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La virginale construite par Henri Van Casteel en 1770 :

un précieux maillon de l’histoire des clavicordios ibériques

Fiche descriptive

Pascale Vandervellen
Conservatrice des instruments à clavier
Bruxelles, Musée des Instruments de Musique

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© Pascale Vandervellen
Virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770
Bruxelles, Collection de la Fondation Roi Baudouin/ Fonds Jacques et Jeanine Versluys-Evrard.
MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

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© Pascale Vandervellen
La Fondation Roi Baudouin a récemment mis en dépôt au Musée des Instruments de Musique
une virginale construite par Henri Van Casteel en 1770.1 De ce facteur talentueux,
successivement actif à Lisbonne puis à Bruxelles, on connaissait déjà deux instruments - un
exceptionnel piano à queue daté de 1763, classé trésor national du Portugal, et un piano carré
daté de 1784 – ainsi qu’une barre d’adresse provenant, d’après ses dimensions, d’un piano
carré de cinq octaves.2

Barre d’adresse provenant d’un piano carré de cinq octaves, Bruxelles 1778
Bruxelles, MIM inv. 2958. Photo S. Egan © MIM

La virginale est donc le troisième instrument qui puisse être attribué en toute certitude à Van
Casteel3. C’est vraisemblablement l’un des premiers que le facteur construit lorsqu’il s’installe
à Bruxelles à son retour de Lisbonne. Elle se révèle à plus d’un titre intéressante. Outre le fait
qu’elle permet de renseigner davantage la production du facteur, c’est aussi un instrument
qui, mêlant des éléments de la facture du nord de l’Europe à des caractéristiques observées
sur les clavecins et pianoforte portugais conservés, témoigne vraisemblablement des us et
coutumes de la facture ibérique des virginales. Dans la mesure où celle-ci n’était jusqu’à
présent documentée que par des sources écrites, la virginale de Van Casteel constitue donc
un témoignage particulièrement précieux.4

Inscription sur le chapiteau de la virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

Originaire de Tournai, Henri Van Casteel (Tournai, baptisé le 19 novembre 1722 – Bruxelles, 7
juin 1790) pourrait avoir été initié à la facture du clavecin par Albertus Delin (Ath, 17 avril 1712
– Tournai, 26 novembre 1771). À Lisbonne, on trouve trace de sa présence au milieu des
années 1750. Il est alors établi dans le Bairro Alto.5 Le 3 juillet 1757, il y épouse Catherine
Pierre (décédée à Bruxelles le 11 octobre 1801), originaire de Liège. À la fin de l’année
suivante, le facteur déménage rua das Parreiras située près du largo de Jesus. Il y ouvre un
atelier à proximité immédiate de deux manufactures concurrentes prestigieuses, celle de la

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© Pascale Vandervellen
famille Antunes et celle de Mathias Bostem. Van Casteel y est entouré de plusieurs assistants,
ce qui semble indiquer qu’il jouit d’une certaine notoriété. En dépit de celle-ci, faute peut-être
d’avoir obtenu le privilège royal l’autorisant à construire des pianos,6 il regagne les Pays-Bas
autrichiens en avril 1769 et s’installe dans l’Impasse de la Porte d’Eau à Bruxelles. La ville
possède alors bien des attraits : bien que nettement plus petite que Paris ou Londres, elle est
devenue au XVIIIe siècle la plus importante cité du royaume des Pays-Bas autrichiens en
termes de population tout en s’affirmant comme une capitale économique, mais aussi
intellectuelle et artistique, sous l’influence notamment du gouverneur et beau-frère de Marie-
Thérèse d’Autriche, Charles de Lorraine. 7

Entre 1770 et 1777, Van Casteel fait insérer dans la Gazette des Pays-Bas plusieurs annonces
faisant la publicité de ses instruments. Dans la première, datée du 23 août 1770, il propose un
« clavecin à marteau, autrement dit Forte Piano » - ce qui fait de lui le premier facteur de
pianos connu actif dans les provinces belges.8

