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Titre original :
The Sleepwalker
publié par Doubleday, Transworld Publishers, Londres
ISBN : 978-2-7024-4808-3
Sirènes, 2018
Chambre 413, 2019
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Pour Elizabeth K.
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« L’envie de risquer la mort est notre dernière grande
perversion.
Nous venons de la nuit, nous allons vers la nuit.
Pourquoi vivre dans la nuit ? »
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Table des matières
Couverture
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DU MEME AUTEUR AUX EDITIONS DU MASQUE
I - Les gens de la nuit
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II - Théâtre d'ombres
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III - Ré-assassiné
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IV - Désintégration
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V - Dans les flammes
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VI - Rêves de dents
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VII - Passé violent
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VIII - Tout doit disparaître
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IX - Repousser le ciel
1
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X - Arrêtons-nous là
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Tessa était déjà prête, avec quelques minutes d’avance. Postée sur le
pas de la porte, elle savourait la douce brise du soir. Il ne faisait pas
tout à fait nuit et le crépuscule bleu pastel, vif, lui apparaissait comme
un spectacle qu’elle n’avait pas eu le temps de contempler depuis des
années. Elle y vit une prémonition, la promesse de toutes les bonnes
choses qui l’attendaient encore, à l’horizon, et inconsciemment, elle
posa la main sur son ventre.
La rue était calme et Tessa entendait la fillette d’à côté travailler la
sonate Au clair de lune de Beethoven. Elle avait beaucoup progressé
ces derniers mois : les gammes hésitantes de la débutante avaient cédé
la place à quelque chose de plus naturel, qui s’échappait de ses doigts
comme de l’eau. Les phares d’une voiture tournèrent au coin,
mitraillant les façades des maisons de chaque côté de la rue, et une
Mercedes noir mat s’engagea dans l’allée de Tessa, pile à l’heure. Le
chauffeur était vêtu d’un élégant costume sombre, et lorsqu’il remonta
l’allée, elle constata qu’il portait des lunettes à verres teintés.
« Mademoiselle Klein ?
— Appelez-moi Tess. »
Il lui demanda s’il pouvait prendre sa valise et elle capta son reflet
dans les lunettes presque noires. La lueur d’amusement dans ses yeux
révélait qu’elle n’était pas coutumière du fait. Elle le suivit jusqu’à la
voiture. Il lui ouvrit la portière et chargea la valise dans le coffre, avant
de reprendre place au volant.
« Où va-t-on ? demanda-t-il, manifestement au courant de la
plaisanterie.
— Surprenez-moi », répondit-elle et elle sentit son sourire lui fendre
le visage.
Le chauffeur lui adressa un hochement de tête dans le rétroviseur et
ressortit de l’allée. Tessa regarda, à travers la vitre, les maisons, les
fenêtres éclairées et toutes les vies qu’elle laissait derrière elle. Ses
paupières de plus en plus lourdes se fermaient peu à peu, et quand elle
les rouvrit, il faisait nuit noire dehors. Le chauffeur s’engagea dans un
étroit chemin de campagne, les pneus faisaient crisser le gravier.
Arrivé devant un petit cottage plongé dans l’obscurité, il s’arrêta et
coupa le contact.
« Surprise », dit-il.
Le silence était tel que Tessa s’entendait respirer. Le chauffeur
descendit de voiture et alla chercher la valise dans le coffre, avant de
lui ouvrir la portière.
Il alluma une Maglite et précéda Tessa vers le cottage.
« On cherche un cactus », dit-il en examinant les pots alignés contre
le mur. Tessa se pencha vers les plantes et trouva la clé cachée sous
l’une d’elles. La porte s’ouvrit dans un soupir, comme si la maison
avait retenu sa respiration jusqu’à ce moment. Elle fit glisser sa main
sur le mur, en quête des interrupteurs, qu’elle abaissa tous en même
temps. Les luminaires étaient dotés d’ampoules à faible consommation
d’énergie, ses préférées, et elle sourit en songeant qu’il les avait
probablement fait changer exprès pour elle. Elles émettaient une
lumière douce qui n’atteignait pas les coins de la pièce, lui conférant
un aspect caverneux. Le vaste rez-de-chaussée dépourvu de cloisons se
composait d’une cuisine et d’un salon ; d’énormes poutres en bois
soutenaient le plafond. Un court instant Tessa en oublia la présence du
chauffeur, et lorsque discrètement il se racla la gorge, elle se retourna
vers lui.
« Oh, pardonnez-moi. Posez ça n’importe où. »
Il entra et déposa la valise à côté du canapé.
« Je peux vous offrir quelque chose à boire ? proposa-t-elle en
marchant vers la cuisine. Même si je ne sais pas où sont rangées les
choses. Sans doute vaudrait-il mieux attendre sa seigneurie. »
Le chauffeur ne répondait pas, aussi, Tessa se retourna de nouveau.
Il était soudain beaucoup plus près, et elle se demanda comment il
avait pu se déplacer de manière aussi silencieuse.
« Je crains qu’il ne vienne pas. »
Elle recula d’un pas.
« Un problème ?
— Oui, on peut dire ça. » Ses lunettes noires rendaient son
expression indéchiffrable. « Je crains que ce soit terminé,
mademoiselle Klein.
— OK », dit-elle en captant une fois encore son reflet dans les
verres teintés. Elle avait peur maintenant, mais elle s’efforça de garder
une voix calme. « OK, mais dans ce cas, je vais rentrer chez moi.
— Tout est terminé, précisa-t-il.
— Non, vous vous trompez. » Elle sourit, soulagée que cette
réponse lui soit venue à l’esprit. « Hier encore on était ensemble… »
Elle repensa à leurs corps entrelacés sur le sol du bureau, elle avait
collé son oreille sur son torse comme si elle essayait de deviner la
combinaison d’un coffre-fort. « …Je suis enceinte.
— Justement, répondit le chauffeur, qui lui semblait reconnaissant
d’avoir abordé un sujet délicat. Justement. Asseyez-vous, dit-il en
montrant la table. J’ai juste besoin d’une chose, et ensuite, tout sera en
ordre. Je vais m’asseoir là. »
Il toucha la chaise la plus éloignée d’elle.
« J’aime mieux rester debout, merci.
— Très bien. Moi aussi. » Il enfonça la main dans sa poche, en sortit
un stylo, une feuille de papier et les déposa sur la table. Quand il les fit
glisser vers Tessa, celle-ci constata qu’ils venaient de chez elle. « C’est
pour vous. J’ai besoin que vous écriviez un mot.
— Si c’est au sujet du bébé…
— Non, non. Allez-y, prenez le stylo. C’est très facile. »
Sans quitter l’homme des yeux, elle se pencha pour prendre le stylo.
« Parfait, dit-il. Maintenant, tout ce que vous avez à faire, c’est de
recopier ceci… » D’une autre poche, il tira une deuxième feuille,
imprimée celle-ci, qu’il avança vers elle.
Tessa commença à lire, et recula, la main sur la bouche.
« Laissez-moi lui parler », dit-elle à travers sa main.
L’homme ne bougea pas.
« Jamais je n’écrirai ça. »
L’homme ôta ses lunettes et la regarda d’un air si compatissant
qu’elle crut avoir touché une corde sensible.
Il sortit alors un autre objet de la poche de sa veste : une pince
coupante.
« Oh, pardon, dit-il en cherchant autre chose. Ah, voilà. »
Il déposa une enveloppe épaisse sur la table.
« De l’argent ? demanda-t-elle, incrédule, en sentant néanmoins le
soulagement se répandre en elle. Il croit qu’il peut m’acheter ? »
L’homme ne dit rien, il ne la regardait plus. Tessa se pencha pour
prendre l’enveloppe et vida son contenu.
Des photos sur papier brillant.
La première montrait sa mère, à la coopérative où elle travaillait.
