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Matériaux pour l'histoire de notre

temps

Représentation d’Avril et de ses héros


José Da Costa

Résumé
La révolution portugaise d’avril 1974, qui met fin à presque cinquante années de dictature, a engendré, par sa complexité
et les transformations opérées, des représentations, des nouvelles images et des mythologies propres à fonder la
généalogie d’une nouvelle nation démocratique. Cet article essaie de mettre en évidence les ressorts de ces
représentations en analysant certains paradigmes d’héroïsme au travers de la presse portugaise d’un des acteurs
principaux de cette révolution, Otelo Saraiva de Carvalho.

Abstract
The Portuguese revolution of April 1974 put an end to almost fifty years of dictatorship. Because of its complexity and the
tranformations it brought about, it engendered new representations, images and mythologies apt to lay the foundations of
a new democratic nation. The aim of this article is to highlight these modes of representation through the analysis of some
paradigms of heroism in the Portuguese press and its depiction of one of the main protagonists of this revolution, Otelo
Saraiva de Carvalho.

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Da Costa José. Représentation d’Avril et de ses héros. In: Matériaux pour l'histoire de notre temps, n°80, 2005.
Mémoires d'avril : 1974-2004, trente ans de la révolution des Oeillets au Portugal. pp. 30-38 ;

doi : https://doi.org/10.3406/mat.2005.1063

https://www.persee.fr/doc/mat_0769-3206_2005_num_80_1_1063

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Représentations d’Avril
José Da COSTA

et de ses héros
L a révolution d’avril 1974 1 a constitué sans
doute un des événements majeurs du XXe siècle portu-
Une fois brisé le consensus qui présida aux pre-
miers événements, l’affrontement à l’intérieur de la
gais, tant par ses répercussions intérieures que par sa société civile et chez les militaires s’installe. Bien
projection à l’extérieur. Une de ses conséquences les qu’une majorité des forces en présence s’accorde
plus immédiates fut le renversement d’un régime dicta- quant à la nécessité d’institutionnaliser un régime
torial vieux de presque cinquante ans qui a plongé le démocratique et parlementaire, les chemins qui mène-
pays dans un isolement important et a surtout empêché ront à la mise en œuvre de cet objectif seront de toute
l’expression des libertés, reléguant à un statut de mino- évidence divers. Néanmoins, dès les premières élec-
rité civique la grande majorité des Portugais. tions démocratiques en vue de la désignation de
Les objectifs de cette révolution, inscrits dans un l’Assemblée constituante, le 25 avril 1975 2, la victoire
programme minimal du Mouvement des forces armées du Parti socialiste et les bons résultats du PSD — qui
(MFA) — développement de l’économie en faveur des regroupe en son sein beaucoup des libéraux du régime
classes les plus démunies, démocratisation du pays et de Marcello Caetano — indiquent la voie que doit
solution à la difficile question de la guerre coloniale — prendre désormais la révolution.
étaient de nature à altérer profondément les institutions La pression de la rue, l’occupation des terres, les
et la vie politique du pays, même si les militaires ont dû mouvements de grève et de lutte pour des logements
composer, dès le début du mouvement, avec des forces plus dignes, conduisent cependant certains secteurs
idéologiquement diverses prônant des solutions fort dif- des forces armées à proposer et à mettre en place une
férentes pour matérialiser ces objectifs. politique plus ancrée à gauche : des projets socialisants
Le Mouvement des forces armées, bien que bénéfi- et de démocratie directe.
ciant d’un large consensus quant à ses objectifs ini- L’action politique devient de ce fait une formidable
tiaux, a évolué au fil des mois dans le sens d’une plus machine de conquête du pouvoir sous les yeux des
grande radicalisation politique sous l’impulsion des grandes puissances occidentales qui voient d’un mau-
mouvements populaires et des formations politiques de vais œil l’évolution de la révolution portugaise. La
gauche et d’extrême gauche. situation intérieure, les pressions extérieures, la
La confrontation entre les différents projets poli- bataille à laquelle se livrent les deux grandes super-
tiques, l’urgence de certaines revendications dans un puissances de l’époque en pleine guerre froide dans
pays marqué par des inégalités criantes, la crise éco- les ex-colonies portugaises devenues indépendantes,
nomique déjà présente bien avant le 25-Avril, les pres- créent alors un climat propice à l’éclosion d’une rhé-
sions extérieures, les conséquences de la décolonisa- torique politique marquée par la dichotomie
1. Cette révolution est
tion et le retour de centaines de milliers de Portugais liberté/dictature ou par le renforcement de l’alliance
désignée, surtout à au pays, les mouvements ouvriers et les mouvements peuple/MFA en tant que garant des conquêtes popu-
l’étranger, par associatifs dans tous les secteurs de la société, vont laires permises par le 25-Avril.
l’expression « révolution
des Œillets ». Celle-ci est
constituer la toile de fond des luttes sociales qui Depuis 1976, en dépit de l’évolution de la vie poli-
probablement liée aux secouent l’ensemble du pays et notamment les zones tique vers une démocratie parlementaire de type occi-
images alors divulguées urbaines et industrialisées.
d’armes ornées dental, les passions et les débats contradictoires nour-
d’œillets rouges. rissent encore, trente années après, la réflexion sur le
2. Ces élections ont 25-Avril. La grande complexité qui caractérise cette
comme finalité la
préparation de la
José Da COSTA : né en 1958 au Portugal, il a été chargé de période de l’histoire portugaise, le fait que beaucoup
nouvelle Constitution. cours à Rennes-II, lecteur et ATER à Paris-X Nanterre. Boursier de ses acteurs principaux soient encore vivants et
Celle-ci sera approuvée de la Fondation pour la science et la technologie du ministère de observent ces événements selon des perspectives diffé-
le 2 avril 1976. Depuis l’Éducation et de la Recherche du Portugal, il prépare actuelle-
elle a été ratifiée à ment une thèse sur le salazarisme à Paris-IV. rentes et parfois antinomiques rendent difficile toute
plusieurs reprises. vision monolithique et pacifique de cette révolution.
Mémoires d’Avril 1974 au Portugal • 31

