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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 435–440

Article original

Estime de soi et démobilisation scolaire des adolescents


Self-esteem and school demobilization of adolescents
E. Bardou a,∗ , N. Oubrayrie-Roussel a , O. Lescarret b
a Laboratoire psychologie du développement et processus de socialisation, E.A. 1687, université Toulouse 2, maison de la recherche, bureau C446, 5, allées
Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex 9, France
b Laboratoire psychologie du développement et processus de socialisation, E.A. 1687, université de Nîmes, maison de la recherche de l’université Toulouse 2,

bureau C446, 5, allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex 9, France

Résumé
Objectif. – L’objectif de cette recherche est d’identifier les processus psychologiques sous-jacents au phénomène de démobilisation scolaire et de
mettre en avant les facteurs protecteurs du décrochage scolaire, en s’intéressant particulièrement à l’impact de l’estime de soi des adolescents.
Patients et méthode. – Nous avons procédé à la passation puis à la validation statistique de deux échelles (estime de soi et mobilisation scolaire)
auprès d’un échantillon de 405 collégiens permettant la mise à l’épreuve de notre hypothèse, avec des analyses de régression linéaires.
Résultats. – Les résultats confortent l’hypothèse selon laquelle l’estime de soi présente des effets sur la mobilisation scolaire. Plus l’estime de soi
est élevée, notamment le soi socio-émotionnel et le soi scolaire, plus la mobilisation scolaire est importante, laissant supposer que le contrôle des
émotions mais aussi l’évaluation que le jeune fait de ses compétences scolaires, permettraient de gérer les processus de compétition et de lutte pour
la reconnaissance sociale auxquels les collégiens se trouvent confrontés, par l’expression de mobiles forts sur l’école et les savoirs.
Conclusion. – En conclusion, les résultats de cette recherche nous amènent à penser que l’estime de soi constitue une dimension préventive de la
démobilisation scolaire. Ils soulignent l’intérêt de questionner plus tôt chez les adolescents, leur mobilisation scolaire, conçue comme un processus
en co-construction, en différenciant les dimensions du rapport à l’école, du rapport aux savoirs et de l’engagement dans le travail scolaire, tout en
tenant compte de leur estime de soi.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Estime de soi ; Identité ; Démobilisation scolaire ; Rapport au savoir ; Décrochage ; Adolescence

Abstract
Objective. – The objective of this research is to identify the psychological processes underlying the phenomenon of school demobilization and
highlight the protective factors of dropping out, with particular attention to the impact of self-esteem of adolescents.
Methods. – We proceeded to the award and the statistical validation of two scales (self-esteem and school mobilization) with a sample of 405
college students for the testing of our hypothesis, with linear regression analyzes.
Results. – The results support the hypothesis that self-esteem has an effect on school mobilization. More self-esteem is high, especially the so
socio-emotional and academic self, more school mobilization is strong, suggesting that emotional control but also the assessment that the young
because of his academic skills, would manage the process of competition and struggle for social recognition that college students are confronted
by the expression of strong mobile on the school and knowledge.
Conclusion. – In conclusion, the results of this research suggest that self-esteem is a preventive dimension of demobilization school. They underline
the importance of questioning earlier in adolescents, their school mobilization, conceived as a co-construction, by differentiating the dimensions
of the report to the school’s relation to knowledge and engagement in school work, taking into account their self-esteem.
© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Self-esteem; Identity; School demobilization; Relation to knowledge; Dropout; Adolescence

∗ Auteur correspondant.
Adresses e-mail : emeline.bardou@hotmail.fr, emeline.bardou@etu.univ-tlse2.fr (E. Bardou).

