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CONCOURS DE LA

CLASSE LIBRE COMEDIE


MUSICALE 2022

Monologues
imposés pour
femmes

Mode d’emploi Badea


Getting attention Crimp
Le Collier d’Hélène Fréchette
Évènements Gabily
Caillasses Gaudé
Girls & Boys Kelly
La Boutique au coin de la rue Lazlo/Lubitsch
Incendies Mouawad
A la carabine Peyrade
Je suis Fassbinder Richter

En partenariat avec le Théâtre Mogador


Mode d’emploi. A. BADEA

J'ai eu un rêve bizarre. J'ai rêvé que j’étais dans l'avion. Je partais de Bucarest vers Paris et
l'avion s'effondrait. Je ne mourais pas. Non. Personne ne mourait. On se levait, on retournait à
l'aéroport et on prenait le vol suivant. Et de nouveau l'avion tombait. Encore et encore et
encore et encore. Je ne mourais pas, mais je n'arrivais plus à partir. Je restais coincée là, dans
ce pays. Et je ne voulais pas. Moi je voulais rentrer chez moi.
Je fais des rêves bizarres moi. Je rêve que je deviens à nouveau bébé et que mes parents
s'occupent de moi. Je rêve de couleurs. De couleurs vives. Je rêve que mes ex ne me
reconnaissent plus. Je rêve que mes yeux verts deviennent blancs. Je rêve que John Smith me
regarde violemment quand je dors. Je rêve que j'oublie le texte quand je joue. Je rêve que la
maîtresse me punit. Je rêve que je dis à mon père d'aller à l'hôtel. Je rêve que mon mec tombe
amoureux de ma mère. Je rêve que je fais l'amour avec Isabelle Adjani. Je rêve que je n'ai pas
l'Oscar. Je rêve que je baise avec Molière. Je rêve qu'on me refuse ma carte de séjour.
Je rêve que je deviens muette. Je rêve que je salis avec mon sang la robe de mariée de ma
sœur. Je rêve que j'ai un enfant noir. Je rêve que je ne parle plus ma langue maternelle. Je rêve
que je simule maladroitement l'orgasme. Je rêve que je vote Sarkozy. Je rêve que je vous roule
une pelle. Je rêve que je perds mon passeport. Je rêve que je rate mon train. Je rêve que je
rate. Je rêve que je rate. Voilà tout. Je rate.

Dans mon pays il est interdit de rater. Dans mon pays il est interdit de rater sans autorisation
provisoire délivrée au préalable. Dans mon pays il est interdit d'avoir tort. Dans mon pays il est
interdit de critiquer sans un diplôme d'études approfondies mention très bien. Dans mon pays
il est interdit de désobéir aux adultes. Dans mon pays il est interdit d'avoir raison sans une carte
professionnelle en cours de validité. Dans mon pays il est interdit de n'avoir rien à foutre des
voisins. Dans mon pays il est interdit de faire ce que tu veux sans une carte de crédit VISA. Dans
mon pays il est interdit de prendre des risques. Dans mon pays il est interdit de parler sans
employer des diminutifs. Dans mon pays il est interdit de se taire. Dans mon pays il est interdit
d'ignorer les fêtes nationales et religieuses. Dans mon pays il est interdit de jouir. Dans mon
pays il est interdit de vivre.
GETTING ATTENTION. M. CRIMP

II, 1
Milly sort de son appartement, fermant la porte derrière elle. Elle va tout droit à la balustrade et
commence à parler ; son comportement tout à la fois nerveux et sur la défensive.

MILLY.

Assez souvent, oui.


