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L’HERITAGE

DE
L’ AMOUR
LAURIE MIQUEL
©Laurie Miquel, 2017

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Ebook.
Les trois coups de sifflet retentirent dans le stade marquant la fin d’un match
de football. L’équipe au maillot rouge éclata de joie, tandis que leur adversaire
baissa la tête, d’autres pleurant leur regard fixant la pelouse. Par courtoisie et
respect, les adversaires se serrèrent la main. Les Portland Thorns FC saluaient la
foule, faisant la holà avec eux, sous leur chant de victoire.
Les cheveux blonds attachés dans une queue de cheval serrée, haute, un
élastique pour tenir les mèches rebelles, la footballeuse sentait son maillot lui
coller à la peau. Sourire aux lèvres, son équipe avait de nouveau gagné un titre,
et pas des moindres : la Major League. Dix mois de saison intense à transpirer
sur les terrains, soumettre son corps à ses pointes de vitesses extrêmes, les
battements de son cœur s’arrêtant avant chaque but. Tout cela était fini
désormais, jusqu’à la prochaine saison.
Les supporters chantaient en cœur dans tout le stade, acclamant l’équipe
vainqueur de la Major League. En rang, le numéro huit écarta légèrement les
jambes, main dans son dos, le regard droit devant, elle attendait que la photo de
la victoire soit prise. Le flash signala la fin de dix mois de bonheur absolu, bien
que son corps soit mâché. L’équipe dissolue, Jordan prit un moment avant de se
diriger vers les vestiaires, observant les gradins se vider lentement, répondant à
des signes de mains, des pancartes. Mais elle savait parfaitement que bientôt,
elle retrouverait tout cela avec le championnat mondial, où elle avait la chance
de représenter les États-Unis.
En cinq ans, elle était passée d’une petite joueuse d’université de Los
Angeles, à une professionnelle de Major League pour l’équipe de Portland
Thorns FC. Deux ans qu’elle avait été recrutée dans ce club, remportant deux
fois le titre. Les gens commençaient à la connaitre, les journalistes à parler
d’elle, et même les agences de pub contactaient son agent pour représenter leurs
marques de sport. Elle n’aurait jamais cru tout cela devenir réalité. En particulier
avec son passé.
L’attaquante se dirigea vers le long couloir, sous les gradins, mais son prénom
était crié à plein poumon par des fans. Sourire sur ses lèvres, elle dévia de son
chemin pour aller à leur rencontre. Des photos d’elle étaient tendues avec un
stylo, des mots gentils lui étaient dits. Elle appréciait cette proximité avec ses
supporters, même si certains pouvaient se montrer vraiment entreprenants. Une
petite fille lui demanda un autographe, se faisant pratiquement écraser par les
autres. Jordan se mit à son niveau et demanda fermement aux autres de s’écarter
pour la laisser respirer. La mère de l’enfant la remercia gentiment.
- Il n’y a pas de mal. À quel nom je signe ?
Toute timide, l’enfant rougit fortement sous le regard attendri de la blonde qui
enleva son bracelet éponge et le lui tendit avec un clin d’œil. Elle avait
l’impression de se revoir à son âge, son père l’amenant à tous les matchs. Elle en
avait récolté des autographes, son carnet, conservé dans une boite dans sa
bibliothèque, en regorgeait. Une fois qu’elle rendit la photo signée, elle se mit au
côté de la fillette et laissa sa mère prendre une photo.
Jordan décida que c’était le moment de rejoindre les vestiaires, s’éloignant
des supporters dans un signe de main. Une fois seule, elle enleva le maillot
rouge, la collant. Assise sur le banc, elle fouilla dans son sac de sport noir pour y
récupérer sa gourde. Elle avala la moitié du liquide, respirant enfin à allure
normale après un effort de 90 minutes. Elle avait mal partout, mais c’était ce
qu’elle appréciait le plus après un bon match. Les muscles se détendaient
lentement, elle ferma les yeux, laissant ses coéquipières et amies discuter et
savourer leur victoire. Elle reçut un maillot trempé sur la tête ce qui la fit
rapidement rire, avant qu’elle ne les rejoigne pour sauter en cercle.
Pédalant sur un vélo dans la salle de sport du club, la footballeuse écoutait
attentivement les conseils de son coach sportif afin de renforcer son genou
gauche affaibli après la saison. Cela faisait plusieurs mois à présent qu’il la
tiraillait après une course intense ou un match trop long. Elle savait qu’un sport
de haut niveau apportait de mauvais coups aux articulations, mais elle ne pensait
pas qu’elle allait en ressentir les méfaits aussi rapidement. Après tout, elle était
encore jeune à 27 ans. Quand son entraineur sportif lui demanda de passer au
sol, le téléphone de l’attaquante sonna. Elle s’excusa avant de prendre l’appel,
intriguée par ce numéro privé qui souhaitait la contacter.
À l’écart, dans la salle, elle décrocha. Un homme se présenta aussitôt comme
Maitre Anderson, notaire. Sourcil froncé, Jordan ne savait pas à quoi s’attendre
de cette annonce.
- Mademoiselle Summers, je suis au regret de vous…
- Williams, le coupa Jordan en serrant la mâchoire. Mademoiselle
Williams.
Elle n’avait plus entendu ce nom depuis le jour de son adoption. En réalité,
elle avait fait la demande auprès de ces parents afin d’obtenir leur nom de
famille. Elle ne voulait en rien conserver celui des personnes qui l’avait
lâchement abandonnée le jour de sa naissance. Summers est un mot banni.
- Très bien, reprit l’homme en se raclant la gorge. Je suis navrée de vous
apprendre que vos parents, Monsieur et Madame Summers sont décédés à
la suite d’un accident de voiture tragique. J’ai ici leur testament et
également une lettre que je devais vous remettre en main propre si un jour
un malheur arrivait.
- Je vois. Vous n’avez qu’à bruler la lettre et pour le reste je ne vois pas
en quoi cela me concerne, lâcha la footballeuse froidement.
- Je crains, Mademoiselle Sum…Williams, que vous ne deviez venir à
Camden pour clôturer les formalités. Sans cela, je ne peux pas procéder à
la lecture du testament de vos parents.
À l’entente de ces mots, la blonde ferma les yeux, ses dents grincèrent dans
un bruit désagréable. Ses parents étaient les personnes qui habitaient Los
Angeles, les personnes qui l’avaient adoptée lorsqu’elle avait huit ans. Et non
ces gens qui étaient décédés.
- Je me permets d’insister, Mademoiselle. Je sais que cela est une
situation complexe pour vous étant donné votre passif avec les défunts,
seulement, vous devez vous déplacer, c’est la procédure.
- Très bien, céda Jordan. Quand dois-je être là ?
- Le plus tôt sera le mieux, répondit le notaire soulagé.
- Je vous tiens au courant.
***
Ce n’était pas de gaité de cœur que l’attaquante loua un Range Rover pour se
rendre à Camden, dans le Maine qui plus est. Ils ne pouvaient pas être plus
éloignés d’elle que ça: chacun à l’autre bout du pays. Le trajet en avion avait été
éreintant, bien qu’elle eût séjourné en première classe, mais Jordan savait. Tant
que cette histoire ne sera pas réglée, elle n’aurait pas l’esprit tranquille. Pourquoi
faillait-il, maintenant que son avenir s’éclairait devant elle, que son passé vint
noircir le tableau ? C’était comme si elle retombait en enfance, se demandant qui
pouvait bien être ses géniteurs et les raisons qu’ils avaient eu de la laisser sur le
porche de la gendarmerie un matin d’été. Avec les années, la tristesse avait laissé
place à de la colère, et de la rancœur mais jamais Jordan n’avait voulu savoir. Et
aujourd’hui, c’était comme si elle n’avait plus le choix.
Le GPS la guida jusqu’à ce qu’elle passe un panneau annoté « Bienvenue à
Camden ». C’était une petite ville paumée, pour ne pas dire village, en pleine
campagne. Les boutiques étaient atypiques, toutes visiblement sur l’avenue
centrale, de part et d’autre d’un clocher. La footballeuse passa devant un
restaurant au néon rouge dont la terrasse était bondée. Cela devait être le seul
restaurant de la ville. Lorsque le GPS lui indiqua qu’elle était arrivée à
destination, elle se gara sur une place de parking, devant une boutique
d’antiquité. Le Range Rover noir, imposant, n’était clairement pas à sa place
dans le paysage puisque des regards curieux se posèrent sur la blonde quand elle
quitta la voiture. Elle ne comptait pas s’attarder ici de toute façon. Simplement le
temps de lire le testament, puis elle repartait à Portland et se préparer pour le
mondial de football.
L’entrée du notaire était discrète, honnêtement, si l’attaquante n’avait pas
tourné la tête, elle ne l’aurait pas vu. Elle passa la porte, puis monta un escalier
digne des années 80, tout comme la peinture du hall. Devant la plaque du juriste,
Jordan toqua. Un homme d’une quarantaine d’années l’accueillit dans son
costume bleu marine.
- Mademoiselle Williams ! Je vous attendais, entrez, je vous en prie.
Assise en face de Maitre Anderson, Jordan attendait qu’il daigne faire son
travail pour la libérer au plus vite. Mais visiblement, il n’était pas pressé.
Testament entre ses mains, il leva les yeux vers la footballeuse avant de grimacer
puis de reposer l’enveloppe sur son bureau.
- Je tenais à vous faire part de mes condoléances tout d’abord. Leur
départ a été un choc pour nous tous ici.
- Je vais être honnête avec vous Maitre. Je me contre fou des Summers.
Je suis venue parce que vous me l’avez demandé pour pouvoir clôturer le
dossier. Point. Rien d’autre.
La surprise fut évidente sur le visage du notaire qui s’éclaircit la voix avant
d’ouvrir l’enveloppe de mains tremblantes. Il débuta la lecture sous l’inattention
totale de la blonde. Si son cul posé sur cette chaise était la fin de son passé, alors
elle était présente.
- La maison ainsi que tous nos biens reviennent à notre fille Jordan
Summers, que nous avons regrettablement abandonnée à sa naissance.
Tous les comptes bancaires lui reviennent, ainsi que l’acte de propriété de
la maison située 1234 rue White. Veillez à lui remettre également cette
lettre.
- L’homme la déposa devant l’attaquante qui la poussa sur le côté.
Ce dernier posa la lettre écrite sur une feuille blanche commune, dont l’encre
avait légèrement transpercé par endroit. Les doigts liés devant lui, il se racla
pour la troisième fois la gorge avant d’expliquer la situation.
- Comme vous l’avez compris, l’argent de vos … Enfin de Monsieur et
Madame Summers sont sur un compte dont voici les codes afin que vous
puissiez en profiter. Ils n’avaient pas une grande fortune.
- Je ne veux pas de cet argent Maitre, déclara Jordan le visage fermé.
Vous n’avez qu’à le donner à des œuvres caritatives. Pour ce qui est de la
maison, vous pouvez la vendre. Je ne veux rien qui vient de ces personnes.
- Je comprends parfaitement, seulement, la maison est à votre nom
désormais. Je ne peux donc pas la vendre. C’est à vous de vous en
occuper. Voici l’acte de propriété, vous en aurez besoin, ainsi que
l’adresse et les clefs. Vous verrez, elle est charmante.
- Si vous le dites. Vous ne connaissez pas un agent immobilier qui
pourrait s’occuper des visites ? Je dois repartir à Portland pour la
préparation du mondial de football.
- Si je dois avoir cela quelque part, informa le juriste en fouillant sur
son bureau. Mais je dois tout de même vous prévenir que vous ne pouvez
pas quitter la ville de suite, Mademoiselle Williams. Tant que le dossier de
vos… bref. Est en court, j’aurais surement des papiers à vous faire signer
d’ici la semaine prochaine.
- Vous rigolez j’espère ? ricana jaune la footballeuse.
- Je crains que non. Si vous désirez un hôtel, le restaurant fait aussi
hébergement, juste en face sur l’avenue. Voici la carte de l’agent
immobilier.
- Je vous remercie.
La blonde se leva précipitamment sous le regard étonné de l’homme, qui la
raccompagna à la porte. Il s’excusa de nouveau, mais l’attaquante ne s’en
formalisa nullement. Une fois dehors, les papiers dans sa main la brulèrent. Elle
scruta l’adresse de cette maison qui désormais lui appartenait. Si c’était un geste
pour se racheter de leur lâcheté, c’était trop tard. Ses yeux se posèrent ensuite sur
une enveloppe assez lourde avec son prénom inscrit dessus en capital.
Elle déverrouilla le véhicule de location puis posa les documents sur le siège
passager avant de fermer le Range Rover. Il était deux heures de l’après-midi et
elle était affamée. De pas décidé, la footballeuse se dirigea vers le restaurant
d’en face, dans le but de manger et surtout réserver une chambre. Il était hors de
question qu’elle mît un pied dans cette maison. Devant le comptoir, les serveuses
s’affairaient dans tous les sens, plateau dans leur main. Jordan s’installa sur un
tabouret libre et attrapa un menu mis à disposition proche des serviettes.
- Bonjour ! Qu’est-ce que je vous sers ?
La blonde n’avait pas vraiment eu le temps de lire les différentes options
qu’offrait l’établissement. Elle releva ses yeux verts sur une serveuse brune avec
une mèche rouge et un sourire charmeur sur les lèvres avant de lui demander leur
spécialité. Sans aucun mot, la brune quitta l’attaquante avec un clin d’œil,
griffonnant sur son carnet tout en se rendant vers la cuisine, ouverte sur la salle
par un comptoir.
Jordan profita de la préparation de son repas pour observer ses alentours. Le
restaurant avait des allures des années 80, avec ses banquettes bordeaux et son
jukebox dans l’angle qui jouait des musiques de l’époque. Les ustensiles dataient
même de ces années, du distributeur de serviettes en papier blanc en passant par
les tabourets et tables. Décidément, c’était un grand retour en arrière, pensa la
blonde.
Pas même dix minutes après que la serveuse fût partie, elle était de nouveau
derrière le comptoir, déposant une assiette avec un croque-monsieur devant la
footballeuse. Sourcil levé Jordan fut surprise de constater la spécialité du
restaurant. Le plat était accompagné par les oignons frits et une boisson. Elle qui
n’avait pas mangé de malbouffe depuis un moment, voilà qu’elle était servie. Vu
la matinée qu’elle avait passée, et surement la semaine chaotique qu’elle allait
devoir supporter, la blonde remercia la brune avant de prendre le croque-
monsieur entre ses doigts.
- J’ai pensé que cela vous remonterez le moral plutôt que la ratatouille,
expliqua la serveuse tout en essuyant un verre derrière le comptoir.
- Vous avez eu raison. J’ai eu une rude matinée, je viens d’apprendre
que je ne pourrais pas rentrer à Portland avant la semaine prochaine.
- Portland hein ? s’étonna la brunette en s’accoudant devant
l’attaquante. Qu’est qu’une femme de l’Oregon peut bien faire dans le
Maine ?
- Elle vient d’hériter d’une maison dont elle ne veut pas, répliqua Jordan
sans plus d’information.
- La maison des Summers ? Donc vous êtes leur…
- Biologiquement oui. Émotionnellement non.
L’attaquante vit du coin de l’œil la serveuse affirmer de la tête. Elle aurait cru
que cette annonce plus que glacée aurait refroidi la brune dans sa curiosité, mais
ce ne fut en rien le cas. Au contraire, la brune passa derrière le comptoir puis prit
place au côté de la footballeuse.
- Je suis Courtney Long, patronne du restaurant et de l’hôtel.
- Jordan Williams, répondit la blonde en serrant la main de Courtney.
Étant donné que je suis condamnée à devoir rester une semaine, vous
n’auriez pas une chambre pour moi ?
- Non. Nous sommes complets malheureusement. C’est la pleine saison
pour nous.
- Vraiment ? s’étonna Jordan avec un sourire moqueur sur les lèvres.
- Camden n’est pas une si petite ville, et les touristes viennent ici en
masse, contrairement à ce que vous pouvez penser. Ce n’est certes pas Los
Angeles ou Portland, mais il y a du passage, informa Courtney en
reprenant sa place derrière le comptoir. Je suis certaine que tous les hôtels
sont complets, mais vous pouvez tenter votre chance.
- Je vais faire ça, juste après avoir vu l’agent immobilier, répondit la
footballeuse en jetant un oignon dans sa bouche.
- Vous parlez de Karren Palmer. Elle connait bien son métier.
- J’espère bien, car il va falloir qu’elle vende cette maison au plus vite.
Le mondial est pour bientôt et j’ai des obligations.
- Vos vendez la maison ? s’exclama la patronne sous ces mots.
L’attaquante haussa les épaules, indifférente à ces visages surpris par cette
nouvelle. Évidemment qu’elle allait vendre cette maison, elle n’allait pas la
garder alors qu’elle ne voulait rien qui venait des personnes qui l’avait
abandonnée. Elle avait sa carrière de football qui commençait à devenir
intéressante, et avec le mondial dans deux mois, elle ne pouvait pas se permettre
de trainer.
Ne souhaitant pas continuer la conversation, la blonde laissa une liasse de
billets sur le comptoir pour couvrir son repas, avant de se lever. Elle rejoignit le
cross-over puis s’y glissa à l’intérieur. Les gens se mêlaient de tout dans cette
ville, on lui reprochait presque de vendre la maison des Summers. Carte de
l’agence immobilière en main, Jordan alluma le moteur, et s’aventura sur la
route. Roulant lentement, les yeux verts profitaient du trajet pour examiner la
ville. Elle avait cette ambiance calme, sereine. Une ville parfaite pour des
vacances, ou pour y fonder une famille. L’attaquante passa près d’un parc où des
enfants jouaient au football, ayant pour cage leur veste. Le GPS lui indiqua
qu’elle était arrivée à destination. De nouveau, elle se gara non loin de l’entrée
du parc.
Elle regarda un instant les joueurs amateurs se défouler, courant derrière le
ballon, riant dans leur jeu. Pour une fois depuis qu’elle était arrivée, Jordan prit
une grande bouffée d’air. Elle se rendit compte alors que personne ne l’avait
reconnu ici à Camden. À Portland, elle ne pouvait pas faire un pas en dehors de
son appartement, avant que quelqu’un ne l’accosta pour une photo, ou des
paparazzis qui la suivaient même jusqu’au supermarché. Dans cette ville, elle
était une inconnue et cela faisait un bien fou. Papier dans sa main, elle traversa la
rue puis passa la porte de l’agence.
Elle tomba sur une femme blonde d’une trentaine d’années, à pianoter à son
clavier, les yeux rivés sur son écran d’ordinateur. La sportive devina qu’il
s’agissait de Karren Palmer. Elle se racla la gorge attirant l’attention de l’agent
immobilier qui leva son regard bleu de son écran. La femme se leva de sa chaise,
en fit le tour en tendant sa main.
- Karren Palmer, agent immobilier, que puis-je faire pour vous ?
- Jordan Williams. Je voudrais que vous vendiez une maison dont je
viens d’hériter.
- Je vois, répondit Karren professionnellement en montrant la chaise en
face de son bureau. J’imagine qu’il s’agit de la maison des Summers, celle
rue White.
- Exactement. Voici l’acte de propriété, annonça la footballeuse en
posant le papier sur le bureau.
Palmer attrapa l’acte et le consulta rapidement avant de soupirer. Jordan la
fixa un instant, faisant clairement comprendre à la femme assise en face d’elle
que si elle s’opposait à vendre cette maison, un scandale allait éclater.
- Je dois vous informer que le marché sur Camden est quelque peu
bouché. Je m’occupe principalement de location. Très peu de vente se
concrétise ici.
- Je comprends parfaitement, mais je ne veux pas la garder.
- Très bien. Je passerai dans la semaine, disons, jeudi matin pour
prendre des photos de chaque pièce et diffuser l’annonce sur mon site.
- On fait comme ça.
***
Clefs en main, Jordan était depuis vingt minutes sur le pas de la porte de la
maison qui était désormais à elle. Après avoir fait tous les hôtels de la ville,
Courtney Long n’avait pas menti en l’informant que c’était la pleine saison pour
eux. La pêche étant une attraction phare en cette saison d’automne. Pour
couronner le tout, la footballeuse n’avait pas prévu de vêtements ni de bagages,
pensant rester deux jours tout au plus à Camden.
Cette maison était sa dernière solution, dont elle se serait bien passée. Elle
enclencha la clef dans la serrure puis tourna, mais la porte ne voulait pas
s’ouvrir. L’attaquante s’énerva, tournant la poignée dans tous les sens, avant de
pousser le bois de son épaule, ouvrant la porte avec fracas. La serrure était à
graisser, et la porte à raboter.
Un escalier lui fit face sur la droite. Passant un doigt sur la rambarde, Jordan
fit une grimace en voyant la poussière présente. Elle s’aventura dans le couloir,
donnant sur le salon, passant une arche sur sa gauche. La couleur jaune criard
abima les yeux de la footballeuse. Les meubles en bois brut plombaient la pièce
dont le volume était pourtant correct. L’espace était ouvert sur la cuisine. Les
portes en bois donnaient un cachet surprenant à la pièce portant minime. Les
meubles en bois également avaient besoin d’être poncés. Elle se tourna pour
constater que la salle à manger donnait juste en face, mais le papier peint à fleurs
était de mauvais goût. Un autre escalier donnait dans la cuisine. Le rez-de-
chaussée était immense. La cuisine avait une sortie sur le jardin, mais la porte
voilée à battant ne fonctionnait pas. Visiblement, personne ne bricolait dans cette
maison.
Elle passa la tête par l’arche, constatant qu’elle ouvrait sur le couloir de
l’entrée. L’agencement était intéressant. Sous l’escalier du couloir se trouvait des
toilettes, petites toilettes. Son téléphone sonna alors que son regard captura une
photo posée sur un guéridon. Elle décrocha. La voix de son agent retentit affolée
dans son oreille, mais l’attention de la blonde était sur ce couple enfermé dans ce
cadre.
Une petite femme aux yeux verts, les cheveux très courts d’un noir ébène
tenant par la taille un homme châtain clair aux yeux bleus, habillé d’une chemise
à carreaux bleus et blanc. Leurs sourires gravés sur leurs lèvres dégoutèrent la
footballeuse qui reposa violemment la photo. Elle monta à l’étage, continuant à
parler avec son agent afin de le rassurer.
- Bien sûr que je serais présente pour le mondial, Christian.
