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En couverture

Me Pierre-Louis Agondjo-Okawé,
57 ans, marié, 11 enfants, Avocat-Professeur,
Honorable Député à l’Assemblée nationale gabonaise,
Président du Parti gabonais du Progrès (P.G.P.)
Candidat du P.G.P. à l’élection présidentielle de décembre 93.
Préface: Le sens d’un combat
Dans les pages qui suivent, oeuvre de la jeune et dynamique
équipe du journal «LE PROGRESSISTE», le lecteur prendra plus ample
connaissance de la très riche personnalité du Président du Parti
Gabonais du Progrès (P.G.P.), Me Pierre-Louis Agondjo-Okawé,
Avocat-Professeur, combattant de la liberté de la première heure.
De réputation nationale et internationale, homme simple,
homme de principes dont la rigueur effraie tous les fossoyeurs des
libertés, Me Pierre-Louis Agondjo-Okawé étonne par la précocité de son
amour pour J’intérêt général, pour les libertés syndicales et politiques et
son sens inné de l’organisation comme moyen de parvenir au triomphe
des idéaux qui l’ont inspiré et t’inspirent dans sa lutte contre les forces de
régression sociale.
Comme le lecteur s’en apercevra. la vie de Me Agondjo-Okawé
est marquée par la constance d’un combat commencé très tôt, comme
élève puis comme étudiant et enfin comme avocat et professeur. Il aurait
pu, comme beaucoup de ses camarades. choisir la voie de
l’enrichissement facile par l’entrée dans l’appareil d’État où sévissent la
concussion et la corruption. Beaucoup de ses anciens camarades sont
aujourd’hui milliardaires. Le premier avocat gabonais aurait pu suivre
cette pente qui a mis aujourd’hui le Gabon par terre. Il a choisi la voie
difficile de l’honneur, de la dignité et de la défense de la justice sociale.
Constance d’un combat qui lui a fait connaître les affres de la prison et
les tracasseries de toutes sortes.
Les Gabonaises et les Gabonais se souviennent aussi du rôle
éminent joué par le parti de Me Agondjo-Okawé et sous sa direction
pour l’instauration en 1990, au cours de la Conférence Nationale, cours
de la Conférence, du multipartisme intégral et immédiat arraché de haute
lutte au Parti Démocratique Gabon (P.D.G.) et son Président fondateur
Omar Bongo. C’est aussi Me Agondjo-Okawé qui, contre vents et marées
réussira à sauvegarder le P.G.P. dont la liquidation était programmée
par le pouvoir après l’ignoble assassinant du Premier Secrétaire Général
du Parti Joseph Rendjambé.
Fin stratège, il réussira à implanter et à consolider à l’intérieur
et à l’extérieur du territoire, le P.G.P. qui est aujourd’hui une force
politique incontournable sur l’échiquier politique gabonais. C’est cet
homme que le Congrès Extraordinaire du P.G.P. a choisi pour mener aux
côtés de ses pairs de la Coordination de l’Opposition Démocratique
(C.O.D.) la lutte pour l’alternance en vue du changement réel le 5
décembre 1993.
Les militantes et les militants du P.G.P. ont fait le bon choix.
Puisse Je peuple gabonais le confirmer pour l’établissement d’un État de
droit et le triomphe des libertés.

Benoît Mouity-Nzamba, Vice-Président du P.G.P.


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CHAPITRE I

ENFANCE

SCOLARITÉ

ET VIE FAMILIALE

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L’enfance

Les conditions de la naissance


Pierre-Louis Agondjo-Okawé est né le 30 décembre 1936 dans
une petite localité appelée Awouta (on parle d’Omboué par commodité),
située loin de son propre village du nom de Kongo dans le Fernan-Vaz.
Cette naissance qui intervient hors de Kongo, son village ancestral,
survient peu après les difficultés obstétricales successives rencontrées
par sa mère, Madame Anina Germaine, qui a perdu au cours de ses
précédentes maternités deux garçons jumeaux morts à leur naissance,
puis un autre garçon qui est également décédé peu après l’accouchement.
À la suite de ces malheurs répétés, la sœur aînée de sa grand-
mère, Madame Etombé z’Olago qui avait une amie, Madame
Ogandag’Olindi, spécialiste de tradigynécologie (gynécologie
traditionnelle), décide d’emmener sa nièce dès les premiers mois de la
grossesse du futur Agondjo chez cette femme, habitant le village
d’Awouta, à quinze minutes de pirogue du village Kongo. Elle soigna
alors sa mère à l’aide d’herbes, jusqu’à la naissance du jeune Agondjo,
qui signifie en Nkomi herbes ou l’enfant qui naît grâce aux herbes. En
effet, matin et soir, sa mère devait manger des herbes hachées pour son
traitement. Utilisé en médecine moderne, il interdit tout rapport sexuel.
Ce 30 décembre 1936, maman Anina Germaine accouche à
Awouta d’un enfant de sexe masculin. Chez les Nkomi, le premier enfant
qui naît dans ces conditions porte trois types de noms: Agondjo,
Ogandaga, lnango ou Nango, pour rappeler l’arbuste qui participe à cette
médecine, Ogandag’igondjo, inango ou nango étant le médicament ou
l’enfant qui naît grâce à une médication. L’enfant qui suit le premier né
s’appelle Akendengué, ce qui veut dire en Nkomi le deuxième enfant né
grâce à cette médication. Akendengué vient de okendé kendé, qui signifie
«nous sommes tranquilles» ou «]a tranquillité».
En effet, Pierre-Louis Agondjo-Okawé a un frère du nom
d’Akendengué Maur qui vit à Ouagadougou (Burkina Faso) né au cours
du même séjour auprès de la praticienne Ogandag’Olindi, et ce n’est
qu’après cette deuxième naissance que la mère et les deux enfants
regagnèrent le village de Kongo. Le troisième enfant est généralement
dénommé Avouelé, qui vient de vouelé vouelé, et qui signifie «merci» en
Nkomi. Après la naissance du troisième enfant, on reprend le cycle
normal des noms. Revenu dans son village, le jeune Agondjo vit avec ses

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grands-parents maternels car entre temps ses parents ont divorcé et sa
mère a épousé Charles Ping, un Chinois. De ce second mariage est né un
enfant de sexe masculin, Jean Ping qui aurait été appelé Avouelé si sa
naissance était intervenue au village, mais qui porta le nom de son père.

L’enfance au village
Resté au village avec sa grand-mère qui rendit sa naissance
possible, le jeune Agondjo-Okawé, comme les autres enfants de son âge,
commence à s’initier aux premières notions de culture traditionnelle,
c’est-à-dire à appartenir à des sociétés initiatiques de son âge, à jouer du
tam-tam, à apprendre à tâter les cordes de la cithare, etc. De temps en
temps, il va vivre avec sa grand-mère paternelle habitant un autre
quartier du village.
Jusqu’à l’âge de dix ans, il grandit donc au village, élevé
essentiellement par des femmes qui le couvrent de leur affection. Au
cours de cette période, il a un penchant pour ce qui est intellectuel, sans
qu’il en mesure la portée réelle. Le dessin est la première chose qui
frappe son imagination. Par suite, tout dessin relatif à la broderie dans le
village (napperons, taies d’oreillers, etc ... ) lui est confié. Il lui est même
arrivé de dessiner un jeu de cartes complet en reproduisant les
illustrations des rois, des dames et des valets.

La scolarité
Les études primaires

Un fait inattendu va modifier le cours normal de sa vie. Un jour


d’octobre 1946, M. Ayouné Jean Rémy arrive à Kongo. Il est apparenté à
Agondjo par son père du clan Adjéna, clan paternel de la mère de Me
Agondjo, et par sa mère du clan Avandji, clan des grands-parents
d’Olago-Vandji arrière-grand-père maternelle de Me Agondjo. Une des
tantes d’Ayouné épousait aussi Olago-Vandji. Par cette affiliation, M.
Ayouné est l’oncle de Me Agondjo, du côté maternel. Il trouve le jeune
Agondjo en train de dessiner. Fasciné, il demande si le jeune garçon
fréquente une école.

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On lui répond que non. Il s’énerve et dit qu’on l’emmène dès le
lendemain à l’école Sainte-Anne du Fernan-Vaz. Il charge alors l’un de
ses oncles, Martin Rendjago, de l’y conduire avec un de ses cousins un
peu plus âgé que lui, douze ou treize ans environ.
C’est ainsi que le 27 octobre 1946, il rentre à l’école de Sainte-
Anne du Fernan-Vaz. Son entrée tardive à l’école est dûe pour l’époque à
son jeune âge. Rappelons qu’à cette date il n’est âgé que de dix ans. Il est
alors classé dans la catégorie des petits, par opposition à la catégorie
des moyens (14-16 ans) et des grands (17-20 ans). Tous les élèves sont
logés à l’internat, il n’y a pas d’externat Les petits doivent avoir des
protecteurs qui les gardent des brimades des moyens et des grands
fréquentant la section de menuiserie. A cette préoccupation s’ajoute un
handicap, la distance qui sépare le village de Kongo de l’école Sainte-
Anne. Il faut la parcourir en deux ou trois heures de navigation en
pirogue et à la rame. Enfin le voilà tout de même à l’école et quand il
arrive à Sainte-Anne, il est précédé d’une certaine réputation d’enfant
intello., d’enfant prodige. Il y avait sept classes à l’école, du débutant
jusqu’en C.M.2. Parmi les petits il y a, entre autres, le futur Professeur
Kombila Pierre André et ses frères et Hervo Akendengué Augustin.
Il s’y inscrit et dans cette classe, il ne passe que les trois mois du
premier trimestre. Après les vacances de Noël, la direction de l’école
décide de l’admettre en C.P.l. Dans cette classe, il occupe les premiêres
places du début jusqu’à la fin de l’année. Il passe normalement en C.P.2
et, à nouveau il domine ses condisciples en occupant toujours les
premières places. C’est ainsi que lors des dernières compositions, on
décide de le faire participer aux examens de fin d’année avec les C.E.1.
pour l’admission en C.E.2. Il prend part à ces examens et en sort
deuxième. Il passe au C.E.2., sans avoir fait le C.E.l.. Ses maîtres à
l’époque avaient pour noms Julien Mbourou, l’ancien député, au cours
débutant et Rémy Ogoula en C.E.1.
En arrivant à Sainte-Anne, le jeune Agondjo fait la
connaissance de l’abbé Augustin Eléwanyet, Galoa de Lambaréné
originaire d’Ashouka et du même clan que son père M. Okawé. Il le prend
en affection. Quand arrivent les vacances de l’année 1946-1947, l’abbé
Augustin Eléwanyet décide que le jeune Agondjo ne partira pas dans son
village auprès de ses parents; il estime que cet enfant, brillant élève, une
fois reparti au village, va s’initier au bwiti et à d’autres pratiques
traditionnelles condamnables; il risque ainsi de perdre le bénéfice des
études. Il fait comprendre aux parents que l’enfant restera à la mission et
que pour le voir, ils devront venir à Sainte-Anne.

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Le jeune Agondjo passa donc toutes ses vacances à l’internat, en
particulier au campement de pêche de Mboumba où les petits
s’occupaient à rechercher du poisson tandis que les grands péchaient à la
senne.
Au cours des vacances de l’année scolaire 47-48, l’abbé Augustin
Eléwanyet est affecté à Oyem. Il décide naturellement d’emmener
Agondjo avec lui et demande l’autorisation à ses parents. Ces derniers
adoptent des attitudes contrastées. Tandis que sa mère et son oncle
paternel (à la place de son père absent de Kongo) donnent leur accord,
ses grands-parents sont plutôt réservés. Ces hésitations n’empêcheront
pas le jeune Agondjo de suivre l’abbé Augustin à Oyem. A l’internat, il
s’adapte facilement à son nouveau milieu social et apprend rapidement
le fang qu’il parle parfaitement par la suite grâce à ses amis d’école. Sa
première composition de l’année scolaire 48-49 à Oyem est
catastrophique dans toutes les matières. Il est classé dernier pour la
première fois depuis le début de ses études primaires.
Il se reprend vite et cravache dur pour rattraper son retard et
comble rapidement ses lacunes dans toutes les matières, sauf en calcul
où il obtient des notes en dents de scie. A la dernière composition de la
même année, il est classé premier et passe en C.M.1 L’année suivante,
l’abbé Eléwanyet est affecté à Bitam et le jeune Agondjo repart avec lui
dans cette ville. Sur le plan scolaire, il n’éprouve plus que quelques
difficultés en calcul.
Quand il termine le C.M.1 à Bitam, l’abbé Augustin Eléwanyet
décide de l’envoyer au Séminaire Saint-Jean de Libreville, contre son gré.
Il le lui dit à la veille de son départ. Il est inscrit en C.M.2 à l’École Mont-
Fort. Au Séminaire Saint-Jean où il est pensionnaire, il fait la
connaissance de Paul Malékou, Julien Mezui, Michel Abessolo, Martin
Alihanga, Lazare Digombé, Ngoua Noël, etc. A la fin de l’année scolaire
il passe le concours d’entrée en sixième au collège Bessieux en même
temps que Mba Ndong Marc, le seul condisciple qui a réellement rivalisé
avec lui, de telle sorte que quand il était premier, Mba Ndong Marc était
deuxième et inversement, de la classe de sixième jusqu’en terminale. II
restera encore au Séminaire une année. Ne supportant pas le régime
alimentaire imposé par cette institution, il tombe malade.
A sa sortie d’hôpital, il rechute et quitte le Séminaire tout en
poursuivant ses études secondaires au collège Bessieux. Il y rencontre,
entre autres Jules Bourdès Ogouliguendé, Nyalendo Jean-Paul et Ndouna
Dépénaud. Ce dernier interrompra ses études en classe de seconde pour
préparer une carrière administrative dans une école de Brazzaville.

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1 - Pierre-Louis Agondjo-Okawé, élève de


3e au collège-Bessieux en 1955.

2 - Avec Jules Bourdès-Ogouliguendé


à Lille, en 1961.

3 - Deux étudiants gabonais dans les rues


de Lille en 1961, Paul Malékou et Pierre-
Louis Agondjo-Okawé (en lunettes).
3
Outre ces derniers, Agondjo note la présence d’Abiaghe Angoué,
l’actuel gouverneur de l’Ogooué-Maritime qu’il rattrape en classe de
cinquième alors que plus tard arrivent à Bessieux Oyé Mba, Rendjambé
Joseph, Essongué Michel, Rémondo Max, Rédombo Ernest, Ayo Barro
et Damas Ozimo Claude, etc. Le collège Bessieux ne possédant pas de
classes terminales à cette époque, il quitte l’établissement pour le lycée
Félix Éboué, actuel lycée national Léon Mba, après avoir collectionné la
majorité des prix.
Au cours de l’année scolaire 1957-1958 éclate la grève au lycée
Félix Éboué. Tous les établissements secondaires de Libreville ferment
pendant trois mois. Cette grève, liée au problème de la mauvaise
alimentation des internes, va provoquer une contre-grève de la majeure
partie du corps professoral du lycée, de telle sorte qu’en fin d’année, les
épreuves du baccalauréat étant corrigées à Bordeaux en France, le lycée
n’eut qu’un seul élève admis au baccalauréat et en série sciences
expérimentales, tous les autres élèves étant «recalés» dans Ies autres
séries.

Le cursus universitaire
En fin d’année scolaire 1958-1959, Pierre-Louis Agondjo-Okawé
obtient avec la plupart de ses condisciples son baccalauréat, série
philosophie, et s’envole pour la France pour poursuivre ses études
supérieures. Comme à cette époque les étudiants gabonais se concentrent
dans les trois académies de Paris, Lille et Poitiers, il s’inscrit à la
Faculté de Droit et Sciences Économiques de Lille et Mba Ndong Marc à
celle des Lettres de la même ville en même temps que Mintsa Mi Owono,
Owono Nguéma, Nguéma Isaac, Malékou Paul, Rémondo Max, Nzé
Emmanuel, Nzé Samuel, Bourdès Ogouliguendé, etc. Cette colonie
estudiantine gabonaise retrouve à Lille des anciens étudiants comme
Michel Abessolo, Nang Ekamkam et Julien Mezui. Les autres bacheliers
de l’époque dont Michel Antchouet, Bouma Maurice et Emmanuel
Sipamio Berre sont acheminés sur l’Université de Poitiers. Dès sa
première année universitaire 1959-1960, il est lauréat de la Faculté de
Droit et Sciences Économiques de Lille (le lauréat est celui qui est le
premier d’un concours primé par une médaille). Il passe normalement en
deuxième année avec mention passable et, vers la fin de cette deuxième
année, il a des problèmes avec les autorités gabonaises qui lui
reprochent son activisme politique et qui par suite lui suppriment la
bourse.

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C’est le début des ennuis politiques. Exaspéré par cette mesure qu’il
trouve injuste, il déclare au Président Léon Mba que désormais il
réussira ses examens avec au moins la mention assez bien, ce qu’il
réalise, tout en travaillant comme surveillant au lycée technique
d’Armentières, à 40 kilomètres de Lille.
A la fin de la quatrième année, il prépare simultanément le
Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (C.A.P.A.) et deux
diplômes d’études supérieures (D.E.S.) en Histoire du Droit qu’il obtient
avec mention très bien et celui de Droit privé. Il bat ainsi un record
depuis la fondation de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques
de Lille. Sur les conseils de son Professeur de Droit, M. Pierre Legendre,
Pierre-Louis Agondjo-Okawé monte à Paris au cours de l’année
universitaire 1965-1966 pour préparer le concours d’agrégation d’Histoire
du Droit.
Le voilà donc à Paris sans bourse. Son premier réflexe est de
trouver du travail. Dans le même temps il s’inscrit à l’agrégation à
l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il obtient une aide du Centre
National de la Recherche Scientifique (C.N.R.S.) pour un travail de
recherche ponctuel qui lui permettra de suivre en attendant l’avis sur son
dossier d’Assistant dans le département d’Histoire du Droit. L’année
suivante, sa demande est agréée. Il devient ainsi l’Assistant du
Professeur Michel Alliot de cette célèbre l’Université parisienne, dans la
section d’Histoire du Droit et dans la sous-section d’Anthropologie
juridique.
Il faut préciser que le Professeur Michel Alliot qui a enseigné un
peu partout en Afrique, notamment à Dakar et à Madagascar, est
l’ancien recteur de l’Académie de Versailles. Aujourd’hui à la retraite, il
reste responsable du Laboratoire d’Anthropologie Juridique dont son
ancien assistant Pierre-Louis Agondjo est actuellement l’un des
membres.
Issu d’une grande famille dont il est l’aîné, Pierre-Louis Agondjo
perd son père M. Okawé, mort par accident du travail en 1965, alors qu’il
est encore étudiant en France. Sa mère, alors brouillée avec Charles
Ping, vit seule avec sa grand-mère et tous les autres membres de la
famille. Sous la pression de ses enfants, maman Anina se réconcilie
avec Charles Ping. Chez les Nkomi qui relèvent du matriarcat comme les
Punu, les Massango et bien d’autres ethnies du Gabon, le chef de famille
est le frère de la mère. Mais le jeune Agondjo n’a pas d’oncle utérin, c’est
donc le frère de sa grand-mère qui est le chef de la famille. Il s’agit
d’Ilougou Pierre; mais celui-ci meurt en 1966 et le jeune Agondjo en tant
qu’aîné devient automatiquement chef et seul responsable de la famille.

