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ESAG-NDE

Année 2022-2023

Filière Communication des organisations (CO)

COMMUNICATION DANS LES SOCIETES TRADITIONNELLES AFRICAINES

PROF : ATI Komi


Gestionnaire des industries culturelles et créatives
Coordonnateur de réseau CLAC
Centre nationale de lecture et d’animation culturelle (CENALAC)
Ministère de la Culture et du tourisme
47, Avenue des Nations Unies,
BP 1441 Lomé-TOGO
Tél +228 90530630 / +22899451025
Courriels : atikomi1977@gmail.com
komi.ati@tourisme.gouv.tg

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Table des matières
Introduction............................................................................................................................................. 3
I- Notion de communication............................................................................................................... 3
II- Notion de sociétés traditionnelles .................................................................................................. 8
III- Communication et société traditionnelle africaine ................................................................... 12
IV- l’Afrique entre communautés traditionnelles et monde virtuel ............................................... 30
Conclusion ............................................................................................................................................. 46
Bibiographie .......................................................................................................................................... 48

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Introduction
La communication est au centre de notre vie. En fait, il n y’aurait pas de vie sans
communication. Elle est présente dans notre vie quotidienne et professionnelle, elle constitue
le remède qui apporte une solution à tout problème. On ne peut pas vivre dans une société
sans communication, on doit communiquer pour satisfaire nos besoins. La communication
joue un rôle important dans les relations humaines. Chaque comportement de l’être humain
exerce une influence sur les autres. Dans le monde, la communication constitue un enjeu
important. Elle touche les dirigeants, les responsables, …etc. on parle aujourd’hui de plusieurs
types de communication : institutionnelle, marketing, politique, internationale, médiatique,
culturelle, de masse, …etc.

I- Notion de communication
Contrairement à ce que l’on pense, la communication ne se limite pas à l’envoi d’un message
d’un émetteur à un récepteur. Dans ce cas, on parle simplement d’une transmission
d’informations comme la note de service où la réaction du public cible n’aura aucun impact
sur la nature du message.

La communication va bien au-delà, car il s’agit d’une interaction entre deux entités qui se
partagent des informations. Il s’agit de créer une relation avec autrui, d’échanger des
connaissances ou des émotions à travers un langage, des outils de télécommunication ou des
technologies d’information.

Ainsi, dans la communication, chacun des interlocuteurs peut avoir son mot à dire. De ce fait,
chacun est en mesure d’influencer les autres volontairement ou inconsciemment. Pour que le
courant passe alors, il est nécessaire de demeurer attentif à la réponse des autres, ce qui
demande des capacités d’observation. En effet, la façon de communiquer varie en fonction de
la réaction et du retour des informations.

Le terme communication vient du latin communicare, mettre en commun, de communis,


commun. C’est l'action de communiquer, de transmettre des informations ou des
connaissances à quelqu'un ou, s'il y a échange, de les mettre en commun (ex : le dialogue). La
science de la communication a pour objet de conceptualiser et de rationaliser les processus
d'échange, de transmission d'informations entre deux entités (individus, groupes d'individus
ou machines).

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1- Les composantes de la communication

Qu’elle soit verbale ou non, la chaîne de communication doit toujours suivre un schéma
basique constitué de sept composantes à savoir le contexte, la source, le message, le canal,
les interférences, le récepteur et enfin la rétroaction.

a- Le contexte

C’est l’atmosphère physique et psychologique dans laquelle la communication est


effectuée. On distingue le contexte spatio-temporel et les contextes sociaux. Le premier
constitue le lieu et le temps imparti à l’échange. Le deuxième englobe le relationnel, le
normatif, le culturel et le statuaire. Ces éléments influencent grandement la manière de
communiquer.

b- L’émetteur (l’expéditeur)

L’émetteur c’est celui qui lance l’information. Et c’est le désir de la communication de


l’émetteur qui constitue la première condition à la réussite de la communication.

Les attitudes de l’émetteur, jouent un rôle décisif dans la communication efficace et d’un
double point de vue.

Les attitudes envers autrui en général, elles déterminent ce que l’on peut appeler le style
de l’émetteur.

Les attitudes envers le récepteur, à ces attitudes il faut que l’émetteur envers le récepteur
ajoute l’idée qu’il se fait de l’opinion du récepteur à son égard (feed-back).

L’objectif visé par l’émetteur : convaincre, séduire, transmettre des informations,


informer, rejeter, éloigner … c’est bien à travers ses objectifs sous-jacents que l’on pourra
décoder le sens de la communication.

c- Le récepteur

Le récepteur du message c’est évidemment un client actuel ou potentiel, ainsi que toute
personne ayant le désir d’écouter le message communicatif de l’émetteur.

d- Le message ou l’information

C’est ce qui va être transmis aux interlocuteurs. Il s’agit d’un stimulus que la source va
envoyer aux récepteurs. Ainsi, le message peut être transmis consciemment ou non et
peut comporter des mots, des gestes, des mouvements, des images et autres.

e- Le canal de communication

Il s’agit du moyen utilisé pour diffuser le message. Le canal ou le média constitue le support
de l’information ou le véhicule qui relie le récepteur et l’émetteur. À ce titre, il peut s’agir

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de mots écrits, d’un enregistrement, etc. Le téléphone, la radio et la télévision sont des
médias de communication.

f- Les interférences

Les interférences sont caractérisées par les facteurs ou les bruits qui peuvent changer de
manière significative la perception du message. On parle de bruits extérieurs lorsqu’ils
proviennent de l’environnement (par exemple une moto qui passe). Quant aux
interférences intérieures, elles viennent du récepteur.

g- Le résultat ou la réaction

Une fois le message transmis au récepteur, ce dernier peut réagir en fonction. Cette
réaction fait office de feedback à l’émetteur, lui permettant de s’assurer que l’information
a été correctement diffusée et comprise. C’est la partie qui distingue le procédé de
communication d’une simple émission d’information.

2- Les différents types de communication

Les types de communication diffèrent selon le nombre d’acteurs impliqués et leur nature.
On parle également de niveaux de communication et on en distingue trois :

a- La communication interpersonnelle

Cette communication met en relation directe au moins deux individus qui sont l’émetteur et
le récepteur. C’est la base même de la discipline et de la relation humaine, car elle est
primordiale lorsque l’on vit en société. Elle suit un schéma très simple. L’émetteur envoie un
message par un canal de communication vers un récepteur qui réagira en fonction. Sans cette
rétroaction, la communication sera coupée. À titre d’exemple, les discussions par téléphone
sont des communications interpersonnelles.

Le message peut être verbal ou non verbal. Le postulat de Palo Alto suppose que le
comportement humain constitue également une forme de communication. À ce titre, même
en restant muet et immobile, on dévoile des sentiments qui peuvent être interprétés de
différentes manières.

La communication interpersonnelle peut se faire directement, c’est-à-dire oralement, avec les


deux interlocuteurs présents ou indirectement (via un téléphone ou une vidéoconférence par
exemple). Mais il est aussi possible de communiquer de manière différée par l’envoi de lettres
ou d’e-mails entre autres.

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b- La communication de groupe

Contrairement à la communication interpersonnelle, la communication de groupe concerne


la transmission d’un message d’un ou de plusieurs émetteurs vers un groupe d’individus
ciblés. Les récepteurs sont alors définis selon leur culture et leurs intérêts. Ce mode de
communication est apparu dans les années 50, avec l’émergence de la société de
consommation.

L’exemple type en est la publicité. Les entreprises vendent leurs produits et les valorisent en
diffusant des messages personnalisés destinés à un public bien défini. Les réunions entre
cadres constituent également une communication de groupe. Cependant, la rétroaction n’est
pas aussi rapide que lors d’une communication interpersonnelle. De plus, le récepteur peut
parfois se sentir inférieur.

c- La communication de masse

La communication de masse vise à toucher le plus d’interlocuteurs possible. À ce titre, un


émetteur (qui peut également être un groupe d’émetteurs) fait circuler des messages vers
tous les récepteurs disponibles à leur insu ou non. Le message est donc destiné à une large
audience qui pourra être en partie ou totalement influencée par l’intermédiaire des « mass
media » généralement constitués de la presse, de la radio et de la télévision.

Ainsi, la rétroaction est presque absente, voire nulle, dans le schéma de la communication de
masse. Néanmoins, le message est transmis rapidement vers un grand nombre de récepteurs.
Cette forme de communication a également l’avantage d’être totalement contrôlée par
l’émetteur et d’avoir des effets très rapides.

Le risque réside dans la déperdition du contenu du message à cause d’un public non ciblé. En
effet, avec la communication de masse, on diffuse également des informations à une audience
hétérogène avec des intérêts différents. Dans ce sens, la communication de masse est
considérée comme une dérivée de la communication de proximité.

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3- Schéma de la communication

4- Les obstacles à la communication

Colère, fatigue, technologie: tant d’éléments qui constituent des entraves à la communication
lorsque l’on veut mettre une situation au clair ou rétablir une mésentente.
Communiquer est essentiel, mais encore faut-il choisir son moment pour que les conditions
soient adéquates: si l’une des deux parties n’est pas dans un état de réception, difficile de
faire passer le message…
Echanger dans des moments qui ne s’y prêtent pas donne un résultat explosif ou stérile; bref,
sans intérêt. Se comprendre est déjà suffisamment difficile que pour y ajouter des obstacles.
On pense donc à éviter de discuter lorsque l’on se trouve dans l’une de ces 6 situations.
a- La colère

Rassemblez le peu de calme qu’il vous reste et remettez la discussion à plus tard. Il ne sert à
rien de discuter quand on est en colère, toute objectivité s’étant envolée.
Le cri est libérateur: enfermez-vous dans une pièce isolée et laissez-vous aller. Faites
du sport ou toute autre activité qui vous permettra d’extérioriser et de vous débarrasser de
cette énergie négative.
b- La technologie

On ne règle pas un problème par GSM ou e-mail, mais en face à face. Si vous voulez avoir un
échange sain et être sûre que vous comprenez l’autre (et que vous êtes comprise), vous avez
besoin de ressentir et de percevoir ses réactions. D’autant plus que derrière un appareil
électronique, vous aurez plus facilement tendance à dire des choses que vous regretterez

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c- La fatigue

Choisissez un moment propice à la discussion: si votre conjoint n’est pas du matin, il ne sert à
rien d’entamer une discussion autour du petit-déjeuner. Fatiguée, nous avons tendance à plus
facilement ressentir une discussion houleuse comme une agression. Le maître mot est donc
de choisir un moment où les deux parties sont réceptives.
d- Le bruit

Discuter calmement si le monde s’enflamme autour de nous n’est tout bonnement pas
possible. Trouvez un endroit paisible pour échanger -le bruit irrite et ne met vraiment pas
dans un état d’esprit favorable à la discussion. A table, la télé allumée, la distraction est
assurée, on veillera donc à éteindre le petit écran avant d’entamer la conversation.
e- La déprime

L’amertume ou la déprime profonde vous fatigue et vous lasse, vous perdez tout contact avec
la réalité et une discussion est la dernière des choses dont vous avez envie. Vous
êtes faible et fragile, vous n’êtes pas en état de supporter une discussion et de participer à un
vrai échange. Vous ne vous sentez pas concernée par ce qu’il se passe. On crée
alors la frustration, parce que l’autre ne se sent pas écouté.
Plutôt que de discuter, pourquoi ne pas écouter celui qui se sent déprimé? Pour qu’une fois
son sac vidé, il soit prêt à écouter en retour?
f- La faim

Lorsqu’on a faim, on est de mauvaise humeur et notre niveau de concentration est plus
bas! Tout est donc question d’observation. Une fois ces éléments pris en compte, on est prêt
pour une conversation constructive et pour tout mettre en œuvre pour rétablir la
communication.