Il y avait trois chambres et une salle de bain à l’étage. Toutes les peintures
étaient à rafraichir, et une fenêtre était à réparer dans la deuxième chambre. La
baignoire était ancienne, sortait du sol, reposant sur des pieds en or, un rideau
pour cacher la personne. La plomberie n’avait pas l’air en bon état, et cela se
confirma lorsque la blonde voulut tirer de l’eau, un bruit bizarre s’échappa de
l’installation.
- Qu’est-ce que c’est que ce bruit ? Tu as mangé au moins ? demanda
l’agent sportif sur un ton inquiet.
- Évidemment. Et c’est la plomberie de la maison. Il y a des travaux à
prévoir, soupira Jordan en redescendant, passant la porte d’entrée.
- J’espère que toute cette histoire va vite être réglée. Le mondial est
dans deux mois.
- Je suis au courant Christian. Merci de me le rappeler. Je ne prévois pas
de rester à Camden pendant longtemps. Je dois juste lancer la procédure
de vente et signer le dossier du notaire. Je devrais être rentrée d’ici la
semaine prochaine, peut-être celle d’après, annonça la footballeuse en
contournant la maison pour examiner le jardin. Pourrais-tu m’envoyer des
affaires ? Un sac de sport également, je vais commencer l’entrainement ici
en attendant.
- Je fais ça. Et toi, dépêche-toi de tout mettre en ordre.
Un coup de tondeuse était à prévoir dans le jardin qui était plutôt immense.
Les plantations manquaient d’eau par-ci par-là, mais rien de bien gênant.
Quelque chose attira le regard vert au loin, dans la pelouse. Les herbes un peu
hautes cachaient une boule brune qui gémit, pleurant. Jordan salua son agent
avant de raccrocher. Il y avait quelque chose dans le jardin. Les gémissements
s’accentuaient à mesure qu’elle s’approchait. Elle eut le cœur pincé quand elle
vit de quoi il s’agissait : un chien. Couché sur le côté, les côtes apparentes, la
langue sortie, l’animal était clairement mal en point. Sale, le chien ouvrit les
yeux avant d’essayer de bouger, mais trop faible il s’effondra devant la blonde
affolée.
Elle sortit rapidement son téléphone et composa le numéro du notaire, seule
personne qu’elle connaissait dans cette ville. Sans plus de formalité, l’attaquante
lui demanda si Camden avait un vétérinaire. Il lui envoya l’adresse sans plus
tarder. Jordan ne réfléchit pas plus de temps et prit l’animal dans ses bras, sa tête
pendant. Il était léger comme une plume. Elle déverrouilla l’auto, ouvrit le coffre
pour l’y déposer. Elle rentra rapidement dans la maison, monta à l’étage, et
fouilla tous les placards à la recherche de couvertures. Une fois qu’elle mit la
main dessus, elle redescendit, sautant les dernières marches, faisant craquer
lourdement le plancher. Celui-ci aussi aurait besoin d’une révision, constata
Jordan avant de fermer la maison et prendre le volant.
Le chien gémissait à l’arrière. Heureusement que Camden ne ressemblait pas
à Portland et que les bouchons étaient inexistants. En cinq minutes, elle arriva
devant le cabinet vétérinaire. Elle se gara sans faire attention, montant
légèrement sur le trottoir. Le chien dans les bras, elle passa la porte du cabinet,
attirant l’attention d’une vieille dame à l’accueil.
- Oh mon pauvre, dit cette dernière à l’attention de l’animal qui ne
bougeait pas.
- Est-il possible de voir un vétérinaire ?
- Oui évidemment. Je vais la chercher.
- Merci.
La footballeuse berçait le chien, bien qu’il ne réagît pas à ses attentions. Il
n’était pas très grand, surement à un stade entre chiot et adulte. Ses oreilles
tombaient sur ses yeux et ses poils étaient clairement couverts de boue et de
saleté.
- T’inquiète pas mon grand, on va prendre soin de toi.
La secrétaire revint presque en courant, respirant difficilement. Elle fit signe à
l’attaquante de la suivre dans un couloir, ouvrant ensuite une salle d’examen.
Jordan déposa délicatement l’animal sur la table, l’enveloppant dans la
couverture de peur qu’il eût froid.
- Le docteur va arriver.
- Merci encore, sourit la footballeuse sans cesser de caresser la tête du
chien.
- Oh, mais c’est normal, un pauvre petit être, murmura la secrétaire en
quittant la salle.
Alors que la blonde caressait lentement le museau de la boule de poils, cette
dernière lui lécha gentiment les doigts, chose qui tira un sourire sur les lèvres
humaines. Jordan examina la pièce, d’un blanc pur. Des cadres d’animaux, tel
que chats et chiens ornaient les murs. Un bureau était installé dans le coin droit à
l’entrée de la pièce, ainsi qu’un distributeur de liquide antiseptique et une boite
de gant bleu.
Un bruit distinct de talons résonna dans le couloir, suivit par une voix rauque
profonde, remerciant un patient. Une silhouette élancée, habillée d’une blouse
blanche passa devant la porte, accompagnée d’un homme avec son dalmatien, la
remerciant de nouveau. Jordan reporta son attention sur le chien qui dormait à
présent, le museau dans la couverture. Elle pouvait entendre parler dans la salle
d’attente. De nouveau, les talons claquèrent sur le carrelage gris acier du couloir.
Une femme entra dans la pièce, alertant l’animal qui bougea légèrement avant
de gémir de nouveau. La blouse blanche ouverte, la footballeuse put voir une
robe bleu brut vêtir les courbes généreuses de la vétérinaire, qui se hâta vers le
chien pour le calmer.
- Tout doux mon beau.
Les cheveux noirs au ras des épaules, la doctoresse caressa d’une main le
chien avant de tendre l’autre vers l’attaquante qui s’en saisit.
- Je suis le docteur Collins.
- Jordan Williams.
- Où l’avez-vous trouvé ? demanda la brune en allant s’asperger les
mains du liquide antiseptique.
- Dans le jardin. Il était couché sur le côté sans pouvoir bouger.
La vétérinaire affirmait de la tête tandis qu’elle enfilait les gants avant de se
pencher vers le chien. Jordan scruta les moindres mouvements de la femme. Elle
passait ses doigts sur l’abdomen de l’animal, puis souleva ses babines, sans
grande résistance. Sa main sortit un stéthoscope de la poche de sa blouse, puis
elle posa l’embout froid contre la cage thoracique du patient, qui sursauta.
- Je sais, c’est froid mon grand, rassura le docteur Collins en caressant
lentement la tête de la bête. Vous ne l’avez pas vu rôder dans les parages ?
- Non. Je viens tout juste d’arriver en ville pour un héritage, informa la
footballeuse en passant une main dans sa nuque.
- Vous ne savez donc pas à qui il appartient.
- Non désolé.
- Il n’est ni pucé ni tatoué et ne porte pas de collier. Mais vous l’avez
trouvé dans votre jardin… insinua la vétérinaire tout en rangeant le
stéthoscope dans la poche.
- Ce n’est pas mon jardin, mais celui de la maison dont j’ai hérité, reprit
Jordan en croisant les bras sur sa poitrine.
- En tout cas, il est déshydraté et en sous-alimentation. Pour son âge, ce
n’est pas une bonne chose.
Le regard confus de la blonde tira un sourire sur les lèvres de la vétérinaire
qui précisa ses mots.
- Il a un an et demi, pour un chien c’est encore très jeune. C’est encore
un chiot si vous préférez. Cette petite boule de poil a besoin de boire et
manger convenablement, de dormir dans un lieu sûr.
- Et d’un bon bain, ajouta l’attaquante avec une grimace.
- En effet. Je vous prescris des vitamines pour lui, et la marque de
croquettes idéale. Vous avez un magasin spécialisé dans le centre-ville.
- Je crains qu’on se soit mal compris. Je l’ai trouvée, mais je ne compte
pas le garder.
- Oh. Non ? questionna la vétérinaire en levant un sourcil.
- Non. Je suis seulement de passage en ville pour une succession, je
rentre chez moi ensuite. Vous ne pouvez pas le garder dans votre cabinet ?
demanda Jordan alors que le chiot lui léchait les doigts.
- Malheureusement non. Toutes les places sont prises et quand bien
même, je ne peux garder au cabinet que les patients qui sont dans un état
grave et en demande de soins constants. Il y a un chenil en ville… Je vais
vous chercher l’adresse.
Sur ce, la femme tourna des talons, laissant les yeux verts passer sur le dos de
la blouse blanche. La vétérinaire disparue rapidement dans le hall d’accueil,
laissant la footballeuse avec le chiot, qui gémissait de nouveau. Elle s’accouda
sur la table, les lèvres proches de l’oreille de l’animal alors que ses doigts
glissaient dans ses poils emmêlés.
- Toi et moi on est un peu pareil, tu sais. On nous a abandonnés. S’il
faut, tu étais leur chien. Tu n’as rien fait pour mériter une chose pareille.
Mais je ne peux pas te garder. Le mondial commence dans deux mois et
puis mon appartement n’est pas un endroit pour toi. Tu t’ennuierais.
Un couinement pour seule réponse, Jordan se redressa lorsqu’elle aperçut la
vétérinaire dans l’embrasure de la porte, sourire attendri sur ses lèvres pulpeuses.
Sentant le rouge lui monter aux joues, l’attaquante posa son regard sur le chiot
qui la regardait avec des yeux attristés. Cette vue lui brisa le cœur un peu plus.
- Tenez, voici l’adresse. L’équipe est vraiment sympathique, ils
prendront soin de lui, informa le docteur en tendant un papier vers la
blonde.
- En réalité, cela ne sera pas nécessaire.
- Je croyais que vous partiez pour Portland…
- C’est toujours le cas. En attendant, je l’emmène chez moi et j’aviserai
par la suite, expliqua la blonde en caressant l’arrière des oreilles du chien
qui soupira d’aise.
- Parfait ! Laissez-le, ici, je dois vous faire remplir des fiches à
l’accueil. Ne vous en faites pas, il ne bougera pas.
Elles laissèrent alors la bête dormir tranquillement dans la salle de
consultation, tandis qu’elles se dirigèrent vers l’accueil. La footballeuse
remarqua que sans ses talons, la vétérinaire était plus petite qu’elle, mais c’était
une femme avec beaucoup de charme et de classe. Rien que l’attaquante de
Portland Thorns FC ne possédait.
La vieille dame de l’accueil sourit chaleureusement à la doctoresse ainsi qu’à
la blonde quand elles arrivèrent. La brune entra dans l’espace, cherchant des
fiches sous le regard admiratif de Jordan. Elle détourna les yeux rapidement
lorsque la vétérinaire se tourna vers elle, avant de poser des feuilles sur le
comptoir.
- J’ai besoin de vos renseignements personnels afin de créer un profil
pour votre chiot. Il faudra par ailleurs lui trouver un prénom. Je vous
donne la liste des vitamines et croquettes pour l’aider à se remettre sur
pied. Ne vous faites pas de souci si durant quatre jours aucune
amélioration n’a lieu. Ces choses-là prennent du temps, expliqua le
docteur Collins professionnellement. Il faut également que vous
programmiez un rendez-vous afin que je le vaccine et vérifie qu’il se sorte
de cet état.
- Vous voulez constater que je m’en occupe bien, reprit la blonde avec
un sourire moqueur sur ses lèvres.
- Je fais mon travail, rétorqua Gabriella Collins sérieusement.
- Et vous le faites merveilleusement bien.
Jordan remarqua le sourire et la tête surprise de la secrétaire qui faisait mine
de s’occuper d’un dossier. Néanmoins, elle observa la latina secouer la tête dans
un geste incrédule avant qu’elle ne reprît.
- Veillez à ce qu’il mange tous ses repas, donnez-lui assez d’eau.
- Au revoir et merci encore Docteur Collins, conclut l’attaquante en
plantant ses yeux dans ceux bruns rieurs.
- Au revoir Mademoiselle Williams.
Ce fut sur ces derniers mots que la femme se retira, sa blouse volant derrière
elle, accompagnée par le bruit de ses talons rouge sur le carrelage. Sourire sur les
lèvres, la footballeuse lut rapidement les informations, comme si rien ne s’était
passé. Ce fut un gloussement de la secrétaire qui attira l’attention de la blonde.
Sans lever les yeux des fiches de renseignements, les remplissant
méticuleusement, l’attaquante engagea la conversation.
- Avez-vous un créneau de libre dans le courant de la semaine
prochaine ?
- Je regarde ça de suite jeune fille. Vous avez du mérite.
- Je vous demande pardon ? demanda la sportive confuse, posant ses
yeux sur la secrétaire.
- Pour tenter de séduire la patronne.
- J’étais simplement aimable.
- Vous la déshabilliez du regard, mon enfant, affirma la vieille dame
avec un regard appuyé.
- Je plaide coupable alors, rit Jordan gentiment en haussant les épaules
tout en tendant les fiches à la dame. Je vais chercher mon nouveau
compagnon.
La footballeuse profita de ce moment seule pour glousser sur la situation. La
vieille dame avait vu dans son attitude que la brune ne la laissait pas de marbre,
alors que l’intéressée ne se doutait de rien. Elles avaient eu une conversation
entre patient, enfin non, maitresse du patient et docteur, comme l’attaquante en
avait avec le médecin du club. C’était d’ailleurs rare que Jordan se laisse aller de
la sorte, faisant des avances à une parfaite inconnue. D’ordinaire, elle évitait les
situations qui pouvaient alimenter une exclusivité. Elle avait déjà les paparazzis
sur le dos, alors si elle se mettait en couple, elle aurait le droit à des filatures
même lors de ses rendez-vous. Elle ne voulait pas ça.
Pour elle, sa compagne devait pouvoir se promener avec elle dans la rue sans
être photographiée sous tous les angles, ou accoster pour répondre à des
questions sur leur vie sexuelle. Elle ne voulait pas que sa petite amie subît cette
vie. Finalement, être une star du football l’avait isolée dans un sens. Elle ne
prenait plus le temps de vivre réellement, ou de rencontrer quelqu’un. Cinq ans
que la blonde n’avait pas eu de véritable relation amoureuse. Du sexe, bien sûr.
Mais un couple ? Non. Comment savoir si la femme était sincère ou si elle en
voulait à sa célébrité naissante ? Impossible à prédire.
Chiot dans les bras, Jordan s’arrêta de nouveau devant le comptoir, octroyant
un sourire à la secrétaire dont le badge donnait son prénom. La vieille dame
caressait la tête de la boule de poil qui soupira de contentement.
- Quel petit ange.
- On verra cela quand il va grandir ! rit la blonde en resserrant son
étreinte. Vous avez une place alors ?
- Oui ! s’exclama Eugénie en reprenant place sur sa chaise, derrière son
ordinateur. Mardi à 9 h. Si cela vous convient.
- C’est parfait. Comme cela, il sera prêt pour le voyage.
- Oh. Vous partez ?
- Je rentre à Portland oui. Je ne suis ici que pour des affaires à régler,
répondit vaguement Jordan tout en berçant le chiot dans ses bras.
- Rien de grave j’espère pour un tel déplacement, questionna la
secrétaire gentiment après avoir déposé un papier avec la date et l’heure
du rendez-vous.
- Ça dépend du point de vue. À mardi alors !
Après avoir déposé l’animal sur le siège passager, la blonde monta à bord et
démarra. Il était à présent 17 h, et dans un élan, elle se rendit au magasin que la
vétérinaire lui avait conseillé. Après tout, le nouveau Williams devait manger et
reprendre des forces. L’établissement n’était pas à plus de cinq minutes du
cabinet. Personne n’était sur le parking.
Une demi-heure plus tard, la footballeuse chargeait les achats dans le coffre.
Qui aurait cru qu’adopter un chien couterait aussi cher ? Elle n’était pas près de
l’argent, seulement, pour le confort d’une boule de poil, il valait mieux ne pas
être avare. La malle pleine à craquer, d’un couchage, gamelle, jouets, couverture,
laisse, croquettes, Jordan reprit le chemin de la maison. Elle se gara dans l’allée.
Quand elle descendit du Range Rover, elle constata quelque chose qu’elle avait
zappé en arrivant. Il manquait un morceau de clôture blanche sur le devant de la
propriété, et la façade avait grandement besoin d’un coup de peinture, et surtout
de changer cette couleur horrible. Qui peint sa maison jaune ? Les Summers
apparemment.
Elle installa le chiot dans son panier après avoir déchargé tout le nécessaire. Il
était certain qu’il n’allait manquer de rien désormais. Assise sur le canapé,
Jordan enlevait les étiquettes des objets. Elle plaça les deux gamelles pleines
dans la cuisine, proche de l’îlot central. Le panier était au pied du canapé non
loin de la cheminée, inactive pour ce délicieux mois d’octobre. Une fois tout
rangé dans la remise, elle décida d’aller préparer sa chambre. Il était hors de
question qu’elle dorme dans le lit des Summers.
La chambre adjacente à la salle de bain était suffisante pour son séjour, bien
qu’elle ne soit la plus petite, mais elle lui rappelait sa cabine au club. Les draps
changés, elle descendit commander une pizza n’ayant pas fait les courses.
Camden avait la livraison à domicile. Affalée sur le canapé, télévision allumée,
Jordan écoutait les informations et surtout les résultats sportifs.
Il était tard, le carton de pizza vide, la footballeuse monta puis enleva son
teeshirt manche longue pour garder son marcel blanc. En boxer, elle se faufila
sous les draps fixant le plafond. Le sommeil la gagnait lentement, cependant, un
bruit attira son attention. Des grincements suspects se faisaient entendre au rez-
de-chaussée, puis plus rien. Jordan se dit alors qu’il s’agissait du parquet qui
devait travailler vu les années que la maison avait endurées. Pourtant, alors
qu’elle fermait les yeux, les bruits recommencèrent, se rapprochant
considérablement de sa porte de chambre, mal fermée.
Finalement, des gémissements résonnèrent dans le couloir de l’étage, suivi
par des grattements sur la porte. L’attaquante se leva. Elle ouvrit sa porte de la
chambre pour apercevoir le chiot devant celle-ci, assis. Jordan lui sourit
gentiment avant de le prendre dans ses bras et le déposer au fond du lit deux
places.
- Je te préviens. C’est exceptionnel.
Chacun s’endormit rapidement, excédé par la journée.
***
Tasse de café fumante dans sa main, Jordan observait le jardin par la fenêtre
du salon. Le soleil illuminait les arbres aux couleurs orangées, rouges et jaunes.
Un léger vent balançait les branches et les feuilles tombaient sur l’herbe. Le bruit
du chiot mangeant ses croquettes tira son attention de ce spectacle.
Il avait en l’espace de deux jours repris un peu du poil de la bête. Bien que la
vétérinaire l’ait prévenue que les améliorations allaient être longues, la
footballeuse pouvait déjà dire que l’animal revivait. Il mangeait tous ses repas,
dormait parfaitement, ronflant comme un camion. Si la blonde n’avait pas
encore le droit de le sortir, lui ne se gênait pas pour visiter la maison, à son aise.
Elle l’avait même trouvé assis au côté de la baignoire alors qu’elle prenait sa
douche, l’effrayant, manquant de la faire glisser. Il s’était vite habitué à elle.
Ses affaires arrivées hier, Jordan commença à déballer quelques vêtements de
sa valise. En jogging noir, baskets aux pieds, elle décida d’aller faire son footing
quotidien, pour ne pas repousser plus longtemps son entrainement. Elle se devait
d’être en excellente forme pour le mondial et puis c’était une bonne occasion
pour visiter la ville à pied.
Camden était une ville accueillante et simple. Les habitants saluaient la
blonde dès qu’elle les croisait, bien qu’avec les écouteurs sur les oreilles, elle ne
les entendît pas, mais leur geste de tête suffisait à comprendre. Elle courut dans
l’avenue du centre-ville, observant les différentes boutiques qui s’y trouvaient,
toutes avec leur charme. Mais ce qui frappa Jordan c’était les façades des
bâtiments qui donnaient au paysage en air des années quatre-vingt. Elle en venait
même à se demander si la ville n’avait pas été figée dans le temps.
L’attaquante suait sous le soleil du matin, ses cheveux retenus dans une queue
de cheval haute, bien serrée, une tresse pour la mèche. Ses pieds engloutissaient
les kilomètres sans jamais ralentir la cadence, elle avait tellement l’habitude. Elle
passa auprès du parc qu’elle avait déjà repéré, bondé de famille qui promenait
leur progéniture. Rien de plus normal un dimanche dans une petite ville du
Maine. Tout le monde la salua, sans jamais l’accoster pour un autographe ou une
photo. Jordan respirait enfin. Elle esquissa un sourire quand elle courut devant le
cabinet de vétérinaire fermé, les images du docteur Collins infiltrant ses pensées.
Finalement, après encore un quart d’heure de course, la footballeuse regagna
la maison, sautant la palissade inexistante. Elle devait remédier à cela, ce n’était
en rien vendeur. Dans la cuisine, elle but une bouteille d’eau d’une traite sous le
regard perplexe du chiot couché dans son panier. Haussant les épaules, elle sortit
dans le jardin pour se rendre dans le garage.
Lorsqu’elle ouvrit la porte, Jordan se figea. Elle n’en revenait pas. Tout était
là. Les planches de bois pour la clôture avaient été achetées et posées dans un
coin de la pièce, proche d’une masse et d’une pelle. Elle se demanda alors si la
réparation n’était pas prévue juste avant l’accident. D’un geste vif de tête, elle se
sortit cette idée du crâne. Laissant la porte du garage ouverte, elle amena
plusieurs planches, proche de l’endroit, ainsi que des tréteaux, et commença. La
footballeuse n’était pas une bricoleuse née, mais elle savait faire les choses de
base. Planter un clou et percer étaient facile, mais réparer une clôture de bois
n’était pas chose aisée. La première planche était de travers et avait pris une
heure à être posée. Cependant, Jordan prenait les choses en main. Les travaux
manuels lui permettaient de continuer à faire travailler ses muscles, même si ce
n’était pas les mêmes.
Le dimanche ainsi que le lundi de la sportive se résumèrent à cela. Réparer la
clôture du mieux que possible, mais surtout aller faire les courses au seul
supermarché, ou supérette, de la ville. Elle n’allait certainement pas continuer
son régime pizza, malbouffe. Il fallait qu’elle reprenne les bonnes habitudes
sinon son corps n’allait pas suivre.
Sac de sport dans sa main, elle ferma sa portière en ce lundi après-midi
ensoleillé, bien décidé à taper quelques ballons. Passer trois jours sans pratiquer
avait créé un manque. Le ballon rond était toute sa vie. Elle marchait sur le
sentier, plongeant un peu plus dans le parc, les yeux rivés sur un enfant seul
tapant dans un ballon, espérant le rentrer dans des buts façonnés par des bâtons
de bois.
