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Anne Le Pennec

avec le Dr Sylvie Royant-Parola

QUOI DE NEUF
SUR LE
SOMMEIL ?

Bien dormir pour mieux


se porter
Quoi de neuf sur le sommeil ?
Bien dormir pour mieux se porter au quotidien
Anne Le Pennec
avec Sylvie Royant-Parola

Quoi de neuf
sur le
sommeil ?
Bien dormir pour mieux
se porter

éditions Quæ
© Éditions Quæ, 2018
ISBN : 978-2-7592-2740-2

Éditions Quæ
RD 10
78026 Versailles Cedex, France
www.quae.com

Le code de la propriété intellectuelle interdit la photocopie à usage collectif sans autorisation des
ayants droit. Le non-respect de cette disposition met en danger l'édition, notamment scientifique,
et est sanctionné pénalement. Toute reproduction, même partielle, du présent ouvrage est interdite
sans autorisation du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC), 20 rue des Grands-
Augustins, Paris 6e.
Cette collection s'adresse à un large public, non spécialiste des sujets traités, mais
curieux de comprendre l’actualité. Sous la direction d’un expert scientifique, chaque
ouvrage est écrit par un journaliste dans un style vivant et très accessible, et couvre
des questions de société variées, comme l’alimentation, la santé, l’environnement,
les nouvelles technologies...
Une collection originale par son choix d’aborder ces problématiques sous l’angle de
leur impact dans notre vie quotidienne.

Déchets : changez-vous les idées !


Comment réduire et valoriser nos déchets au quotidien
Isabelle Bellin, avec Christian Duquennoi
2018, 184 pages

Le temps des robots est-il venu ?


Découvrez comment ils transforment déjà notre quotidien
Jean-Philippe Braly, avec Jean-Gabriel Ganascia
2017, 176 pages

Vivons la ville autrement


Des villes durables où il fait bon vivre au quotidien
Laurence Estival, avec Marjorie Musy
2017, 168 pages

Un océan de promesses
Cette mer qui nous nourrit, nous soigne, nous donne l’énergie… au quotidien
Anaïs Joseph, avec Philippe Goulletquer
2017, 168 pages

Les perturbateurs endocriniens


Comment affectent-ils notre santé au quotidien ?
Denise Caro, avec Rémy Slama
2017, 240 pages

L’alimentation des enfants racontée aux parents


Donnez à votre enfant le goût de bien manger...
Jean-François Desessard, avec Sophie Nicklaus
2017, 192 pages

Et si on mangeait local ?
Ce que les circuits courts vont changer dans mon quotidien
Patrick Philipon, avec Yuna Chiffoleau et Frédéric Wallet
2017, 168 pages

Encore carnivores demain ?


Quand manger de la viande pose question au quotidien
Olivier Néron de Surgy, avec Jocelyne Porcher
2017, 184 pages
Sommaire

Remerciements 10

C’est si bon... 11

Tu dors ? 15
Comment s’endort-on ? 16
Anatomie d’une nuit de sommeil 27
Dans tes rêves ! 36
Tous les animaux dorment 45

Le sommeil, un ami qui vous veut du bien 51


Cœur et poumons toujours sur le pont 53
Le sommeil influence-t-il l’activité des hormones ? 59
Qui dort métabolise 62
Un rempart contre les maladies ? 68
Quand le sommeil nous met en danger 73

Ce que dormir fait au cerveau 81


Dormir pour assurer dans la journée 82
À petites secousses, grande maturité 94
C’est bon pour le moral 96
Dors, ô ma douleur 104
Faire « les méninges » à fond 107
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment... 111
Mon sommeil ne ressemble pas au vôtre 112
Des différences entre hommes et femmes 120
L’âge transforme le sommeil 123
Question d’habitudes 139

Sommeil sous influences 148


Ils sont entrés dans ma chambre ! 149
Comment bien prendre la lumière ? 157
Décalages forcés 163
Comme on fait son lit on se couche 168
C’est (un peu) dans les gènes 177

Bien dormi ? 181


À la découverte du sommeil (S. Royant-Parola) 185
Références et matière à exploration 189
À mon lit
Remerciements

Nous remercions vivement tous les chercheurs et cliniciens qui ont accepté
d’être interviewés et de nous orienter vers les travaux scientifiques les plus
pertinents, ainsi que le Dr Sylvie Royant-Parola, qui a accepté le rôle
de conseillère scientifique de ce livre.
Dr Hélène Bastuji, psychiatre, chercheuse au Centre de recherche
en neurosciences de Lyon
Pr Michel Billiard, neurologue, ancien chef de service de neurologie
à la faculté de médecine de Montpellier, ancien président de la Société
européenne de recherche sur le sommeil
Dr Marie-Josèphe Challamel, pédiatre, spécialiste du sommeil de l’enfant,
ancienne responsable d’une unité d’exploration du sommeil de l’enfant
au Centre hospitalier Lyon-Sud
Pr Pierre Escourrou, cardiologue, ancien chef du service d’explorations
fonctionnelles multidisciplinaires et du Laboratoire du sommeil à l’hôpital
Antoine-Béclère de Clamart
Dr Claude Gronfier, chercheur en neurosciences et spécialiste des rythmes
biologiques au sein du département de chronobiologie de l’unité
Inserm 846 à Bron
Pr Pierre-Hervé Luppi, chercheur en neurophysiologie, responsable
de l’équipe Sleep – Physiopathologie des réseaux neuronaux du cycle
sommeil au Centre de recherche en neurosciences de Lyon
Dr Stéphanie Mazza, chercheuse en neuropsychologie au Laboratoire
d’étude des mécanismes cognitifs à l’Université Lumière Lyon 2
Pr Maurice Ohayon, psychiatre, directeur du Centre d’épidémiologie
du sommeil à l’Université Stanford (Californie, États-Unis)
Dr Perrine Ruby, chercheuse en neurosciences et spécialiste du rêve
au Centre de recherche en neurosciences de Lyon
Dr Karine Spiegel, chercheuse en neurosciences et spécialiste
du métabolisme au Centre de recherche en neurosciences de Lyon
Pr Irene Tobler, biologiste et spécialiste de la physiologie du sommeil
des animaux à l’Institut de pharmacologie et toxicologie, à l’université
de Zürich (Suisse)
C’est si bon...

Pas un bruit dans le wagon. Le train parti de Paris trois


quarts d’heure plus tôt roule à vive allure vers l’ouest.
Seuls quelques sièges sont occupés par des passagers soli-
taires, comme souvent à cette heure tardive. Une femme
installée près de la porte, la trentaine élégante, a étalé un
journal devant elle, probablement pour le lire. Ses jambes
posées l’une sur l’autre encombrent le couloir. Son corps
s’est enfoncé dans le velours rayé du fauteuil. Elle a l’air
d’être plongée dans ses pensées, à quelques détails près :
sa tête renversée en arrière, coincée entre le dossier du
siège et la fenêtre, sa respiration régulière et ce léger
ronflement calé sur le bourdon des roues sur les rails...
Aucun doute, cette femme dort à poings fermés. Si elle
ouvrait les yeux à cet instant, elle verrait défiler les grands
espaces de la Beauce. À l’envers, la nuque endolorie.
La scène vous semble familière ? Évidemment car l’ex-
périence du sommeil est d’une extrême banalité. Tout le
monde dort, sans exception : les hommes, les femmes, les
riches et les modestes, les jeunes et les moins jeunes, les
anonymes et les célèbres, les animaux... Nous sommes
tous logés à la même enseigne, contraints de cesser nos
activités pour accorder à nos corps ce qu’ils réclament, à
savoir du repos. Nous consacrons au sommeil un temps
considérable : mises bout à bout, nos nuits et nos siestes
représentent près d’un tiers de nos existences humaines.
Pas moyen d’y échapper. Et pour cause : le sommeil nous

11
Quoi de neuf sur le sommeil ?

est indispensable. Sans lui, nous ne serions que l’ombre de


nous-mêmes, privés de notre vigilance, de notre faculté
de concentration, de nos réflexes, de notre bonne humeur
et notre sens de l’humour. Le manque de sommeil, et par
extension son absence, déstabilisent jusqu’à nos cellules.
Il est clair que notre organisme n’apprécie pas, mais alors
pas du tout, d’être empêché de dormir.
Compagnon de nos nuits depuis toujours, le sommeil
n’en est pas moins mystérieux, à la fois prévisible et dif­­
ficile à cerner. Prévisible car si on le laisse faire, il opère
toujours selon le même scénario : endormissement,
sommeil léger puis profond puis paradoxal, une fois, deux
fois, trois fois et plus, réveil. Imprévisible aussi lorsqu’il se
dérobe, s’interrompt, se décale ou s’inscruste... Bref, se
trouble. C’est du reste dans ces circonstances qu’il se
dévoile le plus. Qui s’intéresse à son sommeil s’il s’endort
comme un bébé quand il pose la tête sur l’oreiller, dort
d’une traite et se réveille reposé ? Personne. Circulez, il n’y
a rien à voir ! Pour explorer le sommeil, son architecture
et ses mécanismes, rien de tel que d’introduire un grain
de sable dans sa belle mécanique et d’observer ce qui se
passe. La somnologie, c’est-à-dire l’étude du sommeil,
procède ainsi, à coups de privation de sommeil et autres
perturbations volontaires.
La discipline en tant que telle est relativement récente.
Les travaux du Pr Michel Jouvet et de ses collaborateurs à
Lyon lui ont donné une visibilité inédite à partir des
années 1950. En quelque 70 années, la recherche sur le
sommeil s’est structurée et le corpus des connaissances à
son sujet s’est considérablement accru. Aujourd’hui,
plusieurs équipes travaillent sur ce thème à travers le
monde. Leurs études ont déjà permis de lever le voile sur
les rouages physiologiques de l’endormissement, du
sommeil et du réveil. Il reste toutefois beaucoup de zones

12
C’est si bon...

d’ombre, qui sont autant de questions posées aux méde-


cins, neuroscientifiques, épidémiologistes, biologistes
spécialistes du sommeil. Saisir les rêves sur le vif est
toujours un fantasme et ce, malgré des tentatives toujours
plus ingénieuses pour les voir à l’œuvre. Ce que le sommeil
fait au cerveau, ses effets sur le métabolisme, l’immunité
ou le système cardiovasculaire commencent à être
compris. Ceux qui s’emploient à identifier les gènes aux
commandes de la fonction sommeil, ses variantes et la
cascade des phénomènes moléculaires qui mènent à des
nuits sereines, en trouvent toujours plus. De plus en plus
d’études éclairent notre lanterne sur la manière complexe
dont la lumière mène au sommeil... ou le perturbe. Sans
parler de la question fondamentale, celle du rôle et de
l’utilité du sommeil, qui n’a jamais été aussi documentée.
Ces 30 dernières années ont apporté énormément de
réponses. Par exemple, il est désormais avéré que tous les
animaux s’autorisent régulièrement un petit somme ou
un repos équivalent, quand bien même cela les rend
vulnérables. Malgré tout, plusieurs points obscurs
demeurent encore et justifient que des équipes de cher-
cheurs un peu partout dans le monde consacrent leurs
journées à l’étude détaillée de nos nuits, de nos rêves et de
leurs influences sur nos vies éveillées de la naissance au
grand âge. Tous les moyens sont bons pour faire la
lumière, toute la lumière sur ce sommeil.
Il y a mille et une raisons de ne pas dormir assez, de se
coucher trop tard, de se réveiller trop tôt, de veiller toute
la nuit, d’être cueilli en plein rêve, de ne pas trouver le
sommeil ou de le perdre en cours de route, de se mettre
en apnée –– ô à peine quelques secondes mais des dizaines
de fois jusqu’au matin... Bien dormir n’est pas donné à
tout le monde, nous sommes bien d’accord. Toutes les
personnes en proie à un trouble du sommeil vous le

13
Quoi de neuf sur le sommeil ?

diront : jouir d’un bon sommeil, qui arrive vite, fait ce


qu’il a à faire dans chacune de nos cellules et nous remet
d’aplomb pour le lendemain, est une chance inestimable.
La chance pourtant n’y est pas pour grand-chose. Le
hasard peut certes vous prédisposer à certains troubles
rares comme la narcolepsie. Mais les travaux scientifiques,
dont certains sont très récents, ont établi qu’il existe
quantité d’autres déterminants du sommeil, au moins
aussi influents : l’âge, l’état émotionnel, les activités de la
journée précédente, les conditions d’exposition à la
lumière et au bruit, pour ne citer qu’eux. Surtout, il est
souvent possible d’agir sur eux pour se concocter des
nuits meilleures. Comment ? Par exemple, en connaissant
et en respectant ses rythmes biologiques, qui ne sont pas
ceux du voisin ; en apprenant à profiter au bon moment
de la lumière naturelle et à se tenir à l’écart de celles qui
tirent sur le bleu ; en adoptant des horaires de coucher et
de lever réguliers.
Les spécialistes du sommeil constatent que celui-ci paie
un lourd tribut au stress lié à la vie moderne et à nos
pratiques sociales qui favorisent l’activité et le travail
nocturnes aux dépens du repos. Ils s’en inquiètent et
voudraient que nous ayons conscience de ce que nous
risquons, pas pour nous faire peur mais pour que nous
réagissions en conséquence et cessions de considérer le
sommeil comme du temps perdu ou inutile. Ils voudraient
que nous ayons de nouveau l’envie et les moyens d’aller
nous coucher et de confier notre santé, qualité de vie et
bien-être inclus, aux bons soins du sommeil. « Si vous
saviez à quel point c’est bon de dormir... », nous
chuchotent-ils à l’oreille. Nous voulons bien les croire,
sous réserve qu’ils nous en apportent la preuve. La voici.

14
1
Tu dors ?

Dormir : Être plongé dans le sommeil.


Exemple : Il a dormi douze heures.

Demander à quelqu’un s’il dort et attendre une réponse


de sa part a quelque chose de pervers. De deux choses
l’une : soit votre interlocuteur est endormi et le son de
votre voix a toutes les chances de le réveiller ; soit il ne l’est
pas et le simple fait de formuler une réponse alors qu’il
cherche son sommeil le maintiendra éveillé. On peut
toujours se taire et faire semblant de dormir. Ou répondre
d’un oui mensonger pour mettre un terme à cette conver-
sation absurde. C’est que le verbe dormir ne souffre pas
d’être conjugué au présent à la première personne. On
peut dire « je dormais », « nous dormirons » ou « j’aurais
aimé dormir » mais pas « je dors ». Endormi ou éveillé,
telle est pourtant bien la question. Il faut choisir son
camp, quitte à en changer souvent au cours d’une sieste,
d’une nuit et d’une vie. Nous en sommes tous réduits à
alterner les périodes de veille et de sommeil. Inexorable-
ment, celui qui dort finit par se réveiller et celui qui veille

15
Quoi de neuf sur le sommeil ?

bascule dans le sommeil. Pas moyen d’échapper à cette


oscillation. Quand elle est bien huilée et à l’abri des grains
de sable, cette mécanique fonctionne à merveille, avec la
régularité d’une horloge.

Comment s’endort-on ?

Sommeil ou somnolence ?

Après une bonne nuit de sommeil, Charlotte est éveillée.


Pas au radar au saut du lit mais vraiment bien réveillée. La
voilà qui sort de chez elle pour aller acheter du pain. Elle
marche d’un bon pas en direction de la boulangerie, les
yeux grands ouverts. Peut-être même qu’elle sifflote un air
entendu à la radio. Elle croise un voisin à qui elle adresse
un sourire. Parce que son corps est réveillé, il la trans-
porte. Son cerveau l’est aussi et lui souffle le chemin dans
ce quartier familier, les notes de la chanson et le nom du
voisin. Elle remarque qu’il fait frais, se dit qu’elle aurait dû
mettre une écharpe. Tous ses sens sont en alerte. Et puis
elle a conscience d’être là, en train de mettre un pied
devant l’autre, et perçoit les détails du paysage qui lui
évoquent mille pensées.
Pour les neurophysiologistes, qui étudient le fonction-
nement des systèmes nerveux, cet état se nomme veille
active. Il correspond à une activité électrique rapide dans
diverses zones du cerveau, à des mouvements, rapides eux
aussi, des yeux dans leur orbite, et à un tonus musculaire
manifeste. Autant de paramètres qu’il est possible d’enre-
gistrer en laboratoire en plaçant des électrodes munies de
capteurs en différents points du corps du sujet. Tant que
nous sommes en train de faire quelque chose, ne serait-ce
que lire comme vous le faites en ce moment, cet état se

16
Tu dors ?

maintient. Pas éternellement bien sûr, mais pendant


plusieurs heures d’affilée si nécessaire. Si vous vous laissez
aller à la rêverie et vous autorisez à fermer les yeux, il est
probable qu’une douce torpeur finisse par vous envahir,
signe que vous avez passé le seuil d’un autre état : la veille
calme. Les bruits, les odeurs et le souffle de l’air vous
parviennent, vous pouvez suivre et infléchir le cours de
vos pensées, votre corps et en particulier vos muscles sont
au repos. Les yeux adoptent un mouvement pendulaire
pareil à celui de l’horloge, régulier, hypnotique ; les ondes
électriques produites par votre cerveau deviennent plus
lentes. Le tonus musculaire perdure, si bien que vous
pouvez encore rester assis sur votre chaise et faire illusion
de présence auprès de votre entourage. Pourtant, vous
n’êtes déjà plus vraiment là. Vos réflexes sont diminués et
plus lents. Cette somnolence est celle que l’on ressent
parfois en voiture après avoir avalé des kilomètres d’auto-
route ou au cinéma quand la lumière s’éteint et que la
volonté de suivre le film cède face au confort moelleux
des fauteuils. Il suffit alors d’un mouvement inattendu
sur le bas-côté ou d’une relance scénaristique pour
reprendre ses esprits et le cours de sa vie pleinement éveil-
lée. Si cet état de torpeur dure plus d’une minute trente,
vous dormez déjà… Vous êtes dans le premier stade du
sommeil léger.

Qui est aux commandes ?

Plusieurs réseaux de neurones répartis en différentes


zones du cerveau contrôlent la veille. Certains sont impli-
qués dans sa dimension corticale, liée à nos capacités
cognitives d’apprentissage, de mémorisation, d’attention,
de prise de décision, etc. D’autres interviennent dans
l’éveil comportemental. Vous tendez le bras pour éteindre

17
Quoi de neuf sur le sommeil ?

le réveil ou tournez la tête vers la fenêtre pour regarder à


travers les volets s’il fait jour ? Aucun doute, vous êtes
réveillé sur le plan comportemental puisque vous êtes
capable de bouger. Ce que l’on sait aujourd’hui de la
localisation, de la nature et du fonctionnement de ces
réseaux de neurones impliqués dans l’éveil comporte-
mental et/ou cortical est le fruit de plusieurs dizaines
d’années de travaux en neurophysiologie... qui sont
encore loin de fournir toutes les réponses aux questions
des chercheurs. Par exemple, il apparaît désormais claire-
ment que cinq systèmes neuronaux au moins inter-
viennent dans le processus de l’éveil. Chacun est situé
dans une zone cérébrale particulière et met en jeu un type
de messager chimique, aussi appelé neurotransmetteur.
Y en a-t-il d’autres ? Pourquoi sont-ils aussi nombreux ?
L’un de ces systèmes est-il le chef d’orchestre des autres ?
À ce stade, les chercheurs se disent que peut-être certains
d’entre eux déclenchent le réveil alors que d’autres main-
tiennent le cerveau en état d’éveil. Encore faudrait-il le
prouver, ce qui n’a pas encore été fait. Une population de
neurones situés à la base de l’hypothalamus intéresse
tout particulièrement les chercheurs. Ces neurones com­­
muniquent entre eux grâce à un neurotransmetteur
appelé hypocrétine (ou encore orexine, histoire de
compliquer un peu les choses). Il ne fait plus aucun doute
aujourd’hui que ces neurones à hypocrétine jouent un
rôle-clé dans la stimulation de l’éveil. Les chercheurs ont
par ailleurs constaté que l’activité de ces neurones
augmente lorsque le glucose vient à manquer. Comme si
un faible niveau de sucre incitait à se réveiller. Ce système
d’éveil pourrait ainsi jouer le rôle d’une sonnette d’alarme
quand l’organisme est sur le point de manquer de sucre,
faisant en sorte que l’individu soit en pleine possession de
ses moyens pour se mettre en quête de nourriture.

18
Tu dors ?

Pourquoi avons-nous tendance à somnoler en début d’après-midi ?


Question de température interne ! Les variations de la vigilance au
cours de la journée sont liées à l’évolution de la température
corporelle, elle-même sous le contrôle de l’horloge biologique.
Tout refroidissement augmente la somnolence. C’est le cas après
22 h mais aussi douze heures après la moitié du sommeil de la
nuit, soit généralement en début d’après-midi, vers 15 h. Vers 3 h
du matin, la température chute autour de 36,5 °C, son plus bas
niveau. Chez celles et ceux qui ne dorment pas, la somnolence est
alors très prononcée. Inversement, une élévation de température
interne accroît la vigilance et les performances. Le maximum de
température survient plus ou moins tard dans l’après-midi selon
que l’on soit du soir ou du matin. Il perdure jusqu’en début de
soirée. Lorsque la température centrale est élevée, nous nous
trouvons dans les meilleures dispositions physiologiques pour
être performants physiquement et intellectuellement. Idéal pour
faire du sport, plonger tête baissée dans un dossier compliqué ou
apprendre un cours... à condition de ne pas devoir se coucher tout
de suite après, au risque de ne pas réussir à trouver le sommeil.

Et là, tout bascule

De la veille calme à l’endormissement, il n’y a qu’un


pas... qu’il vaut mieux franchir au cinéma qu’au volant de
sa voiture, cela va sans dire. Savoir comment et quand
précisément s’opère le passage de la veille au sommeil en a
déjà tenu éveillé plus d’un. En vain car, à moins de disposer
d’un électroencéphalogramme, traduction de l’activité
électrique du cerveau sous forme d’un tracé, le défi est
impossible à relever. Et pour cause : la conscience vacille au
moment même où le sommeil s’impose. Néanmoins, les
découvertes se succèdent et dévoilent progressivement les
rouages d’un mécanisme, celui de l’endormissement, qui
relève d’un subtil jeu d’équilibre entre divers systèmes
neuronaux. Pour ce qu’on en sait aujourd’hui, un neuro-
transmetteur en particulier, le GABA, joue un rôle-clé dans

19
Quoi de neuf sur le sommeil ?

ce processus. Dans une petite région du cerveau appelée


noyau préoptique ventrolatéral (connu sous son sigle
anglais VLPO), en référence à sa localisation anatomique,
les neurones communiquent avec la quasi-totalité des
structures d’éveil. Le message qu’ils transmettent par
l’intermédiaire du GABA est une consigne d’inhibition.
Autrement dit, quand les neurones du noyau VLPO s’ac-
tivent, les centres d’éveil cessent d’émettre. Et le sommeil a
le champ libre pour s’installer. D’autres centres du sommeil
situés dans d’autres régions cérébrales ont été mis en
évidence ces dernières années et continuent de l’être. En
2014, une équipe américaine en a par exemple identifié un
dans le tronc cérébral, à la jonction entre le pont et le bulbe
rachidien. Il comporte des neurones GABA, eux-mêmes
inhibiteurs de neurones à glutamate inducteurs d’éveil. Si
communication il y a entre ce centre du sommeil et celui
du VLPO, on ignore encore tout de ses modalités. Plus
surprenant encore pour qui s’emploie à assembler les
pièces du puzzle du sommeil : l’équipe du Pr Pierre-Hervé
Luppi, au Centre de recherches en neurosciences de Lyon,
a mis au jour en 2016 un système de neurones GABA actif
pendant l’éveil et qui inhibe un centre du sommeil, en
l’occurrence le noyau réticulé thalamique –– GABAergique
lui aussi, soit dit en passant. Des observations qui laissent
à penser que les neurones GABA pourraient, selon leur
réseau d’appartenance, être impliqués dans le contrôle de
l’éveil alors qu’on les pensait seulement mêlés à celui du
sommeil. Quand on vous dit que c’est complexe...

Montée d’adénosine

Après une longue journée de travail, un après-midi en


plein air ou une soirée passée à buller, l’envie de dormir
finit (presque) toujours par se manifester. On l’écoute

20
Tu dors ?

ou pas, on y donne suite en allant se coucher ou pas,


on trouve son sommeil ou pas mais elle est là –– sauf
cas particuliers pathologiques, que nous évoquerons
plus loin. Cette envie-là est un appel au repos adressé
par ce corps qui a veillé pendant des heures, mobilisant
ses ressources musculaires, cognitives, sensorielles
pour effectuer mille et une activités. Elle est sous la
double dépendance d’un processus dit homéostasique
et de notre horloge biologique, tous deux redoutables
de précision.
D’heure en heure et en toute discrétion pendant
que nous sommes éveillés, la pression de sommeil
augmente. Dans ce sablier coule non pas du sable, mais
des substances hypnogènes naturellement sécrétées par
l’organisme. Celles-ci contribuent à ce qu’on appelle la

Caféine contre adénosine


Par quel tour de passe-passe le café stimule-t-il la vigilance ? On
sait depuis le début des années 1980 que son effet est dû à la
caféine. Cette substance psychoactive se fixe sur les neurones en
lieu et place d’une autre substance naturellement présente dans
l’organisme, l’adénosine, ainsi empêchée d’exercer son action. Son
action... Quelle action ? Les spécialistes du sommeil, quand ils ont
eu vent des travaux sur le mode d’action de la caféine, ont évidem-
ment cherché à répondre à cette question. Pour décrypter le rôle
de l’adénosine dans le sommeil, ils ont commencé par bloquer son
action chez l’animal. Résultat : le niveau de vigilance augmente.
Puis il a été montré que l’injection d’un produit choisi pour ses
propriétés biochimiques similaires favorise le sommeil. Enfin, une
autre série de travaux menée en laboratoire a révélé que la
concentration d’adénosine s’élève progressivement au cours de la
journée et diminue la nuit, sauf si on force l’animal à rester éveillé.
Dans ce cas, la concentration d’adénosine continue d’augmenter.
Restait à confirmer ces résultats chez l’homme, ce qui a été fait
les années suivantes. Et c’est ainsi que l’adénosine, facteur hypno-
gène parmi d’autres, s’est hissé au rang des plus célèbres.

21
Quoi de neuf sur le sommeil ?

régulation homéostasique du sommeil, c’est-à-dire le


maintien d’une alternance entre périodes de veille et
périodes de sommeil. L’adénosine est l’une de ces sub­­
stances, sans doute la plus étudiée à ce jour (voir encadré,
ci-contre). Libéré par les cellules nerveuses quand celles-
ci sont actives, ce nucléotide s’accumule tout au long de
la journée dans les structures profondes du cerveau, dites
sous-corticales. Sa concentration, faible au réveil,
augmente jusqu’au soir. La balance penche alors en faveur
du sommeil. Puis sa production décroît au fil de la nuit,
de même que la pression de sommeil. L’implication de
l’adénosine dans l’endormissement ne fait plus aucun
doute. Pour autant, on est encore loin d’avoir entièrement
compris la manière dont elle exerce ses effets hypnogènes.
En concentration élevée, à la fin de la journée donc, elle
pourrait agir doublement, en inhibant les systèmes d’éveil
et en activant ceux du sommeil. Peu avant le réveil, quand
sa concentration est minimale, elle pourrait au contraire
inhiber les centres du sommeil. Ce modèle, bien que
cohérent avec les données expérimentales disponibles à
ce jour, demande encore à être confirmé.

Le cortisol repousse le sommeil

Après une quinzaine d’heures d’éveil, de 7 h à 23 h par


exemple, le cerveau a accumulé une grande quantité
d’adénosine, qui pousse fort derrière les portes du
sommeil. Au-delà de 20 heures à ce régime, la majorité
des gens s’endormiraient presque n’importe où car la
balance veille/sommeil penche nettement en faveur du
second. Mais force est de constater que certaines
personnes résistent, par choix ou par nécessité, qui pour
continuer à faire la fête ou à travailler, qui parce qu’il
est préoccupé, stressé ou sous le coup de la peur et de

22
Tu dors ?

l’insécurité. C’est que l’adénosine n’est pas seule en piste


dans le cerveau. D’autres substances y circulent, des
neurotransmetteurs tels que la noradrénaline, l’acétyl-
choline, l’histamine, la dopamine, la sérotonine, l’hypo-
crétine (encore elle) et le glutamate. Eux continuent
d’exciter les systèmes d’éveil, jusqu’à ce que la diminution
de leurs concentrations respectives favorise l’endormis­
sement. Le cortisol, une hormone sécrétée par les glandes
surrénales situées juste au-dessus des reins, stimule aussi
les circuits cérébraux de l’éveil. Il a toutes les raisons
d’être là car il participe à de nombreuses fonctions méta-
boliques comme la régulation énergétique, l’immunité, la
coagulation sanguine ou la croissance osseuse. Sa produc-
tion est à la fois irrégulière au cours de la journée, faisant
varier sa concentration dans le sang, et récurrente d’un
jour à l’autre. Le taux de cortisol est maximal tôt le matin,
juste avant le réveil c’est-à-dire aux alentours de 6 h pour
la majorité de gens. Sans ce pic matinal et le petit coup de
fouet qui l’accompagne, la mise en route au réveil serait
autrement plus difficile. Puis sa quantité décroît au fil des
heures jusqu’à atteindre des valeurs minimales en début
de soirée et de nuit, faisant de ce moment de la journée
un temps propice aux coups de mou et à l’endormis­
sement. En milieu de nuit, la production reprend tout
doucement et accélère avant le lever. Néanmoins, cette
organisation peut être perturbée car le cortisol est aussi
l’un des principaux messagers bio­logiques du stress.
À toute heure, une dispute, l’annonce d’une mauvaise
nouvelle, un danger sur la route, augmente immédiate-
ment sa sécrétion. Par son inter­médiaire, le cerveau, les
muscles et tout l’organisme se mettent en ordre de
marche pour faire face au danger réel ou ressenti. La
stratégie est redoutablement efficace mais elle a sur le
sommeil une très mauvaise influence car tout ce cortisol

23
Quoi de neuf sur le sommeil ?

disponible maintient l’individu dans un état d’hyper-


réveil cortical peu propice à l’endormissement.

L’ouverture des portes du sommeil

Chaque soir aux environs de 23 h, Charlotte ressent


l’appel du sommeil. Le clignement de ses paupières se fait
plus fréquent, ses muscles se relâchent, ses pensées s’em-
mêlent. Qu’elle regarde un film, partage un bon moment
entre amis ou prenne part à une conversation passion-
nante, la fatigue l’enveloppe. Elle bâille, s’étire pour gagner
du temps. Juste un peu, suffisamment pour ne pas paraître
impolie. À ce petit jeu contre le sommeil, elle ne cherche
plus à gagner. Car elle sait que c’est son heure.
Le fait que l’envie de dormir se manifeste chaque jour
sensiblement à la même heure n’est pas le fruit du hasard
mais un des effets tangibles du fonctionnement cyclique
de notre organisme soumis au diktat d’une horloge bio­­
logique. Celle-ci est calée sur des cycles d’environ
24 heures dits circadiens. Elle dicte l’alternance des
périodes de veille et de sommeil mais aussi les variations
de beaucoup d’autres paramètres biologiques comme la
température centrale, la production d’hormones, la pres-
sion artérielle pour ne citer qu’elles. En réalité, une multi-
tude de fonctions biologiques, peut-être même toutes,
sont rythmées par cette horloge baptisée ainsi dans les
années 1950. Par la suite, les expériences « hors du temps »
effectuées par le spéléologue Michel Siffre ont montré que
des individus privés de tous leurs repères temporels habi-
tuels, à commencer par la lumière, continuent d’alterner
périodes de repos et d’activité selon un cycle de 24 heures
et quelques minutes en moyenne, soit un peu plus pour
certains, un peu moins pour d’autres. Même dans ces
conditions extrêmes, l’horloge interne donne le « la ».

24
Tu dors ?

L’horloge, seul maître à bord ?

Plus précisément, ce sont les quelque 20 000 neurones


situés à la base de l’hypothalamus dans deux noyaux pas
plus gros qu’une tête d’épingle, les noyaux suprachiasma-
tiques, qui sont à la manœuvre et fixent l’heure à laquelle
se manifeste la somnolence annonciatrice du sommeil.
Leur activité oscille sur une période allant de 23 heures et
30 minutes à 24 heures et 30 minutes selon les personnes,
soit un cycle légèrement décalé par rapport à nos journées
de 24 heures. Si elle se trouvait seule à la barre, notre
horloge biologique aurait donc tendance à reculer, ou au
contraire, à avancer jour après jour l’heure à laquelle nous
ressentons l’envie de dormir. Une majorité de personnes se
coucheraient de plus en plus tard, les autres de plus en plus
tôt. Nos existences sociales en seraient toutes chambou-
lées... Ce n’est pas le cas car cette horloge est sensible à
certains facteurs extérieurs, appelés donneurs de temps,
qui la resynchronisent en permanence sur un cycle de
24 heures. La lumière est l’un de ces facteurs, le plus puis-
sant donneur de temps connu à ce jour. Elle agit indirecte-
ment au travers de cellules particulières de la rétine,
sensibles à la lumière bleue et distinctes de celles impliquées
dans la vision : les cellules ganglionnaires à mélanopsine,
reliées aux noyaux suprachiasmatiques de l’horloge. Selon
des travaux récents menés sur des souris par le Pr Patrice
Bourgin et son équipe à Strasbourg, la lumière semble
aussi exercer sur le sommeil des effets directs pas encore
bien définis via d’autres réseaux de neurones, notamment
ceux du noyau préoptique ventrolatéral (VLPO) induc-
teurs de sommeil. Est-ce aussi le cas chez l’homme ? Les
chercheurs s’emploient à en savoir plus.
L’horloge interne mène à la baguette la production de
plusieurs hormones. Entre autres, celle de la mélatonine

25
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Pourquoi bâille-t-on quand on est fatigué ?


La bouche qui s’ouvre un peu beaucoup très largement. L’inspira-
tion est profonde, souvent un peu bruyante. Les ailes du nez
s’écartent, le pharynx se dilate, les yeux se ferment. Puis on cesse
de respirer. Quelques secondes, pas plus. Moment d’extase, que
vient prolonger une expiration rapide, sonore elle aussi, qui ne
demande aucun effort. Bâiller et s’étirer en même temps : c’est
d’une banalité... Tous les mammifères bâillent, excepté la girafe
qui par ailleurs dort très peu. Les primates le font au réveil, quand
ils ont sommeil, qu’ils sont fatigués mais aussi quand ils ont faim
ou au contraire sont rassasiés. Les macaques bâillent face au
danger, sous la menace d’un prédateur par exemple. Vous qui lisez
ces lignes, vous êtes très certainement en train de le faire. Et pour
cause : la simple évocation du bâillement suffit à le faire naître.
Chez l’homme, le manque de sommeil fait bâiller mais pas la
fatigue consécutive à un travail physique intense. On sait aussi
que le bâillement naît dans les structures les plus archaïques du
cerveau, communes à de nombreux vertébrés. Dans quel but ?
Plusieurs hypothèses tiennent la corde. L’idée selon laquelle le
bâillement fournit un surplus d’oxygène au cerveau quand il en a
besoin s’est évaporée depuis qu’une équipe américaine a prouvé
que l’on bâille autant quelle que soit la teneur en oxygène de l’air
respiré. Autre explication avancée : le bâillement contribuerait au
refroidissement du cerveau. Pourquoi pas, à condition de prouver
que le cerveau, à l’instar des ordinateurs, fonctionne moins bien
s’il chauffe. Les données manquent encore pour trancher. Enfin,
une théorie plus récente envisage le bâillement comme le simple
témoin comportemental de la transition entre la veille et le
sommeil qui s’opère en permanence dans l’organisme, sans utilité
aucune. Bâiller pour rien ? Si, pour le plaisir.

sécrétée par la glande pinéale, ou épiphyse, profondément


enfouie dans l’une des cavités centrales du cerveau. La
mélatonine contribue à l’endormissement dès lors qu’elle
est présente en quantité suffisante. Sous l’effet de l’hor-
loge biologique, sa production augmente naturellement
en fin de journée peu avant l’heure du coucher. Elle
atteint un pic entre 2 et 4 h du matin. Son effet hypno-

26
Tu dors ?

gène est alors à son comble, ce qui explique pourquoi la


somnolence est importante chez la plupart des gens à ce
moment de la nuit. À l’instar de l’horloge biologique
influencée par une série de paramètres extérieurs, la
sécrétion de mélatonine peut également varier sous l’effet
de l’environnement. La lumière naturelle, dès lors qu’elle
est suffisamment intense ou qu’on y est exposé long-
temps, bloque la production de cette hormone. Idem
pour la lumière émise par certains objets comme les
écrans (voir chapitre 5). Sitôt l’obscurité revenue, la
production de mélatonine peut reprendre.

Anatomie d’une nuit de sommeil

Et elle sombra dans un profond sommeil

Charlotte est à présent dans les bras de Morphée, dieu


des songes. Dans la mythologie grecque, il est l’un des
nombreux fils d’Hypnos, dieu du sommeil, et de Nyx,
déesse de la nuit. Morphée est une créature ailée qui
détient le pouvoir d’endormir les mortels simplement en
les effleurant d’une feuille de pavot. Il est capable de
prendre différentes formes, laissant à chaque candidat au
sommeil le choix de décider dans quels bras il embarquera
pour la nuit. Le voyage en terres endormies qui s’ensuit
comporte plusieurs séquences qui se succèdent selon un
ordre précis. Ce circuit emprunte toujours le même itiné-
raire : d’abord un tronçon de sommeil léger, un autre en
sommeil profond puis un dernier en sommeil paradoxal.
Le dormeur l’emprunte plusieurs fois au cours de la nuit,
avec quelques variantes. À l’arrivée, l’attend Eos, déesse de
l’aurore, toujours juchée sur son char pour traverser le
ciel et délivrer les premières lueurs du jour.

27
Quoi de neuf sur le sommeil ?

La Belle au bois dormant et autres princesses de contes


de fées sont bien les seules capables de sombrer en un
claquement de doigts dans le sommeil profond. Pour
nous autres, humains ordinaires, le sommeil léger est un
passage obligé qui s’inscrit dans le prolongement naturel
de la veille calme. Les sens s’amenuisent, les muscles se
décontractent, la respiration s’apaise. Il s’agit d’une
première étape de sommeil lent. La lenteur en question
est celle des ondes électriques enregistrées dans le cerveau,
propres à cette partie du cycle. Les ondes se succèdent à
raison de deux à sept cycles par seconde. Plus le sommeil
est profond, plus elles sont lentes. À titre de comparaison,
la fréquence des ondes en veille calme est de huit à
quatorze par seconde. Traduction : l’activité électrique du
cerveau ralentit sérieusement au cours du sommeil. Les
yeux bougent un peu mais lentement : on est aux portes
du sommeil. À ce stade, les muscles conservent un certain
tonus, juste suffisant pour nous maintenir en station
verticale. C’est le stade 1 du sommeil lent, qui en comporte
trois. Ce sommeil est léger, facilement réversible. On n’a
pas encore vraiment l’impression de dormir mais plutôt
celle, généralement agréable, de sombrer. Les bruits de
l’extérieur continuent de nous parvenir. Puis s’installe
subrepticement dans le cerveau une activité électrique
supplémentaire qui se traduit sur un électroencéphalo­
gramme par des tracés que les neurophysiologistes
appellent fuseaux et complexe K. Cette apparition
confirme l’entrée dans le sommeil, le vrai. Cette fois-ci le
dormeur dort pour de bon. Dans le jargon de ceux qui
analysent les tracés de sommeil, il est en stade 2. Sa
perception de l’environnement est réduite à peau de
chagrin et ses mouvements oculaires ont cessé. Un certain
tonus musculaire se maintient, tout juste suffisant pour
changer de position dans un lit. Entre le début du stade 1

28
Tu dors ?

et la fin du stade 2, une vingtaine de minutes s’est écoulée.


Le sommeil dit léger touche à sa fin. Le stade suivant, le
troisième, est celui du sommeil lent profond. L’activité
électrique du cerveau change radicalement de visage. Les
ondes sont à présent amples et particulièrement lentes,
entre 0,5 et 2 cycles par seconde. Le cerveau est profondé-
ment endormi, le tonus musculaire minimum –– mais
toujours présent néanmoins. Du côté des yeux, c’est le
calme plat. Tirer le dormeur de son sommeil pendant les
quelque 40 minutes que dure ce stade 3 chez l’adulte est
une gageure.

Paradoxal et intriguant

Nous sommes en 1959. À cette époque, le jeune Michel


Jouvet, médecin de 34 ans, travaille dans le laboratoire de
neurophysiologie qu’il a fondé à Lyon quelques années
plus tôt. Il cherche à comprendre comment un animal
s’habitue à ne pas se réveiller quand lui parvient un signal
neutre, c’est-à-dire ni annonciateur de danger ni source
de plaisir pour lui. Il a fait du chat son modèle d’expé-
rience et multiplie les observations sur cet animal.
Ce faisant, il met en évidence des épisodes d’atonie
musculaire associés à une activité électrique qu’il qualifie
de curieuse dans une zone du tronc cérébral appelée
formation réticulée pontique. De surcroît, ces épisodes
vont de pair avec une activité corticale plus proche de
celle de l’éveil que du sommeil lent. Quel est cet ovni ?
S’agit-il d’un stade de sommeil léger inconnu jusqu’alors ?
Ou d’un état de sommeil à part entière, aussi distinct de
l’éveil que du sommeil à ondes lentes ? Il opte pour la
seconde hypothèse et baptise ce nouvel état « sommeil
paradoxal » pour rendre compte de ses caractéristiques
évoquant à la fois l’éveil (activité corticale) et un sommeil

29
Quoi de neuf sur le sommeil ?

tout ce qu’il y a de plus immobile (atonie musculaire).