Ce n’est pas donc étonnant que les différents par là son détachement vis-à-vis du pouvoir et ses pré-
groupes en présence essayent de créer autour de celle- occupations en faveur de la collectivité nationale 5.
ci une mythologie qui soit la plus proche possible des Bien que le terme « représentation » puisse paraître 3. Cette problématique
idéaux qu’ils défendent. Ainsi, après les militaires qui polémique — mais tout discours sur la mémoire doit des paradigmes héroïques
constituent collectivement le prototype du héros du être plurivoque et polymorphe — nous n’avons pas la dans les livres d’histoire
25-Avril, on voit apparaître des héros plus individuali- des lycées au Portugal a
prétention de construire un modèle totalisant en ce qui été étudiée par Sérgio
sés en conformité avec l’idéologie que chacun des concerne les représentations des héros d’Avril. Nous Campos Matos (História,
groupes essaye de voir triompher. Ces héros ou ces souhaitons expliciter quelques-uns des ressorts d’une mitologia, imaginário
nouveaux paradigmes d’héroïsme vont faire leur entrée nacional. A História
mémoire parfois oublieuse, parfois vulnérable quant à no curso dos liceus
dans la construction de l’imaginaire de la nouvelle la direction qu’elle imprime à l’histoire. Il ne s’agit pas (1895-1939), Lisboa,
nation démocratique. d’un travail exhaustif mais d’une première contribution Livros Horizonte,1990).
4. Expresso, 17 avril 1999.
Bien que le Portugal soit une vieille nation avec son à un travail plus conséquent qui nous semble important
5. Cette caractéristique est
lot de figures héroïques qui donnent corps à l’imagi- pour la compréhension de cette période récente de soulignée par Otelo dans
naire national, les changements intervenus dans la l’histoire portugaise. une interview : « […] il y
société portugaise lors du 25-Avril sont propices à la a un compromis entre
Dans une première partie de ce travail, nous pro- nous, MFA, […] de
construction d’un nouveau héros. Tandis que le modè- poserons une lecture globale des événements concer- n’accepter aucun
le de l’héroïsme de la société libérale du XIXe proposé nant le 25-Avril en insistant sur le climat conflictuel privilège, honneurs,
dans les livres scolaires est celui du « héros d’action » distinctions, qui viennent
d’une révolution présentée souvent comme consen- d’en haut […] ».
(guerriers et hommes d’État), et que celui du salazaris- suelle et pacifique. Dans une deuxième partie, nous 6. Cet accident s’est
me donne l’image d’un « héros homme d’État » (le nous pencherons sur certains récits des premiers mois déroulé le 3 août 1968
conducteur d’hommes 3), les discours sur le 25-Avril, de la révolution portugaise, notamment sur les descrip- pendant les vacances de
Salazar. Celui-ci s’est assis
surtout dans la presse nationale, tendent à construire tions des militaires du MFA effectuées dans la presse sur un transat,
un paradigme moins uniforme. Dans un pays désor- portugaise et, finalement, nous essayerons de rendre probablement mal fixé,
mais libre et donc idéologiquement pluriel, l’expres- et tomba en arrière se
visibles certains traits constitutifs des représentations heurtant violemment la
sion des différences dans la construction des nouveaux d’un des « héros d’Avril », Otelo Saraiva de Carvalho, tête. Le 5 septembre,
paradigmes héroïques reflète une abondance de dans cette même presse. il est examiné par un
modèles selon les clivages idéologiques : ainsi, on pas- neurochirurgien réputé
qui demande son
sera souvent du héros collectif (les militaires du MFA) hospitalisation immédiate.
au héros romantique (Salgueiro Maia) ou au héros pro- Salazar est exempté le
blématique (Otelo Saraiva de Carvalho). Selon l’évolu- La révolution 27 septembre 1968 par
le décret 48 597 de la
tion politique, on cherchera, comme c’est le cas actuel- du 25 avril 1974 présidence du Conseil des
lement, à trouver d’autres images du « héros homme ministres. Il décède le
En dépit de l’image de profond immobilisme qui 27 juillet 1970.
d’État » défenseur des conquêtes démocratiques (Mário
7. C’est ainsi qu’au début
Soares, par exemple). caractérise souvent le régime dictatorial installé au de 1973, les députés
Le travail qu’on présente ici s’inscrit dans une pers- Portugal depuis mai 1926, celui-ci se trouve, à la veille Francisco de Sá Carneiro
du 25 avril 1974, dans une crise profonde et en proie à et Miller Guerra, membres
pective d’analyse des représentations effectuées par la de cette aile libérale,
presse portugaise tout au long de ces dernières trente des dissensions internes importantes. Depuis l’éloigne- renoncent à leurs mandats
années concernant une des figures essentielles du ment de Oliveira Salazar en 1968, incapable d’assumer de députés à l’Assemblée
les charges de président du Conseil après sa célèbre nationale.
Mouvement des forces armées : Otelo Saraiva de
chute au fort de Santo António do Estoril 6, son succes- 8. Le Portugal adhérera
Carvalho. Aimée et détestée intensément, comme l’af- à la AECL (EFTA) le
firme Orlando Raimundo 4, la personnalité d’Otelo seur Marcello Caetano continua, malgré l’espoir d’ou- 30 décembre 1959.
interroge non seulement à cause de son passé révolu- verture de l’aile plus libérale du régime 7, la politique Cette adhésion contrariait
jusqu’alors engagée par son prédécesseur. l’option des
tionnaire, mais aussi en vertu de ses amitiés et de ses « industrialistes » qui
prises de position politiques en faveur de la démocratie Malgré les efforts d’industrialisation du pays et l’in- prônaient une plus grande
collaboration avec la CEE.
populaire. Son passé aventurier, sa médiatisation à tégration dans l’économie internationale 8 qui contra-
9. Entre autres
outrance sont souvent soulignés au détriment de sa par- rient la vision ruraliste et autarcique du régime, le pays évènements, soulignons
ticipation dans les événements importants du coup semble incapable de surmonter ses contradictions : la l’audience officielle au
militaire du 25-Avril ou de ses fonctions de comman- guerre coloniale s’est installée depuis le début des Vatican des dirigeants des
mouvements de libération
dant du bras armé du MFA, le COPCON (Commande- années 1960 dans plusieurs colonies africaines et des colonies portugaises
ment opérationnel du continent). Souvent même, nous consomme une bonne partie de la richesse nationale ; le 1er juillet 1970, par
avons eu cette impression dérangeante que ce héros elle pousse à l’exil une partie importante de la jeunes- Paul VI. Les relations
entre le Saint-Siège et la
d’avril fut transformé en « plus-value » par une presse se portugaise qui n’est pas disposée à faire de longues dictature portugaise sont au
cherchant des figures qui font vendre à l’occasion des missions militaires en Afrique. Par ailleurs, les étu- plus bas depuis Vatican II.
commémorations de la révolution portugaise d’Avril. diants, ainsi que des intellectuels catholiques, tout Déjà en juillet 1958,
l’évêque de Porto,
N’oublions pas cependant, qu’Otelo Saraiva de comme certains éléments de la hiérarchie de l’Église António Ferreira Gomes,
Carvalho se présentera lui-même sous le paradigme du catholique 9, contestent de plus en plus la politique critiquait la politique de
Salazar, ce que lui a valu
héros solitaire : celui qui, au lendemain du coup militai- coloniale portugaise ainsi que les conditions de censu- un exil forcé dès
re rend le pouvoir à d’autres personnages, en soulignant re et de répression politique dans le pays. La position avril 1969.
32 • MATÉRIAUX POUR L’HISTOIRE DE NOTRE TEMPS • n° 80 / octobre-décembre 2005

