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L’oiseau griffon - Contes des Frères Grimm

Temps de lecture pour enfants: 19 min

Il était une fois un roi. Où il régnait et comment il s’appelait, je n’en sais plus rien. Il n’avait pas de
fils, mais une fille unique. Elle était toujours malade et aucun docteur ne pouvait la guérir. Quelqu’un
dit au roi qu’elle retrouverait la santé si elle mangeait des pommes. Le roi fit savoir dans tout le pays
que celui qui apporterait à sa fille des pommes qui la guériraient la recevrait en mariage et serait fait
roi. Parmi ceux qui en entendirent parler se trouvait un paysan qui avait trois fils:

– Va sur nos terres, remplis un panier de belles pommes aux joues rouges et porte-les au château.
Peut-être la fille du roi en guérira-t-elle; tu l’épouseras et deviendras roi. Le jeune homme fit ce
qu’on lui disait et se mit en route. Au bout de quelque temps, il rencontra un petit homme vêtu de
gris. Celui-ci lui demanda ce qu’il portait dans son panier. Uli – c’est ainsi que se nommait le jeune
homme – lui répondit:

– Des cuisses de grenouilles! Le petit homme dit alors:

– Eh bien! qu’elles le soient et qu’elles le demeurent! Et il s’en alla. Finalement, Uli arriva au château
et se fit annoncer. Il avait des pommes, dit-il, qui guériraient la princesse si elle en mangeait. Le roi se
réjouit fort et fit amener le jeune homme aussitôt. Mais, oh! surprise, quand il ouvrit le panier, il était
plein de cuisses de grenouilles et non de pommes. Et les cuisses remuaient encore. Le roi se mit en
colère et le fit chasser du château. Quand Uli fut de retour à la maison, il raconta à son père ce qui lui
était arrivé. Le père envoya alors son second fils, qui s’appelait Samuel. Il lui arriva la même chose
qu’à Uli. Il rencontra également le petit homme en gris qui lui demanda ce qu’il avait dans son
panier. Samuel dit: – Des soles de porc. Le petit homme gris dit:

– Eh bien! qu’elles le soient et le demeurent! Quand Samuel arriva au château et qu’il eut fait
annoncer qu’il apportait des pommes susceptibles de guérir la princesse, on ne voulut tout d’abord
pas le laisser entrer. On lui dit qu’il était déjà venu quelqu’un qui les avait pris pour des fous. Samuel
insista. Il avait vraiment des pommes; il fallait le laisser entrer. Mais quand il ouvrit son panier, il était
plein de soles de porc. Le roi se mit tellement en colère qu’il fit jeter Samuel à la porte à coups de
cravache. Quand le garçon fut rentré chez lui, il raconta ce qui lui était arrivé. Le plus jeune, celui
qu’on appelait Jeannot le Bêta, s’approcha d’eux. Il demanda à son père s’il ne pourrait pas lui
permettre de porter lui aussi des pommes au roi.

– Toi, dit le père, tu es vraiment l’homme qu’il faut pour cela! Si ceux qui sont intelligents n’y arrivent
pas, que pourrais-tu bien faire! Mais le jeune homme insista.
– Père, j’aimerais essayer moi aussi!

– Tais-toi donc, imbécile! attends d’être devenu plus malin! répondit le père en lui tournant le dos.
Jeannot le tira par les basques:

– Père, je voudrais essayer moi aussi!

– Eh bien! si tu veux, vas-y! Tu finiras bien par revenir. Le garçon en sauta de joie.

– C’est ça, fais le fou! dit le père. Tu deviens plus stupide de jour en jour! Mais Jeannot s’en moquait.
Rien ne pouvait ternir sa joie. Comme la nuit allait bientôt tomber, il décida d’attendre le lendemain.
D’abord il ne trouva pas le sommeil. Finalement, il s’assoupit et rêva de jolies jeunes filles, de
château d’or, d’argent et de bien d’autres choses encore. Dès l’aube, il se mit en route et avant peu
rencontra le petit homme morose dans son habit gris qui lui demanda ce qu’il portait dans son
panier. Jeannot lui répondit que c’était des pommes qui devaient redonner la santé à la fille du roi.

– Eh bien! dit le petit homme, qu’elles le soient et le demeurent! Au château, on ne voulut pas le
laisser entrer. On lui dit qu’il en était déjà venu deux autres qui prétendaient apporter des pommes.
Le premier avait des cuisses de grenouilles, le second des soies de porc. Jeannot affirma
solennellement qu’il apportait bien des pommes et pas des cuisses de grenouilles, les plus belles
pommes du royaume. Comme il semblait sincère le portier finit par se dire. « Celui-là ne ment pas! »
Et il le laissa entrer. Il avait eut raison. Quand Jeannot ouvrit son panier devant le roi, il était plein de
pommes jaune d’or. Le roi était très content. Il fit aussitôt porter des pommes à sa fille et attendit
avec impatience de savoir ce qui en résulterait. Bientôt quelqu’un vint lui donner des nouvelles. Et
qui était-ce, à votre avis? La fille du roi elle même! À peine avait-elle goûté aux pommes qu’elle avait
bondi hors de son lit, guérie! Combien fut grande la joie du roi, on ne peut le décrire. Cependant, le
roi ne voulait pas encore donner tout de suite sa fille en mariage à Jeannot. Il lui demanda de
construire d’abord une nacelle qui naviguât sur terre encore mieux que sur l’eau. Jeannot n’y trouva
rien à redire. Il rentra à la maison et raconta aux siens ce qui s’était passé. Le père envoya Uli au bois
pour qu’il y construisit la nacelle demandée. Tout en sifflotant une chanson, le garçon y mit
beaucoup de zèle. Vers midi, quand le soleil fut au plus haut, le petit homme en gris arriva et lui
demanda ce qu’il faisait là. Uli lui répondit:

– Des ustensiles en bois! Le petit homme dit:

– Eh bien! qu’il en soit ainsi et que cela le reste! Le soir, Uli pensa qu’il avait construit une nacelle.
Mais quand il voulut s’y asseoir, elle vola en éclats et des ustensiles en bois se répandirent partout.
Le lendemain, ce fut au tour de Samuel d’aller à la forêt. Il ne lui arriva rien d’autre qu’à Uli. Le
troisième jour, Jeannot le Bêta s’y rendit à son tour. Il travailla d’arrache-pied. La forêt résonnait tout
entière des coups qu’il assenait. En même temps, il chantait et sifflait joyeusement. Quand arriva
midi, le petit homme apparut de nouveau et lui demanda ce qu’il faisait:

– Une nacelle qui aille encore mieux sur terre que sur l’eau, répondit Jeannot. Et il expliqua que
quand il aurait réussi à la construire, il obtiendrait la fille du roi pour épouse.

– Eh bien! dit le petit homme, qu’il en soit ainsi et que cela le reste! Le soir, quand le soleil se coucha,
brillant comme de l’or pur, Jeannot avait achevé de construire sa nacelle et tous les accessoires
nécessaires. Il y prit place et rama en direction du château royal. La nacelle filait comme le vent. Le
roi le vit arriver de loin, mais il n’accepta pas encore de lui donner sa fille. Il lui demanda de garder
auparavant un troupeau de cent lièvres du matin jusqu’au soir. S’il s’en échappait un seul, il
n’épouserait pas sa fille. Jeannot, là encore, se déclara d’accord. Dès le lendemain, il partit par les
prés avec son troupeau, en prenant bien garde qu’aucun lièvre ne s’échappât. Bientôt arriva une
servante du château qui le pria de vite lui en donner un. On attendait un invité de marque. Mais
Jeannot comprenait fort bien où l’on voulait en venir. Il répondit qu’il ne donnerait pas de lièvre. Le
roi n’avait qu’à attendre le lendemain pour offrir un civet à son hôte. Mais la servante n’en
démordait pas. Jeannot lui dit alors qu’il ne donnerait un lièvre que si le roi venait en personne le lui
demander. La servante fit part de cette réponse au château. La fille du roi vint alors elle-même.
Entre-temps, Jeannot avait rencontré le petit homme qui lui avait demandé ce qu’il faisait là. Il lui
fallait garder cent lièvres, lui avait-il répondu, et veiller à ce qu’aucun ne s’enfuit. S’il réussissait, il
épouserait la princesse et deviendrait roi.

– Bien, avait dit le petit homme voici un sifflet. Si l’un des lièvres se sauve, tu n’auras qu’à souffler
dedans et il reviendra. Quand la fille du roi arriva, Jeannot déposa un lièvre dans son tablier. Mais à
peine eut-elle parcouru une centaine de mètres qu’il porta son sifflet à ses lèvres et – pas vu, pas
pris! – le lièvre sautait du tablier et rejoignait le troupeau. Quand vint le soir, Jeannot siffla une
dernière fois, s’assura qu’il ne manquait aucun lièvre et ramena son troupeau au château. Le roi
s’émerveilla de ce que Jeannot eût pu garder cent lièvres sans en perdre un seul. Mais il ne voulut
toujours pas lui donner sa fille. Il exigea de Jeannot qu’il lui apportât une plume de la queue du
Griffon. Jeannot se mit aussitôt en route et il marchait à grands pas. Au soir, il arriva devant un
château et il demanda l’hospitalité pour la nuit, car à cette époque, il n’existait pas encore d’hôtels.
Le seigneur du château accepta avec joie et lui demanda où il allait. Jeannot répondit:

– Chez le Griffon.

– Chez le Griffon? répéta le seigneur. On dit qu’il sait tout. J’ai perdu la clé de mon coffre-fort; aurais-
tu l’amabilité de demander au Griffon où elle se trouve?

– Bien sûr! répondit Jeannot. Je le ferai. Le lendemain matin, très tôt, il reprit son chemin et, le soir, il
arrivait à un autre château où il passa la nuit. Quand on apprit qu’il était à la recherche du Griffon, on
lui dit que la fille de la maison était fort malade; on avait déjà tout tenté, mais rien n’y faisait.
Accepterait-il de demander au Griffon ce qui rendrait la santé à la jeune fille? Jeannot répondit qu’il
le ferait avec plaisir et poursuivit sa route. Il arriva au bord d’une large rivière. Au lieu d’un bac pour
la traverser, il vit un homme très grand qui portait les gens de l’autre côté. L’homme lui demanda où
il allait:

– Chez le Griffon, répondit-il.

– Eh bien quand vous serez auprès de lui, dit l’homme, demandez-lui donc pourquoi il me faut porter
les gens de l’autre côté de l’eau. Jeannot répondit:

– Par Dieu, oui! Je le lui demanderai. L’homme le prit sur ses épaules et le porta sur l’autre rive.
Finalement Jeannot arriva à la maison du Griffon. Mais seule sa femme y était. Le Griffon était sorti.
Sa femme demanda à Jeannot ce qu’il voulait. Et Jeannot lui raconta tout: qu’il devait ramener une
plume de la queue du Griffon; qu’il devait lui demander où se trouvait la clé du coffre du château;
qu’il voulait savoir ce qui rendrait la santé à la fille du seigneur du second château et pourquoi
l’homme devait porter les gens de l’autre côté de la rivière. La femme dit alors:

– Mais, mon bon ami, aucun chrétien ne peut parler avec le Griffon! Il les mange tous. Cependant, si
vous voulez, vous pouvez vous coucher sous son lit. Et pendant la nuit, quand il dormira bien fort,
vous tendrez la main vers lui et vous lui arracherez une plume. Pour le reste, je le lui demanderai
moi-même. Jeannot trouva tout cela fort bien et il s’allongea sous le lit. Le soir, le Griffon rentra à la
maison. Dès qu’il eut pénétré dans la chambre, il dit:

– Femme, ça sent le chrétien!

– Oui, répondit-elle, il en est venu un aujourd’hui, mais il est reparti. Le Griffon se tut. Au milieu de la
nuit, alors qu’il ronflait comme un sonneur, Jeannot avança la main vers le lit et lui arracha une
plume de sa queue. L’oiseau se réveilla en sursaut et dit:

– Femme, ça sent le chrétien! et j’ai comme l’impression qu’il y en a un qui a plumé ma queue. Sa
femme répondit:

– Tu as certainement rêvé. Je t’ai déjà dit qu’il en est venu un aujourd’hui, mais qu’il est reparti. Il
m’a raconté toutes sortes de choses. Il paraît qu’au château on aurait perdu la clé d’un coffre et
qu’on n’arrive pas à la retrouver.

