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L'OBSCUR OBJET DU DÉSIR MASCULIN

Patrick De Neuter

Érès | « Figures de la psychanalyse »

2012/1 n° 23 | pages 127 à 146


ISSN 1623-3883
ISBN 9782749216522
DOI 10.3917/fp.023.0127
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2012-1-page-127.htm
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L’obscur objet du désir masculin*
• Patrick De Neuter •

Qu’est-ce que le masculin ?

Avant d’aborder la question de savoir ce que veut un homme, ce qu’il désire,


posons-nous avec Freud, Lacan et quelques autres, la question de savoir ce qu’est
un homme ou, plus précisément, ce qu’est le masculin, puisque c’est ainsi qu’ils
abordèrent les choses. En étudiant les textes consacrés à cette question par
Freud, on ne peut qu’être frappé par la difficulté devant laquelle il se trouva. Et
il semble bien que la réponse à ces questions ne soit pas plus facile aujourd’hui.
Si, dans nos conversations quotidiennes, nous devisons comme si définir l’homme
et le masculin allait de soi, comme si ces signifiants ne posaient pas problème, il
en va tout autrement lorsque l’on regarde les choses de plus près.

Les psychanalystes se réfèrent souvent à Freud et à Lacan pour dire l’impor-


tance de la différence des sexes, et ils réduisent souvent le masculin freudien à
l’activité s’opposant à la passivité féminine. Quant au masculin lacanien, il est
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souvent réduit à la possession du phallus en érection ou encore à la recherche
chez la femme de l’objet « a » imaginaire qui pourra combler son manque, cause
de son désir. Ce que Lacan développe dans son schéma dit de la sexuation 1. À lire
Freud et Lacan de plus près, les choses s’avèrent bien plus complexes. Et elles le
deviennent plus encore si l’on consulte des écrits de collègues comme Pierra
Aulagnier et ceux plus récents de Jacqueline Schaeffer, de Monique Schneider, de
Danielle Bastien, Nicole Stryckman et Silvia Lippi 2.

* Texte réécrit d’une intervention aux Journées d’Espace analytique, « Quel homme »,
le 27 novembre 2010.
1. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XX (1972-1973), Encore, Paris, Le Seuil, 1975, leçon du
13 mars 1973, p. 73-82.
2. On sait que Lacan considérait que les femmes analystes avaient un rapport privilégié
à l’inconscient. Elles sont, dit-il un jour, des psychanalystes-nées.
128 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 23 •

Le masculin freudien et sa complexité

Commençons notre périple par Freud, dont on néglige trop souvent les oscil-
lations fréquentes quant à cette différentiation du masculin et du féminin par
l’activité et la passivité. Si l’on répète sa question « Que veut une femme ? » et
sa métaphore du « Continent noir » pour désigner la féminité, on a par contre
peu retenu ses nombreuses hésitations quant à la question de savoir ce que veut
le masculin et ce qui spécifie l’homme. Après avoir régulièrement émis quelques
différences entre l’homme et la femme dans des domaines aussi divers que la
sublimation et le sens moral (qui seraient plus marqués chez les garçons du fait
de la crainte de la castration), l’apparition du dégoût de la sexualité (plus précoce
chez les filles), l’intuition des processus inconscients (plus développée chez les
filles), la libido (plus masculine) et l’angoisse (plus féminine), la masturbation
(plus tardive et plus manuelle chez le garçon), le sadisme (plus développé chez
l’homme), le masochisme (plus développé chez la fille) et quelques autres
encore 3, il en arriva, en 1907, à définir le masculin par l’activité et le féminin par
la passivité. Néanmoins, il affirma dans la même phrase que l’inconscient de
l’homme ne pouvait être fondamentalement différent de celui de la femme
(1907 4). Six ans plus tard, il soutenait qu’étant donné la bisexualité, ce qui est dit
masculin et féminin et qui se réduit à l’activité et à la passivité ne recouvre pas la
différence des sexes, les sexes anatomiques n’ayant aucune caractéristique
psychique particulière 5. En 1920, il affirme que les différences entre les qualités
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de l’homme et de la femme sont « plus conventionnelles que scientifiquement
justifiées 6 », origine conventionnelle qu’il avait déjà évoquée à propos de la
distinction entre pulsions féminines et pulsions masculines. On retrouve aussi
chez Freud – bien avant Simone de Beauvoir – l’idée que nous ne naissons pas
homme ou femme mais que nous le devenons, et que nous ne le devenons pas

3. J’ai proposé une étude approfondie du texte freudien et de l’enseignement lacanien


à ce sujet dans un chapitre de livre intitulé « Le masculin et le féminin, approches
psychanalytiques d’hier et d’aujourd’hui », dans S. Heenen-Wolff et F. Vandendorpe,
Différences des sexes et vies sexuelles d’aujourd’hui, Académia-Bruylant, 2010, p. 35-54.
4. S. Freud (1907), dans Les premiers psychanalystes, Minutes de la Société psychanaly-
tique de Vienne, Paris, Gallimard, 1976, séances du 6 novembre 1907, p. 248.
5. S. Freud (1913), « L’intérêt de la psychanalyse », dans Résultats, idées, problèmes,
Paris, PUF, vol. I, 1984, p. 205.
6. S. Freud (1920), « Sur la genèse d’un cas d’homosexualité féminine », dans Névrose,
psychose et perversion, Paris, PUF, 1974, 2e édition, p. 253.
L’OBSCUR OBJET DU DÉSIR MASCULIN 129

seulement en fonction de notre anatomie mais aussi en fonction de l’éducation


et du milieu familial. « L’anatomie, c’est le destin » ne reflète pas la complexité
et la richesse de la pensée freudienne sur ce sujet. Et si, en 1930, il revient sur l’as-
sociation du masculin et de l’activité, en 1938, il redit que cette distinction est
insatisfaisante et que le fait de la bisexualité psychique rend difficile toute
description valable 7.

Entre temps, Freud a progressivement élaboré son complexe d’Œdipe dans


lequel le garçon se caractérise non seulement par l’identification au père,
l’amour de la mère et le désir meurtrier à l’égard du père, mais aussi, par son
Œdipe inversé, le plus souvent refoulé, impliquant le conflit avec la mère, l’iden-
tification à celle-ci et l’amour du père. En bref, l’Œdipe féminin du garçon.

En fait, à partir de sa clinique, il retrouve les très anciens mythes de l’andro-


gyne et de l’hermaphrodite, mais cette fois dans le registre du psychisme. Cette
androgynie et cet hermaphrodisme psychiques rendent impossible une définition
de ce qu’est un homme dans le registre psychique, mais définir le masculin avec
Freud ne l’est pas moins.

