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Le Dernier Secret

Posted originally on the Archive of Our Own at http://archiveofourown.org/works/43212565.

Rating: Mature
Archive Warning: Creator Chose Not To Use Archive Warnings
Categories: F/M, Gen, M/M
Fandom: Harry Potter - J. K. Rowling
Relationships: Harry Potter & Severus Snape, Severus Snape/Nymphadora Tonks,
Sirius Black & Harry Potter, Sirius Black & Severus Snape, Sirius Black
& Remus Lupin, Hermione Granger/Draco Malfoy, Charlie
Weasley/Original Male Character(s), Sirius Black/Original Female
Character(s), Albus Dumbledore/Gellert Grindelwald, past nymphadora
tonks/remus lupin, Draco Malfoy & Ron Weasley, Harry Potter/Ginny
Weasley, Lucius Malfoy/Narcissa Black Malfoy
Characters: Severus Snape, Harry Potter, Nymphadora Tonks, Albus Dumbledore,
Sirius Black, Remus Lupin, Hermione Granger, Ron Weasley, Draco
Malfoy, Bill Weasley, Charlie Weasley, Ginny Weasley, Gellert
Grindelwald, Alastor "Mad-Eye" Moody, Kingsley Shacklebolt, Minerva
McGonagall, look everybody's here basically if they're not dead already
Additional Tags: Alternate Universe, Character Death, Français | French, Horcruxes,
Horcrux Hunting, Horcrux Destruction, Battle Scenes, out of ideas for
tags, Cross-Posted on FanFiction.Net
Language: Français
Series: Part 3 of Les Cicatrices
Stats: Published: 2022-11-22 Updated: 2024-01-13 Words: 1,225,609 Chapters:
81/?
Le Dernier Secret
by EllanaSan

Summary

Troisième partie et fin de la trilogie des Cicatrices. Fait directement suite aux Cicatrices du
Temps et l'Armée de l'Ombre. Le cours de la guerre s'accélère, les alliances se forment et se
déforment et derrière chaque visage pourrait se cacher un espion.

transfered and cross-posted from fanfiction.net (2014 - )

Suite et fin à la trilogie des Cicatrices

Ne repostez pas cette fic ailleurs, merci

Notes

Cette histoire fait suite aux Cicatrices du Temps et à l'Armée de l'Ombre et n'aura pas grand
sens seule. Elle respecte le canon des livres 1à 7 (et films correspondant) mais ne prend rien
d'autre en compte.

Lien original: https://www.fanfiction.net/s/10075414/1/Le-Dernier-Secret

Elle sera cross-posted ici et sur fanfiction.net.

Ne repostez pas cette histoire ailleurs, merci


There's Always Another Secret

There's always another secret.


Brandon Sanderson, Mistborn: The Final Empire

Il y a toujours un autre secret.

Brandon Sanderson, Mistborn: The Final Empire

La bougie posée sur le bureau tremblota et le vieux sorcier se redressa à temps pour voir la
mèche être avalée par la cire fondue. Avec un soupir, Albus Dumbledore posa la plume dont
il s’était servi pour parapher les documents urgents que sa sous-directrice avait insisté pour
qu’il signe et s’étira dans l’espoir ténu de faire disparaître ses douleurs lombaires.

La pièce était désormais plongée dans la pénombre la plus totale. Les chandeliers et les
torches s’étaient éteints les uns après les autres sans qu’il s’en rende compte, ne laissant plus
comme source de lumière que la petite chandelle qui flottait en permanence devant sa fenêtre.
Il la contempla quelques secondes, cherchant à se souvenir de la voix de sa mère lorsqu’elle
expliquait l’importance de cette tradition désuète pour guider les voyageurs égarés – Arianna
n’était qu’un bébé dans son berceau à cette époque là… Alberforth tenait à peine debout… –
mais le temps avait avalé les intonations de sa voix comme il avalait tout le reste.

À tâtons, il chercha la baguette qu’il avait posée à côté du tas de parchemins, un peu plus tôt
dans la soirée, dans l’idée d’allumer un feu et, peut-être bien, de préparer du thé.

Ses doigts se refermaient à peine sur la hampe de la baguette de sureau lorsque la pièce fut
totalement plongée dans le noir.

La chandelle s’était éteinte.

Il ne pouvait y avoir qu’une seule explication à cela, ses sortilèges étaient trop précis pour
qu’il en soit autrement.

Y croyant à peine, Albus attrapa sa baguette et ralluma les torches, tout en réfléchissant au
meilleur moyen de fouiller le domaine pour retrouver Severus et Harry. Il n’avait pas dépassé
le coin de son bureau lorsque l’air se mit à crépiter d’une forme de magie ancienne et fragile.
Instinctivement, il s’entoura d’un puissant bouclier.

Juste à temps…

Un amas de magie, comme il en avait rarement vu, se forma au centre de la pièce et


augmenta en intensité jusqu’à ce qu’Albus décide prudemment de s’abriter davantage. Il
appela Fumseck à lui d’un accio et s’accroupit derrière son bureau, le protégeant de son corps
du mieux qu’il le put. La… chose au centre de la pièce se mit à pulser, au même rythme que
des battements de cœur, et Albus eut à peine le temps de renforcer ses boucliers qu’un affreux
bruit de déchirure troubla l’air. Il risqua un coup d’œil mais fut aveuglé par l’éclat brillant de
la sphère magique qui occupait la quasi-totalité de son bureau.

Il cilla rapidement, terrifié malgré lui par ce qu’il avait sous les yeux. Était-ce vraiment
Severus et Harry qui revenaient ou quelque chose de bien plus terrible ? Il n’avait jamais rien
vu de semblable à ce qu’il avait sous les yeux… La sphère semblait très instable. Si elle
explosait… Si… Serait-il capable de faire face à cette chose qui n’avait rien de naturel ?
Pouvait-il protéger Poudlard ? Les élèves, les…

La sphère implosa.

Pendant une seconde, la lumière dorée envahit la pièce et Albus ne put rien discerner d’autre
que cette trame magique absolument inédite. Puis la lueur s’estompa et il aperçut, enfin, ce
que la sphère avait laissé derrière elle.

« Harry ! » murmura-t-il, la gorge nouée par l’émotion. « Severus ! »

Il posa Fumseck sur son bureau, ignorant ses pépiements affolés, et se précipita vers le
Professeur, qui était le plus près. Severus était allongé par terre, Harry était accroché à une
chaise qui s’était trouvée au mauvais endroit, mais ils paraissaient conscients, tous les deux.
Ils inspiraient à pleins poumons, comme s’ils avaient été privés d’oxygène pendant une
longue période de temps. Ils se débarrassèrent l’un et l’autre maladroitement de leurs sacs-à-
dos.

Le vieux sorcier avait presque atteint son espion lorsque ce dernier releva brusquement la tête
et, s’appuyant sur sa main gauche, leva la droite d’un geste autoritaire qui aurait été plus
impressionnant s’il n’avait pas eu l’air prêt à s’évanouir au moindre effort. Sa paume était
profondément entaillée mais la plaie semblait nette et le sang était déjà coagulé.

« Non ! » prévint Severus.

Comprenant immédiatement qu’il y avait un danger, Albus recula jusqu’à buter contre le
bureau. Probablement alarmé par le cri, Harry se releva, baguette vaguement pointée devant
lui, chancela, visiblement désorienté, puis trébucha et s’écroula à nouveau.

« Pro… Professeur ? » hésita le garçon, avant de rouler sur le dos, la respiration hachée.

Son regard croisa celui de Severus. Involontairement, il eut un mouvement de recul. Qu’était-
il arrivé au Maître des Potions ? Ses boucliers mentaux… Le Professeur ne maintint pas le
contact visuel suffisamment longtemps pour qu’il le découvre. Imitant l’adolescent, l’homme
s’allongea par terre et attrapa le bras d’Harry, très certainement pour attirer son attention. Le
geste n’en demeura pas moins étrange, le Mangemort évitait habituellement tout contact
physique comme la peste…

« Il reste la partie déplaisante. » annonça Severus, la respiration rapide.

Harry tâtonna jusqu’à attraper la main du Professeur de Potion, toujours posée sur son bras,
avant d’éclater d’un rire presque hystérique.
« Évidemment, qu’il reste une partie déplaisante. » répondit le Survivant, au bout de quelques
secondes. « Je me disais aussi que je ne m’étais pas autant amusé depuis la dernière fois où je
suis mort… »

Ce ne fut pas tant les sarcasmes d’Harry, ou même la teneur de ses propos, que le bref rire
rauque que Severus lâcha en réponse qui poussa Albus à s’appuyer plus lourdement sur son
bureau. Il n’avait pas entendu son ami rire depuis… Probablement depuis sa scolarité.

L’euphorie du moment, peut-être.

Il ouvrit la bouche, sans savoir véritablement ce qui allait en sortir – il hésitait entre
demander des explications et envoyer un patronus urgent à Pomfresh – lorsque de petites
billes de lumière, tout aussi dorées que la sphère l’avait été, apparurent. Elles formaient un
cercle parfait autour d’Harry et Severus qui gagnait en consistance de seconde en seconde.

« Pitié, ne me dites pas qu’on doit recommencer… » gémit Harry, en apercevant les lumières.

Severus ne répondit immédiatement, mais Albus nota qu’il n’avait toujours pas lâché
l’adolescent.

« Respire. » ordonna Severus, une touche d’appréhension dans la voix. « Occlude la douleur,
si elle devient insupportable mais, surtout, laisse-les faire. »

Où étaient les insultes ? L’hostilité ? Le mépris mutuel ?

Occluder ? Depuis quand Harry était-il adepte de l’art de l’Occlumencie ? Il était vrai
qu’Albus avait envisagé de l’instruire en la matière, surtout depuis la résurrection de
Voldemort, mais il n’avait pas nourri de grands espoirs sur les dons éventuels que le garçon
pouvait développer pour la matière. Harry était trop entier, manquait de concentration et, il
fallait l’admettre, de discipline… Avec du temps, peut-être aurait-il pu…

Soudain, comme si quelqu’un, quelque part, avait appuyé sur un interrupteur, les lumières se
séparèrent en deux groupes… Des essaims, songea Albus, on aurait dit des essaims d’abeilles
absolument furieuses. C’était de la magie pure qu’il avait sous les yeux, et cette magie était
instable. Il comprit ce qui allait se passer une seconde trop tard. Avant qu’il ait pu ne serait-ce
que lever sa baguette, les lueurs s’était jetées sur les deux corps allongés au sol et furent
comme… absorbées par leurs organismes.

Harry se mit à hurler le premier, comme si on l’avait soumis à un doloris. Severus, lui, serra
les dents mais se recroquevilla en position fœtale.

Albus se fit violence pour ne pas intervenir. Severus avait dit de les laisser faire… Les laisser
faire quoi, il l’ignorait. Les billes de lumières grouillaient sous leur peau comme des insectes
mais il n’osait rien tenter qui puisse les mettre en danger, il n’osait pas approcher, il n’osait
pas les toucher…

Il resta immobile, de terribles secondes, à observer deux personnes qui lui étaient très chères
se tordre de douleur sur le sol, totalement impuissant.
Puis, alors qu’il allait céder au besoin d’intervenir, quelque chose sembla changer : les
lumières diminuèrent jusqu’à disparaître et leur peau se mit à suinter un liquide violet. Il
coulait de leurs yeux, de leur bouche…

« Severus ? » appela-t-il, avec inquiétude, mais l’homme ne sembla pas à l’entendre. Le cou
arqué, la tête rejetée en arrière, les paupières étroitement fermées, son espion raclait le sol de
ses ongles pour s’empêcher de crier. Harry, lui, avait cessé de hurler et, semblait-il, avait
évacué tout le poison violet qui avait saturé son organisme. Le corps du garçon parut se
détendre petit à petit jusqu’à ce qu’il pousse un léger soupir de soulagement. Le Professeur
mit beaucoup plus de temps à arriver au même degré de relaxation.

« Harry ? » appela Severus, avec une extrême fatigue.

« Toujours pas mort. » répliqua le Survivant, comme s’il s’agissait d’une vieille plaisanterie.

« La potion devait quitter notre organisme ou nous aurions risqué l’empoisonnement. »


expliqua Severus, sans faire le moindre mouvement pour se relever. « Je l’ai lié au sortilège
pour qu’il nous en débarrasse lorsque nous serions arrivés, sains et saufs. »

Severus était couché par terre. Devant un élève. Un élève qu’il détestait. Il était couché par
terre et ne faisait pas mine de chercher à cacher cet – excusable – accès de faiblesse.

Albus l’avait déjà vu ramper des grandes portes jusqu’aux cachots plutôt que d’appeler à
l’aide, plutôt que d’avoir l’air vulnérable…

« Vous auriez pu m’avertir avant. » râla Harry, sans hostilité réelle. « C’est fini,
maintenant ? »

« C’est fini. » confirma Severus. « Nous sommes rentrés. Les effets de la potion et du
sortilège se sont totalement dissipés. Nous sommes en sécurité. Vous pouvez approcher, à
présent. »

Trop absorbé par la scène absolument aberrante qu’il avait sous les yeux, Albus mit une
seconde de plus que nécessaire à comprendre que ces derniers mots s’adressaient à lui.
Mettant sa stupeur de côté, il se précipita vers eux, s’accroupissant près de l’adolescent mais
posant une main sur l’épaule de Severus.

« Dois-je prévenir Poppy ? » s’enquit-il, avec incertitude.

Ils semblaient aller bien… Ils ne semblaient plus souffrir. Les yeux verts d’Harry le fixaient
avec méfiance, mais Merlin seul savait ce qu’ils avaient traversé, alors il ne le prit pas pour
lui. Son regard était clair, lucide… Le Survivant avait perdu ses lunettes, nota-t-il toutefois, et
portait un uniforme de Serpentard…

Le mystère s’épaississait de minute en minute.

« Severus ? » insista-t-il, lorsque aucune réponse ne vint.

Le Professeur rouvrit brusquement les yeux et Albus se demanda s’il s’était endormi ou s’il
avait perdu connaissance. La différence pouvait semblait minime mais si cette potion avait
vraiment été toxique…

Il aurait vraiment dû prévenir Poppy, sans demander l’avis de son employé… Mais Severus
détestait séjourner à l’infirmerie, cela lui rappelait son adolescence. Et Harry… Harry ne
raffolait pas davantage des soins de l’infirmière.

« Je vais bien. » déclara Severus, avant de se redresser prudemment dans un soupir. Il resta
assis par terre, toutefois, et ne tenta pas de se relever immédiatement. « Harry ? »

L’adolescent s’assit, lui aussi, mais s’écarta rapidement lorsqu’Albus chercha à l’aider.

« En pleine forme. » mentit Harry, ses doigts se refermant déjà sur la baguette qu’il avait
lâché plus tôt. Il jeta un dernier coup d’œil à Albus – sans véritablement croiser son regard,
remarqua-t-il – puis se tourna vers Severus – sans non plus totalement tourner le dos au
Directeur. « Est-ce que je risque de mettre le feu à mes vêtements si j’essaye de faire
disparaitre ce truc ? »

Le Survivant écarta de lui le tissu de sa chemise, imbibé de potion.

Severus émit un bruit amusé qui poussa Albus à tourner la tête vers lui, complètement perdu.

« Te connaissant ? » rétorqua le Professeur. « Oui. »

Harry lui fit une grimace qui, Albus en était sûr, allait pousser Severus à vouloir lui arracher
la tête. Il se prépara à intervenir, s’interposer physiquement s’il le fallait, certain que son ami
allait reprendre ses esprits et se mettre à vociférer sur son élève, mais… la confrontation à
laquelle il se préparait depuis que ces deux là étaient tombés dans son bureau ne vint pas. Au
lieu de reprendre le garçon sur son attitude irrespectueuse, Severus agita sa baguette.

En une seconde, leurs vêtements étaient secs et il n’y avait plus aucune trace de la potion.

« Albus. » lâcha finalement Severus, visiblement soulagé et heureux de le voir. Ce qui était
plus qu’il ne pouvait en dire d’Harry, s’il devait en juger par son langage corporel. « Si nous
nous trouvons pas dans la bonne réalité ou à la bonne période, je suggère que vous nous
fassiez préparer des quartiers. Je n’ai ni la patience, ni l’énergie de vous expliquer nos
problème de tempêtes magiques, à l’instant. »

Il eut enfin l’impression de retrouver son Maître des Potions. Il ne chercha pas à réfréner son
sourire.

« Vous vous êtes faits attendre, mes enfants. » déclara-t-il, avec un sourire ravi, observant
tour à tour son employé et leur élève. Aucun d’eux ne paraissait en mauvaise santé… Ils
étaient certainement en meilleur état que Filius et sa chorale l’avaient été. « Je suis tellement
heureux… Nous craignions que… »

« Il en faut beaucoup plus que ça pour nous achever. » l’interrompit Harry, non sans ironie,
en se remettant debout.

Il y avait une fluidité nouvelle dans ses gestes, une certaine… assurance.
Albus fronça les sourcils au moment où Severus accepta la main que l’adolescent tendait
pour l’aider à se lever. Le vieux sorcier les imita, son enthousiasme diminuant de seconde en
seconde.

Quelque chose avait changé, c’était évident. Il ne fallait pas être un génie pour déterminer
quoi, et, malheureusement pour lui, Albus était un génie. L’admiration qu’Harry lui avait
toujours vouée avait totalement disparu, elle semblait, à présent, être totalement dirigée vers
Severus. Quant au Professeur… Il gardait Harry dans son champ de vision, interagissait avec
lui de manière informelle, presque détendue, et s’était placé de manière à pouvoir le défendre
en cas d’altercation. La conclusion s’imposait : Severus et Harry s’étaient attachés l’un à
l’autre.

Ce n’était pas un développement qu’il avait anticipé, même lorsqu’il s’était aventuré à
composer ses plans avec leur éventuel retour en tête.

Il n’était pas certain des ramifications qui pouvaient découler de ce nouvel état de faits
inattendu… Il n’était pas persuadé qu’elles soient majoritairement positives…

« Je crois que vous avez beaucoup à me raconter. » déclara-t-il, pour couper court à la tension
désagréable qui était en train d’envahir son bureau.

« Combien de temps est-ce qu’on est parti ? » demanda immédiatement Harry, en s’installant
sur le fauteuil que lui désigna Dumbledore.

« Professeur. » intervint Severus.

Albus tourna la tête vers lui, momentanément distrait de la rancœur tenace qu’il percevait
dans la voix d’Harry. Mais le Maître des Potions ne le regardait pas, il fixait Harry avec
insistance. La bataille de volonté dura quelques secondes puis le garçon leva les yeux au ciel,
en soupirant.

« Combien de temps est-ce qu’on est parti, Professeur ? » répéta l’adolescent, un peu plus
poliment.

Ou, du moins, cela aurait été un peu plus poli s’il n’avait pas été évident qu’il ne s’exécutait
que sous la menace.

« Un peu moins d’effronterie ne serait pas malvenu, non plus. » siffla Severus. « Le moment
est mal choisi pour émuler le comportement de votre père, Mr Potter. »

Un élan rebelle passa sur le visage du garçon puis fut apparemment maîtrisé. Harry indiqua
d’un hochement de tête que le reproche était compris et Severus l’observa quelques secondes
de plus avant de, visiblement, considérer l’incident clos et de s’installer sur l’autre fauteuil.

Albus éprouva brusquement le besoin de s’asseoir, lui aussi, et retourna s’installer derrière
son bureau, avec l’impression très dérangeante d’avoir, lui-même, changé de dimension. Et il
en fallait beaucoup pour le déstabiliser… D’un geste distrait de la main, il fit voler tasses,
théière, sucre et lait, laissant le tout se préparer seul.
Severus leva un sourcil, sachant qu’Albus n’aimait pas faire étal de ses prouesses magiques
et utilisait généralement sa baguette lorsqu’il avait de la compagnie. Le vieux sorcier répondit
à sa question muette par une geste fatigué et l’éclat amusé disparut du regard de son ami, au
profit d’une légère inquiétude.

Harry n’avait rien remarqué, trop occupé à caresser Fumseck qui était venu se percher sur son
épaule.

« Un peu moins de six mois. » répondit finalement Albus.

Le Survivant parut soulagé et sourit à Severus avec amusement. « Nous ne sommes pas dans
une dimension démoniaque et il ne s’est pas écoulé des années. Peut-être que vous allez avoir
votre médaille, après tout… »

Le Professeur marmonna quelque chose qui ressemblait à s’y méprendre à « garnement


insupportable » mais Albus prétendit ne pas avoir entendu.

« Combien de temps s’est-il écoulé pour vous ? » s’enquit-il, dirigeant sa question vers
Severus davantage que vers Harry. Le garçon lui jetait toujours des regards peu aimables
lorsqu’il pensait que le Maître des Potions ne regardait pas, toutefois ses intentions ne
pouvaient pas être si mauvaises que cela ou Fumseck ne se serait pas laissé cajoler comme il
était en train de le faire.

« Environ huit mois. » déclara Severus, en attrapant la tasse de thé qui flottait vers lui.
« Sommes-nous les seuls à avoir été touchés par la tempête ? L’épicentre se trouvait dans les
cachots, n’est-ce pas ? Mes élèves… »

« Tous vos élèves sont en parfaite santé. » offrit Dumbledore, pour couper court à ses
inquiétudes. « Filius et la chorale ont été pris dans la réplique. Il a perdu deux élèves mais est
parvenu à rentrer, il y a un peu moins d’un mois. »

« Deux élèves ? » releva Harry, toute trace d’hostilité disparue.

« Cecily Hightower et Benjamin Daggins, quatrième et première année, Serdaigle et


Poufsouffle. » précisa-t-il, avec regret. Les réjouissances du retour de Filius avaient été
teintées de deuil… Il prit une gorgée de thé pour effacer le souvenir des parents éplorés qu’il
n’avait pas su consoler. Il n’existait pas de mots pour alléger la peine que l’on éprouvait à
perdre un enfant.

Le garçon avait posé sa tasse sur le bureau, sans y toucher, paraissant heureux de continuer à
caresser le phœnix, qui avait sauté de son épaule à ses genoux, et caquetait joyeusement
devant l’attention soutenue dont il faisait l’objet.

« Oh. » lâcha le Survivant. « Je ne les connaissais pas… C’est triste. Qu’est-ce qui s’est
passé ? »

« Ils ont probablement eu moins de chance que nous. » soupira Severus, en reposant sa tasse
sur la coupelle avec la précision chirurgicale qu’il mettait à toute chose. « Il est miraculeux
que nous n’ayons pas nous-mêmes fini dans un endroit moins accueillant. »
« Accueillant, il faut le dire vite. » rétorqua Harry, mais Albus eu l’impression que c’était
plus pour la forme que parce qu’il le pensait vraiment.

« À ce sujet… » reprit-il, invitant d’un geste Severus à s’expliquer.

Le Maître des Potions passa une main sur son visage, comme pour en chasser la fatigue, puis
se tourna vers Harry.

« Je ne pense pas que ta présence soit nécessaire pour ce qui va, sans aucun doute, se
transformer en un récit pénible et détaillé. » déclara Severus, avant de jeter un coup d’œil à la
pendule au dessus de son bureau. « Le couvre-feu est passé, tes amis doivent être dans la
Tour… Si tu veux aller les retrouver maintenant… »

Harry hésita.

« Vous n’allez pas discuter de choses qui me concernent sans avoir l’intention de me les
répéter ensuite ? » exigea de savoir le garçon, avant de glisser un autre coup d’œil noir vers
lui. « Comme une certaine prophétie, par exemple ? »

Ah. Ainsi, c’était la prophétie qui avait mal disposé Harry à son égard. Il avait réfléchi tant de
fois à la meilleure manière de la lui révéler, de lui présenter la situation sous son jour le plus
optimiste… Plusieurs fois, ces dernières années, il avait voulu la lui faire entendre et puis…
Et puis, il avait manqué de courage. Par bien des côtés, Harry était encore un enfant. Par bien
des côtés, Albus avait voulu lui laisser plus longtemps le droit d’être innocent…

Il était encore trop tôt… Qu’est-ce qui avait bien pu pousser Severus à la lui révéler ? De quel
droit, la lui avait-il révélée ?

Cependant, il était vrai que le Professeur n’avait jamais cru en cette prophétie, en premier
lieu.

« Il s’agit certainement du moment opportun où je vous signale qu’Harry n’ignore plus


rien. » déclara Severus, avant de se tourner vers le garçon. « Ce qui n’est, toutefois, pas une
excuse pour son impolitesse. N’avons-nous pas discuté des différences entre… »

« Ça n’a rien à voir, Professeur. » coupa Harry, avant que le Directeur ait pu assurer à
Severus qu’il était parfaitement capable de reprendre le garçon sur son comportement, sans
son aide, s’il le désirait. L’interruption arriva probablement au bon moment parce qu’Albus
doutait, à les voir interagir, qu’aucun des deux aurait bien pris sa remarque. Il avait la
sensation de flotter dans des drôles de limbes, prisonnier entre ce qui avait été par le passé et
le statuquo actuel, sans savoir où était sa place. S’il n’était plus le médiateur entre Severus et
Harry, qui était-il pour eux ? « Vous ne comprenez pas ce que la prophétie veut dire ?
Pourquoi il me l’a cachée ? Je ne suis qu’un pion pour lui. Et vous aussi ! »

« J’ai fait mes choix, nous avons déjà eu cette conversation. Rien n’a changé. » répliqua
sèchement Severus. « Quant à toi, tant que j’ai mon mot à dire, tu ne fais plus parti de leur
échiquier. »
Albus leva les sourcils, affichant ouvertement sa surprise. Se prendre d’affection pour Harry
était une chose, il pouvait parfaitement le comprendre, surtout au bout de huit mois, mais ce
que Severus sous-entendait… Comptait-il lui indiquer, à lui, comment mener sa guerre, à
présent ? Il n’était pas certain que la nouvelle dynamique qu’il sentait s’établir entre eux trois
puisse fonctionner de manière réaliste. Bien qu’il ait toujours déploré l’hostilité entre Harry
et Severus, l’absence de liens entre eux avait toujours joué en leur faveur… S’il suivait la
métaphore de cet échiquiers, qu’ils semblaient avoir évoquée plus d’une fois entre eux, les
pions de l’espion et du Sauveur étaient disposés aussi loin l’un de l’autre qu’il était possible
de l’être… C’était malheureux, cela lui brisait le cœur, et il aurait fait tout ce qui était en son
pouvoir pour changer la donne, mais le fait demeurait : dans cette partie d’échec, Harry était
un pion clef. Il demeurait sur l’échiquier jusqu’au dernier moment.

« Je ne sors pas de l’échiquier sans vous. » répondit doucement Harry, avec un sourire triste
et beaucoup plus de lucidité que Severus. « Vous ne l’avez pas encore compris ? »

Fumseck émit une série de notes mélancolique et donna un petit coup de tête au garçon, qui
lui gratta distraitement le ventre. Néanmoins, l’expression du garçon ne tarda pas à s’adoucir,
devenant moins sombre, à mesure que le chant du phœnix déroulait sa magie et ramenait
l’espoir dans son cœur.

« Harry. » intervint fermement Albus, avant que Severus ait pu faire quelque chose de
stupide, comme promettre au Gryffondor un million de choses impossibles... Il ne voulait pas
être dans la position de l’homme qui devrait refuser sa liberté à l’un ou son bonheur à l’autre.
Les sacrifices qu’il serait obligé d’exiger d’eux, lorsque le moment serait venu, pesaient
suffisamment lourds sur sa conscience. « Crois-moi lorsque je te dis que ni Severus, ni toi
n’êtes uniquement que des pions que je manipule à loisir. J’ai la plus profonde affection pour
vous deux. Je ne pourrais pas davantage tenir à vous si vous étiez de mon propre sang. »

Severus émit un bruit amer et moqueur.

« À vous deux. » insista Albus, mais le Professeur persista à fusiller sa tasse des yeux.

Harry, lui, croisa véritablement son regard pour la première fois depuis leur retour.
Comprenant instantanément ce que cherchait le garçon, Albus abaissa suffisamment ses
boucliers pour que l’adolescent puisse percevoir la sincérité de ses paroles. Il ne put toutefois
s’empêcher, lorsque la connexion fut établie, d’admirer les flammes ardentes qui protégeaient
l’esprit de son élève. Peu subtil, assurément, mais efficace. Le barrage ne l’aurait pas arrêté
s’il avait véritablement eu l’intention de pénétrer à l’intérieur de son crâne, mais il n’était pas
certain d’avoir pu s’immiscer dans sa tête sans être remarqué. Severus n’avait pas chômé,
durant ces huit derniers mois.

Il doutait que Voldemort puisse passer facilement ces protections…

« Si je t’ai dissimulé la prophétie, Harry, c’était pour te protéger. » reprit-il, la voix


tremblante de franchise. « Je ne voulais pas t’imposer, trop tôt, le fardeau de devoir être l’Élu.
Tu avais certainement le droit de savoir et je m’en excuse. Nous avons tous nos faiblesses. La
mienne est très certainement l’amour que je te porte. »
Le garçon cessa d’explorer les limites de son esprit, visiblement satisfait par la véracité de ses
propos. Albus sentit un énorme poids s’envoler de sur son cœur, sachant qu’il était compris à
défaut de pardonné, et ils échangèrent un sourire hésitant. Perdre l’affection d’Harry aurait
été terrible…

« Cette prophétie est idiote. » grinça Severus, ses deux mains agrippant les accoudoirs avec
tant de force que ses phalanges étaient blanches. « Harry ne sera pas votre Élu. »

Albus se frotta le front, sentant naître une migraine. Il aurait parié que c’était une discussion,
voire une dispute, qui serait récurrente au cours des prochains mois et il ouvrit la bouche, tout
disposé à expliquer à Severus pourquoi, exactement, il ne pouvait connaître tous les détails de
son plan, lorsqu’il croisa le regard d’Harry, par-dessus ses lunettes en demi-lunes.

Et il referma la bouche, sans avoir prononcé un mot de ce discours. L’échange ne dura pas
davantage d’une fraction de seconde, mais il fut suffisant pour qu’Albus se détende à
nouveau, sans parvenir à se départir d’un sentiment de tristesse.

Il avait lu la résignation dans les yeux d’Harry, l’acceptation. Severus ne voulait peut-être pas
croire en la prophétie, mais Harry y croyait. Harry savait. Et, lorsque le moment serait venu,
Harry deviendrait l’Élu dont ils avaient besoin.

Harry ne descendrait pas volontairement de l’échiquier, n’en déplaise à Severus.

Et Severus… Oh. Le Maître des Potions évitait sciemment leurs regards. Ainsi, il n’était pas
aussi convaincu par ses propres paroles qu’il aurait aimé l’être. Peut-être voulait-il se voiler
la face, mais ce n’était pas un comportement que Severus adoptait généralement… Peut-être
souhaitait-il protéger Harry, par un mensonge pieux, en espérant trouver une solution plus
tard… Peut-être.

Albus sentit son cœur se briser dans sa poitrine. Était-il tragique que ces deux là se soient
finalement trouvé alors que l’un, comme l’autre, étaient probablement condamnés, ou bien
était-ce une douce consolation qu’il ait enfin trouvé la famille à laquelle ils avaient toujours
aspiré ?

« Nous sommes mardi. » déclara-t-il, choisissant de changer le sujet. « Je pense que tu as plus
de chances de trouver tes amis dans une certaine pièce, au septième étage, qui… »

« La pièce va-et-vient ? » coupa Harry, perplexe.

Étonné, Albus leva les sourcils. « Je n’avais pas conscience que tu connaissais son
existence. »

« Qu’est-il advenu du couvre-feu ? » soupira Severus, avec la contrariété de l’enseignant qui


savait qu’il allait devoir remédier lui-même aux problèmes de discipline. « N’y a-t-il plus
personne capable de faire respecter le règlement, dans cette école ? De votre part, je n’en
attendais pas moins, mais j’espérais que… » Le Maître des Potions s’interrompit, son visage
se tordant soudain avec angoisse avant de redevenir le masque lisse et indifférent qu’il était
d’ordinaire. L’inquiétude, toutefois, ne quitta pas son regard. Albus tapota nerveusement
l’accoudoir, devant ce manque de maîtrise, une nouvelle crainte se rajoutant aux autres.
« Minerva ? »

C’était tout à la fois une question et une supplique.

De la même manière que Severus s’était soudain fermé, Harry sembla instantanément se
préparer à entendre une mauvaise nouvelle. Dans un moment d’anxiété, il attrapa Fumseck un
peu trop fort, s’il fallait en croire le caquètement désapprobateur.

« Minerva est en parfaite santé. » se dépêcha-t-il de les rassurer, sans véritablement


comprendre d’où venait cette crainte soudaine. « Elle sera certainement soulagée et heureuse
de vous revoir, tous les deux. »

Ils semblèrent souffler avec le même soulagement.

« Qu’est-ce qu’ils font au septième étage ? » demanda Harry, après s’être raclé la gorge.

Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres, et Albus lui fit un clin d’œil. « Je n’en ai pas la
moindre idée. »

Severus, absolument pas dupe, leva les yeux au ciel.

« Ce qui signifie que vos Gryffondors se sont lancés dans une entreprise dangereuse et idiote
et que vous refusez d’intervenir. » Le Mangemort tourna, vers Harry, un regard qui promettait
un million d’ennuis s’il s’avisait de désobéir. « Je t’interdis de te laisser entraîner dans une
nouvelle Cabane Hurlante. »

Harry eut l’air très amusé par la sévérité soudaine du Professeur.

« Et vous aviez peur de ne pas trouver de raisons de me donner une retenue. » taquina
gentiment le garçon.

C’était probablement la première fois qu’Albus voyait un élève prendre la main mise sur
Severus, ou, au minimum, ne pas trembler devant ses menaces.

« Oh, à ta place, je ne me soucierai pas de cela, si tu continues dans cette veine, tu auras une
dizaine de retenues avant même de quitter ce bureau. » promit le Maître des Potions, de son
ton le plus dangereux.

Cela ne parut pas impressionner Harry qui se retourna vers Albus, les yeux pétillants
d’amusement.

« C’est long, six mois. » lâcha le garçon, en redevenant sérieux. « Qu’est-ce qui s’est passé
d’important ? »

« Eh bien… Voyons… » réfléchit rapidement Albus, dans un sourire. « Sirius a été


innocenté. »

Il s’était attendu à une explosion de joie, il fit face à un masque soigneusement étudié. Harry
occludait. Et il n’était pas le seul. Severus avait l’air d’avoir avalé un citron entier mais tenait
sa langue et dissimulait sa mauvaise humeur soudaine derrière une expression de totale
indifférence. La réaction du Professeur n’était pas surprenante, Albus n’avait pas été
impatient de le lui apprendre et il appréhendait le moment où le Mangemort découvrirait que,
non seulement Sirius avait été libéré, mais, qu’en plus, il était devenu la coqueluche de la
communauté magique. La presse se battait pour ses interviews, une cinquantaine de sorcières
voulaient l’épouser, et il était, plus ou moins, devenu le visage de la résistance contre
Voldemort et le symbole de l’inefficacité du Ministère – un fait que Rufus Scrimgeour ne
cessait de lui reprocher, à lui, comme s’il avait eu une quelconque influence sur l’Animagus.

Le manque d’enthousiasme d’Harry, en revanche, était étonnant. Il avait pensé se retrouver


assailli par les questions de l’adolescent et, au minimum, deux ou trois suppliques pour que
Sirius se retrouve officiellement en charge de sa tutelle… Sirius, lui, ne cessait de ramener le
sujet sur le tapis à chaque conversation, en dépit de la réponse négative d’Albus. Le vieux
sorcier ne s’opposait pas à ce que Sirius accueille Harry une bonne partie des vacances, mais
la tutelle et au moins un quart de l’été appartenaient à Pétunia. Il demeurerait inflexible sur le
sujet.

Il espérait sincèrement que Severus aurait la présence d’esprit de ne pas exiger la même
chose que Sirius. L’Animagus était un chien fou qu’il pouvait compter sur Remus pour
museler lorsqu’il le fallait, mais Severus ? Il n’avait aucun moyen de faire taire Severus, sans
ruiner leur amitié. Et il tenait à leur amitié.

« Tant mieux pour lui. » répondit Harry, assez froidement. « Ce n’était pas juste qu’il soit
obligé de se cacher pour un crime qu’il n’avait pas commis. »

Severus soupira et parut s’obliger à mettre son déplaisir de côté. Albus n’avait jamais vu
l’homme agir ainsi, vraiment… Il ne savait pas s’il devait s’en réjouir ou s’en inquiéter.

« Harry. » déclara le Mangemort, avec une douceur que le Directeur ne lui aurait jamais
soupçonné. « Les différences… »

« Je sais. » l’interrompit le garçon, avant de hausser les épaules. « C’est juste que… Je ne
veux pas le voir, tout de suite. Je ne suis pas obligé, n’est-ce pas ? »

La question était dirigée vers Severus mais, contrairement à ce qu’Albus aurait pu penser, le
Professeur ne s’empressa pas d’accéder à sa demande. Il n’eut même pas l’air de se réjouir du
fossé évident qui s’était creusé entre Harry et son parrain.

« Pour tous ses défauts… » hésita le Professeur. « Je suis certain que Black devait être inquiet
pour toi. Peut-être serait-il mieux que… »

« Je ne veux pas le voir. » persista Harry. « Pas encore. Professeur Dumbledore ? »

Surpris d’être pris à parti – puisque, apparemment, il n’avait plus guère son mot à dire –
Albus leva les mains, paumes vers le ciel, en signe d’ignorance.

« Je peux demander à Sirius d’attendre, évidemment. » déclara-t-il, tout en sachant qu’il


faudrait bien davantage que ce genre de demandes pour tenir Sirius éloigné de Poudlard et de
son filleul plus de quelques jours. « Toutefois, si je peux me permettre, Harry, le Professeur
Snape a raison. Sirius était dévasté par ta disparition, et… »

« Il peut m’écrire. » coupa le Survivant. « Je ne veux pas le voir. On ne peut pas m’y
obliger. »

Il jeta un coup d’œil incertain vers Severus, comme pour vérifier qu’aucune loi cosmique ne
le forçait à recevoir son parrain s’il ne le voulait pas. Le Maître des Potions sembla débattre,
un instant, avec lui-même, puis acquiesça d’un bref hochement de tête.

« Tant que tu ne fuis pas indéfiniment le problème. » avertit, cependant, l’homme.

Harry leva discrètement les yeux au ciel et attrapa finalement la tasse de thé. Il la réchauffa
d’un coup de baguette.

« Autre chose d’important ? » s’enquit le garçon, en prenant une gorgée du liquide.

Albus hésita.

Par lâcheté pure, il aurait préféré que la nouvelle vienne de ses amis plutôt que de lui.
Hermione Granger la lui aurait certainement apprise avant que Ron Weasley ait pu en pâtir…
Il ne voulait pas voir la dévastation dans les yeux du garçon, quand…

« Poudlard a été plutôt animé, ces derniers temps. » plaisanta-t-il, pour gagner du temps. « Je
laisse à tes amis le soin de te raconter les détails, disons simplement que nous nous trouvons
à court d’un Professeur de Défense contre les Forces du Mal. »

Severus se redressa légèrement, visiblement intéressé. « Et, étant donné que vous voilà très
certainement avec deux Maîtres des Potions, la solution est toute trouvée. »

« La malédiction. » rappela Harry, très justement, avant qu’Albus ait pu le faire.

Severus balaya l’argument d’un geste de la main agacé, les yeux brillants de convoitise. « J’ai
débuté l’année, autant que je la termine. Je retournerai à mon poste, l’an prochain, dans le
pire des cas. Tous les Professeurs de Défense n’ont pas subi le même sort que Quirrell. »

Albus hésita. « Horace n’était pas enchanté par l’idée de revenir à Poudlard. Peut-être,
puisque vous êtes revenu, souhaitera-t-il… »

« Slughorn ? » s’exclamèrent, en cœur, Harry et Severus.

Albus dissimula un sourire amusé derrière sa main. Horace ne faisait, décidément, pas
l’unanimité. Il ne comptait plus le nombre de fois où Minerva avait prédit qu’il finirait par
faire exploser le château – une croyance que semblait partager certains élèves.

Restait la question évidente.

« Comment connais-tu le Professeur Slughorn, Harry ? » demanda Albus, sachant


pertinemment qu’ils ne s’était jamais rencontrés.
Harry laissa échapper un grognement dépité.

« Oh, je ne connais pas celui-ci. » admit le Survivant, comme si ça expliquait tout. « Est-ce
qu’il s’est amélioré ? »

« J’en doute. » lâcha Severus, avant de se pencher en avant, les mains jointes, les yeux rivés
sur Albus. Il avait l’air prêt à s’entendre annoncer une catastrophe. « Première question, dans
quel état sont ma salle de classe et mon inventaire. Deuxième question, dites-moi que vous ne
l’avez pas nommé Directeur de Maison honoraire, même Minerva aurait été un meilleur
choix. Troisième question, combien d’accidents y a-t-il eu et combien de blessés. »

Harry manqua s’étouffer dans son thé, tant il riait.

« Vous savez, Professeur… » remarqua le garçon. « J’admire vos priorités. »

Albus s’attendait à ce qu’Harry écope de la retenue promise, mais Severus était beaucoup
trop occupé à le maudire, lui, pour s’intéresser aux commentaires de l’adolescent. Il
s’empressa de le rassurer au mieux : sa salle de classe était intacte, Minerva avait, de toute
manière, géré bien plus que ce que son rôle exigeait ces derniers mois, et, de mémoire, il n’y
avait eu que des explosions mineures et aucun blessé. Severus n’avait toujours pas l’air ravi à
la fin de ses explications.

« Ne pensez pas que la présence de Slughorn soit suffisante pour que je renonce au poste de
Professeur de Défense. » lâcha tout de même l’espion, une fois certain que ses cachots
n’avaient pas subi de dégâts au-delà du réparable.

« Il est génial en Défense. » renchérit Harry. « Meilleur que Remus, même. »

Ce qui, venant du Gryffondor, était le compliment le plus élogieux que l’on pouvait obtenir
sur le sujet.

« Éloquent, comme à l’accoutumé. » grinça le Professeur.

Albus hésita. Confier le poste à Severus, en gardant la malédiction en tête, était jouer avec le
feu. Mais il commençait à soupçonner que la dimension dans laquelle ils avaient atterris était
plus parallèle que démoniaque – elle semblait n’avoir rien eu, en tout cas, de commun avec la
jungle décrite par Filius – et que Severus, pour une raison ou une autre, avait déjà occupé le
poste durant ces huit mois.

Maudits soient-ils, parce que leurs regards remplis d’espoir, et presque suppliants, étaient
plus qu’il ne pouvait affronter.

Il y avait tellement peu de leurs requêtes auxquelles il pouvait accéder…

« Je suppose… » capitula-t-il, dans un soupir. « Que c’est, après tout, la solution la plus
logique. »

À défaut d’être la meilleure.


Harry ne chercha pas à contenir son sourire extatique. Severus, lui, adopta une expression qui
se voulait nonchalante mais qui dissimulait mal une certaine satisfaction. Et, songea-t-il, qui
ne manquait pas de reconnaissance.

Fumseck s’envola brusquement pour retrouver son perchoir, laissant Harry les mains vides.

« C’est tout ce qu’il y a à savoir ? » demanda le garçon, visiblement impatient à l’idée de


retrouver ses amis.

« N’as-tu plus besoin de lunettes ? » s’enquit Albus, pour retarder encore un peu le moment
où il lui faudrait expliquer que…

Harry haussa les épaules. « J’ai des lentilles. Au départ, c’était pour me déguiser, mais je
trouve ça plutôt pratique. »

« Ces passionnantes considérations esthétiques mises à part… » intervint Severus, avant qu’il
ait pu demander pourquoi Harry avait eu besoin de se déguiser. « Que nous cachez-vous,
Albus ? Je connais vos méthodes, ne l’oubliez pas. »

Il y avait une touche de défi dans la voix du Professeur, de provocation presque. Albus aurait
aimé lui dire que tout, dans la vie, n’avait pas besoin d’être un combat, mais il savait que
Severus n’accepterait pas la remarque, alors il préféra garder le silence.

« Professeur Dumbledore ? » insista Harry, toute légèreté disparue. « Qu’est-ce qui s’est
passé ? »

Malgré tous ses efforts, Albus sentit le chagrin s’afficher sur son visage. Il ne savait pas ce
que Severus avait imaginé qu’il leur cachait – un complot ou un autre, sans doute – parce que
la suspicion déserta totalement le regard de son espion, au profit d’une profonde lassitude.

« Qui ? » s’enquit le Professeur, simplement.

Harry n’eut pas besoin de davantage pour tirer ses propres conclusions.

« Quelqu’un proche de moi. » lâcha le Survivant, d’un ton monocorde. « Il n’aurait pas
autant hésité sinon. Ron et Hermione ? »

Il y avait une telle volonté de se détacher des évènements dans la voix du garçon, qu’Albus
prit peur. La manière que Severus avait de gérer les crises et les deuils n’était pas saine, il le
lui répétait depuis des années, et si Harry se mettait à l’imiter…

« Mr Weasley et Miss Granger sont tous les deux sains et sauf. » s’entendit-il répondre, sans
véritablement savoir ce qu’il allait dire. Quels mots employer ? « Il s’agit de… Il s’agit
d’Arthur Weasley, Harry. Je suis désolé. »

Une nouvelle fois, les réactions de ses interlocuteurs le surprirent. Severus resta figé,
plusieurs secondes, ce qui n’était pas si étonnant que cela, supposait-il. Arthur était un des
rares à n’avoir jamais manifesté aucune hostilité envers Severus – il n’avait jamais été hostile
avec personne si ce n’était peut-être Lucius Malfoy, de toute manière – et Albus estimait que
les deux hommes avaient eu une relation cordiale. Le Mangemorts s’empressa, pourtant, de
se tourner vers Harry avec inquiétude. Harry qui n’avait pas bronché et paraissait s’être
refermé comme une huitre…

« Comment c’est arrivé ? » demanda calmement le Gryffondor.

« Ce n’est pas ta faute. » gronda immédiatement Severus, en attrapant l’épaule du garçon.


« Sors-toi de la tête le scénario que tu es en train d’élaborer. Tu n’aurais pas pu le sauver. Tu
n’es pas responsable. Ce n’est pas ta faute. »

Albus fronça les sourcils, sans suivre le raisonnement du Professeur. Évidemment que ce
n’était pas la faute d’Harry… Quoi qu’une partie de lui ne pouvait s’empêcher de se
demander ce qui se serait passé si le Survivant avait été là, lorsque l’attaque avait eu lieu…
Aurait-il eu une vision ? Seraient-ils arrivés à temps pour sauver Arthur ? Mais les choses
étaient ce qu’elles étaient et Harry n’était certainement pas coupable de la mort du patriarche
Weasley.

Le regard qu’Harry tourna vers Severus était perdu dans le vague.

« Harry. » insista le Maître des Potions, avec une détresse contenue. « Tu m’entends ? » Le
Professeur claqua rapidement des doigts devant les yeux verts sans obtenir de réaction.
« Harry, sers-toi de l’Occlumencie. »

« Severus ? » s’inquiéta Albus, à moitié levé de son siège.

L’espion ne lui jeta qu’un bref coup d’œil exaspéré.

« Ne vous était-il pas venu à l’esprit ce que l’épisode du cimetière pouvait avoir de
traumatique ? » grinça Severus, avec un mépris et une rancœur palpable. « Il aurait fallu
anticiper ce problème-ci avant que la culpabilité ait pu le ronger jusqu’à l’âme. »

Le Maître des Potions fouilla dans ses poches et en extirpa une fiole qu’il décapsula, sans
toutefois la donner à l’adolescent qui avait brusquement pâli, la respiration courte et sifflante.

« Respire. » ordonna Severus, en secouant légèrement l’épaule du garçon de sa main libre.


« Respire et occlude. »

Harry prit une grande inspiration et cilla plusieurs fois. Ses joues retrouvèrent un peu de leur
couleur, il attrapa la fiole que Severus lui tendit et l’avala sans un mot. Albus identifia l’odeur
caractéristique des potions calmantes que l’homme fabriquait par la douzaine en période
d’examens – pour les élèves, comme pour les professeurs. Il se rassit lentement, observant la
scène qu’il avait sous les yeux.

« Harry ? » appela Severus, avec cette tendresse si incongrue chez lui.

Harry continua à papillonner des paupières rapidement, comme s’il luttait pour se maîtriser.

« Papa ? » hésita le Gryffondor.

Albus manqua choir de son fauteuil lorsque Severus répondit par l’affirmative.
« Ça va. » confirma le garçon, à la question du Maître des Potions. « C’est juste… Mr
Weasley… Ça m’a rappelé Godric’s Hollow et… Ça va, Professeur, je vous jure. »

Des larmes roulaient sur les joues du garçon mais il ne paraissait pas véritablement s’en
rendre compte, trop occupé à répéter qu’il allait bien lorsqu’il était tellement évident que ce
n’était pas le cas. Harry finit par se lever, éprouvant visiblement le besoin de mettre de la
distance entre lui et les regards inquiets que les deux hommes posaient sur lui.

« Je devrais aller retrouver Ron et Hermione. » lâcha le Survivant. « Ils ont dû s’inquiéter
pour moi. En plus du reste… »

C’était toute la douleur qu’il s’autorisa à montrer sur le sujet d’Arthur Weasley. Albus eut la
sensation qu’entre Harry et eux, il y avait un gouffre de souffrance qu’aucun d’eux n’aurait
pu franchir. Et peut-être était-ce aussi bien… Le garçon avait toujours su accepter les coups
durs que le destin lui jouait avec aplomb, tout ce dont il avait besoin était de temps et de
solitude. S’ils lui donnaient cet espace que l’adolescent réclamait tacitement, à présent…

« Harry. » grinça Severus, en attrapant le poignet du Gryffondor.

Severus ne semblait pas partager ses convictions, ce qui était regrettable parce qu’Albus
connaissait Harry et savait ce qui était mieux pour lui. Il connaissait Harry. Et le garçon ne
répondrait pas favorablement à ce genre d’incursion dans sa douleur, il fallait lui donner du
champ libre, le laisser venir à eux plutôt que d’insister et de l’obliger à…

Harry soupira, avec une exaspération qui sonna fausse aux oreilles d’Albus, mais ne se
dégagea pas de la poigne du Mangemort.

« Je ne suis pas responsable. » marmonna le garçon, les yeux rivés au sol. « Je n’aurais rien
pu y changer. »

Une expression de profonde lassitude passa sur le visage de Severus. Parce que les mots du
Gryffondors étaient tout sauf sincères ? À nouveau, le Maître des Potions le surprit : au lieu
de le réprimander ou de le lui faire remarquer, il se contenta de secouer gentiment le bras de
l’adolescent.

« Aucun acte inconsidéré. Aucune de ces âneries dont tu as le secret. Si tu t’apprêtes à faire
quelque chose qui me rendra furieux, rends-nous service, et abstiens-toi. » énuméra Severus,
non sans amusement. « Et, puisque tu le feras tout de même, souviens-toi tout du long qu’il y
a probablement une centaine de chaudrons dans les cachots qui attendent d’être récurés. Cela
étant dit, j’apprécierai une ou deux semaines de repos supplémentaires avant la prochaine
catastrophe. »

L’ombre d’un sourire joua sur les lèvres d’Harry mais le chagrin ne quitta pas son visage.

« Les autres vont poser des questions. » remarqua l’adolescent. « Je garde les gros
événements et j’omets les détails ? »

Severus parut étudier sa question plusieurs secondes, son regard noir s’égarant vers Albus
comme pour le consulter, avant de se reprendre et de hocher la tête.
« Il semble que nous n’en ayons pas terminé avec nos secrets. » approuva le Mangemort. « Je
te fais confiance. » Il était question de davantage, avec cette phrase, que du récit de leur
séjour, comprit Albus. « Tu sais quoi dire. »

« La vérité est le meilleur des mensonges. » récita Harry, avec beaucoup trop d’amertume
pour quelqu’un de son âge.

Albus s’engonça légèrement dans son fauteuil. Qu’était allé lui apprendre Severus ? Il
n’appréciait pas réellement ce discours. Par-dessus ses lunettes en demi-lunes, son regard
bleu accrocha la cravate verte-et-argent qui pendait négligemment autour du cou du garçon…
Huit mois. Était-ce assez pour absorber les plus fines qualités de Serpentard tout en rejetant
les failles ? Il n’avait rien contre la Maison de Serpentard, il pratiquait quotidiennement les
vertus que l’on y prêchait, mais c’était le Gryffondor pur souche qu’était Harry dont ils
avaient besoin… Les Serpentards avaient tendance à faire passer leur survie et celle de leurs
proches avant toute autre chose, Harry devrait être capable de s’oublier lui-même et d’oublier
ses amis pour le bien de la communauté magique.

« Bien. » approuva Severus, sans paraître remarquer la désapprobation qui émanait de lui.
Comment l’aurait-il pu ? Il ne lui prêtait aucune attention, tout entier concentré sur
l’adolescent devant lui.

Harry hésita, clairement partagé entre son envie de quitter le bureau et une réticence évidente
à quitter le Mangemort.

« Vous vous rappelez de ce que vous m’avez promis à Noël, n’est-ce pas ? » demanda
soudain le Gryffondor. Le regard vert se tourna furtivement vers le Directeur avant de se fixer
sur Severus, avec une intensité presque agressive.

Le Professeur ne flancha pas, il se contenta d’hocher une fois la tête. Albus fut soulagé de le
voir occluder suffisamment bien pour dissimuler son mensonge. Il ne savait pas ce dont il
était question mais, au moins, il fut quelque peu rasséréné sur les capacités de son espion. Ses
boucliers avaient soufferts mais ils étaient encore…

« Vous trouverez un prétexte pour me donner une retenue, demain ? » exigea encore
l’adolescent, avec une certaine forme de crainte.

Le Directeur n’était pas certain de saisir tout ce qui se tramait devant lui et ça l’irritait
davantage de seconde en seconde. Il pouvait comprendre qu’ils se soient attachés l’un à
l’autre, mais le comportement d’Harry était très étrange. L’adolescent était très indépendant,
obéissait à des codes moraux nobles, ne vivait que pour ses amis, et ne prenait véritablement
d’ordres de personne excepté d’Albus… Harry aurait déjà dû quitter le bureau pour courir
retrouver les deux autres Gryffondors…

Une nouvelle fois, Severus hocha la tête, ne donna pas de réponse verbale, ce qui était
curieux parce que Severus n’était jamais à court de mots.

Albus n’eut pas de mal à comprendre l’origine de ce silence. Le Maître des Potions paraissait
aussi anxieux à l’idée de se séparer de l’adolescent que l’était Harry. Ils se dévisagèrent
durant une longue minute et, s’il n’avait pas su la chose impossible, le vieux sorcier aurait
presque conclu qu’ils communiquaient par télépathie.

Il s’apprêtait à leur rappeler que la nuit ne rajeunissait pas et qu’il aurait aimé des
explications, lorsque Harry se jeta brutalement sur Severus. À nouveau, Albus se leva à
moitié, baguette en main, persuadé que le Survivant avait attaqué son espion. Sauf que ce
n’était pas une attaque. C’était une étreinte farouche et maladroite que le Maître des Potions
rendait à l’adolescent avec le même désespoir, comme s’il avait pensé, l’un et l’autre, ne plus
jamais se revoir.

Il se rassit, se sentant bêtement exclu. Ni Harry, ni Severus ne lui prêtait la moindre attention
et il avait la sensation, depuis qu’ils étaient arrivés, de n’exister qu’en marge de leur petit
monde. Il n’avait pas l’habitude d’être relégué en seconde position par l’un ou par l’autre et,
curieusement, cela le peinait.

C’était irrationnel et égoïste, il s’en voulut immédiatement d’avoir de telles pensées, mais…
tout de même, il ne parvenait pas à se départir d’un certain degré de ressentiment.

« À demain. » lâcha Harry, en libérant le professeur de son étreinte étouffante. Il se tourna


vers Dumbledore. « Pour Sirius… Vous lui direz ? »

Albus acquiesça en silence, le regrettant déjà. Ce qu’Harry lui demandait allait être un
calvaire…

Toutefois, lorsqu’il vit le sourire sincère que lui adressa le garçon, une partie de la tristesse
qui avait teinté leurs retrouvailles s’effaça.

« Merci, Professeur. » offrit le Survivant, avant d’hésiter quelques seconde. « Je suis content
de vous revoir. »

« Moi aussi, Harry, moi aussi. » répondit-il franchement, incapable de contrôler la vague
d’affection dans sa voix.

L’adolescent jeta un dernier regard à Severus puis quitta le bureau d’un pas déterminé. Albus
regarda la porte se fermer doucement derrière lui, cherchant un moyen d’entamer une
conversation qui serait probablement déplaisante.

« Dites ce que vous avez à dire, Albus. » soupira le Professeur.

Il étudia son employé plus attentivement qu’il ne l’avait fait jusque là, notant que les cernes
qu’il avait arboré au début de l’année étaient moins prononcées à défaut d’avoir disparu, il
était également moins squelettique, ce qui signifiait qu’il s’était nourri correctement – une
chose qui arrivait peu fréquemment si Albus ou Minerva n’était pas là pour le forcer à le faire
– et il émanait de lui une sérénité nouvelle. Severus avait l’air apaisé.

Comment aurait-il pu avoir le cœur de lui reprocher quoi que ce soit lorsqu’il paraissait aller
aussi bien ? Albus n’aurait jamais cru qu’une telle chose aurait été possible…

« Je ne peux vous cacher que ma curiosité est piquée au vif. » botta-t-il en touche.
Severus sembla se détendre légèrement, s’étant visiblement attendu à une avalanche de
reproches. Le Maître des Potions haussa les épaules.

« L’histoire est probablement moins passionnante que celle de Filius. » déclara le


Mangemort, avant de l’observer à son tour avec attention. « Vous avez abusé du filtre de
force. Vos mains ne tiennent pas en place. »

Il cessa de pianoter sur l’accoudoir, ne dissimulant pas son amusement. Le reproche avait été
délivrée d’un ton bourru et détaché qui aurait pu paraître nonchalant à quelqu’un d’autre,
mais Albus le reconnut pour la preuve d’affection que c’était et en éprouva un immense
réconfort.

« Je n’ai pu me permettre autant de repos que je l’aurais souhaité, ces derniers mois. » admit-
il.

« Dites-moi. » exigea Severus, avec appréhension.

Albus hésita l’espace d’un battement de cœur. Il avait prévu de mettre Severus dans la
confidence du ‘revirement’ de Lucius et de ses informations troublantes à propos d’un espion
au sein de l’Ordre, mais c’était avant qu’il ait vu l’état des boucliers mentaux du Mangemort.
Combien de temps faudrait-il à Voldemort pour découvrir tous ses secrets ? Il ne pouvait pas
risquer de telles informations.

Une version édulcorée des évènements devrait suffire.

°°O°°O°°O°°O°°

Harry referma la porte du bureau derrière lui, s’éloigna suffisamment pour ne plus entendre
les échos de la conversation, puis s’assit sur une des marches. Il posa son front sur ses
genoux, s’efforçant de prendre de profondes inspirations et d’occluder au maximum son
angoisse et les pensées parasites qui lui soufflaient qu’il venait de perdre Snape-Prince.
Snape… Il ne pouvait pas gérer cette idée là pour l’instant.

Pas quand Mr Weasley…

Dire au revoir aux gens qu’il avait rencontré en soixante-quinze, dire adieu à Severus, dire
adieu à Lily et à James… Il avait pensé que ce serait le seul déchirement de la journée.
C’était déjà tellement affreux de se dire qu’il ne pourrait plus jamais parler à Severus – pas à
son ami, du moins – ou à Lily… Ils lui étaient devenus, au cours des derniers mois, tout aussi
essentiel qu’Hermione ou Ron, et se séparer d’eux, en sachant qu’il ne les reverrait jamais…
Il n’avait pas osé se retourner avant de quitter le passé. Il n’avait pas osé se retourner par
crainte de ne pas parvenir à abandonner ce qu’il y avait gagné, mais il n’avait jamais songé
qu’il aurait pu perdre quoi que ce soit en quatre-vingt-quinze… Il avait pensé que tout ce
qu’il avait laissé derrière lui l’y attendrait sagement, comme un livre oublié sur une étagère
que l’on retrouvait au bout de quelques mois ou de quelques années : un peu poussiéreux
peut-être, mais identique.

Et voilà que Mr Weasley…


Sa gorge se serra davantage encore et, à nouveau, la panique lui brûla le ventre. Il n’était pas
particulièrement fier du moment de faiblesse qui l’avait pris dans le bureau de Dumbledore…
Sa vision s’était troublée et les images, affreuses mais si familières, de Voldemort et de ses
victimes s’étaient imposées comme elles le faisaient si souvent. Il ne parvenait pas à rattacher
le souvenir qu’il gardait d’Arthur Weasley avec les fantômes qui hantaient sa conscience…

Avant Snape-Prince – Snape – Mr Weasley avait incarné, pour lui, le père idéal. Il y avait
quelque chose de fabuleux à observer les Weasley en famille. Parfois, Harry, lorsqu’il se
tenait en retrait, avait presque eu l’impression de voir une de ces familles rêvées que Pétunia
aimait à regarder devant sa télévision. Ils étaient une unité compacte, un amas de rouages qui
s’encastraient parfaitement les uns dans les autres… Et, évidemment, le socle familial était le
couple formé par Mr et Mrs Weasley… Sans l’un des deux, l’ensemble serait devenu
bancal…

La première fois qu’il avait rencontré Mr Weasley, à la table du petit-déjeuner, après leur
escapade en voiture volante, l’homme s’était contenté de faire une remarque perplexe comme
quoi Harry n’était pas de lui, et ça avait été la fin. Après ça, Harry avait été adopté dans le
cercle des Weasley. Le moment était gravé dans son esprit, parce qu’il s’était tourné vers
Ron, et…

Ron.

Et Fred et George. Et Ginny.

Quelques mois plus tôt, Harry n’aurait pas pu imaginer leur douleur. Il y avait une très grosse
différence entre n’avoir jamais connu ses parents et les perdre du jour au lendemain,
cependant, à présent… Il avait la sensation que Lily était morte une seconde fois, perdue à
tout jamais. Il avait moins connu James, la douleur était moins vive. Mais Lily…

Ron avait dû être anéanti. Et en plus d’avoir perdu son père, son meilleur ami avait dû se
faire du mauvais sang pour lui, se demander où il était, s’il allait bien…

Harry ne pouvait pas effacer la période de chagrin où il n’avait pas été là pour son ami, mais
il pouvait, par contre, lui ôter le fardeau de s’inquiéter pour lui. Il isola la douleur provoquée
par la mort de Mr Weasley derrière des murs de flammes, ce qui, sans la faire disparaître, la
rendrait momentanément supportable, fit de même avec ses sentiments ambivalents pour
Sirius et ses inquiétudes vis-à-vis de Snape-Prince – Snape –, puis il prit appui sur le mur
pour se relever. Il essuya ses joues, passa une main dans ses cheveux, afin de ne pas inquiéter
davantage ses amis par une apparence trop hagarde, et dévala les marches quatre à quatre.

Il courut plus qu’il ne marcha jusqu’au septième étage, s’élançant sans aucune crainte dans
les couloirs où les torches s’étaient éteintes, sans même prendre le temps d’allumer un lumos.
Après ces derniers mois passés à arpenter le château aux côtés de Sev, il le connaissait
comme la paume de sa main. Passages secrets, salles de classe abandonnées… L’école
n’avait plus de secrets pour lui.

Le mur qui abritait la pièce va-et-vient était lisse et uniforme, et il le resta même quand
l’adolescent fut passé et repassé devant en souhaitant pouvoir entrer. Harry s’immobilisa, se
traitant mentalement d’imbécile. Lorsque Snape-Prince et lui utilisaient la salle comme lieu
d’entraînement, la porte apparaissait d’elle-même, mais il n’y avait jamais eu personne à
l’intérieur lorsqu’ils avaient voulu l’utiliser…

Peut-être aurait-il dû être plus spécifique dans sa requête ? Cependant, Dieu seul savait ce
que Ron et Hermione fabriquaient à l’intérieur… Peut-être y avait-il un nouveau mystère
dont Dumbledore ne lui avait pas parlé – ça n’aurait pas été la première fois, après tout, que
le vieux sorcier lui cachait des choses – et ses amis étaient-ils occupés à le résoudre ? Mais,
dans ce cas de figure, la salle sur demande pouvait faire office de laboratoire de potions
comme de centre de recherches… Comment deviner ce à quoi ils étaient occupés ?

Il croisa les bras et fusilla le portrait le plus proche du regard. Dans la lumière tremblotante
des torches, la cantatrice qui feignait de dormir ferma rapidement ses paupières en acrylique.
Dumbledore aurait, tout de même, pu être un peu plus clair dans son résumé des derniers
mois. Il sentit le ressentiment, qu’il s’était mis à éprouver pour l’homme depuis son arrivée
en soixante-quinze et la découverte de tout ce qu’il lui avait dissimulé, se réveiller et s’agiter
dans son ventre. Il s’efforça de penser à autre chose. Le ressentiment ne l’amènerait qu’à se
mettre en colère. La colère menait à la fureur. Et, lorsqu’il était furieux, il pouvait sentir
l’horcruxe s’agiter, enfler, voire ronronner de contentement devant ces émotions brutales et
primaires. Il détestait cette sensation de souillure.

Expirant avec mauvaise humeur, il posa la main sur le mur. Il n’allait tout de même pas
attendre dans le couloir que ses meilleurs amis daignent quitter la pièce… C’était trop bête !
Ron et Hermione étaient de l’autre côté de quelques briques et il refusait d’être plus
longtemps séparé d’eux. Il ne savait pas de qui les Gryffondors se cachaient mais, lui, n’était
pas un danger pour eux et si la salle sur demande avait suffisamment de magie pour répondre
aux souhaits, elle devait bien pouvoir le comprendre. Fermant les yeux, il envoya une prière
silencieuse à la pièce, l’école et tout ce qui voudrait bien l’entendre.

Poudlard était-elle magique ? Mr Weasley – et il lui fallut renforcer ses boucliers lorsque
l’homme lui traversa l’esprit – lui avait dit un jour que certains objets développaient un
certain degré de conscience s’ils étaient exposés à la magie suffisamment longtemps. Était-ce
le cas de Poudlard ?

Lorsqu’il rouvrit les yeux, sa main n’était plus posée sur un mur de briques mais sur une
porte en bois rugueux. Il tourna la poignée avec un immense soulagement, imaginant
l’expression de ses amis lorsqu’ils l’apercevraient. Hermione lèverait la tête du livre dans
lequel elle serait fatalement plongée avec une expression de surprise presque comique et Ron
cesserait de prétendre prendre des notes suffisamment longtemps pour le dévisager, les yeux
ronds et la bouche ouverte…

La porte s’ouvrit dans un grincement qui passa totalement inaperçu au milieu du joyeux tohu-
bohu qui régnait à l’intérieur.

Harry resta figé sur le seuil, sans véritablement comprendre ce qu’il avait sous les yeux. La
salle sur demande s’était transformée en une gigantesque pièce qui ressemblait à celle que
Snape-Prince et lui utilisaient parfois pour leurs entraînements, lorsqu’ils étudiaient une
question théorique : des mannequins dans un coin, des étagères avec des livres dans un autre,
quelques tables, une large cheminée qui occupait tout un pan de mur, et, au milieu de la pièce,
un énorme espace réservé aux duels.
Hermione n’était pas plongée dans un livre, elle riait à gorge déployée, assise par terre,
trouvant visiblement hilarant d’être désarmée par Luna Lovegood, pour une raison ou une
autre.

Ron ne feignait pas de prendre des notes. Il était à l’autre bout de la pièce, en train de taper
sur le dos de Draco Malfoy, comme si ce dernier venait de raconter une plaisanterie sans
précédent.

Harry cilla une, deux fois, notant, sans vraiment le noter, au milieu d’autres visages inconnus,
Ginny qui expliquait à une Serpentard brune comment positionner correctement sa baguette,
Fred qui faisait équipe avec Zabini pour combattre George et Lee Jordan, Neville qui
rougissait sous les félicitation d’Hannah Abbot, Dean et Seamus qui tournaient autour de
Daphné Greengrass, Susan Bones, Lavande Brown, les deux sœurs Patil, et deux autres
Serpentards qui s’entrainaient sur des mannequins…

Malfoy leva les yeux au ciel et lâcha ce qui ne pouvait être, vu son expression, qu’une
remarque désobligeante. Au lieu de s’emporter, Ron ricana et héla Ginny qui rit à son tour,
lorsque la blague lui fut répétée, bientôt rejointe par la brunette qui se tenait à côté d’elle et
Luna qui avait visiblement entendu malgré le chahut. Tout ce petit monde se rapprocha pour
discuter plus facilement et Hermione attrapa la main que Malfoy lui tendait pour l’aider à se
relever, sans même sembler y penser à deux fois.

Harry eut l’impression d’avoir pénétré dans la quatrième dimension – Severus et Lily lui
avaient prêté suffisamment de romans de science-fiction pour qu’il n’utilise pas l’expression
à la légère. Il fit inconsciemment un pas en arrière, partagé entre l’envie d’exiger des
explications et de courir retrouver Snape-Prince pour lui rapporter que, en dépit des
apparences, ils s’étaient très clairement trompés de réalité. Il heurta le battant, provoquant un
nouveau grincement qui passa inaperçu de tous si ce n’était de Susan Bones qui choisit ce
moment pour tourner les yeux vers lui.

« Harry Potter ! »

Elle couina son nom tellement fort que la cacophonie qui régnait, quelques secondes à peine
auparavant, s’éteignit brusquement, comme une bougie que l’on souffle. Tous les regards
étaient, à présent, rivés sur lui et, outre le malaise qu’il éprouva à se retrouver ainsi au centre
de l’attention générale, Harry ressentit un plaisir non négligeable à revoir tous ces gens. La
plupart de ces gens. Il se serait avec joie passé de Malfoy.

Ron, Hermione et les Weasley, dans une moindre mesure, lui avaient tellement manqué qu’il
en avait oublié ses autres amis… Ceux qui n’étaient pas vraiment assez proches pour qu’il les
considère comme de la famille, mais avec qui il appréciait pourtant de passer du temps…
Neville, Dean, Seamus… Même Lavande et Parvati…

C’était comme si quelqu’un avait jeté un sort sur la pièce va-et-vient, songea Harry. Ils
s’étaient tous figés, là où ils étaient, comme des statues de sel. Hermione, les yeux
écarquillés, s’accrochait à la main de Malfoy qui, lui-même, observait Harry avec un air
moins que ravi, Ron avait le bras à moitié levé parce qu’il avait voulu tirer la queue de cheval
de Ginny, Ginny avait attrapé le poignet de Luna, Luna était probablement la seule personne
qui ne le dévisageait pas comme s’il revenait à peine d’une promenade dans une réalité
parallèle mais le regardait plutôt avec naturel, comme s’il était simplement parti aux toilettes,
l’espace de quelques minutes…

« Ha… Harry ? » balbutia Neville, avec incertitude, brisant le drôle de sortilège.

Un à un, les adolescents, en face de lui, se remirent à ciller et à respirer, se tournèrent les uns
vers les autres, en quête d’une explication… Mais toujours en silence. Et Harry devina,
confusément, que le silence perdurerait tant que, lui-même, n’aurait pas ouvert la bouche.

« Euh… Salut. » lâcha-t-il. Dans sa tête, il entendit les voix mêlées de Sev et de Snape-Prince
qui, en chœur, se moquaient de son manque d’éloquence. « Dumbledore m’a dit que vous
étiez là, alors… »

Il chercha le regard de Ron ou celui d’Hermione, mais s’embrouilla dans ses explications, et
trouva finalement plus sûr de regarder par terre. Dumbledore n’avait jamais dit qu’il
trouverait ses meilleurs amis en train de… De faire quoi, d’ailleurs ? Entraîner une armée ?
Parce que c’était bien ce dont il s’agissait, il en aurait mis sa main à couper… Les
mannequins, la salle, les livres, les duels amicaux… Si c’était bien ce qu’ils étaient en train
de faire, ils s’y prenaient mal. Snape-Prince n’avait pas procédé de cette manière avec lui.

Et Snape-Prince n’avait certainement jamais invité de Malfoy à s’entraîner avec eux… Il ne


voyait pas bien ce que le Serpentard faisait là – Zabini et les autres, c’était un autre problème.
Zabini ne lui avait jamais causé d’ennuis, Greengrass non plus, et les autres, il ne les
connaissait pas. Mais Malfoy ? – à moins qu’ils lui fassent jouer le rôle du Mangemort…

« Pourquoi es-tu déguisé en Serpentard ? » demanda justement Malfoy, le front plissé comme
s’il réfléchissait à un mystère insoluble.

La question entraîna un écho en lui, comme un souvenir trop fragile pour être parfaitement
saisi… Pendant une seconde, il lui sembla que la salle sur demande disparaissait, laissant
derrière elle les piliers de King’s Cross et le sifflement d’un train, dans le lointain.

« Longue histoire. » s’entendit-il répondre, de très, très loin.

L’impression de déjà-vu se dissipa lentement, et il échangea, avec Malfoy, un regard dont


l’intensité le troubla. Il y avait un rêve délirant de Malfoy sur le quai d’une gare, des limbes,
les…

« Harry. » expira finalement Hermione, à bout de souffle.

Il se demanda vaguement si elle avait retenu sa respiration jusque là. Il n’eut que le temps de
sourire, à peine celui d’ouvrir les bras et sa meilleure amie se jetait sur lui, avec tant de force
qu’il chancela en arrière, ne parvenant à garder son équilibre qu’au prix d’une demi-pirouette.
Les bras d’Hermione, autour de son cou, lui coupaient la respiration mais il ne songea même
pas à s’en plaindre, serrant la jeune fille aussi fort qu’il le put et respirant à pleins poumons
l’odeur si familière de son shampoing.

Il sentit s’apaiser une angoisse dont il n’avait pas eu conscience jusque là.
Il était, enfin, à la maison.

Il rouvrit les yeux, incapable de réfréner son sourire, et cala son menton sur l’épaule
d’Hermione pour chercher le regard de Ron dans la foule, pour partager un de ces moments
où ils hausseraient les épaules, dans une synchronisation parfaite, et décrèteraient que les
filles étaient beaucoup trop émotives et…

Ron n’était plus au même endroit que quelques secondes plus tôt. En fait, Harry eut à peine le
temps de froncer les sourcils que son meilleur ami les serrait dans ses bras, tous les deux,
sans aucune douceur. Hermione, prise en sandwich, laissa échapper un couinement mi-
surpris, mi-désapprobateur, mais Ron refusa de lâcher et, emportés par la force que le garçon
avait mis dans son étreinte, ils tanguèrent de droite à gauche, sans savoir s’ils allaient
parvenir à rester debout ou s’ils allaient s’écrouler en tas sur le sol. Harry riait au travers de
larmes de joie, Hermione pleurait discrètement tout en l’abreuvant de reproches, de questions
et de déclarations d’affection, et Ron restait silencieux mais les serrait avec tant de brutalité
que le Survivant pensait qu’il ne consentirait jamais à les libérer.

Il n’avait jamais connu d’instant de bonheur plus total que celui-ci.

S’il avait dû choisir un moment de sa vie à vivre et revivre pour l’éternité, il aurait pris cet
instant.

L’étreinte lui parut durer des heures, mais ne dut pas être beaucoup plus longue qu’une
poignée de minutes. Ron s’éloigna le premier, tirant sur son pull et tentant d’avoir l’air viril
comme seul un adolescent de quinze ans pouvait le faire, sans toutefois se départir de
l’énorme sourire qui lui mangeait le visage. Puis Hermione se détacha de lui, des larmes plein
les yeux mais avec un sourire euphorique.

« Tu nous a fait peur, espèce de crétin. » déclara-t-elle, avec cette affection profonde qu’elle
lui réservait.

Il s’apprêtait à répliquer quelque chose de hautement spirituel, lorsqu’il fut à nouveau attaqué
par une étreinte vicieuse à la Weasley. À peine eut-il refermé ses bras sur Ginny, que Fred et
George se mirent à lui frotter le crâne et à lui ébouriffer les cheveux, comme ils avaient pris
l’habitude de le faire lorsque Ron et lui avaient encore été des première année. Ginny fut plus
longue à le lâcher que les jumeaux, mais après eux, il y eut Lavande et Parvati, Angelina et
Katie, Neville, Dean et Seamus, Lee, Colin, Denis, Susan Bones et Hannah Habbot, Luna
Lovegood, d’autres Poufsouffles lui tapèrent sur l’épaule, lui serrèrent la main, des Serdaigles
aussi…

Très vite, il se retrouva entouré d’un groupe de personnes, certaines qu’ils connaissaient très
bien et d’autres pas du tout, tandis que, à l’autre bout de la pièce, se formait une ligne,
ridicule en comparaison de la masse qui orbitait autour de lui. Au centre de la ligne se tenait,
bien entendu, Malfoy et, à côté de lui, six Serpentards. Zabini, Greengrass et la brune qui
s’était entraînée avec Ginny, à la droite de la fouine, et à sa gauche, une fille et un garçon qui
devaient avoir à peu près leur âge – des sixième année, peut-être ? – qui étaient très
visiblement jumeaux, et une fille, plus jeune, qui ne devait pas avoir plus de treize ou
quatorze ans et qui lui rappelait étrangement quelqu’un, sans qu’il parvienne à déterminer
qui.
Les questions pressantes, les exclamations de joie… Tout ça ne tarda pas à s’éteindre
lentement lorsque les gens commencèrent à se rendre compte que Malfoy et lui s’affrontaient
du regard, avec une hostilité palpable. La plupart s’écartèrent même légèrement jusqu’à ce
qu’il ne reste plus que deux fronts : d’un côté, les Serpentards et, de l’autre, Harry et la
grande majorité des Gryffondors.

Hermione, qui avait continué à parler sans s’arrêter depuis qu’elle avait lâché Harry, se tut
brusquement et un silence chargé se mit à régner dans la salle. Son regard passa du groupe de
serpents à Harry et inversement, avec un malaise évident. Ron et les autres, de même,
paraissaient gênés. Neville, par contre, avait l’air prêt à en découdre si besoin était.

« Oh, ça suffit ! » s’exclama soudain Ginny, en allant se planter dans le no man’s land qui
s’étaient formés entre les groupes, bras croisés. « Vous n’allez pas déjà commencer, quand
même ! »

Harry la dévisagea, sans comprendre de quoi elle parlait.

« Nous n’avons rien commencé. » déclara la voix puissante de Zabini, de son ton calme,
presque méprisant, qu’il affectionnait. « Toutefois… Ce n’est pas que nous soyons pas
heureux que Potter ne soit pas mort – encore que, je ne serais pas contre l’idée de le
soumettre à un test, afin de vérifier qu’il s’agit bien du véritable Potter – mais, en dépit de sa
cravate, il est de notoriété publique qu’il n’est pas un grand admirateur des Serpentards, nous
aimerions savoir ce que son retour signifie pour nous. »

Tous les serpents, sans exception, avaient leur baguette à la main.

« Le retour de Potter remet-il la Trêve en question ? » renchérit Greengrass, avec un


détachement glacial et savamment étudié, qu’Harry ne put s’empêcher de comparer à celui de
Narcissa. Greengrass avait du chemin à parcourir.

« Bien sûr que non. » protesta Hermione. « Rien n’a changé. »

Autour d’eux, il y eut des murmures d’approbation, d’autres de doutes. Hermione réitéra son
annonce, plus fort. À côté de lui, Ron soupira discrètement, avant de tapoter son bras pour
attirer son attention.

« Dis leur que ça ne change rien. » lui murmura son ami. « Les Serpentards se prennent
toujours la tête pour rien. »

Un peu surpris par les propos de Ron, parce que c’était loin d’être l’accueil qu’il avait
imaginé, Harry écouta, quelques secondes, le discours dans lequel s’était lancée Hermione.
Une grande avalanche de bons sentiments, de serments de loyauté et d’amitié qui ne feraient
pas grand bien.

Il ne savait peut-être pas exactement ce qui se passait, mais Harry parlait couramment le
serpent désormais – sans même évoquer le Fourchelang – et il avait appris à gérer les Sang-
Purs caractériels. Ni l’attitude, ni les paroles des Serpentards n’étaient véritablement hostiles,
ils étaient simplement sur la défensive.
Il croisa le regard de chacun des Serpentards, en évitant celui de Malfoy, et n’y trouva aucune
animosité. Ils semblaient presque résignés, comme s’ils s’attendaient à être chassés de la
pièce sans aucun ménagement.

« Je n’ai rien contre Serpentard. » lança-t-il, à la cantonade. Sa déclaration interrompit


Hermione, qui lui jeta un bref coup d’œil, à moitié affectueux, à moitié agacée qu’il lui coupe
la parole. « J’y ai même fait un séjour. » expliqua-t-il, avec amusement, en montrant son
blason du doigt. « Les dortoirs sont assez confortables et, si l’on connait les bonnes
personnes, on peut s’y amuser. »

Sa plaisanterie parut détendre l’atmosphère, certains ricanèrent même à sa plaisanterie. Il se


demanda combien avait compris le message caché sous le ton badin… Probablement peu, mis
à part les serpents, songea-t-il, en rendant à Zabini son hochement de tête.

« Ombrage n’a pas réussi à briser la Trêve. » déclara Ginny, toujours fermement plantée dans
le fossé entre les deux groupes. « On ne vas pas laisser quelques malentendus le faire. L’A.D.
n’a pas de Maison, on était d’accord là-dessus. »

Il n’en fallut pas davantage pour que tout le monde se disperse, à nouveau, entourant les
Serpentards et les réintégrant dans le petit groupe. L’incident s’en serait probablement arrêté
là si Malfoy n’avait pas choisi ce moment pour décider qu’il voulait provoquer une dispute,
après tout.

« Qu’est-ce que ça veut dire ‘J’y ai même fait un séjour’ ? » demanda le Sang-Pur,
suffisamment fort pour couvrir les voix de leurs camarades. « Et si tu me réponds encore que
c’est une longue histoire… »

« Draco, arrête. » rétorqua immédiatement Hermione, clairement irritée. « Laisse-le respirer,


il vient d’arriver, laisse-lui le temps de s’expliquer. »

Le regard gris que le Serpentard tourna vers sa meilleure amie n’était pas des plus aimables et
Harry, anticipant une insulte, se plaça devant Hermione, mourant d’envie de sortir sa baguette
pour assommer cet idiot. Le sort qui les avait ramenés dans leur réalité lui avait donné
l’impression d’être écartelé, déchiré jusqu’à la plus petite de ses particules… Il était fatigué,
aurait apprécié de pouvoir savourer ces retrouvailles en paix, et était totalement perdu parce
que personne ne lui avait encore expliqué ce que Malfoy foutait là, sans parler de ce qui se
passait plus généralement dans cette pièce, alors, non… il n’allait pas laisser le Serpentard lui
gâcher plus longtemps la soirée.

« Je n’ai rien à expliquer à cette sale fouine. » grinça Harry, satisfait par la grimace exaspérée
de son rival. « S’il n’est pas content, il peut dégager. »

Et, releva-t-il, avec un temps de retard, depuis quand Hermione appelait-elle Malfoy par son
prénom ?

« Harry, ne l’encourage pas. » le gronda Hermione, en se décalant de derrière lui,


n’appréciant que très peu son accès de galanterie. « Et, toi, ne répond pas. »
La dernière remontrance s’adressait à Malfoy, qui ouvrit la bouche et la referma aussitôt
lorsque la main de Zabini s’abattit sur son épaule.

« Peut-être votre petite vendetta pourrait-elle attendre que notre curiosité soit satisfaite ? »
intervint le Serpentard. « Si tu es là… Qu’en est-il de Snape ? Est-il vivant ? »

Harry manqua commettre son premier faux pas, mais se reprit avec une facilité désarmante.
Mentir était presque devenu une seconde nature, au cours de ces derniers mois… Il leva les
yeux au ciel, injecta suffisamment d’aversion dans sa voix, et se lança dans un résumé
édulcoré de ses aventures en soixante-quinze. Il se cantonna au strict minimum, promettant,
d’un regard, de révéler le reste à Ron et Hermione, plus tard : Snape et lui avaient été
renvoyés dans le passé, il avait été réparti à Serpentard, Snape était un abruti mais un abruti
suffisamment doué pour les ramener chez eux, ils venaient à peine de revenir, non, il n’avait
pas retrouvé la vue miraculeusement, oui, il portait des lentilles de contact, fin de l’histoire.

Lorsqu’il eut terminé son récit, quatre personnes l’observaient comme s’ils savaient
pertinemment qu’il venait de leur rapporter un magnifique mensonge enrobé de demi-vérités.
Hermione et Ron, il pouvait comprendre. Malfoy, il n’était pas surpris. Mais Ginny ? Il ne
pensait pas que Ginny le connaissait suffisamment bien pour le deviner.

« Laissons donc notre héros à ses amis. » lâcha Malfoy, avec dédain, lorsque les autres furent
à court de questions. « Je suis certain qu’ils ont beaucoup à se dire. »

À quel moment Malfoy avait-il acquis une telle autorité sur leurs camarades ? Personne ne
s’avisa de discuter sa suggestion. Ceux qui s’étaient assis par terre se levèrent, en discutant
les évènements de la soirée, Hermione les fit partir par groupe de deux ou trois, en leur
indiquant un chemin à l’aide de la carte des Maraudeurs…

Il semblait que ses amis n’avaient pas hésité à se servir dans sa malle. Il ne savait pas trop
quoi en penser. D’un côté, il s’agissait de Ron et d’Hermione, de l’autre…

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-il à Ron, dans un murmure, dès qu’ils furent un peu à
l’écart du groupe qui se massait à la porte d’entrée. « Qu’est-ce que vous fabriquez ? »

Le Gryffondor secoua la tête et leva les mains, en signe d’impuissance. « Mon pote, je ne sais
même pas par où commencer… On pensait que tu étais… Tu es parti pendant… »

« Six mois. » termina Harry. « Dumbledore nous l’a dit. Mais qu’est-ce que Malfoy, fout ici ?
Qu’est-ce que c’est que cette Trêve ? »

Avant que Ron ait pu répondre, Lavande s’approcha d’eux d’un air décidé et embrassa
langoureusement son meilleur ami.

« Bonne nuit, Harry ! » lança-t-elle, avant de l’étreindre à nouveau. « Je suis vraiment


heureuse de te revoir. »

Trop choqué pour faire quoi que ce soit d’autre que la regarder partir de sa démarche
sautillante, il finit par tourner vers Ron un regard estomaqué.
« Lavande ? » lâcha-t-il, à court de mots. « Mais… Et Hermione ? Qu’est-ce que… Que… »

Ron rougit jusqu’au bout des oreilles et se racla la gorge.

« Pas mal de choses ont changé, Harry… » hésita le Gryffondor. « Je ne suis pas sûre que tu
vas aimer ce qu’on a te raconter. Mais… Putain, tu m’as manqué. »

« Tu m’as manqué aussi. » répondit-il, sincèrement. « Et Hermione, bien sûr. »

Il tourna son regard vers l’endroit où elle s’était tenue, quelques minutes plus tôt, mais elle
n’y était plus. Elle avait visiblement délégué aux jumeaux la tâche de donner des routes sûres
aux membres de leur petit groupe, et était très occupée à traîner un Malfoy récalcitrant à
l’écart de son groupe d’amis. La conversation tout en murmures qu’ils eurent avait l’air
animée.

Il n’était pas certain d’avoir hâte d’entendre ce que ses amis avaient à dire.

°°O°°O°°O°°O°°

Severus conclut son récit, par le détail du rituel qui avait servi de portail, soulagé d’arriver à
la fin de son histoire. Comme il l’avait pensé, Albus n’avait pas voulu se contenter d’un
résumé hâtif, et il avait passé la dernière demi-heure à raconter, en détails, les huit derniers
mois. Le vieux sorcier n’avait même pas tressailli lorsqu’il avait narré ses découvertes les
plus essentielles : la situation familiale d’Harry, les visions qui avaient accablé le garçon
avant qu’il lui apprenne à fermer son esprit, les horcruxes…

Albus n’avait pas paru surpris par l’existence d’éventuels horcruxes, comme Severus l’avait
soupçonné après qu’Harry lui ait parlé du journal de Tom Jedusor, le Directeur avait très
certainement su identifier le problème et avait probablement, quelque part dans son bureau,
une liste de ces fameux objets maudits. Obéissant à son instinct, il avait choisi de garder pour
lui le fait que l’un d’entre eux s’était logé dans l’âme d’Harry, préférant broder une fable
autour de la bague qui avait paru ramener le Seigneur des Ténèbres à la vie, lors de la bataille
du cimetière.

Il lui dissimula également leurs expériences dans le champ des transformations Animagus.

Il n’eut, en revanche, d’autre choix, que de lui exposer clairement les changements
qu’avaient subie sa relation avec l’adolescent. Il ne lui avait rien caché des difficultés
qu’Harry avait éprouvé à s’adapter à Serpentard ou à devoir affronter les Maraudeurs, ni de la
détérioration à prévoir de ses rapports avec Black et le loup… Il avait insisté et insisté pour
que l’adolescent ne soit plus abandonné à son sort comme ça avait été le cas avant que la
tempête magique ne les catapulte dans le passé…

Étant donné l’efficacité de ses exigences, il aurait aussi bien fait d’économiser sa salive.

« Eh bien… » lâcha finalement Dumbledore. « Ces derniers mois n’ont pas été plus reposants
pour vous que pour moi, semble-t-il. »
Euphémisme, s’il en jugeait par ce que le Directeur lui avait confié. Il était davantage
préoccupé par l’idée que le Seigneur des Ténèbres détenait une potion capable de forcer la
transformation lycanthrope, que par Son retour public. Cela devait arriver à un moment ou à
un autre, et pourquoi pas, à présent ? Sa résurrection fracassante lui avait sans doute permis
de recruter davantage de sorciers effrayés ou impressionnés par la destruction du Chemin de
Traverse…

Quant au fait que Black ait été innocenté… Une fois son aversion spontanée mise de côté…
Il s’agirait, peut-être, d’un atout pour lui sur le long terme. Black réclamerait la garde
d’Harry, Albus ne l’écarterait pas indéfiniment et n’avait, de toute manière, pas les moyens
légaux de s’y opposer. Harry avait besoin d’un adulte. Black aurait été son dernier choix,
mais Black valait mieux que Pétunia.

Au moins, il ne l’enfermerait pas dans un placard.

Et Lupin ne serait pas bien loin pour rétablir un équilibre lorsque Black échouerait à mette en
place ne serait-ce qu’une discipline basique…

Ce n’était pas le choix idéal. Mais c’était sa meilleure option.

« Vous disiez que le comportement d’Harry était préoccupant… » reprit le Directeur.


« Pourriez-vous développer ? »

Severus fronça les sourcils, observant avec désapprobation la manière dont le sorcier ne
pouvait s’empêcher de pianoter sur son accoudoir, jouer avec un objet ou un autre abandonné
sur le bureau, ou bien se frotter la barbe. Minerva aurait dû le surveiller mieux qu’elle ne
l’avait fait. Albus avait tendance à oublier son âge et à travailler jusqu’à l’épuisement, auquel
cas, au lieu de ralentir la cadence, il ingurgitait potion sur potion. Et, en temps que Maître des
Potions, il lui incombait, à lui, d’imposer une limite.

Il était clair, vu la façon dont le vieux sorcier était incapable de contrôler ses gestes, que
personne ne lui avait imposé de limite ces derniers mois. Et ce n’était probablement pas le
seul domaine sur lequel personne n’avait osé émettre de protestations.

« Harry est fragile mentalement. » asséna-t-il, en quittant le fauteuil pour aller se planter
devant la fenêtre. Il ne distinguait rien, à l’extérieur, qu’une nuit noire. « La mort de ses
parents, la manière dont les Dursley l’ont traité toute sa vie, Quirrell, le basilic, et, bien sûr, le
cimetière et la mort de Diggory… » Pour chaque évènement qu’il énumérait, un souvenir
surpris dans l’esprit du gamin lui revenait en mémoire. C’était presque trop pour une seule
personne. Certainement trop pour un adolescent de quinze ans… « Il pense qu’il est de sa
responsabilité de sauver chaque sorcier et créature du monde magique. Il n’accorde aucune
importance à sa propre vie. Il est… »

« Ce sont ces drames qui font d’Harry ce qu’il est. » le coupa Dumbledore. « Ils le rendent
plus fort. »

Severus pivota avec brusquerie, le claquement sec de ses robes fit piailler Fumseck avec
désapprobation. Il ne prêta aucune attention au phœnix, dévisageant le vieux sorcier avec un
mélange d’horreur et de dégoût.
« Était-ce là votre objectif, tout du long ? » accusa-t-il, priant pour avoir tort. Parce que s’il
avait raison et qu’Albus… « Toutes ces épreuves pour qu’il apprenne à placer le reste du
monde avant sa propre vie ? »

Albus soupira et se frotta le front. Il avait l’air vieux tout à coup. Vieux et fourbu.

« Pourquoi ? » siffla Severus. « Vous croyez dur comme fer à cette fichue prophétie. Vous
avez besoin de votre Élu. À quoi pourra-t-il bien vous servir s’il persiste à utiliser son corps
comme un bouclier humain ? »

Sans rien dire, le Directeur se leva à son tour et se dirigea vers une des étagères. Le souffle
court, le Maître des Potions l’observa porter le bout de sa baguette à sa tempe et déposer
plusieurs filaments argentés dans sa pensine.

Et, soudain, la réponse lui apparut, évidente dans sa simplicité.

Albus savait.

Il avait découvert l’existence des autres horcruxes, seul… Une fois l’improbabilité de la
chose admise, il ne fallait pas beaucoup plus pour relier les signes et en tirer une conclusion à
propos d’Harry. Albus savait. Évidemment, qu’il savait. Il l’avait probablement deviné depuis
des années. Et Severus était un fou d’avoir pensé pouvoir lui cacher une chose pareille.

Harry pensait que la prophétie signifiait qu’il devait mourir pour que le Seigneur des
Ténèbres puisse être vaincu. Visiblement, il n’était pas le seul à partager cette opinion.

« Vous l’avez élevé comme un porc destiné à l’abattoir. » murmura-t-il, sans pouvoir s’en
empêcher.

Occupé avec sa pensine, le Directeur continua à lui tourner le dos.

« Je n’apprécie pas énormément vos accusations, Severus. » lâcha Albus, d’un ton menaçant.
« Mettons-les sur le compte de votre affection pour le garçon. »

Severus lutta contre l’envie de se détourner, quelques secondes à peine, le temps de se


reprendre, de reconstruire ses défenses, de… Il n’osait pas ôter les yeux de la robe prune
bariolée d’étoiles argentées que portait le sorcier. Il n’osait pas détendre ses muscles crispés
par l’appréhension.

« Par comportement perturbant, j’entendais des absences, ou des pertes de mémoire, peut-
être ? » poursuivit Albus, en abandonnant la pensine pour se tourner vers lui. Sa baguette
pendait mollement, au bout de son bras, comme s’il avait oublié qu’elle s’y trouvait.

Peut-être était-ce le cas. Dumbledore n’avait pas véritablement besoin d’une baguette.

Severus décala légèrement son bras, de manière à pouvoir sortir la sienne rapidement, si
nécessaire.

Il était doué pour prendre des décisions en quelques secondes. Il était doué pour réagir
correctement sous pression. Il fit ce pour quoi il s’était entraîné pendant des années et se
composa un masque, comme le parfait espion qu’il était. Son expression se fit suffisamment
inquiète pour ne pas l’alarmer par un changement d’humeur brutal, mais il y inséra un brin de
perplexité qui aurait dû parvenir à détourner ses soupçons. Si Albus prévoyait de sacrifier
Harry, à cause de l’Horcruxe, il était dans son intérêt de prétendre ne rien savoir de l’affaire.
Manœuvrer dans l’ombre était le meilleur moyen de protéger Harry.

Faire semblant de ne pas savoir ce que le Survivant portait en lui.

« Il n’est pas soumis à l’Imperio, si c’est votre question. » répliqua-t-il. « À quoi riment ces
interrogations ? Que craignez-vous ? »

Comme il l’avait anticipé, Albus dénigra de répondre, balayant ses inquiétudes d’un geste.

« Vous en savez beaucoup plus que je ne l’aurais souhaité, Severus. » annonça le Directeur.
« Si Voldemort découvre que son secret a été percé à jour, il deviendra impossible d’accéder
aux Horcruxes. »

Se forçant à se détendre, il fronça légèrement les sourcils.

« Vous savez où il sont. » déduisit-il. « Mais il pourrait s’agir de n’importe quoi… Comment
les avez-vous identifiés ? »

Albus, visiblement incapable de rester immobile, alla cajoler le phœnix sur son perchoir. À
force de le gaver de graines, cet animal finirait par exploser.

« Les identifier ne fut pas aussi difficile que l’on aurait pu le croire. » offrit le Directeur. « Et
je pense, effectivement, en avoir localisé plusieurs. Je ne suis, toutefois, pas certain de leur
nombre. La personne détenant ces informations est, pour le moins, récalcitrante à les partager
et plutôt douée en Occlumencie. »

« Et vous n’avez pas songé à… Je ne sais pas… Les détruire ? » grinça-t-il, fatigué de la
manière qu’avait l’homme de tourner autour du chaudron. Il y avait un temps où ce genre de
joutes verbales l’aurait amusé, ce n’était plus le cas. Pas quand il était question d’un mage
noir qui en avait après son fils – élève. La fable était terminée.

« Ce combat n’est pas uniquement le mien. » répondit Dumbledore. « J’espérais qu’Harry


revienne. Je compte l’emmener avec moi lorsque… »

« Non. » coupa-t-il, sèchement.

Albus tourna à peine la tête vers lui, sourcils levés. « Pardonnez-moi ? »

Severus obligea sa respiration à ralentir, il devait garder la tête froide. Il devait… Tout ça
avait été si facile, avant leur séjour en soixante-quinze… Il ne se souciait que de lui, n’avait
d’autre préoccupation que sa propre survie, mentir était naturel, se protéger une nécessité, il y
avait peu qu’il rechignait à accomplir pour sa mission tant il était en quête de rédemption…
Atteindre l’absolution n’était jamais propre ou facile, cela impliquait d’énormes sacrifices
personnels, de faire des choses qui le révulsaient. Il y avait été préparé en retournant au
service du Seigneur des Ténèbres, l’année précédente. Mais, à présent ?
À présent, il ne se battait plus pour Lily. Il ne tentait plus d’expier ses fautes, il n’agissait plus
par dévotion pour un spectre… Il regrettait ses choix, évidemment, s’en voudrait jusqu’à sa
son dernier souffle pour avoir provoqué la mort de Lily, mais, cette culpabilité ne le rongeait
plus. Lily l’en avait absout. Il était en paix avec sa mémoire.

S’il était décidé à continuer d’espionner pour Dumbledore, à se battre dans cette guerre,
c’était pour Harry et uniquement pour Harry.

« Vous n’entraînerez pas Harry dans votre chasse à l’horcruxe. » ordonna-t-il, jetant au feu
toute notion de prudence. « Je vous l’interdis. »

Il ne voulait pas qu’Albus passe plus de temps que nécessaire avec le gamin. Il lui remplirait
la tête de tout un tas d’idées chevaleresques qui détruiraient les mois de travail passé à
inculquer au garçon la fragile idée qu’il comptait, qu’il n’était pas qu’une arme. Harry devait
apprendre à ne pas se sacrifier automatiquement, sans réfléchir. Il le voulait aussi loin de cette
guerre qu’il pouvait l’envoyer.

« Vous n’avez rien à m’interdire. » lâcha Albus, sans hostilité, mais sans bienveillance non
plus.

La température semblait avoir brusquement baissé de plusieurs degrés et l’atmosphère était


devenue oppressante. Severus, pourtant, ne recula pas, ne détourna pas les yeux, et refusa de
se laisser intimider.

« Il s’agit de mon fils. » répliqua-t-il. « En ce qui le concerne, je prends les décisions. »

Ces paroles étaient sorties toutes seules et il se rendit compte, un peu tard, de l’erreur qu’il
venait de commettre. Ce n’était plus le Dumbledore du passé qu’il avait devant lui.

Le Directeur se redressa légèrement, l’air se mit à grésiller à mesure que sa magie emplissait
la pièce. Severus ne lui fit pas le plaisir de trahir le moindre signe de frayeur. Il savait
parfaitement combien l’homme était puissant, il n’avait pas besoin d’une démonstration.
Qu’il garde ses tentatives d’intimidation pour ses nouvelles recrues…

« Je comprends parfaitement ce que vous pouvez ressentir, Severus, et je suis heureux que
vous ayez finalement accepté de baisser votre garde suffisamment longtemps pour vous
attacher à quelqu’un. » rétorqua Albus. « Mais Harry n’est pas votre fils. Il n’appartient
même pas à votre Maison. Vous n’avez aucune autorité sur lui. Vous n’avez aucun droit sur
lui. En ce qui concerne Harry, je prends les décisions. »

Le Maître des Potions serra les dents mais encaissa ce petit discours sans flancher.

« Ne serait-ce pas plutôt à Black de le faire ? » riposta-t-il, toutefois.

Albus parut beaucoup amusé. « Oh, et, à présent, vous voilà du côté de Sirius Black ? Je
commence à me demander si vous êtes bien dans la bonne réalité, Severus, je ne vous
reconnais pas. »

« Malheureusement, je ne peux pas en dire autant. » cracha-t-il.


L’aura menaçante qui entourait Dumbledore disparut brusquement, comme neige au soleil, ne
laissant qu’un vieux sorcier légèrement voûté par les responsabilités et au visage usé par les
années. C’était comme deux faces d’une pièce… Lancez-la en l’air et, suivant de quel côté
elle heurtait le sol, vous faisiez face à l’une ou à l’autre des personnalités d’Albus
Dumbledore : le Maître et le Mentor.

Severus aurait été incapable de déterminer si l’une était plus sincère que l’autre.

« J’aime Harry. » déclara Albus, en retournant s’asseoir derrière son bureau. « Je ne vous
permets pas d’en douter. Si je pouvais lui épargner cette guerre, si je pouvais simplement
l’envoyer dans un endroit sûr en attendant qu’elle se termine, je le ferais, Severus. Sans une
hésitation. »

« Faites-le. » exigea-t-il, en approchant prudemment du bureau. « Cette prophétie idiote a


déjà fait suffisamment de victimes. Harry n’a pas besoin de… »

« Voldemort croit à cette prophétie. » coupa Albus. « Il a choisi Harry, il l’a marqué comme
son égal. Quoi que je fasse, quoi qu’Harry fasse, Il n’aura de répit que lorsque le garçon sera
mort. Le sacrifice de Lily ne lui assure qu’une protection minime, raison pour laquelle
Pétunia restera sa tutrice, elle est de son sang. Et Harry m’accompagnera lorsque je
commencerai à détruire les horcruxes car il lui faut apprendre à se battre. Aussi regrettable
que cela soit et en dépit de mes désirs personnels. »

Exposer ainsi, de ce ton qui le suppliait d’être raisonnable et de comprendre, les faits
semblaient clairs : Harry n’échapperait pas à cette guerre. Severus, lui, en tirait une autre
conclusion : à moins d’un miracle, Albus ne pouvait pas sauver Harry.

Eh bien, il n’était peut-être pas Albus Dumbledore, mais Severus venait tout juste
d’accomplir un miracle en les ramenant, sains et saufs, dans leur réalité. Il pouvait bien
recommencer.

« Je l’ai entraîné. » déclara-t-il, en posant ses mains sur le dossier du siège qu’il avait occupé
précédemment. Il n’osait pas s’asseoir. S’asseoir l’handicaperait en cas d’attaque. « C’est un
naturel. Il suffirait de continuer à l’entraîner au château. Vous n’avez pas besoin de risquer
inutilement sa vie. »

Albus l’observa d’un air songeur.

Severus affronta son regard, laissant flotter à la surface de ses boucliers les souvenirs de leurs
séances d’entraînement. Harry était doué pour la Défense – et l’attaque, mais, cela, c’était un
détail qu’il ne partagerait pas avec Albus.

« Je vais y réfléchir. » offrit finalement le Directeur. « Remus pourrait lui donner des cours
particuliers. Il s’entend bien avec Harry. »

Il n’était pas certain que le loup serait spécialement bien reçu mais c’était le meilleur
compromis qu’il obtiendrait, alors il tint sa langue et remercia son supérieur d’un hochement
de tête.
Seulement, ils n’en avaient apparemment pas terminé avec les conversations pénibles, car
Albus se cala davantage dans son fauteuil et joignit les mains sur son ventre. Severus
connaissait cette attitude par cœur. C’était celle qu’il adoptait quand il voulait montrer qu’il
possédait le pouvoir sur son interlocuteur, l’attitude détachée, presque nonchalante, avec
laquelle il traitait tous les indésirables qui lui posaient problème.

« Tout ceci est fort bien, Severus, mais assez parlé d’Harry. » commença le Directeur. « Vous
êtes probablement un des meilleurs Occlumens que j’ai eu l’honneur de rencontrer, on
pourrait même vous qualifier d’artiste dans ce domaine de compétences… Qu’est-il arrivé à
vos boucliers ? »

Ses mains se crispèrent sur le dossier en velours.

Ses boucliers… Il se souvenait encore de la prédiction qu’avait faite Harry lors d’un de leurs
premiers cours d’Occlumencie. À force de se servir de ses souvenirs comme boucliers, de
tout compartimenter comme il l’avait fait toute sa vie, un jour tout finirait par s’écrouler.
Qu’était-il arrivé à ses boucliers ? Harry était arrivé.

« Ils sont tombés. » répondit-il, simplement. Il n’avait aucune envie d’exposer une partie
aussi intime de son être à Dumbledore. « Je les ai reconstruits, ils sont tout aussi solides
qu’avant. »

Différents, plus subtils à manier, mais tout aussi solides. Il était un virtuose dans la magie de
l’esprit. La différence était visible pour Dumbledore parce qu’il persistait à envahir son crâne
régulièrement et que Severus résistait toujours un peu avant de prétendre céder à ses attaques.
La vérité était qu’Albus n’avait pas plus accès à ses pensées que le Seigneur des Ténèbres.

« Je ne vous cache pas que je ne suis pas convaincu. » répondit honnêtement Albus, avec une
inquiétude sincère. « Et, outre le fait que vous en savez beaucoup trop pour ma tranquillité
d’esprit, je crains que vous ne soyez pas capable de duper Voldemort dans cet état. »

Severus fit taire immédiatement la graine d’espoir qui germait dans son ventre.

« Vous avez besoin d’un espion. » rétorqua-t-il. « En avez-vous un autre sous la main ? »

Albus ne répondit pas immédiatement. Il réfléchissait en caressant sa barbe, ce que Severus


avait toujours trouvé particulièrement perturbant.

« J’ai besoin de quelqu’un de confiance dans les rangs des Mangemorts, c’est vrai. » déclara
finalement le Directeur. « Mais je ne suis pas prêt à vous sacrifier inutilement pour cela. Si
vous n’êtes pas capable de… »

« Je suis parfaitement capable. » l’interrompit-t-il, avec agacement.

Dumbledore soupira.

« Severus, il me suffit d’effleurer votre esprit pour voir votre amour et votre inquiétude pour
le garçon. » asséna Albus. « Que pensez-vous que Voldemort fera lorsqu’il découvrira que
vous avez eu Harry à votre merci pendant des mois et que vous ne l’avez pas tué ?
Maintenant, imaginez ce qu’il fera s’il s’avère, en plus, que vous aimez son ennemi comme
un père ? »

Severus prit une profonde inspiration et, en expirant, fit disparaitre tous ses sentiments et les
bons souvenirs liés à Harry au fin fond de son esprit. À la surface, il ne restait plus que les
disputes, bagarres et autres moments de rage où l’homme aurait pu étrangler l’adolescent sur
place. Les deux moment proéminent restaient le soir où il avait craché au visage d’Harry
qu’il ne serait jamais que le fils de James et celui, beaucoup plus vieux, avant même que leur
trêve fragile ne se soit transformée en respect mutuel, où il l’avait accusé d’être responsable
de la mort de Lily et des autres. C’étaient des souvenirs pour lesquels il se haïssait, mais cela
ferait très bien l’affaire.

Affrontant le regard d’Albus, il leva un sourcil, le défiant de trouver à redire à son chef-
d’œuvre.

Visiblement impressionné, le Directeur leva les deux mains, sans pourtant se départir d’une
expression désapprobatrice. « Je préfère ne pas poser de questions. »

Cela valait probablement mieux.

« Le Seigneur des Ténèbres me punira pour ne pas avoir réussi à m’être débarrassé du gamin
mais il ne me tuera pas. Je suis trop précieux. » affirma Severus, avec certitude. « Il a autant
besoin d’un espion que vous. »

Dumbledore émit un bruit dubitatif qui fit intérieurement frissonner le Maître des Potions.

Était-il aussi indispensable qu’il voulait bien le croire ? Six mois, c’était long. Le Directeur
avait-il trouvé quelqu’un pour le remplacer ? C’était possible. Probable même.

« Êtes-vous certain de votre choix, Severus ? » demanda Albus. « Si vous souhaitez


reprendre votre rôle d’espion, mieux vaut que vous alliez Le retrouver dès maintenant.
Cependant… C’est votre choix. Je vous offre une porte de sortie. »

Une porte de sortie qui ne se présenterait pas deux fois.

Mais comment découvrir si Harry était en danger autrement ? Comment détenir toutes les
informations, celles que Dumbledore dissimulait généralement aux autres membres de
l’Ordre ? Comment prendre les bonnes décisions ?

Ce n’était pas un choix. À peine une nouvelle épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

« Vous avez besoin d’un espion. » réitéra-t-il, parce que c’était la vérité. Merlin seul savait
qui Albus avait dégoté pour le remplacer mais personne ne serait aussi fiable ou aussi doué
que lui.

« Qu’il en soit ainsi, dans ce cas. » soupira le Directeur. « Je regrette, Severus, je vais vous
demander de garder le secret des horcruxes de votre vie. Il est capital que Voldemort ne
découvre pas l’étendue de mes connaissances sur le sujet, ou les vôtres, d’ailleurs. Et, tant
que nous sommes sur le sujet, aucun des autres membres de l’Ordre ne doit être mis dans le
secret, me comprenez-vous ? »

« Oui. » répondit-il, sans s’embarrasser de discours.

Albus le raccompagna jusqu’à la porte du bureau et serra brièvement son épaule, avant qu’il
ne s’en aille.

« Bonne chance. » souffla le Directeur. « Et revenez-nous en vie, Severus. »

Il leva les yeux au ciel, face à tant de sentimentalisme, dissimulant le plaisir qu’il éprouvait à
recevoir ces marques d’affection de la part du vieux sorcier. En dépit de tout, ils étaient amis.
En quelque sorte. Autant que deux paranoïaques malmenés par la vie, qui n’étaient pas sur le
même pied d’égalité, pouvaient être amis.

Severus s’enfonça, sans se presser, dans les couloirs déserts, éclairant son chemin d’un lumos
paresseux. Il aurait souhaité retrouver ses appartements, ses affaires, son environnement
familier… Il lui fallait sortir dans la nuit glaciale de l’hiver pour affronter un autre
mégalomane. Six mois… Ils devaient être, à peu près, en février, il lui faudrait jeter des
sortilèges pour se tenir chaud.

Il était tellement fatigué… Les ramener dans leur réalité avait été un coup dur pour sa magie.
Le lumos seul lui avait demandé un effort considérable et l’éclat de sa baguette était,
pourtant, terne et tremblotant… Il n’y avait plus qu’à espérer que le Seigneur des Ténèbres
serait de bonne humeur…

Retour à la case départ, songea-t-il, retour à ces moments d’incertitude où il marchait vers la
mort sans savoir si elle le faucherait ce jour là ou si cela attendrait le lendemain.

Il était dans le hall d’entrée lorsqu’il repéra, du coin de l’œil, l’éclat d’un autre lumos.

« Qui va là ? » tonna la voix si familière, alourdie par un accent écossais à couper au couteau.
« Malfoy, si c’est encore vous… »

« Minerva. » lâcha-t-il, du bout des lèvres, avant d’avoir pu s’en empêcher.

C’était étrange. Des mois plus tôt, il serait probablement parvenu à enfouir la douleur, à la
transformer en colère… Quand Minerva était morte, le soir d’Halloween, il y avait eu trop à
faire pour en faire son deuil. Et par la suite… Severus s’était convaincu que ce n’était que
provisoire, qu’il la reverrait dès qu’ils seraient rentrés et pourtant…

« Severus ? » hésita la Directrice des Gryffondors.

Dans la pénombre, il la vit agiter sa baguette et les torches du hall s’allumèrent toutes
simultanément. Severus baissa sa propre baguette, presque choqué de se retrouver face à elle.
C’était comme se retrouver face à un spectre. Un spectre bien vivant, en chair et en os, qui
n’était jamais mort.

Il sentit sa gorge se serrer. La Minerva McGonagall de soixante-quinze ne lui avait pas


véritablement manqué, elle était beaucoup trop amourachée de ses Maraudeurs pour qu’il
l’apprécie, mais celle-ci ? Celle-ci était sa collègue depuis quinze ans, son alliée la plupart du
temps lorsqu’il était question d’affronter les décisions discutables d’Albus, et, dans de plus
rares cas qu’ils s’empressaient généralement d’oublier, son amie.

« Severus… » répéta la sorcière, d’un ton presque émerveillé, en portant une main à sa
bouche sous le coup de la surprise. « Quand… Comment… »

Elle manifestait certainement plus de plaisir à le revoir qu’Albus, ne put-il s’empêcher de


remarquer, avec un peu de rancœur.

« Nous venons de rentrer. » annonça-t-il, en détournant la tête. Les yeux perçants de la sous-
directrice étaient humide, et, lui, était mal à l’aise de la voir dans cet état. « Et, avant que ne
posiez la question, votre lionceau est en un seul morceau. Albus l’a envoyé retrouver ses
amis au septième étage, puisque, apparemment, le règlement ne s’applique pas à vos
Gryffondors. Je ne devrais pas être étonné, je suppose, mais… »

Il s’interrompit lorsqu’il la vit avancer vers lui d’un pas déterminé.

« Minerva… » gronda-t-il, en guise d’avertissement.

Ça ne la dissuada pas de poursuivre son attaque absolument déloyale.

Elle passa les bras autour de ses épaules et l’étreignit avec beaucoup plus de force que ne
devrait en posséder une vieille femme. Elle n’était pas du genre à se laisser aller à ce genre
d’effusions, c’était une des choses qu’il appréciait chez elle, ils se ressemblaient sur ce point
là. Et pourtant… Pourtant, il ne résista pas à l’envie de l’étreindre à son tour, parce qu’elle
était bel et bien vivante. Elle parut surprise qu’il retourne son geste affectueux.

Il ne serait jamais donné en spectacle de la sorte, avant cette petite excursion dans le passé.
Tout ça était la faute d’Harry.

Il se détacha, dans un raclement de gorge désapprobateur. Elle se contenta de le toiser avec


une affection amusée, refusant visiblement d’être gênée par ses actions. Elle souriait avec tant
de bonheur qu’il sentit sa bouche tressauter en retour, ce qu’il prit bien soin de contrôler
immédiatement. Le Professeur Snape ne souriait pas.

« Je ne parviens pas à croire que vous alliez aller directement vous terrer dans vos quartiers,
sans même me prévenir de votre retour. » lui reprocha-t-elle, en lui assénant une petite claque
sur le bras. Les lions et leur violence constante… « Vous devriez avoir honte. Avez-vous
seulement idée du sang d’encre que je me suis fait pour vous ? » Elle fronça brusquement les
sourcils, l’étudiant plus attentivement, à la lumière des torches. « Êtes-vous blessé ? Avez-
vous besoin de voir Poppy ? Je vous connais, Severus, vous pourriez être en train de vous
vider de votre sang et convaincre Albus que ce n’est qu’une égratignure, mais je ne suis pas
faite du même bois. Inutile de me mentir. Cet idiot ne vous a même pas fait examiner, je me
trompe ? Et pareil pour Potter, je parie. »

Severus ne chercha pas à dissimuler son rictus amusé. Albus s’apprêtait à passer un sale quart
d’heure, et il aurait aimé être là pour le voir. Les colères de Minerva étaient légendaires pour
de bonnes raisons…
« Eh bien ! » s’énerva la lionne, en croisant les bras. « Répondez-moi. »

Elle avait le don certain de lui donner l’impression qu’il avait à nouveau quinze ans. Étant
donné ce qu’il venait de vivre, ces derniers mois, ce n’était pas une sensation qu’il aimait
ressentir.

« Encore faudrait-il que vous m’en laissiez l’occasion. » répliqua-t-il, satisfait de voir la lueur
de contrariété s’allumer dans son regard. Irriter Minerva était son passe-temps quotidien
favori, et Merlin, ce que ça lui avait manqué.

Toutefois, il y avait une ligne à ne pas dépasser et, étant donné la manière dont elle tapait
régulièrement sa baguette contre sa cuisse, il n’en était plus très loin.

« Je n’ai rien. » capitula-t-il, en levant les yeux au ciel. « Quelques hématomes, tout au
plus. »

« Et Potter ? » insista-t-elle, avec inquiétude.

« En un seul morceau. » lâcha-t-il. « Bien que cela soit plus de mon fait que du sien. Il serait
temps que vous inculquiez à vos lions que la devise des Gryffondors n’est pas un adage à
suivre au pied de la lettre. »

Minerva parut extrêmement amusée. « Oh, attendez d’apprendre ce à quoi se sont amusés vos
Serpentards… Il ne s’est pas passé un seul jour, ces derniers mois, sans que je ne regrette
votre absence. Je n’ai jamais pu décider si vous seriez horrifié, enragé ou hilare. Potter est
allé retrouver Granger et Weasley, vous dites ? Il est bon pour une méchante surprise, le
pauvre garçon. »

« Comment cela ? » s’inquiéta-t-il, à deux doigts de faire un détour par les étages pour
vérifier que le gamin ne s’était pas déjà enfoncé dans les ennuis jusqu’au cou. « Est-il en
danger ? »

« En danger ? » répéta-t-elle, surprise. « Non, bien sûr que non. Que voulez-vous qu’il risque
dans l’enceinte de Poudlard ? »

« Oh, je ne sais pas… » ironisa-t-il. « Un enseignant décidé à le tuer, un basilic, un évadé fou
furieux, les bon sentiments du Directeur… Faites votre choix. »

Minerva fronça les sourcils, sérieuse. « Que voulez-vous dire à propos du Directeur ? »

Severus n’hésita qu’une fraction de seconde. S’il avait dû choisir une seule personne dans ce
château comme confidente, ça aurait été Minerva et certainement pas Albus. Minerva était
une lionne jusqu’à la moelle, elle était bien trop noble pour retourner contre lui une
information personnelle. Et sa Marque se réveillait peu à peu, le Seigneur des Ténèbres ne
tarderait pas à s’apercevoir de son retour, il devait se hâter de le rejoindre avant qu’Il ne le
convoque.

Seulement… Si Albus lui avait trouvé un remplaçant, aussi minable soit-il… Aucun des
membres de l’Ordre n’aurait trahi leur cause. Ils étaient trop loyaux pour ça. Et pourtant, ça
n’avait pas empêché Pettigrow.

Il ne pensait pas que le Seigneur des Ténèbres aurait débauché un membre de l’Ordre. Les
risques étaient minimes. Mais il y avait, tout de même, une possibilité qu’il ne revienne
jamais à Poudlard, que le mage noir décide qu’il ne valait pas tous les ennuis qu’il lui
causait… S’il mourrait, ce soir là, Harry serait seul.

Et ça…

Mais comment tout expliquer à Minerva, en quelques minutes ? Les portraits autour d’eux,
dont la plupart les observaient sans vergogne, rapporteraient sans aucun doute la conversation
à Dumbledore… Et si Albus pensait qu’il manigançait dans son dos pour soustraire Harry à
son influence…

« Rien. » répondit-il finalement. Elle ne le croyait pas, il le voyait à son expression


soupçonneuse. « Rien de plus que d’ordinaire, du moins. » Il posa la main sur sa Marque.
« Je regrette, je ne peux m’attarder davantage. J’ai d’autres… engagements. »

« Ce soir ? » s’exclama-t-elle. « Mais vous venez juste de… Êtes-vous certain qu’il le faille
vraiment, Severus, ou jouez-vous encore les martyrs ? »

En d’autres circonstances, il aurait pu dire la même chose à Harry.

Il ne pouvait pas risquer de laisser Harry sans protection.

Obéissant à son instinct, il étreignit à nouveau sa collègue, ignorant son couinement surpris,
et rapprocha sa bouche de son oreille.

« Ne laissez pas Harry retourner chez les Dursley, ils sont aussi mauvais que des
Mangemorts. » murmura-t-il, suffisamment bas pour que les portraits ne surprennent pas ses
paroles. « S’il m’arrive quelque chose, ne le laissez pas seul. Albus n’est peut-être pas son
ennemi, mais il sacrifiera tout pour sa guerre, y compris le garçon. Protégez-le. »

C’était beaucoup demander à quelqu’un qui idolâtrait Albus comme d’autres vouaient un
culte à Merlin, pourtant, lorsqu’il lui rendit sa liberté, il vit qu’elle avait compris. Minerva
avait toujours été quelqu’un d’extrêmement intelligent et lucide. Albus avait ses défauts, tous
ses amis proches le savaient pour en avoir été victime à un moment donné.

Le regard de la sous-directrice s’égara vers les portraits qui décoraient les murs, tout autour
d’eux. Elle n’hocha pas la tête, ne répondit pas et n’eut pas l’air de quelqu’un à qui on venait
de réclamer l’impossible. Elle se contenta de lui sourire, un peu tristement.

« Soyez prudent, Severus. » lui ordonna-t-elle gentiment.

Il se détourna sans plus s’attarder, empruntant les grandes portes, et fonçant dans la nuit
noire. La neige crissait sous ses pieds, la lune, presque pleine, était voilée par d’épais nuages.
La Marque brûlait légèrement son bras. Il n’était pas certain de rester en vie plus de quelques
heures…

Une nuit comme une autre dans la vie de Severus Snape.


Il regrettait déjà celle de Saevus Prince.

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Remonter les couloirs sombres entre Ron et Hermione avait quelque chose de surréaliste. Ce
n'était pourtant pas si inhabituel que cela, pour eux, de se promener dans l'école, après le
couvre-feu, l'un d'eux éclairant la carte des Maraudeurs, les autres suivant docilement... Mais
il s'agissait tout de même d'aventures exceptionnelles, qu'ils subissaient plus qu'ils ne
choisissaient. Dans le passé, ce genre d'excursions avaient été entreprises le cœur battant, les
mains moites et avec ce picotement d'excitation que l'on ne ressentait qu'en enfreignant le
règlement...

Lorsqu'ils avaient quitté la salle sur demande, Hermione avait à peine jeté un coup d'œil à la
carte, avant de choisir un itinéraire. Ron et elle agissaient comme si se déplacer, de nuit, dans
des couloirs déserts et mal éclairés, voire carrément obscurs, était tout à fait normal. La
routine.

Quoi qu'à en croire le récit que lui avaient fait ses amis, c'était devenu la routine.

Harry ne parvenait pas à intégrer tout à fait ce qu'il avait manqué pendant ces longs mois. Les
explications, qu'elles viennent de Ron ou d'Hermione, l'avaient laissé sans voix. La tyrannie
d'Ombrage, l'idée d'unir les Maisons, les amitiés fragiles que la Trêve avait engendrées, le
retour de la chorale, toute l'histoire du Ministère... Sans parler du fait que ses amis l'avaient
pensé mort durant tout ce temps et avaient peu à peu perdu espoir de le retrouver…

L'histoire qu'ils lui avaient racontée était si extraordinaire qu'il avait été presque heureux
d'avoir ses propres aventures à partager. C'était un peu idiot, parce que ce n'était pas un
concours, mais c'était étrange de se dire que le monde avait continué à tourner sans lui. Il
n'avait gardé pour lui que quelques choses: les conditions familiales de Severus qui ne
regardaient personne, leurs explorations de la magie Animagus – parce que Snape-Prince lui
avait demandé de garder le secret et parce qu’il n’avait pas vraiment envie qu’Hermione lui
fasse la leçon, à l’instant – et le fait qu'il portait un horcruxe en lui. Il n'avait pas prévu de le
leur cacher mais... dès qu’il avait commencé à expliquer ce qu’étaient le horcruxes et le fait
que Snape-Prince et lui soupçonnaient qu’il y en avait plusieurs, le regard d’Hermione s’était
mis à briller de cette soif de recherches. Harry n’avait que peu envie de devenir un sujet
d’expérience. Et peut-être, aussi, avait-il un petit peu peur que leur regard sur lui change. Il
ne savait déjà pas vraiment que faire des silences un peu gênés qui s’étaient immiscés deux
ou trois fois dans leur conversation. Il n’y avait jamais eu ce genre de silence entre Ron,
Hermione et lui. Cependant, il n’avait jamais, non plus, gardé ce genre de secret.

Pourtant, ils étaient heureux de se retrouver. Ils ne cessaient de s’attraper l’épaule, le bras, la
main… Tout pour se prouver qu’ils étaient bien là, ensemble. Vivants et ensembles. La nuit
avait des parfums de miracles.

Mais, songeait Harry, dans son coin, tous les miracles avaient un prix.

« Malfoy. » lâcha-t-il, dans un chuchotement, lorsqu’Hermione leur fit signe de s’arrêter pour
qu’elle puisse consulter la carte. « Vraiment ? »
« Il n’est pas si terrible que ça, une fois qu’on a appris à le connaître. » répondit Hermione,
sur la défensive, en cessant d’inspecter le parchemin à la recherche de Rusard ou d’un
professeur. Il était probablement trop tard pour que qui que ce soit patrouille encore, de toute
manière. « Il suffit de ne pas faire attention à ses sarcasmes, ses insultes ou son mauvais
caractère. »

Harry émit un bruit faussement amusé. « C’est sûr que, dit comme ça, il a l’air charmant. »

Il n’aurait probablement pas dû juger si vite. Après tout, si quelqu’un lui avait dit, quelques
mois plus tôt, qu’il aurait été ami avec Severus plutôt qu’avec son propre père… Mais c’était
Malfoy. Outre le fait qu’il avait passé les derniers mois à éviter les tentatives d’assassinat de
Lucius, il n’avait aucune envie de faire ami-ami avec Malfoy – et quelque chose lui disait, à
entendre les Gryffondors parler de lui, qu’ils étaient condamnés à passer du temps ensemble à
l’avenir. Le Serpentard était arrogant, bourré de préjugés, et insupportable. Sa simple vue
suffisait généralement à lui donner envie de frapper quelque chose… Combien de temps
faudrait-il avant que l’un ne tente de tuer l’autre ?

« Je n’étais pas vraiment emballé non plus, au début, tu sais ? » grimaça Ron, visiblement
mal à l’aise. « Mais il ne lâchait pas Hermione et… »

« Tu as du culot ! » coupa Hermione, en croisant les bras. « Qui de nous deux est devenu ami
avec lui en premier ? Ce n’est tout de même pas moi qui échangeait mes magasines de
Quidditch avec lui ! »

À la périphérie de son lumos, Harry vit son meilleur ami grimacer, avant de trépigner d’un
pied sur l’autre. Il faisait trop sombre pour qu’il en soit certain, mais il aurait parié que Ron
était écarlate.

« Oui, bon… » marmonna le Gryffondor. « Quand il ne se prend pas pour l’élite de la


communauté magique, il n’est vraiment pas si terrible. »

« Malfoy se prend toujours pour l’élite de la communauté magique. » répliqua-t-il, avec


certitude. « C’est Malfoy. »

Il aurait pu leur rappeler toutes les fois où il les avait insultés, Hermione, Ron ou lui, mais il
tint sa langue parce qu’il n’avait que trop conscience d’avoir utilisé le même ton que James et
Sirius utilisaient pour répéter à loisir : « C’est Snape. ». Ce qui expliquait tout et rien à la
fois.

Il ne savait pas s’il était prêt à donner le bénéfice du doute à Malfoy, mais il n’avait pas
véritablement envie de le juger sans savoir non plus.

« Il a changé. » insista Hermione, plus doucement. Elle attrapa sa main et la serra gentiment,
comme pour le supplier de comprendre. « Il nous a aidé à sauver Sirius. Il a vraiment changé,
Harry, je te le jure. »

Il distinguait à peine le visage de son amie dans l’obscurité mais leurs baguettes éclairaient
suffisamment le couloir pour qu’il aperçoive une légère détresse dans son regard. À
contrecœur, il soupira.
« D’accord. » lâcha-t-il, en dépit de tout ce que son instinct lui criait. « Je veux bien faire un
effort, mais il a intérêt à en faire un, lui aussi. »

« Si vous pouviez tous faire un effort en demeurant dans vos salles communes après l’heure
du couvre-feu… » lança une voix familière. « Surtout vous, Mr Potter. À peine rentré et, déjà,
vous coûtez des points à notre Maison… »

Les torches s’allumèrent brusquement, laissant les adolescents ciller rapidement sous l’assaut
de la lumière. Harry fut le premier à se reprendre. Ou, peut-être, fut-il simplement le seul à
ressentir une joie inégalable à la vue de leur Directrice de Maison.

« Professeur McGonagall ! » s’exclama-t-il, avec bien plus d’émotions qu’il ne l’aurait


voulu.

Snape-Prince se serait moqué du soulagement et du chagrin que trahissait sa voix. Et


pourtant… Elle avait beau se tenir là, à quelques mètres de lui, bien vivante, il ne pouvait
s’empêcher de la revoir morte, étendue dans la poussière, cheveux épars et vêtements en
lambeaux.

« Mr Potter. » le salua-t-elle, chaleureusement, en lui offrant un de ses rares sourires.

Le chat de Dumbledore.

Le désespoir qu’il avait ressenti quand elle était morte… La douleur. Elle se ravivait rien
qu’à la voir là, les dévisager tour à tour avec l’air désapprobateur de l’enseignant qui
surprenait ses élèves favoris à enfreindre les règles. Elle était morte. Elle ne l’était pas.

Harry franchit les quelques mètres qui les séparaient et posa une main hésitante sur son bras,
à la fois émerveillé et presque effrayé de sentir quelque chose de solide sous ses doigts. Il y
avait une énorme boule de chagrin dans sa gorge qui l’empêchait de respirer. Il essaya bien de
l’occluder, mais… mettre à l’écart la douleur qu’il ressentait à la mort de Mr Weasley – un
sujet que Ron n’avait fait qu’évoquer pudiquement, sans rentrer dans les détails – lui prenait
déjà toute sa concentration. Il n’avait d’autre choix que d’affronter le passé. Ou, plutôt, le
présent.

« Mr Potter ? » s’inquiéta McGonagall. « Le Professeur Snape m’a assurée que vous n’aviez
pas besoin de consulter Madame Pomfresh, mais si vous désirez… »

« Vous êtes morte. » laissa-t-il échapper, dans un murmure. « Là-bas… Voldemort. Je l’ai vu,
vous… » Il avala avec difficulté, malgré sa bouche sèche. « Vous êtes morte. »

Le silence qui tomba sur le couloir était à couper au couteau. McGonagall ouvrit et referma la
bouche plusieurs fois, sans apparemment trouver que répondre à cette information
fracassante, quant à Ron et Hermione, ils se regardaient, communiquant sans avoir besoin de
mots.

Son meilleur ami posa une main réconfortante sur son épaule tandis qu’Hermione détachait
gentiment ses doigts de l’étoffe épaisse dont étaient faites les robes de la sorcière.
« C’est fini, Harry. » promit-elle « Tu es rentré, maintenant. »

Il lui fallut battre des paupières plusieurs fois avant que les images ne disparaissent. Le
cadavre de McGonagall, Dumbledore agenouillé auprès d’elle, les cendres qui volaient
partout… Les souvenirs retournèrent à leur place, mais l’envie de vomir ne disparut pas.

Harry s’aperçut qu’il tremblait.

« Tout va bien, Harry. » répéta une nouvelle fois Hermione, les yeux brillants de larmes
contenues. Elle glissa sa main dans la sienne. Celle de Ron était toujours posée sur son
épaule. Le roux discutait à voix basse avec McGonagall. Harry supposa qu’il était en train de
lui faire un bref résumé de ce qui lui était arrivé.

« Je vais vous raccompagner à la Tour de Gryffondor. » décida McGonagall, lorsque Ron eut
terminé son récit.

Elle serra brièvement son épaule libre et ils se remirent tous à marcher. Harry, Ron et
Hermione étaient tellement serrés les uns contre les autres que le Survivant se demandait un
peu comment ils parvenaient à avancer droit. Néanmoins, il ne fallut guère plus qu’une
poignée de minutes avant qu’ils atteignent le portrait de la Grosse Dame. Sur l’ordre de
McGonagall, le portrait pivota.

Harry avait l’impression que cela faisait des années qu’il n’en avait pas franchi le seuil. La
salle commune était identique à celle de ses souvenirs et, pourtant, il ne put chasser une
impression de… Il ne savait pas exactement pourquoi, mais, soudain, il avait l’impression de
ne pas être tout à fait à sa place. Les lourds tapis, les tapisseries, les portraits, les bannières
rouge et or… Tout était terriblement familier et, sans qu’il ne se l’explique, oppressant à la
fois. Le feu qui ronflait dans la cheminée rendait l’air étouffant.

Soudain, il se mit à se languir de la moiteur des cachots et des grandes fenêtres qui donnaient
sur les profondeurs du lac.

Ce n’était rien, se dit-il, en faisant quelques pas dans la pièce. Il fallait juste qu’il se
réhabitue.

« J’aimerai vous voir demain matin, dans mon bureau, après le petit-déjeuner, Mr Potter. »
déclara McGonagall. Elle était restée sur le seuil et s’apprêtait visiblement à refermer le
portrait derrière elle. « Bon retour parmi nous. Je suis heureuse de vous revoir. »

Il la remercia d’un sourire et se laissa tomber dans un fauteuil dès qu’elle fut partie.

Surréaliste. Tout cela était surréaliste.

Il éprouvait la même impression bizarre de rêve éveillé que lorsqu’il était arrivé en soixante-
quinze pour la première fois.

Il laissa son regard dériver de Ron à Hermione, passant de l’un à l’autre sans véritablement y
croire, lorsque la jeune fille échoua à réprimer un bâillement. Il était tard.

« Quel jour est-on ? » demanda-t-il, soudain. « Est-ce qu’il y a cours demain ? »


Ron répondit tristement par l’affirmative. Hermione crut bon de préciser qu’il y avait une
petite interrogation prévue en potions.

Il doutait que Slughorn ne le force à y participer. Si le sorcier avait apprécié Harry Prince, il
avait hâte de voir comment il serait traité en tant qu’Harry Potter. Le Survivant aurait
probablement droit à autant d’égards que Lucius Malfoy. C’était ainsi que fonctionnait
Slughorn, après tout.

« On devrait aller se coucher. » suggéra-t-il.

Hermione acquiesça, probablement parce que c’était la chose raisonnable à faire, mais parut
déchirée à l’idée de le laisser quitter son champ de vision. Elle l’étreignit une nouvelle fois et
lui fit jurer de ne rien entreprendre de stupide d’ici au lendemain matin, ce qu’il fit de bon
cœur.

Il suivit Ron à l’étage, prenant garde de ne pas faire de bruits pour ne pas réveiller les autres,
et fut heureux de trouver son sac à dos au pied de son lit. Il en tira le carnet à dessin que Lily
lui avait offert quelques heures – années ? Comment compter, à présent ? – plus tôt et
l’enfouit sous l’oreiller.

Ron sortit de la salle de bain, au moment où Harry extirpait de sa malle un vieux pantalon de
survêtement et un tee-shirt trop grand ayant appartenu à Dudley.

« Quelqu’un a touché à mes affaires ? » chuchota-t-il, à l’intention de son meilleur ami.

À première vue, il manquait la carte des Maraudeurs qu’Hermione avait emportée avec elle,
la cape d’invisibilité, quelques livres, des babioles, et un miroir que Sirius lui avait offert
avant la rentrée.

« Hermione a tout ce qui te manque. » répondit Ron, en se glissant dans son lit. « Ombrage
faisait des fouilles et confisquait des trucs. »

Il accepta l’explication d’un hochement de tête et passa dans la salle de bain, en se promettant
de tout récupérer le lendemain. Lorsqu’il retourna dans le dortoir, Ron dormait déjà à poings
fermés. Après quelques secondes d’hésitation, Harry sortit son album photo de sa malle et
grimpa sur son lit. Il tira les rideaux, jeta plusieurs sortilèges qui garantiraient que ses
cauchemars ne réveilleraient personnes, et, à la lumière de sa baguette, il ouvrit le petit
album.

Les photographies que Colin Crivey ou d’autres personnes lui avaient donné et qu’il avait
coincées, pêle-mêle, entre deux pages dégringolèrent sur le couvre-lit. Il y en avait une
dizaine de Ron, Hermione et lui, quelques unes de l’équipe de Quidditch, deux ou trois au
Terrier… Il les mit rapidement de côté pour examiner celles du mariage de ses parents.

Lily, James, tous les autres… Ils avaient tous l’air si vieux sur ces photographies… Harry
avait presque l’impression d’observer d’autres gens que ceux qu’il avait côtoyés. C’était
comme Severus et Snape-Prince, songea-t-il, en retraçant du doigt le visage de Lily. Il ne
restait plus qu’un écho de l’adolescent chez l’adulte… Sa mère, bien que n’ayant pas vingt
ans, avait l’air vieille.
Il sortit l’album de dessins et tourna les pages jusqu’à la dernière. Le croquis de Severus, Lily
et lui, suffit à lui serrer la gorge. Il retira ses lentilles puis se glissa dans le lit sans lâcher le
carnet.

Tellement de choses étaient différentes… Il avait l’impression qu’il était condamné à ne


jamais être heureux. Quand il avait été dans le passé, Ron et Hermione lui avaient manqué à
en crever et, à présent, c’était Severus et Lily qui… Toutefois, une chose ne changeait pas, il
semblait qu’il était destiné à dissimuler des choses à ses meilleurs amis. Pourquoi n’avaient-il
pas tout dit à Ron et Hermione ? Il n’avait jamais prévu de leur cacher quoi que ce soit. Ses
raisons n’étaient que des excuses… Snape-Prince lui en avait donné l’autorisation, ce n’était
pas comme s’il pouvait s’abriter derrière de prétendus ordres comme il l’avait pu pour Sev et
Lily… Ce n’était pas la même chose. Il aurait pu leur dire pour l’Animagus et l’Horcruxe, il
leur avait bien parlé de la Prophétie… Pourquoi ces secrets alors ? Parce que le premier
n’appartenait qu’à Snape-Prince et lui, et le second était bien trop honteux et terrifiant pour
qu’il ne le partage. Voilà la vérité, il ne voulait pas que ses amis sachent.

Allait-il leur mentir pour protéger ses secrets ? On finissait toujours par mentir lorsqu’on
voulait cacher des choses… Il n’avait jamais menti à Ron et Hermione, avant. Il ne voulait
pas le faire. Et pourtant…

Il referma doucement le carnet à dessins, s’allongea à plat dos et ferma les yeux. Deux ou
trois inspirations tremblantes puis, prenant son courage à deux mains, il abaissa ses boucliers.

Il s’agit de… Il s’agit d’Arthur Weasley, Harry. Je suis désolé.

La douleur revint le frapper comme un uppercut. Mr Weasley et ses lunettes souvent de


travers, son obsession pour les objets de fabrication moldue, son humour, sa gentillesse…

Harry aurait voulu pleurer pour le père de son meilleur ami. Il aurait voulu pleurer ou se
mettre en colère ou même détruire quelque chose juste pour le plaisir de trouver un réceptacle
à sa souffrance… Il ne parvint à rien faire d’autre qu’à fixer les tentures rouges autour de son
lit, en se disant qu’elles n’étaient pas de la bonne couleur.

Mr Weasley était mort et, tout ce à quoi Harry pouvait penser était qu’il avait préféré cent
fois être Harry Prince à Harry Potter.

Les secrets d’Harry Prince lui avaient beaucoup moins pesé sur la conscience.
Somewhere New

It amazes me how easy it is for things to change, how easy it is to start off down the
same road you always take and wind up somewhere new. Just one false step, one pause,
one detour, and you end up with new friends or a bad reputation or a boyfriend or a
breakup. It's never occurred to me before; I've never been able to see it. And it makes me
feel, weirdly, like maybe all of these different possibilities exist at the same time, like
each moment we live has a thousand other moments layered underneath it that look
different.

Lauren Oliver (Before I Fall)

Ça m’épate comme les choses changent facilement, comme il est facile d’emprunter la
même route que l’on prend toujours et d’atterrir dans un endroit nouveau. Il suffit d’un
seul faux pas, d’une seule hésitation, d’un seul détour, et on retrouve avec de nouveaux
amis ou une mauvaise réputation, ou avec un petit-ami ou une rupture. Ça ne m’avait
jamais frappée avant, je n’avais jamais su le voir. Et ça me donne l’impression,
bizarrement, que, peut-être, toutes ces possibilités différentes existent toutes en même
temps, comme si chaque moment que nous vivons est au sommet d’une couche de
milliers de moments différents.

Lauren Oliver (Before I Fall)

« Comment ça il ne veut pas me voir ?! » s’énerva Sirius, en tapant du poing sur la table de la
cuisine du Square Grimmaurd. « Qu’est-ce que ça veut dire, il ne veut pas me voir ? »

Dumbledore était reparti depuis plus d’un quart d’heure mais Sirius ne parvenait pas à
décolérer, malgré les tentatives peu convaincues de Remus pour l’apaiser. La seule raison
pour laquelle il n’avait pas encore foncé à Poudlard, en dépit de toutes les interdictions et
suppliques visant à l’en dissuader, était la promesse que lui avait extorquée le loup-garou,
entre deux hurlements.

Il avait écouté avec autant d’attention que son meilleur ami les explications de Dumbledore,
mais il avait refusé de les comprendre. Harry dans un soixante-quinze alternatif, il voulait
bien le croire. Mais Harry réparti à Serpentard ? Harry la cible de leurs plaisanteries ?
Jamais. Jamais il n’aurait fait quoi que ce soit qui aurait pu blesser son filleul. Il aurait mis
sa main à couper que tout était la faute de Snape. C’était lui qui avait monté la tête d’Harry…
C’était lui qui…

« Je pense que ça signifie qu’il ne veut pas se retrouver face à toi. » répliqua Nyssandra,
perchée sur la table.

Remus soupira. « Nyssa, s’il te plait. »


« Si tu n’as rien de constructif à dire, va voir ailleurs. » aboya Sirius, en attrapant son paquet
de cigarettes. Il était tellement énervé qu’il lui échappa des mains trois fois. « Et toi ! Va
plutôt nettoyer la chambre de Buck, elle empeste ! »

Kreattur cessa d’astiquer, sans aucun entrain, les restes de vaisselles pour disparaître dans un
crack sonore, sans même se faire prier. La vampire, elle, sauta de son perchoir avec mauvaise
humeur, et déclara qu’elle allait se coucher.

Restés seuls, Sirius et Remus échangèrent un regard inquiet.

« Je ne comprends pas ce qui lui prend, Lunard. » lâcha Sirius, en se laissant tomber sur une
des chaises de la cuisine. « Si je pouvais lui parler… »

« Albus a été plutôt clair… » hésita Remus, en s’asseyant à son tour. « Il a dit qu’Harry
voulait bien que tu lui écrive. Peut-être que si tu lui envoyais une lettre… »

Sa cigarette refusait de s’allumer. Il la jeta par terre, avec énervement, avant de balancer le
paquet et le briquet contre le mur pour faire bonne mesure.

« Si Snape… » grinça-t-il, en bondissant à nouveau de sa chaise.

« Tu as entendu Albus, comme moi, Severus ne lui a rien fait. » tempéra Remus, dans un
soupir. « On était con, il y a vingt ans, Sirius. Peut-être que ce qu’il a vu de nous ne lui a pas
plu. »

Il se mit à tourner en rond autour de la table, débordant du besoin de faire quelque chose. Il
avait attendu des mois, il avait gardé espoir quand tout le monde avait renoncé et…

« C’est ridicule. » riposta-t-il. « Complètement ridicule. »

Le loup-garou, sans avoir l’air aussi dévasté que lui, avait l’air chagriné de ne pas pouvoir se
rendre immédiatement à Poudlard.

« Je ne sais pas quoi te dire. » soupira Remus. « Je suis déçu, moi aussi. »

« Si je pouvais juste lui parler. » insista-t-il.

Son meilleur ami secoua immédiatement la tête. « Je ne pense pas qu’Albus plaisantait quand
il a dit qu’il valait mieux lui laisser un peu d’espace. »

Sirius s’immobilisa et se tourna vers lui, jetant les bras en l’air avec impuissance.

« Mais j’ai besoin de le voir. » gémit-il. « Je veux être certain qu’il va bien, je veux… »
Sirius poussa un soupir. « C’est mon filleul, quel droit ont-ils de m’empêcher de le voir ? »

« C’est Harry qui ne veut pas te voir. » le corrigea Remus, en se frottant le visage. « Écris-
lui. Demande-lui ce qui ne va pas. C’est sans doute un malentendu. »

« Je n’en crois pas un mot. » déclara-t-il, soudain. Il croisa les bras et s’adossa au plan de
travail. « Tu veux que je te dise, Remus ? Tout ça, c’est une invention de Dumbledore pour
m’empêcher de réclamer sa garde. »

Le loup-garou le dévisagea, quelques secondes, et Sirius attendit les accusations de paranoïa


qui ne manqueraient pas de suivre. Il fut surpris lorsque Remus, après avoir fermé la porte
d’un coup de baguette, se pencha légèrement en avant, comme pour mieux prêter toute son
attention au problème.

« Il insiste énormément pour qu’Harry retourne chez les Dursley. » lui accorda Remus. « Il
m’a demandé de te convaincre d’abandonner l’idée de la demande de tutelle. »

L’expression de Sirius se durcit. « Je ne crois pas, une seule seconde, qu’Harry ne veuille pas
me parler. »

La pleine lune approchait et le corps de Remus le faisait déjà souffrir, Sirius le voyait bien à
la manière dont il grimaçait à chaque mouvement. Au moins, songea-t-il, le retour de Snape
aurait une conséquence positive.

« J’avoue que je trouve ça bizarre. » admit Remus. « Tu peux faire du thé, s’il te plait ? »

« Tu sais qu’on a un elfe de maison, Lunard ? » plaisanta-t-il, sans que le cœur y soit. Il
n’aimait pas voir son meilleur ami dans cet état. Il mit l’eau à bouillir et tira des tasses
propres des placards, non sans ruminer leur problème.

« Albus pense que ça ne fait pas grande différence que tu sois officiellement le tuteur d’Harry
ou pas. » déclara Remus, en mettant enfin cartes sur table. Sirius se demanda si ça signifiait
que le loup-garou était désormais dans son camp… Parce que, une chose était certaine, ils
avaient beau tous se battre contre Voldemort, Dumbledore avait ses propres projets et Sirius
n’était pas sûr d’aimer ce qu’il en devinait. « Il dit qu’Harry est plus en sécurité avec Pétunia,
mais que ça ne change rien pour le garçon. Tu restes son parrain, il n’y a pas de différence. »

Sirius ne cacha pas son ricanement moqueur.

« Je vais te dire où est la différence. » répliqua-t-il, en sortant le nécessaire au petit-déjeuner.


Il posa une des tasses avec tellement de force qu’elle s’ébrécha. « Tant que les Dursley sont
ses tuteurs, Albus décide et je n’ai pas mon mot à dire. Voilà la différence. »

Le sifflement de la bouilloire ponctua son petit discours. Il ne fit pas un geste pour la sortir de
sur le feu, attendant de savoir ce qu’en pensait Remus.

« Pourquoi mentirait-il en prétendant qu’Harry ne veut pas te voir ? » demanda le loup-garou.


« Ça n’a pas de sens. L’histoire ne tiendrait pas plus de quelques jours, au mieux… Que peut-
il espérer accomplir, en quelques jours ? »

Sirius haussa les épaules.

« Gagner du temps ? » supposa-t-il. « S’assurer que ma demande de tutelle soit enterrée dans
un placard au fin fond du Ministère et ne passe jamais devant le Magenmagot ? Monter la tête
d’Harry ? Je n’en sais rien. Ce dont je suis certain, en revanche, c’est que cette histoire est
plus que suspecte. »
Remus transvasa l’eau de la bouilloire à la théière, avec sa baguette, tout en réfléchissant à
voix haute.

« Je n’aime pas beaucoup la manière dont il parle d’Harry. » avoua le loup-garou. « Il est
toujours très affectueux, ce n’est pas le problème, mais… Parfois, à l’écouter, on pourrait
croire qu’Harry n’est qu’une arme ou… »

« Un pion ? » proposa-t-il. Un peu plus calme, il alla ramasser le paquet de cigarettes pour en
allumer une. « J’ai autant envie que lui de gagner cette guerre, mais je ne vais pas le laisser
utiliser le fils de James comme ça. Si Harry veut se battre, très bien. Mais ça doit être sa
décision. Je ne veux pas que Dumbledore l’influence, je n’aime pas ses méthodes. »

Son ami demeura silencieux, quelques minutes.

« Dumbledore est notre meilleur espoir. » exposa calmement Remus. « Beaucoup diraient
qu’il est même notre seul espoir. »

Le loup-garou se servit une tasse de thé, qu’il se mit à boire à petite gorgée.

« Je ne suis pas en train de dire qu’on devrait se débarrasser de Dumbledore, simplement que
je refuse de lui laisser Harry. » déclara Sirius. « Ce pauvre gosse a passé huit mois avec
Snape et, maintenant, Merlin sait ce que Dumbledore lui a raconté. Qui dit qu’il ne cherche
pas à m’éloigner de Poudlard pour qu’Harry se sente abandonné et se tourne vers lui ? Qui dit
qu’il ne veut pas faire croire à Harry que je n’en ai rien à faire de lui, maintenant que je suis
libre ? »

« Harry ne croirait jamais une chose pareille. » contra Remus, en balayant l’idée d’un geste,
pour bien montrer qu’elle était ridicule.

« Harry ne refuserait jamais de me voir. » riposta Sirius. « Tu l’as dit, toi-même, tout ceci est
extrêmement bizarre, je vais faire quelque chose. Alors, toute la question c’est : est-ce que tu
es avec moi ou pas ? »

Son ami reposa sa tasse sur la soucoupe ébréchée, dans un choc de faïence qui troubla le
silence soudain.

« La carte du Ministère est pratiquement terminée. » lâcha Remus. « Si on met les bouchées
doubles, elle pourrait être finie en fin d’après-midi. »

Sirius leva les yeux au ciel. Avec Percy Weasley à l’intérieur du Ministère, avancer sur la
carte des Maraudeurs deuxième version avait été beaucoup plus simple. Certes, il s’agissait
d’une des missions prioritaires qui leur avait été confiées à Remus et lui mais, vraiment, n’y
avait-il pas plus urgent, à l’instant, que de savoir qui rendait visite à Scrimgeour ?

« Franchement, je me contrefous de ta fichue carte, Remus. » gronda-t-il, en écrasant son


mégot dans l’évier. Kreattur pourrait le nettoyer plus tard.

« Tu as tort. » répliqua le loup-garou. « Parce que si nous finissions la carte, Albus devrait
venir la voir et, toi, tu pourrais aller faire un tour, ailleurs, en étant sûr de ne pas l’y croiser. »
Lunard leva les sourcils et lui jeta le regard qui signifiait qu’il était un idiot. Sirius lui fit un
grand sourire.

°°O°°O°°O°°O°°

Bill se glissa sur la chaise qui faisait face à Charlie et ordonna, d’un geste, à Tom de lui
apporter un café. Le Chaudron Baveur n’était pas son lieu de rencontre favori, mais ils
n’avaient que peu de temps avant de devoir aller à Gringotts.

« Alors ? » demanda immédiatement Charlie. « Est-ce que c’est vrai ? Potter et Snape sont
revenus ? »

Bill jeta un regard à la ronde, juste pour s’assurer que personne ne leur prêtait plus d’attention
que nécessaire. Ce n’était pas vraiment un secret. La moitié de la communauté magique avait
été au courant avant même que le soleil ne soit levé. La nouvelle était partie d’un élève de
Poudlard et Dumbledore l’avait confirmé à La Gazette à l’aube. Tous les journaux qu’il
apercevait autour de lui ne parlaient que de ça : le retour triomphal du Survivant. Il n’enviait
pas Harry. Ça allait être encore pire pour lui que cela l’avait été pour Sirius.

« Je sors du bureau de McGonagall. » confirma-t-il, en volant un des toasts que son frère
avait abandonné sur son assiette. « Maman voulait à tout prix le voir, je l’ai accompagnée. »

Charlie grimaça d’appréhension. « Et ? Comment ça s’est passé ? »

« Bien sur le coup. » soupira Bill. « Maman était ravie, Harry semblait heureux de la revoir.
Elle a eu l’air de comprendre lorsqu’il lui a offert ses condoléances, mais… Une fois à la
maison, c’était pire. J’ai eu beau lui répéter que papa était mort, elle ne voulait rien
entendre. Elle m’a appelé Gideon et m’a demandé où était Fabian. Percy est avec elle, pour
l’instant. »

Charlie remua le reste de son café, les yeux baissés.

« Ça ne peut pas continuer. » murmura son frère. « On doit faire quelque chose. On doit en
parler à quelqu’un. »

« Andromeda. » suggéra-t-il, parce qu’il avait retourné et retourné le problème sous tous ses
angles.

Charlie secoua la tête, refusant toujours de le regarder en face.

« Elle est enfermée chez elle, la plupart du temps, et sa maison est sous Fidelitas. » répondit
le dragonnier. « Tonks n’arrête pas de râler parce qu’il lui faut prendre rendez-vous pour voir
ses parents et qu’elle ne peut même pas rentrer chez elle. »

« Pomfresh ? » proposa-t-il, avec un peu plus de réluctance.

« Elle va le dire à Dumbledore. » protesta Charlie.

« Et tu crois qu’Andromeda tiendra sa langue, peut-être ? » répliqua-t-il, un peu trop fort.


Le sorcier, à la table la plus proche, tourna la tête vers eux, avec une expression
désapprobatrice. Tom choisit justement ce moment là pour lui apporter sa commande et les
deux frères Weasley se turent le temps que le vieux barman ne retourne à son poste.

« On ne peut pas le cacher éternellement. » reprit-il, plus bas. « Ils vont tous finir par
comprendre, étant donné que maman n’arrête pas de parler de papa comme s’il allait rentrer
d’une seconde à l’autre. Et si, en plus, elle se met à nous confondre avec ses frères…
McGonagall m’a demandé trois fois si elle se remettait bien. »

« On ne peut pas faire ça aux autres. » protesta Charlie. « Les jumeaux sont grands, mais Ron
et Gin ? Tu as une idée de ce qu’ils ressentiront s’ils l’entendent parler de papa comme ça ?
C’est suffisamment dur pour nous ! »

Bill se passa une main sur le visage et rajusta nerveusement son catogan.

« Je ne vois pas comment on peut le leur cacher. J’ai intercepté une lettre ou elle disait à Ron
que papa venait juste de réparer la fenêtre de la cuisine. » déclara-t-il.

« C’est moi qui l’ait fait avant-hier. » marmonna Charlie, en baissant la tête comme s’il était
responsable.

Il l’ignora. « Je ne peux pas contrôler tous les hiboux qu’elle envoie et on ne peut pas
continuer à manquer le travail à tour de rôle. On va se faire renvoyer. »

La compassion, déjà limitée, de leurs employeurs ne durerait pas éternellement.

Ils avaient besoin d’aide.

« Si je demande à Anthony… » hésita son frère. « Parle-en à Fleur et si Percy veut bien
rallier Audrey… »

« Fleur a rompu avec moi. » coupa-t-il. « Et Percy n’est pas en meilleure position avec
Audrey, d’après ce que j’ai compris. »

« Oh. » lâcha Charlie, en jouant distraitement avec émiettant le dernier toast. « Désolé. »

Bill accepta sa commisération d’un demi-haussement d’épaules qui se voulait nonchalant


mais qui était probablement plutôt pathétique. Il but son café, en trois petites gorgées, évitant
soigneusement le regard de Charlie.

« Autre chose. » reprit-il, avec lassitude. « McGonagall m’a dit qu’il n’y avait toujours pas de
nouvelles des Granger. Elle n’a rien dit à Hermione pour ne pas l’alarmer inutilement, mais
des voisins ont confirmé que sa famille avait disparu peu après le jour de l’an. Tonks et
Fol’Œil continuent de les chercher, seulement ça n’a pas l’air très prometteur. Maman a
proposé d’accueillir Hermione si on ne les retrouve pas d’ici l’été. »

Charlie haussa les épaules. « Elle passe la moitié des vacances au Terrier, de toute manière.
Harry aussi. Ça ne changera pas grand-chose. »
« Ça changera beaucoup lorsqu’on devra gérer maman et Ron et Ginny. » répliqua Bill. Ce
n’était pas qu’il désirait mettre Hermione à la porte, mais ils avaient suffisamment de mal
avec leur propres problèmes familiaux. « Si Sirius parvient à obtenir la garde d’Harry… Je
vais lui demander d’héberger Hermione. Elle sera majeure l’année prochaine, de toute
manière. Ce n’est qu’une formalité. »

Il voyait bien, à l’expression de son frère, que l’idée lui déplaisait. Eh bien, songea Bill, il
n’avait qu’à essayer de prendre les décisions au lieu d’attendre que ses frères le fassent à sa
place. Plus le temps passait, plus Charlie abandonnait leur mère à Percy et à lui, désireux de
ne pas voir ce qui se passait sous ses yeux.

« Je vais écrire à Muriel. » rajouta-t-il. « Je ne veux pas imposer quotidiennement à Ron et


Ginny, cet été, de devoir rappeler à maman que papa est mort. Je suis certain qu’elle voudra
bien les prendre chez elle. »

Cette fois-ci, Charlie eut l’air scandalisé.

« Chez Muriel ? » répéta son frère, sidéré. « Est-ce que tu les détestes ? Pourquoi pas au
Square Grimmaurd avec les autres ? Ce serait beaucoup plus simple. »

Bill hésita, ne voulant pas rejeter l’idée. Il doutait que Sirius refuse asile à son frère et à sa
sœur, surtout une fois qu’Harry habiterait avec lui, mais… Tout ça ne regardait que les
Weasley.

« On verra. » trancha Bill, sans s’engager.

Il serait toujours possible de prendre Ron chez lui et de caser Ginny chez Percy. Les solutions
ne manquaient pas. Implorer l’aide de leur tante Muriel lui semblait juste la plus évidente et,
surtout, la plus pratique.

« Tu dois passer… tu-sais-où, ce soir ? » s’enquit Charlie, en baissant la voix. « J’ai quelque
chose pour Remus. Il y a eu de l’agitation au niveau des vieux coffres, précisément dans le
secteur où se situe celui des Lestrange. Des clients mystérieux que nous ne devions croiser
sous aucun prétexte, dragon ou pas. Je ne sais pas si c’est très important… Les Sang-Purs qui
ont des coffres à ce niveau sont tous un peu bizarres, mais… on ne sait jamais. »

Bill hocha la tête. « J’y passerai ce soir, je veux emprunter le laboratoire. »

Qu’importe que le laboratoire situé en dessous de la maison n’ait pas servi depuis au
minimum trois siècles et demi… Tout ce dont il avait besoin était d’un endroit frais ou
personne ne viendrait le déranger. Il avait acheté tous les ingrédients nécessaires, la veille.

« Le laboratoire ? » s’inquiéta Charlie, en fronçant les sourcils. « Pourquoi faire ? Si tu veux


une potion, pourquoi ne pas l’acheter directement chez l’apothicaire ? »

« Parce qu’il faut l’ordonnance d’un Médicomage pour obtenir de la potion pour sommeil
sans rêve. » soupira Bill. « Et que je ne me vois pas demander à Sirius et Remus si l’Ordre a
des somnifères en stock. »
Charlie n’eut pas l’air très rassuré par son explication.

« Tu n’as jamais été très bon en potion. » remarqua son frère. « Et ces potions sont
dangereuses, si tu ne dors pas bien… »

« C’est pour maman, Charlie, pas pour moi. » coupa-t-il. « Je ne suis peut-être pas un génie
des potions, mais je peux encore préparer une potion de cinquième année. »

Le dragonnier soupira à son tour, avant de se pencher pour récupérer son sac qui avait glissé
sous la table.

« Si tu le dis. » lâcha Charlie, en jetant quelques pièces sur la table.

Bill le regarda faire, en tâchant de réguler son agacement. La situation était dure pour tout le
monde. Charlie avait sa propre manière de réagir face aux difficultés et il n’aurait pas dû lui
en vouloir pour ça.

Mais… Tout de même, les choses empiraient et si personne ne se décidait à l’épauler


davantage, Bill ne savait pas comment il s’en sortirait.

À vrai dire, il commençait à désespérer.

°°O°°O°°O°°O°°

« Hermione se met avec Malfoy, en potions, et moi avec Zabini, mais… Je suis sûr que ça ne
les dérangera pas de… »

Draco accéléra le pas pour dépasser le trio de Gryffondors qui trainaient dans le couloir, sans
jeter un seul regard en arrière. Il ignora l’appel de son nom comme il les avait soigneusement
ignorés tout le reste de la journée. Il avait passé le petit-déjeuner à la table des Poufsouffle, en
compagnie de Luna, en évitant de regarder de trop près le groupe massif installé à la table des
serpents – parce que, pour une raison indéterminée, c’était là que s’était spontanément assis
Potter. Coup de chance, ils n’avaient aucun cours commun avec les lions le matin et il avait
préféré sauter le déjeuner. Il était arrivé trop tard au cours de runes pour que Granger ait le
temps de lui parler et il était parti dans les premiers, justement pour qu’elle n’ait pas le temps
de proposer qu’ils fassent le chemin jusqu’aux cachots ensemble.

Il n’avait aucune envie de supporter Potter.

Entre le discours de Dumbledore au petit-déjeuner qui, aurait-on dit, retrouvait son fils
prodigue et les murmures incessants qui exagéraient les exploits du Survivant, Draco avait
atteint son quota de tolérance pour le Balafré. Huit mois sans lui avaient été un paradis dont il
n’avait pas véritablement eu conscience.

Le pire étant que ses propres amis n’étaient pas en reste. Les traîtres.

Blaise et Daphné, après l’avoir écouté rager pendant une heure, suite à la réunion de l’A.D.,
avaient décrété qu’il dramatisait. De la part de la jeune fille, il ne s’était pas attendu à
énormément de compassion, mais de la part de son meilleur ami ? Ce dernier avait tout
simplement menacé de lui jeter un silencio s’il ne se taisait pas et ne le laissait pas tranquille.
Il l’avait abandonné au petit-déjeuner pour s’installer avec les jumeaux Weasley et s’était fait
un devoir de discuter avec Ron, Granger et les autres, comme si rien n’avait changé.

Les autres Serpentards membres de l’A.D. n’avaient pas l’air, eux non plus, de saisir la
gravité de la situation.

Draco aurait mis sa main au feu qu’il ne faudrait pas plus de deux jours avant que Potter ait
détruit ce qu’il avait mis des mois à construire. Le Gryffondor n’avait qu’un mot à dire et, lui,
se retrouverait ostracisé. Il n’y avait qu’à le voir parader d’un bout à l’autre de l’école,
entouré de tous les amis que Draco s’était fait cette année. Ses amis.

Quelqu’un avait-il pris le temps de seulement saluer Draco, ce jour là ? Non… Et pourquoi ?
Parce qu’il n’y en avait que pour Potter. Potter. Et ? Encore Potter.

« Blaise. » lâcha-t-il, en apercevant son ami qui patientait devant la classe de potions en
discutant avec Théo. Il ignora les regards moqueurs et les chuchotements peu discrets de
Pansy et se planta entre ses deux camarades. « Assieds-toi avec moi, aujourd’hui. »

C’était un ordre davantage qu’une requête. Il aurait dû y réfléchir à deux fois avant
d’employer ce ton là avec son ami, il le savait bien pourtant. Blaise était d’une susceptibilité
maladive.

Le Serpentard soupira et Théo s’éclipsa, non sans un rictus amusé.

« Tu recommences à me prendre pour ton elfe de maison, Draco. » répliqua Blaise. « J’ai déjà
un partenaire. Si tu t’es disputé avec Granger, ce n’est pas mon… »

« Oh, arrête. » coupa-t-il, en baissant d’un ton. Il entendait les échos de voix et le boucan
d’une troupe d’éléphants au pas de charge : les Gryffondors se rapprochaient. Apparemment,
le trio avait été rejoint par le reste de leur petit groupe. « Tu sais très bien qu’elle va faire
équipe avec Potter. Tu veux me voir subir l’humiliation de me retrouver abandonné pour le
binoclard ? »

Blaise le dévisagea un moment, comme s’il cherchait à évaluer le sérieux de sa question.


Draco s’attendait à moitié à ce que son ami lui fasse la leçon, comme il se plaisait si souvent
à le faire, mais le Serpentard se contenta d’émettre un bruit irrité.

« Il n’a plus de lunettes, tu ne peux plus l’appeler comme ça. » rétorqua Blaise.

« Franchement. » siffla-t-il, alors que le groupe de lions débarquaient. « Tu crois vraiment


que c’est le moment de s’appesantir sur ce genre de détails ? Tu m’aides, oui ou non ? »

Daphné, cette traitresse, abandonna immédiatement Millicent et Pansy pour se précipiter –


avec grâce et élégance, toutefois – vers Granger. Elle glissa un bras sous celui de la jeune fille
et l’entraîna un peu plus loin, laissant Potter et Weasley secouer la tête face à ce
comportement typiquement féminin. Il ne savait pas ce que la blonde lui racontait mais
Granger leva les yeux au ciel. Quand elle tourna les yeux vers lui, Draco feignit d’être
absorbé par sa conversation avec Blaise.
« Non. » répondit justement ce dernier, en haussant les épaules. « Non, je ne vais pas t’aider,
parce que tu n’as toujours pas parlé à Granger aujourd’hui, alors que je te répète de le faire
depuis hier soir. »

« Je ne vois pas ce que ça vient faire là-dedans. » riposta-t-il, en croisant les bras.

Les rires de Granger et de Daphné résonnèrent dans le couloir, couvrant les chuchotis hostiles
de Pansy.

« Je vais te le dire. » déclara sérieusement Blaise, suffisamment bas pour que les lions
n’entendent pas. Non pas qu’ils leur prêtassent attention, de toute manière. Weasley était
occupé à relire hâtivement ses notes, probablement parce qu’il n’avait pas révisé pour le
contrôle, et Potter regardait autour de lui, d’un air perdu. « Tu t’es persuadé que, parce que
Potter est revenu, tout va redevenir comme avant. Seulement, voilà, Draco, il n’est pas aussi
affreux que tu le penses et, même s’il l’était, je ne pense pas que les autres cesseraient d’être
amis avec nous parce que quelqu’un le leur ordonne. Surtout Granger et les Weasley. Ce sont
des Gryffondors après tout. »

« Et nous sommes les méchants Serpentards. » rétorqua-t-il, sur le même ton. « Tu as bien vu
ce qui s’est passé, hier soir, non ? Potter les a tous retournés contre nous. »

« Nous n’avons pas dû assister à la même chose. » se moqua Blaise, en lui jetant ce regard
qui signifiait qu’il était idiot et ferait mieux de rapidement s’en rendre compte. « Je ne dis pas
que nous devons être amis avec Potter, simplement que nous pouvons parfaitement
cohabiter. »

Draco ouvrit la bouche, pour lui indiquer qu’il pouvait prendre ses conseils et se les mettre où
il pensait, lorsque la porte de la salle de classe s’ouvrit brusquement, faisant trébucher
Brown. La jeune fille se serait probablement effondrée par terre, si Théo ne l’avait pas
rattrapée.

Le regard perçant de Snape – parce que, bien sûr, c’était Snape, Slughorn n’avait
probablement jamais eu un geste brusque de sa vie – passa sur les différents petits groupes
mêlant Serpentards et Gryffondors, avec un déplaisir évident.

Voilà au moins une bonne chose au retour de Potter, il avait ramené Snape avec lui. L’homme
avait repris ses fonctions de Directeur de Maison, dès le matin même, en commençant par
une inspection des dortoirs et de la salle commune. Ceux qui n’avaient pas encore été au
courant avaient eu droit à un réveil brutal, mais, il fallait admettre, qu’en moins d’une heure,
Snape avait réglé tous les problèmes que les préfets de Serpentards soumettaient à Slughorn
depuis des mois. Les septième année avaient même organisé une collecte pour lui offrir un
cadeau de bienvenue.

La mauvaise nouvelle était que Slughorn continuerait d’assurer les cours de potions. Draco
s’attendait tous les jours à ce qu’une explosion emporte la moitié du château, vu les méthodes
d’enseignement laxistes du professeur. La bonne nouvelle était que Snape avait finalement
obtenu le poste de professeur de Défense contre les Forces du Mal et qu’ils allaient enfin
apprendre quelque chose sur le sujet.
« Vous pourriez faire attention ! » s’énerva Potter, sans raison apparente. « Vous auriez pu
faire mal à Lavande. »

Les Serpentards, lucides, s’écartèrent immédiatement du Survivant qui venait, ni plus ni


moins, de commettre un suicide. Draco vit même Daphné retenir Granger par le bras alors
que celle-ci s’apprêtait à intervenir. Il ne fit rien pour retenir son propre rictus. Voir Snape
réduire Potter en larmes avec de simples mots avait toujours été un de ses spectacles favoris.

« Mr Potter. » lâcha Snape, de son ton le plus méprisant. « Que n’ai-je pu vous abandonner
dans le passé… Ce sera dix points en moins pour Gryffondor, pour votre impolitesse
héréditaire, et une retenue, ce soir, à sept heures, car j’espérai ne plus avoir à vous entendre
d’ici le prochain cours de Défense. »

Le Professeur salua ses élèves de la tête et disparut en direction des étages, dans un
claquement de robes.

« Bien, bien… » hésita Slughorn, sur le seuil de la salle de classe, en se frottant les mains.
« Voilà qui était peut-être un peu sévère… Ne vous inquiétez pas, Mr Potter… Harry, ne
soyons pas si formel, j’ai très bien connu vos parents… Je parlerai au Professeur Snape. Je
suis certain que… »

Draco leva les yeux au ciel et s’engouffra dans la salle de classe, préférant ne rien entendre
de ce qui suivrait. Et on l’accusait, lui, de jouer sur le favoritisme ? C’était incroyable.

Il alla s’installer au fond de la classe, à sa table habituelle, décidant que ce n’était pas bien
grave si Granger allait s’asseoir ailleurs. Après tout, il n’avait pas besoin d’elle pour avoir
une bonne note.

Néanmoins, il s’avéra que Blaise n’avait pas tort – ce que le garçon lui fit remarquer par un
long regard insistant qu’il feignit de ne pas voir – parce que Granger prit le tabouret situé à
côté du sien, comme à l’accoutumée.

« Qu’est-ce que tu fait ? » demanda-t-il, sincèrement surpris.

Elle le regarda comme s’il avait été le pire des abrutis. C’était très injuste.

« Je m’assois. » déclara-t-elle, en sortant plumes et encre de son sac. « Tu m’as évitée toute la
journée. »

« Pourquoi ne fais-tu pas équipe avec Potter ? » répliqua-t-il, d’un ton soupçonneux.

Au premier rang, Weasley avait pris place à côté de Blaise. Potter se tenait sur le pas de la
porte et discutait avec Slughorn. Vu son expression crispée, le Gryffondor aurait sans doute
préféré être n’importe où plutôt que dans la ligne de mire du Maître des Potions.

« Parce qu’il a dit que ce n’était pas la peine de tout chambouler pour lui. » répondit-elle,
dans un soupir. « Crois-le ou non, il a même dit qu’il était prêt à être aimable avec toi. »

Ça ne fit rien pour apaiser les angoisses et inquiétudes de Draco. Il sortit ses affaires avec
plus de brutalité que nécessaire, sa plume se cassa en deux. Il la jeta dans son sac, avec
contrariété. C’était celle qu’il avait volé dans le bureau de Lucius, elle coûtait plus de trente
galions, et s’il l’apprenait… Mais il ne l’apprendrait pas, parce que ses contacts avec son père
se limitaient au strict minimum depuis la Nuit des Ténèbres. Quelques lettres, brèves et
sibyllines, dont il avait retenu l’essentiel : sa mère était en sécurité, son père jouait sur la
corde raide, et, lui, devait à tout prix conserver la protection offerte par Dumbledore.

« Saint Potter, à la rescousse. » marmonna-t-il, agacé que le Gryffondor ait pensé à jouer la
carte de la maturité avant lui. Voilà que le Balafré allait endosser le rôle du grand seigneur
qui savait dépasser ses préjugés…

« Draco… » soupira Granger, en lui tendant sa plume de réserve. « Tout n’a pas besoin d’être
un combat, tu sais ? »

Il attrapa la plume, faisant un effort pour ne pas commenter la piètre qualité de l’objet, et
commença à l’aiguiser à sa convenance.

« Il n’a aucune intention de remettre la Trêve en question. » insista-t-elle. « Ou l’A.D. Hier…


il a été surpris. Essaye de comprendre, il revient et tout est différent. Aie un peu de
compassion… »

« De la compassion ? » siffla-t-il, en tournant brusquement la tête vers elle. « Pour Potter ? »

Il dut parler un peu trop fort parce que la moitié de la classe se tourna vers eux. Bien entendu,
il fallait que Potter fasse partie de cette moitié là… Mais au lieu de provoquer une altercation
et, bien que Draco puisse lire le déplaisir sur son visage, le Gryffondor continua de sortir ses
affaires. Il s’était installé seul. Ce qui était probablement la pire idée qu’il ait jamais eue,
parce qu’il était encore pire en potion que Londubat. Slughorn aurait bien mieux fait de faire
un trinôme…

« Oui. » rétorqua Granger, en pinçant les lèvres. « Pour Harry. Et si, ça, c’est trop te
demander, tu pourrais au moins être heureux pour moi. »

Slughorn réclama le silence avant qu’il ait pu répondre et fit léviter vers chacun d’eux un
parchemin avec dix questions. La partie théorique du contrôle n’était pas bien difficile, ce
n’était, après tout, qu’un petit test de connaissance, rien qui soit à la hauteur de ce qu’on leur
demanderait le jour des B.U.S.E.s… La partie pratique, elle, se révéla un peu plus
compliquée, surtout parce que sa partenaire refusait de lui adresser la parole.

« Je suis heureux pour toi. » finit-il par exploser, quand elle se mit à broyer l’euphraise avec
tant de violence qu’on aurait pu croire que la plante l’avait personnellement offensée. « C’est
juste que… »

Il se tut parce qu’il n’avait aucun argument pertinent pour terminer sa phrase. La vérité était
que, quoi qu’il n’ait jamais souhaité sa mort, il aurait préféré ne jamais revoir Potter. Potter
gâchait toujours tout. Potter… Potter allait lui voler Granger.

« Que quoi, Draco ? » s’énerva-t-elle, en remuant leur potion.

Les mots restèrent bloqués dans sa gorge.


C’était idiot, il lui avait déjà confié tellement de choses… Il s’était humilié tant de fois
devant elle…

Il l’observa mesurer la viscosité du liquide dans le chaudron, la regarda replacer


machinalement une mèche rebelle derrière son oreille, redessina du regard la courbe de sa
nuque lorsqu’elle se pencha pour mieux inspecter la poudre de fée…

« Je ne veux pas te perdre. »

Cette fois-ci, les mots étaient sortis tout seul et, avec eux, il se sentit soulagé d’un poids.
Voilà, c’était dit. Il ne voulait pas la perdre et Potter allait la lui prendre.

Et il allait également récupérer Weasley et Ginny et les autres.

Granger tourna brusquement la tête vers lui, oubliant leur potion.

« Pourquoi est-ce que tu me perdrais ? » demanda-t-elle, confuse.

Il y avait tant de réponses possibles à cette question… Tant de raisons… Il avait la conviction
profonde que sans cette tempête magique qui avait envoyé Potter et Snape au diable, ils ne
seraient jamais devenus amis. C’était l’absence de Potter qui les avait poussés les uns vers les
autres. C’était l’absence de Potter qui lui avait permis, à lui, d’ouvrir les yeux. C’était
l’absence de Potter qui avait fait qu’il était tombé amoureux de…

« Tu as retrouvé Potter. » cracha-t-il, adoptant un air détaché qui ne la trompa probablement


pas une seconde. « Pourquoi aurais-tu besoin de moi ? »

Il rajouta la poudre dans le chaudron et remua trois fois dans le sens des aiguilles d’une
montre, puis reposa la louche en cuivre. Il fallait attendre deux minutes avant de…

Granger posa sa main sur la sienne.

« Ça n’a rien à voir. » contra-t-elle, doucement. « Tu sais très bien que ça n’a rien à voir. »

« Non ? » répliqua-t-il, avec défi.

Son attitude fanfaronne aurait, cependant, eut bien plus d’impact s’il avait su résister à la
tentation de tourner sa main pour que, paume contre paume, il puisse entrelacer leurs doigts.

« Draco. » murmura-t-elle.

Ses yeux gris s’attardèrent sur leurs mains jointes puis croisèrent courageusement les siens.
Son estomac se contracta mais ce n’était ni douloureux, ni véritablement désagréable. Il était
un peu trop conscient du peu d’espace entre la table et le mur, derrière eux. Ils se tenaient
toujours beaucoup plus près l’un de l’autre que nécessaire, au point que Draco avait parfois
l’impression de graviter autour d’elle.

C’était tellement stupide…


Il avait toujours été le premier à se moquer des histoires romantiques que Daphné, Pansy et
Millicent se racontaient depuis toujours, sans parler de ces chansons d’amour idiotes qu’elles
écoutaient, en se languissant d’éprouver la même chose que tous ces chanteurs au cœur
brisé… Et pourtant… Tout ces symptômes qu’elles ressassaient sans arrêt, comme si l’amour
avait été une maladie, il les avait tous.

Et c’était ridicule.

Complètement ridicule.

Absolument ridicule.

Ridicule, la manière dont il lui semblait que le temps suspendait sa course, à chaque fois que
leurs regards se croisaient. Ridicule, qu’il soit capable de réciter, sur le bout des doigts et
avec la certitude de ne pas se tromper, la liste de ses livres favoris. Ridicule, l’obsession qu’il
vouait à ses cheveux indomptables, surtout lorsque des mèches échappaient aux tresses ou
aux chignons qui les emprisonnaient pour dessiner des spirales sur sa nuque ou ses épaules.
Ridicule, la façon dont son cœur s’emballait, lorsque leurs mains se frôlaient. Ridicule,
d’avoir l’impression que le monde autour d’eux se dissolvait dès qu’ils étaient ensemble.
Ridicule, la pulsion qu’il éprouvait toujours lorsqu’il la voyait sourire. Il aimait la voir
sourire. Il aurait aimé, davantage encore, pouvoir capturer son sourire d’un baiser. Ridicule.

« Tu voulais de l’espace. » lui rappela-t-elle, presque à contrecœur, lorsqu’il leva une main
hésitante pour replacer derrière son oreille la mèche rebelle qui ne voulait pas tenir en place.
« Tu voulais… »

De l’espace. Pour avoir l’esprit clair, une chose qu’il était impossible d’avoir avec elle.

Mais, l’espace, décida-t-il, en laissant sa main courir le long de sa mâchoire jusqu’à son
menton, était une notion tout à fait surfaite.

« Si tu fais ça parce que Harry est revenu… » gronda-t-elle, en fronçant les sourcils.

Elle ne chercha pas à se dégager, pourtant, et il fit un pas en avant, de sorte qu’elle se
retrouve coincée entre lui et la table.

« Draco. » répéta-t-elle, en posant sa main libre sur son torse. Essayait-elle de le repousser ?
Si tel était le cas, elle manquait singulièrement de conviction.

Il était un peu plus grand qu’elle, il n’aurait eu qu’à baisser légèrement la tête pour
l’embrasser. Arrachant finalement son regard au sien, il baissa les yeux vers sa bouche.

« Draco. » souffla-t-elle, avant de s’humecter les lèvres. Et, vraiment, cela aurait dû être
illégal. Il aurait dû y avoir une loi, quelque part, qui lui interdisait de faire ça, parce que…
Comment résister ?

Ses doigts se contractèrent lorsque leurs lèvres se frôlèrent. Sa chemise allait être froissée,
mais il ne parvenait pas à s’en soucier. Pas alors que…

« Mr Malfoy ! Miss Granger ! » s’exclama Slughorn, bien, bien trop proche.


Draco fit un tel bon en arrière qu’il trébucha sur son tabouret, et manqua s’étaler par terre. Il
se retint au mur, au tout dernier moment. Ça ne sauva ni le tabouret, ni la potion que Granger
heurta dans son propre mouvement de surprise.

« Un T. » lâcha Slughorn, en secouant la tête, d’un air déçu. « À mes meilleurs élèves. Une
honte. Je vous prierai de conserver un comportement convenable durant les heures de cours,
jeunes gens, c’est la deuxième fois que je vous avertis cette année. » L’homme soupira.
« Nettoyez-moi tout ça, s’il vous plaît. »

Granger, rouge comme une écrevisse, se dépêcha d’aller chercher les serpillières pour
éponger la potion renversée sur le sol. Draco se racla la gorge, conscient que la plupart des
élèves les regardaient avec amusement ou curiosité, conscient, surtout, du regard insistant de
Potter. Il finit par affronter les yeux verts, accusateurs, posés sur lui, en redressant le menton.
Il n’avait honte de rien. Pourquoi aurait-il eu honte d’embrasser Granger ? Elle était jolie,
intelligente et il… Non, il n’avait pas honte. Et Potter pouvait ravaler sa grimace dégoûtée, il
se passerait de sa bénédiction. Il leva un sourcil, en guise de défi, mais le Gryffondor retourna
à son chaudron.

Dans leur coin, Blaise et Weasley ricanaient comme deux abrutis.

« Aide-moi. » exigea Granger, accroupie par terre, visiblement contrariée. « Je ne vais pas
tout ramasser toute seule. »

Il attrapa la baguette qu’il avait posée sur la table, en levant les yeux au ciel, mais elle la lui
arracha des mains avant qu’il ait pu jeter la formule.

« Tu ne peux pas utiliser de magie sur la poudre de fée. » siffla-t-elle, en posant la baguette
par terre pour se remettre à tenter d’éponger. « Où as-tu la tête ? »

Le rictus, qu’il ne parvint pas à réprimer, dut être une réponse évidente parce qu’elle rougit
davantage encore, ce qu’il n’aurait sincèrement pas cru possible.

« Crétin. » marmonna-t-elle, en baissant la tête. Il y avait un sourire dans sa voix.

Il s’accroupit à côté d’elle, et attrapa une des serpillères, mais il était bien trop occupé à se
demander jusqu’où descendait son rougissement – parce que son cou n’était pas épargné –
pour être tout à fait efficace.

« Arrête. » gronda-t-elle. « On a suffisamment d’ennuis comme ça. »

« Je n’ai rien fait. » protesta-t-il, en faisant attention à ne pas tacher son pantalon avec les
restes de la potion.

Il aurait dû voir venir la claque qu’elle lui asséna sur le bras, mais, pour être tout à fait
honnête, il flottait tellement sur son nuage qu’il ne la sentit même pas.

« Tu as une très mauvaise influence sur moi. » décréta-t-elle.

« J’aurais aimé avoir le temps d’exercer un peu plus d’influence. » répliqua-t-il, pince-sans-
rire.
Leurs regards se croisèrent, elle pouffa, et, avant qu’il comprenne ce qui se passait, ils riaient
tous les deux aussi discrètement qu’ils le pouvaient, sous le regard désapprobateur mais
amusé de Slughorn.

Ils finirent de nettoyer rapidement et, faute d’avoir autre chose à faire, rangèrent leurs
affaires.

« Tu ne devrais pas te sentir menacé par Harry. » déclara-t-elle. « Ce n’est pas parce qu’il est
revenu que les choses doivent changer. »

Il se demanda si elle croyait vraiment à ce qu’elle disait. Il était évident, pour lui, que le
retour de Potter changeait tout. Leur place dans le jeu venait de changer à nouveau. La
sienne, surtout. L’influence qu’elle avait détenu, jusque là, sur leurs camarades était due à la
disparition de Potter, et à présent…

« Je ne l’aime pas. » lâcha-t-il, parce qu’il n’avait aucune envie de lui mentir. « Ça ne va pas
changer. »

Elle croisa les bras et appuya sa hanche contre la table. Il tenta de l’ignorer, en observant la
manière dont le chaudron de Londubat bouillonnait, mais il avait déjà du mal à détacher son
regard d’elle en temps normal, alors, quand il venait à peine de manquer s’embrasser…
Avaient-ils manqué s’embrasser ou bien cela comptait-il comme un baiser ? Leurs lèvres
s’étaient touchées…

« Tu ne m’aimais pas beaucoup non plus, au début. » lui rappela-t-elle.

« Qui a dit que je t’aimais davantage maintenant ? » rétorqua-t-il.

Elle n’eut pas l’air d’apprécier la plaisanterie.

Avait-elle conscience de lui forcer la main en permanence ?

« D’accord. » soupira-t-il. « Je vais essayer de faire un effort. »

Le sourire radieux lui fit lever les yeux au ciel.

« J’ai dit essayer, Granger. » grommela-t-il.

Elle déposa un baiser sur sa joue.

« C’est tout ce que je demande. » répondit-elle.

Foutus Gryffondors ! À trop les fréquenter, eux, les Serpentards, ils devenaient un peu trop
doué dans l’art de la manipulation.

°°O°°O°°O°°O°°

Harry dévala les marches de la volière, sans grand entrain. Il s’était éclipsé, dès la fin du
cours de potions, en lançant l’excuse vague qu’il voulait aller voir Hedwige. Ce n’était qu’un
demi-prétexte. Sa chouette, elle, au moins, avait été enchantée de le revoir et il avait été
heureux de la retrouver, mais, en vérité, ce qu’il avait surtout désiré, c’était un peu de calme.

Il avait l’impression de ne pas avoir eu une minute pour souffler de la journée. D’abord, il y
avait eu le réveil, plutôt étrange, dans le dortoir des Gryffondors et l’intégralité des élèves de
sa maison qui voulaient le féliciter, lui parler, lui souhaiter la bienvenue… Ensuite, il y avait
le petit-déjeuner, complètement bizarre, où Hermione, Ron et lui s’étaient retrouvés noyés
entre les Serdaigles, les Poufsouffles et même quelques Serpentards… Pire, il s’était même
trompé en allant s’asseoir, machinalement, à la table des serpents et personne n’avait trouvé
ça surprenant. Pourquoi donc ? Apparemment, plus personne ne s’asseyait par Maison, à
présent.

Ensuite, il y avait eu l’entrevue avec McGonagall, où elle avait examiné des papiers que
Snape-Prince – Snape, il devait vraiment arrêter de penser à lui comme à Snape-Prince – lui
avait visiblement transmis, provenant de son séjour en soixante-quinze. Son relevé de notes,
des appréciations de ses Professeurs, un résumé du programme scolaire… Elle avait décrété,
un peu surprise, que vu le très bon niveau qu’il avait acquis, cette année là, il n’aurait
probablement pas trop de mal à suivre, mais que si jamais il éprouvait des difficultés dans
une matière ou une autre, il devait se sentir libre de venir la trouver, elle, ou un autre
professeur. Puis Mrs Weasley et Bill étaient arrivés, et ils n’avaient plus eu le temps de
discuter de quoi que ce soit ayant un rapport avec Poudlard.

Il avait été heureux de revoir Mrs Weasley. Un peu gêné de devoir lui présenter ses
condoléances, surtout avec Bill qui était resté planté là, à les scruter comme un faucon… Il
semblait à Harry que Bill avait beaucoup changé, mais il s’était bien gardé d’en faire la
réflexion à Ron.

Ron et Hermione. Combien d’amis, exactement, ces deux là s’étaient-ils faits durant son
absence ? Ils n’avaient jamais été tout à fait des parias, tous les trois, mais ils n’avaient
jamais été aussi populaires. Ce jour là, ils n’avaient pas pu faire un pas dans un couloir sans
que quelqu’un ne les aborde. Et ce n’était pas simplement Harry qui les intéressait, comme il
l’avait cru au début, ce n’étaient pas simplement des curieux… Ils avaient tous un mot pour
Ron ou Hermione, surtout Hermione, et ses meilleurs amis les traitaient comme s’ils
discutaient régulièrement.

C’était bien simple, entre Ginny, Luna Lovegood, les deux sœurs Greengrass, Susan Bones,
Hannah Abbot, Neville, Dean, Seamus, Zabini, et il devait certainement en oublier quelques
uns, il n’avait pas été seul avec Hermione et Ron de la journée. Et ses amis n’avaient pas eu
l’air de penser que cela sortait de l’ordinaire.

Lorsque Ron lui avait proposé de demander à Zabini si faire équipe avec quelqu’un d’autre
en potions l’aurait dérangé, Harry avait accueilli avec un soulagement sans bornes l’occasion
d’être un peu tranquille. Bien entendu… Le cours de potions ne s’était pas vraiment déroulé
comme prévu non plus.

Enfin…

Il supposait que pour un contrôle qu’il n’avait pas travaillé, cela aurait pu être pire. Slughorn
lui avait proposé de ne pas prendre la note en compte si elle était mauvaise, ce qu’il avait
accepté avec joie. Mais, il doutait d’avoir totalement raté le test, à défaut d’avoir réussi la
potion. Entre Severus et Lily, il avait suffisamment révisé pour les B.U.S.E.s… Non, le
problème venait d’ailleurs. À savoir : Malfoy.

Ce dernier avait pris grand soin de l’éviter tout au long de la journée, ce pour quoi Harry était
reconnaissant. Il avait déjà l’impression d’avoir débarqué dans un univers parallèle – un vrai,
pour le coup – il n’avait pas besoin, en prime, de subir les attaques verbales du Serpentard.
Cependant, il avait bien remarqué que le comportement du Sang-Pur avait contrarié ses amis.
Ron avait tenté d’attirer trois fois son attention au petit-déjeuner, sans y parvenir, jusqu’à ce
que Zabini lui conseille de laisser tomber. Et Hermione…

Que se passait-il entre Hermione et Malfoy ?

Il avait bien essayé de demander à Ron, durant la Divination, mais ce dernier avait levé les
yeux au ciel et lui avait dit qu’il ne valait mieux pas s’en mêler parce que ces deux là étaient
idiots. Il avait toujours su que Malfoy était un idiot, mais Hermione ?

Il ne savait pas ce qui l’avait le plus choqué pendant le cours de potion : qu’Hermione
obtienne un T, qu’elle laisse Malfoy la peloter, ou qu’elle adopte un comportement aussi
inconvenant dans une salle de classe, en plein milieu d’un contrôle ? Malfoy. Malfoy. Malfoy,
pour l’amour du ciel !

Pire, après l’incident, alors que la moitié de la classe se répandait en remarques et


ricanements moqueurs, il avait croisé le regard de Malfoy. Et… il n’avait vraiment pas eu
l’intention de faire plus que de le fusiller des yeux, mais… Il n’y avait aucune défense… Ça
avait été si facile de jeter un coup d’œil à l’intérieur de sa tête… Snape l’aurait tué s’il avait
su. Il n’avait fait que frôlé son esprit, vraiment, rien de bien méchant…

Ça avait suffi pour le laisser figé d’horreur. Ce n’était pas du cinéma… Ce n’était pas un jeu
ou un stratagème… Malfoy avait véritablement des sentiments pour Hermione.

Dans quel monde de fou était-il tombé ?

Que Malfoy tombe sous le charme d’Hermione, il pouvait le comprendre. Hermione était
comme une sœur pour lui et, parfois, elle l’agaçait avec la même ferveur que Ginny mettait à
contrarier Ron, mais ça ne signifiait pas qu’il était aveugle. Elle n’était peut-être pas aussi
jolie que Lavande, Parvati, ou… ou même Ginny, mais elle avait du charme.

Mais comment Hermione pouvait-elle laisser Malfoy poser ses sales pattes sur elle ? Il avait
passé les quatre dernières années à les insulter à chaque détour de couloir… Comment
pouvait-elle pardonner ça ?

Certes, on pouvait en dire autant de Snape, mais c’était tout à fait différent…

Il poussa les portes de la bibliothèque et s’enfonça entre les rayonnages, saluant


distraitement, d’un geste de la main, les jumeaux qui occupaient une table, près de la fenêtre,
avec Angelina, Katie et Lee Jordan. Ils paraissaient tous plus occupés à chahuter qu’à
travailler, cela dit. Il eut beau fouiller les recoins habituels, il ne trouva pas les autres, alors il
poursuivit un peu plus loin, à la recherche de Ron et d’Hermione.
Son meilleur ami lui avait bien dit, pourtant, qu’ils comptaient aller à la bibliothèque… Mais
pourquoi aller s’installer tout au bout pour…

Parce que c’était au bout qu’il y avait les plus grandes tables. Et vu le nombre de personnes,
il fallait bien au moins deux tables, poussées l’une contre l’autre, à la va-vite.

« Je t’ai gardé une place, Harry ! » le héla Hermione, avec un grand sourire, en l’apercevant.

Elle ôta son sac de la chaise à côté d’elle et Harry, n’ayant plus le choix de s’éclipser,
s’installa à la place qui lui avait été désigné, coincé entre Hermione et Zabini. Au moins,
songea-t-il, il avait Ron en face. Certes, ça signifiait qu’il était aussi dans l’entourage de
Malfoy qui, assis en face d’Hermione et à côté de Ron, était affalé sur son siège dans une
attitude qu’il espérait sans doute faire passer pour de la nonchalance chic. À côté de Malfoy,
il y avait Luna et à côté de Luna, Neville, puis Hanna Abbot, Susan Bones, Ginny, une
Serpentard qu’on lui avait présenté au petit-déjeuner – Astoria ? Quelque chose comme ça –
et puis, de l’autre côté d’Hermione, Greengrass.

Un petit groupe d’étude, avait dit Ron.

« Je peux voir tes cours ? » demanda-t-il à Hermione, faute de trouver autre chose à dire.

Il fallait bien qu’il commence à organiser ses propres notes… McGonagall lui avait dit que ni
elle, ni Flitwick n’avait beaucoup changé leur programme… Slughorn, en revanche, avait
suivi le syllabus laissé par Snape et Snape n’avait certainement pas les mêmes standards que
le vieux Maître des Potions. Pareil pour les cours de Soins aux Créatures, la Divination,
l’Histoire de la Magie, et la Défense… Il lui faudrait se mettre à jour. Quoi qu’en Défense…

« Prends les miens. » proposa Zabini, quand Hermione mit trop longtemps à se débattre avec
la multitude de parchemins étalés entre elle et Malfoy.

Slughorn leur avait donné une dissertation à faire, en plus, pour rattraper leur note
catastrophique.

« Euh… » hésita-t-il, en prenant le classeur que le Serpentard poussait vers lui. « Merci. »

Le garçon lui répondit d’un geste négligeant et retourna au manuel de Défense.

Harry, au bout de plusieurs minutes, finit par se détendre. Une fois que l’on avait fait
abstraction des chuchotements et petits rires, à l’autre bout de la table, ce n’était pas si
terrible. Zabini étudiait en silence, Ron peinait visiblement avec son devoir de
Métamorphose, et Hermione sermonnait Malfoy sur la marche à suivre pour un philtre de
force, ce qui ne tarda pas à dégénérer en chamailleries suffisamment bon enfant pour qu’il ne
s’en préoccupe pas.

Les notes de Zabini étaient parfaitement organisées comparées aux siennes. Ça lui prit un
temps fou de remettre ses propres parchemins dans l’ordre et il se sentit idiot lorsqu’il trouva,
perdue au milieu de ses notes d’Histoire de la Magie, une fiche appartenant à Lily. Il retraça
l’écriture familière du bout des doigts et dut ravaler un immense sentiment de chagrin.
Combien de temps passerait-elle à chercher cette fiche avant d’abandonner ? Emprunterait-
elle celle de Severus ? Que faisaient-ils à ce moment précis ? Enfin… Peut-être pas à ce
moment précis. Il n’avait aucun moyen de savoir la vie qu’ils avaient eu, après son départ.
Étaient-ils heureux ? Ensemble ? Étaient-ils seulement toujours vivants ?

« Il faut remuer quatre fois dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, puis rajouter
une pincée de peau de salamandre broyée. » lâcha-t-il brusquement, sans même s’en
apercevoir, mettant un terme à la dispute qui enflait à sa gauche.

Hermione et Malfoy se turent brusquement pour le dévisager, Ron cessa d’écrire et Neville
lui jeta un coup d’œil surpris. Les autres continuèrent de discuter tranquillement.

« Ce n’est pas ce qui est marqué dans le livre, Potter. » répliqua le Serpentard, sèchement.

« Il a raison, Harry. » renchérit Hermione, sourcils froncés, en feuilletant le manuel de


potions. « Je ne pense pas qu’ils parlent de salamandre… »

Harry haussa les épaules et intercala la fiche de Lily entre deux feuilles de cours, continuant
sa réorganisation, sans plus leur prêter attention.

« J’ai vu mon père préparer suffisamment de philtres de force. » répondit-il, distraitement.


« Les manuels n’ont pas toujours raison. »

« Et James Potter était un génie des potions, peut-être ? » se moqua Malfoy. « Parce que, si je
me souviens bien, toi, tu ne l’es pas, alors… Aïe ! »

Le Serpentard se pencha pour se masser le mollet sous la table, fusillant Hermione des yeux.
Étant donné qu’elle lui rendit son regard noir, et qu’il savait, d’expérience, qu’elle pouvait
faire très mal lorsqu’elle le voulait, Harry poursuivit sa tâche. C’était un peu sa faute de toute
manière. Le mensonge était devenu tellement naturel, au cours des derniers mois, qu’il se
référait automatiquement à Snape comme à son père, en public. Ça devrait changer. Il ne
pouvait pas se permettre ce genre d’erreur. Du moins, pas tant qu’il n’était pas seul avec Ron
et Hermione.

Ce qui, supposa-t-il, en faisant un petit tas avec ses cours d’Histoire de la Magie, n’était pas
près d’arriver.

« Il était bon en potion, ton père ? » demanda Ron, en croisant les bras sur son parchemin,
sans faire attention à l’encre qu’il étalait avec son poignet. « Tu n’avais pas l’air… Tu n’avais
pas l’air de dire que vous vous entendiez très bien… »

Son meilleur ami semblait un peu gêné, Harry espérait qu’il l’était plus qu’un peu. Il voulait
bien lui parler de James, mais certainement pas en public, et encore moins devant Malfoy.

« Il se débrouille. » mentit-il. James était aussi mauvais que lui en potions.

« Il se débrouillait. » marmonna Malfoy, avant de reculer précipitamment lorsque Hermione


fit mine de lui décocher un nouveau coup de pied.

« Il se débrouillait. » confirma-t-il, parce que, pour une fois, le Sang-Pur avait raison. Il ne
pouvait pas parler au présent de gens qui étaient morts depuis vingt ans ou il finirait par
devenir fou.

« Tu as rencontré d’autres gens qu’on connait ? » demanda nerveusement Neville. « Dans le


passé ? Est-ce que… »

Mais le garçon ne termina pas sa question, et Harry ne pouvait pas l’en blâmer. Si leurs
places avaient été inversées…

« On en parlera plus tard, si tu veux. » proposa-t-il. Quand ils seraient seuls.

Neville accepta d’un hochement de tête reconnaissant. Tout le monde devait avoir compris
qu’ils parlaient de ses parents, mais, bien heureusement, personne ne fit de réflexion
désagréable. Pas même Malfoy.

« Vingt ans… » lança soudain Ginny. « C’est trop tard pour nos parents, hein ? Ils n’étaient
plus à l’école ? »

« Non. » répondit Harry, en mettant de côté ses cours de Métamorphose. « J’ai rencontré tes
oncles, une fois, par contre. Fabian et Gideon. Ils ressemblaient beaucoup à Fred et George. »

« Snape devait être encore à Poudlard. » remarqua soudain Astoria. Il était presque sûr
qu’elle s’appelait Astoria. « Il n’est pas si vieux que ça. »

Harry garda le silence, ignorant les regards curieux que lui jetaient les autres. Si Ron et
Hermione se pensaient subtils, à avoir replongé dans leur travail respectif comme si ça ne les
intéressait pas, ils avaient tort. Il leur faudrait apprendre à mentir avec plus de conviction.

« Je l’ai croisé quelques fois, oui. » offrit-il, finalement. « Il n’a pas beaucoup changé. »

« Et tu étais à Serpentard, alors ? » insista Astoria. « Ça doit être étrange de changer de


Maison, au milieu de sa scolarité. Ce n’était pas trop dépaysant ? »

« J’étais davantage dépaysé par l’époque que par le décors. » répliqua-t-il, froidement, avant
de se lever pour couper court à toute autre question.

Il marcha jusqu’à l’étagère la plus proche et feignit d’en parcourir les titres pendant plusieurs
minutes. Ron ne tarda pas à le rejoindre.

« Ça va ? » demanda son ami.

Imaginait-il la note d’incertitude dans sa voix ? Hermione et lui étaient nerveux, ils ne
paraissaient pas savoir comme lui adresser la parole. Ce n’était pas qu’ils n’étaient pas
content de le voir, simplement… Harry avait l’impression qu’ils ne savaient pas trop quoi
faire de lui.

« Oui. » lâcha-t-il. « J’avais besoin d’un livre, c’est tout. »

Ron parut hésiter quelques secondes, puis baissa les yeux.

« C’est la section sur les runes anciennes. » remarqua son meilleur ami.
Et Hermione était la seule d’entre eux à suivre les cours de runes…

« J’aimerai juste qu’ils me laissent tranquille. » admit Harry. « Ginny et Neville, d’accord,
mais les autres… Je ne les connais pas vraiment. Ce ne sont pas mes amis. »

« Ils ne poseront plus de questions. » offrit Ron. « Astoria n’est pas méchante. Elle ne voulait
pas te blesser. »

Il tira un des livres au hasard, parce qu’il ne pouvait pas revenir à la table les mains libres.
Ron le suivit, mais resta un peu en retrait. Lorsqu’il fut rassis, il suffit qu’Hermione jette un
seul coup d’œil au titre de l’ouvrage qu’il avait ramené pour qu’elle échange un long regard
avec Ron. Harry les ignora tous et replaça les notes de Zabini devant leur propriétaire, qui ne
leva pas le nez du manuel de Défense.

Les intentions d’Astoria, bonnes ou mauvaises, n’étaient tellement pas le problème…

« Dis-moi, Potter… » reprit Malfoy « Tu as soudoyé qui pour avoir des notes pareilles ? »

Harry cessa de feuilleter le livre sur les runes, auquel il ne comprenait rien, pour voir le
Serpentard examiner ses anciens devoirs de Potions. Il manqua renverser la table en les lui
arrachant des mains.

« Draco. » grinça Hermione. « Tu m’as promis. »

Malfoy leva les yeux au ciel et s’enfonça sur son siège, bras croisés, comme un gamin
boudeur.

« Ce n’est pas ma faute s’il est susceptible. » grommela le Serpentard. « Je posais juste une
question. »

« Tu peux la poser poliment. » répliqua Ron. « Ou tu peux dégager. »

Malfoy parut surpris par la virulence du Gryffondor. La joyeuse ambiance qui avait régné
jusque là avait totalement disparu. Chacun était retourné à son travail, et le silence n’était
troublé que par des raclements de gorge embarrassés.

« Je peux voir ? » demanda Hermione, avec incertitude.

Il haussa les épaules et lui passa ses vieux devoirs. Il y avait une très nette progression entre
les premiers et les derniers. Des mois passés avec Severus et Snape-Prince avaient porté leurs
fruits, il ne serait jamais un génie des potions, mais il s’y connaissait désormais suffisamment
pour suivre des instructions et pour avoir une connaissance générale de la matière. Il était
bien meilleur en Sortilèges également, grâce à Lily. Et puis, avec la poigne de fer que Snape-
Prince avait eue sur ses prouesses académiques, il n’avait pas eu d’autre choix que d’obtenir
de meilleurs résultats…

Il n’était pas au niveau d’Hermione, loin de là, mais il n’était pas mauvais du tout.

« C’est vraiment bon ! » s’exclama son amie, sincèrement surprise. « Tu as fait des progrès. »
Il haussa les épaules et rangea le tout, ignorant les regards qu’échangeaient ses amis. Il se
demanda s’il aurait été extrêmement impoli de quitter le groupe sans donner d’explication
crédible. La bibliothèque, étrangement, lui semblait étouffante. Il avait chaud, il avait envie
d’air frais, et il avait envie… Il avait envie d’aller dans la vieille classe de Divination pour
râler en paix, en compagnie de Severus, sur l’injustice de la vie. Il avait envie de déblatérer,
en sachant que son ami ne l’écoutait pas, trop occupé à fumer ses éternelles cigarettes. Il avait
envie de regarder Lily dessiner. Il avait envie d’essayer de la convaincre de le laisser copier
sur son devoir de Botanique…

« Au risque de me faire frapper, une nouvelle fois, par ton garde du corps… » lança Malfoy,
parce que, très visiblement, il était physiquement incapable de se taire. « Cette attitude
mélancolique de garçon torturé par la vie qui ne peut pas répondre à une simple question sans
être heurté par des considérations métaphysiques… Ça fonctionne avec les filles ? »

Sa remarque dégoulinante de sarcasme énerva Harry au point qu’il aurait aimé lui demander
si son attitude de petit con arrogant fonctionnait davantage, mais il ravala sa réplique au tout
dernier moment. Trop de mois passés à Serpentard pour qu’il tombe dans ce genre de piège
grossier, destiné à le faire sortir de ses gonds. Il ne ferait pas ce plaisir à Malfoy.

« Je ne sais pas. » rétorqua-t-il, tout à fait calmement. « Pourquoi tu ne demandes pas à


Zabini ? C’est davantage son style que le mien. »

Il y eut comme un soupir collectif autour de la table. Harry nota que plus d’une baguette
trainait à portée de main.

Zabini qui, jusque là, était demeuré absorbé par son livre, releva la tête et dévisagea Harry,
quelques secondes, cherchant probablement à déterminer s’il y avait une insulte là-dessous.
Le Serpentard dut conclure qu’il n’avait pas voulu l’attaquer parce qu’il se tourna vers
Malfoy, avec un rictus amusé.

« Et te revoilà, encore une fois, à te soucier du succès de Potter auprès de la gente


féminine… » remarqua Zabini. « Et tu te demandes encore pourquoi il y a des rumeurs… »

Ne dis plus jamais que je suis ton Malfoy, Potter, il y a suffisamment de rumeurs comme ça.

Harry grogna et se frotta le front, assailli par le souvenir soudain. Encore une fois King’s
Cross, encore une fois Malfoy, encore une fois…

« Harry ? » s’inquiéta immédiatement Hermione, dans un murmure. « Est-ce que c’est ta


cicatrice ? »

Harry secoua la tête. « Ça n’arrive plus. »

Plus avec l’Occlumencie.

« Après ce qui s’est passé en potions ? » se moqua Greengrass. « Plus personne ne fera
attention à ces rumeurs là. Je parie que Pansy a déjà inventé une histoire totalement
abracadabrante. »
Les joues d’Hermione se colorèrent brusquement en rouge.

« Je l’ai entendue dire à Lavande qu’Hermione lui avait fait boire un philtre d’amour. »
intervint Ron.

« Bon ça suffit. » râla Malfoy « Passons à autre chose. »

« Pas si vite ! » protesta Ginny. « Qu’est-ce qui s’est passé en potions ? »

Hermione lâcha un grognement et se cacha, plus ou moins efficacement, derrière ses mains.
Malfoy, de son côté, sans rougir, ne paraissait pas totalement à l’aise.

Bien fait, songea Harry, en rangeant discrètement ses affaires dans son sac. Le temps qu’il ait
terminé, ils étaient tous si occupés à se moquer de l’un ou de l’autre, que personne ne le vit
s’en aller. Zabini lui jeta bien un coup d’œil, mais il eut la bonne grâce de ne pas attirer
l’attention sur lui.

Il courut plus qu’il ne marcha jusqu’à la première tourelle pourvue d’un chemin de ronde et il
passa plusieurs minutes à aspirer l’air à pleins poumon, rassuré par la vision familière du
domaine qui s’étendait sous ses pieds. Il ne rentra que lorsque le froid se fit trop mordant.

Il n’avait aucune envie de se retrouver, à nouveau, au milieu du groupe d’adolescents, alors il


se mit à déambuler sans véritable but. Ses pas l’entrainèrent vers le portrait des loups qui
gardaient leurs appartements. Leurs anciens appartements. Il eut beau donner des mots de
passe, le portrait refusa de s’ouvrir. Peut-être qu’avec la carte des Maraudeurs… Mais à quoi
bon ? Il ne trouverait rien, là derrière. Ce n’était pas une porte vers le passé.

Il s’apprêtait à remonter vers la Tour des Gryffondors, non sans avoir combattu l’envie de
descendre vers la salle commune des Serpentards, lorsqu’il entendit le cliquetis de griffes
raclant la pierre.

Il était sûr que c’étaient des griffes.

Le bruit était trop caractéristique.

Il se souvenait encore du raclement que celles de Remus produisaient, lorsqu’il l’avait


poursuivi dans toute la Cabane Hurlante…

C’était un bruit de griffes, et un bruit de grosses griffes.

Il accéléra un peu le pas, espérant sans y croire que ce n’était que son imagination. Le bruit le
poursuivit. Pire, il se coupla d’un halètement.

Malgré lui, il se mit à repenser à cette nuit où il avait cru se lancer à la poursuite de Severus
mais s’était retrouvé face à l’énorme mâchoire de Remus… Le bruit des griffes, le
halètement… Tout était similaire. Mais c’était impossible. La lune n’était pas pleine, le soleil
n’était même pas couché… Et ils étaient à Poudlard. Surtout, ils étaient à Poudlard…

Il arrivait en vue d’un escalier, les couloirs étaient déserts – parce que, bien entendu, il avait
choisi un moment où la plupart des gens étaient enfermés dans leur salle commune ou à la
bibliothèque pour se balader dans le château – c’était le moment où jamais. S’il s’engageait
dans l’escalier et que la bête choisissait ce moment pour lui sauter dessus…

Il monta trois marches, juste assez pour gagner un peu de hauteur, et pivota, baguette tendue.
Il n’eut pas le temps de terminer son premier sortilège que la chose lui sautait dessus. Le
poids le fit partir à la renverse, son dos heurta les marches trop brutalement pour que le choc
ne laisse pas d’hématomes, et il glissa jusqu’en bas de l’escalier, aux prises avec l’animal.

Était-ce un loup-garou ? Impossible à dire, il n’y voyait rien. Il avait empoigné la fourrure
sombre à deux mains et tirait sans ménagement pour l’éloigner de lui mais les mâchoires de
l’animal luttaient pour atteindre sa gorge et…

Il n’avait même pas tenu vingt-quatre heures avant de se retrouver en danger de mort. Quand
il trouverait son cadavre, Snape-Prince allait le ramener à la vie pour le simple plaisir de le
tuer à nouveau, songea Harry, en lâchant l’animal d’une main pour essayer de trouver sa
baguette à tâtons.

Comment un foutu loup-garou se retrouvait-il en liberté, en pleine journée, à Poudlard ?

L’animal couina lorsqu’Harry lui décocha un coup de genou en plein ventre.

Mais ce ne fut pas suffisamment pour le déloger, il était trop lourd et trop déterminé.

Désarmé, Harry se débattit, agrippa la fourrure, tenta de repousser le monstre…

Rien n’y fit.


Some May Call It A Curse

Some may call it a curse


A life like mine
But others, a blessing
It’s certainly a lonely life
But a fulfilling one and the best
It’s my cross to bear
And I'll bear it gladly
Someone has to take a stand against evil
Why should it not be me?

Why not me ? - Within Temptation

Certains pourraient qualifier de malédiction

une vie comme la mienne

Mais d'autres l'appelleraient une bénédiction.

Il s'agit certainement d'une vie solitaire

mais c'est la plus épanouissante et la meilleure

C'est la croix que je dois porter,

et je la porte avec joie.

Quelqu'un doit s'opposer aux forces du mal

Pourquoi ne serait-ce pas moi?

Why not me ? - Within Temptation

Les mâchoires monstrueuses claquèrent une fois, beaucoup trop près de sa gorge, mais Harry
tint bon et, l’ayant attrapé par la peau du cou, tendit les bras aussi fort que possible pour
éloigner le monstre. L’animal laissa échapper un gémissement plaintif et éloigna
suffisamment son énorme tête pour que le garçon puisse, enfin, l’apercevoir.

Ce n’était pas un loup-garou.

Évidemment que ce n’était pas un loup-garou. Ce n’était pas la pleine lune et il faisait encore
jour. Quel idiot, il faisait.
L’énorme chien noir poussa un nouveau couinement et Harry lâcha sa fourrure, ne souhaitant
pas lui faire mal. Certes, il aurait préféré que Sirius respecte sa volonté et se tienne loin de lui
pendant quelques temps, mais il n’y avait pas véritablement cru. Et il n’avait jamais voulu le
blesser.

Une langue râpeuse passa sur sa figure plusieurs fois, jusqu’à ce qu’Harry repousse le chien
sans ménagement pour s’asseoir, notant au passage qu’il avait de nouveaux hématomes pour
sa collection. Patmol aboya joyeusement et voulu recommencer à lui sauter dessus, mais le
Gryffondor le tint fermement éloigné d’une main. De l’autre, il essuya la bave que le molosse
avait fait dégouliner sur son visage.

« Qu’est-ce que tu fais là ? » demanda-t-il, trop froidement.

C’était précisément la raison pour laquelle il avait désiré attendre quelques jours avant de
revoir Sirius. Pour se préparer. Pour parvenir à ériger une distance entre le Sirius du passé et
celui du présent. Il n’avait pas vraiment eu l’occasion de le faire avant de devoir affronter
Dumbledore ou McGonagall mais c’étaient des cas de figures tout à fait différent. Le premier
ne lui en avait jamais voulu personnellement et la deuxième était morte, c’était totalement
différent de l’attitude de son parrain. De tous les Maraudeurs, il avait été le pire. Pendant des
mois et des mois, il s’était acharné à l’humilier, le rabaisser et le blesser, à tout bout de champ
– ce qu’il avait réussi à mettre de côté durant la fin de son séjour, afin de ne pas partir sur une
note désagréable. Mais oublier ? Pardonner ?

Oh, sur ce point, il comprenait parfaitement Snape.

Et Sirius n’avait beau pas être la même personne que l’adolescent qui l’avait martyrisé en
1975, il était compliqué de voir les différences.

Le chien s’assit brusquement et inclina la tête sur le côté, langue pendante, avant d’aboyer.

Harry n’avait pas très envie de jouer aux charades.

« Transforme-toi ou laisse-moi tranquille. » lâcha-t-il, en se relevant. « Je parle Fourchelang,


pas la langue des chiens. »

Il ramassa son sac, sa baguette et tourna le dos à l’animal, s’attendant à moitié à ce que les
crocs de Patmol se plante dans son sac pour le retenir. Ce fut une main tout à fait humaine qui
attrapa son bras et le traîna à l’intérieur de la pièce la plus proche. Une ancienne salle de
classe, complètement vide, dont une fenêtre était fêlée. Leur entrée souleva des particules de
poussières qui se mirent à danser dans la lumière froide qui passait à travers les vitres.

Harry se dégagea et s’éloigna de son parrain, se forçant à ranger sa baguette. Ce n’était pas
une confrontation. Ce n’était pas un règlement de compte. Ce n’était pas le Sirius Black qui
l’avait jeté dans la gueule, pas si proverbiale, du loup. Il n’y avait aucune raison d’avoir peur
de lui tourner le dos.

Excepté qu’Harry ne tint pas plus de quelques secondes, avant de se retourner, pour lui faire
face. Sirius, comme tout le reste, avait changé pendant son absence. Il avait quitté un homme
à l’aspect négligé, traqué, presque sauvage malgré sa gentillesse… Les vêtements du Sirius
qu’il avait devant lui n’étaient plus en lambeaux, et n’étaient certainement pas de seconde
main. Il était habillé à la moldu, jean noir, haut noir, et blouson en cuir qui lui donnait l’air
dangereux qu’affectionnaient les motards, ses cheveux étaient un peu plus courts et beaucoup
moins emmêlés… Il arborait toujours une barbe de trois jours mais il était évident que
l’aspect mal rasé était étudié davantage que le résultat d’un manque de temps. Il était moins
maigre, moins famélique du moins, il devait manger à sa faim. Il avait également repris un
peu de muscles et son regard, sans être totalement libéré de la lueur tourmentée qui y régnait
souvent, paraissait plus clair, plus lucide. L’un dans l’autre, Sirius semblait être un homme
transformé. La liberté lui réussissait.

Harry aurait été ravi pour son parrain si cette transformation n’avait pas l’effet regrettable de
le faire ressembler davantage à l’adolescent qu’à l’évadé d’Azkaban. Ça aurait probablement
été plus facile si Sirius avait eu l’aspect cadavérique de l’homme qu’il avait rencontré en
troisième année.

« Harry… » souffla finalement Sirius.

Le garçon s’aperçut, alors, qu’il n’avait pas été le seul à examiner l’autre. Son parrain ne
paraissait pas apprécier totalement ce qu’il voyait. Harry ne se sentait pas bien différent,
pourtant, mais Hermione avait dit qu’il avait un peu changé, physiquement. Il avait grandi,
sans s’en rendre compte, il était un peu plus musclé, sans que cela soit vraiment flagrant, à
cause des entraînements de Terrens et de Snape-Prince… Il était beaucoup plus à l’aise avec
son corps. Ça, Hermione ne l’avait pas dit, mais il le savait. Snape-Prince l’avait bien formé.
Il savait bouger rapidement, avec fluidité… À Serpentard, il avait appris à avoir l’air bien
plus confiant qu’il ne l’était en réalité, surtout lorsqu’il n’était pas à l’aise. Et, à l’instant, il
n’était pas à l’aise.

« Où sont tes lunettes ? » demanda son parrain.

Pourquoi tout le monde lui posait cette question là ? Était-il défini par ces horribles lunettes,
choisies par la Tante Pétunia, en plus de tous leurs défauts ?

« J’ai des lentilles. » répondit-il, comme il l’avait répondu à tous les autres, ce jour là.

Sirius accepta l’explication d’un hochement de tête, puis lui offrit un de ces sourires
exubérants qu’il avait si souvent vu sur le visage de l’adolescent lorsqu’il s’adressait à James
ou un autre des Maraudeurs.

« Ça te va bien. » jugea l’homme, avant de faire un pas en avant, bras grands ouverts.

Harry envisagea, l’espace d’une seconde, d’accepter l’étreinte, simplement parce que son
parrain lui faisait de la peine. Il n’y pouvait rien, lui, si les choses avaient changé. Sauf que ce
n’était pas tout à fait vrai. Certes, le Sirius Black qu’il avait devant lui ne l’avait jamais
appelé ‘princesse’ ou entraîné vers la Cabane Hurlante, mais… Ce qu’il ne lui avait pas fait, à
lui, il l’avait fait à Severus. Et Severus n’avait eu que Lily, dans leur ligne temporelle, et puis,
lorsqu’elle s’était fâchée, il n’avait plus eu personne. Et imaginer Severus, seul, face aux
plaisanteries mesquines des quatre Maraudeurs…
Est-ce que ça changeait véritablement quelque chose que ce Sirius ne soit pas le même que
celui des années soixante-dix ? Au fond, ils étaient la même personne.

Harry n’était pas hypocrite. Il n’avait jamais voulu être hypocrite.

Il fit un pas en arrière.

Sirius laissa retomber lentement les bras, l’air tellement peiné qu’Harry s’en voulut. Presque.
Ce n’était pas tout à fait de sa faute, après tout, il lui avait demandé du temps, de l’espace…
Si son parrain avait su attendre un peu… Ne serait-ce que quelques jours…

« Harry… » déclara son parrain, d’un ton sérieux. « Je ne sais pas ce que t’a dit Dumbledore.
Mais, quoi que ce soit… »

« Dumbledore ? » coupa-t-il, étonné. Son regard parcourut rapidement les murs nus, soulagé
de ne pas y trouver de portraits. Ce qui ne signifiait pas que leur conversation demeurerait
forcément entre eux, des portraits, il y en avait plein le hall. Il n’avait rien à cacher à
Dumbledore, mais les habitudes avaient la vie dure et il n’appréciait pas tellement l’idée
qu’on puisse espionner ses discussions. « Assurdiato. »

Sirius fronça les sourcils. « Qu’est-ce que c’est que ce sort ? Je ne l’ai jamais entendu. »

Harry balaya sa question d’un geste de la main. « Qu’est-ce que tu veux, Sirius ? »

« Qu’est-ce que… » répéta l’Animagus, plus contrarié que perplexe, à présent. « Mais te voir,
bien sûr ! As-tu une idée du sang d’encre que je me suis fait, ces derniers mois ? Je savais
que tu n’étais pas mort ! Je le savais ! »

Le garçon se força à sourire. « Hermione et Ron m’ont dit que pratiquement tout le monde
avait abandonné espoir de nous revoir. »

« Pas moi ! Jamais, Harry. » s’énerva Sirius, en faisant un nouveau pas vers lui. Harry recula
d’autant et son parrain s’immobilisa, semblant finalement remarquer que son filleul n’était
pas enchanté par l’idée de se retrouver seul avec lui. En y repensant à deux fois, le
Gryffondor n’était pas certain qu’un assurdiato fût un choix judicieux. Non pas qu’il pense
que Sirius puisse s’en prendre à lui, mais...

« Merci. » hésita-t-il. Que répondre à ce genre d’affirmation ? « Tu avais raison, tu vois. Je


suis rentré. Et j’ai pas mal de choses à faire, alors… On se verra une autre fois, d’accord ? »

Il esquissa un pas vers la porte, mais Sirius lui barra le chemin.

« Je ne sais pas ce que t’a dit Dumbledore. » réitéra l’Animagus. « Mais quoi qu’il t’ait dit,
c’est faux. »

Harry soupira et se passa une main sur le visage. Il n’y échapperait pas, n’est-ce pas ? Quoi
qu’il fasse, quoi qu’il dise, Sirius ne le laisserait pas en paix. Il n’avait aucune intention de
composer avec la paranoïa de son parrain. Pas quand les insultes et railleries étaient aussi
claires dans sa mémoire.
« Dumbledore ne m’a rien dit sur toi, Sirius. » démentit-il. « Par contre, il était censé te dire
que je ne voulais pas te voir, pour le moment. Je suppose que j’aurais dû le faire moi-
même. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. »

On aurait dit qu’il venait de lui jeter un doloris, mais Harry refusa de se laisser attendrir.

« Tu peux m’écrire. » lâcha-t-il. « Mais je ne veux pas te voir. Pas pour l’instant. »

Considérant que la conversation était close, il contourna son parrain et marcha vers la porte,
avec plus d’assurance qu’il n’en ressentait. Il avait la main sur la poignée lorsqu’il se
retrouva violemment agrippé par le bras et poussé contre le mur, le bout d’une baguette
enfoncée dans le creux de sa gorge.

Quelques bleus de plus, songea Harry, la joue écrasée contre la pierre, non sans ironie.

« Où Harry Potter m’a-t-il vu pour la première fois ? » grinça Sirius, si près de lui qu’Harry
pouvait sentir le tabac froid dans son haleine.

Son parrain lui tordait l’épaule et un faux mouvement l’aurait probablement déboîtée, mais le
Survivant refusait de se faire agresser par Sirius Black, qu’importe son âge ou ses intentions.
Sirius était, de toute manière, un idiot. Il tenait son bras gauche, mais il lui suffit de donner
un léger coup de poignet pour que sa baguette tombe dans sa main droite. Qu’avait dit Snape,
déjà ? Un informulé, même faible, pouvait se révéler efficace ? Il jeta un expulso qui projeta
son parrain à quelques mètres, suffisamment loin, en tout cas, pour qu’Harry se retourne et le
désarme.

Allongé sur le dos, dans la poussière, Sirius l’observait avec une colère et une haine telle que
le Gryffondor comprit qu’il le prenait pour un imposteur. Bien sûr. C’était plus simple que de
se remettre en question ou de simplement demander pourquoi Harry était contrarié.

« Magnolia Crescent. » répondit-il, en lançant sa baguette par terre. « C’est bien moi,
Sirius. Et je ne veux pas te voir, pour le moment. Dans quelques jours, peut-être. »

Et c’était déjà une concession, en ce qui le concernait.

Il se détourna et repartit vers la porte, mais…

« Le Harry que je connais n’agirait pas comme ça. » lança Sirius. « Qu’est-ce qui t’est
arrivé ? »

Il ferma les yeux, compta jusqu’à trois et occluda les émotions volatiles qui voulaient le
pousser à la fureur. Le sentiment d’impuissance, les humiliations, les rires moqueurs… Il
enfouit le tout derrière des murs de flammes et s’efforça de conserver un semblant de calme.

« J’ai grandi. » lâcha-t-il, en serrant les poings.

Il se retourna, à nouveau, incapable de supporter l’idée de ne pas l’avoir dans son champ de
vision. Il lui semblait qu’à chaque fois qu’il lui tournait le dos, Sirius finissait par l’attaquer.
Évidemment, lui tourner le dos l’aurait empêché de voir cette grimace haineuse sur le visage
de son parrain, toujours assis par terre, là où il était tombé… Il n’en fut ni surpris, ni
particulièrement touché. Il avait l’habitude. Le comportement de Sirius s’était amélioré
depuis qu’il savait qu’Harry était le fils de James, mais il avait eu des mois pour admirer cette
expression si particulière de dégoût à chaque fois que l’Animagus posait les yeux sur lui.

Excepté que, ce coup-ci, ce n’était pas contre lui qu’elle était dirigée.

« Snape. » cracha Sirius. « C’est ce cloporte qui… »

Le sortilège partit tout seul. Vraiment. Une chance qu’il se soit retenu au dernier moment.
L’étincelle rouge s’enfonça dans le sol, à quelques centimètres à peine de l’entrejambes de
Sirius qui recula précipitamment.

« Harry ! » glapit son parrain.

« C’est la première et la dernière fois que je le dis. » déclara-t-il. Ses doigts serraient la
hampe de sa baguette avec tellement de force que ses phalanges lui faisaient mal. « Si tu ne te
tiens pas loin de Severus, ce n’est plus la peine de m’adresser la parole. »

Sirius le fixa du regard, les yeux écarquillés et la bouche légèrement ouverte, comme s’il ne
parvenait pas à contrôler sa surprise.

« Mais… Mais… » balbutia finalement l’Animagus, sans faire un geste pour se relever. « Tu
le détestes. »

Et Hermione exécrait Malfoy et Ron était persuadé que les Serpentards étaient le mal
incarné.

« Les choses changent. » répliqua-t-il. « Ces derniers mois, Severus et Snape étaient de mon
côté. Toi, en revanche, ça t’amusait bien de faire rire la galerie en me… »

Il s’interrompit. Ça n’en valait pas la peine et c’était injuste. Ce n’était pas ce Sirius. Severus
n’aurait pas apprécié qu’il défende son honneur de la sorte. Et Snape non plus.

Cette fois, il s’en allait.

« Harry. » insista Sirius, en se remettant debout. « Harry, je ne sais pas ce qu’il t’a dit… »

« Il ne m’a rien dit. » coupa-t-il, en levant les bras et en les laissant retomber lourdement sous
le coup de l’énervement. « Ce n’est pas Snape le problème, c’est toi. C’est… »

C’était les nouveaux amis de Ron et d’Hermione qui ne les laissaient pas tranquilles. C’était
l’absence d’une jeune fille aux cheveux de feu qui avait le don de le dérider en toutes
circonstances. C’était le vide, à côté de lui, à chaque fois qu’il se retournait pour parler à Sev.
C’était l’impossibilité de se réfugier dans les appartements gardés par les loups et de
prétendre, pour un temps, que sa vie était normale. C’était la prophétie qui pesait plus
lourdement sur ses épaules qu’elle ne l’avait fait dans les années soixante-dix. C’était
l’horcruxe qu’il sentait s’agiter, à chaque fois qu’il se mettait en colère. C’étaient tous les
secrets qu’il gardait encore, alors qu’il s’était promis qu’il n’y en aurait plus.
« Laisse-tomber. » soupira-t-il « Juste… Laisse-moi tranquille. »

« Harry. » tenta Sirius, en tendant la main vers lui, mais Harry en avait assez.

« Petrificus Totalus. » lança-t-il.

N’ayant toujours pas eu la présence d’esprit de ramasser sa baguette, Sirius n’eut même pas
l’opportunité de se défendre. Il devint tout raide et tangua sur lui-même, avant de basculer par
terre, sur le dos. Harry s’en voulut un peu, mais fut heureux de penser qu’il ne serait pas le
seul à avoir des hématomes. Justice poétique.

« Désolé. » lâcha-t-il, tout de même.

Claquer la porte sur son parrain statufié fut probablement la chose la plus satisfaisante qu’il
fit de la journée.

°°O°°O°°O°°O°°

Severus n’était pas dans un de ses meilleurs jours.

Il avait passé la moitié de la nuit à ramper aux pieds du Seigneur des Ténèbres, à inventer des
explications qui ne L’avaient pas totalement convaincu et à subir ses punitions inventives. Il
était revenu à Poudlard de très mauvaise humeur mais vivant, et, supposait-il, il fallait savoir
compter ses victoires. Ses collègues et ses serpents avaient tous fait preuve d’un soulagement
et d’une joie certaine à le retrouver, ce qui avait un peu apaisé sa mauvaise humeur, jusqu’à
ce qu’il ait finalement le temps, entre deux entrevues avec McGonagall à propos du
programme, de ses élèves ou de l’école en général, d’aller jeter un coup d’œil à sa réserve et
à son laboratoire personnel.

Il avait exigé qu’Albus fournisse son propre laboratoire et ses propres ingrédients à Slughorn
s’il ne souhaitait pas qu’il présente, lui, sa démission.

L’autre Maître des Potions était très compétent lorsqu’il voulait l’être mais, en vérité, il était
souvent très paresseux et ouvertement négligent. L’état de la classe de potions n’était pas très
surprenant, cependant, ce n’était plus le problème de Severus. Sa réserve et son laboratoire,
en revanche… Ses étagères d’ingrédients méthodiquement classés, inventoriés, rangés…

Cela le mettait véritablement en colère.

Il n’avait pas dormi depuis plus de vingt-quatre heures, il était fatigué, n’avait que peu de
patience pour les exigences de Dumbledore qui désirait, entre autres, savoir s’il avait déjà
trouvé le temps de se pencher sur le problème des loups-garous… Vraiment. Quand aurait-il
trouvé le temps ? Entre le thé brûlant qu’il avait avalé en deux longues gorgées en fin de
matinée et la tonne de problèmes que lui avait soumis Minerva ? C’était à peine s’il avait pu
mettre un orteil dans ses propres appartements. Et, voilà, qu’il devait ranger la réserve… Et il
devait ranger. Il n’aurait jamais pu s’endormir, ce soir là, en sachant qu’il y régnait un tel
désordre.
Un miaulement rauque attira son attention et il baissa les yeux juste au moment où un gros
matou noir et blanc se frottait contre ses jambes, peu soucieux des poils qu’il déposait sur ses
robes.

« Toujours vivant, sac à puces ? » grogna-t-il. Il se pencha, toutefois, pour le gratter derrière
les oreilles. L’animal se mit à ronronner comme une turbine.

« Je l’ai nourri en votre absence. » annonça la voix, amusée, de la sous-directrice.

Severus se redressa avec dignité et prétendit, très fort, ne pas avoir été surpris en plein
moment d’humanité.

« Ce n’est pas mon chat. » répondit-il, en recommençant à trier les fioles et bocaux qu’il avait
devant lui.

La réserve était une petite pièce, située non loin de son laboratoire, suffisamment perdue dans
les méandres des cachots pour que personne n’y vienne le déranger, en règle générale.

« Curieux. » se moqua-t-elle, en rajustant ses lunettes. « J’aurais pu jurer qu’il vivait dans vos
appartements. »

« En attendant qu’Hagrid lui trouve un domicile plus convenable. » riposta-t-il, en la


foudroyant du regard. « Que voulez-vous encore, Minerva ? J’ai l’impression de ne pas vous
avoir quittée de la journée. »

Et, il fallait admettre que mis à part lorsqu’elle avait dû assurer ses cours, la lionne ne lui
avait pas laissé une minute de répit. Papiers, papiers, et un peu plus de papiers à signer, des
hiboux à envoyer, les examens à organiser…

« Pourriez-vous vous charger de superviser la mise en place des sorties à Pré-au-lard ? »


demanda-t-elle, en déposant un tas de parchemins sur une des étagères, entre deux bocaux.
« Dolores les avait interdites mais Albus a d’autres idées. Seulement, cet homme est toujours
par monts et vaux, Filius est… Je ne veux pas surcharger Filius, et Pomona n’est tout
simplement pas aussi efficace que vous. »

Severus leva les yeux au ciel face à ces flatteries totalement inutiles. Il savait bien que, sans
Minerva et lui, cette école n’avait aucune chance de fonctionner administrativement. Ils
étaient les seuls qui insistaient pour que les formulaires, autorisations et autres formalités
soient remplies en bonnes et dues formes. Et à temps.

« Je m’en charge. » soupira-t-il. « J’ai également envoyé un courrier aux parents des
Serpentards pour les informer de mon retour en temps que Directeur de Maison, vous pouvez
rayer cela de votre liste. »

Minerva s’appuya contre le chambranle de la porte avec lassitude.

« J’ignore comment j’ai survécu sans vous, Severus. » avoua-t-elle. « Un seul jour et ma
charge de travail a diminué de moitié. Je ne sais pas comment vous remercier. »
Il haussa les épaules, ôta le bocal de foie de chauve-souris de là où Slughorn l’avait
négligemment posé et, grimpant sur l’échelle en bois, le rangea à sa place, trois étages plus
haut.

« Nommez-moi sous-directeur lorsque vous serez directrice. » plaisanta-t-il, à moitié.

« Je pensais que cela était entendu depuis longtemps. » répondit-elle, très sérieusement.

La fiole d’essence de sauge manqua lui échapper des mains. Perché sur son échelle, il baissa
les yeux vers elle.

« N’y pensez pas ou je démissionne. » prévint-il.

Il savait pertinemment que les directeur n’était là que pour le décor. C’étaient les sous-
directeurs qui faisaient tout le travail. Du moins, c’était le cas depuis que Dumbledore était en
charge de Poudlard.

Minerva se pencha pour caresser le chat plutôt que de répondre et Severus retourna à son
inventaire, pensant qu’elle allait s’en aller.

« J’ai informé les Dursley du retour de Potter. » lâcha-t-elle. « Évidemment, ils n’ont déjà pas
daigné répondre à mon courrier annonçant sa disparition, je doute de recevoir une demande
de visite. »

Severus descendit, décala l’échelle et recommença son tri en haut de la rangée suivante.

« Harry ne compte pas pour eux. » expliqua-t-il, tâchant – et échouant – de contrôler la colère
qui rendait sa voix plus rauque, plus dangereuse. « Les horreurs qu’ils ont mis dans le crâne
de ce gamin… Je tordrai le cou de Pétunia, sans hésiter, si elle a la malchance de se retrouver
devant moi. Ou, mieux… J’ai inventé quelques potions que je n’ai pas eu l’occasion de
tester. »

Il y eut un silence, durant lequel Severus prit grand soin de ne pas baisser les yeux vers la
Directrice des Gryffondors. Il tentait, généralement, de ne pas sérieusement planifier de
meurtres devant elle. Il n’aimait pas la manière dont elle le regardait dans ces cas là. Il ne se
souciait pas de l’opinion de grand monde mais celle de Minerva, pour une raison qu’il ne
s’expliquait pas, comptait. Elle avait cette façon presque… maternelle de s’inquiéter pour lui,
contre laquelle il se révoltait pour le principe, mais qu’il appréciait secrètement. Non pas
qu’il lui aurait jamais confié une telle chose. Il avait accepté ses tendances de Poufsouffle
lorsqu’il était question d’Harry, mais Harry était une exception et pas la règle.

« Harry, et pas Potter… » releva Minerva, avec prudence. « Je n’ai pu m’empêcher de


constater que vous semblez vous être attaché au garçon, Severus. »

Il fit léviter un bocal jusqu’à une autre étagère et descendit de deux barreaux.

« Il a ses qualités. » grinça-t-il.

Et ses défauts, dont le principal était cette tendance beaucoup trop prononcée à se mettre en
danger à la moindre occasion.
« Que s’est-il passé, là-bas ? » demanda-t-elle, soudain. « Vous ne nous avez dit que
l’essentiel et Albus reste muet comme une tombe… »

Il hésita un peu. Il n’avait offert à ses collègues qu’un vague résumé des faits et, d’après les
échos qu’il en avait eus, Harry avait fait de même avec ses camarades.

« Harry a été réparti à Serpentard. » répondit-il, non sans fierté. Il vit la lueur contrariée
passer dans le regard de la sous-directrice mais ce n’était pas l’émotion dominante sur son
visage.

« Harry est quelqu’un d’entier. » remarqua Minerva « Son père et ses amis… »

« J’aurais parié qu’il s’entendrait avec James comme deux frères siamois. » l’interrompit-il,
en évitant son regard. « J’avais tort. Il s’avère que j’avais tort sur énormément de choses. »

Minerva soupira et croisa les bras devant sa poitrine, en signe d’impatience.

« Eh bien ? » pressa-t-elle. « Ne vous ai-je pas toujours dit qu’Harry ne ressemblait pas à
James ? »

Il avait à nouveau atteint le bas de l’étagère. Il descendit de l’échelle, attrapa une fiole, la
reposa, puis la reprit, dans le simple but de s’occuper les mains.

« Non. » lui accorda-t-il. « Il ne ressemble pas à James. En revanche… Lui et moi avons des
points communs. »

Son regard fuyant se posa sur le chat qui faisait tranquillement sa toilette dans un coin de la
pièce, sur les rangées de fioles, et sur les parchemins que lui avait apportés la sorcière.
Partout sauf sur elle, en somme.

« Des ‘points’ que mon Directeur de Maison n’a pas voulu remarquer, à l’époque. » continua-
t-il, en se demandant bien pourquoi il avait choisi cette approche là. Il aurait été bien plus
simple de se contenter d’exposer simplement qu’Harry avait pris le parti de son double et de
Lily. Pourquoi déterrer des secrets si longtemps enfouis ? Minerva ne savait pas. Elle n’avait
jamais su. Personne n’avait jamais su. « Des ‘points’ qui m’ont conduit à faire des choix
discutables. Des ‘points’ auxquels un adulte attentif aurait pu facilement remédier. Nous
comprenons-nous ? »

« Severus ? » souffla Minerva, avec une incertitude qui lui fit mal. « Vous m’avez dit, hier,
qu’ils étaient aussi mauvais que des Mangemorts, que… »

« Ils l’enfermaient dans un placard. » gronda-t-il. « Ils auraient mieux traité un chien que cet
enfant. Ma seule consolation est qu’ils sont trop lâches pour avoir levé la main sur lui. Piètre
consolation, en vérité. Un placard, Minerva. Un placard. »

Une rangée de fiole, à côté de sa tête, éclata brusquement. Le produit se mit à fumer et
attaqua le bois, il fit disparaître l’acide d’un coup de baguette, un peu imprudent. Cependant,
il n’avait pas la tête à la prudence. Il se souvenait, avec beaucoup trop de clarté, du soir où
l’adolescent lui avait confié la manière dont les Dursley le traitaient, sa vulnérabilité… Il ne
se rappelait que trop bien de la manière dont le gamin s’était recroquevillé sur son canapé,
aussi fragile et terrifié qu’un enfant de cinq ans… Incapable de comprendre pourquoi le
comportement de ses tuteurs l’avait mis, lui, dans un tel état de fureur. Et seul. Beaucoup trop
seul.

« Non… » refusa la sous-directrice, en portant une main à sa poitrine. « Non, j’aurais


forcément… Vous vous trompez, il serait venu me voir… Il a confiance en moi… »

« Il pensait que vous étiez au courant. » l’interrompit-il. « Sa lettre était adressée ‘au placard
sous l’escalier’. »

« Mais je ne savais pas ! » se défendit-elle, avec horreur. « Les lettres sont adressées
automatiquement à chaque élève, je ne vérifie jamais… Je… Que voulez-vous dire, Harry et
vous avez des points communs ? Severus, vous… »

« Ce n’est pas la question. » marmonna-t-il, en déplaçant d’autres bocaux, sans vraiment


regarder ce qu’il faisait. « L’important… »

« Ne détournez pas la conversation. » cingla-t-elle, en attrapant son bras pour mettre un terme
à ses gestes nerveux. Albus n’avait pas tort, piètre espion qu’il faisait désormais s’il tendait
lui-même les pièges dans lesquels il tombait. Qu’avait-il eu en tête ? Sous-entendre une telle
chose devant Minerva équivalait à s’assurer qu’elle le harcèle jusqu’à découvrir la vérité.
« Severus. »

Ignorant son ordre informulé, il persista à regarder droit devant lui, lisant et relisant les
étiquettes jaunies par le temps et l’humidité.

« Severus. » insista-t-elle.

Elle attrapa son menton et le força à tourner la tête vers elle. Il se dégagea, mais trop tard
pour ne pas voir son regard bouleversé. Il s’écarta, notant que le chat avait déguerpi,
probablement effrayé par l’agitation. Ou bien par la tension à couper au couteau.

« Par Morgane, combien de crimes ont eu lieu sous mes yeux, sans que je ne les vois ? »
murmura-t-elle, choquée.

Severus déglutit et prétexta s’occuper de l’étagère du fond afin de lui tourner le dos. Il ne
voulait pas voir la culpabilité sur son visage. Il ne voulait pas, non plus, voir la pitié dans ses
yeux.

Mais c’était mal connaître Minerva McGonagall.

« Je regrette. » offrit-elle, doucement, au bout de quelques minutes de silence. Sa voix ne


tremblait plus, elle avait retrouvé sa force et son assurance habituelle. « Si j’avais
soupçonné… J’aurais fait mon possible pour vous apporter mon aide. »

Severus ne put retenir un bruit d’amusement amer.

« Je ne vous aurais jamais laissé faire. » lâcha-t-il. « Il fallait bien Harry Potter pour me
sauver… »
Maudite tête de mule… Il n’avait pas vu la moitié des trésors de patience et de manipulation
que le gamin avait déployé pour tirer le Severus de quinze ans de l’abysse de problèmes dans
lequel il s’était empêtré mais ce dont il avait été témoin lui avait suffi. Harry avait réussi là où
Lily avait échoué, ce qui, en ce qui le concernait, voulait tout dire. Et il ne parlait, là, que de
son double… Il n’y avait pas de mots pour exprimer ce qu’Harry avait fait pour lui. Il était
différent, Albus avait raison sur ce point là. Harry l’avait changé.

Severus osait se penser un homme légèrement meilleur d’avoir connu l’adolescent.

Cependant, dans cette guerre, ce n’était pas d’un homme meilleur dont ils avaient besoin.
C’était d’un espion capable de faire taire sa conscience.

« Ne doutez pas de ma détermination, Severus. » contra Minerva, dans son dos. « Ou de mon
affection. »

Elle n’avait pas eu beaucoup d’affection pour lui, vingt ans plus tôt, aurait-il voulu rétorquer.
Néanmoins, il n’avait aucune envie de la blesser, alors il tint sa langue.

« Je refuse qu’Harry remettre un pied chez les Dursley. » déclara-t-il, d’un ton péremptoire.
« Qu’importe ce qu’Albus a à en dire. Il n’y retournera pas. Puis-je compter sur vous ou
pas ? »

Minerva, à sa décharge, n’hésita pas.

« Si ce que vous dites est vrai, et je ne douterai pas de votre parole sur un sujet aussi délicat,
la question ne se pose pas. » déclara-t-elle. « Cependant… Que proposez-vous ? Sirius étale
ses projets de demande de tutelle dans tous les journaux du Royaume-Unis, mais Albus y est
récalcitrant au possible. »

Severus serra les dents et cessa de prétendre déplacer des fioles pour poser les mains à plats
sur le rebord de l’étagère. Il baissa la tête et, dissimulé par les rideaux de cheveux qui
encadraient son visage, ferma les yeux.

« Appuyez la demande de Black. » exigea-t-il. « Vous êtes respectée, vous êtes sa Directrice
de Maison… Si vous prenez publiquement position pour Poudlard, Albus ne pourra pas le
faire. »

Et le Magenmagot n’aurait aucun intérêt à rejeter la demande de la coqueluche de la


communauté magique… Albus ne prendrait pas le risque de s’élever contre l’opinion. Il ne
pouvait pas se permettre de diviser son propre camp et, s’il s’avisait de s’opposer à Black,
division il y aurait… Scindé en deux, l’Ordre n’aurait plus aucune espèce d’efficacité.

Y aurait-il même division ? Lupin, Tonks, les Weasley… Tous ceux-là se rangeraient derrière
Black. Minerva également. Lui, avec. Qui resterait-il à Albus ? Fol’Œil ? Le Directeur ne
gagnerait pas la guerre avec un vieux borgne paranoïaque.

Minerva posa une main hésitante sur son épaule. « Êtes-vous certain que Sirius est la
meilleure option d’Harry, Severus ? »
Elle dut sentir les muscles se contracter sous ses doigts parce qu’elle lui rendit l’espace dont
il préférait toujours s’entourer. Il ne tourna, pourtant, pas le regard vers elle, incapable de se
redresser pour l’instant. Devinait-elle ce que cela lui coûtait de prendre le parti de Black
contre Albus ? Devinait-elle ce que cela lui coûtait de…

« Black est sa seule option. » répondit-il, en tentant d’occluder toutes ces émotions gênantes.
« Il a besoin d’un adulte qui prendra soin de lui. »

Il ne parvint pas à dissimuler le regret dans sa voix. Il parvenait mal à dissimuler quoi que ce
soit lorsqu’il était question d’Harry. Ses boucliers fonctionnaient mal dès que le garçon était
concerné.

Et Minerva était un peu trop perspicace.

« Êtes-vous sûr qu’il ne l’a pas déjà trouvé, cet adulte ? » insista-t-elle, avec le tact d’un
troupeau d’hippogriffes.

Il lui jeta un regard qu’il espérait méprisant et attrapa, un peu au hasard, des ingrédients sur
les étagères.

« Légalement, Black est dans son droit. » riposta-t-il. « Sur un plan juridique, Albus aura du
mal à manœuvrer contre lui. Sur le plan politique, il ne s’y risquera pas. »

« Il dit que c’est pour la sécurité de Potter. » argua Minerva.

Severus se retourna brusquement et la toisa.

« S’il renvoie Harry chez les Dursley, il ferait mieux de s’inquiéter de leur sécurité. »
menaça-t-il. « Ce n’est pas un crime qui pèsera lourd sur ma conscience. »

La sorcière leva les yeux au ciel.

« Soit. » accepta-t-elle. « Et vous, dans tout ça, Severus ? »

Lui ? Que pouvait-il faire, lui ? Demander la garde d’Harry ? Sur quelles bases ? Pour quels
motifs ? Autant se peindre une cible dans le dos et aller danser la gigue devant le Seigneur
des Ténèbres… Et il n’aurait probablement pas besoin d’une mise en scène aussi théâtrale, de
toute manière. Albus avait raison. Il peinait à se contrôler. Son esprit était plein de souvenirs
du garçon, de l’affection qu’il lui portait, du soucis qu’il se faisait pour lui… C’était un
miracle que le mage noir n’en ait rien perçu, la veille. Harry était trop présent. S’il voulait
rester en vie, il devait se détacher, s’éloigner… Mettre de la distance. Pour sa sécurité comme
pour celle du garçon.

Harry devait apprendre à se reposer sur quelqu’un d’autre, quelqu’un de plus fiable, et Black,
pour toute la haine qu’il lui vouait, serait prêt à tout pour le fils de James. Peut-être même
que si Black parvenait à prendre sa place en tant que figure paternelle, le gamin ne serait pas
aussi dévasté lorsque le Seigneur des Ténèbres l’achèverait.

Alors, lui, dans tout ça…


Lui, ne pouvait rien faire. En admettant qu’il aille supplier Albus de le relever de son poste
d’espion… En admettant qu’il parvienne à se protéger des sbires du Seigneur des Ténèbres
suffisamment longtemps pour demander la garde d’Harry… Il restait un Mangemort. Aucun
tribunal, saint d’esprit, n’aurait confié un enfant à un Mangemort, repenti ou pas, et, ce, sans
même évoquer la particularité du cas du Garçon-qui-avait-survécu. Black, c’était autre chose.
Severus avait vu les journaux. Il avait entendu les élèves discuter entre eux. Black était
devenu un martyr… Une icone de leur génération sacrifiée…

Black était un héro et, lui, était un criminel. Le monde à l’envers, peut-être, dans son esprit,
mais telle était la réalité du monde extérieur.

Il ne pouvait rien faire d’autre que de continuer à veiller à ce qu’il n’arrive rien au gamin. Il
pouvait s’assurer qu’il reste en vie. Il pouvait chercher un moyen de détruire l’horcruxe. Il
pouvait faire beaucoup de choses. Mais pas être son père. Pas là où cela comptait.

Est-ce que ça lui arrachait le cœur de devoir y renoncer ? Bien sûr. Était-ce affreux de penser
que Black pouvait occuper un rôle qui lui était défendu ? Évidemment. Cela le tuait-il de
penser que ce n’était plus vers lui que le gamin se tournerait en premier, en cas de problème ?
Il n’y avait pas de réponses à cette question, cela le déchirait de l’intérieur.

Mais… James et Lily s’étaient sacrifiés pour leur fils et il ne pouvait faire moins. Son
sacrifice à lui était juste d’une nature un peu différente.

« Moi ? » répondit-il, avec nonchalance, en attrapant une dernière fiole. « J’ai des potions à
préparer. »

°°O°°O°°O°°O°°

« Je trouve ça… bizarre, c’est tout. » marmonna Ron, en remuant sa soupe sans aucun
entrain. « Je n’ai pas dit que je n’étais pas content. Juste que… C’est bizarre. »

Hermione soupira et avala une gorgée de sa propre soupe, sans plus d’envie que n’en
manifestait son meilleur ami. Ils s’étaient assis tout au bout de la table des Gryffondors,
coincés entre des première année et le vide, exprès pour pouvoir être un peu seuls, étant
donné qu’Harry semblait avoir du mal à supporter les autres en trop gros nombre. Elle avait
gardé une place, mais visiblement le Survivant ne comptait pas assister au repas du soir.

Elle ne s’était pas rendu compte, avant qu’Harry revienne, d’à quel point ils formaient tous
un groupe soudé. Elle n’y prêtait plus attention. Il lui semblait naturel de petit-déjeuner avec
Malfoy, de s’asseoir, en cours, à côté de Daphné, de discuter avec Susan et Hannah quand
elle les croisait dans le couloir, ou même de se retrouver après les cours avec les autres pour
plaisanter ou travailler. Cela s’était fait petit à petit, si lentement qu’elle n’avait pas pris
conscience, avant cet après-midi là, de ce que cela pouvait avoir d’impressionnant pour
quelqu’un d’extérieur à la bande. Ils avaient leurs plaisanteries, leur fonctionnement, leurs
codes…

Avant, il n’y avait jamais eu qu’Harry, Ron et elle. Et, bien sûr, de temps en temps, Neville
ou un des Weasley… Mais… Les choses étaient véritablement différentes.
« Il faut juste qu’on se réhabitue. » déclara-t-elle, finalement. « Et lui aussi. Ça ne doit pas
être facile de revenir, après… Je n’imagine même pas ce qu’il a traversé. »

Ce n’était peut-être pas une raison pour se sauver comme un voleur de la bibliothèque et ne
pas donner signe de vie par la suite, mais… Hermione était déterminée à être compréhensive.

Ron continua de tracer des symboles étranges dans sa soupe, les épaules voûtées.

« Tout va s’arranger. » insista-t-elle. « Ce n’est que le premier jour. »

Son meilleur ami hésita puis jeta un regard vers la dizaine d’élèves, rassemblés à la table des
Serdaigles, qui riaient et chahutaient sans sembler avoir aucun souci. Hermione fit bien
attention de ne pas laisser ses propres yeux dériver. À chaque fois qu’elle croisait le regard de
Draco, elle rougissait comme une idiote.

Ça non plus, ça n’avait pas dû plaire à Harry.

Peut-être qu’elle aurait dû le prévenir avant. Mais quand ? Leurs retrouvailles avaient été
formidables. Elle n’avait jamais été aussi heureuse de sa vie. Toutefois… Les explications et
récits qu’ils avaient échangés, après coup, avaient forcément été réduits à leur strict
minimum. Il y avait des détails que Ron et elle avaient gardés pour eux. Ron n’avait pas
véritablement parlé de son père et, elle, avait tut ce qu’elle avait fait pour ses parents. Et
Draco. Elle avait énormément minimisé la place que Draco avait prise dans leur vie. Ils
n’avaient rien caché de ses changements de conviction ou du rôle majeur qu’il avait eu au
début de la Trêve, mais… Ni Ron, ni elle n’avait véritablement osé dire qu’ils étaient très
amis.

« Ce qu’il a dit sur ses parents… » reprit Ron, avec hésitation. « Ça ne t’a pas paru bizarre, à
toi ? »

Hermione prit une nouvelle cuillerée de soupe pour s’accorder le temps de la réflexion. À
vrai dire, elle avait tourné et retourné la question dans sa tête une bonne partie de la nuit.