Le Sieur Van Casteel, de retour de Lisbonne, avertit le public qu’il fait des clavecins de
toutes espèces. Il vient d’achever un clavecin à marteau, autrement dit Forte Piano, de la
plus grande harmonie, justesse d’expression & force, & qui a été approuvé par les
meilleurs musiciens de cette ville. Cet instrument contrefait le luth & la harpe, & a un
registre qui contrefait l’orgue. Le Forte Piano se touche avec une grande facilité. Il est
tout monté en grosses cordes de laiton, & orné d’une très belle caisse de bois des Indes en
marqueteris. Le dit Sieur Van Casteel répare aussi les clavecins. Il demeure à la porte
d’Eau rue des Chartreux au-delà du jardin de Saint Cristophe à Bruxelles.
Supplément à la Gazette des Pays-Bas, n° LXVIII (23 août 1770)

Quelque six mois plus tard, le 11 mars 1771, le « fabricateur de clavecins » propose « un beau
clavecin à plumes, fini & garni de bois des Indes en marquetterie » ainsi que « plusieurs caisses
d’oranges douces du Portugal, dont chacune contient quatre cens oranges, toutes fort saines
& nullement endommagées […] ; des caisses de citrons les meilleurs qu’on puisse trouver ;
comme aussi du bois des Indes, de couleur de rose & autres couleurs ».9

Le 12 mai 1774, c’est à nouveau pour un clavecin que le facteur fait insérer une annonce, mais
il s’agit d’un clavecin « de nouvelle invention & tel qu’il ne s’en est point encore vu de
semblable. Il est de deux unissons & de cinq octaves complettes, monté tout en cordes de
laiton. On peut toucher sur cet instrument forte & piano de plusieurs manieres, & l’on fait
avec la plus grande facilité 5 ou 6 changements sans deranger les mains du jeu, au moyen des
pedales. Il y a un registre particulier pour étouffer les sons dont le drap ne se derange

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© Pascale Vandervellen
jamais ».10 Comme précédemment Van Casteel s’est assuré la reconnaissance des « plus
grands musiciens » de la ville qui ont salué l’instrument de leurs « applaudissements ».

La publication suivante, datée du 31 octobre 1774, indique que Van Casteel s’est attelé à la
facture des pianos carrés dit « forte-piano de la forme angloise ». L’instrument est décrit
comme possédant une caisse en « bois d’acajou ». Par contre, contrairement aux petits pianos
anglais dont les jeux sont alors le plus souvent actionnés par des registres manuels, « les
changements se font avec les genoux ». Il a, selon les dires du facteur, été « jugé beaucoup
meilleur qu’un autre du premier maître d’Angleterre mis auprès, & touché alternativement,
pour en faire une plus sure comparaison ».11

La dernière annonce insérée dans la Gazette des Pays-Bas remonte au mois d’août 1777.
Comme la précédente, elle a trait à un « Forte-Piano à la façon angloise ».12

Aux côtés de ces clavecins, pianos à queue et pianos carrés décrits dans la Gazette des Pays-
Bas, l’instrument mis en dépôt par la Fondation Roi Baudouin montre que Van Casteel
construit également des virginales - un modèle pourtant majoritairement délaissé dès la
seconde moitié du 17e siècle au profit des épinettes à côté courbe ou en forme d’aile. 13

Épinette en forme d’aile Girolamo Zenti, Rome 1637


Bruxelles, MIM inv. 1583. Photo S. Egan © MIM

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© Pascale Vandervellen
L’ouvrage de Pablo Nassare, Escuela música, según la practica moderna publié à Saragosse
entre 1723 et 1724, atteste toutefois de la poursuite de leur facture sur la péninsule ibérique.
L’auteur fait en effet état de deux modèles de clavicordios - terme utilisé en Espagne du 16e
au 18e siècle pour désigner les instruments à clavier à cordes pincées de façon générique et
les virginales en particulier. 14 Il les décrit comme ayant « ordinairement » une forme de
triangle imparfait, les sautereaux étant positionnés en oblique près du chevalet de gauche,
lui-même placé sur du bois massif, c’est-à-dire sur le sommier des chevilles.15

Ay otros, à quien llaman Clavicordios, que son de la misma especie, aunque de distinta
forma, pues el cuerpo de ellos ordinariamente viene à estar en un triángulo
imperfecto… Los tales, el diapasón donde van los martinetes, no lo tienen
ordinariamente línea recta, sino es que está à proporción de la tirada de las cuerdas;
pero siempre cerca del puente que carga en macizo…

Pablo Nassare, Escuela música, según la practica moderna, Saragosse, 1723-1724, p. 504-505.