Le masculin dans l’enseignement de Lacan

En proposant, avec son schéma de la sexuation, une autre tentative de distinc-


tion du masculin et du féminin, Lacan ne nous a qu’apparemment sorti de l’em-
barras. D’ailleurs, il insiste comme Freud : cette distinction ne recouvre pas la
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différence des sexes anatomiques. Le masculin, ou du moins sa définition est
apparemment sauvée, mais la définition de l’homme ne l’est pas du tout. En
effet, pour Lacan aussi, un homme peut très bien se ranger – partiellement, voire
totalement – du côté féminin, tandis qu’une femme peut très bien se ranger
– partiellement, voire totalement – du côté masculin.

: § / §
; ! . !

S S(A)
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7. S. Freud (1938, 1940), Abrégé de psychanalyse, Paris, PUF, 1985. Et en effet, si, du fait
de la bisexualité, la référence au sexe anatomique devient boiteuse, sur quoi étayer une
quelconque définition du masculin et du féminin ?
130 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 23 •

Schématiquement dit, dans la partie haute de ce tableau, du côté gauche, le


masculin se définit comme appartenant à une classe dont tous les individus,
hommes ou femmes, sauf un, sont soumis à la castration. Ceux qui se rangent du
côté droit, le côté du féminin, ne sont pas-tout dans la castration. Autrement dit,
ils n’y sont pas entièrement. Dans la partie basse du tableau, le masculin lacanien
se distingue par le fait que ce masculin, homme ou femme, va vers les femmes en
tant qu’objets imaginaires avec lequel il escompte boucher le trou laissé par la
perte de l’objet réel, perte fondamentale qui est cause de son désir. L’essentiel de
la conception lacanienne du désir réside dans ce lien fondamental du sujet avec
ce qu’il a dénommé l’objet « a » réel, bout de corps perdu (par exemple, le sein,
le regard, la voix, les fèces, ou encore, le rien), perte que le sujet va tenter de
combler par le biais d’objets « a » imaginaires recherchés dans sa réalité d’adulte,
notamment chez sa compagne de vie quotidienne ou d’alcôve.

Les femmes, en revanche (et les hommes qui se rangent de ce côté), sont divi-
sées, voire écartelées entre deux motions. La première les porte vers la rencontre
du phallus qu’elles vont chercher du côté masculin dans l’espoir d’une expérience
d’une jouissance phallique. Le second mouvement les oriente vers le grand Autre
barré, où elles peuvent vivre une jouissance autre que phallique, une jouissance
qui échappe à l’ordonnancement phallique. Autrement dit, cette jouissance fémi-
nine est moins marquée par les interdits et les autres effets structurants de la
métaphore paternelle. Lacan rassemble sous cette « Jouissance Autre », d’une
part, la jouissance à laquelle les femmes accèdent de façon privilégiée et, d’autre
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part, celle que l’on peut lire dans les témoignages des mystiques ou encore de
certains psychotiques. Remarquons ici que cette conception devrait réjouir les
féministes, certaines d’entre elles du moins, puisque, dans cette perspective, les
femmes auraient plus accès que les hommes à une double jouissance, dont l’une
est beaucoup moins limitée que celle de l’homme.

Mais l’on trouve chez Lacan d’autres caractéristiques du masculin. On se


rappellera peut-être qu’il définit un jour l’homme comme essentiellement
bigame, voire polygame 8. Il évoque l’angoisse du petit mâle en ces termes : « Le
trou béant de la tête de Méduse est une figure dévorante que l’enfant rencontre
comme issue possible dans cette recherche de la satisfaction de la Mère 9. »

8. J. Lacan, Le Séminaire, Livre IV (1956-1957), La relation d’objet, Paris, Le Seuil, 1994,


leçon du 6 mars 1957.
9. Ibid., leçon du 27 février 1957.
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On peut facilement concevoir que cette angoisse n’est pas sans effet sur la sexua-
lité de l’adulte.

Une autre dimension du masculin lacanien réside dans l’importance qu’il


accorde à la paternité symbolique, d’une part, dans sa dimension de transmission
du nom et, d’autre part, en tant qu’elle vient faire tiers entre la mère et l’enfant,
apportant à ce dernier la castration symbolique. On sait aussi que, pour lui, cette
paternité est « incarnée » (sic) essentiellement par l’homme de la mère. Soumis à
la castration symbolique, il est aussi un des principaux agents de sa transmission
à sa descendance.

Lacan évoque d’autre part comme caractéristiques du masculin, l’érection du


pénis et sa force pénétrante. Remarquons au passage que si, en d’autres
moments, il mit en question la toute-puissance freudienne de l’anatomie quant
au destin d’un sujet, il n’est pas sans faire appel là à la physiologie de l’érection.

Nous voilà donc avec Lacan en présence d’un autre masculin que celui de
Freud et devant une mise en question radicale de ce qui serait une essence de
l’homme et de la femme, mais non pas du masculin et du féminin. Ce masculin
comme ce féminin semblent en effet encore bien proches des concepts des philo-
sophies essentialistes. Lacan d’ailleurs affirma lui-même en 1955 que « Les deux
versants, mâle et femelle, de la sexualité, ne sont pas des données, ne sont rien
que nous puissions déduire d’une expérience 10 ». Mais si ce n’est pas sur l’expé-
rience que l’on peut prendre appui, à quoi s’adosse-t-on ?
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Pour conclure ce chapitre sur l’homme et le masculin de Lacan, donnons-lui
encore une fois la parole : « […] l’homme et la femme nous ne savons pas ce que
c’est 11 ». Contrairement à ce que l’on pense parfois, Lacan, comme Freud, se
montre très perplexe quant à cette différenciation de l’homme et de la femme,
un peu moins cependant en ce qui concerne la différence entre le masculin et le
féminin. Mais qu’en pensent quelques collègues de l’autre sexe dont Lacan disait
qu’elles étaient des « psychanalystes-nées 12 » et qu’elles comprenaient très bien
ce qu’est le désir de l’analyste 13.

10. J. Lacan, Le Séminaire, Livre III (1955-1956), Les psychoses, Paris, Le Seuil, 1981,
p. 282.
11. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIX (1971-1972), Le savoir du psychanalyste, séance du
12 janvier 1272, inédit.
12. J. Lacan, Recherches, spécial l’enfance Aliénée II, numéro spécial de décembre 1968.
13. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIV (1966-1967), La logique du fantasme, leçon du
13 mars 1963, inédit.
132 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 23 •

L’homme et le masculin selon les femmes psychanalystes

De Piera Aulagnier, je retiendrai essentiellement l’homme et le masculin qui


se dégagent de son texte sur la féminité, toujours très actuel bien qu’il date de
1967. Cet homme et ce masculin – elle ne différencie pas les deux – se caractéri-
sent par la nécessité quasi vitale pour les hommes de séduire plusieurs femmes,
tout angoissés qu’ils sont par la fidélité à une seule femme qu’ils vivent comme
castratrice et infantilisante, car évocatrice de la Mère exigeant l’amour total,
fidèle et comblant de son enfant 14. Elle décrit là une dimension du désir mascu-
lin que l’on retrouve souvent dans la clinique.

