Recueil Dextrait 1 - Theatre

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La littérature

québécoise par genre


Recueil 1 – Le théâtre

Document préparé par Magdalena Des Becquets (version 2023)


Extrait 1: Tit-Coq (Gratien Gélinas) 1948
Gélinas, G. (1994), Ti-Coq, Éditions Typo théâtre, p. 87-95.

Sur le pont d’un transport de troupe.

Tit-Coq est accoudé au bastingage, face au public. On entend la musique d’un


harmonica venant de la coulisse. Le Padre traverse la scène : il se promenait sur le
pont et il a aperçu Tit-Coq.

LE PADRE – Bonjour, Tit-Coq. (il vient s’appuyer près de lui.)

TIT-COQ – (Sortant de sa rêverie) Allô, Padre.

PADRE – Alors, ça y est : on s’en va.

TIT-COQ – On s’en va.

LE PADRE – Je t’empêche de t’ennuyer de ta Marie-Ange ?

TIT-COQ – Oui... mais c’est égal : J’aurai le temps de me reprendre à mon goût.

LE PADRE – Ce doit être nouveau pour toi, l’ennui ?

TIT-COQ – Tellement nouveau que j’aime presque ça. Ce qui est triste, je m’en
rends compte, c’est pas de s’ennuyer...

LE PADRE – C’est de n’avoir personne de qui s’ennuyer ?

TIT-COQ – Justement... et personne qui s’ennuie de toi. Si je ne l’avais pas


rencontrée, elle, je partirais aujourd’hui de la même façon, probablement sur le
même bateau. Je prendrais le large, ni triste ni gai, comme un animal, sans savoir
ce que j’aurais pu perdre.

LE PADRE – Tu ferais peut-être de la musique avec le gars là-bas ?

TIT-COQ – Peut-être, oui Tandis que là, je pars avec une fille dans le cœur... Une fille
qui me trouve beau, figurez-vous !

LE PADRE – Non !

TIT-COQ – A ben y penser, c’est une maudite preuve d’amour qu’elle me donne là,
elle ?

LE PADRE – (sourit.) Un preuve écrasante.

TIT-COQ – Oui, je pars avec une fille qui m’aime, dans le cœur... et un album de
famille dans mon sac.
LE PADRE – Un album de famille ! C’est elle qui te l’a donné ?

TIT-COQ – Oui, monsieur. Si jamais le bateau coule, sauvez ça d’abord, ou vous


n’êtes pas un ami !

LE PADRE – Y aurait-il moyen de l’admirer, cette merveille-là ?

TIT-COQ – Tout de suite si vous voulez ! (Il sort l’album de sa vareuse.) Et vous allez
voir la plus belle famille au monde ! Je le dis, même si c’est la mienne. (Lui
montrant la première page) Tenez : ça, ça va être mon beau-père et ma belle-mère.

LE PADRE – Ils ont l’air de braves gens.

TIT-COQ – Yes, sir ! Braves d’un travers à l’autre.

LE PADRE – (désignant un portrait) C’est elle, Marie-Ange ?

TIT-COQ – Non, c’est ma belle-sœur Claudia, avec mon neveu Jacquot. (il tourne la
page) Marie-Ange, la v’la.

LE PADRE – Une bien belle fille, en effet.

TIT-COQ – Oui... Il est déjà pas ml fatigué de se faire embrasser, ce portrait-là. Et le


petit garçon ici, avec l’insigne de première communion, le cierge à la main et la
bouche ouverte, c’est Jean-Paul ! (Il tourne la page) Tenez : mon oncle Alcide et
ma tante Maria, le parrain et la marraine de Marie-Ange. [...] (Sautant plusieurs
feuillets) J’en passe, et des meilleurs, pour arriver au plus beau portrait de tout
l’album.

LE PADRE – Mais il n’y a rien sur cette page-là !

TIT-COQ – Rien pour vous ! Mais moi, avec un peu d’imagination, je distingue très
bien madame Arthur Saint-Jean... avec le petit Saint-Jean sur ses genoux. A moins
que ce soit la petite... Peux pas voir au juste... Et le gars à côté, l’air fendant comme
un colonel à la tête de sa colonne, c’est votre humble serviteur.

LE PADRE – Tu as raison, c’est une page admirable.

TIT-COQ – Certain ! (il replace l’album dans sa vareuse)

LE PADRE – Tu n’as pas été tenté de l’épouser, ta Marie-Ange, avant de partir ?