« Allez. » insista son meilleur ami, en se penchant au dessus de la table pour que personne
n’entende. « D’un seul coup, son père, Sirius et Remus sont des crétins et Snape, Snape, est
génial. Avoue que c’est étrange, quand même. »

« C’est surprenant. » admit-elle, à contrecœur. Elle avait l’impression de trahir Harry en


l’avouant à voix haute. « Mais on ne sait rien de plus sur les parents d’Harry que ce qu’on
nous en a dit. Et Sirius et Remus n’allaient pas dire du mal de James… Snape a toujours dit
que James était arrogant et il déteste Sirius. Peut-être qu’il a vraiment de bonnes raisons…
On ne peut pas savoir. »

Elle jeta un coup d’œil à la table des Professeurs. Le regard de Snape, justement, était rivé sur
eux, et il ne semblait pas content du tout.

« D’accord, disons que les Maraudeurs étaient aussi cons qu’Harry le dit et que Snape n’était
pas aussi chiant quand il était jeune… » contra Ron. « Celui-là… » Il désigna le Professeur
d’un geste de la tête. « C’est toujours le même. Il a détesté Harry dès le premier jour et, là,
tout d’un coup… Quoi ? C’est fini ? »

Hermione haussa les épaules.

« Ils sont restés huit mois ensembles dans un environnement hostile. » lui rappela-t-elle.
« C’est long, huit mois. »

Dieu sait qu’il s’était passé suffisamment de choses de leur côté, en simplement six.

Ron la dévisagea quelques secondes, observa sa soupe, puis jeta un coup d’œil aux portes de
la Grande Salle. Harry n’était toujours pas en vue.

« Tout à l’heure, à la bibliothèque, quand il parlait de son père… » déclara le roux. « Il ne


parlait pas de James. »

Elle repoussa son assiette de soupe à moitié pleine et attrapa un morceau de pain dans la
panière.

« Je sais. » lâcha-t-elle. « J’ai compris. »

« Tu ne vas pas me dire que tu trouves ça normal, quand même ? » pressa Ron. « Snape,
Hermione. »

Elle ôta nerveusement la mie. C’était probablement très lâche de sa part, mais elle n’avait pas
très envie de s’immiscer dans les affaires d’Harry. Pas quand elle venait juste de le retrouver
et qu’il était si…

« Il dit qu’il est différent avec lui. » tempéra-t-elle. « Tu l’as entendu. »

« J’ai entendu que Snape s’occupait de lui comme s’ils étaient une famille. J’ai entendu qu’il
vivait avec lui. J’ai entendu qu’il fait référence à lui comme à ‘son père’. J’ai entendu qu’il ne
veut plus voir Sirius, alors qu’il pourrait enfin aller vivre chez lui. » râla Ron. « J’ai entendu
qu’il s’est beaucoup trop attaché à Snape, voilà ce que j’ai entendu. »

Hermione planta fermement son regard dans le sien parce qu’elle refusait d’être hypocrite.

« Ron, tout ce que tu es en train de dire, là, il a le droit de le penser de Draco, Blaise et les
autres. » exposa-t-elle, calmement. « C’est probablement aussi ridicule pour nous de douter
d’eux que pour lui de douter de Snape, alors, à mon avis, tu ferais mieux de contrôler tes
aprioris et de… »

« Ce ne sont pas des aprioris. » coupa Ron, en baissant davantage la voix, pour qu’on ne
l’entende pas. Elle dut se pencher pour saisir ses paroles et, encore, il lui fallut plusieurs
secondes pour déchiffrer ce qu’il venait de dire. « Que Snape ait changé ou pas, qu’il soit du
bon côté ou pas… Qu’est-ce qui se passera quand Snape le laissera tomber ? Il a dit que
Snape continuerait à espionner, il ne va certainement pas garder Harry, maintenant. Tu sais ce
qu’Harry veut le plus au monde, non ? »

« Une famille. » répondit-elle, du bout des lèvres.


« Une famille. » confirma Ron, en attrapant le morceau de pain qu’elle avait abandonné pour
le déchiqueter en petit morceaux. « Et il croit qu’il l’a trouvée, sauf que ça ne fonctionne
jamais. Ça n’a pas fonctionné avec Sirius, ça n’a pas fonctionné avec… Maman l’adopterait
si elle pouvait, mais avec ce qui est arrivé… Bref, ça n’a pas fonctionné. Et ça ne
fonctionnera pas plus avec Snape. »

« Peut-être que si. » protesta-t-elle. « Peut-être que cette fois, il a enfin trouvé quelqu’un qui
s’occupera de lui. Snape n’est pas le genre à lâcher prise. Il mérite d’avoir une famille. »

Ron continua de torturer le morceau de pain, n’ayant visiblement pas terminé sa pensée mais
se refusant à la formuler jusqu’au bout.

« Vas-y. » l’encouragea-t-elle, un peu à regret. « Dis. »

« Harry est fragile. » lâcha-t-il.

Ça semblait si ridicule, dit comme ça. Incroyable presque. Hermione était persuadée que si
Ron avait dit ça à n’importe qui dans la Grande Salle, la personne aurait éclaté de rire. Harry
avait l’air de tout sauf d’être fragile. Il avait l’air d’un héro. Il avait l’air de l’Élu dont parlait
cette prophétie…

« Ces moldus… Je ne sais pas ce qu’ils lui ont fait, mais, ça, plus tout le reste… » hésita Ron.
« Parfois, j’ai l’impression qu’il suffirait d’une seule goutte de potion supplémentaire avant
que le chaudron déborde. »

« Je ne l’ai jamais vu s’investir autant avec quelqu’un. » avoua Hermione, en ôtant l’élastique
qui retenait ses cheveux en un chignon lâche, parce qu’il lui faisait mal. Elle secoua la masse
de boucles, consciente qu’elle devait avoir d’une sauvage mais ne parvenant pas à s’en
soucier outre-mesure.

« D’habitude, il s’emballe et puis il fait marche arrière. » renchérit son meilleur ami.
« Comme avec Sirius. Il voulait vivre avec lui mais, au final, il était plutôt soulagé de devoir
rester chez les Dursley. »

Ce n’était pas quelque chose dont ils discutaient. Jamais. Les Dursley était un sujet
rapidement évoqué, en début et en fin d’année, sans qu’il ne soit approfondi. Ron et
Hermione n’avaient jamais parlé des conditions de vie d’Harry. Ils savaient qu’elles étaient
moins qu’idéales mais leur ami refusait de s’ouvrir à eux sur ce point. Il était, par contre,
généralement volubile à propos de son parrain et de la chance que ce serait de pouvoir habiter
chez lui… Toutefois, Ron n’avait pas tort. Hermione avait toujours perçu un certain
soulagement, peut-être même inconscient, chez Harry lorsqu’on lui disait qu’il ne pourrait
malheureusement pas aller vivre chez les Weasley ou chez Sirius.

Hermione avait dans l’idée qu’Harry désirait quelque chose qu’il n’avait jamais connu et
qu’il ne savait pas exactement ce qu’il cherchait. C’était difficile pour elle, qui avait grandi
choyée et adorée par ses parents et grands-parents, d’imaginer qu’on ne puisse pas savoir ce
qu’était l’amour inconditionnel d’une famille aimante. Sans l’avoir expérimenté, ça ne
pouvait être guère plus qu’une idée. Peut-être qu’Harry avait peur d’être déçu par la réalité de
la chose… Peut-être qu’il avait peur de l’obtenir pour le perdre juste après… Il y avait un
millier d’hypothèses possible relatives à l’approche d’Harry sur le sujet, demeurait que Ron
n’avait pas tort : Harry, pour tous ses discours, était un peu soulagé de retourner chez les
Dursley. C’était, après tout, tout ce qu’il avait toujours connu et ça avait beau être horrible, il
savait à quoi s’attendre.

Dans les histoires et anecdotes qu’il leur racontait depuis la veille, elle n’avait perçu aucune
de ces réticences vis-à-vis de Snape. C’était presque comme s’il avait déjà adopté le sorcier,
comme si l’affaire était entendue. Et pourtant… Pourtant, Ron marquait un point. Si Snape
avait effectivement repris son rôle d’espion, ne serait-il pas dangereux pour lui d’être trop
proche de Harry ? Elle n’osait pas imaginer l’état dans lequel se mettrait Harry s’il lui arrivait
quelque chose… Et, cela pris en compte… Était-il si idiot de penser que Snape allait prendre
du recul ?

Elle ne savait pas exactement quel genre de promesses l’homme avait faite à Harry, mais si
jamais il ne les tenait pas et abandonnait son meilleur ami…

« Je suis inquiet, c’est tout. » conclut Ron.

Et avec raison, songea-t-elle, sans toutefois se décider à l’admettre à haute voix.

En temps normal, elle aurait forcé Harry à s’asseoir dans un fauteuil et l’aurait forcé à écouter
leurs avertissements. Excepté que les temps n’étaient pas normaux et qu’Harry semblait déjà
suffisamment peiner comme ça à se réhabituer à leur époque.

« On ne devrait rien faire pour le moment. » décréta-t-elle. « On devrait attendre de voir


comment les choses se passent. Il vient de revenir, je n’ai aucune envie de provoquer une
dispute. »

Pourquoi ne pourraient-ils pas profiter, ne serait-ce que quelques jours, du plaisir des
retrouvailles ? Était-ce trop demander ? Quelques jours avec ses meilleurs amis, sans drames,
dangers ou tragédies quelconque ?

Ron n’avait pas l’air bien convaincu mais accepta sa proposition d’un haussement d’épaules.

« À ton avis, il est passé où ? » s’enquit-il, en jetant un nouveau regard inquiet vers les portes
de la Grande Salle.

« Je ne sais pas. » soupira-t-elle. « Toutes ces questions, tout à l’heure, ça l’a contrarié… J’ai
dit aux autres de s’abstenir. »

Ron approuva sa démarche d’un hochement de tête songeur, puis observa avec regret la table
des Serdaigle où régnait une joyeuse cohue. Ginny et Zabini étaient apparemment en plein
débat sur une équipe de Quidditch, elle l’entendait de là où elle était, soutenus de parts et
d’autres par divers élèves.

« Il ne va pas venir… » hasarda Ron. « On pourrait peut-être… »

Hermione hésita. Si Harry finissait par arriver… Il était tard, cependant, la plupart des gens
en étaient au dessert et, comme toujours à cette heure là depuis le début de la Trêve,
vadrouillaient d’une table à l’autre, en quête d’une plaisanterie ou d’un ami à qui raconter sa
journée. Si Harry avait dû venir les rejoindre, il aurait déjà été là.

« D’accord. » acquiesça-t-elle.

Il n’en fallut pas plus pour que Ron bondisse gaiment de son siège pour se précipiter vers
Lavande afin de lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Avant qu’Hermione ait seulement eu
le temps de ramasser son sac, son meilleur ami et sa camarade avaient quitté la Grande Salle,
main dans la main. Secouant la tête avec un sourire affectueux, elle se dirigea vers la table
des Serdaigles et se glissa entre Draco et Blaise. Ce dernier s’écarta tout naturellement pour
lui laisser de la place, sans s’arrêter de discourir, sa fourchette fendant l’air pour ponctuer
chacun de ses arguments. Ginny lui laissait à peine le temps de parler, haussant la voix pour
se faire entendre, et tous les autres y allaient de leurs commentaires. Tactiques, joueurs,
statistiques, tout y passait. Daphné ne cessait de répéter que Blaise était un crétin et qu’elle ne
savait pas ce qu’elle lui trouvait, parce que, vraiment, en matière de Quidditch, il était
dépassé…

Personne ne fit attention à elle. Excepté Draco qui l’observa, sourcils froncés.

« Où est passé Saint Potter ? » demanda-t-il, suffisamment bas pour ne pas attirer l’attention.

« Ne l’appelle pas comme ça. » s’agaça-t-elle.

C’était très étrange. Elle avait passé une bonne journée… Harry était miraculeusement de
retour et rien n’aurait pu la rendre plus heureuse, l’incident en cours de potions, quoi qu’un
peu embarrassant, avait fait naître des papillons dans son ventre qui ne s’étaient pas encore
tout à fait dissipés… Autour d’elle, ses amis riaient, plaisantaient, s’amusaient… La journée
avait été excellente.

Mais elle avait soudain très envie de pleurer.

« Hermione ? » s’inquiéta Draco, sérieux tout à coup.

C’était toujours sérieux lorsqu’il utilisait son prénom.

« Ce n’est rien. » répondit-elle. « Je ne sais pas. Tout ça, c’est juste… »

Ça aurait dû être parfait et ça ne l’était pas.

« Je ne l’appellerai plus Saint Potter, si ça te met dans un tel état. » bougonna-t-il, à


contrecœur.

La fourchette de Blaise fendit l’air avec un peu trop de passion à son goût et elle se décala de
quelques centimètres supplémentaires vers le Sang-Pur. Et puis, parce qu’elle était triste, elle
attrapa la main de Draco et l’obligea à passer un bras autour d’elle. Il accéda à sa requête sans
se faire prier et elle se retrouva le dos collé au torse du garçon, ses bras autour de son ventre
dans une étreinte lâche mais solide, tournée pile dans l’angle idéal pour suivre le débat idiot
qui opposaient leurs amis. Il cala son menton sur son épaule, de sorte qu’elle sentait chacune
de ses inspirations rouler contre sa mâchoire. Par réflexe, elle posa les mains sur ses avant-
bras. Il y avait quelque chose d’extrêmement rassurant à sentir ses muscles fermes jouer sous
ses doigts.

« Dans deux minutes, la fourchette de Blaise va atterrir dans le pudding de Daphné et nous
assisterons au meurtre le plus sanglant de l’histoire de la communauté magique. » commenta-
t-il, à son oreille, amusé. « Ceci, bien sûr, si Astoria n’étrangle pas Ginny pour avoir insulté
son cher poursuiveur. Les Greengrass ont plusieurs assassins célèbres dans leur famille… »

La plaisanterie lui arracha un petit rire. Il était vrai qu’Astoria avait l’air prête à étriper la
lionne, tant elle se plaisait à déprécier un des joueurs que la brune ne cessait de défendre.

Hermione ne comprenait rien à ce dont ils parlaient mais les commentaires sarcastiques de
Draco étaient, de toute manière, bien plus intéressants que les arguments et contrarguments
qui volaient dans tous les sens. Petit à petit, elle se détendit et se sentit un peu mieux. Mais
cette tristesse bizarre ne la quitta pas.

Le débat ne montrait aucun signe de s’arrêter lorsqu’elle tourna légèrement la tête vers le
Serpentard, appuyant son front contre son cou. À un moment donné, bien qu’elle n’aurait pu
dire à quel instant précisément, leurs mains s’étaient trouvées et Draco jouait distraitement
avec ses doigts. Il baissa un peu la tête et Hermione savait qu’il voulait l’embrasser, qu’il
allait l’embrasser. Seulement… Elle prit une grande inspiration, avant qu’il ait pu faire quoi
que ce soit, et rassembla son courage à deux mains.

« Si tu ne peux pas t’empêcher d’attaquer Harry, ça ne marchera pas. » lâcha-t-elle, à regret.

Il resserra légèrement son étreinte, mais n’offrit pas de réponse verbale. Il ne la laissa pas
partir, sans tenter non plus de l’embrasser.

Ce n’était ni un refus, ni une promesse.

C’était un entre-deux.

Il semblait qu’ils étaient condamnés à errer dans ces drôles d’entre-deux, éternellement
limités par les exigences d’un statut quo ou un autre.

°°O°°O°°O°°O°°

Harry coinça la carte des Maraudeurs dans son jean et rabattit son pull par-dessus, puis frappa
à la porte du laboratoire privé du Maître des Potions. Il rentra sans attendre de réponse,
sachant d’avance, grâce à la carte, que l’homme était seul.

« Vous avez oublié ma retenue. » lança-t-il, en guise de salut.

Il referma la porte derrière lui et examina les lieux. Rien de bien impressionnant. La pièce
était à mi-chemin entre le laboratoire de fortune que Snape-Prince avait installé dans leurs
appartements et la salle de potions. Grands murs de pierres nus suintant d’humidité, quelques
torches, d’innombrables étagères contenants bocaux, fioles et autres curiosité, des tables
recouvertes d’instruments en tout genre, et un espace de travail suffisamment large pour
installer au moins quatre ou cinq gros chaudrons. À l’instant, le Professeur se tenait derrière
le seul d’entre eux qui bouillonnait. Ses cheveux en désordre à cause de la fumée qui
tourbillonnait dans l’air, et il le regardait sourcils froncés.

« La politesse exige que l’on attende que l’on vous invite à entrer avant de pousser une
porte. » le gronda l’espion. « Et je n’ai rien oublié. Je t’ai envoyé un hibou pour te prévenir
que je souhaitais la reporter à demain soir. Hibou qui t’aurait probablement trouvé si tu avais
été dans la Grande Salle pour le repas, comme tu aurais dû l’être. »

Harry grimaça mais refusa de se sentir coupable. Il déposa son sac à l’entrée et alla se percher
sur une table, dans le fond, l’unique surface libre de la pièce.

« Il y a des tabourets. » grinça le Professeur. « Je ne comprendrais jamais cette obsession que


tu as à t’asseoir sur les meubles. »

Devinant que ce n’était pas son choix de siège qui l’avait contrarié mais plutôt le fait qu’il ait
sauté un repas, Harry resta là où il était.

« Je suis allé aux cuisines. » se défendit-il. « J’ai mangé là-bas. »

Snape-Prince… Snape fronça les sourcils et Harry se dépêcha de regarder ailleurs.

« Ce qui me force à te demander pourquoi diable ? » s’enquit le Maître des Potions. « Tes
amis t’ont attendu. »

« Ça m’étonnerait. » répondit-il, non sans rancœur. « Ils devaient être bien trop occupés avec
Malfoy et leurs autres nouveaux amis. »

« Ah… » lâcha Snape, en le fixant du regard au travers de l’épaisse fumée qui s’échappait du
chaudron. « J’en déduis que tu n’es pas bien réceptif à cette fameuse trêve ? »

« Ça vous plaît, à vous ? » riposta-t-il.

« Ce qui me plairait, c’est que tu ne me parles pas sur ce ton. » rétorqua sèchement le
Professeur. « Je ne suis pas responsable des fréquentations de tes deux acolytes. »

Harry rumina son agacement quelques secondes, puis décida que Snape n’avait pas tort.

« Désolé. » marmonna-t-il.

Snape l’observa quelques instants de plus, et retourna à sa concoction.

Le silence qu’Harry laissa s’installer n’était pas aussi confortable qu’il l’aurait souhaité. Les
gestes du Professeur étaient trop brusques, quoi que toujours précis, sa bouche était pincée et
un pli soucieux barrait son front. Ce n’était pas ce que le garçon avait en tête quand ils
avaient échafaudé cette histoire de fausses retenues. Il aurait voulu retrouver les soirées
tranquilles au coin du feu… Faire ses devoirs sur la table basse, pendant que Snape lisait ou
travaillait de son côté. Tout semblait simple, dans ces moments là, comme si les ténèbres du
monde extérieur n’étaient pas autorisées à franchir le seuil de leurs appartements.
Rien n’empêchait le monde extérieur d’entrer dans le laboratoire. Ils étaient en plein dans le
monde extérieur et n’avaient plus de refuge.

Un mouvement, dans un coin sombre, attira son attention et il sauta sur ses pieds, baguette en
main, avant d’avoir eu seulement le temps d’apercevoir le chat noir et blanc qui s’étirait
paresseusement. Il se rassit et rangea sa baguette, en ayant l’impression d’être ridicule. Une
impression qui perdurait depuis qu’il s’était levé ce matin là.

Il s’était senti ridicule en suivant Hermione et Ron, comme un chien perdu, toute la journée.
Il s’était senti ridicule de devoir entrer en compétition avec Malfoy pour leur attention. Il
s’était senti ridicule en errant dans le château comme une âme en peine. Il s’était senti
ridicule en s’éloignant de la salle de classe où il avait statufié Sirius, parce qu’il aurait dû
s’expliquer comme un adulte au lieu de se servir de sortilèges d’enfants. Il s’était senti
ridicule, assis sur les marches du grand escalier, en hésitant à entrer dans la Grande Salle pour
le souper. Il s’était senti ridicule d’aller quémander un sandwich aux elfes de maison, alors
que le chaos du repas du soir régnait dans la cuisine. Il s’était senti ridicule de paniquer en ne
recevant pas d’instructions pour sa prétendue retenue. Il s’était senti ridicule en traquant
Snape sur la carte des Maraudeurs, comme un idiot.

Il regarda le chat venir vers lui, en prenant tout son temps, ignorant soigneusement les yeux
inquiets que Snape posait sur lui. Le chat s’assit devant la table où il était perché et l’examina
avec une telle attention qu’Harry se demanda brièvement s’il s’agissait bien d’un animal. Il
n’était pas très beau. Bien moins que Sekhmet, dans tous les cas. Qu’était-il arrivé à
Sekhmet, dans la véritable ligne temporelle ? Lily et Snape avaient-ils continué à s’en
partager la garde en dépit de leur dispute ? Ou bien Lily était-elle devenue sa seule
propriétaire ? C’était une question qu’il ne se résolut pas à poser. Il savait combien Severus
tenait à son animal de compagnie et il ne voulait pas rappeler à Snape de mauvais souvenirs.

Ce chat-ci n’avait rien de la légendaire grâce féline. Il avait une fourrure naturellement
hérissée et une tête légèrement aplatie qui lui donnait l’air d’être de mauvaise humeur. Il était
pratiquement tout noir, ce qui expliquait probablement qu’Harry ne l’ait pas remarqué plus
tôt, excepté pour une tache blanche sur son œil gauche, le bout de sa queue et son ventre. Sa
truffe était à moitié rose et à moitié noire.

Il avait l’air d’un chat de gouttière.

« Vous avez sauté dans un canal pour le repêcher, celui là, aussi ? » plaisanta Harry, parce que
le regard fixe du félin commençait à le mettre mal à l’aise.

Snape leva les yeux au ciel.

« Il semble que j’attire les chats errants. » rétorqua le Maître des Potions, sans tout à fait se
déconcentrer de sa tâche. « Hagrid m’a promis de m’en débarrasser depuis déjà deux ans. »

Harry tint sa langue mais n’en pensa pas moins. Hagrid n’aurait jamais pu concevoir que
quelqu’un ne veuille pas d’un animal de compagnie. Le seul regret de son ami devait être
qu’un chat soit un peu trop classique et pas assez dangereux.

« Comment s’appelle-t-il ? » demanda-t-il.


Le chat semblait avoir terminé son inspection. D’un bond puissant, il sauta sur la table, à côté
de lui, et entreprit de le renifler. Harry tendit la main, paume vers le ciel.

« Je ne l’ai pas nommé, ce n’est pas mon chat. » répondit distraitement le Professeur, sans
remarquer que le chat qui n’était pas son chat était très occupé à coller sa truffe humide sur la
main du garçon. Lorsqu’il s’en aperçut finalement, Snape n’eut pas l’air d’approuver. « Sois
prudent, il est parfois sauvage. »

Harry s’efforça de ne pas lever les yeux au ciel. Il s’était retrouvé face à Voldemort deux fois
en deux ans. Que pouvait bien faire ce chat qui serait pire ? Le griffer ? Belle affaire.

L’animal, toutefois, paraissait avoir d’autres idées en tête que de l’attaquer. Il grimpa sur ses
genoux et planta les griffes de chacune de ses pattes à tour de rôle, en ronronnant. Harry
grimaça un peu mais le laissa faire, faisant courir une main hésitante sur le dos du chat.

« Il lui faut un nom. » insista-t-il.

« Tu n’es pas doué pour nommer les animaux. » répliqua Snape, repensant sans nul doute aux
longues heures qu’Harry avait passé à tenter de trouver un nom au sombral. Ce n’était pas
juste de le lui reprocher. S’il avait su que Nox était Snape, il se serait abstenu de lui chercher
un nom. « Et ce chat ne m’appartient pas. »

« Vous le laissez entrer dans votre laboratoire. » remarqua Harry, en grattant l’animal derrière
les oreilles. « Je suis prêt à parier que vous le nourrissez. Il est à vous et vous refusez de
l’admettre. »

Par-dessus son chaudron, Snape lui jeta un regard indéchiffrable sur lequel Harry préféra ne
pas s’attarder. Le Professeur attirait peut-être les chats errants mais qu’était un tigre sinon un
gros chat ?

« Qu’est-ce que vous faites ? » demanda-t-il, plutôt, jetant un coup d’œil intéressé au tas
d’ingrédients qu’il ne parvenait pas à identifier.

Il allait sans dire que l’espace de travail à la droite du Maître des Potions était
méticuleusement organisé. Couteaux en argents, fioles, bocaux, coupelles pleines d’herbes
parfumées… Tout était aligné, rangé, ordonné de telle manière que l’homme n’avait qu’à
tendre la main pour attraper ce qui l’intéressait.

C’était une méthode qu’Harry avait essayé d’émuler plusieurs fois en cours de potions sans
véritablement y parvenir. Il était trop naturellement désordonné. Un chaos innommable
finissait toujours par régner autour de lui.

« Rien de particulier. » offrit Snape. « J’expérimente. »

Ce qui, intérieurement, alarma légèrement Harry. Lorsque Severus expérimentait sans but
précis, c’était généralement parce qu’il était stressé ou angoissé.

« Sur quoi ? » insista-t-il.


Tout en découpant en fines lamelles une chose marron et gluante que le garçon choisit de ne
pas regarder de trop près, le Mangemort lui jeta un coup d’œil moqueur.

« Désires-tu vraiment un exposé sur les dérivés qu’il est possible de créer à partir d’une
potion de soin basique ? » s’enquit Snape.

« Pas vraiment. » rétorqua-t-il. « Mais maintenant que je l’ai demandé, vous allez le faire que
je le veuille ou non… »

Les lèvres du Professeur tressautèrent en un sourire rapidement supprimé. Cependant, il n’eut


aucune pitié et se lança dans le monologue promis, sous prétexte que tout était bon à savoir
dans la vie, surtout lorsque, comme Harry, on avait tendance à se mettre régulièrement dans
le pétrin.

Le Gryffondor n’écouta que d’une oreille distraite, caressant le chat d’une main et
s’entraînant à transformer son autre bras en patte griffue. L’animal parut alarmé lorsque la
fourrure tigrée remplaça la peau pour la première fois. Il eut droit à une nouvelle inspection
détaillée à base de truffe humide qui ébouriffa les épais poils roux qui recouvraient sa patte.
La sensation était étrange mais pas dérangeante. Au final, le chat, qui décidemment n’était
pas peureux, se recoucha tranquillement et le laissa s’entraîner dans son coin.

Harry n’était pas certain que Snape ait remarqué ce qu’il faisait, tant il était occupé à décrire
chacun de ses gestes et ses hypothèses d’un ton légèrement excité qui lui rappelait Severus.
Toutefois, le garçon s’efforçait de ne pas penser à Severus. Severus lui manquait.

« Vous auriez pu tout simplement dire que vous cherchiez une potion pour soigner les effets
du doloris. » remarqua-t-il, lorsque Snape fit une pause, dans son discours, pour reprendre sa
respiration.

« Les dégâts sur les nerfs uniquement. » corrigea le Professeur. « Et encore, je ne suis pas
certain de… »

Harry rendit sa forme humaine à son bras droit, sans écouter le reste. La situation était
redevenue un peu plus normale et il était content de simplement entendre la voix du
Professeur en bruit de fond. Il lui suffisait de hocher la tête par moment, d’émettre un petit
bruit intéressé à d’autres, et Snape pensait qu’il buvait ses paroles.

Son autre main était beaucoup plus dure à transformer. Il avait beau forcer, se concentrer,
tenter de trouver cette sérénité d’esprit que le livre préconisait… Sa main gauche refusait de
devenir une patte. Cela faisait des semaines qu’il essayait. Frustré, il claqua la langue et
fusilla ses doigts du regard.

« Tu n’as pas écouté un seul mot de ce que je viens de te dire. » reprocha Snape, en rajoutant
une poignée d’herbes dans sa potion.

Harry ne chercha même pas à se défendre.

« Je suis coincé, Professeur. » soupira-t-il. « Je n’arrive pas à transformer plus que ça. »
Il métamorphosa son bras d’une forme à l’autre et le ramena à son état naturel. C’était si
facile… Plus le temps passait, plus il y arrivait rapidement. Mais le reste de son corps, c’était
une toute autre histoire.

« Comment avez-vous fait pour y arriver aussi vite ? » se plaignit-il.

Snape ne se laissa pas attendrir.

« Évidemment, si je te rappelle que, pour un sorcier de quinze ans, arriver ne serait-ce qu’à
métamorphoser son bras est un exploit, cela ne fera aucune différence ? » déclara le
Professeur.

« Pettigrow y arrivait. » riposta Harry.

Et si Peter Pettigrow y était arrivé, Harry y arriverait aussi.

L’homme baissa le feu sous le chaudron et observa le Gryffondor, réfléchissant visiblement


au problème.

« Il est peut-être temps de demander l’aide d’un Animagus confirmé. » suggéra Snape. « J’y
suis parvenu en vidant mon esprit et tu t’appuies davantage sur la Métamorphose, j’ignore
comment t’aider. »

Le garçon secoua la tête avec véhémence.

« Si je vais voir McGonagall et que je lui dis que j’ai essayé de devenir un Animagus, elle va
m’arracher la tête. » protesta-t-il. Avec conviction. Sa Directrice de Maison pouvait être
terriblement effrayante lorsqu’elle décidait de l’être.

Le Professeur leva les yeux au ciel, dissimulant mal un rictus affectueux.

« Toujours aussi mélodramatique, Potter. » jugea le Maître des Potions, non sans amusement.
« Cependant… Il me semble que tu as dans tes connaissances d’autres Animagus. »

La proposition était hésitante, presque récalcitrante, et Harry se referma immédiatement.

« Je ne veux pas le voir. » lâcha-t-il.

« Tu as conscience que Black n’est pas responsable de ce que tu lui reproches ? » insista
Snape. « Tu l’idolâtrais au début de l’année scolaire. Il n’a pas changé, il s’agit du même
homme. Ton parrain. Pas l’adolescent dégénéré que tu as rencontré. »

Les paroles du Professeur résonnèrent bizarrement dans la pièce, un peu comme si elles se
réverbéraient contre les murs. Harry se demanda si l’intonation de l’homme était si plate
parce qu’il ne croyait pas un mot de ce qu’il disait ou bien parce qu’il était obligé d’occluder
comme un fou pour mettre sa haine à l’écart. Le pire était que le garçon comprenait
parfaitement la rancœur tenace de l’espion. Il la partageait.

« Black ne s’en prendrait jamais à toi, dans cette réalité, Harry. » affirma Snape. Avec
conviction, cette fois-ci.
Le Gryffondor étouffa un rire amer, hésitant à lui raconter l’entrevue avec Sirius. Son parrain
n’avait eu aucun revers de conscience avant de le plaquer contre le mur… Néanmoins, au
terme d’un débat intérieur de plusieurs secondes, il choisit de garder l’incident pour lui. Si
Snape apprenait que Sirius l’avait attaqué, il ne donnait pas cher de la peau de l’Animagus.

Un silence pesant s’installa entre eux, troublé uniquement par les ronronnements du chat.

« On devrait l’appeler Masque. » décréta Harry, au bout d’un moment. « Ça irait bien avec sa
tache. »

« Garde-le, si tu le souhaites. » offrit Snape.

« C’est votre chat. » contra-t-il. « Et j’ai déjà Hedwige. »

« J’aurais peu de temps à moi, dans les semaines à venir. » exposa le Professeur. « Je n’ai pas
le temps de m’occuper d’un chat, Harry. »

Il avait mis trop de douceur dans les dernières paroles pour qu’elles soient anodines. Ce
n’était pas de Masque qu’ils étaient en train de discuter, il le savait.

« C’est ça qui est bien avec les chats. » répliqua Harry. « Ils se débrouillent tout seul. Ils ont
juste besoin d’une couverture au coin du feu. Ou sur un canapé. »

Snape ouvrit la bouche, la referma et prit une grande inspiration, comme il le faisait toujours
lorsqu’il se préparait à lui annoncer une catastrophe.

« Harry. » commença l’homme, très sérieusement. Pourtant, il dut voir quelque chose sur le
visage du garçon qui le dissuada, parce qu’il détourna le regard et changea brusquement de
conversation. « As-tu eu des difficultés à suivre, en classe ? Le Professeur McGonagall m’a
affirmé que les programmes n’avaient pas tant changé. »

Trop heureux de s’éloigner du sujet sensible, Harry se lança dans le récit de sa journée, en lui
épargnant la visite de Sirius. Il s’épancha, cependant, à loisir sur Malfoy et Hermione et leur
comportement inapproprié en cours de potions, sachant que la passion de Snape pour le
respect des convenances et des règles de sécurité dans sa salle de classe le pousserait à être
d’accord avec lui.

°°O°°O°°O°°O°°

« Est-ce que je t’ai déjà remercié de ne pas nous avoir imposé ça, avec Remus ? » marmonna
Anthony, en rabattant la capuche de son sweater sur sa tête.

Le coton du vêtement le protégerait moins efficacement que le manteau sombre qu’il portait
par-dessus mais Tonks se surpris à lui envier, tout de même, ce maigre rempart
supplémentaire contre la pluie. Son blouson et le reste de sa personne étaient totalement
trempés par l’averse qui leur était tombée dessus à l’improviste.

« C’est parce qu’il refuse de m’adresser la parole. » grinça-t-elle. « Tu peux croire qu’il a
demandé à Sirius de me rendre mes affaires et de récupérer les siennes ? Sérieusement, quel
âge a-t-il ? »
Elle enfonça davantage les mains dans ses poches, avec mauvaise humeur. À quelques mètres
devant eux, sur le trottoir, Nyssandra et Fol’Œil se disputaient incessamment. Au moins,
songea-t-elle, ils avaient le bon goût de ne pas trop élever la voix. Tous les passants qu’ils
croisaient leur jetaient déjà des regards surpris voire méfiant. On pouvait déguiser l’ancien
Auror en Moldu autant qu’on voulait, enchanter son œil pour que personne n’y voie rien de
bizarre, Alastor Maugrey restait impressionnant. Et Nyssa… Nyssa avait la grâce féline de
tout vampire et on ne pouvait faire autrement que la remarquer. Tonks qui, elle, avait
l’habitude de voir sorciers comme Moldus se retourner sur son passage en raison de ses
coupes de cheveux et choix vestimentaires atypiques, n’attirait pas un seul coup d’œil avec
ses cheveux marron fades et son jean noir passe-partout.

Cela dit, ce n’était pas comme s’ils avaient eu affaire à beaucoup de monde dans cette petite
ville Moldue, située à quelques kilomètres de Londres, surtout de nuit… À force d’en
arpenter les rues, toutefois, Tonks avait l’impression de connaître l’endroit par cœur. Cela
faisait plus de quinze jours qu’ils recherchaient les Granger, et elle commençait à perdre
espoir de les retrouver vivants.

Une fois qu’ils leur avaient expliqué pourquoi ils étaient là, leurs voisins s’étaient montrés
accueillant et coopératifs, malheureusement, il n’y avait pas grand-chose à tirer de leurs
informations. Les Granger, parents et grands-parents, avaient disparu peu après le jour de
l’an. Rien ne manquait dans la maison et il n’y avait aucune trace de lutte. Le petit-déjeuner
était encore sur la table de la salle à manger, la vaisselle était restée dans l’évier, les lits, à
l’étage, avaient été défaits… La maison familiale semblait suspendue dans le temps, la
famille, elle, était introuvable.

Le seul détail un tant soit peu intéressant, le seul indice qui aurait pu les mettre sur la piste,
était qu’Hermione n’était pas rentrée seule chez elle pour les fêtes. Les Granger avaient eu un
invité : un garçon blond, du même âge, qui avait l’air d’un aristo.

Il n’en avait pas fallu beaucoup plus à Tonks pour tirer ses conclusions. N’avait-elle pas, elle-
même, croisé Draco et Hermione sur Piccadilly, juste avant la rentrée ?

Fol’Œil avait voulu interroger le garçon, Tonks l’avait persuadé que ça pouvait attendre
encore quelques jours. Elle ne voulait pas se tourner vers son cousin avant d’avoir exploré
toutes les autres pistes. Si Draco ne savait rien, l’alerter revenait à mettre Hermione au
courant. Si Draco avait quelque chose à voir là-dedans… Hermione aurait le cœur brisé. Elle
voulait être certaine avant de mettre un coup de pied dans la fourmilière.

Raison pour laquelle elle avait persuadé Fol’Œil d’emmener Nyssa. Naturellement, elle aurait
plutôt demandé à Remus, mais, en ce moment, Remus l’irritait au point de lui donner envie
de le frapper, et Nyssandra ferait aussi bien l’affaire. Loup-garou, vampire… La différence
était minime lorsqu’il était question de leurs sens plus développés que la moyenne. En
l’occurrence, ce qui intéressait Tonks, c’était l’odorat de la jeune femme. Elle avait ainsi pu
leur confirmer que six personnes avaient logé dans la maison dernièrement, dont deux qui n’y
vivaient pas régulièrement. Ce qui ne leur avait rien apporté de nouveau.

Anthony, qui n’était là que parce que, après la Nuit des Ténèbres, Remus avait refusé qu’un
seul membre de l’Ordre parte en mission sans un équipier désigné, avait suggéré qu’ils
explorent un peu les environs, dans l’espoir que Nyssa repérerait une odeur familière.
L’orage qui avait éclaté avait mis un terme à l’espoir ténu que Tonks avait de retrouver les
parents d’Hermione quelque part dans le coin.

Par les temps qui courraient, disparaître de la sorte, sans laisser de traces ou emporter un seul
album photo, ne présageait rien de bon.

Ils avaient continué à marcher pourtant, plus par besoin de faire quelque chose que par réel
espoir de trouver un indice. Les Granger n’étaient plus là, c’était évident. Étaient-ils partis de
leur plein gré ou avaient-ils été enlevés ? Voilà la véritable question.

Une question qu’il allait falloir poser à Malfoy, elle ne voyait pas bien comment y couper, à
présent.

Il restait par endroit de petits monticules de neige que la pluie s’empressait de chasser dans
les caniveaux. Tonks ne regardait pas suffisamment où elle allait, comme d’habitude, et mit le
pied dans l’un d’eux. Elle s’attendait à du compact mais ne trouva qu’une purée glissante et
elle bascula en arrière. En tentant de la rattraper, Anthony dérapa et ils s’effondrèrent tous les
deux sur le trottoir trempé, tombant durement sur leurs fesses.

« Et merde ! » s’exclama-t-elle, à bout de nerfs.

Nyssandra et Fol’Œil se retournèrent, cessant finalement de se disputer. Lorsqu’ils virent la


position de leurs amis, ils se regardèrent et Tonks aurait pu jurer qu’ils avaient échangé un
sourire amusé. Cet instant de complicité aurait pu être touchant si la jeune Auror n’avait pas
eu si mal au coccyx.

« Ne nous aidez pas surtout ! » grommela-t-elle.

Dissimulant mal son hilarité, Nyssandra entreprit de remettre Anthony sur pied, ce qui était
plus facile à dire qu’à faire à cause de la plaque de verglas à moitié fondue sur laquelle il était
tombé. Fol’Œil se contenta, plus sobrement, de lui tendre la main.

Sa silhouette trapue se découpait nettement dans la lumière du lampadaire et Tonks ne résista


pas à l’envie de plaisanter sur sa carrure d’ogre.

« Tu ne t’es pas fait mal, gamine ? » s’assura son mentor, avec plus de sollicitude que
nécessaire.

Fol’Œil faisait partie de ceux qui ne lui laissaient pas oublier une seule minute son handicap
– si l’on pouvait appeler handicap l’impossibilité de changer de formes, parce que, comme se
plaisaient à lui assurer les biens pensants, on vivait très bien avec une seule apparence. Il
s’inquiétait du poids qu’elle avait perdu, du souci qu’elle se faisait, de l’expression chagrinée
dont elle ne parvenait pas à se débarrasser… Si elle n’avait pas pris les devants en lui
ordonnant de ne pas approcher Remus, elle était presque certaine que le loup-garou aurait
passé un sale quart d’heure…

« Bien sûr que non. » riposta-t-elle. « Je ne suis pas en sucre. »

Nyssa et Anthony avaient pris un peu d’avance, ils leur emboîtèrent le pas, plus lentement.
« Il va falloir le dire à la petite. » annonça Fol’Œil, au bout de quelques minutes. « Ça ne sert
à rien de le lui cacher, maintenant. »

Tonks soupira mais haussa les épaules.

« Je suppose. » admit-elle. « C’est tellement injuste… Harry vient à peine de revenir et,
maintenant, on doit lui dire que sa famille est… »

« Probablement morte. » termina l’ancien Auror. « Ça ne sert à rien d’appeler un dragon un


lézard, en espérant qu’il ne crachera pas de feu. »

« Qu’est-ce que c’est que ce proverbe à la noix ? » demanda-t-elle. « Hey, Anthony, est-ce
que tu connais ce… »

Le reste de sa phrase fut coupé par le sortilège qui lui frôla la joue et heurta Fol’Œil de plein
fouet. L’homme alla s’écraser sur la grille en fer de la maison la plus proche, si fort que le
métal plia sous son poids.

Par réflexe, elle pivota vers l’origine de l’attaque, baguette pointée droit devant elle. La pluie
qui tombait à torrent ne l’empêcha pas de distinguer la silhouette massive d’un sorcier, plus
loin. Elle l’aurait reconnu entre milles, il faisait partie des gens qui peuplaient régulièrement
ses cauchemars.

« Tonks ! » cria Anthony, en courant vers elle, tandis que Nyssa fonçait vers Fol’Œil.

« Non ! » avertit-elle, en levant la main pour indiquer au jeune homme de se tenir loin d’elle.

Elle descendit du trottoir et fit quelques pas sur la chaussée, presque surprise de ne pas
éprouver de panique.

« Qu’est-ce que tu fais ? » s’énerva Anthony, en menaçant l’homme qui les avait attaqué du
bout de sa baguette.

Elle continua de s’éloigner des autres, certaine qu’ils seraient plus en sécurité loin d’elle.
Nyssa la suivait des yeux, mais resta accroupie auprès de l’ancien Auror, avec une immobilité
surnaturelle.

« Nymphadora Tonks. » la salua Fenrir Greyback, dans un sourire féroce. « Nous avons une
affaire à régler. »

Il avait ordonné la mort d’Hestia. Il avait tué son amie. Il avait transmis la malédiction à
Remus.

D’un revers de bras, elle lança le premier sortilège qui lui vint à l’esprit : une volée de dagues
apparut et fonça sur le loup-garou. Greyback ne tressaillit même pas lorsqu’une d’entre elle
se planta profondément dans son épaule, il se contenta de la retirer comme s’il s’était
simplement s’agit d’un cure-dent.

« Loup contre loup, compagne contre compagne. » lâcha son ennemi, faisant écho aux mots
que Loba avait prononcé, si longtemps auparavant. Il s’était passé tellement de choses depuis,
que la jeune femme en avait presque oublié la compagne de Greyback. C’était une erreur.

L’eau qui ruisselait sur son visage cisaillait les traits du loup-garou de sorte qu’on les aurait
dit taillés à la serpe. Lorsqu’un éclair illumina la scène, Tonks ne put s’empêcher de reculer
d’un pas, tant son apparence était effrayante.

« Tonks ! » appela Anthony. « Viens ! »

Fol’Œil commençait à reprendre conscience, mais il était groggy et ne pouvait pas


transplanner. Nyssa en était incapable. Si Anthony et elle attrapaient chacun un de leurs
amis…

« Oh, non, petite souris. Tu ne t’enfuiras pas, cette fois-ci. » riposta Greyback. « C’est ainsi
qu’elle t’appelait, non ? Petite souris. Ça fait des jours que je piste ta trace. »

« Ce n’est pas moi qui l’est tuée. » s’entendit-elle dire, bien malgré elle.

« Tonks ! » insista Anthony, mais il n’osait pas quitter le chevet de Fol’Œil et Nyssa… Nyssa
paraissait figée.

« Mais tu as son sang sur tes mains ! » rugit Greyback. Et ce coup-ci, Tonks céda à la peur et
s’écarta. Elle entendait le loup dans sa voix. Elle entendait la bête sauvage, assoiffée de sang.
« Toi, Lupin et ce chien de Black. Je vous tuerais tous. »

Ce n’était ni un serment, ni une promesse. C’était une certitude.

Anthony jeta un sort de désarmement que le loup-garou para d’un geste négligeant, puis sortit
une petite fiole de sa poche dont il avala le contenu d’un trait.

« Une compagne pour une compagne. » gronda l’homme.

Elle ne songea même pas à protester le titre ou à expliquer qu’elle n’était plus la compagne
de personne. Combien de temps durait une transformation normale ? Combien de temps
fallait-il à un homme pour devenir une bête ?

Assez, probablement, pour qu’elle ait le temps de se précipiter jusqu’à ses amis et
transplanne au Square Grimmaurd avec plus de peur que de mal. Mais lorsque les membres
de Greyback commencèrent à se tordre, lorsque les os se mirent à se briser dans d’atroces
craquements pour mieux se ressouder dans un autre agencement, elle ne put rien faire
qu’observer, fascinée d’horreur, la fourrure grise qui, peu à peu, recouvrit entièrement
l’homme. La pluie et l’obscurité rendaient son pelage presque noir. Les yeux jaunes, eux,
trouaient la nuit sans aucun problème.

Une main attrapa son bras et la tira en arrière, sans ménagement. Elle croisa le regard
terrorisé d’Anthony et se rappela, un peu tard, que ce n’était pas un combattant. Donnez-lui
un dragon et il saurait quoi en faire, mais un affrontement ? Il était toujours mal à l’aise dans
ce genre de combat, pas inefficace mais pas non plus très utile.

« Qu’est-ce qu’on fait ? » demanda-t-il, peinant visiblement à garder son calme.


« Gamine… » grogna Fol’Œil, assis par terre, en se tenant la tête.

Elle n’eut pas le temps de distribuer des instructions. La transformation était achevée.

Le hurlement à la lune, pourtant au trois quart pleine, lui glaça le sang.

« Dégagez ! » hurla-t-elle, sachant déjà ce qui allait se produire.

Le loup-garou était énorme, bien plus que ceux qu’elle avait vu jusque là – et elle en avait,
malheureusement, vu beaucoup – ses crocs étaient jaunes et abimés… Lorsqu’il se mit à
courir vers elle, elle poussa Anthony vers les autres, et se retourna, jetant un bouclier hâtif
entre elle et le loup qui avait bondit, mâchoire grande ouverte…

Le bouclier n’aurait servi à rien.

Greyback ne l’atteignit même pas.

Une chose informe, trop rapide pour son pauvre œil humain, lui passa à côté et sauta, percuta
le loup de plein fouet dans les airs. Ils retombèrent sur Tonks qui trébucha et s’écroula sur le
capot d’une voiture, roula sur la tôle, et atterrit par terre. Sa tempe heurta brutalement le sol
et elle se mordit la joue. Elle ne s’accorda pas le luxe de perdre connaissance. Luttant contre
la désorientation, elle se redressa, prenant appui sur la voiture qui lui bouchait la vue.

Greyback avait cloué Nyssandra au sol et…

Tonks dut se faire violence pour ne pas vomir.

Il y avait du sang partout. Sur son amie. Sur la chaussée. Des flaques et des flaques que l’eau
qui se déversait du ciel venait gonfler.

« Non… » gémit-elle, cherchant un sortilège, une malédiction, un…

Il y eut un éclair lumineux qui l’éblouit, l’espace d’une seconde, puis le couinement de
douleur d’un animal que l’on frappe. Lorsque l’éclat du sort s’éteignit, Tonks aperçut
Fol’Œil, debout près du corps ensanglanté et terriblement immobile de Nyssandra, sa
baguette pointée sur le loup-garou qu’il avait obligé à reculer de plusieurs mètres. La fourrure
de la créature fumait par endroit.

À trop se moquer de lui, elle oubliait parfois à quel point Fol’Œil était dangereux. C’était une
légende parmi les Aurors et, nul doute, chez les criminels.

Greyback avait-il eu conscience de qui l’accompagnait ?

Dur à dire.

Sans perdre un instant de plus, elle se jeta à genoux près de la vampire, cherchant à endiguer
l’hémorragie de ses mains. Son abdomen était déchiré, elle ne voulait pas savoir où elle
posait ses paumes parce qu’elle était pratiquement certaine que c’était sur des organes qui
auraient dû être à l’intérieur de son corps. Anthony ne tarda pas à la rejoindre, partagé entre
le besoin de menacer le loup-garou de sa baguette et tenter de sauver leur amie. Nyssandra
demeurait désespérément inconsciente.

Le loup-garou se mit à gronder, se ramassa sur lui-même et bondit à nouveau dans les airs.

Sans trahir la moindre once de nervosité, Fol’Œil leva sa baguette.


Indulge The Other

I have love in me the likes of which you can scarcely imagine and rage the likes of which
you would not believe. If I cannot satisfy the one, I will indulge the other.

Mary Shelley – Frankenstein

J’ai en moi un amour tel que vous ne pourrez jamais l’imaginer et une fureur telle que
vous ne pourrez jamais la concevoir. Si je ne peux satisfaire l’un, je cèderai à l’autre.

Mary Shelley – Frankenstein

Remus finit par littéralement arracher la bouteille des mains de Sirius.

« Mais puisque je te dis qu’il me hait… » insista l’Animagus, avec cette apathie que faisait
toujours naître l’alcool chez lui.

« Harry ne te hait pas. » gronda le loup-garou, en posant la vodka sur la console, à l’autre
bout du petit salon. « Il y a quelque chose qui nous échappe, voilà tout. »

Il l’espérait, du moins, parce qu’il n’avait pas du tout été satisfait par ce que Sirius lui avait
rapporté de leur entrevue à Poudlard. Pour ne pas dire qu’il était assez inquiet. Ce que son
meilleur ami lui avait raconté ne ressemblait pas à Harry…

« Je l’ai attaqué. » grogna Sirius, vautré sur le canapé. Il attrapa un coussin et le pressa contre
son visage, de sorte que ses paroles suivantes furent légèrement étouffées. « Je n’aurais
jamais dû faire ça mais… J’étais persuadé… Il n’avait pas l’air d’être lui-même. »

« Tu es certain qu’il n’était pas sous l’influence d’un Imperium ? » insista Remus.

Il ne voyait pas bien qui aurait pu jeter cet impardonnable à Harry dans le seul but de le
retourner contre son parrain. Severus ? Dans quel but ? Harry ne s’en était pas pris à Sirius, il
s’était contenté de se défendre d’après ce qu’en avait dit l’Animagus. Son comportement
avait peut-être été bizarre, mais… Comment savoir ce qui s’était passé durant ces derniers
mois ? Tant qu’Harry ne le leur en aurait pas parlé…

« Non. » soupira Sirius, en ôtant le coussin pour le laisser tomber par terre. Son meilleur ami
n’était pas aussi ivre qu’il aurait souhaité l’être. « Son regard était lucide. Je pensais plus à du
polynectar. Mais c’était Harry, Lunard. Je suis certain que c’était lui. »

« D’accord. » admit-il, en s’appuyant sur le dossier d’un fauteuil. « Il a dit que tu pouvais lui
écrire ? Fais-le dès maintenant. Demande-lui quel est le problème. Ou… Demande-lui s’il
accepterait de me rencontrer. »

Après tout, il n’avait pas spécifiquement dit qu’il ne voulait pas le voir, lui. Albus avait eu
l’air de penser qu’il aurait été préférable que Sirius et lui gardent leurs distances pendant
quelques jours mais, à sa connaissance, Harry n’avait rien à lui reprocher. Cela dit, il ne
savait pas, non plus, ce qu’il pouvait bien avoir contre Sirius…

« Il était tellement en colère après moi… » se désola Patmol. « Si tu avais vu la manière dont
il m’a regardé… »

« Je suis certain qu’il s’agit d’un simple malentendu. » répéta-t-il.

« Je n’en suis pas si sûr, Remus. » contra Sirius, en se levant, sans doute pour aller chercher
ses cigarettes abandonnées quelque part dans la cuisine. « Quand il a parlé de Snape… On
aurait presque dit qu’il était de son côté. »

Le loup-garou leva les yeux au ciel. « Eh bien, peut-être que c’est une partie du problème. Il
ne devrait pas y avoir de côtés à prendre. »

Sirius croisa les bras et le dévisagea, cigarettes oubliées.

« Pourquoi prendrait-il… »

La fin de sa question se perdit dans le bruit de transplannage.

« Lupin ! Black ! » aboya Fol’Œil.

Remus n’eut que le temps d’apercevoir le tas sanguinolent de chair que l’homme portait dans
les bras, avant que le loup ne s’éveille dans un hurlement qui le poussa à porter la main à sa
tempe. L’odeur de sang et d’entrailles ne rivalisait qu’avec le musc d’un autre loup-garou. Un
loup-garou qu’il aurait reconnu entre milles autres.

« Nyssa. » lâcha Sirius, avec horreur.

« Greyback. » souffla-t-il, au même moment. « Tonks ! Elle était avec toi, où… »

« À sa poursuite. » grogna l’ancien Auror, en déposant son précieux fardeau sur le canapé.
« Je lui à moitié sectionné la patte. »

Maugrey s’était agenouillé auprès de Nyssandra, sans une arrière pensée pour sa jambe de
bois, l’homme écarta les mèches brunes qui étaient tombées sur son visage dans un geste que
l’on aurait pu qualifier que de tendre. C’était tellement incongru, tellement…

Sirius se hâta de contourner l’ancien Auror pour inspecter les plaies de la jeune femme.

L’odeur du sang, celle de Greyback et celle de la vampire attaquaient son nez et


l’empêchaient de réfléchir.

« Remus, il faut un Médicomage. » ordonna Sirius, d’une voix tremblante, après avoir jeté un
coup d’œil à l’abdomen de la jeune femme. « Andromeda. »

« Andromeda est injoignable. » répondit-il, la voix tremblante, en reculant jusqu’à se tenir


contre le mur. « Et un Médicomage ne pourra rien pour elle, il nous faut un expert en
créatures magiques. »
Où était Tonks ? Partie seule aux trousses de Greyback, quelle idée… Non… Elle n’était pas
seule, Anthony devait être avec elle. Quelle différence ? Elle était en danger. Elle était… Le
loup devenait compliqué à maîtriser. Il brûlait de se lancer à sa poursuite, de…

« Tu es un expert en créatures magiques ! » l’agressa Fol’Œil. « Tu es une foutue créature


magique ! »

« Et hier encore tu voulais la voir morte ! » répliqua-t-il, en perdant son calme.

Jamais encore l’animal en lui n’avait été aussi dur à calmer. Il avait presque l’impression que
le loup le déchiquetait de l’intérieur, à coups de griffes, pour se libérer de son carcan de chair.
C’était impossible, bien entendu, la lune n’était pas pleine, mais ça ne comptait pas pour le
loup. Il voulait sortir, il voulait…

« Remus, fais quelque chose. » exigea Sirius.

Les mains de son meilleur ami étaient couvertes de sang, ce qui ne faisait rien pour apaiser le
désir du loup-garou de protéger sa meute. Il se mit à racler le mur de ses ongles, dans son
dos, sans parvenir à trouver dans la tapisserie qu’il déchirait un réceptacle à cette angoisse.
Que se passerait-il s’il ne reprenait pas le contrôle ? D’autres lycanthropes étaient devenus
fous confrontés à pareille chose. D’autres avaient dû être abattus parce qu’ils ne se
contrôlaient plus… Lorsque l’animal était plus fort que l’humain, lorsque…

« Remus ! »

Remus rouvrit les yeux et croisa le regard de Sirius. L’Animagus était pâle, couvert de sang et
terriblement inquiet. Il tentait d’endiguer l’hémorragie avec ses mains mais le sang continuait
de couler librement, imbibant le tissu sombre du canapé, les vêtements de la vampire, les…
La détresse de son meilleur ami n’avait d’égale que celle de Fol’Œil qui continuait à caresser
les cheveux de Nyssandra sans plus leur prêter attention.

« Severus. » lâcha-t-il, parce qu’il ne voyait pas qui appeler d’autre.

Pomfresh n’aurait pas su quoi faire. Ils auraient mis des heures à contacter Andromeda.
Severus devait être à Poudlard, s’y connaissait en créatures magiques et avait toujours une
potion ou deux dans ses robes.

Sirius n’hésita qu’une demi-seconde. À peine le temps de baisser le regard vers la vampire
qui continuait de se vider de son sang. Sa peau, naturellement blanche, avait perdu le peu de
couleur qu’elle possédait au point d’être presque translucide. Le contraste avec le noir de ses
cheveux était saisissant.

« Où sont-ils exactement ? » demanda-t-il à Maugrey, pendant que Sirius jetait sa tête dans la
cheminée. « Je vais… »

« Tu ne vas nulle part. » grinça Fol’Œil. « On n’a pas besoin de davantage de blessés. »

Le loup se révolta contre cet ordre mal déguisé et Remus aussi. L’odeur, l’inquiétude… C’en
était trop. Beaucoup trop.
« Si Nymphadora a besoin d’aide… » gronda-t-il.

« Nymphadora n’a pas besoin de ton aide. » répliqua Maugrey. « Elle est capable de se
défendre seule. C’est une Auror, je te rappelle. »

Aveuglé par sa fureur, il fit un pas vers Fol’Œil, les poings serrés.

« Il arrive. » déclara Sirius, d’un ton renfrogné, en se redressant, coupant court aux envies de
meurtres de Remus. « Pas très bien disposé, évidemment. »

L’Animagus ne chercha pas à enlever la suie qui collait à ses vêtements trempés de sang,
préférant se percher sur l’accoudoir près de la tête de Nyssa. La vampire était toujours
inconsciente, l’ancien Auror était toujours agenouillé auprès d’elle, et Tonks n’était toujours
pas revenue.

« Dis-moi où est Tonks. » réitéra-t-il, sans que cela soit une question.

Troublé par son ton agressif, Sirius leva brièvement les yeux mais les rebaissa tout aussi vite
sans plus lui prêter attention, visiblement terrifié pour Nyssandra. Fol’Œil, lui, ne daigna
même pas lui adresser un regard.

« Dis-le moi. » ordonna-t-il, d’une voix où le loup se disputait à l’humain.

Son ordre se perdit dans le jet de flammes vertes qui éclaira la cheminée. Severus en émergea
comme s’il n’avait jamais disparu. Le Maître des Potions était identique au souvenir qu’il en
gardait : robes, cheveux gras, expression renfrognée, tout y était.

Le Professeur jeta un regard à la ronde et fondit immédiatement sur le canapé, écartant


Fol’Œil sans ménagement. Chose curieuse, il resta interdit en apercevant la vampire puis
sembla se reprendre et entreprit d’examiner leur amie.

« Tu peux la sauver ? » demanda Sirius. À la tension dans sa voix, Remus devina qu’il
essayait de contenir son hostilité, probablement pour ne pas porter préjudice à Nyssa.

Le loup-garou n’attendit pas à la réponse de Severus pour se rapprocher de Fol’Œil qui se


relevait péniblement à l’aide de la table basse.

« Où est Tonks ? » rugit-il, sans plus se soucier des apparences.

Le loup labourait son âme de ses griffes, c’était comme une démangeaison à l’intérieur de
son corps que rien ne pourrait apaiser. Il lui fallait retrouver Tonks. Il lui fallait retrouver
Tonks et s’assurer qu’elle soit en sécurité et…

« Reste où tu es, Lupin. » siffla soudain Severus, baguette pointée sur lui.

« Snape. » grinça Sirius, cherchant, dans ses poches, la baguette qui était restée posée sur la
table de la cuisine. « Si tu… »

« Ce n’est vraiment pas le moment, Severus. » coupa Remus, en se tournant vers la menace.
Il n’hésiterait pas à détruire tout ce qui se dresserait sur sa route. Il n’hésiterait pas à…
« Pour une fois dans ta vie, Black, tais-toi et réfléchis. » rétorqua Snape. « Regarde ses
yeux. »

Sirius ouvrit la bouche mais la referma bien vite lorsqu’il eut tourné la tête vers lui. Son
meilleur ami se leva de l’accoudoir sur lequel il était assis et s’approcha lentement de lui,
mains levées.

« Baisse ta baguette. » exigea-t-il.

Remus attendit que Severus s’exécute, un grondement bloqué dans le fond de la gorge.
Fol’Œil avait également tiré la sienne.

Mais ce n’était pas sur le Maître des Potions qu’elle était pointée. C’était sur lui.

« Black. » avertit Severus. Du moins ça sonnait comme un avertissement.

« Remus, ta baguette. » répéta Sirius.

Sa baguette ? Il baissa les yeux vers sa main, surpris d’y trouver sa baguette. Il n’avait pas
besoin de baguette. Il avait des griffes et des crocs et des…

La baguette cliqueta en heurtant le sol.

« Sirius… » lâcha-t-il. « Sirius, je… je perds le contrôle. »

Il ne parvenait pas à détourner les yeux de ses doigts tremblants, à moitié persuadé que ce
n’était pas naturel. Il n’aurait pas dû avoir de doigts. Ce n’était pas sa nature, ce n’était pas sa
forme…

« Tout va bien, Lunard. » promit doucement Sirius.

La puanteur du sang lui emplissait la truffe. Le nez. Il n’avait pas de truffe. Il n’était pas un
loup. Il n’était pas un monstre.

Sur le canapé, la vampire laissa échapper un gémissement.

Il tourna brusquement la tête vers elle. Il aurait retroussé ses babines s’il avait eu des babines
à retrousser. Elle était l’ennemie. Elle…

Il y eut un double bruit de transplannage et tout se passa en même temps. Il identifia Tonks
avant même qu’elle ait totalement fini de transplanner. Son odeur, si caractéristique, fut
comme un baume sur ses blessures. Il se jeta sur elle et…

Fut brutalement projeté contre le mur.

Snape s’était interposé, baguette levée, entre la jeune femme et lui. Fol’Œil avait
naturellement protégé Anthony qui avait transplanné juste à côté de lui. Sirius, lui, s’était jeté
sur Nyssandra.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda Tonks, d’un ton inquiet.


« Rupture, sang, vampire et attaque de loup-garou ne font pas bon ménage. » voulut
plaisanter Sirius, mais ça tomba à plat.

« Nymphadora… » supplia Remus, sans bien savoir ce qu’il faisait.

L’Auror fit instinctivement un pas vers lui, mais Snape l’arrêta d’un geste. Elle se dégagea
avec irritation et vint s’agenouiller près de lui.

« Qu’est-ce qui se passe ? » insista-t-elle.

Il y avait une plaie sur son front et du sang séché sur sa tempe mais, cela mis à part, elle
semblait en un seul morceau. Le loup se calma immédiatement.

« Snape ! » appela Sirius, paniqué. « Elle… Elle ne respire plus. »

Severus cessa d’observer Remus avec méfiance pour retourner vers sa patiente.

« Évidemment qu’elle ne respire plus, espèce de crétin. » soupira le Maître des Potions.
« C’est une vampire. Elle est morte. »

Ce devait être davantage rhétorique qu’une réflexion sur son état de santé parce que Remus
voyait les paupières de Nyssandra s’ouvrir et se fermer avec difficulté.

« Remus ? » insista Tonks alors qu’Anthony expliquait à la cantonade, sans que personne ne
s’y intéresse véritablement, que Greyback leur avait échappé.

Remus ferma les yeux et tenta de reprendre le contrôle de sa respiration. Elle avait posé une
main sur son épaule, le loup s’était calmé. L’odeur de sang et celle de son ennemi étaient
encore trop présentes pour qu’il soit tout à fait à l’aise, mais le loup était calmé. Tonks était
vivante. Elle était là. Tout allait bien.

« Je regrette, je sais comment tuer un vampire, je n’ai jamais pensé à apprendre comment en
sauver un. » cingla Snape, en réponse à une question de Fol’Œil. Le Professeur scandait une
formule que Remus identifia vaguement comme un sortilège destiné à refermer les plaies.

« Qu’est-ce qui t’a pris ? » demanda le loup-garou, dès qu’il fut certain de pouvoir articuler
autre chose qu’un grondement informe. « Qu’est-ce qui t’est passé par la tête, Nymphadora

« Recule, gamine. » ordonna Maugrey « Il est dangereux. »

Tonks leva les yeux au ciel avant de sécher ses vêtements trempés d’un coup de baguette.

« Remus ne fera de mal à personne. » affirma-t-elle.

Snape fut le seul à émettre un bruit faussement amusé, mais les expressions des autres
semblaient toutes aussi peu convaincues que celle du Professeur.

« Toujours moins que Greyback. » grinça Remus, en fusillant l’ancien Auror des yeux. « Et
ça ne t’a pas empêché de la laisser se lancer à sa poursuite. Tu sais ce qu’il aurait pu lui
faire ? »

« Tonks est une Auror, Lupin. » asséna Fol’Œil, de son ton bourru. « C’est même une sacré
bonne Auror. Elle n’a pas besoin de toi pour mener ses batailles à sa place. »

« Il aurait pu la tuer. » gronda-t-il.

À nouveau, le loup s’agitait.

« Tonks est juste devant vous. » lâcha la jeune femme, en se relevant. Il ne put retenir un léger
grognement lorsqu’elle ôta sa main de son épaule. « Ne parlez pas de moi comme si je n’étais
là. »

« Ne parlez plus du tout si vous voulez que je sauve votre amie. » s’énerva Severus, entre
deux formules.

« Tu es inconsciente ! » accusa-t-il la jeune femme, en s’aidant du mur pour se relever. « Tu


es… »

« Je t’interdis de me parler comme ça ! » riposta-t-elle, en pivotant vers lui. « Je te


l’interdis. »

« Tu me l’interdis ? » rétorqua-t-il, d’un ton moqueur. « Tu n’es qu’une gamine qui croit
pouvoir maîtriser le loup-garou le plus puissant de notre génération et tu veux m’interdire de
te le dire en face ? Tu es inconsciente, arrogante et maladroite ! Laisse Greyback et Bellatrix
à ceux qui peuvent les battre ! »

Ses paroles furent suivies par un silence pesant que les marmonnements de Snape ne
parvinrent pas à troubler. Le regard de Sirius passa de son meilleur ami à sa cousine pour
finalement revenir se poser sur Nyssandra. Il ne bougea pas du chevet de la vampire. Fol’Œil,
lui, paraissait partagé entre l’envie de le frapper et celui de laisser Tonks le faire. Anthony
s’était assis dans un fauteuil et avait posé une main sur les yeux, comme s’il ne voulait pas
voir ce qui allait suivre.

Tonks était restée figée, visiblement choquée et blessée par son discours. Il ne parvint pas
tout à fait à s’en vouloir. Elle ne se rendait pas compte. Elle ne savait pas de quoi Greyback
ou Bellatrix était capable. Et s’il n’y avait que lui pour lui ouvrir les yeux, eh bien…

« Je suis peut-être une gamine. » siffla finalement la jeune femme, en le toisant. « Je suis
peut-être inconsciente, arrogante et maladroite. Mais, toi… Toi, tu es vraiment un connard.
Pire, tu es un lâche et tu es immature. Ça fait des semaines que tu ne m’as pas adressé la
parole. Tu envoie Sirius faire tes commissions comme si nous étions en première année… »

« Notre histoire n’a rien à voir… » s’agaça-t-il.

« Ne m’interromps pas. » cingla-t-elle. « Ne me dis plus jamais ce que je peux ou ne peux


pas faire, Remus, parce que, contrairement à toi, je ne me mets pas de limites. Je ne vis pas
dans un carré bien dessiné duquel je ne sors jamais si je peux l’éviter. Je fais ce que je veux,
comme je veux et quand je veux. Je suis une Auror. Si je prends la décision de poursuivre un
loup-garou blessé, dans un quartier Moldu, c’est une décision mûrement réfléchie, prise en
toute connaissance de cause. Tu sais ce qui me permet de prendre cette décision ? Ma
formation. »

Remus ouvrit la bouche pour la contredire, pour réitérer que son expérience personnelle avec
Greyback comptait bien davantage que les quelques scénarios qu’on lui avait proposé lors de
sa formation mais elle fit siffler sa baguette dans l’air et il se retrouva muet, prisonnier d’un
silencio.

Anthony cachait à présent un sourire derrière sa main. Fol’Œil, Snape et Sirius ne leur
prêtaient pratiquement pas attention.

« Je pensais que tu avais finalement compris, ces derniers mois. » reprit-elle. « Je suis adulte.
Je ne suis pas une enfant. Je n’ai pas besoin de toi pour décider de ce que je suis, ou pas,
capable de faire. Ou, d’ailleurs, de ce que je veux ou ne veux pas. Tu as décidé que je ne
voulais pas de toi sans même me demander mon avis ou me laisser une possibilité de
m’expliquer, soit. Mais lorsqu’il est question de mon travail ou de l’Ordre, garde tes opinions
pour toi. »

Elle tourna les talons et quitta le salon, la tête haute.

Il la regarda partir, toujours incapable de prononcer un mot. Il se rendit compte, un peu tard,
que Snape avait cessé ses incantations. Le Maître des Potions, toutefois, était plus occupé à
ausculter la vampire qu’à écouter la scène de ménage. Sirius avait posé une main sur l’épaule
de Nyssandra, celle de Fol’Œil touchait sa cheville avec hésitation.

« On ne peut pas dire que tu l’ais volé. » remarqua Anthony.

S’il avait pu répondre, il lui aurait enjoint de se mêler de ses affaires.

« Il lui faut du sang. » décréta Severus, coupant court à l’échange.

Nyssandra commençait à s’agiter. Ses yeux étaient ouverts, ses doigts raclaient le canapé
dans des spasmes incontrôlés et sa bouche était ouverte, découvrant des crocs qui firent
frémir Remus. L’envie de tirer Sirius loin d’elle… Protéger la meute. Le loup recommença à
s’agiter…

« Je vais le faire. » offrit Sirius, en arrachant pratiquement sa manche pour porter le poignet
aux lèvres de la vampire.

Severus écarta son bras d’un geste brusque, avant même que Remus ait pu émettre une
protestation.

« Hors de question. » siffla le Maître des Potions. « Où vit-elle ? Il doit bien y avoir des
réserves quelque part… »

« Dans la cuisine. » intervint Anthony, en se levant. « Je vais en chercher. »

Le jeune homme se dépêcha de quitter la pièce.


« Je peux le faire. » insista Sirius, s’attirant le regard noir de Maugrey et de Snape.

« Sais-tu ce qui arrivent aux personnes qui invitent un vampire à boire à leurs veines ? » siffla
Severus.

Remus savait, lui : addiction, obsession, dépression, mort… Tout un tas de choses peu
plaisantes. Il y avait de bonnes raisons pour lesquelles ce genre de pratiques étaient interdites.

« Quelle importance, si ça peut la sauver ? » riposta l’Animagus.

Remus vit bien que la manière possessive dont il serra l’épaule de Nyssa n’échappa pas à
l’ancien Auror mais fut incapable d’avertir son ami. Alastor, s’il fallait en croire son
expression, commençait petit à petit à comprendre.

« Quelle importance ? » répéta Severus, d’un ton qui trahissait une profonde animosité. «
Dis-moi, Black, que comptes-tu faire d’Harry pendant que tu joues les calices humains ? Et,
quand tu seras mort, lequel de tes deux monstres en héritera ? La vampire ou le loup ? »

Remus conclut silencieusement que Severus n’avait pas volé le crochet du droit de Sirius.

°°O°°O°°O°°O°°

« Je crois que tu m’as cassé le nez. » grogna Sirius.

Il pressa la poche de glace sur sa figure sans que cela ne soulage véritablement la douleur.

« Si tu n’en es pas certain alors j’aurais dû frapper plus fort. » rétorqua Snape.

Sirius ôta la poche suffisamment longtemps pour lui jeter un regard noir de là où il était affalé
sur une des chaises de la cuisine. Snape, bien sûr, avait refusé de s’asseoir et se tenait debout,
légèrement appuyé contre le comptoir, une poche de glace similaire à la sienne pressée contre
sa pommette. Sa lèvre était fendue, ce qui tira un sourire à l’Animagus. Parler faisait un mal
de chien lorsqu’on avait une lèvre fendue et il n’y avait rien que Snape appréciait autant que
de se livrer à des discours grinçants.

« Ne recommencez pas. » cingla Tonks.

Perchée sur la table de la cuisine, les jambes battant distraitement le vide, la jeune femme les
dévisageait tour à tour, baguette posée sur les genoux, avec un air sérieux qui ne lui allait pas
du tout. Il fallait dire qu’elle avait été celle à interrompre leur petite bagarre, plus tôt, et que
ça ne l’avait amusée le moins du monde. Remus n’avait pas levé un petit doigt pour les
séparer, ce qui valait probablement mieux étant donné les problèmes qu’il avait à se maîtriser
ce soir là. Sirius ne l’avait jamais vu dans cet état. Ses yeux… Ses yeux avaient été comme
fous. Il aurait pu jurer que c’était le loup qui les regardait et pas Remus.

Déconcertant, perturbant, et préoccupant, tout à la fois.

Le loup-garou, sur sa suggestion, était parti s’allonger après que Tonks ait mis un terme à la
bagarre. De plus, il doutait que Remus ait eu très envie de rester dans la même pièce que la
jeune femme… Il n’avait pas véritablement prêté attention à leur dispute, trop inquiet pour
Nyssandra, mais ça n’avait pas eu l’air très joli.

Nyssa… Il résista à l’envie de retourner dans le salon pour s’assurer qu’elle était toujours
vivante. Ou morte. Ou quel que soit le terme politiquement correct.

Fol’Œil avait décrété qu’il veillerait sur elle, sans vraiment leur laisser le choix de protester.
Anthony, après avoir apporté le sang demandé, était resté un peu, puis avait filé retrouver
Charlie. Sirius n’était pas certain d’être à l’aise à l’idée que l’ancien Auror soit seul avec la
vampire alors qu’elle était si vulnérable physiquement…

Cependant, Tonks ne leur avait pas demandé leur avis avant de les traîner dans la cuisine et
de leur ordonner de presser de la glace contre leurs blessures. Snape avait osé refuser la
poche de glace et s’était retrouvée avec une torchon rempli de glaçons magiquement collé sur
le visage. Sirius avait accepté la sienne sans un mot de protestation.

« Où sont passées vos coiffures et tenues extravagantes, Miss Tonks ? » s’enquit Snape, avec
curiosité.

C’était étrange d’entendre quelqu’un s’adresser à sa cousine en l’appelant ‘miss’ comme si


elle n’était encore qu’une écolière en jupe plissée.

« Sur ta personne. » marmonna-t-il, récoltant, pour sa peine, deux regards aussi peu aimables
l’un que l’autre.

« Pourquoi ? » répliqua Tonks, avec mauvaise humeur. « Vous aussi vous voulez me traiter de
gamine incompétente, Professeur ? »

Sirius se cala plus confortablement sur sa chaise, décidé à profiter du spectacle. Si Snape
s’avisait de faire ne serait-ce qu’une réflexion, Tonks allait lui arracher la tête. Et ce serait
jouissif.

« Je n’ai jamais pensé que vous étiez incompétente. » se défendit l’homme. « Ridicule,
certainement, toutefois la garde-robe du Professeur Dumbledore est la preuve que le ridicule
peut toucher même les grands hommes. Maladroite, parfois, je me souviens vous l’avoir
assez reproché. Mais jamais incompétente, non. »

Un sourire amusé jouait sur les lèvres de l’Auror.

À l’abri derrière sa poche de glace, Sirius leva les yeux au ciel.

Flatteries, flatteries et un peu plus de flatteries. Les Serpentards et leur langue de bois… Et
Tonks ne courrait pas, elle volait.

« Vous ne m’accusez pas d’incompétence mais vous ne niez pas penser que je suis une
gamine. » riposta-t-elle. Remus aurait mieux fait de réfléchir à deux fois à ce qu’il balançait
au visage de la jeune femme, songea Sirius. En l’occurrence, l’Animagus soupçonnait que le
loup-garou avait appuyé exactement là où il fallait pour blesser Tonks.
Il y avait une drôle de note respectueuse dans la voix de cousine. Non, pas respectueuse…
Déférente. La même touche de respect craintif qu’il utilisait toujours lorsqu’il s’adressait à
McGonagall ou à Flitwick, ou même à Madame Pomfresh. Remus et Snape faisaient de
même, sans s’en rendre compte. Le temps avait eu beau passer et gommer la différence
sociale, il restait toujours cette hiérarchie tacite, mise en place à l’adolescence. Ils restaient
les Professeurs et, eux, les anciens élèves. Mais entendre cette nuance dans la bouche de
Tonks alors qu’elle s’adressait à Snape, c’était…

« Je vous ai eue dans ma classe pendant sept ans. » rappela Snape, en déposant sa poche de
glace dans l’évier. Sa pommette était violacée, lorsque Dumbledore verrait ça… « Sept ans de
chaudrons renversés, par ailleurs, le sol de mes cachots garde toujours les marques de votre
passage. Il est parfois difficile pour un Professeur de se rendre compte qu’un élève a grandi,
Miss. »

Où était l’animosité dans la voix de Snape ? Où étaient les grommellements, les insultes, la
mauvaise humeur ?

On aurait presque dit que Snape appréciait Tonks. Ce qui était idiot parce que Servilus
n’appréciait personne d’autre que son reflet sur un de ses chaudrons. Il n’appréciait
certainement pas ses élèves. C’était très bizarre de se dire que sa cousine l’avait eu comme
Professeur. Ils n’avaient pas tant d’écart, en âge… Sirius n’aurait jamais pu intégrer le corps
enseignant de Poudlard quelques années seulement après avoir quitté l’école. Enseigner à des
élèves à peine plus jeune que lui… N’être entouré que de collègues ayant le double voire le
triple de son âge… Se retrouver claquemuré entre les mêmes murs de la même salle de
classe, jour après jour, semaine après semaine, et mois après mois jusqu’à ce que les mois se
transforment en années que l’on ne comptait plus… Il n’aurait jamais pu. Ça serait devenu
une prison davantage qu’une opportunité.

Quoi que, à choisir, il aurait largement préféré Poudlard à Azkaban.

De eux deux, Snape avait eu le meilleur lot.

Sans parler du fait que Snape, lui, était coupable.

« Bien grandi. » commenta Tonks, sans paraître se rendre compte que Sirius philosophait
silencieusement derrière sa poche de glace. « Je suis une femme, à présent, plus une ado. »

D’un autre côté, Sirius commençait à soupçonner que personne ne lui prêtait attention. Snape
lui jetait quelques coups d’œil mais davantage pour s’assurer d’être prêt à lui jeter un
mauvais sort s’il s’avisait de faire un mouvement brusque que par réel intérêt. Cela faisait
plus de dix minutes que le Serpentard ne lui avait pas envoyé de pique au visage. Était-il
devenu invisible ?

« Indéniablement. » lâcha le Mangemort, en étirant le mot avec cette lenteur insupportable


qui caractérisait sa manière de s’exprimer.

Sirius avait-il rêvé ou bien la bouche de l’homme avait-elle tressauté dans ce qui aurait pu
passer, pour la parodie d’être humain qu’était Snape, pour un sourire? Fronçant les sourcils, il
posa la poche de glace sur la table, prenant soin de bien faire s’entrechoquer les glaçons à
moitié fondus. Il aurait aussi bien pu faire apparaître des castagnettes et se lancer dans un
flamenco, vu l’effet que ça eut.

« Vous pourriez peut-être arrêter de m’appeler Miss, dans ce cas, non ? » insista la jeune
femme.

Sirius se racla la gorge.

« Peut-être. » répondit Snape, d’un ton que l’Animagus aurait qualifié d’espiègle si ça avait
été n’importe qui d’autre.

Il toussota.

« Pour l’amour de Merlin, Black, prends une pastille pour la gorge. » cingla l’homme, en se
tournant finalement vers lui avec un rictus mauvais. « Ou mieux, cesse-donc de fumer avant
de ne plus avoir de poumons à cracher. »

La grimace moqueuse de Sirius se transforma en véritable grimace de douleur lorsque son


nez, qu’il espérait toujours plus enflé que cassé, se rappela à son mauvais souvenir.

« Tu te soucies de ma santé, maintenant ? » grinça-t-il quand même. Plutôt mourir que de


perdre la face devant Snape.

« Je me soucie de ce qu’il adviendra de Potter s’il t’arrive quelque chose. » rétorqua le


Mangemort. « Il faut bien que quelqu’un le fasse puisque, apparemment, tu es trop idiot pour
t’en inquiéter toi-même. »

Sa pulsion initiale fut de se lever, de tirer sa baguette et de lui jeter le premier maléfice qui lui
passerait par la tête. Pourtant, Sirius se força à rester calme et, surtout, assis sur sa chaise. Les
dégâts que ses poings avaient laissés sur le visage de Snape étaient suffisamment de preuves
accablantes comme cela. Ses propres blessures, il ne s’en souciait guère. Ce n’était rien que
quelques sorts et baumes ne pouvaient réparer… Non, ce qui l’inquiétait, c’était ce que
l’homme comptait faire des siennes.

Si tu ne te tiens pas loin de Severus, ce n’est plus la peine de m’adresser la parole.

Il n’aurait pas dû perdre son sang-froid, plus tôt. Il avait été trop perturbé par ce qui était
arrivé, trop paniqué par le corps exsangue de Nyssa… Les remarques désobligeantes de
l’homme sur Remus et sur Nyssandra avaient été la goutte d’eau qui avait eu raison de sa
patience déjà maigre.

Mais il n’aurait pas dû…

Non. Il n’aurait pas dû.

Il pensait ce qu’il avait dit à Remus. Il était certain que l’adolescent qu’il avait eu en face de
lui, cet après-midi là, était bien Harry. Il avait douté, au début, parce que son attitude, son
discours… Le garçon avait agi différemment de ce à quoi il l’avait habitué. Il avait pensé à
du Polynectar parce que ça expliquait les réticences de Dumbledore à ce qu’il s’approche de
son filleul. Durant les quelques secondes où il avait plaqué Harry contre le mur, il avait été
certain d’avoir compris : Harry n’était pas revenu, Dumbledore avait monté un stratagème de
toutes pièces pour donner à la communauté magique ce qu’elle voulait : un sauveur. Mais
ensuite… Ensuite, Harry avait prouvé qu’il était bien lui et puis… Et puis, Sirius l’avait lu
dans son regard. C’était Harry. Harry qui le regardait avec un mépris et une rancœur qu’il
n’avait, jusque là, aperçu que dans un seul autre regard.

Celui de l’homme qui se tenait devant lui, bras croisés dans une attitude qui se voulait
certainement intimidante mais que Sirius avait toujours trouvé pathétique.

« Tu l’appelais Harry, tout à l’heure. » remarqua-t-il.

Une expression de surprise flasha sur le visage de Snape avant de disparaître, avalée par ce
masque de désintérêt que le Mangemort présentait, sans cesse, au reste du monde. De quoi
était-il donc surpris ? Que Sirius ait relevé ? Ou bien qu’il n’ait pas encore cherché à
l’attaquer ?

Si tu ne te tiens pas loin de Severus, ce n’est plus la peine de m’adresser la parole.

Cela faisait deux fois que Snape faisait part d’une inquiétude pour le futur de son filleul, sans
pourtant l’exprimer clairement. Harry, lui, avait été beaucoup plus direct. Raison pour
laquelle Sirius regrettait son mouvement d’humeur. Si le Professeur lui montrait les marques
sur son visage et inventait un conte où il serait la victime, qui Harry croirait-il ? Parce que,
s’il avait dû s’en remettre à l’entrevue de la journée, Sirius aurait parié que ça ne serait pas
lui.

Il ne savait pas ce qui s’était passé durant tous ces mois, il ne savait pas ce qui avait bien pu
arriver pour changer le statuquo entre Snape et Harry, mais une chose était claire, le statuquo
avait changé. Sirius était loin d’être stupide. Pour l’instant, en l’état, il n’était pas en position
de force dans cette affaire.

« Il me semble qu’une conversation s’impose. » insista Sirius, parce que Snape s’était muré
dans le silence.

Le Mangemort le défiait du regard. Sirius se serait damné plutôt que de détourner les yeux le
premier. Il n’avait aucune intention de céder devant les tentatives d’intimidation manifestes
de son vieux rival. Il resta négligemment affalé sur sa chaise et prétendit ne pas être prêt à
bondir, baguette levée, au moindre geste agressif.

« Malheureusement. » acquiesça Snape, dans un soupir. « Cela devra attendre, cependant. »

« Snape. » gronda-t-il, abandonnant sa posture nonchalante. Il posa les deux mains à plat sur
la table, avec tant de force, que le bois tressauta. Tonks, qui s’était appliquée à se faire
oublier, lui jeta un regard noir. « Je veux savoir pourquoi mon filleul refuse de me
voir. Maintenant. »

C’était aussi facile que d’appuyer sur un interrupteur moldu.

Le Mangemort se redressa imperceptiblement et le toisa avec un dédain et une hostilité


affichée.
« Premièrement, je ne suis pas à tes ordres, Black. » siffla l’homme. « Deuxièmement, si tu
étais un peu moins stupide, tu… »

Snape s’interrompit brusquement en plein milieu de sa tirade, ferma brièvement les yeux et
prit une profonde inspiration.

« Je te déconseille de chercher à voir Harry avant qu’il n’y soit prêt. » reprit le Mangemort,
d’un ton plat qui sonnait faux. « Écris-lui et rappelle-lui que tu es son parrain, pas le
Gryffondor imbécile qu’il a côtoyé pendant huit mois. Il y a d’autres détails dont nous devons
discuter mais nous aurons le temps pour cela un peu plus tard. La présence de Lupin ne serait
pas malvenue. »

Sirius se massa la tempe, assailli par une migraine intempestive.

« Ça ne répond pas à ma question. » gronda-t-il.

Snape leva les yeux au ciel.

« Il était à Serpentard, en 1975. » cingla le Mangemort. « C’est une explication en soi. Pour
une fois, fais fonctionner ta boîte crânienne, cela ne peut lui faire que du bien. » L’homme se
tourna vers Tonks et désigna, d’un coup de menton, la plaie sur son front. « Vous devriez
soigner cela. Bonsoir. »

« Snape, ne t’avise pas de… » avertit-il, en se levant.

Il était à peine debout que l’homme avait transplanné.

« Enflure. » cracha-t-il, en jetant un regard mauvais à l’espace que leur prétendu espion avait
précédemment occupé.

Il donna un coup de pied rageur dans sa chaise, ignorant la manière dont Tonks baissa la tête
pour cacher son amusement.

« Qu’est-ce qu’il voulait dire ? » s’enquit-elle. « Qu’est-ce qui se passe avec Harry ? »

Il lui résuma la situation en quelques phrases, tout en observant le sang séché qui lui couvrait
la moitié du visage. Pas étonnant que Remus ait tant paniqué…

« Laisse-moi jeter un coup d’œil. » ordonna-t-il finalement, en se plantant devant elle.

Il fit disparaître les traces de sang d’un coup de baguette et inspecta la petite plaie, c’était
plus impressionnant que grave.

« Tu sais ce que tu fais, au moins ? » s’inquiéta-t-elle.

« Indéniablement. » plaisanta-t-il, en laissant sa voir s’étirer de façon interminable, comme le


faisait Snape.

Tonks leva les yeux au ciel. « Tu l’imites très mal. »


Il posa le bout de sa baguette sur le bort de la plaie et marmonna la formule adéquate.

« Je l’imite très bien. » protesta-t-il, lorsqu’il eut terminé. « J’ai eu des années pour me
perfectionner. Pas très difficile de toute manière, il suffit d’avoir l’air perpétuellement en
colère et d’imaginer qu’on a la vue bouchée par un énorme nez. » Il y réfléchit une seconde.
« Peut-être que c’est ça qui le rend aussi désagréable… Il ne voit jamais où il va. »

« Charlie croyait dur comme fer que c’était un vampire. » confia-t-elle, amusée malgré elle.
« On était persuadés qu’il pouvait vraiment se transformer en chauve-souris, que c’était
comme ça qu’il savait toujours tout. »

« Une chauve-souris moche et visqueuse, alors. » grinça-t-il, en s’écartant, satisfait de son


œuvre.

La plaie sur le front de Tonks n’était plus qu’une fine ligne rosâtre.

« Tu exagère, quand même. » insista-t-elle. « Il n’est pas si terrible que ça. »

Sirius la dévisagea, sourcils froncés.

« Il l’est, à en croire Harry et ses amis. Et je les crois volontiers. » répondit-il. « Comment se
fait-il qu’il soit aussi agré… Non, il n’est jamais agréable… mais pourquoi est-il aussi
aimable avec toi ? »

Elle haussa les épaules.

« Je n’étais pas très douée en potions mais je ne mettais jamais le souk dans sa classe et je
faisais des efforts. » offrit-elle. « Il savait que je travaillais, il n’avait aucune raison de s’en
prendre à moi. Et puis… Les Poufsouffles ont cours avec les Serdaigles en Potions,
l’ambiance n’est pas aussi… volatile que dans les classes Gryffondors/Serpentards, je
suppose. »

« Ouais… Et le fait que ta mère est une Sang-Pure n’a rien à voir là-dedans, bien sûr. »
ironisa-t-il, en jouant avec son paquet de cigarettes défoncé.

Elle inclina la tête et l’observa comme s’il venait de proférer la plus grosse idiotie de sa vie.

« Ma mère étant également ta cousine, je ne suis pas certaine que ça aurait joué en ma faveur
s’il avait pris mon arbre généalogique en compte. » se moqua-t-elle.

Sirius traversa la cuisine, ouvrit le placard enchanté pour garder les aliments au frais et
attrapa la part de tarte aux pommes qu’il y restait.

« Les Black m’on renié. » riposta-t-il. « Tout le monde le sait. »

« Oui, ils ont aussi renié maman. » contra-t-elle. « Franchement, ça te tuerait d’admettre que
ce n’est pas un monstre qui hait tout ce qui respire ? »

Il prit le temps de soigneusement mâcher avant de donner sa réponse. Cela le tuerait-il


d’admettre que Snape était humain ? Probablement. Et, surtout, il ne voulait pas le prendre en
considération. Parce que si Snape était véritablement humain, alors…

Non… Non… Il était beaucoup plus sage de s’en tenir à la théorie selon laquelle Snape
préparait un mauvais coup parce que, au final, Snape préparait toujours un mauvais coup.
Restait à déterminer lequel et comment en tirer Harry.

Il ne faisait pas confiance à Snape. Il ne lui faisait pas confiance une seule seconde.

Il avait dû parler tout haut parce que Tonks soupira avec agacement.

« Dumbledore a dit… » commença-t-elle, mais il ne la laissa pas terminer.

« Peut-on arrêter de considérer la parole de Dumbledore comme un commandement divin ? »


râla-t-il. « Il ne nous a jamais expliqué pourquoi il pense que Snape a vraiment changé de
camp et tant que je n’aurais pas d’explications, je n’y croirais pas. Tu ne connais pas Snape,
moi si. C’est un homme cruel, raciste et impitoyable. »

La jeune femme sauta de la table pour venir, à son tour, fouiller dans le placard. Elle en tira
un plat avec une tarte à la pèche encore entière – Molly leur faisait parvenir des tonnes et des
tonnes de nourriture, comme pour mieux compenser son absence – et s’en coupa une part.

« Tu sais, c’est drôle… » déclara prudemment Tonks, en transférant la part dans une assiette
qu’elle prit sur l’égouttoir, près de l’évier. « Je me rappelle d’un moment, juste avant de
passer la partie pratique des A.S.P.I.C.s de Potion. J’étais devant la porte de la salle,
j’attendais qu’on m’appelle, et je n’arrêtais pas de me dire que j’allais faire exploser mon
chaudron ou casser une fiole ou trébucher et renverser tout ce qu’il y avait sur la table… Et
c’est arrivé plus d’une fois, en cours, laisse-moi te le dire. » Elle pêcha une fourchette dans le
tiroir et avala un morceau. « Je me disais que je n’allais jamais être acceptée dans le
programme des Aurors, je repensais à tous ces gens à qui j’avais affirmé que j’allais devenir
la plus grande chasseuse de mages noirs de tous les temps, et je me demandais comment
j’allais bien pouvoir les regarder en face… C’est très, très bête, ce qui peut te passer par la
tête dans ces moments là. »

Sirius la regarda s’installer à table, sans vraiment comprendre où elle voulait en venir. Ses
yeux étaient rivés sur sa part de tarte, comme si elle avait peur d’affronter les siens. Ridicule,
bien entendu, Tonks n’avait pas peur de grand-chose et certainement pas de lui.

« On a tous vécu ça. » commenta-t-il. « La panique des examens. Pour celui de Défense, j’ai
failli mettre le feu à la robe de l’examinateur. »

Et quel grand moment de gloire, cela avait été… Il avait eu beau jurer, après-coup, qu’il
l’avait fait exprès, une dernière plaisanterie pour la route, aucun des Maraudeurs n’avait
voulu le croire. C’était une anecdote que James avait tour particulièrement affectionnée.

La jeune femme lui sourit distraitement.

« Quand ils ont appelé mon nom, j’étais prête à m’évanouir de trouille. » raconta-t-elle. « Je
te jure que je m’étais mis dans la tête tout un tas de scénarios catastrophiques. »
« Et ? » pressa-t-il, en posant le plat vide qu’il avait à la main dans l’évier. « Tu as réussi, au
final. »

Pendant quelques secondes, le cliquetis de sa fourchette sur la faïence fut le seul bruit dans la
cuisine.

« Snape est passé, à ce moment là. » lâcha-t-elle. « Quand il a vu l’état dans lequel j’étais, il
m’a reproché d’être ridicule et tout un tas d’autres épithètes peu flatteurs… »

« Parce que c’est un connard. » triompha Sirius.

« J’étais tellement énervée contre lui que je n’ai plus pensé à avoir peur. » continua-t-elle,
sans lui prêter attention. « Et, après-coup, je me suis dit qu’il l’avait fait exprès. Ça m’a
marquée, ce moment. Ce n’est pas un mauvais Professeur, tu sais. »

L’Animagus lui ôta son assiette vide de devant le nez et la déposa dans l’évier, en se retenant
de ne pas lever les yeux au ciel. Où était encore passé ce stupide elfe de maison ? La vaisselle
s’amoncelait…

« Ça ne change rien au fait que c’est un des pires êtres humains que j’ai rencontré. » riposta-t-
il, en lui tournant le dos. Il fit couler l’eau chaude, iIl détestait faire la vaisselle. Et il ne
connaissait aucun sort de ménage… À quoi bon quand on avait un elfe de maison ? Bien sûr,
quand, comme lui, on avait l’elfe le plus incompétent de la création…

« Cruel, raciste et impitoyable. » répéta-t-elle, d’un voix lasse. « Tu vois, pour moi, c’est
l’homme qui a pris le temps de venir me parler avant l’examen le plus décisif de ma vie. »

« Il voulait probablement te démoraliser davantage. » grommela-t-il, refusant de lui accorder


le bénéfice du doute. Il connaissait Snape. Et Snape n’aurait jamais pris le temps d’aider un
élève en difficulté.

« Peut-être. » accorda-t-elle. La chaise racla sur la pierre lorsqu’elle se leva. « Mais peut-être
aussi que c’était sa manière d’être gentil. »

Sirius ne pleura pas le savon pour faire disparaître ces taches récalcitrantes.

Snape, gentil. Les poules auraient des dents bien avant que Snape accomplisse une bonne
action.

« Si Harry a de bonnes raisons de… » insista Tonks, avec tact.

« Harry ne sait pas de quoi il parle. » coupa-t-il. « Je ne sais pas encore ce qui s’est passé
mais je suis sûr d’une chose, Snape a une idée derrière la tête. »

Et pourtant… Il y avait eu une véritable inquiétude dans la voix de Snape lorsqu’il avait parlé
d’Harry… Harry, pas Potter. À quoi jouait le Mangemort ? Cela semblait bien trop tordu et
complexe pour une tentative de livrer son filleul à Voldemort… Et puis, sans se leurrer, si
l’homme avait voulu tuer Harry, il aurait eu tout le loisir de le faire en 75. Non, c’était bien
plus compliqué que ça. Quelque chose lui échappait et quand il aurait trouvé quoi…
Il était à Serpentard, en 1975.

Ces derniers mois, Severus et Snape étaient de mon côté. Toi, en revanche, ça t’amusait bien
de faire rire la galerie en me…

Il avait peur de comprendre ce qu’Harry lui reprochait. Il avait peur de comprendre et refusait
d’y penser. Ça n’expliquait pas Snape de toute manière. Snape aurait été du genre à se
repaître du spectacle, pas à… Pas à se ranger du côté d’Harry. Snape n’aurait jamais levé le
petit doigt pour le fils de James Potter. Jamais.

Le mystère paraissait insoluble.

« Tu devrais parler à Remus. » lança-t-il, tout d’un coup, en abandonnant la vaisselle.

Le visage de Tonks se referma brusquement. Elle avait l’air épuisé des gens que le sommeil
fuyait ou emprisonnait dans des cauchemars… Ses yeux semblaient trop clairs, ses cheveux
trop ternes… Il se surprit à espérer qu’elle retrouve bien vite ses dons de Métamorphomage.
Il n’aimait décidemment pas la voir dans cet état.

« Ou pas. » contra-t-elle. Elle attrapa le blouson qu’elle avait jeté sur le buffet, un peu plus
tôt, et l’enfila. « Je devrais rentrer. Je travaille demain matin. »

« Tonks. » asséna-t-il sérieusement – aussi sérieusement qu’on pouvait l’être en s’essuyant


les mains sur un vieux torchon rose, du moins. « Il ne pensait pas ce qu’il a dit tout à
l’heure. »

La jeune femme l’étudia en silence, quelques secondes, puis secoua la tête et croisa les bras
devant sa poitrine. Il n’était pas habitué à la voir si vulnérable. Il n’était pas sûr de savoir
comment réagir, étant donné que c’était son meilleur ami qui était responsable de son état.

« C’est très triste et probablement un peu pathétique, mais je crois que si, Sirius. » répondit-
elle doucement.

« Bien sûr que non. » protesta-t-il immédiatement. « Remus t’aime. Je ne l’ai jamais vu
tomber amoureux d’une femme comme il est tombé amoureux de toi. Vous êtes faits pour
être ensemble, c’est… »

« Remus ne me fait pas confiance pour prendre les bonnes décisions. » coupa-t-elle. « Ou
pour prendre une décision tout court, d’ailleurs. »

Il fallait admettre que le loup-garou avait peut-être, parfois, tendance à exagérer sur ce point.
Mais ce n’était pas véritablement sa faute, il…

« Il veut simplement te protéger. » le défendit-il. « C’est juste… »

« Je n’ai pas besoin qu’on me protège. » l’interrompit Tonks. « J’ai besoin qu’on me
respecte. »

Rendu momentanément muet par la sincérité de sa supplique, Sirius finit par jeter le torchon
qu’il avait toujours dans les mains comme s’il était responsable de la situation dans laquelle il
s’était fourré. Il n’avait pas vraiment envie de se retrouver pris en étau entre sa cousine et son
meilleur ami.

« Tout le monde te respecte. » affirma-t-il, parce que c’était la vérité. « Remus aussi. Il s’est
emporté parce que tu étais en danger, c’est tout. »

L’Auror soupira, de lassitude ou d’irritation, il n’aurait su le dire.

« Ce n’est pas qu’il pense que je ne sois pas capable d’affronter Bellatrix ou Greyback qui me
dérange. » expliqua-t-elle. « Ce qui me dérange, c’est qu’il ne me fasse pas suffisamment
confiance pour savoir que je suis consciente de mes limites. »

« Pourquoi avoir poursuivi Greyback, dans ce cas ? » demanda-t-il, perdu.

Tonks souffla avec agacement.

« Ça n’a rien à voir avec ce que je pense pouvoir faire ou pas. Je ne pouvais pas laisser un
loup-garou blessé errer dans une ville Moldue. » cingla-t-elle. « Quelqu’un l’attendait et à
transplanné avec lui avant qu’on ait pu essayer de les arrêter. Un autre loup-garou sous forme
humaine, sans doute. On doit vraiment faire quelque chose pour cette potion. »

Sirius coinça une cigarette entre ses lèvres et l’alluma.

« Dumbledore a dit que Snape allait s’y mettre. » marmonna-t-il, sans grand enthousiasme.

Ils s’étaient très bien débrouillés sans le Maître des Potions jusque là, mais, à entendre
Dumbledore ce matin là, l’homme leur était soudain indispensable.

« Monte voir Remus. » insista-t-il « Il ne va pas bien du tout depuis votre rupture. »

« Ce n’est pas moi qui ait décidé de rompre. » s’entêta-t-elle. « Et au cas où ça t’aurait
échappé, je ne suis pas non plus en pleine forme. »

C’était un point qu’il ne pouvait lui refuser. Mais c’était quand même idiot…

« Tu l’aimes, non ? » pressa-t-il.

Elle sourit avec une amertume qui n’avait rien à faire sur le visage de quelqu’un d’aussi jeune
et insouciant que Tonks.

« Si je ne l’aimais pas… »

Elle laissa sa phrase en suspens, sans savoir elle-même, peut-être, comment la terminer.

« Monte le voir. » réitéra-t-il. « Ça va forcément s’arranger. »

« C’est un peu plus compliqué que ça, Sirius. » répondit-elle, avec tristesse. « Je vais voir
comment va Nyssa et je rentre. J’enverrai un hibou à Ginny, peut-être qu’elle en saura plus au
sujet d’Harry. »
Ginny. Les amis d’Harry, voilà une bonne idée… Il allait écrire à Hermione, dès ce soir là.

« Sois prudente. » ordonna-t-il.

Elle lui sourit et partit en direction du salon. Il entendit l’écho de voix mais ne prêta pas
attention à ce qui était dit, occupé à préparer un thé qui serait à peine buvable – parce qu’il
n’aurait pas su préparer quoi que ce soit de comestible si sa vie en avait dépendu – et à
disposer théière, tasse et les petits sandwiches que Bill avait rapporté du Terrier, un peu plus
tôt, sur un plateau. Il lui faudrait rendre visite à Molly… Charlie et Bill insistaient pour qu’ils
ne la dérangent pas, elle se remettait d’une mauvaise grippe, mais Sirius se sentait un peu
coupable d’accepter toute cette nourriture qu’elle envoyait au Q.G. sans jamais trouver le
temps de la remercier en personne. Il ne l’avait croisée qu’une seule fois depuis sa libération,
sur le Chemin de Traverse où elle se promenait avec Percy, et ils n’avaient pas pu échanger
plus de quelques mots. C’était toujours curieux de se déplacer librement dans la rue, d’être la
cible de murmures excités et admirateurs plutôt que de cris terrifiés…

Il attrapa le plateau et se dirigea vers l’escalier, non sans jeter discrètement un coup d’œil
dans le salon. Nyssandra était toujours allongée sur le canapé, trop pâle et trop alanguie, mais
ses grands yeux verts étaient ouverts et elle portait, de temps en temps, un vieux mug aux
couleurs fanées à ses lèvres. Fol’Œil était assis sur le fauteuil, à sa gauche, légèrement
penché en avant, le regard perdu dans les flammes de la cheminée, les mains jointes sur ses
genoux. Le silence était lourd mais pas aussi pesant qu’il l’avait été entre eux par le passé et
Sirius se sentit immédiatement de trop. Il ne s’attarda pas sur le seuil et personne ne le
rappela dans la pièce.

Ce fut un peu perturbé qu’il frappa à la porte de la chambre de Remus et entra sans attendre
de réponse. Il n’avait pas pensé que Fol’Œil et Nyssandra parviendraient un jour à passer au-
dessus de leur ressentiment mutuel. Il n’avait pas pensé que… Cela le contrariait de penser à
ce que cela pouvait signifier pour lui. Il n’avait pas vraiment de sentiments amoureux pour
Nyssa. Il l’appréciait énormément en tant qu’amie, il appréciait encore plus les nuits torrides
qu’il leur arrivait de partager, mais il n’était pas… Il n’avait pas… C’était bien trop tôt, bien
trop prématuré de parler de sentiments amoureux. Amouraché, à la rigueur. Attaché,
certainement… Attiré… Attiré était un mot un peu faible pour décrire ce qu’il éprouvait pour
elle.

Elle avait ce côté femme fatale qui dissimulait mal la fêlure qu’avait laissée Fol’Œil en lui
brisant le cœur. Elle était un peu détruite, il était un peu détruit… Ils étaient faits pour
s’entendre. C’était physique, plus qu’autre chose, peut-être. Elle avait cette grâce féline, ce
regard de prédateur qui lui enflammait le sang. Elle était un danger et il n’avait jamais su
résister à l’attrait du danger.

Lorsqu’il l’avait aperçue dans les bras de l’ancien Auror, inconsciente et se vidant de son
sang, le temps s’était arrêté net. Il avait été certain qu’elle était morte. Morte, morte, n’en
déplaise à Snape et à ses tournures de phrases sophistiquées. Il n’avait pas souvent fait
l’expérience de ces secondes qui semblaient durer une éternité, mais à cet instant, il lui était
passé tout un tas de choses par la tête. La douceur de sa peau, la manière dont elle riait à
gorge déployée derrière les portes closes mais souriait à peine en public, ses baisers
farouches… Tout lui était revenu en mémoire et il avait su, dans un de ces moments de
certitude absolue, qu’il ne voulait pas la perdre.

Chassant ses pensées, il étudia la manière dont Remus, couché sur le côté, s’était réfugié sous
la tonne de couvertures jetées à la va-vite sur le lit. Il hésita un peu, puis abandonna le plateau
sur le bureau dans le coin de la pièce. Le loup-garou lui tournait le dos mais Sirius savait bien
qu’il ne dormait pas. Ils avaient partagé un dortoir pendant trop longtemps, Remus souffletait
lorsqu’il dormait, c’était entre le ronflement et le soupir.

« Tu veux que je te dise, il y a des jours où on ferait mieux de ne pas sortir de son lit. »
déclara-t-il, très sérieusement.

Il s’allongea de l’autre côté du lit, sur le dos, une main sous la tête et l’autre sur le ventre.
Cela faisait des années que Sirius ne s’était pas invité sur le lit de Remus dans l’idée de
partager des confidences. Pas depuis Poudlard. Un peu après Poudlard, peut-être. Pourtant, ce
soir là, il avait envie de prétendre que rien n’avait changé, que leur amitié était aussi facile
qu’elle l’avait été autrefois, sans tabous, sans gêne et sans frontières.

« C’était la pire journée de ma vie. » soupira-t-il, tout en sachant que ce n’était pas vrai. Il y
avait eu bien pire. Bien, bien pire. « Et, toi, tu as fait n’importe quoi avec Tonks. »

Remus remua mais ne prononça pas un mot.

« Sans parler de Fol’Œil qui fait l’œil doux à Nyssa. » plaisanta-t-il amèrement.

Les bougies que le loup-garou n’avait pas soufflées commençaient à se consumer, plongeant
peu à peu la pièce dans l’obscurité. Sirius se perdit dans la contemplation d’un ombre sur le
mur qui tremblait au même rythme indolent que la flamme de la chandelle posée sur la
commode, près de la fenêtre.

« Tu dors ? » demanda-t-il, au bout d’un moment.

« J’essaye. » gronda la montagne de couvertures.

« Qu’est-ce qui s’est passé tout à l’heure ? » s’enquit-il, doucement. « Je ne t’ai jamais vu
comme ça. »

Il ne savait pas s’il parlait de sa perte de contrôle ou de son comportement envers Tonks. Il
était plus ou moins persuadé que les deux étaient liés.

« Je deviens vieux. » marmonna Remus. « Et les vieux monstres, on les abat. »

Sirius leva les yeux au ciel. Quand ils pensaient que les gens affirmaient que c’était lui qui
était mélodramatique…

« N’exagérons rien. » nuança-t-il. « Et Tonks ? »

Sous ses couvertures, Remus poussa un profond soupir.


« Tonks… » répéta le loup-garou, la lassitude se disputant à la tristesse dans sa voix. « Je
n’aurais jamais autant perdu le contrôle, si elle n’avait pas… Elle me rend fou.
Complètement fou. »

Traduction : il l’aimait tellement que l’animal en lui devenait incontrôlable dès qu’elle était
en danger.

Il n’était pas certain que ce soit l’apanage des lycanthropes, beaucoup d’hommes avaient
commis des actes désespérés par amour.

« L’insulter n’est pas vraiment le meilleur moyen de le lui dire, tu sais ? » remarqua-t-il.

L’ombre sur le mur s’agrandit d’un seul coup lorsque la chandelle s’éteignit.

Remus soupira à nouveau et se tourna pour pouvoir le dévisager. Dans l’obscurité quasi-
totale, il distinguait à peine les traits de son meilleur ami.

« Je ne voulais pas l’insulter, mais elle est beaucoup trop imprudente. » lâcha le loup-garou.
« Greyback… »

« Elle sait ce qu’elle fait. » coupa Sirius. « Je sais que tu t’inquiète, mais elle sait ce qu’elle
fait. »

« Non, elle ne sait pas. » protesta Remus, avec mauvaise humeur. « Je sais de quoi Greyback
est capable. Elle… » Il laissa momentanément sa phrase en suspens, comme s’il n’était pas
certain de bien savoir comment la terminer. « Elle ne devrait rien avoir à faire avec Greyback.
Elle ne devrait pas être impliquée là-dedans. C’est ma faute. »

Sirius retourna la chose dans sa tête pendant une bonne minute, cherchant la meilleure
manière de dire ce qu’il avait à dire, sans provoquer une nouvelle dispute entre eux.

« Lunard, il me semble que jouer les martyrs, c’est passé de mode. » annonça-t-il, finalement.
« Tonks t’aime, tu l’aimes, ça ne devrait pas être bien plus compliqué que ça. »

« Je ne veux pas gâcher son avenir. » répliqua immédiatement Remus. « Je n’ai rien d’autres
à lui offrir que ma maladie et mes problèmes. »

Sirius fixa le plafond au travers de la vieille tenture verte déchirée qui avait, un jour, fait
office de baldaquin. Ce n’était pas têtu comme une mule que l’on aurait dû dire, mais têtu
comme un loup-garou.

« C’est à elle de prendre la décision, tu ne crois pas ? » rétorqua-t-il, un peu plus sèchement
qu’il ne l’aurait voulu.

Il détestait voir sa cousine souffrir. Dans le temps, il lui était arrivé d’observer Andy se
mettre à pleurer avec le malaise affreux de l’enfant qui voit sa grande sœur se répandre en
larmes et n’a pas les moyens d’effacer la douleur d’un être jusque là indestructible dans son
imagination. Les chagrins de Cissy, il les avait tous vus passer de loin, sans s’y impliquer,
sans s’y intéresser. La seule fois où il l’avait vue pleurer, il s’était retrouvé démuni, à court de
mots et de gestes pour consoler cette poupée de porcelaine qui, soudain, devenait humaine.
Quant à Bella, la seule plus jeune que lui… Bella n’avait jamais été triste, elle avait toujours
été en colère. Ou peut-être était-ce sa façon d’être triste, il l’ignorait. Toujours était-il qu’il
n’avait jamais eu de petite sœur. Narcissa et Andy étaient plus grandes, Bella trop
indépendante. Regulus, ce n’était pas la même chose. C’était un garçon et il avait cru, à tort,
qu’il lui ressemblait et prendrait mal toute tentative de le protéger, de le guider… Il n’avait
certainement jamais pris le temps d’écouter ses problèmes.

Mais Tonks… Tonks lui rappelait Andy, Cissy et Bella, tout à la fois. Tonks, il l’avait tenue
dans ses bras lorsqu’elle était née, l’avait fait danser et tournoyer dans les airs alors qu’elle
était à peine assez grande pour balbutier ses premiers mots… Il avait pour elle la tendresse
d’un grand-frère et il ressentait ce besoin, cette envie, de la protéger, de la taquiner,
d’assassiner les hommes qui lui faisaient du mal… Le fait que Remus soit un de ceux là était
un conflit d’intérêt permanent.

Le loup-garou ne parut pas se rendre compte de son dilemme parce qu’il émit un bruit
railleur.

« Tu savais ce que tu voulais, toi, à son âge ? » se moqua Remus.

À l’âge de Tonks, il était déjà à Azkaban.

« James et Lily savaient. » riposta-t-il.

Qu’avait ressenti Harry en se retrouvant face à ses parents ? C’était étrange de se dire que,
pour son filleul, James était revenu à la vie, l’espace de quelques mois. Un James plus jeune,
encore innocent des horreurs de la guerre… Le James rieur, blagueur et frondeur de ses
souvenirs. Son cœur se serra légèrement à la pensée de son meilleur ami. Azkaban,
curieusement, n’avait jamais eu véritablement raison de ses souvenirs. Il s’était réfugié dans
le passé comme d’autres se pelotonnaient dans le coin de leur cellule en espérant apercevoir
un morceau de ciel entre deux barreaux.

Pour Harry, James avait été bel et bien vivant. En chair et en os. Un James qui ne
disparaissait pas lorsqu’on essayait de le toucher, comme les fantômes qui dansaient à la
limite de son champ de vision le faisaient toujours. Il aurait été hypocrite de ne pas admettre
un certain degré de jalousie. Il aurait donné n’importe quoi pour revoir James, ne serait-ce
que l’espace d’un instant.

« James et Lily n’étaient pas ordinaires. » répondit doucement Remus, un regret dans la voix.
Peut-être que Sirius n’était pas le seul à envier Harry… « Il y a des gens comme ça. Ils
brillent plus forts que les autres. »

James et Lily avaient brillé plus fort que quiconque. Ils avaient été comme deux de ces corps
célestes qui gravitent l’un autour de l’autre, et, autour d’eux, dispersés dans l’immensité de
l’espace, plus ou moins loin, il y avait les satellites. Sirius, Remus, Peter, Dumbledore,
McGonagall, Slughorn, Alice et, plus tard, Frank…

Cela faisait des années qu’il n’avait plus repensé à Alice et Frank. Qu’étaient-ils devenus
après que les Lestrange les aient torturés ? La vieille Londubat les avait-elle gardés chez elle
ou les avait-elle faits interner à Sainte Mangouste ? Il gardait d’Alice l’image d’une jeune
fille blonde, un peu quelconque, suivant Lily à la trace. Elle était la marraine d’Harry,
naturellement. Quelqu’un avait-il seulement pris le temps de le dire au garçon ? Sûrement
pas… Pourquoi lui annoncer qu’il avait une marraine uniquement pour lui dire qu’elle était
folle à lier ?

« Je crois que tu es en train de faire une erreur, Remus. » insista-t-il, un peu tard.

Au temps que mis le loup-garou à répondre, Sirius sut qu’il était en train de s’endormir.

« Le loup devient fou quand elle est en danger. » marmonna Lunard, les yeux fermés. « C’est
trop dangereux, trop… incontrôlable. Même si on pouvait avoir un futur ensemble – ce qui
n’est pas le cas. On est en guerre. On ne peut pas se permettre ce genre de distraction. »

L’Animagus laissa rouler sa tête sur l’oreiller, de sorte qu’il ne puisse plus voir son ami. Il
retraça du regard le contour de la table de nuit, dans l’obscurité, se demandant pourquoi
chaque contour de chaque meuble de cette maison était gravé dans sa mémoire avec tant de
précision.

« Justement, on est en guerre. » répondit-il. « Tu parles de futur mais on n’est pas sûr d’en
avoir un, de futur. Si j’ai appris une chose de la première guerre, c’est qu’il faut prendre ce
qu’on peut, quand on peut. »

Et s’il avait pu, lui aussi, remonter le temps… Il y avait des choses qu’il aurait faites
différemment, d’autres qu’il n’aurait pas faites du tout, et d’autres, encore, qu’il oserait faire.
Comme trouver le courage de recontacter Agathe, après Poudlard, ou avouer à James qu’il lui
avait sauvé la vie plus d’une fois et de tout un tas de façons différentes. C’était étrange
l’amitié… Il y avait des choses, pourtant évidentes, qu’on n’osait jamais dire. Par pudeur, par
honte, par timidité.

Il chassa la boule qui lui obstruait la gorge en même temps que ces pensées parasites et
attrapa, à tâtons, une poignée des couvertures amoncelées sur Remus. Il s’en recouvrit tant
bien que mal, se débarrassant de ses chaussures dans la foulée. Il n’avait pas le courage de
retraverser la maison vide, d’affronter les spectres qui l’attendaient à chaque détour de
couloir, ou de s’envelopper dans cette solitude qui lui pesait davantage chaque jour.

Il devait découvrir ce qui s’était passé avec Harry et réparer les dégâts. Il devait récupérer son
filleul.

« J’ai l’impression d’être de retour en quatrième année. » râla Remus, en tirant sur le couvre-
lit. « Tu prends toutes les couvertures. »

Un autre que Remus lui aurait probablement fait remarquer qu’ils n’avaient plus l’âge de
partager un lit, comme des gamins qui avaient peur du noir. Combien de fois s’étaient-ils
endormis dans le lit de l’un ou de l’autre, en échangeant des secrets idiots ? Déjà, à l’époque,
Remus était son confident favori. James se moquait parfois un peu trop rudement et Peter
était trop avides de ce genre d’aveux nocturnes, mais Remus écoutait sans jamais juger ou
répéter. Il lui arrivait même de donner d’excellents conseils.
Regrettable qu’il n’ait pas de conseils concernant le mystère qu’était devenue la relation entre
Harry et Snape… Décidément, il n’aimait pas la sincérité qu’il avait perçu dans la voix de
Snape lorsque ce dernier s’était inquiété d’Harry. Et il aimait encore moins la réaction
d’Harry lorsqu’il avait insulté l’homme. Il se passait décidément quelque chose de louche…

Il aurait été prêt à parier que Dumbledore trempait dans le coup.

« Snape est bizarre, tu ne trouves pas ? » demanda-t-il, soudain.

Ce n’était pas uniquement Harry qui lui avait paru différent… Même Snape… La manière
dont il se tenait, parlait, regardait les gens… Il y avait quelque chose de différent. Quelque
chose sur lequel il ne pouvait pas mettre le doigt.

Remus étouffa un rire dans l’oreiller.

« Maintenant, j’ai vraiment l’impression d’être en quatrième année. » répliqua le loup-


garou.
Life Doesn't Stop For Anybody

“Things change. And friends leave. Life doesn't stop for anybody.”
― Stephen Chbosky, The Perks of Being a Wallflower

“Les choses changent. Et les amis s’en vont. La vie ne s’arrête pour personne.”
― Stephen Chbosky, The Perks of Being a Wallflower

« Elle voulait déjà appeler son fils Neville. C’était le héros de son roman préféré. » conclut
Harry, en cessant d’observer le magasine oublié devant lui pour affronter le regard de son
ami.

Neville n’avait pas prononcé un seul mot depuis qu’Harry et lui s’étaient isolés dans un coin
de la salle commune, un peu après la fin des cours, laissant les autres aller seuls à la
bibliothèque. Le Gryffondor avait bu ses paroles, les yeux grands ouverts, la reconnaissance
se disputant à la jalousie sur son visage.

« C’est la meilleure amie de Lily. » ajouta-t-il, après coup.

Il n’était pas certain de l’avoir déjà mentionné. Il avait débité ce dont il se souvenait d’Alice,
légèrement étonné de tout ce que l’on pouvait retenir d’une personne sans y prendre garde. Sa
passion pour les romans d’amour, la manière dont elle riait à gorge déployée, son obsession
pour les chewing-gums qu’elle semblait mâcher en permanence…

« C’était. » corrigea doucement Neville, un sourire triste sur le visage.

Celui d’Harry disparut brusquement. Ses amis avaient pris l’habitude désagréable de lui
rappeler, en permanence, que ses parents étaient morts. Il n’était revenu que depuis quelques
jours et il oubliait, parfois, que Lily et Severus n’étaient pas simplement à portée de hibou.
Parler de Lily ou des Maraudeurs au présent lui paraissait naturel, le passé lui laissait toujours
une boule dans la gorge.

« Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? » demanda-t-il, avec hésitation. Il ne voulait pas raviver de
mauvais souvenirs, mais il était curieux. Il se doutait qu’il devait s’être passé quelque chose
de grave pour que Neville vive chez sa grand-mère, mais il ne savait pas quoi.

Évidemment, Snape avait dit que Neville aurait pu être, lui aussi, l’objet de la prophétie donc
les Londubat… Les Londubat avaient dû défier au moins trois fois le Seigneur des Ténèbres.
Ce qui ne laissait rien présager de bon pour leurs chances de survie…

Neville suivit du regard un première année qui courrait d’un côté à l’autre de la salle
commune, à la poursuite d’un vif d’or d’entraînement, plus lent que la normale, sous les
encouragements de ses camarades.
« Elle est devenu Auror. » déclara le Gryffondor, avec fierté. « Elle a épousé mon père. Et
ensuite… Après la mort des tes parents, ils ont été capturés par des Mangemorts et ils ont été
torturés jusqu’à ce que… » Neville s’interrompit et haussa les épaules. « Ils sont à Sainte
Mangouste, maintenant. Ils ne savent pas comment les soigner, ils ne sont… Ils ne sont plus
vraiment tout à fait là. »

La détresse de son ami était palpable, mais Harry ne savait pas quoi dire pour le consoler. Y
avait-il seulement quelque chose à dire ?

« C’était comment ? » s’enquit Neville « De rencontrer tes parents ? Leur parler ? »

Ce n’était pas le premier à poser la question. Ron, Hermione… Ginny et les jumeaux… Tout
le monde lui demandait la même chose. Qu’est-ce que ça lui avait fait de rencontrer Lily et
James ? Qu’est-ce que ça lui avait fait de rencontrer Lily et James…

Un coup de poignard en plein cœur. Une douce douleur. Un miracle éphémère.

« Bizarre. » offrit Harry, plus honnête qu’il ne l’avait été avec ses meilleurs amis.

Ni Ron, ni Hermione n’aurait pu comprendre, ils avaient grandi avec leurs parents, ils les
connaissaient. Il n’était pas seulement question de rencontrer des versions plus jeunes de ses
parents mais bel et bien d’une rencontre tout court.

« Ils ne sont pas comme je l’imaginais… N’étaient pas comme je l’imaginais. » se reprit-il,
avant que Neville ait pu le faire. « Lil est… » Sa voix s’enroua et il préféra se taire. Il n’avait
pas de mots pour décrire Lily. Ou peut-être qu’il en avait trop, justement. Il n’y était pas
habitué. Il n’était plus, non plus, habitué à parler d’elle à l’imparfait. C’était trop tôt, trop dur.
« James… » tenta-t-il, sans davantage parvenir à terminer. Comment expliquer la
contradiction ambulante qu’était James ? Gamin arrogant et, pourtant, graine de héros ?
Comment décrire le garçon qui n’hésitait pas à risquer sa vie pour un rival ou croyait
quelqu’un qui lui déclarait être son fis sans immédiatement le rejeter ou remettre sa parole en
doute ? Il ne le pouvait pas. Il ne savait pas comment faire.

« Ils te manquent. » devina Neville, sur le ton de l’évidence, disant à voix haute ce que Ron
et Hermione ne se décidaient pas à demander, même à voix basse.

Aurait-il eu le courage d’avouer une telle chose à ses amis ? Il n’en était pas certain. Il y avait
une distance entre eux qui n’avaient pas été là avant la tempête. Non, pas une distance… Une
hésitation, plutôt. Comme si aucun d’eux n’était certain de comment reconstruire le puzzle de
leur amitié. Les pièces s’emboîtaient, mais elles n’étaient plus à la bonne place.

« Oui. » offrit-il, finalement, avec sincérité.

De ses amis, seul Neville pouvait comprendre. L’absence tout au long de l’enfance, le vide
derrière soi à chaque nouvelle étape que l’on franchissait… Il ne savait pas comment
expliquer à Ron ou à Hermione ce qu’il ressentait à présent que ce vide avait été
momentanément comblé.
« Je ne sais pas si je suis jaloux ou désolé. » admit le Gryffondor, en se tordant nerveusement
les mains. « D’un côté, j’aurais aimé être à ta place… D’un autre… D’un autre, je ne sais pas
si j’aurais eu le courage de me séparer d’eux. »

Harry se força à sourire.

« Je n’avais pas trop le choix. » lâcha-t-il, sans entrain.

Neville l’étudia avec gravité. Durant son absence, Neville paraissait avoir développé un début
d’assurance. L’adolescent n’hésitait plus autant à s’exprimer et savait se faire entendre dans
le groupe bruyant au sein duquel Ron et Hermione persistaient à entraîner le Survivant.

Le groupe, Harry devait l’avouer, n’était pas aussi terrible qu’il l’avait pensé les premiers
jours. Malfoy s’était plus ou moins mis en retrait, toujours à la périphérie de la masse des
adolescents, ce qui était parfait parce qu’Harry se tenait généralement à l’autre bout. Le
Serpentard semblait réticent à approcher de lui ou d’Hermione, une crainte que la jeune fille
partageait visiblement. Il ne savait pas ce qui s’était passé entre eux. Étant donné leur
comportement en cours de potions, il s’était attendu à une déclaration dès le lendemain, mais
il ne s’était rien passé. Ils s’évitaient sans s’éviter, se tournaient autour sans en avoir l’air et
arboraient tous deux des expressions désespérées dignes des grands héros de tragédies
grecques. Ça en devenait agaçant et, à en croire les murmures qu’échangeaient leurs amis
quand Hermione et Malfoy n’étaient pas là, il n’était pas le seul à le penser.

« Tu aurais pu rester là bas. » remarqua Neville.

Le vif d’or fusa vers lui et Harry l’attrapa par réflexe, sans y penser à deux fois. Il le tendit au
première année qui s’était approché et le dévisageait à présent avec un mélange de terreur et
d’admiration. Autre chose qui ne lui avait pas manqué, à cette époque, les gros titres stupides
que la Gazette sortait avec son nom en première page. Le nombre d’éditions spéciales, de
portraits et d’élucubrations que le journal avait faits sur lui, ces derniers jours… Ils
racontaient tout et n’importe quoi.

Le première année récupéra son jouet et se précipita vers son groupe d’amis qui se répandit
rapidement en chuchotement excités.

« Après le mal que le Professeur s’était donné… » soupira Harry, songeant à toutes les nuits
blanches que Snape avait passées penché sur les grimoires et les chaudrons. « Et puis… Je ne
pouvais pas vous abandonner. »

Neville sourit légèrement, mais ça n’atteignit pas ses yeux. Le Gryffondor attrapa le bord du
magazine oublié sur la table et le tira un peu vers lui avant de le repousser dans un besoin
évident de s’occuper les mains.

« Tu parles de lui différemment. » avança Neville, avec prudence. « Snape. Quelque chose a
changé, non ? »

Harry laissait échapper un rire amer avant même d’en avoir conscience, balayant la remarque
de Neville d’un geste nonchalant de la main. Il était effrayé, parfois, de combien il lui était
devenu instinctif de mentir, de nier la vérité.
« Snape est un salaud. » cracha-t-il, avec une fausse conviction. « Tu as entendu ce qu’il m’a
dit en Défense, ce matin ? Je le déteste. »

Comme il en avait pris l’habitude en 75, le Maître des Potions avait organisé un cercle pour
leur premier cours pratique, afin d’évaluer leur niveau. Harry avait largement dominé la
classe, vainquant tous ses camarades tour à tour, Gryffondor ou Serpentard, bien que
quelques uns – ceux qu’il avait aperçu le soir de son retour, lors de la réunion de cette
fameuse A.D. dont Hermione lui rabattait les oreilles – se soient mieux débrouillés que
d’autres. Quand il avait terminé par désarmer Zabini, le dernier à entrer dans le cercle, au
bout de quelques minutes, Snape n’avait rien trouvé de mieux que de critiquer le charme du
bouclier d’Harry, comme s’il n’avait pas passé les deux heures à désarmer élève sur élève.

Harry se doutait que ce n’était que pour les apparences, mais ça ne l’avait pas empêché d’être
un poil vexé. De plus, en dépit de toutes ses provocations, Snape s’était contenté d’ôter des
points au lieu de lui donner une retenue. Personne ne doutait que l’hostilité entre eux était
plus forte que jamais, mais le garçon, lui, commençait à se poser des questions.

Il avait la sensation que le Professeur l’évitait.

Il n’était jamais dans son bureau, ne s’attardait pas suffisamment après les cours pour qu’il
puisse lui parler et arborait, en permanence, un air sombre qu’Harry connaissait bien pour
l’avoir vu suffisamment de fois sur le visage de Severus. Quelque chose clochait.

« Je ne sais pas. » hésita Neville, visiblement pas convaincu. « Lui aussi, il est différent. Il a
l’air un peu plus… »

« Affreux ? » proposa Harry, sans croiser son regard.

« Humain. » lâcha le Gryffondor.

« C’est pour mieux endormir ta méfiance. » jura-t-il.

Son ami accepta sa réponse, dans un haussement d’épaules, et désigna le magasine d’un
geste.

« Tu as lu l’interview ? Tu vas vraiment aller vivre chez lui ? » s’enquit Neville, sans savoir
qu’il s’aventurait en terrain sensible.

Sur la couverture brillante, un Sirius en papier glacé lançait inlassablement clin d’œil sur clin
d’œil, en décernant, de temps en temps, un sourire ravageur à son public. L’interview, sortie
bien avant son retour, avait laissé Harry un tant soit peu songeur. Son parrain y affirmait être
déterminé à obtenir sa tutelle, y déclarait garder espoir pour un éventuel retour d’Harry, s’y
répandait en compliments sur son filleul… Il était dur de douter de son affection manifeste.

Il se sentait de plus en plus coupable de la pile de lettres qui s’amoncelaient dans sa malle,
toutes restées sans réponse. Ce n’était pas vraiment de sa faute. Ces derniers jours, il avait
tenté, à chaque lettre reçue, de répondre. Vraiment. Il ne comptait plus le nombre d’heures
qu’il avait passé devant un bout de parchemin vierge, la plume à la main, sans savoir
comment débuter sa missive.
Hermione, Ron et Ginny s’étaient mis à insister plus ou moins subtilement, chaque matin et
chaque soir, pour qu’il envoie Hedwige à son parrain avec une explication. Apparemment, il
n’était pas le seul à recevoir un hibou par jour. Ron et Hermione avait refusé de trahir ses
confidences et Ginny n’en savait pas suffisamment pour s’y aventurer même si elle l’avait
voulu – ce qu’elle n’aurait pas fait, il en était sûr.

Un chat sauta sur la table, entre eux, avant qu’il n’ait pu s’aventurer à donner une réponse
maladroite. Neville recula un peu brusquement, mettant autant de distance que possible entre
lui et l’animal.

« Encore ce monstre ? » s’exclama le Gryffondor, en regardant autour de lui. « À qui est-ce


qu’il peut bien appartenir ? »

N’appréciant visiblement pas l’accueil peu chaleureux qui lui était fait, le félin feula en
direction de l’adolescent. Harry attrapa Masque sans tenir compte de sa mauvaise humeur et
le déposa sur ses genoux, grattant juste derrière ses oreilles comme il l’aimait. Ses
ronronnements faisaient le bruit d’une turbine d’avion prêt à décoller.

« D’accord. » lâcha Neville, impressionné. « Tu as une carrière toute tracée dans le domaine
des créatures magiques. Tu pourrais devenir l’assistant d’Hagrid. »

Harry leva les yeux au ciel. Le chat s’était fait sa petite réputation dans la Tour des
Gryffondors, ces derniers jours. Aussi acariâtre que le Professeur de Défense, il avait griffé
une deuxième année qui s’était aventurée à le caresser sans son autorisation et crachotait sur
qui le regardait de travers. Associé à son apparence des moins attirantes, son agressivité avait
vite fait de convaincre les lions qu’il valait mieux éviter ce mystérieux félin qui ne semblait
pas avoir de propriétaire.

« Tu sais à qui il est ? » demanda Neville. « Je ne l’avais jamais vu, avant. »

Masque cogna durement sa tête contre sa main, afin d’indiquer qu’il n’appréciait pas du tout
l’arrêt des caresses. Le chat persistait à lui rendre régulièrement visite et à quémander son
attention. Il s’était pris d’affection pour Hermione qui avait partagé avec lui les friandises
qu’elle achetait pour Pattenrond. Il ne savait pas ce que Snape lui donnait à manger mais ce
n’était visiblement pas aussi bon que les bouchées de sardines – ce qui était un nom bien
pompeux pour parler de croquettes, d’après lui.

« On dirait un chat de gouttière. » insista le Gryffondor. « Peut-être qu’il est sauvage. »

« Peut-être. » offrit Harry, sans s’engager.

°°O°°O°°O°°O°°

« Tu crois que ça a un rapport avec Harry ? » s’angoissa Ron, alors qu’ils approchaient du
bureau de McGonagall.

Hermione indiqua, d’un geste, qu’elle n’en savait pas plus que lui et accéléra l’allure. Le
première année qui était venu interrompre la session d’étude de leur petit groupe d’amis, à la
bibliothèque, avait simplement dit que McGonagall désirait voir Hermione et Ron sur le
champ. Harry, à sa connaissance, était dans la tour avec Neville… Il n’avait tout de même pas
pu se passer une catastrophe en deux heures à peine…

Depuis qu’Harry était revenu, ils semblaient tous vivre en suspens. Ils attendaient. Elle
n’avait aucune idée de ce qu’ils attendaient, mais ils attendaient bel et bien pourtant. Que
Voldemort se manifeste à nouveau, qu’Harry laisse finalement exploser les émotions qu’il
refoulait depuis son retour, que quelque chose fasse finalement éclater le statuquo…

Ron frappa à la porte et entra, presque sans attendre que McGonagall l’y invite.

« Charlie ? » s’étonna son meilleur ami, en s’immobilisant sous le seuil.

Hermione dut se faufiler derrière lui pour voir ce qui se passait dans le bureau. Le frère de
Ron était assis dans un des fauteuils qui faisaient face au bureau de McGonagall, elle-même
installée à sa place. Et devant la fenêtre, il y avait Sirius. Le Sirius qu’Hermione voyait
s’afficher sur les couvertures de magasines : séduisant, bien habillé, et avec ce petit quelque
chose qu’arborait plus ou moins consciemment tous les Sang-Purs. De l’évadé barbu,
décharné, en haillons et mal coiffé, il ne restait plus rien.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? » demanda Ron, d’une voix blanche, visiblement incapable de
bouger. « Bill ? Maman ? »

Hermione attrapa le poignet de son ami d’une main et posa l’autre sur le mur, cherchant un
soutien. S’il était arrivé quelque chose à Mrs Weasley…

« Non, non ! » s’empressa de le rassurer Charlie, en bondissant hors du fauteuil pour venir
poser une main sur l’épaule de son frère. « Ils vont bien. »

Ron expira profondément et Hermione se sentit devenir la cible de tous les regards.

« Miss Granger, si vous voulez bien vous asseoir. » invita gentiment sa Directrice de Maison.

Elle s’exécuta, se demandant bien ce qu’ils pouvaient lui vouloir. Ron s’installa à côté d’elle,
prenant le siège abandonné par Charlie, qui posa une demi-fesse sur le bureau de
McGonagall. La sorcière lui jeta un regard désapprobateur mais le dragonnier ne parut pas
s’en apercevoir.

Sirius se rapprocha, saluant les adolescents d’un sourire.

« Miss Granger, il n’y a pas de bonne manière de vous apprendre ce que j’ai à vous dire… »
déclara McGonagall. « Et croyez bien que j’en suis désolée. »

Hermione hocha la tête, se forçant à respirer calmement et à ignorer les regards insistants
posés sur elle.

« Il y a plusieurs semaines… » commença la sorcière. « Après votre échappée folle au


Ministère… »

« Où ils m’ont sauvé la vie. » intervint Sirius, avec un clin d’œil pour Hermione.
« N’ayez pas l’air aussi convaincu que ce soit une bonne chose. » riposta McGonagall, sans
réelle hostilité. L’Animagus accepta la remontrance de bon grès et inclina légèrement la tête,
mais la sous-directrice ne perdit pas son air sévère. « Comme je le disais avant d’être
interrompue, Miss Granger, après la Nuit des Ténèbres, j’ai tenté de prévenir vos parents de
ce qui s’était passé. »

Hermione sentit une boule de fonte se loger dans son estomac. Elle n’avait jamais pensé
pouvoir garder le secret indéfiniment. Elle avait toujours su qu’à un moment ou à un autre, il
lui faudrait avouer la vérité. Elle avait simplement espéré pouvoir leur cacher ses actions un
peu plus longtemps.

« J’ai envoyé plusieurs hiboux, sans obtenir de réponses. » poursuivit sa Directrice de


Maison, avec plus de douceur. « Cela m’a inquiétée alors j’ai alerté le Directeur qui a
demandé à plusieurs membres de l’Ordre de bien vouloir se rendre sur place afin de
déterminer ce qu’il en était. »

Sirius vint se placer derrière elle et posa les mains sur ses épaules, dans un geste de soutien
qui lui fit chaud au cœur. Ron, devinant probablement vers quoi McGonagall se dirigeait,
attrapa ses doigts, qui pendaient mollement sur l’accoudoir. Charlie ne bougea pas mais la
regarda avec une telle compassion… Elle se sentit coupable.

« Ils n’étaient plus là. » lâcha-t-elle, platement.

Elle déglutit péniblement, tentant de rassembler le courage nécessaire aux explications


qu’elle se devait de donner. C’était dur de penser à sa famille. C’était dur de repenser au
matin où elle les avait quittés pour la dernière fois, parce que les souvenirs qu’elle gardait de
cette journée étaient paradoxaux. À certains moments, tout était gravé dans son esprit,
jusqu’au plus minuscule détail, à d’autres, c’était le brouillard total. Il lui arrivait de regretter
ses choix, de souhaiter avoir écouté Draco, mais il s’agissait d’instants de faiblesse qui
s’estompaient généralement rapidement. Au demeurant, elle savait qu’elle avait fait le bon
choix. Elle leur avait offert la seule protection qu’elle pouvait en les envoyant loin d’elle.
Personne ne les trouverait. Personne ne leur ferait de mal.

« Non, Hermione. » confirma Charlie. « Tonks et Fol’Œil ont fouillé partout. Ils ont
disparu. »

Les mains de Sirius exercèrent une pression réconfortante sur ses épaules. Elle ferma les
yeux. Comment expliquer ? Comment trouver les mots ?

« Ça fait un moment que tu n’as pas eu de lettre de tes parents… » remarqua soudain Ron.

« Depuis les vacances Noël. » soupira-t-elle. « Je… »

McGonagall se racla la gorge et échangea un regard avec Sirius. Hermione ne pouvait pas
voir l’expression de l’Animagus, mais elle aurait parié qu’il y avait la même gêne sur son
visage que sur celui de sa Directrice de Maison.

« À ce propos… » hésita la sorcière, sans visiblement savoir comment dire ce qu’elle avait à
dire. Elles étaient deux. « Plusieurs de vos voisins ont rapporté que vous étiez accompagnée
lors des vacances de Noël. D’après les descriptions qu’ils ont donné du garçon en
question… »

Charlie et son frère se fixaient du regard, ayant apparemment une discussion silencieuse.

« Est-ce que c’était Malfoy, Hermione ? » demanda Sirius, sans réelle délicatesse, en se
décalant pour pouvoir la regarder en face.

Ron serra brièvement sa main.

« Draco n’aurait jamais fait de mal aux parents d’Hermione. » intervint son meilleur ami,
avec conviction.

Charlie eut l’air surpris. McGonagall et Sirius eurent simplement l’air peiné.

« Miss Granger, croyez bien que je comprends ce que cette conversation peut avoir de
bouleversant, mais nous devons savoir s’il s’agissait bel et bien de Draco Malfoy. » insista la
sous-directrice.

« Draco n’a rien fait. » s’horrifia-t-elle, le cœur battant à tout rompre. « Je le jure. »

Hermione se sentait stupide, une impression très désagréable à laquelle elle n’était pas
habituée. Il lui fallait tout expliquer, à l’instant, avant qu’ils accusent Draco de…

« Un loup-garou s’étant publiquement déclaré pour la cause Mangemort a été aperçu près de
chez vous, Miss. » déclara McGonagall. « Je n’ai pas besoin de vous rappeler les convictions
politiques peu glorieuse de Lucius Malfoy. »

Un loup-garou ? Près de chez elle ? Le soulagement qui la traversa fut tel qu’elle s’effondra
un peu dans son siège. Elle avait eu raison. Elle avait eu raison. Le sacrifice avait peut-être
été considérable, mais si elle ne l’avait pas fait, que serait-il arrivé à ses parents et à ses
grands-parents ?

Les imaginer à la merci des Mangemorts… Les imaginer tremblants et impuissants face à ces
monstres…

Elle ferma les yeux et s’appuya plus lourdement sur le dossier, échouant à se détacher
totalement d’un certain sentiment de panique. Sa famille était-elle plus en sécurité là où elle
l’avait envoyée ? Étaient-ils totalement protégés par leurs nouvelles identités ? Elle avait tout
prévu… Des faux papiers aux billets d’avion… De la précision des souvenirs qu’elle avaient
substitué aux leurs à la certitude qu’ils n’avaient eu ni enfant, ni petite-fille… Une fois
qu’elle avait trouvé les sortilèges, les potions… Cela n’avait pas été si difficile de se procurer
ce dont elle avait besoin.

« Greyback en avait après Tonks. » intervint Sirius. « Rien ne prouve qu’il était là pour les
Granger. »

« Rien ne prouve le contraire non plus. » remarqua Charlie. « Toute la question, c’est :
Malfoy a-t-il ou non vendu les parents d’Hermione ? »
Les paroles du dragonnier lui firent reprendre violemment contact avec la réalité.

« Draco n’est pas comme son père. » s’énerva Ron, avant qu’elle ait pu dire quoi que ce soit.
« Il n’aurait jamais fait ça. »

Mais sa voix n’était plus aussi convaincue. Il y avait un soupçon. Un horrible, affreux,
innommable soupçon.

°°O°°O°°O°°O°°

« Je tiens à ce que cela soit clair, Mr Malfoy, vous n’êtes en aucun tenu de répondre à leurs
questions. » déclara Snape, en prenant place derrière l’imposant bureau en acajou. « Ceci n’a
rien d’une enquête officielle. »

Les yeux gris de Draco passèrent lentement de sa cousine à l’énorme brute affublée d’un œil
magique, avant de revenir vers son Directeur de Maison. Les quelques fenêtres donnant sur
les profondeurs du lac associées à la lueur tremblotante des torches, berçaient la pièce d’une
lumière verdâtre et changeante qui lui rappelait suffisamment la salle commune pour le
mettre à l’aise. Ce n’était visiblement pas le cas de Maugrey Fol’Œil et de Nymphadora
Tonks qui ne paraissaient pas à leur place dans ce décor.

Cela faisait un moment que Draco n’avait pas eu de raisons de mettre les pieds dans le bureau
du Directeur de Maison de Serpentard. Slughorn avait préféré s’installer dans une des tours,
ce qui, en soit, était probablement une bonne chose, parce que le garçon imaginait sans peine
la colère générale qui aurait grondé si l’homme avait empiété sur le territoire de leur
Directeur de Maison.

« Assieds-toi. » aboya Fol’Œil.

Draco resta fermement planté où il était, entre la porte et les sièges qui faisaient face au
bureau. Les deux Aurors se tenaient debout, de par et d’autre de la pièce. Sa cousine semblait
avoir abandonné ses accoutrements ridicules au profit de cheveux châtains ternes et d’une
tenue sombre qui ne lui allaient absolument pas. Sans les couleurs criardes, elle paraissait
éteinte.

« Professeur ? » s’enquit-il poliment, reposant son attention sur Snape.

Le Maître des Potions jeta un regard exaspéré à Maugrey et lui fit signe de prendre un des
fauteuils, face à lui. Ce qu’il fit avec une mauvaise volonté affichée.

« Draco. » intervint la jeune femme. « Nous avons simplement quelques questions à te


poser. »

« Nymphadora… » répondit-il, prenant soin d’étirer chaque syllabe. Il était déterminé à


l’appeler Nymphadora puisqu’elle détestait ça. « Comment va ta mère ? »

Andromeda et lui entretenaient une correspondance régulière et courtoise. Il avait appris à


apprécier ce qu’il connaissait de sa tante. Elle lui racontait parfois des anecdotes sur l’enfance
de sa mère et il s’aventurait, de temps en temps, à esquisser une description de ce que
Poudlard était devenu en ces temps de trêve.

« Ce n’est pas une visite de courtoisie, non plus, Draco. » déclara-t-elle, fermement.

Il nota la surprise rapidement dissimulée de Snape comme le déplaisir affiché de Fol’Œil. Il


se reprocha immédiatement d’avoir dévoilé son jeu devant le Maître des Potions. Le fait que
Snape soit un Mangemort était un secret de polichinelle. Le fil sur lequel dansait Draco était,
lui, de plus en plus ténu. Lucius l’avait encouragé à obtenir la protection des amis de Potter,
de préférence avant que ses frasques récurrentes ne poussent le Seigneur des Ténèbres à
exiger un choix de Lord Malfoy. Il ne voulait rien faire qui pousserait son père à devoir le
renier plus vite. Le sceau qui pendait au bout d’une chaine, sous sa chemise, était déjà trop
lourd.

« Dis-moi, Malfoy, tu as déjà la Marque ? » attaqua Fol’Œil. « C’était ton initiation, c’est
ça ? »

Le sorcier fondit sur lui comme une buse sur une souris et Draco réagit instinctivement. Il
bondit hors du fauteuil qu’il repoussa entre eux et tira sa baguette pendant que Maugrey se
débâtait encore avec le meuble.

« Assez. » tonna le Professeur, en se levant à demi de son propre siège. « Je ne tolèrerai pas
ce genre d’accusations. »

« Tu n’as rien à tolérer, Snape. » cracha Fol’Œil, en sortant sa propre baguette. « Tout ce que
je veux savoir c’est s’il y a un ou deux Mangemorts dans la pièce. »

Secret de polichinelle, songea Draco, en réfléchissant rapidement à une manière efficace de


se sortir de ce traquenard.

« Arrête, Fol’Œil. » ordonna Nymphadora, dans son dos. « Draco, est-ce que tu veux bien me
montrer ton avant-bras gauche ? »

Cela avait beau être formulé comme une requête, ça n’en était pas une. Draco fut réellement
vexé.

« Auriez-vous oublié qui a sauvé Black au Ministère ? » grinça-t-il, en levant sa baguette. Il


se décala de façon à avoir les trois adultes dans son champ de vision.

Il n’était pas certain de pouvoir se fier à Snape. Il avait énormément de respect pour lui mais,
comme le fou furieux l’avait justement fait remarquer, Snape restait un Mangemort.
Supposément repenti ou pas, il n’était pas prêt à prendre le risque.

« Je veux voir le Professeur Dumbledore. » exigea-t-il, en désespoir de cause.

Le Professeur Dumbledore, après la nuit passée au Ministère, lui avait paru le seul être
humain un tant soit peu raisonnable dans l’Ordre du Phoenix. De plus, il doutait vraiment que
le Directeur aurait laissé un élève – quel qu’il soit – se faire torturer dans les cachots, sans
rien dire. Son grand défaut était, après tout, d’être bien trop sentimental.
« Le Professeur Dumbledore, rien que ça ! » se moqua Fol’Œil, en fouettant l’air de sa
baguette.

Draco dressa un bouclier hâtif, mais trop tard. Sa baguette s’envola et sa cousine sauta pour
l’attraper dans les airs, avant que l’ancien Auror n’ait pu la récupérer. Elle fusilla le sorcier
du regard.

« Appeler le Professeur Dumbledore est une excellente idée. » décréta Snape, en se dirigeant
vers la cheminée qui occupait un pan de la pièce. « Peut-être pourrions-nous terminer cette
conversation dans son bureau. Cela devrait certainement calmer les ardeurs de ce gorille sans
cervelle. »

Fol’Œil pivota vers Snape et leva sa baguette à l’instant précis où Nymphadora le désarma
d’un sortilège précis.

« Ça suffit. » cingla-t-elle. « Professeur, retournez vous asseoir. Nous n’avons pas besoin de
Dumbledore. Et toi… Ce serait probablement mieux que tu me laisses faire. »

Aucun des deux hommes ne paraissaient enclin à l’écouter mais les étincelles qui échappèrent
au bout de sa baguette lorsqu’ils refusèrent de lui obéir sur le champ fonctionnèrent
davantage que toutes les menaces qu’elle aurait pu proférer.

« Je vous serais gré d’éviter de brûler mon bureau, Miss. » siffla Snape, en reprenant sa place.
« Et je vous avertis que si la sécurité de mon élève est à nouveau compromise… »

« La sécurité de Draco ne sera pas compromise parce que Fol’Œil va contrôler ses pulsions
paranoïaques. » jura Nymphadora, en lançant un coup d’œil d’avertissement à Maugrey.
« Draco, assieds-toi, s’il te plait. »

« Rends-moi ma baguette. » contra-t-il.

Elle la lui tendit sans discuter, alors il retourna s’asseoir mais pris soin de s’installer sur le
fauteuil le plus éloigné de l’ancien Auror.

« Bien. » lâcha la jeune femme, en empochant sa baguette et celle de Fol’Œil. Elle ne fit
attention ni aux protestations du sorcier ni à l’amusement évident de Snape. « Il ne se
détendra pas tant que nous n’aurons pas vu ton avant-bras, Draco. Alors si tu pouvais… »

Il envisagea de résister un peu plus longtemps, parce qu’il était bien certain qu’ils n’avaient
aucun droit de l’obliger à faire ça… Toutefois, il se rendit bien vite compte que ce ne serait
qu’une perte de temps. S’ils voulaient véritablement savoir, ils trouveraient un moyen de
vérifier. Il serait plus rapide d’en finir immédiatement avec cette affaire.

Levant les yeux au ciel, histoire de bien établir son déplaisir, il remonta sa manche, dénudant
la peau laiteuse de son avant-bras.

« Satisfait ? » ironisa-t-il, en le lui collant sous le nez. « Pas de Marque. »

Elle attrapa son poignet et le tourna dans tous les sens, examinant attentivement sa peau. Il
finit par se dégager d’un coup sec. Elle avait les mains froides. Mentalement, il commença à
composer la lettre qu’il enverrait à sa tante par le premier hibou disponible. Nymphadora
aurait droit à un sermon interminable ou il ne s’appelait plus Draco Malfoy…

« Pas de Marque. » confirma-t-elle.

Fol’Œil insista pour qu’elle inspecte l’autre bras, puis sa nuque puis ses omoplates… En
dépit des protestations de Snape et de l’assurance qu’il n’était pas obligé de coopérer, Draco
se soumit à leurs demandes. Lucius lui avait ordonné de réfléchir en termes tactiques, tout ce
qui pouvait le sauver était bon à prendre… Qu’avait-il fait pour s’attirer la curiosité de
l’Ordre ? Il n’était pas idiot, rien de toute cela n’avait à voir avec le Ministère. C’était l’Ordre
que représentaient Nymphadora et Fol’Œil. Et s’ils pensaient, ne serait-ce qu’un instant, que
sa loyauté penchait du côté du Seigneur des Ténèbres… Il devait gagner la protection des
amis de Potter. Il lui fallait la protection de Dumbledore…

« Les jambes. » suggéra Fol’Œil.

Draco refusa. Ôter sa chemise était une chose, enlever son pantalon en était une autre. Ne
seraient-ils satisfais que lorsqu’il serait nu et sans défense ? Il lui fallait la protection de
l’Ordre, certes, mais au prix de sa fierté ? De sa dignité ? Il y avait très peu qu’il plaçait au
dessus de l’un ou de l’autre. Il incarnait la Maison Malfoy. Ce n’était pas que lui qu’ils
humiliaient en l’exhibant de la sorte. C’étaient tous ses ancêtres.

« Quelque chose à cacher ? » triompha Maugrey.

« Le Professeur Dumbledore vous a autorisés à poser quelques questions à Mr Malfoy, pas à


l’interroger comme un criminel. » pressa Snape « Auror Tonks, si vous n’intervenez pas, je
mets un terme à cet entretien. »

Nymphadora paraissait, elle aussi, perdre patience.

« Il n’a pas de Marque, Fol’Œil. » s’énerva-t-elle. « Franchement, pourquoi aurait-il aidé


Sirius s’il était un Mangemort ? »

« Enfin une question sensée… » soupira Snape, en se pinçant le nez.

« Pour endormir les soupçons bien entendu. » rétorqua l’ancien Auror, en frappant du poing
sur la surface du bureau. L’encrier de Snape tressauta et manqua se renverser. Nymphadora le
stabilisa avec un regard d’excuse pour le Professeur. « Pour nous infiltrer. »

Les infiltrer ?

« Et que voulez-vous que j’infiltre précisément ? » riposta-t-il, fatigué de s’entendre insulté.


« La salle commune des Gryffondors ? »

Quelle niche d’informations ! Il y avait appris que Brown détestait les insectes et que Ron
poussait des cris plus aigus que sa petite-amie lorsqu’il était confronté à une araignée. Quel
succès il aurait eu s’il s’était amusé à rapporter ce détail au Seigneur des Ténèbres… Il était
évident qu’il s’était trompé de camp…
« Par exemple. » commenta Fol’Œil, sans saisir son sarcasme. « Tu as pensé que te
rapprocher des amis de Potter serait une excellente idée, hein ? Tu n’en as pas cru ta chance
lorsque Granger a commis la bêtise de t’inviter chez elle… Et tu as pensé que personne ne
s’apercevrait de rien… Qui ferait attention à quelques Moldus, après tout… »

Il avait peur de comprendre.

Fronçant les sourcils, il se tourna vers sa cousine.

« Il serait peut-être plus productif que tu me dises exactement de quoi il retourne. » suggéra-t-
il, non sans ironie. « Vous parlez beaucoup de poser des questions, mais personne ne m’a
encore demandé quoi que ce soit. »

Nymphadora le dévisagea pensivement.

« Où as-tu passé les vacances de Noël ? » demanda-t-elle.

Inutile de mentir puisqu’ils étaient visiblement déjà au courant.

« Chez les Granger. » répondit-il.

Fol’Œil triompha mais Snape le fit taire d’une remarque cinglante.

« Qui était au courant ? » enchaîna-t-elle, sans laisser le temps à l’ancien Auror de répliquer.

Qui était au courant ? Personne. Tout le monde. Dur de le déterminer dans cette école où les
secrets ne restaient jamais secrets…

« Tes parents ? » insista-t-elle. « Un de tes amis ? »

Il secoua la tête. Blaise. Blaise avait forcément deviné mais il refusait de l’impliquer là-
dedans. Blaise, de toute manière, ne l’aurait jamais trahi.

« Qu’est-ce qui se passe ? » s’enquit-il, avant qu’elle ait pu demander autre chose.

« Les parents de Granger ont disparu. » lui apprit Snape, sans aucune délicatesse. « Ils
demeurent introuvables. »

Draco parvint à ne pas se trahir au prix d’un gros effort.

« Et vous pensez que je suis responsable de leur disparation. » déduisit-il, non sans une légère
angoisse.

Que faire ? Il avait prévenu Granger que cette histoire finirait mal… Mentir ? Dire la vérité ?
Le choix était Cornélien. Ce n’était pas son secret.

Et pourtant, il n’allait quand même pas subir les retombées de cette histoire…

« Personnellement, je pense que vous n’aviez rien à faire chez cette jeune fille. » décréta
Snape, froidement. « Je vais devoir en notifier vos parents. »
Il affronta son regard sans trembler, refusant d’avoir à s’excuser de son amitié avec une Née-
Moldue. Il pouvait garder ses remontrances pour lui. Snape était un Sang-mêlé, tout le monde
le savait, Draco n’allait certainement pas accepter que quelqu’un lui étant inférieur en rang
lui fasse la leçon sur la pureté du sang.

« À votre gré. » lâcha-t-il, avec mépris.

« Tant que tu y es, demande donc à son Mangemort de père ce que son Mangemort de fils a
fait des parents de cette pauvre gosse. » cingla Fol’Œil, avant de se tourner vers lui.
« Attaquer des Moldus est passible d’une condamnation à vie à Azkaban. »

Draco détestait ce type avec une telle passion… Il passa en revue tous les maléfices qu’il
aurait aimé lui jeter au visage.

« C’est censé m’encourager à avouer ? » grinça-t-il.

« Il y a donc quelque chose à avouer. » rétorqua Maugrey, une lueur sadique dans son œil
valide. L’autre tournait et retournait dans son orbite, c’était écœurant.

« Je suggère que vous vous taisiez à présent, Draco. » déclara Snape. « Rien de tout ceci n’est
légal et… »

« Tonks est une Auror. » l’interrompit Fol’Œil. « Tout crime avoué devant elle est considéré
comme légalement recevable. Et il me semble que Malfoy vient bel et bien d’avouer. »

Dans quel pétrin, Granger l’avait-elle encore fourré ?

°°O°°O°°O°°O°°

« Harry ? » hésita Remus, en s’immobilisant en haut de l’escalier étroit qui reliait l’aile ouest
à la partie centrale de l’école.

Les trois adolescents qui chahutaient gentiment se tournèrent vers lui, soudain silencieux.
Ginny ne perdit pas une minute avant de le saluer joyeusement, suivie par Neville. L’accueil
d’Harry fut moins enthousiaste mais pas véritablement hostile, ce qui l’encouragea à
descendre l’escalier pour les rejoindre sur le palier. La cadette Weasley lui expliqua qu’ils
étaient en route pour la Grande Salle et lui demanda ce qu’il faisait à Poudlard. Lorsqu’il
répondit qu’il allait rejoindre Sirius dans le bureau de McGonagall, non sans tergiverser entre
la vérité et un petit mensonge, Harry se renfrogna ostensiblement.

« Allez-y, sans moi. » offrit le Gryffondor, alors que le silence menaçait de devenir gênant.
« Je vous rattrape. »

« Sûr ? » hésita Ginny.

Ainsi, tout le monde savait qu’Harry était réticent à contacter son parrain. Connaissaient-ils
également la raison de ce refus ? Sirius avait beau envoyé hibou sur hibou, le garçon n’avait
jamais répondu et ils n’étaient pas plus avancés. Ils avaient essayé d’en parler à Dumbledore
mais le Directeur ne leur avait fourni que des explications incomplètes, elles-mêmes
arrachées à Severus et refusait de s’impliquer dans le conflit. Apparemment, durant son
séjour en 1975, Harry s’était fait des ennemis des Maraudeurs et ne parvenait pas à dépasser
sa rancœur. Sirius maintenait qu’il devait y avoir autre chose, que quelques plaisanteries ou
même une légère rivalité ne pouvait pas être la seule raison de ce silence prolongé…

Remus en avait conclu qu’à moins de confronter personnellement l’adolescent ou, à défaut,
Severus, ils n’obtiendraient pas de clarifications. Seulement le Survivant refusait de voir
Sirius et mettre la main sur le Professeur de Défense s’avérait bien compliqué… Le loup-
garou avait tenté de le contacter plusieurs fois par cheminette, autant pour Harry que pour des
questions concernant l’Ordre, sans aucun succès. L’homme n’était jamais dans ses
appartements. Il n’osait pas envoyer de hibou de peur qu’il soit intercepté…

« Oui. » répondit Harry, dans un sourire. « Empêche Ron de manger tout le pudding. »

« Je sauverai le pudding. » promit-elle. « Viens, Neville. »

La jeune fille le salua d’un signe de tête et attrapa le bras de son ami. Remus les regarda
s’éloigner, conscient que le regard d’Harry était rivé sur lui. C’était étrange de le voir sans ses
lunettes, elles avaient toujours contribué à accentuer davantage encore sa ressemblance avec
James… Cependant, ce n’était pas ce détail qui lui donnait l’impression d’avoir un étranger
face à lui. Il comprenait pourquoi Sirius avait pensé qu’il s’agissait d’un imposteur. Une
assurance nouvelle se dégageait de chacun des gestes d’Harry, une assurance dont il n’avait
pas fait preuve avant sa disparition. Il avait un peu grandi, développé des muscles et, alors
que l’on pouvait généralement lire en lui comme dans un livre, il affichait une expression
gardée que Remus aurait été en peine d’interpréter.

Il repensa à la longue conversation qu’il venait d’avoir avec Dumbledore, et à la requête que
le Directeur lui avait soumise, à la fin de l’entretien. L’entrevue s’était centrée autour de
problèmes concernant l’Ordre et, plus particulièrement, d’un cottage perdu sur la lande qu’ils
avaient plusieurs fois parlé de transformer en lieu sûr au cas où le Ministère tomberait et où il
leur faudrait une solution de repli… Les Mangemorts l’avaient brûlé, sans raison apparente et
Remus était bien en peine d’expliquer comment ils pouvaient en connaître l’existence. À
moins que Severus… Mais le Directeur lui avait défendu de s’aventurer sur ce chemin là et
Remus avait fini par prendre congé. Pourtant, alors qu’il s’apprêtait à partir, Albus lui avait
demandé s’il verrait un inconvénient à donner des cours particuliers de Défense à Harry.
Severus avait commencé à l’entraîner, avait affirmé le vieux sorcier, et il ne voulait pas lui
laisser le temps de régresser. Les fruits de l’entraînement auquel le Maître des Potions avait
soumis Harry, Remus les voyait comme le nez au milieu de la figure.

Harry avait toujours eu un don pour la Défense contre les Forces du Mal, mais il n’était plus
question d’un gamin lançant quelques sorts du bouclier ou même réussissant l’exploit de
produire un Patronus corporel à l’âge tendre de treize ans. Quand il regardait Harry, il voyait
sur son visage la dureté d’un Auror en formation, la prudence et la méfiance constante qu’il
devait cultiver s’il espérait avoir une chance de rester en vie… Vigilance constante. Fol’Œil,
malgré son aversion pour Severus, aurait été fier du résultat. Il avait pris un enfant et leur
rendait un jeune homme mentalement prêt au combat.

Remus lui en voulut un peu, pour cela. Harry n’aurait pas dû avoir à se préparer à ce genre de
bataille. Il aurait eu avoir le droit de rester innocent un peu plus longtemps.
« Ce n’est pas un guet-apens. » se défendit-il, dès que Ginny et Neville eurent disparu au
détour du couloir. « C’est une coïncidence. »

Il lut dans les yeux verts, si semblables à ceux de Lily, qu’Harry ne croyait plus vraiment aux
coïncidences.

Le garçon haussa les épaules et força un sourire sur ses lèvres.

« J’aurais dû vous écrire. » s’excusa l’adolescent, en fuyant son regard. « J’ai essayé
plusieurs fois, mais… » Sa phrase se termina dans un soupir. « Comment va Sirius ? »

« Il irait mieux si tu le contactais. » lui reprocha-t-il, gentiment.

Harry eut la bonne grâce d’avoir l’air embarrassé.

« Je n’étais pas certain que tu voudrais me voir, étant donné tes mauvaises dispositions vis-à-
vis de Sirius. » confia-t-il.

L’approche n’était peut-être pas la plus subtile, mais Remus doutait d’obtenir un résultat
autrement qu’en confrontant le problème. Harry n’était pas le fils de son père pour rien.
James pouvait parfois être le plus buté des hommes…

« J’ai dit à Sirius ce que j’avais à lui dire. » répondit le garçon, en se renfrognant.

« Tu ne lui as pas dit grand-chose. » répliqua-t-il.

Le regard d’Harry se balada sur les armures disposées avec régularité tout le long du couloir,
sur les murs, sur les quelques peintures…

« Écoutez, c’est compliqué, Remus. » soupira-t-il finalement. « J’essaye, vraiment. Mais, là,
tout de suite, c’est compliqué. »

L’agacement qui commençait à naître se dissipa totalement. Harry n’avait pas l’air de faire un
caprice ou d’être difficile pour le simple plaisir de l’être… Il avait véritablement l’air
perturbé par la situation.

« Harry… » hésita-t-il. « J’imagine ce que tu as pu éprouver, ces derniers mois… »

« Non, je ne crois pas que vous le puissiez. » coupa sèchement Harry, en affrontant son
regard.

Une lueur bravache dansait dans les yeux verts, comme si le garçon le défiait de le contredire.
Remus n’osa pas s’y aventurer. Se retrouver confronter aux spectres de James et de Lily…
De Sirius et de Peter… Tous inconscients de ce que l’avenir leur réservait… Tous encore
tellement innocents… Quant à se retrouver face à face avec des parents qu’il n’avait jamais
connus autrement que par des anecdotes éparses et des photos jaunies…

Non, Harry avait raison, il ne pouvait pas l’imaginer.

« Tu ne t’entendais pas avec nous, n’est-ce pas ? » demanda-t-il, doucement.


Il était conscient du risque qu’il prenait avec cette simple question, mais elle devait pourtant
être posée. Il était déjà certain de la réponse, de toute manière… Sirius avait beau pensé qu’il
y avait davantage derrière tout ça que quelques plaisanteries, Remus savait ce que les farces
qu’ils avaient jouées à certaines personnes, par le passé, pouvaient avoir de cruel. Il en avait
honte mais assumait sa part de responsabilité. Trop longtemps, il s’était contenté d’apaiser sa
culpabilité en se disant qu’il avait protesté et tenté de dissuader ses amis

« Pas vraiment, non. » répondit Harry, avec un sourire dur. « C’est le problème quand on est
réparti à Serpentard… Tout le monde pense immédiatement qu’on est un Mangemort, surtout
les petits cons qui se croient plus malins que les autres. »

Remus choisit de ne pas prendre ombrage de son langage.

« Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais peut-être que si nous en discutions… » proposa-t-il.

« Je n’ai pas vraiment envie d’en parler. » déclina Harry, en croisant les bras.

Intérieurement, le loup-garou ravala un soupir. Cela allait s’avérer être bien compliqué si…

« Je suis certain que le Professeur Dumbledore ne verrait aucun inconvénient à nous prêter
son bureau. » insista-t-il. « Sirius est avec le Professeur McGonagall, si j’allais le chercher,
nous pourrions… »

« Je ne veux pas voir Sirius. » l’interrompit l’adolescent. « Qu’est-ce qu’il fait dans le bureau
de McGonagall, de toute manière ? S’il est venu pour ces histoires de gardes qu’il étale dans
les journaux… »

Harry laissa sa phrase en suspens, visiblement incertain de la meilleure manière de la


terminer. Un peu irrité de l’attitude du garçon, Remus ne mâcha pas ses mots.

« La présence de Sirius n’a rien à voir avec toi. » asséna-t-il. « Il est ici pour tenter de
déterminer ce qui est arrivé aux parents d’Hermione. Cela fait des semaines que personne ne
les a plus vus. Nous pensions que la nouvelle serait plus facile si elle était entourée de ses
amis. »

Il s’aperçut trop tard qu’il s’était mal exprimé. Sirius, Charlie et McGonagall avaient décidé
de faire convoquer Hermione et Ron, sans Harry, pour ne pas que le Survivant ait à se
retrouver nez à nez avec son parrain s’il ne le souhaitait pas. Il n’avait jamais été question de
l’exclure volontairement. Ils avaient surtout pensé à Hermione et conclut que la nouvelle
serait suffisamment bouleversante sans qu’ils ne rajoutent de l’huile sur le feu avec une
atmosphère hostile.

« Et je suis quoi, moi ? » riposta le Gryffondor, non sans amertume.

Avant que Remus ait pu tenter de s’expliquer ou même esquisser un geste, Harry était parti en
courant en direction du bureau de McGonagall.

°°O°°O°°O°°O°°
Tonks passa une main dans ses cheveux courts, mais désespérément emmêlés, résistant avec
peine à l’envie de les arracher de frustration. Snape et Fol’Œil s’insultaient de manière plus
ou moins imagée et plus ou moins subtile, depuis plus de dix minutes, sans qu’elle ne
parvienne à ramener l’ordre dans le bureau du Directeur de Serpentard. Les deux hommes
paraissaient prêts à se sauter à la gorge. Elle était heureuse d’avoir la baguette de son mentor
en sa possession, mais doutait que ça suffise à arrêter l’ancien Auror. Quant à Snape… Elle
n’aurait pas aimé avoir à se frotter à Snape.

« Tu interviens, quand tu veux. » siffla son cousin.

Elle tourna les yeux vers Draco qui, installé dans son fauteuil, observait la scène avec un air
blasé qui ne trompait personne. Il se tenait tellement droit que son dos ne frôlait même pas le
dossier, son port de tête altier se voulait au-dessus de l’altercation qui augmentait en intensité
de seconde en seconde – plus Fol’Œil haussait la voix, plus celle de Snape devenait grave et
menaçante – et ses doigts pianotaient impatiemment sur les accoudoirs… Le Sang-pur par
excellence. À le voir, personne n’aurait dit qu’il était accusé d’être responsable de la
disparition de moldus.

Toutefois, Tonks avait eu affaire à suffisamment de personnes dans son genre au cours de sa
carrière pour voir les craquelures sur le vernis. Il y avait cette lueur incertaine dans yeux, la
nervosité de ses gestes…

Elle ne croyait pas coupable. Draco avait quinze ans, il ne pouvait pas être aussi bon menteur
ou manipulateur, c’était impossible. Sa mère ne tarissait pas d’éloges sur ce gamin et,
indépendamment de son opinion personnelle, son instinct lui disait que le Serpentard était
innocent. Peut-être avait-il commis une indiscrétion… Mais elle ne pensait pas qu’il ait
volontairement nuit aux parents d’Hermione… Elle avait vu la manière dont il la regardait…

« Dans ce cas, revenez avec un Auror mandaté par le Ministère. » cingla Snape, en réponse à
une pique de Fol’Œil.

« Je ne vais pas laisser un Mangemort dicter ma conduite. » cracha Maugrey, avec dégoût.
« Tu… »

Tonks fendit l’air de sa baguette et Fol’Œil continua de remuer les lèvres sans produire un
seul son. Combien de gens devrait-elle rendre muet, cette semaine là ? Elle jeta à Fol’Œil un
regard sévère. Elle avait beau l’adorer, il lui arrivait parfois d’être véritablement casse-
pieds… Comme quand il était question d’une suspicion d’appartenance aux Mangemorts ou
des vampires… Quoi que Nyssandra et lui ne s’étaient pas disputé depuis plus de trois
jours…

« Ne daignez pas seulement envisager de retourner votre baguette contre moi. » la provoqua
Snape.

Elle ne lui fit pas le plaisir de répondre.

« Tout ça devient ridicule. » s’exclama-t-elle.


Elle était certaine que si elle avait toujours été en possession de dons de Métamorphomage,
ses cheveux auraient viré au rouge.

« C’est cet entretien qui est ridicule. » riposta le Professeur, en fusillant Fol’Œil du regard.
« Le Directeur a donné son accord pour… »

« Interroger Draco sur la disparition des Granger, pas pour l’accuser d’être un Mangemort. »
coupa-t-elle. « Je suis d’accord et je suis désolée. »

Elle se tourna vers son cousin qui soutint son regard quelques secondes puis accepta ses
excuses d’un bref hochement de tête.

« Gamine… » grogna Fol’Œil qu’un silencio n’avait jamais arrêté bien longtemps. « Si tu
n’es pas capable de faire la part entre tes sentiments personnels et… »

« Ce n’est pas moi qui est un problème à ce niveau là. » l’interrompit-elle fermement. « La
discussion est close. À présent, Draco, peux-tu nous dire exactement ce qui s’est passé chez
les Granger ? »

L’adolescent haussa négligemment les épaules. « Je n’ai rien à dire. »

Tonks dut faire un véritable effort pour ne pas perdre son calme. Elle était entourée de trois
des pires têtes de mule qu’elle n’avait jamais vu. Il ne manquait plus que Sirius et Remus
pour que le tableau soit complet.

« Malfoy. » insista-t-elle, en levant la main en direction du Professeur qui, nul doute, se


préparait à clore l’entretien. Elle supposait qu’il se devait de prendre le parti de Draco quoi
qu’il en coûte, puisqu’il était le fils de Lucius. Il devait cultiver son image de fidèle
Mangemort… Ce qui ne contribuait pas à apaiser Fol’Œil.

« Écoute… » lâcha Draco, d’un ton irrité. « Je n’ai rien à dire. J’ai passé les vacances chez
eux. Ce sont des gens charmants et, crois-moi, je regrette profondément ce qui leur arrive. Je
suis revenu à Poudlard. Fin de l’histoire. »

« Charmant pour des Moldus, je suppose ? » attaqua immédiatement Fol’Œil.

Tonks prit une profonde inspiration, dans l’espoir de regagner un semblant de sérénité,
comme les Magicomages qu’elle avait consultés le lui avaient conseillé. Elle ne parviendrait
à rien tant qu’elle ne maîtriserait pas ses émotions disaient-ils tous d’un air entendu. Le
blocage était émotionnel, c’était donc par là qu’il fallait en passer.

Elle aurait probablement eu plus de chance de rester sereine si l’ancien Auror n’avait pas
cette faculté de ressembler à un chien affamé s’acharnant sur un os à moelle.

« Moldus ou pas Moldus. » grinça Draco, en jetant un regard de défi à Snape.

Toutefois, le Professeur avait croisé les mains sur la surface du bureau et observait désormais
le garçon avec un air songeur. Il ne semblait pas sur le point de faire une remarque
quelconque.
« J’en ai assez. » continua le Serpentard, en se levant. « Si vous voulez poursuivre cette
sympathique discussion, je vous suggère de contacter mon père et son avocat. »

Il n’avait pas fait un pas vers la porte qu’elle s’ouvrait sur McGonagall et ses deux lions. Les
joues d’Hermione étaient humides de larmes, Ron avait l’air grave.

« Professeur, je ne suis pas certaine… » commença Tonks, uniquement pour être couverte par
la voix grave de Snape.

« Je vous en prie, Professeur McGonagall, nul besoin de frapper. » railla-t-il. « Qu’est-ce,


après tout, que cette petite formalité que l’on appelle courtoisie entre gens bien élevés… »

Il suffit d’un seul coup d’œil à la sous-directrice pour faire comprendre à l’homme qu’elle se
passerait bien volontiers de ses remarques.

« Professeur. » soupira Tonks. « Vraiment… »

« Draco n’a rien à voir avec la disparition de mes parents. » l’interrompit Hermione.
Visiblement, personne ne se souciait de ce que disait ou faisait Tonks. « C’était moi. »

La déclaration jeta un froid.

« Hermione… » hésita la jeune femme, à court de mots.

« Ce que tu dis est très grave, petite. » intervint Fol’Œil, du ton bourru qu’il réservait aux
gens qu’il appréciait.

« Dans deux minutes, il va te parler d’Azkaban. » soupira Draco, en indiquant à la jeune fille
de prendre le siège qu’il avait laissé vacant. « Mais, si ça peut te rassurer, l’oncle de Daphné
est le meilleur avocat de la communauté magique. »

La lionne lui lança un regard noir, déclinant le fauteuil d’un geste, et le Serpentard leva les
yeux au ciel.

« Miss Granger, si vous voulez bien. » pressa McGonagall.

Sans se faire prier davantage, Hermione raconta tout. Ses intentions, sa décision, les sorts et
la potion… Le silence, lorsqu’elle eut terminé, était pesant.

Tonks ne savait pas quoi faire. En temps normal, elle aurait dû arrêter la jeune fille, la faire
paraître en justice, mais… Elle voyait bien aux visages de Fol’Œil et de McGonagall qu’il
n’en serait pas question. Dumbledore, une fois mis au courant, souhaiterait régler l’affaire
entre eux – Charlie et Sirius étaient probablement déjà dans son bureau. Seulement, eux,
avaient le choix de le rapporter ou pas au Ministère. Elle, en revanche, cela la mettait dans
une position…

« Doux oubli. » lâcha Snape. Les deux mots, prononcé avec une telle froideur, parurent
percer la bulle de silence comme deux coup de dagues aiguisées. « Doux oubli, Granger.
N’avez-vous rien appris dans ma classe ? »
Hermione leva un peu plus le menton, dans une attitude fière qu’elle aurait mieux fait
d’oublier.

« Comme toutes les potions et sortilèges jouant sur la mémoire, il y a un risque de perte
définitive des souvenirs. » récita-t-elle. « Il s’agit d’un dérivé de… »

« Peut-être serait-il temps que vous arrêtiez d’absorber des pages et des pages d’informations
pour tenter de comprendre ce dont il est question. » cingla Snape. « Avez-vous la moindre
idée de ce qu’une telle potion a de volatile ? Savez-vous ce que… »

« J’ai fait des recherches. » coupa Hermione, calmement. « Je sais pertinemment ce que fait
la potion. »

Tonks se demanda si elle était suicidaire. Sous le coup de la colère, Snape avait plissé les
yeux et observait à présent l’adolescente comme un ingrédient qu’il était sur le point de
disséquer.

« Ce qui est fait est fait. » grogna Fol’Œil. « Snape, tu prépareras un antidote. »

La jeune Auror ne savait pas précisément ce qu’était cette potion, mais il était clair, à voir
Snape, qu’il n’y avait pas d’antidote.

« Est-ce ce que vous êtes venue me demander ? » lança-t-il à McGonagall, avec un


amusement amer. « Un autre miracle ? Je regrette, Minerva, il va falloir prendre un ticket. »

Tonks, comme Fol’Œil, fronça les sourcils. Le Professeur de Métamorphose se contenta de


croiser les bras et de le dévisager d’un air sévère.

« Severus, vraiment, vous êtes d’une amabilité rare, aujourd’hui. » commenta la vieille
sorcière. « Si vous ne pensez pas pouvoir le faire, peut-être qu’Albus… »

« Bonne chance à lui, dans ce cas. » riposta Snape. « Les effets de ces potions sont
suffisamment compliqués à annuler lorsqu’elles sont correctement préparées. Où avez-vous
trouvé la vôtre, Granger ? Dans l’Allée des Embrumes ? Ou bien est-ce là que Mr Malfoy
rentre finalement en scène ? »

Draco eut l’air excessivement las de se voir perpétuellement renvoyé sur le banc des accusés.

« Je l’ai faite moi-même. » déclara Hermione, attirant sur elle le regard sidéré de McGonagall
et de Fol’Œil. Voilà un détail qu’elle n’avait pas dû révéler, plus tôt. Tonks, comme Ron,
n’était pas particulièrement étonnée. Il leur fallut, à tous, plusieurs secondes pour digérer
l’information.

« Et je pensais que vous étiez la plus intelligente des trois… » marmonna Snape.

« La potion avait l’air parfaite, Professeur. » intervint Draco.

« Et que sais-tu des potions d’oublis, Malfoy ? » rétorqua Fol’Œil. « Elles sont illégales. »
« Non, Maugrey. » grinça Tonks, avant que l’homme ne se tourne vers elle. « Je ne vais pas
arrêter Draco. »

L’ancien Auror se renfrogna. Qu’espérait-il ? En qu’arrêtant Draco, ils feraient sortir Lucius
de sa tanière ?

« La discussion est stérile tant que nous n’avons pas les victimes devant nous. » décréta
Snape.

« Ce ne sont pas des victimes et je ne vais pas vous dire où ils sont. » rétorqua Hermione.
« Le but était de les protéger. S’il y a des loups-garous près de chez moi, ils sont plus en
sécurité comme ça. »

« Miss Granger… » asséna McGonagall, avec une exaspération croissante.

« Le loup-garou, c’était ma faute. » la rassura Tonks « C’était moi qu’il suivait. Nous
pouvons protéger tes parents bien plus efficacement si nous savons où ils sont. »

« Tu vas arrêter tes caprices, petite. » renchérit Fol’Œil. « Ce genre d’exploit, ça peut te
valoir Azkaban. »

« Tu vois ? » plaisanta Draco. « C’est son argument favori. »

Ron fit taire le Serpentard d’un coup de coude. Hermione, elle ne paraissait pas du tout
amusée. Pas plus que les Professeurs et Aurors.

« Eh bien, envoyez-moi à Azkaban. » s’entêta la lionne. « Parce que je ne vais pas vous dire
où ils sont. »

« Miss Granger, croyez-vous que nous vous laissons le choix ? » siffla Snape.

« Je ne pense pas qu’elle le croit, Severus. » intervint Dumbledore, d’un ton enjoué, faisant
sursauter tout le monde. Quand était-il entré ? La porte était restée entrouverte mais Tonks ne
l’avait pas vu se faufiler dans la pièce. « Toutefois, puisqu’il s’agit de sa famille, ne pensez-
vous pas que nous le devrions ? Miss Granger a toujours fait preuve d’un discernement
exemplaire pour son âge… »

« Professeur Dumbledore. » lâcha Snape.

Tonks n’aurait pas su dire s’il s’agissait d’un salut ou d’un assentiment. Quoi qu’à voir son
expression de déplaisir évident, il était probablement davantage question de rappeler au
Directeur que, contrairement aux apparences, son bureau n’était pas un moulin dans lequel on
pouvait entrer sans frapper.

« Professeur Dumbledore. » intervint-elle, coupant l’herbe sous le pied de Draco qui avait
ouvert la bouche pour débiter une idiotie ou une autre. « Sauf votre respect, il est hors de
question de laisser quatre Moldus sous l’effet d’une potion d’oubli… Vous ne pouvez pas être
sérieux, c’est tout à fait inconscient ! »
Snape émit un bruit railleur qui lui valut une réprimande discrète de la part de Directrice des
Gryffondors. L’Auror se désintéressa de leurs chamailleries en comprenant, au regard
qu’échangeaient Dumbledore et Fol’Œil que le vieux sorcier était sérieux.

« Professeur ! » protesta-t-elle, estomaquée. « Vous n’allez pas… »

« Êtes-vous certaine que votre famille est en sécurité, Hermione ? » l’interrompit


Dumbledore.

La jeune fille rougit légèrement en se trouvant à nouveau la cible de tous les regards, mais
hocha fermement la tête.

« Ils sont autant en sécurité qu’ils peuvent l’être. » affirma Hermione, avec conviction.

« Ils seraient bien plus en sécurité sous la protection de l’Ordre. » insista Tonks, agacée que
personne ne l’écoute.

« Elle n’a pas tort, Albus. » renchérit McGonagall, avec hésitation. « Que vous envisagiez
seulement… »

« J’aimerai avoir la certitude que Miss Tonks ait raison. » soupira Dumbledore, sans la laisser
finir. « Toutefois… La solution de Miss Granger leur offre un anonymat qui se trouve être la
meilleure des protections pour l’instant. »

« Et que faites-vous des attaques sur les Moldus ? » pressa la jeune femme, avant de se
tourner vers la cinquième année. « Hermione, tu penses peut-être qu’ils sont en sécurité, mais
il n’y a plus un endroit sûr dans tout le Royaume-Unis. Si tu nous dis où ils sont, nous
pourrions envisager un Fidelitas ou une option plus… »

« Ils ne sont plus au Royaume-Unis. » coupa Hermione. « Ils sont loin. Personne ne les
trouvera. »

Tonks poussa un soupir exaspéré et se passa une main sur le visage.

« Tu as enfreint tellement de lois que… » commença-t-elle, uniquement pour être coupée par
Snape.

« Vous perdez votre temps. » l’informa le Professeur. « En ce qui concerne le Professeur


Dumbledore, les Gryffondors sont tous au-dessus des lois et la décision est, de toute manière,
déjà prise. Économisez votre salive. »

Snape ne paraissait pas plus enchanté qu’elle par le dénouement de cette affaire. Pourtant,
elle refusa de baisser les bras aussi rapidement.

« Fol’Œil. » plaida-t-elle.

Son mentor eut l’air gêné. Son œil magique s’agitait dans tous les sens, et l’autre fuyait son
regard.

« C’est peut-être pour le mieux, gamine. » décréta l’ancien Auror.


Elle manqua s’en étrangler.

« Vous n’êtes pas sérieux ? » demanda-t-elle, à la cantonade. « Dites-moi que vous n’êtes pas
sérieusement en train de considérer de laisser quatre personnes innocentes, sous l’influence
d’une potion qui pourrait être mal préparée, vagabonder dans la nature. »

Mais chacun des visages qu’elle consulta des yeux lui affirma le contraire. McGonagall fixait
le sol du regard comme s’il avait recélé tous les mystères de l’univers, Draco paraissait
amusé par sa déconfiture, Ron avait l’air songeur mais, vu qu’il n’avait pas desserré les dents
de toute l’entrevue, elle doutait qu’il s’y aventure à présent, Snape ne cachait pas sa
désapprobation mais n’esquissa pas un geste pour la soutenir et, bien entendu, Hermione
avait l’air déterminée à garder son secret. Quant à Dumbledore… Dumbledore la dévisageait
patiemment, avec une expression compatissante, attendant visiblement qu’elle se range à
l’avis général. Sans douter, une seconde, qu’elle se rangerait à l’avis général.

Ça la mit dans un tel état de colère qu’elle regretta, une fois de plus, que ses dons de
Métamorphomages lui aient fait défaut. Face à ses cheveux noirs, peut-être auraient-ils
compris l’ampleur de sa désapprobation.

« Je suis une Auror. » leur rappela-t-elle. « Ma tâche principale est d’empêcher ce genre
d’abus, de protéger les gens contre ce genre d’abus. Hermione, si tu ne me dis pas
immédiatement où ils sont, je n’aurais d’autre choix que de t’emmener au Ministère. »

Et ça lui fendait le cœur. Merlin, ce que ça lui fendait le cœur. Elle appréciait énormément
Hermione, mais elle ne pouvait pas ignorer un crime d’une telle ampleur… Ce serait différent
si la jeune fille avait avoué ou avait, au moins, fait preuve de regrets… L’intention était
bonne, Tonks le savait, mais les actes… Elle était Auror depuis suffisamment longtemps pour
savoir que de bonnes intentions pavaient littéralement la route vers la damnation.

« Vous ne ferez rien de tel, Tonks. » assura Dumbledore, non sans douceur. « Minerva, peut-
être pourriez-vous raccompagner nos élèves dans leurs salles communes et vous assurer que
les elfes leur apportent une collation ? Il me semble que l’heure du repas, dans la Grande
Salle, est terminée et la situation, ici, est réglée. »

Il n’en fallut pas davantage pour que McGonagall entraîne les adolescents qui, pour une fois,
ne protestèrent pas d’être traités comme des enfants.

« La situation est loin d’être réglée, comme vous dites. » se défendit Tonks, dès que la porte
se fut refermée derrière eux.

« Gamine… » tenta Fol’Œil, mais un geste négligeant de Dumbledore suffit à le faire taire.
Sans recours à la magie. Un geste et les hommes tenaient leur langue.

Tonks avait toujours eu énormément de respect et d’admiration pour Albus Dumbledore. Le


sorcier était une légende vivante. Tout le monde admirait les légendes vivantes… Le côtoyer,
au cours des derniers mois, avait été un privilège et une fierté qu’elle n’aurait échangés
contre rien d’autre au monde.
Pourtant, pour la première fois, elle commençait à comprendre l’ampleur du pouvoir qu’il
détenait. Ce n’était pas un pouvoir qu’il tenait de sa fonction, c’était bien ce qui rendait la
scène légèrement effrayante – elle n’avait jamais vu Fol’Œil ravaler ses opinions devant qui
que ce soit, supérieur ou ami – c’était un pouvoir qu’il tirait de son charisme, de son
influence. De son simple nom.

Il n’y avait un autre sorcier qui avait fait de son nom un objet de pouvoir devant lequel il
fallait s’incliner. Elle n’aimait pas le parallèle qui se dessinait dans son esprit à l’instant.

« Je suis une Auror. » répéta-t-elle, refusant de baisser de détourner le regard devant celui,
trop intense, du Directeur. « Je ne peux pas ignorer ce genre de… »

« Vous êtes un membre de l’Ordre du Phoenix. » l’interrompit aimablement Dumbledore.


« Vous appartenez à l’Ordre avant d’appartenir au Ministère. »

Elle releva le menton, piquée au vif par la remarque.

« J’ignorais que l’un excluait l’autre. » riposta-t-elle.

Dumbledore parut amusé par la remarque.

Pour la première fois, elle prit conscience que Sirius et Scrimgeour n’avaient pas tort. Ils
suivaient aveuglément un homme, sans jamais remettre ses ordres en question. Sirius n’avait
jamais hésité à critiquer ou discuter les instructions du Directeur mais, au sein de l’Ordre, il
était bien le seul. Scrimgeour, lui, depuis son accession au poste de Ministre, n’avait pas
manqué de la mettre en garde à plusieurs reprises sur ses priorités. Ce n’était plus tout à fait
un secret qu’elle appartenait à l’Ordre. Ce n’était pas tout à fait un secret non plus que si
Scrimgeour avait pu se débarrasser de tous les membres de l’Ordre au sein de son ministère,
il l’aurait fait. Seulement, elle excellait dans son travail et ils avaient trop besoin de
combattants pour qu’il se passe de ses services.

« Dans ce genre de guerre, Miss Tonks, il n’est pas bon de disperser ses loyautés. » lâcha
Dumbledore, comme s’il avait lu dans ses pensées. « Vous avez choisi l’Ordre, tenez-vous
y. Alastor, un mot dans mon bureau, je vous prie. »

Fol’Œil lui jeta un regard désolé mais, après avoir récupéré la baguette qu’elle avait
confisquée, suivit Dumbledore, sans protester, l’abandonnant dans le bureau absolument
glauque du Directeur des Serpentards.

« Désenchantée, Miss ? » se moqua Snape, en s’appuyant plus lourdement contre le dossier


de son fauteuil.

Elle fit demi-tour vers lui, s’apercevant, un peu tard, qu’elle était restée plantée, la bouche
entrouverte de consternation, le regard rivé sur la porte ouverte. Elle referma la bouche à la
hâte et secoua la tête, absolument scandalisée.

« Tonks. » le corrigea-t-elle machinalement. « Et je n’ai pas dit mon dernier mot. Je vais… »
« Vous n’allez rien faire du tout si vous ne voulez pas vous attirer d’ennuis. » l’interrompit
sèchement Snape. « Vous allez rentrer chez vous et oublier cette affaire. Considérons-nous
simplement chanceux que le Seigneur des Ténèbres n’ait rien eu à voir avec cette histoire. Au
lieu de quatre Moldus en vadrouille, nous aurions eu quatre cadavres. »

« Si le Ministère apprend… » contra-t-elle, en serrant les poings.

Cependant, il était apparemment écrit dans le ciel qu’elle n’était pas destinée à terminer une
seule de ses phrases ce soir là. L’Astronomie ne lui avait jamais réussi. Pas plus que la
Divination.

« Le Ministère n’en saura rien. » soupira le Professeur, en séparant en deux un tas de


parchemins. « Ne soyez pas naïve. Je suis certain qu’en ce moment même, Maugrey est parti
effacer la mémoire des voisins des Granger. »

« Et vous trouvez ça bien ? » riposta-t-elle, en croisant les bras. « Vous trouvez que c’est
juste ? »

Étant restée debout, elle avait sur lui l’avantage de la hauteur, pourtant, elle eut beau tenter de
le toiser, il l’observait avec une telle expression narquoise qu’elle eut l’air plus ridicule
qu’autre chose. Elle avait l’impression très désagréable d’être redevenue l’étudiante qu’elle
n’était plus depuis longtemps et qu’il allait ôter dix points à Poufsouffle pour insolence.

« Nous sommes en guerre, Miss. » asséna Snape, sans douceur. « Votre tâche est d’obéir aux
ordres, pas de les approuver. Soyez outrée, critiquez, faites entendre votre voix, mais, simple
conseil, une fois la décision prise, ne vous opposez pas au Professeur Dumbledore. Vous n’y
gagnerez rien d’autre qu’une migraine. »

Elle aurait volontiers continuer à débattre de cette aberration excepté qu’elle se rendit compte
qu’il avait raison et qu’elle pouvait monter sur ses grands chevaux tout son soul, cela ne
changerait rien au verdict final.

Et Snape, de toute manière, ne l’écoutait plus. Il avait trempé sa plume dans un encrier et
s’était mis à annoter les marges de la première copie de la pile à l’encre rouge. Elle était, très
visiblement, congédiée.

« Je pourrais signaler la disparition au Ministère. » déclara-t-elle, d’un ton de défi.

Certes, cela contrarierait profondément Dumbledore et la mettrait peut-être sur le banc de


touche pour l’Ordre du Phoenix pendant un moment, mais… Il ne pouvait pas se permettre de
lui en vouloir indéfiniment. Ils ne pouvaient pas se passer des bonnes volontés.

Sa déclaration fit relever brusquement la tête à Snape, qui l’étudia en silence quelques
secondes.

« Je vous le déconseille. » offrit finalement Snape. « Vous n’apprécieriez pas les


conséquences. »

« C’est une menace ? » cingla-t-elle, prête à sortir sa baguette si cela s’avérait nécessaire.
Elle avait tort de s’en faire, toutefois. Le Professeur reposa simplement sa plume et joignit les
mains pour lui donner sa pleine attention. C’était très désagréable. Sous les yeux perçants de
Snape, elle avait l’impression d’être un spectacle à part entière. C’était tout aussi perturbant
que se retrouver la cible du regard de Dumbledore.

« J’ai bien mieux à faire que de vous menacer, Miss. » répondit-il, au bout d’interminables
secondes.

« Tonks. » insista-t-elle.

« Nymphadora. » rétorqua-t-il, un sourcil levé.

Sa manière d’étirer chaque syllabe conférait à son prénom des accents étrangers, mais il
prenait beaucoup trop plaisir à la faire tourner en bourrique pour qu’elle fasse autre chose que
le fusiller du regard.

« N’y pensez pas. » grinça-t-elle.

Il était précisément le genre de personne qui se plairait à utiliser son prénom simplement pour
la faire enrager. Charlie avait probablement fait breveter la méthode durant sa sixième année.

À en juger par son amusement manifeste, il dut effectivement envisager de poursuivre sur sa
lancée mais préféra finalement garder ses remarques sarcastiques pour lui. Au lieu d’un
discours sur le ridicule de son prénom, elle eut droit à un geste peu élégant qui la désigna de
la tête au pied.

« Vous n’avez jamais répondu à ma question. » remarqua-t-il. « Vous qui avez toujours
affiché votre… singularité avec tellement d’acharnement… Pourquoi ce revirement
radical ? »

À la vitesse où les informations circulaient dans l’Ordre, elle était surprise qu’il ne soit pas
déjà au courant.

Elle haussa les épaules, n’ayant rien à cacher.

« Je ne me plus me transformer. » expliqua-t-elle. « Mes dons sont… bloqués. »

Il fronça les sourcils.

« Impossible. » jugea-t-il. « Je n’ai jamais entendu parler d’un tel cas. On ne cesse pas d’être
Métamorphomage. »

Elle envisagea de s’asseoir mais rejeta l’idée presque aussitôt. D’abord parce qu’elle n’avait
aucune intention de s’attarder, ensuite parce qu’elle n’avait jamais vraiment eu de
conversation cordiale avec Snape et c’était… bizarre.

« Oui, eh bien… » s’embrouilla-t-elle. Elle n’allait certainement pas lui expliquer sa brillante
théorie selon quoi son blocage était dû au fait que son petit-ami – ex petit-ami, devrait-elle
dire – était constipé des sentiments. « J’ai perdu le contrôle. » lâcha-t-elle, pitoyablement.
C’était une explication comme une autre. Et probablement celle couvrait totalement tous les
problèmes de sa vie. Elle avait perdu le contrôle de son propre corps, elle avait perdu le
contrôle de sa vie amoureuse et visiblement elle avait perdu le contrôle de sa vie, en règle
générale.

« Et avez-vous également perdu le contrôle de votre garde-robe ? » se moqua-t-il, sans


méchanceté. Avec curiosité, plutôt.

Elle baissa les yeux, passant mentalement en revue le pantalon et le pull noir sous la lourde
cape noire – elle s’était souvenue, ce coup-ci, qu’il faisait plus froid en Écosse qu’à Londres
et avait su anticiper en conséquence – et se rendit compte qu’il n’avait pas tort. Elle avait
remisé au vestiaire ses tenues colorées, gothiques ou punk depuis la Nuit des Ténèbres,
puisant dans ses réserve de jeans et de pulls qu’elle réservait habituellement aux missions où
son look trop excentrique aurait fait froncer des sourcils. Sans ses cheveux, sans ses
pouvoirs… C’était étrange de ne pas pouvoir afficher extérieurement ses tourments
intérieurs… Ses cheveux étaient rouges quand elle était énervée, noirs quand elle était
furieuse, blonds quand elle jouait le chien de garde pour Fudge, rose ou violet ou bleu le reste
du temps… Ils indiquaient son humeur. Et sans ce moyen d’expression…

Peut-être avait-elle tenté, inconsciemment, de reproduire la chose avec ses vêtements.

Snape avait été le seul à lui en faire la remarque, toutefois, probablement parce qu’il ignorait
l’ampleur du problème. Même Charlie ne s’y était pas aventuré. Les autres marchaient tous
sur des œufs avec elle… Excepté Remus, bien entendu. Remus semblait saisir toutes les
opportunités de la mettre en colère. Qu’il refuse de lui adresser la parole l’avait mis dans un
état de nerfs sans précédent mais étant donné ce qui s’était passé lorsqu’il s’était finalement
décidé à lui parler, elle n’était pas certaine de quelle solution était préférable.

« Le noir ne vous sied pas. » décréta le Professeur. « Pas plus que cet air désespéré que vous
arborez en permanence. Peut-être serait-il temps que vous retrouviez ce fameux contrôle… »

« Et vous avez un mode d’emploi pour ça ? » ironisa-t-elle, irritée.

Elle n’était cependant pas suffisamment énervée pour lui enjoindre de se mêler de ses
affaires. Il y avait, dans un coin de son esprit, une petite voix qui lui soufflait que si elle
dépassait les bornes, il lui collerait une retenue ou préviendrait Chourave. C’était idiot mais
elle n’arrivait pas à s’en débarrasser.

« Malheureusement pas. » soupira le Maître des Potions, en reprenant sa plume.

Ce fut son tour de froncer les sourcils. Snape avait l’air… Eh bien, il avait l’air de Snape.
Sévère, digne, sec, glacial… Non… Voilà la différence. Voilà le détail qui l’avait dérangé
dans la cuisine du Square Grimmaurd l’autre jour et qui lui sautait à présent aux yeux. Snape
avait toujours été glacial, distant, comme s’il était bien au-dessus d’eux tous, pauvres
mortels… Mais cette distance, cette froideur, sans avoir disparu, s’estompait. Il lui semblait
davantage… humain.

Était-ce parce qu’ils se retrouvaient finalement sur un pied d’égalité qu’il lui semblait
différent ou était-ce autre chose ?
Elle étudia rapidement les plis soucieux sur son front, la pâleur de son teint qui semblait
s’être accentuée depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu…

« Est-ce que tout va bien, Professeur ? » demanda-t-elle, avant d’avoir pu s’en empêcher.

Il ne releva pas la tête ce coup-ci. À peine lui indiqua-t-il la porte d’un geste impatient.

Apparemment, il s’était désintéressé de ses problèmes. Ça en aurait été vexant si Tonks


n’était pas déjà étonnée qu’il l’ait supportée aussi longtemps sans raison.

Évidemment, sa sortie aurait probablement été plus digne et adulte si elle ne s’était pas
cognée dans le fauteuil en se tournant vers la sortie et, en conséquence, manqué s’étaler de
tout son long sur la pierre froide.

°°O°°O°°O°°O°°

Hermione refusait de lever la tête et Ron commençait à en avoir assez de la dévisager en


silence.

Autour d’eux, la salle commune était aussi joyeuse qu’à l’accoutumée et il avait dû repousser
fermement tous leurs amis et leur demander d’aller voir ailleurs le temps qu’ils règlent cette
affaire. Il l’avait fait avec plus de mauvaise humeur et de brutalité que nécessaire,
probablement, et il voyait bien qu’à l’autre bout de la pièce Lavande donnait libre court à son
agacement à grands ressorts de remarques suraigües et de coups d’œil furieux.

Ils étaient installés par terre, sur le tapis, au plus près de l’âtre. Entre eux, l’assiette de petits
sandwichs que les elfes leur avaient apportés était oubliée depuis longtemps. Ils n’avaient pas
bougé depuis qu’ils étaient retournés dans leur salle commune – sans avoir l’occasion
d’échanger un mot avec Malfoy, d’ailleurs – et la passivité d’Hermione menaçait de le faire
sortir de ses gonds.

Ron était en colère sans bien savoir pourquoi.

Ron aurait aimé demandé des explications mais ne savait pas comment formuler ses
questions sans qu’elles sonnent comme des accusations.

Alors il se contentait de la fixer du regard, plus ou moins aimablement, en attendant qu’elle


veuille bien lui dire ce qui lui était passé par la tête.

Cela aurait pu durer encore un bon moment si Harry n’avait pas choisi cet instant pour passer
le portrait en trombe et manquer trébucher sur un première année, attirant la plupart des
regards. Le Survivant ne tarda pas à les repérer et fonça droit sur eux, avec une expression
mécontente.

« Où tu étais passé ? » attaqua Ron, avant que son ami ait pu le faire.

Hermione redressa finalement la tête, dévisageant les deux garçons tour à tour, mais Ron ne
lui prêta qu’une attention limitée. Il ne voulait pas s’en prendre à elle. Pas après ce qu’elle
venait d’avouer. Pas après ce qu’elle venait de vivre. Et pourtant, c’était vraiment dur de ne
pas lui en vouloir.
« Je vous ai cherchés partout ! » se défendit Harry, en se laissant tomber par terre, à côté
d’Hermione. « Tes parents ? »

Il posa la main sur l’épaule de la jeune fille et cette dernière eut l’audace de paraître soulagée
de le voir. Elle avait les yeux brillants de larmes et Harry ne perdit pas une minute avant de la
serrer contre lui, en jetant un regard noir à Ron par-dessus sa tête, comme pour lui reprocher
de ne pas s’être correctement occupé d’elle. Comme s’il n’avait pas passé les deux dernières
heures à lui tenir la main, en se demandant comment il allait l’aider à traverser le cauchemar
qu’il avait lui-même vécu deux mois plus tôt à peine.

Il n’aurait pas dû se soucier de comment Hermione allait réagir à la perte de sa famille,


cependant… Leurs situations n’auraient jamais pu être plus différentes. Il aurait donné
n’importe quoi pour retrouver son père et Hermione avait apparemment tout fait pour se
débarrasser de ses parents.

« Tu compatiras peut-être un peu moins quand tu sauras toute l’histoire. » l’avertit Ron.

Hermione eut un mouvement de recul instinctif, se collant un peu plus contre le Survivant, et
il s’en voulut immédiatement de l’avoir blessée, mais…

« Qu’est-ce qui te prend ? » grinça Harry.

Son ton surprotecteur ne fit que mettre Ron plus en colère encore.

« C’est ma faute. » intervint Hermione.

Combien de fois avait-elle prononcé cette phrase, ce jour là ? La vulnérabilité qui émanait
d’elle, son expression suppliante tempéra suffisamment sa rancœur pour qu’il lève la main en
guise d’excuse.

« Explique-lui. » exigea-t-il, parce qu’il n’en avait pas vraiment la force. « Et ensuite,
explique-nous pourquoi tu as fait un truc pareil, parce que je te jure que j’ai beau essayer, je
ne comprends pas. »

Sentant visiblement que quelque chose lui échappait, Harry se détacha gentiment de leur
meilleure amie et l’encouragea à lui raconter toute l’histoire. Ce que, pour sa défense, elle fit
sans hésiter et avec plus de détails qu’elle ne l’avait fait dans le bureau de McGonagall ou
dans celui de Snape. Rien de bien concret comme l’endroit où elle avait envoyé sa famille,
mais, plutôt, ce qu’elle avait ressenti en effaçant son propre souvenir de l’esprit de ses parents
et de ses grands-parents.

Ron se demanda s’il avait l’air aussi horrifié qu’Harry ou si, à la troisième écoute, il était
finalement devenu imperméable à ce que l’affaire pouvait avoir d’affreux.

Quand elle eut terminé, Hermione essuya les larmes qui ruisselaient sur ses joues et affronta
le regard du Survivant.

Harry paraissait à court de mots.

« C’est… Tu… » balbutia-t-il, avant de se racler la gorge. « Est-ce que… Est-ce que ça va ? »
Hermione parut tellement soulagée qu’elle expira brutalement, comme si elle avait retenu sa
respiration tout le temps qu’il avait fallu à Harry pour réagir.

« Est-ce que ça va ? » répéta Ron, ébahi. Bien entendu, c’était probablement le plus
important, mais, vraiment, ce n’était pas comme ça qu’il aurait entamé cette conversation.

Harry parut irrité et haussa les épaules, tout en balayant son incrédulité d’un geste négligeant.

« Qu’est-ce que tu veux que je dise ? » répondit le Survivant. « Elle voulait protéger sa
famille, je ne vois pas ce qu’il y a de mal à ça. »

« Tu ne vois pas ce qu’il y a de mal à effacer la mémoire de tes parents et de tes grands-
parents pour leur faire croire que tu n’as jamais existé. » lâcha-t-il, froidement. « Tu ne vois
pas ce qu’il y a de mal à leur faire quitter ta vie pour toujours. Parce que tu as entendu Snape,
Hermione, c’est plus que probablement pour toujours. »

« Ron… » plaida Hermione, en reniflant.

Elle était trop pâle, trop bouleversée et trop à bout de nerf pour qu’il n’éprouve pas un
pincement de culpabilité. Et pourtant… Pourtant ce qu’elle avait fait – sans lui en parler –
était bien trop terrible, bien trop personnel, pour qu’il laisse couler comme il l’aurait fait en
d’autres circonstances.

« Elle voulait les protéger. » insista Harry, sourcils froncés. « Je ne vois pas… »

« Peut-être que tu ne vois pas parce que tu n’as jamais eu de famille. » coupa sèchement Ron,
en se mettant debout. Il s’en voulut immédiatement de son manque de tact mais ne parvint
pas à trouver la force de s’excuser ou de tenter de modérer ses propos. C’était la vérité après
tout. « Peut-être que tu ne vois pas ce qu’il y a d’horrible à se débarrasser de ses parents
comme ça, parce que tu ne sais pas ce que c’est d’en avoir. »

Harry fut sur ses pieds en une seconde, sa baguette fermement pointée sur lui. Ron ne prit
même pas la peine de sortir la sienne. Quel intérêt ? Ce n’était pas une compétition. Tout le
monde savait que Harry Potter pouvait l’envoyer voler à l’autre bout de la pièce d’un simple
mouvement du poignet. Quel intérêt ?

« Arrêtez ! Harry, non. » s’interposa Hermione, en se plaçant au milieu, une main tendue vers
chacun d’entre eux. Elle avait l’air effrayé, à présent. « S’il vous plaît, arrêtez. »

Le joyeux brouhaha qui régnait jusque là s’était transformé en un bourdonnement de


murmures et de chuchotements excités. Les mots ‘bagarre’, ‘Harry Potter’ et ‘trêve’ étaient
ceux qui revenaient le plus fréquemment. Harry vit bien qu’ils étaient devenus le centre
d’attraction principal de la pièce et baissa légèrement sa baguette, avec une mauvaise volonté
évidente.

« On devrait aller discuter ailleurs. » suggéra le Survivant, de son nouveau ton mature et
raisonnable qui sonnait souvent de manière condescendante, ce qui irritait Ron au plus haut
point.
« Pourquoi ? Je n’ai rien à cacher, moi. » riposta-t-il. « C’est à Serpentard qu’on t’a appris
ça ? »

C’était stupide. Il n’avait rien contre Serpentard. Mais il était trop en colère et sa langue
remuait toujours avant qu’il ait pleinement conscience de ce qui allait sortir de sa bouche
lorsqu’il était dans cet état.

« Ron… » insista Hermione.

« Non. Simple question de décence. » répliqua Harry. « Je n’aime pas laver mon linge sale en
public. »

« Parce qu’on est ton linge sale, maintenant ? » cracha Ron « Au moins, les choses sont
dites. »

Le silence était total, à présent. La salle commune toute entière observait l’affrontement
verbal, Ron aurait été prêt à parier que l’école entière serait au courant avant la fin de la
soirée.

« Il n’a jamais dit ça. » le défendit Hermione.

« Ne retourne pas la situation. » grinça Harry, en levant à nouveau sa baguette. « Ce n’est pas
moi qui n’ai pas une minute à t’accorder, entre mes nouveaux amis et ma petite-amie. Ce
n’est pas moi qui suis tellement populaire que je ne peux pas faire un pas dans un couloir
sans me faire aborder par quelqu’un au point de ne pas pouvoir finir une seule
conversation. »

« Euh, les gars ? » hésita Ginny. « Est-ce que vous êtes sûr que… »

« Vraiment ? » s’énerva Ron, sans jeter un seul coup d’œil à sa sœur. « C’est ça que tu me
reproches ? D’être un petit peu plus populaire qu’avant ? Tu vois, Harry, je savais que tu
avais tendance à être égocentrique, mais je ne savais pas que tu étais quelqu’un de jaloux. »

Du coin de l’œil, il vit Fred murmurer quelque chose à l’oreille de Gin.

« Jaloux ? » releva Harry, en riant à moitié. « Venant de toi, c’est riche… »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? » gronda-t-il, brûlant de sortir sa baguette. C’était trop tard, à
présent, toutefois. Le temps qu’il tire sa baguette de sa poche, Harry l’aurait probablement
désarmé. « Qu’est-ce que tu veux dire ?! »

« Rien du tout ! » s’écria Hermione, en s’interposant encore plus franchement entre eux. « Ça
ne veut rien du tout. Harry, range ta baguette. Harry… »

« Ça veut dire que tu as toujours été jaloux de moi ! » lança Harry « Parce que je suis célèbre
et parce que j’ai de l’argent. Tu critiques toujours Percy, mais tu es exactement comme lui.
Tu as honte de qui tu es, d’où tu viens, de ta famille, et tu ne t’es jamais rendu compte de la
chance que… »
Ron ne savait pas comment il réussit cet exploit, il n’aurait probablement pas été capable de
le reproduire si on le lui avait demandé, mais, aveuglé par la fureur, il sortit sa baguette à
l’aveuglette et profita qu’Harry soit trop occupé à l’insulter pour jeter le première sortilège
qui lui passa par la tête.

« Ron, non ! » s’écria Hermione.

Trop tard.

Son expulso avait envoyé Harry voler sur un bon mètre. Il heurta le dossier d’un des lourds
fauteuils en velours qui se renversa et l’envoya rouler au sol. Les Gryffondors présents
s’écartèrent rapidement, laissant libre un espace suffisamment large pour que Ron soit
immédiatement tenté de provoquer Harry en duel. Au diable le fait qu’une telle chose soit
perdue d’avance.

« Je t’interdis de parler de ma famille. » menaça Ron.

Ignorant les mains qui voulaient l’aider et les quelques remontrances des sixième et septième
année qui leur ordonnaient d’arrêter leurs idioties, Harry se releva et se plaça en position de
duel. Ridicule.

« Parce que tu t’es gêné pour parler de la mienne, peut-être ?! » rétorqua le Survivant.

« Ça suffit ! » explosa Hermione, d’une voix aigue. « Harry, Ron n’a jamais voulu te blesser
et, toi, Ron, Harry ne le pensait pas. »

« Je pense ce que j’ai dit. » s’obstina Harry. « Et ça te concerne toi aussi, d’ailleurs. Peut-être
que quand tu auras fini de décider si tu veux, ou pas, te faire peloter par Malfoy dans un coin,
on pourrait parler plus de dix minutes consécutives ? »

« Laisse-la tranquille ! » grinça Ron, en amorçant un nouveau mouvement de baguette.

La facilité avec laquelle Harry le désarma était humiliante. Ron tenta bien de dresser un
bouclier hâtif mais le garçon était trop rapide, sa baguette décrivit une courbe dans les airs et
fut saisie au vol par le Survivant qui la jeta par terre, avec un mépris évident.

« Heureusement que vous vous êtes entraînés. » se moqua Harry.

Ron se demanda s’il aurait aussi promptement esquivé son poing dans sa figure.

« Vous êtes aussi ridicule l’un que l’autre. » siffla Hermione, outrée. « Vous vous donnez en
spectacle. Je… »

« Tu n’es peut-être pas la mieux placée pour nous faire la morale. » coupa Ron.

« Ne me mêlez pas à vos histoires ! » le prévint-elle. « Je ne veux rien à voir à faire avec
vos… »

« Mais ce ne sont pas uniquement nos histoires à Ron et à moi. » intervint Harry, d’un ton
désabusé. « Dis-moi, Hermione, combien de temps vous a-t-il fallu avant de me remplacer
par la moitié de Poudlard ? Deux jours ? Trois ? Parce qu’il me semble clair que je n’ai pas
dû vous manquer tant que ça… »

Hermione pivota vers Harry, les yeux écarquillés, apparemment choquée qu’il ait pu faire une
telle remarque devant toute la salle commune. Cependant, Ron ne put s’empêcher de noter
qu’elle ne semblait pas particulièrement surprise.

« Mais tu t’entends ? » s’exclama-t-elle, en croisant les bras pour mieux le toiser. « Qu’est-ce
qu’ils t’ont fait là-bas, Harry ? Parce que, pour le coup, Ron n’a pas tort. C’est à se demander
comment tu passes les portes. »

Harry éclata d’un rire amer.

« Excuse-moi d’oser me plaindre de ne pas pouvoir parler à mes meilleurs amis parce qu’ils
sont trop occupés avec leurs nouveaux amis. » riposta-t-il. « Si tu trouves que c’est trop
demander… »

« Je trouve que si tu arrêtais de pleurnicher sur ton sort, deux putain de minutes, tu te rendrais
comptes qu’on attend que tu viennes vider ton sac depuis ton retour. » cingla Ron. « Mais on
n’y peut rien si les Maraudeurs t’ont déçu ou si tu préférais passer ton temps avec Lily et… »

« Ne parle pas d’eux. » gronda Harry, en le menaçant de sa baguette. « Je t’interdis de parler


d’eux. »

« Pourquoi ? » rétorqua Hermione. « Parce qu’ils te manquent et que tu préférerais être


toujours là-bas, avec eux, plutôt qu’ici, avec nous ? »

Harry ouvrit et referma la bouche, au milieu des murmures que cette attaque venait de
déclencher.

« Je n’ai jamais dit ça. » protesta le Survivant. « Je n’ai jamais dit ça. »

« Tu n’as pas vraiment besoin de le dire. » lâcha Ron. « On n’est ni idiots ni aveugles. »

« C’est… Ce n’est pas juste de me reprocher de ne pas vouloir vous parler ! » s’exclama
Harry.

Son regard fuyait celui de Ron comme celui d’Hermione mais le Gryffondor nota qu’il n’était
pas davantage capable de croiser celui de qui que ce soit dans la salle commune. À vrai dire,
il paraissait commencer à se rendre compte que l’endroit était un peu trop peuplé pour ce
genre de règlements de comptes et Ron partageait amplement cette opinion.

« Ce n’est pas juste non plus de nous reprocher de ne pas être disponibles ! » riposta
Hermione. « Ce n’est pas juste de dire qu’on t’a remplacé ! Et ce n’est pas juste d’essayer de
me faire culpabiliser parce que Draco… »

« Laisse Malfoy où il est, j’ai suffisamment envie de lui casser la figure comme ça. » grinça
Ron, déclenchant une nouvelle salve de chuchotements. « Qu’est-ce qu’il avait dans la tête
pour te laisser faire une connerie pareille ?! »
« Si tu parles de ma famille… » répondit froidement la jeune fille.

« Évidemment que je parle de ta famille. » l’interrompit-il, sans délicatesse. « Dis-moi,


comment as-tu pu avoir une idée aussi ridicule ? »

« Elle voulait les protéger. » s’immisça Harry, avec irritation. « Ce n’est pas bien difficile à
comprendre. »

Autour d’eux, les autres Gryffondors étaient visiblement perdus par le changement de sujet.

« Ah oui ? » cracha Ron, avec toute la rancœur qui lui bouffait le cœur. « Depuis combien de
temps mon père était-il dans son cercueil quand tu as décidé que tu n’avais plus besoin de ta
famille, Hermione ? »

Hermione ferma les yeux et recula d’un pas, comme s’il l’avait frappée. Du coin de l’œil, il
vit Ginny froncer les sourcils et les jumeaux se rembrunir. Harry, lui, ouvrit la bouche et la
referma sans rien dire, ayant visiblement enfin compris d’où venait le problème.

« Ron, ce n’est pas… » tenta la lionne.

« Une semaine ? Deux ? Trois ? » proposa-t-il, d’un ton qui se voulait nonchalant mais
dissimulait très mal sa détresse. « Tu trouvais que j’avais l’air de trouver ça drôle de me
retrouver avec un parent en moins, alors tu t’es dit, pourquoi pas ? Ou est-ce que c’est parce
que tu voulais tellement devenir la prochaine Harry Potter que tu as conclu qu’il fallait bien
en passer par là ? »

C’était méchant, purement et simplement méchant, et ça ne manqua pas de provoquer plus


d’un murmure désapprobateur. Mais Merlin ce que ça pouvait soulager.

« Devenir… Quoi ? » demanda Harry.

« Ce n’est pas vrai. » se défendit Hermione, les joues rouges – de honte ou de rage, c’était
dur à dire.

« Oh que si, c’est vrai. » Ron insista, avec un rire amer. Il haussa les épaules et la désigna à
Harry d’un geste. « Tu aurais dû la voir tenir tête à Ombrage, refuser d’aller voir McGonagall
quand le crapaud lui a fait écrire des lignes avec une Plume Sanglante… À croire qu’elle
voulait vraiment une cicatrice ! »

« Arrête ! » Hermione s’écria, dans un cri suraigüe. « Tu n’as pas le droit ! Quelqu’un devait
bien faire quelque chose ! »

« Et pourquoi toi ? » demanda Harry, visiblement perplexe.

La jeune fille se tourna vers le Survivant, une expression décontenancée sur le visage. « Parce
qu’aucun d’eux n’en avait le courage et que tu n’étais pas là pour le faire. »

« La nouvelle Harry Potter. » triompha Ron, moqueur. « Martyre autoproclamée. »


Ce n’étaient plus des chuchotements qui agitaient les Gryffondors, à présent, mais bel et bien
une vague de commentaires plus ou moins irrités.

« Oh, et qu’est-ce que tu aurais fait, toi, si on t’avait écouté ? » s’énerva Hermione, en
pivotant vers lui, un doigt accusateur pointé vers son torse. « Tu étais bien content que Draco
ait eu son idée de Trêve. Tu étais bien content que j’ai eu l’idée de… de tu-sais-quoi. Mais,
toi, Ron, de quoi as-tu eu l’idée exactement ? »

« Dis tout de suite que je ne sers à rien. » grinça-t-il.

« Je dis que lorsqu’on laisse faire les autres sans rien dire, on ne les critique pas. » riposta
Hermione.

Ron plissa les yeux, furieux et vexé. « Excuse-moi, envoie au diable tout le reste de ta famille
et tous tes amis si ça te chante, je ne critiquerai pas. Mais ne viens pas pleurer sur mon épaule
après coup. »

« Je ne t’ai rien demandé. » siffla Hermione, les yeux brillants de larmes.

« Tu aurais pu penser à Ron. » remarqua Harry, d’un ton hésitant. « Après ce qu’il a vécu… »

« Mais tout ne tourne pas autour de vous deux ! » explosa la lionne. « Quand allez-vous
comprendre ça ? »

« Tu vois ? » Ron lança à Harry, non sans sarcasme. « Bientôt elle va te défier pour le titre du
Gryffondor le plus égocentrique… »

Visiblement partagé entre sa rancune et son envie de contrôler Hermione, Harry le toisa avec
agacement. « Ne t’inquiète pas, aucun de nous deux ne veut t’arracher le titre de roi des
cons. »

Ce fut la goutte d’eau de trop.

Ron se lança sur son meilleur ami, poing levé, uniquement pour être ceinturé par Fred.
George avait arraché sa baguette des mains d’Harry, Ginny s’occupait d’Hermione et Lee
Jordan fit circuler tous leurs spectateurs, déclarant que l’incident était clos.

Il se débattit mais Fred ne le lâcha pas et le traîna jusqu’aux dortoirs. Pas le sien, cependant,
réalisa-t-il lorsque son frère eut finalement desserré sa prise, il était dans le dortoir des
septième année.

« Pourquoi tu as fait ça ? » gronda-t-il.

Le visage de Fred était fermé et il lui désigna le lit derrière lui. « Assieds-toi. »

« Je n’ai pas envie de m’asseoir ! » ragea-t-il.

George et Ginny débarquèrent à ce moment là, fermant la porte derrière eux. Ça n’empêcha
pas les brouhahas venant de la salle commune de monter jusqu’à eux.
« Neville est avec Harry et Lavande avec Hermione. » annonça sa sœur, en se laissant
tomber, sans cérémonie, sur le lit de George.

« Elle s’est débarrassé de sa famille. » lança-t-il, à la cantonade, avant que quiconque lui ait
demandé des explications. « À Noël. Pour les protéger, soi-disant. Papa était… Et elle, elle…
Elle… » Il fut horrifié d’entendre sa voix se briser. Ses yeux se mirent à le brûler et ce n’était
pas possible, ça ne pouvait pas arriver. Pas devant ses frères. Il colla ses paumes sur ses
paupières et poussa jusqu’à ne plus sentir qu’une désagréable sensation de compression. Tout
plutôt que la morsure des larmes. « Elle n’avait pas le droit. C’est comme si elle n’en avait
rien à faire… »

Il sentit des mains attraper ses épaules et le guider jusqu’à un lit où il s’assit sans résister,
brusquement épuisé. Le bras resta autour de lui.

« Quoi qu’Hermione ait pu faire… Je ne pense pas que ça veuille dire qu’elle n’aimait pas
papa. » déclara doucement Fred, à côté de lui.

« Je ne pense pas qu’Hermione soit le problème, petit frère. » renchérit George, en se


perchant à côté de Ginny.

Ron baissa les yeux et fixa une chaussette abandonnée du regard. Le silence était trop chargé
et la tension dans la pièce était palpable. Il s’en voulait d’avoir remué le couteau dans la plaie
qu’était la mort de leur père. Ce n’était pas quelque chose dont ils discutaient ensemble.

« Il me manque. » lâcha Ginny, au bout d’un moment. « Parfois, j’oublie qu’il est… Et… Et
quand je m’en rappelle, c’est comme un coup de poing à l’estomac. C’est encore pire, après
ça. »

Il avait toujours détesté voir sa sœur pleurer. Les larmes silencieuses qu’elle essuyait avec des
gestes machinaux lui nouèrent l’estomac. George passa un bras autour de ses épaules et la
serra contre lui.

« Tu as de la chance d’arriver à oublier. » remarqua Fred. « Moi, j’y pense tout le temps. »

George soupira et se mit à caresser distraitement les cheveux de Ginny qui s’était blottie
contre lui. « J’ai l’impression d’être poursuivi par un cognard et de ne pas avoir de batte pour
me défendre. Je fuis, j’esquive et… j’attends que ça s’arrête. »

Ils se tournèrent tous vers Ron, attendant qu’il s’ouvre à son tour, mais comment retranscrire
en mots le trou béant dans sa poitrine ? Comment expliquer qu’il lui arrivait de rien ressentir
du tout pendant des jours entiers alors qu’à d’autres, il était tellement en colère qu’il aurait pu
démolir Poudlard brique par brique si on lui en avait donné l’opportunité ? Il n’était pas un
homme de discours comme Harry ou Hermione, il ne savait pas retourner une situation en
quelques mots. Il était simple.

« Est-ce que je peux dormir là, ce soir ? » demanda-t-il. Il n’avait aucune envie de retourner
dans son dortoir et d’affronter les regards curieux ou compatissants de ses amis. Surtout, il
n’avait pas tout à fait envie de se retrouver face à Harry.
Fred et George échangèrent un regard et eurent probablement, en une seconde, une de ces
conversations télépathiques dont ils avaient le secret.

« Va pour une pyjama party. » soupira Fred.


Somebody To Fight For

“It gives me strength to have somebody to fight for; I can never fight for myself, but, for
others, I can kill.”
― Emilie Autumn, The Asylum for Wayward Victorian Girls

Avoir quelqu’un pour qui me battre me donne de la force ; je ne peux jamais me battre
pour moi-même mais pour quelqu’un d’autre, je pourrais tuer.

― Emilie Autumn, The Asylum for Wayward Victorian Girls

« Et là, il me dit que je suis un membre de l’Ordre et que, en gros, je n’ai rien d’autre à faire
que me taire et hocher sagement la tête. » chuchota Tonks, furieusement, ignorant les regards
agacés des moldus autour d’eux. Ils exagéraient, sa voix ne couvrait même pas la musique
d’ambiance absolument exaspérante qui ricochait d’un mur à l’autre de la pièce.

Trop occupé à perfectionner sa position – ils en étaient au cobra, ou à un autre serpent


venimeux – Anthony ne lui répondit pas immédiatement et, alors que l’instructeur leur
répétait une nouvelle fois d’aligner leurs chakras, Tonks se redit que, décidément, elle n’était
pas faite pour le yoga.

« Tu es censée te détendre, tu te souviens ? » lui glissa son ami alors qu’ils changeaient de
position pour simuler une feuille pliée. « Ordre des Médicomages. »

Curieusement, elle doutait que se rouler par terre et se tordre dans tous les sens en tentant de
localiser des chakras auxquels elle ne croyait même pas réussirait réellement à la détendre.
Accompagner Anthony à sa séance de yoga n’était probablement pas une aussi bonne idée
qu’il avait tenté de l’en convaincre. Il lui avait promis que ça l’aiderait à se recentrer et, peut-
être même, à retrouver le contrôle de ses pouvoirs. Jusque là, ça n’avait réussi qu’à mettre sa
maladresse chronique en exergue et à lui donner des courbatures à des endroits où elle ne
voulait pas avoir de courbatures.

« N’empêche, est-ce que tu ne trouves pas… » insista-t-elle.

« Tonks. » L’avertissement la fit taire juste à temps, l’instructeur lui jetait un regard contrarié.

Elle lui adressa un grand sourire innocent et fit de son mieux pour suivre le reste du cours
sans trop papoter. À la fin de l’heure, elle avait conclu deux choses : un, le yoga n’était
définitivement pas fait pour elle ; deux, elle n’allait pas décolérer de sitôt. Elle n’avait
toujours pas eu l’occasion de toucher un mot de ce qui s’était passé dans le bureau de Snape à
Sirius mais elle était persuadée que son cousin ne pouvait pas apprécier plus qu’elle ce genre
de décisions.

Elle laissa Anthony s’excuser pour elle auprès du professeur de yoga – qui, elle en était
certaine, n’allait pas la convier à revenir assister à ses cours – et se dirigea vers les vestiaires.
Quand elle retrouva son ami, à l’entrée de la salle de sport, quelques minutes plus tard, il
arborait une expression mi-amusée, mi- agacée.

« Tu n’es pas détendue, je me trompe ? » se moqua-t-il.

Elle lui tira la langue parce qu’elle devait cultiver sa réputation de femme immature et passa
son bras sous le sien pour l’entraîner dans la rue moldue, extrêmement animée, ce qui n’était
pas extrêmement surprenant pour une fin de matinée un samedi.

« Tu as le temps de déjeuner ? » demanda-t-elle, haussant la voix pour se faire entendre.


« J’ai deux bonnes heures avant de devoir aller au travail. » Où l’attendaient des heures de
briefings sur la prochaine intervention publique de Scrimgeour.

« Pourquoi pas. » répondit Anthony. « Il y a un pub, pas loin. »

Ils déambulèrent dans les rues, parlant de tout et de rien jusqu’à atteindre le petit pub niché
entre deux coins de rues.

« Qu’est-ce que tu vas faire alors ? » s’enquit Anthony, une fois qu’ils se furent installés et
qu’ils eurent commandé. « Dénoncer la petite ? »

Elle but une gorgée de son verre d’eau pour se donner le temps de la réflexion. La question
du comportement à adopter l’avait torturée une bonne partie de la nuit. Sa conscience était
déchirée entre deux types de devoir : celui qu’elle devait au Ministère et l’allégeance qu’elle
avait prêtée à l’Ordre. Sans parler du fait qu’elle adorait Hermione et qu’elle ne voulait en
aucun cas lui attirer ce genre d’ennuis. Et pourtant… Ce qu’elle avait fait était impardonnable
et la pensée de ces pauvres Moldus perdus dans la nature, avec leurs souvenirs dans Merlin
seul savait quel état…

Cela ferait-il seulement une différence si elle en parlait au Ministère ? Snape l’avait avertie –
menacée ? – qu’une telle attitude comporterait des risques. Et si Fol’Œil avait réellement
effacé les preuves, comme le Professeur l’avait suggéré…

« Non. » lâcha-t-elle, un peu à contrecœur. « Mais ça ne me plaît pas. Je déteste être dans
cette position. »

Se retrouver en porte-à-faux entre Dumbledore et le Ministère ne lui plaisait vraiment pas du


tout.

« Dumbledore n’est pas un homme très facile. » remarqua Anthony, en pianotant


distraitement sur la table. « Et si ça peut te rassurer, tu n’es pas la seule à avoir des problèmes
à conjuguer Ordre et travail. »

Tonks grimaça, ayant soudain l’impression d’être très égoïste. Ce n’était un secret pour
personne – et surtout pas pour elle qui était la confidente de Charlie – qu’Anthony vivait très
mal son retour en Angleterre.

« Ça ne va pas mieux à Gringotts ? » demanda-t-elle, timidement. À chaque fois qu’elle


s’était aventurée à poser ce genre de question, que ce soit à lui ou à Charlie, elle avait eu droit
à un très long monologue sur la barbarie des gobelins.

« Non. » répondit simplement Anthony, en se laissant un peu plus aller sur sa banquette. « Tu
vois, toi, ton sens de l’éthique s’oppose à couvrir un crime, moi, il rechigne à comprendre
comment on peut faire ça à des dragons. Très franchement, à ce stade, je ne sais même pas
comment je vais pouvoir regarder nos collègues en face, une fois rentré en Roumanie, parce
que je suis devenu complice du système. Ce n’est pas pour rien que Gringotts a tellement de
mal à garder ses dragonniers. »

Le pub s’était rempli pendant qu’ils attendaient leur commande et le brouhaha l’obligea à
hausser un peu la voix. « Vous pouvez peut-être changer le système de l’intérieur, c’est peut-
être une opportunité. » Mais elle n’y croyait pas vraiment et il n’y avait qu’à voir la grimace
amère d’Anthony pour comprendre que lui non plus. Les Gobelins n’étaient pas du genre à se
soucier du bien-être de leurs dragons tant qu’ils faisaient leur travail de chiens de garde.

« Et voilà ! » pipa la serveuse, en déposant devant Tonks le poulet qu’elle avait commandé et
une assiette de salade devant Anthony. « Autre chose ? »

Le jeune homme la congédia poliment mais ne rata pas le coup d’œil mi-moqueur, mi-
intrigué qu’elle jeta à Tonks. L’Auror ne le manqua pas davantage mais elle choisit de
l’ignorer.

« Je vois que tu as, au moins, retrouvé tes tenues habituelles… » commenta Anthony, non
sans amusement, avant de poignarder un morceau de tomate avec sa fourchette. « Ça doit être
bon signe… »

Tonks haussa nonchalamment les épaules. « On m’a fait remarquer que le noir ne m’allait
pas. C’est un peu riche vu d’où ça vient, mais bon… » Le commentaire de Snape lui était
revenu en mémoire, ce matin là, alors qu’elle était sur le point de s’habiller et elle s’était dit
qu’il fallait bien commencer quelque part. Elle avait remisé au sac de linge sale ses jeans et
pulls noirs et avait tiré de son armoire un jean bleu lacéré par endroits, un haut à manches
longues violet sur lequel elle avait passé un tee-shirt vert pomme, déchiré avec soin juste ce
qu’il fallait. Bref, elle avait enfilé une des tenues que sa mère aurait jetée au feu si elle l’avait
laissé faire. Ça ne lui semblait pas complet sans ses cheveux colorés mais il était évident que
ça suffisait à attirer l’attention de la plupart des clients du pub.

« Ça ne vient pas de Remus, alors. » déduisit Anthony.

Tonks soupira avec lassitude, laissant son regard parcourir l’établissement du regard à la
recherche d’un comportement suspect ou de quelque chose d’alarmant – déformation
professionnelle. « Toute ma vie ne tourne pas autour de Remus. »

Anthony pinça les lèvres avec amusement. « Vraiment ? »

« Oh, ça va, tu t’es entendu, toi ? » répliqua-t-elle, coupant un morceau de poulet avec
agacement. « Charlie, par-ci, Charlie, par là… J’aimerai bien voir dans quel état tu serais si
vous décidiez de rompre et si, en plus, il te traitait comme un gamin idiot et incapable de
prendre la moindre décision sans sa supervision. »
« Toutes les histoires d’amour ne sont pas éternelles. » Anthony déclara, un peu tristement,
après un bref silence que Tonks passa à massacrer son poulet et les haricots verts qui
l’accompagnaient. « Parfois, on peut aimer quelqu’un à en mourir et quand même donner la
priorité à autre chose en sachant qu’on risque de le perdre. Parfois, il faut savoir renoncer à
eux parce qu’on sait qu’on leur fera du mal au final. La vie est beaucoup plus compliquée
qu’un ‘ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants’. »

Irritée, Tonks fronça les sourcils. « Merci, contrairement à ce que Remus et toi semblez
penser, je ne suis pas une petite fille qui croit aux contes de fées. »

« Ce que je veux dire… » reprit fermement Anthony « … c’est que Remus préférait peut-être
mettre un terme à votre histoire maintenant, quand elle était encore belle, plutôt que
d’attendre que ça devienne un mauvais souvenir. »

Elle réfléchit un instant à cette hypothèse et la rejeta d’un geste. « Non, il est juste têtu.
J’admets qu’il y avait des problèmes entre nous et qu’ils auraient peut-être été difficiles à
régler, mais il faut savoir se battre pour ce qu’on veut dans la vie. On ne peut pas abandonner
à la première difficulté ou on ne fera jamais rien. »

Anthony considéra la chose quelques secondes, un air songeur sur le visage. « Tu veux le
récupérer, alors ? Vu comment il a réagi l’autre fois, ça ne devrait pas être bien compliqué…
»

Excellente question. « Non. » lâcha-t-elle, sans croiser son regard. « Pas tant qu’il ne me
respectera pas. »

Et Merlin seul savait combien de temps cela prendrait pour le convaincre qu’elle était
parfaitement capable de prendre les bonnes décisions par elle-même. Elle n’aurait même pas
dû avoir à l’en convaincre, c’était tout le nœud du problème.

Ils mangèrent en silence quelques minutes puis Anthony se racla la gorge et la dévisagea,
visiblement un peu gêné. « Tonks… »

Le ton embarrassé fit froncer les sourcils de la jeune femme, pourtant, le dragonnier se reprit
bien vite, endossant un masque nonchalant, presque distrait. Ça ne l’empêcha pas de
remarquer la manière dont il soupesait nerveusement sa fourchette.

« Je sais que tu es l’amie de Charlie avant d’être la mienne… » hésita-t-il « Mais si… Si tu
savais quelque chose que je devrais savoir, tu me le dirais, n’est-ce pas ? »

Son froncement de sourcils s’accentua. « Quelque chose comme quoi ? Je ne vois pas de quoi
tu parles… Il y a un problème avec Charlie ? »

Elle avait bien remarqué que son meilleur ami était un peu bizarre dernièrement.
Excessivement joyeux à certains moments, comme s’il se forçait par exemple, mais elle
l’avait attribué à la mort d’Arthur. Elle ne pouvait pas imaginer ce qu’elle aurait ressenti si
son père…
« Non, non… » s’empressa de la rassurer Anthony, mais il ne paraissait pas certain. Le bout
de sa fourchette promenait une olive d’un coin à l’autre de l’assiette. « C’est juste… Il est
distant, en ce moment. Secret. Il dit qu’il passe plusieurs nuits par semaine au Terrier, mais…
Il ne veut pas que je l’accompagne, il ne veut pas m’en parler et quand j’ai essayé d’en
toucher un mot à son frère, Bill a eu l’air gêné. S’il y avait quelqu’un d’autre… Tu me le
dirais, Tonks ? »

Elle ouvrit et referma plusieurs fois la bouche, se demandant dans quel guêpier Charlie s’était
encore fourré. Elle aurait aimé pouvoir affirmer que Charlie n’avait jamais trompé personne
mais elle savait que ce n’était pas vrai. Seulement Anthony… Elle aurait mis sa main à
couper qu’Anthony était le grand amour de sa vie… Elle ne l’avait jamais vu aussi amoureux
avant…

« Je ne sais rien du tout, je te jure. » s’excusa-t-elle à moitié. À chaque fois qu’elle avait vu
Charlie, dernièrement, ils avaient parlé de Remus et de ses parents à qui personne ne pouvait
rendre visite sans permission, même pas elle. Elle n’osait pas aborder le sujet d’Arthur ou de
Molly et elle avait présumé que tout allait bien avec Anthony. Quelle meilleure amie elle
faisait ! Décidément, le loup-garou avait envahi tous les aspects de sa vie…

Elle n’était pas certaine qu’Anthony la croie véritablement mais il balaya sa réponse d’un
geste sec. « Ça ne fait rien. » déclara-t-il. « Ce n’est pas grave. »

Excepté que ça l’était.

« Anthony… » tenta-t-elle, mais il ne la laissa pas terminer.

« Tu seras à la prochaine réunion ? » s’enquit-il, en apportant le coup de grâce à l’olive qu’il


torturait depuis dix bonnes minutes. « Tu as raté la dernière. »

Elle acquiesça, acceptant son changement de sujet avec bonne volonté. À sa place, elle
n’aurait pas souhaité s’y attarder non plus. « Snape devrait y assister… Entre Sirius et lui,
Nyssa et Fol’Œil et Remus et moi, ça risque d’être animé. »

Anthony fronça les sourcils, confus. « Snape et Sirius ? Je n’avais pas compris qu’ils
étaient… Je croyais qu’ils se détestaient… »

« Oh, non ! » s’exclama-t-elle, éclatant de rire à la méprise. « Non, non, non ! Ils ne sont
pas… Ils se détestent. » Elle eut vraiment du mal à contrôler son fou rire, surtout lorsqu’elle
s’aventura à imaginer la tête de Sirius si elle se mettait à lancer ce genre de rumeurs. « Ils ne
peuvent pas se trouver dans la même pièce sans essayer de s’entre-tuer. »

Un sourire amusé joua sur les lèvres d’Anthony lorsqu’elle échoua à contrôler son hilarité.
Pliée en deux, elle passa un bras autour de son ventre dans une vaine tentative pour apaiser
les spasmes. Elle devait répéter ça à Sirius, son expression serait…

« Je n’ai jamais rencontré Snape. » offrit Anthony. « Il a disparu avant qu’on arrive en
Angleterre. »
« La plupart des gens seraient heureux de ne jamais l’avoir rencontré. » remarqua Tonks, en
utilisant sa serviette en papier pour essuyer les larmes d’amusement qui lui avaient échappée.

« Je n’ai pas entendu de très bonnes choses sur lui. » confirma-t-il. « Personne ne l’aime
beaucoup. »

« C’est peut-être ça son problème. » répondit-elle, dans un haussement d’épaules.

« Charlie n’a pas su m’expliquer pourquoi il avait changé de camp… » hésita Anthony, en
baissant la voix.

Soudain tout à fait sérieuse, elle scanna plus attentivement les environs à la recherche d’un
visage familier ou d’une personne s’intéressant de trop près à leur conversation. Rien ne lui
sauta aux yeux, mais ça ne signifiait rien. Il y avait des moyens de se déguiser efficacement,
comme il y avait des moyens d’espionner à distance.

« Personne ne le sait. » lui confia-t-elle, tout de même, avec un dernier coup d’œil méfiant
alentour. « Dumbledore n’a jamais voulu le dire et Snape est aussi bavard qu’une huitre. »

Anthony ne parut pas enchanté de sa réponse. « Et on lui fait confiance, parce que ? »

« Parce que Dumbledore dit qu’il est sincère. » soupira-t-elle par la force de l’habitude, ayant
eu la conversation une centaine de fois avec Sirius.

« Rappelle-moi qui t’a obligée à dissimuler un crime au Ministère et qui me force à exploiter
des dragons déjà ? » ironisa Anthony.

« C’est différent. » protesta-t-elle, immédiatement. Mais l’était-ce ?

« En quoi ? » riposta-t-il. « Les décisions de Dumbledore laissent parfois à désirer… Pour ce


qu’on en sait, Snape est un agent double, triple ou même quadruple... »

« Il faut lui donner le bénéfice du doute… » insista-t-elle.

Anthony termina sa dernière feuille de salade avec une contrariété évidente. « Ce serait
différent si je ne risquais que ma peau. » déclara-t-il. « Mais là, on me demande de parier ma
vie et celle de Charlie sur la bonne volonté d’un Mangemort prétendument repenti, sans
aucune explication. »

Ni Sirius, ni Fol’Œil n’avaient jamais été convaincus par le revirement de Snape, mais…
Remus lui avait dit de faire confiance à Dumbledore. La plupart des membres de l’Ordre
faisaient aveuglément, de manière littérale dans ce cas-ci, confiance au Directeur. Quant à sa
propre opinion personnelle sur Snape… Ce n’était certainement pas sa personne préférée
mais elle pouvait comprendre qu’un jeune homme de vingt ans ait fait des choix malheureux
qu’il ait regrettés par la suite… Avait-elle besoin de preuves concrètes de ce repentir ?
Dumbledore n’était pas idiot, s’il y avait eu ne serait-ce qu’une seule raison de douter de
l’allégeance de Snape, il ne l’aurait jamais invité à siéger au Conseil, il l’aurait gardé en
réserve comme la majorité des gens qui œuvraient pour l’Ordre à un niveau ou un autre.
Elle n’avait jamais vraiment repensé à deux fois au fait que Snape espionne pour eux. On le
lui avait présenté comme un fait et elle l’avait accepté sans rechigner. Seulement, il fallait
admettre que les décisions de Dumbledore, dernièrement, avaient été discutables…

Suffisamment discutables pour qu’elle termine son poulet dans un silence pensif.

°°O°°O°°O°°O°°

« On pourrait intituler cette scène La mélancolie du Survivant. » lança Ginny, moqueuse, en


venant s’installer dans le maigre espace qui restait en face de lui. Le renfoncement de la
fenêtre du dortoir n’était pas large et Harry dut pousser ses jambes pour lui faire de la place.
Perché là-haut, il pouvait apercevoir une bonne partie du domaine par la vitre. Il n’y avait pas
grand-chose d’autre à voir qu’une fine couche de neige que trouaient, ci-et-là, quelques
buissons dépouillés. De temps à autre, un groupe d’élèves plus hardis que les autres
s’aventurait en direction du lac.

« Si tu es venue me faire la morale, je ne suis pas d’humeur. » l’avertit-il, gratouillant les


oreilles de Masque. Le chat ne cessait de le trouver où qu’il aille dans le château et finissait
généralement par se rouler en boule sur lui, le massacrant de ses griffes jusqu’à ce qu’il lui
prodigue son quota de caresses.

Les questions à propos de l’animal se faisaient récurrentes et pressantes mais le garçon


refusait d’y répondre. Le chat n’était pas à lui. Il était à Snape et il refusait de décharger le
Professeur de cette responsabilité. Ginny, cependant, ne fit aucun commentaire à propos du
félin, bien qu’elle prenne soin de ne pas trop s’approcher de lui.

« Ron, Hermione et toi ne vous réconcilierez pas si vous ne vous parlerez pas. » déclara-t-
elle, tout de go.

Harry hausa les épaules. « Qui a dit que je voulais me réconcilier avec eux ? Ils n’ont pas
besoin de moi et je n’ai pas besoin d’eux. »

Il avait survécu sans eux jusqu’au week-end et ça ne lui avait pas semblé si insurmontable
que cela. À vrai dire, ça ne l’avait même pas énormément changé du rythme qu’avaient pris
ses journées depuis son retour : Ron et Hermione étaient toujours entourés du même cercle
d’amis, ils se tenaient simplement à l’opposé de la pièce, l’un de l’autre. Et Ron devait avoir
pardonné à Malfoy puisque, à chaque fois qu’Harry s’était hasardé à regarder vers son
meilleur ami, il était en compagnie du Sang-Pur.

Harry était bien mieux seul, de toute manière.

Il était de plus en plus évident que c’était là son destin. Il avait tenté plusieurs fois de
contacter Snape, ces derniers jours. Il l’avait traqué jusqu’à ses appartements privés à l’aide
de la Carte des Maraudeurs uniquement pour trouver porte close – ou statue close plutôt,
l’imposante sculpture en granit représentant un serpent à moitié dressé pour attaquer avait
refusé de bouger en dépit de ses exigences et suppliques répétées – il avait tenté de le
provoquer suffisamment pour obtenir une retenue sans succès… Il avait même essayé de le
coincer au détour d’un couloir mais Snape avait cette faculté de disparaître sans laisser de
trace lorsqu’il ne voulait pas être suivi.
Et il devenait évident qu’il ne voulait pas être suivi.

« Harry… » reprit Ginny prudemment, avant d’expirer brutalement sous le coup de la


frustration. « Je peux être honnête ? »

Drôle de question. Peu de personnes s’encombraient de la poser. Il l’invita à poursuivre d’un


geste. La jeune fille resserra distraitement sa queue de cheval, elle avait les cheveux
suffisamment longs pour que, même ainsi, ils retombent sur ses épaules. Harry observa un
instant les reflets que le pale soleil d’hiver jetait sur le roux avant de se racler la gorge et de
s’écarter un peu d’elle, se rendant compte, soudain, que l’espace était réellement restreint. Si
Ron choisissait ce moment pour revenir dans le dortoir et les trouvait pressés l’un contre
l’autre dans un endroit à peine assez grand pour une personne…

« Tu nous as vraiment manqué. » offrit Ginny, avec un sourire sincère. « Mais tu dois
comprendre qu’ils n’arrêtaient pas de nous dire que tu étais probablement mort. Ce n’était
pas simple de jongler entre ce qu’on voulait croire et la réalité de la situation. » Elle
s’humecta nerveusement les lèvres. « Ron… » Il ouvrit la bouche et elle leva la main pour
l’empêcher de l’interrompre. « Non, laisse-moi finir. Ron n’a jamais vraiment perdu espoir.
C’était plus compliqué pour Hermione. Elle a lu tout ce qu’elle pouvait sur les tempêtes
magiques, elle a demandé à Remus et McGonagall de lui expliquer tout ce qu’ils savaient…
Personne ne pensait que tu reviendrais, Harry. Sirius, Ron, moi et les autres… On espérait
mais on ne savait pas, tu comprends ? »

Il baissa les yeux, troublé par l’urgence de son regard. Il avait presque l’impression qu’elle
désirait son pardon pour avoir douté et vraiment… « Vous ne pouviez pas savoir. Je ne vous
en veux pas. »

La tension dans les épaules de la jeune fille s’effaça légèrement. « Alors tu ne peux pas nous
en vouloir pour le reste. On a dû continuer, Harry. On ne pouvait pas suspendre le temps et
mettre notre vie sur pause même si on l’avait voulu, ça ne marche pas comme ça. »

« Ce n’est pas à toi que j’en veux. » se défendit-il immédiatement. Il n’avait jamais rien
reproché à Ginny ou aux jumeaux ou même aux autres Gryffondors.

« Je ne suis pas sûre que tu saches vraiment à qui tu en veux, Harry. » répondit doucement
Ginny. « Tu es en colère parce que les choses ont changé et que tu as du mal à retrouver ta
place… Ce n’est pas la faute de Ron et d’Hermione. »

« Et c’est la mienne, peut-être ? » riposta-t-il, incapable de contenir un mouvement agacé.


Masque sauta de ses genoux dans un feulement et alla se coucher sur le lit de Seamus.

Ginny soupira et haussa les épaules avec un sourire triste. « Je ne crois pas que ce soit la
faute de qui que ce soit, mais… »

« Mais quoi ? » l’encouragea-t-il presque à contrecœur. Il devinait que ce qu’elle avait à dire
ne lui plairait pas.

« Mais… » grimaça la quatrième année. « Je ne crois pas que tu aies seulement essayé de
t’intégrer. »
Irrité, il se leva de leur perchoir pour s’accroupir près de sa malle. Il souleva le couvercle et
entreprit de fouiller à la recherche d’il ne savait quoi, de mettre davantage de désordre en
tentant de l’ordonner davantage… Il ne tenait pas en place, ces temps-ci. Il se sentait
oppressé, cloîtré à l’intérieur du château, prisonnier de son identité… Les regards lourds que
Dumbledore faisait peser sur lui à chaque repas et le mot qu’il avait reçu, un peu plus tôt,
selon lequel Remus allait lui donner des cours de Défense particuliers, n’aidaient en rien. Ils
auraient au moins pu lui demander son avis avant de lui imposer un entraînement qui, il le
savait, serait totalement différent de celui auquel l’avait habitué Snape-Prince. Snape.

« Bien sûr. » cracha-t-il finalement. « C’est ma faute. J’aurais dû le savoir. »

Les jambes de Ginny se balançaient doucement, rebondissant sur la pierre lisse. Il n’osait pas
regarder plus haut de peur de croiser son regard. Il avait peur de ce qu’il aurait pu y lire, peur
qu’elle dise la vérité et de ne pas s’être suffisamment remis en question.

Il était perdu. Perdu, seul et avec la sensation tenace d’être rejeté. C’était presque pire que
chez les Dursley parce que Poudlard avait toujours été un refuge jusque là.

Il avait la sensation de ne plus rien contrôler et c’était insupportable. On prenait des décisions
pour lui sans le consulter, on cherchait à le forcer à se sociabiliser avec des gens qu’il ne
connaissait pas et, à présent, il semblait, en plus, qu’il ait hérité d’un chat dont personne ne
voulait.

Oh, ce n’était pas Masque, le problème. Le problème était qu’on n’adoptait pas un animal
pour l’ignorer ensuite.

« Je n’ai jamais dit que c’était ta faute. » réfuta Ginny. « Juste que si tu leur donnais une
chance, tu serais peut-être surpris. »

Il grinça des dents et continua à transvaser des objets d’un bout à l’autre de la malle, sans
même savoir ce qui lui passait entre les mains.

« Ils te manquent ? » s’enquit Ginny, avec hésitation. « Tes parents ? »

Ses jambes lui faisaient mal alors il s’assit en tailleur. Presque instinctivement, sa main
attrapa le carnet de dessins soigneusement enveloppé dans un vieux Tee-shirt ayant appartenu
à Dudley. C’était probablement la seule chose, avec l’album photo, qui soit un tant soit peu
protégée au sein de sa malle.

« Je ne veux pas en parler. » lâcha-t-il. Pourtant, il extirpa le carnet du tissu rouge tout râpé et
en caressa la couverture que Lily avait si souvent manipulée.

« Mon père me manque. » murmura la quatrième année avec un sourire courageux qui
sonnait faux. « Il manque à Ron aussi. Et je suis sûre que ses parents manquent à Hermione.
Tu vois… Peut-être que si vous réussissiez à vous parler, vous découvririez que vous avez
plus de choses en commun que vous ne le pensez. »

La gorge serrée, il souleva la couverture avec précaution. Il regardait les dessins si souvent
que certains traits de fusain avaient commencé à s’estomper ou même à s’étaler, tachant les
pages d’empreintes noires. Il entendit plus qu’il ne vit Ginny sauter au sol et approcher de lui,
elle s’agenouilla à côté de lui et observa le dessin par-dessus son épaule. C’était un
autoportrait de Lily et sur la page d’à côté, un croquis de Severus, sourcils froncés,
probablement penché sur un problème ou un autre… Les yeux de la jeune fille s’attardèrent
sur ce dernier mais, si elle le reconnut, elle n’en souffla pas un mot.

« C’est toi qui a fait ça ? » demanda-t-elle, visiblement surprise. « Je ne savais pas que tu
dessinais… »

« Non. » répondit-il. « C’est Lily. Ma… Ma mère. » C’était toujours aussi étrange d’appeler
Lily sa mère après l’avoir considérée comme l’une de ses meilleures amies pendant des mois.

« Est-ce que je peux voir ? » s’enquit Ginny, poliment. Elle ne tendit pas la main vers le
carnet et il eut la sensation que, s’il s’avérait de refuser, elle n’insisterait pas. La quatrième
année était différente de ses souvenirs. Plus âgée, moins effarouchée. Il aurait été incapable
de dire à quel moment elle avait grandi.

Il n’avait pas parlé du carnet à Ron et Hermione. Il avait prévu de leur montrer les dessins, à
un moment ou à un autre, mais l’instant idéal ne s’était jamais présenté et, au final, il
préférait peut-être les garder pour lui.

« Une autre fois, d’accord ? » s’excusa-t-il, en refermant le carnet. « Ne m’en veux pas, c’est
juste que… »

« Non, je comprends. » le coupa-t-elle. « C’est normal. J’ai… C’est stupide alors ne le dit pas
à Ron ou aux jumeaux, s’il te plaît. » Il hocha la tête en guise d’assentiment. Ce n’était pas
comme s’il prévoyait de dire quoi que ce soit à Ron dans l’immédiat de toute façon. « J’ai
pris une des écharpes de papa et… c’est très, très bête, je te préviens. Mais je crois que si
quelqu’un d’autre la touchait… Ce serait comme si elle était salie, comme si elle n’était plus
à lui. » Elle se racla la gorge et tourna la tête, visiblement gênée. « Stupide, tu vois. »

« Non. » protesta-t-il, en enroulant à nouveau le carnet dans le vieux tee-shirt. « Non, je


comprends. » Il replaça le carnet dans la malle, avant de la refermer un peu plus brutalement
que nécessaire. « Pour ton père… Je ne t’ai jamais dit que… »

« Tu n’as pas à le dire. » coupa-t-elle sèchement. « Tu es désolé. Tout le monde est désolé. Ça
ne change rien. Ça ne sert à rien de le dire. »

Harry lui sourit gentiment, trouvant soudain la situation un peu ridicule. Voilà qu’ils étaient
assis par terre à ressasser leurs chagrins… Severus n’aurait pas manqué de l’accuser d’être
mélodramatique.