10. Selon Fernando


Dacosta, Marcello
Caetano « se sentait, en
mars 1974 un homme
trompé, désabusé :
Kaúlza de Arriaga,
António de Spínola et
Costa Gomes, la plus
haute triade des
généraux de l’époque,
conspiraient contre lui ;
le premier à droite […],
le deuxième au centre
[…] et le troisième (le
plus habile) à gauche »
(« Marcello Caetano : © photo Georges Millet
o último “imperador”
português », Visão
n° 578, 1er avril 2004). portugaise durant le conflit israélo-palestinien (la guer- santes. Après une réunion à Monte Sobral, près de la
11. Le film Brandos re de Yom Kippur) permettant aux États-Unis l’utilisa- ville d’Évora (dans le sud du pays), c’est ensuite en
Costumes de Seixas
Santos, tourné entre tion des bases militaires portugaises pour ravitailler Angola que ce mécontentement s’exprime. Pendant le
1972 et février 1974 Israël en octobre 1973 conduit les pays arabes à boy- mois d’octobre, la contestation de la guerre et du régi-
et dont la première cotter l’approvisionnement en pétrole du Portugal. me ne cesse de se développer et le mouvement des
n’aura lieu qu’après le
25 avril 1974, s’achève Cette mesure engendre de graves conséquences pour le jeunes officiers continue sa percée un peu partout dans
par une scène pays. La crise économique, l’inflation galopante, les le pays. Avec l’élection d’une commission de coordi-
prémonitoire où les grèves qui surgissent un peu partout dans le pays, l’in- nation, ce mouvement de contestation militaire va
militaires renversent
le régime. dépendance de la Guinée-Bissau (24 septembre 1973), poursuivre et élargir sa réflexion sur les caractéristiques
12. Ce décret engendra la contestation grandissante au sein de l’armée 10 mêmes du régime en ajoutant aux objectifs purement
des conflits entre concernant la guerre coloniale et l’absence d’une poli- corporatistes la fin de la guerre coloniale et la possibi-
miliciens et officiers du tique réaliste constituent, entre autres, autant de signes
cadre permanent en
lité de mettre un terme à une dictature qui se montre
vertu de la méthode de d’un malaise que seuls les éléments les plus conserva- fermée à toute possibilité de dialogue.
décompte des années teurs du régime feignent d’ignorer 11. En décembre de la même année, l’élection d’un
de service.
C’est dans ce climat tendu que va s’exprimer l’op- secrétariat exécutif constitué par Vasco Lourenço, Vítor
13. Otelo Saraiva de
Carvalho note à propos position des officiers des forces armées, après la publi- Alves et Otelo Saraiva de Carvalho est le premier pas
de l’Académie militaire cation du décret-loi n°353/73 relatif au passage dans le dans la poursuite de cet objectif. On s’attend alors à
que celle-ci s’était cadre permanent des officiers miliciens (infanterie,
ouverte à des jeunes une réaction des forces les plus conservatrices du régi-
issus de couches sociales artillerie et cavalerie), après fréquentation d’un cours me et à l’imminence d’un coup militaire dirigé par le
de la petite bourgeoisie intensif de deux semestres à l’Académie militaire 12. très conservateur général Kaúlza de Arriaga afin d’éli-
après la Seconde Guerre Cette mesure qui visait à résoudre le manque criant de
mondiale. Auparavant, le miner les généraux Costa Gomes et António de
recrutement se faisait cadres intermédiaires dans l’armée fut annulée ensuite Spínola, dont on connaissait les positions sur le conflit
essentiellement dans la le 12 octobre 1973 par le gouvernement. Elle n’empê- armé et la nécessité d’y mettre fin par la voie des négo-
grande et moyenne cha pas cependant les manifestations de mécontente-
bourgeoisies. Sur ciations politiques. Les événements qui ont lieu au
l’origine sociale des ment des officiers du cadre permanent. Mozambique, après la mort de l’épouse d’un colon
officiers des forces portugais, sont à l’origine d’une campagne de dénigre-
armées portugaises, voir
Dès la fin juillet, ont lieu les premières réactions à
l’opinion de Maria ce texte au sein de l’Académie militaire 13. Elles sont ment des forces armées portugaises qui sont accusées,
Carrilho (« Origens suivies par une première réunion clandestine de par les colons portugais, d’inefficacité devant les
sociais do corpo de
oficiais das Forças
quelques dizaines d’officiers le 21 août 1973 en actions des mouvements de libération. Cette campagne
Armadas portuguesas ao Guinée-Bissau. Il y est question non seulement de jugée indigne par le mouvement des militaires —
longo do século XX », revendications corporatistes mais aussi de la façon depuis la perte des enclaves portugaises dans l’Union
Análise Social, vol. XVIII
(72-73-74), 1982,
dont le gouvernement essaye de prolonger le conflit indienne les militaires sont tenus comme responsables
pp. 1155-1164). armé dans les colonies en dépit de difficultés crois- des échecs de la politique coloniale — renforce la
Mémoires d’Avril 1974 au Portugal • 33

