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MUSTAPHA BEN ISMAËL

(81tile)

Combat de Yebdar
(1 a jan vie1· 183ü)
Les mu1·s déserts de Tlemcen n'arnient qu'une valeur
militaire; il fallait pour que celle position acquit une imror-
Lan cc poliliq11c, repeupler la ville cl enlever à l'influence de
]'Émir la popnlation musulmane, qu'il avait pu arracher, mais
non clloigner de ces lieux, oi1 elle élail habiluéc à virrc et à
mourir.
Le plus pressant était donc de ramrner à Tlemcen la popu-
lation arahC'. Celle mission fnL confiée au général Pcrrcganx,
qui part il le 15 janvier avec une colonne légère composée d'une
avant-garrle de cavaliers auxiliaires commandés par '.\foslapha
ben Ismaël; de l'infanterie de la 1,·,· brigade (zouaves cl
bataillon d'élite, 17" léger el sapeur::; du génie) et d'une section
d'obusiers de montagne.
Mnslaplla ben [smaël, déliné enfin de sa longue caplivité,
reparut pour la première fois avec ses cavaliers, très fiers de
le revo ir à leur tête.
L'i;;mi1·, campé à Yebdar ,entre Tlemcen et Lamoricière),
pour compenser la faiblesse des moyens de défense qu'il était
parvenu à grand peine à réunir en si peu de temps, comptait
sur les tlifficu\Lés du terrain, très rnonLngneux, sur les rochers
inaccessib lcg des Beni-Ad, au milieu desquels il avait planté
son camp.
Mais, les Français sùrent le relancer et le débusquer de ce
nid d'aigles. Les Coulouglis, lleureu~ e nfin de respirer l'air
libre, après un aussi long emprisonnement, g ravissent résolu-
ment des sentiers impraticables, que les Arabes, eux-mêmes,
nomment (< trik-el-diab », chemin ùes chacals.
Les braves cavaliers Douairs cl Smélas, qui se relrou,·er1 t
enlin dan s leur élément, véritables hommes de cheval
qu'aucuu obstacle 1ù1.rrète, <lébourhcnl, en même Lemps que
les l'anta~sins , sur l'emp lacement du camp ennemi.
172 MUSTAPHA BEN IS:\!AEL

Aussitôt Je caïd l\Iazari, neveu de Mustapha, f'lllèvC' la


cha1·ge à la LNC' <les rarnliers ùu Maghzen. Ils enfoncent tout
ce qui est dcnnl eux. L'É:mir exaspéré d'être vaincu par drs
musulmans, au service des chrélicns, cnlrc dans une grande
fureur. \'aincmenl il essai<' de rallier ses soldats qui !'nient,
débandés, devanl celte allaque irnpéluruse. Il leur r1·i0 dans
sa colère: c, Lciclies ! ... 1'oye:;; qui vo11s al'e:- del'cmt vo11s? ,i.
Ses objurgalions ne peuvent arr&lrr la déroule. Tout est
sabré; tout est tué autour de lui. Son drapeau wrt est enlevé
à ses côtés pat· le cavali0r sméla Ben Raddow·, et lui même,
entrainé par le torrenl des fuyards, esL bien près ÙC' payer de
sa vie son infructueuse ténacité. Au milieu de la mêlée il est
reconnu et poursuivi par· Je capitaine Hichrpansc et le
commandant Yussonf; cc dernier le serre de pri•s cl continue,
pendant plusieurs li ncs, la chasse qu'il donne il ri:mir.
En ce rnoment la deslinée de l'Algérie Mpencl clc la vitesse des
deux chevaux; « la lutte entre deux peuples est réduite aux
proporlions d'une course ».
Tous les bagages d'Abdelkadet' forent pris; son inl'anlet'ie
laissa sur le cart·cau 70 cada\'l'es sans tèle, la , evtinclie dn
Méclwnal'; le resle cle ses lroupes dispersé dam~ loules les
direclions fûl rejeté au delà du djebel Tizi.
Mustapha ben Ismaël rrui a\'ait échangé et' jour lit, depuis
sa captivité volontaire, les premiers coups de fusil avec son
mortel ennemi, acheva la poursuite et déblaya 10 terrnin.
An loin, et la nuit venue, du côté des Oulad :\1i111onn
(Lamoricière), !'Émir se trouva seul, sans lente, sans aiJri,
sans nourriture et sans feu, harassé de fatigue cl cle l'aim ; il
se coucha à côlé de son cheYal auquel il devait la, il'. Après la
déroute d'Abdelkader, la poursuite des haùitanls <.le Tlcmcer:
ne fùL plus qu'une baltne. Cernés par les brigades Perrcgaux
et d' Arlanges, ils i::e renùirenL à discrélion et fùrenl ramenés,
au nombre de 2.500, le '17 janYier. Le rnarécMI, dt•s leur
rentrée dans la ville, leur prouva par sa protecLion contre leurs
coreligionnaires, qu'il:; n'avaient pas compté à lorl sur sa
générosité.
Pendant le séjour de l'armée à Tlemcen, on travai lla aclive-
ment à remetlre en élat le Méchouar, seule partie de la ,·i llc
~IUSTAPLIA BEN fSMAEf,

dellleu1·éc assez entiL't·e pour que le maréchal songeàt à la faire


occuper pat· les Frarn:ais.
D'autre pal'l, l'occupation définitive de celte citadelle ayant
été ùécidée, il ·,tait du plus haut intérêt d'assurer les commu-
nications de Tlemcen avec la mer, par une voie plus courte el
plus facile que celle, longue de J '..0 kilomi•trns, qui séparait
cette ville d'Oran, chet'.-lieu du commarnlement de la p1·ovince
de l'ouest.
C'est ùan::; cette prévision qne le maréchal Clausel avait fait
occuper, dès la tin d'octobre 183:3, la pettte ile de Rachgoun,
qui commande l'embouchure de la Tal'na et n·est séparée de
Tlemcen que par une dislance, nord -sud, de G::i kilomètres
environ.

Nouveau combat sur la Tafna


('J(j Janvier 183U)
.
Pour faire de l'ile de Rachgoun une nournlle base de ravilail-
Jcmcnl, il restai là créer un poste J'ortllié sur les bords de la Tafna,
près de son embouchure, en face de l'ile même. Le
maréchal Clausel résolut de prof1ter de sa présence à Tlemcen
,
pour poùsser nne reconnaissance du cùté de la mer el d'aller
déterminer, lui-même, le point 0(1 devt·aienl être établis le
nonveau camp retranché el les furlifkations projetées.
11 parlil cle Tlemcen Je 21, jarwier, ne laissant dans cette ville
pour la gat'd<'r, q ne fa 1r,· brigade (gt;nér.il Perregaux) com-
po::;ée du~" régiment de ~hasseurs d'Afrique (colonel de Gouzy)
du 2" bataillon de Zouaves, de deux compagnies de sapeurs du
génie, du bataillon d'élite composé de quatre compagnie cle
grenadiers de divers régi1nenls, d'un Lmlaillon du 17" léger et
d'une section d'obusiers de montagne.
<< La mer étant si près ùe Tlemcen, pourquoi, disait Clausel,

aller la chercher à Oran, par ces longues marches c11 pays


ennemi qui, bien plus que les combats, usent et fondent les
années>>.
Les cours d'eau, la Saf-Sar et la Sikkak, qui de Tlemcen
descendent _jusqu'à l'ile de Haehgoun, après s'ètre jetés dans la
Tafna, av<'c l'oued lsser, indiquaient la route à suilTe.
lllUSTAPIIA DEN TSl\lAEL