« Ce n’est pas très joyeux tout ça. » remarqua-t-il.

« Non. » confirma Ginny, en grimaçant. Elle se frotta les yeux et Harry prétendit ne pas voir
les larmes qui y brillaient. « J’étais venue te remonter le moral, pas pleurnicher. »

Lui remonter le moral… Voilà quelque chose qu’il avait renoncé à faire par lui-même.
« Je n’ai pas encore rendu visite à Hagrid. » déclara-t-il, bien que se traîner jusqu’à la hutte
du demi-géant ne lui était pas venu à l’esprit avant cet instant. Il s’en voulut un peu. Hagrid
lui avait manqué. « Tu veux venir avec moi ? »

« J’avais autre chose en tête. » contra Ginny, en se remettant debout avec souplesse.
« Quidditch ? » Elle lui tendit la main pour l’aider à se relever. Son sourire était si large et si
contagieux qu’il ne put rien faire d’autre que de la laisser le tirer debout et sourire en retour.

« Quidditch. » accepta-t-il.

Ils se séparèrent le temps d’enfiler une tenue plus appropriée puis descendirent jusqu’au
stade, plaisantant et riant de tout et de rien. Lorsque les grandes portes du terrain de
Quidditch se présentèrent, Harry était plus détendu qu’il ne l’avait été depuis son retour et
l’envie d’utiliser à nouveau son éclair de feu le démangeait.

Cependant, il lui suffit de mettre un pied sur le terrain pour comprendre qu’il était tombé dans
un piège.

« Sérieusement ?! » entendit-il Ron hurler en direction de Zabini, bien qu’ils furent à des
mètres au-dessus d’eux. Le Serpentard haussa simplement les épaules d’un air résigné.

« Je n’aime pas être manipulé. » grogna Harry, à l’attention de Ginny.

La rouquine leva les yeux au ciel. « Je ne t’ai pas manipulé, je t’ai proposé de jouer au
Quidditch or il se trouve que Blaise a proposé la même chose à Ron… Coïncidence, rien de
plus. Je vais chercher nos balais. »

Elle partit sans demander son reste et Ron mit pied-à-terre devant lui. Ils se dévisagèrent
longuement, le visage fermé. Harry soupira le premier et Ron se mit à soulever nerveusement
une motte de terre du bout d’une de ses baskets usée. Lorsqu’ils se regardèrent à nouveau un
sourire hésitant jouait sur les lèvres de son meilleur ami.

« À ton avis, qui va ramener Hermione ? » demanda-t-il, plus pour rompre le silence qu’autre
chose.

« Je ne sais pas, mais je le plains. » répondit Ron, en haussant les épaules. « On fait
équipe contre eux ? » Il désigna Blaise et Ginny qui discutaient tranquillement à côté des
vestiaires.

« Il me manque juste mon balai. » décréta Harry, en se dirigeant vers eux à grands pas. Ron le
suivit et ils marchèrent en silence quelques secondes avant que le Gryffondor ne lui assène
une claque amicale sur l’épaule. Harry lui rendit la pareille d’une bourrade et c’en fut fini de
leur dispute.

Pas besoin de discours, pas besoin d’excuses, pas besoin d’explications. Il y avait des
personnes, dans la vie, avec qui les choses étaient d’une simplicité extrême. Elles étaient
rares et précieuses. Harry avait depuis longtemps appris qu’il fallait les chérir comme le
miracle qu’elles étaient.
°°O°°O°°O°°O°°

« Et moi je te dis qu’elle en pinçait pour toi. » réitéra Sirius, alors qu’ils quittaient la
boutique de Florian Fortarôme, une des rares à n’avoir pas été touchée par les flammes, où
l’ancien hors-la-loi avait répondu aux questions d’une énième journaliste. Une journaliste
qui, il en était convaincu, n’était pas restée insensible au charme de Remus.

Son meilleur ami leva les yeux au ciel. « Loup-garou publiquement déclaré, tu te souviens ? »

Sirius ravala un soupir. « Les temps ont changé, Remus. »

Ils flânèrent quelques instants sur le Chemin de Traverse, au bruit des marteaux et des cris
des ouvriers qui rebâtissaient, ça et là, les immeubles que le feu avait touché. En dépit de tous
les efforts, le quartier sorcier ressemblait toujours à une ruche calcinée : les gens s’agitaient
autour des boutiques noircies, un brouhaha familier régnait dans la rue, mais il suffisait d’un
bruit trop incongru ou trop violent et tout le monde s’éparpillait comme si l’on avait donné un
coup de pied dans la fourmilière. La peur que les Mangemorts ne reviennent était constante.

« Comment va Tonks ? » demanda-t-il, au bout d’un moment, faute d’autre sujet de


conversation.

« Comment va Harry ? » répliqua immédiatement Remus. La belle humeur de Sirius


s’évanouit comme neige au soleil et le loup-garou grimaça. « Désolé, je n’aurais pas dû… »

« Non, non. » Il balaya ses excuses d’un geste. Harry était un sujet sensible, plus, peut-être,
que celui de Tonks. Sirius n’avait toujours pas reçu de lettre ou d’invitation à lui rendre visite
et cela commençait à lui peser. Il avait cessé d’envoyer hibou sur hibou parce que Remus lui
avait affirmé que cela faisait probablement plus de mal qu’autre chose, mais… Il ne voulait
pas forcer la main d’Harry, seulement… La situation ne pouvait perdurer beaucoup plus
longtemps. Il faudrait bien que Sirius fasse quelque chose de drastique pour y remédier.

« Je réfléchissais… » hésita Remus.

« Lunard, je suis choqué. » plaisanta-t-il, dans une piètre tentative pour alléger l’ambiance
soudain pesante.

L’homme lui sourit avec amusement puis lui fit signe qu’ils devaient tourner à droite. Remus
voulait visiter une nouvelle boutique, dans l’Allée des Embrumes, soi-disant consacrée aux
loups-garous.

« Pourquoi tu n’essayerai pas de contacter Severus… » suggéra Remus

« Pourquoi je n’essayerai pas plutôt de me pendre ? » proposa-t-il, à moitié sérieux. À dire


vrai, la situation avait tellement échappé à son contrôle qu’il avait envisagé d’entrer en
contact avec Snape. Il avait essayé, un soir, après deux ou trois verres de whiskey – il fallait
bien ça pour affronter le visage ingrat du Maître des Potions – de lui parler via cheminette
mais l’homme était plus insaisissable que Peeves. Il n’était jamais là et quand Sirius avait
émis le souhait de lui parler devant Dumbledore, en espérant que ce dernier pourrait arranger
un rendez-vous, le Directeur lui avait répondu que Snape avait trop à faire pour des visites de
courtoisie.

« Il a raté la dernière réunion. » Remus baissa la voix. « Tu ne trouves pas ça étrange qu’on
ne l’ait vu qu’une fois depuis son retour ? »

« Il y a tout un tas de choses que je trouve étrange. » répondit-il.

Snape n’avait jamais autant transité par le Q.G. que les autres. Il faisait ses rapports
directement à Dumbledore et c’était le Directeur qui lui donnait ses ordres, contrairement au
reste de l’Ordre qui était plus ou moins sous la responsabilité de Remus. Mais il était vrai
qu’il avait toujours assisté aux réunions et venait livrer, en personne, les potions qu’ils
stockaient au Square Grimmaurd. Or, les potions venaient toujours de Slughorn malgré le
retour de Snape et étaient convoyées par Dumbledore, McGonagall ou quiconque venant de
Poudlard.

Snape se cachait-il ou leur cachait-on Snape ?

Quoi que l’homme n’ait pas été le seul à s’abstenir d’assister aux réunions dernièrement.
Molly semblait avoir disparu de la surface de la terre, Fleur ne venait jamais si elle savait que
Bill s’y trouvait et Mondingus était Merlin savait où en train de faire Merlin savait quoi.

« On devrait se dépêcher. » remarqua Remus, en consultant sa montre. « Il est tard et tu es de


surveillance, ce soir. »

Ils serpentèrent dans les ruelles peu engageantes de l’Allée des Embrumes, naviguant entre
les prostituées et les hommes à l’aspect peu recommandable, jusqu’à finalement trouver la
boutique en question. Il s’avéra vite, cependant, que l’endroit n’était pas ce que Remus
espérait. Il avait souhaité trouver quelque chose – amulette ou potion – pour contrôler
davantage le loup mais le petit commerce crasseux et étroit, coincé entre deux tavernes, ne
contenait rien d’autre qu’un tas d’attrape-nigauds censés protéger contre la morsure des
loups-garous. Ils en ressortirent dépités et passablement en colère.

« Les temps n’ont pas tant changé que ça, finalement. » ironisa Remus avec amertume.

Ils s’enfoncèrent à nouveau dans les ruelles. L’incendie n’avait pas épargné l’Allée des
Embrumes, plus d’une carcasse de maison bordaient les rues. Soudain, Remus l’arrêta d’une
main sur le bras.

« Ce n’est pas Bill, là-bas ? »

Perdu dans ses pensées, Sirius mit une seconde de trop à relever les yeux des gros pavés
inégaux qui formaient la chaussée – il avait trébuché trop de fois sur l’un d’eux pour ne pas
être attentif. Il lui fallut plisser les yeux pour décréter que l’un des deux hommes occupés à
discuter dans un renfoncement entre deux bâtiments était effectivement Bill, le catogan roux
qui lui battait le dos ne trompait pas. La conversation, cependant, paraissait animée. Sirius ne
fut pas particulièrement surpris de voir l’inconnu tirer sa baguette et la pointer sur Bill qui
l’écarta d’un geste agacé.
« Qu’est-ce qu’on fait ? » hésita Sirius « On y va ? »

Le temps que Remus décide, toutefois, Bill avait flanqué une bourse en cuir bien remplie
dans la main de l’homme. Ils échangèrent quelques mots, l’inconnu en sortit une pièce d’or
qu’il examina attentivement à la lumière, puis fourra la bourse dans une poche intérieure
avant de tendre à Bill un paquet blanc.

« Si la bourse était pleine de pièces d’or… » remarqua Remus.

« Jolie somme. » commenta simplement Sirius, en observant l’homme se sauver d’un pas
rapide en direction d’une ruelle. Et beaucoup plus que Bill ne devrait pouvoir s’offrir…

Bill rangea soigneusement le paquet dans sa besace et sortit de sa ‘cachette’, en se frottant le


visage d’un air fatigué. Sirius n’attendit pas davantage avant de fuser vers lui.

« Hey ! » le salua-t-il, d’un tape sur l’épaule.

L’espace d’une seconde, Bill eut l’air alarmé de les trouver là. Il le masqua sous un sourire
mais ses gestes demeurèrent nerveux.

« Qu’est-ce que tu fais par ici ? » s’enquit Remus, tout à fait poliment.

« Une commande pour Gringotts. » répondit Bill, dans un haussement d’épaule.

« Ils n’ont pas des livreurs pour ça ? » demanda Sirius, sourcils froncés.

L’homme leva les yeux au ciel. « Il y a une raison pour laquelle on dit ‘avare comme un
gobelin’. » plaisanta-t-il. « Je ne compte plus le nombre de choses que j’ai dû faire qui
n’avaient rien à voir avec les sortilèges… »

Remus et lui échangèrent un coup d’œil peu convaincu mais choisirent de ne pas insister
davantage. Après tout, qu’y connaissaient-ils en gobelins ? Les activités de Gringotts
n’étaient pas toujours tout à fait légales d’un point de vue sorcier, les gobelins avaient leur
propre manière de faire les choses.

« Tu vois ? » lâcha Sirius, une fois que Bill se fut éloigné en direction du Chemin de
Traverse. « Tout le monde est étrange en ce moment. »

°°O°°O°°O°°O°°

Draco était perché sur le parapet de la tour d’Astronomie, dos au vide, dans son uniforme de
Quidditch, un balai abandonné à ses pieds, et dégustait pensivement une pomme. Hermione
se tenait dans l’ombre depuis plusieurs minutes mais il n’avait toujours pas remarqué sa
présence.

« J’ai eu ton message. » lâcha-t-elle finalement, en émergeant de son abri. Le vent était fort,
là-haut, trop pour que qui que ce soit s’amuse à s’asseoir sur des rebord surplombant le vide.
Ses cheveux lui fouettaient le visage et elle regretta de ne pas avoir autre chose pour les
retenir que le simple serre-tête noir qu’elle portait. « Écoute… » continua-t-elle, sans lui
laisser le temps de parler. « Je voulais m’excuser pour ce qui s’est passé dans le bureau de
Snape. Je n’aurais jamais dû t’emmener avec moi à Noël. Je n’avais pas pensé qu’ils
t’accuseraient de quoi que ce soit et… »

Elle s’interrompit, ne sachant pas très bien comment terminer ses excuses, mais il se contenta
de croquer sa pomme en la dévisageant d’un air indéchiffrable.

« Je déteste qu’on se sente obligés de s’éviter. » avoua-t-elle, tout à coup, changeant


brutalement de sujet. « Je sais que tu n’aimes pas Harry et que vous ne serez probablement
jamais amis, mais… Je déteste devoir te perdre à cause de ça. Je déteste… »

Il jeta le trognon par-dessus son épaule et sauta du parapet, toujours sans un mot. Elle cessa
de parler. Probablement ne voulait-il pas de ses excuses ou de ses explications. Pourtant
lorsqu’il approcha d’elle d’un pas déterminé, elle le laissa faire. Elle ne s’attendait pas
vraiment à ce qu’il encadre son visage de ses mains ou l’attire vers lui mais lorsque ses lèvres
se posèrent sur les siennes, elle s’abandonna au baiser.

Leur premier baiser ne fut pas le meilleur baiser de l’Histoire. Leurs nez se cognèrent, elle
était tellement surprise qu’elle ne savait pas où poser ses mains et le vent ne cessait de
rabattre ses cheveux sur eux. Pourtant, Hermione le jugea parfait. Leur premier baiser ne fut
pas le meilleur baiser de l’Histoire mais il avait un goût de pomme, le bruit du vent sifflant
entre deux tours et la douceur amère d’une envie assouvie.

Lorsque Draco recula légèrement le visage, après plusieurs minutes où ils avaient oublié que
respirer était une fonction nécessaire à leur survie, il souriait. « Je me suis dit qu’ici, aucun de
tes crétins d’amis ne viendrait nous déranger. »

Elle fronça les sourcils, légèrement mécontente. « Mes crétins d’amis sont aussi tes crétins
d’amis. »

« Pas quand ils m’empêchent de t’embrasser. » répondit-il, dans un haussement d’épaules,


avant de capturer à nouveau ses lèvres sous les siennes.

Il faisait froid et Draco semblait toujours dégager de la chaleur alors elle se blottit contre lui,
lui rendant chacun de ses baisers avec passion. Le temps, songea Hermione, semblait s’être
figé. Le moment était parfait. Et ce fut à regret qu’elle mit fin à leur étreinte, un sourire idiot
sur les lèvres.

« Rentrons. » suggéra-t-elle. « Il y a trop de vent. »

La cape qu’elle avait passé à la va-vite sur son pull over ne la protégeait pas suffisamment.
Ils trouveraient bien un autre endroit où être tranquille dans l’enceinte du château, de
préférence une pièce avec une cheminée et un bon feu de bois. Draco leva simplement les
yeux au ciel et se défit de son écharpe pour la lui nouer autour du cou.

« Si tu te couvrais davantage, tu n’aurais pas froid en permanence. » lui fit-il remarquer,


l’affection se disputant à l’exaspération dans sa voix. « Et aussi tentante que soit ta
proposition, nous avons un rendez-vous. »

« Un rendez-vous ? » répéta-t-elle, en fronçant les sourcils. De quoi parlait-il ?


Il poussa un profond soupir, comme s’il s’agissait d’une corvée, lui vola un dernier baiser et
retourna chercher son balai.

« J’espère que tu plaisantes. » lâcha-t-elle, en croisant les bras. « C’est hors de question. »

Draco leva les yeux au ciel. « C’est ridicule de faire le tour par le château, ça prendra moins
de temps comme ça. »

« Où est-ce qu’on va ? » demanda-t-elle, méfiante. Dans quel guêpier voulait-il l’entraîner ?


Depuis le départ d’Ombrage, la discipline de rigueur avait repris ses droits et Hermione
rechignait à enfreindre davantage de règles. Or, elle savait pertinemment que les vols en
balais étaient réservés au stade de Quidditch exclusivement.

« Au bagne. » répondit-il, d’un ton geignard. « Mais j’ai prêté serment. »

Prêter serment. Si Hermione n’avait pas été habitué à entendre la plupart des Sang-Purs
s’exprimer comme s’ils sortaient tout droit d’un roman du dix-huitième siècle, elle l’aurait
accusé de rajouter un soupçon de comédie.

« À qui ? »

Il grimaça. « Je ne suis pas censé te le dire. » Puis il haussa les épaules. « Weasley junior. »

Oh, tout cela sentait le coup fourré à plein nez. Elle aurait parié que Harry et Ron avait été
entraîné dans le même genre de guet-apens et l’attendaient quelque part.

« Comment tu t’es retrouvé là dedans ? » soupira-t-elle, avant d’accepter la main qu’il lui
tendait pour l’aider à grimper derrière lui sur le balai.

« J’ai le cœur tendre. » plaisanta-t-il, avant de diriger le balai dans la direction approximative
du stade de Quidditch. Elle s’accrocha à son torse et enfouit le visage contre son omoplate.
« Ce n’est pas pire que le sombral, Granger. »

Elle punit son ricanement moqueur d’un coup bien placé sur son bras qui le fit grogner.
« Pourquoi est-ce que tu veux que je me réconcilie avec Harry ? » insista-t-elle. « Ça ne te
ressemble pas beaucoup. »

Il haussa les épaules. « Tu es malheureuse sans tes amis et les soupirs mélancoliques de
Weasley commencent sérieusement à m’insupporter. »

Elle le pensait assez sincère, toutefois… « Et ? »

Il accéléra légèrement comme pour fuir sa question mais tourna légèrement la tête vers elle.
« Et la protection de Potter ne me serait pas superflue. » répondit-il. « Un rapprochement
public aurait un certain… impact. »

Serpentards : toujours une idée derrière la tête.

Et, comme si ce petit défaut ne suffisait pas, il fallait leur arracher les informations.
« Qu’est-ce qui s’est passé ? » s’inquiéta-t-elle. Draco avait été parfaitement heureux de se
contenter la maigre protection qu’elle pouvait lui offrir en tant que meilleure amie du
Survivant jusqu’à présent. Qu’était-il arrivé pour qu’il pense nécessaire d’obtenir le soutien
public d’Harry ?

« Snape est passé. » grinça Draco. La légère accélération fut tout ce dont Hermione eut
besoin pour comprendre que le sujet était délicat et que le Serpentard aurait probablement
préféré passer ses nerfs en volant à toute allure plutôt que de jouer les entremetteurs entre elle
et ses amis. « J’ai reçu une lettre de mon père hier. Je suis renié jusqu’à nouvel ordre. »

Quelque chose qui ressemblait à s’y méprendre à du plomb lui tomba sur l’estomac. C’était
sa faute. Si Draco ne les avait pas suivis au Ministère… « Je suis désolée. »

« Oh, ça pourrait être pire. » Il balaya ses excuses d’une main agacée – qu’elle aurait
davantage préférée sur le manche du balai car ils allaient un peu vite à son goût – avant de la
poser sur son torse, ou plus exactement sur la bague qu’il portait au bout d’une chaine.
« Renié ne veut pas dire déshérité. Je conserve mon nom et mon droit sur le domaine. Je n’y
sais simplement plus accès jusqu’à ce que je devienne Chef de famille. »

Ça semblait à Hermione bien cruel et froid pour quelqu’un qui adorait ses parents. « Je ne
vois pas bien la différence. » Émotionnellement parlant, les deux étaient…

« Black a été renié, ma tante Andromeda a été déshéritée. » expliqua-t-il. « La différence, ce


sont les coffres pleins de galions. »

« Draco… » plaida-t-elle. Elle savait qu’il mentait. Il faisait comme si rien de tout ça ne le
touchait mais elle le connaissait mieux que ça.

« Ce qui me fait penser… » Le stade de Quidditch était en vue mais il arrêta le balai, de sorte
qu’ils flottaient sur place. Hermione agrippa sa taille plus fort avec un glapissement effrayé.
Merlin ce qu’elle pouvait détester les balais. « Comment as-tu réglé ton problème de tuteurs ?
J’ai parlé avec la tante de Susan, Amélia Bones ? Elle dit que, par les temps qui courent, toute
requête d’émancipation sera rejetée. »

Hermione haussa les épaules. « Le Professeur McGonagall m’a dit que, par défaut, elle était
responsable de moi jusqu’à ce qu’on retrouve mes parents ou que j’ai dix-sept ans. Je crois
que ton Directeur de Maison… »

« Sûrement pas. » cracha Draco, avec agacement. « Ce sale petit… » Il ne termina pas sa
phrase et Hermione se sentit assez mal à l’aise. Entre les louanges qu’Harry faisait pleuvoir
sur Snape dès qu’ils étaient tous les trois et la quasi-vénération que la plupart de leurs amis
Serpentards lui vouaient, elle en était venue à le voir sous un nouvel angle.

« Peut-être qu’un membre de ta famille pourrait demander ta garde, de façon provisoire ? »


suggéra-t-elle. « Je peux contacter Tonks, si tu veux. »

Draco ne parut pas davantage enchanté par la proposition mais il l’étudia pourtant quelques
secondes. « Peut-être. Laisse-moi y réfléchir. » Le balai repartit de plus belle et Hermione
appuya le front contre son épaule, les yeux fermés. Ce qu’elle pouvait détester ça… Elle ne
remarqua qu’ils avaient atteint le stade qu’aux cris et aux rires qui résonnaient dans l’air
froid. « Dois-je me poser ou voulez-vous avoir votre grande réconciliation dans les airs ? »
ironisa le Serpentard.

Elle lui décocha un petit coup de pied qui le fit ricaner mais le balai entama pourtant sa
descente. Du coin de l’œil, elle vit quatre autres personnes en faire de même.

« Pas trop tôt ! » s’exclama Ginny, dès qu’ils eurent tous touché le sol. « Je commençais à
penser que tu nous avais lâchés ! » Elle fusilla Draco du regard. « Tu peux m’expliquer ce qui
a pris si longtemps ? »

Blaise posa une main sur son épaule pour l’apaiser, un de ses demi-sourire amusé aux lèvres.
« Je pense qu’ils étaient autrement occupés. »

Le regard de Ginny passa de Blaise à Hermione puis à Draco et revint sur Hermione. La
rouquine leva les sourcils et hocha la tête. « Pas trop tôt. » commenta-t-elle.

« N’avez-vous vraiment aucun autre sujet de conversation ? » soupira Draco, en levant les
yeux au ciel.

« Pas vraiment, non. » répondit Ron, en avançant prudemment vers Hermione, Harry sur les
talons.

Ils s’entre-regardèrent tous les trois, pendant plusieurs secondes, avec hésitation et gêne.
Hermione fut la première à secouer la tête, exaspérée par leur stupidité à tous les trois.
« Venez là, espèce d’idiots ! » invita-t-elle, en tendant les bras. Il n’en fallut pas davantage
pour qu’Harry se précipite avec soulagement, rapidement suivi par Ron.

Il y avait une sorte de magie dans l’amitié qu’elle partagerait avec Harry et Ron, conclut
Hermione. Peut-être pas le même genre de magie que celle qui s’échappait de sa baguette,
mais de la magie tout de même, et c’était trop précieux pour être gaspillé.

°°O°°O°°O°°O°°

De la fenêtre de sa nouvelle salle de classe, Severus observa la bande d’adolescents regagner


le château au crépuscule. Zabini et Malfoy trainaient un peu à l’arrière du groupe. Ils se
déplaçaient avec la dignité et l’assurance caractéristiques des Sang-Purs, une démarche qui
contrastait énormément avec le sautillement de la benjamine Weasley ou le trio de
Gryffondors qui chahutaient et se bousculaient. Le Professeur ne fut pas surpris de voir Harry
s’arrêter pour intégrer les Serpentards dans la conversation, même si l’un deux était Malfoy.

Il se passa une main sur le visage et regagna le bureau attenant à la salle de classe où
l’attendait le fatras qui accompagnait toujours ses recherches. Livres, parchemins, cahiers et
bloc-notes recouvraient chacune des surfaces libres de la pièce, ainsi qu’une bonne partie du
sol. Il recevait les élèves dans le bureau du Directeur de Maison de Serpentard et avait dédié
celui-ci à l’étude des nombreux problèmes qu’il devait régler.

Il se laissa tomber sur la chaise, derrière le grand bureau en chêne, sans rien de l’élégance
qu’il mettait dans chacun de ses gestes. Il tâtonna à la recherche du tiroir et en extirpa une
potion de force qui avait un goût prononcé d’ironie. Combien de fois avait-il mis
Dumbledore en garde contre sa trop libre utilisation de ce genre de philtres ? La vérité était
que Severus était épuisé aussi bien physiquement que mentalement et que si on lui en avait
offert le choix, il aurait dormi pendant une semaine entière.

Autour de lui, les recherches débattant de la question lycanthrope côtoyaient les grimoires de
magie noire et ses observations personnelles sur les horcruxes. Malfoy était un problème
qu’il rajouta à sa liste, il lui faudrait un tuteur qui ne serait pas tenté de le livrer au Seigneur
des Ténèbres… Dénoncer son élève ne lui avait procuré aucun plaisir mais Severus y avait vu
une opportunité qu’il se devait de saisir : discréditer Lucius et regagner les faveurs du mage
noir.

Cela ne s’était pas exactement passé comme il l’aurait souhaité. Le Seigneur des Ténèbres
n’était pas réceptif à ses flatteries et les informations que rapportait Severus n’étaient ni assez
fiables, ni assez utiles pour que sa position d’espion le protège comme elle l’avait fait par le
passé. Le Seigneur des Ténèbres le traitait comme s’il avait été quantité négligeable et,
dernièrement, paraissait bien mieux au fait que lui des derniers plans de l’Ordre du Phoenix,
ce qui faisait dire à Severus qu’il y avait un autre espion, bien mieux caché et mieux
renseigné. Toutefois, comme Dumbledore avait tendance à le traiter de la même manière, il
était dur de déterminer s’il s’agissait, comme lui, d’un agent double ou bien de deux
personnes totalement distinctes. Découvrir qui espionnait pour qui était également sur sa
liste.

Il y avait trop d’éléments sur sa liste pour qu’il prenne du repos.

Il tira le volume poussiéreux et un peu daté détaillant l’effet des différentes phases lunaires
sur un loup-garou sous sa forme humaine mais son cerveau refusait de fonctionner
correctement, de sorte que les mots n’avaient pas grand sens.

Severus était épuisé.

Les informations qu’il rapportait à Dumbledore étaient toujours partielles ou inexactes – en


d’autres termes : inutiles – et s’il n’avait toujours pas vu d’éclat de méfiance dans les yeux du
vieux sorcier, il s’attendait à tout instant à ce que le reste de l’Ordre hurle à la traîtrise. Le
Seigneur des Ténèbres semblait prendre un malin plaisir à fouiller son esprit de plus en plus
intensément et Severus peinait davantage chaque jour à lui dissimuler ses véritables
allégeances. Les punitions physiques se faisaient plus lourdes, les monstruosités qu’on
l’obligeait à commettre durant les réunions de Mangemorts – et auxquelles il n’osait se
soustraire de peur d’exciter plus encore leurs soupçons – pesaient lourd sur sa conscience et
le sang d’encre qu’il se faisait pour l’horcruxe qui paraissait impossible à détruire ne l’aidait
pas à demeurer calme. Il lui arrivait de plus en plus de rêvasser aux années soixante-dix et à
l’appartement gardé par le portrait des loups. La vie facile, ou plus facile en tout cas, de cette
époque lui manquait.

Harry lui manquait.

Il lui avait envoyé le chat en espérant que le garçon comprendrait le message. Solution lâche,
sans aucun doute, mais Severus était un lâche notoire. Il était incapable d’expliquer en face à
l’adolescent qu’il ne pouvait pas s’occuper de lui, après lui avoir promis maintes fois qu’il
serait toujours là pour le faire. Harry, bien entendu, était trop têtu pour l’accepter aussi
facilement. Le gamin devait bien avoir compris, à présent, mais il persistait à le suivre dans
tout le château, à le provoquer et tenter de se retrouver seul à seul avec lui. À sa
connaissance, il n’avait toujours pas contacté Black et toutes les tentatives de cet abruti
s’étaient révélées inefficaces. Severus espérait de tout cœur ne pas avoir à s’impliquer dans
cette affaire, moins il voyait Black, mieux il se portait.

Ses yeux remontèrent automatiquement en haut de la page et il recommença à lire des phrases
qu’il avait lues trois fois au moins. Sa tête vient tout naturellement se loger dans sa paume,
ses paupières étaient lourdes en dépit de la potion de force et il tenta de calculer
paresseusement s’il pouvait ou non prendre une nouvelle dose sans risquer de terminer
empoisonné.

« Vous avez raté le repas du soir. » lança la voix désapprobatrice de Minerva, du seuil de la
pièce.

Severus sursauta légèrement, ce qui fit pincer les lèvres de la sorcière avec inquiétude. Il
n’apprécia ni l’intrusion, ni le souci qu’elle se faisait à son égard.

« Décidément. » grinça-t-il. « Vous avez pris la mauvaise habitude d’entrer sans frapper. »
Elle s’invita sans son autorisation, débarrassant d’un coup de baguette une chaise des épais
volumes qui la recouvraient. « Comment avez-vous franchi mes protections ? » Ses
protections magiques étaient infranchissables pour qui ne savait pas les abaisser couche par
couche et Severus aurait juré que seul Dumbledore, et probablement le Seigneur des
Ténèbres, aurait pu les abattre avec facilité. Et peut-être Harry, puisque le garçon s’était
suffisamment familiarisé avec sa magie.

« Vous n’avez pas levé vos protections, Severus. » déclara Minerva, sourcils froncés. « Je
n’étais pas tout à fait certaine de vous trouver là, pour tout vous dire. »

Pas de protections ? Il eut beau se creuser la tête, il ne parvint pas à se souvenir de s’il l’avait
fait ou non. C’était un réflexe pourtant, mais…

« Jiggy. » lâcha la sous-directrice, sans le quitter des yeux. Severus s’apprêtait à lui demander
si elle était devenue folle, lorsqu’un elfe de maison apparut dans un POP sonore. « Le
Professeur Snape prendra une assiette de l’excellent ragoût de ce soir, quelques petits
sandwiches. Oh, et deux tasses de thé corsé, s’il te plaît. »

« Du thé, tout court, pour moi. » marmonna-t-il. Inutile de discuter avec Minerva, il était trop
fatigué pour mener davantage de batailles sans espoir. Et il avait faim. « Pas d’alcool. »

Jiggy s’inclina et disparut comme il était venu. Minerva regarda d’un mauvais œil les
quelques fioles vides, étiquetées comme des philtres de force, qu’il n’avait pas eu l’énergie
de faire disparaître. « Je pensais que vous auriez appris, à côtoyer Albus, que ce genre d’abus
ne menait à rien d’autre qu’à davantage de migraines et à une fatigue plus intense. » Il laissa
échapper un bruit d’amusement amer. Il ne pensait pas que sa fatigue puisse véritablement
s’accentuer. « Quand avez-vous avalé quelque chose pour la dernière fois, Severus ? »
poursuivit-elle. « Je ne vous ai pas vu dans la Grande Salle depuis au moins trois jours.
Qu’attendez-vous pour vous reposer ? De tomber raide ? »
« J’ai mangé. » nia-t-il, balayant ses inquiétudes d’un geste fatigué. Il était sûr d’avoir
mangé, il n’y avait pas si longtemps… « Que me vaut le déplaisir de votre visite ? »

La sorcière le fusilla du regard par-dessus ses lunettes. « Devez-vous donc poser la


question ? Je suis assez tentée de vous envoyer chez Poppy, Severus. »

Il s’appuya contre le dossier de sa chaise, sachant que son manque de décorum ne ferait que
l’alarmer davantage mais incapable de se tenir droit. Sa tête lui donnait l’impression de peser
une tonne…

« Je vais bien, Minerva. » contra-t-il, par habitude.

« Vous vous tuez à la tâche. » cingla-t-elle. « Si Albus est trop aveugle pour s’en apercevoir,
j’ai, moi, des yeux. Vous ne pouvez pas tout mener de front, apprenez à déléguer. »

Un plateau apparut brusquement dans les airs en face d’eux, flottant au-dessus du bureau. Il
ne se posa que lorsque Severus eut écarté livres et parchemins. L’odeur du ragoût lui
chatouilla les narines et il se rendit compte, non sans surprise, qu’il était affamé. Il se jeta sur
l’assiette avec moins de retenue qu’il ne l’aurait souhaité.

« À qui voulez-vous me voir déléguer la recherche ? » Il ne chercha pas à atténuer son ton
sarcastique. « Lupin ? Slughorn ? Ils ont été incapables de trouver une solution en six mois. »
Quant à son autre sujet de recherche… Celui-là était sien.

« Severus… » hésita Minerva, en attrapant une des deux tasses. Elle sucra et remua
méthodiquement son thé, dans le but évident de gagner du temps. « Pourquoi n’avez-vous pas
assisté aux dernières réunions de l’Ordre ? »

Pourquoi n’avait-il pas assisté aux dernières réunions de l’Ordre ? Il dut tourner et retourner
la question dans sa tête plusieurs fois avant de parvenir à la décrypter et quand son cerveau
parvint finalement à la comprendre malgré la fatigue, il manqua éclater de rire. Non pas qu’il
soit amusé. Dégouté, las, plein de rancœur, probablement, mais amusé ? Non, pas vraiment.
« Je n’y ai pas été convié. »

Peut-être qu’Albus était plus méfiant qu’il ne le laissait paraître.

Ou peut-être le Directeur était-il plus déterminé qu’il ne l’avait pensé à le tenir éloigné de
Black et de ses projets de tutelle.

Minerva fronça les sourcils. « Eh bien, il y a une réunion dans quatre jours. Je vous y convie.
Je pense qu’il est urgent que nous débattions de certains points tous ensemble. »

« Comme ? » l’invita-t-il à poursuivre, repoussant l’assiette vide pour attraper un des petits
sandwiches au concombre.

« Comme les informations que le camp adverse semble mystérieusement posséder. » décréta-
t-elle, en reposant sa tasse sur sa soucoupe dans un cliquètement qui sonna comme un glas.

Severus détourna légèrement la tête, plus blessé qu’il ne l’aurait voulu. « Si vous sous-
entendez… »
« Je ne sous-entends rien, je constate. » coupa-t-elle sèchement.

Il planta son regard dans le sien, le cœur lourd. « Je n’ai pas trahi, Minerva. » Et si, elle, ne le
croyait pas, alors il ne convaincrait personne.

Son visage s’adoucit et elle tapota sa main. « Je sais bien, mon garçon, ce n’est pas vous que
j’accuse. » Il retira sa main avec une grimace désapprobatrice. « Les fuites ont commencé
lorsque vous n’étiez pas là pour les commettre. Personne ne peut vous reprocher quoi que ce
soit. »

« Vous pensez qu’il y a un nouveau Peter Pettigrow au sein l’Ordre ? » s’enquit-il, se sentant
soudain beaucoup plus réveillé.

Elle pinça les lèvres avec mécontentement. « Je n’aime pas l’idée d’accuser à tort, mais… »

Il envisagea, l’espace d’une seconde, de lui confier ses propres soupçons mais tint finalement
sa langue. Ce n’était pas qu’il ne faisait pas confiance à Minerva mais si Albus n’avait mis
personne au courant… Déterminer qui savait quoi et pour quelles raisons certaines personnes
ne pouvaient être mises au courant était un casse-tête chinois.

« Il n’y a pas de coïncidences. » soupira Severus. « Je suis d’accord. »

Et cela lui donnerait l’occasion d’échanger un mot avec Lupin et Black.

°°O°°O°°O°°O°°

« Rien d’autre ? » s’enquit Albus poliment.

Il se délectait de l’agacement qui perçait sur le visage de son interlocuteur à chaque fois qu’il
déguisait ses ordres sous des requêtes et suivait les règles de bienséances comme si leur
arrangement avait quoi que ce soit de courtois.

Sur la glace du petit miroir de poche, Lucius grimaça. Albus avait emprunté l’idée à Sirius et
aux Maraudeurs, excepté qu’il avait enchanté les miroirs de manière à ce que personne ne
puisse les détourner. Ils s’activaient grâce à leurs signatures magiques et il était impossible
d’imiter une signature magique comme il était impossible d’imiter une empreinte digitale.

D’un geste de la main, Albus ralluma les bougies et torches de son bureau qui s’étaient
éteintes sans qu’il s’en aperçoive, en attendant patiemment que Lucius se décide à lâcher le
morceau sur lequel il tergiversait depuis le début de la conversation. Albus remarquait
rarement la pénombre, ces temps-ci.

« Vous êtes sans doute au courant que Rufus Scrimgeour compte faire un discours sur le
Chemin de Traverse, demain ? » demanda le Sang-Pur, de son insupportable accent. « Le
Seigneur des Ténèbres a décidé qu’il s’agirait de l’opportunité idéale de l’assassiner. »

Lucius gardait-il toujours les meilleures informations pour la fin à dessein ? Une manière
d’entretenir l’intérêt qu’Albus pouvait lui porter, peut-être ?
« Severus m’aurait rapporté une pareille information. » remarqua distraitement Albus,
pianotant sur le bureau de la main qui ne tenait pas le miroir.

« Seul le cercle intime du Seigneur des Ténèbres est dans la confidence. » soupira Lucius.
« Raison pour laquelle, je vous prierai de ne pas communiquer l’information à votre Ordre
de pacotille. Ma position est suffisamment précaire sans qu’on ne remette ma loyauté en
question. »

« La discrétion me semble être un excellent choix, dans cette affaire. » approuva-t-il. Il ne


faisait plus confiance au Conseil de l’Ordre de toute manière, ils avaient tous des raisons de
trahir qui n’avaient rien avoir avec leurs convictions personnelles et certains d’entre eux
étaient un peu trop distants à son goût. La solution idéale aurait été d’envoyer Severus
débusquer l’espion mais il n’osait pas lui confier cette mission. La position de Severus auprès
du mage noir était fragile au mieux, et désespérée au pire. Albus était prêt à le libérer son
poste d’espion dès que la situation basculerait un peu trop en sa défaveur. Pour l’instant, le
statuquo fonctionnait. Severus nourrissait Voldemort de fausses informations et en rapportait
tout autant. Si Voldemort n’avait pas eu son propre agent infiltré, l’avantage que Lucius
aurait pu leur conférer aurait été incommensurable. Personne ne le soupçonnait. « Comment
Voldemort a-t-il réagi face au rapport de Severus ? »

« Oh, excessivement bien. » ironisa Lucius. « Comment pensez-vous qu’il a réagi ? J’ai dû
renier Draco. »

« Renié mais pas déshérité. » commenta Albus, en levant un sourcil. « Ingénieux. »

« Je me passerai de vos compliments. » grinça le Sang-Pur. « Faites en sorte que rien ne lui
arrive. Les dortoirs et la salle commune ne sont pas exempts des partisans du Seigneur des
Ténèbres. Vous… »

« Que voulez-vous que je fasse ? Que je le transfère à Gryffondor ? » Albus ne put réprimer
un fin sourire à sa propre plaisanterie. « Votre fils est aussi en sécurité qu’il peut l’être,
Severus veille. »

« Étant donné que Snape l’a dénoncé, vous m’excuserez de ne pas sauter de joie. » répliqua
Lucius, ses yeux se perdirent en dehors du miroir, l’espace d’une seconde. « Ma chère belle-
sœur et son époux sont de retour. Je dois vous quitter. » Les yeux gris acier se plantèrent dans
les siens avec force. « Protégez mon fils ou notre arrangement est caduque. »

« Vraiment ? Et qu’en est-il de votre femme ? » s’enquit-il avec curiosité.

Si les yeux de Lucius avaient pu lancer des Avada Kedavra, Albus serait déjà mort depuis
longtemps. La connexion fut coupée brutalement. Il rangea le miroir dans le tiroir de son
bureau qu’il verrouilla d’un murmure.

Bien, réfléchit-il posément, en s’enfonçant plus profondément dans son fauteuil, ses yeux
dérivèrent vers Fumseck. Comment empêcher un assassinat sans en avoir l’air lorsque aucun
de vos agents n’était fiable ?
By A Thread

Look at my men. Their courage hangs by a thread. If this is to be our end, then I would
have them make such an end as to be worthy of remembrance.

The Lord of the Rings : The Two Towers.

Regardez mes hommes. Leur courage ne tient plus qu’à un fil. Si cela doit être notre fin,
alors je leur offrirai une fin digne d’être gravée dans les mémoires.

The Lord of the Rings : The Two Towers

Dire que Percy n’aimait pas ce plan aurait été un bel euphémisme.

Il se tenait tout au bord de l’estrade et observait, d’un œil inquiet, les derniers préparatifs. Le
ciel au dessus du Chemin de Traverse était d’un gris orageux qui ne laissait rien présager de
bon et les bâtiments toujours plus ou moins calcinés que l’on pouvait apercevoir de part et
d’autre de la rue ne faisaient rien pour alléger l’ambiance inquiétante.

Quelle idée Scrimgeour avait-il eu d’organiser cette intervention en plein air… Un pied-de-
nez aux Mangemorts, peut-être, mais un joli pied-de-nez à son propre service de sécurité
également… De là où il était, Percy pouvait apercevoir Shacklebolt se hâter d’un Auror à
l’autre, distribuant dernières consignes et mises en garde. Les Aurors formaient un périmètre
de sécurité relativement large autour de l’estrade mais, en cas d’attaque, Percy ne voyait pas
bien comment ils pourraient protéger le Ministre.

Enfin… En cas d’attaque… L’hypothétique n’était plus de mise, semblait-il. Dumbledore


était venu le trouver tôt ce matin là – et découvrir le vieil homme sur le seuil de la porte de
son appartement avait été un choc, autant l’admettre – et lui avait fait par de ses mystérieuses
informations dont il ne pouvait donner la source mais qui ne venaient probablement pas de
Snape. Le Directeur avait également insisté sur le fait que Percy serait le seul au courant et
qu’une discrétion totale s’imposait dans cette affaire. Son rôle était de rester sur le qui-vive et
de réagir pour protéger le Ministre à la moindre petite alerte.

Percy avait d’abord été excessivement flatté par cette preuve de confiance avant de déchanter
rapidement. Il souhaitait intégrer le Conseil de l’Ordre, évidemment, et il souhaitait aussi
davantage de responsabilités que les petites missions d’espionnage de l’emploi du temps de
Scrimgeour, mais… Percy n’avait jamais eu la vocation d’un martyr. Son point fort était la
recherche, les Sortilèges et la Métamorphose ; la Défense contre les Forces du Mal, il la
laissait volontiers à ses frères et sœur.

L’un dans l’autre, lorsque l’attaque se produirait – et il ne pouvait s’empêcher d’espérer


qu’elle ne se produise pas – Percy serait suffisamment proche du Ministre pour le protéger
jusqu’à ce que les Aurors comprennent ce qui était en train de se passer. Tout se jouerait sur
ses réflexes. Le jeune homme ne cessait de penser, depuis ce matin là, à quel point il était
incompétent dans tous les jeux d’adresse.

Il aperçut Tonks dans la masse de gens qui commençait à se presser devant l’estrade,
reconnaissable à ses vêtements farfelus. La jeune femme ne paraissait pas de la meilleure
humeur qui soit, comme Shacklebolt, elle faisait le tour des Aurors. Elle était responsable des
équipes qui se tiendraient dans la rue, si Percy ne se trompait pas, tandis que le Chef du
Département des Aurors serait chargé de la protection personnelle du Ministre, ce qui
signifiait qu’il serait juste derrière Scrimgeour lorsque ce dernier ferait son discours.

Un discours bien moyen, par ailleurs, qui ne justifiait pas un tel dispositif. Il était bien placé
pour le savoir, c’était lui qui l’avait écrit.

Il était sur le point de consulter sa montre pour vérifier combien de temps encore il lui restait
à attendre, lorsqu’un visage familier le frappa dans la masse de gens. Il manqua presque
tomber en descendant de l’estrade et ignora royalement les injonctions des Aurors qui lui
ordonnaient de rester à sa place pour des raisons de sécurité. Il batailla pour fendre la foule et
parvint finalement à attraper le bras de la jeune femme qui discutait avec une amie. Son
expression déjà sérieuse s’alourdit encore lorsqu’elle se rendit compte de qui, très
exactement, lui tenait le bras. La blonde qui l’accompagnait lui jeta un regard intrigué.

« Qu’est-ce que tu fais là ? » demanda Percy, sentant les battements de son cœur s’accélérer
dangereusement. « Tu dois t’en aller, tout de suite. »

Audrey n’eut pas l’air ravie de son ton péremptoire, mais il était vrai que, depuis quelques
temps, elle n’avait jamais l’air ravie de grand-chose. Leur relation était plus que tendue
depuis la mort de son père et l’apparente folie de sa mère. Ils s’accrochaient malgré les
difficultés que leur couple traversait, mais… Percy n’était pas certain de pouvoir continuer
longtemps dans le climat d’hostilité qui envahissait peu à peu leur relation.

« Je suis venue écouter le Ministre. » soupira-t-elle. « Comme la moitié de la communauté


magique. Qu’est-ce qui te prend ? »

« Tu ne m’avais pas dit que tu venais. » contra-t-il, élevant la voix pour se faire entendre dans
le brouhaha de la foule. Si elle le lui avait dit, il l’en aurait dissuadé, il se serait assuré
qu’elle…

« Quand étais-je censé te le dire ? » répliqua-t-elle, avec mauvaise humeur, en se dégageant.


« On ne s’est pas vu depuis six jours. »

Percy grimaça. « Je t’ai envoyé un hibou. Je… »

« Travaillais. Oui, je sais. » le coupa-t-elle, avec une légère amertume. « Tu ferais mieux d’y
retourner, d’ailleurs, ça ne va pas tarder à commencer. »

« Tu dois partir. » protesta Percy, prenant soin, cette fois, de ne pas parler trop fort. « C’est
dangereux, Audrey. »
Elle fronça les sourcils et se pencha légèrement vers lui. « Comment ça ? » Elle était
intelligente, c’était une des qualités qu’il appréciait le plus chez elle, ses yeux s’agrandirent
légèrement sous le coup de la surprise. « Tu veux dire que c’est un piège pour Tu-sais-qui ? »
murmura-t-elle, si bas qu’il lui fallut tendre l’oreille. « Mais… Tous ces gens… »

Percy attrapa sa main et la pressa avec urgence. « Il se peut qu’il ne se passe rien mais je ne
veux pas courir le risque. Rentre à la maison, s’il te plait. »

Un éclat passa brièvement dans ses yeux sombres avant qu’elle ne le fasse disparaître d’un
coup de menton têtu. « Je ne te laisse pas, ici, tout seul.» déclara-t-elle. « Si tu restes, je
reste. »

« Audrey, je ne veux pas avoir à m’inquiéter pour toi. » insista-t-il. « Prends ton amie et allez-
vous-en. »

« Weasley ! » tonna Shacklebolt. Une main puissante s’abattit sur l’épaule de Percy. « Tout le
monde doit être à sa place. Je ne veux pas avoir à courir après chacun des employés de
Monsieur le Ministre. » Tonks n’était pas la seule à ne pas avoir l’air de très bonne humeur.

« Mais… » protesta-t-il, en vain. L’Auror l’entraîna avant qu’il ait pu exiger une nouvelle
fois qu’Audrey quitte les lieux.

Pire, lorsqu’il retrouva sa place sur l’estrade, elle était toujours en plein dans sa ligne de mire,
la main gauche profondément enfoncée dans la poche de sa robe où, il le savait, elle gardait
sa baguette en aubépine.

°°O°°O°°O°°O°°

« Ne vous dérangez pas pour moi. » lança Sirius, avec une gaité feinte, en pénétrant dans la
cuisine. « Je vois que vous avez énormément de choses à vous dire. »

Les lèvres de Nyssandra tressautèrent d’amusement mais Fol’Œil se renfrogna


considérablement. Le lourd silence qui avait précédé son entrée perdura pourtant, la vampire
et le vieil Auror continuèrent à se regarder en chien de faïence.

Sirius ne se laissa pas perturber par l’hostilité rentrée de Maugrey, il poursuivit sa route
jusqu’à la cafetière, prenant soin au passage de laisser ses doigts trainer sur le dossier de la
chaise sur laquelle était assise Nyssa, et alla se servir une tasse. Fol’Œil, à qui le geste n’avait
pas échappé, se renfrogna davantage.

Depuis l’incident qui avait manqué coûter la vie à la vampire – ou la mort, plutôt – l’attitude
de l’ancien Auror avait légèrement changé. L’avantage était qu’ils ne passaient plus leur vie à
se hurler dessus ce qui était fort reposant pour les habitants du Square Grimmaurd,
l’inconvénient majeur était que Nyssa n’invitait plus Sirius à « chasser » aussi souvent et que,
pour une raison indéterminée, ça l’irritait considérablement.

L’envie de lancer une ou deux autres piques le titillait mais l’arrivée de Remus l’en dissuada.
Le loup-garou lui passerait très certainement un interminable sermon s’il le surprenait à
raviver la querelle entre ces deux là.
« Tu es prêt ? » s’enquit Remus, après avoir salué Fol’Œil et Nyssa d’un hochement de tête.

Sirius termina sa tasse de deux longues gorgées et invita son meilleur ami à passer le premier.
Ils empruntèrent la cheminée puisque le Chemin de Traverse avait été fermé au transplanage
pour la journée. Le Chaudron Baveur était bondé et ils eurent du mal à se frayer un chemin à
l’extérieur.

« Rappelle-moi pourquoi on n’a pas écouté Scrimgeour à la radio, déjà ? » bougonna Sirius,
alors que quelqu’un lui marchait sur le pied pour la quatrième fois.

« Parce que ce pourrait être un moment historique. » soupira Remus. « Tout le monde attend
énormément de ce discours… »

L’Animagus leva les yeux au ciel. « Il ne va rien dire de plus que la dernière fois. Le
Ministère est fort, blablabla, c’est du réchauffé. » Un flash l’aveugla momentanément et il se
retrouva la proie d’une marée de journalistes qui voulaient le prendre en photo et obtenir un
commentaire. Il se prêta au jeu bien volontiers, sachant que c’était encore le plus sûr moyen
d’obtenir une tranquillité relative, et ne mâcha pas ses mots quant à son opinion de la gestion
ministérielle, ce qui lui valut un coup de coude de Remus et une question assez intéressante
qui le prit de court : comptait-il se lancer en politique ? Il botta en touche mais l’idée lui trotta
dans la tête plusieurs minutes et il la remisa au fond de son esprit pour l’explorer plus tard.

Il leur fallut plus d’un quart d’heure pour parvenir à s’extirper de l’armée de journalistes et
s’avancer autant qu’ils le pouvaient vers l’estrade. L’endroit était bondé.

« Tu es sûr que ce n’est pas plutôt la perspective d’apercevoir une certaine Auror qui te donne
envie d’assister à ce moment historique ? » plaisanta Sirius, en repérant sa cousine vêtue de
sa plus belle tenue punk, distribuant des ordres à droite et à gauche.

Remus ne répondit pas tout de suite mais à la manière dont son expression s’attrista
légèrement, Sirius sut qu’il avait fait mouche. « C’est important de garder un œil sur
Scrimgeour. » nia pourtant le loup-garou.

L’Animagus ne chercha pas à réfréner un éclat de rire. « Tu ferais mieux de regarder


l’estrade, si tu veux garder un œil sur Scrimgeour, autrement, tu vas sacrément loucher. »

°°O°°O°°O°°O°°

Tonks ne passait pas une très bonne journée, cela dit, ce n’était pas bien surprenant. Combien
de temps cela faisait-il qu’elle n’avait pas passé une journée agréable à défaut de bonne ?

« Il va pleuvoir. » décréta-t-elle.

Kingsley étudia le ciel mais leva les mains en signe d’impuissance. « Le temps, c’est le
problème de l’équipe du Ministre. La sécurité nous occupera déjà bien assez comme ça. »

Elle ne répondit pas mais n’en pensa pas moins. Si le temps virait à l’orage, il serait d’autant
plus compliqué de gérer une éventuelle attaque. Ses yeux gris surveillèrent la foule de
sorciers et sorcières qui se massaient devant l’estrade, sans pourtant repérer quoi que ce soit
de suspect.

« Je tiens à redire, pour la postérité, que c’est une très mauvaise idée. » répéta-t-elle, pour la
cinquantième fois au moins, depuis qu’on leur avait annoncé le projet de Scrimgeour.
L’endroit était découvert, il y avait trop d’endroits où un Mangemort pouvait se dissimuler en
attendant l’opportunité parfaite, et il n’y avait pas assez d’Aurors à son goût pour verrouiller
la zone. Pire, elle était responsable des Aurors qui délimitaient le périmètre, c’était la plus
grosse mission qu’on lui ait confié jusqu’alors, et elle sentait, au plus profond de son ventre,
que quelque chose allait mal tourner.

« La priorité est le Ministre. » lui rappela inutilement Kingsley. « À la moindre alerte, je


l’évacue. Tu… »

« Je rétablie l’ordre et j’essaye de minimiser les dégâts, je sais. » soupira-t-elle. « Est-ce que
David et son équipe sont en position ? »

Il y avait vingt Aurors qui attendaient à l’intérieur d’un des magasins calcinés, à l’abri des
regards indiscrets. Si attaque il y avait, ils serviraient d’effet de surprise. Ils avaient passé des
heures à revoir tous les détails lors du briefing. Toutes les possibilités avaient été étudiées et
anticipées.

Elle aurait tout de même été plus rassurée si Dumbledore avait mis en place quelques
membres de l’Ordre. Kingsley avait expliqué leurs plans et leurs solutions de repli au Conseil
mais le Directeur les avait jugé suffisamment bonnes pour que l’Ordre n’ait pas à s’impliquer.

« Tout est prêt. » acquiesça Kingsley.

Même son partenaire, habituellement si calme lui semblait nerveux ce jour là.

« C’est une connerie, Kingsley. » lâcha-t-elle, fouillant à nouveau la foule du regard. « C’est
une putain de connerie. »

C’était tenter le diable. Plus que ça, même, c’était l’inviter cordialement à venir prendre le
thé avec vous.

Une intervention aussi publique pour un simple discours… Bien sûr, si tout se passait comme
convenu, cela aurait un impact plus que positif sur le moral de la communauté magique, mais
s’il y avait le moindre accroc… Si Scrimgeour finissait à Sainte Mangouste ou, pire, dans une
tombe…

« Vigilance constante. » plaisanta son ami, en serrant brièvement son épaule. « Nous nous
verrons tout à l’heure. Avertis ton équipe, le spectacle démarre dans cinq minutes. »

Elle le suivit des yeux lorsqu’il s’éloigna en direction de Gringotts où le Ministre attendait de
faire son entrée, puis se faufila entre les badauds pour rejoindre le poste d’observation qu’on
lui avait assigné. Elle réquisitionna une des tables d’un café qui avait survécu à l’incendie et
se percha dessus, de manière à pouvoir garder une vue d’ensemble de la foule et de l’estrade.
Un sursaut d’excitation agita la masse de gens qui s’étendait devant elle, les flashs des
appareils photo redoublèrent d’intensité et des applaudissements enthousiastes se mirent à
résonner sur le Chemin de Traverse. Tonks n’avait aucune envie d’applaudir la stupidité
incroyable de Scrimgeour. À l’écouter, il s’agissait d’un risque calculé qu’il était nécessaire
de prendre pour rassurer la population… Le sorcier était très certainement un meilleur
Ministre que Fudge mais il était également beaucoup plus difficile à protéger. Fudge avait
tendance à rester aussi loin des ennuis qu’il le pouvait, Scrimgeour les affrontait sans ciller et
ce lorsqu’il ne se jetait pas dedans.

Lorsque le Ministre de la Magie apparut sur l’estrade, immédiatement flanqué de Percy


Weasley à sa gauche et de Kingsley à sa droite, Tonks sortit sa baguette, sur le qui-vive. Elle
savait que quelque chose allait arriver.

« Que le spectacle commence. » marmonna-t-elle, alors que la première goutte de pluie


s’écrasait sur son visage.

°°O°°O°°O°°O°°

Remus s’appuya plus librement contre la vitrine du magasin d’accessoires de Quidditch, ses
yeux allant et venant entre l’estrade et le petit café, plusieurs mètres plus bas, où Tonks
surveillait la foule. Sirius, pour quelqu’un qui n’avait pas envie de venir, buvait chacune des
paroles de Scrimgeour avec une expression de plus en plus sombre. Le discours était un peu
trop chargé en hyperboles et paroles creuses à son goût.

Son regard s’égara vers les épais nuages qui s’amassaient au-dessus de leurs têtes et il se
demanda s’ils réussiraient à retourner au Square Grimmaurd avant que l’orage ne se
déclenche. Probablement pas. Scrimgeour ne semblait pas pressé d’en terminer.

Une odeur familière lui chatouilla les narines et il se surprit à froncer les sourcils, incapable
d’en identifier l’origine. Il y avait trop de gens autour d’eux, trop d’odeurs qui se
superposaient les unes aux autres, sans parler de l’air saturé d’humidité et des quelques
gouttes de pluie qui tombaient de temps en temps. Le loup, pourtant, se réveillait
progressivement en lui. Remus pouvait parfaitement l’imaginer lever la tête avant de
l’incliner, intrigué. Imitant inconsciemment l’animal qui sommeillait en lui, il pencha
légèrement la tête vers la gauche, inspirant à pleins poumons l’air froid.

À nouveau, une myriade d’odeurs l’assaillit mais il se concentra sur la seule qui l’intéressait :
musquée, sauvage, la richesse d’une poignée d’épines de sapin et la chaleur d’une fourrure
épaisse. Loup-garou, suppléa facilement son esprit. Il se redressa immédiatement, cherchant
autour de lui. Si loup-garou il y avait…

« Remus ? » s’inquiéta Sirius, en décroisant les bras. Pour sortir sa baguette plus rapidement,
si besoin était, très probablement.

Il leva la main et continua son inspection jusqu’à ce que ses yeux croisent le regard ambré
d’une femme plutôt petite, engoncée dans un manteau trop grand pour elle. Des mèches
brunes éparses s’échappaient d’une queue de cheval faite à la va-vite, et elle ne cessait de les
coincer nerveusement derrière ses oreilles. Elle était vaguement familière et il lui fallut un
moment avant de la replacer dans sa mémoire. Il l’avait croisée deux ou trois fois au
Ministère lorsqu’il avait dû se rendre au Département de Contrôle des Créatures Magiques.
C’était une Solitaire, comme lui. Excepté que tous les Solitaires avaient rejoints Greyback ou
en avaient payé le prix.

Une fois certaine d’avoir attiré son attention, la jeune femme disparut dans une ruelle
attenante. Remus hésita. Il huma l’air une nouvelle fois mais il ne repéra aucune autre odeur
de loup.

« Reste sur tes gardes. » ordonna-t-il à Sirius, avant de se glisser dans la foule dans la
direction que la femme avait prise.

Il entendit le juron et l’appel de son meilleur ami mais ne se retourna pas, trop intrigué. Il ne
pensait pas que l’inconnue lui voulait du mal, il n’avait perçu aucune hostilité émanant d’elle.
Elle l’attendait dans la ruelle la plus proche, serrant nerveusement les pans de son manteau
sur sa poitrine, bras croisés.

« Vous êtes Remus Lupin. » lâcha-t-elle, dès qu’elle le vit. « Vous travaillez avec
Dumbledore. »

Remus, qui avait sortit sa baguette avant d’entrer dans la ruelle, l’abaissa légèrement.
« Qui êtes-vous ? » La femme avait l’air plus terrifié qu’autre chose.

« Laura. Laura Flemmings. » se présenta-t-elle, en lui tendant la main avant de recroiser les
bras brusquement, comme si elle avait repensé l’intelligence d’une telle action.

« Et que puis-je faire pour vous, Laura ? » demanda-t-il. Il n’osa pas ranger sa baguette mais
il voyait bien que se voir menacée de la sorte ne faisait qu’accroître son malaise.

« Dumbledore vous a protégé de Greyback. » murmura-t-elle. Ses yeux bondirent d’un recoin
de la ruelle à l’autre comme un animal traqué.

« Vous avez rejoint sa meute. » déduisit facilement Remus. Il était probablement le dernier
Solitaire du Royaume-Unis ou, du moins, s’il en restait d’autres, ils étaient particulièrement
bien cachés.

« Je n’ai jamais voulu tout ça… » souffla-t-elle, les yeux pleins de larmes. « Sa compagne,
Loba, elle… Je n’ai jamais… Ils forcent la transformation. Ce n’est… C’est… » Elle tenta de
se reprendre. « J’ai besoin d’aide, je… »

« Loba est morte. » coupa-t-il. Et personne, mis à part Greyback, n’allait la regretter.

« Vous l’avez tuée, je sais. » Laura hocha la tête, une expression pleine d’espoir gravée sur le
visage. « Si vous avez une meute, je… J’aimerai rejoindre votre meute, Remus. »

Remus cilla plusieurs fois, incapable de comprendre immédiatement le sens sa proposition.


En lui, le loup poussait un cri de victoire et de triomphe qui le laissa quelque peu étourdit. Il
n’avait rien d’un chef de meute. La seule meute à laquelle il avait jamais appartenu était celle
des Maraudeurs et s’il y avait eu un chef, c’était sans conteste James. Tout ce qu’il restait de
la meute était Sirius et, par extension, Harry, et aucun rapport de dominance n’avait jamais
été établi.

« Remus ! » appela Sirius, quelque part derrière lui.

Il tourna à peine la tête en direction de son meilleur ami mais cela suffit pour que la femme
panique et ne s’enfuit en courant.

« Attendez ! » s’écria-t-il, mais elle avait détalé comme un lapin et il abandonna l’idée de la
poursuivre. Qu’aurait-il pu lui dire de toute manière ? Qu’il n’avait pas de meute ? Que ce
n’était pas lui qu’elle devait aller trouver mais Dumbledore ? Il savait très bien ce qu’Albus
aurait à en dire et ce qu’il exigerait en échange de sa protection, il leur fallait à tout prix
récupérer un échantillon de la potion que Voldemort utilisait pour forcer la transformation.
L’endroit était très mal choisi pour ce genre de négociation.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda Sirius, essoufflé. « Qui était-ce ? » Sa baguette pendait
inutilement au bout de ses bras ballants.

Remus haussa les épaules tristement. « Quelqu’un que je ne peux pas vraiment aider. » Elle
lui avait fait mal au cœur. Il pouvait à peine imaginer les horreurs que Greyback faisait faire
aux loups-garous sous son contrôle, mais ce qu’il en devinait lui suffisait. Le sorcier était,
après tout, un monstre.

« Toi, tu as besoin d’un verre. » décréta son meilleur ami, en rangeant sa baguette.

Le lycanthrope leva les yeux au ciel, incapable de réfréner un sourire amusé. « L’alcool est ta
réponse à tout. »

Sirius leva les sourcils et porta la main à son cœur. « Je suis blessé par ces insinuations,
Lunard. » Il tâta sa poche à la recherche de son paquet de cigarettes. « On rentre ? Je ne pense
pas que ce discours soit historique… C’est un ramassis de conneries. »

Remus poussa un soupir mais dut admettre que l’Animagus n’avait pas tort. De plus, songea-
t-il, en essuyant une goutte qui venait de s’écraser sur son visage, le discours de Scrimgeour
ne justifiait pas de se retrouver coincé sous une averse. Il étudia les nuages gris à l’aspect
menaçant qui se massaient au-dessus de leur tête, tentant de déterminer combien de temps il
leur restait avant de recevoir des trombes d’eau sur le crâne.

« Sirius… » hésita-t-il, en fronçant les sourcils. L’amas nuageux se déplaçait et se déchirait


beaucoup trop rapidement pour que cela soit naturel. Peut-être était-ce lui, mais…

« Et merde. » lâcha son ami, en jetant par terre la cigarette qu’il venait juste d’allumer. Il
l’écrasa du talon, le regard rivé vers les nuages qui convergeaient pour dessiner une forme
reconnaissable entre milles. Gris sombre sur gris clair, la Marque des Ténèbres se détachait
clairement dans le ciel. « Et merde. » répéta Sirius, lorsque le premier Détraqueur émergea
des nuages.

°°O°°O°°O°°O°°
Percy était tendu, ses yeux bleus ne cessaient d’aller et venir du Ministre à la foule
rassemblée devant eux. Les sorciers se massaient à perte de vue, le Chemin de Traverse était
bondé. Sa nervosité était perceptible, il le devinait aux nombreux coups d’œil que lui jetait
Shacklebolt, mais il n’y pouvait rien. Mentalement, il prononçait chacun des mots en même
temps que Scrimgeour, tentant d’estimer combien de temps encore ils devraient jouer les
cibles vivantes de cette manière.

Le temps virait à l’orage. Le Chemin de Traverse s’assombrissait de seconde en seconde à


mesure que les nuages grossissaient. Il leva les yeux, se demandant s’il devait jeter un
impervius par simple précaution ou si… Les nuages se mouvaient étrangement, presque
comme s’ils avaient été vivants. Il devina la forme familière de la Marque des Ténèbres avant
qu’elle n’apparaisse totalement.

« Shacklebolt ! » avertit-il, en tirant sur le bras de Scrimgeour pour l’entrainer vers l’escalier
à l’arrière de la scène. Les deux autres Aurors derrière eux se jetèrent presque sur Percy,
tandis que des cris de panique s’élevaient de la foule.

« Spero Patronum. » lança calmement Shacklebolt. Un lynx argenté se mit à rôder autour
d’eux. « Monsieur le Ministre, il faut nous replier. »

Percy observa, bouche ouverte, la dizaine de Détraqueurs qui descendaient lentement du ciel.
« Merlin… » souffla-t-il. Un Auror le poussa par l’épaule dans la même direction que
Scrimgeour, vers Gringotts, mais le jeune homme résista à la poussée, n’hésitant que l’espace
d’une seconde avant de dévaler les escaliers à vitesse grand V. Shaklebolt avait la situation en
mains, il protégerait le Ministre.

« Weasley ! » cria le chef du Département des Aurors, en guise d’avertissement. L’homme


avait empoigné le Ministre qui semblait résister, décidé à rejoindre la bataille qui s’était
engagée de l’autre côté de l’estrade. Percy les abandonna à leur sort, décidant qu’il avait
rempli la mission que Dumbledore lui avait confiée, le Ministre était entre les mains capables
des Aurors.

Audrey, en revanche, était seule.

°°O°°O°°O°°O°°

Tonks sauta de la table avec juron, juste au moment où la panique commençait à gagner la
foule. Pourquoi personne ne l’écoutait jamais ? Elle lutta contre le courant, son patronus en
forme de loup courant à ses côtés, bousculés de part et d’autres par les sorciers et sorcières
apeurés.

« À l’intérieur des bâtiments ! » hurla-t-elle, pressant le bout de sa baguette contre sa gorge


pour amplifier le son de sa voix. « Réfugiez-vous à l’intérieur ! »

Certains l’écoutèrent et se précipitèrent vers la première boutique ou la première porte


cochère venue mais la grande majorité demeura au milieu de la rue, à crier et à se bousculer
inutilement, tandis que les Détraqueurs descendaient vers eux. Quelques Patronus flottaient à
droite et à gauche mais peu d’entre eux étaient matériels. Celui de Tonks l’était beaucoup
moins qu’il l’avait été par le passé, et était trop peu puissant à son goût.
« Évacuez la zone ! » cria-t-elle en direction de ses collègues. La priorité était de faire place
nette afin de pouvoir affronter les Détraqueurs sans risque de…

Quelqu’un la bouscula, elle trébucha et s’écroula au sol où elle manqua être piétinée par la
masse de gens de plus en plus paniqués. Elle se redressa, peinant à déterminer d’où venait la
nouvelle menace, jusqu’à ce que le mot fende la foule dans un cri de terreur pure.
Mangemorts.

C’était absolument impossible. Ils avaient tout prévu, absolument tout. Et pourtant, au milieu
de Détraqueurs, c’étaient bien une petite armée de Mangemorts qui débarquait à dos de balais
et, entre les balais, défiant toutes les lois connues de la magie… Un frisson lui parcourut
l’échine mais Tonks se força à bouger…

« À l’intérieur ! » continua-t-elle de s’époumoner, en poussant physiquement tous ceux


passant à sa portée vers les bâtiments.

C’était peine perdue, les sorciers et sorcières courraient en tout sens comme une armée de
fourmis dont la fourmilière venait d’être détruite.

Certains Détraqueurs avaient attrapé des passants et aspiraient leurs âmes, des Mangemorts
lançaient potion explosive sur potion explosive… C’était le chaos le plus total. Tonks,
comme d’autres, tenta de faire tomber leurs assaillants de leurs balais, mais rien n’y faisait.
Trop de bruits, trop de monde, trop de cohue… On ne cessait de la bousculer, de la pousser et
elle ne parvenait pas à viser correctement. Son équipe d’Aurors était dispersée aux quatre
coins du Chemin de Traverse, aussi impuissante qu’elle…

Lorsque un deuxième loup argenté apparut à côté de son Patronus, elle crut d’abord voir
double mais l’écho de la voix de Remus, bien vite emporté par les hurlements paniqués,
appelait tous les membres de l’Ordre disponibles à se rendre sur le Chemin de Traverse.

Ce fut à ce moment qu’une fiole tomba en chute libre, droit sur elle. Le Wingardium Leviosa
lui vint spontanément aux lèvres et, d’un moulinet du poignet, elle renvoya la potion vers un
des Mangemorts. Il l’esquiva, plongeant en piquet juste à temps, et la fiole alla s’écraser
contre le mur d’une maison. L’explosion laissa un trou béant dans la structure.

Tonks grimaça mais refusa de perdre contenance, elle chercha du regard un point stratégique
où se poster mais n’en trouva pas. Comment la situation avait-elle pu aussi mal tourner ? Elle
avait appréhendé une attaque mais pas de cette envergure… Ils avaient anticipé une attaque
par les airs, il y avait des Aurors positionnés sur les toits de Gringotts et du Chaudron
Baveur… Et où étaient David et les renforts ? Elle n’apercevait que ses Aurors dans la
masse…

Elle sentit les picotements sur sa nuque et fit volte-face juste à temps pour esquiver le sort qui
fonçait droit vert elle. Évidemment, songea-t-elle, il fallait que le premier Mangemort à
mettre pied à terre soit sa tante.

Bellatrix gloussa comme si elle était l’auteur d’une bonne plaisanterie.


« Est-ce que c’est trop demander de passer une semaine entière sans qu’un psychopathe
essaye de me tuer ? » lança-t-elle, ajustant discrètement sa prise sur sa baguette.

Sa seule réponse fut un Avada Kedavra fusant vers son cœur à tout allure.

°°O°°O°°O°°O°°

« Ça, ce serait un sort bien pratique. » lâcha Sirius, les yeux rivés sur Voldemort qui flottait
élégamment entre les balais de ses Mangemorts.

Remus jeta à son ami un coup d’œil inquiet, renforçant instinctivement son Patronus. Sirius
n’était pas parvenu à en faire apparaître un et il était blême depuis que le premier Détraqueur
était apparu dans le ciel. Le loup-garou avait déjà envoyé un message au reste de l’Ordre
mais, pour l’instant, personne ne s’était manifesté.

« Où est Dumbledore ? » marmonna-t-il, incapable de décider de la conduite à tenir.

Le chaos régnait sur le Chemin de Traverse, peut-être plus encore que lors de la Nuit des
Ténèbres. Les gens essayaient de transplaner en dépit des protections anti-transplanages et
finissaient démantibulés sur la chaussée, les Mangemorts faisaient pleuvoir sur eux des
potions volatiles qui explosaient en touchant le sol, et les Détraqueurs s’en donnaient à cœur
joie.

L’estrade vola brusquement en éclat lorsqu’une des fioles la heurta.

« Scrimgeour. » s’écria Sirius, en attrapant brusquement le bras de Remus.

Il ne fallut pas longtemps au loup-garou pour voir ce qui avait alarmé son meilleur ami.
Scrimgeour, Shacklebolt, deux Aurors et Percy Weasley étaient acculés contre les portes
closes de Gringotts et Voldemort fondait sur eux. Six des dix Détraqueurs les encerclaient, à
peine tenus en respect par le lynx argenté de Kingsley et un autre Patronus en forme d’aigle.

« Il faut… » commença Sirius, en faisant déjà un pas en avant, mais Remus l’arrêta d’un
geste.

« Trouve Tonks. » coupa-t-il. « Il faut évacuer ces gens. »

Sirius et les Détraqueurs ne feraient pas bon ménage, l’Animagus serait inutile en cas de
combat. Son ami hésita mais finalement hocha la tête et, une seconde plus tard, un énorme
chien noir détalait dans la foule.

Remus, lui, se précipita vers Gringotts et Lord Voldemort.

°°O°°O°°O°°O°°

Une sorcière à la carrure d’un batteur bouscula Percy et ce dernier heurta le mur d’une
boutique. Ses lunettes de travers, la gorge nouée par la peur, il cria une nouvelle fois le nom
de sa petite-amie, sans parvenir à la distinguer dans la marée de visages qui dansaient autour
de lui. C’était la cohue la plus totale et il était impossible de trouver qui que ce soit dans ce
chaos.
Cela ne s’arrangea pas lorsque le cri « Mangemort ! » franchi le barrage des cris et
hurlements avant d’être repris par la foule paniquée. Percy chercha autour de lui, agrippant sa
baguette comme une ligne de survie, passant mentalement en revue la liste des sortilèges
utiles en cas de duel et se rendant compte, un peu tard, que la liste était très courte. Il n’était
pas un combattant, il…

Ce fut à ce moment là qu’il aperçut finalement les Mangemorts. Ils n’étaient pas au milieu de
la foule comme il s’y attendait mais les survolaient à dos de balais. Et, entre deux balais… La
vue du mage noir chevauchant le vent aussi tranquillement que s’il s’agissait là d’un
accomplissement mineur lui noua les tripes et il rebroussa chemin avant même d’avoir pu y
penser à deux fois.

Tout le monde ne pouvait pas être un héro, songea-t-il, en luttant pour rejoindre Gringotts. Il
pria pour qu’ils le laissent rentrer dans la banque, à l’abri avec le Ministre.

Il avait tort de s’en faire.

Lorsqu’il parvint à s’extraire de la masse qui courrait en tous sens, Shacklebolt, Scrimgeour
et les deux autres Aurors étaient toujours dehors, debout, en haut des grands escaliers qui
menaient aux portes de Gringotts. Percy les rejoignit au moment où six Détraqueurs se
détachaient de la formation qui accompagnait les Mangemorts pour venir les encercler.

« Il faut entrer ! » cria-t-il, sans comprendre pourquoi Shacklebolt restait planté là, les bras
ballants, à regarder son Patronus et celui d’un des deux autres Aurors tenir les Détraqueurs en
retrait. « Il faut nous mettre à l’abri ! »

Scrimgeour ne lui adressa pas un regard, ses yeux étaient rivés sur le ciel. Shacklebolt, lui,
l’observa avec pitié.

« Gringotts a scellé ses portes. » déclara le chef du Département des Aurors de sa voix grave.

« Ils ne peuvent pas ! » s’insurgea Percy. « Nous avons passé un accord ! Nous… »

« Cela ne fait aucune différence. » coupa sèchement Scrimgeour. « Les murs de Gringotts
n’arrêteraient pas Voldemort quoi qu’il en soit. » D’un coup de menton, l’homme désigna la
silhouette sombre qui fondait sur eux.

« Oh, Merlin… » gémit Percy, en reculant de deux marches. Il n’avait jamais su pourquoi le
Choixpeau l’avait envoyé à Gryffondor et pas à Serdaigle. Il le comprit à cette seconde. Parce
malgré tout ce que lui criait son instinct, il resta campé sur place au lieu de s’enfuir.

°°O°°O°°O°°O°°

« Ouvrez ces portes. » exigea Charlie, pour la quatrième fois.

Gloröm, le directeur actuel de la branche anglaise de Gringotts, fut loin de se laisser


émouvoir. Le Gobelin croisa les bras et fusilla le dragonnier du regard avec une telle fureur
que Bill eut peur, l’espace d’un instant, que la situation ne dégénère davantage encore.
La grande salle de marbre était pleine à craquer de sorciers comme de gobelins qui s’étaient
rassemblés dès que Gloröm avait ordonné la fermeture complète des portes. Bill, comme
Charlie et Anthony, avait reçu le loup argenté de Remus juste après que l’ordre eut été donné
et s’étaient retrouvés coincés à l’intérieur.

« Gloröm, vous avez signé un contrat… » tenta-t-il, plus diplomatiquement que son frère.
« Si… »

« Les guerres des sorciers ne concernent pas les Gobelins. » l’interrompit le directeur. « Que
croyez-vous que feront les Mangemorts si nous accordons asile à votre Ministre ? Mon
devoir est de protéger Gringotts. »

« Très bien ! Alors laissez-nous sortir. » s’énerva Charlie. Anthony posa une main
réconfortante sur son bras mais Charlie se dégagea avec brutalité. « Ce sont nos amis qui sont
là dehors ! »

Pire, c’était Percy qui était là dehors. Bill écrasa cette pensée dans l’œuf. Il ne pouvait pas
imaginer le pire pour l’instant. S’ils perdaient Percy…

« Les portes demeureront closes. » s’entêta Gloröm.

« Ah oui ? » Un sourire mauvais dansa sur le visage de Charlie lorsqu’il sortit sa baguette de
sa poche d’un geste sec.

« Charlie ! » s’exclamèrent Bill et Anthony d’une même voix.

Alarmé, Gloröm fit un pas en arrière, mains levées devant lui dans une position défensive
bien inutile.

Charlie n’avait aucune intention de s’en prendre au Gobelin. Il fit tourner sa baguette au-
dessus de sa tête une fois, comme un cow-boy l’aurait fait avec un lasso, puis bloqua son
geste. Des étincelles bleutées se mirent à crépiter au bout de sa baguette.

« Charlie, ce n’est pas une bonne idée. » avertit Anthony, avant de jeter un bouclier hâtif
autour d’eux deux.

Bill décida qu’il était dans son intérêt de se montrer un peu plus généreux s’il souhaitait
toujours avoir un emploi quand ils en auraient terminé. Il jeta un bouclier qui engloba une
bonne partie de la salle, d’autres sorciers vinrent le renforcer.

Bien entendu, Bill ne savait pas ce que Charlie avait en tête mais, étant donné l’énorme boule
d’un bleu glacial qui enflait de seconde en seconde au bout de sa baguette, il se doutait que le
spectacle était censé être impressionnant.

« Ne t’avise pas de lancer ça sur les portes. » grinça Bill.

Quand Charlie l’avait-il jamais écouté ?

Le jeune homme lança son sortilège. Il y eut un bruit sourd lorsque ce dernier heurta les
lourdes portes, comme un immense craquement, et une expression réjouie apparut sur le
visage de son frère. Bill aurait pu lui dire que c’était futile. La magie des Gobelins était
différente de la leur.

Les portes se mirent à rougeoyer et Charlie déchanta rapidement.

« À l’abri ! » ordonna Gloröm.

Les autres Gobelins n’avaient pas vraiment eu besoin de son avertissement, la plupart avait
déjà plongé derrière un comptoir ou un pilier. Les sorciers suivirent plus lentement.

Charlie résista bêtement lorsqu’Anthony chercha à l’entraîner plus loin. Bill devina ce qui
allait se passait une demi-seconde avant que cela ne se produise. Retour à l’envoyeur.
Mécanisme magique de base mais toujours efficace.

Il se jeta devant son frère alors que le sortilège bleuté jaillissait des portes pour fuser sur
Charlie. Le dragonnier eut suffisamment de présence d’esprit pour pousser Anthony loin de
la déflagration mais lui et Bill n’eurent pas cette chance. Le sort les frappa de plein fouet. Bill
eut l’impression que la locomotive du Poudlard Express venait de percuter. Il fut propulsé
dans un des énormes piliers de marbre et s’écroula au sol, assommé.

°°O°°O°°O°°O°°

Tonks n’avait jamais été autant en difficulté dans un duel. Ce n’était pas la première fois
qu’elle affrontait sa tante mais la même pensée lui trottait toujours en tête lorsque cela se
produisait : ce serait son dernier duel.

Bellatrix enchaînait les sorts offensifs et trouvait encore le temps de jeter quelques remarques
provocantes et insultes imagées. Tout ce que Tonks pouvait faire était parer, parer et encore
parer. Les civils avaient fait place nette autour d’elles deux, ce pourquoi la jeune Auror était
reconnaissante, mais elle voyait bien qu’à l’exception de leur petit coin de rue, c’était une
catastrophe telle qu’ils n’auraient jamais pu l’anticiper dans leurs pires cauchemars.

La plupart des Mangemorts avaient atterri et s’en prenaient aux sorciers et sorcières qu’ils
trouvaient. Certains tentaient de se défendre, d’autres de fuir…

« Décevant. » cingla Bella, en fouettant l’air de sa baguette.

Tonks dressa un bouclier à la hâte mais le sortilège passa au travers sans aucune difficulté et
elle eut à peine le temps de se jeter par terre. Le sort effleura sa cuisse mais cela fut suffisant
pour entailler profondément la chair sur dix bon centimètres de long. Elle para l’attaque
suivant d’un revers de bras sans parvenir à se relever. Sa jambe ne voulait pas soutenir son
poids.

En désespoir de cause, elle tenta un stupefix que Bellatrix fit disparaître d’un geste agacée,
visiblement insultée par le manque de résistance de sa nièce.

« Je suppose que je n’aurais pas dû en attendre davantage d’une fille de Sang-de-Bourbe. » se


moqua la sorcière, en levant la baguette pour ce que Tonks soupçonnait être le coup de grâce.

Excepté qu’elle venait de commettre une erreur.


Personne n’insultait Théodore Tonks devant sa fille. Personne.

Avec une grimace mauvaise, Tonks marmonna un sort qu’elle n’était pas censé connaître et
qui n’était pas tout à fait légal. Une torsion du poignet et le souffle de sa tante se bloquait
dans sa gorge. La jeune femme tenta de profiter du bref répit pour se relever mais sa cuisse
refusa de la soutenir et elle retomba au sol, sans aucune grâce.

« Mieux. » lâcha Bella dans un gloussement ravi. « Mais pas suffisant. » Un geste de sa tante
et, en dépit de toute tentative futile pour la conserver, sa propre baguette allait atterrir cinq
bons mètres plus loin. Tonks se traina immédiatement dans sa direction avec désespoir.
Désarmée, elle était perdue…

Bellatrix la regarda faire avec un amusement pervers. « Tu ne devrais pas t’inquiéter, ma


chère petite nièce… Ta traitresse de mère et notre traitre de cousin te rejoindront bien assez
tôt. Peut-être même devrais-je également régler le compte de mon autre neveu, vois-tu… »

Tonks ne l’écoutait qu’à moitié, elle était presque arrivée à sa baguette. Elle tendit la main, la
frôla du bout des doigts et… un sort jaunâtre la propulsa trois bon mètres plus loin. L’Auror
ne put retenir un cri de souffrance et ramena instinctivement sa main contre sa poitrine. La
chair de ses doigts était à vif et ils fumaient légèrement, la douleur était…

« Lorsque les branches d’un arbre sont pourries, il faut les couper. » déclara la Mangemort,
très sérieusement.

« Lorsque je voudrais des conseils de jardinage, j’en demanderai. » répliqua-t-elle. Cela


aurait, bien évidemment, été un tantinet plus impressionnant si elle n’avait pas été vautrée par
terre, sans grand espoir de se sortir de cette situation. Elle jeta un coup d’œil désespéré à
droite et à gauche mais, autour d’eux, les combats faisaient rage. Les sorciers et sorcières qui
n’avaient pas réussi à fuir ou à s’échapper tentait de tenir tête aux Mangemorts sans beaucoup
plus de succès qu’elle.

Elle regretta amèrement de ne pas savoir utiliser la magie sans baguette et se promit, si jamais
elle sortait miraculeusement de ce traquenard, de se pencher très sérieusement sur la question.
En l’état, ses options étaient limitées. Il y avait une dague coincée dans sa botte, cadeau de
Fol’Œil, mais même en admettant qu’elle parvienne à l’en sortir…

« Il me semble qu’une leçon d’humilité ne serait pas de trop. » bouda Bellatrix, avec une
légère torsion du poignet.

Une boule brûlante enfla immédiatement dans sa cage thoracique et Tonks suffoqua,
incapable d’avaler la moindre bouffée d’air. Ce ne fut rien, en revanche, comparée à la
souffrance absolue qui se répandit dans chacun de ses membres lorsque la boule explosa. Le
hurlement de douleur lui arracha la gorge.

Du coin de l’œil, elle aperçut vaguement une lueur rouge et la douleur cessa brutalement.
Bellatrix fut touchée dans le dos et décolla dans les airs. Elle passa au travers d’une vitrine et
disparut de son champ de vision. Tonks resta couchée sur le dos quelques secondes, à haleter,
puis s’obligea à mettre sa douleur de côté avant que sa folle de tante ne puisse revenir pour
l’achever. Au prix d’un effort qui lui parut surhumain, elle roula sur le ventre et rampa à
nouveau en direction de sa baguette. Elle eut beau scruter les alentours du regard, elle ne vit
aucune présence amie ou seulement familière. Simplement des inconnus qui combattaient des
hommes masqués. Bella était la seule à avancer à visage découvert.

Sa tante n’était toujours pas ressortie de la boutique lorsqu’elle atteignit sa baguette et elle
n’était plus en état de combattre alors Tonks se traîna jusqu’à la ruelle la plus proche, se
mettant à l’abri derrière les poubelles les plus proches. L’odeur était atroce et n’arrangea pas
la nausée qui la prit lorsqu’elle vit l’état de ses doigts. Simple sort de soin, se réconforta-t-
elle, rien qu’elle n’ait vu sa mère faire dix fois.

Tenir sa baguette de sa main gauche s’avéra, pourtant, plus compliqué qu’elle ne l’aurait
souhaité. Elle parvint néanmoins à un résultat plus ou moins satisfaisant : la chair n’était plus
tout à fait à vif et elle pouvait à nouveau ses servir de ses doigts mais ce n’était pas bien joli à
voir. Cela n’aurait pas été un problème si elle avait toujours pu transformer son corps à
volonté, la peau aurait repoussée et…

L’écho des combats et le grondement de l’orage résonnaient toujours au loin, la ruelle était,
elle, absolument silencieuse, cependant elle perçut tout de même le changement. Le corps en
alerte, baguette instinctivement levée devant elle, elle regarda la silhouette sombre sortir de
l’ombre.

Elle ne savait pas si elle devait être rassurée ou pas par le masque d’ivoire qui dissimulait son
visage.

D’un côté, ce n’était pas Bellatrix.

D’un autre, elle n’était pas en état de se lancer dans un duel avec un autre Mangemort.

°°O°°O°°O°°O°°

Remus s’élança entre deux Détraqueurs, le loup argenté s’assurant qu’aucun d’eux ne tente
de l’attraper ou pire. Kingsley l’accueillit d’un bref hochement de tête, tout comme
Scrimgeour, mais ni eux ni les Aurors ne quittèrent véritablement des yeux le sorcier qui
glissait silencieusement vers lui.

Remus avait vu énormément de choses dans sa vie mais rien, absolument rien, n’était plus
terrifiant que Lord Voldemort, drapé de ténèbres, fondant sur eux. L’instinct de survie de
l’animal sauvage qu’il abritait lui hurlait de fuir aussi loin que possible dans la direction
opposée.

Lorsque le mage noir toucha terre, Kingsley ordonna à ses deux Aurors de protéger le
Ministre et attaqua dans le même souffle.

Voldemort agita simplement la main d’un geste agacé et Kingsley vola sur plusieurs mètres.
Il heurta un mur et resta cloué au sol, assommé. Percy laissa échapper un glapissement
horrifié mais se plaça tout de même devant Scrimgeour.

Cela ne suffirait pas toutefois. Remus savait pertinemment que ça ne suffirait pas.
Et pourtant, pouvait-il faire autre chose que d’essayer ?

« Avada… » commença-t-il – que lancer d’autre face à Voldemort ? – uniquement pour être
coupé net lorsque l’air refusa de pénétrer dans ses poumons. Le visage reptilien se tourna
vers lui, les yeux rouges lui glacèrent le sang, et Remus sut qu’il voyait la mort en face.
Voldemort allait le tuer.

Un sort alla s’écraser sur le bouclier de Voldemort et le mage noir perdit tout intérêt pour lui.
Un coup de baguette l’envoya voler au milieu des Détraqueurs qui s’approchèrent
immédiatement de lui comme un énorme nuage noir. Aussitôt, il perdit toute envie de se
battre. À quoi bon ? Tout était perdu d’avance. Comme son histoire avec Tonks, sa vie n’avait
aucun sens…

« Monsieur le Ministre. » entendit-il lancer la voix sifflante de Voldemort. « Il semble que


toute la communauté magique soit venue vous écouter. »

Un des Détraqueurs, plus hardi que les autres, se rapprocha. Le rythme cardiaque de Remus
ne s’emballa même pas. Il savait ce qui allait arriver, il savait que le Baiser était un sort pire
que la mort et une part de lui, la part qui appartenait au loup, s’agitait désespérément, lui
criant de briser l’apathie qui le retenait prisonnier, mais il était trop vieux, trop fatigué, trop
pauvre pour que cela fasse une différence.

« Quoi que vous désirez, vous ne l’obtiendrez pas. » répliqua fermement Scrimgeour. « Nous
ne cèderons pas. »

Le rire de Voldemort était froid et cruel. Par certains côtés, il rappela à Remus l’effet que les
Détraqueurs avait sur lui, à l’instant. « Je ne suis pas certain que vous soyez en position de
négocier. » remarqua le Mage Noir. « Quant à ce que je désire… Il ne s’agit ni plus ni moins
que de votre tête. Vous avez, après tout, été généreux au point de nous fournir notre
auditoire… »

Remus se mit à frissonner de manière incontrôlée, le Détraqueur n’était plus qu’à quelques
centimètres et il se sentait basculer dans l’inconscience. La créature porta la main à sa
cagoule et… un feulement rageur fit brusquement reculer l’ombre monstrueuse. Un chat
argenté sauta prestement sur son torse et feula encore et encore jusqu’à ce que les
Détraqueurs reculent.

Il sentit l’espoir revenir progressivement avec le Patronus mais ce ne fut pas suffisant pour
qu’il ne perde pas connaissance.

°°O°°O°°O°°O°°

« Un jour, Tom, il te faudra apprendre à ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir
tué. » lança Albus, en émergeant des ruelles qu’ils leur avaient fallu emprunter pour rejoindre
le Chemin de Traverse.

Minerva se tint derrière lui, légèrement en retrait. Atteindre la zone de combats s’était révélé
un casse-tête même avec Albus Dumbledore à ses côtés. Les protections antitransplanage
tenaient toujours bon et ils n’étaient pas parvenus à passer au travers, il leur avait fallu
marcher.

Elle renforça encore son Patronus, inquiète à l’idée que les Détraqueurs ne s’en prennent à
nouveau à Remus.

« Dumbledore. » cracha Voldemort sans véritable surprise. « Et ton chat de


compagnie. N’est-elle pas un peu trop vieille pour ce genre d’échauffourée ? »

Minerva se serait volontiers vexée et lui aurait rappelé qu’ils avaient sensiblement le même
âge, toutefois, elle n’était pas suicidaire et se tenir dans l’ombre d’Albus Dumbledore ne
garantissait pas ses chances de survies.

« Ou peut-être est-ce toi que l’âge rattrape ? » se moqua Voldemort. « Tu as mis du temps à
réagir, vieil homme. »

« Peut-on en terminer avec ces préliminaires ? » intervint Scrimgeour, en écartant d’un bras
Percy Weasley qui tentait, sans grande conviction, de le protéger de son corps. Deux Aurors
les flanquaient, le teint pâle et l’air terrifié. « Vous êtes venu m’affronter, je suis ici. Rappelez
vos hommes. »

Minerva n’avait pas besoin de voir le visage d’Albus pour deviner qu’il était extrêmement
agacé par l’attitude du Ministre.

« Correction. » lâcha Voldemort, un amusement pervers agitant ses traits reptiliens. « Je suis
venu vous tuer, non vous affronter. »

« Des promesses, toujours des promesses. » railla Scrimgeour, en se lançant à corps perdu
dans un duel qu’il n’avait aucune chance de gagner.

Albus marmonna ce qui ne pouvait être qu’une malédiction et s’interposa, parant d’un revers
de baguette un sortilège qui aurait probablement signé la fin du mandat de Scrimgeour.

L’attention de Voldemort étant détournée, Minerva se précipita vers Remus. Elle s’agenouilla
à côté du loup-garou que son Patronus gardait toujours avec vigilance. Elle dressa un bouclier
solide autour d’eux.

« Enervate. » murmura-t-elle. « Remus ? Remus, mon garçon. » Les paupières de son ancien
élève papillonnèrent faiblement, mais il finit pourtant par ouvrir les yeux. « Il faut vous
mettre à l’abri. » Elle parcourut la zone du regard, ne trouvant que bien peu de refuges
possibles. Les Mangemorts combattaient des Aurors comme de simples passants, les pavés
du Chemin de Traverse étaient rougis de sang et la fine bruine qui commençait à tomber
empirait encore la situation en rendant le terrain glissant. Gringotts aurait été la meilleure
option. La banque aurait pu accueillir tous les civils et résister à un assaut, cependant, malgré
toutes les suppliques et les sorts que Percy Weasley faisait pleuvoir sur elles, les portes
demeuraient closes.

Un sort ébranla son bouclier et elle s’en voulut d’être resté immobile aussi longtemps. Albus
et Scrimgeour affrontaient toujours Voldemort sur sa droite, les deux Aurors étaient étendus
au sol, l’un en travers des marches menant à la banque et l’autre au pied d’un réverbère,
baignant dans son propre sang, Percy frappait les portes de Gringotts avec désespoir, elle ne
savait pas précisément où était Kingsley ou aucun autre des membres de l’Ordre et Remus
peinait à se réveiller.

Elle tourna la tête à temps pour esquiver le Doloris qui fusait vers elle, ne tardant pas à
trouver l’origine du maléfice.

Dégoulinante de pluie, gloussante et souriante, se tenait Bellatrix Lestrange.


What Does That Make You?

You need people like me, you need people like me so you can point your fucking finger
and say, ‘That’s the bad guy’. So what does that make you? Good ? You’re not good, you
just know how to lie. Me ? I don’t have that problem. I always tell the truth, even when I
lie.

Scarface.

Il faut des gens comme moi, il faut des gens comme moi pour que tu puisses pointer ton
putain de doigt et dire ‘C’est le méchant’. Qu’est-ce que ça fait de toi, alors ? Le
gentil ? Tu n’es pas gentil, tu sais juste mentir. Moi ? Je n’ai pas ce problème là. Je dis
toujours la vérité, même quand je mens.

Scarface.

Son expelliarmus fut paré avec un détachement tel que Tonks vit rouge. Elle enchaina avec
un stupefix et un incarcerem qui furent écartés avec la même négligence. Le Mangemort
avançait toujours droit sur elle et elle se demanda pourquoi il ne l’achevait pas directement.
Avaient-ils reçu l’ordre de la ramener à sa tante Bellatrix ou à Greyback ? De la main qui ne
tenait pas sa baguette, elle se tira en arrière aussi loin qu’elle le put en s’aidant de sa jambe
non blessée, mais il n’y avait rien à faire.

Lorsque le Mangemort lui arracha sa baguette des mains – sans même s’encombrer de magie,
ce qui était d’autant plus humiliant – Tonks était acculée contre le mur et avait l’autre main
sur sa cheville, prête à tirer sa dague et à se défendre aussi brutalement qu’il le faudrait. La
main gantée de noir l’homme agrippa son poignet avant qu’elle ait pu esquisser un geste
défensif, comme s’il pouvait lire dans ses pensées.

« Me poignarder serait une bien piètre manière de me remercier, Miss. » lâcha le Mangemort,
en s’accroupissant auprès d’elle. Il lui rendit sa baguette.

Tonks expira brusquement sous le coup du soulagement. Le masque lisse ne laissait rien
deviner de l’identité de l’homme mais les deux yeux noirs et la voix grave et dangereuse
étaient, eux, inimitables.

« Espèce d’idiot, vous m’avez fait peur ! » gronda-t-elle, en frappant son bras.

Il se figea. « Je vous prierais de réfréner vos tendances agressives. » exigea-t-il sèchement,


avant de marmonner qu’on aurait pu la confondre avec un Gryffondor.

« Vous m’avez débarrassée de Bellatrix. » déduisit-elle, tandis qu’il se penchait pour


examiner la plaie de sa cuisse. Elle le laissa faire parce qu’il devait sans doute s’y connaître
beaucoup mieux qu’elle sur le sujet. Elle avait beau avoir une mère Médicomage, elle n’avait
jamais éprouvé le moindre intérêt pour la question.
« Je ne pouvais pas vraiment la laisser vous tuer, si ? » grinça-t-il. « Serrez les dents. » Il
positionna le bout de sa baguette au bord de la plaie et se lança dans une litanie latine. Elle
enfourna son poing dans sa bouche et mordit les doigts à peine guéris pour ne pas hurler et
trahir leur position. Elle avait l’impression qu’il était en train de lui refermer la jambe au fer à
souder. « Il y aura une cicatrice. » avertit-il, lorsqu’il eut terminé.

« Une de plus, une de moins… » Elle balaya l’argument d’un geste. Haletante, elle laissa
tomber sa tête contre le mur derrière elle et s’efforça de reprendre le contrôle de sa
respiration. « Peut-être que Remus n’a pas tort. » lâcha-t-elle. « Je ne suis pas de taille à
affronter ma chère tante Bella. »

Il était perturbant de s’adresser à de l’ivoire lisse qui ne trahissait rien des sentiments de son
interlocuteur.

« D’autres que vous sont morts avant d’avoir eu le temps de lever leur baguette. » répliqua-t-
il. « Le loup ferait mieux de garder ses opinions pour lui. » Il lui fallut quelques secondes
pour déterminer que c’était un compliment. Elle l’aurait volontiers remercié mais il était déjà
passé à autre chose. « Avez-vous alerté Dumbledore ? »

Elle secoua la tête. « Non, mais Remus a envoyé un Patronus à tous les membres de
l’Ordre. » Elle tenta de prendre appui sur sa jambe et grimaça lorsque sa cuisse lui donna
l’impression de s’enflammer. Elle ne laissa pas cela l’arrêter, toutefois, et prit appui sur le
mur pour se redresser. Snape se releva et l’aida à faire de même avec autant de délicatesse
que si elle avait été un sac de pommes de terre. « Pourquoi ne nous avez-vous pas alertés ? »
Cela sonna comme une accusation mais elle n’avait pas véritablement le temps de faire dans
la finesse. « C’est forcément un coup préparé à l’avance, Professeur. Vous deviez être au
courant, c’est… »

« Seul le cercle intime du Seigneur des Ténèbres était dans la confidence. » la coupa-t-il
froidement. « J’ai été convoqué avec tous les autres Mangemorts, à peine le Seigneur des
Ténèbres nous avait-il expliqué le plan que nous étions en route. Je n’ai pas eu l’opportunité
de prévenir qui que ce soit. »

Le croyait-elle ? De quel côté était-il véritablement ? « Il aurait dû y avoir davantage


d’Aurors qu’il n’y en a là-dehors. » lâcha-t-elle. « L’équipe de Lisa sur les toits et David dans
le… »

« Tous vos Aurors sont morts. » l’interrompit-il une nouvelle fois, sans douceur. « Vous avez
raison sur un point, Nymphadora, cette attaque a été préparée en amont. Le Seigneur des
Ténèbres n’ignorait aucun détail. »

Les échos de la bataille qui faisait toujours rage au bout de la ruelle ne l’aidait pas à réfléchir
de manière claire. Elle refusait de penser que ses amis puissent être… Et pourtant… Si ce que
Snape disait était vrai – et elle ne doutait pas que cela le soit parce que dans le cas contraire
ses collègues auraient tous rejoint le combat – alors… Tonks se passa une main sur le visage
puis dans les cheveux et affronta finalement les yeux noirs qui n’avaient jamais cessé de la
scruter.
« Professeur, c’est impossible. » Son ton était presque suppliant. « Les quatre chefs d’équipe
étaient les seuls au courant de tous les détails et… »

« Deux sont morts. » grinça-t-il. « Les deux autres ? »

« Kingsley et moi. » répondit-elle immédiatement. « Mais… C’est impossible. »

Son regard était pénétrant et Tonks eut toute la peine du monde à le soutenir, cependant, elle
craignait que si elle s’avisait de le détourner, il se mettrait à penser qu’elle avait trahi et ça…
Kingsley non plus n’avait pas pu les vendre, c’était impossible. Et puis, cela la frappa. Il n’y
avait pas eu que quatre personnes au courant des moindres détails. C’était faux. Ils avaient
présenté le plan, les solutions préventives et les mesures d’urgence à la dernière réunion de
l’Ordre. Les dossiers étaient au Square Grimmaurd. N’importe qui ayant accès à la maison
avait pu les consulter.

« Il y a un traître. » lâcha Snape, comme s’il pouvait lire dans ses pensées.

Le cœur de Tonks se mit à battre la chamade, ses mains étaient moites. Un traître ? Dans
l’Ordre ? L’idée était écœurante.

« Ce n’est pas moi. » se défendit-elle.

Elle s’en voulut de cette affirmation hâtive. Si l’un d’eux avait à se justifier, ce n’était
certainement pas elle. Si l’un d’eux avait eu l’occasion de trahir… Après tout, il aurait pu
trouver un moyen de les avertir avant que l’enfer ne déboule sur le Chemin de Traverse. Le
doute flasha-t-il sur son visage ou bien perçut-il son changement d’attitude à la manière dont
elle agrippa plus fermement sa baguette ? Toujours était-il qu’elle n’avait pas besoin qu’il ôte
son masque pour deviner qu’il arborait une expression exaspérée.

« Oh, s’il vous plait, Miss… » soupira-t-il. « Vous êtes loin d’être aussi idiote que vos chers
amis Gryffondors, ne vous abaissez pas à leur niveau aujourd’hui. »

Il ne fit aucun geste agressif mais elle savait qu’il était bon duelliste, tout le monde le savait.
Et contrairement à ce qu’en disait Remus, elle avait une bonne idée de ce qu’elle valait au
combat. Si Snape avait voulu la désarmer, elle serait déjà vulnérable. Et pourquoi la
sauver s’il était véritablement avec les Mangemorts ?

« Pourquoi devrais-je vous faire confiance ? » insista-t-elle.

« Parce que vous n’avez pas le choix. » répliqua-t-il, avec un amusement amer.

Elle se demanda, brièvement, depuis quand quelqu’un ne lui avait pas volontairement fait
confiance, depuis quand quelqu’un n’avait pas décidé de le croire par choix davantage que
par obligation, mais elle mit cette pensée à l’écart parce qu’elle n’avait pas le temps de se
pencher sur des problèmes philosophiques qui n’étaient pas les siens.

« On a toujours le choix. » haussa-t-elle les épaules malgré tout. Dumbledore faisait


confiance à Snape… Il était probablement le seul, cependant, et elle n’était plus très sûre que
les décisions du Directeur soient aussi judicieuses qu’elle avait pu le penser par le passé
mais…

Un hurlement de douleur couvrit les bruits de bagarre. Elle était suffisamment proche de
Snape pour sentir tout son corps se tendre d’un coup.

« Minerva… » lâcha le Professeur, dans un murmure horrifié, avant qu’elle ait pu seulement
tenter d’identifier la voix.

Ce fut à cette seconde qu’elle décida de lui faire confiance. Il s’était tourné en direction du
hurlement, baguette au poing, chacun de ses muscles contracté comme s’il crevait d’envie de
se lancer au secours de la sous-directrice, comme si ne pas s’élancer vers le Chemin de
Traverse était un exploit herculéen… Pour quelqu’un qui, selon la rumeur, n’aimait personne,
il semblait évident à Tonks que l’homme était attaché à la vieille sorcière. Elle reconnut
l’angoisse et l’inquiétude pour ce qu’elle était, elle l’avait éprouvé cent fois lorsque Fol’Œil
s’était retrouvé en mauvaise posture.

« Cessez le feu ! » beugla la voix de Dumbledore, amplifiée par un sonorus.

Elle échangea un seul coup d’œil avec Snape et ils étaient partis, sans même se consulter sur
la marche à tenir. Ils rasèrent les murs de la ruelle et se dissimulèrent dans l’ombre de
manière à pouvoir observer sans être vus.

Si la situation avait été catastrophique jusque là, elle venait juste de basculer dans le
cauchemardesque.

Tonks sut, à la minute où elle vit McGonagall fermement maintenue contre la poitrine de
Bella, le bout de sa baguette enfoncée dans la gorge, et Dumbledore une main levée vers
Bellatrix et l’autre vers Voldemort, qu’ils avaient perdu. Le Directeur se tenait devant
Scrimgeour, qui était tombé au sol à un moment donné et peinait à se relever, et faisait
barrage de son corps pour le protéger du mage noir.

Tous les duels qui avaient fait rage sur le Chemin de Traverse s’étaient arrêtés. Tout le monde
n’avait d’yeux que pour l’étrange triangle qui se tenait devant Gringotts.

« Bien. » déclara le mage noir avec un plaisir évident. « À présent, vieil homme, il va te
falloir faire un choix. Qui de ton chat ou de ton Ministre vas-tu sauver ? »

°°O°°O°°O°°O°°

« Bill ! Bill ! »

Bill roula sur le dos avec l’impression désagréable que son crâne était sur le point de se
fendre en deux. Ou bien peut-être s’était-il déjà fendu en deux. Cela aurait certainement
expliqué la douleur.

« Bill, si tu meurs je ne te le pardonnerais jamais ! » La voix était haut perchée, extrêmement


familière et le fort accent qui teintait chacun des mots lui fit ouvrir les yeux plus vite que les
menaces que la jeune femme grommelait dans avec une maîtrise approximative de la langue.
« Bill… » souffla-t-elle avec un soulagement évident, en le voyant réveillé. Ses grands yeux
bleus étaient pleins de larmes, ses longs cheveux blonds cascadaient par-dessus son épaule…
Elle n’avait jamais été aussi belle. Il tenta de caresser sa joue mais sa main retomba
mollement avant qu’il ait pu la soulever tout à fait.

« Ne bouge pas. » ordonna-t-elle. Elle regarda autour d’elle d’un air désorienté mais personne
ne leur vint en aide. Curieux.

« Charlie ? » croassa-t-il, la bouche pâteuse. Un inventaire rapide révéla qu’il sentait ses
jambes, son bras gauche était également opérationnel quoi que son épaule ait pris le gros de
la chute et le fasse souffrir mais son bras droit… Son bras droit était très visiblement cassé, il
pouvait même voir l’os. Ce n’était pas très bon. Il tourna la tête du côté où Fleur était
agenouillée, tâchant de repérer son frère. La jeune feùùe lui bouchait la vue et ce n’est qu’en
voyant l’attroupement à l’autre bout du hall que Bill comprit que c’était à dessein.

« Reste tranquille. » répéta-t-elle, en appuyant sur son torse pour qu’il cesse de gigoter. Ce
fut une mauvaise idée. Il rajouta une côte probablement cassée à sa liste de fractures.
« Anthony s’en occupe. »

Cela ne lui suffisait pas. Il prit une profonde inspiration et roula sur le côté gauche pour se
relever, ignorant tous les avertissements, insultes et invectives que Fleur murmura dans un
mélange incompréhensible de langage.

« Aide-moi. » exigea-t-il. Il coinça son bras blessé contre son torse. Visiblement à
contrecœur, Fleur fit apparaître une attèle qui lui permit de garder son bras en écharpe.

« Ton frère est un crétin. » décréta-t-elle, en le soutenant jusqu’à la masse de sorciers et de


gobelins. « Il aurait pu vous tuer. »

Bill s’appuya plus lourdement sur elle et serra les dents, incapable de parler et de marcher à
la fois. Il n’était pas loin d’être d’accord avec elle, pourtant. Charlie était un idiot qui aurait
mieux fait de réfléchir à deux fois avant de vouloir jouer les cow-boys d’opérette. Les gens
s’écartèrent pour les laisser passer ce que Bill prit comme un mauvais signe.

Il aperçut la lumière bleutée avant de distinguer son frère et son petit-ami. Charlie était
allongé à plat dos, inconscient, et Anthony était agenouillé juste derrière sa tête, les deux bras
tendus devant lui, paumes des mains dirigées vers le bas, une expression apeurée sur le
visage. La lumière dansait autour de ses doigts et descendait de sa main gauche droit vers le
torse de Charlie et semblait remonter de Charlie vers sa main droite dans un drôle de cercle.

Gloröm se tenait à côté d’Anthony, l’air grave.

« Vous, sorciers, êtes vraiment des créatures stupides. » déclara le Gobelin.

« Son cœur s’était arrêté ! » protesta Anthony, au milieu des chuchotements de la foule. « Je
ne savais pas quoi faire. Bill… »

Bill s’affaissa davantage encore contre Fleur. « C’est un sort extrêmement dangereux. Qu’est-
ce qui t’est passé par la tête ? » gronda-t-il, en se frottant le front. Mauvaise idée. Ce ne fit
que raviver la douleur et ses doigts en ressortirent pleins de sang.

« Je ne sais pas. » siffla Anthony entre ses dents. « J’ai paniqué. C’est en train de drainer ma
magie. »

Anthony transpirait à grosses gouttes, ses doigts tremblaient…

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda Fleur, perdue. « Qu’est-ce qu’il a fait ? »

« Un sort de partage. » répondit Bill. « C’est… Il a relié leur magie, il le maintient en vie
avec sa propre… C’est compliqué et illégal. » Il n’avait pas véritablement le temps
d’expliquer à Fleur que le sortilège requérait une implication émotionnelle qui n’était jamais
certaine. En d’autres termes, il valait mieux être certain que le lanceur et le récepteur du sort
aient l’un pour l’autre une profonde affection.

« Pas en Roumanie. » répliqua le dragonnier tandis que Fleur aidait Bill à s’asseoir près de
son frère. « Inutile de me rappeler qu’on n’est plus en Roumanie, j’ai remarqué. Tu vas
m’aider, oui ou non ? »

« Volontiers. » grinça-t-il, non sans ironie. « Comment ? »

Les yeux d’Anthony s’agrandirent sous le coup de l’horreur. « Tu es conjureur de sorts ! »

« Pas de genre de sorts. » soupira Bill, agacé. Il tenta d’analyser froidement la situation,
comme il l’aurait fait face à un maléfice ou un sortilège dans le cadre de son travail, mais il
n’y parvint pas. C’était son petit frère qui était étendu là – et il ne fallait pas croire qu’il avait
oublié son autre petit-frère en train de se battre derrière les portes closes de Gringotts – et à la
seconde où la magie d’Anthony cesserait d’alimenter le sort… Il y avait fort à parier qu’ils se
retrouveraient avec deux cas critiques sur les bras.

Il n’avait pas la plus petite idée de comment remédier à la situation.

« Il nous faut un Médicomage. » lâcha-t-il, en levant les yeux vers Gloröm. « Il faut ouvrir
les portes. »

Le gobelin ne cilla même pas. « Non. »

°°O°°O°°O°°O°°

« À présent, vieil homme, il va te falloir faire un choix. Qui de ton chat ou de ton Ministre
vas-tu sauver ? »

La voix sifflante du Seigneur des Ténèbres raviva des mauvais souvenirs que Severus dut
enfouir au plus profond de son esprit. Le chat. Combien de fois avait-il observé la scène
lorsqu’il entraînait Harry à l’Occlumencie ? Un éclat vert et Minerva s’écroulait dans la
poussière, toute dignité dérobée par la mort. Ce n’était pas la vraie Minerva. Ce n’était qu’un
écho. C’était ce qu’il avait répété au gamin, ce qu’il s’était répété à lui-même pendant des
mois. Ce n’était pas la vraie Minerva qui était morte en 75.
Et pourtant, c’était bel et bien la vraie Minerva qui était plaquée contre la poitrine de Bella, la
lèvre fendue et le chignon en désordre.

Severus avait le cœur au bord des lèvres.

« Si on prend Bellatrix à revers… » proposa Tonks sans grande conviction. Le problème


n’était pas seulement Bellatrix, c’était également les Détraqueurs qui flottaient autour d’eux
et, surtout, le Seigneur des Ténèbres et son rictus triomphant. L’indécision évidente d’Albus
n’était pas non plus à négliger.

Scrimgeour était vital à l’effort de guerre, il fédérait la communauté magique et elle ne se


relèverait probablement pas de sa perte. Albus le savait et ne ferait rien qui leur ferait perdre
l’avantage. On ne sacrifiait pas un cavalier pour un pion. Ou un chat.

« Non. » objecta-t-il, la voix dénuée d’émotion. « La priorité est de protéger Scrimgeour. »

« Et comment vous voulez faire ça ? » s’énerva Tonks. « Au cas où vous n’auriez pas
remarqué… »

Severus pivota brusquement, tous les sens en alerte. La jeune femme se tut et fit elle aussi
volteface, baguette pointée vers l’obscurité. Il fut plus lent à lever sa baguette, principalement
parce qu’il avait ses soupçons. De fait, un énorme chien noir émergea silencieusement de
l’ombre et l’Auror soupira de soulagement.

« Sirius. » lâcha-t-elle.

La transformation de chien à homme ne prit qu’un quart de seconde. Le Maître des Potions
ne put empêcher un soupçon de jalousie, il lui fallait bien entre cinq et six minutes pour se
transformer en sombral, mais ce moment d’envie passa vite lorsque Black braqua sa baguette
sur lui. Sous son masque, il ne put réfréner un rictus haineux.

« Non ! » chuchota Tonks, en s’interposant. « C’est Snape ! »

« Oh, je sais. » Black grimaça. « Si tu crois que je connais pas son odeur nauséabonde… »
Abaisser sa baguette parut lui demander un effort inimaginable. Sans doute l’était-ce. « On
est dans la merde jusqu’au cou. »

« Aussi poétique qu’à l’accoutumée, je vois. » se moqua Severus. Il se tourna vers la jeune
femme. « Il faut évacuer le Ministre. »

La pluie ruisselait sur l’Auror, collant ses cheveux trempés à son visage en forme de cœur,
ses vêtements semblaient adhérer à sa peau et le Professeur se demanda vaguement pourquoi
diable elle n’avait pas jeté un impervius avant que le déluge n’éclate. Black n’avait
apparemment pas su davantage anticiper et était dans le même état. Il ressemblait à un chien
mouillé. La métaphore était très certainement adéquate.

« Gringotts était le point de repli prévu. » expliqua Tonks. « Si on peut le mettre à l’abri dans
la banque… »

« Ils ont scellé les portes. » Black secoua la tête. « Saletés de gobelins, ils… »
La voix d’Albus résonna jusqu’à eux mais un coup de tonnerre avala ses paroles et Severus
s’efforça de réfléchir plus vite et plus efficacement. Il voulut se passer une main sur le visage
et avorta son geste, ne se souvenant du masque d’ivoire lisse qu’au tout dernier moment. Il
n’avait rien avalé depuis le repas que Minerva l’avait forcé à ingurgiter la veille au soir, il
avait à peine dormi et n’avait pas eu le loisir de prendre un philtre de force, ses doigts
tremblaient sur la hampe de sa baguette et il avait été bien plus maladroit au combat durant la
dernière demi-heure qu’il ne l’avait été de toute sa vie.

« On ne peut pas ! » râla Black. Severus se rendit compte, dans un sursaut, qu’il avait raté un
bout de la conversation. « Remus est au milieu de la rue, lui aussi ! »

Il jeta un coup d’œil à la rue principale, cherchant le loup-garou des yeux. Le loup-garou ou
ce qu’il en restait… Il parvenait à peine à apercevoir l’homme derrière les trois Détraqueurs
qui menaçaient de fondre sur lui, à peine tenus en respect par le Patronus fléchissant de
McGonagall. Combien de temps avant que le chat argenté ne disparaisse ? Peu, très
certainement.

« Il faut évacuer Scrimgeour. » répéta-t-il. C’était la solution la plus logique. Lorsque


l’équation était insolvable, autant supprimer une des variables.

« Oui, et comment ? » aboya Black. « Tu peux t’envoler au dessus du champ de bataille,


attraper Scrimgeour et disparaître dans le soleil couchant ? »

S’envoler au dessus du champ de bataille serait sans doute possible. Y survivre était une toute
autre histoire.

« Pourquoi ne garderais-tu pas tes commentaires inutiles pour toi ? » siffla-t-il, avant de
fusiller la jeune femme du regard. « Pourquoi les protections anti-transplannages n’ont-elles
pas cédées ? »

Tonks haussa les épaules en signe d’ignorance. « Elles sont reliées à Kingsley. Tant qu’il ne
les ôte pas… »

Shacklebolt. La dernière fois qu’il avait aperçu Shacklebolt, l’homme était en train de voler
dans les airs. Il ne devait pas être mort, cependant, où ils auraient tous été libres de disparaître
et de réapparaître où il leur chantait.

« Très bien. » lâcha Severus, une ébauche de plan se dessinant dans son esprit. « Si nous
pouvions transplanner, nous pourrions mettre le Ministre en sécurité. »

« On peut prendre le contrôle des protections, non ? » suggéra Black. « Il suffit de détourner
le sort, ce n’est pas bien différent des sorts de protections sur une maison… »

La jeune femme approuva d’un hochement de tête avant de grimacer. « Je n’ai jamais fait
ça. L’un de vous deux sait le faire ? »

Severus et Black échangèrent un coup d’œil.

« En théorie. » hésita l’Animagus. « Snape ? »


Au diable les apparences, Severus retira son masque pour se frotter les yeux. Ils le brûlaient
atrocement. Trop de potions, pas assez de repos. Il ne parvenait pas à réfléchir de manière
suffisamment efficace.

« Les protections sont partout autour de nous. » déclara-t-il. « Le Seigneur des Ténèbres et
Dumbledore le sentiront, ils reconnaîtront ma signature magique. Je ne peux pas le faire sans
renoncer à ma couverture. »

Black et Tonks le dévisagèrent en silence, l’espace de quelques secondes, l’un avec un air
indéchiffrable et l’autre avec une expression de pitié qui aurait blessé son égo s’il n’avait pas
été aussi épuisé. Sa fatigue se reflétait-elle sur son visage ? Était-ce l’usure gravée sur ses
traits qui empêchait Black de l’insulter ou de remettre ses allégeances en cause comme il
l’aurait fait d’ordinaire ?

« Mieux vaut ne pas risquer d’alerter le Seigneur des Ténèbres. Black échouera
inévitablement et nous ne serons pas davantage avancés. » continua-t-il en remettant son
masque en place. « Il nous faut Shacklebolt. »

« Il est près de la banque. » L’Animagus passa une main dans ses cheveux trempés de
pluie. « Il n’avait pas l’air bien en point. »

« Transforme-toi et rejoins-le. » ordonna Snape. « D’une manière ou d’une autre, il faut


abaisser les protections. Nous ferons diversion. »

« Je n’aime pas que tu me donnes des ordres, Servillus. » gronda Black.

« Regrettable. » ironisa-t-il. « Tu n’es bon qu’à en recevoir. »

« Ça suffit. » intervint Tonks, avant que l’homme ait pu répondre. « Sirius, vas-y. »

Les yeux gris du Sang-Pur voyagèrent de Severus à la jeune femme avec méfiance. « Tu es
sûre que tu es en sécurité avec lui ? »

La jeune femme leva les yeux au ciel. « Franchement, Snape est le dernier de mes soucis.
Dépêche-toi ! »

Celui lui déplaisait visiblement mais Black redevint un chien et se fondit à nouveau dans
l’ombre.

« Bien. » lâcha l’Auror, en posant une main sur son bras pour s’assurer de son attention.
« Diversion. Une idée ? »

Plusieurs, en vérité.

Il dégagea son bras avec douceur et fit rouler sa baguette entre ses doigts plusieurs fois afin
d’être sûr de l’avoir bien en main.

On ne pouvait pas sacrifier un cavalier pour un pion. Toutefois quelle différence existait-il
entre un pion et un autre pion ? Entre le chat et le caméléon incapable de changer de couleur
?
Sa mission prioritaire était de sauver Scrimgeour quel qu’en soit le coût.

Mais s’il pouvait également sauver Minerva, il était prêt à saisir sa chance. Quel qu’en soit le
coût.

« Je regrette profondément, Nymphadora. » offrit-il, avec sincérité.

Elle fronça les sourcils. Ce fut tout ce qu’elle eut le temps de faire avant que son sortilège ne
la projette au milieu de la rue principale, mettant un terme aux tentatives de parlementer
d’Albus. Elle atterrit au milieu de la chaussée, dans le no man’s land entre les deux camps,
pas très loin du loup-garou.

Les yeux rouges du Seigneur des Ténèbres se tournèrent vers elle et Severus écrasa dans
l’œuf tout sentiment de culpabilité.

°°O°°O°°O°°O°°

Percy referma brusquement la bouche lorsque Tonks apparut en plein milieu de la rue, son
incantation inutile déjà oubliée. Les portes de Gringotts demeuraient closes en dépit de toutes
ses tentatives. Il n’y avait pas d’issues, ils étaient piégés.

« Qu’avons-nous là ? » interrogea la voix sifflante de Voldemort.

Percy frissonnait à chaque fois que le mage noir prononçait un mot.

« Ma nièce ! » couina Bellatrix avec un sourire extatique. « Oh, puis-je la tuer, Maître ? » Le
bout de sa baguette rougeoya et McGonagall laissa échapper un grondement lorsque sa peau
se mit à fumer. « Vous m’avez promis. »

« Assez ! » commanda Dumbledore, les yeux rivés sur sa sous-directrice.

« Bella. » L’ordre claqua dans l’air froid, sec et définitif. Voldemort examina l’Auror du
regard avec une grimace de dégout. Percy n’aurait su dire ce qu’il le dérangeait le plus,
l’accoutrement de la jeune femme ou le fait qu’elle soit une Sang-mêlée.

Tous les regards étaient fixés sur Tonks mais Percy était tellement préoccupé par l’idée de
trouver une porte de sortie que ses yeux furent naturellement attirés par l’ombre mouvante
qui se coulait vers le corps immobile de Shacklebolt. La pluie était tellement drue qu’il pensa
un instant que ses lunettes lui jouaient des tours… Sauf que ce n’était pas le cas.

Le Sinistros.

°°O°°O°°O°°O°°

« Si vous n’ouvrez pas ses portes, ils vont mourir tous les deux. » grinça Bill, en se
redressant. Il aurait aimé pouvoir se remettre debout, toiser Gloröm de toute sa hauteur et le
menacer physiquement s’il l’avait fallu… Il aurait eu du mal à rester assis sans le bras que
Fleur avait passé autour de ses épaules.

Preuve qu’il n’était pas véritablement un danger, les gardes n’avaient même pas bronché.
Anthony était très pâle à présent. Il respirait vite et fort. La lumière bleue qui dansait autour
de ses doigts s’affaiblissait de seconde en seconde.

« Cela leur épargnera au moins l’humiliation d’être remercié par Gringotts. » déclara très
sérieusement Gloröm dans un haussement d’épaules.

Oh, Bill n’aurait rien voulu de plus que de glisser ses mains autour de son cou et serrer.

°°O°°O°°O°°O°°

Tonks resta figée d’horreur sous le regard reptilien du mage noir.

Connard, songea-t-elle avec fureur. Elle jeta un coup d’œil en direction de la ruelle mais si
Snape était toujours là, il était vraiment bien caché. Connard.

« Je te déconseille de faire quoi que ce soit d’inconsidéré, Tom. » déclara calmement


Dumbledore.

Elle n’osa pas bouger le moindre muscle. Elle était assise sur les fesses, entre les deux
sorciers les plus puissants au monde, sous une pluie torrentielle qui l’avait trempée jusqu’aux
os et elle n’osait pas bouger ne serait-ce que le petit doigt.

°°O°°O°°O°°O°°

Personne ne lui prêta attention lorsqu’il s’élança en direction de Shacklebolt. Qui aurait bien
pu se préoccuper de Percy ? Il jeta un sort du bouclier préventif autour du corps inconscient
du chef du Département des Aurors et pria pour qu’il s’agisse d’un chien errant attiré par le
sang. Il pourrait sans doute repousser un chien errant…

°°O°°O°°O°°O°°

Sirius laissa échapper un grondement mécontent lorsque Tonks se retrouva propulsée au cœur
de la mêlée. Il se promit de le faire payer à Snape plus tard. Ou mieux, peut-être laisserait-il
Remus le faire. Peut-être même que des retrouvailles entre Servillus et la forme sauvage de
Lunard seraient de mise.

Il parvint finalement auprès de Shacklebolt alors que Voldemort et Dumbledore reprenaient


leur petite joute verbale, il se demanda vaguement s’il n’était pas davantage question d’un
duel d’égo que de magie. Distrait, il ne sentit pas le bouclier avant de le percuter de plein
fouet.

Patmol couina de douleur et secoua la tête sans parvenir à se défaire d’une mauvaise
sensation dans la truffe. Il reprit forme humaine pour se frotter le nez au moment où Percy
Weasley déboula devant lui, baguette levée. Il l’abaissa avec une expression confuse.

« Mais… Mais, il y avait un chien. » balbutia le garçon.

« Et voilà les idiots qui nous gouvernent… » marmonna Sirius en levant les yeux au ciel. Il
s’agenouilla auprès de Kingsley et lança un enervate qui n’eut aucun résultat.
« Comment va-t-il ? » s’enquit Percy, en s’agenouillant à son tour.

« Il pète la santé, ça ne se voit pas ? » répliqua-t-il distraitement, en fronçant les sourcils. Il


n’arriverait pas à ranimer Kingsley, il le pressentait. Il jeta un coup d’œil angoissé vers Tonks
qui restait prostrée au sol face au Mage Noir. Un Mangemort se détacha soudain du groupe
des serviteurs de Voldemort et lança un informulé en direction de la jeune femme. Ça eut le
mérite de la faire réagir. Elle roula sur elle-même et se releva tandis que le Mage Noir laissait
échapper un ricanement. Dumbledore ne cilla même pas.

°°O°°O°°O°°O°°

Une pulsation désagréable l’empêchait de réfléchir de manière très cohérente. Si Fleur ne


l’avait pas soutenu, il se serait probablement écroulé. Charlie n’était pas le seul à devoir
consulter un Médicomage et si Gloröm ne voulait pas ouvrir les portes… Il leur fallait
transplanner.

Bill serra les dents lorsqu’il se rendit compte que les protections anti-transplannage entourant
le Chemin de Traverse était toujours en place.

Il n’allait pas laisser mourir son frère pour un si petit détail.

°°O°°O°°O°°O°°

« Maître ! Elle est à moi, vous m’avez promis… » couina Bellatrix alors que Tonks parait un
deuxième informulé qui la fit reculer d’un bon mètre. La jeune femme répliqua par un
sortilège plus ou moins légal, fusillant du regard le masque d’ivoire. Snape allait lui payer
cette petite en scène, très, très, très cher. Il ne retenait pas ses coups – pour que le duel ait
l’air authentique, supposait-elle.

Sa jambe à peine soignée n’aidait pas non plus, elle boitillait à droite à gauche, esquivant les
traits de différentes couleurs qui fusaient vers elle et répliquant au mieux. Elle ne s’en sortait
pas si mal pour le moment mais elle avait la distincte impression que le duel était
curieusement mis en scène. Ni le Mage Noir ni Dumbledore ne levait le petit doigt alors qu’il
était impossible qu’ils n’aient pas reconnu le Mangemort qui l’attaquait. Elle se demanda
vaguement si la couverture de Snape venait de sauter et ce qui avait bien pu lui passer par la
tête. La projeter au milieu de la rue aurait été une distraction suffisante, pourquoi s’exposer
ainsi ?

Elle trouva la réponse lorsqu’il para un stupefix si brutalement que le sort ricocha tout droit
en direction de McGonagall et Bellatrix.

La coïncidence était trop grande pour en être une.

Malin, eut-elle le temps de penser avant que sa tante ne s’écarte brusquement, laissant son
flanc exposé. Tonks vit le sortilège de Snape lui arriver droit dessus mais elle devina
instinctivement que, quel qu’il fut, il serait très certainement plus douloureux que mortel. Elle
n’hésita pas une seconde à viser Bellatrix.

Le trait rouge heurta Bella pile au moment où le sort de Snape la toucha aux côtes.
Elle eut la sensation que son corps explosait en un millier de fragments.

°°O°°O°°O°°O°°

« Putain, merde ! » s’énerva Black, en frappant le sol du point, après avoir tenté sans grand
succès de ranimer Shacklebolt.

Au milieu de la rue, Tonks et un Mangemort se livraient un duel acharné qui, Percy n’en
doutait pas, se terminerait par la défaite de la jeune femme. Tout semblait perdu.

« Il faut briser les protections anti-transplannage. » marmonna Black, en se passant une main
sur le visage. « Okay, okay… Ça ne peut pas être si compliqué que ça. »

« Eh bien, en fait… » hasarda-t-il. « C’est un procédé très délicat et… »

Il se retrouva la cible d’un regard gris à l’intensité dérangeante et se tut instinctivement.

« Tu pourrais le faire ? » demanda Black avec espoir.

Le pouvait-il ? Percy n’eut besoin que d’une poignée de secondes pour hocher la tête. Il
n’excellait peut-être pas en Défense mais les Sortilèges avaient toujours été son domaine…

« Fais-le. » ordonna Black sans plus attendre alors même que Tonks hurlait de souffrance et
s’écroulait dans une flaque de pluie. « Vite et bien, Weasley, et dès que tu as fini, tu évacues
le Ministre. Tu m’entends ? »

Mais Black n’attendit pas de réponse de sa part. Avec un aboiement rauque, l’animal que
Percy avait pris pour le Sinistros s’était élancé. Le jeune homme observa le chien se camper
au-dessus du corps inanimé de l’Auror, les babines retroussées sur des crocs jaunâtres, puis
ferma les yeux et se concentra sur ce que l’ancien prisonnier lui avait demandé.

Il se souvenait encore des mots que le Professeur Flitwick avait employé pour décrire ce
genre de sortilèges. Il fallait se concentrer et tâcher de concevoir l’invisible. Percy prit une
longue inspiration puis expira doucement en faisant de son mieux pour bloquer les bruits du
nouveau duel qui venait de démarrer. Laissez votre magie vous guider, avait dit Flitwick, et
Percy fit précisément cela, laissant sa magie tâtonner à la recherche du verrou magique.

°°O°°O°°O°°O°°

Severus maudit Black sur les cent prochaines générations – rien qu’il n’ait pas déjà fait un
bon milliard de fois cependant et cela se révélait toujours aussi peu efficace. L’énorme chien
noir bondit sur le corps de Tonks au moment précis où le Chemin de Traverse en entier
semblait retenir son souffle.

Bellatrix inconsciente, Minerva en avait profité pour s’en éloigner, rampant sur les pierres
froides. Il semblait à Severus que quelque chose clochait avec sa jambe mais il ne pouvait pas
en être sûr et il ne pouvait pas non plus s’élancer pour l’aider bien qu’il n’eut rien souhaité
d’autre. Black était une distraction malvenue alors qu’il était clair que les combats étaient sur
le point de recommencer.
Oh, l’espion ne se faisait aucune illusion, l’Animagus savait pertinemment quel Mangemort il
avait en face de lui. Sans doute attendait-il cette occasion depuis des années…

Il perçut le léger mouvement du Seigneur des Ténèbres et dressa instinctivement un bouclier


mais ce n’était pas vers lui que la colère de son Maître s’était tournée. Albus s’interposa juste
à temps entre Minerva et le Mage Noir, laissant Scrimgeour sans son bouclier humain.

Severus n’eut pas l’occasion de s’en préoccuper.

Le sortilège offensif de Black déchira sa manche et une bonne portion de sa chair au passage.

Il était éreinté, n’avait pas assez mangé et dormi ces derniers jours, et le duel contre Tonks
l’avait laissé vide de toute énergie. Pourtant, lorsque Albus lança le premier sort offensif et
que le Chemin de Traverse redevint un champ de bataille, Severus puisa dans ses dernières
forces et s’élança contre Black.

Oh, il ne le tuerait pas. De une, Harry ne le lui pardonnerait jamais, de deux, il doutait d’en
avoir l’occasion, mais Merlin ce qu’il avait attendu ce duel là…

°°O°°O°°O°°O°°

La protection anti-transplannage avait la forme d’une toile d’araignée tissée de magie pure
qui formait des entrelacs comme une toile de peintre. Lorsque Percy la décela enfin,
cherchant la faille qui lui permettrait de la dérouler, il se rendit compte qu’il n’était pas le
premier arrivé.

Quelqu’un d’autre essayait de faire sauter les protections.

Et la signature magique était familière.

°°O°°O°°O°°O°°

Remus revient à lui au milieu d’un carnage.

Le chat argenté qui allait et venait sur son torse était pratiquement transparent et ne tenait
plus vraiment à distance les Détraqueurs qui se massaient au dessus de lui. Aussitôt, il
ressentit le besoin de replonger dans le doux néant de l’inconscience. Pourtant, le bruit des
hurlements et les sorts jetés à pleins poumons firent battre son cœur plus vite. Le sentiment
de panique et la drôle de langueur infligée par les Détraqueurs s’affrontaient en lui et il resta
prostré au sol, incapable de décider lequel des deux vaincrait, jusqu’à ce que l’instinct animal
ne prenne le dessus.

Péniblement, il tâtonna à la recherche de sa baguette sans la trouver.

Il se promit d’en acquérir une deuxième – dut-il emprunter de l’argent à Sirius – afin de ne
jamais plus être pris au dépourvus de la sorte. Il repéra le corps d’un Mangemort non loin de
là et s’y traina, suivi par le nuage de Détraqueur ainsi que par le chat qui s’estompait de
seconde en seconde. Le Mangemort était mort ou inconscient, il ne prit pas le temps de le
vérifier, s’emparant plutôt de la baguette qui avait chut près de sa main.
Son premier sort fut un patronus. Le loup était faiblard mais toujours moins que le chat.

Autour de lui, c’était la cohue et il s’efforça de se relever. Quelqu’un, non loin, jeta un sort de
lumos maxima qui éclaira cette portion du Chemin de Traverse comme un jour d’été et laissa
tous les combattants plus ou moins aveuglés. Cela eut l’effet salutaire de faire fuir les
Détraqueurs et laissa Remus libre de chanceler à la recherche de… Il ne savait pas bien de
quoi ou de qui.

Sirius ? Tonks ?

La rue était jonchée de cadavres. Certains étaient vêtus de noir, d’autres de robes colorées.
Les gens les piétinaient.

Sa vision était floue, du sang coulait le long de sa tempe jusqu’à son menton. Il vit un sort
fuser vers lui et il le para instinctivement. La baguette obéissait mal, son bouclier fut à peine
suffisant pour stopper le sortilège, le recul le renvoya au sol.

C’est comme ça qu’il la vit.

« Non… » murmura-t-il sans avoir conscience. « Pitié, non… »

Oubliant toutes ses blessures, il se mit à ramper en direction de Tonks. Le loup était
étrangement silencieux à l’intérieur de son crâne, pas de hurlement à la lune, pas de
grognement agressif, rien qu’un silence de mort. Remus ne s’était jamais senti aussi seul de
sa vie.

Il ne mit pas plus de quelques minutes à l’atteindre. La première chose qu’il attrapa fut sa
manche et il tira dessus autant pour se hisser vers elle que pour l’attirer vers lui. Ses
vêtements étaient trempés, ses cheveux bruns aussi, sa peau était froide… Les doigts de
Remus tremblaient lorsqu’ils coururent sur son cou à la recherche d’un pouls.

Son cœur battait. Faiblement mais il battait.

Il s’écroula presque de soulagement.

Son manque d’attention lui fut fatal. Il était tellement préoccupé par l’état de la jeune femme
qu’il ne vit le trait vert fuser vers lui que trop tard. Il n’essaya même pas de lever sa baguette.

°°O°°O°°O°°O°°

Percy enroula sa magie autour de celle, étrangement faible de Bill, se contentant de prêter ses
forces à son frère plutôt que de tenter de briser lui-même les protections. La souffrance
physique de Bill était comme une douleur fantôme dans son propre corps : la tête, le bras
droit, l’épaule gauche…

Que s’était-il passé ? Où étaient Bill et Charlie ? Ils auraient dû être en sécurité à l’intérieur
de la banque… Ils n’auraient pas dû être blessés, ils n’auraient pas…

La toile magique qui s’étendait au dessus du Chemin de Traverse devint brûlante et Percy
n’eut plus le loisir de penser à rien qu’à la tâche qu’il avait devant lui.
°°O°°O°°O°°O°°

Minerva aperçut l’Avada Kedavra foncer droit sur Remus et agita la main. Sa baguette était
Merlin savait où et elle n’était pas en mesure de faire grand-chose mais la Métamorphose
avait toujours été un don. Les pavés devant le loup-garou s’empilèrent en un mur d’enceinte
sur lequel l’Impardonnable vint s’écraser.

Deux fois ce jour là, ne put-elle s’empêcher de penser, en recommençant à ramper loin du
duel qui opposait Albus à Voldemort. Les deux sorciers ne faisaient pas dans la dentelle et le
Chemin de Traverse à peine reconstruit était à nouveau en ruines. Les gens qui avaient trouvé
refuge dans les bâtiments s’étaient vu obligés d’en fuir et s’était retrouvés pris en étau, forcés
de se battre ou de risquer leur peau pour une bonne cachette.

Minerva n’aurait rien eu contre trouver une bonne cachette à l’instant…

Sa cheville refusait de soutenir son poids et, sans baguette, elle ne pouvait prodiguer qu’une
aide minimale. Albus lui serait sans doute plus reconnaissant de survivre à ce combat que de
rester plantée à attendre que quelqu’un ne l’achève.

C’était un vrai champ de bataille, se rendit-elle compte avec effroi, lorsqu’un homme
s’écroula juste en face d’elle. Elle avait espéré ne jamais plus avoir à revivre ça.

La nausée lui tordit l’estomac mais elle s’efforça de continuer à avancer en direction d’une
ruelle qui se trouvait à quelques mètres sans faire attention aux cadavres qu’elle dépassait.
Elle était vieille et usée, elle n’aurait pas dû avoir à revivre ça. Des larmes inopportunes lui
brûlèrent les yeux mais elle les chassa d’un revers de manche. Sa robe était déchirée, nota-t-
elle. C’était curieux les choses que l’on remarquait dans ce genre de circonstances.

Plus curieux encore qu’on ne remarque pas les choses plus importantes avant qu’il ne soit
trop tard. Minerva vit le Mangemort se dresser devant elle avec une seconde de retard. Il était
trop proche pour qu’elle ne se défende sans sa baguette et elle en éprouva une rage sans
précédent. L’idée de mourir allongée dans la boue, ruisselante de pluie, les cheveux épars,
était humiliante.

Pourtant, au lieu d’en finir tout de suite, le Mangemort approcha à grands pas et agrippa ses
bras pour la relever. Elle se débâtit avec fureur, songeant qu’on cherchait une fois encore à se
servir d’elle comme d’un objet de pression contre Albus ce qui était encore plus humiliant,
peut-être, que de mourir couchée dans le caniveau.

« Cessez donc vos idioties avant de nous faire repérer. » siffla une voix familière et elle
s’abandonna aux bras qui cherchaient à l’aider, le cœur battant à vive allure.

« Folie. » protesta-t-elle faiblement. « Si quelqu’un vous voit… »

« Ils penseront que je cherche à marcher dans les pas de Bellatrix. » répliqua Severus, en
soutenant le plus gros de son poids. Il l’entraina vers la ruelle qu’elle avait repérée. « Que
vous a-t-il pris de… »
Minerva n’aurait su dire ce qui lui fit le plus mal, la chute brutale ? Ou le cri de douleur que
Severus ne parvint pas à masquer.

Ils s’écroulèrent tous les deux et Minerva commençait sérieusement à en avoir assez de se
vautrer dans des flaques de pluie à la propreté douteuse. Severus eut suffisamment de
présence d’esprit pour dresser un bouclier qui scintilla dans la pâle lumière que l’orage
laissait percer. Trois sorts s’écrasèrent dessus en rafale.

« J’ai dit… Assez ! » râla Severus, en répliquant d’une vague de magie brute qui fit dresser
les cheveux sur la tête de Minerva. Cela ne suffit pas à arrêter le chien qui zigzagua vers elle
et se posta entre elle et le Professeur de Potions en montrant les crocs. « Stupide cabot. Tu
vas tous nous faire tuer. »

Minerva en avait assez entendu. Elle asséna une tape sur le postérieur de l’animal qui couina
de surprise et lui jeta un regard noir.

« Oh, attendez que je retrouve ma baguette, Mr Black. » grinça-t-elle. « Là, vous pourrez
vous plaindre. »

Elle cilla et, au lieu d’un chien, elle se trouva face à un homme accroupi. « Il a pratiquement
tué Tonks ! »

« Je faisais diversion. » répliqua sèchement Severus.

« En essayant de la faire tuer ? » aboya Sirius en retour.

Severus, elle en était certaine, était en train de grimacer derrière son masque d’ivoire. Il se
releva avec autant de dignité qu’il le put, épousseta ses robes de la main qui ne tenait pas sa
baguette et dévisagea son éternel rival qui s’était lui-aussi redressé. Minerva avait volontiers
envie de leur faire remarquer qu’elle n’aurait rien eu contre l’idée de se retrouver debout elle
aussi.

« Tu veux en finir ? » demanda Severus de son ton le plus dangereux. « Ici ? Maintenant ?
Après tout, il s’agit de l’endroit rêvé… Personne ne pourra dire qui a achevé l’autre… Harry
n’aura jamais besoin de le savoir. »

« Ne me tente pas. » cracha Sirius, le fusillant de ses yeux gris.

Minerva leva les yeux au ciel et força ses vieux os à s’agenouiller. Elle agrippa le bras de
Sirius puisqu’il était le plus proche et se hissa sur ses pieds, pinçant les lèvres contre la
douleur qui irradiait de sa cheville. Inutile de préciser que sa lèvre fendue ne lui en fut pas
bien reconnaissante. Sirius s’empressa de l’aider.

« Avez-vous fini de vous chamailler comme des adolescents ? » gronda-t-elle.

« Il… » commença Sirius uniquement pour se taire tout aussitôt. « Vous avez senti ça ? »

Minerva l’avait senti, en effet. Un bourdonnement dont elle n’avait pas eu conscience s’était
éteint.
« Ce sont les protections anti-transplannage. » déclara Severus avec soulagement. Même
dissimulé par le masque, Minerva vit son regard passer de Sirius à elle. « Ramène Minerva à
Poudlard. Elle a besoin de Pomfresh. »

« Si tu crois que je vais obéir à tes ordres, tu te… » lâcha Sirius mais Severus ne le laissa pas
terminer.

« Ramène Minerva à Poudlard. » grinça le Maître des Potions. « S’il lui arrive quelque chose,
je t’en tiendrais pour responsable et je ferais en sorte qu’Harry le sache. »

« Ne me menace pas. » cingla l’Animagus.

« Plus vite nous serons partis, plus vite vous serez revenu. » suggéra Minerva, s’avouant
vaincue. Ces deux là ne feraient jamais la paix.

Sirius dut reconnaître la sagesse de cet argument parce que, après avoir lancé un dernier
regard noir au Mangemort, il amorça le transplannage.

°°O°°O°°O°°O°°

À la seconde où Percy rouvrit les yeux, il réalisa que la situation venait de basculer. Les
protections anti-transplannage disparues, les renforts commencèrent à apparaître. Des Aurors,
des sorciers et sorcières probablement inquiets pour leurs familles… Les Mangemorts
commencèrent à reculer, à s’enfuir…

Percy s’élança plus vite qu’il n’avait jamais couru, sautant par-dessus les corps inanimés pour
atteindre le Ministre qui était toujours là où il était tombé. Il se jeta sur lui et transplanna sans
plus réfléchir. Il lui sembla entendre un cri de rage venant du Mage Noir ainsi que plusieurs
cris de rappels des Aurors qui venaient d’apparaître. Percy n’en tint pas compte, il abandonna
le chaos du Chemin de Traverse pour un endroit sûr.

Ce ne fut qu’en apercevant la silhouette familière du Terrier se dessiner au loin, Scrimgeour


dans les bras, qu’il se rendit compte à quel point il avait été terrifié à l’idée de ne plus jamais
rentrer chez lui.
Easier To Be Alone

There’s a reason I said I’d be happy alone. It wasn’t because I thought I’d be happy
alone. It was because I thought if I love someone and it fell apart, I might not make it.
It’s easier to be alone because what if you learn you need love and then you don’t have
it? What if you like it and lean on it? What if you shape your life around it and then it
falls apart? Can you even survive that kind of pain? Loosing love is like organ damage.
It’s like dying. The only difference is death ends. This could go on forever.

Meredith Grey, Grey’s Anatomy

Il y a une raison si j’ai dit que je serais heureuse toute seule. Ce n’était pas parce que je
pensais que je serais heureuse toute seule. C’était parce que je pensais que si j’aimais
quelqu’un et que ça ne marchait pas, je ne m’en sortirai peut-être pas. C’est plus facile
d’être seule parce que, qu’est-ce qu’il se passe si on découvre qu’on a besoin d’amour
et qu’ensuite, on ne l’a plus ? Qu’est-ce qui se passe si on aime ça et qu’on devient
dépendant ? Qu’est-ce qui se passe si on vit sa vie pour ça et que ça ne marche pas ?
Peut-on seulement survivre à ce genre de douleur ? Perdre l’amour, c’est comme avoir
un organe endommagé. C’est comme mourir. La seule différence, c’est que lorsqu’on
meurt, c’est terminé. Ça, ça peut durer éternellement.

Meredith Grey, Grey’s Anatomy

Draco sut que quelque chose ne tournait pas rond dès que Blaise et lui eurent franchi les
limites du territoire des serpents.

L’atmosphère était lourde, pesante. Les couloirs de Poudlard étaient particulièrement humides
ce matin là et l’air semblait leur coller à la peau comme si l’orage qui grondait à l’extérieur
était parvenu à passer les grandes portes du château. Le bavardage matinal qu’il échangeait
d’ordinaire avec Blaise sonnait creux et les deux garçons ne tardèrent pas à se taire d’un
accord tacite. Même sans ça, il ne leur aurait pas fallu longtemps pour entendre les
reniflements et les sanglots.

Devant la Grande Salle, des petits groupes d’élèves s’étaient formés. Certains leur jetèrent
des regards noirs lorsqu’ils les dépassèrent, d’autres – ceux qui respectaient encore la Trêve –
les saluèrent d’un signe de tête sobre.

« Pourquoi est-ce que je sens que la journée va être difficile ? » soupira Draco, sans attendre
de réponse particulière. Une boule d’angoisse commençait à se former dans son ventre. Il y
avait une seule explication aux pleurs et au désespoir environnants : une attaque. Et qui disait
une attaque, disait des morts. Dans les deux camps. Allait-il apprendre qu’il était devenu
orphelin en ouvrant l’édition de la Gazette du jour ?
Ils n’étaient ni particulièrement en retard, ni particulièrement en avance, pourtant des hiboux
volaient déjà dans tous les sens dans la Grande Salle. La table des Professeurs était
désespérément vide excepté pour Hagrid et Flitwick, et la différence de taille entre les deux
aurait été comique s’ils n’avaient pas été entourés d’élèves aux visages angoissés.

« Par là. » Blaise désigna la table des Serdaigles d’un mouvement du menton.

Draco approuva d’un hochement de tête, soulagé d’apercevoir les boucles folles de Granger.
Potter lui jeta un regard par-dessus sa Gazette et s’écarta avec un soupir exagéré, lui laissant
assez de place pour qu’il puisse se glisser sur le blanc entre lui et la jeune fille. Blaise
s’installa en face, à côté de Weasley.

« Que s’est-il passé ? » attaqua son meilleur ami, sans s’embarrasser d’entrée en matière.

Draco fut plus radical, il arracha la Gazette des mains de Potter, ignorant son « Hé ! »
indigné. Les gros titres dénonçaient l’incompétence du Ministère et du service des Aurors
suite à une nouvelle attaque du Chemin de Traverse. La photographie accompagnant l’article
montrait Tonks, Lupin pas très loin derrière elle, criant sur la foule de journalistes. De temps
en temps la jeune femme sur la photographie montrait le poing aux reporters. Charmant,
songea-t-il non sans ironie.

« Il y a une liste des victimes ? » s’entendit-il demander, feuilletant le journal à toute vitesse.

« Ton père n’est pas dedans. » répondit doucement Granger en posant une main rassurante sur
la sienne. « Mais ils ne disent pas qui ils ont arrêté. »

« Pas grand monde, si tu veux mon avis. » marmonna Weasley. Il était très occupé à remuer
son thé.

« Je peux avoir mon journal ou c’est trop demander, Malfoy ? » râla Potter, en tendant la
main. Étant donné que deux hiboux chargés de journaux se dirigeaient vers eux, Draco le lui
rendit de bonne grâce. Le Balafré lui jeta un regard agacé mais se désintéressa bien vite de lui
pour observer son meilleur ami avec une grimace embarrassée. « Ron, je suis sûr qu’ils n’ont
rien… Ils ne sont pas sur la liste. »

Weasley se força à sourire mais ce n’était pas bien convainquant.

« Tes frères ? » s’enquit Draco, en dépliant l’exemplaire de la Gazette qu’un hibou venait de
déposer devant lui. Il scanna l’article sans y trouver rien de bien intéressant. Le Ministre avait
survécu à l’attaque selon une déclaration officielle et se remettait de ses blessures dans un
endroit sûr, il en était de même pour le chef des Aurors Kingsley Shacklebolt dont le
département avait été décimé durant l’attaque. Il était remplacé à la tête de ce qu’il restait
d’Aurors par sa partenaire, c’est-à-dire Tonks. Draco en leva presque les yeux au ciel, voilà
qui n’allait pas arranger les affaires du Ministère… Il y avait d’autres encarts, certains
vantaient le courage de sorciers s’étant illustrés dans la bataille, d’autres divulguaient
l’identité de Mangemorts présumés. Lucius Malfoy n’était mentionné nulle part. « L’un d’eux
va gagner un Ordre de Merlin première classe. »
« Percy, ouais. » soupira Weasley. « C’est pas vraiment pour lui que je m’inquiète. »

« Je suis sûre que Charlie et Bill vont bien. » offrit Granger nerveusement. « On t’aurait
sûrement déjà prévenu autrement. » Elle esquissa un geste en direction des élèves qui se
dirigeaient vers Flitwick et Hagrid. Chourave faisait des allers-retours entre le hall et la
Grande Salle, s’arrêtant ça et là pour offrir un geste ou une parole de réconfort.

« Ce n’est pas le seul qui va obtenir un Ordre de Merlin, dirait-on. » remarqua Draco avec un
reniflement amusé. « Black fait une nouvelle fois la une… »

Granger se pencha pour lire par-dessus son épaule. Draco eut soudain énormément de mal à
se concentrer sur les phrases au style contestable du journaliste. Non seulement sa poitrine
était pressée contre son bras mais en plus de cela, ses cheveux lui chatouillaient le cou. Il se
racla la gorge et tâcha de se recentrer mais si les Gryffondors ne semblaient pas s’être aperçu
de sa distraction soudaine, Blaise, lui, le fixait d’un air moqueur. Draco lui jeta un regard
noir, espérant qu’il comprendrait la menace tacite et garderait ses observations pour lui.

« C’est vrai ! » s’exclama-t-elle, comme si le Serpentard avait eu l’habitude raconter des


mensonges. Encore que… « Je lui enverrai un mot tout à l’heure. Peut-être qu’il pourra nous
en dire plus… Ou… » Elle se pencha en arrière pour fixer Potter par-dessus son dos. « Peut-
être que ce serait mieux que tu le fasses, Harry ? »

Le supposé Sauveur miraculeux garda ses yeux rivés sur son journal bien que Draco soit
certain que l’adolescent avait eu le temps de lire l’article sur lequel il était penché au moins
dix fois. Certes, Potter n’était pas bien brillant mais tout de même…

« Non, fais le. » marmonna le Gryffondor.

Ron leva les yeux au ciel. « Sérieusement, Harry… »

« Pas ce matin. » soupira Potter. Le regard vert passa rapidement de Draco à Blaise avant de
revenir sur Weasley. « Je n’ai pas envie de me disputer alors que… »

Il fut interrompu par l’arrivée de Ginny qui poussa Blaise sans ménagement pour s’installer à
côté de son frère, sans un bonjour pour les autres. Elle lui tendit un morceau de parchemin.

« Lis. » ordonna-t-elle.

Ron s’exécuta sans se faire prier puis la dévisagea en silence, soudain très pâle. « C’est
grave ? »

« Je ne sais pas. Percy est aussi précis que le Chicaneur ! » s’énerva-t-elle en lui arrachant à
nouveau la lettre des mains pour la relire. « Fred et George essayent de nous obtenir le droit
de leur rendre visite ou au moins de parler à maman par Cheminette… »

« Qu’est-ce qui se passe ? » s’inquiéta immédiatement Granger. « Bill ou Charlie ? »

« Les deux. » Ginny lui tendit le morceau de papier.


Ce coup-ci, ce fut Draco qui lut par-dessus son épaule. La missive était succincte. Bill et
Charlie avaient tous deux été blessés et hospitalisés à Sainte-Mangouste…

« Il dit de ne pas s’en faire… » essaya de les rassurer Granger. « Peut-être… »

« Maman aurait dû écrire. » la coupa Ginny. « C’est toujours maman qui écrit dans ces cas
là. »

« Si c’est Percy, c’est probablement pas bon signe. » renchérit Ron, en se levant. « Viens, on
va chercher les jumeaux. »

« Tu veux qu’on vienne avec vous ? » proposa Potter.

Weasley déclina et lui et sa sœur disparurent, avalés par la foule de gens qui s’attroupaient à
l’entrée de la Grande Salle. Ils laissèrent derrière eux un silence pesant que personne ne se
décidait à briser. Draco était un peu trop conscient d’être pris en étau entre Potter et Granger.

« Il serait peut-être temps de programmer une nouvelle réunion. » suggéra Blaise,


probablement las de la gêne qui s’était installée.

« Blaise n’a pas tort. » approuva Hermione. « Avec toutes ces attaques… Tu viendras, n’est
ce pas, Harry ? »

Le ton était incertain et elle se pencha à nouveau pour regarder son meilleur ami par derrière
Draco. Potter ne leva pas la tête. Décidément, se dit Draco non sans amusement, il devait être
fascinant cet article.

« Où ? » demanda le Balafré, en mâchonnant son toast sans grand enthousiasme.

« L’A.D. » lâcha Draco. S’il laissait le soin aux Gryffondors de s’expliquer, ils seraient
toujours là au prochain Noël. « L’Armée de Dumbledore. Inutile de préciser que j’ai voté
contre ce nom ridicule. »

« Inutile, en effet. » grinça Potter, en repliant sèchement son édition de la Gazette. Le


Serpentard attendit une explosion de rage qui ne vint pas, le Survivant se pencha simplement
pour répondre à Granger. « Compte sur moi. »

La chouette blanche du Gryffondor se manifesta sur ces entrefaites avec un hululement


agacé. Elle avala goulument le bacon que Draco n’avait pas encore eu l’occasion de toucher.

« Je constate que l’oiseau est aussi mal élevé que le maître. » grinça-t-il, évitant d’expérience
le coup de pied que Granger chercha à lui décocher sous la table. Il répondit à sa grimace par
une expression tout à fait innocente qui ne la trompa pas une seconde.

Potter, lui, ne semblait pas s’être formalisé de la remarque. Il était trop occupé à lire la lettre
que la chouette venait de lui apporter, sans se soucier du fait que le petit-déjeuner de Draco
était en train de disparaître dans le puits sans fond qu’était l’estomac de cet animal.

« Remus annule la leçon. » annonça le Gryffondor à la cantonade – ou, plus probablement, à


Granger.
« Tu m’en vois navré. » répondit-il tout de même, pince-sans-rire.

« Draco. » grinça Granger. Il leva les yeux au ciel mais ne persista pas, se dépêchant d’avaler
les œufs brouillés sur lesquels la chouette était en train de loucher. « Est-ce qu’il dit
pourquoi ? »

« Non, il dit juste qu’il ne peut pas venir. » Potter fronça les sourcils puis attrapa son sac et se
leva. « Je vais essayer de trouver McGonagall ou Dumbledore… Je veux être sûr que tout le
monde va bien. » Les yeux verts se posèrent brièvement sur les Serpentards avant de croiser
ceux de Granger. « Utilise Hedwige pour écrire à Sirius, si tu veux, et… Je ne sais pas… Dis
lui que j’espère qu’il va bien. »

Il disparut sans attendre de réponse et Draco leva un sourcil. « Crois-tu qu’il a conscience que
tu n’es pas sa secrétaire ? Pourquoi n’écrit-il pas lui-même son propre courrier ? »

Et on le traitait, lui, d’arrogant…

« La situation est compliquée. » soupira Granger, en glissant ses jambes de l’autre côté du
banc pour se lever elle aussi. « Je vais voir si Ron et Ginny vont bien. On se retrouve en
Botanique ? »

Il y eut un moment d’incertitude alors qu’elle s’apprêtait à s’éloigner où elle esquissa le geste
de se pencher vers lui et se reprit avec un sourire gêné à la dernière seconde. Draco n’éprouva
aucune espèce de gêne ou d’hésitation lorsqu’il attrapa son poignet et tira gentiment jusqu’à
ce que leurs visages soient au même niveau. Il vola un baiser et il en aurait volé davantage si
Blaise ne s’était pas raclé la gorge de manière insistante.

« Je te hais. » lâcha-t-il à l’intention de son meilleur ami, tout en la suivant des yeux. Il
l’observa échanger un mot avec Potter qui attendait son tour pour parler à Chourave et
disparaître hors de la Grande Salle. Son regard se rabattit sur le prétendu Élu.

« Regrettable. » lâcha Blaise, non sans amusement. « Peut-être maintenant seras-tu plus
enclin à me laisser en paix lorsque j’essaye de passer du temps seul à seul avec Daphné. »

Potter quitta le hall.

« À ta place, je ne compterai pas là-dessus. » répliqua-t-il, avant d’attraper sa besace et de se


hâter après le Balafré. Le rattraper ne fût pas bien compliqué.

« Qu’est-ce que tu veux, Malfoy ? » grogna Potter, lorsqu’il ajusta son pas au sien.

« Une discussion. » offrit Draco, avec toute la diplomatie qu’il avait en réserve. C’était peu.
Sa patience, lorsque qu’il était question du Gryffondor, était mince.

Potter lui jeta un coup d’œil. « Hermione m’a dit pour ton père. Si tu as des ennuis à
Serpentard… »

Évidemment, Granger avait probablement averti tout Poudlard… Il n’était pas aussi agacé
qu’il l’aurait dû. Les rumeurs courraient plus vite, dans cette école, qu’un hippogriffe au pas
de charge, Potter l’aurait su d’une manière ou d’une autre et, aussi détestable que cela le soit,
il avait besoin de Potter.

« Personne ne va tenter de m’assassiner dans la salle commune. » se moqua-t-il.

« Tu serais surpris. » marmonna Potter, en montant les escaliers quatre à quatre. « Écoute, »
reprit le garçon avant que Draco ait pu dire quoi que ce soit. « Tu es ami avec Ron et
Hermione et c’est très bien. J’admets que je n’étais pas enchanté au début mais ils disent que
tu es honnête et j’ai confiance en eux. »

« Je doute qu’honnête ait été l’adjectif employé. » grinça-t-il mais Potter l’ignora, trop pris
par sa tirade de Sauveur du monde magique.

« Et puis, tu passes énormément de temps avec Hermione. » continua le Gryffondor. Il tenta


de dissimuler son mécontentement mais il était hautement perceptible dans sa voix . « Toi et
moi, on devrait apprendre à s’entendre. »

« S’entendre. » répéta Draco avec une grimace. L’idée de s’entendre avec Potter était presque
physiquement douloureuse. « Je pensais davantage à se tolérer. »

Potter lui jeta un regard contrarié mais haussa les épaules. « Comme tu veux. »

« Ah, voilà une approche qui me plaît… » répliqua-t-il avec davantage de bonne humeur.
« Comme je veux… » La discussion se révélait beaucoup plus simple et beaucoup moins
embarrassante qu’il ne l’avait craint. D’un autre côté, Potter paraissait bien trop soucieux
pour se préoccuper totalement de ce que Draco lui voulait. « Où vas-tu ? »

Parce que ce n’était certainement pas le chemin de la salle commune des Gryffondors… Il
connaissait ce chemin là par cœur désormais.

La question lui valut un nouveau coup d’œil agacé mais le Balafré vit un effort visible pour
se contenir.

« L’infirmerie. » répondit le prétendu Élu. « Chourave dit que McGonagall a été blessée. »

« Excellente nouvelle. » lâcha Draco. « Je n’avais pas fini ma dissertation… »

Il était hilarant, décida le Serpentard, de faire tourner Potter en bourrique. L’adolescent


semblait incapable de déterminer s’il se moquait de lui ou non. En l’occurrence, c’était bien
le cas. La vieille chouette était intransigeante en matière de devoirs. Bien que la perspective
d’une période libre dans l’après-midi soit attrayante… Il pourrait probablement convaincre
Granger de s’éclipser avec lui…

« Tu vas me suivre longtemps comme ça ? » râla Potter, alors qu’ils atteignaient l’étage de
l’infirmerie.

« Pourquoi pas… J’ai cru comprendre qu’une journée avec toi était forcément fascinante. »
répondit-il. « Pour ma part, je suis d’avis que trop de temps passé avec toi est suffisant pour
donner l’envie à n’importe qui de se jeter du haut de la tour d’astronomie mais que veux tu…
Je suis curieux. »
Potter secoua la tête, comme s’il ne pouvait en croire ses oreilles. Draco s’attendait à une
explosion mais l’adolescent se contenta d’un éclat de rire avorté.

« J’ai passé trop de temps à Serpentard. » déclara le lion. « Ce que tu veux, c’est être vu avec
moi. Tu as besoin de mon influence. » L’idée aurait été risible si elle n’avait pas été aussi
juste et il aurait préféré que Potter ne s’en amuse pas autant. Les Gryffondors n’étaient-ils pas
censés être courtois ? « Si on m’avait dit qu’un jour Malfoy viendrait me voir, moi, parce que
mon nom a plus de poids que le sien… »

Il s’agissait là d’une drôle de remarque. Une remarque, Draco en était certain, que Potter
n’aurait jamais faite avant son séjour dans le passé. Une remarque que, de plus, Granger
n’aurait pas apprécié. Il la rangea soigneusement dans un coin de sa tête, comme une carte
joker prête à être jouée si nécessaire. Pour l’instant, il avait besoin de Potter. Pour l’instant.
Et, quoi qu’il en coûte, il ne sacrifierait pas Granger à sa propre sécurité. S’il était essentiel
de diviser le trio à un moment donné pour la protéger… Granger était malheureuse sans ses
meilleurs amis, mais Draco la préférait cent fois malheureuse et vivante que morte. Il fallait
affronter la vérité en face : les gens qui entouraient Potter avait la fâcheuse tendance de
tomber comme des mouches.

« Je n’ai plus vraiment le poids de ma Maison. » répliqua Draco, pince-sans-rire. « J’ai été
renié, au cas où tu aurais oublié. Principalement pour avoir sauvé ton parrain. » Le visage de
Potter se tordit sous le coup du remord et de la culpabilité. Draco refoula un fin sourire. Il
n’était ni vexé, ni blessé par les insinuations du Gryffondor. À peine était-il agacé. Mais il
aurait menti s’il n’avait pas affirmé prendre un léger plaisir à le manipuler aussi facilement.
Potter ouvrit la bouche, très certainement pour s’excuser, mais le Serpentard ne lui en laissa
pas le temps. Il désigna d’un geste de la tête les portes de l’infirmerie. « Nos chemins se
séparent ici. Quel dommage, je passais un si bon moment… »

Il tourna les talons et s’éloigna sans se presser, sachant que le regard de Potter était rivé sur
son dos.

Draco était d’excellente humeur lorsqu’il rejoignit Blaise et Daphné pour le premier cours de
la journée.

Peut-être était-il condamné à supporter le justicier du monde magique, mais il pressentait que
cela serait plus amusant qu’il l’avait craint.

°°O°°O°°O°°O°°

« Je ne suis toujours pas convaincue. » cingla Minerva, fusillant du regard le rideau qui
entourait le lit qui faisait face au sien. Il fut brusquement repoussé, laissant apparaître
Severus Snape dans tout ce qu’il pouvait avoir d’intimidant : épaisses robes noires, cape
claquant derrière lui, regard meurtrier…

Cela aurait sans doute été plus impressionnant s’ils n’avaient pas, tout deux, passé la nuit
dans l’infirmerie, chacun maugréant contre Poppy et son obsession pour les pyjamas à
rayures, se remettant plus ou moins de leurs blessures respectives. Minerva ne put
s’empêcher de se demander s’il avait fait disparaître les épaisses cernes sous ses yeux à l’aide
d’un sort.
« Cela m’importe guère. » siffla-t-il. « Nous procéderons comme je l’ai décidé. Vos méthodes
de Gryffondors chargeant dans la mêlée ne nous apporterons rien de bon. »

La sous-directrice pinça les lèvres et toisa son ancien élève. Elle avait beau être alitée, vêtue
d’infâmes pyjamas rayés, et avoir la jambe surélevée par un coussin d’air magique, Severus
grimaça tout de même.

« Je veux bien admettre que la situation est désespérée mais cela n’excuse pas votre ton,
jeune homme. » gronda-t-elle.

« Je ne suis plus si jeune. J’ai passé l’âge que vous me donniez des leçons. » Il leva les yeux
au ciel. « Et je ne dirais pas qu’elle est désespérée… » Il agita la main, très certainement pour
renforcer les protections magiques qu’il avait posées un peu plus tôt afin que leur
conversation demeure privée. Minerva avait depuis longtemps appris que tout ce qui était dit
dans l’enceinte de Poudlard – et à certains autres endroits publics, d’ailleurs – finissaient
toujours dans l’oreille d’un certain sorcier centenaire. « Nous avons l’avantage tant que le
traître ne se sait pas soupçonné. Il est impératif que nous gardions la main. »

« Si nous en parlions à Albus… » suggéra-t-elle pour la dixième fois. Ses sentiments envers
le Directeur étaient ambivalents, ces temps-ci. Minerva aurait sacrifié sa vie sans la moindre
hésitation pour son ancien mentor et ami, il y avait peu – pour ne pas dire rien – qu’elle
n’aurait fait pour lui, toutefois, il lui fallait admettre que tous les mystères dont le Directeur
s’entourait et gardait jalousement ne la poussait plus à lui faire pleinement confiance,
récemment. Elle connaissait Albus intimement. Elle se flattait d’être une de ses plus proches,
si ce n’était la plus proche, de ses amis. Elle connaissait ses défauts.

« Croyez-vous vraiment qu’il ne soit pas déjà au courant ? » se moqua Severus.

La vieille sorcière poussa un soupir las. Il lui semblait que tout le monde avait une
information ou un secret et il lui paraissait inconcevable qu’Albus ne les connaisse pas tous.
Personne n’avait de secrets pour Albus Dumbledore. Personne. Pas même elle.

« Et comment comptez-vous convaincre Nymphadora de garder le silence ? » s’enquit-elle.

Une réunion d’urgence avait été programmée pour la fin de la soirée. Une réunion à laquelle,
en raison des inquiétudes ridicules de Poppy, elle n’assisterait pas. L’infirmière avait menacé
de l’attacher au lit si elle faisait seulement mine de se lever.

Severus n’avait pas été convié à participer, ce qui n’était pas étonnant vu qu’Albus l’avait
écarté de l’Ordre depuis son retour, mais il comptait tout de même s’y rendre. Minerva
regrettait terriblement de ne pas pouvoir voir la tête du Directeur lorsque son espion se
présenterait…

« J’ai mes méthodes. » déclara-t-il.

« Je vous interdis d’utiliser un oubliette ou de modifier sa mémoire de quelque manière que


ce soit. » Minerva plissa les yeux. « Nous n’avons pas besoin de davantage d’amnésiques. »
Elle n’avait pas ouvertement contredit Albus sur sa décision de laisser les Granger dans la
nature sans leurs souvenirs mais elle lui avait fait part, en privé, de tout le mal qu’elle en
pensait. Non que ça ait fait une quelconque différence, bien entendu. Albus n’entendait que
ce qu’il voulait bien entendre.

« Je pense pouvoir assurer que ma maîtrise des sorts de mémoire est supérieure à celle d’une
adolescente de quinze ans. » lâcha-t-il. « C’est la meilleure option que nous ayons. Si
l’espion se rend compte que Miss Tonks le ou la soupçonne… »

« Et ensuite, à qui le tour ? » Minerva claqua la langue avec agacement, comme elle le faisait
devant un élève brillant qui s’entêtait à donner la mauvaise réponse. « Effacerez-vous ma
mémoire ? » Le silence et le regard fuyant de Severus étaient criants. « Ne vous y amusez
pas. Vous le regretteriez. »

Le Professeur la dévisagea quelques secondes, à deux doigts, elle en était certaine, de relever
ce qu’il avait sans conteste pris pour un défi. Le Severus d’avant la tempête magique n’aurait
pas hésité une seconde avant d’effacer la mémoire de Tonks ou la sienne. Ce Severus parut
soupeser le pour et le contre avant de se frotter le visage dans une inhabituelle démonstration
de lassitude.

Elle s’efforça de dissimuler son attendrissement. Harry, comme sa mère avant lui, avait réussi
à briser la carapace. Severus avait finalement l’air humain.

« Que proposez-vous, dans ce cas ? » soupira-t-il.

« Parlez-lui. » conseilla immédiatement Minerva. « Convainquez-la. Vous avez affirmé être


sûr qu’elle n’était pas notre traître… Dans ce cas, faisons-en une alliée. Nous pouvons très
certainement le débusquer plus facilement à trois. »

L’expression dubitative de Severus était explicite. Il était convaincu de pouvoir trouver


l’espion bien plus rapidement à lui seul. Ce n’était pas quelqu’un qui jouait en équipe, le
Maître des Potions agissait seul et dans l’ombre. Comme un Serpentard. Ce que lui
demandait Minerva…

« Bien entendu, si vous ne l’aviez pas littéralement jetée en pâture à Vous-savez-qui… »


ajouta-t-elle. « Vous… »

Un cliquètement incongru l’interrompit brusquement et ils tournèrent tous les deux la tête en
direction du lit le plus proche. Severus se tendit une seconde puis rangea la baguette qui était
apparue dans sa main.

« J’ignore ce qui me déçoit le plus : que tu penses pouvoir m’espionner ou que tu le fasses de
manière si pitoyable. » lança-t-il, à la grande surprise de Minerva. N’importe qui tentant
d’espionner Severus Snape aurait fini en ingrédient pour potions, il n’y avait pas si
longtemps.

Évidemment, cette indulgence s’expliqua lorsque Harry Potter sortit de derrière le rideau en
grimaçant, dans un insupportable bruit de couinement. Le regard de la sorcière fut attiré par
les baskets usées jusqu’à la corde du garçon qui râpaient contre le carrelage. Cela n’échappa
pas davantage à Severus qui les fixa avec dégoût.
« J’ai réussi à passer au travers de vos protections sans que vous le sentiez. » répliqua
l’adolescent, un brin frondeur.

Minerva retint presque son souffle, certaine que Severus allait se mettre à hurler.

« Elles te sont tellement familières qu’il n’y a pas de raison de t’en vanter. » contra le
Professeur. Ils s’affrontèrent du regard quelques secondes sans réelle hostilité mais avec
concentration. C’était étrange. Elle avait l’impression d’assister à un duel verbal sans qu’un
seul mot ne soit prononcé. Au final, Potter haussa les épaules et cilla mais Severus fut le
premier à détourner le regard. « Garde le pour toi. »

« Je n’allais pas le crier sur tous les toits. » râla l’adolescent. L’attitude revêche ne tarda pas à
se changer en une expression avide. « Est-ce que je peux vous parler ? » Les yeux verts – il
était toujours étrange pour Minerva de ne pas se retrouver face aux épaisses lunettes –
passèrent sur elle avant de revenir se braquer nerveusement sur le Professeur. « Ou plus tard ?
J’ai vraiment besoin de vous parler… »

« Je regrette, mon emploi du temps ne me le permets pas. » mentit Severus, sans croiser le
regard du garçon. « S’il s’agit d’une affaire urgente, tu devrais contacter ton parrain. »

Minerva était impressionnée. Le mépris qu’il affichait toujours pour Sirius était réduit à son
strict minimum.

Potter ne prit pas la chose de la meilleure manière qui soit.

« C’est ça. » cracha le Gryffondor, en croisant les bras. « Ce n’est pas vous que je venais voir
de toute manière. »

« Surveille le ton que tu emploie. » grinça Severus. « Rien ne justifie que tu te comportes
comme un enfant. » Potter ne décroisa pas les bras ou ne se départit pas de son air boudeur, le
Maître des Potions leva les yeux au ciel. « Professeur McGonagall. » Le salut était bien plus
formel que ce qu’il aurait été sans témoins et était quelque peu incongru étant donné la scène
à laquelle elle venait d’assister. Elle y répondit toutefois par un hochement de tête.

Severus serra très brièvement l’épaule du garçon en passant, si brièvement qu’elle aurait pu
jurer avoir rêvé, mais vu l’air maussade dont Potter le suivit des yeux, ce n’était sans doute
pas le cas.

« Je constate que vos jours d’espionnage ne sont pas tout à fait fini, Potter. » le rabroua-t-elle.
Les protections que Severus avait mises en place s’abaissèrent tout d’un coup. L’adolescent
gigota, peut-être l’avait-il lui aussi senti. Ce n’était pas quelque chose que l’on enseignait
avant la septième année mais il était vrai que Potter était désormais très familier avec la
magie du Professeur. « Que puis-je pour vous ? Cela doit être important pour que vous
déjouiez la vigilance acharnée de Madame Pomfresh et risquiez la colère du Professeur
Snape. Sans mentionner le fait que je préfère généralement porter autre chose qu’un pyjama
pour recevoir mes élèves. »

Le garçon eut la bonne grâce de grimacer d’un air coupable.


« Je voulais juste… J’ai appris pour l’attaque et je voulais juste savoir si tout le monde allait
bien. » offrit le Gryffondor.

Cela eut le mérite de l’adoucir. « Rassurez-vous, tous nos amis vont bien – ou se remettront,
du moins. Votre parrain m’a personnellement escortée jusqu’à l’infirmerie. Il se porte
parfaitement bien. »

Elle choisit de passer sous silence le sermon qu’elle avait administré à Sirius à propos de ses
querelles constantes avec Severus. L’Animagus n’avait pas apprécié ses reproches et l’avait
même accusée de prendre constamment fait et cause pour son rival.

Il était amusant que Severus ait avancé le même argument quelques heures plus tard
lorsqu’elle l’avait rabroué pour la même chose.

« Je sais, c’est dans le journal. » marmonna Potter. « Et les autres ? Les frères de Ron… »

« Si je ne me trompe pas le Professeur Chourave a été désignée pour répondre aux questions
des élèves… » répondit-elle. « Je le regrette, croyez-le bien, mais… »

« Oh, oui, bien sûr… » s’empourpra le garçon. « Vous… Vous allez bien, n’est-ce-pas ? Vous
n’êtes pas en train de mourir d’un sort ou quelque chose du genre ? »

Elle cilla, presque certaine d’avoir mal compris. « Je me remettrai, merci. »

Peut-être que Severus n’avait pas tout à fait tort de l’houspiller en permanence avec le
manque de tact légendaire des Gryffondors.

« Tant mieux. » Potter hocha la tête.

Cette déclaration laissa place à un silence gêné. Le fantôme de cette autre Minerva, celle que
le garçon avait rencontré en 75, planait entre eux. Elle planait parfois entre Severus et elle
également. Il lui arriverait de surprendre des regards en coin, une expression furtive de
soulagement, un éclair d’inquiétude…

Elle était touchée par l’affection évidente que ces deux là lui portait.

Elle se racla la gorge. « Était-ce tout ? »

À la manière dont le garçon hésita, elle sut que, non, ce n’était pas tout. Elle attrapa à tâtons
la baguette posée sur la table de nuit et métamorphosa son pyjama en une épaisse robe de
velours vert. Il n’y avait pas grand-chose à faire pour l’état de ses cheveux, supposait-elle,
elle ne doutait pas que sa coiffure devait ressembler à un nid d’oiseau davantage qu’à un
chignon mais le simple fait de porter autre chose que ces atroces pyjamas l’apaisa. Elle se
sentait davantage dans son rôle de Professeur.

« J’ai… une question. » lâcha Potter. « Je… Euh… lisais un livre sur la transformation
Animagus et… »

« Vous lisiez un livre ? » l’interrompit Minerva. Elle n’avait jamais vu Potter ouvrir
volontairement un livre depuis son arrivée à Poudlard.
« J’y ai pris goût. » se défendit le garçon. « Ma mère lisait beaucoup. »

« C’est vrai. » admit-elle, un peu tristement. Lily dévorait tous les romans qui lui passaient
sous la main, elle l’avait presque oublié… « Mais pas sur les transformations Animagus. Ce
domaine là appartenait à votre père et ses amis. J’ose espérer que vous n’envisagez pas de
marcher sur leurs traces, Potter. »

« Bien sûr que non. » Le rire du garçon était forcé, elle en était certaine. Des années dans
l’enseignement avaient affûté son sixième sens lorsqu’il était question de mensonge.

« Entreprendre une telle démarche sans la supervision d’un Animagus serait idiot, Potter. »
pressa-t-elle. « Pour ne pas dire dangereux. »

La sonnerie annonçant le début des cours le fit détaler comme un lapin avant qu’elle n’ait pu
insister.

Le bruit attira Poppy qui fronça les sourcils en voyant l’adolescent s’échapper de l’infirmerie.

« Qu’est-ce que c’était ? » s’enquit curieusement l’infirmière.

« Des ennuis. » répondit Minerva sans hésitation.

Et elle aurait pu jurer que les Maraudeurs avaient été la pire génération…

Clairement, elle s’était trompée.

°°O°°O°°O°°O°°

« Est-ce tu as perdu la tête ? » siffla Bill, en entrainant Percy dans le jardin, il le traina
derrière lui jusqu’au terrain de Quidditch improvisé. Il ne voulait pas que qui que ce soit
entende leur conversation.

Il avait fait des pieds et des mains pour être autorisé à quitter Sainte Mangouste, la fracture
dans son bras avait été réduite mais il devait toujours le porter en écharpe et le traumatisme
crânien le laissait nauséeux. Il aurait dû être au fond de son lit, avec Fleur s’il avait été
chanceux, mais au lieu de ça, il avait insisté pour quitter l’hôpital, inquiet pour sa mère. Il
avait utilisé la poudre de cheminette et avait débarqué au beau milieu du salon où le Ministre
de la Magie était assis sur le vieux fauteuil élimé, une tasse de thé dans une main et une
assiette de scones dans l’autre.

Il ne savait pas qui d’eux deux avait l’air le plus désespéré.

Le Terrier s’était transformé en fourmilière sous les ordres de Tonks qui virevoltait d’un
endroit à l’autre, du sang séché toujours sur le visage. Elle avait à peine pris le temps de
saluer Bill, avait esquivé ce qui semblait être une multiple tentative d’un Médicomage pour
examiner ses blessures, et avait continué à distribuer ses instructions à la cantonade. La
maison était remplie de ce qui restait d’Aurors, d’employés du Ministère et de Médicomages.

Molly allait de l’un à l’autre, offrant des tasses de thé et des pâtisseries à qui en voulait – ou
n’en voulait pas d’ailleurs.
Et Percy se tenait le dos au mur, dans un coin, comme un petit garçon pris en faute.

Bill avait fondu sur lui.

« Je n’avais pas le choix ! » s’énerva Percy, en se soustrayant à sa poigne. « Je devais mettre


le Ministre en sécurité… Le Terrier est le premier endroit qui m’est passé par la tête ! Les
protections… »

« Oui, merci, c’est moi qui les mises en place. » railla Bill. « Ce n’est pas une raison pour
emmener le cabinet ministériel au complet dans la maison ! Combien de temps peut-on
cacher à tant de gens que maman est folle ? »

Le mot était sorti tout seul. Ce n’était pas celui qu’il avait voulu employer.

Il aurait aimé que ce soit choquant, que Percy s’en outrage mais le fait demeurait qu’ils en
étaient là et qu’ils avaient dansé autour du sujet suffisamment longtemps.

Son frère baissa les yeux. « Comment va Charlie ? »

« Je ne sais pas. » soupira-t-il. « Ils essayaient encore de démêler leur empreinte magique
quand je suis parti. Ils ont dû faire venir des Langues de Plombs. » Il refoula l’inquiétude
qu’il ressentait pour son frère, ce n’était pas productif. Fleur était resté à l’hôpital et avait
promis de le prévenir dès qu’il y aurait du nouveau. « Je pourrais tuer Anthony… Leurs
magies pourraient rester mêlées à vie, les conséquences… » Il prit une profonde inspiration
qui ne le calma pas énormément. « Ils sont aussi stupides l’un que l’autre. Ils auraient dû
réfléchir avant de lancer ces sorts. »

Percy haussa les épaules. « Charlie a toujours été du genre impulsif. Comme toi. Comme les
jumeaux, Ron et Ginny. »

« Mais pas toi, c’est ça ? » riposta Bill. Il s’en voulut aussitôt. « Pardon. Je suis sur les
nerfs. »

Son frère balaya ses excuses d’un geste négligeant. « Je n’ai pas réussi à contacter Audrey…
Elle n’est sur aucune des listes officielles mais… » Percy retira ses lunettes, essuya
nerveusement les verres et les remit en place. « On devrait rentrer. Il faut surveiller maman et
tu devrais aussi écrire aux jumeaux. Apparemment, si les nouvelles viennent de moi, on ne
peut pas les croire. »

Le sourire attristé de Percy termina de mettre Bill de mauvaise humeur.

« Je suis sûr que ce n’est pas ce qu’ils voulaient dire. » tenta-t-il, sans grande conviction.

« Oh, si. » soupira son frère. « Mais il y a des problèmes plus urgents. »

°°O°°O°°O°°O°°

Tonks aurait simplement aimé que la pluie cesse de tomber.


Tout le reste, elle aurait pu s’en accommoder si seulement cette maudite pluie voulait bien
s’arrêter ne serait-ce qu’une dizaine de minutes… Le temps qu’elle rentre se mettre à l’abri
dans son appartement. Elle n’avait pas dormi depuis plus de vingt-quatre heures, elle n’avait
pas eu l’occasion de consulter un Médicomage, ses vêtements étaient sales et déchirés par
endroit, elle s’était encore disputé avec Remus parce qu’il n’avait pas voulu comprendre
qu’elle avait de plus urgentes préoccupations que de se faire soigner, elle avait répondu aux
questions des journalistes, du Ministre de la Magie et de ses conseillers, elle avait dû
réorganiser elle-même le département parce que Kingsley était toujours inconscient – et elle
espérait vraiment qu’il approuverait sa décision de réintégrer Fol’Œil parce que Merlin savait
que Scrimgeour n’avait pas apprécié – elle avait la migraine, il n’y avait pas un centimètre
carré de son corps qui ne soit pas douloureux, tous les Moldus qu’elle croisait se retournaient
sur son passage et, pour couronner le tout, elle n’avait jamais eu le temps de rester
suffisamment en place depuis la bataille de la veille pour que ses vêtement aient pu sécher.

À cette seconde, elle haïssait la pluie presque davantage que les Mangemorts.

Elle pressa le pas.

Il lui avait fallu des heures pour finalement échapper aux nouvelles responsabilités qui
pesaient sur ses épaules. Et elle était en retard. Évidemment. Elle n’avait qu’une petite demi-
heure devant elle avant le début de la réunion et elle comptait bien se doucher, se changer et
avaler quelque chose avant de rejoindre le Square Grimmaurd – autant de choses qu’elle
n’aurait pas le temps de faire en trente minutes, sachant qu’elle se trouvait encore à dix
minutes de son appartement.

Ce fut ce qui la contraria le plus lorsque quelqu’un lui agrippa le bras et l’attira dans une des
nombreuses ruelles qui bordaient les grandes artères moldues : elle n’avait pas le temps de se
faire agresser.

Elle décocha un coup de pied dans le genou de son assaillant, enchaina avec un coup dans
l’estomac qui arracha à l’homme un grognement de douleur et lui permit, à elle, de sortir sa
baguette. Pour la seconde fois en moins de vingt-quatre heures, elle lui fût arrachée des mains
avec désinvolture. Elle se retrouva plaquée contre le mur par le col de sa veste.

Elle leva brusquement les yeux vers son agresseur, sachant d’avance ce qu’elle apercevrait.

« Était-ce bien nécessaire ? » grinça Severus Snape.

« Oh, vous vous foutez de moi ! » s’exclama-t-elle. Elle le repoussa sans ménagement et
récupéra sa baguette, tout en le fusillant des yeux. « Donnez-moi une seule bonne raison de
ne pas vous botter le cul! »

Snape leva un sourcil. « Vous n’y parviendrez pas. Cela me semble une excellente raison de
vous abstenir. »

Ce n’était pas faux. Le souvenir du duel de la veille était bien présent dans son esprit – et son
corps s’en rappelait encore bien plus vivement. Elle était certaine que soixante-dix pourcents
des hématomes et plaies diverses étaient sa faute.
« Vous êtes un connard. » cracha-t-elle. Elle ne put réprimer un frisson. Combien d’élèves
avaient un jour rêvé de le lui dire en face ? Combien l’avaient fait ? Probablement aucun
parce qu’il fallait être suicidaire pour insulter Snape en le regardant dans les yeux. Suicidaire
ou bien, peut-être, furieuse. Elle tourna les talons et quitta la ruelle en deux grandes
enjambées, le laissant planté là où il était. Ça aussi, c’était sans doute sans précédent.

Elle ne fut pas surprise lorsqu’il la rattrapa dans la rue principale quelques secondes plus tard.

Elle fut surprise, en revanche, par le parapluie qu’il tendit au-dessus de leurs têtes.

Un coup d’œil suffit à vérifier que ses robes et sa cape avaient laissé place à un long manteau
noir qui se fondait parfaitement parmi les Moldus.

« Sachez que la dernière personne qui m’a parlé de la sorte l’a amèrement regretté. » déclara-
t-il. « Ne vous y amusez plus. »

« Je vous parlerais comme j’en ai envie. » répliqua-t-elle avec mauvaise humeur. « C’est ce
qui arrive quand vous manquez tuer quelqu’un. »

Il y eut un long – et gênant – moment de silence. Tonks aurait volontiers fait une sortie
dramatique mais elle était encore à six minutes de son appartement et le parapluie avait son
utilité…

« En dépit des apparences, mon but n’a jamais été de vous assassiner. » lâcha-t-il. « Nous
avions grand besoin d’une diversion et si je n’avais pas été persuadé que vous pouviez me
résister de manière convaincante… »

« Oh, je ne suis pas fâchée parce que vous vous êtes servi de moi comme diversion. »
l’interrompit-elle. « Je suis fâchée parce que vous ne m’avez pas prévenue, Professeur. »

Le titre passa ses lèvres par habitude et elle s’en voulut parce qu’il témoignait d’un respect
qu’il ne méritait pas.

Le silence retomba à nouveau, lourd et importun, à peine troublé par les bruits de circulation.

Snape l’observait fixement et ça ne contribuait pas à la mettre à l’aise.

« Quoi ? » s’énerva-t-elle au bout d’un moment. « Écoutez, si vous êtes venu vous excuser,
ce n’était pas la peine. Je suis Auror, je comprends les risques et, en dépit de ce que vous et
Remus semblez penser, je peux prendre des décisions difficiles. J’aurais préféré que vous me
mettiez au courant avant de me jeter devant Vous-savez-qui mais c’était notre meilleure
option et je ne suis pas suffisamment idiote pour ne pas l’avoir compris. » L’expérience avait
été terrifiante, bien entendu, et, sur le moment, elle n’avait rien désiré d’autre que de tordre le
cou du Maître des Potions mais s’il n’avait pas fait ce qu’il avait fait… Elle n’était pas
certaine qu’ils auraient pu sauver McGonagall. Alors, ses hématomes et sa frayeur en
comparaison… « La manière dont vous avez dévié mon stupefix vers Bellatrix ? C’était
génial. Et vous devez m’apprendre ce dernier sortilège, vous me devez bien ça. »
Si Snape avait été du genre à dévisager les gens bouche ouverte, elle était sûre qu’il l’aurait
fait à l’instant. Avoir décontenancé Severus Snape améliora légèrement son humeur.

« La proposition me parait acceptable. » répondit-il au bout de quelques secondes.

« Ce n’était pas une proposition. » Elle n’eut pas à se forcer beaucoup pour sourire. Il avait
l’air d’un poisson hors de l’eau et c’était très drôle. « La prochaine fois, prévenez-moi
avant. »

Il marqua son accord d’un hochement de tête. « Cela étant réglé… Je n’étais pas venu
présenter des excuses, Nymphadora. »

« Appelez-moi comme ça encore une fois et c’est moi qui devrais présenter des excuses. »
maugréa-t-elle. « Je ne peux peut-être pas vous botter le cul mais je peux vous pousser sous
une voiture. »

Il leva les yeux au ciel. Toutefois, elle nota qu’il prit bien soin par la suite de rester loin de la
chaussée.

« À propos de notre problème de taupe… » reprit-il. « Il serait malavisé d’en révéler la


présence ce soir, nous… »

« Vous me prenez vraiment pour une idiote ? » le coupa-t-elle, ignorant son expression
contrariée. Elle n’était pas quelqu’un de particulièrement polie, au grand dam de sa mère.
« Les dossiers détaillant les mesures de sécurité étaient au Square Grimmaurd et l’accès est
restreint. Ça veut dire que nous n’avons pas seulement un traître mais que le traître… »

« Siège au Conseil. » termina Snape. « Il pourrait s’agir de n’importe qui. »

« Précisément. » approuva-t-elle. « Donc, débarquer à la réunion et déclarer qu’on sait que


quelqu’un nous a vendu… C’est la pire idée qu’on pourrait avoir. Ça entrainera un
mouvement de paranoïa et il y assez de problème comme ça… » Elle lui décocha un regard
agacé. « Sérieusement qui essaierait de trouver un espion comme ça ? »

« Un Gryffondor. » offrit-il.

« Oui, eh bien… » Elle haussa les épaules et s’immobilisa au pied de son immeuble. « Je ne
suis pas Gryffondor au cas où vous auriez oublié. »

« Je ne l’oublie pas, vous ne m’agacez pas autant que les lions. » déclara-t-il. Il inspecta la
façade du regard avec intérêt. « Intéressantes protections. Votre œuvre ? »

Elle leva les yeux au ciel et fouilla dans sa poche à la recherche de ses clefs. Elle en extirpa
un paquet de kleenex, un vieil emballage de chewing-gum et un ticket de métro à moitié
effacé mais ses clefs… « La mienne, celle de Remus, de Sirius et de Dumbledore… Mon
appartement est protégé contre tous les psychopathes qui veulent me tuer. Il commence à y en
avoir pas mal. Peut-être qu’ils ouvriront un club à force… » Elle vida son autre poche. « Si
j’ai perdu mes clefs, ce sera officiellement la journée la plus pourrie de ma vie. »
« Accio clefs. » marmonna-t-il. Elle aurait pu y penser plus tôt, songea-t-elle, lorsque son
trousseau de clefs s’envola de la poche arrière de son jean. Elle le rattrapa au vol – et manqua
le faire tomber trois fois au passage – avant de jeter un coup d’œil furtif autour d’elle pour
s’assurer qu’aucun Moldu n’avait été témoin de la scène.

« Je devrais vous arrêter pour ça. » Néanmoins, puisqu’il avait retrouvé ses clefs et que ça lui
permit de se mettre à l’abri de cette satanée pluie, elle décida qu’elle passerait l’éponge. Elle
tint la porte ouverte mais il resta dehors. « Vous venez ou pas ? »

Il fronça les sourcils. « Pardon ? »

Elle soupira avec agacement. « Si vous pensez que je vais vous laisser démasquer le traître
par vous-même, vous vous trompez. Ce sont mes amis qui sont morts hier. Alors vous venez
ou pas ? »

Elle lâcha la porte et entreprit de monter l’escalier quatre à quatre. La lumière du couloir
avait à nouveau sauté, nota-t-elle distraitement. Il la rattrapa alors qu’elle entamait
l’ascension de la dernière volée de marches. Lorsqu’ils arrivèrent finalement devant son
appartement, ils étaient tous les deux à bout de souffle et le cachaient très mal. Tonks choisit
d’en rire.

« Faites comme chez vous. » l’invita-t-elle. Elle jeta ses clefs sur la table et balança sa veste
sur le dossier du canapé, tâchant de ne pas s’arrêter sur l’idée surréaliste que le Professeur
Snape se tenait au beau milieu de son appartement.

En d’autres circonstances, ça aurait pu être drôle.

« Est-ce un appartement ou une porcherie ? » railla-t-il dans un rictus.

Son regard passa sur les piles de vêtements à ranger, les panières de linge sale qui attendaient
d’être lavé, le carton de pizza abandonné sur la table basse, les tasses, les cadavres de
bouteilles de bières et de Vodka Glace-boyaux, les magazines, publicités et factures qui
étaient répandus un peu partout dans la pièce…

Il était évident qu’Andromeda n’avait pas mis les pieds chez elle depuis un bon moment.

« Je ne suis pas vraiment une fée du logis. » s’excusa-t-elle dans un haussement d’épaule.
« Je vais prendre une douche. Il doit y avoir des trucs à manger dans la cuisine si vous avez
faim. » Peut-être.

La perspective de passer du temps chez elle n’enchantait visiblement pas Snape.

Elle ne pouvait pas dire que ça l’enchantait davantage.

Elle prit sa douche en un temps record. Cinq minutes pour se débarrasser de la crasse et de la
boue incrustée sur sa peau et cinq minutes pour sangloter sur les amis perdus la veille. Elle
s’efforça de compartimenter ses émotions dès qu’elle fut sortie de la cabine de douche. Ils
étaient en guerre. Elle n’avait pas le temps de pleurer qui que ce soit.
Snape était toujours dans le salon, occupé à examiner la seule petite étagère de livres qu’elle
possédait.

« Fletcher. » lança-t-elle. Elle avait espéré le faire sursauter mais il ne tressaillit même pas. Il
était à nouveau vêtu de ses robes noires. « C’est forcément lui. »

Aucun des autres n’aurait trahi. Aucun.

« Forcément est un bien grand mot. » temporisa-t-il. « Il pourrait s’agir de n’importe qui. »

Elle débarrassa le canapé d’un coup de baguette, envoyant voler le linge à l’autre bout de la
pièce, et s’y laissa tomber avec soulagement. Elle était sur ses pieds depuis… Trop longtemps
pour qu’elle compte. « Non… Fletcher est le seul à qui personne ne fait confiance. C’est un
fouineur. Il vendrait père et mère… Il…»

« Fletcher n’est pas suffisamment intelligent. » jugea Snape, en étudiant un des livres de plus
près. C’était un roman de science-fiction moldu. Elle n’avait pas l’énergie d’expliquer ce
dont il s’agissait à un Sang-Pur. Snape était-il Sang-Pur ? Sans doute… « Et tout le monde
faisait confiance à Pettigrow, il y a quinze ans. Qui qu’il soit, ce traitre-ci est tout aussi
insoupçonnable. »

C’était déprimant pour ne pas dire décourageant.

« Ce sont nos amis. » riposta-t-elle. « Comment peut-on seulement penser que l’un d’eux… »
L’idée que Sirius ou Charlie ait pu trahir était ridicule. Sans parler de Remus ou de Fol’Œil.
« Si l’on ne se fait pas confiance les uns aux autres, nous sommes tous fichus. »

« Vous l’êtes si vous pensez ainsi. » cingla-t-il. « La meilleure manière de se faire poignarder
est de tourner le dos à quelqu’un. »

« Il y a six milliards d’humains sur terre, c’est un peu compliqué de ne tourner le dos à
personne, non ? » répliqua-t-elle.

« Il suffit de s’appuyer contre un mur. » offrit-il, dans un haussement d’épaules.

Elle secoua la tête, pas d’humeur pour ses devinettes de Serpentards. « Je sais ce que vous
pensez. Vous allez dire que c’est Sirius mais… »

« Non. » la coupa-t-il. « Si je suis certain d’une chose, c’est qu’il ne s’agit pas de Black… »
Ses doigts pianotèrent sur le bord de l’étagère. « Il est trop loyal et trop stupide. Le loup, par
contre… »

« Ce n’est pas Remus. » contra-t-elle immédiatement. « C’est impossible. »

« Vraiment ? » se moqua-t-il. « Parce qu’il est très clairement hors de contrôle ces derniers
temps. »

« Ce n’est pas Remus. » grinça-t-elle entre ses dents. « Ni Charlie, ni Anthony, ni Kingsley,
ni Fol’Œil, ni Bill, ni Molly, ni Fleur, ni Nyssa et certainement pas McGonagall. »
« Voilà qui réduit considérablement la liste des suspects. » se moqua-t-il.

« À Fletcher. » triompha-t-elle.

« Ou Albus… » Il reposa le livre qu’il avait toujours en main. « Vous vous laissez aveugler
par vos sentiments, Nymphadora. C’est une erreur. »

« C’est sûr que quand on en n’a pas, ça doit être plus simple. » rétorqua-t-elle.

Une expression d’amertume amusée flasha sur son visage pour être aussitôt remplacée par un
masque lisse.

« C’est un avantage. » approuva-t-il. « Voyez ce que vous pouvez trouver sur Fletcher si vous
insistez mais soyez discrète. Si tant est que cela soit possible… » Il jeta un regard dédaigneux
à son pull jaune canari. « Pour le reste, laissez-moi faire. Pas un mot à qui que ce soit. Et
restez sur vos gardes. » Il soutint son regard quelques secondes et puis grimaça. « Évitez
également de regarder le Professeur Dumbledore en face si vous le pouvez. »

« Pourquoi ça ? » C’était une requête pour le moins bizarre.

Il balaya la question d’un geste impatient. « Tâchez d’être prudente. »

Il se dirigeait déjà vers la porte lorsqu’elle se leva pour le raccompagner – un reste de son
éducation, sans doute.

« Si vous vous méfiez de toute le monde, pourquoi me faire confiance, Professeur ? »


demanda-t-elle, alors qu’il avait déjà un pied dans le couloir.

Pourquoi lui faisait-elle confiance ? Elle n’avait aucune raison de le faire. Aucune. Excepté
son instinct.

« On lit en vous comme dans un livre. » fut la seule réponse qu’elle obtint.

°°O°°O°°O°°O°°

Severus ne fut pas accueilli à bras ouverts.

Il n’en attendait pas moins.

« Qu’est-ce que tu fais là ? » aboya Fol’Œil, à peine eut-il mis un pied hors de la cheminée.

Severus prit le temps d’épousseter ses robes avant de le toiser. « Aux dernières nouvelles, je
fais toujours parti de l’Ordre. »

« Vraiment ? » répliqua Black, son éternelle cigarette aux lèvres. « Tonks n’est pas encore là,
tu ne vas pas pouvoir l’achever mais pourquoi tu ne t’en prendrais pas à quelqu’un de ta
taille, cette fois ? »

Un silence hostile plana sur le petit salon l’espace d’une seconde. Lupin, assis dans un coin
du canapé, avait les yeux braqués sur lui. Severus augmenta ses boucliers mentaux au
maximum, se tint prêt à dégainer sa baguette si nécessaire, mais le loup – car c’était bien
l’animal sauvage que le Professeur apercevait dans les yeux ambre – n’attaqua pas. L’image
du loup-garou s’imposa à lui, trop vite pour qu’il puisse l’Occluder et entraîna, par
association d’idée, le souvenir de la nuit où Harry avait lui-même failli se faire dévorer par ce
même loup-garou. Il ne put réprimer un frisson.

Lupin inclina légèrement la tête, comme s’il avait put lire dans ses pensées. Impossible, bien
entendu, mais il devait sentir sa peur. Humiliant.

« Miss Tonks est parfaitement à ma taille. » répliqua-t-il finalement, avec un temps de retard.
« Vous devriez cesser de la sous-estimer. »

Il était incapable de dire s’il avait imaginé ou non le grondement presque animal de Lupin.

« Tu restes loin de Tonks. » grinça Fol’Œil, baguette au poing. « Si tu l’approches, je… »

« Pourrait-il y avoir une seule réunion sans effusion de sang ? » lança une voix féminine du
seuil de la pièce. « Non pas que cela me dérange, bien entendu… » La plaisanterie ne fit
sourire personne, pourtant tous les regards étaient rivés sur la vampire qui s’avançait
lentement dans le salon. Elle fit un détour pour éviter Lupin et vint se planter face à Severus,
l’étudiant des pieds à la tête. « Nyssandra. »

« Nous nous sommes déjà rencontrés. » lâcha-t-il, ignorant la main tendue.

Elle ne sembla pas en prendre ombrage. Ses lèvres s’étirèrent en un fin sourire qui révéla des
crocs acérés. « J’étais légèrement occupée à me vider de mon sang, je ne suis pas sûre que ça
compte. Je n’ai jamais eu l’occasion de vous remercier. »

« Nyssa, recule. » ordonna Fol’Œil.

« Laisse la tranquille. » grommela Black, en écrasant sa cigarette dans un vieux plat en argent
posé sur une table basse. « Elle peut le tuer avant même qu’il lève le petit doigt si elle en a
envie. Elle n’a pas besoin de toi. »

La tension se déplaça soudain à l’autre bout de la pièce. L’ancien Auror et l’ancien prisonnier
se fusillaient du regard, ce qui ne s’arrangea pas lorsque la vampire se rapprocha de Fol’Œil
pour lui glisser quelques mots à l’oreille. Cela se transforma en une série de chuchotement
furieux qui culminèrent avec la sortie hâtive de l’homme. La vampire suivit, clairement
exaspérée.

« Sommes-nous donc dans un vaudeville ? » ironisa Severus avec mépris.

Black ouvrit la bouche, très certainement pour lui envoyer une horreur au visage, mais Lupin
se leva soudainement, mettant un terme à l’échange.

« Lunard ? » s’inquiéta l’Animagus.

Il y avait de quoi s’inquiéter. Lupin avança vers l’espion lentement, sans geste brusque, avec
une expression d’intense concentration sur le visage. La lueur folle dans son regard
convainquit Severus qu’il était urgent de préparer un chaudron de potion tue-loup. Très
visiblement, même cela était au-dessus des compétences de Slughorn.

« Tu as vu Tonks aujourd’hui ? » demanda le loup-garou, en plissant le nez.

Bien heureusement – ou malheureusement – le feu se raviva dans la cheminée à cette


seconde, laissant place à Albus qui se figea en apercevant son Professeur de Potions.

« Severus. » lâcha le vieux sorcier, surpris. « Je ne m’attendais pas à vous voir ici. »

« Inutile de le préciser. » rétorqua-t-il. « Mon invitation a dû se perdre. »

Le regard de Black passa du Directeur à lui, calculateur. « Bonne question. Pourquoi Snape
n’assiste plus aux réunions ? »

L’accusation était implicite et Severus y aurait volontiers répondu par une insulte du même
acabit si Albus n’avait pas balayé la question d’un geste.

« Commençons. Nous sommes en comité réduit ce soir, je le crains. » déclara Dumbledore.

Lupin s’empressa d’accompagner le vieux sorcier à la cuisine. Severus s’apprêtait à leur


emboiter le pas lorsque Black attrapa son bras, suffisamment fort pour laisser une trace. Le
Professeur n’avait que trop d’hématomes. Il se dégagea d’un geste vif.

« Ne me touche pas. » siffla-t-il.

« Il faut qu’on parle. » déclara Black, suffisamment bas pour que sa voix ne porte pas.

Severus n’aurait rien aimé davantage que de l’envoyer paître. Il ne put rien faire d’autre que
d’accepter d’un bref hochement de tête. Il leur fallait discuter d’Harry.

L’Animagus parut satisfait et passa dans la cuisine, tout en s’essuyant exagérément les mains
sur son jean. Le Maître des Potions leva les yeux au ciel devant tant d’immaturité. Lorsqu’on
pensait qu’il s’agissait de la meilleure option d’Harry…

Il fit bien attention de choisir un siège éloigné de Lupin et de Fol’Œil, ce qui fit qu’il se
retrouva coincé entre une chaise vide et la vampire. Black prit place à côté de son meilleur
ami, sans cesser de jeter à l’espion de fréquents coup d’œil qui étaient tout sauf discrets.

Dumbledore se racla la gorge pour exiger un silence qu’il avait déjà. « Commençons, si vous
le voulez bien. Le premier sujet à aborder… »

« C’est pourquoi personne n’a averti qu’on allait être attaqué. » tonna Fol’Œil, son œil
normal braqué sur Severus. « Je pensais que l’intérêt d’avoir un Mangemort soit disant
repenti avec nous, c’était ça. »

Severus avait abordé la question de long en large avec Albus sur les coups de cinq heures du
matin, avant que le Directeur ne le traine de force à l’infirmerie. Le Seigneur des Ténèbres
avait été si furieux de cette nouvelle défaite et Severus ayant ouvertement défié ses ordres en
affrontant Tonks en avait fait les frais, cela n’avait pas été bien difficile pour le vieux sorcier
de forcer Severus à consulter Poppy. Il avait été dans un triste état avant que l’infirmière ne le
rafistole – et il doutait fortement que le petit échange musclé avec Tonks ait arrangé les
choses.

« Il semble que seul le cercle intime de Voldemort ait été au courant. » le défendit Albus.
« J’ai confiance en Severus. »

Il était bien le seul.

Severus se demanda ce qu’il arriverait lorsque ces mots magiques finiraient de faire effet. Il
était évident que la parole de Dumbledore n’avait que peu de poids pour Black, Lupin
paraissait dubitatif, la vampire était impassible et si Fol’Œil ne l’attaqua plus directement, il
continua de maugréer dans sa barbe.

« Pratique. » se moqua Black. « Et on peut savoir pourquoi tu as essayé de tuer Tonks ou est-
ce que c’est quelque chose que seul les intimes de Voldemort peuvent savoir ? »

Le nom maudit faisait brûler la Marque à chaque fois qu’il était prononcé.

« Il me semble que cela ne regarde qu’elle et moi. » répondit-il froidement.

« Ça nous regarde tous. » contra le loup. « Ce que tu as fait était… »

« Exactement ce qu’il était nécessaire de faire, si vous me permettez, Remus. » l’interrompit


Albus. « Sans l’intervention ingénieuse – bien que casse-cou, je ne vous savais pas si
Gryffondor, Severus – de Severus et de Miss Tonks, nous n’aurions peut-être jamais regagné
la main. »

Un murmure mécontent flotta autour de la table. Lupin ouvrit la bouche pour répliquer mais
un bruit de casse suivi d’un « désolée ! » tonitruant le fit taire. Tonks apparut dans la cuisine
quelques secondes plus tard, boitant légèrement.

« J’espère que tu ne tenais pas au vase sur la cheminée. » lança-t-elle joyeusement à Black.
« Qu’est-ce que j’ai raté ? »

Elle se laissa tomber sur la chaise à côté de Severus ce qui était à la fois excellent sur un plan
tactique parce que cela leur prouvait au moins qu’elle ne lui tenait pas rancune de sa
diversion et moins bon sur un plan personnel car Lupin fixa le Professeur du regard avec une
intensité telle que le Mangemort n’aurait pas été surpris s’il avait subitement pris feu.

« Mon pugilat. » lâcha Severus.

« Ah… » Elle haussa les épaules, un sourire moqueur aux lèvres. « L’entrée en matière
habituelle, alors. »

Il dut ajuster ses boucliers pour ne pas laisser percer son amusement. « En effet. »

« Et sinon ? » demanda-t-elle à la cantonade. « Parce que, ne le prenez pas mal, mais tout ce
dont je rêve là tout de suite, c’est de mon lit, alors j’espère que vous avez des choses
intéressantes à dire. »
Si elle s‘était réellement attendu à entendre quelque chose d’intéressant, elle fut déçue. La
réunion tourna en rond. Severus n’avait aucune information nouvelle à rapporter ce qui ne
contribua pas à apaiser l’hostilité rentrée dont il faisait tous preuve envers lui. Tonks resta
vague lorsqu’elle fut interrogée sur les protections autour du Ministre et il était certain que la
première chose qu’elle ferait en quittant le Square Grimmaurd serait de faire transférer
Scrimgeour ailleurs. Le seul point vaguement intéressant était cette Laura Flemmings que
Lupin prétendait avoir rencontrée juste avant la bataille.

« Je peux tenter de me renseigner. » offrit Severus, à contrecœur. Les loups-garous se tenaient


loin des Mangemorts et inversement, le seul qui fréquentait véritablement les deux camps
était Greyback.

« Et la faire tuer ? » grinça Lupin. « Tu m’excuseras, Severus, mais tu as perdu la main


depuis ton séjour dans le passé. »

Il attendait la remarque mais il n’avait pas pensé qu’elle viendrait du loup.

« Tu es obligé d’être aussi désagréable ? » reprocha Tonks, avant qu’il ait pu répondre.

Le regard de Lupin n’était pas plus aimable lorsqu’il se braqua sur la jeune femme. « Ceci est
une affaire de loup-garou. Je la règlerai moi-même. »

« On y sera encore l’année prochaine. » répliqua-t-elle, avant de se tourner vers Dumbledore.


« Je peux faire des recherches sur elle. Je sais que Remus a tendance à l’oublier mais je suis
Auror – et Chef du Département jusqu’à ce que Kingsley sorte de l’hôpital, en plus – je peux
la trouver facilement. »

« Être chef du Département par intérim n’est pas une excuse pour prendre encore plus de
risques stupides ! » explosa Lupin. « Tu n’as aucune chance contre un loup-garou. Combien
de fois est-ce que Greyback doit manquer te tuer pour que tu le comprennes ? »

Severus laissa échapper un sifflement moqueur avant que la discussion ne puisse dégénérer
davantage. « Il est intéressant que tu donnes des leçons à une Auror confirmée alors que tu
n’as jamais été capable de garder un travail plus de quelques mois… »

Ce fut Black qui tapa du poing sur la table. « Ta gueule, Snape. »

« Penses-tu donc comme Lupin que ta cousine est incompétente ? » Il leva les sourcils,
feignant l’étonnement.

« Non. » affirma l’Animagus, en plantant son regard dans celui de Tonks. « Non. Mais ce
n’est pas une raison pour insulter Remus. »

« Je n’ai jamais dit que Dora n’était pas compétente. » enchaina Lupin, d’un air contrarié.

« Non… Tu l’as simplement insinué trois cent soixante fois. » marmonna Tonks.

« Allons, allons… » soupira Albus, comme un Professeur impatient tenterait de ramener le


calme dans une classe d’élèves turbulents.
« Si vous souhaitez que je trouve une contre-attaque à ces transformations forcées, il me faut
un échantillon de la potion. » décréta Severus. Toutes les voies qu’il avait explorées jusque là
s’étaient révélées vaines. Sans cette potion, il ne pouvait rien faire.

« Cette femme a contacté Remus, il est plus que probable qu’elle lui fasse confiance. »
trancha Dumbledore. « Remus… »

« Je m’en charge. » accepta le loup-garou.

Tonks se renfrogna sur son siège.

« Bien. » Albus lui sourit magnanimement. Tout juste s’il ne lui tapota pas la tête, en lui
offrant un sucre. Severus eut du mal à contenir son mépris. « Un dernier problème à soulever.
Draco Malfoy. »

Le Maître des Potions tourna brusquement la tête. « Je ne vois pas en quoi cela concerne
l’Ordre. Malfoy est mon élève, il est sous ma responsabilité et… »

« Comptez-vous assumer sa tutelle jusqu’à sa majorité ? » l’interrompit Dumbledore. Severus


doutait que quiconque ait perçu la pointe d’ironie dans la voix du vieux sorcier.

« Il appartient à ma Maison. » grinça Severus.

« Euh, quelqu’un peut m’éclairer ? » Tonks fronçait les sourcils. « Aux dernières nouvelles,
mon cher oncle était toujours vivant, même si ma tante semble s’être fait la malle… »

Black, Lupin et les autres paraissaient tout aussi perplexe.

« Lucius Malfoy a renié son fils. » expliqua Albus. « Le garçon est mineur et a besoin d’un
tuteur. Je ne doute pas que la nouvelle fera la une d’ici quelques jours. »

Severus fulminait sur sa chaise. S’il ne s’était pas présenté à l’improviste ce soir là, auraient-
ils tout de même débattu du sort de son élève sans l’en informer ? Ou bien s’agissait-il d’une
punition pour s’être invité à une réunion à laquelle il n’était clairement pas le bienvenu ?

« J’ai manqué de temps, je vous l’accorde, mais je comptais envoyer un hibou à Andromeda
Black et… » commença-t-il, uniquement pour être interrompu par le vieux sorcier.

« Andromeda a suffisamment à faire. » jugea Albus.

« Est-ce que c’est vraiment important ? » Le rire de Fol’Œil était amer. « Graine de
Mangemort… »

Severus fut ravi de constater qu’il fut ignoré par tout le monde.

« Je suis sûre que ma mère serait ravie de le faire… » Tonks avait sorti sa baguette et tapotait
impatiemment le bout de la table. C’était insupportable. Severus la lui arracha des mains pour
la troisième fois. Elle la récupéra immédiatement avec un coup d’œil contrarié et
recommença son manège. Le tout ne dura pas plus de quelques secondes mais ce fut suffisant
pour que l’expression de Lupin s’assombrisse encore. « Elle s’entend bien avec Draco. »
« C’est tout à fait louable mais je préfèrerai lui offrir une meilleure protection. » refusa
doucement Albus. « Après tout, ce jeune homme est allé contre sa famille et a risqué sa vie
pour l’un des nôtres. Il mérite bien un peu de reconnaissance, ne pensez-vous pas ? »

Le vieux sorcier se tourna vers Black.

Severus ne savait pas s’il fallait en rire ou en pleurer.

« Pourquoi moi ? » se défendit immédiatement l’Animagus. « Demandez à Tonks, ils


s’entendront très bien. »

« Tu rigoles ? » répliqua la jeune femme. « Pas question. »

« Sirius, je pense que vous êtes la solution idéale pour le jeune Draco. » insista Dumbledore.
« Vous pourriez être un modèle, en quelque sorte. Et il a risqué sa vie pour sauver la vôtre…
»

L’idée de Black servant de modèle à Draco Malfoy était risible. L’adolescent s’évanouirait
probablement d’horreur en voyant l’état de délabrement du Square Grimmaurd.

Quant aux véritables motivations de Dumbledore…

« Je m’y oppose. » lâcha-t-il.

« Quelle surprise… » Black leva les yeux au ciel. « Je ne vais pas laisser cet abruti à la rue…
Si Tonks et Andromeda ne peuvent pas le faire… »

L’étincelle victorieuse dans les yeux d’Albus fut le coup de grâce.

« Peux-tu, au moins, tenter, de te servir de la chose qui te sert de cerveau ? » siffla-t-il. « Que
crois-tu que sera la réaction de Potter si tu adoptes Malfoy ? »

Black eut l’air contrarié mais pas surpris. Il se tourna vers sa cousine. « Fais la demande de
tutelle. Si nécessaire, on le gardera ici ou on l’enverra au Terrier avec Ron. » Il repoussa sa
chaise, se leva et jeta un regard noir à Albus. « Vous me fatiguez. »

Parler ainsi à Albus Dumbledore était dangereux mais Black avait toujours stupide.

Le départ de l’Animagus sembla mettre un terme à la réunion. Nyssandra disparut dans les
étages, Fol’Œil entraina le Directeur à part et Tonks, visiblement soucieuse d’éviter une
nouvelle confrontation avec Remus, suivit Severus jusqu’à la cheminée.

« Pas de Fletcher. » remarqua-t-elle, alors qu’il cherchait la poudre de cheminette – Black


avait une fâcheuse tendance à mettre de la cendre partout.

« Non. » Il n’en était pas étonné. « J’appuierai votre demande de tutelle. Toutefois, si votre
mère décidait… »

« Ma mère a pratiquement disparu de la surface de la terre. » l’interrompit Tonks, en jetant un


regard soucieux par-dessus son épaule. Elle baissa la voix. « Dumbledore ne veut pas me dire
ce qui se passe chez mes parents mais je suis sûre qu’ils planquent quelque chose. »

Quelque chose ou quelqu’un.

Intéressant.

Tonks n’avait pas l’air intéressé. Elle avait l’air inquiète et agacée.

« Écoutez… » reprit-elle, au moment où il mit finalement la main sur le petit bol de poudre
de cheminette. « Pour tout à l’heure. Merci de m’avoir défendue, Professeur. »

Il la considéra quelques secondes puis haussa les épaules. « Severus. »

Avoir des alliés n’était pas dans sa nature mais il ne pouvait pas gagner seul. Minerva n’avait
pas tort, il était suffisamment intelligent pour le comprendre.

Et il ne pouvait pas se permettre de perdre.

Pas quand la vie d’Harry était en jeu.

°°O°°O°°O°°O°°

Harry observa le point libellé Severus Snape disparaître de la carte des Maraudeurs.

Il observait les quartiers du Professeur sur la carte depuis des heures, assis en tailleur sur son
lit, en tentant de trouver le courage d’y descendre.

Trop tard.

Avec un soupir, il repoussa la carte. Apparemment, c’était un signal parce que Masque sauta
souplement sur le lit et se roula en boule juste en face de lui, ronronnant comme une turbine.
Harry se plia de bon gré au rituel du soir et lui gratta le dos et l’arrière des oreilles. Ce chat, il
commençait à le comprendre, était aussi exigeant et irritant que son ancien propriétaire. Cela
aida toutefois Harry à se détendre. Il y avait quelque chose de relaxant à se concentrer sur
l’animal, il en profita pour vérifier que ses boucliers mentaux fonctionnaient toujours comme
ils le devaient. C’était compliqué de s’entraîner seul à l’Occlumencie mais la petite
interaction, plus tôt dans la journée, entre lui et Snape l’avait convaincu qu’il vaudrait mieux
les renforcer. Le Professeur connaissait ses défenses par cœur, ce n’était donc pas étonnant
qu’il soit passé au travers et Harry avait, de toute manière, baissé la garde bien avant que la
partie ne soit perdue, ne voyant pas l’intérêt de lutter pour protéger ce que Snape savait déjà.

Il avait entendu la majorité de l’échange entre les deux Directeurs de Maison.

Il y avait un traître dans l’Ordre.

Il n’était même pas surpris. Voldemort savait séduire, c’était sa force. Il avait été témoin de la
dévotion de Pettigrow pour ses meilleurs amis… Il avait dû falloir beaucoup de persuasion
pour briser ces liens. Ou peut-être pas… Peut-être Queudvert était-il tout simplement lâche…

« Harry ? »
Il sursauta légèrement, tiré de ses pensées par la voix de sa meilleure amie. Hermione hésitait
sur le seuil du dortoir, un tas de parchemin sous le bras.

« Tu es parti très vite au diner. Est-ce que je te dérange ? » demanda-t-elle. Il y avait toujours
cette incertitude dans sa voix. La situation avait beau s’être améliorée depuis qu’ils s’étaient
jetés leur quatre vérités au visage, Harry avait toujours l’impression qu’ils marchaient tous
sur des œufs et que le premier commentaire un peu trop agressif mettrait à nouveau le feu aux
poudres.

« Non. » sourit-il. « Je ne fais rien de spécial. » Le chat laissa échapper une série de
grognement mécontent et Harry leva les yeux au ciel. « Je ne fais rien de spécial à part
m’occuper de sa majesté. »

Hermione eut un sourire indulgent pour l’animal mais fronça légèrement les sourcils en
repérant la carte des Maraudeurs toujours étalée à côté de lui. Elle s’assit au bout du lit,
faisant attention à ne pas bousculer le chat qui était toujours prompt à sortir les griffes, et
déposa ses parchemins devant elle.

« Tu cherchais quelqu’un ? » s’enquit-elle prudemment.

Ce fut au tour d’Harry d’hésiter. Depuis son retour, il n’avait pas été totalement honnête avec
ses meilleurs amis. Il leur dissimulait toujours la part de Voldemort qu’il portait en lui et ses
tentatives de transformations Animagus, les deux secrets pesaient lourds sur ses épaules. L’un
parce qu’il lui semblait toujours trop énorme pour être appréhendé, l’autre parce que plus les
jours passaient plus il devenait difficile de faire passer l’omission pour un oubli.

« Snape. » répondit-il franchement. Il n’avait aucune raison de mentir à Hermione, se répéta-


t-il. Aucune.

Son regard tomba sur un des portraits qui sommeillaient sur le mur opposé et il laissa
échapper un petit soupir de contrariété. Se soucier en permanence d’être épié était épuisant. Il
fit tomber sa baguette d’un coup de poignet et posa les protections que Snape lui avait
apprises couche par couche. Hermione observa avec une attention tellement accrue qu’il
s’attendait presque à ce qu’elle prenne des notes.

« Je t’apprendrais. » promit-il, lorsqu’il eut terminé.

Un sourire ravi illumina le visage de la jeune fille puis il fut remplacé par une expression
sérieuse. « Snape… Tu veux en parler ? »

Voulait-il en parler ? Il l’ignorait. Sans doute pas. Il n’était pas doué pour parler de ce qui le
blessait réellement.

« Il n’y a pas grand-chose à dire. » Il haussa les épaules. « Il a plus important à faire que de
s’occuper de moi. »

Il y avait un traître dans l’Ordre.


L’information lui brûlait les lèvres. C’était le genre de choses qu’il aurait immédiatement
partagées avec Ron et Hermione avant son séjour dans le passé. Pourtant, il garda le silence,
comprenant instinctivement qu’en parler n’était pas une bonne idée. Bill, Charlie et Mrs
Weasley faisaient partie de l’Ordre, Ron voudrait les avertir, ce qui était bien naturel, et cela
ne ferait que compliquer la situation.

« Je ne suis sûre que ce n’est pas vrai… » grimaça Hermione. « Peut-être que dans quelques
jours… »

« Oui, peut-être. » coupa-t-il. « Qu’est-ce que c’est ? »

Il pointa les parchemins qu’elle avait apportés du doigt.

« Oh… Ce sont les plans des sessions pour l’A.D. » expliqua-t-elle, en lui tendant les feuilles.
« Draco et moi avons fait une liste de tout ce qu’il faudrait apprendre aux autres. J’ai pensé
que tu pourrais peut-être jeté un œil et rajouter des choses… Tu devrais te charger
d’expliquer les sorts, aussi, à partir de maintenant. Tu es bien meilleur que moi en
défense… »

Ils passèrent une bonne demi-heure à discuter des sortilèges et de la manière de les enseigner.
Harry, à son corps défendant, se trouva emballé par le projet et, s’il n’en fit pas part à
Hermione, il trouva très intéressant que l’écriture ronde de la jeune fille ne parle que de sorts
défensifs alors que celle pleine d’enjolivures de Malfoy ne listait que des sortilèges d’attaque.
Pour une fois, il rejoignait le Serpentard.

Snape le lui avait seriné encore et encore : attaquer avant d’être attaqué.

« Les Mangemorts ont des Détraqueurs avec eux… » remarqua-t-il. « Vous avez vu les
Patronus ? »

Hermione lâcha un profond soupir. « Ne m’en parle pas, c’était une catastrophe. Personne n’y
est arrivé et tout le monde était tellement frustré qu’on a abandonné. Regarde. Spero
Patronum. »

Tout ce qui s’échappa de la baguette de son amie fut une brume argentée sans aucune forme
ou consistance.

« Tu as besoin d’un souvenir plus heureux. » remarqua Harry. « À quoi tu penses ? »

Il y avait une lueur légèrement attristée dans les yeux d’Hermione quand elle abaissa sa
baguette. « Le matin de Noël. Mes parents, mes grands-parents et Draco… On a bu du
chocolat chaud. C’est idiot mais c’était parfait. »

« Ce n’est pas idiot du tout. » jugea-t-il, en baissant les yeux. Ses propres pensées s’égarèrent
vers ses vacances de Noël et les journées passées dans les appartements du Maître des
Potions – à la maison, il ne put s’empêcher de penser – à ne rien faire d’autre que lire, jouer
aux échecs et se faire houspiller pour qu’il fasse ses devoirs. Ça avait été si normal. Il n’avait
jamais connu ça avant. « Spero Patronum. »
Il ne savait pas pourquoi il ressentit le besoin de jeter le sort. Hermione l’avait vu le lancer
des dizaines de fois, ça ne l’aiderait pas à le faire par elle-même, mais la vue du sombral
l’apaisa immédiatement. Il tendit la main et la créature argentée la frappa gentiment de ses
naseaux. Nox. Il était identique en tout point à la forme Animagus de Snape, jusqu’à la
manière étrange dont il trainait ses ailes comme s’il n’avait pas su tout à fait quoi en faire.

Le hoquet surpris de son amie le ramena à la réalité.

« Où est le cerf ? » demanda-t-elle, les yeux écarquillés. « Qu’est-ce que c’est que cette
horreur ? » Elle inspecta le Patronus de plus près avant qu’Harry ait pu répondre. « C’est un
sombral, n’est-ce pas ? J’ai vu des croquis… » Elle sauta du lit et fit le tour du cheval ailé,
l’étudiant sous toutes les coutures. Le sombral la fusillait du regard et soufflait régulièrement
par les naseaux pour signaler son agacement. « Mais pourquoi ? »

Harry flatta une dernière fois l’encolure argentée puis le fit disparaître d’un coup de baguette.

« Les gens changent. » répondit-il simplement.

Mais probablement pas tant que ça.

°°O°°O°°O°°O°°

« Il faut vraiment que tu arrêtes avec Tonks. » lança Sirius, lorsque Remus apparut dans
l’encadrement de la porte de sa chambre. Allongé sur le dos, les mains croisés derrière la tête,
l’Animagus se sentait beaucoup plus calme qu’il ne l’avait été plus tôt. « Vous devenez aussi
chiants que Nyssa et Fol’Œil. Plus grave, Lunard, tu deviens aussi con que Fol’Œil. »

Le loup-garou, à sa décharge, ne contesta pas l’accusation. Il ferma la porte derrière lui et


s’appuya contre le mur. « Depuis quand Tonks et Severus sont les meilleurs amis du
monde ? »

« Va savoir. » gronda Sirius. « Je ne sais pas à quoi joue Snape… Je ne sais pas à quoi joue
Dumbledore… Mais ça se termine ce soir. » Il expira lentement. « Demain, on retourne à
Poudlard. »
Obedience Is Not A Virtue

Obedience is not a virtue. I wanted to please everyone but myself, and I had to lose
everything to learn that lesson. For my pride I had to lie in a glass coffin for twenty
years to learn my lesson. By the time I was released, I understood. My husband was a
good man, but he did not rescue me. I rescued myself.”
― Kathryn Wesley, The 10th Kingdom

Être docile n’est pas une vertu. Je voulais faire plaisir à tout le monde sauf à moi, et il
m’a fallu tout perdre pour le comprendre. À cause de ma fierté, il m’a fallu rester
allongée dans un cercueil de verre pendant vingt ans pour apprendre ma leçon. Lorsque
j’ai été libérée, j’avais compris. Mon mari était un homme bon, mais il ne m’as pas
sauvée. Je me suis sauvée moi-même.

Kathryn Wesley, The 10th Kingdom

Harry ne se ferait jamais au brouhaha qui régnait dans la salle de Potions. Il ne s’y était pas
habitué de tout son séjour en soixante-quinze et il ne s’y habituerait pas davantage
maintenant qu’il était de retour à son époque. Si possible, la sensation de décalage était pire
parce qu’il s’agissait véritablement du domaine de Snape et que l’attitude désinvolte de
Slughorn était en contraste totale avec celle que le Professeur de Potions aurait adoptée.

« Il te reste de la poudre de salamandre ? » demanda Ron, en pivotant sur son tabouret. À


côté de son meilleur ami, Zabini leva les yeux au ciel et fit signe à Harry de laisser tomber,
désignant un bocal du menton.

« Weasley, je n’ai aucune intention de faire tout le travail… » avertit le Serpentard.

Ron laissa échapper un soupir de martyr mais se remit à la tâche que lui avait confiée Zabini,
à savoir trancher une limace en fines lamelles. Le Gryffondor était d’excellente humeur
depuis le hibou qu’il avait reçu de Bill la veille au soir, assurant à toute la fratrie Weasley que
Charlie et lui étaient hors de danger.

Harry, pour sa part, jeta un coup d’œil désabusé à sa potion qui n’avait ni la consistance, ni la
couleur appropriée. Le résultat était probablement meilleur que ce qu’il aurait obtenu avant
d’avoir cohabité avec Severus – les deux Severus – pendant des mois mais ce n’était toujours
pas la panacée. Il se retourna à son tour, essayant de capter le regard d’Hermione dans
l’espoir qu’elle ait une idée géniale qui sauverait sa note et sa moyenne. Si jamais il prenait
l’envie à Snape d’aller vérifier ses résultats depuis leur retour… Quoi que l’homme n’ait plus
l’air de se soucier énormément de lui.

Pas plus qu’Hermione qui était beaucoup trop occupée à fusiller Malfoy du regard. Il n’eut
pas le temps d’en éprouver un quelconque plaisir ou soulagement parce que le Serpentard lui
lança un sourire arrogant et l’expression sévère de la jeune fille disparut graduellement au
profit d’une moue amusée. Il se pencha vers elle, avec l’intention évidente de lui voler un
baiser, mais elle esquiva et lui colla une fiole entre les mains, le rappelant visiblement à
l’ordre.

Slughorn, qui discutait botanique avec Greengrass et Neville, ne s’était aperçu de rien.

Harry se retourna vers son chaudron, incapable de chasser de l’esprit qu’un éléphant aurait pu
passer en volant et que le Professeur ne l’aurait pas remarqué.

Il épongea la transpiration qui commençait à se former sur son front d’un revers de manche et
se repencha sur les instructions du manuel, tout en se demandant ce qu’aurait fait Sev à sa
place. Il aurait probablement jeté tout un tas d’ingrédients dans le chaudron, tout en préparant
quatre autres potions à côté.

En réfléchissant à ce qu’il avait fait et dans quel ordre, il en conclut que le problème venait
du laps de temps écoulé entre l’ajout de la sauge et celui des yeux de chauve-souris. Il était
sûr d’avoir pris davantage que les cinq minutes indiquées parce que Ron l’avait distrait en lui
demandant l’heure.

Il se souvenait distinctement que le Maître des Potions avait un jour monologué pendant
trente minutes sur l’emploi de la poudre d’aubépine dans ce genre de situation lorsqu’il
tentait de développer la potion qui les avait ramenés dans le présent. Du moins, il pensait que
c’était la poudre d’aubépine… Il avait été bien trop occupé à hocher la tête tout en pensant au
match de Quidditch à venir pour réellement écouter.

Se sentent d’humeur aventureuse, il se dirigea vers la réserve – en d’autres temps, il aurait dû


demander l’autorisation mais Slughorn ne se préoccupait pas vraiment de ce genre de
formalités – attrapa l’aubépine et tout ce qui lui semblait pouvoir servir et repartit à sa place.
Il n’était très honnêtement pas certain de ce qu’il était en train de faire mais il rajouta
l’aubépine, remua dans le sens des aiguilles d’une montre jusqu’à ce que la potion devienne
plus claire et ensuite y jeta une goutte de rosée dans l’espoir, légèrement désespéré, que cela
réussirait à la délayer.

C’était un miracle mais ça fonctionna et Harry laissa échapper un soupir de soulagement.

« Votre mère aussi était extrêmement douée en potions. » lança Slughorn par-dessus son
épaule. Harry sursauta violemment, se reprochant immédiatement d’avoir baissé la garde,
trop concentré sur son chaudron. Il n’avait pas eu véritablement l’occasion d’échanger avec
le Slughorn de cette époque, pourtant, à chaque fois que le garçon surprenait le regard du
Professeur sur lui, ce dernier semblait ému. À l’instant, l’homme paraissait plongé dans ses
souvenirs. « Vous avez ses yeux. Mais pour le reste… Tout James. C’est remarquable. »

« Pas tellement. » marmonna-t-il.

Slughorn ne parut pas l’entendre, son regard était rivé sur la cicatrice.

« Cette chère Lily… » murmura l’homme avec affection. « Elle méritait mieux que ça… »
C’était un euphémisme.

« Professeur Slughorn. »

La voix familière réduisit le brouhaha ambiant à un silence de mort. McGonagall n’avait pas
l’air enchantée par la scène qu’elle venait d’interrompre.

« Minerva ! » s’exclama Slughorn avec son entrain habituel. Il délaissa le chaudron d’Harry
pour aller accueillir la sorcière. « Que puis-je pour vous ? »

« Je regrette de vous interrompre mais je suis contrainte de vous emprunter Potter, si vous n’y
voyez pas d’inconvénient. » Elle se tourna dans la direction d’Harry avant que Slughorn ait
pu approuver ou rejeter sa requête. « Prenez vos affaires, le Directeur veut vous voir et je
crains que nous en ayons pour un moment. »

La sorcière était contrariée, ce n’était pas dur à deviner.

Harry éteignit le feu sous son chaudron et rangea ses affaires rapidement, enfonçant les
parchemins dans son sac sans se soucier de les froisser. Il ignora les regards interrogateurs de
Ron et d’Hermione tout comme il ignora les chuchotements curieux qu’il entendit sur son
passage.

La porte de la salle de potions était à peine refermée lorsqu’il pivota vers sa Directrice de
Maison. Surprise, la vieille femme fit un pas en arrière.

« Est-ce que c’est mon père ? » demanda-t-il, avant d’avoir pu s’en empêcher. La panique lui
nouait les tripes et il eut beau dresser bouclier sur bouclier, rien ne parvint à la maîtriser. Il ne
pouvait pas penser à une autre raison pour laquelle…

« Votre père ? » répéta McGonagall, sans comprendre. Harry grimaça à sa propre maladresse.
Il n’était plus Harry Prince. Cependant, la sous-directrice écarquilla les yeux avant même
qu’il ait pu s’expliquer. « Par Morgane, non ! » s’exclama-t-elle. « Le Professeur Snape, si
tant est que c’est à lui que vous faites référence, est en parfaite santé. »

Harry respira un peu plus facilement. Il jeta un regard alentour pour s’assurer que personne
n’avait surpris la conversation. Les couloirs, toutefois, étaient déserts.

« Alors… Pourquoi le Professeur Dumbledore veut-il me voir ? » Il fronça les sourcils, peu
enchanté à l’idée de se retrouver une nouvelle fois dans le bureau directorial. Il aurait préféré
garder ses distances.

« Je n’ai pas l’habitude de demander des explications au Professeur Dumbledore, Mr Potter. »


répliqua la sorcière, en l’invitant d’un geste à passer devant. « Je suppose qu’il a ses
raisons. »

Harry analysa sa réponse. « Vous ne savez pas, n’est-ce pas ? »

La sous-directrice pinça les lèvres avec contrariété mais ne répondit pas. Toutefois, Harry
était persuadé que ce n’était pas lui qui l’avait agacée. Peut-être n’avait-elle pas pour
habitude d’exiger des explications, pourtant cela ne l’empêchait pas d’en désirer. Il la suivit
le long des couloirs familiers jusqu’à la gargouille qui gardait le bureau et qui pivota en les
voyant arriver, avant même que McGonagall ait pu lancer un quelconque mot de passe.

Visiblement, ils étaient attendus avec beaucoup d’impatience.

Harry comprit pourquoi avant d’avoir fait trois pas dans le bureau du Directeur.

« Harry. » lança Sirius, à moitié soulagé et à moitié craintif.

Remus le salua d’un sourire. Quant à Dumbledore, il était derrière son bureau et dissimulait
mal sa contrariété. Il n’échappa au garçon qu’il était le seul à être assis. Sirius et Remus se
tenaient debout, à quelques pas l’un de l’autre, dans une position qui aurait été parfaite lors
d’un duel. Il était clair à l’attitude des uns et des autres, qu’il y avait eu un échange peu
courtois avant son arrivée.

« Merci, Minerva. » offrit Dumbledore, avec un sourire amical pour la sous-directrice. « Je ne


veux pas vous retenir plus longtemps. »

« Me retenir ? » grinça la sorcière, en posant une main possessive et réconfortante sur


l’épaule d’Harry. Elle ne semblait pas surprise de trouver ses anciens élèves dans le bureau de
son supérieur mais elle n’en paraissait pas davantage enchantée. « Si mes soupçons sont
exacts et que vous comptez discuter de la tutelle de mon élève, dans ce cas… »

« Merci, Minerva. » répéta le vieux sorcier, plus fermement. « Il est inutile de compliquer
davantage la situation. »

« La situation n’a rien de compliquée. » lâcha Sirius. « La seule complication que je vois,
c’est vous. »

L’atmosphère était tendue et Harry ne voyait pas de raison d’y rajouter une lutte de pouvoir
supplémentaire.

« Ça ira, Professeur. » offrit-il à sa Directrice de Maison.

La sorcière ne dissimula pas sa contrariété. « En êtes-vous certain, Potter ? »

Il hocha brièvement la tête, notant distraitement le soulagement soudain de Sirius. Son visage
était plein d’espoir.

« Crois-bien que je n’ai rien à voir avec tout ceci, Harry. » déclara Dumbledore, dès que la
porte se fut refermée sur la sous-directrice. « Tes souhaits étaient on ne peut plus clairs et… »

« Et ça ne vous regarde pas. » cingla Sirius. « James et Lily désiraient que j’élève leur fils s’il
leur arrivait malheur. »

« Ce que Sirius essaye de dire… » tempéra Remus, en faisant un pas en avant.

« Ce que j’essaye de dire c’est que la garde d’Harry me revient. » coupa l’Animagus. « Et
vos petites machinations en coulisses n’y changeront rien. J’ai déposé une demande ce matin
au Ministère. » Il tourna ses yeux gris, brillants d’espoir vers Harry. « Tu vas enfin pouvoir
venir vivre avec moi. On trouvera une maison… Quelque chose de bien. Vers chez les
Weasley si tu veux. Où tu veux. Tu pourras choisir… »

« Je regrette mais ceci est impossible. » soupira Dumbledore, en se pinçant l’arrête du nez.
« Si vous vouliez bien m’écouter, Sirius… »

« Je n’ai aucune raison de vous écouter. » aboya Sirius.

« Harry doit demeurer sous la garde des Dursley. » insista le vieux sorcier. L’attitude obtuse
de Sirius parut le décourager et il tourna le regard vers Remus. « La protection offerte par
Lily… »

« Elle a bon dos cette protection. » L’éclat de rire de l’ancien prisonnier sonnait faux et le
loup-garou grimaça avec un air gêné. « Il y a d’autres moyens de protéger Harry. Poudlard ou
le Square Grimmaurd… On peut trouver un endroit sûr. »

« Nous pouvons effectivement dissimuler le garçon aux Mangemorts. Et encore. » concéda


Dumbledore. « Mais pouvons-nous le dissimuler à Lord Voldemort ? Pouvons-nous le
protéger contre lui ? La protection qui coule dans ses veines, de par le sacrifice de sa mère,
trouve écho en Pétunia, le sortilège s’ancre en elle. Tant qu’Harry a un lien avec le sang de sa
mère… »

« Et c’est suffisant ? » attaqua Sirius. « Ces Moldus sont horribles. Ils le traitent comme un
chien. Et je refuse que le fils de James soit traité comme ça, vous m’entendez ? Harry est ma
responsabilité. »

Harry, qui était resté silencieux tout au long de ce long échange, se racla la gorge sans pour
autant attirer l’attention de qui que ce soit.

« Sirius… » tenta le loup-garou. « Peut-être que… »

« Peut-être que quelqu’un pourrait me demander mon avis. » lâcha Harry, éprouvant une
certaine satisfaction face à l’expression coupable de Remus. Ça eut le mérite de faire taire les
trois sorciers et le garçon haussa les épaules. « Vous savez. Au cas où j’aurais éventuellement
une opinion sur le sujet. »

Un sourire discret et amusé joua sur les lèvres de Dumbledore. Il l’invita d’un geste à
poursuivre. « Je t’en prie, Harry. »

Bien entendu, ce fut à ce moment là que le bruit contenu d’une implosion retentit un peu plus
bas. Toute trace d’amusement s’effaça du visage du Directeur qui agita sa baguette pour une
raison mystérieuse, d’un air las. Il ne fallut pas plus de dix secondes avant que la porte du
bureau ne s’ouvre. Snape fit une de ces entrées fracassantes dont il avait le secret, ses robes
claquant derrière lui et les traits tordus par une grimace agacée.

« Si vous pensez que votre pitoyable gargouille suffit à me barrer le chemin… » siffla
l’homme, en fusillant Dumbledore du regard.
« Je vous prie de m’excuser, Severus… Qu’il est stupide de ma part d’avoir pensé que tout
ceci était une affaire familiale qui ne vous regardait pas… » ironisa le vieux sorcier.

« Stupide, en effet. » répliqua Snape.

« Tu n’as rien à faire ici. » attaqua immédiatement Sirius. « Tu… »

Il n’en fallut pas plus pour que la discussion sombre dans le chaos le plus total. Snape et
Sirius paraissaient prêts à se sauter à la gorge, Remus tentait tant bien que mal de calmer la
situation et Dumbledore semblait sur le point de se taper la tête contre le mur tant il était
frustré.

« Stop ! » s’énerva Harry, sa voix amplifiée par un sonorus.

Le silence retomba brutalement sur le bureau comme une chape de plomb.

« Je n’ai aucune intention d’aller vivre chez toi, Sirius. » lâcha le garçon, avant qu’ils aient
pu recommencer à se disputer. « J’ai cours. Professeur Dumbledore, est-ce que je peux… »

« Oui. » acquiesça le directeur au moment précis où Snape et Sirius s’exclamèrent en même


temps « Non. »

« Oh, Merlin. » soupira Remus et, vraiment, Harry était d’accord.

Le Professeur et l’Animagus se dévisagèrent, apparemment choqués d’être du même avis.


Snape se reprit le premier et se tourna vers l’adolescent. Ignorant les invectives de
l’Animagus, il agrippa son épaule et lui donna une gentille secousse.

« Comprends bien la situation, Harry. » murmura le Maître des Potions. « La demande de


Black est fondée et recevable, le Ministère n’est pas en pouvoir de la rejeter. Personne ne
peut la rejeter, surtout avec l’appui de ta Directrice de Maison, pas même le Professeur
Dumbledore. »

« J’ai bien compris. » déclara le garçon, en haussant les épaules. « Mais je m’en fiche. »

Le regard du Professeur se durcit. « Harry… Nous en avons discuté à maintes reprises. Il te


faut quelqu’un… »

« J’ai déjà quelqu’un. » coupa-t-il sèchement. « Même si vous semblez l’avoir oublié. »

« Je n’ai rien oublié. » grinça l’homme. « Simplement… Les choses sont plus compliquées
qu’elles n’y paraissent. Black est ton parrain. Il prendra soin de toi. » Les mots lui laissaient
très visiblement un arrière goût amer. Ce n’était rien cependant en comparaison de
l’expression estomaquée de Sirius. Harry baissa les yeux et l’espion serra brièvement son
épaule. « Tout vaut mieux que les Dursley. »

Le Gryffondor eut des difficultés à avaler la boule qui était venue se loger dans sa gorge.
« Non, justement. »

Snape ôta sa main avec une expression agacée.


« Maudite tête de mule. » marmonna le Professeur, au moment où Sirius faisait un pas
hésitant en avant.

« Harry, s’il te plait… Je ne sais pas ce que tu me reproches précisément… Je ne sais pas ce
qui s’est passé mais… » hésita son parrain, le regard implorant. « Ce n’était pas moi. »

« Ce qui s’est passé… » lâcha Harry. Il en éclata presque de rire. L’amertume et le


ressentiment le surprirent presque. « Tu as pris un malin plaisir à m’humilier pendant des
mois. Toi et James et Peter… Et vous… » Il jeta un coup d’œil à Remus mais ne put
totalement masquer son mépris. « Vous les avez laissés faire sans jamais lever le petit doigt. »

« On était jeune, Harry. » avança Remus, en secouant la tête. « Je sais que ce n’est pas une
excuse mais… »

« Non. » l’interrompit-il froidement. « Ça ne l’est pas. » Les yeux verts fixèrent à nouveau
son parrain. « Tu m’as attiré dans la Cabane Hurlante un soir de pleine lune. Tu vois, tout le
reste j’aurais pu le pardonner mais ça… »

Même Dumbledore eut un sursaut choqué, les yeux bleus perçants se posèrent
immédiatement sur le Professeur de Défense mais Snape garda les siens obstinément
détournés. Remus eut un mouvement de recul involontaire.

« Est-ce que… » s’inquiéta immédiatement le loup-garou.

« Non. » s’empressa de le rassurer Harry. « Non. Plus de peur que de mal et je ne vous en
veux pas pour ça. Ce n’était pas votre faute. »

« Ce n’était pas moi ! » protesta Sirius, les deux mains levées en signe de supplique.
Visiblement, son parrain ne comprenait toujours pas où était le problème. Harry en était
presque dégouté.

« Non ? » se moqua-t-il. « Tu n’as pas attiré Severus dans la Cabane Hurlante, alors ? »

Snape laissa échapper un claquement de langue réprobateur, probablement parce qu’Harry


avait utilisé son prénom sans y avoir été autorisé au préalable. Il ne s’en préoccupa pas,
n’ayant que peu d’intérêt pour les formalités à l’instant.

« C’était très différent. » se défendit son parrain. Pourtant, sa voix était gardée, plus réservée.

« À vrai dire, pas tant que cela. » soupira le Maître des Potions. « Toutefois, la question est
hors de propos. Harry, je refuse que tu retournes chez ces Moldus. »

« Et moi, je refuse d’aller chez Sirius. » s’énerva-t-il, en levant les bras au ciel. « Alors on fait
quoi ? »

« Commence par baisser d’un ton. » siffla le Professeur de son ton le plus dangereux. « Puis,
obéis. Cela te changera. Tu signeras ce que Black désire que tu signes. »

« Severus, vous ne pouvez pas l’y obliger. » intervint Dumbledore. « Harry, si tu veux t’en
aller… »
« Harry n’ira nulle part tant qu’il n’aura pas appris à se comporter en personne mature et
responsable. » répliqua Snape.

« Tu n’as pas de leçons à lui donner ! » répliqua Sirius. « Harry est mon filleul, ma
responsabilité, espèce de sale… »

« Ne lui parles pas comme ça. » coupa le garçon, une main sur sa baguette.

« Je lui parlerai comme j’ai envie de lui parler. » rétorqua son parrain. « Je ne sais pas quel
genre de lavage de cerveau il t’a fait mais… »

Harry secoua la tête, refusant d’en entendre davantage. Il pivota vers Snape, baisant la voix.
« J’ai déjà un adulte. »

« Harry… » cingla l’espion, d’un ton qui laissait présager une longue tirade.

Ça non plus, il ne voulait pas l’entendre, alors il salua Dumbledore d’un hochement de tête.
« Professeur. »

Il prit les jambes à son coup avant que quelqu’un ait l’idée de lui jeter un sort pour le retenir.
Il entendit bien Sirius tenter de le rattraper mais quelqu’un dut réussir à lui barrer la route
parce qu’il parvint à émerger dans le couloir de pierre sans que qui que ce soit ne l’arrête. Il
s’appuya un instant sur la gargouille, sans parvenir à ressentir ni soulagement ni regret à sa
liberté retrouvée.

Tout ce qu’il éprouvait au fond, c’était un gros vide.

°°O°°O°°O°°O°°

Sirius ravala un cri rageur lorsque la porte du bureau se fut refermée derrière Harry. Il
repoussa d’un geste agacée la main qui enserrait son bras, jetant un regard noir à son meilleur
ami, avant de faire face à l’homme qui lui barrait la route.

« Écarte toi. » cracha-t-il.

« Certainement pas. » répliqua Snape.

Ce qui se passa ensuite fut bien trop rapide pour lui. Il voulut tirer sa baguette mais Snape le
devança d’un quart de seconde, il ne faisait aucun doute pour lui qu’il aurait terminé à Sainte
Mangouste si Dumbledore n’avait pas agité la main d’un geste négligeant, récupérant leurs
deux baguettes d’un même mouvement.

« Je vous prierais de ne pas vous entretuer dans mon bureau. » lâcha le Directeur, pince-sans-
rire. « Les elfes de maison ont suffisamment de travail sans y rajouter des traces de sang à
décaper du sol. »

Ils l’ignorèrent tous les deux, trop occupés à se regarder en chien de faïence.

« À quoi tu joues ? » aboya finalement Sirius. Il était perdu. Pourquoi Snape prenait-il son
parti ? Son comportement depuis leur retour n’avait aucun sens – et celui d’Harry non plus
d’ailleurs.

Le Mangemort ne répondit pas et Remus se racla la gorge, ouvertement mal à l’aise.

« Je pense qu’il vaut mieux laisser quelques minutes à Harry. » suggéra le loup-garou.
« Severus, peut-être pourrais-tu… »

« Si tu penses que quelques minutes vont arranger la situation alors tu es encore plus stupide
que je ne l’imaginais. » grinça Snape, sans même daigner regarder Remus en face. Il était
bien trop occupé à fusiller Sirius des yeux. « Des excuses. » lâcha-t-il. « Présente-lui tes
excuses. Vautre-toi plus bas que terre si c’est ce qu’il faut mais il est impératif qu’il te
pardonne. »

« Pourquoi ? » se méfia-t-il. « Qu’est-ce que tu y gagnes ? »

Un Serpentard agissait toujours dans son intérêt propre.

Il était bien placé pour le savoir, il avait grandi entouré de serpents.

La réponse tarda à venir et Sirius secoua la tête, un rictus aux lèvres. « Je ne comprends
rien. »

« Doux euphémisme. » cracha le Mangemort, sans colère pourtant. Les yeux noirs passèrent
de lui à Dumbledore, s’arrêtèrent sur Remus et revinrent finalement se braquer sur lui.
« Professeur Dumbledore, ma baguette je vous prie. »

« Ai-je votre parole que vous ne tenterez pas d’assassiner qui que ce soit dans cette pièce ? »
répondit patiemment le Directeur, du même ton qu’il employait déjà vingt ans plus tôt pour
arbitrer leurs disputes.

« Pas dans l’immédiat en tout cas. » lâcha Snape, en tendant la main.

Un coup de baguette de la part de Dumbledore et les leurs flottaient tranquillement dans les
airs. Snape attrapa la sienne d’un geste brusque, Sirius attendit qu’elle retombe dans sa
paume. Il la soupesa pensivement, songeant que, lui, n’avait rien promis.

Il fut surpris quand, en dépit de l’avertissement du vieux sorcier, le Mangemort tenta quelque
chose. Son bouclier hâtif fut immédiatement renforcé par celui, plus puissant, de Remus et,
en conséquences, ils eurent tous deux l’air idiot lorsque Snape leva un sourcil moqueur, le
petit flacon qu’il venait de faire apparaître au creux de sa main. Sirius attendit le
commentaire acerbe qui, pourtant, ne vint pas. Le Maître des Potions porta le bout de sa
baguette à sa tempe et entreprit de remplir le flacon de filaments argentés.

Des souvenirs.

À quoi jouait Snape ?

« Severus. » grinça Dumbledore. « Je ne pense pas… »

« Cela concerne Harry. » lâcha Snape. « Rien d’autre. »


Le Directeur ne fit pas davantage de reproches mais il était évident que cela ne lui plaisait
guère. Une fois le flacon plein, l’homme y apposa un scellé magique et le fit léviter jusqu’à
Sirius avec une expression contrariée.

Non pas que Snape n’ait jamais l’air autre chose que contrarié…

Sirius attrapa la fiole et la fourra dans sa poche avant qu’il ne vienne à l’esprit de
Dumbledore de s’en emparer.

« Pour ton usage personnel. » avertit toutefois Snape, dans un sifflement. Son regard dériva
brièvement vers Remus. « Est-ce clair ? »

Limpide. Il ne voulait pas que le loup-garou se balade dans les souvenirs qu’il venait de lui
confier.

Le premier réflexe de Sirius fut de protester avant de l’envoyer au diable. Pourtant, il tint sa
langue.

Il voulait une explication, si le prix à payer était une plongée en solitaire dans les souvenirs
de Servillus, il le paierait. Il pourrait toujours raconter à Remus, plus tard, ce dont il
retournait.

Il accepta donc d’un bref hochement de tête avec la sensation désagréable d’être en train de
passer un marché avec le diable.

°°O°°O°°O°°O°°

« Le sortilège de suggestion est comparable à L’Impérium dans le sens où la volonté de celui


qui le jette se superpose à celle de la victime, toutefois… » La jeune fille interrompit sa
lecture, le souffle court. « Draco. »

Draco masqua mal un rictus amusé et déposa un autre baiser dans son cou. Voilà une activité
qui était bien plus intéressante que de réviser pour le cours de Défense.

« Draco, on est dans bibliothèque. » siffla Granger d’un ton où l’apeurement se disputait à
l’excitation de l’interdit.

Dans la bibliothèque, certes, songea-t-il, mais la partie la plus reculée, là où très peu de gens
s’aventurait, et, là où il avait bien pris soin de l’attirer : à l’abri des regards indiscrets et des
amis trop collants.