Eh bien je ne dirais pas en bons termes pas exactement. Je veux dire ce que je veux dire c'est que, eh
bien dehors dans le jardin.
Je vous demande pardon ?
Eh bien depuis mon balcon. Mon balcon donne sur leurs jardins voyez-vous. (Vite.) Parce que bien sûr
le fait est que, quand nous avons emménagé il était entendu que ces jardins nous seraient attribués
mais bien sûr ils ne l'ont jamais été, et puis ils ont installé ces familles, et bien sûr c'est elles qu'ont eu
droit aux jardins rapport aux enfants. Je veux dire ce n'est guère étonnant en fait qu'il y ait des
problèmes avec ce genre de familles.
Je vous demande pardon ?
Eh bien je ne faisais que donner mon opinion c'est tout.
Changement de cap dans l'interrogatoire.
Eh bien tout dépend de ce que vous entendez par bonnes raisons de supposer. Parce qu'évidemment
vous savez qu'elle buvait.
Madame Mitchell oui. Normalement elle avait une bouteille là-dehors dans l'urne.
Eh bien une espèce d'urne décorative. Et puis une autre là-bas au pied de la palissade. Et... ma foi… ma
foi tout ça c'est bien joli aux Bahamas non. Ce que je veux dire c'est que, eh bien, elle était souvent,
vous savez, seins nus là-dehors. Et je n'ai rien contre personnellement si on a la silhouette pour, mais il
y a un temps et un lieu pour tout non, et je pensais que c'était, eh bien, pas utile, vous savez, que
l'enfant, voie sa maman comme ça.
Changement de cap.
Eh bien seulement dehors dans le jardin comme je dis.
(Devenant toute retournée.) Eh bien c'était une enfant très discrète. Je ne pense pas l'avoir jamais
entendue... eh bien je ne pense pas l'avoir jamais entendue parler maintenant que j'y pense. Elle était
ce que j'appelle farouche, vous voyez ce que je veux dire ? Une enfant d'un genre farouche, très petite
souris. Elle avait surtout pour habitude d'aller bêcher la plate-bande au fond avec une cuiller ce qui était
dommage parce que ç'aurait pu être une jolie plate-bande... tout plein de soleil... (Elle s'interrompt.)
Non rien de ce genre. Mais ses vêtements n'étaient pas très propres, vous savez. Toujours la même robe
jaune. (Faible rire.) (Cette robe jaune...) Et c'était pas comme s'ils étaient dans la dèche pas spécialement
parce qu'elle avait tout plein de choses. Je veux dire tous les vendredis ou presque il lui rapportait
quelque chose.
Taylor. Oui.
Eh bien je le voyais souvent sortir de sa camionnette et presque toujours avec quelque chose donc ça
pouvait pas être comme s'ils étaient spécialement dans la dèche même si c'est vrai qu'ils n'avaient pas
le téléphone, même si bien sûr il y avait le micro-ondes, mais ce que je veux dire c'est que c'est que
c'était toujours la même robe, ce qui m'inquiétait. Et bien-sûr des fois ils la laissaient se mettre de la
terre dans la bouche.
Oui. De la terre. Elle la mangeait. Je me disais en moi-même pour l'amour du ciel quel mal y a-t-il à lui
donner un bon bain chaud une fois de temps en temps. (Je l'aurais fait moi-même si on m'en avait donné
l'occasion.)
LE COLLIER D’HÉLÈNE. C. FRECHETTE

