Vous êtes sur la page 1sur 7

reconnaissance "officielle", Marguerite Yourcenar devenant la première femme membre de

l'Académie française en 1980 et Marguerite Duras obtenant le prix Goncourt en 1984.


Toutefois, dans une certaine mesure, cette reconnaissance publique est restée nettement limitée
par rapport au nombre croissant de romans publiés par des femmes. Comme l'explique Fallaize
(1993 : 21), cela peut être attribué aux particularités des traditions rigides et élitistes de la
culture française :

Une cause spécifique du manque de progrès des femmes en termes de reconnaissance


littéraire est sans aucun doute le grand prestige de la littérature et du roman en
particulier en France, qui signifie que tout le terrain est farouchement gardé. Une autre
cause est la tendance française à créer des élites par le biais de structures
institutionnelles qui rendent extrêmement difficile l'entrée de groupes marginaux - la
composition fixe des jurys de prix en est un exemple.
De telles attitudes sont étonnamment résistantes et semblent dominer même à la toute fin du
vingtième siècle, comme le révèle l'étude exhaustive de Diana Holmes (1996 : 214) sur
l'écriture féminine française au cours de la période 1848-1994, résolue à affirmer qu'au milieu
des années 1990, la culture française restait "une sphère essentiellement masculine". En effet,
depuis l'attribution du Goncourt 1984 à Duras, il semble surprenant qu'en dépit du grand
nombre d'auteurs féminins figurant sur la liste de présélection, seules sept autres femmes aient
remporté le prix : Pascale Roze en 1996, Paule Constant en 1998 et Marie NDiaye en 2009,
Lydie Salvayre en 2014, Leila Slimani en 2016 et Brigitte Giraud en 2022. Bien que l'on puisse
avoir des réserves réelles et pertinentes sur la compartimentation de la production littéraire
féminine sous l'étiquette "écriture de femmes", les réalités institutionnelles et culturelles en
France démontrent le bien-fondé de continuer à attirer l'attention sur des voix et des groupes
qui ne semblent toujours pas bénéficier de la reconnaissance et de l'attention qu'ils méritent.
Comme l'affirment Nathalie Morello et Catherine Rodgers (2002 : 8), au début du nouveau
millénaire, la présence des femmes dans la littérature en France n'a toujours pas progressé
autant qu'on le suppose souvent, "que ce soit au niveau des ouvrages publiés, des prix littéraires
obtenus ou de la reconnaissance critique". Leurs conclusions semblent suggérer qu'à un certain
niveau, peut-être insidieux, la littérature écrite par des femmes pourrait encore être considérée
comme n'ayant pas le sérieux intellectuel nécessaire pour mériter des niveaux de diffusion
soutenus, une considération absolument égale pour les prix académiques ou la reconnaissance
critique.

Malgré la validité de ces préoccupations, il semble pertinent de resituer l'importance et le poids


critique d'institutions telles que l'Académie française et de prix tels que le Goncourt dans le
paysage très changeant de l'édition littéraire, en France et dans le monde. À la fin du vingtième