Sur la deuxième, on voyait son père au volant de sa voiture. Venaient
ensuite des photos de sa sœur, de son beau-frère et de leurs deux
jeunes enfants, Sarah et Max. Enfin, les trois dernières avaient été
prises à l’intérieur de leur chambre, pendant qu’ils dormaient. Tessa
leva les yeux, soudain incapable de parler, de respirer même.
« Tout cela peut avoir une issue positive, dit l’homme. Vous pouvez
leur sauver la vie ce soir, Tess. Pour cela, il suffit que vous écriviez ce
mot.
— Je ne vous crois pas, dit-elle, le souffle coupé. Je ne… »
L’homme sortit son téléphone, fit défiler ses contacts et poussa
l’appareil vers elle. Tessa reconnut le numéro du domicile de sa sœur,
qu’elle n’avait pas composé depuis des années. L’adrénaline faisait
trembler ses doigts. Malgré tout, elle appuya sur « Appeler », en jetant
un regard de défi à l’homme. Quelqu’un décrocha dès la première
sonnerie.
Une voix d’homme, inconnue, demanda : « Vous vous êtes décidée ?
— Qui êtes-vous ?
— Demandez-moi plutôt où je suis. Où je serai dans dix minutes
quand votre sœur rentrera à la maison avec les enfants. Écrivez ce mot,
Tess. Je ne sais pas comment leur rendre la chose plus facile. »
L’homme raccrocha et Tessa sentit le téléphone glisser dans sa main
moite. Elle le laissa tomber et regarda autour d’elle, puis s’assit
lourdement sur la chaise. Elle sécha sa main sur son chemiser pour
pouvoir prendre le stylo. Elle recopia deux phrases de manière
hésitante, avant de s’arrêter sur la troisième, longuement.
Ne me cherchez pas. J’ai fait en sorte qu’on ne retrouve jamais mon
corps.
Lentement, elle recopia ces mots et conclut par une simple initiale.
Quand elle releva la tête, l’homme s’était rapproché ; il se tenait
presque derrière elle.
« Ils me chercheront quand même, dit-elle.
— Mais ils ne trouveront rien. » Il lui massa les épaules. «
Absolument rien. C’est à cause du bébé, vous comprenez. Il pourrait
conduire jusqu’à lui et… C’est un père de famille maintenant. »
En balayant du regard la pièce vide, Tessa crut percevoir des notes
de piano au loin.
« Vous entendez ? demanda-t-elle, main levée, en tendant l’oreille.
— Les gens entendent souvent des choses, dit l’homme. Je peux
vous demander ce que c’est ?
— Beethoven, dit-elle et son regard s’arrêta sur la pince, toujours
posée sur la table. La sonate Au clair de lune. »
L’homme lui agrippa les épaules et elle leva les yeux vers lui, en
essayant de sourire. Il la pressa affectueusement et lui rendit son
sourire.
« C’est magique », dit-il.
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1. Peter William Sutcliffe était un célèbre serial killer anglais.
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1. N pour « nègre ».
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Théâtre d’ombres
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On nous fit entrer dans un vaste espace dégagé. Les murs étaient
constitués de parpaings sur une hauteur de deux mètres environ, par-
dessus lesquels on avait fixé des plaques de métal. Un des avantages
du catastrophique déclin industriel, c’était qu’il offrait un tas de
champs de tir ad hoc.
Le bruit des détonations était absolument assourdissant.
Six policiers alignés nous tournaient le dos. Ils vidaient leurs armes
sur des cibles situées à une quinzaine de mètres. Leur sergent se tenait
en retrait. Il fronça les sourcils et ôta son casque antibruit en nous
voyant entrer. Il s’adressa au type posté à l’entrée, nous regarda et
hocha la tête. Un par un, ses hommes cessèrent de tirer et se
retournèrent. Tous sauf l’unique représentante de la gente féminine.
Louisa Jankowski.
Elle continua à canarder les cibles et rechargea pour recommencer,
comme si elle voulait repousser une force irrépressible. Finalement,
sentant que ses collègues la regardaient, elle baissa son arme et se
retourna à son tour. Je crus voir un bref mouvement de recul dans son
regard, un pas en arrière presque imperceptible, le temps qu’elle
évalue la situation, puis elle retira son casque et marcha vers nous.
Je la reconnus pour l’avoir vue à l’hôpital.
Elle m’avait fait signer le registre plusieurs fois quand j’arrivais ou
repartais, mais on n’avait jamais eu l’occasion de bavarder. Une fille
d’immigrés polonais, de la deuxième ou troisième génération, pensai-
je. Avec cette ossature, cette peau luminescente et ces dents blanches
qui émergeaient rarement du patrimoine génétique de la ville.
Athlétique et presque aussi grande que moi. Alors qu’elle s’approchait
de nous, je remarquai qu’elle était essoufflée et transpirait légèrement.
Ajoutez à cela son arme et elle paraissait aussi solide qu’intrépide.
« Louisa, dit son sergent, ces deux officiers souhaiteraient vous
parler.
— Waits, dit-elle en me reconnaissant elle aussi. Que se passe-t-il ?
— On ferait peut-être mieux d’aller bavarder ailleurs, dit Naomi.
— Vous n’avez pas besoin de votre arme », ajoutai-je.
Au moment où on ressortait de l’entrepôt, je vis ses collègues
échanger des regards. Louisa marchait devant nous, à grands pas,
comme si elle attendait cette confrontation avec impatience.
Tranquillement, elle contourna notre voiture et s’appuya contre le toit,
qui semblait ainsi lui servir d’armure. On l’avait entraînée à trouver les
positions privilégiées, et je me demandais si cela allait se refléter dans
sa conversation.
« C’est au sujet de Rennick ?
— Toutes nos condoléances, Louisa.
— Je crois que vous perdez votre temps.
— J’étais présent au moment de l’attaque, dis-je, espérant établir un
terrain d’entente. Rennick était un gars bien. »
Je ne le connaissais pas personnellement, mais c’était peut-être vrai.
Juste après leur mort, les gens semblaient connaître une période de
grâce.
« Racontez-moi ce qui s’est passé, alors.
— Je ne sais pas, répondis-je en toute franchise.
— Mais c’est ce qu’on aimerait découvrir, ajouta Naomi. Vous étiez
proches lui et vous ?
— Proches ? répéta Jankowski. Vous savez, je suppose, que c’est un
mot lourd de sens entre deux officiers de sexe opposé. Et vous deux ?
Vous êtes proches ?
— Non », répondit Naomi, avec une vigueur qui me surprit.
Jankowski étouffa un ricanement et regarda son reflet dans le toit de
la voiture.
« Eh bien, Rennie et moi, on était potes. Je m’attendais à le voir
franchir cette porte aujourd’hui…
— Vous aviez l’air sacrément acharnée tout à l’heure, fit remarquer
Naomi.
— Visualisation. Je pensais à la salope qui l’a buté. On en est où
d’ailleurs, à ce sujet ? Il paraît qu’elle a été repérée, et puis plus rien.
— Nous ne sommes pas encore sûrs que c’est bien elle, dit Naomi
en quêtant du regard mon soutien.
— Pardon ?
— Le cas Martin Wick complique la situation, dis-je. Nous
enquêtons sur son meurtre, parallèlement à celui de Rennick. »
Jankowski renifla avec mépris.
« Rennie mérite mieux que ça. Ils sont liés l’un à l’autre maintenant,
pour toujours. C’est dégueulasse. » Elle desserra les poings. « En quoi
est-ce que le meurtre de Wick complique les choses ? »
Naomi me regarda pour que je réponde, ce que je fis à contrecœur.
« Il obscurcit le mobile.