HÉLÈNE

J'ai attendu longtemps avant de traverser. Je me souviens que je me suis épongé le cou. Il fait tellement
chaud, j'ai pris un mouchoir et je me suis épongée comme ça, et je me dis que ça doit être à ce moment-
là que... (UN TEMPS.) Mais peut-être que c'est arrivé avant. Je le porte tout le temps, même la nuit. Ce
n'est pas un collier qu'on garde la nuit pourtant. Pas comme une chaine en or ou en argent, non, mais
moi je… Il est tellement léger, je ne le sens pas du tout. Il a pu glisser n'importe quand. Tout à l'heure,
en passant devant une vitrine, je me suis regardée et j'ai vu qu'il n'était plus là. J'ai crié : mon collier !
Vous ne l'auriez pas ramassé ? Ou vous n'auriez pas vu quelqu'un le ramasser ? S'il vous plaît.
Taxi.
Par là. Tout droit.
Je monte dans le taxi. Une très très vieille Mercedes rouge, sauf les portes de derrière, l'une est jaune,
l'autre vert kaki... On part dans un nuage gris. Je crie : attention ! Un camion énorme nous coupe
effrontément. Je crie : il est fou ! Je crie : les fenêtres. S’il vous plaît, pouvez-vous fermer les fenêtres ?
Il dit : s'il vous plaît, Madame ? en souriant. Je fais des gestes. Il finit par comprendre. Il ferme tout. On
roule. Je regarde la mer, derrière les immeubles, les affiches, les voitures, les fils électriques. La mer. Je
surveille un peu la route. De temps en temps, je crie : attention ! Ça le fait rigoler. Je ferme les yeux. Je
revois tous les endroits où je suis allée depuis que je suis arrivée. Il y en a beaucoup. Je ne sais plus dans
quel ordre c'était. J'en oublie. J'ai tellement marché. Je pense à mon collier. Un petit nuage blanc autour
de mon cou. Tellement délicat. Tout le monde le remarquait. Même cet homme à qui j'ai demandé mon
chemin. Il a souri. Il a dit : il est joli, votre collier, Madame.
Je regarde la mer. Le bleu de la mer, dont je rêve tant quand je suis chez moi, à des milliers de kilomètres
d'ici. Je touche mon cou. J'ai envie de pleurer. Je me secoue. On approche. On s'engage dans un
immense échangeur, puis tout s'arrête. J'essaie de voir ce qui se passe. C'est bloqué. Il allume la radio.
(UNE MUSIQUE ARABE TRÈS RYTHMÉE SE FAIT ENTENDRE) Il bouge la tête au rythme de la chanson. Et
les épaules et les bras. Il chante. Je ferme les yeux. Je compte les jours depuis que je suis arrivée. Huit ?
Neuf ? Je n'arrive pas à savoir. Quel jour on est ? Lundi ou mardi ? Lundi, je pense. Et quand est-ce que
j'ai vu mon collier pour la dernière fois ? Quand est-ce que j'ai eu conscience de l'avoir à mon cou ?
L'homme à qui j'ai demandé mon chemin. Il a touché les perles avec ses doigts. Ou est-ce que c'était ?
Dans quel quartier ? Je ne sais pas. Quel jour c'était ? Samedi ? Vendredi ? C'est toujours bloqué. Des
voitures à perte de vue. Il fait chaud. Si j'ouvre la fenêtre, c'est l'enfer des klaxons. (UN TEMPS AU COURS
DUQUEL ON N'ENTEND QUE LA MUSIQUE DE LA RADIO) Combien de chansons depuis qu'on est arrêtés
ici ? Quatre, cinq, six, dix ? Une seule, il me semble, répétée à l'infini. (UN TEMPS) Un collier évanescent.
C'est ce qu'a dit le vendeur dans la boutique. Ça m'a fait rire. Un mot pareil, pour un collier. Evanescent.
Ah ! On dirait qu'il y a du mouvement. On bouge !
EVÉNEMENTS D-G GABILY

MÈRE.

J'ai longtemps tenu les ciseaux. Tu sais, ceux de la boîte à couture que ta tante
Jeanne m'avait offerte, les très longs ; et l'ouvrage était posé sur mes genoux et
ton père boitait déjà. Il s’asseyait sur le banc du square ; il passait ses journées à
regarder les joueurs de boules. Quand ils jouaient. Quand ils ne jouaient plus, il
les attendait. Ne les attendait pas. Restait. Ça, il aurait pu tout aussi bien traîner
dans les cafés ; mais il n'a jamais été de ceux-là ni des autres non plus... Qu'est-ce
qu'il contemplait comme ça dans le dedans de sa tête, quelles images ? Et moi,
l'ouvrage posé sur les genoux, assise sur la chaise rouge, avec les ciseaux d'une
main, et de l'autre, les aiguilles à tricoter "le pull-over d'un jeune homme
dynamique, modèle 611, automne-hiver 68/69" que j'avais trouvé dans le Femme
pratique de mai; moi, devant la fenêtre à regarder ton père qui regardait les
autres ou rien, à ne plus le regarder, à le haïr et je serrais si fort les ciseaux,
longtemps, des heures entières à n'avoir plus rien d'autre à faire qu'à les serrer
tellement fort, à se pencher sur le col en V, sur le devant et il n'y aurait jamais de
dos, je savais que je ne finirais jamais le dos viens ici mon garçon que je vérifie les
mesures ne bouge pas comme ça tiens-toi tranquille mon petit garçon chéri tu
pousses trop vite trop haut quand je l'aurai fini tu auras encore pris dix
centimètres, et il avait l'air tellement gêné, toujours, qu'est-ce qui le gênait
comme ça, est-ce que toutes les mères ne disent pas ces choses-là, est-ce que je
ne te l'ai pas dit aussi à toi, mais quand j'avais les ciseaux je me souviens comme
il était non dans l'impatience mais dans la gêne et je n'y avais pas fait attention,
tu comprends, à cette sorte de gêne parce qu'il fallait bien prendre les mesures
et le reste pour que tout soit selon l'ordre et la fierté de ton père, la mienne aussi,
sans doute, mais maintenant, là où j'habite, rien n'est plus à sa place et c'est
comme une vengeance, une sorte de vengeance si tu veux, contre moi, contre
toi, contre tous, un véritable capharnaüm, je le dis, comme le fleuve après la crue,
les champs gris de sa bave et les souches dispersées, toutes ces semences des
choses mortes quand nous nous promenions, mon petit garçon, t'en souviens-tu
mon petit garçon ? Et tu ne les aimais pas non plus nos promenades hygiéniques
du dimanche après les grandes crues dans tes culottes
courtes qui te grattaient…
CAILLASSES. L. GAUDÉ