Jordan déposa son sac sur un banc non loin, extirpant ses crampons. Assise,
enfilant les chaussures, elle observait le garçon s’énerver de ne marquer aucun
but. Sa technique avait des lacunes évidentes, mais qui était l’attaquante pour lui
dire cela ? Hormis une footballeuse professionnelle. Elle décida contre. S’étirant,
le bruit des frappes gagnait les oreilles de la blonde qui se retenait d’intervenir.
Cependant, quand l’enfant rata de nouveau les cages de plusieurs mètres, elle
craqua.
Les crampons agrippant la pelouse, le sac dans la poigne de sa main, Jordan
approcha le garçon de pas déterminés. Seulement, quand elle arriva à sa hauteur,
ce dernier se paralysa littéralement, les yeux ronds comme des billes. La blonde
se demanda s’il avait vu une apparition.
- Impossible, murmura l’enfant stupéfait.
- Tu dois regarder dans la direction que ton ballon doit prendre,
expliqua la footballeuse avec un sourire. Quelque chose ne va pas ?
- Vous…vous êtes Jordan Williams. Attaquante des Portlands Thorns
FC, joue aussi pour l’équipe des États-Unis dans le mondial. Numéro 8,
récita l’adolescent sans la lâcher du regard.
- C’est exact.
L’attaquante s’attendait à ce que le gamin se jette sur elle pour lui demander
un autographe ou une photo, puisque sa réaction était clairement celle d’un fan,
mais celui-ci sourit de toutes ses dents, restant à sa place.
- Mes copains ne vont jamais me croire quand je vais leur dire !
- Eh bien, peut-être qu’ils n’ont pas besoin de le savoir, tenta Jordan en
posant son sac au sol. Comment se fait-il que tu saches qui je suis.
- Ma maman ne me laisse regarder que les matchs de football féminin.
Elle considère que ceux des garçons ne sont pas fairplay. Mais je suis
certain qu’au fond, elle aime juste regarder les femmes transpirer, informa
le garçon en haussant les épaules comme si c’était la chose la plus
normale à dire à une inconnue.
- Ok, prolongea Jordan mal à l’aise de cette information. Je disais donc,
gamin, que pour marquer, ton regard doit aller là où tu veux que ton ballon
aille.
Pour compléter ses paroles, la footballeuse sortit un ballon de son sac, le
lança nonchalamment sur le gazon avant de frapper dedans, regard dans l’angle
droit, proche du bâton. L’objet roula puissamment dans la direction, coupant des
bouts d’herbe sur son passage. Lorsqu’elle eut fini son action, l’attaquante jeta
un œil vers l’enfant qui avait les yeux illuminés d’étoiles. Jordan rit un instant
sous l’admiration du garçon avant de trottiner tranquillement, allant chercher son
ballon blanc.
- À ton tour.
- Jamais je n’y arriverai, répondit l’enfant défaitiste, fixant la pelouse.
- La réussite vient du travail, lança l’attaquante, donnant la balle à sa
compagnie. Je ne suis pas arrivée là où j’en suis aujourd’hui sans passer
des heures à m’entrainer. Tu sais, au début, je ne savais pas faire de passe
longue.
- Vraiment ?
- Vraiment. Soit je tirais trop loin, soit pas assez. Un vrai désastre, se
remémora la sportive avec un sourire nostalgique, amenant l’enfant à se
moquer. Ne te moques pas tu veux, gamin.
La blonde poussa gentiment le garçon qui tituba légèrement sous le geste
avant de se concentrer sur le ballon devant ses pieds. Les mains sur les hanches,
Jordan observa faire le jeune homme. Son regard porté sur ce qui servait de
cages, il prit une profonde inspiration avant de se lancer. D’une frappe nette, le
ballon partit vers les buts, les manquant de peu sur le côté gauche.
- Pas mal !
Sous la mine dépitée de l’enfant, elle partit chercher le ballon, revenant avec
celui-ci, jonglant gentiment.
- Quand tu frappes le ballon, il faut faire attention à la position de ton
pied, c’est lui qui donne la trajectoire, expliqua l’attaquante en jouant
aisément avec la balle, qu’elle arrêta en posant le pied dessus. Si tu veux
tirer droit, c’est le dessus du pied qui doit frapper.
Jordan montra le mouvement puis enchaina.
- Pour aller vers la droite, c’est l’extérieur. Et l’angle gauche est avec
l’intérieur.
Le garçon buvait ses paroles sans jamais lâcher les gestes de la
professionnelle des yeux. Sa tête hochait à chaque indication que pouvait lui
donner la footballeuse.
- Allez, réessaie, gamin.
- Je m’appelle Thomas. Pas gamin, protesta le garçon brun en secouant
la tête.
- Si tu le dis, plaisanta Jordan en haussant les épaules. Allez.
- Et si je me mettais plutôt dans les cages ?
- Quoi ? Tu veux être mon gardien ?
Pour seule réponse, Thomas haussa les épaules. Il posa le ballon dans les
pieds de la blonde avant de courir vers les cages. Jordan trouvait ça mignon,
mais elle ne voulait pas le blesser. Après tout, ce n’était qu’un enfant âgé de dix
ans, tout au plus. Et ses frappes n’étaient pas les mêmes qu’un enfant de cet âge.
Néanmoins, elle sentait que le garçon appréciait sa présence et ses conseils, et
qui sait, s’il faut c’était un "arrêteur de balle".
Les yeux verts fixés sur la couture du ballon, elle laissa la légère brise glissée
dans sa nuque la guider. Elle ne devait pas taper fort, mais suffisamment pour
que le ballon puisse marquer. Elle recula de trois pas puis releva le regard vers
les cages. Thomas était en position, main de chaque côté, prêt à plonger, Jordan
le sentait. Les genoux fléchis, il ne quittait pas la balle des yeux. L’attaquante
engloutit la distance en deux enjambées, l’avant de son pied tapant le ballon
précisément. Trajectoire droite, l’objet blanc roulait sur la pelouse avant d’être
stoppé par les mains du garçon, qui une fois relevé, tira la tête.
- Quoi ? demanda le numéro huit confuse.
- Tu peux faire mieux.
Surprise par cette réponse insolente, la footballeuse éclata de rire. Ce garçon
était génial et n’avait pas froid aux yeux. Cela changeait de ces fans qui
n’osaient rien dire ou en disait trop justement. Thomas était le juste milieu. Il
renvoya le ballon que Jordan arrêta. Elle attendit sagement qu’il reprenne ses
marques avant d’esquisser un sourire narquois. Il voulait jouer, elle allait jouer.
Sans bouger, elle frappa le ballon avec plus de force, sur l’extérieur du pied.
Ce dernier commença une trajectoire droite, trompant le gardien amateur qui ne
bougea pas. Seulement, au dernier moment, la balle partit se loger dans l’angle
droit de la cage. Abasourdi, Thomas était stoïque, regard fixé sur le ballon qui
était passé.
- Énorme ! cria-t-il dans le parc avant de rejoindre la footballeuse avec
la balle. Je veux savoir faire ça.
- Chaque chose en son temps, gamin, gloussa Jordan en lui ébouriffant
les cheveux malicieusement. Apprends déjà à marquer un but.
- Si je veux pouvoir intégrer l’équipe j’ai intérêt, soupira Thomas
désespérer.
- Quand sont les sélections ? questionna la blonde alors qu’elle
recommençait à jongler avec le ballon.
- Dans un mois et demi.
- Tu sais quoi ? Je dois me préparer pour le mondial qui a lieu dans
deux mois. Alors je te propose que jusqu’à mon départ, à la fin de la
semaine, je vienne m’entrainer avec toi ici chaque après-midi.
- Sérieusement ? s’exclama le garçon incrédule.
- Oui. Je pourrai te corriger comme ça et t’apprendre deux, trois trucs.
Si tu veux bien sûr, hein.
- Bien sûr que je veux ! C’est génial !
Jordan s’amusa doucement de l’enthousiasme du garçon. Elle devait
s’entrainer de toute manière, et elle voyait que Thomas voulait vraiment
progresser pour pouvoir intégrer l’équipe. Elle faisait une pierre, deux coups.
S’entrainer et entrainer. Malgré la bonne nouvelle, elle remarqua la moue
pensive de l’enfant, ses lèvres pincées, et les rides entre ses yeux.
- Il faut que tu en parles à tes parents d’abord, précisa la footballeuse
sentant bien que le problème vînt de là.
- Il y a seulement ma maman. Mon père est mort avant ma naissance,
confessa l’enfant le regard sur le sol.
Un silence de plomb s’installa. Jordan devait se rendre à l’évidence, elle ne
s’attendait pas à cela. Ce garçon avait une facilité étonnante à s’ouvrir à une
inconnue, comme s’il ne parlait pas beaucoup aux gens qui l’entouraient. Sentant
que Thomas était attristé de parler de sa situation, la blonde posa une main sur
son épaule.
- J’ai été adopté.
À cette nouvelle, que même les paparazzis ne connaissaient pas, parlant de
ses parents adoptifs comme les siens, ce qu’ils étaient, personne ne savait pour
son passé, Thomas écarquilla les yeux. Elle conservait cette part d’elle, ne
souhaitant pas que les gens la plaignissent. Elle préférait qu’on l’admirât pour
son travail, et non pour son histoire. Quand le regard brun se posa sur son visage,
la blonde continua.
- J’ai été abandonné à la naissance. À l’âge de huit ans, j’ai rencontré
mes parents, les Williams.
Comme si la conversation n’avait jamais eu lieu, Thomas changea de sujet.
- Je dois rentrer chez moi. Ma mère m’attend pour le diner. Il récupéra
son ballon puis se tourna vers la blonde. J’en parle à ma mère et l’on se
tient au courant ?
- Tu me trouveras ici, précisa la sportive en tendant sa main vers le
garçon qui la zyeuta perplexe.
Finalement, il finit par la serrer avant de s’en aller, courant sur le sentier,
laissant une Jordan seule au milieu du parc. Elle observa la silhouette de Thomas
s’éloigner, comprenant qu’il était comme elle. Seul.
L’attaquante rentra à la maison une heure et demie plus tard, son équipement
dans son sac de sport qu’elle lâcha dans l’entrée, en constatant le dégât. Du
papier w.c. était éparpillé dans le couloir de l’entrée, la porte des toilettes
ouverte, des empreintes mouillées sur le parquet, et de la farine un peu partout.
Elle tenta de ne marcher sur rien, espérant limiter le nettoyage, et se rendit au
salon. Le chiot était là, dans son panier, du papier w.c. dans la gueule, le regard
innocent. Ses pattes étaient blanches de farine, et la cuisine un vrai chantier.
Les yeux verts réprimandèrent l’animal, qui sentait bien qu’il avait fait une
bêtise, sa tête sur le bord de son panier, entre ses pattes. Jordan passa une bonne
demi-heure à nettoyer tout le rez-de-chaussée. Il était désormais évident que le
chien avait repris du poil de la bête et se sentait mieux, à tel point qui lui était
désormais possible de mettre le désordre dans la maison. La footballeuse opta
pour une douche, mais se ravisa en passant devant le chiot. Il devait prendre un
bain. Elle ne l’avait pas fait de peur de le malmener, mais vu son ardeur pour les
bêtises, maintenant le laver était une nécessité.
À l’étage, elle fit couler l’eau, remplissant le fond de la baignoire, puis elle
appela la boule de poils. Mais il ne vint pas. Deux tentatives plus tard, toujours
aucune trace de lui. Jordan le trouva dans son panier, dormant gentiment. Elle le
prit dans ses bras, sa langue la léchant sur le visage ce qui lui tira des
gloussements. La tâche la plus ardue fut de le laver. Visiblement, il n’appréciait
pas le shampooing et encore moins le rinçage. Se secouant dans tous les sens, le
shampooing volait à travers la pièce, ainsi que l’eau quand elle rinça le produit.
Serviette dans les mains, elle l’essuya comme elle put, l’animal se tortillant sur
le dos, trempant le tapis. La footballeuse avait beau protester, le réprimander, il
n’en faisait qu’à sa tête.
Ils terminèrent la soirée sur le canapé, ensemble à regarder un match de
football. Les hommes n’étaient effectivement pas fairplay, constata une nouvelle
fois la blonde qui repensait aux paroles du garçon qu’elle avait rencontré dans
l’après-midi. Elle espérait secrètement le revoir afin de lui inculquer des astuces,
et surtout lui transmettre sa passion, bien qu’il fût déjà mordu du ballon rond.
Elle l’avait vu dans son regard, et sa concentration.
***
Jordan passa la porte du cabinet avec le chiot en laisse. Une fois au comptoir,
ce dernier posa les pattes sur le mur, espérant voir quelque chose, mais il était
encore trop petit, ce qui arracha un rire moqueur à la blonde. Eugénie n’était pas
à son poste, devant surement s’occuper d’un patient dans une salle d’examen. Ce
fut alors que l’attaquante se rendit compte qu’elle n’avait pas réfléchi à un nom
pour la boule de poils.
Pourquoi était-il toujours difficile de nommer un enfant ou un chien ? Bien
que les deux ne fussent pas comparables, mais tout de même. Il lui fallait un
prénom qui lui correspondait. L’attaquante n’eut pas vraiment le temps de
réfléchir quand le docteur Collins apparut de nulle part. Le chiot se leva sur ses
pattes, aboyant, ou plutôt couinant pour se faire remarquer. Jordan le dévisagea
incrédule. Décidément ce chien.
La brune s’abaissa pour le saluer, caressant sa tête. La patte sur l’avant-bras
de la femme, l’animal ferma les yeux, heureux. La footballeuse secoua la tête.
- Je suis impolie, je salue votre chien avant vous, s’excusa la vétérinaire
gloussante gênée.
- Monsieur est très câlin, rit Jordan en serrant la main de la latina.
- Il a l’air d’aller mieux en effet.
- Il est entre de bonnes mains, répondit la footballeuse en observant le
canin assis entre elles.
- Je n’en ai jamais douté, répliqua Gabriella Collins avant de se racler la
gorge, mal à l’aise. Vous pouvez aller dans la première salle, j’arrive dans
un instant. Je récupère sa fiche.
- Eugénie n’est pas là ? demanda Jordan faisant un pas dans le couloir.
- Elle s’occupe des patients en soin.
- Ok.
L’attaquante se rendit dans la salle indiquée par la vétérinaire, qui portait
toujours sa blouse blanche ouverte. S’asseyant sur la chaise, l’animal couché à
ses pieds, la blonde prit une profonde inspiration afin de chasser de son esprit les
pensées impures qui l’envahissaient, comprenant la latina et elle-même.
Aujourd’hui, cette dernière était vêtue d’un pantalon à pince noir, longeant ses
jambes allongées par des talons noirs insolents. Sa chemise bleu pâle accentuait
les grains hâlés de sa peau, sa poitrine soulignée avec un gilet de serveur noir
également. Elle était tout simplement charmante. Si bien que Jordan avait du mal
à respirer.
Fiche dans ses mains, le docteur Collins pénétra dans la salle d’examen, la
fermant derrière elle cette fois-ci. La footballeuse se leva instinctivement à
l’arrivée de la femme, qui elle remarqua, ne portait pas d’alliances à son doigt.
Elle pouvait très bien ne pas la porter durant son travail, vu son métier. Ses yeux
bruns parcouraient les renseignements rapidement avant de se plonger dans ceux
jade.
- Vous pouvez le mettre sur la table s’il vous plait, demanda la
vétérinaire alors qu’elle mit les gants, les faisant claquer contre sa peau.
Jordan s’exécuta sans un mot, portant le chiot qui lui lécha le visage, émanant
un gloussement de la brune. Debout face à l’animal assis, la latina commença
par le caresser fermement.
- Il mange tous ses repas et a même commencé à faire des bêtises dans
la maison, informa la blonde sans quitter des yeux la vétérinaire.
- Oh. Des bêtises ? Comme quoi ?
- Jouer avec la farine et s’enroulant de papier toilette.
À cette annonce, un rire mélodieux s’échappa des lèvres rouge vin de la brune
qui acclama le chiot. Ce dernier cherchait à faire des bisous au docteur, qui
reculait sans cesse son visage, évitant les coups de langue. Si Jordan était
honnête, elle dirait qu’elle était jalouse. Bien que lécher la brune fût un stade
trop avancé pour leur relation présente. À cette pensée débile, la blonde lâcha un
gloussement, attirant l’attention de la brune qui leva un sourcil.
- Je repensais à la stupidité de la situation, mentit Jordan en passant une
main dans sa nuque.
- Quand un animal, notamment les chiens, fait des bêtises, c’est qu’il se
sent bien dans la maison et avec la personne. Il a confiance en vous,
expliqua Gabriella Collins en sortant son stéthoscope. Lui avez-vous
trouvé un prénom ?
- Non. Je n’arrive pas à me décider. Apache ou D’Artagnan ?
- Apache, sans hésiter, trancha la femme sérieusement tout en auscultant
l’animal qui se laissait faire.
- Un problème avec le deuxième choix ? plaisanta gentiment la
footballeuse devant le choix de la brune.
- Je hais D’Artagnan. Ce prénom est bien trop princier pour lui.
La latina enleva les embouts de ses oreilles avant de continuer.
— Il reprend des forces, aucun doute là-dessus. Pour les oreilles, il faut
y faire attention, car les bergers allemands peuvent avoir des problèmes.
Si elles ne se dressent pas d’elle-même, il faudra songer à mettre des
tuteurs, informa la vétérinaire en scrutant les dents d’Apache.
- C’est douloureux ? questionna inquiète Jordan.
- Non c’est comme une attelle. Pas besoin d’intervention, la rassura le
docteur, se détournant pour préparer une aiguille. Je profite de le voir pour
lui faire le vaccin.
- Très bien. Comme cela il sera prêt pour rentrer à la maison.
- Il doit prendre l’avion ?
- Pour aller à Portland oui, renseigna l’attaquante en caressant la tête du
chiot.
- Portland, murmura la latina comme pour se convaincre. C’est loin.
Vous partez quand ?
- À la fin de la semaine. Normalement.
- Je vois, soupira la brune avant de s’approcher de l’animal.
Jordan ne regarda pas la suite. Elle avait une tolérance limitée pour les
aiguilles, qui se limitaient aux prises de sang. Le chien ne tressaillit même pas.
La vétérinaire jeta l’aiguille dans la poubelle avant de noter les informations
dans un carnet. Regard porté sur les doigts fins hâlés tenant le stylo, la
footballeuse se laissait de nouveau dépasser par ses pensées. Elle n’était pas
stupide, elle était pleinement consciente que la latina lui avait tapé dans l’œil.
Seulement, elle partait à la fin de la semaine, et ne reviendra pas à Camden.
L’inviter à sortir serait franchir un cap dans leur relation ce qui était donc
impossible et mènerait à de la souffrance. Coucher simplement avec elle, c’était
hors de question. Une femme comme le docteur Collins n’était pas digne d’un
coup d’un soir. Elle valait une relation.
- Voici le carnet de santé d’Apache, déclara la vétérinaire en tendant un
carnet avec comme couverture, un chien. Voulez-vous le pucer ?
- C’est obligatoire ?
- Si vous voulez retourner à Portland, vous n’avez pas le choix, rétorqua
la brune presque froidement. C’est obligatoire maintenant.
- Alors oui, répondit Jordan peu sûre du comportement soudain distant
de la latina.
Lorsque la consultation fut terminée, le docteur Collins ne prit même pas la
peine de raccompagner la blonde jusqu’à l’accueil avant de la saluer et de lui
souhaiter un bon voyage. Jordan sentait que la brune était mal à l’aise, presque
triste de la quitter. Mais elle ne voulait pas se créer de faux espoirs. Impossible
qu’une femme comme elle soit un tant soit peu intéressée par la footballeuse,
brute de décoffrage.
Sur le trajet du retour, l’attaquante n’arrivait pas à s’ôter la vétérinaire de la
tête. Ses traits parfaits, sa voix rauque et profonde et surtout ses prunelles brun
chocolat. Le docteur Collins avait tout pour plaire aux yeux de la blonde qui ne
put que soupirer. Elle devait tomber sur quelqu’un comme elle, dans une ville
paumée du Maine, et non à Portland. Pour une telle femme, Jordan aurait essayé
d’allier son métier et sa vie de couple. Mais voilà, Gabriella Collins était
inaccessible et bien trop bien pour elle.
La footballeuse se préparait dans le salon, rangeant ses crampons dans son sac
de sport, ainsi qu’une bouteille d’eau, son ballon, une serviette et un
chronomètre quand elle releva le regard sur Apache, couché dans son panier,
éveillé. En se levant, elle attrapa la laisse et l’invita à la rejoindre, chose que
l’animal accepta avec des aboiements. Elle ne savait pas si elle pouvait le sortir,
étant donné qu’il était encore un peu faible, mais après le désastre de la dernière
fois, elle ne voulait pas le laisser seul.
Arrivée au parc, laisse dans sa main, Jordan le promena, explorant le square.
Les gens la saluaient avec des sourires, des gestes sans jamais venir l’accoster.
Elle était heureuse de pouvoir se promener sans être la cible d’un photographe,
ou d’un fan cherchant seulement à obtenir un autographe, ou photo pour pouvoir
la revendre par la suite. Elle avait jeté un œil, et ses images se vendaient plutôt
cher. Tout cela à cause de son statut d’étoile montante du football aux États-
Unis.
L’attaquante détacha le chiot qui alla renifler plus loin, toujours dans son
champ de vision, tandis qu’elle sortait ses crampons. Elle prit son temps pour les
enfiler et consulta son téléphone. L’école devait déjà être finie normalement,
pensa Jordan. Des enfants traversaient le parc avec leur sac à dos, mais il n’y
avait aucun signe de Thomas. Elle décida de commencer à s’étirer lentement.
Jambes écartées, elle les fléchit chacune à leur tour, veillant à ce que ses fesses
restent à la même hauteur et que son dos soit bien plat. La qualité des
mouvements était essentielle pour bien travailler les muscles. La paume des
mains caressant le gazon, Jordan expira longuement.
- Salut ! s’exclama une voix enfantine.
Les yeux verts se posèrent sur deux paires de chaussures totalement
différentes. L’une était des baskets noires à rayures blanches, clairement d’une
taille d’enfant. L’autre en revanche était des talons noirs avec un léger reflet
brillant dont le haut était masqué par un pantalon noir élégant. Sourire aux
lèvres, Jordan se releva délicatement, son regard posé sur Thomas, tout sourire.