0222-9617/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2012.07.003
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1. Introduction mutuelles [3,7,8]. Dans un sens, l’échec scolaire peut être lié
à une mauvaise opinion de soi [9], qu’elle en soit l’origine ou la
Les difficultés scolaires représentent les motifs de consul- conséquence.
tation de plus en plus fréquents en pédopsychiatrie. La Les résultats d’une recherche menée par Oubrayrie et al. [10]
démobilisation scolaire est un signe qui peut dévoiler la souf- montrent que la probabilité d’être en réussite scolaire augmente
france de l’enfant dont les causes sont multiples. L’école peut d’autant plus que le sujet présente un haut niveau d’estime de soi.
produire de la pathologie même si elle peut refléter la projec- Dans le même sens, Martinot [9] dévoile que « des conceptions
tion de difficultés plus personnelles [1]. Nous nous interrogeons de soi positives favorisent une accentuation de l’effort, une per-
sur les facteurs qui, dans la vie psychique de l’enfant peuvent sévérance lors de difficultés, une utilisation des capacités et des
venir troubler le cheminement des processus cognitifs et affec- stratégies acquises, ou encore une efficacité accrue ». Toutefois,
tifs et constituer autant d’entraves à l’acquisition des savoirs. un élève en réussite scolaire peut avoir tendance à sous-estimer
L’objectif de cette recherche est d’identifier les processus ses potentialités face aux exigences scolaires et à se déprécier,
psychologiques sous-jacents au phénomène de démobilisation voire se dévaloriser [11].
scolaire et de mettre en avant les facteurs protecteurs du décro- Les résultats d’études antérieures mettent en évidence que
chage scolaire, en s’intéressant particulièrement à l’impact de les expériences d’échec scolaire ont plutôt tendance à conduire
l’estime de soi des adolescents [2]. à une dévalorisation de soi, tout comme les expériences de réus-
site scolaire ont plutôt tendance à conduire à une valorisation de
1.1. L’estime de soi soi. Cela nous amène à nous centrer sur la notion de démobili-
sation scolaire. En effet, la question de la réussite/échec scolaire
L’adolescence en tant que crise identitaire et période de s’inscrit dans une dialectique identitaire particulièrement déli-
remise en question des rapports intellectuels, affectifs et sociaux cate à l’adolescence. On peut penser alors la démobilisation
que les sujets établissent avec eux-mêmes et autrui, nous amène scolaire comme un acte d’opposition, une manière d’existence
à nous intéresser à la notion d’estime de soi. contre, ou à défaut d’existence révélant une forme d’expression
identitaire. L’adolescent en très grande difficulté attaque les
1.1.1. Distinctions conceptuelles liens, amenant à de possibles ruptures identitaires, familiales,
L’estime de soi est une dimension essentielle de l’identité, physiques mais aussi scolaires.
qui renvoie à la valeur qu’un individu attribue à sa propre
personne [3]. Bien plus qu’un simple trait de personnalité,
elle est l’ensemble des jugements positifs ou négatifs, cor- 1.2. La (dé)mobilisation scolaire
respondant à « la dimension évaluative du concept de soi,
c’est-à-dire à l’ensemble des représentations dont l’individu Au-delà de l’obligation sociale que représente la scolarité
dispose à propos de lui-même et à l’approbation ou à la dans notre société, se posent la question de la signification
désapprobation qu’un sujet porte sur lui-même » [4]. Nous de l’école et celle du coût psychologique de l’investissement
considérons actuellement l’estime de soi comme une cons- scolaire pour chaque adolescent, conférant à la notion de mobi-
truction multidimensionnelle, constituée de facteurs plus ou lisation scolaire l’idée d’un processus psychologique, se situant
moins indépendants renvoyant à des domaines d’activités parti- bien en amont de l’échec ou de la réussite scolaire.
culiers.