Tournons-nous à présent vers quelques contributions plus récentes.

De ma lecture de la généalogie du masculin de Monique Schneider 15, je


retiens deux éléments qui me semblent les plus essentiels 16.

Ce masculin se caractérise tout d’abord par son origine : l’arrachement à une


identification primaire à la mère, et ensuite par la puissance fécondante, ce qui
est une facette très bienvenue, complémentaire de celle de la voix interdictrice,
castrante et séparante de la mère et de l’enfant, attribuée au Père et donc au
masculin par Freud et par Lacan.

Font aussi partie du registre du masculin, pour Monique Schneider, l’avidité


de l’homme et sa tendance à la dévoration de l’autre 17. L’homme schneidérien
n’est pas non plus indifférent au pouvoir procréatif de la femme-mère. Il craint
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ce pouvoir d’où son éternelle volonté de maîtrise de cette maternité. Il regrette
d’en être exclu, d’où sa revendication d’y avoir une part principielle. Il l’envie et
donc le mime, l’imagine ou le rêve.

14. P. Aulagnier, « Remarques sur la féminité et ses avatars », dans P. Aulagnier et coll.,
Le désir et la perversion, Paris, Le Seuil, 1967, p. 53-80.
15. M. Schneider, Généalogie du masculin, Paris, Aubier, 2000.
16. Pour un abord plus large des élaborations de Pierra Aulagnier, Monique Schneider,
Jacqueline Schaeffer et Danielle Bastien, on pourra aussi se référer à ma contribution
déjà citée « Le masculin et le féminin, approches psychanalytiques d’hier et d’aujour-
d’hui », p. 35-56.
17. Rappelons-nous qu’il s’agit là d’une caractéristique prêtée par Lacan aux femmes
(cf. la métaphore de la mante religieuse qui dévore son mâle après la copulation) et aux
mères (cf. d’une part, la métaphore de la gueule du crocodile grande ouverte qui risque
de se refermer sur l’enfant et, d’autre part, celle de la tête de Méduse, figure dévorante
de la mère insatisfaite).
L’OBSCUR OBJET DU DÉSIR MASCULIN 133

Enfin, par rapport au sexe de la femme, Monique Schneider laisse entendre que
ce n’est pas le sexe féminin que les hommes craignent le plus mais bien la possibi-
lité « de ne pas être à la hauteur ». Cela étant, le pénis de l’homme est, pour elle,
tout autant l’organe qui féconde que celui dont l’homme attend l’érection et
craint les défaillances. Elle souligne aussi le pouvoir agressif, voire tuant, de ce sexe
masculin dont elle voit l’indice dans l’argotique formule « tirer son coup ».

Mais le plus spécifique à la théorie schneidérienne du masculin me semble


être son repérage des points de connivence et de convergence 18 avec le sexe
féminin. Ainsi, elle avance que, dans les jeux sexuels, les deux sexes sont mena-
cés et pas seulement le sexe masculin. Dans la constitution du surmoi, le père et
la mère sont partie prenante, et pas seulement le père comme on le dit trop
souvent. Enfin, le père est, comme la mère, confronté à l’interdit de l’inceste,
affirmation qu’elle étaye à partir de Claude Lévi-Strauss, en disant explicitement
que l’échange des femmes est motivé par le nécessaire renoncement des pères et
des frères à leur fille et à leur sœur, versant rarement souligné par les psychana-
lystes, même chez ceux qui se référent à Lévi-Strauss. Cela est d’autant plus
curieux que ces psychanalystes connaissent la tragédie Œdipe à Colonne et toute
la relation relativement incestueuse d’Œdipe à Antigone, qui est tout à la fois sa
fille et sa sœur. Bien plus, ils connaissent aussi le père de Totem et Tabou, possé-
dant toutes les femmes et ses filles, celui de Peau d’âne et celui d’Elisabeth von R.
une des premières patientes de Freud.

Par conséquent, pour Monique Schneider, le clivage masculin-féminin semble


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plutôt un placage d’inspiration métaphysique qu’une observation des sexes dans
la réalité du jeu sexuel. L’étayage des réponses à la question du masculin et du
féminin est clair : l’observation des sexes dans le jeu sexuel.

Pour poursuivre ce trop bref panorama des masculins de quelques psychana-


lystes contemporaines, un mot encore concernant le masculin qui se dégage des
écrits de Jacqueline Schaeffer. Je serai plus bref ici, d’abord parce que nombreux
sont ceux qui ont déjà lu son livre Le refus du féminin 19 (refus qui affecte tout
autant l’homme que la femme) et ensuite parce que je souhaite donner ce goût de
trop peu qui incitera le lecteur à lire le chapitre qu’elle a rédigé à ce propos dans
Clinique du couple dont j’ai coordonné la publication avec Danielle Bastien 20.

18. M. Schneider, Généalogie du masculin, op. cit., p. 347.


19. J. Schaeffer, Le refus du féminin, Paris, PUF, 1997, 3e éd, 2000.
20. J. Schaeffer, « D’une possible coconstruction du masculin et du féminin ? », dans
P. de Neuter et D. Bastien (sous la direction de), Clinique du couple, Toulouse, érès, 2006.
134 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 23 •

Le masculin schaefférien se caractérise par sa prise de distance par rapport à


une bisexualité originaire, par un refus originaire du féminin, et par son achève-
ment, non pas à l’adolescence comme le soutenait Freud, mais à l’âge adulte,
dans la rencontre de l’effraction jouissive amoureuse. Notons aussi que Jacque-
line Schaeffer différencie des masculins et des féminins selon qu’ils sont situés
dans le pôle anal, fécal, phallique ou libidinal. Dans le pôle anal, le masculin se
contente d’une relation périodisée de tension et de décharge, recherchant l’or-
gasme plus que la jouissance, au travers de la conquête de multiples partenaires,
objets interchangeables. Dans le pôle fécal, l’homme a besoin de souiller sa
partenaire, de l’injurier, de l’avilir et de la réduire à sa merci. Le sexe féminin lui
fait horreur. Enfin, le masculin et le féminin phalliques sont centrés sur le phallus
et le narcissisme phallique.

Au pôle libidinal, la poussée libidinale constante peut entrer dans le moi, se


déployer et être vécue comme une expérience enrichissante pour les deux
partenaires.

