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Support de Cours Sur Chapitre 4 Mise en Oeuvre de La Stratégie
Support de Cours Sur Chapitre 4 Mise en Oeuvre de La Stratégie
Les décisions stratégiques ne sont pas de simples invocations, comme s’il suffisait de décider
pour que les choses se déroulent ensuite comme on l’avait (plus ou moins) planifiées. Si les
choix fondamentaux de développement de la firme sont du ressort de la direction générale,
c’est bien l’ensemble de l’organisation, y compris d’ailleurs les partenaires qui collaborent
avec elles, qui est concernée par leur mise en œuvre. Dans la plupart des cas, l’annonce de
décisions stratégiques correspond à une inflexion plus ou moins grande de la trajectoire
stratégique de la firme. Qu’il s’agisse d’une rupture (modification de trajectoire), ou d’un
recadrage (modification incrémentale de la stratégie), cette annonce suppose la mise en
oeuvre d’un changement dont l’échelle dépend bien sûr de la nature des choix opérés :
changement d’organisation générale, de produits, de politiques commerciales, de modes de
fabrication et/ou de distribution, de partenaires économiques…
Ce sont donc toutes les ressources qui sont concernées par l’inflexion envisagée : ressources
productives (financières, humaines, techniques et technologiques), mais aussi ressources
immatérielles comme l’organisation : organisation générale de la firme, au sens de structure
d’entreprise, organisation des processus au sens de la recherche de la combinaison productive
la plus efficiente. On s’attardera sur la double dimension de l’organisation, à savoir la
question de la structure la plus adaptée aux choix stratégiques et celle de l’allocation des
ressources qu’il convient d’optimiser au regard des objectifs stratégiques.
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Si l'on s'en tient à la conception étroite, la structure est un agencement particulier des organes
composant l'entreprise. Ces derniers sont généralement rangés en trois catégories principales :
– les organes opérationnels ou d'exploitation, participant directement à l'activité
productive et commerciale de la firme : services de fabrication, de vente, de conception des
produits ;
– les services fonctionnels, assurant des activités de soutien aux organes opérationnels
dans le cadre d'une fonction déterminée : finance, comptabilité, gestion des ressources
humaines, maintenance des équipements, etc. ;
– les organes d'état-major, chargés de missions particulières auprès des principaux
responsables qu'ils conseillent et assistent dans la préparation de leurs décisions.
Plusieurs types de relations existent entre les différents organes de l'entreprise : relations
hiérarchiques, fonctionnelles et de conseil. Une liaison hiérarchique est la relation classique
de chef à subordonné. Les liaisons fonctionnelles désignent les relations entre services
spécialisés qui, dans leur domaine d'attribution, disposent de l'autorité et du pouvoir de
décision ; par exemple, les politiques de personnel élaborées par la direction des ressources
humaines s'imposent à l'ensemble des services de l'entreprise. Les liaisons de conseil sont les
relations entre un cadre hiérarchique et un spécialiste ou un service spécialisé, ce dernier
n'ayant ni autorité sur le premier ni pouvoir de décision.
L'organigramme d'une entreprise, lorsqu'il existe, est une représentation schématisée et
souvent simplifiée de ces organes et liaisons. Dans sa forme classique, il a tendance à
privilégier les liaisons hiérarchiques entre individus et/ou services et donc l'importance des
niveaux hiérarchiques au sein de l'entreprise. Pour cette raison, mais aussi parce qu'il ne
donne qu'une figuration formelle et statique de la structure, l'organigramme n'est qu'un reflet
partiel de l'organisation réelle. Pour décrire plus finement celle-ci, il est préférable de la
caractériser à partir de ses trois dimensions de base.
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de spécialisation, nature des modes de coordination et degré variable de formalisation
permettent ainsi de caractériser toute structure d'entreprise.