— Le mobile ? Qu’est-ce que ça peut être, à part quelqu’un qui a
voulu se faire justice lui-même ? Les gens le haïssaient, c’est pour ça
qu’on était là…
— Il pourrait y avoir un autre problème, sans rapport ; ou bien des
questions restées sans réponses depuis sa condamnation, dis-je, lui
balançant deux options. D’après ce qu’on sait, un des policiers de
garde aurait pu être la personne visée. »
Je sentis le regard de Naomi se poser sur moi, brièvement.
Jankowski réfléchit et plissa le front.
« Dites-moi en quoi je peux vous aider. »
Naomi sortit son carnet de sa poche.
« Vous faisiez partie de l’équipe chargée de protéger Wick durant les
semaines qui ont précédé l’attaque. Avez-vous vu ou entendu quelque
chose d’inhabituel ?
— Non. Je l’aurais signalé. Vous pensez qu’elle traînait à St Mary’s
depuis un moment ? Cette fille en survêt ?
— Et les fouilles ? demanda Naomi, ignorant la question. Étiez-vous
satisfaite de la rigueur avec laquelle vous avez appliqué les procédures
de contrôle ?
— Qu’est-ce que vous voulez dire ? »
Naomi poursuivit sur le même ton :
« Je vous demande si vous étiez satisfaite de la rigueur avec laquelle
vous avez appliqué les procédures de contrôle.
— Toujours, répondit Jankowski. Les procédures ont une raison
d’être. Je suis capable d’arrêter et de fouiller quelqu’un dans mon
sommeil, adjointe Black. Et vous ? Quel rapport avec le fait que
Rennie a été poignardé ? Je n’étais même pas là.
— Où étiez-vous, par pure curiosité ? »
La mâchoire de Jankowski se crispa.
« J’étais de garde.
— Avez-vous vu le Mail d’hier ? »
Elle secoua la tête, mais j’avais du mal à la croire. C’était le fait
marquant de la journée et elle était personnellement concernée. Je me
surpris à l’observer un peu plus attentivement.
Naomi ouvrit la portière du conducteur pour récupérer un
exemplaire du journal de dimanche. Elle le posa sur le toit, avec la
photo de Wick bien visible.
« Nous avons des raisons de penser que cette photo a été prise
pendant votre service, Louisa. »
Jankowski se décolla de la voiture et se dressa de toute sa hauteur.
« N’importe quoi. J’étais pas la seule à le surveiller au petit
déjeuner.
— Vous seule étiez de garde la fois où on lui a servi des corn flakes,
comme sur la photo… »
Je pris le relais.
« Quand Rennick a été agressé, je n’ai pas pu appeler
immédiatement les secours car j’avais déposé mon téléphone avant
d’entrer dans le service.
— Rennick a fait son boulot, ajouta Naomi. Contrairement, semble-
t-il, à la personne qui était de garde quand cette photo a été prise.
— Je proteste contre cette version des faits, répondit Jankowski.
— Cette version des faits est la seule qu’on a », rétorqua Naomi.
Jankowski secoua la tête et me regarda.
« Vous venez me donner des leçons ? Vous ? Comment s’appelait
votre supérieur, déjà ?
— Sutcliffe.
— Ouais, voilà. Il se tordait de rire toute la journée avec un tueur
d’enfants. Il devrait avoir honte.
— Il a le rouge au front maintenant, si ça peut vous consoler. » Elle
parut effarée que j’ose plaisanter au sujet des blessures de Sutty, mais
il me semblait utile de mettre les points sur les i. « Entre lui et moi, ce
n’est pas le grand amour, et si l’enquête prouve ce que vous dites, je le
menotterai moi-même à son brancard. Mais il y a une chose qui n’a
pas été rendue publique. Son boulot consistait à gagner la confiance de
Wick. Il devait lui faire avouer l’endroit où il a enterré une de ses
victimes, Lizzie Moore. » Je crus voir l’expression de Jankowski se
modifier légèrement. « Ce que vous avez vu ne correspondait peut-être
pas à la réalité », suggérai-je.
Elle regarda le journal.
« Je n’ai rien à voir là-dedans.
— La feuille d’émargement indique que Sutcliffe et Waits se
relayaient, reprit Naomi. Aucun des deux n’était présent dans le
service. Elle indique également qu’il n’y avait ni médecin ni
infirmière. Et, corrigez-moi si je me trompe, la procédure vous
obligeait à escorter jusque dans la chambre les aides-soignantes qui
apportaient ses repas à Wick. » Jankowski acquiesça. « Avez-vous
suivi la procédure ?
— À la lettre.
— Vous étiez donc seule dans ce couloir. Et vous n’avez rien
remarqué ?
— Vous me posez toujours la même question. Il était là, lui, quand
l’assassinat a été commis. » Elle me désigna d’un mouvement de tête.
« Est-ce qu’il a remarqué quelque chose ?
— Oui, dis-je. Un policier égorgé et un prisonnier sous protection
policière en train de brûler vif.
— Je commence à avoir l’impression que je devrais appeler mon
délégué.
— Nous sommes venus ici sans préjugés, dis-je. Mais nous sommes
certains que quelqu’un a dit au meurtrier de Wick où il se trouvait,
quelles étaient les mesures de sécurité et comment arriver jusqu’à lui.
Ce qui suggère une complicité interne. Je suis certain que l’inspecteur-
chef James interrogera tout le monde.
— Sauf votre boss.
— Il n’est pas au mieux de sa forme pour le moment. En fait, ils
l’ont plongé dans un coma artificiel. Mais croyez-moi, mon visage sera
la première chose qu’il verra à son réveil. S’il se réveille. »
Elle hocha la tête, comme si elle reconnaissait enfin que nous
n’étions pas là pour disculper Sutty.
« On a terminé ?
— Pour le moment, répondit Naomi.
— Si jamais quelque chose vous revient, appelez-moi. » Je lui tendis
ma carte, qu’elle fit rouler entre ses doigts à la manière d’une
croupière au blackjack. « Notre seul objectif, c’est de découvrir la
vérité. »
Cette entrevue s’était mal passée et je voulais conclure sur une note
positive.
Je n’avais pas besoin que d’autres tueurs surentraînés me prennent
pour cible.
Jankowski contourna la voiture pour regagner l’entrepôt. En nous
retournant pour la suivre du regard, nous découvrîmes plusieurs flics
armés à l’entrée. Ils s’écartèrent pour la laisser passer, puis refermèrent
les rangs, sans nous quitter des yeux.
Elle provoquait la méfiance et nous le mépris.
Je comptai cinq fusils d’assaut pointés vaguement sur nous.
Naomi pivota vers moi.
« Merci de vous être réveillé à la fin, c’était…
— C’était à vous de jouer. Et puis, j’ai eu l’impression que vous
saviez ce que vous faisiez.
— Je ne savais pas que je faisais équipe avec un partenaire muet.
Vous pensez qu’elle mentait ?
— Pourquoi pas ? Comme tout le monde. »
On remonta en voiture et Naomi changea de sujet.
« Vous avez vu la façon dont ils se sont regardés quand on l’a
conduite dehors ? » Encore une chose que j’aurais préféré qu’elle ne
remarque pas. « On aurait cru qu’ils ne lui faisaient pas confiance.
— Ça peut vouloir dire n’importe quoi. Ce n’est pas facile de
travailler quand on est l’objet de soupçons. » Naomi me regarda et je
devinai qu’elle croyait que je parlais de moi. Je ne pouvais
qu’imaginer le genre de soupçons auxquels elle pensait.
« Vous croyez qu’ils pourraient lui pourrir la vie ?
— Ce n’est pas sa vie qui m’inquiète. Je pense que je ne vais pas me
faire de nouveaux amis sur ce coup-là. »
Elle mit le contact. Je baissai le son du scanner et allumai la radio
pour essayer de remplir le silence grandissant entre nous. Je n’aimais
pas le rythme auquel progressait cette affaire, la manière dont les gens
semblaient se métamorphoser devant nos yeux, et je ne pouvais pas
traîner davantage les pieds sans éveiller les soupçons de Naomi.