Le maréchal envoya ù Üt'an l'ol'ùre de diriger vers flachgoun


des bâtiments portant des blockhaus el du matériel pour
l'établissement projeté, tandis que lui-même s'y rendait dé
Tlemcen. Un des ordres envoyé en quadru[)le copies par des
nègl'es qui ne voyageaient que la nuit, rampant de broussaille
en bl'oussaille, fut intercepté? Aussi, à la sLupél'action géné-
rale, lorsque l'armée arrirn ù llemchi, confluent de l'Isser a,·ec
la Tafna, l'ennemi occupait déjà les hauteurs très escarpée'
qui couvrent les rives de la Tafna, depuis ce confluent jusqu'à
la mer, dont la route se Lronvait ainsi barrée pat' les Arabes.
C'était à croire, pour l'honneur de l'f:mir, qu'il avait devin<'\
les projets de son ad,·e1·saire. Pendant le peu de jours qui
s'étaient écoulés depuis sa défaite de Yebdar, son infatigallle
activité était parvenue à nous susciter de nou\'eaux ennemis.
Il avait appelé à lui Lous les goums de l'ouest de la provinre,
Lous les Kabyles des Traras, ce pâté montagneux qui sépare
Tlemcen de la mer; il avait même f'ntrainé ù sa cause la puis·
sante tribu des I3eni-Soassen dn 1Iaroc.
Toujours supérieur à sa fortune, sachant également profiler
des leçons du malheur el des chances de réu:;sile, il èmployait
tout ce qui lui restait tle troupes régulières à contenir les
tribus qu'il ne pouvait plus soulever, et il avait cberclié et
trouvé sur les confins du ~iaror et dans ce p:1ys mème les
soldats que l'Algérie, lasse el abattue, ne l11i fournissait plus.
Aussi était-ce avec d'autres éléments que !'Émir venait ù nou-
veau s'opposer à la marche des Français:
Le 25 janvier, vers midi, en arrivant sut' la Tafna, la colonne,
qui comprenait, out, c les Lrnupes françaises des brigades
d'Arlanges et de Vilrnorin, 400 Coulouglis à pi d et 600 cava-
1

lier" aux.iliaires Douairs et Smélas sous les ordres de 1fosla


pha !Jen Ismai\l, commença il (•Lre allaqnée en Lûtc et en flanc.
A près quelques escarmouches de peu d'iuiporlancc, une charge
du Maghzen dans laquelle les cavaliers de Mustapha coupèrent
trente têtes aux Kabyles, suffit pour éloigner les groupes
ennemis, et la colonne pùt établir tranquillement son bivouac
sur le plateau de Melùga, jusle au confluent des deux rivières.
Mais, dès le soir, on vit qu'une grande concentration de
forces s'opérait. De Lous les côtés, aussi loin que la vue pou-
,ru~TAPHA BEN IS,L\EL 17:'i

niit s'étendre, on voyait accourir clos contingents d'hommes à


pied el à cheval. D'après ces indications significatives, le
maréchal Clauzel jugea prudent d'appeler à lui la brigade
Perrcgaux ponr le combat qui semblait imminent.
Le 2û au matin, le maréchal fil franchir l'lsser à toutes ses
troupes, moins le t1,· de ligne chargé de la garde et de la
défense du camp. L'action commer.c::a à dix heures du matin;
elle fut engagée par Mustapha ben Ismaël qui fondit avec sa
cavalerie sur les forces d'Abdelkader. Les hauteurs de gauche
(ouest) étaient occupées par les Kabyles et les Marocains, sous
les ordres du Khalifa El llou-Ilamcdi, chef des Oulhaça. On
disait de cet intrépide compagnon <l'AIJdelka.Jer, qu'il était dur
comme un lfabyle, intelligent comme un Arabe, hardi comme
un Turc et ambitieux comme un roumi (Européen).
Abdelkader s'était établi en personne sur la droite avec le
reste de ses troupes, à mi-cùte d'un contrefort descendant
de la montagne des Sebù-Cbiouck. Le maréchal ne lui laissa
pas si beau jeu. Ayant laissé son convoi en sûreté entre les
deux rivières sous la garde du 1 te de ligne, afin de manœu-
vrer plus JibL'emcnt, el profitant habilement de la faute qu'il a
provuquée en laissant ignorer à l'enuemi par quelle rive il
quitterait son camp, il se jette brusquement sur la rive droite
en franchissant l'Isser par des rampes pratiquées pendant la
nuit par le génie. La 2° brigade (général d'Arlanges) tient la
droite arnc les fantassins indigènes et le bataillon d'Afrique;
la 3° brigade (colonel de Vilmorin) avec le 6Gc de ligne et le
génie combatlent au cenlre qui se relie à la cavalerie et à
l'artillerie de campagne en couvrant la gauche sous le oom-
mandemenl du colonel de Gouy.
C'est encore à Mustapha ben Ismaël qu'est confiée la pre-
mièrr attaque. Ce brave el intrépide guerrier se montre à la
foi:; général et soldat. Il comprend avec une rare intelligence
de la guerre et exécute avec une indomptable témérité la pensée
du maréchal.
Au lieu d'engager un combat mou el éparpillé, à la mode
arabe, il crève par un choc i mpélueux et en masse le centre de
l'ennemi, avec ses fidèles Douait·s. El Mazari à la lête rles
Smélas el le commandant Yussouf avec les fantassins coulou-
l j(i llIUSTAPlJA BEN ISMAEL

glis, l'appuient et dépassent la ligi,e qu'ils onl enfoncée; puis,


se raballant bru 't{trnmen l sur la gauche, ils melten l en déroute
l'aile droile de l'ennemi refoul 6 c en désorll1·e vers l'ouesl,
tandis que le bataillon d'Afrique contient et éloigne, pal' ses
feux de salve, l'aile droile d'Abdelkac.ler coupée <lu centre el
<le la droite par le hardi mouvement de Mustapha.
Les fantassins indigènes (Coulonglis) cnlrvés par le comman
dcment de l'impétuenx Yussouf, justifient amplement cc mol
de leur \'énél'ahle chef au maréchal : « Forts srre: tnnte11t de
nous J ll. Sous les yeux des troupes franç.aises, ils emportent
vaillamen l loules les posi lions el chassent, an loin dans la
plaine, l'e11nemi débandé.
Malheureusement les cavaliers de l\Iuslapha, emportés pat·
leur al'cleur infaligahlP, prompts h lancer mais pl us difllciles à
retenir, s'éloignent beaucoup lrop it la poursuite de leurs
adversaires, lesquels, se retournant bru::;qurrnenl el voyanl
leur petit nombre, les en\'eloppenl el les 1amènenl sur les
lignes franc:aises.
Le maréchal Clausel, qui connaissait lcnrs tendances à
l'emballement cl les suivait de sa lorgncllc, avait prévu cette
éventualité el se tenait prêt à la riposte. Il avait fait alléger les
chevaux des chasseurs ù' Afrique des paquetages el fait mon Ler
les cavaliers en selle nue; puis, laissant aniver celte masse
confuse ù bonne portée el chobissanl le moment ou les
Douairs el Smr\l:1s, arrivés jusqu'à lui, ont pu r·crll1·er dans le
rang, ;1 lance à la charge le régiment des chasscu1·s, du
colonel de Gouy, appuyé d'un bataillon, sans sacs, ùu Q(jc de
ligne, au pas de cour::;e.
Alors, les m1sscs marocaines el kabyles, q ni s'avanraient
croyant prendre leur revanche, sont refoulées eH désordre
sur toute la ligne el perdent L 1aucoup de monde. Les i.\larocains
sont rejetés sur les bords escarpés de la Tafna et précipités
dans le gouffre qu'il n'ont plus le Lemps de refranchir; la
plupal't d'enlre-cnx ne peuvent choisir qu'entre le sabre des
chasseurs d'Afri<1uc el les précipices au:quc.,; ils sont acculés.
L'e;:;cacl1·011 Lure du 2° chassenrs, commandé par le lieuteuant
Mesmer, qui formait le premier échelon de la charge et se
trouvait le plus près de la rivière, en fait un grand carnage;
l\IUSTAPIIA DEN ISMAEL 177