conviction des jeunes militaires sur la nécessité de ren- couches populaires les plus démunies et de la défense
verser le régime en place. des intérêts de la classe ouvrière. La question des colo-
Lors de la publication du livre du général António nies y est aussi soulignée et on parle à cette époque
de Spínola, Portugal e o Futuro (Le Portugal et son ave- d’une solution politique fondée sur un esprit de paix et
nir), en février 1973, dans lequel il conteste ouverte- de discussions franches concernant la guerre coloniale.
ment le régime et sa politique coloniale, le mouvement Après la démission du Premier ministre Palma
des jeunes officiers se transforme en Mouvement des Carlos, le deuxième gouvernement provisoire prend ses
forces armées (MFA) et élargit ses contacts aux forces fonctions le 18 juillet. Vasco Gonçalves devient le nou-
de l’opposition civile. Après la démission forcée des veau chef du gouvernement.
généraux Costa Gomes et António de Spínola, respec- Une grande dynamique sociale accompagne tous
tivement chef et chef adjoint de l’état-major général des ces premiers mois de la révolution. Bien que la ten-
forces armées, a lieu le premier mouvement militaire dance soit aux revendications à caractère social et poli-
contre le pouvoir en place à partir de Caldas da tique — meilleures conditions de travail, salaires plus
Rainha, le 16 mars 1974 14. Malgré l’échec de ce coup justes, assainissement des entreprises, bannissement
d’État militaire qui conduit en prison plus d’une tren- des cadres les plus compromis avec le régime antérieur,
taine d’officiers, le 24 mars se tient la dernière réunion droit au logement, etc. — on assiste à une explosion de
de la commission de coordination du MFA où une date nouvelles formes d’expression, de nouvelles esthétiques,
est arrêtée pour le déclenchement du coup militaire. de nouvelles modes, d’un nouveau vocabulaire 19, de
Selon un plan minutieusement préparé, le début des nouvelles valeurs morales et de nouvelles mœurs. La
opérations militaires auront lieu le 24 avril après la dif- question internationale, notamment la réintégration du
fusion de la chanson de Paulo de Carvalho « E depois Portugal dans les organisations internationales est
do adeus » (Et après l’adieu) dans les studios des aussi d’actualité.
Emissores Associados de Lisboa. Une demi-heure après Entre temps, les événements du 29 septembre clari-
minuit, le 25 avril, la transmission à Radio Renascença fient un peu plus la situation. Face au renforcement des
de la chanson de José Afonso, Grândola Vila Morena — pouvoirs de la Junte de salut national réclamé par
qui deviendra par la suite l’hymne de la révolution por- Spínola dans un contexte où le MFA est de plus en plus
tugaise — confirme l’irréversibilité de l’évolution des présent dans la conduite des affaires du pays, une
manœuvres militaires 15 conduisant à la chute du régi- manifestation dite de la « majorité silencieuse » est
me de Marcello Caetano. organisée par les forces conservatrices. À cette mani-
Le 25 avril 1974, le mouvement des militaires ne festation s’opposent une grande partie des militaires et
rencontre qu’une opposition dérisoire de la part des de la population poussant Spínola à démissionner le
forces loyales au régime dictatorial 16. L’appui de la 29 septembre 1974. La façon dont était conduit le pro-
population portugaise est également déterminant dans la cessus de décolonisation constituait déjà un important
poursuite des objectifs. Cette démonstration d’unité facteur de désaccord entre Spínola et le MFA dont les
autour du programme du MFA se traduit d’une façon positions politiques évoluaient dans le sens d’une plus
éclatante lors des défilés du Premier mai : elle est le grande radicalisation à gauche. L’interdiction de cette
signe que le MFA compte sur un vaste mouvement popu- manifestation est suivie d’une nouvelle avancée des
laire qui dépasse largement les attentes des militaires. propositions socialisantes dans la vie politique du pays.
La Junte de salut national (JSN) nommée après le
25-Avril présente alors au pays un programme extrê-
mement synthétique où sont exprimées les orientations
du programme du MFA : démocratiser, décoloniser et 14. Cette tentative de coup militaire par le RI 5 (régiment d’infanterie n° 5) échoua face à
développer. Entre temps, les exilés politiques commen- l’appareil des forces du régime de Marcello Caetano (GNR, PIDE, LP, armée), mais constitua,
selon Otelo Saraiva de Carvalho, un excellent cours pratique pour la suite des événements.
cent à rentrer au Portugal et certains pays — le premier
15. Sur ces épisodes concernant les chansons qui ont servi de signal au démarrage des
est le Brésil — reconnaissent officiellement la JSN. La opérations du mouvement militaire, voir l’article de Carlos Albino, «A verdadeira história
censure est abolie ; l’Assemblée nationale, l’ANP (le da senha do 25 de Abril de 1974. Era meia-noite, 20 minutos, 19 segundos.»,
seul parti politique autorisé), le Conseil d’État sont dis- Diário de Notícias, 24 avril 1999.
sous. D’autres mesures suivent, conduisant au déman- 16. Cependant, le 25 avril, vers 20 heures 30, les premières victimes de cette révolution sont
tombées. Lors de l’assaut du siège de la police politique, la DGS (Direction générale de la
tèlement de l’appareil répressif dictatorial (police poli- Sécurité, qui remplaça l’ancienne désignation de PIDE-Police internationale de défense de
tique, Légion portugaise, etc.). l’État, en 1968), on aura à déplorer 4 morts et 45 blessés à Lisbonne parmi la population.
Le 15 mai 1974, António de Spínola est nommé pré- 17. Ce premier gouvernement provisoire est constitué d’éléments du Parti communiste
portugais (PCP), le Parti socialiste (PS) et le Parti populaire démocrate (PPD).
sident de la République et le premier gouvernement pro-
18. Ce premier salaire minimum national (décret du 26 mai) était de 3 300 escudos,
visoire, dirigé par Palma Carlos 17, prend ses fonctions. l’équivalent de 16,50 euros.
Une des premières mesures est celle de la création d’un 19. En effet, la langue portugaise s’enrichit de nouveaux vocables et de nouvelles expressions
salaire minimum 18 intégré, comme le soulignait le pro- liés à des réalités jusqu’alors interdites ou censurées et à l’émergence d’expériences
gramme de ce premier gouvernement, dans le dévelop- économiques et politiques ou de nouveaux rapports sociaux. De son côté, la mode était
dominée par les jeans, le patchwork, les pulls à col roulé, les cheveux et barbe longs,
pement d’une politique économique au service des la moustache, etc.
34 • MATÉRIAUX POUR L’HISTOIRE DE NOTRE TEMPS • n° 80 / octobre-décembre 2005

