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L'Église des

cannibales
JEAN-MARIE N'KASSA

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L'Église
des cannibales

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_ Amen, amen ?

Et toute l'assemblée répondit comme


une seule personne : " Amen ! " Puis, il y
eut du silence.

_ Bien-aimés, la parole nous enseigne que


nous devons communier de la chair et du
sang de Christ. Oui ! Bien-aimés, si vous
n'avez pas encore goûté au Pain de vie,
vous n'avez pas la vie en vous. C'est
pourquoi la parole dit en Jean chapitre
douze...

Il n'avait pas fini de parler lorsque


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l'assemblée se mit à acclamer.
Apparement il était doué dans la manière
de prêcher la Bonne Nouvelle. C'était une
nouvelle assemblée chrétienne. On
l'appelait " L'Église du Corps du Christ ".
En ce jour l'assemblée comptait quelques
cent fidèles, tous venaient soit du quartier
ou des quartiers environnants.

Le pasteur était un homme d'environ


cinquante-ans, pas très gros, mais au
ventre ballonné, toujours tenant une
pochette à la main, car il arrivait
quelques fois qu'il suait pour prêcher.
Nous étions un dimanche, il était onze-
heures, presque midi, le culte tendait à sa
fin.

Sur les murs de l'église, quelques baies-

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vitrées laissaient transparaître l'extérieur,
la route par laquelle passaient quelques
véhicules et passants ; des guirlandes
ornaient la stafferie du plafond par-
dessous duquel des hélices de
ventilateurs tournaient pour aérer la salle.

Le pasteur se baladait sur l'estrade, le


micro à la bouche, sans même regarder
ses fidèles qui l'acclamaient pourtant
machinalement et cycliquement. Le culte
avait mis du temps et quelques fidèles,
ventres creux, s'impatientaient. Parmi ces
fidèle, on pouvait remarquer une femme
d'environ quarante-ans, l'air pauvre,
agénouillée devant son siège, les yeux
clos, les mains levées.

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_ Bien-aimés, prions, dit le pasteur pour
entonner la dernière prière avant la
cloture du culte.

" Chabababbabababa....
Chaaaabababababa.... ", c'était ainsi que
certains priaient, soit disant le " parler en
langues ". Ils se déplaçaient, agitaient
bras et têtes, pliant poings et fléchissant
pour certains les genoux.

Bizarrement, c'était pendant les


grandes prières que le monsieur au vente
ballonné osait regarder ses fidèles qui,
majoritairement, priaient les yeux mi-clos.

On pouvait remarquer l'organisation


hiérarchique du ministère ecclésiastique
de ce lieu. Les deux premières rangées
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étaient réservées à l'élite. Pour aller vite,
il y avait là une sorte d'atmosphère
suspecte que ne soupçonnait pas la
majorité des fidèles. De fait, étrangement,
les membres les plus gradés de l'église ne
regardaient presque jamais les fidèles
dans les yeux. Ils étaient tous monotones,
sans couleur, silencieux et étranges, ne
priaient pas à haute voix comme les
autres. C'est dans ce climat étrange que
quelqu'un vint s'adresser à la femme qui
étendait ses mains, agenouillée. Ce
quelqu'un était un homme d'environ le
même âge.

_ Sœur Georgette, dit-il.

_ Oui, répondit subitement madame


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Georgette en ouvrant ses yeux.

_ Le pasteur Guénon veut te voir après le


culte. Tu es priée de ne pas rentrer
aussitôt après la fermeture des portes.

Georgette hôcha la tête et continua sa


prière. C'était la première fois qu'elle était
demandée par le pasteur. C'est ainsi que
le temps de la dernière prière passa et à
douze-heures et trente minutes les fidèles
quittaient les lieux. Chacun rentrait chez
soi sous le soleil qu'il faisait ce jour-là.
Mais Georgette resta assise dans l'église
avec quelques autres personnes gradées
de l'assemblée. Le pasteur, lui, s'était
pourtant absenté. Elle devait donc
patienter pour un moment.
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Soudain, le messager qui lui avait
passé le message arriva et l'interpella :

_ Sœur Georgette, viens.

Elle se leva et suivit le messager jusque


dans les appartements internes de l'église.
Il la conduisit dans le bureau du pasteur.
Ce dernier les attendait. Il y avait dans ce
bureau une atmosphère de mystère. Un
calme qu'on pouvait sentir presque
physiquement. À leur arrivée, Georgette
entendit pour la première fois depuis six
mois la voix du pasteur sans micro.