Elle était trop intelligente pour qu’on lui mente, et ses relations avec
le superintendant Parrs, quelles qu’elles soient, la protégeaient de mon
pouvoir de manipulation.
Peut-être que si je demeurais spectateur de cette enquête, elle
demanderait sa mutation, mais était-ce réellement ce que je voulais ?
Quelques questions commençaient à me démanger. Comment peut-on
approcher suffisamment près d’un policier armé pour le poignarder ?
Et qui assassine un homme qui va mourir dans quelques jours ?
La seule chose dont j’étais sûr après cette visite surprise, c’était que
je ne pouvais pas continuer à louvoyer, de crainte que Naomi continue
à nous prendre au dépourvu, nos suspects et moi.
Quand je consultai mon téléphone, je découvris que j’avais un autre
appel en absence. Numéro masqué.
Quelqu’un essayait de me contacter.
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Il était tard, pourtant, pas un instant Frank Moore ne baissa les yeux,
et j’étais obligé de me casser le cou pour le regarder en face. Je
remarquai avec intérêt que Kevin Blake, dont j’avais supposé qu’il
appartenait à l’ancien monde, s’était montré très à l’aise face à un
officier de police de sexe féminin, alors que Moore, beaucoup plus
jeune, semblait avoir du mal. Chaque fois que Naomi parlait, il
l’écoutait attentivement, puis se tournait vers moi pour répondre. Peut-
être n’était-ce pas dû au fait qu’elle était une femme, mais à son passé
militaire, à ma supériorité hiérarchique supposée. Il me faisait
l’impression d’être du genre à vouloir parler au directeur.
S’il savait.
Après avoir largué l’adjointe Black dans la salle de visionnage des
images de surveillance pour quelques heures, j’avais tenté de quitter le
poste sans elle. Mais quand j’avais regagné la voiture, elle m’attendait
à l’intérieur. Faisant comme si je pensais la trouver là, j’étais monté à
bord sans rien dire. On s’était rendus au domicile de Frank Moore dans
notre silence habituel, uniquement brisé par les grésillements du
scanner en fond sonore.
Il habitait une maison de brique rouge, récente et symétrique, à
Heaton Mersey, et il eut un moment d’hésitation en nous voyant passer
la porte.
« En général, on enlève nos chaussures… »
Il nous précéda dans l’appartement en passant devant une série de
photos de famille en accord avec l’ordre ambiant. J’aurais pu croire
que c’étaient des images vendues avec le cadre, et jamais retirées, si je
n’avais pas reconnu le sourire droit et coincé de Frank qui irradiait sur
chacune de ces photos. Elles le montraient avec sa nouvelle compagne
et leurs trois enfants dans diverses configurations, tellement mises en
scène qu’elles ressemblaient à des publicités pour des crédits
immobiliers.
Lorsque Frank nous fit entrer dans le salon, tout aussi ordonné,
j’hésitai à m’asseoir. Les deux canapés étaient recouverts de housses
de protection en vinyle transparent. En regardant Naomi, je constatai
qu’elle était confrontée au même dilemme. On resta plantés là, à côté
de la cheminée décorative. Une grande bibliothèque encastrée dans le
mur accueillait quelques livres. Des manuels de motivation. Je songeai
alors que je n’avais jamais lu un ouvrage de développement personnel.
C’était peut-être ça mon problème.
Les étagères contenaient surtout d’autres photos encadrées des
enfants. Seuls, en groupe, avec toute la famille. Après ce qui était
arrivé à ses trois premiers enfants, ça me semblait normal.
« Monsieur Moore, dit Naomi, nous aimerions vous poser quelques
questions au sujet de Martin Wick.
— Allez-y, répondit-il en me regardant, comme si c’était moi qui
avais parlé. Mais je ne le connaissais pas.
— Apparemment, personne ne le connaissait vraiment, dis-je. Le
fait marquant de sa vie s’est déroulé au 11 Briars Green. Avant et
après, il n’y a pas grand-chose à raconter. »
Moore me toisa.
« Un fait marquant pour moi aussi.
— Oui, bien sûr, enchaîna Naomi. Avez-vous rencontré Martin
Wick ? Lui avez-vous parlé ? »
Moore secoua la tête.
« Je l’ai vu au procès, mais il n’a pas dit grand-chose. »
Si Martin Wick et Frank Moore s’étaient livrés à un duel silencieux,
j’étais surpris qu’ils n’y soient pas encore.
« Mais vous n’avez jamais douté que la police avait arrêté la bonne
personne », dit Naomi.
Il fronça les sourcils.
« Pourquoi en aurais-je douté ?
— Il n’a jamais pu fournir un récit détaillé de cette nuit-là.
— Évidemment. » Il se tourna vers moi de nouveau, comme si je
pouvais le comprendre plus facilement. « Il n’allait pas se passer la
corde au cou…
— Logique, dit Naomi pour essayer de conserver l’attention de
Moore. Qu’avez-vous ressenti en apprenant sa mort ? »
Il se pencha légèrement en avant et caressa avec son index l’éclair
blanc dans ses cheveux. Je me dis qu’il aurait aimé le lui planter dans
l’œil. Au lieu de cela, il sourit de nouveau.
« Pas grand-chose.
— Vous ne vous êtes pas réjoui ? » Moore plissa le front, mais
Naomi poursuivit. « La plupart des gens que nous avons rencontrés se
seraient fait un plaisir de l’éliminer…
— Je crois que je n’aimerais pas faire votre travail », la coupa-t-il en
lui adressant directement cette réponse, pour la première fois. «
Comme vous avez pu le constater, mon objectif c’est d’aider les gens
qui se noient dans le chagrin. Je ne peux pas les en extirper tout seul,
mais je peux leur tendre la main. Et j’ai toujours pensé que Martin
Wick allait à la dérive lui aussi dans tout ce chagrin. S’il avait sollicité
mon aide, nous aurions peut-être pu nous secourir mutuellement.
— Mais il ne l’a pas fait ? demandai-je.
— Non, hélas.
— Pardonnez-moi de dire ça, mais vos conseils semblent plutôt
s’adresser à une autre catégorie de personnes.
— Je ne vais pas m’excuser de faire payer mes séminaires. Ils me
permettent de gagner ma vie, mais c’est accessoire. Ce qui me plaît,
c’est qu’ils financent notre travail avec les groupes à risque.
— Comment définissez-vous cette notion ?
— Ce sont des gens qui ont besoin de notre aide, mais n’ont pas les
moyens de se l’offrir. Ça peut être une mère de famille en deuil, une
personne toxicomane, ou un sans-abri. Je veux éviter que le prochain
Martin Wick atteigne son point de rupture. J’ai discuté avec quelques
officiers de police à l’époque.
— Kevin Blake est-il venu vous trouver dans cette optique ? »
Moore secoua la tête.
« Kev est plus comme vous.
— C’est-à-dire ? demandai-je.
— Il garde tout à l’intérieur. Désolé, je le sens. Néanmoins, j’ai
trouvé ça révélateur qu’il quitte la police juste après la condamnation
de Martin Wick…
— Pourquoi donc ?
— C’était la preuve de la magnitude de cette affaire. S’il en était
besoin. Cet homme n’a pas seulement détruit ma famille, il a détruit
tous ceux qui ont été en contact avec lui. Je pense que Blake a résisté
admirablement.
— Diriez-vous que vous êtes amis ?
— Non, absolument pas. Impossible de briser sa coquille. Mais nos
chemins se croisent souvent. Dans les galas de bienfaisance et ainsi de
suite…
— Étiez-vous informé de l’espérance de vie de Martin Wick ?
demanda Naomi.
