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L'ENEIDE
VIRGILE
BERTRAND·LACOSTE
36 rue Saint-Germain-l'Auxerrois 75001 PARIS
-
Avant-propos
Les programmes de français et d'histoire de la classe de 6e
demandent que les élèves lisent et étudient des« textes issus
de l'héritage antique ». Parmi les œuvres imposées figure
L'Énéide de Virgile.
Ce volume contient de larges extraits traduits de l'Énéide,
des illustrations, des activités, des recherches ou des repé
rages qui préparent l'analyse.
Pour répondre au défi pédagogique que représente l'étude
de cette œuvre en 6e, nous vous suggérons l'itinéraire que suit
le« parcours de lecture» (n° 95) sur L'Énéide. Fidèle aux prin
cipes de la collection, il propose d'autres travaux, répond aux
questions posées, établit des « repères » littéraires, histo
riques, culturels, et multiplie les« prolongements», source de
nouvelles activités.
• 4·
1
La tempête et l'arrivée
à Carthage
· 5 ·
Tyrrhénienne4, portant en Italie
llion5 et ses pénates vaincus6
Déchaîne la violence des vents et
engloutis leurs bateaux, ou bien
disperse-les et sème leurs corps
sur la mer. J'ai quatorze
Nymphes7 d'une admirable
beauté; celle qui parmi elles
est la plus belle, Déipée, je
te l'accorderai solennelle
ment, dans une union
durable, de telle sorte
qu'elle passe toute sa
vie avec toi en remerciement de
tels services, et qu'elle te rende
père d'une belle descendance».
Éole répond: « Ô reine, c'est à
toi d'examiner ce que tu sou
haites ; quant à moi, mon de
voir est de recevoir tes ordres.
Tout ce que j'ai comme pou
voir, ce sceptre, les faveurs
de Jupiter, c'est toi qui me
Junon. les accordes; c'est toi qui
me fais participer aux festins
des dieux, qui me donnes le pouvoir sur les orages et les tem
pêtes.
Lorsqu'il eut ainsi parlé, avec son sceptre retourné, il frappa
le flanc de la montagne creuse; et les vents, comme si une
armée s'était formée, se précipitent par la porte qui leur est ou
verte, et soufflent en tourbillonnant sur les terres. Ils se sont
abattus sur la mer, et se précipitent pour l'arracher complète-
Le voyage d'Énée.
8. L'Eurus: vent du sud-est; Virgile lui donne son nom grec. Le Notus est un vent du
sud. L'Africus est un vent du sud-ouest.
• Extrait 2. Chant l, vers 1 24 à 1 47 et vers 1 54 à 1 56
Vous osez donc, sans que je le veu i l le, vous les vents, boule
verser le ciel et la terre et soulever de si grandes masses ! Je vais
vous . .. Mais il vaut mieux apaiser les flots agités. Désormais
vous ne serez pas punis de l a même façon pour vos fautes.
Fuyez, et dites ceci à votre roi : ce n'est pas à lui , mais à moi ,
qu' ont été donnés par le sort l ' empi re des mers et le trident re
doutable3. Lui , i l s'occupe des énormes rochers , qui sont vos
demeures, Eurus ; qu' Éole se plaise dans ce palais, et règne sur
la prison fermée des vents » .
I l parla ainsi , et, p l us vite encore, i l calme les flots gonflés,
chasse les nuages rassembl és et ramène le soleil. Cymothée4
et Triton5, d'un même effort, dégagent les bateaux de la pointe
des rochers ; lui-même les soulève avec son trident, ouvre les
vastes syrtes6, calme la mer, et parcourt sur son char léger la sur�
face de ]' eau 1 . . 1. Ainsi tout d'un coup le bruit de la mer est
.
tombé, dès que le père des dieux, regardant les flots et porté
sous un ciel découvert, l ance ses chevaux et abandonne les
rênes à son char qui lui permet de voler.
· 8 ·
ACT 1 VITÉ 5
• Les deux premiers textes mettent en scène plusieurs dieux et
divinités. Recensez-les et dites quel rôle ils vous semblent jouer
dans le récit. (Voir Parcours de lecture L'Énéide chap. 2) .
1. Aceste accueillit Énée quand celui ci fut rejeté sur les côtes d e Sicile; i l est l e fils
d'une troyenne et d'un fleuve sicilien.
2. La Trinacrie (<< l'île aux trois pointes ») est la Sicile, qui a trois promontoires.
3. Scylla, une nymphe, fut changée par la magicienne Circé en monstre;
désespérée, elle se jeta dans la mer, et ses cris de rage terrifiaient les marins.
4. Les rocs des Cyclopes sont soit des îles à côté desquelles Énée est passé en longeant
la Sicile, soit les côtes de la Sicile, près de l'Etna habité par des Cyclopes.
5. Le Latium est une région de l'Italie, but donné par les dieux au voyage d'Énée.
• Extrait 4. Chant l, vers 4 2 1 à 44 7
ACT 1 VITÉS
• Relevez les actions effectuées par les Tyriens; essayez de les classer.
• 10·
• Extrait 5. Chant 1, vers 4 9 4 à 4 9 7 et vers 502 à 5 1 9
Pendan t que tout cela para i ssait adm i ra ble a u troyen Énée,
pendant qu'il était stupéfait et qu'il restait immobile, absorbé
dan s sa contemplation, la reine Dido n , éclatante de beauté , s'est
avancée vers le temple, accompagnée d'un cortège de j e u n es
gen s . 1 . 1 Ainsi était Dido n , a i n s i elle se montrait. j oyeuse, a u
. .
ACT 1 VITÉS
• Comment se présente Didon lors de cette première apparition,
Que fait-elle?
1. les noms de ces personnages ne nous sont connus que par Virgile.
2, Achate : compagnon d'Énée.
• Il •
• Extrait 6. Chant 1, vers 5 7 9 à 636
1. Oronte, compagnon d'Énée a péri a u cours d e l a tempête qui a conduit les vais
seaux sur les côtes africaines.
2. La couleur pourpre, rouge vif, est à Rome signe de richesse et de noblesse.
3. Indicible: qui ne peut être dit; extraordinaire.
• 12·
le ciel n o u rrira les étoiles4, tou j ou rs ta gloi re, ton n om, tes
louanges resteront, quelles que soient les terres qui m'appel
lent. Après avoir a i n s i parlé, il tend la mai n droite à son ami
!lionée, et la gauche à Séreste ; puis aux autres, au cou rageux
Gyas et au courageux Cléanthe.
La Sidonienne Didon fut frappée de stupeur, d'abord à cause
de la vue du héros, ensu ite à cause de ses s i grands malheu rs,
et elle lui parla a i n s i: « Quel malheu r te poursu it, fils d'une
déesse, à travers de s i grands dangers? Quelle force te j ette sur
ces côtes sauvages? Es-tu cet Énée que la bienfaisante Vén u s
a don n é a u troyen Anchise a u bord du S imoïs e n Phrygi e5?
Moi-même j e me souviens que Teucer" vint à Sido n , chassé de
sa p a t r i e et che rcha n t avec l'a i d e de Bélu s de n o uv e a u x
royaumes; m o n père, Bélus , dévastait alors l a riche Chypre, et,
vainqueur, la tenait sous sa dominati o n . C'est dep u i s ce temps
déj à que je con n a i s le malheu r de la ville de Troie, et ton nom,
et les rois grecs. Bien qu'étant leu r ennemi , Teucer faisait l'éloge
des Troye n s , et t e n a i t à descendre de l'a n c i e n n e race des
Troyens. Venez don c, j eunes gens, entrez dan s nos maisons .