- Salut ga… commença la footballeuse avant de se retrouver muette
sous la vision qui s’offrait à elle.
Les yeux fixés sur le visage du docteur Collins, tout aussi surpris que le sien,
l’attaquante ferma ses jambes. Le regard jade passa rapidement de l’enfant à
l’adulte, comprenant soudainement que Thomas était le fils de la vétérinaire. Sa
main passa dans sa nuque sous ce hasard divin.
- Mam’ voici Jordan Williams, l’attaquante des Portland Thorns dont je
t’ai parlé. Jordan, voici ma mère. Gabriella Collins.
- On se connait déjà mon cœur, confessa Gabriella sans quitter des yeux
la blonde qui sourit gênée.
- Vraiment ?
- Mademoiselle Williams est une cliente. Elle a un chiot.
Comme s’il sentait qu’on parlait de lui, Apache débarqua à grande vitesse,
sans avoir le temps de se stopper, percutant les mollets de la blonde qui manqua
de tomber.
- Voilà la terreur, soupira Jordan en pointant du doigt l’animal assis à
ses pieds.
- Il a l’air marrant, s’amusa l’enfant en s’approchant du chiot qui
s’empressa de lécher ses doigts. OK il est génial !
- Thomas ? appela gentiment sa mère attirant son attention. Et si tu
allais préparer les cages pendant que je parle avec Mademoiselle
Williams.
- Tu vas mener l’interrogatoire maternel ? demanda le garçon sur un ton
de la plaisanterie, qui se voulait pourtant sérieux.
- Thomas…
- Oui j’y vais.
- Merci.
Jordan avait observé la scène amusée de la relation entre la mère et le fils. Ils
avaient l’air complices et cela faisait plaisir à voir. Trainant les pieds, l’enfant
partit chercher des bâtons, marmonnant. Les pierres de jades fixaient le profil de
la brune qui surveillait son fils. Elle remarqua alors la cicatrice sur la lèvre
supérieure de la latina, presque imperceptible avec les résidus de son bronzage
d’été. Son teint mâte donnant à la blonde l’envie de la gouter. Lorsque Thomas
était suffisamment loin, les prunelles brunes s’encrèrent dans leur opposé,
sourcil arqué. Gabriella avait grillé la footballeuse en train de la dévisager.
- Donc vous êtes une célèbre footballeuse.
- Non. Une footballeuse professionnelle simplement, corrigea
l’intéressée n’appréciant pas qu’on la considérât comme une célébrité.
- Quelle est la différence ?
- Je fuis les paparazzis plutôt que de les chercher avec des histoires à
dormir debout.
- Ils sont si terribles que ça ? questionna Gabriella avec une grimace,
sentant l’agacement de l’attaquante.
- Les pires vautours du monde sportif. Je ne peux pas faire un pas
dehors sans qu’il y ait un article sur ma course.
Leurs regards portés sur Thomas qui s’affairait à planter les branches dans la
pelouse, un silence s’installa. La brise s’engouffrait sous le teeshirt bleu de la
footballeuse, les mèches de cheveux chatouillant sa clavicule.
- Pourquoi commencer à entrainer Thomas alors que vous quittez la
ville à la fin de la semaine ?
Les sourcils froncés, Jordan croisa les bras sur sa poitrine, n’appréciant pas le
ton accusateur utilisé par la vétérinaire. Si Gabriella avait un problème avec le
fait qu’elle entrainât son fils, pourquoi ne pas simplement lui dire au lieu de
tourner autour du pot ?
- Il a simplement besoin de quelques conseils pour apprendre à marquer.
De plus, je dois également me mettre en condition pour le mondial qui a
lieu dans deux mois. Donc il me tient compagnie pendant mon
entrainement. Mais si vous y voyez un inconvénient, je peux me retirer,
conclut l’attaquante sans quitter des yeux la brune qui baissa le regard.
- Je ne veux pas qu’il s’attache à vous alors que vous allez partir.
Jordan savait que Gabriella parlait de son fils en disant cela, seulement, le ton
employé et le fait qu’elle ne la regardât pas dans les yeux, laissait à penser que la
brune parlait de sa personne également.
- Je comprends parfaitement. Thomas sait que je pars, donc je pense que
les choses sont claires entre nous.
- Elles le sont. Je vais vous laisser tous les deux. Il sait comment rentrer,
ne vous en faites pas, informa la vétérinaire avant de la saluer d’un singe
de tête. Au revoir Mademoiselle Williams.
- Vous pouvez m’appeler Jordan.
Un sourire glissa sur les lèvres pulpeuses tandis que la mère de Thomas
recula doucement sur le sentier, ne lâchant pas du regard les perles de jades.
- Au revoir Jordan.
- Au revoir Gabriella.
La vétérinaire fit un signe de main à son fils qui lui répondit avec un sourire
heureux sur le visage, avant de s’approcher de la footballeuse. Cependant, la
blonde fixait la silhouette s’éloigner lentement, marchant dans le parc.
***
C’était la troisième grimace que réprimait Karren Palmer en visitant les lieux,
stylo dans sa main, notant furieusement des mots sur un bloc-notes. L’attaquante
savait que la maison n’était pas au gout du jour, et surtout était en piteux état, il
fallait le reconnaitre, mais elle espérait vraiment qu’elle allait se vendre
rapidement. Elle ne pouvait en aucun cas rester plus longtemps dans cette ville
au vu des obligations qui l’attendaient à Portland. Son agent et manager l’avait
déjà appelée quatre fois depuis le début de la semaine afin de connaitre la date
de son retour et en informer son coach sportif, mais à chaque fois, Jordan ne
pouvait lui donner de date.
La visite ne se passant pas vraiment bien, la footballeuse craignait que son
retour ne soit encore repoussé. Bien que cette nouvelle fût gênante pour sa
préparation physique, elle en trouvait du réconfort. Elle avait enfin un break de
tous ses vautours, pouvant sortir sans être harcelée. Durant deux jours, elle avait
entrainé Thomas qui progressait lentement mais surement. Le garçon avait réussi
à marquer un but sans gardien, ce qui était déjà incroyable. Mais ce qu’appréciait
réellement l’attaquante, c’était le fait qu’il l’écoutât et prît en considération tous
ses conseils.
Le verdict tomba. La maison ne pouvait se vendre dans cet état. L’agent
immobilier conseilla d’entreprendre des travaux pour rafraichir l’intérieur, et
réparer ce qui était endommagé. La footballeuse prit en compte les mots de la
professionnelle qui s’excusa pour son honnêteté. Jordan lui demanda alors si en
engageant des professionnels, elle pouvait les laisser faire leur travail, tout en
repartant à Portland, laissant Karren Palmer gérer les travaux. Malheureusement,
l’agent immobilier refusa. C’était au-delà de ses compétences, et avec sa charge
de travail, elle ne pouvait pas tout contrôler.
- Par ailleurs, la seule entreprise qui s’occupait de travaux était située à
Boston. Nous avons seulement un menuisier ici et un magasin de
bricolage.
- Bien. Il faut que je m’y mette rapidement alors.
- Vous y mettre ? demanda Karren Palmer confuse.
- Puisque je ne peux pas retourner à Portland, je ne vais pas payer des
professionnels. Je vais faire les travaux moi-même. Le menuisier pourra
raboter la porte d’entrée. Les peintures et tout le reste, je m’en chargerai.
- Hé bien. Pour une footballeuse, c’est étonnant.
L’attaquante fronça les sourcils sous cette annonce. Elle n’avait jamais donné
sa profession à l’agent immobilier. Croisant les bras sur sa poitrine, faisant
ressortir son biceps, la blonde fixa perplexe la professionnelle.
- Comment savez-vous que je suis une footballeuse ? Je ne vous l’ai
jamais dit.
- Oups. Grillée, murmura Karren Palmer en se mordant la lèvre. Mon
amie Gabriella Collins a dû vous mentionner. Vous entrainez bien Thomas
au football non ? C’est mon neveu.
- Je vois, gloussa Jordan. Bien, je vais me rendre au magasin pour
acheter les peintures.
Lorsque l’agent immobilier s’en alla, la blonde laissa Apache dans son panier,
l’informant de ne faire aucune bêtise jusqu’à son retour. Elle avait déjà une idée
des couleurs qui pourrait mettre en valeur les différentes pièces de la maison. Le
jaune n’était plus possible.
Devant un choix immense de peinture, la blonde ne savait finalement pas quoi
choisir. Devait-elle prendre un gris pour le salon, ou bien du taupe ? Elle savait
qu’une des trois chambres allait être blanche, mais un blanc cassé ou un crème ?
Arch. Et puis, pourquoi cela lui tenait tant à cœur ? Ce n’était pas comme si elle
allait y habiter dans cette maison de toute façon. Certes, mais la maison devait
plaire pour pouvoir être vendue non ?
Optant pour le taupe dans l’espace vie, la footballeuse choisit un gris perle
pour la chambre parentale et un bleu nuit pour la deuxième. Il ne lui manquait
plus que la façade. Blanc crème ferait l’affaire. Les achats faits, elle rentra en fin
d’après-midi, passant la porte qui bloqua. Habituée, elle donna un coup d’épaule
dedans. Apache l’attendait dans le couloir, sa queue remuante de joie.
- Tu n’as pas fait de bêtises hein ?
Non, il avait été un parfait petit ange, dont les oreilles commençaient
lentement mais surement à se dresser. Si on lui avait dit qu’un jour, elle aurait un
chien, elle aurait ri. Mais les faits étaient là.
Après avoir conversé avec ses parents via Skype, les informant des avancées
de la situation, puis expliqué à Christian qu’elle ne pouvait pas encore quitter le
Maine, Jordan s’installa sur le canapé. Portable en main, elle envoya un message
à Thomas, qui avait convenu que s’échanger les numéros était la solution pour se
tenir au courant des entrainements. Elle avait compris la supercherie, mais elle
avait confiance en lui, pour garder le secret.
Alors qu’elle déposa son téléphone sur l’accoudoir du canapé pour aller se
préparer du popcorn, sa sonnerie retentit dans le salon. C’était le garçon qui
l’appelait.
- Hey gamin ! Tout va bien ? demanda Jordan inquiète de son appel.
- C’est génial ! cria-t-il, bouchant l’oreille de la footballeuse qui hissa
sous l’inconfort. Alors tu restes à Camden ?
- Le temps que je finisse les travaux de la maison oui.
- Trop cool ! Je pourrai te donner un coup de main, je suis en vacances
demain, proposa l’enfant avec enthousiasme.
- Euh.
Jordan fut prise de court. Entrainer le garçon était une chose, mais passer plus
de temps avec lui n’était peut-être pas une bonne idée. Elle se souvenait de ce
que lui avait dit sa mère, sur le fait qu’il ne devait pas s’attacher à elle
puisqu’elle allait bientôt partir. La notion de bientôt devenait de plus en plus
vague à mesure que les jours passaient. L’attaquante ne savait absolument pas
quand elle rentrerait à Portland, et vu l’ampleur des travaux, des mains en plus
seraient une aide précieuse. Cependant, elle ne voulait pas aller à l’encontre de
l’avis de Gabriella Collins.
En parlant du loup, la voix rauque de la mère de Thomas retentit dans le
téléphone, demandant à l’enfant avec qui il discutait. Le prénom de la blonde fut
prononcé avec fierté par le garçon, en profitant par la suite pour informer sa
mère que Jordan resterait encore un peu à Camden. Mais l’attaquante ne put
entendre la réaction de la latina. Un bruit bizarre se fit entendre puis le souffle de
la footballeuse se bloqua dans sa gorge.
- Alors comme cela vous restez un peu plus à Camden ?
Gabriella Collins avait emprunté le portable de son fils pour pouvoir lui
parler. La blonde perdue son assurance sous le timbre profond de son
interlocutrice, un ton moqueur évident dans sa voix.
- En effet. Mais je pensais que Karren Palmer vous aurez déjà mis au
courant, accusa gentiment l’attaquante.
- Pour ma défense, Thomas a parlé de vous le premier, je n’ai fait que
participer à la conversation, rétorqua la brune comme si cela semblait
évident. Si je comprends bien ce que mon fils vient de me mimer, rit
Gabriella coupant le souffle de la blonde, il souhaiterait vous aider pour
des travaux dans votre maison.
- En réalité, ce n’est pas ma maison. J’en ai hérité.
- Je suis au courant. Nicole m’en avait parlé, souffla la latina comme
attristée.
- Qui est Nicole ?
- Nicole Summers était une amie.
Les yeux verts se fermèrent sous cette confession. Alors comme cela,
Gabriella Collins côtoyait les Summers. Jordan ne connaissait pas les prénoms
de ses géniteurs, mais entendre celui de sa mère biologique amena une boule à
son estomac.
- Je vois. Donc vous devez savoir qu’elle m’a abandonné à ma
naissance, me déposant devant la gendarmerie, cracha la blonde avec
amertume sur la défensive.
- Elle m’en avait parlé oui, mais jamais dans les détails. Écouter, je suis
désolée d’avoir parlé de cela. Je n’aurai pas dû, s’excusa la vétérinaire
avec un ton embarrassé. Je n’ai pas à me mêler de vos affaires de famille.
- Non c’est moi. Je n’aurais pas dû vous répondre de la sorte, confessa
la sportive avec un soupir. J’imagine que je suis toujours en colère après
leur comportement.
- C’est compréhensible.
Un silence s’installa entre les deux femmes. L’attaquante passa une main dans
sa nuque par nervosité. Elle entendit la latina se racler la gorge.
- Je ne suis pas contre à ce que Thomas vous aide pour les travaux. En
revanche, je ne veux pas qu’il devienne un poids pour vous. Donc si vous
souhaitez être seule, vous devez lui dire. Il a tendance à s’imposer, affirma
Gabriella avec une voix déterminée.
- Ce n’est pas un problème. Je l’aime bien. Il est plutôt cool.
- Il dit la même chose de vous.
- Et vous, vous pensez quoi de moi ? demanda sérieusement la
footballeuse avant de se frapper le front avec la paume de sa main.
Venait-elle vraiment de demander ça à la latina ? Les mots avaient passé sa
bouche dans un fluide qu’elle ne put retenir. L’attaquante se châtia mentalement
d’avoir osé poser cette question. Elle allait à l’encontre de ce qu’elle s’était dit.
Ne pas s’intéresser à la vétérinaire et encore moins tenter quelque chose avec
elle. Voilà qu’elle flirtait avec elle par téléphone.
Le silence à l’autre bout du portable n’apaisait pas les battements de cœur de
la blonde, bien au contraire, il les accélérait. Un soupir vint souffler dans son
oreille avant que la voix rauque de la vétérinaire ne l’hypnotise à nouveau.
- Je pense que vous êtes une personne que mon fils apprécie, et qu’il est
un bon juge de caractère.
- Est-ce que cela veut dire que vous m’appréciez aussi ?
Il fallait vraiment qu’elle arrête de parler. Pourtant, assise avec les coudes sur
ses genoux, sur le bord du canapé, Jordan était impatiente de connaitre la
réponse à cette question. Elle voulait savoir ce que la charmante brune pensait
d’elle. Un léger rire caressa le tympan de la blonde, un rictus se formant sur le
visage de cette dernière.
- Ça veut dire ce que ça veut dire Jordan, répondit platement Gabriella,
ne donnant aucun indice à l’attaquante. Thomas viendra chez vous les
après-midi, le matin il est chez ma mère.
- Aucun problème. Le matin je cours.
- Très bien. Thomas ?
Jordan n’eut pas le temps de dire au revoir que la voix enfantine reprit la
conversation, enjouée. Que venait-il de se passer ? Avait-elle vraiment flirté avec
la brune ? Cette dernière lui avait-elle vraiment répondu ? Finalement, ce voyage
improvisé prenait une tournure agréable.
Le vendredi des vacances, Thomas et la footballeuse s’entrainèrent dans le
parc, avec les amis du garçon qui n’avait pas reconnu la blonde, car elle portait
une casquette. Les plus jeunes ne s’intéressaient pas au sport féminin, et la
plupart ignoraient que le football était également pour les filles. Ils étaient
machos à cet âge. Le fils de Gabriella avait progressé en une semaine,
manipulant le ballon rond avec aisance, bien que ses passes fussent imprécises
pour les deux tiers. Ils avaient fait des uns contre un, et de temps à autre, Jordan
ne pouvait s’empêcher de le dribler, l’énervant. Ils s’amusaient bien ensemble.
Le week-end s’était passé dans le calme le plus total. La footballeuse était
allée courir dans la matinée, avant de passer les après-midi à attaquer la
réparation de la porte de sortie dans la cuisine. Elle avait également fait un tour
au magasin de bricolage pour acheter du graissant, sous les recommandations du
gérant qui commençait à la connaitre. Il lui donnait des astuces lorsqu’elle ne
savait pas comment s’y prendre sans passer deux heures à s’énerver sur sa tâche.
Samedi soir, la porte fonctionnait et la blonde avait bu son café sur le porche
arrière, observant les étoiles sur la balancelle. Le lendemain, elle tenta de courir
avec Apache, mais il était tellement distrait, qu’il s’égarait, faisant patienter
l’attaquante dans sa course. Elle avait essayé de regarder la plomberie de la salle
de bain, mais avait fini par créer une fuite l’obligeant à couper l’arrivée d’eau.
Les tuyaux étaient si vieux, que la rouille les rongeait.
Lundi matin, après sa course, elle se rendit au magasin dans le but d’acheter
la nouvelle plomberie. Après deux heures à discuter avec le gérant, qui lui
expliqua comment procéder, elle s’essaya à une nouvelle tâche. Vieux vêtement
sur le dos, elle entendit la sonnerie retentir, alors qu’elle était accroupie. Elle
leva la tête, se la cognant fermement sur le bord de la baignoire, jurant.
S’essuyant les mains sur un torchon dégueulasse, Jordan descendit les escaliers
puis ouvrit la porte sur Thomas. Sourire sur le visage, le garçon entra sans se
faire prier informant la blonde qu’il était venu à vélo, pointant le moyen de
locomotion couché sur la pelouse. Plat dans les mains, il observait le couloir de
l’entrée avant de pénétrer dans le salon. Apache vint le saluer, reniflant le plat
couvert d’un papier aluminium.
La footballeuse commanda au chiot de se calmer avec leur invité, chose que
l’animal exécuta, s’asseyant aux côtés de l’enfant, penchant sa tête. Thomas
tendit le plat vers son hôtesse qui leva un sourcil inquisitrice. Il lui expliqua que
sa grand-mère avait fait une tarte aux pommes ce midi et qu’elle lui avait
demandé d’en prendre pour que la blonde pût la gouter. Jordan le remercia
attendrie par le geste. Ils se mirent vite au travail. L’attaquante continuait la
plomberie tandis qu’elle avait affecté le garçon à la peinture de la chambre
adjacente, autrement dit, celle où elle dormait. Lorsqu’elle eut des difficultés
avec un embranchement, ne pouvant pas tenir les tuyaux et les visser, elle appela
le garçon, qui débarqua avec le rouleau et son visage couvert de points de blanc.
Se moquant de lui, la footballeuse ne pouvait plus s’arrêter de rire, capturant
la moue blasée de l’adolescent avec son portable.
***
La fin de semaine sonna, et les travaux avaient bien avancé. Il en restait
encore à faire, notamment la chambre parentale, et l’extérieur de la maison.
C’était vendredi, Jordan courait dans la brise matinale, cherchant un moyen de
voir la brune à nouveau. Thomas lui parlait de sa mère régulièrement en peignant
ou s’entrainant.
La blonde appréciait de plus en plus la compagnie de l’adolescent qui
progressait grandement au football. Désormais, leur un contre un donnait du fil à
retordre à la footballeuse et Thomas ne manquait plus un seul but, même en
action. Elle s’en félicitait. Pour sa préparation physique, l’attaquante avait repris
la musculation, s’entrainant avec le poids de son corps dans le parc, s’aidant des
structures. Le matin, les enfants ne jouaient pas, laissant les barres libres,
permettant à la blonde de faire des tractions. Apache l’accompagnait dans toutes
ses sorties.
Sur le chemin du retour, alors que ses épaules tiraillaient après les pompes et
les tractions, Jordan traversa la route, s’arrêtant devant le cabinet de la
vétérinaire. Le chiot aboya dans la direction du bâtiment, incitant la footballeuse
à prendre sa décision. Elle ne pouvait plus nier son intérêt pour la latina. De pas
déterminés, elle entra dans le cabinet, accueilli par Eugénie.
Apache fit le tour pour aller la saluer tandis que l’attaquante cherchait du
regard la personne qui l’intéressait. Elle n’était pas en vue. Des voix se firent
entendre dans le couloir ainsi que le bruit des talons que Jordan connaissait à
présent. Discutant avec un homme portant une cage, Gabriella le remercia avant
de porter son regard sur la blonde qui lui sourit gentiment. La secrétaire
continuait de caresser le chiot, qui tirait la langue d’aise.
- Que faites-vous ici ? Tout va bien ? questionna inquiète la vétérinaire.
Apache n’a pas l’air d’avoir besoin de soin.
- Vous avez raison. Il va bien. Je voulais vous voir, lança la sportive
dans un souffle.
La footballeuse ignorait si elle s’y prenait bien ou non. À vrai dire, cela faisait
tellement longtemps qu’elle n’avait pas demandé à une femme de sortir avec
elle, qu’elle ne connaissait plus les mots justes. Lorsqu’elle accostait une
demoiselle à Portland, cette dernière connaissait sa célébrité, et ne cherchait qu’à
coucher avec une vedette. Mais Gabriella était différente de ces femmes, car
même si elle savait qui était Jordan, elle ne lui en tenait pas compte et se
moquait bien de son statut. C’était ça qui plaisait à l’attaquante. Elle pouvait être
elle-même en présence de la latina, et non cette sportive étoile montante du
football.
Les yeux fixant Eugénie en train de caresser son chiot, elle soupira de
maladresse. Comment demander à une femme comme la brune de sortir avec
elle un soir ? La gorge serrée, les mains moites, la footballeuse tenta de
reprendre son assurance, se redressant sous le regard confus de la vétérinaire.
- Je me demandais si vous accepteriez de sortir avec moi. Un soir,
débuta Jordan balbutiant en constatant la surprise sur le visage hâlé. Pour
diner ou bien se balader dans la ville. Discuter, échanger avec moi.
Sous ses mots maladroits, la blonde ferma les yeux, énervée par son manque
de confiance. Cette femme lui faisait perdre pied et son stress allait bien au-delà
de celui qu’elle expérimentait pendant les matchs.