Reste dès lors à répondre aux questions que tout physio-
logiste se pose devant un phénomène nouveau : « what?
where? when? how? why?1 », lance-t-il à ses collaborateurs.
Et d’ajouter, visionnaire : « Voilà des programmes de
recherche qui pourront occuper des dizaines, ou même
des centaines de chercheurs pendant des dizaines
d’années... Alors, au travail et bonne chance !2 »
En 2017, le sommeil paradoxal continue d’intriguer. Il
a conservé ses galons d’état de sommeil à part entière chez
le chat mais aussi chez l’homme et plusieurs autres espèces
animales (voir à la fin de ce chapitre). Si Jouvet et son
équipe ont donné un nom à ce stade de sommeil, ils ne
sont pourtant pas les premiers à l’avoir observé. Dès 1953,
deux chercheurs américains, Eugène Aserinsky et Natha-
niel Kleitman, publiaient un article évoquant un sommeil
inédit, marqué par des mouvements oculaires rapides, et
pour cette raison dénommé Rapid Eye Movement (REM)3.
REM, sommeil paradoxal : deux appellations, deux paires
de lunettes braquées sur un même phénomène. De fait, le
mouvement rapide des yeux sous les paupières closes du
dormeur est une caractéristique parmi d’autres du
sommeil paradoxal. Pendant ce stade, l’activité électrique
enregistrée au niveau du cortex cérébral est intense. La
respiration du dormeur se fait moins régulière. Chez
l’homme, le pénis est en érection pendant une grande
partie de cette séquence. Quant au tonus musculaire,
jusqu’alors toujours au rendez-vous, il est complètement
aboli. Le dormeur est dans l’incapacité de bouger, à
l’exception notable du visage et des extrémités animées de

1 En français : quoi ? où ? quand ? comment ? pourquoi ?


2 Jouvet, 2013.
3 https://neuro.psychiatryonline.org/doi/full/10.1176/jnp.15.4.454 (consulté le
09/02/2018).

30
Tu dors ?

petits soubresauts musculaires appelés twitches (nous


y reviendrons). Cette atonie musculaire résulte d’une
inhibition des neurones moteurs de la moelle épinière
connectés aux muscles squelettiques et qui contrôlent
leurs contractions. De nombreux travaux menés après
ceux de Jouvet et son équipe ont tenté de percer à jour la
neurophysiologie de ce stade si particulier, qui ne dure
que cinq à six minutes en début de nuit. Ainsi est-il apparu
tout récemment que le blocage musculaire observé
pendant le sommeil paradoxal résulte de l’action inhibi-
trice du glutamate sécrété sur une petite zone du cerveau
uniquement lors de cette période du cycle. Une chance
que les neurones qui contrôlent la respiration ou les
battements du cœur n’y soient pas sensibles !

Un cycle puis un autre et encore un autre

Une phase de sommeil lent, une autre de sommeil


paradoxal, et voilà que s’achève le premier cycle de
sommeil de la nuit, qui a duré entre 1 heure 30 et 2 heures.
Difficile d’être plus précis car la durée des stades et des
phases, donc celle du cycle, varie d’une personne à l’autre.
Elle est en revanche remarquablement immuable pour un
individu donné. Supposons que Charlotte, dont le cycle
de sommeil dure 90 minutes, ait fermé les yeux à 23 h
tapantes. Sur son réveil s’affiche maintenant 00:30 en
caractères verts et lumineux. Son premier cycle vient de
s’achever. Elle s’agite un peu, tourne sa tête sur l’oreiller,
s’enfouit un peu plus sous son drap. Pendant quelques
minutes, trois tout au plus, elle est au seuil du réveil et
pourrait bien s’extraire complètement du sommeil si elle
percevait quelque chose d’anormal dans son environ­
nement : un bruit inhabituel, une présence nouvelle au
bord du lit, l’odeur alléchante du pain grillé. La plupart

31
Quoi de neuf sur le sommeil ?

du temps, rien de tel ne se produit et ce moment de micro-


réveil passe complètement inaperçu. Le dormeur n’en
a même aucun souvenir le lendemain matin alors que
l’épisode se reproduit trois à cinq fois au cours d’une nuit
classique. Après ces quelques minutes sur le fil, un nouveau
cycle commence, identique au précédent s’agissant de sa
durée totale, de la nature et de l’ordre de ses phases.
On prend les mêmes et on recommence ? Pas tout à fait
car les durées respectives des phases de sommeil lent et
paradoxal évoluent au fil de la nuit. Schématiquement, le
sommeil lent, et en particulier le stade du sommeil
profond, occupe la plus grande partie de la durée des
deux premiers cycles, soit le premier tiers de la nuit. Puis
il se réduit au profit du sommeil léger et des épisodes de
sommeil paradoxal, dont la durée et l’intensité augmen-
tent au fil des cycles. Une nuit complète de sommeil
comporte quatre, cinq ou six cycles. Soit un temps de
sommeil total compris entre six et neuf heures pour la
très grande majorité des gens. Rarement moins ou plus,
sauf cas particuliers dont il sera question plus loin.
En analysant de près les hypnogrammes de nombreux
dormeurs plusieurs nuits d’affilée, les spécialistes du
sommeil ont constaté que la quantité de sommeil lent
profond d’un individu reste fixe quelle que soit la durée
de sa nuit. S’il est contraint de dormir six heures au lieu
de dix, ce sont les autres phases du sommeil, en l’occur-
rence le sommeil léger et le sommeil paradoxal, qui sont
écourtées. Par ailleurs, faute d’avoir suffisamment dormi
les nuits précédentes, l’organisme rattrape en priorité le
sommeil profond. Et tant pis si le sommeil léger ou le
sommeil paradoxal se déploient moins longtemps. Cela
ne veut pas dire que la quantité de sommeil profond est
identique d’une nuit à l’autre. De fait, elle ne l’est pas. Il a
été montré que la durée totale de sommeil profond

32
Tu dors ?

12
11 1
10 Cycle 1 Cy
cl e
2
Cycle 3
2
9 3
4
le

8 4
yc

C
... Cycle 5

7 5
6

Les différentes phases


de sommeil ont leur
régulation propre.
Durée totale du sommeil
lent profond = environ 100 min.
n Endormissement Durée totale du sommeil
n Sommeil lent léger paradoxal = 20 % de la durée
de la nuit.
n Sommeil lent profond
Au fil des cycles, la durée
n Sommeil paradoxal de sommeil lent profond diminue
Microréveil au profit de la durée du sommeil
paradoxal.

33
Quoi de neuf sur le sommeil ?

pendant la nuit dépend de la durée de l’éveil pendant la


journée qui la précède ainsi que de l’intensité des activités
pratiquées. Elle est d’autant plus grande que l’on est resté
éveillé plus longtemps et que l’on s’est dépensé physique-
ment. Inversement, une sieste dans l’après-midi a
tendance à réduire le temps passé en sommeil profond la
nuit suivante.

Un beau jour, ou peut-être une nuit

Si dormir revient à prendre congé du monde extérieur


et à tirer temporairement un trait sur sa vie consciente, le
cerveau n’en reste pas moins actif pendant le sommeil.
Les tracés visibles sur les enregistrements électro­encéphalo­
­graphiques témoignent d’une activité neuronale bien
réelle dans de nombreuses régions du cerveau. En y regar-
dant de plus près grâce à l’imagerie cérébrale, on s’est
aperçu que les modifications d’activité cérébrale caracté-
ristiques de l’endormissement ne surviennent pas au
même moment dans toutes les zones du cerveau. Il a par
exemple été montré que l’endormissement a d’abord lieu
dans le thalamus, situé au centre du cerveau, puis gagne
le cortex cérébral4. Autrement dit, il arrive qu’une partie
du cerveau soit plongée dans un sommeil profond tandis
qu’une autre est toujours en sommeil léger. Comptez
environ 20 minutes pour que tout le cerveau soit endormi.
C’est aussi la durée minimale à consacrer au sommeil
pour avoir vraiment l’impression d’avoir piqué un
somme. Cet endormissement du cerveau en plusieurs
séquences et l’état dissocié qu’il provoque pourraient

4 https://www.researchgate.net/publication/41416830_Thalamic_Deactivation_at_
Sleep_Onset_Precedes_That_of_the_Cerebral_Cortex_in_Humans (consulté le
20/02/2018).

34
Tu dors ?

expliquer certaines hallucinations de début de nuit et les


sursauts qui les accompagnent. Oui, vous savez !... Cette
impression de chuter comme Alice dans le puits qui
conduit au pays des merveilles, immédiatement suivie
d’un mouvement de jambes semblable à celui que vous
feriez pour sauver votre peau si la scène avait réellement
lieu !... Qui plus est, tous les réseaux neuronaux du cortex
cérébral ne s’endorment pas exactement au même instant.
Là aussi, certains basculent de veille à sommeil avant
les autres. À en croire des études qui pour le moment
n’ont été menées que chez l’animal, ce sont les zones
corticales fortement sollicitées pendant la journée qui
s’endormiraient les premières. En cas de privation de
sommeil prolongée, le sommeil peut ne toucher qu’un
seul neurone : l’animal paraît réveillé mais ses neurones
récupèrent séquentiellement, l’un après l’autre. Une
manière de parer au plus urgent et d’éviter des dégâts
trop importants.
Et puis, ce qui vaut pour l’endormissement vaut aussi
pour le réveil. À la différence de l’interrupteur qui en un
éclair inonde la chambre à coucher de lumière, nos
cerveaux ont besoin d’un peu de temps pour se réveiller
complètement. Et nous avec. Les différentes zones corti-
cales se réveillent les unes à la suite des autres, vraisembla-
blement selon une chorégraphie précise, la même pour
tout le monde, dont le déroulement exact n’est pas encore
bien connu. Inversement, il arrive parfois que la conscience
s’éveille alors que la zone du cerveau qui contrôle les
muscles dort toujours profondément. On voudrait bouger
mais la consigne ne passe pas et le corps reste immobile.
D’où la sensation, très désagréable, d’être paralysé
pendant quelques secondes à quelques minutes, qui
semblent interminables.

35
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Dans tes rêves !

Plusieurs fenêtres d’opportunité


Voler au-dessus des océans, avoir avec son chat une
discussion tout ce qu’il y a de plus sensé, exercer le beau
métier de chevalier au Moyen Âge et ressentir la peur et
l’excitation avant de livrer bataille... En rêve, tout est
possible. Même et surtout l’impossible. La production
onirique, semble-t-il, ne connaît pas de limite. Après
coup, elle donne lieu à interprétation. Le sens des rêves,
leur signification, le message caché qu’ils contiennent et
qu’il faut décoder ont fait, et font toujours, les choux gras
des sorciers, chamanes et autres visionnaires. Pour les
psychanalystes, ils forment un matériau de choix pour
explorer le psychisme et la mécanique de l’inconscient.
Pour les neuroscientifiques du xxie siècle, ils demeurent
surtout une énigme.
Depuis la découverte du sommeil paradoxal dans les
années 1950, l’idée que les rêves surviennent durant cette
seule phase s’est solidement ancrée dans les esprits. Une
expérience en particulier y a contribué5. Son principe est
simple : des sujets endormis sont réveillés soit en phase de
sommeil paradoxal, soit en phase de sommeil lent. On
leur demande s’ils ont rêvé. Dans le groupe des personnes
réveillées en sommeil paradoxal, 80 % répondent oui.
Dans l’autre groupe, elles ne sont que 6 %. Conclusion
des chercheurs, un peu simplifiée mais qui a fait grand
bruit : on rêve en sommeil paradoxal. L’expérience a été
refaite par la suite et il s’avère qu’en réalité, jusqu’à 75 %

5 Dement W., Kleitman N., 1957. The relation of eye movements during sleep to
dream activity: An objective method for the study of dreaming. Journal of Experimen-
tal Psychology.

36
Tu dors ?

des personnes réveillées en sommeil lent rapportent des


souvenirs de rêves. C’est tout sauf anecdotique. Pour
autant, l’approximation est restée, et ce d’autant plus
facilement qu’elle livre sur un plateau le marqueur
physiologique tant attendu pour étudier le rêve. Explo-
rons le sommeil paradoxal et le rêve se révèlera. Au
premier abord, tout colle : l’hyperactivité corticale permet
la production d’images visuelles et de scenarii élaborés,
l’atonie musculaire empêche le passage à l’acte, les
mouvements oculaires reflètent le suivi des scènes... Il y a
tout de même un hic : l’érection pénienne, systématique
chez les hommes pendant le sommeil paradoxal. Il pour-
rait y avoir une explication si tous les rêves avaient un
contenu érotique. Mais non : seuls 8 % sont de cet ordre.
Le sommeil paradoxal n’est donc pas l’équivalent du rêve.
Si clé des rêves il y a, il faut la chercher ailleurs.
Nous rêvons donc pendant toutes les phases de
sommeil. Bien. À quels moments précisément ? Pendant
combien de temps ? Comment reconnaître le rêve sur les
enregistrements de l’activité cérébrale ? Est-il seulement
visible, du reste ? Existe-t-il un lien entre le contenu du
rêve raconté au réveil et l’activité électrique du cerveau à
ce moment-là ? Une centaine de neuroscientifiques à
travers le monde cherchent des réponses à ces questions.
S’ils pouvaient enregistrer l’activité cérébrale pendant le
rêve et la comparer à celle des périodes sans rêve, ils y
verraient plus clair. Mais en l’état actuel des connaissances,
ce marqueur physiologique du rêve, s’il existe, n’a pas
encore été identifié. Il y a bien les récits de rêve livrés au
réveil, naturel ou provoqué, mais cette traduction en mots
n’est rien d’autre qu’un souvenir reconstitué livré à l’état
brut, pas nécessairement complet, ni vraiment fiable et
encore moins vérifiable. On a connu matériau scientifique
plus robuste.

37
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Sur la piste des rêves

Les études sur les rêves se heurtent à un défi méthodo-


logique de taille, qui oblige les chercheurs à imaginer des
astuces. L’une d’elles consiste à étudier l’enregistrement
électroencéphalographique qui précède immédiatement
un réveil suivi d’un souvenir de rêve et à le comparer à
celui d’un réveil sans souvenir de rêve. Plusieurs équipes
s’y sont attelées. L’une d’elles a même affirmé en 2017
avoir identifié des manifestations cérébrales du rêve par
ce biais6. Leur étude ne fait toutefois pas l’unanimité chez
les spécialistes, certains mettant en doute la méthode et la
portée des résultats : comment savoir si le rêve rapporté
au réveil vient juste d’avoir lieu ? Et s’il s’était forgé plus
tôt dans le sommeil ? Enfin, qui dit que celui qui estime
ne pas avoir rêvé n’a pas oublié le rêve qu’il vient de faire ?
D’autres équipes ont mis au point des protocoles qui
font appel à une catégorie particulière de dormeurs : les
rêveurs lucides. Ces personnes ont conscience qu’elles
sont en train de rêver. Elles seules sont capables de dire
« je rêve » au moment même où cela se produit. Elles ne
le signalent pas avec des mots, impossibles à prononcer
pendant le sommeil, mais peuvent bouger les yeux au
moment précis où leur rêve commence et se termine.
L’expérimentateur, bien réveillé pour sa part, reporte ces
moments sur l’enregistrement qui défile sous ses yeux et
voit alors se dessiner en direct l’activité cérébrale corres-
pondant au rêve en cours. Hélas rares sont les personnes
dotées de cette capacité hors norme. Quand bien même
elles acceptent de participer à des études, encore faut-il
multiplier les essais car les rêves lucides ne surviennent

6 Siclari F. et al., 2017. The neural correlates of dreaming. Nature Neurosciences.

38
Tu dors ?

pas toutes les nuits. Ils sont aussi et surtout très difficiles
à obtenir en laboratoire. Pour toutes ces raisons, seule une
poignée de ces rêves lucides ont pu être enregistrés
jusque-là, trop peu pour donner lieu à une étude scienti-
fique sérieuse.

Petits et gros rapporteurs de rêve

Une troisième approche s’inspire de la neuropsycho­


logie du rêve, un champ de recherche qui vise à revisiter
la psychanalyse à la lumière des données récentes en
neurosciences du cerveau et des états de conscience. Au
Centre de recherche en neurosciences de Lyon, les travaux
de Perrine Ruby et ses collaborateurs s’inscrivent dans
cette perspective. Leur matériau de recherche ? Les souve-
nirs de rêve rapportés au réveil, plus ou moins nombreux
selon les personnes. À défaut de parvenir à en exploiter le
contenu, ils ont choisi d’explorer cette différence. Sachant
que tout le monde rêve, sans exception, y compris les
personnes qui ne se souviennent pas de leurs songes au
réveil, ils se sont demandé pourquoi certaines personnes
conservent ce souvenir, au point de parvenir à le raconter,
et d’autres pas ou peu. Quelle différence existe-t-il entre
les petits et les gros rapporteurs de rêves ? Pour le savoir,
ils ont étudié dans le détail les électroencéphalogrammes
des deux groupes. Et mis en évidence une différence qui
ne concerne pas le sommeil à proprement parler mais les
micro-réveils récurrents pendant celui-ci, qui se mani-
festent toutes les nuits sans laisser aucun souvenir au
dormeur le matin. La différence observée serait liée à la
durée moyenne de ces réveils courts, de l’ordre de deux
minutes chez ceux qui se souviennent fréquemment
de leur rêve contre une seule chez ceux qui s’en souvien­
nent rarement. Or la capacité de mémoire des uns est

39
Quoi de neuf sur le sommeil ?

comparable à celle des autres. Si les premiers se souvien­


nent mieux de leurs rêves, c’est parce que des périodes
d’éveil nocturne plus longues leur offrent plus d’oppor-
tunités pour les encoder dans leur mémoire. Les « gros
rêveurs » et les « petits rêveurs » dormiraient donc de
deux façons différentes7.
Et ce n’est pas tout : leurs cerveaux aussi fonction­
neraient différemment. Éveillés, les grands rapporteurs
de rêves se montrent en effet plus réactifs cérébralement
à des perturbations sonores que les petits rapporteurs
de rêves8. Et si cette réactivité accrue expliquait pourquoi
ils se réveillent plus la nuit ? C’est en tout cas l’hypothèse
de ces mêmes chercheurs, qui demande encore à être
confirmée. Il apparaît aussi que les régions cérébrales
dans lesquelles l’activité des grands rêveurs est plus
soutenue, à savoir la jonction temporo-pariétale et la
substance blanche du cortex préfrontal médian, jouent
un rôle dans l’orientation de l’attention vers des stimuli
inattendus. On sait aussi qu’elles sont impliquées dans
la mémoire épisodique, celle qui permet de se rappeler
les événements passés, et dans la capacité d’imagerie
visuelle. Scènes vécues, images visuelles : deux matériaux
de choix dans la construction de l’activité onirique...
Enfin, la lésion de ces régions cérébrales entraîne pure-
ment et simplement la suppression des souvenirs de
rêves. Autant d’observations qui suggèrent que les grands
rapporteurs de rêve ont peut-être aussi une capacité
accrue à produire des rêves.

7 Eichenlaub J.-B. et al., 2013. Brain reactivity differentiates subjects with high and
low dream recall frequencies during both sleep and wakefulness. Cereb Cortex.
8 Eichenlaub J.-B. et al., 2014. Resting brain activity varies with dream recall
frequency between subjects. Neuropsychopharmacology.

40
Tu dors ?

Visions de cauchemar

Processus psychologique qui se déroule la nuit pendant


le sommeil : cette définition sied aussi bien au rêve qu’au
cauchemar. Le premier a une connotation positive. On
rêve de devenir riche, de trouver le grand amour, de vivre
une autre vie que la sienne. En revanche, on se passerait
bien du second dont l’une des spécificités est de s’en aller
en laissant un sentiment désagréable voire franchement
inconfortable, sorte de souvenir des émotions intenses et
des images perturbantes produites dans notre cerveau
endormi.
Jusque-là, les cauchemars ont été moins étudiés que les
rêves, eux-mêmes moins explorés que le sommeil. Autant
dire que l’on en sait encore très peu sur eux. Leur substrat
cellulaire, les chemins neuronaux qu’ils empruntent ne
sont pas encore dévoilés. Une chose est sûre néanmoins :
ils sont moins fréquents que les rêves. Des chercheurs en
psychologie de l’université de Montréal qui souhaitaient
analyser leur contenu ont dû récolter les récits d’environ
10 000 rêves glanés auprès de 331 adultes9. Parmi ceux-là
se trouvaient 253 cauchemars et 431 mauvais rêves. Soit
respectivement 2 et 4 % seulement des récits. La diffé-
rence ? Les premiers vous réveillent, pas les seconds. C’est
peut-être un détail pour vous mais pour eux ça veut dire
beaucoup (voir chapitre 3). Admettons pour le moment
que les cauchemars sont la forme extrême des mauvais
rêves. L’étude montre que les agressions physiques sont
présentes dans près de la moitié des cauchemars tandis
que les mauvais rêves mettent plus souvent en scène des
conflits interpersonnels. La mort, les problèmes de santé

9 Robert G., Zadra A., 2014. Thematic and content analysis of idiopathic nightmares
and bad dreams. Sleep.

41
Quoi de neuf sur le sommeil ?

et les menaces sont aussi des thèmes récurrents des


cauchemars. Parfois, une atmosphère inquiétante suffit
à déclencher le réveil. Autrement dit, si la peur est le
sentiment dominant des cauchemars –– alors qu’elle est
généralement absente des mauvais rêves –– elle ne leur est
pas indispensable. Dans un tiers des cauchemars rappor-
tés par les participants de cette étude, elle cède le pas à
d’autres émotions primaires comme la confusion, le
dégoût, la culpabilité ou la tristesse. Le sentiment d’étran-
geté semble également plus présent dans les cauchemars
que dans les mauvais rêves. Autre enseignement de ce
travail : hommes et femmes ne font pas les mêmes
cauchemars. Ceux des hommes contiennent majoritaire-
ment des agressions physiques alors que ceux des femmes
sont plus souvent habités par des conflits entre personnes.
Quid des cauchemars chez l’enfant ? Entre 3 et 8 ans,
quasiment tous les enfants disent en avoir fait au moins
un dans les six derniers mois. À l’adolescence, les filles y
seraient plus sujettes que les garçons. Les enfants qui font
des cauchemars seraient aussi plus anxieux que ceux qui
n’en font pas, et ce dès le plus jeune âge. Font-ils des
cauchemars parce qu’ils sont anxieux ou faire des cauche-
mars les rend-il plus anxieux ? Difficile à dire. Par ailleurs,
les enfants qui font des cauchemars connaissent plus
d’épisodes de somnambulisme et de terreurs nocturnes,
ronflent plus et font plus fréquemment pipi au lit. Ce qui
laisse à penser qu’il pourrait peut-être y avoir entre ces
différents phénomènes un lien, qui reste à découvrir.

Des réveils qui n’en sont pas

L’enfant qui jusqu’alors dormait se met soudain à


hurler. Cueillie dans son propre sommeil, Charlotte tres-
saute. Elle gagne la chambre de son fils, le trouve assis

42
Tu dors ?

dans son lit, les yeux grands ouverts, agité comme jamais.
Elle lui parle doucement, tente de le raisonner, le serre
contre elle pour le rassurer. Rien n’y fait car l’enfant ne la
voit ni ne l’entend. Voilà que maintenant le bougre se
débat. Puis soudain les cris cessent. Les traits de l’enfant
se détendent, sa respiration ralentit. Il dort à nouveau
paisiblement.
Beaucoup de parents ont déjà vécu cette scène pour le
moins effrayante, qui survient chez 15 % des enfants entre
3 et 10 ans. La terreur nocturne ressemble au cauchemar.
Ce n’en est pourtant pas un. D’abord parce qu’au réveil,
l’enfant n’en a pas le moindre souvenir, jamais. Ensuite
parce qu’elle survient plutôt dans la première partie de la
nuit, généralement une à trois heures après l’endormis­
sement. Les enfants entre 3 et 5 ans sont les plus exposés.
À ce stade, le sommeil lent est prépondérant et le sommeil
paradoxal, plus propice aux rêves et aux cauchemars, très
court. Et de fait, quand survient un épisode de terreur
nocturne, le cerveau de l’enfant dort profondément,
raison pour laquelle il ne répond pas aux sollicitations.
Ses mouvements –– s’asseoir, gigoter, se débattre –– sont
involontaires. Sur un plan physiologique, la terreur
nocturne correspond à un micro-réveil en sommeil lent
profond, et non à l’issue d’un épisode de sommeil para-
doxal. Résultat : les circuits neurovégétatifs sont en état de
marche, d’où les yeux ouverts, l’agitation, les cris, alors
que le cortex et la conscience restent profondément
endormis. Si impressionnantes soient-elles, ces manifes-
tations sont dans la majorité des cas sans gravité aucune.
Circulez, il n’y a rien à craindre.
Le somnambulisme relève du même genre de bug. Cette
fois, ce sont les circuits moteurs qui se mettent en marche.
Comme la terreur nocturne, c’est une parasomnie c’est-
à-dire un comportement anormal survenant pendant le

43
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Peut-on vraiment voir un monstre sous son lit le soir ?


Il y a ceux qui jureraient avoir entendu quelqu’un respirer sous
leur lit, ceux qui ont repéré la présence d’une forme tapie dans le
placard, ceux qui sentent sur leur peau les gratouillis typiques
d’un escadron de petites bêtes indésirables. On aurait tort de ne
pas les croire car ce n’est pas du chiqué. Ces illusions d’endormis-
sement, car ce sont bien des illusions, entrent dans la catégorie
des hallucinations hypnagogiques, phénomènes sensoriels
qui surviennent au moment de l’endormissement lorsque la
transi­­tion veille-sommeil dure un peu plus longtemps que prévu.
Elles correspondent à un état de conscience modifiée où, en
raison de la baisse de vigilance, des éléments de la réalité se
mêlent à des troubles de la perception. Enfants et adultes peuvent
en faire l’expérience. En dehors des pathologies psychiatriques et
de la consommation de produits psychotropes qui peuvent causer
de telles hallucinations, on ne comprend pas bien pourquoi
ni comment elles surviennent. Même si c’est plus rare, le
phénomène peut aussi se produire au milieu de la nuit pendant
une phase de sommeil lent léger qui marque l’entrée dans un
nouveau cycle.

sommeil. Il correspond à une sorte de réveil incomplet,


sans conscience ni raison, pendant le sommeil profond. Si
les enfants sont les plus concernés, surtout les garçons
entre 7 et 12 ans, 2 % des adultes connaîtraient pareilles
crises de temps en temps. Il y a ceux qui s’agitent dans leur
lit, se mettent à parler et font un tour dans la maison et se
recouchent. Pas bien méchant... sauf si leurs pérégrina-
tions les mènent au bord d’un escalier. Les formes de
somnambulisme les plus accentuées peuvent avoir une
issue dramatique. Par exemple quand les dormeurs,
inconscients du danger et des conséquences de leurs actes,
se mettent à manipuler des objets tranchants, ont des
mouvements violents ou prennent le volant. Le somnam-
bulisme comme les terreurs nocturnes ont a minima une
origine génétique, attestée par le fait qu’il existe des

44
Tu dors ?

familles où les som­­nambules et les terreurs nocturnes


sont surreprésentés. On ignore encore quels mécanismes
exacts expliquent leur survenue.

Tous les animaux dorment

Sommeil ou repos ?

Le sommeil, ou quelque chose d’approchant, a été


observé chez toutes les espèces animales chez lesquelles il
a été recherché. Si certaines ne connaissent pas le repos,
elles n’ont pas encore été repérées. Donc jusqu’à preuve
du contraire, on peut raisonnablement penser que tous
les animaux dorment.
Les biologistes qui s’intéressent à l’ensemble du règne
animal, et pas seulement à l’homme, ont pour habitude
d’adopter une définition du sommeil fondée sur le
comportement. Pour eux, lorsqu’un animal vivant
demeure immobile pendant un moment, c’est un indice
qu’il dort... peut-être. De fait, il peut tout aussi bien se
reposer ou s’adonner à une autre activité statique tout en
étant pleinement présent au monde qui l’entoure. Pour
affirmer qu’il dort, rien de tel qu’un stimulus sensoriel :
une petite pichenette sur le corps, un son, la présentation
de sa nourriture préférée. S’il ne réagit pas, la probabilité
qu’il soit endormi est très élevée. Si au contraire l’animal
se repose, sans dormir, ces stimulations extérieures provo-
queront à coup sûr un mouvement de sa part, voire la
fuite. Sur le plan physiologique, cela change tout. Selon
cette définition, les mammifères dorment. Entre 4 et
20 heures par jour selon les espèces. L’éléphant détient
actuellement la palme du plus petit dormeur, le tatou
celle du plus gros. Enregistrer l’activité cérébrale de ces

45
Quoi de neuf sur le sommeil ?

animaux dans leur environnement naturel ou en captivité


pour attester de la présence de sommeil et caractériser ses
différentes phases est généralement possible, même si cela
suppose éventuellement quelques acrobaties et prises de
risques... Les insectes dorment. Dans ces moments-là,
leurs antennes cessent d’osciller. Caenorhabditis elegans
(ou tout simplement C. elegans, pour ses intimes), petit
ver transparent pas plus long qu’un millimètre, stresse s’il
n’a pas son compte de sommeil. Il entre alors dans une
forme de léthargie. Tout récemment, une étude menée à
l’Université de Californie10 est venue confirmer que le
sommeil avait également cours chez la méduse, invertébré
pourtant dénué de cerveau.
Le cas de la drosophile, cette mouche tout ce qu’il y a de
plus commun sous nos latitudes, est intéressant car son
sommeil présente de nombreuses similitudes avec celui
des mammifères, et de l’homme en particulier. Quand elle
cesse de virevolter au-dessus de la table de la cuisine, elle
est capable de s’immobiliser pendant plusieurs minutes
au cours desquelles son seuil d’éveil est augmenté (il faut
insister plus que d’habitude pour la mettre en mouve-
ment). Premier point commun : la durée et l’intensité de
ce sommeil augmentent après une période de privation.
Ce sommeil de mouche est également sensible aux exci-
tants comme la caféine et les amphétamines. Comme le
nôtre, il est soumis à un rythme circadien et s’impose
principalement la nuit. Enfin, il a été montré que les
mouches en manque de sommeil perdent de leur vigi-
lance et se révèlent moins performantes pour accomplir
certaines tâches11. Tant de similitudes ont conduit à ce

10 Nath R. et al., 2017. Jellyfish caught snoozing give clues to origin of sleep. Current
Biology.
11 Cirelli C., 2006. Sleep disruption, oxidative stress, and aging: New insights from
fruit flies. PNAS.

46
Tu dors ?

que la mouche du vinaigre devienne un modèle de choix


pour explorer le sommeil humain.
Le crapaud-buffle a pendant longtemps été considéré
comme le contre-exemple. On pensait que ce gros batra-
cien vorace et envahissant, dont la peau est toxique, ne
dormait pas du tout. Ceci, en raison d’une seule et unique
étude datée de 1967 dans laquelle il était rapporté que la
respiration de l’animal variait au moindre petit choc sur
sa peau pendant ce qui était censé être sa phase de repos
la plus profonde. Depuis, aucune expérience complémen-
taire n’a confirmé ces observations ni exploré leurs biais.
Rien ne dit par exemple que l’animal ne dort pas à un
autre moment. Faute de preuve plus consistante, les
biologistes actuels se refusent à conclure. Et tous les
animaux continuent de dormir.

Mais comment font-ils ?

Les dauphins, les baleines et tous les cétacés sont des


mammifères. Marins certes mais des mammifères tout de
même. À ce titre, et à la différence des poissons, ils sont
dotés de poumons grâce auxquels ils respirent. À échéance
régulière, ils remontent à la surface de l’eau pour les
remplir d’air. Leur respiration n’est pas réflexe comme la
nôtre, mais volontaire : l’animal perçoit qu’il est temps
pour lui d’aller prendre l’air et s’exécute. S’il ne le fait pas,
il meurt. Tant qu’il est éveillé, tout va bien. Sa conscience
le rappelle à l’ordre. Mais ces animaux dorment eux aussi.
Comment font-ils alors pour continuer à respirer ? Solu-
tion numéro 1 : donner la priorité à la respiration, au
détriment du sommeil. Autrement dit, dormir par courtes
périodes et jamais plus que la plus longue des apnées dont
ils sont capables. Après tout, on a déjà vu des baleines
rester en apnée pendant 50 minutes, ce qui en théorie

47
Quoi de neuf sur le sommeil ?

laisse du temps pour dormir. Pour l’orque et le dauphin,


dont les apnées n’excèdent pas 20 minutes, cela paraît déjà
plus hasardeux, mais après tout pourquoi pas. L’hypothèse
fut avancée dans les années 1960 par le scientifique améri-
cain John Lilly, cétologue réputé. Ce même Lilly qui, à
force d’observer le comportement des dauphins, remarqua
qu’ils dorment avec un œil ouvert et un œil fermé, comme
s’ils ne cessaient jamais d’être attentifs à leur environ­
nement. Fort de ce constat, le chercheur formula une
seconde hypothèse, confirmée par la suite et étendue aux
autres mammifères marins : celle d’un sommeil unilatéral,
un hémisphère cérébral après l’autre, permettant à l’ani-
mal d’assouvir simultanément deux de ses fonctions
vitales, à savoir respirer et dormir profondément. L’absence
de sommeil paradoxal semble être une autre singularité du
sommeil du dauphin, et des cétacés en général. Là encore,
les biologistes restent prudents, préférant dire que la preuve
de l’existence de sommeil paradoxal chez les cétacés n’a
pas été apportée plutôt que de conclure à son absence12.
Question de rigueur scientifique.
Donc les mammifères marins ne dorment que d’un
œil. Cela inclut les phoques, qui partagent leur existence
entre terres et eaux. Sur la terre ferme, leur sommeil
ressemble au nôtre : quand leur cerveau est endormi, il
l’est tout entier. Dans l’eau, et seulement dans l’eau, ils ne
dorment qu’à moitié, à l’instar des dauphins. Les mammi-
fères marins sont-ils les seuls capables d’une telle prouesse
biologique ? Apparemment pas. Des soupçons pèsent
actuellement sur les oiseaux migrateurs, qui parviennent
à enchaîner des centaines de kilomètres et d’heures de vol
sans poser pattes à terre. De deux choses l’une : soit ils ne

12 Lyamin O.I. et al., 2008. Cetacean sleep: An unusual form of mammalian sleep.
Neuroscience and Biobehavioral Reviews.

48
Tu dors ?

Hiberner n’est pas dormir


Avant de reprocher à quelqu’un de dormir comme une marmotte
ou un loir, lisez ce qui suit. Pour des animaux à sang chaud comme
eux mais aussi l’écureuil, la chauve-souris ou le hérisson, mainte-
nir sa température interne à 37 °C quand il fait un froid de canard
dehors demande une énergie colossale. Plutôt que de fournir un
tel effort, ils hibernent. Autrement dit, ils se placent dans un état
d’activité minimum grâce à une modification de leur thermostat
qui leur permet de se caler sur la température ambiante. Le ther-
momètre affiche 10, 2 ou – 5 °C à l’extérieur ? Dans leurs corps
aussi. Dans ces conditions, même le plus actif des écureuils n’est
plus très vaillant, tout juste bon à se tapir au fond d’un terrier en
attendant des jours meilleurs. Pour certaines espèces, l’hiberna-
tion ne dure que quelques heures. D’autres passent des semaines
voire des mois à ce régime. À plusieurs reprises, leur température
interne remonte en flèche et ils s’éveillent un bref instant, le temps
de changer de position ou d’avaler quelque chose. Vient le moment
où le dispositif de régulation de leur température interne se règle
à nouveau et pour de bon sur 37 °C. Les animaux sortent alors de
leur léthargie... et plongent immédiatement dans un profond
sommeil. Comme s’ils n’avaient pas assez dormi ! De fait, quand
bien même leur activité métabolique a été nettement réduite, ils
ont manifestement besoin de récupérer. Leur sommeil au sortir de
l’hibernation, très riche en ondes lentes, s’apparente à celui qui
suit une privation de sommeil. Et si l’hibernation était plutôt une
longue, très longue nuit blanche ?

dorment pas du tout, ce qui serait tout à fait inédit dans


le règne animal, soit ils savent dormir en plein vol. Des
chercheurs allemands13 ont récemment tranché en faveur
de la seconde hypothèse. En étudiant des enregistrements
de l’activité cérébrale de frégates des îles Galapagos
parcourant des centaines de kilomètres par jour au-dessus
des océans, ils ont mis en évidence des phases de sommeil

13 Rattenborg N.C. et al., 2016. Evidence that birds sleep in mid-flight. Nature
Communications.

49
Quoi de neuf sur le sommeil ?

profond pendant la nuit. Quelques minutes d’ondes


lentes, pas plus, tantôt dans les deux hémisphères, tantôt
dans un seul. Soit au total 42 minutes de sommeil quoti-
dien... À leur retour sur terre, les frégates se rattrapent et
se laissent aller à dormir jusqu’à 12 heures par jour. Leur
sommeil est alors plus profond, de ceux qui favorisent la
récupération. Les chercheurs se sont également aperçu
que les oiseaux ne perdaient jamais leur cap, qu’ils soient
éveillés, à moitié ou complètement endormis. Ce qui
semble indiquer qu’un seul hémisphère leur suffit pour se
diriger avec précision quand ils dorment. Et dire qu’éveil-
lés, avec deux hémisphères conscients et un GPS, les
humains n’y parviennent pas toujours...

50
2
Le sommeil, un ami qui vous
veut du bien

Dormir : Être distrait, être ailleurs, rêver ou rester à ne rien faire.


Exemple : Ce n’est pas le moment de dormir, il faut agir.

Que celui qui n’a jamais rêvé de s’offrir une bonne nuit
de sommeil et de goûter le plaisir de se réveiller le lende-
main frais et dispos, débarrassé des petits maux de la
veille, me jette le premier oreiller. D’expérience, nous,
dormeurs de tous bords, savons que le sommeil fait du
bien. Qu’il repose, répare, ressource et requinque. Les
médecins aussi le constatent, et ce depuis longtemps. Au
xviiie siècle, ils prenaient déjà pour acquis que le sommeil
« est l’élément qui restaure la machine corporelle et qui
redonne le tonus nécessaire14 ». Même si les fondements
biologiques de ce processus leur échappaient encore à
l’époque, ils appariaient déjà solidement bon sommeil et
bonne santé et prônaient le premier pour entretenir la
seconde. À en croire l’historien Guillaume Garnier, les

14 Garnier, 2013.

51
Quoi de neuf sur le sommeil ?

ouvrages sur les régimes de santé accordaient au sommeil


un rôle prépondérant pour accéder au bien-être et préve-
nir les maladies. Les médecins d’alors avaient par ailleurs
déjà conscience du potentiel créatif du sommeil. « Les
fonctions animales seules sont en repos mais les fonctions
nutritives qui sont sous la dépendance de la force vitale
telles que la digestion, l’absorption, la respiration, la
circulation, les sécrétions... non seulement continuent
comme dans l’état de veille, mais suivant quelques
physiologistes, elles acquièrent un surcroît d’activité [...]
L’expérience faisait d’ailleurs dire que le sommeil était
une mort qui redonne la vie. » Enfin, était admise et
répandue l’idée d’un sommeil capable de soigner, d’apai-
ser les maux de dents et des yeux, de calmer les nerfs et de
faire tomber la fièvre.
Quelque 200 ans plus tard, le sommeil n’a rien perdu
de ses fascinants pouvoirs. Les hommes et les femmes
du xxie siècle peuvent toujours compter sur lui pour les
remettre à flot après des heures d’éveil, de discussions,
d’agitation physique et intellectuelle, de relations
sociales, de stimulations sensorielles. Surtout, on en sait
plus sur sa physiologie, suffisamment en tout cas pour
affirmer qu’il est un passage obligé pour que le corps, les
organes et les cellules se portent et se comportent bien.
Cependant, on ne sait pas tout. Pas encore. Comment et
dans quelles conditions le corps tire-t-il profit du
sommeil ? Que fabrique-t-il donc quand nous lui laissons
les clés de lui-même ? Qu’advient-il pendant le sommeil
qui ne puisse se produire du tout, ou pas aussi bien,
quand nous sommes éveillés ? À toutes ces questions qui
ne datent pas d’hier, la science, qui n’a pas pour habitude
de s’endormir sur ses lauriers, fournit de plus en plus
de réponses.