_ Bonjour, pasteur, dixit Georgette.


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_ Ma bien-aimée Georgette, j'espère que
tu vas bien.

_ Je ne sais quoi dire sincèrement, pasteur,


mais le Seigneur est au contrôle.

Sur ce il demanda au messager de les


laisser seuls :

_ Didier, laisse-nous un moment.

Didier, le messager, ouvrit la porte et


sortit de ce pas, laissant seuls le pasteur et
la fidèle. Cette dernière était en fait veuve.
Elle avait perdu très tôt le père de son
unique enfant dans un accident de train.
Son fils, paralytique, survivait grâce aux
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sacrifices de sa mère. Georgette était une
institutrice sans emploi qui finit par
vendre la banane dans le marché de la
municipalité. Elle n'avait que son fils, et
voilà que celui-ci était paralysé de
naissance, il avait vingt et un ans.

_ L'Esprit du Seigneur m'a parlé tout à


l'heure, commença le pasteur, lorsque tu
priais. Il m'a dit " cette femme sera la
preuve je suis vivant ". Le Seigneur a
entendu le cri et la douleur de ton âme et
il va t'en délivrer. Mais tu dois avoir foi
en lui.

_ Amen, pasteur. Si vous pouviez savoir la


situation que vit votre fidèle servante du
Seigneur. C'est le Seigneur qui conduit
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mes pas.

_ Je le sais. C'est pourquoi Dieu m'a parlé


aujourd'hui. Il m'a dit que tu dois
communier et avoir un rôle bien précis
dans sa maison. Mais la situation sera
éprouvante. Le Seigneur m'a révélé que
tu as un seul enfant, fils unique, mais
qu'il est paralytique de naissance.

_ C'est vrai, pasteur.

_ Le Seigneur me révèle que ton mari a


été tué dans un accident de train.

_ C'est vrai, pasteur.

_ Mais ce n'est pas fini, car tout cela fait


partie du plan du Seigneur, car après cela
tu auras une grande récompense. Mais
ton fils, le Seigneur réclame sa venue

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dans son royaume.

_ Pasteur, chaque jour je prie pour mon


fils.

_ Mais cela ne suffira jamais, car le


Seigneur le réclame dans son royaume
célèste. L'âme de ton fils appartient au
Seigneur. Il doit rejoindre son berger.
C'est après cette épreuve que tu devras
surmonter que tu auras une grande
récompense, car Dieu n'oublie pas ses
fidèle.

En fait, le pasteur annonçait à la


servante du Seigneur qu'elle allait perdre
son fils unique pour une raison obscure.
Naïve, elle commença à le croire. Comme
de l'eau à boire, l'endoctrinement prenait
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racine. Convaincue que son fils unique
devait mourrir pour rejoindre le trône du
Seigneur, elle commença à verser des
larmes.

_ Ne pleures pas, lui dit le pasteur. Ce que


Dieu a donné, Il le reprend. Il est dit que
le Seigneur donne sa vie pour la
reprendre en retour. C'est comme ça.

_ Bien-aimée ?

_ Oui, pasteur...

_ Il faut que j'impose les mains à ton fils.


L'Esprit du baptême doit prendre racine
en lui.

_ Pasteur, mon fils est paralysé depuis sa


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naissance et ne peut sortir de la maison.
Ça doit se faire à domicile.

_ Oui, je sais. Le Seigneur m'a déjà tout


montré, y compris le lieu de votre
domicile. Ma bien-aimée, cela doit se faire
dans trois jours, car les jours de ton fils
sont comptés.

Elle commença à se lamenter. La


personne qu'elle avait en face savait ce
qu'elle faisait. Pour des raisons obscures,
le pasteur était déjà informé de tout. Le
secret était que dans l'église il y avait des
espions qui connaissaient les problèmes
de chaque fidèles et qui lui donnaient des
renseignements. Loin de réaliser cela,
Georgette versait des larmes.
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Pourtant, une voix ne cessait de
l'interpeller de l'intérieur.

_ Mercredi matin, je passerai chez vous,


dit le pasteur.

_ Merci, pasteur.

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Une telle naïveté fit que trois jours
après, un matin à dix-heures, le monsieur
pasteur arriva chez madame la veuve. Il
avait une pochette dont il ne se servait
pas, malgré le soleil. Ce jour-là, le cortège
de l'église était chez Georgette, les
véhicules de hautes marques garés
partout dans le quartier.