C’est là qu’elle situe la cocréation du féminin et du masculin adulte au sein


d’une expérience d’effraction d’une certaine violence pour le moi, expérience qui
provoque des remaniements de l’économie psychique de chacun. Notamment, un
dépassement de la phase phallique, celle du surinvestissement narcissique du
pénis par le garçon comme par la fille. Il s’agit pour l’homme d’être à ce moment-
là un amant amoureux et « effracteur », qui donne accès pour les deux parte-
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naires à une expérience d’émergence du pulsionnel dans le moi, impliquant une
perte de contrôle de celui-ci.

Je laisse pour une autre publication l’investigation d’autres auteurs qui ont
plus récemment publié sur ce sujet. Mais avant de proposer une dimension qui me
semble essentielle du désir masculin, je voudrais encore mentionner une certaine
insistance de D. Bastien 21, N. Stryckman 22 et de S. Lippi 23 sur la dimension souvent

21. Notamment dans D. Bastien, « Un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout », dans
P. de Neuter et D. Bastien, op. cit., p. 135-148 ; et « Fais de moi ce que tu veux à
condition que j’existe pour toi, par toi », dans P. de Neuter et N. Frogneux, Violences et
agressivités au sein du couple, vol. II, Académia, 2009, p. 43-49.
22. N. Stryckman, « Vieillissement et rupture amoureuse », dans P. Belot-Fourcade et
D. Winaver, La ménopause, Toulouse, éres, 2004, p. 171-182.
23. Notamment dans S. Lippi, « La boucle de la perversion amoureuse », dans P. de
Neuter et N. Frogneux, Violences et agressivités au sein du couple, op. cit., p. 31-40 et
dans S. Lippi, Transgression, Bataille, Freud, Toulouse, érès, 2008, p. 181.
L’OBSCUR OBJET DU DÉSIR MASCULIN 135

ravageante, voire perverse de l’amant pour sa compagne, venant ainsi satisfaire à


ce qui pourrait être un masochisme érogène ou moral.

Bien que non exhaustif, ce survol rapide de ces quelques auteur(e)s démontre
que définir le masculin – et l’homme a fortiori – est d’un point de vue psychana-
lytique une opération hasardeuse des plus complexes, tout compte fait et quoi
qu’on en dise, au moins aussi complexe que tout essai de définition du féminin.
N’est-on pas en droit de se demander si L’Homme existe davantage que La
Femme, dont Lacan disait qu’elle n’existait pas ?

À quoi sont dues les divergences observées entre les divers auteurs ? Proba-
blement parce qu’il est impossible de répondre à cette question sans faire inter-
venir sa propre subjectivité mais aussi et surtout parce qu’il existe sans doute de
nombreux masculins différents, chaque auteur rencontrant dans sa pratique plus
souvent l’un que l’autre. L’évolution des représentations culturelles, des conno-
tations des signifiants « homme », « femme », « masculin » et « féminin » a sans
doute aussi sa part de responsabilité dans ces divergences.

Un détour du côté de la psychosociologie

Dans leur champ spécifique, les psychosociologues se posent les mêmes ques-
tions et rencontrent de semblables difficultés. Ils observent en effet, avec les
méthodes qui sont les leurs, que les différences hommes/femmes s’atténuent sur de
nombreux points qui les distinguaient par le passé. Bien qu’il s’agisse d’un tout
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autre registre, il me semble utile d’évoquer ici quelques-unes de leurs observations.

Ainsi, il y a trente ans, un groupe de chercheurs français a établi une liste de


traits spécifiquement masculins et une autre comportant des traits spécifiquement
féminins. Ces échelles de masculinité/féminité furent récemment proposées à
l’autoapplication à un groupe de 400 messieurs choisis au hasard dans le train
pendant leur voyage Arlon 24-Bruxelles et Bruxelles-Arlon. Les résultats sont éton-
nants 25. D’après ces échelles, ces messieurs s’avèrent en effet être plus féminins
que masculins. Ce qui veut dire, soit que ce groupe est effectivement plus féminin

24. Petite ville proche de la frontière du Luxembourg distante de Bruxelles de


165 kilomètres.
25. Il s’agit d’un mémoire de fin d’études inédit réalisé dans le cadre de la maîtrise en
psychologie et des sciences de l’éducation de l’université de Louvain sous la direction
du Pr E. Barrufol.
136 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 23 •

que masculin, ce qui est peu vraisemblable, soit qu’en trente ans, les qualités dites
féminines sont devenues des qualités d’hommes et donc masculines, hypothèse
explicative qui me semble la plus probable.

Une autre recherche confirme la bisexualité croissante des Français. Une


grande enquête sur leur sexualité vient d’être répétée pour la troisième fois. La
première fut réalisée en 1970, la seconde en 1992, la troisième en 2006 26.
Comparant les différences hommes/femmes apparaissant dans ces trois enquêtes,
investigation à la fois des comportements, des jugements de valeurs, des idéaux
et des interdits, les chercheurs concluent à une diminution régulière des diffé-
rences, sauf quant à la faculté de clivage amour et sexualité, celle-là même qui
fut mise en évidence par Freud au siècle dernier : les hommes envisagent plus
facilement que les femmes de faire l’amour avec une femme qu’ils n’aiment pas
que les femmes envisagent de le faire avec un homme qu’elles n’aiment pas.

Avec ces enquêtes, nous touchons évidemment un tout autre niveau du


psychisme que celui que nous atteignons dans notre clinique psychanalytique,
mais cette clinique analytique ne nous donne-t-elle pas aussi à penser, d’une part,
qu’un nombre plus élevé d’hommes que de femmes clivent amour et désir, et,
d’autre part, qu’aujourd’hui plus qu’hier, un certain nombre d’hommes se vivent
femmes et se comportent comme les femmes et, réciproquement, qu’un certain
nombre de femmes se comportent davantage comme des hommes. Comme
psychanalyste, avons-nous à le regretter ? Avons-nous à promouvoir un retour
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aux différences traditionnelles ? Pour ma part, je pense que ce n’est pas notre
rôle, mais, j’en conviens, cela peut se discuter.

Le lecteur notera au passage le problème épistémologique posé par cette


entreprise de définition du masculin et du féminin. À quoi faisons-nous appel
dans nos délimitations de ces concepts ? À un signifiant, comme le disait Lacan
– mais qu’entend-il par là ? –, une intuition phénoménologique, un concept méta-
physique ou encore, ce que sont effectivement les hommes et les femmes aujour-
d’hui, que l’on réalise ces observations par la clinique psychanalytique ou par les
diverses méthodes de l’anthropologie ou de la psychosociologie. Le lecteur l’aura
compris, pour ma part, je pense qu’il importe que le psychanalyste prenne appui
dans ses élaborations théoriques sur ce qu’il peut observer dans sa clinique et sur
ce que d’autres disciplines peuvent lui enseigner. Sans quoi, le risque est grand
qu’il prenne appui à son insu sur son seul fantasme ou sur son histoire infantile.

