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Paul et Virginie Bernardin de Saint-Pierre


On vit alors un objet digne d'une éternelle pitié: une jeune demoiselle parut
dans la galerie de la poupe du Saint-Géran, tendant les bras vers celui qui
faisait tant d'efforts pour la joindre. C'était Virginie. Elle avait reconnu son
amant à son intrépidité. La vue de cette aimable personne, exposée à un si
terrible danger, nous remplit de douleur et de désespoir. Pour Virginie, d'un
port noble et assuré, elle nous faisait signe de la main, comme nous disant un
éternel adieu. Tous les matelots s'étaient jetés à la mer. Il n'en restait plus
qu'un sur le pont, qui était tout nu et nerveux comme Hercule. Il s'approcha de
Virginie avec respect: nous le vîmes se jeter à ses genoux, et s'efforcer même
de lui ôter ses habits; mais elle, le repoussant avec dignité, détourna de lui sa
vue. On entendit aussitôt ces cris redoublés des spectateurs: "Sauvez-la,
sauvez-la; ne la quittez pas!" Mais dans ce moment une montagne d'eau d'une
effroyable grandeur s'engouffra entre l'île d'Ambre et la côte, et s'avança en
rugissant vers le vaisseau, qu'elle menaçait de ses flancs noirs et de ses
sommets écumants. A cette terrible vue le matelot s'élança seul à la mer; et
Virginie, voyant la mort inévitable, posa une main sur ses habits, l'autre sur son
cœur, et levant en haut des yeux sereins, parut un ange qui prend son vol vers
les cieux.
O jour affreux! hélas! tout fut englouti. La lame jeta bien avant dans les terres
une partie des spectateurs qu'un mouvement d'humanité avait portés à
s'avancer vers Virginie, ainsi que le matelot qui l'avait voulu sauver à la nage.
Cet homme, échappé à une mort presque certaine, s'agenouilla sur le sable, en
disant: "O mon Dieu! vous m'avez sauvé la vie; mais je l'aurais donnée de bon
cœur pour cette digne demoiselle qui n'a jamais voulu se déshabiller comme
moi." Domingue et moi nous retirâmes des flots le malheureux Paul sans
connaissance, rendant le sang par la bouche et par les oreilles.

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