II- Notion de sociétés traditionnelles


La société – est un complexe de structures naturelles et historiques, qui sont des éléments du
peuple. Leurs liens et les relations en raison d'un certain statut social, les fonctions et les rôles
qu'ils exercent, les normes et les valeurs qui sont généralement acceptées dans le système,
ainsi que leurs qualités individuelles. La société peut être divisée en trois types:

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traditionnelles, industrielles et postindustrielles. Chacun d'eux a ses propres caractéristiques
et fonctions.
La société traditionnelle fonctionne sur la base des valeurs traditionnelles. il est souvent perçu
comme une tribu féodale, primitive et en arrière. Il est une société avec un dispositif agricole
avec des structures immobiles et les méthodes de la régulation sociale et culturelle fondée sur
la tradition. On croit que la majeure partie de son histoire, l'humanité est à ce stade.
1- Définition

Une société traditionnelle est, par opposition à la société moderne, un type de société
humaine. Elle inclut la société primitive, la société première, la société esclavagiste (ou
antique) et la société féodale.

La société traditionnelle se caractérise par une organisation sociale spécifique, avec une faible
division du travail social et avec la présence de ce qu'Émile Durkheim appelle la solidarité
mécanique.

2- Caractéristiques de la société traditionnelle


Bien que chacune présente des particularités, la plupart des sociétés traditionnelles partagent
une série de caractéristiques communes. Les plus importants sont les suivants:
a- Importance des traditions

Une société traditionnelle repose sur l'idée que le meilleur moyen de résoudre les problèmes
typiques d'une société est d'utiliser des traditions et des normes éprouvées au fil du temps.
Par conséquent, la population de ces sociétés résiste à tout type d'innovation.
Dans les sociétés traditionnelles, les institutions telles que les religions organisées sont les
principales responsables de la définition des codes de conduite des citoyens.
b- Plus grande importance de la famille et des petites communautés

Aujourd'hui, la plupart des sociétés modernes partagent des valeurs universelles, telles que la
liberté, l'égalité ou la justice.
Cependant, dans les sociétés traditionnelles, les valeurs prédominantes étaient davantage
axées sur la famille, la tradition et la protection de la communauté elle-même.
Pour cette raison, les habitants de ces sociétés étaient très peu ouverts aux étrangers et les
relations avec les "étrangers" étaient très mal vues et punies socialement.

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c- Difficulté à modifier le statut social

En raison de l'importance des traditions et de l'immobilité des formes de vie, une personne
ne pouvait pas changer son propre statut social de manière simple.

En général, la position d’une personne dans la société a été acquise à la naissance et les
exceptions telles que les mariages ne pouvaient être modifiées.
d- Prédominance de l'agriculture

En raison du manque de progrès technologique, les sociétés traditionnelles ont été organisées
autour de l'agriculture et de la nature.
Cela pourrait être prouvé par leurs croyances, leurs traditions et leurs manières de se
comporter. Par exemple, les activités du village ont été organisées autour des cycles de
récolte.
e- Peu de mobilité entre les communautés

En raison de la méfiance des étrangers et de la nécessité de tout le travail possible pour


maintenir une société traditionnelle, il était très difficile pour un individu de quitter sa
communauté et de déménager dans une autre.
De cette manière, l'échange d'idées et de connaissances était rare et compliqué à réaliser.

f- Distance entre la population et le gouvernement

Dans une société traditionnelle, la population avait peu ou pas de pouvoir sur la façon dont
elle était gouvernée. Les personnes au pouvoir opéraient indépendamment de leurs citoyens
et exercer une pression pour changer les choses était impensable.
g- Manque d'éducation parmi la population

En raison de toutes les caractéristiques ci-dessus, la majorité de la population d'une société


traditionnelle n'a pas eu accès à un grand nombre de connaissances. Entre autres choses, la
majorité des habitants de ces communautés étaient analphabètes; cela était dû au fait que le
travail manuel était beaucoup plus important que les connaissances théoriques.

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3- Types de sociétés traditionnelles
Au cours de l'histoire, différents types de sociétés sont apparus, chacune présentant des
caractéristiques spécifiques. Dans les sociétés traditionnelles, on peut distinguer
principalement deux types:

a- Sociétés tribales
L'organisation de la population s'est faite autour de petites tribus nomades qui vivaient de la
chasse, de la pêche et de la cueillette. Le sentiment d'union entre les membres de la tribu était
très fort, de sorte qu'à plusieurs reprises des individus se sont sacrifiés pour le bien commun.
Parfois, il n'y avait même pas le concept de paternité, donc il n'y avait pas de regroupement
familial.
b- Sociétés agraires
Lorsque les techniques agricoles ont commencé à s'étendre, les tribus se sont installées dans
un lieu fixe et ont formé des communautés de plus en plus grandes.
Dans ces communautés ont surgi le besoin de protection contre d'autres villes, raison pour
laquelle un groupe social est né: la noblesse. C'était responsable de la sécurité en échange de
la vassalité.
En général, lorsque nous parlons de la société traditionnelle, nous faisons référence aux
sociétés agraires, également appelées sociétés féodales.
4- La société traditionnelle selon Weber
Weber a expliqué ce type de société basé sur le concept d'autorité traditionnelle. Selon lui,
dans certaines sociétés, les leaders obtiennent leur pouvoir en raison de la tradition et "les
choses ont toujours été faites de cette manière". Cela contraste avec les deux autres types de
pouvoir qu'il a décrits, à savoir l'autorité charismatique et l'autorité rationnelle.
Selon Weber, dans ces sociétés, le pouvoir était acquis à la naissance et les dirigeants n’avaient
aucun type d’autorité au-delà de ce qui leur était accordé par la tradition.
Par conséquent, le pouvoir dépendait du fait que les membres de la société respectaient
l'autorité du dirigeant.
5- La société traditionnelle selon Durkheim
Durkheim, considéré par beaucoup comme le père de la sociologie moderne, étudia les
changements sociaux provoqués par la division du travail. Pour lui, c'était la principale
différence entre les sociétés traditionnelles et les sociétés modernes.

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Outre l'amélioration des conditions de vie des travailleurs, la division du travail a également
entraîné des changements dans le mode de vie et le rejet des valeurs traditionnelles (ce qu'il
a appelé l'anomie).
Par conséquent, plus une société est moderne, moins les normes sociales sont présentes et
les plus gros problèmes se posent.

Pour Durkheim, les sociétés traditionnelles maintenaient les instincts les plus problématiques
de la population à travers les traditions et les religions. Selon ce sociologue, l'absence de ces
facteurs de conditionnement social pourrait mener à la souffrance de la population et à
l'instinct d'autodestruction.

6- L'économie de la société traditionnelle


La société traditionnelle est considérée comme agricole, car elle est basée sur l'agriculture.
Son fonctionnement dépend de la culture de plantes à l'aide d'une charrue et d'animaux de
trait. Elle se caractérise également par l'utilisation prédominante du travail manuel.
Les formes de propriété dans ces structures sont généralement collectives. Toute
manifestation de l'individualisme ne sont pas acceptées et refusées et la société les considère
comme dangereux, car elles violent l'ordre établi et l'équilibre traditionnel.

III- Communication et société traditionnelle africaine


L'inventaire des moyens, des outils et des systèmes de communication traditionnels, leur
typologie et leur éventuelle exploitation est une vaste ambition, car leur culture est, avant
tout, une production des hommes; et partout où les hommes s'organisent, ils accordent une
grande place à leurs systèmes de communication. Et c'est là où les ressemblances
apparaissent; mais c'est là aussi où des ambiguïtés pourraient surgir: qu'appelle-t-on moyen
de communication? Est-ce le tam-tam ou est-ce le griot acteur qui le joue? Les systèmes
traditionnels de communication sont à la fois des objets, des acteurs, des lieux de révélation
de la parole; des systèmes et des structures qui produisent et qui expriment des formes
d'organisation spécifique où la relation à autrui et la communication sociale sont au cœur de
l'existence des hommes. Il y a alors un véritable danger de les dissocier; comme diraient les
Bissa « c’est absurde de manger de la viande du chien et de délaisser sa tête.... Tout va
ensemble! ».

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La communication s'entend comme l'établissement d'une relation entre deux individus, entre
un ou des individu(s) et un groupe, et entre groupes. En effet, de tout temps, les hommes
vivant en société ont produit des systèmes de communication pour eux, pour gérer les
multiples situations de leur organisation sociale :
- En famille: entre les différents membres;
- En société: entre copains et entre groupes divers;
- Au travail et sur leurs différents lieux de production des biens.
C'est donc en fonction de la situation sociale à gérer que des «techniques de communication»
et des méthodes spécifiques d'établissement de relations multiformes voient le jour; c'est dire
que les outils, les moyens et les systèmes de communication traditionnels s'adaptent aux
objectifs d'organisation des relations sociales; si l'on ne gère pas les relations intrafamiliales
de la même façon que celles professionnelles ou encore comme celles avec les copains, il va
de soi que les outils utilisés, de même que les moyens et les systèmes vont changer!

1- Les différents moyens et systèmes de communication traditionnels en Afrique

On ne prétend pas ici présenter de façon exhaustive tous les instruments et tous les systèmes
de communication dans nos sciétés, mais donner seulement une idée de leur diversité, de leur
spécificité et de leur fonction sociale. Les outils traditionnels sont nombreux, surtout dans le
domaine de la production sonore (musique ou autre événement significatif).

1.1- Le Tam-Tam Parleur

Le Tam-Tam parleur est un outil indispensable à la coutume Africaine. Il est présent dans les
sociétés Africaines depuis des lustres. Certains d’entre eux peuvent être âgés de plusieurs
décennies. C’est un instrument de communication très efficace du peuple africain. Il est à
l’honneur dans toutes les cérémonies marquant des étapes importantes de la vie de l’homme.
C’est donc l’instrument du message parlé, que l’on transmet de village à village. Il est
considéré comme l’ancêtre du téléphone. D’où le nom de “Tam-Tam Parleur”.
En pays Akan, le tam-tam parleur fait partie des attributs de la chefferie. Il émane de tambours
jumelés, ou attoungblan, tambour mâle et tambour femelle. Ils émettent alternativement
tons graves et tons aigus et modèlent les intonations de la langue parlée. En pays baoulé, c’est
le djomlo, xylophone hexatonique, d’abord utilisé par les paysans comme un épouvantail

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sonore. Cependant, son message ne peut être décrypté. Il possède à lui seul un langage
unique. A ce jour, seul quelques initiés savent en jouer et décrypter les messages qu’ils
véhiculent. La parole du Tam-Tam parleur est conforme à la langue vernaculaire de l’ethnie
dont elle émane. Ainsi un initié baoulé devra d’abord connaître l’agni avant de pouvoir
interpréter les textes tambourinés agni.