52
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

Cœur et poumons toujours sur le pont

Ralentis, mon cœur


Le cœur ne cesse jamais de battre, pas même la nuit
quand nous dormons à poings fermés. Encore heureux
car les contractions du muscle cardiaque sont indispen-
sables pour expédier le sang dans le réseau des artères,
alimenter en oxygène et en nutriments le moindre petit
recoin de l’organisme, et collecter ses déchets en vue de
leur élimination. Idem pour la respiration, qui ne doit pas
s’interrompre au risque de priver le corps de l’oxygène
dont il a besoin en permanence ou de saturer les tissus en
gaz qu’ils essaient d’éliminer. Le sommeil n’interrompt
pas ces mécaniques vitales. Toutefois il leur accorde le luxe
de fonctionner à plus bas régime que lors de l’éveil et de
s’économiser un peu, ce qui est généralement une bonne
stratégie pour durer.
Poupoum. Poupoum. Allongée dans son sac de couchage,
Charlotte écoute battre son cœur. Viennent s’y greffer des
bruits inconnus qu’elle tente d’identifier. Des éclats de
voix, sans doute un groupe qui discute devant une tente un
peu plus loin. Le hululement intermittent d’une chouette.
Des brindilles qui craquent sous les roues d’un trio de
cyclistes de retour d’une randonnée nocturne à la fraîche.
Secousse sur la toile de tente, le cœur de Charlotte accélère.
Fausse alerte, rien qu’un coup de vent. Rassurée, Charlotte
finit par trouver le sommeil. Et son cœur ralentit.
La fréquence cardiaque diminue dès l’endormissement
et progressivement jusqu’à l’installation du sommeil lent
profond. Le volume de sang expulsé chaque minute est
alors moins important, ce qui a pour conséquence
d’abaisser la pression exercée sur la paroi des artères dans
lesquelles circule le sang. Le cœur bat régulièrement, sans

53
Quoi de neuf sur le sommeil ?

à-coups. Tout l’appareil cardiovasculaire travaille dans le


calme pendant la phase de sommeil lent. Quand le
sommeil paradoxal prend le relais, branle-bas de combat :
la fréquence cardiaque devient instable, avec des pics
irréguliers qui traduisent de soudaines accélérations de
rythme. Dans les artères, la pression sanguine suit le
mouvement. Chez les personnes en bonne santé cardio-
vasculaire, les parois du système circulatoire ont des
propriétés élastiques qui leur permettent de s’adapter à
ces variations. Pour celles qui présentent des maladies
cardiovasculaires, la phase de sommeil paradoxal est plus
risquée car leur cœur et/ou leurs vaisseaux ont plus de
difficultés à composer avec les à-coups.

Réveils et autres coups de stress

Ces manifestations physiologiques du système cardio-


vasculaire au cours du sommeil se produisent sans que
nous ayons besoin d’y penser. Elles s’opèrent sous le
contrôle du système nerveux autonome, qui, comme son
nom l’indique, fonctionne en pilote automatique. En
réalité, ce n’est pas un mais deux réseaux de neurones qui
sont tour à tour mis à contribution au cours du sommeil
pour réguler l’activité cardiovasculaire. Le premier, appelé
parasympathique ou vagal, a la mainmise sur toutes les
activités involontaires des organes, des vaisseaux et des
glandes. Le ralentissement du rythme cardiaque pendant
le sommeil lent, c’est à lui qu’on le doit. L’autre système
nerveux autonome, dit aussi sympathique, entre en jeu
pendant les phases de sommeil paradoxal et exerce l’effet
contraire : accélération du rythme cardiaque, augmen­
tation de la pression artérielle, exactement comme si
l’organisme était sous le coup du stress et mobilisait ses
forces pour parer au danger.

54
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

Le phénomène s’observe jusqu’au début du stade


suivant de sommeil léger, ce qui signifie que l’appareil
cardiovasculaire demeure stressé pendant les micro-
réveils qui ne manquent pas de survenir à chaque fin de
cycle. Du reste, n’importe quel réveil, nocturne ou pas,
conscient ou inconscient, provoque de telles réactions.
Autrement dit, plus les réveils sont fréquents, plus la
valeur moyenne de la pression artérielle au cours de la
nuit est élevée. Or il a été montré qu’en matière de risque
vis-à-vis des pathologies cardiovasculaires, la pression
artérielle nocturne est déterminante, bien plus que celle
du jour. Plus elle est élevée, plus ce risque est important.
Cela explique pourquoi les maladies cardiovasculaires
sont surreprésentées là où les personnes sont exposées au
bruit pendant leur sommeil –– autour des aéroports, près
des voies ferrées, dans les quartiers animés des villes.
Même si les gens sont habitués aux bruits des avions ou
des trains et ne se réveillent plus à leur passage, leur orga-
nisme réagit à chaque fois et convoque le système nerveux
sympathique, qui fait monter la pression artérielle.

Dormir ou rester allongé ?

La restriction du temps de sommeil, due à des insom-


nies ou à des nuits écourtées, a également des effets délé-
tères sur la pression artérielle et la santé cardiovasculaire.
Le risque d’avoir un accident vasculaire cérébral par
exemple est plus élevé chez les personnes insomniaques,
hommes ou femmes, que dans la population générale15.
Est-ce seulement une histoire de pression artérielle ? Rien
n’est moins sûr et des travaux supplémentaires sont

15 Ming-Ping W. et al., 2014. Insomnia subtypes and the subsequent risks of stroke,
report from a nationally representative cohort. Stroke.

55
Quoi de neuf sur le sommeil ?

nécessaires pour explorer plus avant les mécanismes qui


relient insomnies et attaques cérébrales.
Si dormir diminue la pression artérielle, ce n’est pas
uniquement parce que le cœur bat moins vite. La position
allongée amoindrit l’effet de pesanteur sur les parois des
vaisseaux. Et si une partie des effets sur la santé cardiovas-
culaire imputés au sommeil étaient simplement le résultat
de ce changement de posture ? Si tel était le cas, le repos
allongé et prolongé pourrait être une alternative acceptable
au sommeil, sur le plan cardiovasculaire tout au moins.
Pour ce qu’on en sait aujourd’hui, s’allonger ne suffit pas
pour bénéficier de tous les bienfaits du sommeil sur le plan
cardiovasculaire. Même plusieurs heures d’affilée ou
pendant une nuit complète. La part des bénéfices dus à la
position d’une part, à l’état de sommeil ou à certaines de
ses phases d’autre part, n’est pas encore connue.

Cesser de respirer ? Vous n’y pensez pas !

« C’est bon, tout va bien. » Combien de jeunes parents


sont entrés à pas de loup dans la chambre de leur enfant
pendant la nuit, juste pour s’assurer qu’il respire ? Quand
le corps est endormi, allongé, immobile, les soulèvements
de la cage thoracique et le souffle tiède qui traverse les
lèvres sont accueillis comme le messie. La mécanique
respiratoire, comme celle du cœur, ne s’arrête jamais. Elle
peut ralentir et s’apaiser, ça oui. La fréquence respiratoire
atteint son plus bas niveau au cours du sommeil lent
profond, qui est aussi la phase où la respiration est la plus
régulière. Pendant le sommeil paradoxal, la respiration
accélère, devient irrégulière et plus ample. Les muscles sont
alors relâchés, sous le coup d’une inhibition en provenance
du tronc cérébral. Tous... sauf ceux qui contrôlent les
mouvements du diaphragme. La respiration est sauve.

56
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

Fournir le corps en oxygène, le débarrasser du dioxyde


de carbone est une mission de tous les instants qui exige
que la respiration soit continue et efficace. Comment
savoir si c’est le cas ? En scrutant les mouvements de la
cage thoracique, les variations de température entre l’air
inspiré et l’air expiré, en mesurant le débit de ces flux et le
taux d’oxygène sanguin, on peut détecter un éventuel
trouble du sommeil ayant une incidence sur la respira-
tion, à commencer par les apnées du sommeil.
On a longtemps cru, faute d’éléments tangibles pour
prouver le contraire, que les arrêts respiratoires pendant
le sommeil étaient normaux et anodins. Tout au moins
ceux qui résultent d’un obstacle au passage de l’air dans la
trachée. Que les muscles qui contrôlent la langue et le
voile du palais pouvaient se relâcher et cesser de maintenir
ouvertes les voies aériennes sans que cela ait d’incidence
particulière sur la santé. Ceux qui avaient une gorge
étroite ronflaient souvent, et alors ? Alors mal respirer la
nuit altère la santé physique, l’humeur, la qualité de vie.
Rien que ça... Qui dit apnée du sommeil dit manque
d’oxygène dans l’organisme une partie de la nuit. Pour le
cerveau qui, même endormi, continue d'avoir à l’œil ses
constantes, et notamment le taux d’oxygène dans le sang,
c’est intolérable. Le dormeur doit se réveiller et inspirer !
Ce processus d’éveil forcé peut se renouveler plusieurs
centaines de fois au cours de la nuit d’un apnéique,
mettant à mal l’enchaînement normal des phases et des
cycles de sommeil. À ce régime, somnolence, manque
d’énergie, maux de tête, troubles de la mémoire et de la
concentration sont quasiment garantis au réveil
et toute la journée du lendemain. Entre 3 et 7 % des
hommes et 2 à 5 % des femmes seraient dans ce cas. Ils
sont aussi plus exposés que les autres à tout un tas de
maladies comme une hypertension artérielle, une maladie

57
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Les apnées du sommeil se soignent-elles ?


La pression positive continue mise au point au début des années
1980 a changé la vie de bon nombre d’apnéistes ronfleurs... ainsi
que celle de leurs conjoints. Le principe ? Envoyer de l’air dans les
voies aériennes supérieures à pression suffisante pour empêcher
qu’elles ne se ferment. Cela suppose de faire de la place sur sa table
de chevet pour une machine à turbine de la taille de la moitié d’une
boîte à chaussures, qui fournit l’air pressurisé, et d’accepter de
dormir avec sur le nez (et parfois la bouche) un masque ou un
embout relié à un tuyau. Pas très sexy, quelque peu contraignant
mais redoutablement efficace contre les apnées dites obstructives,
qui sont les plus fréquentes. Autre solution, un peu plus discrète :
l’orthèse d’avancée mandibulaire, un petit dispositif en résine souple
semblable à un appareil dentaire et qui, une fois positionné dans la
bouche, avance la mâchoire inférieure. La langue qui avait tendance
à tomber vers l’arrière en position allongée, ne le peut plus et l’air
circule normalement. Ce traitement nécessite d’avoir les dents et la
bouche en bonne santé, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Si
vous êtes sujets aux apnées du sommeil, évitez de boire de l’alcool
le soir, car celui-ci favorise l’affaissement des parois de la trachée
et augmente la durée des apnées. Notez que traiter les apnées du
sommeil permet souvent de venir à bout des ronflements.

coronarienne, une insuffisance cardiaque, un accident


vasculaire cérébral, un diabète de type 216... N’en jetez
plus ! Les preuves pour établir avec certitude un lien de
cause à effet (la cause étant les apnées du sommeil, l’effet
les pathologies mentionnées) sont difficiles à rassembler
car beaucoup d’autres facteurs peuvent intervenir. À ce
stade, les scientifiques sont quasiment certains que les
apnées du sommeil font le lit de l’hypertension artérielle.
Pour le reste, ils continuent de chercher étude après étude
si les traitements mis en place pour soigner les apnées

16 Escourrou P., Roisman G.L., 2010. Épidémiologie du syndrome d’apnées-


hypopnées obstructives du sommeil de l’adulte et de ses complications. Médecine
du sommeil.

58
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

sont à eux seuls capables de prévenir les maladies cardio-


vasculaires et de diminuer le risque d’accident vasculaire
cérébral, ce qui serait la preuve que les unes sont respon-
sables des autres.

Le sommeil influence-t-il l’activité


des hormones ?

Pas de sommeil, pas de croissance (ou presque)

Toutes les hormones sont sous la dépendance de l’hor-


loge biologique, qui dicte aux glandes endocrines leur
partition et décide qui sécrète quoi et quand. Il n’en reste
pas moins que bien souvent, le sommeil a lui aussi son
mot à dire. Un mot capital pour le bon fonctionnement
des organes, la communication entre eux et le dévelop­
pement de l’individu. Si vous écourtez vos nuits, ce petit
manège hormonal ne tourne plus tout à fait rond.
C’est une succession de petites croix inscrites au stylo
dans son carnet de santé, une invitation à remonter
le temps jusqu’à l’enfance que Charlotte saisit au vol.
À 2 ans, elle mesurait 86 cm. Du haut de ses 6 ans, elle
atteignait 1,24 m sous la toise. À 12, elle franchissait la
barre du mètre cinquante. La cheville ouvrière de cette
croissance régulière jusqu’à la fin de sa puberté fut une
hormone aussi indispensable que multi-tâche : la somato­
tropine, plus connue sous le nom d’hormone de croissance.
Outre sa capacité à faire grandir, cette hormone participe
à la transformation des sucres et des graisses. En manquer
conduit à un retard de croissance mais aussi à un excès de
cholestérol et de graisse corporelle, à un déficit de masse
musculaire et à une diminution de la densité osseuse.
L’hormone de croissance est naturellement sécrétée par

59
Quoi de neuf sur le sommeil ?

l’hypophyse, une glande de la taille d’une perle située à la


base du cerveau, qui la libère non pas en continu mais par
pics. Une série de travaux datant de la fin des années 1960
a montré que le principal d’entre eux a lieu pendant le
sommeil17. Ces chercheurs avaient aussi déjà remarqué
qu’en avançant ou en reculant l’heure du coucher, ce pic
se décalait. La libération d’hormone de croissance à ce
moment-là dépendrait donc bien de l’état de sommeil et
pas de l’horloge biologique. Des études ultérieures ont
apporté des précisions quant à la chronobiologie de cette
hormone. On sait maintenant que 75 % de sa quantité
journalière sont sécrétés pendant le sommeil lent profond.
Autrement dit, pendant les premiers cycles de sommeil
qui occupent les deux ou trois premières heures de la nuit.
Autre certitude : la quantité produite est proportionnelle
à la durée de cette phase. Pas étonnant que les enfants qui
souffrent d’apnées du sommeil, avec pour conséquences
des réveils fréquents qui perturbent leur sommeil
profond, aient souvent des retards de croissance. Ils
manquent d’hormone de croissance. D’autres pics de
sécrétion ont lieu vers la fin de la nuit mais aussi dans la
journée sous l’influence notamment des repas, de l’effort
musculaire ou du stress. Rien à voir toutefois avec le
relargage du début de la nuit, de loin le plus imposant
quantitativement parlant. Très importante pendant la
première année de vie, la sécrétion de cette hormone
diminue ensuite progressivement avant de remonter à
l’adolescence. Les adultes, et plus encore les personnes
âgées, en produisent encore mais beaucoup moins.
Logique, puisque leur sommeil comporte moins de
sommeil profond que celui des enfants.

17 Takahashi Y. et al., 1968. Growth hormone secretion during sleep. The Journal of
Clinical Investigation.

60
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

Des hormones réduites au silence

Il y a de tout chez les hormones. Les unes, comme


l’hormone de croissance, ne sont jamais aussi concentrées
et actives que pendant le sommeil. D’autres font exacte-
ment le contraire : présentes tout ou partie du jour et du
soir et aux abonnées absentes pendant le sommeil. La
TSH (initiales de l’anglais thyroid-stimulating hormone)
est de celles-là. Son rôle consiste à donner le feu vert à la
thyroïde, une petite glande située dans le creux du cou,
pour qu’elle libère ses propres hormones dont les effets
sur les organes et les voies métaboliques de l’organisme
sont multiples. En gros, plus la concentration de TSH est
élevée, plus celle des hormones thyroïdiennes est impor-
tante et plus l’organisme est en mesure de consommer de
l’énergie et de l’oxygène pour mener à bien ses activités.
La réciproque est vraie : la baisse de la concentration de
TSH conduit à une moindre stimulation de la thyroïde et
à une diminution du métabolisme général.
Comme l’hormone de croissance, la TSH est sécrétée
par l’hypophyse. Comme elle, sa concentration dans le
sang varie au cours de la journée dans le respect de la loi
dictée par l’horloge biologique. La quantité d’hormone,
relativement faible et stable dans la journée, augmente
subitement en début de soirée pour atteindre son maxi-
mum un peu avant l’horaire naturel d’endormissement.
Comme elle enfin, la quantité sécrétée est directement liée
à la quantité de sommeil. Mais les similitudes s’arrêtent là
car le sommeil fait office d’interrupteur sur la TSH et
coupe court au pic de sécrétion de la soirée18. Fin de
service, on ferme pour la nuit ! La concentration de TSH

18 Morgan D., Tsai S.C., 2016. Sleep and the endocrine system. Sleep Medicine Clinics.

61
Quoi de neuf sur le sommeil ?

dans le sang baisse alors jusqu’au réveil. Voilà pour la


tendance générale. À y regarder de plus près, il apparaît
que l’effet inhibiteur du sommeil sur la sécrétion de TSH
s’exerce surtout pendant les phases de sommeil profond
alors qu’au moment des micro-réveils, la production
reprend. Ce rôle inhibiteur du sommeil est confirmé par
des expériences de privation de sommeil, au cours
desquelles le taux de TSH ne baisse pas comme il le devrait
en seconde partie de nuit.
Le cortisol (voir chapitre 1) subit à peu près le même
sort sous l’effet du sommeil. Dès l’endormissement, sa
quantité dans le sang diminue. Cette baisse de concentra-
tion est la conséquence d’une inhibition de sa sécrétion. Les
études sur le sujet suggèrent là aussi que le phénomène est
lié à la phase de sommeil profond caractérisée par ses ondes
lentes. Inversement, des éveils nocturnes de plus de dix
minutes déclenchent des pics de sécrétion de cortisol qui,
rappelons-le, est l’une des principales hormones du stress.

Qui dort métabolise

L’appétit vient en veillant

Le métabolisme désigne l’ensemble des opérations de


fabrication et de dégradation des substances constitutives
de l’organisme : protéines, sucres, graisses, hormones, etc.
Ces opérations cellulaires de tous les instants nécessitent
de la matière première puisée à l’extérieur, dans l’alimen-
tation notamment, mais aussi des ingrédients maison
(fabriqués dans l’organisme) comme l’insuline ou le
cortisol pour ne citer qu’eux. Et de l’énergie, beaucoup
d’énergie. Le sommeil influence la production de plusieurs
hormones et, par conséquent, rend possible certaines

62
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

étapes du métabolisme. Dès lors qu’il est perturbé, des


pans entiers du métabolisme le sont aussi. Il est aussi et
surtout indispensable à la bonne gestion des sucres de
l’organisme, principale source d’énergie des cellules.
Les hormones leptine et ghréline forment un duo de
choc pour réguler l’appétit. La première procure la sensa-
tion de satiété qui pousse à arrêter de manger. Sa sécrétion,
assurée par les cellules graisseuses, augmente pendant les
repas et chute lors d’un jeûne. Disons qu’elle exerce un
effet coupe-faim. La seconde, la ghréline, produit l’effet
inverse. Elle ouvre l’appétit. Si vous craignez de ne pas vous
en souvenir, notez que ghréline commence par « ghr »
comme dans « Ghrrr, j’ai faim ! ». Sa sécrétion par l’esto-
mac augmente avant l’heure habituelle des repas et dimi-
nue après chaque prise de nourriture. Des travaux menés
sur des hommes jeunes et en bonne santé ont mis en
évidence des modifications de la sécrétion de chacune de
ces deux hormones dès lors qu’une dette de sommeil s’ins-
talle. Dans ces conditions, la production de ghréline
augmente et celle de leptine diminue. La faim se fait sentir,
d’autant plus accentuée que le manque de sommeil est
important. C’est le premier constat.

Manquer de sommeil fait-il grossir ?

Deuxième constat : la privation de sommeil paraît


favorable à la prise de poids. Les premiers chercheurs à
s’en être aperçu au début des années 1990 ont d’abord cru
qu’ils s’étaient trompés, qu’il y avait un biais dans leur
étude ou une erreur dans leurs résultats. Que le sommeil,
état qui dépense moins d’énergie que l’éveil, contribue à
la prise de poids leur aurait semblé logique, mais ils
observaient le contraire. Par ailleurs, on pensait encore à
l’époque que le sommeil était produit par et pour le

63
Quoi de neuf sur le sommeil ?

cerveau uniquement. L’étudier était l’affaire des neuro­


scientifiques et rares étaient les chercheurs d’autres
disciplines à s’y intéresser. L’idée que le sommeil puisse
intervenir dans la régulation du métabolisme énergétique
a néanmoins cheminé et plusieurs études ont fini par
confirmer le lien entre poids et sommeil. Car il existe bien
une association entre courte durée de sommeil et risque
d’obésité, en particulier chez les enfants et les adoles-
cents19. Manquer de sommeil pendant ses jeunes années
multiplie par deux le risque d’être en surpoids plus tard.
Chez les adultes, il y a plus de courts dormeurs (moins de
sept heures par nuit) parmi les personnes obèses que dans
la population générale. En dessous de sept heures par
nuit, chaque heure de sommeil en moins augmente nota-
blement le risque de développer une obésité. Cela étant
dit, les longs dormeurs (plus de dix heures par nuit) ne
sont pas pour autant épargnés puisqu’eux aussi risquent
plus gros vis-à-vis du surpoids et de l’obésité que les
dormeurs dans la moyenne (autour de huit ou neuf
heures par nuit). Cette série de travaux a en outre pointé
le fait qu’un sommeil court limite l’efficacité des régimes
entrepris pour perdre du poids. Autrement dit, la priva-
tion de sommeil agit comme Pénélope, la femme d’Ulysse
restée sur l’île d’Ithaque et qui cherche à gagner du temps :
elle défait la nuit les efforts consentis le jour.
Reste à savoir comment la privation de sommeil
conduit à la prise de poids. Certes, on comprend bien que
le nouvel équilibre entre leptine et ghréline incite à
manger plus. Qui plus est, dormir moins revient à être
plus longtemps réveillé, ce qui permet d’éprouver la faim

19 Fatima Y. et al., 2015. Longitudinal impact of sleep on overweight and obesity in


children and adolescents: A systematic review and bias-adjusted meta-analysis.
Obesity Reviews.

64
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

et d’ouvrir le réfrigérateur pour la satisfaire. Pour autant,


certains faits expérimentaux suggèrent l’intervention
d’autres mécanismes. Ce constat par exemple : les indivi-
dus en mal de sommeil se tournent plus volontiers que les
autres vers les aliments gras et sucrés. Une telle tendance
pourrait s’expliquer par le fait que la privation de sommeil
stimule une population de neurones impliqués dans le
système de la récompense, nous poussant alors à recher-
cher des satisfactions immédiates à travers le grignotage
d’aliments très énergétiques. Reconnaissez-le : quand vous
vous êtes couchés très tard plusieurs soirs de suite sans
pouvoir récupérer le lendemain, ce n’est pas un plat de
haricots verts qui vous fait envie mais une tablette de
chocolat ou un sandwich rillettes-cornichons. Il semble
aussi, mais cela demande à être confirmé, que la privation
de sommeil mène à une diminution de l’activité physique
donc de la dépense énergétique. Là encore, cela tombe sous
le sens : sous le coup de la fatigue, on prend plus volontiers
l’ascenseur que les escaliers, et le métro que son vélo. Par
ailleurs, il apparaît que la privation de sommeil est à l’ori-
gine d’une hausse de la sécrétion de cortisol dans la soirée,
qui elle-même stimule encore un peu plus l’appétit et
favorise l’accumulation de graisse au niveau abdominal.
Résumons : le manque de sommeil contribue à la prise
de poids. Mais l’inverse est-il vrai ? Peut-on perdre du
poids en dormant plus ? Des travaux sont en cours pour
savoir si allonger la durée de sommeil des personnes obèses
qui habituellement dorment peu facilite ou non leur perte
de poids. Les premiers résultats sont plutôt encourageants.

Le sommeil tient le diabète à distance

Pendant les périodes d’examens, Charlotte travaillait


d’arrache-pied. Levée à l’aube, elle révisait ses cours toute

65
Quoi de neuf sur le sommeil ?

la matinée, déjeunait sur le pouce, faisait des démarches


pour décrocher un job d’été, révisait à nouveau, passait la
soirée avec des amis, se remettait au travail quelques
heures. Elle dormait peu, quatre ou cinq heures par nuit
tout au plus. Elle tenait parce qu’elle savait que cela ne
durerait pas longtemps, une semaine, dix jours maximum.
Elle avait 20 ans et toute la vie pour dormir plus. Soit,
mais à ce rythme Charlotte malmenait son métabolisme.
Pour les besoins d’une étude datée de 1999, de jeunes
hommes de 18 à 27 ans ont eux aussi dormi quatre heures
par nuit seulement, et ce pendant six jours20. À l’issue de
l’expérience, rapportent les chercheurs, ils semblaient
avoir entre 60 et 80 ans et se trouvaient dans un état
prédiabétique auquel leur jeunesse et leur état de santé
initial ne les prédestinaient pas. Plus précisément, leurs
cellules étaient devenues moins sensibles à l’action de
l’insuline, qui d’ordinaire leur permet d’exploiter l’éner-
gie contenue dans les sucres, et leur pancréas répondait
moins aux stimulations du glucose qu’il n’est censé le
faire. Quelques bonnes nuits de sommeil par la suite ont
heureusement permis à ces volontaires de récupérer et
de revenir à un état métabolique normal. D’autres
travaux menés par la suite, sur des hommes et des femmes
de poids normal ou en surpoids, ont confirmé que le
manque de sommeil altère le métabolisme des sucres de
l’organisme.
En plus d’être sensible à la quantité de sommeil, le
métabolisme des glucides exige un sommeil de qualité et
continu. Un sommeil fragmenté augmente la résistance
des cellules à l’insuline et le risque de développer un
diabète. Le sommeil allégé, appauvri en sommeil lent

20 Spiegel K. et al., 1999. Impact of sleep debt on metabolic and endocrine function.
Lancet.

66
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

Qui dort dîne ?


L’origine de cette expression est incertaine. Pour les uns, elle fait
référence à une pratique commerciale des aubergistes d’antan qui
imposaient le couvert aux voyageurs en quête d’un gîte. S’ils
voulaient une chambre, ils devaient payer le repas. Pour d’autres,
elle traduit l’idée selon laquelle celui qui n’a pas de quoi manger
peut toujours noyer sa faim dans le sommeil et y trouver du récon-
fort. Certes mais c’est oublier un peu vite que l’appétit réapparaît
le lendemain, plus vigoureux encore. Par ailleurs, elle laisse
entendre que nous pouvons nous passer totalement d’énergie
pendant le sommeil, ce qui est loin d’être vrai puisque la majorité
des organes poursuivent leurs activités. Dormir n’est pas de tout
repos : l’estomac et les intestins digèrent, les reins filtrent, le cœur
pompe, les poumons assurent les échanges gazeux, le cerveau
classe, nettoie, mémorise... Il est même possible, bien que cela
n’ait pas encore été solidement prouvé, que le sommeil, en parti-
culier ses phases profondes, soit mis à profit par l’organisme pour
renouveler ses stocks de protéines et autres molécules complexes
et pour remettre en état les vésicules servant à les transporter.
Opération qui là encore, demande de l’énergie.

profond, a des effets comparables. Pour couronner le tout,


l’augmentation de la sécrétion de cortisol le soir, consécu-
tive au manque de sommeil, accentue la résistance à l’in-
suline. Le métabolisme des glucides n’est optimal que si
l’on dort suffisamment, d’une traite et en une fois. Pour
toutes ces raisons, le manque de sommeil est aujourd’hui
reconnu comme un facteur de risque de diabète au même
titre que le tabac, le cholestérol ou le surpoids. Enfin, des
travaux récents suggèrent que des horaires de sommeil
irréguliers ou le fait de dîner tard modifient également la
résistance à l’insuline. Si Charlotte avait su, elle se serait
certainement organisée différemment pour ses révisions
de fin d’année...

67
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Un rempart contre les maladies ?

Les infections donnent envie de dormir


« Je crois que je suis balade », annonce le grippé au nez
bouché entre deux éternuements. La main sur la tête,
comme s’il devait la tenir pour apaiser la douleur lanci-
nante qui s’y est installée, il gagne sa chambre, son lit, son
oreiller. Enfin ! Quand on est sous le coup d’une maladie
infectieuse comme la grippe ou ses semblables, dormir
n’est souvent pas un choix mais une nécessité. Cette
envie-là de dormir n’est pas seulement le fait combiné de
l’horloge biologique et de la durée de la veille précédente.
Elle vient d’ailleurs. Et nous cueille à n’importe quelle
heure, y compris les plus inadéquates...
Un corps qui lutte pour défendre son intégrité a besoin
de dormir plus qu’à son habitude. Ce constat ne date pas
d’hier mais les raisons de ce phénomène ne sont connues
que depuis peu. Et encore, en partie seulement. Le lien
entre infection et augmentation de la quantité de sommeil
a été exploré dans les années 1980. Il a été mis en évidence
chez le lapin d’abord, puis chez l’homme. Et ce, quelle que
soit la nature de l’agent infectieux –– virus, bactérie,
champignon, parasite. L’explication serait que l’infection
met en branle le système immunitaire et déclenche la
production de cellules de défense de l’organisme, parmi
lesquelles les cytokines pro-inflammatoires. Ces dernières
sont certes de bonne facture pour éliminer l’intrus mais
ont aussi des effets hypnogènes, qui expliqueraient cet
impétueux besoin de dormir. Par ailleurs, les enregistre-
ments polysomnographiques révèlent que sous le coup
d’une infection, la proportion de sommeil lent profond
augmente au détriment du sommeil paradoxal. Est-ce que
cet excès de sommeil profond participe à la guérison ?

68
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

S’agit-il d’une simple conséquence de l’infection ? Ou


bien ces modifications du sommeil participent-elles à un
mécanisme de défense plus global ? On ne le sait pas
encore. Par ailleurs, et c’est ennuyeux, certaines obser­
vations cliniques ne collent pas. Chez l’enfant par exemple,
les infections respiratoires bénignes comme les rhumes
n’ont pas d’effet notable sur le sommeil21. Alors quoi,
le sommeil serait-il insensible à certaines infections ?
À moins que le système immunitaire de l’enfant, moins
mature que celui de l’adulte, réagisse différemment et
produise moins de ces cytokines qui endorment ? Si tout
indique que le sommeil et l’immunité entretiennent des
liens intimes et complexes, force est de constater que
beaucoup de ces rouages nous échappent encore.
Le sommeil contribue au système de défense que
déploie l’organisme contre les corps étrangers qui
menacent son intégrité. Comment, par quels intermé-
diaires, dans quelles proportions, quelles circonstances,
quand… ? On ne comprend pas tout, loin de là, mais
grâce aux travaux menés ces dernières années, on
commence à y voir plus clair22. C’est en début de soirée,
entre 20 h et 23 h, que la concentration de cellules immu-
nitaires dans le sang est la plus élevée. Puis elle baisse et
atteint son plus bas niveau vers 7 h le lendemain. Avec ou
sans sommeil, la tendance est la même, ce qui prouve bien
que ces variations journalières dépendent surtout de
l’horloge biologique. Si le sommeil intervient, c’est
seulement au niveau de certaines populations de cellules,
en l’occurrence les monocytes et les lymphocytes. Tandis
que nous dormons, leurs concentrations diminuent.

21 Bryant P.A. et al., 2004. Sick and tired: Does sleep have a vital role in the immune
system? Nat Rev Immunol.
22 Royant-Parola et al., 2017.

69
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Le sommeil nocturne impacte aussi la production des


cytokines. Celles qui activent la réponse immunitaire sont
alors plus nombreuses dans le sang, prêtes à en découdre
s’il le fallait.

Plus reposé, plus résistant

En cas de rencontre avec un agent infectieux, comme


cela se produit très fréquemment, ceux qui ont bien dormi
les nuits précédentes réussissent mieux que les autres à ne
pas se laisser envahir. La résistance aux infections diminue
très rapidement avec le manque de sommeil. Selon une
étude anglo-néerlandaise, une seule nuit blanche et déjà
notre capacité à résister se fissure. Plus exactement, cet
écart suffit à élever notablement le taux d’une certaine
catégorie de globules blancs, les granunolocytes, dans le
sang23. Un signe qui ne trompe pas : le système immuni-
taire est activé, prêt à bondir sur n’importe quel indési-
rable qui passerait par là à grand renfort d’inflammation
et de fièvre. Par la suite, une autre étude menée auprès de
164 adultes, tous exposés au virus du rhume, a montré
qu’une privation de sommeil ou un sommeil de moindre
qualité pendant une semaine rend plus vulnérable à cette
infection. Non seulement les participants qui dormaient
peu sont plus tombés malades que les autres mais chez
eux, les symptômes de la maladie étaient aussi plus
marqués24. En dessous de six heures par nuit, l’infection
est quasi systématique. Si encore cette vulnérabilité ne
concernait que le rhume... Mais en suivant près de
57 000 infirmières pendant quatre ans, une autre équipe

23 Ackermann K. et al., 2012. Diurnal rhythms in blood cell populations and the
effect of acute sleep deprivation in healthy young men. Sleep.
24 Prather A.A. et al., 2015. Behaviourally assessed sleep and susceptibility to the
common cold. Sleep.

70
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

a mis en évidence un risque de développer une pneumo-


nie beaucoup plus élevé pour celles qui déclarent dormir
moins de six heures par nuit, par rapport à celles qui
dorment ne serait-ce qu’une heure de plus.
Enfin, sachez que s’accorder une bonne et longue nuit
de sommeil après une vaccination contribue à la rendre
efficace. Les chercheurs qui sont arrivés à cette conclusion
ont vacciné 27 hommes en bonne santé contre le virus de
l’hépatite A. Les uns avaient pour consigne de rester éveil-
lés la nuit suivante tandis que les autres dormaient
normalement. La réponse cellulaire à la vaccination s’est
révélée deux fois plus importante chez les dormeurs,
même après que les veilleurs ont récupéré le sommeil
dont ils avaient été privés. Un an après et malgré trois
vaccinations successives, l’écart persistait. Qui plus est, le
nombre de cellules immunitaires dirigées contre le virus
était d’autant plus grand que le temps passé en sommeil
lent profond avait été long25. Des résultats comparables
ont été obtenus avec d’autres virus. Nul doute que vous
y penserez la prochaine fois que vous irez vous faire
vac­ciner... Pourquoi tant d’agitation immunitaire pendant
le sommeil ? Peut-être parce que cet état est propice à un
redéploiement des ressources énergétiques, qui pendant
l’éveil sont utilisées à d’autres fins que l’immunité. Simple
hypothèse qui demande encore à être confirmée.

Sommeil et cancer du sein

Et si la durée de sommeil avait aussi une incidence sur


le risque de développer un cancer du sein ? Alors que les
indices en ce sens s’accumulaient, une équipe japonaise a

25 Lange T. et al., 2011. Sleep after vaccination boosts immunological memory. The
Journal of Immunology.

71
Quoi de neuf sur le sommeil ?

voulu en avoir le cœur net. Elle s’est appuyée sur les


données d’une cohorte nationale de 24 000 femmes
suivies pendant huit ans et a mis en évidence une associa-
tion entre une faible durée de sommeil (six heures) et un
risque accru de cancer du sein. Selon ces auteurs, le lien
entre les deux pourrait être la mélatonine. Souvenez-
vous : cette hormone n’est sécrétée que la nuit et en
l’absence de lumière. Or quand les nuits de sommeil sont
écourtées, ce n’est généralement pas pour rester dans
l’obscurité mais pour s’adonner à des activités qui néces-
sitent de la lumière, fût-elle artificielle comme celle d’une
lampe de chevet, d’un écran, d’un plafonnier, etc. Dans
ces conditions, la quantité de mélatonine sécrétée chaque
jour est diminuée. Et c’est là que le bât blesse car moins
de mélatonine, cela signifie moins de stimulation des
glandes sexuelles, donc moins d’hormones sexuelles en
circulation dans le sang. Hormones sexuelles qui, précisé-
ment, empêchent les cellules cancéreuses de proliférer
dans le sein. Faute de nuits de sommeil suffisamment
longues, la mélatonine ne serait plus en mesure de jouer
son rôle protecteur. La boucle est bouclée. Notez qu’ici, ce
n’est pas tant le sommeil que l’obscurité qui est décisive.
Si vous ne dormez pas mais gardez les yeux fermés et
n’allumez pas la lumière, tout va bien.
Plus récemment, une étude a apporté des éléments
inédits quant à l’utilité de nuits suffisamment longues et
obscures. Ce travail montre que le Tamoxifène, un médi-
cament couramment utilisé pour lutter contre le cancer
du sein, ne parvient à détruire les cellules cancéreuses que
si les personnes dorment dans le noir complet26. Là
encore, la mélatonine est le pilier de l’histoire. Quand elle

26 Robert T. et al., 2014. Circadian and melatonin disruption by exposure to light at


night drives intrinsic resistance to tamoxifen therapy in breast cancer. Cancer Research.

72
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

est présente en quantité élevée, durant la nuit et dans


l’obscurité donc, les cellules cancéreuses sont vulnérables
et le médicament peut agir. Le reste du temps, c’est-à-dire
dans la journée et dès qu’un peu de lumière, ne serait-ce
qu’un filet, bloque la production de mélatonine, la molé-
cule thérapeutique trouve porte close.

Quand le sommeil nous met en danger

Jusqu’où le manque de sommeil peut-il mener ?

Il en va du sommeil comme de la respiration ou de la


digestion : on ne prend vraiment conscience de son
importance qu’au moment où il nous échappe. En l’oc-
currence, quand il brille par son absence ou au contraire,
devient dévorant. Le manque ou l’excès met l’organisme
à rude épreuve. Ce ne sont alors plus tant les effets du
sommeil en tant que tel qui se manifestent que les consé-
quences de ces situations hors norme et heureusement
assez rares. Si ces dérapages ont néanmoins leur place
dans ce chapitre, c’est parce qu’ils mettent en lumière le
rôle protecteur et structurant du sommeil dans nos exis-
tences individuelles et sociales, dont nous ne nous rendons
généralement pas compte. Jusqu’au jour où...
La privation de sommeil se situe dans le peloton de tête
des tortures les plus insupportables. Au point qu’un tel
traitement est aujourd’hui rigoureusement interdit par
des conventions internationales. Sans aller jusque-là, ne
pas dormir du tout pendant une nuit voire plusieurs jours
d’affilée pour cause d’horaires de travail décalés, de
conditions de vie indigentes, de garde-à-vue, ne laisse
jamais indemne. Les troubles de l’humeur sont les
premiers à se manifester : irritabilité, alternance de phases

73
Quoi de neuf sur le sommeil ?

d’euphorie et de dépression, repli sur soi. Puis viennent


la difficulté à fixer son attention, les troubles de la vision
(les objets changent de forme, deviennent flous) et les
hallucinations visuelles et auditives. Après deux ou trois
jours à ce régime, il n’est pas rare de ressentir des fourmil­
lements dans les mains et dans les pieds. La moindre
petite douleur, à peine dérangeante en temps normal,
devient insupportable. Quelques heures de plus et c’est la
pensée qui se désorganise : la parole est lente, les mots
viennent à manquer, les oublis se multiplient. Répondre
à une question devient difficile voire impossible, ainsi que
se situer dans le temps ou se projeter dans le futur. Le
temps lui-même finit par passer de manière irrégulière.
Faute de pouvoir dormir et récupérer rapidement, la
privation totale de sommeil mène à la mort. Au bout de
combien de temps précisément, c’est difficile à dire. Chez
l’homme, les expériences de privation de sommeil
volontaires sont évidemment interrompues bien avant
d’en arriver là. Une maladie génétique rare a pour parti-
cularité de supprimer toute possibilité de sommeil. Les
personnes qui souffrent de cette insomnie fatale familiale,
à ce jour rebelle à tout traitement, décèdent inévitable-
ment au bout de quelques mois. Le rat totalement privé
de sommeil succombe encore plus rapidement, au bout
de 11 à 32 jours.
Heureusement le plus souvent, si privation de sommeil
il y a, celle-ci est partielle et ses conséquences, sans être
négligeables, n’atteignent pas de tels extrêmes. Dans
l’immense majorité des cas, la personne dort un peu, ne
serait-ce que quelques petites heures, même si elle n’en a
pas l’impression. Les insomniaques par exemple, dorment
généralement plus qu’ils ne le croient. Ce détail n’est pas
anodin car les risques associés à l’insomnie varient selon
la durée réelle de sommeil. On a beau souffrir de ne pas

74
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

trouver le sommeil, ou de le perdre pendant une partie de


la nuit, cela n’a pas la même incidence sur la santé en
général, le métabolisme et l’impact cognitif en particulier,
selon que l’on dorme quatre ou sept heures par nuit.
Il faut aussi tenir compte des individus et de leurs besoins
de sommeil, variables de l’un à l’autre (voir chapitre 4).
Estimer sa durée de sommeil objective avec l’aide d’un
spécialiste sert non seulement à se rassurer (peut-être
dormez-vous assez finalement) mais aussi à mesurer les
éventuels risques encourus.

Trop dormir : maladie ou symptôme ?

Sa barbe blanche est longue, très longue. Sans doute


parce que, trop occupé à dormir, il n’a pas le temps de la
tailler. Comme il bâille sans arrêt et n’ouvre jamais
complètement les yeux, l’étiquette de l’éternel paresseux
lui colle à la peau. En réalité, il est évident que Dormeur a
besoin de dormir beaucoup plus que la moyenne. Et
surtout beaucoup plus que les six autres nains du conte de
Blanche-Neige. Le malheureux n’y peut rien. Soit dit en
passant, il n’est pas le plus gros dormeur de l’histoire. Si
palme du long sommeil il y a, elle revient sans conteste à
Blanche-Neige qui, rappelons-le, mettra des années avant
de se réveiller sous le baiser tendre de son prince.
L’excès de sommeil n’est pas l’apanage des contes de
fées. Dans la vie réelle, on parle d’hypersomnolence, nom
générique qui désigne toute une palette de situations
subies où le sommeil prend exagérément le pas sur l’éveil.
Derrière l’hypersomnolence et la sensation de ne jamais
être complètement réveillé qui l’accompagne, peuvent
se cacher une multitude d’explications, à commencer
par le manque de sommeil chronique. Ces accès-là de
somnolence, si incommodants voire dangereux soient-ils,

75
Quoi de neuf sur le sommeil ?

disparaissent dès lors que la dette de sommeil est soldée.