1.1.2. Les fonctions de l’estime de soi 1.2.1. Le rapport au savoir, une autre lecture de l’échec
De nombreux auteurs [5] ont précisé l’influence de l’estime scolaire
de soi sur le comportement, intervenant de façon prépondérante La notion de rapport au savoir développée selon la concep-
dans l’adaptation psychosociale d’un sujet. Une estime de soi tion psychosociale de Charlot [12] pose tout à la fois la question
positive favorise l’épanouissement et l’affirmation de la person- de la singularité, du sens et du savoir. Le sens que les élèves
nalité ainsi qu’une meilleure résistance au stress ; elle constitue confèrent à leur histoire et aux situations scolaires est un phé-
un facteur de motivation, notamment dans le domaine solaire. nomène fondamental pour comprendre la réussite ou l’échec
Alors qu’une estime de soi négative a tendance à minimiser scolaire, de ce sens dépend la mobilisation scolaire des élèves,
les potentialités du sujet, à rendre difficile son intégration et autrement dit, leur investissement dans l’activité intellectuelle
adaptation scolaire et sociale. requise par l’appropriation de savoirs [13]. En effet, pour de
nombreux adolescents, l’institution scolaire ne revêt plus de sens
1.1.3. Les relations circulaires entre l’estime de soi et dans la mesure où elle ne garantit plus l’avenir dans ce contexte
l’échec scolaire économique en crise et renvoie plutôt à une désillusion, un lieu
De nombreux travaux en psychologie de développement sans intérêt et pour beaucoup d’adolescents à une expérience
tendent à dévoiler les relations complexes entre l’estime de éprouvante.
soi et l’échec scolaire [6,7]. Cependant, les conclusions contra- Charlot [12] définit le rapport au savoir par l’ensemble orga-
dictoires de ces études ne permettent pas de connaître le sens nisé des relations qu’un sujet entretient avec tout ce qui relève
de la relation entre l’estime de soi et le niveau scolaire, ren- de l’apprendre et du savoir. Ainsi, le processus de mobilisation
voyant à l’hypothèse d’un lien circulaire et d’interrelations permet d’appréhender :
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• le rapport à l’école : renvoyant au sens et à la valeur accordée de structure traditionnelle (parents en couple avec un ou plu-
à l’école [12] ; sieurs enfants) soit 70 % et sont issus d’un milieu socioculturel
• le rapport à l’apprendre qui regroupe les conceptions autours intermédiaire (54 %).
des savoirs [14].
2.3. Matériel
1.2.2. De la démobilisation scolaire au décrochage
La démobilisation est à comprendre comme le signe d’une Deux outils appréhendant les dimensions de notre étude font
interrogation du sens de la scolarité par les adolescents ren- l’objet d’une présentation détaillée dans cette section. Chaque
voyant à la notion d’un processus psychologique qui désigne élève a rempli une échelle sur la mobilisation scolaire et une
sur un continuum, la perte de sens et de valeur accordée à échelle sur l’estime de soi. La validité des deux échelles a été
l’école et aux savoirs. L’échec scolaire ou bien le décrochage effectuée auprès de notre échantillon en respectant deux phases
scolaire, représentant l’état final ou l’expression du processus de distinctes, la première avec l’analyse factorielle exploratoire en
démobilisation. Le décrochage désigne la rupture qui interrompt axe principaux sous SPSS 15, la seconde avec l’analyse fac-
durablement la scolarité d’un élève à la suite d’un proces- torielle confirmatoire sous LISREL 8.8 (modèle d’équations
sus l’amenant à s’affranchir volontairement de l’obligation structurelles).
d’assiduité scolaire. La qualité de l’expérience scolaire est un
des plus importants prédicteurs du décrochage scolaire. Parmi 2.3.1. L’échelle de mobilisation scolaire (EMS)
les facteurs de risque les plus importants sont relevés une faible Nous avons construit une EMS car aucun des outils existants
estime de soi, une propension à somatiser et des états affectifs n’était adapté aux buts de notre recherche [20]. La version vali-
négatifs [15]. dée sous format de réponse de type Lickert en cinq points (de
Dans une perspective socio-personnelle, l’abandon de la sco- « pas du tout d’accord » à « tout à fait accord ») se compose de
larité peut amener le sujet à une précarité socioprofessionnelle 21 items répartis dans trois dimensions :
mais également à une menace de sa santé physique et psycholo-
gique [16] en empêchant la construction d’une identité positive • la dimension du rapport à l’école, avec le thème du sens
[17–19]. attribué à l’école et la notion de soutien relationnel (neuf
Nous sommes bien à l’articulation du subjectif et de items). Exemple : « Le collège c’est avant tout passer de bons