– Quels fous! dit le Griffon. La clé se trouve au bûcher, derrière la porte, sous une pile de bois.
– Il a dit aussi que dans un second château il y a une jeune fille bien malade, que personne ne sait
comment guérir.

– Quels fous! dit le Griffon. Sous l’escalier de la cave, un crapaud a bâti son nid avec les cheveux de la
jeune fille. Si elle les récupère, elle retrouvera la santé.

– Ensuite, il a dit qu’il y a un homme au bord de l’eau qui doit porter les gens sur l’autre rive.

– Quel fou! dit le Griffon. S’il en laissait tomber un seul au beau milieu de l’eau, il n’en aurait plus
jamais à porter d’autre. Tôt le matin, le Griffon se leva et partit. Jeannot sortit de sous le lit, tenant la
jolie plume. Il avait entendu ce que le Griffon avait dit de la clé, de la princesse et de l’homme. Pour
qu’il n’oublie rien, la femme du Griffon lui répéta tout ce qu’avait dit son mari. Alors il prit le chemin
du retour. Il arriva d’abord auprès de l’homme du bord de l’eau. Celui-ci lui demanda tout de suite
quelle avait été la réponse du Griffon. Jeannot lui dit de le transporter d’abord: il le lui dirait une fois
de l’autre côté. L’homme le porta et Jeannot lui rapporta que s’il laissait tomber un seul de ses
passagers au milieu de l’eau, il n’aurait plus jamais à en transporter. Le passeur se réjouit fort et offrit
à Jeannot, en manière de remerciement, de lui faire effectuer un aller et retour. Jeannot refusa,
disant qu’il ne voulait pas lui causer cette fatigue, qu’il était bien content comme ça. Et il s’en alla. Il
arriva au château où la fille du roi était malade. Il la prit sur ses épaules (elle ne pouvait pas marcher),
la porta au bas de l’escalier de la cave et retira le nid du crapaud de sous la dernière marche. Il le mit
dans la main de la princesse. Elle sauta de ses épaules et remonta l’escalier devant lui. Elle était
guérie. Son père et sa mère en furent très heureux. Ils firent cadeau à Jeannot d’or et d’argent et lui
donnèrent tout ce qu’il désirait. Quand le garçon arriva au premier château, il se rendit tout droit au
bûcher, trouva la clé derrière la porte, sous la pile de bois et l’apporta au seigneur. Celui-ci en fut
bien content. En récompense, il lui donna une grande partie de l’argent qui était dans le coffre et,
par-dessus le marché, des vaches, des moutons, des chèvres et toutes sortes d’autres choses. Quand
Jeannot arriva chez le roi avec l’or, l’argent, les vaches, les moutons et les chèvres, celui-ci lui
demanda d’où il tenait tout ça. Jeannot lui répondit que le Griffon donnait à quiconque ce que
quiconque désirait. Le roi se dit qu’il pourrait bien en profiter lui aussi et il se mit en route pour aller
chez l’oiseau. Quand il arriva au bord de l’eau, personne ne s’y était encore présenté depuis le
passage de Jeannot. Le porteur le laissa tomber au beau milieu et s’en alla. Le roi se noya. Quant à
Jeannot, il épousa la princesse et devint roi.

Source: https://www.childstories.org/fr/loiseau-griffon-1920.html

Les sept corbeaux - Contes des Frères Grimm

Temps de lecture pour enfants: 7 min


Un homme avait sept fils et aucune fille, alors qu’il désirait vraiment en avoir une. Mais un jour, sa
femme le combla de joie en donnant enfin naissance à une fille. La joie des parents fut immense,
mais hélas, le bébé était si petit et si chétif qu’on jugea nécessaire de le baptiser de toute urgence.

Le père envoya vite un de ses fils à la source afin qu’il y puisât l’eau du baptême, mais les six autres
l’y suivirent et comme chacun voulut être le premier à puiser, la cruche tomba à l’eau. Les sept
garçons restèrent là, ne sachant que faire et n’osant surtout pas rentrer chez eux.

Ne les voyant pas revenir, le père s’impatienta et dit: „Les garnements sont certainement en train de
s’amuser et ont oublié la pauvre petite!“ Il avait tellement peur que le bébé meure sans baptême
qu’il s’emporta: „Je voudrais les voir tous transformés en corbeaux!“

Les sept corbeaux Conte merveilleuxImage: Oskar Herrfurth (1862-1934)

A peine eut-il prononcé ces paroles, qu’il entendit des battements d’ailes au-dessus de sa tête. Il leva
les yeux et vit s’envoler sept corbeaux noirs.

Les parents ne pouvaient rompre la malédiction et leur peine était immense d’avoir ainsi perdu leurs
sept fils. Néanmoins, ils se consolèrent quelque peu en constatant que leur chère petite fille
recouvrait ses forces et embellissait de jour en jour.

Pendant très longtemps, la petite ignora qu’elle avait eu des frères, car ses parents se gardaient bien
d’y faire la moindre allusion. Mais un jour, elle surprit par hasard une conversation à son sujet: on
disait qu’elle était bien jolie, mais qu’elle était tout de même responsable du malheur qui avait
frappé ses sept frères. Toute bouleversée, elle courut demander à son père et à sa mère si elle avait
bien eu des frères et ce qu’il était advenu d’eux.

Ses parents ne purent garder le secret plus longtemps. Ils l’assurèrent que seul le ciel avait voulu tout
ce qui s’était passé. Sa naissance n’avait été que la cause indirecte de cette malédiction. Cependant,
de jour en jour, la fillette se sentait davantage coupable et était persuadée qu’elle devait absolument
délivrer ses frères. Elle ne connut ni trêve ni repos jusqu’au jour où elle partit parcourir le vaste
monde: elle retrouverait ses frères, où qu’ils soient, et les délivrerait à n’importe quel prix. Elle
n’emporta qu’une petite bague en souvenir de ses parents, une miche de pain contre la faim, un
cruchon d’eau contre la soif et une petite chaise pour se reposer.

Alors elle s’en alla loin, très loin, jusqu’au bout du monde.

Les sept corbeaux Conte merveilleuxImage: Oskar Herrfurth (1862-1934)


Elle s’approcha du soleil, mais il était brûlant, effrayant et mangeait les jeunes enfants. Elle s’enfuit à
toutes jambes et courut vers la lune, mais celle-ci était glaciale, sinistre et méchante.

Les sept corbeaux Conte merveilleuxImage: Oskar Herrfurth (1862-1934)

Lorsqu’elle aperçut la fillette, elle dit: „Je sens, je sens l’odeur de la chair humaine.“ La petite fille
s’éloigna aussi vite qu’elle le put et arriva auprès des étoiles, qui l’accueillirent avec bonté. Chaque
étoile était assise sur sa petite chaise personnelle.

Les sept corbeaux Conte merveilleuxImage: Oskar Herrfurth (1862-1934)

L’étoile du matin se leva, lui tendit un petit os de poulet et dit: „Sans cet osselet, tu ne pourras pas
ouvrir la Montagne de Verre où se trouvent tes frères.“

La fillette prit l’osselet, l’enroula précieusement dans son mouchoir et reprit sa route jusqu’à ce
qu’elle fût arrivée à la Montagne de Verre. La porte était fermée; la petite voulut donc sortir le petit
os, mais quand elle dénoua son minuscule mouchoir, il contenait non plus un os de poulet, mais une
petite clé en or.

Les sept corbeaux Conte merveilleuxImage: Oskar Herrfurth (1862-1934)

Quand elle s’avança à l’intérieur, un nain vint à sa rencontre et lui demanda:

„Que cherches-tu, mon enfant?“

„Je cherche mes frères, les sept corbeaux,“ répondit-elle.

Et le nain déclara: „Messieurs les corbeaux ne sont pas à la maison, mais si tu veux attendre ici leur
retour, entre donc!“

Le nain se mit alors à servir le repas des corbeaux dans sept petites assiettes et sept petits gobelets.
La petite soeur mangea une bouchée de chaque petite assiette et but une gorgée de chaque petit
gobelet; dans le dernier gobelet, elle laissa tomber la bague qu’elle avait emportée avec elle.

Tout à coup, on entendit dans l’air des battements d’ailes et des croassements. Le nain dit alors:
„Voici Messieurs les corbeaux qui rentrent.“
Dès qu’ils furent arrivés, ils voulurent manger et boire et chacun chercha donc son assiette et son
gobelet. Tous, l’un après l’autre, s’étonnèrent: „Qui donc a mangé dans mon assiette? Qui a bu dans
mon gobelet? Une bouche humaine est passée par là!“

Et comme le septième corbeau arrivait au fond de son gobelet, la petite bague roula devant lui. Il la
regarda et reconnut la bague qui avait appartenu à son père et à sa mère. „Mon Dieu!

Les sept corbeaux Conte merveilleuxImage: Oskar Herrfurth (1862-1934)

si notre petite soeur pouvait être là,“ s’exclama-t-il, „nous serions délivrés!“

En entendant ce souhait, la fillette, qui se tenait cachée derrière la porte, s’avança vers les sept
corbeaux qui retrouvèrent instantanément leur forme humaine. Ils s’embrassèrent chaleureusement,
puis reprirent tous ensemble joyeusement le chemin de la maison.

Source: https://www.childstories.org/fr/les-sept-corbeaux-1846.html

Dame Trude, la sorcière - Contes des Frères Grimm

Temps de lecture pour enfants: 3 min

Attention : C'est une histoire qui fait peur.

Il était une fois une petite fille extrêmement têtue et imprudente qui n’écoutait pas ses parents et
qui n’obéissait pas quand ils lui avaient dit quelque chose. Pensez-vous que cela pouvait bien
tourner?

Un jour, la fillette dit à ses parents: « J’ai tellement entendu parler de Dame Trude que je veux une
fois aller chez elle: il paraît que c’est fantastique et qu’il y a tant de choses étranges dans sa maison,
alors la curiosité me démange. »

Dame Trude, la sorcière Conte merveilleux

Les parents le lui défendirent rigoureusement et lui dirent: « Écoute: Dame Trude est une mauvaise
femme qui pratique toutes sortes de choses méchantes et impies; si tu y vas, tu ne seras plus notre
enfant! »
La fillette se moqua de la défense de ses parents et alla quand même là-bas. Quand elle arriva chez
Dame Trude, la vieille lui demanda:

– Pourquoi es-tu si pâle?

– Oh! dit-elle en tremblant de tout son corps, c’est que j’ai eu si peur de ce que j’ai vu.

– Et qu’est-ce que tu as vu? demanda la vieille.

– J’ai vu sur votre seuil un homme noir, dit la fillette.

– C’était un charbonnier, dit la vieille.

– Après, j’ai vu un homme vert, dit la fillette.

– Un chasseur dans son uniforme, dit la vieille.

– Après, j’ai vu un homme tout rouge de sang.

– C’était un boucher, dit la vieille.

– Ah! Dame Trude, dans mon épouvante, j’ai regardé par la fenêtre chez vous, mais je ne vous ai pas
vue: j’ai vu le Diable en personne avec une tête de feu.

– Oh oh! dit la vieille, ainsi tu as vu la sorcière dans toute sa splendeur! Et cela, je l’attendais et je le
désirais de toi depuis longtemps: maintenant tu vas me réjouir.

Elle transforma la fillette en une grosse bûche qu’elle jeta au feu, et quand la bûche fut bien prise et
en train de flamber, Dame Trude s’assit devant et s’y chauffa délicieusement en disant: « Oh! le bon
feu, comme il flambe bien clair pour une fois! »

Source: https://www.childstories.org/fr/dame-trude-la-sorciere-1860.html
Conte Devinette - Contes des Frères Grimm

Temps de lecture pour enfants: 1 min

Trois femmes avaient été métamorphosées en fleurs et brillaient ainsi dans la campagne. Cependant
le charme permettait que l’une d’elles retournât chaque nuit dans sa demeure.