- Il y a le soir de la pêche mercredi prochain, commença Gabriella avec
un sourire chaleureux sur les lèvres. Thomas et moi nous y rendons tous
les ans, vous pouvez nous y accompagner.
- Avec plaisir, répliqua la blonde soulagée par la réponse. Allez viens
Apache, on rentre !
L’animal ne se fit pas attendre, passant la porte que la blonde avait ouverte,
avant de lancer un dernier regard vers la vétérinaire, et de sortir. Elle n’en
revenait pas. Même si elles n’étaient pas seules, Gabriella avait accepté la
présence de la blonde, son invitation. Jordan espérait que cette première sortie ne
fût que le début de plusieurs d’autres.
Évidemment, Thomas était au courant de la venue de la footballeuse à la
soirée, et surtout de son invitation. Ils peignaient le salon chacun dans un coin de
la pièce, couvrant les murs en taupe, lorsque le garçon engagea la conversation.
- Ma mère te plait ?
C’était supposé être une question, mais le ton employé par l’adolescent
suggérait une affirmation. Jordan crut tomber son rouleau sous cette phrase,
tournant son attention vers sa compagnie qui continuait son activité comme si de
rien n’était. Elle ne savait pas quoi répondre à cela. Elle ne pouvait pas nier son
attraction envers la latina qui était charmante. Son fils devait savoir qu’elle avait
invité sa mère, et il n’était plus si innocent.
- Je suppose.
- Ce n’est pas une réponse ça, réprimanda l’enfant en rigolant. Soit elle
te plait, soit tu ne la trouves pas à ton gout.
- Nous sommes vraiment obligés d’avoir cette conversation ? tenta mal
à l’aise la footballeuse sous la tournure de leur discussion.
- Ben si tu veux sortir avec ma mère, oui. Depuis mon père elle n’a pas
eu beaucoup de personnes dans sa vie qui ont vraiment compté. Je n’ai
peut-être que dix ans, mais je ne suis pas bête. Je connais les histoires de
cœur, expliqua le garçon tout en peignant.
- C’est juste qu’on parle de ta mère, gamin.
- Ça change quelque chose ? J’ai bien vu que tu la dévorais des yeux.
Tu as le même regard que quand tu t’apprêtes à engloutir une pizza.
La footballeuse rit nerveusement, consciente que son comportement envers
Gabriella n’était pas du tout subtil. Si l’enfant avait compris, un adulte devait
surement être au courant.
- Tu sais que je me moque que tu sois une fille, ajouta l’adolescent
sérieusement, se tournant vers la blonde. Maman a le droit de choisir qui
elle aime.
- Aimer est un mot trop fort pour l’instant. Nous ne sommes jamais
sorties ensemble, le corrigea gentiment l’attaquante.
- Mercredi est bien votre premier rendez-vous non ?
- Entre autres. Tu seras avec nous et puis il y aura du monde autour de
nous.
- Je ne suis pas tout le temps avec ma mère. Elle sait parfaitement que je
rejoins mes potes pour faire les jeux, informa Thomas en haussant les
épaules avant de plonger le rouleau dans le sceau. Je sais qu’elle se sent
seule par moment. Elle a besoin de quelqu’un qui soit là pour elle. Un
adulte parce que moi je ne compte pas vraiment.
- Je comprends où tu veux en venir, acquiesça la blonde en se
concentrant sur son mur, étalant le blanc.
***
Enfilant son teeshirt manche longue gris, Jordan s’observa dans le miroir.
Habillée d’un jean noir, des baskets blanches au pied, le teeshirt ne lui plaisait
pas. Elle semblait être déprimée dans cette tenue. Elle se débarrassa du vêtement
avant de fouiller dans son placard. Elle ne savait pas quoi mettre et c’était un
problème, car elle avait convenu avec la brune de se retrouver sur le port à
19 h 30 et il était 19 h. La footballeuse râla devant son imbécilité. Elle n’avait
qu’à choisir un haut et puis voilà. Seulement, depuis sa conversation avec
Thomas, elle voulait vraiment que ce premier rendez-vous se déroulât bien.
Elle opta pour un teeshirt de baseball bleu et blanc, laissa ses cheveux respirer
un peu. Après avoir rempli la gamelle d’Apache, elle le regarda et décida de le
prendre finalement. Au moins, elle ne serait pas seule. Laisse dans sa main, elle
ouvrit la porte passagère du Range Rover noir, et le laissa grimper. Elle lui passa
la ceinture avant de s’installer à son tour au volant.
Elle se gara dans l’avenue devant le restaurant de Courtney Long qui était
bondé. Les gens en terrasse profitaient de la fraicheur naissante de la fin de
journée. Veste en cuir noir sur les épaules, Jordan marchait avec son chiot devant
sur le trottoir, respirant profondément pour faire descendre le stress. Les
habitants la saluaient chaleureusement sur son passage. La footballeuse
appréciait vraiment cette ville. Elle vit Karren Palmer non loin et la salua d’un
signe de main que la femme lui rendit. Le vent marin frappa le visage de la
blonde avant même qu’elle ne mît le pied dans le port. Apache la guidait dans
ses pas, reniflant tous les deux mètres. Main dans la poche de son jean, laisse
dans l’autre, les yeux verts aperçurent deux silhouettes qu’elle reconnût non loin
en face.
Elle se stoppa dans sa marche bouleversée de voir la brune magnifiquement
vêtue. Sa robe cobalt accentuait ses courbes parfaites, la petite ceinture en or
marquait sa taille svelte. Les talons noirs élançaient ses jambes, lui donnant un
charisme fou. Les cheveux coiffés au fond, leur donnant un pli vers l’extérieur,
son visage était mis en valeur. Ses lèvres peintes d’un gloss, les laissant briller
invitantes. Jordan dut déglutir et se sentit soudainement mal habillée au côté de
la latina.
Thomas la salua le premier avec leur poigne de main secrète tirant un rire à la
brune, qui se moqua légèrement. Cette dernière la prit dans ses bras pour une
accolade de salutation qui accéléra le cœur de la footballeuse en sentant le
parfum enivrant de la vétérinaire. Troublée, Jordan se racla la gorge avant de
sourire aux deux personnes.
Le garçon avait récupéré la laisse d’Apache, le promenant, fier de lui. Les
deux femmes marchaient derrière eux, discutant entre les passants, sur le port.
Les pêcheurs étaient en pleine compétition afin de savoir qui ramènerait le plus
de poisson en deux heures. La plage était inondée de cannes à pêche et de
participants. Des stands de jeu sur le thème de la mer avaient été installés sur les
docks, tentant les enfants. Les commerçants essayaient de vendre leurs
expositions ou fruits de mer. Camden était vraiment une ville sympathique, où
tous les habitants se connaissaient.
Un groupe de garçons vint chercher l’adolescent, riant avec lui alors que
certains caressaient Apache qui se laissait faire. Lui et les caresses. Jordan et
Gabriella les rejoignirent.
- Mam’ j’y vais. On se retrouve comme d’habitude pour le décompte ?
demanda Thomas en tendant la laisse à la footballeuse qui la récupéra.
- D’accord Thomas. Sois prudent. Et ne gâche pas tout ton argent de
poche parce que tu n’en auras pas plus jusqu’au mois prochain, précisa sa
mère avec autorité.
- Je sais, soupira l’enfant avant de s’éclipser avec ses amis.
Voilà qu’elles étaient seules à présent, bien qu’elles l’aient été jusque-là,
marchant loin derrière Thomas et le chien, mais voilà. La footballeuse ne savait
plus vraiment de quoi discuter avec la brune, qui fallait le dire, l’intimidait au
fond. Gabriella emboita le pas, descendant trois petites marches avant d’enlever
ses talons, posant ses pieds nus dans le sable. Jordan la regarda faire avec un
sourire narquois sur les lèvres.
La latina secoua la tête sous le regard incrédule de sa compagnie. Elles
commencèrent alors à marcher dans le sable, l’une en basket, l’autre, pieds nus.
L’attaquante avait raison, la brune était bien plus petite qu’elle sans ses talons,
ses yeux bruns arrivant à ses lèvres. Le vent marin balayait leurs visages. Le
paysage était exceptionnel. Le soleil se couchait au niveau de la ligne d’horizon,
illuminant la mer de sa couleur orangée, rose. Les vagues comblaient le silence
d’aise, frappant le sable, moussant.
- Je suis désolée, je m’y prends mal, s’excusa la sportive de haut niveau
honteuse de son comportement.
- À quel propos ? demanda la vétérinaire confuse de la raison des
excuses de la blonde.
- Je vous demande de sortir avec moi, et je ne fais rien pour vous
montrer que vous me plaisez. Je suis un peu rouillée, confessa la
footballeuse en passant sa main gauche dans sa nuque. Avec les paparazzis
tournant tout le temps autour de moi, je me suis interdit d’avoir des
relations sérieuses. Je ne souhaite pas que la personne avec qui je suis se
retrouve en tête d’affiche, ou traquée.
L’attaquante se maudit en se rendant compte de ce qu’elle venait de dire. Elle
dévoilait beaucoup trop. Elle souhaitait que le rendez-vous se passât bien, elle
gâchait tout en lui racontant ses problèmes. Gênée et honteuse, Jordan tenta un
coup d’œil vers la mère de Thomas qui fixait le paysage au loin. Son visage était
impassible, n’aidant pas à connaitre ses émotions.
Pour se distraire, la footballeuse se baissa, appelant son chien. Elle lui détacha
la laisse pour lui permettre de vagabonder sur la plage selon son grès. Le
surveillant, elle marchait aux côtés de la latina toujours aussi silencieuse.
- Je n’aurais jamais dû dire ça, soupira Jordan plus pour elle-même que
Gabriella qui la regarda.
- Daniel est mort deux jours avant la naissance de Thomas, raconta la
brune avec un regard sombre. À l’époque, ma mère n’habitait pas ici.
J’étais donc seule sur le point d’accouchée à tout moment. Je venais de
perdre l’homme que j’aimais et avec qui je comptais fonder une famille
dans un accident de moto. J’étais perdu. Mais un jour, Nicole vint sonner à
ma porte avec une poche remplie de vêtements d’enfant.
À l’entente du prénom de sa mère biologique, Jordan s’arrêta de marcher,
incitant la brune à lui faire face.
- Quand je lui ai demandé si elle avait des enfants, elle m’a répondu
qu’elle avait eu une petite fille à l’âge de dix-huit ans. Elle n’a jamais
précisé la raison pour laquelle… s’interrompit la vétérinaire sachant que le
sujet était sensible. Néanmoins, je pouvais la comprendre. J’étais seule à
vingt ans avec un enfant qui allait bientôt naitre. J’étudiais pour devenir
vétérinaire et pas un sou en poche. Concrètement, je ne me voyais pas
garder Thomas. Mais elle m’a dissuadé de le faire. C’est grâce à elle que
j’ai mon fils aujourd’hui.
- Pourquoi me dites-vous cela ?
- Parce que je pense que vous aviez besoin de l’entendre. Comme vous
aviez besoin de m’expliquer la raison pour laquelle vous vous sentez
seule, sourit Gabriella gentiment avant de reprendre la marche. Et je ne
pense pas que vous vous y preniez mal.
L’attaquante rit nerveusement en rejoignant la brune qui était à deux mètres
d’elle. Elle la dépassa avant de se stopper devant elle, arrêtant net la latina qui la
dévisageait avec une moue perplexe. Sous les yeux ronds de la vétérinaire, la
blonde enleva ses chaussures, les laissant sur le sable. De pas chassés, elle
s’approcha de la mer. L’eau froide vint toucher ses orteils lui arrachant un juron.
Le rire mélodieux de Gabriella lui caressa les oreilles avant de voir celle-ci faire
de même sur sa gauche. Seulement, au lieu de rester en place, elle recula quand
l’eau s’immisça sous son pied.
Jordan rit à gorge déployée à la réaction de la brune. Cependant, elle fit vite la
même chose lorsqu’Apache se jeta dans l’eau, non loin d’elle, la mouillant au
passage. Gabriella se moqua d’elle, ne pouvant contenir son rire. Sourcils
froncés, la blonde s’élança vers la latina, qui après un cri de surprise, prit les
jambes à son coup. Courant sur le sable, la footballeuse rattrapa rapidement la
vétérinaire moins entrainée. L’attrapant par la taille, elle la fit décoller du sol, lui
arrachant un cri et un rire. Elle la fit pivoter un instant, avant que le pied droit de
l’attaquante ne s’enfonçât dans le sable, lui faisant perdre l’équilibre.
Elles tombèrent sur le sol, leur chute amortie par le sable, l’une à côté de
l’autre. La brune avait du mal à s’arrêter de rire sous la stupidité de la situation.
Jordan, elle, dévisageait le visage radieux de la latina. Elle était simplement
magnifique avec le coucher de soleil derrière elle, illuminant son visage et ses
lèvres.
- Je peux sentir ton regard sur moi, susurra Gabriella gardant les yeux
clos offrant ainsi son profil à la blonde.
- C’est parce que tu es magnifique, murmura l’attaquante sans quitter
des yeux la latina.
Cette dernière tourna son visage avant d’offrir ses prunelles brunes à la
footballeuse qui plongea dedans. Un sourire en coin se dessina lentement sur les
lèvres pulpeuses avant que sa langue ne passât dessus. Le geste ne passa pas
inaperçu sous les pierres jade. Délicatement, Jordan se mit sur le côté, sa main
gauche non loin du visage de la vétérinaire qui patientait. Son index glissa sur la
pommette hâlée, descendant proche de son nez, jusqu’à sa mâchoire. Presque au-
dessus de la latina, la blonde avança son visage millimètre par millimètre. Elle
était sur le point de l’embrasser lorsqu’Apache sauta sur elles, les léchant.
Gabriella fut la première à se lever sous les attaques de l’animal, riant en
constatant que sa compagnie avait du mal à s’en défaire. Elle chassa gentiment le
chien, qui partit plus loin, renifler. Dépitée de s’être fait interrompre dans son
plongeon, la footballeuse posa sa tête sur le sable et soupira. Un gloussement
attira son attention, avant qu’une main ne se tendît devant elle. Elle s’en saisit et
une fois debout, elle remarqua que les joues de la vétérinaire étaient légèrement
rosées.
Dans un silence agréable, les deux femmes rejoignirent les docks, remettant
leurs chaussures. Elles se mélangèrent de nouveau aux passants sans faire
attention qu’un homme les observait stupéfait de reconnaitre la sportive.
Portable dans sa main, il photographiait ses moindres mouvements, ainsi que les
sourires qu’elle échangeait avec une autre femme brune. Gabriella amena
l’attaquante à un stand de dégustation de fruits de mer, saluant le couple qui le
tenait, qui leur tendit vite une assiette, les incitant à essayer. Jordan n’était pas
vraiment fan de tous les animaux provenant de la mer, mais quand elle gouta à
une cambas, elle apprécia. L’homme avec la barbe ne rata rien du spectacle,
capturant le moment où la compagnie de l’attaquante des Portland Thorns tendit
une crevette vers cette dernière qui la tira des doigts de la brune. Cette scène
intime allait faire un carton, et il voyait déjà le titre dans tous les tabloïds. Il avait
touché le gros lot, alors qu’il était en vacances.
Thomas arriva au pas de course, attrapant un morceau de poisson de l’assiette
pour le jeter dans sa bouche, sous le regard maternel. Il les poussa à venir
acclamer le gagnant, suivant la foule se rapprocher de la plage où le comptage
avait lieu. Si certains descendaient sur le sable, elles se postèrent en hauteur, sur
les docks. Apache de nouveau en laisse, il s’assit aux pieds de sa maitresse, sur
la droite à côté de Thomas. Gabriella était à l’autre bout, observant les pêcheurs
pinailler sur celui qui avait attrapé le plus gros nombre de poissons, exposant
leurs prises aux yeux de la foule.
Sa main gauche quitta la poche de son jean pour se poster non loin de celle
hâlée. Jordan n’avait qu’un mouvement à faire. Elle le fit si lentement que si cela
avait été filmé, on aurait pu découper image par image. Son index toucha
délicatement le pouce de la brune qui retint sa respiration sans quitter des yeux le
spectacle devant elle. Les doigts fins caressèrent la paume de la main de la latina
gentiment, avant de se faufiler dans les espaces. Gabriella esquissa un sourire
sous le geste tendre de la footballeuse, qui avait enfin osé. Doigts entrelacés,
elles observèrent le résultat de la soirée. Le journaliste ne rata rien du spectacle
qui se déroulait devant ses yeux. Il tenait une exclusivité.
***
Au téléphone avec son agent depuis plus d’une demi-heure, Jordan rangeait la
cuisine, débarrassant son désordre, qu’elle accumulait avec les travaux aux rez-
de-chaussée. Elle avait fini la deuxième couche dans le salon, et la cuisine était
la pièce suivante à devoir être repeinte. Seulement, quand elle avait consulté la
météo, elle apprit que la semaine prochaine, la pluie arrivait dans le Maine,
l’obligeant à changer ses plans. Elle se devait de faire la façade avant que
l’humidité débarquât, profitant des derniers rayons de soleil pour faire sécher la
peinture.
Du coup, la footballeuse avait commencé deux jours plus tôt, en commençant
par le haut. Elle s’était bien débrouillée en soi, mais il restait le plus long, le bas.
Portable coincé entre son épaule et sa joue, elle écoutait Christian lui rappeler
que le mondial était dans un mois et demi à présent et que sa présence était
attendue. Il suggéra même de débarquer à Camden avec le coach sportif, chose
qu’elle refusa catégoriquement. Elle avait déjà signé les papiers du notaire en
début de semaine, finalisant la succession sans tracas. Si vraiment elle le
souhaitait, elle pouvait rentrer. Pourtant elle était toujours là, à retaper cette
maison qui n’était pas la sienne.
Elle avait enlevé toutes les photos du couple qui l’habitait dès son arrivée. À
présent que les peintures étaient faites, la maison changeait de peau. Désormais,
la blonde pouvait prendre une douche sans entendre la plomberie chanter, passer
la porte d’entrée sans lui donner un coup d’épaule et surtout regarder les étoiles
sur l’avancée derrière la cuisine. Jordan commençait à s’habituer à cette
habitation et son charme, tout comme Apache d’ailleurs. Il n’avait plus la peau
sur les os et ses oreilles s’étaient enfin dressées sur sa tête, lui donnant une
bouille adorable. Tous les habitants les saluaient quand la footballeuse faisait son
jogging matinal à travers la ville. Elle se plaisait à Camden.
- Je serais là pour la conférence de presse ne t’inquiète pas, intervint
l’attaquante afin de calmer son manager qui paniquait.
- Je ne rigole pas Jordan. Le mondial est important pour ta carrière.
- Tu crois que je ne le sais pas ?
- Ben je me demande figures-toi ! rétorqua le manager sèchement.
Qu’est-ce qui a pu changer pour que le foot passe au second plan ?
- Le football n’est pas passé au second plan. Je règle des affaires
importantes.
- Tu aurais pu les régler de Portland. Bref. Je te laisse deux semaines,
après tu te débrouilles si tu plantes le mondial, avertit son agent avant de
raccrocher.
Jordan savait qu’elle tirait sur la corde, prolongeant au maximum son
déplacement, alors qu’elle avait des obligations professionnelles. Elle avait déjà
en plus de rater ses entrainements, annuler des séances photo et des tournages de
publicités. Elle devait rentrer pour la conférence de presse de l’équipe nationale,
puisqu’ensuite, leur entrainement en équipe commençait. Elle ne pouvait pas les
sécher, sinon elle pouvait dire adieu aux terrains et bonjour au banc des
remplaçants. La footballeuse n’avait pas travaillé si dur pour observer un match
du banc, elle voulait jouer.
Elle dilua le gris dans un récipient, remuant la peinture distraite. Dans ses
pensées, elle commença la façade donnant sur la cuisine, à l’arrière de la maison.
Le soleil tapait sur le mur, donnant chaud à l’attaquante qui enleva sa veste, se
retrouvant en teeshirt noir. Les paroles de Christian lui trottaient dans la tête. Ce
qui avait pu changer ? Elle avait rencontré quelqu’un qui en valait la peine.
Avec Gabriella, elles s’étaient revues une fois après la soirée de pêche, sur
initiative de la blonde qui avait débarqué dans le cabinet un matin, dégoulinante
de sa course. Elles s’étaient simplement dit bonjour, des patients attendant dans
la salle d’attente, regardant l’échange entre les deux femmes. Jordan n’avait pas
voulu exposer la brune devant ses clients, se retenant de finir ce qu’Apache avait
interrompu. Thomas avait retrouvé l’école, laissant la footballeuse seule avec la
peinture. Il l’avait si bien aidé, achevant le premier étage en trois jours, et le
salon en deux. Cela faisait trois semaines qu’elle passait ses après-midi avec
l’enfant, l’entrainant. Elle l’appréciait vraiment. Elle s’était attachée à lui et à sa
mère.
Presque un mois que l’attaquante domiciliait dans le Maine, retardant
l’évidence. La conférence de presse était dans une semaine jour pour jour. Elle
se devait de finaliser rapidement les travaux, au moins les peintures. Elle
appellerait également Karren Palmer afin qu’elle vînt prendre les pièces en photo
pour l’annonce. Le reste était des petits détails que les acheteurs pourraient
régler eux-mêmes.
- Bonjour, interpella une voix rauque et suave.
Jordan sursauta manquant de mettre le pied dans le sceau de peinture. Le rire
de la brune retentit dans la propriété.
- Que me vaut cet honneur ?
Les yeux verts suivirent Gabriella monter les quatre marches pour arriver sur
le porche, marchant lentement vers la blonde. Elle observait les alentours
silencieusement, un sourire sur ses lèvres.
- J’ai fini tôt aujourd’hui, je voulais voir de mes propres yeux où tu en
étais. Tu as bien avancé.
- Elle en avait besoin. Le jaune était hideux.
À cette remarque, la latina rit amusée. Elle se saisit alors d’un rouleau vierge
et le trempa dans le gris, puis commença plus loin. La blonde esquissa un sourire
ravi sous cette vision. Néanmoins, elle gloussa en se rendant compte de la tenue
de la vétérinaire. En talon, dans une jupe de tailleur noire et un chemisier bleu
ciel, elle peignait méticuleusement la façade de la maison. Ses vêtements
n’étaient en rien adéquats pour la tâche.
- Tu ne veux pas te changer ? Tu risques de tacher tes vêtements. Je
peux t’en prêter des miens, si tu veux, proposa Jordan gentiment.