Une nouvelle période s’ouvre alors, du 28 septembre


au 11 mars 1975, caractérisée par l’émergence d’insti-
tutions militaires — conseil des 20, assemblée du MFA
— dont les objectifs sont d’un côté l’institutionnalisa- Les représentations
tion du MFA et, de l’autre, l’accélération du processus du 25-Avril dans
de décolonisation 20, ou encore la nationalisation d’im- la presse portugaise
portants secteurs de l’économie. Bref, le MFA et l’al-
liance peuple/MFA deviennent les pièces maîtresses de La question de la représentation est une probléma-
cette nouvelle politique. Cependant, l’opposition exté- tique aussi ancienne que l’humanité ou tout au moins,
rieure ainsi que les résultats des élections d’avril don- un thème récurrent de la philosophie occidentale.
nant la victoire aux partis réformateurs (PS et PPD) 21 Selon les époques, la culture et la philosophie occi-
conduisent à des affrontements importants dès juillet dentales ont cherché à expliquer les rapports entre le
de la même année : vague d’assauts aux sièges des par- langage, la pensée et la réalité. Ainsi, la représentation
tis de gauche et d’extrême gauche. Ils sont suivis, dès le en tant que substitution d’un phénomène physique ou
début août, par des manifestations de l’Église catho- mental tenu comme vrai par un autre phénomène
lique et la publication de documents de secteurs du constitué par des mots, des gestes, des images, des
MFA qui s’opposaient à la voie socialiste que le MFA effets d’optique, etc., est souvent entendue comme
et, en particulier, le Conseil de la révolution voulaient construction, comme image constituée symbolique-
imprimer à la révolution portugaise. Le pays vit à cette ment, imposant un ordre et un ajout de sens. D’où la
époque dans un climat de fortes tensions, au bord difficulté de la confrontation entre la vérité des choses
d’une guerre civile, et assiste à la multiplication de et l’artifice de sa représentation et l’ambiguïté d’une
documents et à la naissance d’organisations révolu- signification multiple et instable liée à la représenta-
tionnaires au sein des forces armées. Les événements tion. L’évocation du vécu, mais aussi la création d’une
du 25 novembre et la victoire des forces réformatrices réalité sans référence à un monde antérieur posent bien
qui veulent gouverner le pays en respectant la pureté des évidemment le problème de la relation entre le faux et
idéaux d’avril mettent un terme aux visées révolution- le vrai, l’imposition d’une image au monde, des rap-
naires et socialisantes 22. La nouvelle victoire du Parti ports de pouvoir et de manipulation de la vérité.
socialiste aux élections législatives d’avril 1976 confirme Cette problématique est particulièrement aiguë
le nouveau cap pris par les événements 23. Bien que les dans le discours historique où la prétention à la vérité
militaires continuent à jouer un rôle non négligeable est attestée par la présence du document source et par
dans les institutions du pays face au pouvoir civil démo- une interprétation scientifique, mais où « la possibilité
cratiquement élu, c’est le Parti socialiste qui préside de soupçonner ouvre à son tour un espace de contro-
cependant aux destinées du pays. Après l’élection du verse dans lequel plusieurs témoignages et plusieurs
général Ramalho Eanes à la présidence de la République témoins se voient confrontés 24 ».
en juillet — il était le candidat des partis majoritaires à
La révolution du 25 avril 1974 par les changements
l’assemblée — Mário Soares devient, le 23 juillet, le
qu’elle a engendrés à l’intérieur et à l’extérieur du pays
Premier ministre du gouvernement constitutionnel. En
fut depuis son début investie par un complexe faisceau
décembre de la même année, le PS confirme son assise
de visions à la fois sur l’identité nationale et sur les rela-
dans le pays après sa victoire aux élections régionales.
tions avec l’Autre, des projets et des utopies de tous
bords dans la continuité des mouvements de contesta-
20. La première colonie reconnue indépendante fut la Guinée-Bissau le 9 septembre 1974,
tion qui, depuis la deuxième moitié du XXe siècle,
suivie du Mozambique le 25 juin 1975, le Cap Vert le 5 juillet 1975, Saint Thomas et Prince émergent comme alternatives à un capitalisme occi-
le 12 juillet et l’Angola le 11 novembre. L’indépendance de Timor ne se produira que dental arrogant. La fin de l’empire colonial avec le
le 20 mai 2002 après la résolution du complexe problème d’annexion du territoire
par l’Indonésie en décembre 1975.
recentrage du pays dans un espace culturel et géogra-
21. Les résultats de cette élection à l’Assemblée constituante sont assez parlants sur les clivages
phique européen amenait bien évidemment à repenser
politiques dans le pays. Le PS avec 38 % des votes en sa faveur est le grand vainqueur du les modèles culturels et de nouveaux paradigmes d’hé-
scrutin, suivi du PPD 26,4 %, du PCP (Parti communiste portugais) 12,5 %, du CDS (Centre roïsme aptes à fonder une nouvelle nation. La révolu-
démocratique social) 7,6 %, du MDP (Mouvement démocratique portugais) 4 % et de l’UDP
(Union démocratique populaire) 0,7 %. Le PPD fut créé le 6 mai 1974 par trois éléments
tion d’Avril a donc favorisé d’importants changements
de l’aile libérale du régime de Marcello Caetano : Francisco Sá Carneiro, Francisco Pinto de mentalités, a engendré de nouveaux rapports entre
Balsemão et Joaquim Magalhães Mota. le citoyen et la vie politique, a provoqué une ouvertu-
22. Selon Otelo Saraiva de Carvalho, « le processus révolutionnaire est stoppé définitivement re à des espaces jusqu’alors interdits — pensons aux
avec le 25-Novembre. Mais on ne peut pas dire que le 25-Avril est mort le 25-Novembre car la
perspective que nous, le MFA, avions du 25-Avril était exactement celle du renversement et la
relations nouvelles avec les pays du bloc socialiste, par
substitution de la dictature par une démocratie politique représentative, parlementaire », exemple — a contribué à l’émergence d’une nouvelle
in « O PREC segundo Otelo », Expresso, 17 avril 1999. expression langagière (vocabulaire, expressions), de
23. La distribution des sièges au sein du Parlement lors des élections à l’Assemblée nouvelles modes vestimentaires, de nouveaux compor-
de la République fut la suivante : 107 députés pour le PS, 73 pour le PP, 42 pour le CDS,
40 pour le PCP et 1 pour l’UDP.
tements sociaux, de nouvelles esthétiques, bref, il s’agit
24. Ricœur, Paul, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, éditions du Seuil, 2000, pp. 205-206 bien d’une révolution qu’on ne peut cantonner aux
(coll. L’Ordre philosophique). seuls changements institutionnels 25.
Mémoires d’Avril 1974 au Portugal • 35