26. N. Bajos et M. Bozon, Enquête sur la sexualité en France, Paris, La Découverte, 2008.
L’OBSCUR OBJET DU DÉSIR MASCULIN 137

Avec sa référence au mythe d’Œdipe et par la création de son mythe du Père


de la Horde primitive, Freud a mis l’accent sur le désir meurtrier du fils à l’égard
du Père et il s’agit sans aucun doute d’une dimension importante du désir mascu-
lin. Néanmoins, il ne faudrait pas négliger trois autres dimensions, souvent plus
refoulées, de ce désir.

Il y a tout d’abord l’agressivité et le désir meurtrier du père à l’égard de ses


enfants, « agressivité profondément refoulée », écrivait Freud dans son écrit
consacré à Léonard de Vinci, agressivité que j’ai développée naguère dans Logos
et Anankè 27. Je n’y reviendrai donc pas ici.

Je ne reviendrai pas non plus sur le désir incestueux que peut éprouver un
homme devenu père à l’égard de sa fille ou de son fils, thème que j’ai aussi déjà
développé ailleurs 28.

Quant à l’amour et au désir du garçon pour son père et le désir de le séduire,


ces dimensions du désir masculin ont été récemment largement rappelées par
G. Pommier 29.

Ceci me permettra de développer, dans sa complexité, le rapport désirant


fondamental de l’homme à ce que Freud appela La Chose ou la Mère et que
Lacan désigna par le signifiant grand Autre maternel.

L’aChose et l’aMère
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Revenons à Lacan, à son schéma de la sexuation, à quelques œuvres d’artistes
et à ce que mes analysants m’ont enseigné.

En réponse à la question de savoir ce qu’est un homme, ou plutôt ce qu’est le


masculin, dans ce schéma, Lacan répond : le masculin va vers l’amante, à la
recherche d’un objet-bouchon de son objet « a » réel, vide, laissé béant, créé par
la perte d’un bout de corps, partie du corps de l’Autre maternel ou de lui-même.
On retrouve en effet dans ce schéma la formule lacanienne du fantasme :

S◊a

27. P. de Neuter, « L’hostilité paternelle. Étrange destin d’un concept », Logos et


Anankè, 2/3, p. 77-104.
28. P. de Neuter, « Père réel, inceste et devenir sexuel de la fille », Le Bulletin freudien,
1991, n° 16-17, p. 111-137.
29. G. Pommier, Que veut dire « faire l’amour » ?, Paris, Flammarion, 2010.
138 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 23 •

À lire comme suit : le sujet barré par sa rencontre du signifiant reste marqué
par un lien privilégié (le poinçon) avec un objet « a » qui lui est particulier et qui
cause son désir.

Depuis Man Ray et son Objet indestructible, les peintres et autres artistes ont
proposé mille et une imaginarisations de cet objet cause du désir. Il est intéres-
sant pour nous de savoir que Man Ray a construit cet Objet indestructible 30 en
prenant pour centre de cette œuvre un œil découpé sur la photo d’une amante
qui l’avait abandonné.

D’autres l’ont suivi dans cette façon de réduire l’aimée à un bout de corps.
Rappelons-nous cette sculpture de Couturier, Femme accroupie, le tableau
d’Hans Reichel intitulé Le regard, le Faux miroir de René Magritte, la Langue
bleue de Waterguns Design, les Lèvres de Rubis de Salvador Dali, La cathédrale
d’Auguste Rodin 31, La main d’Alberto Giacometti, sans compter les innombrables
sculptures, peintures ou photographies isolant ou mettant en évidence un sein,
un pénis ou une vulve.

Attardons-nous un instant sur le tableau que Jean-Michel Follon intitula Lili


aime-moi. On peut penser que ce n’est pas pour rien qu’il peignit cette lèvre en
forme de barque portant un petit homme sur fond d’une vaste mer bleue. Ne dit-
on pas : « Je suis bleu de toi »… mais de qui est-il bleu ce petit bonhomme ?
N’est-ce pas aussi de la Mère ? Freud ne nous a-t-il pas indiqué que l’homme allait
à la femme aussi « Quoad Matrem » ? Et lors de son séminaire sur l’Éthique,
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Lacan ne nous rappela-t-il pas indirectement cette assertion freudienne ? Il
affirma que le seul « Souverain bien » de l’homme, comme de la femme
d’ailleurs, est Das Ding, la Chose, l’objet de l’inceste, l’objet interdit, mais aussi ce
vide laissé par l’expérience de jouissance originaire mythique, lieu occupé par la
Mère : d’où mon écriture dans l’intitulé de ce paragraphe : « l’aChose » et
« l’aMère », néologisme pointant ce passage qu’opéra Lacan de la « Chose » et
de la Mère freudiennes à son objet petit « a ».

Néanmoins, suite à cette avancée de Lacan, effectuée grâce à cet objet « a »,


doit-on abandonner cette « Chose » freudienne ? Celle-ci fut reprise hier par
Piera Aulagnier et aujourd’hui par Monique Schneider. Toutes deux insistent sur
ceci : l’homme dans son rapport à son amante, qu’elle soit ou non socialement

30. Ce tableau, comme tous les autres que j’évoquerai, sont facilement accessibles sur
le Net.
31. Représentant deux mains qui se croisent verticalement en forme d’ogive.
L’OBSCUR OBJET DU DÉSIR MASCULIN 139

légitimée, a toujours aussi rapport à la Mère, d’une part en tant qu’il est archaï-
quement identifié non seulement à son père mais aussi à sa mère, et d’autre part,
en tant que l’amante évoque toujours, au sens d’appeler hors de l’inconscient,
l’une ou l’autre des Imagos archaïques maternelles qui habitent son amant. Je
pense que notre clinique nous invite à considérer que les deux élaborations ont
leur part de vérité. Il s’agit, je pense, de deux dimensions de la cause du désir.
Ainsi, un analysant découvrit un jour au cours de son analyse que la femme qu’il
avait épousée, et avec laquelle il avait des relations sexuelles très satisfaisantes,
avait exactement le même nez 32 que celui de sa mère, tandis que la silhouette
des femmes de ses rêves érotiques correspondait de façon tout à fait surprenante
aux silhouettes des femmes pulpeuses qui, dans son enfance, suscitait le désir de
son père, ce que ce dernier lui manifestait ostensiblement.

Envisageons d’abord l’identification à la mère. On sait que Lacan a avancé


que l’identification première était une identification au Père de la préhistoire du
sujet, je ne vais pas m’engager dans la querelle de savoir si cette identification
archaïque à la Mère, que je veux mettre ici en évidence, se situe avant ou après
ladite première, au Père. Ce que je veux soutenir, c’est que cette identification à
la Mère existe. Elle est logiquement impliquée par les premiers temps vécus avec
la mère, ainsi que par l’amour pour la mère (tout amour n’entraîne-t-il pas une
certaine identification ?) et elle est trop souvent négligée par les psychanalystes,
avec les effets de résistance que cela peut induire chez les analysants 33.