TIT-COQ – Tenté ? Tous les jours de la semaine ! Mais non. Épouser une fille, pour
qu’elle ait un petit de moi pendant que je serais parti au diable vert ? Jamais en
cent ans ! Si mon père était loin de ma mère quand je suis venu au monde, à la
Miséricorde ou ailleurs, ça le regardait. Mais moi, quand mon petit arrivera, je serai
là, à côté de ma femme. Oui, Monsieur ! Aussi proche du lit qu’il y aura moyen.
LE PADRE – Je te comprends

TIT-COQ – Je serai là comme une teigne ! Cet enfant-là, il saura, lui, aussitôt l’œil
ouvert, qui est-ce qui est son père. Je veux pouvoir lui pincer les joues et lui
mordre les suisses dès qu’il les aura nettes ; pas le trouver à moitié élevé à l’âge de
deux, trois and. J’ai manqué la première partie de ma vie, tant pis, on n’est parle
plus. Mais la deuxième, j’y goûterai d’un bout à l’autre, par exemple ! ... Et lui, il
aura une vraie belle petite gueule, comme sa mère.

LE PADRE – Et un cœur à la bonne place, comme son père ?

TIT-COQ – Avec la différence que lui, il sera un enfant propre, en dehors et en


dedans. Pas une trouvaille de ruelle comme moi !

[...]

LE PADRE – La Providence a été bonne pour toi, sais-tu ?

TIT-COQ – Oui. Elle a été loin de se forcer au commencement, mais, depuis


quelques mois, elle a assez ben fait les choses. Et je ne lui en demande pas plus.
(Intensément) Savez-vous ce qu’il me faudrait, à moi, pour réussir ma vie cent pour
cent ?

LE PADRE – Dis-moi ça

TIT-COQ – (Ouvrant l’album à une certaine page) Je vous le dirai pas : je vais vous le
lire.

LE PADRE – Ah ! Bon... c’est écrit là-dedans ?

TIT-COQ – C’est-à-dire que j’ai composé ça hier, dans le train pour Halifax. Et, à
matin, j’ai collé le papier dans l’album pour être bien sûr de pas le perdre.

LE PADRE – vas-y : Je t’écoute.

TIT-COQ – Vous allez peut-être rire de moi : si on comprend de travers, ç’a l’air un
peu enfant de choeur.

LE PADRE – Il y aura pas de quoi rire, j’en suis sûr.

TIT-COQ – (Lisant) « Moi, je m’imagine pas sénateur dans le parlement, plus tard, ou
bien millionnaire dans un château. Non ! Moi, quand je rêve, je me vois en
tramway, un dimanche soir, vers sept heures et quart, avec mon petit dans les bras
et puis, accrochée après moi, ma Toute-Neuve, bien propre, son sac de couches à
la main. On s’en va veiller chez mon oncle Alcide. Mon oncle par alliance, mais
mon oncle quand même. Le petit bâtard, tout seul dans la vie, ni vu ni connu. Dans
le tramway, il y aurait un homme comme tout le monde, en route pour aller voir les
siens. Un homme bien ordinaire avec son chapeau gris, son foulard blanc, sa
femme et son petit. Juste comme tout le monde. Pas plus, mais pas moins,
maudit ! Pour un autre ce serait peut-être un bien petit avenir mais, moi, avec ça, je
serais sur le pignon du monde. Grâce à Marie-Ange Desilets, de Saint-Anicet, qui
me donnera en cadeau toute sa famille. C’est pourquoi je pourrai jamais assez
l’aimer et la remercier, même si je devais vivre cent ans. » (Il a fini de lire et se
tourne vers le Padre)
Extrait 2: Zone (Marcel Dubé) 1953
Dubé, M. (1968), Zone, Édition Léméac, p. 43 et 146.

Acte 1
TARZAN – Je vous ai avertis, je vous ai dit que des fois ça serait dur de
vous plier aux ordres, mais que c’était nécessaire. J’ai mis au point un
système de contrebande où vous courez aucun danger, où je prends
tous les risques sur mon dos… tous les risques… tu comprends, Passe-
Partout? Et dans quelques années d’ici on sera riche et on vivra
comme du monde. Personne pourra nous obliger à travailler et à nous
salir comme des esclaves dans des usines ou des manufactures. On
gaspillera pas notre vie comme les autres gars de la rue qui se laissent
exploiter par n’importe qui.