les sabrrs sont !'Ouges de sang. Le !-ous-lieutenant Savaresse


charge nn porte-étendard ;u-.11Jn :W(JUCI il dispute son trophée
et Lous denx périssent en roui an L dans l'abime.
Tàndis qur le fort du cornhn.t SP passait sur l'aile gauche
française, l'aile droite, cn1111na1H:l1'P par le général d'ArJanges,
maintenait toujours Abdelkadcr isolé du l'estant de ses troupes
que vainement il avait tenté de rejoindre, décimé qu'il était
par la section d'artillerie de la 1,.., brigadr, dont tous les coups
porlaieut dans la masse des burnous blancs.
Pendan L celle brillante action, le klialifa Bou-Hamedi,
voyant les périls11uecourailso11 maitre, tentait une dirnl'siou.
Ayanl passé il son tour la Tafna, un peu au-dessous du confluent
de l'lsser, il venait, avec élan cl audace, allaqucr le convoi,
objel constant de l'atLractiou en calllpagnc cl de la convoitise
des Arnbe::;, qui metlcnt la plus prlilc proie au-dessus de
la plu:-; grande gloire.
Mai:,; le parc, un moment menacé, est YivemenL dégagé pat·
une cl1argn ù. la llaïonnetle des grenadiers du l Je de ligne,
conmiandt-e par le capitaine llipcrt et soutenue sur ses ailes
par un escadron de cliasseur·s d'Afriqne, enlevé par le brave
commandant Bernard, qui trouva encore là pour se signaler
arnc son détachement, lcnu rn r(•scrve, l' "asion qu'il savait
toujoul's faire naltl'e.
Il était grand temps pour nou-Ifamidi, dont la tentative
venait d'échouer, de l'<'pas:-er vivement la rivière, sous peine '
d'être aussi coupé à son tour. l\Iuslapha ben Ismaël et El
Mazari, qui avaient pu reformer lems escadrons de cavalerie
auxiliaire, sous le rideau de let prnwiè1·e cbarge des chasseurs
d'Afrique, ,·inrent lui donner le coup de gràce par une chasse
émouvante, lancée dès que son mouvement de retraite fut
dessiné.
Les Douairs et Smélas, Je fusil haut, debout sur leurs
étriers, revinr<'nl au camp chargé::; des dépouilles de l'ennemi.
C'est encore Mustapha ben Ismaël et ses hardis cavaliers indi-
gènes qui curent les honneurs ùe cette journée.
La victoire restait à nos troupes, mais Abdelkader n'arnil
pa::; dit son dernier mot; il était loin de s'avouer vaincu. Le
lendemain, 27 janvier, avant de poursuivre sa route ver: la

2
178 MUS'fAT'llA BEN ISMAEL

mer et de s'engage1· dans les gorges étroites de la Tafna, le


maréchal Clausel voulut s'assurer des forces de l'ennemi et
attendre le renforl de la brigade Perregaux appelée de
Tlemcen. La méfiance, après un premier suœès, est 'une
qualité précieu;;e à la guerre; le maréchal s'applaudit de ne
l'avoir point oublié.
Une reconnaissance de cavalerie, commandée par le
capitaine de Monlau.ban, vint en toute hâle le prévenir que de
fortes colonnes ennemies, de cavalerie el d'infanlerie parais-
saient au nord et à l'ouest, marchant vers le camp.
Toutes les dispositions de combat furenl immédiatemenl
prises pour recevoir le choc. La situation de ces 3.500 français
séparés de leut's bases d'opéralion, 'l'lemcen cl Rachgoun,
acculés aux monlagnes de la Tafna el pressés en demi cercle
pat· t0.000 fanatiques, eùl paru critique avec toul autre
tacticien que le maréchal Clausel, dont la tranquille sérénité
se communique bientôt dans tous les rangs.
Renonçant spontanément à continuer sa marche vel's la
mer, à travers ces gorges de la Tafna que vingt combats
n'eussent pas réussi à dégager de la présence de i'cnnemi, il
envoi le convoi en arrière, du côlé de Tlemcen el lui l'ail
gravir, sous la garde d'un bataillon d'infanterie, cctle ligne
de crêtes au-dessus de laquelle se trouve le plateau où s'élève
de nos jours le village de Montagnac (Remchi), bordé de
précipices de trois eôtés. Ainsi posté, le convoi se trouve
défendu comme dans une forteresse naturtelle. De celle façon,
tous ses mouvemenls restent libres, sans souci de son parc cl
de ses bagages encombrants.
Sur ses ordres, les quatre autres bataillons d'infanterie
prennent position sur les crêtes de droite perpendiculaires à la
route de Tlemcen; la cavalerie se poste au pied des collines, à
l'endroit où la route actuelle fait un grand lacet pour
descendre dans la plaine, couvrant ainsi ce mouvement de
retraite ; la cavalerie auxiliaire est placée au centre, à la
gauche de l'infanterie.
A peine ces dispositions l,Ont-elles prise.s que l'ennemi
aLtaque à la fois la cavalerie et les auxiliaires indigènes des
deux armes. L'État-Major est étonné, .dans celle journée,
~lUSTAPIIA BEN IHMAEL 179

de voir les Arabes s'avancer en bon ordre, avec une avant-


garde et une réserve, sa ca\'alerie à gauche, son infanterie
à droite, dans un terrain inégal et mamelonné.
Ils commencent leur attaque a,·ec rette audace aveugle et
imprévoyante que l'ignorJnce du ùanger donne à des jeunes
troupes enthousiastes et fanatiques qui n'ont jamais vu le feu.
Les chasseurs d'Afrique qui avaient devant eux un ennemi
clix fois plus nombreux, combattent avec leur vaillance
habituelle; ils entrent comme un coin dans le Ilot des
Marocains, leur enlèvent des armes eL des chevaux, mais ils
sont contraints de céder devant le nombre et de se replier avec
calme, en se rapprochant des lignes de l'infanterie. Le colonel
de Gouy se tire honorablement de ce mauvais pas, car rien
n'est aussi difficile, devant les Arnbes, qu'une retraite lente et
méthodique, après une charge impétueuse. Le mouvement
des chas eui·s dut être aidé par le feu à mitraille de la section
d'artillerie de campagne, hardiment dirigé par le lieutenant
Princeteau et soutenu par les compagnies d'élite du t1c de ligne.
L'escadron turc de notre cavalerie régulière fil encore des
prodiges de valeur el tua plus d'hommes qu'il n'en comptait
à son effectif. Sur la gauche de notre ligne, les Coulouglis
à pied furent enfoncés par la cavalerie marocaine qui les
refoula, en les obligeant à se replier vers la brigade d' Arlanges,
jusque sur le bataillon d'Afrique, contre lequel leur fougue
vient s'amortir.
Ils s'arrêtent d'abord devant ce mur de baïonnettes et
engagent une fusillade très vive; puis, renforcés par d'autres
échelons, devenant plus nombreux, ils essaient de déborder
la gauche de l'infanterie française, conL1·e Je front de laquelle
Abdelkader, visant le centre, va se ruer avec toutes ses
forces non encore engagées. - Le moment devient critique! ...