Moi aussi u n sort semblable a voulu que, après avoir été bal
lottée à travers de n ombreuses épreuves , je m'arrête enfin sur
cette terre-ci; n'ignorant pas la souffrance, j 'apprends à secou
rir les malheu reux» .
Elle parle ainsi; aussitôt elle condu it Énée dan s le palais
royal; a u s sitôt elle ordo n n e des acti o n s de grâces dans les
temples des dieux7. Et pendant ce temps elle envoie à ses com
pagnons s u r le rivage vingt tau reaux, cent porcs énormes a u
d o s hérissé8, c e n t agneaux gras avec leurs mères, présents des
tinés à fêter cette j o u rnée.
4. les Anciens croyaient que l'une des parties d e l'air, 1'« éther nourrissait les
constellations et entretenait l'éclat des étoiles.
5. le Simoïs : rivière de la région de Troie.
6. Teucer, ancêtre mythique des rois de Troie, serait né d'un dieu fleuve et d'une
nymphe.
7. Ces actions de grâces, ou « sont une coutume romaine; il s'agit de
cérémonies en l'honneur d'un héros victorieux.
8. le porc est un animal habituellement sacrifié dans les cérémonies de purifica
tion; le sacrifice de cent animaux s'appelle hécatombe .
• 13·
ACT 1 VIT ÉS
• Comment Énée apparaît-il à sa sortie du nuage?
• En vous fondant sur l'observation dans le texte traduit, de la
ponctuation, des formes de phrases et des temps verbaux, dis
tinguez les parties qui composent le discours d'Énée à Didon.
• Quelles qualités de Didon le récit met-il en évidence? Comment
complète-t-il le portrait de l'extrait 5?
• Étudiez la reproduction du tableau de Berrettini. Quels élé
ments du texte retrouvez-vous? Comment le peintre a-t-il tra
duit les sentiments des personnages et le climat de la scène?
• 1 4·
à l'aide de cadeaux, il enflamme la reine et fasse pénétrer dans
ses os le feu de l'amour. Car elle craint ce palais peu s û r et les
Tyriens au double langage2 ; la cruelle Junon la brûle et son souci
revient sans cesse avec la nuit. Elle s'adresse donc ainsi à l'Amour
ailé: « Mon fils, ma force, ma grande puissance, toi seul, mon fils,
qui méprises les tra its dont le Père souverain a frappé Typhon3 ,
j'ai recou rs à toi , et, s uppliante, je fais appel à ton pouvoir divin.
Ton frère Énée est ballotté sur la mer de rivage en rivage par la
haine de l'inj uste Junon, tu le sais, et tu as souvent partagé notre
douleur. Maintenant la phénicienne Didon le retient et le re
tarde par de caressantes paroles, et je crains ce qui peut a rriver
du fait de cette hospitalité voulue par Junon; elle ne se relâ
chera pas dans une situation aussi i mportante. C'est pourquoi
j e médite de prendre auparavant la reine dans un piège et de l'en
flammer, afin qu'elle ne change pas sous l'effet d'une puissance
divine, mais qu'elle soit attachée à Énée, comme moi, par un
grand amour. Écoute maintenant comment tu peux réaliser ce
proj et. Le royal enfant, mon plus grand souci, à la demande de
son père chéri , se prépare à aller à Carthage, en portant des ca
deaux que la mer et l'incendie de Troie ont épargnés. Je l'en
dormirai et je le déposerai sur les hauteurs de Cythère ou d'ldalie4,
afin qu'il ne pu isse pas connaître ma ruse ni se j eter au travers.
Toi , pendant cette nu it seulement, i mite son apparence, et, en
fant, prends le visage de cet enfant qui t'est connu; a insi lorsque
Didon, toute j oyeuse, te prendra sur ses genoux, au m ilieu du fes
tin royal et des libations de Bacchus5, lorsqu'elle t'embrassera et
te couvrira de doux baisers , souffle en elle un feu caché et trompe
la en lui donnant un poison ».
L'Amo u r obéit aux paroles de sa mère chérie; il enlève ses
ailes , et s'en va tout j oyeux avec la démarche d'lule6 Q uant à
Vénus, elle répand un tranquille sommeil à travers les membres
d'Ascagne, et l'emporte, pressé contre son sein, dans les bois
profonds d'Idalie, o ù la souple marj olaine, odorante, l'enve
loppe des ses fleu rs et de son ombre douce.
• 15·
• Extrait 8. Chant l, vers 69 7 à 708 et vers 7 2 3 à 7 2 7
ACT 1 VITÉS
• Relevez les termes et expressions qui désignent ou caractéri
sent le lieu où se déroulent le repas.
• Recherchez dans un manuel d'histoire ou une encyclopédie
les principales caractéristiques d'un festin dans l'antiquité ro
maine.
• À la lumière du texte de Virgile et de vos recherches, com
mentez les documents photographiques ci-contre.
· 16 ·
• .,
• Scènes de banquet .
• 17.
• Extrait 9. Chant I , vers 748 à 7 56
• 18 ·
Le cheval de bois
et le départ de Troie
Meurtre de Priam.
Nous abattons les murs, et nous
«
· 19 ·
du bruit ; nous continuons cependant. avec une fureur aveugle,
et no u s p l a ço n s ce monstre de malhe u r da n s l a citade l le4
sacrée 1 1
Cependant le ciel tournes. et la N u i t sort de l'Océan en enve
loppant de son ombre immense la terre, le ciel et les ruses des
Grecs ; répandus à l'intérieur de leurs remparts , les Troyens se
sont tus; le sommei l envahit leurs membres fatigués . Déjà la
flotte ennemie s'avançait en bon nombre depuis Ténédos6, grâce
à l'amical silen ce de la l u n e muette, et se dirigeait vers le rivage
con nu ; des l umières s'étaient élevées de la poupe royale7 et.
sauvé par les injustes desti n s des dieux, Sinon8, sans être vU, li
bère les Grecs enfermés dans le flanc du cheval et ouvre leur
prison de bois. Le cheval. une fois ouvert, les rend à la l umière,
et. tout joyeux, i l s sortent de leur cachette, les chefs Thessandre
et Stelenus, et le cruel Ulysse, gl issant le long de la corde , puis
Acamas, Thoas, Néoptolème fils de Pélée, et, en tête, Machaon ,
et Ménélas, et l' inventeur même de la ruse, Épéos. Ils envahis
sent la vi lle, ensevel ie dans le vin et le sommei l; ils tuent les sen
t i n e l l e s, et. p a r l e s p o rtes o u v e rte s , reço i vent t o u s l e u rs
compagnons et rejoignent les troupes de leurs compl ices. »
ACTIVITÉS
• Connaissez-vous l'épisode du « cheval de Troie» ? Précisez si
vous l'avez précédemment lu ou vu dans une adaptation ci
nématographique ou sur une illustration? Quelles précisions
apporte à votre connaissance le récit que fait Énée de cet épi
sode?
4. Citadelle: partie centrale d'une ville, qui sert de défense; dans l'Antiquité on y
trouve les temples consacrés aux dieux.
5. Les Anciens croyaient que le ciel tournait autour de la terre en un jour.
6. Ténédos: île située en face de Troie, sur laquelle les Grecs se sont cachés (pour que
les Troyens les croient partis).
7. La poupe est l'arrière d'un navire; il s'agit ici du bateau d'Agamemnon, roi de
Mycènes et chef de l'expédition des Grecs contre Troie.
8. Sinon: nom du Grec qui vient de demander asile aux Troyens en leur faisant
croire qu'il a été désigné pour un sacrifice aux dieux.