Il y avait quelque temps qu’elle subissait cette métamorphose, lorsqu’elle dit à son mari:

„L’aurore va paraître, et je devrai te quitter de nouveau pour rejoindre mes compagnes et redevenir,
comme elles, fleur des champs; mais si tu arrives aujourd’hui avant midi, et que tu me cueilles,
l’enchantement cessera, et je ne le quitterai plus désormais.“

Vous me demanderez maintenant comment son mari aura pu la reconnaître, puisque toutes les
fleurs étaient pareilles?

Je vous répondrai: Son mari la reconnut, parce qu’elle avait passé la nuit à la maison et non dans les
champs, et qu’ainsi la rosée, qui était tombée sur les autres, ne se trouva pas sur elle.

Source: https://www.childstories.org/fr/conte-devinette-1917.html

Jorinde et Joringel - Contes des Frères Grimm

Temps de lecture pour enfants: 7 min

Il était une fois un vieux château au cœur d’une grande forêt épaisse où vivait toute seule une vieille
femme qui était une très grande magicienne. Le jour, elle se transformait en chatte ou en chouette,
mais le soir elle reprenait ordinairement forme humaine. Elle avait le pouvoir d’attirer les oiseaux et
le gibier, et elle les tuait ensuite pour les faire cuire et rôtir.

Jorinde et Joringel Conte merveilleux

Si quelqu’un approchait du château à plus de cent pas, il était forcé de s’arrêter et ne pouvait plus
bouger de là tant qu’elle ne l’avait pas délivré d’une formule magique: mais si une pure jeune fille
entrait dans ce cercle de cent pas, elle la métamorphosait en oiseau, puis elle l’enfermait dans une
corbeille qu’elle portait dans une chambre du château. Elle avait bien sept mille corbeilles de cette
sorte dans le château avec un oiseau aussi rare dans chacune d’elle.

Jorinde et Joringel Conte merveilleux

Or, il était une fois une jeune fille qui s’appelait Jorinde; elle était plus belle que toues les autres
filles. Et puis il y avait un très beau jeune homme nommé Joringel: ils s’étaient promis l’un à l’autre.
Ils étaient au temps de leurs fiançailles et leur plus grand plaisir était d’être ensemble.

Un jour, ils allèrent se promener dans la forêt afin de pouvoir parler en toute intimité.

– Garde-toi, dit Joringel, d’aller aussi près du château.

C’était une belle soirée, le soleil brillait entre les troncs d’arbres, clair sur le vert sombre de la forêt,
et la tourterelle chantait plaintivement sur les vieux hêtres. Jorinde pleurait par moment, elle
s’asseyait au soleil et gémissait; Joringel gémissait lui-aussi. Ils étaient aussi consternés que s’ils
allaient mourir; ils regardaient autour d’eux, ils étaient perdus et ne savaient pas quelle direction ils
devaient prendre pour rentrer chez eux.

Jorinde et Joringel Conte merveilleuxImage: Paul Hey (1867 – 1952)

Il y avait encore une moitié de soleil au-dessus de la montagne, l’autre était déjà derrière. Joringel
regarda à travers les taillis et vit la vieille muraille du château tout près de lui; il fut pris d’épouvante
et envahi par une angoisse mortelle. Jorinde se mit à chanter:

Mon petit oiseau bagué du rouge anneau,

Chante douleur, douleur:

Te voilà chantant sa mort au tourtereau,

Chante douleur, doul…tsitt, tsitt, tsitt.

Joringel se tourna vers Jorinde. Elle était transformée en rossignol qui chantait “ Tsitt, Tsitt .“ Une
chouette aux yeux de braise vola trois fois autour d’elle et par trois fois cria “ hou, hou, hou .“
Joringel ne pouvait plus bouger: il restait là comme une pierre, il ne pouvait ni pleurer, ni parler, ni
remuer la main ou le pied. A présent, le soleil s’était couché: la chouette vola dans le buisson, et
aussitôt après une vieille femme en sortit, jaune, maigre et voûtée avec de grands yeux rouges et un
nez crochu dont le bout lui atteignait le menton. Elle marmonna, attrapa le rossignol et l’emporta sur
son poing. Joringel ne put rien dire, ne put pas avancer: le rossignol était parti.
Enfin, la femme revint et dit d’une voix sourde: „Je te salue, Zachiel, si la lune brille sur la corbeille,
détache-le, Zachiel, au bon moment.“

Jorinde et Joringel Conte merveilleux

Alors Joringel fut délivré. Il tomba à genoux devant la femme et la supplia de lui rendre sa Jorinde,
mais elle déclara qu’il ne l’aurait plus jamais et s’en alla. Il appela, pleura et se lamenta, mais ce fut
en vain.

Joringel s’en fut et finit par arriver dans un village inconnu où il resta longtemps à garder les
moutons. Il allait souvent tourner autour du château, mais pas trop près. Enfin, une nuit, il rêva qu’il
trouvait une fleur rouge sang avec une belle et grosse perle en son coeur. Il cueillait cette fleur et
l’emportait pour aller au château: tout ce qu’il touchait avec la fleur était délivré de l’enchantement,
et il rêva aussi qu’il avait trouvé Jorinde de cette manière.

En se réveillant la matin, il se mit en quête par monts et par vaux d’une fleur semblable: il chercha
jusqu’au neuvième jour, et voilà qu’à l’aube il trouva la fleur rouge sang. En son cœur, il y avait une
grosse goutte de rosée, aussi grosse que la perle la plus belle.

Il porta cette fleur jour et nuit jusqu’à ce qu’il arrivât au château. Quand il s’approcha à cent pas du
château, il ne fut point cloué sur place, mais il continua à marcher jusqu’à la porte. Joringel s’en
réjouit fort, il toucha la porte de sa fleur et elle s’ouvrit d’un coup. Il entra, traversa la cour, prêtant
l’oreille pour savoir s’il n’entendrait pas les nombreux oiseaux: enfin, il les entendit. Il alla dans cette
direction et trouva la salle où la magicienne était en train de donner à manger aux oiseaux dans leurs
sept mille corbeilles.

Quand elle aperçut Joringel, elle se fâcha: prise d’une grande fureur, elle l’injuria et vomit tout son
fiel contre lui, mais elle ne put pas l’approcher à plus de deux pas. Il ne tint pas compte de la
magicienne et alla examiner les corbeilles aux oiseaux; mais c’est qu’il y avait là des centaines de
rossignols. Comment allait-il retrouver sa Jorinde maintenant?

Pendant qu’il regardait ainsi, il s’aperçut que la sorcière s’emparait à la dérobée d’une petite
corbeille contenant un oiseau et gagnait la porte avec elle.

Jorinde et Joringel Conte merveilleux

Sur-le-champ il bondit sur elle, toucha la petite corbeille avec sa fleur et la vieille femme aussi:
maintenant elle ne pouvait plus rien ensorceler, et Jorinde était là, le tenant embrassé, aussi belle
qu’elle l’était auparavant. Alors Joringel refit aussi de tous les autres oiseaux des jeunes filles, puis il
rentra avec sa Jorinde, et ils vécurent longtemps heureux.

Source: https://www.childstories.org/fr/jorinde-et-joringel-1874.html

La Douce Bouillie - Contes des Frères Grimm

Temps de lecture pour enfants: 3 min

Une fille, pauvre mais vertueuse et craignant Dieu, vivait seule avec sa vieille mère. Leur misère était
devenue si grande qu’elles se voyaient sur le point de mourir de faim.

Dans cette extrémité, la pauvre fille, toujours confiante en Dieu, sortit de leur misérable cabane, et
pénétra dans le bois voisin.

Elle ne tarda pas à rencontrer une vieille femme qui, devinant (c’était une fée) la détresse de la jeune
fille, lui donna un petit pot, bien précieux vraiment.

– Tu n’auras qu’à prononcer ces trois mots, dit la vieille: « petit pot, cuis! » Il se mettra aussitôt à te
faire une douce et excellente bouillie de millet; et quand tu auras dit: « petit pot, arrête-toi! » Il
s’arrêtera sur-le-champ.

La jeune fille s’empressa d’apporter à sa mère ce pot merveilleux. À partir de ce moment, l’indigence
et la faim quittèrent leur humble cabane, et elles purent se régaler de bouillie tout à leur aise.

Il arriva qu’un jour la jeune fille dut aller faire une course hors du village. Pendant son absence la
mère eut faim, et se hâta de dire:

– Petit pot, cuis

Petit pot ne se le fit pas répéter, et la vieille eut bientôt mangé tout son soûl; alors, la bonne femme
voulut arrêter le zèle producteur du petit pot. Mais par malheur elle ignorait les mots qu’il fallait
prononcer pour cela.

La douce bouillie Conte merveilleux


Maître petit pot continua donc de cuire, de cuire toujours plus et plus fort, si bien que la bouillie ne
tarda pas à déborder du vase, puis à remplir la cuisine, puis à inonder la maison, puis la maison d’à
côté, puis une autre, puis encore une autre, puis enfin toute la rue; et du train dont il y allait, on eût
dit qu’il voulait noyer le monde entier.

Cela devenait d’autant plus effrayant, que personne ne savait comment s’y prendre pour arrêter ce
déluge.

Heureusement qu’à la fin, comme il ne restait plus dans tout le village qu’une seule maison qui ne fût
pas devenue la proie de la bouillie, la jeune fille revint et s’écria:

– Petit pot! arrête-toi!

Et aussitôt petit pot s’arrêta.

Les habitants du village, qui désirèrent rentrer dans leurs maisons, n’en durent pas moins avaler
beaucoup plus de bouillie qu’ils n’en voulaient.

Ce conte prouve qu’on fait toujours mal ce qu’on ne sait qu’à demi.

Source: https://www.childstories.org/fr/la-douce-bouillie-1891.html

La fée du sureau - Contes de Hans Christian Andersen

Temps de lecture pour enfants: 20 min

Il y avait une fois un petit garçon enrhumé; il avait eu les pieds mouillés. Où ça? Nul n’aurait su le
dire, le temps étant tout à fait au sec.

Sa mère le déshabilla, le mit au lit et apporta la bouilloire pour lui faire une bonne tasse de tisane de
sureau cela réchauffe! Au même instant, la porte s’ouvrit et le vieux monsieur si amusant qui habitait
tout en haut de là maison entra. Il vivait tout seul n’ayant ni femme ni enfants, mais il adorait tous les
enfants et savait raconter tant de contes et d’histoires pour leur faire plaisir

– Bois ta tisane, dit la mère, et peut-être monsieur te dira-t-il un conte.


– Si seulement j’en connaissais un nouveau, dit le vieux monsieur en souriant doucement. Mais où
donc le petit s’est-il mouillé les pieds?

– Ah! ça, dit la mère, je me le demande…

– Est-ce que vous me direz un conte? demande le petit garçon.

– Bien sûr, mais il faut d’abord que je sache exactement la profondeur de l’eau du caniveau de la
petite rue que tu prends pour aller à l’école.

– L’eau monte juste à la moitié des tiges de mes bottes, si je passe à l’endroit le plus profond.

– Eh bien voilà où nous avons eu les pieds mouillés, dit le vieux monsieur. je te dois un conte et je
n’en sais plus.

– Vous pouvez en inventer un immédiatement. Maman dit que tout ce que vous regardez, vous
pouvez en faire un conte et que de tout ce que vous touchez peut sortir une histoire.

– Mais ces contes et des histoires ne valent rien. Les vrais doivent naître tout seuls et me frapper le
front en disant: Me voilà!

– Est-ce que ça va frapper bientôt? demanda le petit garçon.

La maman se mit à rire, elle jeta quelques feuilles de sureau dans la théière et versa l’eau bouillante
dessus.

– Racontez! racontez!

– Avec plaisir, si un conte venait tout seul, mais il est souvent capricieux et n’arrive que lorsque ça lui
chante. Stop! s’écria-t-il tout d’un coup, en voilà un! Attention, il est là sur la théière!

Le petit garçon tourna les yeux vers la théière. Le couvercle se soulevait de plus en plus et des fleurs
en jaillissaient, si fraîches et si blanches; de longues feuilles vertes sortaient même par le bec, cela
devenait un ravissant buisson de sureau, tout un arbre bientôt qui envahissait le lit, en repoussant les
rideaux. Que de fleurs, quel parfum! et au milieu de l’arbre une charmante vieille dame était assise.
Elle portait une drôle de robe toute verte parsemée de grandes fleurs blanches; on ne voyait pas tout
de suite si cette robe était faite d’une étoffe ou de verdure et de fleurs vivantes.

