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Matière noire, énergie noire et courant noir

Le tableau périodique compte 118 éléments chimiques connus, pourtant, tout cela
n’explique que 5 % l’univers.
Tout ce que l’on voit, les galaxies et les étoiles, les planètes, les animaux et les plantes, les
océans et les montagnes, nos machines et nos outils, aussi diverses qu’elles soient, sont faits
des éléments du tableau périodique, qui sont la matière baryonique et qui ne correspond
qu’à 5 % de l’univers.
Sur ce pourcentage, et à l’échelle de l’univers, 90 % de tout ça n’est que de l’hydrogène.
C’est-à-dire un simple proton associé (ou pas) à un simple électron, produits suite au big-
bang et subsistant depuis, amassés en étoiles (où d’ailleurs l’électron est dissocié de son
proton). Les 10 % restants sont partagés entre de l’hélium seul d’une part, produit par la
fusion de l’hydrogène dans les étoiles et les autres éléments d’autre part (oxygène, silicium,
carbone, fer, or, uranium, magnésium…) qui ensembles ne constituent qu’une infime fraction
des atomes de l’univers.
Un rocher, ou même la planète Terre tout entière, aussi grande qu’elle nous apparaît, n’est
donc constitué que d’éléments à l’état de trace dans la composition de l’univers. Vous vous
sentez insignifiant ? Ce n’est pas terminé.
Que compose donc les 95 % restants de l’univers ? Pourquoi ne la voit-on pas ?
Imaginez-vous marcher sur la plage ou dans la neige et apercevoir des empreintes de pas.
Qui les a laissés là ? On ne sait pas : il n’y a personne aux alentours. Pourtant les traces sont
là. Quelqu’un a dû les laisser, c’est une certitude.
Dans le cas de ces 95 % de l’univers, c’est la même chose. Bien qu’on ne les voie pas, et qu’on
ne sait pas ce que c’est, on voit les traces qu’elles laissent dans l’univers.
Mieux, on a découvert qu’il y a deux types d’empreintes : une gravitationnelle et une liée à
l’expansion de l’univers. On a donné, à ces deux choses le nom de matière noire et énergie
noire (ou sombre). Ces deux choses ne sont pas à confondre avec l’antimatière, qui est
encore autre chose, et qui fait partie de la matière baryonique normale.
On peut aussi citer le courant noir, un autre phénomène mystérieux et d’origine inconnu.

La matière noire
La première correspond à environ 25 % de ce que compose l’univers, et représente donc cinq
fois plus que la matière normale. Elle a été découverte en analysant la vitesse de
déplacement de galaxies au sein d’amas de galaxies, dès 1933, puis redécouverte près de
quarante années plus tard.
Dans un amas de galaxies, toutes les galaxies orbitent le même centre de masse, et
normalement, les galaxies proches du centre se déplacent bien plus rapidement que celles
plus éloignées. La diminution de la vitesse en fonction de la distance suit une loi bien précise
et parfaitement connue. Or, on a constaté que cette règle n’était pas respectée pour les
galaxies dans ces amas, ni même pour les étoiles dans une galaxie.
Une des façons d’expliquer ça, fut par l’hypothèse d’une masse cachée, invisible. On a
baptisé ça la « matière noire ». On ne sait vraiment pas grand-chose à son sujet, mais on
sait :
• Que c’est là, ou en tout cas que quelque chose est là ;
• Que ça agit au travers de l’interaction gravitationnelle ;
• Qu’il y en a environ 5 fois plus que de matière normale.
Et… c’est à peu près tout à ce jour. La nature exacte reste un mystère à ce jour.
La matière noire n’est pas visible, elle n’interagit donc pas avec la force électromagnétique.
Elle ne forme pas de « molécules » et semble ne pas former d’astres denses. Elle semble
juste constituer de larges amas autour des galaxies.