• Extrait I l . Chant Il, vers. 268 à 2 9 7
les mortels tourmentés et, par un bienfait des dieux, entre en eux
avec u n e extrême douceur. Voici que dans mes rêves i l me sem
bla qu'Hector, très triste, éta it devant moi et qu'il versa it des
flots de larmes, emporté par le char, comme j adis, noir d' une san
glante pouss ière, les pieds gonflés traversés par une cou rroie.
Hélas ! dans quel état 1 com m e i l était d[fférent de cet Hector qu i
revient revêtu des dépouil les 1 d'Ach i l l e , ou lançant les feux phry
giens sur les bateaux des Grecs !2 porta nt une barbe en brous
sa i l l e , des cheveux col lés par le sang, et toutes les blessures
qu' i l avait reçues autour des m u rs de sa patrie. Alors , moi-même,
pleurant, i l me semblait que j 'appelais ce héros, et que j ' expri
mais ces tristes paroles: « Ô l u m ière de Troie, ô espo i r le plus
sûr des Troyens, quels si grands obstacles t'ont retenu? De quels
rivages, Hector, viens-tu , toi que nous avons attendu? Après les
nombreuses funéra i l les des tiens, après les épreuves de toutes
sortes subies par l es hom mes et la vi l l e , nous, si fatigués , nous
te revoyons ! Quel motif i ndigne a troublé ton visage serein?
pourquoi ces blessures que j e vois? ))
I l ne dit rie n , et ne s'a rrête pas à ces va i nes questions; m a i s ,
en t i rant du fond d e sa poitr i n e d e profonds gém issem ents , i l
m e d i t : « H é l a s ! fu i s , f i l s d' u n e déesse , a rrache-toi à ces
flam m es. L'en n e m i occupe nos m u rs ; Tro ie s'écro u l e du haut
de sa h a uteur. O n a assez fa it pour l a patrie et pour Priam . Si
Troie pouva it être défendue par u n bra s , e l l e a u ra i t été défen
d u e p a r l e m i e n . T ro i e te c o n f i e s e s o b j ets s a c r é s et s e s
Pénates3 : prends-les p o u r compagnons, cherche-leur ces vastes
m u rs que tu dresseras enfin après avoir erré sur la mer )). Il parla
a i n s i , et , de ses mains, m'apporte du fond du sanctuaire les ban
delettes, la p u i ssante Vesta4 e t l e f e u éternel . ))
1. Hector avait tué Patrocle, l'ami d'Achille, et avait pris ses armes.
2. Ces combats sont racontés par Homère dans l'Wade (chants xv et XVI).
3. Voir extrait 1 note 6.
4. Déesse du Feu, dont le culte est souvent associé à celui des Pénates .
• 21 •
• Extrait 12. Chant Il, vers 588 à 62 1
reur, quand elle se présenta à ma vue, plus brillante que mes yeux
l'avaient jamais vue, et qu'elle brilla dans toute sa pureté à tra
vers la nuit, ma bienfaisante mère, révélant sa divinité, aussi
belle, aussi grande, qu'elle se montre habituellement aux habi
tants du ciel. Elle me retint en me prenant le bras, et me dit de
ses lèvres couleur de rose: « Mon
fils, quelle douleur si grande excite
ta colère indomptable? Pourquoi
cette fureur? ton attention pour
nous a-t-elle disparu? Ne cher
cheras-tu pas d'abord où tu as
laissé ton père fatigué par l'âge,
Anchise, si ta femme Créuse vit en
core, ainsi que ton fils, Ascagne?
de tous côtés, les armées grecques
errent autour d'eux, et, si mon at
tention n'avait pas été présente,
déjà les flammes les auraient em
portés et une épée ennemie les au
rait transpercés 1 ... 1 Regarde: tout
ce nuage qui maintenant, tendu
devant toi, obscurcit tes yeux mor
tels et t'enveloppe de son humi
dité, je vais l'enlever; toi, ne crains
pas les ordres de ta mère, ne re
fuse pas d'obéir à ses conseils. Là
où tu vois ces masses éboulées,
ces rochers arrachés aux rochers,
cette fumée humide mêlée à la
Athéna pensive. poussière, Neptune secoue les
mu rs et leurs fondements avec son trident, et i l précipite toute
la vi l l e hors de ses bases . Là, la très cruelle J u n o n , la première,
occupe les portes Scées', et, hors d'elle, cei nte de son épée, ap
pelle de leurs vaisseaux la troupe de ses al liés. Déjà la Tritonienne
Pal las2, regarde, s'assied sur le haut de la citadelle, splendide dans
son nuage, et a rmée de la Gorgone3 Le Père des dieux l u i-même
fa it naître chez les Grecs le cou rage et des forces favorables, l u i
même lance les dieux dans les a rmées grecques. Prends la fu ite,
mon fils, et mets fin à tes souffrances. Je ne te quittera i j ama i s ,
e t j e t e con d u i ra i en sû reté à la ma ison de ton père » . E l l e avait
parlé, et e l l e s'enfonça dans les ombres épa isses de la n u it. »
ACTIVITÉS
• Relevez tous les termes associés à Vénus.
• Quelles sont les caractéristiques des deux autres déesses?
Énée se rend cnez son père; celui-ci finit par accepter de suivre
son fils, sa belle-fille et son petit-fils
cla i rement le feu , et l'incend i e rou le plus près de nous ses tou r
b i l lons. « Eh bien 1 a l l o n s , cher père, place-toi sur mon cou ; j e
t e porterai moi-même s u r mes épaules, e t c e fa rdeau ne m e pè
sera pas. Quoi qu' i l a rrive , il y a u ra pour nous deux un seu l dan
ger commu n , u n seul sal ut. Que le petit Iule m'accompagne, et
que ma femme su ive de loin mes pas . Vous, mes serviteurs , prê
tez votre attention à ce que je vais d i re. Il y a, quand on sort de
la vi l l e , u n e ha uteu r et u n vieux temple de Cérès abandonné, et,
• 24.
L'errance
Énée finit par retrouver dans Troie le fantôme de Créuse, qu'il doit
abandonner Il se réfugie dans la montagne avec son père et son fils.
Au printemps, les Troyens prennent la mer; ils abordent en Thrace
et y célèbrent les funérailles de Polydore, un fils de Priam élevé par
le roi de Thrace. Ils repartent et s'arrêtent sur l'île de Délos; l'oracle
d'Apollon leur demande de repartir à la recl1ercl1e de leurs terres.
Ancl1ise pense qu'il s'agit de la Crète, et les Troyens tentent en vain
de s'y installer. Un songe avertit Énée de se diriger vers la terre que
les Grecs nomment Hespérie. Les Troyens reprennent donc une nou
velle fois la mer.
• 25·
ACT 1 VITÉS
• Relevez les termes qui décrivent la tempête. Quels sont les ef
fets produits?
· 26 ·
ACT 1 VIT ÉS
• Relevez les insistances communes à la description de l'orage et
à celle de l'Etna (extraits 14 et 15). Distinguez les caractéris
tiques originales de cette évocation.
· 27 ·
• Extrait 16. Chant III, vers 655 à 679
Les Tro�ens rencontrent l'un des compagnons d'UI�sse, oublié par les
Grecs après leur passage cnez les C�clopes; il leur raconte l'nistoire d'UI�sse
et du c�clope Pol�pnème
courbés, nous fendons les eaux en luttant avec nos rames. Il s'en
aperçut, et il tourna ses pas vers le bruit de voix. Mais, comme
il n'a aucune possibilité de nous toucher avec la main ni d'éga
ler dans sa poursuite les flots
d'Ionie, il pousse un immense
cri, par lequel la mer, toutes les
eaux et la terre d'Italie, effrayée
jusque dans ses profondeurs,
sont ébranlées, et l'Etna mugit
dans ses cavernes profondes. Et
le peuple des Cyclopes, depuis
les forêts et les montagnes éle
vées, à cet appel se précipite
vers le port, et emplit le rivage.