- Non merci, je suis à l’aise.
- Dans des talons ?
- J’ai l’habitude.
Elles finirent la façade en silence, n’échangeant que quelques mots par-ci par-
là. Le soleil commençait déjà sa descente annonçant la fin des travaux pour
aujourd’hui, puisqu’il était impossible de peindre dans l’obscurité. Jordan rangea
la peinture et les outils dans le garage, laissant la latina contempler le jardin.
Lorsque la blonde ferma la porte du garage, elle eut une vision. Gabriella était
debout, main sur la palissade, les rayons du soleil éclairant son visage serein.
Elle était à tomber dans cet instant.
- Tu veux boire quelque chose ? demanda l’attaquante en montant les
marches.
- Un jus de fruits si tu as.
- Je vais chercher ça. Je reviens.
Les boissons dans les mains, la footballeuse prit place aux côtés de la
vétérinaire qui n’avait pas bougé d’un pouce. Les mains à plat sur le rebord en
bois, ses yeux se promenaient sur le paysage. La maison était idéalement située,
n’ayant aucun vis-à-vis, et son jardin donnait sur un champ puis au loin la forêt.
Jordan laissa elle aussi parcourir ses yeux sur le spectacle qui s’offrait à elles.
C’était dans ces moments-là qu’elle ne souhaitait pas partir.
Du coin de l’œil, elle vit la brune boire une gorgée de son jus de fruits,
reposant le verre sans pour autant le lâcher. Les pierres jade ne pouvaient pas se
détacher de la beauté latine. Elles traçaient sa mâchoire, son nez, son front.
Finalement, l’attaquante se rappela que dans sept jours, elle devait quitté ce
magnifique paysage. Un soupir s’échappa de sa bouche à ce souvenir.
- Fatiguée ? questionna Gabriella sans regarder la blonde.
- Non pas vraiment, répondit la footballeuse, faisant dos au jardin,
pouvant ainsi voir pleinement le visage de la brune. Je vais bientôt devoir
partir.
- Je me doute oui. Tu sais quand ?
- Dans une semaine. J’ai une conférence de presse avec l’équipe
nationale que je n’ai pas le droit de louper, informa l'attaquante sur un ton
désolé.
- Et tu n’as pas à la rater. C’est ta passion, et ton métier Jordan. On
savait qu’un jour tu retournerais à Portland, déclara la vétérinaire baissant
le visage vers ses mains.
Une main passa dans la nuque de la blonde qui ferma les yeux. Elle se devait
d’être sincère avec Gabriella ne pouvant pas lui annoncer son départ la veille.
Elle tenait bien trop à elle pour cela. Mais la réalité était là, devant elles. Dans
une semaine, la blonde reprenait sa vie d’étoile montante du football, pendant
que la vétérinaire exerçait son métier ici. Exactement trois mille neuf cent
quatre-vingt-dix-neuf kilomètres allaient les séparer.
Jordan souffla sous la situation. Quand elle était arrivée à Camden, elle
voulait qu’une seule chose partir le plus vite possible, et voilà qu’aujourd’hui,
elle donnerait tout pour pouvoir rester et vivre une relation avec la latina. Elle
sentait que c’était la personne qui lui fallait. Comme un coup de foudre la
première fois qu’elle l’avait vu dans son cabinet.
- Tu ne me rends pas la chose facile, déclara Jordan en fixant la porte de
la cuisine.
- Comment ça ? questionna la brune tournant son visage vers
l’attaquante.
- J’ai juste… commença la blonde avant de respirer un bon coup. J’ai
très envie, terriblement envie de t’embrasser.
- Tu ne me rends pas ton départ facile non plus.
Les prunelles jade se plongèrent dans l’océan noisette cherchant un rejet.
Mais la footballeuse n’en vit aucun, au contraire, elle avait l’impression que la
vétérinaire l’appelait. Sa langue passa sur ses lèvres inconsciemment, tandis que
sa main effleura la joue de la latina avant que ses doigts ne se perdent dans ses
cheveux. Lentement, Jordan s’approcha de la vétérinaire qui posa sa main à plat
au-dessous de son épaule. La blonde se stoppa sous le geste, scrutant Gabriella
secouer la tête de droite à gauche en signe de négation. Pourtant, la pression de
sa main était si légère que l’attaquante essaya de s’approcher un peu plus, chose
qu’elle lui laissa faire. Les doigts sur son teeshirt griffèrent le vêtement, le
prenant dans une poigne, tirant la footballeuse.
Le nez pâle se heurta contre celui hâlé, le frôlant encore et encore. Jordan
souffla sensuellement sur les lèvres de la brune avant de presser délicatement ses
lèvres sur leurs opposés. Elles ne se touchèrent presque pas, et pourtant, le
contact était divin et astral. Ne voulant pas pousser sa chance trop loin, la
footballeuse commença à se reculer. Cependant, Gabriella plaqua ses lèvres
contre les siennes, la goutant réellement. Ne se retenant plus, l’attaquante
l’embrassa à pleine bouche, suçant la lèvre inférieure de la latina qui gémit
gentiment. Elles s’embrassaient passionnément. Les mains de l’attaquante sur les
reins de la vétérinaire, cette dernière se plaqua contre elle. Dans le mouvement,
Jordan recula avant de s’appuyer sur la rambarde.
L’objet craqua, puis lâcha sous le poids, entrainant la blonde qui roula dans
l’herbe, atterrissant dans la pelouse en contre bas, sur le dos, dans un
grognement. Affolée, la brune cria son prénom plusieurs fois, mais le souffle
manquait à la footballeuse qui éclata de rire.
- Jordan ! l’appela de nouveau Gabriella avec un ton inquiet, descendant
dans l’herbe pour s’agenouiller aux côtés de son amie.
Toujours sur le dos, Jordan riait à gorge déployée, obligeant la latina à faire
de même sous l’absurdité de la situation. Pendant cinq minutes, les deux femmes
partageaient un fou rire dans le jardin.
- Au moins maintenant je sais ce que ça veut dire tomber pour
quelqu’un, gloussa la footballeuse, reprenant son sérieux tout en fixant le
ciel.
La vétérinaire n’était pas dupe, sous cette ironie se cachait une part de vérité,
et son estomac se tordit délicieusement en songeant que la blonde tombait
amoureuse d’elle. La footballeuse s’assit doucement, son visage à hauteur de
celui de la brune qui sourit tendrement. Son cou s’étira, capturant les lèvres
pulpeuses de son invitée. Au sol, elle ne risquait aucun nouvel incident.
***
Jordan passa pratiquement toute la semaine à peaufiner la maison, terminant
la façade dans les temps, avant que la pluie prît possession du ciel de Camden.
Avec un temps pareil, elle termina la peinture dans la cuisine, puis répara
quelques petites choses. En fin de journée, Gabriella venait lui rendre visite,
avant qu’elle ne rentrât chez elle avec Thomas.
Par ce temps, l’attaquante et le garçon n’avaient pas pu s’entrainer pour la
dernière ligne droite, étant donné que les sélections avaient lieu la semaine
prochaine, mardi pour être exact. Un jour avant son départ pour Portland, Karren
Palmer avait effectué un nouveau tour du propriétaire, et captura les pièces pour
l’annonce. Elle lui fit également signer un contrat pour s’engager avec son
agence. Tête ailleurs, l’attaquante avait fait ses valises avec les billets d’avion
qui trônaient sur la table de chevet. Attristée de quitter la ville, elle n’avait même
pas jeté un œil aux papiers du notaire qu’il lui avait fait parvenir.
Bagages dans le coffre du Range Rover, ainsi qu’Apache sur le siège
passager, Jordan fit un détour avant de se rendre à l’aéroport. Elle se gara sur le
trottoir à la va-vite puis descendit, laissant le chiot dans le véhicule. Elle n’en
avait pas pour très long de toute façon. Même si elles s’étaient promis de ne pas
se dire au revoir, l’attaquante ne pouvait pas quitter le Maine sans voir la brune
une dernière fois, car elles ne savaient pas quand elles se révérèrent. Quand elle
ouvrit la porte du cabinet, Gabriella était dans la salle à discuter avec un patient.
Ses mots se bloquèrent lorsqu’elle vit la blonde entrer.
Eugénie sourit gentiment à la footballeuse accompagnée d’un signe de main
pour dire au revoir, pendant que la vétérinaire s’excusait auprès de la dame, se
rapprochant.
- Je ne pouvais pas partir sans te dire …
- Ne le dis pas, coupa Gabriella tout en l’enlaçant.
Jordan huma l’odeur de la latina, se l’imprimant dans son esprit. Elle déposa
un doux baiser dans son cou la faisant trembler alors qu’en réalité elle retenait
ses sanglots. Elles se reculèrent à contrecœur, l’attaquante tentant un sourire sur
son visage, qui passa plutôt pour une grimace. Elle essuya une larme silencieuse
sur la joue de la brune. Dieu qu’il était difficile de partir, de la laisser à Camden.
La blonde glissa ses lèvres sur celles pulpeuses avant de faire des pas en arrière,
ouvrant la porte du cabinet sans pour autant lâcher la main de Gabriella. Plus elle
reculait, plus elle perdait le contact, jusqu’à ce que le vide enveloppât ses doigts.
La porte se ferma sur une Jordan déjà partie vers la voiture.
Dans l’avion, les yeux verts fixaient le tarmac, nostalgique. Elle n’avait passé
qu’un mois dans cette petite ville du Maine, et elle allait la regretter. Sa vie avait
changé durant ses quatre semaines et demie. Elle avait rencontré une famille
formidable. Fouillant dans son sac à dos pour trouver ses écouteurs, espérant
qu’en regardant un film ses pensées ne divergeraient pas vers la vétérinaire,
Jordan tomba sur une enveloppe. Le notaire avait dû la glisser dans les papiers.
Elle examina le papier avec son prénom inscrit dessus en lettre majuscule.
Les mots de Gabriella résonnèrent dans la tête de la blonde qui finalement,
ouvrit le pli. Elle y trouva deux pages d’une écriture capitale, imparfaite ainsi
qu’une photo. Elle l’observa un instant, contemplant le couple. L’image était
récente vu l’âge des personnes présentes dessus. Leur début de cheveux blancs
témoignait des années passées dans cette maison. Ils semblaient toujours aussi
amoureux l’un de l’autre, s’enlaçant. Elle laissa de côté la photographie pour lire
les mots de ses parents biologiques. Une larme roula sur la joue quand elle apprit
la vérité. Ils l’avaient abandonnée à cause de ses grands-parents du côté paternel,
qui leur avait coupé les vivres en apprenant la grossesse de Nicole à l’âge de dix-
huit ans. À l’époque, c’était un scandale qui entachait la réputation de toute une
famille. C’était donc à contrecœur qu’ils avaient décidé de lui donner sa
meilleure chance, en espérant qu’une famille plus soudée que la leur l’adoptât.
Maintenant qu’elle savait, elle était déçue de ne jamais les avoir rencontrés. La
footballeuse rangea la lettre ainsi que la photo dans l’enveloppe soigneusement.
Le voyage était long malgré la première classe. Après un film, Jordan décida
de lire la presse, s’emparant d’un magazine mis à disposition. Elle feuilleta le
livre avant de se figer sur un article. La colère lui monta en lisant les propos lui
inventant une histoire d’amour avec une belle brune. Sauf qu’en continuant à
lire, elle comprit qu’ils parlaient d’elle et Gabriella, décrivant justement leur
rendez-vous sur les docks. Elle déplia le magazine manquant de jurer en voyant
les photos prises d’elle et la brune se tenant la main, ou encore de la vétérinaire
qui lui donnait une crevette. Voilà la raison pour laquelle elle ne sortait jamais
avec personne. Leur histoire était exposée aux yeux de tout le monde, et
maintenant les paparazzis cherchaient l’identité de « la magnifique latina qui a
su faire chavirer le cœur de l’attaquante des Portland Thorns. »
À peine elle eut mis un pied dans l’aéroport de Portland, que Jordan appela
son agent. Lui criant dessus, elle le supplia de faire tout son possible pour ôter
l’article des tabloïds. Il était hors de question que Gabriella et Thomas subissent
le questionnement des vautours.
- Ça sera fait, ne t’en fais pas. Dis-moi juste. Cette histoire est-elle
sérieuse ? demanda sérieusement Christian. Réponds-moi honnêtement
Jordan.
- La question ne se pose pas. Elle habite dans le Maine et moi en
Oregon, et mon métier me fait beaucoup voyager et ne me laisse pas
énormément de temps.
- Certes. Mais vu les photos, tu as l’air d’être entichée de cette femme.
- Je le suis.
***
La télévision allumée sur la bonne chaine, Thomas mâchait son popcorn,
fixant l’écran avec une concentration intense. Le match allait commencer et
c’était quatre-vingt-dix minutes importantes. Si l’équipe remportait ce match,
elle allait en final. Les hymnes nationaux débutèrent, commençant par l’équipe
adversaire. L’enfant soupira impatient de voir le seul visage qui l’intéressait dans
cet affrontement. Lui et sa mère les avaient tous suivis cette année, n’en
manquant aucun, encourageant l’équipe des États-Unis de leur salon. La coupe
du monde se déroulant en France, le résultat du match avait déjà dû être diffusé
sur internet, mais comme à chaque fois, il ne regardait pas.
Lorsque le présentateur avertit que l’hymne des Américains allait commencer,
le garçon hurla le prénom de sa mère, qui nettoyait la cuisine. Cette dernière
courue avant de tomber sur le canapé pile au commencement de la chanson. La
caméra filmait chaque joueuse, une part une, qui fixait droit devant. Ils savaient
tous les deux où se trouvait leur favorite, l’avant-dernière. Quand le visage
concentré de Jordan apparut à l’écran, Gabriella ne put que sourire en la voyant.
Elle lui manquait terriblement, mais elle était heureuse qu’elle pût réaliser son
rêve.
Les joueuses se serrèrent les mains, avant de commencer le match, s’installant
à leur poste. Les yeux bruns étaient rivés que sur une seule personne durant tout
le match. La mère et le fils criaient lorsqu’une action échouait, mais il était
évident que l’équipe américaine dominait le jeu. Elle avait le plus souvent le
ballon, et elle attaquait le plus souvent. Thomas partit recharger le popcorn à la
mie temps, tandis que Gabriella envoya des ondes positives à la blonde. Le
match était toujours nul au bout de la quatre-vingtième minute. Une joueuse
adverse s’empara du ballon, remontant le terrain comme si de rien n’était.
Thomas criait aux côtés de sa mère, excédé de ce manque de marquage évident
de la part des milieux. Le numéro 8 tenta de remonter, mais malgré sa course et
les encouragements des Collins, le ballon s’engouffra dans les filets.
Les trois coups de sifflet retentirent à la fin du match, marquant la victoire des
adversaires. La brune réconforta son fils, attristé de la défaite de l’équipe de
Jordan. Il y avait cru jusqu’au bout.
***
Une semaine après le match, Jordan avait repris le rythme de la salle de sport.
Courant sur le tapis, les gouttes de sueur glissaient entre ses seins, elle souffrait
sous la cadence effrénée. Son coach ne la lâchait plus depuis son retour,
l’épuisant. Elle n’avait pas eu une seconde à elle pour appeler Gabriella. Le soir
quand elle rentrait chez elle, elle s’écroulait sur son lit, la fatigue la submergeant.
Musique dans les oreilles, il lui restait encore dix minutes de course à
effectuer avant de pouvoir arrêter. La sonnerie de son téléphone résonna dans ses
oreilles. Elle décrocha.
- Jordan Williams j’écoute.
- Mademoiselle Williams, Karren Palmer à l’appareil. J’ai une bonne
nouvelle pour vous, j’ai un acheteur pour la maison.
Sous cette annonce, la blonde descendit du tapis, manquant de tomber. Son
souffle saccadé, les sourcils froncés, elle prenait conscience des paroles de
l’agent immobilier. Un acheteur pour la maison. Elle allait donc être vendue.
- Je vous transmets l’offre par mail, dites-moi si elle vous convient.
- Ça a été rapide, s’étonna Jordan essayant de respirer convenablement.
- Il a eu le coup de cœur. Il cherchait un endroit tranquille pour sa
retraite, alors il n’a pas hésité.
- Je vois.
- La vente peut aller très vite, il a les liquidités, et semble pressé, et
comme je sais que vous l’êtes également. Je pense que d’ici un mois, la
vente pourra être conclue. Écoutez, je vous laisse consulter l’offre et vous
revenez vers moi ?
- Entendue.

La footballeuse attendait ses bagages sagement, son chiot assis calmement à


ses côtés, observant les passants. Elle signait un autographe de plus, depuis
qu’elle avait mis le pied dans l’aéroport, certains fans photographiant même
Apache, qui posait fièrement. Casquette vissée sur la tête et lunette de soleil sur
le nez, la blonde récupéra sa valise et son grand sac de sport, qu’elle passa en
bandoulière. Clefs de voiture dans la main, elle localisa le Range Rover noir à
présent le sien, et fit monter l’animal avant de poser ses affaires.
Sur la route, Jordan avait un sourire satisfait sur les lèvres, caressant
pensivement la tête de son chien, posée sur sa cuisse. Les paysages défilaient
devant ses yeux pendant plusieurs heures avant de reconnaitre le panneau. Son
cœur battait la chamade, ses mains devenaient moites. Elle passa l’avenue du
centre-ville, le restaurant familier, l’agence immobilière avant d’arriver au parc.
Elle tourna sur la droite, garant impeccablement son véhicule. La footballeuse
descendit la première, avant d’ouvrir à son chien qui l’accompagna.
Elle s’apprêtait à ouvrir la porte quand une cliente sortit, tenant son chien en
laisse, qui renifla Apache au passage. L’attaquante aperçut rapidement l’objet de
ce déplacement avant que la porte ne se fermât. Sourire aux lèvres, elle l’ouvrit
discrètement puis laissa son chiot galoper jusqu’à la brune.
Jordan vit la surprise sur le visage de la latina qui reconnut de suite la bouille
de l’animal. Accroupie, elle le caressait lui posant plein de questions.
- Qu’est-ce que tu fais là ? Je ne comprends rien.
Poussant la porte de son pied, la blonde pénétra dans le cabinet sous la
stupéfaction de la vétérinaire et de sa secrétaire. Mains devant sa bouche,
Gabriella était figée, son regard embué de larmes. La footballeuse salua
rapidement Eugénie d’un signe avant de s’approcher de la brune qui était
toujours paralysée, proche du comptoir. Lorsqu’elle fut assez proche, la latina
l’enlaça, se jetant dans ses bras, pleurant à chaudes larmes. Les yeux fermés,
Jordan respirait enfin le parfum qui lui avait tant manqué pendant deux mois.
Elle n’avait pas pu rester à Portland en sachant que son cœur était resté à
Camden avec une certaine brune, mère d’un garçon génial. La vétérinaire se
recula, posant les paumes de ses mains sur les joues de la blonde, caressant son
visage, les prunelles brunes se promenant sur ses traits fins.
- Qu’est-ce que tu fais ici ?
- Je ne pouvais pas rester loin de toi. Tu me manquais trop, confessa
Jordan dans un murmure, posant son front contre celui de la latina.
- Tu es folle, rit à moitié Gabriella.
- De toi ? Absolument.
- Et le football ?
- Les Breakers veulent de moi pour la saison prochaine. Je signe le
contrat dans deux jours, annonça la footballeuse en faisant un baiser
esquimau à la brune.
- Les Breakers …
- De Boston.
Un sourire radieux s’empara du visage de la vétérinaire à l’entente de la
localisation du club. Elles ne seraient pas loin d’une de l’autre durant la saison
de football. Gabriella embrassa chastement la blonde qui soupira d’aise dans le
baiser.
- Tu vas vivre à Boston ?
- Non, répondit Jordan rapidement. Je vais vivre à Camden.
- Quoi ? Mais que…
- J’ai acheté la maison de mes parents biologiques. Je ferais les trajets
tous les jours ou seulement les week-ends, cela dépend de ce qu’on
décide.
- On ? questionna la brune un sourcil levé.
- Si tu veux toujours de moi… et si tu acceptes les aspects négatifs de
mon métier.
- Je veux simplement être avec toi Jordan. Le reste je m’en moque.
Sur ces mots, Jordan se saisit des lèvres de la latina qui rit dans le baiser. Elle
avait bien fait de revenir à Camden. La blonde avait passé le reste de la journée à
nettoyer la maison, sa maison, accrochant la photo des Summers dans le couloir
de l’entrée aux côtés de ses parents. Apache reprit sa place dans son panier, près
du feu qui crépitait. Elle s’apprêtait à manger lorsqu’on toqua à la porte.
N’attendant personne, la footballeuse se dirigea vers l’entrée, intriguée par une
visite alors qu’elle venait tout juste de poser ses valises.
Quand elle ouvrit la porte, l’attaquante fut surprise de voir Gabriella. Elle la
laissa rentrer confuse de sa présence. Elles n’avaient pas prévu de se voir ce soir.
- Qu’est-ce que tu fais ici ? Enfin je veux dire, se reprit la blonde. On ne
devait pas se voir ce soir. Si ?
- J’ai demandé à ma mère de garder Thomas exceptionnellement,
confessa la latina dans un murmure.
- Installe-toi dans le salon, j’amène le repas. Ça ne te gêne pas de
partager, je ne t’attendais pas…
- Aucun problème.
Elles mangèrent assises sur le sol, devant le feu, échangeant sur leurs deux
mois loin de l’autre. Jordan confessa qu’elle avait peur que la brune ne fut
passée à autre chose, ou ne désirait pas la revoir, et qu’elle eût hésité longtemps
avant de prendre sa décision, Karren la rassurant sur la situation de son amie.
Gabriella secoua la tête à l’entente du prénom de son amie, qui ne pouvait pas
s’arrêter de jouer au cupidon.
Les yeux verts illuminaient le visage de la blonde, le feu lui donnait un teint
bronzé. À se scruter, les deux femmes s’approchèrent pour entamer un baiser de
retrouvailles, comme elles auraient dû avoir dans le cabinet, mais la présence
d’Eugénie les avaient refroidis. Lèvre inférieure de la latina entre les siennes,
Jordan glissa sa langue contre la lèvre inférieure de la vétérinaire qui lui permit
d’entrer. Alors que la footballeuse parcourait sa bouche, Gabriella bougea,
s’asseyant à califourchon sur les cuisses de sa petite amie dont les mains se
posèrent dans le bas de son dos. Le bassin ondulant contre son ventre,
l’attaquante gémit dans le baiser, la chaleur s’immisçant entre ses jambes.