Le mode principal de spécialisation de l'entreprise apparaît à la lecture de l'organigramme : on
voit immédiatement s'il s'agit d'un découpage des activités par grandes fonctions, par
domaines d'activités stratégiques, par zones géographiques, etc. Mais aux niveaux inférieurs
de la structure, d'autres modes de spécialisation sont envisageables. Ainsi, une entreprise
structurée principalement par grands métiers peut ensuite choisir une organisation par
fonctions pour chacun d'entre eux. Au sein d'une même organisation, les modes de
spécialisation peuvent donc se côtoyer et/ou se combiner. La division du travail se poursuit
ensuite au niveau des ateliers et des services pour la réalisation des activités : cet aspect de la
spécialisation sort du domaine de la structure d’entreprise.
Parallèlement au choix en matière de spécialisation, l'entreprise doit se poser la question des
mécanismes de coordination préservant la cohérence d'ensemble. La coordination par la
hiérarchie, inspirée du principe de l'unité de commandement cher à Fayol, reste un modèle
dominant, même si la tendance est aujourd'hui à une réduction des niveaux hiérarchiques et
donc à une conception moins « pyramidale « des structures. La coordination hiérarchique
existe dans toutes les organisations, mais elle est moins prégnante dans celles où le
management est plus participatif, et où la coordination s’opère alors majoritairement par
interactions directes entre les individus (ce que Mintzberg appelle l’« ajustement mutuel »).
Mais, dans toute organisation, il existe aussi une multitude de modes de coordination entre
services, entre activité, entre individus. La coordination peut ainsi s'opérer grâce à des
dispositifs tels que comités, réunions périodiques, documents internes (plan d'action, budget,
charte, etc.). Les entreprises ont aussi recours, ponctuellement ou de manière permanente, à
des agents ou services « intégrateurs « dont l’objectif est justement d’assurer la coordination
entre entités dont les objectifs peuvent être partiellement divergents : chef de projet,
coordinateur budgétaire, ou encore service logistique assurant la coordination des flux.
Le niveau de précision dans la description des fonctions, des liaisons et des modes de
coordination, des tâches et des domaines de responsabilité détermine le degré de formalisation
d'une entreprise. En général, un haut degré de formalisation dans une organisation se traduit
par la production de règles, définissant ce qui est acceptable ou inacceptable de la part de ses
membres, et de procédures, précisant les séquences d'étapes à respecter dans l'exécution des
tâches et la manière de traiter les problèmes. Dans les bureaucraties, et parfois aussi dans les
entreprises de grande taille, la formalisation de ces règles et procédures peut être étroitement
prescriptive et restreindre la liberté d'interprétation par les salariés des principes
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organisationnels. Ailleurs, au contraire, on mettra plus l'accent sur les missions et objectifs à
atteindre : on parlera dans ce cas de conception « organique « de la structure, par opposition à
la conception « mécaniste « du cas précédent.
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2. LES DÉTERMINANTS DE LA STRUCTURE
L'importance du choix de la structure dans la réalisation des objectifs stratégiques de
l'entreprise explique l'intérêt porté par de nombreux auteurs aux mécanismes de conception de
l'organisation. Au début du siècle, Taylor, Fayol, mais aussi Weber ont défini les
caractéristiques d'une « bonne « organisation. Dans la même optique empirique et normative,
d'anciens praticiens des affaires comme Alfred Sloan (1875-1966) ou consultants comme
Peter Drucker ou Octave Gélinier ont cherché à énoncer à leur tour des principes « efficaces »
d'organisation (décentralisation coordonnée des responsabilités, management par objectifs,
direction participative par objectifs...). A l'instar des classiques, ces auteurs partent
d'hypothèses et de constats tirés de l'expérience et en dégagent des règles générales d'action.
Abandonnant la quête de l'organisation « idéale », plusieurs auteurs ont mené, dans les années
60-70, des études comparatives des structures d'entreprises et mis en évidence les données de
contexte susceptibles d'influencer les choix organisationnels et les performances de la firme.
Pour Chandler le déterminant principal est la stratégie de l'entreprise, au sens où celle-ci doit
trouver dans l’organisation générale une forme pertinente. D'autres auteurs ont établi des
corrélations entre l'efficacité des structures et certaines variables « contingentes » comme
l'âge ou la taille de l'entreprise, sa technologie, son environnement.