Acte 3
TARZAN – Réveille-toi, Ciboulette, c’est passé tout ça… Je
m’appelle François Boudreau, j’ai tué un homme, je me suis
sauvé de prison et je suis certain qu’on va me descendre.

CIBOULETTE – Pour moi, t’es toujours Tarzan.

TARZAN – Non. Tarzan est un homme de la jungle, grand et fort,


qui triomphe de tout […] Moi je suis seulement qu’un orphelin
du quartier qui voudrait qu’on le laisse tranquille un jour dans
sa vie, qui en a par-dessus la tête de lutter et de courir et qui
aimerait se reposer un peu et être heureux. (Il la prend dans
ses bras.) Regarde-moi… vois-tu que je suis un peu lâche?
Extrait 3: Un simple soldat (Marcel Dubé) 1957
Dubé, M. (1993), Un simple soldat, éditions Typo théâtre, p.43-45.

JOSEPH – Moi, je serais peut-être quelqu’un si les Alliés avaient attendu encore un
peu avant de gagner la guerre. Je serais allé là-bas, de l’autre côté, et puis je serais
peut-être jamais revenu. Un gars qui se bat à la guerre, c’est un gars qui gagne pas
sa vie comme tout le monde, qui fait quelque chose de spécial. Tu peux lui donner
un nom, c’est un gars qui a une raison de vivre...

ÉMILE – Tu te prenais pour le Major Triquet? Tu voulais recevoir la Croix Victoria?

JOSEPH – C’était pas les grades, c’était pas pour les décorations, Émile.

ÉMILE – Tu te prenais pour Jeanne d’Arc! T’aurais délivré la France?

JOSEPH – comme s’il ne l’entendait pas : Regarde-moi, Émile, regarde-moi! J’ai


jamais rien fait de bon dans ma vie. J’ai jamais été autre chose qu’un voyou. J’avais
une chance devant moi tout à coup, ma première chance, je l’ai manquée. Je suis
resté ce que j’étais : un voyou, un bon-à-rien.

ÉMILE – Y a tellement de contradiction dans ta vie, Joseph... En quarante-deux,


rappelle-toi, t’étais contre la conscription, tu voulais pas te battre pour le Roi
d’Angleterre et puis t’as été pris dans une émeute au marché Saint-Jacques, t’as
passé une semaine en prison... Quand t’entendais parler du monde libre, ça te
faisait rire, tu jurais que tu serais déserteur, je t’ai vu provoquer des gars de la
gendarmerie royale, et puis tout à coup, personne a su pourquoi, tu t’es enrôlé.

JOSEPH – J’étais contre la conscription, Émile, parce que le Québec avait voté
contre au plébiscite. Puis après, quand je me suis enrôlé, c’est pas pour le roi
d’Angleterre que je serais allé me battre, c’est pour moi-même, pour moi tout seul.
Mais depuis que je suis haut comme ça, je sais pas ce qui joue contre moi, je
réussis jamais rien.

ÉMILE – Un gars comme toi, Joseph, un gars qui gagne sa vie comme soldat, un
gars qui tue du monde par métier, on appelle ça un mercenaire.

JOSEPH – Fais-moi rire avec tes grands mots. Moi, je savais ce que je voulais, c’est
tout! ... Ah! Puis je me sacre de tout ça maintenant, je vis au jour le jour et puis je
me sacre de tout le monde. Ce soir, je m’amuse, Émile, et puis j’aime autant plus
penser à rien.

On entend l’orchestre qui se relance dans une musique de « Jitterbug ». Entrent


deux filles qui viennent d’asseoir à une table près de celle de Joseph et d’Émile.
Joseph les suit un moment des yeux puis ramène son attention à Émile qui lui parle.
ÉMILE – Sais-tu ce que je suis devenu aujourd’hui, Joseph?

JOSEPH – T’es pas mal habillé, tu dois travailler dans une banque.

ÉMILE – Dégouté : Non. Je suis collecteur pour une compagnie de finance. Mais
c’est seulement temporaire par exemple. Je cherche à me lancer en affaire, à me
trouver une p’tite business aussi payante que le marché noir.

Le garçon dépose deux bières sur la table des jeunes filles et s’en va.