Page 4 de 27
siècle et au début du vingt-et-unième, le lectorat ne dépend plus de manière aussi cruciale d'une
validation critique de la part d'institutions potentiellement élitistes, de revues ou de comptes-
rendus dans des journaux à grand tirage très élitistes. La transformation des médias et les
progrès technologiques réalisés au cours de ces années ont eu un impact considérable sur
l'industrie de l'édition et sur ce que les lecteurs choisissent d'acheter et de lire (ainsi que sur la
manière de le faire). Par conséquent, et pas toujours sans problème, cela a également eu un
effet considérable sur la manière dont les auteurs et les éditeurs ont choisi de commercialiser
leurs œuvres. Si l'académie reste élitiste, les années 1990 ont vu les écrivains, et souvent les
écrivaines en particulier, s'emparer de l'imagination du public grâce à une manipulation habile
des médias. Les éditeurs et les médias ont salué une "nouvelle génération" d'écrivains et,
comme le font remarquer Gill Rye et Michael Worton (2002b:1), ce fut une décennie au cours
de laquelle l'écriture féminine "a pris sa place au premier plan de ce qui est nouveau - et parfois
controversé - sur la scène littéraire française". La controverse médiatique qui entoure de
nombreux ouvrages écrits par des femmes au cours de ces années découle en grande partie de
leur contenu thématique explosif. Les années 1990 ont vu l'écriture féminine en France se
tourner vers les extrêmes absolus des expériences et vers la réappropriation de sujets
auparavant dominés par les hommes. La prolifération de textes écrits par des femmes qui
s'attachent à dépeindre des actes brutalement violents ou sexuellement explicites et, le plus
souvent, à évoquer un glissement transparent entre les deux, a été particulièrement polémique.
Christine Angot, Catherine Cusset, Virginie Despentes, Alina Reyes, Catherine Millet et Marie
Nimier sont quelques-unes des écrivaines dont l'œuvre a fait l'objet d'un choc soutenu et d'un
débat éthique dans les médias à cet égard. Toutefois, ce ne sont pas seulement les thèmes
abordés par ces auteurs qui contribuent à leur profil médiatique de plus en plus important.
Shirley Jordan (2004 : 16-17) souligne une recrudescence pré-millénaire de la présence de
l'auteur dans les médias français, notant que les femmes écrivains en particulier ont été
"prolifiques, bruyantes, controversées et divertissantes" dans leur animation de la scène
éditoriale. Tout comme le culte de la célébrité s'est infiltré dans tant d'autres aspects de la vie
contemporaine, la personnalité de l'auteur a suscité une préoccupation croissante, sans doute
alimentée par les maisons d'édition et les médias français comme moyen de générer de
nouvelles ventes. À bien des égards, ce phénomène a été intensifié par la popularité croissante
de l'autofiction dans l'écriture française contemporaine, un genre qui abolit lui-même les
frontières entre le moi et le texte et que de nombreuses femmes auteurs ont exploré dans leurs
écrits. Que certains textes expérimentent ou non l'écriture de la vie, les portraits de femmes
auteurs sont couramment affichés sur les couvertures, ce qui contribue à accentuer ce sentiment
de culte de la personnalité. Grâce à des interviews à la télévision et à la radio, les lecteurs sont
encore plus fascinés par les détails intimes de la vie des auteurs, qu'il s'agisse du goût particulier
de Nothomb pour les chapeaux flamboyants et le maquillage sobre, de sa prédilection pour les
fruits pourris ou de la réalité crue du viol et de la prostitution dans la vie de Despentes. D'autres
écrivains, comme Chloé Delaume et Régine Robin, cultivent et jouent avec l'image de l'auteur
grâce aux nouvelles possibilités virtuelles d'autocréation en ligne. En outre, l'engagement des
médias dans le paysage littéraire français au cours des dix dernières années a été fortement
marqué par divers débats sur le plagiat et les scandales liés à la protection de la vie privée. À
bien des égards, ces questions sont liées à celles de la paternité et de la propriété de l'expérience
soulevées par les nouvelles tendances de l'écriture autofictionnelle, mais elles renvoient
également aux inquiétudes suscitées par la rapidité de la diffusion et de l'échange
d'informations à notre époque technologique. Bon nombre de ces litiges concernent des
femmes écrivains et le fait qu'ils aient été fortement médiatisés a sans doute contribué à faire
de ces auteurs des noms connus du grand public. Cela peut paraître paradoxal, dans la mesure
où les accusations de plagiat ou d'atteinte à la vie privée tendraient à suggérer une attitude
protectrice vis-à-vis de l'identité et de l'écriture. Il ne s'agit pas ici d'une instrumentalisation
délibérée de ces scandales par ces auteurs, mais simplement de témoigner des frontières ténues
qui se dessinent entre vie et littérature dans le monde contemporain, et du rôle que jouent les
médias de masse dans l'établissement des chiffres du lectorat dans son engagement vis-à-vis
de la personne littéraire. Les auteurs féminins ont ainsi gagné en notoriété de diverses manières
qui contournent les institutions élitistes de la scène littéraire française traditionnelle. Comme
le note Jordan (2004 : 17), dans les années 1990 en France, "les femmes se sont fait entendre
de nouvelles façons, en s'appropriant vigoureusement des territoires auparavant peu associés
aux écrivains féminins, tels que le roman policier et la pornographie, en repoussant les limites
de ce qui constitue la "littérature" et en testant les frontières entre le texte et la vie". Il en résulte
qu'au début du XXIe siècle, bien que les lauréats des prix littéraires et des critiques de la presse
écrite et des publications universitaires soient encore majoritairement des hommes, les auteurs
féminins ont réussi à s'emparer de l'imagination du public et, ce qui est important, à s'inscrire
sur un pied d'égalité sur les listes de best-sellers.