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Cette situation le dissuade de poursuivre la préparation de son
concours d’agrégation en Histoire du Droit. Il décide de ne se consacrer
qu’à son doctorat en Droit. En 1967, il soutient sa thèse de doctorat en
Droit intitulée «Structures parentales gabonaises et développement» avec
la mention très bien, les félicitations du jury et le prix de thèse (thèse à
imprimer), d’autant que pour mieux s’imprégner de la notion de
coutumes, il avait suivi à la Sorbonne des cours de sciences religieuses,
de linguistique, de sociologie, d’ethnologie et d’anthropologie. Pendant
qu’il enseigne à Panthéon-Sorbonne, étant titulaire du C.A.P.A., il prête
en septembre 1967, au Palais de Justice de Paris, le serment de l’Ordre
des Avocats. C’est aussi au cours de cette même année que meurt le
Président Léon Mba à l’Hôpital Claude-Bernard à Paris. Il effectue son
stage d’Avocat au cabinet du Professeur de Droit Denis Bredin, Avocat à
la Cour d’Appel de Paris. Il. s’inscrit également, à l’Institut d’Études
Judiciaires de Paris dont il obtient le diplôme. Le 10 août 1968, il décide
enfin de rentrer définitivement au Gabon, malgré les ennuis qui 1’y
attendent pour s’occuper de sa famille. Il revient au pays avec deux
professions, celle d’Avocat et celle d’Enseignant. Le Gabon n’a pas
encore d’Université. Il postule donc un agrément au Gabon en qualité
d’Avocat-Professeur puis, en tant qu’Enseignant, il sollicite les
Universités de Yaoundé et de Brazzaville, à la seule condition de
bénéficier de quinze jours d’autorisation d’absence par mois pour sc
rendre au Gabon. Cette condition rejetée par les autorités rectorales de
Yaoundé est acceptée par celles de Brazzaville, dans le cadre de la
F.E.S.A.C., (Fondation de l’Enseignement Supérieur en Afrique
Centrale).
Me Agondjo se rappelle toujours son séjour universitaire
français. En particulier, il garde un souvenir impérissable et
impressionnant des événements de mai 1968, événements qu’il a vécus et
qui furent pour lui des moments historiques au cours desquels il prit
conscience de l’extraordinaire force que possède une foule en colère. Il ne
fut donc pas étonné par l’ampleur des événements qui ont secoué la ville
de Port-Gentil en 1990. En se rappelant son cursus universitaire en
France, il mesure l’effort accompli depuis ce 27 octobre 1946 où, pour la
première fois, il rentre à l’école de Sainte-Anne du Fernan-Vaz, ne
connaissant aucun mot de français, n’ayant pour seul bagage
linguistique que le nkomi, langue qu’il maîtrise parfaitement et qui lui a
permis de s’intéresser un peu plus tard à la linguistique, et qui reste pour
lui un outil de travail dans ses recherches historiques et
anthropologiques.

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Il en vient aussi à justifier sa vocation pour le Droit à une suite de
circonstances dont l’influence fut décisive dans son devenir. C’est d’abord
son enfance au village où il vit auprès de ses grands-parents, tous grands
chefs coutumiers. Il baigne donc dans le milieu de la chefferie, de la
justice, du Droit et du pouvoir, le milieu des trancheurs de litiges, les
juristes (lkambi).
Ce milieu va, très tôt, marquer le jeune Agondjo par l’amour du
Droit, le refus de l’injustice et de l’oppression. Car le milieu des chefs,
c’est aussi celui de la politique, de la résistance à l’oppression coloniale.
Son arrière-grand-père maternel, Olago-Vandji était l’un des chefs
supérieurs des Nkomi et sera successivement remplacé par ses enfants
Ilougou y’Olago et Ndouani y’Olago, tous classés dans la lignée des
chefs récalcitrants du village Kongo. Entre 9 et 10 ans, le jeune Agondjo
est marqué par deux événements, dont l’un se produit au village Awouta,
et l’autre à Kongo. À Awouta, la fille du chef Nkala yi Nkoma, du nom
d’Evouandénoréma, actuellement à Omboué, est agressée par un
milicien. Elle n’hésitera pas à boxer ce milicien.
L’autre événement aura lieu à Kongo et opposera M. Ziza yi
Mboza, oncle du jeune Agondjo, à un milicien qui sera roué de coups par
le sieur Ziza, l’intello. du village qui n’accepte pas l’oppression coloniale.
Mais si à Awouta le jeune Agondjo assiste en spectateur, à Kongo, il
participera à sa manière à l’action contre le milicien, en s’emparant de
sa chéchia qu’il transformera en ballon de football. Pour lui, la situation
coloniale est vécue à travers les actes répressifs des miliciens et la
résistance multiforme des villageois contre ces agissements.
Me Agondjo cite également son professeur de philosophie au
lycée Félix Éboué. Un personnage qui semble avoir joué un rôle
important dans le choix de sa filière. Lorsqu’il lui rendait les meilleures
copies de philosophie, son professeur lui faisait remarquer son style et
son raisonnement de juriste. Mais ces influences n’auraient pas eu de
prise définitive sans son propre choix. Il se disait qu’en choisissant les
études de Droit, il ferait en quelque sorte un retour aux sources, à la
coutume qui lie les membres d’un groupe sociolinguistique, la famille,
avec le respect des traditions. Ce rôle que sa famille joue dans sa vie
politique et professionnelle est très important.

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La vie familiale

La famille stricto sensu

Quand Me Agondjo parle de sa famille, il change de ton et même


d’attitude. Il prend un air grave et détendu. Sa famille, affirme-t-il sans
détours, est l’élément régulateur de sa vie et en tant que tel, elle lui est
indispensable à tout moment. Il sait ce qu’il dit, lui qui, marié depuis 1961
est actuellement père de onze enfants.
Membre d’une nombreuse famille dont il est l’aîné, Me Agondjo
est imprégné des traditions des grandes familles. Il est okambi. Régi par
la tradition matrilinéaire qui le sépare très tôt de son père par le divorce
de ses parents, il souffre beaucoup de n’avoir pas grandi auprès de son
père Okawé qu’il ne rencontra qu’à l’âge de quatorze ans. Cet état de
choses a consolidé sa conviction à rester entouré des siens. Il œuvre en
ce sens pour éviter les mêmes frustrations à ses enfants. Aujourd’hui,
quand l’Anthropologue Pierre-Louis Agondjo-Okawé nous expose son
expérience familiale, son propos se situe délibérément au-delà de son
cercle familiale pour englober sa dimension d’homme d’État.
En l’occurrence, il fait la distinction entre la famille stricto sensu
et la famille lato sensu. La famille stricto sensu, c’est celle du type
occidental, essentiellement composée du père, de la mère et des enfants,
par opposition à la famille africaine plus large. La femme, dans le
premier cas, joue le rôle de gestionnaire du foyer conjugal. C’est elle qui
s’occupe des enfants à la maison quand le mari est absent. Madame
Agondjo Okawé, née Ngowé Joséphine, qui a accepté pour le meilleur et
pour le pire, en 1961, de prendre pour époux Pierre-Louis Agondjo-
Okawé, serment dénié par bon nombre de femmes dans certaines
circonstances, mène une vie pieuse auprès de celui qu’elle a aimé.
Elle a toujours été présente dans les moments difficiles, quand il
était étudiant sans bourse ou quand son mari était en prison au Gabon.
Elle a lutté de force inégale avec le pouvoir pour obtenir l’hospitalisation
et de meilleures conditions de détention pour son époux, sans oublier
leur séjour à Brazzaville où en l’absence de son mari, elle a supporté la
tension de plusieurs tentatives de coups d’État. Les uns diront qu’il a eu
de la chance, les autres penseront qu’il a tiré un bon lot de loterie.
Dotée d’une sensibilité inimaginable et d’un sens d’équité
remarquable, Madame Agondjo Joséphine combat comme son mari
l’arbitraire et l’injustice sous toutes ses formes.

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1 2

3 4

1 - Avec Jean Ping, son frère, à Port-Gentil, en 1953


2 - Avec ses parents maternels au quartier Grand village, à Port-Gentil
en 1955
3 - Madame Agondjo, alors fiancée, en 1956
4 - M. et Mme Agondjo après la naissance de leur fille aînée , Idjoruba,
à Lille en 1964.
La famille, c’est aussi les frères et les rapports qu’il entretient
avec ces derniers, en particulier avec Jean Ping, son frère utérin, mais
adversaire politique parce qu’il est membre du P.D.G. et de surcroît
ministre d’un système qu’il combat. Me Agondjo reconnaît volontiers que
son frère Ping représente pour lui à la fois son malheur et son bonheur.
Son malheur parce que certains de ses adversaires politiques se
servent de son frère, en tant que gendre du Président Bongo, pour
échafauder de faux scénarios qui ne cadrent pas avec la réalité. Ils
ignorent que la politique est comparable à une société initiatique à
l’instar du mouiri ou du ndjembé. Ici, les notions de paternité et de
fraternité perdent leur sens usuel et cèdent la place au code initiatique qui
bouleverse les hiérarchies parentales. Dans ce type de société, le petit-fils
par exemple, parce qu’il est le premier initié, dirige son grand-père. Mais
dès qu’ils sortent de ce cadre, les hiérarchies parentales reprennent
automatiquement leurs droits. On peut évoquer le décès de leur grand-
mère pour illustrer ce qui vient d’être dit, décès au cours duquel Me
Agondjo et Jean Ping se sont tous deux retrouvés réunis pour les
obsèques. Après l’inhumation, chacun est reparti rejoindre sa famille
politique.
Mais pour Me Agondjo, Jean Ping c’est aussi son bonheur, tout
simplement parce qu’il est son frère et qu’il le restera pour la vie. Dans
cette situation, Me Agondjo n’est ni le. premier, ni le seul à avoir un
parent appartenant à un Parti au pouvoir autre que le sien. Le Président
du P.G.P. évoque pour convaincre, le temps où Léon Mba était
l’adversaire politique de Jean Hilaire Aubame le cas de Luc Ivanga,
actuellement membre du Rassemblement National des Bûcherons
(R.N.B.). Alors que ce dernier militait dans le Bloc Démocratique
Gabonais (B.D.G.), son frère Adiahénot était membre de l’Union
Démocratique et Socialiste Gabonaise (U.D.S.G.) que présidait Jean
Hilaire Aubame. Luc Ivanga ne fut jamais considéré comme un faux
opposant.
Point n’est besoin de citer des situations identiques observables
de nos jours, tant elles sont nombreuses. L’important en politique,
explique Me Agondjo, ce n’est pas ce que les gens disent de vous, mais ce
sont les actes concrets qui sont posés et qui différencient les hommes
politiques d’une même nation. Il le prouve en montrant qu’aux dernières
élections législatives, Jean Ping avait été battu par un candidat du P.G.P.
que lui-même avait soutenu. la démocratie étant la respect des opinions
d’autrui, Me Agondjo applique cette règle dans ses rapports avec Jean
Ping.

17
Il en résulte que tout en étant l’adversaire politique de son frère,
Me Agondjo respecte ses opinions politiques, même s’il ne les partage
pas. Toutes les allégations relatives à ce sujet sont donc des arguments
de propagande politicienne. Ils visent à masquer la réalité. Car la réalité
est connue de tout le monde. Aucun des détracteurs de Me Agondjo n’est
en mesure de montrer en quoi son frère en tant que gendre de Bongo
favoriserait sa propre situation. L’on comprend pourquoi cette
propagande a pour but de détourner l’opinion des vrais questions qu’elle
doit se poser justement sur les rapports passés et actuels de bon nombre
d’hommes politiques gabonais avec le fondateur du système
monolithique gabonais. En effet, il est de notoriété publique que certains
«opposants de circonstance» ont été reçus et nourris par Bongo et
d’autres logés dans des hôtels de la place par celui qu’ils n’osent plus
nommer aujourd’hui. Voilà qui relève du vécu des Gabonais et qui devait
faire scandale, mais que l’on s’empresse de passer sous silence.
A ce propos, Me Agondjo souhaite qu’au cours de cette
campagne électorale, tous les candidats à la présidence de la
République, y compris le candidat naturel du P.D.G., évoquent au cours
d’un débat télévisé leur parcours politique pour éclairer l’opinion
nationale sur la part prise par les uns et les autres dans la lutte contre le
système monolithique de la Rénovation et donc dans l’avènement du
multipartisme au Gabon.

La famille lato sensu


Mais la vie familiale ne s’arrête pas à la famille stricto sensu, ni
à son clan des Ananga, elle s’étend aussi aux clans frères des Aziza,
Anionga, Aryaguè, Azèguè, Adjavi, Asono, Azandi, aux clans des
grands-parents et arrière-grands-parents des Adjéna, Ilongo, Ekamamu,
Akasoviba, Asavu, Adjuba, Anuva, Agambo, Ayirui, Ndiwa, Agendjé.
Un proverbe nkomi dit qu’un noble (Awontché) doit avoir au moins
quinze clans, ce qui lui permet d’y baigner comme un poisson dans l’eau,
de les assister ou d’en être assisté, de faire jouer la fraternité et la
solidarité parentale à chaque instant.
La famille, c’est aussi la correspondance des clans cités ci-
dessus dans les autres ethnies : dans la Nyanga, Me Agondjo est petit-
fils dans les villages Bagambu (Agambo), dans l’Ogooué-Lolo, les
Magamba sont ses grands-parents comme dans les villages Lumbu les
Musanda (Adjéna) ou Punu les Bayéma. Il est fils dans les villages Fang
du clan Yengwi (Avemba) etc. C’est ainsi qu’il est le petit-fils de Mouity-
Nzamba, de Mbou-Yembi, de feu Moutsinga Paul, de feu Cyprien Moung

uengui

18
Mounguengui, neveu de Madame Maganga-Moussavou, de Moun-Gou-
Ngou Christian, fils de Mengome Atome, cousin de Ndong-Allogho ou
des enfants Ondo, entre autres. Il profite de ses connaissances
ethnologiques pour développer ses relations familiales extra-ethniques
en tant qu’être détribalisé, en tant que Gabonais fier d’être partout au
Gabon chez lui, à l’aise. Car la famille pour Me Agondjo, c’est aussi ceux
des siens qui sont maintenant ailleurs, soit dans d’autres localités du
Gabon, soit dans d’autres ethnies myéné. Il a ainsi une partie de sa
famille chez les Galoa à Latnbaréné, ce sont les Ndjawé, les Rossatanga,
les Okawé, les Révangué, les Capito, les Fanguinonvény, etc. Une autre
partie se trouve à Libreville, les Aguékaza, notamment ceux de Nomba.
Le nom Okoka que portait son grand-père maternel et celui d’ Angandiet
que portait son oncle sont d’origine Aguékaza.
C’est pourquoi Ambaye Olivier était son oncle. Lorsqu’il quitte le
séminaire, il habite Nombakélé, chez sa grande tante Ngwè-Nanga, sœur
du vieux Obélembia et grand-mère de Madame Anguilé Gustave et de la
veuve Owassango. C’est là qu’il rencontre pour la première fois Gustave
Anguilé, mari de sa cousine, alors éminence grise des divers
gouvernements Léon Mba, en sa qualité de ministre des Finances. Cette
famille descend d’Onanguiromba, frère d’Olago-Vandji du village
Kongo. En raison de la distance entre le colIège Bessieux et Nombakélé,
il vit à Nkembo chez la cousine de sa mère, Madame Rémondo, mère de
mère de M. Rémondo Max, qui le considère en toutes circonstances
comme l’aîné des enfants du foyer Rémondo, de la quatrième jusqu’en
terminale. La famille, c’est enfin tous ceux qui ont contribué à sa
naissance comme les clans Akori et Arondoma du village Awouta. La
famille d’Ogandag’Olindi est ainsi liée à la sienne par la
tradigynécologie. Il en est de même de la famille Attipoé qui a aussi
contribué à Port-Gentil, LibreviIle et Bitam à son éducation d’adolescent
Sa dernière famille est naturellement le P.G.P. Il considère les militants
de son Parti un peu comme ses parents au-delà de ceux qui le sont
effectivement par le lien du sang ou du clan.
Ainsi, la famille, dans le sens où le vit quotidiennement Me
Agondjo transcende-t-elle l’idée que l’on s’en fait traditionnellement.
Puisant ses racines dans le clan géniteur, ce lieu de l’imprégnation
culturelle, elle jaillit des carcans et des préjugés ethniques et
régionalistes tissés par la force de l’habitude pour éclater aux
dimensions de la nation, une et indivisible. C’est ici que pour l’homme
politique qu’est le président du P.G.P., la famille devient l’un des cadres
où se conforte sa raison d’être et d’agir pour l’intérêt général qui, depuis
sa prime jeunesse, a décidé Me Agondjo-Okawé à se mettre debout pour
un long itinéraire syndical et politique.