JOSEPH – Moi je cherche rien. Du moment qu’un gars est logé-nourri, il a tout ce
qu’il faut... Il se débrouille pour se trouver quelques piastres de temps en temps et
puis il prend son coup quand ça fait son affaire... L’assurance-chômage c’est pas là
pour rien!... Un jour, peut-être que je me placerai les pieds une fois pour toutes,
on sait jamais.

ÉMILE – Tu pourras pas continuer longtemps comme ça, Joseph.

JOSEPH – Je suis démobilisé depuis deux mois et puis je me suis arrangé comme
ça jusqu’aujourd’hui.

ÉMILE – Tu devrais voir Tit-Mine, il te trouverait un emploi.

JOSEPH – J’ai pas besoin de Tit-Mine.

ÉMILE – Il vend des chars usagés, il fait de l’argent comme de l’eau.

JOSEPH – J’endure pas les ramasseurs d’épaves. Parce que c’est tout ce qu’il est
Tit-Mine : un ramasseur d’épaves. Il achète de la vieille ferraille et puis il d’occupe
de ma soeur Marguerite... J’ai pas besoin de lui. J’aime pas les bandits, ‘aime pas
les gars de la pègre.

ÉMILE – Il fait pas partie de la pègre.

JOSEPH - Réveille-toi Émile. Y a au moins dix filles qui travaillent pour lui dans des
« grills » que je connais.

ÉMILE – Peut-être mais ça te regarde pas, toi!

JOSEPH – Je travaillerai jamais pour Tit-Mine, j’ai pas besoin de son argent...Ah!
puis on n’est pas pour moisir ici, Émile! Qu’est-ce que tu dirais si on se faisait aller
dans le milieu de la place? Y a deux femmes à côté qui demanderaient pas mieux.

***

Note : la version Télé de 1957 est disponible sur Youtube : Téléthéâtre (Radio-
Canada) - Un simple soldat de Marcel Dubé - 10 décembre 1957 - YouTube
Extrait 4: Les oranges sont vertes
(Claude Gauvreau) 1958 à 1971
Gauvreau, C., (1994). Les oranges sont vertes, Éditions de l’hexagone, p.
35-38.

COCHEBENNE – Voici le poème (lisant) «Les blés mûrs holà montent la garde
chevaliers tudesques et envient l’ombre des fougères dodues holà la petite fille
candide holà hume le parfum de la pulpe des fraises holà et le crépuscule
harnaché de vert holà tourne la tête du paysan appuyé sur sa fourche grise holà la
nature tend ses bras virginaux holà à l’appel discret aux langueurs crème holà chéri
prends-moi sur ton cœur holi.»

YVIRNIG – C’est tout?


[…]
COCHEBENNE – Vraiment, tu ne trouves pas une allure pimpante au poème?

YVIRNIG – Il ne fait aucun doute dans mon esprit que c’est d’une inauthenticité
consonnée. Entre autres détails, la répétition de «holà» est un procédé vieillot qui
est ici d’une gratuité insupportable. L’image «chevalier tudesque» est assez
inattendue et comporte un certain mystère; mais la plupart des autres
entassements de mots sont banaux et d’un gnian-gnian désespérant. «Holà!» c’est
le cas de le dire.

COCHEBENNE – Tu ne voudrais pas faire la connaissance de Paprikouce? Elle est


charmante, je t’assure.

YVIRNIG – Pourquoi? Je n’ai pas de temps à perdre avec les écrivains ratés. Ton amie
Paprikouce veut se donner une allure «moderne», très artificiellement, et le fond
de sa pensée est niais. Tout snobisme est exécrable. Passons à autre chose.
[…]
DROUVOUAL - À propos, Yvirning, sais-tu que les représentations de la pièce de
Poumergent ont été interrompues? Sous prétexte d’obscénité.