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© Pascale Vandervellen
La virginale de Van Casteel n’est toutefois pas « triangulaire » ; elle est rectangulaire.16 Mais
conformément à la description de Pablo Nassare, ses sautereaux sont placés en oblique près
du chevalet de gauche qui est fixé sur le sommier des chevilles et qui agit donc comme un
sillet ; seul le chevalet de droite est vibrant. Compte tenu de ce positionnement ainsi que des
points de pincement des cordes, la sonorité de l’instrument devait donc être plus proche de
celle d’une épinette à côté courbe ou en forme d’aile que de celle d’une virginale dotée de
deux chevalets vibrants.

Table d’harmonie de la virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

Table d’harmonie de la virginale Onofrio Guarracino, Naples 1694


Vermilion, National Music Museum inv. 6041. Photo J. Koster © NMM

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© Pascale Vandervellen
La disposition adoptée par Van Casteel est en fait similaire à celle des virginales napolitaines
des 16e et 17e siècles.17 Compte tenu des liens qui unissent le royaume de Naples et la
péninsule ibérique du 15e au 18e siècles, il est en effet plausible que la fabrication des
clavicordios ait été influencée par celle des virginales napolitaines.

La virginale d’Henri Van Casteel est un instrument de petites dimensions (884 mm de large
hors moulures x 452 mm de profondeur x 170 mm de haut). Son pourtour est souligné dans
le bas d’une fine et haute moulure (6 mm x 25 mm) constituée de lattes de bois mises bout à
bout. Ses éclisses, d’une épaisseur de 12.35 mm, sont d’après nos observations faites de
noyer*18 contreplaqué de macacaúba (Platymiscium spp.)* ; leur champ supérieur est plat.
Assemblées à onglet, elles sont comme dans les instruments du nord de l’Europe chevillées et
collées au fond qui est constitué de deux planches de tilleul*.

Virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

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© Pascale Vandervellen
Le piétement-table sur lequel est posé l’instrument est supporté par quatre pieds en gaine. Sa
ceinture est ornée de placages de macacaúba* dont la disposition rappelle celle des placages
de la boîte de clavier du plus vieux piano à queue portugais, attribué par certains organologues
à Henri Van Casteel.19

Piano à queue anonyme portugais, c. 1750


Photo M. Vion © Collection privée

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© Pascale Vandervellen
Le couvercle est constitué de trois planches de noyer massif*. Fixé à l’échine par des
charnières de laiton en forme de feuille d’acanthe stylisée, il est maintenu ouvert par des
rubans agrafés de part et d’autre de sa face intérieure.

Échine de la virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

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© Pascale Vandervellen
L’avant de la caisse est fermé par un portillon qui glisse dans les rainures des alèses
assemblées en bout des éclisses latérales.

Alèses latérales de la virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photos S. Egan © MIM
)

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© Pascale Vandervellen
Le pupitre présente un élégant placage de macacaúba* incrusté de petites pastilles de laiton
et souligné d’un pourtour de bois de rose*. Sa forme aux extrémités latérales arrondies est
similaire à celle des pupitres de bon nombre d’instruments à clavier portugais, notamment les
clavecins de Joaquim José Antunes datés de 1758 et 1785, celui de José Calisto de 1780, le
plus vieux piano à queue portugais conservé daté des années 1750 ou celui de Mathias Bostem
de 1777.20

Pupitre de la virginale Van Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

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© Pascale Vandervellen
Comme dans les clavecins portugais, la table d’harmonie de la virginale Van Casteel ne porte
pas de rose. Elle est constituée de deux laies de résineux (Abies sp.) débité sur dosse.21 Les
chevalets, peut-être en bois de myrte*, présentent comme les instruments du nord de
l’Europe une section triangulaire. Celui de droite, cintré, est muni de doubles pointes pour
chacune des cordes.

Table d’harmonie de la virginale Henri Van Casteel


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

Les contre-éclisses sont en tilleul* pour l’échine et l’éclisse avant et en résineux* pour les
éclisses latérales. Le barrage, en bois de résineux, est constitué de six barres parallèles les
unes aux autres, placées en diagonale entre l’éclisse avant et l’échine : quatre à l’avant du
sommier, deux à l’arrière. Celle à hauteur du chevalet de droite, large et plate (environ 50 mm
sur 15 mm), n’est vraisemblablement pas originale contrairement aux cinq autres, en forme
d’arche.