Ces nouveaux espaces d’expression permis par le la joie deviendra par la suite un lieu commun des
25-Avril constitueront le creuset de nouveaux discours images qui sont associées au 25-Avril intégré dans une
sur le pays où on proposera des représentations des isotopie plus large de la « politique/fête ». Par ailleurs,
événements et des acteurs de la mémoire collective on assiste aussi à la naissance d’images antithétiques :
(discours véhiculés par la presse, discours officiels, vieux/nouveau, obscurité/lumière, ou encore les
etc.). En outre, au fur et à mesure du temps, ceux-ci couples immobilité/activité (endormissement du
tendent à se renouveler, à se modifier ou à revisiter peuple versus réveil du peuple) qui traduisent la mort
l’histoire, donnant lieu à des récits plus ou moins cano- de la dictature et la naissance d’un nouveau pays.
niques, fixant ainsi les lieux et les acteurs de cette his- Les militaires constituent également le champ privi-
toire récente du Portugal. légié de cette métaphorisation de la révolution. Ils sont
Parmi les figures canonisées par les médias, celle décrits avec des qualificatifs qui renvoient au calme et
d’Otelo Saraiva de Carvalho 26 nous a paru exemplaire à la dignité : ce sont des personnes d’honneur, cour-
du phénomène de la représentation. Bien qu’une gran- toises, délicates, disciplinées et d’une extrême correc-
de partie des discours (des manuels scolaires, de la tion 30 dans les rapports avec la population ou les
presse, etc.) lui reconnaissent un rôle fondamental dans médias. Ces descriptions renvoient à une personnalité
l’évolution des événements qui ont conduit au du type « homme de bien », personnalité sociale et
25-Avril, notamment dans la conduite des opérations pacifique dotée d’une grande ardeur généreuse et du
militaires, beaucoup le présentent aussi comme le pro- sens du sacrifice mais aussi à une révolution calme,
totype d’un héros problématique, écartelé entre ses réformiste et non violente. Interrogeant un sous-lieute-
utopies de démocratie populaire et directe et sa per- nant du MFA, un journaliste de l’hebdomadaire
sonnalité d’adolescent rêveur. L’image transmise par les Expresso retranscrira ainsi ses sentiments : « Le sous-
médias oscille souvent entre une image de héros sym- lieutenant sourit confiant. Dans ses yeux on pouvait y
pathique, volontaire et généreux, mais aussi celle de lire la détermination et une pointe de romantisme 31. »
l’aventurier imprudent, d’une personnalité vaniteuse,
charismatique et même terroriste.
Ces images multiples et souvent contradictoires à
l’origine de l’ethos de ce militaire d’Avril prennent
comme modèle le discours épidictique caractérisé par 25. La progressive entrée du pays dans une voie de normalisation (parlementaire et réformiste)
le blâme et l’éloge, menant ainsi à la constitution d’un est investie par des changements considérables dans les habitudes quotidiennes. Les grandes
surfaces alimentaires font leur rentrée au Portugal provoquant un changement des habitudes
paradigme de déséquilibre qui est, à notre sens forte- alimentaires et des modes consommation nouveaux. La libéralisation des médias, en particulier
ment investi par une idéologie triomphante : celle qui la télévision, accélère ce processus d’intégration du pays dans le monde occidental marqué par
constitue depuis la fin des années 1970 le modèle poli- la consommation et l’ouverture des marchés. La croissance urbaine, phénomène déjà visible
avant la révolution du 25-Avril, le déclin de l’agriculture et la constitution de poches
tique, culturel et économique de la social-démocratie de croissance industrielle dans certaines régions du littoral supposent bien évidemment
occidentale qui fonctionne comme référence à partir des changements et des comportements nouveaux avec toutes les problématiques
de laquelle sont jugés tous les écarts et alternatives pro- qui leur sont inhérentes.
posés. Le discours historique lui-même semble à son 26. Otelo Nuno Romão Saraiva de Carvalho est né le 31 août 1936 à Lourenço Marques
(actuelle Maputo), au Mozambique. Son père était fonctionnaire des CTT (la Poste portugaise)
tour depuis quelques années pris dans cet étau étroit et sa mère employée aux chemins de fer. Après plusieurs allées et venues entre le Mozambique
des idéologies sous forme de « dislates reabilitadores » et la métropole pour des raisons de santé et scolaires, il entre à l’École militaire. À la fin de ses
des nostalgiques de l’ancienne dictature ou de « desen- études en 1959 il intègre l’École d’artillerie. En 1961, il part en mission en Angola où il demeure
jusqu’en 1963. Cette guerre lui laissera des marques profondes. On le retrouve ensuite à
canto de aparência real » 27 d’une certaine vision révi- Cascais, puis en août 1965 il accomplit une nouvelle mission militaire en Angola.
sionniste de l’histoire de la révolution du 25-Avril 28. En juillet 1970 il est mobilisé à nouveau, cette fois-ci en Guinée-Bissau où il restera jusqu’en 1973.
Lors des évènements du 25-Avril, il est professeur de tactique d’artillerie à l’Académie militaire.
Otelo fut un des stratèges des opérations militaires conduisant au coup d’État militaire de 1974
et assuma des fonctions importantes à niveau dans les institutions militaires du MFA.
Les images de la révolution 27. Pour l’historien Fernando Rosas, ces « sottises de réhabilitation » ou ce « désenchantement
d’apparence réelle » des nostalgiques de l’ancienne dictature et du révisionnisme
dans la presse historiographique oublient les réalités historiques essentielles qui conditionnent le Portugal
Au lendemain de la révolution d’avril 1974, c’est le d’aujourd’hui. Car le 25-Avril a permis la libération des tensions accumulées dans une
révolution populaire, il constitue le patrimoine génétique de la démocratie portugaise et a
consensus qui prédomine autour des militaires qui ont permis des changements considérables dans les relations entre le capital et le travail. Voir à ce
renversé le régime de Marcello Caetano. Dès les pre- sujet : Fernando Rosas, « 25 anos depois da revolução », Espaço Público, 17 mars 1999.
miers jours la presse portugaise est unanime quant à la 28. Les dossiers du journal Público ont présenté le 23 avril 2004 le résultat d’une enquête aux
hommes qui ont renversé le régime dictatorial : « Cris de l’âme des “capitaines” (I) et (II) ».
condamnation du régime dictatorial et aux objectifs du On peut y lire, par exemple, le témoignage d’un capitaine de l’armée qui participa aux actions
MFA. Ces articles soulignent le climat de fête et d’eu- militaires du 25-Avril : « Comment est-ce possible que les populations [colonisées] avec
phorie qui règne dans le pays et la sympathie avec lesquelles j’ai vécu de près et qui étaient des Portugais du fond du cœur, soient aujourd’hui dans
la situation de misère où je suis allé les trouver […] ? »
laquelle la population accueille les nouveaux héros. Le
29. Expresso, 27 avril 1974.
thème de la métamorphose des citoyens s’inscrit dès le
30. L’Expresso relate ainsi les réflexions d’un militaire : « Notre mouvement n’a comme objectif
lendemain du coup militaire : « Le visage normalement de détruire personne. Nous sommes des hommes civilisés et nous sommes en train de faire
triste des Portugais resplendit avec les perspectives de la révolution pour civiliser le pays », Expresso, 25 avril 1974.
libération du pays […] 29. » Ce passage de la tristesse à 31. Ibidem.
36 • MATÉRIAUX POUR L’HISTOIRE DE NOTRE TEMPS • n° 80 / octobre-décembre 2005