IVULKA – Les gars courageux ont beau lui tordre le cou, la censure a plus d’existences
qu’un chat!
Pendant la tirade d’Yvirning, Mougnan mime un soldat, le corps très raide, qui marque
le pas.
YVIRNIG – La censure? La censure! La censure, c’est la gargouille qui vomit
hideusement son plomb liquide sur la chair vive de la poésie! La censure, c’est
l’acéphale aux mille bras aveugles qui abat comme un sacrifice sans défense
chaque érection de sensibilité délicate au moyen de ses moulinets vandales! La
censure, c’est l’apothéose de la bêtise! La censure, c’est le rasoir gigantesque
rasant au niveau du médiocre toute tête qui dépasse! La censure, c’est la camisole
de force imposée au vital! La censure, c’est la défiguration imprégnée sur la grâce
par un sourcil froncé saugrenu! La censure, c’est le saccage du rythme! La censure,
c’est le crime à l’état pur! La censure, c’est l’enfoncement du cerveau dans un
moulin à viande dont il surgit effilochement. […] La censure, c’est le pet par-dessus
l’encens! La censure, c’est l’éteignement de l’esprit! Où il y a censure, serait-elle la
plus bénigne du monde, il y a l’avortement généralisé. La censure, c’est la barbarie
arrogante. La censure, c’est le broiement du cœur palpitant dans un gros étau
brutal! Oui, mille fois oui, la censure, c’est la négation de la pensée!

Extrait 5 : Le théâtre de Michel Tremblay


Cyr, R.R., Michel Tremblay en 80 temps (2022) Télé-Québec (telequebec.tv)

1968 - Les Belles-sœurs (31m58s)

1970 - En pièce détachée (6m08s)

1971 - À toi pour toujours ta Marie-Lou (37m34s)

1972 - Demain matin Montréal m’attend (20m30s)

1973 - Hosanna (34m36s)

1987 - Le vrai monde ? (1h04m0s)


Extrait 6: Les fées ont soif (Denise Boucher) 1978
Boucher, D. (2008). Les fées ont soif. Édition Typo théâtre. p. 45-49, 61, 69-73.

Mention de violence conjugale et de viol.

Extrait 1
Marie retourne dans son lieu. Elle pleure. Elle est abattue et recroquevillée.
Madeleine vient à elle.

MADELEINE – Mon Dieu, Marie, qu’est-ce qui t’arrive?

MARIE – Il est entré saoul à matin. Il voulait son petit-déjeuner tout de suite.

La Statue et Madeleine jouent toutes les deux le mari dans un lieu neutre.

LA STATUE – Grosse épaisse!

MADELEINE – Les toasts brûlent!

LA STATUE - Imbécile!

MADELEINE – T’es ben maladroite!

MARIE – J’ai attendu toute la nuit.

LA STATUE – Sais-tu comment tu me coûtes en pain brûlé par année?

MARIE – J'ai pas pu fermer l’oeil.

MADELEINE – Té-tu vu la face?

MARIE – Marcel, Marcel, je t’ai attendu toute la nuit. J’ai pas pu fermer l’oeil. J’étais
inquiète. Tu rentrais pas. Je t’ai attendu.

MADELEINE – Elle m’a attendu! Té ben masochiste d’attendre de même.

LA STATUE – Es-tu folle? Tu ressembles à ta mère.

MADELEINE – Décrisse, câlisse!

LA STATUE – Je t’ai assez vue!

MADELEINE – Niaiseuse!

MARIE – Marcel, Marcel.

LA STATUE – Je ne trouve pas de chemise propre.


[…]

MARIE – Marcel, Marcel. Parle-moi tranquillement. Crie-moi pas de noms. Tu me


fais de la peine.

[…]

Madeleine et la statue font des bruits semblables à des gifles.

MARIE – Elle relève la tête. Pis je lui ai encore dit : « Je t’aime, Marcel »

LA STATUE – Les femmes ont toujours aimé les écœurants.

La statue retourne dans son lieu

MARIE – dans son lieu. Un homme. Un mari. Une brute. Et l’amour?

MADELEINE – Avec Marie. L’amour! C’est leur racket de la protection. Tous des
pimps. “Have no fear, your man is here”.

[…]

MARIE – Qu'est-ce que je fais à rester encore ici? Est-ce que je vais attendre qu’il
me tue? Peut-être que je n’ai pas le tour avec lui. Que je ne l’ai jamais compris. Ça
doit être de ma faute si je l’agace autant. Faudrait que je fasse attention. (silence)
Peut-être qu’il voudrait avoir d’autres enfants... Me semble que ça nous
raccorderait.