MERIEM.

Ça y est. Nous sommes sur la crête de la colline. Nous dominons la ville. La place s'offre au regard. La
lumière est douce. Nous nous serrons contre les barbelés. Certains pleurent. D'autres gémissent. J'avais
raison : nous n'avons pas réussi à faire tomber les grillages. Nous butons contre ces fils comme des
insectes imbéciles, en buvant du regard la terre de l'autre côté, les doigts agrippés au grillage jusqu'au
sang. Ils m'écrasent, devant, derrière, la foule partout qui veut voir, je dis "Ne me poussez pas" mais ils
n'entendent pas. Je dis "Nous ne passerons pas" mais ils continuent d'appuyer sur les barbelés. Cela me
fait mal. "Ne poussez pas !"Ils n'entendent rien. Tout le monde veut voir. Ils ne prennent plus aucune
précaution. Ils agrippent les fils et les secouent de toutes leurs forces. Le bruit métallique résonne dans
les collines. "Vous me faites mal." Ils se mettent à chanter, à crier, à appeler. "Taisez-vous", je dis. Mais
ils n'entendent pas. "Taisez-vous ou les soldats vont venir.. Ce n'est pas comme ça que nous passerons.
Je ferais mieux de partir, de les laisser là et de chercher Azried en priant pour qu'il ne soit pas déjà trop
loin. Mais je ne le fais pas. Je n'arrive pas à quitter des yeux la ville. Il y a des hommes là-bas, sur la place
de l'Ombre-du-Jour. On distingue leurs silhouettes, immobiles et à l'écart, en regardant bien, j'en vois
une, plus vieille que les autres. "Regardez", c'est lui, j’en suis sûre, Regardez !", C'est moi qui me mets à
crier maintenant, comme les autres, "C'est mon frère !". Je le reconnais. Ne me poussez pas. J'ai du mal
à respirer. "C'est toi ?" Je crie son nom. Tant pis pour les soldats qui risquent de venir, je fais comme
tous les autres, je crie pour que vous nous voyiez. "Farouk ! Nous sommes revenus, mon frère. Je crie à
pleins poumons mais ma voix ne porte pas. Elle se noie dans les chants et les pleurs de tous ceux qui
m'entourent. "Farouk ! Après toutes ces années, c'est toi mon frère. Je crie, encore et encore... Farouk
! Est-ce que tu m'entends ! Farouk ! Mon frère, je suis là, je ne bouge plus. Je veux du temps, tout mon
temps pour t'embrasser du regard...
GIRLS & BOYS. D.KELLY

Ce n'était pas juste l'Italie, c'était Naples – putain qu'est-ce que j'aime Naples, c'est incroyable Naples,
mais si les Italiens ne respectent pas les files d'attente, alors les Napolitains détestent carrément les files
d'attente. Les Napolitains ont un rapport particulier avec les règles - ça fait partie de leur charme.

Et donc autant vous dire que l'ambiance est plutôt tendue dans cette file d'attente. Tout le monde est
sur les nerfs, tout le monde fusille tout le monde du regard genre « non mais il double là, le gars, putain,
il essaie de se faufiler ou quoi...? » ou alors « si cette vieille peau essaie de couper la queue, je jure sur
la Vierge que je la fous par terre et je lui marche sur la tête. »

Mais je ne sais pas par quel miracle la file d'attente tient le coup. On fait vraiment la queue, et ça n'a
pas dégénéré en sauve-qui-peut général même si on sait tous que ça peut arriver à tout moment.

Mais ce type devant moi...