19
La fidélité en amitié
L’Honorable Pierre-Louis Agondjo-Okawé, Député du P.G.P.
lors de l’enterrement du Député suppléant Paul Moutsinga,
en compagnie de Benoît Mouity-Nzamba, Vice-Président du
P.G.P.
CHAPITRE II

ITINÉRAIRE SYNDICAL

ET POLITIQUE

21
L’engagement

Dans le vécu de Me Agondjo, l’action syndicale et l’engagement


politique sont les deux facettes d’un même combat. Ils trouvent leur
origine dans la situation de l’Afrique, du Gabon en particulier et partant
des Gabonais auprès desquels Me Agondjo n’a jamais cessé de se battre
pour l’indépendance, la justice sociale et les libertés fondamentales. Ici,
itinéraire syndical et politique du militant et histoire de l’Afrique et du
Gabon se confondent pour donner sa véritable dimension à la
personnalité de Me Agondjo, personnalité façonnée par un engagement
de première heure et sans discontinuité jusqu’à ce jour.

Le militant révolutionnaire
En effet, Pierre-Louis Agondjo-Okawé pose ses premiers actes
politiques en 1958 au Gabon lors du référendum, mais c’est en France
avec le syndicalisme étudiant que ses élans politiques trouvent leurs
racines, syndicalisme qui suscite une réaction violente du pouvoir. A
cause de son militantisme, Me Agondjo déjà redouté par le pouvoir,
échappe à une arrestation pendant qu’il se trouve à Lille. Cette
arrestation se justifie aussi par ses activités dans le M.G.A.P.
(Mouvement Gabonais d’Action Populaire), parti politique clandestin
dans lequel militait aussi Nzoghé Nguéma. Me Agondjo s’exile en
Suisse où il reste trois mois à rechercher un statut de réfugié politique.
N’eut été ses professeurs français, séduits par son intelligence pour
s’étonner qu’un de leurs étudiants abandonne ses études, Me Agondjo
aurait, comme Ondo-Nzé et Ndong-Obiang, séjourné en prison sous le
Président Léon Mba.
Devenu une machine lourde et sans vie, le M.G.A.P. est dissout et
donne naissance au P.G.T. (Parti Gabonais du Travail) à la tête duquel
on retrouve Me Agondjo. Le P.G.T. mène alors un travail clandestin
grâce à ses structures disséminées sur le territoire national gabonais,
sous l’impulsion de certains de ses membres dont le retour au Gabon
avait été recommandé par le Parti.

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Avec la fin d’études en France d’un nombre élevé de ses
militants, ce Parti perd peu à peu de sa vitalité et s’essouffle. Ses
objectifs alors inspirés par la ligne de la Fédération des Étudiants
d’Afrique Noire en France (F.E.A.N.F.) dont certains membres avaient
pour noms, Owono Nguéma, Lemboumba Lépandou, Feu Paul
Moukambi, etc., allaient de «l’intégration des intellectuels au sein des
masses» à «la prise du pouvoir par les voies légales».
En tant que syndicaliste, représentant les étudiants gabonais en
France membres de l’Association Générale des Étudiants du Gabon
(A.G.E.G.), les activités de Pierre-Louis Agondjo-Okawé consistaient,
entre autres, à se rendre de temps en temps au Gabon pour assister à la
Commission des bourses afin de défendre les intérêts de ses condisciples
vivant en France. Ces voyages étaient payés par le gouvernement
gabonais. Les syndicats avaient alors non seulement un aspect
corporatiste, mais aussi politique. Ils s’étaient ralliés aux partis
politiques révolutionnaires africains dont la préoccupation était
l’indépendance ou soutenaient leur ligne politique. D’où le qualificatif de
révolutionnaire qui se justifiait par les actes qu’i1s posaient.
C’est ainsi que les étudiants gabonais, sur l’appel de la
F.E.A.N.F., ont mandaté certains de leurs camarades au Gabon pour la
campagne en faveur du NON au référendum gaulliste. Quand Me Pierre-
Louis Agondjo-Okawé rentre au Gabon en 1968, l’A.G.E.G. existe encore.
Mais elle est déjà minée par l’existence de deux courants
opposés. Le courant «entriste» dont Jules Bourdès Ogouliguendé et un
peu plus tard Ndémezo’o, seront les apologistes patentés. Les tenants de
cette tendance étaient favorables à l’idée de rentrer dans le système
Bongo avec pour dessein de le transformer de l’intérieur. Ndémézo’o
pour sa part prit comme prétexte la thèse maoïste dite des «Trois
mondes» pour justifier son entrée officielle dans le P.D.G. Selon lui, la
Chine aidait le Gabon à lutter contre les menaces du révisionnisme et du
social-impérialisme soviétique. Et comme pour Ndémézo’o le Parti
Communiste chinois représentait la révolution dans le monde, les
révolutionnaires gabonais ne pouvaient que soutenir Bongo et le P.D.G.
A l’opposé se trouvaient ceux qui, comme Me Agondjo, pensaient, et le
présent leur en donne raison, que pour mieux combattre un système, il
fallait lutter en dehors de celui-ci. Phagocytée et infiltrée par les agents
du pouvoir, l’A.G.E.G. placée sous la houlette de Ndémézo’o était
condamnée à l’éclatement et à la désintégration après le retour au Gabon
des ténors dont Me Agondjo.

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L’expérience devait montrer que Ndémézo’o était chargé par Bongo de
liquider cette association jugée trop révolutionnaire par le pouvoir, à un
moment où tout ne procédait que de la volonté de Bongo.

La lutte pour l’indépendance réelle


En 1960, année de l’indépendance du Gabon, Me Agondjo est en
France. Cet événement n’arrive pas sans provoquer une vive réaction des
étudiants gabonais. C’est que l’indépendance des colonies françaises en
Afrique est posée depuis 1958 par les intellectuels africains. Mais la
métropole écarte toute idée allant dans ce sens, objectant leur manque
d’expérience dans de nombreux domaines, dont celui de l’économie et de
l’industrie, ces secteurs devant rester l’apanage de la France, comme
l’affirmaient certains pendant le référendum de 1958. Cette
argumentation se heurtera à une contradiction majeure de la part des
intellectuels africains quand, deux années plus tard, l’indépendance fut
accordée. Les syndicats gabonais en l’occurrence s’interrogeront sut ce
revirement soudain de la part de la France.
Il est clair qu’en deux ans les colonies n’avaient pas rattrapé
leurs insuffisances. Les intellectuels avaient compris qu’il ne s’agissait
là que d’une indépendance factice. Pierre-Louis Agondjo-Okawé était de
ceux qui voulaient une indépendance réelle, au contraire de Léon Mba et
d’Aubame qui la souhaitaient sous la forme décidée par la métropole,
c’est-à-dire favorable à la consolidation de la mai mise de la France dont
l’empire colonial se trouvait en ébullition. Car ce n’est pas de gaieté de
cœur que De Gaulle décide de l’indépendance de l’Afrique. Il se rend à
l’évidence que l’autorité française dans les colonies s’était fragilisée.
Ainsi, au Cameroun voisin, il y avait à cette époque Oume Nyobé
à la tête de l’Union du Peuple Camerounais (U.P.C.) qui, dans une
guérilla sans concessions, exigeait l’indépendance du Cameroun. Il en
était de même au Togo et à Madagascar, ces mouvements venaient après
ceux d’Algérie et surtout après la terrible défaite française dans la
cuvette de Dien Bien Phu en Indochine. De Gaulle, tirant les leçons de cet
échec avait amorcé des négociations secrètes qui aboutiront aux accords
d’Evian. D’une intelligence remarquable, visionnaire à souhait, De
Gaulle voulait préserver les intérêts à long terme de la France dans le
contexte des rivalités Est-ouest. Il lui fallait trouver le moyen de «reculer
pour mieux y sauter». Lorsqu’il est rappelé au pouvoir en 1958, c’est en
réalité à une Algérie française qu’il songe, d’où cette célèbre phrase qui
lui est attribuée : «L’Algérie sera française aujourd’hui et toujours» .

24
De fait, son premier voyage en Algérie est du type impérialiste. Aux
prises avec la réalité des colonies, il est gagné par des sentiments plus
subtiles.
Dans cette circonstance, la Guinée aura été un élément
catalyseur dans le changement d’attitude de De Gaulle. A cette époque
Sékou Touré, visiblement anti-impérialiste déclarait: «je préfère être un
chien efflanqué et libre que d’être un chien gras avec une corde au cou».
Devant cette réalité dans les colonies, De Gaulle crée la Communauté
franco-africaine. Cette organisation qui ne durera que le temps d’un feu
de paille. Les colonies deviennent indépendantes en association avec la
France, ce qui fera dire aux intellectuels africains syndicalistes qu’il
s’agissait d’une indépendance qui n’en était pas une, la France
continuant à diriger les colonies sous le verni d’une pseudo-
indépendance.
Léon Mba pourtant opposé à l’indépendance accepte néanmoins
le poste de Président de la République. La réaction des révolutionnaires
gabonais est vive. Ils n’hésitent pas à lancer des propos du genre «M.
Léon Mba, vous êtes Président avec les attributs, sur le plan
international d’un chef État, mais le véritable chef État c’est
l’Ambassadeur de France.» En effet la situation du Gabon n’aura pas
évolué d’un iota. Pour preuve Bongo prend la tête du pays sans avoir été
élu par le peuple gabonais, ni avoir été désigné par Léon Mba qui, à
l’époque, agonisait. Les derniers moments de vie de cet homme
historique furent à la fois tristes et pitoyables. La salle dans laquelle il
fut interné ressemblait à une véritable forteresse. Même ses femmes n’en
avaient pas accès. Deux Gabonais auront ce privilège : Bongo et Rawiri.
Eux seuls auront vécu ce qui s’était réellement passé. Ils en conservent
jalousement le secret face à l’histoire et sur la base d’une confiance entre
les deux hommes.
La salle, interdite au reste des Gabonais était pourtant
accessible aux Français dont la présence régulière ne fait l’ombre
d’aucun doute, en particulier une certaine Madame Gorne, en sa qualité
de maîtresse de Léon Mba, dit-on. La version officielle donnée de la mort
du premier Président du Gabon est tellement entourée de zones d’ombre
que ses enfants ne semblent pas en être convaincus.

25
L’on sait par exemple que Léon Mba avait des comptes en Suisse.
Curieusement, ses enfants ne sont jamais rentrés en possession de cet
argent épargné dans les banques de ce pays. On pense que la seule qui en
connaissait les numéros est Madame Gorne qui s’en est probablement
appropriée. Me Agondjo, pour cette affaire, sera d’ailleurs consulté par
les parents du défunt. Il est donc permis d’avancer que l’indépendance du
Gabon, pour ne parler que de ce pays, est «une indépendance octroyée».
Voilà pourquoi la France exploite en toute liberté les richesses du
Gabon. D’où la présence au pouvoir de Bongo dont le rôle déterminant se
résume à préserver les intérêts de la France. Mais le caractère de
l’indépendance du Gabon ne suffit pas à expliquer la mainmise de la
France sur le Gabon.

La France choisit Bongo

Les origines géographiques de Bongo constituent aussi un


élément moteur ayant guidé les Français dans le choix de cet homme.
Franceville d’où est issu Bongo regorge des minerais fort cotés en bourse
à l’époque, dont certains comme l’uranium et le manganèse seront
classés stratégiques dans les Accords de Coopération. Tournée vers le
Congo voisin sous régime communiste et donc sous influence de l’ex-
U.R.S.S, Franceville se trouve au centre d’une région que la métropole
considère comme un point faible capable d’entraîner tout le Gabon dans
le giron soviétique. La France met Bongo à la tête de ce pays en espérant
qu’une fois au pouvoir, il détournera l’attention des habitants de la
capitale altogovéenne de culture congolaise (d’où les noms des quartiers
comme Babembé, Poto Poto; des habitudes vestimentaires, notamment
chez les femmes marquées par le port du pagne et l’usage de la langue
munu kutuba) vers le reste du Gabon. D’ailleurs Me Agondjo qui a
longtemps séjourné au Congo, lorsqu’il entreprend en 1971 un voyage à
Franceville, est fortement frappé par la manière dont vivent les habitants
de cette ville. Il ne trouve aucune différence entre eux et les Congolais. Le
choix de Bongo, le moins crédible de tous les "hommes politiques
gabonais issus de la région, s’explique aussi par le fait qu’il était
manipulable. Ce qui ne pouvait pas être le cas d’Amogho, d’une maturité
politique évidente et alors très contestataire aux yeux des Français qui
l’ont connu lors de son passage au Haut Conseil de l’Afrique Équatoriale
Française (A.E.F.).

26
Des hommes et des idées
en Afrique Centrale

L’échec de la Fédération centrafricaine


Amogho y siégeait (au Haut Conseil de l’A.E.F.) aux côtés de
Barthélémy Boganda, Président de cette institution. Ce fervent
«Centrafricain» dont l’aura était suffisamment forte, était l’homme d’État
en Afrique Centrale le plus représentatif des aspirations africaines. Il
connaissait notamment le sort réservé aux Africains. On peut croire que,
clairvoyant et révolutionnaire, Boganda était l’homme dont l’Afrique
avait besoin. D’aucuns pensent que cet homme était le Krumah d’Afrique
Centrale. Originaire d’Oubangui-Chari, actuel Centrafrique (ainsi baptisé
en raison des visées centrafricanistes de Boganda), Barthélémy Boganda
lance l’idée des États-Unis d’Afrique Centrale qui, malheureusement, se
heurte à l’opposition de certains Africains dont les Gabonais. Le Gabon
bénéficiait alors d’un prestige lié à la possession d’immenses ressources
minérales, mais aussi d’une tradition de pourvoyeuse de ressources aux
autres pays de l’A.E.F. à ses dépens, ce qui faisait dire que le Gabon était
«la vache à lait» de l’A.E.F. De plus, les Gabonais étaient conscients de
leur taux de croissance démographique relativement faible comparé aux
autres pays de la région. Ils ne pouvaient donc pas être favorables à
l’idée pourtant noble de ce grand homme historique que fut Boganda .

Le foisonnement démocratique gabonais


Si De Gaulle n’avait pas institué au Gabon cette «indépendance
octroyée», ce subterfuge soutenu par ceux qu’on appelait à l’époque «les
laquais de l’impérialisme» ou «les chiens rampants», la démocratie
amorcée au cours des années soixante, grâce au pluralisme politique,
aurait atteint des proportions contraires à l’actuelle démocratie
balbutiante. Avant que Bongo n’instaure le Parti unique en 1968, le Gabon
voit surgir des partis politiques animés par des personnages au charisme
certain. Parmi ceux-ci, le Bloc Démocratique Gabonais (B.D.G.) fondé
par Gondjout et Léon Mba.

27
Ce dernier fut un moment considéré par la France et les forces
économiques comme un révolutionnaire. Le B.D.G. était de fait rattaché
au R.D.A. qui partageait le programme communiste, sauf l’idéologie sur
l’athéisme. Le peuple gabonais foncièrement animiste, partageait mal
les vues communistes sur l’aspect philosophique, notamment le
matérialisme dialectique. Le R.D.A. militait à l’origine en faveur de
l’émancipation de l’Afrique Noire, ce qui avait donné à Léon Mba une
image de communiste. Aubame quant à lui était l’homme des milieux
chrétiens. Son Parti, l’Union Démocratique Socialiste Gabonaise
(U.D.S.G.), professait un socialisme chrétien. Il siégeait à l’Assemblée
nationale française aux côtés du Mouvement Républicain Populaire
(M.R.P.), Parti essentiellement chrétien.
Le Parti de l’Union Nationale Gabonaise (PUNGA) de René
Paul Souzatte, qui arrive un peu plus tard professe, du moins sur le plan
théorique, une idéologie socialisante. Quand ce Parti s’établit, le
socialisme d’Aubame et de Léon Mba n’est plus qu’une vue de l’esprit. Le
PUNGA arrive donc à point nommé et va donner une bouffée d’oxygène à
ces deux aînés visiblement en perte de vitesse. Léon Mba qui est pourtant
considéré par la France comme révolutionnaire perd peu à peu sa fibre
militante et se retrouve dans le camp des impérialistes. Devant ce
revirement idéologique, la métropole ne voit plus en lui «Le diable
communiste». Léon Mba devient ainsi l’homme des forestiers qui le
mèneront au pouvoir. Les forestiers étaient alors très puissants en raison
de l’exploitation du bois qui, à cette époque, était la première richesse du
pays sinon sa principale activité économique comme l’est le pétrole de
nos jours. Ainsi’, Léon Mba devenu l’homme des forestiers se retrouve
face à une dissidence menée par Jean Hilaire Aubame et René Paul
Souzatte. Il s’insurge désormais contre toute rébellion naissante,
notamment celle de certains de ses compagnons de lutte anti-
impérialiste. René Paul Souzatte sera arrêté et jeté en prison, tandis que
le PUNGA disparaissai t.
Lorsque Jean Hilaire Aubame s’allie à Gondjout, une alliance
contre nature au demeurant, Léon Mba devient encore plus autoritaire.
Son poste de Président à l’Assemblée aidant, Gondjout utilise la voie
parlementaire en faveur d’une motion de censure. Elle est adoptée à la
fois par les hommes favorables à Aubame et par une fraction du B.D.G.
en vue de renverser Léon Mba. Quand ce dernier l’apprend, sa réaction
est brutale. Outre qu’il en informe ses amis français qui lui conseillent un
coup État constitutionnel, il fait arrêter Gondjout et ses complices qui
échouent en prison.

28
Contre toute attente, Léon Mba, soucieux d’une certaine unité nationale,
met à ses côtés Aubame qui devient Ministre des Affaires Étrangères. En
fait, Léon Mba croit avoir pulvérisé toute la rébellion pour gouverner en
paix. Mais il trouve Aubame encore plus encombrant. Les rapports entre
les deux hommes sont de plus en plus tendus. Aubame est finalement
démis de ses fonctions gouvernementales. Quelques années après, c’est
le putsch de 1964 au cours duquel plusieurs Gabonais furent tués par les
forces françaises venues rétablir Léon Mba au pouvoir.