L’hypersomnolence peut aussi être un symptôme parmi
d’autres d’une maladie, la conséquence d’un syndrome
d’apnée du sommeil, d’une maladie neurologique ou
d’une tumeur cérébrale, d’une infection virale ou bac­­­
térienne, d’une pathologie psychiatrique comme la
dépression majeure. La prise de médicaments peut aussi
provoquer une somnolence excessive. C’est notamment le
cas de certains antidépresseurs.
La plupart des hypersomnolences s’explique de la sorte.
Pas toutes. Car cette tendance à l’endormissement peut
aussi être l’expression de maladies neurologiques regrou-
pées sous le vocable d’hypersomnolences d’origine
centrale. Les personnes atteintes de ce type de trouble
dorment énormément, non par plaisir, par manque de
sommeil ou par paresse mais parce qu’elles ne peuvent
tout simplement pas faire autrement. Elles ont beau se
coucher tôt, faire des nuits longues et jouir d’un sommeil
qui semble être d’excellente qualité, elles ont énormément
de mal à se lever le matin et somnolent jusqu’au soir. Dans
la journée, elles font inévitablement une voire plusieurs
siestes longues dont elles s’extirpent avec difficulté. Voilà
pour le tableau général. Dans ces conditions et sans aide
médicale et sociale, mener une existence normale –– aller
en cours, travailler, s’occuper de ses enfants, avoir une vie
sociale –– relève de l’exploit.

N’importe où n’importe quand

Dans la famille des hypersomnolences, il est un trouble


un peu plus étudié et par conséquent mieux connu que les
autres : la narcolepsie. D’après une étude épidémiologique
menée dans le Gard en 1998, elle toucherait 21 personnes
sur 100 000. Agathe en fait partie et raconte comment la

76
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

narcolepsie a fait irruption dans sa vie à l’âge de 27 ans :


« Sans m’en rendre compte, j’ai commencé à m’endormir
de façon inopinée… un peu n’importe quand [...]
Ma mère en a parlé à mes amis : “Vous ne trouvez pas
qu’elle s’endort de façon étrange, parfois ?” Effectivement,
quand je m’endormais, j’avais une allure particulière : si
j’étais assise, ma tête partait dans tous les sens. Mon corps
était mou et adoptait une position bizarre, comme si
j’étais désarticulée [...] Je me suis endormie au volant,
plusieurs fois [...] J’ai eu un déclic, qui m’a terrifiée,
quand j’ai commencé à avoir des trous de mémoires.
Moi qui suis quelqu’un de très rigoureux, il m’est arrivé
très souvent d’être en voiture et de m’arrêter à 100 km
de ma destination… tout en pensant être arrivée. Au
milieu d’une argumentation, je me lançais dans une
phrase sans me souvenir de sa suite logique, les mots me
manquaient. Et puis mes clés et mes effets personnels ont
commencé à disparaître, avec les prénoms de certains de
mes collègues.27 »
La somnolence pendant la journée et l’impossibilité de
ne pas s’endormir brutalement à n’importe quel moment
caractérisent la narcolepsie. Chez 70 à 80 % des personnes
narcoleptiques, certains accès de sommeil sans préavis
s’accompagnent d’une perte de tonus musculaire tout
aussi brutale, appelée cataplexie. Voilà qui explique les
positions bizarres d’Agathe pendant son sommeil. De la
mâchoire qui s’affaisse au corps entier qui ne tient plus
debout et s’effondre puis s’endort juste après avoir ri aux
éclats ou s’être mis en colère, il y a de quoi se faire peur et

27 Extrait d’un témoignage publié sous le titre « Visions sanglantes, fatigue, absences :
le jour où j’ai appris que j’étais narcoleptique », http://leplus.nouvelobs.com/
contribution/1433702-trous-de-memoire-visions-a-32-ans-je-pensais-etre-alzheimer-
je-suis-narcoleptique.html (consulté le 11/07/2017).

77
Quoi de neuf sur le sommeil ?

très mal. Ces cataplexies surviennent le plus souvent suite


à une émotion inattendue et intense et ne durent jamais
plus d’une à deux minutes. La compréhension de la
narcolepsie a beaucoup avancé ces dernières années et
l’existence d’une prédisposition génétique est aujourd’hui
certaine. Plus récemment, les indices mettant en cause un
processus immun se sont accumulés. L’hypothèse la plus
plausible à ce jour considère que le système immunitaire,
induit en erreur par on ne sait quel signal, détruit une
population de cellules cérébrales qui produisent l’hypo-
crétine (ou orexine), un neurotransmetteur stimulateur
de l’éveil. Un argument supplémentaire en faveur de cette
explication est venu... de l’élévation du nombre de cas de
narcolepsie lors de l’épidémie de grippe H1N1 en 2009.
Les médecins ayant constaté une hausse du nombre de cas
de narcolepsie chez les personnes vaccinées contre cette
infection, leurs collègues biologistes ont voulu savoir
pourquoi et se sont rendu compte que le vaccin contenait
une molécule proche de l’hypocrétine28. Reste à
comprendre pourquoi une poignée d’individus vaccinés
seulement a développé la maladie et pas les autres.
Et puis il y a les autres hypersomnies, encore plus rares
voire exceptionnelles. L’hypersomnie idiopathique par
exemple, qui débute souvent avant l’âge de 30 ans et dont
on ignore encore l’origine (d’où son nom). Les scienti-
fiques soupçonnent un dysfonctionnement de l’un des
systèmes d’éveil cérébral mais ne peuvent l’affirmer tant
qu’ils n’ont pas trouvé lequel (ou lesquels). Il y a souvent
des cas familiaux, ce qui veut dire qu’un hypersomniaque
de cette catégorie n’est généralement pas le seul à l’être

28 De la Herrán-Arita A.K. et al., 2013. CD4+ T Cell autoimmunity to hypocretin/


orexin and cross-reactivity to a 2009 H1N1 influenza A epitope in narcolepsy. Science
Translational Medicine.

78
Le sommeil, un ami qui vous veut du bien

La maladie du sommeil n’est pas celle que vous croyez


Grosse, trapue, brune. Tels sont les attributs de la mouche tsé-tsé,
connue pour sa capacité à transmettre à l’homme un parasite qui
cause la trypanosomiase africaine, ou maladie du sommeil. Là,
sans doute voyez-vous déjà poindre le spectre des malades
condamnés à dormir à l’excès pour le restant de leurs jours. C’est
parce que comme beaucoup de gens, vous pensez hypersomnie.
Mais vous avez tort, il s’agit d’une encéphalite, une infection du
cerveau provoquée par le parasite et qui peut être mortelle. Certes,
les personnes qui en sont atteintes sont agitées la nuit et somno-
lentes la journée mais leur temps total de sommeil sur 24 heures
est proche de neuf heures, ce qui n’a rien d’excessif. Dans une
étude publiée en 2001, des chercheurs ont analysé en détails les
enregistrements de sommeil de plusieurs malades29. Ils se sont
aperçus que les cycles de sommeil et de veille sont d’autant plus
courts que les malades sont gravement atteints et que leur
sommeil survient indifféremment et dans les mêmes proportions
le jour et la nuit. Par ailleurs, la plupart de leurs épisodes de
sommeil démarrent par une phase de sommeil paradoxal, ce qui
ne se produit jamais chez un individu sain. Forts de ces observa-
tions et après avoir regardé de près comment varie chez ces
malades la production de certaines hormones liées au sommeil et
à l’alternance veille-sommeil, ils sont arrivés à la conclusion que
la maladie du sommeil correspond à un trouble du rythme veille-
sommeil, probablement en raison d’une perturbation de l’activité
de certains neurones.

dans sa famille. La maladie semble donc héréditaire. Pour


autant, aucune origine génétique n’a été mise en évidence
jusqu’ici. Autre fait troublant : ces hypersomniaques le
sont toute leur vie dans environ 80 % des cas... seulement.
Une fois sur cinq, la maladie disparaît au bout de quelques
années. Pourquoi, comment ? Qui sont ces chanceux ?
Compte tenu du petit nombre de malades (entre 1 200

29 Buguet A. et al., 2001. La maladie du sommeil : Trouble majeur des rythmes


circadiens. Médecine tropicale.

79
Quoi de neuf sur le sommeil ?

et 3 000 en France), la science a tardé à s’intéresser au


problème et la recherche sur l’hypersomie idiopathique
avance doucement, très doucement. Enfin, quelques rares
hypersomniaques dorment près de 20 heures sur 24
pendant plusieurs jours d’affilée alors que leur sommeil
et leur vigilance sont normaux entre les crises. Ce
syndrome porte les noms des deux premiers médecins à
l’avoir décrit précisément entre les deux guerres : Kleine-
Levin. Les trois quarts des personnes concernées ont
connu leur première crise après un épisode grippal ou
une infection des voies respiratoires supérieures, ce qui
suggère une possible origine infectieuse.

80
3
Ce que dormir fait au cerveau

Dormir : Exister à l’état latent, ne pas se manifester.


Exemple : Cet incident a réveillé la brutalité qui dormait en lui.

L’idée selon laquelle dormir bien et suffisamment est


nécessaire pour être en pleine possession de ses moyens
pendant la journée est bien ancrée dans les esprits. À la
question « Dans votre vie de tous les jours, qu’est-ce qui
vous semble le plus important pour entretenir ou déve-
lopper vos capacités de performances intellectuelles ? »,
78 % des personnes citent le sommeil30. Viennent ensuite
l’alimentation, la lecture, les jeux qui sollicitent la
mémoire, etc. Toujours selon cette enquête, celles et ceux
qui souffrent de troubles du sommeil se déclarent moins
capables de se rappeler un rendez-vous ou d’être attentifs
à leur entourage que les autres individus du même âge. Et
avant un événement important tel qu’un examen, un
entretien d’embauche ou un mariage, une personne sur
deux dit chercher à adapter son sommeil en se couchant

30 Sommeil et performance, enquête INSV/MGEN, 2012.

81
Quoi de neuf sur le sommeil ?

plus tôt. Sous-entendu, une bonne nuit de sommeil


conditionne la réussite de ce qui se profile le lendemain.
Et ce ne sont pas les neurophysiologistes, les biologistes
moléculaires ou les psychologues spécialistes du sommeil
qui diront le contraire.

Dormir pour assurer dans la journée

L’aplysie, ce modèle

Les aplysies sont des mollusques tout ce qu’il y a de plus


classique, vivant dans toutes les mers du globe. On les
appelle aussi lièvres des mers en référence à leurs organes
sensoriels qui ressemblent à des oreilles de lapin. Face au
danger, l’animal a une technique de défense redoutable-
ment efficace : il expulse un jet d’encre couleur pourpre
qui leurre l’ennemi mais aussi un liquide visqueux que les
prédateurs, crédules, prennent pour de la nourriture.
Imparable ! Cette ingénieuse stratégie d’auto-défense
force l’admiration des biologistes. Les neuroscientifiques,
eux, n’ont d’yeux que pour son système nerveux, si simple
comparé à celui des mammifères et néanmoins capable de
grandes choses en matière de traitement de l’information.
Pour cette raison, l’aplysie est devenue un modèle pour les
chercheurs qui essaient de comprendre comment se forge
la mémoire et quels sont les mécanismes moléculaires
sous-jacents.
Tout cela est passionnant me direz-vous, mais quel
rapport avec le sommeil ? Jusqu’à récemment, on ne savait
absolument rien sur le sommeil de l’aplysie. Pas même si
elle dormait, c’est dire. Une étude a fini par apporter la
preuve que l’aplysie s’accorde bien un petit somme
pendant la nuit, à l’instar d’autres invertébrés marins.

82
Ce que dormir fait au cerveau

Voilà qui a ouvert de nouvelles et intéressantes perspec-


tives pour explorer l’une des questions les plus épineuses
du moment en matière de sommeil : comment participe-
t-il à la construction des souvenirs et aux processus
d’apprentissage ? Pour apporter sa pierre à l’édifice, une
équipe américaine s’est alors demandé quelles consé-
quences aurait la privation de sommeil sur la capacité du
mollusque à mémoriser une information capitale pour sa
survie : en l’occurrence, le caractère non comestible de la
nourriture à sa disposition31. À en croire les résultats
qu’ils ont obtenus, priver une aplysie de sommeil pendant
plusieurs heures l’empêche de créer de nouveaux souve-
nirs. Elle perd sa capacité à apprendre qu’un repas n’en est
pas un, à ses risques et périls.
Chez l’homme, plusieurs travaux ont montré que la
privation de sommeil aiguë altère la capacité de mémori-
sation et cause des difficultés d’apprentissage le lende-
main. Tout indique que le sommeil favorise le tri et le
classement des informations de la journée et leur mise en
mémoire. Dans nos boîtes crâniennes bien calées sur
l’oreiller, le cerveau mène de front plusieurs tâches qui
contribuent au développement de nos diverses capacités
cognitives –– attention, planification, résolution de
problèmes –– mais aussi à la maturation de notre système
nerveux et à notre équilibre émotionnel. Par quels tours
de passe-passe moléculaires ? Et pourquoi faut-il absolu-
ment dormir pour que cela ait lieu ? L’enquête est loin
d’être terminée mais les scientifiques soucieux de percer
à jour les petites combines du cerveau endormi peuvent
désormais compter sur leur nouvelle recrue. Nom de
code : aplysie.

31 Krishnan H.C. et al., 2016. Acute sleep deprivation blocks short- and long-term
operant memory in Aplysia. Sleep.

83
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Et ça, on garde ou pas ?

Réussir à dormir lors d’un examen d’imagerie par


résonance magnétique (IRM) est un exploit en soi.
Allongé dans un lit-tube placé dans le tunnel de l’appareil,
il faut pouvoir se contenter d’un espace exigu et faire
abstraction du bruit ambiant lié au fonctionnement de la
machine. Ceux qui y parviennent et acceptent de dormir
une nuit ou deux dans pareilles conditions rendent un fier
service à la science en général et à la connaissance du
sommeil et de ses effets en particulier. Grâce à eux, une
équipe de chercheurs a pu cartographier les interactions
entre les différentes régions du cerveau endormi et visua-
liser comment circule l’information quand nous sommes
entre les bras de Morphée. Il en ressort que pendant les
phases de sommeil lent et paradoxal, les échanges de
données d’une région à l’autre sont tout aussi intenses
que pendant l’éveil. Toutefois, la communication se limite
aux sous-régions les plus proches alors que pendant les
phases d’éveil, elle est beaucoup plus étendue. Les auteurs
de ce travail y voient l’expression d’une opération céré-
brale particulière : le tri des informations collectées au fil
des heures, qui précède leur transfert et leur consolidation
sous forme de souvenirs. Ce que ces chercheurs ont capté
dans l’IRM ne serait ni plus ni moins que le premier
épisode du processus de mémorisation.
Pendant que nous dormons, le cerveau passe en revue
toutes les données accumulées pendant la journée –– un
million, au bas mot ! –– se demandant à chaque fois ce
qu’il faut en faire : les stocker ? les ignorer ? Autrement dit,
c’est le moment où il décide d’en faire des souvenirs ou
pas. Car parmi la multitude d’informations glanées au
cours de la vie éveillée, on trouve pêle-mêle : des phrases,
des mots, des chiffres, des émotions, des sons, des images,

84
Ce que dormir fait au cerveau

des goûts, des odeurs, des gestes, des sensations tactiles.


Certaines méritent d’accéder au rang de souvenir de
premier choix, de ceux que l’on grave dans le marbre pour
ne (presque) jamais les oublier. D’autres plus fugaces ou
peut-être moins utiles immédiatement, se contentent
d’une place dans l’arrière-boutique du cerveau. Dispo-
nibles en cas de besoin mais peu accessibles, à moins d’un
gros effort pour aller les chercher. D’une troisième caté-
gorie de données jugées futiles voire encombrantes, le
cerveau fait table rase. Hop, aux oubliettes ! Il est vrai que
l’on peut se permettre d’oublier le numéro de téléphone
du carreleur ou la mélodie diffusée dans la boutique de
meubles visitée dans la journée, alors qu’il vaut mieux
avoir toujours en tête la géographie de la ville où l’on vit
et le mode d’emploi du four. Selon une étude française
publiée en 2011, l’hippocampe serait la cheville ouvrière
de ce tri sélectif entre informations32. Pendant la journée,
cette petite structure cérébrale s’emploierait à marquer,
dans différentes zones du cerveau, les neurones qui
traitent les données importantes. À ce stade, les souvenirs
ne sont pas encore formés mais l’hippocampe s’est occupé
de désigner ceux qui vont le devenir.
L’édifice des connaissances sur les liens entre le sommeil
et la mémoire, en particulier la mémoire à long terme
mise à contribution dans les apprentissages, est encore
très incomplet. Néanmoins, on sait que le sommeil est
nécessaire à la consolidation des souvenirs. Là encore,
l’hippocampe est à la manœuvre. C’est de lui que partent
les signaux électriques responsables de la réactivation des
réseaux de neurones étiquetés « à conserver ». Cette réac-
tivation neuronale a lieu exclusivement pendant le

32 Rauchs G. et al., 2011. Sleep contributes to the strengthening of some memories


over others, depending on hippocampal activity at learning. Journal of Neuroscience.

85
Quoi de neuf sur le sommeil ?

sommeil. Si les études ont d’abord montré que le sommeil


lent, avec ses ondes lentes et ses phénomènes électriques
particuliers (voir chapitre 1), est un temps d’intense
communication neuronale avec l’hippocampe, on sait
maintenant que ce dialogue se poursuit pendant toutes les
phases du sommeil, à des degrés divers.
Par ailleurs, on commence à mieux comprendre la
séquence des événements cellulaires qui sous-tend la
consolidation des souvenirs. Lors d’un apprentissage, les
neurones établissent entre eux quantité de nouvelles
connexions, appelées synapses. Toutes n’ont pas le même
destin et la plus grande partie d’entre elles disparaissent
rapidement. Seules subsistent celles qui se trouvent sur un
trajet neuronal fréquenté. Plus ces synapses élues se déve-
loppent, plus elles s’équipent en récepteurs et plus la
communication à leur niveau est active. Le petit sentier
devient alors route puis nationale sur laquelle l’informa-
tion circule de manière fluide et à grande vitesse. Des
travaux très récents viennent de montrer que la première
étape de ce processus cellulaire, l’augmentation du
nombre de synapses, a lieu pendant la phase de sommeil
lent tandis que l’élagage se produit pendant l’éveil et au
cours du sommeil paradoxal.

Il est passé par ici, il repassera par là

À force d’expériences de privations de sommeil totales


ou partielles, d’endormissements retardés ou de réveils
précoces, de suppression du sommeil lent ou du sommeil
paradoxal sur de jeunes adultes volontaires, on commence
aussi à mieux comprendre les rôles spécifiques des dif­­
férentes phases du sommeil. Le schéma de ces études est
quasiment toujours le même : des individus sont plus ou
moins privés de sommeil et soumis le lendemain à une

86
Ce que dormir fait au cerveau

batterie de tests et de problèmes à résoudre. Les perfor-


mances du groupe sont alors comparées à celle d’un autre
pool de dormeurs dont le sommeil n’a subi aucune
perturbation. Les différents types de mémoire à long
terme sont passés au crible : celle procédurale, qui a trait
aux comportements moteurs et aux gestes que l’on finit
par faire sans même y penser comme marcher, lacer ses
chaussures, conduire une voiture ou écrire avec un stylo ;
et celle, dite déclarative ou encore explicite, qui se trans-
met avec des mots et concerne les événements passés ou à
venir et les connaissances dans divers domaines. Le type
d’exercices proposés aux participants varie selon que les
chercheurs s’intéressent à l’une ou l’autre de ces mémoires.
Pour consolider les apprentissages, rien de tel qu’une
bonne nuit de sommeil classique, où sommeil lent et
sommeil paradoxal se succèdent. Le sommeil lent profond
serait bénéfique au renforcement de la mémoire explicite,
très sollicitée dès qu’il s’agit de retenir une poésie ou les
dates d’anniversaire d’une flopée de petits-neveux. Des
travaux ont également souligné l’importance du sommeil
lent léger et de ses ondes électriques en forme de fuseaux :
en leur absence, la consolidation de la mémoire explicite
perd de son efficacité.
La mémoire procédurale tire quant à elle profit du
temps passé en sommeil paradoxal. Supprimez-le et ce
qui a été appris comme savoir-faire avant cette nuit-là ne
sera pas bien acquis. La personne sera probablement
toujours capable de composer le code qui ouvre la porte
de sa chambre d’hôtel car cette tâche-là est somme toute
assez simple. Mais il est probable qu’elle sera moins
performante que prévu pour reproduire des mouvements
plus complexes, comme rejouer à la guitare le morceau
travaillé la veille. Les ondes théta participeraient à la
mémorisation spatiale. Lors d’un déplacement, des

87
Quoi de neuf sur le sommeil ?

cellules cérébrales dites de lieu s’activent dans un ordre


précis qui dépend de l’itinéraire emprunté. Précisons que
ces cellules sont situées dans l’hippocampe, une structure
du cerveau connue pour jouer un rôle crucial dans la
mémoire mais aussi dans la navigation spatiale. Grâce à
des travaux menés sur des souris, on sait que ce GPS
cérébral opère une sorte de replay pendant le sommeil :
quand bien même l’animal ne bouge pas, les cellules de
lieu s’activent exactement comme elles l’ont fait pendant
l’éveil. L’animal parcourt à nouveau son itinéraire, menta-
lement cette fois, et cette répétition consolide le souve-
nir33. De fait, le lendemain, les souris qui ont bien dormi
refont le trajet beaucoup plus facilement que celles dont
le sommeil a été perturbé.

Apprendre une langue dans son sommeil ?

Une expérience menée en 2012 montre que des sons


peuvent être associés à des odeurs plus ou moins agréables
pendant le sommeil et que ce souvenir nocturne perdure
une fois réveillé : exposées aux mêmes sons, les personnes
reniflent comme si elles percevaient une odeur qui
pourtant n’existe plus34. Est-ce à dire qu’il est possible
d’apprendre en dormant et sans effort, comme le laissent
entendre certaines méthodes d’apprentissage des langues
étrangères ? Hélas non car dans le cas de connaissances
comme l’acquisition de nouveaux mots de vocabulaire, il
semble que nous ne puissions pas faire l’impasse sur les
préliminaires. Vous ne progresserez donc pas en italien
simplement en vous berçant de mots pendant vos heures

33 Benchenane K. et al., 2015. Explicit memory creation during sleep demonstrates a


causal role of place cells in navigation. Nature Neuroscience.
34 Arzi A. et al., 2012. Humans can learn new information during sleep. Nature
Neuroscience.

88
Ce que dormir fait au cerveau

de sommeil. En revanche, si vous apprenez ces mots avant


de vous endormir et que vous les réécoutez pendant votre
sommeil, il est probable que vous obteniez satisfaction.
C’est en tout cas la conclusion d’une étude portant sur
60 étudiants de langue allemande apprenant le néer­
landais35. Tous ont appris une série de mots à 22 h. Puis la
moitié devait rester éveillée tandis que l’autre allait se
coucher, les uns réentendant au cours de leur sommeil les
mots appris, les autres écoutant une série différente. Le
lendemain, test de néerlandais. Les dormeurs auxquels les
mots appris la veille avaient été rediffusés alors qu’ils
dormaient ont obtenu de meilleurs résultats que les deux
autres groupes.

Du rab de sommeil lent pour les enfants


Chez les jeunes enfants dont les besoins de sommeil sont impor-
tants, la sieste offre un supplément de sommeil lent favorable à
leurs apprentissages. Et inversement, l’absence de sieste peut
ralentir leurs acquisitions. En matière de langage par exemple, une
expérience a montré que des enfants de 15 mois extraient plus
facilement la grammaire d’une langue s’ils ont fait la sieste. Comme
ces petits sommes en pleine journée sont faits exclusivement de
sommeil lent, les chercheurs en ont déduit que le sommeil lent est
nécessaire pour développer notre capacité d’abstraction.
Entre 3 et 5 ans, la sieste, chez ceux qui en ont encore besoin,
procure un effet double. Non seulement elle facilite le recours à la
mémoire déclarative (les enfants apprennent plus facilement après
avoir dormi) mais elle se solde aussi par une meilleure mémorisation
de ce qui a été appris avant. Les enfants retiennent mieux et pour
plus longtemps les nouveaux mots, les comptines et tout ce qu’ils
ont entendu ou qui leur a été dit. Grâce à ce sommeil supplémen-
taire, des apprentissages divers et variés peuvent se succéder au fil
de la journée sans se télescoper et se mélanger.

35 Schreiner T., Rasch B., 2015. Boosting vocabulary learning by verbal cueing during
sleep, Cerebral Cortex.

89
Quoi de neuf sur le sommeil ?

L’attention chahutée par le manque de sommeil

Il y a des jours où l’on n’est pas dans son assiette. Un


collègue vous expose pour la troisième fois le déroulé de la
réunion, un formateur vous remontre les gestes, votre
enfant vous répète que son professeur d’anglais est absent...
Seulement voilà : vous n’imprimez pas. Plus exactement,
vous ne parvenez pas à fixer votre attention sur l’informa-
tion qui vous est transmise et qui, habituellement, vient se
loger sans difficulté dans un coin de votre esprit.
Cet exemple parmi tant d’autres illustre l’altération de
l’attention et de la concentration sous l’effet de la privation
de sommeil. Marquer un temps avant de répondre, exécuter
une consigne un peu moins vite que d’habitude, repérer le
danger avec un temps de retard : cela se joue souvent à peu
de choses, quelques secondes tout au plus mais suffisam-
ment pour que s’installe la désagréable impression d’être
« à l’ouest » voire « complètement à côté de ses pompes ».
Après plusieurs nuits consécutives de sommeil
perturbé, la baisse de l’attention soutenue qui permet de
mener une tâche longue et monotone à son terme, est
systématique. Et après une seule et unique nuit tronquée ?
Même chose. Cette baisse d’attention peut dans certaines
situations se doubler d’accès de somnolence, les fameux
coups de barre auxquels il est si difficile de résister. Cet
état de présommeil, pendant lequel la perception de l’en-
vironnement diminue, ajoute à la baisse d’attention et se
traduit par un allongement du délai de réaction. Les
conséquences au volant d’une voiture ou d’une machine
peuvent être dramatiques. Des travaux fondés sur la
mesure de déviation des véhicules et le nombre des chan-
gements de trajectoire ont montré qu’une seule nuit de
privation partielle (sommeil limité à quatre heures par
exemple) peut fortement affecter les capacités de conduite.

90
Ce que dormir fait au cerveau

Par ailleurs, une étude a chiffré le surrisque d’accident de


la route lié au manque de sommeil dans les dernières
24 heures. Pour des conducteurs ayant dormi moins de
cinq heures, celui-ci est 2,7 fois plus élevé que pour ceux
qui ont bénéficié d’une durée de sommeil normale. Enfin,
il apparaît que la sensibilité au manque de sommeil au
volant est plus marquée chez les conducteurs de sexe
masculin de 20 à 25 ans que chez leurs aînés, des hommes
là encore, âgés de 50 à 75 ans36.
Le manque de sommeil affecte également une autre
composante de l’attention, dite sélective, et qui permet de
se focaliser, pendant une longue durée et en continu, sur
une tâche cognitive précise : lire dans une gare où le mouve-
ment est incessant, écouter une conversation dans le brou-
haha. Chez une personne bien reposée, cette faculté résulte
de la mobilisation d’un sens (la vue, l’ouïe) au détriment
des autres. Le cortex cérébral traite alors prioritairement les
informations en provenance de celui-ci, ce qui se traduit
par une suractivité des neurones. En cas de privation de
sommeil, cette dernière est mise en défaut et il devient
difficile, voire impossible, de ne pas se laisser distraire par
un bruit, une odeur ou un mouvement parasite.

La nuit porte conseil

Prendre une décision est une opération cognitive plus


complexe qu’il n’y paraît. D’abord, il faut passer en revue
les choix qui s’offrent à nous : robe bleue ou pantalon
gris ? Ensuite, analyser la situation en commençant
par lister les contraintes : la météo, les autres éléments
de la tenue, la disponibilité des vêtements, le mode de
déplacement (à pied ou à vélo) ? Les classer par ordre de

36 Asfa et InSV, 2009. La somnolence au volant, livre blanc.

91
Quoi de neuf sur le sommeil ?

priorité : si le pantalon est au sale, c’est plié. Enfin,


choisir : va pour la robe bleue ! La décision peut être prise
en quelques secondes ou nécessiter un temps de réflexion
plus long. Trop long diront quelques mauvais coucheurs...
Dans certains cas, la difficulté à décider est simplement la
conséquence d’un manque de sommeil. C’est en tout cas
ce que suggère une étude incluant 26 hommes et femmes,
dont la moitié a été empêchée de dormir les deux nuits
précédant l’expérience37. Il leur a d’abord été demandé à
tous d’appuyer sur un bouton à la vue de certains chiffres
et de ne pas le faire si d’autres s’affichaient. À ce stade, les
personnes qui n’avaient pas assez dormi se sont révélées
plus lentes que les autres. Puis la consigne a été inversée :
les chiffres qui devaient susciter réponse devenaient ceux
à ignorer et réciproquement. Les volontaires fatigués se
sont révélés incapables de relever le défi, même après
plusieurs tentatives. Impossible pour eux de s’adapter à la
nouvelle demande et, par conséquent, de prendre la
bonne décision alors que le groupe de personnes reposées
y est parvenu aisément.

Les récup’ du cortex préfrontal

Si tant de fonctions cognitives sont ainsi mises à mal


par le manque de sommeil, c’est parce que celui-ci affecte
tout particulièrement le cortex préfrontal, une zone située
en avant du cerveau et qui intervient dans de très
nombreux processus cognitifs comme la concentration
mais aussi le contrôle émotionnel, le raisonnement, la
motivation, la flexibilité (être capable de changer ses
plans). Or les enregistrements de l’activité électrique dans

37 Lim J. et al., 2010. Sleep deprivation impairs object-selective attention: A view


from the ventral visual cortex. PLoS One.

92
Ce que dormir fait au cerveau

cette partie du cerveau montrent une très forte densité


d’ondes lentes au cours des phases de sommeil profond.
Traduction : pendant cette phase, le cortex préfrontal
récupère intensément car il en a besoin. Faute d’avoir son
compte d’ondes lentes, il se montre incapable de répondre
à toutes les sollicitations de la vie éveillée. C’est ainsi qu’au
lendemain d’une nuit raccourcie et a fortiori quand la
dette de sommeil se creuse, adapter son comportement et
sa réflexion aux situations qui se présentent n’a plus rien
d’évident. Si les adultes réussissent jusqu’à un certain
point à faire bonne figure, les enfants subissent de plein
fouet les manquements de leur cortex préfrontal. Excités,
en proie aux débordements d’émotions en tous genres, ils
s’agitent, se concentrent difficilement, peinent à effectuer
les tâches qui leur sont demandées. Les apprentissages
s’en ressentent, de même que les relations sociales et
l’ambiance à la maison. Ces enfants-là ne sont pas hyper­
actifs mais simplement en manque de sommeil.
Chez les plus jeunes, entre 2 ans et demi et 3 ans, une
étude en particulier a mis en avant le rôle de la sieste dans
le maintien de l’équilibre émotionnel38. Elle montre qu’en
l’absence de sieste, les petits qui réussissent un puzzle
expriment moins de joie et de fierté que ceux qui ont
dormi. Face à un puzzle insoluble, ils persévèrent moins
longtemps et manifestent plus d’émotions négatives
(agacement, cri, pleurs) que les enfants qui ont dormi.
Pour retrouver ses esprits et la pleine possession de ses
facultés cognitives et émotionnelles, il n’y a pas trente-six
solutions : il faut dormir, suffisamment longtemps et
profondément pour que les ondes lentes apparaissent et
restaurent ce qui doit l’être.

38 Giganti F. et al., 2014. Effect of a daytime nap on priming and recognition tasks in
preschool children. Sleep.

93
Quoi de neuf sur le sommeil ?

À petites secousses, grande maturité

L’étrange sommeil des nouveau-nés


Depuis que sa sœur a accouché, Charlotte a tout juste
entraperçu la couleur des yeux de son neveu. Car à
chacune de ses visites, l’enfant dort. Comme tous les
nouveau-nés, ses périodes d’éveil sont fréquentes mais
courtes et principalement dédiées aux tétées. Ses parents
ont l’air fatigué mais pas lui. Il plonge dans le sommeil
avec une facilité déconcertante allongé dans son berceau,
lové dans les bras, dans le calme de la chambre ou le brou-
haha de la cuisine. Immobile la plupart du temps, il
sursaute parfois, traversé par de petites secousses des
membres, des doigts et des orteils. Charlotte et sa sœur se
plaisent à imaginer qu’il rêve...
Ces petites contractions musculaires, baptisées twitches,
sont l’apanage des bébés. Et encore, pas tous, seulement
les plus jeunes. Au-delà de 3 mois, elles ont en général
complètement disparu. Elles surviennent durant la phase
de sommeil dite agitée. Car chez le tout-petit, on ne parle
pas encore de sommeil lent ou paradoxal. Son sommeil
est une alternance de phases calmes et agitées. Ces
dernières équivalent au sommeil paradoxal de l’adulte
du point de vue de l’activité électrique. Signe particulier :
le nouveau-né s’endort en sommeil agité tandis que
les enfants plus grands et les adultes plongent d’abord
dans un sommeil lent. Des enregistrements du sommeil
du fœtus, pendant la grossesse donc, ont révélé que
le sommeil agité est largement prépondérant chez eux.
Chez le nouveau-né, il occupe jusqu’à 60 % de la durée
totale du sommeil. C’est aussi le cas chez tous les
mammifères dont les petits naissent avec un cer­veau
immature, comme le chat ou le rat. Cette grande propor-

94
Ce que dormir fait au cerveau

tion de sommeil agité décroît au fur et à mesure des


semaines et de la maturation du cerveau, de même que le
nombre de twitches.

Sommeil et développement sensori-moteur

Pour le neuropsychologue américain Mark Blumberg,


ces petites secousses du nourrisson endormi n’ont rien
d’anodin. Elles joueraient même un rôle crucial dans le
développement de l’enfant en contribuant à l’acquisition
de sa capacité à adapter ses activités motrices (gestes,
postures, déplacements) à ce qu’il perçoit de son environ-
nement grâce à ses sens39. Ce qui à terme –– grand bien
lui fasse –– lui permettra de recracher un aliment trop
chaud, d’attraper un objet en se guidant par la vue, de
marcher dans l’obscurité sans tomber, etc. Les twitches
résulteraient de petites impulsions électriques émises par
des groupes de neurones logés dans le tronc cérébral. En
réaction, le signal nerveux serait redirigé vers les aires du
cortex cérébral impliquées dans le traitement des infor-
mations sensorielles, contribuant ainsi à leur dévelop­
pement. Des études menées sur les ratons ont par ailleurs
montré que certaines séquences de mouvements sont plus
fréquentes que d’autres et que ces twitches ne surviennent
pas n’importe où ni dans n’importe quel ordre. Ils
touchent d’abord un doigt, puis un membre... Ils permet-
traient une organisation sensori-motrice très fine pendant
une période de la vie de l’enfant (de la fin de la grossesse
aux premières semaines à l’air libre) où les stimulations
extérieures sont limitées. Et voilà que fort à propos,
le système nerveux de l’enfant se développe tout seul !

39 Blumberg M.S., 2015. Developing sensorimotor systems in our sleep. Current


Directions in Psychological Science.

95
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Peut-être que ce bambin qui sursaute nage en plein rêve.


Lui seul le sait, et encore... Il est surtout en train
d’apprendre à s’adapter et à réagir au monde qui l’entoure.
Les mimiques, rictus et autres sourires aux anges du
bébé pendant son sommeil auraient quant à eux un rôle
dans le développement émotionnel. Des chercheurs ont
filmé des nouveau-nés endormis afin d’étudier en détails
les caractéristiques de leurs sourires spontanés40. Leur
travail montre que la durée et la forme de ces sourires
sont identiques à celles des sourires des adultes. Par
ailleurs, chaque bébé exprime sur son visage la palette
des émotions universelles –– la joie, la peur, la tristesse,
le dégoût, la colère et la surprise –– à un moment ou
à un autre de son sommeil. Explication proposée par les
auteurs : pendant qu’ils dorment, les nouveau-nés
s’entraînent à faire les mimiques qui plus tard, à l’éveil,
leur permettront de communiquer leurs émotions et de
répondre à celles qu’ils liront sur le visage de leurs proches.

C’est bon pour le moral

Dépression et insomnies : qui a commencé ?

Les miettes laissées en plan sur la table du petit-


déjeuner, les embouteillages sur le trajet du travail, le
bruit ambiant qui empêche de se concentrer, le rendez-
vous avec une amie annulé à la dernière minute... Ces
derniers temps, tout agace Charlotte. Plaintes, critiques,
ruminations... La journée qui s’annonçait tranquille vire

40 Challamel M.J. et al., 2010. Sourires spontanés et mimiques faciales du nouveau-


né : Une approche sur le rôle du sommeil paradoxal au cours du développement.
Médecine du sommeil.

96
Ce que dormir fait au cerveau

au gris et à l’ennui. Avec toute la diplomatie dont il est


capable, son compagnon lui fait remarquer que cela dure
depuis plusieurs jours. Lui rappelle qu’elle dort mal
depuis plusieurs semaines, que ceci explique peut-être
cela. Qu’à la longue, le manque de sommeil affecte le
moral. À moins que ce ne soit l’inverse et que cette
humeur morose, cette fatigue et ces difficultés de concen-
tration soient elles-mêmes à l’origine des troubles du
sommeil de Charlotte ?
Les spécialistes du sommeil s’intéressent depuis long-
temps aux interactions entre les troubles du sommeil et
ceux de l’humeur, à commencer par la dépression. Les
faits sont troublants. En effet, entre 60 et 80 % des per­­
sonnes dépressives présentent des troubles du sommeil :
cauchemars, terreurs nocturnes, hypersomnies, insom-
nies. Du reste, l’insomnie est connue depuis l’Antiquité
pour être un des signes cliniques fondamentaux de la
dépression, au même titre que les troubles de la sexualité,
les troubles alimentaires ou le ralentissement psycho­
moteur. Aujourd’hui, les trois quarts des déprimés se
plaignent de problèmes d’endormissement ou de maintien
du sommeil. Qui plus est, chez les personnes déprimées et
insomniaques, la structure du sommeil est modifiée : la
durée de sommeil lent profond est écourtée, le sommeil
paradoxal apparaît plus rapidement, la durée des micro-
réveils entre les cycles augmente.
Pour un lien statistique fort, c’en est un mais il ne nous
dit pas quelle est la poule et quel est l’œuf. Autrement dit,
lequel de ces deux troubles est à l’origine de l’autre. Est-ce
la dépression qui empêche de dormir ? Ou l’insomnie qui
mène à la dépression ? Plus enclin à ressasser ce qui ne va
pas ou à penser à des événements pénibles, on imagine
bien qu’un individu dépressif a du mal à s’endormir ou,
s’il a la malchance d’ouvrir l’œil pendant la nuit ou au

97
Quoi de neuf sur le sommeil ?

petit matin, comment ses ruminations peuvent le tenir


éveillé pendant des heures nuit après nuit. L’insomnie
chronique apparaît alors comme un symptôme parmi
d’autres de la maladie dépressive. Mais elle est peut-être
plus que cela. En effet, la moitié des épisodes ou des
rechutes dépressives est précédée par une insomnie.
Autrement dit, les insomnies peuvent apparaître plusieurs
semaines avant le début manifeste des troubles de l’humeur
caractéristiques de la dépression. L’insomnie chronique
serait donc à la fois un symptôme de la dépression et un
de ses signes avant-coureurs ? Notez enfin qu’il n’est pas
rare non plus que l’insomnie persiste après la dépression.
Pour des raisons éthiques évidentes, les études consistant
à priver de sommeil pendant longtemps des individus,
fussent-ils volontaires, sont relativement rares. Celles qui
ont été menées rapportent des troubles de l’humeur
manifestes, sans pour autant aller jusqu’à l’état dépressif.
Il est également suggéré que l’insomnie chronique
provoque un phénomène de stress à son tour responsable
de la dépression. Pour le confirmer, encore faudrait-il
identifier le mécanisme sous-jacent. Une expérience
consistant à priver des rats de sommeil pendant une
semaine suggère qu’un neurotransmettreur en particulier,
la sérotonine, pourrait jouer un rôle. En effet, une semaine
à ce régime et la sérotonine perd de sa capacité à activer
différentes populations de neurones dans le cerveau
impliquées dans la régulation de l’humeur41.

Le manque de sommeil pousse à renoncer

Les effets à la longue du manque de sommeil sur


l’humeur filtrent à travers les témoignages de personnes

41 Royant-Parola S., 2012. Insomnie et dépression. Annales médico-psychologiques.

98
Ce que dormir fait au cerveau

insomniaques42. « Pour moi, les conséquences de mes


nuits blanches sont une irritabilité et une impatience de
tout. Cela entraîne des tensions et même des disputes.
Autant vous dire que ma vie de couple, mes relations fami-
liales, professionnelles et plus généralement sociales ne
sont pas des plus sereines », confie Véronique. Pointe aussi
l’idée que le manque de sommeil incite à renoncer à une
partie de ses activités, comme en atteste Judith : « Je me
sens fatiguée le lendemain d’une nuit où je n’ai pas réussi
à trouver le sommeil. Je n’ai plus la capacité à réaliser ce
que je dois faire et donc, ma vie d’insomniaque se traduit
par de nombreux renoncements au fil des jours et même
des années. » De fait, au lendemain d’une insomnie, les
erreurs d’attention objectives, estimées via des tests, sont
relativement peu nombreuses. Autrement dit, les personnes
sont généralement capables de mener à bien leurs activités.
Elles le seraient tout du moins si elles n’y renonçaient pas
d’elles-mêmes dans une logique d’autocensure. C’est par
exemple cette femme qui annule une partie de cartes entre
amis parce qu’elle se pense trop fatiguée pour jouer ou ce
jeune homme qui lâche ses cours de piano persuadé de
n’être pas assez vif pour progresser. Les personnes insom-
niaques perçoivent mieux que quiconque et à leur dépens
l’une des fonctions du sommeil, qui est de procurer de
l’élan pour s’engager dans la vie éveillée.