_ Sœur Georgette, dit le messager Didier à


Georgette. Il est recommandé que tu
restes dehors durant l'imposition des
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mains dans la chambre de l'enfant.

Elle resta dehors, assise à la terrasse,


larmoyante pour le sort de son fils.
L'enfant, lui, allongé sur le lit, ne
comprenait pas la présence des trois
personnes qui accompagnaient le pasteur
dans sa chambre. Pourquoi sa mère
n'était pas là ? Il se demanda bien des
choses. C'était étrangement suspect pour
lui.

Pendant que le fils, tentait de se


défendre face à un pasteur qui
l'asphixiait avec une pochette remplie de
poudre empoisonnée, la mère, naïvement,
se lamentait dehors. Le pauvre enfant
aspira cette poudre de la mort pendant
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plus d'une minute et rendit l'âme les
secondes qui suivaient. Mort asphyxié et
empoisonné par une poudre qui brûlait et
infectait ses organes, de l'œsophage à
l'estomac, il ne resta plus qu'un cadavre
sur un lit aux draps blancs et quatre
monsieurs étranges l'obervant.

C'était ça le fond, mais il y avait encore


d'autres choses, car ça ne s'arrêtait pas là.
Le pasteur mangeait les corps de ses
victimes. C'est pourquoi lui-même fit
venir la nuit à trois-heures du matin, un
corbillard pour emporter le corps de
l'enfant.

Pour Georgette, c'était la volonté de


Dieu. Grâce aux bafoueurs de tabous, on
pouvait rapporter ces choses. À ajouter à

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cela, notons seulement que lors de
l'enterrement, le cercueil était vide. Le
corps de l'enfant avait été désinfecté à la
morgue et emmené dans un restaurant
spécial par un livreur spécial à un
moment spécial.

Le pasteur ne mangeait que ça. Ce


ventre ballonné en disait donc beaucoup.
Ce n'est pas une partie d'horreur si l'on
soupçonne ce genre de faits. Qui sait ?

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Un an après ces choses, les cultes à
l'église ne cessaient de s'enchainer ; et à
chaque fois le messager rapportait à un
fidèle dont la situation sociale avait été
bien suivie, un appel de la part du
pasteur. Soulignons qu'en un an,
l'assemblée comptait plus de mille fidèles.
On y racontait que Dieu opérait toutes
sortes de prodiges par la main du pasteur,
que les fidèles devenaient riches. Oui.
Parce que, par exemple, la récompense de

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Georgette était une villa et un véhicule
qui lui avait été donné pour camoufler la
mort, pardon le crime duquel sortit
victime son unique fils. Un sacrifice
humain pour la gastronomie d'un homme
masqué par le titre de pasteur. Georgette
faisait maintenant partie des gradés de
l'assemblée des cannibales, car le pasteur
n'était le seul anthropophage de l'église.
Presque tout le corps ministériel l'était et
gardait le secret. Mais Georgette faisait
bien sûr partie de ceux qui ignorait le
culte du secret de l'église.

Le culte du secret était la raison pour


laquelle le pasteur avait du mal à
regarder en face ses fidèles lors des

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prêches. Un monde satanique gouvernait
cette église, un monde bizarre, une secte ;
et leur chef, le pasteur, grand cannibale,
incapable de manger sans l'homme.

Il avait un livreur unique, un


cuisinnier unique, car celle qui lui servait
de femme n'avait pas le droit de lui faire
à manger. Lui, il ne mangeait que le Corps
sacrifié de Christ, disait-il. Et avec lui, sa
femme et ses enfants, tous innocents. Ils
habitaient dans une grande maison
hermétiquement close et bien sécurisée. Il
n'est pas bon d'envier la richesse des gens,
on ne sait jamais ce qu'il y a juste derrière.

Dans la maison, ni la femme, ni les


enfants n'avait accès à la cuisine. Seul le
cuisinnier savait ce qu'il préparait à la

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famille du pasteur depuis plus de dix ans.
Il y avait beaucoup de mystères dans
cette grande maison. Le pasteur avait des
chambres-froides, personne à part lui et
son cuisinnier n'y avait accès.

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_ Amen ? Bien-aimés, vous devez
apprendre à connaître Dieu et son Fils.
Vous devez apprendre que le Seigneur est
doux pour les plus humbles de cœur.
Amen ?

Comme toujours, l'assemblée acclamait


et répondait " amen ! ". Il allait et venait
dans l'église avec son micro, sans
regarder dans les yeux les fidèles. Il
transpirait parfois. La vie de ce monsieur
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était un enfer. Partagé entre la peur d'être
démasqué et celle de voir un jour son
secret dévoilé, il devenait parfois nerveux
sans raison apparente.