L’autoritarisme appelle la révolte


Quand éclate ce putsch, Me Agondjo est en France depuis 1959.
Il fait partie des jeunes gabonais qui voient un signe avant-coureur du
changement politique manqué en 1960. Mais quand la France décide de
remettre Léon Mba au pouvoir, tous les espoirs suscités par ce putsch
volent en éclats. Dans les conditions de l’époque, les révolutionnaires
gabonais en France ne comprendront pas une telle attitude de la part de
la France. Car ce putsch n’était rien d’autre qu’un dépôt légal d’un
Président par l’armée nationale. Il s’agissait donc d’une affaire intérieure
au Gabon. Même si certains voyaient derrière ce putsch la main
américaine, on ne peut pas dire que le contraire aurait dissuadé les
Français d’intervenir. De Gaulle n’avait jamais accepté qu’on ébranle ce
qu’il avait mis en place.
Me Agondjo à cette époque est à Lille et ne descend à Paris que
lorsqu’il apprend la nouvelle. A peine arrivé à la Gare du Nord, il est
ébloui par le grand titre du journal Le Monde : «Le coup État maté au
Gabon». Il s’écroule en sanglots. Voilà qui lui permet de mesurer la
dimension de l’indépendance arrachée au colonisateur qui forge la
conscience, nationale par rapport à l’indépendance obtenue par les
Gabonais. Les étudiants gabonais, venus de partout convergent alors à
Paris qui devient le temps de l’événement le lieu d’une sorte d’État-major.
Tous les particularismes ethno-régionalistes s’estompent pour faire
place à un happening centré sur une préoccupation commune les
plongeant dans une vive émotion. Visiblement impuissants devant cette
triste affaire, les étudiants n’avaient rien d’autre à faire que remplir des
sceaux de larmes destinées à leurs frères qui avaient payé de leur vie la
tentative de renverser le pouvoir.

29
Le parcours du combattant

Dans le mouvement associatif


Il commence avec Joseph Rendjambé qui est entré au collège
Bessieux peu après son aîné Pierre-Louis Agondjo Okawé, et qui se
retrouve pendant ses vacances scolaires avec lui à Omboué, aux côtés de
René Paul Souzatte, pour faire campagne contre le OUI au référendum
de 1958. Trois pays du Continent africain avaient voté pour le NON à
cette occasion : la Guinée, le Niger et en troisième position le Gabon.
Mais dans ce dernier cas, le OUI l’a finalement emporté. Cet échec était
lié au revirement de Jean Hilaire Aubame en faveur du OUI et ce, malgré
le désaveu de certains membres de son Parti dont Messieurs Simost,
Nkombé et Otando.
La présence remarquée de Me Agondjo pendant cette période de
la vie politique du Gabon attire l’attention des autorités qui commencent
à s’intéresser aux activités du jeune lycéen. C’est aussi en cette année
1958 qu’il se lance dans l’action syndicale et associative. Il est tour à tour
Président de l’Union des Jeunes du Fernan-Vaz (U.J.F.), membre du
bureau de l’Association des Élèves des Établissements Secondaires du
Gabon, puis Secrétaire Général, chargé de l’implantation de
l’Organisation de Coopération Intellectuelle (O.G.A.C.I.), le paysage
politique national étant dominé par l’action de trois grands partis
politiques dont le B.D.G., l’U.D.S.G. et le PUNGA déjà présentés.
Dès sa première année d’études universitaires à Lille, il est élu
au Comité exécutif de l’Association Générale des Étudiants du Gabon
(A.G.E.G.). Il est membre de la F.E.A.N.F. aux côtés de Henri Lopez
(Congolais) du Dr Baroum (Tchadien), de Alpha Condé de Guinée, de
Dieng Amadi du Sénégal, de Pouzère de Centrafrique et de Dossou de
l’actuel Bénin, etc. Il approfondira sa formation syndicale en participant
aux travaux de différentes commissions des congrès organisés par cette
fédération. Chargé par l’A.G.E.G. d’une mission de sensibilisation
pendant ses vacances à Port-Gentil et à Omboué en 1961, il publie dès
son retour en France un compte-rendu dans la revue «L’Étudiant du
Gabon», qui lui vaut la suppression de sa bourse.
Quand il rentre en août 1968 au pays, les libertés syndicales et
politiques sont bâillonnées. Il n’existe qu’une seule cellule syndicale, la
Confédération Syndicale Gabonaise (COSYGA) et le Parti Démocratique
Gabonais (P.D.G.) qui sont des structures institutionnalisées de l’État.

30
Ce parcours syndical qui achève aussi sa formation politique le conduit
une fois au Gabon à la création d’associations qui ont pour but
l’éducation et la formation des jeunes. C’est ainsi qu’il participe avec
beaucoup d’autres ressortissants de la localité à la création de l’Amicale
d’Etimboué (AMETI), dont la première manifestation significative est la
célébration du centenaire du Fernan-Vaz, au cours de laquelle les
membres de l’amicale évoquent l’histoire de la résistance des habitants à
la pénétration française dans le département.
A l’Université où il est enseignant, il aide, aux côtes de
Rendjambé, les étudiants à créer une organisation de défense de leurs
intérêts placée sous la présidence de Nzoghé Anselme. Les autorités
politiques qui suivent les activités de cette organisation arrêtent les
membres du bureau exécutif et les professeurs supposés être les
instigateurs. Pierre-Louis Agondjo-Okawé et Joseph Rendjambé sont de
ceux-là.
Il fut un temps où le Gabon et le Congo ne présentaient aucune
différence. L’un se disait capitaliste et l’autre communiste. Mais quant au
fond c’était les mêmes régimes monolithiques, jusqu’à la phraséologie :
«Comité central» ici, «Comité Central» là-bas; «Bureau politique» et
«Camarade» se retrouvaient chez l’un comme chez l’autre. Le Congo sur
le plan démocratique n’était pas une référence. Les contacts de Me
Agondjo avec la société congolaise étant multiformes, il se réjouissait de
rencontrer au Congo ses frères d’armes de la F.E.A.N.F. ou de l’A.G.E.G.

Entre Libreville et Brazzaville,


l’expérience congolaise
L’expérience congolaise était pour lui bénéfique car elle lui avait
permis d’examiner l’application de la théorie marxiste sur le terrain. Il
faut dire que son expérience congolaise, au-delà d’un intérêt intellectuel,
fut douloureuse à cause des putschs manqués, le premier s’étant produit
alors qu’il séjournait au Gabon et sa famille au Congo. Ce putsch qui
conduira certains durs du régime à l’exil, tel Me Moudiléno-Massengo
qui, pendant le putsch, se réfugiera chez Me Agondjo dont le domicile
était proche. Il sera obligé de s’exiler en France. Établi dans ce pays
comme Avocat depuis lors, son mutisme étonne face à l’évolution
politique dont son pays est l’objet.

31
Me Agondjo vécut des moments forts particulièrement rudes. Par
exemple il fut fortement bouleversé quand, rentré au Congo, il trouva une
amie dont le mari, M. Matchokota qui occupait alors de hautes fonctions,
était devenue veuve. Le pouvoir avait fait découper son mari en
morceaux. Me Agondjo juge cette période comme une phase trouble de
l’histoire du Congo. Malgré tous ces drames, il fut tout aussi surpris sur
le plan des loisirs par rapport au Gabon.
Ainsi les Congolais commençaient à danser à sept heures du
matin et cela pouvait durer jusqu’au lendemain. Le Congo pour lui était
un drôle de pays. On lui apprit que tout ce qu’il avait vu jusque-là n’était
rien comparé à l’époque de Fulbert Youlou. L’expérience congolaise fut
enrichissante sur certains points, notamment en raison des
contradictions inter-ethniques dont résultaient la grande coupure entre le
Nord et le Sud, coupure que l’on retrouve partout, avec au Sud le
leadership des Lari réfractaires à l’hégémonie des Mbochi du Nord. Le
Congo étant une fenêtre sur l’autre rive a permis à Me Agondjo d’avoir
une vision large sur le Zaïre. Tous ces contacts lui ont permis de tirer des
enseignements utiles pour le Gabon.
Me Agondjo allait au Gabon tous les quinze jours pour travailler
à son cabinet d’Avocat. Ce genre d’activité était supposé être un
laboratoire propice à la contestation et ne pouvait à n’en point douter que
provoquer une levée de boucliers de la part du pouvoir. Malgré tout, il ne
s’était jamais mis à l’idée que la création de son cabinet pouvait
constituer une menace pour l’autorité de l’État. Il ne pouvait déjà pas
l’ouvrir, car il était alors stagiaire chez Me Julien.
Le jeune avocat voyageait à ses frais entre Brazzaville et
Libreville. C’est d’ailleurs dans le souci d’alléger ses frais de transport
qu’il s’inscrira à la Faculté de Lettres pour bénéficier du tarif préférentiel
auquel avaient Droit les étudiants. Me Agondjo jouissait d’une
autonomie financière vis-à-vis de l’État gabonais.
En dépit de ses distances avec le pouvoir, Bongo le fera
convoquer à plusieurs reprises pour lui tenir des propos du genre «Tu ne
me fais pas peur ... C’est pas parce que tu es le premier avocat de ce pays
(...) il paraît que tu me traites d’ignare ... » Me Agondjo en conclut qu’il
était l’objet d’une campagne de délation alimentée de rapports
compromettant qui étaient l’œuvre d’avocats français qui voyaient d’un
mauvais œil l’installation d’un concurrent autochtone. Ce fut en
particulier le cas de Me Vannoni alors Doyen des avocats du Gabon, qui
se trouvait être aussi l’avocat de l’État gabonais et du Président de la
République.

32
Du reste les rapports entre M Agondjo et Me Vannoni seront des plus
orageux jusqu’à la retraite de ce dernier.

L’universitaire novateur
Lorsque Me Agondjo rentre en 1968, il n’y a pas d’Université au Gabon.
Mais il y a ce qu’on appelait à l’époque la F.E.S.AC. (Fondation de
l’Enseignement Supérieur en Afrique Centrale) qui avait vu le jour
quelques temps plus tard. Les Instituts et Facultés étaient concentrés à
Brazzaville. Il postule donc une place d’enseignant. Quand le Gabon
décide de mettre sur pied cette Fondation, au départ «École de Droit et de
Sciences Économiques» qui deviendra par la suite la Faculté de Droit,
principale structure universitaire baptisée «L’École de Droit de
Libreville», Me Agondjo s’installe à LibreviIle. Mis au fait des
performances du jeune universitaire Pierre-Louis Agondjo-Okawé par
les autorités universitaires congolaises, le corps enseignant librevillois
lui réserve un accueil bien mérité. Il faut préciser que si les performances
au Congo du jeune enseignant ont conquis le giron universitaire
gabonais, c’est à cause d’un cours très célèbre qu’il introduira dans les
programmes de la F.E.S.A.C . Le succès qu’arrache ce cours est tel que,
une fois au Gabon, Me Agondjo recevra, de temps en temps la visite de
certains universitaires congolais qui venaient pour se donner tout
l’outillage nécessaire.
Ce cours portait sur l’histoire des institutions et des faits
sociaux. Un cours qui posera des problèmes sans précédent et qui de nos
jours a connu une révision qui le transformera en cours d’Anthropologie
juridique. C’est en 1970 qu’il enseigne pour la première fois au Gabon.
Avec Nguéma Isaac, il introduit une innovation à la Faculté de Droit de
Libreville. Nguéma Isaac était un de ses condisciples à Lille et passera
comme Agondjo par le Laboratoire d’Anthropologie Juridique de cette
Université. Très liés par le destin, les deux hommes auront le même
Directeur de thèse avant de se retrouver comme enseignants dans la
même Faculté. Le tandem décide donc de fonder à la Faculté une section
de Droit traditionnel à côté de celle de Droit privé et public qui seule
existait à cette époque.
La nouvelle Section de Droit traditionnel donnait des cours mi-
traditionnels, mi-anthropologiques et même sociologiques. L’opportunité
de cette section trouve sa raison dans les mutations sociologiques du
Gabon.

33
Notons que l’Université du Gabon, une fois créée, se trouvait sous la
tutelle de l’Université de Nancy en France. C’est ainsi que chaque fin
d’année académique, l’Université de Nancy déléguait un Professeur qui
venait superviser les examens, et la relation était parfaite tant que rien ne
l’ébranlait. C’est à la fin de l’année 1971 que Me Agondjo entame
réellement son parcours du combattant, véritable chemin de croix, qui
commence notamment avec un rapport cinglant de la part du spécialiste
de Nancy. Ce dernier supportait mal que le cours français soit remplacé
par un cours d’histoire des institutions africaines. Ce qui avait valu à Me
Agondjo l’image d’antifrançais et son expulsion de l’Université qui, à
l’époque, avait Owono Nguéma pour recteur.
Les autorités universitaires de Libreville embarrassés devant
l’idée de réintroduire le cours français dans les programmes et conserver
ou retirer simplement le cours litigieux, décidèrent de mettre à la place
un cours de Droit musulman. On dépêchera donc de France un
spécialiste dans ce domaine. Bongo s’étant converti à l’islam, le cours de
Droit musulman trouvait sa justification. Ce cours sera dispensé
jusqu’en 1976. Entre temps, Me Agondjo est jeté en prison et il y restera
jusqu’à cette date qui sera aussi celle de sa réintégration en Faculté de
Droit de Libreville. En effet, la même année, il lui sera proposé un poste
de Ministre qu’il refusera. Une deuxième offre lui sera faite en ligne
droite avec son profil. Il est donc nommé Doyen de la Faculté de Droit de
Libreville. A peine est-il installé au décanat qu’il réintroduit le cours de
Droit traditionnel. Il l’enseigne jusqu’à nos jours.

Le doyen rigoureux
Dans ses fonctions de Doyen, Me Agondjo incarne la rigueur. Pourtant,
en 1979, deux événements vont marquer sa vie. Le premier se produit
alors que Jean Boniface Assélé est Ministre de l’Éducation nationale et
de l’Enseignement Supérieur. A l’Université des partiels sont organisés.
Le chef de la scolarité a pour nom Soka, grand militant tapageur et zélé
du P.D.G. Au matin, tous les étudiants attendent que commencent les
examens. Quand Me Agondjo arrive, il est surpris de constater que rien
n’a été fait du côté du chef de la scolarité à qui revenait le devoir
d’organiser matériellement les examens et qui dit-on, était parti pour
l’aéroport accueillir Bongo, en espérant que les examens seraient
reportés au lendemain. Me Agondjo, dans sa grandeur d’homme de
rigueur, mit tout en place pour permettre aux étudiants de composer.

34
Et cela fut fait malgré le retard observé. Tout comme Madame Ibinga
Mangwangu alors Secrétaire Général de la Faculté de Droit et Sciences
économiques, il ne cache pas sa rage contre cette dérive idolâtrique du
chef de la scolarité. Ce dernier, interpellé et réprimandé par le Doyen
Agondjo, cherche à se venger. Il s’arme d’un rapport de quatre pages
dans lequel figure toute une série de mensonges contre lesquels Me
Agondjo et Madame Ibinga s’inscrivent en faux. A la suite de ce rapport
le Président Bongo prend un décret disposant que, dorénavant, tout le
corps enseignant serait à l’aéroport à son départ comme à son arrivée,
décret qu’il s’empresse de retirer, dissuadé par Me Agondjo qui n’hésite
pas à relever le caractère impertinent de ce décret susceptible de
provoquer des troubles à l’université.
C’est au cours de l’année 1979 que se produit le deuxième
incident. Ndouna Dépénaud vient d’être assassiné. La peur hante tous les
esprits. L’air du temps est très morose. Un soir, des individus en
uniforme et encagoulé investissent très tard dans la nuit le bureau du
Doyen Agondjo. La scène se passe sous le regard craintif d’un veilleur de
nuit à qui, après constat, il sera demandé de conduire les inconnus au
domicile de Me Agondjo. Malgré les menaces, le gardien dira ne pas
connaître le domicile de Me Agondjo. Informé le lendemain, Me Agondjo
foncera Droit chez Assélé son ministre de tutelle et chef de la Police. Ce
dernier va commencer par organiser sa protection en mettant à sa
disposition des tireurs d’élite autour lui, à l’Université et à son domicile.
Alertés, ses parents vont débarquer à libreville pour «remettre la vie
d’Agondjo» entre les mains du chef de l’État, donc de le rendre
responsable de tout ce qui pouvait lui arriver. La réponse fut l’expulsion
de Me Agondjo du décanat.
Ultime étape du parcours du combattant avant les
présidentielles, la lutte pour la survie du Parti Gabonais du Progrès
(P.G.P.), dont la liquidation était programmée par le pouvoir aussitôt
après sa fondation.

La création du P.G.P.
Il convient de rappeler d’abord que la création du P.G.P. est une
œuvre commune. Elle se déroule aussi bien à Libreville qu’à Port-Gentil.
En effet, le document de politique intérieur voit le jour dans la capitale
gabonaise et sera adopté dans l’Ogooué-Maritime. Cette première
ébauche est signée de Pierre-Louis Agondjo-Okawé qui bénéficiera un
peu plus tard de la confiance de ses pairs pour présider aux destinées de
la nouvelle structure politique.