1.2- La genèse du Tam-Tam Parleur

Selon la tradition orale, les ancêtres du Tam-Tam parleur seraient les femmes. La percussion
étant à l’origine assurée par des femmes. Elles jouaient en effet, des calebasses retournées

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sur les genoux et frappées avec un morceau de bois. Ce geste se faisait soit lors des
traditionnelles lessives au marigot, lors des travaux champêtres comme pour motiver.
Ou encore pour informer de la disparition d’un être cher ou d’une chose à laquelle elles
étaient attachées. L’histoire raconte que “C’est un père de famille qui a perdu son cheval. Il
est allé le chercher en brousse, mais, à l’aide de sa calebasse, sa femme lui annonça qu’il est
retrouvé. Pour qu’il revienne, au lieu de continuer sa recherche “. La percussion de la femme
se percevait aussi par les rythmes divers que donnait le mortier lorsqu’elles en pilaient le mil,
le manioc ou le maïs.
Aujourd’hui, battre un Tam-Tam parleur chez les akans est tout un art dont seul l’homme a le
droit exclusif. En tout cas c’est ce qui se raconte un peu partout chez les akans.

1.3- Fonctions du tam-tam parleur

Les tams-tams parleurs expriment le mieux les sentiments profonds de l’âme noire. Il se
jouait, au début, avec un seul batteur, puis les rois ou chefs décidèrent d’associer
d’autres batteurs. On l’utilisait pour :
 Les messages à l’intérieur du villages et inter-villages
 Réveiller le roi à heure fixée
 Les diverses cérémonies (mariages, circoncisions, décès, fêtes de générations etc…)
 Informer lorsque quelqu’un avait été mordu par un serpent etc.
En période de guerre, ils jouaient un rôle de veilleurs, de donneurs de nouvelles et d’alarmes.
En effet, ils étaient joués dès le départ de l’armée. Avant le début des hostilités, ils restaient
silencieux, si l’attaque devait avoir lieu par surprise. Et ne jouaient qu’au moment de celle-ci,
pour en donner le signal.
En fin de bataille, un rythme annonçait le retour des guerriers. Les rythmes en dénotaient la
nouvelle communiquée. Si l’armée du village était victorieuse, ils étaient beaucoup plus
rythmés et gaie. Et toute la population sortait devant le village pour accueillir les valeureux
guerriers. Par contre, en cas de défaite, le rythme était beaucoup moins allègre.
Pour rappel, le langage tambouriné est la voix et même la langue humaine qu’on imite au
moyen d’un instrument. C’est l’un des éléments fondamentaux de la culture africaine. Les
Tams-Tams parleurs ont des gammes extrêmement étendues de leurs matériaux, formes,
utilisations, interdits…Ce qui explique leur pérennité au cours des âges. Ainsi que leur

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extraordinaire popularité à travers le continent africain et leur grande facilité d’adaptation
hors d’Afrique, à l’heure de l’esclavage comme après celle-ci.

2- Le tissu-pagne

En Afrique, particulièrement dans sa partie occidentale, le tissu et le vêtement sont des


moyens d’expression culturelle, regroupant la tradition, les pratiques populaires et la vie
urbaine. Le tissu-pagne, c’est la rencontre entre trois mondes, l’Afrique, l’Asie et l’Europe,
entre les artisans et les industriels, entre les concepteurs, les producteurs et les
consommateurs. L’histoire du tissu-pagne africain fabriqué en Europe et en Asie est l’histoire
des relations entre ces trois continents depuis plusieurs décennies.

Mais avant cette rencontre marquée par les soubresauts de l’histoire, quels étaient les modes
vestimentaires traditionnels ? Les recherches nous rapportent qu’au temps préhistorique,
notamment au paléolithique, en Afrique comme partout dans le monde, l’homme a
commencé par se couvrir de peaux de bêtes, puis d’écorces et de feuilles ou de fibres d’écorce
tressées, des éléments prélevés à la nature, à l’environnement. Avec l’apparition de
l’agriculture et de l’élevage au néolithique, l’homme a tiré profit des matières premières, la
laine et le coton, pour tisser des vêtements. Ces nouvelles inventions sont étroitement liées à
un outil : le métier à tisser. Bien avant l’importation des tissus en provenance d’Asie et
d’Europe en Afrique occidentale en général et au Togo en particulier, nos ancêtres maitrisaient
les techniques de filage, teinturerie et tissage de coton. Ils utilisaient les plantes tinctoriales
telles que l’indigo pour obtenir le fameux « Ahovo », que les femmes portent dans toute leur
élégance jusqu’à ce jour.

Aussi la maitrise des teintures naturelles obtenues par le traitement des écorces des arbres,
des décoctions de feuilles et de racines ou même de l’utilisation des terres argileuses a permis
d’obtenir le « bogolan ». Ces méthodes artisanales existent encore aujourd’hui.

Le cache-sexe est le premier mode vestimentaire traditionnel connu. Il était utilisé sans
distinction de sexe, ni d’âge : hommes, femmes, enfants, jeune, vieillards. Ces vêtements
étaient d’abord des peaux de bêtes, puis d’écorces et de feuilles, de fibres d’écorces tressées

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ou de plumes. Avec le tissu-pagne, on confectionne finalement le cache-sexe, en tissu imprimé
de couleur rouge (appelé drapeau par les jeunes de l’époque) et en bandes de tissu-pagne.
Aujourd’hui, il est remplacé par le string que portent les filles.

De gauche à droite : le sac de Michelle Obama; le crayon de Nkrumah; les chaussures de Michelle Obama; le cheval de saut; le
cerveau de Kofi Annan

2.1- Qu’est-ce que le pagne et quelle est son origine ?

a- Définition du pagne

Le pagne est un morceau de tissu ou de matière végétale tressée (raphia) de forme


rectangulaire avec lequel une personne se couvre le corps, ou à partir des hanches jusqu’aux
cuisses ou aux genoux, ou du nombril aux chevilles. Il peut être simple, tissé, coloré, imprimé,
brodé ou décoloré de plusieurs manières. C’est le vêtement de tissu le plus simple que
l’homme ait créé et porté. Selon les époques, les cultures et les étapes de la vie, le pagne est
mixte, porté par les hommes, les femmes et les enfants, dehors ou à l’intérieur de la maison.
On distingue deux catégories de pagne : le tissu-pagne tissé et le tissu-pagne imprimé.

b- Historique du pagne

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Le nom pagne vient du mot espagnol Pano (pagno) qui veut dire « morceau d’étoffe » ou «
pan d’étoffe » dont les Noirs et les Indiens se couvrent de la ceinture aux genoux. Il est lié à la
volonté des hommes à un moment de leur histoire, de se vêtir pour se cacher les parties
génitales en laissant le torse nu.
Tressé à l’origine en matières végétales en Afrique, le pagne sera fait plus tard en morceaux
d’étoffe de coton et jusqu’à ce jour, le mot pagne est associé au mot « tissu » pour composer
le terme « tissu-pagne ». il désigne actuellement les tissus imprimés (super wax, wax, fancy,
java, sosso, hithaguet, phoenix, etc.). le tissu-pagne est donc la combinaison de deux cultures
et de trois techniques : l’africaine, l’asiatique et l’européenne.
Le pagne fit très tôt l’objet d’un grand commerce en Afrique de l’Ouest. Les témoignages
d’écrivains arabes tels que El Bekri, Ibn Battuta, Ibn Kaldoun confirment qu’au XIe siècle déjà,
les vêtements, en laine tissée étaient couramment portés jusqu’en Afrique de l’Ouest. Ceux
de coton, plus rares et commercialisés par les Arabes, restaient une marchandise de prestige
réservés aux souverains et notables. Entre les XIe et XIIIe siècles, des pièces de tissus blancs
appelés « Gray-batte » ou « Gangan » sont introduits par l’intermédiaire des navigateurs
Génois.
Durant le XVIIe siècle, l’importation des pagnes sera l’une des activités principales des
commerçants hollandais et probablement danois, qui ont abordé les côtes d’El Mina au Gold
Coast. Les premiers tissu-pagnes sont arrivés de Hollande (Van Vlissingen) dont s’inspire le
nom de l’entreprise Vlisco. Au XVIIIe siècle, le commerce de tissu fut un élément capital des
importations de l’Afrique avec l’installation des Français et Anglais sur les côtes ouest-
africaines.
Au XIXe siècle, ce commerce s’est accru par l’intermédiaire des maisons de commerce import-
export comme John Holt, UAC, CFAO, CICA, SGGG, SCOA, … avec l’installation des Hollandais
en Gold Coast. Jusque dans les années 1950, les revendeuses togolaises allaient se ravitailler
à Accra. Débuté en Gold Coast devenue Ghana après son indépendance en 1957, le commerce
de pagne va dériver vers le marché de Lomé, grâce à ces maisons de commerce et à l’habilité
commerciale des Togolaises. Très vite, Lomé devient le monopole avec le dynamisme des
femmes revendeuses dénommées « Nana Benz ». Celles-ci durent leurs fortunes à
l’importation et à la distribution de pagnes dans toute l’Afrique occidentale et centrale, voire
au-delà de ces frontières. Elles sont les intermédiaires grossistes ou semi-grossistes entre le

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client et les usines. Ces « Nana Benz » proposent aussi des modèles et des dessins des motifs
qui constituent leur patrimoine exclusif.
Elles se réfèrent aux goûts et aux couleurs de leur clientèle et aussi à l’environnement naturel
et culturel. Elles sont dépositaires de véritables bibliothèques de motifs de cette longue
histoire du pagne africain. Des recherches historiques peuvent être envisagées pour décrypter
les thèmes jusqu’à ce jour proposés aux consommateurs, afin de sauver ce patrimoine qui
risque de disparaitre. Femmes battantes, elles contribuent énormément au développement
socio-économique de notre pays.

2.2- La place du pagne dans la vie quotidienne des femmes africaines

Le pagne fait partie intégrante de la vie des populations africaines et sert à plusieurs usages
dans la vie quotidienne. Qui doit porter le pagne ? Dans quelles circonstances le porte-t-on ?
Comment le porte-t-on ? Quels regards la jeune génération porte à l’égard du tissu-pagne ?
Le tissu-pagne joue un rôle social, culturel, économique et politique dans nos sociétés
africaines. Il est porté à toutes les occasions, bonnes ou mauvaises, de joie et de tristesse :
baptême, libération des apprentis(es), mariages, fêtes nationales, fêtes religieuses,
manifestations sportives, funérailles, sortie de deuil, etc.
Le tissu pagne marque l’évènement, tel que la dot. Dans certaines sociétés au Togo, un
minimum de six demi-pièces de tissu-pagnes, de qualité wax ou super wax est exigé,
symbolisant ainsi le nombre de jours de travail par semaine.
Traditionnellement, toutes les femmes se font confectionner avec des tissus-pagnes, un
corsage avec ou sans manches, qu’elles portent sur un pagne dont elles se couvrent de la
ceinture jusqu’au-dessous des mollets. La toilette des femmes est composée de deux pagnes
plus un corsage, découpé dans le même tissu. Les femmes plus âgées ou mariées portent un
troisième pagne d’accompagnement, généralement un pagne tissé, Kenté ou Lokpo selon
leurs moyens financiers.
Autrefois, la jeune fille ne s’habillait pas de la même manière que la femme mariée ou la
femme âgée. Elle portait un pagne avec un corsage assorti ou deux pagnes de différents
modèles, pour signifier son statut matrimonial, qu’elle n’est pas mariée, qu’elle est disponible
et qu’elle aspire aussi à un prétendant.

19 | P a g e
Aujourd’hui, il est bien difficile de distinguer les jeunes filles des filles mariées, étant donné
qu’elles s’habillent de la même manière que leurs mères, créant ainsi la confusion entre les
adultes. Ces valeurs traditionnelles et codes de bonnes tenues se sont effondrés sur l’autel du
modernisme.
D’une manière générale, les femmes ont un art inné de se parer qui transforme des tissus-
pagnes en des vêtements gracieux de différents modèles, qui font ainsi ressortir la beauté des
pagnes et soulignent l’élégance des femmes africaines.

