Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Balibar VACA 051 0004
Balibar VACA 051 0004
4
entretien
vacarme 51 - printemps 2010
passeur
du temps présent
entretien avec Étienne Balibar
Juste avant que cet entretien ait lieu, les protagonistes de l’Appel pour
la suppression du ministère de l’Identité nationale avaient organisé une
conférence de presse. Étienne Balibar était l’un d’eux. Dans cette réunion de
politiques, d’associatifs et de journalistes, chacun de peiner à proposer des
actions concrètes. Étienne Balibar soutient soudain qu’il faut s’appuyer sur
la Constitution et les Déclarations des droits de l’homme pour fabriquer une
insurrection de la loi contre ce ministère : montrer qu’il est inconstitutionnel.
Certes, les juristes présents savent que, dans le contexte de notre droit effectif,
l’exercice est quasiment impraticable. Mais c’est une idée qui nous saisit.
L’actuel président de la Ligue des droits de l’homme reconnaît qu’ainsi pourrait
se déployer une souveraineté en acte dans cette demande de justice légitime
et que ce serait une manière de produire l’espace public du débat. Étienne
Balibar, c’est cet intellectuel qui ouvre des espaces inédits de contestation de
l’ordre établi. Un passeur d’engagements au sens le plus plein : rappelant sans
relâche – mais à hauteur d’homme et de citoyen, sans leçon et sans surplomb,
ouvrant grand la porte à la critique – ce qui exige notre engagement, comment
s’y engager, et au nom de quoi. Des Palestiniens aux révoltés iraniens, des
Algériens aux sans-papiers, un fidèle et infatigable gardien du possible.
Mais ce fut tout autant un passeur de concepts en philosophie politique. Propulsé
sur le devant de la scène par la publication en 1965 des deux volumes de Lire le
Capital qu’il cosigne avec Louis Althusser, Pierre Macherey, Jacques Rancière et
Roger Establet, il n’a cessé pendant plus de quarante ans, dans ses livres, ses
interventions académiques, mais aussi et peut-être d’abord son enseignement
universitaire (à Paris-I, Paris-X et à l’Université Irvine en Californie), de promouvoir
des philosophies intempestives, complexes, dangereuses, mais toujours
© Association Vacarme | Téléchargé le 16/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.109.221.14)
Entretien réalisé par Philippe Mangeot, Sophie Wahnich & Pierre Zaoui
5
entretien
vacarme 51 - printemps 2010
6
Étienne Balibar
vacarme 51 - printemps 2010
tout et pour tout une seule responsabilité — devenues les classes aux yeux de certains,
pendant quelques années – celle de l’école
de formation de la section du ve arrondis- Il n’y a de liberté mais j’ai admis un pluralisme des formes
de la domination. Et du même coup, j’ai
sement de Paris. Mais idéologiquement,
même de manière critique, j’y suis, j’en
réelle que si dû rompre avec la notion de « dernière
instance » : d’une part il ne me semble plus
défends les principes, publiant même en
1976 Sur la dictature du prolétariat (mon
cette liberté est qu’il y ait une détermination unique de
la conflictualité en général ; d’autre part
ouvrage qui a connu la plus grande diffu- réciproque. il ne me semble même pas qu’il y ait une
sion mondiale !). Et j’assume aussi toute
la période du Programme commun. Il y — hiérarchie profonde des déterminations
des formes du conflit social.
avait peut-être là-dedans une part d’aveu- J’emploie en effet ce terme dans le prière
glement ; mais c’est un peu vite parler que d’insérer de mon recueil d’articles, La Qu’est-ce qui a produit chez vous une telle
de n’y voir qu’une récupération bureau- Proposition de l’égaliberté, mais c’est inflexion ?
