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Topos de la « Tempête en mer »

Épopée antique / Bible (Nouveau Testament) / XVIe siècle

1. Virgile, Énéide, I, v. 84-101

Ils s’abattirent sur la mer, et toute entière, des grands fonds où elle repose,
L’Eurus et le Notus la font jaillir, unis aux rafales serrées [85]
De l’Africus et ils roulent des vagues gigantesques en direction de la côte.
Aussitôt s’élèvent les cris des hommes et le sifflement des cordages.
Soudain les nuages arrachent la vue du ciel et la lumière du jour
Aux yeux des Troyens. Une nuit noire tombe sur la mer.
Les cieux se mirent à tonner, et l’éther scintille d’une mitraille d’éclairs. [90]
Tout fait sentir aux hommes la proximité de la mort.
À cet instant les membres d’Énée se dérobent sous l’effet du froid.
Il gémit, puis, ses deux mains tendues vers les astres,
Il dit à haute voix : « Oh trois et quatre fois bienheureux
Ceux qui ont eu la chance de trouver la mort sous les yeux de leurs pères, [95]
Au pied des hauts remparts de Troie ! Ô le plus valeureux des Danaens,
Fils de Tydée, ne pouvais-je tomber dans les plaines d’Ilion
Et par ta main expirer mon souffle
Là où gît le farouche Hector frappé par l’Éacide, où gît l’immense
Sarpédon, où le Simoïs roule, emportés sous les eaux, [100]
Tant de boucliers, de casques de héros et de robustes corps ! »

2. Homère, Odyssée, V, v. 291-392

Neptune l’aperçut, d’un rocher des Solymes. Fauchés sous Ilion, pour complaire aux Atrides !
Il reconnut sa nef, son courroux redoubla, Ah ! que n’ai-je péri, terminé là mon sort,
Et, secouant la tête, il se dit en lui-même : Le jour où des Troyens les sifflantes dardelles
« Quoi ! dans l’Ethiopie alors que je roulais, M’assaillaient près du corps d’Achille renversé !
Les dieux envers Ulysse ont changé de système. J’aurais eu sépulture et palmes éternelles ;
Le voilà presque au bord des Phéaces palais, Mais non ! je dois finir tristement effacé. »
Où le Sort veut qu’il trouve un terme à ses Comme il parlait, d’en haut une vague barbare
souffrances. Sur lui vient fondre, et fait tournoyer son esquif.
Mais j’entends le meurtrir encore comme il Le héros culbuté tombe au gouffre ; la barre
faut. » A glissé de ses mains ; l’essaim expéditif
Ennuageant l’azur, de sa fourche aussitôt, Des vents coalisés coupe en deux sa mâture.
Il trouble son domaine, aux venteuses puissances Voile, antenne, en morceaux, s’envolent à la fois.
Lâche la bride, enfin d’un linceul accablant Ulysse un bout de temps reste sous l’onde
Couvre la terre et l’eau ; soudain le jour expire. obscure,
L’Eurus et le Notas, le violent Zéphyre, Sans pouvoir remonter, si rude en est le poids,
Borée, enfant des airs, fouettent l’onde en Si lourds sont les habits qu’il tient de
hurlant. l’Immortelle.
Ulysse sent fléchir ses genoux et son âme, À la fin il émerge ; aussitôt de cracher
Et dit dans son grand cœur, en poussant maint Le liquide salin qui de son chef ruisselle.
soupir : L’angoisse ne lui fait oublier son plancher :
« Hélas ! infortuné, que vais-je devenir ? Il s’élance à travers les lames, s’en empare,
Je crois que Calypso ne mérite aucun blâme Et, s’asseyant au centre, échappe au coup final.
Pour m’avoir annoncé qu’un parcours orageux Mais les flots soulevés ballottent la gabare.
Redoublerait mes maux ; ses dires Comme, au souffle imprévu d’un orage
s’accomplissent. automnal,
Zeus a fermé le ciel d’un rideau nuageux ; Un fagot broussailleux roule au milieu des
La mer entre en fureur, et tous les vents plaines,
sévissent Ainsi, deçà, delà, l’esquif est promené.
En épais tourbillons. À présent, c’est la mort. Tantôt Notus le livre aux fougues Boréennes,
Trois, quatre fois heureux les guerriers Danaïdes Tantôt Eurus le cède au Zéphyre acharné. […]

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3. Évangile selon Matthieu (8 : 23-27)

23 Il [Jésus] monta dans la barque, et ses disciples le suivirent.


24 Et voici, il s’éleva sur la mer une si grande tempête que la barque était couverte par les flots. Et lui, il
dormait.
25 Les disciples s’étant approchés le réveillèrent, et dirent : Seigneur, sauve-nous, nous périssons !
26 Il leur dit : Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi ? Alors il se leva, menaça les vents et la mer, et

il y eut un grand calme.


27 Ces hommes furent saisis d’étonnement : Quel est celui-ci, disaient-ils, à qui obéissent même les vents et

la mer ?