L’hypothèse d’une masse fantôme 5 fois plus grande que la matière ordinaire expliquerait
d’autres phénomènes étonnants dans l’univers et l’espace, comme les variations dans le fond
diffus cosmologique. Ce dernier est la chaleur rémanente du Big-Bang, qui est globalement
homogène dans l’univers tout comme la distribution des galaxies dans la galaxie.
Les seules variations ne sont que de ±0,1 % par endroit : c’est faible, mais elles restent
anomalistiques. Néanmoins, les différentes simulations numériques arrivent à les retrouver,
à condition d’avoir un univers cinq fois plus massif que ce qu’on a avec la seule matière
visible.
On a donc des preuves suffisantes pour dire qu’il existe quelque chose. Quant à savoir si c’est
vraiment une masse, ou une « matière », rien n’est moins sûr. Il existe d’autres hypothèses
concurrentes.
La plus connue est probablement la théorie MOND (MOdified Newtonnian Dynamics), qui se
destine à expliquer les mouvements des galaxies et l’anomalie du fond diffus cosmologique
par une modification de la mécanique newtonienne. Elle semble moins soutenue que celle
d’une vraie « matière » fantôme.
Une autre voudrait que la masse manquante soit le résultat de l’interaction de notre univers
avec un autre univers, et qui agirait dessus à distance, à la manière d’un aimant caché sous
une table qui agit sur un trombone posé dessus.
Certains pensent que la matière noire est juste de la matière « normale » mais que l’on ne
verrait pas : petits trous noirs, ou particules très légères mais hyper-nombreuses, telles que
des neutrinos (regroupées sous le terme de WIMPs : weakly interacting massive particles),
des formations inconnues composées de particules connues (strangelet, ou particules formés
de multiples quarks). D’autres penchent pour une cinquième force fondamentale, une
anomalie dans la supersymétrie, etc.
Mais à cause de l’absence de preuves directes, cela fait 90 ans que le mystère reste entier,
malgré des dizaines d’expériences scientifiques. Les premiers résultats de détection d’ondes
gravitationnelles encouragent à penser qu’on a enfin une méthode pour analyser la matière
noire qui n’agit que par gravité, mais on est encore dans un épais brouillard scientifique tout
de même.

L’énergie noire
L’énergie noire, elle, est tout à fait autre chose. Son hypothèse est également plus récente et
remonte à 1997 !
En relativité générale, les équations permettent tout un tas de choses que la physique
classique ne permettait pas. L’une de ces choses est un univers en expansion. Ceci a été mis
en évidence par Edwin Hubble, le scientifique éponyme du télescope. Ce dernier remarqua
que les galaxies lointaines subissaient davantage le phénomène de décalage vers le rouge —
le redshift — que les galaxies plus proches. Cela signifiait que les galaxies lointaines
s’éloignaient plus vite.
L’explication à ça est que l’univers était en expansion et que plus les galaxies étaient distantes
de nous, plus il y a d’espace qui s’étire, et donc plus l’expansion les éloigne de nous. La
lumière émise par ces galaxies étant elle aussi étirée, les longueurs d’ondes s’en voient
d’autant plus allongées que les galaxies sont loin.
Or, si notre univers grandit à chaque seconde qui passe, ça signifie que par le passé, il était
plus petit. Aussi, si l’on remonte assez en arrière, il y a un moment où sa taille devait être
nulle. Cette idée — nouvelle en 1930 — était considérée comme ridicule et on donna
ironiquement le nom de « big bang » à l’explosion qui provoqua l’expansion initialement.
Pourtant, beaucoup d’indices incontestables aujourd’hui montrent que notre univers est bien
en expansion.
Une question qui vient dès lors est de se demander si cette expansion ralentit ou non, et
donc de savoir s’il arrivera un moment où l’univers cesse de s’étendre pour amorcer une
contraction (et éventuellement un retour vers un état ultra-dense, c’est-à-dire l’idée connue
sous le nom de « big crunch »), puis une explosion de type big-bang de nouveau, créant un
processus cyclique sur la formation de notre univers.