Par manque d’air, elles se séparèrent, leurs nez se frôlant sans cesse. Pierres
de jades dans les prunelles brunes, les doigts de la blonde passèrent sous le pull
de la brune, cherchant une quelconque négation. Sa seule réponse fut les lèvres
pleines sur les siennes, l’embrassant avec passion.
Les choses escaladèrent rapidement, les mains se promenant sur le corps
encore couvert de l’autre, les baisers descendants dans le cou, mordant la
mâchoire. Jordan agrippa le fessier de la latina, la soulevant pour pouvoir se
lever. Malgré la surprise, la vétérinaire n’arrêtait en rien ses attentions dans le
cou de la footballeuse, dont les jambes tremblantes de désir peinaient à monter
les escaliers. Une fois dans la chambre, la porte se ferma dans un claquement,
poussé par le pied de l’attaquante. Elle déposa délicatement l’objet de son désir
sur le lit, la suivant. Sa bouche s’aventura sur le pou emballé de Gabriella tandis
que ses doigts relevaient le vêtement, dévoilant son torse.
Elles s’avouèrent leur amour dans le lit ce soir-là, emmêlant les draps, criant
dans la maison sous le plaisir qu’elles avaient pu ressentir. Nues l’une contre
l’autre, doigts entrelacés sur l’abdomen de la blonde, elles étaient bien.
Un mois plus tard, la presse sportive était mise au courant dans une
conférence de presse que la nouvelle attaquante des Breakers de Boston avait
trouvé l’amour, confirmant les photos prises lors d’un match, où la footballeuse
fut photographiée à la sortie, à tenir la main d’une latina accompagnée par un
enfant.
***
Au volant de sa voiture, l’attaquante dévalait la route à grande vitesse. Elle
était en retard pour un match de la plus haute importance. Le Range Rover
avalait les kilomètres à une allure interdite, seulement, la blonde avait un
engagement. Ses yeux verts jetaient de temps à autre des coups d’œil pressés
vers l’horloge digitale du tableau de bord. Elle savait qu’elle aurait dû partir plus
tôt.
Le soleil tapait sur le pare-brise. Ses rayons éblouissant la conductrice. D’un
geste agacé, elle abaissa le pare-soleil sans pour autant quitter des yeux la route
qu’elle connaissait par cœur désormais. Le moteur du cross-over se faisait
entendre dans les bois bordant la nationale entre les deux villes. L’été
s’annonçait donnant au paysage des couleurs éclatantes et chaleureuses. La
chaleur prenait également place.
Jordan lâcha un soupir de soulagement lorsque le Range Rover passa le
panneau familier. À une allure plus modérée, elle traversa le village jusqu’au
stade. Elle avait un quart d’heure de retard. L’école en vue, elle contourna le
bâtiment afin de rejoindre le parking. Une multitude de voitures étaient déjà
présentes, garées, obligeant la footballeuse à faire le tour. Finalement, un sourire
amusé glissa sur son visage quand elle reconnut la voiture familière et une place
libre à ses côtés, des plots orange empêchant quiconque de s’y garer.
Rapidement, la blonde poussa les cônes puis gara son Range Rover noir.
Sa queue de cheval claquait dans son dos sur le rythme de ses pas pressés.
Elle avait seulement eu le temps de changer de chaussure, enfilant des baskets
avant de prendre la route. Sa tenue de footballeuse toujours sur le dos, elle arriva
devant la pelouse. Les joueurs étaient déjà tous en place, les deux attaquants se
faisant face devant le ballon, l’arbitre discutant avec eux.
De ses yeux émeraude, Jordan repéra son petit protégé sur la pelouse du
stade. Il était concentré. Son maillot bleu sur les épaules, il portait fièrement la
tenue de son équipe. Une vague de nostalgie submergea l’attaquante des
Breakers sous cette vue. Elle se souvenait de leurs petits entrainements dans le
parc non loin, les premiers tirs au but, mais surtout leur rigolade. Désormais,
l’élève avait pratiquement dépassé le maitre.
Elle n’avait pu qu’accepter lorsque Thomas lui avait téléphoné afin de lui
demander de venir à la demi-finale des championnats du comté. La promesse de
sa venue faite, la blonde avait dû raccrocher, un entrainement sur le point de
commencer. Aujourd’hui, alors qu’elle se tenait à proximité du terrain, son
regard posé sur le garçon, elle était fière. Il apprenait si vite que la surprise fut de
taille quand il avait annoncé sa participation au championnat d’école du Maine.
Alors qu’elle observait l’arbitre discuter avec les joueurs, Jordan entendit son
prénom crié par une voix reconnaissable entre mille. Ce timbre rauque, chaud
qu’elle aimait tant depuis leur rencontre. Le regard vert parcourut les tribunes à
la recherche de la personne propriétaire de cette voix. Un sourire radieux
s’empara des lèvres de l’attaquante lorsqu’elle vît la latina au premier rang à la
tribune centrale lui faire signe.
Sans attendre une seconde de plus, la footballeuse rejoignit la brune
accompagnée d’Apache, couché sur la pelouse. Gabriella était vêtue d’un jean et
d’un teeshirt simple blanc faisant ressortir son grain de peau hâlée. La blonde
adorait la voir dans des tenues décontractées même si ses robes moulantes lui
faisaient autant d’effet.
Une fois aux côtés de la vétérinaire, Jordan l’embrassa chastement. Bien
qu’elles se fussent vues deux jours plus tôt chez la blonde, elle lui avait manqué.
La brunette avait réussi à créer un manque dès lors que la footballeuse devait
partir sur Boston pour ses entrainements. Si elle le pouvait, elle ne passerait pas
un jour sans la voir, elle et son fils.
— Je t’ai gardé un siège.
— Ai-je loupé quelque chose ?
— Non. Le coup d’envoi va…
Gabriella fut interrompue par un coup de sifflet annonçant le début du match.
Le ballon commença à rouler sur la pelouse, de pied en pied. Le match avait
commencé. L’attaquante était arrivée à l’heure pour une fois, ne ratant rien de
cette partie importante.
Le soleil illuminait la pelouse de ses rayons puissants pour un mois de mai.
Les yeux des deux adultes étaient rivés sur la tête brune dans un maillot bleu,
jouant milieu de terrain. Le ballon avait été en sa possession plusieurs fois
depuis le début du jeu, entrainant l’encouragement des deux jeunes femmes.
Après une perte de balle, l’équipe des bleus récupéra cette dernière sur une
touche. Un équipier donna le ballon à Thomas qui tenta d’avancer, mais fut
rapidement bloqué par un adversaire. Jordan observait attentivement et se
contenait pour ne pas intervenir lorsqu’elle voyait des trous dans la défense
adverse. Lors du premier match de Thomas, elle s’était tellement impliquée dans
le jeu, que le garçon ne savait plus qui écouter, son entraineur ou son mentor. Il
avait raté son match ce jour-là, et avait demandé gentiment à la blonde de ne
plus autant s’impliquer dans le jeu. Alors Jordan s’efforçait de rester assis sur
son siège à supporter passivement le garçon.
Lorsque le ballon fut dans les pieds de l’attaquant de l’équipe, ce dernier
détala comme un lapin vers les buts adverses. Soutenu par ses milieux,
l’attaquant perça la défense, s’approchant des buts. Gabriella et la footballeuse
se levèrent de leur siège sous l’action prometteuse. Le joueur centra. Les souffles
dans les gradins étaient retenus, plus aucun bruit ne se faisait entendre tandis que
le ballon, frappé par le deuxième attaquant, termina sa course dans les filets de la
cage.
Le coup de sifflet de l’arbitre retentit signalant un point pour l’équipe bleue.
Une éruption de joie éclata dans les tribunes. La blonde passa un bras autour de
la taille de sa compagne, l’enlaçant tendrement. L’euphorie du but dura quelques
minutes, les deux femmes profitant de ce moment à observer les joueurs
reprendre leur placement. La latina se rapprocha de la blonde, collant
pratiquement ses lèvres à son oreille.
— Tu ne t’es pas changée.
— Je n’ai pas eu le temps, répondit Jordan sans quitter des yeux les
joueurs.
— Sais-tu à quel point cela me fait de l’effet quand tu portes ton
maillot ? questionna malicieusement Gabriella en terminant par frôler son
nez contre la mâchoire de la footballeuse.
— J’en ai un vague souvenir.
Elles échangèrent un regard couvert de sous-entendus, songeant à un souvenir
particulier mettant en scène un certain maillot de football et un ensemble de
lingerie à dentelle noire. Ne pouvant se retenir plus longtemps, Jordan captura
les lèvres de sa compagne. Le baiser fut interrompu par un coup de sifflet. Riant
gentiment de leur distraction, les deux jeunes femmes se concentrèrent de
nouveau sur le match. Un corner avait lieu pour l’équipe adverse. Un nuage de
maillot bleu était mélangé à celui des oranges dans la surface de réparation.
La footballeuse observait le placement des joueurs de l’équipe bleu, mais
surtout un numéro en particulier. Thomas était dans le troupeau, prêt à bondir.
L’arbitre lança l’action. Le ballon fut frappé. La tête d’un joueur adverse trouva
la balle qui partit dans les pieds d’un milieu bleu. Ce dernier passa rapidement à
Thomas non marqué.
Gabriella cirait le prénom de son fils fièrement, l’encourageant à continuer sa
percée dans la défense adverse. Seulement, il est vite rattrapé par un défenseur
qui tenta un tacle. Jordan savait que tacler par l’arrière était interdit, mais
visiblement, le joueur ne se souciait pas de cette règle. Les crampons ne
touchèrent pas le ballon. Au contraire, ils tapèrent la chaussure du joueur au
maillot bleu. Ce dernier tomba lourdement au sol.
L’arbitre siffla une faute et sortit son carton jaune immédiatement. Malgré
cela, Thomas était toujours au sol. Debout, Gabriella et Jordan s’inquiétaient.
Les doigts hâlés glissèrent entre ceux pâles espérant se raccrocher à quelque
chose sous la peur qui la submergeait. Son enfant était au sol, et ne semblait pas
bouger. La footballeuse fit un pas vers la pelouse afin de se rendre sur le terrain,
mais finalement se ravisa lorsque Thomas se releva avec difficulté.
Comme si l’enfant avait senti l’inquiétude de sa mère, il la rassura d’un signe
de tête. Bottant légèrement, il reprit son placement, le ballon à présent dans ses
pieds. Jordan souffla de soulagement. Le tacle aurait pu être beaucoup plus
dangereux.
Sous le soleil du mois de mai, les trois coups de sifflet final retentirent dans
l’espace. Le match était terminé, les joueurs se saluaient amicalement. Une fois
ses adversaires remerciés, Thomas se dirigea vers sa mère et sa compagne.
Défaitiste, il arborait une moue qu’il avait calquée sur la blonde.
— Vous vous êtes bien défendu ! Un match nul n’est pas vraiment une
défaite, tenta de réconforter la footballeuse en lui ébouriffant les cheveux.
— Nous sommes troisièmes du championnat du coup. C’est nul.
— Je suis très fière de toi. Est-ce qu’un bon restaurant vous tente ?
demanda Gabriella en enlaçant son fils.
— Pizza ! s’écrièrent l’attaquante et son ancien élève.
Après s’être changée, Jordan rejoignit la famille Collins chez elle. En
attendant que l’adolescent se changeât, la blonde volait des baisers à la latina qui
la laissait faire. Dos contre le réfrigérateur, jambe entre les siennes, la vétérinaire
sentait son désir monter à mesure que les lèvres de sa petite-amie attaquaient son
cou. Ses doigts hâlés s’agrippaient au teeshirt blanc devant elle, attirant un peu
plus vers son corps celui de sa compagne. La blonde allait bientôt reprendre les
matchs dû à la saison en approche. Ses visites se feraient donc plus rares et
espacées. Gabriella s’était habituée à la voir tous les jours, dormir dans ses bras,
la sentir contre elle. Ce n’était pas la première fois que la footballeuse s’absentait
pour son métier, seulement, les séparations devenaient de plus en plus difficiles.
Certes, elles arrivaient à se voir de temps en temps lorsque l’attaquante
rentrait sur Camden, seulement, ce n’était que pour quelques heures avant que la
blonde ne reprît la route de Boston ou ne s’endormît sous la fatigue. La brunette
se surprenait parfois à compter les heures jusqu’au retour de Jordan. Elle était
devenue en un an, une constante dans sa vie. Elle était devenue la personne avec
qui elle se voyait vivre, partager sa vie, s’endormir à côté et se réveiller, se
disputer et faire l’amour pour le restant de ses jours. Elle aimait la footballeuse.
La voir partir, tout en sachant qu’elles se verraient uniquement lorsque le temps
le permettait, tuait à petit feu la latina.
Attablés au restaurant, la discussion s’engagea sur le sport que les deux
personnes importantes de sa vie pratiquaient : le football. Thomas et Jordan
échangeaient leur vue sur le match et le résultat. La blonde donnait son ressenti
tout en mangeant sa pizza avec entrain, comme elle le faisait toujours. Gabriella
adorait ces moments entre eux. Tous les trois autour d’un bon diner, soit à la
maison, soit au restaurant à échanger simplement, passer du temps ensemble.
Voir sa compagne s’entendre aussi bien avec son fils lui donnait des papillons
dans le ventre. Ces derniers s’envolèrent lorsque le départ de l’attaquante entra
dans la conversation.
Jordan sourit tristement sous le rappel du garçon. Elle devait bientôt
s’absenter pour la saison de football, l’obligeant à limiter ses déplacements sur
Camden. Déjà ces derniers jours, elle rentrait par intermittence dû aux
entrainements intensifs que l’entraineur programmait. Elle dormait parfois au
club afin de rester sur place par question de faciliter, mais même lorsqu’elle
rentrait sur Camden, elle passait en premier temps par chez elle avant de se
rendre à la demeure des Collins pour quelques heures seulement. Dormant avec
la vétérinaire dans ses bras, quittant le lit chaud au lever du jour pour être à
l’heure aux entrainements. Cette vie commençait à lui peser. Elle repoussait son
départ jusqu’au dernier délai, ne souhaitant pas quitter Gabriella et son fils. La
finalité la rattrapait à chaque fois, et le manque la rongeait. Parfois, elle n’avait
pas la tête dans les matchs, songeant à la femme qu’elle aimait, loin.
— Les deux premiers matchs sont à Boston alors je rentrerai, promit la
blonde en glissant ses doigts sur l’avant-bras de sa petite amie.
— Ne serait-il pas plus simple que tu emménages avec nous ? Après
tout, tu rentres seulement récupérer des affaires chez toi avant de venir
chez nous, argumenta Gabriella en jaugeant la réaction de la footballeuse.
Cela serait tellement plus simple, et l'on profiterait plus de toi.
Thomas reporta son attention sur son assiette lorsque le silence suivit la
demande de sa mère. L’attaquante semblait bouleversée par une telle question.
Pourtant la réponse tardait à se faire entendre. La latina retira sa main. Vexée par
une absence de réponse positive, elle reprit son repas.
— Ce n’est pas une décision à prendre à la légère, tenta la footballeuse
en voyant la réaction de sa partenaire. J’ai besoin d’y réfléchir. Entre le
football, les déplacements, mes affaires, la maison.
— Je comprends.
Jordan savait que la brune retenait ses mots, ne souhaitant pas faire éclater
une dispute en plein milieu du restaurant. Elle se tourna alors vers lui attrapant la
main délicatement posée sur la table.
— Hey. Je ne dis pas non. Je suis même ravie que tu me le proposes.
Seulement, la saison arrive, et déménager maintenant serait précipité. Par
contre, je te promets d’y réfléchir sérieusement.
Elle savait qu’elle avait apaisé les craintes de la vétérinaire quand un sourire
en coin glissa sur ses lèvres pulpeuses, invitantes, tentatrices. Bien sûr qu’elle y
avait déjà songé à emménager avec Gabriella et son fils. Elle y avait pensé dans
sa chambre au club, espérant qu’un jour, ils habiteraient tous les trois ensemble,
peu importe où, du moment qu’elle était avec la latina.
Elles terminèrent le repas dans la bonne humeur, les doigts entrelacés sur la
cuisse de la brunette. Le serveur les remercia gentiment, demandant rapidement
un autographe à la blonde qui ne put refuser. Depuis son aménagement un an
plus tôt à Camden, sa notoriété l’avait rattrapée. Les habitants savaient
désormais qu’elle était une star du football féminin, et malgré certains voisins
curieux, elle pouvait vivre tranquillement. Les gens respectaient son envie de se
fondre dans la masse, vivre sa vie en compagnie de sa compagne et de son fils, la
considérant comme une des leurs. Néanmoins, cela arrivait de temps à autre que
quelqu’un lui demandât un autographe, ou une photo, chose à laquelle elle se
pliait généreusement.
Alors qu’elles sortirent du restaurant main dans la main, écoutant Thomas
raconter une blague, Jordan se figea sur le trottoir, assailli par des flashs, des
questions, mais surtout des journalistes. Par réflexe, la footballeuse tira le garçon
derrière elle, ainsi que la latina, ne souhaitant pas les exposer. Pourquoi étaient-
ils ici ? Comment avaient-ils su qu’elle habitait à Camden ? L’information était
pourtant gardée secrète au maximum.
Les flashs crépitaient, les questions s’enchainaient sans relâche, l’attaquante
tentait tant bien que mal d’avancer, bousculant presque les paparazzis sur son
passage. Cependant, ces derniers étaient récalcitrants, oubliant l’espace
personnel de la footballeuse, l’oppressant.
— Êtes-vous toujours ensemble ?
— À quand le mariage ?
— Prête pour la saison ?
La blonde n’en pouvait plus. Les journalistes ne comprenant pas qu’elle ne
répondrait pas à leurs questions, ils commencèrent à être plus pressants. Deux
d’entre eux bloquèrent le passage vers le Range Rover, obligeant l’attaquante à
piétiner afin d’avancer un peu plus. Thomas s’accrochait à son teeshirt,
Gabriella plantait ses ongles dans sa paume de main, sous la panique. Les
paparazzis continuèrent à encercler la sportive, posant leur question sans
reprendre leur souffle. Dans le chaos, le garçon manqua à se faire bousculer par
un homme pointant son appareil photo au visage de la footballeuse. Cette
dernière tira l’enfant vers l’avant, le faisant sortir du cercle infernal.
Dans un geste furieux, elle déverrouilla son cross-over, faisant signe à
Thomas de monter à l’intérieur. Il ne se fit pas prier, prenant place à l’intérieur.
Les journalistes pressèrent le pas lorsque la blonde augmenta la cadence espérant
les distancer suffisamment pour se réfugier dans sa voiture, mais c’était peine
perdue. Son Range Rover était assailli par les vautours.
— Laissez-nous tranquilles s’il vous plait, demanda calmement Jordan
espérant que le message fut clair dans son ton de voix ferme.
— Avez-vous vraiment trompé Gabriella Collins ? questionna un
journaliste en pointant son dictaphone vers le numéro huit.
Jordan secoua la tête sous cette idiotie, resserrant sa poigne sur les doigts de
la latina qui s’accrochait à elle. Ensemble, elles contournèrent la voiture noire, se
rendant vers la portière passagère. Une fois cette dernière ouverte, la vétérinaire
se réfugia dans l’habitacle, mais au moment de fermer la portière, un paparazzi
lui attrapa le bras fermement, la photographiant sans cesse.
— Lâchez-moi ! s’emporta la brune alertant l’attaquante qui poussait
les autres journalistes.
Jordan vit rouge. Qu’ils la harcelassent passe encore, mais toucher sa petite
amie afin de la prendre en photo, il en était hors de question. De rage, la
footballeuse attrapa l’homme par le col, le plaquant contre le flanc du 4x4. Le
bruit des rafales s’intensifia sous ce geste scandaleux, mais humain de la
sportive de haut niveau. Son regard vert dans celui surpris du paparazzi, elle lui
ordonna de partir, le relâchant sans ménagement.
Sans aucun regard vers les autres, elle contourna le cross-over sous les photos
puis monta à l’intérieur. Elle ne traina pas à démarrer et avancer, manquant
presque de renverser les plus récalcitrants sur son passage. Une fois tranquille, la
blonde se rendit compte de ce qu’elle avait fait. Elle avait réagi, chose à ne
jamais faire avec les vautours, car c’est ce qu’ils cherchaient. Seulement, voir la
main de l’un d’eux sur sa compagne à occulter son jugement.
Gabriella sortit de la chambre de son fils après lui avoir souhaité bonne nuit,
rejoignant la sienne. Elle sentait encore ses jambes trembler, chamboulée par la
fin de soirée. Elle n’aurait jamais imaginé que les journalistes pussent se
conduire de la sorte, surtout en présence d’un enfant, mais voilà qu’elle voyait
enfin l’envers du décor. Finalement, la retenue de la blonde au sujet de son
aménagement prit tout son sens aux yeux de la brune.
Alors que la vétérinaire entra dans sa chambre, prête à retrouver le confort de
son lit, elle vit Jordan faire les cent pas vers la fenêtre, oreille collée à son
téléphone.
— Comment est-ce possible qu’ils sachent où j’habite ? Je croyais
qu’on avait fait le nécessaire là-dessus ! cracha la footballeuse.
La latina ne perçut qu’une voix crier en retour tandis qu’elle s’assit sur son lit,
observant sa compagne évacuer sa haine.
— Je sais bien que je n’aurais pas dû réagir Christian ! L’un d’eux a
posé la main sur Gabriella ! Je ne pouvais pas laisser faire ça !
À l’entente de ces mots, l’intéressée se remémora la scène. Si la footballeuse
n’était pas intervenue, elle se demandait jusqu’où serait allé le paparazzi pour
obtenir une photo. Aurait-il pu la tirer violemment de la voiture ? La brune ne
souhaitait plus en parler. Elle voulait que toute cette cohue fût de l’histoire
ancienne. Pourtant, la crainte de revivre une scène pareille était bien présente.
Jordan vivait une vie différente de la sienne, voilà que cette dernière les avait
rattrapées après un an de répit.
— Tu ne penses qu’au scandale que cela va provoquer ! Ils auraient pu
s’en prendre à Thomas ou Gabriella bon sang !
Gabriella sentait la tension irradiée de sa compagne. Cette façon qu’elle avait
de passer la main dans ses cheveux quand elle était soit stressée, soit énervée
était un indice. Depuis plus de cinq minutes, elle le faisait dès qu’elle écoutait
son manager. La latina se leva lentement du matelas puis rejoignit sa petite-amie
proche de la fenêtre. Ses bras entourèrent tendrement sa taille, collant sa tempe
contre son omoplate.