« Continue à lire. » se moqua-t-il gentiment. « Je ne voudrais pas être responsable de ton


échec scolaire. »

N’étant pas de celles à refuser un défi, elle se racla la gorge et reprit sa lecture. C’était encore
plus amusant, décida-t-il, en picorant son cou de baisers. Sa voix ne cessait de monter dans
les aigus où bien de s’essouffler sans raison.

Il n’avait peut-être pas lu le chapitre concernant les sortilèges de suggestion mais il supposait
que ce n’était pas bien différent de ce qu’ils étaient en train de faire. Granger, l’innocente
victime, se débattait pour conserver l’esprit clair et Draco, le vilain sorcier, tentait par tous les
moyens de lui faire perdre la tête. Lorsqu’il captura délicatement la peau douce sous son
oreille entre ses incisives, elle referma le livre d’un geste sec. Il n’eut pas le temps de
demander si elle déposait les armes avant qu’elle n’attrape fermement son visage et ne l’attire
à elle.

Il était en train de développer très, très rapidement une dépendance malsaine pour ses baisers.
Granger embrassait comme une Gryffondor – non qu’il en ait embrassées beaucoup avant
elle, ses conquêtes précédentes étaient soit des Serpentards soit des Serdaigles – toute en
fougue et sans retenue aucune. En d’autres termes, la passion qu’elle mettait dans ses baisers
contrastait de manière délicieuse avec la minutie qu’il mettait dans les siens.

Il n’eut aucun mal à l’attirer sur ses genoux pour approfondir le baiser. Elle passa les bras
autour de son cou tandis que les siens venaient enserrer sa taille et il sentit son sourire
satisfait tout contre ses lèvres.

Il soupçonnait qu’il aurait pu passer le reste de sa vie à l’embrasser.

Le raclement de gorge était malvenu et si Granger avait pu voir le geste vulgaire qu’il fit dans
son dos, nul doute qu’elle l’aurait frappé comme elle aimait si souvent le faire. Il ne savait
pas si elle n’avait simplement pas entendu ou si, comme lui, elle était décidée à ignorer
l’interruption mais elle ne mit pas fin au baiser.

Le raclement de gorge laissa place à un toussotement appuyé qui lui rappela tellement
Ombrage qu’il finit par s’écarter afin de fusiller du regard la personne déterminée à leur
gâcher la journée.

Il fut surpris de trouver sa cousine plantée là, à se mordre la lèvre d’amusement, dans ses
vêtements moldus ridicules pleins de trous à des emplacements soigneusement étudiés sur les
cuisses et aux genoux. Elle n’avait pas l’air bien en forme, nota-t-il.

« Tu devrais prendre une dose de potion Pimentine pour ta gorge. » lâcha-t-il. « L’infirmerie
est au premier étage au cas où tu aurais oublié. »

Granger sauta de sur ses genoux avec un couinement gêné, elle était aussi rouge que sa
cravate.

« Tonks ! » s’exclama-t-elle pourtant avec un plaisir sincère.

« Salut, Hermione. Je ne te demande pas si ça va. » salua la jeune femme avec un clin d’œil,
ignorant royalement les sarcasmes du Serpentard. Tout le monde l’ignorait récemment. Ça en
devenait vexant. De fait, l’Auror poursuivit : « Ça ne t’embête pas si je t’emprunte Malfoy
quelques minutes ? Je n’en ai pas pour longtemps… »

« Non, non. » s’empressa de la rassurer la jeune fille, en attrapant le manuel de Défense


qu’elle avait abandonné un peu plus tôt. « Je devais demander quelque chose à Ginny de
toute manière. »

« Cool ! » Tonks lui adressa un sourire éclatant. « Embrasse la pour moi. »


« Surtout, ne me demandez pas mon avis. » grommela-t-il alors que Granger prenait congé.

La jeune fille leva les yeux au ciel et lui colla un baiser sur la joue.

« Sois gentil. » murmura-t-elle à son oreille.

Gentil. Il s’en étouffa presque. Draco n’était pas gentil.

Et, pensa-t-il, en observant Tonks se laisser tomber sur une chaise vacante sans aucune
espèce de grâce ou d’élégance, il pressentait que la conversation qui s’annonçait ne le
pousserait pas à le devenir davantage.

Elle tira une liasse de parchemins froissés de la poche intérieure de sa cape et les posa à plat
sur la table pour mieux les lisser puis elle les lui glissa.

« J’ai besoin que tu signes ça. » déclara-t-elle. Elle fouilla des yeux le désordre organisé que
Granger avait laissé derrière elle sur la table et attrapa une plume et un encrier. « Signe bien
sur la ligne. Il y a cinq copies. »

Draco pianota distraitement sur la table sans faire un seul geste pour attraper la plume qu’elle
lui tendait. D’abord, parce qu’il n’aurait jamais consenti à se servir d’une plume d’oie d’aussi
piètre qualité que celles qu’utilisait Granger ; ensuite, parce qu’il n’avait aucune intention de
signer quoi que ce soit sans savoir de quoi il retournait.

« Qu’est-ce ? » demanda-t-il simplement, tâchant de ravaler la boule qui s’était logée dans sa
gorge et menaçait de l’étouffer. L’intitulé du document – bien que perdu au milieu de tout le
blabla inutile qui caractérisait les papiers officiels en provenance du Ministère – était pourtant
clair : il s’agissait de papiers de tutelle.

Sa bouche était sèche.

Si quelqu’un était autorisé à faire une demande de garde alors son père l’avait véritablement,
officiellement, renié. Dans les règles.

« Tu sais ce que c’est, ne fais pas l’imbécile. » grinça la jeune femme. « Écoute, ça ne me fait
probablement pas plus plaisir qu’à toi et c’est provisoire de toute façon. Tu auras dix-sept ans
dans moins d’un an et d’ici là… » Elle haussa les épaules. « Pleins de choses peuvent se
passer d’ici là. Ce n’est qu’une sécurité. »

Son petit discours était sensé et il en était déjà arrivé à la même conclusion de toute manière.

Il jeta un coup d’œil circonspect aux parchemins froissés, cherchant des yeux le nom de son
nouveau tuteur. « Ta mère, je suppose ? »

« Non. » lâcha-t-elle, avec un agacement manifeste. « Ce sera moi. J’ai tiré quelques ficelles,
ça ne posera pas de problème. Tout ce que tu as à faire, c’est signer. Ce sera effectif d’ici ce
soir. »

« Toi ? » hésita-t-il « Pourquoi ? »


L’Auror ne le portait pas particulièrement dans son cœur. Pas plus que Draco ne les appréciait
elle et ses tenues farfelues.

« Parce que ma mère est injoignable. Quant à Sirius… » Elle fit un mouvement agacée de la
main. « Sirius, ce serait compliqué. Il me reste moi ou la dizaine de Sang-Purs qui peuvent
réclamer ta garde sous couvert d’un lointain lien de parenté. Bien sûr, la moitié sont des
Mangemorts mais, je t’en prie, fais ton choix. »

« Tu devrais songer à reteindre tes cheveux en rose, c’est tout ce qui manque à ta panoplie de
clown. » se moqua-t-il, en sortant sa plume de paon de son sac. « Et je suppose que tu
souhaite des remerciements ? »

Elle leva les yeux au ciel mais elle ne prit pas mal sa remarque. Si possible, elle semblait
amusée. « Signe, c’est tout ce que je veux. »

Il ne demanda pas pourquoi elle avait décidé de lui rendre cet énorme service – il était
suffisamment intelligent pour comprendre qu’elle était potentiellement en train de lui sauver
la vie – elle faisait parti des ‘gentils’, après tout. L’Ordre du Phoenix. Il supposait que c’était
une raison suffisante. Et étant donné qu’il avait cofondé, à son grand malheur, l’Ordre du
Phoenix Junior, il aurait été bien hypocrite de sa part de s’en plaindre.

Il parcourut les documents avec l’attention que son père lui appris à donner à tout papier légal
et apposa finalement sa signature là où elle le lui indiqua. Lorsqu’il reposa la plume, ce fut
avec un étrange sentiment de désarroi au creux du ventre. Comme s’il venait tout juste de
renoncer à son identité.

« Bien. » lança la jeune femme avec un sourire enjoué. Il avait l’impression distincte qu’elle
était en train de se forcer. « Me voilà ta responsable légale jusqu’à ta majorité. » Elle
rassembla les documents, les fourra à nouveau dans sa poche et s’effondra plus franchement
sur sa chaise sans aucun souci de l’image qu’elle donnait. Narcissa l’aurait étranglé s’il s’était
comporté ainsi. « C’est très bizarre comme sensation. » marmonna-t-elle en grimaçant.
« Quand tu penses que je ne peux pas m’occuper d’une plante verte. »

« C’est très rassurant, en effet. » déclara-t-il sobrement. « Puis-je avoir une copie des
papiers ? »

« Je te les enverrais ce soir. » promit-elle, sans esquisser le moindre geste pour se lever.
« C’est juste pour quelques mois. Tout se passera bien. » Il se demanda qui elle essayait de
convaincre : lui ou elle ? Elle lui jeta un regard en coin. « Pas de conneries, d’accord ? J’ai
passé l’âge d’être convoquée dans le bureau de Snape pour me faire hurler dessus. Quoi
d’autre… Pas de drogue, évidemment. Pas de cigarettes, non plus, même si c’est pour avoir
l’air cool. »

Il leva les yeux au ciel. « Il est de mon devoir de t’informer que fumer n’est plus cool,
comme tu dis, depuis des années. Qui plus est, c’est un passe-temps de moldu. » Il ne cacha
pas son reniflement méprisant. Son père le lui avait seriné pendant des années.

« Pas de commentaires de ce genre non plus. » grinça-t-elle. « Pas d’alcool, pas de potions
hallucinogènes, pas de… »
Il la mit en sourdine le temps qu’elle finisse sa longue liste d’interdictions, se demandant
avec amusement si elle était en train de réciter un livre sur l’éducation des adolescents qu’elle
avait avalé à sa pause déjeuner ou si elle tirait les éléments de sa propre expérience. Il ne la
connaissait pas bien mais il aurait penché pour la seconde option.

« Et, pitié, pour l’amour de Merlin ou de qui tu voudras… » lâcha-t-elle. « Ne met pas de fille
enceinte et surtout pas Hermione. Tu sais… Tu sais comment empêcher ce genre de choses,
hein ? »

Il lui fallut quelques secondes pour être certain d’avoir bien entendu et beaucoup d’autres
pour se composer un visage digne malgré le rouge qui lui brûlait les joues.

Tonks était également écrevisse mais il ne parvenait pas à compatir.

« Mêle-toi de tes affaires. » riposta-t-il sèchement.

« Je vais prendre ça pour un oui. » soupira-t-elle de soulagement, en bondissant sur ses pieds.
« Si tu as un problème… »

« Merci. » coupa-t-il froidement, en regardant partout sauf dans sa direction.

Il répondit à peine à son salut, trop humilié pour se soucier de politesse. Lui demander, à lui,
s’il savait…

Trop pris par ses pensées, il sursauta lorsque Granger posa une main sur son épaule.

« Ça va ? » s’enquit-elle prudemment.

Il fut incapable de lui expliquer, par la suite, pourquoi il passa l’heure suivante à rougir à
chaque fois qu’elle l’effleurait.

°°O°°O°°O°°O°°

Severus leva presque les yeux au ciel lorsqu’il buta contre les protections au détour d’un
couloir.

En quelques coups de baguette, il s’était frayé un chemin au travers des couches magiques. Il
prit toutefois soin de les refermer derrière lui avant de pénétrer dans l’ancienne salle de classe
de Divination.

Si les coussins roses avaient été délavés et poussiéreux en soixante-quinze, ce n’était rien à
côté d’aujourd’hui. L’odeur de renfermé le prit à la gorge dès son premier pas dans la pièce.

Les souvenirs aussi. Ceux de son adolescence, bien sûr, ceux des après-midis passés là, à lire,
tandis que Lily dessinait, mais également ceux de leur dernier jour dans le passé.

Je te pardonne.

L’écho de la voix de Lily résonnait encore à ses oreilles.


Je te pardonne.

« Un conseil, Harry. » lâcha-t-il, enterrant ces réminiscences qui menaçaient de le distraire au


fin fond de son esprit. « Si tu veux me tenir à l’écart, évites d’utiliser des sorts que j’ai moi-
même inventés. »

Stupide enfant, songea-t-il, non sans affection.

L’adolescent se tenait accoudé à une fenêtre ouverte, probablement pour aérer un peu la
pièce, et ne se retourna pas à son arrivée. Stupide et impoli. Le digne héritier de James Potter,
en somme. Il chassa cette pensée aussi vite qu’elle était venue, sachant qu’elle était injuste.

« Je ne pensais pas devoir vous tenir à l’écart. » riposta le gamin. « Vous vous y mettez tout
seul depuis qu’on est rentré. »

« Autre conseil, surveille le ton que tu emploie. » grinça-t-il. Néanmoins, il supposa qu’il
n’avait pas volé la pique.

Le Gryffondor grommela quelque chose de déplaisant que Severus feignit de ne pas entendre.

« Je ne veux pas aller vivre chez Sirius. » déclara fermement le garçon. « Et vous ne pouvez
pas m’y obliger. »

Severus se pinça l’arrête du nez et compta mentalement jusqu’à trois, regrettant l’époque
nettement plus simple où il n’avait pas à se préoccuper des susceptibilités d’un gamin de
quinze ans.

« Je pense qu’il est nécessaire que tu es une conversation avec Black. » décida-t-il. « Le plus
tôt serait le mieux. »

« Et moi je pense que vous ne pouvez pas jouer aux pères uniquement quand ça vous
arrange. » cingla le garçon, en lui jetant un regard noir par-dessus son épaule. « Les choses
sont trop compliquées pour vous, non ? C’est ce que vous avez dit. »

« Non. » corrigea-t-il sèchement. « J’ai dit que la situation est compliquée car c’est le cas. Je
le regrette, Harry, je le regrette profondément, mais les choses sont ce qu’elles sont. Tu as
besoin d’un adulte dans ta vie et je ne peux pas remplir ce rôle. Plus maintenant. »

Il ne savait pas ce que le Gryffondor fixait du regard dans le parc mais ça devait être
passionnant parce qu’il ne tourna pas la tête. Il ne tressaillit même pas.

« Vous avez dit que j’étais votre fils. » murmura le garçon, si bas que Severus l’entendit à
peine. « Vous avez dit… »

« Je le pensais. » répondit-il simplement. « Je le pense toujours, d’ailleurs. C’est pourquoi il


faut que tu laisses Black endosser ta tutelle. Il pourra te protéger des Dursley. »

« Je n’ai pas besoin qu’on me protège des Dursley. » cracha Harry. « Et je n’ai pas besoin de
vos mensonges. C’est comme Masque. Vous l’avez abandonné. On n’adopte pas un chat pour
l’abandonner. »
Severus ferma brièvement les yeux. Les choses auraient été bien plus simples s’ils étaient
restés dans les années soixante-dix.

« Je ne l’ai pas abandonné, je te l’ai confié. » contra-t-il.

« Oh, et vous ne m’abandonnez pas, vous me confiez à Sirius, peut-être ? » se moqua Harry,
avec beaucoup trop d’amertume pour un enfant de son âge.

« Précisément. » déclara-t-il. Ça eut le mérite d’attirer l’attention de l’adolescent. « S’il y a


une seule chose dont je sois certain, c’est de la loyauté de Black envers ton père. Black fera
tout pour te protéger, Harry, même s’opposer à Dumbledore. Tu seras en sécurité avec lui et,
pour l’instant, c’est tout ce qui m’importe. »

« Comme si vous en aviez encore quelque chose à faire. » soupira Harry, en haussant les
épaules. « Je sais que vous êtes occupé. Je peux comprendre que vous soyez occupé mais… »

Oui, il était occupé. C’était un euphémisme. Lorsqu’il n’était pas en train d’enseigner ou
d’espionner, il corrigeait des copies, lorsqu’il en avait terminé avec ses copies, il faisait des
recherches sur leur problème de loups-garous et quand il avait fini de tourner en rond sur le
sujet des lycanthropes, il se penchait sur le problème des horcruxes. Et, à présent, il avait un
espion à dénicher. Il avait de la chance s’il dormait une heure ci et là, sans parler de trouver le
temps de grignoter. Si Minerva n’avait pas pris sur elle de le trainer dans la Grande Salle à
heures fixes ou de lui faire apporter des plateaux de nourriture, il était certain qu’il serait déjà
mort de faim.

« Être occupé n’est qu’un prétexte. » coupa-t-il. Harry se détourna finalement totalement de
la fenêtre, apparemment surpris qu’il l’admette aussi ouvertement. Peut-être aurait-il dû être
plus clair avec le gamin dès le début. Il avait tendance à sous-estimer le Gryffondor malgré le
fait qu’il ait fait ses preuves maintes et maintes fois, c’était plus fort que lui, Severus voulait
le protéger. « Mes boucliers ne sont plus ce qu’ils étaient, tu l’auras remarqué. »

Il lutta contre le besoin instinctif de dissimuler ses faiblesses. Ses boucliers mentaux étaient
un pâle reflet de ceux qu’ils avaient été dans le passé. Ils étaient bancals et la fatigue n’aidait
pas à les contrôler. S’il prenait l’envie à Dumbledore de passer outre, le vieux sorcier était
parfaitement en mesure de les briser. S’il prenait l’envie au Seigneur des Ténèbres de les faire
voler en éclat…

Severus était certain de ne pas parvenir à les reconstruire, cette fois-ci.

« Ce n’est pas un mal. » décréta le garçon.

La bouche de Severus tressauta mais son amusement disparut presque aussitôt. Certes, Harry
n’avait jamais été un grand admirateur de ses dons d’Occlumens ou, tout du moins, de la
manière dont il les utilisait mais les boucliers avaient leur utilité autre que de servir à
compartimenter ses sentiments. Ces temps-ci, non seulement Severus avait tendance à se
laisser commander par ses émotions mais il avait également du mal à les dissimuler, elles, ses
pensées et ses souvenirs.
« Tu es trop proche de moi. » expliqua-t-il sobrement. « Ou, plutôt, je suis trop proche de toi.
J’ai de plus en plus de mal à le cacher au Seigneur des Ténèbres. Mettre de la distance est un
mal nécessaire. »

Un mal probablement bien inutile, également. Plus les jours passaient, plus Severus sentait
l’étau se resserrer autour de sa gorge. C’était l’autre raison pour laquelle il lui semblait
prudent de se détacher du garçon, une raison qu’il préférait passer sous silence : il estimait
que sa survie se comptait en semaines, en mois s’il avait de la chance. Bientôt, très bientôt
probablement, le Seigneur des Ténèbres perdrait patience et Severus en paierait le prix.

Il devait prendre ses dispositions en ce sens.

L’espion, Tonks et Minerva pouvaient s’en charger le cas échéant, mais Harry…

L’air revêche du garçon laissa place à une expression inquiète. « Vous ne devriez pas y
retourner. »

« Je n’ai pas le choix et tu le sais. » contra Severus. « Nous en avons déjà discuté. »

« Mais… » protesta le Gryffondor, les sourcils froncés.

« Potter. » grinça-t-il.

L’adolescent se tut mais pas sans laisser entendre son mécontentement par un air boudeur.

« Si les choses étaient différentes… » continua Severus mais il laissa sa phrase en suspens. Il
n’y avait jamais rien à gagner à explorer des ‘et si’ excepté des migraines et des regrets qui
vous trouaient le cœur. « Fais un effort avec Black. »

L’ironie ne lui échappait pas.

Il supposait que le destin avait un curieux sens de l’humour.

« Vous m’avez promis de vous battre, vous vous rappelez ? » demanda le gamin, délaissant
finalement sa fenêtre pour approcher. « Vous m’avez promis que si jamais… Si jamais… » Le
Gryffondor secoua la tête. « Vous m’avez promis que vous feriez tout ce que vous pourriez
pour rester en vie. Vous m’avez promis. »

« J’ai promis. » acquiesça-t-il.

« Je ferai un effort avec Sirius mais vous ne vous faites pas tuer. » lâcha le garçon.

Le compromis n’était pas bien heureux mais il l’accepta d’un hochement de tête. Il ne fut pas
véritablement surpris lorsque Harry se jeta presque sur lui dans une de ces étreintes
étouffantes dont il avait le secret. Severus ne s’en plaignit pas, au contraire. Le garçon lui
manquait.

« Autre chose… » déclara-t-il. Il attrapa fermement les épaules du Gryffondor et le tint à bout
de bras pour mieux le regarder en face. « Il s’est avéré évident que le Professeur Dumbledore
a découvert par lui-même l’existence des Horcruxes, toutefois je n’ai pas jugé nécessaire de
lui révéler ce que nous avions découvert à ton sujet. Harry, il est impératif que tu demeures
sur tes gardes, comprends-tu ? »

Il ne voulait pas être plus explicite. Les protections qu’Harry avait posées valaient les siennes
mais il y avait des choses, des douleurs, dont même la magie ne pouvait protéger.

« Halloween. » souffla le garçon. Sa voix était neutre mais Severus perçut la fêlure.

Il refusa de songer à ce qui s’était passé cette nuit là. Le souvenir de Dumbledore prêt à jeter
un Avada, Harry qui se tenait là, sans bouger, acceptant son sort avec un détachement
placide…

« Je ne pense pas qu’il s’en prendra à toi aussi directement. » nuança-t-il. « Pas tant qu’il
n’est pas certain du sens précis de la prophétie. Quoi qu’il en soit… »

« Vigilance constante. » se moqua amèrement le garçon.

« Ce serait préférable, oui. » confirma-t-il. « Il serait également préférable que tes amis ne
croisent pas le Directeur. »

« Ils ne sont pas au courant. » déclara le Gryffondor, en fuyant son regard. « Je ne sais pas
pourquoi je ne leur ai pas dit. »

« C’est pour le mieux. » jugea-t-il, avant de répéter pensivement. « C’est pour le mieux… »

°°O°°O°°O°°O°°

« Il est de bon ton de se présenter au Directeur avant d’arpenter le domaine, Miss Tonks. »
lança une voix dans son dos.

Tonks sursauta et heurta l’armure sur sa droite, elle en perdit sa hache qui heurta l’armure d’à
côté déclenchant une réaction en chaine. En l’espace d’une poignée de secondes, le couloir si
silencieux jusque là se perdit dans la cacophonie d’une dizaine de lourdes pièces de métal
heurtant le sol.

Elle se retourna vers le vieux sorcier qui la dévisageait avec un amusement évident.

« Simple courtoisie, bien entendu. » énonça Dumbledore, en agitant négligemment sa


baguette.

Les armures se remirent debout, ramassant les pièces égarées et retournant s’aligner
nettement le long du mur. Elle ne savait pas pourquoi mais il y avait quelque chose dans la
nonchalance affichée avec laquelle il avait jeté le sortilège qui lui fit froid dans le dos.

« Je suis simplement venu faire signer les papiers de tutelle à Malfoy. » lâcha-t-elle,
légèrement sur la défensive.

Elle avait l’impression désagréable d’être prise en faute, comme si elle avait à nouveau
quinze ans et qu’il était en droit de la réprimander.
« Naturellement. » commenta le Directeur, sans pour autant franchir les quelques mètres qui
les séparaient. La distance mettait Tonks mal à l’aise. Aussi désert que le couloir soit, elle
n’aimait pas l’idée de parler assez fort pour se faire entendre de tous.

« J’ai ouïe dire que vous avez fait transférer le Ministre à l’aube. » reprit Dumbledore devant
son mutisme. « J’en ai été un tant soit peu surpris. Vous ne l’avez pas mentionné hier. »

« Ouïe dire. » répéta-t-elle, avec un rictus agacé. Elle se doutait bien que l’homme avait des
taupes au Ministère mais tout de même. Elle avait sacrifié énormément d’heures de sommeil
afin de s’assurer que le transfert soit gardé secret le plus longtemps possible.

La planque où ils gardaient le Ministre – presque contre sa volonté – n’était connue que de
trois Aurors qu’elle avait trié sur le volet et de Percy Weasley. Il n’était pas dur d’identifier le
mouchard.

« Ce genre d’informations pourrait être vital à l’Ordre, Miss Tonks… » remarqua le


Professeur. « Je suis étonné que vous ayez choisi de nous les dissimuler. »

Les yeux bleus cherchaient les siens mais Tonks prit le plus grand soin de fixer une armure
du regard.

« Je n’ai rien dissimulé du tout. J’ai pris une décision en toute connaissance de cause. »
répliqua-t-elle. « La protection du Ministre concerne le Département des Aurors et il se
trouve que, jusqu’à nouvel ordre, j’en suis responsable. Je ne vois pas en quoi cela concerne
l’Ordre. »

« Je pensais avoir été clair. » La voix de Dumbledore était froide et presque tranchante.

Tonks fit de son mieux pour lui cacher le malaise croissant qu’elle éprouvait. Elle parvenait à
peine à tenir tête à Bellatrix Lestrange et Severus Snape. Elle n’avait aucune chance contre
Albus Dumbledore. L’envie de sortir sa baguette la démangeait mais elle savait, au plus
profond d’elle-même, que cela aurait été une erreur.

« Clair ? » se moqua-t-elle pourtant, avec une bravoure de façade. « On ne peut pas dire
qu’être clair soit votre spécialité, Professeur Dumbledore. »

Un sourire amusé joua sur les lèvres du vieil homme.

« Ma chère, vous découvrirez qu’avec l’âge, s’entourer de mystère devient votre meilleure
arme. » déclara Dumbledore. « Toutefois, je ne peux m’empêcher de noter que pour la
deuxième fois, je suis dans l’obligation de vous répéter que l’Ordre a précédence sur le
Ministère. Si vous ne nous faites pas confiance, Miss Tonks, comment, nous, pourrions-nous
croire en votre parole ? »

Fatiguée des faux-semblants, elle releva la tête, une lueur de défi dans le regard, et croisa les
bras. « Vous m’accusez de quoi, précisément ? »

Le vieux sorcier balaya sa question d’un geste, sans se départir de son expression plaisante.

« Mais de rien, voyons. » nia-t-il. « Il s’agit tout au plus… d’une mise en garde. »
Mise en garde… C’est ça !, songea-t-elle. Ça ressemblait plus à une menace.

« Considérez moi mise en garde. » déclara-t-elle, dans un haussement d’épaules. « Et


maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai rendez-vous avec le Professeur
McGonagall. »

« À quel sujet ? » s’enquit-il, les sourcils levés trahissant un signe de surprise.

« Je veux mettre en place une protection autour de Poudlard. » soupira-t-elle. « Légère pour
le moment. Un ou deux Aurors à Pré-au-Lard, peut-être. Je dois en discuter avec votre sous-
directrice. Elle a dit qu’elle vous enverrait un mémo. Peut-être que vous devriez vous
concentrer un peu plus sur votre travail et un peu moins sur le mien. »

La dernière phrase était probablement de trop, elle ne s’en rendit compte qu’un peu tard.

Néanmoins, au lieu d’en prendre ombrage, Dumbledore inclina la tête et s’éloigna sans autre
commentaire.

Elle ne se sentit libre de respirer qu’une fois qu’il fut hors de vue.

Plus le temps passait et moins elle lui faisait confiance.

°°O°°O°°O°°O°°

Sirius fit pensivement tourner le whiskey dans son verre.

Se procurer une pensine s’était révélé compliqué et couteux mais il refusait d’emprunter celle
de Dumbledore. De plus, comme Remus l’avait répété plusieurs fois, c’était sans doute un
excellent investissement.

Bien sûr, il n’en avait pas fait l’acquisition pour se contenter de la dévisager en chien de
faïence mais il semblait que ce soit tout ce qu’il soit bon à faire, ce soir là.

Remus s’était excusé un peu plus tôt, décidé à retrouver la trace de sa louve-garou, et, depuis,
Sirius contemplait la pensine, un verre de whiskey dans la main droite et une cigarette qui se
consumait lentement dans la gauche. La fiole que Snape lui avait confiée était vide, renversée
sur la table juste à côté de la pensine en obsidienne. Le noir profond de l’artéfact ne faisait
que renforcer la pâleur laiteuse des souvenirs qui y tourbillonnaient dans un chaos ordonné.

Il n’était pas certain de vouloir savoir ce qu’ils contenaient.

Il s’était trop habitué à ce genre d’entrée en scène pour sursauter lorsque deux mains se
posèrent sur ses épaules. Il n’entendait jamais Nyssa se déplacer. Il y avait une raison pour
laquelle la furtivité des vampires était devenue légendaire.

« J’ai une mission de reconnaissance près de la rive nord. » déclara la vampire. « Tu veux
m’accompagner ? Nous n’avons pas chassé depuis un moment… »

« Fol’Œil est déjà pris ? » répliqua-t-il, plus amèrement qu’il ne l’aurait voulu.
Les doigts fins s’enfoncèrent brièvement dans ses épaules, comme par réflexe. Ils laisseraient
des hématomes, elle était plus forte qu’il n’y paraissait. Elle aurait probablement pu lui
arracher la tête si l’envie lui en avait pris.

« Ne soit pas comme ça. »

L’avertissement dans sa voix était clair et Sirius détourna la tête, heureux qu’elle se trouve
dans son dos. Ça lui évitait de devoir lui mentir en face.

« Ce que tu fais et avec qui, ce sont tes oignons. » lâcha-t-il. « Je suis occupé ce soir. »

« Occupé à boire et à fumer tout seul dans ton coin ? » se moqua-t-elle gentiment. « C’est
drôle… Avant que tu sois innocenté, tout ce à quoi tu pensais, c’était sortir d’ici, et
maintenant… Tu restes enfermé toute la journée. C’est du gâchis. »

« Ouais… » Il laissa échapper un petit rire acerbe. « Tu veux que je te dise ? Fol’Œil et toi ?
C’est pire que du gâchis. »

Les mains quittèrent ses épaules. Il ne l’entendit pas sortir mais quelques secondes plus tard
la porte d’entrée claqua et le portrait de sa mère se mit à hurler insultes sur insultes.

« Kreattur, fais la taire ! » beugla-t-il.

Il ne savait pas où cet abruti d’elfe était encore passé, la créature avait tendance à se tenir loin
de lui, mais une minute plus tard, le silence retomba sur la maison.

Il était seul à présent.

Il vida son verre d’un trait et écrasa la cigarette dans le cendrier.

Tout ce qui lui manquait était un brin de courage.

Ironique, songea-t-il, il était un Gryffondor. Du courage, il aurait dû en avoir à revendre.

Pourtant, lui semblait-il, il était bien plus facile d’être courageux lors d’une bataille que
lorsqu’il s’agissait de faire face à soit même.

Il n’y avait pas plus cruel, après tout, que son propre reflet dans une glace.
Enemies

Do I not destroy my enemies when I make them my friends?


― Abraham Lincoln

Est-ce que je ne détruis pas mes ennemis lorsque j’en fais mes amis ?

Abraham Lincon.

Sirius n’aurait jamais cru que Snape aurait été capable de courir aussi vite.

Le constat était sans doute bien idiot, pourtant, c’était le seul qui lui vint à l’esprit.

Il trop choqué, trop assommé par la dizaine de souvenirs qu’il venait de visionner pour qu’il
en soit autrement. Combien de temps avait-il déjà passé dans cette pensine ? Des heures ? Il
avait l’impression d’y être depuis des siècles tant les images étaient insoutenables.

Et il ne s’agissait que des souvenirs de Snape…

Il n’avait souvent été le témoin que de l’après-coup. Il arrivait à temps pour sortir Harry d’un
lac où les Maraudeurs ivres l’avaient poussé, pour le voir suspendu dans les airs habillé en
bébé ou humilié d’une quelconque autre manière… Il y avait eu, bien sûr, tout un tas de
princesse moqueurs jetés en présence du Mangemort mais les souvenirs de Snape ne
montraient pas le pire.

Or, le pire, il le devinait parfaitement.

Il avait en tête des milliers de farces que James, Remus, Peter et lui avaient faites à Snape –
souvent, en réponse à une provocation ou, du moins, ce qu’ils prenaient à l’époque pour une
provocation. Il pouvait facilement deviner les tours qu’ils avaient joués à Harry.
Curieusement, ils ne semblaient plus aussi drôles.

Le souvenir continua autour de lui, impitoyable. Il n’avait pas besoin de courir au côté de
Snape parce que la pensine ne l’aurait pas laissé s’éloigner de lui de toute manière. Alors,
Sirius restait planté là, les mains dans les poches, attendant que le Mangemort ne disparaisse
au détour d’un couloir et que la pensine ne le ramène, lui, auprès de son éternel rival.

Il savait ce qui l’attendait.

Il l’avait su à la seconde où il avait vu la panique sur le visage de Snape.

Le Saule Cogneur était toujours immobile lorsque le Mangemort l’atteignit et l’homme ne


prit pas le temps d’hésiter ne serait-ce qu’une seule seconde avant de s’engouffrer dans le
tunnel. Sirius le suivit, pressant l’allure, cette fois-ci.
Lorsque Snape s’immobilisa brutalement, Sirius ne comprit pas pourquoi. L’obscurité n’était
troublée que par le pâle halo d’un lumos mais c’était suffisant pour qu’il aperçoive le regard
apeuré du Mangemort, la détresse évidente sur ses traits. L’homme était terrifié.

Sirius était certain de ne jamais l’avoir vu ainsi auparavant.

La sueur perlait sur le front du Maître des Potions, sa respiration était saccadée et
assourdissante dans le silence de mort qui régnait dans le tunnel.

Pour la première fois, Sirius mesura à quel point sa petite ‘farce’, à l’époque, n’avait rien eu
d’amusant. Très clairement, Snape en avait gardé d’autres séquelles qu’une aversion notoire
envers les loups-garous.

Il fut surpris de ne tirer aucun plaisir de son désarroi.

Avec une lenteur presque insupportable, Snape fit un pas en avant, puis un autre et encore un
autre jusqu’à ce qu’il se remettre à courir. Sirius suivit, se retrouvant à admirer son courage.
Il était évident que le Mangemort allait à l’encontre de tout ce que son instinct pouvait lui
crier.

Amusant, songea Sirius, il avait toujours pensé que l’homme était lâche.

Le courage, cependant, n’était souvent qu’une question de motivations. À la seconde où il


aperçut une lumière danser au loin, Snape se précipita.

Harry était allongé par terre, un bras ensanglanté pressé contre son torse, tandis que James se
tenait devant lui, tentant désespérément de repousser Lunard qui, sous sa forme animale,
s’acharnait à pénétrer dans le tunnel.

Sirius aurait dû se concentrer sur Harry, c’était, après tout, le but de cette petite incursion
dans le passé : comprendre pourquoi son filleul le détestait autant désormais. Il aurait dû.
Pourtant, depuis quelques souvenirs, c’était l’attitude de Snape qui le préoccupait – quoique
intriguait aurait peut-être été un meilleur terme.

La panique à laquelle l’homme, habituellement si maître de lui-même, céda à cet instant, il


aurait été incapable de la décrire. Tout alla trop vite. L’expulso jeté vers Remus, l’éboulement
d’une partie du tunnel…

Snape n’y jeta pas un coup d’œil, pas plus qu’à James qui, inquiet pour le loup-garou, tentait
de se frayer un chemin parmi les gravas. Tout ce dont le Mangemort se préoccupait, c’était
Harry.

L’homme ne vérifia même pas que James suivait lorsqu’il entraina Harry hors du tunnel.
Quant à ce qui se passa lorsqu’il s’écroulèrent tous deux dans l’herbe humide…

« Est-ce qu’il t’a… Tu es blessé. Où… Est-ce qu’il t’a… » balbutia Snape, en tâtant le torse,
les épaules de l’adolescent à la recherche d’une possible morsure.

Sirius fit un pas en arrière, choqué par le total abandon du Serpentard.


Il fallut du temps avant que le Mangement ne se calme. Ni les arguments rationnels de James,
ni les paroles rassurantes d’Harry ne semblaient faire effet. Snape ressemblait à un animal
sauvage. Dès que quelqu’un approchait de trop près, il les repoussait d’un revers de baguette,
dans une tentative bien superflue de protéger le garçon.

Les yeux noirs ne cessaient de passer de James au Snape de quinze ans, puis se braquaient sur
Peter, le jeune Sirius et enfin Dumbledore. Les longs doigts fins étaient crispés sur la
baguette en bois sombre, son autre main serrait l’épaule d’Harry si fort que sa poigne avait
probablement laissé des hématomes.

Plusieurs minutes passèrent avant qu’Harry ne parvienne à le ramener à la réalité, à le sortir


de cette espèce de transe primaire.

Quand le Mangemort attira le garçon contre lui, Sirius serra les dents, s’attendant à éprouver
une colère ou un dégout qui ne vint pas.

Ce souvenir-ci tranchait avec les autres.

Les autres avaient tous eu pour but d’illustrer la rancœur d’Harry. Celui-ci…

Celui-ci était différent.

Il ne comprenait pas pourquoi Snape voulait le lui montrer. On l’y voyait terrifié, démuni…
Ce n’était pas le genre du Serpentard d’étaler ses faiblesses au grand jour… Certainement pas
devant Sirius qui avait toujours eu le don de les dénicher et de les retourner contre lui.

La réponse vint très vite.

À quoi tu joues ?, avait-il demandé, dans le bureau de Dumbledore.

« Tu es tout ce que j’ai. » lâcha Snape, l’adolescent toujours serré contre lui. « Tu es mon fils.
Je ne peux pas te perdre, Harry. Je ne peux pas, tu comprends ? »

Le souvenir se dissout, emportant avec lui la réponse du garçon.

Sirius se retrouva assis sur le vieux canapé, dans le salon du Square Grimmaurd, et, très
lentement, attrapa son paquet de cigarettes.

De sa vie, il n’avait jamais, jamais, cru quoi que ce soit qui venait de Snape.

Pour la première fois, pourtant, il ne doutait pas de la véracité de ses paroles.

°°O°°O°°O°°O°°

Les souvenirs tournoyaient dans la pensine.

De temps en temps, l’un d’eux, sans doute plus fort que les autres, troublait la surface. Albus
observait cet étrange ballet sans véritablement le voir, trop pris par les pensées qui lui
tournaient encore en tête.
Il se leva, s’efforçant d’ignorer la lassitude rampante dans ses os. Il était vieux, les gens
avaient une tendance prononcée à l’oublier…

La nuit était paisible. La lune n’était pas tout à fait pleine mais le ciel était suffisamment
dégagé pour qu’on y voie clair. Il se posta devant la fenêtre de son bureau et laissa son regard
se perdre dans la contemplation du domaine. Il fit distraitement tourner le petit miroir à
l’intérieur de sa poche mais l’objet demeura froid – il doutait que Lucius ne le contacte ce
soir là. Severus n’avait envoyé aucun patronus ce qui signifiait qu’il était sans doute quelque
part dans ses cachots, penché sur ses livres tout en maudissant son mentor.

Albus était fatigué de cette situation.

Severus se méfiait de lui, Harry le détestait, Sirius cherchait par tous les moyens à lui mettre
des bâtons dans les roues, Remus était sur une pente glissante, Minerva était cassante…

Et Tonks agissait de manière suspecte.

Il suivit des yeux la course d’une buse dont l’ombre se dessinait clairement dans la nuit.
L’animal virevolta à droite, à gauche puis fondit soudain vers le sol avant de remonter à-pic,
son diner prisonnier de ses serres.

Il lissa distraitement sa barbe, se sentant bien seul. Il aurait aimé que Minerva se joigne à lui,
ce soir là, comme ils en avaient l’habitude. Une tasse de thé, une conversation stimulante, une
partie d’échecs qu’elle perdrait sauf s’il lui prenait l’envie de la laisser gagner… N’importe
quoi qui ait pu lui détourner l’esprit du monde extérieur.

Avec un soupir, il s’éloigna de la fenêtre, jeta un coup d’œil aux portraits endormis sur les
murs, dépassa le perchoir de Fumseck non sans lui gratter le dessus de la tête, et se dirigea
finalement vers la vitrine remplie de fioles et flacons aux formes diverses et alambiquées. Il
lui fallut plusieurs minutes pour dégager un espace suffisant afin d’atteindre ce qu’elles
dissimulaient mais il parvint à extirper le petit flacon étiqueté Bob Ogden.

Il en avait visionné le contenu tant de fois qu’il le connaissait par cœur. La maison des
Gaunt… Le médaillon de Salazar Serpentard… La bague frappée des armes des Peverell…

Un frisson le parcourut au souvenir de la bague.

Pourquoi ne parvenait-il pas à se résoudre à détruire l’Horcruxe ? Ou, tout du moins, à


essayer ? Certes, l’entreprise serait dangereuse mais il était certain de réussir.

Peut-être avait-il peur de réussir…

Il rangea le flacon de souvenirs et, instinctivement, ses pas le menèrent à un autre placard.
Ses doigts se posèrent sur le coffret en bois sombre qui abritait la part cachée de son passé,
retracèrent presque amoureusement les gravures et se retirèrent finalement, sans en avoir
soulevé le couvercle. Non seulement car s’il s’interdisait de replonger dans cette vieille
douleur mais, également, car il n’était pas sûr que contempler d’anciennes photographies de
Gellert et lui alors qu’il savait où trouver les trois reliques serait particulièrement intelligent.
Or, Albus Dumbledore était intelligent.

Assez pour comprendre que Tonks lui dissimulait quelque chose, d’ailleurs.

L’engagement de la jeune femme envers l’Ordre avait faibli depuis qu’ils avaient découvert
ce qui était arrivé à la famille d’Hermione Granger.

La question était… Avait-il failli avant cela ?

L’Auror était trop candide pour le tromper, du moins le pensait-il. Pourtant, il ne pouvait nier
que son comportement avait changé, ces derniers jours. Son refus soudain de le regarder dans
les yeux, par exemple, était troublant.

Remus, Molly, Bill, Charlie, Fleur, Anthony, Nymphadora, Fol’Œil, Kingsley, Minerva,
Nyssandra, Fletcher.

Pourquoi pas Tonks plutôt qu’un autre ?

Elle, plus que quiconque, connaissait les dispositifs de protection le jour du discours du
Ministre… Bien avant cela, elle avait passé des jours et des nuits entières au Square
Grimmaurd lorsqu’elle et Remus étaient encore en couple… Elle siégeait au Conseil…

Il était également possible que Tonks soit sous l’influence de quelqu’un d’autre… Quelqu’un
qui se servirait d’elle comme d’un pantin…

Albus n’avait aucune preuve concrète et c’était bien la raison pour laquelle il hésitait sur la
suite. Son regard se posa sur le jeu d’échecs posé sur une étagère. Les échecs étaient un jeu
de patience et de réflexion, il fallait savoir anticiper le coup de l’adversaire et s’en défendre
tout en montant une offensive.

Pourquoi Tonks avait-elle fait transférer le Ministre hors du Terrier où il était, somme toute,
en sécurité ?

Le Directeur ajusta les lunettes en demi-lune sur son nez.

Il était temps de se décider.

°°O°°O°°O°°O°°

« Un souvenir heureux. » répéta Harry, s’efforçant de ne pas perdre patience. « Pense à un


souvenir heureux. »

Neville se mordit la lèvre, son visage tordu en une grimace de concentration presque
comique. Pourtant, aucune brume argentée ne s’échappa de sa baguette.

La séance de l’AD ne se passait pas trop mal. Du moins, Harry pensait ne pas s’en sortir si
mal que ça. Hermione lui avait passé les rennes de la réunion sans que cela ne soulève de
débats, Malfoy avait bien râlé un peu mais c’était le seul. Tous les autres semblaient heureux
de lui obéir.
Il y avait, toutefois, une frustration générale bien perceptible. Peu des élèves parvenaient à
faire apparaître un Patronus non corporel, aucun n’avait encore réussi à en faire apparaître un
qui pourrait s’avérer un tant soit peu efficace contre un Détraqueur.

À sa droite, Luna laissa échapper un gloussement ravi lorsque la brume qui s’échappait de sa
baguette pris la forme vague d’un lapin ou d’un lièvre – c’était encore difficile à dire.

Harry asséna une claque amicale à Neville pour l’encourager et s’approcha de la Serdaigle.
La quatrième année écouta ses conseils avec attention puis hocha la tête en signe de
compréhension. Elle ferma les yeux pendant de longues secondes, un sourire enchanté se
dessinant petit à petit sur ses lèvres.

« Spero Patronum. » chantonna-t-elle presque.

Cette fois-ci, la brume prit indéniablement la forme d’un lièvre. Le Patronus n’était toujours
pas corporel mais ce n’était qu’une question de temps, d’après lui.

Le lièvre gambada ici et là dans la salle, provoquant quelques exclamations admiratives.


Harry s’éclipsa lorsque Neville s’approcha pour bredouiller des félicitations que Luna
accepta avec ravissement. Il doutait que sa présence soit souhaitée.

Il parcourut la pièce lentement, corrigeant les uns et encourageant les autres. Ginny lui fit un
grand sourire lorsqu’il passa près d’elle et, sans qu’il ne s’explique pourquoi, son cœur
s’emballa bêtement.

Étrange.

Perturbé, il trébucha et bouscula Malfoy. Si les yeux gris avaient été capables de lancer des
Avada…

« Désolé. » marmonna-t-il. « Comment ça se passe ici ? »

Hermione soupira de découragement, Ron haussa les épaules, Zabini se contenta de secouer
la tête et Malfoy le dévisagea d’un air froid.

« D’accord. » lâcha-t-il. « Quel est le problème ? »

Il fut aussitôt assailli par des questions agacées et des plaintes frustrées. Les sarcasmes de
Malfoy, il les ignora.

« Montrez-moi. » exigea-t-il.

Le Patronus d’Hermione était à peine de meilleure qualité que celui qu’elle avait produit dans
les dortoirs quelques jours plus tôt. Il n’avait toujours ni consistance, ni forme définie.

« Je vais continuer à m’entraîner. » soupira Hermione, avec une expression déterminée.

« À moi. » décréta Ron. « Spero Patronum. »


Un chien argenté s’échappa de sa baguette. Il n’était pas encore tout à fait net ou corporel
mais Harry décréta l’effort prometteur. Son meilleur ami leva les bras en V de la victoire et
tourna sur lui-même, avant d’adresser un sourire ravi à Hermione.

« Ça y est. » se moqua le roux. « J’ai réussi à maîtriser un sort avant toi ! »

Hermione secoua la tête avec amusement, accueillant la remarque d’un sourire indulgent.

« Un sort contre cent. » remarqua-t-elle.

« Laisse-le en profiter. » railla Malfoy. « Pour une fois qu’il parvient à réussir quelque
chose… »

Harry se tendit, se préparant à la dispute qui ne manquerait pas de survenir, mais Ron leva
simplement les yeux au ciel.

« Et toi, tu arrives à quoi, hein ? » provoqua le Gryffondor. « Je ne t’ai pas vu faire grand-
chose ce soir. »

« Ce n’est pas faux. » intervint Zabini, clairement amusé. « Je ne t’ai pas seulement entendu
prononcer la formule. »

Malfoy avait l’air d’avoir avalé quelque chose de travers.

« Je n’ai rien à prouver. » lâcha le Serpentard, d’un ton dédaigneux qui irrita le Survivant.

« Depuis quand ? » répliqua-t-il.

Ron pouffa, Zabini croisa les bras et Hermione soupira.

« Harry… » avertit-elle.

« Laisse. » l’interrompit Malfoy, avec un geste négligeant. « Je n’ai pas besoin de l’aval de
Potter. »

« Rien à voir avec mon aval. » insista Harry. « Je te regarde depuis tout à l’heure et tout ce
que tu as fait depuis le début de la séance, c’est te moquer des autres. Tu restes planté là et tu
n’essayes même pas. Est-ce que tu peux produire un Patronus ou pas ? C’est ça la question. »

Le Serpentard le fusilla du regard, la bouche pincée.

« Ne t’ait-il jamais venu à l’esprit que je n’avais peut-être pas envie de me donner en
spectacle ? » siffla Malfoy.

« Oh, s’il te plait… » cracha-t-il. « Tu adores te donner en spectacle. Moi, ce que je crois,
c’est que Monsieur-Sang-Pur-En-Chef ne sait pas jeter un Patronus. »

Peut-être allait-il trop loin. Certainement même. Après tout, ils avaient conclu une sorte de
trêve – autant qu’une trêve puisse exister entre Malfoy et lui…
« Je sais jeter un Patronus. » rétorqua pourtant le Serpentard, en grinçant des dents.

Il ne cessait de faire tourner sa baguette entre ses doigts comme si l’envie de s’en servir le
démangeait. Ça n’inquiéta pas Harry, il était certain de pouvoir le désarmer avant même qu’il
attaque.

« Depuis quand ? » demanda Zabini, en levant un sourcil interrogateur.

Hermione aussi avait l’air surprise. Ron, quant à lui, s’était désintéressé de la conversation,
visiblement décidé à rendre son Patronus corporel avant qu’Hermione n’y arrive.

« Contrairement à vous, je n’attends pas les réunions pour m’entraîner. » déclara Malfoy, le
menton haut.

C’était une piètre imitation de l’attitude arrogante de Lucius et Harry en ricana presque.

« Tu ne me l’as pas dit… » intervint Hermione, en fronçant les sourcils. « On parlait des
Patronus, l’autre jour, et tu n’as jamais dit que… »

« Je ne te dis pas tout. » cingla Malfoy.

Hermione le prit mal.

« Heureuse de l’apprendre. » lâcha-t-elle, avant de tourner les talons pour rejoindre Ginny.

Les quatre garçons observèrent les deux filles parler, grimaçant lorsqu’elles furent rejointes
par Lavande et les sœurs Greengrass.

« Oh, tu nous as tous mis dans la merde… » soupira Ron, avec agacement. « Tu sais
comment elles sont. Tu en énerves une, tu les énerves toutes. »

« Je te déconseille de dire ça trop près de Brown. » offrit Zabini.

« Quand même… » râla le Gryffondor. « Tout ça parce que Monseigneur ne veut pas
admettre qu’il est aussi nul que nous. »

« Je ne partage pas votre médiocrité. » s’entêta Malfoy. « C’est Potter, le fautif. »

Harry lui jeta un regard incrédule. « Moi ? Je n’ai rien fait. C’est toi qui as menti… »

« Une dernière fois, Potter…. » grinça le Serpentard « Je sais que c’est dur pour quelqu’un
avec un cerveau atrophié comme le tien mais je n’ai pas menti. »

« Prouve le. » défia Zabini, suffisamment fort pour que plusieurs personnes se retournent.

Très vite, Malfoy devint la cible de tous les regards. Si possible, Harry eut l’impression qu’il
était devenu encore plus pâle que d’ordinaire. Les élèves se déplacèrent jusqu’à former un
cercle autour d’eux et le Survivant se sentit mal à l’aise.

Il n’avait certainement pas eu l’intention d’humilier Malfoy aussi publiquement.


« Bon… » décréta-t-il, en tapant dans ses mains dans l’espoir de remettre un peu d’ordre dans
la séance.

« Spero Patronum. » cracha le Serpentard, d’un ton dégouté.

Harry ne savait pas comment le sortilège pouvait marcher étant donné le peu d’enthousiasme
que le blond y mit mais il ne put nier qu’il avait marché.

La mauvaise volonté de Malfoy s’expliquait, cependant.

Si son Patronus à lui avait été un reptile, il ne l’aurait probablement fait apparaître qu’en cas
d’extrême urgence.

C’était amusant, d’un certain côté, se dit-il, alors qu’un silence gêné tombait sur la pièce.
Malfoy aurait pu admettre avoir menti et s’en tirer d’un sarcasme ou d’une pirouette, mais
entre deux formes d’humiliations, il avait choisi celle qui épargnait le plus sa fierté.

« Sérieux ? » lâcha finalement Daphné Greengrass dans un gloussement.

Son hilarité se propagea très vite parmi les quelques Serpentards présents bien que Zabini fit
un effort manifeste pour se maîtriser.

Les Gryffondors n’eurent pas ce tact.

« Oh, mais c’est que c’est mignon… » se moqua Fred, en passant un bras autour des épaules
de Malfoy. Le Serpentard le repoussa mais ne cacha pas son irritation.

« On ne choisit pas sa forme Patronus. » maugréa le Sang-Pur. « Vous devriez le savoir. »

« C’est romantique. » décréta Susan Bones, en jetant un regard à Hermione qui était très
occupée à se perdre dans la masse.

Harry se racla la gorge et tapa dans ses mains une nouvelle fois. « Allez, on reprend ! »

Les petits groupes se dispersèrent rapidement, se désintéressant du serpent et de son Patronus


pour le moins incongru.

Malfoy resta planté là où il était, la tête haute et le menton fier.

Reflet exact du lion argenté qui dévisageait les adolescents d’un air hautain.

Harry eut toutes les difficultés du monde à ravaler son fou rire.

°°O°°O°°O°°O°°

Peut-être que débarquer en fanfare à Poudlard n’était pas la meilleure idée du siècle.

Tonks ne parvint pas à s’en préoccuper.

Elle fit les cents pas devant le haut portail en fer forgé jusqu’à ce que Hagrid vienne lui
ouvrir. Loin, de lui fournir les explications que le garde-chasse désirait, elle le planta là,
franchissant la distance qui séparait l’entrée du domaine des portes du château en un temps
record.

Si Dumbledore pensait que boucher sa cheminée l’empêcherait de venir faire un scandale, il


se fourrait le doigt dans l’œil. D’ailleurs, elle songeait de plus en plus à lui en arracher un.

Les grandes portes d’entrée s’ouvrirent en grand avant même qu’elle les ait atteintes sans
qu’elle puisse déterminer si c’était sa propre magie qui lui avait échappée ou si le château
avait senti son énervement et cherchait à minimiser les dégâts.

Sa journée avait pourtant bien commencé.

Elle s’était réveillée d’excellente humeur malgré l’heure matinale, s’était même arrêtée au
café du coin avant de transplanner vers la planque du Ministre pour apporter du café aux
Aurors qu’elle avait assignés à la protection de Scrimgeour… Le serveur était mignon et
avait flirté avec elle… Il ne pleuvait pas…

Bref, tous les prémices d’une bonne journée étaient réunis.

Jusqu’à ce qu’elle transplanne au cottage perdu sur la lande qu’elle avait choisi parce qu’il
était loin de tout et ne trouve plus aucune trace de son équipe ou du Ministre. Elle avait bien
évidemment conclu au pire, à peine rassurée par l’absence de la Marque des Ténèbres au
dessus de la maison. Elle avait perdu des heures à fouiller les environs, chercher
d’éventuelles traces… Tout ça pour se voir dire par Fol’Œil, lorsqu’elle avait finalement
contacté le Département, que Scrimgeour avait accepté l’offre de Dumbledore de séjourner à
Poudlard quelques temps.

L’offre que Fol’Œil, en personne, lui avait transmise.

Oh, ce qu’elle pouvait regretter de l’avoir fait réintégrer…

Ne soit pas stupide, gamine, avait-il cru bon de rajouter.

Elle se demandait vraiment qui d’eux deux était stupide. Pour un paranoïaque notoire,
Maugrey faisait un peu trop confiance à Dumbledore.

Son entrée fracassante fit sursauter plus d’un des élèves qui trainaient dans le hall ou devant
les portes de la Grande Salle. Elle continua sur sa lancée, montant les marches du grand
escalier quatre à quatre, ignorant les regards curieux que lui jetaient les adolescents en route
pour la pause déjeuner.

Elle avait atteint le deuxième étage et remontaient les couloirs vers le bureau du Directeur
lorsqu’elle se retrouva nez à nez avec Snape. Elle n’aurait pu dire qui des deux était le plus
surpris.

« Que faites-vous ici ? » demanda-t-il.

« Je n’ai pas le temps. » cingla-t-elle, en le contournant.


Elle refusait de laisser distraire de sa fureur. Sa colère était légitime et, plus grand sorcier au
monde ou pas, Dumbledore allait en faire les frais.

Bien entendu, c’était sans compter sur la propension qu’avait Snape à la malmener
physiquement. Il attrapa son bras et la traina dans la salle de classe la plus proche. Elle aurait
pu se libérer de sa prise mais ils s’étaient suffisamment tapés dessus ces derniers jours à son
goût.

« Professeur. » grinça-t-elle, une fois qu’il l’eut lâchée. « Je n’ai pas le temps. »

« Prenez le. » rétorqua l’homme, avant de sortir sa baguette.

Son mouvement de recul fut instinctif. Toutefois, c’était également stupide si elle en croyait
son expression moqueuse. En quelques secondes, il avait posé des protections qui, elle
l’aurait parié, étaient pratiquement inviolables.

« Il va falloir m’apprendre ça aussi. » décréta-t-elle, en se perchant sur un des bureaux.

« Vous semblez oublier que je ne suis plus votre enseignant, Nymphadora. » riposta-t-il. « Si
je devais vous apprendre tout ce que vous ignorez encore, nous serions toujours dans cette
pièce l’année prochaine. »

Elle était vexée. Vexée et énervée.

« Vous avez vraiment un balai dans le cul, vous savez ça ? » répliqua-t-elle.

La mâchoire de l’homme se contracta.

Elle se demanda vaguement à quel moment elle avait cessé d’avoir peur de lui.

« Écoutez. » lâcha-t-elle. « J’ai un compte à régler avec Dumbledore alors… »

« Je n’ai pas le temps de jouer aux devinettes. » cingla-t-il. « J’ai un rendez-vous. Expliquez-
vous. »

« Il m’a volé Scrimgeour ! » s’exclama-t-elle. Elle entendit l’immaturité dans sa propre voix
et croisa les bras.

Snape resta immobile pendant plusieurs secondes et puis haussa les épaules. « Est-ce tout ? »

« Tout ? » répéta-t-elle, incrédule. « Vous comprenez ce que je dis ? Il a pris le Ministre. Il a


réduit mon travail à néant. Il… »

« Nymphadora. » coupa-t-il sèchement. « Cela n’a aucune importance. »

« Aucune… »

Elle était à court de mots. Elle sauta de la table et se dirigea vers la porte.

Il lui bloqua la route.


Elle aurait dû s’y attendre.

« C’est ma carrière qui est en jeu. » s’énerva-t-elle, en tapant du pied.

La bouche de l’homme tressauta. Il parvint, cependant, à ne pas montrer de signe


d’amusement. Elle lui en fut reconnaissante.

« Un conseil. » lâcha-t-il. « N’affrontez pas le Professeur Dumbledore pour quelque chose


d’aussi trivial. »

« Trivial ? » s’étrangla-t-elle à moitié. « Vous êtes bien comme Remus ! »

Elle le poussa hors du chemin et claqua la porte derrière elle.

Elle ne fut pas surprise d’être arrêtée trois mètres plus loin par une main sur son épaule.

« Quoi ? » aboya-t-elle.

« Ne me comparez pas à Lupin. » siffla-t-il, d’un ton dangereux.

« Alors ne dites pas de conneries ! » rétorqua-t-elle.

Ils se fusillèrent du regard pendant un instant, puis, il retira sa main de son épaule lentement,
presque surpris qu’elle y soit encore.

« Je ne voulais pas vous insulter. » déclara-t-il. « Simplement vous mettre en garde. Vous ne
gagnerez rien à prendre Albus Dumbledore de front. »

Elle haussa les épaules. « Je n’y gagnerai peut-être rien, mais je parie que ça va me
soulager. »

Il n’était pas expressif. Elle aurait été bien en peine de dire ce qu’il pensait de sa déclaration.

« Soyez prudente. » fut tout ce qu’il consentit à répondre avant de tourner les talons dans un
claquement de cape.

« Soyez prudente. » singea-t-elle dans son dos, avant de poursuivre son chemin vers la
gargouille qui gardait l’entrée du bureau de Dumbledore.

Elle n’eut aucune difficulté à passer, c’était presque comme si elle était attendue. Elle monta
rapidement les escaliers et pénétra dans le bureau sans même prendre la peine de frapper. Elle
imaginait y trouver le Directeur et le Ministre en train de discuter au coin du feu – et c’était
aussi bien parce qu’elle avait un mot ou deux à dire à Scrimgeour ; Ministre de la Magie ou
pas, il devait le respect à ses employés – mais le vieux sorcier était seul.

« Miss Tonks. » la salua affablement Dumbledore, bien à l’abri derrière le rempart de son
bureau.

Être en colère ne l’empêcha pas de remarquer le soin apporté à la mise-en-scène. Le


Directeur avait les mains sagement croisées devant lui, sur une feuille de parchemin, et la
fixait par-dessus ses lunettes en demi-lune. Le feu ronflait dans la cheminée, de temps à
temps une buche craquait, conférant une atmosphère paisible, presque chaleureuse à la pièce.

« Vous n’aviez aucun droit ! » attaqua-t-elle, sans s’embarrasser de manières. « La protection


du Ministre… »

« Ah, j’imaginais bien que vous seriez contrariée. » grimaça le vieil homme, sans pour autant
paraître désolé.

Il se leva et la réplique toute prête de la jeune femme mourut sur ses lèvres. Lorsque Albus
Dumbledore bougeait, il occupait tout l’espace. Elle sentait presque les particules de magie
qui l’entouraient. Elle l’observa, sans un mot, presque méfiante, à présent, tandis qu’il se
dirigeait vers un petit chariot à roulette au cadre doré.

« Thé ? » proposa-t-il aimablement. « Asseyez-vous donc, Tonks. »

Elle n’aurait su dire pourquoi ses pieds la portèrent jusqu’au fauteuil qui faisait face au
bureau ou pourquoi elle le remercia pour la tasse qu’il lui colla entre les mains. Soudain, elle
regrettait de ne pas avoir écouté Snape.

« Sucre ? » s’enquit Dumbledore, d’un ton distrait, en lui tendant un bol rempli de petits
cubes.

Elle en prit un machinalement et le laissa tomber dans la tasse avant de remuer la cuillère
jusqu’à ce qu’elle soit certaine qu’il se soit dissout.

« La protection du Ministre… » tenta-t-elle de reprendre, sans bien savoir où elle allait.

« Le Ministre est en sécurité pour l’instant. Il souhaite retourner à Londres le plus vite
possible. » la coupa le Directeur. « J’approuve ce projet. La communauté magique a grand
besoin d’un leader. »

Tonks cilla, incapable de produire un contre-argument. C’était étrange parce qu’elle était
certaine d’en avoir des tas, des contre-arguments.

Il faisait chaud dans ce bureau.

Elle tâtonna jusqu’à trouver l’agrafe de sa cape et la fit sauter d’un coup d’ongle. Le morceau
de laine glissa de ses épaules et tomba en tas sur le sol, sans qu’elle parvienne à s’en
préoccuper.

« Buvez votre thé. » conseilla Dumbledore.

Il ne lui vint pas à l’esprit de désobéir. Une étrange torpeur s’était emparée d’elle. Le thé
n’avait pas le goût de thé et, une part d’elle réalisait tout à fait que ce n’en était sûrement pas.
Ce n’était pas du veritaserum non plus, pourtant. Tous les Aurors subissaient l’épreuve du
sérum de vérité à l’entraînement afin qu’ils puissent en reconnaitre les effets et, le cas
échéant, tenter de limiter le dégâts – aussi difficile et inutile que cela soit.

La torpeur ne fit que s’accentuer avec chaque gorgée.


Elle avait beau lutter, ordonner à son bras de reposer la tasse sur la coupelle, son corps
refusait de lui obéir. Son esprit était étrangement détaché du reste de sa personne. Elle n’était
plus aux commandes.

« Pourquoi êtes-vous si déterminée à mettre le Ministre hors de ma portée ? » demanda


négligemment Dumbledore.

Elle cilla, tâchant d’étudier la question, sachant qu’y répondre était dangereux.

« Pour le protéger. »

Les mots franchirent la barrière de ses lèvres sans son accord.

Immédiatement, elle sentit son estomac se nouer de panique mais la sensation disparut aussi
vite qu’elle était venue. La peur céda presque instantanément à une sensation d’apaisement.
Elle était calme, détendue…

Elle avait presque l’impression de flotter.

« Ne pensez-vous pas qu’il aurait été bien plus en sécurité sous ma protection ? » s’enquit le
vieux sorcier.

La tasse de thé qu’il s’était servi mais n’avait jamais porté à ses lèvres était posée bien en
évidence devant lui. Tonks se concentra dessus, s’évertuant à reprendre le contrôle. Le
liquide était sombre, presque noir, translucide aussi. La tasse était en porcelaine blanche,
frappée des armoiries de l’école.

« Non. » lâcha-t-elle, à contrecœur.

Elle voulut se débattre, hurler, appeler à l’aide peut-être…

Elle ne parvint pas à remuer le petit-doigt.

« Pourquoi ? »

Le blason. Elle se concentra sur le blason. Les quatre Maisons : Gryffondor, Serpentard,
Poufsouffle et Serdaigle. Le blason était aussi familier que le nez au milieu de sa figure.

« Parce que… » bredouilla-t-elle. « Parce que… »

Draco Dormiens Nunquam Titillandum.

Il ne faut pas chatouiller un dragon qui dort.

Elle se promit de faire tâter du dragon à Dumbledore dès qu’elle serait parvenue à se
réveiller.

« Ne luttez pas, Nymphadora. » l’encouragea gentiment le Directeur.

« Parce que ce n’est pas sûr. » souffla-t-elle, malgré elle.


« Qu’est-ce qui n’est pas sûr ? » insista-t-il, en fronçant les sourcils.

Le Directeur était maintenant légèrement penché en avant, comme pour mieux recueillir ses
confidences. Il l’observait avec une expression indulgente qui lui donnait l’impression
d’avoir fait un bond dans le passé, à l’époque où elle avait l’habitude de s’attirer des ennuis –
généralement à cause de Charlie – et où McGonagall et Chourave la menaçaient toujours de
l’envoyer dans le bureau directorial afin de lui mettre du plomb dans la tête.

Elle n’avait jamais véritablement eu peur de Dumbledore lorsqu’elle était encore élève à
Poudlard. La fonction l’impressionnait davantage que le gentil vieillard qui avait toujours un
mot aimable ou encourageant pour qui croisait sa route dans les couloirs.

Gentil vieillard…

C’était fou comme elle pouvait être stupide parfois.

« L’Ordre. » s’entendit-elle déclarer. Elle ferma les yeux mais ça ne fit pas disparaître la
sensation qu’elle ne s’appartenait plus.

« Pourquoi dites-vous cela ? » pressa Dumbledore. « Que savez-vous ? »

« Il y a une taupe. » déclara-t-elle, avant de rajouter : « Au Conseil. » La question était large,


cependant, et l’obligeait à y répondre en entier. « Ce n’est pas Snape, ni McGonagall. »

« Savez-vous qui est l’espion ? » interrogea le vieux sorcier.

Elle ferma les yeux plus fort confrontée à l’excitation clairement perceptible dans sa voix.
Dumbledore savait déjà qu’il y avait un espion. Évidemment. Et il n’avait pas cru bon d’agir
avant que tous ces Aurors se fassent décimer sur le Chemin de Traverse…

Brièvement, elle se demanda ce que ça faisait d’être si haut dans la chaîne de commandement
qu’on ne se préoccupait plus de ceux qui étaient tout en bas…

« Non. » répondit-elle.

« Êtes-vous, de quelque manière que ce soit, liée à l’espion ? » insista le Professeur.

« Non. » cracha-t-elle.

« Comment avez-vous découvert l’existence de cette taupe ? »

Elle rouvrit les paupières pour découvrir le regard bleu, si pétillant, braqué sur elle.

« Logique. » lâcha-t-elle. « L’attaque… L’attaque… »

« Cessez de lutter. » la morigéna-t-il gentiment.

Le sorcier jouait distraitement avec un presse papier en forme de phœnix, il tournait l’objet
dans un sens puis dans l’autre, dans un sens puis dans l’autre… C’était presque hypnotique.
« L’attaque sur le Chemin de Traverse. Ils connaissaient tous nos dispositifs de sécurité. Ils
connaissaient tous nos plans. Les seuls au courant étaient les quatre chefs d’équipe dont
Kingsley et moi, et le Conseil. Les deux autres chefs d’équipe sont morts et trop d’infos ont
filtrés avant ça… » expliqua-t-elle.

Il hocha la tête, comme pour lui-même, et s’enfonça dans son siège, le regard perdu dans le
vague. Tonks n’arrivait toujours pas à bouger, ni à ressentir pleinement la panique qu’elle
sentait affleurer sous ce bien-être factice.

« Avez-vous mis quelqu’un d’autre dans la confidence ? » s’enquit-il, au bout de plusieurs


minutes.

Elle hésita.

En théorie, elle n’avait mis personne dans la confidence. Snape était déjà au courant
lorsque…

« Quelqu’un d’autre est-il au courant ? » se corrigea-t-il, avant qu’elle ait pu tirer profit de sa
formulation malheureuse.

« Le Professeur Snape. » soupira-t-elle. « Et le Professeur McGonagall. »

Allez savoir qui des deux la tuerait en premier lorsqu’ils apprendraient ce qui venait de se
passer…

Peut-être s’exprima-t-elle à haute-voix ou peut-être Dumbledore lisait-il véritablement dans


les pensées parce qu’il lui adressa un sourire amical.

« Oh, ne vous inquiétez pas, Miss Tonks. » déclara-t-il, en se levant.

La jeune femme le regarda contourner l’imposant bureau, sachant qu’elle aurait dû être
terrifiée sans rien en ressentir.

« Nous ne mettrons ni Severus, ni Minerva au courant. » décréta l’homme. « Cette entrevue


sera notre petit secret. Une dernière question… Pourquoi ne pas être venue me trouver dès
que vous avez compris qu’il y avait un traître parmi nous ? »

La question était compliquée. Elle réalisa, un peu tard, qu’elle n’était pas certaine de la
réponse.

« Snape… » hésita-t-elle. Elle ne savait pas comment terminer sa phrase.

« Bien sûr. » accepta le Directeur, d’un air fataliste. « L’élève dépasse le maître… »

Il approcha le bout de sa baguette de sa tempe et, en dépit de tout ce que lui criait son
instinct, elle demeura immobile.

« Oubliettes. » murmura-t-il doucement, comme une caresse.

°°O°°O°°O°°O°°
Sirius avait les yeux rivés sur la pendule fixée au mur.

Les pieds sur la table de la cuisine, se balançant de manière précaire sur sa chaise, il portait
parfois la cigarette à ses lèvres, l’oubliait la plupart du temps, regardant les secondes
s’égrener, inéluctables.

Le bruit caractéristique d’un voyageur empruntant la cheminée lui parvint du salon mais il
resta où il était, le regard figé sur la pendule.

« Tu es en retard. » lâcha-t-il, lorsqu’il sentit la présence menaçante au seuil de la pièce.

« Adresse tes remontrances à ta cousine. » répliqua l’homme, en contournant la table pour lui
faire face.

Sirius observa le visage de Snape, notant les rides qui n’avaient pas été si prononcées deux
ans auparavant et les cernes que la fatigue creusait sous ses yeux. Sa pâleur naturelle ne
faisait que les souligner. Il tira une bouffée de sa cigarette et poussa le flacon plein de liquide
argenté du pied.

Le Maître des Potions fit disparaître la fiole dans sa poche d’un geste vif, presque nerveux.
Puis il sortit sa baguette et posa tout un tas de protection anti-intrusion et espionnage.
L’Animagus suivit les arabesques de la baguette en bois noir, tâchant d’estimer combien de
temps il lui aurait fallu pour tirer la sienne de sa poche si l’homme décidait d’attaquer.

« On est seuls. » déclara-t-il, au bout d’un moment. La maison était vide et personne ne
s’intéresserait à leur conversation de toute manière. Il ne voyait pas bien l’intérêt de
s’embarrasser de tant de sortilèges.

« Les as-tu visionnés ? » s’enquit finalement le Mangemort.

« En détail. » lâcha Sirius. « Personne d’autre ne les a vus, inutile de demander. »

Snape accepta sa réponse d’un hochement de tête et ils se retrouvèrent à se dévisager en


silence, aucun d’eux ne sachant comment briser le gouffre de ressentiment et de rancœur que
trop d’années passées à se haïr avait créé. Harry était un pont mais encore fallait-il savoir
comment l’emprunter.

« Tu l’aimes. » reprit Sirius, s’efforçant de garder son calme.

Il aurait été trop simple de céder à la méfiance instinctive, trop simple de se jeter sur des
conclusions hâtives… Ce qu’il avait vu dans les souvenirs de l’homme était sincère, il en
était persuadé. Lui sauter à la gorge, bien que l’envie ne lui en manque pas, n’aurait rien
arrangé.

Snape semblait se débattre avec des émotions semblables. Ils ignoraient comment avoir une
discussion posée, ils n’en avaient jamais eue. Il y avait une ligne dans le sable et ils se
tenaient tous deux de par et d’autre de cette limite imaginaire. Ou, du moins, ils s’étaient
tenus de par et d’autres jusque là.

« Comme s’il était mien. » répondit Snape, d’un ton grave.


Sirius hocha la tête et porta la cigarette à ses lèvres, dissimulant son malaise derrière un
nuage de fumée.

« D’accord. » dit-il, et le mot lui arracha la bouche. « Je t’écoute. »

Le Mangemort avait l’air tout aussi réticent que lui, pourtant, il tira une chaise et s’installa de
l’autre côté de la table comme s’il se préparait pour un long récit.

« Il est impératif que tu obtiennes la garde d’Harry. » commença Snape. « Les Dursley… Que
sais-tu des Dursley ? »

« J’ai passé des jours à les observer. » grinça-t-il. « Ce sont des monstres. »

Et il rêvait toujours de tordre le gros cou plein de graisse de Vernon Dursley.

« Sais-tu qu’Harry a grandi enfermé dans un placard comme un objet encombrant que l’on
cache à la vue du premier venu ? » s’enquit froidement l’homme, comme si Sirius n’avait
jamais ouvert la bouche. « Sais-tu qu’ils préféraient prétendre qu’il n’existait pas plutôt que
de lui accorder ne serait-ce qu’une seule seconde de leur attention ? »

Snape serra les poings, quelques assiettes s’entrechoquèrent sur le buffet et l’Animagus se
demanda vaguement ce qui se passerait s’il perdait le contrôle de sa magie. Tant qu’à faire,
Sirius aurait préféré qu’il le perde chez les Dursley. Ça en amocherait bien un ou deux et
Patmol pourrait se charger du reste.

« Harry a besoin de quelqu’un. » continua le Maître des Potions, plus calmement. « Nous
avions trouvé une certaine… stabilité en soixante-quinze, toutefois, pour des raisons
évidentes, je ne suis plus en mesure de lui offrir le même cadre de vie. Toi, tu le peux. »

Il cracha les mots avec difficulté.

Sirius le comprenait bien, s’il avait été dans la situation inverse demander de l’aide au
Mangemort aurait probablement été au-dessus de ses forces.

« Je ne peux rien faire si Harry ne veut pas me laisser l’aider. » remarqua-t-il, non sans
amertume.

Il avait été difficile pour lui, la veille, de se tenir dans le bureau de Dumbledore et d’observer
avec quelle facilité, quelle spontanéité, Harry s’était tourné vers Snape.

« Harry a besoin qu’on lui force la main dans ce domaine. » grimaça le Professeur. « Il est
trop habitué à se débrouiller seul. Nous avons eu une discussion, je pense qu’il sera plus
réceptif à présent. »

Ce n’était pas l’envie d’exploser qui manquait à Sirius. D’où Snape se permettait-il de venir
dans sa cuisine pour lui donner des leçons sur comment s’occuper de son propre filleul ? Le
monde marchait-il sur la tête ?

Mais les souvenirs lui revinrent en mémoire et il ravala sagement les piques qui lui brûlaient
la langue, en même temps que son amour propre. Harry passait en premier, sa rancœur pour
Snape devrait attendre.

« Reste Dumbledore. » soupira l’Animagus.

« Il n’a aucun recours légal pour empêcher ta demande de tutelle. » objecta Snape. « Le
Magenmagot n’a aucune raison de la rejeter. »

« Excepté si Harry la refuse. » répondit-il, dans un haussement d’épaules.

Il lui fallait parler à Harry. Au calme.

« Il est intelligent. Il fera ce qu’il faut. » répliqua le Mangemort, presque sur la défensive.
« Ce n’est pas tout. »

« Évidemment. » se moqua-t-il.

Snape ne parut pas en prendre ombrage. Il fixa son regard noir sur lui, inquisiteur et la
question fusa, inattendue.

« Que sais-tu des horcruxes ? »

Un mauvais frisson parcourut son échine. Les consonances étranges du mot ne lui disaient
rien de bon.

Les horcruxes, Sirius n’y connaissait rien mais Snape se fit un malin plaisir de combler ses
lacunes. Il écouta, en silence, le récit presque incroyable du Maître des Potions, partagé entre
l’envie de hurler au mensonge et une nausée qui le prit aux tripes. Lorsque le Mangemort
marqua une pause dans son explication, Sirius se leva sans un mot pour aller chercher la
bouteille de Whiskey Pur-Feu qu’il conservait dans un placard et deux verres. Il sut que la
situation était véritablement catastrophique lorsque le Professeur ne refusa pas celui qu’il
glissa vers lui.

Catastrophique était un joli euphémisme.

Catastrophique aurait convenu s’il s’était simplement s’agit de qualifier le fait que Voldemort
avait apparemment rangé, et soigneusement dissimulé, des petits bouts de son âme aux quatre
coins du pays.

Mais le reste…

« Ce n’est pas possible. » décréta-t-il, en attrapant son paquet de cigarettes et son briquet. Ses
mains tremblaient tellement qu’il ne parvint pas à en allumer une seule. Au final, il se
contenta de l’écraser encore neuve dans le cendrier, trouvant dans ce simple geste de
destruction, un maigre réconfort. « Un être vivant ne peut pas être réceptacle d’un sort de
magie noire. » insista-t-il. « Un Inféri, à la limite, mais un être vivant… »

« Veux-tu davantage de mes souvenirs ? » s’enquit Snape, non sans ironie.

Sirius se passa une main sur le visage. Personne n’avait jamais compris ce qui s’était passé à
Godric’s Hollow cette nuit là. Personne n’avait jamais su expliquer pourquoi Harry avait
survécu. Mais l’histoire de Snape était… abracadabrante.

« Pourquoi est-ce que Dumbledore te fait confiance ? » demanda-t-il.

Ce n’était pas la bonne question et ce n’était certainement pas le sujet mais Sirius devait
savoir. Il devait avoir une bonne raison d’envisager faire confiance à Snape ou…

« Pourquoi ai-je trahis le Seigneur des Ténèbres ? » ricana le Mangemort, en portant pour la
première fois le verre de whiskey à ses lèvres. « Que tu es stupide… Que vous êtes tous
stupides alors que la réponse est si évidente… »

« Ouais, on sait. Tu es plus intelligent que tout le monde. » Sirius leva les yeux au ciel. « Tu
vois, c’est pour ça que tu finissais toujours par te faire taper dessus. »

« Parce que la médiocrité des brutes engendre leur jalousie envers les plus doués, oui, je te
remercie, Black, je l’ais compris il y a déjà longtemps. » riposta le Maître des Potions.

Il fut de nouveau saisi de l’envie irrésistible de lui coller son poing dans la figure.

« Tu étais à Godric’s Hollow, ce soir là. » lâcha Snape. « Tu connais la raison. »

Et, soudain, tout lui parut limpide ou, tout du moins, la situation telle qu’il la connaissait pris
un nouvel éclairage.

« Lily. » souffla Sirius.

Ce qui aurait pu passer pour un sourire amer flotta sur les lèvres de l’homme, l’espace d’un
battement de cœur.

« À jamais. » déclara Snape et, curieusement, Sirius n’en douta pas une seconde.

Pas plus qu’il n’aurait trahi James encore aujourd’hui, Snape ne trahirait Lily.

« Ainsi qu’un Serment Inviolable. » nuança néanmoins le Professeur.

L’Animagus était plus secoué qu’il n’était prêt à l’avouer.

« Pourquoi tu n’as jamais rien dit ? Pourquoi garder le secret ? » insista-t-il. « Toutes ces
années… »

« Épargne-moi ta compassion, Black, je cherche un allié pas un ami. Alors si tu penses que
cette conversation va se terminer par des pintes de bièraubeurres et un feu de camp autour
duquel nous finirons par chanter kumbaya en évoquant de vieux souvenirs… » grinça le
Mangemort.

« Kumba-quoi ? » Sirius fronça les sourcils puis secoua la tête, décidant que ce n’était pas
bien important. « Qu’est-ce qu’on peut faire pour Harry ? Tu as une solution ? Une potion ?
Quelque chose ! »

Le silence était plus que révélateur.


« Merde. » lâcha-t-il, comprenant finalement à quel point catastrophique ne convenait pas au
problème actuel. Il frappa du poing sur la table, se sentant complètement impuissant.
« Merde ! »

« Il est impératif de protéger Harry de Dumbledore. » déclara Snape.

Sirius le regarda, se demandant s’ils avaient sombré dans la folie furieuse sans que personne
ne le remarque.

« Tu en as beaucoup des bonnes nouvelles comme ça ? » se moqua-t-il.

Le Mangemort avait l’air épuisé et son regard, lorsqu’il le posa sur l’Animagus était presque
vide.

« Albus n’est pas un danger immédiat pour Harry mais à l’avenir… Comprends-bien,
Black… Lorsqu’il ne restera plus d’autre horcruxe que le garçon… » Snape laissa échapper
un soupir. « Je n’ai pas de solution miracle concernant l’horcruxe pour l’instant. Je n’ai pas
non plus de certitude quant à ce qui se passera si nous ne parvenons pas à l’extraire de l’âme
d’Harry. Tout ce dont je suis sûr, c’est que la situation finira obligatoirement par basculer.
Harry a une tendance bien trop prononcée à vouloir se sacrifier pour le plus grand bien. Il est
parfois nécessaire de l’en empêcher et si je ne suis plus là pour m’en charger… »

« Tu penses être en danger ? » releva-t-il.

« Je pense que lorsqu’un pion devient encombrant, on le balaye de l’échiquiers. » offrit


Snape, comme s’il s’agissait d’une bonne plaisanterie. Son amusement, tout amer qu’il soit,
ne dura pas. « Que sais-tu de l’Occlumencie? »

Sirius n’avait pas encore digéré la question précédente que le Maître des Potions en rajoutait
déjà une couche…

« Des bases. » répondit-il.

Son père s’était mis en tête de leur apprendre l’Occlumencie, à Regulus et à lui, dans leur
enfance. Son frère s’était pris de passion pour la discipline mais Sirius n’avait jamais eu
l’envie de faire l’effort.

« Rafraichis-les. » ordonna Snape. « Personne ne doit savoir pour l’horcruxe. »

Il fit tourner le verre vide entre ses mains, les yeux rivés sur les quelques gouttes de whiskey
qui collaient au fond. « Remus… »

« Non. » cingla le Mangemort, catégorique. « Beaucoup trop d’informations confidentielles


s’échappent de cette maison, Black. »

« Remus n’est pas un traître ! » aboya-t-il, serrant le verre presque à le faire exploser dans sa
colère. « Je lui fais entièrement confiance. »

« Pas moi. » siffla Snape. « Pas pour l’instant. Ne mets pas la vie d’Harry en jeu pour une
question de loyauté mal placée. »
Loyauté mal placée…

Sirius serra les dents et prit sur lui. Harry ne le remercierait pas de frapper Snape ou de lui
jeter un maléfice et Harry passait en priorité.

« C’est ce qui s’est passé la dernière fois. » contra-t-il. « On a douté de Remus et… »

« Il est instable. » l’interrompit l’homme. « Je préparerai la potion Tue-Loup à la prochaine


pleine lune. Il est évident que celles de Slughorn ne sont pas assez fortes. Nous aviserons à ce
moment là. »

C’était un compromis, Sirius le comprit bien.

Et Snape n’aimait pas plus faire des compromis que lui.

« D’accord. » accepta-t-il, à contrecœur, avec la sensation désagréable de faire une erreur.

°°O°°O°°O°°O°°

L’entrevue s’était mieux passée que Severus n’avait osé l’espérer.

Il arpenta au pas de course les couloirs qui séparaient les cachots du bureau de la salle de
Défense, sa cape cinglant l’air derrière lui dans un bruit si intimidant que les première année
s’éloignaient tous avec des glapissements terrifiés. Il n’aurait pas dû s’en amuser autant mais
lorsqu’on vivait comme lui dans la certitude que sa fin était imminente, il fallait savoir
profiter des petits plaisirs.

Un discret tempus confirma qu’il avait encore vingt minutes de libre avant son prochain cours
– des troisième année, Poufsouffle et Serdaigle, avec un minimum de chance, il n’y aurait
aucun incident à déplorer. Évidemment, Severus ne se considérait pas comme un homme très
chanceux et c’est pourquoi il ne fut pas particulièrement surpris de tomber nez-à-nez avec
Tonks au détour d’un escalier.

Enfin…

Nez-à-nez…

« Je retire dix points à tout élève que je surprends en train de se vautrer de la sorte dans les
escaliers. » remarqua-t-il. « Dix point en moins pour Poufsouffle. »

C’était probablement mesquin.

Mais, encore une fois, il fallait profiter des petits plaisirs.

La jeune femme leva à peine la tête de la rambarde contre laquelle elle était appuyée.

« Je ne suis plus une élève. » marmonna-t-elle, sans rien de la vivacité qui la caractérisait
d’ordinaire.
Severus fronça les sourcils. La colère qui l’avait animée plus tôt semblait avoir totalement
disparu. Elle était pâle, de la sueur perlait sur son front et elle ne cessait de ciller bêtement en
regardant dans le vague.

« Je crois que j’ai trop bu. » lâcha-t-elle, avec une incertitude palpable. « Ou… J’aurais dû
plus manger ce matin, je ne sais pas. »

Il claqua des doigts devant ses yeux deux fois. Son regard resta vague.

« Que s’est-il passé dans le bureau du Professeur Dumbledore ? » s’inquiéta-t-il.

Il attrapa son bras et la hissa sur ses pieds en dépit de ses protestations et autres geignements.

« Oh… » Elle se frotta le visage avec sa main libre. « Il n’était pas là. »

Il l’étudia rapidement, jeta un coup d’œil en direction des étages et l’entraîna sans plus de
ménagement vers son bureau. Elle tenait à peine sur ses jambes et parut plus que soulagée
lorsqu’ils atteignirent finalement un fauteuil.

Severus ferma très rapidement les grimoires les plus incriminants qui étaient restés sur son
bureau et jeta un sort de camouflage sur les autres. Non pas qu’elle soit véritablement en état
de remarquer quoi que ce soit. Il sortit un philtre de force du tiroir de son bureau.

« Buvez. » ordonna-t-il, en lui passant la fiole.

Elle avala la potion cul-sec sans même demander ce dont il s’agissait – inquiétant pour une
Auror – puis se recroquevilla sur le fauteuil.

Il fallut attendre dix minutes avant qu’elle ne recouvre ses couleurs.

Severus serait en retard à son prochain cours et il détestait être en retard.

« Expliquez-vous. » exigea-t-il.

Elle porta la main à sa tête avec une grimace. « Ne criez pas, j’ai une gueule de bois atroce. »

« Vous n’étiez pas ivre lorsque je vous ai vue plus tôt. » réfuta-t-il. « Que s’est-il passé dans
le bureau du Directeur, Nymphadora ? »

« Rien… Je… Je vous l’ai dit. » balbutia-t-elle. « Il n’était pas là. »

Rien qu’à la manière dont elle fronçait les sourcils, Severus savait qu’il y avait davantage.

« Mais ? » pressa-t-il.

« Mais c’est bizarre. » capitula-t-elle dans un soupir.

« Bizarre, en effet. » se moqua Severus, en se levant. Il fit le tour du bureau et sortit sa


baguette. « Permettez ? » La question était politesse pure et il n’attendit pas sa réponse avant
de braquer un faible lumos sur sa rétine. La pupille se dilata mais une seconde trop tard.
« Regardez-moi dans les yeux. »

« Si c’est une réplique de drague, c’est un peu pitoyable. » grommela-t-elle, visiblement mal
à l’aise.

Toutefois, elle croisa son regard.

Malgré ses problèmes récents concernant la magie mentale, Severus s’efforça de ne pas la
blesser en s’enfonçant dans sa tête. Il fut surpris de sentir une résistance naturelle, comme si
son esprit cherchait instinctivement à repousser le sien, mais déjoua rapidement les remparts
incompétents qu’elle érigeait inconsciemment. Le souvenir ne fut pas bien compliqué à
localiser. Elle arrivait devant la gargouille, passablement énervée, injuriait le gardien de
pierre qui refusait de bouger, menaçait de le faire exploser puis rebroussait chemin… Excepté
que ce souvenir ne collait pas avec le suivant : elle avait brusquement commencé à se sentir
mal au bout du couloir.

Il essaya de pousser davantage le souvenir de la gargouille, tâcha de le percer à jour mais il


n’y parvint pas. C’était du beau travail. Il se retira dans un battement de cil.

Tonks prit une grande bouffée d’air, comme si elle remontait brusquement à la surface.
« Qu’est-ce que c’était, ça ? »

« On a effacé votre mémoire et contrefait vos souvenirs. » lui apprit Severus avec agacement.
« Je vous déconseille d’aller demander des comptes au suspect principal. Je vous avais
prévenue. Merlin sait ce que vous avez bien pu lui raconter. »

Il ne cacha pas son irritation.

« Non, je veux dire ça. » insista-t-elle, en agitant sa main d’elle à lui. « Le truc de Spock. »

Avec un grand soupir, Severus s’appuya contre son bureau.

« Avez-vous déjà entendu parler d’Occlumencie ? »

Au stade où il en était, il aurait mieux fait de lancer des cours d’été.

°°O°°O°°O°°O°°

« Tu lances comme une fille. » décréta Ron, en attrapant le souaffle au vol, sans aucune
difficulté. Dans son dos, les trois anneaux du goal restèrent intouchés.

« Tu sais ce qu’elles te disent les filles ? » répliqua Ginny, en rejetant sa tresse dans son dos
avec un agacement manifeste, lorsqu’elle vola au-dessus d’eux.

Harry leva les deux mains bien haut. « Je n’ai rien à voir là-dedans, moi. »

« Lâcheur. » accusa son meilleur ami, en lui jetant le souaffle.

« On discute ou on joue ? » râla Malfoy, un peu plus bas, bien calé sur son balai de course.
Harry leva les yeux au ciel et fonça vers les buts adverses, le souaffle bien à l’abri sous son
bras. Il évita Zabini, se dirigea droit vers Greengrass qui gardait les anneaux, amorça sa
frappe…

… et se retrouva fort dépourvu quand le souaffle lui fut arraché des mains par une tornade au
cheveux rouge.

« On est dans la même équipe ! » lança-t-il, à la quatrième année.

Tout ce qu’il obtint en réponse fut un éclat de rire insouciant alors que Ginny marquait un
but.

Évidemment, les trois Serpentards contestèrent de concert et un conciliabule eut lieu dans les
airs, au beau milieu du stade de Quidditch, à égale distance des deux buts. Harry laissa à
Ginny et à Ron le soin d’argumenter, appréciant à sa juste valeur l’air frais qui lui chatouillait
le visage. La nuit ne tarderait plus et, bientôt, trop tôt, il faudrait songer à rentrer. Plus bas,
dans les gradins, Hermione, Neville et Luna étaient en grande discussion. Il ne distinguait
que le haut de leurs têtes penchées sur un livre.

Il tourna la tête vers l’entrée du stade sans savoir pourquoi. Rien n’avait bougé et, pourtant, il
sentit un frisson lui parcourir l’échine, comme toujours lorsqu’il se savait observé. Sa main
droite lâcha le manche, il était prêt à faire tomber sa baguette dans sa main d’un adroit coup
de poignet si nécessaire.

Les autres adolescents demeurèrent inconscients du danger et continuèrent de se disputer sur


le nombre de points, les règles et les détails de cette séance de Quidditch largement
improvisée.

Les yeux verts balayèrent les possibles cachettes sans trouver ce qu’il cherchait.

Il n’aurait pas aperçu le chien si l’animal n’était pas sorti de l’ombre de son propre chef.

Il se détendit sans pour autant éprouver une quelconque forme de soulagement et attrapa à
nouveau le manche à deux mains.

« Je reviens. » lança-t-il bien inutilement. Les adolescents ne l’écoutaient pas, trop occupés à
se chamailler.

Il n’atterrit pas très loin de animal. Ils se dévisagèrent tous deux pendant un long moment
puis, lentement, presque prudemment, Patmol franchit la distance qui les séparait et donna un
petit coup de tête dans sa main. Bien entendu, le molosse étant d’une taille monstrueuse,
Harry manqua en perdre l’équilibre.

« C’est bon, tu peux te transformer. » soupira Harry.

Patmol laissa place à Sirius dans un léger pop. Le garçon ne put que jalouser la rapidité et la
finesse avec laquelle l’Animagus changeait de forme. Il ne parvenait toujours pas à
métamorphoser plus d’une patte.

« J’espérais qu’on pourrait discuter cinq minutes… » hasarda Sirius, d’un ton hésitant.
Après la discussion houleuse de la veille, c’était bien la dernière chose qu’Harry avait envie
de faire mais il avait juré à Snape de faire un effort.

« D’accord. » accorda-t-il à contrecœur.

Ils s’installèrent sur les gradins. Au-dessus d’eux, le match avait repris de plus belle, les
autres ayant sans doute compris qu’Harry en aurait pour un moment. Pendant un moment, ils
observèrent Ginny et Zabini se livrer à un duel sans merci dans les airs pour le ballon rouge.
Le Serpentard était plutôt bon mais la jeune fille n’était comparable qu’à un feu follet. Le
temps que l’on devine seulement sa présence, elle avait disparu.

« Elle est douée. » commenta Sirius, sans doute désespéré d’entamer la conversation.

« Plutôt, oui. » répondit-il, sans grand enthousiasme. Les capacités de Ginny n’avaient rien à
voir dans leurs histoires.

Il y eut un instant de flottement. Le malaise était presque plus que ce qu’Harry pouvait
supporter – et il avait partagé un dortoir avec trois Mangemorts pendant des mois, alors
c’était dire…

« J’ai eu une conversation avec Snape. » lâcha finalement son parrain.

Harry tourna la tête si vite qu’il sentit quelque chose claquer dans sa nuque.

L’Animagus leva les yeux au ciel.

« Pas de morts ni de blessés à déclarer. » plaisanta Sirius mais, voyant que son humour
tombait à plat, il se dépêcha d’enchainer. « J’aimerai m’excuser, Harry. Le Sirius que tu as
rencontré dans le passé, ce n’était pas vraiment moi, mais tu as raison sur un point, ça aurait
pu l’être. J’étais très con quand j’étais jeune. On l’était tous. »

Il accepta ces excuses bancales d’un hochement de tête.

« Tu as demandé pardon à Severus aussi ? » demanda-t-il. « Parce que c’est lui que tu as
martyrisé. »

« Il faut peut-être pas pousser non plus. » marmonna l’Animagus. « Et je te signale que j’ai
toujours une cicatrice qu’un de ses sorts m’a laissé. Il m’a tout autant martyrisé que… »

« Pas à quatre contre un. » cingla-t-il. « J’étais là, au cas où tu aurais oublié. »

Sirius garda le silence quelques secondes.

« Peut-être. » admit l’homme au bout d’un moment. « Mais ça c’est entre Snape et moi. »

Le souaffle décrivit une haute courbe, heurta la tranche de l’anneau central et rebondit vers
l’extérieur. Greengrass l’attrapa et lança son balai vers le but adverse mais Ron lui barra le
chemin, elle tenta de faire la passe à Zabini mais le ballon lui échappa des mains pour
retomber dans celles, toutes prêtes, de Ginny.
« Il veut que je vienne vivre avec toi. » déclara le Gryffondor.

Sirius était visiblement déjà au courant parce qu’il ne marqua aucun signe de surprise. Ses
yeux gris fixaient le garçon avec une intensité presque dérangeante.

« Et toi, tu veux quoi ? » s’enquit l’Animagus.

Dans le bureau de Dumbledore, Harry lui avait reproché de ne pas avoir posé la question, de
ne pas avoir demandé son avis mais maintenant qu’il le faisait…

« Moi… » hésita-t-il. « Je veux rentrer à la maison. »

Le problème était qu’il ne savait plus très bien où c’était. La maison… La maison, c’était un
canapé avec une vieille couverture, un feu dans la cheminée et les commentaires sporadiques
de Snape qui corrigeait des copies. La maison, c’était la chambre aux murs tapissés des
dessins de Lily. La maison, c’était aussi les dortoirs des lions, les ronflements familiers de
Ron et les chuchotements de Seamus et Dean jusque tard dans la nuit. La maison, c’était
l’odeur du shampoing d’Hermione et les bourrades amicales de Ron.

La maison, en somme, n’existait nulle part parce que ses composantes s’excluaient
mutuellement.

C’était probablement une réponse incompréhensible et, pourtant, Sirius hocha simplement la
tête, en silence, comme s’il avait compris.

Ils restèrent assis là, à regarder le match de Quidditch dégénérer en une bataille rangée où le
chacun pour soi l’emportait, à écouter les rires et les éclats de voix résonner dans le stade,
sans prononcer un mot.

Lorsque les adolescents mirent finalement fin à la lutte désespérée pour le souaffle, répondant
à l’appel de leur estomac, Patmol s’éclipsa dans la nuit, sans un mot de plus.

Harry songea que, peut-être, ce ne serait pas si dur que ça de lui pardonner finalement.
An Itch In His Heart

“Somewhere, far down, there was an itch in his heart, but he made it a point not to
scratch it. He was afraid of what might come leaking out.”
― Markus Zusak, The Book Thief

« Quelque part, tout au fond, un bout de son cœur le démangeait, mais il prenait garde à
ne pas le gratter. Il avait peur de ce qui pourrait en suinter. »
― Markus Zusak, The Book Thief

« Vois le bon côté des choses, ça évite un mariage. » plaisanta Charlie avec une telle
désinvolture que Bill dut ravaler l’envie de l’attraper par les épaules et de le secouer pour lui
mettre un peu de plomb dans la cervelle.

La chambre d’hôpital de Sainte Mangouste n’était pas l’endroit rêvé pour cela, cependant.
Ses yeux bleus se posèrent sur la silhouette immobile d’Anthony. Des deux, il était le plus
mal en point, ayant drainé ses réserves magiques presque jusqu’à l’épuisement. Il n’en
garderait toutefois pas de séquelles durables. Charlie, lui, s’était remis rapidement.

Non, les conséquences, les vraies, étaient invisibles. Les Langues de Plomb avaient fait ce
qu’ils avaient pu, les Médicomages avaient donné leur maximum, mais, en vérité, on ne
mélangeait pas son empreinte magique avec celle d’un autre sorcier sans en garder quelques
effets secondaires. Pour l’instant, les deux jeunes hommes ne pouvaient pas s’éloigner l’un de
l’autre de plus de quelques mètres sans ressentir immédiatement une fatigue intense et une
perte de contrôle de leur magie. Les Médicomages avaient bon espoir que la distance
augmente avec le temps jusqu’à totalement disparaître. Mais pour l’instant…

« Est-ce que tu te rends compte de tout ce que ça implique ? » cingla Bill.

Il était clair que son frère n’avait aucune idée des ennuis dans lesquels ils étaient empêtrés
jusqu’au cou. Ce n’était pas seulement la santé de Charlie et d’Anthony qui l’inquiétait.
Comment allaient-ils tous vivre ? Les lettres de licenciement de Gringotts étaient arrivées par
hiboux express le lendemain de l’attaque du Chemin de Traverse. Bill s’était immédiatement
mis en quête d’un nouvel emploi et avait contacté son propriétaire afin de rendre son
appartement – autant voir la réalité en face, il passait pratiquement toutes ses nuits au Terrier
de toute manière – mais cela ne solutionnait rien. Personne ne recherchait un conjureur de
sorts de manière permanente, certains Sang-Purs embauchaient toujours de façon épisodique
lorsqu’il leur fallait de l’aide pour accéder à une vieillerie ou une autre protégée par des
sortilèges dans leurs coffres familiaux, mais cela ne suffirait certainement pas à les nourrir
tous et à payer les frais de ses frères et sœur. Pire, il ne voyait pas bien comment Charlie
pourrait retrouver un travail dans sa condition actuelle – ou même où il pourrait bien se faire
engager, les dragons ne courraient pas les rues en Angleterre – et le salaire de Percy, quoi que
confortable, disparaitrait bien vite dans le gouffre financier qu’était le Terrier.

« Percy et moi envisageons de vendre la maison. » asséna-t-il, sans prendre de gants.


Charlie écarquilla les yeux, choqué. Le choc tourna vite à la colère, cependant. « Vous ne
pouvez pas ! Je vous l’interdis ! Et qu’est-ce que vous voulez faire de maman ? La coller à
Sainte-Mangouste ? Non. »

Bill s’était attendu à ce genre de réaction. « Que veux-tu que nous fassions d’autre ? Nous
n’avons pas suffisamment d’argent, Charlie. C’est la maison ou Muriel mais tu sais comme
moi qu’une fois qu’on l’aura impliquée… »

« Muriel est un dragon. » cracha Charlie. « Elle ne nous laissera jamais en paix. Si tu lui
empruntes de l’argent… »

« Peut-être mais on en est là. » le coupa Bill. « Et, pour être franc, ça ne me dérangerait pas
qu’elle se mêle de tout. Percy et moi ne pouvons pas garder un œil sur maman en
permanence. Ce n’est pas possible. »

« L’argent ça se trouve. » bougonna Charlie. « Attends que je sorte d’ici et… »

« Et quoi ? » se moqua-t-il, sans véritable gentillesse. « Tu vas à nouveau essayer de défoncer


la porte de Gringotts pour les cambrioler cette fois-ci ? Tu en as fait assez, Charlie. »

« N’agis pas comme si tout était de ma faute. » s’énerva son frère. « Je n’y peux rien si
maman… »

Charlie avait l’air si triste soudain que la colère de Bill reflua lentement.

« Non, bien sûr. » soupira-t-il. « Mais on ne peut pas faire l’autruche éternellement. » Il sortit
sa vieille montre cabossée de sa poche – un cadeau de son père pour ses dix-huit ans – et
vérifia l’heure. « Je dois y aller. J’ai un job en Cornouaille. »

Un job qui impliquait des Sang-Purs étranges et une relique qui empestait la magie noire
mais Bill avait trop besoin d’argent pour être regardant. Ce ne serait pas le premier travail
douteux qu’il avait accepté ces dernières semaines, de toute manière.

Il était désormais le chef de famille et il ferait ce qui devait être fait pour la garder à flots.

°°O°°O°°O°°O°°

« Tu ne m’as jamais dit sur quoi tu travaillais. » remarqua Remus, de là où il était installé, sur
le sofa usé jusqu’à la corde situé près de la cheminée. Les dossiers que Tonks avait chapardés
au Ministère étaient étalés autour de lui, retraçant la vie à la fois banale et compliquée de
Laura Flemmings.

Sirius leva les yeux du grimoire qu’il était en train de parcourir, cillant dans l’obscurité
glauque qui régnait dans la bibliothèque. Il détestait cette pièce et ne s’était résolu à s’y
installer uniquement lorsqu’il était apparu évident qu’il lui faudrait des textes de référence.
Snape lui avait envoyé quelques livres traitant des Horcruxes ainsi que la copie de ses
recherches mais tout était beaucoup trop technique pour lui, il peinait à suivre. Ajouté à cela,
il devait s’entraîner de façon régulière à l’Occlumencie, ce qui l’obligeait régulièrement à
consulter quelques grimoires. Il ne pouvait pas vider les rayonnages sans mettre la puce à
l’oreille de son meilleur ami.

Il avait bien tenté de faire un peu le ménage, allant même jusqu’à essayer de contacter Molly
pour qu’elle l’aide mais, depuis peu, elle ne semblait jamais être au Terrier, et sa maîtrise des
sorts de nettoyage était aléatoire. Sa tentative de laver les carreaux de l’unique fenêtre s’était
soldée par un échec cuisant qui n’avait eu pour égal que la catastrophe qui s’était produite
lorsqu’il avait tenté de dépoussiérer l’énorme tapis. De guerre lasse, il avait fini par décrocher
les lourdes tentures de velours qui pendaient de chaque côté de la fenêtre afin de laisser
passer davantage de clarté et avait ordonné à Kreattur de s’occuper du reste. Comme toujours
avec cet elfe de maison bon à rien, Sirius n’avait pas intérêt à être pressé.

« Rien de particulier. » haussa-t-il les épaules.

Il n’aimait pas mentir à Remus mais s’il le mettait dans la confidence et que Snape le
découvrait, il craignait que leur alliance déjà fragile ne se brise. Oh, il ne tenait pas
particulièrement à Snape mais il croyait à présent l’homme lorsqu’il disait se soucier en
priorité d’Harry et il fallait admettre que Remus n’était pas l’exemple même de quelqu’un de
mentalement stable récemment – et venant de lui, cela voulait sans doute tout dire. De plus,
Sirius n’était pas suffisamment stupide pour ne pas s’être aperçu d’une tension nouvelle entre
Remus et Snape. Il n’était pas persuadé que le loup-garou aurait cru en ce que le Mangemort
avait à dire, souvenirs à l’appui ou pas.

L’ironie de la situation ne lui échappait pas davantage : que Remus soit prêt à sauter à la
gorge de Snape et que lui, Sirius, se retrouve à faire tampon ne manquait pas de sel.

« Tu avances ? » demanda-t-il, par politesse plus que par réel intérêt. À chaque nouvelle
réunion, Dumbledore demandait où en était la recherche de Remus et à chaque nouvelle
réunion, Remus se présentait les mains vides. Tonks insistait pour reprendre les fouilles à sa
place, persuadée qu’elle pourrait retrouver la mystérieuse femme en quelques heures et cela
dégénérait immanquablement en dispute.

« Si je veux la localiser, je dois trouver la meute de Greyback. » décréta Remus. « C’est


comme chercher une aiguille dans une botte de foin. »

Ça ne pouvait pas être pire que lire et relire les atrocités nécessaires à la création d’un
Horcruxe ou tous les commentaires, extrapolations et hypothèses de Snape sur le sujet.
Toutes les voies que le Maître des Potions avaient explorées concernant un vaisseau humain
aboutissaient toujours à la même conclusion : Harry ne survivrait pas à la destruction du
fragment d’âme de Voldemort. Sirius pouvait presque sentir la frustration et la fureur de
l’homme rien qu’à voir son écriture pointue se transformer en pattes de mouche illisible.

« Peut-être que si tu demandais à Tonks… » suggéra-t-il.

« Non. » aboya presque son meilleur ami. Le carillon sur la cheminée résonna à ce moment là
et Sirius ne put s’empêcher de penser qu’il était sauvé par le gong. « C’est l’heure de la leçon
d’Harry. Je dois aller à Poudlard. »
« À plus tard. » répondit-il distraitement, avant de se replonger dans ses recherches. Il ravala
l’envie de proposer à Remus de l’accompagner, sachant que son filleul n’approuverait pas.
Harry lui avait envoyé quelques lettres – quoi que si courtes qu’elles auraient pu être
qualifiées de simple ‘mots’ mais Sirius rongeait son frein, déjà heureux d’avoir obtenu si
peu– qui parlait de tout et de rien, surtout de rien d’ailleurs, et l’Animagus l’avait compris
comme une offre de repartir à zéro. Il refusait de risquer de tout foutre en l’air par pure
impatience. Il contrôlerait ses tendances purement Gryffondor et ferait de son mieux pour
réparer les pots cassés.

En deux semaines, il estimait qu’ils avaient déjà fait des progrès.

°°O°°O°°O°°

Deux semaines et Harry ne constatait aucun progrès.

Les « cours particuliers de Défense » que Remus lui donnait étaient on ne peut plus différents
de l’entraînement auquel Snape l’avait soumis.

Snape le formait pour une guerre.

Remus l’encourageait à camper sur une position défensive qui, au demeurant, ne le sauverait
pas lors un véritable combat.

Les labyrinthes et autres mises en situation déroutantes que le Professeur des Portions lui
inventaient lui manquaient. Certes, il avait appris quelques sortilèges défensifs intéressants
avec Remus, des sortilèges qu’il s’était empressé de partager avec le reste de l’A.D., mais il
n’y avait pas de véritable difficulté à esquiver, parer et bloquer les sorts que le loup-garou
faisait pleuvoir sur lui et, de guerre lasse, Harry laissa échapper un soupir.

« Je t’ennuie, peut-être ? » demanda Remus, non sans humour.

Harry lui lança un sourire contrit et se força à se concentrer davantage sans toutefois y
parvenir. Esquiver, parer, bloquer… Esquiver, parer, bloquer… Esquiver, parer, bloquer…

Le loup-garou voulait que les gestes deviennent instinctifs, que l’adolescent puisse les faire
dans son sommeil… Si ça continuait ainsi, ils ne tarderaient pas à tester cette théorie.

« Bien. » Remus déclara, après une longue demi-heure. « Je pense que cela suffit pour
aujourd’hui. Très bon travail, Harry. »

« Si vous le dites. » marmonna-t-il, acceptant toutefois la chocogrenouille que lui tendit le


loup-garou. L’adolescent était partagé entre l’envie de lui rappeler qu’il n’était plus un
troisième année et une gourmandise prononcée. Son estomac l’emporta et il décapita la
grenouille en chocolat d’un coup de dent.

« Je sais que ces exercices te paraissent ennuyeux… » soupira l’ancien Professeur de


Défense. « Cependant… »

« Je n’ai pas besoin de ça. » coupa-t-il. « Je ne veux pas vous vexer, Remus, mais je peux me
défendre. Ce dont j’ai besoin, c’est de m’entraîner à faire face à plusieurs adversaires, d’être
mis en difficulté. »

L’amusement se disputait à l’agacement sur le visage du lycanthrope. « Il y a une différence


entre confiance en soi et arrogance, Harry. Tu… »

« J’ai affronté des Mangemorts. » lâcha-t-il, passablement ennuyé de devoir justifier son désir
d’apprendre à se battre, pas simplement à se défendre. « J’ai affronté Voldemort. La Défense,
c’est bien, Remus, mais croyez-moi, je sais de source sûre que ça ne suffit pas. Quand on
était dans le passé… » Il haussa les épaules, se remémorant les multiples attaques et duels
auxquels il avait dû faire face ces derniers mois. « Si je suis encore vivant aujourd’hui, c’est
parce que mon père m’a entraîné comme il faut. »

Il ne se rendit compte qu’il avait fait une erreur qu’une seconde trop tard.

« Ton père… » hésita Remus, en fronçant les sourcils.

C’était drôle, songea Harry, le temps qu’il lui avait fallu pour apprendre à mentir au début, les
mois passés à balbutier à chaque fois qu’il lui avait fallu affirmer que Snape était son père,
que son nom était Harry Prince, qu’il était le fils du Professeur de Défense… Excepté que
cela n’avait rien de drôle. Parce que, à présent, il ne savait plus où débutait le mensonge et où
finissait la vérité. Il ne savait plus très bien qui il était. Saevus Prince n’existait pas davantage
qu’Harry Prince. Quant à Severus Snape il ne pouvait être le père, même adoptif, d’Harry
Potter. Pas dans cet univers-ci.

« Severus. » précisa-t-il toutefois. Le prénom passa ses lèvres avec une facilité déconcertante
et il ne se reprit qu’un peu trop tard. Encore une fois. Décidément, moins d’un mois loin de la
salle commune des Serpentards et il perdait toute la subtilité si rudement acquise. « Le
Professeur Snape. »

Remus lui adressa un sourire qui débordait de gentillesse. « Oui, je sais qui est Severus. »

Harry haussa les épaules, finit sa chocogrenouille et essuya ses doigts poisseux de chocolat
sur son pantalon.

Remus l’observait en silence, ses doigts pianotant distraitement sur le bureau contre lequel il
était appuyé.

« Le Professeur Dumbledore m’a demandé d’insister sur la Défense. » avoua le loup-garou.


« J’ai cru comprendre qu’il craignait que Severus t’ait poussé un peu trop loin. »

Les yeux d’Harry se braquèrent immédiatement sur le tableau qui pendait au fond de la salle
de classe. La vieille princesse dormait dans sa tour ou, du moins, prétendait dormir.

« Sans blague ? » se moqua-t-il. Il ne savait pas à quoi jouait Dumbledore. Sa seule source
d’information était Snape et, sans lui, il était tenu dans le noir complet quant à ce qui se
passait à l’extérieur. Un simple coup du poignet suffit à faire tomber sa baguette dans sa
main. D’un geste fluide, il fouetta l’air, murmurant le sortilège du bout des lèvres. Une sphère
dorée emprisonna le tableau de la princesse. Remus l’avait regardé faire sans bien
comprendre, une expression perplexe sur le visage. Harry se fendit d’un sourire satisfait. « Et
si on faisait un pari ? Si je vous bats, on oublie la Défense pure et dure et on passe au niveau
supérieur. »

Une lueur d’amusement s’alluma dans les yeux de Remus. « Tu ne me battras pas. »

« J’ai battu mon père. » répliqua-t-il. Il ne précisa pas qu’il parlait de Snape et le loup-garou
ne le corrigea pas. Harry se détendit légèrement.

« Tu as battu Severus en duel… » répéta l’homme avec incrédulité.

« Une fois. » avoua-t-il. « Par surprise. Mais je l’ai fait. »

L’ancien Professeur le dévisagea quelques secondes puis haussa les épaules avec un sourire.
L’espace d’un instant, Harry eut l’impression de se retrouver face à l’adolescent qu’il avait
côtoyé des mois durant plutôt que face à l’ancien Professeur de Défense.

« Soit. » capitula le loup-garou. « Si tu me bats… »

Harry ne le laissa pas terminer sa phrase, il plongea derrière un des bureaux, jetant son
premier stupefix. Surpris, Remus ne le para qu’in extremis.

« Il est de bon ton de saluer avant un duel… » le gronda gentiment le loup-garou.

« Ce n’est pas un duel, c’est un entraînement. » rétorqua-t-il, dissimulant mal une certaine
excitation à la perspective d’un adversaire à sa mesure. Il brûlait de dépenser son énergie et
aucun des membres de l’A.D. n’avait un niveau comparable au sien. « Nox. » Les torches
s’éteignirent brutalement, plongeant la salle de classe dans la pénombre. « Nebula. »
Aussitôt, un épais brouillard envahit la salle de classe, limitant dangereusement la visibilité.
Cela handicapait Harry, évidemment, mais il était nécessaire de corser le jeu.

Pendant un moment, il n’y eut plus un bruit. Tout ce que le garçon pouvait entendre était les
battements anarchiques de son cœur, et pourtant, un sourire extatique était accroché à ses
lèvres. La décharge d’adrénaline lui fit du bien. Pour la première fois depuis un certain
temps, son esprit était clair, libre des angoisses qu’il traînait quotidiennement comme un
boulet à la cheville…

Malgré la brume épaisse, il détecta le mouvement sur sa gauche et dressa un bouclier qui
ralentit à peine le stupefix ennemi. Cela n’avait aucune importance, Harry n’était déjà plus là.
Il avait bondi par-dessus le bureau, s’était élancé vers l’autre bout de la salle et l’imposante
armoire qui lui assurerait une bien meilleure couverture.

Étudier le terrain, était une des règles favorites de Severus.

« Nox et Nebula étaient deux bonnes idées… » observa Remus, sans qu’Harry ne parvienne à
le localiser dans la pièce, sa voix semblait rebondir sur les murs, étrangement altérée. « La
prochaine fois, cependant, tâche de te souvenir qu’un loup-garou a des sens plus affutés que
la plupart des humains. »

Il lui sembla que la voix venait de derrière lui mais Harry devina instinctivement que ce
n’était qu’un leurre pour la raison très simple que Remus était un Gryffondor et qu’un
Gryffondor n’attaquait pas le gens dans le dos. Un an encore auparavant, il aurait hésité.

Lorsqu’il roula au sol, baguette pointé dans la direction opposée, son geste était sûr et fluide.
« Petrificus Totalus. »

Il y eut un bruit sourd puis plus rien.

Harry retint mal un ricanement ravi. « Lumos. Evanesco. » Les torches se rallumèrent et le
brouillard disparut. Remus était tombé sur le dos, et, les yeux grands ouverts, le fixait du
regard avec une expression à moitié surprise et à moitié vexée. Le Gryffondor prit pitié.
« Finite. »

Le loup-garou attrapa la main que l’adolescent lui tendit pour l’aider à se relever.

« Pas mal du tout. » commenta l’ancien Professeur de Défense.

Harry n’osa pas lui avouer que cela avait été facile.

« Leçon numéro un du programme Severus Snape : ne jamais sous-estimer l’adversaire. » se


moqua-t-il gentiment, le sérieux dans sa voix était cependant perceptible. « Je perds mon
temps avec ce genre d’entraînement, Remus. Je veux progresser pas régresser. »

Le loup-garou l’observa attentivement puis un sourire légèrement attristé étira ses lèvres.

« Tu as vraiment changé, Harry. » remarqua l’homme doucement. « Je comprends pourquoi


Albus craint l’influence de Severus. »

Harry n’aimait pas le tour que prenait la discussion.

« Severus ne m’a pas changé. » se défendit-il. « J’ai juste grandi. J’ai appris beaucoup de
choses en soixante-quinze. »

« Comme réfléchir en Serpentard. » avança le loup-garou prudemment. En apercevant


l’expression d’Harry, il leva bien vite les mains en geste de paix. « Ce n’est pas une critique,
les Serpentards sont souvent les meilleurs tacticiens et Severus est probablement l’un de nos
meilleurs stratèges, toutefois ses méthodes sont… Eh bien, on ne peut nier que pour Severus
la fin justifie les moyens. »

« Parce que la fin justifie souvent les moyens pour de vrai. » répliqua Harry.

« Je ne suis pas certain d’être tout à fait d’accord avec toi sur ce point. » répondit Remus.
« Et je ne suis pas certain non plus que ce soit une valeur qu’il faille inculquer à un enfant. »

« C’est ça votre problème, alors. » lâcha-t-il. « Je ne suis pas un enfant. J’aurais pu vous tuer
tout à l’heure. »

« Vraiment ? » s’enquit Remus. « Je t’ai sous-estimé, c’est vrai, mais si j’avais véritablement
voulu gagner… »
« La prochaine fois, ne retenez pas vos coups, alors. » le coupa-t-il avec irritation. « On verra
bien qui sera le meilleur. »

Il tourna les talons et planta le loup-garou dans la salle de classe, agacé au-delà des mots.

°°O°°O°°O°°O°°

« Comment ça non ? »

« Non veut dire non. » répondit Hermione calmement, en tournant la page de son livre de
potions. « Si tu ignores la signification précise de ce mot, je te suggère le rayon des
dictionnaires. Il est un peu plus loin là-bas, sur la gauche, juste après le rayonnage sur les
runes. » Elle agita vaguement la main dans la bonne direction mais ne leva pas les yeux de
son manuel, trop occupée à ficher les informations importantes du dernier chapitre qu’ils
avaient étudié en vue de ses révisions pour les B.U.S.E.s.

Leur table habituelle, au fond de la bibliothèque, était moins pleine qu’à l’accoutumée : Luna
et Neville étaient les grands absents avec Hannah et Susan. Toutefois, Ron et Lavande
paraissaient bien plus occupés à se lécher le visage qu’à étudier, quant à Blaise et Daphné, ils
avaient disparu entre les rayonnages plus d’une demi-heure auparavant et n’avaient pas
réapparu depuis. Ginny et Astoria discutaient à voix basse de leur devoir de Sortilèges dans
un coin, la cadette des Weasley jetant régulièrement des regards noirs à son frère, et Draco,
bien entendu, faisait de son mieux pour empêcher Hermione de travailler correctement.

Elle aurait aimé pouvoir se mettre en colère mais à chaque fois que ses yeux croisaient les
siens, son irritation fondait comme neige au soleil et elle devait s’efforcer de ravaler un
sourire. Dieu, ce qu’il pouvait être agaçant.

« Granger… » plaida-t-il, de ce ton geignard que, fut-un temps, elle trouvait insupportable.
Désormais, elle le trouvait tout aussi insupportable mais pour une raison indéterminée, elle le
trouvait également mignon. Il y avait des jours, des jours comme celui-ci, où Hermione
songeait sérieusement à consulter un Médicomage.

« Non. » répéta-t-elle fermement.

Non, elle ne le laisserait pas la convaincre d’aller faire un tour dans le parc. Non, elle ne
céderait pas comme ses amis l’avaient fait aux hormones qui bouillonnaient en elle. Non, elle
ne gâcherait pas une heure de révision à embrasser Draco jusqu’à en avoir mal aux lèvres
parce qu’elle était Hermione Granger et qu’il était impensable qu’Hermione Granger
n’obtienne pas un maximum de O à ses B.U.S.E.s.

« Quel ingrédient vient après la poudre d’acore ? » demanda-t-il, d’un ton où l’ennui se
disputait à l’ironie.

« La bave de salamandre. » répondit-elle distraitement. « Puis deux tours dans le sens des
aiguilles d’une montre et les larmes de fées, puis un tour dans le sens contraire des aiguilles
d’une montre et un temps de repos de trois heures avant de rajouter les aiguilles de pin. »
« Tu connais ce chapitre par cœur ! » soupira Draco. « Il y a du soleil… Tu sais depuis
combien de temps il n’y a pas eu de soleil ? »

« Depuis hier. » rétorqua-t-elle, en recopiant soigneusement un paragraphe sur son


parchemin. « La Terre ne s’est pas arrêtée de tourner que je sache donc le soleil s’est levé hier
et il se lèvera demain. »

« Tu n’as aucun sens de l’humour. » reprocha le Serpentard dans un de ces soupirs


dramatiques dont il avait le secret. « Et aucune subtilité non plus. J’ai envie de t’embrasser.
Dois-je te l’écrire en Runes anciennes pour que tu comprennes le message ? »

Elle cilla mais garda résolument les yeux rivés sur son parchemin. Détermination, se gronda-
t-elle. Ce n’était qu’au prix d’une détermination sans bornes et d’un acharnement sans limites
qu’elle obtiendrait les O qu’elle convoitait.

« Sérieusement, si vous vous comportez comme ces deux idiots là, je vais vous botter les
fesses. » avertit Ginny, en désignant son frère d’un signe de tête. « On essaye d’étudier,
nous. »

« Oh, comme tu es aigrie… » ricana Draco, ayant visiblement trouvé une autre distraction
qu’elle. « Quel est le problème, Ginny ? Potter n’a toujours pas réalisé que tu étais la femme
de sa vie ? »

« Ta gueule, Malfoy. » grinça la quatrième année.

« Ta gueule, Malfoy… Ça me plait. J’aime ce programme. » lança Harry, en jetant son sac par
terre et en se laissant tomber sur une chaise libre. Il jeta un coup d’œil à Ron et Lavande et
leva les yeux au ciel.

Hermione et Ginny échangèrent un regard. Ni l’une ni l’autre ne l’avaient vu arriver,


impossible de dire s’il avait entendu la remarque de Draco ou pas. Pour la peine, Hermione
décocha un coup de pied dans le tibia de son petit-ami.

« Ouch ! » s’exclama Draco. Il la fusilla du regard et se baissa pour se masser la jambe. « Il


va vraiment falloir penser à faire quelque chose pour ta violence gratuite. »

Trop habitué à ce genre d’échanges entre eux, personne ne lui prêta attention.

« Ta leçon s’est bien passée ? » s’enquit Hermione.

Harry eut un regard en coin pour Draco, toujours méfiant à l’égard du Serpentard, mais
haussa finalement les épaules. Les cours particuliers que Remus lui donnait étaient censés
être un secret, en conséquence tout Poudlard était déjà au courant.

« Comme d’habitude. » soupira le Survivant, sans grand enthousiasme.

Elle en conclut qu’il avait trouvé cela aussi ennuyant que la fois précédente. Elle ne put
retenir une moue agacée, elle n’aurait rien eu contre des cours particuliers de Défense.

« Tu as déjà commencé le devoir que Snape nous a donné ? » changea-t-elle de sujet.


« Celui sur les boucliers élémentaires ? Je l’ai déjà fait au début de l’année… » répondit-il.
« Les cours étaient beaucoup plus avancés dans le passé. »

Malgré elle, Hermione eut un mouvement d’humeur. Elle croisa le regard moqueur de Draco.
Ce dernier ne disait rien mais n’en pensait très visiblement pas moins qu’elle, la tête
légèrement inclinée sur le côté, un fin sourire aux lèvres, la défiant tacitement de défendre à
nouveau Harry la prochaine fois qu’il l’accuserait d’avoir la grosse tête.

Ses yeux se posèrent sur Ron qui n’avait rien suivi à la conversation, trop pris par Lavande –
elle ne put retenir un raclement de gorge lorsqu’elle se rendit compte qu’une des mains de
son meilleur ami avait disparu sous le pull de la jeune fille ; le Gryffondor la ressortit
immédiatement et la posa sur la taille de Lavande sans cesser de l’embrasser, preuve qu’il
n’était pas aussi distrait qu’il voulait le faire croire et préférait simplement ne pas s’impliquer.
Lorsqu’elle regarda à nouveau vers Harry, il avait les yeux perdus dans le vague et agitait
distraitement sa baguette, faisant apparaître et disparaître machinalement une petite sphère
dont l’unique intérêt semblait être la lumière douce qu’elle dispensait. Il s’entraînait aux
informulés, c’était du moins l’explication qu’il leur avait donné la dernière fois qu’il s’était
amusé à ce manège. Hermione avait tenté de l’imiter mais les sortilèges informulés étaient
encore bien au dessus de ses capacités et elle n’avait pas le temps nécessaire qu’il aurait fallu
consacrer à leur maîtrise.

Qu’Harry qu’elle avait toujours surpassé en tout excepté en Défense et en Quidditch


parvienne à maîtriser cela avant elle était agaçant – ça n’aurait sans doute pas dû l’être, mais
ça l’était – toutefois, elle aurait pu passer outre s’il n’avait pas adopté cette attitude
insupportable de Mr Je Sais Tout. Elle commençait à comprendre pourquoi les gens
trouvaient ça si irritant lorsqu’elle agissait de la même manière.

Cela crevait les yeux qu’Harry peinait à retrouver son équilibre – encore que, il paraissait
aller mieux dernièrement, il avait recommencé à parler à Sirius au moins et faisait des efforts
pour s’intégrer au sein du groupe. Elle aurait aimé l’aider, vraiment, elle aurait fait n’importe
quoi pour son meilleur ami, mais elle ignorait quoi faire. Elle ignorait comment s’y prendre.

Pire, elle détestait la tension qui résultait de cette détresse non formulée. Consciemment ou
non, Ron et elle se reprochaient de ne pas parvenir à rétablir l’équilibre et cela dégénérait
plus souvent que de raison en chamailleries stériles.

Elle croisa à nouveau le regard de Draco qui haussa les sourcils dans une invitation muette.
Avec un soupir, elle capitula. Elle ne parviendrait, de toute manière, jamais à se concentrer
avec Harry qui boudait à côté d’elle.

« Finalement, je pense qu’un petit tour dans le parc ne me ferait pas de mal. J’ai besoin
d’air. » s’excusa-t-elle, en rangeant rapidement ses affaires.

Harry lui jeta un coup d’œil curieux mais elle prétendit ne pas s’en apercevoir.

Au lieu d’enfourner tous ses livres, parchemins et plumes dans son sac comme elle le faisait,
Draco agita nonchalamment sa baguette et toutes ses affaires vinrent se ranger proprement
dans sa besace.
« Prétentieux. » se moqua Ginny. « Il faut toujours que tu te fasses remarquer. »

« J’appelle ça avoir de la classe. » rétorqua-t-il, attrapant le sac d’Hermione avant qu’elle ait
pu le passer sur son épaule. « Je ne m’attends pas à ce que tu saches ce que c’est, Weasley,
c’est héréditaire. »

« Ça va avec la consanguinité et la connerie. » marmonna Harry.

« Veux-tu répéter, Potter ? » siffla Draco.

« Non, il ne veut pas. » intervint Hermione avant que ça ne dégénère, jetant un coup d’œil
agacé à son meilleur ami. « Allons-y. »

« Quel crétin. » grommela Draco, dès qu’ils se furent suffisamment éloigné. « Si je n’avais
pas besoin de lui, je… »

« Tu ne ferais rien du tout. » l’interrompit-elle fermement. « Parce que c’est mon ami et que
tu ne m’obligerais jamais à choisir entre vous deux. N’est-ce pas ? »

Elle lui jeta un regard lourd de sens qui le fit grommeler davantage, cependant, il attrapa sa
main et entrelaça leurs doigts. C’était toute la réponse dont elle avait besoin, au fond. Ils
croisèrent Blaise et Daphné près de la sortie de la bibliothèque.

« Ah, Granger… » l’interpella Blaise. « Pourrais-je t’emprunter tes notes de Botanique ? »

« Plus tard. » décréta Draco, sans lui laisser le temps de répondre. Il l’entraîna en courant,
ignorant royalement les remontrances de Madame Pince.

C’était stupide, immature et ridicule.

À peine digne de première année.

Pourtant, Hermione le suivit de son plein grès, courant à perdre haleine. Quand ils
s’arrêtèrent enfin, à bout de souffle, dans un couloir désert, ils éclatèrent de rire face à leur
propre stupidité.

Il était évident pour Hermione que l’amour lui avait fait perdre quelques neurones.

Loin de s’en plaindre, elle passa les bras autour de son cou et ne protesta pas lorsqu’il la
poussa gentiment contre le mur pour mieux l’embrasser.

Là-dehors, il y avait une guerre. Plus près d’elle, son meilleur ami luttait pour se reconstruire.

Les deux problèmes la dévoraient d’impuissance.

Mais lorsque les lèvres de Draco se posaient sur les siennes, lorsqu’elle fermait les yeux et
inspirait à pleins poumons son odeur si familière, le reste du monde disparaissait pour un
temps.
Prétendre qu’elle ne vivait pas ces instants comme un soulagement sans nom aurait été un
mensonge.

°°O°°O°°O°°O°°

Tonks débarqua au Square Grimmaurd en retard, comme à l’accoutumée. Elle se prit les
pieds dans le porte-parapluies et manqua s’étaler dans l’entrée devant tout le monde, comme
à l’accoutumée. La mère de Sirius se mit à l’abreuver d’injures, comme à l’accoutumée.

Bref, songea-t-elle, en époussetant son blouson de cuir pour en chasser la poussière qui
semblait s’accumuler au quatre coins de la demeure des Black et attaquer quiconque y mettait
les pieds, du classique Nymphadora Tonks.

« Tu t’es fait mal ? » demanda Remus avec un froncement de sourcils inquiet.

L’intention était sans doute bonne mais la question l’agaça.

« Non. » répondit-elle froidement, il devrait s’en contenter. D’un coup de baguette, elle ferma
les rideaux qui cachaient le portrait de Walburga Black et jeta un silencio pour faire bonne
mesure. Bien entendu, les autres ayant déduit qu’elle était de mauvaise humeur avaient tous
filé vers la cuisine sans demander leur reste, la laissant seule avec le loup-garou.

« Écoute, Dora… » grimaça-t-il. « Je sais que tout ça est gênant… »

« Gênant ? » répéta-t-elle, sans parvenir à réprimer un éclat de rire amer. « Qu’est-ce qui est
gênant précisément, Remus ? »

Le loup-garou eut la bonne grâce de s’empourprer. « Toi et moi. On… »

« Oh, tu trouves que c’est gênant ? » demanda-t-elle d’un ton tout à fait innocent. « Je suis
absolument désolée, Remus. Est-ce que ma présence te met mal à l’aise ? Parce que pour être
très franche, lorsque tu as décidé de me quitter sans me laisser libre de placer un mot alors
que je venais de te dire que je t’aimais, c’était plus que gênant pour moi. Quand tu remets
sans cesse mes capacités d’Auror en question, c’est plus que gênant pour moi. Quand tu me
traites comme une gamine incapable de lacer ses chaussures sans supervision, je suis mal à
l’aise. Alors si tout ça est gênant pour toi… Je suis vraiment, vraiment désolée ! »

Walburga clôtura son discours d’une nouvelle série de hurlements.

Elle planta Remus là où il était et dévala les quatre marches qui menaient à la cuisine, tentant
de ne pas se formaliser des regards braqués sur elle. Elle avait suffisamment élevé la voix
pour qu’ils ne ratent rien de la conversation mais elle avait les nerfs à vif et ne parvenait pas à
s’en préoccuper.

Se retrouver en présence de Dumbledore, même dans une pièce pleine de monde, après ce qui
s’était passé l’angoissait. Remus avait beau douter d’elle, elle connaissait ses limites. Si elle
pouvait éventuellement l’emporter sur Bellatrix ou Greyback, elle n’avait aucune chance
contre Dumbledore.
La simple pensée que le sorcier ait effacé sa mémoire et planté des faux souvenirs dans son
esprit…

Quoi qu’il se soit passé dans son bureau, elle n’était pas certaine de vouloir s’en souvenir.

Elle prit bien soin de ne pas croiser le regard du Directeur. Un coup d’œil lui apprit que le
Conseil était toujours aussi restreint. Charlie, Anthony et Molly manquaient toujours à
l’appel. Fol’Œil, Bill, Flitwick et McGonagall n’étaient pas là. L’éternel absent Fletcher
n’avait pas daigné se présenter. Elle se demandait presque pourquoi ils continuaient à avoir ce
genre de réunion où ils ne faisaient que ressasser de vieilles informations.

« Ravie de voir que tu es en forme. » l’accueillit Nyssandra avec un sourire qui laissait
deviner ses crocs. Tonks lui rendit son sourire mais délaissa le siège libre à sa gauche pour se
laisser tomber sur la chaise vide entre Sirius et Severus.

« Aucun commentaire. » lâcha-t-elle en guise d’avertissement pour l’un comme pour l’autre.

Kingsley lui adressa un hochement de tête serein.

« Pouvons-nous commencer ? » s’enquit Dumbledore, après s’être raclé la gorge. Remus se


glissa à côté de Nyssandra et garda les yeux rivés sur ses mains jointes. « Bien. Severus ? »

« J’ai trouvé la meute de Greyback. » déclara Tonks, avant que Snape n’ait pu ouvrir la
bouche. Elle savoura les regards médusés davantage qu’elle ne l’aurait dû en tant que bonne
Poufsouffle. « Je sais, je sais… C’est une affaire de loups-garous. Peut-être que je devrais
garder l’information pour moi et attendre que Remus résolve le problème… »

« Tu exagères. » lui reprocha Sirius.

« Ça fait des semaines que je cherches. » protesta Remus. « Comment… »

« Une formation d’Auror. » l’interrompit-elle, goguenarde.

« Dis-nous ce que tu as trouvé. » la gronda gentiment Kingsley.

« Très bien. » haussa-t-elle les épaules. « Ce n’était pas bien difficile à découvrir, cela dit.
Phénomènes étranges, augmentation des commandes de viande crue dans la région alors que
c’est un trou perdu, ah, et, bien sûr, les animaux fuient la zone pour une raison qui laisse les
experts Moldus perplexes. Il suffisait d’allumer la télé, en fait. Ils sont dans les highlands, en
Écosse. Dans la lande un peu au nord d’Iverness. »

L’annonce jeta un froid.

« Êtes-vous certaine ? » s’enquit Severus.

« Je ne suis pas allée vérifier. » répondit-elle. « Mais ça colle. »

Les hautes terres étaient une région montagneuse, isolée, et très peu peuplée. L’endroit idéal
pour dissimuler quelque chose.
« Aussi près de Poudlard ? Impossible ! » s’exclama Sirius. « Ce serait stupide. »

« Ou un coup de maître. » nuança Severus. « Nous devons renforcer les protections


immédiatement. »

« Les protections actuelles sont suffisamment efficaces. » contra Dumbledore, en caressant sa


barbe d’un air distrait. « Elles ne laisseront pas passer un loup-garou. »

« Faux. Elles laissent passer les loups-garous sous forme humaine. » contredit Remus. « Si
quelqu’un pénétrait à l’intérieur du domaine et prenait la potion… »

« Personne ne peut pénétrer sur le domaine sans que je ne le sache. » argua le Directeur.
« Modifier les protections comme Severus le suggère vous interdirait accès à l’école, Remus.
Vérifions d’abord la fiabilité des informations de Tonks avant de prendre de telles mesures. »

« La pleine lune est dans deux jours. » rappela Sirius.

« Et ils peuvent se transformer à volonté, ça ne fait pas grande différence que la pleine lune
soit dans deux jours ou trois semaines. » Severus balaya l’argument d’un geste de la
main. « Ils ne vont pas attaquer Poudlard sans raison. »

« Peut-être, mais si on veut enquêter, il vaudrait mieux le faire demain ou attendre la fin du
cycle lunaire. » rétorqua l’Animagus.

C’était presque poli pour un échange entre eux deux et Tonks leva les sourcils, étonnée.

« À vrai dire… » intervint Remus. « Sous forme animale ou humaine, nous parlons de tueurs.
Severus a raison, cela ne fera pas grande différence. »

À son sens, il y avait une grosse différence entre d’énormes bestioles avec des mâchoires
suffisamment larges pour vous arracher un bras et une bande de timbrés. Puis elle se souvint
de Loba et tint sa langue. Loba avait été une adversaire extrêmement dangereuse sous sa
forme humaine.

« Je peux y aller. » proposa Nyssa. « S’il y a des loups-garous près d’Iverness, je les trouverai
sans mal et il y a peu de risques qu’ils me blessent. Je cours vite. »

« Et si la mission s’avérait durer plus d’une nuit, nous nous retrouverions sans réponse mais
avec un joli tas de cendres… » se moqua le Maître des Potions. « J’irais. »

« Ou pas. » contra Sirius, de manière prévisible. « Je vais y aller, moi. »

« C’est mon enquête, c’est moi qui y vais. » soupira Tonks, agacée de ces discussions qui
n’en finissaient jamais.

« Si Laura est là-bas, elle ne parlera qu’à moi, donc, si quelqu’un doit y aller, ce sera moi. »
déclara Remus.

Dumbledore dissimulait mal son exaspération sous des airs faussement amusés. « Remus et
Sirius s’en chargeront. Si vous pouvez établir un contact avec Laura Flemmings, faites-le,
mais ne prenez aucun risque inutile. »

« C’est mon enquête ! » insista Tonks, outrée. « Et avec la pleine lune, Remus… »

Severus fit apparaître une fiole d’un mouvement de poignet absolument tape-à-l’œil. Elle
avait beau être agacée, elle rajouta ça à la liste des sortilèges qu’elle souhaitait lui soutirer.

« J’ai tâché de stabiliser la potion Tue-Loup au mieux. » expliqua le Mangemort, en envoyant


flotter, d’un coup de baguette, la fiole vers Remus. « Une dose ce soir, une deuxième demain
et le reste au coucher du soleil le jour de la transformation. Si tout se passe comme je l’ai
prévu, la potion devrait non seulement être plus puissante que celle de Slughorn mais tu
devrais ressentir une différence au niveau mental. J’apprécierai un compte-rendu détaillé par
écrit. »

Visiblement, Snape n’avait pas découvert comment forcer la transformation mais ses
recherches n’avaient pas été vaines.

« Tu penses que je pourrais garder pleinement le contrôle lors de la transformation ? »


demanda le loup-garou, surpris. « Je serais toujours… moi ? »

« Pleinement, cela reste à voir. » tempéra Severus. « Il est impossible de totalement


supprimer l’instinct animal. Cette nouvelle version de la potion devrait l’atténuer
davantage. »

« Je ne comprends rien. » avoua Sirius, traduisant la pensée générale.

« Ce n’est pas bien surprenant. » rétorqua le Maître des Potions dans un claquement de
langue agacé. « Disons que la version classique de la potion Tue-Loup transforme Lupin en
loup apprivoisé, il bride la sauvagerie de l’animal en quelque sorte. Celle-ci devrait
transformer Lupin en un… Lupin sous forme de loup. »

« C’est fascinant, Severus. » commenta Dumbledore avec une réelle admiration. « J’aimerai
lire vos recherches. »

« Revenons à nos moutons. » lâcha Tonks, avant de lever les yeux au ciel. « Enfin, à nos
loups. »

« Avec la potion de Severus, je pourrais infiltrer le camp lors de la pleine lune. » déclara
Remus. « La meute de Greyback est gigantesque. Tant que je ne me retrouve pas sur sa route,
je devrais être en sécurité. Ensuite, il me suffit de retrouver la trace de Laura et… »

« De hurler à la lune avec elle jusqu’au petit matin ? » coupa Nyssandra, non sans ironie.
« Comment vas-tu la convaincre ? »

« Les vampires ont leurs méthodes, nous avons les nôtres. » répliqua Remus, avant de se
tourner vers Dumbledore. « C’est un bon plan. Sirius et moi partirons dès demain pour
vérifier si la meute est vraiment dans les highlands et, le cas échéant, repérer les lieux. »

« Très bien. » approuva Dumbledore.


Tonks garda le silence, suffisamment honnête pour reconnaître que sa réticence à voir Remus
chargé de la mission venait de ses propres sentiments et non d’un doute profond qu’il ne soit
pas le mieux adapté à la réussir.

Elle n’écouta pas grand-chose du reste de la réunion pour la bonne raison que rien
d’exceptionnel n’y fut dit. Charlie lui manquait. Si son meilleur ami avait été là, elle était
certaine qu’il aurait trouvé un moyen de la distraire. Au lieu de ça, elle fut condamnée à
écouter Dumbledore monologuer, se vit attribuer une énième mission de surveillance et
prétendit ne pas remarquer les regards que Severus et Sirius échangeaient par-dessus sa tête.

Il se tramait définitivement quelque chose entre ces deux là et elle n’était pas la seule à
l’avoir remarqué. Nyssandra avait les yeux rivés sur Sirius.

Tout venait à point à qui savait attendre. Une cuisine bondée où Dumbledore siégeait en
empereur n’était pas l’endroit rêvé pour obtenir des réponses.

Enfin, au prix d’une interminable attente, le Directeur leur rendit finalement leur liberté.
Tonks profita du bref chaos lorsque tout le monde se leva, parlant en même temps, pour
discrètement attirer l’attention de Snape.

« Il faut qu’on parle. » murmura-t-elle.

L’emplacement de la meute de Greyback n’était pas la seule chose qu’elle avait découverte,
seulement les informations qu’elle désirait partager avec Severus n’étaient pas faites pour
toutes les oreilles…

Le Maître des Potions ne répondit pas mais hocha brièvement la tête. Ensuite, il ne lui
accorda plus un regard.

Un truc d’espion, sans doute.

°°O°°O°°O°°O°°

« La reprise n’est pas trop dure ? » demanda Sirius, portant le verre à ses lèvres.

Dumbledore parti, l’ambiance s’était considérablement détendue même si Remus et Tonks


prenaient garde de rester de pars et d’autre de la cuisine. L’Auror sirotait sa bièraubeurre en
compagnie de Shacklebolt et lui, pendant que, près de l’évier, Snape s’étendait sur les
modifications apportées à la potion. Remus buvait ses paroles avec attention, Nyssa avait son
air boudeur des grands jours d’ennui profond.

Il devinait sans avoir à poser la question qu’elle aurait préféré partir à la chasse aux loups-
garous plutôt que de rester terrée là.

« Tonks a fait un travail exemplaire en mon absence. » répondit chaleureusement Kingsley.

Sa cousine offrit un sourire ravi à son partenaire avant de lui donner un léger coup d’épaule.
« Impatient d’aller te geler les fesses en Écosse ? »
« Tu penses. » marmonna-t-il avec une grimace. La perspective était des moins réjouissantes.
« C’est du bon boulot, au fait, Tonks. »

« Que veux-tu ? » plaisanta la jeune femme. « Je suis géniale. »

« Et modeste. » se moqua gentiment Kingsley.

« Et modeste. » concéda Tonks, dans un éclat de rire.

Sirius aurait ri lui aussi si Snape n’avait pas choisi ce moment là pour croiser son regard. Il
n’y eut aucun signe clair, aucune instruction subtile, pourtant, lorsque le Maître des Potions
quitta la cuisine, l’Animagus devina qu’il devait suivre.

Il termina son verre cul-sec et annonça à la cantonade qu’il allait nourrir Buck. Nyssa fut la
seule à le suivre des yeux.

Une fois dans le couloir, il se retrouva bien embêté. Où donc était-il censé retrouver Snape ?

Il jeta un coup d’œil dans le petit salon, remonta les couloirs jusqu’à la bibliothèque et
descendit finalement dans le laboratoire installé dans les sous-sols. De son point de vue, ce
n’était pas moins lugubre que la deuxième cave qui contenait les cellules et autres
instruments de torture.

« Je t’en prie, prends ton temps. » cracha Snape, lorsqu’il l’aperçut. « Je n’ai que deux
paquets de soixante copies à corriger avant l’aube. »

« Si tu pouvais t’étouffer avec… » grommela-t-il. « Tu as du nouveau ? »

Au prix d’un effort visible, le Mangemort ravala la réplique acerbe qu’il avait, sans aucun
doute, au bord des lèvres.

« Non. » répondit l’homme. « Harry te parle-t-il ? »

Sirius fronça les sourcils. « On a échangé quelques lettres, pourquoi ? »

« Se confie-t-il ? » insista Snape.

« Pourquoi ? » Sirius croisa les bras. « S’il se passe quelque chose… »

« Je l’ignore. » soupira le Mangemort avec une frustration palpable. « Je ne peux pas… » Il


haussa les épaules avec frustration. « Je dois garder mes distances, c’est crucial. Il est
renfermé, ce n’est jamais bon lorsqu’il est renfermé. »

Snape était nerveux.

Snape était nerveux.

Le fait que, lui, parvienne à s’en rendre compte ne laissait rien présager de bon pour sa
carrière d’espion.
Sirius garda le silence quelques secondes, détaillant son rival de toujours. Les torches
accrochées au mur jetaient sur lui des ombres étranges qui accentuaient encore ses traits
taillés à la serpe.

« Ce que j’ai lu sur les Horcruxes… » lâcha-t-il soudain. Il ne voulait pas poser la question. Il
ne voulait pas. « Est-il possible que l’horcruxe l’influence ? Est-ce qu’il peut… Est-ce que tu
crois qu’il peut posséder Harry ? »

Snape ne répondit pas immédiatement. Il laissa ses doigts courir sur les instruments
abandonnés n’importe comment sur le plan de travail. Très visiblement, Kreattur ne se
préoccupait pas plus de faire le ménage à la cave qu’à l’étage. À se demander ce que l’elfe
faisait toute la journée.

« Je ne le pense pas. » déclara finalement le Mangemort. « Il n’est véritablement conscient de


sa présence que lorsqu’il éprouve de la fureur ou de la haine. »

« Heureusement qu’Harry n’est pas le genre à se mettre en colère pour rien et à haïr le
premier venu dans ce cas. » plaisanta-t-il.

Son amusement tourna court quand Snape lui jeta un regard lourd de sens.

« Non. » protesta-t-il. « Harry n’est pas comme ça. Il… »

« Il a passé son enfance enfermé dans un placard. C’est suffisant pour rendre n’importe qui
fou de rage. » décréta le Maître des Potions. « Il le réprime, il n’en est pas conscient, mais il y
a des choses qu’on ne peut dissimuler à un Maître Legilimens. »

Sirius leva les yeux au ciel. « Tu n’es pas obligé de te la jouer Maître Yoda en permanence.
Ça ne m’aide pas à me souvenir que je n’ai plus envie de te coller mon poing dans la figure. »

Si Snape comprit la référence, il n’en fit pas mention.

« Je ne suis pas inquiet à propos de l’horcruxe. Ce n’est un problème dans l’immédiat. C’est
Harry qui m’inquiète. »

Il était sincère, curieusement Sirius n’en doutait pas.

« Peut-être que tu lui manques. » suggéra-t-il. Les mots lui arrachèrent la bouche. « Remus
dit qu’il fait toujours référence à toi comme à son père. »

Tout en lui lui hurlait qu’il trahissait James rien qu’en prononçant cette simple phrase, rien
qu’en acceptant que cela puisse être un état de fait. Pourtant, il s’efforça de rejeter cette
réaction instinctive. Harry était la seule chose qui importait et si Harry avait besoin de Snape,
alors Sirius ferait avec.

Il refusait de croire que James aurait agi différent. Il n’y avait rien que James n’aurait fait
pour son fils et Sirius se devait, par loyauté envers le souvenir de son ami, d’avoir la même
attitude.
Il n’y avait rien non plus que Lily n’aurait fait pour son fils et Sirius supposait que Snape en
était bien conscient et avait plus ou moins adopté la même approche que lui.

« Cela serait plus simple s’il te considérait, toi, ainsi. » rétorqua le Mangemort, réussissant
l’exploit de faire sonner sa phrase comme un reproche ou une accusation. Comme si Sirius
n’avait pas tout essayé pour se faire pardonner la stupidité de son lui adolescent.

« Je n’ai jamais voulu être son père. » réfuta-t-il. « Je ne veux pas être son père. »

Il ferait un père pitoyable. Lui, il voulait être le parrain génial qui encourageait à toutes les
conneries.

« Nous ne faisons pas toujours ce que nous voulons dans la vie. » répliqua le Maître des
Potions. « Tâche de ne pas te faire dévorer par un loup-garou, Black, l’un de nous doit
survivre à cette guerre et, à mon grand chagrin, j’ai bien peur qu’il faille que ce soit toi. »

Sirius laissa échapper un bruit moqueur. « Un peu plus et je pourrais croire que tu tiens à
moi. »

Snape eut l’air proprement horrifié.

Sirius 1. Snape O.

« Je tiens à ce qu’Harry ne se retrouve pas seul. » siffla le Professeur. « Ne me complique pas


la tâche en te faisant assassiner, je connais peu de gens suffisamment fous pour s’opposer à
Dumbledore si besoin est. » Il eut une moue dédaigneuse pour l’équipement éparpillé sur le
plan de travail. « Et j’ignore qui était chargé de préparer les potions calmantes durant mon
absence mais je te déconseille d’en boire. Il y a suffisamment de graine de pavot dans ce
chaudron pour causer une démence passagère. » Il observa le chaudron où stagnait un reste
de potion et leva un sourcil. « Il est sans doute optimiste d’espérer qu’Albus en ai
accidentellement ingéré ? »

Snape savait plaisanter.

Sirius éprouva le besoin de s’asseoir.

Il remit les comptes à jour : Sirius 1. Snape 1.

« Slughorn et Pomfresh nous approvisionnaient en potions. » répondit-il toutefois, parce que,


à sa connaissance, le laboratoire était resté inutilisé depuis la tempête magique. « Ce n’est pas
toi qui a laissé tout ça en plan la dernière fois ? »

Le Maître des Potions lui jeta un regard dédaigneux, presque méprisant, et Sirius dut
admettre en son fort intérieur que la question était quelque peu idiote. Il avait partagé la
même salle de classe que Snape pendant sept ans. Le Serpentard était presque obsessionnel
lorsqu’il était question d’ordonner, ranger et nettoyer son matériel.

« Lupin, peut-être ? » proposa le Mangemort.


Sirius rejeta la suggestion d’une secousse de la tête. « Si Remus veut se calmer les nerfs, il
prend un verre de whiskey, pas une potion. Et puis Lunard est presque aussi maniaque que
toi. »

Ça ne ressemblait pas du tout à son ami de laisser un tel désordre derrière lui.

« Puisque tu seras en Écosse et s’il y est favorable… Tente d’approcher Harry. » ordonna
brusquement Snape, en plantant ses yeux dans les siens. « J’ai perdu suffisamment de temps
avec tes bêtises. »

Sirius perçut immédiatement l’intrusion dans son esprit et dressa à la hâte une barricade
mentale comme son père avait tenté de le lui apprendre dans sa jeunesse. Le Mangemort
trouva une faille, s’y engouffra, mais l’Animagus était prêt et bloqua sa tentative. Il renouvela
l’attaque plusieurs fois. Toutefois, bien que Sirius soit parfaitement conscient qu’il l’aurait pu
s’il l’avait voulu, il n’envoya pas voler ses boucliers en éclat.

« Convenable. » décréta le Mangemort sur le même ton qu’on autre aurait employé pour dire
minable. « Aucune subtilité mais je n’en attendais pas moins d’un Gryffondor. »

« Je vais prendre ça pour un compliment. » ricana Sirius, refusant de perdre son calme.

Snape protégeait Harry et Harry tenait à Snape, ce qui signifiait que Sirius n’avait d’autre
choix que d’accepter sa présence pour le moins irritante dans son cercle de proches.

Combien de fois se l’était-il répété depuis que lui et le Mangemort avait conclu une alliance ?

« Cela n’en était pas un. » répliqua le Professeur, avant de tourner les talons dans un
claquement de capes.

Le pop du transplannage résonna longtemps contre les murs de pierre.

Reste calme, se chanta Sirius comme un mantra, tu ne veux plus tuer Snape.

Lorsqu’il remonta dans la maison, le silence régnait. Il se dirigea instinctivement vers le petit
salon, peu surpris de trouver Nyssa devant la fenêtre, observant le square d’un air morose.

« Personne ne t’a interdit de sortir, tu sais ? » lança-t-il. « Ce n’est pas comme si tu étais
assignée à résidence… »

Le soupir qu’elle lui offrit en réponse était plus mélancolique qu’irrité.

« Londres n’est pas tout à fait un terrain de jeu idéal pour un vampire. » murmura-t-elle.
« J’ai envie de chasser, c’est un désir qui me brûle les veines, mais il n’y a rien à chasser là-
dehors… Je ne veux pas sortir, Sirius, j’ai peur de tuer quelqu’un. »

« Tu t’es nourris aujourd’hui ? » demanda-t-il, sans s’embarrasser du tact légèrement dégouté


que Remus mettait toujours lorsqu’il posait cette question là.

« Oui. N’ai pas peur, je ne te mordrais que si tu me le demandes… » Elle lui jeta un regard
provoquant par-dessus son épaule mais l’amusement ne dura pas longtemps et elle retourna à
sa contemplation. « Je n’ai pas faim. J’ai juste… »

« Besoin de chasser. » termina-t-il pour elle.

Elle hocha la tête. « Je n’aurais rien eu contre une chasse au loup-garou. »

« Le dernier loup-garou que tu as rencontré t’as laissée plutôt amochée. » remarqua-t-il. Et


avait soulevé un tas de questions que Sirius avait préféré ignorées jusque là. « Des nouvelles
de Fol’Œil ? »

Snape l’avait dit, la subtilité n’était pas son fort.

Il ne voyait pas, de toute manière, l’intérêt de tourner autour du pot. Il était plutôt du genre à
sauter dedans à pieds joints.

« Ne sois pas méchant. » cracha Nyssa.

« Méchant ? » répéta-t-il. « Désolé, je me posais juste la question… Après tout, vous êtes là,
à vous tourner autour… »

« Il ne m’acceptera jamais et tu le sais. » répliqua-t-elle.

Une seconde, elle se tenait près de la fenêtre, la suivante, elle était devant lui, une main
enroulée autour de sa gorge. Un frisson lui parcourut l’échine. Il aurait dû avoir peur. Une
part de lui avait peur, mais une autre, bien plus grande, avait envie… de chasser.

« C’est un crétin. » déclara-t-il à voix basse.

Elle resserra légèrement sa prise, ses doigts s’enfoncèrent dans sa chair, puis un sourire
amusé joua sur ses lèvres et elle glissa sa main à l’arrière de sa nuque.

« C’est toi le crétin. Tu es jaloux. » commenta-t-elle.

Elle l’attira à elle avant qu’il ait pu répondre. Ses lèvres étaient froides, comme toujours, et il
s’appliqua à tenter de les réchauffer bien que la tâche soit sans espoir.

« Peut-être que c’est moi devrais être jalouse… » gronda-t-elle entre deux baisers, et cela
ressemblait presque à un feulement. « Pourquoi tous ces mystères avec Snape ? »

Sirius n’était pas le meilleur menteur du monde alors il trouva un moyen efficace de la
distraire.

°°O°°O°°O°°O°°

« Fou en D4. À ton tour. » offrit Ron, en étouffant un bâillement dans le creux de son coude.

L’échiquier reposait entre eux sur le lit d’Harry. Le brouhaha familier en provenance de la
salle commune filtrait par la porte close.
« Pion en E6. » marmonna Harry sans grande conviction, avant de replonger dans son étude
de la Carte des Maraudeurs.

Il s’était réfugié dans le dortoir assez vite après le dîner, ne parvenant pas à se sentir concerné
par les chamailleries de Ron et d’Hermione à propos des B.U.S.E.s que le roux ne révisait pas
assez au goût de la jeune fille ou par les suggestions enthousiastes de Ginny et Neville pour
les prochaines séances de l’A.D.

Ron avait fini par le débusquer et avait décrété que ce dont Harry avait besoin, c’était d’une
bonne vieille partie d’échecs sorcier.

« Qu’est-ce que tu fais avec ça ? » demanda Ron pour la quatrième fois en moins d’une
heure.

« Je ne sais pas. » répondit-il machinalement, sans quitter la carte des yeux. « C’est ton
tour. »

Il ne mentait pas vraiment, il ne faisait rien de précis. Il observait le point libellé Minerva
McGonagall dans son bureau – vivante et non pas morte dans la poussière comme dans ses
cauchemars. Mais il avait beau chercher…

« Tu sais que si tu as besoin de parler d’un truc… » déclara soudain Ron dans un seul souffle,
signe que l’idée le taraudait depuis un moment. « Je sais que les choses ont changé et que tu
trouves ça… » Son meilleur ami grimaça, peu à l’aise avec les mots et haussa les épaules.
« Tu peux me parler, Harry. »

Il lui sourit, sincèrement touché. « Je sais. »

« Tu sais, tu sais, mais tu ne dis rien. » bougonna le Gryffondor.

Masque choisit ce moment pour sauter souplement sur le lit, renverser la moitié des pièces
d’échecs et venir se rouler en boule sur ses genoux.

À croire que le chat devinait toujours quand Harry était en manque d’affection.

« Mon père me manque. » avoua-t-il doucement, un peu honteusement.

Il savait bien que c’était idiot. Il avait quinze ans, pas cinq. Il avait vécu toute sa vie tout seul.
Cela n’aurait pas dû être si difficile de se réhabituer à être seul.

« Le mien aussi. » murmura Ron. « J’arrive pas à en parler. Les jumeaux en discutent entre
eux, Ginny écrit à Percy mais moi… J’arrive pas à en parler. »

Harry garda le silence, ne sachant que trop bien que tous les « je suis désolé » qu’il aurait pu
lui offrir n’auraient servi à rien. Ils n’auraient pas adouci sa peine et n’auraient pas étanché
son sentiment d’injustice.

« Quand on a cru que tu étais mort… » continua le Gryffondor, les yeux rivés sur le couvre-
lit. « C’était horrible mais c’était plus facile que papa. » Ron lui jeta un coup d’œil, comme
effrayé qu’Harry le prenne mal mais Harry se contenta de hocher la tête en guise de
compréhension alors son ami poursuivit. « On pouvait faire semblant. On pouvait se
convaincre que tu étais toujours vivant quelque part, que ce n’était pas vraiment vrai. Mais,
là, j’ai beau faire semblant, je sais qu’il n’y aura pas de tempête magique ou de miracle.
J’arrive pas à parler de lui. Des fois, j’ai même du mal à y penser. »

Ses propres pensées s’égarèrent vers Arthur Weasley et, lâchement, il fut soulagé de ne pas
avoir été là au moment où c’était arrivé. Il n’était pas certain qu’il aurait pu supporter sa perte
si elle l’avait frappé de plein fouet.

« Il était génial, ton père. » offrit Harry, sachant que ce n’était pas grand-chose.

« Tu vois, à chaque fois que quelqu’un en parle au passé, ça me choque. » lâcha Ron avec un
bruit amer.

La porte du dortoir s’ouvrit brusquement, laissant passer Dean et Seamus qui riaient et
chahutaient comme à leur habitude. Harry et Ron échangèrent un regard envieux, sans avoir à
se parler pour se comprendre. Ils auraient aimé être aussi insouciants.

L’arrivée de Neville, quelques secondes plus tard, mis définitivement un terme à la


conversation. Ils se mirent tous au lit et se souhaitèrent une bonne nuit comme ils en avaient
l’habitude.

C’était perturbant, parfois, comme les choses pouvaient être similaires et différentes à la fois.
Lestrange n’avait jamais lancé un « bonne nuit ! » tonitruant comme Ron le faisait tous les
soirs, MacNair ne ronflait pas comme Neville, et Severus ne parlait pas dans son sommeil
comme Seamus. Toutefois, ils avaient tous leurs petites manies et, une fois la lumière éteinte,
à moitié endormi, il lui arrivait de se demander à quelle époque il était.

Harry n’ôta pas tout de suite ses lentilles, cependant. A l’abri derrière les tentures de son lit à
baldaquin, il fit apparaitre la petite sphère lumineuse qui accompagnait la plupart de ses nuits.
C’était censé le relaxer et, sans doute, aurait-ce été efficace s’il avait observé la sphère au lieu
de la Carte des Maraudeurs.

Il ne s’endormit que lorsque le point libellé Severus Snape ne réapparut sur la Carte, satisfait
de savoir que le Professeur était toujours vivant.
A Different Wolf

“Fear isn't so difficult to understand. After all, weren't we all frightened as children?
Nothing has changed since Little Red Riding Hood faced the big bad wolf. What
frightens us today is exactly the same sort of thing that frightened us yesterday. It's just a
different wolf.”
― Alfred Hitchcock

“Ce n’est pas si difficile de comprendre la peur. Après tout, n’avons-nous pas tous été
effrayés dans notre enfance ? Rien n’a changé depuis que le petit chaperon rouge a
affronté le grand méchant loup. Ce qui nous effraye aujourd’hui, c’est exactement le
même genre de choses que ce qui nous effrayait hier. Simplement, le loup est différent.”
― Alfred Hitchcock

Snape détonnait tellement dans son salon que Tonks aurait presque souhaité pouvoir prendre
la scène en photo pour la partager avec Charlie plus tard. Elle était certaine que son meilleur
ami en aurait ri jusqu’à en avoir mal au ventre.

Le pire était qu’elle avait fait un effort et remis de l’ordre dans son salon avant qu’il n’arrive.
Plus de vêtements jetés au petit bonheur la chance aux quatre coins de la pièce, pas de cartons
de pizza vieux de trois jours sur la table basse, pas de mugs oubliés… Selon ses standards
habituels, l’appartement était plus propre qu’il ne l’avait été depuis sa rupture avec Remus.

À peine le loup-garou lui avait-il effleuré l’esprit que son visage se ferma. Ses yeux gris se
posèrent par réflexe sur la pile de courrier empilé à la va-vite sur le meuble télé ou, plus
précisément, sur le parchemin posé tout au-dessus. Le hibou l’avait apporté la veille, avant
que Remus et Sirius ne partent pour l’Écosse, elle l’avait lu, relu, déchiré, réparé, relu une
nouvelle fois, faillit le jeter au feu et l’avait finalement abandonné avec les factures et autres
papiers dont elle devait s’occuper plus tard.

Malheureusement, elle était dotée d’une mémoire suffisamment bonne pour que certains
passages de la lettre soient restés gravés dans son esprit. Certaines phrases étaient
particulièrement marquantes.

Je n’ai jamais pensé que tu n’étais pas une bonne Auror…

Tu ne peux pas me reprocher de m’inquiéter pour toi…

La situation est devenue intenable…

Nous devons trouver une manière de nous entendre…

Redevenir amis…

Je tiens à toi…
J’ai toujours voulu ce qui était le mieux pour toi…

Comment pouvait-on à ce point ne pas saisir où était le problème ? Remus ne cessait de


répéter qu’il souhaitait simplement faire les meilleurs choix dans son intérêt sans comprendre
que prendre des décisions pour elle était inacceptable. Il avait beau clamer le contraire, Tonks
ne pouvait pas croire qu’il la respectait. Elle ne se sentait pas respectée, que ce soit en tant
qu’Auror, sorcière ou même femme.

Le pire était que cela ne l’empêchait pas d’être dévorée d’angoisse à l’idée de cette mission
chez les loups-garous. S’il lui arrivait quelque chose – à lui ou à Sirius d’ailleurs…

« Vous souhaitiez me voir, je suppose qu’il n’était pas simplement question d’admirer vos
dons limités pour l’entretien d’un appartement. » lâcha soudain le Professeur, la tirant de ses
pensées.

Elle secoua la tête avec un sourire d’excuse. « Désolée, je suis crevée. »

« Nous en sommes tous là, Nymphadora. » répondit Severus, dans un haussement d’épaules
fataliste.

Il avait l’air encore plus épuisé qu’elle. À chaque fois qu’elle le voyait, il lui semblait que ses
traits étaient plus creusés, les cernes sous ses yeux plus profondes et ses gestes moins fluides.

« Vous êtes sûr que vous ne voulez pas vous asseoir ? » proposa-t-elle pour la seconde fois.

Le salon était trop petit pour offrir de nombreuses possibilités et il semblait étrangement
réticent à partager le canapé avec elle.

« Qu’avez-vous découvert ? » demanda-t-il, balayant son offre d’un geste de la main.

Elle ravala un soupir et se frotta le visage.

« Notre taupe n’est définitivement pas Fletcher. J’ai fait une liste de toutes les informations
qui ont filtrées – ou du moins, celles que l’on peut raisonnement penser avoir filtrées – et si
c’est vrai qu’il avait accès au Square Grimmaurd à tout moment, les dates auxquelles on sait
qu’il était au QG ne concordent pas. » expliqua-t-elle. « De plus, Fletcher n’est pas un
puriste, il travaille pour le plus offrant. Dumbledore a suffisamment de dossiers sur lui pour
l’envoyer à Azkaban jusqu’à la fin de ses jours mais j’ai cru comprendre que ses services
n’étaient pas gratuits. Donc, on peut penser que s’il était passé chez les Mangemorts, ce serait
contre une jolie sommes de gallions mais il n’y a aucune trace à Gringotts. »

« Je doute qu’un individu comme Mondingus Fletcher confie tout son or aux gobelins… »
remarqua Severus, en levant un sourcil.

L’espace d’un instant, elle eut la sensation d’être redevenue l’adolescente maladroite qui
balbutiait des réponses aléatoires aux questions du Maître des Potions.

« C’est aussi ce que j’ai pensé. » riposta-t-elle, heureuse de pouvoir lui rabattre le caquet.
« J’ai plusieurs indics dans l’Allée des Embrumes… Le truc le plus suspect qu’a fait Fletcher
récemment c’est lancer un stand d’amulettes protectrices. »
« Vos sources sont-elles fiables ? » s’enquit le Professeur.

Elle fronça les sourcils, éprouvant une drôle de sensation d’angoisse. Ses cheveux se
dressèrent à l’arrière de sa nuque. C’était comme un picotement à l’intérieur de sa tête,
comme…

Elle cilla mais ne détourna pas le regard, plantant, au contraire, ses yeux dans ceux de Snape.

« Aussi fiables que possible. » répondit-elle, se forçant à se concentrer sur des images de
l’Allée des Embrumes, des souvenirs sans conséquences d’anciennes missions.

« Fletcher ne m’a jamais paru être un suspect potentiel. » déclara Snape. « Ce n’est qu’une
petite frappe. Comme vous l’avez si bien dit, il n’est impliqué dans l’Ordre que parce
qu’Albus le tient sous sa coupe. S’il n’en tenait qu’à lui, il s’en serait probablement tenu à
vendre des amulettes sur le Chemin de Traverse. »

La pression sur son esprit s’accentua et elle réprima un mouvement de panique instinctif, y
substituant au contraire un faux sentiment d’affabilité qu’elle doubla de souvenirs inoffensifs
comme le café abominable qu’elle avait avalé à la va-vite le matin même et la liste des
courses qu’il devenait impératif qu’elle fasse.

« Ce n’est pas parce que vous ne le soupçonniez pas qu’il ne fallait pas vérifier. » grommela-
t-elle. « Et on ne peut pas exclure l’Imperium. »

« Certes. » accorda-t-il. « Toutefois, je suis convaincu que l’espion sera bien plus compliqué
à dénicher. Savez-vous qui se sert du laboratoire du Square Grimmaurd ? »

Étrange question.

Instinctivement, elle pensa à Remus puisqu’il était plus ou moins responsable de l’Ordre et
s’occupait du stock de potions.

Elle ne comprit son erreur qu’avec une seconde de décalage. Penser à Remus avait ouvert une
brèche qu’elle ne parvint pas immédiatement à colmater. L’intrusion se fit moins subtile et
elle tenta de le distraire avec la dispute qui l’avait opposée au loup-garou deux jours plus tôt
durant la réunion de l’Ordre, puis, lorsque cela ne suffit pas et espérant détourner son
attention, elle se concentra sur d’autres échanges virulents, auxquels il n’avait pas assisté.

« N’importe qui pourrait s’en servir. » répondit-elle, en haussant les épaules. « Du moment
qu’on a accès au QG… »

« On pourrait penser qu’une Auror compétente remarquerait une activité suspecte se passant
sous son nez… » argua-t-il, avec une point de dérision qui, elle en était certaine, n’avait pour
but que de la mettre en colère.

Eh bien, c’était réussi.

Agacée par tous ces gens qui ne cessaient de la remettre en question, elle puisa en elle-même
une volonté insoupçonnée et dressa autour de son esprit un barrage sans fioriture. Le livre
qu’il l’avait forcée à ingurgiter conseillait de visualiser son bouclier mental, elle imagina
donc un rempart de pierre aussi haut que les murs de Poudlard et tout aussi impénétrable.

Elle devina que, s’il s’était acharné, il aurait probablement réussi à briser ses protections qui
étaient, sommes toutes, toujours balbutiantes.

Pourtant, il cilla et détourna le regard avec ce qui aurait pu passer pour un rictus satisfait.

« Bien. » offrit-il simplement.

« Bien ? » répéta-t-elle, moqueuse. « C’est tout ? On peut dire que vous êtes avare de
compliments ! »

Severus pinça les lèvres – par irritation ou amusement, ça restait à déterminer.

« Diriger vos pensées vers des souvenirs anodins est une première base de défense. Votre
bouclier en lui-même doit être renforcé mais seul le temps et l’entraînement permettent de
construire quelque chose de réellement efficace contre des Maîtres Legilimens
expérimentés. » commenta-t-il. Puis, non sans ironie, il rajouta : « Si vous souhaitez une note,
je pencherais pour un Effort Exceptionnel. »

Elle se leva du canapé et tira distraitement sur son pull bleu turquoise qui ne cessait de
remonter.

« Un jour j’arriverais à vous faire dire que je suis géniale. » promit-elle, en se dirigeant vers
la cuisine. Il lui emboîta le pas et elle ne manqua pas son expression dégoutée à la vue du tas
de vaisselle sale qui trempait dans l’évier.

« Ce n’est pas encore excellent, mais il est évident que vous possédez des aptitudes naturelles
pour l’Occlumencie. » nuança Snape. « Ce n’est pas très surprenant, il y a plus d’un Maître
Occlumens dans la lignée des Black. »

« Oh, alors maintenant je suis juste douée parce que quelques tas de poussières parmi mes
ancêtres étaient Occlumens ? » lança-t-elle, faussement fâchée. « Vous savez comment parler
aux filles, Severus. »

C’était une plaisanterie mais, pour une raison ou un autre, elle jeta un froid.

Tâchant de dissiper cette tension soudaine, elle pêcha deux bouteilles de bièraubeurre dans le
réfrigérateur et lui en tendit une. Son visage ne laissait rien percer de ce qui était en train de
se passer dans son crâne – l’Occlumencie expliquait beaucoup de son comportement toujours
si distant et presque effrayant de dédain – pourtant le regard qu’il posa sur la bouteille en
disait long. Il ne fit aucun geste pour la prendre.

« Je n’ai plus quinze ans, Nymphadora. » décréta-t-il. « J’ai dépassé le stade de la


bièraubeurre il y a déjà quelques années. »

« Je n’ai plus quinze ans non plus, Severus. » répliqua-t-elle. « Et on n’est jamais trop vieux
pour la bièraubeurre. »
Sans s’expliquer pourquoi, parce qu’elle n’avait certainement aucun objectif caché, elle
n’était pas tout à fait certaine qu’ils soient en train de parler de bièraubeurre.

Au prix d’une longue hésitation, il attrapa finalement la bouteille. Elle se détourna sans plus
lui prêter attention et alla se percher sur le comptoir de la cuisine.

« C’est quoi cette histoire de laboratoire ? » demanda-t-elle. « Vous avez trouvé quelque
chose ? »

Il eut un coup d’œil désapprobateur pour son choix de sièges puis après avoir inspecté la
cuisine du regard, se résigna à s’asseoir devant la petite table. Il posa sa bouteille de
bièraubeurre, sembla attendre quelque chose, regarda à nouveau vers l’évier puis avec une
grimace fit apparaître un verre tout propre.

Elle se mordit la lèvre et retint ses moqueries à grand peine.

Qui exactement buvait la bièraubeurre dans un verre ?

Elle devait à tout prix raconter ça à Charlie et Sirius.

« Quelqu’un se sert régulièrement du laboratoire. Qui que ce soit, il est dangereux. »


expliqua-t-il. « Le fond de potions dans les chaudrons et les ingrédients abandonnés ne
plaident pas en sa faveur. Les potions seraient dangereuses à consommer mais probablement
pas létales. »

« Donc notre espion est bon en potions. » déduisit-elle.

« Ou extrêmement mauvais. » corrigea Severus. « Je n’ai trouvé la trace que de potions


basiques : des philtres de Sommeil-Sans-Rêves, des potions calmantes… Rien ne prouve
qu’il s’agisse même de notre espion. »

« Il y a tout ça dans la réserve… » contra-t-elle. « Et ce ne sont pas des potions si


compliquées que ça… »

« Pour une Auror avec ses A.S.P.I.C.s de potions peut-être pas. » nuança-t-il. « Pour une
personne n’ayant plus pratiqué depuis sa cinquième année… »

« Mais pourquoi les fabriquer dans ce cas ? » s’enquit-elle, plus parce qu’elle réfléchissait à
voix haute que parce qu’elle pensait qu’il connaissait la réponse. « On peut en trouver
facilement… »

« Si la consommation est régulière, il revient moins cher de les fabriquer de les acheter. »
offrit-il, sans grande conviction toutefois.

Elle considéra l’argument et le retourna sous toutes les coutures, listant mentalement ce dont
on avait besoin pour ce genre de potions.

« Il n’y a pas vraiment d’ingrédient rare… » lâcha-t-elle avec dépit. « On aurait pu tenter de
remonter le fil depuis les apothicaires, mais ce genre d’ingrédients se trouvent partout… »
« Il faut déterminer s’il s’agit d’une tentative volontaire d’empoisonner la réserve de potions
ou s’il s’agit d’un acte isolé. » décréta Severus. « Black et Lupin ne reviendront pas au QG
avant demain… Vous détournerez l’attention de la vampire, cette nuit, ainsi Minerva aura le
champ libre. »

« McGonagall ? » releva-t-elle. « Pourquoi pas vous ? »

Il ne croisa pas son regard lorsqu’il répondit, tournant distraitement la bouteille de


bièraubeurre dans un sens puis dans l’autre. « J’ai d’autres… engagements. »

Probablement sa réunion hebdomadaire pour Mangemorts en manque d’action, songea-t-elle,


sans parvenir à s’en amuser.

« Dumbledore passe beaucoup de temps au Ministère. » remarqua-t-elle, bien que ça n’ait


plus de lien direct avec le sujet qui les occupait. « Je n’ose pas le suivre trop longtemps…
Dans les couloirs bondés, c’est une chose, dans des salles désertes s’en est une autre… Je
doute qu’il me croie si je dis le croiser par hasard. »

L’ordre claqua, sec et impérieux.

« Ne le suivez pas. »

« Mais… » protesta-t-elle.

Elle n’eut pas le temps d’en dire beaucoup plus.

« Avez-vous oublié ce qui s’est produit la dernière fois ? » insista-t-il. « Tenez-vous loin de
lui, c’est encore la meilleure chose à faire. »

Elle évalua le conseil en silence. Ses jambes se balançaient nerveusement, cognant et cognant
encore contre le placard sous le comptoir dans un rythme anarchique.

« Ça ne me plait pas. » avoua-t-elle enfin. « J’ai l’impression qu’il a trois tours d’avance sur
nous. »

« Trois ? Vous le sous-estimez. » se moqua-t-il. « Et c’est là précisément votre erreur. Je vous


ai déjà conseillé de ne pas le remettre ouvertement en question. Entendez-moi ou la prochaine
fois vous ne perdrez pas simplement une heure de votre mémoire. »

Il avait beau ne cesser de la mettre en garde contre le Directeur, à chaque fois qu’il en parlait,
elle détectait toujours cette note de respect déférente dans sa voix, un respect qui cachait mal
une certaine affection. Pourtant, ce n’était plus vraiment un secret au sein de l’Ordre que la
situation de Snape était précaire. Ses relations avec Dumbledore étaient tendues, les
informations qu’il ramenait étaient soit incorrectes soit erronées, et plus d’un des membres du
Conseil marmonnaient dans le dos de l’espion.

Elle devait en parler avec Sirius, décida-t-elle. Ce qui lui rappelait…

« Vous avez dit que vous ne pensiez pas que Sirius puisse être l’espion… » déclara-t-elle.
« Pourquoi ne pas le mettre au courant, dans ce cas ? À quatre, on… »
« Je ne veux pas mettre la puce à l’oreille de Lupin. » la coupa-t-il.

Elle le dévisagea, posant calmement sa bouteille de bièraubeurre encore à moitié pleine à côté
d’elle.

« Remus n’est pas l’espion. » affirma-t-elle doucement. « Il ne trahirait jamais. Vous ne le


connaissez pas, il… »

« Je le connais très bien au contraire. » ricana Snape avec amertume.

Elle savait de quoi il parlait, bien sûr, mais elle n’était pas censée être au courant alors elle
resta muette. Remus avait toujours été le premier à avouer que les Maraudeurs étaient allé
trop loin avec Severus, c’était Sirius qui protestait d’habitude, Sirius qui niait… Elle ignorait
les détails de ce qui s’était passé, bien sûr, mais elle pouvait deviner…

« Remus est quelqu’un de bien. » déclara-t-elle avec toute la sincérité qu’elle possédait.

Le Maître des Potions croisa brièvement son regard et elle se prépara instinctivement à une
attaque de Legilimencie qui ne vint pas.

« Son comportement, ces temps-ci, est étrange. » asséna le Professeur, sans prendre de gants.
« La manière dont il agit avec vous… »

« Ça ne vous regarde pas. » cingla-t-elle, sur la défensive. « C’est personnel. »

« Vraiment ? » rétorqua-t-il. « Parce que vous ne cessez d’étaler votre linge sale en public,
Nymphadora. Si vous souhaitiez garder vos problèmes de couple privé, il fallait éviter de les
hurler au Square Grimmaurd. »

Elle ouvrit la bouche mais il l’interrompit d’un geste péremptoire.

« Je n’ai que faire de vos histoires. » continua-t-il. « Ce qui m’intrigue, c’est la manière dont
Lupin se comporte de manière générale et avec vous en particulier… Certes, il est possible
que sa lycanthropie le rende instable dernièrement et il est également possible qu’il soit
incapable de déterminer ce qu’il veut, après tout, pour un Gryffondor, Lupin est
singulièrement lâche… »

« Vous allez trop loin. » le mit-elle en garde.

« Saviez-vous qu’ils soupçonnaient Lupin de passer des informations au Seigneur des


Ténèbres durant la première guerre ? » lança Severus, sans aucun soucis de diplomatie.

« Oui. » cracha-t-elle. « Et je sais aussi que c’était de la connerie. C’était Pettigrow le traitre,
tout le monde le sait. »

« Ce n’est pas parce que tout le monde pense que la Terre est carrée qu’elle en sera moins
ronde. » contra-t-il. « Il serait stupide d’exclure Lupin de la liste des suspects tout
simplement parce que vos sentiments vous aveuglent. Nous sommes en guerre, Nymphadora,
il n’y a pas de place pour les sentiments et la position qu’ont pris presque tous les loups-
garous du Royaume-Unis ne plaide pas en sa faveur. »
« Greyback le hait. » insista-t-elle.

Snape leva les yeux au ciel. « Voilez-vous la face si cela vous agrée. Je refuse de courir le
moindre risque. Tant que Lupin ne sera pas totalement disculpé, Black devra être tenu à
l’écart. »

Le ton ne laissait pas de place à la discussion.

Elle regretta de lui avoir offert sa dernière bièraubeurre.

°°O°°O°°O°°O°°

« Quand tout ça sera fini, que j’aurais démoli le Square Grimmaurd jusqu’à la dernière brique
et que je chercherai un endroit sympa où vivre, rappelle moi que je n’aime pas l’Écosse. »
grommela Sirius, en jetant un énième sort destiné à réchauffer ses vêtements.

« Rappelle moi de ne jamais plus faire de camping. » répondit Remus, un pauvre sourire aux
lèvres.

Sirius le dévisagea, estimant que son état avait encore empiré mais que rien de bon n’en
sortirait s’il s’avisait de suggérer qu’ils repartent à Londres. Au lieu de ça, il embrassa leur
campement du regard : une tente magique, deux chaises qu’ils avaient trainées à l’extérieur
et, autour d’eux, l’immensité de la lande écossaise.

Ils étaient arrivés la veille et, en suivant les indications de Tonks, avaient trouvé sans mal la
meute de Greyback. C’en avait presque été déconcertant de facilité. Enfin… Il leur avait
quand même fallu remonter la piste des livraisons de viande crue – même Greyback n’était
pas assez stupides pour se faire livrer directement au milieu de nulle part. Ils avaient dû
emprunter le Kessok Bridge qui enjambait le Moray Frith, une baie de la mer du nord, et
s’éloigner vers le nord-ouest jusqu’à ce la route moldue devienne la seule trace de civilisation
dans la lande sèche et aride. Le trajet leur avait pris des heures mais ne présentait pas de
dangers flagrants.

La seule réelle difficulté avait été l’état physique de Remus qui ne cessait de s’affaiblir à
mesure que la pleine lune approchait. Sirius était habitué à voir ses forces s’amenuiser chaque
mois mais il lui semblait que, depuis quelques temps, le phénomène était plus prononcé.
Lorsqu’il lui arrivait d’évoquer pudiquement le sujet, le loup-garou lui répétait sans cesse la
même chose : la lycanthropie n’allait pas de paire avec la vieillesse.

La veille, le quatre-quatre qu’ils avaient loué à Inverness – et Sirius ne se féliciterait jamais


assez d’avoir appris à conduire dans son adolescence – était tombé en panne brusquement,
sans raison apparente, au milieu de nulle part, au bout de quelques heures de route. Ils avaient
compris pourquoi lorsque, en descendant de voiture, ils avaient senti les protections magiques
qui entouraient l’endroit. Des sorts Repousse-Moldus, des sorts anti-intrusions, des sorts anti-
transplannage… L’endroit était très bien protégé. Se frayer un chemin au travers des
protections sans alerter qui que ce soit leur avait pris une bonne partie de la journée, trouver
la trace de la meute n’avait pris à Patmol qu’une pauvre demi-heure.
Ils avaient installé leur campement entre deux buttes, près d’un loch et avaient prié pour
qu’aucun loup-garou ne se hasarde de leur côté. Le plan était d’attendre la nuit tombée et, en
espérant que la potion Tue-Loup fonctionne comme Snape l’avait prévu, de partir à la
recherche de Flemmings en se fondant dans la masse et en évitant Greyback.

Bref, le plan était aussi idiot que dangereux, et, si Sirius n’était pas particulièrement soucieux
des risques que la mission comportait, il était en revanche inquiet de l’état de santé de
Remus.

« Tu es sûr que ça va aller ? » se décida-t-il à demander.

« Je vais bien, Sirius. » soupira le loup-garou.

Il n’avait pas l’air d’aller bien.

Il n’avait pas l’air d’aller bien du tout.

Ses traits étaient tirés, sa peau était si pale que l’Animagus pouvait voir les veines affleurer à
la surface, sa respiration était rapide, la douleur visible sur son visage et ses yeux ne cessaient
de s’assombrir de minute en minute.

« Au risque d’avoir l’air d’un idiot… Dis moi encore comment on va la trouver ta Laura ? »
s’enquit-il. « Parce que ça va être comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Une
botte foin où chaque brin de paille aurait de très grosses dents et des griffes aiguisées. »

Un sourire amusé flotta sur les lèvres de Remus mais se changea très vite en une grimace de
douleur.

« Je reconnaitrais son odeur. » expliqua le loup-garou. « C’est un bon plan, Sirius. »

« C’est un plan complètement débile. » corrigea-t-il. « Mais c’est encore ce qui nous réussit
le mieux. Devenir Animagus avant d’avoir du poil au menton ? Débile. Ensorceler une moto
pour qu’elle vole ? Débile. Verser de la teinture dans les douches des Serpentards ? Débile.
Tu vois, plus on fait simple et puéril, mieux ça fonctionne. »

Remus ne parvint pas à retenir un petit rire. « Oh, j’avais oublié la teinture… »

« Impossible d’oublier. » contra Sirius. « Malfoy avec ses cheveux rouges et dorés… »

Il en ricana, incapable de ne pas s’amuser du souvenir. Cela avait été une des meilleures
farces des Maraudeurs. Et le pire était que cela ne leur avait presque rien coûté. James avait
versé le produit dans les canalisations tandis que Peter sous sa forme de rat avait…

La pensée de Pettigrow lui ôta toute envie de rire.

« Parfait de simplicité. » s’entêta-t-il pourtant. « Nos meilleurs plans sont comme ça. »

« La Carte était un chef d’œuvre. » remarqua Remus.

« La Carte était une idée simple. » s’entêta-t-il. « Juste un peu compliquée à réaliser. »
« Un peu ? » répéta son ami avec incrédulité.

Sirius ne répondit pas à la boutade, préférant vérifier une nouvelle fois les protections anti-
détection qui protégeaient leur campement.

Il ne voulait pas l’avouer devant Remus mais la seule fois où les Maraudeurs s’étaient
aventurés en terrain Serpentard en imaginant un plan tordu et sournois, cela s’était retourné
contre eux et s’était soldé par la mort de James et de Lily.

Simple était encore le mieux.

°°O°°O°°O°°O°°

Le bureau de Minerva n’était pas à son goût et Severus ne s’était pas privé de le lui faire
savoir plusieurs fois au cours des quinze dernières années. Outres les tentures aux couleurs
rouge et or qui pendaient à différents endroits et les portraits à l’air tous plus prétentieux les
uns que les autres, il était agaçant pour Severus de devoir poser en permanence les yeux sur
la Coupe des Quatre Maisons et la Coupe de Quidditch qui trônaient bien en évidence
derrière elle.

« Je rejoins Miss Tonks. » déclara le Professeur McGonagall. « Je doute que Remus… »

« Épargnez-moi le discours de défense du loup-garou opprimé. » cingla-t-il. « Nous ne


pouvons nous permettre d’être négligeant et nous ne pouvons pas davantage écarter la
possibilité que Lupin soit sous Imperium. Il nous faut éliminer les suspects un à un. »

Il venait de résumer brièvement à la sous-directrice les informations rapportées par


Nymphadora, sans toutefois y voir plus clair que quelques heures auparavant.

« Le laboratoire reste notre meilleure piste pour l’instant. » réfléchit-il à voix haute. « Il nous
faut à tout prix découvrir si le stock de potions est compromis. »

« J’irais cette nuit. » confirma-t-elle d’un hochement de tête. « J’enquêterai dès que Tonks
aura convaincu Nyssandra de quitter le QG. »

Severus pinça les lèvres mais ne commenta pas l’enthousiasme déplacé de sa collègue.
Gryffondor, ne put-il s’empêcher de penser avec un certain dédain.

« Soyez prudente. » insista-t-il sèchement. « Je vous ai enterrée une fois cette année, je
préférerais éviter de répéter l’expérience. »

Le désintérêt nonchalant dont il avait voulu doter sa voix tomba à plat. Maudits soient ses
boucliers qui ne fonctionnaient plus comme il le souhaitait… Il enviait presque ceux de
Nymphadora qui, aussi balbutiants qu’ils soient, avaient le mérite d’être efficaces.

Les lèvres de Minerva tressautèrent mais, par égard pour lui, supposait-il, elle réprima son
sourire.

« Une chose me laisse toutefois perplexe, Severus. » reprit-elle.


« Une seule ? » se moqua-t-il.

Elle fronça les sourcils, le regardant sans colère mais avec cette touche de déception
particulière qui avait fait se tortiller de culpabilité plus d’un élève. Malheureusement, et en
dépit de tout ce qu’il voulait faire croire, il n’était pas immunisé contre ses regards sévères.

Refusant de s’avouer intimidé, il leva les yeux au ciel. « Eh bien ? Je vous écoute. »

Elle ne chercha à dissimuler ni son ton mécontent, ni son agacement. « Puisque Albus est
maintenant au courant et qu’il sait que nous savons… Pourquoi ne pas tout simplement nous
allier à lui pour… »

« Ah, mais il ignore que nous savons qu’il sait. » l’interrompit-il de sa voix la plus
doucereuse. Ses yeux noirs se portèrent sur les portraits qui les fixaient avec un ennui
tangible, s’assurant rapidement que ses protections étaient toujours en place et que tout ce qui
se disait dans ce bureau resterait confidentiel.

« C’est l’argument le plus puéril que j’ai jamais entendu. » soupira Minerva. « Et je suis
constamment entourée d’enfants. Bientôt vous allez me dire que c’est lui qui a commencé. »

Severus ne répliqua pas immédiatement à cette pique pour la bonne et simple raison que
c’était bel et bien Albus qui avait commencé. Tout ce que Severus avait fait était d’établir
qu’il était hors de question qu’Harry soit mis en danger.

Il était évident que la Directrice des Gryffondors n’était pas dupe et que son silence valait
autant d’aveux.

« Severus… » commença-t-elle.

Il l’interrompit aussitôt.

« Si Albus souhaitait notre aide, Minerva, il nous la demanderait – et j’emploie le mot tel un
euphémisme. » rétorqua-t-il. « La vérité est simple, il ne nous fait pas confiance ou, plutôt, il
n’a totalement confiance qu’en lui-même. Je ne peux véritablement lui jeter la pierre. Mes
jours en tant qu’espion sont comptés et Merlin seul sait ce que le Seigneur des Ténèbres
arrivera à me faire avouer avant de me tuer, vous êtes beaucoup trop franche, droite et
manquez cruellement de subtilité pour qu’il se repose sur vous pour un problème aussi
délicat, quant à Nymphadora… Elle est trop indépendante à son goût. Elle l’a ouvertement
remis en question par deux fois, c’était sans doute deux fois de trop. »

« Vous avez une vision d’Albus bien cynique… » remarqua-t-elle. « Il… »

« Cynique, peut-être. Réaliste, c’est certain. » coupa-t-il.

Elle l’étudia du regard quelque seconde avec une expression attristée.

« Il vous a blessé. » déduisit-elle avec une étonnante perspicacité.

« Bien sûr que non. » cracha-t-il. « Et ne pensez pas qu’être en froid avec Albus m’enchante.
Il n’est jamais bon de contrarier un sorcier aussi influent. Toutefois, il est devenu évident que
nos priorités divergent. »

Peut-être avaient-elles toujours divergé…

Il avait accepté de devenir un pion dans cette guerre, certes, mais pas par soucis de l’avenir
de la communauté magique.

Il avait plié le genou pour Lily Evans.

Et pour Harry Potter, il s’était relevé.

Il tiendrait tête à tous les Albus Dumbledore et Lord Voldemort de la planète pour son fils.

Une vague de détermination et de fierté mêlées s’abattit sur lui sans qu’il ne parvienne à la
réprimer. Ses boucliers ne la freinèrent même pas. Compartimenter ses émotions devenait de
plus en plus compliqué.

Il ne songea même pas à se corriger, même mentalement. Il était trop tard pour cela. Harry
était son fils, le sentiment avait germé bien trop profondément pour qu’il ne parvienne à le
déraciner maintenant et il ne le souhaitait, de toute manière, pas. S’il y avait une seule chose
dans sa vie dont il serait fier au moment de rendre son dernier souffle, ce serait cela :
qu’Harry l’ait laissé, ne serait-ce que pour quelques mois, jouer les pères de substitution.

Ces émotions étaient bien trop puissantes pour qu’il les cache éternellement au Seigneur des
Ténèbres.

Tôt ou tard…

« Severus. » déclara-t-elle d’un ton qui ne laissait rien présager de bon.

Bien évidemment, elle fut interrompue par une série de coups secs frappés à la porte.

« Entrez. » lança-t-elle.

Par réflexe, Severus se redressa. Il était hors de question qu’un élève le trouve ne serait-ce
que légèrement avachi dans un fauteuil.

La porte s’ouvrit sur un cinquième année à l’expression paniquée, un bonnet en laine


profondément enfoncé sur sa tête jusqu’au front et aux grands yeux verts écarquillés.

« Professeur McGonagall ! » s’exclama le garçon, avant de se taire brusquement en


l’apercevant.

Il y avait certains esprits frappeurs qui apparaissaient si l’on prononçait leur nom trois fois.
Severus se demanda brièvement s’il en était de même pour le Survivant.

« Mr Potter. » le salua Minerva, en fronçant les sourcils. « À quoi dois-je cette entrée pour le
moins précipitée ? »

« Euh… » lâcha le gamin, aussi éloquent qu’à l’accoutumée.


« Qu’as-tu fait ? » gronda Severus, en se levant.

« Rien. » mentit Harry.

Le Maître des Potions plissa les yeux et le fusilla du regard.

« Oh, je t’en prie, Harry ! » siffla-t-il. « Tu as ton expression des jours de grandes
catastrophes. »

D’un geste de la main, il envoya la porte se fermer et attendit bien que les protections
englobent à nouveau la pièce avant d’arracher le bonnet de la tête du gamin. L’adolescent ne
portait jamais de bonnet.

Et ça se pensait subtil…

Le glapissement horrifié de McGonagall aurait presque été savoureux en d’autres


circonstances. Autant que le bond qu’elle fit pour se lever de son fauteuil.

Des circonstances où Harry Potter aurait toujours eu des oreilles normales au lieu des
oreilles de félin qui dépassaient de son crâne.

« Je vais te tuer. » déclara-t-il, très sobrement.

Cette promesse pour le moins inattendue arracha un nouveau bruit choqué à la sorcière.

Les oreilles de tigre frémirent et se plaquèrent vers l’arrière tandis qu’Harry laissait percer
une grimace de douleur.

« Arrêtez de faire ça, s’il vous plaît. » supplia le Survivant. « Les sons… Tout est
démultiplié. »

« Peut-être, ainsi, retiendras-tu leçon. » rétorqua Severus froidement. « Une règle, Potter. Je
t’avais donné une règle. »

« Ne m’appelez pas Potter. » ronchonna le garçon comme s’il n’y avait pas d’autres
problèmes plus urgents que sa relation conflictuelle avec le souvenir de James Potter.

« Je t’avais interdit de t’entraîner seul ! » gronda-t-il, perdant le peu de calme qui lui restait.

Les dangers auxquels s’exposait inutilement ce gamin… Il aurait pu lui arriver n’importe
quoi. Un Animagus ne s’entraînait jamais seul. Bien entendu, c’était exactement ce que lui
avait fait mais la situation était très différente. Il était adulte et savait ce qu’il faisait. Il ne se
serait certainement pas risqué à cela à quinze ans. Il aurait pu rester coincé entre deux formes,
certains en étaient morts.

« Cinquante points en moins pour Serpentard. » cracha-t-il de rage.

Cette fois-ci, Minerva sembla s’étrangler.

Harry, lui, se contenta de le dévisager avec un air innocent.


Les yeux du Maître des Potions accrochèrent la cravate rouge-et-or et il leva les yeux au ciel.

« Cinquante points en plus pour Serpentard, cent points en moins pour Gryffondor. » se
corrigea-t-il immédiatement.

« Hey ! » s’exclamèrent simultanément les deux lions.

« Cinquante points pour Gryffondor. » se reprit rapidement la sous-directrice, avant de jeter


un regard noir à Harry. « Honnêtement, Potter, de la part de votre père passe encore mais
j’osais espérer que vous aviez davantage de plomb dans la tête. Avez-vous la moindre idée
des risques que… » Minerva s’interrompit brusquement et tourna la tête vers le Maître des
Potions, la bouche pincée. Sa baguette heurta régulièrement le coin de son bureau en un
rythme saccadé qui ne promettait rien de bon. « Que vouliez-vous dire vous lui avez interdit
de s’entraîner seul ? Étiez-vous au courant de cette folie, Severus ? »

Les oreilles d’Harry, qui étaient restées aplaties sur son crâne durant toute la durée du
discours de la sous-directrice, se redressèrent soudain comme s’il guettait le sermon qui
n’allait pas manquer de tomber.

L’espion n’eut pas le loisir de répondre, elle lut la réponse sur son visage.

Il avait eu l’occasion de voir Minerva furieuse plusieurs fois au cours des années. Il
connaissait les signes, savait lorsqu’il était nécessaire d’opérer un repli stratégique, et il lui
fallut faire appel à toute sa fierté pour ne pas sortir sa baguette et dresser un bouclier hâtif.

Severus ne craignait que trois personnes : Dumbledore, le Seigneur des Ténèbres et Minerva
McGonagall.

Il aurait fallu être fou pour avoir été sous sa tutelle pendant sept longues années et ne pas
craindre Minerva McGonagall.

« Professeur McGonagall… » tenta-t-il de l’apaiser de son ton le plus professionnel – après


tout, la Directrice des Gryffondors était une professionnelle, quelqu’un qui, contrairement à
Albus, respectait la fonction et ne s’abaisserait jamais à affronter un collègue devant un élève
si elle pouvait l’éviter.

Oui, faire appel à son professionnalisme semblait être la meilleure course d’action…

« Dois-je vous rappeler vos notes en Métamorphose, Severus Snape ? » cingla la sorcière du
ton péremptoire qui signifiait que vous aviez tout intérêt à courber le dos et attendre que
l’orage passe. « Dois-je vous rappeler que je ne vous ai admis dans mes cours d’A.S.P.I.C.s
que de justesse ? Et vous vous pensez habilité à superviser une transformation Animagus ?
Chez un élève de quinze ans ? » Elle frappa du pied une fois dans une démonstration de
colère. « Cinquante points en moins pour Serpentard. »

Severus écarquilla les yeux avant de la fusiller du regard, serrant les poings et prenant son ton
le plus dangereux.

« Je ne suis plus un élève, Professeur. » contra-t-il. « Vous n’avez aucun droit de… »
« Oh, taisez-vous, Severus. » coupa-t-elle, avant de se tourner vers Harry. « Et, vous, Potter,
effacez-moi ce sourire de votre visage. Pensiez-vous réellement réussir à vous transformer ?
C’est une chance que vous ne vous soyez pas blessé ! Je n’arrive pas à croire que vous ayez
été aussi irresponsable, Severus. Autoriser un enfant… »

« Je ne suis pas un enfant et ce n’est pas vraiment la faute de Severus et arrêtez de crier, s’il
vous plait. » grinça soudain Harry, en portant la main à ses oreilles.

Le Maître des Potions claqua la langue avec désapprobation à cette familiarité qu’il n’avait
pas autorisée sans toutefois parvenir à l’interdire.

Ce fut à peine si l’adolescent lui accorda un regard.

« Je n’arrive pas à récupérer mes oreilles normales. » geignit le Gryffondor, en fixant


Minerva de son regard de chien battu le plus convainquant. « Je ne sais pas où je me suis
trompé parce que le reste fonctionne comme d’habitude. Regardez. »

Le garçon leva les bras et, au bout de quelques secondes, ce n’était plus un bras mais
l’immense patte d’un tigre qui prolongeait son épaule.

La sous-directrice dut ressentir le besoin soudain de s’asseoir puisqu’elle se laissa soudain


choir sur son fauteuil, les yeux rivés sur l’énorme patte. Elle n’avait sans doute pas compris
qu’Harry était aussi avancé dans la transformation Animagus. À n’en pas douter, elle avait
pensé que les oreilles n’étaient que le fruit d’une tentative malheureuse…

Lorsque la patte redevint un bras, sans que cela ne semble demander au garçon davantage
qu’un simple effort de concentration, Minerva avait recouvré son calme et observait à présent
l’adolescent avec une lueur intéressée dans les yeux. Severus connaissait ce regard pour
l’avoir aperçu maintes fois lorsqu’elle se tenait face à James Potter ou Sirius Black. Il l’avait
probablement eu, lui aussi, quelques fois dans sa carrière. C’était le regard dont un professeur
couvait un élève qui pouvait se révéler grandiose dans leur domaine.

Severus ne fut pas autrement étonné de se voir invité à prendre la porte.

« Êtes-vous certaine de pouvoir l’aider ? » s’enquit-il toutefois, s’obstinant à rester planté là


où il l’était.

L’expression de Minerva était si condescendante qu’il leva les yeux au ciel.

« Très bien. » capitula-t-il. « Je m’incline. Bien que cela serait certainement une leçon
durable si tu devais supporter toute ta vie des oreilles de félin. »

Encore que, cet idiot aurait pu en tirer une sorte de fierté…

Il frappa l’oreille la plus proche d’une pichenette qui ne dut pas faire bien mal à l’adolescent
mais qui lui valut un regard noir. Il leva les sourcils en un avertissement tacite. Très
clairement, ces semaines loin de lui avaient suffi à ce qu’Harry retrouve ses mauvaises
habitudes et, pourtant, Severus en était presque soulagé. Il préférait cent fois voir le gamin
bouder pour une remarque cassante que de le voir errer dans le château avec un air
mélancolique qui ne lui allait pas.

« Je préfèrerai que ceci reste entre nous, Minerva. » exigea-t-il.

Cela déplut à la sorcière. « Il existe des lois sur les Animagus et… »

« Et nous sommes en guerre. » contra-t-il sèchement. « Et Harry n’est pas n’importe qui. »

« Je devrais vous enregistrer quand vous dites des choses comme ça. » lança l’adolescent
avec bien trop de morgue.

« Puisque retirer des points à ta Maison n’a pas eu l’effet escompté, peut-être qu’une retenue
avec Mr Rusard calmera ton arrogance. » répliqua-t-il.

Le gamin mourrait d’envie de répondre, c’était évident, pourtant il parvint à tenir sa langue
avec une moue boudeuse.

« Minerva ? » insista-t-il.

La sous-directrice soupira, devinant sans mal ce qu’il entendait par entre nous.

« Cela fait beaucoup de secrets, Severus. » remarqua-t-elle. « Et, malgré tout, il reste mon
ami… »

Un ami qui l’aurait sacrifiée sans ciller sur l’autel du plus grand bien.

C’était là, supposait-il, les risques que l’on courrait lorsqu’on se prenait d’affection pour des
êtres d’exceptions. Les êtres d’exceptions faisaient toujours le choix juste et le choix juste
impliquait souvent de laisser mourir un être cher pour sauver la masse.

« Dans l’intérêt de votre élève. » pressa-t-il, sa main venant se poser sur l’épaule d’Harry. Ce
n’était pas simplement une manière de donner davantage de poids à ses paroles, c’était
également une façon de lui rappeler qu’Albus n’avait pas toujours fait les bons choix.

La lionne soutint son regard avec une telle intensité qu’il dressa instinctivement ses boucliers,
prêt à affronter une attaque qui ne viendrait pas. Minera n’était pas versée dans la magie de
l’esprit.

« Soit. » céda-t-elle.

Il la remercia d’un bref hochement de tête et se tourna vers Harry.

« Peux-tu prendre le contrôle de mes protections et les maintenir ? » demanda-t-il avec une
certaine curiosité.

Ils ne l’avaient jamais tenté. Toutefois, il avait enseigné à l’adolescent chacune des
protections anti-espionnage et anti-détection qu’il utilisait généralement et ils étaient
suffisamment proches pour connaître parfaitement l’empreinte magique de l’autre.
« Vous lui en demandez trop. » le rabroua Minerva. « Ce genre de choses n’est pas enseigné
avant la septième année. »

Sans lui prêter attention, Harry tira sa baguette et ferma les yeux.

Severus sentit la magie du garçon tâtonner maladroitement autour de la sienne, puis, après
quelques secondes, il sentit les protections se détacher de lui délicatement. Deux profondes
inspirations plus tard, le Survivant rouvrit les yeux avec un sourire extatique.

« Vous voyez, c’est pour ça que vous êtes mon professeur préféré. Vous ne dites jamais que je
suis trop jeune. » déclara le garçon.

Le Maître des Potions ressentit l’envie idiote de lui ébouriffer les cheveux. Il se retint, non
seulement parce que ce n’était pas très digne mais, surtout, parce que le nid d’oiseau sur sa
tête n’avait pas besoin d’être mis davantage en désordre.

« Tu es trop jeune pour beaucoup de choses. » riposta Severus. « Cesses donc de te mettre en
danger inutilement. »

Le gamin leva les yeux au ciel. « On a vécu pire que des oreilles de tigre… »

« Quand bien même. » siffla-t-il. « Prétendons-donc qu’il s’agit là de expérience de mort


imminente de ce mois ci. Cela m’épargnera quelques cheveux blancs. »

Un peu trop conscient que Minerva les observait avec une émotion contenue qui ne
demandait qu’à s’exprimer, Severus quitta la pièce dans un claquement de cape qui aurait
probablement été plus impressionnant si ses spectateurs avaient eu le tact d’avoir l’air
intimidé.

°°O°°O°°O°°O°°

« Le soleil va se coucher. »

L’avertissement de Sirius était bien inutile.

Remus sentait l’appel de la lune dans chacun de ses muscles. Avec une prière silencieuse
pour que la nouvelle version de la potion Tue-Loup fonctionne, il avala le contenu de la fiole,
rejetant la tête en arrière dans un effort dérisoire pour échapper au goût répugnant. Il devrait
demander à Severus s’il n’y avait pas moyen de l’aromatiser.

Il pouvait d’ors et déjà imaginer l’expression du Maître des Potions.

Sans un mot, il se débarrassa de ses vêtements et, nu comme un ver, frissonna dans l’air du
soir.

« Tout va bien se passer, Lunard. » déclara Sirius, sans que Remus ne parvienne à déterminer
lequel d’eux deux il cherchait à rassurer.

« Transforme toi. » ordonna-t-il. « Et au moindre problème… »


« Je me souviens. » le tranquillisa son meilleur ami. « J’ai l’habitude. »

Quand bien même, l’Animagus en ait eu l’habitude, Remus ne se détendit que lorsque
l’humain céda la place à l’énorme chien noir. Patmol garda ses distances mais couina lorsque
le soleil disparut totalement derrière les buttes d’herbes sèches.

Remus eut quelques minutes de répit, le temps que son corps réagisse aux premiers éclats de
la lune, puis, la douleur qui ne l’avait pas quitté de la journée, qui lacérait de ses griffes
chacun de ses os, de ses muscles, devint agonie.

Sa bouche s’ouvrit dans un cri de souffrance qu’il ne put retenir.

Loin, trop loin de sa conscience, un chien gémit.

Remus n’était déjà plus là pour l’entendre. Dans des craquements terribles, ses os
changeaient de forme, ses muscles s’allongeaient, ses organes se compressaient pour mieux
tenir à l’intérieur de l’énorme loup au pelage argenté qui hurla à la lune.

Lunard s’ébroua, testant les limites de ce nouveau corps, sentant la puissance de ses muscles,
passant la langue sur le tranchant de ses crocs, jouant avec les longues griffes qui
prolongeaient ses pattes.

Remus avait toujours craint le loup.

Le loup avait toujours voulu imposer sa vision à Remus.

Lunard était le parfait alliage des deux.

Il était Remus mais il était le loup.

Il était le loup mais il était Remus.

L’angoisse viscérale qui avait toujours accompagné les transformations ne lui tordait pas le
ventre. Il n’y avait pas d’angoisse à avoir.

Pour la première fois de sa vie, Lunard goûtait au bonheur parfait.

Il fit quelques pas en avant, bondit sur un rocher, courut jusqu’au sommet de la butte la plus
proche…

Indépendance.

Liberté.

Harmonie.

Lunard était un.

Lunard était loup.

Il hurla son bonheur à la lune.


L’aboiement ne le prit pas par surprise parce qu’il avait senti la présence de l’autre animal dès
sa transformation. Le chien n’était, toutefois, pas une menace. Moins puissant, moins
dangereux. Moins.

Lunard l’observa avec attention de ses yeux jaunes, cherchant à le ranger dans une des deux
catégorie qui régissait son monde : proie ou prédateur.

Puis le souvenir, lui vint, ténu. Une image. Un sentiment. Plus puissant que tous les autres.

Meute.

Dans un bond puissant, Lunard sauta sur le chien, l’immobilisa et referma délicatement sa
mâchoire sur son cou. Patmol demeura immobile, lâcha à peine un gémissement de peur.
Lunard sentit sa peur mais c’était bien, c’était dans l’ordre des choses. Patmol était son
second. Un second devait avoir peur du chef de meute. Il relâcha son cou et attrapa son
oreille entre ses crocs, sans appuyer suffisamment pour percer la chair – Patmol n’avait, après
tout, rien fait pour provoquer son courroux – et la tira dans un geste affectueux avant de lui
rendre sa liberté.

Ils avaient beaucoup à faire et pourraient jouer plus tard.

Lunard n’aimait pas vraiment ces contraintes qui semblaient peser sur lui mais la mission
était limpide dans son esprit : il devait agrandir la meute qui manquait singulièrement de
femelle.

Et il savait qui il devait trouver.

Il avait encore son odeur plein la truffe.

Lentement, le loup-garou se mit en chasse.

°°O°°O°°O°°O°°

Draco Malfoy aurait volontairement sacrifié un de ses membres plutôt que d’avouer envier
quoi que ce soit à Harry Potter.

Il était cependant bien inutile de se mentir à soi-même et, seul dans les couloirs, Draco
pouvait admettre envier au Balafré cette Carte des Maraudeurs qui était, somme toute, bien
pratique.

Non pas que Draco aurait également avoué être perdu.

Un Malfoy ne se perdait pas.

Certainement pas à Poudlard dont il arpentait les couloirs depuis cinq ans.

Il fallait toutefois reconnaître que c’était étrange.

Il avait emprunté le chemin qu’il prenait toujours pour retourner aux cachots depuis la Tour
des Gryffondors – grommelant encore de la claque monumentale que Weasley lui avait mise
en remportant leur partie d’échecs – un chemin qu’il connaissait désormais par cœur, un
chemin qu’il aurait pu suivre de nuit, les yeux fermés, sans lumos pour guider ses pas.

Il était donc pour le moins suspect qu’il se soit retrouvé dans une partie du château
relativement isolée, dans laquelle il n’avait absolument aucune intention d’aller. Pire, il était
certain de ne pas avoir raté d’embranchement à aucun moment.

Son mouvement du poignet était totalement nonchalant mais, lorsqu’elle fut tombée dans sa
main, la prise qu’il avait sur sa baguette ne l’était pas.

Il continua d’avancer avec une bonne humeur feinte qui masquait sa méfiance croissante.

Il ne croyait pas plus aux coïncidences qu’au père noël.

Il ne fut donc pas surpris lorsque les torches s’éteignirent brusquement.

« Trop d’effets de manche. » jugea-t-il avec mépris. « Seuls les amateurs s’embarrassent de
ce genre d’artifices. »

Qui que ses adversaires soient, ils n’étaient pas censé savoir que l’obscurité le mettait mal à
l’aise. Il n’aimait pas Poudlard la nuit, le château lui paraissait hostile, dangereux… Et ils
étaient loin des murs extérieurs où les fenêtres et meurtrières auraient laissé filtré la lumière
laiteuse de la lune… Les couloirs, à l’intérieur de l’école, étaient d’un noir d’encre lorsqu’on
soufflait les torches.

Le souvenir des boyaux ténébreux qui serpentaient sous le Manoir Malfoy lui revinrent une
nouvelle fois en mémoire. Il se reprit vite, cependant. Il n’avait plus sept ans, il n’avait plus
de fidèle dragon en peluche pour le rassurer et il n’était pas perdu. De plus, sa mère
n’apparaitrait pas comme par magie pour venir le secourir tel un ange salvateur.

Il se refusa à jeter un lumos.

Ils auraient pu prendre ça pour une marque de faiblesse.

« Tu es une honte pour la Maison des Serpentards. » lança une voix masculine sur sa gauche,
malheureusement plus proche que Draco ne l’avait escompté.

« Tu es une honte pour la Maison des Malfoy ! » corrigea une autre voix sur sa droite, elle
aussi dangereusement proche.

« C’est tout ? » s’enquit-il, d’un ton où l’ennui se disputait à la lassitude.

« On va t’apprendre à fréquenter des Sang-de-Bourbe ! » déclara la dernière voix, juste en


face de lui.

« Comme c’est original. » soupira Draco. Il était partagé entre l’offensive et la défensive, un
stupefix ou un sortilège du bouclier, se battre ou fuir… Non, non, ce dernier choix n’existait
pas. L’honneur de sa Maison était en jeu, son honneur personnel était en jeu, et il ne pouvait
fuir sans perdre la face. Non, il lui faudrait…
Sa seconde d’indécision lui fut fatale.

Le coup de poing qui le cueillit à l’estomac le prit par surprise, lui coupant sa respiration.

De la part de puristes, on se serait attendu à tout sauf à des méthodes aussi moldues.

Il eut à peine le temps de jeter maléfice vers sa droite, un maléfice qui n’atteignit pas sa cible,
avant que sa baguette lui soit arrachée violemment des mains. Il entendit le cliquetis du bois
contre la pierre lorsqu’elle heurta le sol quelques mètres plus loin.

Trois secondes plus tard, ce fut sa tête qui heurta le mur de pierre.

Plus nombreux, plus grands, plus lourds, plus musclés, ses attaquants avaient l’avantage.

Et Draco était dans un sacré pétrin.

°°O°°O°°O°°O°°

Sirius n’était pas rassuré.

L’énorme chien qu’il était se glissait d’ombre en ombre, tâchant d’imiter de son mieux la
démarche souple et puissante du loup-garou sans y parvenir. Il finissait toujours par perdre le
loup de vue au bout de quelques minutes. Il était un poids plus qu’une aide, supposait-il,
puisqu’il ralentissait Remus.

Si tant est qu’il s’agissait bien de Remus.

Le loup-garou avait certainement eu l’air moins sauvage qu’à l’accoutumée et moins drogué
que lors des nuits de pleine lune passées sous potion Tue-Loup ordinaire. Il n’était pas,
toutefois, persuadé que c’était bien son meilleur ami qui ouvrait le chemin devant lui.

Ça ne ressemblait pas beaucoup à Remus de presque l’égorger ou de manquer lui arracher


l’oreille en guise de jeu.

Il huma l’air, soudain plus attentif à son environnement. Loups-garous, déduisit-il, beaucoup
de loups-garous.

Ils avaient trouvé la meute.

Oh, oh, songea-t-il, avant qu’une masse écrasante ne lui saute dessus et ne le plaque au sol
avec un grognement rageur.

°°O°°O°°O°°O°°

Harry se hâta le long des couloirs, impatient de rejoindre la salle commune.

C’était un soulagement de retrouver une ouïe normale, les oreilles de sa forme Animagus
étaient bien plus sensibles et, si cela lui avait paru génial au début, cela avait vite tourné au
calvaire. Un calvaire qui n’avait eu d’égal que le sermon que McGonagall lui avait passé dès
que Severus l’avait lâchement abandonné à la sous-directrice.
Une fois qu’elle avait eu terminé de le traiter de crétin inconscient, cependant, McGonagall
s’était très vite intéressée à la méthode qu’il avait employée, à ses progrès, à son niveau de
difficulté… Elle avait refusé de le laisser sortir de son bureau avant qu’il soit parvenu à
retransformer ses oreilles et qu’il lui ait prouvé qu’il pouvait les changer de forme à loisir
sans rester bloqué, avec la même facilité qu’il transformait son bras. Deux heures.

Il était épuisé mais extatique et il avait quitté le bureau de McGonagall avec un nouveau
cours particulier de plus inscrit dans son emploi du temps.

La sorcière avait également promis qu’elle s’occuperait de lui arracher elle-même les oreilles
s’il s’avisait de s’entraîner sans sa supervision – le Professeur Snape, avait-elle insisté, n’était
pas habilité à superviser des transformations Animagus.

Puisque personne n’était censé savoir que le Maître des Potions était lui-même un Animagus,
Harry avait tenu sa langue.

Il avait presque atteint les étages supérieurs lorsqu’un bruit étrange lui fit froncer les sourcils.
Il s’arrêta, aux aguets, le cœur battant, sondant le silence. Juste au moment où il allait
conclure avoir rêvé, le bruit revint. C’était un écho, l’écho d’un cri et, sans hésiter, Harry
suivit le son, s’enfonçant dans les couloirs jusqu’à atteindre une partie du château qu’il avait
rarement explorée.

Les bruits de bagarre se firent plus distincts et il accéléra le pas, sa baguette brandie devant,
prête à l’emploi. Il ne tarda pas à tomber sur un couloir totalement plongé dans les ténèbres.
Harry s’y engagea, grinçant des dents lorsqu’il entendit les premières insultes.

« Toujours aussi friand de Sang-de-Bourbe ? »

« Traître à ton sang ! »

Harry se mit en colère, très, très en colère…

« Lumos. » lâcha-t-il froidement.

Toutes les torches du couloir s’enflammèrent, révélant trois brutes qui ne pouvaient être
qu’en septième année, deux Serpentards et un Serdaigle, et Malfoy, le visage en sang qui
profita de la distraction subite de ses assaillants pour décocher un coup de genou bien placé.
Un des garçons se plia en deux, le deuxième fut propulsé en arrière par un sort d’Harry.

Le Serdaigle lança vers le Survivant un sort d’eau bouillante qui s’évapora sur le bouclier
d’air chaud que dressa instinctivement le Gryffondor. La vapeur qui en résultat limita sa
vision l’espace d’une seconde, ce fut suffisant pour qu’un des Serpentards plaque à nouveau
Malfoy contre le mur et lui flanque son poing dans la figure. Harry entendit distinctement
quelque chose craquer et ne put retenir une grimace.

« Stupefix ! » cria-t-il vers le septième année qui brutalisait le Serpentard.

Un bouclier hâtif dévia son sort, Malfoy glissa au sol où il resta prostré. Rien, en revanche,
n’aurait pu arrêter le deuxième serpent qui se jeta sur Harry avec un hurlement guerrier. Le
plaquage était digne d’un joueur de rugby. Harry se surprit à regretter ne pas avoir une batte
sous la main, il aurait volontiers utiliser la tête de cet idiot comme un cognard.

Le poing du Serpentard s’écrasa sur sa joue mais Harry était préparé à la douleur et ne laissa
pas cette maigre considération l’arrêter. Sans réfléchir, il mordit à pleines dents le bras qui le
maintenait au sol, arrachant à son adversaire un hurlement de douleur.

« C’est Potter ! » s’exclama le Serdaigle.

Observateur, ne put-il s’empêcher de se moquer mentalement.

« On devrait les emmener dans la Forêt Interdite. » suggéra le Serpentard qui ne l’écrasait pas
de son poids.

À l’incompréhension générale, Harry éclata de rire.

« Incarcerem. » siffla soudain Malfoy.

Stupides gorilles, songea le Survivant, qui abandonnaient leur proie pour une plus grosse sans
plus s’en préoccuper. Il avait vu Dudley agir de même pendant des années.

Aucun des trois Mangemorts en herbe n’avaient vu Malfoy ramper vers sa baguette.

L’adolescent qui l’avait plaqué au sol s’envola, prisonnier d’épais liens de cuir.

« Expelliarmus ! » s’écrièrent en même temps les deux cinquième année.

Les baguettes du Serpentard et du Serdaigle s’envolèrent.

« Qu’en dis-tu, Potter ? » s’enquit Malfoy, la voix rauque et le souffle court. Il essuya d’un
revers de manche le sang qui lui coulait du nez. « Je suis certain qu’il y a suffisamment de
recoins par ici où cacher leurs cadavres. »

Il feignit d’y réfléchir, espérant que le Serpentard était simplement en train de plaisanter.
Encore que, les yeux gris qui fixaient leurs prisonniers ne flanchaient pas.

°°O°°O°°O°°O°°

Le chat se glissa silencieusement d’une pièce à l’autre, prenant garde de rester dans l’ombre
bien que la grande demeure soit supposément vide.

Severus serait déçu.

La réserve de potions lui avait paru tout à fait normale. Elle n’avait certes pas la science du
Mangemort dans ce domaine mais elle se targuait de pouvoir reconnaître une potion mal
préparée lorsqu’elle l’avait sous le nez. Severus l’avait de toute manière avertie que cela
aurait dû être flagrant et lui sauter aux yeux.

Rien ne lui avait sauté aux yeux.


La réserve était soigneusement organisée, l’inventaire était clair et net, rédigée de la main
sûre de Remus, rien ne manquait à l’appel, rien ne mettait la puce à l’oreille.

Elle ne croyait pas une seule seconde que Remus puisse être leur espion.

Toute à ses considérations, elle décida qu’un tour dans le laboratoire lui en apprendrait
davantage. Le chat se coula donc dans l’escalier menant à la cave, prenant soin d’esquiver les
marches qui craquaient plus par jeu que par réelle nécessité.

Elle s’en félicita lorsqu’elle réalisa que la maison n’était pas aussi vide qu’elle l’avait cru.

Travaillant à l’abri d’un sort de silence, leur espion suait à grosses gouttes au-dessus d’un
chaudron.

Elle se tapit dans un coin obscur et observa.

°°O°°O°°O°°O°°

Le grondement enfla dans le ventre de Lunard mais il ne le laissa pas passer sa gorge,
conscient du danger.

Le danger était partout.

Sa truffe le démangeait, assaillie par une centaine d’odeurs différentes. Et une entre toutes
l’attaquait, musquée, sauvage.

L’odeur d’un Alpha.

L’odeur de Greyback.

Il retroussa silencieusement ses babines, regrettant de ne pouvoir partir en chasse, de ne


pouvoir défier l’autre loup à la silhouette imposante qu’il devinait au loin. De ne pouvoir
planter ses crocs dans sa chair et le déchiqueter. Attaquer jusqu’à ce que le sang chaud et
poisseux lui couvre le museau et que son ennemi ne s’écroule dans la poussière, vaincu.
Alors, la meute serait à lui. Et il serait vengé.

Une part de lui en mourrait d’envie.

L’instinct lui dictait de rester immobile, de protéger de sa masse le chien qu’il plaquait au sol.
Sa meute passait avant le reste. Sa meute était sa priorité, sa responsabilité.

Il y avait trop de loups-garous autour d’eux pour qu’ils soient repérés mais Lunard n’osait
pas bouger tant que Greyback était dans les parages.

Patience.

Il attendit que le gros de la meute soit passé avant de s’ébrouer, rendant finalement sa liberté
à Patmol. Il restait quelques autres loups-garous qui les fixèrent de leurs yeux ambrés mais
Lunard montra ses crocs et mordit le vide deux fois en guise d’avertissement, le poil hérissé.
Il huma l’air, retrouva l’odeur qu’il pistait depuis le début de la nuit, renversa la tête en
arrière et poussa un long hurlement à la lune avant de s’élancer.

Patmol était trop lent, il le rabroua d’un coup de patte qui l’envoya rouler au sol et se remit à
courir, prenant garde à ne pas trop distancer le chien. Il n’aimait pas l’idée que sa meute soit
éparpillée.

La louve-garou avait un pelage gris foncé, presque noir.

Elle couina de détresse lorsqu’elle le vit foncer sur elle mais aucun des autres retardataires ne
s’arrêta pour lui porter secours. L’instinct prenant le dessus, elle tenta de le mordre, de le
griffer…

Peine perdue.

Lunard était bien plus fort, plus féroce.

En deux coups de pattes, il la plaqua au sol et referma ses mâchoires sur sa nuque avec un
grognement possessif. Elle se débattit et il resserra sa prise jusqu’à ce qu’elle ne cède dans un
gémissement qui ressemblait presque à un soupir, reconnaissant sa supériorité.

Sa meute venait de gagner un nouveau membre.

À présent, il était temps de vraiment chasser.

Il n’y avait pas énormément de gibier aux alentours mais il y en avait bien assez pour les
occuper tous les trois.

La lune l’appelait.

°°O°°O°°O°°O°°

« Tu crois qu’il leur faudra combien de temps pour sortir de cette armoire ? » demanda Potter
avec un sourire amusé.

« Entassé comme ils sont ? Quelques heures. » se moqua Draco. « Et ils peuvent
s’époumoner, j’ai jeté un sort de silence. »

« Bonne idée. » commenta le Gryffondor, avant de lui jeter un coup d’œil inquiet. « Tu es sûr
que tu ne veux pas aller à l’infirmerie ? »

Le premier réflexe du Serpentard fut de l’envoyer paître mais il se ravisa très vite. Qu’il le
veuille ou non, le Balafré venait de le sauver d’une situation épineuse. Même s’il serait
certainement venu à bout de ces trois imbéciles seul… Au bout d’un moment.

« Je suis mort, cette année, Potter. » déclara-t-il tranquillement, avec un haussement


d’épaules qu’il regretta aussitôt. Son épaule gauche était meurtrie, sa lèvre fendue, il n’était
pas tout à fait certain que sa pommette ne soit pas fracturée et il était, par contre, tout à fait
certain de s’être fêlé une côte. « J’ai vécu pire. »
« Si tu le dis. » soupira Potter, en ralentissant tout de même le pas.

Draco avait voulu retourner directement à sa salle commune, sachant d’avance que se
réfugier chez les lions affaiblirait sa position. Il devait rentrer à Serpentard la tête haute, en
vainqueur. Curieusement, le Survivant avait semblé comprendre la nécessité politique d’une
telle action sans qu’il n’ait besoin de la lui expliquer et avait proposé de l’accompagner. La
portée d’un tel geste ne semblait pas non plus perdue pour le Gryffondor.

Il n’était pas rare désormais pour les élèves de visiter les salles communes d’autres Maisons
mais, chez Serpentard, cela se limitait à quelques Sang-Purs de Serdaigle ou Poufsouffle. Les
élèves respectant toujours la Trêve paraissaient conscient qu’il aurait été dangereux de
s’aventurer dans les cachots. Draco ne les en blâmait pas, c’était comme se jeter dans la
gueule du loup.

La tête de certains Serpentards lorsqu’il introduirait Harry Potter dans leur salle commune
vaudrait sans doute le déplaisir de ces moments passés en sa compagnie.

Il refusait de remercier l’autre garçon pour son aide.

Son éducation et son honneur ne cessaient de se rebiffer à ce manque crucial de bonnes


manières.

« Malfoy… » hésita le Gryffondor, alors qu’ils atteignaient finalement le hall d’entrée. Il leur
faudrait encore plusieurs minutes pour rejoindre la salle commune. « C’est peut-être une
question bizarre mais… Quand tu dis que tu es mort… Eh bien… Je suis mort aussi dans le
passé et… »

« Si tu es en train de me dire que ce rêve complètement loufoque n’était pas un rêve, tu ferais
mieux de te taire. » l’avertit-il. « Je n’ai aucune envie d’en parler. »

Les limbes…

Il en faisait encore des cauchemars.

Ses souvenirs étaient plus ou moins flous, à la fois clair et insaisissables. Le moment
d’horreur de l’Avada se transformait soudain en une quiétude trompeuse dans sa mémoire. Le
pré, Pomme, la terreur de ne pas parvenir à revenir et Potter.

Potter qui avait déjà trouvé le chemin pour revenir à la vie mais qui restait stupidement assis
sur son banc dans une réplique de la gare de King Cross.

« Je n’étais pas sûr que tu n’aies pas choisi de mourir. » murmura-t-il, si bas que les mots ne
portèrent pas beaucoup plus loin que Potter. « Tu disais… »

« Je sais. » lâcha le Gryffondor. « Enfin, je crois que je sais. Je ne me souviens pas bien. » Ils
marchèrent en silence pendant quelques instants puis Potter haussa les épaules. « C’était
tentant de… continuer. »

Ce n’était pas une tentation que Draco pouvait comprendre. À la seconde où il avait compris
être dans les limbes, il avait cherché la porte de sortie.
« Pas pour moi. » rétorqua-t-il.

Potter déglutit avec difficulté et força un pauvre sourire sur ses lèvres.

« Tu as de la chance. » offrit le Survivant, laconique.

Le Serpentard aurait aimé pouvoir prétendre qu’il s’agissait simplement d’une de ses crises
d’arrogance dont il avait le secret.

« J’en rêve encore. » admit-il avec difficulté.

Toutes les nuits depuis la Nuit des Ténèbres, il faisait le même cauchemar. Toutes les nuits, il
se réveillait en nage, un cri de détresse ou un gémissement aux lèvres et fixait pendant de
longues minutes les lourdes tentures vertes qui entouraient son lit à baldaquin, priant pour
que le silencio qu’il jetait tous les soirs ait tenu bon et que ses camarades de dortoir n’aient
rien entendu.

« Moi pas. » répondit Potter. « Ça ne me fait pas peur, je crois. Mourir, je veux dire. »

Draco leva les yeux au ciel, se sentant étrangement trahi.

Blaise était son meilleur ami et, pourtant, il ne parvenait pas à lui parler de son expérience
dans les limbes ou de la terreur sourde qui l’étreignait de temps en temps à l’improviste.
Blaise n’aurait pas compris. Blaise n’était jamais mort.

Il ne connaissait personne qui soit déjà mort.

Mis à part Potter.

« Évidemment. Où ai-je la tête ? Le grand Harry Potter n’a pas peur de la mort… » cingla-t-
il.

En vérité, il lui enviait cette sérénité apparente. Il aurait aimé, lui-aussi, balayer ce qui lui
était arrivé d’un revers de main et s’accorder le luxe de ne plus y penser. Sans doute n’y était-
il pas suffisamment habitué. Recevoir un Avada Kedavra en pleine poitrine ? Rien d’autre
qu’un jour ordinaire dans la vie du Garçon-Qui-Avait-Survécu-Pour-Faire-De-Sa-Scolarité-
Un-Enfer.

« J’ai peur de la mort. » corrigea doucement Potter. « Simplement pas de la mienne. »

Draco l’étudia discrètement, du coin de l’œil, et décida que c’était finalement peut-être plus
triste que de se réveiller en tremblant chaque nuit, tellement terrifié que, l’espace d’une
seconde, il était tenté d’appeler sa mère.

Où était sa mère ?

Il n’avait plus de nouvelles.

Juste la promesse de son père qu’elle était en sécurité.


Ils passèrent le dernier détour avant le couloir qui menait à la salle commune et Draco se
rendit compte qu’au lieu de guider le Gryffondor, il avait calqué son pas sur le sien. Potter
savait très visiblement où il allait – peu étonnant, il avait passé les derniers mois à
Serpentard, après tout, bien que cela ne cesse jamais de perturber le Sang-Pur – et semblait
impatient d’y être.

Potter s’arrêta devant le pan de mur qui abritait la salle commune et attendit que Draco donne
le mot de passe, ce qu’il fit sans se soucier d’être entendu. Une fois à l’intérieur, le
Gryffondor balaya la pièce du regard puis une ombre peinée, presque douloureuse, passa sur
son visage avant que son expression ne devienne aussi lisse qu’un masque poli. Le Sang-Pur
aurait pu jurer avoir vu briller, l’espace d’un instant, le reflet d’une flamme dans les yeux
verts.

Rien sur le visage de Potter ne trahissait ses pensées et, si c’était là son côté Serpentard,
Draco se dit qu’il lui serait peut-être nécessaire de reconsidérer certaines choses.

« Draco ! » s’exclama Daphné, attirant l’attention générale sur les deux adolescents. Avant
qu’il n’ait pu la rassurer, la jeune fille avait bondi du fauteuil sur lequel elle était blottie. Son
livre glissa de ses genoux et tomba au sol, oublié.

Les conversations qui s’étaient tues reprirent soudain, tout en murmures. Draco n’eut pas le
loisir d’essayer de saisir quelques mots à la volée, Daphné avait attrapé son visage entre ses
mains et observaient attentivement ses blessures.

En d’autres circonstances, il en aurait joué et se serait fait plaindre et dorloter.

Les temps n’étaient plus à ça, cependant, et il était nécessaire désormais de faire état de force.

« Je n’ai rien, Daphné. » déclara-t-il haut et fort. « Tu devrais voir les autres, ils sont en
miettes. La Maison des Malfoy ne plaisantent pas avec ceux qui les attaquent. »

« Pas plus que celle des Potter. » rajouta le Gryffondor, avec tout le détachement étudié qu’y
aurait mis un Sang-Pur.

Draco ne savait pas à quoi Potter s’était amusé en soixante-quinze mais, clairement, le garçon
cachait bien son jeu.

Les chuchotements augmentèrent, prenant la déclaration pour ce qu’elle était : la


proclamation déguisée d’une alliance et d’une protection. Certes, cela faisait grincer des
dents à Draco de devoir se placer sous la protection d’Harry Potter mais c’était la seule chose
à faire et il était trop conscients qu’il lui fallait ravaler sa fierté.

Daphné tourna son regard vers le Survivant, grimaça en voyant l’hématome violacé sur sa
joue, et lâcha finalement Draco en secouant la tête.

« Attendez qu’Hermione voit ça. » gronda-t-elle. « Vous êtes bon pour vous faire étriper. Tous
les deux. »
Blaise arriva sur ses entrefaites, émergeant du couloir qui menait au dortoir sans réelle
précipitation mais d’un pas vif qui trahissait son inquiétude. Il fallait que le Serpentard soit
inquiet pour sortir dans la salle commune en pyjama et robe de chambre.

« Que s’est-il passé ? » s’enquit son ami, en fronçant les sourcils. Comme Daphné l’avait fait,
ses yeux sombres passèrent du visage tuméfié de Draco à l’hématome que Potter arborait sur
la joue et un pli mécontent barra son front. « Si vous vous êtes battus, j’espère que vous êtes
conscient que Granger va vous noyer dans le lac. »

« Les étriper, Blaise. » corrigea Daphné avec un sourire indulgent, en lui tapotant l’épaule.
« Les étriper. »

Draco échangea un coup d’œil exaspéré avec Potter.

« Je ne crains pas Granger. » mentit-il.

« Moi si. » avoua le Survivant, sans complexe aucun, retrouvant son comportement habituel
de Gryffondor trop avenant. « Mais, là, ce n’était pas vraiment notre faute. »

Le temps qu’ils réquisitionnent les fauteuils autour de la cheminée, qu’ils s’installent et que
Potter ait terminé de résumer leur histoire, Blaise avait fait ce qu’il avait pu avec les maigres
sorts de soin qu’il connaissait. Les quelques coupures que Draco avait récoltées s’étaient
refermées. Pour les hématomes et ses os douloureux, il n’y avait qu’un remède et c’était
Pomfresh.

Potter mit un point d’honneur à trainer un bon moment dans la salle commune, à discuter
publiquement avec lui, Blaise et les sœurs Greengrass. Les rares Serpentards membres de
l’A.D. vinrent également lui parler ainsi que quelques autres qui marquèrent ainsi leur
position face au conflit qui faisait rage à l’extérieur.

Tout ça était très politique, bien qu’il soit essentiellement question de Quidditch, et Draco fut
plus que soulagé lorsque Potter décida qu’il était temps pour lui de regagner la tour des lions.
Ses yeux le brûlaient de fatigue et tout son corps lui faisait mal.

Nott, Crabbe et Goyle était déjà couché mais ni Blaise, ni lui, ne se soucièrent de ne pas faire
de bruit lorsqu’ils descendirent finalement dans le dortoir. Son meilleur ami le suivit dans la
salle de bain et jeta tout un tas de sorts destinés à garder leur conversation secrète dès que la
porte fut refermée.

« Voilà qui risque de lancer des rumeurs. » plaisanta-t-il, tout en bataillant avec le nœud de sa
cravate.

« Tu te jettes sous des sorts de morts, tu te fais tabasser dans les couloirs… Je ne suis pas
certain que fréquenter des Gryffondors te réussisse. » remarqua Blaise avec une fausse
nonchalance.

Le regard de son ami s’assombrit encore lorsque Draco ôta sa chemise. Il ne put lui-même
retenir une grimace lorsqu’il vit l’état de son torse dans le miroir. Sa peau si blanche était
bariolée de bleu-vert tirant sur le jaune ou le violet.
« Es-tu certain de ne pas vouloir voir Madame Pomfresh ? » insista Blaise.

« Je ne vais certainement pas leur faire ce plaisir. » rétorqua-t-il.

« Qui était-ce ? » exigea de savoir son ami.

Draco l’avait rarement entendu aussi dur et froid.

Il lui jeta un coup d’œil, puis se passa de l’eau sur le visage, espérant que cela lui éclaircirait
les idées.

Il pesa ses mots avec prudence, comme il le faisait rarement, parce qu’il ne voulait pas vexer
Blaise mais que certaines choses se devaient d’être dites.

« Ma guerre n’est pas obligatoirement ta guerre. » offrit-il.

« Cette guerre est à nous tous. » riposta le Serpentard. « Et si trois idiots décérébrés de
septième année s’en prenaient à moi tu observerais en silence, peut-être ? » La main de son
meilleur ami s’abattit sur son épaule, presque brutale. « Je ne le répéterai qu’une seule fois,
Draco. Je ne t’ai pas attendu pour choisir mon camp dans cette guerre, j’ai simplement
attendu que tu comprennes pourquoi ce camp était le bon. Mais il y a la guerre, et il y a toi et
moi. »

« Blaise, tu es en train de me confondre avec Daphné et j’ai peur. » railla-t-il, plus touché
qu’il ne voulait l’admettre.

L’héritier des Zabini le dévisagea en silence, avec cette force tranquille qui le caractérisait,
refusant de s’abaisser à accepter ses sarcasmes sur un sujet aussi sérieux.

« Que veux-tu ? » siffla-t-il, mal à l’aise lorsqu’il était question d’exprimer des choses qui lui
semblaient évidentes. « Que je prête un serment inviolable ? Bien entendu que ton amitié
passe avant leur guerre. Je suis un Serpentard, pas un Gryffondor. Si tu penses que je
sacrifierai n’importe lequel de mes amis, ou moi-même d’ailleurs, pour le plus grand bien,
c’est bien mal me connaître. Je ne suis pas un héro. Pour ça, il faut s’adresser à Potter. »

Potter qui semblait tellement en paix avec l’idée de mourir…

Il se mit rapidement en pyjama et attrapa sa brosse à dents, ignorant soigneusement le regard


lourd de sens que son meilleur ami lui jetait. Blaise eut le tact de ne pas lui rappeler qu’il
s’était justement fait tuer en se plaçant sur le chemin d’un sort de mort destiné à Luna.

« Parlant de Potter… » lâcha-t-il, en couvrant la brosse de dentifrice. « Depuis quand


possède-t-il un côté Serpentard secret ? L’as-tu vu tout à l’heure ? Depuis quand Harry Potter
est-il doué en politique ? Et, bien sûr, il faut toujours qu’il soit au centre d’attention, c’est
plus fort que lui. »

Le sourire amusé de Blaise ne lui disait rien qui vaille mais Draco avait la bouche pleine de
dentifrice et ne pouvait décemment pas lui demander ce qu’il avait sans en mettre partout.
« Je vois que ton obsession pour Potter est revenue. » commenta simplement l’autre garçon,
pince-sans-rire. « Je commençais à croire que ces rumeurs étaient infondées… »

Draco manqua s’étouffer avec le dentifrice – certainement la pire mort du monde.

°°O°°O°°O°°O°°

Sirius observait, impassible, les deux loups-garous gambader gaiment dans la lande comme
s’il n’y avait pas eu une meute d’autres loups-garous nettement moins gais et nettement
moins portés sur le plaisir de gambader quelques kilomètres plus loin à peine.

Depuis qu’il s’était trouvé une nouvelle compagne de jeu, Remus faisait à peine cas de lui, ne
se retournant plus que de temps en temps pour vérifier qu’il suivait – et, pour être tout à fait
honnête, Patmol commençait à fatiguer – lui intimant parfois d’un coup de tête, parfois d’un
coup de patte d’accélérer l’allure. Toute l’attention de son ami était rivée sur la louve-garou
qui, elle, n’avait aucun problème pour suivre ses courses effrénées, ses jeux un peu trop
violents ou les chasses intempestives.

Ils en étaient déjà à leur troisième lapin, un repas que Sirius avait à chaque fois décliné avec
une politesse prudente, peu enclin à insulter accidentellement un loup-garou.

Remus ne semblait pas apprécier son manque d’appétit.

L’Animagus n’était pas suffisamment inquiet au point de se forcer à manger du lapin cru.

Lorsque le ciel commença à s’éclaircir, Patmol aboya pour attirer l’attention des deux loups
qui se sautaient dessus et s’amusaient comme des chiots à la taille démesurée.

Il lui fallut insister mais à force d’aboiements et de coups de tête – même si ceux-ci lui
valurent plus d’une bourrade moins qu’amicale – il parvint à rabattre Remus et son amie vers
le campement.

Chien de berger pour loup-garou, pensa-t-il, non sans ironie.

Lorsqu’ils atteignirent la tente et le reste de leurs affaires, l’aube n’était plus loin et les loups
étaient très visiblement épuisés. La langue pendante, ils se laissèrent tomber en un tas
informe et s’endormirent à même le sol. Lunard rouvrit un œil doré et laissa échapper un
grognement qui ressemblait à s’y méprendre à un ordre.

Soit il voulait que Sirius les rejoigne, soit il voulait qu’il monte la garde.

Étant donné la manière dont la louve-garou s’était enroulée autour de son ami, Sirius décida
qu’il était de garde.

Être de garde lui allait très bien.

Il ignorait jusqu’à quel point le loup était toujours humain. Remus était très visiblement
toujours là, un certain degré d’humanité était toujours décelable dans les yeux jaunes du loup
mais l’instinct animal semblait prédominer.
Quant à la louve-garou…

Il n’y avait rien de Laura Flemmings chez elle. La louve était un animal sauvage, étonnante
de passivité pour une créature aussi puissante. À aucun moment elle n’avait essayé d’établir
sa dominance sur Sirius bien que cela soit l’instinct chez la plupart des prédateurs. Elle avait
accepté la hiérarchie de la meute avec placidité.

Si l’animal agissait ainsi, la sorcière ne pouvait pas avoir un caractère plus prononcé.

Or, eux, ce dont ils avaient besoin c’était d’une espionne qui serait capable de voler une dose
de la potion.

Il ne se voyait pas forcer une pauvre femme terrifiée à faire ça.

Et, songea-t-il, en jetant un nouveau coup d’œil pelotonnés l’un contre l’autre, ça risquait de
ne pas être le seul problème…
The Old Ends, The New Begins

“Who gets to determine when the old ends, and the new begins? It’s not a day on a
calendar, not a birthday, not a new year. It’s an event. Big or small. Something that
changes us. Ideally, it gives us hope.”

Grey’s Anatomy

Qui décide de quand l’ancien se termine et la nouveauté débute ? Ce n’est pas un jour
sur un calendrier, ce n’est pas un anniversaire, ce n’est pas une nouvelle année. C’est
un événement. Grand ou petit. Quelque chose qui nous change. De préférence, cela nous
fait espérer.

Grey’s Anatomy.

Sirius tira sur sa cigarette, ses yeux gris perdus sur la lande qui s’étirait devant lui, retraçant
du regard les rares pousses de végétation gelées par le froid vif. Il s’enfonça dans sa veste en
cuir, se languissant du printemps qui tardait à venir. Il se demanda brièvement si c’était
Voldemort qui influait sur le climat, si une telle chose était possible, puis se souvint que le
mage noir avait plus d’un Détraqueur à sa disposition. Cela expliquait très certainement
l’atmosphère morose qui planait sur le pays tout entier.

Le Magenmagot tardait à ratifier la proposition de Dumbledore de remplacer les Détraqueurs


d’Azkaban par des gardes sûrs.

Ils le dégoûtaient, tous ces Sang-Purs qui s’accrochaient à leurs traditions séculaires,
incapable de comprendre qu’elles causeraient leur perte.

Il tira une dernière bouffée de sa cigarette entièrement consumée, prenant garde de ne pas se
brûler, puis jeta le mégot et l’écrasa d’un coup de talon. Pour plus de sûreté, il le fit
disparaître d’un evanesco. Il ne tenait pas à déclencher un incendie par-dessus le marché.

« Sirius ? » appela son meilleur ami – ou aboya plutôt. Remus n’était jamais fou de joie après
une nuit de pleine lune mais ce matin là, il remportait la palme de la mauvaise humeur.
L’Animagus supposait qu’il était déjà heureux que le loup-garou ne semble pas garder trop de
séquelles de la transformation.

Il se retourna et franchit les quelques mètres qui le séparaient du campement, vérifiant


brièvement que les protections étaient toujours en place. Remus portait son éternel costume
râpé aux coudes et Laura Flemmings était vêtue des vêtements que Sirius avait
métamorphosés pour elle à partir d’une de ses chemises de rechange.

Un jour, il lui faudrait demander à McGonagall pourquoi un Animagus parvenait à conserver


ses vêtements quand il se transformait alors qu’un loup-garou ne le pouvait pas.
« Petit-déjeuner ? » proposa-t-il à la cantonade, espérant alléger un petit peu l’atmosphère
tendue.

« On a l’estomac plein de lapin, Sirius. » rétorqua Remus.

« Très vrai. » lâcha-t-il, tâchant de ne pas s’offenser du ton que prenait le loup-garou pour lui
parler. « Vous avez avalé suffisamment de ces pauvres bêtes pour tenir trois jours. Moi, par
contre, je… »

« Vous souvenez de votre transformation ! » s’exclama Flemmings, les yeux écarquillés.

« On a un copain Maître des Potions. » expliqua Sirius puisque Remus semblait déterminé à
rester planté là et à les écraser tous deux de son aura autoritaire de grand méchant loup-garou.
« Enfin, je dis copain… C’est plus une connaissance. » Il fit la grimace. « Je me sens mal
d’avoir dit ça. Je crois que je vais vomir. »

« On a pas le temps pour tes bêtises. » gronda Remus. « Laura doit rejoindre le gros de la
meute avant que quelqu’un ne remarque son absence. »

La jeune femme ne chercha même pas à dissimuler son élan de panique.

« Mais vous êtes venus me chercher ! » protesta-t-elle. « Vous m’avez marquée ! J’appartiens
à votre meute maintenant ! Vous et votre… » Son regard ambré s’arrêta sur Sirius, hésita…

« Ami. » compléta-t-il avec un sourire encourageant. « Animagus à mes heures perdues. On


ne s’est pas vraiment présentés… Sirius Black, enchanté. »

Elle serra la main qu’il lui offrit mais ne se détendit pas pour autant.

« Vous êtes ma meute. » insista-t-elle.

« Je ne suis pas un loup-garou. » corrigea-t-il.

« Mais vous êtes marqué, je le sens. » déclara-t-elle en fronçant les sourcils. « Il est votre
Alpha. »

« Ou pas. » se moqua gentiment Sirius, sans dissimuler son sourire amusé. Il asséna un coup
de coude à Remus mais au lieu d’en rire ou de la contredire, il émit un léger grondement
réprobateur. « Tu es sûr que cette potion ne fait plus d’effet ? »

À chaque fois qu’il croisait le regard de son ami, il lui semblait apercevoir la lueur sauvage
du loup.

« Je suis à nouveau moi-même. » confirma Remus. « Simplement plus… apaisé. Je pense


que c’est le mot. »

« Tu as l’air apaisé comme moi sur le point de me déclarer membre honoraire de la Maison
Serpentard. » contra-t-il.
« Bref. » reprit Remus, en lui intimant de se taire d’un geste de la main. « Laura, j’ai besoin
que vous retourniez vers Greyback, retrouviez sa place dans la meute et voliez un échantillon
de la potion qui permet de se transformer en dehors des cycles lunaires. De préférence
rapidement. »

« Si vous voulez bien nous aider. » amenda Sirius, un peu froidement. L’attitude de son ami
l’agaçait. « On ne vous force à rien. Si vous préférez rentrer à Londres avec nous, on… »

« Non. » coupa Remus. « Albus a été très clair avec moi. Nous sommes tout à fait prêt à vous
protéger, Laura, je suis tout à fait prêt à vous protéger. Mais il nous faut cette potion,
comprenez-vous ? »

La jeune femme avait l’air désabusé. Elle coinça ses mèches brunes derrière ses oreilles et
leur adressa un sourire ironique. « Je comprends surtout que je n’ai pas le choix. Vous m’avez
marquée. Vous êtes mon Alpha. Je ne peux désobéir à vos ordres. »

Sirius resta figé face à cet échange. Il n’avait pas anticipé ce cas de figure là.

« C’est une blague ? » osa-t-il demander, avec un soupçon d’espoir. Il n’y croyait pas lui-
même mais peut-être que… Peut-être… L’expression fermée, à peine désolée, de Remus fit
voler en éclats toutes les illusions qui lui restaient. « Merde. » cracha-t-il avec dégoût. « Je ne
cautionne pas ça, moi. » Il se tourna vers Laura. « Si vous voulez nous aider, de votre plein
grès, c’est une chose. Si vous avez trop peur, si vous ne vous pensez pas capable de le faire,
alors vous rentrez avec nous. Je vous protégerai, moi. »

Il ne pourrait pas l’emmener au Q.G. naturellement, mais il pouvait trouver autre chose. Il
avait écumé pas mal de cachettes durant sa cavale. Il connaissait des grottes, des villages
perdus, des endroits qui, sans êtres agréables, étaient sûrs…

« Ce ne sont pas tes affaires, Sirius. » cingla son meilleur ami. « Ce sont des affaires de loups
et, en l’occurrence, Laura a raison. Je suis son Alpha maintenant. Rien ne te contraint à obéir
parce que tu n’es pas vraiment un loup mais elle l’est. »

« De la merde. » riposta-t-il. « Le temps des esclaves, c’est fini, Remus. Réveille-toi ! Mais
qu’est-ce qui t’arrive ? Je ne te reconnais pas. »

C’était la potion. C’était forcément la potion. Quelque chose avait mal tourné et…

« Je n’ai jamais eu de meute avant. » déclara Remus, dans un haussement d’épaules. « Pas
une meute à moi. James… »

« Tu divagues. » accusa-t-il, plongeant la main dans sa poche à la recherche de sa baguette,


prêt à jeter un stupefix si cela devenait nécessaire. « On n’était pas une meute. On était une
famille. »

« Et que croyez-vous qu’est une meute ? » intervint doucement Laura Flemmings. « Pourquoi
pensez-vous que les loups solitaires sont si malheureux ? Pourquoi pensez-vous qu’ils
dépérissent si vite ? Les loups ne sont pas faits pour vivre seuls. Ils sont faits pour la meute.
Je ne l’avais jamais compris avant de rejoindre celle de Greyback. Ils m’ont forcée à la
rejoindre, c’est vrai, mais maintenant que j’ai goûté à ce que c’est de ne plus être une
solitaire… »

Elle inclina la tête sur le côté et, l’espace d’un instant, elle ressembla à l’énorme louve grise-
noire qu’il avait observée cavaler sur la lande, la moitié de la nuit.

« Un échantillon, c’est tout ? » demanda-t-elle. « Après, vous ne demanderez plus de me


mettre en danger ? Je peux vous faire confiance ? »

Remus plaça la main sur l’épaule frêle de la jeune femme avec une gravité qui fit froncer les
sourcils à Sirius.

« Vous appartenez à ma meute maintenant, Laura. » murmura l’ancien Professeur, si bas que
l’Animagus eut du mal à l’entendre. « Vous êtes ma responsabilité. »

Les deux loups-garous se dévisagèrent en silence quelques secondes puis Laura baissa les
yeux en ce qui ressemblait fort à une marque de soumission.

« Très bien, dans ce cas. » répondit-elle.

« Vous n’êtes pas obligée. » répéta encore Sirius, l’estomac noué par la certitude que c’était
mal de la forcer à espionner pour eux. Ce n’était pas rien qu’ils exigeaient d’elle. Cela
pourrait se révéler extrêmement dangereux.

Il préféra s’éloigner tandis que Remus s’enquérait de si elle était capable de produire un
Patronus corporel et lui apprenait le sort nécessaire à la transmission de messages.

Il donna un violent coup de pied dans un caillou et tira une autre cigarette du paquet cabossé
qu’il gardait dans sa poche. Il ne bougea pas, gardant le dos tourné au campement, même
lorsqu’il entendit Laura partir et Remus commencer à ranger malgré les grognements de
douleur réguliers et les soupirs las.

Lorsqu’il eut terminé sa cigarette, il en entama une autre.

Et lorsque Remus lui tendit son sac à dos, Sirius le lui arracha presque des mains, le passa sur
son dos et se transforma en gros chien noir.

Il trotta loin devant son ami jusqu’à ce qu’ils aient finalement atteint les protections anti-
transplannages.

Une fois certain que Remus les avait lui aussi franchies, il redevint humain et transplanna
sans attendre les explications que le loup-garou ne semblait, de toute manière, pas bien pressé
de donner.

°°O°°O°°O°°O°°

« Mais qu’avez-vous dans la tête ? » grinça Granger. « Vous êtes aussi inconscient l’un que
l’autre ! »
Draco échangea un regard exaspéré avec Potter par-dessus la table des Serdaigles – un
moment de complicité qu’il aurait nié sous la torture – et tenta d’échapper aux doigts de la
jeune fille qui palpait l’hématome sur sa joue. Rien à faire, cependant, elle bloquait son
visage d’une prise de fer sur son menton.

« Tu aurais préféré que je laisse Malfoy se faire tabasser ? » s’enquit innocemment Potter,
légèrement moqueur.

« Je maîtrisais parfaitement la situation. » maugréa-t-il.

« C’est l’évidence même. » lâcha une voix familière dans son dos.