Nous les voyons debout, tour
nant vers nous en vain leur oeil
menaçant, ces frères Etnéens,
portant dans le ciel leurs têtes
élevées, assemblée horrible 1 Polyphème dévorant l'un des
compagnons d'Ulysse .
• 28·
La passion de Didon
1. Didon a été mariée à Sychée; Pygmalion, le frère de Didon, a fait tuer Sychée; c'est
alors que Didon a quitté Tyr pour fonder Carthage.
2. Allusion aux rites romains de la cérémonie du mariage .
• 29·
de mon frère3, l u i seul a touché mes sens et a ébra n l é mon es
prit. je reconnais les traces d'une ancienne flamme. Mais j e sou
ha iterais que le fond de la terre s'ouvre pour m'engloutir, ou que
l e Père tout-pu issant m e p récipite, avec sa fo u d re , dans les
ombres pâles des Enfe rs et l a n u it p rofonde, avant que j e te
vio l e , pudeur4 , ou que je rompe tes serments. Cel u i q u i m ' a l e
pre m i e r u n i e à l u i a emporté mon a m o u r. q u ' j l le ga rde avec
l u i et l e conserve dans son tombeau 1 » Après avo i r a i n s i parl é ,
e l l e rem p l i t les p l i s de sa robe d e s l a rmes q u i cou l a ient de ses
yeux
ACT 1 VITÉS
• Quel portrait Virgile fait-il ici de la reine Didon? Relevez no
tamment les insistances: quels sentiments expriment-elles?
3. Cf. note 1.
4. Déesse romaine ne pouvant être adorée que par les femmes ayant eu un seul mari.
· 30 ·
• Extrait 19. Chant IV, vers 259 à 278
ACT 1 VIT ÉS
• Dans ce court épisode. étudiez:
- le portrait de Mercure: quelles sont ses caractéristiques?
- son message à Énée: le discours du dieu vous paraît-il habile?
pourquoi?
1. Le jaspe est une roche précieuse; la couleur fauve est proche du roux.
· 31 •
• Extrait 2 0. Chant IV, vers 362 à 3 9 2
· 32 ·
froide mort a u ra sépa ré mes membres de mon âme, j e serai là,
avec mon ombre, en tous l ieux ; misérable, tu seras p u n i . Je l'ap
p rendrai, et l a nouve l l e m'en parviendra a u fond du s é j o u r des
Mânes5 ! » À ces mots , au milieu de son disco u rs , e l l e s'arrête,
et fuit, épuisée, les souffles de l ' a i r ; e l l e se détourne du rega rd
d' Énée et le qu itte, le laissant hésitant sous l 'effet d' une grande
cra i nte a l o rs qu ' i l se préparait à l u i répondre longuement. Ses
servantes la reçoivent, la portent, les mem b res défa i l la nts, dans
sa chambre de marbre, et la déposent sur son l it.
5. Les Anciens croyaient que les morts devenaient des divinités: c e sont les Mânes,
auxquels ils rendaient un culte; l 'expression « séjour des Mânes » désigne les
Enfers.
Escale en Sicile et intervention
de Vénus et de Neptune
· 35 ·
de six e n fants s u ivent chacun d'eux, et répartis en deux co
lonnes, éti n cel lent avec un nombre éga l d' écuyers .
La première troupe de jeunes gens est conduite , triomphante,
par le j e u n e Priam2 qui fa it revivre le nom de son aïe u l , ton
i l l u stre fi l s , Po l ites , qui augmente ra l e n o m b re des Ita l iens ;
c'est un cheva l th race qui le porte , bicolore avec des taches
blanches, montrant fièrement les poi ntes blanches de ses pieds
et son front blanc, s u perbe Le second est Atys , dont les Ati u s
latins3 tirent leurs origines, le petit Atys , enfant chéri de l'enfant
I u le . Le dern ier, qu i l'emporte s u r tous par la bea uté, I u l e , est
porté par u n ch eval sidon ien , que l'éblouissante Didon lui avait
donné en souve n i r d'elle et en gage de son a m o u r. Le reste des
enfants est porté par les cheva ux s i c i l i e n s du vie i l Aceste. Les
Troyens accu e i l lent avec des applaudissements les enfants i n
t i m idés, se ré j o u issent de les rega rder, e t reconnaissent l e s vi
sages de leurs ancêtres .
Dès qu' i l s ont j oyeusement parcou ru toute la piste et qu' i l s
s e fu rent montrés a u x yeux des leurs s u r leurs ch evaux, u n e fois
qu' i l s fu rent prêts , Épyti dès l e u r donna de loin l e s i g n a l en
criant, puis fit claquer son fouet. Les tro i s pel otons se séparent
en pa rties éga les et forment des troupes, en groupes d i stincts ,
et à un nouveau com mandement, se retou rnent face à face et
tiennent l e u rs l a n ces d i rigées ve rs les autres . Alors i l s com
me ncent d'autres cou rses , d'a utres retours, les uns face aux
autres m a i s à d i stance, enferment des cercles dans des cercles ,
en a lternance, et, sous les a rmes , font des s i m u l acres de com
bat Ta ntôt en fuya nt ils découvrent leur dos , ta ntôt en char
gea nt, i l s b rand issent leu rs j ave lots , ta ntôt, après avo i r fa it la
paix, i l s avancent en fi les éga les. De même qu'a utrefois, dans la
ha ute Crète , l e Labyri nthe, dit-on, offra it u n che m i n tracé entre
des m u rs aveugles et, dans ses m i l l e détou rs une ruse trompeuse
où l'erreu r, dont on ne s'aperçoit pas et sur laque l l e on ne peut
revenir, trompait les pas de l'égaré, de la même façon les fi ls des
Troyens entrecroisent l e u rs pas en cou rant et confondent les
fu ites et les combats en j ouant, semblables aux daup h i n s qu i ,
e n nagea nt à travers les fl ots h u m ides, fe ndent les mers de
Ca rpathe et de Li bye et j ouent pa rm i les vagues. Cette cou-
2. Petit-fils du roi d e Troie, e t fils d e Polites.
3. Les Atius sont la famille qui donna Julie, sœur de César et grand mère d'Auguste.
tume, ces cou rses et ces combats, Ascagne, le premier, l ors
qu' i l entoura de murs Al be la Longue4, les renouvela et apprit
aux a n ciens Latins à les célébrer, comme l u i-même, enfant, le
fai sait, et la j e u nesse troyenne avec lui Les Alba i n s les ensei
gnèrent à leurs f i l s; ensu ite, plus tard, la très grande Rome les
reçut et conserva cette tradition ancestrale ; mai ntenant on l'ap
pel le « Troie », et les enfants « troupe troyenne ». Ainsi se ter
minèrent les combats en l ' honneur d' un père sacré .
ACT 1 VITÉS
• Cherchez le nom que portent à Rome, les j eux décrits ici.
Comment Virgile explique-t- i l l'origine de ces jeux?
Pendant les jeux, funon aborde les femmes des Troyens, et les
incite à refuser de repartir et à rester en Sicile ; el les mettent le feu
aux bateaux. Énée appe l l e f upiter à l'aide ; cel u i-ci déchaîne un
orage qui éteint l ' i ncendie. Énée laisse en Sici l e une grande par
tie des Troyen s, et dél imite pour eux l 'espace d'une vi l l e . Il repart
avec les h ommes les plus jeunes.