[…]

MARIE – Je me demande ce que j’ai fait pour vivre aussi longtemps avec lui. Huit
ans, c’est long! J’ai comme peur à rebours de ce qui aurait pu m’arriver dans cette
maison. J’ai été à la tabagie du coin, je regardais les étalages de journaux. Et j’ai vu
que je suis partie pour pas finir dans Allô Police. Y a des affaires que je trouvais
normales. Maintenant, elles n’ont aucun maudit bon sens, Avant de me marier,
quand je sortais avec lui, sais-tu, Madeleine, ce qu’il me disait? Il me disait: “Si tu
me quittes, je te tue” Et moi, la dinde, je luis répondais: “Si tu me quitte, je me
tue”. Il n’y avait toujours que moi qui mourrais. (Silence.) Une fois, après une
grosse chicane, sa mère m’avait dit: “Tu sais, Marie, une mère c’est toujours lâche
devant son enfant. Ça pardonne n’importe quoi. Mais vous, Marie, vous êtes pas
obligée d’être lâche.” Cette journée-là, c’est comme si elle m’avait donné la
permission de partir. Il me fallait encore des permissions. (Silence.) Mais je pense
juste aux petits. Comme si j’étais passée d’un piège à un autre.
Extrait 2
MARIE – Il y eut un procès
Il y eut un juge
Il y eut des avocats
Il y eu un accusé.

LA STATUE – C'était un plombier


C’était un notaire

MARIE – C'était un professeur


C'était un musicien

LA STATUE – C'était un psychiatre


C'était un menuisier
C'était un journaliste
C'était un sociologue
C'était un voyageur de commerce
C'était un gynécologue
Il connaissait la cliente et déclara l’avoir reçue en consultation deux ou trois fois
dans son cabinet où elle lui aurait fait, chaque dois, des avances précises.

MARIE – Il y eut des criminologues pour demander si de fait, dans ce cas-ci,


l’accusé ne se trouverait pas être la réelle victime.

LA STATUE – La police fit aussi appel à son autre police des mœurs: la
médicalisation de tout acabit.

MARIE – Il y eut des centaines de femmes venues de partout donner leur appui
moral à la plaignante.

[...]

MARIE – Il y eut l’exercice du pouvoir qui questionne, qui tourmente, qui guette,
qui épie, qui fouille, qui palpe, qui pourchasse, qui ouvre grand les yeux, qui
cligne des yeux, le pouvoir qui désire et stigmatise en même temps.

LA STATUE – Ça les gêne pas, à part de ça!

MARIE – Violer une putain, ce n’est pas violer.

LA STATUE – La tentations ne peuvent venir de la femme.

[…]

MARIE - Il y eut toute la mascarade. Toute l’humiliation, toute la misère d’une


femme dépossédée.
LA STATUE – Le juge se sentait objectif. Les avocats aussi, Aucun d’eux ne s’est
jamais senti impliqué. Même si le fait du viol fut reconnu, aucun ne vit là matière
même à viol. Aucun n’y reconnaissait l’image de sa mère, de sa fille ou de son
épouse Le patrimoine demeurait intouché. Comme si c’était en tant que
patrimoine qu’une femme pouvait être violée.

MARIE – Il y eut l’avocat de la défense qui demanda comment on pouvait


soupçonner de crime un homme qui connaissait la pratique des femmes aussi
bien qu’un gynécologue.

[…]

MARIE – Il y eut la fin du procès. Le violeur fut innocenté. Ce fut comme la fin d’un
grand été. Dans ce transept, les hommes de loi fiers d’eux se congratulaient. Dans
la cour, tout le monde se levait en même temps.

LA STATUE – On aurait dit des volées d’étourneaux quittant brusquement un


champ de blé d’inde, Parce que rassasiés? Madeleine, la plaignante-prostituée,
stridait un seul cri dans le soleil bouillant. C’était encore l’été. Mais, dans le fond de
l’air, les verges d’or avaient fleuri. Et c’était comme la dernière journée de tous les
étés.

MARIE – Il y eut des femmes qui sortait de la Cour la gorge engoitrée de sanglots.
Il y eut des femmes qui riaient du sort de la plaignante violée. Il y eut des femmes
dont les dents serraient des cris violents. IL y eut des femmes qui pleuraient
doucement. Tout bonnement. Il y eut des femmes qui demandaient à la porte :
« Le viol, c’est la pathologie du sexe ou du pouvoir? » Il n’y eut personne pour lui
répondre. Chaque réponse attendait son moment. Il y eut une femme qui fut
comme si elle n’avait jamais été violée.
Extrait 7 : UN (Mani Soleymanlou) 2012
UN 1 | UN | ICI TOU.TV

Extrait 8 J’aime Hydro (Christine


Beaulieu) 2016
J'aime Hydro - édition 2019 - Balados - Porte Parole

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