Autrement dit, pour Chandler, les choix stratégiques induisent les choix en matière de
structure. Cette relation déterministe est validée dans les faits, lorsque les changements
stratégiques sont réellement radicaux (désengagement d’un DAS, ou au contraire
diversification, fusion, absorption, intégration verticale…). S’il s’agit seulement d’infléchir
sans la remettre vraiment en cause la trajectoire stratégique, la firme ne modifie pas, ou
seulement à la marge son organisation générale. Cette remarque n’invalide pas le propos de
Chandler, mais en limite la portée à des situations précises de changement en rupture avec une
trajectoire antérieure.
D'autres auteurs ont souligné que la relation était plus complexe : la structure elle-même
induit partiellement certaines orientations stratégiques. L'analyse des processus de décision
dans les grandes entreprises comme la tendance des organisations à reproduire les choix
stratégiques expérimentés avec succès confortent cette hypothèse. On a pu voir dans la
première partie de cette série que la manière dont est organisé le processus de prise de
décision au sein de la firme influence les choix produits (voir le modèle organisationnel de
prise de décision). Mais, là encore, cette vision « dialectique « de la relation stratégie-
structure affine plus qu'elle ne contredit l'analyse de Chandler, ce dernier estimant que les
changements structurels n'intervenaient qu'à partir du moment où l'accumulation de
mauvaises performances imposait la recherche de formes organisationnelles plus efficaces.
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La typologie traditionnelle des structures d'entreprises permet de situer ces dernières par
référence à des modèles-types : structure fonctionnelle où le découpage des activités est opéré
par grandes fonctions (logique d'organisation par les inputs), structure divisionnelle où les
différentes unités correspondent aux domaines d'activités de l'entreprise (logique
d'organisation par les outputs), structure matricielle croisant les deux logiques précédentes.
Cette typologie classique présente deux inconvénients : elle conduit à sous-estimer
l'extraordinaire diversité des structures réelles et peut masquer les hybridations et les
dynamiques possibles entre les diverses formes structurelles.
L'approche par les configurations structurelles de Mintzberg tente de pallier cette double
lacune.
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Dans les structures divisionnelles, la départementalisation des activités obéit à un découpage
par unités stratégiques de base, ou par produits, par marchés, ou encore par zones
géographiques. Chaque division correspond en fait à une entreprise mono activité, d'ailleurs
souvent organisée selon le modèle fonctionnel évoqué précédemment. Les décisions
opérationnelles relèvent des divisions ; la direction générale élabore la stratégie d'ensemble,
décide de l'allocation des ressources entre divisions, contrôle leurs performances, les services
d'état-major (exemples : planification, service juridique, mais il peut s’agir aussi d’un service
de R&D centralisé, d’un département ressources humaines gérant les politiques sociales au
niveau du groupe etc.) qui lui sont rattachés fournissant des prestations communes à
l’ensemble des divisions, l’idée étant d’éviter l’éparpillement des moyens entre les différentes
entités :
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Les structures matricielles, quant à elles, cherchent à combiner les deux modes précédents
afin de cumuler leurs avantages sans en avoir les inconvénients ; elles tendent ainsi à :
– préserver le potentiel commun de l'entreprise (logique fonctionnelle) ; les ressources
restant centralisées, l'entreprise réalise des économies d'échelle et développe des compétences
spécialisées ;
– conduire des projets complexes nécessitant de multiples collaborations (logique
divisionnelle).
Outre leur caractère complexe, les organisations matricielles présentent l'inconvénient de
remettre en cause le principe d'unité de commandement. La double hiérarchie (responsable
fonctionnel, chef de projet) risque de fragiliser l'organisation ou de faire tendre cette dernière
vers l’une ou l’autre logique, ce qui reviendrait alors soit à une structure fonctionnelle, soit à
une structure divisionnelle. Ce risque d’instabilité des structures matricielles est minimisé
lorsque les projets ont une durée de vie limitée (exemple de la conception de nouveaux
véhicules dans l'industrie automobile).