Je veux dire il est juste debout, là, il s'en fiche royalement, il lit - il lit un livre, putain, complètement
absorbé, du pied nonchalamment il fait avancer son sac de temps en temps, il prend tout son... il laisse
s'ouvrir un espace - non mais un espace quoi ? Ici ? Dans cette file d'attente ?

Et alors...

Ces deux

mannequins, je veux dire c'étaient forcément des mannequins, elles étaient belles ces filles, Dieu sait
ce qu'elles faisaient dans cette file d'attente - leur vol avait dû être annulé à la dernière minute parce
qu'elles regardaient autour d'elles en se demandant « mais on est où là? J'aime pas ça, il est où le VIP
lounge?».

Et elles vont direct jusqu'à ce type

La tête d'imbécile. Elles se collent à cette tête d'imbécile et la brune dit

Salut, ça va ?

(et il relève la tête genre « hein ?!? Quoi ? » je veux dire il ne dit pas ça, il ne dit rien, il regarde juste, la
bouche pendante comme Scoubidou, putain, parce que personne de cette race ne lui a jamais adressé
la parole avant, et en vrai il a l'air un peu effrayé, comme s'il se disait « qu'est-ce que c'est que ça?
Qu'est-ce qui m'arrive ? »)

C'est OK si on parle un peu ?

(là c'est la blonde)

Euh... Pardon ? Quoi, moi ?

Ouais. On veut juste rester ici avec vous et bavarder un peu. Ici.

Et là je comprends et je me dis « oh non, non, non, espèce de salope, intrigante de merde, avec tes
longues jambes là, non, non, non, non, non... »
Et ce type, cet imbécile, cet abruti, il est déjà fichu. II est mort, il est fini, serré, il n'a aucune chance, je
veux dire elles brillent de mille feux les filles, on dirait qu'elles ont été retouchées avant la naissance.

Vous voulez rester... ici ? Et parler... avec moi ?

Ouais. Ça vous gêne pas ?

Et elle lui sort un sourire... je vous jure son sourire si elle pouvait le lancer il couperait net la tête des
statues.

Et lui genre

Mais, bien sûr.

(excellent. Là c'est excellent...)

Mais j'ai le droit de coucher avec l'une de vous alors, d'accord ?

Attendez, putain, attendez...

Pardon ?

J'ai le droit de coucher avec l'une de vous ? Je veux dire, c'est bien de ça qu'on parle là ?

Euh...

Parce que sinon je n'ai vraiment aucun intérêt à vous laisser couper la file d'attente devant tous ces
braves gens qui attendent patiemment depuis une heure et quart d'embarquer dans cet avion et qui
comptent bien finir par y arriver tout autant que vous, non ?

Et là je réalise que ce vilain petit nigaud aux mâchoires qui pendent est en réalité un génie au physique
de dieu grec.

Et la blonde qui le regarde, clouée - ça ne va pas, pas ça, pas venant d'un ordinaire. Et la brune est genre
horrifiée, presque en état de choc - à tel point en fait que là elle sort un des trucs les plus drôles que
j'aie entendus de ma vie. Elle dit..

Mais... nous sommes mannequins.

C'est sorti comme ça. Comme une pensée silencieuse qui s'égare tout à coup jusqu'aux lèvres sans
permission. Et là ma journée fait la culbute, c'est une super journée, c'est une magnifique journée, on
composera des chansons sur cette journée.

Et là, putain, mon Ulysse qui enchaîne du tac au tac, avec un sourire doux comme de la betterave il dit
« au bout de la queue vous serez toujours mannequins ».

Et là Blondie elle se réveille et elle lance - elle ne peut pas laisser passer ça...

Écoutez, ce n'est pas la peine d'être grossier ! On essayait juste d'être sympa.

Non, pas du tout. C'était même le contraire de la sympathie. Vous espériez m'amadouer pour arriver à
vos fins, une fois dans l’avion, vous m’auriez laisser tomber comme une merde
LA BOUTIQUE AU COIN DE LA RUE. d’après M. LAZLO et E. LUBITSCH
(adaptation E Fallot et JJ Zilbermann)