Cette thématique du héros romantique, héros pro- taires d’Avril qui, rompant avec la politique de privi-
blématique par excellence aux prises avec les valeurs lèges de la dictature, prônent un égalitarisme démocra-
traditionnelles et en quête individuelle de valeurs, dur tique après la révolution.
apprentissage au long duquel il se cherche, devient elle À partir d’avril 1975, la légitimité des militaires
aussi récurrente pour un certain nombre des « héros révolutionnaires se heurte à celle de la légitimité des
d’Avril », notamment pour Otelo Saraiva de Carvalho. urnes. La victoire du PS et les événements symboliques
Cette caractéristique est intimement liée à la jeunesse comme ceux du journal República ou de la radio
des militaires qui participent à cette révolution et pro- catholique Renascença, la question de l’unicité syndi-
longe la vision des mouvements de jeunesse contesta- cale et, plus tard, la guerre des documents entre fac-
taire des années cinquante et soixante : la « beat gene- tions militaires rivales marquent la fin de ce consensus.
ration », la génération hippie et les événements de Dans un climat de profonde crise économique et de
Mai 68 32. Il faut souligner cependant que cette jeunes- revendications ouvrières importantes et face à l’hostili-
se des officiers d’Avril contraste avec l’âge et l’expé- té croissante du monde occidental, devant les chemins
rience des militaires plus gradés qui occupent, au len- pris par la révolution, ce n’est plus le slogan « O peuple
demain de la révolution, des postes importants dans les este avec le MFA » qui domine, mais tout son contrai-
structures institutionnelles nouvellement créées. C’est re : « Le peuple n’est pas avec le MFA ».
le cas de Costa Gomes ou de António Spínola et surtout
Costa Gomes affirme au mois de décembre 1975
de ce dernier considéré comme un conservateur. De ce
que le 25-Novembre est venu remettre dans sa pureté
fait, le romantisme des uns soulignerait la prudence et
originelle les principes énoncés dans le programme du
l’expérience des autres !
MFA. Ce sera donc à partir de cette donnée que, désor-
Cette première phase de la révolution est aussi une mais, se construira l’identité portugaise reposant sur
période d’indéfinitions d’un point de vue institutionnel une société du type des démocraties parlementaires
et politique. Sur ce terrain, le général Spínola apparaît occidentales. Cette nouvelle phase dite aussi de nor-
souvent comme l’anti-héros. Son respect des hiérarchies, malisation de la vie politique du pays conditionne for-
sa défense du retour des militaires aux casernes accen- tement les représentations qu’on forgera sur la révolu-
tuent les clivages entre le héros romantique et généreux tion du 25-Avril et ses acteurs. L’ère des commémora-
et celui de l’anti-héros, pragmatique et conservateur. Ce tions 34 est désormais ouverte et les bilans qu’on en fera
« vieux » comme le désigne Otelo Saraiva de Carvalho ensuite seront souvent prisonniers de ce consensus
est toujours observé avec méfiance par une partie des autour des valeurs de la sociale démocratie.
jeunes officiers. Otelo dira de lui : « […] bien que pos-
sédant incontestablement des qualités excellentes d’un
chef militaire, Spínola les employaient pour son propre Les représentations
bénéfice, pour sa visibilité et pour satisfaire sa narcis- de Otelo Saraiva de Carvalho
sique vanité et son ambition personnelle 33. »
Sympathique ou aventurier, naïf ou vaniteux, les
Cette thématique de l’individualisme/collectivisme
jugements sur Otelo ne sont jamais neutres et oscillent
fait aussi son entrée dans la caractérisation des mili-
entre l’éloge et le blâme à l’instar des points de vue sur
la révolution d’Avril 35. En acceptant que le discours
épidictique recouvre au sens strict « la catégorie rhéto-
32. Otelo Saraiva de Carvalho confirme cette appartenance : « Les évènements de Mai 68
rique d’éloge et de blâme 36 », nous dirions que les
en France auront des répercussions au Portugal », Alvorada em Abril (I), représentations de Otelo Saraiva de Carvalho sont pri-
Testemunhos contemporâneos, Lisboa, Alfa, Lisboa, 1991, p. 59. sonnières de cette bipartition d’une totalité qui selon
33. Ibid. Heinrich Lausberg, accentue sa tension 37.
34. Sur cet aspect des commémorations de la révolution d’Avril, Rosa Pedroso Lima écrit :
« La patrie a laissé tombé les pompes pour rendre hommage à cette date [le 25-Avril].
De cette façon, Otelo apparaît comme l’acteur
Elle se contente de parades ensommeillées […]. Mise à part les manifestants, défilent principal des opérations militaires qui ont conduit au
les pompiers et les groupes folkloriques, promeneurs du dimanche que les enfants obligent 25-Avril ou comme un aventurier. Sa personnalité est,
à sortir de la maison pour une promenade de consolation », Expresso, 3 mai 1997.
en tout cas, décrite à travers l’utilisation de procédés
35. Parmi les points négatifs sur le 25-Avril, nous devons souligner la question liée à la
décolonisation. Les cas de l’Angola et du Mozambique sont souvent mis en avant pour justifier
rhétoriques dont les paradigmes sont l’antithèse et l’af-
l’imprudence et la rapidité avec laquelle les militaires ont décolonisé ses anciens territoires firmation paradoxale. Ainsi, sa personnalité est repré-
portugais. La guerre civile que ces deux pays ont connue constitue un argument de poids pour sentée soit comme positive (chef opérationnel, héros
les détracteurs du processus de décolonisation.
du peuple, respectable homme d’affaires, symbole du
36. Laurent Pernot, La Rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, tome I,
Histoire et Technique, Paris, Institut d’études augustiniennes, 1993, p. 11.
25-Avril) soit comme négative (aventurier, imprudent,
37. Elementos de retórica literária, Lisboa, Fundação Calouste Gulbenkian, 1933, p. 97. mal-aimé, vaniteux, héros maudit, terroriste 38, etc.).
38. Un des titres de l’Expresso du 25 avril 2003 est le suivant : « Otelo est un terroriste ». Ces bipartitions fortement idéologisées ont comme
Cet article est une interview de Martinho de Almeida Cruz le juge qui envoya Otelo en prison. finalité la dramatisation d’une biographie dont on pré-
Celui-ci affirme à propos de ce jugement : « […] j’ai senti un décentrage historique, c’est-à-dire,
j’ai mis en prison l’homme qui symbolise le 25-Avril et ceci impressionnerait n’importe qui. » voit d’avance le dénouement : la conversion du héros
39. Tel est le sens de l’article de l’Expresso du 17 avril 1999 qui, dans son introduction, révolutionnaire au capitalisme libéral 39 ou le révolution-
souligne cette appartenance. naire en prison. Cette référence au drame, qui présente
Mémoires d’Avril 1974 au Portugal • 37

aussi structurellement une bipartition et des tensions


extrêmes n’est pas sans arrière-pensées sous la plume
des journalistes. En effet, les références au goût pour le
théâtre d’Otelo (dont la symbolique du prénom est sou-
vent soulignée) constituent aussi un des lieux communs
de cette représentation : acteur raté ou remake de per-
sonnages de l’histoire portugaise (le républicain
Machado dos Santos, par exemple). Dans cette carac-
térisation, on prévoit implicitement un dénouement
dramatique pour le personnage. Politiquement naïf et
sans grande culture politique, il est bien probable que
Otelo commettra une imprudence fatale !
Bien évidemment, il est difficile de ne pas faire des
rapprochements entre une telle représentation d’un
homme qui fut le symbole de la révolution d’Avril et
les multiples récits sur cette révolution. Celle-ci
semble s’inscrire aussi dans une indiscipline drama-
tique – crise d’autorité, anarchie, utopie – et ne retrou-
vera son équilibre que dans ses retrouvailles avec les
principes de son originelle pureté : les principes de la Otelo Saraiva de Carvalho
démocratie parlementaire.
Un des textes les plus intéressants et représentatifs de
cet art et la manière d’accommoder ce héros est celui
d’un article de Orlando Raimundo paru dans l’hebdo-
madaire Expresso du 17 avril 1999. Il est construit selon
un ordre chronologique tissé de commentaires sur la
personnalité, la biographie, les idées, l’activité politique
d’Otelo Saraiva de Carvalho. On y apprend dès le début
de l’article que Otelo, « aimé et haï avec une rare inten-
sité dans l’histoire du Portugal récente ou plus ancienne,
est aujourd’hui un respectable homme d’affaires ». Ces
affirmations en forme d’introduction, résument à elles Acteur raté, fasciné par la figure du grand-père pater-
seules le ton de l’article et démontrent comment s’est nel, un comédien itinérant, Otelo ne saura jamais l’éga-
converti au capitalisme un homme qui fut un révolu- ler malgré toutes ses tentatives pour devenir acteur. En
tionnaire, défenseur du pouvoir populaire, cet « absurde fait, il n’héritera de son grand-père que son prénom !
pouvoir populaire » dont parle le journaliste. « Ingénu »,
« généreux », « populiste », « sentimental », « naïf », etc., Cette question de l’acteur et du jeu théâtral prend
les épithètes foisonnent pour qualifier cet homme de dans cet article toute sa signification. En effet, cet
37 ans lors du 25-Avril, et dont la biographie est carac- « aventurier » cet « imprudent » est associé au « rôle »
térisée par « des lectures absentes […] sans connais- que Otelo a joué lors du 25-Avril, vaste scène où il
sance avertie de la sensibilité occulte de la société ». Sa « accomplit la suprême ambition de l’adolescence
comparution en uniforme d’élève de l’École militaire d’être un jour une personne célèbre, capable d’actes
dans un dîner républicain en 1956 est considérée dans héroïques, quelque chose de grand ».
cet article comme signe d’un « volontarisme aventurier ». La narration des épisodes de ses incarcérations
On y apprend aussi son admiration du régime cubain d’abord en janvier 1976 — suite au 25-Novembre sous
et son désir de devenir le Fidel Castro de l’Europe. La l’accusation d’abus de pouvoir — puis en octobre de la
seule note positive dans ce parcours est son refus du même année ou encore en 1984 accusé d’appartenir
pouvoir : « Aucune personne n’aura eu dans l’histoire aux Forces populaires 25-Avril (FP-25) est entrecoupée
agitée de la démocratie portugaise autant de pouvoir à par des descriptions d’échecs successifs : les élections
portée de main. Mais aucune autre ne l’aura refusé de juillet 1976 « […] la consécration dans la déroute
d’une façon si catégorique. » […] » comme le souligne le journaliste et l’échec des
En empruntant les topos de l’éloge des personnes présidentielles de 1980 (1,5 %).
du discours épidictique (naissance, éducation, vertus, Otelo devient à la fin de ce récit le « patriarche
action), « tradition essentiellement narrative, dans d’un petit clan » : deux enfants, un de 37 ans et un 40. Laurent Pernot,
laquelle l’orateur accompagne le sujet depuis sa nais- autre de 33 ans, ce dernier à l’époque semblant La Rhétorique de l’éloge
sance 40 », le journaliste soulignera dans sa péroraison prendre, comme le laisse entendre le journaliste, le dans le monde gréco-
romain, Tome I,
que « Otelo est le héros maudit de la plus pacifique chemin du capitalisme puisque Sérgio Bruno — le fils Histoire et Technique,
révolution de l’histoire ». d’Otelo – « espère devenir riche à 40 ans […] ». op. cit., p. 135.
38 • MATÉRIAUX POUR L’HISTOIRE DE NOTRE TEMPS • n° 80 / octobre-décembre 2005