Un sourire ravi se peignit sur les lèvres d’Hermione et Ginny accueillit la nouvelle venue
avec une exclamation chaleureuse. Soulagé d’échapper à l’attention de Granger, Draco laissa
les filles se jeter sur sa cousine, croquant dans son toast sans se laisser perturber et ignorant
les regards curieux que leur jetaient les adolescents alentours.

À la table des professeurs, personne ne bougea. Draco en conclut donc qu’elle n’était pas là
par hasard et cela signifiait…

« Dis donc… » lança Tonks, en agrippant son épaule meurtrie. « Il me semblait avoir dit pas
de conneries. » Il dégagea délicatement son épaule. Toutefois, lorsqu’elle parut réaliser
qu’elle lui faisait mal, elle fronça les sourcils. « Tu as bien vu Madame Pomfresh, au
moins ? »

« Comment es-tu au courant ? » marmonna-t-il, appréciant peu le scandale qu’ils étaient en


train de causer. Se faire sermonner en public à la table du petit-déjeuner manquait
singulièrement de classe et l’expression triomphante de Granger – selon qui ils auraient
mieux fait d’immédiatement aller chercher un Professeur ou un des deux préfets-en-chef
plutôt que de rendre justice eux même – l’irrita au plus au point. Au moins, songea-t-il, elle
n’était pas vêtue de manière trop excentrique. Le jean bleu foncé, le corset vert sombre passé
sur un haut à manche longue violet foncé, le tout agrémenté d’une veste en cuir… Elle avait
certainement fait pire même avec la tête de mort qui ornait sa boucle de ceinture et les
cheveux marron souris qui encadraient son visage.

« J’ai reçu un hibou de Snape à l’aube. » grinça-t-elle. « Il m’a convoquée dans son bureau
pour parler de ton comportement. Tu sais ce que je déteste, Draco ? Arriver en retard au
boulot. Et tu sais ce que je déteste vraiment ? »

« Passer du temps en compagnie de Snape ? » suggéra-t-il, pince-sans-rire. « Je ne peux pas


te le reprocher, il n’a jamais été très drôle mais en ce moment il est sérieusement coincé. »

« Ce n’était pas la faute d’Harry et de Malfoy. » intervint Ginny, tout en découpant


efficacement une mandarine en quartiers. Elle en offrit la moitié à Granger.

Ce témoignage de bonne foi ne parut pas convaincre son Auror de cousine.

« Oh, vraiment ? » ironisa-t-elle. « Dans ce cas, c’est une erreur, pas vrai ? Ils n’ont pas
obligé trois garçons à passer la nuit enfermés dans une armoire ? »
« Ils ne l’avaient pas volé. » déclara simplement Potter.

Potter, qui, lui, n’avait pas été tiré du lit par un elfe de maison lui ordonnant de s’habiller au
plus vite et de se présenter dans le bureau de son Directeur de Maison pour répondre de ses
actes. Potter, à qui personne n’avait fait la morale pendant plus d’une demi-heure. Potter, qui
avait été tranquillement attablé avec leurs amis, ignorant avec détermination les remontrances
de plus en plus virulentes de Granger. À peine si McGonagall s’était arrêtée sur son chemin
vers la table des Professeurs pour lui ôter quelques points.

Le monde était injuste.

« Je n’en doute pas. » accorda sa cousine. « Mais retourner dans vos salles communes comme
si de rien n’était ? Je vous pensais un petit plus responsables que ça. Ou au moins plus
malins. Quitte à faire quelque chose dans ce genre, arrangez-vous au moins pour ne pas vous
faire attraper. Les enfermer dans une armoire… Vraiment ! Quelle idée ! Ne commettez
jamais de meurtre, vous vous ferez coincer en moins de deux. »

Il y eu un long silence à table puis Blaise, qui s’était jusque là tenu silencieux, eut une quinte
de toux qui ressemblait à s’y méprendre à un fou rire. Ginny explosa une seconde plus tard,
suivie de Potter, de Daphné qui, de l’autre côté de Blaise, avait hoché la tête tout du long du
discours réprobateur de Granger.

Inutile de dire que la Gryffondor fut la seule à ne pas partager l’hilarité générale bien qu’elle
dut lutter pour ne pas laisser percer un sourire amusé.

« Tu sais, Nymphadora… » observa Draco. « Je pense que tu as encore beaucoup à apprendre


en matière d’éducation. Toast ? »

Il lui tendit un toast encore chaud, débordant de beurre. Elle fixa le bout de pain du regard, le
dévisagea avec un air sérieux qui sonnait faux, puis leva les yeux au ciel et haussa les
épaules. Elle attrapa le toast, en croqua la moitié d’un coup de dents puis fit signe à Blaise de
se pousser afin qu’elle puisse s’asseoir avec eux.

« J’étais venue te passer le sermon du siècle. » marmonna-t-elle avec une contrarié certaine.

« Ne vous inquiétez pas, Hermione s’en ai déjà chargée. » répondit Daphné.

« Oh, tu peux me dire tu. » protesta sa cousine et, avant que Draco ait comprit ce qui était en
train de se passer, les présentations étaient expédiées et Tonks s’était intégrée au groupe
comme si elle en avait toujours fait partie. Elle lui vola son assiette et son gobelet et s’offrit
un petit-déjeuner aux frais de Poudlard. Si elle perçut les regards réprobateurs en provenance
de la table des professeurs, elle n’y prêta aucune attention.

« Merde ! » s’exclama-t-elle, au bout d’un long moment, avant de jeter un rapide Tempus.
« Oh, merde, je suis en retard, Snape va avoir ma peau… » Elle asséna à Draco ce qui devait
sans aucun doute être une bourrade amicale dans son imagination. « Tout ça, c’est ta faute. La
prochaine fois, tiens toi tranquille, cousin, ou alors ne te fais pas prendre. »

Il acquiesça, massant distraitement son épaule douloureuse.


Toute trace d’amusement disparut du visage de sa cousine.

« Vas voir Madame Pomfresh avant le début des cours. » ordonna-t-elle. « Je me fiche que tu
doives rater la première heure. » Elle jeta un coup d’œil à Potter, fit un rapide inventaire des
hématomes visibles sur le Survivant et pinça les lèvres. « Toi aussi, Harry. »

Elle ne s’éclipsa de la Grande Salle qu’après que Draco ait juré qu’il irait trouver la
Magicomage.

« Je l’aime bien. » décréta Daphné.

« Elle est géniale. » contra Ginny, avec un enthousiasme débordant.

« C’est certainement un personnage. » renchérit Granger.

« C’est un complot. » déclara Draco, pour ne pas être en reste.

Il fit face à cinq paires d’yeux dubitatives ou désarçonnées.

« C’est un complot. » insista-t-il. « Je suis la victime dans cette histoire et non seulement me
voilà tiré du lit à l’aube comme un criminel, forcé d’écouter Snape monologuer, et on sait
tous combien il aime s’écouter parler… »

« Un peu comme toi. » intervint Ginny, dans un soupir.

Il ne daigna pas se laisser distraire par une attaque aussi basse.

« Puis il convoque ma tutrice, sans aucun doute pour monologuer davantage. » continua-t-il.
« Et pendant ce temps, tout le monde félicite Saint Potter et le congratule en lui tapant dans le
dos. »

Loin de s’offusquer du titre moqueur dont il venait de l’affubler, Potter porta son gobelet de
jus de citrouille à ses lèvres et observa d’un air distrait la nuée d’hiboux qui venaient de
pénétrer dans la Grande Salle.

Ginny termina sa mandarine, retournant à son étude précipitée de son manuel de Sortilèges.

Granger s’était détournée pour conseiller un première année qui venait de l’aborder
timidement pour un problème quelconque.

Daphné corrigeait sa manucure de légers coups de baguette.

Quant à Blaise, il remuait les feuilles de thé collées au fond de sa tasse comme s’il cherchait à
y lire l’avenir – ou, plutôt, à éviter de faire cas des revendications pourtant justifiées de
Draco.

« Personne ne va relever l’injustice de la situation ? » insista-t-il.

Potter était désormais occupé à cajoler la chouette qui venait d’atterrir à côté de son assiette.
Ginny ne leva pas les yeux de son livre.

Granger lui tournait à présent complètement le dos.

Daphné semblait absorbée par ses ongles.

Blaise…

Il ne laissa pas le choix à Blaise. Il boucha la tasse de sa main et leva les sourcils, lui intimant
de répondre.

Il le regretta aussitôt lorsque son meilleur ami, loin de se laisser intimider, offrit avec un
grand sourire : « Tu sais… C’est comme ça que ces vilaines rumeurs sur ton obsession pour
Potter se répandent… »

Et ce coup-ci, ces traitres d’amis éclatèrent tous de rire comme s’ils n’avaient tous prétendus
être trop occupés pour entendre ses doléances.

Ramassant les morceaux épars de sa dignité, Draco se leva et alla rejoindre Weasley, Brown,
Lovegood, Londubat et Habbot à la table des Poufsouffles, espérant y trouver davantage de
compassion.

°°O°°O°°O°°O°°

« Pourquoi Miss Tonks est-elle ici ? » s’enquit discrètement Albus, en se penchant vers sa
sous-directrice.

Autour d’eux, les professeurs continuèrent leur repas, inconscients des sortilèges qui les
empêchaient de suivre cette conversation en particulier. Non qu’Albus ait prévu de confier
quelques informations sensibles à Minerva mais il préférait généralement s’assurer que leurs
discussions demeurent entre eux. Les rumeurs, dans cette école, circulaient plus vite que la
grippe en hiver.

Loin de lui prêter l’attention qu’il aurait désirée, Minerva continua de sucrer son gruau
matinal. Elle le battait froid depuis quelque temps, plus longtemps qu’il n’aimait l’admettre,
d’ailleurs. Leurs rares querelles étaient généralement courtes et il parvenait à se faire
pardonner ses fautes assez facilement. Toutefois, la bouteille de scotch hors d’âge qu’il lui
avait portée avec été accueillie d’un simple « merci », le livre d’une édition rare sur la
Métamorphose des fluides qu’il lui avait offert avait remporté un plus franc succès mais si
elle s’était fendue d’un sourire, elle avait pourtant continué à bouder leur partie d’échecs
hebdomadaire.

Minerva McGonagall le battait froid et Albus, qui était habitué à ce qu’elle lui accorde sa
pleine attention et s’en remette à lui pour toute chose, détestait cela.

« Minerva… » plaida-t-il, en l’observant par-dessus ses lunettes en demi-lunes.

« Cessez de me dévisager avec vos yeux de chien battu, Albus. » le pria-t-elle avec
agacement. « Tonks est ici parce que Potter et Malfoy se sont battus avec des septième année
et qu’elle est responsable du jeune Malfoy. »
« Harry s’est battu avec des septième année ? » releva-t-il, en levant les sourcils. « Et
pourquoi donc ? »

« Pourquoi donc… » répéta-t-elle en grommelant. « Parce que ce garçon semble penser qu’il
lui incombe de rectifier tous les torts. »

Elle lui résuma les faits de manière concise et Albus se rasséréna.

« Il ne s’est donc pas tant battu qu’il est venu en aide à un camarade. » corrigea-t-il.

Minerva cessa de remuer son porridge pour le fusiller du regard.

« Puis au lieu d’aller avertir un professeur, il a enfermé leurs agresseurs dans une armoire,
avec l’aide de Malfoy, où ils ont passé la nuit. » insista-t-elle. « N’envisagez pas de le
récompenser pour une telle idiotie. Je lui ai ôté des points. Étant donné la nature de l’affaire,
je juge la punition suffisante. Que le Professeur Snape ait choisi de convoquer la tutrice de
son élève le regarde. »

Albus préféra ne pas relever ce dernier point, baladant son regard affûté aux quatre coins de
la Grande Salle. Il était agréable de voir toutes les Maisons réunies. Bien que le vert
prédominât toujours à la table des serpents, les couleurs se mélangeaient. S’il devait tirer une
seule fierté de son temps en tant que Directeur de Poudlard, ce serait sans doute l’union
nouvelle des Maisons. La période n’était pas à la ségrégation que la compétition amicale
entre les disciples de Gryffondor, Poufsouffle, Serdaigle et Serpentard engendrait.

Ses yeux bleus s’arrêtèrent sur Harry et pétillèrent de plaisir en le voyant discuter vivement
avec Tonks qui s’était attablée avec les élèves avec un naturel désarmant. Il était bon de voir
le garçon abandonner la morosité qui semblait lui coller à la peau dernièrement.

Albus mit cela sur le compte de cette bagarre. Clairement, l’adolescent avait besoin de se
sentir mis à contribution et l’entraînement de Remus ne portait pas les fruits que le vieux
sorcier avait escomptés. Les rapports du loup-garou étaient élogieux et inquiets tout à la fois.
Harry était un excellent duelliste, mais trop sûr de lui et, à entendre l’ancien Professeur de
Défense, trop prompt à jouer l’offensive.

Ils étaient en guerre, il était sans doute préférable que le Survivant sache se défendre
correctement. Il craignait, cependant, que l’enseignement de Severus ne l’ait encouragé vers
une approche trop… Serpentard du combat où la fin justifiait les moyens. Et, bien qu’il n’y
ait certes aucun mal à employer tous les moyens nécessaires pour survivre lors d’une bataille,
Albus se plaisait à penser qu’il ne fallait pas pour autant se défaire d’une certaine éthique.
Les mages noirs et leurs partisans étaient souvent des sorciers et sorcières qui avaient rejeté
toute trace de morale.

« Miss Tonks semble regretter les jours de sa scolarité. » remarqua-t-il négligemment. « Elle
est souvent sur le domaine… »

La cuillère cogna contre le bord du bol dans un tintement d’acier et de faïence.


« Que cherchez-vous, Albus ? » demanda ouvertement la Directrice des Gryffondors, en le
dévisageant avec attention.

« Vous me peinez, Minerva. » offrit-il, tout aussi honnêtement.

« Vous m’en voyez désolée. » répondit la sorcière, plus âprement que nécessaire. « Il se
trouve que j’apprécie la compagnie de Tonks. Cela vous pose-t-il problème qu’elle me rende
régulièrement visite ? »

Le mensonge était limpide comme de l’eau de roche. Il n’eut même pas besoin d’user de
Légilimencie. Il la connaissait trop bien.

« Absolument pas. » nia-t-il.

Que Severus, Minerva et Tonks mènent leur enquête. Peut-être débusqueraient-ils cet espion,
qui l’éludait toujours, plus vite que lui. Il avait, de toute manière, prévu de confier cette
mission là au Maître des Potions. Enfin… Avant de voir l’état apocalyptique de ses défenses
mentales.

Qu’ils se soient rendus compte que quelqu’un au sein de l’Ordre livrait des informations à
l’ennemi et aient entrepris de le démasquer ne le dérangeait pas. Qu’ils aient choisi de lui
dissimuler les faits et agissent dans l’ombre, en revanche, lui déplaisait.

Et il n’était pas bien difficile de deviner qui donnait les ordres…

« L’heure n’est pas à la division, Minerva. » rappela-t-il doucement, en découpant d’un geste
précis un bout de son œuf au plat avec sa fourchette. « Rien ne pourrait nuire davantage à
l’Ordre que des factions qui s’affronteraient en son sein. »

La sorcière fronça les sourcils et continua à manger son gruau, fronçant les sourcils pour
méditer cet avertissement pour le moins explicite.

« Il n’est pas question de lutte de pouvoir. » rétorqua-t-elle. « Toutefois, il serait peut-être


temps que le Conseil devienne véritablement un Conseil. Pourquoi l’appeler ainsi lorsque
vous êtes seul à prendre les décisions ? Nous avons déjà un tyran au Royaume-Uni, Albus, je
pense que cela est amplement suffisant. » Elle abandonna sa cuillère dans le bol encore à
moitié plein et se leva. « Si vous voulez bien m’excuser, l’un de nous doit s’assurer que cette
école fonctionne encore et une mer de papiers à signer m’attend. »

« Je serais dans mon bureau toute la matinée. Envoyez-moi ce qui vous encombre. » offrit-il.

« Ne retournez-vous pas au Ministère ? » s’enquit-elle avec surprise, s’immobilisant près de


sa chaise. Filius lui jeta un coup d’œil curieux qu’elle ne vit pas. « Je pensais que le
Magenmagot… »

« Le Magenmagot ne se décide pas à se passer de Détraqueurs et Lucius Malfoy l’encourage


fortement à s’opposer à mes propositions de mesures préventives. » coupa-t-il, dans un soupir
las. « Les Détraqueurs sont la seule garantie que les prisonniers toujours détenus à Azkaban y
restent, prétend-il. »
Lucius était un excellent politicien. Il était regrettable qu’il œuvre pour le camp adverse.

Enfin, officiellement du moins.

« Le Ministre s’adressera à eux dans la journée mais j’ai peu d’espoir. » conclut-il.

Minerva pinça les lèvres et secoua la tête.

« Fous, tous autant qu’ils sont. » commenta-t-elle.

« Espérons juste que leur folie ne signera pas notre perte à tous. » déclara-t-il.

°°O°°O°°O°°O°°

Cela faisait longtemps que Remus n’avait pas visité Pré-au-Lard de bon matin. Depuis son
temps en tant que Professeur de Défense probablement. Il regrettait souvent cette période… Il
n’avait jamais été aussi heureux qu’à Poudlard, en tant qu’élève d’abord, et puis, par la suite,
comme enseignant.

Était-ce la transformation harmonieuse de la nuit dernière qui influait sur lui ?

Malgré la douleur lancinante dans ses os et ses muscles, contrecoup naturel de toute
transformation loup-garou, il se sentait bien, en paix avec lui-même, comme si un voile
s’était levé. Pour la première fois depuis des années, le loup ne raclait pas à la porte de son
âme de ses longues griffes aiguisées. La porte était finalement ouverte et Lunard n’était pas
loin.

Le pâle soleil lui paraissait plus brillant, il appréciait l’air vif qui lui piquait la peau, humait
l’air qui sentait bon le pain chaud, se réjouissait de l’agitation matinale qui animait le
village…

Seul ombre noire au tableau : Sirius marchait deux pas devant lui, les mains enfoncées
profondément dans les poches de sa veste en cuir, le dos raide.

Son meilleur ami était contrarié, ne comprenait pas… Le loup se serait ébroué de
mécontentement face à ce manque de respect envers la hiérarchie de la meute mais Remus
ravala son agacement, capable de rationaliser le comportement de l’Animagus.

Sirius n’était pas un loup-garou et certaines choses éludaient ceux qui n’avaient jamais été
mordus. Parfois, elles éludaient même les lycanthropes. Laura avait si bien résumé les choses
plus tôt… Il y avait un pouvoir dans la meute et s’il en avait eu un aperçu à l’époque des
Maraudeurs, il n’y avait véritablement goûté que cette nuit là, lorsqu’il avait marqué Laura.

Remus s’était toujours considéré comme un suiveur. Trop timide, trop blessé par la vie, trop
certain de sa propre monstruosité… Il n’était pas un écorché vif comme Sirius et ne s’était
jamais rabaissé en permanence comme Peter avait l’habitude de le faire. James l’avait ébloui
de sa confiance en lui, de sa fraicheur et de sa bonne humeur, comme il avait ébloui les deux
autres. Jamais il ne lui serait venu à l’esprit de chercher à prendre le contrôle de leur petite
bande durant leur adolescence… James était le chef, James était l’Alpha et Sirius le
secondait. Cela avait toujours été clair dans sa tête comme dans celle du loup.
Il était sans doute incongru qu’un loup-garou se soumette à un cerf mais cela avait toujours
paru naturel à Remus.

Et puis, inévitablement, la meute l’avait rejeté. Qui avait été le premier à douter de lui ?
James ou Sirius ? Il ne s’était jamais décidé à poser la question. Les mensonges que Peter
savait si bien distiller en petites doses avaient sans aucun doute fait leur effet. Ils étaient
devenus distants, s’étaient petit à petit détachés de lui, lui avaient fait sentir qu’il n’était plus
le bienvenu…

Il était redevenu un loup solitaire.

Laura avait raison, toutefois, les loups solitaires étaient malheureux, dépérissaient plus vite
que ceux qui choisissaient de vivre ensemble. Avant que Greyback ne réunissent tous les
loups sous sa bannière, il y avait eu quelques communautés au Royaume-Uni, des enclaves
d’une dizaine de loups qui vivaient ensembles et ne s’en portaient pas plus mal.

Lunard l’avait aidé à réaliser son désir latent pour une nouvelle meute, quelque chose de
semblable à ce qu’il avait connu durant son adolescence. Il avait un temps nourri l’espoir que
l’Ordre pourrait lui apporter cette sensation d’appartenance à quelque chose de plus grand
que lui mais il avait déchanté très vite. Si l’Ordre était une meute, Dumbledore y régnait en
maître et Remus avait fini de se soumettre.

« Sirius. » lâcha-t-il, lorsqu’ils eurent dépassé les limites du village et qu’il s’engagèrent sur
le chemin qui menait à Poudlard. L’appel claqua comme un ordre dans l’air froid. Laura
aurait détecté la note autoritaire et se serait instinctivement arrêtée, l’Animagus ne l’entendit
pas ou choisi de l’ignorer.

Pour Sirius, il n’était pas un Alpha, il ne méritait ni obéissance, ni respect, ni


reconnaissance…

À peine sa méfiance.

Il ne fallait pas croire qu’il n’avait pas remarqué le manège de son ami. Les recherches qu’il
refusait de partager avec lui, les messes-basses avec Severus, la rancune tenace qu’il vouait à
Albus et l’accusation tacite envers lui qui prenait un peu trop souvent le parti du Directeur…

Il n’était pas aveugle, il voyait bien que, bien qu’ils s’acharnaient tous les deux à prétendre le
contraire, leur complicité d’antan était fugace au mieux et feinte au pire. Ils avaient des bons
jours et des mauvais. Des jours où il était facile d’imaginer que rien n’avait changé et
d’autres où la trahison de James et Sirius revenait le hanter comme un coup de poignard en
plein cœur.

Remus aimait Sirius comme un frère.

Mais les choses étaient différentes et il refusait d’être à nouveau le bon copain qui le suivait
dans toutes ses bêtises. Douze années passées à se débrouiller seul lui avaient donné un goût
d’indépendance. Sans parler du fait que le jugement de Sirius laissait grandement à désirer…

« Sirius, tu vas t’arrêter, oui ? » gronda-t-il.


Il fut presque étonné que son ami ne tique pas. Pour lui, l’écho de Lunard dans sa voix était
tonitruant. Il lui faudrait parler à Severus. Cette nouvelle version de la potion Tue-Loup était
révolutionnaire. Elle allait changer la vie de tous les loups-garous. Ne serait-il d’ailleurs pas
plus juste de parler de Révèle-Loup ? Il lui faudrait suggérer le nom. Le Maître des Potions
était certain de se faire un nom avec cette découverte – non qu’il ait besoin de se faire un
nom. Remus soupçonnait que s’il avait pu se consacrer davantage à ses recherches qu’aux
activités de Voldemort, il serait probablement déjà réputé dans tout le monde magique
comme un des potionistes les plus brillants de leur époque.

« Ou sinon quoi ? » riposta son ami, alors qu’il dépassait l’imposante ruine de la Cabane
Hurlante. « Tu vas me punir comme un bon chef de meute, peut-être ? Je tremble de peur,
Remus. » Il continua à avancer à longues enjambées sans aucun égard pour le loup-garou et
son corps éreinté d’avoir été malmené par la pleine lune. À peine daigna-t-il lui jeter un coup
d’œil par-dessus son épaule. « C’est dégueulasse, ce que tu as fait à cette fille.
Dégueulasse. »

« Nous avons besoin de cette potion. » lui rappela-t-il, sans élever la voix. Élever la voix,
lorsque Sirius était déjà en train de s’époumoner, ne servait à rien.

Le ricanement amer de l’Animagus raisonna dans l’air vif.

« Et ça justifie tout ? » s’enquit Sirius.

« Malheureusement, cela justifie beaucoup. » répondit-il , dans un haussement d’épaules.


« Les guerres ne se gagnent pas avec des bons sentiments, ce n’est pas à toi que je vais
l’apprendre. Crois-moi, cela ne me plait pas d’avoir dû lui ordonner de repartir chez
Greyback. »

Cela ne lui plaisait même pas du tout.

L’élan possessif s’éleva en lui comme un ras-de-marré qui alla s’écraser sur son sens du
devoir. Laura était sous sa responsabilité désormais : c’était à lui de la protéger, à lui de faire
en sorte que leur meute reste entière, saine et sauve, à lui de s’assurer qu’aucun danger n’en
menace ses membres… La renvoyer au cœur du danger le mettait mal à l’aise pour ne pas
dire que cela déchirait son cœur de loup.

« Ah, oui ? » se moqua Sirius sans tendresse. « Pourtant, ça ne se voyait pas. » L’Animagus
ralentit finalement suffisamment pour pouvoir le scruter de ses yeux gris. « Fais attention,
Lunard, tu ressembles de plus en plus à Dumbledore. »

« Est-ce un mal ? » demanda-t-il, connaissant d’avance la réponse.

Dans la bouche de n’importe qui d’autre, cela aurait été un compliment. Dans celle de Sirius,
toutefois, cela prenait la forme d’une accusation.

« À toi de voir. » répliqua son ami.

Ce fut tout ce qu’il consentit à lui dire.


Lorsqu’ils atteignirent les grandes grilles de Poudlard et qu’Hagrid vint leur ouvrir, tout
sourire, Sirius choisit de ne pas l’accompagner faire son rapport auprès de Dumbledore.

°°O°°O°°O°°O°°

Les cachots n’avaient jamais été sa partie favorite de l’école bien qu’elle y ait passé du temps
à l’époque où elle sortait avec un joueur de Quidditch de Serpentard. Elle remonta les
couloirs d’un pas pressé, laissant sa main trainer sur la pierre humide des murs et se
demandant vaguement ce qu’il était advenu de Terry Brooks. Il lui semblait avoir entendu
dire qu’il avait été un temps remplaçant pour les Pies de Montrose. Un des seuls titres de
gloire de ce club était d’avoir Terrens pour Poursuiveur et Capitaine – plus pour longtemps,
cependant, il devait approcher l’âge de la retraite, à présent…

Il était impératif qu’elle se remette à jour sur les dernières nouvelles du monde du sport. Sans
Charlie pour lui livrer les derniers potins croustillants sur tel ou tel joueur qu’ils trouvaient
tous les deux mignon, Tonks avait délaissé cette partie de la communauté magique.

Elle jeta un Tempus et pressa le pas, esquivant un groupe de Serpentards de deuxième année,
qui lui jetèrent des regards curieux. Elle était en retard et Snape allait la trucider. Et, pour
couronner le tout, lorsqu’elle aurait terminé de se faire sermonner par le Professeur sur son
manque de ponctualité, il lui faudrait se rendre au Ministère où elle subirait de nouvelles
remontrances de la part de Fol’Œil qui n’appréciait ni les retards impromptus, ni le fait
qu’elle ait endossé la tutelle de Draco Malfoy.

Elle imaginait déjà le discours ponctué de « je te l’avais bien dit, gamine » qu’il allait lui
débiter dès qu’elle aurait mis un pied dans son bureau. Réintégrer son ancien mentor n’avait
pas peut-être pas été une idée aussi judicieuse qu’elle l’avait crue de prime abord. Kingsley
n’avait rien trouvé à y redire pour l’instant mais, dans quelques temps, lorsqu’il se serait lassé
que Maugrey commente chacune des décisions qu’il prenait en tant que chef du Département
des Aurors…

Elle se retrouva face à la porte du bureau de Snape et s’interdit toute nervosité. Elle n’était
plus une adolescente boutonneuse que l’on convoquait pour lui taper sur les doigts. Elle ne
nourrissait, de toute manière, aucune illusion sur le fait que cette rencontre ait quoi que ce
soit à voir avec les frasques de son cousin. L’excuse était toute trouvée et probablement plus
pratique pour lui que de courir Londres pour la trouver et lui donner des nouvelles de leur
chasse à la taupe.

Sans plus réfléchir, elle frappa.

Et n’obtint aucune réponse.

« Ce ne sont pas ses heures de réception. » offrit timidement une première année, en passant
derrière elle. La fillette s’enfuit sans demander son reste en direction des étages, laissant
Tonks se mordre la lèvre avec agacement.

Il l’avait faite venir jusqu’en Écosse, elle n’allait pas se contenter d’une porte close.
Elle frappa plus fort, essaya la poignée qui refusa de tourner, et fusilla l’épais panneau de
chêne du regard.

« Alohomora. » siffla-t-elle, après avoir vérifié à droite et à gauche que la voie était libre.

Le sort ricocha si brusquement qu’elle eut à peine le temps de l’esquiver.

De mécontentement, elle faillit taper du pied et ne se retint qu’au tout dernier moment.

« Si vous croyez que je vais vous chasser dans tout Poudlard… » marmona-t-elle. « Si cette
porte ne s’ouvre pas dans les dix prochaines secondes, je la fais exploser. »

Parler tout seul n’était pas plus recommandé chez les sorciers que chez les Moldus et,
pourtant, comme si la porte avait compris la menace, elle bascula, la laissant libre de pénétrer
à l’intérieur, ce qu’elle fit avec prudence. Le battant se referma immédiatement dans son dos
et se verrouilla dans un clic nettement audible.

La pièce était vide. Elle n’était pas plus avancée.

Avec un soupir exaspéré parce qu’elle détestait perdre son temps à peu près autant que de se
retrouver en Écosse au petit matin, elle se laissa tomber sur un des deux sièges qui faisaient
face à l’imposant bureau. Dans un geste revanchard qu’elle n’était pas certaine qu’elle aurait
totalement assumé si Snape avait décidé d’apparaître à ce moment là, elle s’avachit, posa les
pieds sur le bureau et les croisa à la cheville.

Ce fut comme ça qu’elle remarqua le passage dérobé qui, elle en était sûre, n’était
habituellement pas ouvert.

Choisissant de prendre cela comme une invitation, elle se leva et s’engouffra dans l’étroit
couloir de pierres nues et lisses qui s’enfonçait dans les profondeurs du château. À chaque
pas, elle devait faire attention de ne pas glisser sur les pavés humides – ce passage n’avait pas
été créé en pensant aux personnes maladroites. Une odeur de vase lui assaillit les narines et
elle en déduit qu’elle était sous le lac.

Au bout de cinq minutes, le silence se troubla de légers bruits et l’odeur de vase laissa place
au parfum entêtant de plantes séchées. Quelques minutes de plus et elle débouchait dans une
pièce aux larges proportions qui était sans conteste un laboratoire et, plus précisément,
supposa-t-elle, le laboratoire privé de Severus Snape.

Bien entendu, il y avait une porte tout à fait banale qui, nul doute, menait sur un couloir
moins glissant. Pourquoi les hommes étaient-ils toujours obligés de chercher la
complication ?

« Ne possédez-vous donc pas de montre, Nymphadora ? » cingla-t-il.

Elle ne prit même pas la peine de le corriger. Comme Charlie, il semblait prendre un malin
plaisir à utiliser son prénom uniquement pour la contrarier.

Severus se tenait derrière une longue table de travail, ses sur-robes étaient accrochées à une
patère près de l’entrée et, sans elles, il paraissait moins imposant, plus humain en quelque
sorte. L’effet n’était pas aussi déconcertant que de le voir porter une tenue moldue mais
c’était sans conteste surprenant. Elle se surprit à le détailler plus attentivement, ses yeux gris
s’attardant là où ils ne s’étaient jamais attardés auparavant.

Luttant contre le rouge qui voulait lui monter aux joues, elle se concentra plutôt sur ce qu’il
était en train de fabriquer. Trois chaudrons bouillonnaient sur sa droite, il était penché sur un
bouquet d’herbes qu’il était en train de hacher menu. Ses gestes étaient tout aussi minutieux,
élégants et précis que dans son souvenir. Elle observa ses mains, reconnaissant le talent et
l’habileté qui faisaient de lui un Maître des Potions renommé, et puis s’appuya contre le mur,
bras croisés.

« La prochaine fois, expliquez-moi, ça ira plus vite. » rétorqua-t-elle.

« Il vous suffisait de demander à ce que la porte vous laisse entrer. » répliqua-t-il, en levant
les yeux au ciel.

« Eh ben, tiens ! » s’exclama-t-elle. « Et vous croyez que je suis devin, peut-être ? »

Il lui jeta un de ses regards courroucés dont il avait le secret et qui faisaient glapir d’effroi
tous les élèves et quelques professeurs de Poudlard.

Elle ne daigna pas ciller.

C’était comme un hippogriffe, décida-t-elle, soit on s’imposait, soit on se faisait piétiner. Elle
n’avait aucune intention de se faire piétiner.

« Je ne goûte guère votre ton. » siffla-t-il.

« Goûtez ce que vous voulez, ça m’est bien égal. » riposta-t-elle.

Ils se fusillèrent du regard quelques secondes, puis elle s’approcha de la table, curieuse des
ingrédients à l’aspect incongru qu’elle ne reconnaissait pas.

« Et puis, d’abord, qu’est-ce que vous faites ? » demanda-t-elle, jetant un coup d’œil à la
mixture bleu qui bouillonnait doucement dans un des chaudrons. « Je vous préviens, si c’est
illégal, je vous arrête. »

« Me croyez-vous suffisamment stupide pour avouer un crime potentiel à une Auror ? » se


moqua-t-il, avec assez de condescendance pour qu’elle se sente idiote.

Tâchant de dissimuler son trouble, elle se percha sur un des tabouret de l’autre côté du plan
de travail.

« Vous seriez surpris de tout ce qu’un homme peut avouer par orgueil. » se moqua-t-elle.

Il lui était arrivé plus d’une fois dans sa carrière de voir un criminel se confesser pour avoir
l’air intelligent ou impressionner son auditoire.

« J’espère avoir plus de jugeote qu’un vulgaire sorcier ordinaire. » répliqua Severus.
« Et voilà l’orgueil. » triompha-t-elle, dans un sourire amusé.

Il ouvrit la bouche, certainement sur le point de se lancer dans une de ses diatribes mordantes,
puis la referma et inclina la tête en signe de défaite.

« Si l’orgueil est mon défaut, Nymphadora, le vôtre est votre entêtement. » déclara-t-il.

« Têtue comme une mule, c’est ça l’expression. » offrit-elle, en fouillant ses poches à la
recherche d’une élastique. Il faisait chaud dans le laboratoire et ses cheveux
l’encombraient. « Alors, vous faites quoi ? »

Il la dévisagea quelques secondes puis eut un haussement d’épaules négligeant.

« Je tente de créer une potion qui stopperait les effet de l’Endoloris. Ou, tout du moins, les
ralentirait. » expliqua-t-il.

Elle fronça les sourcils. « Sur le moment ou après-coup ? »

Elle mit finalement la main sur une élastique qui trainait au fond de la poche de son jean et
attacha ses cheveux en une queue de cheval haute, s’assurant, dans un sursaut de vanité, qu’il
n’y ait aucune bosse sur son crâne.

« Après-coup. » confirma Severus, en envoyant remuer un des trois chaudrons d’un coup de
baguette. « Les dommages que le maléfice cause aux nerfs sont importants et, dans la plupart
des cas, irréversibles. »

« Si vous réussissez, cela pourrait changer la vie de plus d’un patient de Sainte
Mangouste… » remarqua-t-elle.

Il parut amusé par ce commentaire.

« Ne me prêtez pas des buts altruistes. » protesta-t-il. « Ma recherche est purement égoïste, je
le crains. Et, récemment, ma seule distraction… »

Il amorça le geste de se frotter les yeux, s’interrompit avant de provoquer un contact et alla se
rincer les mains à l’évier qui se trouvait sur la gauche. Il utilisa le savon trois fois avant de
finalement s’essuyer sur un torchon et de se frotter le visage. Qu’il ait failli commettre une
telle erreur, lui qui était si pointilleux sur la sécurité, parut à Tonks un signe évident de son
épuisement.

« Je ne vous ai pas faite venir pour parler de potions. » reprit-il, plus sérieusement. « J’ai une
mission pour vous. »

Elle se demanda si elle parviendrait un jour à avoir une soirée à elle. Depuis quelques temps,
lorsqu’elle n’était pas au travail ou en planque pour le travail, elle était envoyée en mission
de surveillance ou de reconnaissance pour l’Ordre, et quand elle avait quelques heures de
libres, elle enquêtait sur Fletcher.

« Tant que ça ne consiste pas à arpenter Pré-au-Lard à la nuit tombée… » grommela-t-elle.


Que Poudlard doive être surveillé, tout le monde en convenait. Pourquoi elle, en particulier,
était forcée de se geler les fesses toute la nuit à la recherche d’éventuels Mangemorts, elle
n’en était pas sûre. Sans doute parce que c’était Remus qui était chargé de répartir les
missions de surveillance et que Pré-au-Lard était un poste facile qui ne présentait à priori
aucun danger.

« Le stock de potions du Square Grimmaurd n’a pas été saboté. » lui apprit Severus, en
faisant léviter les herbes qu’il venait de hacher dans le plus gros des chaudrons. « Toutefois,
Minerva a aperçu quelqu’un dans le laboratoire, quelqu’un qui a sans conteste préparé une
potion avant de quitter les lieux en prenant soin de ne pas être vu. Il est regrettable pour lui
qu’il n’est pas pensé à se méfier du chat tapi dans le coin de la pièce… »

Le mépris était évident dans la voix de Severus et Tonks compris qu’il considérait l’homme
comme un amateur peu digne de son temps.

« Je doute que tout cela ait un rapport avec notre espion mais je souhaite m’en assurer. »
déclara-t-il. « Il va vous falloir surveiller Bill Weasley. »

De tous les noms possibles, elle n’avait pas été préparée à entendre celui de Bill.

« Vous vous moquez de moi. » l’accusa-t-elle.

« Ai-je l’air d’avoir du temps à perdre en farces ? » grinça-t-il, sans quitter le chaudron qu’il
remuait des yeux. « Minerva a distinctement vu Weasley se servir du laboratoire. Il nous faut
l’éliminer de notre liste de suspects. »

Elle secoua la tête, incapable d’intégrer ce qu’il était en train de dire. « C’est Bill. »

« Et bien, Bill prépare des potions dangereuses dans le laboratoire du Q.G. pour une raison
mystérieuse que je préfèrerai connaître avant qu’elle ne revienne nous hanter plus tard à un
moment fort inopportun. » Les mots claquèrent dans la pièce avec tant de force qu’il sembla à
Tonks qu’ils rebondissaient sur les murs. « Pouvez-vous enquêter ou non ? »

« Je suis censée aller chercher Charlie et Anthony à l’hôpital, ce soir. » répliqua-t-elle. « Je


suis censée les ramener chez eux. Charlie est mon meilleur ami et vous êtes en train de me
dire que vous soupçonnez son frère ? Arthur a été tué par des Mangemorts, le… »

« Précisément. » la coupa-t-il froidement. « Arthur Weasley a été assassiné par des


Mangemorts. Combien de Weasley reste-t-il que le Seigneur des Ténèbres pourrait utiliser
comme moyen de pression ? Cessez de penser que tout dans la vie est affaire de convictions,
Nymphadora, rares sont les hommes suffisamment fous pour mourir par idéalisme. La plupart
sont simplement pragmatiques. »

« Comme vous ? » ricana-t-elle, presque cruellement. « Si vous ne croyez en rien, pourquoi


être devenu un Mangemort ? Pourquoi travailler pour l’Ordre ? Ne me dites pas que c’est par
simple pragmatisme. Si c’était le cas, vous vous seriez déjà tiré aux îles Fidji. »

Les yeux noirs se plantèrent dans les siens, suffisamment intenses pour qu’elle se prépare
instinctivement à une attaque qui ne vint pas. L’espace d’un instant, elle crut qu’il allait se
confier, expliquer ses mystérieuses raisons que Dumbledore et lui étaient si déterminés à
taire. Pourtant, elle ne fut pas particulièrement surprise de le voir s’en tirer d’une boutade
sarcastique.

« Je n’aime guère le soleil. » lâcha-t-il.

Elle fut tentée d’insister mais devina qu’il valait mieux laisser couler pour mieux revenir à la
charge plus tard.

« D’accord. » capitula-t-elle. « Je vais le faire. Mais juste pour vous prouver que vous avez
tort et que Bill n’est pas un traître. »

« Faites en sorte de ne pas vous faire remarquer. » la mit-il en garde. « Quelles que soient ses
raisons pour fabriquer de telles quantités de potion, qu’il soit mauvais potioniste ou qu’il les
sabote à dessein, nous ne pouvons exclure la possibilité qu’il soit impliqué dans quelque
chose de dangereux… »

« Je peux me défendre. » soupira-t-elle, lasse de devoir se justifier.

« Quand bien même. » grommela-t-il. « Vous vous révélez une alliée efficace, je détesterai
avoir à vous remplacer. »

Un sourire amusé naquit sur les lèvres de la jeune femme. « C’était presque un compliment,
ça, Severus. »

« Ne vous y habituez pas. » grimaça-t-il, sans la regarder en face.

Il fixait ses chaudrons avec une concentration exagérée et Tonks croisa les jambes tout en
l’observant, se demandant comment quelqu’un en arrivait à un tel degré de renfermement sur
lui-même qu’il n’était pas capable d’offrir le moindre compliment sans immédiatement s’en
dédire de peur d’avoir l’air un tant soit peu sociable. Quoi qu’elle avait sa petite idée… Les
Maraudeurs avaient fait de son adolescence un enfer et, à voir la manière dont la plupart des
gens parlaient de lui, que ce soit dans son dos ou en face, l’enfer était loin d’être terminé. Il
avait très peu d’amis et devait se sentir extrêmement seul.

« Ce serait plus simple si je pouvais me transformer. » soupira-t-elle, pour couper court à


l’étrange malaise. « Bill me connait bien. Le filer sans me faire repérer va être compliqué. »

Il releva la tête, avec une expression étonnée. « Êtes-vous donc toujours incapable de
contrôler vos pouvoir de Métamorphomage ? »

« Vous croyez que je me baladerai avec cette couleur de cheveux si je pouvais les
contrôler ? » se lamenta-t-elle, non sans amertume. « Ils ont disparu. Je dois me faire une
raison. »

Severus fronça les sourcils et, d’un coup de baguette, mis les chaudrons en stase pour mieux
se concentrer sur le problème. Il l’étudia comme il étudiait ses ingrédients et cela la mit mal à
l’aise.

« Avez-vous consulté un spécialiste ? » s’enquit-il. « D’où semble venir le problème ? »


« J’ai perdu mes pouvoirs, le voilà le problème. » railla-t-elle.

Il pinça les lèvres avec agacement. « On ne cesse pas d’être Métamorphomage, Nymphadora.
Un aveugle ne recouvre pas la vue sans raison, un sourd ne se met pas à entendre du jour au
lendemain et un Métamorphomage ne perd pas ses pouvoirs. »

Elle prit une profonde inspiration and haussa les épaules.

« Les Médicomages disent que c’est un blocage et qu’ils ne peuvent rien faire. » lâcha-t-elle
d’un ton morne. « Ils ont dit que je devais me détendre mais j’ai essayé la relaxation, le yoga
et toutes ces conneries et ce n’est vraiment pas pour moi. Sans compter que ça ne marche
pas. »

Il réfléchit au problème quelques secondes et fit distraitement le tour du plan de travail. Elle
le regarda approcher sans sourciller.

« Qu’en est-il de l’Occlumencie ? » demanda-t-il. « Cela requiert une certaine maîtrise de la


relaxation, sans parler d’une totale maîtrise de l’esprit. Vous êtes prometteuse. Avez-vous
tenté d’utiliser ce médium pour déterminer l’origine du blocage ? »

Ça ne lui était pas venu à l’idée. Elle fronça les sourcils. « Vous pensez que ça pourrait
marcher ? » Elle tenta de ne pas se faire de faux espoirs mais la possibilité d’une solution fit
battre son cœur deux fois plus vite. Son optimisme ne dura qu’une poignée de secondes. « Je
ne saurais pas comment faire… »

Severus sembla hésiter quelques secondes puis approcha plus près, assez près pour effleurer
son menton du bout des doigts. Le contact, pourtant léger, la prit de court et la choqua
presque jusqu’à ce qu’elle comprenne ce qu’il désirait. Sans plus tergiverser, elle leva la tête
et croisa son regard en une permission tacite.

« Dirigez vos pensées vers le moment où vous avez perdu vos pouvoirs. » exigea-t-il, avant
de pénétrer dans son esprit.

Le souvenir se déroula immédiatement dans sa tête, comme une pelote de laine sur laquelle
on aurait tiré.

La Nuit des Ténèbres. Les cellules du Ministère. Sirius derrière des barreaux, paniqué comme
un animal en cage, terrifié à l’idée de retourner à Azkaban… La fatigue qui pesait sur ses
épaules, son corps courbaturé par une nuit passée à se battre, des blessures qu’elle n’avait
pas pris la peine de soigner, la douleur lancinante dans sa poitrine qui n’avait rien à voir
avec un quelconque maléfice…

« J’ai brisé pas mal de cœurs en mon temps, Tonks. » plaisanta Sirius, trop paternaliste à son
goût. « Je n’ai pas pour habitude d’avoir une seule conquête, tu verras quand je sortirai de
ce trou à rats… Et puisque on en est aux confidences, puis-je te dire que cette couleur de
cheveux ne te va pas du tout ? »

Étonnement, d’abord.
Curiosité face à cette impossibilité de se transformer qui était sans précédent.

Puis la panique.

La panique qui la prit une nouvelle fois à la gorge, le désespoir, la terreur…

Instinctivement, elle chercha à fuir le souvenir sans y parvenir, elle ne contrôlait plus rien.
Son esprit, comme ses dons, ne lui appartenait plus. Elle était seule et brisée et…

La présence qui lui imposait les images se fit plus écrasante mais, curieusement, au lieu
d’être oppressante, elle était rassurante. Tonks n’était pas seule, elle n’était pas prisonnière.
Ce n’était qu’un souvenir, rien d’autre qu’un mauvais souvenir.

Le reste de la scène se rejoua sans qu’elle y prête attention, presque apathique, choquée une
nouvelle fois par ce qui s’apparentait pour elle à la perte d’un membre. L’absence de ses
pouvoirs était une douleur fantôme.

« Ce n’est pas l’origine du blocage. » déclara le Maître des Potions, dans une réalité qu’elle
ne parvenait pas à regagner.

« Severus… » paniqua-t-elle, attrapant à l’aveugle ce qui s’avéra être un bras. Elle voyait
sans voir, elle entendait sans entendre, elle était prise au piège de son propre esprit. Elle
sentait confusément qu’elle avait déjà fait la même expérience récemment, sans parvenir à
mettre le doigt dessus. Dumbledore, souffla une voix dans sa tête. Elle ne savait pas si la
pensée venait d’elle ou de lui.

« Je ne vous ferai aucun mal. » promit-il. « Vous êtes en sécurité. Vous avez le contrôle. »

Il relâcha sa prise mentale suffisamment pour qu’elle se détende.

« Souhaitez-vous arrêter là ? » demanda-t-il. « Je pense que le blocage est plus profondément


enfoui. »

Elle fut tentée de jeter l’éponge. Tentée seulement. La perspective de peut-être parvenir à
récupérer ses pouvoirs était trop alléchante pour qu’elle laisse sa peur la dominer. Dans un
élan de confiance qu’elle espéra de tout cœur ne pas avoir à regretter, elle lui abandonna le
plein contrôle.

S’il fut surprit, elle n’en perçut rien. Il remonta le fil de la nuit, s’attardant parfois sur le
souvenir d’un combat, passant vite à autre chose… Jusqu’à ce qu’il tombe sur la scène qui
s’était jouée dans sa cuisine, juste avant qu’ils reçoivent le Patronus de Charlie qui demandait
de l’aide sur le Chemin de Traverse…

Elle se cabra, tâcha de repousser Severus, de l’éjecter de sa tête… Elle ne voulait pas revivre
ça. Elle ne voulait pas entendre à nouveau Remus dire…

« On doit arrêter. Toi et moi, c’était une parenthèse. Ça n’a jamais été destiné à être autre
chose qu’une parenthèse. »

« Remus… »
Détresse.

Les larmes qui coulaient sur ses joues, la boule dans sa gorge qui l’étouffait au point qu’elle
ne pouvait plus respirer…

« Il faut fermer la parenthèse. » insista-t-il, en se levant.

Elle sut à cette seconde qu’elle allait le perdre, que c’était terminé.

« Ce n’est pas à toi de décider ! » tenta-t-elle le tout pour le tout, s’efforçant de parler
clairement malgré les sanglots. « Je me moque que tu sois un loup-garou ! Je m’en moque ! Il
y a des solutions à tous les problèmes, il faut juste prendre le temps de les trouver. Je ne veux
pas rompre. Tu n’as pas le droit de rompre si je ne veux pas. »

Elle ne pouvait plus respirer, elle suffoquait de douleur… Il eut un petit sourire triste qui lui
donna l’impression que quelqu’un venait de plonger la main dans sa poitrine pour lui
arracher le cœur.

« Je t’aime. » avoua-t-elle avec trop de désespoir et d’abandon. « Je t’aime. Tu comprends


ça ? Je me fous de tout le reste tant que je peux t’avoir, toi. Je t’aime, Remus. »

Elle cessa de se débattre, cessa de tenter de repousser Severus, cessa de lutter contre la
douleur toujours aussi vive qui lui enserrait le cœur…

« Ça ne change rien. C’est fini. » déclara Remus, à mi-voix.

« Non. » refusa-t-elle.

« C’est fini. » répéta-t-il plus fermement.

Deux labradors argentés apparurent, leur enjoignant de venir à l’aide de Gringotts, et elle
transplanna dans un état second, si mal et perturbée qu’elle manqua se démantibuler. Elle
s’écrasa sans finesse sur le sol crasseux d’une ruelle à quelques mètres de l’artère principale
du Chemin de Traverse, mais ne se releva pas tout de suite. Malgré le danger que courraient
ses amis, malgré l’urgence, elle resta prostrée au sol et tâcha de ravaler ces sanglots qui lui
obstruaient la gorge.

Elle avait tout perdu.

Tout.

L’espace d’une seconde, même sa magie sembla vaciller.

Severus lui rendit sa liberté et l’observa sans un mot. Sa mâchoire était crispée, ses poings
serrés et elle sentit les muscles de son bras se contracter sous ses doigts.

Elle le lâcha pour essuyer d’un geste rageur les larmes qui coulaient sur ses joues, tâchant de
maîtriser les sanglots qui la secouaient, d’apprivoiser cette douleur qu’elle portait en elle
comme un fardeau…
« Buvez. » ordonna-t-il.

Elle saisit la fiole et la vida d’un trait, sans même prendre le temps de vérifier ce dont il
s’agissait. La réponse fut aussi immédiate que l’effet de la potion, elle sentit soudain
beaucoup plus calme, la douleur reflua légèrement et tous ses muscles se détendirent. Au
bout de quelques minutes, elle parvint à contrôler les sanglots et frotta ses joues avec la
manche de sa veste, le cuir lui irrita la peau.

« Connard. » lâcha-t-elle, sans bien savoir après lequel des deux hommes elle en avait.

« Au risque de tomber dans le cliché, j’ose avancer que vous n’aurez aucun mal à trouver
mieux. » répondit-il simplement. « Tentez donc de vous transformer, à présent que vous avez
identifié le problème. »

« Le problème, il est clair. » cracha-t-elle. « Spero Patronum. »

L’énorme loup argenté s’échappa de sa baguette, se posa sur son séant et tourna la tête vers
elle, la langue sortie, attendant ses instructions.

« Je préférais l’ancien. » commenta Severus.

« Ce n’est pas drôle ! » s’énerva-t-elle.

Il leva les yeux au ciel.

« Vous n’êtes pas la première à arborer le Patronus d’un amour à sens unique. » décréta-t-il
sèchement. « Ce n’est, certes, pas agréable mais personne n’en est encore mort. »

Elle fronça les sourcils. « Vous avez un Patronus ? »

« Essayez d’utiliser vos dons. Je n’ai pas la matinée entière à vous consacrer. » cingla-t-il.

Elle mit ça sur la liste des choses à découvrir plus tard.

« Je l’ai dans la peau ! » s’exclama-t-elle. « Alors, d’accord, peut-être que je ne peux plus me
transformer parce que j’ai eu un choc émotionnel mais je l’ai dans la peau, Severus ! Qu’est-
ce que vous voulez que je fasse ? » Elle sauta du tabouret et y donna un coup de pied. « Je le
déteste cet abruti. »

« Si vous le détestiez réellement, la tâche serait plus simple. » marmonna-t-il avec un


agacement certain. « Très bien. Nous emploierons donc ma méthode. »

« C’est-à-dire ? » demanda-t-elle.

Elle eut sa réponse lorsqu’il envahit à nouveau son esprit, trop brutalement et trop rapidement
pour qu’elle puisse dresser des défenses qui n’auraient, de toute manière, eut aucune utilité.
Elle ne savait pas quel était son but mais elle eut la sensation très désagréable qu’il lui
retourna la tête, son crâne paraissait sur le point d’éclater et lorsqu’il se retira finalement, elle
était à court d’oxygène.
« Voilà. » lâcha-t-il. « Le problème est réglé. Transformez-vous, à présent. »

Elle le fusilla du regard. « Je vais vraiment finir par vous bottez le cul, vous savez. »

Un rictus ironique joua sur ses lèvres. « Des promesses, toujours des promesses… Il me
semble que notre dernier duel ne s’est pas des mieux terminé pour vous… » Le bref éclat
d’amusement dans ses yeux fut bien vite remplacé par son sérieux habituel. « Transformez-
vous. »

Il y avait tant d’assurance dans sa voix, il paressait tellement certain qu’elle y parviendrait
sans effort, qu’elle souhaita que ses cheveux deviennent rose.

Elle n’avait pas de miroir mais l’expression de Severus était suffisamment satisfaite pour
qu’elle n’en ait pas besoin. Elle arracha l’élastique qui maintenait ses cheveux en queue de
cheval, tira sur les pointes pour apercevoir la couleur… Le rose était pâle et elle ne parvint
pas à le raviver malgré tous ses efforts mais elle était tellement heureuse de voir de la couleur
qu’elle laissa échapper un cri de joie et lui sauta au cou.

Très clairement, il ne s’y attendait pas.

Ça l’amusa au plus haut point et, dans son euphorie, elle planta un baiser sur sa joue, ne
serait-ce que pour l’agacer davantage. Elle visa mal. Ou il tourna la tête. Elle ne savait pas
très bien. Le baiser atterrit à la commissure de ses lèvres.

Il aurait été difficile de déterminer lequel des deux rougit le plus.

Tonks prétendit ne pas avoir remarqué, lui rendant sa liberté et sautillant sur place tout en
tirant sur ses cheveux pour les inspecter.

« Comment avez-vous fait ? » lança-t-elle entre deux éclats de rire.

« Bien que j’aimerai prétendre à des pouvoirs extraordinaires, je n’ai strictement rien fait. »
répondit-il. « Je vous ai simplement donner une raison de ne pas croire que vous alliez
échouer. Vous êtes votre propre blocage. Ce qui, par ailleurs, est ridicule. Vous ne devriez pas
laisser qui que ce soit ébranler votre confiance en vous. »

« Merci. » souffla-t-elle.

« Inutile de me remercier. » se renfrogna-t-il. « Je n’ai agi que dans l’intérêt de l’Ordre. Nous
devons découvrir ce que trame Weasley. »

Elle n’y crut pas une seconde mais fit semblant pour lui faire plaisir.

°°O°°O°°O°°O°°

« Il reste une demi-heure. » hésita Harry.

« Et alors ? » rétorqua Malfoy. « Je ne suggère pas de sécher la Botanique, juste que nous
pourrions prendre notre temps pour aller jusqu’aux serres. »
« Prendre notre temps jusqu’à ce qu’il reste cinq minutes et qu’on ait tout raté ? » s’amusa-t-
il, alors qu’ils émergeaient du château.

« Par exemple. » répondit le Serpentard, en ajustant son écharpe d’un geste sophistiqué avant
d’enfiler ses gants.

Harry fit de même, bien moins élégamment.

« Ça me va. » lâcha-t-il, n’ayant que moyennement envie d’aller en Botanique.

Ils firent le grand tour par le lac, prenant soin de marcher lentement. Ils avançaient en silence,
n’ayant pas grand-chose, si ce n’était rien, à se dire. Une trêve avec Malfoy, bien que n’étant
certainement pas la chose la plus folle qu’il ait fait cette année, lui paraissait toujours
improbable. Ils n’étaient pas amis et, il le soupçonnait, ils ne le seraient jamais. Alliés, à la
rigueur, amis… C’était peut-être trop lui en demander.

Le silence, fort heureusement, n’était pas particulièrement gênant.

Malfoy était perdu dans ses pensées, ses yeux gris regardaient dans le vague. Harry ne se
décida pas à lui demander s’il avait un problème. Les problèmes de Malfoy, mis à part
lorsqu’il tombait dessus au milieu d’un couloir à la nuit tombée, n’étaient pas ses affaires.

L’aboiement les fit sursauter tous les deux.

Ils échangèrent un regard et Harry fut heureux de constater qu’il n’était pas le seul à avoir la
main sur sa baguette.

« Crocdur, sans doute. » hésita-t-il.

Les yeux gris fixèrent un point par-dessus son épaule avec un déplaisir évident. « Ou ton idiot
de parrain. »

Harry se retourna à temps pour voir l’énorme masse de Patmol trottant un peu plus loin sur le
chemin, la langue pendante. Le chien lâcha un nouvel aboiement joyeux mais s’arrêta à une
distance respectable, semblant attendre la permission d’approcher.

« C’est bon, tu peux venir. » soupira Harry.

Ce fut un homme qui les rejoignit. Mal rasé, avec des vêtements froissés et un sac à dos vissé
sur les épaules. Il empestait tellement le fauve que l’odeur couvrait celle de vase qui émanait
du lac.

« Azkaban t’aurait-il tant endommagé le cerveau que tu as oublié comment une douche
fonctionne ? » lança Malfoy, en plissant le nez.

« Cousin ! » s’exclama Sirius avec un plaisir qu’Harry soupçonnait d’être feint. Un soupçon
confirmé lorsque l’Animagus attrapa le Serpentard par les épaules et tenta de lui donner une
accolade pour mieux l’incommoder de son odeur.
Harry ne put retenir un petit rire amusé. Il regrettait de ne pas avoir d’appareil photo, la tête
de Malfoy valait son pesant d’or. Il échappa à Sirius et lissa ses vêtements du plat de la main,
jeta une dizaine de sorts visant à se rafraichir, et vérifia de façon presque obsessive que ses
cheveux n’étaient pas ébouriffés.

« Qu’est-ce que tu fais là ? » demanda Harry, en fronçant les sourcils. Il doutait que Sirius ait
fait le déplacement spécialement pour lui cette fois-ci, étant donné son accoutrement. Ses
sentiments vis-à-vis de son parrain étaient toujours incertains mais la curiosité pris le pas sur
tout le reste.

« Les affaires. » répondit l’Animagus avec un clin d’œil complice, semblant ravi de l’accueil,
pourtant mitigé, que lui réservait son filleul.

« Permets-moi de te dire que s’il s’agit là d’un nom de code pour l’Ordre du Phoenix, cela
laisse à désirer. » commenta Malfoy, en levant un sourcil dédaigneux.

Sirius lui jeta un regard agacé puis parut finalement remarquer les ecchymoses qu’ils
arboraient tous deux un peu trop fièrement au goût de Pomfresh.

« Dans quel pétrin vous-êtes vous encore fourrés ? »

Il n’y avait que Sirius Black pour poser ce genre de questions avec un sourire aussi indulgent
qu’amusé. Vu le regard que Severus lui avait jeté lorsque Harry l’avait croisé sur le chemin
de la Grande Salle avant le petit-déjeuner, il prendrait garde de ne pas s’approcher de trop
près du Maître des Potions pendant quelques jours.

« L’important, c’est que vous leur ayez botté les fesses. » déclara Sirius lorsqu’ils eurent
résumé les faits, avant de tirer un paquet de cigarettes cabossé de sa poche.

« Euh... Je ne suis pas sûr que tu ais le droit de fumer ici. » grimaça Harry. Sans compter que
s’il se présentait en Défense en empestant le tabac, Snape aurait probablement une attaque –
avant ou après l’avoir assassiné, cela restait à voir. Il ne se souvenait que trop bien de
comment leur dernière dispute à propos de cigarettes avait terminé.

L’Animagus hésita quelques secondes, son opinion mitigée sur certaines règles de Poudlard
sur le bout de la langue, puis rangea finalement le paquet, avec un soupir à fendre l’âme.

« Est-ce qu’on peut parler quelques minutes avant ton prochain cours ? » s’enquit son
parrain, avec un espoir qu’Harry ne se décida pas à briser. Il faisait des efforts pour
différencier le Sirius de soixante-quinze de celui qu’il avait rencontré deux ans auparavant. Il
avait promis d’en faire.

Le Gryffondor interrogea Malfoy du regard – parce que Sirius venait quand même très
impoliment de faire comprendre au Sang-Pur que sa présence n’était pas souhaitée et
qu’Harry, à force de se voir sermonné par Severus et Lily dans les années soixante-dix, s’était
attaché aux bonnes manières. Le Serpentard haussa les épaules avec détachement et déclara
qu’il l’attendrait plus loin sur le chemin mais qu’Harry lui devait une faveur.
C’était cher payé pour cinq minutes de discussion avec Sirius mais Harry acquiesça tout de
même.

« Je ne savais pas que vous étiez amis. » remarqua l’Animagus, dès que Malfoy se fut
éloigné.

« On n’est pas amis. » se rembrunit-il. « Il sort avec Hermione. »

Il attendit le discours moralisateur sur pourquoi les Serpentards étaient tous maléfiques. Le
discours ne vint pas.

« Il n’est pas si mauvais, dans le fond, pour un Malfoy. » offrit Sirius, presque dépité d’avoir
à admettre une telle chose. « Il tient de sa mère, sans doute. »

Narcissa Black, la beauté froide de Serpentard… Peut-être Draco tenait-il, en effet, de sa


mère… Toutefois, il était impossible de nier que Draco était le fils de son père et avait été
élevé en tant que tel. Rusé, mesquin, méprisant… La liste n’était pas exhaustive.

« Ce n’est pas de Malfoy que je voulais te parler, de toute manière. » reprit son parrain, en
l’étudiant attentivement.

Les yeux gris de Sirius, très semblables à ceux de Malfoy et de Tonks maintenant qu’il le
remarquait, le fixèrent avec tant d’intensité qu’Harry se prépara instinctivement à renforcer
ses boucliers mentaux. Précaution bien inutile puisque l’Animagus se détourna pour
s’installer sur un rocher proche. Le roc, large et plat, était prisé par les élèves qui souhaitaient
s’asseoir près du lac.

« Snape s’inquiète pour toi. » lâcha Sirius doucement.

« Parce que tu parles de moi avec Severus maintenant ? » riposta-t-il, immédiatement sur la
défensive.

Il espéra qu’il n’était pas à nouveau question de ces histoires de tutelle. Il savait que Snape
voulait qu’il soutienne la demande de son parrain devant le Magenmagot, mais c’était un
sujet qu’il était heureux d’éviter autant qu’il serait possible de le faire. Fût un temps où il
aurait été prêt à accepter n’importe quoi plutôt que de retourner chez les Dursley. Cette
époque était toutefois révolue.

« Tu es mon filleul, Harry. » le gronda gentiment l’Animagus. « Si quelque chose ne va pas,


ça me concerne. »

« Je suis ton filleul, je ne suis pas ton fils. »

« Je n’ai jamais dit le contraire. » lâcha Sirius dans un haussement d’épaules. « Écoute, si
c’est cette histoire de tutelle qui te tracasse... »

« Je n’ai pas envie de parler de ça. » cingla-t-il.

Il ne voulait pas en parler pour la bonne raison qu’il espérait encore que tout pourrait
recommencer comme en soixante-quinze. Il avait trouvé là-bas la famille qu’il n’avait jamais
eue et il ne voulait pas de pâle équivalent – et il fallait être honnête, tout ce que Sirius
pourrait lui offrir, même avec tout l’amour du monde, ne serait qu’un pâle équivalent.

« Je ne compte pas t’interdire de voir Snape. » offrit tout de même son parrain. « J’ai bien
compris que... » L’Animagus s’interrompit, parut chercher ses mots, puis haussa à nouveau
les épaules. « J’ai bien compris. Tout ce que nous voulons, lui comme moi, c’est te protéger
des Dursley. Te protéger tout court. Nous voulons que tu sois en sécurité. »

Harry laissa échapper un bruit moqueur.

« Ça ne risque pas d’arriver tant qu’on ne me laissera pas m’entraîner correctement. » se


plaignit-il.

Sirius fronça les sourcils. « Remus m’a dit que l’entraînement se passait bien... »

« Pour un troisième année, peut-être. » râla-t-il. « Il me cantonne aux protego. Je sais jeter un
protego, Sirius ! Je sais jeter tout un tas de boucliers. Ce dont j’ai besoin c’est d’apprendre à
me battre. Severus avait commencé à m’entraîner mais Remus et Dumbledore... »

« Oh, laisse-moi m’occuper de ces deux là... » grinça Sirius.

Le rictus espiègle de son parrain promettait un plan à l’image des grandes heures de gloire
des Maraudeurs.

Mais, pour une fois, Harry s’en réjouit.


Sometimes We Lose Them

Time takes it all whether you want it to or not, time takes it all. Time bares it away, and
in the end there is only darkness. Sometimes we find others in that darkness, and
sometimes we lose them there again."
— Stephen King

Le temps emporte tout que vous le vouliez ou non, le temps emporte tout. Le temps
dénude, et, au final, il ne reste que les ténèbres. Quelques fois, nous trouvons les autres
dans ces ténèbres, et quelques fois, nous les y reperdons.

Stephen King

Harry détestait la Forêt Interdite la nuit.

Non pas qu’il en soit plus friand le jour, cependant.

Le cœur battant la chamade, il se faufila entre deux troncs d’arbres, prenant garde à ne pas
trébucher sur une racine, et s’efforça de ne pas sursauter lorsqu’une main se posa sur son
épaule, légère mais impérieuse. Il se tourna vers son amie, parvenant à peine à distinguer ses
traits fins dans l’obscurité. La lune n’était plus suffisamment pleine pour qu’ils y voient
correctement mais Harry avait refusé la requête de la jeune fille de jeter un lumos. La
sensation d’être une proie potentielle pour tous les prédateurs environnants suffisamment
tenace pour qu’il leur facilite la tâche en leur signalant leur position par de la lumière.

« Donne moi les parchemins. » murmura Ginny, ses yeux bruns parcourant les alentours avec
méfiance.

Harry extirpa les deux bouts de papiers de sa poche et les lui tendit. Elle se pencha pour
mieux lire, approchant les parchemins le plus près possible de son visage sans jamais lâcher
la baguette serrée dans sa main droite. Le Gryffondor jeta un coup d’œil alentour, la mâchoire
serrée.

« Tu es sûr que c’est lui ? » insista la jeune fille pour ce qui devait bien être la dixième fois.

Il regrettait amèrement de ne pas avoir mieux dissimulé la première lettre. Lorsque Hedwige
la lui avait apportée, toutefois, il n’avait pas pensé à se méfier. Ginny était assise à côté de lui
et avait malencontreusement lu par dessus son épaule. Les mots « Rejoints moi dans la Forêt
Interdite, sur la rive est du lac, à minuit. » n’avaient pas emballé la quatrième année qui avait
menacé de tout raconter à Ron et Hermione s’il n’acceptait pas, au moins, de l’emmener en
renfort au cas où. Harry était certain à quatre-vingt-dix-neuf pourcents que l’énorme
empreinte de patte de chien qui signait la lettre était authentique, il n’avait donc pas vu le mal
à emmener Ginny.
Il commençait à s’en vouloir.

Ils avaient trouvé un oiseau exotique les attendant à la lisière est de la Forêt Interdite avec un
nouveau parchemin signé d’une nouvelle patte de chien : « Trouve le drapeau. Des billes
lumineuses marquent la zone, ne les dépasse pas. ».

« Il était censé m’entraîner et au lieu de ça on a droit à un jeu idiot. » répondit Harry. « C’est
Sirius tout craché. »

« Un jeu dangereux. » contra-t-elle avec un soupir, en froissant les parchemins et en les


enfonçant dans la poche de son sweater à capuche. Il était rouge vif et était orné du lion de
Gryffondor mais les couleurs ne correspondaient pas tout à fait à celles de leur Maison,
comme s’il s’agissait d’une contrefaçon. Ginny avait marmonné quelque chose à propos de
cours d’éducation physique et d’à quel point il avait été chanceux d’éviter ça en séjournant en
soixante-quinze. Elle soupira, lança un dernier regard à la lisière de la Forêt qu’ils
parvenaient à peine à apercevoir, puis haussa les épaules. « Allons trouver ce fichu drapeau. »

« On peut aussi rentrer si tu préfères. » proposa-t-il.

Il faisait froid, ils auraient des tonnes d’ennuis s’ils se faisaient prendre et, très sincèrement, il
était à peu près persuadé que Ron le tuerait s’il apprenait qu’il avait entraîné sa sœur dans la
Forêt Interdite en plein milieu de la nuit. Et il ne pourrait pas le reprocher à son meilleur
ami.

« Quoi, et abandonner la chasse au drapeau dans une forêt infestée de créatures sauvages ? »
répondit-elle avec un sourire plein de morgue.

Il sentit ses lèvres s’étirer en retour à mesure que l’adrénaline se répandait dans ses veines.
Cela faisait longtemps qu’il n’avait rien fait pour le simple plaisir de s’amuser. Et puis...
Sirius était peut-être un peu dérangé et pas tout à fait un adulte responsable mais il doutait
sincèrement qu’il l’aurait attiré dans la Forêt Interdite sans prendre un minimum de
précautions. Il parlait de billes lumineuses dans sa lettre… Il supposait que la zone dans
laquelle ils étaient, au moins, était sûre.

« Allons-y. » déclara-t-il et, d’un commun accord, ils s’élancèrent vers le cœur de la Forêt.

Ils progressèrent à un bon rythme, la fine couche de givre craquant à chacun de leur pas,
échangeant de temps en temps le sourire que seuls deux adolescents en train d’enfreindre les
règles pouvaient échanger, comme si leur vie était simple, comme s’ils pouvaient encore se
permettre le luxe d’une escapade nocturne. Ils marchaient depuis quinze minutes lorsque le
silence nocturne laissa place à un silence de mort : plus de bruits d’insectes, plus de lointain
hululements d’hiboux en chasse, plus de bruissements innocents d’un petit animal dans les
buissons... Le silence. Un silence qui ne pouvait signifier qu’une seule chose : un prédateur.

Instinctivement, il tendit un bras devant Ginny pour lui indiquer de rester derrière lui. La
jeune fille leva un sourcil, sa baguette pointée devant elle, prête au combat, et lui jeta un tel
regard noir qu’Harry leva les yeux au ciel et laissa tomber son bras. Il fut récompensé par un
léger sourire satisfait qui fut pourtant bref, la quatrième année se tenait sur ses gardes, les
jambes légèrement fléchies comme ils l’avaient travaillé durant leurs sessions de l’A.D.
Instinctivement, Harry se plaça dos à elle.

« Tu vois quelque chose ? » murmura-t-il, scrutant les arbres alentours du regard. Il faisait
trop sombre pour qu’il puisse distinguer quoi que ce soit.

« Non. » hésita Ginny. « Peut-être que… »

Le sort arriva de nulle part, sur sa droite, et Harry dressa instinctivement un bouclier. Le trait
violet – de quel maléfice pouvait-il s’agir ? Il n’en avait aucune idée – s’y écrasa dans un
crack sonore. Lui et Ginny se tournèrent immédiatement dans cette direction mais, déjà,
Harry comprit le piège. Il n’eut pourtant pas le temps de se retourner avant que le sortilège
suivant ne fuse droit sur eux. À peine eut-il le temps de se jeter sur la jeune fille.

Ils roulèrent dans la poussière.

« Ça va ? » demanda-t-il immédiatement, s’accroupissant derrière un des troncs d’arbre.

Ginny hocha la tête et l’imita.

« Un peu brutal comme entraînement. » bougonna-t-elle.

« C’est comme ça qu’on apprend. » grimaça-t-il, dans un haussement d’épaules.

Il s’en serait mieux sorti seul. La pensée fut insidieuse mais il la rejeta. Il avait joué au
Quidditch avec Ginny suffisamment de fois pour pouvoir déduire ses mouvements, bien que
de façon plus approximative qu’il aurait pu le faire avec Severus, Ron ou Hermione. Le
problème était plus profond : il ne savait pas si Ginny était de taille et c’était là toute la
question.

« Où est-il ? » chuchota-t-elle, en se dévissant le coup pour essayer d’apercevoir Sirius. « Je


n’y vois rien. Peut-être qu’il utilise un sortilège de désillusion… »

Harry aurait dû apporter la cape.

Il jeta un coup d’œil dans la direction d’où étaient venus les sorts mais tout était tranquille.
Évidemment. Sirius avait un curieux sens de l’humour.

« Ce drapeau ne peut pas être loin. » décréta-t-il.

Ce n’était que du bon sens… La Forêt Interdite restait la Forêt Interdite et il doutait que son
parrain ait reçu l’approbation de Dumbledore avant de mettre son plan à exécution. Il y avait
des prédateurs, la faune était parfois hostile, et Sirius n’avait pas pu sécuriser beaucoup plus
qu’une petite zone.

« Avançons. » suggéra Ginny, en se redressant. « Et, tant qu’on y est, il faudra dire à
Hermione de mettre le sort de désillusion sur la liste. Ça pourrait être utile. »

Il approuva cette idée d’un hochement de tête et passa devant, tâchant de ne pas trébucher sur
une des nombreuses racines qui jaillissaient du sol à des endroits inattendus. Ils ne tardèrent
pas à rencontrer ces fameuses billes lumineuses qu’ils n’étaient pas censés franchir. Elles
flottaient à hauteur d’épaules, à deux mètres d’intervalles, et dispensaient une douce lueur
argentée. D’un commun accord, ils longèrent la limite lumineuse quelques minutes, puis,
après avoir déduit que le drapeau était sans doute au centre de la zone, s’enfoncèrent à
nouveau prudemment dans la forêt.

« Il fait froid. » soupira Ginny. « Ça fait un quart d’heure qu’il n’a pas bougé, tu crois qu’il
s’est endormi ? »

Il aurait voulu la rassurer mais rien ne l’aurait surpris de la part de Sirius. Il dérapa sur une
plaque de givre et manqua perdre l’équilibre, il ne dut qu’aux réflexes de la jeune fille de ne
pas se retrouver une nouvelle fois les fesses par terre.

« Merci. » offrit-il avec un sourire.

Elle leva les yeux au ciel. « Fais plus attention, je n’ai pas envie d’avoir à te porter jusqu’au
château. »

« Je suis un peu lourd pour toi. » plaisanta-t-il.

« Je suis plus forte que tu ne le crois. » rétorqua-t-elle.

« Oh, je sais. » capitula-t-il facilement.

Elle parut étonnée et touchée mais dissimula son trouble en baissant la tête. Sa longue queue
de cheval balaya sa joue, voilant son visage.

Quelque chose d’étrange s’éveilla en Harry.

Avant qu’il ait pu tenter d’analyser la sensation ou de dire quoi que ce soit, cependant, il fut
saisi par un froid mordant. La sensation était familière et absolument pas naturelle.

« Non... » eut-il eu le temps de souffler avant que la fine couche de givre ne durcisse
brusquement sous leur pieds, rendant le terrain encore plus glissant. Harry se moquait du
verglas comme de sa première paire de chaussure. Devant eux, à quelques mètres, se dressait
un Détraqueur. Sirius allait toujours trop loin, songea-t-il, en brandissant sa baguette devant
lui.

« Spero Patronum ! » hurla-t-il.

Il n’y avait aucun avantage à beugler ce sort là à plein poumons, cela ne le rendait pas plus
puisant pour autant, cependant, confronté à un Détraqueur, Harry avait toujours tendance à
crier la formule aussi fort qu’il le pouvait. Pour tromper sa propre peur, sans doute. Un
simple filet argenté s’échappa de sa baguette, sans forme ni consistance.

« Oh, non, non, non... » marmonna-t-il. Il était parvenu à faire apparaître un Patronus sans
problème ces dernières semaines...

Mais la théorie et la pratique étaient deux choses différentes, surtout en matière de Patronus
et cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas retrouvé face à un Détraqueur... Il se concentra
sur un souvenir heureux, prononça la formule encore et encore, vaguement conscient que
Ginny faisait de même à côté de lui sans plus de résultats...

Le Détraqueur glissais inexorablement vers eux et Ginny, comprenant sans doute qu’ils
n’arriveraient à rien et abandonnant ses efforts dérisoires, le poussa vers les arbres alentours.

« Cours ! » ordonna-t-elle.

Ça la plaça directement entre lui et le Détraqueur.

Ce dernier disparut.

Quelqu’un poussa un gémissement mais il n’aurait pas su dire si c’était lui ou la quatrième
année.

À la place du Détraqueur se tenait Tom Jedusort. Le Tom Jedusort de dix-sept ans, avec ses
boucles brunes et ses yeux faussement doux, dans son vieil uniforme de Serpentard.

« Ginevra... » siffla Voldemort, en tendant les bras vers elle comme pour l’étreindre.

Ginny resta figée, d’horreur ou de terreur il n’aurait pas su dire.

« C’est un épouvantard. » déduisit-il à mi-voix, avant de répéter plus fort. « C’est un


épouvantard ! »

La nouvelle n’ébranla pas Ginny qui continua à fixer l’apparition, les yeux écarquillés, tenant
à peine sa baguette du bout des doigts.

Sans réfléchir, Harry se plaça devant elle, tournant le dos à la créature qui, il le sut sans avoir
à regarder, venait à nouveau de se changer en Détraqueur. Il attrapa les épaules de la jeune
fille et la secoua gentiment.

« Ginny, il n’est pas là. Il n’est pas là. » répéta-t-il, encore et encore. Elle agrippa ses avant-
bras, enfonçant ses doigts dans sa chair, le souffle court et le regard paniqué. « Tout va bien. »

Tout n’allait pas bien.

Le Détraqueur, épouvantard ou pas, commençait à nouveau à l’affecter. Le monde perdait peu


à peu de ses couleurs, sa vie lui semblait morne, triste et sans espoir... Il tenta d’Occluder
mais le résultat ne fut pas aussi efficace qu’il l’aurait espéré. Seul, il aurait tenté de fuir, de
contourner la créature, mais avec Ginny...

« Stop ! » cria-t-il, à la cantonade. « Sirius ! »

Le Détraqueur était proche, à présent, trop proche. Il ne savait pas exactement ce que faisait
un épouvantard lorsqu’il avait attrapé sa proie et il ne tenait pas à le savoir. Il connaissait les
grandes lignes : on finissait dévoré.

Quelque chose se laissa tomber au bas d’un arbre et s’interposa entre lui et la créature avec
un feulement.
Aussitôt le Détraqueur disparut et laissa place au reflet exact de la jeune femme qui se tenait
maintenant à leurs côtés.

« Sirius, je ne peux rien faire. » déclara-t-elle calmement.

« Je ne peux pas. » répondit l’évadé, à quelques pas de là. « Il se transformera en Détraqueur.


Je n’y peux rien. »

« Et tu n’aurais pas pu y penser avant de mettre ça sur le chemin ? » riposta Harry, se


demandant curieusement ce que la jeune femme pouvait trouver de si effrayant à son reflet.
L’épouvantard sourit, révélant quatre impressionnantes canines et fit un nouveau pas en
avant. Il était presque suffisamment près pour la toucher, à présent.

« Nyssa, emmène les gosses. » ordonna Sirius, en sortant sa baguette et en s’approchant


lentement. « Je vais... »

« Je vais le faire. » lâcha Ginny. Sa respiration était anarchique, elle agrippait toujours Harry
mais une lueur déterminée brillait dans ses yeux bruns. « Il faut que ce soit moi. »

Harry fronça les sourcils.

« Tu es sûre ? On peut aussi courir. » proposa-t-il.

Elle secoua la tête et fit face à l’épouvantard. La jeune femme s’écarta prudemment et la
créature changea à nouveau de forme. Un frisson parcourut l’échine d’Harry lorsqu’il se
retrouva à nouveau confronté à l’image du jeune Tom Jedusort. Le Gryffondor attrapa la
main qui s’accrochait à son bras et pressa pour lui rappeler qu’elle n’était pas seule. Ginny se
détendit très légèrement.

Jedusort avança vers eux et...

« Ridiculus ! » lança-t-elle.

Le Serpentard se prit les pieds dans sa cape, battit des bras et s’effondra. Lorsqu’il toucha le
sol, il éclata en un million de minuscules particules.

Ginny poussa un profond soupir et se laissa aller contre lui. Il passa immédiatement un bras
autour de ses épaules, incapable de cacher son inquiétude.

« Est-ce que ça va ? » s’enquit-il. « Je suis désolé, Ginny, je suis vraiment désolé. Je ne


pensais pas... »

« Ça va. » l’interrompit-elle, légèrement essoufflée.

« Tu es sûre ? » insista Sirius, en approchant. Il posa brièvement la main sur le front de la


quatrième année, comme pour vérifier qu’elle n’avait pas de fièvre. « Je ne pensais pas
qu’Harry t’emmènerait... »

« J’ai insisté. » expliqua-t-elle, sur un ton d’excuse.


« On devrait les ramener au château. » déclara la jeune femme. « Ils ont eu suffisamment
d’émotions pour cette nuit. On réessayera une autre fois. »

Elle était familière sans qu’Harry s’explique pourquoi. Il lui fallut creuser sa mémoire pour
mettre un nom sur le visage.

« Nyssandra ! » s’exclama-t-il. « Vous êtes la... Euh... Fiancée de Fol’Œil. »

Il devina qu’il venait de dire une bêtise à la tête que fit son parrain. Sirius se rembrunit
immédiatement.

« À une époque depuis longtemps révolue. » répondit la jeune femme, avec un froncement de
sourcils. « Je ne pense pas t’avoir déjà rencontré, si ? » Ses yeux verts se posèrent brièvement
sur Ginny. « Toi, tu étais au Département des Mystères. »

La jeune fille hocha la tête, sans un mot, et Harry la serra plus fort, l’entraînant en ce qu’il
espérait être la direction du château tout en parlant.

« Dans le passé. » expliqua-t-il. « Vous étiez dans l’Ordre. » Soudain, il se rendit compte de
pourquoi cela lui semblait si bizarre. « Vous n’avez pas vieilli ! »

« Vampire. » déclara-t-elle. Le détachement dans sa voix était, pensait-il, feint. « C’est le


genre de choses qui arrivent. »

« Harry se moque de ce genre de choses. » intervint Sirius, en posant brièvement la main sur
l’épaule de la jeune femme. « Ce n’est pas un de ces connards plein de préjugés. Hein,
Harry ? »

« Bien sûr. » répondit-il, dans un haussement d’épaules. « Tant que vous n’essayez pas de me
mordre, je n’ai aucun problème avec ça. »

« Tu vois ? » triompha son parrain avec un sourire fier.

Harry leva les yeux au ciel lorsqu’il lui ébouriffa les cheveux, résistant à peine à l’envie de
lui faire remarquer qu’il n’était plus un gamin. Sirius semblait heureux toutefois et il ne se
décida pas à lui gâcher son plaisir.

Lorsque ils atteignirent la lisière de la Forêt, Nyssa et l’Animagus s’arrêtèrent.

« Dumbledore le sentira si on pénètre sur le domaine. » grimaça Sirius. « Je suis désolé pour
l’épouvantard, je pensais que ce serait une bonne occasion de t’entraîner à jeter un Patronus.
Tu maîtrises ce sort tellement bien d’habitude... »

« Je ne sais pas ce qui s’est passé. » avoua-t-il. « J’y arrivais très bien la semaine dernière... »

« Ce genre de choses arrivent avec ce genre de sorts. » le rassura Sirius. « Ils dépendent
beaucoup de ton état d’esprit du moment. » Tout à coup, il eut l’air anxieux. « Je suis désolé
si ce n’était pas l’entraînement que tu espérais... Je pensais qu’un parcours serait plus
amusant et plus efficace que... »
« Non, c’était bien. » le coupa-t-il. « Vraiment. C’est le genre d’entraînement que je
voulais. »

« C’était amusant jusqu’à l’épouvantard. » approuva Ginny. « Tu devrais venir aux sessions
de l’A.D. parfois. Ça nous aiderait beaucoup. »

Le visage de Sirius s’éclaira d’un coup. « Tu crois ? »

Harry n’était pas certain que Ginny sache à quoi elle s’engageait en lançant cette invitation. Il
ne s’étonna pas que l’Animagus connaisse l’existence de l’A.D. Il soupçonnait que la plupart
des enseignants étaient au courant et la plupart des enseignants étant aussi membres de
l’Ordre du Phoenix...

Il lui fallut une seconde pour se rendre compte que son parrain quêtait son approbation.

« Pourquoi pas ? » offrit-il. « Si les autres sont d’accord... »

Sirius eut l’air bien en peine de réprimer sa joie à ce geste d’acceptation pour le moins mitigé
et Harry s’en voulu un peu d’avoir été aussi dur avec lui. Ce Sirius là, le Sirius qu’il avait
rencontré deux ans plus tôt, n’avait jamais rien voulu d’autre que de faire partie de sa vie et
n’avait jamais rien fait d’autre que de le protéger.

Gêné par sa propre bêtise, il murmura un au revoir et entraîna Ginny vers le château,
remarquant à peine le regard tendrement amusé avec lequel Nyssa fixait son parrain.

« Tu sais quoi ? » demanda Ginny, alors qu’ils longeaient la muraille pour ne pas être repérés
par un éventuel préfet ou enseignant à une fenêtre. « Avant, j’étais jalouse de toutes les
aventures que tu avais avec Ron et Hermione... »

« Et maintenant ? » se moqua-t-il gentiment.

« Maintenant je suis toujours un peu jalouse. » déclara-t-elle, en lui lançant un sourire par-
dessus son épaule.

Son sourire, décida-t-il, était éclatant.

°°O°°O°°O°°O°°

Son bâton en bois grossièrement taillé heurtait lourdement les pavés de l’Allée des
Embrumes à chaque pas et raclait le sol pendant une seconde avant de s’élever et de retomber
un peu plus loin. L’homme claudiquait, se faufilant un chemin entre les prostituées, les
soulards qui campaient devant les tavernes et les personnages plus sombres qui se
dissimulaient derrière leurs capes.

Contrairement au Chemin de Traverse, l’Allée des Embrumes ne dormait jamais.

Le mendiant était bien connu et personne ne lui prêtait attention, à lui ou à la tasse en métal
qu’il agitait devant lui entre chaque coup de bâton. Ses haillons lui collaient à la peau et
constituaient un bien maigre rempart contre le froid nocturne. Les yeux se posaient
brièvement sur lui, avec la même méfiance que tout le monde mettait à regarder tout le
monde, puis glissaient vers d’autres menaces bien plus sérieuses, trop habitués à le voir
arpenter les ruelles crasseuses à toute heure du jour ou de la nuit.

Bill Weasley passait-il suffisamment de temps dans ces rues pour avoir inconsciemment
accepté le mendiant comme une partie du décor ou bien était-il trop préoccupé pour
s’apercevoir qu’il était suivi ?

Dans un cas comme dans l’autre, et bien que cela arrangeait ses affaires, ce n’était pas bien
prudent.

Il avait fallu plus d’une heure à Tonks pour faire obéir ses pouvoirs récalcitrants et prendre
l’apparence de l’homme, mais seulement une minute pour lui jeter un stupefix et dissimuler le
mendiant inconscient dans un endroit sûr, chaud et tranquille où il ne lui arriverait rien
pendant que son double déambulait dans son secteur habituel.

Comme tous les autres soirs, Bill était arrivé un petit peu avant minuit.

Comme tous les autres soirs, elle le suivit jusqu’à chez Barjow et Beurk.

Comme tous les autres soirs, elle rôda aux alentours de la boutique, s’approchant de temps en
temps de la vitrine sans oser s’arrêter de peur d’être découverte.

Le deuxième soir, elle avait furtivement aperçut Bill serrer la main de Barjow avant de
disparaître dans l’arrière-boutique. Pour autant qu’elle pouvait le dire, la même chose s’était
reproduite tous les autres soirs.

C’était louche, certes, mais cela ne signifiait pas que Bill espionnait pour le compte de l’autre
camp.

Il n’y avait aucune preuve concrète. Peut-être avait-il trouvé un emploi chez Barjow et
Beurk... Évidemment, Charlie lui avait dit que Bill travaillait désormais en free-lance. Six
jours d’affilé, c’était un peu beaucoup pour une consultation en free-lance... Mais c’était
possible.

Elle se raccrochait à ses illusions autant qu’elle le pouvait.

C’est à dire, jusqu’à ce que Lucius Malfoy apparaisse tout à coup au détour de la rue et se
dirige d’un pas conquérant vers la boutique.

Comme tous les autres, ses yeux passèrent sur le mendiant sans le voir et il s’engouffra à
l’intérieur du bâtiment sans une hésitation. Oubliant toute prudence, Tonks se rapprocha de la
vitrine. Elle vit distinctivement Bill saluer le Sang-Pur d’un hochement sec de la tête avant
d’attraper ce que Lucius lui tendait. Elle ne put distinguer ce dont il s’agissait mais Bill
l’emporta dans l’arrière boutique pendant que Barjow se répandait en courbettes.

Pour ne pas attirer l’attention, elle s’éloigna.

Malfoy fut le premier à sortir de la boutique, un peu moins de trente minutes plus tard. Au
bout de cinq minutes supplémentaires, Bill sortit et s’éloigna dans la direction opposée.
Elle le suivit en claudiquant, les lèvres pincées, jusqu’à ce qu’il transplanne.

Alors seulement, elle jeta son bâton au sol et tapa du pied dans un futile mouvement de rage.

Le sentiment de trahison était intense.

°°O°°O°°O°°O°°

Severus se réveilla en sursaut, évitant instinctivement la main qui cherchait à se poser sur son
crâne, et leva un bras pour se protéger d’une éventuelle attaque tandis qu’il cherchait à tâtons
la baguette qui n’était jamais bien loin de lui.

« Ce n’est que moi, Severus. »

La voix calme bien qu’attristée était suffisamment familière pour qu’il laisse tomber son bras
et se force à ouvrir les yeux. Il était assis derrière son bureau, l’espace devant lui était couvert
de livres, parchemins et carnets remplis de son écriture et pour certains d’entre eux de celle
de Black. Il agita la main, jetant silencieusement un sort qui dissimulerait le contenu de ses
recherches à la vue du premier venu, avant de lancer à la sorcière un regard noir.

« Comment avez-vous passé mes protections ? » s’enquit-il.

« Elles étaient si faibles que ce ne fut pas un grand exploit. » rétorqua Minerva, les lèvres
pincées. Elle croisa les bras sur sa poitrine et le dévisagea d’un air sévère. « Vos cours
commencent dans une heure. »

« Ai-je jamais raté un cours ? » grinça-t-il, en fouillant le fatras qu’étaient ses recherches sur
les horcruxes des yeux. Il était certain d’avoir jeté un sort la veille qui le réveillerait une
demi-heure avant son premier cours de la journée, juste au cas où. Au prix de longues
secondes de recherches, il finit par localiser sa baguette, elle avait roulé par terre. Son
premier réflexe fut de vérifier les protections que Minerva clamait avoir franchi sans
difficulté, il les trouva en effet très faibles. Il voulut les renforcer et dut s’abstenir lorsqu’un
vertige subi lui arracha un grognement.

« Jiggy. » appela calmement Minerva. L’elfe de maison apparut dans un crack retentissant et
s’inclina devant la sous-directrice. « Le Professeur Snape souhaite prendre son petit-
déjeuner. »

« Du thé et des toasts. » grommela-t-il, irrité qu’elle se sente obligée de le materner de la


sorte.

« Du thé, deux tasses s’il te plaît, des œufs, du bacon, et une assiette de toasts bien fournie. »
corrigea-t-elle posément.

« Je n’ai pas d’appétit. » riposta Severus.

« Cessez vos enfantillages. » cingla-t-elle. « Vous ne quitterez pas cette pièce tant que je ne
vous aurais pas vu avaler un repas conséquent. C’est cela ou bien je vous dénonce à Poppy.
Nous verrons si vous êtes aussi têtu après avoir passé une semaine sous clef à l’infirmerie.
J’ai déjà dans l’idée de vous suspendre. Combien de repas avez vous raté cette semaine ?
Combien de nuits avez-vous passé endormi sur ce bureau ? Cela suffit, Severus. »

Cette tirade fut ponctuée par la disparition de l’elfe de maison qui sentit, probablement à juste
titre, qu’il valait mieux ne pas tester la patience de la sorcière ce jour là.

« Ces recherches valent-elles que vous y laissiez la santé ? » demanda-t-elle sèchement.

« Oui. » répondit-il simplement, d’un ton buté.

Ils se fusillèrent du regard quelques instants. Severus fut le premier à détourner les yeux.

« Prenez la matinée. » offrit-elle. « Quelqu’un vous remplacera. »

« Je suis en pleine forme. » mentit-il.

« Vous êtes surmené et vous manquez cruellement de sommeil. » répliqua-t-elle.

Un plateau chargé de nourriture apparut sur ses entrefaites et flotta au-dessus de son bureau
jusqu’à ce que Severus dégage un espace suffisant pour qu’il puisse se poser. Ce ne fut que
lorsqu’il sentit l’odeur des œufs chauds qu’il réalisa qu’il était affamé. Il attrapa la fourchette
et en avala la moitié en moins d’une minute. Minerva servit le thé sans commenter ses piètres
manières, ce pour quoi il lui fut reconnaissant.

« Je n’ai pas de bonnes nouvelles. » lâcha-t-elle, serrant sa tasse de thé entre ses mains pour
les réchauffer.

La fourchette manqua lui échapper et il releva immédiatement la tête, alarmé. « Harry ? »

« Potter va bien. » le rassura-t-elle immédiatement, en balayant ses inquiétudes d’un geste.


« Je dirais même que cette échauffourée avec Malfoy l’autre jour lui a été salutaire. Il a l’air
moins déprimé. »

« Ce qui signifie qu’il a trouvé une quelconque bêtise à faire. » soupira-t-il, en se massant
l’arrête du nez. « Probablement dangereuse. »

« Cela peut difficilement être pire que de penser pouvoir devenir un Animagus avec vous
pour seule supervision. » jugea-t-elle. « Vous serez heureux de savoir que ses progrès sont
lents mais réguliers. Albus m’a demandé pourquoi le garçon passait autant de temps dans
mon bureau, j’ai répondu que je l’aidais à se remettre à niveau. Ses notes sont, de toute
manière, bien moins bonnes que celles figurant sur le carnet que vous avez rapporté de
soixante-quinze, même si les progrès effectués sont notables... »

« Il était mieux encadré en soixante-quinze. » admit-il. « Et il était entouré de personnes qui


le poussaient académiquement. Je doute que les Weasley et leurs farces et attrapes... Qu’y a-t-
il ? »

Minerva s’était assombrie à la mention des Weasley.

« Cette mauvaise nouvelle... » répondit-elle. « Miss Tonks... »


La sorcière hésita et Severus fronça les sourcils, reposant à nouveau sa fourchette.

« Il ne lui ait rien arrivé, j’espère ? » s’enquit-il.

Elle lui avait promis d’être prudente, et si cette idiote s’était faite tuer alors qu’il l’avait
envoyée en surveillance...

« Non, non, elle va bien, rassurez-vous. » s’empressa-t-elle de le tranquilliser. Un sourire


légèrement amusé flotta sur les lèvres de la sous-directrice l’espace de quelques secondes
puis disparut avant qu’il ait eu le temps de s’interroger sur son origine. « Simplement, les
nouvelles ne sont pas bonnes. »

Elle lui résuma les faits pendant qu’il finissait son petit-déjeuner. Elle termina son récit à peu
près au même moment où il termina ses toasts. Il fit disparaitre le plateau d’un coup de
baguette.

« J’étais persuadé que nous trouverions une explication à cette affaire de potions. » avoua-t-
il. « Weasley ne me paraissait pas un espion crédible. »

« Peut-être ne l’est-il pas ? Peut-être est-ce autre chose ? » suggéra Minerva, visiblement
peinée par la trahison possible d’un de ses élèves. « Après tout, Tonks l’a vu se rendre à
Barjow et Beurk toute la semaine sans qu’il y ait aucune trace d’un autre Mangemort... Je sais
que la vie est dure pour les Weasley depuis quelques temps. Entre la mort d’Arthur et les
licenciements des deux frères ainés... Peut-être Bill a-t-il trouvé un emploi chez Barjow et
Beurk et n’a pas osé en parler en raison de la réputation de la boutique... »

« Barjow et Beurk est principalement fréquentée par des Mangemorts, Minerva. » observa-t-
il. « Cependant... » Il hésita, faisant tourner pensivement sa baguette entre ses doigts. « Sois
Weasley est meilleur Occlumens que je suis Legilimens, sois nous nous fourvoyons sur toute
la ligne. »

Bill Weasley n’avait pas le profil du parfait espion... Mais n’était-ce pas pour cela que le
Seigneur des Ténèbres aurait voulu le recruter ? L’espion parfait était celui que l’on ne
soupçonnait pas...

« Où est Molly Weasley ? » s’enquit-il soudain. « Je ne l’ai vue à aucune réunion depuis mon
retour. Elle n’en ratait jamais une seule avant mon départ. »

« La mort d’Arthur... » offrit la sous-directrice avant de s’interrompre. « Elle ne sort plus


beaucoup d’après ce que j’ai compris. »

« Plus beaucoup ou plus du tout ? » insista Severus.

Minerva fronça les sourcils. « Vous pensez que... »

« Je pense que si sa mère est retenue en otage, il est tout à fait possible que Weasley soit prêt
à tout pour la protéger. » décréta-t-il.

« Voilà une hypothèse facile à vérifier. » déclara-t-elle, en quittant son siège pour la cheminée
qui trônait dans un coin de la pièce.
Elle jeta la poudre de cheminette et énonça clairement l’adresse du Terrier avant de
s’agenouiller et de passer la tête dans l’âtre. Les pierres nues et inégales étaient sans doute
des plus inconfortables et Severus souhaita qu’elle ait eu la présence d’esprit de jeter un sort
avant de se jeter par terre avec précipitation. Elle oubliait parfois qu’elle n’avait plus vingt
ans, songea-t-il.

Et lui non plus...

Il ravala un soupir, profitant que la Directrice des Gryffondors lui tourne le dos pour se frotter
à nouveau le visage. Il tenta de calculer combien d’heures de sommeil il avait accumulées
cette semaine là et fut presque effrayé du résultat. Certes, il avait la certitude tenace de jouer
contre la montre mais s’il ne se ménageait pas davantage, il finirait par se tuer à la tâche.

Minerva se releva tandis que les flammes vertes reprenaient lentement leur couleur normale.
Elle avait presque l’air déçu.

« Molly est bien au Terrier. » rapporta-t-elle. « Charlie et Anthony lui tiennent compagnie. »
Elle pinça les lèvres, hésita, puis rajusta ses lunettes. « Elle me semble étrange. J’admets
n’avoir eu que peu d’occasions de la voir dernièrement, mais... Peut-être une visite en bonne
et due forme s’impose-t-elle. »

« Je vous accompagnerai. » décida-t-il, préférant juger par lui-même.

« Pour quel motif ? » demanda-t-elle. « Nous ne pouvons pas nous rendre chez eux à
l’improviste sans raison valable... »

« Un des Weasley méritera bien une punition exemplaire ces jours prochains... » se moqua-t-
il. « Il y a cela de bien avec les jumeaux qu’ils ne ratent jamais une occasion de faire perdre
des points à Gryffondor. »

°°O°°O°°O°°O°°

« Et tu veux que Sirius nous serve de prof ? » demanda Ron, en fronçant les sourcils.

Sa réponse fut presque couverte par le brouhaha général qui régnait dans les cachots.

« Non, je ne dis pas qu’il doit venir tout le temps. » riposta Harry, en jouant distraitement
avec la fiole de venin de crotale. « Simplement... »

« Simplement si tu ne prêtes pas attention à ton chaudron, Potter, il risque bien d’exploser. »
intervint Zabini, en désignant d’un geste de la tête le chaudron qui rougeoyait davantage de
seconde en seconde.

Harry poussa un juron et se retourna pour s’occuper de sa potion. Un coup d’œil alentours lui
assura que Slughorn ne lui prêtait aucune attention, trop occupé à s’extasier sur la potion de
Malfoy et d’Hermione. Une fois certain que le chaudron n’exploserait pas, il se retourna à
nouveau. Zabini leva les yeux au ciel puis arracha la louche des mains de son binôme et se
concentra sur leur travail. Abandonnant toute idée d’aider le Serpentard, Ron traina son
tabouret un peu à l’écart pour qu’ils puissent discuter plus facilement.
Ça arrangeait Harry. Il jeta discrètement un assurdiato afin de s’assurer que leur conversation
resterait privée. Il n’était pas certain que la précaution soit entièrement nécessaire mais c’était
devenu un réflexe.

« Je ne comprends pas bien, il y a une semaine tu n’étais pas sûr de vouloir te réconcilier
avec Sirius et maintenant tu veux l’intégrer à l’AD ? » insista Ron, avant de hausser les
épaules. « Moi, ça m’est égal, cela dit. Je trouve ça plutôt bien que vous vous parliez de
nouveau. »

Harry était prêt à parier qu’il aurait trouvé ça un peu moins bien s’il avait su que se
réconcilier avec Sirius avait impliqué d’entraîner sa sœur la nuit au milieu de la Forêt
Interdite.

« Son idée de l’entraînement ressemble à celle de Severus. » expliqua-t-il. « C’est plus


efficace que ce que fait Remus ou ce qu’on fait à l’A.D. »

Ron plissa le nez. « C’est très bizarre de t’entendre l’appeler Severus. »

« Snape, si tu préfères. » répondit-t-il. « Qu’est-ce que tu en dis alors ? J’en parle à


Hermione ? »

« Oui, pourquoi pas ? Je ne vois pas pourquoi elle serait contre. » déclara son meilleur ami.
« Si tu penses que Sirius peut nous préparer mieux qu’on ne le fait... C’est le but non ? Être
prêt en cas d’attaque. »

Harry hocha la tête. Certes, c’était le but, et Ginny était enthousiaste à l’idée d’intégrer Sirius
à l’aventure parce que, d’après elle, qu’on le veuille ou non et aussi doués qu’Hermione et lui
soient, un adulte avait plus d’expérience et connaissait probablement des sorts dont ils ne
soupçonnaient même pas l’existence. Il n’était pas opposé lui-même à ce qu’ils fassent appel
à Sirius, il s’entendrait facilement avec tout le monde et il fallait reconnaître que son parrain
savait se battre en duel plus que correctement. Le problème n’était pas là... L’A.D. était le
bébé d’Hermione et il ne savait pas bien comment elle prendrait cette suggestion.

Il avait bien remarqué qu’il l’agaçait ces temps-ci. Qu’il ait choisi de s’entraîner aux
informulés et, surtout, qu’il parvienne déjà à jeter des sortilèges basiques alors qu’elle
échouait à chaque tentative, était un point de tension permanent. À chaque fois qu’il
s’aventurait à sous-entendre que le cursus avait été plus compliqué en soixante-quinze ou
qu’il avait déjà étudié un chapitre en particulier, il pouvait presque voir l’effort qu’il lui fallait
faire pour ne pas lever les yeux au ciel. Il soupçonnait que l’influence de Malfoy n’aidait pas.

« Tu vas signer la demande de tutelle, alors ? » s’enquit Ron, avec un soulagement certain.

Harry serra les dents et détourna le regard, mal à l’aise dès que ce sujet revenait sur le tapis.

« Je n’ai pas encore décidé. » lâcha-t-il.

« Mais pourquoi ? » soupira le Gryffondor. « Tout vaut mieux que tes Moldus, non ? »
Ron ne comprenait clairement pas son acharnement sur le sujet, pas plus qu’Hermione
d’ailleurs. Severus comprenait peut-être mais il désapprouvait et ce n’était pas vraiment
comme si ils pouvaient en parler quoi qu’il en soit...

« Je ne sais pas. » mentit-il, sans s’avancer.

°O°O°O°O°

La vue de Sirius était trouble.

Une partie de la nuit passée à arpenter la Forêt Interdite et une autre partie passée à... chasser
avec une vampire l’expliquaient sans doute. À moins que ce ne soit la lumière tamisée qui
prédominait dans la bibliothèque du Square Grimmaurd où il avait passé une grande partie de
la journée.

De la petite table de travail qu’il avait annexée à ses recherches et trainée jusqu’à la fenêtre
dans une vaine tentative d’obtenir davantage de lumière, il pouvait entendre les raclements
réguliers des griffes de Buck labourant le parquet, les allées et venues accompagnées de
grommellements de Kreattur, et quelqu’un qu’il présumait être Remus s’affairer dans la
cuisine. Le loup-garou s’était remis à travailler sur la nouvelle version de la carte des
Maraudeurs qui leur permettrait de surveiller le Ministère. Sirius n’avait pas la tête à ça.

Son regard fut attiré par des enfants qui jouaient sur la place et il les observa un moment au
travers de la crasse incrustée sur le carreau. Ils se renvoyaient un ballon en riant et il était tout
à la fois mélancolique et jaloux de leur insouciance. Ses pensées s’envolèrent vers des jours
meilleurs, des jours où lui et James avaient passé des après-midi entières à ne rien faire
d’autre que de lancer et de rattraper un souaffle... Il se souvenait avoir plaisanté des soirées
entières alors que Lily était enceinte sur le fait que leur fils saurait jouer au Quidditch avant
de savoir marcher...

« Tu souhaitais me voir. »

Il sursauta violemment, sa main volant vers la baguette qu’il avait abandonnée entre deux
grimoires comme marque-page.

« Si j’avais été un Mangemort, tu serais déjà mort. » se moqua Snape, en émergeant de


l’ombre d’un rayonnage. « Tes réflexes se perdent. »

« Tu es un Mangemort. » rétorqua-t-il, agacé par les tendances prononcées du Maître des


Potions pour les entrées et sorties dramatiques.

« Il est heureux que tu me sois plus utile vivant que mort, dans ce cas. » répliqua Snape. « Je
n’ai pas énormément de temps à te consacrer. Mon prochain cours débute dans une demi-
heure. Tu disais avoir découvert quelque chose ? »

Il était clair à entendre le ton dubitatif que Snape ne pensait pas une seconde que Sirius ait pu
découvrir quelque chose que lui n’aurait pas déjà vu.
Sirius jeta un coup d’œil à la porte close de la bibliothèque mais renforça les protections anti-
intrusions qu’il avait jetées avant d’entamer ses recherches. Au cas où.

Une seconde plus tard, Snape rajoutait quelques couches de quatre coups de baguette secs.

« Je t’écoute. » lâcha l’homme.

Sirius détestait la manière dont il lui adressait la parole, comme s’il n’était qu’un laquais à
ses ordres, et mourrait d’envie de lui flanquer son poings dans la figure. Il se contint. Il venait
à peine de rétablir le contact avec Harry, ce n’était certainement pas le moment de tout
gâcher.

« Tu as dit qu’il y avait plusieurs horcruxes... » lâcha-t-il, en fouillant dans ses notes. « Un
journal et une bague... »

« Et probablement davantage. » soupira Snape. « Ce n’est pas exactement ce que j’appelle


une découverte, Black. »

« Le grimoire dit que créer un horcruxe est déjà un exploit, alors trois... » objecta-t-il.

Le Professeur leva les yeux au ciel.

« Je retire ce que j’ai dit et te prie de m’excuser. Tu viens très clairement de découvrir
l’origine de la folie du Seigneur des Ténèbres. » ironisa l’homme. « Ils te décoreront sans
doute pour cet exploit. »

« Tu peux la fermer deux secondes et m’écouter ? » gronda-t-il. « Combien d’hocruxes on


cherche exactement ? C’est ça la question. »

« Je l’ignore. » répondit le Mangemort. « Le journal est détruit, c’est ma seule certitude. » Le


Maître des Potions le dévisagea, sourcils froncés. « Laisse la chasse aux horcruxes à
Dumbledore, tant qu’il est occupé à courir après des chimères il ne se préoccupe pas d’Harry.
Ce qu’il nous faut découvrir c’est comment détruire un horcruxe sans détruire le vaisseau. »

Sirius secoua la tête. « Impossible. Tout ce que j’ai lu le confirme. Toutes tes recherches le
confirment. »

« J’ai redéfini l’impossible, il n’y a pas si longtemps, en nous ramenant Harry et moi d’une
autre réalité. » rétorqua Snape avec arrogance. « Je ne renoncerai pas. »

« Est-ce que j’ai dit que je voulais qu’on renonce ? » répliqua-t-il, en levant les yeux au ciel.
« On ne peut pas détruire l’horcruxe sans détruire le vaisseau donc ce qu’on doit faire, c’est
trouver un moyen de sortir l’horcruxe d’Harry. De le transférer ailleurs. Et, oui, il faut qu’on
se préoccupe de combien d’horcruxes il y a en tout parce que je préfèrerai tenter l’expérience
sur autre chose qu’Harry. »

Cela eut le mérite de clouer le bec du Maître des Potions.

« Transférer l’horcruxe... » répéta le Professeur. « Ce n’est pas... idiot. »


« Tu peux dire que c’est brillant, ça ne va pas t’arracher la bouche. » remarqua-t-il.

Le Mangemort s’approcha de la table et attrapa les notes qu’il avait gribouillées à la hâte,
grimaçant au peu de soin qu’il apportait à ses recherches. Tout le monde ne pouvait pas
conserver trois copies parfaitement rédigées...

« Est-ce réalisable sans endommager le vaisseau ? » s’enquit Snape et, bien que la question
fut posée à voix haute, Sirius eut la sensation qu’il se parlait à lui-même. « Cette
monstruosité prend racine dans l’âme d’Harry. Je ne suis pas certain... »

« Je ne sais pas, mais je pense qu’on devrait quand même s’y pencher. » insista-t-il.

Le Professeur ne l’écoutait pas, un parchemin oublié dans une main, il se frottait le visage de
l’autre.

« Le vaisseau et l’horcruxe sont supposément indivisibles... Les séparer... » soupira l’homme.


« Je crains qu’il soit impossible de les séparer sans mettre Harry en danger... Si nous abimons
ne serait-ce qu’une seule partie de son âme... »

« Tu as une sale tête. » commenta-t-il.

Snape était pâle comme un linge – plus pâle que d’ordinaire, s’entend – et le parchemin qu’il
tenait frémissait. Il lui fallut une seconde pour comprendre que c’étaient ses mains qui
tremblaient.

« Je me passerai de tes remarques, Black. » cingla Snape.

« Non... Tu as vraiment une sale tête. » contra-t-il.

Il se leva et poussa la chaise juste à temps pour réceptionner l’homme que ses jambes ne
soutenaient plus.

« Wow. » s’exclama-t-il, le stabilisant d’une main sur l’épaule. « Qu’est-ce que tu nous fais,
là ? »

Snape grinça des dents, appuya ses coudes sur la table et enfouit son visage dans ses mains.

« Un philtre de force ne serait pas superflu. » lâcha le Maître des Potions, avant de soupirer.

« Je crois que c’est une sieste qui ne serait pas superflue. » rétorqua-t-il. « Est-ce que ce sont
des cernes sur ton visage ou est-ce que tu te transformes en inféri ? Dur à dire. »

« J’ai un cours à donner. » s’énerva le Mangemort. « Et des recherches à finir. Trouve moi un
philtre de force. »

Aller chercher une potion aurait requis qu’il lâche l’épaule de son rival et il n’était tout
simplement pas convaincu que Snape ne glisserait pas de la chaise s’il s’y aventurait.

« Je ne crois pas que tu vas être à l’heure à ton cours. » grimaça-t-il.


« Ne sois pas ridicule. » marmonna Snape. « Bien sûr que je serais à l’heure. Contrairement à
d’autres, j’estime que la ponctualité est capitale. »

« Écoute, je vais envoyer un message à McGonagall, d’accord... Tu n’as qu’à dormir une
heure ou deux. On ne manque pas de chambres, ici. » décréta-t-il.

Le Professeur ôta ses mains de son visage et lui jeta un regard noir.

Sirius ne se laissa pas impressionner.

« Ne va pas t’imaginer que je m’inquiète pour toi. » grinça-t-il. « S’il t’arrive quelque chose,
Harry ne s’en remettra pas. »

Il commençait à comprendre que lorsqu’il était question de faire entendre raison à Snape, le
bien être d’Harry était le meilleur argument à avancer.

« Minerva m’avait bien proposé de prendre ma matinée... » capitula le Mangemort avec un


soupir.

« Eh bien, tu vas prendre l’après-midi à la place. » haussa-t-il les épaules.

°°O°°O°°O°°O°°

Albus rangea le miroir dans le tiroir de son bureau, peu satisfait par l’échange qu’il venait
d’avoir avec Lucius. Les efforts du Sang-Pur pour convaincre ou soudoyer les membres du
Magenmagot de conserver les Détraqueurs à Azkaban lui compliquaient singulièrement la
tâche, mais, à en croire l’aristocrate, il s’agissait d’un ordre express du Seigneur des
Ténèbres. Lucius ignorait quels étaient les projets à long terme de Voldemort pour les
Détraqueurs mais son Maître lui avait bien fait comprendre qu’un échec serait malvenu pour
ne pas dire dangereux pour sa propre survie.

Le vieux sorcier ôta ses lunettes et se frotta les yeux, tâchant de décider s’il valait mieux
insister ou s’effacer afin de laisser croire à Tom qu’il avait l’avantage, tout en profitant des
informations que Lucius récolterait pour contrer ses projets. Cette guerre n’était rien d’autre
qu’une partie d’échecs et il fallait parfois savoir feindre de perdre pour mieux triompher.

Ses yeux bleus se portèrent sur le plateau oublié sur une table près de la cheminée, les pièces
sagement rangées en rangs serrées de chaque côté, attendant d’être à nouveau utilisées. Il
s’était passé tellement de temps depuis que Minerva avait consenti à jouer avec lui qu’une
fine couche de poussière les recouvrait.

Comme si sa simple pensée l’avait invoquée, il y eut un bref coup à la porte et Minerva entra
sans attendre d’y être invitée. Elle ne leva pas la tête des papiers qu’elle étudiait. L’emploi du
temps des Professeurs, s’il ne se fourvoyait pas.

« Êtes-vous occupé durant les deux prochaines heures, Albus ? » s’enquit-elle, tout en
continuant de tourner les pages.

Il jeta un regard coupable à la lettre de Scrimgeour qui attendait une réponse depuis la fin de
la matinée. Il ne savait que répondre au Ministre. Il avait déjà avancé tous les arguments qu’il
pouvait avancer pour que le Ministère renonce à l’utilisation des Détraqueurs. Outre jeter un
Impérium à l’ensemble du Magenmagot – et il ne fallait pas croire qu’il n’avait pas envisagé
l’idée, frustré comme il l’était par ces sorciers butés – il ne voyait pas bien que faire de plus.

« Pas le moins du monde. » mentit-il. « Que puis-je faire pour vous aider, Minerva ? »

« Pourriez-vous assurer le cours de Défense des cinquième année ? » demanda-t-elle, levant


finalement le nez des parchemins avec un soulagement palpable. « J’ai cours avec les
septième année et je crains que Sybille et Hagrid soient les seuls autres professeurs
disponibles. »

« Naturellement. » accepta-t-il aussitôt avec une bonne humeur retrouvée. Cela faisait
longtemps qu’il n’avait pas enseigné et cela lui ferait plaisir de retrouver une salle de classe.
« Où est Severus ? »

La sorcière pinça les lèvres et fit disparaître son tas de parchemin d’un coup de baguette
agacé. « Il s’est effondré. Il est épuisé. Vous exigez trop de lui, Albus. »

Il fronça les sourcils.

« Est-il à l’infirmerie ? Êtes-vous certaine qu’il ne s’agisse que de fatigue ? » s’inquiéta-t-


il. « Certains maléfices... »

« Oh, j’en suis certaine, oui. » l’interrompit-elle sèchement. « Il se perd dans ses recherches,
saute les repas et passe la nuit à son bureau. »

C’était, en effet, inquiétant. Severus avait toujours eu tendance à se tuer à la tâche. Toutefois,
si les conséquences avaient été, jusque là, minimes, la période n’encourageait pas à ce genre
d’attitude. Le Maître des Potions se mettait en danger à chaque réunion à laquelle il se rendait
et il se devait d’être concentré.

« Je lui parlerai. » offrit-il.

« Très bien. » soupira-t-elle. « Peut-être aurez-vous plus de chance que moi parce que j’ai
l’impression de parler à un mur. Votre cours commence dans dix minutes, ne soyez pas en
retard, et pour l’amour de Circé, ne provoquez pas de catastrophes, j’ai entièrement trop de
travail pour affronter une foule de parents mécontents. »

Il promit de faire de son mieux, caressa la tête de Fumseck au passage et emboîta le pas à la
sous-directrice. Ils parcourent les couloirs en devisant de tout et de rien, pas aussi à l’aise
qu’ils l’eurent été autrefois, à son grand regret, et se séparèrent au détour d’un couloir. Il
arriva pile à l’heure et ne put retenir un sourire face aux regards surpris qui l’accueillirent.
Les élèves étaient docilement rangés de pars et d’autres du couloir, sachant probablement que
barrer le chemin de Severus n’était pas des plus souhaitables.

« Où est le Professeur Snape ? » demanda la jeune Parkinson, en fronçant les sourcils, alors
qu’il déverrouillait la salle de classe d’un alohomora informulé. Du coin de l’œil, il remarqua
l’approche d’Harry. Le visage de l’adolescent était un masque de pure indifférence mais il
était évident, pour celui qui savait regarder, qu’il était en train d’Occluder. Severus l’avait
bien entrainé. Albus n’était pas certain qu’il serait parvenu à passer au travers des boucliers
en forme de flammes dont il apercevait parfois le reflet dans les yeux verts. Il était curieux de
connaître l’ensemble des défenses d’Harry mais devinait que la moindre transgression, si elle
était découverte, ne lui vaudrait que la rancune et la colère du garçon.

« Une affaire urgente l’a appelé ailleurs. » répondit-il tranquillement, en invitant d’un geste
les élèves à entrer. « Vous devrez vous contenter de moi aujourd’hui, je le crains. »

Un murmure ravi se répandit parmi les Gryffondors. Les Serpentards furent un peu moins
vocaux mais tous ne semblaient pas hostiles à sa présence.

Il attendit que le dernier élève, le jeune Crabbe, soit entré avant de fermer la porte derrière lui
et de remonter lentement l’allée centrale jusqu’à l’imposant bureau qui trônait devant le
tableau noir. Les adolescents hésitaient devant leurs bureaux, certains avaient encore leur sac
en bandoulière.

« Euh, Professeur ? » hésita Seamus Finnigan, en levant la main. « Est-ce qu’on doit déplacer
les tables ? »

« Nous étions censés nous entraîner à briser les boucliers d’un ennemi. » renchérit Hermione
Granger, la baguette déjà à la main.

« Je laisse au Professeur Snape le soin de juger de vos progrès sur ce point. » offrit-il, leur
indiquant de prendre place. « Installez-vous. La pratique attendra la deuxième heure. »

Les enfants s’installèrent dans un brouhaha qui dura une bonne minute, tirant plumes, cahiers
et manuels de leur sac. Il attendit que le silence soit retombé avant de dévisager l’assemblée
qui lui faisait face.

Hermione Granger était assise au premier rang, à côté de Daphné Greengrass. Derrière elles,
il y avait Harry et Ron Weasley, puis Draco Malfoy et Blaise Zabini... Lavande Brown était
assise près de Milicent Bullstrode alors que Theodore Nott était installé à côté de Neville
Londubat.

Il était réconfortant de voir que les Maisons respectaient toujours plus ou moins la Trêve.

« Quelqu’un peut-il me citer des exemples de Métamorphose appliquée à l’attaque ? »


s’enquit-il.

Une vague de chuchotements excités traversa la classe sans qu’aucune main ne se lève pour
répondre à sa question.

« Allons, allons... » sourit-il. « Un peu d’imagination. »

La main d’Hermione Granger fusa dans les airs.

« On peut animer certains objets... Comme des armures, par exemple. » tenta la jeune filles.
« Celles de Poudlard sont enchantées et servaient à défendre le château en cas d’attaque au
Moyen-âge. »
« Je vois que L’Histoire de Poudlard est toujours votre livre préféré, Miss Granger. » la
félicita-t-il d’un hochement de tête. « Il est effectivement possible d’enchanter des armures
ou des statues. Cela exige toutefois un grand pouvoir si vous souhaitez vous assurer
suffisamment d’armures pour combattre une armée. D’autres idées ? Pensez plutôt à quelque
chose qui pourrait vous aider lors d’un duel... »

Cette fois ce fut la main d’Harry qui se leva, plus hésitante.

« On peut transformer son environnement à son avantage. » proposa-t-il.

« Excellent. » approuva Albus. « Quoi d’autre ? »

Il continua son cours avec plaisir, ravi de constater que ses élèves, une fois lancés, ne
manquaient pas de créativité. La partie pratique se révéla intéressante bien qu’ils frôlèrent de
peu la catastrophe lorsque Finnigan fit involontairement exploser un bureau en voulant le
transformer et que Londubat se retrouva propulsé à quelques mètres de là. Après s’être assuré
que personne n’avait rien, il pria les adolescents de ne pas mentionner l’incident au
Professeur McGonagall – cette déclaration fut accueillie par un rire collectif mais il n’avait
aucun doute que Minerva en entendrait parler avant la fin de la journée.

Il fut presque déçu lorsque la cloche signala la fin du cours. Il lui faudrait proposer à Severus
de le remplacer à nouveau à l’occasion : instruire des adolescents était bien plus agréable que
de passer ses journées à instruire les sorciers du Magenmagot.

« Harry ? » appela-t-il, alors que le garçon s’apprêtait à quitter la salle de classe avec ses
amis. « Veux-tu me raccompagner jusqu’à mon bureau ? J’aimerai te parler. »

Harry acquiesça et attendit que le Directeur ait verrouillé la porte derrière eux avant de poser
la question qui, Albus en était certain, le taraudait depuis le début du cours. Il fut heureux de
constater que le garçon s’assura qu’ils étaient seuls dans le couloir avant de parler.

« Severus ? » s’inquiéta le Gryffondor.

« Le Professeur Snape est simplement fatigué. » offrit-il, insistant sur le titre. « Ce n’est pas
de lui dont je souhaite te parler. »

« Pas de Sirius non plus, j’espère... » grimaça Harry. « Si c’est encore cette histoire de
tutelle... »

« Oh, mon opinion sur cette histoire de tutelle, comme tu dis, est on ne peut plus claire. »
déclara-t-il. « Et, tranquillise-toi sur ce point, personne ne te forcera à signer quoi que ce soit.
Bien que je le regrette, il est nécessaire que tu retournes chez ton oncle et ta tante. »

Harry leva discrètement les yeux au ciel et enfonça les mains dans ses poches d’un air
bougon.

« Ce n’est, de toute manière, pas de cela dont il est question. » continua tranquillement
Albus, alors qu’ils approchaient de la gargouille. « Il est temps, je pense, de t’impliquer
davantage dans cette guerre. Après tout, bien que j’aurais préféré te préserver un petit peu
plus longtemps, tu es maintenant au courant de la prophétie et tu as émis le souhait
d’accélérer ton entraînement avec Remus... » La gargouille s’écarta et il guida le garçon vers
l’escalier d’une main sur l’épaule. « Il est hors de question de te mettre en danger,
naturellement, mais l’esprit est la meilleure des armes et il y a certaines choses dont il te faut
être au courant. Comprendre ton ennemi est la première étape vers son annihilation. »

Le Survivant fronça les sourcils et le précéda dans le bureau, prenant place sur un des sièges
lorsqu’il l’y invita. Albus pris le temps de fermer la porte et de s’assurer que personne ne
pourrait les déranger avant d’aller s’asseoir dans l’imposant fauteuil derrière le bureau.

Il observa l’adolescent en silence, notant avec un certain amusement que les boucliers du
garçon étaient à nouveau à leur maximum, jusqu’à ce que Fumseck ne le rappelle à l’ordre de
quelques notes.

« Harry... » commença-t-il avec sérieux, joignant les mains sur la surface du bureau. « Que
sais-tu des horcruxes ? »

°°O°°O°°O°°O°°

« Ce n’est pas la fin du monde, Granger. » soupira Draco, avachi sur le vieil hamac défraichi
qui pendait entre deux poutres.

De l’autre côté de la pièce, assise sur la caisse qui faisait office de chaise, sa bouteille de
bièraubeurre jamais entamée oubliée sur la caisse qui servait de table, Hermione soupira elle
aussi. Du regard, elle retraça les initiales entrelacées gravées sur le mur, NB et LM.

Elle n’avait parlé de la tourelle à personne, sachant que la pièce était une confidence de
Lucius à son fils et que, à sa connaissance, il n’avait partagé le secret avec personne, pas
même avec Blaise. Le Serpentard volait jusque là lorsqu’il désirait être seul et si, récemment,
il désirait être seul avec Hermione, la jeune fille avait conscience que l’invitation n’était pas
sans date de péremption. La tourelle était le refuge des Malfoy, pas le sien, pas le leur...
Pourtant, lorsque Draco avait suggéré qu’ils aillent prendre l’air, après la discussion houleuse
qui l’avait opposée à Ron, c’était là qu’elle avait demandé à aller. Probablement parce qu’elle
était certaine qu’ici, personne ne viendrait les chercher.

Et puis, après tout, c’était ici qu’était véritablement née l’A.D., ici que Draco et elle avaient
décidé de ses membres, il était juste que ce soit ici qu’ils discutent de son devenir.

« Je sais que ce n’est pas la fin du monde. » répondit-elle finalement, en jouant distraitement
avec l’étiquette de la bouteille.

« Je t’avoue que mes souvenirs de la Nuit des Ténèbres sont un peu flous mais Black n’était
pas si mauvais. » observa-t-il, les yeux rivés au plafond. « C’est un bouffon, certes, mais un
bouffon qui n’est pas si mauvais. Tant qu’à impliquer un adulte, mon choix se serait porté
vers Nymphadora, cependant. »

« Sirius est fiable, ce n’est pas le problème. » soupira-t-elle.


L’étiquette légèrement humide ne résista pas longtemps au rude traitement auquel elle la
soumettait et elle posa la bouteille, pliant et repliant le morceau de papier qui lui collait aux
doigts.

« Oh, je sais que ce n’est pas le problème… » ricana Draco. « Je peux le nommer le problème
si tu ne veux pas le faire. »

Elle cacha mal un mouvement d’humeur, lui en voulant tout à la fois d’être aussi perspicace
et de ne pas noyer le poisson comme Ron le faisait désormais régulièrement.

« Tu veux mon avis sincère ? » continua le Serpentard.

« La sincérité n’est pas ton fort et quand ai-je déjà réussi à t’empêcher de donner ton avis de
toute manière ? » s’agaça-t-elle.

Les chandelles projetaient des ombres étranges un peu partout dans la pièce. Elle apercevait à
peine le visage de Draco dans la pénombre mais elle sentait pourtant son regard posé sur elle,
calculateur. Il ne s’empressa pas de répondre comme l’aurait fait Ron ou Harry, lorsque sa
voix retentit à nouveau, elle était posée, réfléchie. C’était une chose qu’elle appréciait tout
particulièrement chez lui. Il ne disait jamais la première chose qui lui passait par la tête. Un
comportement typiquement Serpentard, peut-être – à moins qu’il ne s’agisse de ses manières
d’aristocrate.

« Tu as pris goût au pouvoir, mon cœur. » déclara-t-il.

Un frisson lui parcourut l’échine et elle jeta les restes de l’étiquette, désormais déchirée en
petits morceaux, sur la caisse qui lui faisait face.

Le surnom était tout à fait ridicule, naturellement, et c’était la première fois qu’il s’aventurait
à l’appeler par ce genre de petits noms.

Elle aurait dû protester, établir des limites afin qu’il ne recommence pas…

Mais cela aurait été mentir de dire que cela ne lui plaisait pas…

« Non. » nia-t-elle tout net. « Je ne suis pas comme ça. »

Il laissa échapper un bruit amusé.

« Tout le monde est comme ça, Granger. » offrit-il, dans un haussement d’épaules. « Et
pourquoi pas, après tout ? Qui y a-t-il de mal à désirer le pouvoir ? Cela ne signifie pas pour
autant que tu vas te transformer en Seigneur des Ténèbres. Ose me dire que tu n’as jamais
songé à devenir Ministre de la Magie… »

Elle garda le silence quelques secondes puis capitula.

« Ministre, non. » grimaça-t-elle. « Il faudrait réformer tout le système politique. Il est


archaïque. »
Cette déclaration fut accueillie d’un éclat de rire. Elle ne pensait pas qu’il soit en train de se
moquer d’elle, cependant, c’était plutôt affectueux.

« Ce n’est pas le problème de toute manière. » reprit-elle. « Il n’est pas question que Sirius
soit en charge de l’A.D. Ron a dit… »

« Peut on cesser de prétendre que Black a quelque chose à voir dans cette histoire ? »
s’enquit-il, en levant les yeux au ciel. « Tu ne m’as pas kidnappé et trainé jusque ici à cause
de Black. »

« Kidnappé ? » releva-t-elle, énervée. « Si tu as mieux à faire… »

« Mieux à faire que de te regarder bouder en silence ? Je pense pouvoir trouver mieux à faire
sans peine, effectivement. Ma Botanique, par exemple. » répondit-il. « Tu n’es pas du genre à
te voiler la face, Granger, pourquoi ne te décides-tu pas à admettre ce qui te met tant en
colère ? »

L’agacement était perceptible dans sa voix et elle se demanda s’il regrettait véritablement de
l’avoir suivie au lieu de travailler sa Botanique comme il l’affirmait. Peut-être en exigeait-
elle trop.

« Je ne suis pas en colère. » mentit-elle doucement.

Elle manquait de conviction à ses propres oreilles. Avec un nouveau soupir excédé, elle
desserra sa cravate, regrettant de ne pas avoir pris le temps de se changer avant d’être partie à
la recherche de Draco.

« J’aurais préféré qu’Harry m’en parle avant, c’est tout. » avoua-t-elle finalement. « Tu as vu
comment Ron a annoncé ça à table ? On aurait dit que c’était tout décidé. Et personne n’a
rien dit. » Évidemment que personne n’avait rien dit, Ron avait présenté les interventions de
Sirius comme une idée d’Harry et qui aurait remis le Survivant en cause ? « Je pensais qu’on
prenait les décisions ensemble. La moindre des choses aurait été de soumettre l’idée à un vote
à la prochaine réunion. » ajouta-t-elle avec une certaine amertume. « Ou, au moins, de me
demander mon avis. »

« L’espace d’une seconde, j’ai cru que tu allais renverser ta soupe sur la tête de Weasley. »
remarqua-t-il.

« Tout à fait entre nous, j’ai bien failli. » admit-elle.

Harry ne s’était pas présenté au diner, ce qui ne l’avait pas aidée à accepter la situation, et le
fait que Ron, une fois qu’elle avait réussi à l’arracher à l’étreinte de Lavande, ait échoué à
comprendre son point de vue ne l’aidait pas davantage. L’A.D. lui échappait, elle lui glissait
entre les doigts et Hermione ne parvenait pas à accepter ça.

« Tu as livré l’A.D. à Potter sur un plateau d’argent. » déclara Draco. « Tu lui as demandé son
avis sur ce qu’on devrait y étudier, tu lui as proposé de prendre ta place comme instructeur…
Et on parle de Monsieur-le-Sauveur-Du-Monde-Magique-Qui-Est-Mort-Et-Ressuscité-Deux-
Fois, bien sûr que les gens vont le suivre aveuglément. Ce sont des moutons effrayés. »
« Je pensais que cela l’aiderait à s’intégrer. » se défendit-elle. « Et, tu sais comme moi
qu’Harry est le meilleur choix possible. Lorsqu’il est question de Défense, il est meilleur que
toi et moi réunis. »

« Sûrement pas. » grinça-t-il. « Bien. Que faisons-nous ? Je suis pour un coup d’état. Cela va
demander un minimum d’organisation, quelques semaines peut-être, mais Potter n’est pas si
populaire… Si nous abattons les bonnes cartes au bon moment… »

« Il n’y aura pas de coup d’état. » le coupa-t-elle fermement. « Harry est ce qu’il y a de
mieux pour l’A.D. » Elle était suffisamment réaliste pour l’admettre. « Peut-être que tu as
raison… Peut-être que j’ai pris goût au pouvoir… Et dans ce cas, c’est probablement mieux
que ça s’arrête là. »

Elle se leva et étira les bras au-dessus de sa tête avant de le rejoindre sur le hamac, testant
prudemment la résistance des vieilles cordes avant d’y mettre tout son poids. Elle ignorait
depuis combien de temps ce hamac était là mais elle était prête à parier, vu son apparence,
qu’il datait de l’époque de Lucius et Narcissa. Il fallut plusieurs essais et elle crut au moins
trois fois qu’elle allait basculer et s’ouvrir le crâne sur les pierres crasseuses, mais elle parvint
à se blottir contre lui, à moitié couchée sur son torse. Une fois certaine qu’ils n’allaient pas
tomber, c’était plutôt confortable. Ses bras la tenaient suffisamment fermement pour qu’elle
se sente en sécurité mais assez pour qu’elle se sente prise au piège. Un coup de baguette de sa
part et le hamac se balança doucement de droite à gauche, elle ferma les yeux et s’efforça
d’oublier sa colère. Au bout de plusieurs minutes, elle parvint à se détendre.

« Hey, Granger… » murmura Draco, en déposant un baiser sur le haut de sa tête. « Potter est
un crétin arrogant qui se croit l’égal de Dumbledore parce qu’il parvient à jeter trois
informulés inutiles. Il ne t’arrive pas à la cheville. Tu en vaux trois comme lui. »

« Ne critique pas Harry. » le gronda-t-elle, sans aucune conviction.

Elle avait, toutefois, du mal à cacher son sourire.

Il était réconfortant de constater que quelqu’un, au moins, croyait en elle.


Elastic Heart

I’ve got thick skin and an elastic heart.

Sia – Elastic Heart

J’ai la peau dure et un cœur élastique.

Sia – Elastic Heart

Tonks parapha le dernier rapport et l’ajouta à la pile à envoyer à Kingsley avec un soupir
satisfait. Elle croisa les bras, posa la tête sur son coude et s’autorisa une sieste de quelques
secondes. Juste quelques secondes…

Elle aimait son bureau. Ce n’était peut-être pas plus grand qu’un placard mais il était à elle, la
plaque sur la porte portait son nom, et l’intérieur était à son image : un fatras
incommensurable y régnait mais elle s’y sentait bien. Il n’y avait pas beaucoup de place, à
peine de quoi y entasser un bureau, deux chaises, un porte-manteau et deux grands casiers qui
contenaient ses dossiers. Kingsley était officiellement son équipier depuis que Fol’Œil avait
pris sa retraite – et il l’était resté malgré le fait que Maugrey ait repris du service – et
puisqu’il avait son propre bureau en tant que Chef du Département des Aurors – un bureau
bien plus grand, avec fenêtre, cheminée et secrétaire – elle n’avait pas à partager, ce qui lui
convenait très bien. La pièce était tranquille. Exactement, ce dont elle avait besoin en ce
moment.

Enfin…

Tranquille…

« Oh, gamine ! » lança Fol’Œil, en entrant sans frapper. Elle se redressa instinctivement avec
la sensation désagréable d’être prise en faute. Quoi qu’il ait été sur le point de dire, son
mentor l’oublia au profit d’une expression déçue. « Dis moi, gamine, il faudrait peut-être
songer à un peu moins faire la fête et à dormir davantage. »

Elle ne chercha pas à dissimuler son agacement, prenant simplement garde de contrôler ses
pouvoirs toujours capricieux. Elle n’avait pas fait étalage du fait qu’elle avait retrouvé ses
dons de Métamorphomage et si ses cheveux avaient brusquement viré au rouge, la mèche
aurait été vendue.

« J’aimerai bien faire la fête, figure-toi. » grinça-t-elle. « Au lieu de ça, je me paye mission de
surveillance après mission de surveillance. »

Maugrey fronça les sourcils, radouci. « Je pensais que Delacour couvrait Pré-au-lard une nuit
sur deux. »
Elle lui aurait volontiers avoué qu’elle avait passé ses nuits, ces derniers jours, à redoubler
d’ingéniosité pour filer Bill Weasley et que, mis à part la fois où Lucius Malfoy avait pointé
le bout de son nez, cela avait consisté à poiroter dans le froid pendant des heures.

« Parce que tu comptes tes heures pour l’Ordre, toi, peut-être ? » se moqua-t-elle, avant de
décider qu’un changement de sujet s’imposait. « Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Le Ministre te demande. » répondit Fol’Œil dans un haussement d’épaules.

« Génial. » soupira-t-elle, en repoussant sa chaise pour se lever. « Juste ce qu’il manquait


pour illuminer ma journée.

Son mentor lui jeta un coup d’œil désapprobateur mais dissimula mal son amusement.

La distance du Département des Aurors au bureau du Ministre n’était pas si grande mais le
parcours était semé d’embuches. Tout d’abord, il y avait les collègues qu’il fallait saluer dans
les couloirs et dont il fallait parfois subir la conversation, puis il y avait l’interminable attente
dans les ascenseurs qui s’arrêtaient à tous les étages, et, enfin, pour arriver jusqu’au Ministre,
il fallait braver tout un bataillon de secrétaires et d’assistants.

Le bureau du Ministre occupait entièrement le dernier étage du Ministère. Outre les bureaux
individuels de ses assistants et plus proches collaborateurs, et une salle de réunion privée où
se réunissaient la crème de ce que comptait la scène politique magique, un open space
gigantesque qui rassemblait un amas de bureaux ou s’agitaient en tous sens sorciers et
sorcières séparait le visiteur de son sésame : le bureau du Ministre.

Elle fut presque soulagée de repérer la tignasse rousse de Percy Weasley lorsqu’elle émergea
de l’ascenseur au bon étage. Ce dernier, très visiblement au courant que le Ministre l’avait
faite demander, lui évita de se répéter quinze fois auprès de quinze secrétaires différents.

Il la guida jusqu’à la porte du bureau ministériel puis s’immobilisa, l’air ennuyé. Ennuyée,
Tonks l’était également. Il régnait dans cet endroit une telle frénésie que cela lui donnait le
tournis.

« Tu as le temps de te rendre un peu plus… présentable. » offrit Percy, bon prince, en étudiant
sa tenue avec une grimace. « Je suis sûr qu’une minute de plus ou de moins ne fera pas
grande différence. »

Elle avait les nerfs à vif en ce moment et sa patience avait des limites.

« J’ai passé la matinée à courser un pyromane et une bonne partie de l’après-midi à


l’interroger. » lâcha-t-elle. « Non, je ne sens pas très bon et, oui, mon pantalon est troué. Si ça
pose un problème à Monsieur le Ministre, je peux revenir demain, quand je serais propre,
moins fatiguée et de meilleure humeur. »

« Monsieur le Ministre a été un Auror suffisamment longtemps pour comprendre que ce


genre de choses arrive. » lança Scrimgeour dans son dos.

« Monsieur le Ministre. » bredouilla Percy, confus.


Rufus Scrimgeour se glissa entre eux d’une démarche toujours souple malgré la claudication
qui le ralentissait parfois, notamment, Tonks l’avait remarqué, lorsqu’il faisait humide, et
ouvrit la porte du bureau, non sans jeter un coup d’œil agacé à Percy de derrière ses épaisses
lunettes cerclées de fer.

« Entrez. » ordonna le Ministre, faisant signe à Tonks de passer devant.

À la nouvelle grimace de Percy, elle devina que ce n’était pas là la convenance et que le
Ministre de la Magie aurait dû précéder tout le monde dans la pièce. Eh bien… La galanterie
n’étouffait pas grand monde à leur époque et cela la mit dans de meilleures dispositions. Elle
pénétra dans le bureau ministériel qu’elle n’avait eu si souvent l’occasion de visiter et attendit
que le sorcier ait fermé la porte dans son dos et l’ait invitée à s’asseoir pour prendre place sur
un des deux imposants fauteuils qui faisaient face au non moins imposant bureau en bois noir.

C’était, sans conteste, plus impressionnant que son placard à balais.

Le bureau du Ministre était impersonnel, comme si Scrimgeour n’avait guère eu le souci et le


temps d’y imposer sa patte. Il ressemblait à ce à quoi on pouvait s’attendre d’un lieu occupé
par ce que la politique britannique comptait de plus puissant : beaucoup de boiseries,
beaucoup de moulures, beaucoup de dorures, quelques blasons, quelques portraits dont un de
la reine – sorciers ou non, il y avait des symboles nationaux dans lesquels tout le monde se
retrouvait – un mobilier qui datait probablement du Moyen Âge et une large fenêtre magique
qui donnait l’impression que le bureau surplombait la ville.

Le bureau en bois noir était, lui, méticuleusement organisé. Il était clair que tout y avait une
place réglée au centimètre, du strutoscope au rapeltout en passant par l’élégante plume
d’aigle. Le seul objet de nature personnelle semblait être le cadre photo posé à droite du
rapeltout et tourné de manière à ce que le visiteur ne puisse pas voir ce qu’il contenait.

« Bien. Notre temps est précieux, ne le perdons donc pas en plaisanteries inutiles. » déclara
Scrimgeour, en l’observant attentivement.

Pour la première fois depuis que Fol’Œil était venue la chercher, elle se demanda si elle était
là à des fins disciplinaires. Certes, il s’était passé quelques semaines depuis la deuxième
attaque du Chemin de Traverse, mais ses décisions ce jour-là et les jours qui avaient suivis
avaient été lourdes de conséquences. La réintégration de Maugrey n’était qu’un exemple. Son
énervement lorsqu’elle avait découvert que Scrimgeour avait quitté le Terrier pour la
protection de Dumbledore en était un autre.

Elle ne laissa rien percer de son malaise, peu encline à se donner en spectacle si elle devait se
faire renvoyer. Elle n’était peut-être pas une Sang-Pur mais ce n’était pas pour ça qu’elle
n’accordait pas un minimum d’importance à sa dignité.

« J’ai été très impressionné par la manière dont vous avez géré le Département en l’absence
de Shacklebolt. » reprit le Ministre. « Tout autant que je l’ai été par vos capacités au combat.
Alastor a toujours dit que vous étiez prometteuse, je suis heureux de constater qu’il avait
raison. »

« Oh. » laissa-t-elle échapper malgré elle, surprise.


« Vous avez fait preuve de sang-froid et de discernement. » continua Scrimgeour, sans se
laisser perturber. « Et prouvé, je pense, que vous étiez plus que apte à prendre des décisions
délicates. C’est pourquoi j’ai décidé de vous confier une mission de nature particulière. »

Encore une mission spéciale, songea-t-elle non sans lassitude.

« Après la débâcle du Chemin de Traverse, il nous reste peu d’Aurors confirmés. » enchaina
le Ministre.

« Une vingtaine. » intervint-elle. « Le reste sont encore en formation ou ont été nommés sans
avoir terminé leur entrainement. » Les yeux de Scrimgeour étaient perçants et brillaient
parfois d’un reflet jaune selon la lumière. Elle devina qu’il n’était pas souvent interrompu,
toutefois cela ne l’empêcha pas de poursuivre. « Nous avons davantage d’Aurors
incompétents que d’Aurors certifiés et cela va créer un problème. »

Et elle ne parlait pas simplement des innombrables vices de procédures dont le Département
de la Justice Magique ne cessait de se plaindre. Ils étaient en guerre et les Aurors étaient
censés garantir la paix.

« Certes. Cela n’est pas encore officiel, je vous demanderai donc de garder l’information
pour vous, mais je compte rappeler autant d’Aurors à la retraite qui voudront bien reprendre
du service. » offrit le Ministre.

« Des vieillards. » contra Tonks, sans pouvoir s’en empêcher. Elle grimaça immédiatement
d’embarras. « Désolée. Mais sans vouloir vous offenser, s’ils sont à la retraite, il y a des
raisons. »

Scrimgeour s’appuya plus confortablement contre le dossier de son fauteuil, sans la quitter
des yeux. « Que suggérez-vous ? »

On ne lui demandait pas assez souvent son avis à son goût.

« Contacter tous les sorciers qui ont réussi leur A.S.P.I.C.S avec un O en Défense et leur
proposer de se joindre à nous. » expliqua-t-elle, sans hésiter. « Nous avons davantage besoin
de combattants que de médiateurs. Les Aurors certifiés et ceux qui sortent à peine de
formation peuvent se charger de faire respecter la loi, les volontaires pourraient suivre un
entraînement accéléré et être appelés en cas d’urgence. Les Aurors retraités qui veulent bien
revenir pourraient s’occuper de l’entraînement. Cela ne ferait pas de mal à certaines de nos
nouvelles recrues. »

Scrimgeour leva les sourcils, clairement surpris. « Vous aviez déjà réfléchi au problème. »

« C’est difficile de ne pas réfléchir au problème, là-dehors. » répondit-elle honnêtement. « Je


dois non seulement faire attention au suspect que je veux arrêter mais m’assurer que mon
propre collègue trop jeune et trop nerveux ne me tire pas dans le dos par accident. »

« L’idée a du mérite. » déclara Scrimgeour. « J’en discuterai avec Shacklebolt. » Il l’étudia en


silence quelques secondes avec un intérêt nouveau. « Ce n’est pas pour cela que je vous ai
convoquée toutefois. Comme je le disais, j’ai une mission qui doit impérativement être
assignée à quelqu’un de compétent, quelqu’un en qui j’ai confiance. »

Elle se redressa instinctivement, flattée de cette déclaration. Voilà qui changeait de


Dumbledore…

« Le Premier Ministre Moldu doit être protégé, cela est impératif. » lâcha-t-il. « Son service
de sécurité a depuis longtemps été infiltré, tout comme celui de la famille royale, afin de
s’assurer qu’aucun mage noir n’ait l’idée saugrenue de s’emparer du pouvoir par ce biais là. »

Elle hocha la tête, voyant mal ce que cela avait à voir avec elle. Les Aurors assignés à ces
postes étaient en place depuis des années.

« Je souhaite m’assurer d’un suivi plus vigilent que celui qui est en place. » continu
Scrimgeour. « À compter de demain, vous êtes le nouveau chef du service de sécurité de John
Major. Vous n’aurez qu’à vous présenter à Downing Street. Votre père est Né-Moldu, je crois,
vous faire passer pour l’un des leurs ne devrait pas poser de problème. »

Elle ouvrit et referma la bouche plusieurs fois, sans savoir que dire.

« Vous me retirez du terrain… » protesta-t-elle.

Il secoua la tête. « Non, Miss Tonks. Je place mes pions. D’après mes sources, vous avez
affronté Bellatrix Black à plusieurs reprises. Peu de personnes peuvent se vanter d’une telle
chose pour la simple et bonne raison que se retrouver face à elle est, d’ordinaire, une
condamnation à mort. Je parle en connaissance de cause, je faisais parti des Aurors qui l’ont
arrêtée après ce qu’elle a fait subir aux Londubat. J’avais moi-même formé Frank. »

La confidence la prit par surprise et elle éprouva un élan de compassion pour lui. Perdre un
collègue n’était jamais facile, perdre un ami était pire.

« Espérons qu’un Mangemort y pensera à deux fois avant de tenter de s’attaquer au Premier
Ministre en sachant que vous êtes chargée de sa protection. » conclut Scrimgeour.

« J’ai eu de la chance à chaque fois. » se sentit-elle obligée d’avouer.

« Quand bien même. » lâcha-t-il. « De plus, comme je l’ai déjà dit, vos capacités parlent pour
vous. Ceci est une mission à responsabilités. Vous aurez carte blanche. » Son regard s’attarda
sur sweater Bizarr’ Sisters. « Des tenues plus professionnelles seront nécessaires. »

« Professionnelles. » répéta-t-elle.

« Des tailleurs, Miss Tonks. » clarifia-t-il. « Noirs de préférence. »

L’expression de la vendeuse lorsqu’elle se présenta dans la boutique une demi-heure plus tard
n’avait pas de prix. Ou plutôt si, le prix exorbitant de quatre tailleurs-pantalons noir qu’elle
ne remettrait probablement jamais une fois la mission terminée. Ils manquaient tellement de
fantaisie et constituaient un tel trou dans son budget mensuel qu’elle ressortit de la boutique
déprimée.
Elle déambula dans les rues de Londres pendant un moment, empruntant les ruelles et les
allées peu fréquentées qui raccourciraient le chemin jusqu’à son appartement, tâchant de se
rappeler quand elle avait fait ses comptes pour la dernière fois. Elle décida que le fait que son
frigo soit vide n’était pas un problème et qu’elle se servirait directement au Square
Grimmaurd lors de la réunion de ce soir là. Elle était bien certaine que la réunion serait à peu
près aussi intéressante que d’habitude, quitte à lui faire perdre son temps, ils pouvaient bien
la nourrir.

La lumière du hall de son immeuble était encore et toujours cassée et elle commençait à se
lasser d’attendre que le concierge veuille bien la réparer. Après avoir vérifié qu’aucun de ses
voisins n’étaient dans les parages, elle jeta un discret reparo et monta les marches quatre à
quatre, appréciant de ne pas manquer se rompre le cou à chaque pas.

Elle jeta un coup d’œil distrait à sa montre avant d’introduire la clef dans la serrure. Il lui
restait suffisamment de temps avant de devoir aller au QG pour une tasse de thé et une longue
douche qui seraient toutes deux bienvenues. Elle s’en délectait d’avance lorsqu’elle pénétra
dans son appartement et jeta clefs, paquets et blouson en tas près de l’entrée.

La douche d’abord. Le sorcier amateur d’incendio qu’elle avait finalement attrapé dans la
matinée avait une hygiène plus que douteuse et l’odeur lui collait à la peau. Elle retira le
sweater sans allumer la lumière et le jeta dans la vague direction du canapé tout en se
dirigeant déjà vers la salle de bain. Elle était en train de retirer le débardeur qu’elle portait
dessous lorsqu’un frisson descendit le long de sa nuque.

Il y avait quelqu’un dans le salon.

Et sa baguette était restée dans la poche de son sweater.

Sans geste brusque, elle baissa le débardeur et chercha du regard, dans l’obscurité relative,
une arme potentielle.

Elle n’en eut pas le temps.

« Bonsoir, Dora. »

°°O°°O°°O°°O°°

« Mille-huit-cent-soixante-six. » insista Hermione, terriblement agacée.

« Soixante-sept. » rétorqua Draco, en agitant le parchemin couvert de son écriture de pâtes de


mouche.

« Mes notes sont toujours précises. » grinça-t-elle des dents. « Si j’ai marqué que la rébellion
des gobelins a eu lieu en soixante-six, c’est qu’elle a eu lieu en soixante-six. »

« Blaise a marqué soixante-cinq. » soupira Daphné, avant de remettre la baguette magique à


la réglisse qu’elle suçotait depuis plus d’un quart d’heure dans sa bouche. Hermione aurait
préféré que la Serpentard s’abstienne. Elle ne savait pas si la jeune fille avait remarqué la
manière dont tous les garçons la regardaient, ou même si attirer les regards sur elle était le
but, mais cette session d’étude ne se passait pas aussi bien que la Gryffondor l’aurait voulu.

Les examens approchaient à grands pas et la bibliothèque était prise d’assaut, à tel point
qu’ils n’avaient pas trouvé de table suffisamment grande pour leur groupe d’étude et avait dû
se rabattre sur le coin « détente » situé non loin de la section romans. L’endroit avait
l’avantage d’être désert mais le décor n’encourageait pas à être studieux. Certains d’entre
eux, Susan, Hanna, Neville, Daphné, Hermione et Ron s’étaient installés à même le sol, la
moquette étant suffisamment douillette et l’espace dégagé leur permettant d’étaler leurs notes
et de les mettre en commun. D’autres, comme Draco et Blaise, avaient jugé que s’asseoir par
terre n’était pas assez digne de leurs lignées aristocratiques et avaient réquisitionné un
fauteuil. D’autres encore avaient saisi l’opportunité que les canapés leur offraient. Dean était
étalé sur l’un d’entre eux, Seamus et Padma partageaient un autre clairement plus occupés à
se tourner autour qu’à travailler, quant à Ron et Lavande, elle n’osait même pas jeter un coup
d’œil dans cette direction, certaine de ce qu’elle y verrait.

« Qu’en dis-tu, oh Saint Potter qui connait tout sur tout ? » railla Draco, tandis que les uns et
les autres parcouraient leurs propres notes à la recherche de ce qu’eux même avaient marqué
– un processus laborieux étant donné que presque personne ne se donnait la peine d’écouter
Binns.

Harry, qui s’était juste là contenté de feuilleter un manuel sans écouter un traitre mot de ce
qu’il se disait – à l’irritation croissante d’Hermione d’ailleurs – releva brusquement la tête,
clairement confus.

« Quoi ? » demanda le garçon.

« La rébellion des gobelins de mille-huit-cent. » répondit gentiment Neville. « Est-ce que tu


as les dates précises ? »

« Oh, euh… » s’embrouilla Harry. Il attrapa son sac et se mit à la recherche de ses feuilles de
cours – celles qui dataient de soixante-quinze et qu’Hermione avait appris à détester pour la
simple et bonne raison qu’il ne semblait pas avoir tort lorsqu’il prétendait que le programme
était bien plus compliqué à l’époque. Elle n’aurait rien eu contre un programme un peu plus
complexe.

« Laisse tomber. » soupira Hermione. « Autant consulter un manuel, au moins on sera certain
de la réponse. »

« Je ne trouve pas. » offrit Blaise, le nez plongé dans leur livre d’Histoire de la Magie.

« Il y a un livre sur les rébellions des gobelins très complet. » déclara-t-elle, en se levant.

« Nous n’avons pas tellement besoin de concret, juste d’une date. » se moqua Draco, en
tendant la main pour l’attraper au passage.

Elle l’esquiva, autant parce qu’il l’avait contrariée en la contredisant que parce qu’elle savait
pertinemment que si elle le laissait faire, ils n’avanceraient pas dans leur étude et qu’elle
n’avait aucune intention de terminer comme ceux présentement vautrés sur les canapés.
« Ron. » ordonna-t-elle. « Viens. »

Ron sursauta de se voir interpeler et cessa de planter des baisers dans le cou de Lavande pour
jeter un regard circonspect à la ronde. Il était clair qu’il n’avait pas la moindre idée de ce dont
il était question.

« Que Merlin me protège des adolescents en rut. » grommela-t-elle entre ses dents.

« Tu n’as pas toujours dit ça. » plaisanta Daphné, en jetant un coup d’œil lourd de sens à
Draco.

Heureusement, Ron la connaissait suffisamment pour comprendre qu’il n’avait pas intérêt à
discuter et, après s’être excusé d’un dernier baiser auprès de Lavande, lui emboîta le pas d’un
air guilleret.

« Remplacé par Weasley. » lança Dean, alors qu’ils s’éloignaient. « Ça doit t’en foutre un
coup, ça, Malfoy. »

Elle n’entendit pas la réponse qui, elle n’en doutait pas, n’avait pas dû être bien aimable. Elle
et Ron s’enfoncèrent dans les rayonnages en silence jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment
loin pour être certain de ne plus être entendus.

« Tu ne trouves pas qu’Harry est bizarre en ce moment ? » s’enquit-elle, alors qu’ils


arrivaient à la section dédiée à l’Histoire de la Magie.

« J’ai l’impression qu’on a eu cette discussion cinquante fois depuis qu’il est revenu. »
soupira Ron.

Elle leva les yeux vers les inscriptions gravées en haut des rayonnages, autant pour s’orienter
que pour ne pas regarder son meilleur ami en face. Il n’avait pas tort. Ce n’était pas faute
d’offrir leur aide au Survivant pourtant…

« Ces trois derniers jours, je veux dire. » clarifia-t-elle. « Depuis que Dumbledore l’a pris à
part. »

« Il est tracassé. » acquiesça son ami. « Il t’a dit ce que voulait Dumbledore ? »

Elle secoua la tête, ses boucles brunes volant en tout sens. « Il n’a rien voulu dire. Mais ça
doit avoir un rapport avec la guerre, c’est évident, non ? » Elle repéra les lettres dorée qu’elle
cherchait en haut d’un rayonnage. « C’est ici. »

Ron resta silencieux pendant qu’elle laissait courir ses doigts sur les rangées de livres à la
recherche d’un tome qu’elle avait aperçu deux ans auparavant.

« Dis… » hésita son ami, après quelques minutes. « Tu ne crois pas qu’on a été un peu… » Il
soupira et se frotta l’arrière de la nuque d’un air gêné. « D’habitude, dès qu’il y a un mystère
on est les premiers à l’aider et là… Il y a la prophétie et les Horcruxes… »

« Chut ! » cingla-t-elle, en jetant un coup d’œil paniqué alentours. Heureusement, ce coin de


la bibliothèque semblait désert. « Tu ne peux parler de ce genre de choses ici, Ron ! »
Son chuchotement anxieux porta plus loin que la voix de son meilleur ami et elle grimaça.

« Assurdiato. » marmonna Ron, en agitant sa baguette.

Hermione fronça les sourcils, toujours mal à l’aise lorsque lui ou Harry utilisaient des sorts
non-approuvés par le Ministère. Que Snape les ait créés ne la rassurait que peu, non pas parce
qu’elle n’avait pas confiance en lui – elle n’avait jamais eu besoin des certitudes d’Harry sur
ce point, l’opinion de Dumbledore lui suffisait – mais parce que Snape était spécialiste de
potions et, semblait-il, de Défense, et pas de sortilèges.

« D’habitude, on aurait sauté sur l’occasion de l’aider. » insista le Gryffondor. « Et là… Eh


ben… Tu passes la moitié de ton temps avec Malfoy et moi avec Lavande et… Je n’ai pas
l’impression qu’on fasse grand-chose. »

Il était vrai que depuis la Nuit des Ténèbres, mis à part maintenir l’A.D. ils n’avaient pas
véritablement contribué à l’effort de guerre.

« J’ai essayé de faire quelques recherches sur les Horcruxes. » se défendit-elle. « Mais il n’y
a pratiquement aucune mention dans la bibliothèque et je me vois mal demander à Madame
Pince. On pourrait essayer la Réserve, je suppose. »

Sa voix manquait de conviction et Ron le perçut clairement.

« Tu ne penses pas que ce soit une bonne idée. » remarqua-t-il.

Sa main s’arrêta sur l’ouvrage qu’elle cherchait et elle le retira de l’étagère, tapotant
distraitement la tranche du doigt. Elle garda les yeux rivés sur les lettres dorées, à moitié
effacées, qui formaient le titre.

« Je pense… » hésita-t-elle. « Je pense que les choses sont différentes cette année. Harry
s’entraîne avec Remus et McGonagall, il a des réunions avec Dumbledore, il ne nous confie
pas autant de choses… »

« Toi aussi tu crois qu’il nous cache quelque chose, alors ? » s’exclama-t-il, avec un
soulagement certain. « Je pensais que je devenais paranoïaque ! »

« Non. » confirma-t-elle, en croisant le regard de son ami. « Il nous cache quelque chose
mais… c’est ce que j’essaye de te dire. Il y a la prophétie. Tu ne penses pas qu’il est plus
impliqué que nous ? Qu’il fait partie de… Tu-sais-quoi ? »

L’idée lui avait traversé l’esprit à plusieurs reprises. Peut-être était-il désormais un membre
de l’Ordre du Phoenix. Pourquoi pas ? Il était le Survivant, l’Élu…

« Il nous l’aurait dit. » protesta Ron.

Elle haussa les épaules. « Je ne sais pas. Je n’ai pas l’impression qu’il nous dise grand-
chose. »

« Il parle à Ginny pourtant. » révéla-t-il. « Je les ai surpris plus d’une fois en train de
discuter. »
Elle étudia le garçon avec une exaspération qui masquait mal son affection. « Pitié, dis moi
que tu ne vas pas te mêler de ça… Ginny est assez grande pour savoir ce qu’elle fait et si tu te
disputes avec Harry maintenant… »

« De quoi tu parles ? » Il leva les yeux au ciel. « Ils discutent, c’est tout. Harry n’est pas
intéressé. »

Elle émit un bruit peu convaincu mais préféra lui laisser ses illusions. Tôt ou tard, elle en
avait le pressentiment, Harry finirait par ouvrir les yeux et réaliserait que Ginny n’avait plus
onze ans.

« Elle dit qu’ils parlaient de papa. » déclara Ron, tandis qu’elle ouvrait le livre et parcourait
la table des matières des yeux. « Et de ses parents. »

« Soixante-six ! Je le savais ! » triompha-t-elle, après avoir finalement trouvé ce qu’elle


cherchait.

Elle referma le livre et le remit en place avant de se tourner vers son meilleur ami. Comme à
chaque fois qu’il parlait de son père, Ron s’était rembruni. Sa mâchoire était contractée et ses
yeux bleus étaient rivés sur un point légèrement au-dessus de l’épaule d’Hermione. Elle prit
une profonde inspiration, espérant ne pas dire ce qu’il ne fallait pas. La mort d’Arthur
Weasley et ce qu’elle avait choisi de faire pour protéger sa propre famille était toujours un
sujet épineux entre eux.

« C’est bien qu’elle ait quelqu’un avec qui en parler. » offrit-elle doucement « Et… Je ne
peux même pas imager ce que ça doit être pour Harry. Apprendre à connaître des parents
qu’il n’a jamais vraiment connus uniquement pour les perdre à nouveau… »

Ron haussa les épaules et fit demi-tour d’un pas raide. Elle lui emboîta le pas après avoir mis
un terme au sortilège d’Assurdiato d’un bref Finite.

« Je lui ai proposé d’en parler avec moi. » lâcha-t-il. « Je lui ai dit qu’il pouvait tout me dire,
que j’étais là s’il avait besoin… » Il haussa à nouveau les épaules, pas aussi nonchalant qu’il
voulait le faire croire. « Je ne sais plus quoi dire ou faire. »

« Peut-être qu’il n’y a rien à dire ou à faire. » soupira Hermione. « Peut-être qu’on se fait une
montagne d’un rien… Je pense que la meilleure chose à faire, pour l’instant, c’est d’être ses
amis, tout simplement. »

Il accueillit cette proposition d’un troisième haussement d’épaules.

« Ce n’est pas que je ne veux pas aider, tu sais ? » murmura-t-il, alors que les bruits de
conversation de leur groupe d’amis commençaient à porter jusqu’à eux. « Toutes les
aventures qu’on a eu… Je ne les regrette pas. Et je suivrais Harry jusqu’à au bout du monde,
s’il le fallait… Mais… C’est quand même chouette de ne se soucier que de nos devoirs et de
nos copines… Ou copains, enfin tu vois… »

« Je sais. » le tranquillisa-t-elle.
« Je sais que ça ne peut pas durer toujours. » insista Ron. « Je sais qu’il y a une guerre dehors
et qu’on va y jouer un rôle qu’on le veuille ou non parce que Harry… Je ne regrette pas
d’avoir choisi d’être le meilleur ami d’Harry. Et je ne regretterai pas mon choix de le suivre
dans cette guerre, mais… »

« Il n’y a rien de mal à profiter des bons moments, Ron. » le coupa-t-elle gentiment. « Je ne
pense pas qu’Harry nous le reproche. »

Ils s’immobilisèrent dans l’ombre d’un rayonnage, hors de vue de leurs amis mais
suffisamment près pour entendre les éclats d’une dispute entre Blaise, Daphné et Susan et
Dean. Ils parlaient Quidditch. Bien entendu. Il suffisait qu’elle s’absente quelques minutes…

« On ne fait rien, alors ? » demanda Ron. « Pour… tu sais quoi. »

Elle réfléchit à la question quelques secondes, la soupesa puis grimaça, peu satisfaite de la
conclusion à laquelle elle était arrivée.

« Donnons-lui quelques jours. » suggéra-t-elle. « S’il ne se confie pas à l’un de nous d’ici là,
on lui en parlera. »

Ron approuva d’un hochement de tête et ils rejoignirent leurs amis. Le débat était animé et le
Gryffondor fut immédiatement happé dans la conversation, pris à parti par Daphné. Seules
trois personnes restaient en retrait, Lavande que le sujet ne passionnait clairement pas, Draco
qui observait le chaos ambiant avec un léger sourire aux lèvres et Harry qui avait le regard
perdu dans le vague.

Elle se percha sur l’accoudoir du fauteuil de Draco, tout autant découragée par l’attitude
mélancolique de son ami que par le manque d’implications des autres. Il ne fallut pas bien
longtemps pour que des bras enlacent sa taille et qu’elle soit tirée en arrière, sur les genoux
du Serpentard. Elle n’était pas véritablement à l’aise lorsqu’il était question de ce genre de
marque d’affection publique mais cela ne semblait pas déranger le Sang-Pur. Il paraissait fier
lorsqu’elle l’autorisait à lui tenir la main dans les couloirs ou à l’embrasser dans le parc…
Cela flattait Hermione. Elle était fière qu’il soit fier d’être vu avec elle, aussi arrogant que
cela puisse paraître.

« Qu’y a-t-il ? » s’enquit-il, avec un léger froncement de sourcils.

« Rien. » répondit-elle instinctivement.

Le froncement de ses sourcils s’accentua.

« Ne me mens pas. » exigea-t-il doucement. « Si tu ne peux ou ne veux pas en parler, dis le


simplement. Ne me mens pas. »

Malgré elle, un sourire amusé flotta sur ses lèvres.

« Un Serpentard qui l’apologie de la franchise ? » se moqua-t-elle sans hostilité.

« Juste entre toi et moi. » répondit-il, en inclinant la tête pour mieux l’étudier.
« Juste entre toi et moi. » répéta-t-elle, en posant sa tête sur son épaule pour mieux assister au
fiasco qu’était devenu leur session d’étude.

Cela sonnait comme une promesse.

°°O°°O°°O°°O°°

La jeune femme ne sursauta pas mais il était clair à la manière dont tout son corps se tendit
qu’elle n’était pas tout à fait heureuse de sa présence. Tonks se tourna vers lui, rajustant son
débardeur et abattant brusquement la main sur l’interrupteur. Une lumière blafarde inonda le
salon. Il aurait préféré qu’elle s’abstienne, la piètre luminosité de l’appareil moldu lui avait
toujours donné la migraine.

« Tant qu’à rentrer par effraction tu aurais aussi bien pu allumer la lumière. » grinça-t-elle.
« Te mettre à l’aise. Une tasse de thé, peut-être ? »

« Je voulais simplement te parler. » déclara Remus calmement.

Elle le foudroya des yeux, croisant les bras devant sa poitrine dans un geste qu’elle voulait
sans doute autoritaire mais qui lui parut enfantin.

« Commence par sonner la prochaine fois. » répliqua-t-elle.

« Tu n’as jamais répondu à ma lettre. » lui rappela-t-il, légèrement agacé par ce manque de
courtoisie.

Son regard se posa sur la porte qui menait au couloir et il se demanda brièvement si elle
comptait s’enfuir. Il ne bougea pas du canapé où il était assis. L’effrayer n’avait jamais été
son intention. Oh, bien sûr, il savait que venir chez elle était une mauvaise idée et, pourtant, il
n’était pas parvenu à résister à la tentation. Il avait besoin de la voir. Non seulement parce
qu’elle lui manquait mais parce qu’elle appartenait à sa meute, qu’elle le veuille ou non, et sa
meute était éparpillée aux quatre coins du pays et cela lui laissait un sentiment de solitude
impossible à combler. Déjà, Lunard se sentait apaisé rien qu’à être en sa présence.

Ce qui les avait séparés en premier lieu lui semblait désormais dérisoire.

« Peut-être parce que je n’ai rien à y répondre ? » cingla-t-elle.

« Dora… » soupira-t-il.

« Qu’est-ce que tu veux, Remus ? » lâcha-t-elle, d’un ton las.

Elle semblait peinée et le dissimulait mal. Il s’en voulut de lui causer autant de détresse, de
lui avoir causé tant de détresse par le passé…

« Honnêtement ? » hésita-t-il. « Je ne sais pas. Je sais que toi et moi, c’est une mauvaise
idée… Je sais qu’il arrivera un moment où tu voudras des choses que je ne pourrais pas
t’offrir mais… Tu me manques. » Il marqua un autre temps d’hésitation mais puisqu’elle ne
fit pas mine de prendre la parole, il continua. « Je n’en peux plus de ces disputes constantes.
J’admets qu’une grande partie est de mon fait. Le loup… Le loup me rendait fou, ces derniers
temps. La potion Révèle-Loup a fait des merveilles. Je vais beaucoup mieux. »

Il se tut, l’observant avec attention.

Le silence était oppressant.

Au bout d’un long moment, elle s’humecta les lèvres et ramassa le sweater qu’elle avait
laissé tomber avant de l’enfiler.

« Va-t-en, s’il te plait. » exigea-t-elle, sans le regarder en face.

Il n’était pas totalement surpris toutefois il n’avait pas prévu une telle froideur.

« Tu es fâchée. » hasarda-t-il. « Je comprends, mais… »

« Non, tu ne comprends pas. » s’énerva-t-elle brusquement avant de prendre une profonde


inspiration. Elle porta la main à ses cheveux en un réflexe désormais inutile puisqu’elle avait
perdu son don de Métamorphomage.

« Dora… » plaida-t-il.

« Non. » cracha-t-elle. « Qu’est-ce que tu crois ? Que je suis un jouet à mâcher que ton putain
de loup peut prendre et jeter à loisir quand l’envie lui en prend ? » Sa voix était dure et
cassante. Elle balaya l’air d’un geste agacé de la main. « Ça n’a jamais été la lycanthropie, le
problème. La lycanthropie était l’excuse sur laquelle tu as été bien heureux de sauter. »

Elle se dirigea vers la cuisine et le planta là. Il écouta pendant une seconde les bruits
caractéristiques de placards qui s’ouvraient et se fermaient avec rage puis s’extirpa du canapé
et la suivit, légèrement penaud.

« Tu es blessée. » grimaça-t-il. Évidemment qu’elle était blessée. Il était parfois


singulièrement idiot.

« Non, tu crois ? » siffla-t-elle, en plaçant la bouilloire sur le feu avec tant de brutalité que le
couvercle se renversa. « Tiens, tu te souviens de ce qui s’est passé dans cette cuisine ? Juste
là. » Elle désigna d’un geste un coin près de la table. « C’est là que je t’ai dit que je t’aimais.
Et, rappelle-moi ce que tu as fait ensuite ? »

Il y avait tellement de colère et de douleur dans sa voix que Lunard aurait aimé s’en
émouvoir et pourtant, il savait qu’il avait fait ce qu’il fallait à l’époque. Cela lui avait arraché
le cœur, mais la décision avait été prise pour son bien à elle, en faisant fi de tout ce que, lui,
désirait.

« Quitter cette cuisine a probablement été l’un des choix les plus durs de ma vie. » répondit-il
doucement. « Parfois pour protéger la meute… »

« Oh, pour l’amour de Merlin, si tu ne cesses pas de tout ramener aux loups-garous je vais te
casser la figure, Remus ! » s’écria-t-elle. « Ça n’a strictement rien à voir. Ça n’a rien à voir
avec le fait que tu me traites comme une enfant qu’on ne peut pas laisser seule. Ça n’a rien à
voir avec le fait que tu ne me fais pas confiance pour prendre mes propres décisions. Ça n’a
rien à voir avec le fait que tu t’es comporté comme le pire des connards depuis la Nuit des
Ténèbres ! » À bout de souffle, elle lui tourna à nouveau le dos pour attraper un mug dans un
des placards. « Je pensais qu’on n’était qu’une parenthèse et que tu l’avais refermée. »

« J’ai eu tort. » riposta-t-il. « C’est ce que tu veux entendre ? J’ai voulu faire ce qu’il y avait
de mieux pour toi et j’ai eu tort. Quant au reste… »

Il hésita. Il ne savait pas quand et pourquoi il avait commencé à remettre en cause toutes ses
décisions. Il lui semblait qu’elle faisait toujours le choix de l’imprudence. Il mourrait
d’inquiétude pour elle à chaque seconde qu’elle passait là-dehors et il aurait largement
préféré qu’elle se cache quelque part sous Fidelitas. Bellatrix Lestrange et Fenrir Greyback
étaient après elle, il n’y avait pas de honte à se protéger d’ennemis qu’elle n’était, en dépit de
toutes ses protestations, pas de taille à affronter. James et Lily n’avaient pas hésité à se cacher
lorsque le moment était venu et beaucoup d’autres avaient cédé à la tentation avant eux.

« Ce n’est même pas la peine que tu essayes de te justifier sur le reste. » se moqua-t-elle. « Tu
vas dire que tu me respectes et je n’en croirais pas un mot. »

Il ouvrit et referma la bouche, incapable de déterminer comment ils en étaient arrivés à ce


point. Il était conscient qu’elle était en colère mais il ignorait qu’elle nourrissait autant de
rancœur envers lui.

Et pourtant… Pourtant, il n’en pouvait plus de cette froideur, de cette distance entre eux.
Laura était en Écosse, Sirius le tenait toujours quelque peu à l’écart depuis la pleine lune, et
Lunard avait besoin de sa meute. À présent qu’il l’avait trouvée, sans elle, il avait froid. Un
drôle de froid permanent qui lui collait aux os et le faisait tourner en rond des heures durant.
Il avait besoin de sa compagne, à défaut du reste de la meute.

« Dora, je t’… » tenta-t-il d’offrir avec sincérité. C’étaient des mots qu’il aurait dû prononcer
longtemps auparavant.

« N’y pense même pas. » l’interrompit-elle, en se retournant, baguette pointée vers lui en
guise d’avertissement. Elle avait les larmes aux yeux et il s’en voulut de lui faire autant de
mal. Il n’avait jamais voulu la blesser.

« Dora… » insista-t-il.

« Va-t-en. » ordonna-t-elle. « Je ne plaisante pas. Va-t-en. »

Il voulut insister, fit un pas en avant, tendit la main, mais avant qu’il ait pu la toucher, elle
avait disparu dans le craquement caractéristique du transplannage.

Sur la gazinière, la bouilloire se mit à siffler.

°°O°°O°°O°°O°°

« Je déteste qu’on me regarde me nourrir. »


Sirius sursauta, rattrapant in extremis le bol de chips qu’il tenait à la main. Les en-cas servis
lors des réunions étaient bien plus appétissants lorsque Molly était responsable de la cuisine
mais la sorcière n’avait pas mis les pieds au Q.G. depuis un moment et Bill n’était pas encore
arrivé avec l’éternel lot de nourriture que sa mère leur faisait transmettre régulièrement.

« Désolé. » s’excusa-t-il. « J’avais l’esprit ailleurs. »

Nyssandra s’appuya contre le plan de travail. Il était dur de ne pas l’observer lorsqu’elle était
la seule autre distraction qu’offrait la cuisine de Square Grimmaurd – et quelle distraction…

« Tu continues à me regarder. » remarqua-t-elle, avec un sourire mi-agacé mi-satisfait, avant


de porter le mug à ses lèvres une nouvelle fois. Le sang donnait une couleur sombre à sa
bouche et Sirius détourna finalement le regard en sentant un frisson descendre le long de sa
colonne. Ce n’était ni le lieu, ni le moment de se perdre dans la contemplation de la vampire.

« Il y a des bièraubeurres, de l’alcool… » énuméra-t-il. « Quoi d’autres que des chips ?


Qu’est-ce qu’il reste dans les placards ? Kreattur ! »

L’elfe apparut au bout de longues minutes dans un CRACK sonore.

« Le Maître a appelé Kreattur ? » marmonna le vieil elfe avec une mauvaise volonté évidente.

« Prépare quelque chose à manger. » ordonna-t-il. « Et fais en sorte que ce soit comestible. »

« S’il te plait. » rajouta Nyssa, avec un froncement de sourcils désapprobateur.

« S’il te plait. » grinça-t-il entre ses dents. La vampire ne cessait de le réprimander à cause de
la manière dont il parlait à l’elfe – une créature magique comme elle, ne cessait-elle
d’argumenter. L’Animagus commençait à penser qu’il y avait un complot, quelque part, et
que les gens qu’il appréciait, pour ne pas dire aimait, avaient décidé de le forcer à être cordial
avec tous ceux qu’il détestait.

Il abandonna Nyssa à son repas pour rejoindre le petit salon où attendaient déjà Charlie,
Anthony, Kingsley et Fleur. Il déposa le bol de chips sur la table basse et reprit sa place non
loin de la cheminée, sans interrompre la conversation. Il écouta d’une oreille distraite, tirant
de sa poche le paquet de cigarettes cabossé.

« Tonks m’a dit que vous aviez retrouvé un poste ? » s’enquit Kingsley. « J’ignorais qu’il y
avait d’autres dragons dans la région… »

« Il y a une réserve naturelle en Irlande. » expliqua Anthony. « Mais ce sont des dragons
d’eau, pas vraiment notre spécialité. »

« Dumbledore nous a offert un poste à Poudlard. » renchérit Charlie. « On commence la


semaine prochaine. »

« Vraiment ? » s’étonna Sirius, oubliant la cigarette qu’il s’apprêtait à allumer et acceptant


avec un remerciement le verre de whiskey-pur-feu que lui tendit Fleur. « Ne me dis pas
qu’Hagrid a adopté un autre dragon… »
Harry lui avait raconté toute l’histoire et il ne parvenait toujours à décider si l’initiative du
demi-géant était géniale ou complètement folle. Un peu comme toujours avec Hagrid, en
somme.

« Un autre ? » releva Anthony, en levant les sourcils.

« Longue histoire. Je t’expliquerai. » répondit le Weasley dans un éclat de rire, en posant une
main distraite sur la jambe de son petit-ami. « Et rien à voir. Ce n’est pas un gros secret alors
je pense que je peux le dire… Hagrid a ramené un souvenir de son voyage, cet été, et il est
débordé. »

« Par souvenir, tu sous-entends… » grimaça Kingsley.

« Son petit frère. » confirma Charlie, d’un hochement de tête.

« Pas si petit que ça. » plaisanta Anthony.

« Un géant ? » lâcha Sirius.

« Oui. Graup. Il vit dans la Forêt Interdite pour l’instant. » déclara Anthony. « Il est moins
sauvage que je ne m’y attendais mais mis à part avec Hagrid il n’est pas très réceptif. Enfin…
Un travail est un travail. À défaut de dragons… »

Sirius avala la moitié de son verre d’un coup, ayant soudain très chaud. Plus d’entraînement
dans la Forêt Interdite, décida-t-il.

Un bruit de chute et de faïence brisée retentit dans le couloir.

« C’est toi, ma nymphe ? » plaisanta Charlie, provoquant quelques rires amusés.

« Désolée. » marmonna Tonks, en pénétrant dans la pièce. « J’ai cassé un vase. »

« Je savais bien que j’avais reconnu ta délicatesse habitu… » Charlie s’interrompit


brusquement. Son visage se durcit et il se mit debout, traversant la pièce avant que quiconque
n’ait pu bouger. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

Tonks n’était clairement pas au mieux de ses excentricités vestimentaires. Son jean était troué
à la cuisse et tâché de suie, le sweater des Bizarr’ Sisters avait été enfilé à la hâte, ses
cheveux étaient ébouriffés… Toutefois ce ne fut que lorsque Sirius aperçut son visage qu’il
comprit ce qui avait véritablement alarmé Charlie. Elle faisait de gros efforts pour se contenir
mais des larmes lui échappaient et coulaient sur ses joues.

Une tension nouvelle envahit la pièce tandis que les deux amis échangeaient quelques mots à
voix basse. Charlie hocha la tête et la guida vers le couloir d’une main au creux de son dos.

« On va prendre l’air. » lança-t-il, par-dessus son épaule. Son regard s’arrêta sur Anthony et
s’adoucit. « Sur le square, ça devrait aller. »

« Je me rapprocherai au besoin. » le tranquillisa le dragonnier.


« Ce n’est pas trop pénible de ne pas pouvoir s’éloigner l’un de l’autre ? » s’enquit Fleur
lorsque les deux amis eurent disparu.

Anthony fit la moue et avala une gorgée de bièraubeurre. « Quelques fois. »

Cela mit un terme à ce sujet de conversation et Kingsley lança la dernière interview que
Sirius avait donné à Sorcière Hebdo sur le tapis où l’Animagus s’était étendu en large et en
travers sur pourquoi il était nécessaire que le Magenmagot vote la loi qui retirerait les
Détraqueurs d’Azkaban, au grand dam de la journaliste qui aurait préféré découvrir ce qu’il
recherchait chez une femme davantage que ses opinions politiques.

Il était en train de raconter à quel point la journaliste avait eu l’air dépité lorsqu’il avait avoué
détester le gratin aux épinards – le plat qu’elle réussissait apparemment à merveille et aurait
adoré lui faire goûter lors d’un tête à tête – lorsque Nyssa se glissa silencieusement dans la
pièce. Il se tut aussitôt et orienta la discussion sur le Ministère. La vampire se percha sur
l’accoudoir de son fauteuil et attendit que les autres soient occupés à débattre des nouvelles
consignes de sécurité que l’on donnait à la population avant de lui murmurer à l’oreille :
« J’ai une excellente ouïe, tu sais, et tu parles fort. Je t’entendais de la cuisine, ce n’était pas
la peine de t’interrompre pour moi. »

Il fut sauvé par l’arrivée de Remus qui émergea de la cheminé, jeta un coup d’œil à la ronde,
marmonna à peine un « bonjour » avant de disparaître dans les étages où une porte claqua.

Ils s’entre-regardèrent tous avec surprise.

« Querelle d’amoureux. » déclara Fleur.

Il y eut quelques murmures d’assentiment auxquels Sirius ne participa pas. Il se leva, laissant
la conversation s’orienter vers d’autres sujets et alla se poster à la fenêtre. Charlie et Tonks ne
s’étaient pas énormément éloignés, le Weasley ne le pouvait de toute manière pas tant
qu’Anthony ne se rapprochait pas, et il les discernait parfaitement malgré l’obscurité. Sa
cousine était appuyée contre un lampadaire et la lumière jaunâtre qui dégoulinait sur elle lui
donnait l’air fatigué et malade. Elle parlait de manière animée, agitant les mains et se frottant
de temps en temps le visage. Charlie écoutait attentivement, offrant parfois une parole,
touchant régulièrement son bras en une preuve de soutien… Il était clair à mesure que les
minutes passaient que le jeune homme était en train de se mettre en colère. À un moment
donné, il fit mine de retourner à l’intérieur mais elle le retint par le bras et éclata
véritablement en sanglots. Charlie l’étreignit immédiatement.

Sirius rejeta l’idée d’aller voir comment allait Remus. Quoi qu’il se soit passé pour que sa
cousine se mette dans un tel état, et si cela avait bien un rapport avec son meilleur ami, il
préférait ne pas savoir pour l’instant. Sa relation avec le loup-garou était suffisamment
volatile comme ça.

Fol’Œil arriva sur ses entrefaites et la tension changea sur le champ de cible, l’ancien Auror
et Nyssa se tournant autour en silence. Sirius en venait à regretter le temps où ils se hurlaient
dessus. Il regrettait également le temps où Maugrey avait le bon ton de tout simplement
ignorer la vampire, ces rencontres la laissait toujours mélancolique et, invariablement, elle lui
offrait d’aller chasser avec elle, ce qui lui donnait l’impression de n’être qu’un deuxième
choix qui n’avait guère d’autre importance que l’avantage d’être au bon endroit au bon
moment.

Ils auraient sans doute dû en discuter mais sa vie était suffisamment compliquée, en ce
moment, pour qu’il y rajoute des problèmes supplémentaires.

Snape et McGonagall arrivèrent par voie de cheminette une demi-heure avant l’heure de la
réunion. Si la sorcière se mêla immédiatement aux autres, le Maître des Potions resta en
retrait. Sirius l’observa avec insistance jusqu’à ce que les yeux sombres se tournent dans sa
direction. Il ne dit rien, ne fit aucun geste prouvant qu’il avait compris ce que l’Animagus
désirait, pourtant cinq minutes plus tard, il se glissa hors de la pièce.

Sirius attendit cinq autres minutes avant de le suivre dans l’indifférence la plus totale. Il
croisa Remus dans le couloir et serait passé à côté de lui sans un mot si le loup-garou ne lui
avait pas attrapé le bras.

« Tonks est arrivée ? » demanda son ami.

Il y avait plusieurs réponses à cette question, pourtant l’Animagus se contenta de celle qui
s’imposait.

« Laisse la tranquille, ce soir. » ordonna-t-il. « Je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais je pense
qu’elle a besoin d’espace, là, tout de suite. »

Il était évident que cela ne plut pas à Remus – ou bien, peut-être, était-ce le ton autoritaire
qu’il avait employé et qui ne convenait pas au chef de meute … Peut-être Sirius aurait-il dû
se comporter en bon petit loup qu’il n’était pas et s’aplatir.

Il se dégagea sans brutalité mais sans gentillesse non plus et poursuivit son chemin sans se
retourner. Il aimait Remus, il aurait donné sa vie pour lui, mais il y avait des jours, et, en ce
moment, ces jours s’étiraient en semaines, où le comportement du loup-garou était plus qu’il
ne pouvait en supporter.

Il se dirigea vers la bibliothèque sans véritablement y réfléchir, parce qu’il en avait fait sa
pièce. Nyssa et Remus y mettaient à peine les pieds depuis quelque temps.

Snape se tenait devant un des rayonnages et feuilletait un grimoire qu’il remit en place dès
qu’il aperçut Sirius. Le Professeur fit mine de poser des protections anti-intrusions mais
l’Animagus le stoppa d’un geste distrait.

« Inutile. » jugea-t-il. « J’ai simplement quelque chose pour toi. Enfin… Je suppose que c’est
pour toi. »

Snape, au moins, avait l’air légèrement plus en forme. S’il avait toujours des cernes, son teint
était moins cireux et il ne paraissait plus sur le point de s’évanouir. Il se demanda si
McGonagall l’avait mis au repos forcé comme elle avait menacé de le faire lorsqu’il l’avait
prévenue que l’homme se sentait mal et ne retournerait pas à Poudlard de la journée.

Il extirpa le parchemin froissé de sa poche et le lui tendit.


« C’était inclus dans une lettre d’Harry. » expliqua-t-il.

Le Mangemort prit le papier et le lissa avant d’étudier les trois lettres soigneusement tracées
sur la petite enveloppe. Nox.

« Décachetée. » observa l’homme, d’un ton plat qui convoyait parfaitement son agacement.

« Je n’étais pas au courant que tu avais d’autres surnoms, Servillus. » se moqua-t-il. « Je


n’étais même pas sûr qu’elle était pour toi, mais je ne vois pas bien à qui d’autre je suis censé
passer des mots secrets. »

Snape le fusilla du regard et sortit le parchemin de l’enveloppe. Il en parcourut les quelques


lignes avant d’approcher sa baguette de la missive. Ils la regardèrent tous deux se consumer
sous l’effet d’un incendio informulé. Lorsque les flammes atteignirent ses doigts, le
Professeur lâcha le papier et agita la main distraitement pour chasser la sensation de chaleur.
Pour plus de sécurité, il fit disparaître les cendres d’un evanesco.

« Tu sais ce qu’il veut ? » s’enquit Sirius.

La lettre d’Harry était laconique. Deux phrases qui l’informaient qu’il comptait se rendre le
lendemain, durant la pause déjeuner, aux écuries et qu’il espérait y trouver des sombrals.

« Aucune idée. » répondit le Maître des Potions. « Il est distrait ces jours-ci. »

Son visage ne trahit rien et Sirius ne parvint pas à décider s’il mentait ou non.

« Pourquoi les écuries ? » insista-t-il.

« C’est un lieu de rendez-vous comme un autre et nous n’y serons pas dérangés. » répliqua
Snape.

Il y avait des jours où il était dur de se souvenir de pourquoi il devait réprimer son désir de le
frapper. Le Mangemort était si laconique… Tout ce qui concernait Harry concernait aussi
l’Animagus.

« Est-ce que tu crois que ça pourrait avoir un rapport avec son Patronus ? » grinça-t-il,
déterminé à obtenir quelques réponses.

« Son Patronus ? » releva Snape. « De quoi parles-tu ? »

Sirius grimaça, n’ayant aucune intention de révéler au Professeur qu’il avait attiré Harry dans
la Forêt Interdite au beau milieu de la nuit pour une chasse au drapeau qui s’était plus ou
moins mal terminée.

« Il n’est pas arrivé à le faire apparaître l’autre jour. » expliqua-t-il d’un ton détaché.

Le regard noir cherchait à accrocher le sien et Sirius garda les yeux prudemment rivés sur
l’épaule de l’homme, conscient qu’il ne l’emporterait pas face à ses dons de Legilimens.
« Je pensais… » continua-t-il, légèrement hésitant à aborder ce sujet avec Snape. Toutefois, il
savait qu’il devait compter avec lui lorsqu’il était question d’Harry, à présent, et cela semblait
être quelque chose dont ils devaient discuter si cela perturbait le garçon. « S’il est aussi en
colère après James qu’il l’est après moi… Peut-être que le cerf… » Le Maître des Potions ne
laissa rien transparaître et Sirius ne cacha pas son irritation. « Tu n’as rien à dire ? »

Snape leva un sourcil dédaigneux et ouvrit la bouche pour délivrer ce qui serait
incontestablement une de ses répliques acerbes puis la referma sans avoir émis un son, les
yeux rivés sur quelque chose derrière l’Animagus. Il se retourna pour trouver Nyssa qui les
observait en silence. Il n’aurait su dire depuis combien de temps elle était là.

« Albus est arrivé. » déclara-t-elle. « Nous sommes prêt à commencer. »

Snape se glissa hors de la pièce sans ajouter un mot, ses capes claquant derrière lui. Sirius
dévisagea la vampire jusqu’à ce qu’elle se détourne et rejoigne le salon. Il suivit à un pas plus
mesuré, incapable de décider si les regards qu’elle lui jetait étaient méfiants ou scrutateurs.

Dumbledore, Remus et Fol’Œil étaient déjà dans la cuisine, toutefois les autres ne semblaient
pas pressés de quitter le salon. Tonks et Charlie étaient revenus, Charlie s’était rassis à côté
d’Anthony et sa cousine était perchée sur l’accoudoir du sofa. Il y avait plus de gens que
lorsqu’il avait quitté la pièce, il semblait qu’ils seraient au complet ou presque ce soir là.
Fletcher agrippait son verre d’alcool, ses yeux courraient partout comme une fouine aux
aguets. Et Bill était appuyé contre le manteau de la cheminée.

« Et où en es-tu question travail ? » lança Tonks au jeune homme, avec une virulence que la
question ne justifiait pas. « Tu fais toujours du free-lance ? »

Surpris de se voir pris à parti devant toute la pièce, Bill haussa les épaules. « Oui. Pourquoi ?
Tu as besoin d’un briseur de sorts ? »

La réponse fut noyée par le flot des conversations lorsque Minerva frappa dans ses mains
comme elle le faisait dans une salle de classe trop bruyante et leur ordonna à tous de passer
dans la cuisine. Sirius se demanda s’il imagina ou non, le regard noir que Snape jeta à Tonks
et l’expression contrite qu’elle prit en réponse. Il était certain, en revanche, de ne pas
imaginer la manière dont le Mangemort observait Nyssandra : suspicion.

°°O°°O°°O°°O°°

La réunion était tout aussi redondante et ennuyeuse que ce à quoi Severus s’était attendu.

Le seul intérêt qu’elle présentait était la possibilité d’observer le Conseil au complet ou


presque. Molly Weasley manquait toujours à l’appel.

Des parts de tourte à la viande furent passées autour de la table pendant que Shacklebolt
terminait son rapport. Il aurait passé son tour si le regard perçant de Minerva ne l’avait pas
intimé de ne pas seulement y penser. Depuis son malaise – un événement dont sa fierté ne se
relèverait probablement jamais étant donné que, pour aggraver les choses, cela avait eu lieu
en présence de Sirius Black – la sous-directrice était devenue une plaie dont il ne parvenait
pas à se débarrasser. S’il ne se présentait pas à la Grande Salle pour le repas, elle n’hésitait
pas à aller le débusquer où qu’il se soit caché dans le château. Elle s’arrêtait à son bureau ou
à son laboratoire chaque soir avant d’aller se coucher et l’obligeait à regagner ses quartiers.
Elle l’avait relevé de ses patrouilles nocturnes et les avait confiées à Filius et Pomona… Trois
jours et Severus était prêt à se jeter de la plus haute tour.

Levant les yeux au ciel, il s’empara de la fourchette et avala une bouchée avec un regard de
défi. Elle lui adressa un mince sourire, visiblement satisfaite, ratant tout à fait la dérision qu’il
avait mis dans le geste. La tourte était de piètre qualité mais elle était comestible et c’était
une distraction raisonnable étant donné que Shacklebolt n’avait rien à dire qui n’avait été dit
cent fois.

À sa droite, Fletcher dévorait son assiette comme s’il n’avait pas mangé de six jours. À sa
gauche, Nymphadora poussait distraitement des bouts de viande du bout de sa fourchette sans
en avaler un morceau. Le coude sur la table, la tête appuyée sur sa main, elle ne prêtait
attention à rien de ce qui l’entourait et cela durait depuis qu’elle s’était ruée sur le siège qu’il
convoitait originalement en bout de table, à côté de Dumbledore qui présidait. Il n’avait
compris pourquoi que lorsque Lupin s’était installé à l’autre bout, face à Albus.

« Gamine ? »

La jeune femme sursauta de se voir interpellée par Fol’Œil. Severus reporta son attention sur
la conversation, n’ayant pas véritablement suivi les dernières minutes.

« Que voulait Scrimgeour ? » insista l’ancien Auror.

Nymphadora était clairement mal à l’aise. Elle se redressa et se racla la gorge, prenant une
gorgée de sa bièraubeurre dans une tentative évidente de perdre du temps.

« Rien de particulier. » lâcha-t-elle finalement. « Me féliciter. »

Ses yeux gris s’immobilisèrent brièvement sur Bill et Severus devina qu’elle mentait afin de
protéger des informations qu’elle savait sensibles.

« Il m’a envoyé un mémo comme quoi tu ne faisais plus partie de mon Département à
compter de demain matin. » offrit Shacklebolt, en fronçant les sourcils.

« Il ne t’a pas renvoyée tout de même ? » s’étonna Lupin.

Son intervention était visiblement celle de trop.

« Non, désolée de te décevoir. » rétorqua-t-elle. « Je suis affectée ailleurs, c’est tout. »

« Où ? » insista Anthony. Le regard de Severus s’attarda sur le jeune homme. Il ne l’avait


rencontré qu’une poignée de fois avant la tempête magique et ne l’avait jamais trouvé
autrement sympathique, pourtant, il était clair qu’il avait trouvé sa place dans le groupe
durant son absence.

Quoi qu’il en soit, c’était sur la vampire que ses yeux ne cessaient de se poser. Les avait-elle
surpris, Black et lui, par accident ou avait-elle été occupée à les surveiller ? S’il en
connaissait peu sur l’ami de Charlie Weasley, il en connaissait encore moins sur Nyssandra.
Nymphadora soupira, comprenant très certainement qu’il lui était impossible de ne pas
révéler ce que le Ministre lui avait demandé sans créer un débat qui durerait des heures ou
attirer l’attention de l’espion qui se saurait soupçonné.

« À Downing Street. » admit-elle à contrecœur.

Aussitôt, tout le monde y alla de sa suggestion sur comment protéger au mieux le Premier
Ministre Moldu, le tout dans une cacophonie insupportable, jusqu’à ce qu’elle agite sa
baguette et qu’un silence de plomb ne tombe sur l’assistance. Severus sentit le silencio peser
sur sa langue et ne dissimula pas son irritation. Dumbledore que le sort n’aurait sans conteste
pas incommodé bien longtemps paraissait amusé.

« Je n’ai pas besoin de vos conseils. Merci. » cingla-t-elle. « On passe à la suite. »

Elle leva le sort.

« Tu es d’une arrogance, gamine. » gronda Fol’Œil.

La jeune femme le fusilla du regard. « Je ne suis pas non plus d’humeur. »

« Du calme, je vous prie. » intervint posément Albus. « Miss Delacour, quelles nouvelles de
Gringotts ? »

Il n’y avait pas énormément de nouvelles en provenance de Gringotts. Rien de bien


intéressant quoi qu’il en soit. Le Seigneur des Ténèbres et ses partisans avaient pris le parti
de la discrétion dernièrement. Fletcher, interrogé sur les allées et venues de l’Allée des
Embrumes, confirma cet état de fait, non sans avoir jeté un coup d’œil à Bill Weasley.

Sentant la frustration et le découragement gagner la pièce au fur et à mesure que Black se


mettait à parler de plus en plus fort et à taper du poing sur la table, incitant les autres à
hausser la voix pour se faire entendre, Severus compta mentalement les secondes jusqu’à ce
que…

« Et toi ? Tu n’as rien à dire ? » l’apostropha Fol’Œil avec son agressivité et son dégoût
habituel.

Il resta de marbre, accoutumé à l’hostilité avec laquelle la plupart des regards se braquèrent
soudain sur lui. Il lut de la méfiance dans beaucoup d’entre eux, parfois teintée de mépris.

« Il est évident que le Seigneur des Ténèbres a en tête une attaque d’envergure qui requiert
des préparations auxquelles je n’ai pas été convié. » répondit-il calmement. « Comme je l’ai
déjà rapporté à Albus qui, me semble-t-il, a relayé l’information jusqu’au Conseil. »

Le ton sarcastique ne plut pas à certains membres de l’Ordre.

« Ça fait deux semaines qu’une attaque se prépare et deux semaines que tu n’en sais pas
plus. » remarqua Black. Le reproche n’était pas empreint de la même haine que d’ordinaire.
Ce n’était pas tant une remise en question de ses véritables allégeances qu’une remise en
question de ses capacités d’agent double.
« Je ne peux inventer des informations que je ne possède pas. » rétorqua-t-il. « Ma position
est précaire depuis mon retour, la confiance du Seigneur des Ténèbres ne m’ait pas acquise.
Si tu penses pouvoir obtenir de meilleurs résultats, je t’en prie, je te laisse volontiers ma
place. »

« Le Seigneur des Ténèbres… » répéta Anthony, dans le silence qui s’en suivit. Il n’y avait
pas d’injonction particulière dans sa voix mais ce qu’il ne se décidait pas à dire était
clairement perceptible.

« On croirait entendre un Mangemort parler. » renchérit Charlie. Là encore, si ce n’était pas


tout à fait une accusation, ce n’était pas tout à fait une observation non plus.

Severus contint son énervement à grand peine, se demandant pourquoi il persistait à assister à
des réunions où il finissait toujours par échapper, de justesse, à un lynchage.

« C’est un Mangemort. » cracha Fol’Œil.

Il occluda l’irritation et la peine que se voir appelé ainsi lui causait. Il était un Mangemort et
il le resterait jusqu’à sa mort. Il ne s’était jamais voilé la face sur ce fait. Mais il osait penser
qu’il était un peu plus que simplement cela.

« C’est un espion. » cingla Nymphadora, dans un élan de loyauté qui ne déméritait pas sa
Maison.

« Reste à savoir pour qui il espionne. » riposta Maugrey. « On ne peut pas dire que ses
informations soient très fiables récemment. »

« Assez. » déclara Dumbledore, sans hausser la voix. Cela suffit pourtant à ramener l’ordre.
« J’ai toute confiance en Severus. »

Fol’Œil émit un bruit qui était à la limite de l’amusement moqueur et de l’amertume. « Vous
êtes bien le seul. »

Le sujet, toutefois, demeura clos, la volonté d’Albus Dumbledore faisant force de loi en
toutes circonstances. La réunion s’étira pourtant durant une autre interminable demi-heure, le
temps que Lupin s’étende sur son manque de progrès flagrant sur la question des loups-
garous. Ou sur le manque de progrès affichés – Severus doutait fort qu’Albus l’aurait laissé
discuter un sujet qui pourrait se révéler crucial pour l’effort de guerre devant un éventuel
espion.

Lorsque les membres de l’Ordre se levèrent dans un brouhaha de conversation qui n’était pas
sans lui rappeler sa salle de classe, Severus saisit l’occasion et s’éclipsa avant que Minerva
ait pu lui imposer d’utiliser la poudre de cheminette afin qu’il s’économise. Le temps n’était
pas des plus radieux mais une courte marche à l’air frais lui éclaircirait les idées, décida-t-il.

Il prit soin d’ouvrir et de refermer délicatement la porte d’entrée, attentif à ne pas réveiller le
portrait de la mère de Black qui alerterait toute la maison de sa fuite en catimini, et traversa
rapidement le Square en direction de la ruelle que les membres de l’Ordre utilisaient
généralement pour transplanner.
Il n’en était plus bien loin lorsque l’écho de bruits de pas lui parvint. Il accéléra l’allure et les
bruits de pas accélèrent eux aussi. Sans marquer le moindre signe indiquant qu’il avait
remarqué être suivi, il s’engouffra dans la ruelle, fit tomber sa baguette dans sa main d’un
léger coup de poignet et pivota à temps pour agripper le bras de son poursuivant et le plaquer
contre le mur de briques, renversant au passage une poubelle qui se déversa sur la chaussée,
avant de presser le bout de sa baguette contre la gorge de l’ennemi potentiel.

Cela aurait suffit à arrêter plus d’un sorcier mais la personne ne se laissa pas impressionner et
répliqua tout aussi rapidement que Severus avait agi, décochant un coup de genou qu’il
n’évita qu’au prix d’exceptionnels réflexes en sautant prestement en arrière.

Il amorça un sort qu’il n’abandonna qu’au tout dernier moment, lorsqu’il aperçut le visage de
son assaillant.

« Il faut vraiment que nous arrêtions de nous battre dans les ruelles, Nymphadora. » lâcha-t-il
dans un rictus. « Les gens bien pensants vont commencer à jaser. »

La sorcière se massa le bras qu’il avait probablement attrapé un peu trop violemment à son
goût.

« Si vous arrêtiez de chercher à me coincer contre un mur… » bougonna-t-elle. « Offrez-moi


un verre d’abord, la prochaine fois. »

« Cessez de m’attaquer par surprise et je cesserai peut-être de chercher à… » rétorqua-t-il


avant de s’interrompre. « Que voulez-vous ? Avez-vous de nouvelles informations ? »

Il jeta un coup d’œil en direction de la place mais, pour autant qu’il pouvait le dire, personne
ne les avait suivis.

« J’ai besoin d’une faveur. » répondit-elle. « Et vous m’en devez une. »

« Pardon ? » se moqua-t-il, en l’observant presque avec amusement.

Elle, par contre, semblait tout le contraire d’amusée.

« Vous m’avez jetée aux pieds de Vous-savez-qui, vous vous souvenez ? » grinça-t-elle.
« Vous avez une dette envers moi. »

Il leva les yeux au ciel.

« Je pense m’être acquitté de quelque dette que j’ai pu contracter envers vous,
Nymphadora. » décréta-t-il, en effleurant de la main une des mèches brunes qui encadraient
son visage. Le contact fut bref mais apparemment suffisant pour que ses cheveux virent
soudain au rose bonbon, comme si elle venait à peine de se souvenir de ce pouvoir retrouvé.
Ce pouvoir qu’il l’avait aidée à récupérer.

Elle eut le bon ton de paraître contrite. Elle baissa les yeux et enfouit les mains dans les
poches de son sweater.

« D’accord, alors disons que c’est moi qui aurait une dette envers vous. » lâcha-t-elle.
« Avoir une dette envers moi est une affaire dangereuse que je ne recommande pas. » déclara-
t-il. « Je suis, après tout, un Serpentard. Et un Mangemort de surcroit. »

Elle leva la tête et fronça les sourcils, relevant très visiblement le mépris dans sa voix.

« Oubliez-les, ce sont des crétins. » conseilla-t-elle, bien inutilement. Il avait déjà décidé il y
avait bien longtemps que peu de personnes au sein de l’Ordre avait une intelligence
supérieure à celle d’un crustacé.

« De quel genre de faveur avez-vous besoin ? » s’enquit-il à contrecœur.

Il regrettait déjà le temps où ses alliances n’avaient pas été teintées de cette apparence
d’amitié que les Gryffondors et les Poufsouffles mettaient à toute chose. Les Sangs-Purs avec
qui il avait l’habitude de traiter comprenaient la différence entre affection et affaires et ne
méprenaient jamais une alliance pour une amitié. Black avait clairement été élevé de cette
manière et respectait pour l’instant le statu quo, pourtant Severus devinait que ce n’était
qu’une question de temps avant que ses tendances toutes Gryffondors ne reprennent le
dessus. Nymphadora, quant à elle, avait dès le départ paru décréter qu’une alliance impliquait
un chamboulement de leurs rapports.

Elle avait toujours été plus tolérante que les autres avec lui, une tendance qu’il avait attribuée
à sa nature Poufsouffle et au fait qu’il avait été son professeur et qu’il devait demeurer, chez
elle, un certain respect inconscient de cette situation. Plus il apprenait à la connaître
cependant, plus il doutait que le respect qu’elle accordait aux gens dépendait de leur fonction
– plus il devenait difficile, également, de se souvenir de l’élève qu’elle n’était plus. Mise à
part pour sa maladresse chronique, il gardait d’elle le souvenir de quelqu’un d’appliquée et de
plutôt discrète dans sa salle de classe. Ses pitreries et ses bêtises, elle les avait gardées pour
les autres Professeurs, soit par sagesse, soit par crainte, encore que l’un n’excluait pas
toujours l’autre. Elle ne faisait pas parti des élèves avec qui il avait eu beaucoup
d’interactions.

L’adulte qu’elle était devenue, en revanche, l’intriguait. Son potentiel était évident pour qui
savait observer. Elle se battait bien, réfléchissait vite et n’était pas dépourvue de cervelle.
Autant de qualités que Severus savait apprécier à leur juste valeur.

Et c’était bien pourquoi il se sentait obligé de l’aider gratuitement alors qu’il aurait saigné un
autre à blanc en contrepartie d’un service rendu.

« S’il vous plaît. » insista-t-elle, sans pour autant préciser ce qu’elle attendait de lui.

Elle tendit la main.

Il n’avait jamais été friand du transplannage d’escorte et était encore moins friand d’un
transplannage qui l’emmènerait Merlin seul savait où pour faire Merlin seul savait quoi… La
seule personne qu’il aurait suivie aussi aveuglément était Harry et, peut-être, en une moindre
mesure, Minerva.

Pourtant, il se retrouva à glisser sa main dans la sienne, beaucoup plus menue.


« Je vous fais confiance, ne m’obligez pas à le regretter. » l’avertit-il.

Elle hocha la tête avec gravité, puis amorça le transplannage.

Ils réapparurent dans une autre allée, en plein Londres s’il devait en croire les bruits de
moteurs, les klaxons et les voix des passants qui riaient et s’interpellaient. Ils n’étaient pas
loin de son appartement, et il ne fut donc pas surpris lorsqu’elle en prit le chemin. Il suivit en
silence. L’absence de bavardages lui convenait, il n’avait jamais apprécié l’échange de
platitudes inutiles. La manière dont elle s’était plongée dans ses pensées, en revanche, le
mettait mal à l’aise.

Elle ne reprit la parole que lorsqu’ils furent devant sa porte.

« Hominum Revelio. » murmura-t-elle, après avoir tourné le verrou derrière lui.

Le sort ne révéla rien d’alarmant.

« Vous attendiez-vous à avoir de la compagnie ? » interrogea-t-il, sourcils froncés.

Elle écarta du pied des sacs plastiques abandonnés dans l’entrée et se tourna pour lui faire
face. Son visage était impassible et il se demanda brièvement si elle était en train d’Occluder
sans oser vérifier. Il l’avait testée à plusieurs reprises ces dernières semaines alors qu’elle ne
s’y attendait pas mais il sentait, cependant, qu’une telle tentative, ce soir là, serait prise
comme une agression. Il était évident qu’elle n’était pas tout à fait dans son état normal. Elle
avait souvent une attitude négligée qui lui faisait parfois lever les yeux au ciel mais son
pantalon tâché de suie et troué au genou était tout aussi loin de ses excentricités
vestimentaires étudiées que l’odeur de fumée qui lui collait à la peau.

« J’ai besoin que vous m’aidiez à abattre toutes les protections. » annonça-t-elle.

Cela le prit de court.

Il regretta presque qu’elle n’ait pas fait appel à lui pour faire disparaître un cadavre ou pour
l’aider à commettre un délit – ce que d’autres de ses alliés n’auraient pas manqué de faire.

« Les protections… » répéta-t-il avec surprise. Il n’avait pas besoin de sortir sa baguette pour
savoir que les protections qui entouraient son appartement étaient aussi puissantes
qu’efficaces. Mis à part un Fidelitas, il n’y avait guère mieux. C’était de l’excellente magie,
il l’avait remarqué dès la première fois où il avait mis les pieds chez elle.

« Je veux les abattre. » répéta-t-elle, clairement agitée. « Celles anti-transplannage aussi. »

Il fronça les sourcils, plus confus qu’il n’aimait à l’avouer.

« Vous me demandez de vous aider à commettre un suicide, vous vous en rendez-compte ? »


cingla-t-il. « Combien de temps pensez-vous qu’il faudra à Bellatrix Lestrange ou à Fenrir
Greyback pour vous trouver ? Que comptez-vous faire ? Leur offrir du thé ? »

Elle secoua immédiatement la tête. « Non, non, non… Ensuite, vous devez m’aider à les
remettre en place. »
Il se pinça l’arrête du nez.

« Expliquez-vous. » exigea-t-il. « Et soyez convaincante. Je n’ai guère envie de passer des


heures à dissoudre des protections de cette envergure uniquement pour les reposer
immédiatement ensuite. »

Elle se frotta le visage et poussa un long soupir.

« Remus m’a aidée à les poser. » lâcha-t-elle. « Il peut rentrer quand bon lui chante. Lui, et
quelques autres en qui j’avais confiance avant qu’on ne découvre qu’il y avait un espion.
Nyssa, Charlie, Anthony, Sirius… Pratiquement tous les membres de l’Ordre. Quant aux
protections anti-transplannages, elles ne permettent pas d’entrer mais elles permettent de
sortir. J’en veux qui verrouille l’accès dans les deux sens. Je veux bloquer la cheminée aussi.
Je ne veux plus que qui que ce soit puisse rentrer dans mon appartement sans ma
permission. »

Elle était à bout de souffle lorsqu’elle s’interrompit finalement. Ses yeux gris accrochèrent
les siens, le suppliant presque du regard d’accéder à sa requête.

« Que s’est-il passé ? » insista-t-il, en levant un sourcil curieux. « Vous avez eu peur… »

Cela n’était pas bien difficile à déterminer, le langage corporel de la jeune femme parlait pour
elle et elle n’était, de toute manière, pas bien difficile à lire. Quelque chose était arrivé pour
la pousser à vouloir remplacer les protections… Quelque chose qui l’avait suffisamment
secouée pour qu’elle ne se sente plus en sécurité chez elle.

Elle hésita puis haussa les épaules. « Remus m’attendait. »

« Et ? » pressa-t-il, à court de patience.

« Et… Je ne voulais pas le voir. » s’énerva-t-elle, en donnant un petit coup de pied dans un
des sacs plastique. « Et… Et il est bizarre, en ce moment, d’accord ? Sirius pense comme
moi. »

« Ah. Est-il encore question de la nouvelle version de la potion Tue-Loup ? » soupira-t-il.


« Black m’a fait part de ses craintes. Lupin, toutefois, s’est estimé pleinement satisfait. »

Elle croisa les bras sur la poitrine et s’appuya contre le mur.

« Sirius dit que son comportement bizarre date de la pleine lune et que c’est la potion. »
admit-elle. « Je trouve qu’il était étrange depuis bien plus longtemps que ça. »

Severus tourna pensivement sa baguette entre ses doigts.

« Il a suggéré de nommer la potion Révèle-Loup plutôt que Tue-Loup. Je pense que c’est
révélateur de son expérience. » avança-t-il. « Savez-vous combien de loups-garous sombrent
dans la folie ? »

Elle secoua la tête en signe d’ignorance.


« En moyenne trois sur cinq et presque tous sont des solitaires comme Lupin. » exposa-t-il.
« Cela n’est pas tant une condition inhérente à la lycanthropie, elle-même, qu’à celui qui est
porteur de la malédiction. Une personne qui accepte la malédiction comme une partie d’elle-
même se portera probablement comme un charme jusqu’à la fin de ses jours. Une personne
qui craint la malédiction, la refuse, en revanche, crée dans son esprit une rupture entre elle-
même et la nature animale liée à la lycanthropie. Les loups-garous qui vivent en meute
acceptent généralement leur sort plus facilement et sont donc moins susceptibles de sombrer
dans la folie. »

Elle fronça légèrement les sourcils, repoussant distraitement une mèche rose de ses yeux. « Et
vous pensez-que Remus devient fou ? »

« Je pense qu’il était en train de le devenir avant qu’il ne prenne cette potion et ne se trouve
une meute. » objecta-t-il. « D’après le rapport qu’il m’a fait après la pleine lune, je pense
qu’il a accepté la malédiction. En d’autres termes, il a fusionné avec le loup si vous préférez.
De la même manière que Greyback a embrassé sa part animale. »

Elle grimaça.

« Vous m’excuserez mais Greyback n’est pas un modèle de santé mentale. » se moqua-t-elle.

« Non. » admit-il. « Mais les loups-garous ne sont pas réputés pour vivre très vieux… Ce que
leur corps subit chaque mois… » Il balaya l’air de la main. « Ne pas combattre cette part
animale facilite la transformation, la rend moins pénible. C’est une bonne chose et cela n’a
rien à voir avec la folie de Greyback. Prenez vos distances si vous le jugez nécessaire mais je
ne pense pas que Lupin représente un danger pour vous. »

S’il avait pensé Lupin dangereux, il ne l’aurait jamais laissé approcher Harry.

Nymphadora l’observa longuement puis décroisa les bras et se repoussa du mur pour mieux
se tenir droite.

« Peut-être qu’il ne me ferait pas volontairement du mal. » lâcha-t-elle. « Mais il m’a brisé le
cœur une fois et je n’ai pas vraiment fini de le recoller alors j’aimerai éviter qu’il
recommence. Et puis… Je dormirai plus tranquille si j’étais certaine que personne ne peut
rentrer chez moi à mon insu. »

Il devait admettre que ce dernier point était recevable.

Il poussa un soupir puis se tourna vers la porte d’entrée.

« Mettons-nous au travail, dans ce cas. » offrit-il. « Minerva n’hésitera sans doute pas à
fouiller tout Londres pour me retrouver dès qu’elle aura remarqué ma disparition… »

Nymphadora eut l’air amusé mais tint sagement sa langue.

Démanteler toutes les protections leur prit une heure et demie, en poser de nouvelles prit
presque le double.
« Je ne sais même pas si ça vaut la peine que j’aille me coucher. » se plaignit la jeune femme,
en se frottant les yeux lorsqu’il eut finalement déclaré son appartement presque aussi
impénétrable que Poudlard.

Severus jeta un rapide tempus et grimaça lorsque les chiffes quatre et cinquante-cinq
apparurent dans les airs. Le temps qu’il transplanne jusqu’à Pré-au-Lard et rejoigne Poudlard,
il ferait tout aussi bien de se présenter directement dans la Grande Salle pour le petit-
déjeuner.

« Tâchez de ne pas faire tuer le Premier Ministre Moldu dès le premier jouer. » ironisa-t-il.

« Ah. Ah. » lança-t-elle tout aussi ironiquement, en levant les yeux au ciel. « Ce n’est pas
pénible, à force, d’être toujours aussi sarcastique ? »

Il leva un sourcil, ses lèvres s’étirant malgré lui dans un rictus amusé. Il blâma la fatigue.

« Lorsque l’on est entouré d’imbéciles à longueur de journée, on se divertit comme on peut. »
rétorqua-t-il.

Quelqu’un d’autre l’aurait mal pris. Nymphadora se contenta de secouer la tête, faisant voler
ses mèches roses un peu partout, et le raccompagna à la porte puisqu’il était désormais
impossible de quitter son appartement en tranplannant.

« L’imbécile vous remercie. » plaisanta-t-elle.

Cette fois-ci, il ne fut pas autant surpris lorsqu’elle se mit sur la pointe des pieds pour déposer
un baiser sur sa joue mais ça ne l’empêcha pas de se raidir, mal à l’aise avec ces preuves
d’affection physiques.

Il ne tourna pas la tête, se souvenant un peu trop clairement de l’accident qui avait failli se
produire la dernière fois et de la gêne qui avait suivie.

Les lèvres de la jeune femme atterrirent tout de même au coin de sa bouche.

Ni l’un ni l’autre ne commentèrent.

Lorsqu’il descendit l’escalier pour rejoindre la rue, il s’étonna de son rythme cardiaque
légèrement chaotique et décida qu’il était plus fatigué qu’il ne l’avait cru. Ce qui était étrange
c’est qu’il n’avait pas sommeil du tout.
Looking At The Stars

We are all in the gutter but some of us are looking at the stars.

Oscar Wilde – Lady Windermere’s fan

Nous sommes tous dans le caniveau mais certains d’entre nous regardent vers les
étoiles.

Oscar Wilde – lady Windermere’s fan

Jamais son n’avait été plus doux que la cloche annonçant la fin des cours de la matinée.

Harry poussa un léger soupir et entassa parchemins, plume, encrier et manuel dans son sac
sans même prendre la peine de s’assurer que rien ne se renverserait. À côté de lui, Ron leva
un sourcil interrogateur qu’il fit mine de ne pas remarquer.

« Généralement, Mr Potter, c’est moi qui déclare que le cours est terminé. » lança
McGonagall, en posant la craie en bas du tableau avant de se frotter brièvement les mains
pour effacer toute trace de poudre.

Harry s’immobilisa avec une grimace contrite.

« Bien. Puisque Mr Potter est clairement affamé, je vous libère. » déclara la sous-directrice,
pince-sans-rire. « Je veux trente-cinq centimètres de parchemin sur la métamorphose des gaz
– Finnigan, Thomas, cessez donc de ricaner – et nous attaquerons la semaine dès lundi avec
un entraînement aux BUSEs. »

La fin de sa phrase se perdit dans les raclements de chaises et le joyeux brouhaha qui régnait
toujours à la fin d’un cours.

« Qu’est-ce qui se passe ? » s’enquit Ron, en fronçant les sourcils. « Tu ne tiens pas en place
aujourd’hui. »

Harry ouvrit la bouche pour répondre mais la referma aussitôt lorsqu’il aperçut Neville qui
rôdait à proximité. Rôder était peut-être un terme un peu fort, le garçon discutait simplement
avec Hermione mais il se tenait trop près et entendrait très certainement la conversation. Jeter
un assurdiato simplement pour informer Ron qu’il avait prévu de retrouver le Maître des
Potions semblait beaucoup de travail pour rien étant donné qu’il n’avait encore rien expliqué
à ses amis de son entrevue avec Dumbledore. Ce n’était pas tant qu’il souhaitait la leur
cacher, le Directeur avait même précisé qu’il était libre d’en discuter avec ses meilleurs amis
s’il le désirait, mais il préférait en parler avec Severus d’abord.

« J’ai juste envie d’aller faire un tour dans le parc. » mentit-il.

« Mais c’est l’heure de manger. » protesta Ron.


« Je n’ai pas faim. » offrit-il dans un haussement d’épaules.

Le cadet des Weasley ne parut pas convaincu et son froncement de sourcils s’accentua.

« Je t’accompagne. » offrit son meilleur ami.

« Non, non… » refusa-t-il immédiatement. Il jeta un regard alentour et baissa la voix.


« Écoute, je te raconterai plus tard, d’accord ? »

« Promis ? » hésita Ron. « Non, parce que… En ce moment… »

Harry ressentit une pointe de culpabilité qu’il étouffa dans l’œuf. En ce moment, il n’était pas
un très bon ami, il en était conscient. Il peinait à s’intégrer dans l’énorme groupe qu’était
l’A.D., il peinait à rétablir les relations simples mais essentielles qu’il avait toujours
partagées avec Ron et Hermione… Hermione, surtout, l’intimidait presque avec cette
assurance écrasante qui l’avait toujours définie mais qui semblait s’être accrue pendant son
absence. Il n’osait plus ouvrir la bouche de peur de se voir reprocher une fois encore
l’arrogance de réussir ce qu’elle ne parvenait pas à accomplir, qu’il s’agisse d’informulés, de
Patronus, ou du programme scolaire.

« Ce soir. » promit-il.

Il avait suffisamment de secrets comme ça pour ses amis. Les transformations animagus,
l’horcruxe qu’il abritait… C’était bien suffisant.

Il parvint à échapper au groupe d’élèves qui se dirigeaient vers la Grande Salle sans trop de
difficultés et se hâta vers le parc, enfilant la cape de laine qu’il tira de son sac tout en
marchant et enroulant l’écharpe aux couleurs rouge et or autour de son cou. Le printemps ne
se décidait pas à venir, le temps restait froid, le ciel morne et du givre recouvrait encore le sol
par endroit.

Il fit un détour pour éviter la cabane d’Hagrid, songeant qu’il lui faudrait rendre visite à son
ami incessamment sous peu parce que le demi-géant lui manquait et qu’il n’avait toujours pas
eu l’occasion de le voir depuis son retour en dehors des cours de Soins aux Créatures
Magiques, et longea la muraille, anxieux de ne pas se faire repérer. Le chemin serait plus long
mais plus sûr.

Peut-être prenait-il ces précautions en vain. L’idée l’avait effleuré plus d’une fois depuis qu’il
s’était réveillé. Sirius avait-il compris ce qu’il attendait de lui ? Avait-il déduit qui était Nox ?
Harry savait que les deux hommes étaient en contact, il savait aussi, grâce à une information
que Remus avait laissé échapper lors de leur entraînement, qu’il y avait eu une réunion la
veille…

Les écuries seraient peut-être désertes lorsqu’il les atteindrait.

Les sombrals allaient et venaient entre les écuries et l’enclos qui donnait sur la Forêt
Interdite, certains levèrent la tête lorsqu’il passa près d’eux. Harry ne s’arrêta pas, cependant,
sachant instinctivement qu’aucun d’entre eux n’était Nox. La silhouette familière du sombral
qu’il cherchait ne l’attendait pas davantage à l’intérieur des écuries bien qu’il vérifia tous les
box. Il se voûta légèrement sous le coup de la déception.

« J’ose espérer que tu ne comptes pas complètement sauter le déjeuner. » lâcha une voix
douce aux accents dangereux.

Harry pivota, un grand sourire aux lèvres, juste au moment où le Maître des Potions sortit de
l’ombre. Il s’était attendu à devoir parler à Nox pas à ce que Severus ne se risque à le
rencontrer sous forme humaine.

« Je dois reconnaître que l’idée était ingénieuse. » continua l’homme d’un ton presque
ennuyé. « Le nom de code, me faire parvenir la lettre par un tiers, le choix du lieu… Cela
étant, tu aurais dû penser à jeter un sort pour vérifier que l’endroit était vide avant d’y
pénétrer. Si j’avais été un assassin, tu serais déjà mort. Il est évident que tu te relâches et que
Lupin n’est pas suffisamment strict. Il n’y a… »

Le Professeur ne termina jamais sa phrase.

Harry le percuta comme un boulet de canon. L’étreinte fut brève et, pourtant, c’était tout ce
dont il avait besoin. Il ferma les yeux et respira à pleins poumons l’odeur d’herbes séchées
qui collaient toujours aux lourdes robes du Maître des Potions. L’espace d’une seconde, elle
surpassa celle, plus rance, des animaux et de la paille humide.

« Vous m’avez manqué. » avoua-t-il, lorsqu’il se décida finalement à reculer.

Toujours pudique, Severus ne se laissa pas aller à une confession similaire mais il serra son
épaule avant de poser la main sur le haut de son crâne, aplatissant un peu les mèches rebelles
qui ne tenaient jamais en place. Le regard sombre le scruta des pieds à la tête et ne parut pas
satisfait de ce qu’il voyait. Le Professeur retira sa main avec une moue contrariée.

« Tu n’es pas en forme, Harry. » lâcha Severus. « Fais-tu toujours des cauchemars ? »

Par réflexe, il se frotta les yeux, sachant que les cernes omniprésentes s’étaient creusées ces
derniers jours.

« J’ai du mal à dormir. » admit-il. « Ce n’est pas juste les cauchemars, c’est… »

Il laissa sa phrase en suspens, ne sachant très bien comment la terminer, et haussa les épaules.

L’insomnie n’était rien de nouveau. Il lui semblait parfois qu’il ne parviendrait jamais à
cesser de penser : à la guerre, aux morts, à l’horcruxe, à Lily et à Severus, à James… Il
passait parfois des heures à scruter la Carte des Maraudeurs pour tromper l’ennui et le
sommeil qui ne se décidait pas à venir. Il observait Dumbledore faire les cents pas dans son
bureau, il suivait du regard la ronde nocturne d’un préfet ou d’un professeur, il attendait que
le point libellé Severus Snape revienne sur le domaine…

« L’Occlumencie… » commença le Professeur, sourcils froncés.

« L’Occlumencie aide un peu. » coupa Harry. « Latundo aussi. C’est gérable pour le
moment. »
« Le problème avec toi, c’est que tout est gérable jusqu’au moment où tu te retrouves en
danger de mort parce que tu ne parviens plus à gérer. » remarqua Severus. « Tu comprendras
donc que j’ai du mal à prendre ta parole pour argent comptant. »

Harry les yeux au ciel, agacé. « Vous n’êtes pas en meilleure forme. »

« Attention à ton attitude. » l’avertit l’homme. « Devoir ôter des points à Gryffondor me
chagrinerait. »

« Vous savez que plus personne ne se préoccupe des points, n’est-ce pas ? » se moqua-t-il
gentiment. « Pas depuis la Trêve. »

« Et je peux t’assurer que Minerva en est enchantée. » répondit Severus de son ton le plus
sarcastique. « Ce qui me fait penser… Je ne vois plus d’oreilles de tigre… »

Avec un sourire espiègle, Harry se concentra. Au bout d’une poignée de secondes, deux
impressionnantes oreilles se tenaient au sommet de son crâne. Quelques secondes de
concentration de plus et elles disparurent.

« Les oreilles, le bras et ma main gauche. » résuma-t-il fièrement. « Mais transformer ma


main gauche me prend une éternité. McGonagall dit qu’il se passera des mois voire des
années avant que j’arrive à me transformer entièrement. »

« Le Professeur McGonagall est certainement plus apte que moi à t’aider à développer ce
don. » répondit le Maître des Potions. « Je suis certain que ton parrain… »

« Non. » l’interrompit-il fermement.

« Harry… » soupira Severus.

« Non. » insista-t-il. « Pas pour le moment. »

Il était décidé à tourner la page avec Sirius, à repartir du bon pied, mais la transformation
Animagus était quelque chose qu’il partageait avec Severus, pas avec Sirius.

Le Professeur avait l’air contrarié. « Black prétend que tu as des difficultés avec ton
Patronus. »

« Si je dis quelque chose à l’un, il le répète à l’autre ? » demanda-t-il, sans chercher à cacher
son agacement. « Sirius est votre nouveau meilleur ami ou quoi ? »

Severus leva un sourcil, absolument pas amusé par le ton qu’Harry employait. Ou bien peut-
être était-ce la perspective d’une amitié avec son rival de toujours.

Sachant qu’il ne s’en tirerait pas sans explication, le garçon poussa un soupir.

« Ça va et ça vient. » lâcha-t-il. « Ça dépend des jours. » Comprenant qu’une démonstration


s’imposait, il jeta le sort et observa, non sans satisfaction, le sombral argenté s’échapper de sa
baguette. Il en flatta l’encolure, heureux de le sentir corporel sous sa main. « Si je pense trop
à Vol… » Il se rattrapa au tout dernier moment, les yeux vert se posant brièvement sur
l’avant-bras gauche du Professeur. « Vous-savez-qui, je n’y arrive pas. »

« Produire un Patronus nécessite de puiser dans nos émotions positives. Il n’est pas vraiment
étonnant que tu n’y parviennes pas lorsque tu es particulièrement déprimé. » offrit Severus.

Harry déglutit péniblement, devinant instinctivement que l’explication n’était pas aussi
simple. Il garda les yeux rivés sur le sombral argenté qui étirait son cou squelettique en
direction du box le plus proche.

« Professeur… » hésita-t-il.

L’homme fronça légèrement les sourcils, surpris ou blessé, l’expression fut trop fugace et
trop rapidement occludée pour que le garçon l’identifie. Il réalisa avec un temps de retard que
c’était la première fois depuis un moment qu’il l’appelait par son titre en dehors d’une salle
de classe. Severus venait naturellement désormais, principalement parce que son ami lui
manquait beaucoup.

Il persévéra pourtant, conscient qu’il n’aurait pu confier à personne d’autre ce qu’il


s’apprêtait à révéler.

« Quand je suis vraiment très en colère ou très triste… Quand j’éprouve des émotions très
négatives… L’horcruxe. C’est comme un poids, là. » expliqua-t-il, en posa un main sur son
plexus. « Ça m’étouffe. »

Plus il avait conscience de l’horcruxe, plus il sentait les ténèbres remuer en lui, étrangères à
son être, comme un cancer qui lui rongeait l’âme.

Le Patronus fondit dans un nuage de brume argenté qui s’évapora au bout de quelques
secondes.

La main du Professeur se posa sur son épaule. Le poids était léger mais sa poigne était solide,
ce fut suffisant pour qu’il se sente rassuré.

« L’horcruxe en lui-même n’est pas un danger tant que tous les autres et le Seigneur des
Ténèbres n’ont pas été détruits. » déclara Severus. « Il ne peut pas t’influencer, il ne peut pas
te posséder. Il est greffé sur ton âme mais il n’en fait pas partie. Si tu le crains, tu lui prêtes un
pouvoir qu’il n’a pas. Nous le vaincrons, Harry, je te l’ai juré. »

Harry hocha la tête sans parvenir à le croire totalement. Il savait que le Professeur l’espérait
mais…

« Était-ce de cela dont tu souhaitais me parler ? » s’enquit le Maître des Potions.

« Non. » soupira-t-il. « J’ai deux nouvelles qui vont vous donner envie de hurler. Laquelle
vous voulez en premier ? »

Severus se massa l’arrête du nez.

« Celle qui ne concerne pas Dumbledore. » décréta le Professeur.


Harry ne parvint pas à masquer sa surprise. « Comment savez-vous que ça concerne
Dumbledore ? »

Le Maître des Potions balaya la question d’un revers de main. « Parce que cela fait trop
longtemps qu’Albus n’a pas fait un choix discutable en ce qui te concerne. »

Il analysa cette réponse quelques secondes puis haussa les épaules, incapable d’en nier la
logique.

« J’ai eu un T en Botanique. » lâcha-t-il.

Severus accueillit cette annonce sans hurlements mais avec une irritation certaine.

« Si tu pensais que je ne me mettrais pas en colère uniquement parce qu’Albus a encore fait
des siennes, tu avais tort. » remarqua le Professeur. « Tu referas ce devoir jusqu’à ce que j’en
sois satisfait, compris ? » L’homme le fusilla du regard. « Et bien que j’applaudisse
l’initiative, il est inutile de tester tes techniques de Serpentard balbutiant sur moi, est-ce
clair ? »

Au moins, songea-t-il, il aurait essayé.

« Sinon… Et c’est là que vous allez vouloir hurler, probablement… Dumbledore a décidé
qu’il était temps que je sois plus impliqué dans la guerre. » grimaça-t-il, devinant d’avance
que ce n’était pas quelque chose que Severus voudrait entendre.

« Hors de question. » cracha immédiatement le Professeur.

« Il m’a parlé des horcruxes. » contra-t-il, avant que l’espion ait pu se lancer dans une
diatribe ponctuée de claquements de cape agacés. « J’ai des informations. »

Cela parut refroidir la fureur qui couvait chez le Maître des Potions.

« Quelles informations ? » exigea de savoir Severus. « T’as-t-il parlé de ton horcruxe ou… »

« Non. Il ne sait pas que je sais pour ça. » répondit-il, avant de se frotter le front. « Ça me
donne mal à la tête d’essayer de comprendre qui sait quoi et qui fait semblant. »

Dumbledore savait que les horcruxes existaient et il savait qu’Harry en était un mais il ne
savait pas qu’Harry et Severus en étaient conscients. Hermione et Ron savaient pour les
horcruxes mais ne savait pas pour Harry. Il y avait trop de secrets, trop de faux semblants et
tâcher de préserver les informations qu’il souhaitait réellement dissimuler aux autres s’avérait
compliqué.

« Que t’a-t-il dit ? Précisément. » insista Severus. « Legilimens. »

Ses boucliers se dressèrent instinctivement et l’esprit du Maître des Potions s’écrasa dans
l’enfer de flammes qui protégeait le sien. Un grognement de douleur échappa au Professeur et
il abaissa immédiatement les boucliers, espérant ne pas avoir fait trop de dégâts. Severus se
remit vite cependant et Harry ne put qu’attendre et regarder les souvenirs défiler : suivre
Dumbledore dans son bureau, le regarder faire léviter la pensine, vider les fioles de souvenirs,
les Gaunt, la rencontre entre le Directeur et l’orphelin, les gens que Tom Jedusor avait
croisés dans sa jeunesse, son obsession pour les objets ayant appartenus aux Fondateurs, et,
enfin, le souvenir tronqué, trafiqué, qui n’appartenait à personne d’autre qu’à Horace
Slughorn.

« Il veut que je persuade Slughorn de me donner le vrai souvenir. » déclara-t-il dès que
Severus se fut retiré de son esprit. D’après Dumbledore, Slughorn connaîtrait le nombre
d’horcruxes que Jedusor avait projeté de créer. « Il dit qu’à cause de Lily j’aurais de
meilleures chances de le convaincre. »

« Un bon Legilimens ferait tout autant l’affaire. » grommela le Professeur. « Albus et son
obsession pour les quêtes… »

« C’est ce que j’ai dit ! » s’exclama-t-il, avec une pointe de fierté. « La Legilimencie réglerait
le problème. »

Les lèvres du Maître des Potions s’étirèrent dans un rictus amusé. « Je suis certain qu’il a
admiré ton sens de l’éthique. »

« J’ai eu droit à un discours d’une demi-heure sur l’avantage de la noblesse de Gryffondor


sur l’esprit stratège de Serpentard. » admit-il, en levant les yeux au ciel. « Il a quand même
fini par admettre que Slughorn était le meilleur Occlumens de sa connaissance. »

Severus émit un bruit dédaigneux, presque vexé. « Cela reste à prouver. »

Et s’il connaissait Severus Snape aussi bien qu’il pensait pouvoir se targuer de le connaître,
Harry était certain qu’il était déjà en train de comploter un moyen de se procurer ces
souvenirs par la manière forte.

« J’ai accepté de le faire. » déclara-t-il. Il enchaîna avant que l’homme ait pu protester. « De
cette façon, on sait ce que Dumbledore sait ! Je peux être un agent double. »

« Harry, personne ne peut tromper Albus Dumbledore. » le gronda Severus. « Si tu penses


qu’Albus ne sait pas que tu comptais me rapporter ces informations… »

« Même s’il s’en doute… C’est toujours des informations qu’on n’aurait pas eues
autrement. » insista-t-il. « Maintenant, on sait que Dumbledore pense que le médaillon de
Serpentard, la bague des Gaunt et la coupe de Poufsouffle sont des horcruxes. Ça en fait
trois. »

« Certes. » capitula Severus. « Je suppose que ce sont des pistes que nous pouvons
explorer. Simplement… Horace Slughorn est un lâche mais un lâche plus retord qu’il n’y
parait. Sois prudent. »

Il acquiesça. S’il avait retenu une seule chose de son séjour à Serpentard, c’était qu’il ne
fallait sous-estimer personne.

« Au fait… » reprit-il, sur le point de lui demander où ils en étaient de cette histoire d’espion
dans l’Ordre – encore une chose qu’il avait soigneusement cachée à ses meilleurs amis.
Des éclats de voix en provenance de l’extérieur l’en empêchèrent. Deux voix distinctes,
jeunes, qui chahutaient gentiment et se dirigeaient droit vers eux. Avant qu’Harry n’ait pu
demander si le Professeur avait pensé à jeter des protections, à moitié certain qu’ils avaient
tous les deux fait l’impasse puisque les écuries étaient isolées et désertes, Severus attrapa son
bras et le tira à l’extérieur, se lançant dans une diatribe enragée sur les fouineurs qui
préparaient en permanence un mauvais coup. De temps en temps, il secouait son bras pour
mieux ponctuer ses accusations et, bien que cela ait dû paraître brutal aux deux jeunes
hommes qui se dirigeaient vers eux, à aucun moment Severus ne lui fit mal.

Jouant son rôle, Harry se débâtit et l’accusa de tous les maux de la terre.

« Lâchez-le ! » ordonna l’un des deux nouveaux venus avec une fureur glaciale.

Le Maître des Potions cessa de l’interpeller pour toiser les deux jeunes hommes avec
irritation. Il ne lâcha pas le bras d’Harry et le Gryffondor supposa qu’il était prêt à le pousser
derrière lui au moindre signe de danger. À sa connaissance, les deux sorciers n’avaient rien à
faire là.

« Charlie ? » s’étonna Harry, dans un froncement de sourcils.

« Salut, Harry. » répondit le frère de son meilleur ami avec un sourire soucieux. Ses yeux ne
cessaient de passer de Severus à son ami qui fusillait le Professeur du regard. « Anthony... »

« Lâchez-le. » répéta le dénommé Anthony, dans un grondement, en tirant sa baguette de sa


poche.

Severus leva un sourcil moqueur, un rictus méprisant aux lèvres. « Il me semble que les
gardes-chasses assistants n’ont guère leur mot à dire lorsqu’il est question de discipline. Cela
reste la prérogative des professeurs – ou aurais-je raté un mémo ? »

Harry aurait souhaité que, pour une fois, Severus ne se sente pas obligé de toujours aller à
l’affrontement.

« Ça, ce n’est pas de la discipline. » rétorqua Anthony, en désignant d’un geste de la tête les
doigts qui encerclaient le bras du garçon. « Je connais les brutes comme vous. Vous ne vous
attaquez jamais aux gens de votre taille. C’est plus facile de s’en prendre à un gamin, pas
vrai ? Dernier avertissement. Lâchez-le ou vous le regretterez. »

Harry grimaça.

« Anthony... » grinça Charlie. « Je ne pense pas... »

« De quoi êtes-vous en train de m’accuser précisément ? » siffla le Mangemort. Il libéra le


Gryffondor mais cela ne rassura pas le garçon pour autant, persuadé qu’il ne s’agissait là que
d’une manière de s’assurer plus d’aisance lors d’un duel.

« De rien, Professeur. » intervint fermement le frère de son ami. « Harry, tu ferais mieux de
retourner au château. Maintenant. »
L’ordre était à peine déguisé et cela l’agaça. Pourquoi Charlie se sentait-il autorisé à lui
donner des ordres exactement ? Parce qu’il avait le même âge que Ron ? Il jeta un coup d’œil
à Severus mais celui-ci eut un hochement de tête à peine perceptible.

« Nous règlerons cela plus tard, Potter. » lâcha le Maître des Potions. Harry ne s’était pas
éloigné de beaucoup lorsqu’il entendit le Professeur prendre congé avec une remarque
cassante.

Le déjeuner n’était pas terminé lorsqu’il se glissa dans la Grande Salle. Il trouva Ron sans
trop de peine, attablé à la table des Poufsouffles avec Lavande, Luna et Neville.

« Qu’est-ce que ton frère fait à Poudlard ? » demanda-t-il, en se laissant tomber sur le banc.

Ron fronça les sourcils, visiblement confus.

°°O°°O°°O°°O°°

« Ma priorité est la sécurité de Laura. » insista Remus, en reposant la tasse de thé sur sa
soucoupe. « Vous comprendrez donc que j’ai préféré garder l’information pour moi, hier
soir. »

Il était intéressant de noter, observa Albus, la différence de comportement entre les deux
meilleurs amis. Là où Remus se tenait droit, grignotait proprement les petits sandwiches
qu’un elfe avait apporté, et buvait son thé avec précision et attention, Sirius était avachi dans
le fauteuil, des miettes plein la chemise, le thé oublié sur le plateau en argent. Le Sang-Mêlé
et le Sang-Pur... Il était amusant de constater comment ces titres qui déchiraient le monde
magique ne signifiaient rien, au fond. Peut-être aurait-il dû inviter Tom à prendre le thé en
compagnie de quelques Sang-Mêlés, Sang-Purs et Nés-Moldus et le laisser constater de visu
à quel point certaines traditions se perdaient.

La pensée l’amusa quelques secondes mais il la chassa rapidement. L’hostilité latente qui
émanait des deux hommes avait envahi le bureau à la seconde où ils avaient franchi sa
cheminée.

« C’est nouveau. » marmonna Sirius.

« Pas maintenant, Patmol. » cingla le loup-garou.

Se faire réprimander comme un enfant ne poussa Sirius qu’à se rembrunir davantage.

« Naturellement. » accorda finalement Albus, avec un hochement de tête approbateur. Il était


heureux que Remus ait eu la présence d’esprit de ne pas divulguer lors du Conseil que Laura
Flemming l’avait contacté. Il ne tenait pas à ce que leur espion élusif rapporte l’information à
Voldemort. « Je suis, cependant, heureux de constater que votre confiance en Sirius reste
inchangée. »

« Oh, rien à voir. » ironisa l’Animagus, en balayant cette affirmation d’un revers de main.
« Je fais partie de la meute, c’est tout. »

Remus s’ébroua presque avec agacement. « Ce n’est pas le moment. »


« Arrête de me donner des ordres. » gronda Sirius. « Je te jure que c’est en train de
sérieusement m’agacer. »

« Bien, bien... » intervint-il avant que cela n’ait pu dégénérer. « Le rendez-vous est fixé pour
ce soir, disiez-vous, Remus ? »

« Ce soir, près du loch. » confirma le loup-garou.

« Êtes-vous certain qu’il ne s’agisse pas d’un piège ? » s’enquit-il, en portant sa propre tasse
de thé à ses lèvres.

« J’ai confiance en Laura. » déclara tranquillement Remus. « Elle ne trahirait pas son alpha. »

Sirius leva les yeux au ciel si fort qu’Albus craignit presque qu’il ne se blesse.

« Greyback était son alpha jusqu’à présent et ça ne l’empêche pas de le trahir. » remarqua très
justement l’Animagus.

« C’est différent. » rétorqua son meilleur ami.

« J’avoue que la question de Sirius me semble pertinente. » offrit plus diplomatiquement


Albus.

Remus soupira et se frotta les yeux, cherchant très visiblement comment mettre en mots
quelque chose qui appartenait à sa partie animale et, en conséquence, était instinctive.

« Greyback l’a forcée à rejoindre sa meute comme il a forcé tous les solitaires. Laura a rejoint
sa meute sous la menace. » expliqua le loup-garou au bout de longues secondes.
« Lorsqu’elle m’a approché pour la première fois sur le Chemin de Traverse, elle a demandé
à rejoindre ma meute. Lorsque je l’ai marquée... Elle désirait ma marque. C’est... » Il hésita.
« Je ne suis pas certain de pouvoir expliquer mieux que je viens de le faire, je regrette. Laura
m’a choisi pour être son alpha, elle ne me trahira pas, cela irait à l’encontre de son instinct de
loup. La loyauté une fois acquise est éternelle. Greyback n’a jamais gagné sa loyauté, il l’a
prise par la contrainte. »

Albus réfléchit à la chose quelques secondes puis approuva d’un hochement de tête. « Je vous
fais pleinement confiance sur le sujet. Avez-vous songé à la suite ? La potion nous sera d’une
aide précieuse mais nous ne pouvons nier qu’un espion au sein de la meute... »

« Non. » répondirent les deux hommes d’une même voix.

Sirius parut agréablement surpris.

Remus ne lui prêta aucune attention. Son regard était rivé sur Albus qui ne put empêcher son
léger mouvement de recul. Il y avait un éclat dangereux dans les yeux qui le fixaient avec
insistance.

« Laura n’est pas une combattante. » gronda le loup-garou. « Elle doit être protégée. Je ne
mettrais pas ma meute davantage en danger. »
Albus ne trahit pas le moindre signe de contrariété face à cette déclaration mais il n’en était
pourtant pas enchanté.

« Fort bien. » capitula-t-il, sachant qu’insister à l’instant ne se solderait que par un loup-
garou furieux. Tout n’était pas perdu. Peut-être perdraient-ils un espion potentiel mais une
fois que Severus aurait réussi à dupliquer la potion et, espérait-il, à l’associer à la potion
Révèle-loup, l’Ordre disposerait de deux loups-garous, ce qui n’était pas négligeable lors
d’un combat. « Toutefois, je préfèrerais qu’une troisième personne se joigne à vous pour
parer à toute éventualité. »

« Ce sont des affaires de meute, Albus. » gronda Remus.

Pourquoi tout le monde persistait à vouloir contester son autorité récemment ?

« Miss Tonks vous couvrira. » décréta-t-il. « Ce n’est pas discutable. Elle se chargera
également du transport de la potion. »

Tonks était le choix logique. Il était certain qu’elle n’était pas l’espion et il préférait limiter
les contacts entre Sirius et Severus autant que possible.

« Dora appartient à la meute. » déclara Remus. « C’est acceptable. »

Albus se retint à grand peine de lui rappeler que ce n’était pas à lui d’accepter ou de dicter les
règles du jeu.

°°O°°O°°O°°O°°

« Je ne suis pas entièrement certaine que cette excuse convaincra Molly. » soupira
McGonagall, en apparaissant à sa gauche dans le CRACK caractéristique du transplannage.
« Après tout, les jumeaux ont fait bien pire que de poser une bombabouse sur le fauteuil d’un
enseignant. »

Severus parcourut les alentours du regard, s’arrêtant brièvement sur les collines boisées qui
dissimulaient le Terrier à la vue du premier venu.

« Mon fauteuil, Minerva. » lui rappela-t-il avec contrariété. Et ce n’était pas trop tôt. Il avait
presque fini par croire que les jumeaux s’étaient achetés une conduite. « Finissons-en. Je suis
attendu plus tard. Je n’ai guère envie de perdre ma soirée. »

Déjà le soleil se couchait, teintant le ciel de couleurs orangées. Il suivit la sorcière le long du
chemin qui menait au Terrier, Minerva étant visiblement plus accoutumée à fréquenter les
lieux qu’il ne l’était. Ils s’immobilisèrent en marge des protections qui entouraient la maison.
Efficaces et puissantes, nota-t-il, suffisamment dans tous les cas pour garder les importuns à
l’extérieur – ou pour garder quelqu’un enfermé à l’intérieur...

« Avez-vous donc encore une réunion ? » s’enquit Minerva alors qu’ils patientaient. « Vous
avez disparu, hier soir. Je pensais que vous aviez été appelé. »

Severus ravala un soupir, sachant pertinemment que mentir n’aurait servi à rien. Il aurait suffi
à la sous-directrice de se renseigner auprès d’Albus pour que la supercherie soit découverte et
cela n’aurait contribué qu’à se rendre davantage suspect aux yeux des autres.

« Miss Tonks souhaitait mon aide. » déclara-t-il finalement d’un ton détaché.

« Oh. » répondit-elle en détournant les yeux avec un drôle de sourire. « Je vois. »

« Et que voyez-vous précisément ? » siffla-t-il, en la fusillant du regard.

Elle prit un air innocent qui ne lui convenait pas le moins du monde.

« Rien de bien particulier. » répondit-elle. « Pourquoi ? Devrais-je y voir quelque chose,


Severus ? Il est vrai que vous êtes rentré bien tard ce matin... »

« Peut-être serait-il temps que vous vous mêliez de ce qui vous regarde. » grinça-t-il. « Que
font-ils à la fin ? »

« Peut-être n’y a-t-il personne... » hasarda-t-elle, sans grande conviction. De la fumée


s’échappait de la cheminée. « Il n’y a aucune raison de le prendre sur ce ton, Severus.
Nymphadora est une jeune femme charmante et... »

« Une jeune femme qui a été mon élève. » coupa-t-il.

« Il y a de cela longtemps. » tempéra-t-elle. « Je ne vois pas qui y trouverait à redire. Vous ne


seriez pas le premier. »

« J’y trouve à redire. Il n’y a rien d’inconvenant entre Miss Tonks et moi, que cela soit
clair. » déclara-t-il. « Elle souhaitait mon aide et il aurait été malvenu de refuser. Vous me
surprenez, Minerva. »

La sous-directrice pinça les lèvres avec une certaine irritation.

« Il serait bien hypocrite de ma part d’approuver sa liaison avec Remus et de vous refuser les
mêmes égards. » offrit-elle.

La tentation de se passer une main sur le visage était grande mais Severus demeura de
marbre, refusant de ressentir une quelconque gêne à propos d’un fait dont il n’était pas
coupable.

« Il n’y a pas de liaison. » gronda-t-il. « Une amitié, à la rigueur. »

« Si vous le dites, Severus. » soupira-t-elle, d’un ton qui suggérait qu’elle capitulait pour lui
faire plaisir davantage que parce qu’elle était convaincue.

« Je le dis et je l’affirme, il n’y absolument rien entre Nymphadora et moi. » cingla-t-il.

« Je suppose que c’est bon à savoir. » lança une voix familière dans leur dos. « Même si
l’idée qu’il pourrait y avoir quelque chose est un peu perturbante. Drôle mais perturbante. »

Severus ferma brièvement les yeux avant de se retourner pour faire face au second fils
Weasley et à son acolyte. Deux rencontres en une seule journée étaient plus qu’il ne le
désirait. Minerva les salua poliment, s’adressant à Charlie avec la même tendresse qu’elle
réservait toujours à ses anciens élèves préférés. Des élèves, songea Severus avec amertume,
qu’elle ne prenait pas plaisir à embarrasser avec des insinuations saugrenues.

Sans compter qu’il était absolument impardonnable de sa part – pour ne pas dire humiliant –
qu’il n’ait pas repéré les deux jeunes hommes avant qu’ils ne leur tombent dessus.

Anthony le dévisageait comme s’il n’avait rien désiré d’autre que de lui jeter un Avada mais
Severus ne daigna pas lui adresser un regard. Être traité de brute n’était peut-être pas
nouveau, et peut-être en était-il une, au fond, toutefois il n’avait jamais levé la main sur un
enfant et être accusé d’une telle chose... Le voyage en soixante-quinze et revivre, bien qu’à
distance, l’année la plus marquante de sa vie l’avait laissé à vif. Ce genre d’accusation le
faisait penser à Tobias et Tobias... Il aurait souhaité pouvoir oublier jusqu’à son existence.

« Que faites-vous là ? » s’enquit Charlie. « C’est bizarre. Bill aurait dû vous laisser entrer... »

« Bizarre, en effet. » répéta Minerva, un brin ironique. « Nous souhaitions parler à Molly.
Nous regrettons bien entendu de l’importuner mais c’est important. »

« Tout le monde va bien ? » s’inquiéta immédiatement Charlie.

« Vos frères et sœur sont en parfaite santé. » le rassura immédiatement la Directrice de


Maison de Gryffondor. « Nous souhaitons simplement discuter de Fred et George avec
Molly. »

« Oh... D’accord. » lâcha le jeune homme avec un soulagement certain.

Il fallut quelques minutes et quelques incantations avant qu’ils soient autorisés à pénétrer les
protections magiques qui entouraient le Terrier. Severus n’y était venu qu’une seule fois
auparavant, lors d’une visite assez similaire à celle-ci où il avait accompagné Minerva alors
qu’elle venait se plaindre du comportement de Charlie Weasley justement, pourtant il
remarqua immédiatement les différences. La maison était en piètre état et ne paraissait tenir
debout que par la grâce d’une centaine de sortilèges.

Charlie les précéda à l’intérieur de la maison.

« Où étais-tu passé ? » lança immédiatement la voix de Bill Weasley en provenance du salon.


« Je dois partir, j’ai... »

L’ainé des Weasley émergea dans le couloir uniquement pour se taire lorsqu’il s’aperçut
qu’ils avaient de la compagnie.

« Le Professeur McGonagall veut parler des jumeaux à maman. » expliqua Charlie.

« Maman est très fatiguée. » riposta Bill.

« Bill, mon chéri, nous avons de la visite ? » appela Molly du salon. « Fais les entrer... »

À son expression défaite, Severus devina que la partie venait de s’achever.


Et Bill Weasley avait perdu.

°°O°°O°°O°°O°°

Sirius en venait à sérieusement détester l’Écosse.

Une nouvelle fois, il se retrouvait sur la lande parfaitement déprimante pour ne pas dire
dérangeante.

Une nouvelle fois, il faisait un froid de canard et les cigarettes qu’il fumait à la chaîne ne le
réchauffaient guère.

Une nouvelle fois, il avait des envies de meurtre.

« Quand j’ai dit que je voulais repérer les lieux avant le rendez-vous, je ne voulais pas dire
quatre heures à l’avance, Remus. » cingla Tonks, en tapant du pied. Elle n’était pas de la
meilleure humeur qui soit. Elle venait à peine de s’asseoir sur son canapé, après sa journée de
travail, lorsque Remus l’avait contactée par cheminette et le loup-garou avait été surpris et
contrarié de se voir l’accès à son appartement refusé. Ce qui n’avait fait que mettre sa cousine
davantage en colère.

Les remarques passives-agressives avaient enflé jusqu’à devenir une véritable dispute et
Sirius assistait à la scène, impuissant. Il fixait la queue de cheval qui emprisonnait les
cheveux courts de sa cousine et tressautait au moindre mouvement et se demandait s’ils
allaient finir par s’embrasser ou s’entre-tuer. À l’instant, il aurait davantage parié sur la
seconde option.

