................................................................................................................................... 188
2.1.2. Vignette didactique clinique du cas ............................................................................................................................... 189
2.1.2.1. Forme diachronique de la vignette didactique clinique ........................................................................................ 190
2.1.2.2. Forme synchronique de la vignette didactique clinique ....................................................................................... 192
2.1.2.3. Formule du sujet .................................................................................................................................................. 195
2.2. Nadia : « Faire appel à ses références d’enfance » ................................................................................................................ 196
2.2.1. Présentation et analyse diachronique du cas ................................................................................................................ 196
2.2.1.1. Le déjà-là décisionnel .......................................................................................................................................... 196
2.2.1.2. L’Épreuve ............................................................................................................................................................. 200
2.2.1.3. L’après-coup ........................................................................................................................................................ 213
2.2.1.4. Conclusion provisoire ........................................................................................................................................... 228
2.2.2. Vignette didactique clinique du cas ............................................................................................................................... 230
2.2.2.1. Forme diachronique de la vignette didactique clinique ........................................................................................ 230
2.2.2.2. Forme synchronique de la vignette didactique clinique ....................................................................................... 232
2.2.2.3. Formule du sujet .................................................................................................................................................. 235
2.3. Christian : « Personne n’a tort (…) il faut suivre un chef, un modèle, un mentor » ................................................................. 236
2.3.1. Présentation et analyse diachronique du cas ................................................................................................................ 236
2.3.1.1. Le déjà-là décisionnel .......................................................................................................................................... 236
2.3.1.2. L’épreuve ............................................................................................................................................................. 242
2.3.1.3. L’après-coup ........................................................................................................................................................ 254
2.3.1.4. Conclusion provisoire ........................................................................................................................................... 267
2.3.2. Vignette didactique clinique du cas ............................................................................................................................... 268
2.3.2.1. Forme diachronique de la vignette didactique clinique ........................................................................................ 268
2.3.2.2. Forme synchronique de la vignette didactique clinique ....................................................................................... 271
2.3.2.3. Formule du sujet .................................................................................................................................................. 274
2.4. Jérémy : « C’est difficile (…) leur transmettre les connaissances que j’ai pu avoir moi » ....................................................... 276
2.4.1. Présentation et analyse diachronique du cas ................................................................................................................ 276
2.4.1.1. Le déjà-là décisionnel .......................................................................................................................................... 276

418
2.4.1.2. L’Épreuve ............................................................................................................................................................. 280
2.4.1.3. L’après-coup ........................................................................................................................................................ 294
2.4.1.4. Conclusion provisoire ........................................................................................................................................... 307
2.4.2. Vignette didactique clinique du cas ............................................................................................................................... 308
2.4.2.1. Forme diachronique de la vignette didactique clinique ........................................................................................ 308
2.4.2.2. Forme synchronique de la vignette didactique clinique ....................................................................................... 311
2.4.2.3. Formule du sujet .................................................................................................................................................. 315
3. Rapprochement des cas .............................................................................................................................................................. 316
3.1. Les moments didactiques entre dévolution et institutionnalisation ..................................................................................... 316
3.1.1. La dévolution de la situation didactique de référence comme signe d’une certaine expertise ................................. 317
3.1.2. La PO, un savoir difficile à enseigner et impossible à institutionnaliser.................................................................... 318
3.1.3. Les régularités .......................................................................................................................................................... 319
3.1.4. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?........................................................................................................ 320
3.2. Analyse lexicale du discours des enseignants ................................................................................................................... 321
3.2.1. Le débit de parole de l’enseignant durant sa leçon .................................................................................................. 321
3.2.2. La maîtrise de la PO dans le discours ...................................................................................................................... 323
3.2.3. Les régularités .......................................................................................................................................................... 326
3.2.4. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?........................................................................................................ 326
3.3. Outils mobilisés par les enseignants durant l’épreuve ....................................................................................................... 327
3.3.1. Les régularités .......................................................................................................................................................... 329
3.3.2. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?........................................................................................................ 329
3.4. Les déplacements et la proxémie des enseignants comme révélateurs de leur expérience et de leur expertise .............. 329
3.4.1. Les régularités .......................................................................................................................................................... 330
3.4.2. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?........................................................................................................ 331
3.5. La position symbolique de sujet supposé savoir ................................................................................................................ 331
3.5.1. Jérémy : s’affirmer comme le « sujet qui ne sait pas tout » mais devenir un « sujet qui sait »................................. 331
3.5.2. Philibert : les stratégies pour protéger sa position de sujet supposé savoir. ............................................................ 332
3.5.3. Nadia : être un sujet supposé savoir incontournable. ............................................................................................... 332
3.5.4. Christian : être un sujet supposé savoir incontestable.............................................................................................. 332
3.5.5. Les régularités .......................................................................................................................................................... 333
3.5.6. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?........................................................................................................ 334
3.6. Le recours aux métaphores des enseignants..................................................................................................................... 334
3.6.1. Philibert : la métaphore érotique ............................................................................................................................... 335
3.6.2. Nadia : la métaphore de l’enfance ............................................................................................................................ 336
3.6.3. Jérémy : la métaphore des tiroirs.............................................................................................................................. 336
3.6.4. Christian : la métaphore de la gifle ........................................................................................................................... 337
3.6.5. Les régularités .......................................................................................................................................................... 337
3.6.6. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?........................................................................................................ 338
3.7. Les 3 rapports à… .............................................................................................................................................................. 338
3.7.1. Les régularités .......................................................................................................................................................... 341