Bien qu’il soit rarement décrit, le fantasme de grossesse existe, chez un


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certain nombre de « désirêtre 34 ». Sa rareté dans la littérature psychanalytique

32. Je considère avec quelques autres que si les objets imaginaires peuvent être réduits
à quatre ou cinq types, toute partie du corps, surtout les plus détachables, peuvent
acquérir cette valeur pour un sujet.
33. Rappelons-nous la note de Freud dans sa « Psychologie collective et analyse du
moi » de (1921) à propos de « la première et la plus importante » des identifications du
sujet avec le père de sa préhistoire : « Il serait prudent de dire : “avec les parents”, car
avant que l’individu ait acquis une connaissance certaines de la différence qui existe
entre les sexes (présence ou absence d’un pénis) il se comporte de la même manière à
l’égard du père et de la mère… Pour simplifier mon exposé, je ne m’occuperai que de
l’identification avec le père », dans S. Freud, Essais de psychanalyse, Paris, Petite biblio-
thèque Payot, 1967, p. 200.
34. Je préfère ce néologisme à celui de parlêtre trop uniquement centré sur la parole.
Ne sommes-nous pas pour Lacan lui-même plus essentiellement des êtres de désir que
des êtres de paroles ? Le désir et le fantasme d’ailleurs incluent la dimension langagière
et la complémentent borroméenement de l’imaginaire et du réel.
140 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 23 •

ne signifie pas nécessairement qu’il n’existe pas. Cette absence peut s’expliquer
notamment par les refoulements familiaux et culturels et aussi sans doute par la
résistance des analystes eux-mêmes par rapport à ce fantasme masculin. On se
rappellera, par exemple, de l’aveu de Freud disant sa difficulté à être pris pour
une mère dans le transfert.

Plusieurs autres indices me donnent à penser que cette identification du petit


homme à la Mère existe bel et bien dans l’inconscient d’un grand nombre
d’hommes.

– Il n’est pas rare que des difficultés de couple soient associées par un analy-
sant à la maternité de son épouse ou de sa compagne. Le lecteur connaît sans
doute la question de l’ami « bienveillant » à l’homme récemment devenu père :
« Ça te fait quoi de faire l’amour avec une mère ? »

– Il m’a été donné par deux fois d’observer un petit garçon émettant en
présence de sa mère enceinte le désir d’être enceint comme elle, désir qui se
trouva aussitôt réprimé par son entourage. D’autres collègues m’ont rapporté
avoir fait des observations semblables.

– Il arrive que des analysants parlent de ce désir sous forme de rêve. Danielle
Brun a proposé une des rares études d’un fantasme refoulé d’être enceint chez
un analysant adulte 35.

– Des anthropologues ont décrit les rites de couvades interprétés comme des
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tentatives inconscientes d’identification à la femme enceinte et certains psycha-
nalystes et psychiatres soutiennent que certains phénomènes psychosomatiques,
affectant les hommes dont la femme est enceinte, sont des équivalents de ces
rites de couvade 36.

– Du côté de la psychose, nous avons ce témoignage de Joyce qui parla de son


désir d’être enceint de sa femme (pour Lacan, c’est le pire des vœux d’un mari
pour sa femme) et celui de Schreber avec son « Qu’il serait bon d’être une femme
en train de subir l’accouplement à l’origine d’une nouvelle humanité ».

35. D. Brun, La maternité et le féminin, Paris, Denoël, 1990, p. 69-86.


36. Notamment, Pierre Ebtinger dans « Œdipe-Père. Aspect psychopathologique de la
paternité », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, vol. 53, n° 5, sept. 2005,
p. 211-223. Ce collègue avait déjà présenté en 1966 une intervention sur ce même sujet
à l’École freudienne de Paris qui fut publiée en 1967 dans le quatrième numéro des
Lettres de l’École.
L’OBSCUR OBJET DU DÉSIR MASCULIN 141

– Freud lui-même n’a-t-il pas décrit, du côté des névroses ou des perversions
masculines, certains fantasmes masochistes « particulièrement riches » dont il
précise que l’« on découvre facilement qu’ils placent la personne dans une posi-
tion caractéristique de la féminité et donc qu’ils signifient être castré, subir le
coït, ou accoucher », raison pour laquelle il a qualifié ce masochisme de féminin
bien qu’il affecte des hommes.

– Néanmoins, chez le névrosé, cette identification première se retrouve le plus


souvent dans un rejet au niveau du moi conscient. Pensons à nouveau à l’aveu de
Freud vivant fort mal d’être mis par le transfert dans une position maternelle. De
Lacan, Monique Schneider note sa négligence pour le côté fécondant de la sexua-
lité masculine. Mais l’on peut aussi signaler, de Lacan, cette métaphorisation du
désir de la mère par la gueule grande ouverte du crocodile.

– Quant aux artistes, il est vrai qu’ils ont davantage peint, gravé ou sculpté
l’androgyne plutôt que l’homme enceint. Néanmoins, Victor Brauner, nous a
proposé en 1889 une sculpture intitulée Nombre, représentant un être andro-
gyne enceint d’un enfant.

Par contre, en ce qui concerne le fantasme ou l’Imago de la Mère Archaïque


toute-puissante, les traces dans la clinique comme dans l’art sont beaucoup plus
nombreuses. C’est d’ailleurs une imago qui a plus d’une facette. Outre la Mère
toute-puissante, on peut observer des imagos de Femmes-Mères dominatrices,
trahissantes, punissantes, castratrices, voire tuantes. Pensons aux œuvres
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suivantes : Le spectre du sex-appeal de Salvador Dali, le Gulliver de Pierre Klos-
sowski, les Mains libres de Man Ray, Le Toréador (femme) tuant le Minotaure de
Pablo Picasso, La femme et le pantin de Félicien Rops et la Lulu de Gottfried Heln-
wein. On pourrait aussi penser à ces nombreux peintres qui, comme Lucas
Cranach, peignirent Salomé obtenant la décapitation de Jean le Baptiste, ou
encore à ceux qui, comme Le Caravage, choisirent comme sujet de leurs œuvres
Judith décapitant Holopherne. Pour indiquer la prégnance de ces Imagos dans la
culture, je pourrais encore évoquer l’antique Diane d’Éphèse (à laquelle on
offrait des testicules de taureau), les diverses sorcières dont les histoires ont bercé
les oreilles des petits hommes d’hier et les Kriss de Valmor 37 et autre Irina-la-
tueuse 38, héroïnes très appréciées des bandes dessinées d’aujourd’hui. Quant
aux dangers présentés par le sexe de la femme, on se souviendra peut-être