« Merde, à la fin ! » continua-t-elle, en enfonçant les mains dans les poches de son blouson.
« J’ai dormi deux heures, cette nuit. Je suis claquée. Je n’ai pas envie de me geler les fesses
pendant des plombes ! »

« Pourquoi n’as-tu dormi que deux heures ? » demanda Remus, un drôle de grondement dans
la voix. « Tu es partie tôt du QG. »

« Je n’ai pas de compte à te rendre. » rétorqua-t-elle sur le champ.

Sirius poussa un soupir, lâcha sa cigarette et l’écrasa d’un coup de talon.

« Tu étais avec quelqu’un ? » insista Remus. « Tu as rencontré quelqu’un d’autre ? Est-ce


pour ça que... »

Voyant que sa cousine s’empourprait davantage de colère de minute en minute – et,


également, parce que Remus était en train de creuser sa propre tombe sans s’en apercevoir et
parce que l’Animagus était un meilleur ami en or – Sirius leva les yeux au ciel.

« Nouvelle règle. Plus personne ne part en mission avec un ex. » lâcha-t-il. « Je n’en peux
plus de vous tous et de vos histoires de couple. Tonks, va te mettre en place dans les fourrés.
Remus, met toi là-bas et, surtout, ne vous adressez plus la parole. »

Il tira son paquet de sa poche, constata qu’il était vide, et fusilla ses amis du regard.
Tonks partit en grommelant.

Remus s’éloigna avec une telle expression contrariée que Sirius était certain que, sous forme
animale, sa fourrure aurait été entièrement hérissée.

« Je ne suis pas plus heureux que vous ! » lança-t-il, parce qu’ils lui jetaient tous les deux des
regards noirs.

°°O°°O°°O°°O°°

Bill assista à la scène avec la même impuissance qu’il aurait ressenti face à deux trains prêts à
se percuter.

Il observa, impassible, les deux enseignants prendre place sur le canapé élimé du Terrier.
McGonagall s’enfonça dans les coussins et tenta de se redresser discrètement, sans un mot ou
un geste. Snape fit de même avec une expression plus hargneuse, clairement contrarié de voir
la précieuse distinction qu’il mettait à toute chose volée par un canapé trop vieux.

Anthony se percha sur un des fauteuils sans un mot mais avec une hostilité palpable envers
les professeurs – ou peut-être juste Snape. Quant à Charlie, il répondit à son regard noir d’un
haussement d’épaules et lui glissa dans un murmure qu’il ne pouvait tout de même pas les
laisser dehors.

Molly semblait, pour sa part, enchantée de la visite.

Depuis trop longtemps enfermée avec ses fils et Anthony pour seule compagnie, elle
déblatérait dans une logorrhée verbale qui ne permettait à personne de prendre la parole.

À la première mention de Fabian, Bill grimaça.

À la seconde mention d’Arthur, il croisa le regard de Charlie qui détourna immédiatement le


sien. Son frère était-il heureux de la situation ? Des coups d’œil discrets mais marqués
qu’échangeaient Snape et McGonagall ? La folie de leur mère leur pesait à eux tous, à lui et à
Percy plus qu’à Charlie puisqu’ils étaient ceux qui endossaient le plus de responsabilités.
Charlie, lui, allait et venait comme bon lui semblait avec Anthony, distrait et tête en l’air. Bill
mettait ça sur le compte de l’amour mais il avait admis plusieurs fois à Percy que l’attitude
désinvolte de leur frère l’ennuyait.

Lorsque Molly promit qu’Arthur ne tarderait certainement pas à rentrer du travail, Bill offrit
finalement du thé à leurs invités.

Il n’était pas encore temps d’abandonner, songea-t-il. Il avait sacrifié trop de choses, était
tombé trop bas pour que le château de cartes s’écroule aussi vite. Il s’échappa dans la cuisine,
mis la bouilloire sur le feu d’un coup de baguette et prépara théière et tasses, avant de tirer la
fiole de potion calmante de sa poche. Il mit une tasse à l’écart et fit tomber quelques gouttes à
l’intérieur. Une dizaine, juste assez pour qu’une mince flaque se forme au fond de la tasse.

« Je prendrais mon thé sans poison. » lança la voix caractéristique du seuil de la cuisine. Une
main de fer dans un gant de velours, c’était la meilleure manière de décrire la voix de Severus
Snape.

Bill ferma les yeux et posa le flacon de potion sur la table, sa couleur bleutée refléta
brièvement la lumière du lumos qui flottait au plafond.

« Ce n’est pas du poison. » se défendit-il, en se tournant vers le Professeur. Il ne fut pas


particulièrement surpris de se voir menacé par une baguette qui ne tremblait pas. Il ne fit pas
un geste pour tirer la sienne de sa poche.

« Cela dépend de vos intentions. » remarqua l’homme. « Et de si l’erreur est sincère ou


calculée. Essayez-vous de rendre votre mère folle ou êtes-vous aussi incompétent devant un
chaudron que vous le paraissez ? S’il s’agit seulement bien de votre mère, bien entendu... »

Les yeux sombres cherchaient les siens avec un peu trop d’insistance. Il détourna le regard. Il
n’était pas versé dans la magie de l’esprit mais il en connaissait suffisamment sur le sujet
pour se méfier. Il fronça les sourcils, levant les deux mains devant lui en signe de reddition.

« Je ne comprends pas ce que vous dites. » avoua-t-il. « Ma mère est folle. La potion
calmante... »

« La potion calmante, telle que vous la préparez, fait davantage de dégâts que n’importe quel
sortilège de confusion. » cingla Snape. « Quant au reste... Que faites-vous la nuit chez
Barjow et Beurk ? »

Bill en aurait presque éclaté de rire s’il n’avait pas été aussi en colère.

« Je vois qu’on peut compter sur Fletcher pour garder les secrets. » grinça-t-il. « Je suppose
que vous avez des fonds plus importants que les miens. »

Il avait payé cent cinquante gallions pour le silence du receleur. Une fortune. Et tout ça pour
quoi ? Pour qu’il le vende à la première opportunité. Il n’était même pas surpris.

Snape resta de marbre. À peine tourna-t-il légèrement sa baguette d’un air menaçant.

« Répondez à la question. » exigea-t-il.

« De quel droit vous présentez-vous chez moi pour me menacer ? » siffla Bill.

« Le droit du plus fort. » répondit calmement le Maître des Potions. « Vous pouvez répondre
à mes questions ou nous pouvons attendre qu’Albus soit présent. Nos méthodes sont on ne
peut plus différentes mais ne pensez pas une seconde qu’elles sont moins douloureuses l’une
que l’autre. »

Bill secoua la tête avec dépit.

La charade était terminée. À quoi bon s’acharner ?

« J’ai besoin d’argent. » lâcha-t-il. « Barjow est le seul qui a besoin d’un briseur de sorts de
manière régulière. Et ses prix sont corrects. »
« Pourquoi en avoir fait un tel secret ? » insista le Professeur.

Bill tira une chaise et s’assit, avant de se passer une main sur le visage. Il était épuisé de tous
ces tracas qui le faisait vieillir trop vite.

« C’est vous qui demandez ça ? » se moqua-t-il presque. « Vous connaissez Fol’Œil. Pour lui,
tout ce qui touche à l’Allée des Embrumes a à voir avec les Mangemorts, alors Barjow et
Beurk... Si j’avais vu passer quoi que ce soit qui aurait pu être utilisé contre nous, je l’aurais
dit. Mais pour le moment, je n’ai rien vu que des babioles maudites depuis des générations
alors je ne voyais pas l’intérêt d’avoir à supporter des critiques. »

« Et Lucius Malfoy ? » s’enquit Snape avec une nonchalance feinte.

« Il voulait que j’examine un pendentif. » soupira Bill. « Une amulette qui aurait soit disant
eut des pouvoirs à usage unique... Il voulait savoir si on pouvait la réactiver mais ce n’était
qu’un caillou. Je lui ai dit qu’il s’était fait avoir. »

Le Professeur tiqua très visiblement à cette information. « Une pierre noire barrée d’un P ? »

« Oui. » répondit-il, en levant les yeux vers le Maître des Potions. « Pourquoi ? Ce n’était
qu’un caillou, Professeur. Si cette amulette a eu des pouvoirs un jour, elle n’en a plus
désormais. »

« Et c’est là l’étendu de vos échanges avec Lucius ? » pressa l’homme, sans répondre à sa
question.

Bill hocha la tête. « Je ne pense pas qu’il ait été ravi de faire affaire avec moi. »

Snape l’étudia longuement du regard, cherchant à décider, probablement, de la meilleure


manière de poursuivre.

Il hésita trop longtemps.

« Qu’est-ce que vous faites ?! » s’exclama Charlie.

Les réflexes du Professeur n’étaient plus ce qu’ils étaient ou ils étaient émoussés par la
fatigue. Le temps que Snape tourne la tête vers son frère, Charlie avait sa baguette pointée sur
lui. Le Maître des Potions garda la sienne rivée sur Bill, sans paraître s’inquiéter de se voir
menacé. Il fut évident, bien vite, lorsque McGonagall apparut, forçant Anthony à avancer
d’une main sur l’épaule, sa baguette fermement serrée dans sa main que Snape ne s’était
jamais senti en danger, ayant toute confiance en la sous-directrice pour couvrir ses arrières.

« Molly ? » s’enquit Snape.

« Un léger somnus. » répondit laconiquement McGonagall. « Le temps que nous fassions le


clair sur cette affaire. »

« Je n’ai suffisamment de Veritaserum que pour une personne. » lâcha le Professeur.

« Veritaserum ? » répéta Charlie. « Mais qu’est-ce qui se passe, à la fin ?! »


« Il se passe que votre idiot de frère empoisonne votre mère depuis des semaines, peut-être
des mois, avec des potions mal préparées. » siffla Snape. « Et j’aimerai savoir s’il s’agit
d’une erreur ou si c’était à dessein. »

« Vous n’êtes pas sérieux. » protesta Anthony. « Molly est devenue folle de chagrin. Charlie,
Percy et Bill ont tout fait pour... »

« Il ne me semble pas vous avoir demandé votre avis. » coupa froidement le Maître des
Potions. « Minerva, emmenez donc ces deux-là faire un tour dans le jardin le temps que
j’obtienne des réponses. »

« Vous ne pouvez pas débarquer chez les gens et... » gronda Charlie.

McGonagall le fit taire d’un silencio informulé.

« Que souhaitez-vous faire pour Molly ? » s’enquit-elle.

Snape hésita, avant d’émettre un claquement de langue agacé.

« Réglons d’abord cette affaire. » lâcha-t-il. « Ensuite, nous verrons ce que nous pouvons
faire. Poppy... »

« Non. » intervint Bill. Il affronta les regards des deux enseignants sans flancher. « Je veux
bien prendre le Veritaserum. Je veux bien répondre à vos questions. Mais, ça ne peut pas se
savoir. »

Le visage de McGonagall s’adoucit.

« Il n’y a rien de honteux, Mr Weasley. » offrit-elle maladroitement. « Nul ne peut nier que
votre mère a eu son lot de chocs émotionnels cette année et... »

« Oui, Ginny, Ron et les jumeaux aussi. » contra Bill. « Vous savez comment la Gazette
fonctionne. Si elle rentre à Sainte Mangouste, ils en auront vent et je ne veux pas qu’ils
l’apprennent par la presse. Je ne veux pas qu’ils l’apprennent tout court. Je ne veux pas qu’ils
s’inquiètent. Ils ont suffisamment subi, cette année. »

« Si sa condition est permanente, je ne suis pas certain que vous parviendrez à le leur cacher
éternellement. » commenta Snape. « Je peux l’examiner mais je ne suis pas Médicomage. Et
il lui faut très clairement un Médicomage. »

« On voulait appeler Andromeda. » lâcha Anthony, légèrement calmé. « La maison des Tonks
est sous Fidelitas. Impossible de les contacter. »

« Les décisions peuvent attendre. » décréta Snape, en signalant d’un geste de tête à Minerva
d’emmener Charlie et Anthony. Ni l’un ni l’autre ne parurent ravis de se voir escorter à
l’extérieur de la cuisine.

Bill avala le veritaserum sans joie mais sans protester, sachant que c’était le prix à payer pour
ses dissimulations, mensonges et secrets. Il était presque soulagé à vrai dire, soulagé de ne
plus avoir à porter ce poids seul sur ses épaules.
La potion le plongea immédiatement dans une sorte de torpeur qu’il ne chercha pas à
combattre. Il s’étonna de la première question sans que la potion ne l’autorise à s’en
inquiéter.

« Espionnez-vous l’Ordre du Phoenix pour le Seigneur des Ténèbres ? »

°°O°°O°°O°°O°°

À mesure que l’heure du rendez-vous approchait, Remus devenait de plus en plus agité. Sa
part animale était excitée à l’idée de retrouver sa meute au complet mais inquiète pour la
louve qui n’aurait jamais dû se retrouver au combat. Il faisait les cents pas sous le regard
impénétrable de Sirius.

Plus loin, dans un épais fourré, dissimulée sous un sortilège de désilusion, Tonks surveillait
les environs.

Ses amis. Sa meute.

Il appréhendait la rencontre, s’imaginant déjà le piège qui ne manquerait pas de se refermer


sur eux.

Ce fut presque décevant lorsque Laura apparut, enveloppée dans un gilet de laine gris qui ne
la réchauffait très certainement pas assez étant donné la froideur glaciale de la nuit, et avança
vers eux. Aucun Mangemort ne la suivit, aucun loup-garou ne hurla à la lune. Elle se hâta
vers lui et il la rejoignit à mi-chemin malgré l’avertissement de Sirius de rester dans le
périmètre qu’ils avaient établi plus tôt.

Sirius et Tonks n’étaient pas des loups. Ils ne sentaient pas chanter la magie de la meute dans
leurs veines, ils n’en avaient pas le goût de liberté dans la bouche ou l’odeur rassurante dans
le nez. Laura, par contre, eut presque un sourire extatique lorsqu’ils se rejoignirent enfin.
Leurs mains se trouvèrent sans qu’ils aient à chercher et il repoussa tendrement les mèches
brunes et éparses qui lui tombaient sur le visage.

Il était difficile de définir les sentiments qui se bousculaient dans sa poitrine : possessivité,
tendresse, affection... Il ne connaissait pas Laura, pas vraiment, mais leurs loups étaient liés à
présent.

« As-tu la potion ? » s’enquit-il, le tutoiement lui montant naturellement aux lèvres.

Elle hocha la tête, tirant une fiole de sa poche. Le liquide brillait d’un éclat étrange, presque
phosphorescent. Lunard l’observa, fasciné, avec l’impression de tenir un rayon de pleine lune
dans le creux de sa paume.

« C’est fini, maintenant, n’est-ce pas ? » balbutia-t-elle. « Tu as promis. »

« J’ai promis. » la rassura-t-il doucement. « Je vais t’emmener dans un endroit sûr. »

S’il avait été loup, il se serait frotté contre elle en signe d’affection et réconfort. Il n’y avait
rien de romantique dans le baiser qu’il déposa sur son front, ni dans celui, chaste et innocent,
qu’il pressa brièvement contre ses lèvres. Sa simple présence rassurait Laura, c’était la magie
de la meute. Son contact apaisait sa frayeur. Pour la première fois depuis qu’elle avait
transplanné, elle cessa de trembler. Il ôta sa veste et la drapa sur ses épaules frêles.

Les chaussures de Sirius crissèrent sur la mince couche de givre qui recouvrait la terre et il
jeta un regard contrarié par dessus son épaule. Un grondement protecteur enfla dans sa
poitrine mais s’évanouit avant d’atteindre sa gorge.

Son meilleur ami adressa un sourire à Laura avant de tendre la main.

Lunard y déposa la fiole sans parvenir à la lâcher des yeux. Le liquide murmurait son nom
avec l’intonation du vent entre les branches d’un arbre, de la sensation de la terre s’enfonçant
sous ses pattes... L’appel émanait de la lune elle-même et, en lui, le loup hurlait sa
mélancolie.

Laura pressa brièvement sa main, brisant l’enchantement que l’étrange lumière exerçait sur
lui.

« Je l’entends aussi. » murmura-t-elle avec frayeur.

Parce qu’elle n’avait pas encore goûté à la potion Révèle-loup, supposa-t-il. Elle était comme
lui, avant qu’il ne comprenne. Elle craignait son loup, était terrifiée par la transformation...
Elle ne savait pas encore qu’il n’y avait rien à redouter.

Il se promit de la libérer de ce fardeau dès la prochaine pleine lune.

Avec sa potion, Severus allait changer la vie de tous les lycanthropes.

« Je vais porter ça à Tonks. » déclara Sirius, ses yeux gris passant de Remus à Laura.

Remus approuva d’un hochement de tête, son regard s’arrêtant brièvement sur l’endroit où
Tonks était cachée. Lorsqu’il attira Laura contre lui pour amorcer le transplannage d’escorte,
il s’agissait moins, cette fois-ci, de rassurer la jeune femme que de contrarier l’Auror.

Après tout, elle n’était pas la seule qui pouvait passer sa nuit avec des personnes
mystérieuses.

°°O°°O°°O°°O°°

Minerva n’abaissa sa baguette que lorsque Severus émergea du Terrier avec un hochement de
tête. Charlie et Anthony se précipitèrent tous deux à l’intérieur.

« Ce n’est pas notre espion. » soupira-t-elle, avec soulagement.

« Non. » répondit son ancien élève, en se massant l’arrête du nez. Signe, s’il en fallait un,
qu’il était fatigué. « J’ai examiné Molly. Elle est devenue dépendante aux potions calmantes
et aux potions de sommeil sans-rêve. Il m’est impossible de déterminer quel degré de
confusion est dû aux potions. Je ne peux dire si elle est sérieusement malade ou s’il s’agissait
simplement du contrecoup que ses enfants auront empiré en la gavant de philtres. »

« Ils pensaient bien faire. » tempéra-t-elle.


Severus soupira.

« Peut-être. » admit-il. « Mais nous voilà avec un sérieux problème sur les bras et plus aucun
suspect. Encore que. »

« Encore que ? » l’encouragea-t-elle.

Il jeta un regard alentours et balaya la question d’un geste de la main. Plus tard, comprit-elle,
lorsque les murs n’auraient plus d’oreilles.

« Poppy sait être discrète. » reprit-elle, revenant au sujet qui les préoccupait. « Et elle est très
compétente. »

« Je ne suis pas certain que ce soit son domaine d’expertise. » remarqua-t-il. « Toutefois, elle
pourrait déjà soigner la dépendance... Nous devons prévenir Albus. »

Minerva approuva d’un hochement de tête. Elle comprenait fort bien pourquoi il était
nécessaire de cacher au Directeur certaines choses, lui, après tout, ne se privait jamais de leur
révéler les informations importantes au compte-goutte, pourtant, certaines choses devaient lui
être rapportées. Dans son état, Molly était un point faible pour les Weasley et il devait être
mis au courant.

Par ailleurs, elle était certaine qu’une fois impliqué, il ferait son possible pour aider la
sorcière. Albus était peut-être parfois froid et distant mais elle le pensait loyal envers ses
amis.

« Je ne veux pas que Ginny, Ron et les jumeaux soient au courant. » lâcha Bill, en émergeant
de la cuisine, légèrement groggy. « Les jumeaux... Les jumeaux à la limite. Fred et Georges
sont presque adultes mais les autres... Si on peut les préserver un peu plus longtemps... » Il
s’appuya contre le mur, sans paraître remarquer que la chaux qui blanchissait le mur se
déposa sur sa chemise et ferma les yeux. « Je n’ai fait qu’empirer les choses, alors ? »

Il y avait tellement de dégoût et de désespoir dans la voix de son ancien élève que Minerva
lui tapota gentiment l’épaule dans une piètre tentative de réconfort.

« Il aurait mieux valu acheter les potions chez un apothicaire. » lâcha Severus, sans le
moindre tact.

« Trop cher. » marmonna Bill, en se passant une main dans les cheveux. « Vous ne comprenez
pas. On croule sous les dettes. Je ne sais pas... » Il secoua la tête. « Je ne sais pas comment
papa faisait. Je n’étais pas prêt à gérer tout ça. »

« Allons, allons... » le consola Minerva, en pinçant les lèvres. Penser à Arthur était toujours
douloureux, elle le regrettait chèrement.

« Dans ce cas il aurait mieux valu demander de l’aide aux jumeaux. » trancha Severus.
« Autant que je puisse dire, ils sont les seuls à avoir un réel talent pour les potions dans votre
famille. »

« Severus, assez. » cingla-t-elle, avec la même autorité qu’elle endossait en classe.


Le Professeur se rembrunit mais se tut.

Bill demeura avachi contre le mur, à se frotter le visage. Minerva avait la désagréable
sensation qu’il tentait désespérément de se contenir dans un sursaut de dignité. Le pauvre
garçon était clairement épuisé autant physiquement que moralement. Il avait tenu le clan
Weasley à bout de bras depuis la disparition d’Arthur, sa petite-amie l’avait quittée, il s’était
retrouvé au chômage, et il était évident que ses amis, elle la première, n’avait pas été
suffisamment attentif.

Charlie ressortit de la cuisine et s’immobilisa immédiatement lorsqu’il aperçut son frère.

« Ce n’est rien. » affirma Minerva avant que le jeune homme ait pu s’inquiéter. « Le
contrecoup du Véritaserum. »

Charlie se détendit mais de peu.

« Je ne vois toujours pas pourquoi c’était nécessaire. » grinça-t-il.

« Ça l’était. » répondit Bill, laconique, avant de laisser tomber sa main pour échanger un
regard avec Severus.

Minerva ne pouvait évidemment pas être certaine mais elle était prête à parier que le Maître
des Potions l’avait fait jurer de garder secrète l’information qu’un espion rôdait au square
Grimmaurd, même auprès de son frère et beau-frère.

« Maman s’est endormie. » déclara Charlie, sans paraître s’inquiéter de cette explication
bancale.

Il était très distrait depuis la deuxième attaque du Chemin de Traverse, elle l’avait déjà
remarqué. Il y avait de quoi, supposait-elle, les blessures qu’il avait subies n’étaient pas sans
conséquences.

« Anthony est avec elle. » poursuivit son ancien attrapeur vedette. « À propos... » Charlie jeta
un coup d’œil embarrassé vers Severus. « Pour ce qui s’est passé ce matin... » Il laissa sa
phrase en suspens, attendant très visiblement que le Maître des Potions intervienne, ce qu’il
ne fit pas. Le dragonnier grimaça. « Vous devez comprendre... Anthony a passé son enfance à
être trimballé de foyers d’accueil en orphelinats et... Ce n’était pas tout rose. Vous
comprenez ? Ce n’était pas contre vous, la situation... Personnellement, je ne penserai jamais
que vous puissiez faire ce genre de choses, vous êtes un connard mais pas... » Charlie
s’interrompit à nouveau. « Ça n’aide pas vraiment ce que je suis en train de dire, pas vrai ? »

Minerva fronça les sourcils, quêtant une explication du regard mais Severus n’arborait qu’un
masque d’indifférence glacée.

« Votre opinion ou celle de votre ami m’importe peu. » lâcha le Professeur d’un ton
parfaitement détaché qui fit dire à Minerva que, au contraire, quoi qui se soit passé ce matin-
là, cela l’avait touché. « Je pense que nous en avons terminé ici. »
Cette dernière phrase s’adressait à elle. Minerva observa l’expression défaite de Bill et celle
contrariée de Charlie et soupira. « Je vais rester un peu plus longtemps. »

Il ne parut pas surpris de sa décision.

« À demain, dans ce cas. » offrit-il, en posant brièvement la main sur son avant-bras gauche.

« Soyez prudent. » supplia-t-elle à moitié.

Il leva les yeux au ciel et s’éloigna dans la nuit, sa cape claquant au vent.

Cela aurait été ridicule chez n’importe qui d’autre.

« Bien. » déclara-t-elle, en poussant ses deux lions dans la cuisine où la température ne frisait
pas les zéro. « Commençons par une bonne tasse de thé. Un peu de cognac ne nous fera pas
de mal non plus. »

°°O°°O°°O°°O°°

« Voilà. » lâcha Harry. « Vous savez tout. »

Tout excepté les secrets qu’il leur dissimulait, songea-t-il, en grattant distraitement le ventre
de Masque. Il observa tour à tour Ron et Hermione. La jeune fille était assise en tailleur au
bout du lit, ses cheveux tressés passés au-dessus de son épaule droite, une expression de
concentration pensive sur le visage. Ron était avachi sur une chaise retournée, les bras croisés
sur le dossier, le menton posés sur son coude, attentif malgré sa posture nonchalante.

« Comment va-t-on convaincre Slughorn de nous dire la vérité ? » demanda son meilleur ami.
« Tu as une idée ? »

Le on le toucha davantage qu’il n’aurait su l’expliquer. La sensation d’appartenance à un


groupe, à quelque chose de plus grand que soi, était une boule chaude, familière et rassurante
au creux de son ventre.

« Si j’ai bien compris, c’est Harry qui doit le convaincre. » intervint Hermione, avant de se
mordre brièvement la lèvre. « Mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas aider. »

« C’est ce que je viens dire. » grommela Ron.

« Non, pas avec Slughorn. » riposta-t-elle. « Enfin, je veux bien aider avec ça bien sûr, mais
si ça a un rapporta avec Lily, je ne vois pas bien ce qu’on peut faire. Non... Ce que je veux
dire, c’est qu’on peut faire des recherches sur les horcruxes potentiels. Essayer de trouver où
ils sont. »

Les yeux de sa meilleure amie s’étaient éclairés à la perspective d’heures passées dans la
bibliothèque et il la laissa babiller à propos de quels livres ils pouvaient consulter à propos
des objets ayant appartenus aux fondateurs. Ron et lui échangèrent un regard, puis levèrent
simultanément les yeux au ciel sans parvenir à retenir des sourires affectueusement
moqueurs.
Le moment de complicité était plaisant et lui fit du bien.

Il se sentait apaisé et la sensation perdura longtemps après qu’il ait levé les protections anti-
intrusions qu’il avait jetées sur les dortoirs et que tout le monde se soit mis au lit. Comme
c’était maintenant la norme la nuit, il s’adossa à la tête de lit, les épais rideaux rouges fermés
autant pour s’assurer un peu d’intimité que pour ne pas déranger ses camarades, étudiant la
carte des Maraudeurs étalée sur ses genoux à la lumière douce de la petite boule bleuté sans
laquelle il ne parvenait jamais à s’endormir. Masque était roulé en boule à ses pieds mais ne
dormait pas plus que lui, agitant parfois la queue dans un mouvement irrité et suivant des
yeux la boule de lumière qui flottait dans les airs. Harry avait souvent l’impression que le
chat aurait sauté pour essayer de l’attraper si cela n’avait pas autant manqué de classe. Pour
un chat, l’animal avait des exigences élevées.

Il passa le temps en feuilletant le carnet de dessins que Lily lui avait offert puis en relisant ses
notes de Défense, simplement parce qu’il n’avait rien d’autre à faire. Il ne retira ses lentilles
et n’essaya de dormir que lorsque le point libellé Severus Snape apparut aux grilles du
château. Il s’étonna à peine du fait qu’un deuxième point l’accompagnait.

°°O°°O°°O°°O°°

Fut un temps où Severus serait parvenu à transplanner avec élégance même lorsqu’il était en
train de se vider de son sang.

Ce temps était révolu.

Il fut soulagé de voir se dessiner les contours familiers de Pré-au-Lard mais serra les dents
contre la douleur. Toutes les terminaisons nerveuses de son corps étaient en feu. L’Endoloris
colérique du Seigneur des Ténèbres avait réveillé d’anciennes blessures et il peinait à mettre
un pied devant l’autre.

L’air vif eut l’avantage de lui éclaircir l’esprit. Il farfouilla dans une des poches secrètes de sa
cape jusqu’à trouver le philtre de force qu’il gardait toujours sur lui pour les cas d’urgence.
La potion ne fit rien contre la douleur mais elle la rendit supportable. Il s’adossa à une
maison et attendit quelques minutes, profitant du silence nocturne. Lorsqu’il fut certain que
ses jambes supporteraient son poids, et à ce moment-là seulement, il reprit sa route.

Le chemin qui menait à Poudlard était familier et il l’emprunta sans y prendre garde. Ne pas
s’écrouler requérait toute sa concentration. Le sifflement du vent dans les branches des arbres
qui bordaient le chemin rythmait ses pas et se mêlait à sa propre respiration chaotique.

Il aurait presque pu pleurer de joie à la vue du portail de l’école.

La masse sombre avachie sur le rocher plat à quelques mètres de là, en revanche, il aurait pu
s’en passer.

Il fit tomber sa baguette dans sa main d’un geste preste malgré la douleur et jeta
immédiatement un bouclier en prévision d’une attaque qui ne vint pas immédiatement. Il
faisait sombre et Severus aurait souhaité éviter une confrontation, pourtant, il persévéra vers
Poudlard, peu enclin à laisser un intrus le séparer plus longtemps de son lit.
« Vous en avez mis du temps. » grommela la personne. La nuit était trop sombre pour qu’il
distingue parfaitement ses traits mais la voix était, à présent, suffisamment familière pour
qu’il la reconnaisse.

« Je doute d’être la personne que vous attendez, Nymphadora. » gronda-t-il, en jetant un coup
d’œil alentours. Précaution bien inutile, ils étaient seuls. « Je n’ai pas sacrifié mon sommeil,
la nuit dernière, à rendre votre appartement impénétrable uniquement pour que vous puissiez
agir aussi imprudemment. L’endroit n’est pas plus sûr qu’un autre. Et cessez donc de vous
vautrer sur ce rocher, n’avez-vous donc aucune fierté ? »

Elle ne tressaillit même pas à son approche. Le rocher plat était souvent utilisé par les élèves
comme point de rendez-vous lors des sorties à Pré-au-Lard. Il était suffisamment large pour
permettre de s’y asseoir à plusieurs. Ses pieds touchaient toujours le sol mais elle était
couchée sur le dos et fixait du regard les nuages qui voilaient les étoiles.

« Hey, je suis en mission ! » protesta-t-elle.

« Piètre manière de surveiller le périmètre. » commenta-t-il. « Vous m’excuserez de ne pas


me sentir rassuré. »

Elle leva la tête pour lui faire une grimace avant de la laisser retomber durement sur la pierre.

Cela le choqua suffisamment pour qu’il oublie d’avoir mal l’espace de quelques minutes.

« Êtes-vous ivre ? » siffla-t-il.

Elle s’appuya sur les coudes pour le dévisager avec sérieux.

« Un tout petit peu. » répondit-elle gravement. « Mais c’est votre faute. »

Il ne tenta même pas de ravaler son ricanement sarcastique.

« Je suis impatient de vous entendre justifier cette accusation. » riposta-t-il.

« Ça fait des heures que j’attends alors je suis allée aux Trois Balais. » expliqua-t-elle. « Et la
vodka, c’est mal. »

« C’est l’évidence même. » soupira-t-il.

Elle s’assit avec une prudence qui lui fit dire qu’elle n’était pas aussi saoule qu’il l’avait
craint au premier abord et fouilla dans la poche de son blouson.

Au début, il ne comprit pas ce qu’elle lui tendait. Il prit la fiole et l’inspecta avec une certaine
admiration. De la lumière liquide, fut sa première pensée. Un rayon de lune, fut sa seconde.
La nature de la potion était évidente.

Ainsi, il avait raison, Albus et Lupin n’avaient pas révélé tout ce qu’ils savaient sur le sujet
lors de la réunion de l’Ordre.
« J’espère que ça vaut le coup. » lâcha-t-elle, avant d’éclater de rire. Un rire brisé et triste.
« Remus s’intéressait moins à la potion qu’à la fille, si vous voulez mon avis, mais qu’est-ce
que je m’en fiche, hein ? C’est un connard, juste un connard... Et il peut embrasser qui il
veut. Moi aussi d’ailleurs. Les gardes du corps du premier ministre ne sont pas si mal. Ils ne
diraient pas non. »

« Fascinant. » lâcha-t-il, en levant les yeux au ciel. Il empocha la potion, impatient de se


pencher dessus. « Debout. »

« Quoi ? Non, non... Je suis bien là. » protesta-t-elle. « Je vais dormir un peu. Je suis
fatiguée. »

« Nous sommes tous fatigués, Miss Tonks. » cingla-t-il, en l’empoignant pour la remettre sur
ses pieds. Elle vacilla un instant, s’accrochant à ses bras pour garder l’équilibre.

« Ne m’appelez pas comme ça. Et ce n’est pas ce que je veux dire. » contra-t-elle, en tentant
de se dégager. « Je suis fatiguée. »

Fatiguée de la guerre, fatiguée du reste.

Elle était trop jeune pour être fatiguée de la sorte.

« Vous n’en avez pas l’apanage. » grinça-t-il. « Je suis certain qu’Arthur Weasley aimerait
avoir la chance d’être éreinté, lui aussi. »

Elle eut la grâce de baisser la tête, honteuse.

Il ne pouvait pas la laisser transplanner dans cet état. Les chances qu’elle se démantibule
étaient grandes. Sans parler du fait qu’il lui faudrait marcher de la ruelle jusqu’à son
appartement et que tout et n’importe quoi pouvait arriver entre les deux.

« En route. » soupira-t-il.

Elle n’émit aucune protestation ou question, se contentant de le suivre. Elle trébucha trois
fois sur le chemin qui menait au château et il ne la rattrapa que de justesse, à chaque fois. Il
finit par la soutenir de crainte qu’elle ne chute et ne s’ouvre le crâne. Elle semblait trouver la
situation hilarante, gloussant à chaque pas malgré ses réprimandes répétées.

La difficulté se présenta dans le hall d’entrée.

Il n’avait pas réfléchi davantage qu’à la nécessité de la mettre en sécurité au sein de l’école.
La trainer jusqu’à l’infirmerie ? Il jeta un regard aux grands escaliers. Ses muscles le
lançaient rien qu’à l’idée d’entreprendre un tel exercice.

« Vous êtes absolument insupportable. » grommela-t-il, en prenant la direction des cachots.

Avancer sur des pierres glissantes avec un poids mort et les nerfs encore à vif d’une session
d’endoloris n’était pas aisé. Cela se compliqua encore lorsqu’il repéra la lumière d’un lumos
qui dansait au bout d’un couloir. Étant donné l’heure, il s’agissait d’un enseignant faisant son
tour de ronde et avec la chance qui le caractérisait, ce serait sans doute Minerva. Quoi que
cela ne faisait pas grande différence au demeurant.

Comment aurait-il expliqué Nymphadora Tonks à moitié affalée sur lui au beau milieu de la
nuit ?

Décidant qu’éviter la confrontation gênante serait pour le mieux, il la poussa dans une alcôve
et étouffa ses gloussements en la bâillonnant de sa main.

« Pour l’amour de Merlin, soyez silencieuse. » murmura-t-il à son oreille.

L’alcôve était étroite et il en était un peu trop conscient. Il jeta un sort qui les dissimulerait
aux yeux de qui n’y regarderait pas à deux fois. Il s’agissait de Flitwick et non de
McGonagall, une chance puisqu’il était notoire qu’il était plus facile d’échapper à la
vigilance du Professeur de Sortilèges qu’à celle de la sous-directrice. Severus resta immobile,
retenant sa respiration jusqu’à ce que son collègue et son lumos n’aient disparu au coin du
couloir.

La lumière des torches jetait des ombres changeantes sur les murs en face de l’alcôve qui,
elle, était plongée dans la pénombre. Il retira sa main, rendant à l’Auror l’usage de la parole.
Elle ne prononça pas un mot et il garda les yeux détournés, agacé de se sentir coupable de
l’avoir poussée dans cet espace étroit et irrité, surtout, de se découvrir sensible à sa proche
proximité. Il blâmait entièrement Minerva. C’était, après tout, elle qui lui avait mis des idées
dans la tête.

« Allons-y. » lâcha-t-il, esquivant un pas vers le couloir.

Elle posa une main sur son torse et cela fut suffisant pour l’arrêter. Ce n’était rien qu’un bref
contact. Il se figea comme s’il avait été touché par un Petrificus Totalus. Le souffle de la
jeune femme roula sur sa mâchoire à mesure qu’elle approchait et il eut beau tenter
d’occluder la drôle de panique soudaine, les battements de son cœur demeurèrent frénétiques.

« Que faites-vous ? » demanda-t-il sèchement.

« Je ne sais pas. » répondit-elle, dans un haussement d’épaules. « Mais j’en ai envie. »

Il recula brusquement dans le couloir, trébuchant presque dans sa précipitation.

« Vous êtes ivre. » accusa-t-il. Sans compter qu’elle était jalouse et blessée par la dernière
idiotie en date de Lupin. Il refusait d’être l’instrument de sa vengeance.

Elle cilla plusieurs fois puis se frotta le visage.

« Je veux dormir. » déclara-t-elle, presque impérieuse.

« Gardez vos mains pour vous. » exigea-t-il, en l’attrapant à nouveau pour la soutenir jusqu’à
ses quartiers où le canapé lui tendait les bras.

Il s’efforça de ne pas remarquer que ses cheveux avaient viré au rose.


Sans qu’il ne s’explique pourquoi, cela semblait avoir de l’importance.
The Most Suitable Person

« We don’t always fall in love with the most suitable person, do we ? »

Ken Follet – Winter of the World

« Nous ne tombons pas toujours amoureux de la personne qui nous conviendrait le


mieux, n’est-ce pas? »

Ken Follet – Winter of the World

« Bill tient à garder le secret aussi longtemps que possible. » conclut Minerva, dans un soupir
las.

Appuyé contre le cadre de la fenêtre de son bureau, Albus lissa distraitement sa longue barbe
blanche, fixant du regard la danse lointaine de deux hiboux. La nuit était claire et déjà bien
avancée.

Au creux de la nuit…

Albus aimait cette expression. Au creux de la nuit. C’était encore là qu’il réfléchissait le
mieux, là qu’il prenait ses décisions les plus importantes, lorsque le reste du monde dormait
sur ses deux oreilles, inconscient du poids qui pesait sur ses épaules.

« Dépêchez Poppy au Terrier, à la première heure. » offrit-il finalement, en se tournant vers


sa sous-directrice. Il désigna d’un geste de la tête la tasse de thé oubliée sur le bureau devant
elle. « Buvez, vos nerfs ont été mis à rude épreuve, ce soir. »

Il réchauffa le thé d’un coup de baguette plein de sollicitude. Cela n’avait pas dû être aisé
pour Minerva de voir Molly dans l’état qu’elle venait de lui décrire. Cela n’avait pas été plus
aisé pour lui de l’entendre.

« Severus est-il déjà rentré ? » s’enquit Minerva, en portant la tasse à ses lèvres après l’avoir
remercié.

« Il y a déjà plusieurs heures. » répondit-il.

Il se garda de préciser que Severus n’était pas revenu au domaine seul. Sirius l’avait averti
qu’ils avaient récupéré la potion sans problèmes, une fois n’était pas coutume, et que Tonks
était partie la remettre en mains propres à leur espion. Remettre une fiole ne lui paraissait pas
nécessiter une conversation aussi prolongée, toutefois, Albus se serait bien gardé de se mêler
de cette affaire. Les alarmes liées à la position de Directeur l’avaient averti de l’arrivée de la
jeune femme mais pas de son départ. Le vieux sorcier aurait menti s’il avait prétendu ne pas
être surpris de la complicité manifeste qu’il avait plusieurs fois remarquée entre son
enseignant et l’Auror, ces dernières semaines. Il n’en était, pourtant, pas mécontent. Plus que
quiconque, Severus méritait de trouver un petit peu de bonheur.
Albus n’aurait jamais pensé le Maître des Potions capable d’oublier Lily Evans. Il ne l’aurait
jamais pensé capable de passer outre sa haine envers James, non plus, cela dit. Cela tendait à
prouver que le Directeur n’était pas aussi omniscient qu’on aimait à le lui répétait et qu’il se
plaisait quelques fois à penser. Il aurait payé cher pour avoir été témoin de ce qui s’était
produit dans cette réalité alternée, pour avoir vu de ses propres yeux ce qui avait, à ce point,
changé l’espion.

« Tant mieux. » déclara Minerva. « Je m’inquiète pour lui, Albus. »

Il y avait matière à s’inquiéter. Voldemort devenait de plus en plus méfiant chaque jour.
Cependant, il fallait préserver le statu quo, mettre en avant un espion pour mieux cacher le
second, se tenir près à retirer le premier au bon moment quitte à sacrifier le deuxième…

Ils agissaient sur le fil du rasoir mais Severus savait ce qu’il risquait.

Albus aurait préféré pouvoir le décharger tout à fait de cette lourde tâche. Souvent, ces
derniers temps, il s’interrogeait sur le bien fondé de poursuivre une farce à laquelle plus
grand monde ne croyait. Severus ne lui serait-il pas plus utile en tant que bras droit qu’en tant
qu’espion qui ne rapportait que de fausses informations ? Certes, cela permettait à Lucius
d’agir dans l’ombre mais n’y avait-il pas plus utile emploi pour quelqu’un d’aussi brillant que
le Maître des Potions ?

Il y avait des choses dont il aurait aimé discuter avec le Professeur, des choses qu’il ne lui
aurait pas dissimulées avant que la tempête magique ne les frappe, comme les horcruxes ou
bien encore cet espion au sein de l’Ordre… En l’état, il ne pouvait lui confier ses
informations. Il avait toute confiance en Severus. Pleine et entière confiance. Pourtant, il ne
pouvait être certain que le Maître des Potions ne révélerait pas ces informations malgré lui.
L’état de ses boucliers, son empressement à faire passer Harry avant les besoins de la guerre,
son état émotionnel aussi… Il y avait trop de risques.

« Vous comme moi. » soupira-t-il avec tristesse. « Vous comme moi… »

°°O°°O°°O°°O°°

Tonks ouvrit brusquement les yeux, tirée du sommeil par un bruit étrange qui ne s’avéra être
que le craquement d’une buche dans la cheminée. Elle se détendit immédiatement,
s’enfonçant davantage sous les couvertures et songeant que c’était tout de même bizarre
parce qu’elle n’avait pas de cheminée dans sa chambre. Elle avait dû s’endormir sur le
canapé.

Sauf que son canapé était bien moins confortable que celui sur lequel elle était allongée.

Pour la deuxième fois en l’espace d’une poignée de secondes, elle rouvrit les yeux, alarmée
cette fois-ci. Le décor, ou ce qu’elle en devinait dans la pénombre, n’était pas du tout
familier. Elle s’assit, ramenant par réflexe les trois couvertures sur elle. Il faisait froid malgré
le feu qui ronflait dans l’âtre, il y avait comme une humidité persistante dans l’air.

Ses chaussures l’attendaient au pied du canapé, sagement alignées. Son blouson de cuir était
plié sur la table basse, à côté d’une fiole étiquetée d’une écriture familière. La vue de la
potion fut suffisante pour que les souvenirs de la veille lui reviennent en mémoire. Elle ne put
réprimer une grimace.

Elle avait bu mais pas assez pour ne pas se rappeler parfaitement ce qui s’était passé. Elle
n’avait certainement pas été aussi ivre que Severus l’avait accusée d’être, pourtant elle avait
saisi l’excuse à bras le corps lorsqu’il l’avait repoussée.

Elle avait tenté d’embrasser Severus Snape dans une alcôve.

Très visiblement, elle avait complètement perdu l’esprit.

Elle enfila ses chaussures et son blouson, ôta l’élastique qui emprisonnait sa queue de cheval
à moitié défaite, ébouriffa ses cheveux – s’assurant par la même occasion qu’il était bien à
nouveau châtain – mais délaissa la fiole, ne ressentant pas suffisamment les effets d’une
gueule de bois pour prendre un remède visant à en supprimer les symptômes. C’était gentil à
lui d’y avoir pensé, cela dit. C’était également gentil à lui de l’avoir abandonnée sur son
canapé plutôt que de la jeter en pâture à Pomfresh.

Il n’y avait pas un bruit dans ses appartements et, incapable de réprimer un élan de curiosité,
elle s’autorisa à faire le tour de la pièce. Elle ne fouina pas, ne souleva rien et n’examina pas
attentivement les parchemins jaunis qui traînaient ci-et-là. Elle laissa simplement traîner ses
doigts sur les rayonnages fournis d’une des quatre énormes étagères qui bordaient les murs,
surprise malgré elle de trouver l’endroit décoré avec plus de goût qu’elle n’en aurait accordé
au Professeur de Potions.

La décoration était sobre. Il y avait des grimoires, des livres et des ouvrages divers et variés
sur chaque surface plane. Les piles de livres étaient, toutefois, nettes et, elle le soupçonnait,
classées par sujets. Pour autant qu’elle puisse le dire dans la pénombre, les meubles étaient
tous taillés dans un bois sombre et noueux, un énorme tapis de laine épaisse s’étendait de la
cheminée à derrière le canapé, plusieurs fauteuils dépareillés mais à l’aspect confortable
parsemaient la pièce. Chacun d’eux était disposé près d’un des rayonnages, certains étaient
occupés par des livres et des calepins. Ses pas la conduisirent naturellement au seul pan de
mur qui n’était pas occupé par des étagères. D’épais rideaux verts tombaient du plafond
jusqu’au sol où ils ramassaient la poussière et occupaient toute la longueur du mur. Elle les
ouvrit sans y penser à deux fois.

La fenêtre était immense et prenait tout le pan de mur. La vue donnait sur la forêt interdite, ce
qu’elle trouva surprenant car elle aurait parié qu’ils étaient loin sous le lac étant donné la
température. Un simple sort confirma que la fenêtre était enchantée comme celles du
Ministère. Elle ne résista pas à l’envie d’un finite trop curieuse de la vue réelle que le Maître
des Potions avait de son salon.

Elle le regretta immédiatement lorsqu’un être de l’eau à la peau grisâtre et aux yeux jaunes
lui fit une grimace. Elle sursauta et fit un pas en arrière tandis que la créature s’éloignait à
grand coup de nageoire. Elle s’approcha à nouveau de la vitre avec curiosité, remarquant
qu’il était possible d’apercevoir le village sous-marin dans le lointain. Elle s’amusa quelques
secondes à observer les poissons, les sirènes et les tritons qui s’approchaient maintenant en
masse, aussi curieux d’elle qu’elle était curieuse d’eux.
Il fallut plusieurs secondes avant que les regards scrutateurs ne commencent à la déranger et
qu’elle ne comprenne pourquoi Severus gardait les rideaux tirés ou, tout du moins, la fenêtre
enchantée. Elle eut soudain la sensation désagréable d’être du mauvais côté de la vitre d’un
zoo et elle rejeta le sort qui permettait de surplomber la forêt interdite avant de fermer les
rideaux d’un geste brusque.

Puis elle s’aventura dans le couloir en quête de la sortie.

Ou, tout du moins, ce fut ce dont elle essaya de se convaincre. La sortie était plus
qu’évidente, l’énorme porte de pierre trônait au bout du couloir, facilement repérable aux
fines rainures qui laissaient percer la lumière des torches et découpait un cadre parfait dans le
mur autrement lisse. Il y avait d’autres portes dans le couloir : une était ouverte et donnait sur
une petite cuisine fonctionnelle et tellement bien organisée qu’Andromeda en aurait
probablement pleuré de joie, trois étaient closes, la quatrième était béante.

Cela ressemblait presque à une invitation.

Un coup d’œil à sa montre confirma qu’il était très tard et qu’elle aurait mieux fait de rentrer
chez elle sans tarder si elle voulait dormir davantage et ne pas ressembler à un zombie au
travail le lendemain. Les décisions que l’on prenait au plus noir de la nuit n’étaient pas
censées être bonnes ou réfléchies, cependant, et, pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas,
Tonks était curieuse.

Baguette à la main, au cas où, elle s’enfonça dans ce qui se révéla être un couloir pavé de
toute part par des pierres humides. Le passage était long et elle finit par se dire qu’elle s’était
trompée et qu’il s’agissait là de la sortie, qu’elle allait déboucher près du Grand Hall et
qu’elle n’aurait plus qu’à entamer le long chemin qui la ramènerait chez elle.

En un sens, c’était la sortie.

Le couloir déboucha sur le bureau du Directeur de Maison. La porte était là et lui tendait les
bras. Elle n’aurait aucun mal à se repérer – ce qui n’aurait pas été aussi évident à un autre
endroit des cachots – et peut-être était-ce pour cela qu’il avait laissé ce chemin-là bien en
évidence. Excepté que la porte dérobée qui menait à son laboratoire personnel était ouverte et
qu’elle la franchit sans vraiment y réfléchir.

Il lui fallut redoubler de prudence tout au long du passage, les pierres étaient particulièrement
glissantes et l’odeur de vase presque trop entêtante. Elle émergea dans le laboratoire sans
s’être cassé la figure une seule fois, ce qu’elle comptait comme une éclatante victoire.

« Êtes-vous à nouveau sobre ? » lança l’homme, sans daigner se retourner.

Il était penché au-dessus d’une des tables de travail et étudiait à la lumière des torches la fiole
qu’elle avait transportée un peu plus tôt. Elle tâcha de ne pas s’attarder sur le pantalon noir et
la large chemise blanche qu’il portait et qui auraient davantage eu leur place au dix-neuvième
siècle qu’à leur époque. Les sur-robes, plus familières, étaient à nouveau accrochées à la
patère près de l’entrée.

« Je n’ai jamais été soule. » rétorqua-t-elle. « Éméchée, à la rigueur. »


« Rappelez-moi de ne jamais vous offrir d’alcool dans ce cas. » se moqua-t-il, en reposant
délicatement la fiole avant de griffonner quelques notes sur un parchemin. « Pendant que
vous vous enivriez aux Trois Balais, j’ai pu déterminer que Bill Weasley n’était pas notre
espion. »

« Comment ? » fronça-t-elle les sourcils, soulagée malgré tout.

« Véritaserum. » répondit-il, laconique.

« C’est illégal. » commenta-t-elle avec amusement. « Je devrais vous arrêter. »

« Rien ne vous empêche d’essayer. » railla-t-il.

« Ne me tentez pas. » répliqua-t-elle. Il y avait comme un défi dans sa voix que la plaisanterie
ne justifiait pas. Il lui jeta un coup d’œil indéchiffrable par-dessus son épaule puis retourna à
ses observations sur la potion. Elle se racla la gorge, gênée sans trop bien savoir pourquoi.
Ou, plutôt, elle savait pourquoi. « Ne devriez-vous pas être au lit ? »

La plume lui en échappa des mains et elle aurait trouvé ça amusant s’il n’avait pas eu soudain
l’air si en colère. Il se tourna vers elle, des éclairs dans les yeux, et, sur-robes ou pas, il était
presque effrayant.

« Je ne suis pas certain du jeu auquel vous croyez jouer... » commença-t-il.

« Vous n’avez pas dormi, la nuit dernière. » l’interrompit-elle rapidement. « Et vous avez l’air
fatigué. C’est tout. »

Il la scruta du regard suffisamment longtemps pour qu’elle dresse quelques barrières


mentales juste au cas où. Il ne tenta pas de pénétrer son esprit, cependant, se contentant de
pincer les lèvres dans un rictus agacé.

« J’ai dormi quelques heures pendant que vous cuviez votre vodka. Cela m’est suffisant. »
lâcha-t-il.

Quelques heures, si ses calculs étaient exacts, devaient se résumer à moins de trois heures.
Elle doutait sincèrement que cela soit suffisant.

« Si vous le dites. » capitula-t-elle tout de même. « Qui est le prochain sur la liste ? »

Bill ayant été radié de la liste des suspects – et il lui faudrait une explication plus détaillée
mais cela pouvait attendre – elle supposait qu’elle en était quitte pour une nouvelle mission
de surveillance.

« La vampire. » répondit-il distraitement, en se dirigeant vers une étagère recouverte


d’instruments en tout genre. Il tendit la main vers une sorte de balance posée une étagère au-
dessus de sa tête. « Il va me falloir... » Il retira son bras et s’interrompit brusquement,
légèrement courbé, la main sur son flan, la respiration sifflante.

« Vous êtes blessé. » déduisit-elle, en le rejoignant immédiatement. Elle tenta de soulever la


chemise, de voir ce qu’il en était vraiment, mais il écarta ses mains d’un geste sec.
« Je n’ai pas besoin d’aide. » grinça-t-il entre ses dents.

Elle leva les yeux au ciel, agacée par cette attitude typiquement masculine.

« C’est ça. Répétez-le suffisamment de fois et peut-être qu’on y croira. » rétorqua-t-elle.


« Vous aviez une réunion, hier soir, n’est-ce pas ? Si vous êtes blessé... »

« Ce n’est qu’un hématome. » gronda-t-il.

« Et vous savez probablement mieux que quiconque qu’il y a des baumes pour ça. » soupira-
t-elle. « Avez-vous pris quelque chose ? » Il la fusilla du regard, ce qu’elle prit pour un non.
« C’est bien ce que je pensais. Accio baume anti-hématomes. »

Elle lança le sort un peu au hasard, supposant qu’il devait bien avoir une réserve dans les
parages.

« Vous a-t-on déjà dit que vous étiez insupportable ? » siffla-t-il.

« Oui, vous. Hier soir. » lui rappela-t-elle, dans un haussement d’épaules. « Vous dites
insupportable, d’autres personnes disent charmante. »

« Des fous. » cingla-t-il.

Ils étaient tellement occupés à se dévisager que le bruit d’un objet heurtant la porte close à
toute vitesse avant d’éclater contre les dalles de pierre qui pavaient les couloirs des cachots
attira à peine leur attention. Elle supposa qu’elle aurait pu penser à ouvrir la porte.

« Vous êtes une calamité ambulante. » accusa-t-il méchamment.

« Et vous, vous êtes un lâche. » répliqua-t-elle sans mesurer ses paroles.

Il eut un léger mouvement de recul, comme surpris par l’attaque soudaine, avant qu’un
masque froid et lisse fige ses traits dans un rictus méprisant.

« Il est temps que vous preniez congé, Miss Tonks. » lâcha-t-il.

« Ce n’est pas ce que je voulais dire. » grimaça-t-elle. « Pas dans ce sens là. Je voulais juste
dire... »

« Vous avez été parfaitement claire. » coupa-t-il.

« Oh, pour l’amour de Merlin ! » s’exclama-t-elle avec agacement. « Est-ce que tous les
hommes de votre génération sont aussi idiots les uns que les autres ou est-ce que j’ai le
chic pour tomber sur les plus stupides ? »

Il se redressa de toute sa hauteur, la toisant avec indignation et ouvrit la bouche, très


certainement pour délivrer une de ses terribles tirades qui faisait fondre en larmes le plus dur
des élèves. Tonks avait toujours été très douée pour attraper le taureau par les cornes. Avant
qu’il ait eu le temps de dire quoi que ce soit, elle agrippa le col de sa chemise et l’attira vers
elle.
Ses lèvres étaient sèches et dures sous les siennes.

À aucun moment il ne lui rendit son baiser.

Deux tentatives ratées en une seule soirée, il aurait peut-être été temps qu’elle en tire une
leçon.

Elle s’écarta, les joues en feu, incapable de le regarder en face et se racla la gorge. Elle avait
connu des moments de grande solitude dans sa vie mais elle avait rarement eu aussi honte
qu’à se moment là. Cela battait presque le jour où elle avait découvert que Charlie était gay et
son amourette sans espoir.

« Je ferai mieux d’y aller. » balbutia-t-elle maladroitement, en tournant les talons pour
s’éloigner aussi vite que possible.

Il lui attrapa le bras avant qu’elle put faire plus de deux pas et la tira en arrière sans douceur
mais sans brutalité non plus. Elle se retrouva coincée entre lui et l’étagère mais ne ressentit ni
crainte ni le besoin de s’enfuir. Ses yeux gris restèrent rivés droits devant elle, fixant un point
au niveau de son épaule.

« Ils ne cessent de prendre cette couleur. » déclara-t-il d’un ton perplexe mais méfiant, en
effleurant les mèches qui encadraient son visage.

Elle n’avait pas besoin de vérifier pour savoir que ses cheveux étaient rose bonbon.

« C’est vous qui avez dit qu’on lisait en moi comme dans un livre. » murmura-t-elle, en osant
finalement croiser son regard.

Il fronça légèrement les sourcils sans que la méfiance ne disparaisse tout à fait de ses yeux.
Elle retint sa respiration lorsqu’il retraça la ligne de sa mâchoire du bout des doigts d’un
geste hésitant, électrifiant.

Elle n’aurait pas sur dire ce qu’elle faisait ou pourquoi elle en avait tellement envie, surtout
en sachant qu’elle avait toujours des sentiments pour Remus – et cela était un bel
euphémisme – elle savait simplement que cela couvait depuis un petit moment.

Une main se posa sur sa taille, l’emprisonnant davantage encore entre son corps et l’étagère,
leurs souffles se mêlèrent... Leurs lèvres s’effleurèrent une première fois mais elle recula
rapidement, le laissant prendre la décision de franchir le maigre espace qui les séparait encore
ou non. Elle en avait assez d’être celle à toujours faire les concessions, à devoir batailler pour
obtenir ce qu’elle voulait. Elle avait trop donné avec Remus. Elle ne supplierait pas Severus
de la désirer comme elle avait supplié le loup-garou.

Elle n’en eut pas besoin.

Ses lèvres capturèrent les siennes dans un baiser presque violent d’exigence.

Ensuite, il n’y eut plus lieu de réfléchir.

°°O°°O°°O°°O°°
Le whiskey lui brûla la gorge, pourtant il en prit une seconde rasade.

Sirius ne sursauta pas lorsque la porte d’entrée s’ouvrit dans son dos ou lorsqu’il sentit la
présence silencieuse, presque féline, se glisser derrière lui. Le perron n’était pas si large et,
une fois assise, Nyssa se retrouva coincée entre son corps et la rambarde.

« Qu’as-tu fait ce soir ? » s’enquit-elle.

« Mission. » répondit-il, laconique. Albus et Remus avaient été clairs sur le sujet, la
récupération de la potion devait demeurer secrète.

Elle ne posa pas davantage de questions mais tendit la main et il lui passa la bouteille sans
hésitation. Elle but quelques petites gorgées et la lui rendit.

« Alastor est passé. » déclara-t-elle. « Il a laissé un rapport pour Remus. »

Il se demanda si c’était un subtil appel du pied pour savoir où était le loup-garou ou bien une
invitation à aborder un sujet qui fâche. Il préféra avaler une nouvelle gorgée de whiskey
avant de décider qu’il en avait déjà trop bu et de poser la bouteille. Il chercha son paquet de
cigarettes dans sa poche, se souvint qu’il était vide et poussa un profond soupir.

« Et ? » céda-t-il au final à l’envie de demander. « Tu l’as emmené chasser ? »

Nyssa demeura silencieuse un long moment.

« Je ne chasse qu’avec toi, Sirius. » offrit-elle, d’un ton détaché qui masquait mal une
certaine nervosité. Ou peut-être de l’agacement.

« Chasser n’engage qu’à ça. » rétorqua-t-il.

Elle ramassa la bouteille et en but une gorgée sans tressaillir ou trahir le moindre signe que
l’alcool avait un quelconque effet sur elle. Probablement parce qu’il n’en avait pas. Il ignorait
si les vampires pouvaient s’enivrer et il supposait que si c’était bien le cas, il devait falloir
une quantité phénoménale de whiskey.

« Je suis morte, Sirius. » lâcha-t-elle.

Il ouvrit la bouche pour protester ou tourner la chose en plaisanterie mais elle posa une main
sur son bras, l’interrompant tout net.

« Je suis morte et pourtant je suis immortelle. » déclara-t-elle tristement. « Es-tu sûr que tu
veux t’engager là-dedans ? Vieillir jour après jour alors que je demeure la même ? Je ne suis
pas certaine d’être prête à te voir vieillir, mourir. L’immortalité est une malédiction, tu sais.
C’est en partie pour ça que nous vivons en essaims. » Elle porta la bouteille à ses lèvres et
détourna le regard. « Réfléchis bien avant d’engager ton cœur sur cette voie là. Chasser
n’engage qu’à ça mais cela évite aussi beaucoup de douleur. »

« J’ai passé douze ans à Azkaban, j’ai eu mon compte de douleur. » ricana-t-il amèrement.
« Je ne pense pas que ça peut être bien pire. »
« Justement. » insista-t-elle. « Tu n’es pas obligé de t’en créer davantage. »

Il réfléchit à la chose quelques secondes, ses doigts se portant automatiquement vers sa poche
avant de retomber, une nouvelle fois, lorsqu’il se rappela que son paquet était toujours vide.

« Tu veux aller faire un tour ? » lâcha-t-il. « J’ai besoin de clopes. » Il fronça les sourcils. « Je
ne sais pas quelle heure il est. Combien de temps avant le lever du soleil ? »

« Suffisamment. » offrit-elle.

Si quelqu’un surveillait la maison, cela dût leur paraître étrange de voir deux personnes
émerger de ce qui était essentiellement un mur. Ils s’éloignèrent sans s’en préoccuper. Sirius
les guida au travers de ruelles plus ou moins sûres, prenant autant de raccourcis que possible
jusqu’aux petits magasins ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Ils marchaient en silence, sans que cela soit gênant.

« Je n’ai jamais été très doué pour faire les choses comme tout le monde. » offrit-il
finalement alors qu’ils rejoignaient la civilisation.

Elle ne répondit pas mais sa main glissa dans la sienne.

Sirius s’y accrocha.

Pouvoir à nouveau coincer une cigarette entre ses lèvres était un soulagement. Il respira à
pleins poumons l’odeur de tabac et profita du plaisir simple de pouvoir fumer en paix. Ils se
baladèrent un moment dans les rues proprettes et distinguées autour du Square Grimmaurd.
Londres était endormie, tout était paisible. Ils étaient seuls au monde.

À un moment, il lâcha sa main pour draper un bras autour de ses épaules et elle se blottit
contre lui sans trop protester, glissant un bras sous son blouson de cuir pour lui attraper la
taille.

« Sirius ? » demanda-t-elle, alors que le square se dessinait déjà au bout d’une rue. « Qu’est-
ce que tu fabriques avec Severus Snape ? »

Il se tendit et il était impossible qu’elle ne l’ait pas senti, collée contre lui comme elle l’était.
Elle l’aurait probablement senti de toute manière. C’était, après tout, une vampire.

« Je ne sais pas de quoi tu parles. » mentit-il, et mal.

Elle garda le silence quelques secondes puis soupira.

« Écoute, je ne le connais pas mais Alastor… » déclara-t-elle.

« Fol’Œil est parano. » coupa-t-il.

« Il dit que c’est un espion et que Dumbledore est aveugle lorsqu’il est question de Snape. »
insista-t-elle. « Tu disais la même chose avant que lui et Harry ne reviennent. Et
maintenant… »
« J’ai confiance en Snape, d’accord ? » s’énerva-t-il quelque peu. Ça lui arrachait la bouche
de devoir l’admettre.

Il retira son bras de ses épaules et elle s’écarta, un éclat sauvage dans le regard.

« Vous faites des messes basses, vous vous consultez du regard dès qu’Albus dit quelque
chose, vous vous parlez bien plus que vous ne le laissez croire aux autres. » énuméra-t-elle.
« Tu disais le détester mais… »

« Tu m’espionnes ? » s’enquit-il froidement.

« J’ai des yeux pour voir, Sirius. » cingla-t-elle. « Qu’est-ce que vous complotez ? »

Il la détailla des pieds à la tête et se rendit compte, à cette seconde, que malgré les sentiments
naissants qui palpitaient dans sa poitrine, il ne lui faisait pas totalement confiance. Pas au
point de lui révéler ce secret là.

« Si on te le demande, tu diras que tu ne sais pas. » se moqua-t-il dans un rictus.

Il accéléra le pas en direction du QG, l’abandonnant derrière.

Elle le rattrapa sans mal mais ils n’échangèrent pas un mot, pas même lorsque la porte
d’entrée claqua dans leur dos et que le portrait de sa mère se mit à hurler.

°°O°°O°°O°°O°°

Severus était un idiot.

Cela le peinait d’avoir à l’admettre, lui qui s’était toujours targué de ses capacités
intellectuelles supérieures à la norme, mais il était idiot.

Son cœur battait trop fort et trop vite, comme un oiseau pris en cage. Il se sentait pris en cage.
Belle ironie, songea-t-il, prisonnier de sa propre chambre à coucher, incapable de faire autre
chose que de fixer le mur dans la pénombre, allongé sur son lit, en se demandant pourquoi –
mais pourquoi – prenait-il toujours les pires décisions ?

N’avait-il pas affirmé à Minerva, quelques heures auparavant seulement, qu’elle était folle à
lier ?

N’avait-il pas suffisamment de problèmes en l’état pour en rajouter davantage à la liste ?

N’y avait-il pas…

« Je peux m’en aller si tu veux. »

Severus s’efforça de ne pas tressaillir en sentant les draps être tirés loin de lui alors que
Nymphadora s’asseyait. Il n’avait pas l’habitude de partager un lit, n’avait pas l’habitude de
faire face à ce genre de situation. Les sorcières avec qui cela arrivait d’habitude partaient
aussitôt la besogne réglée, sans au revoir et sans faux semblants non plus, et ils ne se
revoyaient jamais. Qu’importe comment il choisirait de gérer la situation présente, il devrait
revoir la jeune femme.

« S’il s’agit de blesser le loup, choisir Black aurait été plus judicieux. » lâcha-t-il, sans cesser
de fixer ce mur décidemment fascinant pour un amas de pierres lisses.

La tension envahit immédiatement la pièce lorsqu’il évoqua le proverbial éléphant qu’aucun


d’eux n’avait jusque là nommé – ou loup-garou plutôt.

« Tu crois que… » commença-t-elle, uniquement pour s’interrompre. « Ça n’a rien à voir


avec Remus ! »

Sa voix était indignée, blessée presque, et il tourna finalement la tête vers elle avec un soupir.
Elle était belle. La pensée lui vint, fugace, sans qu’il ne parvienne à l’ignorer tout à fait. Elle
était assise, le drap fermement enroulé autour de la poitrine, dissimulant à sa vue tout ce
qu’elle n’avait plus à cacher.

« Non ? » grinça-t-il, dans un rictus. « Un pari perdu, alors ? Suis-je supposé croire que
l’envie de séduire ton Professeur de Potions t’a subitement prise ? »

Elle pinça les lèvres avec agacement et repoussa d’un geste de la tête ses cheveux roses qui,
plus longs que tout à l’heure, cascadaient jusqu’à ses épaules. Il occluda prestement le
souvenir de ses doigts les agrippant à pleines mains.

« Ça fait longtemps que tu n’es plus mon professeur, Severus. » lâcha-t-elle. « Et je croyais
que tu me faisais confiance. »

« La confiance est relative. » répliqua-t-il, dans un haussement d’épaules. « Selon mon


expérience, personne ne fait rien sans rien. »

« C’est si difficile à croire que je puisse juste en avoir envie ? » se moqua-t-elle.

Il ferma les yeux et ne chercha pas à dissimuler un amusement amer, s’engonçant davantage
dans la chemise qu’il n’avait pas retirée. Elle ne l’avait pas encore assassiné, il supposait
qu’elle n’allait pas s’y risquer. L’idée l’avait taraudé un moment, la possibilité qu’elle soit en
fait l’espion et qu’elle ait prévu de profiter d’un moment de vulnérabilité pour frapper. Elle
n’avait pas frappé. Et il ne parvenait pas à déterminer ce qu’elle espérait retirer de tout cela.

« Severus. » insista-t-elle, d’un ton sérieux qui ne lui allait pas tout à fait.

Il rouvrit les paupières bien qu’elles soient lourdes, se reprochant une nouvelle fois d’avoir
cédé à une tentation qui lui faisait perdre un temps précieux. Il aurait pu utiliser ces heures
pour dormir ou travailler. Et au lieu de ça…

Il effleura sa joue de sa main, s’attendant à tout moment à ce qu’elle l’écarte d’un geste
brusque et éclate d’un rire moqueur – elle ne serait ni la première, ni la dernière – mais au
lieu de cela, elle rechercha le contact. Sa paume glissa presque paresseusement jusqu’à sa
nuque sans quelle ne tressaille.
Il se demanda brièvement si elle réalisait à quel point il aurait été facile pour lui de la blesser,
de la tuer.

Mangemort, avaient craché les autres la veille. Mangemort, il était et, Mangemort, il resterait.
Il n’y avait rien que ses cheveux colorés, sa joie de vivre quelque peu élimée et ses grands
yeux gris puissent y changer.

Non, il ne croyait pas une seconde que l’envie ait pu simplement la prendre de le séduire.
Même le retour en soixante-quinze ne l’avait pas rendu assez naïf pour croire à cela.

« Tu es trop jeune, trop jolie et tu n’es pas sur le point de me présenter une facture. » lâcha-t-
il, d’un ton neutre.

« Je croirais entendre Remus. » soupira-t-elle. « Trop jeune, trop jolie… Ce sont tes seules
objections ? Cela peut facilement s’arranger. »

Il observa, fasciné malgré lui, son visage fondre lentement comme une statue de cire avant de
se recomposer en un autre, complètement étranger. Elle avait l’air plus près de son âge, à
présent, plus vieille même que ses propres trente-six ans, et n’était certainement plus une
beauté.

« J’espère que tu aimes le nez. » plaisanta-t-elle. « Cela m’a pris des années pour le
perfectionner. » Son propre nez, crochu et trop large, semblait le narguer. Le sourire taquin
disparut des lèvres de la jeune femme et son visage s’adoucit. « Je ne fais pas autant attention
que ça à l’apparence des gens, Severus. Je sais trop à quel point c’est traître. »

Elle cilla et l’illusion se dissipa, elle retrouva le visage plus familier qu’il lui connaissait.
Malgré lui, la main qu’il avait oubliée sur sa nuque glissa jusqu’à son épaule.

Il devrait arrêter de la toucher, songea-t-il, la mettre diplomatiquement à la porte et prétendre


que rien ne s’était jamais produit. Jeter un oubliette était tentant. Quelques mois plus tôt, il en
aurait usé sans sourciller. Tout était différent, à présent. Harry l’avait rendu différent et trahir
la confiance de la jeune femme de la sorte lui semblait impensable. Surtout après ce qui
s’était produit avec Albus.

De plus, il avait supervisé son entraînement dans la magie de l’esprit et elle était
suffisamment douée dans la discipline pour se rendre compte que des fragments de mémoire
lui manquaient. Cela ne solutionnerait rien et lui apporterait plus d’ennuis que nécessaire.

« Écoute, tu sais que j’ai toujours des sentiments pour Remus. » déclara-t-elle, en baissant les
yeux. « Et j’ai l’impression que tu n’es pas tout à fait libre non plus dans ta tête alors… Est-
ce qu’on a vraiment besoin de mettre un nom sur ce qui passe entre nous ? On est attiré l’un
par l’autre, on peut être adultes et le reconnaître. Ça ne veut pas dire qu’on va tomber
amoureux et vivre un conte de fée. On peut simplement… voir où ça nous mène. » Elle
haussa les épaules, délogeant accidentellement sa main. « Tu veux la vérité ? Je me sens
seule. Cette guerre me fait peur, j’ai des nouvelles de mes parents tous les quinze jours et
encore, mon meilleur ami est trop occupé avec son petit-ami, Remus… Je ne veux même pas
parler de Remus. Et j’ai besoin d’avoir quelque chose à moi, d’accord ? Même si c’est
égoïste. Même si c’est occasionnel. J’ai confiance en toi et c’est un luxe de nos jours,
alors… »

Elle garda les yeux détournés et s’humecta nerveusement les lèvres. Elle ne termina pas sa
phrase.

Il était temps que Severus soit couronné roi des idiots, décida-t-il, parce qu’aussi
convainquant et sincère que son discours soit, il n’en demeurait pas moins que sa vie était
suffisamment compliquée en l’état. Il y avait Harry dont il ne pouvait s’occuper comme
l’adolescent le méritait ou en avait tout simplement besoin, il y avait les horcruxes et le
problème de la potion permettant la transformation lycanthrope, il y avait l’espion dont le
mystère continuait à les narguer, il y avait Albus et ses machinations en coulisses, et, bien sûr,
il y avait l’épée de Damoclès qui ondulait au-dessus de sa tête, plus bas de jour en jour.
Combien de temps lui restait-il avant que le Seigneur des Ténèbres ne se lasse de cette
comédie qu’il lui jouait ?

Sa vie était trop compliquée et il aurait dû la chasser de ses appartements sans y penser à
deux fois. Elle était intelligente, s’il s’était donné la peine de formuler la chose de manière un
tant soit peu diplomate, elle aurait probablement compris.

Et pourtant, il se retrouva à répondre à ses baisers sans que l’Occlumencie ne l’aide à refouler
des pulsions primaires qu’il parvenait d’ordinaire à contrôler sans trop de mal.

Roi des idiots.

°°O°°O°°O°°O°°

Lucius était le roi des crétins.

Il caressa d’un geste distrait la pierre froide et lisse barrée d’un P avant de la laisser tomber
dans un des nombreux coffrets à bijoux de Narcissa, à l’abri des regards indiscrets.
L’amulette des Peverell était aussi utile qu’un caillou, à présent, et toutes ses tentatives pour
la recharger avaient échouées. Contacter Burke avait été une erreur mais comment aurait-il
pu prévoir que cet idiot aurait engagé un Weasley, aussi doué dans son domaine soit-il ?

Il retraça du bout des doigts les arabesques dorées gravées sur le coffret préféré de Narcissa,
celui qu’elle utilisait pour conserver les bijoux que Lucius lui avait offert pour des occasions
particulières. Il sentit la magie lui chatouiller la peau lorsqu’il ouvrit délicatement la boîte, les
enchantements protecteurs le reconnaissant et lui autorisant l’accès. N’importe qui d’autre se
serait retrouvé à hurler de douleur, son épouse n’avait que peu de patience pour les voleurs.
Une partie des joyaux manquait parce qu’elle ne s’en séparait que rarement et les avait portés
le soir où…

Il referma brusquement le couvercle, agacé de son propre accès de sentimentalisme. Il


n’aurait pas dû écouter Narcissa, ce soir-là. Il aurait dû suivre son propre instinct, sauver
autant de possessions que possible, retirer la totalité de leur or de Gringotts, et mettre sa
famille en sécurité loin du Royaume-Uni. Peut-être auraient-ils perdu le prestige mais ils
auraient au moins eu l’assurance de rester en vie.
Quelle assurance leur restait-il, à présent ?

Celle de Dumbledore ?

Le vieil homme était avide d’informations mais avare de mots lorsqu’il s’agissait de répondre
à ses questions.

Et, en cédant aux suppliques de son épouse durant la Nuit des Ténèbres, il avait fourni au
Directeur sur un plateau d’argent les deux otages rêvés pour l’enchaîner à l’Ordre du
Phoenix. Il espérait que Draco savait ce qu’il faisait, qu’il n’aurait pas le malheur de regretter
son choix dans le futur. Il espérait également que la Sang-de-Bourde valait tous ces tracas…

L’amour ne se commandait pas, cependant, et il était bien placé pour le savoir.

Où était Narcissa ? Était-elle seulement en vie ? Il délaissa l’imposante coiffeuse qui trônait
dans un coin de la chambre pour s’approcher de la fenêtre. Ses yeux gris retracèrent
distraitement les contours du jardin.

Il aurait dû aller se coucher. Il était tard – ou tôt – et il y aurait fort à faire le lendemain au
Ministère. Il y avait toujours fort à faire pour contrer Dumbledore sur la question des
Détraqueurs. Le bras de fer devenait de plus en plus difficile. À chaque fois que l’un d’entre
eux semblait prendre le dessus, l’autre revenait par surprise. Lucius jouait sur le fil du rasoir
et il n’en aurait pas fallu beaucoup pour qu’il perde l’équilibre.

Le grand lit à baldaquin lui faisait désormais horreur.

Sans Narcissa, les draps étaient froids. Tout était froid.

Un mouvement attira son attention dans le jardin et, instinctivement, il recula dans l’ombre
pour ne pas être repéré. Voilà à quoi il en était réduit, songea-t-il, en observant Bellatrix
valser sous la lune comme seule une personne complètement folle aurait pu le faire : se
cacher dans sa propre maison.

Combien de temps encore ?

Combien de temps avant que le Seigneur des Ténèbres ne se décide à leur révéler ce plan
dont, pour l’instant, seule Bellatrix avait eu connaissance ?

Combien de temps avant que Lucius ne bascule d’un côté ou de l’autre du fil et ne s’écrase
sur la piste comme un équilibriste brisé ?

Combien de temps avant que la situation ne bascule ?


Darkness Ahead And Behind

Misery sure loves company


And nobody's ever who they seem to be

Milow – Darkness Ahead and Behind

Le malheur d’autrui console le malheureux,

Et personne n’est jamais qui il prétend être.

Milow – Darkness Ahead and Behind.

Il avait mis trop de lait et ses céréales étaient désormais flasques et pâteuses. Harry en prit
une dernière bouchée et repoussa le bol avec une moue dégoutée, préférant attraper une des
pommes qui trainait dans un des bols de fruits.

« Peut-être que tu peux lui demander, tout simplement. » lâcha Ron, mâchonnant un toast
sans plus d’enthousiasme que son meilleur ami.

Le petit-déjeuner battait son plein et Ron, Hermione et lui avaient trouvé refuge en bout de
table, espérant parvenir à avoir une conversation discrète.

Hermione leva le nez de La Gazette qu’elle feuilletait tout en buvant un verre de jus d’orange
et jeta à leur ami un coup d’œil dédaigneux.

« Ne sois pas ridicule, si cela avait été aussi simple le Professeur Dumbledore y aurait déjà
pensé. » déclara-t-elle.

Harry trouvait hautement ironique qu’elle ait appris à se méfier de tout et de tout le monde
ces derniers mois mais persistait dans son admiration sans bornes pour Dumbledore. Il se
demanda vaguement si c’était ainsi que le vieil homme parvenait à garder son ascendant sur
la communauté magique, une fascination pour la légende qui touchait à la dévotion, puis se
désintéressa de la question pour se concentrer sur le problème qui l’occupait depuis deux
semaines sans qu’il ne soit parvenu à faire de progrès : comment convaincre Horace Slughorn
de lui livrer ses secrets.

Il croqua dans le fruit légèrement trop mûr et avala un commentaire désobligeant en même
temps qu’un morceau de pomme.

« S’il a confié cette mission a Harry, c’est à cause de sa mère, non ? » insista Ron, clairement
vexé de voir son idée balayée de la sorte. « Peut-être que si Harry demande… »

Harry détourna le regard à la mention de Lily. Il ne se souvenait que trop bien de l’affection
manifeste que le Professeur de Potions avait voué à la jeune fille. De là à ce que cette
affection se soit transmise à son fils… Slughorn ne recherchait pas particulièrement sa
compagnie, il l’avait déjà remarqué. Si possible, il avait été plus attentif au fils de Saevus
Prince dans le passé qu’il l’était à présent avec Harry Potter, conscient, certainement, qu’il
marchait sur un fil. La communauté magique était divisée et Horace Slughorn, en véritable
Serpentard, ne souhaitait pas prendre parti.

« Peut-être. » admit finalement Hermione. « Mais je ne vois pas bien comment lui demander
ça. À la fin du cours ? Oh, au fait, Monsieur… Est-ce que vous savez combien d’Horcruxes
voulait créer Voldemort ? » Elle secoua la tête. « Ça ne va jamais marcher. »

« Tu es devenue très sarcastique. » accusa Ron, en pointant une fourchette dans sa direction.
« Tu passes trop de temps avec Malfoy. »

En réponse, la jeune fille grimaça.

« Hermione a raison. » décréta Harry, avant qu’ils ne puissent commencer à se chamailler.


« Il faudrait trouver un moment approprié… » Il soupira, avant de terminer la pomme de
quelques coups de dents rapides et de jeter le trognon dans le bol de céréales. « C’est
dommage qu’il n’ait pas relancé son club. C’est comme ça que Voldemort l’a convaincu de
lui parler et c’est probablement la meilleure idée. »

« Son club ? » répéta Hermione, en fronçant les sourcils.

« Le club de Slug. » expliqua-t-il. « C’est un truc idiot. Il organisait des dîners et des soirées
avec ses élèves préférés. Parfois, il y avait quelques célébrités, des gens influents… » Il
haussa les épaules. « Sev disait qu’il aime collectionner les gens importants. »

Ron laissa échapper un bruit moqueur. « Tu peux être sûr que je n’y aurais jamais été invité. »

Hermione avait son air pensif des grands jours.

« Je crois qu’il nous en a parlé, au début de l’année… » offrit-elle lentement, essayant très
visiblement de se souvenir. « Ombrage avait interdit ces diners. »

« Ombrage n’est plus là. » remarqua Ron.

« Mais comment le convaincre de relancer le club ? » s’enquit Harry.

« Tu peux dire que tu as assisté à plusieurs réunions en soixante-quinze et que tu te demandes


pourquoi il n’y en a plus à notre époque. » suggéra son meilleur ami avec enthousiasme. « Il
ne peut pas savoir si c’est vrai ou faux… »

« Il risque de trouver ça louche… » contra-t-il. « Hermione, il t’aime bien. Peut-être que, toi,
tu pourrais y aller et… »

« Qui y avait-il à ces dîners précisément ? » l’interrompit-elle, avec cette lueur particulière
dans les yeux qui fit dire au Survivant qu’elle avait une idée.

« Des tas de gens. » répondit-il. « Ma mère, Severus, la mère de Neville… »


Il laissa sa phrase en suspend, ne voyant pas véritablement l’intérêt d’énumérer chacun des
convives de Slughorn.

Cela ne troubla pas Hermione. Elle replia soigneusement la dernière édition de La Gazette et
la fit disparaître d’un coup de baguette.

« Lucius et Narcissa ? » proposa-t-elle.

« Oh. » lâcha Ron, avec un grand sourire. « Brillant. »

« Merci. » répondit-elle modestement, ses yeux scannant déjà les alentours à la recherche du
Serpentard.

Malfoy était installé à la table des Poufsouffles avec Zabini et les jumeaux mais Harry ne l’en
informa pas immédiatement.

« Tu veux demander à Malfoy de convaincre Slughorn de rouvrir son club. » clarifia-t-il.

« Si ça vient de Draco, il n’y a aucune raison que Slughorn fasse le lien avec toi. » déclara-t-
elle. « Ça me semble le meilleur plan auquel on a pensé jusqu’ici. »

Le fait est qu’elle n’avait pas tort.

Au moins, ils feraient enfin quelque chose plutôt que d’échafauder des scénarios plus
improbables les uns que les autres.

« Et tu crois qu’il acceptera ? » insista-t-il, dubitatif. Malfoy et lui maintenaient des relations
cordiales, certes, mais pas amicales.

« Je m’en occupe. » jura-t-elle.

Étant donné le petit sourire satisfait qui étira ses lèvres, Harry supposa qu’elle avait un plan,
que ce plan impliquait beaucoup de baisers et des mains baladeuses, et que, en conséquence,
il ne voulait rien savoir.

C’était une chose de voir Ron et Lavande s’afficher dans la salle commune.

C’en était une autre d’imaginer Hermione et Malfoy faire la même chose.

Harry était simplement heureux que la Gryffondor et le Serpentard ne soient pas trop adeptes
de démonstrations publiques d’affection. Il n’était pas certain qu’il aurait supporté de voir
Hermione, qu’il considérait comme une sœur, agir avec Malfoy comme Lavande le faisait
avec Ron.

°°O°°O°°O°°O°°

Minerva avait depuis longtemps perfectionné l’art de garder un œil sur la Grande Salle tout
en prenant son petit-déjeuner et en soutenant une conversation avec ses collègues. Elle faisait
tout particulièrement attention aux jumeaux Weasley – oublier de se méfier était la manière la
plus sûre de se retrouver prise de court par leur dernière ânerie – et à Harry Potter que les
ennuis semblaient toujours suivre de trop près. Les jumeaux plaisantaient avec Malfoy et
Zabini avec leur verve habituelle, quant à Potter, il discutait sagement avec ses deux
meilleurs amis.

Satisfaite de la certitude qu’un drame n’était pas sur le point d’ébranler l’école, elle se tourna
vers son voisin de gauche, plus occupé à feuilleter Le Chicaneur qu’à vider son assiette de
porridge.

« J’ignore pourquoi vous persistez à perdre votre temps avec cette feuille de choux. »
soupira-t-elle. « Passez-moi le sucre, voulez-vous. »

Albus agita la main sans lever les yeux de sa lecture et le bol de sucre lévita doucement
jusqu’à elle. Elle ne put s’empêcher de pincer les lèvres à cette démonstration inutile.

« Vous seriez surprise. » répondit distraitement le Directeur. « Cet article sous-entend que
l’arrière grand-père de Rufus Scrimgeour aurait été un vampire. »

« Je suis certaine que cela va énormément plaire au Ministre. » répondit-elle avec un dédain
qu’elle ne prit pas la peine de dissimuler. À son sens, Xenophilius Lovegood aurait mieux fait
de se concentrer un peu plus sur sa fille et un peu moins sur ses impossibles chasses aux
chimères.

« C’est certain. » acquiesça-t-il, ses yeux bleus pétillants d’amusement. L’amusement


disparut lorsque son regard tomba sur Charlie Weasley qui discutait avec Hagrid, Anthony
juste derrière lui. « Avez-vous des nouvelles de Molly ? »

Elle prit le temps de sucrer son gruau avant de répondre, mesurant ses paroles.

« Poppy essaye toujours de la sevrer des potions. » déclara-t-elle finalement.

Deux semaines étaient passées sans que les progrès n’aient été remarquables. L’infirmière
avait de bons espoirs de parvenir à ramener Molly à la raison mais elle ne cachait pas que la
route serait probablement longue et difficile.

« S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire… » offrit-t-il immédiatement.

Minerva soupira, avalant quelques bouchées à la hâte.

« L’urgence est financière. » avoua-t-elle. « J’ai proposé mon aide à Bill mais il l’a refusée.
Peut-être pourriez-vous lui trouver du travail ? »

Son coffre personnel à Gringotts, sans déborder, était plus que plein. Nourrie et logée, elle
n’avait guère d’opportunité de dépenser son salaire et elle avait depuis longtemps perdu le
goût de s’offrir le dernier balai de course. Prêter une somme importante aux Weasley ne
l’aurait pas dérangée.

Bill, comme Arthur en son temps, n’était, cependant, pas prêt à accepter ce qu’il percevait
comme de la charité.
« Nous pourrions probablement lui demander de faire le tri des objets perdus dans la salle va-
et-vient. » suggéra-t-il. « Cela devrait l’occuper des années durant. »

Minerva n’était pas certaine qu’il accepterait cette tentative d’aide à moitié déguisée mais se
promit de creuser l’idée.

« Severus a encore sauté le petit-déjeuner. » remarqua-t-elle, avec désapprobation. Déjà, elle


préparait mentalement son sermon. « Je vais demander à Jiggy de lui porter un plateau… »

« Je ne suis pas certain qu’il appréciera l’attention. » déclara Albus, un sourire mystérieux
aux lèvres.

Elle fronça les sourcils, agitant sa baguette avec agacement lorsqu’elle remarqua que Sybil
paraissait bien trop intéressée par leur conversation et tendait l’oreille. Une fois certaine que
leur discussion demeurerait secrète, elle étudia son vieil ami du regard, notant que ses yeux
pétillaient à nouveau d’amusement.

« Et pourquoi donc ? » s’enquit-elle.

Le Directeur l’observa quelques secondes par-dessus ses lunettes en demi-lunes puis reporta
son attention sur Le Chicaneur.

« Loin de moi l’idée de colporter quelque ragot… » déclara-t-il d’un ton détaché. « Mais je
ne pense pas qu’il soit seul. »

Le froncement de sourcils s’accentua alors que Minerva tentait de donner un sens à cette
mystérieuse affirmation.

« Reçoit-il un élève ou un parent d’élève ? » demanda-t-elle. « Ce n’est pas une raison


pour… »

Face à son incompréhension, Albus se racla la gorge et lui jeta un coup d’œil lourd de sens.

« Oh. » s’empourpra-t-elle. Minerva McGonagall n’était pas portée sur les rumeurs. Elle n’en
répandait pas et ne recherchait jamais le parfum du scandale. Pourtant, ce matin-là, elle se
pencha avec intérêt vers Albus pour mieux recueillir tous les détails. « Comment pouvez-
vous en être certain ? »

Le Directeur prit le temps de tourner la page et de porter par deux fois la cuillère à sa bouche
avant de répondre, se plaisant visiblement à la laisser languir.

« Les alarmes m’ont averti de l’arrivée de Miss Tonks sur le domaine tard dans la nuit et elle
n’est toujours pas partie. » expliqua-t-il finalement. « C’est la cinquième fois en quinze
jours. Sans vouloir me perdre en conjectures… »

« Parfait. » commenta-t-elle, ayant du mal à réprimer un sourire ravi. « Il était temps que ce
garçon retrouve goût à autre chose qu’à ses potions. »

« Espérons simplement que cela ne s’avère pas être une trop grande distraction. » nuança
Albus, son amusement se teintant d’inquiétude.
« Ne vous avisez pas de vous en mêler. » l’avertit-elle, en le fusillant du regard. « Je suis
sérieuse, Albus. Severus mérite… »

« Ce que Severus fait de sa vie privée ne me regarde pas. » l’interrompit-il gentiment, l’air
peiné. « Je ne suis pas son ennemi, Minerva. Ni le vôtre, d’ailleurs. »

Elle prit cette déclaration, qu’elle pensait au demeurant sincère, avec une pincée de sel. La
manière dont Albus s’opposait au Maître des Potions dès qu’Harry était concerné lui laissait
penser que la vie privée du Mangemort ne le concernait pas tant qu’elle n’entrait pas en
conflit avec ses mystérieux plans.

Elle balaya cette réponse d’un revers de main.

« Peut-être faisons-nous une montagne d’un rien. » décréta-t-elle. « Rien ne prouve qu’il se
passe quoi que ce soit entre eux. »

Severus avait, après tout, nié en bloc. Elle n’aurait pas été particulièrement surprise
d’apprendre qu’il avait menti, toutefois. Il était également possible qu’ils soient simplement
en train d’échanger des informations à propos de l’espion.

« Rien, en effet, si ce n’est une intuition quasiment infaillible. » admit Albus.

Elle leva les yeux au ciel et entreprit de terminer son gruau.

« Quelques fois, je croirais entendre Guilderoy Lockart. » se moqua-t-elle.

Il en resta sans voix.

°°O°°O°°O°°O°°

Draco n’avait pas fait trois pas hors du bureau de Slughorn que Granger l’accostait, sans
grande discrétion.

Les deux garçons adossés au mur, quelques mètres plus loin ne l’étaient pas davantage.

Il en leva presque les yeux au ciel. À quoi bon l’envoyer, lui, en mission secrète – dont il ne
connaissait, au demeurant, ni les tenants ni les aboutissants – si c’était pour immédiatement
tout gâcher en piétinant à grands coups de sabots tout Gryffondor le patient et ingénieux
travail qu’il venait d’accomplir ?

« Alors ? » s’enquit Granger. Elle se balançait légèrement sur la plante des pieds, incapable
de tenir en place, comme une enfant impatiente.

« Alors, la plupart des filles se contenteraient d’un bijou. » répliqua-t-il.

Lorsqu’elle était venue le trouver, plus tôt dans la journée, avec cette requête farfelue, Draco
avait tout d’abord cru qu’elle plaisantait. Persuader Slughorn de reformer son club ? Il aurait
peut-être applaudi l’initiative si elle avait eu davantage à voir avec une quelconque
démonstration d’ambition et moins avec les besoins mystérieux d’Harry Potter.
Elle n’avait rien dit mais il n’y avait qu’à observer le trio depuis quelque temps pour deviner
que quelque chose se tramait.

Le Club de Slug semblait, toutefois, moins dangereux que de se lancer à la poursuite de


Sirius Black au Ministère de la Magie à dos de sombral. Draco avait donc cédé, espérant sans
trop y croire que quoi que les Gryffondors mijotaient, cela ne se terminerait pas en drame.

Il n’était pas certain de bien savoir ce qu’il ressentait face à ce retour en force de l’amitié que
partageait Weasley, Potter et Granger. La distance qui s’était installée entre eux, jusque là,
l’arrangeait.

« Je ne suis pas la plupart des filles. » rétorqua-t-elle.

« À qui le dis-tu. » lâcha-t-il, pince-sans-rire.

Elle parut hésiter, l’espace d’un instant, entre prendre la mouche et accepter le compliment
formulé à demi-mots pour ce qu’il était. Non, elle n’était pas comme la plupart des autres
filles mais il préférait cent fois ses manies agaçantes et le courage dont elle faisait preuve en
toute chose aux démonstrations étouffantes de Pansy ou à l’expression boudeuse de Daphné
lorsque Blaise ne se dépêchait pas d’abonder dans son sens.

Granger exhalait de pureté.

Peut-être était-ce ce qui l’attirait, au fond.

Elle était tout ce qu’il ne pourrait, voudrait, jamais être : courageuse, loyale jusqu’au point de
non retour, désespéramment déterminée à être du bon côté de l’Histoire…

« L’idée fait son chemin. » déclara-t-il finalement, dans un haussement d’épaules faussement
détaché. « Laisse lui quelques jours. »

Un sourire ravi étira les lèvres de la lionne sans que Draco parvienne à y trouver du plaisir. Il
espérait véritablement qu’ils ne manigançaient rien de dangereux.

Il écarta de son visage les mèches incontrôlables dans un geste tendre qu’il ne parvint pas à
maîtriser malgré les regards scrutateurs de Potter et Weasley.

« Je suppose que tu ne veux toujours rien me dire ? » s’enquit-il, avec une irritation certaine.

C’était lui qui lui avait demandé de ne pas mentir.

Il n’avait pas prévu que ne pas savoir serait pire que tous les mensonges dont elle aurait pu le
bercer.

Elle pressa un baiser contre ses lèvres, doux mais quelque peu amer.

« Merci. » souffla-t-elle.

Il devrait s’en contenter, comprit-il.


°°O°°O°°O°°O°°

Le bruit du transplannage résonna dans la nuit, rapidement avalé par les moteurs de voitures
et le brouhaha qui régnait à tout heure dans la capitale. Tonks s’accorda quelques secondes
pour étudier son nouvel environnement, enfonçant instinctivement les mains dans les poches
de son blouson pour les réchauffer. Jamais encore, on avait vu un printemps aussi froid. On
serait cru en janvier ou en février et certainement pas fin avril.

Elle se tenait sur le toit du consulat français et la vue, sans être spectaculaire, était
suffisamment intéressante pour qu’elle s’autorise à la contempler un instant. La lumière des
réverbères se reflétait sur les vitres des bus rouges à deux étages qui se succédaient
inlassablement dans la rue en dessous. Le Muséum d’Histoire Naturelle, enfin délaissé par les
touristes, se tenait droit dans la nuit, les flèches des deux tours encadrant l’entrée se perdant
dans la noirceur du ciel nocturne.

Tonks aimait Londres.

Londres était une entité à part entière, la ville respirait, quelque fois anarchique, quelque fois
léthargique. Elle aimait ce rythme, elle aimait cette ambiance. Cela ne la dérangeait jamais de
déambuler des heures durant dans les rues, sans véritable but.

Du moins, cela ne la dérangeait pas quand elle n’avait pas passé la journée à travailler et
qu’elle avait accumulé suffisamment de sommeil la nuit précédente.

Ses joues rougirent et elle prétendit que c’était dû au vent mordant qui était encore plus froid
en hauteur qu’il ne l’était au sol.

Prudemment, elle se glissa jusqu’au jeune homme accroupi derrière une bouche d’aération,
hors de vue des passants, occupé à scruter les alentours immédiat du musée à l’aide d’une
paire de multiplettes. Elle s’accroupit à côté de lui, l’avertissant de sa présence en posant la
main sur son épaule.

« C’est la relève. » lança-t-elle, avec plus d’entrain qu’elle n’en ressentait. La perspective de
passer une bonne partie de la nuit à surveiller le Muséum dans la crainte, ou l’espoir, qu’il se
passe quelque chose ne lui faisait que très peu envie.

Charlie posa ses multiplettes et tourna vers elle un regard soulagé.

« Enfin ! » s’exclama-t-il. « Je meurs de faim. »

Elle leva les yeux au ciel et tira une barre chocolatée de sa poche. Les yeux bleus de son ami
s’illuminèrent de joie. Il échangea le snack contre un baiser sonore sur sa joue.

« Tu es la meilleure, ma nymphe ! » décréta-t-il, avant de croquer à pleines dents dans la


barre chocolatée. Il lui tendit les multiplettes et s’adossa à la bouche d’aération, visiblement
heureux de pouvoir étendre ses jambes.

« Où est Anthony ? » demanda-t-elle, curieuse de ne pas apercevoir le petit-ami de Charlie


tout en sachant qu’il ne pouvait pas être bien loin.
Il désigna vaguement le toit d’à côté. Le consulat occupait toute une rangée de maisons
mitoyennes et, effectivement, après quelques secondes, elle fit par apercevoir la silhouette
d’Anthony tapie derrière le rebord. Il la salua d’un geste de la main qu’elle lui rendit.

« Quelque chose à signaler ? » s’enquit-elle.

Elle jeta un coup d’œil distrait dans les multiplettes. Cromwell Road était loin d’être déserte.
Sans être envahie de touristes comme elle l’était tout au long de la journée, il y avait
suffisamment de gens vaquant à leurs occupations pour qu’une surveillance aussi pointue que
celle qu’Albus avait exigée paraisse superflue.

Outre les deux personnes positionnées sur le toit à tout moment, il y en avait deux autres
postées plus loin, sur Exhibition Road. Beaucoup de moyens déployés pour pas grand-chose.
Ils gardaient un œil sur le musé depuis la veille et, pour l’instant, il ne s’était pas passé grand-
chose.

« Tu parles. » se moqua Charlie, dans un haussement d’épaules. « Encore une connerie de


Snape. Qu’est-ce que des Mangemorts viendraient foutre dans un musé moldu ? Admirer les
dinosaures ? »

« Ce n’est pas sa faute. » répondit-elle, légèrement sur la défensive. « Il rapporte ce qu’il


trouve. »

« Il ne rapporte pas grand-chose et il nous fait perdre beaucoup de temps. » rétorqua-t-il, en


terminant la barre chocolatée d’un dernier coup de dents. « Qui dit qu’il ne le fait pas
exprès ? Pendant qu’on est là à se geler les fesses, tu peux être sûre que les Mangemorts sont
occupés à tout autre chose. »

« Arrête. » ordonna-t-elle froidement. « Severus n’est pas un traître. »

Surpris par la véhémence de l’attaque, Charlie fronça les sourcils. Elle vit la multitude de
questions se bousculer dans sa tête. Il la connaissait trop bien. Elle courba le dos, s’engonçant
davantage dans son blouson, et colla les multiplettes sur son visage, feignant de s’intéresser à
ce qui se passait en face.

« Severus. » remarqua-t-il. « Je ne savais pas que vous vous appeliez par vos prénoms. »

Elle préféra ne pas répondre.

« J’ai surpris une conversation intéressante entre Snape et McGonagall l’autre jour. » insista
Charlie, sur le ton de la plaisanterie.

Il n’en dit pas davantage mais Tonks n’y tint plus. Elle lâcha les multiplettes et le fusilla du
regard. Charlie était son meilleur ami. Elle lui disait tout. Et, jusqu’à présent, la seule chose
qu’elle ne lui ait jamais dissimulé était le fait qu’un espion rôdait parmi eux.

« J’ai couché avec lui. » lâcha-t-elle. « C’est ce que tu veux savoir ? »

Il éclata de rire, manquant probablement de discrétion vu le coup d’œil que leur jeta Anthony.
Il était trop loin pour entendre leurs paroles mais même le bruit de la ville n’aurait pu noyer
le rire de Charlie.

Elle pinça les lèvres avec agacement, rouge jusqu’à la racine des cheveux et s’efforça de ne
pas perdre prise sur ses dons de Métamorphomage. Elle parvenait lentement à en reprendre le
plein contrôle mais ses cheveux avaient toujours eu tendance à changer de couleur sans son
accord lorsqu’elle éprouvait des émotions fortes. Voilà encore quelque chose qu’elle lui avait
caché, songea-t-elle à regret, le fait qu’elle parvienne à nouveau à se transformer à loisir.

« Non, sérieusement… » haleta Charlie, entre deux gloussements. « Qu’est-ce qui se


passe ? »

Elle se rendit compte qu’il ne la croyait pas.

« J’ai couché avec Severus. » répéta-t-elle plus fermement. Elle garda ses yeux sur le
bâtiment opposé, le seul signe trahissant sa nervosité était le léger tremblement de ses mains.
« Plusieurs fois. »

L’éclat de rire s’arrêta tout net.

« Tu plaisantes ? » s’enquit-il avec hésitation, comme s’il s’attendait à tout moment à ce


qu’elle s’exclame que tout ça était une bonne plaisanterie comme ils aimaient parfois à s’en
jouer.

Elle s’humecta les lèvres mais il fallut qu’il abaisse les multiplettes presque de force pour
qu’elle le regarde en face.

« Ce n’est pas vraiment sérieux… » se défendit-elle. « C’est juste… » Elle haussa les
épaules, ne sachant pas comment terminer sa phrase. Elle rechignait à mettre un terme sur ce
qu’elle faisait avec le Professeur de Potions. Cela aurait été ou trop cru ou trop faible. Elle
n’avait pas très envie d’y apposer une définition. « Garde-le pour toi. »

Charlie l’observait avec une attention accrue.

« Et Remus ? » s’enquit-il prudemment.

Avec un mouvement d’humeur, elle écarta ses cheveux de son visage d’un coup de tête et
porta à nouveau les jumelles magiques à ses yeux.

« Remus n’a rien à voir là dedans. » décréta-t-elle.

« Si tu es sûre… » hésita son meilleur ami. Il attendit quelques secondes puis un sourire
espiègle lui étira les lèvres. « Et alors ? Il vaut quoi au lit ? »

« Charlie ! » siffla-t-elle, rouge comme une écrevisse.

Il aurait probablement continué à la taquiner si un raclement de gorge n’avait pas retenti


derrière eux. Ils sursautèrent en même temps, tirant leurs baguettes d’un mouvement brusque.
Ils les abaissèrent lorsqu’ils aperçurent Nyssa dans l’ombre.

« Désolée de vous interrompre. » offrit la vampire. « Je viens vous relever. »


« Tu peux prendre la place d’Anthony. » suggéra Charlie avec un sourire.

Nyssa approuva d’un hochement de tête, jetant un coup d’œil curieux à Tonks au passage.
Anthony et Charlie ne s’attardèrent pas beaucoup plus.

La jeune Auror se terra entre le muret et la bouche d’aération, dissimulée sous un sortilège de
désillusion pour faire bonne mesure. Les multiplettes restèrent rivées sur le bâtiment d’en
face mais ses yeux gris ne cessaient de dériver sur le toit d’à côté.

Elle ne parvenait pas à apercevoir Nyssa, la vampire ayant un don naturel pour se fondre dans
l’ombre. Depuis combien de temps s’était-elle tenue là et qu’avait-elle entendu ?

Rien ne l’accusait véritablement si ce n’étaient les soupçons de Severus. Tonks était mal à
l’aise à l’idée de la soupçonner, plus, peut-être, qu’elle ne l’avait été en soupçonnant Bill.
Elle connaissait Nyssa depuis moins longtemps mais elles avaient brièvement partagé son
appartement et elles étaient devenues amies. Le temps nécessaire à une enquête approfondie
leur avait manqué. Severus était pris par ses recherches et son propre travail l’accaparait
dernièrement. Le tout était, par ailleurs, compliqué par la nature de Nyssa. Qu’importe
l’apparence que Tonks prendrait, la vampire la démasquerait au bout de quelques secondes
grâce à ses sens hyper-développés. Tenter de la filer était voué à l’échec et ne ferait que
provoquer sa méfiance.

Distraite par ses pensées, elle manqua presque le mouvement furtif aux abords du musé, un
peu après minuit.

°°O°°O°°O°°O°°

Sirius fumait ses cigarettes à la chaine, dissimulé dans le renfoncement en pierre d’une des
nombreuses entrées du Victoria and Albert Museum. Adossé au mur, sous un sort de
désillusion, il gardait les yeux rivés sur les bâtiments modernes attenants au Muséum
d’Histoire Naturelle. La vue n’était pas idéale, mais c’était le poste d’observation qui avait
été choisi et il devait s’y tenir. Plus tard, lorsqu’il aurait terminé sa cigarette, Patmol irait
faire un tour plus près.

Exhibition Road était pratiquement déserte, les groupes de passants se raréfiant à mesure que
la nuit progressait.

Il repéra immédiatement l’homme engoncé dans un manteau élimé qui se dirigea droit vers
lui, après avoir jeté un bref coup d’œil à l’affiche placardée sur le mur, vantant les mérites de
la dernière exposition en date.

« Tu es retard. » grommela-t-il, avant de tirer à nouveau sur sa cigarette. Il étudia les traits
tirés de son meilleur ami qui, pourtant, ne semblait plus aussi fatigué que par le passé. Depuis
que cette histoire de meute avait commencé, Remus semblait déborder d’énergie. Le loup-
garou avait bien tenté de lui expliquer qu’il s’agissait d’une magie propre à la meute elle-
même mais l’Animagus n’avait écouté que d’une oreille distraite, toujours récalcitrant à
entendre parler de cette histoire. « Comment va Laura ? » s’enquit-il, tout de même.
Ils avaient caché la jeune femme dans un cottage que Dumbledore possédait sur la côte.
L’endroit était isolé et aussi bardé de sortilèges que possible. Les chances qu’on la retrouve
étaient minces et, si ce n’était l’isolation forcée, elle n’y était pas trop mal installée d’après ce
que Sirius avait compris. Remus lui rendait visite aussi souvent que possible.

« Bien. » répondit Remus. « Désolé d’être en retard, je suis repassé par le Square
Grimmaurd. »

Sirius haussa les épaules. « Aucune importance. »

Leurs relations étaient toujours quelque peu tendues et le fait que sa cousine paraissait éviter
au maximum le Q.G. dernièrement ne contribuait pas à améliorer les choses.

« Rien à signaler ? » demanda le loup-garou, en désignant le musé d’un geste de la tête.

« Pas plus que d’habitude. » lâcha-t-il. « Calme plat. »

Cela faisait quelques jours qu’ils surveillaient le musé sans trop bien savoir pourquoi mis à
part que Snape avait rapporté que Voldemort paraissait s’intéresser de très près aux pierres
précieuses dernièrement. À sa connaissance, c’était Albus qui avait décidé de placer le
Muséum d’Histoire Naturelle sous surveillance et pas le Mangemort, un fait que beaucoup
des membres de l’Ordre ne semblait pas avoir saisi.

L’Animagus avait depuis longtemps appris à se méfier des coups de poker du Directeur.

Il termina sa cigarette et l’écrasa d’un coup de talon.

« Je vais faire le tour du périmètre. » déclara-t-il.

Il quitta l’abri qu’offrait le porche du musé sur ses quatre pattes, la langue pendante, heureux
de sentir le vent frais ébouriffer sa fourrure.

Il ne remarqua pas l’éclat argenté dans son dos annonçant l’arrivée d’un Patronus en forme de
loup.

Il se coula dans l’ombre, trouva un coin tranquille, se ramassa sur lui-même et franchi la
courte grille d’un bond avant de trottiner en direction du bâtiment central. Il en ferait le tour,
décida-t-il, et ensuite…

Une main s’abattit sur lui, agrippant la peau à l’arrière de sa nuque. Il voulut faire volte-face,
mordre cet assaillant imprévu, mais une seconde main lui emprisonna la mâchoire. Il se
détendit à peine lorsqu’il réalisa qui le tenait. Une fois certaine qu’il avait compris ce qu’elle
attendait de lui, Nyssa relâcha sa prise.

« Il n’y en a que trois. » murmura la vampire, si bas que le murmure se confondit presque
avec le sifflement du vent. « Ils sont en train de détruire les alarmes Moldus. Tonks veut
qu’on les intercepte avant qu’ils n’entrent dans le musée. Elle reste sur le toit, toi et moi on
va les rabattre sur Remus. »
Patmol hocha la tête en guise d’assentiment et ils s’enfoncèrent à nouveau dans l’ombre. Sa
fourrure sombre se fondait parfaitement dans l’obscurité et si ce n’était pour l’éclat de ses
yeux, il était indétectable. Nyssa, c’était encore tout autre chose. Elle ne se fondait pas dans
l’ombre, elle devenait presque ombre, comme si la nuit l’embrassait et épousait tout son
corps.

Certaines légendes appelaient les vampires enfants d’Hécate, d’autres enfants de la nuit…
Sirius commençait à penser qu’il n’avait pas encore vu Nyssa utiliser toutes les ressources à
sa disposition. Il en avait eu un aperçu au Ministère, lors de la Nuit des Ténèbres, mais un
vampire était une véritable machine à tuer, de la même manière qu’un loup-garou pouvait
l’être, et il était sur le point de recevoir une leçon en la matière.

Ils repérèrent les Mangemorts très facilement. Trois, en effet, comme elle l’avait dit. Tous
masqués et capuchonnés. Deux d’entre eux portaient des masques simples, blancs et lisses,
qui réfléchissaient la lumière. Le troisième masque était fait d’ivoire, délicatement ouvragé,
et terriblement familier.

La vanité te perdra, Lucius, songea Sirius.

Ils se mirent en position, Nyssa se plaça à quelques mètres à sa gauche, et Sirius se tapit au
sol. Lucius avait presque désactivé toutes les alarmes – on ne pouvait nier que les Moldus
étaient consciencieux de ce côté-là – lorsque Nyssa émit un bref sifflement, à peine audible
pour ses oreilles canines. Les Mangemorts ne l’entendirent pas. Le loup-garou situé à l’autre
bout du musé, oui. S’il n’avait pas eu les yeux rivés dans cette direction, il aurait raté la brève
lueur qui alerta Tonks, sur le toit, qu’ils étaient prêst à passer à l’attaque.

Nyssa et Sirius s’élancèrent dans un même grondement.

La vampire était rapide mais l’Animagus était astucieux. Il referma ses crocs sur Mangemort-
inconnu-numéro-un pendant que Nyssa plantait les siens dans le cou de Mangemort-inconnu-
numéro-deux. L’adversaire de la jeune femme s’écroula dans un cri, celui de Sirius se
débarrassa de lui d’un violent coup de bras qui envoya le chien voler. Ce fut un homme qui se
ramassa en roulé-boulé et dressa un protego hâtif qui fut à peine suffisant à dévier le maléfice
que Lucius lança vers lui.

Il fut projeté plus loin.

Mangemort-inconnu-numéro-deux semblait inconscient mais Mangemort-inconnu-numéro-


un avait engagé Nyssa dans un combat qui paraissait peu équitable. L’homme lançait boule
de feu sur boule de feu et la vampire esquivait sans réelle difficultés mais sans parvenir à se
rapprocher non plus. Lucius envoya valser toute prudence et força les portes du musé à
s’ouvrir d’un sort, tuant le garde Moldu qui se précipita, un révolver à la main. Il ne parvint
pas à pénétrer dans le bâtiment cependant, il rentra en collision avec un sortilège de
protection si puissant qu’il rebondit en bas des marches. Visiblement, sa cousine avait appris
de nouveaux tours.

Sans perdre, une minute, Sirius sauta le muret et lança immédiatement un sort que Lucius
para d’un revers de bras négligeant. Sous le masque, il devinait que les yeux gris cherchaient
l’ennemi dissimulé qui avait lancé le sort de protection. L’Animagus lança sort offensif sur
sort offensif sans jamais mettre le Sang-Pur en difficulté, Lucius paraissait à peine lui prêter
attention.

Dans son dos, Nyssa hurla et Sirius fit volte-face, oubliant toute notion de prudence.

Sa manche avait pris feu.

Et les vampires étaient presque invincibles mais ils n’étaient pas immunisés contre les
flammes.

« Nyssa ! » cria-t-il, se précipitant vers la vampire. « Aguamenti ! »

Du coin de l’œil, il aperçut ce qui se joua dans son dos. Remus courrait vers eux, le plan
initial à l’eau, et jeta un sort à Mangemort-inconnu-numéro-un avant que ce dernier n’ait pu
les achever d’un Avada. Quant à Lucius, il leva sa baguette et grogna presque de satisfaction
lorsqu’un sort s’écrasa sur son bouclier. Il leva les yeux vers les bâtiments d’en face et, avant
que Sirius ou Remus n’ait pu faire quoi que ce soit, il avait transplanné.

Nyssa avachie dans ses bras, Sirius ne pouvait rien faire d’autre que tirer la vampire à l’abri
pour l’instant, laissant à Remus le soin de les couvrir.

Il devait faire confiance à Tonks pour s’en sortir seule.

°°O°°O°°O°°O°°

À la seconde où elle vit le Mangemort disparaître, Tonks devina qu’elle allait avoir des
ennuis.

Abandonnant toute notion de prudence, elle bondit sur ses pieds, ignorant ses jambes
engourdies et se retourna juste à temps pour bloquer un maléfice qui la fit reculer de deux
pas. L’arrière de ses genoux butta contre le rebord du toit.

L’identité du Mangemort n’était pas un secret. La capuche avait été légèrement repoussée par
son combat contre Sirius et on devinait les longs cheveux blonds qu’elle dissimulait. La
baguette, également, était tout à fait reconnaissable.

« Inutile que je vous suggère de vous rendre, n’est-ce pas ? » lança-t-elle, pince-sans-rire.

Pour seule réponse, Lucius fouetta l’air de sa baguette. Elle eut à peine le temps de dresser un
bouclier – pas ceux, standards, qu’on lui avait appris lors de sa formation mais un plus
puissant, plus aléatoire aussi qu’elle n’avait jeté pour la première fois que quelques minutes
auparavant sur l’entrée du musé. Un mur bleuté scintilla quelques secondes entre eux.

« Intéressant. » commenta Lucius, en inclinant la tête. « J’ignorais que Severus partageait ses
inventions avec le reste de l’Ordre. »

Elle se força à rester de marbre, refusant de mordre à l’hameçon et chassant de sa tête les
images de la main du Maître des Potions guidant la sienne dans les airs tandis que sa baguette
traçait des arabesques compliquées. Ce n’était ni le moment de penser à cela, ni le moment de
se rappeler la manière dont ses doigts avaient quitté son poignet, une fois certain qu’elle
maîtrisait le sort, pour remonter le long de son bras et…

« Stupefix ! » cria-t-elle.

Le sortilège fut dévié d’un coup de baguette nonchalant. Il para, de même, tous les autres
sorts qu’elle lança sans sembler se fatiguer. Il l’étudiait, finit-elle par comprendre, ses forces,
ses faiblesses… Il l’étudiait.

« Ah, je crois que vos amis ont eu raison de Vicar. » remarqua-t-il, le regard fixé derrière elle.
« Il est regrettable que vous ayez choisi le mauvais camp, ma très chère nièce. Pour une
Sang-Mêlée, vous avez du potentiel. »

Elle était prête à se jeter au sol pour éviter un Avada mais le sortilège que lança Lucius la prit
de court. Il lui fit l’effet d’un coup de poing à l’estomac et la projeta en arrière.

Elle battit stupidement des bras comme un oiseau prêt à l’envol.

Durant une brève seconde, elle espéra pourvoir se rattraper.

Lucius disparut et Remus apparut dans le même temps.

Leurs regards s’accrochèrent.

Pas leurs mains.

Le souffle coupé, Tonks bascula dans le vide.

La chute lui parut interminable.


The Bullet We're Running From

“… the bullet we’re running from is almost never the one that hits us.”

Toby Barlow, Sharp Teeth

“…la balle que l’on fuit n’est pratiquement jamais la même que celle qui nous abat.”

Toby Barlow, Sharp Teeth

Remus remporta son duel contre le Mangemort d’un revers de baguette presque violent.
Sirius vit l’homme s’écrouler du coin de l’œil, son attention partagée entre la brûlure de
Nyssa qu’il s’efforçait de soigner, le duel dans lequel son meilleur ami s’était lancé et le toit
où Tonks se trouvait, sur lequel il devinait à peine les deux silhouettes dans la nuit noire.
Celle, plus menue, de la jeune femme était trop près du bord à son goût.

« Va l’aider. » siffla Nyssa, en suivant son regard. « Je m’en sortirai. Va l’aider. »

Trop tard, pourtant. À peine avait-il ligoté son adversaire d’un sort que Remus avait disparu
dans un craquement sonore.

L’Animagus eut à peine le temps de se lever.

Tonks bascula dans le vide.

Il était trop loin. Une dizaine de sorts lui traversèrent l’esprit mais il s’arrêta sur le seul qui
avait une chance de la sauver.

« Arresto Momentum ! » hurla-t-il, sa baguette fouettant l’air avec désespoir.

Ce sort demandait une puissance magique hors du commun. Une puissance que Sirius ne
possédait pas. À sa connaissance, seul Dumbledore et quelques rares autres sorciers parvenait
à le lancer en Grande-Bretagne.

Le temps ne s’arrêta pas.

Mais il ralentit suffisamment pour que Remus ait le temps de se pencher et de beugler à son
tour la formule. Ils parvinrent à contrôler la chute de la jeune femme suffisamment pour
qu’elle ne s’écrase pas aussi violemment qu’elle ne l’aurait dû.

Elle heurta tout de même le pavé avec une certaine brutalité et y resta prostrée.

Sirius se plia en deux, le souffle court et le visage trempé de sueur. Nyssa s’élançait déjà en
direction de leur amie et, après quelques secondes passées à avaler goulument l’air froid, il se
força à l’imiter, ignorant ses jambes en coton. Au loin, pas si loin à vrai dire, il entendait déjà
le bruit des sirènes des voitures de police Moldu.
Il rejoignit les jeunes femmes au moment où Remus transplannait près d’elles. Lui non plus
n’avait pas l’air de bien tenir sur ses jambes.

Tonks s’était assise et faisait jouer l’articulation de son épaule en grimaçant.

« Tu vas bien ? » s’inquiéta immédiatement le loup-garou, en s’agenouillant près d’elle. Il


tendit la main vers son visage mais elle esquiva, les sourcils froncés.

« Je n’ai rien. » répondit-elle, plutôt froidement. « Merci. »

« Il faut dégager. » décréta Sirius alors que le bruit des sirènes augmentait. « Je vais aller à
Poudlard. Quelqu’un doit prévenir Dumbledore. Et il faudrait s’occuper de nos
prisonniers… »

« Je t’accompagne. » déclara aussitôt l’Auror, en se remettant prudemment debout. Elle


chancela et sans l’aide de Nyssa qui la stabilisa, elle se serait probablement retrouvée à
nouveau par terre.

« Tu viens de tomber d’un immeuble. Tu as besoin de repos et que quelqu’un t’examine. »


contra Remus, sur le champ. « Tu... »

« Je ne t’ai pas demandé ton avis. » rétorqua-t-elle, en se tournant vers son cousin. « Je
t’attends à Pré-au-Lard. Vers Les Trois Balais ? »

Sirius approuva d’un hochement de tête, partageant l’avis de son meilleur ami mais peu
enclin à se faire sermonner. Elle disparut avant que quiconque n’ait pu dire quoi que ce soit.
Avec une grimace d’excuse pour le loup-garou, il haussa les épaules.

« Soigne ce bras. » ordonna-t-il à la vampire.

Il transplanna avant qu’elle n’ait pu, elle aussi, lui intimer de s’occuper de ses affaires.

Transplanner si tôt après avoir utilisé un sortilège aussi puissant n’était pas une excellente
idée. Pour ne pas dire qu’elle était très mauvaise. Il eut à peine le temps de distinguer les
murs familiers de la ruelle derrière Les Trois Balais qu’il se pliait en deux et rendait le
contenu de son estomac.

« Ça va ? » s’inquiéta Tonks.

Elle ne paraissait pas très en forme elle-même mais, au moins, tenait-elle debout.

Il inspira et expira longuement plusieurs fois, attendant que les crampes qui lui retournaient
l’estomac s’espacent suffisamment avant de se redresser. Il combattit vaillamment la
sensation de vertige et lui adressa un sourire crispé.

« Jamais été mieux. » lâcha-t-il. « S’il te plait, évite de retomber d’un toit à l’avenir parce que
ce sortilège n’est vraiment pas agréable. »

Son visage se tordit en une grimace contrite.


« Désolée. » offrit-elle. « Et merci. Vraiment. » Elle passa son bras autour de sa taille
d’autorité, le soutenant à moitié malgré ses propres jambes flageolantes. « Il te faut du
sucre. » décréta-t-elle. « Et peut-être un verre de whiskey, je ne cracherai pas sur un verre non
plus, à vrai dire. Je suis sûre que Dumbledore a ça en stock. »

Sirius préféra garder le silence, principalement parce qu’il n’était pas certain de ne pas être à
nouveau malade s’il ouvrait la bouche.

Encore fallait-il qu’ils parviennent jusqu’à Poudlard.

°°O°°O°°O°°O°°

La Marque lui faisait l’effet d’un acide lui rongeant la chair – ce n’était jamais bon signe.

Lorsque Severus tranplanna, sa main gauche était crispée, les doigts presque engourdis par
l’effort que ne pas serrer le poing pour combattre la douleur lui coûtait. Il était tard pour une
réunion classique, trop tard. Et le fait que la Marque se soit soudain mise à brûler au milieu
de la nuit alors qu’il était penché sur un tas de copies qu’il avait négligé trop longtemps était
de mauvais augure.

Le champ dans lequel il atterrit était immense, l’emplacement de la réunion était délimité par
des torches plantées dans le sol, léchées d’un feu vert sombre aussi profond que celui d’un
sort de mort, et qui, non contentes d’éclairer la scène d’ombres inquiétantes, servaient
également à empêcher quiconque de les localiser.

De nombreux Mangemorts étaient déjà rassemblés, chuchotant à voix basse, tournés en


direction du trône sombre que Severus distinguait à peine au loin. Les rangs de l’armée du
Seigneur des Ténèbres s’étaient agrandis en son absence. Il aurait été incapable de dire qui se
dissimulait derrière la moitié des masques blancs qui l’entouraient.

Les discussions se turent lorsqu’il rejoignit la masse de sorciers, la foule s’écarta, laissant un
chemin large et net jusqu’au trône sur lequel Lord Voldemort était assis.

L’impression qu’il était le dernier arrivé s’accrue.

La certitude que la mise en scène était à dessin également.

« Avance, Severus. » ordonna la voix froide et cruelle du mage noir. Ce n’était qu’un
murmure et pourtant il raisonna dans le champ comme un coup de tonnerre.

Severus s’avança.

Quel autre choix avait-il ?

Les cultures mortes craquaient sous ses pieds, pourtant il garda son pas assuré, ne s’autorisant
pas la moindre hésitation. Où que ses yeux se posent, il ne trouvait aucune silhouette
familière. Les masques lui étaient inconnus, certains étaient ouvragés, d’autres simples. Il
avait des difficultés à respirer derrière son propre masque et il s’exhorta au calme, ignorant la
sueur qui perlait à son front.
Il avait un mauvais pressentiment.

« Maître. » offrit-il avec autant de déférence que possible, en s’agenouillant au pied du trône.

Le serpent lové non loin de là leva la tête et le fixa de son regard froid, semblant n’attendre
qu’un ordre pour faire de lui son prochain repas. Sur la droite, sans masque, Bellatrix le
dévisageait avec tout autant d’impatience. Sur la gauche, à l’abri derrière les arabesques
ouvragées de l’ivoire polie, Lucius se tenait droit, impassible. Et sur le trône, face à lui…
Severus n’osa pas lever la tête sans y être invité. Quoi qu’il se passe, la marge de manœuvre
serait fine, la partie serrée.

« Severus… » lâcha le mage noir, presque aimablement. « Sais-tu que j’avais confié une
mission à Lucius ? Une mission à laquelle il a lamentablement échoué ? »

Les s sifflants lui faisaient l’effet de coups de fouets dans l’air : secs et cruels,
impardonnables. Il jeta un coup d’œil au Sang-Pur mais Lucius Malfoy ne tressaillit pas,
acceptant l’accusation avec fatalisme et dignité.

« Non, Maître. » répondit-il. « Je l’ignorais. »

« Étrange. » rétorqua le Seigneur des Ténèbres, dans un silence de plomb. « L’Ordre du


Phoenix paraissait au courant, lui. »

À l’abri derrière son masque, Severus ferma brièvement les yeux.

« J’ai mentionné que Vous vous intéressiez aux pierres précieuses, comme nous l’avons
discuté, Maître. » répondit-il prudemment. « Vous… »

« Silence. » exigea le mage noir, sans élever la voix. Il n’en avait pas besoin. « T’ai-je
ordonné de rapporter à Dumbledore que nous cherchions l’Œil de Salem? »

Comment aurait-il pu rapporter une information qu’il ne possédait pas ? Il n’avait rien dit à
Albus, il ne connaissait rien de la mission de Lucius et il n’avait qu’une très vague idée de ce
qu’était l’Œil de Salem.

Un choix s’offrait à lui. Un choix qu’il aurait préféré ne pas avoir à faire. Un choix qui
reposait sur un simple pari, une hypothèse. L’espion par lequel Dumbledore l’avait remplacé,
celui dont Severus soupçonnait l’existence, était-il le même que celui qui informait le
Seigneur des Ténèbres ? Était-il question d’un double jeu ou bien la situation était-elle plus
complexe ?

Severus tendait à penser qu’il s’agissait de deux personnes différentes. Les informations qui
filtraient d’un côté et de l’autre étaient trop précises pour qu’il en soit autrement et, dans les
deux cas, il était le parfait bouc émissaire.

Il pouvait soit hurler à l’espion ou taire ce qu’il devinait et protéger la source secrète de
Dumbledore.

« Non, Maître. » confirma-t-il avec prudence. « Vous ne me l’avez pas ordonné. »


Il vit, du coin de l’œil, Bellatrix tapoter impatiemment sa baguette contre sa cuisse et,
pourtant, il n’osa toujours pas lever les yeux. La terre était froide et gelée, dure sous ses
genoux.

« Dans ce cas, Severus… » siffla le Seigneur des Ténèbres. « La question se pose… Pourquoi
est-il au courant ? »

Pourquoi et non comment, nota-t-il.

Il garda le silence trop longtemps, cherchant désespérément une réponse qui ne serait pas un
arrêt de mort. Il avait vu trop d’hommes se faire froidement assassiner pour avoir émis une
parole qui avait déplut au mage noir. Il avait promis à Harry de se battre si une telle situation
se présentait, de tenter de s’échapper par n’importe quel moyen… Alors, bien sûr, l’idée de
bondir sur ses pieds et de sortir sa baguette lui traversa l’esprit. Elle était tellement risible,
toutefois, qu’il l’écarta immédiatement. Seul face à une armée, quelles étaient ses chances ? Il
n’était pas un Gryffondor, il n’était pas désespéré de mourir l’arme à la main. Avec dignité,
oui, peut-être, mais pas dans un dernier souffle de gloire.

« Peut-être tes priorités ont-elles changées… » reprit le Seigneur des Ténèbres. « Peut-être
as-tu désormais des loyautés plus pressantes que celles qui t’unissent à moi… »

« Maître, non ! » s’exclama-t-il immédiatement, alarmé. Être alarmé était la meilleure


attitude à avoir et il n’eut pas besoin de feindre la note de terreur dans sa voix. Harry, fut la
première chose qui lui vint à l’esprit, Il sait pour Harry. « Je Vous jure… » balbutia-t-il,
projetant toute la terreur qu’il pouvait ressentir à l’avant et enfouissant au plus profond de
son esprit tous les souvenirs positifs et tous les sentiments qu’il pouvait éprouver pour le
garçon. Si le mage noir découvrait qu’il aimait le Survivant comme un fils, la partie était
finie.

« Un parjure qui jure… » l’interrompit le Seigneur des Ténèbres, avec un amusement


méprisant. Une parodie étrange de celui, plus bienveillant, qu’aurait exprimé Dumbledore. Il
s’était toujours fait la réflexion que ses deux Maîtres étaient comme les deux faces d’une
même pièce, deux reflets de miroirs jumeaux.

La plaisanterie du mage noir déclencha quelques rires gras et forcés dans son dos.

« Maitre. » supplia Severus. « Ma loyauté Vous est acquise. Je n’aspire qu’à Vous servir. »

Il leva finalement la tête, sans oser croiser immédiatement le regard du sorcier qui présidait
sur son trône. Docilité, ferveur, reconnaissance, les vieille rancœurs qu’il nourrissait envers
Dumbledore, sa haine pour James Potter – quelque peu érodée désormais – et sa soif affaiblie
de pouvoir… Il garda tout cela à l’avant de son esprit, prêt à les utiliser comme autant
d’écrans de fumée pour mieux dissimuler la place qu’occupait Harry dans sa vie.

« Vraiment ? » s’enquit le Seigneur des Ténèbres, avec cette douceur cruelle qu’il mettait
toujours avant la frappe. « Il semble pourtant que tu te sois trouvé une distraction
dernièrement. Une distraction qui te lie davantage encore à l’Ordre que tu ne l’es déjà. Dis-
moi, Severus… Comment puis-je te faire confiance lorsque tu me mens ? »
« Je ne Vous mens pas, Maître. » déclara-t-il, prenant garde de prendre un air presque offensé.
« Quoi qu’on ait pu Vous rapporter… »

« Ainsi tu n’as pas formé d’attachements plus… intimes avec un membre de l’Ordre ? » le
mage noir insista-t-il, déclenchant une nouvelle salve de ricanements.

Tout son esprit tourné vers Harry, Severus ouvrit la bouche pour nier et la referma au dernier
moment.

Oh.

« Maître… » lâcha-t-il, en s’humectant les lèvres. La transpiration ruisselait désormais de son


front à ses joues. C’était un piège. Un piège grotesque qui crevait les yeux et il était tombé
droit dedans. « Ce n’est pas… »

« Oh, je crois qu’il s’agit exactement de ce que je pense. » décréta le Seigneur des Ténèbres.
« Après tout… Tu as toujours eu un faible pour les Sang-de-Bourbes. »

Lily était son point faible et il eut tout le mal du monde à dissimuler la vague de haine qui
s’abattit sur lui.

« C’est une Sang-Mêlée. » s’entendit-il arguer, d’un ton trop défensif. L’amusement du mage
noir était perceptible. « Sa mère est une Black. »

« Sa mère est une traître à son sang. » cracha Bellatrix. « Et quand bien même. Elle… »

« Si je puis me permettre… » intervint Lucius, guettant l’approbation du Seigneur des


Ténèbres avant de poursuivre, une approbation qui fut accordée d’un geste paresseux de la
main. « Elle est prometteuse. Et si les goûts d’Andromeda sont douteux, Nymphadora n’en
reste pas moins une Black. Certes d’une branche souillée de la lignée mais cela reste un
héritage plus prestigieux que celui dont bon nombre de sorciers peuvent se targuer de nos
jours. Peut-être la fille ne partage-t-elle pas les mêmes convictions que la mère… »

Severus savait ce qui suivrait et l’intervention de Lucius lui donna à peine suffisamment de
temps pour enfouir au fond de son esprit ce qu’il ne voulait absolument pas que le Seigneur
des Ténèbres découvre : l’espion. Cela était top intrinsèquement lié à sa relation avec
Nymphadora, trop confus, trop…

Le regard du Seigneur des Ténèbres croisa le sien et Severus serra les dents contre la douleur,
n’opposant aucune résistance visible à la volonté de fer qui broyait son esprit, fouillant le
moindre recoin de sa tête. Il était vaguement conscient que Bellatrix et Lucius se disputaient
froidement, l’une souhaitant assassiner sa nièce au plus vite, l’autre insistant sur le fait
qu’une nouvelle recrue à fort potentiel ne serait pas négligeable.

Severus ne parvenait pas à respirer.

Il y avait trop de secrets dans sa tête, trop de choses qu’il devait absolument dissimuler à
l’esprit avide du mage noir. Il ne fallut qu’une poignée de secondes au Seigneur des Ténèbres
pour passer au travers des couches préventives d’amertume et de souvenirs insignifiants. Aux
abois, Severus se jeta sur le reste : la méfiance qu’il éprouvait envers Lupin, les réactions de
plus en plus exagérées du loup-garou lorsque la jeune femme était dans les parages, la
morosité inhabituelle de Nymphadora et sa curiosité face à ce changement… Il projeta et
projeta encore, tous les souvenirs récents et inoffensifs qui concernaient l’Auror, découvrant
des choses dont il n’avait pas été conscient lui-même jusque là. Des regards qui s’attardaient
sur elle lorsqu’il était certain que personne ne l’observait, une attirance qu’il peinait à
s’avouer à lui-même, une fascination presque amusée pour sa pureté, sa droiture et sa
loyauté…

Le reste, il ne fallut pas longtemps au Seigneur des Ténèbres pour le dénicher. S’il avait pu, il
aurait fermé les yeux d’humiliation. Sa dignité, il y avait renoncé quand il avait pris la
Marque, mais il y avait des choses… Le désir était peut-être une des rares émotions que le
mage noir pouvait comprendre, cependant Severus aurait préféré qu’il s’en amuse un peu
moins. Les souvenirs intimes, trop intimes, lui furent arrachés et examinés sans qu’il n’ait
son mot à dire. Il aurait aimé protéger sa dignité à elle à défaut de la sienne, pourtant il resta
là, sans chercher seulement à se défendre, attendant que l’orage passe. Mieux valait ces
souvenirs là que les autres.

Lorsqu’il eut trouvé ce qu’il cherchait : la certitude que Nymphadora Tonks ne changerait
jamais de camp, le Seigneur des Ténèbres se retira.

Severus bascula vers l’avant comme un pantin auquel on aurait coupé ses fils, parvenant à
peine à se rattraper sur ses mains.

« Tu es conscient que Bellatrix m’a réclamé sa tête ? » s’enquit le mage noir, coupant court à
la dispute entre ses deux lieutenants.

« Oui, Maître. » souffla-t-il, le cœur au bord des lèvres.

« Le moment venu, quel choix feras-tu ? » s’enquit le Seigneur des Ténèbres.

Il n’y avait pas de bonne réponse à cette question.

« Celui que Vous m’ordonnerez, Maître. » lâcha-t-il. « Elle ne représente rien. Un


amusement, sans plus. »

« C’est heureux étant donné que Lucius l’a probablement tuée. » ricana le mage noir. « Il
n’est certain de rien, bien entendu, l’échec semble être son mot d’ordre cette nuit…
Toutefois, peu de personnes réchappent d’une chute pareille, n’est-il pas, Lucius ? »

« J’ignorais que Severus y était attachée ou j’y aurais mis les formes, Maître. » répondit
Lucius, en s’inclinant, ne laissant rien percer de l’agacement qu’il devait ressentir.

Y mettre les formes… Il l’aurait capturée et ramenée à la réunion afin que le spectacle de son
humiliation à lui soit plus grandiose. Au mieux, elle aurait été forcée de prendre la Marque.
Au pire, Bellatrix l’aurait achevée.

Le titre de roi des idiots ne convenait plus. Qu’avait-il eu dans la tête ?


Non pas que cela avait une quelconque importance si elle était effectivement morte.

La douleur le prit au dépourvu – ou, tout du moins, il prétendit très fort être pris au dépourvu
– mais il l’occluda.

Rien ne disait qu’il verrait lui-même une nouvelle aube se lever…

« Il demeure que quelqu’un doit payer pour le calamiteux échec de la mission de Lucius… »
reprit le Seigneur des Ténèbres. « Et il me semble que la responsabilité t’incombe, Severus.
Tu aurais dû nous avertir que Dumbledore se doutait de mes plans… »

« Je n’en savais rien, Maître. » se défendit-il.

« Il aurait peut-être été préférable que tu sois plus attentif à Dumbledore et un peu moins aux
Sang-de-Bourbes, dans ce cas, ne crois-tu pas ? » répliqua-t-il, déclenchant une salve de rires.
« Bellatrix, à toi l’honneur. »

Severus serra les dents.

Il serra les dents jusqu’à ce que la douleur soit trop forte et que le hurlement ne lui arrache la
gorge.

Bella avait toujours eu l’esprit très créatif, les sortilèges d’endoloris ne la distrayaient qu’un
temps.

Lorsqu’elle en eut terminé avec lui, il resta prostré au sol, incapable de bouger le moindre
muscle, de la terre plein la bouche, frissonnant dans l’air froid.

Ils transplannèrent tous un à un et l’abandonnèrent là, seul au milieu d’un champ, son sang
abreuvant quelque peu la terre desséchée.

Il fallut longtemps avant qu’il ne trouve la force de se traîner hors du périmètre délimité par
les torches, plus longtemps encore avant qu’il s’estime suffisamment concentré pour
transplanner sans se démantibuler.

Il atterrit non loin de la Cabane Hurlante.

Il tenta de se relever, parvint à se hisser debout en s’appuyant sur la barrière qui marquait le
début du jardin en friche… La planche probablement pourrie s’effondra sous sa main et il
retomba sur le sol dur. Il roula sur le dos dans la poussière, arracha le masque de son visage
et avala goulument l’air glacial de la nuit sans que cela ne fasse la moindre différence.

Aveuglé par la douleur, il se résolut à faire ce qu’il n’avait jamais fait qu’une poignée de fois
jusque là.

À bout de forces, il tira sa baguette, ferma les yeux et se concentra sur Harry et les longues
soirées passées au coin du feu en soixante-quinze. Les moments simples où, pour la première
fois peut-être, Severus avait touché du doigt à l’effet que cela faisait d’avoir une famille.

« Spero Patronum. » murmura-t-il.


Le Patronus apparut, compact et éblouissant dans l’obscurité, pas aussi familier qu’il l’aurait
aimé.

Lorsqu’il comprit pourquoi la biche lui semblait étrange, Severus poussa un juron.

°°O°°O°°O°°O°°

La tête du loup-garou disparut de l’âtre et Albus se retourna vers ses invités, notant sans
grande surprise que la jeune femme ne se détendit que lorsque le visage de Remus ne fut plus
visible. Tonks massait distraitement son épaule meurtrie, le verre de Whiskey-Pur-Feu qu’elle
avait réclamé encore à moitié plein prisonnier de son autre main. Le vieux sorcier manqua
demander une nouvelle fois si elle était certaine de ne pas vouloir voir Pomfresh mais se
retint de justesse – l’Auror n’était très visiblement pas de la meilleure humeur qui soit et avait
déclaré plusieurs fois qu’il ne s’agissait que d’hématomes.

Son regard se déplaça jusqu’à Sirius qui en était, lui, à son troisième verre et avait dévoré une
assiette entière de sandwiches aux concombres. L’Animagus avait l’air hagard et piquait
quelque peu du nez. Le sortilège qu’il avait jeté pour sauver sa cousine l’avait épuisé et on le
serait à moins. Il avait eu de la chance de ne pas terminer la soirée dans un coma magique,
cela était arrivé à d’autres.

« Eh bien… » déclara Albus, en claquant une fois des mains pour capturer leur attention
vacillante. « Voilà une opération fort bien menée. Félicitations. »

Deux prisonniers Mangemorts étaient une aubaine pour eux. Peut-être avaient-ils des
informations intéressantes… Remus les avait enfermés dans une cache de l’Ordre et attendait
ses ordres. Albus s’y rendrait dès le lendemain, tâcherait de les convaincre de parler sans
employer la force et userait de Legilimencie dans le cas contraire, puis il les remettrait à
Scrimgeour.

Tonks et Sirius l’observaient avec des yeux brillants de fatigue.

« Il serait peut-être préférable que vous passiez la nuit au château. » poursuivit-il, avec un
regard inquiet en direction de Sirius. « Vous n’êtes pas en condition de transplanner. »

« Je vais bien. » grommela Sirius, avant d’hésiter. « Mais c’est vrai que… »

Il n’eut pas le temps d’accepter sa proposition. Albus leva la main pour se protéger de l’éclat
argenté qui les aveugla brièvement avant que le Patronus ne prenne forme.

Pris au dépourvu, il fixa le faon du regard, la bouche légèrement entrouverte sous le choc,
soupçonnant l’identité du propriétaire de ce Patronus qu’il n’avait jamais vu, sans vouloir y
croire.

Le faon resta indécis quelque secondes, les oreilles tressaillant au moindre mouvement, l’air
farouche, puis, la voix grave et trainante, aux accents familiers résonna dans le bureau,
haletante et ponctuée de grognements de douleur.
« La Cabane Hurlante. » lâcha le Patronus. « Un kit de premier secours serait le bienvenu. »
Un silence, puis… « Ne vous avisez pas d’emmener Poppy ou Minerva ! »

Tonks était déjà sur ses pieds, l’inquiétude l’emportant sur la fatigue. Sirius fut plus lent à
s’extirper de son fauteuil mais n’avait pas l’air moins déterminé que sa cousine. Ce dernier
développement était plus surprenant, toutefois, Albus ne prit pas le temps de creuser la
question. Severus appelait trop rarement à l’aide pour que la situation ne soit pas sérieuse.

Il agita la main et une pochette en cuir défonça les portes d’un placard, renversant quelques
objets sur son chemin. Elle traversa le bureau comme un boulet de canon jusqu’à sa main
tendue. D’un autre geste, il ouvrit la fenêtre et tira d’un autre placard un balai de course – ce
n’était pas son mode de transport favori mais cela serait plus rapide que de courir jusqu’aux
portes du domaine afin de transplanner.

« Accio balai ! » lança Tonks, en agitant sa baguette par la fenêtre. Elle avait remis son
blouson, remarqua-t-il.

« Je ne suis pas certain… » tenta-t-il d’objecter, devinant que Severus n’apprécierait pas
d’avoir un public dans un tel moment de faiblesse.

« Je ne vous aies pas demandé votre avis. » coupa-t-elle, attrapant au vol le balai qu’elle
venait, sans aucun doute, de voler dans la réserve du stade de Quidditch. Elle l’enfourcha
sans plus attendre et aurait très certainement décollé dans la seconde si l’Animagus ne l’avait
pas stoppée d’une main sur l’épaule.

« Attends, laisse moi monter. Je t’accompagne. » déclara Sirius.

Ils s’élancèrent dans la nuit froide et Albus suivit, légèrement décontenancé par ce
retournement de situation. Le comportement de la jeune femme était prévisible, surtout si ce
qu’il soupçonnait s’avérait vrai, celui du Maraudeur en revanche…

Son balai était plus puissant que celui que Tonks avait emprunté, pourtant la jeune femme
avait quelques mètres d’avance, probablement parce qu’elle volait avec une précipitation à la
limite de l’imprudence. Son atterrissage fut brutal, elle trébucha et sans le réflexe de Sirius,
elle se serait sans doute écrasée au sol pour la deuxième fois de la soirée.

Albus atterrit souplement, abandonna son balai et se précipita en direction de la masse


sombre qu’il distinguait à peine adossée à la barrière de la Cabane Hurlante. Une nouvelle
fois, Tonks fut plus rapide, l’écartant presque du chemin d’un coup de coude.

Elle ne prit pas le temps de ralentir, se jetant à genoux près de Severus avec une panique
évidente. Le Maître des Potions avait les yeux fermés, sa tête pendait sur sa poitrine et il était
bien trop immobile au goût d’Albus. La jeune femme leva vers lui un regard empli de crainte
et de désespoir que le vieux sorcier ne connaissait que trop bien. Il n’avait pas les mots pour
l’apaiser alors il s’agenouilla de l’autre côté de Severus, laissant à Sirius la tâche bien inutile
de sortir sa baguette et de scruter les environs pour contrer un éventuel danger.

Albus sortit sa baguette et la passa par deux fois au-dessus du corps de son espion,
marmonnant un sort de diagnostic.
« Severus… » souffla la jeune femme, effleurant d’un geste hésitant la joue du Professeur.

Severus sursauta et releva immédiatement la tête, tentant de reculer et de lever le bras dans le
même temps pour prévenir un mauvais coup.

« Tout va bien, Severus. » intervint rapidement Albus, prenant soin de garder une voix calme.
Il posa une main sur le bras de l’homme et le força gentiment à l’abaisser. « Sirius, lumière,
s’il vous plaît. Vous aussi, Miss Tonks. »

Les yeux sombres du Mangemort se posèrent sur lui, quelque peu fiévreux, avant de passer
sur l’Animagus et de s’arrêter sur Tonks. Ils s’adoucirent légèrement.

« Je suis heureux de constater que la nouvelle de votre mort était prématurée. » déclara-t-il,
d’une voix râpeuse.

Albus fit apparaître une coupe et la remplit d’eau.

« Il en faut plus que ça pour m’achever. » se força-t-elle à plaisanter. « S’il avait vraiment
voulu me tuer, Malfoy aurait dû jeter un Avada plutôt que de me pousser d’un immeuble. »

Le vieux sorcier ne fit aucun commentaire, songeant que Lucius avait fait de son mieux pour
éviter tout reproche de part et d’autre, et guida la coupe d’eau jusqu’aux lèvres de son espion.
Il l’aida à boire et, malgré ses protestations, le Professeur en avala goulument le contenu.
Albus n’aimait pas sa respiration sifflante et il n’aimait pas davantage la conclusion du sort
de diagnostic.

« Vous avez des côtes cassées. » soupira-t-il.

« Si ce n’était que des côtes cassées, je ne vous aurais pas dérangé. » répliqua faiblement
Severus, sans sa verve habituelle. « Et je ne vous remercie pas d’avoir emmené un
auditoire. »

« Oh, ta gueule, Snape… » lâcha Sirius, en levant les yeux au ciel. « On était là. Qu’est-ce
que tu voulais qu’on fasse ? Qu’on aille se coucher en te laissant te vider de ton sang à dix
kilomètres de là ? » Severus eut un rictus mauvais mais l’Animagus ne lui laissa pas le temps
de répondre. « Je comprends pourquoi tu n’utilises jamais ton Patronus maintenant, au fait.
C’est très mignon. Grand fan de Bambi, c’est ça ? »

Severus serra les dents et tourna la tête, les joues rougies d’humiliation.

« Ça suffit, Sirius. » gronda Tonks. Albus ne put s’empêcher de noter que sa main n’était pas
très loin de celle de Severus, pressée contre la terre dure pour garder son équilibre, et que son
petit doigt recouvrait celui du Maître des Potions. C’était suffisamment discret pour que
l’Animagus ne l’ait pas remarqué et le Directeur fit mine de ne rien voir non plus.

« C’est un truc, chez toi, de toujours laisser des filles te défendre à ta place ? » se moqua
Sirius.

La réaction fut immédiate et si Albus n’avait pas pressé une main contre son épaule – ce qui
lui tira un gémissement de douleur – il était certain que Severus aurait tenté de se lever pour
s’en prendre physiquement à Sirius.

« Du calme. » ordonna fermement Albus.

« Je plaisantais. » soupira Sirius, avec une exaspération évidente. « Détends-toi, Snape, je


plaisantais. Je ne suis pas idiot. »

« Première nouvelle. » marmonna le Mangemort, avec une grimace de douleur.

« Je me doute bien de ce que Bambi veut dire. » insista l’Animagus.

Cela lui valut un regard noir.

« Vous avez perdu beaucoup de sang. » intervint Albus.

« Ce n’est rien. » commenta Severus. « Réparez mes côtes et donnez moi une potion de
régénération sanguine. Je m’occuperai du reste moi-même. »

Albus pinça les lèvres avec hésitation. « Si les blessures sont sérieuses… »

« S’Il m’avait voulu mort, je serais déjà mort. » cingla le Maître des Potions. « Bellatrix sait
ce qu’elle fait lorsqu’elle torture quelqu’un. Réparez mes côtes et donnez moi cette potion
ou… »

Il laissa la menace en suspens, probablement parce qu’il n’avait aucune bonne manière de la
terminer.

« Vous êtes impossible. » décréta le vieux sorcier. « Et lorsque Minerva apprendra ce qu’il
s’est passé ce soir… » Il ouvrit la bouche mais Albus l’interrompit d’un geste. « Oh, elle
l’apprendra, ne vous faites aucune illusion. Lorsqu’elle apprendra ce qu’il s’est passé ce soir,
donc, je vous remercierai de préciser que c’est votre propre entêtement qui vous a coûté des
heures de souffrance lorsque quelques minutes avec Poppy auraient été suffisantes pour tout
arranger. »

« Potion. » siffla-t-il tout de même, avec détermination.

Albus secoua la tête mais tira de la trousse en cuir la potion qu’il demandait, en dévissa le
bouchon et la lui tendit. Les gestes du Maître des Potions étaient approximatifs, au mieux,
mais il parvint pourtant à en avaler le contenu sans se le renverser dessus.

« Philtre de force. » réclama-t-il, immédiatement derrière.

« Tu… Vous voulez mélanger les deux ? » balbutia Tonks, avec un froncement de sourcils
inquiet. « C’est dangereux ! Ce n’est pas une bonne idée. Il… »

« La dernière fois que j’ai vérifié… » lâcha Severus d’un ton irrité. « Il n’y avait qu’un seul
Maître des Potions ici. »

Sachant que toute discussion était inutile et qu’il avait, de toute manière, un philtre de force
quelque part sur lui, Albus pêcha celui qui se trouvait dans la trousse et le lui passa. Severus
en descendit le contenu d’un trait. L’effet fut pratiquement immédiat. Les couleurs lui
revinrent et la tension dans ses épaules se détendit quelque peu.

« Êtes-vous prêt ? » s’enquit le vieux sorcier, d’un ton volontairement détaché.

Le Professeur prit plusieurs profondes inspirations avant de marquer son accord d’un bref
hochement de tête. Albus plaça sa baguette au-dessus de son torse et commença le long
travail qui consistait à réparer les os brisés. Severus ferma les yeux et appuya sa tête contre la
barrière, la mâchoire contractée sous l’assaut de la douleur. Il y avait des plaies sur sa
poitrine, ses bras et ses jambes mais selon le sort de diagnostic elles étaient superficielles.
Albus fut tout de même prudent, prenant soin de ne pas aggraver ses blessures.

Ce fut un travail long et fastidieux. Il s’écoula plusieurs minutes avant que toutes les fractures
ne soient réparées et Severus laissa échapper plus d’un grognement de douleur.

« Il va vous falloir bander ses côtes quelques jours. » déclara Albus, une fois la tâche
terminée. « Et inutile de vous présenter en cours demain. J’avertirai Minerva et le reste du
corps professoral. Si quiconque vous voit hors de vos quartiers, ils auront pour ordre de vous
traîner jusqu’à l’infirmerie, est-ce clair ? »

Preuve que les blessures étaient plus graves qu’il ne voulait l’admettre, Severus hocha à
nouveau la tête.

« Bien. » approuva le Directeur, en lui tapotant gentiment l’épaule. « À présent que cette
question est réglée… Que s’est-il passé, très exactement ? »

« Voulez-vous un dessin ? » grinça le Mangemort.

« Ça peut peut-être attendre demain, non ? » hésita Sirius. « Il n’a pas l’air très en forme… »

« Le Seigneur des Ténèbres était quelque peu contrarié en raison d’informations que j’aurais
supposément laissé filtrer. » cingla Severus, d’un ton dur. « Je suis certain que vous
parviendrez à déterminer le reste par vous-même. Quant à ce qu’Il cherche réellement… Je
suppose que vous êtes déjà au courant, n’est-ce pas ? »

Albus ne flancha pas sous le ton accusateur.

« Montrez-moi. » exigea-t-il, croisant le regard du Maître des Potions.

« Non. » refusa froidement le Professeur, agrippant la hampe de sa baguette sans la finesse


qu’il y mettait d’ordinaire. Il n’y avait aucune subtilité aux boucliers mentaux qui s’érigèrent
devant lui. Il s’agissait d’un bloc de volonté pure et la méfiance était évidente dans les yeux
de l’espion.

« Severus… » soupira-t-il. « Soyez raisonnable… Il me faut savoir précisément… »

« Non. » gronda l’homme, d’un ton qui n’admettait pas de réplique. « On a suffisamment
fouillé dans ma tête pour ce soir. »

« Severus. » insista-t-il, moins aimablement.


« Il a été clair. » intervint Sirius, sa baguette plus ou moins pointée dans sa direction. Albus
n’eut pas besoin de regarder pour savoir que celle de la jeune femme était prête à l’emploi.

Le vieux sorcier ravala son agacement face à ces manifestations de plus en plus flagrantes de
dissidence. La loyauté des membres de l’Ordre aurait dû lui être acquise sans faille or
Severus paraissait décidé à contrer son autorité en rassemblant l’Ordre derrière lui, personne
par personne.

« Qu’a-t-Il découvert ? » demanda-t-il. « Avez-vous laissé échapper une quelconque


information ? »

« Non. » déclara-t-il pour la troisième fois.

Le regard de Severus ne quitta pas le sien, son visage resta de marbre et, pourtant, Albus
devina qu’il mentait. Il accentua la pression sur l’esprit du Maître des Potions mais avant
qu’il ait pu faire une quelconque percée, Tonks attrapa le menton de Severus et le força
physiquement à tourner la tête, pointant plus fermement sa baguette vers le Directeur.

« Ça suffit. » siffla-t-elle. « Ou peut-être comptez-vous jeter quelques oubliette une fois que
vous aurez terminé de violer son esprit ? Ce ne serait rien de bien nouveau pour vous, n’est-
ce pas ? »

L’Animagus marqua un mouvement de surprise mais, Albus le remarqua bien, pas


d’étonnement. Le Sang-Pur se rapprocha et prit la place de Tonks qui s’écarta, gardant sa
baguette braquée sur le vieux sorcier, puis il passa le bras de Severus autour de ses épaules et
le hissa sur ses pieds. Le Maître des Potions laissa échapper un grognement de douleur mais
Sirius était intraitable, il le força à avancer jusqu’aux balais abandonnés un peu plus loin.
Tonks s’éloigna avec eux, marchant à reculons pour mieux le garder en joue.

« Tout ceci n’est pas nécessaire. » déclara-t-il.

« Je crois que si, au contraire. » cracha-t-elle. « Vous vous estimez au-dessus des lois et de la
morale. »

« Nous sommes en guerre, Miss Tonks. » lui rappela-t-il.

« C’est une justification, pas une raison. » cingla-t-elle. « Et si vous avez besoin de justifier
vos actes, peut-être devriez-vous prendre le temps de vous demander si vous êtes vraiment
celui que vous voulez être. »

« Tonks ! » appela Sirius. Il était parvenu à charger Severus sur un des deux balais et le
maintenait droit par force.

« Vous pouvez rentrer à pieds. » lança l’Auror, en sautant sur le deuxième balai.

Albus ne fit pas un geste pour les retenir, certain que Severus lui ferait un rapport complet le
lendemain quoi qu’il en soit. Contrarié ou non, l’espion ne négligeait jamais son devoir.

Il entama le long chemin qui le ramènerait à Poudlard, songeant aux mots qu’avaient
employés la jeune femme.
Peut-être devriez-vous prendre le temps de vous demander si vous êtes vraiment celui que
vous voulez être.

Comme il était naïf de sa part de penser qu’il avait le choix.

On ne gagnait pas une guerre sans faire des choses moralement répréhensibles. C’était bien
triste, bien sûr, mais c’était hélas la vérité. La ligne qui séparait la lumière et les ténèbres
n’était pas aussi fine que l’on voulait bien le croire, elle se déclinait en autant de zones de
gris.

Les gens se plaisaient à le dépeindre comme l’incarnation du bien mais, en vérité, Albus avait
toujours su qu’il était drapé de gris.

C’était nécessaire.

Pour le plus grand bien.

°°O°°O°°O°°O°°

« Pose-le sur le canapé. » ordonna Tonks et Sirius s’exécuta sans protester, jetant un coup
d’œil curieux alentours.

« Tu es déjà venu, ici ? » s’enquit-il.

« Bien sûr que non. » mentit-elle. « Qu’est-ce que je serais venue faire dans ses
appartements ? »

Allongé sur le canapé, Severus leva un sourcil moqueur dans le dos de Sirius mais
l’amusement ne fut que passager. Son visage ne tarda pas à se crisper sous le coup de la
douleur. Un feu ronflait déjà dans la cheminée, enchanté, sans doute, pour ne jamais
s’éteindre, sans que cela n’empêche l’humidité de la faire frissonner. Il faisait toujours froid
dans les cachots et, rien que pour cela, elle plaignait les Serpentards qui devaient y vivre
toute l’année.

« Préviens McGonagall. » commanda-t-elle, en posant une main sur l’épaule de Sirius.

« Ce n’est absolument pas nécessaire. » protesta Severus, en tentant de se relever ou de


s’asseoir.

Elle ne lui en laissa pas l’occasion.

Elle poussa sur son épaule jusqu’à ce qu’il reste sagement allongé, en le foudroyant du
regard. « C’est absolument nécessaire, au contraire. Si Dumbledore essaye de… »

« Il ne tentera rien. » coupa le Professeur. « Il attendra que j’aille le trouver. »

« Pourquoi irais-tu le trouver ? » demanda Sirius, avec un bruit moqueur.

« Parce que cela est nécessaire. » soupira Severus . « Puis-je avoir la paix, à présent ? »
« Je reste. » décréta Tonks, en jetant un coup d’œil à Sirius par-dessus son épaule. « Tu peux
aller te coucher. »

« Tu es sûre ? » hésita son cousin, en fronçant les sourcils.

« Ma mère est Médicomage. » lui rappela-t-elle.

« Et tu n’excelles pas en sorts de soin. » se moqua Sirius, sans délicatesse.

« Je n’ai besoin ni de Black, ni de vous. » grinça Severus.

« Dans ce cas, il est regrettable que personne ne vous ai demandé votre avis. » rétorqua
Tonks.

Sirius tenait à peine debout. Entre le sort qui l’avait vidé de ses forces et cette mission de
secours impromptue, elle était étonnée qu’il parvienne encore à garder les yeux ouverts. Son
cousin hésita puis finit par capituler d’un hochement de tête. Il déplaça le pare-feu et
emprunta une poignée de poudre de cheminette avant de disparaître dans les flammes, en lui
recommandant d’envoyer un Patronus si elle avait besoin d’aide. Elle replaça le pare-feu
aussitôt qu’il eut disparu avant de s’agenouiller à côté du canapé sur lequel Severus tentait de
s’asseoir avec entêtement.

Ses efforts furent réduits à néant lorsqu’elle poussa à nouveau sur son épaule. Il retomba sur
le dos avec un grondement agacé.

« On t’a déjà dit que tu étais une tête-de-mule ? » râla-t-elle. « Tu es blessé. »

« Ce n’est ni la première fois, ni la dernière. » rétorqua-t-il. « Rentre chez toi. »

« Sûrement pas. » refusa-t-elle, faisant disparaître, d’un coup de baguette, ses épaisses robes
noires.

La chemise blanche qu’il portait en dessous était poisseuse de sueur et de sang mêlés. Le
coton lui collait à la peau et elle ne put réprimer une grimace avant de s’humecter
nerveusement les lèvres. Elle n’avait que des connaissances très vagues en magie médicale et
il était évident que cela dépassait ses compétences. Elle se fit violence, pourtant, attaquant les
boutons, devinant que faire disparaître la chemise alors qu’elle était collée aux plaies
ouvertes serait déconseillé. Il emprisonna ses poignets avant qu’elle ait pu aller plus loin que
trois boutons.

« Non. » lâcha-t-il.

« Ne sois pas ridicule. » s’énerva-t-elle. « Tu as besoin d’aide, tu… »

« Je peux me débrouiller seul. » cingla-t-il. « Je ne saisis pas pourquoi tu insistes… »

« Excuse-moi de m’inquiéter. » l’interrompit-elle froidement, non sans sarcasme.

Ils se fusillèrent du regard quelques secondes puis les yeux sombres s’adoucirent légèrement.
« Va te coucher. » suggéra-t-il. « Je te rejoindrai. Tu pourras passer la nuit à t’assurer que je
ne rende pas mon dernier souffle si cela te chante. »

La dernière phrase fut ajoutée avec incertitude et une légère touche d’incrédulité. Il y avait
toujours le même étonnement mêlé de méfiance à chaque fois qu’elle initiait quelque chose
entre eux.

« C’est ridicule. » déclara-t-elle, pinçant les lèvres d’agacement. « Qu’est-ce qui te dérange ?
La Marque ? »

Il n’enlevait jamais sa chemise.

Elle avait tenu sa langue jusque là parce qu’ils avaient été très clair sur le fait que ce qu’il y
avait entre eux n’était rien d’autre qu’une passade. Elle ne se sentait pas le droit d’avoir des
exigences parce qu’il n’avait jamais rien réclamé, il prenait ce qu’elle voulait bien donner et
offrait avec hésitation et parcimonie en retour. Il était réservé et peu démonstratif, elle
pouvait l’accepter.

Ce n’était pas grand-chose, mais c’était suffisant.

Sa question eut l’effet d’un coup de poing. Ses doigts se crispèrent autour de ses poignets et
son visage se ferma complètement.

« Severus, c’est stupide. » soupira-t-elle. « Je sais qu’elle est là. » Il garda le silence, le regard
rivé quelque part au-dessus de son épaule, et elle relâcha la prise qu’elle avait sur le tissu de
sa chemise. Il lui rendit immédiatement sa liberté. Elle posa une main sur le bord du canapé
et l’autre sur son torse pour prévenir une énième tentative de fuite. « Ce n’est pas si terrible.
On fait tous des conneries à dix-sept ans. Tu n’es pas le seul à s’être fait faire un tatouage et à
le regretter. Tu crois que je ne regrette pas le mien ? »

Elle s’efforça de garder un ton léger, de plaisanter de la situation parce que la tension était
suffocante.

Il la dévisagea avec incrédulité.

« Es-tu en train de comparer la Marque des Ténèbres à la piètre excuse de blaireau sur ta
cheville ? » lâcha-t-il.

Elle haussa les épaules, se forçant à sourire. « L’emblème de Poufsouffle, s’il te plait. Un peu
de respect. »

Ses yeux sombres l’étudièrent quelques secondes et puis il secoua la tête, jugeant clairement
qu’elle était folle ou idiote.

« Quelqu’un a informé le Seigneur des Ténèbres de notre liaison. » marmonna-t-il. « Il veut


ta tête. Es-tu toujours d’humeur aussi clémente ? »

Elle déglutit avec difficulté, tâchant d’ignorer le frisson instinctif que cette nouvelle
déclencha.
« Un psychopathe de plus ou de moins à mes trousses… » tenta-t-elle de plaisanter, d’une
voix blanche où l’amertume se disputait à la terreur.

« Nymphadora… » grinça-t-il sur un ton qui l’irrita immédiatement.

« Severus. » rétorqua-t-elle, sur le même registre. « Si tu comptes me faire la leçon et me dire


que je ne prends pas les choses suffisamment au sérieux, je tiens à te prévenir que ça n’a pas
réussi à Remus. »

Il pinça les lèvres d’agacement, balayant cette objection d’un geste de la main.

« Tu as une chance contre Bellatrix ou Greyback, qu’importe ce qu’en pense le loup. »


décréta-t-il. « Le Seigneur des Ténèbres… »

Il laissa sa phrase en suspens, la laissant libre de l’interpréter à sa guise. Elle poussa un


profond soupir.

« Merci, Lucius. » commenta-t-elle, non sans ironie.

« Comment aurait-il su ? » réfléchit-il à voix haute, dans un froncement de sourcils.

« Il a reconnu un de tes sortilèges. » répondit-elle, avec une grimace d’excuse. « Je suis


désolée. »

Elle s’attendait à une réaction véhémente, pourtant il ferma simplement les yeux avec une
lassitude évidente.

« Je t’ai enseigné ces sortilèges pour que tu t’en serves. Tu as survécu, inutile de
tergiverser. » décréta-t-il, sans que sa voix ne trahisse la moindre émotion. Il rouvrit les
paupières et l’étudia plus attentivement. « Es-tu blessée ? »

Elle leva les yeux au ciel. « Demande l’homme en train de se vider de son sang. Ce sera dur
de ravoir les taches sur le canapé, tu sais ? »

« Comme il est aimable à toi de te soucier de mon mobilier. » se moqua-t-il.

« C’est la seule chose dont tu m’autorises à me soucier pour le moment. » riposta-t-elle, sans
amusement. « Laisse-moi voir. »

« Es-tu blessée ? » insista-t-il.

Comprenant qu’elle n’arriverait à rien tant qu’elle n’aurait pas capitulé, elle retira son
blouson et tira légèrement sur son pull pour qu’il puisse inspecter son épaule meurtrie. Les
bleus avaient commencé à se former dans le bureau de Dumbledore et la douleur descendait
le long de son omoplate

« Ce ne sont que des hématomes. » offrit-elle.

Il effleura sa peau bariolée de jaune, bleu et violet du bout des doigts.


« Il y a des baumes dans mon bureau. » répondit-il.

« Et je me ferais un plaisir d’aller les chercher dès que tu m’auras laissée soigner tes
blessures. » asséna-t-elle.

« Je n’apprécie pas le chantage. » cingla-t-il. « Qui dit que je me soucie de ton


confort ? Souffre, pour tout ce qu’il m’importe. Tant que tu souffres en silence. »

« Je vais me faire un plaisir de gémir aussi fort que possible. » menaça-t-elle. Un sourire
amusé naquit sur ses lèvres et, ses yeux gris pétillants d’amusement, elle baissa légèrement la
voix. « Évidemment, ça serait bien plus incommodant si tu n’adorais pas ça… »

« Nymphadora. » la rabroua-t-il, ses joues s’empourprant légèrement. Il était sans doute


positif qu’il ait suffisamment de sang dans le corps pour rougir. La potion de régénération
sanguine avait fait son travail.

« C’est presque trop facile de te provoquer, tu sais. » se moqua-t-elle gentiment, avant de se


pencher pour déposer un baiser sur ses lèvres. Elle attendit qu’il y réponde avec hésitation
pour s’attaquer à nouveau aux boutons de sa chemise. Elle avait espéré le distraire mais il
emprisonna à nouveau ses poignets, le souffle court et avec un agacement perceptible. Un
agacement qu’elle partageait. « Je me moque de la Marque ! »

« Pas moi. » cracha-t-il. « Je refuse que tu la touches. »

« Très bien. » lâcha-t-elle. « Compromis. Je vais bander ton poignet, d’accord ? Je ne la


toucherai pas. »

Il fouilla son regard et elle dressa instinctivement des boucliers face à l’intensité qu’elle lisait
dans ses yeux. À mi-chemin entre la panique et l’appréhension, il semblait hésiter.

« Severus, fais-moi confiance. » réclama-t-elle doucement.

Il s’humecta les lèvres, le masque froid et insensible qu’il arborait en permanence se fissurant
quelque peu.

« La Marque n’est pas le seul problème. » avoua-t-il finalement.

Elle fronça les sourcils. « Qu’est-ce que tu veux dire ? »

L’intensité avec laquelle il la fixait lui faisait presque peur. Au bout de longues minutes
passées à l’observer en silence, il parut arriver à une conclusion parce qu’il défit lui-même le
reste des boutons. Sans un mot, elle l’aida à retirer la chemise, ses yeux gris cherchant
immédiatement les plaies qui saignaient toujours, cataloguant les blessures et fouillant sa
mémoire à la recherche de sorts qui pourraient faire l’affaire. Toute entière à l’urgence, elle
mit plusieurs secondes à remarquer le reste.

Son torse se soulevait et retombait avec une irrégularité que la douleur seule n’expliquait pas.
Il était tendu, prêt à bondir loin d’elle au moindre geste brusque, la mâchoire contractée et le
regard dur, la défiant presque d’exprimer le moindre signe de pitié.
Elle était Auror depuis peu, certes, mais elle avait déjà vu des cas comme celui-là. Et sa mère
était Médicomage, sans s’être jamais intéressée à cette branche de la magie, il y avait des
choses qu’il était impossible d’ignorer lorsque la discussion se déroulait à table et que sa
mère avait le visage fermé et le regard mauvais.

Les cicatrices quelque peu effacées par le temps qui bardaient son torse étaient
caractéristiques.

Cela expliquait beaucoup.

Et cela lui brisait le cœur.

Les yeux noirs étaient rivés sur son visage et elle prit bien garde à conserver une expression
de neutralité absolue, à ne rien trahir de la peine, du dégoût et de la colère qui bouillaient à
l’intérieur. Il ne l’aurait pas apprécié.

« Donne moi ton poignet. » exigea-t-elle.

Il le lui tendit avec une hésitation à peine perceptible, détournant la tête lorsque son regard
gris se posa finalement sur la Marque. Il était difficile de dire ce dont il avait le plus honte. Le
serpent lové autour du crâne qui irradiait de noirceur ou les balafres blanchâtres qui lui
barraient le torse et, supposait-elle, une bonne partie du dos.

Elle utilisa baguette pour faire disparaître la Marque derrière une épaisse bande de gaze avant
de se pencher sur ses blessures. Elle travailla en silence, suivant parfois ses instructions
lorsqu’il décidait qu’un sort valait mieux qu’un autre pour refermer telle ou telle plaie. Il était
impossible d’ignorer les cicatrices, il y en avait trop. Certaines étaient pâles et presque
indiscernables, d’autres étaient boursoufflées, signe certain que la blessure s’était infectée à
l’époque, larges et rugueuses sous ses mains.

« Tes cheveux son noirs. » remarqua-t-il, alors qu’elle s’occupait de la dernière blessure que
sa chère tante Bellatrix avait cru bon de lui infliger. Plus de cicatrices à ajouter à sa
collection, songea-t-elle avec amertume.

Elle fit un énorme effort pour enfouir la fureur pernicieuse qui n’avait fait que grandir en elle
et secoua la tête. Les mèches roses lui tombèrent immédiatement dans les yeux et il les
repoussa, sans faire de commentaire.

Il était trop intelligent pour ne pas avoir compris que sa couleur de cheveux dépendait
grandement de son humeur, principalement parce qu’ils viraient au rose à chaque fois qu’il la
touchait.

« Cela ne sort pas d’ici. » siffla-t-il, lorsqu’elle s’estima finalement certaine qu’il n’allait pas
se vider de son sang.

Elle ne lui fit pas l’affront de prétendre ne pas savoir ce dont il parlait.

Elle acquiesça simplement d’un bref hochement de tête.

Elle ne tenta pas d’offrir un pathétique ‘je suis désolée’ ou de le pousser à la confidence.
Il en parut soulagé.

Cela ne l’empêcha pas de se demander combien de personnes exactement connaissaient ce


secret. Pas beaucoup, imaginait-elle. Elle lui avait demandé sa confiance…

Il venait de la lui accorder, pleine et entière.


Fatherhood

It is not biology that determines fatherhood. It is love.

Kristin Hannah, The Nightingale

Ce n’est pas la génétique qui fait d’un homme un père. C’est l’amour.

Kristin Hannah, The Nightingale

Cela faisait longtemps que Remus n’avait pas vu le Square Grimmaurd aussi bondé. À
l’exception notable de Molly Weasley, tous les membres du Conseil étaient présents,
dispersés dans différentes pièces, attendant que la réunion commence.

La cuisine était pour l’instant relativement déserte si l’on exceptait Severus qui trainait dans
un coin en compagnie de Bill – cela l’intriguait quelque peu à vrai dire, ces deux là n’avaient
pas véritablement pour habitude de discuter et encore moins entourés d’une bulle de silence
que ses oreilles de loups-garous ne pouvaient percer. Remus ne chercha, toutefois, pas à
creuser la question, se contentant de disposer sur la table les différentes cartes de Londres et
plus précisément celles détaillant le quartier de l’Allée des Embrumes… Tout ce sur quoi ils
avaient pu mettre la main.

Il venait de terminer sa tâche et s’apprêtait à rejoindre le salon où le gros de l’Ordre était


réuni lorsqu’il bouscula par mégarde la personne qui cherchait à entrer. Il attrapa les épaules
de la jeune femme par réflexe pour la stabiliser, tanguant lui-même. Il aurait probablement
perdu l’équilibre si elle n’avait pas enfoncé ses doigts dans ses avant-bras, cherchant à le
rattraper. Ils demeurèrent prisonniers de cette valse incertaine l’espace de quelques secondes
avant de finalement parvenir à se maintenir debout.

Tonks le lâcha immédiatement mais il ne fut pas aussi rapide, heureux et soulagé de l’avoir
enfin à portée. L’Auror avait un don certain lorsqu’il était question de l’éviter.

Il l’étudia longtemps du regard, notant les signes évidents de fatigue sur son visage. Ses
cheveux, toujours châtain terne, s’échappaient par mèches d’un chignon fait à la va-vite, la
coiffure négligée contrastant avec le formel du pantalon droit noir et de la veste assortie,
fermée sur un chemisier blanc dont les trois premiers boutons étaient défaits. Il devina qu’elle
venait directement de Downing Street et n’avait pas pris le temps de se changer. Elle était
toujours vague sur les mesures qu’elle avait prises pour la protection du Premier Ministre
Moldu lors des réunions mais les responsabilités, bien que pesantes, semblaient l’aider à
s’épanouir.

« Comment va ton épaule ? » s’enquit-il prudemment, frottant, presque par réflexe, l’épaule
sur laquelle elle avait atterri deux jours plus tôt. Il avait tenté de la contacter depuis mais sa
cheminée était toujours bloquée et elle ne semblait jamais être chez elle. Ou bien si elle
l’était, lorsque son visage apparaissait dans l’âtre, elle avait pris le parti de rester hors de vue
dès lors qu’il n’était pas question de l’Ordre.

« Bien. » lâcha-t-elle, se dégageant sans délicatesse. Une lueur de culpabilité s’alluma dans
son regard et elle croisa les bras devant sa poitrine, fixant le sol plutôt que de le regarder en
face. « Merci pour ton aide. »

Le ton était froid, presque cassant. Elle irradiait toujours de colère et de vulnérabilité dès
qu’ils se retrouvaient face à face. Remus regrettait cette situation sans parvenir à déterminer
comment y remédier.

« Je serais toujours là pour te rattraper, Dora. » promit-il, un sourire affectueux naissant sur
ses lèvres.

Cela ne lui plut pas. Son expression s’assombrit et elle leva brièvement les yeux vers lui
avant de les reposer sur ses chaussures.

« Tu dois arrêter de dire ce genre de choses. » décréta-t-elle.

« Pourquoi ? » demanda-t-il. « Je le pense. »

Les mains fines de la jeune femme agrippaient ses propres biceps comme pour mieux se
raccrocher à quelque chose. Il effleura les doigts qui laisseraient sans aucun doute des
hématomes sur sa peau pâle. Elle recula d’un pas.

Remus laissa échapper un léger soupir.

« Tu es fâchée. » grimaça-t-il. « Je sais. J’ai été maladroit l’autre fois mais… »

« Tu es entré dans mon appartement sans ma permission et tu as refusé de t’en aller alors que
je te l’ai demandé à plusieurs reprises. » le coupa-t-elle froidement. « Tu n’arrêtes pas de me
rabaisser. »

« Non. » protesta-t-il, en secouant la tête. « Je m’inquiète pour toi, c’est tout. C’est toi qui ne
cesses de tout prendre de travers. Il faut… »

« Évidemment. » cingla-t-elle. « Ce n’est jamais ta faute, n’est-ce pas ? Pauvre petit loup-
garou opprimé. »

Elle tourna les talons et il attrapa son bras par réflexe. Les occasions d’avoir un tête-à-tête
avec elle étaient trop rares pour qu’il laisse l’opportunité s’évaporer.

« Dora… » insista-t-il.

Elle fit à nouveau volte-face et il se retrouva nez-à-nez avec le bout de sa baguette. La cuisine
s’était quelque peu remplie depuis le début de leur conversation et il sentit plus d’un regard
se tourner vers eux. Charlie fit un pas vers eux, uniquement stoppé par Anthony qui secoua la
tête.

« Lâche-moi. » ordonna-t-elle.
Il ôta sa main et la leva, paume vers l’avant, pour prouver qu’il n’avait aucune intention
belliqueuse.

« Dora, je suis désolé. » déclara-t-il, suffisamment bas pour que leur conversation demeure
privée. « Je n’ai jamais souhaité qu’on en arrive là. Tu dois bien comprendre… Tout ce que
j’ai fait… Je l’ai fait pour toi. »

Elle baissa lentement sa baguette, la tristesse se disputant à l’agacement sur son visage. Sans
un mot, elle secoua la tête et le laissa là, rejoignant Severus qui étudiait distraitement une des
cartes. Elle se plaça à sa droite et se pencha sur la carte qu’il regardait. Ils échangèrent
quelques mots à voix basse que le brouhaha ambiant ne permit pas à Remus de saisir.

Ils discutaient certainement du débat qui animerait la réunion de ce soir là, de quoi d’autre ?
Et pourtant, Remus ne put s’empêcher de noter qu’elle se tenait près, bien trop près, et que
Severus, qui avait toujours détesté que l’on empiète sur son espace, ne protestait pas. Pire,
après quelques minutes de messes basses, Tonks lui lança un sourire éclatant et rétorqua
quelque chose qui fit lever les yeux au ciel du Professeur. Elle s’éloigna ensuite en direction
de Charlie et d’Anthony qui l’accueillirent avec une joie évidente.

En lui, il sentit Lunard s’agiter et ne parvint qu’avec peine à ravaler son grognement agacé.

Remus étudiait Severus avec une insistance telle que l’homme dût forcément sentir le poids
de son regard. Il ne leva pourtant pas la tête.

« Qu’est-ce que ce bon vieux Servilus t’a fait ? » s’enquit Sirius avec amusement, en se
glissant à côté de lui.

« Rien. » marmonna-t-il. « Rien du tout. »

Il avait appris à se fier à l’instinct de Lunard et, pourtant, à l’instant, il choisit de l’ignorer.
C’était ridicule. Absolument ridicule.

Elle lui manquait trop et il s’inventait des fariboles pour mieux s’expliquer cette froideur
qu’elle lui témoignait car il refusait de voir la vérité en face. Il l’avait blessée trop
profondément pour que de simples excuses y remédient.

Et il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même.

°°O°°O°°O°°O°°

« Tu es sûr de tes informations, cette fois ? » maugréa Fol’Œil, lorsque Severus eut terminé
ses explications.

S’exhortant à la patience, l’espion tourna le regard vers Albus. Le vieux sorcier présidait et
balaya la question de l’Auror d’un revers de main.

« L’Œil de Salem est un artéfact unique et puissant. » confirma le Directeur.

« Un caillou. » commenta Black, en faisant glisser le livre contenant l’illustration, que


Severus avait pris soin d’apporter, au centre de la table.
« Un fort joli caillou. » contra Fletcher, faisant sauter au creux de sa paume la pièce avec
laquelle il ne cessait de jouer depuis qu’il était arrivé. Il la faisait parfois disparaître d’un
coup de poignet comme un magicien Moldu uniquement pour mieux la faire réapparaître
ailleurs. Un tour de passe-passe qui commençait à irriter Severus.

« Joli parce qu’il coûte cher, je suppose ? » se moqua Nymphadora.

Cela lui valut un sourire édenté et un clin d’œil de la part de Fletcher.

« En partie, chérie. En partie. » lâcha ce dernier dans un petit rire gras.

« Pourrions-nous revenir aux faits. » intervint Minerva, d’un ton qui ne souffrait aucune
réplique. « Bien. L’Œil de Salem est un réceptacle de magie notoire. Il permet d’augmenter
son propre pouvoir, cela est acquis pour quiconque ayant écouté en cours d’Histoire de la
Magie… »

Plusieurs grognements se firent entendre de part et d’autre de la table – des grognements que
Severus se retint à peine de joindre – personne n’écoutait en cours d’Histoire de la Magie
pour la bonne et simple raison que Binns préférait rabâcher la même révolution Gobeline
plutôt que d’explorer les sujets intéressants. Severus avait parcouru son manuel mais il était
probablement un des rares et il n’avait pas poursuivi la matière après les B.U.S.E.s.

La sous-directrice leva les yeux au ciel tandis que les plus jeunes échangeaient des coups
d’œil amusés.

« Il n’est pas donné à tout le monde d’en tirer un résultat exceptionnel. » reprit Minerva.

« Le Seigneur des Ténèbres n’est pas le premier venu. » rétorqua Severus.

« La question est, de toute manière, réglée. » déclara Albus. « Mondingus ? »

Avec un soupir empli de regret, Fletcher fit sauter une dernière fois la pièce dans sa main
avant de l’emprisonner au creux de sa paume. Il tourna son poignet et rouvrit la main sans
que la lumière des lampes ne se reflète sur le galion. Et pour cause… Une pierre noire avait
remplacé la pièce, rappelant étrangement à Severus l’amulette des Peverells.

Fletcher lança la pierre en direction d’Albus qui l’attrapa au vol avec des réflexes qui auraient
probablement fait pâlir d’envie n’importe quel attrapeur.

« Vous-savez-qui ferait mieux d’engager des professionnels. » fanfaronna Fletcher.

Severus se retint à grand peine de faire un commentaire.

« Pouvons-nous poursuivre, à présent ? » s’enquit-il d’un ton où l’ennui se disputait à


l’impatience.

« Pourquoi ? Tu as plus urgent à faire ? » cingla Maugrey avec un rictus mauvais.

Le Professeur préféra l’ignorer.


« Bien que je n’ai pas été mis dans la confidence de ce qu’il compte en faire, il est apparu
évident que le Seigneur des Ténèbres désire grandement se servir de l’Œil de Salem pour
avancer ses plans. » poursuivit-il, sans se laisser perturber.

« Des plans dont on ne sait pas grand-chose. » remarqua Anthony, en tournant distraitement
sa tasse de thé entre ses mains.

« Pour ne pas dire rien du tout. » renchérit Black. « Tu ne sais pas ce qu’il veut faire de cette
pierre mais tu ne sais pas non plus ce qu’il compte faire à long terme. Il s’est tenu bien
tranquille ces derniers temps… »

« Est-ce qu’il ne sait pas ou est-ce qu’il fait de la rétention d’information ? » insista Fol’Œil.

Albus demeura étrangement silencieux, lissant sa barbe d’un air distrait.

« Oh, assez, Alastor. » siffla Minerva, en fusillant l’Auror du regard. « Severus en a fait tout
autant pour notre cause que vous si ce n’est plus. »

« Plus ? » releva Maugrey, son œil magique tournant dans tous les sens. « C’est certain qu’il
en a fait plus ! Comme tuer des innocents, massacrer des Moldus… »

« Arrête. » ordonna Nymphadora, se levant à moitié de son siège.

Severus plaça une main sur son bras et secoua brièvement la tête. Elle se rassit avec un air
bougon. Sa spontanéité était rafraichissante mais il aurait préféré qu’elle s’abstienne. Il
n’avait besoin de personne pour mener ses batailles à sa place, son ego ne le supportait pas.
L’amitié de Lily n’y avait pas résisté et il ne tenait pas à faire les mêmes erreurs deux fois.

« Elle a raison. » déclara Black, s’attirant des regards estomaqués. « Ce n’est pas le sujet, de
toute manière. »

« C’est un peu le sujet, quand même. » objecta Charlie Weasley, en fronçant les sourcils.
« On ne peut pas nier que les informations que le Professeur Snape rapporte… »

« Il rapporte ce qu’il peut et il risque sa vie à chaque fois. » grinça Nymphadora. « Si tu


penses que tu peux faire mieux, je t’en prie. »

Maugrey laissa échapper un long sifflement.

« Dis donc, Snape… Tu as un sacré fanclub. » se moqua l’Auror.

La mâchoire du Maître des Potions se contracta d’irritation.

« Si le consensus du Conseil conclut à ma traitrise, j’ignore ce que je fais encore ici. »


rétorqua-t-il. « Des copies attendent ma correction depuis presque une semaine. Peut-être
souhaiteriez-vous voter afin de décider à qui je suis loyal? Ainsi je serais libre soit de
terminer mes explications soit de faire mon travail. »

L’ironie mordante qui suintait de chacun de ses mots échappa à beaucoup mais d’autres se
tortillèrent de gêne. Il balaya la table des yeux, certains évitèrent son regard, d’autres
l’affrontèrent sans ciller, soit ouvertement accusateurs soit confiants.

« Ne soyez pas ridicule, Severus. » s’agaça Minerva avec un claquement de langue


réprobateur en direction d’Albus qui se refusait toujours à intervenir. Le vieux sorcier n’était
pas aussi distrait qu’il voulait le faire croire, supposait-il, il devait s’agir de quelque nouveau
plan dont il ne savait rien.

« Continue. » l’encouragea Lupin.

« Ce matin, j’ai rapporté au Seigneur des Ténèbres que Fletcher allait voler la pierre sur ordre
d’Albus. » lâcha-t-il, déclenchant une salve de murmures. « Je Lui ai également rapporté
qu’il comptait procéder à un échange demain soir, à minuit. Ici. » Il tira à lui une des
nombreuses cartes qui recouvraient la table et pointa une taverne du doigt. « Quelqu’un
récupérera la pierre auprès de Fletcher, filé par une seconde personne en couverture, et
empruntera, cette route-ci. » Il retraça un chemin du doigt avant de s’arrêter à une
intersection aux limites de l’Allée des Embrumes, dans un quartier relativement désert.
« Bellatrix et les deux frères Lestrange attaqueront à cet endroit. McNair se chargera de
supprimer quiconque sera en couverture. »

Un silence succéda à cette déclaration.

« D’accord, et c’est quoi le plan ? » demanda Black, en fronçant les sourcils. « Se faire
massacrer ? »

« Capturer Bellatrix Lestrange, son époux et son beau-frère. » répliqua Severus. « Priver le
Seigneur des Ténèbres de son bras droit lui porterait un coup dur. Sans compter que les
informations que possède Bellatrix sont inestimables. »

« Donc on leur tend un piège. » conclut Nymphadora, en attirant la carte à elle pour mieux
repérer les lieux. « On les encercle. »

« Il est impératif que McNair s’échappe et voit son adversaire avertir l’Ordre par patronus. »
avertit Severus. « Dans le cas contraire, je ne donne pas cher de ma couverture. Pour la même
raison quiconque transportera la pierre devra tenir face à Bellatrix et aux Lestrange pendant
quelques minutes afin que la charade soit crédible. »

« J’irai. » suggéra Nymphadora.

« Non. » furent-ils quatre à protester, à la fois.

Elle les fusilla tous du regard. Charlie Weasley, grimaça, Fol’Œil haussa les épaules, Lupin
lui adressa un petit sourire d’excuse et Severus demeura impassible.

« Je transporterai la pierre. » décréta Alastor, d’un ton qui ne souffrait aucune réplique. « Les
Lestrange et moi n’en sommes pas à notre première danse. Je peux les contenir cinq minutes.
Tu peux me couvrir, gamine. »

La jeune femme accepta d’un hochement de tête bref mais vexé. Ce fut sur Severus que son
regard s’attarda le plus longtemps mais il refusa de se sentir coupable ou de s’expliquer.
Bellatrix était avide de revanche et elle voulait la tête de l’Auror pour la trahison de sa sœur.
Le fait que la mort de Nymphadora puisse le blesser à lui serait la cerise sur le gâteau. La
sorcière avait plus de raisons qu’il n’en fallait pour redoubler de zèle face à sa nièce.

La mission serait délicate – même à dix contre quatre, rien ne garantissait qu’ils parviennent
à maîtriser Bellatrix.

Il leur laissa le soin de finaliser l’opération sous la direction d’Albus. Black, Lupin, Delacour,
Nyssandra, Shaklebolt et Bill Weasley se positionneraient autour de l’intersection où Fol’Œil
serait attaqué tandis que les deux dragonniers se tiendraient prêts à prêter main forte à
Nymphadora en cas de besoin. Minerva, malgré ses protestations, fut exclue de la mission –
quelqu’un devait rester en sécurité au cas où ils auraient besoin de renforts.

À les regarder débattre des meilleures tactiques et positionnements, Severus n’était pas
certain qu’ils se rendent compte de l’ampleur de la tâche. Quatre contre dix semblait facile
mais en sachant que Bellatrix comptait pour deux si ce n’était trois… De plus… Il ne fallait
pas oublier l’espion. Sans doute Bella et les Lestrange seraient-ils préparés à un comité de
réception plus large que prévu. Il estimait toutefois les chances acceptables.

Des rires fusaient de temps à autre. Il donna parfois son avis, principalement pour critiquer
les décisions idiotes.

La réunion se termina sur une note d’espoir. Capturer Bellatrix marquerait une victoire
décisive.

« Et si l’on ne peut pas la prendre vivante ? » s’enquit Lupin, après s’être raclé la gorge.

« Bellatrix doit sortir de l’échiquier d’une manière ou d’une autre. » répondit Albus.

Personne ne lui demanda de clarifier.

La réunion se termina dans le brouhaha habituel. Nymphadora se tourna immédiatement vers


lui mais Minerva attrapa le bras de l’Auror avant qu’elle n’ait pu dire quoi que ce soit ; il
n’avait, de toute manière, pas particulièrement envie d’écouter les reproches qu’elle n’aurait
pas manqué de lui jeter. Il se glissa parmi les différents groupes qui s’étaient formés, stoppé à
l’entrée de la cuisine par Black.

« J’ai besoin d’un service. » lâcha le Sang-Pur, en coinçant une cigarette entre ses lèvres.
L’Animagus jeta un rapide coup d’œil alentours. « Tu peux occuper Dumbledore dix
minutes? »

Severus fronça les sourcils. « Pour ? »

« Je veux atteindre Poudlard avant lui. » expliqua Black, en levant les yeux au ciel.

« Les protections actuelles du domaine étant ce qu’elles sont, il saura que tu es à l’école au
moment où tu franchiras la porte. » rétorqua-t-il, dans un rictus. « Qu’il soit ici ou là-bas. »

« Oui mais, Poudlard, c’est grand. Le temps qu’il rapplique je serais dans la Salle sur
Demande et bonne chance à lui pour me trouver. » triompha son rival.
C’était le plan le plus idiot et mal conçu que Severus ait jamais entendu mais de la part du
Maraudeur, cela ne l’étonnait pas.

« Que veux-tu faire dans la Salle sur Demande ? » l’interrogea-t-il, soupçonnant d’ors et déjà
qu’il n’apprécierait pas la réponse. Minerva lui avait tout dit de ces réunions auxquelles se
livraient les adolescents. Il n’avait rien contre un club de Défense – un club de Défense lui
semblait, au contraire, une excellente idée – simplement il aurait préféré que ce club n’ait pas
lieu de nuit, sans supervision. Et, non, il ne comptait pas Black comme une supervision
fiable…

« Rien que tu n’approuverais. » rétorqua Black, en allumant sa cigarette avec un sourire


presque canin. « Mais tu ne désapprouverais pas non plus et j’ai promis à Harry de ne rien
dire. Alors ? Tu me couvres ? »

Severus pinça les lèvres, n’appréciant guère la familiarité avec laquelle l’homme s’adressait à
lui. Alliés ne voulait pas dire amis. Pourquoi les Gryffondors et les Poufsouffles avaient-ils
tant de mal à comprendre ce que tout bon Serpentard ou Serdaigle aurait accepté en un
instant ?

Il jeta un coup d’œil à Dumbledore. Albus était accaparé par Fol’Œil et hochait patiemment
la tête. Le vieux sorcier en était probablement quitte pour un long moment passé à écouter les
élucubrations de l’ancien Auror.

« Service pour service. » offrit-il. « J’ai moi aussi besoin d’une faveur. »

« Maintenant ? » grimaça Black, ses yeux s’attardant sur la pendule accrochée au mur.

« Ce ne sera pas long. » insista-t-il. « Attends-moi dans la bibliothèque. » Il tourna les talons
sans attendre de réponse, interrompant Minerva en posant une main sur son bras. « Puis-je
vous emprunter quelques secondes ? »

Nymphadora semblait toujours partagée entre lui demander de s’expliquer et se mettre en


colère. Il l’ignora. Il y avait plus urgent pour l’instant.

« Naturellement. » offrit la sous-directrice. « Si vous voulez bien m’excuser… »

La jeune femme accepta ses excuses d’un hochement de tête poli.

« Assurez-vous qu’Albus n’aille nulle part pour l’instant, voulez-vous ? » exigea-t-il,


parvenant à instiller suffisamment de douceur dans sa voix pour que cela sonne comme une
question plutôt qu’un ordre. Il était certain que s’il la poussait trop loin ce soir là, elle ne
tarderait pas à exploser et il ne tenait ni à causer une scène, ni à subir une série de
remontrances.

Nymphadora le foudroya du regard mais acquiesça.

« Je veux une explication plus tard. » siffla-t-elle entre ses dents, suffisamment bas pour que
Minerva qui s’était éloignée puisse prétendre ne pas avoir entendu.
« Je veux tout un tas de choses que je ne peux pas avoir. » rétorqua-t-il sur le même ton. «
Nous n’obtenons malheureusement pas tout ce que nous désirons dans la vie. »

« Severus. » grinça-t-elle. Un avertissement, supposait-il.

« Nymphadora. » cracha-t-il, peu enclin à se faire sermonner.

Il lui aurait très certainement fourni une explication si elle n’avait pas agi comme s’il se
devait de lui en donner une. Il n’appréciait pas qu’elle agisse comme s’il devait lui rendre des
comptes. Il avait deux Maîtres, cela lui suffisait amplement.

Sans ajouter un mot, il rejoignit Minerva et la guida jusqu’à la minuscule bibliothèque où


attendait impatiemment Black, ignorant leurs questions. Il tira de l’intérieur de ses robes trois
parchemins auxquels il rendit leurs véritables tailles d’un coup de baguette. Les deux
Animagus cessèrent brusquement toute interrogation lorsqu’ils en aperçurent l’intitulé :
Dernières Volontés et Testament de Severus Snape.

« Severus… » souffla Minerva. « Je ne crois pas… »

« Les parchemins sont magiques, comme vous le savez. » l’interrompit-il, n’étant pas
d’humeur à l’écouter. « Nous n’avons donc pas besoin d’un notaire assermenté. Albus a
l’ancienne version en sa possession, elle ne me convenait plus. » D’un coup de baguette, il fit
apparaître plume et encrier. « Vous savez tous deux comment cela fonctionne, je présume, ou
dois-je vous faire un cours sur la question ? »

« Inutile d’être désagréable. » le rabroua sa collègue, tentant visiblement de garder un ton


neutre.

« Vas-y. » lâcha plus sobrement Black.

Le testament devait être lu à haute voix pour que la magie s’active.

La lecture fut courte, le testament n’était pas long. Son patrimoine était confortable mais pas
extensif : son coffre personnel à Gringotts, la maison de Spinner’s End et tout ce qu’elle
contenait, ses effets personnels dans ses appartements à Poudlard, et le sceau de la Maison
des Prince qui n’avait guère de valeur puisqu’il avait hérité du domaine mais pas du titre de
Lord Prince – son grand-père n’avait pas souhaité souiller la lignée davantage qu’elle ne
l’était déjà sans pour autant se résoudre à le laisser sans rien – l’argent qu’il avait tiré de la
vente du domaine dormait sur un autre compte à Gringotts avec la maigre fortune des Prince.
Le tout irait à Harry, c’était la clause du testament qu’il modifiait. Ses recherches en cours
iraient à Albus qui, il l’espérait, saurait en faire bon usage.

« Moi, Severus Snape, déclare être saint de corps et d’esprit à la rédaction de ce testament. »
conclut-il, avant de signer les trois parchemins, de s’entailler le pouce d’un coup de baguette
et de laisser tomber une goutte sur sa signature. Il tendit la plume à Minerva, elle parapha les
trois copies, les livres pincées. Black l’imita, l’air grave.

À la seconde où le Sang-Pur leva la plume, les trois parchemins se mirent à flotter dans les
airs, auréolés d’une aura bleutée, avant de se replier sur eux-mêmes et de se sceller
magiquement.

« Pourquoi trois copies ? » demanda Black, alors que Severus empochait deux des
parchemins.

« La première est pour Albus, la seconde est pour moi. » répondit-il laconique.

« Et la troisième ? » insista l’Animagus, sourcils froncés.

Severus frotta son pouce sur la dernière copie, se concentrant sur la sensation rugueuse du
parchemin plutôt que de braver les regards trop intenses qui le fixaient. Sans un mot, il la lui
tendit.

Black écarquilla les yeux.

« À moi ? » s’exclama le Maraudeur avec une incrédulité bien compréhensible. « Tu veux me


confier, à moi, tes dernières volontés ? »

« Non. » contra-t-il sèchement. Les yeux noirs affrontèrent les yeux gris, refusant de flancher.
« C’est Harry que je te confie. » Il haussa légèrement les épaules. « Albus veillera à ce que
mon testament soit respecté, pour cela je lui fais confiance. À ce moment là, ma relation avec
Harry n’aura plus d’importance, je ne serais plus une menace à son influence. Ce sera ton
tour. » Son regard voyagea jusqu’à Minerva avant de revenir vers Black. « Votre tour. Je dois
être certain que s’il m’arrivait quelque chose… »

« Ne t’inquiète pas de ça. » coupa l’Animagus, en lui assenant une claque maladroite sur
l’épaule qui le fit grimacer de douleur. Il n’avait pas complètement récupéré de sa dernière
séance de torture. Black grimaça. « Désolé. »

« Severus… » supplia Minerva, avec une douleur sourde qui n’avait pas encore lieu d’être.
« Si vous pensez être véritablement en danger de mort, je vous en conjure… »

« Nous avons tous nos devoirs. » l’interrompit-il. « Et ceci n’est qu’une précaution. »

Ni Black, ni Minerva n’eurent l’air convaincu mais ils ne tentèrent pas d’insister, sachant
probablement qu’il n’y avait rien à dire qui n’ait déjà été dit.

°°O°°O°°O°°O°°

« Est-ce une manie chez vous, les Gryffondors, d’arriver en retard ? » soupira Draco, en
agitant distraitement sa baguette dans les airs, laissant des volutes de fumée argentée dans son
sillage.

Allongé sur le dos sur les tapis d’entraînement empilés dans un coin de la Salle sur Demande,
le Serpentard fixait les voutes au-dessus de leurs têtes et tentait d’évaluer la hauteur du
plafond. C’était une manière comme une autre de passer le temps.

Des petits groupes s’étaient naturellement formés à divers endroits de la pièce. Certains
plaisantaient et chahutaient gentiment, certains, plus sérieux, avaient sorti leurs notes de
cours et révisaient anxieusement leur prochain examen – Granger, en autres – et d’autres
encore s’étaient retirés dans un coin sombre. Daphné et Blaise, par exemple, semblaient
penser que personne ne pouvait les voir simplement parce qu’ils s’était mis à l’écart ce qui
était non seulement idiot mais faux.

Potter avait bien tenté de lancer la réunion de l’A.D. en dépit de tout mais ils avaient annoncé
aux autres un entraînement spécial avec Sirius Black et l’enthousiasme que suscitait
d’habitude le Survivant n’était pas parvenu à motiver les adolescents en comparaison de ce
qu’il leur avait été promis.

Son cousin était désormais la coqueluche du monde magique. Les filles se pâmaient devant
ses interviews dans les magasines et la plupart des garçons lui vouaient une admiration sans
bornes. Draco était prêt à concéder qu’il aurait pu être bien plus dément qu’il ne l’était après
douze années passées à Azkaban mais il ne comprenait pas pour autant l’engouement pour le
look Sirius Black que certains adolescents tentaient stupidement d’imiter – trop de cuir, trop
de tatouages et trop débraillé.

« Très drôle. » répondit platement Weasley.

Draco baissa les yeux vers les deux Gryffondors assis par terre, adossés à la pile de tapis sur
laquelle il était allongé. Il aimait bien l’idée que ces deux là lui soit symboliquement inférieur
– ou tout du moins Potter.

« Je sais bien que tu ne lis pas vite, mais cela fait bien vingt minutes que tu es penché sur
cette lettre. » remarqua-t-il. Weasley lui jeta un regard agacé, celui de Potter était noir. Il leva
les yeux au ciel. « Un peu d’humour. »

« Si tu étais drôle, ça se saurait. » rétorqua Weasley, avant de hausser les épaules. « C’est de
ma mère. »

« Elle va bien ? » s’enquit immédiatement Potter, en arrachant ses yeux de la Carte des
Maraudeurs qu’il scrutait depuis presque une demi-heure.

« Oui. » confirma son meilleur ami. « Je la trouve… mieux. »

Il y avait une sorte de soulagement incertain dans la voix du Gryffondor, comme s’il n’était
pas tout à fait certain de pourquoi il était tant rassuré par une simple missive.

« Elle se remet sûrement de… Tu sais. » offrit maladroitement Potter.

Weasley acquiesça d’un hochement de tête sec et se tordit le cou pour dévisager Draco. « Et
toi ? Des nouvelles de ta mère ? »

« Mes parents m’ont renié, tu te souviens ? » lui rappela-t-il froidement.

Il n’attendait pas de nouvelles, ni de son père, ni de sa mère. Il espérait simplement que


Narcissa était en sécurité et que Lucius ne prenait pas des risques inconsidérés. Il espérait…

« La guerre finira un jour. » déclara Potter calmement. « Je suis sûr qu’à ce moment là, ta
mère… »
« Que valent tes certitudes ? » se moqua-t-il amèrement.

La guerre finirait un jour, certes. Le lendemain ou dans dix ans, personne ne pouvait le dire
avec précision. Personne ne pouvait garantir non plus qu’ils y survivent tous. Et quand bien
même… Quelle victoire devait espérait Draco ? Celle de Dumbledore et Potter qui scellerait
à coup sûr le sort de ses parents ? Ou celle du Seigneur des Ténèbres qui scellerait le sien et
celui de Granger ? Qu’espérer lorsque les deux options paraissaient tout aussi insurmontables
l’une que l’autre ?

« Pas grand-chose. » admit Potter. « Mais, écoute… Ta mère… Ce n’est pas une Mangemort.
Elle n’a pas de Marque. Si je peux faire quelque chose pour elle quand le moment sera
venu… »

Voilà à quoi il en était réduit. Compter sur la pitié et le bon vouloir du Survivant.

« Merci. » lâcha-t-il, et cela lui arracha la bouche.

Weasley donna un coup de coude à son ami et pointa du doigt la Carte. « Sirius. »

« Enfin ! » soupira Draco, en se redressant.

Il ne fallut pas bien longtemps pour Black passe la porte de la Salle sur Demande, l’air
frondeur et un sourire arrogant aux lèvres.

« Désolé pour le retard. » lança l’homme à la cantonade. « Mission top secrète. »

« Peut-être devrait-il se vanter plus fort dans ce cas. » marmonna Draco à Blaise et Daphné
qui l’avaient rejoint.

Black ne perdit pas de temps en présentation. À peine salua-t-il Potter, Granger et la fratrie
Weasley qu’il les mit tous au travail.

Après une petite heure et malgré le fait que la nuit était bien entamée et que son lit l’appelait
à grands cris, Draco dut admettre qu’ils auraient pu trouver pire instructeur. Sa méthode
ressemblait beaucoup à celle que Snape employait dans sa classe de Défense et il se demanda
quelle aurait été l’issue d’un duel entre les deux. Black n’était pas extraordinairement
puissant et il manquait de discipline mais il compensait cela par une maîtrise irréprochable
des sorts de combats et un esprit vif.

À regret, il dut reconnaître qu’il en avait appris beaucoup lorsque le repris de justice déclara
qu’ils allaient procéder à une session de duel au centre de la pièce.

« Trouvez-vous un partenaire. » ordonna Black.

Comment Draco se retrouva avec Potter, c’était un mystère. Blaise et Daphné se


rapprochèrent immédiatement, Granger et Weasley se mirent ensemble après un bref regard
échangé et un haussement d’épaules, Ginny et Luna firent de même… Il leva un sourcil en
guise de défi et Potter y répondit d’un geste presque amusé, trop sûr de sa victoire prochaine.
Le Serpentard mourrait d’envie de lui faire ravaler ce sourire plein de morgue.
« Bien. » lança Black pour rétablir le silence. « Maintenant vous et votre partenaire allez
affronter un autre binôme. Le but est d’apprendre à travailler en équipe. C’est différent de se
battre seul et de se battre à deux. Harry, tu veux commencer ? »

Son cousin grimaça légèrement lorsqu’il vit qui le Survivant avait choisi comme partenaire
mais, vraiment, cela aurait été davantage à Draco de grimacer.

« Essaye de me pas gêner. » grommela-t-il en direction de Potter.

« C’est plutôt moi qui devrait dire ça. » répliqua le Gryffondor.

Il leva les yeux au ciel face à tant d’absurdité.

Fred Weasley leva la main pour se porter volontaire.

Il échangea un regard avec Potter, soudain moins tranquille.

« Un chacun ? » suggéra Potter, à voix basse.

« Je prends celui de gauche. » répondit-il sur le même ton.

Ce fut un massacre.

Fred et George se battaient comme une seule et même personne. Draco comprit rapidement
qu’ils n’étaient pas plus puissants que Potter et lui, simplement mieux organisés. Là où ils
peinaient à ne pas se rentrer dedans et ne pas envahir l’espace de l’autre, les jumeaux
bougeaient avec fluidité, sans avoir besoin de se consulter du regard.

Draco et Potter tinrent dix minutes avant de perdre tout contrôle. À un moment, seul le
bouclier que le Survivant dressa à la hâte en face de lui sauva le Serpentard d’un stupefix en
pleine poitrine. Il le remercia d’un hochement de tête quelque peu amer mais s’appliqua à
être plus attentif non seulement à lui-même mais à la sécurité de Potter.

« C’est mieux ! » encouragea Black, après deux autres minutes.

Le duel se termina lorsque un trait bleu – un sortilège qu’il n’identifia pas – fusa vers Potter
qui avait laissé son flanc dégagé pour mieux parer une attaque de George. Il jeta toute sa
magie dans un sortilège de bouclier pour protéger le Survivant. Ce fut instinctif. Et cela lui
valût de prendre un sort en pleine poitrine qui le propulsa deux mètres plus loin.

L’atterrissage lui coupa le souffle.

Il entendit à peine Black mettre fin au duel.

« Oh mon dieu, Draco… » s’inquiéta Granger, en s’agenouillant près de lui. « Ça va ?


Combien de doigts ? »

Question idiote, songea-t-il, en fixant les trois doigts qu’elle avait presque collés contre son
visage. Il écarta sa main avec une irritation teintée d’affection et se redressa en position
assise. « Je ne pas suis encore mort, Granger. »
Assommé, peut-être, remarqua-t-il pour lui-même, la respiration toujours sifflante. La tête lui
tournait légèrement. Non pas qu’il ne l’aurait jamais admis, pas avec la pièce entière qui le
dévisageait. Une main apparue dans son champ de vision, attachée au bras de Potter… Il
l’attrapa et laissa le garçon le tirer sur ses pieds. Granger se releva également, ses doigts
enserrant son coude pour prévenir une éventuelle chute.

« Ça va, cousin ? » demanda Black avec un sérieux inhabituel.

« Comme un charme. » riposta-t-il, les lèvres pincées.

Le sorcier l’étudia quelques secondes puis parut satisfait de ce qu’il voyait, il lui asséna une
claque sur l’épaule qui manqua le renvoyer au sol, et appela un nouveau couple de binômes
au centre de la pièce.

« Pourquoi, pourquoi, faut-il toujours que les Gryffondors soient si violents ? » grinça-t-il, en
se massant l’épaule.

« C’est une marque d’affection. » répondit Granger, un sourire amusé aux lèvres.

« C’était du bon travail. » renchérit Potter. « Et… merci. »

Draco passa le reste de la session à grommeler dans son coin qu’il avait fait ce qu’on avait
requis de lui et que ça n’avait rien à voir avec Potter parce qu’il se serait sacrifié pour
n’importe qui d’autre, cela ne signifiait pas lui et Potter étaient amis ou quoi que ce soit.

Blaise finit par lui dire de se taire avant que cela ne relance toutes ces méchantes rumeurs.

°O°O°O°O°

« J’espère que vous savez ce que vous faites. »

Albus ravala un bref soupir, quelque peu agacé. Cette question était désormais récurrente et il
commençait à en avoir assez d’y répondre. Son regard passa du visage de Lucius sur le miroir
au domaine qui s’étendait en contrebas. Il guettait l’apparition du chien noir. Si Sirius pensait
qu’il pouvait s’inviter sur le domaine sans qu’il n’en soit conscient, il se trompait.

« Toute intervention de ma part mettrait votre position en danger. » répondit-il. « Vous êtes un
atout précieux, Lucius. Je ne vous risquerai pas. »

« Voilà qui est rassurant pour moi. » se moqua le Sang-Pur avec un amusement quelque peu
amer. « Et qui l’est bien moins pour Severus. Vous vous rendez compte, sans doute, qu’il sera
blâmé pour ceci, n’est-ce pas ? Non seulement vous envoyez la totalité de votre Ordre dans
un piège de grande envergure mais vous vous assurez que votre espion ne survivra pas à la
prochaine réunion. Où est-ce là votre plan ? Vous débarrasser d’un élément gênant ? »

Albus lissa sa barbe d’un geste distrait, baissant les yeux vers le miroir qu’il tenait de sa main
libre.

« Vous inquiétez-vous pour Severus ? » s’enquit-il, légèrement surpris. Il savait que Lucius et
Severus s’affichaient volontiers comme alliés et amis, mais il n’avait pas eu conscience que
cela dépassait la simple amitié de façade. De plus, Severus ayant dénoncé les nouvelles
allégeances de Draco à Voldemort…

Le visage de Lucius resta de marbre.

« Je m’inquiète simplement de la manière dont vous traitez vos partisans. » rétorqua


l’homme. « Pourquoi seulement organiser un plan pareil en sachant qu’un espion siège à
votre table ? Un espion qui, si vous me permettez de donner mon avis, en a personnellement
après Severus. Pourquoi d’autre serait-il allé rapporter au Seigneur des Ténèbres ce à quoi il
s’aventure avec Nymphadora ? » Un éclair de contrariété passa sur le visage du Sang-Pur.
« À ce sujet, par ailleurs… Assurez-vous qu’il n’arrive rien à ma nièce durant cette mission
suicide, voulez-vous ? Grâce à Severus et à la rancune tenace de Bellatrix, je ne donne pas
cher de sa peau. »

Tant de questions, songea Albus.

Pourquoi avait-il pris la peine d’organiser une mission en sachant qu’un espion trônait à la
table ? Justement parce qu’un espion trônait à la table. Voldemort ne pouvait soupçonner
qu’Albus savait. Il ne pouvait soupçonner non plus qu’il avait connaissance de ce que Lucius
venait de lui rapporter: l’attaque était un piège qui se refermerait sur l’Ordre.

Il fallait décider de quelles informations utiliser et de quand feindre un coup perdant.

Il prétendrait donc composer avec les informations que Severus avait rapportées, ce qui
endormirait la méfiance de l’espion comme celle du Seigneur des Ténèbres. Il faisait
confiance aux membres de l’Ordre pour se sortir de ce guêpier sans trop de casse, après tout
ils étaient tous de formidables duellistes.

Certes, cela mettait la position de Severus sur la sellette. Il serait impossible pour le
Professeur de nier être à la source de la fuite – que ce soit auprès de Voldemort ou de l’Ordre
d’ailleurs, mais Albus avait décidé qu’il était temps pour l’homme de ranger la casquette
d’espion. La situation était désormais trop précaire et il lui fallait un second, Severus ne
retournerait pas auprès de son autre Maître après la mission du lendemain. Il espérait que la
confiance que certains membres de l’Ordre témoignait à Severus vacillerait suffisamment
pour qu’Albus puisse reprendre le plein contrôle. Il espérait également que voir Severus élevé
en position de second raviverait certaines rancunes entre le Maître des Potions et les
Maraudeurs. Enfin, il espérait que Severus cesserait de le voir comme une menace et
l’envisagerait à nouveau comme son mentor. Cela, Albus le devinait, lui permettrait de
remettre la main mise sur Harry à travers lui.

Diviser pour mieux régner, en somme.

Et tout le monde serait sain et sauf. La pensée que Severus avait terminé de se faire torturer
était presque grisante de soulagement.

« Vous voilà inquiet pour votre nièce, à présent… » s’amusa-t-il. « Je vous ignorai si
sentimental, Lucius. »
« Ma nièce est la tutrice de mon fils. » cingla le Sang-Pur. « N’oubliez pas la raison de tout
ceci, Dumbledore. N’oubliez pas pourquoi je me bats. »

« Oh, je ne l’oublie pas. » répondit-il doucement.

Et c’était bien pour ça qu’il ne faisait qu’une confiance limitée à l’homme.

Il ne savait que trop bien jusqu’où on pouvait aller par amour.

Il suivit des yeux la course de Patmol vers la Forêt Interdite, le chien zigzagua entre les taillis
et disparut à sa vue.

On pouvait aller jusqu’à la plus répugnante des alliances, par exemple.

°°O°°O°°O°°O°°

Harry ne s’habituerait jamais à voir Malfoy et Hermione main dans la main, il en était
persuadé. Il emboîta le pas à ses amis en sortant de la Grande Salle après le petit déjeuner,
mais ne tarda pas à les laisser le distancer. Hermione était trop occupée à se chamailler avec
Malfoy, Ron souriait à ce que Lavande racontait et Neville, s’il ne se trompait pas, tentait
désespérément d’inviter Luna à se promener dans le parc plus tard dans la journée.

L’orage grondait à l’extérieur et la pluie s’écrasait à grosses gouttes sur chaque fenêtre
qu’Harry dépassait, donnant à la journée qui se profilait un air maussade et déprimant. Il
avançait en autopilote, mettant automatiquement un pied devant l’autre, suivant les
discussions lointaines de ses amis autant que le chemin familier qui menait à la bibliothèque.

« Potter. » cingla une voix inimitable.

Les couloirs, sans être bondés, étaient plein d’élèves et Harry s’immobilisa, surpris d’être
interpelé devant tout le monde. Il se tourna pour faire face au Professeur qui fondait sur lui et
qui lui attrapa le bras sans ménagement.

« Vous avez fouillé dans ma réserve à nouveau, n’est-ce pas ? » accusa Severus avec
violence. « Dans mon bureau ! »

Harry joua le jeu, protestant à grands cris, hurlant à l’injustice, et se débâtant contre la poigne
qui ne tenait pas grand-chose. Severus ne le lâcha que lorsque la porte de son bureau eut
claquée derrière lui. Il attendit que l’homme ait marmonné les quelques sortilèges nécessaires
pour que leur conversation demeure secrète et se fendit d’un sourire amusé.

« On devrait vraiment trouver comment communiquer plus discrètement. » déclara-t-il.

Les lèvres du Professeur s’étirèrent brièvement en un sourire indulgent sans que cela ne dure.
Il semblait troublé, inquiet. Anxieux même.

Harry fronça immédiatement les sourcils.

« Est-ce qu’il y a un problème ? » demanda-t-il. « Je n’ai pas encore réussi à tirer les vers du
nez à Slughorn. Malfoy essaye de le convaincre de relancer le Club de Slug. Hermione s’est
dit que… »

« Cette entrevue n’a rien à voir avec les horcruxes. » l’interrompit Severus, d’un ton détaché.
Il occludait, comprit Harry, et lorsqu’il occludait à ce niveau… La situation était grave.
« Encore que… » Le Professeur hésita l’espace d’une seconde. « J’ai mis Black dans la
confidence. Il dispose d’une copie de mes recherches et ses idées sont intéressantes. Il pourra
t’aider. »

« Vous êtes là pour m’aider. » contra-t-il. « Je n’ai pas besoin d’aide… »

L’homme balaya cette objection d’un geste irrité.

« Nymphadora Tonks est digne de confiance. » lâcha le Professeur. « Ceci est important.
Souviens t’en. Nymphadora, Bill Weasley, Minerva McGonagall. Ils ont tous ma confiance
pleine et entière. Black, également, mais Black est impulsif… Ils ont tous leur faiblesse, ne te
repose entièrement sur aucun d’entre eux, mais ensemble… Ils ont ma confiance. »

« Severus. » lâcha-t-il, l’estomac noué par un mauvais pressentiment. « Qu’est-ce qu’il se


passe ? »

« Rien. » répondit le Professeur. « Rien dont je ne sois certain. Simplement… Je préfère


prendre mes précautions, comprends-tu ? »

La main que l’espion posa sur son épaule ne contribua pas à le rassurer.

« Vous êtes en danger. » devina Harry, le cœur battant à cent à l’heure. « Vous… »

« Je suis perpétuellement en danger. » coupa Severus, laissant échapper un petit rire amer. Il
n’aima pas la touche d’hystérie qu’il y détecta. « Je t’ai fait une promesse, je tâcherais de la
tenir. Toutefois… »

« Vous n’allez pas mourir. » répliqua-t-il. « Je vous l’interdis. »

« Et je suis certain que cette interdiction arrêtera le Seigneur des Ténèbres. » rétorqua le
Professeur avant de se passer une main sur le visage. « Écoute-moi, je te prie. D’une manière
ou d’une autre… La situation va basculer, je le sens. Je ferais mon possible pour en réchapper
néanmoins si je n’y parvenais pas… »

« Ne dites pas des choses comme ça. » gronda-t-il « Ne parlez pas comme si vous alliez
mourir. Et ne me dites pas au revoir. Je ne veux pas l’entendre ! »

Une part de lui l’avertit qu’il risquait de regretter ses paroles plus tard mais Harry fit la
sourde oreille. Il refusait d’envisager ne serait-ce que la possibilité que le Professeur puisse
mourir. Il avait perdu trop de gens. Severus ne serait pas parmi ceux là.

« Ne fais jamais pleinement confiance à Dumbledore. » reprit Severus d’un ton ferme.
« Jamais. Black… Black t’épaulera mais il n’a pas la cervelle nécessaire pour le reste.
Minerva est trop intègre, elle ne fera pas tout ce qui est nécessaire pour toi, il y a des limites
qu’elle ne franchira pas… Bill Weasley… Bill Weasley a sa famille à charge et y donne
pleine priorité, garde ses frères près de toi si tu le peux. Et Nymphadora… » Sa phrase resta
en suspens quelques secondes, il ferma brièvement les yeux et, lorsqu’il les rouvrit, ses
boucliers mentaux étaient à leur maximum. « Nymphadora a le cœur tendre et cela la perdra
mais elle est loyale. Aucun d’entre eux n’a l’intellect nécessaire pour contrer les plans
d’Albus ou du Seigneur des Ténèbres. Eux ont toujours trois coups d’avance, souviens toi de
cela. En dernier recours… Repose toi sur toi-même. Applique ce que je t’ai enseigné et suis
ton instinct. Ton instinct… Bien qu’ayant tendance à te mener à des situations
dangereusement impossibles, ton instinct est souvent bon. Prends garde cependant à ne pas
confondre instinct et impulsions. »

Les doigts du Professeur s’enfoncèrent dans la chair de son épaule.

Harry serra les dents. Ce n’était pas la prise de Severus qui était douloureuse.

« Vous avez passé des mois à me répéter que j’avais besoin d’un adulte. » lâcha-t-il. « Et
maintenant, vous me dites que je dois me débrouiller seul. »

« Pas seul, non. » nuança l’homme, la voix empreinte de chagrin. « Cela, j’en suis certain.
Les gens te suivront. »

La colère flamba en lui, brutale et soudaine. « Je ne veux pas de partisans ! »

« Je le sais. » admit Severus.

« Si vous pensez être en danger, vous n’avez pas besoin d’y retourner. » s’énerva-t-il. « Dites
à Dumbledore que vous arrêtez. Dites lui… »

« Je dois terminer ma mission. » l’interrompit l’homme. « Ce n’est pas à toi de me dicter ma


conduite. Je ferai ce qui doit être fait. »

« Pourquoi ? » grinça-t-il. « Pour un fantôme ? Elle ne voudrait pas ça, vous savez. Lily. Elle
ne voudrait pas ça. »

« Idiot. » gronda le Professeur. « Penses-tu vraiment que je fais tout ça pour elle ? J’ai fait
mon deuil, Harry. J’ai fait la paix avec son souvenir. Ce n’est pas pour elle que… » Il
s’interrompit et soupira. « Harry… »

« Je ne veux pas qu’on meure pour moi. » cracha-t-il, se dégageant de la poigne du


Professeur d’un geste sec. « Vous croyez que j’en ai quelque chose à faire que vous mouriez
pour moi ou pour quelqu’un d’autre ? Vous croyez que je vais trouver ça noble ? Vous serez
toujours mort. Si vous y retournez, vous y retournez pour vous pas pour moi. Gardez-le, votre
sacrifice. Je n’en veux pas. »

Il chercha à quitter le bureau, aveuglé par la colère et la terreur, mais la porte résista. Il
entendit vaguement Severus l’appeler mais il n’y prêta aucune attention, canalisant sa magie
jusqu’à ce que le bureau le libère. Poudlard l’avait toujours eu à la bonne et il connaissait les
sortilèges de protection du Professeur par cœur.

Il arpenta les couloirs au hasard, ne sachant pas trop où il allait, le cœur battant si fort que
c’était tout ce qu’il entendait. Il finit par atterrir dans l’ancienne salle de Divination avec sa
couche de poussière qui le fit éternuer trois avant même qu’il atteigne la fenêtre.

Dehors, c’était le déluge mais il l’ouvrit quand même.

En lui, il sentit l’horcruxe s’agiter, nourri par les émotions négatives trop intenses. S’il l’avait
pu, il se serait labouré la poitrine jusqu’à atteindre l’abomination et l’en aurait arraché.
Comme pour mieux mettre cette pensée en pratique, il transforma sa main en patte encore et
encore, faisant jouer les larges griffes qui auraient probablement pu tuer un homme d’un seul
coup.

Ce n’était sans doute pas la conversation que le Professeur avait imaginé ou espéré mais
Harry lui en voulait quand même.

Il ne lui ferait pas ses adieux.

Il refusait de lui faire ses adieux.


To Fallen Men

The greatest monuments to fallen men are not carved in marble. They are at the bottom
of the sea, deep in the jungle in foreign territory. A rifle driven into the ground, with a
helmet and some tags.

David Scarpa – The Last Castle

Les plus grands monuments dédiés aux hommes tombés au combat ne sont pas gravés
dans le marbre. Ils sont au fond de la mer, au plus profond de la jungle en territoire
ennemi. Un fusil planté dans le sol, avec un casque et des plaques d’identification.

David Scarpa – The Last Castle

Tonks avait un très mauvais pressentiment.

Elle avançait d’un pas mesuré dans la ruelle sombre, prenant garde de ne pas perdre
l’imposante silhouette de Fol’Œil de vue sans pour autant le suivre de trop près. Tous ses sens
étaient aux aguets, sa main enserrait la baguette dans sa poche… Elle sentait presque le guet-
apens sur le point de se produire.

Charlie et Anthony étaient censés la suivre mais cela faisait plusieurs minutes déjà qu’elle
avait cessé d’entendre le léger écho de leurs pas sur les pavés. Son cœur battait fort, ses
cheveux étaient dressés à l’arrière de la nuque…

Elle perçut le mouvement sur sa droite et pivota, baguette sortie. Le stupefix alla s’écraser
contre le mur de briques alors qu’un chat gris filait entre deux poubelles dans un feulement.
Elle marmonna un juron et rangea sa baguette, avant de reprendre sa filature. La distraction
avait été suffisante pour qu’elle perde Fol’Œil de vue.

Elle hâta le pas et eut à peine le temps d’apercevoir sa silhouette se discerner au loin, trop
près du carrefour où l’attaque était censée avoir lieu.

Quelque chose se referma autour de sa gorge.

Elle tenta de se libérer mais elle était clouée sur place par la magie du Mangemort qui sortit
lentement de l’ombre. Le masque était blanc et lisse, inconnu. Une chose était certaine,
cependant, ce n’était pas McNair. L’homme était trop mince et trop petit, sa voix était frêle et
pourtant il ne rata pas une syllabe de la litanie latine qu’il égrenait patiemment.

L’étau invisible autour de sa gorge se resserra encore. Elle leva sa baguette, jetant toute sa
puissance dans un sortilège informulé qui fut paré par le second Mangemort qui se hâtait vers
eux.

« Achève-la. » ordonna ce dernier.


Celui-là non plus, songea-t-elle, n’était pas McNair.

Le rythme de la litanie s’accentua et sa baguette échappa à ses doigts gourds. Elle entendit à
peine le cliquetis du bois sur la pierre. Le sang lui battait aux oreilles, ses mains se portèrent à
sa gorge et elle griffa sa propre chair sans parvenir à se libérer. Ses jambes refusèrent de la
soutenir plus longtemps et elle s’écroula à genoux, cédant à la panique. Elle essaya d’ouvrir
la bouche, de gober l’air, mais tout ce qu’il en sortit fut un gargouillis.

Elle vit l’éclair vert du coin de l’œil mais le reste… Le reste se passa trop vite pour qu’elle
comprenne qui avait fait quoi. Soudain, l’air pénétra à nouveau dans ses poumons et elle
l’aspira à grandes bouffées, toussant légèrement.

Nouvel éclair vert et le second Mangemort s’écroula avant d’avoir pu riposter.

Elle leva les yeux mais avant qu’elle ait pu ne serait-ce que tenter de récupérer sa baguette
pour faire face au troisième homme masqué qui se tenait là, il s’agenouilla près d’elle et
repoussa ses cheveux en arrière, dégageant son visage.

« Respire. » exigea une voix familière.

Elle se détendit quelque peu, s’autorisant plusieurs autres longues inspirations avant
d’attraper son bras pour se redresser.

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? » marmonna-t-elle. « Ce n’est pas le plan. Ce… »

« C’est un piège. » lâcha Severus. Il se remit debout et la tira sur ses pieds sans ménagement
avant de ramasser sa baguette et de la lui fourrer dans les mains. « Il nous a convoqués. Tous.
La moitié de son armée a été envoyée ici et le reste… Il a emmené le reste, j’ignore où. »

« Un piège… » répéta-t-elle.

« Je n’ai jamais pensé que nous en arriverions à de telles extrémités. L’espion… » lâcha-t-il
avec agacement.

Elle se dégagea brusquement. « Tu aurais pu nous avertir. »

« Je n’en ai pas eu le temps. » répliqua-t-il. « Vas-tu m’accuser d’être un traitre, à présent ?


Toi ? »

L’Allée des Embrumes explosa.

L’onde de choc les propulsa contre le mur et ils s’écroulèrent tous les deux au sol où ils
restèrent prostrés. Sonnés.

Il y eut des cris, des appels au secours… Ses oreilles sifflaient mais elle entendit
distinctement des sortilèges fuser de parts et d’autres. La Marque se mit à luire dans le ciel
nocturne… C’était à nouveau la Nuit des Ténèbres.

« Tonks ! »
Elle leva la tête, soulagée de voir Charlie s’accroupir auprès d’elle, une balafre sanguinolente
sur la joue. Anthony se tenait juste derrière lui, la baguette rivée sur le Professeur.

« Non ! » protesta-t-elle immédiatement, étendant un bras pour le protéger. « C’est Severus. »

« Tu saignes. » s’inquiéta Charlie, sans paraître se préoccuper du fait que son petit-ami n’ait
pas abaissé sa baguette et ne semblait pas pressé de le faire. Les deux dragonniers n’avaient
pas l’air au mieux de leur forme. Outre la balafre sur la joue de Charlie, sa veste était
déchirée à l’épaule et Anthony semblait favoriser son côté gauche.

« Qu’est-ce qui se passe, bon sang ? » gronda le jeune homme. « Trois Mangemorts nous sont
tombés dessus. »

« Un piège. » grinça Severus. « Dumbledore doit être prévenu. Nymphadora, il nous faut
également des Aurors. »

« Il faut aller aider les autres. » intervint Charlie. « Ils vont se faire massacrer. »

« Pourquoi n’avons-nous pas été prévenus ? » siffla Anthony. « À quoi bon avoir un espion
s’il ne nous prévient pas ? »

« Laisse tomber pour le moment. » répondit son petit-ami. « On règlera ça plus tard. On doit
aller aider les autres. »

Tonk était déjà en train de créer ses patronus. L’un pour Dumbledore et l’autre pour
Scrimgeour. Elle ne s’attendait pas particulièrement à ce que l’un ou l’autre leur envoie une
aide efficace. Elle attrapa la main que Severus tendit et le laissa la remettre debout une fois
de plus.

« Allons-y. » déclara-t-elle. « On reste en binôme. Charlie, Anthony, ne vous lâchez pas.


Severus, toi et moi, on… »

« Je ne peux pas. » coupa sèchement le Mangemort et elle dut résister à l’envie irrépressible
de lui arracher son masque et de le piétiner. « S’ils s’aperçoivent de mon absence… Je
courais un risque rien qu’en venant vous avertir. »

« Et tu vas faire quoi ? » demanda-t-elle, sourcils froncés. « Retourner te battre pour l’autre
camp ? Tu as dit la moitié de son armée. On va avoir besoin de tout le monde. On va avoir
besoin de toi. »

Il était impossible de dire ce qu’il ressentait à ce moment là, le masque ne renvoyait rien
d’autre que le reflet des flammes qui brûlaient au loin.

« Ce n’est pas ma mission, Nymphadora. » cingla-t-il. « Ma mission est de protéger ma


couverture à tout prix. »

« C’était un piège et personne ne t’avait averti. » riposta-t-elle. « Elle est foutue, ta


couverture, Severus. Enlève ça et vient te battre avec nous. »
« Je regrette. » refusa-t-il à nouveau d’une secousse de tête. « Il me faut tenter de conserver
un avantage tactique. »

Un hurlement à la lune retentit suivit d’un deuxième puis d’un troisième et Tonks secoua, elle
aussi, la tête avant de se tourner vers Charlie et Anthony. « Allons-y. Quoi qu’il arrive, on
reste groupé. Inutile que je vous rappelle les sorts qui ne fonctionnent pas contre un loup-
garou, n’est-ce pas ? »

« On s’occupe de dragons au cas où tu aurais oublié. » se moqua son meilleur ami avec une
bonne humeur de façade.

Elle fit un pas vers le carrefour et fut contrainte de s’arrêter. La main gantée du Professeur
enserrait son bras.

« Sois prudente. » exigea-t-il à voix basse. « Je ne peux promettre d’être toujours là au bon
moment. »

Elle se dégagea sans un mot et rejoignit ses amis qui étaient déjà partis devant. Ils coururent
tous les trois en direction des flammes, plantant là le Mangemort. Tonks aurait voulu avoir le
luxe de se mettre en colère ou de lui en vouloir mais il y avait plus urgent. Ils s’arrêtèrent
tous les trois dans un même élan lorsqu’ils atteignirent le carrefour. Des flammes léchaient
les bâtiments environnants que les riverains faisaient de leur mieux pour contenir –
l’incendie, au moins, n’avait pas l’air magique – et dans les rues, c’était le chaos.

« Tu m’étonnes qu’il ne voulait pas venir. » lâcha Anthony.

« Sale traître. » grommela Charlie.

Elle voulut protester mais n’en eut pas le temps.

Les loups-garous déboulèrent par la gauche.

Décidemment…

C’était une manie chez elle de se retrouver nez à nez avec de gros loups aux crocs acérés.

°O°O°O°O°

Patmol attendait, tapi dans l’ombre sous sa forme canine. Plus loin sur sa droite, il sentait la
présence rassurante et familière de Remus dans le renfoncement du mur, à l’abri derrière un
sort de désillusion. Un picotement désagréable ne cessait de parcourir l’échine du chien et il
aurait aimé pouvoir blâmer une nervosité un peu trop prononcée, pourtant… Il avait un
mauvais pressentiment. C’était aussi simple que cela.

Le carrefour était désert, les différents membres de l’Ordre complètement dissimulés à la vue
du premier venu. La nuit était complètement silencieuse excepté pour une fenêtre qui battait
régulièrement dans l’air froid dans une rue attenante.

Fol’Œil émergea de la ruelle à l’heure convenue et avança d’un bon pas. L’ancien Auror aussi
semblait nerveux, son œil magique roulait en tout sens. Son bâton martelait le sol à chaque
pas mais Sirius ne fit pas l’erreur de croire qu’il y avait dans ces frappes une quelconque
faiblesse, il paraissait prêt à s’en servir.

À la seconde où Maugrey atteignit le centre du carrefour, une silhouette transplana juste en


face de lui. À croire que Bellatrix avait, elle aussi, patienté dans l’ombre. Fol’Œil frappa à
nouveau le sol de son bâton, libérant une charge de magie que la sorcière para d’un revers de
bras. Elle fut tout de même forcée de reculer de deux pas mais il s’agissait là d’une piètre
victoire.

Deux silhouettes apparurent dans le dos de Fol’Œil et Sirius ouvrit la gueule pour aboyer –
signal convenu qui lancerait l’attaque.

Il n’en eut pas le temps.

Bellatrix éclata de rire alors que les frères Lestrange échangeaient déjà quelques passes avec
Fol’Œil. Ensuite, le monde éclata tout court.

Sirius n’aurait su dire d’où vint l’explosion. Il entendit le hurlement – Bill, songea-t-il, Bill ou
Kingsley – et puis plus rien. Le carrefour était en flamme et ses oreilles canines, trop
sensibles, n’entendaient plus rien. Désorienté, il redevint humain et secoua la tête sans que
cela n’apaise la douleur. Du sang coulait de son oreille et il se demanda vaguement si son
tympan avait été touché.

Ces quelques secondes d’inattention manquèrent lui être fatales.

Une main attrapa son bras, le poussa en arrière, et, soudain, Remus était là, droit devant lui,
boucliers dressés et rendant sortilège pour sortilège face aux trois hommes masqués qui se
tenaient là. Sirius n’eut pas le luxe de lui prêter main forte, à peine celui de se positionner dos
à son meilleur ami, juste à temps pour contrer les Mangemorts qui déboulaient par la gauche.

Combien y en avait-il ?

Beaucoup trop.

Certains des bâtiments autour d’eux étaient en flammes, des gens sortaient dans la rue en
hurlant, quelques uns se joignirent à la bataille – pas beaucoup. Sirius n’entendait toujours
rien. Il parait les sortilèges qui fusaient vers lui sans savoir ce à quoi il échappait, répliquant
avec fureur et haine.

Les combats faisaient rage mais il aurait été incapable de dire qui se battait où. Il suait à
grosses gouttes, la chaleur de l’incendie et la violence du duel lui faisant perdre la tête. Il
n’avait que trop conscience qu’il jouait sa vie à l’instant.

Remus fut contraint de plonger vers la droite. Sirius sentit le mouvement dans son dos et
esquiva, lui aussi, pivotant juste à temps pour bloquer le maléfice d’un coup de baguette.
Leurs adversaires se regroupèrent pour mieux les séparer.

Sirius échangea un regard avec son meilleur ami. Les lèvres de Remus bougeaient sans qu’il
ne puisse déterminer s’il tentait de communiquer avec lui ou s’il s’agissait de formules
magiques…

Le combat l’attira plus loin, vers les flammes qui dévoraient une des maisons… Il aperçut
Nyssa sauter sur un loup-garou à la lueur du brasier. Il aperçut Kingsley qui contenait avec
élégance trois Mangemorts. Il aperçut, plus loin, Charlie et Anthony qui peinaient à faire
face…

Il y en avait trop.

L’éclair vert troua la nuit sans qu’il ne détermine d’où il venait, qui avait lancé un Avada et,
surtout, qui avait été touché.

Il ne pouvait rien faire d’autre que tenter de gagner du temps face à ses ennemis.

Et lorsque la silhouette de sa cousine se glissa sur sa droite, il sut qu’il était véritablement
dans les ennuis jusqu’au cou.

Sa baguette virevoltant autour de lui dans un arc plus protecteur que dévastateur, il recula
encore pour avoir Bellatrix dans son champ de vision.

Il n’avait pas besoin d’entendre pour savoir qu’elle riait comme une démente.

Il avait entendu l’écho de son rire suffisamment de fois à Azkaban.

°O°O°O°O°

Sa bouche était pleine de suie.

Bill se força à se redresser, rampant parmi les débris, tâtonnant à la recherche de sa baguette.
Il s’était apprêté à bondir dès que le signal de Patmol retentirait lorsque l’immeuble lui était
tombé dessus. Enfin… Pas dessus, supposait-il, il n’aurait pas survécu à cela, mais
suffisamment proche, en tout cas pour qu’il s’écroule dans un hurlement.

Les flammes dévoraient tout.

Foutus Mangemorts et leur pyromanie…

« Bill ! »

Ses doigts se refermèrent sur une baguette qui n’était pas la sienne une fraction de seconde
avant qu’il n’aperçoive le corps. L’homme était jeune, à peine sorti de l’enfance. Il lui sembla
qu’il était dans la même promotion que Percy à Poudlard.

« Bill ! Aguamenti ! Aguamenti ! Bill ! »

« Ici ! » cria-t-il. « Accio baguette. »

Il tendit la main à temps pour récupérer sa propre baguette et empocha celle du mort par
réflexe. La sienne avait noirci légèrement le long de la hampe et il grimaça, espérant qu’elle
n’avait pas été endommagée.
Fleur apparut entre deux poutres léchées par les flammes, une main levée pour se protéger
des cendres qui virevoltaient en tout sens. Un soulagement sans borne se peignit sur son
visage et elle franchit la distance qui les séparait en quelques pas, se jetant dans ses bras sans
plus de considérations pour où ils se tenaient ou pour ce qui se passaient à l’extérieur.

« Idiot. » décréta-t-elle, suivi d’une flopée de mots aux consonances étrangères qu’il devinait
moins que flatteurs. « Idiot. »

Ses mains fines encadrèrent son visage et l’attirèrent pour un baiser au goût de cendres. Ce
n’était pas l’idéal et ce n’était pas leur meilleur et, pourtant, il ferma tout de même les yeux et
s’y abandonna sans retenue.

Jusqu’à ce qu’un craquement ne l’alerte.

Il eut à peine le temps de la jeter sur le côté, encore moins celui de lever le bras pour parer le
sortilège qui le projeta plus loin. Une plaie s’ouvrit sur son flan. En quelques secondes, ses
vêtements étaient poisseux de sang.

Il avait déjà été sonné avant alors là…

Il ne put rien faire d’autre qu’observer le Mangemort fondre sur lui, uniquement stoppé dans
son élan par la jeune femme qui se planta sur son chemin.

Fleur se battait comme les danseuses de ces ballets classiques qu’elle l’avait obligé plus
d’une fois à regarder.

Avec grâce et élégance.

Finesse.

Elle sautait et virevoltait, sa longue queue de cheval blonde fouettant l’air, ses gestes fluides
et précis…

Il n’était juste pas certain que cela serait suffisant face à un Mangemort décidé à en finir.

°O°O°O°O°

Le roulé-boulé que Tonks fut contrainte d’effectuer pour éviter les crocs du loup l’amena plus
loin encore de Charlie et Anthony. Elle se releva le dos trop près des flammes qui léchaient
les bâtiments, suffisamment près en tout cas pour qu’elle sente leur chaleur sur sa nuque.

Elle suait à grosses gouttes. La transpiration coulait sur son visage, traçant des sillons dans la
suie et la poussière qui recouvraient sa peau. Elle lui piquait régulièrement les yeux mais ce
n’était rien en comparaison de la fumée âcre qui envahissait tout. Le carrefour était cloisonné,
la fumée ne s’évacuait pas correctement.

On n’y voyait pas beaucoup plus loin que le bout de son nez.

Elle n’avait aucune idée d’où étaient les autres.


Il y avait des Mangemorts partout et elle se battait sans réfléchir, visant les ombres noires aux
visages masqués de blanc, et espérant sans trop y croire que Severus ait eu la bonne idée de
se mettre à couvert ou de se signaler aux autres membres de l’Ordre. C’était tuer ou être tuer
et elle n’avait aucun doute sur le fait que les autres opéraient de la même manière qu’elle.

L’énorme loup au pelage fauve se ramassa sur lui-même pour mieux bondir sur elle et elle
laissa échapper un grondement instinctif. À trop se battre contre des bêtes sauvages…

Le loup-garou ne fut ni impressionné, ni perturbé par cette piètre tentative d’intimidation.

Il bondit.

Sa baguette fouetta l’air de gauche à droite avant de remonter dans une large boucle, la
formule peu familière glissant sur sa langue presque avec réticence.

L’animal s’écroula dans la poussière, fauché mi-bond, lacéré de toutes parts par des lames
invisibles. Il se vida de son sang à ses pieds et elle le fixa du regard quelques secondes,
écœurée tout autant par ce qu’elle venait de faire que par la manière dont elle l’avait fait.

Une main se referma sur son bras et elle pivota.

L’homme écarta le bout de sa baguette juste à temps, le sortilège défensif alla s’écraser plus
loin.

Les flammes accentuaient encore davantage la ressemblance avec un lion.

« Vous ne devriez pas être là ! » ragea-t-elle, se dégageant de la poigne du Ministre de la


Magie. Ses yeux gris fouillant déjà les alentours, inquiète à l’idée que quelqu’un l’ait aperçu.
« Ce n’est pas sûr ! »

Scrimgeour secoua la tête. « Nous avons besoin de tous les Aurors disponibles. » Il étudia le
cadavre du loup quelques secondes et leva les sourcils. « Dites-moi… Je me trompe ou ce
sortilège n’est pas tout à fait légal ? »

Elle rougit jusqu’à la racine des cheveux mais préféra prétendre que c’était la chaleur de
l’incendie. Non seulement elle utilisait des sortilèges non approuvés par le Ministère – des
sortilèges plus ou moins noirs – mais il fallait qu’elle se fasse attraper par le Ministre en
personne.

« Vous avez mal vu. » répondit-elle du tac-au-tac.

Un sourire amusé flotta un instant sur les lèvres de Scrimgeour.

« Sans doute. » accepta-t-il. « Toutefois, à l’occasion, j’apprécierais que vous me fassiez une
démonstration. »

Expliquer que le sortilège ne lui appartenait pas aurait été beaucoup trop long et compliqué à
l’instant. Sans compter que Severus n’aurait certainement pas apprécié.

Les répits dans les batailles de ce genre ne duraient jamais longtemps.


Trois Mangemorts sortirent de l’ombre et Scrimgeour les engagea sans plus attendre. Il se
battait bien mais sa jambe l’handicapait quelque peu et Tonks n’était pas sereine. Elle gardait
son flan du mieux qu’elle le pouvait, soupirant presque de soulagement lorsque Kingsley les
rejoignit et prit position de l’autre côté du Ministre.

« C’était folie de venir en personne, Monsieur ! » cria le chef des Aurors au Ministre entre
deux sortilèges.

« Je n’envoie pas mes Aurors au casse-pipe sans les accompagner, Shacklebolt. » rétorqua
Scrimgeour.

Noble sentiment, songea Tonks, mais peu pratique.

Elle entrapercevait ses collègues dans la fumée – ou ce qu’il en restait du moins. Les
quelques Aurors confirmés tenaient bon, les autres…

Son attention était toute entière sur le Ministre, sa sécurité primant sur la sienne.

Quelqu’un hurla dans le chaos ambiant et elle en eut la chair de poule.

Elle était trop concentrée sur la protection de Scrimgeour.

Elle ne vit pas le coup venir.

Ce fut comme un coup de massue en pleine tête.

Elle s’écroula.

°O°O°O°O°

Sirius n’avait entendu aucune des provocations de sa cousine et, de guerre lasse, avait bel et
bien engagé le combat.

Tout aussi folle qu’elle soit, le style de Bellatrix était impeccable, meurtrier. Il peinait à
bloquer ses attaques et parvenait à peine à répliquer. Cela semblait l’amuser. Elle jouait avec
lui comme un chat jouerait avec une souris avant de la dépecer et de la gober.

Son oreille droite se mit à siffler au moment où il plongea derrière un pan de mur à moitié
écroulé. Il se transforma sans hésiter, la différence soudaine de taille lui évitant de terminer
décapité par un maléfice.

« Avada… »

Bien entendu, il n’y avait pas de meilleur moment pour récupérer une ouïe partielle qu’au
moment où on s’apprêtait à se faire assassiner.

Bellatrix s’étouffa sur le reste de la phrase et Patmol se tint là, indécis, alors que sa cousine
portait une main à sa gorge, cherchant à aspirer à grandes goulées un air dont elle était privée.
Il aperçut le mouvement plus loin sur sa gauche bien qu’il soit infime. Un Mangemort se
tenait là, immobile, les yeux rivés sur sa cousine. Sirius n’avait aucun doute que ses lèvres
soient en train d’égrener un maléfice sous le masque d’ivoire familier.

Drôle de méthodes.

Ses griffes raclèrent le sol alors qu’il redevenait homme, observant la lente fin de Bellatrix.

Le but de la mission avait été de la capturer vivante mais Sirius ne pouvait pas blâmer Snape
de vouloir s’en débarrasser.

Bien entendu, ce fut le moment où Dumbledore entra dans la danse, bien plus efficace
qu’aucun autre membre de l’Ordre n’aurait pu l’être.

Le vieux sorcier engagea tout un groupe de Mangemorts qui se battaient contre Charlie et
Anthony un peu plus loin et libéra un sortilège si puissant que Sirius, Bellatrix et Snape
furent pris dans l’onde de choc.

°O°O°O°O°

Tonks s’assit et s’essuya la bouche d’un revers de bras, grimaçant lorsque le cuir frotta contre
sa lèvre fendue.

Une montagne lui faisait face.

Crabbe ou Goyle senior, décida-t-elle, et visiblement pas dérangé par l’idée de se battre à la
Moldue.

Le coup de pied la cueillit au creux de l’estomac, lui coupant brièvement la respiration.


L’homme amorça un second coup et Tonks réagit, vive comme l’éclair, le fauchant à la jambe
et récupérant la dague cachée dans sa botte de sa main gauche pendent qu’il s’écroulait dans
la poussière.

Elle ne prit pas le temps de réfléchir lorsqu’elle planta la lame dans sa poitrine.

Le Mangemort était imposant, la dague ne l’arrêta pas.

Elle se retrouva projetée comme une poupée de chiffon pour ce qui devait être la dixième fois
ce soir là et elle s’effondra au sol, bien loin de Kingsley et du Ministre. Elle eut à peine le
temps de distinguer la haute silhouette de Dumbledore, un peu plus loin, qui avait visiblement
enfin rejoint la bagarre, avant que le Mangemort soit à nouveau sur elle.

Ses doigts enserraient si fermement sa baguette que l’on aurait eu du mal à l’arracher à son
cadavre. Elle refusait de la perdre et se retrouver désarmée au milieu de ce chaos.

Elle se remit debout rapidement, ignorant l’élancement dans son épaule, pour mieux faire
face à la montagne en mouvement qui se dirigeait tranquillement vers elle.

Jambes fléchies, bras gauche derrière elle pour une meilleure agilité, elle prit une position de
duel classique, sachant qu’il lui faudrait privilégier la rapidité à la brutalité des sorts.
Cela aurait été plus facile à faire si Dumbledore n’avait pas lancé un sortilège qui les prit tous
les deux dans l’onde de choc et les envoya rouler chacun de son côté dans la poussière.

Elle resta allongée sur le dos quelques secondes, ravalant un soupir.

Elle détestait être projetée de la sorte.

°O°O°O°O°

Bellatrix n’était nulle part en vue.

Sirius rampa dans les décombres jusqu’à trouver le corps inerte du Mangemort qui l’avait
aidé. L’homme tenta de protester lorsqu’il lui arracha son masque mais il n’était clairement
pas au mieux de sa forme, n’ayant, sans doute, pas tout à fait récupéré de sa dernière séance
de torture, et l’Animagus n’eut aucun mal à le maîtriser.

Sans surprise, les traits de Snape se dissimulaient derrière le masque.

Sirius n’entendait que d’une oreille mais le champ de bataille était de toute manière trop
bruyant pour qu’il comprenne ce que son rival de toujours disait. Il vérifia une nouvelle fois
que Bellatrix n’était pas sur le point de les attaquer puis tâta le torse du Maître des Potions à
la recherche d’une blessure plus importante que les autres, ignorant les grimaces de douleur
et les vaines tentatives du Professeur pour le repousser.

Une plaie barrait le front de Snape mais au-delà de ça, Sirius ne voyait rien de
potentiellement dangereux. Cela ne voulait rien dire, bien sûr, il pouvait avoir des blessures
internes… Cependant cela dépassait ses compétences.

Au bout de plusieurs secondes, Snape agrippa son épaule et s’en servit comme levier pour se
redresser avec une grimace. Il secoua la tête plusieurs fois, comme pour mieux se réorienter
et, avec l’aide de Sirius, se remit debout.

S’il en avait eu le temps, le hors-la-loi aurait volontiers pris un moment de réflexion sur
l’ironie du sort qui les avait amenés à s’entre-aider au milieu d’une bataille rangée.

Snape parlait mais Sirius n’avait pas la moindre idée de ce qu’il racontait, c’était trop
bruyant, il était trop sonné, et son oreille gauche saignait.

Mort, il lui sembla entendre.

Mais qui ou quoi…

« REPLI. » ordonna soudain la voix de Dumbledore, amplifié d’un sonorus. « REPLI. »

Il y eut un moment de flottement, d’hésitation. Sirius était réticent à fuir. Snape fit un pas sur
le côté, flanchant légèrement sur ses jambes, et l’Animagus s’imagina soudain avoir à
annoncer à Harry que son débile de Professeur de Défense avait eu la grande intelligence de
se faire trucider sur un champ de bataille sur lequel il n’avait visiblement rien à faire vu son
état physique. Sans plus tergiverser, il attrapa le bras du Mangemort et transplana.
Le salon du Square Grimmaurd était tellement silencieux que cela l’agressa.

Snape se dégagea d’un geste sec, son autre bras s’enroulant immédiatement autour de son
torse avec un rictus de douleur. Sirius supposa que ses côtes n’étaient pas guéries ou bien
qu’elles s’étaient à nouveau brisées durant le vol plané.

« Je n’ai rien à faire ici. » grinça le Maître des Potions.

Avant qu’il ait pu transplaner toutefois, les autres arrivèrent.

Remus fut le premier, soutenant Bill, et n’ayant pas l’air tout à fait sûr sur ses jambes. Puis
Fleur. Puis Charlie et Anthony. Kingsley. Et, enfin, au milieu de la pièce, derrière le canapé
élimé, Nyssa, Tonks et Fol’Œil.

Tonks sanglotait, Nyssa était à moitié couchée sur le corps inerte de l’ancien Auror et Alastor
Maugrey ne bougeait plus.

Soudain, il y eut un tel brouhaha que Sirius fut heureux de n’entendre que d’un seul côté. Qui
et quand et non semblaient être les mots les plus récurrents.

Fleur enlaça Bill et enfouit le visage dans son épaule… Remus se frottait la bouche, l’air
assommé… Charlie et Anthony s’accrochaient l’un à l’autre… Kingsley avait fermé les yeux
et gardait la tête baissée d’un homme défait… Tonks demeura agenouillée derrière
Nyssandra, pleurant à gros sanglots sans sembler pouvoir s’arrêter… Et Nyssa…

Sirius ne pouvait dire si la vampire pleurait. Elle était prostrée sur son ancien amant, le seul
signe trahissant qu’elle était toujours en vie étaient les crispations régulières de ses doigts
autour du tissu déchiré du manteau de Fol’Œil.

Sonné, Sirius fit un pas en avant puis s’immobilisa.

« Rookwood. » lâcha Snape et un silence de mort suivi sa prise de parole. Le Professeur ne


sembla pas s’en émouvoir. « Rookwood lui a jeté un sort de mort dans le dos. »

Nyssa leva soudain la tête, si vite que quelque chose claqua obligatoirement dans sa nuque.
Ses yeux verts demeurèrent rivés sur Snape.

Dans le dos.

Lâche, songea Sirius, sentant la bile monter dans sa gorge. Lâche.

« Qu’est-ce que ça change qui a lancé quoi. » cracha Charlie. « On n’avait rien à faire là-bas
pour commencer. On aurait pu tous se faire étriper comme des lapins. »

« Il m’était impossible de vous avertir plus tôt. » rétorqua le Mangemort. « J’ai rejoint
Nymphadora aussi rapidement qu’il m’a été possible de le faire. »

Le feulement fut le seul avertissement qu’ils eurent.

Snape était lent et eut à peine le temps de reculer d’un pas.


Sirius s’interposa sans réfléchir, refermant ses bras sur la vampire et la retenant du mieux
qu’il put malgré les ongles qui lui griffèrent les bras et le visage.

« Arrête ! » tonna-t-il. « Arrête ! »

« Somnus. » murmura Kingsley et Nyssandra s’écroula soudain dans ses bras, trop lourde
pour ses muscles fatigués. Il ralentit sa chute du mieux qu’il put. Ce ne fut qu’une fois
agenouillé, son précieux fardeau dans les bras qu’il prit conscience de l’hostilité ambiante qui
régnait dans la pièce.

Et des baguettes qui étaient braquées sur lui.

Enfin… Pas sur lui. Mais sur l’homme qui se tenait derrière lui.

« Pose ta baguette, Severus. » ordonna Remus avec un détachement forcé. « Nous tirerons
tout ça au clair lorsque Albus sera là. »

Le loup-garou et Kingsley le visaient tous les deux sans trembler, Charlie et Anthony mirent
davantage de temps à tirer leurs baguettes mais ne paraissaient pas plus hésitants, Fleur les
aurait peut-être imités mais Bill la tenait trop fermement, un air catastrophé sur le visage.

Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, peu surpris de trouver Snape baguette au poing et
apparemment impassible.

« Non. » refusa simplement l’espion.

Et cela mit le feu aux poudres.

Sirius ne perdit pas une seconde avant de poser Nyssa avec précaution et de se redresser, les
deux mains levées parce que sa baguette était dans sa poche et qu’il ne tenait pas à un
échange de maléfices, fermement planté entre Snape et le reste de la pièce.

Ironie, oh ironie…

Comme James devait se tordre de rire de l’autre côté du voile…

« On se calme. » exigea-t-il.

« Écarte-toi, Sirius. » demanda Remus.

« Snape n’est pas un traître. » s’énerva-t-il, ses yeux fouillant ceux de son meilleur ami, le
suppliant silencieusement de se ranger de son côté. Lorsque cela échoua, ils se posèrent sur la
jeune femme qui pleurait toujours. « Tonks. »

L’Auror leva un regard vide vers eux avant de le reposer sur le corps de son mentor, trop
choquée et abattue pour donner son avis.