S'il apparaît que ce sentiment de parité a été atteint au niveau du populaire, plutôt qu'à celui de
l'"intellectuellement sérieux", cela mérite clairement une attention particulière. En effet, cela
semble réitérer toutes les hypothèses qui ont été historiquement formulées à l'égard des œuvres
littéraires écrites par des femmes, à savoir qu'elles sont légères, peu stimulantes, sentimentales

Page 6 de 27
et généralement indignes d'un engagement intellectuel réfléchi. En outre, l'hyper-animation des
médias et de la scène éditoriale à partir du début des années 1990 pourrait bien susciter une
certaine méfiance. Ces textes sont-ils vraiment transgressifs ? S'approprient-ils vraiment des
thèmes jusqu'alors dominés par les hommes ? Sont-ils aussi aventureux et audacieux en termes
de style et de genre qu'on veut bien nous le faire croire ? Ces œuvres sont-elles finalement le
signe d'une "nouvelle génération d'écrits féminins" ? Ou ont-elles simplement été emballées et
produites en toute connaissance de cause dans une arène culturelle dominée par les médias de
masse et l'économie de marché mondiale ? Ne prétendent-elles pas alors subvertir et dépasser
ce qu'elles ne font en réalité que rétablir et réifier ? Toutes ces questions ont des implications
retentissantes pour le terme "écriture féminine" lui-même et la manière dont il peut être
mobilisé dans le contexte contemporain. Pour réfléchir aux réponses possibles, il faut examiner
la relation entre l'écriture féminine et la politique du féminisme en France à la fin du vingtième
siècle et au début du vingt-et-unième.

L'ÉCRITURE FÉMININE ET LE FÉMINISME

Les débuts du Mouvement de libération des femmes (MLF) dans les années 1970 ont été
marqués par une étroite corrélation entre la théorie et la pratique, entre la recherche
intellectuelle et le changement politique actif. Dirigé par Antoinette Fouque, le groupe
Psychanalyse et politique (Psych et po) diffuse des idées et étend son influence en créant une
maison d'édition, une librairie et des revues (des femmes). Pour les féministes françaises de la
deuxième vague telles que Cixous, Irigaray et Kristeva (qui ont toutes fait partie du groupe à
un moment donné), l'écriture elle-même est posée comme un espace privilégié pour
l'inscription de la spécificité, des identités et des désirs féminins. Dans la vision de l'écriture
féminine de Cixous, la mobilisation du féminin est liée à l'inconscient, au préœdipien et au pré-
linguistique. Écrire les rythmes du corps est une façon de déchirer le tissu dominant du discours
masculiniste et de rompre l'économie phallogocentrique (Cixous 1975 ; 1976). Pour Kristeva,
la littérature assume une fonction spécifiquement politique en tant que domaine dans lequel les
normes et les relations établies peuvent être défaites, où de nouveaux modes de pensée et une
culture de la révolte peuvent entraîner un changement réel (Kristeva 1996 : 21 ; 2000 : 7). Dans
un tel contexte, la théorisation des questions féminines ne se limite pas à des réflexions
intellectuelles abstraites ; l'écriture elle-même a un impact sur une politique active fondée sur
la remise en question des idées reçues et la transformation des perspectives.