37. Héroïne de plusieurs BD de G. Rosinski et J. Van hamme.


38. Pin-up assassine cruelle de la série de bandes dessinées XIII Mystery.
142 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 23 •

d’Apollinaire le désignant comme « un sexe mangeur » tandis que Sartre disait


de lui qu’il était « une bouche vorace pour avaler le pénis » et que D. H. Lawrence
faisait dire à l’amant de Lady Chatterley que « les vieilles drôlesses ont un bec
entre les jambes et vous déchirent avec ». Lévi-Strauss rapporte le mythe de la
femme dont le sexe est semblable à une bouche de piranha. Ce fantasme du
vagin denté n’est donc pas sorti du seul cerveau de Freud, comme certains détrac-
teurs de la psychanalyse voudraient le faire croire. Il habite un nombre difficile-
ment évaluable d’hommes parmi lesquels cet analysant qui se révoltait contre
son impossibilité d’accéder à la demande de son épouse de lui faire une fellation.
« Tant d’hommes ne demanderaient que ça », disait-il furieux contre lui-même.

Par rapport aux femmes qui évoquent aujourd’hui ces Imagos archaïques, les
hommes ont diverses réactions. Les uns les fuient comme la peste. D’autres en
recherchent de vivantes incarnations, dans le couple, notamment sous forme de
jeux maso-sadiques, ou dans leur réalité extérieure (notamment dans leur quoti-
dien professionnel ou dans les clubs de rencontres SM 39), ou encore auprès de
dominatrices professionnelles. Des psychosociologues nous disent que ce genre
de prostitution se développe de façon étonnante sous la pression d’une demande
de plus en plus grande 40. Enfin, si certains hommes retournent contre eux
l’agressivité, voire la haine, que ces femmes suscitent en eux, d’autres, probable-
ment plus nombreux, laissent libre cours à leurs impulsions violentes à l’égard de
ces femmes, voire de toutes les femmes. C’est ce qui explique à mon sens une
certaine partie des agressions, violences et meurtres conjugaux. On pourrait
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prêter à ces hommes les pensées suivantes : « Il faut les dominer avant qu’elles
nous dominent, les violer avant qu’elles nous violent, les castrer avant qu’elles
nous castrent, les tuer avant qu’elles nous tuent. »

De cette Imago maternelle tuante, le cinéaste japonais N. Oshima a donné à voir


une belle représentation. Le lecteur aura sans doute visionné L’empire des sens,
portant à l’écran une de ses Imagos fantasmatiques : la servante-maîtresse qui, tout
en lui faisant l’amour, étrangle son patron-amant consentant et le castre 41.

39. On peut observer une multiplication continue des offres de telles rencontres non
vénales sur Internet.
40. Cf. P. Jamoule, « La fragilisation de l’intime. Enquête auprès de prostituées indé-
pendantes », dans P. de Neuter et N. Frogneux, Violences et agressivités au sein du
couple, op. cit., p. 141-157. Observons aussi le développement des clubs de rencontre
DM et des propositions de rencontres du même type sur le Net.

41. On se souviendra que Lacan en a fait un jour de 1976 l’emblème de l’érotisme féminin.
L’OBSCUR OBJET DU DÉSIR MASCULIN 143

Il n’était pas le premier à le faire. Au début du XIXe siècle, le fantasme de dévo-


ration passionnée fut mis en scène dans Penthésilée, la tragédie d’Heinrich von
Kleist 42. On se souviendra que cette tragédie se termine par la dévoration
d’Achille, le Héros grec, par les chiens de Penthésilée, la reine des Amazones, tout
à la fois son ennemie et son amoureuse passionnée. L’amazone victorieuse finit
par se joindre à ses chiens et participe à la dévoration de la sanglante dépouille
de son amant, avant de se donner la mort 43.

Retour à la clinique analytique

J’ai déjà évoqué ailleurs cet homme de la cinquantaine dont l’épouse n’ac-
ceptait de faire l’amour que quelques fois par mois. Lui-même souffrait d’une
certaine éjaculation précoce. Un jour, lors d’une exposition d’œuvres d’art, il
avait acheté une sculpture qui l’avait véritablement fasciné, bien qu’elle expri-
mât une diffuse mais certaine agressivité et bien qu’elle coûtât relativement cher.
Cette agressivité avait aussi frappé sa femme et quelques amis. Ne tenant pas
compte de leur avis, il l’avait achetée : « C’était comme un coup de foudre »,
précisa-t-il. À ma demande, il la décrivit ainsi : « C’est une sorte de trou noir
hérissé de fils de fer assez coupants. » « À quoi cela vous fait-il penser ? », lui
demandais-je. Après un moment de silence, il me répondit : « À un sexe de
femme, mais un sexe de femme qui serait bordé de piques de fer, placées en
forme de cône, comme une sorte de piège. Le pénis peut y rentrer, mais celui qui
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y rentrerait ne saurait plus en sortir. »

Un autre me décrivit un jour la grande dépression et le profond sentiment de


vide qui habitaient une amie suite à l’accouchement de son fils. À ma question :
« Qu’est-ce qu’un enfant peut vouloir faire face à une mère habitée par de tels
sentiments ? », il me répondit tout de go : « Retourner dans son sein, boucher le
trou, fermer l’ouverture, combler le vide », et d’enchaîner immédiatement sur la
dépression de sa propre mère, l’absence de son père, le fardeau qui pèse sur les
enfants qui doivent tenir une place qui n’est pas la leur (celle du père en cette
occurrence). « Ce qui pourrait expliquer, ajouta-t-il spontanément, l’agressivité

42. H. Von Kleist, Penthésilée (1808).


43. On trouvera chez M.-C. Laznik une belle analyse lacanienne de cette œuvre sous le
titre : « Le cas Penthésilée. Fantasme extrême de l’érotisme féminin ou “solution” d’un
délire par le passage à l’acte », dans P. de Neuter et N. Frogneux, Violences et agressi-
vités au sein du couple, op. cit, p. 109-122.
144 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 23 •

que ces enfants devenus adultes peuvent faire subir à celle qui étaient devenue
la mère de leurs enfants. » Grâce à ce détour par la dépression de l’amie, et sous
le couvert de cette généralité, il faisait un premier pas dans la reconnaissance de
son agressivité, encore fort inconsciente, à l’égard de son épouse évoquant pour
lui, cette Imago maternelle encore profondément refoulée.