4. Évangile selon Luc (8 : 22-25)

22 Un jour, Jésus monta dans une barque avec ses disciples et leur dit : Passons de l’autre côté du lac ! Ils
gagnèrent le large.
23 Pendant la traversée, Jésus s’assoupit. Soudain, un vent violent se leva sur le lac. L’eau envahit la barque.

La situation devenait périlleuse.


24 Les disciples s’approchèrent de Jésus et le réveillèrent en criant : Maître, Maître, nous sommes perdus ! Il

se réveilla et parla sévèrement au vent et aux flots tumultueux : ils s'apaisèrent, et le calme se fit.
25 Alors il dit à ses disciples : Où est donc votre foi ? Quant à eux, ils étaient saisis de crainte et

d’étonnement, et ils se disaient les uns aux autres : Qui est donc cet homme ? Voyez : il commande même
aux vents et aux vagues, et il s’en fait obéir !

5. Rabelais, Quart Livre (1552), chap. XIX : « Quelles contenences eurent Panurge & frère Ian durant
la tempeste ». [Chap. XVIII-XXII : épisode de la tempête en mer]

PANTAGRVEL prealablement avoir imploré l’ayde du grand Dieu Servateur & faicte oraison publicq en
fervente devotion par l’advis du pilot tenoit l’arbre fort & ferme, frère Ian s’estoit mis en pourpoinct pour
secourir les nauchiers. Aussi estoient Epistemon, Ponocrates & les aultres. Panurge restoit de cul sus le
tillac pleurant & lamentant. Frère Ian l’apperceut passant sus la Coursie & luy dist.
Par Dieu Panurge le veau, Panurge le pleurart, Panurge le criart, tu feroys beaucoup mieulx nous
aydant icy, que là pleurant comme une vache, assis sus tes couillons, comme un magot.
Be be be bous, bous, bous (respondit Panurge) frère Ian mon amy, mon bon père, ie naye, ie naye
mon amy, ie naye. C’est faict de moy, mon père spirituel, mon amy c’en est faict. Vostre bragmart ne m’en
sçauroit saulver. Zalas, Zalas, nous sommes au dessus de Ela. hors toute la gamme. Bebe be bous bous.
Zalas à ceste heure sommes nous au dessoubs de Gama ut. Ie naye. Ha mon père, mon oncle, mon tout.
L’eau est entrée en mes souliers par le collet. Bous, bous, bous, paisch. hu, hu. hu, ha ha. ha. ha. ha. Ie
naye. Zalas, Zalas, hu, hu. hu, hu, hu, hu. Bebe bous, bous bobous, bobous, ho, ho, ho, ho, ho. Zalas,
Zalas, A ceste heure soys bien apoinct l’arbre forchu, les pieds à mont, la teste en bas. Pleust à Dieu que
præsentement ie feusse dedans la Orque des bons & beatz pères Concilipètes les quelz ce matin nous
rencontrasmes, tant devotz, tant gras, tant ioyeulx, tant douilletz, & de bonne grace. Holos, holos, holos,
Zalas, Zalas, ceste vague de tous les Diables (mea culpa Deus) ie diz ceste vague de Dieu enfondrera
nostre nauf. Zalas frère Ian mon père, mon amy, confession. Me voyez cy à genoulx. Confiteor, vostre
saincte benediction.
Vien pendu au Diable (dist frère Ian) icy nous ayder, de par trente Legions de Diables, vien. Viendra
il ?
Ne iurons poinct (dist Panurge) mon père, mon amy, pour ceste heure. Demain tant que vouldrez.
Holos, holos. Zalas, nostre nauf prent eau, ie naye, Zalas, Zalas. Be be be be be bous, bous, bous, bous.
Or sommes nous au fond. Zalas, Zalas. Ie donne dixhuict cent mille escuz de intrade à qui me mettra en
terre, tout foireux & tout breneux comme ie suys, si oncques home feut en ma patrie de bren. Confiteor.
Zalas, un petit mot de testament, ou Codicille pour le moins. […]

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6. Marot, Trente Pseaulmes de David (1543) : Traduction du psaume 107.

Pseaulme Cent et septiesme


Confitemini Domino; quoniam bonus

Argument: Le Psalmiste dit que toutes afflictions viennent et s'en vont par volunté divine et allegue sur ce
les perilz et calamitez des errans aux desertz, des prisonniers, des malades et des agitez sur la mer, la
requeste qu'ilz font à Dieu, comment ilz l'obtiennent, comment ilz en rendent grâces et comment Dieu
tient toutes choses en sa main et les change comme il luy plaist.