Dans une certaine mesure, cependant, les possibilités de l'écriture féminine et du féminisme
français des années 1970 allaient gagner en popularité et en attrait durable dans les contextes
anglo-américains plutôt qu'en France même. En effet, il a souvent été avancé que le
regroupement même des diverses penseuses Cixous, Irigaray et Kristeva (et l'exclusion
d'autres) était en partie une "construction" des académies anglo-américaines à la fin des années
1970 et au début des années 1980 (Célestin et al. 2003 ; Fraser et Lee Bartky 1992). Cela a été
interprété comme le produit d'une fascination pour la théorie française en général, qui, d'une
part, frôle l'exotisme (Moi 1985 : xiv) et, d'autre part, est politiquement conçue pour
s'approprier une vision particulière du féminisme français afin de défendre les modes néo-
conservateurs de l'essentialisme à l'étranger (Delphy 2001). En France même, cette relation
prétendument étroite entre l'écriture féminine et le féminisme a en fait commencé à se dégrader
au cours des années 1980. Des divisions avaient commencé à fragmenter le mouvement
féministe français de manière plus générale à partir de la fin des années 1970, avec l'émergence
de différentes factions aux points de vue opposés, leurs désaccords portant sur la valeur d'usage
et la fixité de termes tels que "féminisme", "féminité" et "femme". Combiné au déclin politique
de la gauche à la fin des années 1970, le point de vue selon lequel le féminisme était devenu
anachronique et surtout trop institutionnalisé, avec peu de relations entre l'académie et
l'expérience de la vie réelle, s'est répandu. En 1978, Maria Antonietta Macciocchi, femme
politique et écrivaine italienne vivant en France, a publié Les Femmes et leurs maîtres,
prononçant la mort du féminisme, une opinion qui allait trouver un écho dans les médias
populaires français au début des années 1980, l'hebdomadaire d'information L'Évenement du
jeudi affirmant hardiment que la guerre entre les sexes était terminée (Allwood 1998 : 30-1,
39). Les perspectives antiféministes de cette époque ont été attribuées à une résistance
conventionnellement française aux notions de politiquement correct, en partie liée à la volonté
de l'État français de maintenir la logique républicaine de l'universalisme qui suppose que tous
les citoyens sont identiques et égaux (et minimise donc potentiellement la possibilité de
reconnaître la différence). Parallèlement au désir de promouvoir une image particulière du
caractère national français, il y avait l'idée que le mouvement féministe des années 1970 avait
été en quelque sorte une aberration par rapport aux attitudes françaises conventionnelles à
l'égard de la séduction et des relations entre les sexes, le distinguant de la nature radicale du
féminisme américain, par exemple, avec son image supposée dangereuse et haïssant les
hommes (Allwood 1998 : 39). Malgré la tendance à promouvoir ici l'exception française, ces
attitudes étaient loin de se limiter à la France et, au cours des années 80, le backlash est devenu
une réaction courante au féminisme dans l'ensemble du monde occidental, dans les milieux
politiquement conservateurs des États-Unis sous Reagan et du Royaume-Uni sous Thatcher
(voir Faludi 1992). En France, cette résistance au féminisme prend néanmoins une trajectoire

Page 8 de 27
différente. Alors que le gouvernement socialiste de Mitterrand des années 1980 a joué un rôle
législatif important dans la garantie des droits des femmes, cette époque ne semble pas avoir
revigoré les débats sur le genre, mais avoir contribué à un ralentissement de l'activisme
féministe. Cela est sans aucun doute dû en partie à la nature partisane de la politique de
l'époque, mais peut également s'expliquer par un sentiment croissant de complaisance à l'égard
du rôle du féminisme. En conséquence, comme Célestin et al. (2003 : 2) l'ont observé, les
médias français de cette période "ont été prompts à reléguer le féminisme à une sorte
d'"épiphénomène historique"".