2.3- Le tissu-pagne, un vecteur de communication

Vecteur de communication, le tissu-pagne véhicule des messages à travers ses désignations


et il se noue, par exemple, sans recours à la parole, des échanges entre époux, d’une et part
et les coépouses, d’autre part. Ces messages muets reflètent une complicité sociale à laquelle
les acteurs participent visiblement, ce qui peut aisément détendre les relations qui, peut-être,
s’avèrent tendues.
Les pagnes reçoivent les noms de baptême multiples, spontanés (selon un évènement naturel
qui survient à la sortie du modèle), des échanges amoureux entre époux, des rivalités entre
co-épouses, des positions sociales, des évènements politiques, des acteurs de feuilletons
célèbres, des hommes politiques célèbres, des attributs magiques ou mystiques. Des
exemples de noms de pagnes : le dessin classique « ABC » est gravé sur l’un des cylindres d’un
jeu de rouleaux : les cubes en bois ornés des lettres de l’alphabet et quelques chiffres sont à
l’origine de ce dessin, qui a été retravaillé bien des fois au cours des années. Les salles de jeux
des enfants européens seraient-elles une source d’inspiration pour l’Afrique ? Ce dessin
reflète l’intérêt africain pour le savoir intellectuel et sa traduction en termes de pouvoir dans
un monde tourné vers l’Occident et gouverné par les lettres et les chiffres. Avec moins de
détails, « Si tu sors, je sors » et « Ton pied mon pied » (expriment le caractère insoumis d’une
femme, d’une épouse) ; « L’œil de ma rivale » (ici le défi est clair, l’épouse maîtrise la situation
et attend de pied ferme la rivale) ; « Fleurs de mariage » (ce sont des bouquets de fleurs de la
mariée, c’est une invite au mariage ou portée le jour de mariage) » ; « Jalousie » (c’est la mise
en garde d’une femme à son mari indélicat) ; « Mon mari est capable » (elle flatte son mari

20 | P a g e
pour rendre jalouses les autres femmes) ; « Bagues d’alliance » (qui évoque un échange
d’alliances ou un mariage).
Mais pendant des occasions solennelles, les femmes se posent toujours des questions : quel
pagne porter pour être la plus belle à telle ou telle cérémonie ? Dans les évènements de la vie
tels la maternité, les funérailles, les célébrations religieuses, le tissu-pagne est porté d’office.
Chaque individu cherche à marquer les différents évènements qui surviennent dans sa vie par
des signes extérieurs distinctifs. Le port du pagne tient une place importante dans ces
moments significatifs. Pendant la maternité, pour la sortie de l’enfant, certaines femmes
portent un pagne distinctif selon les pays et les clans. Au Ghana et en Côte d’Ivoire,
particulièrement chez les Akan, les couleurs des pagnes portent sur le bleu ou le blanc. A cela
s’ajoutent les parures assorties, notamment les perles de grande valeur marchande.

Lors des funérailles, les femmes portent un pagne distinctif en rouge et noir ou en blanc et
noir, selon l’âge de la personne défunte dans l’air Akan. Au Togo, le pagne de couleur marron,
sombre ou noir est plutôt apprécié. Depuis quelques années, les Togolaises choisissent aussi,
pour ces occasions, des couleurs venant du Ghana. Pour les sorties de deuil, ce sont les pagnes
de couleurs ou de fond blanc avec de petits motifs qui sont utilisés, tranchant avec le noir ou
le rouge du deuil. Ils sont portés sous forme d’uniforme par la famille défunte et aussi depuis
quelques temps par des amis et des proches de la famille éplorée en signe de solidarité et de
communion avec la personne défunte.

Les pagnes servent aussi dans les célébrations religieuses. Lors des grandes fêtes chrétiennes,
surtout chez les catholiques, les pagnes sont imprimés spécialement pour l’occasion à l’effigie
ses Saints ou Saintes ou lors des grands évènements de l’Eglise. Aussi lors du nouvel an guin
appelé Epé Ekpé, les Hounon et Vodoussi portent tous le pagne blanc avec les parures
assorties (une variété de perles anciennes, des bijoux de toutes sortes en argent…). Certaines
prêtresses portent le rouge pour signaler le danger.
Mais qu’en est-il des uniformes et du pagne porté par les femmes modernes ?
Le goût des uniformes (Anko) est une particularité des populations du Golfe du Bénin. Toutes
les occasions offrent des prétextes pour choisir un modèle de tissu-pagne qu’on impose aux
groupes : familles, associations, partis politiques, ami(e)s etc. Il est recommandé d’habiller les
jumeaux (vénavi, ibéji…) en uniforme (vêtement cousu dans le même tissu-pagne).

21 | P a g e
Quant aux femmes employées dans l’administration, elles préfèrent plutôt s’habiller sur des
modèles européens en tissu-pagne). Aujourd’hui, elles portent des ensembles réalisés en
tissus-pagnes par les stylistes africains.
Dans l’ensemble, pour agrémenter cette éclatante beauté, dans leur élégance, les femmes
choisissent des parures et des foulards assortis aux motifs des tissus-pagnes, de même que les
couleurs des sacs et des chaussures, qui sont recouverts ou décorés de tissus-pagnes. Elles
sont donc vêtues de la tête aux pieds en tissus-pagnes.

3- La littérature orale

3.1- Le conte

Le conte est un récit de faits d’envergure imaginaire destinés à amuser ou à instruire en


amusant. Il existe plusieurs sortes de contes:
- Les contes humoristiques;
- Les contes charades;
- Les récits merveilleux ou non, de pure imagination et sans intention didactique;
- Les fables dont les principaux héros sont les animaux.
Comme le souligne Thomas Melone: « En Afrique, la tradition orale est d’abord une
performance théâtrale. Le conte est une métaphore de la condition humaine. Au-delà d’une
simple histoire d’animaux, de végétaux, de génies et d’humains se joue le drame quotidien de
la vie de l’homme ».
Dans le domaine du conte, des écrivains comme Boubou Hama, Mariko Kélétigui, Claude
Coppe, Adamou Garba, Jacques Pucheu et Tersis Nicole, des institutions comme le Centre
d’études linguistiques et historiques par tradition orale (CELHTO), l’Institut de recherche en
sciences humaines (IRSH), les chancelleries comme celle de l’Ambassade d’Allemagne, ont
contribué à fixer par écrit ce genre littéraire.

3.2- Les devinettes

Par des interrogations posées aux enfants sous forme de devinettes, les adultes incitent à la
réflexion, obligent à un effort personnel pour accéder à la connaissance et stimulent
l’intelligence.

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A part les publications de l’INDRAP, il n’y a presque pas de documentation écrite dans ce
domaine. Tout reste encore oral. Cependant, il y a lieu de signaler que cette tradition est en
train de subir une négligence, voire un abandon dans les villages, ce qui, si on n’y prend garde,
risque de porter préjudice à ce moyen de communication, élément de la culture nigérienne.

3.3- Les proverbes

a- Haoussa

In ruwanka ba su isheka wanka ba, i gurmude.

Traduction: « Si ton eau ne te suffit pas pour te laver, fais ta toilette».

rishin sani ya hi dare duh.

Traduction: « L’ignorance est plus sombre que la nuit ».

Autrement dit, celui qui ne connaît pas est aveugle.

b- Kanouri

in gawuré kanyé duringima jatchinba balé durikambé

Traduction: « La queue de la chèvre ne ferme pas son sexe, à plus forte raison celui de
quelqu’un d’autre ».

Autrement dit, que chacun s’active selon ses moyens, ne vous créez pas de problèmes quand
vous n’avez pas les moyens de les résoudre.

c- Touareg

amagal in matt toinane maggane

Traduction: « Si tu veux qu’on ne le dise pas, ne le fais pas ».

adarague wir imill issalane.


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Traduction: « L’ignorance n’instruit pas ».

4- Les acteurs et les espaces sociaux de la communication traditionnelle

4.1- Les fêtes, périodes de communication participative

Les fêtes dans la société traditionnelle obéissent à des rituels culturels, à des symbolismes
religieux et à des cultes socio-éducatifs dont la finalité est la communication sociale; ainsi les
communautés villageoises disposent de systèmes de réseaux de défoulement collectif issus
de traditions séculaires. Ils répondent à des besoins d'éducation, de divertissement, de
socialisation, de gestion des conflits locaux, de souvenirs des anciens, d'intégration inter-
villageoise.

Généralement lors des fêtes, la communication est vivante parce que les manifestations
offrent l'opportunité aux composantes de la société d'intégrer les différents espaces de la
communication propres à chaque sexe et à chaque groupe d'âge.

4.2- Les réunions de proximité, espaces de concertation et de socialisation

Les réunions recouvrent une série d'activités, de rencontres et de discussions dont les formes
varient selon la nature des relations qui fondent le rassemblement. En parlant de participation
aux réunions, il faut entendre les modes de concertation à caractère social, politique,
économique, culturel, religieux ou sportif, l'objectif étant de voir dans quelle mesure les
populations peuvent agir dans des structures de communication formalisée.

Les groupes sociaux n'ayant pas directement accès aux médias publics et privés peuvent
exploiter les réunions pour s'exprimer sur les questions d'intérêt local ou national. Ces
réunions sont aussi des lieux de formation parce qu'elles impliquent des partages de
connaissances entre les participants. Elles révèlent plus ou moins une démarche inclusive et
participative dont l'objectif est d'engager un dialogue constructif, critique et prospectif sur les
problèmes de société. En tant que telles, elles élargissent les espaces de dialogue et de
délibération en suggérant des voies à explorer, en insufflant une nouvelle dynamique issue de
réflexions sereines ou critiques.

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Malgré la diversité des genres de réunions, celles-ci n'ont jamais abouti à des revendications
ethniques ni à la violence politique comme dans certains pays. Les réunions de villages, de
quartiers ou d'associations sont des éléments explicatifs du processus relativement pacifique
de l'évolution sociale de l’Afrique.

4.3- Les cabarets, un espace de relai

Le cabaret est sans conteste un espace plutôt convivial d'un certain art de vivre entre amis et
buveurs, mais c'est aussi un des lieux de communication où l'oralité retrouve toute sa force
créatrice.
C'est une opportunité de contacts directs entre individus du village au moyen du "bouche à
oreille". A ce propos Habiboulah écrit: "La plus grande masse des nouvelles et des
connaissances s'éparpillent, en particulier par l'intermédiaire du "bouche à oreille"; c'est grâce
à ce dernier mode de communication que, dans un campement (ou village), tout le monde sait
en détail ce qui se passe, et souvent plus".

Dans les cabarets, les récits des plus âgés sont souvent les plus écoutés. Dans ces causeries
arrosées de «dolo» chaque intervenant précise autant qu'il le peut les sources de l'information

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qu'il révèle, tant et si bien que l'auditoire se perd parfois dans un labyrinthe de phrases
rondement construites et où la formule «Oub yéti...Oub yéti» (d'après que ... d'après que ...)
prolifère. Dans ces lieux de beuverie, la tradition orale n'offre aucune garantie de précision
rigoureuse. Le risque de déformation est souvent proportionnel à la fièvre alcoolique.