— Oui. Votre agent de liaison avec les familles, une fille adorable,
nous avait expliqué qu’il y avait encore un espoir qu’il révèle
l’emplacement de la dernière demeure de Lizzie. »
Sa voix se brisa à l’évocation de sa fille et involontairement il porta
la main à sa poitrine, comme pour indiquer où elle se trouvait
réellement.
« Comment avez-vous réagi à cette nouvelle ?
— J’ai dit à vos collègues qu’ils perdaient leur temps, je crois. »
Sans doute remarqua-t-il le regard que me lança Naomi, car il
développa. « Vous devez bien comprendre que Lizzie a été déclarée
morte avec les autres. Et en un sens, ça m’a aidé. Je pouvais… » Il
tendit ses énormes mains devant lui comme si elles agrippaient un
objet volumineux pour le plaquer au sol… « Je pouvais tout enfouir au
même endroit. Et tourner la page. Après une tragédie comme celle-ci,
vous devez aller de l’avant. Cela signifie pardonner et oublier.
— Vous avez pardonné à Martin Wick ? » demanda Naomi.
Mouvement de tête agacé.
« Je me suis pardonné à moi-même.
— Puis-je vous demander quoi ?
— La culpabilité du survivant. Si les êtres humains forment des
familles, ce n’est pas sans raison. Les mères servent à élever les
enfants, elles apportent une conscience dans le foyer. Les pères sont là
pour apporter la nourriture, la chaleur et la protection. J’ai échoué. »
Je ne partageais pas cet avis, mais pas facile de contredire cette
affirmation car dans son cas, c’était vrai. Peut-être que sa femme et ses
enfants seraient toujours en vie s’il avait été là.
« Je crois que Margaret et vous étiez séparés à l’époque ? dit Naomi.
— Vous croyez, hein ?
— Nous essayons juste d’établir la chronologie des faits, répondit-
elle calmement.
— Oui, nous étions séparés, mais dans notre esprit, ce n’était pas
définitif, je pense. Nous faisions une pause.
— Une pause dans quoi ?
— Un jour, quand vous serez un peu plus âgée, quand vous serez en
couple, peut-être que vous comprendrez. Un mariage, c’est comme un
océan. Infini, sans fond, mystérieux. Mais changeant, soumis aux
marées, imprévisible. Nous traversions une période de mauvais temps.
»
Il conclut sa phrase de manière abrupte et je m’aperçus, avec
stupéfaction, que c’était sa réponse.
Naomi insista.
« Quel genre de mauvais temps ?
— Si vous voulez la sinistre vérité, je fréquentais de mauvaises
personnes, répondit-il en esquivant la question d’une autre façon. Je
n’étais pas un père ni un mari idéal, mais j’en ai tiré des
enseignements.
— Du style ? demanda Naomi, et je compris qu’elle continuerait
jusqu’à ce qu’elle obtienne une réponse franche.
— J’ai pu enseigner à mes enfants une leçon précieuse, dit-il en
hochant la tête en direction des photos encadrées sur les étagères.
Chérissez chaque jour qui passe. Vivez-le comme si c’était le dernier. »
Je trouvais que c’était une leçon un peu brutale pour des tout-petits,
mais j’essayai de ne rien laisser paraître.
« Je m’en veux d’insister, dit Naomi, mais qu’est-ce qui vous
rendait imparfait avant cela ?
— Je combattais des choses, répondit-il, avec un soupçon de
menace dans la voix.
— Quel genre de choses ?
— Maggie. Les enfants. Moi-même. » Il les énumérait comme s’il
s’agissait d’entités totalement séparées. « Désormais, j’ai une devise, à
laquelle j’essaie de me conformer. Prendre les choses telles qu’elles se
présentent.
— J’essaierai de m’en souvenir », dit Naomi.
Moore dressa le menton, à la manière d’un chanteur qui tente
d’atteindre une note élevée.
« Autre chose ? demanda-t-il. Ils vont bientôt rentrer et je préfère
qu’ils restent en dehors de tout ça.
— Bien sûr, dit Naomi. Ça nous aiderait de savoir où vous étiez
samedi soir et dimanche matin.
— Je suis l’homme le plus heureux au monde. » Il rayonnait. Je
songeais à ses enfants massacrés. Curieuse définition du bonheur. «
J’étais ici, au lit, à côté de ma femme.
— Eh bien, merci, dit Naomi. Et merci encore de nous avoir accordé
un peu de votre temps.
— Je vous raccompagne », dit-il en nous escortant jusqu’à la porte.
Au passage, je regardai de nouveau les photos de famille. Et je fus
frappé par la ressemblance entre la nouvelle compagne de Frank et
Margaret Moore, assassinée.
« Nous étions faits pour nous rencontrer, dit Frank qui avait suivi
mon regard. Parfois, le hasard fait bien les choses. »
Je dus paraître perplexe parce qu’il se mit à improviser sur cette
notion quand des voix nous parvinrent de l’allée. Une clé tourna dans
la serrure. La porte s’ouvrit et trois enfants entrèrent. Tout d’abord, je
crus qu’ils étaient étonnés de nous voir, intimidés de découvrir deux
inconnus en compagnie de leur père. Puis je compris qu’ils entraient
toujours de cette façon.
En silence, leurs chaussures à la main.
Ils restèrent plantés là, bien alignés, attendant que leur mère arrive
pour les précéder. Quand celle-ci s’avança, j’eus l’impression de
rencontrer Margaret Moore. Elle lui ressemblait trait pour trait, jusqu’à
la tresse.
Naomi sourit aux enfants.
« Vous devez être…
— Elizabeth, répondit la mère en désignant son aînée d’un
mouvement de tête. Et voici Arthur et Mary.
— Becky, ma merveilleuse épouse », dit Frank.
On échangea des bonjours et elle poussa ses enfants dans le salon.
« Madame Moore », dit Naomi en leur emboîtant le pas.
Je regardai le sourire figé de Frank pivoter dans leur direction,
tandis qu’on entendait sa femme confirmer son alibi.
« Merci », dit Naomi.
Elle nous rejoignit dans le vestibule, dit au revoir et marcha vers
notre voiture en s’emmitouflant dans sa parka.
Dehors, il faisait nuit et je sentais la froideur du soir.
« Ils sont pour moi une bénédiction », dit Frank au moment où je
sortais.
J’aurais voulu en revenir à sa famille, au hasard qui faisait si bien
les choses. L’inquiétude n’avait pas quitté son visage depuis qu’il avait
émis cette remarque ; il semblait s’apercevoir qu’il avait commis un
faux pas quelque part. Je m’attardai sur le seuil, devinant qu’il aimait
avoir le dernier mot.
« Inspecteur, votre collègue m’a demandé ce que j’avais ressenti en
apprenant la mort de Martin Wick, et je pense que ma réponse n’était
pas totalement sincère.
— Oh ?
— On a beau se répéter des devises. Prendre les choses telles
qu’elles se présentent. Quand je vois ma famille aujourd’hui, quand je
songe à tout ce que cet homme m’a volé… Si ça ne tenait qu’à moi, on
déterrerait ce salopard pour le faire cramer une deuxième fois. » Je ne
dis rien et il sourit. « Mais c’est juste une opinion personnelle.
— Bien sûr. Bonsoir, monsieur Moore. »
En descendant l’allée, je songeai qu’on aurait pu tout aussi bien
interroger une de ses photos encadrées. Sa conclusion incendiaire
ressemblait à un désir de détourner l’attention. Je rejoignis Naomi dans
la voiture. On resta muets un instant. Le moteur tournait.
« Les enfants », dit-elle.
J’acquiesçai et regardai la maison par-dessus mon épaule. La
silhouette de Frank Moore s’encadrait dans la fenêtre, il nous
observait.
Arthur, Elizabeth et Mary. Ils portaient les prénoms de ses enfants
assassinés.
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III
Ré-assassiné
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1. Speed addict dans le texte anglais : allusion au speed, les amphétamines.
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1. Chase : la chasse.