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(structure simple, bureaucratie mécaniste, organisation professionnalisée, structure
divisionnalisée, adhocratie1, organisation missionnaire, organisation politisée), que l'on peut
représenter en déformant le schéma des cinq composantes de base. Par exemple, une
bureaucratie mécaniste aura une longue ligne hiérarchique avec une importante
technostructure, alors qu’une organisation professionnalisée (un cabinet de consultants, par
exemple, ou une société de services informatiques) aura une ligne hiérarchique courte et une
technostructure réduite (les salariés du centre opérationnel conçoivent eux-mêmes leurs
modes opératoires).
L'intérêt de cette typologie est double :
– pour l'élaborer, Mintzberg s'est appuyé sur une analyse fine des différents mécanismes
possibles de coordination du travail : ajustement mutuel (coordination des activités par
interactions directes), supervision directe (coordination par la hiérarchie), standardisation des
tâches (formalisation des procédés), standardisation des résultats (l'organisation définit le
résultat à atteindre lorsque les tâches sont trop complexes pour être prescrites), standardisation
des qualifications (l'organisation ne peut spécifier ni les procédés ni le résultat à atteindre, et
détermine alors les compétences individuelles nécessaires) ; si plusieurs modes de
coordination peuvent coexister au sein d'une entreprise, l'un d'entre eux est dominant et
contribue à profiler l'organisation ; par exemple, c’est la supervision qui dominera dans une
bureaucratie mécaniste, alors qu’une organisation professionnalisée valorisera les ajustements
mutuels (le mode de management étant supposé plus participatif à mesure que le niveau des
qualifications des salariés augmente) ;
– la typologie proposée prend en compte les aspects dynamiques de l'évolution des
organisations considérées dans leur ensemble. Face à des contraintes et des contingences
mouvantes, ces dernières tendent à s'adapter par saut d'une configuration à une autre. Cela dit,
Mintzberg reste assez discret sur la manière dont s’opèrent ces sauts et sur le processus de
changement proprementdit.
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Les " adhocraties " désignent des formes structurelles difficilement classables, expressément
mises en œuvre pour conduire un projet complexe associant des équipes de spécialistes de
haut niveau dans un environnement incertain.
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empruntent aux différents schémas, la tendance actuelle à la différenciation des formes
d'organisation accentuant le caractère combinatoire des structures. Cette hybridation
s'explique par les données propres à chaque firme, mais provient aussi des aménagements
successifs que les firmes sont amenées à effectuer à partir de leurs structures existantes pour
s'adapter aux modifications de leur environnement et, plus généralement, aux inflexions de
leur stratégie. Si elle reste pertinente pour décrire les modalités principales de
départementalisation des entreprises, l'approche par les grands modèles-types rend de moins
en moins compte de la complexification en cours des formes organisationnelles.
Les configurations structurelles de Mintzberg reflètent mieux cette réalité dans la mesure où
elles englobent l'organisation et permettent ainsi d'analyser simultanément ses différents
niveaux sans se limiter au mode principal de spécialisation et de coordination. Mais la
typologie de Mintzberg comporte aussi ses zones d’ombre : parler d’adhocratie, par exemple,
est une commodité que l’on peut utiliser pour désigner des formes spécifiques d’organisations
soit très simples (une start-up, par exemple), soit très complexes. Mais les caractéristiques
propres de ces adhocraties ne sont pas réellement explorées.
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Logiques que nous reprenons de Johnson et alii, Stratégique, Publi Union Editions, 2000.
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ligne pour la mise en fabrication d’un nouveau modèle. Dans de tels cas, on voit même que la
manière dont sont configurées les ressources est une donnée incontournable de la mise en
oeuvre de la stratégie.