Barrage de table de la virginale Henri an Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

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© Pascale Vandervellen
Le sommier est constitué d’un bloc de chêne* de section rectangulaire d’environ 100 mm de
largeur, recouvert sur le dessus de bois de table. Il est placé en diagonale à l’arrière des
sautereaux tandis que le cordier est fixé le long de l’éclisse droite. Chevilles et pointes
d’accroches sont disposées par paires, excepté celles correspondant au do le plus grave.

Sommier de la virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

Les cordes sont accordées à l’octave. Comparativement, leurs longueurs sont légèrement plus
courtes que celles des virginales napolitaines à l’octave (c2 : 140 mm). Les six premières
basses, de C à F, sont en laiton ; les suivantes sont en fer. Mais il est probable qu’à l’origine,
elles étaient toutes en laiton excepté celles de la dernière octave.22

N° corde / c3
1 C 767 9,5
6 F 635
13 c 488 6
18 f 367
25 c1 255 3,2
30 f1 185
37 c2 129 1,6
42 f2 99
49 c3 81 1
53 e3 68

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© Pascale Vandervellen
Contrairement aux virginales italiennes mais conformément à celles du nord de l’Europe, le
clavier de la virginale Henri Van Casteel est encastré dans la caisse. Il possède une tessiture de
quatre octaves et une tierce, de C à e3 (53 notes) – une étendue restreinte pour l’époque, peu
commune dans les Pays-Bas, mais que l’on rencontre encore dans la Péninsule ibérique, en
particulier au Portugal entre 1740 et 1780.23

La moulure placée à l’avant présente un profil identique à celle du piano à queue Van Casteel
de 1763. 24 Les blocs de clavier, en noyer, sont eux-aussi similaires à ceux du piano à queue de
1763 ainsi qu’à plusieurs clavecins portugais dont ceux signés par Joaquim José Antunes et
Mathias Bostem.

Clavier de la virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

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© Pascale Vandervellen
Détails du clavier de la virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770
Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

Les marches sont plaquées d’épaisses palettes de buis* en deux parties séparées par trois
lignes incisées. Les bords latéraux des palettes avant sont arrondis. Les frontons, également
en buis, sont moulurés d’arcades semi-circulaires. Les blocs des touches chromatiques sont
en ébène*. Ils présentent une hauteur décroissante. Au-dessus des touches, un petit couteau
en noyer*, est fixé à la gorge par deux tiges de laiton.25

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© Pascale Vandervellen
Les touches sont numérotées à l’encre de 1 à 53, la dernière portant en outre la date « 1770 ».
En tilleul, elles sont chacune lestées de deux plombs.26 À l’image des instruments à clavier du
nord de l’Europe, elles sont guidées à l’arrière par des pointes de métal qui coulissent dans un
peigne. Celui-ci est découpé de mortaises triangulaires. Il est constitué de deux couches de
résineux, le grain de l’une étant placée perpendiculairement à l’autre - une spécificité
observée dans pratiquement tous les clavecins portugais conservés.27 Le fil du bois de la partie
avant est placé verticalement, dans le sens du mouvement des pointes qu’il facilite, tout en
diminuant les frictions.

Première et dernière touches de la virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

Détail du peigne de la virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM
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© Pascale Vandervellen
Le clavier est posé sur un châssis trapézoïdal qui s’inscrit dans un cadre rectangulaire aux
montants en résineux* assemblés à mi-bois. La barre de bascule est constituée d’une planche
en tilleul* dont le bord antérieur est chanfreiné. Elle est placée légèrement en biais par
rapport à l’avant du clavier. La barre de repos est en résineux*.

Châssis du clavier de la virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770


Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

Les sautereaux sont finement découpés dans un bois tacheté très foncé qui pourrait être du
Pernambouc (Caesalpinia echinata) ou du bois de serpent (Brosimum guianense). Leur base
est effilée. Dans les basses, ils sont chacun dotés d’un étouffoir de feutre noir glissé dans une
rainure. Les languettes, numérotées à l’encre de 1 à 53, sont en bois de houx* ; les ressorts,
en soie de porc*. Quelques sautereaux sont clairement non originaux.