Nuit blanche contre idées noires

Le manque de sommeil ponctuel produit des effets


très différents. Une fois n’est pas coutume, il peut même
sous certaines conditions servir les intérêts de la santé.

42 Témoignages recueillis par l’association France Insomnie, consultables à l’adresse


http://franceinsomnie.fr/temoignages (consulté le 09/02/2018).

99
Quoi de neuf sur le sommeil ?

L’expérience montre en effet que rester éveillé 36 heures


d’affilée, du matin jusqu’au soir du lendemain, a sur
l’humeur de certaines personnes dépressives des effets
comparables à ceux d’un antidépresseur. L’amélioration
est visible dès la fin de la nuit blanche, c’est-à-dire au
matin du deuxième jour. Alors que ce moment de la
journée est généralement le plus difficile, les individus
se montrent moins tristes et mieux disposés à affronter
la journée qu’à l’accoutumée. L’effet est d’autant plus
marqué que la personne n’a pas dormi du tout. Il est
moins net, mais néanmoins manifeste, si elle s’est
assoupie quelques heures. Cette privation de sommeil
contrôlée agirait en boostant l’activité des neurones à
sérotonine, à noradrénaline et à dopamine, en aug­­
mentant la quantité d’hormones thyroïdiennes et en
stimulant l’activité métabolique dans certaines aires
cérébrales. Autant de modifications physiologiques qui
bénéficient directement à l’humeur. Pour cette raison,
les psychiatres ont commencé à recourir à cette tech-
nique, au côté des médicaments et de la luminothérapie,
pour traiter la dépression dont souffrent périodique-
ment les personnes bipolaires. Cet effet clinique pour le
moins inattendu est encore mal compris. Sachant que
certains antidépresseurs sup­­ priment la phase de
sommeil paradoxal, il est possible que l’impact de la
privation de sommeil sur l’humeur tienne uniquement
à l’absence de sommeil paradoxal. À moins que la clé de
l’énigme ne se trouve ailleurs ?
Cette approche thérapeutique n’est pas non plus la
panacée car ses effets sur l’humeur s’estompent rapide-
ment. Le protocole prévoit une période de récupération
tout de suite après l’éveil prolongé. Impossible de faire
autrement sans s’exposer aux effets délétères du manque
de sommeil. La personne peut donc dormir aussi

100
Ce que dormir fait au cerveau

longtemps qu’elle le souhaite. Au lendemain de ce long


sommeil, soit trois jours après le début du traitement,
les troubles commencent à réapparaître. Ils sont d’abord
légers puis de plus en plus intenses au fil des jours
jusqu’à retrouver leur niveau initial. Même s’il est
possible de renouveler l’opération –– nuit blanche,
amélioration de l’humeur, sommeil à l’envi, rechute ––
l’accalmie aura été de courte durée.

À quoi servent les rêves ?

Si seulement on le savait... S’il est une certitude, c’est


que la finalité des rêves, comme les rêves eux-mêmes du
reste, ne se laisse pas attraper facilement. Pour Freud, le
père de la psychanalyse, le songe est la soupape par
laquelle s’exprime l’inconscient et il permet la réalisation
d’un désir. Faux, clament les détracteurs de la psychana-
lyse. Insuffisant, disent certains chercheurs. Il est vrai
qu’un siècle plus tard, on continue de s’interroger sur la
fonction de ces créations scénaristiques du cerveau
pendant le sommeil, d’élaborer des théories et de les
soumettre au feu de la science pour voir quelles sont celles
qui résistent. Une première possibilité est que le rêve ne
sert à rien. Le neurobiologiste Alan Hobson a sérieuse-
ment envisagé et défendu cette hypothèse nulle. Il ne voit
dans le rêve qu’un épiphénomène du sommeil paradoxal.
Selon lui, si les rêves et leurs contenus présentaient un
intérêt vital pour l’individu, nous n’aurions pas tant de
mal à nous les rappeler une fois réveillés, ni à les décryp-
ter. Leurs caractères furtif et abscons sont des signes que
notre survie ne dépend pas d’eux. Donc qu’ils ne nous
sont pas indispensables. Cette théorie énoncée à la fin du
xxe siècle a encore ses adeptes mais ils ne sont pas majo-
ritaires dans la communauté scientifique.

101
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Une hypothèse plus consensuelle postule que les rêves


servent à consolider la mémoire. Outre les travaux
montrant que le sommeil est l’occasion de rejouer l’acti-
vité cérébrale observée pendant les apprentissages et ainsi
de renforcer ces souvenirs, une poignée d’études se sont
penchées sur le rôle spécifique du rêve dans la consolida-
tion de la mémoire. L’une a montré qu’après un entraîne-
ment à une tâche donnée suivi d’une sieste, les sujets
ayant rêvé de la tâche en question réussissaient mieux que
les autres à l’effectuer.
D’autres encore considèrent que les rêves permettent de
digérer les émotions de la journée. Deux observations
tirées de l’analyse de nombreux récits de rêves vont dans ce
sens. Premièrement, le rêve semble temporiser l’intensité
émotionnelle vécue à l’éveil, que celle-ci soit positive ou
négative. En d’autres termes, la version rêvée des événe-
ments, rapportée par le rêveur, est émotionnellement
moins intense que sa version éveillée. Deuxièmement, les
événements négatifs de la vie éveillée –– une déception,
une frustration, un échec –– ne sont pas les seuls à être
incorporés dans le rêve : celui-ci inclut aussi beaucoup
d’événements positifs susceptibles de faire contrepoids.
Même si le contenu du rêve est globalement triste ou déce-
vant, il incorpore quelques petites notes optimistes,
heureuses ou amusantes. Dans cette perspective, les
cauchemars seraient un témoignage de l’échec de cette
régulation émotionnelle du rêve, la preuve manifeste que
la digestion des émotions négatives n’a pas fonctionné ou
n’a pas été à son terme.
Antti Revonsuo, un psychologue finlandais, a proposé
il y a une quinzaine d’années une explication différente43 :

43 Revonsuo A., 2000. The reinterpretation of dreams: An evolutionary hypothesis of


the function of dreaming. Behavioral and Brain Sciences.

102
Ce que dormir fait au cerveau

les songes permettraient de simuler des menaces afin de


mieux les affronter dans la vie réelle. Les multiples
situations rencontrées en rêve seraient autant d’entraî-
nements pour nous préparer à réagir le mieux possible
aux situations réelles et potentiellement tout aussi
complexes, de la vie éveillée. Pour le neuropsychanalyste
sud-africain Mark Solms, ce ne sont peut-être pas les
rêves en tant que scenarii qui servent à quelque chose,
mais les images qui les composent. En l’occurrence, elles
seraient produites uniquement pour satisfaire l’énorme
besoin d’activité de notre cerveau et l’occuper, cet hyper­
a­ ctif, pendant que les neurones très sollicités pendant
l’éveil récupèrent.
Michel Jouvet lui-même s’est essayé à percer le
mystère de la finalité du rêve. Cet explorateur du
sommeil paradoxal et, dans son sillage, plusieurs
chercheurs, envisagent le rêve survenant pendant cette
phase comme un moment-clé dans le renforcement de
l’identité de l’individu. Selon cette théorie, le rêve est
l’occasion pour chacun de nous de reprogrammer son
bagage psychologique et de stabiliser sa personnalité
nuit après nuit jusqu’à ce que mort s’ensuive. Une étape
nécessaire alors que les influences extérieures sont
nombreuses et de nature à nous éloigner de nous-
mêmes. En réalité, il s’agit surtout d’une fonction
dévolue au sommeil paradoxal. Il s’en acquitterait en
restaurant l’activité de certains neurones ayant été
modifiée au cours de la journée et le rêve serait un effet
collatéral de ce processus44.

44 Jouvet M., 1998. Paradoxical sleep as a programming system. Journal of Sleep


Resarch.

103
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Dors, ô ma douleur

La douleur peut-elle nous tirer du sommeil ?


Sans doute avez-vous déjà essayé de vous endormir
alors que vous aviez mal quelque part : aux dents, à la
gorge, aux oreilles, au dos, à la hanche. Voire à tous ces
endroits à la fois. Si oui, alors vous savez que c’est difficile.
Alors que l’on aimerait dormir pour l’oublier, la douleur
tient en éveil. L’endormissement qui nécessite de se sentir
en sécurité, est perturbé, retardé par la douleur. D’où
qu’elle vienne et quelle qu’en soit la nature, elle est une
forme d’agression. On a mal, et tout à cette douleur, on
peine à s’endormir.
La situation est toute autre si la douleur se manifeste
alors que l’on dort déjà. La ressent-on alors ? Est-il
possible qu’elle nous réveille ? Possible, oui, mais ce n’est
pas systématique, loin de là. Les chercheurs se sont
d’abord demandé si l’information nociceptive –– celle qui
provient de la zone lésée et doit atteindre le cerveau pour
devenir une sensation douloureuse –– circulait bien
pendant le sommeil. C’est le cas : l’information arrive
bien à destination dans le cortex sensoriel. Des volontaires
ont alors été soumis pendant leur sommeil à des stimula-
tions sensorielles d’intensité variable, certaines dépassant
le seuil douloureux45. Réveillés, ils y auraient très certai-
nement réagi par un mouvement ou par un cri. Mais ils
dormaient et l’expérience a montré qu’ils ne se réveillaient
qu’une fois sur trois... Et encore, le réveil était fugace
puisqu’ils se rendormaient au bout de trois à quinze
secondes. Au réveil, ils avaient même oublié ces micro-

45 Bastuji H et al., 2008. Laser evoked responses to painful stimulation persist during
sleep and predict subsequent arousals. Pain.

104
Ce que dormir fait au cerveau

réveils et ne se rappelaient pas avoir eu mal. Pourtant, une


accélération de rythme cardiaque et une réponse du
cortex sensoriel, signes d’une réaction de l’organisme à la
douleur, étaient visibles chez tous. La profondeur du
sommeil n’est pas en cause –– les stimulations doulou-
reuses réveillent tout autant, qu’elles soient émises pendant
le sommeil lent ou paradoxal. Rien à voir non plus avec la
personne : un individu se réveille une fois sur trois. Les
chercheurs suspectent aujourd’hui les fuseaux de sommeil
d’être impliqués dans cette affaire. Et ce, après avoir pensé
pendant longtemps que ces brefs phénomènes électriques
caractéristiques du cerveau endormi inhibaient toute
information sensorielle pendant le sommeil... Ils s’inter-
rogent aussi sur la possible existence d’un état cérébral
favorable à la perception de la douleur pendant le
sommeil. Cet état électrique dans lequel serait plongé le
cerveau juste avant la stimulation le rendrait apte à perce-
voir la douleur ou au contraire, insensible à elle. À moins
que l’explication se niche dans la manière dont l’informa-
tion nociceptive est traitée au-delà du cortex sensoriel ?
Jusqu’à présent, seul a été étudié l’impact sur le sommeil
des douleurs dites phasiques, c’est-à-dire soudaines et
ponctuelles comme une goutte d’huile brûlante qui gicle
sur la main. Or ce type de douleur est véhiculé par des
fibres nerveuses différentes de celles empruntées par les
douleurs chroniques engendrées par un abcès ou un mal
de dos. Et les scientifiques de se demander si ces douleurs
soutenues sont elles aussi capables de provoquer des éveils
nocturnes ou si des mécanismes de compensation compa-
rables à ceux qui s’installent pendant l’éveil préservent le
sommeil. Il est également possible que ces douleurs chro-
niques provoquent seulement des micro-réveils. Pour sûr,
les investigations concernant les effets de la douleur sur le
sommeil sont loin d’être terminées.

105
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Le manque de sommeil modifie-t-il la perception


de la douleur ?

Là encore, les connaissances progressent à coups d’ex-


périences de privation de sommeil, qui rapportent des
données encore un peu confuses à ce stade. S’agissant de
l’impact du sommeil paradoxal sur les sensations doulou-
reuses par exemple : chez l’animal, son absence se solde
par une douleur exacerbée mais aucune étude n’a mis cet
effet hyperalgique en évidence chez l’homme. Du côté du
sommeil profond, on y voit un peu plus clair car les résul-
tats abondent dans le même sens, celui d’un lien entre
privation de ces stades de sommeil et exacerbation de la
douleur. De même, l’intensité de la douleur augmente si
la durée de sommeil est raccourcie ou que ce dernier est
fragmenté. Sachant que le sommeil favorise l’activation
du système immunitaire (voir chapitre 2), on se dit, avec
les équipes qui explorent cette piste, que le manque
de sommeil profond pourrait avoir l’effet inverse et entre-
tenir le processus inflammatoire.
Entre 70 et 80 % des personnes dorment objectivement
moins bien quand elles ont mal. Elles le disent mais ne
sont pas les seules : leurs électroencéphalogrammes
attestent eux aussi d’une moindre qualité de sommeil.
Soit. Mais les autres ? Ces quelque 20 à 30 % d’individus
dont le sommeil n’est pas perturbé par la douleur
intriguent. Ont-ils une configuration cérébrale particu-
lière qui les prédispose à cela ? Auquel cas les circuits
impliqués dans le sommeil d’une part, dans la douleur
d’autre part ne seraient pas les deux seuls à considérer
pour comprendre leurs effets réciproques. Cela s’est déjà
vu : un terrain de prédilection a par exemple été mis en
évidence pour la maladie dépressive. Les preuves directes
manquent encore pour confirmer l’existence d’une

106
Ce que dormir fait au cerveau

physiologie favorable à un sommeil imperturbable malgré


la douleur. Néanmoins, il existe des éléments cliniques
incitant à explorer cette possibilité. Le fait notamment
que certains traitements (médicaments, thérapies cogni-
tives comportementales) sont utilisés et efficaces contre la
dépression mais aussi contre la douleur. Et s’ils modi-
fiaient un seul et même état cérébral ?

Faire « les méninges » à fond

Dormir pour évacuer les déchets cellulaires

« Dormir permet au cerveau de se nettoyer », titrait le


journal Le Monde le 18 octobre 2013. L’article relate les
résultats d’une étude publiée dans la prestigieuse revue
américaine Science : grâce à l’emploi de traceurs molécu-
laires fluorescents couplé à une technique d’imagerie, les
chercheurs ont suivi à la trace le flux de liquide circulant à
travers le cerveau de souris vivantes endormies46. Ce
faisant, ils ont observé le système de nettoyage cellulaire à
l’œuvre dans cet organe en vase clos où, comme chez
l’homme, la lymphe ne pénètre pas. Ce dispositif a pour
but d’éliminer les toxines issues de l’activité métabolique
et accumulées au fil de la journée. Or les scientifiques ont
mesuré que la surface de liquide baignant les cellules
augmente de 60 % pendant le sommeil. Ils en ont conclu
que l’activité de nettoyage est particulièrement intense
pendant que nous dormons. Un grand ménage renouvelé
chaque nuit pour débarrasser le cerveau de ce qui l’en-
combre, en particulier des protéines bêta-amyéloïdes qui
ont tendance à s’agglutiner en plaques sur les neurones.

46 Xie L. et al., 2013. Sleep drives metabolite clearance from the adult brain. Science.

107
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Résultat : l’information nerveuse ne passe plus. Et ce n’est


qu’un exemple car d’autres déchets cellulaires, s’ils viennent
à s’accumuler, sont susceptibles de provoquer des dégâts
irréversibles. C’est le cas de la protéine tau, qui s’agrège à
l’intérieur des neurones et cause des lésions. À terme, les
cellules meurent. Cette mécanique de des­­truction des
neurones consécutive à l’accumulation de protéines bêta-
amyloïdes et tau est au cœur de la maladie d’Alzheimer.
Cette étude et d’autres sur le même thème apportent de
l’eau au moulin de ceux qui tentent de cerner le ou les
rôle(s) du sommeil. Vu sous l’angle de la physiologie,
nettoyer le cerveau pour lui permettre de fonctionner
normalement est une mission tout ce qu’il y a de plus
honorable. Par ailleurs et compte tenu du fait que le
manque de sommeil augmente la quantité de toxines à
proximité des cellules cérébrales, la logique voudrait
qu’une bonne hygiène de sommeil (voir chapitre 4) figure
sur la liste des mesures de prévention des maladies neuro-
dégénératives. Rien n’empêche en tout cas de l’avoir à
l’esprit. Enfin, la connaissance approfondie des effets du
sommeil sur l’évacuation des toxines pourrait aider à
mettre au point de nouvelles approches contre la maladie
d’Alzheimer et, pourquoi pas, contre d’autres pathologies
neurodégénératives apparentées. Plus récemment, une
équipe a montré que les ondes lentes en particulier parti-
cipent à l’évacuation de ces toxines et que celle-ci est
sensible à la qualité du sommeil47. Lorsque le sommeil
lent est interrompu ne serait-ce qu’une nuit, la concentra-
tion en protéines bêta-amyloïdes dans le liquide cérébro-
spinal grimpe nettement. Et ce, quelle que soit la durée
totale du sommeil. Cette durée n’a en revanche que peu

47 Ju Y.E.S. et al., 2017. Slow wave sleep disruption increases cerebrospinal fluid
amyloid-b levels. Brain.

108
Ce que dormir fait au cerveau

d’incidence sur la concentration en protéine tau alors que


cette dernière augmente lorsque le sommeil est de piètre
qualité pendant plusieurs jours.

Les cellules gliales révèlent leur vraie nature

Ce grand ménage nocturne dans nos cerveaux, la


collecte des toxines en vue de leur élimination, il faut bien
que quelqu’un s’y colle. Quelqu’un, ou plus exactement
une certaine catégorie de cellules longtemps considérées
comme de simples cellules de soutien des neurones. On
les appelle des cellules gliales, ou glie. Elles cohabitent
avec les neurones dans le système nerveux. Depuis
quelques années, il devient clair qu’elles sont plutôt des
partenaires des neurones. Et actives avec ça ! Elles modulent
l’activité des neurones, leur fournissent nutriments et
oxygène, et assurent la collecte des déchets du cerveau.
De vraies aides ménagères !
Une catégorie de cellules gliales en particulier, les
oligodendrocytes, s’enchevêtrent autour des neurones
pour former une gaine de myéline, semblable à une gaine
électrique, qui accélère la transmission nerveuse. Sans
myéline ou lorsque cette dernière est endommagée, nos
pensées, nos perceptions et nos mouvements sont consi-
dérablement ralentis et perturbés, voire réduits à néant.
C’est ce qui se produit dans des maladies neurodégénéra-
tives comme la sclérose en plaques ou les leucodystro-
phies. Une étude portant sur l’expression des gènes
impliqués dans la production des composants chimiques
des oligodendrocytes a mis en évidence que celle-ci est
deux fois plus importante quand nous dormons48.

48 Bellesi M. et al., 2013. Effects of sleep and wake on oligodendrocytes and their
precursors. The Journal of Neuroscience.

109
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Traduction : le sommeil serait un état particulièrement


favorable à la synthèse de ce qui deviendra la gaine de
myéline. Et un rôle essentiel de plus placé sous l’influence
du sommeil pour les cellules gliales !
Deux autres familles de cellules gliales, les astrocytes et
les cellules microgliales, ont elles aussi attiré l’attention
des chercheurs ces dernières années. La première détruit
les cellules endommagées. La seconde modifie les
connexions entre neurones quand elles ne servent à rien.
Une équipe a tout récemment montré que chez la souris,
ces activités sont particulièrement sensibles au manque
de sommeil chronique49. En l’occurrence, les astrocytes
sont beaucoup plus actifs chez les sujets en dette de
sommeil. Ils font du zèle, détruisant à tour de bras des
portions de connexions nerveuses, et le ménage qui s’en-
suit bat son plein quand bien même les souris ne dorment
pas. Du côté des cellules microgliales, la même tendance
à la suractivité a été observée. Une activité excessive que
des travaux précédents avaient déjà associée à des troubles
neurologiques... Se pourrait-il que par ce mécanisme
impliquant les cellules gliales, le manque de sommeil
chronique précipite vers la démence ? Ce n’est pas exclu.
Mais pas prouvé non plus à ce jour car ce qui est vrai dans
un cerveau de souris ne l’est pas néces­sairement dans
celui d’un humain.

49 Bellesi M., 2017. Sleep loss promotes astrocytic phagocytosis and microglial
activation in mouse cerebral cortex. The Journal of Neuroscience.

110
4
Dormir un peu, beaucoup,
suffisamment...

Le lit est l’endroit le plus dangereux du monde :


80 % des gens y meurent.
Mark Twain

Quand un Président de la République affirme qu’il ne


dort que trois à cinq heures par nuit, non parce qu’il y est
contraint mais parce qu’il n’a pas besoin de plus de
sommeil, les médias s’affolent et nous avec. « Est-il dange-
reux de dormir si peu ? », demande l’un. « Brigitte Macron,
inquiète pour le sommeil de son mari », rapporte l’autre.
« Le sommeil très léger d’Emmanuel Macron », titre un
troisième. Ces articles et d’autres dressent le portrait d’un
homme hors-norme, toujours sur le pont, aux capacités
de travail énormes, et contribuent à bâtir l’image d’un
personnage exceptionnel. Le lecteur, lui, oscille entre
envie et exaspération. Admiration pour l’élu capable de
dormir si peu, sans ajout de sieste et sans avoir à subir le
lendemain et les jours suivants les conséquences plus ou
moins fâcheuses du manque de sommeil. Que de temps

111
Quoi de neuf sur le sommeil ?

gagné !... Que d’opportunités supplémentaires pour


s’adonner à ses activités préférées, s’offrir un supplément
d’âme, un peu de reposante solitude ou au contraire un
surplus de vie sociale ! Puis l’exaspération prend le relais.
Pourquoi lui ? Il est vrai que pour la plupart d’entre nous,
dormeurs ordinaires, cette succession de nuits minuscules
est hors de portée et que le sommeil, quand on l’ignore
trop longtemps, finit toujours par se rappeler à nous pour
exiger son dû.
Difficile de savoir si le chef de l’État fait partie de ces
Français, nombreux si l’on en croit les dernières enquêtes,
qui vivent au-dessus de leurs moyens physiologiques,
préférant ignorer qu’ils ont besoin de dormir plus ou
mieux alors qu’ils montrent des signes évidents de fatigue
et savent qu’ils mettent leur santé en danger. Et si le loca-
taire de l’Élysée était plutôt, comme 1 % de la population
environ, un authentique petit dormeur auquel une
poignée d’heures de sommeil suffit pour recharger ses
batteries chaque nuit ? Une chose est sûre en tout cas :
bien connaître ses besoins de sommeil est un préalable
indispensable pour tirer le meilleur parti de ses bienfaits.

Mon sommeil ne ressemble pas au vôtre

Court ou long dormeur ?

Si dormir est indispensable à tout le monde, force est de


constater que les besoins de sommeil ne sont pas les mêmes
d’une personne à l’autre. La durée optimale de nos nuits
en particulier varie beaucoup. Certains aspirent à dormir
onze heures par nuit, d’autres seulement huit ou cinq. Ce
besoin-là n’est pas à prendre à la légère : impossible d’y
déroger sans qu’il y ait des conséquences à plus ou moins

112
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

long terme. Plus qu’un besoin, c’est une exigence de l’orga-


nisme qui résiste à toutes nos tentatives pour l’assouplir.
Vous aurez beau modifier vos habitudes, vos conditions de
sommeil, vous entraîner à vous lever plus tôt ou à vous
coucher plus tard dans l’espoir de vous caler sur les nuits
de votre conjoint, le temps de sommeil dont vous avez
besoin pour récupérer de vos diverses activités de la jour-
née et mener à bien celles du lendemain restera le même.
Seule l’avancée en âge change la donne et a tendance à
amenuiser les besoins de sommeil (voir plus loin).
Les spécialistes du sommeil parlent de courts et de longs
dormeurs plutôt que de petits et de gros dormeurs. Il en
existe dans les deux sexes, quels que soient le pays et les
modes de vie. Charlotte entre dans la seconde catégorie. Son
organisme exige plus de neuf heures de repos par 24 heures
pour être d’attaque. Quand elle dort moins, ne serait-ce que
huit heures, elle est fatiguée, plus émotive et moins concen-
trée dans son travail. Rien de très gênant le plus souvent,
surtout si l’écart de durée est réduit et se limite à une nuit ou
deux. Il y a bien ce petit temps de retard à l’allumage le
matin, ces quelques minutes de coups de barre dans la jour-
née, cette envie de rentrer se coucher plutôt que de sortir
mais cela reste supportable. Si elle poursuit à ce rythme
toute la semaine, les manifestations du manque de sommeil
s’accentuent et dès que l’occasion se présente, elle allonge sa
nuit d’une heure ou deux. Certains longs dormeurs ont
besoin d’encore plus de sommeil que Charlotte : dix, onze
voire douze heures par nuit. Courts et longs dormeurs ont
toutefois un point commun dans le sommeil : ils ont tous la
même quantité de sommeil lent profond, à savoir près de
100 minutes par nuit (cf. schéma chapitre 1).
Les courts dormeurs sont moins nombreux. Eux se
sentent parfaitement bien après avoir dormi seulement
cinq ou six heures. Leurs nuits n’excèdent jamais, ô grand

113
Quoi de neuf sur le sommeil ?

jamais, huit heures et ils n’aiment pas traîner au lit une


fois réveillés. Après une très courte nuit de trois heures, ils
sont relativement en forme et ne dorment pas tellement
plus en vacances que le reste de l’année. C’est précisément
à cette absence de besoin de récupération pendant le
week-end ou les vacances que l’on reconnaît les véritables
courts dormeurs. Rien à voir avec les petits dormeurs
capables d’accumuler les petites nuits pour les besoins de
leur travail, d’une vie sociale bien remplie ou pour cause
d’insomnies récurrentes mais qui dorment volontiers
quelques heures de plus. Pour la majorité des gens, la
durée de sommeil idéale se situe entre ces deux extrêmes,
aux alentours de sept à huit heures par nuit.

Pourquoi un tel éventail de besoins individuels ?

Les causes de ces disparités inter-individuelles ne sont


pas encore bien connues. Selon plusieurs études menées
ces dernières années, elles se situent au moins en partie
dans le génome. La présence d'une version ou l’autre de
certains gènes semble avoir une influence sur la durée
optimale de sommeil d’un individu. En 2011, une équipe
européenne a été la première à repérer l’un de ces gènes
baptisé ABCC9 50. Après s’être aperçu qu’une version de ce
gène est surreprésentée dans la population des longs
dormeurs, les chercheurs ont voulu savoir si sa présence
suffit à expliquer l’allongement de la durée du sommeil.
Comme il existe un gène homologue chez la mouche et
qu’il est plus facile de faire des expériences de biologie
moléculaire sur elle que chez l’homme, ils ont eu recours
à cet insecte pour poursuivre leurs investigations consis-

50 Allebrandt K.V. et al., 2011. A KATP channel gene effect on sleep duration: From
genome-wide association studies to function in Drosophila. Molecular Psychiatry.

114
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

tant à inactiver l’allèle en question. Les mouches ainsi


modifiées n’adoptaient plus leur position de repos
pendant les trois premières heures de la nuit et par consé-
quent, dormaient moins longtemps que d’ordinaire. Plus
récemment, une équipe américaine a mis au jour le lien
entre la présence d’une variante d’un autre gène et le
profil de court dormeur. Bien que ces découvertes
apportent indéniablement des éléments de compréhen-
sion sur ce qui détermine les besoins de sommeil de
chacun, les scientifiques continuent de se demander
pourquoi ces derniers diffèrent autant et quels secrets liés
au sommeil se cachent derrière cette disparité. Le sommeil
étant nécessaire au bon fonctionnement de l’organisme
chez de très nombreuses, sinon chez toutes les espèces, et
ce depuis très longtemps, comment se fait-il que certains
doivent en passer par de longues heures dans cet état pour
tirer profit de ces bienfaits tandis que d’autres obtiennent
le même résultat en moitié moins de temps ? Il y a là une
forme d’injustice qui sied mal à la logique du vivant et de
l’évolution des espèces.

Plutôt du soir ou du matin ?

Parfois c’est une évidence : vous êtes systématiquement


le dernier couché et le dernier levé à la maison, les
examens, rendez-vous et autres réunions programmés
avant 10 h le matin vous mettent en difficulté, vous n’êtes
jamais aussi perspicace et alerte qu’en toute fin de journée
quand d’autres se frottent les yeux. Pour sûr, vous êtes du
soir et votre chronotype est tardif. D’autres sont claire-
ment du matin, prêts à partir courir ou à terminer un
devoir dès potron-minet mais peu enclins à refaire le
monde après 22 h 15. En moyenne, les premiers vont se
coucher et se réveillent naturellement deux à trois heures

115
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Le chronotype se calcule
Till Roenneberg est professeur de chronobiologie à l’université de
Munich en Allemagne. Avec plusieurs collègues, il a mis au point
un questionnaire qui sonde les comportements individuels vis-à-
vis du sommeil et les périodes de la journée les plus propices aux
activités. Il considère l’heure du coucher, la durée de l’endormis-
sement, l’heure du réveil et celle du lever les jours de travail et les
jours de repos. Intégrées dans une formule mathématique, ces
données fournissent un score, qui correspond à un chronotype. Si
cet outil mis au point en 2005 et baptisé Munich Chronotype
Questionnaire, MCTQ pour les intimes, est toujours utilisé
aujourd’hui en médecine du sommeil, c’est parce qu’il est d’une
grande précision mais aussi parce qu’il permet de quantifier un
éventuel jet-lag social, c’est-à-dire une différence significative de
temps de sommeil entre la semaine et le week-end, révélateur
d’une dette de sommeil. Il existe d’autres questionnaires comme
celui de matinalité/vespéralité élaboré par Horne et Ostberg en
1976. Vous répondez à 19 questions à choix multiples et obtenez
un score total qui vous indique si vous êtes du soir, du matin,
neutre voire extrême du matin ou extrême du soir. Ce test est
disponible en ligne sur Internet, par exemple sur le site du Réseau
Morphée dédié à la prise en charge des troubles du sommeil.

après les seconds. Les études épidémiologiques ont établi


que les chronotypes extrêmes du matin et du soir
concernent chacun environ 20 % de la population géné-
rale51. Chez les 60 % restants, la tendance est moins nette,
plus neutre. Eux sont bien calés sur le cycle du jour et de
la nuit qui modèle notre vie sociale. En forme dès 8 h et
néanmoins capables d’apprécier une sortie tardive. Ils ne
sont ni franchement du soir, ni tout à fait du matin, alter-
nativement l’un et l’autre selon les jours, les situations, le
contexte et ses exigences. Là encore, on ne choisit pas : le

51 Adan A. et al., 2012. Circadian typology: A comprehensive review. Chronobiology


International.

116
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

chronotype, c’est-à-dire la tendance à être plus efficace le


soir ou le matin, est un trait de personnalité au même
titre que l’optimisme ou l’impulsivité. Le frisson et la
lourdeur des paupières annonciateurs de sommeil
surviennent plus ou moins tard selon les personnes, tout
comme le réveil le lendemain. Toutes les combinaisons
avec les durées de sommeil optimales sont possibles :
court dormeur du soir, moyen dormeur du matin, long
dormeur de chronotype intermédiaire, etc. Néanmoins,
les personnes du soir ont tendance à avoir des besoins de
sommeil un peu plus importants que celles du matin.
Connaître son profil de dormeur présente un intérêt
pratique évident : pouvoir adapter ses activités, notam-
ment les plus exigeantes sur le plan physique, émotionnel
ou intellectuel, à son niveau d’éveil. Bien sûr, il n’est pas
toujours possible de choisir son heure mais s’il nous est
donné de décider à quel moment faire ses devoirs,
programmer une séance de sport ou mener à bien une
mission délicate, autant éviter les difficultés en tenant
compte de son chronotype.

Il est plus facile pour un couche-tôt...

Dans les faits et compte tenu de nos habitudes sociales,


être quelqu’un du matin procure un avantage certain. Un
tel chronotype étant à peu près calé sur l’alternance du
jour et de la nuit, il est relativement naturel de vivre peu
ou prou avec le soleil, de mener des activités extérieures
pendant les heures les plus chaudes et les plus lumineuses,
de rentrer quand la nuit tombe puis d’aller se coucher
quand il fait noir. Le rapport à la lumière est tout autre
quand son plus haut niveau d’éveil coïncide avec le
moment où le soleil décline. Pour la vie de bureau aussi,
être du matin est un plus. Commencer à travailler à 8 ou

117
Quoi de neuf sur le sommeil ?

9 h n’a alors rien d’insurmontable. Ce rythme est évidem-


ment bien moins adapté pour ceux qui trouvent rarement
le sommeil avant 1 h ou 2 h du matin et ouvrent naturel-
lement l’œil vers 10 h. Pas étonnant que les gens du soir
soient surreprésentés chez les personnes qui manquent de
sommeil. Par ailleurs, ce décalage entre besoin de sommeil
naturel et exigences de la vie sociale pousse les couche-
tard encore plus que les autres à adopter des rythmes
irréguliers, rattrapant le week-end les heures de sommeil
qu’ils n’ont pas pu avoir pendant la semaine. Une telle
variation de rythme est en elle-même délétère pour la
santé. Il y a toutefois quelques bons côtés à faire partie des
couche-tard car on s’adapte plus facilement que les autres
à une suractivité temporaire ou au décalage horaire
imposé par un voyage au long cours.

Encore un coup de l’horloge biologique !

Les différents chronotypes sont le reflet de fluctuations


individuelles concernant l’ensemble des fonctions dépen-
dantes de l’horloge biologique. Non seulement le sommeil
ne frappe pas à la porte au même moment mais les pics
de température interne, de sécrétion de mélatonine ou de
cortisol, d’attention et de concentration, sont eux aussi
décalés : avancés chez les personnes du matin, retardés
chez celles du soir. Comme tout ce qui relève de l’horloge
biologique, le chronotype est sensible aux paramètres
extérieurs que sont la lumière, les horaires des repas,
l’activité physique, etc. L’exposition plus ou moins impor-
tante à la lumière en particulier paraît déterminante. Or
pendant le premier mois de vie, la différence est nette
selon que l’on est né en novembre ou en juin. Voir le jour
en automne ou en hiver, quand les jours sont courts,
prédisposerait à être plutôt du matin alors que les nour-

118
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

rissons du printemps et de l’été qui profitent de journées


plus longues auraient plutôt tendance à veiller tard. La
proportion des deux chronotypes extrêmes varie aussi
d’un pays à l’autre : plus on se déplace vers l’ouest et le
sud, plus la proportion de couche-tard augmente52.
Qu’on se rassure : ces différences ne déterminent pas les
capacités physiques et cognitives des uns et des autres.
À condition toutefois de pouvoir choisir librement le
moment de faire appel à elles. Lorsque des écarts de
performance s’observent, ils sont simplement la consé-
quence d’une mauvaise synchronisation entre les horloges
biologique et sociale. Un exemple ? Passer un examen qui
exige mémoire et concentration entre 8 h et 10 h est idéal
pour un lève-tôt mais délicat pour un couche-tard, qui le
réussira probablement bien mieux s’il a lieu dans l’après-
midi. Des différences selon le chronotype ont toutefois été
observées. Par exemple, les durées de sommeil et les
heures de lever et de coucher sont beaucoup plus stables
chez les lève-tôt que chez les sujets du soir. En moyenne,
leur sommeil est ainsi plus rigide et leurs habitudes de vie
moins flexibles. Des études assez anciennes menées par
des psychologues décrivent les sujets du matin comme
plutôt besogneux, performants et perfectionnistes. Les
personnes du soir seraient quant à elles extraverties,
impulsives et avides de sensations53. Il semble que nous ne
soyons pas tous logés à la même enseigne non plus en
matière de troubles mentaux. Les troubles de l’humeur et
en particulier les dépressions, qu’elles soient saisonnières
ou profondes, sont en effet plus fréquents et plus sévères
chez les personnes du soir54. S’agissant des troubles de

52 Adan, 2015.
53 Taillard, 2009.
54 Au J., Reece J., 2017. The relationship between chronotype and depressive
symptoms: A metaanalysis. Journal of Affective Disorders.

119
Quoi de neuf sur le sommeil ?

l’appétit, la situation est plus contrastée. Les sujets du


matin sont plus nombreux parmi les personnes
anorexiques alors que les personnes boulimiques sont
plus souvent des couche-tard.

Des différences entre hommes et femmes

Objectivement et en moyenne, les femmes dorment plus...

Voilà un fait établi et confirmé enquête après enquête :


partout dans le monde, les femmes dorment en moyenne
plus que les hommes. Pas énormément, de l’ordre d’une
demi-heure tout au plus, mais tout de même. Selon les
données collectées par l’application Sleep Cycle dis­­
ponible dans une cinquantaine de pays et qui analyse
le sommeil de millions de dormeurs consentants, les
Françaises dorment en moyenne et très exactement
7 heures et 26 minutes. Leurs homologues masculins ne
consacrent eux que 7 heures 12 minutes à cette activité.
Soit un écart de 14 minutes. En Indonésie, il atteint
34 minutes ; il se limite à 4 minutes et 30 secondes au
Japon. Reste à savoir pourquoi et, en premier lieu, si la
gent féminine a réellement besoin de plus de sommeil ou
si l’explication à cette observation se trouve ailleurs. Il se
pourrait en effet que la physiologie n’ait rien à voir dans
cette histoire et que ces nuits plus longues reflètent une
autre réalité : par exemple des différences entre les deux
sexes en matière d’habitudes sociales, de susceptibilités à
certains paramètres de l’environnement, comme le bruit
ou la lumière, ou encore de qualité de sommeil. Et si les
hommes avaient le sommeil plus léger ? Ou qu’ils étaient
plus incités socialement à se lever tôt ou à se coucher
tard ? Selon une étude britannique, il y a pourtant bel

120
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

et bien une différence de besoin estimée à 20 minutes et


qui serait liée à un besoin de récupération plus important
chez les femmes.

… mieux...

Plusieurs études fondées sur des observations compor-


tementales (heures du coucher, de l’endormissement, du
réveil et du lever) soulignent par ailleurs l’existence d’un
sommeil féminin plus long dès l’enfance et le maintien de
cette même tendance à l’adolescence. Mais elles ne disent
pas à quel âge les besoins de sommeil commencent à
se différencier entre les deux sexes. Il est d’autant plus
difficile de le savoir que les enregistrements de l’activité
électrique du cerveau pendant le sommeil ne montrent
pas de différence notable dans l’architecture du sommeil
au cours de l’enfance. Garçons et filles passent à peu près
le même temps dans chaque phase et stade de sommeil.
Mais dès la puberté, des variations apparaissent selon que
le dormeur est un homme ou une femme. Les enregistre-
ments de l’activité électrique du cerveau mettent alors en
évidence une moindre durée de sommeil léger et un
supplément de sommeil profond chez les femmes.
Mesdames, tout indique que votre sommeil est de meil-
leure qualité que celui des hommes.
Bien sûr, il s’agit d’une tendance moyenne qui lisse les
différences individuelles et l’évolution du sommeil avec
l’âge, pourtant bien réelles (voir plus loin). Le constat est
d’autant plus intéressant qu’il colle mal avec le résultat
d’autres enquêtes dont il ressort que les femmes adultes se
plaignent plus que les hommes de la mauvaise qualité de
leur sommeil. Il est vrai que l’anxiété et la dépression
sont plus communes chez les premières que chez les
seconds et que ces deux états retentissent négativement

121
Quoi de neuf sur le sommeil ?

sur la perception que l’on a de son propre sommeil. Il est


également possible, à en croire certains auteurs, que les
hommes surestiment la qualité du leur ou expriment
moins volontiers leurs plaintes de sommeil que les
femmes. Enfin, il paraît de plus en plus évident que la
construction de l’architecture du sommeil, voire peut-être
aussi le sommeil à l’âge adulte, sont sous influence des
hormones sexuelles. Or comme chacun sait, ces dernières
sont de natures différentes et en proportions variables
selon que l’on soit de sexe masculin ou féminin.

... et plus tôt

Les femmes vont se coucher avant les hommes. Elles se


réveillent aussi naturellement un peu plus tard que l’autre
sexe. Là encore, ne perdons pas de vue qu’il s’agit de
moyennes établies pour de grandes populations et que les
exceptions sont légion. Partant de ce constat, une équipe
franco-américaine s’est demandé si l’horloge biologique
des femmes et des hommes n’était pas réglée différem-
ment55. Et si l’horloge interne de ces dames avançait plus
vite que celle de ces messieurs ? L’hypothèse n’a rien de
farfelu dans la mesure où d’autres disparités dans la durée
du cycle veille-sommeil ont déjà été mises en évidence,
entre individus d’une même espèce mais aussi d’une
espèce à l’autre. Pour mesurer la longueur du cycle de
l’horloge circadienne de leurs cobayes, 52 femmes et
105 hommes adultes, les chercheurs les ont placés pendant
plusieurs semaines dans un environnement spécial pour
les priver de repères temporels : pas de lumière ni de
variation de température, aucun moyen de savoir l’heure.