Mais pendant ce temps Vén us, tourmentée par les soucis,
s'adresse à Neptune et exprime de son coeur ces plaintes : « La vio
lente colère de funon et son cœur impossible à rassasier m'obli
gent, Neptune, à m'abaisser à toutes les prières. Ni le temps qui
s'allonge, ni aucune piété ne l'adoucissent; elle n'est calmée ni par
la volonté de fupiter ni par les destins, et ne reste pas tranqui l le.
Il ne l u i suffit pas d'avoir, du milieu de la race des Ph rygiens, ef
facé la vi l l e par sa haine inexprimable, ni d'en avoir traîné les
restes à travers tous les supplices; elle poursuit les cendres et les
os de Troie anéantie. l'espère qu'elle con naît les causes d'une si
grande fureur ! Toi-même tu as récemment été pour moi le té
moi n , sur les eaux de Libye, de la tempête qu'elle déclencha sou
dain : elle a mêlé toutes les mers au cie l . secondée en vain par les
tempêtes d' Éole, elle a osé cela dans ton empire ! Voici que, en
poussant au crime les mères troyennes, elle a honteusement brûlé
• 38 .
La descente aux E nfers
s u r le chêne som bre; ainsi crép itaient au vent léger les feu i l les
bri l lantes. Énée saisit auss itôt et a rrache avidement le rameau
trop long à ven i r, et le porte dans la demeure de la prophétesse
S i by l l e
Cependant, l e s Troyens, s u r le rivage, p l e u r a i e n t M i sène e t
rendaient les h o n n e u rs s u p rêmes à sa cen d re i n sen s i b l e . A u
d é b u t , i l s ont construit un g r a s et i m mense bûcher à l ' a i d e de
b ranches de p i n et de chêne coupé; ils en tapissent les côtés
avec de s o m b res feu i l l ages , d ressent deva n t des cyprès fu
nèbres, et décorent le dess us d ' a rmes ét i n cela ntes . Les u n s
préparent de l ' e a u chaude d a n s d e s vases bou i l lo n n a n t s u r les
flam mes , lavent le corps glacé et le parfument Un gém i ssement
se fa it entendre. Alors , une fois q u ' o n a p l e u ré sur l e corps, on
le dépose sur u n lit funèbre, et on j ette au dess us des vêtements
de pou rpre, son costu m e fa m i l ier D'a utres se sont placés sous
l ' i m mense civière - tri ste devoi r - et, tournant la tête , ont ten u
la torche ba issée, su ivant le rite des an cêtres . Tout ce q u ' o n
a m asse s u r le bûcher e s t brûlé : offra n des d ' e n c e n s , cha i rs des
victimes, cratères dont l' hui le a été répandue Quand les cendres
se fu rent affa i ssées et que la fla m m e se fut étei nte, on lava
dans le vin les restes, et cette pouss ière q u i boit le l i q u ide, et
Coryn ée, après avo i r rassem b l é les os, les e n ferme dans u n e
u rn e d ' a i ra i n . Le m ê m e, t ro i s fo i s , f i t l e tour d e s compagnons
avec de l ' ea u bén ite, les p u r i fie en les aspergea nt avec une
b ranche légère de rom a r i n et u n ra meau d'ol ivier fe rti le, et dit
les dern ières paroles Quant au pieux Énée, i l place s u r l e tom
bea u i m mense élevé pou r le héros ses armes, sa ra m e et sa
trompette, au bas de la haute montagne qui mai ntenant, en son
h o n n e u r , s'appe l l e « M isène et ga rde son n o m à t ravers les
s i ècles
ACT 1 VITÉS
• Relevez des éléments communs aux deux épisodes 1 4 et 2 5 .
. 42 .
et n ' a pas le visage p l u s é m u par cette conversati o n com men
cée q u e s i se tenaient l à u n dur cai l l o u ou d u m a rbre de Paros .
Enfi n , elle s'élança et s'enfu it, hostile, dans le bois plein d'ombre
où son p re m i e r époux, Sychée, répond à ses s o i n s et pa rtage
son a m o u r . Néa n m o i n s Énée, t rès frappé par cet i n j uste m a l
h e u r , l a s u i t longuement d e s y e u x e n p l e u rant e t l a p r e n d en
pitié tandis qu'elle s'éloigne
ACT 1 VITÉS
• Quels sont les sentiments d'Énée lors de ces retrouvai lles in
attendues?
• Comment Didon se comporte-t-elle à l'égard d'Énée?
· 43 ·
Tout à côté, voici Procas , gloire de la race troyenne ; et Capys ,
et N u m itor, et cel u i q u i fera revivre ton n o m , S i lvi u s Aeneas,
également rem a rquable par sa p i été et ses armes, s i jamais i l
reçoit Albe à d i riger. Quels jeu nes gens ! quel les forces i l s mon
trent, rega rde, et combien l e u rs tempes sont o m b ragées par l e
c h ê n e de l a cité ! I l s fonderont po u r toi Noment u m , Gabies , la
vi l l e de Fidène, et les citadelles de Col laties s u r les m ontagnes,
la v i l l e des Pomét i e n s , Castrum I n u i , Bola et Cora . Ca r tel s se
ront l e u rs n o m s , a l o rs que m a i ntena n t ces terres sont s a n s
nom.
E t p u i s à s o n aïe u l se j o i n d ra Rom u l u s , fi l s de Mars, qu'en
fantera sa m è re Ilia, d u sang d'Assaracus. Vois-tu com m e deux
aigrettes se d ressent sur sa tête, et com m e l e Père des dieux
d ' e n haut l e m a rq u e d é j à l u i - m ê m e de son propre i n s igne ?
C' est sous ses a u s p i ces, m o n fi l s , q u e l ' i l l ustre Rome éga l e ra
son empire à la terre, son âme à l'Olympe, et entou rera sept col
l i nes d ' u n seu l m u r , vi l l e féconde en h é ros [ [
. . .
Tou m e mai ntenant tes yeux pa r ici ; rega rde cette nation , tes
Roma i n s . Vo ici Césa r et toute la descendance d ' I u l e , dest i n ée
à ven i r sous la grande vo ûte du c ie l . Voi c i le h é ros , le voi ci ,
cel u i que s i souvent t u entends qu'on te promet, Auguste César,
fi l s d ' u n dieu ; il fera renaître l'âge d'or dans le Lati u m , à travers
les c h a m ps autrefo i s gouvernés par Sat u rn e ; il éte n d ra son
e m p i re au-delà des Garamantes et des Indiens ; sa terre s'étend
a u -delà des constel lation s , a u -delà des routes de l ' a n née et
d u sole i l , là où Atlas qui porte le ciel fa it tourner sur son épa u l e
la voûte d u ciel s e m é e d'éto i les éti n cela ntes. Déj à m a i ntenant
a u bruit de son a rrivée, les roya u mes caspiens frisson nent des
réponses des dieux, a i n s i que la terre méotide, et les embou
c h u res d u Nil à sept branches se t roublent en t re m b l a n t . N o n ,
H ercu l e n'a p a s pa rco u ru autant de pays , quoi qu' i l ait percé la
biche aux pieds d ' a i ra i n , apaisé la forêt d ' É rymanthe, fait trem
bler Lerne de son a rc ; ni cel u i qui con d u i t , victorieux, son at
telage avec des rênes de pampre, Bacch u s , qui mène ses tigres
du haut du sommet du Nysa . Et nous hésitons enco re à étendre
n otre cou rage pa r des exp l o i t s ? la c ra i nte n o u s e m pêche
t -el l e de nous i nsta l le r sur l a terre d'Auso n i e ?