l’objectif, du personnel, du scolaire, permettant de prendre en moments avec mes copains/copines » ;
compte la multiplicité et la conjonction de différents facteurs, • la dimension du rapport à l’apprendre avec le thème des rela-
et notamment l’incidence de la construction identitaire. Nous tions avec les professeurs et les représentations sur les devoirs
faisons l’hypothèse selon laquelle l’estime de soi joue un rôle et les matières scolaires (neuf items). Exemple : « J’aime les
sur la (dé)mobilisation scolaire des adolescents. devoirs et leçons » ;
• la dimension de l’engagement dans le travail scolaire à l’école
2. Patients et méthodes et à la maison (trois items). Exemple : « Il m’arrive de ne plus
avoir envie de faire les choses en classe ».
2.1. Procédures et démarches de la recherche
La cohérence interne de la nouvelle EMS est satisfaisante
Nous avons eu recours à une démarche quantitative lors de la dans sa valeur globale (␣ = 85), mais aussi dans chacune de
phase extensive de la recherche, en procédant à la passation puis ses dimensions, soit le rapport à l’école (␣ = 0,93), le rapport
à la validation statistique des échelles auprès d’un échantillon à l’apprendre (␣ = 84) et l’engagement dans le travail scolaire
de 405 collégiens. La passation s’est déroulée au sein de trois (␣ = 0,72). Un score global de mobilisation scolaire est obtenu,
collèges, avec l’accord de l’Inspecteur d’Académie, en respec- ainsi qu’un score par dimension.
tant l’anonymat et la confidentialité des données en accord avec
les règles éthiques de la recherche en psychologie telles qu’elles 2.3.2. L’échelle toulousaine d’estime de soi (ETES)
sont exigées par le code de déontologie des psychologues. Nous avons retenu l’ETES version adolescents [21,22] que
nous avons validée auprès de notre échantillon sous une nou-
2.2. Population velle version [2,23]. La version validée de l’échelle sous format
de réponse de type Lickert en cinq points (de « jamais » à « très
L’enquête a été menée auprès de 405 adolescents français souvent ») se compose de 18 items répartis dans trois dimen-
(56 % de filles et 44 % de garçons) âgés de 11 à 15 ans scolarisés sions :
en filière générale, inscrits dans trois collèges du département
de la Corrèze de la sixième à la troisième. Leurs niveaux sco- • la première dimension aborde le soi socio-émotionnel (ou psy-
laires résultent de la moyenne aux trois trimestres. Nous notons chologique), soit huit items inversés au total. Le thème abordé
une proportion similaire d’élèves en réussite (46 % ayant une est la représentation de l’état émotionnel et la représentation
moyenne supérieure à 14/20) et d’élèves moyens (45 % ayant que le sujet a de ses interactions avec autrui. Exemple : « Je
une moyenne entre 10 et 13/20). Les élèves en difficulté repré- me trouve énervé(e) et tendu(e) » ;
sentent 8 % de notre échantillon (avec une moyenne inférieure • la deuxième dimension correspond au soi physique, soit cinq
à 10/20). Une majorité d’adolescents vivent dans une famille items positifs au total. Le thème abordé est la représentation
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que le sujet a de son image corporelle. Exemple : « Mon visage l’école (r = 0,78, p < 0,01). Le soi scolaire (r = 0,30, p < 0,01)
et mon corps plaisent facilement » ; et le soi physique (r = 0,18, p < 0,01) sont tous deux corrélés
• la troisième dimension correspond au soi scolaire, soit cinq avec la mobilisation scolaire globale. Ces deux-mêmes dimen-
items positifs au total. Le thème abordé est la représentation sions, à savoir le soi physique (r = 0,20, p < 0,01) et le soi
des compétences du sujet dans le cadre scolaire. Exemple : scolaire (r = 0,45, p < 0,01) sont aussi corrélées avec le rapport
« Je suis fièr(e) de mes résultats scolaires ». à l’apprendre. En d’autres termes, ces analyses de corrélations
nous permettent de constater que les adolescent(e)s sont mobi-
Les indicateurs de fiabilité calculés sont très satisfaisants pour lisés scolairement lorsqu’ils (elles) présentent une estime de soi
les dimensions du soi socio-émotionnel (␣ = 0,85), du soi phy- forte. Ces résultats confirment le lien supposé dans nos hypo-
sique (␣ = 0,84) et du soi scolaire (␣ = 0,74) ainsi que pour le thèses entre l’estime de soi et la mobilisation scolaire, que nous
soi global (␣ = 0,84). Un score global et des sous scores par allons maintenant tester à partir des analyses de régression hié-
dimensions sont ainsi calculés permettant d’apprécier le niveau rarchiques suivantes.
d’estime de soi du sujet.
3.3. Effet déterminant de l’estime de soi sur la mobilisation
3. Résultats scolaire générale