C'est aussi un espace de jouissance verbale où les clients s'adonnent volontiers à des fantaisies
littéraires, à des défoulements à la faveur des citadins anonymes. Nyamba décrit le cabaret
de «dolo» comme un lieu: «où tout se dit mais aussi là où rien n'est vraiment pris au sérieux;
ne dit-on pas que les paroles de cabarets n'ont de valeur que le temps de leur expression?».

4.4- Le marché, un espace public de communication

Dans les sociétés traditionnelles, la communication de proximité a plus de valeur que


l'information à distance diffusée par les mass-médias. Introduits par la colonisation, les
moyens de diffusion modernes n'ont pas supplanté totalement les circuits de transmission de
l'information dans les villages et localités reculés du pays. Et même dans les quartiers
populaires des grandes villes, on note la survivance des canaux et circuits oraux fondée sur
des modes de communication de proximité et des échanges interpersonnels.

Dans cette approche des moyens de communication de la société traditionnelle, le marché


local, en tant que lieu de rencontres, de rassemblement et d'échanges des nouvelles, sera
observé de même que les actions des griots, les manifestations religieuses et coutumières et
les danses populaires. Il s'agit de voir quel rôle ces différents réseaux jouent encore dans la
production et la circulation de l'information vis-à-vis de l'auditoire confronté à la pluralité des
messages. Les réseaux de communication traditionnels peuvent-ils survivre à l'emprise des
nouveaux médias plus sophistiqués, plus à même d'atteindre en même temps un plus grand
nombre d'habitants?

Les marchés, lieux d'échanges et de rencontres, sont demeurés des espaces publics de
communication sociale pour le monde rural et pour le secteur informel des communautés
urbaines.

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4.5- Les griots et la transmission de l’information

« Musiciens et griots jouent un grand rôle dans la production et surtout dans la diffusion de
l'information propagande. Cette création artistique populaire est une arme redoutable que
les responsables du pouvoir moderne tentent de récupérer au profit de leur image de marque.
Ces griots sont généralement efficaces en milieu paysan. Ils profitent de l'auditoire auquel ils
s'adressent pour réciter la littérature élogieuse à l'endroit de telle famille « célèbre » ou de tel
homme politique local, en évoquant uniquement ses bonnes actions. Et s'ils n'ont pas
l'intention de la célébrer, ils retiennent délibérément les actions les plus ternes de son histoire.

Et comme les chansons de ces griots sont généralement reprises par nombre de villageoises
au cours des causeries du soir sous l'arbre à palabres, dans les cabarets et les cérémonies
rituelles, on peut considérer que les relais pour la diffusion de la production propagandiste
sont nombreux et variés » (Balima Serge Théophile).

Cette forme de journalisme primaire a toujours cours dans la société même si sa fonction est
inégalement répandue. Certaines régions du pays sont des espaces de communication pour

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les griots. Ceux-ci sont traditionnellement associés à toutes les manifestations de la vie où ils
exercent leurs talents d'orateur et d'historien, en transmettant en public des informations que
la communauté subit parce que fondées sur un système de communication univoque.

4.6- Les spectacles de danses ou l’expression de la communication sociale non verbale

La danse en Afrique a toujours fait partie de la vie culturelle des différentes nationalités ou
communautés culturelles. D'abord traditionnelle, elle était un art qui revêtait plusieurs
fonctions sociales et qui exprimait des messages précis dans des communautés déterminées.
Ensuite, avec le contact des villes extraverties, la danse est devenue un mode de vie, un
phénomène de jeunesse, une sorte d'exutoire pour des habitants à la recherche de sensations
modernes.
La conception traditionnelle de la danse survit dans nos contrées mais certaines de ses
fonctions tendent à se dissoudre dans les pesanteurs matérialistes de l'environnement
socioéconomique. Autrement dit, la danse exprime la territorialisation de l'individu parce
qu'elle implique une culture locale ou régionale. Aux funérailles et aux fêtes, la danse devient
spécifique parce qu'elle véhicule des rites liés aux clans, aux cultes des ancêtres, aux
manifestations saisonnières, aux réjouissances et aux veillées commémoratives. En tant que

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telle, la danse est un canal d'expression de l'identité spéciale, une forme d'affirmation de la
personnalité culturelle, et un support de la communication non verbale.

Dance Adowa au Ghana

4.7- Les cérémonies religieuses, espaces ancestraux et modernes de la communication


didactique

Dans la société traditionnelle, la religion n'est pas seulement un phénomène mental puisque
le caractère obligatoire des faits religieux se marque dans l'observation des rites. Ceux-ci font
partie des pratiques sociales dans lesquelles on retrouve les cultes privés et publics, les
totémismes, les célébrations chrétiennes ou musulmanes. Ces différents aspects donnent lieu
à des pratiques de communication sociale.
Ce sont des moments d'intense communication où les informations capitales sont décodées à
travers le son, le souffle, le geste, où l'on découvre que la religion est faite d'un ensemble
d'interdictions, de notions du pur et de l'impur, du bien et du mal, du sacré et du profane.
Dans ce contexte africain , les religions importées se mêlent aux traditions locales dominées
par la magie, la divination, le culte des ancêtres, les sacrifices rituels. Toutes ces cérémonies
aux consonances religieuses sont animées par des prêtres et des magiciens qui sont de
véritables initiés aux sciences et techniques de la communication.

29 | P a g e
Cérémonies de Epé Ekpé dans le pays Guin ( Togo)

4.8- Les relations interpersonnelles dans le système de la communication sociale

Les relations interpersonnelles peuvent être comprises comme celles qui s'opèrent dans la vie
quotidienne entre la personne et les composantes de son environnement immédiat et direct
avec lesquelles elle peut établir un dialogue.
Dans ce sens, ces relations prennent en compte tout le système d'échanges au sein du groupe
primaire, les conversations avec les collègues sur les lieux de travail, les causeries dans les
cabarets, les lieux de rencontres et de manifestations, les concertations directes, les
audiences, les entretiens entre amis, les visites, les convivialités multiformes, les rendez-vous
galants, les confidences de tout genre.
Dans ce contexte social où l'oralité est une pratique dominante, les relations interpersonnelles
semblent constituer un canal d'influence parce que le cadre de référence des populations est
une variable importante. Celle-ci se réfère aux relations du groupe primaire qui, dans nos
sociétés orales et traditionnelles, exerce une fonction d'influence. C'est en effet le groupe qui
transmet la science, la sagesse et l'expérience.

IV- l’Afrique entre communautés traditionnelles et monde virtuel

Des contre-cultures aux cybercultures, les quatre dernières décennies du XXe siècle ont été le
théâtre des plus spectaculaires transformations de la vie quotidienne de l’histoire. Ces
dernières peuvent être interprétées comme l’évolution normale des sociétés occidentales, qui

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sont plus ou moins habituées à aller vite ; mais comment les envisager dans les pays en voie
de développement, marqués par une économie déstructurée et une société encore imbriquée
dans les communautés traditionnelles ?
Dans cette étude, nous nous interrogeons sur la cohérence entre l’esprit communautaire, tel
qu’il persiste en Afrique, et la culture numérique, qui attire et concerne de plus en plus de
jeunes. Assistons-nous à une mise en dynamique vers plus de développement économique et
social grâce à l’outil numérique, ou bien est-ce une ingérence occidentale supplémentaire
dans un système non encore abouti qui ne pourra que s’en trouver encore plus déstructuré ?
Afin d’apporter des éléments de réponse à ces questionnements, nous examinerons dans un
premier temps le rôle d’Internet dans le développement économique pour, dans un second
temps, analyser les points de cohérence entre l’esprit communautaire, souvent hérité du
passé, et la culture numérique, qui préfigure la société future.

5.1- Internet et son rôle dans le développement économique

Lorsqu’au début des années 1990, la croissance américaine battait son plein avec un taux de
4 % entre 1994 et 1995, deux thèses se sont affrontées pour expliquer les causes de ce
dynamisme : d’un côté celle du New Age, selon laquelle les NTIC étaient à l’origine du boom
économique, de l’autre côté la thèse traditionnelle, qui avançait des arguments plus
conjoncturels dans l’explication de la croissance et mettaient en avant le paradoxe de Solow :
« L’âge de l’ordinateur est arrivé partout sauf dans les statistiques de la productivité1. » Le
cycle d’innovations qui a commencé avec l’arrivée d’Internet (nouvelle économie) ne serait
pas porteur d’une croissance aussi importante que prévu2. Certains expliquent ce paradoxe
par les effets d’apprentissage et les coûts d’organisation. Tous les pays occidentaux, où le
réseau internet est largement développé et utilisé, stagnent sur le plan économique depuis le
choc de la crise qui a débuté en 2007 aux États-Unis.
Isoler l’impact de la nouvelle économie sur la croissance est un exercice difficile, dans la
mesure où plusieurs transformations se sont produites avec l’arrivée des outils numériques.
L’ordinateur et Internet ont à la fois des outils de production, de consommation et des moyens
de communication ; en ce sens, ils agissent à plusieurs niveaux. Une chose est sûre,
l’ordinateur fait de plus en plus partie du quotidien du travailleur dans les pays industrialisés.

31 | P a g e
Le secteur numérique est en soi une filière porteuse en termes d’emploi et de compétence.
La Toile contribue également au développement de secteurs connexes ; elle influe sur la
performance des entreprises, facilite la commercialisation et les relations entre parties
prenantes, générant ainsi une dynamique de croissance. Une étude réalisée pour la France
par McKinsey & Company en 2003 a montré qu’un euro investi dans les nouvelles technologies
s’était traduit par deux euros de marge opérationnelle. Les PME en profitent plus
particulièrement, car Internet leur facilite l’accès au marché et aux informations, supprimant
un handicap par rapport aux grandes entreprises. L’étude en question a quantifié l’utilisation
d’Internet à travers un « indice d’intensité web » et a montré que, de 2007 à 2010, les
entreprises à forte « intensité web » ont crû deux fois plus vite que les autres (7 % contre
3,2 %). Elles ont aussi exporté deux fois plus (réalisant en moyenne 4 % de leur chiffre
d’affaires à l’export) et ont créé le plus d’emplois.
L’une des raisons de ces résultats est l’apparition pour le client internaute d’un « surplus de
valeur », une valeur économique gratuite liée à l’utilisation des services dorénavant en ligne
et financés par les annonces publicitaires. Le Web étant un marché presque parfait (atomicité
des vendeurs et acheteurs, transparence de l’information, contexte pacifié, libre accès), la
concurrence qui s’y joue conduit à un phénomène déflationniste dont le consommateur est le
premier bénéficiaire. La vie de ce dernier s’est améliorée : facilité de la recherche,
comparaison aisée des prix, accès à plus de savoirs, appartenance à une communauté
virtuelle via les réseaux sociaux.
Sur le plan éducatif et culturel, Internet et le numérique constituent des outils formidables
d’accès à l’information et à la connaissance, et il ne faut pas négliger son rôle sur le système
éducatif, pilier du développement d’un pays.
Mais qu’en est-il dans les pays d’Afrique ? L’Afrique subsaharienne affiche depuis 2008 une
croissance de 5 % par an en moyenne, sur laquelle la crise de 2009 n’a pas eu de prise.
L’horizon s’est assombri avec la baisse des prix des matières premières (pétrole, métaux,
minéraux, produits agricoles et alimentaires), qui représentent environ 82 % des exportations
de biens de la région. Après les records atteints en 2011, le repli des prix s’est accéléré au
second semestre 2014 : – 35 % pour les métaux de base et – 40 % pour le pétrole entre janvier
2013 et mai 2015 ; – 20 % pour les produits alimentaires et – 5 % pour les matières premières
agricoles. L’étude sur l’Afrique subsaharienne réalisée en juin 2015 par la COFACE5 montre
que les pays sont très inégaux face à la baisse des cours selon qu’ils sont exportateurs de