Les mesures qui suivirent pour répondre à cette question donnèrent un résultat inattendu :
non seulement l’expansion ne ralentit pas, mais en plus elle accélère ! Ceci semble
enfreindre tout un tas de lois physiques, mais c’est ce qu’on observe.
Le taux d’expansion est connu sous le nom de constante de Hubble. On mesure ainsi que
l’univers gonfle de 70 km/s par mégaparsec. Ça signifie qu’une galaxie située à 1 mégaparsec
(3 261 564 années lumière) s’éloigne de nous, et nous d’elle, avec une vitesse de 70 km/s.
C’est donc cette vitesse qui croît avec le temps.
Bien-sûr, si l’univers gonfle de plus en plus vite, une certaine pression ou énergie le pousse à
faire ça. Mais laquelle ? Cette « énergie » inconnue, c’est l’énergie noire.
Tout comme pour la matière noire donc, on ne sait pas grand-chose à son propos. On sait
seulement qu’elle est là, quels sont ses effets et aussi qu’elle est sans cesse créée. En effet, si
l’univers gonfle, l’énergie doit logiquement être de plus en plus diluée et donc de moins en
moins active. Or c’est l’inverse que l’on observe ! L’énergie noire est donc de plus en plus
active, donc si elle était créée constamment. À partir de quoi ? On ne sait pas. Une
hypothèse serait qu’il s’agit d’une propriété intrinsèque de l’espace. Et comme l’espace
s’étend, l’énergie noire est de plus en plus importante aussi.
Si l’énergie sombre se crée de nulle part aujourd’hui, c’est qu’il y en aura de plus en plus avec
le temps qui passe, mais aussi qu’il y en avait de moins en moins si l’on remonte le temps. En
particulier, juste après le Big Bang, il y en avait moins que la matière (et la matière noire). La
gravité agissant de façon attractive sur la matière, en l’absence d’énergie sombre suffisante,
l’expansion doit ralentir. Ceci s’est bien produit durant environ 8 milliards d’années, mais
depuis 5 milliards d’années après, l’expansion est en accélération.
Cela semble enfreindre les lois les plus fondamentales de la physique, mais ça ne semble pas
plus absurde que l’idée d’un univers tout entier lui-même né d’une explosion originelle !
Ainsi, si l’on peut accepter l’idée d’un big-bang sorti de nulle part, il devrait être acceptable
l’existence d’une énergie dont il s’en crée également de plus en plus à mesure que l’espace
grandit.
Les raisons ou l’origine de tout ça demeurent un mystère, mais on estime que la quantité
« d’énergie » qui pousse notre univers à gonfler de plus en plus vite est aujourd’hui telle que
ça représenterait environ 70 % de tout ce qu’il contient.
On peut digresser un peu et imaginer ce qui va se passer dans l’avenir, si l’expansion
augmente de plus en plus.
La constante de Hubble nous dit qu’un objet situé à 1 mégaparsec s’éloigne de nous à
70 km/s. S’il est situé à 2 parsecs, il s’éloigne de nous à 140 km/s. Logiquement, un objet
suffisamment éloigné pourrait s’éloigner à une vitesse dépassant la vitesse de la lumière. Ce
n’est pas tant son éloignement qui a cette vitesse, mais plutôt la « création » de distance
entre nous et l’objet. Dans les deux cas, le résultat est le même : de la lumière émise par cet
objet ne pourra jamais nous atteindre, car l’expansion sera plus rapide que le déplacement
de la lumière.
Il existe donc une distance au-delà de laquelle aucune information ne peut nous parvenir : on
appelle ça l’horizon cosmologique.
Si cette expansion s’accélère avec le temps, la constante de Hubble grandit et l’horizon
cosmologique se rapproche. Il arrivera un moment où l’horizon cosmologique sera de plus en
plus proche de nous. Les galaxies lointaines finiront au-delà et des galaxies visibles
aujourd’hui s’éteindront peu à peu, et disparaitront de notre connaissance.
Si l’expansion s’accélère encore, l’horizon cosmologique peut se rapprocher indéfiniment.