419
3.7.2. En résumé, comment la PO s’enseigne-t-elle ?........................................................................................................ 341
Chapitre 5 : Discussion et réponses aux questions de recherche ......................................................................................................... 343
1. Réponses aux questions de recherche ........................................................................................................................................ 344
1.1. Les régularités dans l’enseignement de la PO ................................................................................................................... 344
1.1.1. Dévolution de la situation didactique de référence : les élèves plus ou moins seuls face au vin ............................. 344
1.1.2. Impossible à institutionnaliser : les écarts entre l’intention et l’action ....................................................................... 345
1.1.3. Discours des enseignants : entre débit, densité et technicité ................................................................................... 345
1.1.4. Outils symboliques et outils matériels : épaisseur ostensive de la leçon.................................................................. 345
1.1.5. Position physique de l’enseignant dans la classe : une présence sous influence .................................................... 346
1.1.6. Position symbolique de l’enseignant dans la classe : un équilibre instable .............................................................. 346
1.1.7. Position incarnée par les enseignants à leur insu : suppléer la transmission familiale............................................. 346
1.1.8. Rapport à l’institution, à l’épreuve et au savoir : entre expérience et expertise ........................................................ 346
1.2. La PO sous l'influence d'un « déjà-là » sensoriel ............................................................................................................... 346
1.2.1. Comment définir le DLS ? ......................................................................................................................................... 347
1.2.2. Quelles sont les traces du DLS dans l’enseignement de la PO ? ............................................................................ 349
1.3. La PO animée par des ressorts didactiques....................................................................................................................... 354
1.3.1. Les ressorts didactiques ........................................................................................................................................... 354
1.3.2. Frein ou moteur ........................................................................................................................................................ 358
1.4. Formation des enseignants à l’enseignement de la PO ..................................................................................................... 363
1.4.1. Rechercher, découvrir et exploiter son déjà-là sensoriel .......................................................................................... 363
1.4.2. Dynamiser les ressorts didactiques .......................................................................................................................... 366
1.4.3. Enseigner un savoir impossible à institutionnaliser .................................................................................................. 382
1.5. Conclusion intermédiaire .................................................................................................................................................... 391
2. L’après-coup du chercheur : effet chercheur et effet recherche .................................................................................................. 392
2.1. Effet recherche ................................................................................................................................................................... 392
2.2. Effet chercheur ................................................................................................................................................................... 393
2.2.1. Ma position de chercheur-formateur ......................................................................................................................... 394
2.2.2. Mon rapport aux sujets collaborateurs ...................................................................................................................... 398
2.2.3. Mon rapport à la clinique........................................................................................................................................... 400
3. Limites et perspectives................................................................................................................................................................. 402
3.1. Une validité locale .............................................................................................................................................................. 402
3.2. Frustration et mécanismes de défense .............................................................................................................................. 402
3.3. Les suites de la recherche… .............................................................................................................................................. 402
Conclusion générale .............................................................................................................................................................................. 405
Bibliographie .......................................................................................................................................................................................... 406
Table des figures, tableaux et schémas ................................................................................................................................................ 412
Mots clés ........................................................................................................................................................................................... 422
Résumé............................................................................................................................................................................................. 422
Keywords .......................................................................................................................................................................................... 423
Abstract ............................................................................................................................................................................................. 423