35
Hommage à Joseph Rendjambé
La marche de la Coordination de l’Opposition Démocratique (C.O.D.)
à l’occasion du premier anniversaire de la mort du premier Secrétaire
Général du Parti Progressiste Gabonais (P.G.P.)
Nan Nguéma, Nan Békalé, Joseph Rendjambé et Aganga
Akélaguelo s’attélèrent à l’élaboration minutieuse des documents de
politique économique, sociale, culturelle et étrangère. La Constitution de
ce dossier aboutit à la naissance du P.G.P. et à l’installation d’un bureau
le 10 mars 1990, après le dépôt légal du dossier au Ministère de
l’Administration du Territoire.
À la suite d’un bref séjour à Port-Gentil, Me Agondjo se
rapproche des associations politiques adolescentes et en fin stratège met
au point avec elles le Front Uni des Associations et Partis Politiques de
l’Opposition (F.U.A.P.O.). Dans un premier temps, ce front estompe les
craintes des uns et des autres. Sous cette bannière, les partis et
associations arriveront sereins à la Conférence Nationale et balayeront
d’un revers de la main l’idée du R.S.D.G. Me Agondjo évoque avec
émotion le rôle joué par Rendjambé à cette assemblée.
La mort de ce dernier demeure un mystère pour le Président du
P.G.P., une perte énorme pour le P.G.P. Joseph Rendjambé était en effet
une personnalité disposant d’une longue expérience politique et de
connaissances dans des domaines variés. Il était dynamique et possédait
un sens de l’organisation irréprochable . Aussi sa précieuse contribution
à l’édification de la Conférence Nationale laisse des souvenirs
inoubliables dans la mémoire de ses concitoyens.
Comme toute structure vi,vante, le Parti Gabonais Gabonais du
Progrès a connu des divergences. Les premières sont nées de l’existence
au sein du Parti d’une tendance favorable à une politique libérale
impliquant (la privatisation totale de l’économie. Elle était alors
soutenue par Marc Nan Nguéma. L’autre tendance, proche d’une
économie de marché pouvant sauvegarder le parapublic, était développée
par Agondjo et Rendjambé .
Au cours de l’année 93, une nouvelle raison de divergences est
apparue au sein du Parti en liaison avec le courant du Pari. Quand nous
nous étonnons de l’absence des ténors de ce courant au Congrès
Extraordinaire de juillet 93 et lui demandons si ces militants étaient
exclus du Parti, Me Agondjo répond par la négative et éclaire notre
lanterne sur la question. Le Pari, explique-t-il, n’a été exclu par aucune
instance du P.G.P., c’est tout le sens de la conférence de presse du P.G.P.
du 10 février 1993. Le Pari s’est marginalisé lui-même. Il avait des griefs
contre le Parti, des griefs de trois ordres.

37
Certains étaient justifiés. Par exemple les membres de ce courant
reprochaient au Parti de ne pas peaufiner son image de marque et de ne
pas se préoccuper des problèmes de communication au sein du Parti.
Sur ce point, ils avaient raison et le Parti le leur avait fait comprendre.
D’autres griefs relevaient de la compétence du Congrès et de la
base, en l’occurrence les problèmes du tribalisme et de la géopolitique.
Ils estimaient que le Bureau du Parti avait été mal formé au Congrès
parce qu’on avait trop tenu compte des considérations régionales et
ethniques alors qu’il ne fallait tenir compte, selon eux, que de la
compétence et de la valeur des membres du Bureau.
Il y avait également le problème des courants. Le Pari est un
courant reconnu comme tel depuis le dernier congrès Ordinaire après
des débats houleux. Mais ce n’est pas le Pari qui pose ce problème
aujourd’hui, c’est une frange du Pari. Il y a des Parieurs qui sont restés
dans le Parti, ils n’ont pas suivi les ténors du courant. Le Parti a estimé
qu’il fallait les laisser agir malgré l’étiquette de staliniens purs et durs
qu’on lui colle. Le problème sera réglé lors du prochain Congrès
Ordinaire du Parti. Aujourd’hui le débat théorique sur les courants paraît
évacué. De fait, dans la pratique, le courant du Pari aura démontré les
limites de cette formule dans l’état actuel des mentalités. Cette
expérience se révèle donc utile dans la mesure où elle aura permis non
seulement au P.G.P., mais aussi aux autres partis, de réf1échi sur la
notion de courant et de son fonctionnement. Comme quoi, l’expérience en
valait la peine et le P.G.P. est fier de l’avoir initiée dans l’intérêt bien
compris de la démocratie pluraliste au Gabon.
Confronté à l’adversité, Me Agondjo sait désormais que sa
propre survie n’a d’intérêt que si elle est utile au Gabon et aux Gabonais.
Au-delà de ses compatriotes, les perspectives de son engagement sont
toujours restées ouvertes sur tout ce qui, de part le monde, en Afrique
plus spécialement où la démocratie se fraye un chemin étroit, lutte pour
les mêmes idéaux que lui. Le Bâtonnier Agondjo s’emploie ainsi dans la
défense des faibles avec enthousiasme et abnégation, servi en cela par sa
foi en l’avenir et son immense compétence.

38
L’Avocat des causes perdues

Homme politique de renommée nationale et internationale, brillant


Professeur d’Université, Anthropologue et Spécialiste du Droit
Traditionnel et membre de plusieurs Organismes internationaux, Pierre-
Louis Agondjo-Okawé qui préside avec dynamisme et altruisme aux
destinées de la première force de l’Opposition gabonaise est un Avocat
émérite. Il l’a démontré, au péril de sa vie, en plusieurs circonstances
dont nous ne retenons que les plus saillantes.

Le procès de Madame veuve Mba Germain


Sa première plaidoirie politique eut lieu en 1971 lors du procès de
Madame veuve Mba Germain, victime d’une chasse à l’homme organisée
par les Services secrets de Bongo. Une affaire qui fera grand bruit dans
l’opinion nationale et internationale, au point que le pouvoir tentera de
galvauder le procès pour calmer les ébullitions. A cette époque, se mêler
d’une histoire qui entame directement l’autorité de l’exécutif relevait, à ne
point douter, de la pure témérité. Me Agondjo qui est constitué partie
civile par la famille du défunt accepte de plaider gracieusement pour la
veuve qui fait l’objet de plusieurs tortures morales et physiques de la part
du pouvoir. Elle avait été emprisonnée pour outrage au Président de la
République. Et pourtant, elle n’avait fait que réclamer le cadavre de son
mari.
En dépit des menaces de mort et la campagne d’intimidation
orchestrées contre sa personne, le jeune avocat qu’il est alors s’engage
coûte que coûte à plaider pour des raisons fondamentales .
Au-delà de Madame veuve Mba Germain, il voit d’abord la
justice et les libertés et en toile de fond sa situation de premier avocat
gabonais. Car pour lui, certaines personnes doivent payer de leur vie
pour la survie d’autrui. Toutefois, sa détermination à défendre ce cas
dépassera aussi les injonctions des notables de l’Ogooué-Maritime qui
s’y opposeront «Qu’espérez-vous réussir face à la puissance de Bongo, au
lieu de postuler un poste au gouvernement, afin d’aider toute la province
Vous préférez lutter contre lui par simple orgueil» lui avaient-ils clamé
la veille du procès. Au terme d’une plaidoirie anthologique, il démontera
les écheveaux dressés par le pouvoir dont il prouvera aussi la culpabilité
dans l’assassinat de Mba Germain.

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1 - Me Agondjo, l’Avocat dans ses œuvres

2 - La rentrée judiciaire ,
au fond à gauche on reconnaît
Pierre Fanguinovény ,
Me Agondjo (1er plan à droite)
Cet acte de courage fera de lui une légende et atteindra au paroxysme de
sa profession. Mais le pouvoir, machiavélique, ne le lui pardonnera pas.
Il est accusé d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État. L’an 1972, il est
arrêté, jugé et condamné à huit ans de travaux forcés.

L’avocat sans frontières


Plusieurs années plus tard, le courage et l’abnégation qui
l’animent à reculer les limites de l’impossible le conduisent à Abidjan en
1992. Là-bas, il sera l’avocat de Laurent Barbeau, homme politique
ivoirien, avec qui il entretenait des rapports très limités. Le fait le plus
marquant est qu’ils sont tous deux idéalistes, défenseurs de la justice, de
la liberté et de la démocratie en Afrique. Leurs adversaires respectifs
sont Houphouêt-Boigny et Omar Bongo.
Barbeau, figure emblématique du paysage politique ivoirien,
détenteur du doctorat d’histoire-géographie, éprouve une passion folle
pour le barreau et regrette parfois de n’y avoir pas fait carrière. L’un et
l’autre emprisonnés, humiliés puis exilés, semblent avoir une destinée
conjointe qui se résume dans ces mots : Justice sociale et courage. Une
fois rendu dans la salle d’audience du Tribunal d’Abidjan, Me Agondjo
est choqué et indigné quand il remarque que quatre de ses collègues
députés sont enchaînés et menottes aux poignets. Alors il déclare
d’entrée de jeu devant le Juge unique et l’assistance qu’il avait effectué le
déplacement de Libreville à Abidjan non seulement pour défendre ses
collègues députés, professeurs et syndicalistes, mais aussi ses
compatriotes.
En effet dans le lot des conjurés se trouvaient le mari d’une
Gabonaise et l’épouse (première journaliste de Côte d’Ivoire), d’un
médecin gabonais en service au Centre Hospitalier Universitaire
d’Ajamé. Ce dernier est en effet originaire de Lambaréné dans le Centre-
ouest du Gabon. Le batonnier Pierre-Louis Agondjo-Okawé défendait là
des combattants de la liberté. Cette action était bénévole, puis que les
titres de transport étaient à sa charge. En revanche, “pour tout l’or du
monde”, martèle-t-il, il n’aurait jamais défendu un dictateur comme
Moussa Traoré. Il avait d’ailleurs décliné l’offre d’aller défendre le frère
de Sassou Nguesso, l’ancien Président de la République Populaire du
Congo.

41
Le temps de la réflexion
Défendre les libertés, c’est ce qu’il fait lorsqu’il réapparaît lors du procès
qui opposa le journal “Misamu” aux députés du Parti Démocratique
Gabonais (P.D.G.) de la province du Haut-Ogooué. Il était reproché à
cette publication d’avoir diffamé ces messieurs. Cette plaidoirie sera la
dernière du genre. Une disposition du Code électoral stipule qu’un
député-Avocat (il est le seul dans ce cas à l’Assemblée nationale) n’a
plus le droit de plaider devant la la chambre administrative sur les délits
de presse, une mesure discriminatoire prise dans le but inavoué de régler
des comptes avec lui.
De toute évidence, pour Me Agondjo, il y a des procès que l’on
perd mais dont on est tout de même satisfait ) pour le travail accompli
qui se manifeste par les réactions du public. L’avocat plaide parfois tout
en sachant que son client n’obtiendra pas gain de cause, car certaines
sentences sont connues d’avance. C’est le cas des procès Mamboundou et
Moubandjo. Alors qu’une sorte d’anachronisme s’était installé, ces
procès se révéleront intéressants. Ils ont lieu alors que le Gabon est entré
dans le multipartisme. Les faits reprochés aux accusés datent de
l’époque du monopartisme. Ils auraient pu être relégués aux calendes
grecs ou simplement annulés. Car la privation de la liberté amène le
peuple à disposer d’un seul moyen légitime pour évincer le régime en
place: le coup d’État. L’histoire démontrera par exemple que l’affaire
Moubandjo était dépourvue de sens dans la mesure où tous les concernés
ont été victimes de duperies: Moubandjo, Bongo et l’État gabonais.
Quant au procès Mamboundou, il aura été encore plus instructif
dans la mesure où il a révélé la pratique de la torture au Gabon, le
caractère irrégulier de la procédure pénale entreprise en raison de
l’intrusion des services secrets qui n’ont jamais comparu lors des
audiences Me Agondjo n’a jamais cédé face aux pressions indirectes
qu’il subissait de la part du pouvoir à travers les membres de sa famille
ou certains de ses amis. Chaque fois, il évoque son épouse qui, comme
lui, n’admet pas l’injustice et l’arbitraire et qui lui est d’un soutien non
négligeable lors de nombreux affrontements avec le pouvoir. Le temps et
l’habitude feront prendre du plaisir à sa progéniture.
Ses parents au contraire s’inquiètent de son avenir, ils songent
toujours aux représailles du régime pouvant engendrer son élimination
physique. D’ailleurs il a longtemps été emprisonné et en est sorti malade;
sa mère a frôlé la folie, ne pouvant supporter les sévices subis par son
fils aîné. Bien que certains juges aient été étudiants de Me Agondjo, ce
dernier sait ôter sa veste d’enseignant devant la Cour. Car l’avocat doit
une certaine déférence au Juge qui, en retour, lui doit aussi du respect.

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A la suite d’un procès gagné ou perdu, il estime que l’essentiel
est qu’il dise «J’ai bien fait mon travail». Une conscience professionnelle
paisible, indifférente aux humeurs de l’auditoire. Car selon lui, l’avocat
n’est pas payé pour le résultat, mais pour le travail accompli. On l’aura
compris, Me Agondjo est un homme de principes. C’est à n’en pas douter
ce qui le différencie plus encore de toutes les personnalités de sa
génération, en particulier des autres candidats aux élections de
décembre 1993.

Opinion sur les hommes

Au cours de son parcours du combattant, Me Agondjo a


rencontré des hommes politiques gabonais acteurs de la vie politique
passé ou récente. Il en parle avec le souci de tirer les uns de l’oubli et la
volonté de se situer par rapport à d’autres.

Paul-Marie Yembi
Paul-Marie Yembi a injustement été présenté comme un bouffon.
Cet homme historique que les gabonais connaissent peu ou presque pas
mérite plus d’égards que certains ministres gabonais aujourd’hui. Il est
fort regrettable que l’on juge Yembi non pas sur la base d’une valeur
intrinsèque, mais sur la manière dont il parlait le français. Le Président
du P.G.P. reste sensible au sort dont cet homme est l’objet.
Il estime qu’on peut être éminent penseur, intelligent ou savant
dans sa langue maternelle. La maîtrise du français ne conférant pas un
rang de mérite intellectuel, il serait donc souhaitable que les Gabonais
réhabilitent Paul-Marie Yembi dans sa grandeur d’homme politique
historique, car Paul-Marie Yembi était très enraciné et méritait mieux
que le sort qui lui est réservé.

43
René Paul Souzatte
De René Paul Souzatte, personne n’en parle, hormis le P.G.P. qui
essaie d’exhumer ce grand acteur de l’histoire politique du Gabon. Sa
petite fille a témoigné sa gratitude au Président du P.G.P. lors d’une
rencontre à Paris. Il n’est pas évident que le pouvoir actuel puisse
réhabiliter ce grand homme. Pour preuve la collection “Mémorial du
Gabon” qui aurait pu devenir un repère et un outil historique voire une
vitrine pour la nouvelle génération, brille plutôt par des contrevérités
d’une vacuité certaine. Elle est tellement truffée de mensonges qu’on s’en
voudrait d’y figurer.

Jean Hilaire Aubame


Me Agondjo qui était trop jeune à l’époque de la grande activité
politique de Jean Hilaire Aubame n’a pas eu de rapports avec l’un des
acteurs du putsch de février 1964. Lorsque Jean Hilaire Aubame sort de
prison et se rend en France, il reçoit la visite d’un jeune étudiant
gabonais très contestataire qui déplore ce qui lui était arrivé. Pierre-
Louis Agondjo-Okawé n’était déjà plus loin de son retour au Gabon.

Omar Bongo
Malgré la dérive totalitaire dont Bongo est l’incarnation, il reste
néanmoins le beau-père du Président du P.G.P. en ce sens que son frère
Ping a eu deux enfants avec sa fille. Étant l’aîné de la famille à laquelle
Ping appartient, la tradition gabonaise voudrait que Me Agondjo soit le
gendre et Bongo le beau-père, d’où ses rapports au demeurant
antinomiques en raison même de la nature des deux hommes. En effet,
Me Agondjo n’a jamais eu de rapports normaux de gendre à beau-père
avec Bongo. Les rapports politiques très conflictuels ont contribué à les
éloigner l’un de l’autre. Me Agondjo préfère du reste ce type de rapports
non possessifs. On entend souvent dire dans le milieu présidentiel
qu’Agondjo serait un antitéké. certains pensent même que si Ping
n’épouse pas la fille de Bongo c’est à cause de son mépris pour les gens
du Haut-Ogooué. Ce procès d’intention bien curieux relève probablement
d’une fausse compréhension des choses dans ce milieu qui ne se fait pas
à l’idée que Me Agondjo combat un système politique incarné, par Bongo
et non une ethnie.

44
Jean-Jacques Bouckavel
Cet homme a marqué son époque. Membre de l’Assemblée de
l’Union Française aux côtes de Paul Gondjout, sénateur et de ]. H.
Aubame député, il transitera par le P.D.G. qui l’a pressé comme un citron
jusqu’à son dernier jus avant de s’en débarrasser. Une théorie bien
connue des milieux pédégistes et qui marche très bien. Certains lutteurs
gabonais ou présumés tels en ont fait les frais.

Mba Abessole et Nzoghé Nguéma


Les rapports de Me Agondjo et Nzoghé Nguéma se situent à
deux niveaux. Ils auront des rapports militants dans le M.G.AP. et dans
le P.G.T. Car les deux hommes commencent à lutter en France. Il y a
néanmoins une complicité idéologique qui a survécu jusqu’à nos jours,
notamment dans le F.U.AP.O. et dans la C.O.D. Ils entretiendront par la
suite des rapports amicaux. Mba Abessole en revanche n’a pas eu de
liens avec le Président du P.G.P., bien que les deux hommes se soient
retrouvés au collège Bessieux. C’est en France, un été, qu’il rencontre
Mba Abessole accompagné de Max Anicet Koumba, l’un et l’autre étant
très liés à l’époque. Les trois hommes échangent des propos dans un
café. Les rapports entre Me Agondjo et Mba Abessole sont très
conflictuels, non pas tant en raison de leur nature opposée, mais des
divergences entre leurs deux partis sur l’approche des problèmes
gabonais.

Mihindou Mi Nzamba
Mihindou Mi Nzamba est le client de Me Agondjo, n’en déplaise
à certains. «Je défends le Droit et la justice et non les individus» se plaît à
dire Me Agondjo. Lorsqu’il prend en main la défense de cet homme,
Mihindou est déjà à son troisième emprisonnement, en raison de ses
démêlés avec le pouvoir. Il sera toujours défendu autant que de besoin.
Mais Me Agondjo regrette néanmoins le fait que son client ait posé
certains actes.

Jules Bourdès Ogouliguendé


Jules Bourdès Ogouliguendé et Pierre-Louis Agondjo-Okawé
étaient des amis. Ils se retrouvent d’abord au collège Bessieux, puis à
Lille.