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matières premières non renouvelables (pétrole, métaux, minéraux) ou renouvelables
(produits agricoles et alimentaires), et selon la plus ou moins grande diversification de leur
économie. Certains tirent même remarquablement leur épingle du jeu. Plusieurs catégories
de pays peuvent être distinguées :
les pays exportateurs nets de matières premières non renouvelables qui importent des
produits alimentaires, et dont le solde commercial est fortement dégradé : Gabon, Nigeria,
Congo, Angola ;
les pays exportateurs des deux catégories de biens (renouvelables et non renouvelables),
modérément affectés par la baisse des prix en compensant les répercussions très négatives
des baisses de prix du pétrole : Mozambique et Ghana ;
les pays exportateurs de produits agricoles et alimentaires et importateurs de pétrole, peu
affectés, car la baisse du prix de leurs importations est supérieure à celle du prix de leurs
exportations : Tanzanie ;
les pays engagés depuis plusieurs années sur le chemin de la diversification via le secteur
manufacturier ou les services, qui s’en sortent particulièrement bien : Rwanda, Ouganda,
Kenya et Éthiopie. Tous sont en Afrique de l’Est (si l’on exclut l’Afrique du Sud, diversifiée de
longue date et très intégrée dans l’économie mondiale). Avec des taux de croissance
supérieurs à 6 %, ces pays ont su valoriser leurs ressources agricoles grâce à une agro-industrie
qui a permis à la fois d’augmenter la production locale et la valeur ajoutée, et de soutenir les
emplois. Ils ont également su attirer des investisseurs étrangers (surtout chinois), en leur
faisant miroiter des traitements de faveur. La montée en gamme de leur production
industrielle est un atout nécessaire pour que l’activité progresse sur le long terme sans être
pénalisée à court terme par le repli des matières premières.
Le déploiement du réseau internet en Afrique est en progression notable, mais le continent
accuse toujours un important retard par rapport aux autres pays de la planète et une certaine
lenteur d’accès au réseau. En 1994, deux pays seulement possédaient un réseau internet :
l’Afrique du Sud et l’Égypte. L’une des explications à ce retard est sûrement liée à l’absence
de langues africaines sur Internet. La domination des langues européennes a limité la diffusion
d’Internet en excluant ceux qui ne maîtrisaient pas complètement ces langues. La liste s’est
toutefois rapidement allongée et, depuis 2000, la quasi-totalité des pays a un accès au Web.
Le Maghreb dispose d’un réseau relativement bien connecté au reste du monde. En 2010, on

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y comptait 86 217 900 utilisateurs d’Internet, soit un taux de pénétration de plus de 8 %, ce
qui correspond à 4,8 % des utilisateurs dans le monde.
Les investisseurs du monde entier lorgnent l’Afrique et les projets d’équipement numérique
vont bon train. Un projet récent et ambitieux envisage de connecter les pays africains au reste
du monde grâce à un système de câble sous-marin (EASSy). Ce nouveau système permettra
d’éviter que le trafic internet africain passe d’abord par l’Europe ou les États-Unis avant d’être
réacheminé vers le continent, comme c’est le cas pour 75 % du trafic africain actuel.
À partir des chiffres clés 2011 de l’Internet en Afrique, publiés par le Journal du Net, nous
avons repris les quatre groupes de pays précédemment listés pour repérer le nombre
d’internautes (tabl. 1) et la part des internautes dans la population (tabl. 2) de ces pays, afin
de voir si les pays les mieux équipés sont ceux dont la croissance est la plus élevée.

Tabl. 1 — Nombre d’internautes en 2011

Pays Nombre d’internautes Rang Afrique/54 Rang monde/195

GROUPE 1

Gabon 122 740 41 155

Nigéria 46 190 431 1 10

Congo 231 826 30 138

Angola 2 898 820 11 75

GROUPE 2

Ghana 3 522 677 10 69

Mozambique 1 028 977 16 106

GROUPE 3

Tanzanie 5 546 218 6 50

GROUPE 4

Ouganda 4 490 870 8 60

Kenya 11 650 723 4 34

Ethiopie 932 077 18 110

Rwanda 766 006 20 114

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Afrique du sud 10 596 595 5 36

Pays du Maghreb

Algérie 5 037 227 7 53

Maroc 16 459 216 3 27

Tunisie 4 142 276 9 61

Moyen-Orient

Egypte 29 399 597 2 18

Source : Myriam Donsimoni, à partir des chiffres du Journal du Net

Tableau 2 — Part des internautes dans la population en 2011

Pays Part des internautes Rang Rang Croissance


dans la population Afrique/54 monde/195 2011-2012

GROUPE 1

Gabon 8% 23 141 5,7 %

Nigéria 28,43 % 7 102 6,9 %

Congo 5,60 % 28 147 7,2 %

Angola 14,78 % 15 125 7,9 %

GROUPE 2

Ghana 14,11 % 16 126 7,1 %

Mozambique 4,30 % 32 155 7,4 %

GROUPE 3

Tanzanie 12 % 20 131 7%

GROUPE 4

Ouganda 13,01 % 18 129 4,4 %

Kenya 28 % 8 104 4,2 %

Ethiopie 1,10 % 50 175 6,9 %

Rwanda 7% 26 144 7,7 %

Afrique du 20,95 % 9 112 2,5 %


sud

Pays du Maghreb

Algérie 14 % 17 127 2,5 %

Maroc 51 % 1 58 3,2 %

Tunisie 38,81 % 3 80 3,3 %

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Moyen-Orient

Egypte 35,62 % 4 86 2,2 %

Source : Myriam Donsimoni, à partir des chiffres du Journal du Net

L’échantillon de pays choisi ici fait ressortir une moyenne de 18,5 % de la population ayant
accès au réseau. L’Europe, en 2011, comptait environ 475 millions d’internautes, c’est-à-dire
plus de 60 % de sa population. L’Afrique est à la traîne, mais elle progresse dans son intérêt
pour l’outil informatique et dans ses efforts pour élargir et améliorer l’accès au réseau
internet.
Sur le total des pays d’Afrique que nous avons retenus sur la base des caractéristiques qui
ressortent du rapport, 137 470 058 personnes utilisent Internet. Le Nigeria arrive en tête du
nombre d’internautes en Afrique (suivi de l’Égypte) et au 7e rang pour la part des internautes
dans la population (4e rang pour l’Égypte). Son taux de croissance entre 2011 et 2012 est
relativement élevé, car il atteint 6,9 %, mais n’a pas fait reculer la pauvreté dans le pays ni
réduit le taux de chômage, qui est de presque 24 %.
La prédominance des pays du Maghreb sur l’accès à Internet est visible à travers les chiffres
des tableaux. Le Maroc est clairement celui qui présente la plus grande part de population
connectée, avec 51 % (plus que la Russie en 2011, avec 49 % !). Il faut préciser que le modèle
de développement adopté est fortement caractérisé par l’ouverture. Par contre, les difficultés
économiques de l’Europe, son premier partenaire commercial, se sont traduites par une
diminution de la croissance entre 2011 (4,6 %) et 2012 (3,2 %).
Le cas de l’Éthiopie mérite que nous nous y attardions, car c’est l’une des cinq économies les
plus dynamiques du monde, avec une décennie d’expansion continue durant laquelle le PIB
réel a augmenté de 10,8 % en moyenne (selon le FMI). Tous les secteurs de l’économie ont
enregistré de bons résultats : l’agriculture (40,2 % du PIB) a progressé de 5,4 %, l’industrie
(14 % du PIB) de 21,2 % et les services (46,2 % du PIB) de 11,9 %. Des chiffres qui font rêver
d’autant que le pays a su contenir l’inflation (7,1 % en 2014 contre 39,2 % en 2011) et le déficit
budgétaire (2,6 % du PIB en 2013-2014). Pourtant, seulement 1,10 % de sa population a
actuellement accès à Internet. La réussite économique éthiopienne s’appuie principalement
sur des politiques publiques rigoureuses. Le gouvernement éthiopien a adopté un plan de
croissance et de transformation visant à stimuler les secteurs agricole et industriel. La part de
l’investissement public dans la FBCF est très importante : sur la période 2000-2012, elle a

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dépassé les 65 %. Des restrictions à l’exportation ont été mises en place pour préserver les
ressources naturelles et permettre au pays de développer des activités de transformation à
plus forte valeur ajoutée (industrie du cuir). Cette réussite économique et ce dynamisme
(croissance de 6,9 %) ont permis de mettre en réseau les établissements d’enseignement
secondaire et supérieur.
Le Ghana, le Mozambique, le Nigeria et la Tanzanie (à l’instar d’autres pays africains, et
notamment d’Afrique de l’Ouest) ont également développé des services d’enseignement à
distance et peuvent ainsi bénéficier des enseignements d’universités occidentales.
On voit ici que l’impulsion vient des pouvoirs publics et que, si la mise en réseau accompagne
le processus de croissance économique, elle n’en est pas à l’origine. Par contre, dans la plupart
des pays, l’enseignement semble être le lieu de prédilection des implantations numériques et,
en ce sens, Internet peut être perçu comme une impulsion à une dynamique d’ouverture et
d’échanges d’étudiants, d’enseignants, d’idées et de thèmes de recherche, ce qui, à terme,
structure les fondements d’une croissance endogène. Sur ce point, il est trop tôt pour faire le
bilan ; un recul est nécessaire, que l’actualité du phénomène ne permet pas encore. Cet
investissement largement répandu en Afrique dans l’enseignement supérieur et le capital
humain laisse toutefois présager une évolution dans le bon sens.
En Afrique du Sud, le Gouvernement a récemment lancé un programme pour faire d’Internet
un véritable bien public. Les citoyens ont été consultés pour savoir comment ils souhaitaient
que leur système de communications électroniques fonctionne. Cette ouverture au débat
public rend accessible un domaine jusqu’ici réservé aux spécialistes de l’informatique, dans
l’objectif ultime de réduire la pauvreté et de diffuser des informations sur la santé et le
développement.
Sur le plan économique, une étude publiée en 2013 par le cabinet de conseil Dalberg Global
Development Advisors sur l’Afrique subsaharienne présente l’impact potentiel d’Internet sur
le développement dans l’agriculture, l’éducation, l’énergie, les finances, la gouvernance, la
santé et les petites et moyennes entreprises (PME). Selon les conclusions de ce rapport, plus
de 80 % des chefs d’entreprise consultés espèrent qu’Internet les aidera à développer leurs
affaires, réduira les coûts et créera des emplois. En matière de santé, le rapport indique que
la formation à distance et l’e-learning ont contribué à remédier à la pénurie de travailleurs de
la santé qualifiés en Afrique subsaharienne. Même dans le domaine de l’agriculture, l’accès à
des informations en ligne sur les prix et la météo a permis d’améliorer la gestion de la chaîne

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d’approvisionnement, de réduire les coûts et d’améliorer le revenu des agriculteurs. Mais
l’optimisation des répercussions d’Internet dépend de l’environnement réglementaire et des
infrastructures haut débit dont peuvent disposer les pays : réglementations et infrastructures,
deux conditions de réussite de l’outil internet. Le minimum pour profiter d’Internet est
effectivement de disposer d’une alimentation électrique fiable. Dans des régions très pauvres
et très éloignées sans accès à l’électricité, pas d’Internet ! Mais là, les questions liées au
développement passent par d’autres urgences et préoccupations que l’accès au réseau. C’est
là qu’Internet creuse des inégalités déjà marquées.
Sur le plan économique, Internet accompagne la croissance, mais il ne fait pas le
développement. Il peut être perçu comme un outil « occidental » de plus, au service d’un
marché qu’il permet de rendre plus « parfait », car il offre un espace plus vaste et plus
transparent de communication et d’échange d’informations (sur les prix entre autres), de
confrontation de l’offre et de la demande. En fluidifiant les échanges, il constitue une
institution incontournable dans la sphère économique et commerciale, et, en ce sens, il sert
la croissance économique. Mais la croissance ne fait pas nécessairement le développement,
et le marché ne fait pas la société .
Toutefois, Internet n’intervient pas uniquement dans la sphère économique ; son rôle dans la
sphère des relations sociales est primordial. Est-ce la porte d’entrée par laquelle Internet peut
plus largement contribuer au développement ? Face à la communauté traditionnelle très forte
en Afrique s’impose la communauté virtuelle. Se pose alors la question de la confrontation
entre ces deux types de communautés.