Alors, par un de ces coups de théâtre si communs dans


celte guerl'e d'Afrique, oü tout e ·L soudain et éphémère, le
feu cesse sur Loule la ligne de l'ennemi ; le~ masses kabyles,
fortement engagées sur leur aile droite, e retirent à la hàle
sans qu'aucun mouvement en avant de notre ligne de bataille,
'180 MUSTAl'IIA BEN TSM,\!i:L

ferme comme un roc eL immobile, ait motivé celle relraile


inopinée el inexplicable.
Craignant un piège, 1 maréchal Clausel, n'ayant pas encore
le secret de celle énigme, fait suivre avec précaution l'ennemi
par le régiment des chasseurs d'Afrique el les cavaliers
de ~Iustapha qui avaienl formé jusqu'alors, cr jour-là, la.
réserve de cavalerie.
Un grand mouvement d'incertitude sP manil'esle dan
les rangs de l'ennemi en retraite, quand, soudain, des coups
de canon se font enten<lec sur la gauche. L'anivée, à la charge,
d'un officier d'ordonnance vient enfin donnP1· la clef de tout
ce mystère: C'est le général Perregaux qui, par li de Tlemcen
pendant la nuit, a quitté sa route pour marcher au canon,
avec l'iostinr,t du véritable homme de guerre et s'est dirigé
avec une précision matl1émaLique sur le point oü sa présence
devait être décisive, si la retraite de l'ennemi avait pu èt1·e
douteuse.
Ce dernier, engagé dans une impasse, menacé sur sa droite,
par ce renfort inespéré à cette heure matinale, sur ses
derrières par notre cavalerie, sur le poinl d'être· pris entre
deux feux. s'il hésite et s'il s'attarde, juge plus sùr <l'aban-
donner le combat el de fuir le champ de bataille, dès qu'il se
voit cerné. L'Arabe est toujours et fatalement vaincu quand il
se croit tourné.
L'on pense bien que Mustapha ben Ismaël ne laissa pas
passer une si bonne occasion. Il chargea sur les talons de
l'ennemi en déroute que canonnait vivement, en ennJade,
l'artillerie de la brigade de secours.
Les Douairs et Smélas firent des ravages considérables
dans les rangs des Kabyles en fuite, et, comme la veille, ils
donnèrent le coup de grâce, revenant au camp chargés des
dépouilles de leurs ennemis vaincus.
Dans ces deux. journées de combat, la troupe de Mustapha
fut, comme toujours, admirable de bravoure et d'entrain. Les
Arabes eûrenl plus de 200 hommes hors de combat. Nos
pertes s'élevèrent seulement à 3 tués et 48 blessés, dont
'l4 indigènes.
La marche sur Rachgoun reconnue impraticable par cette
MUSTAPHA DEN ISMAEL 181

nouve!Je expérience, le maréchal fit rentrer ses troupes à


Tlemcen; les laissa en repos pendant quelques jours et
rentra avec elles à Oran, le 7 février, après avoir laissé
un bataillon de volontaires, commandé par le capitaine
Cavaignac, à la garde du Méchouar.
Ce fût avec des transports de joie et d'allégresse qu'on apprit
à la M'léta le retour du grand chef Mustapha ben Ismaël, de
son neveu Mazari et des cavaliers Douairs el Smélas qui avaient
survécu à toutes ces épreuves, depuis qu'ils avaient quitté
leurs tentes deux ans auparavant. Les gens de la plaine se
portèrent en foule à sa rencontre, vers le Tlélat et remercièrent
le mal'écl-rnl gouverneur de leur avoir rendu leur idole.
<< C'est la perle réintégrée dans son écrin ~ disaient-ils aux
généraux. franç;ais.
Après quelques jours de repos el avant de regagner Alger,
le maréchal réorgani a le maghzen d'Oran, sur des bases
déflnilirns, 1-luslapha ben Ismaël l'ut nommé agha supérieur
de Douairs et Smélas cl commandant en chef des alliés
indigènes, en remplacement de Braham bou Chenack, de
la M'léla, appelé à un autre commandement. Le caïd Mazari
fut nommé agha de Mostaganem, sous les ordres du bey
Ibrahim. Moharned ben Bachir ould Cadi fut nommé caïd de la
fraction des Douairs et Kaddour ben Saharaoui ben Mohklar,
caïd de la fraction des Smélas.
La cavalerie auxiliairn intligène, ainsi reconstituée, fut
placée sous l'autorité du général d'Arlanges, nommé lieutenant
général est appelé au commandement de la division à Oran.

Colonne du général Perregaux


(Mars 1836)

Celte année 1836, qui corn menr:ait à peine, devait être fertile
en faits d'armes. La soumission des Arabes était loin d'être
faite dans la province d'Oran, et, pour atteindre le but, le plus
difficile restait à faire. Malheureusement, le Ministre de la
Guerre demandait des résultats et refusait le temps et les
moyens de le~ alleindre, puisque l'effectif des troupes, déjà si
182 ~lUSTAPHA BEN IS)IAEL

restreint, devail être encore plus affaibli par le rappel en


France des deux tiers des régiments d'infanterie détachés à
l'armée d'Afrique ('12 sur 18).
Cependant, le vide qu'Abdelkoder entretenait habilement
autour des places que nous occupions, avait pour eliet d'alfa-
mer Oran, notamment, qui manquait de vivres, surtout de
viande. Les Douairs et les Smélas, nos seuls alliés, étaient
épuisés par les précédentes campagnes et n'avaient plus de
bétail à nous fournir. Les autres Arabes se tenaient, de par Je
mot d'ordre d'Abdelkader, olJstinément éloignés de nos mar-
chés. Il fallait donc aller chercher au dehors et se procurer
ce qu'on refusait de nous apporter.
Le 23 février '1836, les troupes dP, la Division d'Oran étant
reposées et refaites, le général Perregaux sortit inopinément
de la place avec 4..000 hommes, el, par une marche rapide de
jour et de nuit, il surprit les troupeaux de la plaine du Sig et
enleva aux Gharabas 2.000 têtes de bétail, ce qui ramena
l'abondance à Oran.
Le Maghzen, commandé par l'agha Mustapha ben lsmaël,
contribua comme toujours au succès <'le cette· fructueuse
sortie, en pratiquant la razzia à la mode arabe.
Le 14 mars, le même général, chargé des opérations actives,
sortit une deuxième fois d'Oran avec une colonne de 6.000
hommes, composée de trois bataillons d'infanterie, trois esca-
drons de chasseurs d'Afrique et une batterie d'artillerie,
comprenant trois pièces de campagne et trois de montagne.
La cavalerie auxiliaire de Mustapha ben Ismaël l'homme indis-
pensable à chaque coup de main, était forte de 600 chevaux.
La colonne alla camper le premier jour à la fontaine de Gou-
diel et le 15 mars elle se dirigea vers la Macta, en passant par
Arzew, pour aller camper à Fornaka chez les Abid Chérarias.
Le 16, infléchissant vers le sud et pénétrant dans la plaine de
l'Habra, elle fit sa jonction à El-Ilassian, avec le colonel
Combes, le bey lbrahïm et le caïd Mazari, qui amenaient de
Mostaganem deux bataillons d'infanterie (47c), 150 fantassins
coulouglis et 50 cavaliers indigènes, qui portèrent l'efîcctif de
cette troupe à près de 8.000 hommes.
La colonne du général Perregaux passait, à bon droit, pour
MUSTAPHA BEN ISMAEL 183

un modèle de bonne organisation : Les transports du convoi


étaient admirablement entendus; les marches bien réglées et
la nourriture du soldat augmentée el variée suivant une
adaptation plus conforme au climat. C'est là que pour la pre-
mière fois on fit un usage régulier des distributions de sucre
et de café, et que le riz, employé plus fréquemn1enl, fit désor-
mais partie de l'ordinaire de la troupe.
On fit séjour à El Hassian ; l'Émir ne se montra pas mais il
envoya son agha El Habib bou Lhassen avec 1.000 chevaux
pour observer les Français et les isoler des populations musul-
manes afin de déjouer leur but, de se les attacher par l'aman
el !a soumission.
Le 18 mars, au malin, au moment où la colonne levait le
camp pour se porter à Ferralas, chez les Bordjia, elle fut
serrée de près par les nombreux goums d'El Habib bou
Lhassen, renforcés des Beni Chougran el des Abid Chéragas.
Le général Perregaux résolut d se débarrasser par un coup de
vigueur de ce blocus incommode qui stérilisait son entreprise
en lui interdisant. avec les Arabes de la plaine les communica-
tions cl les soumissions 4 ui étaient son but.
li lanc.:a brusquement sur ces goums tout le Maghzen con-
duit par Mustapha el EL Mazari, soutenus par la cavalerie
I
française et appuyés par toute la colonne qui les suivait
vivement.
Le vaillant Mustapha ben lsmaël, avec sa vigueur habituelle,
après s'ètre approché le plus près possible à petite allure,
fond tout à coup sur l'ennemi, commandé ce jour-là par un
jeune khalifa de l'J~m ir, Si ben L•'réha ben Khattir, personn!lge
important de la famille des Hachem.
li le charge à outrance avec cette impétuosité que nous lui
connaissons, le disperse, le pourchasse au-delà des montagnes
et lui coupe 60 nes parmi lesquelles celle d'un porte-drapeau
et du caïd de Kalàa, Si Moha.med ben DjilalL
Deux drapeaux, 50 chevaux et environ 2.000 têtes de bétail
furent les trophées rapportés au camp français, après une
poursuite qui ne ce!:'sa que lorsque le dernier cavalier ennemi
eut disparu dans la direction de Mascara. La déroute des
184 MUSTAPHA BEN ISMAEL

