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Littérature
Fables FABLES
Jean de La Fontaine
Livre VIII
La Mort et le mourant Livre VIII - Fable 1 page 2
Le chien qui porte à son cou le dîner de son maître Livre VIII - Fable 6 page 7
Certain ours montagnard, ours à demi léché, Les voilà bons amis avant que d'arriver ;
Confiné par le Sort dans un bois solitaire, Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble :
Nouveau Bellérophon vivait seul et caché. Et bien qu'on soit, à ce qu'il semble,
Il fût devenu fou : la raison d'ordinaire Beaucoup mieux seul qu'avec des sots,
N'habite pas longtemps chez les gens séquestrés. Comme l'ours en un jour ne disait pas deux mots,
Il est bon de parler, et meilleur de se taire ; L'homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage.
Mais tous deux sont mauvais alors qu'ils sont outrés. L'ours allait à la chasse, apportait du gibier ;
Nul animal n'avait affaire Faisait son principal métier
Dans les lieux que l'ours habitait : D'être un bon émoucheur, écartait du visage
Si bien que, tout ours qu'il était, De son ami dormant ce parasite ailé
Il vint à s'ennuyer de cette triste vie. Que nous avons mouche appelé.
Pendant qu'il se livrait à la mélancolie, Un Jour que le vieillard dormait d'un profond somme,
Non loin de là certain vieillard Sur le bout de son nez une allant se placer
S'ennuyait aussi de sa part. Mit l'ours au désespoir; il eut beau la chasser.
Il aimait les jardins, était prêtre de Flore, « Je t'attraperai bien, dit-il, et voici comme. »
Il l'était de Pomone encore. Aussitôt fait que dit: le fidèle émoucheur
Ces deux emplois sont beaux ; mais je voudrais parmi Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Quelque doux et discret ami : Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche ;
Les jardins parlent peu, si ce n'est dans mon livre : Et non moins bon archer que mauvais raisonneur,
De façon que, lassé de vivre Raide mort étendu sur la place il le couche.
Avec des gens muets, notre homme, un beau matin,
Va chercher compagnie et se met en campagne. Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ;
L'ours, porté d'un même dessein, Mieux vaudrait un sage ennemi.
Venait de quitter sa montagne.
Tous deux, par un cas surprenant,
Se rencontrent en un tournant.
L'homme eut peur: mais comment esquiver ? et que faire ?
Se tirer en Gascon d'une semblable affaire
Est le mieux: il sut donc dissimuler sa peur.
L'ours très mauvais complimenteur,
Lui dit : « Viens-t'en me voir. » L'autre reprit : « Seigneur,
Vous voyez mon logis ; si vous me vouliez faire
Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas,
J'ai des fruits, j'ai du lait: ce n'est peut-être pas
De Nosseigneurs les ours le manger ordinaire ;
Mais j'offre ce que j'ai. » L'ours accepte ; et d'aller.
Fureur d'accumuler, monstre de qui les yeux Cette part du récit s'adresse au convoiteux :
Regardent comme un point tous les bienfaits des dieux, L'avare aura pour lui le reste de l'exemple.
Te combattrai-je en vain sans cesse, en cet ouvrage ?
Quel temps demandes-tu pour suivre mes leçons ? Un loup vit, en passant, ce spectacle piteux :
L'homme, sourd à ma voix comme à celle du sage, « Ô Fortune ! dit-il, je te promets un temple.
Ne dira-t-il jamais : « C'est assez, jouissons » ? Quatre corps étendus ! que de biens ! mais pourtant
– Hâte-toi mon ami, tu n'as pas tant à vivre. Il faut les ménager, ces rencontres sont rares. »
Je te rebats ce mot, car il vaut tout un livre : (Ainsi s'excusent les avares).
Jouis. – Je le ferai. – Mais quand donc ? – Dès demain. « J'en aurai, dit le loup, pour un mois, pour autant.
– Eh ! mon ami, la mort te peut prendre en chemin : Un, deux, trois, quatre corps, ce sont quatre semaines,
Jouis dès aujourd'hui, redoute un sort semblable Si je sais compter, toutes pleines.
À celui du chasseur et du loup de ma fable. Commençons dans deux jours ; et mangeons cependant
La corde de cet arc : il faut que l'on l'ai faite
Le premier de son arc avait mis bas un daim. De vrai boyau ; l 'odeur me le témoigne assez. »
Un faon de biche passe, et le voilà soudain En disant ces mots, il se jette
Compagnon du défunt : tous deux gisent sur l'herbe. Sur l'arc qui se détend, et fait de la sagette
La proie était honnête : un daim avec un faon ; Un nouveau mort : mon loup a les boyaux percés.
Tout modeste chasseur en eût été content:
Cependant un sanglier, monstre énorme et superbe, Je reviens à mon texte; Il faut que l'on jouisse ;
Tente encor notre archer, friand de tels morceaux. Témoin ces deux gloutons punis d'un sort commun :
Autre habitant du Styx : la Parque et ses ciseaux La convoitise perdit l'un ;
Avec peine y mordaient ; la déesse infernale L'autre périt par l'avarice.
Reprit à plusieurs fois l'heure au monstre fatale.
De la force du loup pourtant il s'abattit.
C'était assez de biens. Mais quoi ! rien ne remplit
Les vastes appétits d'un faiseur de conquêtes.
Dans le temps que le porc revient à soi, l'archer
Voit le long d'un sillon une perdrix marcher,
Surcroît chétif aux autres têtes :
De son arc toutefois il bande les ressorts.
Le sanglier, rappelant les restes de la vie,
Vient à lui, le découd, meurt vengé sur son corps,
Et la perdrix le remercie.