5.2- Esprit communautaire et culture numérique

La question qui retient notre intérêt porte sur la relation entre les nouvelles technologies,
relevant de la science et du modernisme, et le fonctionnement des groupes humains, marqués
d’une idéologie et d’une doctrine sociale souvent encore enracinées dans les traditions et les
coutumes. Internet est-il un moyen de passage de la communauté à la société, ou un autre
type de communauté impliquant une coexistence ? Dans l’un et l’autre cas, dans quelle
mesure fait-il cohérence dans un contexte où l’essentiel fait encore défaut ?
Ferdinand Tönnies distingue la volonté organique et la volonté réfléchie pour spécifier
respectivement la communauté et la société. La première est liée au plaisir et à l’habitude. La

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seconde, dirigée vers l’échange et l’extériorisation de l’être, se manifeste par la réflexion et la
décision. Elle marque la distinction avec le mode de fonctionnement de la communauté. La
vie sociale gravite autour de l’échange, concrétisé par un contrat. La relation qui s’institue est
de type externe et conventionnel, elle se vide de ses impulsions morales. Émile
Durkheim aborde ce passage de la communauté à la société sous l’angle de la solidarité. Il
distingue ainsi la solidarité mécanique et la solidarité organique. La solidarité organique se
trouve dans la société moderne ; elle permet de rapprocher des individus éloignés par la
division du travail. La solidarité mécanique est caractéristique des situations de proximité
propres aux sociétés traditionnelles et aux communautés. Il oppose dans sa démarche la
différenciation à la similitude. La cohésion sociale s’appuie sur la transition de la mécanique à
l’organisation. Plus tard, Georges Friedman reprend cette distinction en différenciant
le milieu naturel des campagnes et le milieu technique des villes. Dans le milieu naturel,
l’homme réagit à des stimulations naturelles : la terre, l’eau, les plantes, les saisons, ou venues
d’êtres vivants, animaux ou hommes. Le milieu technique se développe à partir de la
révolution industrielle. Les stimulations naturelles cèdent leur place à un réseau de
techniques de plus en plus sophistiquées.
Nous souhaitons partir de cette approche, qui s’attache à étudier le passage d’une structure
simple à une structure plus complexe, pour étudier comment l’arrivée d’Internet modifie
l’environnement habituel des sociétés africaines, encore pour beaucoup d’entre elles
fortement marquées par le traditionalisme. Est-ce une manifestation de la transition dont
parlent les sociologues selon un certain continuum ou, au contraire, est-ce un choc qui vient
perturber ce passage ? Robert Redfield et Milton B. Singer15 remarquent que les sociétés ne
peuvent être traitées comme le résultat d’un processus isolé ; elles subissent de multiples
influences, des plus traditionnelles aux plus développées. Internet peut être considéré comme
la manifestation d’une de ces influences, avec ceci de particulier qu’il est à l’interface entre
les différentes sociétés, riches, pauvres, traditionnelles, modernes, pour peu que ces
distinctions aient encore un sens. En ce sens, il traduit la coexistence de plusieurs modèles et,
dans le nouvel environnement qu’il instaure, il peut être perçu soit comme l’« ami » qui
rapproche, soit comme un « faux ami » qui fait oublier le sens des priorités.
Nous proposons d’examiner le phénomène qui s’observe dans les pays du Nord, avec
l’expansion actuelle d’une économie sociale et solidaire dont les communautés sont l’une des

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manifestations, et le phénomène qui caractérise plutôt les pays d’Afrique, où Internet est une
intrusion supplémentaire de l’Occident, mais qui semble être plus recherchée et appropriée.

5.3- Les communautés au Nord, des aires de repos

Dans les sociétés des pays développés, le système capitaliste a substitué aux communautés
l’attitude individualiste soi-disant efficace pour gagner la course à la croissance et au profit,
permettre le bien-être. Ainsi, la disparition des communautés est associée à l’arrivée de la
modernité et de l’individu moderne ; elle correspond à une perte de socialisation et de
convivialité. Au début, cette perte de convivialité a été compensée par la famille élargie et la
mise en place d’organisations sociales sous forme d’associations professionnelles, de villages
ou de quartiers, de sport et de loisirs, religieuses, caritatives, citoyennes, etc. Mais,
progressivement, la famille s’est rétrécie, le capitalisme et la société de consommation ont
laminé les organisations sociales et encouragé la consommation solitaire (voire même isolée,
derrière son écran), au point que, dans les pays développés, on se trouve aujourd’hui en déficit
de socialisation et de convivialité.
La chute du mur de Berlin en 1989 a relancé l’engouement contre la société telle qu’elle se
présentait alors, avec un système technocratique et machiste marqué de multiples
incohérences et incompétences. Des communautés diverses et variées virent le jour (hippie,
punk, skinhead…) comme autant de symboles d’une volonté de contre-culture. Elles furent la
manifestation de stratégies de révolte face à l’hégémonie d’un système sans valeur spirituelle
profonde, où l’individualisme forcené conduisait paradoxalement à la perte des identités. Le
processus de globalisation a amplifié ce ressenti et s’est accompagné d’une montée en
pertinence d’un retour vers la proximité. Le niveau local et les spécificités
territoriales16 interviennent alors de plus en plus dans la réalisation des performances
productives et dans la construction des identités (l’origine territoriale d’un produit devient un
argument de marketing). De nouvelles communautés (construites) émergent comme autant
d’instruments d’une (re)socialisation à travers les diverses manifestations de l’économie
sociale et solidaire. Elles ne consistent pas à revenir en arrière, mais à reconstruire des lieux
où les besoins de socialisation et de convivialité peuvent être satisfaits. En ce sens, les
communautés peuvent s’apparenter à de véritables refuges dans lesquels peut se ressourcer
l’Homo sociabilis, qui a souffert de la montée en puissance de l’Homo œconomicus. L’analogie

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avec les aires de repos des autoroutes nous semble parlante pour illustrer la contribution des
communautés. Elles répondent à des besoins de pause nécessaires sur l’« autoroute » d’une
modernité caractérisée non seulement par la rapidité, mais aussi par un sentiment
d’enfermement et d’obligation d’aller dans le même sens que tout le monde.
Dans ce contexte, Internet simplifie le mécanisme des relations sociales (pas forcément leur
contenu), mais n’annule pas la complexité du système économique global et contribue même
à la rendre plus prégnante et d’autant plus impressionnante. La nouvelle économie basée sur
la révolution numérique n’a pas permis de relancer la croissance, qui finit même par ne plus
être une fin en soi (mouvement des « décroissants »). Il faudra composer de plus en plus avec
les exigences sociales, et les outils numériques accompagnent cette tendance.

5.4- Les communautés au Sud, facteurs de résilience

L’Afrique est riche de ses communautés. Les sociétés africaines sont des sociétés de
communautés, et non d’individus ; elles sont maillées d’innombrables solidarités qui, comme
une toile d’araignée, leur donnent une très grande résilience. Elles contribuent à relier les
morceaux d’une société déstructurée par la colonisation, par les exigences d’un capitalisme
qui veut imposer des préconisations occidentales inadaptées, par des dirigeants le plus
souvent incompétents et corrompus. Les communautés africaines traditionnelles sont les
seules à permettre le fonctionnement correct de la sphère sociale, mais aussi de la sphère
économique, car elles sont le support de l’entrepreneuriat. La décolonisation a produit des
États faibles, car souvent artificiels et dotés de peu de légitimité ; ils ont été fragilisés par les
modèles d’institutions politiques étrangères inadaptés. La pérennité des communautés
traditionnelles est la manifestation d’un mouvement de survie. Elles sont le vestige d’un
système qui permet aux identités, si différentes de celles que voulait imposer le consensus de
Washington, de perdurer et de cimenter des relations économiques et sociales qui peuvent
encore l’être et, par extension, de proposer un mode de fonctionnement adapté. Nous
pourrions les trouver « traditionnelles », mais ne sont-elles pas finalement hors du temps ?
La communauté assure la cohésion sociale en permettant l’expression d’une volonté collective
de résistance. Elle est la manifestation de la prise de conscience d’une identité et d’une
spécificité. Certains auteurs notent toutefois que les communautés peuvent être à l’origine
de tensions entre les groupes sociaux. Elles peuvent aussi constituer un obstacle au

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développement dans la mesure où, marquées par un traditionalisme fort, elles sont
incompatibles avec l’innovation et l’esprit d’initiative18. En revanche, la communauté peut
servir le développement en facilitant la participation et la mobilisation des populations au
service des objectifs de ce dernier. En s’exprimant par des actions de proximité, elle prévient
et résout des problèmes, favorise les partenariats et les coopérations, et permet de gérer la
complexité parce qu’elle en connaît les ressorts. La communauté sert d’abord le
développement d’un territoire, car elle suit une logique d’intervention « par le bas »,
endogène et localisé19. Elle met en relation les sphères économique et sociale à travers le
dialogue entre les entreprises et les territoires. En un mot, elle est le « plein » quand le marché
est le « creux ».
L’intrusion d’Internet dans ce contexte est globalement bien perçue, car l’Afrique est
caractérisée par une population très jeune (70 % des moins de 30 ans dans le monde vivent
en Afrique subsaharienne20), attirée par cet outil ludique et facile d’utilisation qui les ouvre
sur le monde. On assiste aujourd’hui à une mutation sociale et culturelle qui se traduit par
une profonde restructuration des modes de vie et des valeurs à la base du quotidien. Les
jeunes incarnent l’émergence de nouveaux modèles (les « mutants » de Jean-Paul Gaillard21)
et une nouvelle culture de la jeunesse se forge, qu’Internet a permis d’internationaliser et à
laquelle chaque jeune de cette planète revendique de participer (depuis mai 1968), même si
les contextes de par le monde ne sont pas les mêmes. Dans presque tous les pays, les jeunes
ont préfiguré les différentes vagues du changement culturel à l’origine de l’idée de « village
planétaire22 ». Internet leur offre pour cela un outil formidable : il permet de diffuser une
culture hédoniste à la place du puritanisme des pays du Nord et des traditionalismes et
communautarismes du Sud. De nouveaux modèles de cohabitation voient le jour, remplaçant
les modèles dépassés ; la culture monolithique (par groupe ethnique ou classe sociale) est
remplacée par une culture pluraliste et segmentée. D’une culture orale et écrite, on est passé
à une culture visuelle et multimédia, du face-à-face à des relations virtuelles.
En 2011, le Printemps arabe a marqué un nouveau tournant dans les manifestations de
contre-culture qui marquent les revendications d’une jeunesse qui ne trouve pas dans ce qui
lui est proposé sujet à épanouissement. Mais la jeunesse africaine est à la charnière entre
communautés traditionnelles et communautés virtuelles, contraintes et libertés,
connaissance et inconnu, confiance et risque. Elle subit ce que l’anthropologue anglais
Gregory Bateson a appelé le double bind (double contrainte) : d’une part, une crise culturelle