– Comment s’appelle-t-elle, cette dame? demanda le petit garçon.

– Oh! bien sûr, les Romains et les Grecs auraient dit que c’était une dryade, mais nous ne
connaissons plus tout ça. Ici, à Nyboder, on l’appelle „la fée du Sureau.“ Regarde-la bien et écoute-
moi…

Il y a à Nyboder un arbre tout fleuri pareil à celui-ci; il a poussé dans le coin d’une petite ferme très
pauvre. Sous son ombrage, par une belle après-midi de soleil, deux bons vieux, un vieux marin et sa
vieille épouse étaient assis. Arrière-grandsparents déjà, ils devaient bientôt célébrer leurs noces d’or,
mais ne savaient pas au juste à quelle date. La fée du Sureau, assise dans l’arbre, avait l’air de rire. „je
connais bien, moi, la date des noces d’or! “ Mais eux ne l’entendaient pas, ils parlaient des jours
anciens.

– Te souviens-tu, disait le vieux marin, du temps que nous étions petits, nous courions et nous
jouions justement dans cette même cour où nous sommes assis et nous piquions des baguettes dans
la terre pour faire un jardin.

– Bien sûr, je me rappelle, répondit sa femme. Nous arrosions ces branches taillées et l’une d’elles,
une branche de sureau, prit racine, bourgeonna et devint par la suite le grand arbre sous lequel nous
deux, vieux, sommes assis.

– Oui, dit-il, et là, dans le coin, il y avait un grand baquet d’eau, mon bateau, que j’avais taillé moi-
même, y naviguait! Mais bientôt, c’est moi qui devais naviguer d’une autre manière.

– Mais d’abord nous avions été à l’école pour tâcher d’apprendre un peu quelque chose; puis ce fut
notre confirmation, on pleurait tous les deux. L’après-midi, nous montions tout au haut de la Tour
Ronde, la main dans la main, et nous regardions de là-haut le vaste monde, et Copenhague et la mer.
Après, nous sommes allés à Frederiksberg, où le roi et la reine, dans leurs barques magnifiques,
voguaient sur les canaux.

– Mais je devais vraiment voguer tout autrement, et durant de longues années, et pour de grands
voyages!
– Ce que j’ai pleuré à cause de toi! dit-elle, je croyais que tu étais mort et noyé, tombé tout au fond
de la mer. Souvent, la nuit, je me levais et regardais la girouette pour voir si elle tournait. Elle
tournait tant et plus, mais toi tu n’arrivais pas. je me souviens si bien de la pluie torrentielle qui
tombait un jour. Le boueur devait passer devant la maison où je servais; je descendis avec la poubelle
et restai à la porte. Quel temps! Et comme j’attendais là, le facteur passa et me remit une lettre, une
lettre de toi! Ce qu’elle avait voyagé! Je me jetai dessus et commençai à lire, je riais, je pleurais,
j’étais si heureuse! Tu écrivais que tu étais dans les pays chauds où poussent les grains de café. Quel
pays béni ce doit être! Tu en racontais des choses, et je lisais tout ça debout, ma poubelle près de
moi, tandis que la pluie tombait en tourbillons. Tout d’un coup, derrière moi, quelqu’un nie prit par la
taille…

– Et tu lui allongeas une bonne claque sur l’oreille…

– Mais je ne savais pas que c’était toi! Tu étais arrivé en même temps que la lettre et tu étais si beau!
… Tu l’es encore. Tu avais un grand mouchoir de soie jaune dans la poche et un suroît reluisant. Tu
étais très élégant. Dieu, quel temps et comme la rue était sale!

– Ensuite nous nous sommes mariés, dit-il; tu te souviens quand nous avons eu le premier garçon, et
puis Marie, et Niels et Peter et Hans Christian?

– Oui, tous grands et tous de braves gens que tout le monde aime.

– Et leurs enfants, à leur tour, ont eu des petits! dit le vieil homme, de solides gaillards aussi! Il me
semble que c’est bien à cette époque-ci de l’année que nous nous sommes mariés?

– Oui, c’est justement aujourd’hui le jour de vos noces d’or, dit la fée du Sureau en passant sa tête
entre eux deux. Ils crurent que c’était la voisine qui les saluait, ils se regardaient, se tenant par la
main.

Peu après arrivèrent les enfants et petits-enfants; ils savaient, eux, qu’on fêtait les noces d’or, ils
avaient déjà le matin apporté leurs voeux. Les vieux l’avaient oublié, alors qu’ils se rappelaient si bien
ce qui s’était passé de longues années auparavant.

Le sureau embaumait, le soleil couchant illuminait les visages des vieux et les rendait tout rubiconds,
le plus jeune des petits enfants dansait tout autour et criait, tout heureux que ce fût jour de fête,
qu’on allait manger des pommes de terre chaudes. La fée du Sureau souriait dans l’arbre et criait
„Bravo“ avec les autres.
– Mais ce n’est pas du tout un conte, dit le petit garçon qui écoutait.

– Tu dois t’y connaître, dit celui qui racontait. Demandons un peu à notre fée.

Ce n’était pas un conte, dit-elle, mais il va venir maintenant. De la réalité naît le plus merveilleux des
contes, sans quoi mon délicieux buisson ne serait pas jailli de la théière.

Elle prit le petit garçon dans ses bras contre sa poitrine. La verdure et les fleurs les enveloppant
formaient autour d’eux une tonnelle qui s’envola avec eux à travers l’espace. Voyage délicieux. La fée
était devenue subitement une petite fille, en robe verte et blanche avec une grande fleur de sureau
sur la poitrine, et -sur ses blonds cheveux bouclés, une couronne. Ses yeux étaient si grands, si bleus!
Quel plaisir de la regarder! Les deux enfants s’embrassèrent, ils avaient le même âge et les mêmes
goûts.

La main dans la main, ils sortirent de la tonnelle et les voici dans leur jardin fleuri. Sur le frais gazon
de la pelouse, la canne du père était restée; simple bois sec, elle était vivante pour les petits. Sitôt
qu’ils l’enfourchèrent, le pommeau poli se transforma en une belle tête hennissante, la noire crinière
voltigeait. Quatre pattes à la fois fines et fortes lui poussèrent, l’animal était robuste et fougueux. Au
galop, ils tournaient autour de la pelouse. Hue! Hue!

Nous voilà partis, dit le petit garçon, à des lieues de chez nous, nous allons jusqu’au château où nous
étions l’an passé. Et ils tournaient et tournaient autour de la pelouse, la petite fille, qui n’était autre
que la fée, s’écriait:

– Nous voici dans la campagne, vois-tu la maison du paysan avec le grand four qui a l’air d’un
immense oeuf sur le mur du côté de la route, le sureau étend ses branches au-dessus et le coq gratte
la terre pour les poules et se rengorge! Nous voici à l’église, elle est tout en haut de la côte, au milieu
des grands chênes dont l’un est presque mort. Et nous voici à la forge où brûle un grand feu, où des
hommes à moitié nus tapent de leurs marteaux, faisant voler les étincelles de tous côtés. En route,
en route vers le beau château!

Tout ce dont parlait la petite fille assise derrière, sur la canne, se déroulait devant eux; le garçon le
voyait, et cependant ils ne tournaient qu’autour de la pelouse.

Ensuite ils jouèrent dans l’allée et dessinèrent un jardin sur le sol; la petite fille enleva une fleur de
sureau de sa tête et la planta. Et cette fleur poussa exactement comme cela s’était passé devant nos
deux vieux de Nyboder, quand ils étaient Petits – comme nous l’avons raconté tout à l’heure.
Ils marchèrent la main dans la main, comme les vieux étant enfants, mais ils ne montèrent pas sur la
Tour Ronde et ne visitèrent pas le jardin de Frederiksberg, non, la petite fille tenait le garçon par la
taille et ils volaient à travers le Danemark.

Le printemps se déroula, puis l’été, et l’automne et l’hiver; mille images se reflétaient dans les yeux
du garçon et, dans son coeur, toujours la petite fille chantait: „Tu n’oublieras jamais tout ça!“ Le
sureau, tout au long du voyage embaumait si exquisément. Le garçon sentait bien les roses et la
fraîcheur des hêtres, mais le parfum du sureau était bien plus ensorcelant car ses fleurs reposaient
sur le coeur de la petite fille et dans la course la tête du garçon se tournait souvent vers elle.

– Comme c’est beau, ici, au printemps, dit la petite fille, tandis qu’ils passaient dans la forêt de hêtres
aux bourgeons nouvellement éclos; le muguet embaumait à leurs pieds et les anémones roses
faisaient bel effet sur l’herbe verte. Ah! si c’était toujours le printemps dans l’odorante forêt de
hêtres danoise.

– Comme c’est beau ici, en été, dit-elle, tandis qu’à toute allure ils passaient devant les vieux
châteaux du moyen âge, où les murs rouges et les pignons crénelés se reflétaient dans les fossés où
les cygnes nageaient et levaient la tête vers les allées ombreuses et fraîches. Les blés ondulaient
comme une mer dans la plaine, les fossés étaient pleins de fleurs rouges et jaunes et les haies de
houblon sauvage et de liserons et le doux parfum des meules de foin flottait sur les prés. Le soir, la
lune monta toute ronde dans le ciel. Cela ne s’oublie jamais.

– Comme c’est beau, ici, à l’automne, dit la petite, et le ciel devint deux fois plus élevé et plus
intensément bleu, les plus ravissantes couleurs de rouge, de jaune et de vert envahirent la forêt, les
chiens de chasse galopaient à toute allure, des bandes d’oiseaux sauvages s’envolaient en criant au-
dessus des tumulus où les ronces s’accrochaient aux vieilles pierres, la mer était bleu-noir avec des
voiliers blancs et dans la grange les femmes, les jeunes filles, les enfants égrenaient le sureau dans un
grand récipient. Les jeunes chantaient des romances, les vieux racontaient des histoires de lutins et
de sorciers.

– Comme c’est beau, ici, l’hiver! dit la petite fille. Tous les arbres couverts de givre semblaient de
corail blanc. La neige crissait sous les pieds comme si l’on avait des chaussures neuves, et les étoiles
filantes tombaient du ciel l’une après l’autre.

Dans la salle on allumait l’arbre de Noël. C’était l’heure des cadeaux et de la bonne humeur; dans la
campagne le violon chantait; chez les paysans les beignets de pommes sautaient dans la graisse et
même les plus pauvres enfants disaient: „Que c’est bon l’hiver!“

Oui, tout était exquis quand la petite fille l’expliquait au garçon. Toujours le sureau embaumait, et
toujours flottait le drapeau rouge à la croix blanche, sous lequel le vieux marin de Nyboder avait
navigué. Le garçon devenait un jeune homme; il devait partir dans le vaste monde, loin, loin, vers les
pays chauds où pousse le café. Au moment de l’adieu, la petite fille prit sur sa poitrine une fleur de
sureau et la lui tendit afin qu’il la garde entre les pages de son livre de psaumes, et, chaque fois que
dans les pays étrangers il ouvrait son livre, c’était juste à la place de la fleur du souvenir.

A mesure qu’il la regardait, elle devenait de plus en plus fraîche, il lui semblait sentir le parfum des
forêts danoises. Au milieu des pétales de la fleur, il voyait la petite fille aux clairs yeux bleus et elle lui
murmurait: „Qu’il fait bon au printemps, en été, en automne, en hiver.“

Des centaines d’images glissaient dans ses pensées.

Les années passèrent. Il devint un vieil homme assis avec sa femme sous un arbre en fleurs, la tenant
par la main comme les aïeux de Nyboder, et, comme eux, ils parlaient des jours anciens, des noces
d’or. La petite fée aux yeux bleus avec des fleurs dans les cheveux, était assise dans l’arbre et les
saluait de la tête, en disant: „C’est le jour de vos noces d’or!“ Elle prit deux fleurs de sa couronne
posa deux @ y

baisers, alors elles brillèrent d’abord comme de l’argent, puis comme de l’or, et, lorsqu’elle les posa
sur la tête des vieilles gens, chaque fleur devint une couronne. Tous deux étaient assis là, comme roi
et reine, sous l’arbre odorant qui avait bien l’air d’un sureau, et le mari raconta à sa vieille l’histoire
de la fée du Sureau comme on la lui avait contée quand il était un petit garçon et tous les deux
trouvèrent qu’elle ressemblait à leur propre histoire, les passages les plus semblables étaient ceux
qui leur plaisaient le plus.