« Ne sois pas idiot, Sirius. » insista Charlie. « Tout ça pue la traitrise à plein nez. »
« Sur ce point, je ne peux qu’être d’accord. » décréta Snape d’un ton moqueur. « Traître, il y
a. Cependant, navré de vous décevoir, il ne s’agit pas de moi. »

La nouvelle n’était pas le coup de massue qu’elle aurait dû être.

Sirius s’en doutait depuis un moment.

« Ou c’est ce que tu veux nous faire croire. » murmura Tonks, si bas que Sirius l’entendit à
peine. « Parce que pendant qu’on chasse les traîtres fantômes, personne ne s’intéresse à toi. »

Le ricanement de Snape fut bref et amer. Trahi, peut-être.

« Autant pour la confiance, Nymphadora. » commenta le Professeur, non sans sarcasme.

La baguette qu’elle leva vers eux tremblait si fort que Sirius doutait qu’elle ait été en état de
lancer un quelconque sortilège valable. Il était évident pour lui qu’elle n’avait pas toute sa
tête à l’instant.

« Il ne faut faire confiance à personne. » répliqua la jeune femme, la voix chevrotante. « Tu


n’as pas cessé de me le répéter. Jette ta baguette. On verra avec Dumbledore. »

« Épatant comme tu retournes dans son giron à la première difficulté. » ironisa le Professeur.
« J’espérais que tu avais davantage de jugeote. »

« On essaye de les convaincre que tu es du bon côté. » grommela Sirius. « Alors… Ça


aiderait si tu ne te comportais pas comme un connard. »

« Peu m’importe leur opinion. » cingla Snape.

« Tout ça est stupide. » intervint Bill. « Je suis d’accord avec Sirius. »

« Vraiment ? » contra Anthony « Alors pourquoi est-il resté du côté des Mangemorts ?
Pourquoi ne pas se battre avec nous ? Tonks avait raison tout à l’heure, si on ne l’a mis au
courant qu’au dernier moment comme il le prétend, sa couverture est grillée de toute manière.
Pourquoi ne pas se battre avec nous ? »

« Il m’a aidé. » siffla l’Animagus.

« Moi aussi. » hésita Tonks, sa main libre se refermant sur le vieux manteau élimé de
Fol’Œil. « Moi aussi… »

Les yeux gris de sa cousine étaient rivés sur l’homme qui se tenait derrière lui, l’échange de
regards un peu trop intense à son goût.

« Comment être sûr que ce n’est pas juste une manière de brouiller les pistes ? » riposta
Charlie. « C’est un salaud. Ça a toujours été un salaud. Et si Maugrey était là… »

« Mais il ne l’est plus. » répondit Kingsley. « Et je ne suis pas certain qu’il aurait été
impartial quoi qu’il en soit. »
Remus fit un pas en avant et Sirius se décala pour mieux faire barrage de son corps. S’il leur
prenait l’envie de se déployer en cercle, ils étaient fichus.

« Pose ta baguette et attendons Albus. » insista le loup-garou. « Je ne demande rien d’autre


que cela. Pose ta baguette. »

« Je n’ai aucune intention de me livrer désarmé à une bande de Gryffondors assoiffés de


justice. » grinça Snape.

« Je lui fais confiance. » offrit Sirius. « Je lui fais confiance et nous sommes encore sous mon
toit. Si cela ne vous plait pas. Vous êtes libres de dégager. »

Tonks porta sa main libre à son visage et la laissa immédiatement retomber avant de baisser
sa baguette et de reporter son attention sur son mentor, des larmes ruisselant sur son visage.

« Nous faisions confiance à Peter. » lui rappela doucement Remus.

« Et j’ai douté de toi, ce qui nous a tous condamnés. » rétorqua-t-il.

Les lèvres du loup-garou se pincèrent, son regard passant de lui à Snape plusieurs fois. Au
bout d’un moment, il hocha la tête une seule fois et rangea sa baguette avant d’aller
s’accroupir auprès de Tonks. Elle ne résista pas lorsqu’il la prit dans ses bras et elle enfouit
son visage dans son cou, s’accrochant à lui de toutes ses forces.

Il sentit plus qu’il ne vit le mouvement agacé de Snape. Sirius comprenait fort bien. Il aurait
été agacé aussi si trois personnes avaient toujours eu leurs baguettes pointées sur lui.

Kingsley abaissa lentement la sienne avec une réticence palpable.

Charlie et Anthony en firent de même après plusieurs autres secondes.

Rassuré, Sirius retourna s’agenouiller auprès de Nyssa tandis que Snape replaçait sa baguette
dans l’étui en cuir sanglé à son avant-bras.

Le silence retomba. Fleur aida Bill à boiter jusqu’à un fauteuil, Kingsley marmonna quelque
chose à propos du Ministre avant d’emprunter la cheminée vers le Ministère, Charlie envoya
un Patronus à Andromeda et un second à Pomfresh…

Sirius écarta délicatement les cheveux sombres du visage de la vampire, cataloguant les
différentes blessures qu’elle avait reçues au cours de la bataille. Elle non plus n’avait pas été
au mieux de sa forme avant de s’y engager.

Le grognement de Snape fut soudain et suffisamment incongru pour que tout le monde se
tourne vers lui une fois de plus. Il agrippait son poignet gauche, les traits crispés par une
douleur qu’il refoula au prix d’un effort visible.

Leurs regards se croisèrent et Sirius bondit sur ses pieds une fois de plus.

« Non. » ordonna-t-il.
Preuve qu’il avait conscience de la stupidité de la chose, le Mangemort hésita. Snape
s’humecta les lèvres, ses yeux sombres se baissant momentanément vers le poignet que ses
propres doigts enserraient toujours comme pour mieux contenir la douleur.

« Il le faut. » décréta pourtant le Professeur. « S’il reste un maigre espoir de convaincre le


Seigneur des Ténèbres que je lui suis toujours loyal… Il le faut. »

Le Mangemort se détourna dans un claquement de robes, sans jeter un coup d’œil à qui que
ce soit. Sirius le rattrapa dans le couloir et agrippa son bras.

« Pense à Harry. » cracha-t-il. « Si tu vas là-bas et que tu ne reviens pas… »

« Je pense à Harry justement. » répliqua vivement Snape, en se dégageant d’un coup


d’épaule. Il cilla. La colère et l’inquiétude disparurent de son visage, remplacées par un
détachement aussi lisse que factice.

Il occludait, comprit Sirius, et pas d’une excellente manière.

« Tu n’es pas en état. » asséna-t-il. « Tu tiens à peine debout. Tu… »

« Je finirais ce que j’ai commencé. » l’interrompit le Professeur sèchement. « À chacun sa


mission, Black. »

« Snape. » gronda-t-il. « C’est du suicide. »

« Pas encore. » contra l’espion. « S’il avait voulu me démasquer, il l’aurait fait avant la
bataille de ce soir, avant que je n’ai l’opportunité de m’enfuir. Il reste une marge de
manœuvre. Mince, certes, mais une marge de manœuvre tout de même. »

Comprenant qu’il ne parviendrait pas à lui faire entendre raison, Sirius secoua la tête,
stupéfait par sa stupidité. Si ça avait été n’importe qui d’autre, il aurait peut-être parlé de
courage mais c’était Snape et il s’en tint donc à stupidité.

« Prends soin de Harry. » exigea le Maître des Potions, d’un ton presque menaçant. « Sur ta
vie, Black. »

C’était un serment qu’il avait déjà prêté il y avait de cela longtemps, à un autre homme qui
s’était sacrifié pour son fils.

« Sur ma vie. » jura-t-il avec gravité.

Snape le salua d’un hochement de tête et transplana.

Il se frotta le visage avec lassitude et retourna dans le salon où le reste de l’Ordre tentait tant
bien que mal de reprendre pied avec la réalité.

Snape n’était pas parti depuis plus deux minutes lorsque Dumbledore émergea de la
cheminée. Sirius avait à peine eut le temps de porter Nyssa jusqu’au canapé où elle serait
mieux installée qu’à même le sol, sur le vieux tapis poussiéreux rongé par les mites. Les yeux
bleus du Directeur se posèrent sur chacun d’entre eux avant de tomber sur le cadavre de
Fol’Œil.

Le vieux sorcier le rejoignit en trois enjambées, s’accroupissant auprès de l’ancien Auror


pour prendre son pouls, ce qui était bien inutile, son visage ne reflétant rien d’autre qu’une
douleur sourde. Il baissa la tête et demeura dans cette position quelques secondes avant de se
relever et de se tourner vers Sirius, la seule personne dans cette pièce qui n’ait pas l’air
hébété.

L’adrénaline n’était pas encore redescendue. Dans quelques minutes, l’Animagus était certain
qu’il aurait l’expression aussi vide et épuisée que Remus ou Bill.

« Azkaban est tombée. » annonça le vieux sorcier. « L’Allée des Embrumes n’était qu’une
diversion. »

Sirius ferma brièvement les yeux, sa main s’enfonçant automatiquement dans sa poche à la
recherche d’un paquet de cigarettes. Lorsqu’il n’en trouva pas, il se dirigea calmement vers la
cuisine.

Qu’y avait-il d’autre à dire de toute manière ?

Outre les quelques prisonniers qu’il y restait encore et qui étaient sans doute venu grossir les
rangs des Mangemorts, Azkaban était imprenable. Si Voldemort en avait fait son quartier
général, alors ils étaient foutus. Tout simplement.

Il était vaguement conscience que Dumbledore lui avait emboîté le pas, pourtant il ne se
retourna pas, envoyant promener Kreattur d’un ordre sec et attrapant avec un soulagement
palpable le vieux paquet de cigarettes cabossé qui trainait sur la table.

« Où est Severus ? » demanda le vieux sorcier. « Il nous faut nous organiser. Les… »

« Il est parti. » lâcha-t-il, coinçant une cigarette entre ses lèvres. Il leva les yeux à ce moment
là et l’effroi qui passa sur le visage du Directeur était tel qu’il mordit dedans sans le vouloir.
Le goût de tabac qui envahit sa bouche était écœurant.

« Non. » contra Dumbledore, la voix nouée. « Je vous ai vu transplaner ensemble. Il n’est pas
retourné à Poudlard, je le saurais. Je vous ai vu, Sirius. »

« On a transplané, oui. » confirma-t-il dans un haussement d’épaules. « Puis la Marque… »

La vaisselle exposée sur le buffet s’entrechoqua brièvement avant d’exploser. Dumbledore


serra les poings et la vague de magie brute et volatile qui avait soudain pris Sirius à la gorge
reflua lentement.

Il avait conscience, sans trop savoir comment, qu’il était heureux que l’homme ait une telle
prise sur sa magie. Il arrivait à tout le monde de perde le contrôle de temps en temps,
confronté à une nouvelle perturbante, mais peu de gens étaient aussi puissants qu’Albus
Dumbledore et s’il avait véritablement perdu pied, il y aurait eut davantage de dégâts que
quelques morceaux de faïence brisée.
« Dites-moi qu’il n’est pas retourné auprès de Voldemort. » supplia à moitié le vieux sorcier.

Sirius resta silencieux et Dumbledore se laissa tomber sur une chaise, pâle et défait comme
l’Animagus l’avait rarement vu.

« Merlin… » souffla le Directeur avec une détresse palpable. « Je pensais qu’il aurait le bon
sens de… Fou que j’ai été… Bien sûr… Bien sûr… J’aurais dû revenir directement ici.
J’aurais dû envoyer un Patronus. J’aurais dû…»

Il jeta sa cigarette sur la table, mal à l’aise face à ce monologue. Dumbledore n’avait pas l’air
de se rendre compte qu’il parlait à voix haute.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? » demanda-t-il.

Il fallut plusieurs secondes avant que l’homme ne tourne les yeux vers lui et, à cet instant, il
faisait chacune de sa centaine d’années. Ce n’était plus Albus Dumbledore que Sirius avait
devant lui mais un vieillard frêle dont les yeux brillaient de l’éclat trop familier du deuil.

« Il est allé à sa mort. » expliqua Dumbledore, au bout d’un long moment. « Il est
démasqué. »

Démasqué…

Les questions se bousculaient sur ses lèvres. Comment le Directeur le savait-il ? En était-il
sûr ? Pourquoi ne pas les avoir avertis avant ?

« Qu’est-ce qu’on peut faire ? » gronda-il, sortant déjà sa baguette et prêt, s’il le fallait, à aller
rassembler le reste de l’Ordre et à les secouer jusqu’à ce qu’ils se rendent compte de ce qui
était en jeu. Il les mènerait au combat une seconde fois ce soir là s’il le fallait parce qu’il était
hors de question qu’il ait à apprendre à son filleul que…

Le vieux sorcier ne bougea pas, à peine cilla-t-il, les yeux brillants de larmes contenues.

« Rien. » admit l’homme à regret. « Absolument rien. Il est perdu. »


Nightfall

Nightfall.

What a strange word.

“Night” I get.

But “fall” is a gentle word.

Autumn leaves fall, swirling with languid grace to carpet the earth with their dying
blaze.

Tears fall, like liquid diamonds shimmering softly, before they melt away.

Night doesn’t fall here.

It comes slamming down.

Karen Marie Moning – Faefever

La tombée de la nuit.

Quelle formule étrange.

« La nuit », je comprends.

Mais « tombée » est un mot doux.

Les feuilles tombent à l’automne, tourbillonnant avec une grâce paresseuse pour
recouvrir le sol de leur éclat mourant.

Les larmes tombent, comme des diamants liquides qui scintillent doucement avant de
s’évaporer.

La nuit ne tombe pas par ici.

Elle s’abat.

Karen Marie Moning - Faefever

Le silence était total dans la chambre et pourtant l’écho de cris et d’explosions depuis
longtemps éteints ne cessait de raisonner à ses oreilles. Tonks se recroquevilla un peu plus sur
elle-même, contre la tête de lit, tirant machinalement sur le pull-over trop grand que Remus
lui avait prêté.

La douche qu’elle avait prise plus tôt, pendant que Bill se faisait recoudre par Andromeda
dans le salon et que Sirius et Remus s’occupaient de transporter le corps de Fol’Œil dans une
des chambres de l’étage, n’avait pas suffi à la revigorer. Elle était débarrassée de la suie, des
cendres et du sang qui l’avaient recouverte mais pas du reste. Elle avait pris les vêtements
que le loup-garou lui avait tendu sans commenter, simplement parce que la perspective de
faire un aller-retour chez elle lui semblait bien trop épuisante. Elle s’était réfugiée dans la
chambre de Remus pour la même raison.

Et puis… Le Square Grimmaurd était le meilleur endroit où attendre des nouvelles.

Les pensées se bousculaient dans sa tête, les dernières heures tournaient en boucle, s’arrêtant
régulièrement sur ce constat : Fol’Œil était mort.

Fol’Œil était mort.

Mort.

Mort.

Peu importait combien de fois elle se le répétait, cela sonnait toujours faux. Impossible. Elle
avait vu son cadavre, elle l’avait touché, avait écarté Nyssa pour tâter sa gorge à la recherche
d’un pouls… Elle savait qu’il était mort. Et pourtant cela lui paraissait toujours surréaliste.

L’idée que son mentor était étendu sur un lit, un étage au-dessus d’elle, mort, était surréaliste.

Elle ne cessait d’attendre que la porte s’ouvre et qu’il passe la tête dans l’embrasure pour
mieux la rabrouer d’un gamine bourrue.

La porte s’ouvrit mais ce ne furent pas les larges épaules de Fol’Œil qui apparurent dans
l’encadrement, juste Remus et la balafre sur sa joue qu’il n’avait pas pris le temps de faire
soigner, une tasse fumante dans chaque main.

« J’ai fait du thé. » annonça-t-il inutilement. « Je pensais… »

Il laissa sa phrase en suspens sans qu’elle ne fasse l’effort de la terminer pour lui, d’atténuer
la gêne palpable entre eux. Elle n’avait rien à faire là, elle le savait. Elle aurait dû rejoindre
Kingsley au Ministère, faire son travail, et pourtant elle ne se décidait pas à bouger parce que
Fol’Œil était mort et le reste ne semblait pas avoir autant d’importance.

Elle prit la tasse que Remus lui tendit par réflexe. La faïence brûlante lui meurtrit les paumes
mais elle garda ses mains enroulées autour du mug quoi qu’il en soit.

« Des nouvelles ? » se força-t-elle à demander.

Remus pausa sa propre tasse sur la table de chevet et s’assit sur le lit avec hésitation.
Lorsqu’elle ne protesta pas, il s’adossa lui aussi à la tête de lit et poussa un soupir.
« Non… » murmura-t-il. « Albus ne pense pas… Albus ne pense pas qu’il y ait d’espoir. »

Elle ferma les yeux et fit de son mieux pour ignorer la nausée qui lui retournait l’estomac.
Fol’Œil était mort. La phrase était horrible et terrible et lui glaçait le sang. Mais à l’idée d’y
rajouter un autre nom, à l’idée d’avoir à se répéter Severus est mort…

Elle avait envie de vomir.

« J’ai honte de la manière dont on l’a traité. » avoua Remus, en se frottant le visage. Il
grimaça lorsque ses doigts touchèrent la plaie sur sa joue. « J’ai honte de… »

Elle aussi avait honte.

Honte d’avoir douté.

Honte d’avoir exposé ses doutes en public.

Honte d’avoir laisser sa colère et son chagrin l’aveugler.

Honte d’avoir entaché la totale confiance qu’il lui avait offert.

Honte de l’avoir trahi.

Honte de ne pas être allée au bout de cette trahison parce qu’alors…

« On aurait dû le désarmer. » l’interrompit-elle. Elle posa la tasse en équilibre sur ses genoux
et appuya son front sur le rebord, laissant la vapeur lui brûler la peau. « Si on l’avait désarmé,
il ne serait jamais parti. Dumbledore serait arrivé et… »

Et avec des si on refaisait le monde, se moqua une voix dans sa tête qui ressemblait à s’y
méprendre à celle du Professeur.

Il était peut-être déjà mort à cet instant.

Ou bien le mage noir voudrait faire durer le plaisir.

Elle ne savait pas ce qui était le pire.

Elle s’accrochait à l’idée qu’il était peut-être encore en vie tout en se reprochant cet espoir
qui était nécessairement synonyme d’agonie pour lui.

« Tu es sûr qu’on ne peut rien faire ? » insista-t-elle.

Ce n’était pas la première fois qu’elle posait la question. Elle l’avait posée quand Sirius était
revenu dans le salon et avait exposé la situation. Elle l’avait posée quand elle s’était
aventurée dans la cuisine pour trouver Dumbledore avachi sur une chaise, les yeux dans le
vague. Elle l’avait posée quand sa mère était arrivée pour soigner les blessés et quand
Pomfresh avait suivi un peu plus tard. Elle l’avait posée avant que Charlie ne la convainque
de prendre une douche et dès qu’elle était sortie de la salle de bain. Elle l’avait posée lorsque
Remus l’avait gentiment poussée dans sa chambre avec un ordre bien inutile de se reposer.
Elle n’avait cessé de la poser.

Elle revenait de manière incessante entre deux Fol’Œil était mort intrusifs.

Remus secoua tristement la tête.

« S’ils sont à Azkaban… La prison est imprenable. Pas sans un plan de bataille plus réfléchi,
en tout cas. » expliqua-t-il patiemment pour ce qui devait être la centième fois. « Et s’ils sont
ailleurs, il n’y aucun moyen de les trouver. » Il hésita une seconde avant de baisser les yeux
sur la couverture aux couleurs fanées qui recouvrait le lit. « Je suis désolé, Dora. J’ai
remarqué que vous étiez… amis. »

Il buta sur le dernier mot, comme s’il n’était pas certain qu’il soit approprié.

Tonks n’avait aucune intention de s’expliquer ou de se justifier.

Elle porta la tasse à sa bouche uniquement pour s’occuper et la retira vivement lorsque la
faïence chaude pressa contre sa lèvre fendue. La moitié du thé se renversa sur le lit et le
pullover sans qu’elle n’y prête attention. Avec un juron à moitié marmonné, elle posa la tasse
sur l’autre table de nuit et tâtonna à la recherche de sa baguette qu’elle avait jetée sur le
traversin avant de s’y installer.

« Laisse-moi faire… » hésita-t-il, frôlant son menton du bout des doigts, sa propre baguette
déjà dans sa main.

Elle était trop fatiguée pour protester. Ses doigts glissèrent plus fermement sur sa joue,
agrippant sa mâchoire presque avec tendresse, et il approcha sa baguette de son visage. Il
murmura la formule et elle s’humecta immédiatement les lèvres pour vérifier que la plaie
était refermée.

Il ne retira pas sa main. Son pouce allait et venait lentement sur sa joue, il la regardait avec
des yeux doux et affectueux qui étaient bien loin de la folie qui y brillaient ces derniers
temps… Lorsqu’il approcha, elle ne fit rien pour le repousser.

Fol’Œil était mort.

Severus était perdu.

Elle répondit à son baiser avec abandon, souhaitant cesser de penser ne serait-ce qu’une
seconde. Il lui fallut plusieurs minutes et plusieurs baisers pour se rendre compte que quelque
chose clochait. Embrasser Remus avait toujours été comparable à un raz-de-marée, cela la
laissait toujours tremblante et désespérée d’en avoir plus… Plus rien n’existait que lui, elle,
eux… Le monde aurait pu cesser de tourner sans qu’elle ne le remarque ou ne s’en
préoccupe.

Elle ne ressentait rien de tout cela.

Les lèvres de Remus était chaudes et souples comme à l’accoutumée. Il embrassait bien.

Et elle ne ressentait rien.


Lorsque sa main s’aventura sous son pull, elle agrippa son poignet et tourna la tête, se
mordillant la lèvre inférieure, gênée.

« Remus… » grimaça-t-elle, alors qu’il la lâchait et reculait. « Je suis désolée mais… »

« Ça n’a rien à voir avec tout ce qui se passe, n’est-ce pas ? » demanda-t-il – et elle était là, à
nouveau, celle lueur sauvage dans son regard.

Le loup.

Sans qu’elle en ait conscience, ses doigts se remirent à tâtonner autour d’elle jusqu’à se
refermer sur le bois lisse de sa baguette. Elle en fut rassurée. Ce n’était pas tant qu’elle avait
peur de Remus mais parfois…

Parfois il lui semblait qu’il était plus loup qu’humain dorénavant.

Parfois ses cheveux se hérissaient à l’arrière de sa nuque comme pour mieux la prévenir d’un
danger latent.

« Non. » répondit-elle sincèrement.

« Est-ce que ça a un rapport avec Severus ? » s’enquit-il froidement.

Que faisait-elle là ?

La question la cueillit comme un coup de poing au creux de l’estomac.

État de choc ou non, pourquoi avait-elle laissé Remus la consoler ? En souvenir d’un temps
définitivement révolu ou ses bras auraient été le meilleur refuge contre un monde trop cruel ?
D’un temps où tout avait été sinon plus simple tout du moins plus facile ?

Que faisait-elle là ?

Elle bondit du lit aussi prestement que son corps courbaturé le lui autorisa, baguette
fermement serrée dans sa main.

« Ce ne sont pas tes affaires. » siffla-t-elle.

Severus…

Combien de fois et de combien de manières différentes pouvait-on trahir un homme dans la


même journée ?

« Un peu tout de même. » gronda-t-il. « Si tu… »

« Toi et moi, c’est terminé, Remus. » cingla-t-elle. « Ce que je fais et avec qui ne te regarde
pas. »

Elle sortit de la chambre en trombe, prête à se battre s’il lui prenait l’envie de lui attraper le
bras alors qu’elle passait près de lui, mais il ne tenta rien. Il la laissa partir et elle ne ralentit
l’allure qu’une fois en bas de l’escalier, le cœur battant à cent à l’heure.

Les marmonnements familiers de l’elfe de maison qui trafiquait elle ne savait quoi dans un
placard plus loin dans le couloir la convainquirent de ne pas s’attarder. Elle se réfugia dans la
cuisine, peu surprise d’y trouver Charlie et Anthony.

Elle se jeta dans les bras de son meilleur ami sans y réfléchir à deux fois et pressa son visage
contre son épaule, luttant pour ne pas éclater une nouvelle fois en sanglots.

Charlie l’enlaça immédiatement, murmurant une litanie de paroles réconfortantes qui


sonnaient creux.

°O°O°O°O°

« Cesse de bouger, veux-tu ? » grommela Andromeda.

Assis sur son lit, le regard rivé sur les posters moldus délavés par l’humidité qui, pour la
plupart, pendaient des murs malgré le sort de glue éternelle, Sirius aurait volontiers demandé
comment il était censé bouger lorsqu’elle emprisonnait son menton dans une poigne ferme. Il
préféra ravaler des paroles qui, il le savait, auraient été peu aimables.

Andy n’y était pour rien après tout.

Sa baguette traçait des courbes gracieuses dans les airs à mesure qu’elle inclinait davantage
sa tête sur le côté afin d’avoir un meilleur accès. Il était toujours sourd d’une oreille et il en
venait à se demander si c’était un tel drame.

Il y avait des choses qu’il aurait préférées ne pas entendre.

Il tapait inlassablement du pied depuis qu’Andromeda l’avait forcé à s’asseoir en dépit de ses
regards courroucés. Il brûlait de tenter une sortie héroïque, de rejoindre Azkaban quand bien
même cela était impossible de l’avis général. Une attaque groupée se serait effectivement
probablement soldée par un échec. Mais il s’était évadé de la prison, lui… Et s’il s’était
enfui… Entrer ne pouvait pas être bien plus compliqué ?

Certes, il avait bien failli mourir noyé une dizaine de fois durant cette échappée belle. Détails.
Détails.

Tout pour ne pas avoir à annoncer à Harry que…

« Voilà. » décréta Andy alors que son oreille se débouchait brusquement dans un plop
douloureux. Cela ne satisfit pas sa cousine qui le força à redresser la tête avant de lui coller
un lumos à quelques millimètres des yeux.

Il écarta instinctivement la baguette d’une main, battant des cils, momentanément aveuglé.

« Je n’arrive pas à croire… » commença Andromeda uniquement pour s’interrompre.


« Alastor. C’est… » Sirius détacha gentiment les doigts de sa cousine de sa mâchoire, son
regard gris rivé aux moutons de poussière sous la commode. Elle ne parut pas s’apercevoir de
son inattention. « Il a toujours été si prévenant avec Nymphadora… Enfin, prévenant n’est
peut-être pas le bon terme mais… Il l’a prise sous son aile. Il a dîné si souvent à la
maison… Et elle l’aimait tellement… C’était un second père pour elle. Je ne suis pas
sûre… »

« Peut-être que tu devrais être là un peu plus souvent, non ? » cracha-t-il avec un léger
ressentiment. « Tu as disparu, ces dernières semaines. »

Andy baissa immédiatement les yeux, comme prise en faute, les joues empourprées. « Ce
n’est pas si simple, Sirius. »

« Non ? » ricana-t-il. « Ça me parait simple à moi. Tu t’es barricadée derrière un Fidelitas


avec ton mari et tu attends que ça passe. Pendant ce temps, ta fille perd ses pouvoirs, traverse
une période… »

« Dumbledore… » tenta-t-elle de l’interrompre avec une pointe de colère.

« Dumbledore t’a demandé de cacher quelque chose ou quelqu’un, oui, merci, je ne suis pas
complètement stupide. J’ai déjà vécu une guerre. » gronda-t-il. « Et alors ? Ça passe avant ta
famille ? » Il se leva, lui jetant un regard agacé. « Quoique, c’est ton truc, non ? Tu fuis et tu
nous abandonnes sans un regard en arrière. Bel instinct de conservation. Tes parents seraient
fiers. »

Il vit la gifle arriver et l’esquiva sans mal, éclatant d’un rire moqueur.

« Tu n’as aucun droit de me juger, Sirius. » lâcha-t-elle.

Il ne prit même pas la peine de répondre.

Il quitta la pièce.

Un murmure de conversations s’élevait du rez-de-chaussée, il préféra s’aventurer dans les


étages avec la vague idée de rendre visite à Buck.

Ses pas le guidèrent naturellement vers la chambre vide où ils avaient déposé le corps de
Fol’Œil.

Il y aurait des funérailles le lendemain ou le surlendemain, il fallait attendre que la situation


se décante. Le Ministère était verrouillé, seuls les employés les plus haut gradés et les Aurors
avaient permission de circuler. Les commerces et autres entreprises importantes
demeureraient fermés pour l’instant pour des raisons de sécurité. Poudlard était plus sûr que
jamais. Excepté les Professeurs, personne ne pouvait quitter ou pénétrer sur le domaine sans
l’accord préalable du Directeur. Organiser des funérailles dans ces conditions s’avérait
compliqué.

Il tâcha de ne pas songer au fait qu’il faudrait probablement en organiser deux.

Encore que… Voldemort ne leur ferait pas le plaisir de leur rendre le corps. Sirius vivait dans
l’angoisse d’une armée d’Inféris se levant de terre – une pratique dont le mage noir avait
raffolé durant les Années de Terreur – et l’idée que le cadavre de Snape irait gonfler ses rangs
n’était pas réjouissante.
Il lui faudrait aller à Poudlard à la première heure… Il avait déjà averti Dumbledore.

Comment allait-il annoncer à Harry…

La mort avait surpris Fol’Œil et ses traits demeuraient crispés dans l’éternité. Quelqu’un lui
avait fermé la paupière. Son œil magique pendait mollement vers l’intérieur de son crâne.

Il hésita sur le seuil.

Ils n’avaient jamais été amis. Alliés, parfois, mais amis… Et cela ne s’était pas arrangé ces
derniers temps. Il éprouvait du respect pour l’Auror, pourtant. Alastor Maugrey avait déjà été
une légende bien avant que Sirius ne termine Poudlard, bien avant qu’il ne devienne Fol’Œil.

Il ne sentit la présence dans son dos que lorsqu’elle fut suffisamment proche pour le frôler
alors qu’elle s’adossait au chambranle de la porte. Le chagrin était évident sur le visage de
Nyssa, le chagrin et le regret…

« Je peux te trouver une chaise si tu veux le veiller. » proposa-t-il, mal à l’aise.

Sirius avait un problème avec les cadavres. C’était certainement une peur idiote mais cela
l’effrayait. Être mis face à face avec la mort sans possibilité de la nier ou de la fuir était plus
qu’il ne pouvait en supporter. Surtout après James et Lily.

« Nous savons tous les deux qu’il n’aurait pas voulu de moi à son chevet. » lâcha-t-elle, sans
hostilité ou colère. Sa voix, en vérité, était vide de toute émotion. Elle cilla avec tant de
lassitude que ses paupières paraissaient peser une tonne chacune. « Ça n’a pas toujours été
comme ça. On a été heureux à une époque. Oui… On a été heureux… »

Sirius hocha la tête parce qu’il ne savait trop quoi faire d’autre. Tout ce qu’il aurait pu dire
aurait sonné faux, tout geste qu’il aurait pu faire aurait été déplacé.

Elle tendit la main vers sa joue et il maîtrisa un sursaut de surprise lorsqu’elle retraça du bout
des doigts une des griffures qu’elle avait laissées sur sa peau un peu plus tôt.

« Je ne voulais pas te blesser. » offrit-elle à regret. « Mais ne te mets plus jamais entre un
vampire et sa proie. »

« Snape n’est pas ta proie. » contra-t-il. « Ce n’est pas sa faute. »

Elle le fixa longuement du regard, avec tant de force qu’il dressa instinctivement les boucliers
mentaux laborieux que Snape l’avait encouragé à développer. Il n’y eut aucune tentative
d’intrusion cependant, juste une attention pleine et totale.

« Si tu le pense, je te fais confiance. » décréta-t-elle finalement. « Mais, crois-moi, quelqu’un


va payer pour ce qui s’est passé ce soir. Quand j’aurais trouvé le coupable… Je n’aurais pas
de pitié. »

Elle ne dit rien d’autre. Elle resta adossée au cadre de la porte, à observer le corps d’un
homme qu’elle avait aimé plus que tout autre.
°O°O°O°O°

Son bureau lui avait rarement paru aussi glacial.

Le feu ronflait dans l’âtre sans qu’Albus n’en perçoive la chaleur. Son regard était rivé sur le
plateau d’échecs devant lui, sur les pièces endormies disposées à divers endroits stratégiques,
analysant machinalement la partie qu’ils n’avaient jamais eu le temps de terminer les jours
passés, sans parvenir à retenir grand-chose de ses conclusions.

La douleur était sourde. Cruelle. Elle le rongeait de l’intérieur, prenant naissance dans son
ventre, explosant dans sa poitrine et pulsant à l’arrière de son crâne.

Ta faute, murmurait-elle, ta faute.

Il renversa violemment l’échiquier d’un revers de bras, trouvant une certaine satisfaction au
bruit des pièces heurtant le mur et roulant sur le sol en une pluie de marbre. La satisfaction
fut de courte durée. Le bruit de détresse lui parvint de l’autre côté du bureau et il s’en sentit
doublement coupable.

Triplement, peut-être.

Il aurait dû retourner au Ministère. Insister pour que Scrimgeour accepte son aide. Il aurait dû
s’assurer que rien de stupide ne serait tenté.

Cela avait été son plan initial, le détour par Poudlard une simple mesure de précaution.
Vérifier les protections, les renforcer… Il n’avait pas prévu de trouver Minerva installée
derrière son bureau à terminer de la paperasse, pas si tard dans la nuit. Il avait espéré que la
confrontation inévitable attendrait l’aube.

Il s’était laissé tomber sans trop de grâce dans le fauteuil d’habitude réservé aux visiteurs et
elle avait compris, sans qu’il ait à le dire, que le pire était survenu.

Qui, avait-elle demandé, la voix tremblante.

Elle avait fermé les yeux lorsque le prénom d’Alastor avait franchi ses lèvres.

Elle avait couvert son visage de ses mains lorsqu’il avait expliqué la situation de Severus.

Avait-elle pleuré ? Peut-être. Probablement.

Les minutes qui avaient suivi les explications étaient floues. La fatigue, l’inquiétude et le
chagrin trop puissants pour être simplement repoussés ou occludés. Il se rappelait avoir
ordonné à un elfe de leur apporter du thé. Il se rappelait avoir lui-même versé le liquide
fumant dans les tasses avec des mains tremblantes. Il se rappelait avoir tendu la main et la
bouteille de cognac qui s’était envolée de l’étagère du fond, faisant tomber au passage les
deux livres qui la dissimulaient, avait flotté jusque entre ses doigts…

Ensuite…

Ensuite il y avait eu le silence.


Et le froid.

Le froid le glaçait jusqu’aux os.

Le froid venait de l’intérieur.

« Je n’ai jamais rien souhaité de tout cela. » murmura-t-il, ses yeux bleus rivés sur le cavalier
brisé qui gisait non loin de là. « Jamais. »

Minerva ne répondit pas.

Il risqua un coup d’œil mais sa tête était tournée, les flammes jetant des ombres changeantes
sur son visage, et elle garda les lèvres pincées. Ses traits étaient tirés, le chagrin rentré mais
évident pour qui la connaissait.

« Il savait qu’il serait sacrifié sur l’autel de vos manigances. » cingla-t-elle froidement. « Il
savait. »

« Je n’ai jamais songé qu’il puisse décider de repartir. » se défendit-il. « La situation était
telle… Severus n’a jamais pris de risques inconsidérés. Je pensais qu’il attendrait mon
arrivée. Je pensais… »

« Avez-vous pris le temps de discuter avec lui récemment ? » rétorqua-t-elle. « Il n’y a rien
qu’il ne ferait s’il pensait, ne serait-ce qu’une seconde, que c’est dans l’intérêt d’Harry Potter.
Et au point où nous en sommes, la moindre bribe d’information est dans l’intérêt d’Harry
Potter. Bien entendu qu’il est reparti, Albus. Bien entendu. Il n’est plus l’homme qu’il était.
Plus tout à fait. »

Albus se frotta le visage avec lassitude et porta à ses lèvres la tasse de thé froide.

Elle avait raison naturellement.

Ta faute, siffla sa conscience.

Elle aussi avait raison.

°°O°°O°°O°°O°°

Remus était en colère.

Il dévala les escaliers après être resté prostré dans sa chambre pendant une bonne demi-heure
à tenter de retrouver le contrôle de ses émotions volatiles.

Il était en colère contre lui-même, d’abord, pour avoir laissé la situation avec Dora déraper
autant alors que ce n’était clairement pas le moment.

Il était en colère contre Dora à cause de son refus de comprendre que les choses avaient
changé et qu’ils pouvaient maintenant essayer de construire la véritable relation qu’elle avait
désirée pendant des mois.
Il était en colère contre Fol’Œil de s’être fait tuer.

Il était en colère contre Rookwood d’avoir lancé ce sort de mort.

Il était en colère contre Albus qui aurait dû savoir que la mission serait vouée à l’échec ou,
tout du moins, arriver plus tôt sur les lieux et empêcher le massacre. À quoi donc servait
Albus Dumbledore s’il ne sauvait pas les innocents ?

Il était en colère contre Severus parce que l’homme fricotait avec Dora et, surtout, parce qu’il
avait été assez stupide pour s’embarquer dans une mission suicide alors qu’ils n’avaient pas
besoin de davantage de martyrs. Il ne souhaitait pas la mort de Severus. Il ne souhaitait la
mort de personne.

Il était en colère contre Lunard qui ne cessait de s’agiter en lui, inquiet pour sa meute.

Il était en colère contre le reste du monde.

Le salon s’était vidé pendant son absence. Pomfresh était retournée à Poudlard, Andromeda
était rentrée chez elle, Anthony et Charlie avaient rejoint le Terrier… Tonks avait prévu de
repasser par chez elle avant de se présenter au Ministère. Restait Bill qui, allongé sur le
canapé, tentait tant bien que mal de dormir et de récupérer de la blessure sur son flan. Et
Fleur, perchée sur l’accoudoir, qui couva son petit-ami – ou ex petit-ami, Remus avait du mal
à suivre – du regard tout le temps qu’elle renseigna le loup-garou.

Remus ne s’attarda pas.

Il trouva Sirius et Nyssa dans la cuisine.

La vampire était de sale humeur, il le sentit tout de suite. Ils étaient assis de part et d’autre de
la table de la cuisine, une bouteille de Whiskey Pur-Feu stratégiquement disposée entre eux,
un verre plein à rebord à la main. La cigarette que son meilleur ami venait d’écraser contre le
bois massif de la table fumait encore.

Sans un mot, Remus attrapa un verre propre sur l’étendoir à vaisselle, s’assit à côté de Nyssa
et attrapa la bouteille d’alcool.

Le toast silencieux qu’il porta était tout aussi ironique que celui que Sirius lui rendit.

°°O°°O°°O°°O°°

L’embrun lui colla au visage avant même qu’il termine son transplanage.

Il n’avait pas eu conscience de la destination avant de partir, ce n’était pas ainsi que cela
fonctionnait. La Marque brûlait et la Marque servait de guide au transplanage, l’équivalent
magique du rembobinage automatique des laisses que les moldus passaient autour du cou de
leurs chiens.

La vue lui glaça les os.


Ou peut-être était-ce la légion de Détraqueurs qui flottait dans les airs tout autour de l’énorme
bâtiment gris qui se détachait à peine sur le ciel d’un noir d’encre. À quelques mètres, la mer
venait lécher le rivage par vagues colériques comme pour mieux avaler l’abomination
qu’était cet endroit.

Azkaban.

Il y aurait terminé sa vie si Albus Dumbledore n’avait jugé qu’il serait plus utile ailleurs.

L’île était nue mise à part le bâtiment corrodé par l’air marin et le cimetière qui s’étendait sur
son côté droit, à perte de vue. Des croix grossièrement taillées dans des planches de bois
pourries marquaient les sépultures sans ordre, ni soucis d’esthétique. Elles étaient là
davantage pour ne pas qu’un corps soit enterré au même endroit qu’un autre que pour offrir
une véritable tombe. Aucun nom ne figurait sur les planches. L’anonymat dans l’éternité
attendait la plupart des prisonniers d’Azkaban, ceux dont la famille n’était pas assez riche
pour s’assurer le rapatriement discret du défunt.

Il fit deux pas vers la forteresse et serra les dents, immédiatement pris à la gorge par le
désespoir que les Détraqueurs exsudaient par vagues. Il avait été plus facile de les combattre
à une époque. Lorsque ses boucliers avaient été plus puissants, lorsqu’il lui avait été plus aisé
de compartimenter ses émotions, lorsque les ténèbres avaient été plus alléchantes, lorsqu’il
n’avait pas eu tant à perdre…

Il aurait été plus simple de céder à la panique qui cherchait désespérément à naître au creux
de son ventre, de rebrousser chemin et de trouver un moyen de quitter l’île avant que son
arrivée ne soit remarquée. On ne s’enfuyait pas d’Azkaban par transplanage. Il lui faudrait un
bateau ou un balai. Un portoloin, en dernier recours, mais créer un portoloin prenait du temps
et le temps était un luxe qu’il ne possédait pas.

Fuir aurait été admettre sa culpabilité, cependant, et il n’avait aucun doute qu’on le
rattraperait avant qu’il aille bien loin.

Non…

Il n’avait d’autre choix que d’avancer, de tenter de convaincre le Seigneur des Ténèbres que
si traitre il y avait, ce n’était pas lui et, surtout, de survivre.

Il prit une profonde inspiration et s’octroya une seconde afin de s’assurer que ses boucliers
étaient en place avant de se remettre à marcher vers la forteresse.

Toi qui entre ici, abandonne toute espérance, songea-t-il, non sans ironie, en passant la haute
arche de pierre.

Il y avait deux corps dans le hall d’entrée, deux hommes aux yeux grands ouverts qui fixaient
un plafond qu’ils ne verraient jamais plus. Les gardes, supposait-il. Azkaban était gardée par
les Détraqueurs – et le Magenmagot allait se mordre les doigts de ne pas avoir écouté Albus –
mais il fallait bien des humains pour nourrir les prisonniers et les enterrer le cas échéant.
Deux Mangemorts masqués vinrent à sa rencontre alors qu’il hésitait sur le chemin à prendre.
Le masque… Le sien était perdu quelque part dans les décombres d’une maison calcinée. À
la hâte avec laquelle un des Mangemorts attrapa son bras – une nouvelle recrue, décida-t-il,
jeune et probablement un ancien élève – il douta que cela fasse une différence. Il se dégagea
d’une secousse ferme, jetant un regard dédaigneux à la baguette de cèdre que le jeune homme
pointa immédiatement sur lui.

« Je ne pensais pas que tu serais suffisamment stupide pour revenir. » commenta froidement
Lucius, en tendant la main. « Ta baguette. »

Severus envisagea une seconde de les affronter. Le plus jeune ne poserait aucune difficulté.
Lucius, par contre… Il savait pouvoir l’emporter mais probablement pas suffisamment
rapidement pour s’échapper avant que le duel n’attire des renforts. Se battre à présent serait
un aveu de culpabilité.

Il gardait toujours un mince espoir de parvenir à retourner la situation.

Sans un mot, il confia sa baguette à Lucius. Les yeux gris de l’homme dérivèrent vers ses
bottes avant de rencontrer les siens. Severus n’offrit pas la dague dissimulée contre sa
cheville et Lucius, bien qu’en soupçonnant visiblement la présence, ne la lui demanda pas. Le
Sang-Pur rangea sa baguette dans la poche extérieure de ses amples robes de Mangemorts et
lui indiqua, d’un geste sec du menton, d’avancer.

La forteresse était remplie de Mangemorts qui vaquaient à leurs occupations, apparemment


peu affectés par la présence oppressante des Détraqueurs. Pour Severus, elle se faisait de plus
en plus écrasante à chaque nouveau pas.

Le Seigneur des Ténèbres avait installé son trône dans une grande pièce au haut plafond,
située au dernier étage, qui avait sans doute été destinée à être un réfectoire avant que
Ministère ne décide qu’autoriser les prisonniers à quitter leur cellule et les superviser
demanderait trop de travail.

Sans être pleine à craquer, bon nombre de Mangemorts se tenaient là, formant une masse
grouillante de robes noires et de masques d’ivoire. Un silence de mort accompagna leur
avancée jusqu’au trône où siégeait le mage noir. Bellatrix était assise sur les marches qui
menaient au trône, la tête appuyée contre l’accoudoir à l’aspect inconfortable, ses vêtement
tâchés de sang, visiblement toujours sonnée par la bataille.

Severus en éprouva une certaine mesure de satisfaction.

« Maî… » tenta-t-il mais le silencio se noua autour de sa gorge avant qu’il n’ait pu former le
mot.

Lucius le força à s’agenouiller d’un coup de canne traitre dans la jambe. Il n’osa pas lui jeter
de regard noir, pas avec les yeux rouges rivés sur lui.

« Tu m’as trahi, Severus… » accusa le Seigneur des Ténèbres de sa voix sifflante. « Nous
avons suffisamment de preuves de ta duplicité pour nous épargner ta comédie… Aussi
distrayante soit-elle. On ne trompe pas Lord Voldemort. »
Il avait trompé Lord Voldemort pendant de très nombreuses années, aurait-il volontiers
répliqué.

« Ta traîtrise ne demeura pas plus longtemps impunie. » continua le mage noir. « Tu meurs
cette nuit. »

Un frisson descendit le long de sa colonne. Il pensa à nier et supplier, deux choses que le
Seigneur des Ténèbres appréciait, et rejeta cette option. Il avait pensé les chances minces, il
était évident désormais qu’il n’y en avait aucune.

Il se redressa, refusant plus longtemps de courber l’échine devant ce monstre.

Si possible, ce dérisoire geste de défi parut amuser le mage noir davantage encore. Il agita la
main du haut de son trône et le silencio se relâcha autour de ses cordes vocales. Severus en
déduisit que sa mort serait lente. Une mort lente se savourait chez les Mangemorts, il n’y
avait que peu d’intérêt si le supplicié ne hurlait pas d’abord.

« Tu meurs… » répéta le Seigneur des Ténèbres. « Et pour quoi ? Pour Dumbledore ? Fou
que tu es de croire que ce vieillard peut m’arrêter. »

« Je ne meurs pas pour Dumbledore. » cracha-t-il, sans regret.

L’amusement du mage noir grandit encore tandis que dans son dos, les Mangemorts
s’agitaient, avide du spectacle qui ne manquerait pas de suivre.

« Non ? » se moqua son Maître. « Et pour qui dans ce cas ? »

Il humecta ses lèvres sèches, ses yeux noirs fouillant la pièce à la recherche d’une issue,
d’une solution. Il n’y en avait aucune. Azkaban méritait sa réputation.

« Harry Potter. » déclara-t-il fermement. Noblement. Encore que la noblesse soit une piètre
consolation dans sa situation actuelle. Il songea aux derniers mots qu’Harry lui avait adressés
et espéra qu’un jour le garçon comprendrait et lui pardonnerait. Lorsque la mort était
inévitable, penser que l’on se sacrifiait pour quelqu’un ou quelque chose était une
consolation. Une mince consolation, certainement, mais une consolation tout de même.

Ce qu’Harry avait fait pour lui, ce qu’Harry lui avait apporté, personne d’autre ne l’avait fait
avant, pas même Lily. Le côtoyer avait été un privilège, il ne l’avait compris que trop tard.
Les années perdues dans une hostilité mal placée étaient un regret qu’il emporterait de l’autre
côté du voile.

Le mage noir éclata d’un rire serpentin et sifflant qui fit redresser la tête au serpent qui
dormait lové dans un coin.

« Un enfant. » railla le Seigneur des Ténèbres. « Tu meurs pour un enfant. »

Mon enfant, songea-t-il jalousement.

Il tint sa langue.
Il tint sa langue et la mordit lorsque le premier endoloris le heurta.

Il la mordit jusqu’à ce que la douleur ne le submerge et que le hurlement ne s’arrache à ses


poumons pour lui brûler la gorge.

Il hurla et hurla.

Il hurla et hurla encore.

La douleur envahissait tout, recouvrait tout.

Il ne savait pas qui était responsable de la torture, qui tenait la baguette, qui infligeait tant de
souffrance… Les endoloris laissaient parfois la place à d’autres sorts plus créatifs. Il saignait.
Il n’aurait su dire où ou même quelle était la nature des plaies mais il sentait le sang poisseux
qui ruisselait, collait ses vêtements à sa peau… Son goût de fer lui emplissait la bouche.

Son corps ne cessait de convulser même entre deux maléfices, de petites secousses nerveuses
qui refusaient de s’arrêter.

Un cauchemar perpétuel.

Combien de temps avant que les effets de l’endoloris n’atteignent son cerveau ? Combien de
temps avant qu’il ne se transforme en légume et qu’ils se lassent de s’acharner sur une
coquille vide ?

Ses yeux voyaient sans voir.

Son esprit s’égarait.

Le coffre, murmurait une voix à l’arrière de son crâne. Ultime recours de l’Occlumens, une
poche si profondément enfouie au fin fond d’un esprit que rien ne pouvait l’atteindre. Un
repli. Un refuge. Le coffre d’Harry était le placard sous l’escalier… Le sien…

Le sien était trop loin.

Il était trop faible, trop fatigué.

Ou peut-être était-ce les premiers signes de dégénérescence neurologique qui se


manifestaient.

Lucius s’avança et retira son masque, l’observant patiemment à la lumière changeante des
torches comme pour mieux décider quel sort utiliser.

Severus respirait à grosses bouffées, ses yeux noirs rivés aux yeux gris d’un homme qu’il
avait autrefois appelé un ami. C’était avant, bien sûr. Avant qu’il sache ce qu’un ami était
véritablement. Avant qu’allié et ami prennent deux sens différents.

Il pensa à son double dans cet univers alternatif et espéra qu’il avait su se construire un
meilleur futur, un futur où Lily était toujours là pour le protéger des ténèbres qui avaient
toujours cherché à recouvrir sa vie quoi qu’il arrive.
Lucius prit suffisamment son temps pour que les spasmes s’espacent. Severus décida que
c’était là une manière de s’assurer que la douleur soit plus vive, qu’il en sente pleinement la
morsure…

Lorsque le Sang-Pur se tourna vers le trône pour demander ce qu’il plairait au Seigneur des
Ténèbres de voir, Severus aperçut la hampe de sa propre baguette qui dépassait de sa poche.

C’était presque une invitation.

C’était aussi sa seule chance.

Il serra brièvement le poing. Ses muscles répondaient encore mais ses nerfs étaient en feu et il
ne garderait pas bien longtemps le contrôle de son corps.

Il déglutit péniblement, avalant plus de sang que de salive, et dans un hurlement de douleur,
décocha un coup de pied à Lucius.

Ce fut l’adrénaline pure qui lui permit de se jeter sur le Sang-Pur qui ne se défendit pas
suffisamment vite pour l’empêcher de se saisir de sa baguette.

L’adrénaline et Harry.

Il avait promit de se battre.

Il avait promit d’essayer.

A la seconde où ses doigts se refermèrent sur le bois familier de sa baguette, il dressa un


bouclier. Ce n’était même pas un sortilège informulé, à peine un vœu pieu. Sa magie prit le
relai, l’entourant d’une aura bleutée sur laquelle vinrent s’écraser une vingtaine de sortilèges.

Déjà, le Seigneur des Ténèbres se levait, baguette pointée droit sur lui.

Il ne mourrait pas couché dans la poussière, égorgé comme un porc. Il ne mourrait pas
comme le cavalier sacrifié d’Albus Dumbledore. Il ne mourrait pas comme un pion.

S’il devait mourir, il mourrait en homme libre.

Et il en emmènerait autant qu’il pourrait avec lui.

Son regard accrocha les voutes de pierre qui formaient le plafond alors que le mage noir avait
déjà prononcé deux des syllabes mortelles.

Il projeta toute sa magie dans son sortilège.

Le plafond s’effondra, d’énormes blocs de pierre tombèrent sur eux en une pluie mortelle. Le
bouclier revint automatiquement se dresser autour de lui sans que Severus ne puisse faire
autre chose que d’écouter les cris des Mangemorts qui n’avaient pas eu la présence d’esprit
d’en faire de même.

Son regard se perdit dans la voute céleste où ne brillait aucune étoile.


Voilà qui était d’à propos.

Une nuit noire.

Une nuit noire qui menaçait d’engloutir son esprit.

Nuit.

Nox.
Dead Stars

What is human existence? It turns out it’s pretty simple: We are dead stars, looking back
up at the sky.

Michelle Thaller

Qu’est-ce que l’humanité? C’est assez simple, somme toute : Nous sommes des étoiles
éteintes qui tournons à nouveau les yeux vers le ciel.

Michelle Thaller

Harry se frotta les yeux.

Ils brûlaient de fatigue et, pourtant, le sommeil le fuyait. Il avait retiré et remis ses lentilles
plusieurs fois avant de finalement accepter son sort. Une nuit blanche le guettait. Ce ne serait
ni la première, ni la dernière. Il avait tiré les épaisses tentures qui entouraient son lit et
s’occupait comme il le pouvait à la lumière de son lumos.

Il feuilletait distraitement le carnet à dessins que lui avait offert sa mère, claquant de temps en
temps la langue en direction de Masque qui semblait penser que chaque mouvement de son
pied sous les couvertures étaient une invitation au jeu, tout en gardant un œil sur la carte des
Maraudeurs étalée sur ses genoux.

Les points libellés Dumbledore et McGonagall l’intriguaient mais il les surveillait davantage
par ennui que par réel intérêt. Le reste du château était calme, tout le monde était où ils
étaient supposés être, encore que Severus Snape ne soit pas encore réapparu malgré l’heure
tardive – ou matinale. Il n’était nulle part sur le domaine et étant donné la conversation qu’ils
avaient eue plus tôt…

La colère lui brûla à nouveau l’estomac, teintée d’inquiétude cette fois ci. Il gigota et tâcha
d’occluder ces émotions importunes mais la terreur était tenace et bien trop forte pour être si
facilement balayée. La terreur et la rancœur. Il ne voulait pas, ne pouvait pas perdre Severus.

Masque attaqua ses jambes et Harry se dégagea sans douceur, jetant un regard noir au félin
peu impressionné qui se recoucha avec un air vexé.

Était-ce Snape que le Directeur et la sous-directrice attendaient ? Cela faisait une demi-heure
à présent que McGonagall faisait les cent pas. Elle allait et venait d’un côté à l’autre de la
pièce sans relâche tandis que le point de Dumbledore demeurait fixe.

Avec un soupir, il referma le carnet à dessins et le glissa sous son oreiller avant de s’installer
plus confortablement, espérant sans trop y croire parvenir à trouver le sommeil. Au matin, si
Snape n’était toujours pas rentré, il enverrait un hibou à Sirius en exigeant de savoir ce qu’il
se passait. Son parrain serait probablement plus enclin à lui répondre que n’importe quel
autre adulte qui penserait le protéger en lui dissimulant la vérité.

Harry n’avait nul besoin qu’on le protège.

Il se débrouillait très bien tout seul.

Il se désintéressa du bureau du directeur pour observer les couloirs du château au cas, somme
toute improbable, où il s’y passerait quelque chose de plus intéressant. Il retraçait du regard le
chemin qui menait vers la salle commune des Serdaigles lorsque son attention fut attirée par
la trace d’encre qui s’étira soudain de l’extrémité du parchemin jusqu’à la tour d’Astronomie.

Non…

Pas une trace mais un point se déplaçant si vite qu’il ne laissa derrière lui qu’une traînée noire
indéchiffrable. La trajectoire donnait à penser que le point – et la personne – était tombé du
ciel.

Harry ne prit même pas la peine de vérifier de qui il s’agissait, il bondit hors du lit, prit à
peine le temps de passer ses chaussures – certainement pas celui de nouer les lacets – et
d’attraper la cape en laine qui traînait par terre. Il dévala les marches vers la salle commune
et jeta la cape sur ses épaules en attendant impatiemment que le portrait de la Grosse Dame
bascule, ce qui ne fit rien pour empêcher le choc de température lorsqu’il s’élança à toute
allure dans les couloirs, vêtu de son seul pyjama.

Il courut si vite qu’il était déjà essoufflé en arrivant au pied des escaliers de la tour
d’Astronomie. Ça ne l’empêcha pas de monter les marches quatre à quatre.

Il ne savait pas ce qu’il découvrirait au sommet.

Des télescopes brisés l’attendaient, et, au milieu des débris, sur le parapet extérieur…

« Severus ! » s’écria-t-il, en proie à la panique. Il se jeta à genoux près du sombral qui


convulsait, de l’écume rosâtre plein la bouche. Une patte manqua le heurter au flan et Harry
enjamba l’animal, s’accroupissant dans son dos avec une inquiétude grandissante. Il posa la
main sur l’encolure du sombral et la retira pleine de sang.

Du sang, il y en avait partout.

Une flaque sombre se formait sous l’animal. Certains os étaient clairement brisés. Il était
couché sur son aile gauche et cela n’était sans doute pas une bonne chose. Sa respiration était
hachée et un râle s’échappait de sa poitrine à chaque expiration.

« Ça va aller. » promit Harry dans un murmure, en posant à nouveau sa main sur l’encolure.
« Ça va aller. » Il pêcha sa baguette dans sa poche et s’humecta nerveusement les lèvres.
« Spero Patronum. » Rien ne se passa. Rageant contre sa propre incompétence, il s’efforça
d’ignorer les tremblements de ses doigts, prit une profonde inspiration et ferma les yeux. Il
occluda la terreur sourde qui lui broyait l’estomac, l’enferma derrière un mur de flammes, et,
ensuite seulement, se laissa-t-il aller à des souvenirs heureux. Lily qui riait en jetant ses bras
autour de ses épaules, une partie d’échec au coin du feu contre Severus, retrouver Hermione
et Ron après tant de mois… Il laissa la bulle de bonheur grandir en lui et éclater dans le
sortilège. « Spero Patronum. » Lorsqu’il rouvrit les yeux le patronus étincelait, plus brillant
qu’il ne l’avait été depuis un bon moment. « Trouve Dumbledore. » ordonna-t-il. « La tour
d’Astronomie. C’est urgent. Prévenez Pomfresh. »

Le sombral argenté déplia ses longues ailes et s’envola en direction d’une autre tour.

Harry baissa les yeux vers le sombral bien réel qui déclinait lentement sous sa main. Les
convulsions s’arrêtaient pour mieux reprendre.

« Pouvez-vous vous transformer ? » s’enquit-il en pure perte. Si Severus l’avait pu, nul doute
qu’il l’aurait fait de lui-même.

Il ne savait pas par où commencer pour aider le Professeur. Il était difficile de déterminer
d’où le sang provenait, il semblait qu’il y avait des plaies partout, et Harry rechignait à
appuyer dessus pour contenir les hémorragies parce qu’il y avait trop de fractures ou
d’hématomes et qu’à chaque fois qu’il posait sa main autre part que sur l’encolure, le sombral
s’agitait avec un râle de douleur.

« Ça va aller. Vous allez vous en sortir. » répéta inlassablement Harry, en caressant du bout
des doigts la fine membrane de l’aile, la seule partie de l’animal qui semblait intacte. « Vous
êtes rentré à la maison. Vous vous êtes échappé. Ça va aller maintenant. »

Il lui sembla attendre pendant des heures pourtant il devinait qu’il ne s’était pas passé plus de
deux minutes entre le moment où il avait envoyé le patronus et l’instant où Dumbledore
déboula en courant dans la tour d’Astronomie, suivi de McGonagall.

« Harry ! » s’écria le Directeur avec un soulagement évident. « Harry, où est… »

Un soulagement qui s’effaça lorsqu’il aperçut le sombral étalé sur son flan. Il fronça les
sourcils, visiblement confus, avant qu’un éclair de compréhension ne passe sur son visage.

« Où est Severus ? » demanda la sous-directrice. « Vous avez affirmé qu’il était revenu sur le
domaine, Albus. Où est-il ? Et, Mr Potter, que faites-vous hors de votre dortoir à cette heure-
ci ? Qu’est-il arrivé à cet animal ? Et, surtout, qu’est-il arrivé à votre Patronus ? »

Dumbledore se laissa tomber à genoux à côté de la tête de Nox. Le sombral s’agita


faiblement lorsque le vieux sorcier posa la main sur son encolure, agitant déjà sa baguette de
sa main libre.

« C’est Severus. » offrit Harry en guise d’explication, en levant les yeux vers sa Directrice de
Maison.

« Severus ? Mais… » Elle s’interrompit, ses yeux voyageant du lion au sombral, puis elle se
passa une main sur le visage et s’agenouilla elle-aussi. « Se transformer alors qu’il était
blessé n’aura fait qu’aggraver les blessures. »
« Il lui faut pourtant bien se retransformer. » jugea Dumbledore. « Son état est trop instable.
Un sombral ne survivra pas à ces blessures. C’est un miracle qu’il soit parvenu jusque ici. »

Pomfresh arriva sur ses entrefaites, à bout de souffle. Elle se figea lorsqu’elle les aperçut tous
autour de l’animal.

« Je ne suis pas vétérinaire. » déclara-t-elle tout de go. « Vous auriez mieux fait de prévenir
Hagrid. »

« Il s’agit de Severus, Poppy. » expliqua McGonagall.

L’infirmière accepta cela dans un battement de cils et enjamba l’animal pour prendre place à
côté d’Harry. Elle étudia la situation quelques secondes, agita sa baguette et échangea
finalement un long regard avec Dumbledore.

« Ne faites pas ça. » gronda Harry. Les adultes tournèrent vers lui des yeux soit tristes, soit
compréhensifs, qui l’énervèrent davantage. « N’abandonnez pas avant même d’avoir tenté
quoi que ce soit. »

Hagrid n’était pas une mauvaise idée, en fin de compte. S’ils comptaient simplement rester
assis là et attendre que Severus meure… Hagrid pouvait sauver le sombral, Harry en était
persuadé.

« Personne ne va abandonner Severus, Mr Potter. » déclara sèchement McGonagall.


« Personne. » Elle posa une main protectrice sur la tête de l’animal, défiant les deux autres
adultes du regard de la contredire. Personne ne s’y aventura et elle hocha brièvement la tête.
« Bien. Une chose à la fois. Sommes-nous tous d’accord qu’il est nécessaire de forcer une
transformation ? »

« Les nerfs sont touchés. » remarqua Pomfresh.

« Les nerfs ne sont pas la priorité. » contra Dumbledore, d’un ton sérieux. « Je suis plus
inquiet à propos de l’hémorragie interne. Ajoutée aux plaies ouvertes… Il perd trop de sang.
Les fractures compliqueront également la tâche. »

« Les nerfs seront la priorités de Severus. » répliqua Minerva. « Il nous faut en faire une
priorité. »

« Je ne peux rien faire tant qu’il n’est pas humain. » soupira Pomfresh. « Et une fois qu’il
sera retransformé, il faudra agir vite. Il est instable. »

« Sauvez-le. » intervint Harry. « Faites ce qu’il faut, n’importe quoi, mais sauvez-le. »

Il croisa le regard de Dumbledore et le soutint, abattant tous ses boucliers, s’offrant tout
entier aux yeux inquisiteurs du Directeur. Tout son désespoir, toute sa terreur, tout ce que
Severus représentait pour lui…

Le vieux sorcier cilla et se racla la gorge.


« Poppy, retournez à l’infirmerie. Préparez-vous. Nous le transfèrerons là bas dès que la
transformation sera terminée. » ordonna Dumbledore. « Harry, place sa tête sur tes genoux,
maintiens là sur le côté. Au moins un des poumons est perforé, il pourrait s’étouffer dans son
propre sang. Minerva, avec moi. »

Tout le monde s’empressa d’obéir à ses ordres. Harry ignora de son mieux l’élan de
culpabilité lorsque le sombral laissa échapper une plainte alors qu’il soulevait sa tête et la
calait du mieux qu’il le pouvait sur ses genoux.

« Severus. » murmura Minerva, en flattant l’encolure du sombral. « Severus. » Elle attendit


que l’animal s’immobilise autant que les spasmes irréguliers l’y autorisaient, elle attendit
d’être sûre d’avoir sa pleine attention avant de continuer. « Ce sera douloureux, mon garçon.
Quoi qu’il arrive, respirez. Ne tentez pas de résister la transformation. Respirez. » Le regard
de la sorcière se posa sur lui et Harry se redressa instinctivement. « Gardez la tête froide, Mr
Potter. »

Il hocha la tête pour marquer sa compréhension. Cela n’allait pas être beau à voir.

Cela pouvait difficilement être pire que d’être forcé à revivre le pire souvenir de Severus
encore et encore.

Il avait tort.

Cela pouvait facilement être pire.

Main dans la main, Dumbledore et McGonagall fermèrent les yeux et se mirent à psalmodier
d’une même voix.

Pendant quelques secondes, il ne se passa rien. Puis ça commença. Au niveau du torse


d’abord et le sombral se mit à hennir, le cou tendu à l’extrême, les pattes s’agitant
brutalement… Harry dut lutter pour maintenir sa tête et l’empêcher de se blesser par accident.

Toutes les transformations Animagus auxquelles il avait assisté se déroulaient en un clin


d’œil. Celle-ci ressemblait à une leçon qui se serait mal passée. Il réalisa soudain à quel point
il avait été idiot de s’entraîner seul lorsque Severus se retrouva avec un torse humain et des
appendices de sombrals.

Harry aurait voulu détourner les yeux mais il n’y parvenait pas. Pas même lorsque la tête de
l’animal se transforma à son tour et les hennissements se transformèrent en hurlements
rauques. Le Professeur toussait entre deux cris, crachant du sang, alors que Dumbledore et
McGonagall continuaient impitoyablement.

Il fallut presque trois bonnes minutes avant que la transformation ne soit complète.

Harry était figé d’horreur, incapable de faire autre chose que ce que Dumbledore lui avait
ordonné, les paroles réconfortantes qu’il aurait voulu prodiguer demeuraient prisonnières de
sa gorge.
Ce fut McGonagall qui se pencha sur le Professeur dès qu’elle eut lâché la main du Directeur
et rouvert les yeux, ce fut elle qui écarta les cheveux sombres de son visage avec une
tendresse malhabile mais maternelle, ce fut elle qui essuya son front moite de sa manche,
attentive à ne pas frotter la plaie qui lui barrait le front.

« Là… Là… C’est terminé, mon garçon. » promit-elle doucement. « C’est terminé… »

Les hurlements cessèrent sans qu’Harry en éprouve un quelconque soulagement. C’était


presque comme si Severus n’avait tout simplement plus la force de se plaindre, chaque
inspiration qu’il prenait était profonde mais chaque expiration était un râle. Ses yeux voyaient
sans voir, s’ancrant à ceux de McGonagall sans sembler la reconnaître. Tout son corps
tremblait, Harry le sentait sous ses mains, sans toutefois pouvoir déterminer s’il s’agit d’une
réaction à la transformation, s’il était en état de choc ou s’il s’agissait de bien plus grave.

« Il faut le transporter. » déclara Dumbledore, en posant une main sur l’épaule de la sorcière.
Elle la couvrit brièvement de la sienne sans jeter un œil au Directeur.

Le Directeur se releva souplement pour un homme de son âge et agita sa baguette. Le corps
du Maître des Potions se mit à léviter et Severus laissa échapper un gémissement de douleur.

« Un dernier petit effort, Severus. » murmura McGonagall, en glissant sa main dans celle du
Professeur. « Un bon lit vous attend à l’infirmerie. Poppy vous remettra à neuf en un tour de
main, vous verrez. »

La procession jusqu’à l’infirmerie fut lente. La sous-directrice ne cessait de jeter des sorts de
diagnostics trop compliqués pour qu’Harry ne comprenne la raison des regards lourds de sens
que les adultes échangeaient.

« Severus, restez éveillé. » gronda McGonagall, alors qu’ils étaient à deux couloirs de
l’infirmerie. « Severus… »

« Il s’enfonce. » déclara Dumbledore calmement. Harry ne pouvait s’empêcher de penser


qu’il occludait la panique bien plus efficacement que lui ne le faisait.

Ils pressèrent le pas, abandonnant visiblement l’idée de ne pas se dépêcher au risque


d’aggraver ses blessures. Pomfresh était prête dans l’infirmerie et ce ne fut que lorsqu’il
aperçut la quantité d’appareils magiques et de potions disposés sur un plateau près d’un lit
qu’Harry comprit à quel point la situation était sérieuse. Il l’avait su, peut-être, mais à cet
instant, cela le frappa.

« Il ne respire plus ! » lança la Directrice des Gryffondors à l’infirmière alors que


Dumbledore déposait Severus sur le lit.

« Ce sont les poumons. » ragea Pomfresh. « Il me faut… Écartez-vous. »

McGonagall fut poussée sans ménagement tandis que la Médicomage réglait ses instruments
et agitait sa baguette, jetant de temps en temps des instructions pratiques que Dumbledore
suivait sans la moindre hésitation. Quelques secondes plus tard un son irrégulier retentit,
rebondissant contre les murs de pierre comme autant de coups de tambour déformés.
Il fallut un moment au Gryffondor avant de réaliser qu’il s’agissait de battements de cœur.

« Combien de temps l’ont-ils soumis à l’endoloris ? » demanda l’infirmière.

« Impossible à dire. » répondit tristement Dumbledore. « Il n’a pas dit un mot. Pensez-vous…
Pensez-vous que le cerveau soit touché ? »

Pomfresh laissa échapper un claquement de langue qui n’engageait à rien. « Les poumons
doivent être notre priorité pour l’instant. Tâchez de déterminer d’où provient l’hémorragie
externe. Ces robes sont pleines de sang, faites les disparaître. Minerva, faites sortir Potter. »

McGonagall s’approcha de lui mais Harry se campa sur ses pieds, bras croisés devant son
torse, avec tout l’entêtement d’un bon lion. « Je reste là. »

Ce ne fut pas le Professeur de Métamorphose qui l’entraina dans le couloir mais Dumbledore.
La prise du Directeur sur son bras était ferme et il était impossible d’y résister.

« Je sais que tu es inquiet pour Severus, Harry. » déclara le vieux sorcier, sans ménagement.
« Mais pour l’instant, nous devons nous concentrer sur lui et il n’aimerait pas que tu le vois
ainsi, comprends-tu ? »

Il aurait voulu répliquer qu’il se fichait bien de ce que le Professeur souhaitait ou non, qu’il
lui avait demandé de ne pas risquer sa vie inutilement et qu’il ne l’avait pas écouté, qu’il était
hors de question qu’il le laisse alors que… Alors que…

« Est-ce qu’il va mourir ? » s’entendit-il demander d’une toute petite voix.

Évidemment qu’il allait mourir, répondit une voix sifflante à l’intérieur de son crâne, tous
ceux qui s’approchaient trop près d’Harry finissaient par mourir.

Ses yeux le brûlaient et ses mains tremblaient en dépit de toutes ses tentatives pour occluder.

« Je l’ignore. » offrit Dumbledore, choisissant cet instant entre tous pour être honnête alors
que l’adolescent aurait, pour une fois, préféré un mensonge. « Nous ferons notre possible
pour le sauver. Tu dois nous laisser faire. »

Il hocha la tête parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire.

Le visage du Directeur s’adoucit et il lui tapota l’épaule.

« J’ai une mission pour toi. » déclara le vieux sorcier. « Va dans mon bureau, utilise la poudre
de cheminette pour te rendre au Square Grimmaurd. L’Ordre voudra des nouvelles. »

Il doutait que qui que ce soit veuille des nouvelles de Severus, toutefois lorsque le Directeur
le poussa gentiment avant de se précipiter à nouveau à l’intérieur de l’infirmerie, Harry
continua d’avancer, comme dans le brouillard. Les torches s’enflammaient sur son passage,
éclairant inutilement un chemin qu’il connaissait par cœur.

La gargouille s’écarta sans qu’il ait besoin de donner un mot de passe et il pénétra dans le
bureau sans difficulté. Fumseck vola jusqu’à son épaule et nicha la tête dans son cou, laissant
échapper une volée de notes réconfortantes.

Elles lui donnèrent envie de pleurer.

Il gratta la tête du phœnix mais se dégagea de la prise de l’oiseau d’un bref coup d’épaule. La
poudre de cheminette était bien en évidence sur le manteau de la cheminée, il en jeta une
poignée dans l’âtre sans réfléchir, se raclant la gorge avant d’énoncer clairement « Square
Grimmaurd. »

Il déboucha dans le petit salon, face à Fleur qui écarquilla les yeux en l’apercevant.

« Harry ! » s’écria-t-elle. Sur le canapé à côté d’elle, Bill grogna dans son sommeil et elle
grimaça avant d’approcher de lui à grandes enjambées, baissant la voix. « Harry, que s’est-il
passé ? Es-tu blessé ? »

La main qu’elle posa sur son épaule était légère et tremblait. Il se rendit compte, avec un
temps de retard, que son pyjama était couvert de sang et que la cape de laine ne dissimulait
aucune des tâches. Il secoua la tête pour répondre à sa question, l’explication restant bloquée
dans sa gorge.

La française était couverte de suie, de sang et de sueur. Il fronça les sourcils. « Il y a eu une
bataille ? » Elle acquiesça sobrement, son visage s’assombrissant à son tour. Elle n’offrit pas
davantage d’explication. Il serra brièvement son poignet. « Sirius. Il faut que… J’ai un
message pour Sirius. »

« Il est dans la cuisine. » offrit-elle, en l’étudiant des pieds à la tête. « Tu es certain que tu
n’es pas blessé ? »

Il secoua à nouveau la tête et la contourna, ses pieds le menant mécaniquement vers la cuisine
comme ils l’avaient mené au bureau du Directeur. Il était vaguement conscient qu’elle
retourna s’asseoir près de Bill.

Il ne savait pas particulièrement ce qu’il s’attendait à trouver dans la cuisine. Il n’eut pas la
force d’être surpris, choqué ou agacé de voir son parrain, Lupin et la vampire occupés à vider
une bouteille de Whiskey-Pur-Feu. Remus et Nyssa furent les premiers à réagir, pourtant ce
fut Sirius qui le rejoignit et attrapa ses épaules.

« Harry, que s’est-il passé ? Où es-tu blessé ? » demanda son parrain, en proie à la panique.
« Harry… »

« Ce n’est pas mon sang. » lâcha-t-il, ayant la désagréable sensation de ne pas être tout à fait
en contrôle de son propre corps. C’était comme si sa tête était bourrée de coton. Ses mains
tremblaient. Il sentait la crise de panique arriver sans rien pouvoir faire pour la repousser.
« Severus… » Sa voix se brisa sur le prénom de son mentor et il se racla la gorge avant
d’essayer à nouveau. « Severus est blessé. »

« Blessé. » répéta Sirius, ses yeux gris ancrés aux siens. Harry n’était pas sûr d’à quel
moment son parrain s’était accroupi et d’à quel moment lui-même s’était assis à même les
tuiles froides et crasseuses de la cuisine. Il cilla mais les papillons noirs continuèrent à danser
devant ses yeux. « Blessé mais vivant ? »

« Oui… » souffla-t-il. « Oui, mais… Il est… Il est… »

« Tiens. » dit la voix de Remus, lui parvenant de bien loin.

Ce ne fut pas le loup-garou qui lui présenta une fiole, cependant, mais la vampire. Il détourna
la tête par réflexe, mais elle approcha à nouveau le flacon de ses lèvres.

« C’est une potion calmante. » murmura-t-elle, d’une voix trop douce et apaisante pour qu’il
n’y ait pas quelque magie là-dessous. « Tout va bien. »

Il avala la potion parce que cela paraissait préférable à un bon quart d’heure passé à chercher
sa respiration et à trembler de tous ses membres.

Des bras l’enserrèrent et sa tête roula sur une épaule. L’odeur de tabac froid et de poils de
chien était suffisamment familière et rassurante pour qu’il ne tente pas de se débattre. Il
ferma les yeux, tâchant d’effacer de son esprit la puanteur du sang et de la sueur ainsi que les
hurlements atroces. Il se concentra sur ses boucliers mentaux, refaisant patiemment et un à un
tous les exercices basiques nécessaires à leur construction. Il redessina mentalement chaque
flamme, chaque piège… Il se jeta dans le feu imaginaire jusqu’à ce qu’il se sente
suffisamment calme pour rouvrir les paupières.

Il n’était pas certain de combien de temps avait passé.

Sirius et lui étaient toujours assis à même le sol, son parrain soutenait la grande majorité de
son poids sans se plaindre. La vampire était assise par terre, non loin d’eux, en tailleur.
Remus les observait de la chaise qu’il avait tirée loin de la table.

« Harry, tu te sens mieux ? » demanda l’Animagus.

Il hocha faiblement la tête, sentant le rouge lui monter aux joues. Personne ne fit cas de sa
gêne, ils se détendirent tous tandis que Sirius l’aidait à se remettre sur ses pieds.

« Ah, Harry… » hésita le loup-garou, en désignant son pyjama trempé de sang du bout de sa
baguette. « Cela te dérangerait-il si… »

Ses yeux ambrés voyagèrent jusqu’à Nyssandra et Harry comprit immédiatement le sous-
entendu.

« Non. Allez-y. » donna-t-il son autorisation.

Remus fit disparaître les tâches d’un coup de baguette tandis que Sirius le poussait gentiment
vers une chaise.

« Je dois rentrer à Poudlard. » protesta-t-il. « Dumbledore voulait juste que je vous


avertisse. »

« Je vais te ramener. » promit Sirius. « Mais j’aimerais que tu nous expliques d’abord. »
Il accepta avec reconnaissance la tasse de thé fumante que le loup-garou lui mit entre les
mains et résuma rapidement les événements de la soirée, sans manquer les mines sombres
que partageaient tous les adultes présents à chaque fois qu’il s’interrompait pour porter la
tasse à ses lèvres.

« Attends, attends… » exigea gentiment Remus, en levant une main pour l’interrompre.
« Severus est un Animagus ? Depuis quand ? »

Harry hésita, regrettant presque d’avoir vendu la mèche. Dumbledore, McGonagall et


Promfresh savaient à présent, cependant, et étant donné qu’il était évident que Severus était
parvenu à échapper aux Mangemorts, Voldemort était également au courant. Quel secret y
avait-il encore à préserver ?

« Soixante-quinze. » répondit-il, en se frottant le visage.

Les deux Maraudeurs échangèrent un coup d’œil, visiblement perplexe.

« Ton soixante-quinze ou notre soixante-quinze ? » insista Sirius. « Non parce que Snape
n’était pas exactement le meilleur élève que McGonagall ait jamais eu et… »

« Depuis quelques mois. » l’interrompit-il d’un ton ferme, pour couper court à la discussion.
Il termina son résumé des événements et leva vers son parrain des yeux plein de
lassitude. « Je veux retourner à l’école. »

Sirius hocha immédiatement la tête, en se levant de son siège.

« Je vais essayer de joindre Tonks et Kingsley au Ministère. » déclara Remus. « Ils voudront
sans doute des nouvelles. »

« Fais ça. » approuva son parrain. « Nyssa… »

L’Animagus sembla hésiter, sa voix demeurant en suspens quelques secondes. Harry fit de
son mieux pour ne pas trépigner d’impatience.

« Ça ira. » offrit la vampire avec un sourire amer. « Ne t’inquiète pas. Je ne ferai rien
d’inconsidéré. Le soleil va bientôt se lever de toute manière. »

Sirius l’étudia quelques secondes, toujours hésitant, puis lui adressa une légère grimace de
regret. « J’aimerai rester avec toi mais… »

« Je comprends. » l’interrompit Nyssandra avec une sincérité évidente. « Vas-y. »

Harry était déjà à mi-chemin du petit salon lorsque l’Animagus le rattrapa par le bout de la
cape.

« Il va falloir transplaner. » expliqua-t-il. « Les protections de Poudlard sont au maximum,


personne ne peut entrer sur le domaine sans permission excepté les Professeurs. »

Il accepta ce changement de plans sans broncher et suivit docilement son parrain lorsqu’il se
dirigea vers la porte d’entrée.
« Fleur a dit qu’il y avait eu une bataille ? » se souvint-il, un peu tard.

Le visage de Sirius s’assombrit. Il prit le temps d’attraper le blouson en cuir qui pendait à une
patère avant de répondre. « Voldemort a pris Azkaban et une partie de l’Allée des Embrumes
a été détruite. Fol’Œil… Fol’Œil ne s’en est pas sorti. »

La tristesse était immense mais la douleur n’était pas aussi vivace qu’elle aurait pu l’être.
Plus tard, suspectait-il. Plus tard. Pour l’instant… « Je dois rejoindre Severus. »

Sirius acquiesça et tendit le bras. Il s’y accrocha, se préparant mentalement à… Ils


réapparurent près du portail de l’école et Harry se plia en deux, inspirant de profondes
bouffées d’air, certain qu’il allait rendre le contenu de son estomac.

« On s’habitue. » grimaça son parrain, en lui tapant dans le dos. Sans plus attendre, il plaça la
main sur la grille, l’y laissant quelques secondes avant de reculer.

Remarquant que Sirius avait sorti sa baguette et la tapotait nerveusement contre sa cuisse en
jetant des regards prudents alentours, Harry fit de même. Vigilance constante, songea-t-il
avec un pincement au cœur.

Le ciel s’éclaircissait lentement d’une lueur rosée alors que l’aube se levait. Le froid était vif,
pourtant Harry n’en sentait pas la morsure. Il ne sentait pas grand-chose, en vérité.

Il fallut plusieurs minutes avant qu’un lumos tremblotant ne se rapproche du portail. Le


visage grave de McGonagall apparut entre les grilles qu’elle ouvrit d’un murmure. Il sembla
à Harry que la sorcière avait pris dix ans en une nuit.

Le souvenir de son corps brisé s’effondrant la poussière s’imposa à son esprit et il le repoussa
d’un battement de cil, s’accrochant à ses boucliers comme un naufragé à sa bouée. Cela ne
pourrait durer éternellement, il n’était pas un Maître Occlumens. Il finirait par lâcher prise et
la chute serait douloureuse.

« Alors ? » demanda Sirius, sourcils froncés, avant qu’Harry ait pu le faire.

La sorcière secoua la tête avec regret. « Poppy et Albus tentent toujours de le sauver.
Andromeda est venu en renfort mais… Les nerfs sont touchés, cela rend la tâche bien plus
compliquée. Je n’en sais pas beaucoup plus. J’ai dû m’occuper des parents d’élèves…
Certaines familles sont venues chercher leurs enfants. »

Sirius ne parut pas surpris par cette observation. « Après ce qui s’est passé cette nuit, on va
faire face à un exode. »

« Probablement. » acquiesça le Professeur.

Se désintéressant de la conversation, Harry s’élança sur le chemin de terre qui le ramènerait


au château, ignorant les appels de son nom. Il courut parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire.
Il courut jusqu’à être à bout de souffle. Il courut jusqu’à déraper au détour d’un couloir et
s’étaler par terre. Il frappa le sol du poing, comme si les dalles de pierre y pouvaient
véritablement quelque chose, puis se remit lentement debout.
Il fit le reste du trajet en marchant.

Les portes de l’infirmerie étaient closes mais elles s’ouvrirent sans résistance lorsqu’il en
poussa le battant. L’odeur le prit à la gorge, les flaques de sang lui sautèrent aux yeux et le
son irrégulier des battements de cœur fut tout ce qu’il entendit lorsque son regard se posa sur
la sorcière penchée au-dessus du Professeur à moitié dénudé. Les plaies se perdaient au
milieu des cicatrices.

Il ne s’était jamais retrouvé face à face avec Bellatrix Black à cette époque-ci mais il la
reconnut sans mal. Il réagit avant même de pleinement intégrer ce qu’il voyait.

La formule passa ses lèvres, le maléfice fusa vers la sorcière.

Il fut dévié au tout dernier moment et alla s’écraser contre le mur de pierre, faisant voler de la
poussière. Harry perçut le sort de désarmement foncer vers lui et para d’un revers de bras. La
force du sortilège le fit reculer de deux pas.

Lorsqu’il aperçut Dumbledore, baguette pointée sur lui, le garçon se dit que c’était un miracle
qu’il ait réussi à parer tout court.

« Harry. » plaida le Directeur, l’air épuisé. « Ce n’est pas… »

« Écartez-vous. » gronda-t-il, ses yeux passant de Dumbledore à Bellatrix qui était toujours
penchée sur le corps inerte de Severus, les lèvres murmurant sans relâche une litanie qu’elle
n’interrompit pas.

« Mr Potter. » gronda Pomfresh, en émergeant de son bureau, les mains pleines de fioles.
« Vous n’avez rien à… »

« Écartez-vous de mon père ou… » menaça-t-il, une nouvelle fois, sa baguette pointée sur
Dumbledore. Il n’avait aucune idée de s’il s’agissait d’un imposteur ou de s’ils étaient tous
sous imperium mais…

« Votre père ? » répéta l’infirmière, complètement perdue, au moment où Sirius et


McGonagall pénétrait dans la pièce.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda son parrain, le rejoignant immédiatement. Il posa une
main sur son épaule, hésitant visiblement à sortir sa baguette. « Harry ? »

« Tu es aveugle ? » s’agaça le garçon.

« Comme j’essayais de te l’expliquer, Harry, il ne s’agit pas de Bellatrix mais de sa sœur


Andromeda. » intervint Dumbledore, avec une irritation palpable. « La mère de Tonks. »

Harry hésita. Sirius pressa gentiment son épaule.

« C’est bien Andy. » confirma l’Animagus. « Elles se ressemblent, c’est vrai. »

Et pourtant, à présent qu’il leur prêtait attention, les différences étaient évidentes. Ses
cheveux étaient moins sombres, le visage légèrement différent dans sa forme…
« Désolé. » marmonna-t-il, en direction de la sorcière qui hocha la tête sans cesser de
marmonner la formule qu’elle répétait inlassablement.

Il baissa sa baguette et Dumbledore en fit de même, ses yeux bleus se portant sur Sirius par-
dessus ses lunettes en demi-lune.

« Il serait préférable que vous et Harry attendiez à l’extérieur, pour l’instant. » exigea le vieux
sorcier.

« Qu’est-ce qu’il a exactement ? » intervint Harry, fatigué de se voir sans cesse renvoyer.

« Mr Potter. » grinça l’infirmière.

« C’est mon père et j’ai le droit de savoir. » rétorqua-t-il, bien trop fort et bien trop
violemment.

Il s’attendait presque à ce que Sirius proteste, pourtant la main qui était toujours sur son
épaule la pressa à nouveau en guise de soutien. Ou, du moins, ce fut ainsi qu’il l’interpréta.

« Plusieurs de ses côtes sont fracturées, ce qui a perforé un poumon. » déclara Andromeda
Tonks, en acceptant avec reconnaissance le verre d’eau que Pomfresh lui tendit. Elle en prit
une gorgée et le posa sur une table de nuit avant de poursuivre. « Nous avons colmaté de
notre mieux mais il a été exposé à l’endoloris trop longtemps. Son corps convulse de temps
en temps or pour parvenir à le soigner correctement, il faudrait qu’il reste immobile. Il est
clair que les nerfs ont été touchés ce qui signifie qu’il gardera forcément des séquelles, nous
faisons de notre mieux pour les minimiser. Je ne vais pas mentir, pour l’instant, il est loin
d’être stable et je ne peux pas promettre que nous parviendrons à le sauver. Je peux promettre
de faire tout mon possible, cependant. »

Cette explication fut suivie par un long silence. Les mots se bousculaient dans l’esprit
d’Harry sans qu’il ne parvienne à en énoncer aucun clairement. Un simple fait semblait clair :
Severus n’était pas encore sauf.

« Et est-ce que tu sais si… » commença Sirius, avant de se racler la gorge. « Le cerveau…
Parce qu’il ne voudrait pas… Il ne voudrait pas finir comme un légume. »

« Sirius. » cingla McGonagall, clairement outrée.

L’Animagus grimaça mais Harry y prêta à peine attention. Il approcha du lit sur lequel le
Professeur gisait, inconscient, et attrapa sa main.

« Vous devez vous battre. » murmura-t-il. « Vous m’avez promis. »

« Il est trop tôt pour se prononcer. » offrit Promfresh, en les poussant, Sirius et lui, sans
ménagement mais avec gentillesse vers les portes de l’infirmerie.

McGonagall les suivit mais ne s’attarda pas, marmonnant une excuse à propos d’hiboux et de
parents d’élèves trop anxieux. Harry et Sirius s’installèrent à même le sol, devant les portes
closes de l’infirmerie et attendirent en silence.
À un moment, il dut s’endormir parce que des bruits de pas hâtifs le firent sursauter, il rouvrit
les paupières et se retrouva à fixer bêtement le jean déchiré et les grosses bottes plates de
Tonks.

« Je suis venue dès que j’ai pu mais je ne peux pas rester. C’est la folie là-dehors. La moitié
des familles veulent quitter le pays, le monde magique est en panique… » déclara la jeune
femme, les yeux rivés sur son cousin. « Le message de Remus n’était pas clair et McGonagall
était pressée. Est-ce que… »

« On ne sait toujours pas. » l’interrompit Sirius, en secouant la tête. « Ta mère, Pomfresh et


Dumbledore font ce qu’ils peuvent. »

Tonks se frotta le visage et Harry se fit la réflexion qu’elle avait l’air aussi fatigué que lui.

« Je ne peux pas rester. » répéta-t-elle, à regret, comme si elle avait ressenti une obligation
d’être présente et d’attendre avec eux.

« Je te préviendrai dès qu’il y aura du nouveau. » promit l’Animagus. « Je suis sûr que tout
ira bien. Il en faut plus que ça pour achever Snape, pas vrai, Harry ? »

Il donna un léger coup de coude au garçon qui se força à sourire pour la forme. Tonks
s’attarda quelques minutes de plus puis repartit et l’attente reprit de plus belle.

L’écho de bruits de conversations enfla et Harry supposa que l’école s’était réveillée. Son
estomac gargouilla mais lorsque Sirius suggéra, à moitié convaincu, d’aller chercher de quoi
manger, Harry refusa. Il avait faim mais l’inquiétude lui tordait le ventre.

Le petit-déjeuner ne devait pas être servi dans la Grande Salle depuis plus de vingt minutes
lorsque que le bruit de cavalcade retentit. Il haussa les sourcils, peu surpris d’apercevoir
Hermione et Ron en tête du groupe, mais choqué par les élèves qui les suivaient. Malfoy,
Ginny, Zabini, Luna, Lavande, Neville, Greengrass et les jumeaux Weasley…

« Qu’est-ce que vous faites là ? » demanda-t-il, en se remettant lentement debout, les jambes
quelque peu ankylosées par les longues heures passées assis par terre.

« Tu rigoles ? » répondit Ron qui semblait agacé. « On s’est réveillé et tu avais disparu. Ton
chat grattait la porte du dortoir en miaulant de désespoir, la carte des Maraudeurs abandonnée
sur le lit, plus de chaussures, pas de cape… Pleins de gens sont partis pendant la nuit… Il n’y
a pas de Gazette ce matin mais tout le monde parle d’une bataille… Et en regardant la carte,
on voit que tu es à l’infirmerie avec Sirius. On a pensé que… »

« On était inquiet. » le coupa Hermione, en attrapant sa main. « Qu’est-ce qui s’est passé ? »

Son regard passa de ses meilleurs amis au reste du groupe auquel il n’aurait pas fait le choix
de tout expliquer tout de suite – particulièrement à Malfoy – mais tous les adolescents
paraissaient sincèrement inquiets pour lui et Harry soupira.

Certains secrets ne pouvaient pas demeurer secrets éternellement.


« Fol’Œil est mort. Voldemort a pris Azkaban. L’Allée des Embrumes est en ruines. »
résuma-t-il succinctement. « Et Severus a été démasqué. »

Hermione porta la main à sa bouche sous le choc, son autre main s’emparant immédiatement
de celle de Malfoy. Le Serpentard encaissa la nouvelle sans ciller mais il suffit à Harry de
croiser son regard pour comprendre qu’il en avait saisi la gravité.

« Bill et Charlie ? » s’enquit immédiatement Ginny.

« Ils vont bien tous les deux. » intervint Sirius. « Quelques blessures mais rien de grave. »

« Et Snape ? » demanda Zabini, sans paraître relever la familiarité avec laquelle il venait de
parler de leur Directeur de Maison. Une feinte probablement. Il lui faudrait fournir d’autres
explications plus tard.

« Ce n’est pas bon. » lâcha le Gryffondor. « Mais pour le moment… On ne sait pas. »

Il fallut longtemps avant que le groupe accepte de se disperser. Hermione et Ron refusèrent
tout net de quitter Harry, cependant, et Sirius ne fit pas de gros efforts pour les en convaincre.
Ce ne fut que lorsque Chourave vint aux nouvelles et les aperçut qu’ils furent forcé d’aller en
cours et ils ne le firent qu’en grommelant et en râlant.

Le Professeur de Botanique ne tenta même pas de faire bouger Harry.

Sirius s’était endormi, la tête à un angle qui le laisserait très certainement avec un torticolis
lorsque les doubles portes s’ouvrirent enfin.

Dumbledore avait l’air complètement épuisé, son teint était grisâtre.

« Les convulsions ont cessé. Il est stable. » annonça le vieux sorcier. « Il n’a pas repris
connaissance et nous ne pouvons toujours pas nous prononcer sur l’étendue des séquelles
mais si son état demeure stable… Ses chances sont bonnes. »

Harry bondit sur ses pieds. « Je peux le voir ? »

Le Directeur acquiesça et Harry se dépêcha d’entrer dans l’infirmerie avant qu’il ne change
d’avis. À la seconde où elle l’aperçut, Pomfresh lui fit signe de se taire d’un doigt sur les
lèvres. Il en comprit la raison lorsqu’il repéra Andromeda endormie sur un des lits. Il prit
silencieusement une chaise qu’il plaça au chevet du Professeur et il débuta sa veille.

Les pyjamas rayés de l’infirmerie paraissaient déplacés sur lui… Les draps blancs le faisaient
paraître plus pâle encore… Il y avait toujours tout un tas d’instruments magiques autour de
lui et Harry fit bien attention de n’en déranger aucun.

Il détestait attendre.

Au bout de quelques minutes, Sirius vint le rejoindre, marmonnant entre ses dents que
quelqu’un aurait pu le réveiller. Lorsque Pomfresh l’y invita, il s’allongea sur le lit voisin et
succomba à nouveau au sommeil. L’infirmière tenta de convaincre Harry de faire de même
mais sans succès.
Comme Dumbledore, qui sirotait discrètement des potions de force dès que Pomfresh avait le
dos tourné, il était décidé à rester éveillé.

Cependant, il ne refusa pas le sandwich que lui apporta Dobby vers l’heure du déjeuner –
ordre du Professeur McGonagall, déclara l’elfe.

L’après-midi était bien avancé et Harry avait cessé de prêter attention aux allées et venues
dans l’infirmerie lorsque Severus émit un grognement. Le premier réflexe d’Harry fut de
regarder autour de lui mais Sirius était parti avec Dumbledore, McGonagall n’était pas là, et
le temps qu’il fasse signe à Andromeda et Pomfresh qui étaient à l’autre bout de l’infirmerie,
le Professeur se tordait de douleur, les gémissements de plus en plus poussés.

« Il nous faut davantage de potions antidouleur. » déclara l’infirmière.

La Médicomage secoua la tête. « Nous frôlons déjà les doses limites et je ne veux pas risquer
d’endommager ses neurones davantage. Il faut attendre quelques heures. » Ses yeux gris se
posèrent sur Harry et elle grimaça légèrement. « Peut-être serait-il bon que… »

« Je reste ici. » gronda-t-il avec détermination avant qu’elle ait pu suggérer qu’il aille faire un
tour.

« Comme tu veux. » capitula-t-elle. « Mais cela ne va pas être joli à voir. »

Ce ne le fut pas.

Après une demi-heure, ils furent obligé de le sangler au lit pour ne pas qu’il aggrave
accidentellement ses propres blessures.

Severus délirait.

Il parlait de poursuites, des Mangemorts à ses trousses… Qu’importe combien de fois ils lui
répétaient tous à tour de rôle qu’il était en sécurité à présent, il en revenait toujours à cela.
Les Mangemorts à ses trousses sur des balais…

De temps en temps, des prénoms contrastaient avec les marmonnements presque


inintelligibles… Harry, surtout. Lily, de temps en temps. Albus et Minerva, de manière
récurrente. Nymphadora, plus rarement, ce qui fit lever les sourcils à Andromeda et laissa
Harry légèrement perplexe.

Il était évident qu’il était prisonnier de son délire, prisonnier de la fièvre qui semblait
découler d’une infection…

Pomfresh épongeait régulièrement son front, murmurant des paroles rassurantes qui n’avaient
jamais véritablement l’effet escompté. Lorsqu’il revint, Sirius se percha sur le lit et appuya
les coudes sur ses genoux, perdu dans ses pensées.

« Est-ce que c’est que c’est la fière ou est-ce que c’est une séquelle de l’endoloris ? »
demanda l’Animagus lorsque Andromeda décida finalement de lui redonner une dose
d’antidouleur.
Personne ne lui répondit.

Personne ne connaissait la réponse.

Comme ils ne cessaient tous de le répéter à Harry, il fallait attendre.


The Possum Option

When you’re out of options, the best option is to do nothing. Play dead. The possum
option.

— Rick Yancey - the 5th Wave

Lorsqu’on est à court d’options, la meilleure solution est de ne rien faire. Faire le mort.
La solution de l’opossum.

— Rick Yancey - the 5th Wave

Le Ministère avait des allures de ville fantôme.

Scrimgeour avait déclaré l’état d’urgence. Seul les Aurors et les Chefs de Départements
étaient autorisés à accéder au Ministère pour l’instant. Les commerces demeureraient fermés
jusqu’à nouvel ordre et les gens étaient invités à rester chez eux, à l’abri derrière autant de
protections qu’ils le jugeraient nécessaire. Sainte Mangouste et Poudlard étaient les deux
seules exceptions à cette règle et la sécurité avait été augmentée sur les deux sites. Le
Ministre s’était adressé à la communauté magique dès huit heures du matin au travers à la
radio. Il avait appelé au calme.

Comme Tonks aurait pu le prédire, c’était raté.

La nuit et la matinée avaient été éreintantes, passées à tenter d’enrayer la panique des
habitants de l’Allée des Embrumes et du Chemin de Traverse, tout en offrant protection et
soutien aux équipes de secours qui tentaient de trouver des survivants sous les décombres. À
cela s’ajoutaient le manque criant d’Aurors dont le nombre avait encore diminué la nuit
dernière, la peur d’une nouvelle attaque et le fait que la plupart des familles Sang-Pur
influentes du pays qui s’étaient déclarées neutres avaient soudain décidé de plier bagages.

Elle n’avait pas eu le temps d’échanger beaucoup avec McGonagall lors de son détour par
Poudlard mais il était clair que la sorcière avait dû, elle aussi, faire face aux sorciers terrifiés
qui préféraient abandonner leurs domaines et risquer perdre une partie de leur fortune plutôt
que de braver les Mangemorts.

Elle traina les pieds jusqu’à l’étage du Département des Aurors, peu surprise de le trouver
quasiment désert. Tous leurs agents disponibles étaient sur le terrain, une partie protégeait le
premier Ministre Moldu et le reste servait d’escorte aux membres influents de la communauté
magique.

Personne ne la héla sur le chemin alors elle n’eut aucun scrupule à s’enfermer dans son
bureau et à se laisser tomber sur sa chaise. Elle appuya les coudes sur les piles de dossiers qui
recouvraient son bureau et enfouit le visage dans ses mains.
Elle avait l’impression d’avoir vieilli de dix ans. Voire vingt.

Fol’Œil…

Non. Ce n’était pas le moment de penser à Fol’Œil. Il y avait plus urgent.

Elle prit une profonde inspiration et se redressa, passant machinalement la main dans ses
cheveux d’un châtain terne. Elle était sur le point de partir à la recherche de Kingsley
lorsqu’il y eut un bref coup frappé à la porte. Celle-ci s’ouvrit sans attendre de réponse.

La tête de Percy Weasley apparut dans l’embrasure. Il avait d’énormes cernes sous les yeux et
ne paraissait pas bien plus en forme qu’elle. Cela dit, elle n’était pas certaine que qui que ce
soit présent au Ministère ce jour là soit en grande forme.

« Ah, tu es là. Parfait. » soupira-t-il, avec un soulagement palpable. « Il y a une réunion de


crise dans le bureau du Ministre. Il aimerait que tu y assistes. »

Elle fronça les sourcils mais suivit Percy sans protester. Preuve que les miracles existaient, il
ne tenta pas de la convaincre qu’un rapide sortilège pour réparer son jean soigneusement
troué aux genoux serait une bonne chose.

Elle nota toutefois que s’il frappa à la porte du bureau ministériel, il attendit que Scrimgeour
l’y autorise avant de pousser la porte.

La pièce était conforme à ses souvenirs : imposante et impersonnelle. La fenêtre magique


offrait un panorama de Londres à couper le souffle. Elle surplombait le pont de Westminster
et laissait deviner, au loin, la silhouette du Tower Bridge. Il s’était mis à pleuvoir un plus tôt
dans la matinée et le crachin ne semblait pas vouloir cesser, rendant le ciel gris morne et les
eaux de la Tamise plus opaques encore qu’à l’accoutumée.

La vue ne retint toutefois son attention que quelques secondes. La présence d’Amelia Bones
ne la surprit pas étant donné qu’elle était à la fois Chef du Département de la Justice Magique
et la présidente du Magenmagot, celle de Kinglsey était naturelle, celles de Sirius et
Dumbledore en revanche…

Elle pressa le pas tandis que Percy fermait la porte derrière elle, remarquant à peine que la
surface de l’énorme bureau en bois avait été débarrassée pour permettre d’étaler des cartes et
des plans de bâtiments. Elle attrapa le bras du Directeur parce qu’il était le plus près, son
cœur battant trop vite et beaucoup trop fort.

« Severus ? » s’enquit-elle du bout des lèvres, s’attendant déjà à entendre le pire. Sirius avait
dit qu’il la tiendrait au courant de nouveaux développements et voilà qu’elle le retrouvait
dans le bureau du Ministre de la Magie au lieu d’auprès de son filleul. Quant à
Dumbledore… N’avait-il pas été occupé à tenter de sauver son espion lorsqu’elle s’était
rendue à Poudlard ce matin là ?

Le regard bleu du vieux sorcier était morne mais il sembla se remettre à pétiller l’espace d’un
moment. Il couvrit la main qui agrippait son bras de la sienne et la tapota gentiment. Son
sourire bien que se voulant rassurant était quelque peu triste, incertain peut-être.
« Son état est stable pour l’instant. » déclara-t-il. « Il n’est, cependant, pas encore tiré
d’affaire. Votre mère et Poppy veillent sur lui et Harry est à son chevet. Je n’aurais pu le
laisser à des mains plus compétentes. »

Elle hocha la tête, un peu trop consciente que si Sirius, Amelia Bones et Kingsley étaient
absorbés par leur conversation, Scrimgeour, lui, avait les yeux rivés sur elle.

« Severus Snape ? » demanda le Ministre, la fixant du regard presque avec désapprobation.


« Le Mangemort ? »

« Notre espion. » corrigea-t-elle sèchement.

« Il n’était pas notre espion lorsqu’il a pris la Marque, n’est-ce pas ? » riposta Scrimgeour,
sur le même ton.

« Severus Snape… » commença Dumbledore.

Tonks ne le laissa pas terminer.

« Il a suffisamment risqué sa vie pour racheter sa faute. » cingla-t-elle. « Ou bien pensez-


vous que nous devions juger un homme toute sa vie pour une folie commise à seize ans,
Monsieur le Ministre ? Quant bien même il n’a fait qu’agir en héro depuis ? »

Scrimgeour l’étudia quelques secondes puis accepta l’argument d’un revers de main. « Fort
bien. »

Pendant que le Ministre rappelait les autres à l’ordre afin de commencer la réunion,
Dumbledore se pencha vers elle, parlant suffisant bas pour que sa voix ne porte pas.

« Je constate avec plaisir que Severus s’est trouvé un champion bien plus redoutable que
moi… » murmura le vieil homme.

« Il n’en a pas qu’un. » rétorqua-t-elle.

« Non… » acquiesça le Directeur. « En effet. »

À la manière dont il prononça ces mots, Tonks comprit que ce n’était pas forcément une
bonne chose pour l’homme.

« Jusque là nous avons paré à l’urgence mais il est temps de regarder le véritable problème en
face. » déclara Scrimgeour, en désignant d’un geste les cartes et plans étalés sur son bureau.
« Azkaban. » Il ménagea une pause dans son discours et, lorsque personne ne prit la parole, il
poursuivit. « Peut-être certains d’entre vous sont-ils surpris par les personnes que j’ai choisies
pour cette réunion de crise. La présence d’Albus, autant qu’il m’en déplaise, s’explique
d’elle-même. Nous n’avons pas le loisir de nous passer de son conseil. »

« Et j’en suis honoré. » répondit Dumbledore, sans la moindre trace d’amertume mais avec
suffisamment d’amusement pour que Tonks comprenne que l’ironie de la situation ne lui
échappait pas. Scrimgeour avait été particulièrement réticent lorsque le Directeur lui avait
proposé de travailler en collaboration avec l’Ordre et à présent…
« J’en suis certain. » lâcha le Ministre, pince-sans-rire. « Kingsley et Amelia sont là parce
que, quoi que nous décidions, leurs départements seront les premiers concernés. Sirius Black
est la seule personne connue à s’être échappée d’Azkaban et à avoir survécu, ce qui fait de lui
notre expert sur la question. Quant à Nymphadora Tonks, elle est une de nos meilleurs Aurors
actuellement et a su faire preuve récemment d’un esprit d’initiative et d’une ingéniosité que
je ne peux qu’admirer. »

Le compliment la fit légèrement rougir.

« Quelles sont nos options ? » demanda Mrs Bones, en tirant un des plans de la prison vers
elle.

« Eh bien, étant donné que l’île est envahie par les Détraqueurs et probablement protégée de
tous un tas de sortilèges visant à la rendre impénétrable, je ne suis pas certain que nous ayons
énormément d’options, Amelia. » soupira Dumbledore, en pinçant les lèvres. « Le but de
Voldemort était très certainement de se mettre hors de portée et cela est réussi. Une attaque se
solderait immanquablement par un massacre. Les Détraqueurs seuls auraient raison des
troupes que nous pourrions envoyer. »

« Il doit bien y avoir quelque chose à faire. » protesta Scrimgeour. « Nous ne pouvons pas
rester là à attendre qu’il attaque à nouveau. Nous devons offrir des garanties à la communauté
magique. Ce n’est… »

« De combien de Détraqueurs parlons-nous ? » intervint Tonks. « Et combien d’Aurors


peuvent produire un Patronus corporel ? »

« Pas assez. » offrit Kingsley, en secouant la tête. « Il nous faudrait l’aide des membres de
l’Ordre. En supposant qu’ils puissent tenir tête aux Détraqueurs suffisamment longtemps
pour que… »

« Pour qu’on se retrouve bloqués par les protections que Tu-sais-qui a mis en place ? »
termina-t-elle, lorsqu’il hésita.

« Les protections, aussi puissantes soient-elles, bloquent rarement les Animagus. » remarqua
Sirius, son regard rencontrant brièvement celui de Dumbledore. « Autant que je sache, c’est
encore le seul moyen de s’échapper d’Azkaban. »

« Donc il nous faut rassembler autant d’Animagus que possible pour une mission
d’infiltration ? » reformula Mrs Bones, non sans sarcasme. « Savez-vous combien
d’Animagus déclarés figurent sur nos fichiers de nos jours ? Et combien d’entre eux sont
aptes aux combats ? Je peux vous le dire. Vous, Mr Black, Minerva McGonagall et Rupert
Kinsglove qui est en ce moment même en mission au fin fond de l’Amazonie pour le
Département de Contrôle et de Régulation des Créatures Magiques. Les autres, je vous le
garantis, ne seront d’aucune aide. »

Sirius ne protesta pas.

« Même si on passe les protections. Ça nous laisse face à une armée de Mangemort et à
Voldemort. » lâcha le Sang-Pur. « Qui va se charger de l’arrêter, lui ? »
Tous les regards se tournèrent immédiatement vers Dumbledore qui garda les yeux rivés sur
les plans étalés sur le bureau.

« Une attaque serait prématurée. » conclut le vieux sorcier, en croisant le regard du Ministre.
« Vous vouliez mon avis, le voilà. Attaquer Azkaban serait du suicide. Nous n’avons pas les
moyens de l’emporter pour l’instant. »

Un lourd silence suivit cette déclaration.

« Nous ne pouvons pas rester sans rien faire. » insista Scrimgeour. « D’un point de vue
politique… » Sirius laissa échapper un bruit moqueur et fit face à un regard noir. « Moquez
vous, Mr Black. Je ne suis pas en train de me lamenter sur mes chances de réélection. Si la
communauté magique pense que nous n’agissons pas, nous courrons au désastre. Combien de
temps pensez-vous qu’il faudrait à un sympathisant de Voldemort bien sous tout rapport pour
s’emparer du Ministère ? »

C’était un argument tout à fait recevable selon Tonks.

« Recrutez. » conseilla Dumbledore. « Recrutez et formez vos troupes. Ce ne sont plus


d’Aurors dont nous avons besoin mais de soldats. »

Ce n’était pas une pensée réjouissante.

°O°O°O°O°

La cuisine du petit cottage sentait bon le pain perdu et Remus ne pouvait s’empêcher d’humer
régulièrement l’air. L’assiette que Laura avait posée devant lui était déjà vide et il n’avait pas
particulièrement faim mais l’odeur seule était suffisante pour le faire saliver.

Il observa la sorcière vaquer d’un bout à l’autre de la pièce, occupée à ranger les provisions
qu’il avait apportées avec lui. Les consignes qu’elle avait reçues étaient strictes, elle ne devait
pas quitter la protection du cottage. La chaumière appartenait à l’Ordre, l’un des nombreux
lieux sûrs dont Dumbledore avait fait l’acquisition ces dernières années, en prévision d’une
nouvelle guerre à venir. Ils n’étaient pas sous Fidelitas et, bien que particulièrement bien
protégés, ces endroits n’étaient pas les plus sûrs du pays.

Laura aurait été plus en sécurité au QG. Il en avait fait la requête et elle avait été rejetée.
Seuls étaient autorisés au Square Grimmaurd les personnes à qui Dumbledore faisait une
confiance absolue – et, très visiblement, si l’on en croyait Severus, cela était surfait. Refuser
l’asile à Laura avait moins à voir avec une possible traitrise de sa part qu’avec le manque
d’utilité que le vieux sorcier lui trouvait, cependant, Remus en était conscient.

Laura ne voulait pas se battre et Lunard ne l’y forcerait pas.

Il la défendrait au contraire.

La protégerait.

Tendresse et devoir enflèrent dans sa poitrine, le chant de la meute devenant presque un


deuxième battement de cœur. Laura cessa de fredonner pour lui sourire par-dessus son
épaule.

Remus sourit en retour.

Lunard ronronnait de plaisir.

Il n’aimait pas savoir Laura si loin de lui au quotidien. Une meute n’était pas faite pour être
séparée, une meute survivait ensemble. Leur meute, en l’état, était déjà en train de se
désintégrer et cela lui donnait envie de hurler et, peut-être, de distribuer quelques claques
jusqu’à ce que chacun retrouve sa place.

Que Sirius s’oppose à lui ouvertement, passe encore. Sirius n’avait jamais reconnu son
autorité comme celle d’un Alpha. James avait été l’Alpa des Maraudeurs et Remus n’avait
même pas été son second.

Mais Dora ? Dora s’éloignait davantage chaque jour et le loup en lui grondait et tournait en
rond, hurlant à la lune, toutes griffes dehors, parce qu’elle était sa compagne.

Et voilà que tous deux se regroupaient autour de Severus. Or, Severus n’appartenait pas à la
meute. Il y aurait eu sa place. Peut-être. Il considérait qu’Harry en faisait partie et si Harry
considérait réellement Severus comment un parent… Si Sirius était désormais si déterminé à
faire du Maître des Potions un allié… Si même Dora avait trouvé en lui un ami… Remus
n’avait aucun ressentiment personnel contre Severus. Il aurait pu l’accueillir dans la meute.

Lunard se rebellait complètement contre cette idée.

La pensée même était à présent suffisante pour le faire gronder de colère.

Severus agissait comme un Alpha rival. Il lui volait sa meure, lui avait peut-être déjà volé
une partie de sa meute et…

« Qu’y a-t-il ? » demanda doucement Laura, en fronçant les sourcils.

La jeune femme posa sa main sur son épaule et Remus la couvrit de la sienne, trouvant dans
ce contact entièrement innocent un réconfort sans bornes. Il avait les idées plus claires
lorsqu’il était près de Laura, une autre des raisons pour lesquelles il aurait aimé l’avoir au
Square Grimmaurd, c’était la magie de la meute – une magie à laquelle Sirius et Tonks
échappaient car ils ne portaient pas véritablement sa Marque. Laura l’avait choisie et l’avait
acceptée, elle avait reconnu son autorité, elle lui avait accordé sa confiance, avait sciemment
fait de lui sa famille.

Elle pouvait sans doute sentir son agitation à travers le lien qui les reliait.

« Trop de problèmes. » soupira-t-il.

Était-ce charitable d’en vouloir à Severus pour une chose dont il n’était pas responsable ?
Severus avait les loups en horreur, leurs codes et leurs valeurs lui échappaient complètement.
De plus, l’homme était actuellement entre la vie et la mort…

Lunard pouvait gronder tout ce qu’il voulait… Il y avait plus urgent.


« Un de nos amis est mort. » expliqua-t-il. « Je dois trouver un endroit sûr pour ses
funérailles. » Ses pensées retournèrent vers Severus et il ferma brièvement les yeux, fatigué
par avance des jours sombres qui s’annonçaient. « Il y en aura peut-être davantage. »

Il ne serait pas question d’enterrer qui que ce soit, pas avec tant de Mangemorts rôdant dans
le Royaume-Unis, prêts à voler des cadavres pour en faire des Inféris – une crainte qu’ils
partageaient tous. Il faudrait un bûcher funéraire, comme ils l’avaient fait pour Arthur, selon
les anciennes traditions.

« Tu veux faire ça ici ? » proposa-t-elle, avec une hésitation perceptible.

Mis à part Sirius, Laura n’avait jamais rencontré aucun des autres membres de l’Ordre.

À vrai dire, il y avait pensé. Toutefois, l’emplacement n’était pas idéal. Le cottage se situait à
l’orée d’un bois, non loin d’une plage de galets, elle-même près d’un village moldu. Il ne
souhaitait pas attirer l’attention plus que nécessaire.

« Non. » répondit-il, avec reconnaissance, tapotant gentiment sa main. « Il y a d’autres lieux


sûrs. Je vais aller en visiter quelques uns. »

Laura pinça les lèvres avec détermination.

« Je vais t’accompagner. » déclara-t-elle.

Il secoua la tête.

« Ce n’est pas nécessaire. Tu… » commença-t-il.

« Je veux t’aider. » coupa-t-elle. Il sentit son besoin d’être utile au travers du lien qui les liait.
Elle voulait contribuer, aider la meute, l’aider lui. « Laisse-moi t’aider, Remus. »

Il hésita puis approuva d’un hochement de tête purement égoïste.

Sa présence apaisait Lunard, lui rappelait qu’au-delà de l’Ordre et des possibles traîtres, il y
avait davantage. Il n’y avait aucune place pour la traîtrise ou la duplicité entre Laura et lui. Il
était son Alpha, elle était sa meute.

C’était presque terrifiant de simplicité.

°°O°°O°°O°°O°°

Snape délirait.

Sirius s’était perché sur le lit voisin du sien, observant avec les autres tandis que l’espion se
tordait de douleur. Ils l’avaient sanglé au lit pour ne pas qu’il se blesse accidentellement et le
voir si vulnérable déplaisait quelque peu à l’Animagus. Une part de lui s’en serait réjouie,
fut-un temps, réjouie de le voir souffrir, de le voir mourir… Il n’était pas à l’aise avec cette
part de lui-même.
Andy lui avait redonné une dose d’antidouleur qui n’était très clairement pas suffisamment
efficace. Snape était fiévreux, ce que les Médicomages craignaient être un symptôme
d’infection, et marmonnait sans cesse. Elles parlaient entre elle, à voix basse, un peu plus
loin.

Ses yeux gris se déplaçaient de temps en temps vers l’horloge qui trônait au fond de
l’infirmerie et désespérait en voyant l’heure. Il ne s’était même pas encore passé vingt-quatre
heures depuis la bataille de la veille.

Il vivait dans l’angoisse d’une nouvelle attaque.

Que faisait Voldemort ? Se jouait-il de leurs nerfs ou était-il trop occupé à trôner dans son
nouveau fief ? Ou bien Snape avait-il réussi à causer quelques dégâts en s’enfuyant ?

Pas pour la première fois ce jour là, il se demanda s’il avait eu raison de soutenir Dumbledore
plus tôt dans le bureau du Ministre. Attaquer Azkaban n’était pas réaliste, la pure vérité était
là. Pas encore, du moins. Et quand bien même une attaque serait viable…

Voldemort ne mourrait pas.

Voilà une autre chose qu’il craignait.

Que Snape vende accidentellement la mèche en déblatérant sur les horcruxes dans son délire.

Harry, toutefois, il ne put s’empêcher de le noter, était réactif. Dès que le Professeur
s’aventurait à marmonner sur un terrain un peu trop personnel, le garçon l’entraînait soit sur
un autre sujet soit jetait un sort qui les isolait tous les deux brièvement du reste de
l’infirmerie. Égoïstement, Sirius préférait cette dernière option. Les gémissements de douleur
étaient plus qu’il ne pouvait en supporter. Cela lui rappelait trop Azkaban.

« Pas la ceinture… » marmonna Snape, de manière incongrue.

La plupart de ce qu’il racontait n’était que du charabia.

« Il n’est pas là. » contra aussitôt Harry, à voix basse. « Sev… Sev, tout va bien. »

Il n’entendit pas le reste, ce fut couvert par la bulle de silence dont Harry entoura le lit. Il en
profita pour détailler son filleul, les cernes, et la panique sourde mais latente qui brillait dans
son regard. Il était encore tôt pourtant Sirius brûlait de l’envoyer se reposer. Cela aurait été en
pure perte, cependant.

Un élève de Poufsouffle se présenta à la porte et Pomfresh tira hâtivement le rideau de


séparation, l’entrainant dans une autre pièce pour s’occuper de lui.

Sirius sauta du lit et s’approcha d’Andy qui, elle aussi, avait l’air épuisée. La semi-dispute de
la nuit dernière laissait à l’Animagus un arrière-goût amer et il préféra agir comme si elle
n’avait jamais eu lieu.

« Est-ce qu’il ne serait pas mieux à Sainte Mangouste ? » s’enquit-il, tout de go.
« C’est ce que j’ai dit à Albus. » avoua-t-elle. « Et il est d’accord. Seulement… »

« Seulement quoi ? » gronda-t-il.

« Seulement, personne ne peut garantir sa sécurité à Sainte Mangouste. » offrit-elle, en


baissant la voix. « Pas comme ici. Albus dit que sa tête est forcément mise à prix dorénavant.
Et il ne pense pas que le Ministère se pliera en quatre pour s’assurer qu’il ne se fasse pas
capturer ou assassiner par des Mangemorts. Même s’ils avaient les ressources nécessaires. Ce
qu’ils n’ont pas. »

Au fond de lui, Sirius savait que ce serait la réponse qu’il obtiendrait. Et c’était probablement
la plus logique.

« Attendre comme ça, ça me tue. » soupira-t-il.

Andy secoua la tête, lui tapotant gentiment l’épaule. « C’est tout ce qu’il y a à faire pour le
moment. »

°°O°°O°°O°°O°°

« Remus pense avoir trouvé un endroit suffisamment isolé et sûr pour les funérailles. »
déclara Minerva, s’efforçant de garder un ton professionnel. Ses nerfs avaient été mis à rude
épreuve durant ces dernières vingt-quatre heures et, en vérité, si le luxe de se retirer dans ses
appartements lui avait été accordé, elle se serait probablement écroulée dans son fauteuil
favori avec une bouteille de bourbon.

Devoir planifier les funérailles d’Alastor Maugrey…

Elle avait enterré bien trop de gens dans son existence. Des parents, des amis, des anciens
élèves… Cela ne devenait jamais plus aisé.

Et la situation actuelle ne l’aidait en rien à accepter la mort de l’ancien Auror. Trop de choses
se déroulaient en parallèle, il y avait trop de menaces possibles.

Elle avait déjà vécu une guerre.

Elle connaissait la musique.

Et, pourtant, elle ne pensait pas qu’elle s’habituerait jamais à la mélodie.

« Très bien. » approuva Albus, pressant l’allure sans se rendre compte qu’elle peinait à
suivre. Il ajustait habituellement son pas sur le sien.

Le vieux sorcier était préoccupé, distrait. Les événements de la veille l’avaient secoué lui
aussi, songea-t-elle. Son manque de sérénité apparent troublait les élèves qui s’écartaient
automatiquement de leur chemin, les regardant passer avec des yeux ronds. Plus d’une fois,
elle dut en rappeler certains à l’ordre, leur ordonnant de rejoindre leur salle commune ou la
Grande Salle pour le diner.
Quelques uns, plus téméraires, demandèrent des nouvelles de l’homme qui gisait à
l’infirmerie, possiblement sur son lit de mort. Severus n’était pas le professeur le plus
populaire mais les nouvelles circulaient vite à Poudlard, la rumeur avait enflée dès l’aube, dès
que les hiboux avaient commencé à arriver, appuyée par les départs précipités de certains
élèves que les familles voulaient mettre à tout prix en sécurité – les familles refusaient
d’entendre ses affirmations répétées que Poudlard était l’endroit le plus sûr du Royaume-Unis
à l’instant. La rumeur courrait, se propageait, se déformait, s’embellissait…

Severus Snape était un espion.

Severus Snape avait affronté le Seigneur des Ténèbres.

Severus Snape était l’homme de Dumbledore.

Harry Potter était au chevet de Severus Snape.

Severus Snape était un héros.

Elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il apprécierait l’ironie lorsqu’il se réveillerait. S’il se
réveillait.

« Il y a un espion au sein de l’Ordre. » lâcha-t-elle, espérant le faire réagir. Severus lui en


voudrait peut-être de cet écart mais, franchement, elle ne voyait pas l’intérêt d’agir dans leur
coin plus longtemps. Après la bataille de la veille… Il était évident qu’il y avait un espion
parmi eux.

« Oui. » confirma gravement Albus. « J’avais espéré que Severus parvienne à le démasquer. »

« N’avez-vous donc aucune idée de qui il s’agit ? » s’enquit-elle, sourcils foncés. Cela la
préoccupait depuis le départ. Albus savait toujours tout. Il avait un don pour tout découvrir
sur une personne et user de ce savoir plus ou moins librement en fonction de ce qu’il désirait
obtenir.

« J’ai peur de ne pas être omniscient, Minerva. » répliqua-t-il, avec une irritation palpable. Il
soupira, pressant brièvement son bras. « Pardonnez-moi. La journée et la nuit… »

« Ont été longues. » termina-t-elle, balayant ses excuses d’un geste de la main. « J’ai
demandé à Filius de rechercher des sortilèges supplémentaires pour protéger le domaine. En
cas d’attaque… Je veux être certaine que l’école puisse tenir. »

« Poudlard tiendra. » jura-t-il, avec une foi qu’elle ne partageait pas. « Et pour répondre à
votre question… Cet espion est particulièrement doué pour effacer ses traces. Je n’ai aucune
idée de qui il pourrait s’agir. Pour être tout à fait franc… »

Un elfe de maison à la peau grise apparut devant eux, le bruit faisant sursauter un tableau sur
leur droite. Il s’inclina.

« Jiggy. » sourit-elle. « Qu’y a-t-il ? »


Cela n’était probablement pas correct de sa part d’avoir un elfe favori parmi le contingent de
Poudlard et, pourtant, elle avait une affection particulière pour Jiggy. C’était toujours à lui
qu’elle s’adressait lorsqu’elle avait besoin de quelque chose et il était toujours l’émissaire
lorsqu’il y avait un problème au sein du château. En l’occurrence, les elfes voulaient savoir
s’ils devaient ou non préparer les lits des élèves qui avaient quitté l’école dans la journée.

Le temps qu’elle règle ces questions logistiques, Albus venait d’avoir une idée.

Elle le connaissait suffisamment pour le savoir.

C’était évident à la manière dont il fixait l’elfe tout en caressant distraitement sa barbe.

« Trouvons Sirius. » ordonna-t-il, dès que Jiggy eut disparu.

Elle acquiesça sans discuter. Les papiers qu’elle voulait lui faire signer pouvaient attendre.

Sirius ne fut pas bien difficile à trouver. Il était toujours à l’infirmerie, tentant de remonter le
moral de Potter sans véritablement y parvenir.

La première chose qu’ils firent fut de demander des nouvelles à Andromeda. Minerva se
sentit découragée lorsque la Médicomage leur apprit qu’il n’y en avait aucune. L’état de
Severus était stationnaire, ce qui n’était ni une bonne, ni une mauvaise chose.

La seconde fut d’attirer Sirius dans le bureau de Poppy. Elle observa Albus jeter une dizaine
de sortilèges garantissant que personne ne pourrait surprendre leur conversation, échangeant
de temps à autre des coups d’œil confus avec l’Animagus.

« Sirius, avez-vous, à aucun moment, donné un ordre à Kreattur qu’il aurait pu mal
interpréter ? » demanda-t-il calmement.

Minerva détecta tout de même la pointe d’excitation dans sa voix, comme s’il venait de
résoudre le mystère.

« Mal interpréter ? » répéta Sirius, sans paraître comprendre. « Comme quoi ? »

« Un ordre qui aurait pu lui permettre de quitter la maison. » insista Albus. « De rapporter des
informations ailleurs, à Bellatrix par exemple. »

L’Animagus se passa une main sur le visage, tentant de chasser sa fatigue. La conclusion à
laquelle il parvint le mit en colère.

« Ce sale petit rat. » grinça-t-il. « Je vais monter sa tête en trophée et l’accrocher au mur avec
les autres. Kreattur ! »

L’elfe apparut immédiatement.

La taie d’oreiller dont il était vêtu était crasseuse et la grimace perpétuellement gravée sur
son visage lui donnait un air mauvais en dépit de la posture digne et fière qu’avaient en
commun tous les elfes de maison d’un certain âge.
Kreattur s’inclina autant qu’il était de rigueur de le faire, sans aucun plaisir ou surprise pour
la baguette dont Sirius le menaçait.

« Le Maître a appelé Kreattur. » lâcha la créature magique avec un ennui certain, avant de
marmonner pour lui-même. « Maître indigne. Honte à la grande lignée des Black. »

« Qu’es-tu aller rapporter à cette chère Bella ? » siffla l’Animagus, sans s’embarrasser de
prendre de gants.

L’espace d’une second Kreattur parut surpris, puis décontenancé.

« Kreattur, as-tu quitté le Square Grimmaurd récemment ? » intervint Albus, plus posément.
« As-tu divulgué certaines de nos informations à quelqu’un qui n’appartiendrait pas à
l’Ordre ? »

« Réponds. » ordonna Sirius. « Et ne mens pas. »

La bouche de l’elfe de maison se contracta dans un rictus.

« Le Maître a ordonné à Kreattur de ne jamais quitter la maison. » cracha Kreattur. « Kreattur


obéit au Maître même si le Maître ne mérite pas Kreattur. Kreattur est un bon elfe. Maîtresse
a toujours dit que Kreattur était un bon elfe. Maîtresse ne méritait pas un fils comme Sirius
Black. Maîtresse… »

« Tais-toi. » grinça l’Animagus.

L’elfe tomba immédiatement dans le silence mais ses yeux brillaient d’une haine qu’il
assumait pleinement.

« Tu n’as donc rien rapporté à Bellatrix Lestrange ? » insista Albus, l’air presque déçu. « Ou
aux Malfoy ? »

« Kreattur n’a pas vu Maîtresse Bella ou Maîtresse Cissy depuis que les amateurs de Sang-
de-Bourbes ont gagné la guerre. » grommela l’elfe. « Kreattur fait ce qu’on lui dit. »

« Et nous t’en sommes très reconnaissants. » déclara Minerva, décidant qu’un minimum de
reconnaissance ne serait pas perdue. Après tout le Square Grimmaurd était grand et l’elfe
était non seulement seul mais aussi très âgé. Elle était sûre qu’il faisait de son mieux mais
étant donné le contexte et l’animosité de Sirius…

Kreattur l’étudia quelques secondes, tâchant visiblement de déterminer si elle se moquait de


lui ou non, puis inclina la tête en signe de remerciement. C’était l’attitude la plus
respectueuse dont il avait fait preuve pour l’instant.

« Merci, Kreattur, ce sera tout. » le congédia Albus.

Sa déception était palpable.

« Retourne à la maison. » cracha Sirius. « Et restes-y. »


Kreattur serra les dents, s’inclina et disparut.

« Autant pour ma brillante idée. » soupira le Directeur.

« Il fallait vérifier. » le consola Minerva, tapotant brièvement son épaule avant de retourner
dans l’infirmerie même.

Rien n’y avait changé. Potter était toujours auprès de Severus, l’air abattu. Il leva à peine la
tête lorsqu’elle approcha du lit. Elle dégagea, avec une moue attristée, les mèches éparses qui
collaient au visage de son collègue, notant sa respiration hachée et les paupières qui
papillonnaient. Ses yeux voyaient sans voir.

« Mr Potter, peut-être devriez-vous aller diner dans la Grande Salle. » suggéra-t-elle


doucement.

« Je ne le laisse pas. » grommela le garçon, avec une détermination qu’elle serait bien en
peine de faire flancher.

Elle soupira discrètement, prête à hausser le ton s’il le fallait, lorsque les portes de
l’infirmerie s’ouvrirent, laissant passer Horace Slughorn et Nymphadora Tonks. Le Maître
des Potions avait dû répondre à l’appel aux grilles qu’elle n’avait pas senti, trop prise par les
possibles révélations de Kreattur.

La fatigue commençait à se faire durement sentir.

Après un dernier regard hésitant pour l’adolescent, elle se porta à la rencontre du Professeur
et de la jeune femme.

« L’Auror Tonks était aux grilles depuis un petit moment. » lui apprit Horace.

Minerva le remercia d’un hochement de tête. Elle tapota l’épaule de la jeune femme avec un
certain embarras. « Ma chère, il n’y a pas de changement. Je vous aurais avertie si… »

« Je ne suis pas là pour ça. » l’interrompit fermement Tonks, le visage dur et les traits creusés
par la fatigue. Ses yeux gris dérivèrent tout de même vers le lit du fond mais revinrent très
vite vers la sous-directrice. « J’étais à Edinburgh, au Passage des Trois Sorcières pour être
précise… »

Minerva fronça immédiatement les sourcils. Le Passage des Trois Sorcières était un quartier
magique d’Edinburgh. Plus petit que le Chemin de Traverse et peu intéressant en soi.
Toutefois…

« Y-a-t-il eu une nouvelle attaque ? » s’inquiéta-t-elle.

Il n’aurait pas été étonnant que les Mangemorts frappent ailleurs qu’à Londres.

« Certaines personnes ont déclaré avoir vu des Détraqueurs. » soupira Tonks. « Il n’y avait
aucune trace de leur passage quand je suis arrivée. En revanche… Le Passage des Trois
Sorcières est désert. Ils sont tous partis. Les maisons et les commerces sont vides. »
La Directrice des Gryffondors ouvrit et referma la bouche avant d’échanger un regard avec
Horace. L’homme avait croisé les bras sur son ample bedaine, l’air soucieux.

« Nous allons faire face à un exode. » observa l’ancien Directeur de Maison.

Tonks approuva d’un hochement de tête las.

« Nous ne savons pas s’il y avait effectivement des Détraqueurs ou non. Je penche plus pour
un mouvement de panique… » expliqua la jeune Auror. « Mais dans le doute, le Ministre
souhaiterait s’assurer que l’école est aussi protégée que possible. Le problème est que nous
n’avons pas suffisamment d’Aurors pour y attacher davantage qu’un seul. »

Minerva hocha la tête, incapable de retenir un sourire. « Et je suppose que vous vous êtes
portée volontaire ? »

Une nouvelle fois, les yeux gris dérivèrent vers le lit du fond, la trahissant bien davantage que
son expression fermée.

« Nous n’avons pas suffisamment d’Aurors confirmés sur le terrain. » déclara-t-elle avec un
regret évident. « Je vais vous envoyer Albert. Il est jeune mais il sait écouter les conseils. De
toute manière, Poudlard ne manque pas de personnes capables de mener une bataille le cas
échant. Je pensais… Peut-être devrions-nous effectuer un roulement au sein de… » Elle
s’interrompit brusquement, jetant un coup d’œil à Slughorn. L’homme avait un don pour faire
oublier sa présence pourtant massive. « Vous savez quoi. »

« Je doute que l’Ordre reste secret bien longtemps. » contra-t-elle, balayant ses inquiétudes
d’un revers de main. « Cela me semble une bonne idée. Sirius est déjà sur place. »

« Faites venir Charlie et Anthony. » conseilla Tonks. « Ils travaillent ici, ils peuvent tout aussi
bien s’y installer. »

« Très bien. » approuva-t-elle. « Je vais en informer Albus. Restez-vous un peu ? »

Tonks s’humecta les lèvres, la tentation évidente sur son visage.

« Je pense que je peux rester une heure ou deux. » hésita l’Auror. « La situation s’est un peu
calmée et… Scrimgeour sait où je suis. »

« Une heure ou deux de repos ne vous ferait pas de mal, mon enfant. » s’empressa-t-elle de la
rassurer. « Et tant que vous y êtes… Peut-être pourriez-vous convaincre Mr Potter d’aller
dîner en compagnie de ses amis. Il n’a pas quitté l’infirmerie de la journée, une pause lui
ferait le plus grand bien. »

Tonks se frotta le visage et hocha docilement la tête.

« Je vais essayer. » promit-elle, avant de se diriger d’un pas assuré vers le lit où reposait
Severus.

Horace se racla doucement la gorge, rappelant un peu trop à Minerva la toux appuyée
d’Ombrage. Le Maître des Potions observa l’Auror s’éloigner avec un intérêt manifeste.
« Aurais-je raté un développement dans la vie de notre cher Severus ? » demanda-t-il, avec le
ton qu’il prenait toujours lorsqu’il était question de glaner quelque potin.

« Souhaitiez-vous me voir, Horace ? » répondit-elle, sans rien laisser transparaitre. Il ne serait


pas dit qu’elle trahirait les secrets de ses collègues.

Les lèvres du Professeur de Potions tressautèrent avec un amusement qui tourna court et se
transforma en réelle inquiétude.

« J’aurais aimé des nouvelles. » offrit-il sincèrement. « Et… Eh bien, les Serpentards sont
agités. Certains sont inquiets, d’autres… Je crains que la Maison ne tombe dans l’anarchie si
nous ne comblons pas immédiatement le vacuum de pouvoir. »

« Naturellement. » soupira-t-elle. Elle n’avait pas songé à cela. « Pourriez-vous… »

« C’est déjà fait. » coupa Horace. « Ne m’en veuillez pas d’avoir pris les devants, Minerva,
mais je ne voulais pas vous déranger davantage. Je me suis réinstallé dans le bureau du
Directeur de Maison. À titre provisoire, cela va sans dire. Lorsque Severus… Je me ferai un
plaisir de lui rendre son poste. Tout ça n’est plus de mon âge. »

Elle acquiesça, incapable de déterminer s’il était honnête sur ce point ou non.

« Gardez un œil sur Malfoy. » lui recommanda-t-elle. « Il est une cible évidente. »

Pour une fois, Horace avait l’air de prendre la chose au sérieux.

« Autre chose… » ajouta-t-il. « Certains élèves de Serpentard m’ont demandé s’il était
possible de rendre visite à Severus. Pour autant que je puisse dire, ces jeunes gens étaient
réellement inquiets. »

Elle secoua immédiatement la tête.

« Dites-leur d’envoyer une carte. » répliqua-t-elle. « Cartes et vœux de bon rétablissement


sont les bienvenus mais, mis à part Mr Potter, aucun élève ne sera autorisé à voir Severus
dans cet état. »

« Très bien. » accepta-t-il sans mal, avant de jeter un coup d’œil curieux en direction du lit du
fond.

Tonks et Potter étaient en grande discussion. La jeune femme avait une main sur l’épaule du
garçon. Il secouait la tête mais l’expression de l’Auror était déterminée quoi que douce. À un
moment, elle fit un geste de la main vers Severus et sembla plaider sa cause. Minerva brûlait
d’aller mettre son grain de sel dans la conversation. Horace, cependant, n’en avait pas
terminé.

« Puis-je savoir pourquoi Mr Potter est l’exception qui confirme la règle ? » s’enquit-il. « Je
n’avais pas conscience que lui et Severus étaient… proches. »

« Je suis certaine que vos serpents attendent des nouvelles avec impatience. » coupa-t-elle
court à la discussion.
Horace hésita puis accepta ce congé un peu âpre sans paraître s’en offenser. Elle jeta un coup
d’œil dans le bureau de Poppy où Sirius et Albus s’entretenait toujours, probablement de
l’espion qui ne cessait de leur glisser entre les doigts. Andromeda et Poppy avaient disparu
dans la réserve de potions. Minerva s’apprêtait à aller prêter main forte à Tonks lorsqu’elle
aperçut – miracle – Potter se lever et se diriger vers elle en trainant les pieds.

« Je vais diner dans la Grande Salle. » marmonna l’adolescent, avec une moue agacée.
« Tonks vas rester là. Je reviens aussi vite que possible. »

« Rien ne presse, Mr Potter. » le gronda-t-elle gentiment. « Prenez un moment pour vous. »

Le garçon la dévisagea comme si elle était folle.

Ce n’était pas si loin de la vérité, songea-t-elle, en quittant l’infirmerie pour retourner au


bureau directorial et vers tous les hiboux de parents d’élèves qui l’attendaient certainement.

°°O°°O°°O°°O°°

« Je n’arrive pas à croire qu’on s’inquiète pour Snape. » marmonna Weasley, en poignardant
une pomme de terre d’un coup de fourchette.

Ron était bien le seul de leur groupe qui avait encore de l’appétit. Draco n’avait presque pas
touché à son assiette, le fumet du ragout lui mettait l’eau à la bouche et les légumes étaient
cuits à point mais son estomac était noué. À sa droite, Blaise n’avait pas davantage terminé
son repas. Quant à Daphné, de l’autre côté de la table, elle tapotait nerveusement le bout de
sa fourchette sur la table depuis un bon quart d’heure. À côté d’elle, Granger avait avalé la
moitié des légumes mais n’avait touché ni à la viande, ni à la sauce. Ginny observait les
places vides le long des grandes tables d’un air morose et Luna paraissait absorbée par son
livre.

« À qui le dis-tu. » se moqua Londubat.

Draco leva les yeux au ciel, sans toutefois offrir de commentaire.

Les conversations étaient, de toute manière, rares ce soir là. On entendait davantage le bruit
de couverts que l’habituel brouhaha de voix. Une étrange atmosphère planait sur la Grande
Salle, la même atmosphère tendue qui avait étouffé le château toute la journée.

C’était presque comme si Poudlard retenait sa respiration.

Ce n’était pas seulement à propos de Snape, bien que le sort du Professeur ait alimenté bon
nombre de conversations ce jour-là, c’était tout le reste. Le Seigneur des Ténèbres, Azkaban,
les Mangemorts, toutes ces familles qui fuyaient le pays, les élèves que leurs parents étaient
venus chercher…

Les cinquième année avaient passé un court entier de Sortilèges à se faire sermonner à propos
des B.U.S.E.s et Draco, lui, s’était tout du long demandé quel était l’intérêt de prétendre
encore que les examens avaient une quelconque importance dans le contexte actuel.
« Harry. » lâcha Granger, en agitant la main pour attirer l’attention de l’adolescent qui venait
d’entrer dans la Grande Salle. Le Gryffondor lui rendit son salut et se dirigea vers eux. Des
murmures suivirent sa progression mais Potter les ignora ou bien ne les remarqua même pas.
Il avait le visage fermé et l’air préoccupé.

Il n’y avait pas énormément de place où s’asseoir et, avec un soupir résigné, Draco se décala
vers Blaise, laissant Potter se glisser entre lui et Weasley.

« Alors ? » demanda immédiatement Ron.

Le Survivant haussa les épaules d’un geste morne.

L’atmosphère se fit d’autant plus pesante.

« Je suis certaine que ça va s’arranger. » offrit Ginny, avec un sourire légèrement forcé.

« Merci. » marmonna Potter, éloquent à son habitude.

Le lion paraissait sur le point de s’évanouir d’épuisement. Draco poussa son assiette encore
intacte devant lui et lui fourra la fourchette dans les mains, évitant le regard vert. Il ne poussa
pas la gentillesse jusqu’à réchauffer le ragout d’un sort.

Granger lui adressa un sourire radieux avant de verser du jus de citrouille dans son propre
verre et de le poser devant l’assiette.

Pendant un moment, ils observèrent Potter manger en silence.

« Slughorn. » avertit Daphné, une poignée de secondes avant que le Maître des Potions
n’atteigne leur table.

Écouter le Professeur déblatérer était épuisant. Blaise et Granger firent de leur mieux pour
soutenir la conversation qui n’avait pour seul but de tenter de découvrir pourquoi Potter se
souciait tant de Snape – une question qui, il fallait l’avouer, intriguait également Draco.

Le Gryffondor ne lâcha rien.

Même lorsque Slughorn tenta de l’appâter en déclarant qu’il avait prit la décision de rouvrir
le « club de Slug » et qu’il serait ravi de compter Potter parmi ses membres.

°°O°°O°°O°°O°°

La chaise était inconfortable au possible et Tonks aurait préféré s’installer sur un des lits
environnants, s’allonger et peut-être même s’octroyer une petite sieste amplement méritée,
mais à présent qu’elle était là, elle se rendit compte qu’il faudrait probablement un
hippogriffe sauvage pour la déloger du chevet de Severus.

Elle se percha en tailleur sur le siège, imaginant sans mal le regard agacé qu’il lui aurait jeté
face à ce manque de décorum.
La peau de Severus était si pâle qu’elle pouvait suivre la toile d’araignée que formaient ses
veines par endroits. La transpiration collait certaines mèches sombres à son visage, son torse
se soulevait vite, par à-coups, et ses mains se crispaient régulièrement. La fièvre et la douleur
le rendaient incohérent. Il marmonnait sans qu’elle parvienne à bien comprendre ce qu’il
disait.

Harry lui avait dit de ne pas y prêter attention.

Harry… Elle avait dû ruser pour convaincre l’adolescent d’aller faire un tour, lui rappeler que
Severus n’aurait sans aucun doute pas apprécié de le voir dépérir à ses côtés et promettre
d’attendre son retour pour retourner au Ministère.

Au moins, il est vivant, songea-t-elle.

Elle jeta un coup d’œil alentours mais ils étaient seuls dans ce coin de l’infirmerie. D’un
geste hésitant, elle effleura son index du bout des doigts, pas certane d’avoir encore le droit
de s’octroyer cette familiarité.

« Je suis désolée. » murmura-t-elle, cillant pour chasser les larmes traitresses qui lui brûlaient
les yeux. « Tellement désolée. »

S’il l’entendit ou comprit ce qu’elle disait, il n’en laissa rien paraître. Sa tête roula sur le côté,
sa respiration sifflante s’interrompit suffisamment longtemps pour qu’il répète encore et
encore les mêmes syllabes. Un prénom.

Lily.

Sa propre respiration se coinça dans sa gorge alors que, brusquement, tout s’éclairait d’un
jour nouveau. Tout s’expliquait.

Elle avait senti plus ou moins confusément que Severus n’était pas tout à fait libre dans sa
tête, prisonnier d’un passé qui refusait de le libérer, exactement comme elle était prisonnière
des griffes de Remus.

Mais Lily Potter ?

Vous n’êtes pas la première à arborer le Patronus d’un amour à sens unique. Ce n’est, certes,
pas agréable mais personne n’en est encore mort, lui avait-il dit le jour où il l’avait aidé à
débloquer ses pouvoirs de Métamorphomage.

« Nymphadora… » siffla-t-il, et elle sursauta, son regard dérivant immédiatement jusqu’à son
visage, s’attendant presque à le trouver en train de la fixer avec cette intensité qu’il mettait à
toute chose. Ses paupières étaient closes. Il délirait. Elle attrapa tout de même sa main plus
fermement, notant sans vraiment les voir, les liens qui l’attachaient au lit pour l’empêcher de
se blesser.

« Je suis là. » promit-elle. « Je suis avec toi. »

Et j’y resterai cette fois, rajouta-t-elle en silence. Elle n’aurait jamais dû douter de lui.
Jamais.
« Dora ? » appela doucement sa mère.

Elle sursauta une nouvelle fois, manquant tomber de la chaise dans son mouvement de
surprise. Elle jeta un coup d’œil plein de reproche à Andromeda et se réinstalla un peu plus
stablement, omettant de tenir à nouveau la main de Severus. Elle se racla la gorge, sentant le
rouge lui monter stupidement aux joues.

Une gêne s’était installée entre elle et sa mère, une gêne qui n’avait jamais véritablement
existé auparavant. Le rôle qu’Andromeda avait joué dans sa rupture avec Remus et le fait que
ses parents se soient retranchés derrière un Fidelitas, lui interdisant un accès quotidien à la
maison familiale ne contribuaient pas à rectifier la situation.

« Il t’a réclamé plusieurs fois dans son délire. » observa sa mère avec prudence. « Je n’avais
pas conscience que… »

« Nous sommes amis. » coupa-t-elle froidement.

Andromeda lui adressa un léger sourire, agitant distraitement sa baguette au-dessus du corps
de Severus, afin de vérifier ses constantes.

« Il n’a jamais été ton professeur préféré. » remarqua la Médicomage.

« Subtil. » lâcha-t-elle avec un bruit amusé. Ou comment lui rappeler qu’elle avait un jour été
son élève ainsi que la différence d’âge qui les séparait… Tonks ne préféra pas rentrer dans
son jeu.

« Comment va Remus ? » s’enquit Andromeda, changeant le sujet.

Elle leva les yeux au ciel.

« Encore plus subtil. » cracha-t-elle. « Je ne vois plus Remus. Quant à Severus et moi, nous
travaillons ensemble pour l’Ordre depuis qu’il est rentré. Il m’a sauvé la vie hier. Tu peux
arrêter avec tes questions qui n’en sont pas. Je tiens à lui, c’est tout ce que tu as besoin de
savoir. »

Elle redressa le menton, défiant sa mère de tenter d’en savoir davantage.

Andromeda la dévisageait, sourcils froncés.

« Nymphadora… » hésita sa mère.

« Ne m’appelle pas comme ça. » grinça-t-elle, tirant sur l’élastique qui retenait ses cheveux
en queue de cheval avec agacement. Elle ébouriffa les mèches courtes par réflexe.

Andromeda ouvrit et referma la bouche avant de se racler la gorge et de reporter son attention
sur son patient.

« Tu as retrouvé tes pouvoirs. »


Un instant, Tonks demeura interdite avant de tirer sur une mèche et de pousser un
grognement en la trouvant d’un rouge sombre.

Était-il encore utile de garder le secret, cependant ? L’espion savait qu’ils étaient après lui à
présent, et, bien que ses pouvoirs puissent constituer un avantage non négligeable, Tonks était
fatiguée de les dissimuler. N’en déplaise à Severus, elle n’était pas une Serpentard. Elle
appartenait à Poufsouffle et elle n’avait aucun goût pour les machinations et autres
manipulations.

« Oui. » répondit-elle, dans un haussement d’épaules. Grâce à Severus, aurait-elle voulu


rajouter. Elle garda le silence. Un jour, peut-être, expliquerait-elle tout à Andromeda mais pas
ce jour là.

Sa mère n’insista pas. Elle se contenta de presser un baiser au sommet de son crâne en
passant et la laissa tranquille.

Le temps avait parfois des propriétés étranges. Il sembla s’étirer comme un élastique

« Tu n’as pas intérêt à mourir. » chuchota Tonks avec un agacement certain. « Je te jure que si
tu meurs, je vais te botter le cul. »

« C’est exactement ce que j’ai dit. »

Pour la troisième fois, ce soir là, elle sursauta. Quelle fantastique Auror elle faisait.

Harry lui adressa une grimace d’excuse et alla se percher au pied du lit de l’espion, prenant
garde de ne pas le secouer.

« Enfin, je ne l’ai pas dit comme ça. » plaisanta le garçon. « Il peut dire ce qu’il veut, je ne
suis pas suicidaire. »

Il était clair qu’il faisait un effort et Tonks se força à sourire en réponse.

« Il est un peu ridicule avec ça. » admit-elle. « Il parle comme s’il sortait d’un roman de Jane
Austen. Il s’habille comme s’il sortait d’un roman de Jane Austen. »

« Je n’ai jamais lu Jane Austen. » avoua l’adolescent.

« Moi non plus. » répondit-elle avec un clin d’œil. « J’ai vu les films. Bien plus
intéressants. »

Harry sourit mais cela ne dura pas longtemps. Il baissa les yeux, gardant le regard rivé à ses
chaussures. « S’il meurt… »

« Il ne va pas mourir. » jura-t-elle. Elle sentit sa magie crépiter en elle sous la force de cette
promesse et elle se pencha pour agripper la main du Gryffondor. « Harry, regarde-moi. » Elle
attendit qu’il lève les yeux pour sourire avec assurance. « Il ne va pas mourir. »

L’adolescent pressa sa main, son sourire s’affirmant quelque peu.


Grief And Ruins

There were grief and ruins, and you were the miracle.

Pablo Neruda

Il y avait du chagrin et des ruines, et tu étais le miracle.

Pablo Neruda

Le monde n’avait aucun sens.

Ce n’était qu’un amas intangible de sensations, de bruits et d’odeurs.

Et de douleur.

La douleur était omniprésente.

Aveuglante.

Le rire familier de Lily se perdait dans les cris des suppliciés.

La voix d’Harry était avalée par les sortilèges beuglés de toute part par les Mangemorts et le
Seigneur des Ténèbres.

Le monde s’écroulait dans une pluie de gravas. La bruine attaquait son pelage, alourdissant
encore sa vieille carcasse qui avait bien du mal à résister au vent qui voulait brider sa course,
le ramener vers le danger… Ses ailes battaient…

Non…

Severus n’avait pas d’ailes.

Qu’importe combien de fois il tentait de les bouger, rien ne remuait dans son dos.

Il n’était plus Nox.

Il était humain à nouveau.

Humain…

Prisonnier de ses cauchemars qui n’en étaient pas.

« Redonnons lui une dose de potion antidouleur. » déclara une voix qu’il ne reconnut pas.

Il y avait d’autres mots, d’autres voix… Plus familières…


Séquelles…

Incurable…

Doloris…

Miracle…

Un liquide pâteux fut forcé dans sa bouche et il sombra vers un niveau plus profond
d’inconscience.

Il perdit le compte du nombre de fois où sa conscience effleura le réveil uniquement pour être
assommée à nouveau par une potion.

La douleur était toujours vive lorsqu’il parvint enfin à s’arracher aux visions fiévreuses, à
ouvrir les paupières. Elle était toutefois supportable. Il lui aurait été impossible de déterminer
quelle partie de son corps était la plus meurtrie, ses organes paraissaient tous le faire souffrir.
Et, pourtant, après quelques minutes, la douleur la plus intense se localisa dans son avant-
bras gauche.

La Marque, déduisit-il, groggy, avant même de tenter de s’orienter. La Marque le brûlait aussi
intensément que lorsque le Seigneur des Ténèbres la lui avait apposée, la sensation était
comparable à un fer chauffé au blanc pressé contre sa peau. Il fut presque surpris de ne pas
sentir l’odeur atroce de la chair carbonisée.

Un bourdonnement désagréable de conversations réveilla immédiatement une migraine


latente.

Odeur d’antiseptiques, potions de soin… Les parfums étaient trop familiers, tout autant que
la sensation des draps un peu rêches et des pyjamas en coton dont on l’avait affublé.

Poudlard, déduisit-il sans trop y croire. L’infirmerie de Poudlard.

Il tenta de se redresser et jugea la tâche impossible. D’abord, la douleur le clouait au matelas.


Ensuite, ses bras et jambes étaient entravés.

« Sev ! » s’écria soudain une voix familière, mettant un terme à la conversation qui se jouait
en arrière plan. Harry apparut dans son champ de vision, des cernes épaisses sous ses yeux
verts, les cheveux plus en bataille que jamais et l’air épuisé.

Il tenta de prononcer le nom du gamin – peut-être pour le rabrouer d’utiliser un surnom dont
personne ne l’avait affublé depuis des années – mais ne parvint qu’à tousser suffisamment
fort pour qu’il craigne, l’espace d’un instant, perdre un poumon.

« Doucement, mon garçon, doucement… » le gronda gentiment McGonagall en apparaissant


à sa droite, faisant disparaître d’un coup de baguette les liens matelassés qui l’attachaient au
lit. Un nouveau coup de baguette força le haut du matelas à se redresser légèrement, de sorte
que le torse de Severus soit un peu surélevé. Il en grimaça mais ne protesta pas. Il était bien
plus simple de respirer ainsi.
« Tenez. » offrit Albus, forçant Harry à se décaler pour porter un gobelet à ses lèvres. Severus
but sans y réfléchir à deux fois, n’étant pas en état de se méfier de tout et de son ombre. L’eau
avait un arrière goût de camomille, ce qui lui fit dire que le Directeur y avait ajouté une faible
dose de potion calmante.

Avant qu’il ait put tenter à nouveau de prononcer un mot, Poppy et une sorcière inconnue
poussèrent les autres pour s’approcher davantage. Il eut un mouvement de recul en
apercevant son visage, réveillant la douleur dans ses os.

« C’est juste Andy. » lança la voix familière et honnie de Sirius Black de quelque part sur sa
droite. « Andromeda, pas Bellatrix. »

Andromeda Tonks.

La Médicomage n’eut pas l’air enchanté de la méprise mais elle ne commenta pas. Elle et
Poppy lancèrent sort de diagnostic sur sort de diagnostic et Severus resta là, la tête lourde et
l’esprit embrumé, tâchant de comprendre ce qu’il se passait.

Harry avait l’air non seulement épuisé mais inquiet. Il se tenait juste derrière l’infirmière,
bras croisés, ses yeux volant de lui aux Médicomages avec une angoisse évidente. Minerva et
Albus attendaient maintenant au pied de son lit, masquant mal leurs propres inquiétudes. Et il
aperçut Black perché sur le lit voisin, penché légèrement en avant pour mieux voir, les
coudes appuyés sur les cuisses.

« Pouvez-vous me dire votre nom ? » s’enquit soudain Andromeda. « L’année. L’endroit où


nous sommes. Le nom du Ministre de la magie. Et nommez toutes les personnes présentes
dans cette pièce. »

Cela faisait beaucoup de questions.

Il dut s’y reprendre à plusieurs fois avant qu’un son ne daigne sortir de sa gorge irritée par les
hurlements qu’il avait poussés.

« Professeur Severus Snape… » s’efforça-t-il d’articuler. « L’année… 1996 ? » Il hésita,


guettant Harry du regard, quelque peu confus. La dernière fois qu’il s’était retrouvé à
l’infirmerie, ils étaient dans le passé. L’adolescent confirma d’un hochement de tête alors il
poursuivit. « Rufus Scrimgeour, à moins qu’il ait été remplacé depuis. »

« Rufus est toujours Ministre de la Magie. » intervint Albus.

Severus cilla mais réfléchir plus avant à la question était trop lui en demander.

« Vous vous débrouillez très bien, Severus. Nommez les personnes présentes, je vous prie. »
l’encouragea Andromeda.

Il n’aimait guère qu’on lui parle comme à un enfant.

« Andromeda Tonks. » marmonna-t-il, juste pour lui prouver que sa mémoire à court terme
n’était pas endommagée. « Poppy Pomfresh. Albus Dumbledore. Minerva McGonagall.
Harry Potter. Et la plaie de mon existence. »
« Ça, je suppose que c’est moi. » se moqua l’Animagus. « Je n’aurais jamais cru que je serais
si content de t’entendre m’insulter. »

« Je peux être un peu plus imagé si tu préfères. » grommela-t-il.

« Merlin, Severus… » souffla brusquement Minerva, avec une émotion palpable, avant de
s’éloigner brusquement, une main couvrant son visage.

Albus la regarda partir avec une compassion évidente.

« Poppy, pourriez-vous… » s’enquit le vieux sorcier.

Poppy hocha la tête et se pressa à la suite de son amie, laissant une place libre à son chevet
qu’Harry s’empressa de combler. Le regard vert était, pourtant, rivé sur la Médicomage.

« Pour autant que je puisse le dire, il n’y a pas de séquelles neurologiques. » déclara
Andromeda. « Cela concorde avec ce que les sorts de diagnostics nous disaient. »

« Séquelles ? » releva-t-il.

Sa tête bourdonnait et il voulut porter la main à son front. Soulever son bras du matelas lui
demanda un effort considérable mais son avant-bras tremblait tellement que l’entreprise
semblait vaine. Une boule d’angoisse se forma dans son estomac.

« Ne paniquez pas. Vous risquez d’aggraver vos blessures. » lui ordonna immédiatement
Albus. « Il semble que vous ayez été sujet à l’Endoloris durant un laps de temps considérable,
mon garçon. »

« Non. » refusa-t-il tout net, s’efforçant à nouveau de lever les bras, mettant toute sa volonté
à stopper les tremblements violents qui les agitaient.

« La bonne nouvelle, c’est que les nerfs des mains semblent être les plus touchés. » offrit
Andromeda. « Étant donné l’étendue de vos blessures, c’est un petit miracle en soi. »

« Un miracle ? » siffla-t-il. Cédant à l’angoisse et à la fureur, il tenta de se redresser en


poussant sur ses mains inutiles. Son abdomen était en feu mais il l’ignora. « Un miracle ? Je
suis Maître des Potions ! »

Sa voix tonna dans l’infirmerie et il se mit à tousser, trop faible pour lutter contre les
nombreuses mains qui le forcèrent à nouveau à s’allonger.

Pourrait-il seulement encore tenir une baguette ?

Ses mains étaient toute sa vie.

Il aurait encore mieux valu qu’il termine en légume à Sainte Mangouste.

« On va trouver une solution. » promit Harry, en désespoir de cause. « On trouve toujours. Ce


n’est pas pire que se retrouver coincés en soixante-quinze. Severus, ça va s’arranger. »
Il était trop fatigué pour l’abreuver d’injures comme il aurait aimé pouvoir le faire. Clouons
le garçon au sol et disons lui qu’il ne pourra jamais plus voler, songea-t-il, et voyons ensuite
s’il pensera que tout va s’arranger.

« Ma potion. » lâcha-t-il, en désespoir de cause. « Je travaillais sur une potion pour restaurer
les nerfs… Harry, va la chercher. Dans mon laboratoire… »

« Non brevetée et non testée? » le coupa Andromeda. « Je ne crois pas, non. Nous pouvons
réduire les tremblements avec un traitement approprié. » Son visage se fit compréhensif mais
tout ce que vit Severus, ce fut la pitié dans son regard. « Mais il est peu probablement que
vous retrouviez le plein usage de vos mains. »

Il fusilla la Médicomage du regard, vaguement conscient du grondement qui enflait autour de


lui. Les vitres se mirent à vibrer, plusieurs fioles explosèrent sur les étagères…

« Est-ce que c’est le bon moment pour parler de ce foutu contrôle dont tu es si fier ? » se
moqua Black.

Il lui fallut plusieurs inspirations avant de récupérer le plein contrôle de sa magie. Et cela le
laissa épuisé.

« Vous avez besoin de repos. » insista Andromeda. « Vos muscles et vos nerfs ont besoin de
repos. Les tremblements auront déjà diminué quelque peu dans quelques jours. »

« Azkaban. » lâcha-t-il, car cela était préférable à affronter la panique grandissante dans sa
poitrine. Il voulut tendre la main vers Albus, attirer son attention, et ne parvint qu’à
s’horrifier davantage du manque de contrôle qu’il avait sur ses membres. « Le Seigneur des
Ténèbres… »

« Nous le savons déjà. » offrit le vieux sorcier. « Pour être franc… Nous craignions ne plus
jamais vous revoir, Severus. S’échapper d’Azkaban n’est pas aisé. »

Black émit un bruit amer et Severus cilla, tâchant de rassembler ses esprits, d’être cohérent
malgré la douleur, la peur et les souvenirs qui l’assaillaient en masse. Ses boucliers…

« Il y a un espion… » murmura-t-il.

« Toujours aussi élusif, je le crains. » soupira Albus, en posant une main rassurante sur son
épaule. « Y a-t-il quoi que ce soit d’urgent ? Une information qui pourrait faire la différence ?
Dans le cas contraire… Mon garçon, je pense qu’Andromeda a raison. Vous avez besoin de
repos. »

Lucius…

Lucius avait laissé dépasser sa baguette de sa poche à dessein…

Lucius lui avait donné l’opportunité de s’échapper…

Il croisa le regard bleu du Directeur mais n’osa pas formuler cette information à voix haute,
en sachant qu’un espion rôdait.
Il n’en voyait, de toute manière, pas l’intérêt.

Il avait deviné depuis un bon moment avoir été remplacé.

Il laissa Andromeda lui administrer une nouvelle dose de potion de sommeil sans rêve.

Dormir lui semblait préférable à affronter la réalité.

°O°O°O°O°

Le monde était enveloppé d’une épaisse couche de ouate.

Du moins, c’est ce qu’il lui sembla lorsqu’il ouvrit à nouveau les yeux. La douleur n’était pas
moins forte, se focalisant surtout dans son avant-bras gauche. La Marque pulsait toujours
régulièrement, un battement de cœur qui battait à contretemps du sien comme un parasite. Il
voulut serrer le poing mais ne parvint qu’à perdre le contrôle de ses doigts.

Il ferma les paupières et laissa sa tête rouler sur son épaule.

Ses mains étaient les plus touchées avaient dit Andromeda, cela laissait entendre que le reste
de son corps n’en était pas sorti indemne. Serait-il seulement capable de marcher ? Avait-il
encore une quelconque utilité ?

« Ça va s’arranger. »

Ses yeux fouillèrent la semi-obscurité à la recherche de l’homme et le trouvèrent avachi sur le


lit suivant, un bras négligemment jeté sur le visage, sans doute pour bloquer les quelques
rayons de soleil qui perçaient encore à travers les rideaux clos. Sa vue, au moins, était
toujours excellente. Suffisamment pour que Severus conclue que Sirius Black avait eu des
jours meilleurs. Une ombre de trois jours obscurcissait son menton et il portait toujours les
mêmes vêtements que lors de la bataille dans l’Allée des Embrumes.

À croire qu’il l’avait veillé tout ce temps là. Ridicule.

Pour Harry, peut-être. Sans doute.

Cela ne fit rien pour diminuer le ressentiment qu’il éprouvait.

« Épargne-moi ta pitié. » cracha-t-il, non sans rancœur. Il était typique qu’il finisse, lui, brisé
en mille morceaux alors que ce qu’il restait des Maraudeurs fanfaronnait sans une
égratignure.

« Ce n’est pas de la pitié. » soupira Black, en s’asseyant pour mieux le dévisager. Il l’observa
en silence quelques secondes, le visage crispé, puis désigna ses mains tremblantes du menton.
« Ça, c’était ma tête quand je me suis échappé d’Azkaban. Tout était… » Il haussa les
épaules. « J’ai survécu. Tu survivras. »

Il n’y avait aucune place au doute dans la voix du Gryffondor, elle était ferme, assurée. À
croire qu’il énonçait une vérité évidente et pas un vœu pieux.
« Où est Harry ? » s’enquit-il.

« J’ai demandé à Ron et Hermione de le distraire un peu. » répondit l’Animagus. « L’obliger


à manger autre chose qu’un sandwich, prendre une douche et se reposer quelques heures dans
un lit pour changer. » Il laissa échapper un bruit amusé. « Ils arriveront à le nourrir en le
trainant aux cuisines et, maintenant que tu es hors de danger, il va probablement prendre le
risque d’une douche, mais je te parie qu’il sera de retour dans l’heure. Il ne t’a pas quitté
depuis que tu t’es écrasé en haut de la tour d’astronomie. »

La tour d’astronomie…

Il n’en gardait que de vagues souvenirs.

Battre des ailes, battre des ailes… Voilà la pensée qui l’avait accompagné alors qu’il volait
dans la vague direction de l’Écosse, tentant de semer ses poursuivants, mu par le seul instinct
des sombrals. Le vol avait les qualités d’un cauchemar, il s’en souvenait sans véritablement
sans souvenir, ne gardait que des bribes d’images… Harry qui le maintenait au sol… Minerva
qui lui caressait la joue… Albus qui lui ordonnait de s’accrocher à la vie…

« Pratique comme forme animagus. » commenta Black, en étirant les bras au-dessus de sa
tête. Son dos craqua comme celui d’un vieil homme.

« Combien de temps… » demanda-t-il, quelque peu confus.

« Depuis la Nuit des Ténèbres, deuxième version ? Quatre jours. » répondit son rival. « Tu
n’as pas manqué grand-chose. Voldemort n’a même pas encore levé le petit doigt. Il n’a rien
à faire, les gens sont en train de plier bagages. Azkaban est imprenable, alors tout ce qu’on
peut faire c’est tenter d’endiguer l’hémorragie. »

Il absorba l’information, forcé de faire un effort conscient pour poursuivre une réflexion plus
poussée. Il était fatigué. Non seulement dans son corps, mais dans son esprit.

« L’espion… » hasarda-t-il. Il avait déjà posé la question, lui semblait-il. À Dumbledore un


peu plus tôt.

« On a éliminé Kreattur de la liste mais on n’a rien de plus. » déclara Black, la mâchoire
contractée. « J’arrive pas à croire qu’on en soit de nouveau là. Ça va être la pagaille.
Comment être sûr de… »

« Nymphadora. » marmonna-t-il. « Bill Weasley. Minerva. Albus. Ce sont toutes les


personnes que nous avons pu innocenter. »

Black l’étudia du regard et sauta de son lit pour se rapprocher du sien.

Couché comme Severus l’était, sans possibilité réelle de se redresser, la présence de l’autre
sorcier était écrasante. Ses doigts se contractèrent par réflexe, cherchant une baguette qu’il
n’était même pas certain de pouvoir tenir correctement.

« Et moi. » lâcha doucement Black, presque incrédule. « Moi. Tu ne crois pas… »


Severus hésita. « Je ne crois pas, non. Mais je n’ai pas pour habitude de m’appuyer sur la
seule foi de mon instinct. Les enjeux sont trop importants. »

« Harry. » insista Black. « Tu sais bien que je ne ferai jamais rien qui puisse nuire à Harry. »

Il ferma les paupières, réticent à se montrer vulnérable devant son ennemi de toujours et
pourtant paradoxalement certain que Black ne s’apprêtait pas à le poignarder dans le dos. Ces
instincts contraires s’affrontaient régulièrement en lui, des années d’habitude faisant face aux
derniers mois.

Les gens ne changeaient pas, pas viscéralement.

Du moins, l’avait-il toujours cru.

Avant.

Avant…

« Je le sais. » accepta-t-il finalement, d’un ton las. N’avaient-ils pas déjà eu cette discussion ?
Pas en ces termes mais en d’autres.

Et puis…

Black s’était interposé entre lui et les autres, les mains vides, sur la simple force de sa
confiance.

Il n’avait jamais véritablement soupçonné Black, en premier lieu. Il ne lui aurait jamais
confié le secret des horcruxes autrement. Il ne l’aurait pas risqué. La discussion était stérile.

« Tu as ma confiance. » ajouta-t-il, avec un léger grognement, tant parce que la sensation de


brûlure dans la Marque était insupportable que parce que les mots lui laissaient un arrière-
goût amer.

« Et toi la mienne. » répondit immédiatement l’Animagus.

Il sentit sa main se poser sur son épaule, la pressa presque avec gentillesse, mais il ne trouva
pas la force de rouvrir les yeux. Il s’humecta les lèvres, tâchant d’occluder la douleur sans y
parvenir. C’était la pagaille dans sa tête, ses boucliers gisaient brisés et il n’avait pas la force
qu’il aurait fallu pour les reconstruire. Il était vulnérable sur tous les plans.

Il était plus facile de se laisser sombrer dans la torpeur qui voulait l’emporter.

« Black ? » murmura-t-il, la voix rauque et la gorge irritée.

« Toujours là. » offrit son rival.

« Merci. » lâcha-t-il.

Pour avoir pris son parti contre le reste de l’Ordre mais, surtout, pour Harry.
S’il réponse il y eut, il ne l’entendit pas.

Il se rendormit.

°°O°°O°°O°°O°°

Les rideaux avaient été rouverts lorsqu’il reprit connaissance mais le ciel avait la couleur
ambrée d’une fin de journée et il ne faisait pas plus clair dans l’infirmerie.

Harry était perché en tailleur sur une chaise, à côté du lit, et griffonnait sur un morceau de
parchemin appuyé sur son genou, un manuel quelconque posé sur le matelas à côté de la
jambe du professeur, l’encrier coincé entre ses jambes. Périlleux.

Severus saisit l’opportunité de l’étudier tandis qu’il se réveillait tout à fait, notant les cernes,
les joues creuses et la pâleur inhabituelle du garçon. Il n’était pas en uniforme mais portait un
jean bien trop grand et un pull marron marqué d’un H majuscule sur le torse qui était sans
conteste l’œuvre de Molly Weasley. Il semblait flotter dans ses vêtements, lui donnant l’air
plus jeune qu’il n’était réellement.

Leur dernière discussion avait été houleuse.

Pour ne pas dire qu’elle s’était soldée en dispute.

Harry avait été en colère, blessé par ce qu’il avait perçu, très justement, comme Severus
tentant de lui faire ses adieux. Il n’avait pu lui en tenir véritablement rigueur, sachant
qu’Harry aurait très mal supporté de perdre quelqu’un d’autre, une chose qui avait semblé
inévitable à ce moment là

Il prit le temps de faire un inventaire de ses blessures avant de déranger l’adolescent. Ses
poumons le brûlaient beaucoup moins à chaque inspiration, sa cage thoracique lui paraissait
meurtrie sans que cela soit insupportable… Il parvint à contracter et relâcher ses orteils sans
que cela ne déclenche de spasmes intempestifs dans ses jambes, peut-être la seule bonne
nouvelle depuis qu’il avait repris connaissance un peu plus tôt – quelques heures ? quelques
jours ? – et sa tête était moins lourde. Demeurait la douleur sourde et brute de la Marque et
des muscles et nerfs de ses bras.

Il tenta de plier le bras droit, heureux de constater que si la tâche était toujours difficile, il
paraissait avoir retrouvé le contrôle de son biceps. Du coude au bout de ses doigts, en
revanche… Il laissa retomber son bras, peu surpris de trouver le regard vert rivé sur lui.

« J’ai tenu ma promesse. » lâcha-t-il. Cela le surprenait lui-même d’y être parvenu, à vrai
dire, et pourtant il était là… A n’importe quel prix, avait-il juré à Harry, et le prix semblait
être le sens de sa vie. Il jeta un coup d’œil amer à ses mains, souhaitant presque…

« Je suis désolé. »

Il reporta son attention sur le garçon qui avait détourné les yeux et fixait un point sur le mur.
Harry déglutissait rapidement, cherchant probablement à se maîtriser.
« Inutile. » commenta-t-il. Il lui fallut se concentrer pour lever à nouveau son bras et réussir à
le déplacer. Que sa main atterrisse sur le genou du gamin était plus un heureux accident
qu’autre chose.

« Si. » insista Harry. « L’autre jour, ce que j’ai dit… Si vous n’étiez pas revenu… Si… »

« Harry. » l’interrompit-il. « Je sais. Ce n’était pas les adieux que j’aurais souhaités mais
c’est tout aussi bien, en fin de compte. Je suis revenu. »

Brisé et inutile, certes, mais là néanmoins.

Il ignorait combien de temps le garçon était resté à son chevet. Tout du long, s’il en croyait
Black. Il ne doutait pas qu’Harry ait pris sur lui au cours des derniers jours, n’ait refoulé ses
émotions pour mieux fonctionner…

À cet instant, ce fut comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.

Le sanglot fut brutal et, s’il le ravala bien vite, ce ne fut pas suffisamment pour empêcher
quelques larmes de s’échapper.

« Harry… » marmonna-t-il, irrité de ne pouvoir consoler le garçon correctement.

Le Gryffondor secoua la tête avec un piètre sourire. « Je suis juste… J’ai cru… Je suis
content que vous soyez là. »

Severus l’observa, sentant son amertume s’estomper légèrement. Peut-être le prix à payer
n’était-il pas si terrible. Pas s’il lui permettait de voir grandir l’adolescent. Il n’était pas
certain d’être toujours la meilleure protection que le Survivant trouverait jamais mais il avait
toujours un corps et un corps arrêtait un sort tout aussi bien qu’un sortilège du bouclier.

« Je sais que tu ne veux pas de partisans, mais sache que je serais à tes côtés aussi longtemps
qu’il me sera donné d’y rester. » offrit-il.

Le serment ne lui coûta rien. Il viendrait un temps, plus proche peut-être que l’adolescent ne
le réalisait, où Harry Potter serait un point de ralliement qu’il le veuille ou non. Severus
retarderait ce moment le plus longtemps possible, désireux de lui épargner ce poids, mais il
l’y préparait pourtant parce qu’il se refusait à ce qu’Harry ne soit que le pantin de
Dumbledore.

« C’est mon père que je veux. » contra le garçon. « Pas un partisan, pas quelqu’un qui croit
qu’il doit mourir en mon nom, juste… Je veux mon père. Vous n’êtes plus un espion
maintenant. On peut recommencer comme avant. N’est-ce pas ? »

Il y avait tellement d’espoir dans la voix du gamin…

Faire cette promesse là, en sachant ce qu’elle représentait pour lui, sans être certain de
pouvoir la tenir… Il n’était pas dans une autre réalité, il n’était pas en soixante-quinze… La
loi était la loi… Techniquement parlant, et à condition qu’Harry l’accepte, ce qu’il n’avait
pas encore fait, Black était son tuteur légal et, bien que lui et l’Animagus soient parvenus à
une trêve qui tendait presque vers une amitié fragile à laquelle Severus était réticent, rien ne
garantissait que son parrain accepte de partager cette charge. Severus n’était pas certain qu’il
soit même judicieux de le faire. Harry avait besoin de stabilité et…

Il était impossible de refuser quoi que ce soit aux yeux verts qui le fixaient avec insistance.

« Dans la mesure du possible. » nuança-t-il, s’engageant sans s’engager.

Cela fut suffisant pour l’adolescent qui lui adressa un grand sourire, avant de jeter un coup
d’œil au-dessus de son épaule en grimaçant.

« Vous ne devriez pas parler autant. » déclara le Gryffondor. « Vous êtes censé vous
reposer. Pomfresh a menacé de m’expulser de l’infirmerie si je vous dérangeais. »

« Tu ne me déranges pas. » nia-t-il immédiatement, peu enclin à se retrouver seul avec ses
idées noires.

« Je voudrais bien la voir essayer, de toute manière. » se moqua le garçon. « Ça fait trois
jours que McGonagall essaye de me renvoyer dans la salle commune. »

« Où tu retourneras ce soir. » gronda-t-il.

Harry refusa d’une secousse de tête. « Je dormirais ici. Je veux être sûr… Tant qu’on ne sait
pas qui est l’espion, je veux être sûr que vous soyez en sécurité. »

« Tu es donc mon nouveau garde du corps ? » commenta-t-il, avec un bruit amusé. « Comme
les tendances s’inversent. »

« Vous en avez plusieurs. » répondit Harry, sans véritablement plaisanter. « McGonagall vient
toutes les heures à peu près. Sirius a dit qu’il reviendrait demain matin. Oh, et Remus et
Tonks sont passés pendant que vous dormiez… Ils sont tous à l’enterrement de Fol’Œil, je
crois. »

Remus et Tonks…

Une bouffée de quelque chose l’envahit, sans qu’il ne cherche à y mettre un nom. Il chassa la
pensée qui, au demeurant, avait bien peu d’importance.

« L’enterrement… » répéta-t-il. « Y sont-ils tous ? Poudlard… »

« McGonagall et les Professeurs sont restés. » le rassura Harry. « Il y a un Auror aussi. Et j’ai
entendu Dumbledore dire à Andromeda que Charlie, Anthony et Hagrid patrouillaient dans la
Forêt Interdite et dans le parc. »

Ce n’était pas un système de sécurité idéal, même avec les protections qui entouraient
Poudlard. Il renonça à l’idée de convaincre Harry de retourner dans son dortoir. Si Albus
n’était pas présent, il préférait encore avoir le gamin près de lui, tout aussi inutile qu’il soit à
l’instant.

« Mr Potter ! » s’écria Poppy du seuil de son bureau. « Je vous avais dit… »


« Inutile de hurler, Poppy. » râla-t-il. « Je suis le seul coupable. »

La Médicomage ne voulut, cependant, rien entendre. Elle ne fut heureuse que lorsqu’il eut
consenti à se plier à ses examens et à avaler quelques gorgées de bouillon, le maternant
tellement que cela le rendit furieux, au grand amusement d’Harry qui se tint loin de son
chemin.

Elle l’épuisa tant et si bien qu’il se rendormit sans même s’en rendre compte.

°°O°°O°°O°°O°°

Il rouvrit les yeux brutalement, le souffle court et le cœur au bord des lèvres, fuyant par
réflexe la main qui s’approchait de son visage.

« Doucement, mon garçon. » gronda la voix familière de la sous-directrice. « Ce n’est que


moi. » Il se détendit quelque peu en reconnaissant la voix de McGonagall, suffisamment en
tout cas pour la laisser poser brièvement la main sur son front en un geste apaisant, sans
toutefois être très à l’aise avec cette affection assumée. « Vous faisiez un cauchemar. »

Il faisait nuit, à présent, et la lueur des bougies ne parvenait pas tout à fait à chasser
l’obscurité. Harry était allongé sur le lit voisin, son livre de Sortilèges sur le ventre, un tas de
parchemins froissés recouverts de l’écriture petite et pointue de Granger coincé sous son bras
droit, semblant s’être endormi sans s’en rendre compte.

« Cet enfant est têtu. » grommela McGonagall. « Il refuse de quitter l’infirmerie depuis… »
Sa voix resta en suspens. « Au moins, nous pouvons toujours compter sur Miss Granger pour
s’assurer qu’il rattrape son retard, je suppose… Avec les BUSEs si proches… »

« Pensez-vous réellement que nous parviendrons jusque là ? » se moqua-t-il. Il n’aimait guère


se voiler la face.

« Non, bien sûr… » soupira-t-elle, en se pinçant l’arrête du nez. « L’école est en proie au
chaos le plus total. Nous avons perdu beaucoup d’élèves, plusieurs familles ont quitté le pays,
les Professeurs ne savent que répondre à leurs questions, Albus passe son temps au
Ministère… Votre absence s’est faite sentir, Severus. Sans vous pour me seconder… »

« Toutes mes excuses, Minerva, j’avais d’autres préoccupations. » ironisa-t-il.

La sorcière pinça les lèvres, le visage grave. « Parlons-en, de vos préoccupations. À quoi
diable pensiez-vous ? Risquer votre vie de la sorte… Avez-vous une seule idée du sang
d’encre que je me suis fait ? Et ce garçon ? Avez-vous seulement pensé à ce garçon ? Il
n’aurait jamais supporté de perdre un second père. Je ne parle pas d’Albus, de vos élèves, ou
même de Miss Tonks… »

Il leva les yeux au ciel. « Je suis certain que Miss Tonks se serait rapidement consolée. »

Cela lui valut un regard noir.

« Ne le prenez pas à la légère. » cingla-t-elle. « Il serait temps que vous vous rendiez compte
que, malgré ce que vous semblez en penser, vous avez des amis, une famille, qui se
préoccupe de votre sort. Vous vous saviez en danger. Pourquoi avoir tenté le diable… »

« Je me devais essayer. » gronda-t-il, jetant un coup d’œil à Harry pour s’assurer que leur
discussion ne le réveillerait pas.

« Ne refaites plus jamais une idiotie pareille, Severus, plus jamais. » insista-t-elle, en croisant
les bras devant sa poitrine dans cette pose sévère qui terrifiait les élèves. « Honnêtement. À
croire que l’on répartit trop tôt… »

Il faillit s’en étouffer d’outrage.

« Ne me comparez pas à un lion. » grinça-t-il.

« Dans ce cas, cessez de vous comporter comme l’un d’entre nous. » riposta-t-elle, une fêlure
dans la voix qu’elle dissimula derrière un raclement de gorge. « J’ai réellement cru que vous
alliez mourir dans mes bras. »

Il poussa un bref soupir agacé, plus pour garder la face que par véritable irritation.
« Minerva… »

« Et ne croyez pas que vous allez vous en tirer si facilement. » l’interrompit-elle. « Nous
allons avoir une longue et fructueuse conversation sur les transformations Animagus et
pourquoi il était absolument stupide de votre part de vous entraîner seul. De la part de Potter,
passe encore, mais vous ? » Elle claqua la langue avec irritation. « Dès que vous serez sur
pieds, nous organiserons une session de rattrapage. Je veux m’assurer que vous ne courriez
aucun risque. »

Session de rattrapage.

Pensait-elle qu’il avait encore quinze ans pour se plier à ses exigences ?

« Bien sûr. Dès que je serais sur pieds. » accepta-t-il, sachant très bien que la promesse ne
valait rien.

Pourrait-il encore se transformer avec des nerfs endommagés ? Nox n’était déjà pas très
habile en vol, il ne voulait pas penser à ce que cela donnerait avec des ailes qui ne cesseraient
de trembler.

McGonagall, cependant, ne le connaissait que trop bien.

« Vous vous remettrez, Severus. » décréta-t-elle avec conviction. « Un autre que vous… Vous
savez pertinemment qu’un autre que vous serez confiné à Sainte Mangouste, sans espoir d’en
sortir. Vos blessures étaient telles… »

Elle ne termina pas sa phrase mais, à la manière dont elle secoua à nouveau la tête, il n’eut
pas besoin d’entendre le reste. Ils avaient craint des séquelles autrement plus graves. Et,
rationnellement, il savait qu’il avait été chanceux, que cela aurait pu être bien pire…
Rationnellement. Lorsqu’il tentait de soulever une main en revanche… Il ne ressentait que
dégout, terreur et rage.
« Il est tard, Minerva. » remarqua-t-il, avec plus d’hostilité qu’elle n’en méritait. « Vous
devriez aller vous coucher. »

Elle avait certainement l’air d’en avoir besoin. Comme Harry et Black, elle avait des cernes
et ne paraissait pas en pleine forme.

« Dès qu’Albus sera revenu. » contra-t-elle, balayant sa réponse d’un geste de la main.

« Ah, l’enterrement… » se souvint-il avec un temps de retard.

« Oui. » soupira-t-elle avec tristesse. « L’enterrement… »

Ils ne l’enterreraient pas, cela dit, songea Severus, pas avec le risque à présent démultiplié
d’Inféris. Ils le brûleraient. Il y aurait probablement une veillée ensuite. Cela prendrait du
temps…

« Vous allez devoir me trouver un remplaçant. » lâcha-t-il, peu enclin à parler de funérailles
lorsqu’il avait échappé à la mort de si près. « Je crains que la malédiction du poste de
Professeur de Défense n’ait eu raison de moi. »

« J’ai déjà pourvu le poste. De manière provisoire. » répondit-elle. « Il est entendu que vous
le retrouverez dès que vous vous sentirez en état de reprendre les cours. De même, Horace a
réinvesti le bureau du Directeur de Maison mais a insisté sur le fait qu’il ne serait que trop
heureux de vous le restituer en temps et en heure. »

Il jeta un coup d’œil à ses mains et ravala la réplique acerbe qui lui brûlait les lèvres.
Comment pourrait-il enseigner la Défense – sans parler des Potions – dans cet état ?

« Il y a des notes et des plans de cours dans mon bureau que vous pourriez trouver utiles.
Harry sait comment passer les protections, demandez-lui de jouer les messagers. » offrit-il.
« Qui a été suffisamment fou pour accepter le poste ? »

Minerva hésita et il sut qu’il n’allait pas aimer.

« Pas Lupin ? » cracha-t-il. Il aurait probablement été le meilleur candidat, n’en déplaise à
Harry qui ne trouvait pas son enseignement suffisamment dur après un an passé sous son
égide, mais voir le loup se pavaner dans les couloirs avait été suffisamment difficile deux ans
auparavant, il n’était pas certain de le supporter, à présent.

« De façon regrettable, Remus est mieux employé au QG. » rétorqua Minerva, n’appréciant
visiblement pas son ton. « Vraiment, Severus… Remus s’est enquis de votre santé plusieurs
fois et… »

« Il espérait sans doute que je tombe raide. » siffla-t-il avec une mauvaise foi assumée. Le
loup était bien trop noble pour espérer une chose pareille.

« Severus ! » le gronda-t-elle.

« Il a été le premier à retourner sa baguette contre moi, le saviez-vous ? » insista-t-il. « Ou


bien personne ne vous a-t-il informé de la charmante scène qui s’est tenue au Square
Grimmaurd ? »

« De quoi parlez-vous ? » demanda-t-elle, sourcils froncés.

« Eh bien, il semble que la moitié de l’Ordre m’ait pensé être un agent double. Ou quadruple,
plutôt. » ricana-t-il avec amertume. « Cela devait arriver tôt ou tard, je suppose. Néanmoins,
et c’est bien naïf de ma part, je ne m’attendais pas à ce que Lupin mène la charge, je vous
l’avoue. J’aurais parié sur Maugrey. Bien sûr, il gisait mort à quelques mètres de là donc je
suppose que quelqu’un d’autre se devait de reprendre le flambeau… Miss Tonks semblait
certainement le penser aussi étant donné la rapidité avec laquelle elle a levé sa baguette… »

Le visage de la sorcière se ferma. « Qui d’autre ? »

« Suffisamment. » commenta-t-il. Il était plus intéressant de noter qui n’avait pas douté.
Weasley et Black.

« Et Tonks… » hésita Minerva.

« Si ce n’est pas Lupin, alors qui ? » détourna-t-il la conversation.

Il ne voulait pas penser à Nymphadora. À la facilité avec laquelle elle s’était retournée contre
lui uniquement pour s’effondrer dans les bras de Lupin lorsque le loup avait finalement
consenti à baisser sa baguette. Le sentiment de trahison était un brasier qu’il se refusait
d’alimenter. Il avait arpenté cette route trop longtemps par le passé. Un simple coup d’œil sur
la gauche, à l’adolescent qui dormait toujours, lui rappela pourquoi il n’avait pas de temps à
perdre en ressentiment.

Il aurait, de toute manière, été bien hypocrite de sa part de reprocher à la jeune femme d’avoir
douté de lui. Certes, il avait pensé qu’ils avaient établi un véritable rapport de confiance…
Cependant, la situation étant ce qu’elle était… Prudence était mère de sûreté. Il aurait sans
doute réévalué les choses, lui aussi, plutôt que de faire aveuglément confiance.

C’était dans sa nature.

Il n’avait pas eu conscience que c’était dans la sienne mais peut-être avait-il déteint sur elle.
Et peut-être que cela lui sauverait la vie un jour.

Harry, il le savait, comme James avant lui, considérait que douter de ses amis était le plus
grand des déshonneurs. Severus n’avait jamais eu ce luxe là.

Il pouvait comprendre l’incertitude momentanée de Nymphadora et il pouvait la pardonner.


Elle était une alliée trop précieuse pour être jetée aux orties pour une simple affaire de
rancune.

Non… Il ne lui en tiendrait pas rigueur bien que la pilule soit dure à avaler. C’était le jeu
lorsqu’on était espion… Et il était un excellent espion. Qu’elle l’ait soupçonné l’espace d’un
instant d’être parvenu à tromper son monde à une telle échelle était presque un compliment
au fond.

McGonagall l’observa quelques instants et puis soupira. « Sirius Black. »


Elle s’attendait visiblement à une explosion de sa part, il se contenta d’un hochement de tête
approbateur. Black était le choix logique, à défaut d’être le meilleur.

De plus, Severus n’avait rien contre l’idée d’avoir un allié supplémentaire au sein de l’école.

Surtout un qui voudrait protéger Harry autant que lui.

°°O°°O°°O°°O°°

Severus se réveilla dans un sursaut, cherchant automatiquement McGonagall du regard, ne


s’étant pas rendu compte s’être assoupi. Il était tard, visiblement. Les bougies avaient été
soufflées et la seule clarté venait de la lune.

Harry était toujours endormi. Il avait roulé dans son sommeil et la moitié des parchemins
étaient à présent éparpillés par terre. Le Professeur doutait que Granger l’en remercie.

Son attention se porta toutefois vers l’homme qui était en train d’étaler une crème épaisse et
froide sur son poignet, dans la pénombre. Il ne put retenir un sifflement de douleur malgré ses
efforts.

« La Marque saigne. » murmura Dumbledore, en terminant d’appliquer ce que Severus, à


l’odeur, identifia comme étant un baume apaisant. Le Directeur fit apparaître une longue
bande de gaze d’un coup de baguette et l’enroula autour de son avant-bras avec précaution.

Il le laissa faire, peu à l’aise mais incapable de nier que le baume soulagea presque
immédiatement la douleur.

« La Marque sera un problème. » marmonna-t-il.

Il n’y avait aucune raison de se voiler la face sur ce sujet… Lorsqu’il serait un peu plus
reposé et qu’il lui serait possible de reconstruire ses boucliers… Peut-être parviendrait-il à
occluder la douleur… En attendant, il n’avait aucun doute que le Seigneur des Ténèbres ne
reculerait devant rien pour lui faire payer sa trahison.

Il n’en eut qu’un bref aperçu avant qu’elle ne disparaisse sous les bandages mais si la Marque
était d’un noir d’encre, son contour était d’un rouge vif, la peau craquelée et boursoufflée…
La Marque ne le tuerait pas mais elle pouvait le laisser à l’agonie.

Au point où il en était, peut-être aurait-il été plus judicieux de simplement se couper l’avant-
bras. Il y avait des compensations magiques à la perte d’un membre. Il était certain que
Dumbledore aurait pu lui métamorphoser quelque chose de semblable…

Le vieux sorcier lui jeta un coup d’œil réprobateur, comme s’il avait lu dans ses pensées – et,
peut-être avait-il lu dans ses pensées – et noua le bandage d’un coup de baguette, avant de
nettoyer les tâches de sang d’un geste distrait de la main.

« Je n’ai jamais pensé que vous y retourneriez, Severus. » déclara doucement le Directeur.

« Alors vous me connaissez fort mal. » grinça-t-il, luttant contre le sommeil qui voulait à
nouveau l’emporter.
« C’est ce que prétend Minerva. » répondit Albus, avec un sourire bienveillant avant de
secouer la tête. « Peut-être répartit-on trop tôt… »

Il leva les yeux au ciel.

« C’est aussi ce que prétend Minerva. » commenta-t-il.

« Peut-être devrions-nous l’écouter davantage. » plaisanta le Directeur. « Elle est pleine de


sagesse. »

Severus préféra ne pas se prononcer et grogna simplement ce qui aurait pu être un


assentiment aussi bien qu’une réprobation.

Albus plaça une main sur son épaule, attentif à ne pas aggraver ses blessures.

« Il y a une jeune femme dans le couloir qui est impatiente de vous voir. » déclara-t-il d’un
ton volontairement neutre mais qui cachait mal, pourtant, un amusement certain. « Je viens
en émissaire car elle n’est pas certaine d’être la bienvenue. »

Il aurait préféré attendre d’être davantage maître de lui-même pour cette conversation mais il
supposait que c’était tout aussi bien d’en finir au plus vite.

« Je l’ai connue plus courageuse. » remarqua-t-il. Par réflexe, il leva la main pour se frotter
les yeux mais la laissa bien vite retomber lorsque le manque de contrôle qu’il avait sur ses
avant-bras se rappela à lui.

« Loin de moi l’idée de m’immiscer dans votre vie privée, Severus… » hasarda le vieux
sorcier.

« Depuis quand ? » ironisa-t-il.

Albus ne sembla pas en prendre ombrage, se contentant de tapoter amicalement son épaule.

« Elle a été une de vos défenseurs les plus acharnés, ces derniers jours. » l’informa le
Directeur. « Ma foi… Elle a même remis Scrimgeour droit dans ses bottes lorsque notre cher
Ministre a émis quelques doutes sur vos allégeances… »

« Poufsouffle. » marmonna-t-il.

« Vous pouvez être rancunier… Ne jetez pas tout cela aux orties pour un simple instant
d’égarement. » conseilla Albus.

Il n’y avait rien à jeter aux orties, mais cela il se refusa à l’expliquer à son mentor. Cela ne le
regardait pas.

« Elle peut entrer. » grommela-t-il parce qu’il semblait que le Directeur voulait un
consentement explicite. Le vieil homme approuva cette décision d’un hochement de tête et
s’éloigna. « Albus ? » le rappela-t-il.

« Oui ? » s’enquit l’homme, les sourcils levés.


« Dites lui d’être plus prudent. Ce qu’il a fait, bien que j’en apprécie l’intention, était
stupide. » lâcha-t-il, sans s’embarrasser de précisions. Albus comprendrait qu’il faisait
référence à Lucius. « Et dites lui également que je payerai ma dette. »

Il protégerait Draco autant qu’il le pourrait.

Une vie pour une vie.

Ce n’était pas sa première dette d’honneur.

Albus acquiesça en silence et quitta l’infirmerie. Il ne fallut pas attendre longtemps avant
qu’une silhouette bien plus fine et élancée ne se glisse dans l’embrasure des portes qui se
refermèrent magiquement derrière elle.

Nymphadora sembla hésiter l’espace d’une seconde puis avança vers le lit d’un pas déterminé
qui aurait sans doute été plus impressionnant si elle n’avait pas trébuché sur une dalle mal
scellée. Elle se rattrapa à un chariot et manqua envoyer valdinguer tout ce qui se trouvait
dessus et probablement réveiller tout l’étage.

Ce ne fut que par miracle qu’elle parvint à le stabiliser.

Malgré lui, il ne put empêcher ses lèvres de tressauter dans un sourire qu’il ravala bien vite.

Agacée par sa propre maladresse et ayant probablement aperçu le rictus en dépit de la


pénombre, elle soupira.

« Pas un mot. » l’avertit-elle.

« Je vois qu’il ne t’a pas fallu bien longtemps pour cesser de jouer les demoiselles
effarouchées qui se cachent derrière le Directeur. » se moqua-t-il. « Tant mieux, ce rôle ne te
va pas. » Il jeta un coup d’œil à Harry. Outre qu’il ne souhaitait pas troubler son sommeil, il
ne désirait pas non plus de témoins pour la discussion qui suivrait. Irrité de sa propre
impotence, il grimaça. « Peux-tu… »

Elle jeta suffisamment de sorts pour s’assurer que personne ne les surprendrait avant même
qu’il ait terminé sa requête. Sa mère rôdait encore dans l’infirmerie… Sans doute ne voulait-
elle pas risquer de mauvaises surprises elle non plus.

La chaise destinée aux visiteurs était vacante mais la jeune femme ne s’y installa pas,
préférant venir se percher à même le matelas, au niveau de son torse, prenant garde à ne pas
le remuer de trop.

D’un coup, ce fut comme si elle perdait toute contenance. Ses yeux gris se remplirent de
larmes et elle tourna et retourna distraitement sa baguette entre ses doigts comme elle en avait
l’habitude lorsqu’elle était nerveuse.

« Je suis désolée… » murmura-t-elle. « Severus… »

« Inutile. » l’interrompit-il.
Elle secoua la tête, une supplique dans la voix. « Je ne savais plus ce que je faisais ce soir
là… Je sais que ce ne sont que des excuses mais… Fol’Œil… Tu comprends, c’est…
C’était… Je ne savais plus ce que je devais croire ou pas. Je n’aurais jamais dû douter de toi.
Je sais que c’est impardonnable. Je sais que j’ai trahi ta confiance. Je sais que… Severus, je
suis tellement, tellement désolée. »

« Ce n’était pas le plus grand moment de fierté pour ta Maison. » commenta-t-il.


« Cependant, j’ai toujours dit que tu aurais eu ta place dans la mienne… »

« Je m’en veux tellement. » murmura-t-elle. « Je sais que j’ai probablement tout foutu en l’air
mais… »

« Cesse ces jérémiades. » grommela-t-il, mal à l’aise. « Je ne te blâme pas. » Ce qui aurait
suffit à un Serpentard mais à voir la culpabilité qui crispait ses traits… Il soupira. « Je te
pardonne, si tu préfères. »

L’espace d’une seconde, elle ne parut pas le croire, puis son visage s’éclaira et elle posa la
main sur sa joue, écartant les mèches sombres de son visage, avant de retracer du pouce l’os
de sa pommette. Il se laissa aller à la caresse par réflexe avant de se reprendre et de se racler
la gorge, agacé d’avoir développé tant d’habitudes en si peu de temps.

« Comment va Lupin ? » lança-t-il, et c’était peut-être cruel mais il prit plaisir à la voir se
figer, surprise sans doute qu’il en sache autant. Le souvenir de la manière dont elle s’était
laissée aller dans les bras du loup alors même qu’elle venait de douter de lui revint, vivace.

Il n’était pas étranger au goût de regret qui lui envahit la bouche.

Elle retira sa main comme si son contact l’avait brûlé et baissa les yeux, les joues rougies. De
honte ou d’embarras, il ne savait trop.

Il prit pitié d’elle.

« Nous ne nous sommes rien promis. » lui rappela-t-il. « Tu ne… »

« Ce n’était qu’un baiser. » lâcha-t-elle, en se passant une main dans les cheveux – châtain, il
ne put s’empêcher de le remarquer. « Peut-être un peu plus, d’accord. Mais il ne s’est rien
passé de plus. Je ne… »

« Tu ne me dois rien, Nymphadora. » l’interrompit-il, peu enclin à entendre les détails. « Tu


es libre. »

Un éclair de douleur passa sur son visage, ses mains serraient sa baguette si fort qu’il craignit
presque qu’elle la brise accidentellement en deux…

« Severus… » souffla-t-elle. « Je t’en prie… »

« Tâche d’être prudente, cependant. » l’interrompit-il, peu enclin à écouter ses excuses. « La
potion Révèle-Loup ne rend pas le loup-garou moins dangereux et, crois le ou non, je n’ai
aucune envie de te voir blessée. »
Ce n’était pas la première fois qu’une femme lui préférait un Maraudeur. La différence était
que, cette fois, il n’avait jamais été suffisamment idiot pour y croire totalement. Il avait
apprécié les moments qu’ils avaient partagés, non seulement ceux qu’ils avaient volés et qui
l’avaient, l’espace d’un instant, aidé à se souvenir qu’il était toujours jeune en dépits du poids
qui pesait sur ses épaules, mais, également, les moments plus incongrus. Les sortilèges qu’il
lui avait appris, souvent un simple prétexte pour la toucher plus longtemps, prétexte au
travers duquel elle voyait clair mais faisait semblant de croire…

« Severus. » insista-t-elle.

Son attitude avait changé, elle semblait presque amusée, à présent. Cela le fit grimacer
d’agacement. Voilà qu’elle se moquait. Il aurait dû s’y attendre…

« Lupin n’est pas beaucoup plus stable qu’il l’était il y a un mois. » cracha-t-il. « Je doute
qu’il te fasse du mal, cependant tu dois comprendre, qu’en acceptant sa part animale… »

« Severus, c’est fini. » l’interrompit-elle.

Il leva les yeux au ciel.

« Oui… » ironisa-t-il. « J’avais saisi sans que tu ais besoin d’expliciter, merci,
Nymphadora. »

« Non. » Elle secoua la tête, un sourire aux lèvres. Et, vraiment… « C’est fini, entre Remus et
moi. Pour de bon, je veux dire. Et, Severus… Je sais ce qu’on avait dit mais… Peut-être qu’à
partir de maintenant on devrait se devoir des comptes. »

Il lui fallut plusieurs secondes pour comprendre ce qu’elle essayait de dire.

« Oh. » lâcha-t-il, d’un ton faussement détaché.

Il ne trouva rien d’autre à dire, pris de cours par un retournement de situation qu’il n’avait
pas vu venir. Qu’une femme le quitte pour un Maraudeur n’était pas sans précédent, qu’une
femme quitte un Maraudeur pour lui…

S’il s’était s’agit de n’importe qui d’autre, il aurait peut-être douté de ses intentions, l’aurait
soupçonnée de chercher à le manipuler ou de vouloir lui jouer un tour cruel… Nymphadora,
cependant, ne cessait de le surprendre et elle avait su faire taire sa méfiance instinctive dès la
première nuit qu’ils avaient passé ensemble.

Elle n’était pas le genre de femme qui prenait plaisir à torturer un homme. Elle ne
s’enorgueillissait pas de ses conquêtes. Elle était sincère. Lorsqu’elle se donnait, elle se
donnait pleine et entière. Il y avait une certaine naïveté chez elle, en dépit de tout, que
Severus trouvait charmante. Une lueur qui attirait sa part de ténèbres. C’était sans doute très
cliché, trop pour lui peut-être, et pourtant, il n’avait aucune envie d’y résister.

« Oh ? » répéta-t-elle, un brin nerveuse.

« Ce n’est pas… » hésita-t-il. « Cela ne me semble pas inacceptable. »


Elle lâcha un soupir qui se disputait au rire et se pencha pour un baiser auquel il se laissa aller
sans regret. Ses lèvres étaient douces et une part de lui s’apaisa à leur contact. Il leva
instinctivement la main pour caresser son visage, oublier l’espace d’un instant que…

Il grimaça et ne put retenir un léger grognement de douleur, ce qui mit un terme aux
effusions.

Elle recula, une expression inquiète sur le visage. « Tout va bien ? »

Ses cheveux étaient à nouveau rose bonbon, remarqua-t-il distraitement, et cela lui fit bien
plus plaisir que la situation ne l’exigeait.

« Peut-être devrais-tu reconsidérer ton choix… » grommela-t-il avec une dérision amère.
« Tu es trop jeune pour t’attacher à un infirme. »

Il fit l’effort de contracter à nouveau son bras pour soulever sa main mais fut incapable de la
garder en l’air bien longtemps. Ses muscles étaient trop douloureux et les soubresauts
imprévisibles de ses doigts bien trop gênants pour qu’il s’entête. Elle captura sa main entre
les siennes, retraçant distraitement ses articulations avec son pouce.

« Ça va forcément s’arranger… » déclara-t-elle. Elle fit de son mieux mais il détecta tout de
même le soupçon d’horreur dans sa voix.

« Pas à en croire ta mère. » répliqua-t-il. « Je devrais m’estimer chanceux de parvenir à tenir


à nouveau une baguette, je suppose. »

« Tu es Maître des Potions. » souffla-t-elle, sans plus s’embarrasser de dissimuler son


trouble. « C’est toute ta vie. »

Et c’était bien la première qui, non seulement comprenait, mais en plus s’en souciait.

« Plus maintenant. » lâcha-t-il avec regret.

Elle secoua la tête. « Et… Ta potion ? Tu travaillais sur une potion qui réparait les effets de
l’Endoloris… »

« Je n’ai jamais eu véritablement le temps de la tester. Elle aurait sans doute besoin
d’ajustements… » répondit-il dans un bref haussement d’épaules qu’il regretta aussitôt parce
qu’il réveilla la douleur dans son torse. « Ta mère refuse de me l’administrer quoi qu’il en
soit. Il semble qu’elle n’ait confiance qu’en des traitements homologués par le Ministère. »

Nymphadora eut une moue agacée. « Tu penses que cette potion pourrait aider ? Sans risquer
de t’empoisonner ? »

« Cela ne coûterait rien d’essayer. » soupira-t-il avec un regard noir pour la main qu’elle
tenait toujours entre les siennes. « Ces tremblements… Une dose de potion tous les jours
pourrait sans doute les réduire… »

Il n’était pas suffisamment idiot ou naïf pour penser pouvoir récupérer le plein contrôle de ses
mains… L’art subtil et précis des potions lui serait désormais inaccessible… Toutefois… Son
objectif était davantage de parvenir à se servir à nouveau de sa baguette avec la même
aisance que par le passé.

« Je vais aller la chercher. » offrit-elle.

Il soupira. « Les protections… »

« Oh, je sais déjouer tes protections… » l’interrompit-elle, balayant l’objection d’un geste de
la main. « Je t’ai vu les poser suffisamment de fois. »

Elle sauta du lit et déposa un bref baiser sur ses lèvres avant de disparaître entre les portes de
l’infirmerie. Il tenta de l’attendre, étudiant la silhouette endormie du Gryffondor, heureux que
le garçon ne se soit pas réveillé car la situation aurait été difficile à expliquer, mais finit par
somnoler, irrité par le peu de contrôle qu’il avait sur son propre corps. Il lui arrivait
habituellement de passer des jours sans dormir, pourtant il était incapable de résister à la
fatigue pesante à cet instant. Il était également tentant de céder au sommeil qui le délivrerait
pour quelques temps de la douleur latente.

« Hey. »

Il sursauta légèrement, rouvrant les paupières, à peine rassuré lorsqu’il se rendit compte, dans
un état second, que ce n’était que la jeune femme. Elle porta la fiole à sa bouche et il en avala
la moitié, toussant légèrement lorsqu’il eut terminé.

« Il n’y en a pas beaucoup. » remarqua-t-elle. « Il faudra trouver quelqu’un pour en


préparer. » Elle hésita. « Est-ce que tu penses que… »

« Non. » coupa-t-il, devinant où elle voulait en venir. « Cela demande plus de dextérité que tu
n’en as. »

« Si je me souviens bien, tu n’as rien trouvé à redire à ma dextérité dernièrement. » bouda-t-


elle brièvement. « Je peux toujours soudoyer Slughorn… »

« Non. » protesta-t-il encore. Slughorn était un excellent Maître des Potions – un piètre
enseignant mais un grand maître – cependant Severus ne lui faisait aucune confiance. Il passa
en revue la maigre liste des élèves qu’il estimait prometteurs qui pourraient contre espèces
sonnantes et trébuchantes – ou quelques points pour leur Maison – lui rendre ce service. Les
jumeaux Weasley auraient été son premier choix car ils étaient probablement ses meilleurs
élèves. Mais les jumeaux étaient trop dissipés et avaient un style personnel déjà prononcé qui
les poussait à ignorer ses instructions pour suivre leur instinct. Cela ne fonctionnerait pas.
C’était sa vie qui se jouait et il devait avoir pleinement confiance. Il devait trouver quelqu’un
qui suivrait ses instructions à la lettre mais saurait s’adapter si le besoin s’en faisait sentir.
Harry avait fait des progrès mais pas à ce point là… Non… Restait… « Granger. »

« Hermione. » confirma-t-elle. « Je m’en occupe. »

« Merci. » lâcha-t-il, renonçant à lutter contre ses paupières trop lourdes qui voulaient se
refermer.
Il sentit la caresse sur sa joue et sourit légèrement, plus franchement qu’il ne l’aurait fait s’il
avait été tout à fait éveillé.

« Tu es vivant, c’est tout ce qui compte. » murmura-t-elle. « Le reste… On trouvera des


solutions pour le reste, je te le promets. Ça va s’arranger. »

Il y avait tellement de conviction dans sa voix…

C’était bien la première qu’il croyait.


Where We Go From There

“So, I guess we are who we are for a lot of reasons. And maybe we'll never know most of
them. But even if we don't have the power to choose where we come from, we can still
choose where we go from there.”
― Stephen Chbosky, The Perks of Being a Wallflower

“Donc, je suppose que nous sommes qui nous sommes pour plusieurs raisons. Et peut-
être qu’on ne saura jamais lesquelles. Mais même si nous n’avons pas le pouvoir de
choisir d’où nous venons, nous pouvons toujours choisir où nous allons. »

― Stephen Chbosky, The Perks of Being a Wallflower

L’enveloppe gisait sur le lit, là où il l’avait jetée, le parchemin froissé à moitié sorti de sa
prison de papier. Harry était plus préoccupé par la manière dont Masque observait fixement
Hedwige qui hululait régulièrement en réponse à cette attention un peu trop soutenue.

« Il va falloir que vous appreniez à vous entendre. » les gronda-t-il.

Le chat remua la queue avec mauvaise humeur mais se désintéressa finalement de sa proie
potentielle pour aller paresser sur son oreiller. Quant à Hedwige, elle laissa échapper un bruit
clairement désapprobateur.

« C’est pas gagné. » commenta Ron.

Harry gratta la tête de sa chouette et lui donna une friandise avant de se tourner vers son
meilleur ami. Assis sur son propre lit, l’autre garçon fixait l’enveloppe du regard, tant et si
bien que le Survivant aurait été incapable de dire s’il faisait référence à ses tentatives de
réconcilier les deux animaux ou à ce que l’invitation impliquait.

Il avait fallu deux jours à Severus pour le convaincre de quitter l’infirmerie et trois pour qu’il
cesse d’y retourner entre chaque cours, concentrant ses visites sur la pause déjeuner et le
diner. Il n’y avait guère eu de place dans son esprit pour autre chose que le Professeur et ce
qui se serait passé si… Il en cauchemardait. Malgré ses meilleurs efforts, malgré
l’Occlumencie, il en cauchemardait.

Et ce qui se passait là-dehors n’aidait en rien.

Il était impossible d’ignorer la guerre. Certes, la vie à Pouldard n’en était pas affectée. Les
horaires étaient les mêmes, les règles étaient un tant soit peu plus strictes – particulièrement
en ce qui concernait les promenades dans le parc à la nuit tombée – mais la guerre planait
tout de même dans l’air. Les visages étaient fermés, les professeurs arpentaient tous les
couloirs d’un pas guindé, McGonagall avait perpétuellement l’air anxieux et Dumbledore
s’enfermait dans son bureau lorsqu’il n’était pas à Londres pour conférer avec le Ministre. Le
printemps était là mais le temps demeurait lourd et pluvieux, le ciel nuageux et gris – la faute
à la présence massive de Détraqueurs aux quatre coins du pays.

Les murmures étaient probablement le pire.

Les rumeurs les plus extravagantes et alarmantes circulaient au point qu’il était impossible de
démêler le vrai du faux. Voldemort aurait été vu ici, les Mangemorts auraient attaqué là…
Tous les jours, une nouvelle histoire faisait surface, obligeant les quelques Aurors
expérimentés encore en vie à aller enquêter. Harry avait cessé de compter le nombre de fois
où Tonks et Kingsley Shacklebolt avaient fait la une de la Gazette, cette semaine là,
démentant une énième apparition supposée.

Voldemort ne s’était pas montré.

Les Mangemorts se tenaient tranquilles.

Personne ne savait pourquoi.

Lorsqu’il l’avait interrogé, Severus avait balayé l’air de sa main tremblante et lui avait
ordonné de réfléchir. Harry avait rétorqué qu’il aurait été beaucoup plus simple pour lui
d’attaquer le Ministère maintenant. Le Professeur avait levé les yeux au ciel et soupiré, avant
de décréter qu’un seul mois avec des Gryffondors avait gommé tout son enseignement.

Harry était parti contrarié, ce soir là, mais il était revenu le lendemain matin avec une réponse
plus appropriée. Tout le monde s’attendait à ce que Voldemort attaque. En demeurant à
Azkaban, le mage noir créait un climat d’angoisse, la certitude que la frappe était imminente
plus terrible que l’attaque en elle-même.

Le pays tout entier retenait son souffle.

« On n’a pas le choix. » soupira-t-il, attrapant à la va-vite les livres qu’ils étaient venus
chercher avant le début des cours. Il les fourra dans son sac, sans se préoccuper des
parchemins qu’il froissait. Les Professeurs n’avaient que le mot B.U.S.E.s à la bouche,
comme si les examens étaient encore la priorité de qui que ce soit – sauf peut-être
d’Hermione. « Il faut qu’on sache combien il y a de… » Il baissa la voix et jeta un coup d’œil
à l’escalier puis aux portraits qui ornaient les murs par habitude. « Tu-sais-quoi. »

Ron l’étudia pensivement du regard puis haussa les épaules.

« Donc, on s’en tient au plan ? » insista son meilleur ami. « Vous allez à la soirée, tu traines à
la fin… Et tu lui demandes ? »

Ce n’était pas idéal, Harry était bien d’accord. Dumbledore était persuadé que sa relation
avec Lily était la clef qui permettrait d’atteindre Slughorn mais il était un peu plus réservé sur
le sujet. Hermione n’était pas totalement certaine que cela fonctionnerait non plus. Il avait
passé suffisamment de temps à Serpentard pour n’être que trop conscient que ce plan
manquait de finesse et que le vieux Maître des Potions était bien trop malin pour s’y faire
prendre.
« C’est un dîner. » hasarda-t-il. « On fera en sorte qu’il boive. »

Une nouvelle fois, Ron haussa les épaules. Ce n’était pas vraiment comme s’ils avaient le
choix de toute manière. Ils attrapèrent leurs sacs et dévalèrent l’escalier qui menait à la salle
commune, peu enclin à arriver en retard en Métamorphose.

« Et pour Malfoy, on fait quoi ? » soupira Ron, alors qu’ils passaient le portrait de la Grosse
Dame.

« Il a dit qu’il pouvait se débrouiller… » hésita Harry, sans pour autant chercher à dissimuler
la touche d’inquiétude dans sa voix. « Je pensais que… » Il laissa sa phrase en suspens.
Accompagner Malfoy dans les cachots, se montrer en sa compagnie aussi souvent que
possible… Il avait espéré que le jeu en vaudrait la chandelle, que cela offrirait une protection
tacite au Serpentard. À l’évidence, il s’était fourvoyé. « Attends qu’Hermione le voit. »

Les deux Gryffondors grimacèrent simultanément.

°°O°°O°°O°°O°°

« Tu dois les dénoncer. » grinça-t-elle pour la centième fois.

Comme pour l’irriter davantage, Draco poussa un soupir ennuyé.

« Je te l’ai dit. » répondit-il. « Le problème est réglé. »

Et par là, supposait-elle, il voulait dire que lui et Blaise avaient battu leurs adversaires et les
avaient laissés enfermés au fin fond d’un placard de leur salle commune comme s’il s’agissait
toujours de quelques farces juvéniles et non de Mangemorts en devenir qui désiraient ‘lui
donner une leçon’. L’hostilité des Serpentards à son égard ne cessait d’augmenter et il n’avait
plus le poids de son nom pour le protéger.

Elle s’immobilisa au milieu du couloir désert, frappée une nouvelle fois par le fait qu’ils
n’étaient pas aussi en sécurité au sein de Poudlard qu’elle aimait à le croire.

« Je n’ai rien, Granger. » insista-t-il.

Ses doigts effleurèrent sa paume mais elle retira sa main avant qu’il ait pu la prendre. Elle
retraça du bout des doigts l’hématome sur sa joue, agacée de sentir son cœur s’emballer dans
sa poitrine. Il avait raison, ce n’était rien… Et pourtant…

L’idée que deux septième année puissent lui tomber dessus alors qu’il était dans la salle de
bain… Il n’avait pas véritablement fourni de détails mais elle pouvait parfaitement imaginer
la scène. Il avait été vulnérable, sa baguette certainement pas à portée, et sans l’arrivée
providentielle de Zabini…

Elle doutait qu’ils l’auraient assassiné. C’était aller trop loin. Il y avait peu de chances de s’en
tirer avec un meurtre sans se faire prendre au sein d’une école verrouillée mais… Ils auraient
pu le blesser beaucoup plus sérieusement qu’il ne l’était.
« Demande à McGonagall si elle peut te transférer dans un autre dortoir. » murmura-t-elle –
supplia-t-elle presque – pour ce qui semblait être la millième fois depuis l’attaque de l’Allée
des Embrumes. « Elle sera d’accord. Elle… »

« Nous en avons déjà discuté. » l’interrompit-il d’un ton ferme. « Crois-moi, s’il était temps
de prendre la fuite, je le ferais et sans me retourner. Mais nous n’en sommes pas là. J’ai un
nom et un héritage à défendre, Granger. Il ne sera pas dit que deux brutes effrayent l’héritier
des Malfoys. »

« Ton père t’a renié. » lui rappela-t-elle, sans malice. Elle ne voulait pas le blesser mais…

« Renié, pas déshérité. » corrigea-t-il. Ses traits s’adoucirent et il se pencha, déposant un


baiser sur ses lèvres. Ce n’était pas grand-chose, à peine une caresse, mais cela suffit à la
distraire. Ce qui était sans aucun doute son intention. « Et ce n’est, de toute manière, pas le
sujet de cette dispute. »

Elle leva les yeux au ciel et le repoussa suffisamment pour reprendre sa route, ajustant son
sac sur son épaule. « Ce n’est pas une dispute. »

« Oh, si, ça l’est. » se moqua le Serpentard, en lui emboîtant le pas, refusant de se laisser
distancer.

« Draco, je ne vois pas en quoi cela te concerne. » riposta-t-elle, avec agacement. « Si tu


n’avais pas lu par-dessus mon épaule… »

« Si je n’avais pas lu par-dessus ton épaule, tu serais partie seule te jeter dans la gueule du
loup, ou plutôt du serpent dans le cas qui nous occupe, sans une seule hésitation. » cingla-t-il.
« À croire que tu n’apprends jamais de tes erreurs. Tu… »

Il s’interrompit brusquement lorsque deux Poufsouffles de troisième année déboulèrent au


détour du couloir, à bout de souffle et probablement inquiets d’être en retard.

« On ne court pas dans les couloirs ! » les rappela-t-elle à l’ordre machinalement. « Cinq
points en moins. »

« Chacun. » ajouta-t-il.

Les adolescents grommelèrent mais ralentirent leur course.

Hermione trouva cela sévère mais Draco aimait user et abuser de ses pouvoirs de préfet. Une
dispute à la fois, décida-t-elle.

« La lettre venait de Tonks. » déclara-t-elle fermement. « Tu l’a vu comme moi. »

Il n’avait pas fait exprès de lire par-dessus son épaule, du moins elle ne le pensait pas. Elle
avait été en train de le sermonner pour ne pas être aller trouver un professeur lorsque le
courrier était arrivé. Un hibou lui avait déposé l’invitation à la soirée de Slughorn et il avait
cru que c’était l’enveloppe qu’elle était en train d’ouvrir.

La note de Tonks était courte, il l’avait parcourue avant d’avoir réalisé son erreur.
Si Hermione avait su, elle aurait attendu pour la lire ou l’aurait mieux dissimulée.

« C’est ce que disait la signature. » répondit-il, d’un ton dubitatif. « Mais une signature se
forge. » Elle ouvrit la bouche mais il éleva la voix avant qu’elle ait pu argumenter. « Tout
comme une écriture. » Il secoua la tête. « Pourquoi ma cousine t’enverrait-elle voir Snape ?
Que pourrait-il bien te vouloir ? Et pourquoi tant de discrétion ? Cela ne me dit rien qui
vaille. »

C’étaient des questions qu’elle s’était posées elle-même durant les quelques secondes qu’il
avait fallu à Draco pour déclarer qu’elle ne devait pas y aller et surtout pas seule, que cela
pourrait très bien être un piège. Toutefois, elle avait pris sa décision sans une hésitation.

« Elle doit avoir ses raisons et je veux les entendre. » soupira-t-elle.

La lettre disait de se rendre à l’infirmerie avant le début des cours, seule, et sans attirer
l’attention si possible, parce que Snape souhaitait la voir.

« Pourquoi ne t’a-t-il pas écrit directement ? » insista pertinemment Draco. « Pourquoi ne pas
t’avoir fait demander par un autre Professeur ? »

Que la lettre vienne de Tonks était étrange, en effet. Quel lien la jeune Auror pouvait-elle
bien avoir avec le Maître des Potions ? Elle n’en voyait qu’un: l’Ordre. Et s’il s’agissait de
l’Ordre, la discrétion était de mise.

Elle avait songé à stupéfier Draco et à le cacher dans une salle vide, quitte à s’excuser plus
tard, mais elle n’avait pas le courage de lever sa baguette contre lui.

Elle avait décidé que Snape saurait quoi faire pour le convaincre de les laisser seul.

« Peut-être que c’est une farce des jumeaux. » admit-elle. « Dans tous les cas, si la lettre n’est
pas authentique, ça ne peut pas être bien méchant. Que veux-tu qu’il m’arrive dans
l’infirmerie ? »

Le visage de l’adolescent s’assombrit.

« Snape. » lâcha-t-il. Ils arrivaient en vue des grandes portes qui menaient au domaine de
Pomfresh et il lui attrapa le bras, mortellement sérieux à présent. « Il est dangereux. »

Plus maintenant, songea-t-elle avec une touche de regret. Pas à en croire Harry du moins.

L’état du professeur n’avait pas été rendu public, cependant, donc elle tint sa langue.

« Harry lui fait confiance. » argua-t-elle. « Je lui fais confiance. »

« C’est une erreur. » cracha-t-il. « Je ne sais pas comment il s’est attiré les bonnes grâces de
Potter mais je suis certain d’une chose : il n’y a pas plus Serpentard que Severus Snape. Et je
ne l’ai jamais vu douter de son engagement pour le Seigneur des Ténèbres. Jamais. »

« C’était un espion. » contra-t-elle avec impatience. « C’était son travail. Et tu viens de le


dire… Il n’y a pas plus Serpentard que lui. C’était sans doute le meilleur espion qu’on
pouvait avoir. »

« Peut-être que nous ne l’avons jamais eu. » murmura-t-il, jetant un coup d’œil nerveux
alentour. « Cela t’a-t-il effleuré l’esprit ? Peut-être qu’il est un excellent espion… Une
échappée miraculeuse… Il revient à moitié mort… Potter lui mange dans la main… Qui va
douter de lui à présent ? »

Son regard gris était vrillé au sien, attendant sa conclusion. Les Serpentards étaient
paranoïaques de nature, pourtant elle ne pouvait nier que…

Elle secoua la tête.

« Harry lui fait confiance. » répéta-t-elle. « Tu ne sais pas… Tu n’en sais pas la moitié. »

Son expression se durcit.

« Si Saint Potter lui fait confiance… » siffla-t-il avec ressentiment et une légère amertume.
« Qui suis-je pour le contredire ? »

Elle pinça les lèvres et attrapa sa main, serrant brièvement ses doigts.

« Tu comptes pour moi. » protesta-t-elle. « Ce que tu penses compte. Mais… » Elle hésita.
« Draco, j’ai plus d’informations que tu n’en as. »

« Peut-être. » gronda-t-il, dans un haussement d’épaules. « Mais je le connais. Et si tu refuses


d’être prudente alors je le serais pour toi. Si tu veux voir Snape en privé, je reste avec toi
jusqu’à ce que je sois certain que tu sois en sécurité. »

« De quoi as-tu peur ? » soupira-t-elle. « Même si tu as raison… Il ne peut rien me faire en


plein milieu de l’école. »

« Imperio ne prend qu’une seconde à jeter. » contra-t-il, serrant à son tour sa main. « Je
t’accompagne, Granger, ce n’est pas négociable. »

Elle laissa échapper un bruit irrité mais finit par lever les yeux au ciel. Il n’y avait pas plus
buté que Draco Malfoy lorsqu’il décidait qu’il désirait quelque chose. Quoi qu’elle fasse, il
trouverait un moyen de la suivre.

À contrecœur mais sachant qu’elle n’avait d’autre choix si elle voulait voir le Professeur
avant le début des cours, elle entrebâilla la porte de l’infirmerie. Tout semblait calme à
l’intérieur. Tonks avait été très claire dans sa missive, cependant : il était nécessaire, dans la
mesure du possible, de ne pas se faire surprendre par Pomfresh.

Décidant que l’hématome sur la joue de Draco serait une excuse comme une autre, elle se
glissa à l’intérieur aussi silencieusement qu’elle le put. L’infiltration n’avait jamais été son
fort et, si Tonks avait eu la bonne idée de la prévenir la veille, elle aurait eu la présence
d’esprit d’emprunter la cape d’invisibilité.

Un léger coup sur son épaule la fit se retourner vers le Serpentard… qui n’était plus là. Elle
eut l’impression étrange qu’un filet d’eau ruisselait sur elle et, lorsqu’elle baissa les yeux vers
sa main, elle distingua les dalles au travers.

Le sortilège de désillusion n’était pas parfait, les contours de leurs silhouettes étaient
grossiers et ne tromperaient personne beaucoup plus d’une minute, mais c’était plus de
présence d’esprit que ce dont elle avait fait preuve.

Ils avancèrent à pas de sioux le long de l’allée centrale, se dirigeant d’un accord tacite vers le
lit du fond qui était entouré de rideaux tirés et, donc, imperméable aux regards.

Hermione jeta un coup d’œil en direction du bureau mais l’infirmière ne semblait pas être là.

Ils atteignirent le rideau sans encombre et elle se glissa à l’intérieur de la zone cloisonnée.
Snape gisait sur son lit, le teint cireux, étrangement diminué dans le pyjama standard de
l’infirmerie. Les paupières du Professeur s’ouvrirent immédiatement et ses yeux fixèrent
l’endroit exact où elle se tenait.

Il ne fit, pourtant, aucun geste vers la baguette en bois noir posée sur la table de nuit.

« Qui est là ? » siffla-t-il. « Montrez-vous. »

Elle lança un finite et hésita.

« Professeur. » le salua-t-elle d’un hochement de tête. « Je ne voulais pas vous déranger. J’ai
reçu une lettre qui… »

« Vous deviez venir seule. » remarqua-t-il, son regard fixé sur un point derrière son épaule.
Elle réalisa, avec un temps de retard, que Draco tardait à rompre son propre sortilège. Il fallut
plusieurs secondes avant que le Serpentard n’admette la défaite et n’apparaisse à leur vue.
Snape parut plus amusé que contrarié. « Mr Malfoy, bien sûr. Que craigniez-vous donc,
Draco ? Que j’assassine votre petite-amie ? »

« L’idée m’a traversé l’esprit. » rétorqua calmement Draco, d’un ton badin.

Au lieu d’en prendre ombrage, Snape eut une moue approbatrice.

« Il est de bon ton d’être prudent de nos jours. » commenta le professeur. « La confiance est
un luxe que nous pourrions bien payer de nos vies. » Son expression se durcit. « C’est
pourquoi vous comprendrez sans mal, Draco, que votre présence est inopportune. »

Draco ne répondit pas immédiatement et le silence s’étira le temps que le Maître des Potions
tente de se redresser. Il y parvint tant bien que mal, avec de telles évidentes difficultés que le
regard d’Hermione se dirigea automatiquement sur les mains pressées contre le matelas.
Snape serrait les poings mais, même ainsi, il était impossible de rater les tremblements
qu’Harry avait mentionnés.

Elle fut incapable de dissimuler son malaise. Harry ne semblait pas tout à fait se rendre
compte de ce que cela impliquait, trop heureux que l’homme ait survécu, mais Hermione,
elle… Hermione ne pouvait s’empêcher de penser à ce que l’art des potions avait de délicat et
précis.
Elle se dépêcha de rediriger son regard vers le visage du Professeur mais c’était trop tard. Il
avait remarqué son coup d’œil et elle n’avait probablement pas caché sa compassion avec
autant de soin qu’elle l’aurait dû.

« Gardez votre pitié, Granger. » siffla l’ancien espion. « Ce n’est pas pour cela que je vous ai
convoquée. » Les yeux noirs se déplacèrent vers le Serpentard qui se tenait derrière elle avec
entêtement. « Draco. »

L’ordre était clair mais le cinquième année refusa d’une secousse de tête paresseuse. « Je
reste. »

Cela déplut très visiblement à Snape, toutefois l’homme, après avoir étudié attentivement le
Serpentard, accepta sa décision d’un battement de cils.

« Tant qu’il est tout à fait clair entre nous que si, par le plus grand des hasards, il m’arrivait
malheur, Nymphadora Tonks saurait où orienter son enquête, tout aussi naturelle que ma mort
puisse paraître… » exposa calmement le Professeur.

Hermione fronça immédiatement les sourcils. « Professeur… »

« Il y a un carnet dans le tiroir de la table de nuit, Miss Granger. Prenez-le. » l’interrompit-il


d’un ton péremptoire.

Elle s’exécuta, trop consciente que Draco scrutait le moindre de ses geste, prêt à dégainer sa
baguette s’il s’agissait d’un piège quelconque. Paranoïaque, songea-t-elle avec affection. Et
par les temps qui courraient, il n’avait probablement pas tort de l’être. Elle faisait confiance à
Snape, cependant, parce qu’elle avait une confiance totale en Harry.

Elle ouvrit le carnet avant que le Professeur ne l’y invite, trop curieuse de ce qu’elle y
trouverait. Les pages étaient vierges. Elle jeta un regard inquisiteur à l’ancien Mangemort.

Au prix d’une concentration extrême, l’homme tendit un de ses poings fermés vers la table de
nuit. Il s’humecta les lèvres et prit plusieurs profondes respirations avant de déplier les doigts
et d’attraper sa baguette. Il dût s’y reprendre à deux fois et elle détourna pudiquement les
yeux devant cette vulnérabilité dérangeante qu’il ne pouvait parvenir à dissimuler.

Derrière elle, Draco se détendit, comprenant peut-être finalement qu’il ne s’agissait pas d’une
mise en scène et que Snape était bien qui il disait être : un espion démasqué.

« Approchez. » ordonna froidement l’homme, très visiblement furieux de ne pas avoir mieux
dissimulé son infirmité.

Elle approcha donc, prenant garde de ne pas croiser son regard. La main qui ne peinait pas à
garder une prise sur sa baguette enserra son poignet.

Le temps que Draco réagisse, il était trop tard.

Snape avait pressé sa propre baguette sur sa main et marmonné un sort qu’elle n’avait jamais
entendu avant.
« Non. » cingla-t-elle, lorsque son petit-ami énonça les premières syllabes d’un expelliarmus
hâtif. « Je n’ai rien. »

« Bien sûr que non. » cracha Snape avec un amusement amer. « Si j’avais voulu assassiner
une élève, croyez-vous que je m’y prendrais de la sorte et en plein jour, Draco ? »

Hermione se désintéressa de la réplique acerbe du Serpentard, elle venait de rouvrir le carnet


et ne put contenir un petit cri de surprise. Les pages étaient à présent remplies de l’écriture
pointue de serrée du Professeur. Il s’agissait très clairement de recherches. Des pages et des
pages de recherches sur…

« C’est un projet de potion ? » devina-t-elle.

« Elle est au stade de prototype. » corrigea Snape. « Les instructions exactes sont à la fin.
Toutefois, il serait bon que vous lisiez l’intégralité du processus. Miss Tonks a noté à la fin
les corrections que je pense bon d’apporter à la recette finale. »

Elle feuilleta le carnet jusqu’à trouver l’écriture familière de l’Auror. C’était succin.
Augmenter la valériane…

« Les quantités ne sont pas spécifiées… » remarqua-t-elle.

« Il nous faudra expérimenter, je le crains. » répondit Snape avec amertume.

« Nous ? » releva-t-elle, légèrement surprise. L’explication était évidente, cependant. Il avait


besoin que quelqu’un s’occupe de la partie pratique.

Draco fronça les sourcils. « Si vous avez besoin que quelqu’un prépare une potion, pourquoi
tout ce secret ? Pourquoi ne pas demander à Slughorn ? » Snape leva un sourcil moqueur et le
Serpentard grimaça. « Soit. Dans ce cas, pourquoi pas quelqu’un d’autre ? Dumbledore
ou… »

« Vous seriez surpris d’apprendre que de nombreux Médicomages rechignent à utiliser une
potion non-homologuée par le Ministère. » grinça Snape. « Or il se trouve que j’ai un besoin
urgent de celle-ci. »

« Oh ! » s’exclama Hermione, après avoir avidement parcouru quelques pages. « Cette potion
devrait contrer les effets de l’endoloris. »

Le professeur eut l’air contrarié. « Si vous comptez le crier sur tous les toits, Miss, autant
autoriser Draco lui aussi à accéder à mes recherches. »

« Ce n’est pas la pire idée du monde. » rétorqua le Serpentard. « Nous formons un bon
binôme en Potions et il me semble qu’il vaudrait mieux mettre toutes les chances de votre
côté. »

Il jeta un coup d’œil dubitatif aux mains du Professeur.

« L’avez-vous déjà testée ? » s’enquit Hermione, les yeux rivées sur les pages du carnet.
« Est-ce qu’elle fonctionne ? Si ça marche… Le nombre de gens coincés à Sainte Mangouste
parce que… »

« Merci, Granger. Je n’ai guère besoin d’un cours sur les vies que l’Endoloris a gâché. »
l’interrompit sèchement Snape. Il était évident que demander l’aide d’une élève lui coûtait
énormément. Sa mâchoire était contractée et ses poings à nouveau serrés. « La formule n’est
pas encore parfaite, toutefois l’efficacité est indéniable. » Il leva le bras et, après plusieurs
profondes inspiration, déplia les doigts. Sa main tremblait énormément mais, au bout de
plusieurs secondes, elle se stabilisa légèrement. Ses doigts tremblotaient toujours pourtant et
il finit par laisser retomber son bras avec une grimace de frustration. « Il y a trois jours j’étais
incapable de seulement bouger les doigts. »

« C’est fascinant. » déclara-t-elle, impatiente déjà de se mettre au travail. Flattée, aussi, que
Snape ait pensé à elle pour préparer une potion aussi cruciale alors qu’il y avait probablement
des élèves plus compétents, du moins sur le papier.

« Cela ne devrait pas se révéler beaucoup plus complexe que de préparer un chaudron de
polynectar dans les toilettes des filles. » commenta Snape, pince-sans-rire.

Elle eut le bon ton de rougir.

°°O°°O°°O°°O°°O°°

Sirius observa Ginny se hisser dans les branches basses d’un arbre avec un sourire
d’approbation puis reporta bien vite son attention sur le groupe de quatrième année attroupé
près du lac, plus ou moins bien dissimulé derrière les rochers. De là où il se tenait, il pouvait
parfaitement apercevoir le brassard bleu qui les identifiait comme faisant partie du groupe
d’Astoria.

Le groupe rouge, sous les ordres de Ginny, progressait lentement mais sûrement, les visages
couverts de boue et les uniformes sciemment salis pour mieux se fondre dans le décors.

Il avait réparti équitablement les Serpentards et les Gryffondors dans chacun des groupes et
leur avait fourni les brassards avant de les disperser dans le parc du domaine avec pour seule
consigne de se servir de tout ce qu’ils avaient appris jusque là pour neutraliser et capturer
l’ennemi.

« Intéressant choix de chefs d’équipe. » commenta Remus, en se glissant à sa droite.

« Pas les miens. » répondit-il dans un haussement d’épaules.

Il n’était pas surpris que Ginny se soit rapidement imposée comme le leader du groupe rouge
mais avait été plus étonné de voir le groupe bleu se rallier autour d’Astoria.

Greengrass était discrète, beaucoup plus que sa sœur, et il ne se rappelait pas avoie entendu le
son de sa voix, que ce soit en cours ou durant une des réunions de l’AD.

« C’est un type d’exercice un peu… poussé pour des quatrième année. » remarqua Remus,
les sourcils légèrement froncés. « Ce sont des élèves, pas des soldats, Sirius. Si
Dumbledore… »
« Snape a approuvé mes changements à son curriculum. » le coupa-t-il. « Et si ça leur permet
de survivre à cette guerre, je ne pense pas que Dumbledore trouvera quoi que ce soit à y
redire. »

Il résista à l’envie d’allumer une cigarette – McGonagall avait été on ne peut plus claire quant
à ce qui lui arriverait si elle le surprenait en train de fumer devant les élèves – et jeta un coup
d’œil agacé à Remus. La tension entre eux était toujours perceptible et certainement pas
atténuée par cette aura d’autorité qui irradiait désormais du loup-garou. Sirius ne pouvait
s’empêcher de penser que Remus cherchait toujours à lui imposer sa volonté et ne parvenait
pas à comprendre qu’il n’avait rien à faire de toutes ces idioties de meute et d’alpha et d’il ne
savait quoi encore.

« Je ne savais pas que tu avais repris l’entraînement d’Harry… » hasarda-t-il, parce que
c’était la seule explication qu’il voyait à la présence de Remus dans le parc en ce froid après-
midi de printemps. Remus passait généralement son temps au QG à coordonner l’Ordre et à
rassembler autant de renseignements que possible sur la position des Mangemorts.

« Pas encore. » soupira son meilleur ami en se frottant les yeux. « Le temps me manque et il a
d’autres préoccupations. »

À savoir passer tout son temps libre au chevet de Snape.

« Je vois. » marmonna-t-il. Ce n’était pas une raison pour relâcher l’entraînement. Au


contraire, avec la guerre qui planait dans l’air, il devenait plus crucial que jamais qu’Harry
apprenne à se battre au maximum de ses capacités et il était certain que Snape partagerait son
idée. Si Remus n’avait pas le temps, il s’en chargerait lui. « Que fais-tu ici, alors ? Une
urgence ? »

Ça ne pouvait pas être si urgent que ça, néanmoins, parce que le loup-garou ne semblait pas
pressé. Les yeux ambres suivaient la progression du groupe rouge avec un amusement
certain. Le groupe bleu ne semblait toujours pas s’être aperçu qu’ils étaient sur le point d’être
attaqués…

« Je voulais parler à Severus. » déclara Remus avec une nonchalance un peu forcée. « La
pleine lune n’est pas bien loin. »

Sirius éclata presque de rire, sans toutefois être très amusé.

« Snape ne va pas préparer ta potion Révèle-Loup, Lunard. » cingla-t-il. « Tu vas devoir te


contenter de la bonne vieille potion Tue-Loup, j’en ai peur. Si tu demandes à Slughorn… »

Une lueur agacée passa dans le regard de son meilleur ami. « Il me faut la nouvelle potion.
Suffisamment pour Laura et moi… Tu ne te rends pas compte… La potion Tue-Loup… Non,
Sirius, il me faut la potion Révèle-Loup. »

Il n’aimait pas beaucoup la convoitise qu’il percevait dans la voix de son ami, la touche
sauvage qu’il avait toujours attribuée au loup… Une nouvelle fois, il ne put s’empêcher de
penser que cette nouvelle potion n’était pas la bénédiction que Remus ne cessait de décrire.
Depuis que le loup-garou l’avait avalée… Certes, Remus était bien plus en paix avec lui-
même et semblait bien moins fatigué et diminué. Sirius aurait été bien à mal de nier que son
meilleur ami était même en bien meilleure forme qu’il ne l’avait jamais vu. Et pourtant… Et
pourtant, finalement accepter la malédiction l’avait également changé sur d’autres points. Des
points que Sirius n’était pas certain d’apprécier.

« Severus n’est pas en état de préparer quoi que ce soit. » cracha-t-il, un tant soit peu sur la
défensive.

Sans que quiconque en ait réellement discuté, l’état de Snape n’avait pas été partagé avec
l’Ordre. À sa connaissance, seuls McGonagall, Dumbledore, Andy, Pomfresh, Tonks et lui
connaissaient précisément l’étendue des dégâts. Pour les autres… Eh bien, Snape était
gravement blessé et était cloué au lit pour l’instant. Les détails avaient été passés sous
silence. Personne ne voulait que Voldemort en apprenne davantage par le biais de ce
mystérieux espion.

L’Ordre était, de toute manière, dispersé. À en croire les quelques missives qu’il avait
échangées avec Nyssa, l’ambiance au QG était oppressante. La suspicion allait bon train et
Sirius était heureux de pouvoir rester à Poudlard. Il n’était pas certain qu’il aurait
véritablement supporté de demeurer enfermé au Square Grimmaurd à fixer les murs du regard
en se demandant qui de ses amis les avait trahis ce coup-ci.

L’éclat sauvage dans les yeux de Remus se fit plus prononcé et un frisson mauvais descendit
le long de l’échine de Sirius. S’il avait été sous forme canine, ses poils se seraient hérissés.

« Depuis quand l’appelles-tu Severus ? » demanda le loup-garou.

Était-ce de la jalousie dans sa voix ?

Sirius s’efforça de ne pas laisser son irritation l’emporter. Il n’avait pas apprécié la manière
dont Remus avait forcé Laura à voler la potion et il n’avait pas non plus apprécié la manière
dont il avait traité Tonks mais… Remus restait son meilleur ami.

« Écoute… Snape n’est pas en état de faire quoi que ce soit. » répéta-t-il, un peu moins
agressivement. « Je lui demanderai s’il veut bien passer la formule à Slughorn. »

« Je peux le lui demander moi-même. » contra Remus avec un léger froncement de sourcils.
« Je suis venu jusque ici… »

Sirius garda le silence quelques instants, feignant d’être plus passionné par l’avancée des
quatrième année qu’il ne l’était réellement.

« Les visites de Snape sont limitées. Uniquement les personnes essentielles. » expliqua-t-il,
au moment où Ginny hurla l’ordre d’attaquer.

C’était un petit mensonge. L’accès à la partie de l’infirmerie où était Snape était


véritablement restreint, Pomfresh y veillait, mais aucun ordre n’avait été donné en ce sens.

« Et tu es une personne essentielle au bon rétablissement de Snape maintenant? » se moqua


Remus sans aucune touche d’humour. La jalousie était pleinement assumée, à présent.
« Qu’en est-il de Dora ? La dernière fois que Charlie est passé au QG, il m’a dit qu’elle
venait tous les jours au château… »

« Elle coordonne la surveillance de Pré-au-Lard et de Poudlard entre le Département des


Aurors et McGonagall. » rétorqua Sirius. « McGonagall est souvent à l’infirmerie… Je ne
crois pas qu’elle vienne le voir lui tous les soirs. »

Qu’est-ce que sa cousine aurait pu avoir à dire à Snape aussi souvent ? C’était stupide. Il était
plus probable qu’elle cherche à voir sa mère et Andy, comme McGonagall et Harry, était
devenue, au grand dam de Pomfresh qui se plaignait d’être envahie, un visage récurent à
l’infirmerie.

Remus laissa échapper un bruit moqueur mais, avant que Sirius ait pu lui demander quelle
mouche l’avait encore piqué, le groupe bleu prit le dessus sur celui de Ginny. Il s’avéra que le
plan d’Astoria avait été de feindre être surprise par l’attaque uniquement pour retourner
l’effet de surprise.

Et ce fut efficace.

Bien que Ginny remportât son duel contre Astoria, le groupe rouge fut écrasé par le groupe
bleu.

« Excellent ! » s’exclama-t-il avec un grand sourire. Il claqua des mains et les frotta l’une
contre l’autre avec satisfaction avant de faire signe à ses élèves de revenir vers lui. « Excuse-
moi, mais… »

« Vas-y. » offrit Remus.

Sirius aurait préféré que cela ne sonne pas autant comme s’il lui donnait la permission de
couper court à la conversation.

Il fallut plusieurs minutes et tout un tas de finite et de légers sorts de soin avant que Sirius ait
pu ramener les quatrième année dans sa salle de classe. La cloche sonna avant qu’ils aient pu
réellement débriefer mais il leur rendit leur liberté d’un geste de la main, lançant un clin d’œil
amusé à Ginny qui ne se remettait pas de la défaite cuisante qu’Astoria venait de lui infliger.

Il embrassa la salle de cours vide du regard, les mains sur les hanches, et se dit que,
décidément, enseigner était bien plus amusant que ce à quoi il s’était attendu.

°°O°°O°°O°°O°°O°°

Harry quitta la pièce, fulminant de sa propre idiotie et, plus encore, de celle de Dumbledore.

La vue de Malfoy et Hermione enlacés contre le mur un peu plus loin n’améliora pas son
humeur mais il fit un effort, occludant une bonne partie de son irritation.

« Vu ton expression, j’en déduis que tu n’as pas obtenu ce que tu souhaitais. » se moqua
Malfoy avec un de ses horripilants sourires en coin.

Hermione, elle, grimaça. « Je t’avais dit que ça ne serait pas aussi simple. »
Évidemment, que ça n’allait pas être aussi simple, songea Harry. Néanmoins, il avait dû subir
un long et pénible dîner durant lequel Slughorn l’avait plus ou moins subtilement interrogé
sur ses relations avec Severus et sur ce qu’il savait de l’espion – un sujet qui l’intriguait
visiblement beaucoup – ne cessant cette ligne d’investigation que pour s’intéresser à Malfoy
et sa tutrice. Ce qui pouvait tant fasciner Slughorn au sujet de Tonks demeurait un mystère.

De guerre lasse et à cours d’idées – et parce qu’il était certain que c’était ce que Dumbledore
attendait de lui – il avait attendu la fin de la réunion du Club de Slug, avait trainé le temps
que les autres élèves quittent la pièce puis avait demandé, exactement comme Tom Jedusor
l’avait fait des années auparavant : Que savez-vous des Horcruxes, Professeur ?

Comme Harry l’avait pressenti, l’attaque frontale s’était soldée par un échec. Slughorn s’était
braqué, l’avait accusé de conspirer avec Dumbledore et, lorsque Harry s’était hasardé à
croiser son regard, il avait dressé des boucliers mentaux si puissants que le Survivant avait
levé les mains et accepté la défaite.

Ce n’était pas ainsi qu’il convaincrait Slughorn.

Avec un soupir, il haussa les épaules. « Ça valait le coup d’essayer. » Il jeta un coup d’œil à
Malfoy qui se tenait là, silencieux et impassible, mais ne ratait pas une miette de la
conversation. Ce n’était pas qu’il doutait des allégeances du Serpentard, plus maintenant,
mais il était impératif que l’existence des horcruxes demeure secrète. « Je vais passer à
l’infirmerie… Tu retournes à la salle commune ? »

Hermione secoua la tête. « J’ai quelque chose à faire… »

Il leva les sourcils en guise d’interrogation mais elle n’expliqua pas davantage et, étant donné
que sa main semblait être greffée à celle de Malfoy, il décida qu’il ne voulait pas savoir.

Ils se séparèrent au bout du couloir. Harry hésita à suggérer que le Serpentard ferait peut-être
mieux de dormir dans leur salle commune afin d’éviter une autre embuscade de Mangemorts
en devenir mais ravala la proposition au dernier moment. Malfoy avait quelque chose à
prouver et il ne comprenait que trop bien son refus de céder face à la tyrannie toute relative
des Serpentards plus âgés.

La porte de l’infirmerie grinça lorsqu’il la poussa et le bruit raisonna si fort dans le silence
nocturne qu’Harry renonça à toute discrétion lorsqu’il traversa la pièce en direction de
l’espace cloisonné par des rideaux tout au fond. À peine s’arrêta-t-il devant la porte du
bureau de Pomfresh pour la saluer d’un signe de tête. L’infirmière était, de toute manière,
bien trop occupée à papoter avec Andromeda Tonks. Elle lui fit signe de passer avec un
sourire distrait.

Severus, lui, n’était pas du tout distrait. Si possible, il était encore plus renfrogné que lorsque
l’adolescent lui avait rendu visite durant le déjeuner.

« Le couvre-feu n’est pas une option dont vous seriez dispensé, Mr Potter. » siffla le Maître
des Potions avec un agacement certain.
Harry ne s’en émut pas. Le Professeur était cloué au lit depuis des jours sans pouvoir faire
autre chose que dormir. Et dormir, il ne le savait que trop bien, signifiait s’abandonner aux
inévitables cauchemars, d’autant plus à présent que ses boucliers mentaux avaient été réduits
à néant.

Harry avait deviné que Severus employait une grande partie de ses journées à les reconstruire
avec patience et minutie. C’était pratiquement la seule distraction que l’homme pouvait se
permettre en dépit de toutes les mises en garde de Promfresh qui insistait pour qu’il se
repose.

« Il reste cinq minutes. » rétorqua-t-il, avec une pointe de défi.

« Oh, tu peux donc regagner la Tour des Gryffondors en cinq minutes, n’est-ce pas ? »
s’enquit Severus avec un intérêt faussement innocent. En un clin d’œil, cependant, son
expression légèrement désapprobatrice – quoique amusée – fut remplacée par un masque
neutre. S’il l’avait pu, Harry était certain qu’il aurait balayé l’air de la main pour couper court
aux plaisanteries. « Alors ? » demanda le Professeur.

Harry secoua la tête et posa rapidement les protections habituelles qui leur permettraient de
discuter sans crainte d’être espionnés. Il résuma brièvement le diner du Club de Slug et
conclut : « Il a tout nié en bloc et je pense qu’il va m’éviter pendant un bon moment. C’était
une idée idiote. »

« C’était une approche typiquement Gryffondor. Bien évidemment, qu’il s’agissait d’une idée
idiote. » décréta Severus en pinçant les lèvres. « Dumbledore et ses bons sentiments… »

« C’est véritablement un Occlumens. » ajouta-t-il, après coup.

Le Professeur ne parut pas surpris.

« Je ne t’aurais pas encouragé à tenter un Legilimens même s’il ne l’avait pas été. » répondit
Severus. « Tu as certainement des possibilités dans ce domaine, toutefois nous ne les avons
jamais réellement travaillées et il serait dangereux de t’y risquer par toi-même. Suis-je
clair ? »

« Limpide. » s’empressa-t-il d’acquiescer.

Il ne s’y serait pas risqué de toute manière. C’était une chose de sonder les boucliers mentaux
de quelqu’un, une autre d’essayer de lire son esprit. Il n’était que trop conscient d’à quel
point ce genre de magie pouvait vite dégénérer. Leur expérience en soixante-quinze l’avait
prouvé plus d’une fois : la magie de l’esprit était à manier avec précaution.

Severus l’observa avec attention pendant quelques secondes puis dût s’estimer satisfait de ce
qu’il lut sur son visage parce qu’il laissa échapper un soupir las. « Il nous faut pourtant ce
souvenir… Il est impératif que nous découvrions combien d’horcruxes il y a en tout… »

« On sait qu’il y a une bague… » lui rappela-t-il. « Peut-être qu’on devrait essayer de la
trouver… »
« Il ne la porte pas à cette époque-ci, ce qui suggère qu’elle est effectivement cachée quelque
part… » déclara l’homme. « Quant à savoir où… Peut-être le Directeur a-t-il sa petite idée là-
dessus… »

Le sourire d’Harry n’aurait pu être décrit autrement que malicieux. « Je pourrais poser la
question. Innocemment. À tout hasard. »

« Tu pourrais. » approuva Severus avec un léger sourire du même genre. Ses yeux noirs
brillaient d’amusement contenu. « Imaginons que tu sois inquiet de ne pas parvenir à arracher
de réponse à Slughorn et que tu souhaites t’assurer que le sort entier de la guerre ne repose
pas là-dessus… » Il fronça les sourcils et l’amusement fit place à un sérieux à toute épreuve.
« Cela étant dit, ne le laisse pas t’emmener où que ce soit. Je t’interdis de quitter le domaine,
tu entends ? Il serait bien capable de t’entraîner dans une chasse aux chimères et te
connaissant… »

Son inquiétude était évidente et Harry se retrouva déchiré entre son envie de lui faire plaisir
et la certitude que si l’occasion de trouver un horcruxe se présentait, il la saisirait.

Il savait pourquoi Severus était si anxieux de mettre les mains sur l’un d’entre eux. Sans
doute, le professeur voulait-il tenter d’exterminer l’horcruxe sans abimer l’objet… Pour
mieux le libérer, lui, de l’abomination qui lui rongeait l’âme.

« Vous m’avez dit de ne pas faire totalement confiance à Dumbledore. Je n’ai pas oublié. »
promit-il. « Une question n’engage à rien. »

Severus n’eut pas l’air entièrement convaincu.

« Pour ce qui est de Slughorn… Il est peut-être temps de passer à des méthodes moins…
conventionnelles. » décréta le Professeur. « Il y a une fiole de veritaserum dans ma réserve
personnelle. Tu sauras le reconnaître ? » Harry hocha la tête. « Une goutte devrait faire
l’affaire. Prends garde d’être discret et de ne pas être interrompu. Il serait non seulement
fâcheux que quelqu’un surprenne une conversation à propos des horcruxes mais son
utilisation sans mandat du Ministère est illégale. »

« Encore faut-il que j’arrive à lui faire boire quoi que ce soit. » soupira-t-il. « Il va se
méfier… »

Severus eut un mouvement d’humeur. « Si je n’étais pas si inutile… »

S’il n’avait pas été prisonnier de l’infirmerie, Harry n’avait aucun doute qu’il serait déjà en
route pour les cachots, prêt à user de Legilimencie, qu’importe ce que Dumbledore y
trouverait à redire. Après tout, à présent, il n’avait plus de rôle à jouer et, donc, plus rien à
cacher.

« Vous n’êtes pas inutile. » gronda gentiment Harry.

C’était peut-être la dixième fois que Severus faisait une réflexion de ce type depuis qu’il
s’était réveillé. Il ne semblait pas comprendre que sa convalescence, bien que longue, était
déjà miraculeuse.
L’adolescent avait surpris une discussion entre McGonagall et Pomfresh. La situation aurait
put être bien, bien pire et le fait que le Professeur parvienne déjà à se resservir de ses mains,
même avec difficulté, était prometteur.

« Vous serez bientôt sur pieds. » insista-t-il lorsque Severus se renfrogna dans un silence
boudeur. « Sev. »

Comme à chaque fois qu’il s’était aventuré à utiliser ce surnom, le Maître des Potions le
fusilla du regard mais sembla également se détendre légèrement.

« Peut-être. » marmonna l’homme sans s’engager tout à fait. « Tu devrais retourner à ta salle
commune. Il est tard. »

Harry aurait voulu s’attarder davantage mais le Professeur était intransigeant. Il voulait qu’il
retrouve une routine, se couche à des heures raisonnables et mange à l’heure des repas
comme si le monde tournait toujours rond.

Comme si le château entier, tout comme le reste de la communauté magique, ne retenait pas
son souffle en attendant que Voldemort ne se décide à frapper.