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qui remet en question les fondements idéologiques, religieux et moraux de la civilisation
contemporaine, et d’autre part, l’émergence de nouveaux modèles qui annoncent le passage
d’une société reposant sur l’économie industrielle et la culture moderne (éthique protestante
et idées des Lumières) à une société basée sur l’économie de l’information et un post-
modernisme aux contours encore diffus.
Margaret Mead aborde cette métamorphose sous l’angle des processus de transmission
générationnelle. Elle distingue les cultures postfiguratives, cofiguratives et préfiguratives. Les
cultures postfiguratives correspondent aux sociétés primitives et à des groupuscules religieux
ou idéologiques, au sein desquels les enfants apprennent principalement de leurs aînés ; le
temps est répétitif et le changement social lent. Les cultures cofiguratives correspondent aux
grandes civilisations basées sur l’État, dans lesquelles les enfants comme les adultes
apprennent de leurs contemporains ; le temps est moins cyclique et le changement social
accéléré. Viennent enfin les cultures préfiguratives, qui ont émergé dans les années 1970 et
où les jeunes assument une nouvelle autorité grâce à leur compréhension préfigurative d’un
avenir encore inconnu. Cette dernière configuration nous semble primordiale, car, si elle a
concerné pendant 20 ans certains milieux de la société occidentale, elle a subi un élan colossal
grâce au numérique et à Internet. Les réseaux sociaux en ligne ont déclenché une dynamique
où les jeunes du monde entier peuvent se reconnaître et s’affirmer. La toile leur permet de
créer ou de rétablir de la proximité entre eux par le biais des communautés virtuelles. L’Homo
sociabilis a trouvé un allié en l’Homo numericus ! Tous les pays du monde, sur ce point-là, se
trouvent au même niveau.
Une nouvelle humanité est en cours d’instauration, tiraillée encore par des doutes et des
hésitations qui se traduisent par le malaise social généralisé que l’on connaît actuellement
dans presque tous les pays du monde. José Ortega y Gasset analysait cela comme la
coexistence de plusieurs présents. L’enjeu réside dans les choix que les jeunes feront
concernant leur mode de vie, ce qu’Amartya Sen appelle la « capabilité».

5.5- Communautés traditionnelles vs communautés virtuelles

Les questions qui guident notre réflexion sur ce point sont les suivantes : peut-on assimiler
communauté traditionnelle et communauté virtuelle dans leur contribution et que peut-on
en attendre sur les plans économique et social ?

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Les communautés héritées traditionnelles présentent toujours un centre de référence
fondateur de l’identité, une structure hiérarchique, une stratification sociale avec répartition
des rôles et distribution des places. Elles sont régies par des règles (souvent tacites) très
puissantes, qui ne sont pas remises en cause au nom d’un certain respect des traditions. Par
contre, les communautés construites modernes, telles que les réseaux sociaux sur Internet,
n’ont pas ces caractéristiques. Le propre d’une communauté est de définir un espace socio-
économique décrivant un intérieur et un extérieur ; en ce sens, elle est un ensemble
d’individus, avec des frontières formalisées et visibles. Un réseau est plutôt un ensemble
d’interactions n’ayant pas de frontière bien définie. La communauté est faite pour durer et
pour être transparente, visible par ses membres comme par l’extérieur ; le réseau est plus
occulte. La communauté est une totalité, avec des valeurs partagées et un fort sentiment
d’appartenance. Le réseau est plutôt un processus émergent et dynamique, sa faible visibilité
empêche la constitution d’appartenances fortes. La communauté induit pour ses membres un
engagement vis-à-vis de sa totalité, une volonté d’agir tous ensemble. Le réseau, quant à lui,
conduit à un engagement dans une ou plusieurs interactions. La transgression des règles de la
communauté donne lieu à différentes sanctions selon le contexte et la situation, pouvant aller
jusqu’à l’exclusion. Le réseau est plutôt un ensemble déstructuré et protéiforme.
Granovetter, 2008 (1re éd. fr. 2000 ; 1re éd. orig. 1973)
Du point de vue de la théorie des systèmes qui analyse les propriétés de chaque type
d’organisation, la propriété visée par la communauté est sa forte stabilité, sa résilience, c’est-
à-dire sa capacité à perdurer en résistant aux pressions et forces extérieures. Le réseau, lui,
est d’abord souple et flexible, sa vertu est sa capacité d’adaptation à un environnement
changeant, sa capacité dynamique d’infiltration de nouveaux milieux. Selon la distinction faite
par Mark Granovetter, la communauté sera caractérisée par l’existence de liens forts entre
ses membres, reposant sur une forte confiance et une importante complicité, construites sur
un vécu et des valeurs communes. Le réseau est construit sur des liens faibles, qui engagent
moins et intègrent moins de ressources, mais sont plus vite établis et donc plus nombreux et
plus flexibles. D’une certaine manière, les deux structures sont conçues pour résister à
l’environnement, mais la communauté protège d’abord son mode d’organisation, son
fonctionnement, son mode de vie et l’esprit qui l’anime, alors que le réseau privilégie ses
membres, quitte à modifier son organisation. De ce point de vue, la communauté est d’abord

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une structure sociale considérée comme un tout : elle représente en quelque sorte un bien
commun pour chacun de ses membres. Le réseau reste une somme d’individus.
Deux risques principaux peuvent menacer les communautés. Le premier est celui
d’une déviation holiste, qui se manifeste par un certain conservatisme économique. Il s’agit
des situations où des initiatives individuelles et innovantes, entrepreneuriales ou
institutionnelles, peuvent entrer en conflit avec la fonction de protection de la communauté
ou avec sa fonction d’inclusion sociale. Le second risque est celui d’une déviation narcissique,
où la communauté échange moins et entretient moins de relations avec l’extérieur, affichant
une tendance au repli sur elle-même (communautarisme). Les réseaux ont également leurs
faiblesses. Ils ont une forte connectivité et un pouvoir important de croissance et d’infiltration
de nouveaux milieux, mais ils sont au contraire assez peu résilients et, en fait, très vulnérables.
Le réseau est très dépendant de chacun de ses membres, et la défection de quelques individus
peut le mettre entièrement à bas.
La communauté répond à un besoin de proximité. On parle d’abord de la proximité au sens
géographique, c’est-à-dire de la possibilité de rencontrer physiquement les membres de la
communauté. La proximité est importante comme composante de la convivialité : c’est le fait
non seulement de connaître son entourage, mais aussi d’avoir près de soi une partie de ses
proches. Elle répond à un besoin de transparence et de confiance qui permet d’aborder
sereinement la vie quotidienne. Étant constituée de liens forts entre ses membres, la
communauté devient naturellement un creuset d’identité collective. La communauté virtuelle
d’Internet supplante la proximité physique, et la perception des relations et des personnes
peut s’en trouver modifiée. Cette distanciation objective les relations et libère des contraintes
du communautarisme traditionnel. Internet permet la liberté d’expression, mais la liberté sans
l’égalité renvoie à la loi du plus fort (et c’est une situation injuste), et l’égalité sans la liberté
correspond à un monde contre nature où tout le monde est au même niveau (en témoigne
l’échec du système soviétique). Si l’on n’ajoute pas le terme de fraternité, on supprime le
fondement de la citoyenneté. Se pose alors la question de savoir si ce fameux slogan issu de
la Révolution française n’est pas — une fois revendiqué au niveau international — un oxymore
qu’Internet a mis en évidence et qui, faute de solution universelle, ne peut qu’apporter une
désarticulation supplémentaire dans des sociétés déjà déstructurées.
Le lien que permet Internet avec le reste du monde est superficiel et volatile et s’oppose aux
notions de confiance et de durabilité de la communauté. La première ne peut pas remplacer

45 | P a g e
la seconde sous peine de déstabiliser les fondements d’un processus de développement, mais
leur complémentarité permet de combler les insuffisances et inefficacités de systèmes qui
imposent un individualisme dont la nature humaine ne peut se satisfaire.

Nous avons constaté dans un premier temps qu’Internet, s’il accompagne la croissance
économique, ne peut en être à l’origine. Mais il est important pour resserrer les liens entre les
personnes à travers les différentes communautés virtuelles qui se mettent en place dans le
monde. Autant le système économique capitaliste est à l’origine d’inégalités et de problèmes
sociaux, autant Internet met tout le monde à égalité derrière le clavier de l’ordinateur.
L’inégalité persiste dans ce qu’il est convenu d’appeler la fracture numérique, c’est-à-dire les
disparités d’accès aux outils informatiques et à Internet, mais cette fracture se comble
rapidement grâce aux investisseurs qui mesurent l’enjeu que constitue l’équipement des
zones encore défavorisées. Le secteur internet attire des investissements là où les
investisseurs n’allaient plus, l’Afrique.
Les populations africaines sont encore fortement attachées aux communautés traditionnelles
où elles puisent leur mode de vie, leur identité. Le risque inhérent aux communautés
traditionnelles est un certain communautarisme que certains accusent d’entraver le processus
de développement. Internet et les communautés virtuelles prennent ici tout leur sens, car,
contrairement aux communautés traditionnelles, elles ouvrent les portes du monde et
facilitent la communication. Mais il convient d’être vigilant face à deux dérives des réseaux
virtuels : la difficulté de gérer une liberté à laquelle les personnes ne sont pas habituées et la
superficialité des liens sur la Toile, qui masque les priorités. Ces deux risques peuvent
constituer un facteur supplémentaire de déstructuration dans des économies déjà fragiles.
Heureusement, entre les mains d’une jeunesse africaine de mieux en mieux éduquée, dans le
cadre rassurant et stabilisant des communautés héritées, l’outil Internet bien utilisé peut
servir les priorités d’un processus de développement décidé par les Africains eux-mêmes.

Conclusion
Tout compte fait, la communication est et a été au centre de la société traditionelle africaine.
Les différents moyens et systèmes de communication traditionnels comme contes , les
cérémonies réligieuses , les cabarets , les marchés, les tissus- pages …permettaient aux
populations africaines de se communiquer . Certaines populations ( surtout rurales) de nos

46 | P a g e
jours passent toujours par ces crénaux pour divulguer ou avoir l’information malgré la
prolifération des moyens modernes de communication ( internet, téléphone, radio, télévision
, presse écrite …). L’on doit préserver ces moyens anciens de communication pour péréniser
certaines pratiques de génération en génération.

47 | P a g e
Bibiographie

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signification, ESF éditeur, Paris
- Breton PH, 2000 , Le culte de l'internet. Une menace pour le lien social, la Découverte,
Paris
- Chris Emmanuel B. M., 2019-2020 , Communication traditionnelle : un aspect de
l’éducation chez les kongo du pool (cas des Kongo de Boko) , Mémoire de master,
Université Marien Ngouabi
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et Nouvelles éditions africaines.
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relations sociales dans le secteur Gisenyi (1998-2010),
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