45
Ogouliguendé était pour Me Agondjo plus qu’un frère et il est resté en
France malgré les divergences politique entre eux, divergences nées dans
les milieux révolutionnaires gabonais en France.
Le retour au Gabon de plusieurs révolutionnaires dans un tel
système (le système Bongo) bien qu’à dessein, n’aura contribué qu’à les
avilir, en ce sens qu’ils seront broyés par un système qu’ils étaient
supposés combattre. Rentrés au bercail, Me Agondjo Okawé et
Ogouliguendé sont restés chacun sur sa position. Ogouliguendé est
rentré dans le système.
Me Agondjo reconnaît malgré tout que cet homme est l’un des
rares gabonais à avoir conservé sa rigueur d’analyse. II n’hésitait pas à
exprimer son désaccord quand c’était nécessaire. II a donc conservé ses,
convictions idéologiques tout en servant le pouvoir et s’est enfoncé
jusqu’au point de non retour. Actuellement cet homme est en dissidence
avec le pouvoir. Mais il aurait été souhaitable qu’il posât cet acte bien
avant la Conférence nationale, car après celle-ci, tout le monde pouvait
parler librement, sans prendre beaucoup de risques. Aujourd’hui poule,
mouton et lion se retrouvent dans le même parc.

Pouzère
C’est dans la F.E.A.N.F. que Me Agondjo fait la connaissance de
Pouzère à l’époque militant de l’Union des Étudiants Centrafricains
(U.J.E.C.), Section de la F.E.AN.F. En France, les deux hommes
partagent le même espace résidentiel avant de se retrouver au Gabon,
d’abord à l’Université de Libreville , puis au sein du barreau. Ils se
partagent le cabinet de Me Agondjo. Pouzère va jouer un rôle
déterminant lorsque Me Agondjo s’envole pour Bangui apporter une
contribution militante à Abel Ngoumba.

Oyé Mba
Oyé Mba quant à lui a utilisé ses anciennes relations scolaires et
universitaires dans l’Opposition pour rencontrer Me Agondjo. L’entrevue
dura deux heures. De cet échange de vues, il ressort des conceptions
divergentes sur la fonction de Premier Ministre. Oyé Mba déclara sur le
champ qu’il était légaliste, de nature calme et sereine, sous-entendu que
Me Agondjo était un homme agité.

46
Les deux hommes se quittèrent sur un constat de désaccord. Le leader du
P.G.P. avait cru cependant qu’Oyé Mba demeurerait un technocrate, mais
il se détrompa très rapidement à la suite des événements de Ntoum. C’est
l’occasion de faire un sort à l’idée selon laquelle Me Agondjo peut
devenir «Premier Ministre de Bongo» après un éventuel échec à l’élection
présidentielle de décembre 1993. Rien n’est moins sûr. Pour deux raisons,
l’une politique et l’autre constitutionnelle.
Dans le premier cas, il doit obtenir l’aval de son Parti et celui
des autres forces de l’Opposition réelle. La formation d’un gouvernement
d’Union nationale au sortir des législatives de 1990 en est une parfaite
illustration. Une frange de l’Opposition avait émis le vœu d’entrer dans
le gouvernement, mais il n’en fut rien car la majorité ne le voulait pas. En
particulier Me Agondjo et Mba Abessole refusèrent officiellement leur
participation parce que ce gouvernement était contraire à l’esprit de la
Conférence Nationale, même si par la suite, Mba Abessole envoya tout
de même Madame Cécile Nkama et réclama la Primature à Bongo par
lettre. Aussi paraît-il nécessaire d’éclairer l’opinion sur cette question
d’importance capitale.
En effet, dans le second cas, «Me Agondjo Premier Ministre de
Bongo», signifierait qu’il aurait été battu dans une élection uninominale
et dans ce cas de figure, la Constitution stipule clairement qu’il faut
attendre dix-huit mois avant de prétendre à une quelconque nomination.
Il en découle que cette perspective relève d’une vue de l’esprit. Si les
candidats du Rassemblement National des Bûcherons (R.N.B.) et du
Parti Gabonais du Progrès (P.G.P.) restaient les seuls postulants au
second tour des élections présidentielles, il n’y aurait qu’à appliquer la
charte de la C.O.D., c’est-à-dire que le meilleur gagne. Cette situation, qui
est de plus en plus envisageable au P.G.P., se nomme «Gagner dès le
premier tour», c’est-à-dire battre Bongo dès le 5 décembre.

47
Me Agondjo au meeting de la C.O.D.
au Stade annexe le 8 septembre 1990.
(Au second plan, assis à droite l’Honorable
Mbou -Yembi, le leader historique du F.A.R.,
Forum Africain de la Reconstruction).


La lutte pour la transparence
aux élections de décembre 1993

Signature des actes établissant le COPEL


CHAPITRE III

BILAN ET PERSPECTIVES

D’UN HOMME DE PRINCIPES


Me Agondjo est un homme de principes. De ce point de vue, il force
l’admiration, y compris celle de ses adversaires les plus acharnés. Pour
eux comme pour les Gabonais auprès de qui il brigue aujourd’hui les
suffrages, le Président du P.G.P. a démontré sa capacité à parler sans
détours et à tenir ses engagements. Il rassure ainsi ses alliés de la C.O.D.
tout en effarouchant ses adversaires pour qui la vérité n’est pas toujours
bonne à dire et qui changent d’opinion comme la girouette tourne au vent.
Dans la pratique, Me Agondjo, en homme politique responsable désireux
de voir réussir l’expérience démocratique gabonaise, sait en arriver au
compromis sans se compromettre.
Depuis la Conférence nationale plus encore qu’auparavant, alors
que le régime monolithique imposait partout le black-out, l’opinion
nationale et internationale a appris à mieux connaître et à vérifier le
comportement de cette personnalité qui ne laisse personne indifférent.
Placé avec son parti au centre de tous les événements marquants
du Gabon et ce sans éclIpse et surtout du côté de ceux qui luttent pour la
paix, la justice et les libertés fondamentales, Me Agondjo envisage avec
sérénité l’échéance présidentielle. Fidèle aux fondements de son action,
Me Agondjo nous livre son jugement sur les événements et sur les
hommes qui les ont accompagnés avec la franchise que chacun se plaît à
lui reconnaître.
Seul le souci pour la démocratie peut motiver un tel exercice
auquel chaque candidat devait souscrire pour la clarté du débat
démocratique.

Les relations avec le R.N.B.


ou la pomme de discorde

Les relations entre le leader du R.N.B. (Paul Mba Abessole) et


celui du P.G.P. (Me Agondjo) ne sont pas au beau fixe avant et pendant
la Conférence Nationale (mars-avril 1990). Depuis lors de nouvelles
raisons de discorde sont apparues. La Conférence Nationale avait été
convoquée sur le plan endogène et exogène en raison de la dégradation
progressive du tissu économique et social. La crise mondiale et les
événements de l’Est ayant sonné le glas des États européens, avaient
engendré la Conférence Nationale du Bénin, la première du genre.

50
Elle sera suivie de celle du Gabon, essentiellement préparée par les
partis proches de la mouvance présidentielle dont le P.D.G., le Moréna et
les Bûcherons.

Le R.S.D.G.
L’orientation liminaire de cette assemblée consistait en
l’adoption des textes réglementant les statuts du Rassemblement Social
Démocrate Gabonais (R.S.D.G.) créé par Bongo pour remplacer le
P.D.G. Me Agondjo s’était opposé, contre l’avis de Mba Abessole, au
Rassemblement Social Démocrate Gabonais (R.S.D.G.). Ce dernier
n’obtiendra pas l’approbation du F.U.A.P.O. et de certains groupes et
associations qui, bien au contraire, présenteront des préalables dans
lesquels ils refuseront leur participation. Car, pour toutes les forces vives
de la nation, cette Conférence Nationale devait accoucher de la
démocratie multipartite immédiate. La souveraineté de cette instance ne
pouvait se matérialiser sans la libération des prisonniers politiques, le
retour des exilés et une amnistie générale, la protection morale et
physique des participants aux travaux de la Conférence Nationale. Elle
supposait aussi une ordonnance reconnaissant ce forum. Bénéficiant du
soutien de la France et d’un appareil répressif (la Garde présidentielle, la
Police, la Gendarmerie et l’Armée), Bongo n’admettra pas la
souveraineté de la Conférence Nationale, Mba Abessole aussi. L’on
comprendra donc pourquoi de nombreuses décisions prises lors de ce
grand forum seront tout simplement violées par le gouvernement de
transition d’Oyé Mba.

Les législatives boycottées


Après la condamnation par Mba Abessole des événements de
Port-Gentil survenus après la mort de Joseph Rendjambé, l’animosité
entre les deux hommes prendra de l’ampleur. D’aucuns affirment que
cette confrontation d’opinions entre les deux partis est à l’origine de la
défaite de l’Opposition aux élections législatives. Au sortir de ces
dernières, Me Agondjo est frustré par la défaite imméritée des forces du
changement. Mais il envisagea tout de même l’avenir avec sérénité.

51
Pour le leader du P.G.P., l’enjeu des élections législatives de 1990
était d’une importance capitale en raison du besoin de la renaissance
démocratique. Il fallait relever le niveau de l’Assemblée nationale en
obtenant la majorité afin de mieux contrôler l’influence de l’exécutif
représenté par Bongo. Fort malheureusement, deux incidents majeurs
viendront compromettre les chances de l’Opposition. D’une part la
fraude massive orchestrée par le P.D.G. et d’autre part le boycott du
scrutin au second tour par les Bûcherons sous la direction de Paul Mba
Abessole. Les candidats de cette formation se trouvaient pourtant en
ballottage favorable dans plusieurs circonscriptions électorales. Cette
victoire aurait pu déboucher sur des élections présidentielles honnêtes et
crédibles tout en évitant une contestation comparable à celles du Nigéria
ou du Congo. Les élections présidentielles et locales engagent également
un certain nombre de sacrifices au plan financier. Les contraintes
électorales sont aujourd’hui énormes parce qu’elles nécessitent des
dotations matérielles importantes. C’est pourquoi plusieurs militants du
P.G.P. sont absents sur le terrain. Entre autres moyens, ils leur manque
des véhicules, le P.D.G. ayant habitué les populations aux «pots de vin».

Le gouvernement de crise
et la candidature à la candidature de la C.O.D.
«Le gouvernement de crise» et «La candidature à la candidature» ont été
de nouvelles occasions de mésentente. Constatant le blocage des
institutions en 1991, le Parti Gabonais du Progrès (P.G.P.) avait proposé
par la voix de son leader la mise en place d’un «Gouvernement de crise»
qui devait être confié à un opposant (qui n’était pas nécessairement Me
Agondjo). Étant donné que le P.D.G. détient la majorité parlementaire, il
était impossible que ce gouvernement siège sans suspension de la
Constitution, de manière à éviter une éventuelle motion de censure. Cette
excellente proposition constitue un document muet dans les archives du
P.G.P., qui n’est pourtant jamais entré dans un gouvernement. Plusieurs
partis l’ont fait et des scissions se sont produites dans leurs structures.
De même, compte tenu de son positionnement favorable dans les
sondages, Me Agondjo a avancé l’idée de «La candidature à la
candidature» de la C.O.D. qui, de son point de vue, relève du bon sens
dans la stratégie de l’opposition pour la victoire aux présidentielles.

52
Le problème de l’origine des fonds dont disposent les partis de
l’Opposition a contribué de près ou de loin à envenimer les rapports
entre le P.G.P. et le R.N.B. Plusieurs personnes et non des moindres n’ont
pas hésité à voir dans les relations parentales de Me Agondjo l’origine
des fonds du P.G.P. Me Agondjo n’a jamais caché son agacement à ce
sujet en montrant que c’est au contraire le R.N.B. qui recevait des
milliardaires dits opposants certains de ses moyens d’action.
Ce qui amène le leader du P.G.P. à justifier l’origine de ses
revenus. Il reconnaît être un privilégié par rapport aux autres membres
de son parti en raison de sa profession d’avocat au barreau à partir de
laquelle il gagne paisiblement sa vie. C’est pourquoi certaines opérations
ne peuvent s’effectuer sans recourir à son apport financier personnel.
Ainsi, l’immeuble qui abrite les services du journal «Le
Progressiste» est l’une de ses propriétés privées. Il l’a acquis à la suite
d’un achat, grâce au prêt de l’Union Gabonaise de Banque (U.G.B.). Il en
est de même de son logement qu’il a obtenu à la suite d’une location-
vente de dix ans. Ses biens matériels sont donc acquis de manière
régulière et progressive, avec des prêts bancaires constants. Ses
principales sources de revenus sont son salaire de Maître de Conférences
à l’Université, soit environ un million de francs C.F.A., sans oublier. les
gains que lui rapportent ses nombreuses plaidoiries. Un seul dossier
traité à son cabinet d’avocat procure des sommes importantes pouvant
aller jusqu’à cinq millions lorsque l’affaire s’avère fructueuse. Les
abonnements souscrits par des Compagnies pétrolières comme Elf-
Gabon ou des sociétés d’assurances constituent des gains sûrs. Qu’il y
ait procès ou pas, ces entreprises versent des numéraires tous les
trimestres.
Il faut également noter qu’à une certaine époque, il était l’avocat
de toutes les grandes entreprises du Gabon. Quand Me Agondjo plaide
une affaire basée sur deux cent à trois cent millions par exemple, il
récupère légalement 12% de cette somme. D’esprit indépendant, le célèbre
avocat a tenu à assurer son autonomie financière en choisissant
délibérément sa profession. Il était donc impensable pour lui d’être
magistrat ou greffier. Il n’aurait jamais été indépendant. indépendant.
Jouissant d’une indépendance économique complète, il a toujours refusé
d’entrer dans les gouvernements de Bongo. Qui d’autre, parmi les
candidats, est prêt à faire cette même opération vérité sur ses revenus ?

53
La création de la C.O.D.
Elle appelle une mise au point du leader du P.G.P. pour deux
raisons. D’une part lors de sa création, d’aucuns se posaient la question
de voir naître une nouvelle structure alors que le F.U.A.P.O. venait de
mourir d’une absence d’entente entre ses fondateurs et d’autre part le
boycott observé par le R.N.B. jusqu’en juillet dernier.
Aux dires de Me Agondjo, lorsque la C.O.D. est créée, le
F.U.A.P.O. n’est pas encore mort. La C.O.D. est envisagée, explique-t-il,
comme une structure plus large que le F.U.A.P.O. Ce dernier, à sa
création, ne regroupait que certains partis dont le P.G.P., la fraction du
Moréna de Nzoghé Nguéma, l’ancienne Association à caractère politique
de Mengome-Atome, etc. C’était un groupe considéré à l’époque comme
celui des radicaux. Le R.N.B. ne s’y était pas associé.
Des Partis comme l’Union Socialiste Gabonaise (U.S.G.) qui avaient
participé aux premières négociations pour la création du F.U.A.P.O. ne
s’y sont pas associés non plus. Pour l’U.S.G. par exemple, le mot front
était rebutant. Ses représentants voulaient une autre dénomination.
Après la Conférence Nationale, il y a eu des bouleversements au sein
même du F.U.A.P.O. Des structures nouvelles ont été créées et se sont
même fractionnées. Par exemple Mengome-Atome avait réussi, après la
Conférence Nationale, à regrouper une quinzaine d’Associations à
caractère politique, regroupement suivi de fractures. Le P.S.G. naît après
la Conférence Nationale. Le R.N.B. avait amorcé un rapprochement avec
certains partis membres du F.U.A.P.O. et n’invoquait plus sa non-
violence par rapport aux “violents du F.U.A.P.O”. Il était donc bon que le
F.U.A.P.O. soit élargi et si l’on voulait élargir le front, il était difficile de
demander aux gens de rentrer dans le F.U.A.P.O. Il fallait donc créer une
structure plus large comprenant le F.U.A.P.O., le R.N.B. et d’autres . Ce
qui a été fait, et la C.O.D. est née.
Mais s’agissant de sa création, les contacts qui ont été menés
l’ont été un peu (c’est l’impression de Me Agondjo) contre le P.G.P. Il y a
eu deux réunions auxquelles le P.G.P. ne prit pas part. A un moment
donné la presse s’en est saisi en disant qu’il y avait une structure en train
de se créer et deux partis en étaient absents, le P.D.G. et le P.G.P. Me
Agondjo interviewé, renvoya la presse aux initiateurs de la C.O.D., car il
ignorait pourquoi le P.G.P. avait été écarté des discussions.

54
Par la suite, Mengome-Atome qui menait les négociations, fit
comprendre à Me Agondjo la nécessité de la présence du P.G.P. dans la
nouvelle structure. Au début, ce fut l’actuel Vice-président, Mouity-
Nzamba qui conduisait la délégation du P.G.P. aux débats relatifs à la
C.O.D., c’est-à-dire à la troisième réunion.
Telles furent les conditions de création de la C.O.D. Une fois la
C.O.D. constituée, le P.G.P. en a respecté les dispositions et contribué à
la renforcer, notamment par la charte signée à Port-Gentil. Pour ceux qui
trouvent que les dispositions de la charte de la C.O.D. sont contraires à
une stratégie unitaire, Me Agondjo répond que la C.O.D. n’est pas un
parti. Il s’agit d’une structure qui est large, une structure qui regroupe des
partis aux idéologies parfois divergentes. Et Me Agondjo d’ajouter :
«Nous sommes considérés par le R.N.B. et par d’autres partis de la
C.O.D. comme des marxistes impénitents, d’autres se disent plutôt
d’obédience démocratique chrétienne ou libérale, etc. Toujours est-il que
nous n’avons pas également les mêmes approches des problèmes. Vous
pouvez noter par exemple à propos des stratégies électorales que nous
sommes divergents et c’est tout à fait normal.» Me Agondjo fait
remarquer que le R.N.B. qui avait gelé ses activités au sein de la C.O.D. y
est revenu il y a deux mois, à la veille du Congrès extraordinaire du
P.G.P. tenu en juillet dernier.

L’adhésion de personnalités indépendantes


A la question de savoir quelle attitude adopte la C.O.D. face aux
personnalités indépendantes qui frappent à sa porte, Me Agondjo
commence par confirmer cette démarche de la part des intéressés, c’est-
à-dire Ogouliguendé, Sambat, Mébiame et Maury. Il précise que cette
démarche a été aussi celle du P.L.D., actuellement à la C.O.D. parce que
le P.G.P. en a parrainé la candidature. L’on se rappelle que ce parti a eu
des divergences avec le P.G.P. C’est ce dernier qui pouvait donc bloquer la
candidature du P.L.D. Mais pour montrer 1a volonté de voir s’unir
l’Opposition, le P.G.P. a parrainé cette candidature après que le P.L.D. ait
accepté la charte de la C.O.D. Par contre aucune décision n’a encore été
prise quant à l’adhésion des personnalités.