Pour notre part, nous dirions que la boucle est bou- traduisent son appartenance aux forces armées mais
clée. Car en partant de l’image d’un Otelo homme d’af- dénotent aussi la simplicité du personnage.
faires, l’article se termine par l’évocation du désir de Les signes politiques sont aussi très simples : dra-
richesse du fils de Otelo. Ainsi, cela peut être interpré- peaux rouges, étoiles jaunes, œillet rouge. Un seul
té comme le parcours d’un révolutionnaire raté que ne autocollant (un dessin représentant Otelo au milieu de
trouve son salut que dans l’adhésion au capitalisme. deux ouvriers) présente un signe agressif, une arme à
Finalement, on pourrait affirmer que ce discours épi- feu. Dans l’emploi des couleurs prédominent le rouge
dictique ne cherche qu’à valoriser une idéologie — la et le jaune, le blanc sert souvent de fond.
social-démocratie — à partir de laquelle on interroge la
Otelo surgit ainsi comme un personnage éminem-
mémoire. On pourrait même établir un parallèle entre
ment sympathique, populaire et peu agressif. Il est
la normalisation de la vie du pays après le 25 novem-
représenté proche du peuple en action ce qui est en
bre 1975 et le retour à la norme de l’aventurier et popu-
accord avec la démocratie directe qu’il défend.
liste Otelo Saraiva de Carvalho.
L’ensemble de ces considérations sur lesquelles il
De son côté, l’autoreprésentation de Otelo nous
n’est pas notre intention de forger un paradigme des
renvoie des images d’un héros du 25-Avril à la fois au
représentations d’Avril et de Otelo Saraiva de Carvalho,
service des classes populaires et paradigme des idéaux
constituent néanmoins un exemple de la façon dont
d’Avril. Paradoxalement, ce personnage important du
celles-ci sont prisonnières de préjugés idéologiques qui
25-Avril et de la période révolutionnaire semble sou-
conditionnent le travail de la mémoire. Tout comme le
vent subir les événements : Otelo affirme qu’au lende-
salazarisme avait réélaboré l’histoire portugaise, les
main du 25-Avril il a voulu « revenir à l’anonymat 41 »
nouvelles représentations constituent aujourd’hui un
et que c’est un autre officier d’Avril — Vasco Gonçalves
terrain fertile de conditionnement des consciences.
— qui lui a demandé d’assumer des responsabilités
Comme le souligne Paul Ricœur, « le péril majeur, au
dans la vie politique du MFA. De la même façon, il sera
terme du parcours, est dans le maniement de l’histoire
prié de commander le COPCON et à l’intérieur de
officielle. La ressource du récit devient ainsi le piège,
cette institution militaire il est pressé de prendre des
lorsque des puissances supérieures prennent la direc-
décisions (mandats de capture, occupations de terres
tion de cette mise en intrigue et imposent un récit
agricoles dans le sud du pays, etc.) : « En effet, il y
canonique par voie d’intimidation ou de réduction, de
avait une grande dilution des pouvoirs et j’étais là [au
peur ou de flatterie 44 ».
COPCON] le bouc émissaire, car c’est moi qui signait
les mandats de capture 42. » La normalisation de la vie politique au Portugal
après les premiers moments révolutionnaires eut
Otelo s’est toujours présenté comme l’homme d’un
comme conséquence le triomphe d’un modèle de
25-Avril pur, en dehors du jeu et des conciliabules des
démocratie parlementaire et relégua les militaires à
partis politiques et du pouvoir, le représentant des plus
leurs occupations traditionnelles. À partir de ce
humbles et la victime des agissements de certains par-
moment, on a pu commencer ce travail de réécriture de
tis, parmi lesquels le PCP 43.
l’histoire et de ses acteurs. La période révolutionnaire
La campagne électorale des élections présiden- devient ainsi un intervalle, un temps probablement
tielles de juin 1976 exemplifie ce paradigme du héros nécessaire de catharsis où se jouent les drames et les
populaire pur et généreux. Une rapide analyse d’un des peurs d’un pays désormais recentré sur un espace euro-
moyens alors utilisés — les autocollants — nous per- péen qui l’accueille en 1986 (adhésion du Portugal à la
met de parler de processus d’identification entre Otelo CE). L’archétype dominant de la démocratie devient
et le 25-Avril. Des trente autocollants analysés, l’en- alors consensuel et contribue à accentuer les clivages
41. Expresso, semble des codes (chromatique, culturel, linguistique,
17 avril 1999. entre révolution et démocratie, démocrates et révolu-
etc.), sont utilisés pour suggérer cette association tionnaires. Dans ces conditions, les « lieux mytholo-
42. Ibid.
Otelo/25-Avril. L’autocollant ici présenté est l’exemple giques » de la révolution d’Avril auront certainement
43. Selon Otelo, après
les résultats des élections même de cette association. Par ailleurs Otelo est iden- des difficultés à s’affirmer face aux nouvelles représen-
présidentielles de 1976, tifié au peuple : ce dernier apparaît souvent en arrière- tations et mémoires sociales plus consommables et ser-
le PCP, échaudé par les plan, dans une attitude combative (manifestations de
mauvais score de son vies par des moyens de massification plus importants.
candidat Octávio Pato, rue) et les légendes telles que « Le peuple en avant.
J. C.
cherchera lors des Otelo président », « Servir le peuple. Élire Otelo »,
législatives de 1984 à « Otelo candidat du peuple », etc. renforcent cette
l’éloigner du pouvoir :
« […] le PCP essaye par image d’unité entre le peuple et le candidat.
tous les moyens de Dans ces autocollants, Otelo ne regarde jamais le
détruire le FUP [Front
d’unité populaire qui récepteur. Son regard est toujours ailleurs, comme si
appuyait Otelo] et de l’implication émotive entre le candidat et le récepteur
me détruire », Ibid.
devrait avoir lieu au-delà, dans un avenir rêvé. Souriant,
44. Paul Ricœur,
La Mémoire, l’histoire et
habillé en tenue militaire (un blouson en cuir) ou en che-
l’oubli, op. cit., p. 580. mise (ouverte, sans cravate), les signes vestimentaires

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