A la fin du XXe siècle et au début du XXIe, le statut et l'objectif du féminisme en France restent
ambigus et souvent obscurs. Le féminisme n'a pas disparu pour autant. À la fin des années 1980
et dans les années 1990, la politique française s'est trouvée prise dans les débats sur la parité,
qui ont recentré la place des femmes dans la société par rapport aux questions d'universalisme
et de différence qui structurent la République. Une nouvelle législation visant à accroître
l'égalité de représentation a été adoptée en juin 2000 et, avec l'introduction de la loi sur le PACS
(Pacte civil de solidarité), les politiques de genre et de sexualité sont apparues au premier plan
des préoccupations politiques au tournant du millénaire. La dernière décennie a vu un
engagement actif dans une série de questions liées au genre, telles que l'emploi, la santé
reproductive, le sexisme, la discrimination économique et juridique, le harcèlement et la
violence sexuels, l'impact des différences culturelles et religieuses sur la féminité, les droits
des gays, des lesbiennes et des transgenres, et le mariage homosexuel. L'activisme féministe a
également été ravivé par des groupes tels que Mix-cité, Ni Putes Ni Soumises, Les Sciences-
Potiches se Rebellent, Les Pénélopes et Chiennes de Garde ou plus récemment Balance to porc
inspiré par le mouvement Me too aux États-Unis. Comme Célestin et al. (2003 : 7) l'ont noté,
l'activisme féministe est de plus en plus conscient de la nécessité de contextualiser et d'intégrer
les droits des femmes dans des mouvements nationaux et internationaux plus larges. Les
préoccupations à plusieurs niveaux, les questions d'identités multiples et composites, et surtout
la notion d'intersectionnalité caractérisent donc le féminisme français dans la pratique au XXIe
siècle. La théorie et la philosophie féministes continuent de fleurir en France. Cixous, Irigaray
et Kristeva continuent de faire avancer les débats, ainsi que d'autres figures importantes telles
que Sylviane Agacinski, Élisabeth Badinter, Françoise Collin, Christine Delpy, Françoise
Héritier, Gisèle Halimi, Michèle Le Dœuff, parmi bien d'autres. Néanmoins, au-delà des
cercles militants ou académiques, la place du féminisme est incertaine et ses représentations
dans les médias et dans la culture sont souvent nébuleuses. Surtout, la relation intime entre
féminisme et écriture féminine qui a dominé les années 1970 en France, et caractérisé les
notions de "féminisme français" à l'étranger, s'est disloquée.

L'ÉCRITURE DANS UN CLIMAT POSTFÉMINISTE ?

Alors que les années 1970 ont été marquées par la recherche de nouveaux modes d'expression
de l'expérience féminine qui frôlaient sans doute l'essentiel, dans les années 1990, l'écriture
féminine s'est transformée en un "chœur de voix diverses, voire parfois discordantes" (Rye et
Worton 2002b : 8), en aucun cas unies par un programme féministe spécifique. L'impulsion
politique résolument féministe donnée à l'écriture par le féminisme de la deuxième vague - à
savoir la déconstruction du phallogocentrisme - ne s'est généralement pas répercutée sur les
objectifs de la plupart des auteures contemporaines. Bien que nombre d'entre elles se
définissent comme féministes, elles se gardent bien d'aligner explicitement leur "féminisme"
sur leur production textuelle. Bien qu'elles aient hérité des générations précédentes de
féministes et qu'elles s'y soient engagées, on ne peut nier que cela s'accompagne généralement
d'une mise en garde : "pas dans l'écriture". Et bien que leurs œuvres traitent souvent
d'expériences qui sont au cœur des préoccupations féministes, ces écrivaines rejettent
ouvertement toute étiquette qui pourrait précéder leur statut d'écrivaine ou lier leur écriture à
des catégories sexuées particulières. Les attitudes des six auteurs - Nothomb, Devi,
Darrieussecq, Abecassis, Beyala et Bouraoui - que cette thèse va explorer illustrent ce point.
Comme Jordan (2007b : 135) l'a noté, le rejet des catégories " écriture féminine " et " femme
écrivain " est courant chez les jeunes auteures françaises, même s'il est évident qu'une grande
partie de leurs écrits est consacrée à l'articulation de l'expérience des femmes, qu'ils sont
commercialisés en tant que tels et qu'ils trouvent un écho collectif.

Alors que Jordan suggère que la description de ces auteurs comme "féministes" devrait être
comprise comme un "point de départ acquis", Morello et Rodgers (2002b : 45) observent que
ces écrivains se conçoivent comme implicitement féministes, tout en produisant des textes qui
ne peuvent pas être facilement récupérés par la pensée féministe. Pour Jordan, cela signale une
relation trouble avec le féminisme qui est "conceptuellement nébuleuse et incohérente de
manière intéressante" (Jordan 2007b : 135). Ailleurs, elle a inventé le terme de "fuzzy
feminism" pour décrire les positions confuses que les écrivains de cette nouvelle génération
semblent adopter à l'égard des questions de féminité (Jordan 2004 : 38).

Le terme " postféministe " a également été récemment utilisé pour décrire le climat de l'écriture
féminine en France après les années 1970 (Holmes 2005 : 108 ; Jordan 2007b : 133-5 ; Rye

Page 10 de 27

Vous aimerez peut-être aussi