cratique des énergies déployées dans les une formule un peu « commerciale » ou C’est le travail que j’ai commencé à effec-
années précédentes. Il faut au moins se au moins rhétorique. D’abord parce que tuer à partir des années 1980 sur les ques-
demander pourquoi un si grand nombre je n’ai en un sens abandonné aucune des tions du nationalisme et du racisme en
de ceux dont la conscience politique s’est questions que nous nous étions posées à dialoguant avec Immanuel Wallerstein, et
formée dans les années 1960, avec la notre époque « marxiste ». Je suis même notamment sur le fait qu’il y a, dans l’idée
guerre d’Algérie et Mai 68, ont jeté ensui- récemment revenu sur la problématique de nation, un fondement ou une « base »
te toute leur énergie dans ce Programme althussérienne : comment, sans le renier, de la politique exactement au même titre
commun. Peut-être pour rien, peut-être débarrasser le marxisme d’une vision que dans celle de lutte de classes. J’ai tenté
pour ne connaître ensuite qu’une immen- nécessitariste de l’histoire, qui rendait la de m’approprier la métaphore freudienne
se frustration. Mais enfin il n’est pas non politique impensable, et dont la racine des deux scènes : la vie politique aurait
plus prouvé que cette idée d’une « union reposait dans l’idée d’une « détermina- toujours au moins deux scènes et chaque
de la gauche » était du départ absurde ou tion en dernière instance » des formations scène ne pourrait se déployer historique-
sans avenir – en tout cas sans autre avenir historiques par l’état du développement ment qu’en passant dans l’autre scène
possible que celui qu’elle a connu. des forces productives ? Chez Althusser, qu’elle ne crée pas. Les idées du natio-
cette tentative a conduit d’une part à nalisme sont sans cesse récupérées ou
Mais en 1981, dès que se met en place ce forger une autre théorie de l’idéologie, réinvesties par des intérêts économiques,
Programme commun, vous quittez le PC ? source de nouvelles subjectivations, et mais à l’inverse, les intérêts économiques,
D’abord ce n’est plus le Programme dont les racines ne sont pas chez Marx dominants ou dominés, quand ils se mani-
commun… Ensuite je ne quitte pas le mais dans l’idée, qu’il trouvait chez Freud festent politiquement, le font toujours en
PC, j’en suis exclu, parce que je publie et chez Spinoza, qu’on ne peut interve- termes religieux ou nationalistes, et plus
en avril 1981 un article dans Le Nouvel nir sur le réel qu’en intervenant d’abord généralement communautaires. Il n’y
© Association Vacarme | Téléchargé le 16/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.109.221.14)
7
entretien
vacarme 51 - printemps 2010
de gauche, à commencer par Lukacs. On part, c’est ce que j’avais relevé quand j’ai Votre article sur cette « proposition
peut très bien utiliser Weber, ses pensées travaillé sur ce que j’ai appelé la « propo- de l’égaliberté » repose moins sur une
de la nation, du pouvoir ou du droit, au sition de l’égaliberté » émise pendant la nouvelle conception abstraite de la poli-
service d’une politique de l’insurrection Révolution française, en remarquant tique et du conflit que sur une lecture
et non d’une politique de conservation de notamment qu’il n’y a pas de différence précise de la Déclaration des droits de
l’État. Votre question m’amuse parce que entre les droits de l’homme et les droits du l’homme et du citoyen. Peut-on parler
je viens d’avoir un petit échange épisto- citoyen. Dire cela, c’est aussi bien reverser chez vous d’un retour aux problématiques
laire avec Badiou dans lequel il me dit en l’institutionnalisme, si l’on peut dire, au de la Révolution française et du xviiie siècle
substance : « Depuis que tu t’es converti profit d’une politique critique, voire révo- après le constat d’un certain échec d’une
au droit, il n’y a pas à s’étonner que tu sois lutionnaire. À partir de ce moment-là, il vision marxiste de l’histoire ?
devenu réformiste. » Mais je ne me suis pas devient possible de penser une dialectique Il est sûr que, pour moi, le « noyau de
du tout converti au droit et je ne suis pas entre institutions et émancipation. vérité » ou le « noyau universalisant » de
—
du tout « devenu réformiste » : ces débats la Déclaration des droits de l’homme se
ne m’intéressent pas ! Il faut simplement comprend mieux en termes de rupture,
reconnaître que tout ce qui s’est pensé
d’intéressant depuis la mort de Marx, y L’intellectuel est donc d’événement historique irréductible
aux conditions de son advenue, que d’avè-
compris chez Engels, tourne autour des
rapports de pouvoir qui se constituent
requis chaque nement d’un droit naturel ayant toujours
existé, ou de résultat d’une tradition philo-
dans les superstructures : comment accor-
der une pertinence conceptuelle et une
fois qu’il s’agit de sophique qu’on pourrait, à la manière
d’Ernst Bloch dans Droit naturel et dignité
efficace politique à ce dont on proclame faire passer dans humaine, faire courir des stoïciens à Kant.