– Oui, c’est ainsi, dit la fée dans l’arbre, les uns m’appellent fée, les autres dryade, mais mon vrai
nom est “ Souvenir.“ je suis assise dans l’arbre qui pousse et qui repousse et je me souviens et je
raconte! Fais-moi voir si tu as gardé mon cadeau.

Le vieil homme ouvrit son livre de psaumes; la fleur de sureau était là, fraîche comme si on venait de
l’y déposer. Alors, „Souvenir“ sourit, les deux vieux avec leur couronne d’or sur la tête, assis dans la
lueur rouge du soleil couchant, fermèrent les yeux et! et! l’histoire est finie.

Le petit garçon, dans son lit, ne savait pas s’il avait dormi ou s’il avait entendu un conte. La théière
était là, sur la table, mais aucun sureau n’en jaillissait, et le vieux monsieur qui avait raconté
l’histoire, allait justement s’en aller.

– Comme c’était joli, maman, dit le petit garçon. J’ai été dans les pays chauds. – Oui, ça, je veux bien
le croire, dit la mère, quand on a dans le corps deux tasses de tisane de sureau brûlante, on doit bien
se sentir dans les pays chauds.
Elle remonta bien les couvertures pour qu’il ne se refroidisse plus.

– Tu as sûrement dormi pendant que je me disputais avec le monsieur pour savoir si c’était un conte
ou une histoire!

– Où est la fée du Sureau? demanda l’enfant.

– Elle est là, sur la théière, dit la mère, eh bien, qu’elle y reste.

Source: https://www.childstories.org/fr/la-fee-du-sureau-1963.html

Le briquet - Contes de Hans Christian Andersen

Temps de lecture pour enfants: 18 min

Un soldat s’en venait d’un bon pas sur la route. Une deux, une deux! sac au dos et sabre au côté. Il
avait été à la guerre et maintenant, il rentrait chez lui. Sur la route, il rencontra une vieille sorcière.
Qu’elle était laide! Sa lippe lui pendait jusque sur la poitrine. „Bonsoir soldat,“ dit-elle. „Ton sac est
grand et ton sabre est beau, tu es un vrai soldat. Je vais te donner autant d’argent que tu voudras.“

„Merci, vieille,“ dit le soldat.

„Vois-tu ce grand arbre?“ dit la sorcière. „Il est entièrement creux. Grimpe au sommet, tu verras un
trou, tu t’y laisseras glisser jusqu’au fond. Je t’attacherai une corde autour du corps pour te remonter
quand tu m’appelleras.“

„Mais qu’est-ce que je ferai au fond de l’arbre?“

„Tu y prendras de l’argent,“ dit la sorcière. Quand tu seras au fond, tu te trouveras dans une grande
galerie éclairée par des centaines de lampes. Devant toi il y aura trois portes. Tu pourras les ouvrir,
les clés sont dessus. Si tu entres dans la première chambre, tu verras un grand chien assis au beau
milieu sur un coffre. Il a des yeux grands comme des soucoupes, mais ne t’inquiète pas de ça. Je te
donnerai mon tablier à carreaux bleus que tu étendras par terre, tu saisiras le chien et tu le poseras
sur mon tablier. Puis tu ouvriras le coffre et tu prendras autant de pièces que tu voudras. Celles-là
sont en cuivre… Si tu préfères des pièces d’argent, tu iras dans la deuxième chambre! Un chien y est
assis avec des yeux grands comme des roues de moulin. Ne t’inquiète encore pas de ça. Pose-le sur
mon tablier et prends des pièces d’argent, autant que tu en veux. Mais si tu préfères l’or, je peux
aussi t’en donner – et combien! – tu n’as qu’à entrer dans la troisième chambre. Ne t’inquiète
toujours pas du chien assis sur le coffre. Celui-ci a les yeux grands comme la Tour Ronde de
Copenhague et je t’assure que pour un chien, c’en est un. Pose-le sur mon tablier et n’aie pas peur, il
ne te fera aucun mal. Prends dans le coffre autant de pièces d’or que tu voudras.

„Ce n’est pas mal du tout ça,“ dit le soldat. „Mais qu’est-ce qu’il faudra que je te donne à toi la
vieille? Je suppose que tu veux quelque chose.“

„Pas un sou,“ dit la sorcière. „Rapporte-moi le vieux briquet que ma grand-mère a oublié la dernière
fois qu’elle est descendue dans l’arbre.“

„Bon,“ dit le soldat, „attache-moi la corde autour du corps.“

„Voilà, et voici mon tablier à carreaux bleus.“

Le soldat grimpa dans l’arbre, se laissa glisser dans le trou, et le voilà, comme la sorcière l’avait
annoncé, dans la galerie où brillaient des centaines de lampes.

Il ouvrit la première porte. Oh! le chien qui avait des yeux grands comme des soucoupes le regardait
fixement.

„Tu es une brave bête,“ lui dit le soldat en le posant vivement sur le tablier de la sorcière. Il prit
autant de pièces de cuivre qu’il put en mettre dans sa poche, referma le couvercle du coffre, posa le
chien dessus et entra dans la deuxième chambre. Brrr!! le chien qui y était assis avait, réellement, les
yeux grands comme des roues de moulin.

„Ne me regarde pas comme ça,“ lui dit le soldat, „tu pourrais te faire mal.“ Il posa le chien sur le
tablier, mais en voyant dans le coffre toutes ces pièces d’argent, il jeta bien vite les sous en cuivre et
remplit ses poches et son sac d’argent. Puis il passa dans la troisième chambre. Mais quel horrible
spectacle! Les yeux du chien qui se tenait là étaient vraiment grands chacun comme la Tour Ronde de
Copenhague et ils tournaient dans sa tête comme des roues.

„Bonsoir,“ dit le soldat en portant la main à son képi, car de sa vie, il n’avait encore vu un chien pareil
et il l’examina quelque peu. Mais bientôt il se ressaisit, posa le chien sur le tablier, ouvrit le coffre.
Dieu! … que d’or! Il pourrait acheter tout Copenhague avec ça, tous les cochons en sucre des
pâtissiers et les soldats de plomb et les fouets et les chevaux à bascule du monde entier. Quel trésor!
Il jeta bien vite toutes les pièces d’argent et prit de l’or. Ses poches, son sac, son képi et ses bottes, il
les remplit au point de ne presque plus pouvoir marcher. Eh bien! il en avait de l’argent cette fois!
Vite il replaça le chien sur le coffre, referma la porte et cria dans le tronc de l’arbre: „Remonte-moi,
vieille.“

„As-tu le briquet?“ demanda-t-elle.

„Ma foi, je l’avais tout à fait oublié,“ fit-il, et il retourna le prendre. Puis la sorcière le hissa jusqu’en
haut et le voilà sur la route avec ses poches, son sac, son képi, ses bottes pleines d’or!

„Qu’est-ce que tu vas faire de ce briquet?“ demanda-t-il.

„Ça ne te regarde pas, tu as l’argent, donne-moi le briquet!“

„Taratata,“ dit le soldat. „Tu vas me dire tout de suite ce que tu vas faire de ce briquet ou je tire mon
sabre et je te coupe la tète.“

„Non,“ dit la vieille sorcière.

Alors, il lui coupa le cou. La pauvre tomba par terre et elle y resta. Mais lui serra l’argent dans le le
tablier, en fit un baluchon qu’il lança sur son épaule, mit le briquet dans sa poche et marcha vers la
ville.

Une belle ville c’était. Il alla à la meilleure auberge, demanda les plus belles chambres, commanda
ses plats favoris. Puisqu’il était riche.

Le valet qui cira ses chaussures se dit en lui-même que pour un monsieur aussi riche, il avait de bien
vieilles bottes. Mais dès le lendemain, le soldat acheta des souliers neufs et aussi des vêtements
convenables. Alors il devint un monsieur distingué. Les gens ne lui parlaient que de tout ce qu’il y
avait d’élégant dans la ville et de leur roi, et de sa fille, la ravissante princesse.

„Où peut-on la voir?“ demandait le soldat.


„On ne peut pas la voir du tout,“ lui répondait-on. „Elle habite un grand château aux toits de cuivre
entouré de murailles et de tours. Seul le roi peut entrer chez elle à sa guise car on lui a prédit que sa
fille épouserait un simple soldat; et un roi n’aime pas ça du tout.“

Que je voudrais la connaître! dit le soldat, mais il savait bien que c’était tout à fait impossible.

Alors il mena une joyeuse vie, alla à la comédie, roula carrosse dans le jardin du roi, donna aux
pauvres beaucoup d’argent – et cela de grand coeur – se souvenant des jours passés et sachant
combien les indigents ont de peine à avoir quelques sous. Il était riche maintenant et bien habillé, il
eut beaucoup d’amis qui, tous, disaient de lui: „Quel homme charmant, quel vrai gentilhomme!“ Cela
le flattait. Mais comme il dépensait tous les jours beaucoup d’argent et qu’il n’en rentrait jamais dans
sa bourse, le moment vint où il ne lui resta presque plus rien. Il dut quitter les belles chambres, aller
loger dans une mansarde sous les toits, brosser lui-même ses chaussures, tirer l’aiguille à repriser.
Aucun ami ne venait plus le voir… trop d’étages à monter.

Par un soir très sombre – il n’avait même plus les moyens de s’acheter une chandelle – il se souvint
qu’il en avait un tout petit bout dans sa poche et aussi le briquet trouvé dans l’arbre creux où la
sorcière l’avait fait descendre. Il battit le silex du briquet et au moment où l’étincelle jaillit, voilà que
la porte s’ouvre. Le chien aux yeux grands comme des soucoupes est devant lui. „Qu’ordonne mon
maître?“ demande le chien.

„Quoi!“ dit le soldat. „Voilà un fameux briquet s’il me fait avoir tout ce que je veux. Apporte-moi un
peu d’argent.“ Hop! voilà l’animal parti et hop! le voilà revenu portant, dans sa gueule, une bourse
pleine de pièces de cuivre.

Alors le soldat comprit quel briquet miraculeux il avait là. S’il le battait une fois, C’était le chien assis
sur le coffre aux monnaies de cuivre qui venait, s’il le battait deux fois, c’était celui qui gardait les
pièces d’argent et s’il battait trois fois son briquet, C’était le gardien des pièces d’or qui apparaissait.
Notre soldat put ainsi redescendre dans les plus belles chambres, remettre ses vêtements luxueux.
Ses amis le reconnurent immédiatement et même ils avaient beaucoup d’affection pour lui.

Cependant un jour, il se dit: „C’est tout de même dommage qu’on ne puisse voir cette princesse. On
dit qu’elle est si charmante! A quoi bon si elle doit toujours rester prisonnière dans le grand château
aux toits de cuivre avec toutes ces tours? Est-il vraiment impossible que je la voie? Où est mon
briquet?“ Il fit jaillir une étincelle et le chien aux yeux grands comme des soucoupes apparut.

„Il est vrai qu’on est au milieu de la nuit,“ lui dit le soldat, „mais j’ai une envie folle de voir la
princesse.“
En un clin d’oeil, le chien était dehors, et l’instant d’après, il était de retour portant la princesse
couchée sur son dos. Elle dormait et elle était si gracieuse qu’en la voyant, chacun aurait reconnu
que c’était une vraie princesse. Le jeune homme n’y tint plus, il ne put s’empêcher de lui donner un
baiser car, lui, c’était un vrai soldat.

Vite le chien courut ramener la jeune fille au château, mais le lendemain matin, comme le roi et la
reine prenaient le thé avec elle, la princesse leur dit qu’elle avait rêvé la nuit d’un chien et d’un
soldat et que le soldat lui avait donné un baiser.

„Eh bien! en voilà une histoire!“ dit la reine.

Une des vieilles dames de la cour reçut l’ordre de veiller toute la nuit suivante auprès du lit de la
princesse pour voir si c’était vraiment un rêve ou bien ce que cela pouvait être!