. 44 .
La colère de ' u n o n
Dans les Enfers , Énée découvre l' histoire future de Rome , puis
il ressort et retrouve ses compagnons.
Les Troyens abordent à l' embouchure du Tibre . Le Latium est
gouverné par le vieux roi Latinus ; sa fille, Lavinie , est courtisée
par le roi des Rutules, Turnus. Par une prophétie , Latinus apprend
que Lavinie devra être mariée à un étranger.
Énée reconnaît la terre que le destin lui a fixée Pendant qu'il
trace les limites d'une ville , il envoie des compagnons chez Latinus,
avec des cadeaux . Latinus se souvient de la prophétie et envoie les
Troyens chercher Énée.
· 45 ·
m o i . la gra n de épouse de J u piter, q u i n ' a i rien pu l a i sser q u e je n ' a i e
tenté, m a l he u reuse que j e s u i s ! , m o i q u i a i tout fa it contre eux, je s u i s
va i n cue p a r Énée ' Si m a p u i ssance n ' est p a s a ssez gra nde, n ' hési
tons pas à en i m plorer une a utre. Si j e ne peux fléch i r les dieux d'en
haut, j e fera i a ppel à l 'Achéro n i l n e me sera pas d o n n é d ' i n terd i re à
É n ée les roya u mes du Lat i u m ( soit ' ) et Lavi n i e reste, i m m uablement
prévue par l e desti n , sa fem m e ; mais i l m ' est perm is de fa i re traîner
et d ' a j outer des retards à de s i gra nds évé nem ents, et d' exterm i n e r les
peuples des deux roi s . Que le bea u-père et le gen d re fassent a l l i a n ce
à ce prix. C' est par le sang troyen et ru t u l e q u e tu seras dotée, j e u n e
fi l l e , e t Be l l o n e t'attend, e t prés idera à t o n ma riage
Les p eup les d' I ta lie se préparent pour la guerre, avec à leur
tête Mézence et son fils Lausus.
Le dieu-Tibre apparaît à Énée endormi et lui conseille de s'al
lier avec des Arcadiens installés en I ta lie ; Énée rencontre leur roi,
Évandre , et son fils Pallas. Évandre accepte l'alliance avec les
Troyens et leur offre un festin.
· 47 ·
beauté extraordinaire. Et , pou r qu' i l n'y ait pas de traces de pieds
a l lant vers l ' avant, il les t i re par la queue dans sa caverne et,
après avo i r a i n s i tourné leurs emprei ntes à l'envers, i l les garde
cachés dans son sombre rocher. Si l'on cherchait, aucune trace
ne condu isait à la grotte.
Cependant, comme le fi ls d'Amphitryon emmenait de leu rs pâ
turages ses troupeaux rassasiés et préparait le départ, les bœufs ,
au moment d e partir, s e mettent à m ugir e t emplissent tout le bois
de leurs plai ntes , et les col l i nes sont qu ittées dans les cris . Une
gén i sse répondit à la vo ix des bœufs et, dans la vaste caverne,
m ugit, et trompa l 'espérance de Cacus qui la gardait. Mais, dans
une colère noire, la dou leur s'était allumée chez Hercu le, sous l'ef
fet des Furies ; i l prend ses armes dans sa m a i n et une massue
lourde de nœuds, et se di rige en cou rant vers les hauteurs de la
montagne élevée. Alors pour la première fois, les nôtres vi rent
Cacus tremblant, les yeux troublés ; i l fu it aussitôt, plus rapide que
l ' Eurus, et gagne sa grotte ; la peu r lui a mis des ai les aux pieds.
Cacus s'est enfe rmé ; après avo i r brisé les chaînes, il a fa it
tomber l 'énorme roc, qui pendait attaché par le fer, grâce à l ' a rt
de son père, et i l a fortifié avec cette barrière les portes ainsi sou
tenues ; mais voici que, furieux, Hercu l e éta it là, et que, cher
chant des yeux n ' i m porte quel accès, i l porta it ses regards çà et
l à , en gri n çant des dents Trois foi s , bou i l lonnant de colère, i l
parco u rt des yeux tout l e mont Aventin ; trois fois i l tente d e for
cer en vai n le seu i l de pierre ; trois fois, épuisé, il s'assied dans la
va l lée. Une pierre poi ntue se tenait d ressée , entou rée de tous
côtés de rochers abrupts , sur le dos de la grotte, très haute à voir,
demeure opportune pour les nids des oiseaux de proie. I n c l i née
dans son sommet, elle était couchée vers le fleuve du côté gauche ;
se mettant à d roite , faisant effort vers le côté opposé, i l l'ébra n l a
et , après l'avoi r a rrachée, la détacha de s e s profondes raci nes ;
a lors, souda i n , i l la poussa ; sous cette poussée, l ' a i r i m mense se
met à tonner, les rives su rsautent, et le fleuve terri fié recu le. Et la
caverne de Cacus apparut, découverte , i m mense palais, et ses
trous sombres se dévoilèrent j usque dans leurs profondeurs [ . . . [ .
I l fut s u rpris souda i n dans l a l u m i ère i nattendue, enfermé dans
son rocher creux, et i l rugit de façon étrange ; alors, Hercu le, d'en
haut, le presse de ses traits, se sert de tout comme d'armes, et l'ac
cable de b ra nches et de gros blocs de pierre. Lu i , ( ca r il n'y a plus
· 48 ·
aucune poss i b i l ité d'échapper au danger) vom it de son gosier
une i m mense fu mée ( ô prodige ! ) et enveloppe sa demeure d ' u n
n uage obscur, enlevant s a v u e a u x regards, e t amasse d a n s s a ca
verne une n u i t pleine de fu mée, aux ténèbres mêlées de feu .
Hercu le ne s' est pas reten u e t s e précipite l u i-même dans l e
feu , tête baissée, d ' u n saut là où u n e grande quantité d e fu mée
entraîne des re mous et où l ' i m mense caveme bou i l lonne dans
u n noir n uage . Là , alors que Cacus vomit dans les ténèbres u n
va i n incendie, i l le saisit empoigné sous u n bras , e t e n le tenant
il l'étrangle en lui a rrachant les yeux et en vidant son gos ier de
son sang. Aussitôt l es portes sont a rrachées et la n o i re demeure
est ouverte, les bœu fs dérobés et les autres vol s sont montrés
au grand jour, et le monstrueux cadavre est traîn é par les pieds.
On ne peut s'arrêter de regarder ces yeux horribles , ce visage, cette
poitri ne vel ue et hérissée de dem i-fauve et ces feux étei nts dans
son gos ier.
• 49 ·
les som mets étrusques. Cette vi l l e , florissa nte pendant de nom
b reuses a n nées , l e roi Mézence la retint ensu ite sous son or
gue i l leuse dom ination et de ses armes cruelles. Pourquoi rappeler
les meu rtres abom inables, les actions sauvages du tyran ? Que les
dieux les fassent retomber sur sa tête et sur sa race ! 1 . 1 Mais, . .
épuisés par ces actions abom inables, ses concitoyens enfin pren
nent l es armes et entou rent sa m a i son , massacrent ses com
plices, mettent le feu j usqu'au toit. Lu i , s'étant échappé au m i l ieu
du massacre, se réfugia sur les terres des Rutu les, et est défendu
par les armes de son hôte, Tumus. Toute l ' Étrurie s'est donc sou
levée dans une j uste fureu r ; i l s réclament leur roi pour le suppli
cier, la guerre éta nt i m m i nente.