l’inexistence ?
un champ des Selon moi, cette Déclaration ne peut se
déduire ni de Locke, ni de Rousseau, ni de
Mais comment vous en sortez-vous avec
cette question des superstructures, et
énoncés qui ne lui n’importe quel fondement idéologique :
elle procède d’une surdétermination qui
notamment du droit ? Parce que depuis
Marx, c’est un peu une impasse : d’un côté,
appartiennent pas excède toute histoire des idées. De ce point
de vue, il me semble qu’elle s’explique
le droit, ce n’est toujours qu’un camou- en propre. presque mieux par son avenir que par son
flage au service de la classe dominante ; de
l’autre toutes les conquêtes sociales effec- — passé. Par exemple, dans le fait que l’Adres-
se inaugurale de la première Association
tives ne s’expriment jamais qu’en termes Qu’entendez-vous par « émancipation » ? des travailleurs écrite par Marx ne peut se
de nouveaux droits acquis. C’est aujourd’hui un terme si galvaudé comprendre sans cette Déclaration, dont
C’est en effet compliqué. Quand on réflé- qu’il semble permettre de rassembler abso- elle réitère exactement le noyau insurrec-
chit par exemple aux statuts des immi- lument tout le monde mais à peu de frais ? tionnel : « L’émancipation des travailleurs
© Association Vacarme | Téléchargé le 16/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.109.221.14)
8
Étienne Balibar a confié
l’accompagnement iconographique
de ces pages à Ariella Azoulay, qui
enseigne la culture visuelle et la
philosophie à l’université Bar Ilan
(Israël). Elle a choisi d’extraire
trois photographies de l’exposition
qu’elle a réalisée à Tel Aviv en 2007,
ACT OF STATE 1967-2007 - histoire
photographique de l’occupation,
qui a depuis beaucoup circulé et que
l’on pourra voir à Barcelone en juin
2010. Ces trois images témoignent des
transformations de l’espace assigné aux
Palestiniens au cours des deux dernières
décennies. Elles ont été publiées, avec
leurs légendes, dans le catalogue de
l’exposition (Éd. Bruno Montadori).
9
entretien
vacarme 51 - printemps 2010
en tout cas en même temps) dans certaines une légalité ancienne fait face à une légiti- est au cœur d’une difficulté dont je ne suis
institutions une puissance ou un lieu de mité qui revendique une nouvelle légalité. jamais sorti, et dont je ne suis pas sûr qu’on
relance du moment insurrectionnel. Ce qui du même coup laisserait à penser doive sortir : d’un côté, la Déclaration est
que dans les mouvements actuels, par assez radicalement égalitaire pour que
Mais qu’entendez-vous alors par insur- exemple celui des émeutiers de 2005, on tous les discriminés ou les exclus parti-
rection ? Cela peut vouloir tout dire, de la en est encore loin… culiers (les prolétaires, les colonisés, les
lutte armée à la désobéissance civile… femmes, les immigrés d’aujourd’hui)
J’entends « insurrection » au sens le plus On peut dire cela. Mais je vois alors un puissent s’en réclamer pour lutter contre
large possible, tel qu’il fut d’abord utilisé problème majeur, celui du rapport entre l’état de fait existant ; mais d’un autre
par les mouvements révolutionnaires de politique, légalité et violence. Quel que côté, force est de constater que, dans l’his-
la fin du xviiie siècle et du début du xixe soit le sens dans lequel on entend insur- toire moderne, c’est sous la bannière des
siècle (insurgents dans la Révolution rection, il y a toujours un rapport avec la Droits de l’homme que ces exclusions
américaine, insurrectionnels dans la violence qui, certes, n’arrive pas à la poli- ont été maintenues, et qu’elles se sont
Révolution française et en Haïti, insur- tique de façon contingente, puisqu’elle même durcies. Dans aucune des sociétés
gentes dans la Révolution mexicaine) : est presque toujours une réponse à une de statuts ou d’ordres qui ont précédé
c’est le correspondant terme à terme, violence antérieure invisible. Quels anta- nos sociétés d’égaliberté, on ne trouve des
aussi difficile cela soit-il en pratique, gonismes et quelles violences « font » l’his- formes d’exclusion aussi absolues. Sans