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© Pascale Vandervellen
Sautereau de la virginale Henri Van Casteel, Bruxelles 1770
Bruxelles, MIM inv. D2009.001. Photo S. Egan © MIM

Les sautereaux pincent alternativement les cordes vers l’avant ou vers l’arrière. Ils sont guidés
par deux guides en tilleul* découpés de mortaises individuelles. Le guide inférieur est fixé sur
une planche de résineux* placée parallèlement au sommier. Il est coiffé sur sa partie
inférieure d’un cuir marocain brun. Le guide supérieur est recouvert, comme dans les clavecins
portugais, d’un épais cuir marocain rouge et bordé de part et d’autre d’une fine moulure en
demi-rond.

L’élévation des sautereaux est limitée par le chapiteau. Creusé dans une pièce de noyer*,
capitonné intérieurement de feutre noir, celui-ci est posé de part et d’autre sur des petits
supports de bois rectangulaires collés sur la face interne de la caisse. Il est incrusté d’une fine
et discrète plaquette de laiton sur laquelle est gravée l’inscription « Henrij Van Casteel
Bruxelles 1770 ».

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© Pascale Vandervellen
Conclusion

Si la virginale construite par Van Casteel à Bruxelles en 1770 présente un certain nombre de
spécificités propres aux instruments à clavier portugais, une grande partie des éléments de sa
facture relève de la tradition du nord de l’Europe. L’examen de l’instrument pourrait donc
valider la thèse de John Koster qui, par le biais de l’étude des instruments à clavier portugais
et espagnols, a montré que la facture ibérique avait au cours des siècles subi de multiples
influences, notamment anversoise, napolitaine et florentine, mais qu’elle puisait ses racines
profondes dans le « style international » tel que pratiqué au nord de l’Europe.28

La virginale de Van Casteel, tant au niveau du modèle que de la tessiture, montre aussi que la
facture ibérique des instruments à clavier est assez conservatrice.29 Et si d’aucuns ont
considéré que l’ouvrage de Pablo Nassare publié en 1723-1724 reflétait des usages obsolètes
à sa parution,30 on voit qu’il n’en est rien et que près de 50 ans après sa publication, certains
facteurs comme Van Casteel restaient encore fidèles à tout ou partie des usages décrits.

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© Pascale Vandervellen
Remerciements

Collaborateurs du MIM

Pierre Gevaert, Simon Egan

Collaborateurs externes

Alain Anselm, Hans Beeckman, Cristina Bordas, Sofie Dierickx, Pierre Goy, John Koster,
Harold Lester, Kévin Liévens, Matthieu Vion

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© Pascale Vandervellen
Bibliographie

A.E. Beurmann, « Six Spanish 17th-Century Harpsichords », Early Music, vol. 27 n° 2


Instruments and Instrumental Music (May 1999), p. 183-189, 191-198, 200-208.
C. Bordas, “Les instruments à clavier: clavicordio, monacordio et piano”, in Instruments de
musique espagnols du XVIe au XIXe siècle. Exposition organisée par la Générale de Banque
17/10-18/12 1985, Bruxelles, 1985, p. 101-113.
G. Doderer & J.H. Van Der Meer, Cordofones de Tecla portugueses do século XVIII: clavicórdios,
cravos, pianofortes e espinetas - Portuguese String Keyboard Instruments of the 18th Century:
Clavichords, Harpsichords, Fortepianos and Spinets, Lisboa, 2005.
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20 n°4 Iberian Discoveries I (Nov. 1992), p. 611-630.
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J. Koster, “A Contemporary Example of Harpsichord Forgery”, Early Music, vol. 28 n°1 (Feb.
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Scarlatti en España. Actas de los Symposia FIMTE 2006-2007 - Domenico Scarlatti in Spain.
Proceedings of FIMTE Symposia 2006-2007, p. 47-80.
J. Koster, “Traditional Iberian Harpsichord Making in Its European Context”, The Galpin Society
Journal, vol. 61 (Apr. 2008), p. 3-78.
J. Koster, “History and Construction of the Harpsichord”, in The Cambridge Companion to the
Harpsichord, 2019 (en ligne, consulté en 2020, www.cambridge.org/core/books/cambridge-
companion-to-the-harpsichord/history-and-construction-of-the-harpsichord)
Pablo Nassare, Escuela música, según la practica moderna, Saragosse, 1723-1724, p. 504-505
(en ligne, consulté en 2020, http://bdh-rd.bne.es/viewer.vm?id=0000014534&page=1).
Grant O’Brien, Characteristics of the Neapolitan School of Harpsichord Building (en ligne,
consulté en 2020, www.claviantica.com).
S. Pollens, « The Early Portuguese Piano », Early Music, vol. 13 n°1 (Feb. 1985), p. 18-27.
A. Tudela, Cravistas de manufactura estrangeiros em Portugal, 2010 (en ligne, consulté en
2019, www.academia.edu/9375591).