Elle sentit l’attaquante soupirer lentement avant que sa main vînt se poser sur
la sienne. La vétérinaire adorait enlacer la blonde par l’arrière pour la simple et
bonne raison que Jordan ne laissait pas souvent extérioriser ses émotions, et les
seules fois que cela arrivait, c’était à l’abri des regards. La brunette
l’accompagnait donc dans ce moment en lui montrant sa présence sans l’étouffer.
— Je veux simplement pouvoir vivre une vie tranquille avec la femme
que j’aime Christian, souffla la footballeuse en resserrant son étreinte.
L’appel se termina sur cette phrase simple et pourtant lourde de sens. Les
cheveux blonds se mélangèrent à ceux bruns quand la footballeuse appuya sa
tête contre celle de sa compagne, l’enlaçant toujours. L’étreinte fut courte, la
latina entrainant lentement l’attaquante vers le lit, l’asseyant à ses côtés. Mais
Jordan restait silencieuse, la tension encore présente dans son attitude.
— Est-ce que tu vas bien ? demanda la footballeuse dans la lumière
tamisée de la chambre.
— Je n’aurais jamais pensé cela aussi intense et oppressant.
— Je suis désolée que tu aies eu à subir ça. Je …
— Tu n’as pas à t’excuser. Les seuls à devoir le faire sont les
paparazzis. Tu n’as rien à te reprocher.
— Si je n’avais pas habité ici, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne
vous aurais pas exposé à toute cette merde, cracha la blonde toujours en
colère.
Sentant que sa compagne regrettait sa décision de s’installer à Camden, la
vétérinaire attrapa sa main, et profita de l’espace pour s’installer sur ses cuisses.
Les genoux de part et d’autre des hanches de la blonde, Gabriella releva le
visage fermé de sa petite-amie.
— Tu oublies quelque chose d’essentiel.
Le regard confus de la footballeuse attendrit la brune. Ses bras autour de son
cou, elle jouait avec ses cheveux de bébé à la base de sa nuque.
— Si tu n’avais pas mis les pieds à Camden, jamais nous ne nous
serions rencontrées, commença la latina tandis que la blonde posa ses
mains sur les cuisses de sa compagne les caressant tendrement. Si tu
n’avais pas acheté la maison de tes parents, notre relation n’aurait jamais
commencé.
— Je n’imagine pas ma vie sans toi désormais.
— Exactement. Je ressens la même chose.
Jordan laissa échapper un petit rire. Ses yeux verts rencontrèrent ceux ambre,
s’y perdant avec plaisir.
— J’ai compris où tu voulais en venir.
— Tant mieux, répondit malicieusement la latina, capturant rapidement
les lèvres de sa petite-amie. Le monde ne se refait pas avec des si. J’espère
que cette mésaventure avec les vautours n’a pas remis en question notre
possible vie commune.
— Attends, tu n’es pas sérieuse ? Après ce qu’il vient de se passer, tu
veux toujours qu’on emménage ensemble ?
La vétérinaire s’assit sur les jambes de sa compagne, cherchant son visage
afin de comprendre le sens de ces deux phrases. Était-elle en colère ou surprise
que la proposition fut toujours d’actualité ? Pourquoi la footballeuse hésitait
autant à accepter de vivre avec elle et Thomas ? Elle venait pourtant bien
d’admettre qu’elle n’imaginait pas sa vie sans eux quelques instants plus tôt.
Alors pourquoi une telle hésitation ?
Confuse de la réaction de sa compagne à sa demande, la latina s’écarta,
délaissant les cuisses musclées de la sportive pour finalement s’installer dans le
lit, de son côté. Deux fois qu’elle proposât sincèrement à la blonde de s’installer
ensemble, deux fois que cette dernière ne donnât aucune réponse claire. Bien au
contraire, elle se défilait, comme si elle cherchait des excuses pour ne pas
accepter.
Excédée par ces non-dits, Gabriella soupira dans le silence de la pièce, tandis
que l’attaquante la rejoignit sous les draps. Les yeux bruns observèrent la
footballeuse taper son coussin avant de poser un bras derrière sa tête et de fixer
le plafond. Elle semblait à l’aise malgré la tension pesante dans la pièce. La
vétérinaire restait assise contre la tête de lit, triturant ses doigts par irritation et
nervosité. Pourquoi Jordan ne lui disait pas la vérité tout simplement ?
— Veux-tu au moins vivre avec nous ? questionna sérieusement la
brune brisant ainsi le silence dans la chambre.
Cette question eut l’effet d’une bombe aux oreilles de la blonde. Elle se
redressa sous les yeux ambre de sa compagne qui la dévisageait incertaine,
impatiente de connaitre la réponse à sa question. Appuyée contre la tête de lit,
ses pierres jade dans les iris bruns, elle répondit d’une voix certaine :
— Bien sûr que je le veux. Mais pas de la sorte.
Qu’entendait-elle par « pas de la sorte » se demanda la latina confuse par les
mots de sa petite-amie. N’était-ce pas se contredire, de dire tout d’abord oui,
pour ensuite mettre une barrière ?
Sentant la confusion de la femme qu’elle aimait, Jordan lui expliqua alors
qu’elle ne souhaitait pas emménager avec eux tant que les journalistes étaient
présents dans sa vie, ne souhaitant pas les exposer à pareils vautours. Elle rêvait
d’une vie simple avec Gabriella et Thomas à Camden, sans paparazzi les suivant
partout, les agressant de question sur leur vie. La latina fut surprise d’apprendre
que la blonde songeait à quitter le football professionnel définitivement. Cette
pensée présente dans son esprit depuis quelques mois maintenant. Avant que la
vétérinaire ne pût argumenter cette décision, la footballeuse continua son
monologue, plaisantant sur le fait que la retraite était prise assez tôt dans le
monde du sport, et qu’il valait mieux qu’elle partît pour une raison importante
plutôt que son âge.
Un sourire serein sur son visage, l’attaquante tourna son regard vers sa
compagne. Cette dernière ne manqua pas de lui rappeler que le football était son
rêve et qu’elle avait la chance de pouvoir le vivre. Ajoutant qu’un rêve se vivait
jusqu’au bout. Jordan captura les yeux bruns des siens, fixant tendrement la
latina.
— Tu es mon rêve à présent Gabriella.
Elle sentait les larmes lui monter aux yeux sous cette déclaration. Jamais la
blonde n’avait laissé entendre qu’elle arrêterait le football pour elle, voilà qu’elle
lui avouait aujourd’hui. Son cœur tambourinait sans sa poitrine, si fort qu’elle
crut qu’elle faisait un malaise. Son corps se rapprocha lui-même de celui de sa
compagne. À présent front contre front, les deux femmes respiraient ensemble,
s’imprégnant de leur amour l’une pour l’autre.
La vétérinaire déposa doucement ses lèvres contre celles de la blonde, qui
soupira d’aise. Le baiser était chargé d’émotion. L’attaquante s’écarta quelques
secondes pour inspirer les parfums de la brune avant de capturer sa lèvre
inférieure dans un baiser plus appuyé. Elle aimait tellement l’embrasser, l’avoir
contre elle, sentir son cœur battre contre ses côtes alors qu’elle dormait. Les
doigts hâlés glissèrent dans les mèches soleil tandis que leurs poitrines se
touchèrent les faisant soupirer de plaisir.
Leurs souffles changeants, elles stoppèrent leur baiser. Jordan frôlait son nez
contre celui de sa partenaire, ne souhaitant pas rompre ce moment spécial entre
elles de suite.
— Je t’aime aussi Jordan.
La blonde releva les yeux dans ceux ambre sous ces mots. Venait-elle de bien
entendre ? Gabriella venait-elle de lui déclarer son amour ? Constatant
l’hésitation de la blonde, la vétérinaire rit gentiment avant d’embrasser
chastement sa compagne.
— Tu l’as en quelque sorte avoué la première, expliqua la latina en
capturant une autre fois les lèvres de la blonde.
— J’ai simplement dit la vérité.
La footballeuse descendit dans le lit, se glissant sous les draps froids
entrainant avec elle la brunette, qui déposa sa tête sur le sternum de sa petite-
amie. Ses yeux se fermèrent sous les caresses que lui procuraient les doigts de
l’attaquante dans ses cheveux. Toute la tension de la soirée s’envola aussitôt
maintenant qu’elle était dans les bras de Jordan. Elle ne perdait pas à l’esprit
qu’elle allait bientôt reprendre la route pour la saison, ne se voyant plus aussi
souvent, craignant qu’elle ne l’oubliât ou qu’elle ne changeât d’avis.
— Considères-tu vraiment arrêter le football ? C’est ta passion.
— J’étais sérieuse tout à l’heure. Je ne veux plus vivre avec les
paparazzis aux trousses, je veux me poser avec toi et Thomas, et si cela
implique ne plus jouer professionnellement, alors je suis prête.
— Nous pourrions trouver une solution. Cela a bien fonctionné jusqu’à
présent. Ils ont mis un an pour trouver où tu résidais.
— Certes, mais… la blonde soupira cherchant ses mots. Ce n’est pas
seulement les journalistes, c’est un tout. J’aime toujours autant être sur le
terrain et avoir le ballon dans mes pieds, seulement tous les entrainements,
les conférences de presse, les photoshoots, tout ça, je ne veux plus le faire.
— Tu parles comme si tu avais pris ta décision il y a longtemps,
murmura la latina connaissant déjà la réponse.
— En quelque sorte. L’entraineur de l’équipe de Thomas va être muté
d’ici la fin de l’année, je compte postuler.
Sous cette révélation plus que surprenante, Gabriella se redressa, dévisageant
sa compagne toujours allongée, ses doigts dans son dos, la caressant tendrement
sur sa nuisette. Jordan était sérieuse, compris la latina lorsqu’elle ne vit aucun
doute sur le visage de la blonde.
***
La saison de football touchait à sa fin. Les sièges de la salle de conférence se
remplirent rapidement. Dictaphones chargés, micros, caméras, tout était prêt
pour la dernière conférence de presse de la saison. Comme à chacun de ses
évènements, l’entraineur et sélectionneur de l’équipe était présent ainsi que le
capitaine et quelques joueuses disponibles. Lorsque Jordan Williams prit place
sur sa chaise, micro et bouteille d’eau devant elle, elle sentit une vague de liberté
l’envahir. Au côté de l’entraineur, elle répondait aux questions qui lui étaient
posées sur leur stratégie de jeu pour leur dernier match de finale.
La conférence touchait à sa fin et ce fut à cet instant précis que l’entraineur de
l’équipe des Breakers de Boston annonça la nouvelle. Devant une trentaine de
journalistes sportifs, l’homme informa à contrecœur que le capitaine de son
équipe, Jordan Williams, footballeuse prometteuse et star montante mettait un
terme à sa carrière. La blonde fut étonnée lorsque les questions sur son départ
soudain explosèrent dans toute la salle. Elle n’en comprenait pas la moitié et son
entraineur fut contraint de demander le calme pour qu’un semblant de silence
s’installât dans la pièce. Des dizaines de doigts étaient levés vers le plafond,
espérant pouvoir poser leur question.
Alors la capitaine s’exécuta, répondant à chacune des questions sur son avenir
prochain. Elle ne cacha pas son envie de vivre une nouvelle vie loin des
projecteurs. Le fait qu’elle avait aimé le football, mais qu’il était temps pour elle
de passer à autre chose. Lorsqu’une journaliste demanda si la raison de ce départ
était sa petite-amie, Jordan ne se priva pas de répondre par l’affirmative,
précisant que sa compagne était la raison majeure de cette décision. Elle n’oublia
pas de préciser que les aspects négatifs du métier l’avaient poussés petit à petit
vers son retrait.
Après avoir remercié les vautours de leur présence et leur compréhension, la
footballeuse sortit de la pièce, sourire aux lèvres et un poids en moins sur les
épaules. Elle se sentait enfin libre, épanouie, mais surtout honnête envers elle-
même. Sa décision se reflétait d’ailleurs dans son jeu, plus performant, serein et
moins tendu. Le dernier match, elle le vécut à fond. Le ballon dans ses pieds une
dernière fois dans des conditions pareilles. La foule scandait son nom, son
numéro, comme un adieu à la scène. Ce fut sa dernière coupe qu’elle souleva
vers le ciel, entourée de ses amies, coéquipières et collègues. Bien qu’elle
savourât la dernière victoire en tant que footballeuse, attaquante et capitaine, ses
pensées vagabondèrent vers la latina, ne souhaitant qu’une seule chose : la
retrouver.
Le Range Rover se gara devant un bâtiment que la blonde connaissait par
cœur. Désormais, elle ne se garait plus sur le trottoir, mais Apache était toujours
impatient lorsqu’il reconnaissait les lieux. Une fois libre, il se dépêcha de courir
vers l’entrée, empruntant la rampe pour les personnes à mobilité réduite. La
footballeuse rit sous l’attitude de son meilleur ami canin. Il semblait plus
impatient de la revoir qu’elle. Le berger allemand s’infiltra dans le cabinet
lorsqu’un client en sortit tenant dans sa main une cage devant certainement
héberger un chat.
Jordan verrouilla son cross-over, se dirigeant au pas de course vers la porte du
vétérinaire de Camden. Elle ouvrit la porte, découvrant Apache assit devant la
femme qu’elle aimait qui le caressait gentiment. Une sensation de déjà vu prit
possession de la sportive. Elle se souvenait de ce même instant, un an plus tôt
alors qu’elle rentrait du mondial. Elle venait tout juste de signer les papiers
d’achat de la maison des Summers avant de rejoindre Gabriella à son cabinet
pour lui annoncer son retour. Voilà que la situation se répétait.
Aucun client n’était présent dans la salle d’attente, seulement Eugénie tapant
des fiches derrière son bureau. Elle la salua rapidement d’un signe de tête,
habituée à voir la blonde entre ces murs. Jordan n’attendit pas une minute de
plus, courant vers la brune, qu’elle souleva pour l’embrasser comme jamais. Le
cri de surprise de la vétérinaire fut étouffé par la bouche de sa compagne contre
la sienne.
Gabriella ne pouvait que répondre au baiser. Cela faisait trois mois qu’elle
voyait la blonde que durant quelques heures, lorsqu’elle était présente sur
Boston. La saison était à présent terminée, elle le savait, et Jordan était là, à
l’embrasser comme la première fois. Ses bras s’enroulèrent autour de son cou,
s’accrochant tandis que ses lèvres fines dévoraient les siennes. Le baiser fut
interrompu par Apache qui en manque d’attention, se faufila entre les jambes du
couple.
— Tu m’as tellement manqué, murmura la blonde en posant son front
contre celui de la brune.
Cette dernière embrassa une dernière fois la footballeuse avant de prendre ses
distances, maintenant son professionnalisme sur son lieu de travail. Elle passa
derrière le comptoir, attrapa un jeu de clef et le posa sur le bois séparant le
bureau d’Eugénie et la salle d’attente.
— Tu m’as manqué aussi. Voici les clefs de la maison, informa la latina
avec de l’espoir dans sa voix.
— En réalité, commença Jordan en poussant les clefs, déposant les
siennes à côté. J’ai bien réfléchi, et ma maison est plus grande. De plus,
Thomas grandit, nous pourrions aménager la grange, du moins l’espace de
la mezzanine pour lui. Comme un studio où il pourrait recevoir ses
équipiers de foot. Tu adores ma maison, mais il était plus pratique qu’on
se retrouve chez toi. Alors, emménage chez moi avec Thomas.
— Tu y as songé.
— Tous les jours depuis le début de la saison. Ceci est un double des
clefs, j’en ai fait faire un pour Thomas également. Dis-moi oui, Gabriella.
— Dites-lui oui, poussa Eugénie rappelant sa présence.
Sourire sur les lèvres, la vétérinaire ne quitta pas les yeux émeraude de sa
compagne alors qu’elle s’empara des clefs de son nouveau chez elle. Mais alors
qu’elle pensait que les bonnes nouvelles avaient toutes été annoncées, Jordan la
surprit en lui annonçant autre chose.
— J’ai obtenu le poste d’entraineur au fait. J’ai eu la réponse sur le
chemin. Thomas va être sous mes ordres, déclara la blonde sur un ton
malicieux et fier.
— Je suis presque certaine qu’il va se réjouir de cette perspective.
— Presque ?
— Tu as ton caractère. Tu sais être obstinée par moment, surtout quand
cela concerne le football, précisa la vétérinaire en quittant l’accueil pour
rejoindre sa compagne, caressant la tête d’Apache au passage. Mais je
dois avouer que le sifflet va t’aller comme un gant, se moqua gentiment la
brune.
— Tu veux connaitre un secret ?
Jordan tira Gabriella contre elle, collant ses lèvres contre son oreille
sensuellement, aguichante.
— J’ai conservé mon maillot de foot, celui que tu aimes tant m’enlever,
susurra la blonde. On se verra ce soir !
La latina était toujours bouleversée par l’aveu coquin de sa partenaire tandis
que cette dernière quitta les lieux, son chien la suivant. Sourire conquis sur les
lèvres, la vétérinaire prit la direction de la salle de soin, satisfaite de cet aperçu
de leur futur quotidien.
Elles étaient toutes les deux au centre commercial. Gabriella cherchait une
nouvelle lampe de bureau pour l’aménagement de la grange, où l’espace football
comme l’ont renommé Thomas et Jordan. Cette dernière poussait le caddie déjà
bien rempli d’accessoires en tout genre. Pourtant, les yeux verts étaient toujours
attirés par ce poster de Cristiano Ronaldo. Pourquoi la latina avait-elle choisi ce
type pour la grange ? N’aurait-elle pas pu choisir un autre joueur ? L’entraineuse
savait parfaitement qu’elle se tracassait pour un détail, surtout que les joueuses
de football féminin ne se trouvaient pas en poster disponible dans les grandes
surfaces. Encore une supériorité de l’homme.
Une fois que la vétérinaire déposa la lampe choisie dans le chariot, elle se
dirigea vers les livres, discutant avec sa compagne sur le chemin. La
bibliothèque installée était vide, mais malgré la remarque de la blonde sur le fait
que l’adolescent la remplira au fur et à mesure, sa mère tenait à ce que tout soit
parfait. Gabriella était perfectionniste, avait noté Jordan depuis leur vie
commune. Dans les repas, la cuisine, le ménage ou encore les devoirs de
Thomas, la latina n’acceptait que les choses bien faites.
Errant dans les rayons de la presse, l’ancienne attaquante des Breakers
observait les différents magazines tandis que sa petite-amie cherchait des
bouquins quelques rayons plus loin. Soudain, ses pierres jade se posèrent sur un
titre et sa photo en couverture. Curieuse, elle attrapa la presse, relisant le titre.
Jordan Williams se retire de la scène footballistique.
La photo avait été prise lors de la dernière saison. Elle reconnaissait son
maillot, désormais suspendu dans le dressing, servant à d’autres actions. Elle
faillit lâcher le magazine lorsqu’un menton se posa sur son épaule. Le souffle de
la vétérinaire contre son lobe d’oreille, Jordan reposa le papier à sa place.
— Regrettes-tu ta décision ?
L’entraineuse sentit le doute dans la voix de sa compagne. Elles n’avaient pas
reparlé de cette décision drastique depuis son retour de la saison. La vie avait
suivi son cours, l’emménagement des Collins chez elle avait commencé
lentement mais surement. Cela faisait une semaine qu’elle était officiellement à
la retraite en tant que footballeuse professionnelle, mais elle ne regrettait pas sa
décision. Néanmoins, elle comprenait que la latina fut dubitative sous ce
changement soudain de situation. Du jour au lendemain, elle abandonnait tout ce
qu’elle avait pu construire durant son enfance, son rêve. Elle avait vécu ce
dernier jusqu’à ce qu’elle en rencontrât un autre, plus beau, plus éternel, plus
épanouissant.
La blonde se tourna vers sa petite-amie dont le regard était tourné vers le gros
titre. Ses doigts glissèrent dans la paume hâlée tendrement, avant de trouver
refuge dans les creux prévus pour eux.
— Je ne regrette absolument rien. Ma vie est ici désormais, avec toi et
Thomas. Je t’aime. C’est aussi simple que ça.
— Tu le dis à nouveau, plaisanta timidement la brune s’approchant de
sa partenaire.
— Concrètement, ce n’est pas la première fois que je le dis. Les actions
parlent plus que les mots.
— Donc si je comprends bien, tes actions de ces derniers mois étaient
une façon de me dire « je t’aime » ? questionna la latina curieusement.
— C’était une façon de te faire comprendre que je donnerai tout pour
pouvoir partager ta vie. Une façon de te dire que je suis dingue de toi. Un
moyen d’exprimer mes sentiments pour toi.
Perdue dans les yeux émeraude de la blonde, la vétérinaire déposa ses lèvres
tendrement sur les siennes, scellant cette déclaration par un baiser. Bien qu’elles
fussent en plein milieu d’un rayon de presse, Gabriella n’en avait que faire. Son
cœur battait la chamade sous les mots de sa compagne. Elle pouvait sentir la
vérité émaner de la bouche de l’ancienne attaquante, comme si elle pouvait la
gouter. Jordan l’aimait.
— Donc tu es heureuse ?
La blonde se colla à la vétérinaire, conservant leurs doigts liés entre elles.
Leurs poitrines en contact, le nez de l’entraineuse caressait la joue hâlée. Le
chariot fut oublié durant cet instant. Ce fut comme si une bulle enveloppait les
deux jeunes femmes. Plus rien n’existait. Qu’elles, ensemble. Ce fut dans un
murmure rempli d’amour que l’ancienne joueuse pour l’équipe de football des
États-Unis répondit à la femme qu’elle aimait :
— Plus que jamais

FIN
À Propos de l’Auteur

Née un mois d’octobre de l’année 1991, Laurie Miquel est originaire du sud
de la France. Son attrait pour l’écriture s’est développé au lycée alors qu’elle
traversait une situation familiale difficile. Sa passion pour la plume la poussa à
évoluer vers le monde de la fanfiction, écrivant tout d’abord pour la série Glee,
avant de sortir de l’ombre en publiant pour la série Once Upon A Time.

Portée par son imagination, Laurie a toujours jonglé entre sa licence et sa


passion. Les histoires de prince charmant n’ayant jamais été dans ses lectures,
elle aime pourtant la romance et les belles histoires d’amour. Elle espère faire
rêver ses lecteurs à travers ses histoires et les transporter dans un torrent
d’émotions.

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