de la notion d’émancipation. Cela vaut toire et la politique, et lesquels au contrai- doute est-ce parce que, quand les sociétés
aujourd’hui aussi bien pour les mouve- re la dissolvent ou signent son échec, c’est sont hiérarchisées et fonctionnent suivant
ments de sans-papiers, celui de désobéis- toute la question. J’essaie d’en parler dans un principe d’« inégale liberté », on n’a nul
sance civique autour des sans-papiers, ou Violence et Civilité (Galilée, 2010). La loi besoin d’exclure de l’espèce humaine ceux
celui des révoltes en banlieue, ou celui des est bien sûr d’une extrême violence – c’est à qui on dénie l’accès au politique ou les
étudiants et des enseignants qui cherchent en tout cas ce que j’ai retenu de Carl droits fondamentaux, ou de les transfor-
à réinventer l’école démocratique au lieu Schmitt : le droit n’est pas l’autre absolu mer en êtres humains inférieurs. On aurait
de s’incliner devant la professionnalisa- de la violence mais le champ dans lequel tort de trancher trop vite cet antagonisme
tion du savoir... Il faut bien donner des ou sous lequel s’affrontent en permanence du rapport que l’universalité des droits
exemples, sinon on se moque du monde, des violences de signes opposés. En ce sens, entretient avec les différences anthropo-
mais en même temps, toute énumération l’adéquation parfaite de l’insurrection et logiques. Il y a quelque chose d’admirable
pose problème : d’abord parce qu’elle de la constitution est peut-être encore un dans l’héritage symbolique des Droits de
semble prescrire des modèles et ainsi mythe, ou un point d’aveuglement : les l’homme, mais aussi un envers coûteux
limiter d’avance les formes possibles d’in- deux sont nécessairement d’emblée ou en termes de reconnaissance ou plutôt de
surrection ; ensuite, parce qu’elle semble très vite disjoints en pratique. méconnaissance des différences.
reléguer dans l’ombre les mouvements
institutionnels les plus profonds ou les Mais ce qui manque alors peut-être, c’est C’est un peu du Foucault, non ? Dans cette
© Association Vacarme | Téléchargé le 16/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.109.221.14)
10
Étienne Balibar
vacarme 51 - printemps 2010
partir des universalismes religieux (chré- dénonciation d’un réel n’est possible que Peut-être seulement à apporter un éclai-
tien ou musulman) qui les ont précédés, depuis un lieu singulier qui n’est jamais rage comparatif, à servir de « médiateur
ou des universalismes révolutionnaires indemne de ce réel. Pour revenir à mon évanouissant » entre des expériences sépa-
(socialistes, voire communistes) qui les cas, je dirais que mon imaginaire intellec- rées par de longues distances, comme les
ont suivis. À quel titre exclut-on d’une tuel est plutôt celui de la frontière ou de la nôtres et celles des amis indiens avec qui
communauté universelle ? Cela peut traduction : l’intellectuel n’est pas là pour j’ai travaillé sur la « matérialité du politi-
s’opérer aussi bien au nom du péché, de la montrer la voie ou dire les conditions dans que » et sur la justice. Il est vrai qu’on ne
trahison, de la culture, qu’au nom d’une lesquelles les vrais problèmes politiques peut le faire sans concept…
nature ou de droits dits naturels. pourraient se poser, mais il est malgré tout
requis chaque fois qu’il faut franchir une Si de tels engagements ne sont pas néces-
Cela revient-il à dire que votre « proposi- frontière, chaque fois qu’il s’agit de faire sairement pratiques au-delà de telle ou telle
tion de l’égaliberté » est aporétique ? passer dans un champ des énoncés qui ne prise de position particulière, cela suppose
Elle est très profondément aporétique. lui appartiennent pas en propre. donc d’abord un intérêt théorique pour la
—
Et de toute façon, ce n’est pas un fétiche. politique, et notamment pour la politique
Alors certes, j’encours le reproche d’ap- internationale, si l’on pense par exemple à
porter plus de problèmes que de solu-
tions, mais enfin, il faut bien reconnaître Le « sujet du votre soutien constant aux Palestiniens ?