Énée, je te donnerai com me chef à ces m i l l iers de soldats. Car
leurs batea ux, amassés tout le long du rivage, frémissent et de
mandent que l'on donne le signal du combat, mais un vie i l ha
ruspice3 les retient en annonçant les destins : « Ô jeunesse choisie
de Méonie4 , fleur et vertu des anciens guerriers , vous qu'une j u ste
dou leu r excite contre l'ennemi et que Mézence enfla m me d'une
colère j u stifiée, i l n'est perm is à aucun Ital ien de com ma nder à
un si grand peuple : choisissez des chefs étrangers Alors l'ar
mée étrusque s'est arrêtée dans cette plaine, terrifiée par les aver
tissem ents des dieux. Ta rchon l u i -même a envoyé vers moi des
porte-paroles et la cou ronne du roi avec le sceptre, et me con fie
ces i nsignes, pour que j ' a i l le dans les ca m ps et que j e prenne le
royaume de Tyrrhénie Mais moi, la viei l lesse engourdie par le froid
et accablée par l 'âge m ' i nterdit ce com ma ndement, a i n s i que
mes forces trop lentes pour des actes de cou rage J'exhorterais
mon fi l s , s i , pa r sa mère sabine, i l n'avait pas en l u i une partie de
cette patrie Toi , à l'âge et à la race duquel les destins sont favo
rables, que les puissances divines réclament, marche, ô chef très
cou rageux des Troyens et des Ita l iens. le t'associerai Pallas, notre
espo i r et notre consolation ; pui sse-t- i l . en su ivant tes leçons,
su pporter la guerre et les d u rs trava ux de Mars et contempler tes
exploits, et qu'il t'admire dès ses prem ières années. le l u i donnerai
deux cents chevaux arcadiens, force choisie de notre jeu nesse, et
Pa llas t'en don nera autant en son nom .
• 50 ·
Les cadeaux de Vénus
1. M étal composé d'or et d'argent, dans une proportion de 4/5 à 1 /5 ; les Anciens lui
trouvaient un éclat supérieur à celui de l'or.
· 51 •
• Extrait 3 4 . Chant V I I I , vers 630 à 688
1. Les habitants de Cures, capitale des Sabins, sont connus pour la sévérité de leur
discipline.
2. Mettus, dictateur d'Albe, préféra attendre la fin d'une bataille pour se rallier au
vainqueur; Tullus Hostilius le fit attacher à deux chars et il mourut écartelé.
3. Nom donné au Capitole parce que, sous Romulus, une jeune fille, Tarpeia, intro
duisit les Sabins dans la citadel l e; elle mourut écrasée par leurs boucliers.
La louve capitoline.
4. Vêtement de guerre des Gaulois, adopté plus tard par les Romains.
5. Les Gaulois des Alpes avaient des javelots longs et pesants.
6. Pluton, dieu des Enfers.
7. Promontoire proche de celui d'Actium, près duquel Octave l'emporta sur son rival
Antoine et sa compagne Cléopâtre, reine d'Égypte.
· 53 .
dans la bata i l l e orga n i sée et les flots étinceler d'or. D ' u n côté,
Auguste César, menant a u com bat les Ita l iens avec les séna
teurs, le pe uple, les Pénates et les grands d ieux, debout s u r une
poupe élevée ; ses tempes heureuses vom issent deux flammes8
et la constellation patemelle se déploie sur sa tête. De l'autre côté,
Agrippa , sous la protection des vents et des dieux, conduit une
a rmée ; i n s ignes orgueil leux de la guerre , ses tempes bril lent,
ce i n tes de la cou ronne nava l e . De ce côté , Anto i n e , avec ses
forces ba rba res et ses armes va riées , reve n u va i n q u e u r des
peuples de l'Aurore9 et de la côte de la mer rouge , transporte avec
l u i l' Égypte, les pu issances de l'Orient et la lointaine Bactriane 1 o ,
e t ( ô sacri lège ! l u n e épouse égyptienne le suit
ACT 1 VITÉS
• Relisez le dernier paragraphe de l'extrait 33 :
qui a représenté l'h istoire de Rome ? Sur quel objet?
dans l'histoire de Rome quels événements le graveur a-t-il plus
particulièrement choisi de représenter? Pourquoi?
· 54 ·
Scènes de bataille
Il Y avait une tour, d'une grande hauteur, avec des étages éle
vés, bien placée; elle était l'objet du combat : tous les Italiens l'at
taquaient de toutes leurs forces et tentaient de tous leurs efforts
de la renverser; en face, les Troyens la défendaient avec des
pierres et, par ses profondes ouvertures, lançaient sans cesse des
traits. Le premier, Turnus jeta une torche enflammée et fixa la
flamme sur le côté de la tour; grossie par le vent, elle s'empara
des planches et resta attachée sur les portes, qui se consumèrent.
À l'intérieur, les Troyens, troublés, s'affolent et cherchent en vain
à fuir ces malheurs. Pendant qu'ils se regroupent et reculent du
côté qui est épargné par l'incendie, la tour s'effondre sous leur
poids soudain et fait retentir dans tout le ciel un bruit de tonnerre.
À moitié tués par la masse énorme, ils tombent à terre, transpercés
par leurs propres traits, et la poitrine défoncée par le bois dur.
À peine Hélénor et Lycus se sont-ils seuls échappés: Hélénor,
le plus âgé des deux, que l'esclave Licymine avait mis au monde
en cachette pour le roi de Méonie et avait envoyé à Troie avec des
armes interdites, léger, avec une simple épée nue, et sans gloire,
avec un bouclier blanc. Celui-ci se voit au milieu des milliers de
soldats de Turnus, et se trouve devant des troupes latines, d'un
côté et de l'autre : comme une bête sauvage, qui. entourée d'un
cercle épais de chasseu rs, exerce sa fureur contre les traits, se jette
devant la mort sans l ' ignorer et se porte d ' u n saut au-dessus des
épieux, de la même façon le jeune homme, s u r le point de mou
rir, se rue au m i l ieu des ennem i s , et s'élance vers l'endroit où i l
voit les t ra its les p l u s denses. Mais Lycus, bien m e i l l e u r à l a
cou rse, grâce à s a fu ite au m i l ieu des e n n e m i s , a u m i l ieu des
armes, attei nt les m u rs et s'efforce de sa i s i r avec sa m a i n le faîte
élevé et d'atte i n d re les m a i n s de ses com pagnons Turnus, le
poursu ivant en cou rant et avec son j avelot, l ' i nterpel l e ainsi, en
vai nqueur : « I nsensé, tu as espéré que tu pouvais échapper à nos
mains ? En même temps , i l s'empare du guerrier suspendu et
l'arrache avec une grande partie du m u r .
Vénus plaide la cause des Troyens, puis Junon, furieuse, rejette toute
la responsabilité sur Énée et justifie l'aide qu'elle apporte aux Rutules.
Ai nsi parlait Junon ; et tous les habitants du ciel frém issaient.
avec des sentiments divers 1 . . . 1 Alors l e Père tout-puissant. q u i
a le pouvoi r s u r toutes choses, com mence à parler ; alors qu' i l
parle, la haute demeure des dieux fait si lence e t la terre tremble
sur sa base , l'air élevé se tait. Alors les Zéphyrs se sont posés , la
mer abaisse ses flots apaisés. « Écoutez donc et gravez mes pa
ro les d a n s vos esprits. P u i s q u ' i l n ' a pas été perm i s q u e les
Auson iens soient l i és aux Rutules par un traité et que votre dis
corde p renne fi n , quel que soit auj ourd ' h u i le dest i n de chaque
peuple, quel que soit l ' espo i r que chacun pou rs u i t . q u ' i l soit
troyen ou rut u l e , j e n e fera i aucune d i fférence, que les camps
soient assiégés en ra ison des destins des Ita l iens ou d'une erreur
fu neste de Troie et de ses s i n i stres oracles. Et je ne dégage pas
les Rutules de ce principe. Et ce qu' i l a u ra entrepris apportera à
chacun la sou ffrance et le hasard ; le roi Jupiter est le même pour
tous . Les desti ns trouveront leur voie
À t ravers l e fleuve de son frère stygien l , à t ravers les rives
bou i l l o n na ntes de poix2 et d ' u n n o i r tou rb i l l o n , il fa it un signe
de tête, et fa it trembler tout l'Olympe C'est la fi n de ses paroles.