Tous les dimanches se passaient de la


même façon. Mais le sort se jouait
toujours lors de la prière de clôture. Là se
jouait comme toujours l'appel de la mort.
Personne ne se doutait que certains
membres de l'église disparaîssaient,
puisque de jours en jours l'assemblée
grandissait. Seuls ceux qui connaissaient
le secret le comprenaient.

_ Donc, le Seigneur me dit présenter le cas


d'un jeune-homme ici présent...

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Enfin, il s'adressa directement à
l'assemblée. Ce fut le messager qui alla
prendre le jeune-homme indexé. Un
jeune de trente-six ans. Toute l'église le
vit se lever, accompagné du messager, et
aller devant, vers le pasteur.

_ Ce jeune-homme que vous pouvez voir


cherche à obtenir le baccalauréat. Il a
trente-six ans. Mais croyez-vous bien-
aimés que Dieu a besoin d'un examen
pour faire apparaître un diplôme ? Non,
mes bien-aimés.

Sur ce, il agita la main et il en sortit de


sa veste un papier de couleur bleue.
C'était une attestation de diplôme.
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_ De qui est le nom sur ce diplôme ?

Le jeune-homme répondit, en accord


avec le rôle qui lui était assigné :

_ C'est mon nom, pasteur !

_ Vas en paix, mon fils. Ta foi t'a sauvé.

Et le messager raccompagna le jeune-


homme aux yeux de l'assemblée
stupéfaite et étonnée face au pseudo
miracle que venait d'accomplir le pasteur.

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_ Bien-aimés, rien n'est impossible à Dieu
et à celui qui croit. Vous venez d'en avoir
la preuve.

On pouvait entendre des " amen ! "


dans la grande salle.

Dans cette église, on pouvait


enregistrer plus de sept millions
d'offrandes par dimanche. Cet argent
servait plus à créer d'autres églises dans
la ville pour perpétrer le business.
L'industrie des églises de réveil. C'était
cela et ce n'était pas tout.

Une secte bizarre, un leader étrange,


qui se jouait de la naïveté de toute une

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ville. Ils jouaient sur la naïveté d'un
peuple épuisé par la misère et le
désespoir.

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En entrant dans la grande maison du
pasteur, dans la barrière de deux mètres
de haut, se trouvait une grande piscine,
vaste et peu profonde aux eaux d'une
poésie de quiétude absolue. Le gazon vert
était bien soigné. Il n'y avait personne
dans la cour ni tout autour de la maison.
Il y regnait une sérénité à sentir le poids
du silence.

À l'entrée principale de la maison qui


était à trois étages, il y avait deux grandes
colonnes supportant des statuettes de

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deux petits chérubins. Puis, l'entrée au
rez-de-chaussée qui était d'une forme
totalement mystérieuse. La porte était
lourdes et les poignets étaient
particulièrement recouverts d'un certain
cuir ressemblant à ce qui pourrait rester
d'une peau humaine. Mais ni la femme, ni
les innocents enfants ne savait ce que
c'était exactement.

Au rez-de-chaussée, il y avait le début


des marches de l'escalier et d'un côté
réservé, un petit salon dans lequel
jouaient calmement les enfants sous la
surveillance absolue d'une femme faisant
partie du ministère de l'église.

Il y avait, en montant les marches de


l'escalier, une paix extérieure qui s'en

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dégageait. Là-haut, des couloirs silencieux
et des pièces closes et secrètes. Il y avait
des miroirs très grands sur les murs.

Et là-haut encore, les chambres froides


hermétiquement closes. La grande
cuisine interdite, avec ses congélateurs
mystérieux, était là, les couteaux de
viande sur des établis. Dans les bacs à
ordures étaient des restes d'organes
encore frais. La désolation y régnait à
travers chaque objet de cette cuisine.

Les lumières des ampoules électriques,


sur les carreaux, reflétaient les
silhouettes de qui passait par-là. Ce n'était
pas une maison ordinaire. C'était un lieu
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de mystères et de désolation. Un lieu de
soupçon, un lieu de peur.

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Un jour après le culte, lorsque tous les
fidèles étaient rentrés chez eux, on ferma
les portes de l'église et là, dans le silence,
se trouvait le corps ministériel. Madame
Georgette y était.