Arabes fut complète et la plaine de l'Ilabra purgée des cavaliers


d'Abdelkader qui ne reparurent plus.
Apl'ès un repos de quaranle-huit heures, la colonne, libre
désormais de ses mouvements, traversa le 21 mal's la plaine de
Sirat et alla s'établir chrz les Mcdjaers, à Aïn-Madar, oü elle
re<:ut la soumission de plusieurs tribus voisines.
Le re 1e de celte campagne ne fut qu'une course heureuse
et productive, poussée vers l'Hil-IIil, Bcl-Ilacel, Sourk-cl-
Mitou, Ennaro, Mostaganem et Arzew, qui amena la soumis-
sion de tous les indigènes de la rive gauche du Chélif.
Un seul fait d'armes digne d'atlenlion se pr·oduisi l seulement,
lorsque la colonne parlant du gué des Oulad Sno.ussi, situé
près du Meldga, confluent du Chélif el de la Mina, lcvail son
camp pour se porter vers le nord. Elle ful vi\emcnt allaquée
par les tribus non encore soumises de la rive droile du Chélif:
Oulad Khrelouf, Bcni-Zéroual, Oulad Bon-KarnC'I, clc., qui
vinrent l'assaillir inopinément dan les lcrrai ns hoistis el cou-
pés de ravins qui séparent Bcl-IJacel du puits d'Ennaro.
Ce fut encore une nouvelle occasion pour Musluplia ben
Ismaël de donner des preuves dr celte haule capacité mitilaire
qui le distinguait si particulièrement, et pour les gomns des
Douairs el Smélas de se montrer intrépides, brillants et victo-
rieux, dans les brusques retours offensifs, ·i vigomcusrment
menés, qu'ils exécutèrent sur l'ennemi, pour pro léger l'arrière-
garde et éloigner leurs adversaires, sans cesse culbutés cl
refoulés avec de grandes pertes, jusqu'à Ennaro oit ils 0nirent.
par disparaitre après avoir été décimés par les goums du
Maghzen, toujours aussi ardents, sous le commandement de
leur vieil agha.
Dès son relour à Oran, le général Pcrregaux, blessé du
dualisme entraîné par ce détestable système du double comman-
dement. qu'on lui faisait partager avec le général d'Arlanges,
quitta la division, sur sa demande, et rentra à Alger.
Son nom lui survécul dans la province d'Oran par la
création, à l'IJabra même, qu'il avait paci0é, de la pelite ville
aujourd'hui si coquette el si ombragée qui parle sou 110111.
Comme Desaix, en Egypte, Perregaux reçut le surnom de
cc Sultan juste» et comme lui il mourut sut' un champ de
bataille, auprès de celui dont il était le conseiller et l'ami.
:MUSTAPHA BEN IS~JAEL '185

Dar-el-Atchan
(15 avril 1836)
Pendant crue le général Perregau x pacifiait les tribus de la
région orienlale de la pt'ovince d'Oran, le général d' Arlanges,
à la ll•lc d'nn pelit corps ùe Lroupps réduit à '1200 homme ,
s'avanc:a YCl'S l'ouest jusqu'à Brédéah, où il construisit une
redoute.
Abdelkader, qui l'aismt surveiller ses mouvements, était alors
campé• à la l'onlainc « d',1ïn-el-lloutz » à quelques kilomètres
au nord cl au-dessous de Tlemcen, attendant une circonstance
favorallle pour agir avec quelque succès et prendre sa revan-
che de la Tafna. Elle ne tarda pas à se présenter.
On se souvient qu'avant de quitter Oran, le maréchal
Clausel aYait décidé d'établir un camp it Rachgoun, à l'embou·
chure de la Tafna et d'ouvt·ir, de là, des communications ponr
ravitailler Tlemcen. Le général d'Arlanges, resté seul à la tête
de la Division, était chargé de céltc mission. Les forces dont il
disposai L, join Les à relies restan Llibres de la brigade Perrcgaux,
formaient, ap,·'>s la rentrée en France de quelques régiments,
un ell'ecli(' Lola! de 3000 hommes mobilisables, après aYoir
pourvu slrictc111ent aux besoins de la défense de la place
d'Oran.
C'est avec ce faible corps clr troupes que le nouveau chef de
la Di\'ision dut entreprendre celte ùoulJle mission des plus
difficiles el des plus périllruses. La colonne réorganisée se
composait de (i bataillon d'infanterie (2600 hommes) du
1cr bataillon d'Afrique, du L7° !éger el des 47° et 66° de ligne ;
comme cavalerie : de 150 cavaliers auxiliaires des Douairs,
commandés par Mustapha ben Ismaël el 200 chevaux du
2" cha::;seurs d'Alrique ; cornme arlillerie: de 4 pièces de
campagne et 4 obusiers de montagne; enfin, de '180 sapeurs du
génie, commandés l,ar le colonel Lemercier.
L'entreprise ordonnée par I mal'échal Clauzel élait d'autant
moins réalisable, que lui même y , venait d'échouer avec un
effectif supérieur ; cependant le gL;néral d'Arlange ·, homme de
cœur el de discipline, se mil immédiatement en campagne,
sans lié iter, ni réclamer, comptant ::;ur sa calme el tenace
fermeté et sur les excellentes qualités de sa petite troupe.
186 l\1USTAPII BEN ISMAEL

Le matériel des lin, à l'établissement du camp de Rachgoun,


une tois embarqué cl expédié par mer, le gén éral se mit en
route vers le sud le 7 avril. Une si faibl e colonne aurait dû
marcher rapidement vers le but; c'était le seul moyen d'em-
pêcher !'Émir de pénétrer s'es projets et de rassembler de
nouveaux contingents. Il n'en fut rien; après avoir contourné
le grand lac salé de Misserghin par le sud, la colonne tut
arrêtée le 9 sur l'oued Heïmer; le 9, le 10 et le 11, le général
franchit la chaine du Tessala, par le col d'Aïn-Tcrzita, afin
d'y vider le riches silos oil les Beni-Ameur emmagasinaient
leurs grains. Pour ébranler les croyances superstitieuses des
Arabes, qui disaient cette montagne sacrée et infranchissable,
les troupes furent employées pendant ces trois jours à y ouvrir
un chemin, travail sans but, resté inachevé; mauvais emploi
de l'éner€iie des troupes et fàcheux spectacle pour les indigènes
déjà habitués à nos inconséquences.
Le 13 on franchit le Ilio-Salado et la colonne alla camper
sur l'oued Senan, à l'endroit oü se trouve actuellement Aïn-
Témouchent. Le 14, prenant la direction de l'ouest, on passa
à Aïn-Guettara, et à midi la colonne prnnait po;;ition sur
l'oued Ghazer; cela faisait sept jours d'employés pour franchir
une distance qui ne dépasse pas 75 kilomètres en droite ligne.
Cet oued Ghazer, qui e trouve !>ïlt' la route actuelle de
Témouchent à Beni-Saf, un peu ayant d'arriver au nouveau
village de Guiard, est un aITreuic ravin, très encaissé, aux
pentes abruptes coupées de failles et de ressauts.
Le 15, la colonne quitta l'oued Ghazer dès la pointe du jour;
elle gravissait une montagne élevée et aride, appelée Dar-el-
Atchau, d'où l'ennemi s'était déjà montré, épiant ses mouve-
ments Le flanc gauche (suù) était couvert par la cavalel'ie de
Mustapha.
Ce vieux tacticien, qui avait la pratique éprouvée des diffi-
cullés du terrain, voyant cette montagne qui fermait perpen-
diculairement l'entrée du défilé long et tortueux. par lequel on
s'était imprudemment engagé, dit au général qu'il était
dangereux de se jeter dans celte souricière sans avoir déblayé
le terrain en avant et vaincu ces Kabyles dont les rassemble-
ments de plu5 en plus resserrés devenaient inquiétants.
MUSTAPHA BEN ISMAEL 187