55 Duffy J.F., 2011. Sex difference in the near-24-hour intrinsic period of the human
circadian timing system. PNAS.

122
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

Ils ont alors constaté qu’effectivement, les cycles bio­­


logiques des femmes et des hommes n’ont pas la même
durée. En l’occurrence, celui des femmes est plus court de
six minutes en moyenne. Mais ce n’est pas tout. Les scien-
tifiques se sont intéressés plus particulièrement à celles et
ceux dont le cycle est réglé sur moins de 24 heures et qui
terminent donc naturellement leur journée avant d’avoir
fait deux fois le tour du cadran. En l’absence d’éléments
extérieurs capables d’influencer leur horloge interne,
comme la lumière ou les rites sociaux, ces personnes
ressentent l’envie de se coucher et de se réveiller chaque
jour un peu plus tôt que la veille. Bien évidemment dans
la réalité, elles jugent souvent trop précoce l’heure de
coucher préconisée par leur horloge biologique et
ignorent les signaux d’endormissement que cette dernière
leur adresse, préférant vaquer à leurs occupations du soir.
Résultat : au moment où elles décident d’aller se coucher,
le sommeil se fait attendre. Or l’étude déjà citée montre
que ces individus calés sur moins de 24 heures sont majo-
ritairement des femmes.

L’âge transforme le sommeil

Le chronotype évolue

La peau change avec l’âge. Celle du bébé est lisse et


douce. Quelques années après, à l’heure des discussions
interminables devant la porte du collège et des premières
sorties entre copains, elle se pare de quelques boutons et
points noirs. Puis elle perd un peu de son élasticité, se
creuse légèrement à la commissure des lèvres et entre les
yeux. L’âge mûr est aussi celui des rides plus ou moins
profondes. Quant à l’épiderme des anciens, il porte les

123
Quoi de neuf sur le sommeil ?

stigmates d’une longue existence : taches, cicatrices,


sillons. Le temps qui passe ne marque pas seulement la
peau. Il affecte tous les organes, les fonctions physio­
logiques. Et le sommeil.
Tout d’abord, l’âge accomplit ce que nul autre que lui ne
réussit : modifier le chronotype. Alors que les enfants sont
généralement du matin et capables pour certains de se
lever très tôt en pleine forme, les adolescents entre 12 et
18 ans, et même au-delà, ont naturellement tendance à se
coucher plus tard et à dormir tard le matin. Ce faisant, ils
ne font pas que récupérer les heures de sommeil dont ils se
sont privés pendant la semaine. Ils se rapprochent de leur
rythme biologique veille-sommeil. Si à 20 ans vous n’ap-
préciez ni de veiller tard ni les grasses matinées, il y a fort à
parier que ce ne sera jamais le cas. Pour certains auteurs, le
retour à un réveil plus matinal constitue un marqueur
biologique qui signe la fin de l’adolescence. Dès lors,
certains remarqueront qu’ils se réveillent plus facilement
qu’avant à 9 h du matin quand d’autres n’ouvriront plus
les yeux à 7 mais à 6 h. Puis, les années passant et à plus
forte raison à partir de la cinquantaine, la tendance s’accen-
tue et la majorité des personnes âgées sont matinales.

En construction pendant les premiers mois

Le sommeil apparaît au cours de la vie fœtale et sa matu-


ration est progressive. Les premiers épisodes de sommeil
agité (comparable au sommeil paradoxal) et de sommeil
calme (équivalent du sommeil lent) s’observent entre 27 et
30 semaines de gestation, c’est-à-dire au début du troi-
sième trimestre de la grossesse. Avant cela, des périodes
d’activité et de repos sont certes visibles mais il ne s’agit pas
à proprement parler de sommeil car tous les critères
physiologiques permettant de le définir et de distinguer

124
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

ses phases –– mouvements oculaires, activité électrique,


res­piration, tonus musculaire –– ne sont pas réunis.
Des études ayant montré que le développement de
l’enfant est le même dans le ventre de la mère et à l’air libre,
on considère qu’un fœtus dort comme un bébé prématuré
du même âge gestationnel et qu’il est possible, à partir de
tracés de sommeil des uns d’extrapoler au sommeil des
autres. De nombreux enregistrements effectués ces
dernières décennies sur des nourrissons prématurés ont
montré qu’à l’âge où la plupart des bébés sont encore bien
au chaud dans le ventre de leur mère, l’activité électrique
de leur cerveau pendant le sommeil change à toute allure
et s’élabore semaine après semaine. D’autres enregistre-
ments effectués au moment de la naissance révèlent que
pendant l’accouchement et à moins d’être en détresse, le
fœtus dort une grande partie du temps. Quand tout se
passe bien, il ne commence à ouvrir l’œil qu’au moment

Repères
Combien d’heures doit-on dormir chaque nuit pour tirer le meilleur
parti du sommeil ? Cela dépend, entre autres, de son âge. Les
experts médicaux réunis par la Fondation nationale du sommeil
américaine ont compilé les données rapportées dans 300 articles
scientifiques parmi les plus récents et les plus fiables. Ils en ont
tiré les recommandations que voici, datées de 2015 :
Nouveau-nés (0-3 mois) : entre 14 et 17 heures de sommeil
par nuit en moyenne
Nourrissons (4-11 mois) : entre 12 et 15 heures
Tout-petits (1-2 ans) : entre 11 et 14 heures
Enfants d’âge préscolaire (3-5 ans) : entre 10 et 13 heures
Enfants d’âge scolaire (6-13 ans) : entre 9 et 11 heures
Adolescents (14-17 ans) : entre 8 et 10 heures
Adultes (18-64 ans) : entre 7 et 9 heures
Personnes âgées (> 65 ans) : entre 7 et 8 heures

125
Quoi de neuf sur le sommeil ?

des contractions les plus importantes. Quand enfin il


pousse son premier cri, il est complètement réveillé.
D’abord, le fœtus puis le bébé dort jour et nuit. Les
états veille/sommeil s’organisent selon un cycle de quatre
heures environ. Rapidement, un rythme circadien stable
de 24 heures apparaît. Chez 75 % des enfants, il est déjà
en place quatre semaines après le terme. L’exposition à la
lumière du jour et à l’obscurité de la nuit, des interactions
sociales plus importantes pendant la journée et la régula-
rité des repas favorisent cette installation. À cette même
période, les séquences de sommeil agité sont prépondé-
rantes et ponctuées de nombreux mouvements corporels.
Le nombre de ces mouvements diminue nettement dans
les deux premiers mois post-terme jusqu’à disparaître
vers 3 mois quand le sommeil paradoxal prend le relais.
La durée cumulée des tranches de sommeil paradoxal
atteint alors des sommets : huit heures, contre seulement
deux heures chez l’adulte. Parallèlement, entre un mois et
demi et 3 mois, le premier critère de sommeil adulte
se met en place : lors des périodes de sommeil calme
apparaissent des séquences caractéristiques du sommeil
léger et d’autres de sommeil lent profond.

Quel est le secret des bébés qui font vite leurs nuits ?

Un jeune enfant se réveille plusieurs fois par nuit, entre


une et dix minutes à chaque fin de cycle. Inutile d’espérer
que cela se passe autrement, c’est physiologique. Un
bébé de 3 mois ouvre l’œil environ huit fois au cours de
sa nuit, son aîné de 18 à 24 mois entre quatre et cinq fois.
Passé un an, ces réveils ont lieu presque toujours en
seconde partie de nuit quand le sommeil profond dimi-
nue. Certains enfants trouvent très vite en eux les
ressources pour se rendormir seuls, sans avoir besoin de

126
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

se signaler à leur entourage en pleurant. Ce sont eux qui


« font leurs nuits » les premiers. La moitié des enfants âgés
de 5 mois dorment huit heures d’affilée entre 22 h et 6 h
sans se manifester, ce qui est compatible avec le sommeil
de leurs parents. Les autres finiront aussi par dormir de
plus en plus longtemps.
Les besoins de sommeil des bébés sont énormes, de
l’ordre de 16 à 17 heures par jour. Cela dit, plus l’enfant
est jeune, plus les différences de l’un à l’autre en matière
de durée de sommeil sont importantes. Il y a des courts et
des longs dormeurs dès la naissance. Même si les facteurs
environnementaux sont déterminants dans l’établis­
sement du chronotype chez les bébés, il n’en reste pas
moins vrai que chez les bébés, certains sont déjà des
couche-tôt et d’autres des couche-tard.

L’enfant dormira bien vite…

Plus l’enfant avance en âge, plus son sommeil s’organise


et se stabilise. Les réveils se font plus rares, cauchemars,
maladies et autres soucis nocturnes mis à part. À partir de
18 mois, le sommeil lent profond prédomine dans les
trois premières heures de la nuit, et le sommeil paradoxal,
en seconde partie de nuit. Comme chez l’adulte en
somme. Chacun de ces stades représente 25 % du temps
total de sommeil et les 50 % restants correspondent à du
sommeil lent léger56. Les besoins de sommeil continuent
de baisser progressivement de mois en mois tout en
restant importants, de l’ordre de douze heures autour de
2 ans. Les nuits les couvrent en grande partie et les siestes
procurent le complément nécessaire.

56 Challamel M.J., 2017. Développement des états de vigilance, du nouveau-né au


jeune enfant. Vocation sage-femme.

127
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Puis vient le moment, entre 3 et 5 ans en moyenne, où


dormir la nuit suffit et où la dernière sieste, celle de
l’après-midi disparaît. C’est l’occasion d’une grande réor-
ganisation du sommeil nocturne. La quantité de sommeil
lent profond en début de nuit augmente. Si jusque-là 20 à
40 % des enfants éprouvaient des difficultés pour s’endor-
mir le soir ou se rendormir au cours de la nuit, la fin de la
sieste signe souvent la fin de ces épisodes. Commence
alors une période de grand confort durant laquelle la
grande majorité des enfants dort à poings fermés toute
la nuit, d’un sommeil de grande qualité. Leur vigilance
dans la journée est alors excellente... à condition d’avoir
suffisamment dormi. S’ils se couchent trop tard, c’est-à-
dire après 21 h pour un enfant de 5 ans qui fréquente
l’école maternelle, la dette de sommeil est quasiment
systématique. Dans ce cas, non seulement les perfor-
mances de l’enfant sont diminuées dans la journée mais
son sommeil est aussi plus perturbé pendant la nuit. La
régularité des tranches réservées au sommeil, bornées par
des horaires fixes de coucher et de réveil tous les jours,
week-end et vacances compris, contribue également à ce
que les enfants tirent le meilleur bénéfice de leur sommeil.
Une équipe de chercheurs a montré que l’heure tardive
ainsi que l’irrégularité du coucher diminuent les perfor-
mances scolaires des enfants. Leur étude, portant sur plus
de 11 000 Britanniques âgés de 7 ans, souligne également
que plus l’habitude de se coucher tard ou à des horaires
irréguliers est ancrée de longue date, plus les résultats
aux tests s’écartent de ceux obtenus par les dormeurs
réguliers57. Et ce, quel que soit le statut social des parents,

57 Kelly Y. et al., 2013. Time for bed: Associations with cognitive performance in
7-year-old children: a longitudinal population-based study. Journal of Epidemiology
and Community Health.

128
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

Pourquoi être bercé aide à trouver le sommeil ?


Tous les parents le savent et s’en réjouissent : le bercement a des
effets soporifiques sur les bébés. Dans les bras d’un adulte affec-
tueux, bien calés dans la nacelle à l’arrière d’une voiture qui roule
ou en balade dans une poussette, les bambins s’abandonnent plus
volontiers au sommeil que dans leur lit. Du reste, les oscillations
d’un hamac ou celles du train favorisent aussi la somnolence des
adultes. Désireux d’objectiver ce phénomène, des neuroscienti-
fiques suisses ont analysé l’activité cérébrale de douze hommes
volontaires invités à faire la sieste soit sur une couche fixe, soit
sur un lit animé d’un mouvement régulier58. Ils se sont aperçu que
les seconds s’endormaient deux fois plus vite mais aussi que leur
sommeil comportait plus d’ondes lentes et de fuseaux, autrement
dit qu’il était plus profond. Selon eux, le bercement favoriserait
l’activité synchrone de réseaux de neurones impliqués dans la
survenue du sommeil et son maintien.

le temps consacré aux enfants, les activités de loisirs prati-


quées ou encore le nombre d’heures passées devant la
télévision. Ainsi, permettre aux enfants de dormir assez
est nécessaire mais pas suffisant pour qu’ils exploitent au
mieux leurs facultés cognitives. Il nous revient aussi de
faire en sorte qu’ils aillent se coucher à heure fixe.

Le soir appartient aux adolescents

Qui a déjà tenté d’imposer à un adolescent ou une


adolescente d’aller se coucher à 21 h au prétexte que c’est
ainsi et qu’il a toujours été un couche-tôt, sait que cela
relève du défi. À moins bien sûr que ledit (ladite)
adolescent(e) ne soit sorti(e) ou n’ai travaillé très tard la
veille et que la pression de sommeil ne le (la) pousse à

58 Bayer L. et al., 2011. Rocking synchronizes brain waves during a short nap. Current
Biology.

129
Quoi de neuf sur le sommeil ?

vouloir gagner son lit beaucoup plus tôt que d’habitude.


Car les adolescents ont naturellement tendance à se
coucher tard. Plus tard que leurs parents parfois mais
aussi plus tard que les enfants qu’ils étaient et que les
adultes qu’ils deviendront.
Outre la pression sociale qui les incite à veiller, les
raisons de ce décalage sont biologiques et multiples. Il y
a d’abord une explication hormonale : à la puberté,
c’est-à-dire entre 11 et 13 ans, la sécrétion de mélatonine
non seulement diminue mais survient aussi plus tard, si
bien que le pic de concentration de cette hormone qui
appelle le sommeil est décalé. Un deuxième changement
physiologique concerne la période circadienne qui
augmente, ce qui se traduit par un changement de
rythme dans le sens couche-tard. Cette modification-là
est transitoire, limitée aux années adolescentes. Par
ailleurs, les adolescents deviennent moins réceptifs à la
lumière le matin mais plus sensibles à elle le soir, qu’elle
soit naturelle ou arti­ficielle. Étant donné que la lumière
est un des principaux synchronisateurs de l’horloge
biologique, cette dernière se décale encore un peu plus
vers le soir59. La pression de sommeil monte aussi plus
doucement, si bien qu’il faut un manque de sommeil
plus important pour que l’envie de dormir se manifeste.
Sans compter que le sommeil continue de se réorganiser
et qu’après 12 ans, la quantité de sommeil profond baisse
de 40 % au profit du sommeil léger. Alors que les pré­­
adolescents ont un sommeil de plomb, leurs aînés d’à
peine 1 an ou 2 ont plus de mal à s’endormir. Les
premiers ont tout intérêt à se coucher aux alentours de
21 h 30 alors que les seconds, adolescents confirmés, ont

59 Crowley S.J., 2015. Increased sensitivity of the circadian system to light in early/
mid-puberty. Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism.

130
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

de bonnes raisons de repousser l’extinction des feux à


22 h 30 voire 23 h et de n’émerger qu’à 8 h le lendemain.
Reste la tendance de certains, adolescents mais aussi
adultes, à se coucher beaucoup plus tard : minuit, 1 h,
2 h... Sans pour autant pouvoir dormir tout leur soûl le
lendemain matin puisqu’il faut se rendre en cours ou au
travail. Non seulement cette habitude contrarie l’horloge
biologique de l’individu mais elle installe une dette de
sommeil et un cercle vicieux qui accentuent les difficultés
d’endormissement. L’attitude la plus répandue consiste à
se lever tard, très tard le week-end pour rattraper les
heures de sommeil dont on a été privé pendant la
semaine. Erreur ! Car il est alors encore plus difficile de
s’endormir le dimanche soir et le cycle infernal recom-
mence, marqué par un déficit d’heures de sommeil par
rapport aux besoins de l’adolescent. Par ailleurs, ce déca-
lage horaire, ou jet lag social, altère l’humeur, favorise la
somnolence et menace la santé cardiovasculaire. Mauvaise
idée, vraiment...

Décaler les horaires de classe : une solution ?

En France, où de nombreux collégiens et lycéens sont


sur le pont dès 8 h, les 15-19 ans dorment en moyenne
7 heures 37 minutes chaque nuit. C’est moins que les
8 heures minimum recommandées. Et de fait, un jeune
sur trois manque de sommeil. Une enquête menée au
Canada auprès de 29 635 élèves de 10 à 18 ans rapporte la
même proportion d’individus en dette de sommeil et
ajoute une donnée importante : 60 % de ces jeunes se
déclarent fatigués le matin60. Ceux dont la dette de sommeil

60 Gariépy G. et al., 2016. School start time and sleep in Canadian adolescents.
Journal of Sleep Research.

131
Quoi de neuf sur le sommeil ?

est la plus marquée sont aussi ceux qui se disent les plus
fatigués. Ils sont plus nombreux dans ce cas dans les
établissements où les cours démarrent le plus tôt, c’est-à-
dire vers 8 h. Selon les chercheurs, retarder l’heure de
début des enseignements permettrait de diminuer la dette
de sommeil de cette population ainsi que ses conséquences
sur la vigilance des élèves. D’après leurs calculs, chaque
recul de dix minutes correspond à trois minutes de
sommeil en plus et diminue la probabilité de ressentir de
la fatigue pendant les cours du matin. Ils poussent la
logique jusqu’à fixer à 9 h 30 l’heure idéale de début des
cours, arguant que les jeunes dormiraient alors 8 h 55 en
moyenne et que dans ce scénario, les trois quarts respec-
teraient les recommandations de sommeil pour leur
tranche d’âge. Sans aller jusqu’à un tel décalage, enfants et
adolescents gagneraient à ce que les besoins de sommeil
propres à leurs tranches d’âge soient mieux pris en compte
pour fixer le début des horaires de cours.

Gardez le rythme

Chaque cellule nerveuse de notre cerveau est faite d’une


partie boursouflée, le corps cellulaire, et d’une fibre allon-
gée, l’axone. Celui-ci est entouré d’une gaine de myéline
de couleur blanche. Ce que l’on appelle la matière blanche
est composé de très nombreux faisceaux d’axones qui
assurent la communication entre les différentes zones du
cerveau. La matière grise correspond quant à elle aux
corps cellulaires accumulés dans le cortex recouvrant les
hémisphères cérébraux et le cervelet, dans les noyaux plus
profonds, dans le tronc cérébral et dans la colonne verté-
brale. Plus le nombre et le volume des corps cellulaires
sont élevés, plus notre cerveau est mature, c’est-à-dire
capable de traiter correctement les diverses catégories

132
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

d’informations qui lui parviennent. Le volume de matière


grise est ainsi directement lié à nos performances cogni-
tives et à l’intelligence qui en découle. Jusqu’ici, rien que
de bien connu depuis longtemps et surtout rien qui
justifie d’en parler dans un ouvrage sur le sommeil. C’est
sans compter le travail effectué par un consortium de
chercheurs qui a voulu savoir si adopter un rythme veil­­­le-
sommeil différent la semaine et le week-end avait ou non
une incidence sur le développement de leur matière grise.
Au départ, il s’agissait d’une simple hypothèse pour expli-
quer l’observation suivante : le manque de sommeil et/ou
le fait de le retarder nuisent aux performances scolaires et
à la santé des adolescents. En l’occurrence, ils se sont
concentrés sur la pratique, fort répandue chez les adoles-
cents, qui consiste à dormir peu la semaine mais plus
longtemps et tardivement le week-end. Des mesures
portant sur le volume de matière de grise dans le cortex
d’adolescents de 14 ans l’ont confirmé : le cerveau des
jeunes rompus à cette habitude est moins mature et moins
riche en substance grise. Les grasses matinées du
dimanche, que l’on pensait précieuses pour récupérer,
semblent au contraire faire perdre aux adolescents une
partie de leurs moyens intellectuels dans la mesure où
elles cassent le rythme du reste de la semaine. Vos adoles-
cents ne respectent pas l’heure limite que vous leur avez
fixée pour se lever le dimanche matin ? Rappelez-leur ce
petit point de détail...

Il est 5 h, Papy s’éveille

Le père de Charlotte a toujours été un bon dormeur. Sa


capacité à s’endormir en un clin d’œil quand il le décidait,
à profiter d’un sommeil imperturbable et à se lever sans
peine le lendemain, faisait des envieux. Pendant des

133
Quoi de neuf sur le sommeil ?

années, ces nuits de rêve, régulières, ininterrompues et


réparatrices se sont succédé. Jamais une insomnie, pas le
moindre petit grain de sable dans la mécanique. Et puis
une nuit, aux alentours de 55 ans et sans raison apparente,
il s’est surpris à ouvrir les yeux à 4 h du matin. Il lui a fallu
patienter un petit moment avant de se rendormir. Une
fois, deux fois, trois fois. Le sommeil finissait par le cueil-
lir de nouveau, hélas juste avant que le réveil ne sonne.
Aujourd’hui, le père de Charlotte a 67 ans. Il s’endort
toujours à la demande mais ses nuits ont un nouveau
visage. Seules quelques-unes s’étirent d’une traite jusqu’au
matin. Toutes les autres sont ponctuées d’un ou deux
épisodes d’éveil plus ou moins longs, plus ou moins bien-
venus selon les exigences du lendemain. Son sommeil est
plus léger, surtout en seconde partie de nuit où le moindre
bruit inhabituel le réveille. Alors il s’adapte : se rendort au
petit matin quand il peut, a cessé de courir après la nuit
parfaite de sa jeunesse et n’a rien contre un petit somme
en début d’après-midi.
Le père de Charlotte n’est pas insomniaque. Il dort
autrement, au rythme de sa physiologie d’homme mûr. Le
sommeil continue de se modifier tout au long de l’âge
adulte. Impossible d’y échapper. Ces changements, tout ce
qu’il y a de plus naturels, concernent à la fois les méca-
nismes neurobiologiques responsables de la régulation du
sommeil et son organisation. La quantité totale de
sommeil lent diminue. Les enregistrements montrent en
effet que l’âge venant, le stade 1, celui de l’endormis­
sement, dure plus longtemps tandis que les stades de
sommeil profond s’amenuisent. Le pourcentage de temps
passé en sommeil paradoxal diminue légèrement. Les
réveils brefs au cours de la nuit deviennent aussi plus
fréquents, et ce même en l’absence de troubles caractérisés
comme les apnées du sommeil. Des changements neuro-

134
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

hormonaux vont de pair : les taux de mélatonine et d’hor-


mone de croissance diminuent avec l’avancée en âge, la
quantité de cortisol est plus élevée le matin61. Par ailleurs,
l’horloge biologique se décale, d’où ce besoin de se
coucher plus tôt, parfois dès 20 h ou 21 h, et des réveils à
5 h du matin avec l’impression d’avoir terminé sa nuit.
Inutile de rester au lit, vous ne vous rendormirez proba-
blement pas. Mieux vaut se lancer dans des activités
plaisantes pour bien démarrer sa journée.

Pourquoi tant d’insomnies après la quarantaine ?

Le sommeil a beau être morcelé, décalé, grignoté, il n’en


demeure pas moins récupérateur à condition de pouvoir
dormir quand on en ressent le besoin. Cela étant dit, cette
évolution normale et continue du sommeil tout au long
de la vie ouvre la voie à d’authentiques troubles du
sommeil, avec des conséquences sur la vie éveillée. C’est
notamment le cas des insomnies de milieu ou fin de nuit
survenant à partir de la quarantaine, à un âge où beau-
coup de gens travaillent, ont des enfants et une vie qui
nécessite d’être vigilant tout au long de la journée. Toutes
naturelles qu’elles soient, ces heures perdues pendant la
nuit peuvent conduire à d’importantes dettes de sommeil.
C’est pourquoi il vaut mieux prendre le taureau par les
cornes et revoir ses habitudes pour se concocter des nuits
plus satisfaisantes : s’efforcer d’adopter un rythme de
sommeil constant, se lever quand on est réveillé, s’exposer
le plus possible à la lumière naturelle, avoir une activité
physique journalière...

61 Arbus C., Cochen V., 2010. Les modifications du sommeil avec l’âge. Psychologie et
neuropsychiatrie du vieillissement.

135
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Les insomnies sont légion chez les plus de 75 ans. Près


de 40 % des individus de cette tranche d’âge se plaignent
de difficultés d’endormissement, de réveils nocturnes ou
précoces. Certaines sont la conséquence directe d’un
sommeil vieillissant, qu’il faut apprendre à apprivoiser.
D’autres sont consécutives à un problème médical (mala-
die, douleur, toux...) et/ou à la prise de certains médica-
ments comme les corticoïdes, les bêtabloquants, les
diurétiques ou certains antidépresseurs. Dans la mesure
où les personnes âgées sont celles qui ont le plus de
problèmes de santé et consomment le plus de médica-
ments, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elles détiennent
aussi le record des troubles du sommeil qui leur sont liés.
Enfin, les modifications des habitudes et du rythme de
vie, quand arrive l’heure de prendre sa retraite ou à l’occa-
sion d’un déménagement par exemple, causent elles aussi
des insomnies à certaines personnes âgées.

La ménopause rend-elle insomniaque ?

À l’heure de la ménopause et des modifications


hormonales qui la caractérisent, les plaintes de sommeil
des femmes montent en flèche. Alors que 36,5 % d’entre
elles déclarent des insomnies chroniques avant cette
période, elles sont 56,6 % dans les quelques mois qui
précèdent la survenue de la ménopause. Passé ce cap, la
proportion baisse un peu et se stabilise autour de 50 %.
Autrement dit, une femme ménopausée sur deux souffre
d’insomnie chronique et, pour certaines, les ennuis ont
commencé au moment de la ménopause. Est-ce à dire
que celle-ci en est la cause directe ? Rien n’est moins sûr.
D’autres troubles du sommeil comme les mouvements
périodiques nocturnes et les apnées du sommeil, dont
l’incidence chez les femmes augmente autour de la

136
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

ménopause, peuvent être à l’origine de certaines insom-


nies. Par ailleurs, même si les femmes ont l’impression
que leur sommeil se détériore, les enregistrements
montrent que ce n’est pas toujours le cas. Peut-on
incriminer les bouffées de chaleur caractéristiques de
l’arrivée imminente de la ménopause et lui attribuer ses
difficultés d’endormissement et ses éveils nocturnes ? Il
est vrai que les femmes atteintes de bouffées de chaleur se
plaignent d’insomnies plus sévères mais on ignore encore
quel mécanisme sous-tend l’association entre les deux.
En tout état de cause, acceptez ces quelques conseils pour
limiter les effets néfastes des bouffées de chaleur sur vos
nuits : maintenez votre chambre à 18 °C, ne vous couvrez
pas trop la nuit, gardez une boisson fraîche à portée
de main, évitez café, alcool et tabac et dispensez-vous
d’activité physique le soir.

Somnoler le jour, s’agiter la nuit

Les transformations du sommeil sous l’effet de l’âge se


traduisent également par l’augmentation de la fréquence
des accès de somnolence. Ces moments où la vigilance
décroît et où l’on pique du nez se renouvellent de plus en
plus à différents moments de la journée. Sachant qu’un
sommeil insuffisant ou de piètre qualité affecte certaines
capacités comme l’attention, la mémoire ou la prise de
décision (voir chapitre 3), une équipe de chercheurs s’est
demandé si les troubles du sommeil des personnes âgées,
accès de somnolence et insomnies en tête, pouvaient
d’une façon ou d’une autre être liés au déclin de leurs
fonctions cognitives plusieurs années après62. Pour le
savoir, ils ont suivi 9 294 participants âgés de 65 ans et

62 Jaussent I. et al., 2012. Excessive sleep and cognitive decline in the elderly. Sleep.

137
Quoi de neuf sur le sommeil ?

plus pendant une période de huit ans, observant l’évolu-


tion de leur vivacité d’esprit et celle de leurs problèmes de
sommeil. Ce faisant, ils se sont aperçu que la somnolence
excessive pendant la journée est effectivement associée à
une augmentation du risque de déclin cognitif des années
plus tard. Et ce, quel que soit l’état de santé préalable, le
comportement ou le profil sociodémographique des
personnes. Autrement dit, les accès de somnolence pour-
raient être un marqueur précoce de déclin cognitif voire
de démence. S’il s’avère que c’est bien le cas, ce qui doit
encore être confirmé, prévenir ces assoupissements
intempestifs chez les personnes âgées pourrait contribuer
à retarder la baisse de leurs performances cognitives. En
ce qui concerne les insomnies en revanche, l’étude n’a mis
en évidence aucun lien significatif.
Avec les années, le sommeil a par ailleurs tendance
à devenir plus remuant. Les séniors sont en effet plus
sujets que leurs cadets aux troubles du comportement
pendant le sommeil paradoxal, au syndrome des jambes
sans repos ou encore aux mouvements périodiques des
membres. Chez certains, le lit devient chaque nuit le
théâtre de coups de pieds, pédalages, mouvements répé-
titifs des bras, sauts hors du lit avec ou sans cris. Involon-
taires, ces agitations nocturnes ne laissent aucun souvenir
à la personne concernée. Il en va évidemment tout
autrement pour celui ou celle qui dort à ses côtés. Sans
compter que de telles séquences perturbent le sommeil
de l’un comme de l’autre et, de ce fait, ont tendance à
amplifier la fatigue et la somnolence le lendemain. La
cause de ces manifestations n’est pas toujours identifiable
mais quand elle l’est, elle peut généralement être traitée.
À défaut, des solutions existent pour limiter la survenue
des symptômes.

138
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

Question d’habitudes

Comment dort-on en 2017 ?


Les besoins physiologiques de sommeil, variables d’un
individu à l’autre et fluctuants avec l’âge, s’imposent à
nous. En revanche, nos façons de dormir, le temps que
nous accordons au sommeil et la priorisation de nos
activités nous appartiennent. Nous décidons, au moins
en partie, quand aller nous coucher, à quelle heure
sonnera le réveil, de nous offrir une grasse matinée ou
une sieste. Ces habitudes ont évolué et se sont diversifiées
au fil des époques, selon les sociétés et les modes de vie.
Certaines sont bien ancrées, partagées par une grande
partie d’entre nous : le fait de dormir dans un lit, en
position allongée, d’une traite si possible. D’autres, liées
à nos contraintes ou expressions de nos choix, nous
distinguent : dormir le jour quand on travaille de nuit, se
lever à l’aube pour avoir du temps pour soi avant d’enta-
mer sa journée « sociale », lire quelques pages ou regarder
un film avant de s’endormir, partager son lit, fût-ce avec
un animal de compagnie. Idéalement, nos habitudes
devraient servir nos besoins de sommeil. Ce n’est pas
toujours le cas. De deux choses l’une alors : soit vous
faites preuve de souplesse et acceptez de revisiter vos us et
coutumes liés au sommeil, soit vous devrez payer la note
de votre personne. Car une chose est sûre : les besoins de
sommeil, eux, ne bougeront pas.
Connaissez-vous la durée moyenne d’une nuit de
sommeil pour un Français ? 7 heures et 24 minutes très
précisément. C’est 34 minutes de plus que les Britan-
niques, une de moins que les Espagnols. Alors que les
Finnois vont se coucher à 23 h et se lèvent à 6 h 35, les
Portugais se mettent au lit à 23 h 40 et en sortent aux

139
Quoi de neuf sur le sommeil ?

environs de 7 h 25. Les Français se couchent plus tôt, à


22 h 30 en moyenne, et ouvrent l’œil à 6 h 45. Ces chiffres
sont issus de vastes enquêtes de population menées tous
les trois ans depuis 1992 dans plusieurs pays d’Europe par
les équipes du Centre de recherche en épidémiologie du
sommeil de l’université américaine de Stanford. Ils
masquent bien évidemment des réalités très diverses
d’une nuit à l’autre et selon les personnes. Pour autant, ils
confirment que les habitudes de sommeil ne sont pas les
mêmes partout. Par exemple, un Italien sur six fait régu-
lièrement la sieste. En France, une personne sur huit
seulement se l’accorde. Dans l’Hexagone toujours, les
zones où la densité de population est la plus élevée, dans
et autour des grandes villes, sont celles où les gens
dorment le moins longtemps. On y apprend aussi que les
habitants d’Île-de-France gagnent leur lit plus tard
que les autres et que c’est en Bretagne et en Normandie
que l’on se couche le plus tôt. Les enquêtes successives
effectuées en France montrent aussi une dégradation de
la qualité de sommeil ces 25 dernières années, qui se
traduit par un nombre croissant de plaintes concernant
des insomnies.

Satisfait mais endetté

Pour autant, 84 % des personnes sondées se déclarent


totalement satisfaites de leur sommeil. Bonne nouvelle ?
Pas vraiment... Car objectivement, et bien qu’elles ne se
sentent pas fatiguées, plusieurs d’entre elles n’ont pas
suffisamment dormi. Ce n’est pas la qualité de leur
sommeil qui est en cause mais bien sa durée… et par
conséquent, elles ne se plaignent pas de leur sommeil.
À cet égard, les plus satisfaits de leurs nuits sont les Espa-
gnols. Un comble quand on sait la propension de cette

140
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

population à se coucher très tard, qui les expose à d’im-


portantes dettes de sommeil ! Cette privation chronique
de sommeil prend l’organisme en défaut. Seulement voilà,
on peut très bien n’y voir que du feu pendant des années
voire des décennies. Quand les effets délétères se mani-
festent, sur l’appareil cardiovasculaire ou les fonctions
cognitives notamment, il est hélas souvent trop tard pour
rectifier le tir et concéder au sommeil quelques heures de
plus par jour...
Admettre que l’on ne dort pas suffisamment est relati-
vement facile : il suffit de compter honnêtement ses
heures de sommeil et de les comparer avec ce que les
spécialistes recommandent pour sa tranche d’âge. Pour ce
qui est des aspects qualitatifs, comment savoir si l’on est
dans les clous ? La Fondation nationale pour le sommeil
américaine a récemment proposé une liste de critères,
fruit d’un consensus entre experts. En voici quelques-
uns : s’endormir en moins de 30 minutes, ne pas se réveil-
ler plus d’une fois par nuit et... passer plus de 85 % de son
temps de sommeil dans un lit. Ce dernier point n’a l’air de
rien mais les enquêtes sur les habitudes de sommeil ont
révélé que de plus en plus de gens dorment sur leur
canapé, adoptant dès lors des positions peu propices au
repos complet de l’organisme.

Premier sommeil, insomnie, second sommeil

En matière d’habitudes de sommeil, il y a un avant et


un après la Révolution industrielle. L’invention de l’élec-
tricité en particulier aurait profondément modifié notre
manière d’habiter la nuit et de dormir. Les travaux de
l’historien américain Roger Ekirch publiés au début des
années 2000 ont établi qu’avant cette période charnière,
nous dormions en deux séquences entrecoupées d’un

141
Quoi de neuf sur le sommeil ?

moment de veille63. Autrement dit, il était tout à fait


normal et habituel que les gens se réveillent et vaquent à
leurs occupations au beau milieu de la nuit. De nombreux
documents historiques — journaux intimes, rapports
judiciaires, dossiers médicaux — font référence à cette
organisation biphasée comme relevant de l’évidence, avec
un premier et un second sommeils bien distincts. Tout
indique qu’on se couchait aux environs de 21 h ou 22 h
pour se réveiller une première fois vers minuit, se lever
pendant une heure et se rendormir ensuite jusqu’à l’aube.
Une heure en pleine nuit, c’est bien assez pour abattre
quelques corvées domestiques, prier ou méditer, avoir des
rapports sexuels, etc. Ce type de sommeil aurait eu cours
aussi bien en Europe qu’en Amérique latine, au Moyen-
Orient et en Australie.
Avec l’arrivée de la lumière électrique, les familles
se seraient mises à veiller plus tard le soir, repoussant
d’autant leur premier sommeil. La généralisation du
travail à l’usine remplaçant progressivement et pour
beaucoup celui dans les champs, les horaires sont devenus
plus stricts, plus souvent soumis à la loi de l’horloge qu’à
celle de la lumière naturelle. Sous l’influence de ces
nouveaux modes de vie, le sommeil fractionné s’est
estompé au profit d’une nuit ininterrompue telle que
nous la connaissons maintenant.
Et si certaines insomnies, celles du milieu de la nuit,
étaient un vestige de ces habitudes d’antan ? Ekirch envi-
sage sérieusement cette hypothèse, pointant le fait que les
insomnies ne sont considérées comme un trouble que
depuis le xxe siècle. Vus comme cela, les réveils nocturnes
qui durent paraissent tout de suite plus normaux et moins
problématiques. Les insomnies ne méritant plus que l’on

63 Ekirch, 2005.

142
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

en fasse tout un plat, elles perdent une partie de leur


potentiel de nuisance. Une façon de s’en accommoder
consiste à faire comme nos ancêtres : se lever, entamer une
activité calme sous une lumière tamisée jusqu’à ce que
l’envie de dormir se manifeste à nouveau. Et de fait, c’est
bien le conseil que donnent les spécialistes du sommeil du
xxie siècle.

L’art de bien faire la sieste

En Scandinavie, la tradition veut que les bébés fassent la


sieste dehors, surtout en hiver. Certes il fait froid, très froid
même parfois, mais les bambins sont suffisamment emmi-
touflés pour ne pas en souffrir. Le but est qu’ils profitent au
maximum de la lumière naturelle, peu disponible à cette
époque de l’année. Cela permet aussi de leur éviter de
respirer l’air confiné des logements, des crèches ou des
lieux publics, supposé plus pollué qu’à l’extérieur. Cette
pratique ancestrale daterait d’une époque où les maisons
étaient en tourbe, mal aérées. On y faisait du feu pour
cuisiner. Une étude menée par une chercheuse finnoise
révèle que cette coutume allonge la durée du sommeil des
enfants, sans doute parce que, tout emmaillotés qu’ils sont
dans leurs vêtements, ils se sentent contenus, bougent
moins et se rendorment plus facilement seuls64.
La sieste est un incontournable de l’enfance. Tout le
monde ou presque admet que les bébés et les jeunes
enfants en ont besoin pour compléter leurs nuits. Chez les
adultes, force est de constater qu’elle a beaucoup moins la
cote, tout du moins dans les sociétés occidentales contem-
poraines plus enclines à valoriser l’activité que le repos.

64 Tourula M., 2010. Infants sleeping outdoors in a northern winter climate: Skin
temperature and duration of sleep. Acta Paediatrica.

143
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Ce n’est pourtant ni du temps perdu, ni l’expression d’une


quelconque fainéantise que de fermer les yeux et de s’en-
dormir une vingtaine de minutes en milieu de journée.
Tous ceux qui s’y autorisent le constatent : une sieste de
15 à 20 minutes redonne de l’énergie et vous offre un
regain d’attention et de performance très utiles pour
poursuivre vos activités de la journée. C’est au moment
où notre vigilance flanche naturellement, c’est-à-dire en
début d’après-midi, qu’elle est la plus opportune. Et ce,
que vous ayez déjeuné ou pas car le phénomène se produit
même en l’absence de digestion. Le mot porte en lui-
même l’indication du meilleur moment pour s’y adonner
car siesta en latin désigne la sixième heure après le lever
du soleil. Soit dans nos contrées, entre 13 et 15 h selon la
saison. Elle permet non seulement de compenser un
manque de sommeil les nuits précédentes mais aussi de
répondre à une sollicitation de repos naturelle exprimée
par notre organisme, cerveau en tête, en cours de journée.
Les premières études ayant permis d’observer les effets
bénéfiques de la sieste sur la vigilance et la performance
remontent aux années 1990. Beaucoup d’autres ont suivi,
dont une qui a montré que chez des sujets jeunes s’apprê-
tant à prendre la route de nuit, une sieste de 30 minutes
restaure la vigilance et prévient les accidents mieux qu’un
café. Des chercheurs bordelais se sont quant à eux intéres-
sés aux conséquences de la sieste sur les fonctions autres
que cérébrales. Alors qu’une privation de sommeil fait
monter en flèche la quantité de noradrénaline, une
hormone du stress, une demi-heure de sieste suffit pour
que celle-ci redescende à un niveau normal65. De même,

65 Faraut B. et al., 2015. Napping reverses the salivary interleukin-6 and urinary
norepinephrine changes induced by sleep restriction. The Journal of Clinical Endocri-
nology & Metabolism.

144
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

l’hypersensibilité à la douleur induite par le manque de


sommeil disparaît à la suite d’un petit somme. Quant à la
tension artérielle, elle se maintient à un niveau moyen
sensiblement plus bas quand on fait au minimum
30 minutes de sieste dans la journée, ce qui diminue le
risque d’accident cardiovasculaire.
Si en Chine, le droit à la sieste est inscrit dans la Consti-
tution, faire la sieste sur son lieu de travail reste une
pratique taboue en France. Selon un sondage mené par
l’Institut national du sommeil et la vigilance, 19 % des
salariés français s’assoupissent en cachette au bureau. Il
faut dire qu’à ce jour, les entreprises qui permettent voire
encouragent la sieste en aménageant des salles dédiées où
les salariés peuvent venir s’étendre restent peu nombreuses.
À défaut, ceux qui tiennent à leur pause méridienne se
contentent d’un fauteuil, d’un canapé dans un open-space,
de leur voiture. Des bars à sieste commencent à ouvrir
ici et là, louant de petites alcôves individuelles pour s’al-
longer au calme et à l’abri des regards.

A-t-on intérêt à faire la sieste après une insomnie ?


Tout dépend de la durée de la sieste, de son horaire et du type
d’insomnie. Une sieste courte, pourquoi pas, mais sans dépasser
20 minutes. Au-delà, vous commencez à piocher dans le capital
sommeil de la nuit suivante et avez toutes les chances d’avoir du
mal à vous endormir le soir. L’impact sur le sommeil nocturne se
fait également sentir si l’on fait la sieste trop tard. Si vous avez
raté le coche en début d’après-midi, faites l’impasse. Enfin, selon
une étude conduite par des chercheurs de l’Université de méde-
cine de Pennsylvannie, faire la sieste, au même titre que se
coucher tôt et se forcer à rester dans son lit pour récupérer les
heures de sommeil perdues, favorise l’installation d’une insomnie
chronique. Une sieste après une insomnie isolée aura probable-
ment peu d’incidence mais si vous êtes coutumier du fait, mieux
vaut éviter.