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Short Back and Sides habitait dans une cité glauque à Harpurhey, un
quartier du centre à la mauvaise réputation. À une époque, il avait été
qualifié de quartier le plus économiquement défavorisé du pays, avec
des taux de chômage et de criminalité atteignant des sommets. Naomi
conduisait ; on tourna la tête en même temps vers un immense graffiti
sous un pont : SPICE WORLD.
Le spice était l’unique secteur de l’économie locale en plein essor,
grâce essentiellement à des dealers tels que Short Back and Sides, qui
travaillaient d’arrache-pied pour prendre dans leurs filets de jeunes
hommes, dont beaucoup de sans-abri et d’individus à risques. Il
s’agissait d’une drogue de synthèse vendue dans de petits emballages
brillants, comme des bonbons. Malheureusement, les bonbons avaient
un goût de plastique brûlé et provoquaient des palpitations, des crises
de panique, des vomissements et un état de confusion quasi
apocalyptique.
Le spice était également associé à des psychoses, des problèmes
d’insuffisance rénale et des crises cardiaques.
Et ça, c’était les bons côtés.
Qu’un peu d’évasion mérite de tels risques en disait long sur notre
époque, et il était impossible d’ignorer les effets visibles de cette
drogue dans toute la ville. Habituellement, un taux de mortalité élevé
limitait la propagation d’une drogue, mais en cette période d’austérité,
on avait l’impression que le bilan humain ne parviendrait jamais à
prendre de vitesse l’accroissement du nombre de sans-abri.
Je m’étais plongé avidement dans la lecture du dossier de Short
Back and Sides, pour essayer de ne plus penser à la disparition de mon
sac, au coup de téléphone concernant ma mère et à la voiture qui,
pensais-je, nous suivait. Mais tout ce que je ressentais à cet instant,
c’était une colossale vague de colère qui montait en moi et peignait
mon cerveau en noir. D’après son dossier, Short Back était spécialisé
dans un dérivé particulièrement toxique de cette drogue, baptisé Posh
Spice. Il avait passé les quinze dernières années à alterner prison et
logements sociaux et son pedigree se lisait comme un catalogue
complet de tous les délits existants. L’information fournie par Kevin
Blake, selon laquelle sa dernière condamnation avait été annulée, était
exacte, et je sentis ma vue devenir floue en en lisant les détails.
Il avait accordé à un de ses clients fidèles, un sans-abri, un crédit de
100 £. L’homme ne pouvant pas rembourser, Short Back avait suggéré
un autre mode de paiement, qu’il appelait un discount à cinq doigts.
Si le type acceptait de recevoir un coup de poing pour chaque livre
qu’il devait, sa dette serait effacée. Afin de bien faire passer le
message, il choisit de faire ça dans un de ses squats, devant d’autres
personnes, qui elles aussi avaient des arriérés en matière de drogue.
Certains témoins partirent, d’autres se rassemblèrent autour du
spectacle, effrayés ou fascinés. Quelques-uns tentèrent d’intervenir,
mais ils en furent empêchés par les sbires de Short Back. Tant que sa
victime demeura consciente, elle affirma à l’assistance que tout allait
bien, même lorsqu’il devint évident que Short Back y prenait plaisir et
ne retenait aucun de ses coups.
Même lorsqu’il devint évident qu’il avait enfilé un poing américain.
Short Back asséna les cent coups à divers endroits du corps de son
débiteur. Celui-ci perdit connaissance autour du soixante-dixième, et
ne se réveilla plus jamais. En raison d’antécédents médicaux et de son
statut économique, sa mort fut jugée, avec le minimum d’efforts,
comme un homicide involontaire. Et lorsque le juge demanda à Short
Back s’il espérait vraiment échapper à la prison, celui-ci répondit par
une sorte de haussement d’épaules. Sans doute vendrait-il davantage
de Posh Spice à l’intérieur de Strangeways qu’à l’extérieur.
Naomi me vit lever les yeux du dossier et me frotter le visage.
Elle hocha la tête.
« Ce sont ces gens-là qui rendent notre métier salutaire. »
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1. Haine.
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IV
Désintégration
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V
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2
« Merci d’être venu », dis-je, alors que Kevin Blake s’asseyait face
à moi.
Naomi et moi avions pris place dans une salle d’interrogatoire du
poste de Central Park. Elle avait accepté de nous accorder une journée,
plus par obligation envers l’enquête qu’envers moi. Il me fallait
maintenant anticiper les mouvements du sol qui se dérobait sous moi et
faire avancer les choses sans nous compromettre, Jankowski ou moi.
« Je ferai tout ce que je peux pour vous aider, sergent », dit l’ancien
inspecteur avec un sourire.
Naomi lui tendit une image d’Esther filmée à St Mary’s par les
caméras de surveillance.
« Nous aimerions savoir si vous connaissez cette femme ?
— Bien sûr. » Il leva les yeux vers nous. « C’est la fille que Chase a
pointée du doigt durant la conférence de presse. La personne que vous
recherchez. Difficile d’oublier ce visage.
— Ce que nous voudrions savoir, c’est si vous la connaissiez avant
la conférence de presse, monsieur Blake ? reprit Naomi.
— Appelez-moi Kev, dit-il en examinant de nouveau la photo de la
fille au visage tatoué, avant de nous la rendre. J’ai bien peur que non.
De mon temps, les criminels se contentaient de prendre un air
méchant.
— Dans ce cas, dis-je en sortant d’une enveloppe le portable
retrouvé au Cornerhouse, pouvez-vous me confirmer que ce téléphone
vous appartient ? »
Les paupières de Blake s’abaissèrent un peu plus que nécessaire
lorsqu’il posa les yeux sur le téléphone, pour dissimuler son
expression.
« Je peux ? » demanda-t-il sans nous regarder.
Naomi lui donna l’autorisation et il examina l’appareil à travers le
sachet en plastique scellé.
« Oui, ça ressemble à un des miens.
— Pouvez-vous nous expliquer comment il s’est retrouvé en
possession de cette jeune femme ? demanda Naomi en montrant d’un
mouvement du menton la photo d’Esther.
— Non, pas vraiment », répondit Blake en se redressant sur son
siège. Il reprenait confiance. « Mais j’ai été cambriolé il y a une
quinzaine de jours. On m’a volé ce téléphone.
— Vous avez signalé ce cambriolage ?
— Ça m’est complètement sorti de la tête, j’en ai peur.
— Réponse surprenante de la part d’un ancien officier de police,
Kev…
— Les policiers ont la réputation de faire des choses surprenantes,
sergent. »
Cette réponse ressemblait à une attaque personnelle et je crus
percevoir une pointe d’agacement dans l’utilisation de mon grade.
Je décidai de l’en priver.
« Appelez-moi, Aidan.
— Eh bien, pour répondre à votre question, Aidan : je ne trouve pas
ça surprenant. J’avais l’intention de porter plainte, mais comme rien
n’avait été saccagé et qu’aucun objet de valeur n’avait été volé…
— À part un iPhone dernier modèle, soulignai-je.
— On ne s’en servait pas vraiment. » Il sortit de sa poche un
appareil identique. « Fiona, ma femme, et moi, on les a achetés en
même temps. De vous à moi, elle apprend encore à se servir de
l’ancien. Du coup, l’autre a fini dans un tiroir de mon bureau.
— Il est verrouillé. Comment un voleur lambda a-t-il pu l’ouvrir ?
— J’avais noté le code, et je l’avais laissé dans le tiroir avec
l’appareil.
— Rien d’autre n’a disparu ?
— On avait laissé une fenêtre ouverte la nuit. Faut pas s’étonner.
Quelqu’un est entré et a fauché deux ou trois trucs dans le bureau. Ils
ont dû être dérangés car ils ont laissé l’ordinateur et la télé. Des
gamins, certainement.