Il ne cessait de demander de l'artillerie et proposait de


livrer combat avant d'aller plus loin. Son avis ne prévalut pas,
ce qui eut le don de l'irriter. Alol's, n'écoutantqueson instinct
de la guerre, plutôt que de déférer à un acte de discipline et
d'obéissance qui manquait à ses yeux. de sanction, puisqu'il
n'avait ni la supériorité de la raison ni celle du nombre et de
la force brutale, il prit subitement la résolution d'attaquer de
lui-même l'avant-garde d'Abdelkader.
En comptant d'être soutenu, il reconnaissait la loyauté du
général d'Arlanges, auquel il croyait de son devoir de rendre
service malgré lui.
Celte attaque, impétueuse comme à l'ordinaire. surprend la
tête de la colonne de !'Émit· qu'elle fait d'abord plier, mais
l'infanterie qui était en arrière tint bon et se déploya sur les
llancs en entourant celte poignée de cavaliers Douairs. Trop
fier pour demander du secours, le brave Mustapha redouble
d'énergie pour se dégager.
Conteaint d'accepter le combat qu'il aurait du engager, qu'il
n'a pas su empêcher et qu'il est trop lard pour rendre décisif,
le géné1·al ù' Arlanges qui a une grande estime pour Mustapha,
malgré sa désobéissance, envoie lestement les chasseurs
d'Afrique pour protéger sa retraite et lui fait réitérer l'ordre
ùc se replier. Cela n'est plus possible; le mouvement de flanc
de l'mfanterie kabyle a mê111e compromis les deux escadrons
de chasseurs, situation réclamant un secours qu'ils ne suffisent
plus à donner.
Un bataillon du 17° léger et deux pièces de montagne sont
alors détachés pour appuyer la caYalerie. Le renfort arrivé sur
le plateau où se déroulait l'action, dégagea la cavalerie
française rendue libre de ses mouvements. Mais Mustapha ben
Ismaël, qui avait son idée ancrée dans la tête et aurait, pour
l'l'ntêtement, rendu de points il nn Breton, ne YOut pro!lter
du renfort qu'on lui envoie que pour renclt'e plus inévitàble
encore le combat auquel son général s'obstine à vouloir se
soustraire.
Il reprend la charge avec ses cavaliers, qui, malgré leur
courage et leur valeur, sont. bientôt ramenés en déroute.
L'affaire prend mauvaise tournure. A travers les mailles de la
188 MUSTAPHA BEN ISMAEL

cavalerie kabyle qui les talonne el leur coupe des Lêles,


débouche l'infanterie régulière de l'Émir qui vient se heurter
au bataillon du 17c, à peine fort de 500 hommes, lequel est
vivement attaqué.
C'est alors seulement que le général se décide à agir.
Laissant ses· bagage ur le revers de la montagne avec
le 66° de ligne et les troupes du génie, il s'avança en bon
ordre avec les quatre petits bataillons qui lui restaient
et avec son artillerie.
Deux pièces de canon, habilement mises en batterie par le
colonel Combes, foudroient de leurs coups certains les
kabyles qui se sont entassés dans un profond ravin pour
tourner la droile ùu 47° ; mais celte affreuse boucherie
n'arrèle pas leur tête de colonne, toujours hâchée, toujours
renouvelée.
« Elle arrive jusque sur les pièces el, sur Loule la ligne de
combat, les kabyles chal'gent avec intrépidité '.es tirail-
leurs de notre infanterie. Celle dernière est contrainte de
renverser à la baïonnette ceux qu0 le canon épargne. Nos
braves soldats d'Afrique, heureux de celte lutte corps à corps,
plus au gré de leur courage et de leur aptitude spéciale à ce
genre de combat, tuent à l'arme blanche ces intrépides
adversaires, dont l'élan l'ail leur admiration et qn'on hésitait
presque à mitrailler en masce. Animés, dit le duc d'Orléans (1 ),
par les plus nobles passions de l'homme, la foi musulmane et la
haine de l'étranger, les fantassins kabyles se dévouent pour
emporter les martyrs du canon des chrétiens, et n'abandonnent
aucun trophée ou Français, dont les baïonnettes, ce jour-là,
n'ont conquis qu'un champ de bataille ». Le sanglant combat
de Dar-el Atchan nous coûta cher, en égard au petit nombre
,. des combattants: 10 tués et 70 blessés. Parmi les cavaliers de
Mustapha plus de 30 furent mis hors de combat; la plupart
des blessés, transportés à l'ambulance, vinrent mourir sur les
sables des bords de la Tafna.
Le combat finit à 2 heures. Le soir, sous la lente, Mustapha
ben Ismaël, loin de se montrer confus et repentant de son

(1) Les Cainpa9nes d'Afrique.


)!USTAPIJA l3EN ISMAEL 189

'" attitude du malin, 1iL les plus grands elTorls pour dissuade ,· le
géneral d' Arlanges de conlinuer sa marche sur la Tafna. Le
vieux Muslapha n'était pas dupe de la taclique de !'Émir, dont
le but évidenl élail de détruire en détail celte pelile troupe
française, engagée malenconlreusement dans ces montagnes
inextricables, et de l'empêcher de par•ienir à Rachgoun.
<c Le génie inculte, le sauvage bon sens de ce véritable
homme de guerre, ont deviné l'issue de la situation dont le
calme apparent aggrave encore le péril. Il supplie son général
de ne poinl pénétrer plus avant dans les montagnes, sans
avoir encore une fois mesuré ses forces aYec l'ennemi et frappé
un grand coup.
- « Si tu parviens à dompter ici l'ennemi, lui dit-il, tu
deviendras, alors seulemenl , libre de tes mouvements.
Si lu ne peux le détruire, ici, estimes-toi heureux de ne pas
l'avoir rencontré dans ces ravins el ces déniés, qui se referme-
ront sur toi ».
cc Le lendemain matin, au départ de la colonne et comme
dernier argument, Mustapha de cend de cheval et se couche,
comme 'ouvorow, en travers du chemin, sous les pas dn
général. Ce dernier, encore irrité de leur différend de la veille,
ne veut écouter ni ses instances prophétiques, ni celte expres-
sive proteslalion du vieil agha ; il engage résolument sa
colonne dans le défilé ».
Abdelkader, comme pour escorter une proie qu'il croit lui
apparlenir, fait harceler l'arrière-garde commandée par le
colonel Combes qui, au moment d'une halte, fait braquer
deux pièces sur les poursuivants et finit par les éloigner à
coups de canon.
Le lendemain, 16 avril, la colonne débouchait sur la plage
sablonneuse de la Tafna et s'établissait en face l'ile de Rach-
goun, sur les hauteurs de la rive droite.
190 ~1 U:--TA Pi l.\ lll·:N IS~[AJ.:L

Sidi-Yacoub
(25 avril 1836)