420
421
Mots clés

Analyse sensorielle des vins, partie olfactive, didactique clinique, lycées professionnels et
techniques, hôtellerie-restauration

Résumé

L’analyse sensorielle des vins est un objet d’enseignement omniprésent dans les formations des
lycées professionnels et techniques du domaine de l’hôtellerie-restauration. Sa partie olfactive est
particulièrement difficile à enseigner. La double compétence à acquérir s’articule autour du sentir
(les odeurs et les arômes) et du dire (valorisation orale de la description du vin aux clients du
restaurant). Pour tenter de rendre moins opaque cet enseignement, nous nous appuyons sur la
pratique sociale de référence de la sommellerie. Nous convoquons la didactique clinique pour poser
le cadre théorique et conceptuel du sujet pris dans le didactique pour suivre et comprendre les enjeux
de savoir, à travers l’éclairage du sujet enseignant, dans l’enseignement de la partie olfactive de
l’analyse sensorielle des vins.

Grâce à un questionnaire exploratoire, quatre enseignants collaborateurs, appartenant à quatre profils


contrastés, sont sélectionnés. Chaque cas est ensuite construit et analysé : Philibert « Comme je
peux » enseignant expérimenté non-spécialiste, Nadia « Faire appel à ses références d’enfance »
enseignante débutante, Christian « Personne n’a tort (…) il faut suivre un chef, un modèle, un
mentor » enseignant chevronné et Jérémy « C’est difficile (…) leur transmettre les connaissances
que j’ai pu avoir moi » enseignant novice. Lors du rapprochement des cas, des indicateurs des
pratiques enseignantes sont déduits. La partie olfactive de l’analyse sensorielle apparaît comme un
savoir impossible à institutionnaliser, sous l’influence d’un déjà-là sensoriel du sujet enseignant et
elle semble sous-tendue par des ressorts didactiques qui agissent sur les pratiques enseignantes. La
dernière partie de cette thèse réunie des propositions praxéologiques : les résultats de la recherche
participent à la mise en place de préconisations. La didactique clinique propose des outils
heuristiques pour la formation des enseignants.

422
Keywords

Sensory analysis of wines, olfactory part, clinical didactics, professional and technical schools, hotel
and catering

Abstract

The sensory analysis of wines is an omnipresent object of instruction in professional and technical
schools in hotel and catering sector. Its olfactory part is particularly difficult to teach. The double
competence to be acquired is based on the smelling (odors and aromas) and the saying (oral
description of wine to the customers of the restaurant). To try to make this teaching less opaque, we
rely on the reference social practice of sommellerie. We use clinical didactics to pose the theoretical
and conceptual framework of the subject taken in the didactics to follow and understand the issues of
knowledge, through the lighting of the teaching subject, in the teaching of the olfactory part of the
sensory analysis of wines.

Through an exploratory questionnaire, four collaborating teachers from four contrasting profiles are
selected. Each case is then built and analyzed: Philibert "As I can" an experienced non-specialist
teacher, Nadia "Appealing to her childhood references" beginner teacher, Christian "No one is wrong
(...) you have to follow a leader, a model, a mentor "experienced teacher and Jeremy" It's hard (...) to
pass on to them the knowledge that I have "novice teacher. When reconciling cases, indicators of
teaching practices are deduced. The olfactory part of the sensory analysis appears as a knowledge
impossible to institutionalize, under the influence of a sensory already-there of the teaching subject
and it seems animated by didactic springs which act on the teaching practices. The last part of this
thesis brings praxeological propositions: the results of research contribute to the implementation of
recommendations. Clinical didactics offers heuristic tools for teacher training.