Assez en fait, pour séparer même les atomes et particules. Dans ces conditions, toutes les
particules, tous les atomes finiront par s’éloigner de toutes les autres à des vitesses
supraluminiques. Il n’y aura alors plus aucune interaction entre les particules et l’univers sera
à un stade de mort thermodynamique.

Le courant noir
Tout comme la matière noire et l’énergie noire, le qualificatif de « noir » désigne davantage
quelque chose que l’on ne voit pas, que quelque chose de couleur noire.
Pour celui-ci, il n’y a pas de consensus scientifique. Il est néanmoins assez mystérieux de
noter et d’étudier quelques étonnements obtenus dans divers travaux de recherches, en
particulier quand cela concerne un éloignement mystérieux et uniforme d’une partie de
l’univers à 600 kilomètres par seconde…
Si l’on n’avait que l’expansion uniforme de l’univers, alors toutes les galaxies situées à la
même distance de nous s’éloigneraient à la même vitesse quelle que soit la direction dans
laquelle on regarde. Or, des observations menées dès 1973 montraient que d’un côté de
nous les galaxies s’éloignent plus vite que de l’autre côté. Dans un référentiel plus englobant,
cela voudrait dire que les galaxies dans leur ensemble ont un déplacement global net vers
une direction en particulier. C’est ce déplacement unidirectionnel d’un paquet de galaxies
que l’on appelle le courant noir, ou flux noir, si on traduit ça de l’anglais dark flow.
Si le courant noir est un déplacement des galaxies vers un endroit en particulier, on peut se
demande quelle source attractive — a priori gravitationnellement — provoque ça.
Diverses études (2008, 2013) depuis ces observations semblent tantôt mettre en doute le
courant noir, tantôt nous conforter dans l’hypothèse de son existence. Le problème réside
essentiellement dans le fait que les infimes hétérogénéités dans l’intensité du fond diffus
cosmologique et la distribution de masse dans l’univers visible ne peuvent expliquer
totalement ce que l’on voit. On n’a donc aucune conclusion exacte à donner dans la cause de
ces observations.
Le Grand Attracteur, une concentration de galaxies au sein de notre superamas de galaxies
Laniakea et situé environ 200 millions d’années-lumière de nous (ce qui n’est pas énorme à
l’échelle de l’univers visible) et d’une masse de 150 000 galaxies (2×10¹⁶ masses solaire)
semble ne pas être la cause du courant noir : les effets du courant noir s’étendraient en effet
beaucoup plus loin, à des distances comptées en milliards d’années lumières…
Une hypothèse est que le déplacement actuel soit le déplacement rémanent provoqué par
l’attraction de quelque chose situé au-delà de l’horizon cosmologique, et que nous ne
pouvons pas voir aujourd’hui, ni visuellement avec la lumière, ni par gravité (ces deux
phénomènes se déplaçant à la vitesse de la lumière, rappelons-le).
En conclusion
Cet article présente deux phénomènes (voire trois si on inclue le courant noir dont on n’est
pas encore sûr) dont le processus demeure, aujourd’hui encore, inconnu.
On observe des choses, parfois avérées, mais on ne sait pas encore les expliquer.
Ici, on sait que l’on ne sait pas, ce qui est déjà pas mal : on aurait également pu ne pas savoir
que l’on ne savait pas. Il y a donc des choses que l’on sait inconnues, et d’autres,
probablement encore plus nombreuses dont on ignore jusqu’à l’existence.
La recherche est là pour lever les doutes et les interrogations. Il s’agit d’un processus long et
complexe, mais qui avance petit à petit malgré tout. Et plus la recherche avance, plus la
somme de ce que l’on sait et connaît augmente et plus l’on progresse dans ce brouillard
épais des connaissances.
En sciences toujours, l faut mieux admettre que l’on ne connaît pas quelque chose (et
éventuellement stimuler les recherches sur le sujet), que s’inventer des conclusions et des
raisons sorties de l’imaginaire et produites sans preuve, ou même d’indices.

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