Dans une salle secrète, un lieu de


réunion, il y avait le grand cannibale en
maître, à côté le messager et une certaine
femme silencieuse. Autour de la longue
table, vingt-six chaises. Il y avait en tout
vingt-trois personnes convoquées par le
pasteur.

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_ Mes chers collaborateurs, commenca le
maître. Voyez vous-mêmes ce que devient
notre église. Elle fleurit de jours en jours.
Mais dans l'administration, vous
connaissez tous sœur Georgette.

Cette dernière comprit que la reunion


la concernait directement. Alors elle
devint lucide, persuadée que Dieu venait
encore de frapper à sa porte.

_ Mais, pourvuivit la pasteur, Georgette


ne vous connaît pas tous. C'est pourquoi
je tenais à vous la présenter. Georgette ?

_ Pasteur ? répondit la pauvre femme.


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_ Debout, dit-il, que tout le groupe te
connaisse maintenant.

Puis, dans un raclement de gorge :

_ Je vous présente Georg...

En ces instants, le pasteur se mit à


éternuer. Il toussa gravement avant de
reprendre le contrôle de la situation. Il lui
fallit deux minutes pour reprendre le
cours de ses pensées, tellement il se
faisait des remords.

_ Je vous présente Georgette. À partir de


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maintenant, elle sera chargée de la
gestion et de la planification...

Il toussa encore amèrement.

_ ... planification des évènements liés aux


activités internes de notre église. C'est le
Seigneur qui le veut.

Il se racla pour une énième fois la


gorge et donna un ordre à la dame
silencieuse à ses côtés :

_ Apportez le plateau.

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Il demanda à ce qu'on apporte le
plateau. Un de leurs rites écclésiastiques
consistait à partager sur un plateau une
partie de viande et une certaine bouteille
de vin rouge. Cette viande et ce vin devait
revenir à la concernée. Après qu'elle
aurait mangé et bu, le reste serait partagé
à tous les autres membres.

_ Georgette, tu peux reprendre place.

Elle reprit place. Au même moment


arriva la dame silencieuse avec le plateau
de viande. Il y avait également la
bouteille de vin et un petit graal.
Influencée par les regards insistants du
groupe, Georgette commenca à manger.
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La viande était bonne, bien cuite et avait
une saveur toute particulière. Le rite
n'avait rien d'étrange pour elle jusqu'au
moment étrange où en portant un
morçeau de viande vers la bouche, elle
mastiqua une mystérieuse dent qu'elle
sortit immédiatement. Alors elle regarda
cette dent semblable à la dent d'une
personne. Elle devint aussi froide d'esprit.

Les autres la regardaient étrangement.


Voyant qu'elle avait arrêté de manger, la
dame silencieuse vint prendre le plateau
de viande et distribua le reste aux autres
membres du groupe. Georgette avait
discrètement gardé la dent dans sa main
sans se faire remarquer.

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Ce rituel dura presque deux heures
durant lesquelles Georgette ne faisait que
prêter sermont à des choses qu'elle ne
maitrisait pas.

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Le dimanche suivant, Georgette n'était
pas venue au culte. Il sembla qu'elle avait
longtemps médité sur cette dent
mystérieuse. Sur le coup, elle avait décidé
de prendre du recul. Cette église lui
semblait déjà bizarre et maintes choses
lui paraissaient enfin évidentes.

Georgette vivait dans la villa que le


pasteur lui avait leguée provisoirement,
mais durant une semaine elle n'y était pas
allée. Où était-elle donc ? Le pasteur qui
avait soupçonné une chose inhabituelle,

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ordonna secrètement l'ordre de la
chercher. Elle avait sans doute découvert
le secret, se disait-il. Mais on ne la trouva
pas.

Durant deux semaines, la villa resta


seule avec le véhicule à l'intérieur. On
tenta de la joindre par tous les moyens en
vain. Elle était devenue un fantôme à
traquer pour protéger le secret. En un
mois le pasteur se métamorphosa.
L'assemblée l'avait remarqué. Il avait l'air
malade et pâle, nerveux et pris d'une toux
sèche.

En deux mois, il commença à déléguer


d'autres personnes pour tenir les cultes
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du dimanche. Beaucoup de fidèles ne
venaient plus à l'église. Beaucoup
commençaient à soupçonner des choses
bizarres.

Personne ne trouva la trace de


Georgette. C'était une crainte absolue
pour le groupe. Certains commençaient à
démissionner de leurs fonctions.