— Ou bien ils savaient exactement ce qu’ils cherchaient. Quelles
sont les autres choses qui ont disparu ?
— Des papiers, rien d’important.
— Quand a eu lieu ce cambriolage, exactement ? »
Il fit gonfler ses joues.
« Je ne pourrais pas vous donner de date, comme ça à l’improviste.
— Vous devriez essayer. Habituellement, la police s’intéresse à ce
genre de détails.
— Changez de ton, fiston, d’accord ?
— Parlez-nous de ces documents, monsieur Blake. » Les yeux fixés
sur la table, il frotta son pouce et son index l’un contre l’autre comme
s’il testait la qualité d’un tissu invisible. « Avaient-ils un lien avec
Martin Wick ? » Il leva les yeux une seconde et je me penchai en avant
pour repousser le téléphone vers lui. « J’en déduis que la réponse est
oui.
— Rien de sensible, uniquement des informations d’ordre général.
— Des notes concernant un meurtrier de masse ? C’est ce que
j’appelle un sujet sensible. »
Penché au-dessus de la table, j’appuyai sur le bouton du téléphone
pour allumer l’écran.
La photo de la famille Moore apparut.
On resta tous les trois muets pendant un moment.
« Votre femme a choisi un drôle de fond d’écran…
— Quand elle m’a dit qu’elle n’en avait finalement pas besoin, j’ai
décidé de m’en servir pour écrire. »
Bonne réponse, songeai-je, mais il lui avait fallu une minute de
réflexion.
« Moi, il me faudrait une éternité pour écrire un livre avec ça…
— Ah, très drôle, sergent. J’avais décidé de m’en servir pour mes
recherches sur la nouvelle édition de mon précédent livre.
— Vous avez l’habitude d’utiliser un téléphone différent pour
chaque projet ?
— Pour ce genre de projet, oui. Vous ne voulez pas que ça se
mélange avec votre vraie vie.
— Je devrais essayer. Et vous n’avez pas jugé bon de nous en parler
lorsque le sujet de votre livre a été assassiné, après le vol de votre
téléphone ?
— Je n’avais pas encore commencé la nouvelle édition. Bien
évidemment, s’il avait contenu des éléments sensibles, je l’aurais crié
sur les toits.
— Au lieu de ne rien dire à personne. C’est donc vous qui avez
choisi ce fond d’écran. »
Il acquiesça.
« Je trouve que ce genre de photo aide à se concentrer, ça vous
rappelle pourquoi vous faites ça.
— Il n’y a pas eu de nouveaux développements entre l’incarcération
de Martin Wick et son assassinat, dit Naomi. Alors, pourquoi préparer
une nouvelle édition ?
— Pour aborder son incarcération. Je savais que s’il mourait, il y
aurait un regain d’intérêt pour cette affaire. Et compte tenu de son état
de santé, il n’en avait plus pour longtemps. Je voulais évoquer son
séjour à Strangeways.
— Nous avons visité sa cellule hier, dis-je.
— Sale endroit…
— Je ne peux pas dire le contraire. Ça ne vous ennuie pas de
déverrouiller votre téléphone ? »
J’essayais de conserver un ton détaché, mais je me levai brutalement
en faisant racler ma chaise sur le sol, et je contournai le bureau pour
me placer derrière Blake, comme si je voulais juste protéger une pièce
à conviction. J’évitai le regard de Naomi.
Blake fit glisser son doigt sur l’écran, à travers le plastique.
L’écran se débloqua et je me penchai par-dessus son épaule pour
m’emparer de l’appareil. Je commençai par regarder les messages :
uniquement des mises à jour automatiques de la part de l’opérateur.
Puis j’ouvris le répertoire. Il contenait cinq noms. Je les fis défiler, trop
vite, jusqu’à Louisa. Naomi se leva.
« Vous permettez ? »
Le temps s’arrêta, mais je sus que je me trouvais juste à la limite de
ce que je pouvais faire sans être inquiété. En lui remettant le portable,
je quittai le répertoire afin qu’elle ne sache pas ce que je regardais. Je
retournai de l’autre côté de la table, pendant que Naomi répétait mes
gestes, et se figeait en découvrant le nom de la femme flic.
La preuve tangible.
Lorsqu’elle me la montra, j’essayai de paraître étonné. On se rassit
tous les deux et je me réjouis d’entendre que la respiration de Blake,
devenue plus forte, couvrait la mienne. Il avait même blêmi, et il sortit
de sa poche un tube de comprimés. Il en goba deux dans sa paume, à
sec.
« Vous pourriez peut-être nous présenter les personnes que vous
avez enregistrées dans ce téléphone ? » dit Naomi. Blake hocha la tête
et je sentis le temps s’accélérer de nouveau, par à-coups. « Qui est
Susan ?
— Je vous ai dit que Wick avait été marié pendant un an quand il
était plus jeune…
— Vous aviez même promis de nous fournir le numéro de son ex-
femme.
— Comme vous l’avez démontré, adjointe Black, cette information
m’a été dérobée. Je ne l’ai pas interrogée pour la première version du
livre, mais j’ai pensé qu’il serait peut-être intéressant de revenir un peu
en arrière.
— Frank Moore », dit Naomi, qui continuait à éplucher le
répertoire.
Je ne savais pas comment l’arrêter.
« Ça me paraît évident. Le mari endeuillé. Certains pourraient dire :
l’ultime survivant. »
Naomi acquiesça.
« Survivant est un mot qui fait très Frank Moore.
— J’ignorais qu’il en détenait le copyright…
— Ne lui donnons pas cette idée. » Elle sourit. « C’est vous qui
nous avez suggéré d’assister à ses séminaires de survie. Vous y êtes
déjà allé vous-même ?
— Si je me souviens bien, je voulais vous donner l’exemple d’une
personne qui se ressaisit.
— N’est-ce pas ce que vous aviez besoin de faire après l’enquête ?
— Je ne suis pas sûr de comprendre votre question, adjointe Black.
— Je veux juste savoir si vous avez assisté à une de ces séances…
— Pas pour moi, c’est pas mon truc.
— Si vous n’avez pas été secoué par cette enquête, pourquoi avez-
vous quitté la police juste après la condamnation de Martin Wick ?
C’était une affaire unique dans une carrière, et vous l’avez menée à
bien. Vous auriez pu faire tout ce que vous vouliez.
— J’ai fait ce que je voulais.
— Vous avez écrit un livre, il y a dix ans. Vous pourriez occuper le
fauteuil du chef Cranston à l’heure qu’il est.
— Là encore, c’est pas mon truc.
— Vous ne diriez pas que cette affaire vous a détruit ? Ce sont les
paroles mêmes de Frank Moore. »
Blake frappa du poing sur la table.
« Je suis assis là, non ?
— Du mauvais côté du bureau, dit Naomi.
— Détruit, vous dites ? » Il croisa et décroisa les bras. « Vous
découvrirez, adjointe Black, que j’avais déjà donné ma démission
quand l’affaire Wick a éclaté. J’ai mené l’enquête par sens du devoir
car cela me semblait s’imposer. Mais elle n’a nullement influé sur ma
décision de partir. » Il se pencha en avant et pointa l’index sur elle. «
Et si vous essayez d’insinuer qu’il existe une relation bizarre entre moi
et Frank Moore, vous êtes totalement à côté de la plaque. Comme je
vous le disais, nos chemins se croisent régulièrement dans diverses
associations caritatives…
— Du style ? »
Mon intervention le hérissa.
« Amis Compatissants, une association destinée aux familles
d’enfants assassinés. Ou encore la Fondation du Doux Chagrin, La
Ligue Howard…
— Qui prône une réforme pénitentiaire, c’est bien ça ? » demandai-
je en espérant demeurer sur ce terrain.
Blake hocha la tête et je reportai mon attention sur le téléphone.
