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Un homme est dans sa chambre en train de se préparer à se coucher.

Il tourne autour de son lit en


parlant à quelqu’un que nous ne voyons pas. Il est très persuasif, convaincant, décidé, très sûr de lui.
Il commence à parler dès la première seconde du film.

« En général, le mieux dans les films, c’est le début. Après, ça part très vite en couille, en
sucette si tu préfères. Au début, on est là disponible, prêt à tout, à tout entendre, à tout voir.
On est prêt à s’attendre à tout. C’est le début. »

Il passe dans la salle de bains attenante à la chambre.

« Mais après, quand ça commence... »

Il considère sa brosse à dents pour la prendre et se ravise. Il se lave les mains. Il parle de moins en
moins fort, plus à lui-même à présent qu’à son interlocuteur du début.

« D’ailleurs, on devrait faire des films rien qu’avec des débuts. Evidemment le problème ce
serait de trouver les débuts qui iraient au milieu et à la fin. Mais en se cassant un peu la tête
on doit y arriver. »

Il se lave le visage. Il se regarde dans le miroir.

« En plus ça tombe bien que le mieux ce soit les débuts. Parce que les mecs qui écrivent
des films, eux, ils en ont pleins des débuts géniaux alors que pour la suite… Le début, il a
tous les avantages : facile à écrire et agréable à regarder. La fin c’est tout le contraire. »

Il prend sa brosse à dents et on assiste à tout le brossage (bruits et tout). En mettant le dentifrice, il
semble chercher une inspiration, il cherche les yeux fermés dans ses souvenirs et commence à opiner
de la tête manifestement au rythme d’une musique que nous allons peu à peu entendre. C’est un
homme moins sûr de lui, plus « intérieur ». Toute cette séance dure environ trois minutes, le temps
recommandé pour un brossage des dents efficace (on le voit d’ailleurs à un moment regarder un réveil
pour contrôler), on entend « Proud Mary » : http://www.youtube.com/watch?v=54XRNQ2C2x0.

De temps en temps, l’homme interrompt son brossage et marmonne de façon parfois inintelligible du
texte : on comprend néanmoins la majeure partie de ce qu’il dit :

…. Evidemment, il y a des happy end mais à bien les regarder, ce sont toujours les
beginning de quelque chose…

… Il y aurait aussi des milieux de film qui mieux placées, je veux dire mis au début,
pourraient faire d’excellents commencements...

… Evidemment… un film avec que des débuts… il faudrait être clair avec tout le monde, ne
pas promettre de développements, de complications. Juste le départ. Mais pris plusieurs
fois…

… Il aurait rien à envier aux autres. D’ailleurs, dans la vie c’est pareil, le mieux c’est le début.
Le début des histoires d’amour, les premiers pas des enfants, les premiers mots...

… Il faut que j’en parle à Sellew, il a toujours quelques scénarios d’avance. Que je le
convainque d’en faire un film en tournant les premières pages de chacun. Il va refuser mais,
après, quand les critiques crieront au génie, je l’entend leur expliquer le mal qu’il a eu à me
convaincre.... Il faut que je profite qu’il est dans un creux pour le prendre par surprise. Que
je lui en parle sans tourner autour du sujet, comme je fais d’habitude. Il fera un chef
d’œuvre… Ca rappellera à tout le monde les films de ses débuts…

A certains moments il se prend pour Ike Turner avec sa grosse voix, à d’autres, quand il ne parle pas,
pour Tina Turner et balance le bras qu’il n’utilise pas pour se brosser les dents à la manière de Tina
et ses choristes dans : http://www.youtube.com/watch?v=GCCS5fixC70

Après, il va se coucher. Il éteint. Le noir est presque complet, le silence est presque total, on entend un
peu de bruit, on voit encore de toutes petites traces de lumière. C’est la nuit dans la pièce. Puis,
brutalement, c’est le noir cinéma qui remplace le noir de la vie réelle. Puis c’est un nouveau noir,
celui d’une salle de cinéma avec la petite lumière de la sortie de secours et le bruit de quelques
spectateurs peu nombreux.

GENERIQUE

Superposition : est-ce que c’est possible de devenir un bon acteur sans être un bon
acteur au départ. La question c’est dans la vie, tous ces malheureux qui ne sont pas des
acteurs, est-ce qu’ils ne sont pas émouvants quand ils parlent à quelqu’un d’autre.

Dans cette tout repose sur la manière de bouger. La manière de se regarder. Les tous
petits gestes.

J’ai un personnage intéressant. Un bon acteur l’incarne. Ok, cela semble être la bonne
combinaison.
J’ai un personnage intéressant. Un mauvais acteur l’incarne. Ca ne va pas.
J’ai un personnage inintéressant. Incarné par un bon acteur. C’est intéressant car l’acteur
semble réduit dans son jeu par son personnage.
J’ai un personnage inintéressant incarné par un mauvais acteur. C’est intéressant car les
deux ont une marge de progrès. Et surtout que l’acteur ne prend pas l’ascendant sur le
personnage. Le seul moyen de sauver l’acteur, c’est que le personnage progresse et
emmène l’acteur avec lui.

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