Le soldat se languissait de revoir l’exquise princesse! Le chien revint donc la nuit, alla la chercher,
courut aussi vite que possible – mais la vieille dame de la cour avait mis de grandes bottes et elle
courait derrière lui et aussi vite. Lorsqu’elle les vit disparaître dans la grande maison, elle pensa: „Je
sais maintenant où elle va,“ et, avec un morceau de craie, elle dessina une grande croix sur le portail.
Puis elle rentra se coucher. Le chien, en revenant avec la princesse, vit la croix sur le portail et traça
des croix sur toutes les portes de la ville. Et ça, c’était très malin de sa part; ainsi la dame de la cour
ne pourrait plus s’y reconnaître.

Au matin, le roi, la reine, la vieille dame et tous les officiers sortirent pour voir où la princesse avait
été.

„C’est là, dit le roi dès qu’il aperçut la première porte avec une croix.

„Non, c’est ici mon cher époux,“ dit la reine en s’arrêtant devant la deuxième porte.

„Mais voilà une croix – en voilà une autre,“ dirent-ils tous, il est bien inutile de chercher davantage.

Cependant, la reine était une femme rusée, elle savait bien d’autres choses que de monter en
carrosse. Elle prit ses grands ciseaux d’or et coupa en morceaux une pièce de soie, puis cousit un joli
sachet qu’elle remplit de farine de sarrasin très fine. Elle attacha cette bourse sur le dos de sa fille et
perça au fond un petit trou afin que la farine se répande tout le long du chemin que suivrait la
princesse.
Le chien revint encore la nuit, amena la princesse sur son dos auprès du soldat qui l’aimait tant et qui
aurait voulu être un prince pour l’épouser.

Mais le chien n’avait pas vu la farine répandue sur le chemin depuis le château jusqu’à la fenêtre du
soldat. Le lendemain, le roi et la reine n’eurent aucune peine à voir où leur fille avait été. Le soldat
fut saisi et jeté dans un cachot lugubre!

Oh! qu’il y faisait noir! „Demain, tu seras pendu,“ lui dit-on. Ce n’est pas une chose agréable à
entendre, d’autant plus qu’il avait oublié son briquet à l’auberge. Derrière les barreaux de fer de sa
petite fenêtre, il vit le matin suivant les gens qui se dépêchaient de sortir de la ville pour aller le voir
pendre. Il entendait les roulements de tambours, les soldats défilaient au pas cadencé. Un petit
apprenti cordonnier courait à une telle allure qu’une de ses savates vola en l’air et alla frapper le mur
près des barreaux au travers desquels le soldat regardait.

„Hé! ne te presse pas tant. Rien ne se passera que je ne sois arrivé. Mais si tu veux courir à l’auberge
où j’habitais et me rapporter mon briquet, je te donnerai quatre sous. Mais en vitesse.“ Le gamin ne
demandait pas mieux que de gagner quatre sous. Il prit ses jambes à son cou, trouva le briquet…

En dehors de la ville, on avait dressé un gibet autour duquel se tenaient les soldats et des centaines
de milliers de gens. Le roi, la reine étaient assis sur de superbes trônes et en face d’eux, les juges et
tout le conseil.

Déjà le soldat était monté sur l’échelle, mais comme le bourreau allait lui passer la corde au cou, il
demanda la permission – toujours accordée, dit-il à un condamné à mort avant de subir sa peine –
d’exprimer un désir bien innocent, celui de fumer une pipe, la dernière en ce monde.

Le briquet Conte merveilleuxImage: Paul Hey (1867 – 1952)

Le roi ne voulut pas le lui refuser et le soldat se mit à battre son briquet: une fois, deux fois, trois fois!
et hop! voilà les trois chiens: celui qui avait des yeux comme des soucoupes, celui qui avait des yeux
comme des roues de moulin et celui qui avait des yeux grands chacun comme la Tour Ronde de
Copenhague.

„Empêchez-moi maintenant d’être pendu!“ leur cria le soldat. Alors les chiens sautèrent sur les juges
et sur tous les membres du conseil, les prirent dans leur gueule, l’un par les jambes, l’autre par le
nez, les lancèrent en l’air si haut qu’en tombant, ils se brisaient en mille morceaux.
„Je ne tolérerai pas,“ commença le roi. Mais le plus grand chien le saisit ainsi que la reine et les lança
en l’air à leur tour. Les soldats en étaient épouvantés et la foule cria: „Petit soldat, tu seras notre roi
et tu épouseras notre délicieuse princesse.“

On fit monter le soldat dans le carrosse royal et les trois chiens gambadaient devant en criant ‚bravo‘.
Les jeunes gens sifflaient dans leur doigts, les soldats présentaient les armes. La princesse fut tirée de
son château aux toits de cuivre et elle devint reine, ce qui lui plaisait beaucoup. La noce dura huit
jours, les chiens étaient à table et roulaient de très grands yeux.

Source: https://www.childstories.org/fr/le-briquet-1943.html

Le jeune géant - Contes des Frères Grimm

Temps de lecture pour enfants: 20 min

Un paysan avait un fils qui n’était pas plus gros que le pouce; il ne grandissait nullement, et en
plusieurs années sa taille ne s’accrut pas d’un cheveu. Un jour que le père allait aux champs labourer,
le petit lui dit: « Père, je veux sortir avec toi. – Sortir avec moi? dit le père; reste donc ici; tu ne ferais
que nous gêner dehors, et de plus on pourrait bien te perdre. »

Mais le petit nain se mit à pleurer et, pour avoir la paix, son père le prit dans sa poche et l’emmena
avec lui. Quand on fut arrivé sur la pièce de labour, il l’assit au bord d’un sillon fraîchement ouvert.
Comme ils étaient là, parut un grand géant qui venait de l’autre côté des monts. « Vois-tu le grand
croquemitaine? dit le père qui voulait faire peur à son fils, afin de le rendre plus obéissant; il vient
pour te prendre. » Mais le géant, qui avait entendu cela, arriva en deux pas au sillon, prit, le petit
nain et l’emporta sans dire un mot. Le père, muet de frayeur, n’eut pas même la force de pousser un
cri. Il crut son enfant perdu, et n’espéra pas le revoir jamais. Le géant l’avait emmené chez lui; il l’y
allaita lui-même, et le petit nain prit tout à coup sa croissance; il grandit et devint fort à la manière
des géants. Au bout de deux ans le géant alla avec lui dans le bois, et pour réprouver il lui dit: «
Cueille-toi une baguette. » Le garçon était déjà si fort qu’il arracha de terre un jeune arbre avec ses
racines. Mais le géant jugea qu’il avait encore des progrès à faire, et, le remmenant avec lui, il l’allaita
encore pendant deux ans. Au bout de ce temps, sa force avait tellement augmenté qu’il arrachait de
terre un vieil arbre. Ce n’était pas assez pour le géant: il l’allaita encore pendant deux autres années,
au bout desquelles il alla au bois avec lui et lui dit: « Cueille-toi un bâton de grosseur raisonnable. »
Le jeune homme arracha de terre le plus gros chêne de la forêt, qui fit entendre d’horribles
craquements, et un tel effort n’était qu’un jeu pour lui. « C’est bien, dit le géant, ton éducation est
faite, » et il le ramena sur la pièce de terre où il l’avait pris. Son père était occupé à labourer quand le
jeune géant l’aborda et lui dit: « Eh bien, mon père, votre fils est devenu un homme. »
Le paysan effrayé s’écria: « Non, tu n’es pas son fils; je ne veux pas de toi Va-t’en. – Oui, je suis votre
fils. Laissez-moi travailler à votre place, je labourerai aussi bien et mieux que vous. – Non, non, tu
n’es pas mon fils, et tu ne sais pas labourer. Va-t’en. »

Mais comme il avait peur du colosse, il quitta sa charrue et se tint à distance. Alors le jeune homme,
saisissant l’instrument d’une seule main, appuya dessus avec une telle force, que le soc s’enfonça
profondément en terre. Le paysan ne put s’empêcher de lui crier: « Si tu veux labourer, il ne faut pas
enfoncer si avant; cela fait un mauvais travail. Alors le jeune homme détela les chevaux, et s’attela
lui-même à la charrue en disant à son père: « Allez à la maison et recommandez à ma mère de
m’apprêter un dîner copieux; pendant ce temps-là je vais achever de labourer cette pièce. »

Le paysan, de retour chez lui, transmit la recommandation à sa femme. Quant au jeune homme, il
laboura le champ, qui avait bien quatre arpents, à lui tout seul; et ensuite il le hersa en traînant deux
herses à la fois. Quand il eut fini, il alla au bois, arracha deux chênes qu’il mit sur ses épaules, et
suspendant à l’un les deux herses et à l’autre les deux chevaux, il emporta le tout chez ses parents,
aussi aisément qu’une botte de paille. Lorsqu’il fut entré dans la cour, sa mère qui ne le reconnaissait
pas, s’écria: « Quel est cet affreux géant? – C’est notre fils, dit le paysan

– Non, dit-elle, notre fils n’est plus. Nous n’en avons jamais eu un si grand; il était tout petit »

Et s’adressent à lui encore une fois: « Va-t’en, cria-t-elle, nous ne voulons pas de toi. »

Le jeune homme ne disait pas un mot. Il mit ses chevaux à l’écurie, leur donna du foin et de l’avoine,
et fit pour eux tout ce qu’il fallait. Puis, quand il eut fini, il entra dans la chambre, et s’asseyant sur un
banc: « Mère, dit-il, j’ai faim; le dîner est-il prêt? – Oui, répondit-elle, en mettant devant lui deux
grands plats tout pleins, qui auraient suffit à les nourrir pendant huit jours, elle et son mari. Le jeune
homme eut bientôt tout mangé, et il demanda s’il n’y en avait pas encore. « Non, c’est, tout ce que
nous avons. – C’était pour me mettre en appétit; il me faut autre chose. »

Elle n’osa pas lui résister, et mit au feu une grande marmite pleine de lard, qu’elle servit dès qu’il fut
cuit. « A la bonne heure, dit-il, voilà une bouchée à manger. » Et il avala tout, sans que sa faim en fût
encore apaisée. Alors il dit à son père: « Je vois bien qu’il n’y a pas chez vous de quoi me nourrir.
Procurez-moi seulement une barre de fer assez forte pour que je ne la brise pas sur mon genou, et je
m’en irai courir le monde. »

Le paysan était ravi. Il attela ses deux chevaux à sa charrette et rapporta de chez le forgeron une
barre de fer si grande et si épaisse, que c’était tout ce que les chevaux pouvaient porter. Le jeune
homme la prit, et ratch! il la brisa sur son genou comme un fétu et jeta les morceaux de côté. Le père
attela quatre chevaux, et rapporta une autre barre de fer qu’ils avaient peine à traîner. Mais son fils
la brisa encore sur son genou en disant: « Celle-ci ne vaut rien encore; allez m’en chercher une plus
forte. » Enfin, le père mit huit chevaux, et en rapporta une que l’attelage transportait à peine. Quand
le fils l’eut prise dans sa main, il en cassa un petit bout à l’extrémité et dit à son père: « Je vois bien
que vous ne pouvez pas me procurer une barre de fer comme il m’en faut. Je m’en vais de chez vous.
»

Pour courir le monde, il se fit compagnon forgeron. Il arriva dans un village où il y avait un forgeron
avare, ne donnant jamais rien à personne et voulant toujours tout garder pour lui tout seul. Il se
présenta dans sa forge et lui demanda de l’ouvrage. Le maître était ravi de voir un homme si
vigoureux, comptant qu’il donnerait un bon coup de marteau et gagnerait bien son argent, «
Combien veux-tu de gages? lui demanda-t-il. -Rien, répondit le garçon; seulement, à chaque
quinzaine, quand on payera les autres, je veux te donner deux coups de poing que tu seras obligé de
recevoir. »

L’avare était enchanté du marché, qui épargnait son argent. Le lendemain, ce fut au compagnon
étranger à donner le premier coup de marteau: quand le maître eut apporté la barre de fer rouge, il
frappa un tel coup que le fer s’écrasa et s’éparpilla; et l’enclume en fut enfoncée en terre si
profondément, qu’on ne put jamais la retirer. Le maître, en colère, lui dit: « Tu ne peux pas faire mon
affaire, tu frappes trop fort. Que veux-tu que je te paye pour l’unique coup de marteau que tu as
donné? – Je ne veux que te donner un petit coup, pas davantage. »