KLARA

J'ai remonté de la réserve la collection complète de « La Vie des coléoptères ». Je les ai classés par
numéros, et rangés dans l'ordre chronologique sur les étagères. Je les ai même recollés.
C'est bien ce que vous vouliez ?
J'ai fait de mon mieux... Si ça n'allait pas, il ne faut pas hésiter à me le dire.
(Au comble de la flatterie). Ça me fait plaisir de vous faire plaisir. Après tout, vous êtes mon supérieur
hiérarchique, non ?
Ce que je veux dire c'est que... Sur un plan personnel, on peut penser ce qu'on veut de vous...
N'empêche... Quand on a la chance d'être votre collègue de travail, on s'enrichit à votre contact.
Je veux dire... Qu'on le veuille ou non, j'estime que vous êtes…
Honnête...
Vous dites toujours ce que vous pensez, quelles qu'en soient les conséquences... Vous vous conduisez
toujours en gentleman !
Temps.
Oh ! monsieur Kralik, vous n'avez pas idée de ce que c'est que de travailler dans un magasin quand on
est une femme. Si vous saviez ce que les vendeuses doivent subir parfois... Par exemple, quand je
travaillais chez Blasket frères et fils... Le fils ça allait, mais les frères, monsieur Kralik !... C'est pourquoi
je me sens tellement bien ici. Quand vous, vous dites : "Mademoiselle Novak, descendons à la réserve
pour pointer les invendus..." C'est vraiment pour pointer les invendus.
(Jouant son va-tout). Monsieur Kralik!...
Pour ce corsage, hier..
(Hypocrite). Je voulais vous remercier... Au fond de moi, je savais que vous aviez raison. Ce corsage est
affreux. Je n'ai pas voulu l'admettre sur le moment… (Minaudant.) Nous les femmes, nous détestons
admettre que nous avons tort... C'est ce qui fait notre charme !...
(Faussement candide) Vous savez quoi ? Vous m’avez empêchée de faire une énorme bêtise. Cet affreux
corsage j’avais l’intention de le porter pour une grande occasion. (En confidence) J’ai un rendez-vous...
ce soir.
Temps.
Il faut vraiment que je parte à sept heures. C'est TRES important.
Temps.
S'il vous plaît, monsieur Kralik !
(Outrée) C’est non ??
(Véhémente). Vous n’avez jamais été chic avec moi !! Même ma façon de dire aux clients : « Bonjour
monsieur, au revoir madame », ça ne vous convient pas. Quand je fais une suggestion, et certaines sont
excellentes, vous n'écoutez même pas. Il faut que tout soit fait exactement à votre idée, et même là, ça
ne va pas encore. Quand je suis arrivée ici, j'étais pleine de vie, d'enthousiasme... Maintenant. pfftt...
Vous m'avez ... enlevé ma personnalité ! Vous êtes un dictateur. Voilà ce que vous êtes... ! (S'étouffant
d'indignation.) Je vais vous dire, si un jour je n'avais plus besoin de travailler ici, alors je vous sortirais
enfin tout ce que j'ai sur le cœur ! (Elle tourne les talons, fait quelques pas, se retourne vers lui.) Monsieur
Kralik, j'adore mon corsage. Et vous, je ne vous aime pas.
INCENDIES. W. MOUAWAD

NAWAL.

Wahab ! Écoute-moi. Ne dis rien. Non, Ne parle pas. Si tu me dis un mot, un seul, tu pourrais me tuer.
Tu ne sais pas encore, tu ne sais pas le bonheur qui va être notre malheur. Wahab, j'ai l'impression qu'à
partir du moment où je vais laisser échapper les mots qui vont sortir de ma bouche, tu vas mourir toi
aussi. Je vais me taire, Wahab, promets-moi alors de ne rien dire, s'il te plaît, je suis fatiguée, s'il te plaît,
laisse le silence. Je vais me taire. Ne dis rien. Ne dis rien.
Elle se tait.
Je t'ai appelé toute la nuit. J'ai couru toute la nuit. Je savais que j'allais te trouver au rocher aux arbres
blancs. Je voulais le hurler pour que tout le village l'entende, pour que les arbres l'entendent, que la nuit
l'entende, pour que la lune et les étoiles l'entendent. Mais je ne pouvais pas. Je dois te le dire à l'oreille,
Wahab, après, je ne pourrai plus te demander de rester dans mes bras même si c'est ce que je veux le
plus au monde, même si j'ai la conviction que je serai à jamais incomplète si tu demeures à l'extérieur
de moi, même si, à peine sortie de l'enfance, je t'avais trouvé, toi, et qu'avec toi je tombais enfin dans
les bras de ma vraie vie, je ne pourrai plus rien te demander.
Temps.
J'ai un enfant dans mon ventre, Wahab ! Mon ventre est plein de toi. C'est un vertige, n'est-ce-pas ?
C'est magnifique et horrible, n'est-ce pas ? C'est un gouffre et c'est comme la liberté aux oiseaux
sauvages, n'est-ce pas ? Et il n'y a plus de mots ! Que le vent ! Quand j'ai entendu la vieille Elhame me
le dire, un océan a éclaté dans ma tête. Une brûlure.
Je lui ai demandé : « Elhame, tu es sûre ?» Elle a rigolé. Elle m'a caressé le visage. Elle m'a dit qu'elle a
fait naître tous les enfants du village depuis quarante ans. Elle m'a sortie du ventre de ma mère et elle
a sorti ma mère du ventre de sa mère. Elhame ne se trompe pas. Elle m'a promis qu'elle ne dira rien à
personne. « Ce ne sont pas mes affaires, elle a dit, mais dans deux semaines au plus tard, tu ne pourras
plus le cacher. »
Tu n'as pas peur, toi ?
Temps.
Pose ta main. Qu'est-ce que c'est ? Je ne sais pas si c'est la colère, je ne sais pas si c'est la peur, je ne
sais pas si c'est le bonheur. Où serons-nous, toi et moi, dans cinquante ans ?
Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux.
A LA CARABINE P. PEYRADE