Dans un premier temps, nous allons présenter des analyses L’hypothèse à tester suppose que plus l’estime de soi des ado-
descriptives simples (comparaison de moyennes) permettant lescents est élevée, plus la mobilisation scolaire de ces derniers
de repérer l’effet du niveau scolaire sur l’estime de soi et la est forte. Un modèle de régression linéaire avec la procédure
(dé)mobilisation scolaire, suivis, dans la partie suivante des séquentielle a été réalisé en utilisant l’estime de soi et ses trois
résultats des analyses de corrélations de Pearson ayant permis dimensions comme la variable indépendante et la mobilisation
de tester les liens entre l’estime de soi et la mobilisation scolaire. scolaire comme variable dépendante. Les résultats exposés ci-
dessous démontrent une relation statistique significative entre
3.1. Variations de l’estime de soi et de la (dé)mobilisation les deux variables, à savoir que plus l’estime de soi est élevée,
scolaire selon le niveau scolaire plus la mobilisation scolaire est forte.
Concernant le soi physique, le coefficient n’est pas sta-
L’estime de soi générale varie significativement selon la tistiquement significatif dans le modèle retenu. La direction
moyenne scolaire avec une moyenne d’estime de soi plus faible du coefficient (positive) indique que lorsque l’estime de soi
chez les sujets en difficulté scolaire (M = 54,07 ; ET = 11,17) (t socio-émotionnelle et l’estime de soi scolaire sont élevées, la
[37] = 4,87 ; p < 0,001) par rapport aux jeunes en réussite sco- mobilisation scolaire a tendance à être plus forte. La procé-
laire (M = 64,99 ; ET = 11,56), tout comme la dimension du soi dure séquentielle nous permet de préciser le poids de chacune
scolaire (t [32] = 7,09 ; p < 0,001). Ces observations semblent des deux dimensions du soi. Les résultats (Tableau 1, modèle
confirmer les hypothèses de relations circulaires entre l’estime 2) indiquent que la proportion de variance expliquée par les
de soi et les performances, constatées dans les études antérieures. variables du soi émotionnel et du soi scolaire (modèle 2) est
Concernant la mobilisation scolaire, des moyennes plus fortes légèrement plus élevée (47,3 %) que dans le modèle 1 retenant
sont également significatives pour les jeunes en réussite sco- uniquement le soi socio-émotionnel (43,1 %). La variable la
laire concernant la mobilisation scolaire générale (M = 96,408 ; plus prédictive de la mobilisation scolaire correspond au soi
ET = 19,34) par rapport aux jeunes en difficultés scolaires socio-émotionnel (β = 65 ; p < 0,001). La seconde variable qui
(M = 77,83 ; ET = 18,45) (t [39] = 4,66 ; p < 0,001) mais aussi les contribue le plus à la prédiction est le soi scolaire (β = 21 ;
dimensions du rapport à l’apprendre (t [32] = 4,21 ; p < 0,001) p < 0,001) qui vient en second ordre d’importance (tant chez les
et de l’engagement dans le travail scolaire (t [35] = 2,65 ; filles que chez les garçons et quel que soit l’âge). Ce contrôle des
p < 0,005). Seule la dimension du rapport à l’école ne varie pas émotions dans la définition du soi s’avère donc important auprès
selon la moyenne scolaire. Ces observations vont dans le sens des sujets, sur la mobilisation scolaire. Cela laisse supposer que
de la théorie psychosociale du rapport au savoir liant la réussite le contrôle des émotions mais aussi l’évaluation que le jeune
scolaire aux significations et aux valeurs que le sujet accorde à fait de ses compétences scolaires, permettraient de gérer le pro-
l’école et aux savoirs qui s’y enseignent. cessus de compétition et de lutte pour la reconnaissance sociale
auxquels les collégiens se trouvent confrontés, par l’expression
3.2. Lien entre l’estime de soi et la (dé)mobilisation de mobiles forts sur l’école et les savoirs.
scolaire
3.4. Effet prédicteur de l’estime de soi sur le rapport à
Le soi global s’avère fortement corrélé avec les scores l’école
de la mobilisation globale (r = 0,62, p < 0,01), du rapport
à l’école (r = 0,61, p < 0,01) et du rapport à l’apprendre L’analyse par sous-dimensions nous permet d’observer que
(r = 0,25, p < 0,01). Une tendance d’association est observée le soi socio-émotionnel a un impact très important sur le rapport
avec l’engagement dans le travail scolaire (r = 0,10, p < 0,05). à l’école (β = 0,78 ; p < 0,001) expliquant 61,3 % de la variance
Le soi socio-émotionnel est très fortement corrélé avec la mobi- totale (selon une procédure « pas à pas ») et cela, quel que soit le
lisation scolaire générale (r = 0,65, p < 0,01) et le rapport à sexe. Ces résultats sont logiques du fait que le rapport à l’école
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Tableau 1
Analyses de régression de l’estime de soi sur la mobilisation scolaire.
Modèles Variables Bêta R2 Changement de R2 F