La pertinence de la configuration des ressources conditionne le maintien voire la conquête
d’un avantage concurrentiel. L’objectif est simple à énoncer, mais difficile à mettre en œuvre
pour au moins trois raisons :
– une configuration optimale dépend autant de la qualité des ressources et compétences
elles-mêmes que de la cohérence des processus, liaisons et types de coordination qui les
associent et leur donnent leur cohérence organisationnelle. C’est le principe de l’efficience «
X » que l’on a évoquée précédemment ;
– le travail de configuration doit identifier correctement les ressources et compétences-
clés, celles qui seront à la base de l’avantage concurrentiel et qu’il faudra préserver et
protéger de l’imitation (donc probablement qu’il faudra développer) ; comme on l’a vu dans
la partie relative au diagnostic stratégique, le problème de ces ressources et compétences
stratégiques est de savoir identifier leur subtile alchimie (qu’est-ce qui fait par exemple qu’un
service de R&D est particulièrement fécond, les individus qui y travaillent, le collectif ainsi
constitué, l’ensemble organisationnel dans lequel ils s’insèrent ?) ; lorsque ces compétences
sont liées en propre à un ou plusieurs individus (exemple des traders dans les sociétés
financières par exemple), les compétences sont plus faciles à circonscrire mais pas toujours
plus aisées à préserver : il faut alors savoir motiver les compétences afin de les conserver ;
– les configurations de ressources doivent s’inscrire dans une logique d’efficience, c’est-
à-dire de minimisation des moyens consommés par rapport au résultat recherché. Les
économistes industriels ont montré que l’efficience dépendait en partie de l’expérience
cumulée. Dans la théorie, la firme ayant cumulé le plus d’expérience, donc la firme leader,
disposait d’une avance intrinsèque sur ses rivales. Mais l’expérience pose plusieurs
problèmes, bien que l’accumulation d’expérience par effets d’apprentissage constitue
indubitablement une source d’amélioration de la productivité. D’une part, l’expérience peut
aussi être contre-productive dans la mesure où elle inscrit une trajectoire de raisonnement
dont il est souvent difficile de s’extraire. D’autre part, l’expérience peut être anéantie soit par
la recherche d’un avantage concurrentiel par différenciation (on sort ainsi de la logique des
coûts induite par les effets d’apprentissage), soit par la découverte de procédés de fabrication
nouveaux. Cela peut être par exemple le comportement d’un suiveur qui attend que le leader
s’installe et fasse les expérimentations pour ensuite corriger les erreurs repérées.
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Néanmoins, ces réflexions sur la configuration des ressources restent dans une logique
classique d’allocation des moyens de production. La montée en puissance des problèmes liés
à la gestion de l’information montre que, de plus en plus, la question de l’allocation des
ressources tourne autour de la mise en place de systèmes performants d’information et de
communication. Ce n’est sûrement pas un hasard si des outils de gestion de la production
comme le supply chain management sont fondés sur l’optimisation des flux physiques, mais
aussi d’information.
L’avantage concurrentiel est aujourd’hui obtenu plus sûrement par la firme qui sait réagir vite
que par celle qui fournit à un moment donné le bien ou le service de meilleure qualité.
L’idée d’optimiser la configuration des ressources par le biais des systèmes d’information
n’est pas vraiment nouvelle. Elle relève de la logique de reengineering (ou reconfiguration
des processus) qui s’est développée dans les années 90 et dont nous montrerons plus loin,
dans le paragraphe suivant relatif au changement, l’intérêt et les limites. Il est certain que la
diffusion des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) a eu
un impact essentiel sur la configuration des ressources productives, sur leur gestion et sur leur
contrôle. Non seulement elles ont accru dans des proportions encore inconnues la vitesse de
diffusion et la capacité de traitement des informations.
Mais elles ont aussi abaissé leur coût à tel point qu’il est plus économique de transférer au
marché certaines activités de la chaîne de valeur. Dans une logique « transactionnelle » (voir
la théorie des coûts de transaction), l’abaissement des coûts de l’information rend moins
coûteuses les transactions marchandes et constitue une incitation à l’externalisation.