ANNONCE

Ils ont dit que j'étais responsable, que j'avais le droit de dire non, que j'étais d'accord. On veut ce qu'on
connaît, ce qu'on peut imaginer. Je voulais des cigarettes, des bonbons, un baiser sous la pluie. Je voulais
un dauphin en peluche, je ne pouvais pas vouloir autre chose, je ne pouvais pas l'imaginer. Je n'ai pas
pu vouloir quelque chose que je ne connais sais pas, que je n'avais jamais imaginé de ma vie, je l'avais
imaginé mais pas comme ça, ça ne se passait pas comme ça, il n'y avait pas l'odeur, ni la peur, ni la
honte, je ne l'avais jamais imaginé comme ça, si je l'avais imaginé comme ça je ne l'aurais jamais voulu.
Ils ont dit, il y a la menace, la surprise, ou la force, je n'étais ni surprise, ni menacée, ni forcée, selon eux,
ce n'était pas dans le noir, ce n'était pas dans une forêt ni dans une cave, est-ce que mon bras tremblait
? Mes muscles étaient en pierre, ma tête en pierre, ma main, mon ventre, je suis devenue une statue,
il a pris ma main, je lui ai donné ma main de statue, je ne sais pas ce qui s'est passé, je savais déjà ce qui
allait se passer, je ne voyais plus rien, c'était trop tard. Il aurait fallu ne pas, il aurait fallu retirer ma main
à ce moment-là, il a pris ma main et tout s'est arrêté, mon cœur, ma tête, les muscles de mon bras, ma
peau frémit encore, le corps a une mémoire, tu vois ? Tu vois, aujourd'hui, je ne souris pas. Je souriais
parce que j'étais petite et que les petites on leur dit, souris, ne sors pas seule tard le soir à la fête foraine,
tiens-toi bien. Tu t'es défendu. Tu as dit, je n'ai rien fait, je ne suis pas comme ça, je l'aime bien, je la
respecte, c'est la sœur de mon pote, demandez à qui vous voulez, je suis un garçon gentil, je rends
service, j'ai rendu service à sa mère, je suis obéissant. J'ai des amis, je ne me suis jamais battu, je déteste
la violence, je travaille comme il faut, ma mère travaille comme il faut, mon père travaille comme il faut,
je ne bois pas, je ne me drogue pas, je fais des études, je ne traîne pas le soir dans la rue, je n'aime pas
faire du mal aux autres, on me dit même que je suis trop gentil. Ils ont dit, c'est vrai, il est gentil, sérieux,
il travaille bien, il fait des études, il ne mérite pas ça, il ne mérite pas de voir sa vie s'arrêter pour ça, sa
vie détruite pour ça, tu te rends compte de ce que tu fais ? Pourquoi toutes ces histoires, elle ne ferait
pas d'histoires si elle ne l'avait pas un peu cherché, elle est bizarre cette gosse, on le connaît, tout le
monde le connaît, jamais d'histoires, normal, c'est un garçon normal. C'est vrai. Tu es gentil, drôle, tu
m'aides à faire mes devoirs, ma mère t'aime bien, mon frère te fait confiance, tu es intelligent, tu as des
amis, les mêmes que moi, tu as une famille qui t'aime, comme moi, tu es comme moi, le même que moi,
et tu m'aimes bien, et je t'aimais bien aussi, et je te connais, tu es un garçon normal. Il ne faut pas être
violent, je sais, c'est mal, la violence, c'est mal, la vengeance, c'est moche. C'est toujours mieux d'éviter
la violence, ce sont les sauvages qui utilisent la violence, quand on ne sait pas parler. Les filles ne doivent
pas jouer avec des armes à feu, c'est dangereux, c'est trop lourd pour leurs muscles. Tu te souviens de
mes muscles ? Tu n'auras pas de marque, promis, pas de marque et pas le temps de te souvenir. Un
coup net, franc, un trou bien tracé dans ta cervelle. C'est ta violence. Tu vas te la prendre, bien profond.
Ouvre grand. Ta violence. Je te la rends. Bon appétit, connard.
JE SUIS FASSBINDER. F. RICHTER