55
En effet, la charte de la C.O.D. ne prévoit pas l’adhésion des
individus. Le problème qui se pose à la C.O.D. à l’heure actuelle est celui
de savoir s’il faut modifier la charte de manière à aboutir à une formule
d’association avec eux. Mais en procédant ainsi, une question de taille va
se poser, celui du mode de rotation au sein de la C.O.D. De plus, Me
Agondjo se demande quel rapport il y aura entre un parti et une
personnalité dans les décisions à prendre et comment vont s’exprimer
d’un côté les partis et de l’autre les personnalités. La question reste donc
posée et n’a pas encore reçu de réponse.

Quelle stratégie pour gagner


en décembre 93 ?

Le leader du P.G.P. reconnaît que la lecture de la charte pose un


problème, parce que selon les intérêts de chaque parti, elle induit une
stratégie particulière. En particulier l’article 9 est rédigé de telle sorte
que chaque parti y trouve son compte. Que dit cet article? Il dit qu’au
premier tour des élections, chaque parti présente son propre candidat, et
au deuxième tour, tous les partis soutiennent le candidat le mieux placé.
Mais le même article dit aussi que la C.O.D. peut présenter un candidat
unique. Pour développer son point de vue, le R.N.B. ne tient compte que
de la partie de cet article qui l’arrange, c’est-à-dire la première.
En revanche le P.G.P. met l’accent sur la deuxième partie et donc
sur la candidature unique, parce qu’il privilégie le premier tour des
élections. Le Président du P.G.P. pense que l’élection de Bongo se jouera
au premier tour. Si l’Opposition l’élimine dès le premier tour, il n’y aura
plus de problème majeur au second tour. C’est le meilleur de
l’Opposition qui gagnera et avec lui toute l’Opposition. Le R.N.B. pense
qu’il n’y aura pas de problème au premier tour et que l’élection se jouera
au deuxième tour. Ce n’est pas évident pour le P.G.P. et son leader.
La charte prévoit également que des partis de la C.O.D. peuvent
soutenir le candidat présenté par un autre parti.

56
Il y a donc trois hypothèses, conclut Me Agondjo. Et d’ajouter:
«Ces trois hypothèses nous permettent de ne pas bloquer la machine.
Deux partis, le P.G.P. et le F.A.R. présentent deux candidats à la
candidature à l’heure actuelle. Il y a d’autres congrès qui se préparent,
nous ne saurons pas quelle position ils vont adopter. S’ils adoptent la
première hypothèse, nous le regretterions, car nous irions aux élections
en rangs dispersés. Si l’on adopte la deuxième hypothèse, nous irions
aux élections avec plus d’assurance. Si l’on adopte la troisième
hypothèse enfin, deux ou trois partis de la C.O.D. pourront présenter un
candidat commun.»
Me Agondjo ne cache pas son pessimisme quant à la volonté des
autres partis à rechercher les moyens d’une stratégie unitaire. C-’est ce
qui ressort de la présentation qu’il fait des différentes positions avancées
au sein de la C.O.D.
Selon le Ieader du P.G.P., ces stratégies sont, de deux sortes.
Celle qui a été proposée par le R.N.B. et celle qu’avance le P.G.P., sans
négliger une autre stratégie du même R.N.B. qui apparaît comme anti-
C.O.D., c’est-à-dire celle de l’Union Républicaine (U.R.), baptisée parfois
«Forum» ou «Convention». L’U.R. regrouperait tous les partis politiques,
toutes les personnalités, peu importe leur, étiquette politique, pourvu que
Bongo soit écarté du pouvoir. C’est la première stratégie à laquelle Me
Agondjo s’est toujours opposé, parce qu’elle est, fondée sur les alliances
contre nature et susceptible d’aboutir à une situation à la Congolaise.
Certes Me Agondjo veut le départ de Bongo, mais pas Bongo tout seul.
Le fondateur du P.D.G. fait partie d’un système et c’est ce système qu’il
faut éradiquer, Bongo compris. Cette première stratégie fait apparaître
une divergence entre le R.N.B. et le P.G.P. La ligne de fracture qui en
résulte divise sans doute les autres partis.
L’autre stratégie provient aussi du R.N.B. Elle met l’accent sur
la première partie de l’article 9 de la charte de la C.O.D. et celle du P.G.P.
qui part du même article mais pour prendre en compte la deuxième
partie du même article. Il y a donc d’un côté (R.N.B.) la candidature
multiple au premier tour, et de l’autre (P.G.P.), la candidature unique au
premier tour.
La candidature multiple au premier tour donne la primauté au
deuxième tour en admettant comme hypothèse que Bongo ne pourrait
pas passer au premier tour, ce qui est, de l’avis de Me Agondjo, «vendre
la peau de l’ours avant de l’avoir tué».

57
II montre que la victoire de Bongo n’est pas une hypothèse à écarter en
s’appuyant sur plusieurs. raisons :
Première raison : Bongo et plus encore son parti, malgré les
divergences en son sein, est encore présent et il est implanté partout à
travers le territoire national.
Deuxième raison: Bongo dispose de moyens importants qui lui
permettent de faire une campagne dynamique.
Troisième raison: Bongo a des soutiens extérieurs importants et
l’Opposition devait en tenir compte, beaucoup de chefs d’État ayant été
déjà élus uniquement grâce à ces soutiens extérieurs.
Quatrième raison: la lassitude peut s’emparer de l’électorat de
l’Opposition face à nos divisions.
Cinquième raison: La fraude.

Me Agondjo ajoute:
«Je dis qu’il ne faut pas négliger ces aspects et décréter ex-
abrupto que Bongo ne sera pas élu dès le premier tour. Or il lui surfit de
50,1% pour être élu. Nous pensons que la multiplicité des candidatures
est suicidaire, d’autant plus que c’est aussi la stratégie du candidat du
P.D.G. Ceux qui préconisent la stratégie des candidatures multiples se
retrouvent avec lui sur cette même stratégie des candidatures multiples.
Pourquoi? Parce qu’elle va fragiliser les candidats susceptibles de le
battre au premier tour. C’est une stratégie qui s’appuie sur les
candidatures ethniques. Chacun va capitaliser les voies de son ethnie
pour battre Bongo, je suis d’autant moins certain que dans une même
ethnie, il va y avoir plusieurs candidatures. Vous voyez par exemple chez
les Myénés, nous sommes déjà trois, Bourdès, Maury moi. Voilà une
petite ethnie qui se paie le luxe d’avoir trois candidats et ce n’est pas fini,
peut-être qu’il y aura d’autres.»
En revanche la candidature unique a cet avantage, aux yeux de
Me Agondjo, d’avoir le soutien de la population. Partout où il est passé
dans le pays l’électorat de l’Opposition souhaite cette candidature
unique. Elle permettrait, sur le plan matériel et humain de faire des
économies par rapport aux moyens colossaux dont dispose Bongo. Me
Agondjo voit cette cette candidature non seulement du point de vue
matériel et financier, mais surtout du point de vue politique. D’où la
proposition suivante:

58
«Nous mettrions en commun le peu d’argent dont chaque parti
dispose pour faire campagne, nous répartirions les équipes à travers le
territoire à sensibiliser. Cette candidature unique évite les attaques
frontales et fractionnistes pendant la campagne. Car si au sein de la
C.O.D., sur le plan théorique, nous parlons un langage unitaire, sur le
terrain certains candidats de la C.O.D. se sentiront obligés de dire “moi
l’enfant du coin” et d’attaquer d’autres candidats de la C.O.D.»
Les risques pris par les candidatures multiples au premier tour
sont surtout des dérapages verbaux tribalistes dont les traces sont
difficiles à effacer dans les mémoires même si le candidat lui-même ne
les tenait pas, il y aura toujours quelque militant zélé pour le faire,
comme l’expérience l’a montré lors des législatives de septembre-octobre
90. Le leader du P.G.P. se rappelle que dans la Nyanga, la Ngounié,
l’Ogooué-Lolo, le Woleu-Ntem, on n’a pas hésité à le traiter de candidat
myéné. Dans la Nyanga on est allé plus loin en soutenant que c’est
Agondjo et les myénés qui ont arraché Gamba à la Nyanga. Or chacun
sait que lorsque Gamba fut rattaché à l’Ogooué- Maritime, Me Agondjo
était encore étudiant, et en France.
C’est pourquoi quand d’autres disent «tous derrière le candidat le
mieux placé au deuxième tour», le P.G.P. dit «tous derrière le candidat le
mieux placé au premier tour», car dans ce cas de figure l’Opposition a le
plus de chance d’avoir une situation à la centrafricaine, c’est-à-dire
Bongo éliminé dès le premier tour, encore qu’il ne soit pas évident que
Bongo soit éliminé au second tour. À supposer également qu’il y ait
ballottage entre deux candidats, il y a des candidats qui sont des
repoussoirs. Si Bongo se retrouvait face à un candidat repoussoir au
deuxième tour, l’Opposition aura contribué à faire le lit de sa victoire.
Quand on demande à Me Agondjo si cette perception des choses ne sera
pas remise en cause par une amnistie de Mamboundou, le leader du
P.G.P. répond par la négative et ce pour deux raisons. La première est
démocratique. Mamboundou, en tant que citoyen gabonais a le droit de
créer son parti et le sien est l’un des plus anciens pour avoir été fondé
avant la Conférence Nationale. Le parti de Mamboundou est d’ailleurs
légalisé. On ne voit donc pas pourquoi Mamboundou viendrait
bouleverser l’échiquier politique gabonais. Me Agondjo pense que cette
amnistie aurait dû intervenir avant les élections pour permettre à
Mamboundou, s’il le désirait, de se présenter comme candidat à la
présidence. Cela aurait permis une clarification du jeu politique, car
certains disent que Mamboundou est un opposant authentique.

59
Il y en a aussi qui pensent que l’Union du Peuple Gabonais (U.P.G.), le
parti dont il est président, est le parti des Bapounous. Si Mamboundou
était au Gabon, on aurait pu le vérifier sur le terrain. S’il rentrait, il n’y
aurait plus de mythe Mamboundou.
Le deuxième argument militant pour une amnistie de
Mamboundou est juridique et politique. Si Mamboundou a été condamné
à dix ans d’emprisonnement par contumace en rentrant au Gabon il sera
arrêté et jugé de nouveau. C’est la procédure normale. Faut-il aller
jusque-là ? Me Agondjo ne le souhaite pas et l’explique: «Il y a deux
formes d’amnistie. L’amnistie de la peine et l’amnistie des faits. Cette
dernière est la meilleure pour Mamboundou. Elle lui permettrait de
rentrer librement et ceci est d’autant plus nécessaire que sur le plan
politique les faits dont Mamboundou est accusé se sont produits sous la
dictature du P.D.G. Or nous sommes désormais dans un État
multipartite, un État de droit. La non-amnistie de Mamboundou est
anachronique et je pense que depuis la Conférence Nationale, l’amnistie
de Mamboundou s’impose.»

Les conditions d’organisation


des élections de décembre 93

Me Agondjo estime que les conditions de la transparence ne


seront jamais complètes pour assurer des élections démocratiques en
décembre. La première raison de ce pessimisme est liée au découpage
électoral actuel. Il pense qu’il ne sera pas modifié d’ici les élections
présidentielles et même fait, ce ne sera possible que lorsque le
recensement général (décompte des résidents en territoire gabonais)
sera terminé. Or il ne le sera pas avant 1995. Nous allons donc élire notre
président et nos conseillers sur la base de l’ancien découpage de la
période monopartite. Il faut noter également la confusion des genres qui
fait que le recensement administratif (décompte des électeurs), a lieu en
même temps que le recensement général. Le recensement administratif
est actuellement orienté vers la fraude. Le code électoral a été voté par
les seuls députés pédégistes, c’est pourquoi l’Opposition l’avait attaqué
devant la Cour Constitutionnelle.

60
Il est revenu devant le Parlement une deuxième fois. Les Pédégistes n’ont
pas voulu tenir compte des amendements de l’Opposition. Ils n’ont
entendu discuter que des seuls articles censurés par la Cour
Constitutionnelle. Le code électoral est donc taillé aux mesures du P.D.G.
Il peut frauder. Dans les commissions de recensement, le P.D.G. qui
contrôle l’administration préfectorale accepte en principe la liste des
représentants de l’Opposition, mais lorsqu’il s’agit de se déplacer ou de
se nourrir, les représentants de l’Opposition doivent utiliser leurs
propres moyens. Or le recensement est fait par l’administration, c’est elle
qui devait donner les moyens et non les partis.
Il s’agit là d’une manière élégante, parfaitement illégale, pour
écarter l’Opposition en disant «nous respectons puisque nous vous
associons» ou «débrouillez-vous par vos propres moyens» Le P.G.P. a
saisi le Premier Ministre de cette question. Il s’est contenté de répondre:
«On a pas les moyens, l’État n’a pas les moyens». Voilà qui montre bien
qu’ils sont prêts à frauder. Ils utilisent également d’autres techniques
déjà expérimentées aux dernières élections législatives. On informe
seulement les militants du P.D.G. du jour où la commission passera
dans le village. Le moment venu, les Pédégistes attendent la commission
alors que les militants de l’Opposition vaquent à leurs travaux, qui à la
pêche, qui aux champs. Ainsi, quand la commission passe, ils sont
absents. La troisième technique a consisté, à l’ouverture officielle du
recensement, à recenser les Pédégistes dès le mois de mars.
Les militants de l’Opposition (tous partis confondus) ne se
rendent pas compte qu’ils sont en train de jouer avec le feu en ne
s’inscrivant pas sur les listes électorales, jusqu’à ce que le jour du vote
venu il leur soit répondu «Eh bien, vous n’êtes pas inscrits, vous ne votez
pas.» Une autre pratique consiste à donner un récépissé à certains
inscrits et rien à d’autres. Il n’y a donc pas de preuve que vous êtes
inscrits. Cela permet aux Pédégistes de faire du «brouillage» comme ce
fut le cas lors des dernières législatives. Il est arrivé aussi qu’ils vous
remettent un numéro ne correspondant pas à celui figurant sur la liste
électorale ou au numéro du bureau de vote. De guerre lasse, vous rentrez
chez vous sans avoir voté. Ce qui fait des voix en moins pour
l’Opposition. Une solution reste possible pour déjouer les manœuvres du
P.D.G. Il s’agirait de trouver un terrain d’entente avec les candidats
indépendants pour assurer la transparence lors des élections.

61
Me Agondjo pense que Le COPEL peut être un cadre adéquat si son
fonctionnement était normalement assuré. Il a, au contraire de la C.O.D.,
l’avantage de regrouper les partis et les individus. La vigilance exercée
par l’Opposition dans les bureaux de vote n’exclut pas la présence des
observateurs étrangers. Me Agondjo se rappelle que c’est un des
préalables de la C.O.D. et une des raisons du voyage de l’Opposition à
Washington. Toute l’Opposition est d’accord pour penser que la
présence de ces observateurs étrangers va limiter la fraude. Parfois, dans
certains pays, lorsque ces observateurs constatent que les élections n’ont
pas été transparentes, même si le président est élu comme au Cameroun,
ce président est d’avance discrédité. Les observateurs qui ont quitté le
Togo ont permis de mettre la France en difficulté et de discréditer
l’élection d’Eyadéma.
Les Allemands ont claqué la porte pour exiger la transparence
lors des législatives togolaises. Me Agondjo aurait souhaité qu’ils le
fissent avant les présidentielles de l’été dernier. Maintenant qu’Eyadéma
est bien rétabli, lui exiger la transparence apparaît comme une simple
déclaration de principe sans effet dans la pratique. Il ne fait pas de doute
que sans vigilance accrue, l’Opposition aura beaucoup de mal à endiguer
la fraude organisée par le P.D.G., encore que le leader du P.G.P. se
rappelle qu’une fraction de l’Opposition ne fut pas exempt de cette
pratique lors des législatives de 90. Il affirme : «Je n’admettrai jamais
qu’un opposant comme moi triche. C’est clair.»

Au lendemain des présidentielles


Avec le franc parler qui le caractérise, Me Agondjo lie son
attitude au lendemain des présidentielles de décembre 93 au respect de
conditions élémentaires dans le déroulement du scrutin. Il s’agit pour lui
d’enlever tout élément d’incertitude à l’opinion nationale et
internationale. Si les élections se déroulent dans des conditions
satisfaisantes, il ne voit aucune raison de refuser le verdict des urnes, y
compris dans le cas d’une victoire de Bongo. Il est bien évident pour lui
qu’en cas de fraude dûment constatée, notamment par les instances
prévues à cet effet, le leader du P.G.P. s’en remettra d’abord aux
instances de son parti et se rapprochera des autres composantes de
l’Opposition pour étudier la conduite à tenir, en conformité avec le vœu
du peuple gabonais.

62
En l’occurrence, Me Agondjo ne sera à l’origine d’aucune action tendant
à favoriser les conditions d’une guerre civile, comme cela s’est passé
dans d’autres pays, notamment dans l’Angola voisin. En cas de victoire
d’un autre candidat de l’Opposition que lui, il examinera tranquillement
les propositions de l’élu. Si les conditions du changement sont réunis, le
P.G.P. sera partie prenante du gouvernement. Dans le cas contraire, le
P.G.P. restera dans l’Opposition. Dans le cas de sa victoire, il fera appel
aux autres forces de l’Opposition. Me Agondjo estime que dans la
situation actuelle du Gabon, aucun parti de l’Opposition ne peut
gouverner le Gabon isolément. Dans cette même hypothèse, il procédera
à la dissolution de l’Assemblée nationale et organisera des élections
législatives pour doter le pays d’une nouvelle majorité au Parlement. Il
reconnaît que les cinq années suivant la défaite de Bongo seront très
difficiles car il faudra rétablir les équilibres fondamentaux et Reiter les
Gabonais pour un effort soutenu, redonner confiance aux investisseurs
étrangers, renégocier avec la Banque mondiale, le FMI et les autres
partenaires économiques capables de sortir le Gabon du gouffre dans
lequel Bongo l’a plongé.