El il lui donna un coup de pied qui le fit sauter par-dessus quatre voitures de foin. Puis il chercha la
plus grosse barre de fer qu’il put trouver dans la forge, et la prenant à sa main comme un bâton, il
continua sa route. Un peu plus loin, il arriva à une ferme et demanda au fermier s’il n’avait pas
besoin d’un maître valet. « Oui, dit le fermier, il m’en manque un. Tu m’as l’air d’un vigoureux
gaillard, qui entend déjà la besogne. Mais combien veux-tu de gages? » Il répondit qu’il ne demandait
pas de gages, mais le pouvoir de donner tous les ans au fermier trois coups que celui-ci s’engagerait à
recevoir. Le fermier fut ravi de ce marché, car c’était encore un avaricieux. Le lendemain matin, il
fallait aller chercher du bois dans la forêt; les autres valets étaient déjà debout, mais notre jeune
homme était encore couché dans son lit. Un d’eux lui cria: « Lève-toi, il est temps; nous allons au
bois, il faut que tu viennes avec nous. – Allez devant, répondit-il brusquement, je serai encore de
retour avant vous. »

Les autres allèrent trouver le fermier et lui racontèrent que son maître valet était encore couché et
ne voulait pas les suivre au bois. Le fermier leur dit d’aller l’éveiller encore une fois et de lui donner
l’ordre d’atteler les chevaux. Mais le maître valet répondit de nouveau: « Allez devant, je serai de
retour avant vous. Il resta couché encore deux heures; au bout de ce temps, il se leva, alla cueillir
deux boisseaux de pois, et s’en fit une bonne bouillie qu’il mangea paisiblement, après quoi il attela
les chevaux pour conduire la charrette au bois. Pour arriver à la forêt, il fallait prendre un chemin
creux; il y fit d’abord passer sa charrette, puis, arrêtant les chevaux, il revint par derrière et boucha la
route avec un abatis d’arbres et de broussailles, si bien qu’il n’y avait plus moyen de passer, Quand il
entra dans la forêt, les autres s’en retournaient avec leurs charrettes chargées. Il leur dit: « Allez,
allez toujours, je serai à la maison avant vous. » Et, sans pousser plus loin, il se contenta d’arracher
deux arbres énormes qu’il jeta sur sa charrette, puis il prit le chemin du retour. Quand il arriva devant
l’abatis qu’il avait préparé, les autres y étaient arrêtés et ne pouvaient pas passer. « Eh bien! leur dit-
il, si vous étiez restés comme moi ce matin vous auriez dormi une heure de plus, et vous n’en seriez
pas rentrés plus tard ce soir. » Et comme ses chevaux ne pouvaient plus avancer, il les détela, les mit
sur une charrette, et, prenant lui-même le timon à la main, il entraîna tout cela comme une poignée
de plumes. Quand il fut de l’autre côté: « Vous voyez, dit-il aux autres, que je m’en tire plus vite que
vous; » et il continua son chemin sans les attendre. Arrivé dans la cour, il prit un arbre dans sa main
et le montra au fermier, en disant: « N’est-ce pas une jolie bûche? » Le fermier dit à sa femme: «
C’est un bon serviteur; s’il se lève plus tard que les autres, il est de retour avant eux. »

Il servit le fermier pendant un an. Quand l’année fut expirée et que les autres valets reçurent leurs
gages, il demanda aussi à se payer des siens. Mais le fermier, terrifié de la perspective des coups à
recevoir, le pria instamment de lui en faire la remise, lui déclarant qu’il aimerait mieux devenir lui-
même son valet, et le faire fermier à sa place. « Non, répondit-il, je ne veux pas être fermier; je suis
maître valet et je veux rester tel; mais ce qui a été convenu doit être exécuté. »

Le fermier offrit de lui donner tout ce qu’il demanderait; mais ce fut en vain; il répondit toujours: «
Non. » Le fermier, ne sachant plus à quel saint se vouer, réclama un répit de quinze jours pour
chercher quelque échappatoire; l’autre y consentit. Alors le fermier rassembla tous ses gens et leur
demanda conseil. Après y avoir longuement réfléchi, ils répondirent qu’avec un tel maître valet
personne n’était sûr de sa vie, et qu’il tuerait un homme comme une mouche. Ils étaient donc d’avis
qu’il fallait le faire descendre dans le puits, sous prétexte de le nettoyer, et, une fois qu’il serait en
bas, lui jeter sur la tête des meules de moulin qui étaient déposées près de là, de façon à le tuer sur
la place. Le conseil plut au fermier, et le maître valet s’apprêta à descendre dans le puits. Quand il fut
au fond, ils lui jetèrent des meules énormes, et ils lui croyaient la tête écrasée; mais il cria d’en bas: «
Chassez les poules de là-haut; elles grattent dans le sable et m’en envoient des grains dans les yeux;
j’en suis aveuglé. » Le fermier fit: « Chou! chou! » comme s’il avait chassé les poules. Quand le maître
valet eut fini et qu’il fut remonté: « Voyez, dit-il, mon beau cellier. » C’était la plus grande des meules
qu’il avait autour du cou. Le maître valet exigeait toujours ses gages, mais le fermier lui demanda
encore quinze jours de réflexion. Ses gens lui conseillèrent d’envoyer le jeune homme au moulin
enchanté pour y faire moudre son grain pendant la nuit; personne n’en était encore sorti vivant le
lendemain. Cet avis plut au fermier, et à l’instant même il commanda à son valet de porter huit
boisseaux de blé au moulin et de les faire moudre pendant la nuit, parce qu’on en avait besoin tout
de suite. Le valet mit deux boisseaux de blé dans sa poche droite, deux dans sa poche gauche, en
chargea quatre dans un bissac, deux par devant et deux par derrière, et ainsi lesté, il se rendit au
moulin. Le meunier lui dit qu’on pouvait bien moudre pendant le jour, mais non pendant la nuit, et
que ceux qui s’y étaient risqués avaient été tous trouvés morts le lendemain. « Je n’y mourrai pas,
moi, répondit-il; allez vous coucher et dormez sur les deux oreilles. » Et entrant dans le moulin, il
engrena son blé comme s’il ne se fût agi de rien. Vers onze heures du soir, il entra dans le bureau du
meunier et s’assit sur le banc. Mais au bout d’un instant, la porte s’ouvrit d’elle-même, et il vit entrer
une grande table, sur laquelle se posèrent tout seuls des plats et des bouteilles remplis d’excellentes
choses, sans qu’il parût personne pour les apporter. Les tabourets se rangèrent aussi autour de la
table, toujours sans que personne apparût; mais à la fin le jeune homme vit des doigts, sans rien de
plus, qui chargeaient les assiettes et s’escrimaient dessus avec les fourchettes et les couteaux.
Comme il avait faim et que les plats fumaient, il se mit aussi à table et mangea à son appétit. Quand il
eut fini de souper et que les plats vides annoncèrent que les invisibles avaient fini également, il
entendit distinctement qu’on soufflait les lumières, et elles s’éteignirent toutes à la fois; alors, dans
l’obscurité, il sentit sur sa joue quelque chose comme un soufflet. « Si l’on recommence, dit-il tout
haut, je m’y mets aussi. » Il en reçut cependant un second, et alors il riposta. Les soufflets donnés et
rendus continuèrent toute la nuit, et le jeune géant ne s’épargna pas à ce jeu. Au point du jour tout
cessa. Le meunier arriva et s’étonna de le trouver encore en vie. » Je me suis régalé, lui dit le géant;
j’ai reçu des soufflets, mais je les ai bien rendus. »

Le meunier était plein de joie, car son moulin était délivré; il voulait donner au géant beaucoup
d’argent pour le remercier. « De l’argent! dit celui-ci, je n’en veux pas; j’en ai plus qu’il ne m’en faut.
» Et, prenant ses sacs de farine sur son dos, il retourna à la ferme et déclara au fermier que sa
commission était finie et qu’il voulait ses gages. Le fermier était bien effrayé; il ne pouvait tenir en
place, il allait et venait dans la chambre et les gouttes de sueur lui tombaient du front. Pour respirer
un peu, il ouvrit la fenêtre; mais, avant qu’il eût le temps de se méfier, le maître valet lui donna un
coup qui renvoya par la fenêtre dans les airs, où il monta toujours jusqu’à ce qu’on le perdît de vue.
Alors le maître valet dit à la fermière: « A votre tour, le second coup sera pour vous. – Non, non,
s’écria-t-elle, on ne frappe pas les femmes! » Et elle ouvrit l’autre fenêtre, car la sueur lui coulait
aussi du front; mais le coup qu’elle reçut l’envoya dans les airs encore plus haut que son mari, parce
qu’elle était plus légère. Son mari lui criait: « Viens avec moi, » et elle lui répondait: « Viens avec moi,
toi; je ne peux pas y aller, moi. » Et ils continuèrent à flotter dans l’air sans parvenir à se rejoindre; et
peut-être y flottent-ils encore. Quant au jeune géant, il prit sa barre de fer et se remit en route.

Source: https://www.childstories.org/fr/le-jeune-geant-1885.html

Les fleurs de la petite Ida - Contes de Hans Christian Andersen

Temps de lecture pour enfants: 18 min

outes les feuilles pendent! Pourquoi? demanda-t-elle à l’étudiant assis sur le sofa. Elle l’aimait
beaucoup, l’étudiant, il savait les plus délicieuses histoires et découpait des images si amusantes: des
cœurs avec des petites dames au milieu qui dansaient; des fleurs et de grands châteaux dont on
pouvait ouvrir les portes, c’était un étudiant plein d’entrain.

– Eh bien! sais-tu ce qu’elles ont? dit l’étudiant. Elles sont allées au bal cette nuit, c’est pourquoi elles
sont fatiguées.

– Mais les fleurs ne savent pas danser! dit la petite Ida.

– Si, quand vient la nuit et que nous autres nous dormons, elles sautent joyeusement de tous les
côtés. Elles font un bal presque tous les soirs.

– Est-ce que les enfants ne peuvent pas y aller?


– Si, dit l’étudiant. Les enfants de fleurs, les petites anthémis et les petits muguets.

– Où dansent les plus jolies fleurs? demanda la petite Ida.

– N’es-tu pas allée souvent devant le grand château que le roi habite l’été, où il y a un parc délicieux
tout plein de fleurs? Tu as vu les cygnes qui nagent vers toi quand tu leur donnes des miettes de pain,
c’est là qu’il y a un vrai bal, je t’assure!

– J’ai été dans le parc hier avec maman, dit Ida, mais toutes les feuilles étaient tombées des arbres et
il n’y avait pas une seule fleur! Où sont-elles donc? L’été, j’en avais vu des quantités.

– Elles sont à l’intérieur du château, dit l’étudiant. Dès que le roi et les gens de la cour s’installent à la
ville, les fleurs montent du parc au château et elles sont d’une gaieté folle.

– Mais, demanda Ida, est-ce que personne ne punit les fleurs parce qu’elles dansent au château du
roi?

– Personne ne s’en doute. Parfois, la nuit, le vieux gardien fait sa ronde. Il a un grand trousseau de
clés. Dès que les fleurs entendent leur cliquetis, elles restent tout à fait tranquilles, cachées derrière
les grands rideaux et elles passent un peu la tête seulement. „Je sens qu’il y a des fleurs ici,“ dit le
vieux gardien, mais il ne peut les voir.

– Que c’est amusant! dit la petite Ida en battant des mains, est-ce que je ne pourrai pas non plus les
voir?

– Si, souviens-toi lorsque tu iras là-bas de jeter un coup d’œil à travers la fenêtre, tu les verras bien.
Je l’ai fait aujourd’hui, il y avait une grande jonquille jaune étendue sur le divan, elle croyait être une
dame d’honneur!

– Est-ce que les fleurs du jardin botanique peuvent aussi aller là-bas?