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Traditionnellement, on distingue deux grandes formes de contrôle en fonction de l’origine des
intervenants :
– Le contrôle externe, sous la pression d’intervenants extérieurs, principalement opéré dans
le cadre des contrôles obligatoires (inspection du travail, administration fiscale, vérifications
comptables par les commissaires aux comptes…) ; mais on doit aussi ranger dans cette
catégorie les dispositifs mis en place par les parties prenantes de la firme, au premier rang
desquelles les actionnaires, pour contrôler les décisions des mandataires sociaux. Cette
dimension du contrôle stratégique renvoie aux mécanismes du gouvernement d’entreprise et
aux rôles respectifs des instances de contrôle (conseil d’administration ou de surveillance,
assemblée générale des actionnaires) que nous avons déjà examinés dans la série précédente.
Le contrôle externe ne sera donc pas traité dans ce chapitre.
– Le contrôle interne, c’est-à-dire effectué à la demande des dirigeants de l’entreprise, dont
le champ (toute l’entreprise ou un service seulement) et l’objet (contrôler l’application des
décisions stratégiques, vérifier le niveau des performances…) sont très variables. Ce sont ces
dispositifs internes que nous allons rapidement décrire. La diversité des dispositifs de contrôle
interne est telle qu’une énumération en serait fastidieuse et de toute manière incomplète. Pour
surmonter cette difficulté, on peut faire référence à la typologie des décisions dans l’entreprise
selon leur degré d’importance et de risque encouru : les décisions stratégiques (non
programmables et non structurées), les décisions socio-administratives (non programmables et
structurées) et les décisions de gestion courante (programmées et structurées, décisions de
routine). A chaque niveau de décisions correspond un sous-système de contrôle adapté, ce qui
semble évident puisqu’on ne va pas contrôler de la même manière (et bien entendu au même
coût), les actions et performances globales résultant des décisions stratégiques et les choix
quotidiens effectués dans chaque service de l’entreprise. Intuitivement, on peut aisément
imaginer que le contrôle des décisions stratégiques fera référence à des objectifs beaucoup
plus qu’à des règles de fonctionnement ; ces dernières sont en revanche parfaitement adaptées
aux décisions de routine qui rythment le fonctionnement quotidien de l’organisation.
Le système de contrôle sera alors constitué de plusieurs sous-ensembles que l’on peut
schématiser comme suit :
1. Aux décisions les plus importantes correspond le contrôle stratégique. En dehors des
mécanismes de gouvernance, cette modalité de contrôle est souvent formalisée : c’est la
planification stratégique (examinée dans la partie 1), dispositif qu’on ne peut dissocier du
contrôle de l’exécution de la stratégie à plus court terme, le contrôle budgétaire.
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2. Aux décisions intermédiaires entre le niveau stratégique et le niveau de gestion courante
correspond le contrôle de gestion, dont l’objectif est de vérifier que les actions concourent
bien à la réalisation des objectifs stratégiques et que chaque responsable garantit que les
ressources sont acquises au moindre coût et utilisées de la manière la plus efficace et la plus
efficiente.
3. Aux décisions de gestion courante correspond le contrôle d’exécution ou d’exploitation
courante (contrôle du caractère efficace et efficient des tâches effectuées par les membres de
l’organisation). Le contrôle d’exécution relève de la responsabilité de l’encadrement dans
toutes les fonctions de l’entreprise.
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Dans la mesure où il définit le cadre de l’action et les moyens utilisés ainsi que les
performances attendues, le budget fournit une base de référence pour contrôler
périodiquement les écarts entre réalisations effectives et performances attendues. Le contrôle
budgétaire apparaît ainsi comme une procédure centrale du contrôle de gestion. D’ailleurs, le
contrôleur de gestion joue un rôle important dans l’élaboration des budgets : il définit les
procédures et le calendrier, réalise la consolidation des budgets primaires pour élaborer le
compte de résultat prévisionnel. C’est lui qui assure donc la coordination des travaux et
l’assistance aux différents centres de responsabilité. C’est également lui qui transmet, après
parfois une série d’allers-retours avec les centres de responsabilité et plusieurs réunions
budgétaires, le projet de budget à la direction générale qui procède aux derniers arbitrages
avant la production du budget définitif.