JUDITH.

J'ai peur qu'à l'avenir mes enfants me haïssent tellement... parce qu'ils trouvent que tout ce
que je fais, ma façon de vivre est une ERREUR et qu'ils ne comprennent pas pourquoi je,
pourquoi NOUS, pourquoi nous vivions ainsi.. pourquoi pourquoi on fait ce qu'on... Nous
sommes comme des personnages de Tchékhov... comme ces horribles soeurs et leurs officiers
qui trainent là, à attendre d'être balayés par je ne sais quelle révolution... quelque chose est en
train de fondre sur nous... je le sens... c'est quelque chose... quelque chose... un
bouleversement une tempête un... nous sommes quelques jours avant l'explosion d'un d'une...
tout va changer tout, la façon dont nous vivions ici sera, ce sera ILS VONT NOUS FORCER UN
JOUR À EXPLIQUER TOUT ÇA et aucun d'entre nous ne réussira à expliquer comment nous avons
pu à ce point nous foutre de tous les autres pays de ce monde, de tous les gens qui y vivent et
qui mènent des guerres avec nos armes, pourquoi on croyait pouvoir rester ici à boire du
champagne en terrasse pendant que le reste du monde est bombardé, n'est plus que cendres
ou meurt de faim ou n'a pas d'eau potable. ILS NOUS DÉTESTENT, ILS NOUS DÉTESTENT, ET ILS
SONT TOUJOURS PLUS NOMBREUX, ET ILS VEULENT NOUS DÉTRUIRE je le sens, c'est quelque
chose qui arrive, quelque chose va nous balayer comme ces personnages de Tchékhov dans
cette horrible pièce LA CERISAIE où ils sont tous assis en attendant d'être échangés contre
d'autres, leur temps est écoulé ils sont renversés par les évolutions d'une nouvelle ère. LA
HAINE EST SI GRANDE EN NOUS ET CONTRE NOUS ET CETTE INSÉCURITÉ, CETTE on ne doit plus
se voir, J'AI BESOIN QUE LES CHOSES SOIENT CLAIRES, j'ai besoin de structures claires, je ne
peux pas encore tout détruire et changer sans savoir si je reste avec toi pour toujours ou juste
pour quelques semaines ou quelques mois ou trois ans tout au plus, et si je le supporterai que
ce soit avec toi ou avec qui que ce soit ou si je ne préfère pas être seule et juste disparaître
partir loin, quitter cette planète, rentrer chez moi, rentrer, je dois bien être venue de quelque
part, je n'ai pas ma place ici, je n'ai absolument aucun lien avec tout ça, quand je vois tout ça
CE N'EST POURTANT PAS MA PLANÈTE ICI, J'AI ATTERRI AU MAUVAIS ENDROIT ON M'A
DÉPOSÉE DANS LE PASSÉ QUELQUE PART AU MOYEN ÂGE OU ALORS ON EST OÙ EN FAIT EN CE
MOMENT ? J'essaie de RECONSTITUER LE PUZZLE ET JE N'Y ARRIVE PAS... ça ne va pas, je ne
peux plus rien changer dans ma vie, tout doit rester comme c'est, je ne peux plus bouger, il faut
que tu t'en ailles et j'ai besoin de sécurité.

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