– Oui, bien sûr, car si elles veulent, elles peuvent voler. N’as-tu pas vu les beaux papillons rouges,
jaunes et blancs, ils ont presque l’air de fleurs, ils l’ont été du reste. Ils se sont arrachés de leur tige et
ont sauté très haut en l’air en battant de leurs feuilles comme si c’étaient des ailes et ils se sont
envolés. Et comme ils se conduisaient fort bien, ils ont obtenu le droit de voler aussi dans la journée,
de ne pas rentrer chez eux pour s’asseoir immobiles sur leur tige. Les pétales, à la fin, sont devenus
de vraies ailes.

– Il se peut du reste que les fleurs du jardin botanique n’aient jamais été au château du roi, ni même
qu’elles sachent combien les fêtes y sont gaies.

– Et je vais te dire quelque chose qui étonnerait bien le professeur de botanique qui habite à côté (tu
le connais). Quand tu iras dans son jardin, tu raconteras à une des fleurs qu’il y a grand bal au
château la nuit, elle le répétera à toutes les autres et elles s’envoleront. Si le professeur descend
ensuite dans son jardin, il ne trouvera plus une fleur et il ne pourra comprendre ce qu’elles sont
devenues!

– Mais comment une fleur peut-elle le dire aux autres fleurs? Elles ne savent pas parler.

– Evidemment, dit l’étudiant, mais elles font de la pantomime! N’as-tu pas remarqué quand le vent
souffle un peu comme les fleurs inclinent la tête et agitent leurs feuilles vertes? C’est aussi expressif
que si elles parlaient.

– Est-ce que le professeur comprend la pantomime? demanda Ida.

– Bien sûr. Un matin, comme il descendait dans son jardin, il vit une ortie qui faisait de la pantomime
avec ses feuilles à un ravissant œillet rouge. Elle disait: « Tu es si joli, et je t’aime tant! » Mais le
professeur n’aime pas cela du tout, il donna aussitôt une grande tape à l’ortie sur les feuilles qui sont
ses doigts, mais ça l’a terriblement brûlé et depuis il n’ose plus jamais toucher à l’ortie.

– C’est amusant, dit la petite Ida en riant.

– Comment peut-on raconter de telles balivernes, dit le conseiller de chancellerie venu en visite et
qui était assis sur le sofa. Il n’aimait pas du tout l’étudiant et grognait tout le temps quand il le voyait
découper des images si amusantes: un homme pendu à une potence et tenant un cœur à la main, car
il avait volé bien des cœurs. Le conseiller n’appréciait pas du tout cela et il disait comme maintenant:
«Comment peut-on mettre des balivernes pareilles dans la tête d’un enfant? Quelles inventions
stupides! »

Mais la petite Ida trouvait très amusant ce que l’étudiant racontait et elle y pensait beaucoup. La tête
des fleurs pendait parce qu’elles étaient fatiguées d’avoir dansé toute la nuit, elles étaient
certainement malades. Elle les apporta près de ses autres jouets étalés sur une jolie table, dont le
tiroir était plein de trésors. Dans le petit lit était couchée sa poupée Sophie qui dormait, mais Ida lui
dit: « Il faut absolument te lever, Sophie, et te contenter du tiroir pour cette nuit; ces pauvres fleurs
sont malades, et si elles couchent dans ton lit, peut-être qu’elles guériront! » Elle fit lever la poupée
qui avait un air revêche et ne dit pas un mot, elle était fâchée de prêter son lit. Ida coucha les fleurs
dans le lit de poupée, tira la petite couverture sur elles jusqu’en haut et leur dit de rester bien
sagement tranquilles, qu’elle allait leur faire du thé afin qu’elles guérissent et puissent se lever le
lendemain. Elle tira les rideaux autour du petit lit pour que le soleil ne leur vînt pas dans les yeux.
Toute la soirée, elle ne put s’empêcher de penser à ce que l’étudiant lui avait raconté et quand vint
l’heure d’aller elle-même au lit, elle courut d’abord derrière les rideaux des fenêtres dans
l’embrasure desquelles se trouvaient, sur une planche, les ravissantes fleurs de sa mère, des
jacinthes et des tulipes, et elle murmura tout bas: «Je sais bien que vous devez aller au bal! »

Les fleurs firent semblant de ne rien entendre. La petite Ida savait pourtant ce qu’elle savait …
Lorsqu’elle fut dans son lit, elle resta longtemps à penser. Comme ce serait plaisant de voir danser
ces jolies fleurs là-bas, dans le château du roi.

– Est-ce que vraiment mes fleurs y sont allées? Là-dessus, elle s’endormit. Elle se réveilla au milieu de
la nuit; elle avait rêvé de fleurs et de l’étudiant que le conseiller grondait et accusait de lui mettre des
idées stupides et folles dans la tête. Le silence était complet dans la chambre d’Ida, la veilleuse
brûlait sur la table, son père et sa mère dormaient. «Mes fleurs sont-elles encore couchées dans le lit
de Sophie? se dit-elle. Elle se souleva un peu et jeta un coup d’œil vers la porte entrebâillée. Elle
tendit l’oreille et il lui sembla entendre que l’on jouait du piano dans la pièce à côté, mais tout
doucement. Jamais elle n’avait entendu une musique aussi délicate.

– Toutes les fleurs doivent danser maintenant! dit-elle. Mon Dieu! que je voudrais les voir! Mais elle
n’osait se lever. «Si seulement elles voulaient entrer ici », se dit-elle. Mais les fleurs ne venaient pas
et la musique continuait à jouer, si légèrement. A la fin, elle n’y tint plus, c’était trop délicieux, elle se
glissa hors de son petit lit et alla tout doucement jusqu’à la porte jeter un coup d’œil. Il n’y avait pas
du tout de veilleuse dans cette pièce, mais il y faisait tout à fait clair, la lune brillait à travers la
fenêtre et éclairait juste le milieu du parquet. Toutes les jacinthes et les tulipes se tenaient debout en
deux rangs, il n’y en avait plus du tout dans l’embrasure de la fenêtre où ne restaient que les pots
vides. Sur le parquet, les fleurs dansaient gracieusement. Un grand lis rouge était assis au piano. Ida
était sûre de l’avoir vu cet été car elle se rappelait que l’étudiant avait dit: « Oh! comme il ressemble
à Mademoiselle Line! » et tout le monde s’était moqué de lui. Maintenant Ida trouvait que la longue
fleur ressemblait vraiment à cette demoiselle, et elle jouait tout à fait de la même façon qu’elle. Puis
elle vit un grand crocus bleu sauter juste au milieu de la table où se trouvaient les jouets. Il alla droit
vers le lit des poupées et en tira les rideaux. Les fleurs malades y étaient couchées mais elles se
levèrent immédiatement et firent signe aux autres en bas qu’elles aussi voulaient danser. Ida eut
l’impression que quelque chose était tombé de la table. Elle regarda de ce côté et vit que c’était la
verge de la Mi-Carême qui avait sauté par terre. Ne croyait-elle pas être aussi une fleur? Il était très
joli, après tout, ce martinet. A son sommet était une petite poupée de cire qui avait sur la tête un
large chapeau. La verge de la Mi-Carême sauta sur ses trois jambes de bois rouge, en plein milieu des
fleurs. Elle se mit à taper très fort des pieds car elle dansait la mazurka, et cette danse-là, les autres
fleurs ne la connaissaient pas. Tout à coup, la poupée de cire du petit fouet de la Mi-Carême devint
grande longue, elle tourbillonna autour des fleurs de papier et cria très haut: « Peut-on mettre des
bêtises pareilles dans la tête d’un enfant! Ce sont des inventions stupides! » Et alors, elle ressemblait
exactement au conseiller de la chancellerie, avec son large chapeau, elle aussi était jaune et aussi
grognon. Les fleurs en papier lui donnèrent des coups sur ses maigres jambes et elle se ratatina de
nouveau et redevint une petite poupée de cire. Le fouet de la Mi-Carême continuait à danser et le
conseiller était obligé de danser avec. Il n’y avait rien à faire: il se faisait grand et long et tout d’un
coup redevenait la petite poupée de cire jaune au grand chapeau noir. Les fleurs prièrent alors le
martinet de s’arrêter, surtout celles qui avaient couché dans le lit de poupée, et cette danse cessa.
Mais voilà qu’on entendit des coups violents frappés à l’intérieur du tiroir où gisait Sophie, la poupée
d’Ida, au milieu de tant d’autres jouets. Le casse-noix courut jusqu’au bord de la table, s’allongea de
tout son long sur le ventre et réussit à tirer un petit peu le tiroir. Alors Sophie se leva et regarda
autour d’elle d’un air étonné.

– Il y a donc bal ici, dit-elle. Pourquoi ne me l’a-t-on pas dit?

– Veux-tu danser avec moi? dit le casse-noix.

– Ah! bien oui! tu serais un beau danseur! Et elle lui tourna le dos. Elle s’assit sur le tiroir et se dit que
l’une des fleurs viendrait l’inviter, mais il n’en fut rien: alors elle toussa, hm, hm, hm, mais personne
ne vint. Comme aucune des fleurs n’avait l’air de voir Sophie, elle se laissa tomber du tiroir sur le
parquet dans un grand bruit. Toutes les fleurs accoururent pour l’entourer et lui demander si elle ne
s’était pas fait mal, et elles étaient toutes si aimables avec elle, surtout celles qui avaient couché dans
son lit. Elle ne s’était pas du tout fait mal, affirmait-elle, et les fleurs d’Ida la remercièrent pour le lit
douillet. Tout le monde l’aimait et l’attirait juste au milieu du parquet, là où scintillait la lune, on
dansait avec elle et toutes les fleurs faisaient cercle autour. Sophie était bien contente, elle les pria
de conserver son lit. Mais les fleurs répondirent:

– Nous te remercions mille fois, mais nous ne pouvons pas vivre si longtemps. Demain nous serons
tout à fait mortes. Mais dis à la petite Ida qu’elle nous enterre dans le jardin, près de la tombe de son
canari, alors nous refleurirons l’été prochain et nous serons encore plus belles.

– Non, ne mourez pas, dit Sophie en embrassant les fleurs. Au même instant la porte de la salle
s’ouvrit et une foule de jolies fleurs entrèrent en dansant. Ida ne comprenait pas d’où elles pouvaient
venir, c’étaient sûrement toutes les fleurs du château du roi. En tête s’avançaient deux roses
magnifiques portant de petites couronnes d’or: c’étaient un roi et une reine. Puis venaient les plus
ravissantes giroflées et des œillets qui saluaient de tous côtés. Ils étaient accompagnés de musique:
des coquelicots et des pivoines soufflaient dans des cosses de pois à en être cramoisies. Les
campanules bleues et les petites nivéoles blanches sonnaient comme si elles avaient eu des
clochettes. Venaient ensuite quantité d’autres fleurs, elles dansaient toutes ensemble, les violettes
bleues et les pâquerettes rouges, les marguerites et les muguets. Et toutes s’embrassaient, c’était
ravissant à voir. A la fin, les fleurs se souhaitèrent bonne nuit, la petite Ida se glissa aussi dans son lit
et elle rêva de tout ce qu’elle avait vu. Quand elle se leva le lendemain matin, elle courut aussitôt à la
table pour voir si les fleurs étaient encore là, et elle tira les rideaux du petit lit; oui, elles y étaient
mais tout à fait fanées, beaucoup plus que la veille. Sophie était couchée dans le tiroir, elle avait l’air
d’avoir très sommeil.
– Te rappelles-tu ce que tu devais me dire? demanda Ida. Sophie avait l’air stupide et ne répondit pas
un mot.

– Tu n’es pas gentille, dit Ida et pourtant elles ont toutes dansé avec toi. Elle prit une petite boîte en
papier sur laquelle étaient dessinés de jolis oiseaux, l’ouvrit et y déposa les fleurs mortes.

– Ce sera votre cercueil, dit-elle, et quand mes cousins norvégiens viendront, ils assisteront à votre
enterrement dans le jardin afin que l’été prochain vous re- poussiez encore plus belles. Les cousins
norvégiens étaient deux garçons pleins de santé s’appelant Jonas et Adolphe. Leur père leur avait fait
cadeau de deux arcs, et ils les avaient apportés pour les montrer à Ida. Elle leur raconta l’histoire des
pauvres fleurs qui étaient mortes et ils durent les enterrer.

Source: https://www.childstories.org/fr/les-fleurs-de-la-petite-ida-1946.html

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