Alors J u p iter se l ève de son trône d'or, et les habitants du ciel
l e con d u isent sur l e seu i l .
A C T 1 VITÉS
• Décrivez avec précision la demeure des dieux et leur hiérarchie.
· 57 ·
Mais Pal las envoie de toutes ses forces une lance, et, du creux
de son fou rreau , t i re une épée étincelante. Cel le-ci , en volant,
tom be s u r le haut du corps , là où les épau les s'élèvent, et, se fa i
sant un chemin à travers les bords du boucl ier, elle a enfin effleuré
le grand corps de Turn u s . Alors Turnus, brandissant longuement
contre Pa l las u n bois armé d ' u n fer aigu, le j ette , et parle a i n s i :
« Regarde si notre trait est p l u s pénétrant » Il avait pa rlé, et le
Il s'est placé appuyé sur le dos de son cheval fam i lier, et il a chargé
ses deux mains de javelots pointus, la tête resplendissant sous l'ai
rain et hérissée dune aigrette de crin . Ainsi i l a pris sa course, rapide,
au m i l ieu des ennem is. Dans son cœu r boui l lonnent la honte, la
folie mêlée au deuil, l'amour excité par les Furies et le courage lucide.
Trois fois il a provoqué Énée de sa forte voix. Énée en effet l'a reconnu
et, joyeux, fait cette prière : « Fasse le grand père des dieux, fasse le
haut Apollon, que tu me provoques ainsi au combat. . . ! »
I l ne prononça que ces mots, et, allant à sa rencontre, i l marcha
avec sa lance en avant. L'autre alors : « Pourquoi me fais-tu peu r, très
cruel, après m'avoi r enlevé mon fi ls ? C'était la seule voie par la
quelle tu pouvais me perdre. Nous ne sommes pas effrayés par la
mort, nous n'épargnons aucun des dieux. Cesse, car je viens pour
mourir et je te porte
d'abo rd ces ca
deaux » . il a parlé, et
a lancé son javelot
sur l'en nemi; alors il
en jette un autre,
puis un autre, et ils
volent avec un cercle
i m m e n se, m ais la
bosse d'or du bou
clier résiste . Trois
fois il a fait tourner
son cheval autour
Scène de combat.
d' É née debout, en
cercles hostiles, lançant des traits de sa main; trois fois le héros
troyen fait tourner autour de lui, avec son bouclier d'airain, la forêt
monstrueuse de traits qui y est enfoncée. Alors, lorsqu'il en a assez
de supporter tant de retards, d'arracher tant de javelots, et qu'il est
pressé de mettre fin à un combat inégal, agitant de nombreuses
pensées dans son esprit, enfi n É née s'élance et jette sa lance entre
les tempes du cheval de guerre. Le quadrupède se cabre, dressé,
frappe les airs de ses talons, renverse son cavalier en tombant sur lui
et s'abat la tête en avant, l'épaule luxée.
Troyens et Latins enflamment le ciel de leurs cris. É née vole vers
son adversaire, tire de son fourreau son épée et lui dit : « Où est
maintenant l'ardent Mézence et sa force pleine de courage? Le
Tyrrhénien lui répond, après que, regardant les airs, il se fut rempli
le regard de la vue du ciel et qu'il eut repris ses esprits: « Ennemi
amer, pourquoi cries-tu après moi et me menaces-tu de mort? Il n'y
a aucune impiété dans le massacre, et je ne suis pas venu au com
bat avec cette pensée, et mon Lausus n'a pas fait ce pacte avec toi.
Je te demande ceci seulement, si les en nemis vaincus ont droit à
quelque faveur : permets que mon corps soit recouvert de terre. Je sais
que la haine cruelle des miens m'entoure; défends-moi, je t'en prie,
de cette fureur, et accorde-moi de partager le tombeau de mon fils » .
I ! dit cela, reçoit dans la gorge l'épée à laquelle il s'attendait, et rend
l'âme dans le sang qui coule sur ses armes.
La trêve
1 . L e terme s'étend à tous les Latins, alors qu'Énée désire épouser l a fille d e Latinus .
• 61 •
• Extrait 4 1. Chant X I , vers 182 à 2 0 2
ACT 1 VITÉS
• Quel effet produit sur vous la description de ces funérailles?
,
Turnus et Enee
,
1. Montagne de Macédoine.
2. Montagne de Sicile.
Alors q u ' i l hésite, Énée brandit le trait fata l , choisissant des
yeux le moment propice, et , de toutes ses forces , le lance de loi n .
Jamais les pierres lancées par la mach ine d e siège ne frém issent
de cette façon , jamais u n si grand fracas n'éclate de la fou d re La
lance vole, à la man ière d'un noir tou rbi l l o n , porta nt avec elle la
mort cruel le, et elle troue les bords de la cu i rasse et l es cercles
extérieurs du bou clier aux sept couches ; en sifflant el le pénètre
au m i l ieu de la cu isse. L' i m mense Tu rnus tom be à terre sous le
coup, en pl iant le genou Les Rutules se dressent en gém issant,
et toute la montagne aux a lento u rs rugit, et les bois profonds
renvoient au loin l'écho Le guerrier, humble et suppliant, tendant
ses yeux et sa main en prière : « Certes j ' a i mérité cela et je ne de
mande pas à l'éviter, dit- i l ; sers toi de ton dest i n . Mais si la dou
leur d'un père ma lheureux peut te toucher, je te prie (tu as eu aussi
un tel père en Anch ise ) , aie pitié de la viei l l esse de Dau n u s , et
rends-moi aux miens, au m o in s , si tu préfères, mon corps privé
de la l u m ière Tu as va incu, et les Ausoniens ont vu le vai n cu
tendre les paumes ; Lavi nie est ton épouse ; ne porte pas plus loin
ta haine » .
L' impétueux Énée s'est arrêté, e n armes , tournant ses yeux, et
il a reten u sa m a i n ; et déjà ces paroles com mençaient à le fléch i r
de p l u s en p l u s , alors qu' i l hésitait, lorsqu'au som met de l'épa u l e
apparut l e ba u d ri e r fu neste et bri l l a l e ce i nt u ro n aux b u l les
con n ues de l'enfant Pa l las, que Turn u s , après l'avo i r va incu, avait
étendu sous la blessure et dont il porta it, sur les épaules, les in
signes ennem is. Énée, dès qu'il eut fixé de ses yeux ces dépouil les,
restes d'une cruelle douleur, enflammé de fu reu r et terrible de co-
1ère : « Toi , revêtu des dépou i l les des miens, tu me serais en
l evé ? C'est Pa llas q u i t' i m mole par cette blessure, Pallas, et qui
tire u n e vengea nce de ton sang scélérat En disant cela i l plonge
son fer en plein la poitri ne de son ennem i , tout bou i l lant Et les
membres de l'autre se détendent sous le froid de la mort , et sa
vie i n dignée s'enfuit, avec un gém issem ent, sous l es Ombres