423
Enseigner l’analyse sensorielle du vin, ressorts didactiques et déjà-là sensoriel de
l’enseignant, études de cas en didactique clinique
Dominique Alvarez
Mots clés
Analyse sensorielle des vins, partie olfactive, didactique clinique, lycées professionnels et
techniques, hôtellerie-restauration

Résumé
L’analyse sensorielle des vins est un objet d’enseignement omniprésent dans les formations des lycées professionnels et
techniques du domaine de l’hôtellerie-restauration. Sa partie olfactive est particulièrement difficile à enseigner. La double
compétence à acquérir s’articule autour du sentir (les odeurs et les arômes) et du dire (valorisation orale de la description
du vin aux clients du restaurant). Pour tenter de rendre moins opaque cet enseignement, nous nous appuyons sur la
pratique sociale de référence de la sommellerie. Nous convoquons la didactique clinique pour poser le cadre théorique et
conceptuel du sujet pris dans le didactique pour suivre et comprendre les enjeux de savoir, à travers l’éclairage du sujet
enseignant, dans l’enseignement de la partie olfactive de l’analyse sensorielle des vins.

Grâce à un questionnaire exploratoire, quatre enseignants collaborateurs, appartenant à quatre profils contrastés, sont
sélectionnés. Chaque cas est ensuite construit et analysé : Philibert « Comme je peux » enseignant expérimenté non-
spécialiste, Nadia « Faire appel à ses références d’enfance » enseignante débutante, Christian « Personne n’a tort (…) il
faut suivre un chef, un modèle, un mentor » enseignant chevronné et Jérémy « C’est difficile (…) leur transmettre les
connaissances que j’ai pu avoir moi » enseignant novice. Lors du rapprochement des cas, des indicateurs des pratiques
enseignantes sont déduits. La partie olfactive de l’analyse sensorielle apparaît comme un savoir impossible à
institutionnaliser, sous l’influence d’un déjà-là sensoriel du sujet enseignant et elle semble sous-tendue par des ressorts
didactiques qui agissent sur les pratiques enseignantes. La dernière partie de cette thèse réunie des propositions
praxéologiques : les résultats de la recherche participent à la mise en place de préconisations. La didactique clinique
propose des outils heuristiques pour la formation des enseignants.

Keywords
Sensory analysis of wines, olfactory part, clinical didactics, professional and technical schools, hotel
and catering

Abstract
The sensory analysis of wines is an omnipresent object of instruction in professional and technical schools in hotel and
catering sector. Its olfactory part is particularly difficult to teach. The double competence to be acquired is based on the
smelling (odors and aromas) and the saying (oral description of wine to the customers of the restaurant). To try to make
this teaching less opaque, we rely on the reference social practice of sommellerie. We use clinical didactics to pose the
theoretical and conceptual framework of the subject taken in the didactics to follow and understand the issues of
knowledge, through the lighting of the teaching subject, in the teaching of the olfactory part of the sensory analysis of
wines.

Through an exploratory questionnaire, four collaborating teachers from four contrasting profiles are selected. Each case
is then built and analyzed: Philibert "As I can" an experienced non-specialist teacher, Nadia "Appealing to her childhood
references" beginner teacher, Christian "No one is wrong (...) you have to follow a leader, a model, a mentor
"experienced teacher and Jeremy" It's hard (...) to pass on to them the knowledge that I have "novice teacher. When
reconciling cases, indicators of teaching practices are deduced. The olfactory part of the sensory analysis appears as a
knowledge impossible to institutionalize, under the influence of a sensory already-there of the teaching subject and it
seems animated by didactic springs which act on the teaching practices. The last part of this thesis brings praxeological
propositions: the results of research contribute to the implementation of recommendations. Clinical didactics offers
heuristic tools for teacher training.

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