Le troisième analysant souffrait lui aussi d’éjaculation précoce, la chose est


moins rare qu’on ne le pense, et sa femme était, elle aussi, assez réticente à la
rencontre intime qui ne lui procurait aucun plaisir. Un jour, il me dit, tout
heureux, que sa femme et lui avaient fait l’amour et que cela s’était très bien
passé. Ils avaient regardé ensemble L’empire des sens et sa femme s’en était trou-
vée soudain toute désirante de lui. De son côté, il avait fait l’amour sans être
nullement handicapé par la précocité de sa jouissance orgasmique qui l’affectait
depuis longtemps. Ce double « miracle 44 » permet quelques commentaires et
hypothèses explicatives.

Je suis tout d’abord tenté d’avancer que si cet analysant s’est trouvé en
mesure d’honorer sa femme sans plus de symptôme, après avoir visionné le film
d’Oshima, c’est par l’effet bénéfique d’une certaine familiarisation, dans sa cure
d’abord, lors de la vision du film ensuite, avec son Imago de Femme-Mère étouf-
fante et castratrice qui, de ce fait, est devenue moins angoissante 45.

Par ailleurs, que la servante-maîtresse de L’empire des sens ait éveillé le désir
de son épouse apporte quelque appui à l’assertion lacanienne que cette tueuse
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et castratrice maîtresse incarne une facette importante du désir féminin. Mais
désir de certaines femmes ou de toutes les femmes ? Quelle que soit la réponse,
la chose me paraît difficile à prouver. Je penche donc pour l’évitement de la
tendance aux généralisations inadéquates.

44. Allusion à l’affirmation de Lacan dans son séminaire sur L’Éthique de la


psychanalyse que l’analyse permet au sujet « de se placer dans une position telle que
les choses, mystérieusement et presque miraculeusement, lui arrivent à bien, qu’il les
prenne par le bon bout ». Le Séminaire, Livre VII (1959-1960), L’Éthique de la
psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1986, leçon du 29 juin 1960, p. 339.
45. Je reprends à Freud, tout en l’adaptant, cette idée de la bénéfique familiarité.
Rappelons-nous qu’il affirmait que pour être heureux en ménage il fallait que l’homme
se soit « familiarisé par la représentation de l’inceste avec la mère ou avec la sœur ».
« Sur le plus général des rabaissements de la vie amoureuse » (1912), dans La vie
sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 61.
L’OBSCUR OBJET DU DÉSIR MASCULIN 145

Notons encore que l’analysant avait imputé la disparition de son symptôme au


fait que sa femme avait éprouvé et manifesté du désir à son égard : allègement de
l’angoisse du rejet, levée de l’agressivité s’exprimant dans l’éjaculation précoce ou
indice de ce que, pour le névrosé, le désir est toujours le désir de l’Autre.

Je laisserai ces questions ouvertes, enseigné par Lacan du danger qui consiste
à tout vouloir comprendre et aussi que si le symptôme est guérissable, les
chemins sont imprévisibles et leur levée a souvent l’allure d’un « miracle ».

En guise de conclusion

Le rapport amoureux, désirant, agressif, haineux, voire meurtrier, donc ambi-


valent, du fils à sa Mère constitue à mon avis le noyau dur du désir masculin. Le
versant des agressivités, de la haine et du désir meurtrier à l’égard de la mère
étant le plus souvent profondément refoulé. Mais les facettes de ce désir sont
nombreuses. Au cours de ce périple dans la littérature comme dans la clinique,
nous avons aussi évoqué le besoin vital de séduire plus d’une femme, l’agressivité
récurrente à l’égard des femmes, le désir de soumettre et d’être soumis, le clivage
fréquent entre l’amour et le désir sexuel, le désir d’être enceint, le désir inces-
tueux pour son fils ou sa fille et le désir meurtrier à l’égard du père se conjuguant
dans l’inconscient à celui qui a pour objet l’Imago maternelle.

Nous avons aussi rencontré les diverses angoisses masculines de castration par
la Femme toute-puissante, castration qui prend de multiples formes : identifica-
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tions précoces féminines et maternelles, régression à l’état de poupon de la
mère, mutilation pénienne, impuissances diverses de l’adulte et la mort bien sûr,
cette incontournable maîtresse de tout « désirêtre ».

Il me semble important de prendre en compte la complexité de ce désir mascu-


lin afin de ne pas faire obstacle à son exploration par nos analysants. Il me semble
aussi important de conserver à l’esprit que L’Homme n’existe pas plus que La
Femme, sauf peut-être dans ce rêve freudien du Père de la Horde qui semble faire
partie du désir de nombreux hommes : posséder toutes les femmes et chasser les
fils devenant encombrants. Comme Freud le disait à propos de la féminité, quant
au désir masculin, je pense qu’il est aussi « à peine possible de faire un exposé qui
ait une portée générale. Chez les différents individus, on trouve des réactions très
différentes ; chez le même individu, des attitudes contradictoires voisinent 46 ».

46. S. Freud, « Sur la sexualité féminine » (1931), dans La vie sexuelle, op. cit., p. 146.
146 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 23 •

RÉSUMÉ
Après un survol des écrits de Freud, de Lacan et de quelques femmes analystes sous cet
angle de la réponse aux questions : qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qui caractérise son
désir ? L’auteur conclut à la relative perplexité de Freud et de Lacan, à la variété des
réponses apportées et, finalement, à la nécessité d’une réponse non réductrice.
Deux facettes plus essentielles de ce désir masculin se dégagent de ce périple théorico-
clinique : les effets souvent méconnus d’une identification féminine-maternelle archaïque
et l’influence du rapport le plus souvent inconscient et très complexe à l’Imago maternelle
originaire. Ces dimensions du désir inconscient infiltrent inévitablement ses amours et
désirs d’adultes avec pour conséquence le clivage fréquent entre l’amour et le désir, les
compulsions à la séduction, les agressivités et les haines conjugales et familiales ainsi que
diverses angoisses de castration.

MOTS-CLÉS
Agressivité, angoisse, castration, clivage, désir, fantasme, haine, imago, Chose, inceste, le
masculin, mère, objet « a », séduction.

SUMMARY
After an overview of the writings of Freud, of Lacan and of some women analysts in this
hope of finding an answer to the questions : “what is a man ?” And “what characterizes
his desire ?”, the author concludes that there is a relative confusion with both Freud and
Lacan, that the answers vary quite a bit and that ultimately there is a need for a non-redu-
cing response. Two more critical aspects of the male desire emerge from this theoretical
and clinical study : the effects of an archaic maternal-feminine identification which have
often been overlooked and the influence of the relationship more often then not uncons-
cious and usually very complex with the maternal imago. These dimensions of the uncons-
cious desire inevitably infiltrate his loves and desires of adults resulting in a frequent
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cleavage between love and desire, compulsions to seduction, aggression as well as marital
and family hatred and various castration anxieties.

KEY-WORDS
Aggressiveness, anxiety, castration, cleavage, desire, phantasm, hatred, imago, the Thing,
incest, the masculine, mother, object « a », seduction.

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