Donnez au Seigneur gloyre, Ceulx qui sont resserrés De la mort, qui les mine,
Il est doulx, et clement, En tenebres mortelles,
Et sa bonté notoyre Enchesnés, enferrés, Pourveu qu'à Dieu
Dure eternellement. Et souffrants peines telles, s'addressent,
L'appellants au besoing,
Ceulx qu'il a racheptés, Pour avoir la Parolle Touts les maulx qui les
Qu'ilz chantent sa haultesse, De Dieu, mise à despris, pressent
Et ceulx qu'il a jectés Et tenant pour frivolle Il les renvoye au loing.
Hors de la main d'oppresse. Son conseil de hault pris,
D'un seul mot qu'[il] transmet
Les ramassant ensemble Quand par tourments leurs Leur donne santé telle,
D'Orient, d'Occident, cueurs Que du tout hors les met
De l'Aquilon qui tremble, Humiliés demeurent, De ruyne mortelle.
Et du Midy ardent. Abbatuz de langueurs,
Sans que nulz les sequeurent. Les bontés nompareilles
Si d'aventure errants De Dieu lors vont chantant,
Par les deserts se treuvent, Pourveu qu'à Dieu Cà, et là ses merveilles
Demourance querants, s'addressent, Aux hommes racomptant.
Et que trouver n'en peuvent: L'appellants au besoing,
Touts les maulx qui les A Dieu d'ardant desir
Et si l'aspre famine pressent, Louange sacrifient,
Et la soif sans liqueur Il les renvoye au loing. Et avecq grand plaisir
Les travaille, et leur mine Ses oeuvres magnifient.
Et le corps, et le cueur: Des prisons les mect hors,
Mortelles, et obscures, Ceulx qui dedans gallées
Pourveu qu'à tel besoing Rompant leurs lyens forts, Dessus la mer s'en vont,
Criants, à Dieu lamentent, Cordes, et chesnes dures. Et en grands eaux sallées
Subit il les mect loing Mainte trafficque font:
Des maulx, qui les Les bontés nompareilles
tourmentent. De Dieu lors vont chantant, Ceux là voyent de Dieu
Cà, et là ses merveilles Les oeuvres merveilleuses,
Et droict chemin passable Aux hommes racomptant. Sur le profond milieu
Leur monstre, et faict tenir, Des vagues perilleuses.
Pour en ville habitable D'avoir jusqu'aux courreaux
Les faire parvenir. Brisé d'arain les portes, Le vent, s'il luy commande,
Et de fer les barreaux Souffle tempestueux,
Lors de Dieu vont chantant Rompu de ses mains fortes. Et s'enfle en la mer grande
Les bontés nompareilles, Le flot impetueux:
Cà, et là racomptant Les folz, qui les supplices
Aux hommes ses merveilles. Sentent de leurs pechés, Lors montent au ciel hault,
Et qui sont par leurs vices Puis aux gouffres descendent,
D'avoir l'âme assouvie, Malades, assechés, Et d'effroy, peu s'en fault
Qui de soif languissoit, Que les âmes ne rendent.
Saoulant de biens la vie, Dont le cueur, tout repas
Qui de faim perissoit. Et viande abhomine, Chancellent en yvrongne,
Et qui sont pres du pas Troublés du branlement,

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Tout leur sens les eslongne, Et leur bestail en riens
Perdent l'entendement. Luy, qui les eaux profondes Il ne leur diminue.
En desert convertit,
Mais si à tel besoing Et les sources des undes Puis descroissent de nombre,
Criants, à Dieu lamentent, Asseche, et divertit. Viennent à rarité,
Subit il les mect loing Par maulx, et par encombre,
Des maulx qui les Luy, qui steriles faict Et par sterilité.
tourmentent. Terres grasses, et belles,
Et tout pour le forfaict Riches, nobles, et grands,
Faict au vent de tempeste Des habitants d'icelles. Mesprisés il renvoye,
Sa fureur rabaisser, Par deserts lieux errants,
Faict que la mer s'arreste, Qui desertz d'humeur vuydes Où n'a chemin, ne voye.
Et ses undes cesser. Convertit en grands eaux,
Et lieux secz, et arides, Et esleve, et delivre
L'orage retiré, En sources, et ruisseaux. Le paovre hors d'ennuy,
Chascun joye demeine, Et force gens faict vivre,
Et au port desiré Et qui là faict venir Comme ung trouppeau,
Le Seigneur Dieu les meine. Ceulx qui de faim languissent, soubs luy.
Lesquelz, pour s'y tenir,
Les bontés nompareilles Des Villes y bastissent: Ce voyant, ont aux cueurs
De Dieu lors vont chantant, Les justes joye enclose,
Cà, et là ses merveilles Y semer champs se peinent, Et de Dieu les mocqueurs
Aux hommes racomptant. Et vignes y planter, S'en vont la bouche close.
Qui touts les ans ameinent
Parmy le peuple bas Fruict, pour les sustenter. Qui a sens, et prudence,
Le surhaulsent en gloyre, Garde à cecy prendra:
Et ne le taisent pas Là, les fortune en biens, Lors la grande clemence
Des grands au consistoyre. Les croist, les continue, Du Seigneur entendra.

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