Pendant les quelques jours que dura l'installation du camp


retranché el des blockhaus construits par le colonel du
génie Lemert:ier, la prédiction de Mustapha ben Ismaël se
réalisa! La population kabyle toute entière du hassin de la
Tafna, de édroma et de la frontière dn Maroc était sous les
armes, appelée par la voix fanatique d'Ahùelkader; chaque
jour, nos fourrageurs étaient attaqués par ses éclaireurs, mais
le gros de l'ennemi, Jissimulé dam, le monlagncs \'Oisines, ne
se montrait pas, afin de nous inspirer plus de sécurit~t de
confiance.
Le 24 avril au soir, voyanl le relief des ouvrage sufflsam -
menl avancé pour meLtt·e le camp à l'abri d'une attaque de
vive force, le général d'Arlanges dut s'occuper d'exécuter la
deuxième partie de sa mi sion : le ravitaillement de la garni-
son de Tlemcen. Le capilaine Cavaignac, toujours IJloqué avec
ses GOO volontaires dans les murs du Méchouar,. se_trouvail
dans la situation de plus pénibles. Il n'avail élé, il est nai,
attaqué qu'une seule fois pat· les Arabes qn'il avait repoussés;
mais depuis son isolement du reste du monde, il n'avait pu
faire parvenir que deux lettres au général. L'active el étroite
surveillance d' Abdelkader rendail chaque jom la corre pon-
dance plus difficile, et la situation de ce prisonnier Yolontaire
plus précaire.
Le Général résolut donc de pous er une reconnaissance du
côté du maraboul de Sidi-Yacoub, siLualion élevée, ù. l'ouesl
du camp, sur les hauleurs du bord de la mer d'où il pouvait
espérer n·connaitre les forces de l'ennemi et diriger sou
expédition sur Tlemcen.
Le 25 avril, avant le jour, il se mil en route dans cette
direction, avec tme colonne Jégèr~ de ·1.500 hommes de toutes
armes, qui passèrent sur la rive gauche de la ·Tafna. C'était
trop pour une reconnaissance, pas assez pour une colonne de
combat, mise 30 conta.cl avec les forls et nombreux contingents
è.e !'Emir accumulés et concentrés pendant ces dix jouri;
MUSTAPHA BEN ISMAEL Hll

d'inaction: troupes dont Je moral se fortifiait en présence de celte


poignée de Français qu'on se vantait de jeter bientôt à la mer.
Mauvais pronosLic pour le début : le gué de la Tafn~., barre
de sables mobiles, comme à l'embouchure de toutes les
rivière., fût défoncé au départ par la cavalerie, avanL le
pas age des huit pièces d'artillerie, dont les munitions furent
mouillées et avariées. De plus, le fruit d'une nuit de veille
passée par l'infanterie, en silence et sans feu, se trouva perdu
par la maladresse des senLinelles qui commirent l'imprudence
de Lit'er sur des patrouilles volantes de l'ennemi et de donner
l'alerLe parmi les Arabes aux agueLs.
· A sepL heures la colonne e trouvait rassemblée sur les
hauLeurs, à deux lieues du camp, près de Sidi-Yacoub et
continuaiL sa marche lorqu'elle vint heurter une grand'garde
qui se replia assez vite et contre laquelle on commit la faute
de Lirer le canon pour la disperser !
<< C'est le rappel de l'armée de l'émir que l'on bat pour le

prévenir ; c'est le tocsin des bandes kabyles que l'on onne


dans ces montagnes silencieuses, où le canon retentit à des
distances immenses. Ils répondent Lous à la voix du rassem-
blement, mais ne se montrent pas encore; ainsi le veuL Abdel-
kader : Plus les Français seront loin de leur camp, plus il en
aura facilement raison. »
ELonné du vide qui se fait autour de lui, le Général s'arrête
au petit hameau de gourbis qui enLoure le marabout de Sidi-
Yacoub. Il est là, sur une agglomération de contreforts coupés
de ravins, qui domine toute la contrée, mais qui constitue une
mauvaise position défensive Il envoie alors les cavaliers
in<ligènes de Mustapha ben Ismaël à la découverte, en leur
recommandant de rester par groupes et de se tenir en contacL
avec lui.
L'instinct des Douairs livrés à eux-mêmes reprend le dessus
pour le malheur de la colonne. Dès qu'ils se sentent hors de
por tée ùe leur caïds et de leurs officiers, les cavaliers du
Maghzen s'éparpillent au loin ; ils font la découverLe pour leur
compLe, sur la droite où ils ont aperçu des troupeaux, fouil-
lent des cabanes et des gourbis et s'éloignent à perte de vue.
L'imprévoyance de nos cavaliers auxiliaires rend inutile la
192 MUSTAPHA BEN rn,tA.EL

prudente ci1·cons1 eclion ùu général. Dës qu'on les voit


égrenés, au loin, hors de pol'lé•e du commandement, les
groupes kabyles, cachés jusqu'alor:;, s'avancent drape:mx
déployés el fusil sur l'épaule, ils s'approchent de toules parts
rapidement el en silence, ..:omme de vrais soldats aguerris au
combat et viennent parader jusqu'à pelite portée de notre
infanterie, restée en position à Sitli-Yacouh.
Dès ce moment, le IJut de la reconnaissance esl aLLei nt.
L'audacieuse conf1ance de ses allures a r 'Véll' l'ardeur et le
nombre considérable tle l'ennemi. On reronnail la nécessité de
se retirer, mais il n'est plus Lemps.
A peine a-L-elle dessiné son mouvement de relrnile que la
colonne e t assaillie tle Lous les cMés à la fois. Avec une
tactique vraiment surprenante, les Arahes cl les Kabyles,
débouchant par tontes les gorges el s'emparant de toutes les
crêtes, enveloppent les Franr;ais sur les quatre faces.
Pas un de nos oldats n'aurait échappé à une morl certaine,
si !'Emir, ébloui par cette bonne fortune avait eu assez de
décision pour concentrer Lous ses moyens d'action sur une
seule des deux proies, entre lesquelles il ne sflL pas choisir.
Grisé par l'espoir cl'étTascr la colonne el d'enlever ensuite le
camp de Ilacltgoun, il diminua, en divisant ses forces, son
principal avantage el l'unité compacte, en en\·oyant 3000 hom-
mes attaquer nos retranchements q u'i I sait presque désert -,
mais que le colonel Lemercier défend vigoureusement en
repoussant les assaillants.
Le coup est manqué. La molle el lointaine tiraillerie qui
s'engage à Rachgoun, ne fait môme plus diversion à l'action
principale de Sidi Yacoub, qui doit décider du sort de la
journée.
Ici, le combat devient acharné el homérique. Deux faibles
colonnes d'infanLerie, commandées par les colonels c,,mbes
du 47e et Corbin du t 7" léger continuent parallèlement le
mouvement de retraite en se tenant sur les crète , déjà
occupées d'avance par l'ennemi. A l'arrière-garde et sur les
flancs, un rideau de tirailleurs combaL pêle-mêle, corps à corps
avec les Kabyles.
A chaque obstacle, ravin ou mamelon, il fau t s'arrêter
MUSTAPHA HEN ISMAEL 1!)3