Mais non, je n’ai pas d’intérêt « théori-
ce fait théorique : il y a plus de problèmes
politiques que de solutions.
politique » est que » pour la politique internationale !
D’abord parce que cette notion fait un peu
11
entretien
vacarme 51 - printemps 2010
actuelle sont d’une violence radicale vis- gens qui arrivent malgré tout à trouver de tout horizon d’indépendance pour les
à-vis de tout ce qui n’est pas européen, sur la durée un langage commun sans nier Palestiniens, les réduisant au statut de
notamment les immigrés. Il faut tenir sur leur différence et sans nier non plus ce pauvres, de citoyens de seconde zone ou
ces deux plans. C’est en ce sens par exem- qu’ils partagent et qui ne relève pas que de de terroristes potentiels, ne savent pas du
ple que je me suis en partie opposé aux leur rencontre singulière. Et c’est bien là tout ce qu’ils vont en faire « physique-
Indigènes de la République : l’Europe ne où il est juste d’appeler à les soutenir. ment ». Et dès qu’on essaie de l’imaginer,
fait pas que reproduire une situation colo- on voit apparaître des solutions horribles.
niale extérieure à l’intérieur d’elle-même ; Arrêtons-nous sur cette notion d’appel. C’est pourquoi on peut et doit encore
elle est aussi ce qui ébauche une citoyen- Vous êtes un homme de l’appel et de la résister, au moins à ce catastrophisme
neté irréductible aux formes antérieures, pétition. Et vous n’appelez pas seulement absolu, même si des étapes ont été fran-
une « co-citoyenneté ». à soutenir telle ou telle minorité – vous chies vers l’irréversible. Mon amie Ariella
avez pu par exemple appeler à voter Azoulay a organisé une exposition photo-
Qu’entendez-vous par co-citoyenneté ? Ségolène Royal. Votre rapport politique graphique sur quarante ans d’occupation
Ce terme, je ne l’ai pas inventé, et ce à l’appel transcende donc les oppositions de la Cisjordanie : quand on voit les trans-
qui m’intéresse en lui ne concerne pas entre minorités et majorité comme entre formations progressives des paysages, des
seulement l’Europe. J’en ai parlé pour la soutien et proposition… routes, des visages, des corps, c’est terrible,
première fois dans un texte de 1984 sur Hélas, hélas ! Autrefois, j’étais un homme mais ce n’est pas mort. Il faut bien conti-
les rapports entre les nations française et du collage d’affiches et de l’organisa- nuer à résister, ici comme ailleurs. On n’a
algérienne. J’y évoquais le rêve gaulliste tion des manifs. Maintenant, je signe des pas le choix. ■
d’une co-citoyenneté entre la France et appels… Mais je n’en renie aucun. Autant
ses anciennes colonies en 1945 : il y avait il est ruineux de réduire le champ politi-
évidemment là-dedans une dimension que à un système parlementaire où toute la
idéologique et calculatrice, mais aussi une politique tournerait autour des élections,
proposition intéressante – la possibilité de autant il est contradictoire de faire comme
jouir sur un territoire donné de toutes les si tout cela n’existait pas et n’avait aucun
prérogatives de la citoyenneté indépen- effet sur les conditions dans lesquelles nous
damment de sa nationalité propre. Cette vivons et travaillons. Alors évidemment, à
idée de co-citoyenneté est liée à ce que j’ai chaque fois, on est trompé, déçu, et tout
appelé « la démocratisation des frontiè- ce qu’on voudra. Mais enfin il est encore
res » : non pas l’assimilation des étrangers plus stupide de se désintéresser complète-
mais la reconnaissance que des individus ment du fonctionnement des institutions
différents sur un même territoire relèvent représentatives. D’autant que cela revient
des mêmes droits (de vote, d’embauche, souvent, sous couvert d’une défiance vis-
d’éducation) en fonction d’un principe à-vis de tout institué, à fétichiser certaines
© Association Vacarme | Téléchargé le 16/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.109.221.14)
12