1 Soi socio-émotionnel 0,62*** 0,431 0,431 294,53*


2 Soi socio-émotionnel 0,65*** 0,473 0,042 173,91***
Soi scolaire 0,21***
* p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001. Afin de ne pas alourdir la présentation, seuls les résultats significatifs sont présentés.

comprend le sens de l’école mais aussi le vécu relationnel, construction identitaire par l’expression d’un désir ou d’une
dimensions comprises aussi dans le soi socio-émotionnel. résistance [12]. Les jeunes démobilisés scolairement peuvent se
retrouver à terme en situation de décrochage, cumulant ainsi des
3.5. Effet mesuré de l’estime de soi sur le rapport à comportements à risque. Éviter le décrochage scolaire des ado-
l’apprendre lescents et ses conséquences (absentéisme, sentiment d’échec,
fragilité d’estime de soi, etc.) est susceptible de contribuer effi-
Concernant le rapport à l’apprendre, il semble influencé par cacement à la promotion de la santé mentale des adolescents et
le soi scolaire (β = 0,45 ; p < 0,001), expliquant 20,5 % de la donc à la prévention des conduites à risque.
variance totale quel que soit l’âge ou le sexe (selon une pro- Sur le plan méthodologique, notre recherche contribue à la
cédure « pas à pas »). Cela semble cohérent dans la mesure où difficile opérationnalisation de la mobilisation scolaire, à travers
l’évaluation des compétences scolaires est étroitement liée à la les trois dimensions distinctes : le rapport à l’école, le rapport à
représentation des matières scolaires et des devoirs. En d’autres l’apprendre et enfin l’engagement dans le travail scolaire, per-
termes, plus le jeune s’évalue positivement (notamment sur le mettant de nuancer le positionnement de l’adolescent, ce dernier
plan scolaire), plus il sera mobilisé sur les savoirs. En effet, pouvant donner du sens à l’école sans avoir envie d’apprendre
pour apprendre, il faut être pleinement assuré de sa capacité ou tout en ayant envie d’apprendre sans toutefois s’approprier ni
à apprendre et un jeune doté d’une faible estime de soi se investir les savoirs. De plus, l’ETES version adolescents a ainsi
trouve sans doute dans une situation plus vulnérable en matière été validée pour la première fois, sur notre échantillon se décli-
d’apprentissage. nant en trois dimensions nouvelles : le soi socio-émotionnel,
le soi solaire et le soi physique, se distinguant clairement des
3.6. Effet mesuré de l’estime de soi sur l’engagement dans versions précédentes. En effet, le soi futur n’a pas été retenu
le travail scolaire dans les analyses de validation, ce qui coïncide avec des études
antérieures [24]. Une nouvelle dimension apparaît, celle du soi
Selon une procédure « pas à pas », l’analyse de régres- socio-émotionnel, regroupant à la fois des items du soi social
sion révèle une mise en relation de l’estime de soi générale initial et d’autres du soi émotionnel initial, que nous pouvons
avec l’engagement dans le travail scolaire (β = 0,10 ; p < 0,05). aussi nommer le soi psychologique ou introspectif. La simpli-