c l faire un retonr offensif pour se dégager de ceLLr affreu se


mùlée. Chacun faiL des prodiges ùe valeur da11s ce Lerrain
broussai lleux sans clairi i'res ni sentiers de direclion, 011 l'o n
ne penl charger qu'isolément. Plusieurs Co is le. chasseurs
d'Afriqu e plongent da11s la masse princ ipale conduite par
l'Émir en personne, donnanl le temp. an général de renforcer
ou de remplacer le résean des tirailleurs, souvenl éclairci,
donl les mailles s'élargissanl de plus en plus, vont lJ1enlùL
livn•1· passagr au fl ot de l'ennemi, qui s'est déjà empa t·é de nos
morls et même de quelque blessés.
L'artill c:·ie, dont les coups sont cornpLés, ob ligée à mrnager
ses 111unitio11s, ne Lir' qu'à co up sûr et comb le de cadavres
les inlerrnlle · oll\-crls clans nos lignes. Elle sème la mort,
mais non l'épounin te ni le découragement; elle n'at't'êle que
ceux qu'elle lue; ell e n'agit que su r ceux qu'elle alleint. Les
aulres, sans CPsse 1·enouvelés, viennent, a,·ec Cl' fanal isrne
froid qu'on leur connait, chercher de plus près e11con', une
morL qn'ils semb lent envier . On peul voir, dans cette circons-
tance, combien l'cffe l matériel àes moyens de desl ruction es t
.
limité co ntre des troupes électrisées, dont le moral reste
inébranlabl e.
Un inslanL, un e com pagnie Loule en tière esl serrée de si près,
qu'il faut un e charge de cavalerie, co nduile par le cap ila ine
Bernard, pour ar river à la dégager. Bientôt, engagés su r un
Lerrain qui est dominé de toules parts, les Fran(;'ais se trouvent
exposés it un feu terribl e . La lopograp bi e du lieu ùte tout
avanlage à l'artillerie trop gênûC' rlans ses mouvemenls et,
final emen t, les li railleur;-; so nt parloul enl'oncés, cc qui pcrmel
à l'enn c m i d'arriver .i usq ue s ut' les co lon nes.Jamais comba l plus
acharné n'avait eu lieu encore en Afrique. Les Kabyles, dont
l'audace n'a plus de ùorn es, Yi ennent jusqu e sur les canons;
ils saississent par les roues les pièces que les canonniers
reLienneoL pa r l'alfùl; on se ltüche n1uluell emenl sans se faire
lâcher prise.
:\bùelkader enflamme leur enl11ousiasme; il leur montre la
mer sans vaisseaux et leur crie d'y rejeter les méc réanls qu'elle
a Yomis sur la terre africaine. Un effort général est tenté au
moment où les lirailleurs évaeucnl une crête immédiatemenl

3
194
. MlJ~T.\PllA BEN lS~lAEL

occupée pat· l'ennemi; les Kabyles coulent par lous lrs llrtncs,
comme un liquide qu'on ver,;c. Il faut des cfl'orls vraicmcnt
héroïques pou!' les tenir <'Il respect cl les cmpl;Cl1er <l'rnl'once1·
les colonnes. Dans cet in:,;Lnnt suprême, un<' plui<' rk !miles
s'abùL et frappe ceux que la crosse ou le ~atag:rn rH' pl'n,·ent
pas entamer. Le lieutcùanl-colonel de ~Iaussion, clld ù'étal-
major, les aiùes de camp sont ble:,;sés; le généml l11i-mc'·me
<'Sl atteint au con el obligé de se t'ë!tirrr au cenlr<' d'u11 carré.
Les soldats !'rao(:ai · tout entiers à celle lnlle inc\.i;alr que leur
courage seul permrL cle conlinuer, n apprcnrn·11l rp1'ils ont
été un moment sans chrf cpt'en voyant le colonel Combes
p1·en<lre le commandement et changPr crrlainc's dispositions
pour sau,·e1· le restant dl' la division d'un anéa11l1ss1•mcnt
presque cerlain,
Appelé à m;er, en ccl inslanl solennel, d'un a-.;ccndanl cl
d'une au toril(· dont il n'aYait pas toujours l'ait u11 irr<'prochable
emploi, el ù remplacer un général a,ec lequel il t'•tait en
dé! icalcs,-e, le e,Jlonel Combrs se mon trn s11pC·1·ir111· à u llt' L:iche
aussi cl iffici le.
Sa soml,rn cl dure é11l'rgir, se comn1uniq1w <·ornme nnc
traînée de poudre rl inspil'c une confianrP s:rns bornr a\lx
troupes fermes comme ,in roc. Sous son rornrnandcrncnt
qu'enflamme l'héroïsme Ir plus pur, les drux [ll'lilcs colonn('~,
réduiles maintPnant :i ·qnatrc compagnirs (tout Je reste' est
hors de combat!) cxécutrnt arnc un élan chevaleresque une
charge à la baïonnelle. Les pièces pri,;es pa1· l'ennemi rnntcnlin
sauvée et le capitaine d'Etat-major de Martimpt'Cy, l[lli se
multiplie avec une égale énergie, a retrouvé un chemin puur
les remell re en I.Jatterie SUI' une hauteur voisine. Les Li raillenrs
aussi dégagés se reforment, mais ils sont pressôs de toutes
parts comme par les anneaux fl exibles d'un vaste scqicnl.
- cc Il faul donner de l'air el du mouvement il lu colonne,
crie le colonel Combes de sa voix mâle el irnpéraLive, nous
étouffons sous le poids de l'ennemi ! »
Alors, il fait faire la navette, La!1lôl en avant tanlùt latérale-
ment, à ses deux petiles colonnes qui vont hal.Jilerncnl recueillir
les compagnies déployées, el à chaque retour offensif CL'S
l\IUST.\L'llA BEN ISMAEL 195

Îlou les de neige se grossissent des drtacbcments épars el des


Liraille1m, aux prises pMe-mêle avec les Kabyles, qui sont
ramenés _sur la réserve. Le f'ront resserré et rendu plus
compact offre rnuins de dh·eloppemenl au feu de l'ennemi et
l'ensemble dn corps expéditionnaire, plus maniable opère
plus viLC' cl plus l'égulièrcmenl son mouvement de retraite;
il arri1r par une demi-conversion en arrière et à gauche à
allcindrc la dernière crêLP qni bord(• Ja Tafna. On sl en vue
du calllp.
Le génL't'al cl' Ar langes, qui, lllalgré sa blessure doulonreusc
a repris le comnu.tnderrwnl reparait a11 milieu des troupes.
11 féliC'ile Je colonel ComlJ1•s de ses lieureuses dispositions el
lui serl'e la main devant lC' front des compagni s. Il trourn sa
petite colonne arr·êtée dans une position oir se trouvent,
commr des bastions naturels, des lcrtr·es qui abritent enfln
no,; malheufoux. soldats, rt un plaLC'an décon\'erl qui rend à
l'artillerie et ù la cavalerie la po::;sibililé d'agir.
Avant <le l'C'[Jt'cndr' la rnule du <"amp ::;uus la protection de
ses canons qui tirent ù Loule volée sur les masses profontles
de l'ennemi, le gérn'ral cl'Arlanges lui fait face une derniè1·e
fois el l'ail l.)rùler 1:;Ps dernières cartouclres. Ce mouvement qui
refoule en!in l'C'nnerni, esl appuyt' par le Maghzen rassemblé
avec beaucoup de peine par Mustapha ben Ismaël qui salue
Abdelkader pal' une dernière charge en flanc et contribue
ainsi ù faire cess<'r le comlJal qui a dur{• de sept heures du
matin jusqu'à midi.
Les cavaliers du Maghzen obligés, par leur imprudence
du matin, de combattre séparés el coupés de la colonne,
eurent crueJlemenl à souffrir dans celte terrible mêlée; leur
condui le fut au-dessus de tout éloge et nul de ceux qui
sun·écqrent à cette lulle acharnée, n'a oublié la fière et
imposante figure du \'ieillard. Dix l'ois il chargea seul, à la
tête de ses cavaliers, sans ôlre appu) é ni soutenu et dix fois
les mullitudes arabes el kabyles reculèrent épouvantées
à l'aspect de ses drapeaux. Les Douairs et Smélas rapporlairnt
dans nos lignes :38 de lenrs caYaliers lués où blessés pendant
la durfr de l'action. Les troupes françaises eurent plus de
196 :11US'fAPII.\ HF.:N ISM.!\BL

300 hommes mis l)l)r:, de cornuat. Le général d' Arlangcs élail


plus que jamai: l1ors d'élal de parler :c;ecou1·,; au capi Laine
Cavaignac.

(A sitiv1·e).
J. CA AL.

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