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© Pascale Vandervellen
1
Collection Fondation Roi Baudouin, Fonds Jacques et Jeanine Versluys-Evrard (Bruxelles,
Musée des Instruments de Musique, inv. D2009.001).
2
Lisbonne, Museu da Música inv. MI 425 ; Vienne, Technisches Museum inv. 15281 ; Bruxelles,
Musée des Instruments de Musique inv. 2958.
3
Selon Stewart Pollens, le plus vieux piano à queue portugais conservé, un instrument
anonyme datant de 1750 environ, qui a fait un temps partie de la collection d’Harold Lester à
Londres avant de rejoindre une autre collection privée, pourrait également être de la main de
Van Casteel. S. Pollens, « The Early Portuguese Piano », Early Music, vol. 13 n°1 (Feb. 1985), p.
19. Par ailleurs, en 2000, un piano pyramidal provenant de la maison Kaufmann à Bruxelles a
été mis en vente publique chez Drouot. L’instrument, présenté comme construit par Henri
Van Casteel en 1771, a été acquis par le Musée des Instruments de Musique (Bruxelles, Musée
des Instruments de Musique inv. 2000.013). Mais des analyses dendrochronologiques et
plusieurs expertises ont montré par la suite qu’il s’agissait d’un faux, datant
vraisemblablement du 20e siècle. P. Vandervellen & D. Houbrechts, “Piano’s forgery revealed
by dendrochronology”, in E. Marconi (ed.), Diagnostic and Imaging on Musical Instruments,
Nardini Editore, s.l., 2016, p. 101-118.
4
Bien que plusieurs sources écrites montrent que dès le 15e siècle, des instruments à cordes
et à clavier sont fabriqués dans la péninsule ibérique, ceux conservés ne sont pas antérieurs
au 18e siècle - exception faite de la lyra celi de Raymundo Truchado datée de 1625 (Bruxelles,
Musée des Instruments de Musique inv. 2485). Parmi les témoins, on compte plusieurs
clavecins, clavicordes et pianos ainsi que deux épinettes en forme d’aile. G. Doderer & J.H.
Van Der Meer, Portuguese String Keyboard Instruments of the 18th Century: Clavichords,
Harpsichords, Fortepianos and Spinets, Lisboa, 2005, p. 481-491; J. Koster, “Traditional Iberian
Harpsichord Making in Its European Context”, The Galpin Society Journal, vol. 61 (Apr. 2008),
p. 3-78.
5
A. Tudela, Cravistas de manufactura estrangeiros em Portugal, 2010 (en ligne, consulté en
2019, www.academia.edu/9375591).
6
Ce privilège royal, octroyant le droit exclusif de construire et commercialiser des cravos de
martelos, est accordé à Manuel Antunes le 18 octobre 1760 pour une période de 10 ans.
Compte tenu de celui-ci, il est interpellant de constater que le piano à queue de Van Casteel
est daté de 1763. Van Casteel travaille-t-il alors au sein de l’atelier d’Antunes ? Agit-il
indépendamment et est-il ensuite l’objet de poursuites judiciaires ? Ceci expliquerait alors son
départ de Lisbonne. G. Doderer & J.H. Van Der Meer, op. cit., p. 324.
7
« En 1784, la Belgique « autrichienne », donc sans la principauté de Liège, compte
approximativement 2.272.892 sujets. Un quart de la population vit en ville. Bruxelles, la plus
riche en citoyens, abrite 74.427 personnes […] Même si, à certaines époques de l’année, la
capitale pouvait affleurer les 100.000 résidents, elle n’en demeure pas moins de taille
modeste face à Paris (525 à 680.000 habitants, au gré des estimations) ». C. Bruneel, « L’essor
démographique », in H. Hasquin (éd.), La Belgique autrichienne, 1713-1794, Bruxelles, 1987,
p. 164-165 ; N. Briavoine, « Mémoire sur l'état de la population, des fabriques, des
manufactures et du commerce dans les provinces des Pays-Bas, depuis Albert et Isabelle
jusqu'à la fin du siècle dernier », Collection des mémoires de l'Académie royale de Belgique,
Bruxelles, T. XIV (1839-1840), p. 188.