L’intérêt du contrôle budgétaire a été contesté ces dernières années pour plusieurs raisons. Sa
lourdeur et son coût, en particulier, ont été soulignés ; mais, surtout, dans un contexte en
rapide évolution, la procédure budgétaire présente d’évidentes faiblesses ; elle démarre
plusieurs mois avant le début de l’année, sur la base d’hypothèses et de prévisions que toute
modification de l’environnement peut rendre caduques avant même le début d’exécution du
budget. Le délai de plusieurs mois entre la phase d’élaboration et l’exercice effectif du budget
rend inévitables ces dérives que l’entreprise ne peut corriger que si elle se dote de systèmes
d’informations pertinents et si elle est capable de réactions rapides. Certaines entreprises ont
été tentées de supprimer le budget (et donc le contrôle budgétaire), mais ont été refroidies
dans leurs ardeurs par les avantages incontestables qu’il présente : système de référence, outil
de communication et de concertation, levier favorisant l’implication de l’encadrement… Mais
aussi, le budget donne lieu à toute une production chiffrée dont les entreprises ont le plus
grand mal à se passer (tableaux de bord des performances, comparaisons par rapport aux
prévisions) et qui servent souvent de base aux systèmes complémentaires de rémunération.
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décideurs, le contrôle de gestion doit être considéré comme un instrument de pilotage des
organisations.
Il collecte toutes les informations et données chiffrées établies par l’ensemble des
responsables fonctionnels. Ces derniers effectuent en effet un travail de « reporting », terme
désignant les différents tableaux de bord, documents financiers et documents chiffrés relatifs à
l’activité industrielle, commerciale et sociale, que les centres de responsabilité communiquent
aux niveaux hiérarchiques supérieurs pour rendre compte de l’avancement de leurs plans et
budgets par rapport aux objectifs (Ardoin, cf. bibliographie). Les informations issues du
reporting et des systèmes d’information de gestion (principalement les données de la
comptabilité générale et de la comptabilité analytique) sont traitées et synthétisées au moyen
d’indicateurs regroupés dans des tableaux de bord. Ceux-ci permettent de comparer les
résultats observés mois par mois au regard des objectifs budgétés et révéler d’éventuels écarts
de performances.
On voit bien que l’efficacité du contrôle de gestion dépend de l’existence de dispositifs de
gestion prévisionnelle permettant de construire une base de référence, en particulier les plans
et budgets évoqués plus haut. Si les plans et budgets ont une fonction de mobilisation et
d’implication des membres de l’encadrement, l’information produite par le contrôle de
gestion doit constituer une incitation à l’amélioration des performances. Ce rôle ne peut être
assuré que si l’instrumentation de gestion est pertinente, les indicateurs d’activité adaptés et
si, en fin de compte, l’évaluation de la performance est un reflet fidèle des facteurs-clés de la
compétitivité de l’entreprise.
Or, depuis une quinzaine d’années, le contrôle de gestion est critiqué parce que trop en
décalage par rapport aux critères sur lesquels se mesure aujourd’hui la performance. Hérité du
contrôle industriel taylorien, le contrôle de gestion est encore trop axé sur les logiques de
réduction des coûts. Ce qui se justifiait dans un contexte de croissance stable et régulière, où
la concurrence se faisait principalement sur la capacité à maîtriser les coûts, semble
aujourd’hui largement dépassé ; les critères de qualité, de délais, la capacité à innover sont
autant de facteurs-clés de succès peu pris en compte par les indicateurs de gestion
traditionnels. Des sociétés comme Nike qui sous-traitent l’intégralité de leur activité
productive sont plus sensibles aux rythmes de leurs innovations produits et de leurs nouveaux
concepts marketing qu’aux problèmes de coûts de fabrication qui ne les concernent que très
indirectement. L’instrumentation de gestion doit s’adapter à l’émergence de ces firmes «
postindustrielles » et, plus généralement, de la tendance à l’éclatement des chaînes de valeur
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(ou désintégration verticale), à la constitution de réseaux plus ou moins informels, à
l’apparition d’entreprises virtuelles…
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