145
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Le sommeil parfait est un leurre

À l’heure des objets connectés et des applications qui


décomptent le nombre de pas effectués dans la journée,
les variations du rythme cardiaque ou encore la consom-
mation de calories à chaque repas, il est tout à fait
possible d’observer son sommeil à la loupe sans faire
appel à un spécialiste. L’objectif généralement affiché est
de se rassurer ou d’approfondir ses connaissances sur ses
rythmes biologiques afin de mieux les respecter. En effet,
pourquoi pas ? Il existe par exemple des bracelets
capteurs que l’on attache à son poignet pour suivre ses
mouvements, ses respirations, ses ronflements, sa tempé-
rature corporelle. À partir de ces données, l’appareil
analyse la qualité du sommeil et livre son interprétation
clé en main au réveil.
Ces dispositifs peuvent effectivement contribuer à
améliorer le sommeil s’ils sont utilisés correctement et
dans la limite de ce qu’ils peuvent apporter, c’est-à-dire de
simples indications. Pour autant, ils ne sont pas la panacée
à toutes les difficultés de sommeil, loin de là. D’abord
parce que le niveau de précision de ces auto-mesures est
limité. Ensuite parce que jusqu’à présent, leurs algo-
rithmes ne sont soumis à aucune validation scientifique.
Enfin, ces outils peuvent malgré eux embarquer certaines
personnes dans une quête de perfection. Explorer son
sommeil revient alors à traquer le moindre écart par
rapport à la norme, ce qui ne manque jamais de survenir.
Il existait l’obsession d’une alimentation saine appelée
orthorexie ; voici que pointe son équivalent pour le
sommeil, l’orthosomnie. Hélas, à force de chercher à
optimiser son sommeil et de se mettre la pression pour y
parvenir, on risque plutôt de perturber encore plus ses
nuits... Un autre écueil est de s’enfermer dans une percep-

146
Dormir un peu, beaucoup, suffisamment...

tion faussement négative de son sommeil. Croire que l’on


dort mal en l’absence objective de trouble. C’est ce que
pointent des chercheurs américains qui se sont intéressés
à trois personnes utilisant ces technologies d’auto-
diagnostic : lorsque leur impression de mal dormir était
confortée par l’appareil, des examens de laboratoire inter-
prétés par un spécialiste et attestant du contraire ne
parvenaient pas à venir à bout de cette croyance66.
En matière de sommeil, la dernière génération d’objets
connectés ne se contente pas de fournir des données mais
vise à interférer avec lui. C’est par exemple ce bandeau qui
enregistre l’activité cérébrale, en déduit le stade de
sommeil en cours et déclenche des stimulations sonores à
des moments précis. Objectif affiché : favoriser l’endor-
missement, faciliter le réveil mais surtout et avant tout
stimuler la production d’ondes lentes afin d’améliorer la
qualité du sommeil profond. Autrement dit, il ne s’agit
pas d’allonger la durée du sommeil profond mais de faire
en sorte que les ondes lentes qui le composent soient plus
amples et plus nombreuses. Cela suffira-t-il à améliorer le
sommeil ? Aucune étude scientifique sérieuse à ce jour
n’établit d’intérêt chez les personnes insomniaques. Une
équipe de recherche universitaire sur le sommeil a été
sollicitée pour mener une étude clinique ayant pour but
de valider le niveau de précision des mesures ainsi que
l’efficacité du système de stimulation67. D’après des
résultats préliminaires sur un petit groupe de sujets, le
dispositif fournit des mesures assez proches de celles
obtenues en laboratoire. Affaire à suivre.

66 Baron K.G. et al., 2017. Orthosomnia: Are some patients taking the quantified self
too far? Journal of Clinical Sleep Medicine.
67 Debellemanière E. et al. Performance of an ambulatory dry-EEG device for audi-
tory closed-loop stimulations in the home environment, en cours de publication

147
5
Sommeil sous influences

Dormir : Être immobile, ne manifester aucune activité.


Exemple : La ville dort.

Entre 2010 et 2015, les habitants de Kalachi, petite


bourgade située au nord du Kazakhstan, ont beaucoup
dormi. Exagérément même. Victimes malgré eux d’en-
dormissements soudains les plongeant dans un profond
sommeil dont il était impossible de les tirer. La presse
locale rapporte alors que les gens s’endorment n’importe
où, chez eux, au travail, en pleine rue, dans la cour de
récréation. À l’hôpital, ces malades arrivent par vagues.
Leurs proches décrivent les symptômes qui précèdent :
une fatigue extrême, des vertiges, des pertes de mémoire,
et dans certains cas, des hallucinations. Quand ils finissent
par émerger, entre deux et six jours plus tard, ils n’ont
aucun souvenir de ce qui s’est passé. Dans le village qui
compte 600 âmes, la panique se répand. Début 2015, près
de 160 personnes de tous âges et quantité d’animaux ont
déjà été touchés. Il se murmure alors que le village va être
évacué pour protéger la population. La protéger de quoi ?
On l’ignore alors. D’aucuns pensent aux effets sédatifs
d’une vodka frelatée ou à des atteintes neurologiques. Des
mines d’uranium abandonnées à quelques kilomètres du

148
Sommeil sous influences

village finissent par attirer l’attention des scientifiques.


Leur sous-sol percé pourrait s’être rempli d’eau et des
poches de gaz remonteraient à la surface. Le radon, un gaz
radioactif, est pointé du doigt. Le mystère finit par être
levé à l’été 2015. La mine d’uranium est bien la source du
problème mais le radon n’y est pour rien. Selon les experts,
c’est le monoxyde de carbone accumulé dans l’air et mêlé
à d’autres émanations d’hydrocarbures qui fait chuter la
concentration d’oxygène et provoque les brusques pertes
de connaissance des habitants.
L’histoire telle qu’elle nous est parvenue en France
contient beaucoup de zones d’ombre. Pourquoi y a-t-il
autant de monoxyde de carbone alors que la mine n’est
plus exploitée depuis longtemps ? Pourquoi tous les vil­­
lageois ne se sont-ils pas endormis ? Quel impact sur la
santé ont eu ces épisodes de sommeil long ? Elle a néan-
moins le mérite d’illustrer à quel point le sommeil est
dépendant de l’environnement. La qualité de l’air mais
aussi la lumière, la température, le bruit, le stress, le mouve-
ment l’influencent… Modifiez l’un de ces paramètres, ne
serait-ce qu’un peu, et le sommeil change de visage, d’orga-
nisation, de durée. Le sommeil est comme un être vivant
dans son écosystème : en interaction et en équilibre avec
son biotope, c’est-à-dire son milieu, et faisant preuve d’une
grande capacité d’adaptation... jusqu’à un certain point.

Ils sont entrés dans ma chambre !

Moustiques, puces, punaises

Un refuge, un cocon, un endroit où rien ne peut lui


arriver : voilà comment Charlotte considère son lit. Elle
s’y sent suffisamment en sécurité pour accepter de fermer

149
Quoi de neuf sur le sommeil ?

les yeux, de baisser la garde et de s’abandonner au


sommeil. Si danger il y a, il est hors de la pièce et les
chances pour qu’il passe la porte de sa chambre sont
minces. Il n’y a bien qu’en été, lorsque les moustiques
s’invitent à son chevet et refusent de s’en aller avant
d’avoir piqué de quoi manger, que Charlotte perd un peu
de sa quiétude. Elle prend alors part à un combat ancestral
mené par des générations de dormeurs pour mettre en
déroute la vermine qui trouble leur sommeil. L’historien
Guillaume Garnier rapporte que sous l’Ancien Régime, la
grande majorité des gens devait s’accommoder de la
compagnie quasi permanente de poux, puces, moustiques
et autres insectes indésirables dans leur couche68. Les
punaises de lits en particulier pullulent à cette époque
dans les locaux à usage collectif et les maisons anciennes.
Les nuits avec elles sont agitées et le sommeil bien
malmené. Anna Francesca Cradock, en voyage en France
en 1795, s’en offusque dans les pages de son journal : « Je
partageai ma chambre, servant aussi de salle à manger,
avec ma femme de chambre ; mais, hélas ! Ni l’une ni
l’autre, nous ne pûmes goûter un repos complet : nos lits
fourmillaient de punaises, et nous en tuâmes jusqu’à
soixante-quatre. À huit heures, je me levai plus fatiguée
que la veille. » On a beau démonter les lits, nettoyer angles
et recoins, boucher les fentes dans les murs, décoller les
plinthes et les papiers peints, laver les murs, ces bestioles
continuent de gambader sur les lits sitôt la nuit tombée et
de sucer le sang des dormeurs. Pauvres et riches, personne
n’est épargné. La traque contre ces indésirables est d’une
telle ampleur qu’elle aurait favorisé au xixe siècle le
développement des sommiers métalliques, plus faciles à
désinfecter que ceux en bois.

68 Garnier, 2013.

150
Sommeil sous influences

Le silence, et dors

Autre élément perturbateur capable de s’immiscer dans


les chambres : le bruit. Nous y restons sensibles toute la
nuit. Toutefois, toutes les perturbations sonores ne se
valent pas. À intensité égale, leurs effets varient notam-
ment en fonction de la nature du bruit et de sa signi­
fication pour le dormeur. C’est ainsi que la sonnerie du
téléphone et les pleurs de son enfant réveillent en un éclair
tandis que d’autres sons de même intensité mais plus
neutres, comme le clapotis de la pluie sur le toit, laissent
indifférent. De même, si le bruit est familier, il dérange
moins que s’il est inhabituel. Le cerveau, toujours sur le
qui-vive, sait faire le tri entre ce qui nécessite une inter-
vention et ce qui peut attendre.
Plus l’environnement du dormeur est bruyant, plus la
durée et la qualité du sommeil risquent d’en pâtir. Une
simple conversation dans la pièce voisine suffit à retarder
l’endormissement de quelques minutes ou à vous réveiller
pour de bon alors que le soleil n’est pas encore levé. Par
ailleurs, les bruits dépassant le seuil de 55 décibels, soit
l’équivalent d’une discussion animée, ont toutes les
chances de provoquer des micro-réveils en plein sommeil
profond ou paradoxal. C’est le cas à chaque fois qu’une
voiture accélère sous nos fenêtres, qu’un cri résonne dans
les parties communes de l’immeuble ou qu’une sirène
retentit. L’agitation et le changement de position qui
s’ensuivent sollicitent des muscles et des neurones censés
se reposer. Ces interruptions durent tout au plus quelques
secondes. Elles ne laissent aucun souvenir mais modifient
la structure du sommeil au détriment des stades de
sommeil les plus profonds. Au matin, on se sent moins
reposé et, de fait, on l’est moins. Dans la journée, cela se
traduit par plus de somnolence, plus de fatigue et une

151
Quoi de neuf sur le sommeil ?

baisse de la vigilance notable. Si de telles perturbations se


répètent nuit après nuit, l’irritabilité augmente.
Pour bien faire, il faudrait que le bruit dans la chambre
à coucher n’excède pas 30 décibels, ce qui correspond à un
bureau calme (exception faite des open-space). Le nombre
de ces dérangements compte aussi. À en croire l’Organisa-
tion mondiale de la santé, plus de dix bruits par heure est
un facteur favorisant l’insomnie. Or près de deux tiers des
Français déclarent être gênés par le bruit. Parmi eux, les
habitants des villes de plus de 100 000 habitants sont sur­­
représentés. Sachant que l’exposition au bruit est plus
importante dans les zones urbaines, du fait d’une activité
incessante et de la promiscuité, cela n’est pas surprenant.
Les populations les plus faibles économiquement sont les
plus exposées aux nuisances sonores et aux perturbations
du sommeil qu’elles engendrent. La faible isolation pho­­
nique de leurs logements explique en partie cet état de fait.
Enfin, tous les individus ne sont pas pareillement
sensibles au bruit dans leur sommeil. Les enfants font
preuve d’une moindre réactivité aux stimulations sonores
que les adultes. La différence est de l’ordre de 10 décibels.

L’épreuve de la première nuit hors de chez soi

« Je risque de mal dormir si je reste, il vaut mieux que


je rentre. » Excuse bidon ? Pas du tout. Il est avéré que la
première nuit passée dans un nouvel environnement ––
à l’hôtel ou chez des amis par exemple –– est très souvent
ponctuée de nombreux réveils et plus courte que d’habi-
tude. Considéré comme un trouble particulier du
sommeil, cet « effet première nuit » serait en fait l’expres-
sion d’une vigilance cérébrale toute particulière visant à
parer à toute éventualité dans un lieu inconnu donc
potentiellement dangereux. Telle est la conclusion des

152
Sommeil sous influences

travaux menés par des chercheurs de l’université de Brown


aux États-Unis69. À partir de clichés de neuro-imagerie et
d’enregistrements du sommeil collectés sur 35 dormeurs
volontaires, ils ont constaté une certaine asymétrie dans
l’activité des hémisphères cérébraux pendant les phases de
sommeil profond. Cette nuit-là, et seulement cette nuit-là,
un réseau de neurones reste beaucoup plus actif dans
l’hémisphère gauche (connecté à l’oreille droite) que dans
le droit (relié à l’oreille gauche). Au cas où il faudrait réagir.
Les chercheurs ont alors voulu tester l’efficacité du système
en exposant les dormeurs à des sons inhabituels pendant
deux nuits. Murmurés à l’oreille droite la première nuit, ces
sons réveillaient beaucoup plus les dormeurs que s’ils
étaient joués tout contre l’oreille gauche ou la nuit suivante.
De quoi confirmer que l’asymétrie observée est bien au
cœur d’un dispositif de protection efficace mais tempo-
raire. La prochaine fois que vous aurez envie de rentrer
dans vos pénates, essayez plutôt : « La première nuit hors
de chez moi, je dors mal parce que mon hémisphère gauche
reste en alerte. » Imparable.

Seul ou accompagné ?

Selon une enquête réalisée à l’occasion de la Journée du


sommeil 2017, en France quatre adultes sur dix dorment
seuls toutes les nuits ou presque70. Parmi eux se trouvent
les personnes qui vivent seules ou dont les horaires sont
incompatibles avec ceux de leur conjoint mais aussi celles

69 Tamaki M. et al., 2016. Night watch in one brain hemisphere during sleep asso­
ciated with the first-night effect in humans. Current Biology.
70 Dormir seul ou pas : quel impact sur le sommeil ?, enquête réalisée sur un échan-
tillon représentatif de la population française par le département santé d’OpinionWay
auprès de 1 001 personnes âgées de 18 à 65 ans interrogées sur Internet du 28/11 au
07/12/2016 selon le système CAWI.

153
Quoi de neuf sur le sommeil ?

qui choisissent de faire chambre ou lit à part par confort,


par habitude ou parce que l’autre ronfle. Toutes les autres,
soit plus de la moitié de la population, partagent leur
couche ou leur chambre avec au moins un autre adulte.
Non sans conséquences sur leur propre sommeil, semble-
t-il. Pour beaucoup, notamment les couples, ce sommeil
partagé (co-sleeping en anglais) est synonyme de plaisir.
L’autre rassure ou tient chaud et on apprécie de lui faire
une place à ses côtés. Cela étant, dormir accompagné a
aussi des effets moins sympathiques sur le sommeil,
comme le fait d’avoir plus de mal à trouver le sommeil, de
se réveiller plus souvent pendant la nuit ou plus tôt le
matin. Plusieurs raisons à cela : les mouvements de l’autre
dans le lit, ses ronflements ou sa respiration bruyante, la
chaleur de son corps, ses allers et venues pendant la nuit...
L’enquête révèle par ailleurs que 12 % des Français
dorment avec un enfant dans leur chambre. Dans deux
cas sur trois, cette situation est exceptionnelle. Là encore,
les effets sur le sommeil sont ambivalents. Certes, cela
rassure tout le monde et évite d’avoir à se lever au cours
de la nuit mais c’est au prix de difficultés à s’endormir
et de réveils nocturnes ou précoces. Pour contourner
le problème, la solution consiste à apprendre aux enfants

Bébé, parents : chacun son lit


Accueillir son enfant dans son lit, lui faire une place sous la
couette parentale au motif que cela permet à tous, petit et grands,
de dormir mieux et plus est une fausse bonne idée. Des travaux
ont en effet montré que cette pratique augmente le risque de mort
subite du nourrisson, ou peut provoquer un étouffement mortel.
Celles et ceux qui tiennent à dormir tout près de leur bébé seront
mieux inspirés de suivre l’exemple des parents maoris, qui
installent l’enfant dans un panier en osier (un couffin fait aussi
bien l’affaire) et de placer celui-ci bien à plat sur le lit... à un endroit
où il ne risque pas de basculer.

154
Sommeil sous influences

à s’endormir et se rendormir seuls. Cette faculté ne


s’acquiert pas en un jour et vous devrez faire preuve de
patience. Le jeu en vaut la chandelle car une fois la gestion
autonome de son sommeil acquise, l’enfant dispose de
cette ressource pour la vie. Sans compter que ses parents
aussi dorment mieux et plus longtemps. Vous vous
demandez comment faire ? Clé numéro un : coucher
l’enfant alors qu’il n’est pas encore endormi pour que son
lit devienne un lieu familier et rassurant. À défaut, il
risque d’être surpris voire inquiet quand il se réveillera.
Or qui dit inquiétude chez un bébé, dit pleurs quelle que
soit l’heure du jour ou de la nuit. Principe numéro deux :
s’il pleure et qu’il est en bonne santé, attendre avant
d’intervenir car il est possible, probable même, qu’il se
rendorme tout seul. Si ce n’est pas le cas ou que ses pleurs
vont crescendo, aller le voir pour le rassurer bien sûr mais
sans s’attarder ni le prendre dans ses bras. De cette façon
et petit à petit, le bébé apprivoise sereinement ses réveils
et découvre qu’il est capable de replonger dans le sommeil.

Dormir à la fraîche... tant que c’est possible

L’entrée, le maintien et la sortie du sommeil sont inti-


mement liés aux variations de la température corporelle.
L’endormissement par exemple nécessite une baisse de la
température centrale de l’organisme. Ensuite, si tout se
passe bien pendant le sommeil, elle se maintient ainsi tout
au long de la nuit et remonte juste avant le réveil. L’orga-
nisme a une technique pour se refroidir rapidement :
il commande la dilatation des vaisseaux sanguins situés
à la surface de la peau, en particulier au niveau des pieds
et des mains, ce qui permet d’évacuer ce qu’il faut de
chaleur. Le petit frisson que l’on ressent en fin de soirée
est l’aboutissement de ce mécanisme et le signe que

155
Quoi de neuf sur le sommeil ?

l’endormissement est imminent. À chaque fois que l’orga-


nisme peine à abaisser sa température interne, on a du
mal à s’endormir. C’est le cas quand on a les extrémités
froides. Cela signifie que la chaleur n’est pas évacuée
comme elle le devrait et ce petit détail suffit à barrer la
route au sommeil.
Cette belle mécanique est sensible à la chaleur qui règne
dans la pièce. La logique est celle qui s’applique à tous les
échanges thermiques entre deux milieux : plus l’écart de
température entre eux est élevé, plus le transfert de
chaleur de l’un à l’autre est important. La température du
corps avoisine 37 °C. Celle de la chambre est généralement
inférieure et c’est tant mieux car nous avons tout intérêt
à ce qu’elle soit fraîche pour que l’organisme puisse lui
transmettre sa propre chaleur et accueillir le sommeil
comme il se doit. Quand il fait chaud l’été, y compris la
nuit, l’écart de température s’amoindrit. Trouver le
sommeil devient alors difficile.
À l’heure où les épisodes de fortes chaleurs se multi-
plient en raison du dérèglement climatique, des cher-
cheurs s’inquiètent : cette situation risque-t-elle d’avoir
un impact sur le sommeil des populations ? Pour le savoir,
ils ont mené une étude prospective71 à partir de chiffres de
sommeil collectés entre 2002 et 2011 auprès de
765 000 Américains, d’un recueil précis des conditions
climatiques durant cette période et de plusieurs scenarii
climatiques pour les années à venir. Il en ressort que des
températures nocturnes élevées favorisent bien le manque
de sommeil et que les changements climatiques futurs,
pour ce que nous en savons aujourd’hui, sont effective-
ment en mesure d’accentuer le phénomène. Les auteurs

71 Obradovitch N. et al., 2017. Nighttime temperature and human sleep loss in a


changing climate. Science Advances.

156
Sommeil sous influences

relèvent aussi que les individus les plus exposés à cette


privation de sommeil liée aux conditions climatiques
sont, et seront sans doute aussi dans les décennies à venir,
les plus pauvres et les plus âgés.

Comment bien prendre la lumière ?

Le sommeil est à la merci de la lumière

Soulever une paupière, puis l’autre. Apercevoir un coin


d’oreiller et, au loin, le scintillement du réveil. Balayer
mollement le regard d’un côté à l’autre du lit. Et redécou-
vrir les meubles, les murs, les nuances de la chambre.
À peine ouvrons-nous les yeux le matin que la lumière s’y
engouffre, charriant avec elle quantité d’informations
visuelles. Deux catégories de cellules situées au fond de la
rétine, les cônes et les bâtonnets, les réceptionnent et les
expédient vers les aires cérébrales spécialisées dans leur
traitement. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire,
la pièce entière prend forme sous nos yeux.
Indispensable à la vue, la lumière l’est aussi au bon
fonctionnement de notre horloge interne, celle-là même
qui gouverne toutes nos fonctions biologiques et notam-
ment l’alternance veille/sommeil. Plus exactement, la
lumière synchronise notre horloge, lui évitant de prendre
de l’avance ou au contraire du retard chaque jour (voir
chapitre 1). Sans cet ajustement quotidien, nous aurions
tôt fait de vivre en décalé, ressentant le besoin d’aller nous
coucher en milieu d’après-midi et d’émerger, frais et
dispos vers minuit. La lumière n’est pas l’unique donneur
d’ordre. L’exercice physique, l’alimentation, les horaires
de travail, de lever et de coucher contribuent eux aussi
à remettre nos pendules à l’heure. Elle est toutefois et

157
Quoi de neuf sur le sommeil ?

indubitablement le plus puissant des synchronisateurs de


l’horloge. La preuve : les personnes qui ne perçoivent pas
la lumière, soit une grande majorité des aveugles, sont
désynchronisées en permanence, et ce malgré une vie
sociale et des activités quotidiennes bien calées sur
24 heures.
Il a fallu attendre les années 2000 pour identifier les
voies qu’emprunte la lumière pour jouer ce rôle. On sait
depuis quelques années seulement que l’information
transite par une catégorie particulière de récepteurs tapis-
sant la rétine : les cellules ganglionnaires à mélanopsine.
La lumière les stimule soit directement, soit par l’intermé-
diaire des cônes et des bâtonnets situés à proximité. Ces
cellules sont en prise directe avec les noyaux suprachias-
matiques, siège de l’horloge biologique dans le cerveau.
Par leur intermédiaire, la lumière fait son œuvre. Ici elle
module l’humeur et nos émotions, là elle stimule la vigi-
lance, la mémoire de travail et l’attention. Le sommeil est
lui aussi sous sa coupe. Elle est un peu comme une mère
pour lui. Elle le prépare dans la journée, l’installe le soir
venu et fait en sorte qu’il se maintienne toute la nuit. Si
nous vivions dans l’obscurité complète et permanente
jour et nuit, nous serions incapables de dormir correcte-
ment et de tirer profit de nos nuits. À l’inverse, être conti-
nuellement exposé à la lumière désorganise complètement
le sommeil. Pour bien dormir, il nous faut donc de la
lumière mais pas trop, à certains moments plus qu’à
d’autres. Et encore, pas n’importe laquelle...

Toutes les lumières se valent-elles ?

Qu’on se le dise, percevoir la lumière naturelle le matin


ou le soir a des effets radicalement opposés sur l’horloge
biologique. S’y exposer le matin et jusqu’en milieu

158
Sommeil sous influences

d’après-midi synchronise nos rythmes, a un pouvoir


éveillant et jette les bases d’une bonne nuit. L’endormis-
sement n’en sera que plus facile. En revanche, l’exposition
à la lumière le soir et a fortiori très tard, retarde l’horloge
et stimule les capacités cognitives et psychomotrices. Bon
courage pour trouver le sommeil dans ces conditions.
Autre certitude : plus la lumière est intense, plus ses effets
biologiques sont marqués. À forte intensité, le nombre de
particules élémentaires de lumière (les photons) frappant
la rétine est élevé, ce qui se traduit par une excitation
importante des cellules ganglionnaires à mélanopsine. Les
spécialistes ont longtemps pensé que pour nous influen-
cer, la lumière se devait d’être intense et l’exposition
longue. Une série d’expériences a complètement balayé
cette certitude. L’une d’entre elles visait à établir si la
lumière émise par les écrans est capable ou non de retar-
der le pic de mélatonine de fin de journée, celui-là même
qui contribue à l’endormissement. Des groupes d’indivi-
dus ont donc été exposés à des écrans classiques ou à LED,
les premiers éclairant plus intensément que les seconds.
Toutes choses égales par ailleurs, les chercheurs ont alors
observé un ralentissement de la sécrétion de mélatonine
chez tous les participants, y compris ceux qui travaillaient
sur les écrans les moins lumineux. Conclusion : même à
faible intensité, la lumière peut retarder l’endormis­
sement72. L’éclat d’une ampoule de 40 watts, d’un voyant
lumineux ou d’un écran de portable suffit pour retarder
l’horloge biologique. Tiens ? Et si l’excès de lumière dans
la ville ou chez soi expliquait certaines insomnies de début
de nuit ?

72 Cajochen C. et al., 2011. Evening exposure to a light-emitting diodes (LED)-


backlit computer screen affects circadian physiology and cognitive performance.
Journal of Applied Physiology.

159
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Une autre étude publiée tout récemment quantifie les


effets de la lumière selon la durée d’exposition. Plus celle-
ci est longue, plus l’horloge se décale. Par exemple,
6 heures 30 d’exposition à la lumière la retardent de trois
heures alors qu’une heure de cette même lumière la
retarde de 12 minutes seulement. Inutile d’être soumis à
un éclairage continu pendant cette heure-là, de brefs
flashs lumineux espacés de quelques secondes suffisent73.
Des travaux plus anciens mais cruciaux dans la compré-
hension des effets de la lumière sur le sommeil, mettent par
ailleurs l’accent sur l’importance de l’une de ses propriétés
optiques, appelée spectre d’émission. Certaines lumières
suppriment mieux que d'autres la sécrétion de mélatonine.
À ce petit jeu, la plus efficace est celle qui émet dans le bleu
turquoise. Plus la lumière s’éloigne de cette couleur pour
aller vers le rouge, moins elle a d’effet sur la production de
l’hormone74. Depuis peu, on sait enfin pourquoi. Les
cellules ganglionnaires à mélanopsine sont particulière-
ment sensibles aux signaux dont la longueur d’onde est
proche de 480 nanomètres... ce qui, pour nos yeux, corres-
pond à la couleur bleue. Cela ne veut pas dire que les
récepteurs restent de marbre face à la lumière blanche du
soleil. Celle-ci contient toutes les couleurs, dont le bleu
mais aussi le rouge, le jaune, le vert, etc. Elle excite donc elle
aussi les cellules ganglionnaires à mélanopsine, mais moins
qu’une lumière très riche en rayons bleus.
Aïe ! les diodes électroluminescentes (ou LED)
produisent justement de la lumière bleue. Comme elles
consomment peu d’énergie et ont une durée de vie plus
longue que les éclairages classiques, elles sont très utilisées

73 Raman S.A. et al., 2017. Circadian phase resetting by a single short-duration light
exposure. The Journal of Clinical Investigation.
74 West K.E., 1985. Blue light from light-emitting diodes elicits a dose-dependent
suppression of melatonin in humans. Journal of Applied Physiology.

160
Sommeil sous influences

de nos jours. C’est bien simple, on les trouve à peu près


partout : dans les logements, les bureaux, les centres
commerciaux, les gymnases. L’éclairage public, celui des
routes et les phares des voitures fonctionnent avec des
LED. Idem pour toute la batterie de nos écrans petits et
grands, tablettes, smartphones, ordinateurs et même,
depuis quelques temps, les télévisions.

Le bleu est l’ennemi du bien

Résumons : s’exposer à la lumière le soir, même à faible


intensité et même pour de courtes durées, retarde l’arrivée
du sommeil. Le phénomène est d’autant plus marqué que
la lumière en question tend vers le bleu, ce qui est le cas de
la très grande majorité des écrans (à l’exception de
quelques vieux modèles de télévision). La lumière est
donc aussi celle qui malmène le sommeil, et ce dès le plus
jeune âge. Chez les enfants et les adolescents, toutes les
études montrent que plus ils passent de temps devant les
écrans, moins ils dorment. Évidemment, en soi le temps
consacré aux écrans l’est au détriment de celui accordé
aux autres activités et notamment au sommeil. Les conte-
nus consultés le soir sur écran ont aussi tendance à stimu-
ler psychologiquement, ce qui diffère l’endormissement.
Mais d’après une étude américaine, la lumière émise par
les écrans est elle aussi directement responsable des alté-
rations du sommeil des plus jeunes. Les enfants sont du
reste plus sensibles à ses effets que les adultes car leur
pupille est plus grande et leur cristallin laisse mieux passer
les rayons, en particulier les bleus75. Ceux qui privilégient
la télévision aux nouvelles technologies n’échappent pas à

75 LeBourgeois M.K. et al., 2017. Digital media and sleep in childhood and adoles-
cence. Pediatrics.

161
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Si vous utilisez des écrans le soir


Votre ado reste scotché à son smartphone le soir ? À défaut d’obte-
nir de lui qu’il s’en décolle, revoyez vos objectifs à la baisse et
proposez-lui d’appliquer cette simple règle d’hygiène de la
lumière : passer un grand moment dehors, sous le soleil exacte-
ment, pendant la journée. Son sommeil n’en sera que meilleur. Des
travaux ont en effet montré que les perturbations du sommeil liées
à la consommation d’écrans sont moins marquées si l’on a été
exposé à la lumière naturelle pendant la journée. Le conseil vaut
bien sûr pour tous ceux, jeunes et moins jeunes, qui utilisent des
écrans le soir...

l’assaut de la lumière bleue dès lors que leur téléviseur est


un modèle récent car ceux-ci sont à LED. Le fait de regar-
der l’écran de plus loin diminue le degré d’illumination.
Pour autant, cela ne vous met pas complètement à l’abri
car la source lumineuse est plus grande, si bien que la
quantité de photons qui parvient à la rétine est à peu près
la même que face à un autre écran.

La pleine lune nuit-elle au sommeil ?

Croyance populaire ou vérité scientifique ? Les études se


succèdent et on ne parvient toujours pas à trancher. En
2013, des chronobiologistes suisses ont pensé qu’ils avaient
la réponse. Ils avaient repris une série d’enregistrements
polygraphiques collectés dans le cadre d’une précédente
recherche sur le sommeil et passé au peigne fin les infor-
mations qu’elle contenait. La durée totale de sommeil des
volontaires est apparue plus courte de 20 minutes dans les
quatre jours qui précédaient ou suivaient la pleine lune.
Cette semaine-là, ils mettaient en moyenne cinq minutes
de plus pour s’endormir et jugeaient leur sommeil moins
bon. La durée de sommeil profond était réduite de 30 % et
des dosages révélaient une chute de la sécrétion de méla­

162
Sommeil sous influences

tonine. Intriguée par ces résultats, une autre équipe de


chercheurs a tenté de les reproduire en menant sa propre
étude auprès de 1 265 dormeurs d’une part et en analysant
les enregistrements de 23 000 nuits de sommeil d’autre
part. Seulement eux n’ont trouvé aucun lien entre l’état de
la lune et la qualité du sommeil... Admettons toutefois ce
qui ne l’est pas unanimement, à savoir que la lune perturbe
la qualité du sommeil. Après tout, c’est encore possible.
Comment expliquer cet effet ? Les chercheurs suisses ont
suggéré l’existence d’une seconde horloge biologique, non
identifiée encore et qui serait calée non pas sur le cycle du
soleil et l’alternance jour/nuit, mais sur les phases de la
lune. Affaire à suivre…

Décalages forcés

Travailler la nuit, dormir le jour

En France, 3,5 millions de personnes travaillent la nuit,


soit près de 15 % des salariés. Ces hommes et ces femmes
sont conducteurs de véhicules, policiers, militaires,
professionnels de santé, restaurateurs, artistes, ouvriers,
aides-soignants, etc. Ils exercent une activité profession-
nelle pendant au moins trois heures entre 21 h le soir et
6 h du matin, au moins deux fois par semaine. Alors que
la plupart des gens dorment, eux sont debout (ou assis),
éveillés, concentrés. Le sommeil passe après. Ils dorment
bien sûr mais en décalé, c’est-à-dire tout ou partie du
jour. Résultat : ce qui est normalement bien calé, à savoir
le cycle veille-sommeil, n’est plus synchronisé et le
sommeil perd le nord. Dormir pendant la journée signifie
aussi être exposé pendant son sommeil à la lumière du
jour et à un niveau de bruit plus élevé que la nuit.

163
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Sans compter que pour pouvoir s’acquitter d’un certain


nombre de tâches quotidiennes liées à la vie sociale ou
familiale, les temps de repos sont souvent tronqués. Il faut
bien aller chercher les enfants à l’école, faire quelques
courses aux heures où les magasins sont ouverts, honorer
un rendez-vous administratif ou médical. Le sommeil des
travailleurs de nuit est donc mis à rude épreuve, tantôt
écourté, tantôt séquencé en plusieurs plages qui ont plus
valeur de siestes que de nuits. Dans les faits, ces individus
rapportent plus de difficultés de sommeil que les autres
actifs. Les études expérimentales confirment qu’ils
dorment moins et développent une dette de sommeil plus
importante. Leur sommeil est aussi moins réparateur et
les épisodes de somnolence dans la journée, plus fréquents.
D’après un rapport d’expertise collective rédigé à la
demande de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de
l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses),
le travail de nuit porte préjudice à la santé76. Il augmente
notamment le risque de troubles cognitifs, psychiques, de
surpoids et d’obésité, de diabète de type 2, de cancer et
notamment de cancer du sein, de maladies cardiovascu-
laires... Les perturbations du sommeil, avérées elles aussi,
ont-elles leur part de responsabilité ? C’est difficile à dire.
Pour le savoir, il faudrait être en mesure de comparer des
populations de travailleurs, de nuit ou de jour, sur le seul
critère de leur sommeil. Or ils se distinguent aussi par
leurs habitudes sociales, l’exposition à la lumière, dont on
a vu qu’elle influence directement d’autres fonctions
physiologiques, ou encore une consommation de produits
psychotropes (tabac, alcool) plus importante chez les
travailleurs de nuit.

76 Anses, 2016. Évaluation des risques sanitaires liés au travail de nuit, rapport
d’expertise collective.

164
Sommeil sous influences

Pourquoi le décalage horaire est-il plus pénible quand on va


vers l’est ?

Il était midi en France métropolitaine tout à l’heure et


voici qu’après sept heures d’avion, il n’est que 13 h au
Québec. La nuit n’est pas près de tomber mais l’envie de
dormir, elle, vous tombe dessus à l’heure du goûter. Le
décalage horaire, jet-lag en anglais, est un vrai choc pour
l’organisme sommé de se mettre à l’heure locale en un
temps record. Rester actif pendant les heures où il fait jour
et adopter aussi vite que possible les horaires de repas
locaux est la façon la plus efficace de resynchroniser son
horloge biologique et de retrouver un rythme veille-
sommeil acceptable. Quand on voyage vers l’ouest, l’exer-
cice consiste à se coucher à point d’heure et à se lever très
tard aussi. Cela ne devrait pas être trop laborieux si, comme
la plupart des gens, votre horloge biologique est un peu
plus longue que 24 heures car une partie du chemin est
déjà faite. Au retour, c’est une autre histoire. Vous ralliez
l’est donc le soleil point plus tôt. Beaucoup plus tôt. Pour
être en phase avec votre environnement, vous allez devoir
vous coucher avec les poules et vous lever avec elles très tôt.
Six heures plus tôt qu’au Québec pour bien faire, ce qui est
autrement plus douloureux car, les premiers jours au
moins, cela correspondra peu ou prou au milieu de votre
nuit, un moment dominé par le sommeil profond. Pour les
mêmes raisons, le décalage horaire sera plus difficile à
digérer à l’aller qu’au retour si vous allez à Tokyo. Là, le
jour se lève huit heures plus tôt qu’à Paris...

Le jet lag social, ou comment s’épuiser sans voyager

7 h 00. Le réveil s’enclenche et tire Charlotte de son


sommeil. Elle était loin, très loin, au beau milieu d’un rêve

165
Quoi de neuf sur le sommeil ?

qu’elle a déjà oublié. Il lui faut cinq bonnes minutes pour


émerger. Elle se lève, se dirige machinalement vers la salle
de bain. Vivement demain, samedi, qu’elle dorme tout
son soûl ! Parce que nous avons des contraintes profes-
sionnelles, scolaires, sociales ou familiales, la plupart
d’entre nous ne choisissent pas l’heure à laquelle ils se
lèvent. Ces mêmes contraintes, ou choix parfois, nous
poussent à différer le moment du coucher. Encore
quelques épisodes de cette série, un dernier tour sur les
réseaux sociaux... D’accord pour la soirée, je dormirai
ce week-end. Quand arrive le vendredi soir, on se dit
qu’on peut bien se coucher plus tard puisqu’on n’a pas
d’obligation le lendemain. Première grasse matinée.
Rebelote le samedi soir et le dimanche matin. Pour finir,
ces deux nuits-là sont un peu plus longues que les autres
(environ une heure de plus) mais surtout retardées d’une
poignée d’heures.
Les études sur les habitudes de sommeil montrent que
celle qui consiste, les jours de repos, à se décaler est bien
ancrée dans toutes les couches de la société et à tous les
âges. Une enquête portant sur 776 adolescents français de
11 à 13 ans rapporte que ces jeunes se couchent en
moyenne à 22 h 06 pendant la semaine, et à 23 h 54 le
week-end77. Le matin, l’écart est encore plus marqué
puisqu’ils se lèvent, en moyenne toujours, à 7 h 06 en
semaine et à 10 h 06 le week-end. Les plus jeunes aussi ont
des habitudes de sommeil différentes la semaine et le
week-end. Selon une étude commandée par le ministère
de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et
de la Recherche, ils dorment plus longtemps quand ils
n’ont pas école le lendemain et se couchent plus tard les

77 Royant-Parola S. et al., 2017. Nouveaux médias sociaux, nouveaux comportements


de sommeil chez les adolescents. L’Encéphale, sous presse.

166
Sommeil sous influences

vendredi et samedi soirs78. En grande section, ils vont se


coucher en moyenne 52 minutes après. En CM2, l’écart
entre veilles de jour sans classe et avec classe atteint une
heure et seize minutes. Il s’agit du phénomène, déjà
évoqué plus haut, de jet lag social (par analogie avec le
décalage de rythme consécutif à un voyage et parce que,
comme lui, il rend folle l’horloge biologique). Pour l’orga-
nisme, c’est comme si nous partions en voyage et traver-
sions plusieurs fuseaux horaires en direction de l’ouest
chaque fin de semaine. Le trajet retour en direction de
l’est commence dès le dimanche soir, avec son lot de désa-
gréments : difficulté à s’endormir, réveil douloureux,
sensation de fatigue le lendemain. Quelle que soit la durée
et la qualité des nuits en question, ces quelques heures de
décalage entre le sommeil de la semaine et celui du week-
end sont associées à un état de santé dégradé doublé d’une
certaine dose de mauvaise humeur, d’une augmentation
de la somnolence et de la fatigue, et d’un risque accru de
maladie cardiaque. À l’inverse, plus nos horaires de
sommeil sont stables, plus ces effets s’amenuisent. D’où ce
conseil que les spécialistes du sommeil essaient de rendre
plus audible dans la cacophonie des messages de préven-
tion santé : prenez soin de votre horloge biologique, soyez
aussi réguliers que possible dans vos horaires de coucher
et de lever. Vous lever à 8 h le dimanche matin alors que
vous êtes sortis la veille vous coûtera sans doute un peu,
surtout au début, mais sachez que vous pourrez toujours
vous accorder une courte sieste en début d’après-midi. Et
votre horloge biologique vous en remerciera.

78 Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la


Recherche, 2017. Évaluation des nouveaux aménagements des temps scolaires et
périscolaires : Rythmes biologiques et psychologiques des élèves du cycle primaire,
rapport final.

167
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Comme on fait son lit on se couche

Pourquoi le stress tient-il éveillé ?


À ce stade de l’ouvrage, vous n’ignorez plus à quel point
le sommeil est susceptible. Trop chaud ou trop froid, et il
rechigne à se montrer. Trop de lumière, de bruit ou d’agi-
tation, et il se carapate, nous laissant seuls et désemparés
au beau milieu de la nuit. Le fourbe ! Si encore les raisons
de sa fuite se limitaient à des perturbations sensorielles. Si
avec un coup de chauffage, un bandeau noir sur les yeux
ou des bouchons d’oreilles, il acceptait de revenir… Cela
suffit parfois mais la liste des petits cailloux dans la chaus-
sure du dormeur est beaucoup plus longue. Elle inclut
mille et un petits événements de la journée capables eux
aussi de lui barrer la route. À moins qu’ils ne lui déroulent
le tapis rouge ?
Sur le plan biologique, le stress correspond à une
réponse de l’organisme à une situation vécue comme
dangereuse. Ce danger peut être avéré –– un chien qui
fonce sur vous la gueule grande ouverte est une menace ––
ou hypothétique –– il se peut que la banque ne vous
accorde pas le prêt dont vous avez besoin pour déména-
ger. Dans tous les cas, le corps se met en ordre de marche
pour se défendre et sécrète un surplus de cortisol, d’adré-
naline et de noradrénaline. Le résultat est quasi immédiat :
la fréquence cardiaque augmente, la ventilation accélère,
le sang afflue préférentiellement vers le cœur et les
muscles. Face à un prédateur, cette réponse est tout à fait
adaptée car elle facilite la fuite ou le combat. Elle l’est
beaucoup moins dans d’autres situations génératrices de
stress, notamment celles qui jalonnent nos existences
modernes : déménagement, surcharge de travail, problème
de santé, difficultés relationnelles, affectives, financières.