23
© Pascale Vandervellen
8
Supplément à la Gazette des Pays-Bas, n° LXVIII (23 août 1770). Cité dans M. Cornaz, La vie
musicale à Bruxelles et dans les villes des Pays-Bas autrichiens vue par le biais de la Gazette de
Bruxelles et de la Gazette des Pays-Bas, Bruxelles, 1993, p. XLVII.
9
Supplément de la Gazette des Pays-Bas, XX (11 mars 1771). Cité dans M. Cornaz, op. cit., p.
XLVIII.
10
Supplément à la Gazette des Pays-Bas, n° XXXVIII (12 mai 1774). Ibid., p. LII.
11
Supplément à la Gazette des Pays-Bas, n° LXXXVI (31 octobre 1774). Ibid., p. LII.
12
Gazette des Pays-Bas, n° LXIV (11 août 1777). Ibid., p. LV.
13
“New virginals were seldom made after about 1620 except in Naples where the leading
maker, Onofrio Guarracino, continued to make them into the 1690s. Otherwise, to the extent
that new small instruments at 8-foot pitch were needed, makers turned to bentside spinets,
the earliest-known example of which was made by Girolamo Zenti, Rome(?), 1637”. J. Koster,
“History and Construction of the Harpsichord”, in The Cambridge Companion to the
Harpsichord, 2019 (en ligne, consulté en 2020, www.cambridge.org/core/books/cambridge-
companion-to-the-harpsichord/history-and-construction-of-the-harpsichord). On dénombre
toutefois encore de façon sporadique des virginales au 18e siècle, notamment celle signée par
Nicolas Pigalle à Dijon en 1766 (Etobon, collection Ad Libitum). A. Anselm, courrier du
23/06/2020.
14
B. Kenyon de Pascual, “Clavicordios and Clavichords in 16th-Century Spain”, Early Music,
vol. 20 n°4 Iberian Discoveries I (Nov. 1992), p. 611-612.
15
“Ay otros, à quien llaman Clavicordios, que son de la misma especie, aunque de distinta
forma, pues el cuerpo de ellos ordinariamente viene à estar en un triángulo imperfecto… Los
tales, el diapasón donde van los martinetes, no lo tienen ordinariamente línea recta, sino es
que está à proporción de la tirada de las cuerdas; pero siempre cerca del puente que carga en
macizo”. Pablo Nassare, Escuela música, según la practica moderna, Saragosse, 1723-1724, p.
504-505 (en ligne, consulté en 2020, http://bdh-
rd.bne.es/viewer.vm?id=0000014534&page=1).
16
“Nassare’s qualification that clavicordios were ‘ordinarily’ imperfectly triangular admits the
possibility that he knew some rectangular instruments, like the Hans Bos spinett of 1578”. J.
Koster, “Traditional Iberian Harpsichord Making…”, op. cit., p. 55.
17
J. Koster, “The Early Neapolitan School of Harpsichord Making”, in L. Morales (ed.),
Domenico Scarlatti in Spain. Proceedings of FIMTE Symposia 2006-2007, p. 47-80; G. O’Brien,
Characteristics of the Neapolitan School of Harpsichord Building (en ligne, consulté en 2020,
www.claviantica.com).
Si l’influence de la facture napolitaine sur la facture ibérique, compte tenu des liens politiques
qui unissent Naples et la péninsule ibérique entre le 15e siècle et le 18e siècle, est plausible, il
se pourrait aussi que les ressemblances entre les instruments napolitains et les instruments
ibériques soient le résultat d’une héritage commun remontant au haut Moyen Âge. J. Koster,
“Traditional Iberian Harpsichord Making…”, op. cit., p. 39.
18
À la date d’aujourd’hui (23/11/2020), les identifications des bois sont basées sur des
identifications visuelles. Les analyses scientifiques, prises en charge par le service de biologie
du bois de l’Africa Museum, sont en cours. Les résultats permettront de préciser ou d’infirmer