« C’est en raison de votre implication dans cette cause que vous
avez enregistré le numéro de Christopher Back, alias Short Back and
Sides ?
— Là encore, c’est en raison de ses liens avec Martin Wick. Cette
perspective ne me remplissait pas de joie, mais il avait passé pas mal
de temps avec lui.
— Avez-vous eu l’occasion de lui parler avant le vol de votre
téléphone ?
— Non. Ce qui me laissait le temps d’acheter une combinaison
anticontamination taille XXL…
— Vous devriez peut-être la garder pour le gars suivant dans votre
répertoire, dit Naomi. Charlie Sloane.
— Sloane a une grande gueule et sans doute la plus grande
collection de maladies vénériennes au monde, mais c’est un sacré bon
journaliste. Avec des principes, qui plus est.
— Oui. Pas plus tard qu’hier on a l’a trouvé en train d’aider une
jeune mère.
— Tout ce que je sais, c’est qu’il a couvert l’affaire Martin Wick
avec sensibilité et tact il y a douze ans.
— Soit. Mais je croyais que ce téléphone était destiné à vos
recherches.
— En effet.
— Pourquoi aviez-vous besoin de parler à Charlie Sloane d’articles
qu’il a écrits il y a douze ans ? »
Blake haussa les épaules.
« Il possédait peut-être des informations qu’il n’a pas publiées à
l’époque.
— Est-ce que toutes ses informations ne venaient pas de vous, Kev ?
— Vous connaissez les journalistes. Bon, on a terminé ? » D’un
geste vague, il montra les médicaments pour le cœur sur la table. « J’ai
un rendez-vous… »
Je hochai la tête, en ignorant le regard que me jeta Naomi.
Je ne voulais pas voir sa réaction en découvrant le nom de
Jankowski. Le fait que Blake ne connaisse pas ce nom confirmerait
qu’il avait été enregistré par Esther, que les deux femmes étaient liées
et que Jankowski était sérieusement impliquée dans cette affaire.
« Nous sommes obligés de conserver le téléphone, dis-je en essayant
de l’inciter à lever le camp. Si vous voulez bien nous noter le mot de
passe ? » Je fis glisser vers lui un stylo et une feuille de papier, sur
laquelle il inscrivit quatre chiffres. « Merci. »
Je repris la feuille, me levai et me dirigeai vers la porte.
« Désolée, Kevin, dit Naomi. Il reste un dernier numéro… »
Elle orienta l’écran du téléphone vers lui et il blêmit.
C’était beaucoup plus convaincant que tout ce qu’il avait montré
jusqu’à présent.
« Je ne le connais pas.
— Et le nom ? » insista Naomi.
Il secoua la tête.
« Ce n’est pas moi qui l’ai enregistré. Je ne connais aucune Louisa.
»
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« Il n’a pas tort », dit Naomi dès que Moore eut quitté le bureau.
Côte à côte devant la fenêtre ouverte, on laissait l’air frais nettoyer
nos poumons après vingt minutes passées à respirer les émanations de
Hatton. Je voyais qu’elle était encore furieuse de la manière dont
j’avais parlé à Rebecca, et à Frank.
« À quel sujet ?
— Je ne vois pas à quoi ça sert de revenir sur cette histoire. Ces
témoignages méritaient qu’on s’y intéresse, assurément, mais il s’est
justifié.
— Il a justifié le fait de tabasser sa femme et ses enfants ?
— Je ne suis pas en train de prendre sa défense. Je dis juste qu’il
nous a expliqué… l’infidélité de sa femme. Et je l’ai cru. Pas vous ? »
Je me tournai vers elle, et hochai la tête à contrecœur. Il était
toujours furieux après sa femme qui lui avait transmis une maladie
vénérienne.
« Le plus important, reprit Naomi. Qu’on le croie ou pas, nous
savons qu’il n’a pas pu tuer Martin Wick. Il était avec des gens.
— D’après sa femme. La seule chose dont on est sûrs, c’est que M.
Pardonne-et-Oublie est capable d’actes de violence quand les choses
ne se passent pas comme il le souhaite.
— Ça me rappelle quelqu’un.
— Oh, allez vous faire foutre, Naomi.
— Avec vous, j’ai des chances que ça m’arrive », répliqua-t-elle.
Je traversai le bureau.
« Pensez ce que vous voulez, mais ne me mettez pas dans le même
sac que Frank Moore.
— Je ne vous mets dans aucun sac. Mais vous ne pouvez pas vous
comporter comme un connard et refuser ensuite cette étiquette.
— Je suis navré de ne pas correspondre à ce que vous espériez, OK
? Et je suis désolé si cette affaire ressemble à un putain de feu de
voiture qui couve.
— Ne me parlez pas comme si j’étais une pauvre collégienne qui en
pince pour vous. J’espérais juste que vous seriez quelqu’un de bien.
— Vous avez placé la barre trop haut.
— Manifestement. L’unique raison pour laquelle vous vous
intéressez autant à Frank Moore, un homme dont toute la famille a été
assassinée, c’est parce qu’il vous permet d’éloigner les soupçons de la
seule personne dont on soit sûr qu’elle est impliquée : votre copine de
baise, Louisa Jankowski. »
Il me fallut une ou deux secondes pour m’en remettre.
« Je m’intéresse à Frank Moore parce que c’est un menteur et une
ordure. Mais peut-être que je suis bien placé pour savoir de quoi je
parle, hein ?
— Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.
— Vous venez de dire que j’essayais de vous baiser.
— N’est-ce pas pour ça que vous m’avez ramenée chez vous ? »
Sa voix se brisa et je compris pour la première fois combien elle
était meurtrie.
« Si je me souviens bien, dis-je en baissant la voix, c’est vous qui
avez proposé d’aller chez moi.
— Pour boire un verre.
— Et qu’est-ce qui vous fait croire que j’avais autre chose en tête ?
— Vous. » Elle déglutit. « La façon dont vous m’avez regardée en
ouvrant la porte.
— De quelle façon ?
— Pas comme un collègue, ni comme un ami. »
On resta muets l’un et l’autre quelques instants.
« Dans ce cas, je suis désolé. Bien évidemment.
— Non, c’est moi qui suis désolée. Parce que j’ai quand même
monté l’escalier avec vous… »
Je me frottai le visage et me tournai vers le mur.
« Je parlerai à James. Pour vous faire muter sur l’enquête officielle.
»
Elle hocha la tête.
« Restons-en là pour aujourd’hui. J’ai des choses à faire pendant
qu’on est ici.
— Vous allez voir Adam ? » devina-t-elle. Je me retournai vers elle
et hochai la tête. « Vous voulez savoir si Carver a tenu parole, pour le
protéger.
— Si vous traitez avec le diable, vous devez au moins en avoir pour
votre argent. »
Elle sourit.
« Dans ce cas, vous pouvez vous attendre à rouler sur l’or.
— Je ne peux plus m’arrêter de gagner. »
On se regarda une seconde de trop ; elle se rapprocha, me toucha le
bras et s’en alla.
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Rêves de dents
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1. En français dans le texte.
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Passé violent
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Elle n’y répondit pas et, à peine entré dans la maison, je me rendis
directement dans le salon où je l’avais laissée. Elle ne s’y trouvait pas,
alors je criai son nom et ma voix me revint en écho. J’allai de pièce en
pièce en ouvrant les portes à la volée, sans me soucier du
bourdonnement dans mes oreilles, jusqu’à ce que j’atteigne la cuisine,
où je la trouvai debout devant l’évier.
Elle sursauta lorsque je fis irruption dans la pièce et plaqua la main
sur sa poitrine.
« La vache, dit-elle en essayant de déchiffrer mon expression. Tout
va bien ? » Je hochai la tête en sentant les fourmillements dans mes
jambes. Elle regarda mes mains vides. « Où sont les bières ? »
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IX
Repousser le ciel
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Arrêtons-nous là
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