168
Sommeil sous influences

L’organisme ne sachant pas faire autrement, il lance


quand même l’artillerie et maintient le dispositif jusqu’à
ce que la cause du stress disparaisse. La tempête hormo-
nale peut durer des jours, voire des mois. Le sommeil
subit son assaut de plein fouet. L’excès de cortisol et de
noradrénaline en particulier stimule en continu les
circuits neuronaux de l’éveil (voir chapitre 1) et favorise
les insomnies. Quand les troubles du sommeil sont
imputables au stress, l’unique solution pour redormir
correctement consiste à supprimer sa cause. Plus facile à
dire qu’à faire.
Des chercheurs américains ont envisagé que le stress
pourrait être à l’origine de la moindre réussite scolaire
des jeunes résidant dans les quartiers à forte crimina-
lité79. Pour tester cette hypothèse, ils ont suivi pendant
trois jours 82 de ces jeunes âgés de 11 à 18 ans. Ils ont
mesuré les paramètres de leur sommeil, ainsi que leur
taux de cortisol à différents moments de la journée, et
recueilli auprès de la police les données sur les incidents
violents signalés durant cette période. Leurs résultats
montrent que les habitudes de sommeil des jeunes
évoluent lorsque la fréquence des épisodes de violence
aux abords de chez eux augmente. Les enfants s’endor-
ment plus tard les soirs d’incidents violents et dorment
moins longtemps. Leur niveau de cortisol est aussi plus
élevé dès le lendemain matin, signe d’un état de stress.
Plus l’épisode en question est violent, plus ces change-
ments dans leur sommeil sont marqués. Selon les auteurs,
il n’en faut pas plus pour réduire les capacités d’appren-
tissage de ces jeunes.

79 Heissel J. et al., 2017. Violence and vigilance: The acute effects of community
violent crime on sleep and cortisol. Child Development.

169
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Ces médicaments qui empêchent de (bien) dormir


La liste des médicaments capables d’interférer avec le
sommeil est longue comme une nuit d’hiver en Scandina-
vie. Il y a d’abord ceux qui lui ouvrent la porte en grand,
comme certains antimigraineux, relaxants musculaires ou
antihistaminiques. En bloquant une catégorie de récep-
teurs cellulaires de l’histamine, ces médicaments coupent
court aux mécanismes immunitaires responsables de
l’allergie mais aussi au dialogue neuronal qui, dans le
cerveau, participe au maintien de la vigilance. D’où des
accès de somnolence et ce conseil médical de bon sens :
prenez vos antihistaminiques le soir avant d’aller vous
coucher et jamais avant de prendre le volant.
Certains traitements antidépresseurs ou les corticoïdes
à avaler peuvent causer des insomnies. Sitôt le traitement
terminé, celles-ci disparaîtront. Certaines substances
causent ou aggravent d’autres troubles du sommeil. C’est
le cas de médicaments visant à atténuer les symptômes de
la maladie de Parkinson mais également de certains hyper-
tenseurs ou bêtabloquants, qui provoquent des cauche-
mars. Ou de médicaments contre l’anxiété qui, parce qu’ils
entraînent un relâchement musculaire, favorisent les
apnées du sommeil. Quid du méthylphénidate, un stimu-
lant prescrit aux enfants et adolescents souffrant de
troubles de l’attention et d’hyperactivité ? Plusieurs études
ont été conduites pour tenter de savoir si, oui ou non, ce
stimulant affecte le sommeil. Leurs résultats sont contra-
dictoires mais une méta-analyse de l’ensemble de ces
travaux a récemment conclu à l’existence d’effets mani-
festes : durée d’endormissement plus longue, durée de
sommeil plus courte, moindre efficacité de ce sommeil80.

80 Kidwell K.M. et al., 2015. Stimulant medications and sleep for youth with ADHD:
A meta-analysis. Pediatrics.

170
Sommeil sous influences

Les somnifères aussi, alors qu’ils sont supposés faciliter


le sommeil, sont susceptibles de le troubler et d’aggraver
les insomnies. Un comble ! Ce retournement de situation
se produit lorsque la durée du traitement dépasse quelques
semaines ou que la dose consommée est trop élevée.
Marcel Proust en sait quelque chose. Insomniaque tout au
long de sa vie, l’écrivain serait tombé dans quasiment tous
les pièges liés à la consommation de ces médicaments à la
fois puissants et addictifs : consommation au long cours,
accoutumance, augmentation progressive des doses, prise
concomitante d’excitants... En conséquence de quoi, en
plus d’être devenu dépendant, ses insomnies ont empiré.
À sa décharge, les somnifères de l’époque, barbituriques
en tête, étaient particulièrement dangereux, surtout en cas
d’interaction avec d’autres produits.

À quoi servent les somnifères ?

La grande majorité des somnifères actuels sont des


hypnotiques appartenant à la grande famille des benzo-
diazépines et substances apparentées. En France,
46,1 millions de boîtes ont été vendues en 2015. C’est un
peu moins qu’en 2012 mais toujours plus que dans la
plupart des autres pays européens. Cette année-là, 5,6 %
d’entre nous y ont eu recours au moins une fois81. Premier
constat : ces produits sont très efficaces pour précipiter
quelqu’un dans le sommeil et l’y maintenir pendant
plusieurs heures. Ils activent les neurones à GABA et, ce
faisant, ralentissent toute l’activité du cerveau. Le sommeil
a alors le champ libre pour s’installer. Vingt minutes envi-
ron après avoir pris un somnifère, vous sombrez. Ce détail

81 Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, 2017. État
des lieux de la consommation des benzodiazépines en France.

171
Quoi de neuf sur le sommeil ?

a son importance car si vous n’êtes pas allongé passé ce


délai, vous avez toutes les chances de vous écrouler, au sens
propre du terme. Les effets des somnifères durent plus ou
moins longtemps selon les médicaments et les personnes.
Par conséquent, s’ils sont mal dosés, ils peuvent ne pas faire
effet assez longtemps ou, au contraire, continuer à agir
après le réveil, au moment où la vigilance est de mise. La
consommation d’hypnotiques au-delà d’un mois expose
aussi à une accoutumance, c’est-à-dire au besoin d’aug-
menter les doses pour ressentir les mêmes effets. Les
somnifères peuvent alors retourner leur veste et devenir
eux-mêmes cause d’insomnies ! Selon des études interna-
tionales, prendre le volant quand on est consommateur de
somnifères augmente le risque d’accident de 60 à 80 %, et
ce quel que soit l’âge du conducteur. Couplé à une prise
d’alcool, ce risque est multiplié par huit. Par ailleurs, un
lien entre consommation de benzodiazépines et risque de
démence chez les sujets âgés apparaît dans la plupart des
études sur ce sujet. Sont-ce les médicaments qui accélèrent
le début de la maladie ou les premiers signes de celle-ci qui
incitent les médecins à prescrire des benzodiazépines ? Car
en effet lien statistique ne veut pas dire lien de cause à effet.
L’usage des somnifères est donc délicat et en aucun cas
anodin, raison pour laquelle ces médicaments sont soumis
à prescription et suivi médicaux. Tous les experts s’ac-
cordent à dire qu’ils doivent être pris à la dose la plus faible
possible pendant la durée la plus courte possible.
Aujourd’hui, une demi-douzaine de ces médicaments sont
indiqués dans le traitement des insomnies certes sévères
mais occasionnelles (peu fréquentes) ou transitoires
(fréquentes ou pas, mais sur une période limitée). Contre
les insomnies chroniques comme celles de Proust, en
revanche, les somnifères les somnifères ne sont pas adap-
tés : trop de risques en comparaison des bénéfices.

172
Sommeil sous influences

Sur la piste de médicaments plus ciblés

Et si, au lieu d’inhiber le cerveau tout entier, on l’aidait


à mieux réguler ses systèmes de sommeil et d’éveil ? Cette
approche ciblée est au cœur des recherches thérapeu-
tiques actuelles contre l’insomnie, en particulier celles qui
sont le fruit d’un hyper-éveil. Dans ces cas-là, ce n’est pas
le sommeil qui ne vient pas mais les systèmes d’éveil qui
restent actifs alors qu’ils sont censés se mettre au repos et
lui barrent la route. La tâche de donneur d’ordre étant
dévolue à une catégorie de neurones, l’astuce consiste à
renforcer l’activité de ces neurones pour que leur message
d’arrêt aux centres d’éveil soit mieux entendu. Et puisque
ces neurones carburent à l’histamine, il s’agit de trouver
la molécule capable de mimer son action à leur niveau.
Une seconde piste à l’étude envisage de bâillonner les
neurones à orexine, connus pour inhiber la survenue du
sommeil. Les chercheurs ayant constaté que les taux
d’orexine sont particulièrement bas chez les personnes
narcoleptiques en proie à de fréquents accès de sommeil,
ils imaginent qu’il est peut-être possible de venir à bout
de certaines insomnies en reproduisant la même situa-
tion, c’est-à-dire en empêchant ce neurotransmetteur de
stimuler les centres d’éveil. Reste à trouver la substance
pharmacologique qui relève le défi, et uniquement ce défi,
avec le moins d’effets secondaires possibles.

Alimentation : y a-t-il une recette miracle pour s’endormir ?

Un dîner léger et en quantité raisonnable vaut mieux


qu’un repas copieux et riche en graisses si l’on veut bien
dormir ensuite. Tout le monde sait cela... En réalité, ce
n’est pas tant la qualité du sommeil que sa durée qui varie
selon le contenu de notre assiette. Des travaux ont montré

173
Quoi de neuf sur le sommeil ?

que la durée du sommeil après un repas croît avec le


nombre de calories avalées. La quantité de glucides en
particulier est déterminante. Plus elle est importante, plus
l’organisme libère de l’insuline, hormone qui, en plus de
ses effets métaboliques, stimule les centres du sommeil.
Les plus exposées à cette envie de dormir après un repas
riche en sucre sont les personnes en surpoids ou obèses,
dont l’indice de masse (poids en kilogrammes divisé par
le carré de la taille en centimètres) est élevé.
Par ailleurs et pour tout le monde, un repas riche en
protéines augmente la synthèse de sérotonine dans le
cerveau, ce qui favorise l’endormissement et améliore la
qualité du sommeil. Consommer en quantités suf­­
fisantes des protéines « prêtes à l’emploi », celles du
poisson, de la viande ou des œufs par exemple, est une
solution. Il y en a une autre, qui consiste à fabriquer
vous-mêmes, en interne, vos protéines. Pour cela, vous
avez besoin de disposer de toute la batterie des acides
aminés qui les composent. L’organisme sait élaborer la

Le petit effet du petit verre de lait


Parce que nos grands-mères clament depuis toujours que boire un
verre de lait le soir aide à trouver le sommeil, des scientifiques ont
voulu vérifier ce qu’il en était vraiment. Leurs travaux remontent à
1972 et montrent qu’un bol de lait chaud avalé par de jeunes
adultes juste avant le coucher réduit le nombre de leurs mouve-
ments au cours des trois dernières heures de la nuit. Si effet sur le
sommeil il y a, il est donc très modeste. Chez des personnes un
peu plus âgées (55 ans en moyenne), cette habitude est associée
à une augmentation de la durée de sommeil et à une diminution du
nombre d’éveils en fin de nuit. Les auteurs en déduisent que le lait
a bien un effet sur le sommeil, en particulier chez la personne
âgée. L’impact de cette pratique sur le sommeil des enfants
n’ayant semble-t-il pas été étudié, une seconde conclusion
s’impose : tiens Mamie, je te donne mon verre de lait !

174
Sommeil sous influences

grande majorité d’entre eux mais certains, comme le


tryptophane, doivent impérativement être fournis par
l’alimentation. Parmi les aliments naturellement riches
en tryptophane figurent la banane, la prune, ou encore
le chocolat.
Pour autant, émettre des recommandations nutrition-
nelles pour favoriser un bon sommeil est encore hasar-
deux tant les mécanismes en jeu sont complexes et les
données scientifiques solides peu nombreuses. Recom-
mander des dîner riches en glucides ? Le sommeil appré-
ciera mais vous risquez de prendre du poids ou de mettre
votre métabolisme en difficulté. Quantifier l’apport idéal
de protéines ? Les résultats des études les plus récentes se
contredisent. L’intérêt d’une supplémentation en vita-
mine D a été évoqué à la suite d’une vaste étude qui
suggère qu’elle pourrait venir à bout de plusieurs troubles
du sommeil. Évoqué seulement, pas confirmé. Les plantes
comme la valériane, plébiscitées pour leurs vertus apai-
santes, ont également fait l’objet de quelques travaux qui
pour l’heure, ne sont pas concluants82.

Exercice le jour, sommeil la nuit

Chaque situation donnant au corps l’occasion de se


mettre en mouvement constitue une activité physique :
la pratique sportive en est une, de même que les quelques
centaines de mètres parcourus à pied matin et soir
pour se rendre au travail ou à l’école, la marche en forêt
derrière son chien, les déplacements effectués dans le
cadre professionnel, etc. Étirements, exercices de souplesse,

82 Bent S. et al., 2006. Valerian for sleep: A systematic review and meta-analysis.
American Journal of Medicine.

175
Quoi de neuf sur le sommeil ?

de renforcement musculaire ou cardiovasculaire... Tout


compte et s’additionne au fil de la journée.
Une activité physique suffisante dans la journée a
toutes les chances d’augmenter la durée de votre
sommeil profond la nuit suivante, et ce sans dormir plus
car le sommeil paradoxal cède du terrain ; il survient
plus tardivement et dure moins longtemps. Néanmoins,
c’est plus flagrant si l’activité physique en question est
effectuée entre quatre et huit heures avant le coucher.
Soit entre le milieu de l’après-midi (15 h) et le tout
début de soirée (19 h) pour qui démarre sa nuit vers
23 h. Plus tôt, c’est trop tôt. Plus tard, l’élévation de la
température centrale liée à l’exercice risque de retarder
l’endormissement et l’effort lui-même peut perturber la
continuité du sommeil. À quoi bon laisser plus de place
au sommeil profond si la nuit est plus courte ? Seuls
quelques chanceux, généralement jeunes et bons
dormeurs, peuvent se permettre d’aller courir, nager ou
taper dans le ballon dans la soirée sans conséquence
sur leur sommeil.
L’exercice régulier –– un peu de marche chaque jour,
des trajets quotidiens en vélo ou en trottinette plutôt
qu’en voiture, en bus ou en métro –– profite lui aussi au
sommeil à long terme. Il faut parfois attendre plusieurs
mois pour le constater mais cette habitude est un moyen
d’augmenter son temps de sommeil total. On s’endort
plus vite, les éveils au cours du sommeil se raréfient.
La proportion de sommeil lent profond, le plus récu­
pérateur pour l’organisme, augmente elle aussi. Une
explication à cela est que l’activité physique contribue
à réguler les émotions, grandes agitatrices du sommeil.
En diminuant l’anxiété et la dépression, deux états
qui détériorent le sommeil, l’exercice contrebalance
leurs effets.

176
Sommeil sous influences

Par ailleurs, il est établi que l’activité physique régulière


stabilise l’horloge biologique83. Elle est même l’un de ses
synchronisateurs les plus efficaces après la lumière. Les
mécanismes biologiques en jeu sont encore mal connus
mais il semble que les noyaux suprachiasmatiques, sièges
de l’horloge, reçoivent des informations sur l’état de
l’activité de l’organisme et surtout, qu’ils en tiennent
compte. Il n’est pas exclu non plus que l’horloge soit
sensible aux changements de température, de pression
artérielle ou de niveaux hormonaux consécutifs à l’effort
mais cela reste à prouver. Les rythmes biologiques,
notamment ceux de la température centrale et de la vigi-
lance, sont en tout cas plus nets et réguliers. Nul besoin
pour cela d’aller nager ou suer à la salle de gym en recher-
chant la performance. Un exercice modéré mais régulier
suffit à améliorer l’humeur et le bien-être et, par ricochet,
le sommeil. Les personnes susceptibles d’en tirer le plus
grand bénéfice sont celles qui sont les moins sensibles à
l’influence de la lumière, à savoir les individus âgés, ceux
qui manquent de lumière ou encore les aveugles.

C’est (un peu) dans les gènes

Et ils comprirent enfin le fonctionnement de l’horloge

Octobre 2017. Le prix Nobel de médecine est attribué à


trois spécialistes de l’horloge interne. Leurs travaux
consacrés aux mécanismes moléculaires qui régissent les
rythmes biologiques sur une période de 24 heures ont fait
mouche auprès de l’Académie royale des sciences de

83 Yamanaka Y., Waterhouse J., 2016. Phase-adjustment of human circadian rhythms


by light and physical exercise. Journal of Sport Medicine and Physical Fitness.

177
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Suède qui décerne la prestigieuse récompense. Soudain, la


chronobiologie est sous les feux de la rampe et l’on
découvre qu’une poignée de gènes logés au cœur de
chacune de nos cellules d’êtres vivants donne le tempo à
tout l’organisme. Petit retour en arrière. Dans les années
1980, Jeffrey Hall, Michael Rosbash et Michael Young
travaillaient sur la drosophile, plus connue sous le nom de
mouche du vinaigre. À force de manipulations génétiques
sur ces insectes relativement proches de l’homme sur le
plan génétique et surtout capables de se reproduire extrê-
mement vite, les scientifiques ont fait parler un gène-clé
dans cette affaire, baptisé period. « Clé » car sans lui,
l’horloge biologique se détraque. Ce gène remplit sa
mission de gène : il code pour une protéine, en l’occur-
rence pour celle que les trois hommes ont appelée PER.
Cette protéine, ont observé les chercheurs, s’accumule au
cours de la nuit puis est dégradée pendant la journée. Sa
concentration oscille ainsi entre une valeur haute atteinte
en fin de nuit et une valeur basse en début de soirée, selon
un cycle qui dure environ 24 heures.
Eurêka ! Enfin un premier pas dans la compréhension
des rouages de l’horloge biologique, dont l’existence était
connue depuis longtemps mais qui jusqu’alors n’avait
jamais rien livré de son fonctionnement. Depuis cette
découverte inaugurale, une série de travaux a permis de
compléter le puzzle moléculaire de l’horloge biologique.
Une douzaine de ces gènes dits « horloges » ont été
identifiés et leurs rôles respectifs précisés. Per est l’un
d’entre eux mais il y a aussi Cry, Clock, Bmal1. Le ­­prin­cipe
est toujours le même : un gène A code pour une série
de protéines A qui s’accumulent, ce qui a pour effet
d’activer un gène B qui produit ses propres protéines B.
Ces dernières inactivent le gène A qui ne code plus rien.
Fin de la première partie, douze heures se sont écoulées.

178
Sommeil sous influences

Les protéines A sont dégradées, leur concentration chute.


Elles cessent alors d’activer le gène B qui stoppe sa
production. Les protéines B disparaissent à leur tour et
n’inactivent plus le gène A. Cette seconde séquence a duré
aussi longtemps que la première. La production de
protéine A redémarre et c’est le début d’un nouveau cycle
de 24 heures.

Nos besoins de sommeil sont-ils inscrits dans nos gènes ?

Pour sûr, plusieurs caractéristiques de notre sommeil


ont une origine génétique. Le fait d’être du soir ou du
matin est ainsi déterminé par la version des gènes de
l’horloge dont nous sommes dotés. Autrement dit, ce n’est
pas un mais plusieurs gènes qui fixent ce trait individuel.
Les spécialistes ont également identifié chez l’animal
plusieurs gènes régulant la durée de son sommeil. Et chez
l’homme ? En 2012, les chercheurs ont observé que les
dormeurs dotés d’une forme particulière d’un gène
passaient spontanément et en moyenne une demi-heure
de plus que les autres dans leur lit (à condition d’en avoir
la possibilité bien entendu). Ce gène serait donc impliqué
dans la détermination de nos besoins de sommeil mais
rien ne dit qu’il est le seul. C’est même peu probable
compte tenu de la complexité des mécanismes molécu-
laires en jeu dans le sommeil. Les investigations conti-
nuent donc pour dénicher dans notre ADN d’autres
séquences-clés. En 2015, une vaste étude incluant
47 180 individus a permis de mettre la main sur un autre
de ces gènes dont une version est propre aux longs-
dormeurs84. Pour ce que l’on en sait aujourd’hui, ce gène

84 Gottlieb D.J., 2015. Novel loci associated with usual sleep duration: the CHARGE
Consortium Genome-Wide Association Study. Molecular Psychiatry.

179
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Peut-on transmettre ses troubles du sommeil à ses enfants ?


Quand il y en a pour un, il y en a pour deux, ou plus ! Quand une
personne souffre d’insomnie, d’apnée du sommeil, du syndrome
des jambes sans repos, de narcolepsie ou d’un trouble du rythme,
il arrive qu’elle partage ce trouble avec un ou plusieurs autres
membres de sa famille. Ces cas familiaux laissent à penser que les
troubles en question ont une cause génétique (unique ou parmi
d’autres) et que celle-ci se transmet d’une génération à l’autre. Ce
n’est pourtant pas toujours le cas, loin de là. Concernant l’insom-
nie, trouble du sommeil très souvent lié à des facteurs environ­
nementaux, une étude portant sur 7 500 jumeaux confirme que
des cas familiaux existent et montre qu’ils touchent plus les
femmes que les hommes. Cette hérédité-là pourrait tout à fait être
le fruit d’habitudes familiales impactant le sommeil. La génétique
n’aurait alors rien à voir là-dedans. Par ailleurs, une enquête
auprès de 200 enfants de 7 à 12 ans et leurs parents montre que
ceux dont la mère souffre d’insomnie s’endorment plus tard,
dorment moins longtemps, moins bien et passent moins de temps
en sommeil profond que les autres85. En revanche, l’insomnie de
leur père ne semble pas avoir d’impact sur leur sommeil. La situa-
tion est toute différente pour la narcolepsie car si les chercheurs
ignorent encore les causes exactes de la maladie, ils s’accordent
à penser qu’il existe une prédisposition génétique que les parents
transmettent (ou pas) à leurs enfants.

code pour une protéine intervenant dans la production


d’hormones thyroïdiennes. Le rapport avec la durée du
sommeil ne saute donc pas aux yeux... Sachant qu’en
génétique des populations il n’y a pas de hasard, les cher-
cheurs continuent de croire que ce gène a un effet direct
ou indirect sur le sommeil. Simplement, ils ne savent pas
encore lequel.

85 Urfer-Maurer N. et al., 2017. The association of mothers’ and fathers’ insomnia


symptoms with school-aged children’s sleep assessed by parent report and in-home
sleep-electroencephalography. Sleep Medicine.

180
Bien dormi ?

Voilà encore une question tordue à laquelle il est parti-


culièrement difficile de répondre avec certitude. Tout au
plus pouvez-vous sentir que vous êtes en pleine possession
de vos moyens, alerte et reposé, que la nuit a passé très vite,
qu’elle a duré six, huit ou dix heures, et que quelques bribes
de rêves vibrent encore en vous. Mais c’est à peu près tout,
surtout si vous avez effectivement l’impression d’avoir bien
dormi. Ce qui a eu lieu en vous pendant la nuit est hors de
votre portée. Comment pourrait-il en être autrement
puisque le sommeil abaisse au minimum notre niveau de
conscience ? Et d’ailleurs, le sauriez-vous si pendant que
vous étiez enroulé dans vos draps et blotti contre l’oreiller,
votre sommeil vous avait joué des tours ? Pas forcément
non plus. Une insomnie, ça oui, vous l’auriez certainement
remarquée. Mais pour le reste...
Les spécialistes du sommeil utilisent plusieurs outils
pour juger de la qualité de votre sommeil : des question-
naires, des tests pour éprouver vos capacités d’attention,
votre mémoire ou encore vos réflexes, des pages de
graphiques relatant l’activité électrique dans votre cerveau
d’un bout à l’autre de votre sommeil, des vidéos de vous
endormi. Guidé par le spécialiste qui décrypte avec vous
enregistrements, réponses et résultats, vous entrez dans
l’intimité de votre sommeil et passez en revue, étape par
étape, les grands événements de votre nuit.
Dans les laboratoires d’exploration du sommeil, les
dormeurs se suivent et ne se ressemblent pas. Vous savez
maintenant que chacun a sa propre horloge biologique
qui conditionne ses besoins de sommeil, en fixe la durée

181
Quoi de neuf sur le sommeil ?

optimale et le créneau idéal. L’environnement immédiat,


ce que l’on a fait la veille et les nuits précédentes, les
émotions ou encore l’anxiété du moment influencent non
seulement l’endormissement mais aussi l’enchaînement
et l’architecture interne des cycles de sommeil au cours de
la nuit. Les chercheurs continuant d’être à l’affût de tout
ce qui peut peser sur le sommeil, il est probable qu’ils
découvriront d’autres facteurs dans les années à venir, que
ce soient d’autres gènes prédisposant à tel ou tel trouble
ou de nouvelles influences environnementales.
Plus les travaux sur le sommeil s’accumulent, plus
émergent de certitudes à son sujet. Pour autant, celles-ci ne
mettent pas un terme aux recherches, bien au contraire.
Elles amènent très souvent d’autres interrogations. Par
exemple, on sait désormais que la dépression et les insom-
nies sont liées. Mais quelle est la poule et quel est l’œuf ? Le
manque de sommeil a quant à lui été rendu responsable de
plusieurs délits : augmentation du risque de pathologie
cardiovasculaire et/ou de diabète, affaiblissement du
système immunitaire, entrave au processus de stockage des
informations dans la mémoire à long terme et au nettoyage
des neurones du cerveau. Pour autant, impossible de clas-
ser ces affaires tant que la science n’a pas fait toute la
lumière sur les mécanismes physiologiques mis en défaut.
À force de découvertes, les stratégies par lesquelles le
sommeil produit de la santé sont de plus en plus claires.
Ce livre a tenté de vous le démontrer. De ces connais-
sances sur les mécanismes du sommeil, ses effets sur le
cerveau et les autres organes, les besoins des uns et des
autres et les multiples facteurs qui l’influencent, il est
possible de tirer quantité de conseils pour vous aider à
bien dormir et à tirer le meilleur de vos nuits. Récapitu-
lons donc en pratique les meilleurs conseils que nous
pouvons vous donner.

182
Bien dormi ?

Comment mettre toutes les chances de son côté pour


(essayer de) bien dormir ?

Dans la journée
Faites du sport régulièrement mais pas après 19 h.
Limitez votre consommation de café, de boissons exci-
tantes (notamment celles à base de cola) et de vitamine C.
Si vous êtes stressé, ménagez-vous cinq minutes de médi-
tation en milieu de matinée, d’après-midi et dès que vous
le pouvez : dans les transports, avant une réunion, dans
une salle d’attente…

Dans la soirée
Évitez les repas copieux et l’alcool le soir.
Favorisez les activités relaxantes après le dîner : lecture,
musique, télévision dans le salon... Posez vos tablettes,
ordinateurs et téléphones portables une heure avant
d’aller vous coucher. Ne les utilisez pas dans le lit.
Faites une croix sur les bains chauds moins de deux heures
avant d’aller au lit.
Trouvez votre rythme (du soir ou du matin ?), repérez
votre horaire de coucher optimal et respectez-le.
N’allez vous coucher que si vous avez sommeil et réservez
votre lit au sommeil et à l’activité sexuelle. Faites en sorte
de regarder la télévision, de travailler et de manger dans
une autre pièce.

Au cours de la nuit
Dormez dans une chambre aérée, dont la température
ambiante se situe entre 18 et 20 °C.

183
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Éteignez les alertes de tous vos appareils électroniques


pour ne pas qu’ils vous sollicitent. Coupez également la
télévision (qui ne doit pas être dans la chambre).
Si vous n’arrivez pas à vous endormir ou si vous vous
réveillez dans la nuit, levez-vous au bout de 20 minutes et
occupez-vous calmement. Recouchez-vous une demi-
heure plus tard pour tenter de vous rendormir. Si vous n’y
parvenez pas, respirer amplement et pratiquer des exer-
cices de détente peut vous aider.

Au lever
Levez-vous à la même heure tous les jours, même le week-
end (pas de décalage supérieur à deux heures), même (et
surtout !) si vous avez mal dormi.
N’utilisez pas la fonction sieste / snooze du réveil et levez-
vous dès que celui-ci vous a réveillé.
Ne vous levez pas au dernier moment : laissez-vous au
moins quinze minutes de temps libre afin d’éviter de vous
stresser dès le réveil.

Mais surtout n’oubliez pas une chose : le sommeil est


susceptible. Même en mettant toutes les chances de votre
côté, il peut très bien vous faire faux bond de temps en
temps. Et alors ? Passer une mauvaise nuit arrive à tout
le monde. Ce n’est pas dramatique ! Songez plutôt à
toutes ces autres nuits, réussies celles-là, et au bien qu’elles
vous font...

184
À la découverte du sommeil

Dormir a toujours été pour moi un temps de régénéra-


tion. Que je sois malade physiquement ou que je vive des
périodes psychologiquement difficiles, j’ai toujours eu au
réveil, à quelques exceptions près, le sentiment d’une
renaissance et d’une réparation. Le sommeil remplit cette
fonction magique par des mécanismes qui ne commencent
à être connus que depuis ces 30 dernières années. Au
travers du discours de mes patients, je mesure combien
c’est une chance que de bien dormir, et d’avoir confiance
dans son sommeil. De penser que le matin, tout ira bien,
ou mieux. Un peu comme si le sommeil entraînait un
reset de tous les circuits avec une remise à zéro de tout ce
qui dysfonctionne. Bien évidemment, quand le sort
s’acharne contre vous et que vous essuyez épreuves après
épreuves, ça marche moins bien, et le sommeil dérape,
mais les bons dormeurs ont cette capacité naturelle de
croire que leur sommeil résistera quelle que soit la pres-
sion imposée.
Le sommeil m’a toujours fascinée. Quand j’ai
commencé mes études de médecine, j’ai travaillé assez
vite sur les circuits neuronaux qui, dans le cerveau,
conduisent au contrôle des mouvements et des sensations,
et à des voies plus diffuses comme la « réticulée » qui est
très impliquée dans la régulation des états de vigilance. Le
Pr Michel Jouvet, qui a découvert le sommeil paradoxal
chez le chat, publiait à l’époque des articles dans des jour-
naux accessibles à la jeune externe que j’étais. Il parlait des
rêves et du sommeil paradoxal, du fonctionnement des
hémisphères cérébraux au cours du sommeil, et posait la

185
Quoi de neuf sur le sommeil ?

question du rôle du sommeil et des rêves. Ses travaux


m’ont passionnée. En effet, il y a là un mystère : pourquoi
dort-on ? Pourquoi doit-on passer le tiers de vie dans cet
état végétatif qui nous coupe du monde l’espace d’une
nuit ? Toutes les publications scientifiques s’attachaient à
décrire l’activité et les fonctions de l’homme éveillé et
rien, ou si peu, sur l’homme qui dort. On a longtemps
pensé que pendant le sommeil, en dehors de la respiration
et de la circulation du sang, il ne se passait pas grand-
chose dans le corps et que le cerveau était au repos. Il y
avait bien les rêves qui intriguaient et qui, selon les
époques, ont été considérés comme des activités
« externes », traduisant l’influence des dieux ou une
possession par les puissances de l’Au-delà. Bref il y avait
là un domaine inexploré, intriguant et passionnant. C’est
comme ça que jeune interne en psychiatrie, je demandai
à mon maître le Pr Yves Pélicier, clinicien éclairé et huma-
niste, qui je devais rencontrer pour travailler sur le
sommeil. Il m’a adressé à la Salpêtrière dans le service du
Pr Jean Scherrer qui contrôlait un véritable empire
couvrant toute la neurophysiologie, dont bien évidem-
ment un secteur consacré au sommeil. J’ai travaillé tout
d’abord à l’Inserm avec le Dr Odile Benoit qui m’a fait
connaître la physiologie du sommeil et l’organisation des
rythmes biologiques, et avec le Dr Lucile Garma, qui m’a
permis de découvrir l’insomnie et les insomniaques.
À l’époque, les laboratoires du sommeil se dénommaient
« centres d’exploration du sommeil ». Il s’agissait bien en
effet d’une « exploration » au sens où nous cherchions à
comprendre encore beaucoup de choses. Pourquoi on
s’endort, pourquoi on se réveille dans la nuit, pourquoi
on dort mal ? La physiologie du sommeil était connue
dans ses grandes lignes, mais elle restait très descriptive
avec des mécanismes mal élucidés. Les maladies liées au

186
À la découverte du sommeil

sommeil, comme le syndrome d’apnées du sommeil et le


syndrome des jambes sans repos, étaient identifiées mais
peu connues des cliniciens et, surtout, sans traitement
simple et efficace (à l’époque le syndrome d’apnées était
traité par trachéotomie, ce qui était très agressif). Les
médecins et les chercheurs qui travaillaient dans le
domaine du sommeil formaient une petite communauté
qui se connaissait et se retrouvait lors d’un congrès
annuel. Nous avions tous le sentiment d’être des pion-
niers. Il y avait très peu de services hospitaliers dédiés au
sommeil à l’époque. En France, nous en avions dénombré
dix dans les services hospitalo-universitaires. Ils se sont
regroupés en 1984 pour former l’Association des centres
de sommeil hospitalo-universitaires, ancêtre de l’actuelle
Société française de recherche et de médecine du sommeil
(SFRMS). De ce fait, il n’y avait pas de poste hospitalier, et
j’ai créé mon cabinet. Très vite, mon exercice libéral de
psychiatre a été consacré exclusivement aux pathologies
du sommeil, de tous types, tout en continuant à travailler
avec les équipes hospitalières et à faire de la formation
pour les médecins. La méconnaissance du sommeil par
mes col­­lègues spécialistes ou médecins généralistes était
assez sidérante. Elle s’expliquait néanmoins facilement
par l’absence d’enseignement du sommeil au cours des
études de médecine. Sur huit ans d’études (à l’époque), les
futurs médecins n’avaient, au mieux, que trois heures de
cours consacrées au sommeil. Une infime goutte d’eau au
regard de toute la richesse en termes de mécanismes, de
séméiologie et de pathologies propres au sommeil. Grâce
aux réformes de la pratique médicale et à l’incitation des
instances publiques de santé (notamment les agences
régionales de santé) pour proposer des parcours de soins
innovants, j’ai pu, avec un groupe de collègues, mettre en
place le Réseau Morphée. C’est un réseau de soin unique

187
Quoi de neuf sur le sommeil ?

en son genre qui, en Île-de-France, oriente les patients


vers le spécialiste qui pourra le mieux répondre à leurs
besoins et dans les délais les plus courts possibles. C’est
aussi un réseau de soignants avec des missions de forma-
tion et de prévention. La clé de l’innovation du réseau est
de proposer une coordination des soins adaptés aux
patients en utilisant des moyens innovant dont les techno­
logies digitales.
Ce parcours professionnel a été pour moi d’une grande
richesse sur le plan scientifique et médical, avec de
nombreuses rencontres et échanges avec les collègues
mais aussi avec les patients qui m’ont beaucoup appris.
J’ai eu ainsi le plaisir de participer à la naissance de la
médecine du sommeil, avec une excellente nouvelle : dans
trois ou quatre ans, une spécialité sommeil va s’individua-
liser. Elle aura pour nom la somnologie.

Sylvie Royant-Parola

188
Références et matière à exploration

Ouvrages
Adan A., 2015. Chronotype. In : International Encyclopedia of the Social &
Behavioral Sciences (2e édition), Elsevier, Amsterdam, Pays-Bas, 568-573.
Billiard M., 2007. Le Guide du sommeil : Comment bien dormir ?
Odile Jacob, Paris, 312 p.
Ekirch A.R., 2005. At day’s close: Nights in times past, W.W. Norton &
company, New York, États-Unis, 480 p.
Garnier G., 2013. L’Oubli des peines, une histoire du sommeil (1700-1850),
Presses universitaires de Rennes, Rennes, 420 p.
Jouvet M., 2013. De la science et des rêves, mémoire d’un onirologue,
Odile Jacob, Paris, 304 p.
Léger D., 2010. Le Sommeil dans tous ses états, Plon, Paris, 240 p.
Rey M., 2017. Quand le sommeil nous éveille, Solar, Paris, 240 p.
Royant-Parola S. et al., 2017. Prise en charge de l’insomnie, Elsevier,
Amsterdam, Pays-Bas, 288 p.
Thirion M., Challamel M.J., 2011. Le Sommeil, le rêve et l’enfant, édition
revue et corrigée, Albin Michel, Paris, 376 p.

Autres publications
Dos Santos G., Mahler T., 2017. Les Découvertes de la chronobiologie.
Le Point.
Inserm, 2017. Sommeil : La santé vient en dormant, dossier.
Science et santé.
Science et vie, 2015. Le Sommeil et les rêves : Questions-réponses.
Taillard J., 2009. L’Évaluation du chronotype en clinique du sommeil.
Médecine du sommeil.
Terra nova, 2016. Retrouver le sommeil, une affaire publique.
Testard-Vaillant P., 2017. Les Derniers mystères du sommeil.
Journal du CNRS.

Sites Internet
Toutes ces pages ont été consultées en janvier 2018.
Inserm, dossier d’information sur le sommeil :
https://www.inserm.fr/index.php/information-en-sante/dossiers-
information/sommeil

189
Quoi de neuf sur le sommeil ?

Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) :


www.institut-sommeil-vigilance.org/tout-savoir-sur-le-sommeil
Réseau Morphée, réseau de santé consacré à la prise en charge des troubles
chroniques du sommeil :
http://reseau-morphee.fr/
Sleep EVAL Research, travaux de recherche en épidémiologie du sommeil
du Stanford Sleep Epidemiology Research Center (en anglais) :
https://www.sleepeval.com
Société française de recherche et médecine du sommeil (SFRMS) :
www.sfrms-sommeil.org

Images et sons
C’est pas sorcier, 2015. Le Sommeil, 26 min.
Cité des sciences et de l’industrie, 2016. La Science des rêves, cycle
de 5 conférences en ligne, environ 1 h 30 par conférence.
La Méthode scientifique, 2017. À la recherche du sommeil perdu,
France Culture, 58 min.
Science publique, 2014. Faut-il et peut-on se débarrasser de ses
cauchemars ? France Culture, 57 min.

190
En couverture :
© drubig-photo - Fotolia.com (n° 121869392)

Pages intérieures :
P. 33 : © azotsuka - Fotolia.com (n° 83802537 et 83802516)

Coordination éditoriale : Véronique Véto-Leclerc


Responsable de la collection : Anne-Lise Prodel
Édition : Mickaël Legrand / www.vivante-passerelle.net
Maquette, couverture et mise en page : Gwendolin Butter

Imprimé en France par CPI Firmin Didot


N° d'impression : 147022
Dépôt légal : mai 2018
A h ! Si nous pouvions nous passer de sommeil et disposer
malgré tout de tous nos moyens physiques et intellectuels
pour nous adonner à mille et une activités... Vous en rêvez ? Hélas,
tôt ou tard, il faut se résoudre à dormir. Le sommeil, du reste, finit
toujours par s’imposer. Du berceau à notre lit de mort, nous en
avons régulièrement besoin. Certains plus que d’autres mais tous
sans exception. Résultat : nous passons en moyenne un tiers de
notre vie dans les bras de Morphée.
Pourquoi une telle nécessité ? Que nous apporte le sommeil ? Que
se passe-t-il dans un corps endormi ? Si les rôles exacts du sommeil
nous échappent, les effets qu’il produit et les influences qu’il
subit sont de mieux en mieux connus. Métabolisme énergétique,
immunité, activité cellulaire, performances cognitives, santé
mentale : les connaissances scientifiques actuelles révèlent que
chacune de ces fonctions tire profit du sommeil. Encore faut-il
que celui-ci soit de qualité et pris en quantité suffisante.
Fruit d’une collaboration entre une dizaine de spécialistes et une
journaliste, cet ouvrage explore les vertus du sommeil et distille
de précieux conseils pour tirer le meilleur parti de ses nuits, siestes
et autres petits sommes. À la lumière des dernières découvertes,
il dévoile les mécanismes par lesquels le sommeil contribue à la
santé et au bien-être, et passe au crible les nombreux grains de
sable susceptibles de les enrayer.
À mettre sur toutes les tables de nuit !

Anne Le Pennec est journaliste scientifique depuis 15 ans, spécialiste des


sujets de santé. Collaboratrice régulière des revues L’école des parents et
Éducation Santé, elle écrit également pour le CNRS et le Muséum d'histoire
naturelle de Nantes.
Psychiatre de formation, Sylvie Royant-Parola exerce en cabinet. Elle est
présidente du Réseau Morphée (troubles chroniques du sommeil). Elle
conduit en parallèle des recherches sur les comportements liés au sommeil
et participe à des actions de prévention.

19 €
ISBN : 978-2-7592-2739-6

Éditions Cirad, Ifremer, Inra, Irstea


www.quae.com Réf. : 02614

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