L’estime de soi générale joue un rôle dans l’investissement du cité d’utilisation et d’analyse de l’échelle d’estime de soi en
travail scolaire, qui nécessite a priori des représentations plus fait un instrument pratique et son application couvre un vaste
larges pour le processus de mise au travail scolaire expliquant champ, avec une spécificité d’application dans la problématique
18 % de la variance totale. Ces résultats confirment la relation scolaire, par sa version courte.
significative entre l’estime de soi et le rendement scolaire [18].
5. Conclusion
4. Discussion
En conclusion, cette recherche amène à considérer la combi-
Globalement, l’estime de soi et ses dimensions semblent naison de diverses approches pouvant expliquer l’arrêt de la
influencer la mobilisation scolaire et ses trois dimensions. Plus scolarité, centrées notamment sur les facteurs identitaires, fami-
précisément le soi socio-émotionnel prédit la mobilisation sco- liaux et les parcours scolaires. [25]. Plusieurs ouvertures de
laire générale et le rapport à l’école alors que le soi scolaire recherche sont aussi possibles. Concernant l’institution scolaire,
prédit le rapport à l’apprendre. L’estime de soi générale, quant il apparaît souhaitable d’élaborer des formations pour les ensei-
à elle, prédit l’engagement dans le travail scolaire. Nous pou- gnants, centrées sur les processus psychologiques à l’œuvre dans
vons souligner que le soi physique ne prédit pas la mobilisation la scolarité.
scolaire ni une de ses dimensions. Du côté des adolescents, il y aurait un intérêt à question-
L’hypothèse de départ est confortée, à savoir que plus l’estime ner plus tôt dans la scolarité leur mobilisation scolaire, conçue
de soi (notamment générale, scolaire et socio-émotionnelle) comme un processus en co-construction, en différenciant les
des adolescents est élevée, plus la mobilisation scolaire de ces dimensions du rapport à l’école, du rapport aux savoirs et de
derniers est forte. Ces résultats vont dans le sens des études l’engagement dans le travail scolaire, tout en tenant compte de
empiriques antérieures rapportant qu’une faible estime de soi leur estime de soi.
à l’adolescence est associée à un décrochage scolaire pré- Les résultats de cette recherche, quelle que soit leur nature,
maturé [9]. La mobilisation scolaire est étroitement liée à la empirique ou applicative, soulignent l’importance de l’estime
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semble primordial de considérer les facteurs psychologiques [12] Charlot B. Du rapport au savoir. Paris: Éditions Economica; 1997.
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l’école et en revalorisant l’estime de soi afin d’éviter le passage [14] Chartrain J.L. Rôle du rapport au savoir dans l’évolution différenciée des
à l’acte du décrochage scolaire, notamment auprès des élèves conceptions scientifiques des élèves : un exemple à propos du volcanisme au
non-conformes aux normes scolaires. cours moyen 2. Thèse de doctorat de 3e cycle, Université René-Descartes,
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