C'est seulement après un mois, en plein


culte le dimanche, que toute l'église fut
dans l'étonnement et dans la stupeur en
voyant la pauvre femme Georgette à
l'entrée de l'église. Ce n'était pas tout. Il y
avait derrière elle, des agents de la police
armés. Georgette, la mine serrée, était
réapparue avec la police et de agents
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armés de mitraillettes. Alors toute
l'assemblée sut qu'il y avait quelque
chose qui n'allait pas dans cette église.
C'était l'église du Diable incarné.

Rapidement le pasteur et toutes les


personnes assises aux deux premières
rangées furent saisis et menottés. Alors
arrivèrent deux caméramen pour filmer
la salle et les fidèles qui s'y trouvaient.

Voyant la police devant l'église, tout le


quartier accourut. Il y eut en moins de dix
minutes une foule devant l'entrée de
l'église. Les agents armés empêchaient à
quiconque de bouger dans la salle. Alors,
à l'extérieur, on entendit les sirènes de
plusieurs véhicules de police et de la
gendarmerie.

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Comme des rats malades, le pasteur et
ses complices avaient été saisis et
emportés par la gendarmerie. Les fidèles
étaient restés dans l'église.

Après plusieurs fouilles, on sortit des


appartements internes de l'église trois
autres responsables et avec eux la
fameuse dame silençieuse. Les fouilles
avaient permi de découvrir une chambre-
froide avec à l'intérieur des corps
humains congelés. Tout avait été filmé,
mais les fidèles ne comprenaient pas.

La police et la gendarmerie
emportèrent avec eux les responsables de
l'église, mais aussi toutes les personnes,
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peu à peu, qui étaient présentes dans
cette assemblée, innoçantes ou pas. Tout
cela dura cinq heures de temps.

Ce n'est que vers seize-heures, en après


-midi, que la foule du quartier assista à
des horreurs épouvantables. Les gens
commençaient à crier aussi fort lorsqu'on
faisait sortir les corps gelés des victimes.
Le secret de l'église était découvert. C'était
l'horreur, la consternation dans tout le
quartier. Tout le monde filmait. Des gens
partaient et revenaient en criant.

Le même jour au journal du soir, un


reportage était consacré à un fait-divers.
Des pasteurs qui mangeaient de la chair
humaine avaient été saisis par la police.
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La maison du responsable de l'église avait
fait objet de fouilles. On y avait découvert
des horreurs épouvantables.

Une femme témoignait :

" J'ai commencé à prier dans cette église


quand mon mari avait fait un accident de
train où il avait laissé sa vie. Mon fils
paralytique ne vivait depuis plus de vingt
ans que sur un lit. Mais quand j'ai
entendu parler de cette église et des
miracles que faisait son pasteur, je me
suis adonnée à la prière. J'étais une
fervante servante du Seigneur. Mais un
jour... "

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Une autre femme témoignait :

" Après avoir été baptisée, le pasteur m'a


dit en secret que ma stérilité allait
prendre fin. Il m'a fait des rapports
sexuels la nuit. On m'avait dit de ne pas
rentrer chez moi. Or je ne suis jamais
tombée enceinte. Mais ils m'ont transmis
le VIH pour me dire finalement que c'est
un châtiment de Dieu. "

Un homme d'affaires :

" Nous avons contribué sans le savoir à


les rendre plus forts car nous avons payé
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des dîmes qui s'élevaient parfois à sept
millions de francs CFA. Je le regrette. "

Une jeune femme :

" Je cherchais un signe de Dieu dans ma


vie. Je cherchais du travail. C'est ma
voisine qui m'avait parlé de cette église.
Quand j'y étais arrivée, on m'a tout de
suite convaincue que j'allais être étonnée
par ce que le Seigneur allait faire dans ma
vie. J'y ai cru. On m'a trouvé du travail
dans un restaurant où seuls les membres
de l'église venaient manger. J'étais
serveuse. La viande venait toujours en
voiture par un livreur spécial. On n'avait
pas le droit de poser des questions sur la
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provenance de cette viande. "

Un jeune-homme :

" J'étais en quête de spiritualité. On m'a


initié dans une chambre secrète où se
trouvait un hôtel couvert d'un grand tissu
rouge. Je n'ai jamais vu ce qui était
derrière ce tissu. "

FIN

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©Jean-Marie N'KASSA
Tél : +24177361254 (WhatsApp)
ÉDITIONS ÉCRITURE ÉCRINOIR, 2022
Édition - Imprimerie - Librairie
Lomé - Togo / E-mail :
ecritureecrinoir@gmail.com
E-book / Dépôt légal 1er trim.2021

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