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les observations visuelles. La présente description sera mise à jour en conséquence dès leur
réception.
19
Voir, ci-dessus, la note de bas de page n°3.
20
Lisbonne, Museu da Música inv. 372; Finchcocks, collection Richard Burnett; Vermillion,
National Music Museum inv. 6204; Collection privée; Torres Novas, Museu Municipal. G.
Doderer & J.H. Van Der Meer, op. cit., p. 398, illustr. p. 295 & 306.
21
« The soundboard is always made of coniferous wood. Sometimes it is tangentially cut as in
the 1758 Joaquim José Antunes harpsichord and in the 1789 Antunes ». G. Doderer & J.H. Van
Der Meer, op. cit., p. 399; “Although the soundboard wood in the surviving Iberian instruments
is not always especially fine-grained nor is it always sawed well on the quarter, it is all spruce
or at least a species of very similar appearance […] There seems to be no record of its use
[cypress] by Spanish makers until the middle of the eighteenth century, when Diego Fernández
made some harpsichords with cypress soundboards, doubtless in imitation of Florentine
models.” J. Koster, « Traditional Iberian Harpsichord Making », op. cit., p. 49.
22
“The Neapolitan virginals are scaled for brass (c'' about 280 mm, or 140 mm for an octave
instrument)”. J. Koster, courrier du 10 avril 2020.
23
« Instruments with C –e3, a compass rare outside the Iberian peninsula, but not infrequent
in Portugal ». G. Doderer & J.H. Van Der Meer, op. cit., p. 325-328. La virginale en forme d’aile
d’Albertus Delin datée de 1770 présente elle-aussi cette tessiture (Bruxelles, Musée des
Instruments de Musique inv. 0273).
24
G. Doderer & J.H. Van Der Meer, op. cit., p. 233.
25
Comme les clavecins portugais, la virginale de Van Casteel n’a donc pas de « barre
d’adresse ».
26
Si cette identification est confirmée, il est intéressant de mentionner que les claviers des
clavecins portugais et espagnols conservés sont par contre traditionnellement en bois de
résineux. J. Koster, “Tradional Iberian Harpsichord Making”, op. cit., p. 55.
27
G. Doderer & J.H. Van Der Meer, op. cit., p. 403.
28
“While […] the making of harpsichords and clavichords thrived in sixteenth-century Spain
and Portugal, there might well have been some further foreign influences, […] especially from
the Low Countries and Naples, both of which came under Spanish rule for long periods”
[…]“Iberian harpsichord making was a branch of the archaic and international style practiced
in northern Europe, with significant additional influence from the style developed in Antwerp
in the second half of the sixteenth century”[…] “The Iberian tradition stemmed from norther-
European roots and absorbed significant influences, first from Antwerp during the second half
of the sixteenth century, then from Italy, particularly from Florence, in the first half of the
eighteenth.” J. Koster, “Traditional Iberian Harpsichord Making”, op. cit., p. 5-6, 10, 55; Idem,
p. 60;.
29
Il est intéressant de noter également l’attachement dont le Portugal fait preuve par rapport
aux clavicordes, construits jusqu’au milieu du 19e siècle, et le style conservateur attaché à leur
facture. G. Doderer & J.H. Van Der Meer, op. cit., p. 381.
30
“The date of publication is misleading since much, if not all of the work, was drafted in the
late 17th century; the chapters on musical instruments are particularly conservative and at
times enigmatic.” B. Kenyon de Pascual, "Harpsichords, Clavichords and Similar Instruments
in Madrid in the Second Half of the Eighteenth Century", Royal Musical Association Research
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Chronicle, 1982 n° 18 (1982), p. 612;« Since most of the features described by Nassarre
correspond to those of the 16th- and 17th-century instruments outside Spain and as Nassare’s
remarks on instruments of all types frequently seem to refer to an earlier age, some of his
specifications may well be valid for the late 16th-century Spanish clavichord ». B. Kenyon de
Pascual, “Clavicordios and Clavichords in 16th-Century Spain”, op. cit., p. 624; “Nassare’s
remarkable conservatism and his essentially medieval outlook lend credence to the possibility
that the harpsichord makers of his day, serving clients like him and adhering, perhaps, to guild
regulations established centuries earlier, followed equally outmoded principles long
superseded elsewhere in Europe”. J. Koster, “Traditional Iberian Harpsichord Making”, op. cit.,
p. 55.

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