Le financement des partis


Le problème des moyens, notamment financiers, est un sujet de
préoccupation majeur pour le leader du P.G.P., nous savons que c’est une
des raisons qui le poussent à préconiser la candidature unique. Il sait que
le pouvoir s’est organisé de manière à accentuer les difficultés de
l’Opposition en restreignant les conditions du financement des partis,
par le biais de dispositions légales en apparence, à l’origine desquelles
se trouve la majorité pédégiste.
En effet, un texte sur les partis politiques avait été voté en même
temps que la Constitution. Il prévoyait le financement des partis.
Seulement, l’Opposition n’avait pas été vigilante. Aujourd’hui, le P.D.G.
fait remarquer que le texte stipule que l’État, «peut» financer les partis. ce
verbe est aujourd’hui utilisé pour ne pas financer les partis politiques.

63
Pour l’Opposition, financer les partis signifie procéder à la fois au
financement des campagnes et à celui du fonctionnement d’un parti. Car
ce dernier est aussi très important. Par exemple un parti qui n’a pas de
siège doit bien louer une maison pour abriter ses activités.
Il est de notoriété publique que des hommes du P.D.G.
continuent, sous couvert de titres du genre “Conseiller du Président”; à
être grassement payés, pas moins de 2,5 millions par mois. Un premier
financement de la campagne avait été fait en 1990. Me Agondjo rappelle
que chaque candidat du P.D.G. avait reçu officieusement 20 millions pour
le premier tour. Au second tour, seuls les partis ayant obtenu au moins
un député, six se trouvaient dans ce cas, avaient eu un financement. Dans
le budget de 92/93, il a été prévu 1 00 millions pour le financement des
partis. L’Opposition avait dénoncé l’insuffisance de cette enveloppe,
mais sa voix n’a pas été entendue et le budget ne fut pas voté par
l’Opposition. De plus les partis ayant été légalisés après la Conférence
Nationale ne sont pas concernés par cette enveloppe. Les 100 millions
ont donc été partagés, en fonction du nombre des députés, entre les partis
représentés à l’Assemblée nationale.
Le constat à faire ici c’est l’écart entre ce qui avait été donné en
1990 et ce qu’on vient de donner aux partis. Les partis ayant des élus au
premier tour en 90 avaient reçu au total 50 millions dont 20 millions au
premier tour et 30 millions au second tour et une Pajero pour circuler. Or
pour les élections présidentielles des 5 et 19 et les locales du 27 décembre
93, le P.G.P., pour ne citer que ce cas, n’a reçu que 12 millions, c’est-à-dire
juste le nécessaire pour payer la caution d u candidat.
Pendant ce temps, le candidat naturel du P.D.G. s’arrange pour
faire le tour du Gabon, juste à un mois de la campagne officielle, en tant
que président de la République en exercice, Me Agondjo en convient.
Seulement quand on constate que partout les militants du P.D.G.
arborent l’effigie de Bongo, le président du P.G.P. comprend mal qu’il
s’agisse d’une visite du chef de l’État. Il s’agit bel et bien de campagne
électorale et les militants de l’Opposition qui ne sont pas dupes le
traitent comme un candidat en campagne. Il est vrai que sur ce plan, Me
Agondjo compte œuvrer de toutes ses forces pour qu’au moment de la
campagne officielle, tout candidat puisse parler librement de son projet
de société, que le pouvoir ne l’empêche pas de parler et qu’il ne soit pas
agressé d’une manière ou d’une autre.

64
Car si cela devait être le cas, la campagne se transformerait en un
règlement de compte d’une province à une autre. Et quand on pose à Me
Agondjo la question de savoir s’il se rendra en campagne dans le Haut-
Ogooué, il répond : «Bien sûr que je vais y aller. Je mettrai sans doute un
gilet pare-balles, mais je vais y aller.» (rires)

De la souveraineté nationale
Chacun connaît le souci du leader du P.G.P. pour la souveraineté
nationale. Nous avons vu que son premier engagement politique est liée à
cette exigence. L’actualité a permis à Me Agondjo d’aborder ce sujet à
l’occasion des prises de position de l’O.N.U. en Haïti, dominé par
l’application du «Droit d’ingérence démocratique»
Il rappelle d’abord que le «Droit d’ingérence» humanitaire ou
«Droit d’ingérence démocratique» est une notion nouvelle qui est apparue
depuis bientôt deux ans. C’est à partir de la Guerre du Golfe que l’on a
commencé à parler du «Droit d’ingérence humanitaire», notamment pour
les populations kurdes. On a ensuite parler de «Droit d’ingérence
démocratique» en Afrique. Me Agondjo pense que ces droits d’ingérence
sont en contradiction avec le Droit international qui prône la
souveraineté des États. Et de se poser une première question: « Sommes-
nous réellement souverains?» Question à laquelle il répond par la
négative. Il explique cette situation par l’état de sous-développement des
États africains. Malgré des attributs de souveraineté nationale et
internationale ces États n’ont pas la maîtrise de leurs économies. Dès
lors que les intérêts étrangers sont prédominants dans un pays, ils ont
nécessairement des incidences sur la politique et sur la notion de
souveraineté. C’est pourquoi certains affirment que les États africains
sont des États néocolonisés et non des États souverains.
Le leader du P.G.P. en vient ainsi à manifester son opposition à
l’ingérence des États étrangers lisible à la présence des bases militaires
étrangères dans les États africains. Elles constituent une confirmation
de l’absence de souveraineté des États africains, du Gabon plus
particulièrement. Les militaires étrangers qui occupent le sol national
peuvent intervenir à tout moment. Au Gabon, cette force militaire est déjà
intervenue à deux reprises, en 1964 et en 1990. Les dictatures africaines
sont souvent soutenues par des intérêts étrangers et les Africains sont
condamnés à faire appel à ces mêmes États pour se débarrasser de leurs
dictateurs.

65
1

1 - Le sit-in devant le Camp du Général De Gaulle à Libreville.


2 - L’avocat à son bureau de travail, répondant à nos questions.
Le «Droit d’ingérence» qui est un Droit nouveau est exercé de manière
trop partiale et discriminatoire pour emporter l’adhésion de Me
Agondjo. L’on se rend bien compte que selon qu’on est en Afrique (en
Somalie) ou en Europe (en Bosnie-Herzégovine), le Droit d’ingérence
n’est pas appliqué de la même manière. La notion de Droit d’ingérence
mérite donc d’être affinée. L’O.N.U. étant contrôlée par les grandes
puissances, on peut dire que ce sont elles qui exercent cette prérogative. Il
est difficile d’appliquer ce nouveau Droit sans implications politiques,
économiques et stratégiques, sans remettre en cause la souveraineté des
États ou renforcer leur dépendance extérieure.

Les problèmes de société

Face aux questions que se posent les Gabonais, il nous a paru utile de
faire connaître l’opinion de Me Agondjo sur les problèmes de société,
bien que certains aient déjà reçus une réponse du président du P.G.P lors
de ses conférences de presse ou dans des articles du journal «Le
Progressiste».

La santé du candidat
Certaines personnes mal intentionnées font courir la rumeur selon
laquelle Me Agondjo souffrirait de la maladie de Parkinson. Voilà qui
n’est pas vrai, car il s’agit d’un tic nerveux. Me Agondjo reconnaît par
contre être diabétique. Il doit cette maladie à un choc psychique
consécutif soit aux sévices physiques subis lors de son emprisonnement,
soit à un excès de sucre dans le sang. Beaucoup d’autres hommes
politiques, et non des moindres, en ont souffert avant lui, le Raïs Nasser
en particulier.
Le traumatisme psychique causé par des conditions inhumaines
de trois ans de détention à la Prison Centrale de Libreville ont laissé des
séquelles sur ce lutteur de la première heure.

67
Coupé du monde, sa famille ne pouvant le voir, vivant seul dans sa
cellule, il a failli mourir. Il a dû faire la grève de la faim parce qu’on ne
voulait pas le soigner. Il a fallu que son épouse menace le Dr Ngoubou
qui était en même temps Ministre et médecin de la prison pour obtenir
gain de cause. Après cette démarche, il fut admis à l’hôpital et soigné par
le Dr Labegore, malgré son statut de prisonnier dangereux. L’exercice de
la fonction de président de la République n’étant pas incompatible avec
le diabète, il met le gouvernement en garde contre toute tentative
d’intimidation à ce sujet. Autant dire que, hormis ce mal, Me Agondjo ne
souffre d’aucune autre maladie.

Le syndicalisme
La constitution gabonaise reconnaît le droit à tout travailleur de
se syndiquer. Malgré tout ce que l’on a pu raconter sur le SEENA, Me
Agondjo déclare que ce syndicat n’est pas phagocyté par la C.O.D. Il
affirme ne pas avoir d’éléments suffisants pour prouver qu’il est
manipulé par le R.N.B. Il suppose qu’il est autonome et qu’il défend les
intérêts de la corporation. Il en est de même du SNEC dont il est membre
de droit en tant qu’enseignant du Supérieur. Il considère que l’action
syndicale peut parfois favoriser le dialogue constructif, aussi conseille-t-
il aux pouvoirs publics d’éviter d’exercer une pression exagérée sur les
forces de sécurité pour éviter des morts lors des manifestations, comme
ce fut le cas de la jeune institutrice Martine Oulabou.

Enseignants et chercheurs
Quant au fonctionnement de l’Université Nationale du Gabon et
à la valeur des enseignants, qu’il a observés sans discontinuité depuis
1970, hormis les années de son emprisonnement, il reconnaît, pour le
regretter, la baisse sensible du niveau des étudiants et de la qualité des
enseignements qui sont deux phénomènes indissociables. Il trouve
plusieurs raisons au mauvais niveau des étudiants. Parmi les plus
évidents il cite la baisse du niveau général des cycles primaire et
secondaire. Les conditions de fréquentation et d’obtention du
baccalauréat ne lui semblent plus fiables.

68
Autant de raisons qui expliquent le faible taux de réussite dans
l’ensemble de l’Université. A cela il ajoute le niveau de recrutement des
Professeurs, le traitement, les conditions de travail et de vie des
enseignants qui affectent la qualité des enseignements dispensés.
Sur le statut des Chercheurs, il en distingue deux types. Les
Chercheurs patentés affiliés au CENAREST et les Enseignants
chercheurs. Les premiers sont spécialement confinés dans cette activité
et les seconds sont plus orientés à l’élargissement des connaissances
susceptibles de soutenir leurs cours. Me Agondjo pense que quelque soit
son statut, le Chercheur est souvent livré à lui-même. Il est sans soutien.
Il préconise la valorisation de la fonction de chercheur, notamment par
des recyclages à l’étranger, par l’attribution de bourses de recherches et
l’encouragement à la publication de travaux de recherches.

La presse
Sur la presse, Me Agondjo juge la décision prise par le
gouvernement d’interdire la parution des journaux libres comme une
atteinte aux libertés fondamentales, une décision grave ct lourde de
conséquences, surtout à l’approche des élections présidentielles. Il
justifie la création des radios libres par l’absence d’accès aux médias de
l’État qui restent le monopole du pouvoir et du P.D.G. A l’allure où vont
les choses, constate-t-il, chaque parti risque de créer sa propre radio,
pourvu que la diffusion d’informations soit crédible et tende à la
formation politique et civique du citoyen.

La politique des dons


Le président du P.G.P. condamne la politique des dons instituée
par le P.D.G. Le Parti Gabonais du Progrès l’a pratiquée bien avant,
notamment dans le Haut-Ogooué où le Dr Luma a donné des groupes
électrogènes à certains villages qui les ont réclamés. Mais il s’agit de
dons de particulier à particulier. A contrario, Me Agondjo estime qu’un
gouvernement ne doit pas pratiquer une politique de dons. Un
gouvernement gouverne. Il doit appliquer un plan qui est le budget, car
son rôle est précisément de satisfaire les besoins des Gabonais.

69
Or là où le bas blesse c’est que ces dons apparaissent comme de
véritables dons, alors qu’ils résultent de fonds publics. Et le président du
P.G.P. de préciser: «Vous me direz, mais le P.D.G. peut aussi faire des
dons ? Je vous répondrai qu’il y a d’abord le président qui fait des dons, il
y a sa femme qui fait des dons, excluons cela. Est-ce que Je P.D.G. peut
faire des dons ? Nous disons non, parce que le P.D.G. n’a pas d’argent. Il
prend tout, il puise tout dans les caisses de 1’État.»
Voilà qui permet à Me Agondjo de faire une mise au point sur
l’affaire Lourna, ce membre du P.G.P. dont la femme doit d’avoir échappé
à la mort à un don de Bongo. «Que s’est-il donc passé à propos de
Louma? La femme de Louma était gravement malade et nous-mêmes
avons constaté à l’époque que cette dame allait mourir. Le médecin qui la
suivait refusait son évacuation sanitaire en France. C’était apparemment
un pédégiste. Les parents de Madame Louma dont beaucoup sont
pédégistes disaient: “Voilà, Bongo est prêt à faire évacuer Madame
Lourna. Seulement, avec votre comportement de radicaux, vous allez
refuser, et si elle en venait à mourir?”
Le Bureau National s’est donc réuni pour examiner cette affaire.
Que n’allait-on pas dire, sinon que Je P.G.P. a provoqué la mort d’une fille
du Haut-Ogooué expressément, à cause de son entêtement, de son
aveuglément. Nous avons donc autorisé Lourna à faire évacuer sa femme
en acceptant l’argent de Bongo. Et cette dame a été évacuée et sauvée dc
la mort. Mais aujourd’hui, ceux qui nous le reprochaient prennent
l’argent d’un milliardaire du régime passé à «l’opposition». Quelle
différence y a-t-il entre l’argent de ce milliardaire et celui de Bongo?
Nous avons endosser la responsabilité d’autoriser Lourna à faire soigner
sa lemme. Nous n’avions pas de moyens pour assurer son évacuation en
France. Devions-nous sacrifier cette femme sur l’autel des principes? En
bons Staliniens, nous aurions dû la sacrifIer, n’est-ce pas? Mais nous
sommes de simples humains. L’histoire jugera si nous avons commis
une erreur ou non.»

70
Pour conclure

Cet opuscule, comme l’a écrit Benoît Mouity-Nzamba, n’a pas la


prétention de donner de manière exhaustive les multiples facettes de la
biographie du candidat du P.G.P. C’est la contribution d’une équipe de
jeunes journalistes. Ils se veulent avant tout des militants du Parti et
comme tels au service du journal du Parti, «Le Progressiste».
I1 est notre modeste contribution à la campagne du Parti pour le
succès de son candidat synonyme de paix, de justice sociale, pour le
rayonnement et la prospérité du Gabon et du respect de sa souveraineté.
Mais la saga pittoresque d’un combattant pour les libertés n’est jamais
complète de son vivant. De belles pages restent encore à écrire, tant sur
l’histoire du Gabon que sur ceux qui incarnent les forces agissantes dans
les soubresauts de l’histoire. Pierre-Louis Agondjo-Okawé est de ceux-
là. Si son combat pour un véritable État de droit, pour un État
démocratique est à peine gagné, l’histoire déjà s’accélère et l’entraîne
dans d’autres méandres, ceux du chemin de la Présidence, car la
réalisation de la société dont il rêve et pour laquelle il s’est toujours battu
n’est vraiment envisageable que si ceux qui ont toujours pensé et y ont
consacré leur vie en supervisent l’organisation.
Tel est le sens qu’il convient de donner aux premiers pas vers la
Présidence de la République de celui qui, au moment où nous écrivons
ces lignes, n’est encore que «Candidat à la candidature», Me Pierre-Louis
Agondjo-Okawé .

Les auteurs.

71
Table des matières

Préface : Le sens d’un combat ........................................................ p. 4

Chapitre I : Enfance, scolarité et vie familiale

L’enfance
Les conditions de la naissance ........................................... p. 6

L’enfance au village ............................................................ p. 7

La scolarité
Les études primaires ............................................................ p. 7

Le cursus universitaire ........................................................ p. 11

La vie familiale
La famille stricto sensu ...................................................... p. 15

La famille lato sensu ........................................................... p. 18

Chapitre II : Itinéraire syndical et politique

L’engagement
Le militant révolutionnaire ................................................... p. 22

La lutte pour l’indépendance réelle ..................................... p. 24

La france choisit Bongo ......................................................... p. 26

Des hommes et des idées en Afrique Centrale


L’échec de la Fédération Centrafricaine ............................. p. 27

Le foisonnement démocratique gabonais ........................... p. 27

L’autoritarisme appelle la révolte ......................................... p. 29

Le parcours du combattant
Dans le mouvement associatif ............................................... p. 30

Entre Libreville et Brazzaville:


l’expérience congolaise ....................................... ..................... p. 31

L’universitaire novateur .......................................................... p. 33

Le doyen rigoureux ................................................................... p. 34


La création du P.G.P. ................................................................. p. 35

L’avocat des causes perdues


Le procès de madame veuve Mba Germain ....................... p. 39

L’avocat sans frontières .......................................................... p. 41

Le temps de la réflexion .......................................................... p. 42

L’opinion sur les hommes


Paul-Marie Yembi .................................................................... p. 43

René P. Souzatte , J.H. Aubame, Omar Bongo ................ p. 43

J.J. Bouckavel, P. Mba Abessole


Nzoghe Nguéma, Mihindou Mi-Nzamba
J. B. Ogouliguendé ..................................................................... p. 45

Pouzère, Oyé Mba ..................................................................... p. 47

Chapitre III : Bilan et perspectives

Les relations avec le R.N.B. ou la pomme de discorde ..................... p. 50


Le R.S.D.G., les législatives boycottées ............................... p. 51

Le gouvernement de crise,
la candidature à la candidature de la C.O.D. ........................ p. 52

Le R.S.D.G., les législatives boycottées ............................... p. 51

La création de la C.O.D. ........................................................... p. 54

L’adhésion des personnalités indépendantes ..................... p. 55

Quelle stratégie pour gagner en décembre 1993 .................................. p. 56


Les conditions d’organisation des élections ....................................... p. 60

Au lendemain des présidentielles .......................................... p. 62

Le financement des partis ......................................................... p. 63

De la souveraineté nationale .................................................... p. 65

Les problèmes de société .......................................................................... p. 67

Pour conclure ............................................................................................. p. 71

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