°°O°°O°°O°°O°°O°°

L’ombre se glissa près de son lit près d’une demi-heure seulement après qu’Harry soit parti.
Occupé à attraper, serrer, et relâcher une balle molle qu’il avait fait apparaître avec difficulté
plus tôt dans la journée, uniquement pour répéter l’opération, Severus ne daigna pas relever
la tête. Si les Médicomages l’avaient surpris à ce petit jeu, elles l’auraient sans doute
sermonné et lui aurait répété, une nouvelle fois, qu’il devait se ménager.

Ni Pomfresh, ni Andromeda ne semblait vouloir comprendre qu’il était impératif qu’il


récupère au plus vite.

« Aucun chariot renversé, tu es parvenue à ne pas trébucher et ton sort de désillusion est
pratiquement parfait… » déclara-t-il nonchalamment, de sa voix lente et caressante. Peut-être
plus caressante que d’ordinaire, il fallait l’avouer. « Je suis presque impressionné. »

« Presque. » releva Nymphadora avec amusement, en se laissant tomber sans aucune


délicatesse sur le lit au niveau de sa hanche.

Il parvint à contrôler la grimace de douleur avant qu’elle ne déforme ses traits. Ses boucliers
mentaux étaient loin d’être ce qu’il aurait aimé qu’ils soient, malgré les heures qu’il avait
passées à les reconstruire ces derniers jours. Occluder lui donnait la migraine mais il
s’efforçait toutefois de réparer les dégâts sans se soucier de l’inconfort dans lequel il se
trouvait.

Rien, dans tous les cas, n’était comparable à la morsure brûlante de la Marque. En dépit de
tous les baumes de soin, elle continuait de le torturer. Inlassablement, sans répit ou signe de
faiblesse, le maléfice le rongeait… A chaque fois que Promfresh ou Andromeda changeait le
bandage, il s’étonnait que la magie noire n’ait pas encore consumé sa chair.
La jeune femme extirpa une fiole de la poche de son blouson et la porta à ses lèvres. Il avala
le liquide sans trop de considérations superflues. Il lui était moins pénible de laisser
Nymphadora l’aider à boire une potion qu’il ne le lui était d’autoriser Pomfresh ou
McGonagall à l’aider à manger. Être forcé de laisser une des deux sorcières lui donner la
béquée sous peine de renverser le plateau entier… C’était humiliant.

« Tu as parlé à Hermione ? » murmura-t-elle, en jetant un coup d’œil anxieux par-dessus son


épaule, probablement au cas où une des Médicomages aurait eu l’idée de venir vérifier que
tout allait bien. « Il ne reste pas énormément de potion dans le chaudron. » Il répondit
distraitement par l’affirmative, la laissant prendre une de ses mains au creux des siennes.
« Les tremblements ont un peu diminué… »

« Pas assez. » cracha-t-il avec dépit.

Il parvenait à peine à tenir sa baguette. Quant à utiliser un sort complexe…

Nymphadora se frotta les yeux, avant de passer la main dans ses cheveux rose.

« Ollivander a disparu. » annonça-t-elle, après avoir posé des protections discrètes. Bien
moins efficaces que les siennes, nota Severus avec désapprobation. « Je ne sais pas si c’est
très important… La moitié du Chemin de Traverse est désert… La plupart des boutiques
restent fermées… Il n’y avait aucune trace de lutte… Je l’ai signalé à Remus à tout
hasard. Dumbledore veut que l’on rapporte toute disparition bizarre. Quoi que bizarre signifie
de nos jours… »

Ollivander…

Il ignorait si cela avait une quelconque importance… Le Seigneur des Ténèbres ne l’avait
jamais mentionné et le vieillard était suffisamment excentrique pour être parti chercher des
ingrédients dans la nature en négligeant d’avertir qui que ce soit, guerre ou pas guerre.

« Qu’en est-il de la vampire ? » s’enquit-il. Nyssandra était la prochaine sur leur liste de
suspects et il enrageait d’autant plus de ne pas pouvoir s’en occuper lui-même.

L’espion… Slughorn… Les Horcruxes… Autant de questions qu’il aurait réglé un peu plus
rapidement – et agressivement – s’il avait été libre de ses mouvements. Et en pleine
possession de ses moyens.

« Je ne sais pas. » avoua-t-elle avec un soupir. « Je ne sais plus… »

Il lui fallut se concentrer pour lever le bras sans perdre le contrôle mais il parvint à effleurer
sa joue de ses doigts tremblants. Elle eut un faible sourire et guida sa main plus fermement
jusqu’à son visage, appuyant sa joue contre sa paume.

« Tu es épuisée, Nymphadora. » remarqua-t-il, non sans en éprouver un certain sentiment de


culpabilité. C’était sa faute si elle revenait tous les soirs en Écosse. « Tu devrais aller te
reposer. Utilise mes appartement, si tu le souhaites. »
Elle ne pouvait pas se permettre d’être épuisée, c’était trop dangereux. Elle était sur le terrain
tous les jours, risquait sa vie tous les jours. Et, lui, pendant ce temps là…

Son dégoût de lui-même augmenta encore d’un cran.

Toutefois, et comme souvent, elle ne le laissa pas s’enfermer dans ce genre d’humeur noire.
Avant qu’il ait véritablement compris ce qu’elle était en train de faire, elle s’était allongée
dans le mince espace entre son flanc et le bord du matelas, sa tête sur son épaule. Il referma
son bras sur elle par réflexe, de peur qu’elle ne tombe. Ses doigts tressautaient sur sa hanche
et il ferma le poing pour ne plus avoir à voir les tremblements incontrôlables.

« Je te fais mal ? » demanda-t-elle, un soupçon d’inquiétude dans la voix.

« Non. » mentit-il, simplement parce qu’il ne voulait pas qu’elle parte. Pas tout de suite. « Ta
mère est dans le bureau de Pomfresh. » se sentit-il obligé de rajouter.

« Les protections me réveilleront si elle approche. » marmonna-t-elle dans son épaule, déjà à
moitié endormie. « J’ai de l’expérience en la matière. »

Qu’elle se serve de lui comme oreiller aurait probablement dû le déranger davantage…


All You Need Is One

At this moment there are 6,470,818,671 people in the world. Some are running scared.
Some are coming home. Some tell lies to make it through the day. Others are just not
facing the truth. Some are evil men, at war with good. And some are good, struggling
with evil. Six billion people in the world, six billion souls. And sometimes... all you need
is one.

One Tree Hill

À cet instant, il y a 6 milliards 470 millions 818 milles 671 personnes sur terre. Certains
ont peur. Certains rentrent chez eux. Certains mentent toute la journée. Certains fuient
la vérité. Certains sont des hommes diaboliques, en guerre contre le bien. Et certains
sont bons, en guerre contre le mal. Six milliards de personnes sur terre, six milliards
d’âmes. Et, parfois… Tout ce dont vous avez besoin est d’une seule d’entre elles.

One Tree Hill

« Êtes-vous certain que ce soit une bonne idée, Severus ? » soupira McGonagall.

Severus la fusilla du regard, avant de jeter un coup d’œil tout aussi courroucé à Harry qui
dissimulait mal son ricanement derrière une soudaine quinte de toux.

« Presque trois semaines, Minerva. » cingla-t-il, pour toute réponse.

Il arracha la canne fonctionnelle en bois noir que tenait la sorcière et se leva, laissant derrière
lui le lit qu’il avait occupé pendant bien trop longtemps. Pomfresh ne semblait pas
entièrement convaincue que le laisser partir soit sage, elle non plus, mais Severus était bien
persuadé que si elles l’avaient pu, les deux sorcières ne lui auraient jamais rendu sa liberté.
Elles semblaient penser, à tort ou à raison, qu’il finirait par se faire tuer sans leur surveillance
acharnée.

L’ironie de la situation, comme Harry l’avait fait remarquer avec bien trop de satisfaction,
était mordante.

Il s’avança vers le bureau de Pomfresh et la cheminée qui y résidait, s’interdisant de trahir le


moindre signe de faiblesse. Il lui avait fallu deux semaines pour parvenir à faire plus de deux
pas sans s’écrouler et il n’était toujours pas entièrement sûr sur ses jambes, d’où la canne que
Minerva insistait pour qu’il utilise. Severus haïssait le bout de bois par principe mais ne
pouvait nier que, pour l’instant, il était nécessaire. Et si c’était le prix à payer pour être
autorisé à retourner dans ses appartements…

« Mr Potter… » s’inquiéta Pomfresh dans son dos.


Severus grimaça et serra les dents, agacé de cette nouvelle manie qu’ils avaient tous
développé de parler de lui en sa présence comme s’il n’était pas là. Il était convalescent, pas
invisible, mais, apparemment, l’un équivalait à l’autre dans cette infirmerie.

« Ne vous inquiétez pas. Je sais ce qu’il faut faire. » promit Harry avec beaucoup plus de
gentillesse et de gratitude que Severus en avait témoigné.

Il aurait probablement dû remercier Pomfresh. Après tout, elle lui avait sauvé la vie.
Andromeda également mais la Médicomage était retournée à son mystérieux exil dès qu’il
était apparu que Severus se remettait selon leurs estimations.

Bien mieux que leurs estimations, en vérité…

Ses doigts se contractèrent sur le pommeau de la canne et il s’y appuya un plus fortement. La
prise n’était pas tout à fait franche et sa main était crispée, toutefois c’était déjà un progrès. Il
parvenait à tenir sa baguette plus de quelques minutes ces temps-ci.

« Si vous avez besoin de quoi que ce soit, venez me trouver. » ordonna McGonagall.

Severus claudiqua jusqu’au bureau sans entendre la réponse du garçon, regrettant de ne pas
être suffisamment en forme pour parvenir à faire claquer ses robes noires come il le faisait
toujours pour marquer son irritation. Il ne fallut pas attendre longtemps pour que l’adolescent
apparaisse, cependant. Harry était tout aussi impatient que lui de quitter l’infirmerie.

Ils y séjournaient décidément l’un et l’autre beaucoup trop souvent.

Jeter la poudre de cheminette s’avéra compliqué avec ses mains tremblantes mais Severus
refusa tout net l’offre de l’adolescent de le faire à sa place. Il n’était déjà pas très heureux que
quelqu’un l’accompagne. Il n’avait pas besoin d’une babysitter, comme il l’avait fait
remarquer très franchement à Pomfresh, mais personne ne voulait rien entendre.

Il soupira de soulagement lorsqu’il se retrouva dans ses appartements. Il embrassa du regard


les rayonnages regorgeant de grimoires alignés contre les murs, les tapis de laine épaisse qui
recouvraient le sol de pierres froides des cachots, les fauteuils dépareillés couverts de
parchemins qu’il n’avait pas pris la peine de ranger presque trois semaines plus tôt et, bien
sûr, les lourds rideaux de brocard qui trainaient jusqu’au sol. Les elfes de maison avaient dû
faire le ménage car ils étaient ouverts alors qu’il les préférait fermés, n’appréciant que peu
l’idée que tous les habitants du lac puissent l’espionner dès qu’il leur en prenait l’envie.

« Ce don que tu as pour entrer et sortir sans que personne ne soit là pour t’ouvrir est
extrêmement suspicieux. » lança-t-il en direction du chat noir et blanc qui ronronnait comme
une turbine sur le sofa.

Le feu de cheminée enfla derrière lui et il se traina jusqu’au canapé, autant pour dégager le
passage que parce qu’il n’était pas certain de parvenir à rester beaucoup plus longtemps sur
ses jambes. Ce n’était pas tant son corps le problème que la douleur dans son avant-bras
gauche qui le rendait nauséeux. La Marque, encore et toujours.
Harry émergea de l’âtre dans un nuage de suie qui fit grimacer Severus. Il marmonna un
evanesco sans grande conviction et ne put contrôler la vague de soulagement lorsque la
grande majorité de la saleté disparut. Sa magie était aléatoire ces temps-ci, presque faible.
Pomfresh et Andromeda avaient insisté sur le fait que ce ne serait probablement que
temporaire mais, lui, craignait que cela ait avoir avec ses nerfs endommagés et le fait qu’il
n’était plus capable de tenir sa baguette comme il l’aurait fallu. Il lui semblait qu’il avait tout
à réapprendre, même les sorts les plus simples, et ça…

« Woah. » s’exclama Harry. Le garçon se dirigea droit vers la fenêtre qui occupait un pan
entier du mur et donnait à présent l’impression qu’ils surplombaient la Forêt Interdite. Le
sortilège était si précis que la fine bruine qui n’avait cessé de tomber depuis des jours venait
même s’écraser contre le verre. « Je pensais que vos appartements étaient dans les cachots ? »

Severus se détendit légèrement, quelque peu amusé par l’attitude de l’adolescent. Il avait
depuis longtemps cessé d’être impressionné par les appartements qui lui avait été attribués
mais ils étaient, certes, un peu plus impressionnants que ceux, plus génériques, qui leur avait
été fournis par le Dumbledore du passé. Certes, l’humidité des cachots était parfois pénible,
particulièrement en plein hiver, mais Severus y vivait depuis suffisamment longtemps pour
s’y être habitué. Il se sentait davantage chez lui ici qu’à Spinner End.

« Ils le sont. » confirma-t-il. « La fenêtre est enchantée. »

« Comme celles du Ministère. » remarqua Harry et il approuva d’un bref hochement de tête.
Il fallut plusieurs secondes avant que l’adolescent s’arrache à sa contemplation et se tourne
vers lui avec un sourire hésitant. « Vous voulez du thé ? Pomfresh a dit que vous deviez boire
beaucoup. »

Il leva les yeux au ciel, ne se rappelant que trop bien à quel point il avait trouvé cela
insupportable lorsqu’Harry s’était auto-assigné garde-malade la dernière fois. « S’il le faut. »

« Où est la cuisine ? Vous avez une cuisine ? » demanda le gamin avec une curiosité
beaucoup trop débordante, en se précipitant déjà en dehors de la pièce.

Severus dut se faire violence pour ne pas le rabrouer et lui intimer l’ordre de revenir s’asseoir.
Il n’avait jamais autorisé aucun élève à pénétrer dans ses appartements et, en règle générale,
n’y admettait que très peu de visiteurs, or il était évident qu’Harry souhaitait explorer les
lieux. L’idée de l’y autoriser était un peu plus dérangeante qu’elle ne l’avait été en soixante-
quinze. Il ne s’agissait plus d’un lieu qu’ils se seraient tout deux appropriés et partagés mais
de son chez-lui que l’adolescent désirait envahir.

« Première porte à gauche. » lança-t-il bien inutilement. La cuisine restait toujours ouverte et,
en conséquence, le Gryffondor ne pouvait pas la manquer. Comme pour mieux le confirmer,
tout un tas de bruits de placards que l’on ouvrait et refermait retentit dans l’appartement.

Au lieu d’en être irrité, cependant, Severus se détendit instinctivement. Il avait oublié à quel
point l’adolescent pouvait être bruyant. Il avait oublié à quel point cela lui avait manqué. Il
gratta distraitement Masque derrière les oreilles, ne cherchant même pas à retenir le faible
sourire qui étira ses lèvres. Il étudia ses mains tremblantes et songea que le prix a payer pour
retrouver Harry était peut-être trop lourd mais que, à cet instant, il n’y aurait probablement
rien changé.

La potion contre l’Endoloris avait grandement contribué à améliorer sa qualité de vie et, à
présent qu’il avait été relâché par ses tortionnaires pleines de bonnes intentions, il pourrait
s’y pencher plus discrètement et probablement plus efficacement. Granger et Draco avaient
suivi ses instructions à la lettre et avaient prouvé, sans grand mal, qu’ils étaient deux de ses
meilleurs élèves, pourtant ni l’un ni l’autre ne faisait preuve d’un grand sens d’inventivité ou
d’improvisation et ne savait trop que faire lorsque les consignes demeuraient trop vague.
Ajuster la quantité de valériane les avait, par exemple, pris de court.

« Le thé infuse. » déclara Harry avec beaucoup d’enthousiasme pour une tâche aussi simple.
Le garçon sautilla presque jusqu’au sofa et s’accouda au dossier pour mieux caresser le chat
qui ronronnait toujours.

Severus le regarda faire, se surprenant à penser que tout était à sa place pour une fois. Enfin.
Ou, tout du moins, tout était presque à sa place.

« La porte qui fait face au salon est celle de ma chambre. » expliqua-t-il, parce que les autres
portes avaient dû demeurer fermées, elfes de maison ou pas. « Inutile de préciser qu’elle est
hors-limite, n’est-ce pas ? Celle à sa droite mène à mon laboratoire personnel. Celle juste à
droite en sortant du salon est un placard… Tu y trouveras une certaine couverture sur
l’étagère… »

S’il avait pensé qu’Harry ne puisse être plus heureux, il s’était trompé. Le visage illuminé par
un grand sourire, le garçon détala en direction du couloir. La couverture qui avait demeuré
sur le canapé dans leurs appartements en soixante-quinze avait été soigneusement pliée et
rangée par ses soins, peut-être était-il temps qu’elle retrouve sa place… Après tout, comme
l’adolescent l’avait dit lui-même, certains chats n’avaient besoin de rien d’autre qu’une
couverture au coin du feu…

Il profita de l’absence du Gryffondor pour remonter sa manche gauche, peu surpris de noter
que le bandage était tâché de sang par endroit.

« Glacies. » murmura-t-il.

Un jet d’eau froide s’échappa de sa baguette, faisant bondir Masque dans un feulement, mais
la poche de glace qu’il avait tenté de faire apparaitre demeura inexistante. Grinçant des dents,
il occluda le sentiment d’humiliation tout autant que la frustration qui lui broyait le ventre.
Pomfresh avait suggéré, non sans prendre de gants, qu’il devrait s’entraîner à lancer des sorts
simples pendant quelques temps avant de progressivement augmenter la difficulté. Des sorts
simples. Lui. Lui qui créait déjà des sortilèges complexes à quinze ans…

Il se leva, dédaignant la canne appuyée contre l’accoudoir du sofa, et pointa sa baguette vers
la flaque d’eau, s’efforçant de garder la main stable. « Evanesco. »

Le sort avait fonctionné un peu plus tôt, il n’y avait pas de raison pour que… L’eau disparut.
Bien, songea-t-il, non sans ironie, peut-être serait-il incapable de se défendre à présent mais il
pouvait au moins se reconvertir en agent de ménage. Rusard n’avait qu’à bien se tenir.
Il secoua la tête avec un léger soupir et reporta son attention sur la porte du salon, fronçant les
sourcils lorsqu’il se rendit compte qu’Harry prenait beaucoup trop de temps pour récupérer
une simple couverture. Et, juste au moment où la pensée lui effleurait l’esprit, la voix de
l’adolescent raisonna dans l’appartement.

« Papa ? »

Son sang ne fit qu’un tour.

Principalement parce que lorsqu’il n’était pas Professeur ou Severus ou, plus récemment,
Sev, cela tendait à prouver que le gamin avait de sérieux ennuis. Il se précipita aussi
rapidement que ses jambes tremblantes l’y autorisaient, ses doigts relâchant régulièrement
leur prise sur sa baguette parce qu’il lui était plus compliqué de se concentrer lorsque son
cœur battait à cent à l’heure. Il tenta d’occluder la peur acide qui lui mordait le ventre mais
ses boucliers étaient encore trop neufs, encore trop fragiles, et il se retrouva à imaginer milles
scénarios entre le sofa et la porte.

Un Mangemort confirmé n’aurait pas pu pénétrer dans Poudlard mais certains des élèves plus
âgés… Quelqu’un aurait très bien pu s’introduire dans les cachots. Cela aurait été très
compliqué pour qui que ce soit de briser les protections que Severus avait placées mais pas
impossible.

Seulement, il n’y avait aucun Mangemort dans le couloir. Juste Harry.

Les remontrances instinctives que Severus aurait voulu lui faire moururent sur ses lèvres
lorsqu’il repéra le problème. Il y avait deux portes à sa droite, celle familière du placard et
une autre, ouverte, qui n’avait rien à faire là. Il se décala pour voir ce qu’Harry trouvait si
fascinant à propos de cette nouvelle pièce et ne parvint pas à masquer sa surprise.

« C’est ma chambre. » lâcha Harry.

« Je te remercie, ma vue n’a pas été affectée par ma dernière mésaventure. » marmonna
Severus par réflexe.

Si le garçon l’entendit, il n’en fit pas état. Il pénétra dans la pièce presque avec méfiance,
comme s’il s’attendait à ce que la chambre ne soit qu’un mirage. Et elle aurait bien pu l’être,
se dit Severus en s’avançant sur le seuil.

Tout était là pourtant, songea-t-il en observant Harry passer la main sur la surface plane du
bureau poussé contre le mur. Le bureau, la fenêtre, le lit avec sa couette moelleuse, la
commode, la malle en bois sombre qu’Albus lui avait envoyé dans le passé, la porte sur la
droite qui menait à la salle de bain… En dépit de toute logique – parce que la chambre et la
salle de bain se seraient superposées au salon si la logique avait joué un quelconque rôle là-
dedans – la chambre qu’Harry avait occupée dans le passé venait de réapparaitre. Dans ses
appartements.

« Comment… » hésita Harry.

Severus haussa les épaules, sans grande certitude. « Poudlard, je suppose. »


Il était possible que le château ait reconstitué la chambre à partir de leurs souvenirs ou peut-
être l’explication était-elle plus complexe. Le château dissimulait toujours bons nombres de
mystères…

Soudain, le Gryffondor éclata de rire. « J’adore la magie. »

Avant que Severus ait pu répondre à cette déclaration pour le moins amusante, Harry fit
volte-face et se jeta sur lui avec tant de brutalité que l’homme dut se rattraper au chambranle
de la porte. Cela ne l’empêcha pas de lui rendre l’accolade avec un léger soupir.

« Merci. » marmonna Harry, le son à moitié étouffé par ses lourdes robes noires.

« Ce n’était pas mon idée, Harry. » réfuta-t-il, embrassant la pièce du regard. Les murs
semblaient nus sans les dessins et croquis de Lily. Il resserra néanmoins son étreinte avant
que le gamin ait put se méprendre. « C’est aussi bien, cela-dit… Tu n’aurais pas pu dormir
longtemps sur le canapé… »

Et il n’avait aucun doute que l’adolescent aurait insisté pour rester et l’aider durant sa
convalescence.

Qu’il ait une chambre dans ses appartements paraissait naturel. Bien plus naturel que de
l’obliger à dormir dans le salon. Mais il n’était pas certain de la sagesse de la chose…

Ses sentiments paternels mis à part… Ce n’était pas très orthodoxe d’autoriser un élève à
fréquenter aussi souvent les appartements d’un professeur et à cela s’ajoutait le fait que… Eh
bien, il n’avait aucun droit légal sur Harry et aucun recours pour changer cela. Black… Si
Black l’ordonnait, Severus n’aurait d’autre choix que de demander à Harry de retourner dans
son dortoir.

« Non. » insista le gamin d’un ton las, coupant court à ses pensées. « Merci d’être revenu.
Merci de ne pas m’avoir laissé. »

À quel prix ? grinça une part de lui.

Le prix nécessaire, rétorqua une autre.

Perdre quelqu’un d’autre aurait brisé le garçon.

Il y avait eu trop de morts, trop de douleur dans sa vie et il restait trop d’incertitudes… Perdre
quelqu’un d’autre aurait brisé Harry et le perdre lui qui avait pris une place trop importante…

Severus ferma brièvement les yeux. Il aurait aimé trouver les bons mots pour exprimer ce
qu’il ressentait à ce moment précis mais ils lui échappaient.

« Le thé va être trop fort. » fut tout ce qu’il trouva à dire.

Peu dupe, Harry se détacha de lui avec un grand sourire. « Je vais chercher les tasses. »

Ils s’installèrent dans le salon et, l’espace d’un temps, il lui sembla avoir fait un bon de six
mois dans le passé. Harry s’était installé à même le sol, bien sûr, en tailleur face à la table
basse bien qu’il y ait au moins cinq autres sièges plus adaptés dans la pièce et, pendant
plusieurs minutes, ils ne discutèrent que des B.U.S.E.s dont la date approchait à grand pas.

« Est-ce que le Ministère va vraiment organiser les examens ? » finit par demander le garçon.
« Malfoy dit que vu le climat actuel ça ne l’étonnerait pas qu’ils annulent tout au dernier
moment. »

« Et tu te fie à l’avis de Draco Malfoy, à présent ? » se moqua-t-il, observant attentivement


l’adolescent. Il avait remarqué, il ne fallait pas le croire, que ce qui avait débuté comme une
simple affaire de tolérance semblait se transformer peu à peu en relation plus amicale.

Harry dut comprendre le sous-entendu car il leva les yeux au ciel. « Si vous pouvez être ami
avec Sirius, je peux être aimable avec Malfoy. »

Severus manqua s’étouffer avec sa gorgée de thé.

« Je ne suis certainement pas ami avec Black ! » protesta-t-il. Il fut pourtant forcé de se
reprendre avec une grimace. Harry semblait avoir enfin cessé d’en vouloir à son parrain pour
ce qui s’était passé en soixante-quinze et il ne souhaitait pas raviver les rancœurs endormies.
« Nous sommes alliés. À peine. »

La formulation parut grandement amuser l’adolescent, toutefois il eut le bon sens de ravaler
son rire. Harry paraissait plus détendu et plus heureux qu’il ne l’avait depuis très longtemps.
Ce fut donc un peu à contrecœur qu’il posa sa question suivante. « Qu’en est-il de
Slughorn ? »

Le garçon laissa échapper un grognement de frustration. « Impossible à approcher. Il s’est


même mis à éviter le reste de l’A.D. »

Severus leva les yeux au ciel, comme toujours lorsqu’il était confronté à ce nom tout à fait
ridicule. L’armée de Dumbledore, rien que ça. Le secret de polichinelle le moins bien gardé
de Poudlard, en partie parce que Black avait pris le groupe en main – ce qui, supposait-il, en
faisait un club de Défense plutôt qu’une activité non supervisée et non approuvée par l’école.

Toutefois, il ne pouvait nier que la perspective de voir Horace Slughorn fuir comme la peste
un groupe d’adolescents l’amusait fortement en dépit des circonstances. Il ne savait que trop
bien à quel point Granger et Weasley, en particulier, pouvaient être acharnés lorsqu’il était
question de confondre un professeur.

« Horace est un lâche mais un lâche qui a de la ressource. » commenta-t-il, en reposant sa


tasse vide sur la table basse. Ils prétendirent tous deux ne pas entendre le bruit de la faïence
qui s’entrechoquait lorsqu’il la posa sur sa soucoupe. « Albus refuse d’user de Legilimencie
pour ne pas se salir les mains. Comme si nous avions le temps de nous accorder ce luxe. »

« Peut-être que Slughorn est un trop bon Occlumens pour lui. » remarqua le Gryffondor.

« Ou peut-être qu’il désire tellement que tu suives sa quête initiatique qu’il perd un temps
précieux en conjectures. » rétorqua-t-il. « Qu’en est-il de Lupin ? Est-il finalement
réapparu ? »
Harry secoua la tête. « Je ne l’ai pas vu depuis la pleine lune. Sirius dit… En fait, Sirius ne
m’a pas dit grand-chose mais je l’ai entendu discuter avec Charlie et Anthony… »

« Les as-tu entendu ou espionné ? » s’enquit-il avec un fin sourire.

Harry haussa les épaules d’un air innocent. « Je refaisais mon lacet près de la salle des
professeurs… Ce n’est pas ma faute s’ils ne m’ont pas remarqué… »

« Sans aucun doute. » répondit-il, une note de fierté dans la voix. Il était rassurant qu’Harry
n’ait pas perdu tous les réflexes que les mois à Serpentards lui avaient enseignés.

« Bref. Remus est au Square Grimmaurd. » expliqua l’adolescent. « La pleine lune a été
difficile apparemment. »

Severus se garda de répondre à ça. Lorsque Black était venu le trouver à l’infirmerie pour lui
demander s’il était possible que Slughorn prépare la potion Révèle-Loup à sa place, il avait
répondu par la négative sans s’embarrasser d’excuses. Cette potion n’était ni brevetée, ni
encore tout à fait parfaite et il ne faisait pas suffisamment confiance à son ancien professeur.
Rien n’aurait empêché Slughorn d’utiliser ses recherches et de déposer le brevet sous son
nom à lui.

Lupin avait dû se contenter de la potion Tue-Loup classique et, étant donné son état d’esprit
actuel et le fait que la potion de Slughorn n’était jamais suffisamment forte, le loup-garou
n’avait pas, effectivement, dû passer la meilleure des pleines lunes.

Il n’en concevait, lui, aucun remord. Si la décision n’avait rien eu de personnel, il n’oubliait
pas pour autant qui avait été le premier à retourner sa baguette contre lui lors de la Deuxième
Nuit des Ténèbres.

Et cela sans même considérer son comportement envers Nymphadora…

« Ne se souvient-il pas qu’il est censé t’entraîner ? » grinça-t-il. « Ou bien a-t-il oublié que le
Seigneur des Ténèbres a fait de toi une cible de choix ? »

« Je préfère largement m’entraîner avec Sirius. » avoua le Gryffondor avec une légère
grimace. « Remus ne me pousse pas assez et il se cantonne aux duels de base. L’entraînement
de Sirius ressemble plus à ce qu’on faisait tous les deux. »

Severus laissa échapper un bruit qui n’engageait à rien. Black l’avait consulté sur la question
des plans de cours qu’il souhaitait modifier et il n’avait pas désapprouvé l’idée de mettre
l’accent sur davantage de pratique mais il avait du mal à se faire une idée de ce qui se passait
réellement dans les salles de classes de Défense.

« Peut-être que vous pourrez recommencer à m’entraîner quand vous irez mieux ? » suggéra
Harry avec espoir.

Severus baissa les yeux vers ses mains tremblantes et songea au sort pourtant si simple qu’il
n’était pas parvenu à lancer, se demandant s’il se serait encore capable de jeter un pauvre
protego.
« Peut-être. » déclara-t-il d’une voix trainante et le mensonge lui arracha presque la bouche.
« Cela ne te fait pas de mal de te frotter à différents adversaires, cependant. Tu me connais
trop bien, à présent. Tu parviens trop facilement à anticiper mes attaques. »

« Je ne dirais pas que c’est facile. » riposta le garçon avec amusement. « Vous… »

Les flammes se ravivèrent brusquement dans la cheminée avant de virer au vert et Severus
pinça les lèvres lorsque Albus Dumbledore fit irruption dans son salon sans même demander
l’autorisation avant de traverser. Il lui faudrait replacer le pare-feu à la première occasion, il
détestait l’idée que qui que ce soit puisse pénétrer chez lui sans qu’il ne les y ait invité.

« Severus. » salua le vieux sorcier avec chaleur avant que ses yeux pétillants ne tombent sur
Harry qui jouait désormais distraitement avec sa cuillère et faisait de son mieux pour ne pas
regarder le Directeur en face. « Harry, j’ignorais que tu étais là. »

« Pomfresh semble penser que j’ai besoin d’un garde-malade. » rétorqua Severus avec un
rictus dédaigneux. « Que puis-je faire pour vous ? »

La question était à peine polie mais Albus ne prit pas ombrage du ton cassant. Il s’installa
dans un des fauteuils sans y avoir été invité.

« Je venais simplement voir comment vous alliez, mon garçon. » répondit calmement
Dumbledore. « Il ne resterait pas un peu de ce thé, par hasard ? »

Severus et Harry échangèrent un regard et le garçon servit une tasse au directeur avant de se
rasseoir avec une expression pleine de défi qui se transforma vite en ennui lorsqu’il devint
clair qu’Albus allait s’en tenir aux banalités d’usage.

C’était un jeu de patience auquel Severus était habitué cependant et il le laissa donc disserter
sur le temps atroce, le casse-tête d’organiser les examens dans le climat actuel – une charge
qui, il le savait, revenait de toute manière à Minerva – et le regret profond qu’il éprouvait
face au refus des parents qui avaient retiré leurs enfants de l’école de les renvoyer à Poudlard
à présent que la situation s’était un peu calmée.

« Il se fait tard… Tu devrais retourner dans ton dortoir, Harry. Je suis certain que tes amis
t’attendent pour aller dîner. » suggéra innocemment Albus au bout d’une longue demi-heure
de palabres inutiles.

Harry ne cilla même pas. À peine sursauta-t-il, s’étant perdu dans ses pensées lorsqu’il était
apparu évident que la conversation s’avérerait inintéressante.

« Le Professeur McGonagall m’a ordonné de ne pas laisser Severus seul. » déclara le


Gryffondor, sur la défensive.

Severus se fit violence pour ne pas lever les yeux au ciel. Foutu lions et leur sensiblerie…

« Va dans ta chambre quelques minutes, veux-tu ? » Ce n’était pas une requête et Harry dut
saisir le sens de l’ordre déguisé parce qu’il accepta d’un hochement de tête légèrement agacé.
Albus attendit que le bruit d’une porte qu’on ferme raisonne dans l’appartement avant de se
tourner vers lui, sourcils froncés. « Sa chambre, Severus ? J’ignorais qu’il y avait une pièce
vacante dans vos appartements. »

« Poudlard et ses mystères. » rétorqua-t-il, en balayant l’air d’une main tremblante. « Qu’y-a-
t-il, Albus ? »

Mais Albus, apparemment, ne voulait pas comprendre le sous-entendu.

« Est-ce bien sage de l’encourager de la sorte ? » le gronda gentiment le vieux sorcier. « Votre
attachement mutuel est indéniable et loin de moi l’idée de vous le reprocher… »

« Merlin préserve. » marmonna-t-il, non sans ironie.

« Toutefois… » continua Dumbledore comme s’il n’avait pas ouvert la bouche. « Vous n’êtes
pas son père, Severus, et si Sirius réussit à obtenir sa garde, croyez-vous sincèrement qu’il
autorisera ce genre de rapprochement ? Peut-être vaudrait-il mieux, pour le bien du garçon
comme pour le vôtre, garder une certaine distance… »

« Pour vous permettre de mieux le contrôler ? » grinça Severus. « Mêlez-vous donc de vos
affaires, Albus. »

« Harry est sous ma responsabilité. Ce sont mes affaires. » rétorqua Albus. « Vous
conviendrez qu’un élève s’installant dans les appartements d’un professeur avec lequel il n’a
aucun lien de parenté ferait grincer le dents du… »

« Ne vous avisez pas de seulement insinuer qu’il y a quelque impropriété dans… » l’avertit
Severus, ses doigts se refermant par réflexe sur sa baguette.

« Je n’insinue rien. Les parents d’élèves en revanche… » insista Dumbledore.

Des étincelles rouges s’échappèrent du bout de sa baguette et la mâchoire de Severus se


contracta davantage qu’elle ne l’était déjà lorsqu’il se retrouva confronté à ce manque de
contrôle digne d’un première année. Sa magie était décidément complètement aléatoire.

« Harry est le bienvenu dans mes appartements aussi longtemps et aussi souvent qu’il le
souhaitera. » cingla-t-il. « En ce qui me concerne, il est ici chez lui. Si vous y trouvez à
redire, contactez ses tuteurs et voyez si vous pouvez forcer Pétunia Dursley à se soucier du
sort de son neveu. »

Le visage d’Albus ne reflétait rien d’autre qu’une profonde lassitude et le vieil homme leva la
main en signe de paix. « Je m’inquiète seulement de ce qui se passera si Sirius décidait de
vous interdire tout contact avec Harry. Étant donné l’affection qu’il éprouvait pour James et
votre propre passif avec les Maraudeurs, je ne pense pas qu’il soit heureux de savoir que le
garçon vous considère comme un père. »

Il dressa ses boucliers, occludant sans grand mal l’incertitude et la peur qu’il y ait du vrai
dans ces paroles. Rien n’empêchait Black d’exiger qu’Harry ne mette plus un pied dans les
cachots. Rien n’empêchait Black d’offrir une chambre à Harry dans ses propres
appartements, aussi provisoires soient-ils. Rien n’empêchait Black de décider qu’il voulait
jour un rôle plus actif dans la vie du garçon. La seule raison pour laquelle l’ancien fugitif
l’avait laissé occuper une telle place plus longtemps était l’hostilité dont Harry avait fait
preuve envers lui depuis leur échappée dans le passé. Severus pouvait perdre Harry de cent
manières différentes et il vivait avec cette peur au ventre mais qu’Albus joue avec cette
insécurité dans le but non avoué de reprendre la main…

Albus divisait pour mieux régner lorsque cela l’arrangeait et sa trêve avec Black, sa relation
avec Harry menaçait l’équilibre déjà fragile de l’Ordre du Phoenix.

« Souciez-vous donc davantage de démasquer l’espion et un peu moins de mes problèmes


personnels. » conseilla-t-il, d’un ton dangereux.

Albus capitula d’un geste. « Qui que cela soit, il est conscient que nous sommes sur sa trace
et semble prêt à tout pour conserver sa couverture. Je compte compartimenter les
informations davantage. Les réunions se feront en groupe mais les missions seront distribuées
au cas par cas. » Les yeux bleu se posèrent sur lui, scrutateurs. « J’ai besoin de réponses au
sujet des loups-garous, Severus. Je sais que vous vous remettez à peine et je suis conscient
d’en demander beaucoup mais… »

« Mes recherches préliminaires n’étaient pas concluantes. » l’interrompit-il. « J’ai à peine eu


le temps d’examiner la potion, toutefois. Pour l’instant, tout ce que je puisse en dire est qu’il
semble s’agir d’un dérivé de la potion Tue-Loup. »

« Plus proche de votre potion Révèle-Loup ? » s’enquit Albus avec intérêt.

« Peut-être. » admit-t-il. « Il me faudrait examiner la potion plus en détails. Seulement… »

Seulement ses doigts tressautaient sans raison et ses mains tremblaient sans discontinuer.

« Faites au mieux. » exigea Dumbledore, non sans compassion. « Vous êtes le meilleur
Maître des Potions que nous ayons, Severus. »

Il accepta le compliment d’un signe de tête mais l’amertume était dure à dissimuler. Il l’avait
peut-être été dans le passé mais à présent…

« Ce qui nous emmène à la deuxième raison de ma visite… » reprit le vieux sorcier.

« Et moi qui croyais que vous vous souciez simplement de ma santé. » se moqua-t-il.

« Je m’en soucie. » répondit Dumbledore. « Suffisamment pour avoir engagé Bill Weasley. »

« Weasley ? » releva-t-il en fronçant les sourcils. « Qu’ai-je à faire d’un Briseur de sorts ? »

Les yeux bleus se posèrent sur son avant-gauche et Severus couvrit la manche de sa main par
réflexe, comme pour mieux dissimuler ce qui n’était, de toute manière, pas visible.

« Rien ne peut libérer un Mangemort de la Marque des Ténèbres. » murmura-t-il.


« Cette Marque est une torture permanente. » rétorqua Albus d’un ton péremptoire.
« Combien de temps avant que la douleur ne vous rende fou ? » Le vieux sorcier secoua la
tête et Severus ne pensait pas que l’affection et l’inquiétude dans son regard étaient feintes.
« Bill est un excellent Briseur de Sorts. Laissez-lui une chance. »

Il avait fait ses propres recherches après la chute du Seigneur des Ténèbres et n’avait jamais
rien trouvé qui pourrait le débarrasser du lien de magie noire. Il était probablement amusant
qu’il ait un jour considéré Sa marqua avec fierté, un élément de distinction, alors qu’elle
n’était en fait qu’une laisse autour de son cou…

« Très bien. » accepta-t-il parce que cela ne lui coûtait rien.

« Je craignais que vous ne soyez plus difficile à convaincre. » remarqua Albus avec un léger
sourire. « Eh bien, je vais vous laisser… » Le directeur se leva et Severus fit de même par
habitude, l’escortant jusqu’à la cheminée par politesse. « Ah, une dernière chose… » reprit
Dumbledore, en pêchant une poignée de poudre de cheminette dans le petit récipient en
argent posé sur le manteau de la cheminée. « Cela ne signifie peut-être rien mais il semble
que des Détraqueurs aient été aperçus un peu plus au sud… Kingsley m’a certifié que les
rapports n’étaient pas certains, cependant ils semblent remonter en direction de l’école… »

« La communauté magique panique. » commenta Severus. « Ce n’est pas bien surprenant que
certains voient des monstres là où il n’y en a pas. »

Le Seigneur des Ténèbres n’avait toujours pas bougé d’Azkaban et, si certains commençaient
à se détendre, d’autres paniquaient davantage face à cette immobilité suspecte. Severus faisait
partie de ceux que ce manque d’action rendait nerveux. Si le mage noir n’était pas passé à la
suite de sa conquête, cela signifiait qu’il était en train de préparer quelque chose.

« Quoi qu’il en soit… Soyez prudent. » ordonna Albus. « Si vous deviez quitter le château…
Assurez-vous d’abord d’être en mesure de créer un patronus. »

« Vous pensez que ces Détraqueurs sont là pour moi ? » demanda-t-il avec un détachement
certain. Il s’était attendu à pire. Les Détraqueurs ne passeraient jamais les protections qui
entouraient l’école et il n’avait aucune intention de les quitter pour l’instant.

« Je l’ignore. » répondit honnêtement Dumbledore. « Mais il s’agit là d’une théorie que je


n’ai aucune envie de tester. »

Il disparut dans la cheminée sans plus tergiverser et Severus fixa les flammes du regard
pendant plusieurs minutes, tentant de faire le tri de toutes ces informations. Il aurait payé cher
pour posséder une pensine à cet instant précis.

« Qu’en penses-tu ? » demanda-t-il à voix haute.

« Je pense que j’en ai marre qu’il essaye de me manipuler. » grommela l’adolescent. Severus
se retourna à temps pour le voir se laisser tomber dans le fauteuil qu’avait occupé le directeur.
Avachi, le Gryffondor passa une main dans ses cheveux déjà en bataille avant de lever ses
yeux verts vers lui. « La Marque… »
« Inutile de t’en préoccuper. » l’interrompit tout de go Severus. Peut-être avait-il fait une
erreur en laissant Harry les espionner. Il n’avait jeté aucune protection, sachant que
l’adolescent interpréterait cela comme une permission tacite d’écouter aux portes. « Tu avais
des difficultés avec ton Patronus… »

« Spero Patronum. » murmura le garçon sans une hésitation.

Le sombral argenté occupait la moitié du salon, baignant la pièce d’une lumière si éclatante
que Severus dut lever la main pour ne pas être ébloui.

« Lui et Sirius peuvent dirent ce qu’ils veulent. » lança Harry avec une pointe de défi, en
posant la main sur l’encolure du patronus. « Je garde ma chambre. »

Severus leva un sourcil avec un fin sourire.

Il plaignait quiconque essaierait de la lui faire abandonner.


A Whisper In The Darkness

A whisper in the darkness

In the quiet it’ll grow

you can try to hide it in the farthest place

But everybody knows

Something in the Shadows

Cuts you like an arrow

Something In The Shadows – Amy Stroup

Un murmure dans l’obscurité

Qui grandit dans le silence

Tu peux essayer de te cacher le plus loin possible

Mais tout le monde sait

Que quelque chose dans l’ombre

Te transperce comme une flèche.

Something In The Shadows – Amy Stroup

Tonks observa son reflet d’un œil critique, ignorant les remarques désobligeantes du miroir
sur les cernes sous ses yeux. Avec un soupir, elle ébouriffa ses cheveux blond platine et quitta
la salle de bain, peu surprise de trouver la chambre vide, le lit déjà fait et ses chaussures
alignées près de la porte alors qu’elle était à peu près sûre qu’elles avaient terminé à deux
bouts opposés de la pièce la nuit précédente.

Elle était toujours en train de lacer sa deuxième botte lorsqu’elle sautilla dans le salon du
Maître des Potions, sans grâce aucune, à temps pour le voir rageusement balayer la surface de
la table de travail d’un revers de bras. Il fusillait du regard la plume qu’il venait d’échouer à
utiliser et Tonks soupira. Ce n’était pas la première fois qu’elle assistait à une scène de ce
genre. Severus avait quitté l’infirmerie depuis un peu plus d’une semaine à peine et il
semblait prendre comme un affront personnel le fait de ne pas être encore complètement
remis.

« Tu es convalescent. » lui rappela-t-elle, non sans amusement. « Pourquoi te lever à six


heures du matin ? »
« Parce que tu es aussi discrète qu’un hippogriffe enragé lorsque tu utilises la salle de bain. »
grommela-t-il sans cesser de jeter un regard noir aux recherches éparpillées au sol.

Livres, parchemins, notes raturées et à peine lisibles… Il continuait à plancher sur le


problème des loups-garous à partir des observations préliminaires qu’il avait réalisées des
semaines plus tôt mais ne parvenait pas réellement à écrire – ou, du moins, pas à sa
convenance.

« Pomfresh a dit que tu devais travailler sur… » lui rappela-t-elle gentiment, en attrapant le
blouson en cuir rouge qu’elle avait balancé sur le dossier du canapé la vieille.

« Sur quoi ? » grinça-t-il, son regard noir se déplaçant jusqu’à elle. Et, soudain, les
recherches n’étaient plus l’objet principal de son irritation. « Sur ma magie ? Devrais-je
perdre encore un jour entier à échouer à jeter des sorts qu’un premier année maîtrise dès
novembre ? »

Elle secoua la tête, ayant déjà exprimé son opinion à ce sujet à de multiples reprises. « Tu
parviens parfaitement à lancer des sorts quand tu ne réfléchis pas. Tu fais un blocage,
Severus, et… »

« Ne projette pas tes propres insécurités sur moi. » l’interrompit-il froidement.

Elle serra les dents, zippa son blouson et se dirigea vers la porte après avoir vérifié que sa
baguette était bien accessible. Severus attrapa son poignet lorsqu’elle passa près de sa chaise,
son expression impénétrable. Il leva les yeux vers elle et expira lentement. Elle pouvait
presque voir les boucliers mentaux s’abaisser, le laissant avec un air contrit.

« Mon caractère est exécrable. » offrit-il en guise d’excuse.

« C’est le cas de dire. » confirma-t-elle, avec un sourire amusé. Elle glissa une main sur sa
joue et le força à relever un peu plus le menton d’un léger coup de pouce. « L’auto-
apitoiement, ce n’est pas très sexy, Severus. »

Il laissa échapper un bruit amusé, probablement parce que personne n’aurait jamais pu
l’accuser d’être sexy quoi qu’il en soit, mais répondit tout de même au baiser rapide qu’elle
colla sur ses lèvres.

« Je ne reviendrai pas ce soir. » l’avertit-elle alors que ses doigts desserraient leur prise
tremblante et glissaient le long de sa main dans ce qui n’était pas tout à fait une caresse.
« Tous ces allers-retours… Je suis crevée et je dois passer au Q.G dans la journée…
J’essayerai de questionner Nyssa… »

« Nous sommes vendredi… Harry passera probablement le week-end ici, de toute manière. »
répondit-il, son regard se portant sur les mèches blondes qui encadraient son visage avec un
léger froncement de sourcils. « Downing Street ? »

« C’est l’idée. » soupira-t-elle, ignorant pour l’instant la question Harry. Elle n’était pas tout
à fait certaine de comprendre le nouveau statu quo. Severus avait été vague dans les
explications qu’il lui avait fournies mais il en était ressorti qu’il avait plus ou moins adopté
l’adolescent durant leur séjour dans le passé. Ce qui, étant donné qu’Harry avait passé tout le
temps que le Professeur avait été inconscient à l’appeler son père était, au moins, logique – et
plus rassurante que la perspective du Gryffondor étant le fils naturel caché du Maître des
Potions, il fallait l’avouer. Elle était beaucoup trop jeune pour servir de belle-mère à qui que
ce soit. Avoir un adolescent à charge, aussi indépendant que Malfoy soit, lui suffisait
amplement pour l’instant. « Je dois repasser au Ministère, d’abord. »

« Sois prudente. » exigea-t-il.

« Ne suis-je pas toujours prudente ? » rétorqua-t-elle, en s’éloignant pour de bon cette fois-ci.
Bien sûr, cela aurait été plus convainquant si elle n’avait pas trébuché sur la canne en bois
sombre dont Severus refusait de se servir et n’avait pas manqué s’étaler par terre.

« Je préfère ne pas commenter. » ironisa-t-il.

Tonks était devenu un peu trop experte dans l’art de quitter discrètement le château. Entrer en
catimini était impossible, il lui fallait patienter au portail jusqu’à ce que McGonagall,
Dumbledore ou l’un des professeurs ne répondent à son appel – et elle préférait lorsque
c’était la sous-directrice parce que, au moins, elle n’avait pas besoin d’inventer d’excuses –
mais partir…

Elle quitta le château par le passage secret qui donnait sur les cachots et remonta le col de son
blouson, frissonnant dans l’air bien trop froid. Elle regretta de ne pas avoir pris le temps
d’avaler un café chaud et se promit de se faire une tasse de thé au Ministère avant d’aller où
que ce soit. Cela faisait déjà des semaines qu’elle déléguait la tâche de protéger le premier
ministre moldu à l’équipe d’Aurors qu’elle avait elle-même triés sur le volet, ils pouvaient se
passer d’elle un petit peu plus longtemps.

« Tonks ! » appela la voix familière de Charlie alors qu’elle atteignait presque la Forêt
Interdite.

Elle marmonna un juron mais se retourna tout de même pour faire face à son meilleur ami qui
était occupé à nourrir un groupe de sombrals. Elle chercha Anthony du regard, consciente que
bien qu’ils soient tous les deux en grande partie remis des conséquences de l’attaque du
Chemin de Traverse, le sortilège leur interdisait toujours de s’éloigner trop l’un de l’autre.
Elle ne tarda pas à repérer l’autre jeune homme à l’autre bout de l’enclot, occupé à examiner
l’intérieur du sabot d’un bébé sombral.

« Vous commencez tôt. » observa-t-elle, de ce qu’elle espérait être un ton innocent.

« Toi aussi. » se moqua ouvertement Charlie, en agitant les sourcils. « Qu’es-ce qui t’amène ?
Un rapport urgent, je suppose ? »

Elle leva les yeux au ciel et lui asséna une bourrade amicale. « Je suis en retard. »

« Tu serais moins en retard si tu passais moins de temps avec Snape. » remarqua Charlie à
voix basse, en lui emboîtant le pas. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, probablement
pour juger de la distance qui le séparait d’Anthony. « Je n’ai rien dit à personne, tu sais. »
« J’espère bien. » s’exclama-t-elle, en lui jetant un coup d’œil agacé.

« Je n’ai rien dit mais certaines personnes commencent à se poser des questions. » insista-t-
il. « Remus… »

« Remus peut aller se faire foutre. » cracha-t-elle, avant d’avoir pu y penser à deux fois. Elle
dut faire un effort pour contrôler ses pouvoirs et empêcher ses cheveux de virer au rouge. Il
ne fallait pas croire, elle n’était pas dupe des sous-entendus et des questions à peine voilées
du loup-garou. « Ce que je fais et avec qui ne regarde que moi, que je sache. Je ne vois pas
pourquoi il faudrait que j’étale ça devant l’Ordre. »

Charlie leva les mains devant lui dans un geste défensif. « Pas la peine de t’en prendre à moi.
C’est vrai que je ne vois pas trop ce que tu lui trouves... »

« Ça aussi ça me regarde. » cingla-t-elle, peu encline à écouter son meilleur ami dénigrer
son… Elle n’était pas certaine du terme approprié. « Écoute… Je veux rester discrète pour
plusieurs raisons… »

« Tu sors avec Snape. Je comprends que tu veuilles rester discrète. » remarqua son ami avec
un petit rire moqueur. « Il doit être sacrément bon au… »

« Je n’ai pas honte. » l’interrompit-elle avant qu’il ait put terminer sa phrase. « Ce n’est pas
pour ça. C’est juste… plus simple comme ça pour le moment. »

Principalement, à cause d’Harry, elle l’avait bien compris. Et accessoirement parce que
Severus n’était pas encore suffisamment remis pour avoir à affronter les racontars et les
commentaires que les autres membres de l’Ordre ne manqueraient pas de répandre et de faire.
Pour être honnête, cela ne la dérangeait pas de garder leur relation secrète un peu plus
longtemps. C’était illusoire, bien entendu, Voldemort et les Mangemorts étaient déjà tous au
courant grâce à Lucius Malfoy… Dumbledore devait savoir ou, tout du moins, s’en douter.
McGonagall n’avait même pas prétendu être dupe une seule seconde… Elle l’avait elle-
même avoué à Charlie…

Beaucoup trop de personnes étaient au courant pour que cela demeure entièrement secret.

Toutefois étant donné ce qui se passait à l’extérieur, ses relations amoureuses étaient-elles si
importantes ?

Et le principal, dans tout ça, était que Severus ait le temps de l’annoncer à Harry lui-même.
Elle s’entendait bien avec le garçon, comme elle le lui avait fait remarquer, mais il avait
marmonné que c’était plus compliqué que ça et elle lui faisait suffisamment confiance pour
lui laisser l’espace qu’il désirait.

Ils n’étaient pas officiellement ensemble depuis assez longtemps pour qu’elle s’estime en
droit de faire ce genre de demandes et elle supposait qu’il avait ses raisons. Il semblait
craindre que le Survivant ne réagisse pas forcément bien et, bien qu’il n’ait rien trahi en ce
sens, elle soupçonnait qu’il y avait là-dessous un rapport avec les Dursley. Lorsqu’elle était
allée chercher Harry avec le reste de l’avant-garde l’été précédent, elle avait eu un très
mauvais pressentiment tout du long. Cette maison était trop propre et Harry n’apparaissait sur
aucune des photos de famille accrochées au mur. Quelque chose ne tournait pas rond là-
dessous.

« Hey… » Charlie fronça les sourcils, arrêtant sa progression d’une main posée sur son bras.
« Je plaisante, c’est tout. Tu sais que tu peux toujours compter sur moi. »

Il avait l’air suffisamment sérieux pour qu’elle soit certaine de sa sincérité et, bêtement, elle
sentit les larmes lui monter aux yeux. Les dernières semaines n’avaient pas été faciles. Il y
avait Severus et l’incertitude qui avait plané sur sa survie pendant des jours, puis son lent
rétablissement… Il y avait Fol’Œil à qui elle évitait de penser autant que possible pour ne pas
sombrer dans un chagrin dont elle ne se relèverait pas… Et puis l’atmosphère électrique qui
étouffait le pays tout entier, l’insupportable attente…

« Je sais. » sourit-elle. « Merci. »

Les lèvres de Charlie s’étirèrent mais le sourire n’était plus aussi franc et il baissa le regard.
« Cela étant dit… Je ne suis pas sûre que toute cette histoire avec Snape soit une bonne idée.
Je ne lui fais pas confiance, ma nymphe. »

Cela lui fit l’effet d’une douche froide.

Elle dégagea le bras qu’il tenait toujours d’un geste rageur. « Il a failli mourir pour l’Ordre et
tu ne lui fais toujours pas confiance ? C’est… »

« C’est ce qu’il dit. » coupa Charlie. « Et tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a un
espion. Peut-être qu’il ne faut pas aller chercher plus loin ce qui… »

Le dragonnier s’interrompit brusquement lorsqu’il se retrouva face au bout de sa baguette.

« Si tu doutes de lui, tu doutes de moi. » siffla-t-elle en guise d’avertissement.

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre. Elle s’éloigna en direction de la lisière de la Forêt
et s’enfonça jusqu’à sentir les protections anti-transplannage s’effacer.

Elle était furieuse lorsqu’elle réapparut dans une petite allée de Londres et la courte marche
jusqu’au Ministère ne la calma pas. La première chose qu’elle fit en arrivant dans son bureau
fut de jeter son blouson sur le dossier de sa chaise et de se diriger vers le capharnaüm dans le
coin où elle conservait une bouilloire et des tasses à la propreté douteuse.

Elle était à peine en train de conjurer de l’eau pour la remplir lorsque la porte de son bureau
s’ouvrit à la volée sur Kingsley.

« Ah, parfait, tu es là… » soupira l’Auror d’un air soulagé. « La Marque est apparue au-
dessus d’un petit village dans le nord… »

Sans un mot, Tonks reposa la bouilloire, attrapa son blouson et suivit son partenaire dans la
partie commune du Bureau des Aurors. D’autres sorciers étaient déjà en train de se préparer
en urgence pour une possible bataille.
« Tu connais ces journées de merde qui commencent mal et se terminent mal ? » plaisanta-t-
elle.

« Tâche de la terminer en vie, c’est tout ce que je te demande. » rétorqua son supérieur, avant
d’élever la voix pour rassembler ses troupes.

Ils transplannèrent tous simultanément et l’odeur prit la jeune femme à la gorge bien avant
qu’elle ne sente l’humidité et le froid trop mordant pour un matin de printemps qui tirait vers
l’été. La fumée était acre, des cendres volaient dans l’air glacial… Le village moldu était en
ruine, c’était un charnier. Et au dessus des carcasses éventrée des maisons, verdâtre dans le
ciel gris, brillait la Marque des Ténèbres.

Elle la contempla quelques secondes avant de reporter son attention sur les ruines encore
fumantes. À aucun moment elle ne baissa sa baguette.

« Tonks, prends un groupe et établis un périmètre de sécurité. » ordonna Shacklebolt, ses


yeux sombres fouillant les rues calcinées. Des poches de flammes subsistaient encore ça et là
mais à première vue, elle ne pensait pas qu’il s’agissait d’un feu magique et les sorciers ne
devraient avoir aucun mal à l’éteindre. « Les autres, avec moi. Cherchez des survivants. »

Elle sélectionna son groupe avec soin. Les Aurors les plus expérimentés, ceux qui ne seraient
pas un poids s’il devait y avoir affrontement, et pour la centième fois ces derniers mois, elle
s’effraya d’à quel point le Ministère était peu prêt à faire face à cette guerre. La vérité nue
était qu’ils n’avaient plus de combattants. La grande majorité des Aurors avaient été
assassinés lors de l’attaque du Chemin de Traverse, tous ceux qui les avaient remplacés…
Scrimgeour avait mis ses suggestions en place et avait rappelé les Aurors à la retraite, les
réservistes ainsi que toutes les personnes ayant obtenu un O à leur Aspics de Défense,
pourtant, cela ne suffirait pas. Les personnes qui l’entouraient n’avaient pratiquement aucune
expérience et, quelque fois, il lui arrivait de se dire qu’il ne restait plus qu’elle, Kingsley et
Scrimgeour comme Aurors compétents.

La mort de Fol’Œil avait porté un coup sévère à la fois à l’Ordre et au Département des
Aurors…

Penser à son mentor fut comme un coup de poignard au creux de l’estomac et elle chassa ses
pensées de sa tête avant que la tristesse ait put l’emporter sur la prudence. L’Occlumencie
avait cet avantage là de rendre la concentration légèrement plus facile.

Sur son ordre, ses hommes se déployèrent derrière elle et ils ratissèrent le village, jetant des
sorts de détection dans toutes les directions.

Il n’y avait pas âme qui vive dans le petit bourg.

Ce n’était pas un gros village mais cela la rendait malade. Combien de Moldus étaient morts
au petit matin, probablement encore dans leurs lits ? Ceux qui avaient eu de la chance du
moins. Ils trouvèrent un tas de cadavres plus loin sur la route qui tendait à prouver que les
Mangemorts s’étaient distrait avec ceux qui avaient tenté de s’échapper.
« Rien à signaler. » rapporta-t-elle finalement à Kingsley après une vingtaine de minutes. Il
secoua tristement la tête, preuve s’il en fallait qu’il n’y avait pas de survivants.

Combien d’hommes ? Combien de femmes ? Combien d’enfants ?

Autant de questions dont les réponses étaient au demeurant inutiles. Trop, la voilà la réponse.
Trop.

« Renvoie le groupe au Ministère mais garde Albert et Leo. » ordonna Shacklebolt. « Peut-
être cherchaient-ils quelque chose… »

« Ou quelqu’un. » suggéra-t-elle, les mâchoires contractées de colère.

Toutes ces vies perdues… Tout ce gâchis…

« Peut-être. » acquiesça-t-il.

Elle se détourna pour relayer ses ordres, lui laissant le soin de faire disparaitre la marque
verdâtre du ciel grisonnant. Puis, lorsque le gros de la troupe eut regagné le Ministère, ils se
remirent à fouiller le village, plus attentivement.

Tonks pénétra dans chaque maison calcinée qui lui avait été attribuée avec prudence,
éteignant les flammèches qui subsistaient encore ça et là, avec la sensation désagréable qu’ils
étaient en train de chercher une aiguille dans une botte de foin.

Les maison moldues étaient classiques. Des petites maisons en briques typiquement anglaise,
remplies du bric-à-brac que l’on pouvait s’attendre à trouver chez tout un chacun… Et, bien
sûr, au détour d’un couloir, le corps brûlé d’un Moldu qui n’avait rien demandé.

À chaque fois qu’elle tombait sur un cadavre, elle pensait à ses tantes et ses cousins du côté
de son père. Andromeda lui avait dit que son père avait insisté pour que sa famille quitte le
pays quelque temps. En théorie, ils étaient en sécurité. En théorie. Était-on en sécurité nulle
part de nos jours ?

La tâche était ingrate et elle était couverte de suie lorsqu’elle rejoignit les autres au milieu de
la rue principale. Aucun des autres Aurors n’avaient trouvé quoi que ce soit. Toussant à cause
de la fumée âcre qui attaquait leurs poumons et leur piquait le nez, ils avouèrent leur défaite
et s’apprêtaient à retourner à Londres d’où ils pourraient prévenir les autorités Moldues
lorsque Leo fronça les sourcils.

« Est-ce que les Hawthornes ne vivent pas par ici ? » demanda-t-il avec hésitation.

Probablement parce qu’il n’était qu’une jeune recrue et que les jeunes recrues n’avaient pas
souvent droit au chapitre. Néanmoins, en cette période de troubles, les jeunes recrues étaient
tout ce qui leur restait.

« Les Hawthornes ? » répéta Kingsley, en fronçant lui aussi les sourcils. « Ils ont quitté le
pays, il me semble. »
« Mais ils ont un manoir dans les environs. » insista Leo. « J’y suis venu une fois… Peut-
être… »

« Peut-être que ce village n’était pas la cible. » termina Tonks. « Ça vaut le coup de vérifier. »

Il leur fallut plusieurs minutes pour déterminer avec exactitude où était située la propriété des
Hawthorne, minutes que Tonks passa à se demander ce que les Mangemorts auraient bien pu
vouloir à une famille qui, certes avait des racines sang-pures, mais était également bien
modeste.

Un quart d’heure de marche plus tard, ils atteignaient les limites du manoir situé en rase
campagne et, immédiatement, Tonks eut la chair de poule.

« Les protections sont tombées. » murmura-t-elle, en levant sa baguette devant elle, prête à se
défendre si le besoin s’en faisait sentir.

Kingsley lui jeta un coup d’œil surpris, probablement parce qu’elle n’avait jamais manifesté
de réels dons pour détecter les protections qui entouraient les domaines ou les objets
auparavant. Ce genre de magie était subtil et difficile à manier, elle n’y avait jamais accordé
qu’un intérêt limité. Cependant, Severus lui avait montré plus d’un sort utile et la nécessité de
protéger son appartement contre une quelconque intrusion extérieure l’avait forcée à
reconsidérer sa position. Elle était maintenant bien plus au fait des sorts de protections
qu’elle aurait voulu être.

« Prends Albert et fais le tour par derrière. » ordonna-t-il.

Elle hocha la tête et se glissa à l’arrière du manoir.

Rien ne bougeait à l’intérieur. Elle repéra deux vitres brisées mais la bâtisse n’avait pas été
incendiée et tout semblait calme. Ils se glissèrent dans ce qui semblait être une bibliothèque
par une fenêtre qu’elle ouvrit à l’aide de sa baguette sans rencontrer la moindre résistance.

Tout avait été saccagé.

« Sois prudent. » murmura-t-elle à l’attention d’Albert.

Elle aurait préféré que les deux jeunes Aurors attendent à l’extérieur. Ils étaient tous deux
nerveux, terrifiés peut-être, et cela n’augurait rien de bon dans une situation où seule une
maîtrise de soi pouvait vous sauver la vie.

Ils progressèrent lentement et méthodiquement, comme ils l’avaient fait dans le village
moldu. Chaque pièce qu’ils traversaient avait été fouillée. Les tableaux étaient décrochés, les
meubles renversés, les coussins éventrés…

Il semblait que l’intuition de Leo était la bonne, ils cherchaient quelque chose. Ou quelqu’un.

Ce fut elle qui trouva le passage secret. Le mur sous le grand escalier qui menait à l’étage
était ouvert et semblait s’enfoncer sous la maison. Elle jeta un coup d’œil à Albert, lui
intimant d’un geste de rester où il était et d’assurer ses arrières, avant de descendre
prudemment les marches de pierres glissantes.
L’obscurité était totale et, contre toute prudence, elle jeta un lumos. Elle ne vit rien d’autre, à
la lumière tremblotante de sa baguette, que des murs de pierre lisse suintant d’humidité et un
long tunnel qui s’étendait devant elle. Elle le suivit, trébuchant parfois sur le sol inégal, et fut
plus que soulagée de finalement rencontrer un escalier qui remontait vers la surface. Elle
émergea sans grande surprise à l’extrême limite de la propriété.

Elle examina les environs, les arbres et la clôture en bois qui donnait sur un champ mais ne
trouva aucune trace de lutte. De guerre lasse, elle referma le passage secret et rebroussa
chemin vers le manoir.

« Il n’y a pas de traces de sorts d’attaque ou défensif. » Kingsley lui apprit dès qu’il l’aperçut.
« Mais quelqu’un campait dans une des chambres du premier. Ils sont définitivement à la
poursuite de quelqu’un. »

Ils décidèrent de fouiller la campagne environnante par mesure de prudence, au cas où la


personne que les Mangemorts recherchaient soit encore là et ait besoin d’aide, mais ni l’un ni
l’autre n’était très optimiste.

°O°O°O°O°O°

Sirius observa les cinquième année ranger leurs affaires, incapable de ne pas remarquer
qu’une fois de plus Harry semblait désespéré de s’enfuir le plus vite possible. Son filleul
enfournait son manuel et ses parchemins dans son sac avec une colère à peine contenue.
Hermione lui souffla un mot à l’oreille et le Survivant secoua la tête en réponse, son
expression s’adoucissant légèrement.

Sirius s’approcha du bureau avec une nonchalance feinte et s’appuya contre la table, les bras
croisés.

« Tu as une seconde, Harry ? » demanda-t-il. C’était plus un ordre qu’une question. À croire
que presque un mois à remplacer Snape avait suffi à lui donner le ton d’un enseignant
potentiel.

Hermione lui sourit, pressa le bras d’Harry en grimaçant et s’enfuit sans demander son reste
rejoindre Ron, Malfoy, Zabini et Greengrass qui trainaient sur le seuil de la salle de classe.
Un mot de sa part fut suffisant pour que le groupe se mette en route vers leur cours suivant.

Harry les regarda partir sans envie ou regret. Il se laissa tomber sur la chaise qu’il avait
occupé toute la leçon et se frotta les yeux. Sirius avait finalement réussi à s’habituer à
l’absence de lunettes bien qu’il en venait encore quelque fois à les regretter, ne serait-ce que
pour la ressemblance à James. Il se demanda brièvement s’il aurait remarqué à quel point
l’adolescent avait l’air épuisé si les lunettes épaisses avaient partiellement dissimulé ses
traits.

« Est-ce que ça va ? » s’enquit-il de but en blanc. « Tu sais que si tu as un problème, tu peux


m’en parler, Harry, hein ? »

Cela faisait presque une semaine qu’Harry avait recommencé à l’éviter et cela le peinait plus
qu’il n’aurait su le dire. Il avait pensé qu’ils avaient finalement renoué le lien et laissé
derrière eux les conneries que son lui adolescent avait fait subir à Harry dans le passé. Il avait
pensé que…

À une autre époque, il aurait immédiatement accusé Snape d’être responsable de cette
nouvelle mise à distance – après tout elle avait coïncidé avec sa sortie de l’infirmerie – mais
l’ancien Mangemort semblait encore plus déterminé que lui à ce que Sirius obtienne la garde
officielle de son filleul donc… Non. Non, cela ne venait pas de Snape. Aussi ridicule et
improbable que cela soit, il faisait confiance au Maître des Potions lorsqu’il était question
d’Harry.

« Désolé. » soupira Harry. « Le cours était intéressant. Vraiment. J’ai juste mal dormi. »

Sirius fronça les sourcils et se percha sur le coin du bureau, observant son filleul avec
davantage d’attention encore. Ce n’était pas du manque d’intérêt flagrant que le garçon avait
manifesté pour son cours que l’Animagus avait voulu parler. Ce n’était jamais qu’une leçon
et le niveau d’Harry était, de toute manière, bien supérieur à ses camarades en Défense.

« Depuis combien de temps est-ce que tu dors mal ? » insista-t-il.

Ses yeux gris se posèrent sur la cicatrice en forme d’éclair et, comme pour confirmer ses
craintes, Harry se mit à la frotter avec acharnement.

« C’est rien. » déclara le garçon, en secouant la tête. « Il est juste… excité à propos de
quelque chose. »

« Tu as eu une vision ? » s’inquiéta immédiatement Sirius.

« Non, ça n’arrive plus. » contra Harry. « L’Occlumencie… Je contrôle. C’est juste plus dur
de l’ignorer quand il est vraiment heureux ou très en colère. »

Sirius inclina pensivement la tête sur le côté, faisant involontairement écho à sa forme canine.

« Tu penses que tu pourrais contrôler la connexion ? » hésita-t-il. « Glaner quelques infos ? »

« Non. » cingla immédiatement le garçon, en se levant brusquement. La chaise se renversa et


tomba au sol avec un bruit sec.

La panique sur le visage d’Harry était réelle et sa respiration trop hachée au gout de Sirius.

« Ok. OK. » s’empressa-t-il de le rassurer en levant les mains.

Mais Harry le fixait désormais sans le voir, clairement plongé dans un quelconque souvenir
douloureux. Il se leva lentement, sans geste brusque, et posa les mains sur les épaules du
garçon, presque surpris de ne pas sentir les os saillant sous ses paumes. Il avait mis des
muscles et prit du poids en soixante-quinze, ce qui était bien. Il n’avait plus l’air famélique de
l’enfant de treize ans qu’il avait rencontré pour la première fois deux ans plus tôt.

« Hey… » murmura-t-il doucement, massant gentiment ses épaules. « Harry. Respire. Tout va
bien. »
Les yeux verts vinrent se planter dans les siens avec une telle force que Sirius dressa
immédiatement ses boucliers mentaux, heureux que Snape ait insisté pour qu’il s’entraîne
jusqu’à ce que cela devienne un réflexe parce qu’il était évident à cet instant qu’Harry n’était
pas en pleine possession de ses moyens et que son esprit, volontairement ou pas, était à la
limite de la Legilimencie.

« Je ne veux pas me retrouver coincé avec lui. Pas encore. » marmonna l’adolescent, en
attrapant le bras de Sirius. « Je ne peux pas. Je… »

Sirius avait toujours eu tendance à traiter Harry comme un adulte, comme une mini-version
de James peut-être, comme l’en accusait parfois Remus, et il ne comprit qu’à cet instant
pourquoi Snape insistait autant sur le fait qu’il était encore un enfant qu’il fallait protéger. Pas
uniquement de Voldemort mais…

Harry avait l’air si perdu, si vulnérable, que Sirius fit la première chose qui lui vint à l’esprit :
il le prit dans ses bras.

Il avait toujours été quelqu’un de tactile. Du moins avant Azkaban. C’était une réponse
naturelle pour lui.

Visiblement, il n’en allait pas de même pour Harry.

L’adolescent se tendit et il fallut de longues et gênantes secondes avant qu’il ne se détende un


peu. Sirius finit par le lâcher avec embarras et un léger sentiment de rejet. Une part de lui
était certaine que son filleul n’aurait pas refusé ce genre de réconfort s’il était venu de Snape.

Au moins, ça eut le mérite de calmer un peu le Gryffondor. Il ne semblait plus sur le point
d’avoir une crise de panique.

« Tu en as parlé à quelqu’un ? » demanda-t-il, après s’être raclé la gorge.

Harry secoua la tête, les yeux rivés sur ses chaussures, les joues légèrement rougies.

« Pas même Snape ? » s’étonna-t-il. Le garçon grimaça légèrement et Sirius fronça les
sourcils. « Il y a un problème avec Snape ? »

Cela aurait été beaucoup plus simple si Harry avait bien voulu lui confier ce qui n’allait pas
directement au lieu d’avoir à lui arracher les mots de la bouche mais il savait d’expérience
que le garçon pouvait être extrêmement réservé et avait une tendance marquée à vouloir gérer
ses problèmes par lui-même. Il pouvait respecter ça. À tort ou à raison. Cela ne signifiait pas
qu’il n’allait pas proposer son aide.

« Il est… déprimé. » lâcha finalement Harry, visiblement à contrecœur. « Il ne se remet pas


aussi vite qu’il voudrait. Il n’a rien dit mais je sais qu’il a peur de… » L’adolescent
s’interrompit et son expression se durcit. Sirius devina qu’il occludait – et de manière plutôt
impressionnante parce que son visage ne reflétait plus rien. « Je ne veux pas en rajouter. »

« Harry… » déclara-t-il lentement, prudemment. « Snape ne te remerciera pas de lui cacher


des choses même si tu penses que c’est pour le protéger. Au contraire. »
« Je sais. » admit le cinquième année, en levant les yeux au ciel. « Il va m’arracher la
tête. C’est juste que… »

« Tu t’inquiètes pour lui. » termina Sirius lorsque l’adolescent laissa sa phrase en suspens.

Harry l’étudiait à présent avec une attention trop soutenue par-dessous sa frange et, une
nouvelle fois, Sirius ressentit le besoin de dresser des boucliers autour de son esprit. C’était
stupide, bien sûr, son filleul n’aurait jamais violé son intimité en fouillant dans sa tête mais il
était évident pour lui qu’Harry cherchait… quelque chose. Et peut-être touchaient-ils enfin du
doigt la véritable raison pour laquelle le garçon l’avait si soigneusement évité ces derniers
jours.

« C’est mon père. » rétorqua l’adolescent, avec une pointe de défi.

Cela lui faisait toujours l’effet d’un coup à l’estomac, même après des semaines passées à
écouter Harry clamer ce titre à tort et à travers à l’infirmerie, mais il n’en laissa rien paraître.
Il avait accepté le nouveau statu quo des semaines plus tôt en voyant Snape si visiblement
désespéré de se tuer à la tâche pour protéger le Gryffondor.

Il tenait à Harry. Il tenait à Harry plus qu’il ne tenait à préserver la sacro-sainte relation qu’il
avait tissé dans sa tête entre son filleul et James.

« Passons un marché. » proposa Sirius avec un sourire encourageant. « Je vais tenir


compagnie à Snape dès que j’ai fini mon prochain cours et je vais m’assurer qu’il ne déprime
pas trop et, toi, tu lui dis pour tes visions dès que possible. »

Harry hésita un instant et releva le menton en une incompréhensible attitude de défi. « Je lui
dirais ce soir. Je vais redescendre passer le week-end dans ma chambre. »

L’adolescent insista suffisamment sur ces deux derniers mots pour que Sirius comprenne
qu’ils étaient importants.

« Ta chambre. » répéta-t-il.

« Ma chambre. » confirma Harry et ça sonna presque comme un avertissement. « Chez mon


père. »

« Oh !» s’exclama-t-il, comprenant finalement ce que le garçon essayait de lui dire. « Tu as


une chambre dans les appartements de Snape, d’accord. » Mais pourquoi le lui annoncer sur
un tel ton ? Sirius grimaça. Avait-il encore loupé le coche ? Il ne lui était pas venu à l’esprit
que c’était quelque chose qu’Harry aurait pu vouloir… Il avait été parfaitement heureux dans
les dortoirs à son âge et… « Est-ce que tu en voulais une dans les miens aussi ? J’aurais dû y
penser mais… Ce ne sont que des appartements temporaires. Lorsque Snape reprendra son
poste, je retournerai au QG… Mais tu sais que tu seras toujours chez toi au Square
Grimmaurd… Enfin… Je ne compte pas finir ma vie là-bas mais tu auras toujours une place
chez moi. Où que ce soit… »

Il se frotta nerveusement la nuque. Il n’était vraiment pas doué pour prendre soin d’un enfant.
Harry l’observait toujours avec une attention trop soutenue.

« Tu n’es pas… fâché, alors ? » demanda le Gryffondor.

« Fâché ? » s’étonna-t-il. « Pourquoi est-ce que je serais fâché ? »

« Parce que j’ai une chambre dans les cachots ? » clarifia le garçon avec une hésitation
palpable.

« Pourquoi est-ce que je serais fâché ? » répéta-t-il, en haussant les épaules et non sans une
certaine hésitation lui aussi.

Était-il censé protester ? Tempêter pour prouver qu’il tenait à Harry ? Tout ça était trop
compliqué pour lui et…

Un large sourire étira les lèvres du Gryffondor et, avant qu’il ait pu comprendre ce qu’il se
passait, Harry lui avait donné la plus courte étreinte de l’histoire et détalait vers la porte de la
salle de classe, en lançant par-dessus son épaule qu’il allait être en retard en Sortilèges et
qu’ils se verraient le lendemain pour leur entraînement habituel.

Sirius se demanda brièvement si cela venait plus naturellement à Snape et si c’était terrible de
sa part d’être soulagé de ne pas avoir à occuper une place plus proéminente que celle de
parrain dans la vie du garçon.

Élever un enfant était bien trop difficile. Il préférait être le parrain à qui on venait demander
conseil et avec qui on faisait les quatre-cents coups.

°O°O°O°O°O°

Severus gardait les yeux rivés sur les plats que Molly Weasley lui avait envoyés et qui étaient
désormais entassés sur le comptoir de la minuscule cuisine. Tout plutôt que de poser le regard
sur la chair rougie et bouffie qui entourait la Marque des Ténèbres.

La manche retroussée jusqu’au coude, le bandage défait, il était assis à la table de la cuisine,
l’avant-bras posé sur la surface en bois, et attendait que Bill Weasley ait terminé son
inspection. Cela faisait deux fois déjà que l’homme se présentait cette semaine là.

Comment Molly Weasley pouvait-elle connaître ses plats préférés ? La question le taraudait.
C’était, là aussi, le deuxième colis de nourriture que la sorcière lui faisait parvenir et, bien
qu’il ait forcé Harry à tester tous les plats avec tous les anti-poisons possibles et imaginables
par mesure de prudence, il devait admettre que sa cuisine rivalisait sans mal avec celle de
Poudlard. Il n’avait que faire de la reconnaissance mal placée de Molly dont la convalescence
semblait mieux se dérouler que la sienne mais, supposait-il, Harry était toujours si content
d’avoir de ses nouvelles qu’il était probablement pour le mieux qu’elle ait plus ou moins
récupéré ses pleines facultés mentales. Il avait reçu un hibou, plus tôt dans la semaine,
porteur d’une missive où elle le remerciait pour son aide avec tellement de ferveur qu’il en
avait grimacé.
Son regard se déplaça jusqu’à la théière qui patientait tristement un peu plus loin. Il mourrait
d’envie d’une tasse de thé. Il en mourrait d’envie depuis deux jours. Mais il ne parvenait pas
à jeter d’aguamenti et il se refusait à demander l’aide de qui que ce soit.

Le bout de la baguette de Bill toucha le bord de la Marque et Severus ne retint qu’à grand
peine un sifflement. Ses muscles se contractèrent, cependant, trahissant sa douleur.

« Désolé. » murmura le briseur-de-sort.

Severus accepta les excuses d’un hochement raide de la tête et s’appliqua à Occluder la
douleur aussi efficacement que possible. C’était un exercice journalier, à présent, bien qu’il
peinât toujours à maîtriser totalement ses nouveaux boucliers. Pour lui qui avait toujours été
– qui était – un naturel, avoir des difficultés avec l’Occlumencie était, peut-être, la goutte
d’eau qui faisait déborder le vase. Il ne pouvait s’empêcher de repenser à ce moment,
quelques mois plus tôt, où il avait montré à Harry comment il dressait ses défenses mentales
et l’air horrifié du garçon dès qu’il avait rompu le contact.

‘Ce n’est pas bon, Snape’ s’était exclamé le Gryffondor et, il fallait bien admettre, que
l’histoire lui avait donné raison. S’occuper d’Harry, s’attacher à Harry, avait fait voler ses
boucliers en éclats et maintenant… Maintenant il ne parvenait pas à retrouver le détachement
nécessaire pour les reformer. Les nouveaux étaient sans conteste moins subtils et plus
volatiles mais, il l’espérait, se révéleraient tout aussi efficaces au demeurant. Son coffre, cet
ultime recours de l’Occlumens, était lui intact, niché tout au fond de sa tête et c’était, au
moins, un réconfort.

Un nouveau petit coup de baguette, plus prudent cette fois, de l’autre côté de la Marque et
Severus s’enfonça plus profondément derrière ses boucliers, laissant la colère et la frustration
qui constituaient sa première base de défense pour plonger dans la douceur hésitante des
souvenirs qui concernaient Nymphadora. Plus loin, plus près du coffre, il y avait l’amour
paternel que lui insufflait Harry et les souvenirs tendres de Lily. Sa dernière base de défense,
peut-être la plus puissance également.

Se servir de ses émotions comme boucliers au lieu de jeter des souvenirs en pâture était
similaire et totalement différent à la fois. Par de nombreux aspects, c’était une méthode plus
instable. Il tentait toujours d’en maîtriser tous les aspects.

Finalement, Bill soupira et se redressa, la bouche pincée.

Severus n’eut qu’à croiser son regard une poignée de secondes seulement pour percevoir
l’inquiétude et un pointe d’excitation dans les yeux bleus. Trouver une manière de contenir la
Marque était un défi que le briseur-de-sort avait embrassé à bras le corps.

« Le maléfice est de plus en plus corrosif et, sans vous mentir, je ne sais pas comment vous
êtes toujours vivant, Professeur. » commenta Bill, d’un ton professionnel que Severus
apprécia.

Il avait fait extrêmement attention à ce que ni Harry, ni Nymphadora n’aperçoivent la Marque


jusque là, certain qu’il lui aurait fallu apaiser leurs inquiétudes – mentir, au besoin – et qu’ils
auraient refusé de le laisser seul une minute. Dumbledore et Pomfresh étaient les seuls qu’il
avait autorisés à inspecter régulièrement son bras.

« Albus pense que les protections du domaine y contribuent. » acquiesça-t-il, du même ton
détaché que Bill. « Je dois dire que je suis d’accord avec lui. J’ai vu d’autres Mangemorts en
mourir. »

Une mort lente, atroce et douloureuse.

« En terme de douleur… » hésita Bill.

Severus balaya l’air de sa main libre, baissant finalement les yeux sur la chair boursoufflée
qui entourait le crâne et le serpent noir qui barrait son avant-bras. On aurait dit que la Marque
sombrait progressivement dans son corps.

Sa main gauche, par extension, récupérait beaucoup moins vite que sa main droite des
conséquences du Doloris. Il parvenait à peine à saisir des objets légers, la moindre utilisation
de son bras gauche le faisait terriblement souffrir.

« La douleur est une vieille compagne. » grinça-t-il, dans un rictus. « Je m’en accommode. »

À vrai dire, la douleur aurait été plus supportable s’il avait pu se concentrer sur autre chose.
Une potion, une expérience, un livre… Il parvenait à tenir un livre, maintenant – ou, du
moins, il parvenait à coincer un livre ouvert devant lui et à tourner lentement les pages – mais
utiliser une plume était hors de question. Il occluda rapidement le souvenir de ce matin là
quand il avait tenté et échoué une fois encore à griffonner ne serait-ce qu’une piètre note.
Albus lui avait fourni des dictaplumes qu’il rechignait à utiliser.

Ses recherches étaient, de toute manière, au point mort.

« Rompre le sort qui lie la Marque à Vous-savez-qui est impossible. » annonça Bill. « Ou, du
moins, trop dangereux pour vous. Si vous étiez en meilleure santé… Mais je ne suis pas sûr
que je le tenterai même dans ce cas là. Les risques d’une attaque cardiaque sont trop élevés. »

Severus ne marqua aucun signe de surprise. C’était une avenue de questionnements que
Dumbledore et lui avaient explorée bien longtemps auparavant, avant même que le Seigneur
des Ténèbres ne se manifeste à nouveau.

« Le mieux que je puisse faire, c’est tenter de contenir la magie noire… » continua Bill.
« C’est une solution temporaire et il faudra relancer le sort toutes les deux ou trois semaines
suivant la façon dont la Marque réagit. Ça devrait vous permettre de quitter Poudlard sans
risque de tomber raide et réduire considérablement la douleur. »

Severus leva un sourcil à cette formulation plus ou moins heureuse.

« Et comment comptez-vous procéder ? » s’enquit-il.

« C’est technique, peut-être un peu trop à expliquer à quelqu’un qui n’est pas expert dans le
domaine. » répondit Bill. « Mais si vous préférez… Disons que la Marque est comme un
abcès dont il faudrait drainer le pus avant que l’infection passe dans le sang. Ce que je vais
essayer de faire c’est d’aspirer le surplus de magie noire qui suinte de la Marque et essaye de
vous tuer et jeter un sort qui devrait l’isoler. Le sort ne tiendra pas beaucoup plus de deux
semaines, cependant. La magie qui a créé cette Marque est trop puissante. »

« La Marque est dérivée d’un sortilège qui servait à marquer les esclaves. » offrit-il. « Fut un
temps. »

Et l’aurait-il découvert plus tôt, il n’y aurait sans doute jamais consenti. Il avait vu le tatouage
comme un honneur, à l’époque, le symbole d’une nouvelle vie. Il n’avait pas compris qu’il ne
s’agissait que d’un licol.

« Ça ne m’étonne pas. » déclara le briseur-de-sort. « J’ai rarement vu un truc aussi noir. C’est
presque vivant. »

Presque mais pas tout à fait.

La Marque n’était que l’extension de la magie du Seigneur des Ténèbres, elle n’avait pas de
vie propre. Pas comme…

Il ferma brièvement les yeux à la pointe de terreur qui lui mordit le ventre. Ses recherches sur
les horcruxes étaient tout autant au point mort que celles sur la potion permettant à un loup-
garou de se transformer en dehors de la pleine lune. Black n’avait pas plus avancé que lui.

« Professeur ? Que voulez-vous faire ? » demanda sérieusement Bill. « Vous voulez tenter de
drainer la magie noire ? Je dois vous prévenir que ce sera douloureux. Elle ne va pas se
laisser faire. »

« Faites-le. » ordonna-t-il, presque froidement, s’enfonçant davantage derrière ses boucliers.

Il observa discrètement Bill Weasley pendant qu’il travaillait. La Marque résistait et sa


morsure était presque insupportable. Elle lui arracha un grognement plus d’une fois mais il
garda les yeux rivés sur le briseur-de-sorts qui était tout entier à sa tâche, se demandant si…

La vision d’un Briseur-de-sort sur la question serait probablement bienvenue mais pouvait-il
faire suffisamment confiance à Bill Weasley ?

Drainer la magie noire, cela dit… Cela lui donnait une idée. S’il parvenait à drainer
l’Horcruxe hors de l’âme d’Harry…

Bill avait fait apparaitre un flacon barré en tout sens de runes et plus il psalmodiait le
sortilège, plus le flacon se remplissait d’une brume d’un noir d’encre. L’horcruxe ne tiendrait
jamais dans un flacon, bien entendu, un autre objet ? Et ni lui ni Black n’avait considéré
d’utiliser des runes…

Il était tout entier à la question et remarqua à peine lorsque le jeune homme déclara qu’il
avait retiré autant de magie qu’il le pouvait sans que cela présente un risque pour ses propres
pouvoirs. Severus en aurait presque ricané. Ses propres pouvoirs… A croire qu’il n’en avait
plus. Sa magie refusait de répondre à ses exigences, le laissant aussi vulnérable qu’inutile.
Ses pensées dérivèrent à nouveau alors que Bill posait le sort qui contiendrait la magie noire
dans la Marque et l’empêcherait, en théorie du moins, de tenter de le tuer : à quoi servirait-il
à présent ? Il était un poids mort, un boulet qu’Harry trainerait au pied en cas de bataille…

Il remarqua à peine que la douleur avait diminué lorsque Bill rempocha sa baguette, pâle
mais avec un sourire confiant. Il aurait probablement dû l’inviter à s’asseoir pour récupérer,
peut-être lui offrir quelque chose de sucré… Il parvint à peine à marmonner un remerciement
lorsque le briseur-de-sorts prit congé.

Soudain, ses appartements l’étouffaient.

Il fit deux pas vers la porte et s’immobilisa. Que ferait-il si un Mangemort en devenir ou
dissimulé parmi les élèves – et il était certain qu’il y en avait – l’attaquait au détour d’un
couloir ? Il agoniserait seul dans les cachots, incapable de se défendre ?

Il aurait, bien sûr, pu utiliser la poudre de cheminette pour rejoindre le bureau de Minerva
mais comment lui expliquer ? Elle le maternait déjà suffisamment comme ça. L’humiliation
serait totale.

Son regard accrocha la porte qui menait à son laboratoire et il souffla presque de
soulagement. Voilà un refuge familier qui serait suffisamment sûr pour qu’il n’ait pas à
s’inquiéter de rencontrer qui que ce soit.

Le long couloir de pierres glissantes avec ses marches et son humidité fut plus éprouvant que
ce à quoi il s’attendait. Les muscles de ses jambes protestèrent bien avant qu’il n’atteigne le
laboratoire et il dut s’appuyer au mur pour parvenir jusqu’à la porte.

La pièce était telle qu’il l’avait laissée ou presque. Un chaudron plein de la potion contre les
effets du Doloris reposait sur une des stations, un parchemin couvert de l’écriture nette de
Granger et de celle, plus pointue, de Malfoy avait été abandonné juste à côté. Il avait
longtemps débattu avec lui-même avant de leur autoriser l’accès à son laboratoire personnel
mais cela lui semblait mieux que de risquer que la potion soit fabriquée dans une salle de
classe où elle serait laissée sans supervision durant le temps nécessaire à ce qu’elle repose.

Au moins avaient-ils rangés tous les ingrédients qu’ils avaient utilisés et n’avaient-ils touché
à rien d’autre – ou, plus vraisemblablement, au moins Malfoy avait-il eu suffisamment de
présence d’esprit pour remettre à sa place exacte tout ce qu’il avait examiné. Granger n’aurait
pas fouillé dans ses affaires et recherches en cours mais Draco n’aurait pas eu ce scrupule. Il
était heureux que toutes ses recherches sur les Horcruxes soient cachées et protégées dans son
bureau. Celles sur les loups-garous étaient dans ses appartements, bien que l’échantillon de la
potion volé par Lupin soit sous clef dans un des placards du laboratoire. Il était certain
qu’aucun élève, mis à part peut-être Harry qui était si familier de ses protections à présent,
n’aurait pu l’ouvrir, cependant.

Il fut tenté de la sortir pour l’examiner à nouveau mais décida finalement de se baser sur ses
propres recherches pour essayer d’aboutir à un résultat similaire. Albus avait raison, cette
potion ressemblait par certains côtés à sa potion Révèle-Loup et peut-être que s’il s’en servait
de base…
Malgré ses jambes tremblantes, il traina un chaudron en cuivre de la réserve jusqu’à une des
stations de travail et sélectionna les ingrédients soigneusement organisés sur les étagères. Il y
avait une sorte d’urgence dans ses gestes et il refusait de s’arrêter une seconde pour penser à
ce qu’il était en train de faire.

Sa magie ne répondait plus. Il était à peine plus qu’un Cracmol… Sa seule utilité reposait
désormais dans son expertise des potions. Les potions ne requéraient pas de baguette… Les
potions avaient toujours été ce pour quoi il était le plus doué…

Il déposa les racines de valériane et sélectionna un couteau fin et recourbé, aiguisé à


l’extrême. Hachées en fines lanières, voilà ce qu’il lui fallait. Un exercice de précision. Une
forme d’art.

Ses mains tremblaient et plus il tentait d’être précis plus le tremblement augmentait. Les
racines étaient inégales, le résultat si mauvais qu’il le balaya d’un revers de bras. Il écrasa les
racines sous ses semelles sans même s’en soucier lorsqu’il attrapa les salamandres séchées. Il
fallait les émincer. Il massacra la moitié d’une avant de l’envoyer voler dans un cri de rage.

Ses mains ne répondaient pas.

Il l’avait su.

Bien sûr qu’il l’avait su.

Jamais plus il ne pourrait préparer quoi que ce soit par lui-même.

Non seulement, il était sans-défense mais ce pour quoi il était né, son plus grand talent, la
seule chose qu’il avait aimé et qui le lui avait rendu toute sa vie durant lui était désormais
inaccessible.

Il ne se rendit compte qu’il hurlait que parce que sa gorge le brûlait. La rage le prit aux tripes,
brûlante et impossible à ignorer ou réprimer, il jeta le chaudron contre le mur, renversa des
bocaux entiers, écrasa les morceaux de verre… Sa magie se souleva en bourrasques,
envoyant voler tout ce qui échappait à ses doigts gourds…

Il était une tornade et le laboratoire ne résista pas à son passage.

Il s’effondra après de longues minutes passée à détruire sauvagement tout ce qui lui passait
sous la main.

Il s’effondra contre une table et resta prostré au sol, le dos contre le mur, les jambes repliées
contre son torse, la tête pressée contre ses genoux… Sa gorge était obstruée par une boule
brûlante qu’il ne parvenait pas à avaler, des larmes d’impuissance coulaient sur ses joues.

Quand la porte du laboratoire qui donnait sur les couloirs de l’école s’ouvrit, il ne releva pas
la tête. À peine reconnut-il la voix de Granger lorsqu’elle laissa échapper un hoquet de
surprise.

« Dehors ! » beugla-t-il.
La porte claqua, enfermant la cinquième année à l’extérieur.

Un rire amer lui échappa. Magie accidentelle. Comme un enfant. Fantastique.

Le rire se transforma en un sanglot qu’il se força à ravaler.

Rien.

Severus Snape n’était plus rien.

Professeur, Maître des Potions, Mangemort, espion, duelliste hors pair…

Autant de titres qui s’étaient éparpillés aux quatre vents lorsque Nox avait traversé le plafond
d’Azkaban.

°O°O°O°O°O

« Que lui veut-il ? » demanda Albus, laissant son regard dériver du miroir au parc qui
s’étendait sous la fenêtre de son bureau.

Le ciel était perpétuellement gris ces temps-ci et il passait une bonne partie de ses journées
sur le qui-vive, alarmé par le froid glacial caractéristique. Aucun Détraqueurs ne passerait les
protections de Poudlard mais les protections ne s’étendaient pas jusqu’à Pré-au-lard et Albus
était bien persuadé que Voldemort n’aurait pas rechigné à faire du village un exemple juste
pour la forme.

Un message en quelque sorte : Dumbledore ne peut pas protéger ce qu’il a sous son nez.

Il ignorait où les créatures se cachaient, il était simplement certain d’une seule chose : elles
rôdaient.

« Je vous l’ai dit, je l’ignore. » répondit Lucius, d’un ton agacé.

Le vieux sorcier lui accorda un coup d’œil, à peine le temps de noter les cernes qui
grandissaient chaque jour un peu plus et le catogan légèrement échevelé. Personne n’aurait
pu accuser Lucius Malfoy d’avoir une apparence négligée mais il semblait qu’Azkaban
n’était pas aussi confortable que le manoir. La prison avait été aménagée mais cela restait
spartiate et plus d’un Mangemort grommelait dès que Voldemort avait le dos tourné,
semblait-il.

« A-t-il mentionné vouloir une nouvelle baguette ? » insista-t-il.

En pure perte, apparemment.

Lucius n’avait aucune idée de ce que Voldemort pouvait vouloir à Ollivanders.

Albus, lui, avait un méchant soupçon. Par réflexe, il fit tomber sa baguette dans sa main d’un
coup sec du poignet et observa les motifs gravés dans le bois sombre. Son pouce passa sur la
plus large des sphères qui ornaient son manche comme il en avait pris l’habitude au cours des
dernières décennies. Était-ce possible ?
« C’est une possibilité. » répondit Lucius, faisant inconsciemment écho à ses pensées.
« Aucun d’entre nous ne comprend pourquoi nous n’attaquons pas maintenant que la
situation nous est favorable. »

« Et que répond Tom à ces inquiétudes ? » s’enquit Albus, presque avec désintérêt.

Son regard était rivé sur sa baguette, les battements de son cœur plus anarchiques qu’il ne
l’aurait souhaité. Severus aurait probablement trouvé à redire à sa consommation abusive de
philtres de force ces dernières semaines.

« Qu’Il sait ce qu’Il fait et qu’Il n’attaquera pas avant d’être certain de gagner. » soupira son
espion. « Si cela vous intéresse, je pense qu’il veut s’assurer d’être en mesure de tuer Potter.
Or l’an dernier… »

« Leurs baguettes sont jumelles et cela lui sera difficile tant qu’Harry est armé, oui. »
confirma Albus, en se lissant la barbe. Quelque part derrière lui, Fumseck laissa échapper
quelques notes tristes.

« Que pourrait-il bien vouloir d’autre d’Ollivanders ? » insista Lucius. « Le vieillard a de la


ressource, cela dit, il faut le lui accorder. Cela fait deux fois qu’il nous échappe. Se réfugier
chez sa filleule n’était pas bien malin mais il a réussi à semer Dolohov et McNair… La
prochaine fois, Il compte envoyer Greyback et sa meute, je vous conseille donc d’agir vite si
vous souhaitez le récupérer en seul morceau. »

La prochaine fois, y aurait-il davantage encore de victimes qu’un village entier de Moldus ?
Albus porta la main à son visage et se frotta pensivement les lèvres.

« Autre chose à signaler ? » s’enquit-il poliment, coupant court à la conversation.

« Non. » offrit le patricien. « Si ce n’est qu’Il est furieux de savoir Severus toujours en vie. »

« C’est ainsi que je préfère mes espions. » plaisanta-t-il, sans grand amusement.

« Vraiment ? » se moqua ouvertement Lucius. « Vous ne me ferez pas croire que ma survie
vous préoccupe, Dumbledore. Comment va Narcissa ? »

« Aussi bien que possible. » promit-il. « Elle est naturellement inquiète pour vous. »

Imagina-t-il la lueur peinée dans le regard clair ? La manière dont les traits du sorcier
s’adoucirent à la mention de son épouse ?

« Et Draco ? » insista Lucius. « Je n’aime guère ce que j’entends autour de moi. Vous avez
promis de protéger ma famille, pourtant j’entends des père se vanter que leur fils ont donné
une correction au mien… »

« Draco est autant en sécurité qu’il peut l’être. » le tranquillisa-t-il. « Il lui a bien été spécifié
qu’il pouvait quitter les dortoirs des Serpentards et s’installer dans une des autres Maisons
s’il le souhaitait. »
« Parce que Serpentard est la seule Maison qui abrite des apprentis Mangemorts… » ricana
amèrement Lucius. « Êtes-vous fou ou aveugle ? »

« Ni l’un, ni l’autre. » répondit-il calmement. « Le choix appartient quoi qu’il en soit à votre
fils et il a choisi de demeurer dans les cachots. Ne vous inquiétez pas trop, pour autant. Il est
bien entouré. »

Lucius tint sa langue mais le regard noir qu’il lui jeta était clair : le sorcier n’était ni
convaincu, ni heureux mais il n’avait pas non plus le choix.

« Tâchez de déterminer ce que Voldemort veut à Ollivanders. » insista-t-il avant de le


congédier sans autre forme de procès.

La surface du miroir redevint lisse et Albus observa son reflet l’espace de quelques secondes
avant de reposer l’objet sur une pile de parchemins qui attendaient sa signature depuis des
semaines. La surface de son bureau était recouverte de lettres, formulaires et autre paperasse
qui requéraient son attention urgente. Minerva venait chaque soir parer au plus urgent afin
que l’école continue de fonctionner mais les formalités s’accumulaient pourtant toujours.

À contrecœur – ou, du moins, il aurait aimé prétendre que c’était à contrecœur même si ce
fameux cœur le trahit à lui-même en s’emballant à nouveau – il se dirigea vers une des
nombreuses étagères et posa la main sur le bord de la pensine.

Des souvenirs flottaient à la surface… Un sombral à moitié mort qui venait de s’écraser au
sommet d’une tour… Une confrontation récente plus ou moins plaisante avec Alberforth…
La dévastation de l’Allée des Embrumes…

Il tendit la main et effleura du bout des doigts le coffret en bois sombre dissimulé dans
l’ombre derrière la pensine. Tout ce qui lui restait de Gellert…

Si Tom était véritablement en quête de ce qu’Albus soupçonnait… S’il parvenait à capturer


Ollivanders… Que savait Ollivanders ? Des légendes. Des rumeurs.

Gregorovitch.

Combien de temps avant que ce nom là ne soit prononcé ? Combien de temps avant que Lord
Voldemort remonte la piste qui le mènerait à Nuremberg ?

Gellert vendrait-il leur secret ou bien l’emporterait-il dans la tombe ?

Gellert.

Gellert ne survivrait pas à une confrontation avec Voldemort. Il était affaibli, diminué, cela
Albus le savait de source sûre. N’attendait-il pas depuis des années ce hibou fatidique qui lui
annoncerait sa mort ? Il attendait et le hibou ne venait jamais. Et Albus continuait à respirer
un peu plus facilement.

Sa main libre serra un peu plus fort le manche de la baguette de sureau dans un élan
possessif. La baguette était à lui et personne ne la lui prendrait, certainement pas un mage
noir avec un égo surdimensionné. Un autre que lui, bien plus fort, avait déjà essayé.
Tom Jedusor savait-il seulement ce dont il s’agissait ou bien ne voyait-il en la baguette
qu’une arme comme une autre ? Il avait transformé la pierre en horcruxe sans ciller ce qui
tendait à prouver qu’il n’avait aucune idée de ce qui lui était passé entre les mains. Si c’était
les reliques qu’il cherchait…

Maître de la mort…

La quête d’immortalité de Voldemort n’avait pas de limites mais cela étonnait Albus qu’il ne
qualifie pas cette histoire de fable comme la plupart des sorciers tendait à le faire. Peut-être
s’inquiétait-il pour rien. Peut-être Voldemort ne voulait-il simplement qu’une baguette plus
puissante, une baguette qui lui permettrait d’affronter Harry sans risquer de reproduire leur
dernier duel, une baguette suffisamment puissante pour le vaincre lui, et Ollivanders était la
meilleure personne pour lui en fournir une.

Oui…

Oui, cela était plus probable.

Personne ne croyait plus à l’existence des reliques mis à part une poignée de fanatiques.

Tom n’avait aucune raison de se lancer à la recherche de la baguette de sureau.

Il retira lentement ses doigts du coffret pour caresser Fumseck qui venait de se percher sur
son épaule. Le phœnix frotta sa tête contre son cou et Albus laissa échapper un léger soupir.

Néanmoins, il ne pouvait courir le risque qu’Ollivanders mentionne le bâton de mort puisque


son existence était avérée. Voldemort ne saurait jamais résister à l’attrait d’une baguette
imbattable. Il avait été bien décidé à secourir le vieil homme dans tous les cas mais cela
venait de devenir une priorité.

C’était trop risqué, songea-t-il, en portant sa baguette à sa tempe. Il déposa le fil argenté dans
la pensine et referma la porte du meuble sans s’autoriser à jeter un coup d’œil à la surface
lisse du bassin de pierre.

Il savait ce qu’il y apercevrait.

Le visage de Gellert Grindelwald.

°O°O°O°O°O°

Harry serra les dents tout le long du trajet jusqu’à la bibliothèque, ne répondant à Ron que
par monosyllabes.

« Tu es sûr que ça va ? » insista son meilleur ami pour ce qui semblait être la quinzième fois.

« Oui. J’ai juste mal à la tête. » répondit-il, également pour ce qui semblait être la quinzième
fois.

Les yeux bleus se posèrent sur la cicatrice en forme d’éclair et Harry se força à ne pas aplatir
sa frange sur son front. Il aurait aimé que les gens arrêtent de faire ça. Fixer sa cicatrice dès
qu’il avait la migraine. Il regrettait soixante-quinze où personne n’y avait jamais prêté grande
attention.

« Tu devrais peut-être aller voir Dumbledore… » suggéra Ron, en poussant les lourdes portes
de la bibliothèque.

« Sûrement pas. » riposta-t-il avec un bruit amusé. Amèrement amusé, certes, mais amusé
quand même.

Le temps où il avait couru dans les jupes de Dumbledore au moindre problème était révolu.
Même Sirius n’avait pas proposé d’avertir le Directeur. Même Sirius semblait avoir compris
que Severus était la personne à contacter en cas de problème…

« Moi ce que j’en dis, c’est pour t’aider. » lâcha Ron, avec un agacement certain.

Et Harry se rendit compte qu’il avait été plus sec qu’il ne l’avait voulu.

Il était énervé.

Il était énervé depuis qu’il s’était réveillé.

Pire, il devinait d’où ça venait et cela ne servait qu’à l’énerver davantage. Il sentait l’horcruxe
qui frémissait et aucune dose de flammes ne parvenait à isoler le sentiment bien longtemps. Il
avait été obligé de garder ses boucliers au maximum toute la journée, certain que s’il les
abaissait ne serait-ce qu’une seconde, le chatouillis désagréable à l’arrière de son crâne
l’aspirerait dans la tête du mage noir.

Cela faisait longtemps que la sensation n’avait pas été aussi forte.

Il était énervé parce que Lord Voldemort était énervé.

Et cela l’enrageait. Il était impossible d’échapper à la vérité dans ces cas là, d’ignorer
l’horcruxe, de prétendre…

Aucun des deux ne peut vivre tant que l’autre survit…

« Désolé. » marmonna-t-il, sans grande conviction, avant que la sensation de claustrophobie


ne le reprenne. Il étouffait dans son propre corps, dégoûté du parasite qui grignotait une partie
de son âme.

Ron lui jeta un coup d’œil puis haussa les épaules mais la tension demeura réelle entre eux,
au point qu’Harry fut presque soulagé lorsqu’il repéra le reste du groupe. Ron, ne put-il
s’empêcher de remarquer avec une certaine dose de ressentiment, se dépêcha de prendre le
siège entre Susan et Neville, à l’autre bout de la table.

Il se laissa tomber à côté de Zabini et choisit d’ignorer le sourcil levé de Malfoy en face de
lui. Il appréciait Blaise, principalement parce que le garçon était calme, posé, et ne se sentait
pas obligé de combler le silence.

« Où est Hermione ? » demanda-t-il, sans s’adresser à personne en particulier.


Elle avait quitté la classe de Sortilèges en même temps que Susan, il avait pensé la retrouver
à la bibliothèque.

« Une mystérieuse urgence dans les cachots. » répondit Blaise, en tournant la page de son
manuel d’Histoire de la magie. « Mystérieuse principalement parce que Draco est toujours
là. »

Malfoy leva les yeux au ciel. « Hilarant. »

« N’est-ce pas ? » rétorqua Zabini et la conversation s’arrêta là.

L’ambiance autour de la table était plus studieuse qu’à l’accoutumée, les B.U.S.E.s
approchant à grands pas.

Harry trouvait toujours l’idée d’examens un tant soit peu ridicule mais tira quand même un
livre de son sac, résistant à l’envie d’ouvrir le septième tome des aventures de Garet Flinsh
qu’il avait déniché au fin fond de la bibliothèque. Hermione et Ron le regardaient toujours
bizarrement lorsqu’ils le surprenaient avec un roman en main.

Il tenta de se concentrer sur ses notes de Sortilèges sans grand succès. Le chatouillis à
l’arrière de son crâne s’accentuait progressivement jusqu’à lui donner la sensation
désagréable d’un ongle crissant sur un tableau noir. Ses boucliers étaient en place et il était
certain qu’ils tiendraient mais il abandonna toute idée de réviser et croisa les bras sur la table
avant d’y poser sa tête.

Il lui fallut plusieurs essais mais il parvint à faire apparaître la petite boule de lumière d’un
latundo informulé. Il y eut quelques oh et ah autour de la table, ainsi qu’un frimeur
marmonné de la part de Malfoy, mais Harry n’y prêta pas attention. Ses yeux verts fixaient la
boule et il s’efforça de se détendre et de vider son esprit.

Lorsqu’il fut certain d’avoir atteint un état de transe suffisamment profond, il entreprit de
passer en revue ses boucliers. Les murs de flammes d’abord, les puits de laves et les
labyrinthes enflammés puis, plus profondément dans son esprit et moins efficaces, les
marécages et les cascades.

La connexion qui le liait à l’esprit de Voldemort était béante. Il la sentait sans parvenir à
déterminer son origine exacte.

Tu penses que tu pourrais contrôler la connexion ? Glaner quelques infos ?

C’était tentant, bien sûr.

Pourtant…

Le mauvais frisson qui lui parcourut l’échine lui fit perdre sa concentration et il cilla,
revenant peu à peu à lui et à la bibliothèque où la vie avait continué son cours sans lui. La
perspective de se retrouver coincé dans la tête du mage noir était trop effrayante. Combien
d’enfants avait-il regardé Voldemort assassiner ? Pire… Lorsqu’il était dans sa tête, c’était sa
main qui se levait, ses lèvres qui bougeaient, son ventre qui se contractait de plaisir à la mise
à mort… Et les images n’étaient pas le pire. L’esprit de Voldemort était sale et il en ressortait
toujours souillé.

Et puis Halloween…

Si ce Voldemort-ci remontait le fil, si Harry se retrouvait à nouveau prisonnier de sa propre


âme…

Severus ne serait pas toujours là pour le sauver.

Il ne pouvait pas.

Il ne pouvait pas.

« Est-ce que ça va ? »

Il leva la tête et rencontra le regard inquiet de Ginny avec incompréhension. Quand était-elle
arrivée ? Luna et Astoria étaient installées autour de la table elles aussi à présent. La
quatrième année fronça les sourcils et s’accroupit pour qu’ils soient plus ou moins au même
niveau.

« Harry, respire. » ordonna-t-elle, en attrapant sa main.

Il avala une goulée d’air sans s’être aperçu avoir retenu sa respiration. Il en prit une autre et
encore une autre afin d’éviter d’attirer une fois de plus l’attention sur lui. Personne ne
semblait avoir remarqué son comportement mis à part peut-être Zabini qui avait les yeux
rivés sur son livre avec un peu trop de concentration pour que ce soit naturel.

Il ouvrit la bouche pour s’expliquer – ou mentir plus probablement – lorsqu’elle Hermione


débarqua en trombe, Pince hurlant dans son sillage.

« Harry… » lâcha-t-elle à bout de souffle. « Le Professeur Snape… Dans son laboratoire…


Je… Sirius… »

Harry détala sans même la laisser terminer.

°O°O°O°O°O°

Sirius ravala un juron lorsqu’il poussa la porte du laboratoire personnel de Snape. Hermione
l’avait averti que ce n’était pas beau à voir lorsqu’il l’avait croisée dans le couloir mais il
n’avait pas pris la pleine mesure de ce qu’elle voulait dire.

Il est… déprimé, avait dit Harry.

Ce qu’il avait sous les yeux, cependant, ce n’était pas une simple déprime. La pièce avait été
ravagée avec une sauvagerie méticuleuse que Sirius ne reconnaissait que trop bien.
Impuissance. Désespoir. Abandon.

Il lui fallut un moment pour repérer Snape dans ce capharnaüm. L’homme était recroquevillé
dans un coin, entre une table et le mur, les jambes repliées contre le torse, ses cheveux
formant un rideau opaque qui lui dissimulait son visage. Au moins, songea Sirius, il n’avait
pas retourné sa colère contre lui-même. C’était positif.

Le verre brisé crissa sous ses semelles lorsqu’il pénétra dans le laboratoire et il se demanda
vaguement à quel point les mélanges renversés aux quatre coins de la pièce étaient
dangereux. Il était certain que Snape gardait des ingrédients toxiques dans son laboratoire.

À la guerre comme à la guerre, cependant. Il avait promis à Harry qu’il s’occuperait de Snape
cet après-midi là et il était déterminé à tenir sa promesse.

À aucun moment, l’ancien Mangemort ne leva la tête pour vérifier qui venait d’entrer. Il ne
tressaillit même pas lorsque Sirius se laissa glisser le long du mur à côté de lui, suffisamment
près pour que leurs épaules se touchent.

« Sympa, la nouvelle déco. » lança-t-il parce qu’il ne savait pas quoi dire d’autre.

Si un jour on lui avait dit qu’il se retrouverait lui à essayer de réconforter Severus Snape…

« Fous le camp. » gronda l’homme de derrière la masse de cheveux noirs et Sirius dissimula
un soupir de soulagement.

« Crois-moi, j’aimerai bien mais je ne peux pas te laisser comme ça. » répondit-il, dans un
haussement d’épaules. Il prit soin de cogner celle de Snape au passage.

« Et pourquoi pas ? » cingla le Maître des Potions en levant finalement la tête pour le fusiller
du regard.

Les yeux rougis le choquèrent presque autant que les traces évidentes sur les joues pâles.
Snape avait pleuré. Sirius n’avait jamais pensé que c’était possible. Sept ans passés à se
pourrir mutuellement la vie et la seule fois où il avait vu Snape pleurer, c’était…

Il s’interdit de repenser à cette nuit là, refoula tout net le souvenir du corps sans vie de James,
de celui de Lily dans les bras de Snape, d’Harry qui hurlait dans son berceau… Ils avaient
pleuré tous les trois cette nuit là, chacun perdu dans sa propre douleur…

« Parce que je prends soin de mes amis. Qu’ils le veuillent ou non. » déclara-t-il avec trop de
conviction pour que l’homme puisse l’accuser de mentir.

Le regard noir fouilla le sien à la limite de la legilimencie et Sirius se demanda brièvement si


c’était de lui qu’Harry avait pris ce même penchant pour survoler l’esprit des gens qu’il
regardait en face. Cela lui rappelait un peu trop Dumbledore mais il tint sa langue.

Au bout de plusieurs secondes, Snape reposa son front sur ses genoux, ses épaules
s’affaissant davantage.

« J’aurais dû mourir là-bas. » lâcha l’homme d’un ton morne que Sirius ne connaissait que
trop bien.

Il tira son paquet de cigarettes de sa poche par réflexe et en coinça une entre ses lèvres,
attendant la réprimande qui ne vint pas. S’il l’allumait, il pouvait très bien provoquer une
réaction en chaîne qui ferait exploser le laboratoire. Il n’avait jamais été très attentif en
potions mais il se rappelait de ça, certains ingrédients étaient volatiles, d’autant plus
lorsqu’ils avaient été propulsés contre un mur et piétinés pour faire bonne mesure.

Il retira la cigarette de sa bouche et la fit distraitement tourner entre ses doigts.

« Pourquoi ? » demanda-t-il calmement, comme s’il s’enquérait simplement de l’heure.

« Pourquoi vivre ? » siffla Snape en réponse. « Je ne sers plus à rien, ni à personne. »

Il n’était pas bien dur de deviner ce qui s’était passé dans le laboratoire. Ce n’était un secret
pour personne dans leur petit cercle que Snape était frustré par sa convalescence, il avait sans
doute voulu fabriquer une potion ou quelque chose du genre parce que, même s’il avait
rationnellement su qu’il ne le pourrait plus jamais, ça n’avait pas été réel jusqu’à ce qu’il se
confronte à la réalité de la chose.

Sirius se souvenait d’un temps ou sortir du Square Grimmaurd après qu’il ait été innocenté
avait était plus difficile qu’y rester enfermé l’avait été lorsqu’il avait été désespéré de s’en
échapper. L’humain était une créature faite de contradictions.

Il aurait pu mentionner Harry. C’était la réponse la plus logique, la manière la plus rapide de
lui rappeler qu’il ne pensait pas ce qu’il disait. Si Harry avait perdu Snape… Non, Sirius ne
voulait même pas y penser. Le simple souvenir de son filleul titubant à moitié dans la cuisine
du QG ce soir là, s’écroulant sur le carrelage, le pyjama couvert de sang… C’était la réponse
la plus logique mais Sirius n’avait jamais été très logique.

« On survivra sans tes potions, tu sais. » rétorqua-t-il. « Et puis tu as toujours un cerveau, que
je sache. Prends un assistant. »

Snape releva à nouveau la tête pour lui jeter un regard noir où la haine se disputait à la fureur.

« Crois-tu que ce soit si simple ? » grinça le Mangemort.

« Bien sûr que non. Tu es un génie et le reste d’entre nous, pauvres idiots, ne pouvons rien y
comprendre. » se moqua-t-il, en rangeant sa cigarette dans le paquet. « Je plains la personne
que tu finiras par engager. » Snape le dévisageait avec une incrédulité mêlée de colère et
Sirius décida qu’ils l’avaient tous ménagé trop longtemps. « Tu ne peux plus fabriquer de
potions parce que tes mains ne fonctionnent pas très bien. Du côté positif, tu marches, tu
parles et tu n’es pas un légume donc tu trouveras bien un moyen de compenser. Tout le
monde n’a pas cette chance. Problème suivant ? »

Son rival ouvrit et referma la bouche plusieurs fois et, en d’autres circonstances, Sirius se
serait probablement félicité de l’avoir mouché.

« T’est-il venu à l’esprit que si mes mains ne fonctionnaient plus je ne pouvais pas utiliser
une baguette ? » cracha le Mangemort de cette voix lente et menaçante qui l’avait toujours
horripilé.
« Elles fonctionnent mal, ça ne veut pas dire qu’elles ne fonctionnent pas. » rétorqua-t-il, en
jetant un coup d’œil aux poings serrés de l’homme. « Et tu sais comme moi que la magie
relève plus de l’intention que de la gestuelle. »

« Pure théorie. » cingla le sorcier.

« Snape… » soupira-t-il. « Je veux bien t’accorder que ne plus pouvoir t’amuser avec tes
potions doit craindre mais tu ne vas pas me faire croire que tu ne peux plus te servir de ta
magie, tremblements ou pas. Ce n’est pas la même chose. »

L’ex-espion détourna la tête, les joues rouges d’humiliation.

« Je ne peux même pas jeter un aguamenti. » marmonna l’homme, au bout d’un long
moment. « Si Harry se retrouve en danger, à quoi servirais-je ? »

Sirius digéra l’information puis la refusa d’une secousse de la tête.

« Ce sont des conneries. » déclara-t-il. « J’étais là quand Andy et Pomfresh ont rendu leur
diagnostic, rien ne cloche avec ta magie. C’est dans ta tête. »

« Je croirai entendre Nymphadora. » grogna l’homme. « Le problème vient de mes mains. »

« Non. Ça c’est ce que tu te dis parce que tu as peur de ne plus être aussi bon qu’avant. »
réfuta Sirius, plus sûr de lui qu’il ne pouvait l’expliquer. « Et c’est facile à prouver. Tu t’es
suffisamment apitoyé sur toi-même, ça suffit. »

Il se leva et tendit la main, attendant que Snape la prenne pour qu’il puisse l’aider à se
remettre debout. Bien sûr, il aurait pu attendre longtemps. L’ancien Mangemort n’y jeta
qu’un vague coup d’œil dégoûté.

Levant les yeux au ciel, Sirius tira sa baguette de sa manche.

« Debout. » avertit-il. « Ce dont tu as besoin, c’est d’un bon duel. Ça t’as toujours remis les
idées en place lorsque je te bottais les fesses. »

« Tu n’as jamais gagné un seul de nos duels, Black. » marmonna Snape, en se recroquevillant
un peu plus contre le mur.

« Curieux, ce n’est pas ce dont je me souviens. » le provoqua-t-il. « Ne m’oblige pas à te jeter


un sort pour te faire lever. »

Jamais il n’aurait pensé que toiser Snape lui aurait laissé un goût si amer en bouche.

« Tout dépend si tu comptes les fois où tes amis m’attaquaient lâchement dans le dos. »
riposta Snape, avant d’agiter vaguement la main. « Laisse moi. »

« Je te l’ai dit. Je ne laisse pas mes amis. » rétorqua-t-il.

« Nous ne sommes pas amis. Oublie cette notion ridicule. » gronda le sorcier.
Non, ils n’étaient pas amis. C’était pire. Ils partageaient Harry. Cela faisait d’eux une famille.
En quelque sorte.

« Très bien. » accepta-t-il dans un haussement d’épaules, passablement perturbé par cette
révélation soudaine. « Allez… Ne me dis pas que tu n’as pas envie de me mettre une
raclée… »

« Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans : ma magie ne fonctionne pas ? » cingla le Maître
des Potions. « Est-ce le vocabulaire qui est trop compliqué pour toi ? »

« Tant pis pour toi. Je t’aurais prévenu. » soupira-t-il, en pointant sa baguette sur lui.
« Levicorpus ! »

« Protego ! » jeta hâtivement Snape par pur réflexe, en levant les mains devant lui.

Le sort du bouclier scintilla à quelques centimètres à peine de ses mains, suffisamment


puissant pour absorber le maléfice de Sirius – non pas qu’il y ait mis beaucoup de force, en
premier lieu, mais tout de même.

« Mais, à part ça, ta magie ne fonctionne pas. » se moqua-t-il tandis que Snape fixait le
bouclier du regard avec une légère incrédulité. « Tu sais que la plupart des gens ne peuvent
même pas faire ça sans baguette? »

Le regard de Snape se déplaça jusqu’à lui, sa bouche était pincée.

« Ne retournes pas mes propres sortilèges contre moi. » avertit son rival.

« Essaye donc de m’en empêcher. » le défia-t-il, en levant sa baguette. « Servilus.

Il l’abaissa dans un arc de cercle destructeur – ou qui aurait été destructeur si le sort ne s’était
pas écrasé sur un bouclier parfait. Sa baguette emprisonnée dans des doigts moins dextres
qu’à l’ordinaire, Snape attrapa le rebord de la table de sa main libre et se hissa sur ses pieds
avec un rictus mauvais. Ce fut le seul avertissement qu’eut Sirius avant de devoir faire face à
une avalanche de sortilèges.

Il continua de l’insulter, devinant instinctivement que plus l’homme se mettrait en colère,


plus il lui serait facile de maîtriser sa magie – et plus il évacuerait sa frustration. L’ex-fugitif
commença légèrement à le regretter lorsque les sorts de plus en plus puissants devinrent
difficile à contenir et qu’il se retrouva à camper sur la défensive.

Il n’était pas certain du laps de temps qui s’était écoulé depuis qu’ils avaient commencé à se
battre mais lorsqu’une étagère éclata en morceaux sur sa droite, il se dit qu’avoir enragé
Snape n’était peut-être pas une si bonne idée que ça finalement. Il n’était pas certain que
l’ancien Mangemort n’ait pas perdu le contrôle parce que les maléfices qui fusaient de part et
d’autres étaient loin d’être innocents. Un flashback était vite arrivé et ils n’avaient pas le
meilleur passif.

Sirius s’en tint à des sortilèges plus ou moins bénins jusqu’à ce qu’un bruit incongru résonne
dans la pièce. Il lui fallut presque une minute pour identifier le son, tout occupé qu’il était à
contrer la pluie de sortilèges de plus en plus complexes qui fondait sur lui.

Snape riait.

Ça le choqua tellement qu’un diffindo passa sa garde et laissa une longue estafilade sur son
bras. Avec un sifflement, il répliqua d’un jet d’eau bouillante qui alla s’écraser sur un
bouclier de flammes dont le souffle le fit reculer.

« Est-ce là le mieux que tu puisses faire ? » ironisa l’ancien Mangemort. « Piètre duel. »

Et il se mit à rire lui aussi.

Le rire fou qui poussait toujours Remus à l’observer avec inquiétude.

La même note d’amusement brisé que dans celui de Snape.

Rationnellement, il savait que ce qu’ils faisaient était dangereux – plus dangereux peut-être
même que s’il avait allumé cette cigarette, au final – mais il y avait quelque chose de
cathartique à se battre en duel avec quelqu’un qui ne retenait pas ses coups mais qui, il en
était raisonnablement certain, n’irait pas jusqu’à l’assassiner.

Bientôt, le duel était tout ce qui existait.

Ils tourbillonnaient autour de la pièce, ignoraient les blessures qui s’accumulaient


progressivement, devenaient plus créatifs… Apprenaient. Sa technique était frontale alors que
Snape n’était que subtilité. Ses attaques à lui étaient brutales, celles de Snape trompeuses.

Il était en train de parer un maléfice violet non identifié lorsque sa baguette glissa de ses
doigts et, si Snape n’avait pas dévié le sort au dernier moment, il n’aurait pas donné cher de
sa peau. La chaise que la lumière violette avait atteinte se liquéfia dans un nuage de fumé.

Il jeta un regard à Snape, sourcils levés, et l’homme leva les yeux au ciel, légèrement gêné.

« Ton bouclier l’aurait arrêté. » marmonna le Mangemort avant de se tourner vers


l’adolescent qui haletait sur le seuil de la pièce, la baguette de Sirius serrée dans son poing,
les yeux verts rivés sur son parrain. « Harry… »

« Qu’est-ce que tu fous ? » cracha le Gryffondor avec tellement de haine que Sirius recula,
mains levées devant lui.

« Ce n’est pas du tout ce dont ça a l’air. » se dépêcha-t-il de se défendre.

« Non ? » ricana froidement l’adolescent. « Alors tu n’as pas attaqué Severus ? »

« Techniquement si mais… » grimaça-t-il.

« Harry, je n’ai pas besoin qu’on défende mon honneur. » l’interrompit le Professeur. « Et ce
n’était pas… Nous ne nous disputions pas. »

« On s’amusait. » rajouta Sirius. « C’est tout. On s’amusait. »


« Certains plus que d’autres. » commenta Snape dans un rictus. « Il est regrettable que ton
parrain ne connaisse qu’un seul sortilège de bouclier. Peut-être pourrais-tu lui donner des
cours, à l’occasion. »

« Hey ! » protesta-t-il. « Au moins je ne vais pas à gauche à chaque fois que je feinte. »

« Non, tu laisse simplement ton flan droit découvert dès que l’occasion se présente. » lâcha le
Maître des Potions.

Harry s’était affalé contre le chambranle de la porte et tentait visiblement de reprendre sa


respiration, les regardant tour à tour comme s’ils étaient tous les deux devenus fous.

Sirius ne pouvait pas tout à fait le lui reprocher.

Il ne pouvait pas non plus s’empêcher de remarquer que c’était sa baguette qui était entre les
mains de l’adolescent et que c’était lui qu’Harry avait accusé en premier lieu.

« Vous savez qu’il y a des endroits pour s’entraîner ? Des endroits qui sont faits pour ça ? »
ironisa le Gryffondor. « Comme la Salle sur Demande. Ou le parc. Ou n’importe où qui ne
soit pas un laboratoire plein de trucs fragiles ? »

« Es-tu en train de nous faire la leçon ? » s’enquit Snape d’un ton faussement tranquille.
Peut-être amusé, peut-être énervé, c’était toujours dur à dire avec lui.

Harry ne cilla même pas. Il se contenta de laisser son regard dériver dans la pièce ravagée
avant de regarder à nouveau Snape en face.

« Oui. » répondit-il simplement. « Et, non, je ne vais pas vous aider à ranger tout ça. »

L’écho de bruits de course empêcha Snape de répliquer et, avant que Sirius ait pu dire ouf,
Ron, Hermione et Malfoy étaient eux aussi sur le pas de la porte.

« Merlin ! » s’exclama Malfoy, les yeux ronds, lorsqu’il aperçut le massacre.

Snape se racla la gorge et agita la main. « Nous nous passerons de vos commentaires. Allez
tous diner. »

« Mais, Professeur, la potion… » contra Hermione, en faisant un pas vers un des chaudrons
renversés.

« Sortez, Miss Granger. » coupa Snape. « En l’état, la pièce n’est pas sûre. »

« Et c’est maintenant que tu le dis ? » demanda Sirius, en traversant le laboratoire pour


récupérer sa baguette. Harry la lui céda sans problème mais avec un regard toujours quelque
peu suspicieux.

« Harry. » appela le Maître des Potions, son ton perdant en dureté. « Va diner avec tes amis. »

« Je reviendrais après. » avertit l’adolescent.


Snape inclina la tête avec ce qui aurait pu, chez quelqu’un d’autre, passer pour un sourire.
« Bien entendu. »

Les cinquième année partirent, Ron et Harry interrogeant Hermione sur la potion qu’elle
avait mentionnée et Malfoy tentant sans grand succès de noyer le poisson.

Snape s’était déjà mis à ramasser ce qui pouvait l’être, gardant une main sur le mur comme
pour s’assurer de ne pas perdre l’équilibre. Amusement mis à part, le sorcier était toujours
censé se ménager et Sirius espérait ne pas l’avoir trop poussé parce qu’Harry ne lui aurait
jamais pardonné, cela était clair.

Avec un soupir, il entreprit de l’aider à nettoyer.

« Harry m’a dit qu’il avait une chambre chez toi… » hasarda-t-il au bout de plusieurs minutes
passées à travailler en silence. Sirius n’aimait pas le silence.

« C’est un problème ? » cracha immédiatement Snape avec la même pointe de défi qu’Harry
avait mis dans la même question un peu plus tôt.

« Non. » répondit-il, dans un froncement de sourcils. « Pourquoi ça devrait en être un ? »

« Tu es son parrain. » rétorqua le Professeur.

« Et tu es son… » Il s’interrompit, incapable de terminer cette phrase là. C’était une chose de
l’avoir accepté, une autre de le dire à voix haute. Il changea de sujet, sautant sur l’idée qui lui
trottait en tête. « Je veux acheter une maison. Une vraie maison, je veux dire. Dumbledore
peut faire ce qu’il veut de cette ruine mais je ne veux plus vivre au Square Grimmaurd. »

Il y eut un long silence puis un soupir irrité. « Me confondrais-tu avec le loup ? Qu’attends-tu
de moi ? Des conseils immobiliers ? »

Il leva les yeux au ciel. « Hilarant. Non, je me demandais juste… Quand tout ça se sera un
peu calmé et une fois que j’aurais trouvé quelque chose de bien… Tu crois que je pourrais
emmener Harry visiter avant d’acheter ? Pour être sûr qu’il aime. »

À nouveau, un long silence.

« Es-tu en train de me demander la permission ? » demanda le Maître des Potions, d’un ton
gardé.

Sirius sentait son regard rivé sur lui mais il continua d’éponger la flaque de potion renversée
dans le coin. « C’est ce qu’on fait en général quand on veut emmener le fils de quelqu’un
quelque part, non ? Je demanderais à Harry mais il va te demander à toi donc… Je gagne du
temps. »

L’Animagus détestait vraiment les longs silences et il détestait encore plus éponger des
fichues potions. Il jeta la serpillère dans la flaque et se redressa, appuyant les deux mains
dans le creux de son dos pour faire disparaitre les courbatures. Il n’était plus aussi jeune qu’il
l’aurait voulu et Azkaban ne lui avait fait aucun bien.
« Black, lorsque Harry aura signé les papiers, tu seras son tuteur. » lâcha Snape.

« Encore faut-il qu’il les signe. » ronchonna-t-il. Entre Dumbledore qui bloquait la procédure
autant qu’il le pouvait, Harry qui ne s’était toujours pas décidé et Voldemort qui menaçait le
Ministère…

« Ce n’est pas la question. » cingla l’ex-espion. « Une fois que les Dursley seront éliminés de
l’équation… Tu… Je n’ai aucun droit sur Harry. Je n’ai pas l’intention de disparaître de sa
vie mais… Il serait peut-être nécessaire de commencer à… Il faut… Une transition est
nécessaire… Une figure parentale… »

Abandonnant toute idée de faire semblant de travailler, Sirius se retourna pour lui faire face et
ouvrit les bras avant de les laisser retomber dans un geste fatidique.

« Tu es la figure parentale, ça me semble très clair. » lâcha-t-il, évitant toutefois son regard.
« Et… Ça me va. Je veux qu’il vienne chez moi au moins deux semaines pendant les
vacances d’été et je veux pouvoir le voir quand je veux – et quand il veut. Et j’aimerai être
consulté s’il y a des décisions vraiment importantes à prendre et qu’il n’est pas en état de
donner son avis. Pour le reste… »

« Black. » l’interrompit Snape d’un ton presque suppliant.

« Harry a choisi. » déclara-t-il avec un petit rire creux. « Et, franchement, c’est probablement
pour le mieux. J’ai toujours été censé être le parrain dans cette histoire, moi. Je n’ai jamais…
Je ne ferais pas un très bon… » Il se tut suffisamment longtemps pour prendre une profonde
inspiration. « Écoute, c’est ce qu’Harry veut et, ça, c’est ce qu’il y a de plus important pour
moi alors… Une fois qu’on l’aura sorti de chez les Dursley… »

« Black, si c’est une de tes plaisanteries douteuses, je vais te tuer. » l’avertit – charitablement
– Snape.

Sirius croisa finalement son regard, sans s’embarrasser de boucliers mentaux. « Je ne dis pas
que ça m’enchante mais j’ai promis à James et Lily que je m’occuperai d’Harry s’il leur
arrivait quelque chose et… J’ai merdé. Si j’avais réfléchi deux minutes… Si j’avais pris le
temps de revoir mes priorités… Je me serais occupé d’Harry au lieu de partir à la recherche
de Peter. J’aurais tout expliqué à Dumbledore et… Je ne suis pas fait pour ce genre de
responsabilités, Snape. C’est Remus qu’ils auraient dû choisir. » Il haussa les épaules et
détourna les yeux, conscient que l’homme l’observait toujours. « J’ai cru qu’en le traitant
comme un égal… »

« C’est un adolescent, pas un adulte. » l’interrompit Snape. « Et ce n’est pas la réincarnation


de James Potter. »

« Je sais. » répliqua-t-il avec agacement, fouillant dans sa poche par réflexe. Ses doigts se
refermèrent sur le paquet de cigarettes mais il ne le sortit pas. « C’est juste que… Une
minute, on a l’impression qu’il a cent ans et, la suivante, il peut agir comme un enfant de dix
ans… »
Snape eut un mouvement d’irritation et fit disparaitre un tas de verre d’un coup de baguette
plus qu’agressif.

« Les Moldus. » cracha l’homme avec une haine palpable. « Il ne sait pas comment se
comporter dans un schéma familial plus… classique. Il ne sait pas comment se comporter
tout court. Ils lui ont mis en tête que sa vie n’avait aucune valeur et les petites machinations
initiatiques d’Albus n’aident en rien. Il cherche un parent et craint d’être rejeté tout à la fois.
Il se méfie des adultes. Je pense que tu étais exempt de ce traitement jusque là parce que tu
agis principalement comme un gamin. Cependant… il faut admettre que tu es légèrement plus
responsable qu’avant. Ce sont des insécurités qui prendront du temps à disparaître. Du temps
et une certaine stabilité. C’est pourquoi si tu n’es pas certain de ce que tu proposes… »

« Je suis certain que je ne suis pas ce qu’il lui faut au quotidien. » contra-t-il. « Et je suis
aussi certain qu’il a déjà trouvé ce qu’il cherche. » Et peut-être Harry n’était-il pas le seul à
avoir peur d’être rejeté. « Je ne vais pas changer d’avis, Snape. Sauf si tu ne veux pas… »

« Bien sûr que je le veux. » le coupa sèchement le sorcier. « C’est mon fils. Le sang et les
papiers n’ont rien à voir là-dedans. »

« Dans ce cas, c’est réglé. » déclara-t-il.

Snape soupira avant de se pincer l’arrête du nez. « Rien ne sera réglé tant que le Seigneur des
Ténèbres ne sera pas vaincu et pour ça… »

Pour ça, ils devaient trouver comment débarrasser Harry de l’Horcruxe.

°O°O°O°O°O°

Le grimoire gisait oublié sur ses genoux, tout autant parce qu’il était pénible de le tenir avec
ses doigts tremblants que par désintérêt.

L’heure était déjà avancée et Severus gardait un œil sur la pendule de cuivre, sachant qu’il
aurait dû envoyer Harry se coucher mais réticent à mettre un point final à une soirée si
agréable. Si normale.

Il avait toujours aimé ses appartements. Pendant longtemps, ils avaient été la seule chose
qu’il avait apprécié à propos de son nouveau poste d’enseignant. Pourtant, il ne les avait
jamais autant aimés que maintenant que les manuels de cinquième année se mélangeaient à
ses livres et que le gamin laissait trainer la moitié de ses affaires partout. Il râlait et pestait
pour qu’Harry range ses affaires, bien sûr, mais… Cela lui avait manqué de partager son
quotidien avec l’adolescent.

Ses yeux noirs se déplacèrent de la pendule au canapé sur lequel Harry était allongé,
entortillé dans le plaid comme lui seul en avait le don. Le roman qu’il avait lu une bonne
partie de la soirée était abandonné sur l’accoudoir, ouvert à la page à laquelle il s’était arrêté,
et il fixait désormais les flammes qui dansaient dans l’âtre avec un regard vide.

Il occludait.
Severus l’observa plus franchement, notant les cernes et les traits tirés. Le garçon avait
promis qu’il parvenait sans mal à bloquer la connexion et il avait lui-même vérifié ses
boucliers après le diner sans noter quoi que ce soit d’alarmant. Mis à part le fait que le
Seigneur des Ténèbres ait été suffisamment agité toute la journée pour que cela titille
l’Horcruxe…

Il exécrait l’idée de cette chose nichée dans l’âme d’Harry.

Il exécrait le fait qu’Harry se sente si mal parce qu’il abritait un bout de l’assassin de ses
parents.

Le Maître des Potions pianota distraitement sur l’accoudoir de son fauteuil avant de renoncer
parce que cela lui demandait trop d’effort. Il jeta un coup d’œil à ses mains, incapable de
réprimer la vague de colère que leur vue lui infligeait désormais. La peur qui lui tenaillait le
ventre depuis qu’il s’était réveillé ne vint pas, cependant.

La Marque ne le brûlait plus et le répit était non négligeable. Sans la douleur, il pouvait
réfléchir de manière plus cohérente.

Et au-delà de ça…

Il n’aurait jamais cru pouvoir un jour éprouver de la gratitude pour Black mais force était de
constater que le sentiment était bel et bien là.

D’un léger coup de baguette, il raviva le feu. Il ne se laissa pas douter et sa magie répondit
dans la seconde. Savoir qu’il était encore capable de se battre… Savoir qu’il était encore
capable de gagner si nécessaire… Cela faisait toute la différence.

Harry regarda brièvement dans sa direction avec un léger sourire avant de remonter
davantage la couverture sur sa tête et de fermer les yeux. Il aurait dû lui dire d’aller dans sa
chambre, il ne le fit pas.

Il n’avait pas encore informé le garçon de ce dont il avait discuté avec son parrain. Entre les
accusations à peine voilées sur le duel qu’il avait interrompu et les révélations sur les visions
que le Gryffondor avait passé la journée à repousser, il n’y avait pas eu de bon moment. Et
puis, Severus aurait préféré que les choses soient réglées pour de bon avant de lui en parler.
Lorsque Black aurait finalement les papiers appropriés en sa possession – des papiers qui,
apparemment, ne cessaient de mystérieusement se perdre au Ministère – et lorsque Harry
serait prêt à les signer… Il ne voulait pas donner à l’adolescent de faux espoirs et, pour
l’instant, le statu quo fonctionnait bien comme ça.

Ce n’était pas ce qui tracassait Severus.

Ce qui tracassait Severus, c’était ce lien entre Harry et le Seigneur des Ténèbres. Ce lien qui
pousserait inévitablement Dumbledore à sacrifier Harry à un moment donné. Pour le plus
grand bien ou qu’importe ce que le vieillard se murmurait la nuit pour parvenir à dormir…

Combien de temps avant qu’Albus ne commence à chasser et à détruire les Horcruxes les uns
après les autres ? Le directeur n’attendait qu’une seule chose : qu’Harry confirme le nombre
total. Et tant qu’Albus n’aurait pas commencé sa chasse, Severus n’aurait aucun moyen de
tenter de s’en procurer un… Il devait les étudier de plus près et pour ça…

Il se leva dans un claquement de robes involontaire qui fit sursauter Harry.

« Sev ? » demanda le garçon, à moitié endormi, en se frottant le visage.

« Dors. » murmura-t-il en dépassant le canapé, serrant brièvement son épaule au passage.

Il aurait aimé être plus assuré sur ses jambes mais la session de duel de l’après-midi et la
destruction de son laboratoire l’avaient physiquement vidé. Il claudiquait mais personne
n’était là pour le voir. Les couloirs étaient déserts après le couvre-feu et s’il prit plus de temps
que d’ordinaire pour monter les escaliers, il serait le seul à le savoir.

Les appartements de Slughorn ne furent pas bien difficiles à trouver. Ils se situaient dans les
hauteurs et Severus prit le temps de reprendre son souffle avant de frapper à la porte.

Ils n’avaient pas le temps d’attendre qu’Harry parvienne à convaincre Slughorn de livrer ses
souvenirs sur un plateau d’argent.

Ils n’avaient pas le temps non plus d’attendre qu’Albus cesse de s’embarrasser de scrupules
lorsque ça lui agréait.

Pas quand la vie de son fils était en jeu.

Le portrait bascula, révélant le vieux professeur de potions engoncé dans une robe de
chambre d’un vert sombre.

« Severus ? » s’étonna le Maître des Potions.

« Bonsoir, Horace. » répondit-il, avec un sourire froid.

Ce fut le seul avertissement qu’il consentit à donner.


White Moon

Lit up by the white moon

We’ll outrun the awaking dawn

Something In The Shadows – Amy Stroup

À la lumière de la lune pâle

Nous échapperons à l’aube qui se lève

Something In The Shadows – Amy Stroup

La cuisine du Square Grimmaurd était loin d’être silencieuse mais pourtant personne ne
parlait. Remus termina d’empocher les potions qu’il désirait emporter, vérifiant pour la
quatrième fois que les fioles étaient incassables. Si bataille il y avait, il refusait de se voir pris
de cours une nouvelle fois.

Autour de lui, les autres s’afféraient. Charlie avait délassé ses lourdes bottes en cuir de
dragon et était occupé à renouer correctement les lacets pour ne pas être gêné. Anthony, qui
était parti en quête de capes de laine un peu plus épaisses, venait de les poser sur le dos d’une
chaise et avait volé une part de tourte dans le plat posé au centre de la table pour qui avait
faim. Nyssa étudiait l’assortiment de dagues et autres objets tranchants à sa disposition et
s’équipait dans son coin.

La porte d’entrée grinça et Remus releva immédiatement la tête, trop conscient qu’un éclat
sauvage troubla un instant son regard. Le loup en lui était aux aguets, déjà impatient de voir
le soleil se coucher – peut-être aussi impatient que Nyssandra. Il aurait, cependant, reconnu
entre mille la cadence des pas qui se dirigeaient vers la cuisine.

Tonks débarqua avec un grand sourire qui se figea sur ses lèvres.

Malgré lui, Remus fronça le nez. Il n’y avait plus de trace de suie sur elle mais elle empestait
la fumée âcre d’un incendie et, plus subtile, l’odeur désagréable de chair carbonisée flottait
autour d’elle, recouvrant son parfum familier. En lui, le loup s’agita.

Lunard était difficile à contrôler depuis la dernière pleine lune. Être forcé de rester à nouveau
prisonnier après avoir goûté à la potion Révèle-Loup… Il s’efforça de ravaler sa rancœur et
de ne pas penser à l’égoïsme de Severus. Il n’avait pas désiré la potion que pour lui-même. Il
avait été si impatient de la faire goûter à Laura… De la délivrer du fardeau qu’était la peur
viscérale de se transformer… Au lieu de ça, ils avaient passé la pleine lune enfermés dans son
cottage, roulés en boule, l’expérience à peine rendue supportable par la potion Tue-Loup peu
efficace et la présence d’un autre membre de la meute. Tout ça parce que Severus refusait que
quelqu’un d’autre que lui prépare sa potion.
« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda Tonks, immédiatement sur le qui-vive.

« Mission. » répondit-il distraitement, l’observant attentivement.

Comme toujours.

De une pour s’assurer qu’elle n’était pas blessée. De deux parce que quelque chose le
turlupinait. Cela faisait plusieurs fois qu’il remarquait quelque chose de différent à son
propos sans parvenir à tout à fait mettre le doigt dessus.

« On part à la chasse aux fugitifs. » répondit Charlie, non sans humour.

Elle fronça les sourcils avec incompréhension et se tourna vers Anthony qui avala rapidement
le morceau de tourte qu’il était occupé à mâchonner.

« Dumbledore veut qu’on essaye de retrouver l’homme que cherchent les Mangemorts. »
expliqua le dragonnier. « On va au manoir des Hawthornes et on va essayer de remonter sa
trace. »

« Il y a eu des Aurors là-bas toute la journée… » contra-t-elle, en secouant la tête. « S’il y


avait encore eu quelqu’un… »

« Dumbledore veut qu’on tente le coup. Il a probablement ses sources. » coupa Charlie dans
un haussement d’épaules.

Tonks et lui échangèrent un regard et Remus inclina légèrement la tête sur le côté. Il y avait
une certaine tension entre eux, une tension palpable, complètement inhabituelle. Bizarre. Il
jeta un coup d’œil à Anthony qui, semblait-il, avait lui aussi remarqué la chose mais n’en
paraissait pas étonné outre mesure.

« Et pourquoi est-ce que vous ne m’avez pas prévenue ? » insista-t-elle. « Moi ou Kingsley ?
On connait le terrain. Ce serait logique que… »

« Parce que nous sommes les meilleurs pisteurs que possède l’Ordre. » interrompit Nyssa, en
terminant d’attacher un fin poinçon à son avant-bras. « Le soleil vient de se coucher,
Remus. »

Il n’avait pas vraiment besoin qu’elle le lui dise, il l’avait senti. La potion Révèle-Loup avait
libéré toute une part de lui et, avec elle, de nouveaux sens qui avaient été, jusque là, tronqués.
Il comprenait un peu mieux Greyback à présent. Il pensait toujours que la morsure avait été
une malédiction mais il comprenait pourquoi certains pouvaient y voir une opportunité.

« Allons-y. » approuva-t-il d’un hochement de tête.

« Je viens. » annonça Tonks.

Personne ne discuta vraiment. Charlie haussa à nouveau les épaules, Anthony se contenta de
regarder Remus pour attendre sa réponse et Nyssa se balançait impatiemment de ses talons à
la pointe de ses orteils, pressée de se mettre en chasse. La décision, au final, lui revenait à lui.
Au Square Grimmaurd, il parlait pour Albus.
Et il hésita.

Pas entièrement parce que la situation pouvait se révéler dangereuse – ils ne savaient pas qui
ils cherchaient toutefois Albus l’avait prévenu qu’ils devaient s’attendre à de la visite – mais
parce que Dumbledore avait été clair quant à qui était censé participer à la mission. Pour
l’espion. Mais l’espion pouvait tout aussi bien déjà être parmi eux et il refusait de penser une
seule seconde que Tonks…

« Tu es équipée ? » demanda-t-il, en poussant vers elle le carton de potions posé sur la table.
Il avait insisté pour que tout le monde ait quelques fioles sur lui.

Sa main passa au-dessus du carton et s’empara d’une pomme qui trainait dans un saladier.

« J’ai ce qu’il me faut. » répondit-elle vaguement, en croquant dans le fruit.

« Le Ministère fournit des potions maintenant ? » s’enquit-il avec un intérêt sincère. Il savait
que quoi qu’elle ait sur elle, ça ne venait pas de leur stock. Il tenait un inventaire précis des
potions qui transitaient par le Square Grimmaurd.

« Quelque chose comme ça. » botta-t-elle en touche.

Charlie laissa échapper un bruit amusé qui lui valut un regard noir.

Remus décida qu’il valait mieux ne pas creuser la question. Du moins, pas tout de suite.

« Transplanne avec Nyssa. » ordonna-t-il, dès que tout le monde fut prêt.

La vampire s’approcha avec un sourire auquel Tonks répondit par un autre sourire un peu
forcé. Là aussi il y avait une tension, devina Remus, mais il était bien incapable de deviner
laquelle.

C’était cette histoire d’espion, songea-t-il en amorçant son propre transplannage, cela
recommençait comme quinze ans plus tôt. Ils se soupçonnaient tous les uns les autres et cela
risquait de détruire l’Ordre de l’intérieur.

Le changement de température le prit de court et il observa immédiatement les environs,


resserrant sa cape d’une main et agrippant fermement sa baguette de l’autre. Le paysage était
des plus classiques. Un manoir typique se dessinait dans le lointain et la campagne
environnante se déclinait en chemins, arbres et pâturages.

Plusieurs craquements caractéristiques l’alertèrent de l’arrivée des autres. Comme lui, ils
passèrent tous plusieurs secondes à scruter les ombres qui se dessinaient dans la nuit, prêts à
affronter une embuscade.

Tout était tranquille cependant et il ne sentait aucune menace dans l’air.

« Le manoir des Hawthornes est par là. » déclara Tonks, un peu inutilement, en désignant
d’un geste la bâtisse quelques mètres plus loin. « Les protections étaient baissées à notre
arrivée. »
Elle ouvrit la marche et ils la suivirent, attentifs à ce qui se jouait autour d’eux.

Il sentit le léger bourdonnement sur sa peau alors qu’ils approchaient de la porte d’entrée.

« Tu viens de dire que les protections avaient été brisées… » remarqua-t-il, ajustant
automatiquement sa prise sur sa baguette.

« Je ne pouvais pas laisser le domaine ouvert à tous les vents… » rétorqua-t-elle. « Ce que
j’aurais pu dire à Dumbledore si quelqu’un m’avait prévenue. »

« Dépêche-toi. » exigea Anthony, en embrassant la campagne environnante d’un coup d’œil


nerveux. « J’ai un mauvais pressentiment. »

« Tout est calme. » objecta Nyssa.

La vampire se fondait dans l’ombre.

Les deux dragonniers s’éloignèrent légèrement, probablement pour établir un périmètre de


sécurité. Remus en profita pour se rapprocher de Tonks alors qu’elle levait une main, paume
vers la porte en chêne massif, et tournait pensivement sa baguette de l’autre. Après plusieurs
secondes et un regard irrité vers lui – parce qu’elle avait été exclue de la mission ou parce
qu’il envahissait son espace, il n’était pas certain – elle murmura une litanie latine au rythme
saccadé.

« Qu’est-ce que c’est que ce sortilège ? » demanda-t-il, perplexe. « Je ne le connais pas. »

Et il connaissait énormément de sorts de protections, pour ne pas dire qu’il les connaissait
tous. Faire en sort que personne ne puisse pénétrer dans une maison, notamment durant la
pleine lune, avait été une obsession, fut un temps.

L’Auror demeura silencieuse et décrivit une boucle avec sa baguette avant de l’abaisser
brusquement. Elle tendit la main vers la poignée, sur le point d’ouvrir la porte, lorsqu’il
attrapa son bras, suffisamment fort pour laisser des hématomes derrière lui.

« Dora, depuis quand est-ce que tu t’y connais en sorts de protection ? » gronda-t-il, sa
baguette pointée sur elle.

Lunard rageait dans sa tête, protestait le traitement infligé à sa compagne… Mais Dora
n’avait jamais été habile en sort de protection.

« Lâche-moi. » cingla-t-elle, en tentant de se dégager d’un coup sec.

Il resserra sa prise, devinant qu’il lui faisait mal mais incapable d’écarter le doute cuisant. Il
respira profondément, tenta de déceler son odeur mais elle était toujours masquée par celle de
la fumée qui collait à ses vêtements.

C’était impossible, bien sûr. Il connaissait l’odeur de Tonks plus intimement qu’aucune autre.
Il l’aurait reconnue entre mille, les yeux bandés et sourd, lâché au milieu d’une foule. Mais
n’y avait-il pas eu quelque chose d’étrange chez elle depuis un mois ou deux ? Un parfum se
substituant à son odeur qui l’avait dérangé ? Des herbes… Similaire à l’odeur de Severus. Et
ce qui l’avait d’abord rendu jaloux… Pouvait-il s’être trompé ? Pouvait-il simplement s’agir
d’un résidu de potion ?

Du Polynectar ?

Si la personne avait ses vêtements, vivait chez elle… Son odeur aurait peut-être pu le
tromper…

Oui, mais Nymphadora avait retrouvé ses pouvoirs et personne n’aurait pu imiter ça. Ou
était-ce possible ?

Et ça expliquait…

Les baisers volés le soir de la mort de Fol’Œil… Le manque d’entrain de sa part… La


manière dont elle l’avait repoussé après qu’elle ait passé si longtemps à tenter de le
convaincre que…

Et si il n’y avait jamais eu d’espion ? S’ils avaient simplement été… infiltrés ?

« Remus, je te préviens… » siffla-t-elle, en tirant à nouveau sur son bras. « Lâche moi. »

Il l’attira plus près de lui jusqu’à ce que sa baguette s’enfonce légèrement dans son ventre.
Un avertissement tout au plus.

« Nymphadora Tonks n’est pas adepte des sorts de protection. » gronda Lunard.

Il n’avait pas anticipé le coup de pied qu’elle lui décocha dans le genou – son genou gauche,
celui que les multiples transformations avaient abimé, un point faible que peu de personnes
connaissait mis à part elle et Sirius – et ce fut suffisant pour qu’elle échappe à sa poigne. Le
temps qu’il relève sa baguette, celle de la jeune femme était fermement pointée sur lui.

Il sentit plus qu’il ne vit Nyssa se couler dans l’ombre du manoir, prête à passer à l’attaque
dès qu’elle aurait déterminé qui des deux était du bon côté.

Charlie et Anthony revinrent en courant, baguettes levées eux aussi, un air confus sur le
visage.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda Anthony.

« Tonks n’est pas Tonks. » cracha Remus. La main qui tenait le manche de sa baguette
tremblait légèrement. Il avait du mal à contenir la rage, à contenir Lunard. « Si tu lui as fait
quoi que ce soit… »

Mais non. Elle devait être en vie. S’il s’agissait de Polynectar…

« Tu es complètement paranoïaque. » cingla la jeune femme et, comme pour mieux lui
donner raison, ses cheveux blonds platine virèrent au rouge.

La baguette de Charlie avait pourtant elle aussi changé de cible et était pointée droit sur elle.
« Ça expliquerait… » hésita le dragonnier.

« La ferme. » l’avertit-elle fermement, en se décalant pour les avoir tous les trois dans son
champ de vision. Anthony ne semblait pas tout à fait savoir quoi faire, il tenait sa baguette
mais ne se décidait pas à la lever. « C’est moi, Charlie. Ne sois pas stupide. Tu me connais. »

« Elle bouge comme Tonks. » intervint la vampire, d’un ton apaisant, presque hypnotique.
« Je ne pense pas que quelqu’un puisse imiter ça. »

« Ça expliquerait quoi ? » insista Remus, en jetant un coup d’œil à Charlie. « Qu’est-ce que
tu allais dire ? »

Le regard de Charlie croisa celui de Tonks et les yeux de la jeune femme se firent presque
suppliants. Au bout d’un long moment, l’ancien Gryffondor détourna les siens.

« Rien. » répondit-il fermement. « C’est entre nous et c’est idiot. »

Remus secoua la tête. « Il n’y aucun soupçon trop idiot. La Nymphadora Tonks que je
connais n’aurait jamais su utiliser ce sortilège. Il n’est même pas répertorié. »

« Peut-être que tu ne me connais pas aussi bien que tu le penses. » rétorqua-t-elle.

Albus ne l’avait pas sélectionnée pour cette mission. Pourquoi, alors qu’elle connaissait
effectivement le terrain ? Parce qu’il avait voulu limiter le nombre de personnes et qu’ils
étaient les plus amènes de traquer quelqu’un ? Ou parce qu’il avait déjà des soupçons ? Tous
ces allers et retours à Poudlard qu’il avait eu tant de mal à s’expliquer… Il avait fait une
fixation idiote sur Severus alors que peut-être… Albus avait-il tenté de la démasquer ?

Mais comment aurait-elle pu accéder au QG si elle n’était pas la vraie Tonks ? Il aurait fallu
que Dumbledore révèle l’emplacement à l’imposteur lui-même…

« D’où vient ce sort ? » insista-t-il.

Son visage était fermé. Lisse.

Ça aussi c’était nouveau, relativement nouveau du moins, et cela faisait un moment que ça le
tracassait. Elle qui avait toujours été si ouverte, si prompte à exprimer ses sentiments…
Depuis quand les dissimulait-elle derrière un masque neutre ?

Elle sembla peser le pour et le contre pendant une minute puis leva les yeux au ciel.

« Severus Snape. » lâcha-t-elle. « Vous savez ? La dernière personne que vous avez accusée
d’être un espion sans aucune preuve, exactement comme maintenant ? »

« Severus Snape. » répéta-t-il avec incrédulité.

« Il l’a inventé. » précisa-t-elle dans un haussement d’épaules.

Il n’en fallut pas plus pour que la jalousie revienne, mordante et brûlante. Remus ne savait
plus ce qu’il aurait préféré. Qu’il s’agisse d’un imposteur ou que ses soupçons au sujet de
Snape soient avérés et que Dora soit en sécurité.

« Et Severus te l’aurait montré ? Pourquoi ? » insista Remus.

« On perd du temps. » répliqua-t-elle. « Tu veux être sûr que c’est moi ? Pose moi une
question pertinente. »

Sa question était on ne peut plus pertinente. Severus Snape, l’homme qui refusait de partager
le secret ses potions de peur de se les voir volées, enseignait librement ses sortilèges non-
homologués à une ancienne élève avec qui il n’avait, à priori, aucun véritable lien ?

« Combien de bouteilles de Whiskey Pur-feu avant que tu ne te déshabille et traverse le


terrain de Quidditch en sous-vêtements ? » lança Charlie.

Un sourire amusé étira brièvement les lèvres de Tonks. « C’était de la Vodka Glace-boyaux,
trois bouteilles et ce n’était pas moi mais toi. Sans parler du séjour à l’infirmerie pour coma
éthylique. »

Les épaules de Charlie s’affaissèrent de soulagement et il baissa sa baguette. « C’est elle. »

Mais Remus n’était toujours pas convaincu.

« Notre premier baiser ? » demanda-t-il.

L’amusement fondit comme neige au soleil et elle le foudroya du regard. « Chez moi, après
qu’on ait posé les protections sur mon appartement. Protections que j’ai dû changer par la
suite parce que tu te pointais sans être invité. Raison pour laquelle Severus m’a enseigné
deux ou trois sorts de protection si tu veux tout savoir. »

Il détourna la tête et, après une seconde, abaissa lui aussi sa baguette.

« On ne peut pas se permettre le moindre doute. » murmura-t-il en guise d’excuse.

« Je saurais m’en souvenir. » grinça-t-elle, en poussant la porte d’entrée.

Un simple homenum revelio confirma que la maison était vide. Tonks les guida jusqu’à
l’endroit où l’homme avait campé puis jusqu’au passage secret.

« Remus. » appela Nyssa, après avoir fait à peine trois pas dans le tunnel.

« Oui. » confirma-t-il. « Je le sens aussi. »

« Et pour ceux qui n’ont pas de sens ultradéveloppés ? » plaisanta Charlie, mais ça tomba à
plat. La tension entre eux tous était indéniable.

Tonks se tenait à l’entrée du souterrain et avait l’air extrêmement mécontente bien qu’elle se
détendit légèrement lorsque Anthony murmura quelque chose à son oreille.

« Du sang. » expliqua la vampire. « Coagulé. Plusieurs heures. Il est blessé assez


gravement. »
« Lui ou un des Mangemorts qui sont passés après lui. » riposta Tonks. « Aucun moyen de le
savoir. »

« L’odeur correspond à celle du campement. » contra doucement Remus, peu enclin à


s’attirer davantage ses foudres. « Mais tu as peut-être raison, bien sûr. »

« Il n’y avait pas de traces de sang dehors. » insista-t-elle. « Je sais comment faire mon
travail. J’ai vérifié. »

Il n’était pas étonné qu’elle n’ait pas repéré les traces de sang dans l’obscurité écrasante du
tunnel.

« Allons voir. » suggéra Anthony. « On peut peut-être retrouver sa piste. Ça ne peut pas être
plus difficile que de traquer un dragon. »

« Tu veux parier ? » lança Charlie avec un léger rire.

Remus ne voulait pas parier, il laissa Nyssa ouvrir la marche, ses yeux y voyant aussi clair
dans l’obscurité qu’un chat, et laissa Charlie et Anthony la suivre à la lumière faible d’un
lumos.

« Dora… » murmura-t-il lorsqu’elle passa devant lui.

Elle l’ignora.

°O°O°O°O°O°

« Bonsoir, Horace. »

Le vieux Maître des Potions comprit-il pourquoi Severus était venu ? Il tenta de rabattre le
battant du portrait mais l’espion avait d’ors et déjà placé un pied dans l’embrasure pour
l’empêcher de le refermer et il repoussa l’homme à l’intérieur sans aucun ménagement. Il fut
presque surpris de parvenir à faire bouger l’ancien Directeur des Serpentards étant donné sa
force relative mais, que ce soit par surprise ou complaisance, Slughorn recula.

« Voyons, Severus… Qu’est-ce que… » balbutia l’homme, dans une piètre tentative de
gagner du temps. Sa main fouillait dans la large poche de sa robe de chambre vert sombre
légèrement élimée aux coudes.

« Expelliarmus. » murmura-t-il tranquillement et la baguette glissa des doigts épais de son


ancien Professeur. « Vous avez le choix, Horace. Nous pouvons employer la manière douce
ou la manière forte. »

Le visage de Slughorn se durcit et si le sorcier le foudroya du regard, Severus ne manqua pas


les rapides coups d’œil jetés à droite et à gauche. Ils se tenaient dans un couloir aux teintes
taupe classiques et plusieurs portes ouvertes menaient à différentes pièces. Severus pouvait
nettement distinguer une vaste salle à manger au fond à travers le cadre de la porte. Il n’y
avait aucune sortie qui n’était pas le portrait devant lequel l’ancien espion se trouvait et
personne pour venir à son secours.
Il y avait une raison pour laquelle Slughorn préférait se dissimuler plutôt que d’affronter de
potentiels adversaires. Sa force se situait dans sa tête et pas dans sa baguette.

« Que voulez-vous ? » siffla Horace. « Je vous avertis que je suis sous la protection de
Dumbledore et votre Maître ferait mieux d’y réfléchir à deux fois avant de… »

« Tranquillisez-vous, ce n’est pas le Seigneur des Ténèbres qui m’envoie. » l’interrompit-il


d’un ton las et faussement doucereux. Il lui laissa quelques secondes, le temps qu’il déduise
ce qu’il n’avait pas ouvertement établi. Si ce n’était pas le Seigneur des Ténèbres qui
l’envoyait, alors c’était forcément Albus. « Vous avez en votre possession un certain
souvenir, il me semble. »

Slughorn se rengorgea, outrage et indignation mêlés.

« J’ai déjà confié ce souvenir à Albus ! » protesta le Maître des Potions. « Comme je l’ai dit à
Potter, le… »

La phrase se termina abruptement lorsque Severus leva un peu plus sa baguette à la mention
d’Harry.

« Je n’ai que faire de vos mensonges, Horace. » avertit-il. « D’une manière ou d’une autre, ce
souvenir sera en ma possession lorsque je quitterai vos appartements. »

Une vague de terreur déforma brièvement les traits du Professeur.

« Vous allez me torturer ! » s’exclama Slughorn. « Moi ! Moi qui ait tant fait pour vous ! Moi
qui… »

« Silence. » gronda-t-il. Il n’avait pas particulièrement voulu jeter un silencio mais il sentit le
sort quitter sa baguette. Sa magie bouillonnait d’être restée emprisonnée ces dernières
semaines, la fureur ne l’aidait pas à garder le contrôle… « Vous qui avez tant fait pour moi ?
Où étiez-vous lorsque je pouvais à peine marcher, Horace ? Où étiez-vous lorsque passer des
heures assis dans une salle de classe était une torture parce que mon dos était en sang ? Où
étiez-vous lorsque Pomfresh tentait de vous alerter encore et encore ? Où étiez-vous
lorsque… »

Sa main tremblait davantage encore dans sa colère et des étincelles vertes échappèrent du
bout de sa baguette. Dangereux. Trop dangereux.

Il occluda les souvenirs du sentiment d’impuissance, l’humiliation, la douleur… Il occluda


tout cela et tâcha de ne pas repenser à son voyage dans le passé, de ne pas ressasser le
ressentiment sourd qui avait grandi en lui lorsqu’il avait dû observer son jeune lui-même
revivre la pire année de sa vie tandis que Slughorn s’empiffrait lors de dîners avec le gratin
de la société magique. Il occluda la jalousie indigne qu’il avait éprouvé en regardant Harry
changer presque facilement un destin qu’il avait cru irrémédiable.

« J’ai peur de ne pas vous suivre, Severus… » réfuta le Professeur, les deux mains levées
devant lui en guise de supplique. « Vous… »
Ou bien, peut-être ne s’agissait-il pas d’une supplique, après tout.

La décharge le propulsa en arrière et Severus heurta brutalement le portrait avant de


s’écrouler au sol. Ses doigts lâchèrent leur prise sur sa baguette et il n’en fallut pas plus pour
que Slughorn se précipite vers sa propre baguette qui avait roulée un peu plus loin.

Stupide, jugea Severus, en pressant sa langue contre l’intérieur de sa joue. Il s’était mordu et,
à présent, il avait le goût du sang en bouche. Ça ne lui avait pas manqué. Ses doigts
tremblants trouvèrent sans mal le bois doux et familier.

« Stupefix ! » lança Horace, à peine avait-il récupéré sa baguette.

Le trait rouge vint s’écraser sur un bouclier parfait. Severus se releva en grimaçant et répliqua
par un sortilège incapacitant. Il ne désirait pas, après tout, blesser l’autre professeur.

Ou du moins pas sérieusement.

Slughorn n’avait visiblement pas les mêmes réticences s’il sen fiait aux maléfices qui
pleuvaient sur lui. Severus ne se laissa pas distraire. Si le Seigneur des Ténèbres n’avait pas
réussi, ce n’était certainement pas Horace Slughorn qui le vaincrait.

Il avait sa fierté.

°O°O°O°O°O°

Remus fermait la marche, tâchant de garder le reste du groupe dans son champ de vision tout
en faisant attention aux alentours.

Nyssa les avait guidés à travers champs vers un bois clairsemé après avoir déclaré qu’il
n’était pas étonnant que Tonks n’ait repéré aucune trace de sang plus tôt. Qui qu’ils furent en
train de poursuivre, la personne était maligne et avait effacé ses traces derrière elle. Du moins
jusqu’à ce qu’elle ait traversé le champ et ait probablement décidé que la vitesse devrait
l’emporter sur la discrétion.

La vampire se glissait entre les troncs avec grâce et agilité, si visiblement dans son élément
que Remus ne pouvait s’empêcher d’en concevoir une certaine jalousie. Il jeta un coup d’œil
vers le ciel sans parvenir à repérer la lune décroissante au travers du ramage des arbres.

« Il n’est plus très loin. » annonça la vampire et elle accéléra la cadence jusqu’à se fondre
derrière un buisson.

Remus la perdit de vue et il ne dut pas être le seul puisque Tonks marmonna un juron.

« Attends-nous ! » ordonna l’Auror.

La vampire entendit-elle ? Bien sûr. Il en aurait été impossible autrement avec un ouïe aussi
fine, seulement pour une raison ou une autre, elle refusa d’écouter et continua à avancer.

Une part de Remus pouvait comprendre. Nyssandra était enfermée au Square Grimmaurd
depuis bien trop longtemps et on ne pouvait pas brimer indéfiniment un prédateur. Elle avait
besoin de chasser, de laisser libre court à ses instincts primaires sans s’encombrer de trois
sorciers et d’un loup-garou. S’ils l’avaient laissée seule, elle aurait probablement déjà trouvé
et ramené la personne qu’ils recherchaient.

« Merde ! » s’écria soudain Charlie à leur droite, avant de s’étaler à plat ventre.

Remus ravala un sourire lorsqu’il comprit qu’il avait trébuché sur une racine. Ce n’était pas si
amusant au demeurant mais le jeune homme ayant passé dix bonnes minutes à se vanter
d’être habitué à arpenter des forêts bien plus denses de nuit… A sa décharge, le sol était
traitre et la visibilité était réduite.

« Ça va ? » demanda-t-il tandis qu’Anthony le remettait debout.

Dora sembla hésiter entre s’attarder et se lancer à la poursuite de Nyssa. Elle ne cessait de
jeter des coups d’œil alarmés dans la direction que la vampire avait prise.

« Charlie ? » lança-t-elle.

Remus se demanda vaguement à quel moment elle avait pris tant d’assurance. Son ton était
celui d’un général passant en revue ses troupes et avait peu à voir avec celui de la jeune
femme intimidée mais enthousiaste qu’il avait rencontrée l’été précédent. Certes, beaucoup
s’était produit depuis et elle avait été plus ou moins promue par les circonstances à la tête du
Département mais… Elle avait changé. Il n’était pas certain de mesurer à quel point.

Il préféra ignorer cette part de lui, cette part qui n’était pas entièrement Lunard, qui
n’appréciait pas de se voir voler le commandement du groupe.

« Ça va, ça va… » maugréa le dragonnier.

« Tu es sûr ? » insista Anthony, avec une expression inquiète. « C’était une sacrée chute. »

Charlie s’appuya sur sa cheville et grimaça immédiatement.

« D’accord. Peut-être que ça ne va pas si fort que ça. » admit-il avant de balayer l’air de sa
main. « Mais ça va aller. Il faut juste… »

Un feulement retentit dans la nuit, impossible à confondre.

« Nyssa. » lâcha Tonks avant de partir en courant.

« Attends ! » cria Remus au même instant, les cheveux se hérissant sur sa nuque.

L’avertissement se perdit mais il fut, de toute manière, bien inutile.

Un hurlement à la lune retentit.

Puis deux.

Puis trois.
Et Remus résista à l’envie instinctive d’y répondre pour s’élancer à la poursuite de la jeune
femme, le cœur dans la gorge.

°O°O°O°O°O°

Il lui fallut trois minutes pour désarmer à nouveau Slughorn.

Trois minutes de trop, décida Severus, en menaçant le sorcier de sa baguette. Peut-être aurait-
il dû patienter jusqu’au lendemain pour attaquer, se remettre davantage… Peut-être, alors,
n’aurait-il pas eu l’impression qu’il allait s’effondrer au moindre effort physique
supplémentaire.

Trop tard à présent.

Il chercha à tâtons une des fioles qu’il gardait toujours dans ses poches intérieures et en avala
le contenu d’un coup. Le philtre de force lui fit un effet immédiat mais ne fut pas aussi
efficace qu’il l’avait espéré. Ses muscles étaient contractés et le faisaient souffrir et seul un
entêtement sans borne le maintenait sur ses jambes.

« Soyez raisonnable, mon ami. » le gronda Slughorn comme s’il avait encore été en troisième
année.

Serrant les dents, Severus croisa son regard et ne s’embarrassa pas de fioritures.

« Legilimens. » murmura-t-il.

Il s’enfonça dans l’esprit de Slughorn comme dans du beurre.

Terreur.

Volonté de survivre à tout prix.

Des souvenirs sans conséquences.

Des souvenirs sans conséquences jusqu’à lui en donner le tournis.

S’il n’avait pas su que Slughorn était un Occlumens, il serait peut-être tombé dans le piège.
Probablement pas. Les boucliers de son ancien professeur étaient similaires aux siens. Du
moins à ses anciens boucliers.

Il durcit l’attaque, se dirigea vers ce qui l’intéressait.

Voldemort.

Le mot sembla raisonner comme un glas mais Severus ne se laissa ni intimider, ni arrêter. Son
esprit était une flèche et la flèche fonçait vers sa cible.

Slughorn eut un mouvement de panique – ou feignit un mouvement de panique plus


exactement. Il y eut une vague tentative pour l’éjecter de son esprit. Faible. Trop faible pour
qu’il ne se laisse berner. Et, ensuite, le souvenir qu’il cherchait.
Tom Jedusor, adolescent, bien trop séduisant, exsudant déjà ce charisme qui avait poussé plus
d’un sorcier à devenir volontairement son esclave…

Severus n’avait pas vu le souvenir truqué qu’Harry avait mentionné mais même si le garçon
ne l’avait pas averti de son existence, il aurait reconnu celui-ci pour un faux. Les raccords
n’étaient pas parfaits, l’angoisse sous-jacente trop nette.

Il força encore, chercha à briser le verrou mental que Slughorn venait implacablement
d’appliquer … Et, pour la première fois, il rencontra une véritable résistance.

Il y eut une avalanche d’autres souvenirs : Tom Jedusor en classe, des soirées du Club de
Slug… Severus les prit et les rejeta distraitement, cherchant un angle d’attaque… Et puis,
sans avertissement, le visage de Lily.

Lily qui riait.

Lily qui poussait un Severus plus jeune alors qu’ils étaient tous deux penchés au dessus d’un
chaudron, une plaisanterie aux lèvres.

Lily qui pleurait.

Lily qui s’avançait le long d’une allée recouverte de pétales de roses, dans une longue robe
blanche d’une simplicité à couper le souffle. Lily qui embrassait James Potter après l’avoir
rejoint à l’autel.

Déstabilisé, il perdit le contrôle suffisamment longtemps pour que Slughorn s’empare de la


connexion. Et soudain, ils étaient dans son esprit.

Le laboratoire dévasté. Les larmes. L’humiliante sensation d’impuissance. Black. Alliés.


Amis. Confusion. Duel.

Azkaban. La certitude d’avancer vers sa mort. Le Seigneur des Ténèbres. Le Silencio


enserrant sa gorge. ‘Un enfant. Tu meurs pour un enfant.’ Son enfant. Harry. La douleur.
Nox. Harry.

Le souvenir flou d’Harry penché au-dessus de sa forme de sombral fut suffisant pour qu’il
retrouve le plein contrôle de ses boucliers. Avec un grondement, il repoussa Slughorn et
envahit à nouveau sa tête.

Cette fois-ci, Horace ne prétendit pas être un novice. Ce fut un mur de glace épais qui
l’accueillit mais cela ne fit pas fléchir Severus.

Il avait besoin de ce souvenir, pour Harry, et il l’obtiendrait quoi qu’il en coûte. Il arpenta les
défenses, cherchant la faille… Il y avait toujours une faille. La sienne était Lily. Celle de
Slughorn…

Il sentait, goûtait presque l’appréhension non feinte du Maître des Potions, la panique qui le
gagnait petit à petit. S’était-il jamais véritablement frotté à un Legilimens de ce niveau par le
passé ? Avait-il jamais rencontré un Occlumens aussi puissant que Severus ?
Il repéra un endroit plus faible où la glace s’effritait et il s’élança de toute sa force, bandant sa
magie pour mieux l’écraser. Il passa au travers, toucha du doigt plusieurs souvenirs que
Slughorn tenta de lui dissimuler avec affolement… Severus s’en désintéressa rapidement. En
d’autres circonstances… Mais il n’avait que faire des secrets du Professeur à l’instant.

Il repéra à nouveau le souvenir qui l’intéressait, l’attaqua sous un angle différent, et, cette
fois…

« Professeur, j’avais une question. » demanda Tom Jedusor et Severus observa avec avidité
tandis que l’adolescent mentionnait les horcruxes et que Slughorn, bien que visiblement sur
ses gardes, répondait avec une nonchalance alarmante pour un enseignant.

« Sept n’est-il pas le nombre magique le plus puissant ? »

Sept.

Diviser son âme en sept.

Sept.

Le choc de la découverte fut suffisamment fort pour que Slughorn l’éjecte de sa tête.

Pendant de longues minutes, ils s’observèrent, haletants sous l’effort qu’ils venaient de
fournir.

« Comment avez-vous pu ? » murmura Severus, plus choqué qu’il ne l’aurait voulu.

« Croyez-vous qu’il n’aurait pas trouvé la réponse ailleurs ? » riposta Slughorn. « Ce n’est
pas ma faute. Je… »

« Si vous aviez averti Dumbledore il y a quinze ans… » l’interrompit-il.

« Rien ne prouve qu’il a mis son plan à exécution. Rien. » cracha Horace avec tellement de
force que Severus fut incapable de déterminer s’il était dans le déni ou simplement stupide.
« Je ne suis pas responsable de… »

« Somnus. » grinça-t-il, laissant Slughorn s’effondrer au sol de tout son poids.

Il observa un moment la silhouette pachydermique dans sa robe de chambre verte qui ronflait
à présent régulièrement, singulièrement tenté par un endoloris. Pas sa faute… Pas sa faute…

« Était-ce bien nécessaire, mon garçon ? » soupira une voix familière dans son dos.

Severus ferma brièvement les yeux avant de se retourner pour faire face à Albus
Dumbledore.

°O°O°O°O°O°

Le combat avait déjà commencé lorsque Remus déboula entre les troncs d’arbres trop
resserrés pour permettre une bonne visibilité. Son regard embrassa la scène et il sentit son
estomac se contracter d’appréhension.

Il y avait trois loups-garous.

L’un d’eux avançait impitoyablement vers la forme recroquevillée d’un homme que Remus
identifia, après une seconde d’incrédulité, comme étant Ollivander. Le vieux sorcier était
blessé, épuisé, et regarda la bête approcher avec stoïcisme.

Le deuxième était tenu en respect par les sortilèges agressifs de Tonks mais cela ne durerait
pas éternellement. La baguette virevoltait dans l’air mais le loup massif au pelage brun
esquivait, sautant d’un côté à l’autre, les crocs découverts…

Le troisième était le plus mal en point. Nyssa bondissait si haut et avec tant d’agilité qu’on
aurait pu croire qu’elle volait. Elle tenait son poinçon dans la main droite et frappait de temps
en temps le flanc, l’échine ou la cuisse de l’animal, suivant ce qu’elle parvenait à toucher.
L’éclat de la lune sur ses canines était aussi glaçant que le reflet du métal qu’elle maniait
d’une main d’experte.

Charlie claudiqua près de Remus, aidé par Anthony, et se lança immédiatement dans la danse,
envoyant voler au loin le loup qui menaçait Ollivander. Les deux dragonniers s’élancèrent
dans cette direction et Remus hésita l’espace d’une seconde…

La priorité, la mission, était de sauver l’homme. Le mettre en sécurité.

Mais Tonks…

Tonks jeta un sortilège que le loup esquiva et l’animal en profita pour bondir droit sur elle. Le
sort de Remus dévia sa course. Pas de beaucoup mais suffisamment pour que l’Auror puisse
remettre un peu de distance entre elle et la bête. Elle le remercia d’un hochement de tête
distrait mais ne détourna pas son attention de son adversaire.

« Attrape le et transplanne ! » ordonna-t-elle, entre deux sortilèges.

Reconnaissant la sagesse de cette demande et, parce qu’une fois qu’Ollivander serait en
sécurité, les autres seraient libres de s’enfuir, il se précipita vers le vieillard qui s’était trainé
aussi loin du combat qu’il l’avait pu et s’était adossé à un arbre. Les yeux étranges du
fabriquant de baguette se tournèrent vers lui. Remus n’était plus qu’à deux mètres lorsqu’un
souffle le cueillit au creux du dos et le propulsa dans les airs.

L’espace d’une seconde, il volait.

Les loups n’étaient pas faits pour voler.

Il heurta un tronc avec tant de violence qu’il resta prostré au sol, se rendant à peine compte
qu’il avait atterri. L’herbe était humide et grasse sous lui, une racine lui rentrait péniblement
dans le genou et il avait un goût de terre en bouche… Le sang battait à ses tempes, il
n’entendait plus rien que ça.

Ses doigts se refermèrent sur du lichen et une partie de lui fut soulagée de pouvoir encore
bouger. Son dos. Son dos avait subi le gros de la collision et ses jambes…
Il poussa avec sa jambe gauche, laissa échapper un long soupir lorsqu’elle se replia sous
lui…

Des bottes apparurent dans son champ de vision, des bottes familières… Les pieds étaient
parfaitement positionnés pour un duel et ne cessaient de bouger. C’était gracieux. Presque
beau. Captivant à regarder.

Du moins jusqu’à ce que la personne ne soit forcée de mettre un genou à terre avec un cri de
douleur qui réveilla la bête en lui.

Il cilla et reconnut Tonks.

Il cilla et vit rouge.

Ignorant les protestations de son corps meurtri, trop habitué qu’il était à la souffrance logée
dans chacun de ses os, il se repoussa sur les genoux, cherchant à tâtons la baguette qu’il avait
lâchée Merlin savait où.

« Comme quoi la vie a ses surprises… » se moqua une voix grave et familière avant de partir
dans un éclat de rire. « J’étais venu chercher un vieillard et voilà que je trouve une petite
souris et une pauvre excuse de loup galeux… »

Il secoua la tête et leva les yeux vers le sorcier vêtu d’une robe bleue qui aurait pu passer
pour un haillon tant elle était déchirée.

« Greyback. » cracha-t-il avec haine.

Lunard se remit debout, sans se soucier de ses mains vides, sans se soucier de la baguette que
l’autre sorcier pointait sur lui… Rien ne comptait que Tonks qui peinait visiblement à se
redresser, un genou à terre et la respiration hachée… Rien ne comptait que l’homme qu’il
haïssait plus qu’il n’avait jamais hait personne d’autre.

« Lupin. » répondit le loup-garou avec la même hostilité. « J’allais la tuer, tu sais. J’allais la
tuer et la déposer devant ta porte mais maintenant je me dis… Peut-être que je devrais la
transformer d’abord… Laisser la meute s’amuser un peu… Peut-être que je devrais te laisser
regarder, même… Compagne pour compagne. »

Loba était morte il y avait tellement longtemps qu’il lui semblait que cela s’était passé des
années en arrière au lieu de quelques mois. Pour Greyback, cependant, cela aurait
probablement pu avoir eu lieu hier.

« Va te faire foutre. » grogna Tonks, en levant brusquement sa baguette sans prévenir.

Des dagues apparurent dans l’air, lancées à pleine vitesse. Le protego hâtif ne les arrêta pas
toutes mais Greyback tressaillit à peine lorsque deux d’entre elles s’enfoncèrent dans son
épaule. Il se contenta de les arracher comme s’il s’agissait de cure-dents.

La jeune femme ne s’était toujours pas relevé.


Remus quêta de l’aide du regard sans trouver aucun soutien possible. Le loup que Nyssa avait
affronté gisait au sol, mort ou grièvement blessé, et elle faisait à présent face à celui qui s’en
était précédemment pris à Tonks, toutefois la vampire faiblissait. De larges plaies courraient
le long de ses bras là où les griffes avaient pénétré la chair. De même, Charlie et Anthony
peinaient à tenir l’autre animal en respect. Il y avait trop d’arbres, l’espace était trop
confiné… La forêt était le domaine des loups, ils avaient l’avantage.

Et Ollivander observait le combat avec détachement, sans protection…

« C’est moi que tu veux. » lui rappela Remus. « Laisse… »

« Ce que je veux, c’est te voir souffrir. » coupa Greyback. « Tu m’as pris ma compagne alors
je vais tuer la tienne. Tu m’as volé une louve et quand je l’aurais retrouvée, je la
déchiquetterai. Et quand j’en aurais fini avec elle, je m’occuperai du reste de ta meute. Et
ensuite, peut-être, peut-être, que je te mettrais à mort. »

Le sorcier pêcha quelque chose de sa poche et ce fut comme si la pleine lune venait de se
lever brusquement. Une lueur douce scintillait dans la paume de Greyback, chatoyante,
irrésistible…

Aux aguets, Lunard se redressa, le regard rivé sur la fiole que déboucha rapidement le loup-
garou, incapable de réfréner sa convoitise.

La lune.

La lune.

La pleine lune dans une prison de verre…

« Accio potion ! » hurla Charlie et la fiole échappa de la grosse main de Greyback avant qu’il
ait put la porter à sa bouche. Sans se soucier de sa cheville blessée, l’ancien attrapeur bondit
et referma les doigts sur la fiole.

Lunard n’hésita pas, ne se rendit même pas compte qu’il laissait Tonks seule et sans
protection, il courrait déjà en direction des deux dragonniers. Anthony, désormais seul à parer
les attaques de l’énorme loup au pelage fauve, peinait à le tenir à distance. Lunard ne se
préoccupa pas de ça non plus, à peine décocha-t-il un coup de pied à l’animal lorsqu’il tenta
de se mettre sur son chemin. Il ne sentit ni les crocs s’enfoncer dans sa jambe, ni n’entendit
l’avertissement que quelqu’un lança au loin…

Il arracha la fiole de la main de Charlie, notant à peine avec regret que la moitié du flacon
avait été renversée, et avala la potion sans s’autoriser à peser le pour ou le contre. Il n’avait
plus de baguette, Greyback était un trop gros danger et là où Remus serait inutile, Lunard
pouvait l’emporter.

Et Lunard désirait se dégourdir les pattes de toute manière…

« Non ! » ragea le loup-garou. « Avada… »


La formule se termina dans un glapissement de surprise et, Remus, pris par sa transformation,
hurlant de douleur lorsque ses os se déboîtèrent, se déformèrent, eut à peine le temps
d’apercevoir Tonks se jeter sur le sorcier. C’était stupide. Il était plus fort et plus grand et sa
silhouette était frêle en comparaison. Elle fut repoussée sans ménagement et ce fut son tour
d’heurter un arbre et de rester prostrée au sol, assommée ou, du moins, groggy.

Le hurlement de douleur se transforma en un cri de rage qui se transforma en un appel à la


lune.

Lunard gronda, sa fourrure argentée hérissée, ses crocs découverts, ses griffes s’enfonçant
dans le sol meuble de la forêt… Sa truffe était agressée par l’odeur âcre de la magie qui
empestait l’atmosphère et recouvrait presque le parfum plus familier des bois.

Ses yeux ambre trouvèrent Greyback qui le dévisageait presque avec incrédulité,
incompréhension, et le grondement enfla dans son ventre.

Alpha.

Ennemi.

Danger pour la meute.

Un autre loup se jeta sur lui en provenance de sa gauche. Il n’avait pas besoin de
l’avertissement de l’un des humains qui empestaient la magie. Il l’envoya voler d’un coup de
patte rageur, prenant plaisir à entendre le couinement de douleur que l’autre animal laissa
échapper.

« Alpha. » murmura Greyback, en penchant la tête sur le côté. « Depuis quand, Lupin ? Tu
n’as toujours été qu’un suiveur… »

Lunard claqua des mâchoires en réponse, une menace et un avertissement tout à la fois.

Il mourrait d’envie de lui sauter à la gorge, de déchirer la chair fragile de l’homme pour
mieux abattre la bête… La meute serait à lui, après ça. La plus large meute du Royaume-
Unis. Alpha.

Mais sa compagne gisait derrière l’homme et cela le faisait hésiter. Combien de temps fallait-
il pour que la magie qui lui brûlait la truffe ne la lui arrache définitivement ?

Un couinement bref sur sa droite et un autre prédateur émergea, couverte de sang, un bout de
métal prolongeant son avant bras.

Suceur de sang.

Ennemie.

Greyback grinçait des dents à présent. Son regard se posa sur chacun d’entre eux et puis,
finalement, il trouva le dernier loup qui se tenait à présent en retrait, observant l’affrontement
entre les deux Alphas comme il le devait. Il y avait une étincelle de regret dans les yeux du
loup-garou.
« Tue-la. » ordonna l’Alpha, en désignant sa compagne d’un geste de la tête.

Le loup obéit immédiatement et détala en direction de la jeune femme.

Moins rapide que Lunard.

Moins rapide que la magie qui pleuvait sur lui.

Moins rapide que le métal qui s’enfonça dans sa jambe.

Ce furent ses crocs à lui qui l’achevèrent, cependant. Ses crocs qui se refermèrent sur sa
nuque et la brisèrent d’un coup sec à quelques centimètres à peine de l’endroit où sa
compagne reprenait lentement connaissance.

Il ne prêta aucune attention à ce qui se jouait dans son dos, n’était que vaguement conscient
que les humains tentaient de retenir l’autre Alpha, que Greyback avait attrapé le vieillard à
moitié vidé de son sang…

Cela n’avait pas d’importance.

Qu’il fuit.

Lunard le retrouverait.

Et la prochaine fois… Oh, la prochaine fois, ce serait sa nuque à lui qui viendrait se faire
broyer sous ses crocs et pas celle d’un sous-fifre.

Il se dirigea tranquillement vers sa compagne, ne s’immobilisant que brièvement pour intimer


d’un coup de dents à la vampire de se tenir en retrait.

Ennemie, soufflait son instinct et l’instinct était dur à réprimer.

Inoffensive, répliqua la part de lui qui était plus humaine qu’animale.

« Merde ! Merde ! » s’écriait un des humains dans son dos. « Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce
qu’il est conscient ? Est-ce que… »

Trop de bruit.

Lunard laissa échapper un long grondement sourd qui fit tomber un silence de plomb sur la
forêt. Pas seulement les humains mais les animaux qui se terraient désormais dans leurs
terriers, conscients qu’ils se trouvaient sur son terrain de chasse.

Comme il se devait.

La jeune femme était toujours allongée au sol et pressait une main contre sa poitrine, la
bouche ouverte comme pour mieux respirer. Lunard huma l’air autour d’elle, satisfait de ne
pas sentir l’odeur caractéristique de la mort qui rôdait. Il y avait du sang. Sa compagne. La
vampire. Un des humains. Les loups. Mais rien qui ne poussa son poils à s’hérisser. Rien de
bien dangereux.
Le loup n’était pas sûr qu’elle l’ait remarqué jusqu’à ce qu’il se tienne juste au-dessus d’elle,
ses pattes de chaque côté de son corps. Elle était petite comparée à sa forme massive, fragile.
Et sa respiration déjà difficile resta coincée dans sa gorge lorsqu’elle l’aperçu finalement. Sa
main gauche se leva.

Danger.

Magie.

Un grognement la fit y réfléchir à deux fois.

« Tonks, c’est Remus. » lança un des humains derrière lui. « Ne lui fais pas de mal ! »

« Et qu’est-ce qui se passe si lui lui fait du mal ? » rétorqua l’autre.

« Taisez-vous. » siffla la vampire. « Ne le provoquez pas. Tonks… Pas de geste brusque. »

Lunard ne bougea pas, il continua de la fixer du regard, content de la savoir vivante et là. Elle
n’était pas suffisamment là. Le reste de sa meute n’était pas suffisamment là.

Il sentait sa terreur sans que cela ne lui procure une joie immense. Il était bien qu’elle le
craigne un peu. Une meute devrait toujours craindre son Alpha. Mais pas autant. Et surtout
pas sa compagne.

Cela le blessait.

Il s’allongea prudemment sur elle, vaguement conscient qu’il était lourd et trop gros pour
qu’un humain supporte son poids, et nicha son mufle dans le creux de son cou, cherchant à
apaiser sa détresse palpable par sa présence. Être pressé contre son chef de meute était le
meilleur moyen de réconforter un loup, après tout. Il laissa échapper un bruit rassurant.

« Remus… » murmura-t-elle.

Remus.

Le nom était familier mais ce n’était pas le bon.

Il n’était pas Remus.

Il n’était pas le loup.

Il était Lunard et Lunard était le parfait amalgame des deux.

Il gronda légèrement en réprimande.

« Remus, j’ai besoin que tu te lèves. » insista-elle.

Il avait fait attention à ne pas l’écraser jusque là mais il se laissa aller de tout son poids en
protestation. Il n’allait pas se lever, non. S’il se levait, elle partirait et il se retrouverait encore
une fois à se languir d’elle.
« Remus. » grinça-t-elle, un touche de douleur dans la voix. Ses doigts s’emmêlèrent dans la
fourrure de ses flans. Il sentait le bois de sa baguette coincé entre sa paume et ses côtes…
Elle tenta de le repousser, ignorant les avertissements de la vampire…

Il gronda une réprimande et poussa la tête de la jeune femme en arrière d’un coup de mufle,
refermant rapidement ses mâchoires sur sa gorge désormais exposée, incapable de supporter
son obstination. On ne défiait pas un Alpha. On ne défiait pas Lunard.

Ses crocs ne percèrent pas sa peau. C’était un avertissement, rien de plus. Il ne lui aurait
jamais fait de mal.

L’air empestait de terreur. Celle de sa compagne, celle des humains, celle de la vampire…
Leur terreur excitait le prédateur en lui.

Il n’y avait pas de raison d’avoir peur.

Lunard voulait juste qu’elle se soumette.

Rien de plus.

°O°O°O°O°O°

Il observa l’homme affalé au sol devant son trône, contrarié de le voir l’observer en retour. Il
n’avait jamais supporté ce regard pâle qui semblait lire en Lui comme dans un livre.
Absurde, bien sûr. Personne ne pouvait lire son esprit.

Greyback continuait de pester sans qu’Il ne lui prête la moindre attention. Il avait perdu deux
loups, la belle affaire. Il lui en restait suffisamment.

Il accepta la requête d’une geste magnanime de la main lorsque le loup-garou lui demanda
la tête de Lupin. Greyback avait réussi là où ses Mangemorts avaient échoué. Et ils
paieraient pour ça. Oui, ils paieraient.

« Tu vas avoir le grand honneur de créer une baguette pour Lord Voldemort, vieillard. »
murmura-t-il.

Le sifflement attira Nagini qui se coula jusqu’à Lui et s’enroula autour de la base de son
trône. Les Mangemorts rassemblés dans l’ancien réfectoire qui lui servait désormais de salle
du trône reculèrent légèrement pour éviter l’énorme serpent, Ollivander lui-même fixait
l’animal avec crainte…

La langue de Nagini s’agita dans l’air et ce fut Lui qui goûta la douce flagrance de terreur.

« Une baguette plus puissante que toutes celles que tu as déjà crées. » continua-t-Il
tranquillement. « Lord Voldemort ne manque pas de pouvoir, bien sûr, mais il ne sera pas dit
que ma baguette n’est pas unique. Il n’y aura pas de jumelle cette fois. »

Ollivander s’humecta nerveusement les lèvres. « Ce n’est pas ainsi que ça marche. La
baguette choisit le sorcier, c’est… »
« Endoloris. » murmura-t-Il. Il se délecta des cris de douleur. « On ne refuse pas de servir le
Seigneur des Ténèbres. »

Il aurait sa baguette et, ce coup-ci, rien ne se dresserait sur son chemin. Il les tuerait tous et
tiendrait finalement le monde magique au creux de sa paume.

Le garçon qui refusait de mourir, d’abord.

Puis le vieux fou.

Et enfin le traitre.

Potter. Dumbledore. Snape.

D’une manière ou d’une autre, ils périraient tous sous sa baguette.

Harry se redressa, avalant goulument une bouffée d’air qui le fit tousser.

Il chercha à l’aveugle le dossier du canapé et s’en servit pour s’asseoir, laissant tomber sa tête
dans sa main. La couverture glissa au sol sans qu’il ne fasse aucun geste pour la retenir. Le
cœur au bord des lèvres, il s’efforça de réguler sa respiration, tâtant prudemment la cicatrice
brûlante, peu surpris de sentir un filet de sang sous ses doigts.

La migraine était virulente mais il se força à visualiser les murs de flammes. Il se força à
occluder parce que c’était la priorité. Il ne ressentait plus le chatouillis désagréable à l’arrière
de son crâne, cependant. Il n’était plus aussi attiré par l’esprit de Voldemort.

« Severus ? » appela-t-il, d’une voix un peu tremblante.

Le feu était presque éteint et les bougies s’étaient depuis longtemps consumées.

« Severus ? » insista-t-il, plus fort, au cas où le Professeur soit simplement parti se coucher.

Il n’obtint aucune réponse. Il ne tenta même pas d’aller voir si l’homme était dans sa
chambre. Les appartements semblaient froids, vides… Il était seul.

Pour changer.

Potter. Dumbledore. Snape…

Et Ollivander. Le fabriquant de baguette avait eu l’air mal en point… Et Greyback…


Remus…

Sa tête se mit à tourner à mesure que les informations lui revenaient à l’esprit. Il fut tenté
d’aller trouver quelqu’un. Pas Dumbledore mais Sirius peut-être puisque Severus était
absent… Il resta là où il était. Il n’était pas suffisamment naïf pour croire qu’Ollivander
pouvait être sauvé, pas alors qu’il était à Azkaban. Il ne fabriquerait pas non plus une
baguette à Voldemort dans la nuit, si tant était que cela soit même possible.

Aussi triste que cela soit, il n’y avait pas d’urgence à la situation.
Il ramassa la couverture et se laissa tomber du canapé, trop peu sûr de ses jambes pour tenter
de marcher. Il se traina plus près du feu et le raviva d’un coup de baguette avant de
s’entortiller dans le plaid.

La solitude était écrasante.

Enfin… Ce n’était pas tout à fait de la solitude… Il sentait la chose pulser en lui. Se moquer,
peut-être. Était-ce dans sa tête ? Son imagination ? Il n’avait jamais été conscient de la
présence de l’Horcruxe avant d’en découvrir l’existence. Mais à présent… Oh, il la sentait.
Imaginaire ou pas, c’était un poids sur son âme, un poids qui le dégoutait, un poids qui…

Il ne s’était pas aperçu qu’il était en train de se griffer le bras jusqu’à ce que Masque ne se
frotte contre lui. Harry attrapa le chat et le serra contre lui sans lui laisser trop le choix.

Le regard perdu dans les flammes, il se balança légèrement d’avant en arrière.

L’Horcruxe le tuerait. Il le pressentait avec une certitude qui croissait de jour en jour.
L’Horcruxe causerait sa perte, toute comme la prophétie le prédisait, et il n’était pas certain
que ce ne soit pas une bonne chose.

Plus de visions. Plus de poids sur ses épaules. Plus besoin de voir des gens qu’il connaissait
se faire torturer ou tuer.

Potter. Dumbledore. Snape.

Plus besoin de voir les gens qu’il aimait mourir par sa faute…

Sa propre mort ne l’effrayait pas.

Il l’attendait presque avec impatience.

Il espérait juste que personne d’autre ne tomberait avant lui.


Teeth Which Bite

Love isn’t soft, like those poets say. Love has teeth which bite and the wounds never
close.

Stephen King – The Body

L’amour n’est pas doux, comme le disent ces poètes. L’amour a des dents qui mordent et
les plaies ne se referment jamais.

Stephen King – The Body

Albus fit léviter la tasse de thé en direction de Severus d’un geste de la main. Si le Professeur
remarqua qu’il ne s’était pas servi de sa baguette, il n’en fit pas mention. Toutefois, Severus
était bien plus avachi dans le fauteuil qui faisait face à son bureau qu’il ne se l’autorisait
d’habitude. L’ancien espion frottait des yeux rougis par la fatigue et peinait à lui dissimuler le
tremblement de ses mains.

Il était censé se reposer, ragea silencieusement le Directeur, pas prendre des risques inutiles
avec sa santé. Et, surtout, il n’était pas censé voler les mission qu’Albus confiait à dessein à
Harry Potter.

S’il avait voulu employer la manière forte avec Horace, il l’aurait pu. Mais outre le fait qu’il
n’avait guère eu envie d’entacher leur amitié, le fait demeurait que récupérer le souvenir avait
été plus une formalité qu’autre chose.

Il avait deviné que Tom porterait son choix sur le nombre sept. Pour lui, c’était logique.

« Avez-vous une idée de ce qu’ils sont ? D’où ils sont ? » s’enquit Severus, en s’emparant de
la tasse qui lévitait près de l’accoudoir.

Albus soupira et se leva, délaissant la tasse de thé qu’il s’était lui-même servie, se promenant
tranquillement dans son bureau comme il en avait l’habitude lorsqu’il souhaitait réfléchir.
Naturellement, ses pas le menèrent jusqu’à l’étagère qui contenait ses instruments les plus
précieux – ceux qui avaient une valeur sentimentale, pas ceux qui étaient les plus onéreux –
et porta sa baguette à sa tempe avant de déposer une pensée parasite dans la pensine.

En vérité, il hésitait.

Il n’avait jamais prévu d’impliquer Severus de trop près dans la chasse aux horcruxes. Si
quelqu’un pouvait découvrir ce qu’était Harry, c’était lui. Et Albus devinait que si Severus
arrivai à cette conclusion… Il refuserait de comprendre ce qui devrait, à un moment où à un
autre, être fait. Pour le plus grand bien.

Severus clamait à tors et à travers qu’il ne croyait pas à la prophétie.


La vérité, le vieux sorcier le soupçonnait, était que l’homme n’y croyait que trop et que cela
le terrifiait parce qu’il aimait le garçon.

« Il y a une bague, comme vous le savez déjà. » admit-il en fin de compte.

Quelle était l’alternative ? Effacer sa mémoire ? C’était, bien entendu, une possibilité mais
Severus était trop bon occlumens pour ne pas s’en rendre compte et Albus avait déjà pris un
risque en jetant un sort d’oubliette à Tonks. Cela lui avait coûté la confiance de la jeune
femme et il était trop important de garder l’Ordre sous contrôle pour le diviser davantage
encore.

« Et ? » s’impatienta Severus après avoir vidé d’un trait la moitié de la tasse. Cela sembla le
requinquer quelque peu mais il demeura pâle et il avait toujours l’air aussi épuisé. Sa voix, en
revanche, ne tremblait pas.

« Le médaillon de Serpentard. La coupe d’Helga Poufsouffle. » énuméra-t-il. « Sans oublier


le journal qu’Harry a détruit durant sa deuxième année. Voilà ce dont je suis absolument
certain. Nous rentrons, ensuite, sur le terrain hasardeux des spéculations… » Il marqua une
pause pour laisser le temps à son professeur d’intervenir mais Severus resta silencieux donc il
continua. « Étant donné son obsession pour Poudlard et les Fondateurs, il semblerait logique
de chercher quelque chose ayant appartenu à Rowena Serdaigle. »

« Qu’en est-il de Gryffondor ? » demanda l’ancien espion, sourcils froncés. Les yeux noirs
s’étaient automatiquement déplacés vers l’étagère où trônait l’épée de Gryffondor.

Albus secoua la tête. « J’ai de bonnes raisons de penser qu’il dut y renoncer, les seuls
artéfacts ayant appartenu à Gryffondor étant en ma possession et à l’abri au sein de l’école. »
Le regard sombre s’attarda sur la garde de l’épée et le directeur soupira. « Ceci n’est pas un
horcruxe, Severus. Quant bien même Lord Voldemort aurait-il réussi à me la dérober, y
glisser un bout de son âme et la remettre à sa place à mon insu, Harry l’a utilisée pour tuer un
basilic. Elle est imbibée de venin. Or le venin de basilic… »

« Est un des seuls moyens connus de détruire un horcruxe. » termina Severus à sa place. Le
regard qu’il jetait à l’épée était désormais pensif.

« Je compte m’en servir pour les détruire, en effet. » confirma-t-il.

Les yeux noirs s’arrachèrent à leur contemplation et revinrent se braquer sur lui. Severus
porta à nouveau la tasse à ses lèvres, observant le moindre de ses gestes alors qu’il soulevait
des babioles des étagères pour mieux les y reposer.

« Cela ne fait que quatre. Cinq, si on le compte lui. » remarqua le Professeur. « En admettant
qu’il ait réussi à trouver quelque chose appartenant à Serdaigle… »

« Le diadème… » suggéra-t-il.

« Perdu depuis des siècles. » contra Severus sans même ciller. « Il doit y avoir autre
chose… »
« Peut-être… » admit-t-il. Il reposa l’instrument qu’il avait retiré de l’étagère et retourna
prendre place derrière l’imposant bureau, réchauffant le thé tiède d’un geste négligeant. « Il
est peu probable qu’il ait réussi à mener son projet à bien avant qu’Harry ne le fasse
disparaitre en quatre-vingt-un… Séparer son âme en sept… Je soupçonne qu’il comptait
utiliser le meurtre du garçon pour créer le sixième… »

Il laissa trainer la voix et fixa sa tasse de thé du regard, observant Severus sans en avoir l’air.
Attendant, peut-être, qu’il ne se trahisse… S’il soupçonnait…

Toutefois, Severus ne marqua aucun signe de compréhension. Ses traits n’exprimaient rien
d’autre qu’une profonde lassitude.

« Quoi qu’il ait prévu de faire, il a échoué… » répondit finalement le professeur à son silence
prolongé. « Aucun horcruxe n’a été créé ce soir là… N’est-ce pas ? »

La question était innocente, la voix parfaitement mesurée, mais Albus ne savait s’il devait y
croire. Néanmoins, il ne pouvait prendre le risque d’aiguiser sa curiosité au cas où Severus
n’ait réellement pas compris donc il secoua la tête en signe de dénégation.

« Non. » confirma-t-il. « Rien ne dit qu’il n’en a pas créé un après son retour, en revanche…
La relation qu’il entretient avec son serpent m’intrigue… »

« Nagini. » grinça Severus avec un dégout palpable. La tasse désormais vide fut reposée sur
le bureau dans un cliquètement qu’Albus feignit de ne pas remarquer. Severus grimaça
davantage et ouvrit et referma le poing plusieurs fois jusqu’à ce que les tremblements
diminuent. « Ce n’est pas impossible. Ils ont une relation presque symbiotique…» Le
professeur balaya l’air d’un geste de la main. « Nagini est hors de portée pour l’instant.
Lesquels avez-vous localisés ? »

Albus l’observa attentivement pendant un long moment, hésitant encore à l’impliquer


davantage. Il y avait des avantages et des inconvénients à ce que Severus participe à la chasse
aux horcruxes. Il était, bien sûr, dangereux que le directeur soit le seul au courant de tout. S’il
était un jour balayé de l’échiquier… Oui, mais Severus avait un intérêt premier qui n’était pas
le même que le sien…

Albus voulait sauver la communauté magique.

Severus voulait sauver son fils.

« Si mes théories sont exactes et, vous me pardonnerez de penser qu’elles le sont, je sais où
sont la bague et le médaillon. » répondit-il. « À présent que le nombre d’horcruxes est
confirmé, Harry et moi… »

« Non. » l’interrompit Severus d’un ton doucereux qui était bien plus dangereux que toutes
les menaces qu’il aurait pu proférer.

Nous y voilà, songea Albus dans un soupir.


« Que vous le vouliez ou non, Harry jouera un rôle capital dans cette guerre. » déclara Albus.
« Non pas parce que je l’ai décidé mais parce que cela a été… »

« Ne vous avisez pas de mentionner cette prophétie ridicule… » siffla Severus. « La


prophétie ne dit pas qu’il doit partir à la recherche d’artefacts gorgés de magie noire à quinze
ans. Vous n’emmènerez Harry nulle part, est-ce clair ? »

Plutôt que de lui rappeler, une nouvelle fois, qu’il n’avait aucun droit légal sur Harry Potter et
qu’il aurait été de bon ton de lui témoigner, à lui, un peu plus de respect, Albus choisit
d’emprunter une voie plus diplomatique.

« Vous pourrez nous accompagner. » accorda-t-il, parce que cela ne lui coutait pas grand-
chose.

« Albus… » gronda l’homme dans ce qui était généralement un prélude à une


impressionnante explosion.

La scène leur fut épargnée par l’apparition d’un labrador argenté.

« Nous avons besoin d’aide d’urgence au square Grimmaurd. » déclara la voix de Charlie
Weasley. « Emmenez Sirius. » Une hésitation de la part du patronus et puis… « Snape aussi,
si possible. Pas plus de gens que nécessaire. La situation est… délicate. »

Albus avait déjà fait apparaître son propre patronus avant que celui de Charlie ait terminé de
débiter son message. Le phoenix fonça à travers le mur à la recherche de Sirius Black.

Severus s’appuya lourdement sur les accoudoirs de son fauteuil pour se remettre debout,
trahissant plus de faiblesse qu’il ne l’aurait probablement souhaité. Albus esquissa un geste
pour l’aider et puis retint sa main, sachant que le jeune homme l’aurait vécu comme une
humiliation supplémentaire.

« Remus, Charlie, Anthony et Nyssandra étaient censé ramener Ollivander à Poudlard avant
que les Mangemorts ne le capturent. » expliqua-t-il à Severus. « Il semble que tout ne se soit
pas passé comme prévu… »

Il ne chercha pas à masquer son inquiétude. Non seulement il était possible que quelqu’un
soit blessé mais, s’ils n’étaient pas revenus à l’école, cela tendait à prouver qu’ils avaient
échoué à sauver Ollivander…

Et si Voldemort convoitait la baguette de Sureau…

« La vampire… » murmura Severus d’un ton pensif. « Ils ont déjà fait appel à moi lorsqu’elle
a été blessée par le passé. Et elle et Black… »

« Vraiment ? Vous me l’apprenez. » répondit-il avec intérêt. Il n’avait pas eu conscience que
Nyssandra ait entamé une relation avec Sirius. C’était toutefois une information à prendre en
considération.

Sirius débarqua sur ses entrefaites, à bout de souffle, ayant très visiblement parcouru la
distance de ses appartements au bureau directorial en courant. Il n’avait pas pris le temps de
s’habiller et était encore en pyjama. Ses pieds nus frappèrent la pierre froide alors qu’il se
précipitait jusqu’à eux.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda l’Animagus avec une panique à peine contenue.

Être réveillé au milieu de la nuit en temps de guerre n’était jamais bon.

« Allons voir. » offrit Albus, en se dirigeant d’un pas décidé vers la cheminée.

Il ne lui fallut qu’une seconde pour émerger dans l’âtre du Square Grimmaurd et il trouva la
maison entièrement silencieuse. Comme si la bâtisse elle-même retenait son souffle.

Il n’eut le temps de faire que quelques pas dans le salon avant que le feu ne s’embrase dans
son dos. Il se retourna à temps pour attraper Severus et le stabiliser avant qu’il ne s’effondre.
Preuve que le professeur n’était pas au mieux de sa forme, il chancela et agrippa le bras
d’Albus avant de reprendre contenance et de se dégager, les joues légèrement rougies. Sirius
apparut peu après et leur épargna à tous deux la peine de devoir affronter la situation délicate.
Albus ne voulait pas davantage insister sur l’état de Severus, sûrement pas devant témoin, et
Severus n’aurait pas apprécié sa sollicitude.

Les deux autres sorciers éprouvaient très visiblement le même malaise que lui face au silence
de plomb qui régnait sur les lieux. Ils sortirent tous leurs baguettes sans avoir à se consulter et
Albus ouvrit la marche en direction de la cuisine.

Il n’était pas certain de savoir à quoi il s’attendait mais ce n’était certainement à ce qu’il
trouva.

À peine eut-il le temps de tendre le bras pour barrer le passage à Severus, de crainte que
l’homme ne fasse quelque chose de désespéré ou de stupide, l’un entraînant souvent l’autre.

« Nymphadora… » murmura le Maître des Potions, le cœur dans la gorge.

°O°O°O°O°O°

Personne dans la cuisine du Square Grimmaurd n’osait bouger.

Personne, songea Tonks, n’osait même respirer.

Charlie et Anthony se tenaient par la taille, adossés au mur le plus éloigné, et la fixaient du
regard avec un désespoir grandissant. Nyssa était accroupie dans un coin, aussi immobile
qu’une statue, s’efforçant de ne pas attirer l’attention de l’énorme loup-garou sur elle. La
vampire était prête à bondir si jamais Remus…

La mâchoire de Remus enserrait toujours sa gorge.

Transplanner avait été risqué et tous les autres avaient désapprouvé mais cela lui avait semblé
préférable à attendre au fin fond d’une forêt perdue que son ex-petit-ami reprenne ses esprits
ou que quelqu’un vienne les secourir – ou les attaquer. Elle avait empoigné la fourrure
épaisse et elle avait transplanné vers le Square Grimmaurd en espérant qu’il ne la tuerait pas
sous le coup de la surprise.
Ses mâchoires s’étaient resserrées mais il ne l’avait pas tuée. Pas encore.

Elle reporta son regard sur le plafond et puis ferma les yeux. Le poids du loup était écrasant
et son torse était en feu. Elle était pratiquement sûre d’avoir une côte fêlée et Remus ne
faisait rien pour arranger les choses. Elle n’osait plus parler, n’osait plus bouger…

Combien de temps pouvait-il rester ainsi ? Il semblait content, confortablement allongé sur
elle, ses dents égratignant à peine sa chair, sa bave dégoulinant dans son cou…

Combien de temps la potion ferait-elle effet ?

Dans le silence étouffant, ils entendirent tous la cheminée recracher successivement trois
personnes. Remus laissa échapper un grondement et Tonks rouvrit les yeux à temps pour le
voir plaquer ses oreilles en arrière.

Dans le coin, Nyssa se tendit davantage, prête à passer à l’action. Ce serait inutile. La
vampire avait beau être rapide, le temps qu’elle atteigne Remus, Tonks n’aurait déjà plus de
jugulaire.

Une minute qui lui sembla durer une éternité plus tard, Dumbledore apparut sur le pas de la
porte, suivi de près par Severus et Sirius. Le vieux sorcier leva brusquement le bras devant le
Maître des Potions comme s’il craignait que Severus soit suffisamment stupide pour se
précipiter vers elle.

Ridicule.

C’était un Serpentard, après tout. Qu’il ait de l’affection pour elle ou pas, elle ne s’attendait
pas à ce qu’il se jette sur un loup-garou pour la sauver. Elle lui faisait confiance pour élaborer
une meilleure stratégie que ça.

Severus, cependant, demeura interdit alors qu’il contemplait la bête sauvage couchée sur elle.
Puis, leurs regards se croisèrent et elle sentit ses yeux s’embuer stupidement.

« Nymphadora… » murmura-t-il et, dans le silence de la cuisine, cela résonna comme un


boulet de canon.

Remus gronda à nouveau. Elle sentait les muscles du loup-garou jouer au-dessus d’elle. Il
avait été détendu jusque là mais, à présent, il semblait prêt à passer à l’attaque. Ses dents
s’enfoncèrent un peu plus dans sa peau et elle s’efforça de ne pas penser à ce que cela
pourrait signifier si elle survivait…

« Comment… » balbutia Sirius.

« La potion. » répondit sèchement Severus, sans faire le moindre geste pour avancer dans la
pièce. Au contraire, son regard retourna se poser sur l’animal et elle eut l’impression qu’il
devait faire un effort pour ne pas reculer.

Elle pouvait comprendre.


Tonks décida que c’était le son de sa voix qui ne plaisait pas à Remus lorsque des griffes
d’une longueur impressionnante manquèrent se planter dans son épaule.

« Remus, lâche la. » lança son cousin avec une panique perceptible. « Remus… »

« C’est un loup, pas un chien. » siffla le Maître des Potions.

« Silence. » intima Dumbledore. « Tonks, restez calme. »

Plus facile à dire qu’à faire mais elle leva la main qui agrippait toujours sa baguette, ses
doigts crispés d’avoir empoigné la fourrure aussi fort pendant si longtemps et se força à lever
le pouce vers le ciel pour signifier qu’elle avait compris.

« Je ne pense pas qu’il veuille lui faire du mal. » murmura Charlie pour ne pas contrarier le
loup-garou davantage. « Il aurait pu la tuer dix fois, déjà. »

« Il marque son territoire. » répondit Severus, d’une voix blanche. « Ce qu’il veut et la réalité
des faits ne sont pas forcément compatibles. »

Un nouveau grondement lui répondit mais celui là sonnait moins comme un avertissement
aux oreilles de Tonks et davantage comme une menace. Les yeux dorés du loup étaient rivés
sur le Maître des Potions.

Si Remus la lâchait pour foncer sur Severus… Certes Dumbledore était juste à côté et avait
très certainement les moyens de les protéger tous les deux mais Severus, lui, était toujours
incapable de se défendre… Il serait une proie facile et…

Son cœur s’emballa sous le coup de la panique, ce qui sembla attirer l’attention de Remus. Il
desserra légèrement sa prise sur sa gorge avec un gémissement qui se voulait sans doute
apaisant.

« Il a fait ça avec Laura. » lâcha Sirius. « Sur la lande. Il a fait ça avec Laura. Elle a appelé
ça… Être marquée ou quelque chose comme ça. C’est… Je crois que c’est comme ça que les
loups-garous construisent leur meute… »

« Étant donné leur passif, elle fait déjà partie de sa meute. » rétorqua Severus. « Comme toi.
Comme… »

Il s’interrompit brusquement.

« Severus ? Une idée brillante ? » pressa Dumbledore.

Son regard bleu, inhabituellement froid, était rivé sur Tonks et Remus. Il ressemblait à
Nyssandra. Un prédateur prêt à passer à l’attaque au moindre signe de danger.

« Black fait partie de sa meute. » hésita l’ancien espion. « Il ne l’attaquera pas sans
provocation… Et si Black peut le distraire suffisamment pour qu’il relâche sa prise… »

« Et on appelle ça une brillante idée ? » grommela Sirius, en jetant un regard noir au


professeur. « Juste quand je pensais qu’on avait trouvé un terrain d’entente, tu me jettes en
pâture au premier loup-garou qui passe ? Tu me brises le cœur, Snape. »

Il y avait plus d’amusement que de reproches dans la voix de l’ancien fugitif et Tonks
soupçonnait que c’était une manière comme une autre de tromper sa peur. La seconde
suivante, un énorme chien noir se tenait à la place de l’Animagus et rampait prudemment
vers elle et le loup, en prenant garde de rester plus bas que Remus en signe de soumission.

Le loup-garou se détendit légèrement et, lorsque, après un instant d’hésitation, le museau du


chien donna un petit coup affectueux à son énorme patte avant, Remus lâcha sa gorge pour
passer sa langue râpeuse sur la tête de l’Animagus.

Être libérée du danger que présentaient les crocs était tout ce qu’avait attendu Tonks. Ainsi,
apparemment, que tous les autres.

Elle hurla la formule de l’expulso mettant tant de force dans son sortilège que le loup-garou
vola violemment dans les airs et heurta le mur opposé. Parce qu’ils n’avaient pas anticipé sa
réaction, les stupefix de Charlie et d’Anthony manquèrent Remus. Sirius, qui avait été pris
dans la déflagration, tenta de se retourner en plein air et réussit à retomber sur ses pattes non
sans un couinement de douleur lorsqu’il se cogna contre la table. Nyssa qui n’avait attendu
qu’une opportunité pour passer à l’attaque se trouvait désormais entre elle et le loup-garou
sonné qui se remettait lentement debout à l’autre bout de la pièce.

Mais ce fut la réaction de Severus qui la sidéra.

Peut-être Dumbledore n’avait-il pas eu si tort que ça de lui barrer le passage plus tôt parce
qu’à la seconde où les crocs cessèrent d’être une menace, il se précipita vers elle et, avant que
le chaos de toutes ces attaques simultanées ne s’estompe, elle se retrouva trainée contre le
mur opposé. D’un bras autour de ses épaules, il la soutenait en position assise, de l’autre, il
tenait sa baguette d’une main tremblante. Elle ne saisit pas la formule qu’il fredonna presque
mais l’air autour d’eux vibra, comme chargé en électricité, et l’instant d’après, ils étaient à
l’abri derrière un bouclier bleuté.

« Tu as retrouvé tes pouvoirs. » fut tout ce qu’elle trouva à dire.

Il lui jeta un regard indéchiffrable, peut-être parce que ce n’était pas le plus urgent, mais il se
contenta de lever les sourcils avec un amusement soulagé. « Ce fut une longue journée. »

« À qui tu le dis… » soupira-t-elle, en se laissant aller légèrement contre lui. Pas trop. Et pas
longtemps. Les autres avaient les yeux rivés sur le loup-garou que Dumbledore tenait
désormais en respect mais cela ne durerait pas éternellement.

« Il me semblait t’avoir demandé d’être prudente ce matin. » remarqua-t-il négligemment,


comme s’il commentait le temps qu’il faisait.

L’occlumencie avait ses avantages, supposait-elle.

Des couverts en argent s’envolèrent de leurs tiroirs et fusèrent sur Remus avant de se
transformer en une cage de fortune. Le loup-garou fonça sur les barreaux et recula avec un
couinement lorsqu’il heurta le métal. Les loups-garous et l’argent ne faisaient pas bon
ménage.

Il y eut un soupir de soulagement collectif alors qu’ils relâchaient tous plus ou moins leur
garde.

Elle était vaguement consciente que Charlie était en train de résumer les événements de la
nuit à Dumbledore. Severus avait fait disparaitre son bouclier et était désormais occupé à
tâter sa gorge, inspectant les plaies avec une attention minutieuse.

À l’autre bout de la pièce, Remus recommença à se jeter contre les barreaux de sa cage,
grondant et grognant à tout va.

« Il l’a mordue. » commenta platement Sirius, en s’accroupissant à côté d’elle. Il attrapa sa


main et Tonks la serra avec force parce que…

« Ce n’est pas profond… » contra Severus, son attention rivée sur sa gorge. « Et ce n’est pas
la pleine lune… »

« Je ne vais pas devenir un loup-garou alors ? » chuchota-t-elle d’une voix fébrile.

Il ne répondit pas immédiatement. Il jeta deux ou trois sorts de diagnostic et effleura


finalement sa gorge du bout des doigts jusqu’à ce qu’il rencontre sa clavicule. C’était plus
une caresse qu’un examen et, dans sa cage, Remus semblait devenir fou.

« Severus, ne le provoquez pas. » avertit Dumbledore, sans même leur jeter un regard.
« Cette cage a été métamorphosée dans l’urgence, elle ne résistera pas longtemps s’il est
réellement déterminé à en sortir. »

« Il essaye juste de la soigner. » rétorqua Sirius, sur la défensive. « On se calme. »

Tonks doutait qu’il ait simplement été en train de la soigner mais le demi-sourire ne demeura
pas longtemps sur les lèvres de l’ancien Mangemort. Il redevint rapidement sérieux.

« Je ne pense pas que la blessure soit suffisamment profonde pour que la malédiction ait été
transmise. Je n’en trouve aucune trace… » offrit-il. « Toutefois, il se peut que tu développes
une affinité pour la viande saignante… Laisse-moi voir tes autres blessures… »

Ce fut Sirius qui referma tant bien que mal les plaies que les griffes et la bataille qui avait eu
lieu un peu plus tôt avaient laissées, sous les instructions de Severus qui supervisait d’un œil
attentif. Ses mains tremblaient trop et il paraissait sur le point de s’effondrer. Elle le fixa d’un
regard anxieux tout le temps qu’il fallut à son cousin pour la remettre sur pieds.

Severus se releva plus lentement, en agrippant le bord du buffet et ne lâcha pas


immédiatement le meuble. Il observait à présent le loup dans sa cage improvisée avec un
mélange de dégoût et de terreur. Une main pressée contre ses côtes douloureuses, Tonks
effleura son bras de l’autre. Ce fut suffisant pour qu’il se reprenne, endosse un masque de
neutralité absolue.

Dans la cohue qui régnait dans la cuisine, cela passa inaperçu.


« Il faut trouver un moyen de le retransformer. » déclara Sirius, sa voix s’élevant au-dessus
du débat houleux qui opposait Charlie, Dumbledore et Anthony.

Nyssa se tenait en retrait. Comme Severus, elle ne semblait pas tentée par la perspective
d’approcher le loup-garou de trop près. Tonks demeura là où elle était, s’adossant au buffet à
la gauche de Severus. Elle soupçonnait que l’imposant meuble de bois ouvragé était tout ce
qui empêchait le Maître des Potions de s’effondrer. Encore que, pour être honnête, elle n’était
pas loin d’être dans le même état.

« Et comment ? » se moqua l’ancien espion. « Avaler cette potion était stupide. »

« S’il ne l’avait pas fait nous serions tous morts. » rétorqua Charlie avec un regard noir.

« Ça reste à prouver. » marmonna Tonks. Ses yeux gris ne cessaient de revenir se poser sur le
loup qui tournait en rond dans sa cage pour mieux s’élancer contre les barreaux. L’attention
de l’animal était rivée sur elle et elle dut réprimer un mouvement instinctif vers l’homme qui
se tenait à sa gauche.

Severus, malheureusement pour elle, était bien trop attentif à son environnement et se décala,
sans avoir l’air, jusqu’à être légèrement devant elle.

Cela l’irrita et la toucha à la fois. Elle n’avait pas besoin d’un bouclier humain mais, à
l’instant, elle n’avait rien contre l’idée que quelqu’un fasse rempart entre elle et le loup-
garou. Elle allait faire des cauchemars jusqu’à la fin de sa vie.

Le mouvement, pourtant discret, suffit à redoubler la détermination de l’animal qui se jeta sur
les barreaux avec davantage d’ardeur.

« Cela est bien possible. » déclara Dumbledore. « Toutefois, je ne peux donner tort à Severus.
Consommer une potion sur laquelle nous savons si peu… »

Le vieil homme avait-il remarqué leur manège ? Tonks n’en était pas certaine, cependant y
avait-il quelque chose qui échappait à Albus Dumbledore ? Nyssa, elle, avait très
certainement noté le changement de position. La vampire soutint son regard quelques
secondes avant de détourner les yeux.

« Il est impossible de dire si les effets vont s’estomper d’eux même ou si une autre potion est
nécessaire afin d’annuler la transformation. » renchérit Severus dans un hochement de tête.
« Peut-être faut-il même un sort… Quelle dose a-t-il consommée ? La durée de la
transformation dépend-elle de la quantité de potion avalée ? De sa densité ? Si nous forçons
la transformation comme nous pourrions le faire pour un Animagus, son esprit redeviendra-t-
il humain ou demeurera-t-il loup ? En l’état, je ne peux rien faire pour lui mis à part
recommander une muselière. »

« Severus ! » s’exclama-t-elle avec réprobation.

Certes, elle n’était pas en très bon termes avec Remus et les évènements de la soirée
n’avaient pas contribué à améliorer la chose mais…
Le Maître des Potions lui jeta un coup d’œil glacial. « Ses mâchoires étaient de pars et
d’autre de ta gorge. C’est une bête sauvage qui n’a pas sa place dans… »

« C’est Remus. » l’interrompit Sirius d’un ton sec, presque menaçant.

« Je ne crois pas qu’il voulait me faire du mal. » hésita-t-elle.

« Non. Bien sûr. » grinça Severus, furieux. « Suis-je idiot. Il voulait simplement jouer.
Pourquoi ne pas lui gratter le ventre et lui dire qu’il est un bon chien, tant que tu y es ?
Connaissant Lupin, il appréciera sans doute. Il a toujours eu des goûts quelque peu étranges.
»

Il se détourna dans un claquement de robes qui aurait été plus impressionnant s’il n’avait pas
chancelé.

Tonks, les joues rouges d’embarras et de colère, le fusilla du regard. Le silence dans la
cuisine était gênant. Dumbledore feignait d’étudier le papier peint décrépit, Charlie la
regardait avec insistance, Anthony et Nyssa surveillaient tous deux le loup et Sirius paraissait
confus, probablement peu sûr de ce qui venait de se passer.

« Severus, où allez-vous ? » s’enquit poliment Dumbledore lorsque le Maître des Potions eut
atteint le seuil de la cuisine.

« À Poudlard, chercher mes recherches et mon nécessaire à potions. » rétorqua Severus. « Ne


comptiez-vous pas m’ordonner de passer le reste de la nuit à observer ce monstre tourner en
rond dans sa cage ? »

Dumbledore soupira, une profonde lassitude se peignant sur son visage. « Je vous l’aurais, en
effet, demandé, mon garçon. »

« Épargnez-moi la sémantique. » grommela Severus en disparaissant dans le couloir.

Tonks demeura figée sur place, déchirée entre l’envie de lui courir après – pour éclaircir la
situation ou lui crier dessus, elle n’en était pas bien certaine – et le besoin de savoir ce qui
allait se passer à présent. Elle regretta de ne pas avoir choisi la première option lorsqu’il
apparut clairement qu’il ne se passerait plus grand-chose.

Dumbledore renforça le sort de Métamorphose qu’il avait posé sur la cage de fortune et
ajouta quelques protections qui devraient ralentir le loup-garou si jamais il parvenait à
défoncer les barreaux. Nyssa, après avoir discrètement récupéré une poche de sang dans le
réfrigérateur, se fondit dans l’ombre et quitta la pièce. Sirius se transforma en chien et se
roula en boule aussi près de la cage qu’il l’osa. Après un moment et plusieurs gémissements,
Remus fit de même, se pressant contre les barreaux pour sentir la chaleur corporelle du chien
malgré la douleur. Anthony et Charlie s’attardèrent un moment, le temps de s’assurer qu’elle
allait bien et puis disparurent dans les étages.

Elle était si occupée à fixer le loup et le chien sans les voir, trop fatiguée pour faire autre
chose que de presser sa main contre ses côtes douloureuses, qu’elle ne s’aperçut de
l’approche de Dumbledore que lorsqu’il eut effleuré son bras.
Son mouvement de recul fut instinctif.

Le cœur battant la chamade, encore sous le choc d’avoir eu un loup-garou couché sur le corps
pendant plus d’une demi-heure et, à présent, jamais tout à fait rassurée de se retrouver seule
avec le vieux sorcier depuis l’affaire de l’Oubliette, elle remit une certaine distance entre eux.

Le Directeur ne tenta pas de se rapprocher à nouveau. Il l’observa d’un air peiné mais pas
surpris. « Allez vous reposer, mon enfant. Les esprits sont échauffés mais nous y verrons tous
plus clair demain matin. »

Le conseil, au demeurant, n’était pas mauvais.

L’idée de rentrer chez elle était tentante. S’effondrer sur son lit, ne plus sortir de sous sa
couette – ou, du moins, pas avant quelques jours… Mais la perspective de la longue marche
qui l’attendait…

« Je vais passer la nuit ici. » offrit-elle. « S’il y avait un problème… »

Un fin sourire joua sur les lèvres de Dumbledore. Les yeux bleus pétillaient d’amusement.
« Comme vous le souhaitez. Je suis certain, en tous les cas, que Severus appréciera la
compagnie… »

La remarque était anodine mais elle grimaça toute de même.

L’un dans l’autre, elle ne fut pas mécontente lorsqu’il quitta le QG pour retourner à Poudlard.

°O°O°O°O°

À cause du sol froid des cachots, il avait perdu toute sensation dans ses fesses et ses jambes
étaient engourdies. Le chat, qui l’avait laissé le serrer jusqu’à l’étouffer, avait depuis
longtemps échappé à sa prise et il avait recommencé à se griffer distraitement les avant-bras
sans même s’en rendre compte.

Le temps, pour Harry, s’était figé.

Il n’existait rien que la migraine qui lui vrillait les tempes. Chaque inspiration était identique
à la précédente, l’air froid lui brûlait les poumons et s’échappait ensuite dans un souffle trop
court. Son cœur battait de manière anarchique, son estomac se contractait de façon aléatoire
et, il avait beau occluder, tenter de vider son esprit, il ne parvenait pas à cesser d’imaginer la
noirceur poisseuse qui lui rongeait l’âme.

Ce fut presque un soulagement lorsque les flammes de la cheminée s’embrasèrent


brusquement, virant au vert émeraude.

Il ne bougea pas d’un pouce.

Pas même lorsque la personne qui émergea de la cheminée trébucha sur le pare-feu – qui
devait toujours demeurer devant l’âtre au cas précis où quelqu’un traverserait à l’improviste
– et s’étala de tout son long sur la pierre humide. Il y avait là, songea la part d’Harry qui était
encore quelque peu lucide, une certaine ironie.
Le Professeur ne se releva pas immédiatement.

Il resta prostré au sol, ses grandes robes noires étalées autour de lui. Harry aurait dû
s’inquiéter, il le savait, insister pour que l’homme aille voir Pomfresh ou se repose ou… Son
esprit était comme entouré de coton. Il ne pouvait rien faire d’autre que de le regarder se
redresser lentement, après plusieurs secondes passées au sol.

Le Professeur ne l’avait pas remarqué.

Harry le savait parce qu’à la seconde où les yeux noirs se posèrent sur lui, son comportement
changea. Le flash d’irritation initial fut rapidement remplacé par de l’inquiétude.

Le reste se passa trop vite pour que son esprit embrumé ne l’interprète correctement.

« Lumos. » lança Severus à la va-vite, rampant presque jusqu’à lui. « Que s’est-il passé ? Es-
tu blessé ? » Harry le laissa incliner sa tête en arrière, tâter la cicatrice et le sang séché qui en
avait coulé… « Harry, répond-moi. »

L’ordre ne souffrait aucune contradiction.

« Vous n’étiez pas là. » murmura-t-il.

Le Professeur eut un léger mouvement de recul, comme si Harry l’avait frappé. Au bout
d’une interminable seconde, il laissa échapper un soupir éreinté. « Crois-le ou non, Lupin a
été suffisamment stupide pour avaler une dose de cette fameuse potion pour loups-garous. »

Greyback voulait la tête de Remus…

« Est-ce qu’il va bien ? » s’inquiéta-t-il, sortant un peu du brouillard qui lui remplissait la
tête.

« Suffisamment bien pour tenter d’égorger Nymphadora. » siffla Severus. « Non que cela
semble lui poser problème outre mesure. » Le Professeur laissa échapper un bruit amer.
« Quoi qu’il en soit… Cela n’excuse pas… J’aurais dû repasser ici… Vérifier… »

« Vous ne pouviez pas savoir. » nia-t-il instinctivement.

« Je savais que tu avais lutté contre des visions toute la journée. » répliqua le Maître des
Potions. « J’aurais dû anticiper que… Je ne peux que m’excuser. »

« Ce n’est pas votre faute. » insista-t-il.

Ses ongles s’enfoncèrent un peu plus profondément dans sa chair. Les yeux sombres se
posèrent sur ses avant-bras parsemés de griffures et, sans un mot, le Professeur attrapa ses
poignets et le força gentiment à desserrer sa prise. Il rajusta la couverture autour de ses
épaules et se leva. Harry agrippa le bas de ses robes pour le retenir, n’ayant que trop
l’impression d’agir comme un enfant mais incapable de se contrôler.

Se retrouver à nouveau seul avec cette chose à l’intérieur de lui pour seule compagnie…
« Je vais simplement chercher quelques potions, Harry. » promit l’homme. « Je ne quitte pas
la pièce. Peux-tu me dire quelle était la vision ? »

Il lui fallut un court moment pour se convaincre de lâcher le lourd tissu noir.

« Ollivander. » marmonna-t-il. « Vold… » Se souvenant au dernier moment de la Marque et


de l’étrange pouvoir que le nom du mage noir avait dessus, il se reprit. « Il le torturait. Il veut
une nouvelle baguette. Une baguette puissante. Et ensuite… »

Harry ferma les yeux. Les mots restèrent coincés dans sa gorge.

« Tiens. » murmura Severus.

Une fiole tapota gentiment son bras et il rouvrit les yeux, pris les trois potions que l’ancien
espion lui tendait avec des mains tremblantes et en avala mécaniquement le contenu. L’effet
fut immédiat. La migraine s’atténua, sa respiration se fit plus facile et il n’eut plus
l’impression qu’il allait s’écrouler dans la seconde. Anti-migraine, potion calmante et philtre
de force.

« C’est en cherchant Ollivander que Lupin a fait le choix douteux d’avaler cette potion. »
expliqua l’homme, s’accroupissant à nouveau à ses côtés. « Le Professeur Dumbledore est
donc déjà au courant de sa capture. »

« Il veut vous tuer. » avoua Harry. « Il veut tous nous tuer. »

Severus poussa un long soupir qui trahissait sa lassitude. Était-ce l’heure tardive ou les
dernières semaines de convalescence ? L’inquiétude qu’il prenait toujours soin de lui
dissimuler était gravée sur chacun de ses traits.

« Nous l’avons toujours su. » répondit calmement l’ancien Mangemort. « Rien n’a changé. »

Harry secoua la tête, se frotta le visage pour chasser la fatigue et les larmes stupides qui lui
montaient aux yeux. Ils étaient impuissants. Tellement impuissants. « On aurait dû rester en
soixante-quinze. On était bien là bas. On… »

« Oui. » l’interrompit Severus en posant une main sur son épaule. « Nous aurions pu et nous
l’étions. Mais combien de temps aurait passé avant que nous n’ayons plus été capable de
nous regarder en face ? »

Et il avait raison, bien sûr.

Il ravala donc cette terreur sourde qui lui pesait désormais quotidiennement sur l’estomac et
se força à laisser échapper un bruit moqueur. « Gryffondor. »

L’accusation qui aurait auparavant enragé le Maître des Potions lui tira simplement un rictus
amusé. Il déplaça sa main de son épaule à sa tête. « Serpentard. »

Harry ne récusa pas l’affirmation. Il avait passé suffisamment de mois chez les serpents pour
en garder des séquelles. Il se contenta de hausser les épaules avec fatalisme. « J’ai eu un bon
professeur. »
Severus émit un bruit amusé et se releva lentement, en prenant appui sur l’accoudoir du
canapé. « Je dois retourner au QG. C’est une chance unique d’observer les effets de cette
potion et Lupin ne devrait pas rester sans surveillance. »

« Je viens. » déclara-t-il immédiatement, en se mettant debout.

Ses jambes étaient plus engourdies qu’il ne l’avait anticipé et il chancela brièvement. Severus
ne semblait pas beaucoup plus assuré sur les siennes. Ils faisaient une belle paire.

Il s’attendait à ce que le Professeur proteste mais il se contenta d’incliner la tête. « Il se peut


que j’ai besoin d’un assistant. »

Harry accepta immédiatement.

Il pouvait jouer les assistants.

Tout plutôt que de rester là tout seul à ruminer des choses qu’il ne pouvait changer.
Love And Loss

“Love and loss,” he said, “are like a ship and the sea. They rise together. The more we
love, the more we have to lose. But the only way to avoid loss is to avoid love. And what
a sad world that would be.”

V.E. Schwab – A Conjuring Of Light

« Aimer et perdre,” dit-il “c’est comme un bateau et la mer. Ils s’élèvent ensemble. Plus
on aime, plus on a à perdre. Mais la seule façon de ne pas perdre quelqu’un, c’est
d’éviter d’aimer. Et quel triste monde cela serait. »

V.E. Schwab – A Conjuring Of Light

Ce que Harry avait omis de prendre en compte, c’était le choc que se retrouver une nouvelle
fois en pyjama au milieu de la nuit dans la cuisine du Square Grimmaurd lui provoquerait. Il
n’était pas couvert de sang, ce coup-ci, et Severus n’était pas en train de mourir à l’autre bout
du pays, mais la pièce semblait avoir été la victime d’un ouragan et, peut-être pire, il y avait
un loup-garou au pelage argenté trop familier emprisonné dans une cage à l’aspect bien trop
fragile.

Harry eut un mouvement de recul lorsqu’il pénétra dans la pièce et Severus se figea
immédiatement, s’adossant au chambranle de la porte pour mieux l’observer, un air coupable
sur le visage.

« Es-tu certain que tu veuilles rester ? » s’enquit le Professeur. « J’avais oublié que… »

Il avait oublié que, il n’y avait pas si longtemps que ça, du moins pour eux, Remus avait
manqué le dévorer dans la Cabane Hurlante. Harry, lui, n’avait pas oublié. Il en faisait encore
régulièrement des cauchemars.

Le chien noir roulé en boule près de la cage se transforma soudain en homme accroupi et
Sirius se redressa, ignorant les grondements sourds qui émanaient du loup.

« Pourquoi l’as-tu ramené ici ? » protesta Sirius. « Ce n’est pas… »

« C’est moi qui ait insisté. » intervint Harry, s’efforçant de retrouver contenance. Il s’humecta
nerveusement les lèvres et fit un autre pas dans la pièce. Si Severus pouvait faire face au
loup-garou, il le pouvait aussi. Il doutait franchement que cela soit plus simple pour le
professeur de devoir se tenir si près de Lunard que ça l’était pour lui. « Ça va. »

Les deux hommes le fixaient du regard avec un doute évident alors il se força à s’approcher
de la cage. Suffisamment pour mieux voir, pas assez près pour que Remus puisse le happer
d’un coup de patte si l’envie lui en prenait.
Le loup était beau. La lumière tremblotante des bougies vissées au chandelier de fonte qui
pendait au plafond de la cuisine faisait danser des ombres sur son pelage, lui donnant l’aspect
changeant de souvenirs tourbillonnant lentement dans une pensine. Harry l’aurait
probablement davantage admiré s’il n’avait pas su de source sûre que ses mâchoires
puissantes auraient pu lui arracher la gorge en moins d’une seconde. Oui, le loup était beau…
Mais il était aussi dangereux.

« Une idée pour le retransformer ? » demanda Sirius, dépassant l’adolescent et s’éloignant


davantage encore de la cage.

Le loup-garou ne parut pas apprécier sa désertion.

Son parrain était, comme lui, en pyjama, ayant sans aucun doute quitté ses appartements en
urgence. Contrairement à lui, toutefois, personne ne l’avait forcé à enfiler une robe de
chambre ou des chaussons et étant donné la température glaciale qui régnait en toute saison
dans la cuisine du Square Grimmaurd, il ne pouvait pas avoir bien chaud. L’adolescent était
sur le point de lui proposer d’aller lui chercher une cape ou des chaussettes lorsque le loup
gronda son mécontentement.

Les yeux verts se posèrent immédiatement sur l’animal, oubliant tout ce qui n’était pas le
danger potentiel que représentait le loup-garou.

Le loup lui rendit son regard et ses grondements se turent.

Pour la première fois depuis qu’il avait pénétré dans la pièce, Harry se détendit légèrement. Il
n’y avait rien d’humain dans le regard ambre posé sur lui, aucune étincelle prouvant que
l’animal reconnaissait le garçon, aucune trace de Remus. Et pourtant, le regard du loup n’était
pas dénué d’intelligence, bien au contraire, c’était peut-être ce qui était le plus effrayant.

Vaguement conscient que, derrière lui, Sirius s’employait à redresser l’imposante table et les
chaises par magie, Harry s’efforça de ne pas ciller. Il n’était pas certain que traiter un loup-
garou comme il aurait traité un hippogriffe soit la bonne attitude à adopter – et il était presque
certain de s’être déjà posé la question quelques mois plus tôt lorsqu’il s’était retrouvé dans la
Cabane Hurlante – mais son instinct lui dictait que battre nerveusement des cils n’aurait fait
que le désigner comme une proie facile.

Remus avait incliné la tête sur le côté et l’observait avec la même attention qu’Harry lui
portait, calme et curieux, l’oreille gauche s’agitant de temps en temps dans un tic nerveux. Il
n’y avait rien d’hostile chez le loup et cela le surprit.

« Je te l’ai dit. » s’agaça Severus, légèrement essoufflé. Il s’appuya plus franchement contre
l’encadrement de la porte. « Sans de plus amples informations, il serait hasardeux de se
risquer à quoi que ce soit. »

Au son de la voix du Maître des Potions, l’animal se remit à gronder. Ses oreilles se
couchèrent vers l’arrière et il découvrit des crocs jaunâtres desquels pendaient quelques filets
de bave.
Harry fit plusieurs pas en arrière, incapable de ne pas se remémorer la dernière fois qu’il avait
vu ces dents d’aussi près. Soudain, c’était comme s’il était à nouveau dans la Cabane
Hurlante, la silhouette sombre de Remus se dessinant à la lumière de son Lumos. La masse
hirsute de poils hérissés, les crocs et les griffes prêts à le transformer en charpie, les
grondements sourds dont les vibrations semblaient se répercuter dans son propre sternum…

Le loup qui bondissait…

Lui qui tombait en arrière…

Et Cornedrue.

Cornedrue qui s’interposait.

Cornedrue qui lui sauvait la vie.

James qui se tenait près de lui, l’exhortant à se dépêcher, crachant juron après juron…

Une main enserra son épaule, le faisant sursauter mais le ramenant aussi à la réalité.

Le souffle court, cillant contre ces souvenirs trop pressants, il croisa le regard trop
compréhensif du Maître des Potions. L’homme ne dit rien, n’offrit aucune platitude, se
contentant de le laisser ajuster sa respiration sur la sienne, de lui donner le temps de se
maîtriser avant de faire une énième crise de panique…

« Pose le nécessaire à potions sur la table et sors mes recherches, s’il te plait. » demanda
Severus, lorsqu’il fut certain qu’Harry s’était repris. Il serra une dernière fois son épaule
avant de la lâcher. « Ensuite, si tu souhaites te reposer, Black te trouveras une chambre. »

Le ton ne souffrait aucune contradiction et Sirius n’en opposa, de toute manière, aucune. Il
paraissait mal à l’aise, conscient peut-être de ce qui venait de se jouer. Harry évita de
regarder dans sa direction. Sa relation avec son parrain lui paraissait toujours fragile, le
souvenir de ces mois en soixante-quinze encore trop présent pour qu’il ne lui pardonne
pleinement tout ce qui s’était passé… Faire la différence entre l’adolescent qu’il avait connu
et l’homme qui se tenait devant lui demandait des efforts permanents et avec le loup-garou
juste là…

Harry n’avait aucune envie de rester enfermé dans une pièce avec Remus sous sa forme de
loup. Il avait encore moins envie de se tourner et de se retourner dans un lit en attendant un
sommeil qui ne viendrait pas ou, pire, qui le replongerait dans des cauchemars atroces.

« Je reste. Je vais bien. » insista-t-il.

Ce n’était visiblement pas le cas de Severus.

Le professeur était pâle, légèrement en sueur, et les tremblements de ses mains étaient de plus
en plus prononcés. Même Sirius l’observait avec une appréhension grandissante, comme s’il
craignait qu’il ne s’effondre.
Au lieu de protester comme le garçon s’y attendait, l’ancien espion hocha la tête et claudiqua
jusqu’à une chaise sur laquelle il s’assit avec moins d’élégance qu’à l’ordinaire. Harry suivit
plus lentement, plaçant le nécessaire à potions qu’il avait coincé sous son bras sans plus y
penser sur la table. Il sortit les liasses de parchemins comme Severus le lui avait demandé et
prit place à côté de lui, à peine rassuré par le fait que la large table en chêne faisait barrage
entre eux et la cage. Il doutait que le bois massif résiste longtemps si Remus s’échappait.

« Dumbledore a renforcé le sort de Métamorphose avant de partir. C’est aussi sûr que ça peut
l’être de garder un loup-garou en cage dans sa cuisine. » déclara Sirius avec une pointe
d’humour, comme lisant dans ses pensées. La plaisanterie tomba à plat. Harry ne se décidait
toujours pas à le regarder en face et Severus paraissait avoir besoin de toute son énergie pour
ne pas s’écrouler. L’Animagus se passa une main lasse sur le visage puis étira les bras au-
dessus de sa tête jusqu’à ce que quelque chose se remette en place dans son dos avec un plop
audible. « Je vais monter quelques minutes. Ça ira ? »

La question s’adressait clairement au professeur mais Severus était trop occupé à toiser le
loup qui lui grondait dessus alors ce fut Harry qui répondit. « J’ai ma baguette. »

« Tu ne devrais pas en avoir besoin. » répondit son parrain, un peu trop sérieusement. Ses
yeux gris voyagèrent d’Harry, au loup puis à Snape avec un déplaisir évident. « Cries si
besoin. »

C’était une recommandation idiote mais Harry acquiesça néanmoins. Il pensait que Severus
n’écoutait pas mais une bonne minute après que Sirius ait quitté la pièce – et après que l’écho
des marches craquant sous son poids se soit éteint – il se racla la gorge.

« As-tu un philtre de force sur toi ? » s’enquit le professeur.

Il fouilla immédiatement dans la poche de sa robe de chambre, tout en fronçant les sourcils.
« Combien en avez-vous déjà pris ? »

Il savait pertinemment que l’homme avait toujours pléthore de potions sur lui puisqu’il le
forçait à en faire de même. Et Harry avait compris la sagesse de ce genre de précautions il y
avait bien longtemps.

Pour que Severus soit à court, cela tendait à prouver qu’il avait épuisé ses réserves ce jour là.

« Lequel d’entre nous est un Maître des Potions ? » rétorqua Severus d’un ton sec et cassant
qu’il n’employait plus si souvent envers lui.

Harry lui passa la potion avec une moue agacée et s’occupa à installer un encrier, une plume
et un parchemin vierge devant lui. Après tout, si le professeur voulait s’empoisonner, cela ne
le regardait pas. Du moins, cela ne le regardait pas tant qu’il était encore conscient. Ensuite, il
pourrait tempêter autant qu’il le voudrait et probablement demander à Pomfresh de lui faire
plus d’examens que nécessaire.

Après une minute tendue ponctuée par les grondements du loup-garou au pelage hérissé et à
la haine palpable, Severus soupira. « Je vais bien, Harry. »
Il laissa échapper un bruit moqueur. « Ça se voit tout de suite. »

Severus pinça les lèvres avec agacement. « Je t’accorde une certaine familiarité mais je ne
tolérerai pas un manque de respect. Est-ce clair ? »

La mâchoire d’Harry se contracta d’énervement. Il était fatigué, inquiet et sa tête continuait


de le lancer, il n’avait pas envie de se disputer avec le professeur en plus de tout le reste. Il
reconnaissait les signes. Ils étaient tous les deux épuisés et, généralement, cela donnait lieu à
des disputes qui trainaient durant des semaines parce que l’un d’entre eux – Sev – n’était pas
capable de contrôler son mauvais caractère et disait des choses affreuses qu’il ne pensait pas.
Et peut-être, aussi, parce qu’ils étaient aussi rancunier l’un que l’autre.

« Oui, monsieur. » marmonna-t-il, davantage pour éviter une confrontation que parce qu’il le
pensait réellement. Il pouvait être diplomate parfois. Il avait passé des mois à Serpentard. Il
pouvait être diplomate.

Severus n’était probablement pas dupe et un tic d’irritation agita sa paupière mais il dut
également se rendre compte lui aussi qu’ils étaient en passe de se disputer pour pas grand-
chose parce qu’il ne releva pas.

Le quart d’heure qui suivit fut long et ennuyeux et Harry regretta de ne pas avoir emporté son
livre. Le Maître des Potions partagea son temps entre la lecture de ses notes – et le garçon
feignit de ne pas remarquer les difficultés qu’il avait à tenir et tourner les parchemins qu’il
avait en main – et l’observation du loup-garou dans sa cage. De temps en temps, il disait à
Harry de noter quelque chose et finissait invariablement par grommeler au sujet de son
écriture en pattes de mouche. La critique était familière, presque affectueuse, et Harry n’en
prit pas vraiment ombrage.

Il était en train de se frotter discrètement l’œil droit, certain que sa lentille avait tourné ou, du
moins, qu’elle n’était plus bien en place comme cela arrivait souvent lorsqu’il s’endormait
avec, lorsque le loup se redressa d’un bond souple, tous les sens aux aguets.

Severus recula légèrement sa chaise de la table, de façon à pouvoir se lever plus rapidement
si nécessaire, la main posée sur la baguette en bois noir.

Harry tira immédiatement la sienne du fourreau sanglé à son poignet, cillant frénétiquement
de l’œil droit et maudissant la lentille qui avait choisi ce moment précis pour le laisser
borgne.

La tension quitta les épaules de Severus une seconde avant que Remus ne tente de passer le
museau à travers les barreaux de la cage, uniquement pour reculer à chaque fois avec un
couinement de douleur dès qu’il buttait contre l’argent massif.

Harry, lui, ne se détendit pas. Pas même lorsque Tonks trébucha sur le seuil de la cuisine et
manqua s’étaler par terre, ne se rattrapant qu’in extremis au bord de la table. Il était trop
occupé à s’assurer que la cage résiste aux assauts renouvelés du loup.

Cela ne l’empêcha pas, toutefois, de noter que la jeune femme ne semblait rien porter d’autre
qu’un large tee-shirt noir fané par les ans et barré du logo d’un obscur groupe de rock sorcier
qui était trois fois trop grand pour elle. Cela ne l’empêcha pas de le noter parce qu’une bonne
partie de ses jambes était exposée et que c’étaient de fort jolies jambes.

Gêné, Harry fixa le loup-garou du regard, espérant qu’il n’était pas aussi rouge qu’il le
pressentait.

Si Severus était embarrassé par la tenue de l’Auror, cela ne se vit pas. Il lui accorda à peine
un regard, son expression s’assombrissant davantage encore.

« Sirius m’a dit que tu étais revenu. » commenta-t-elle, d’un ton hésitant. « Écoute… Oh,
Harry. Je ne t’avais pas vu… »

Il lui jeta un coup d’œil incrédule parce qu’il aurait été compliqué de le rater dans la cuisine
déserte mais reporta bien vite son attention sur le loup. Le tee-shirt n’était pas plus court
qu’une robe d’été mais il lui dénudait une épaule et l’effet global était un peu trop intime
pour lui, comme s’il l’avait surprise au saut du lit. Il décida qu’elle avait dû l’emprunter à
Sirius.

Il décida aussi qu’il devait cesser de jeter des coup d’œil à ses jambes. Si elle ne le
remarquait pas, le professeur finirait par le faire et il n’était pas prêt à subir ce genre
d’humiliation. Parce que l’homme ferait forcément un commentaire, ne serait-ce que pour lui
reprocher son impolitesse ou se moquer de son manque de discrétion tout Gryffondor.

« Je suis occupé et ta présence ne sert qu’à l’agiter, Nymphadora. » cingla Severus.

Levant les yeux au ciel devant cette réplique peu amène mais soulagé que son propre manège
soit passé inaperçu, Harry resserra la ceinture de sa robe de chambre par précaution et se leva
discrètement.

Laissant Tonks approcher imprudemment du Maître des Potions et se percher sur la table
juste à côté de l’homme sans plus de cérémonie, il partit en quête d’un verre et d’un peu
d’eau – trouver quelque chose de propre dans cette maison n’était jamais acquis, Kreattur
avait de drôles d’idées quant à ce qui constituait un ménage adéquat.

Il s’attendait à ce que le professeur se lance dans un sermon selon lequel les meubles
n’étaient pas fait pour servir de sièges, pourtant il dut manquer quelque chose à fouiller dans
le placard, parce que Tonks laissa échapper un sifflement de douleur et le ton de Severus
passa de cassant à inquiet en une fraction de seconde. « Quel est le problème avec tes
côtes ? »

Harry jeta un regard par-dessus son épaule et écarquilla les yeux sous le coup de la surprise
lorsqu’il vit que Severus avait posé la main sur le ventre de la jeune femme et palpait son
abdomen sans même avoir pris la peine de demander l’autorisation – ou de se lever. La
manche de ses sur-robes frottait contre la peau nue de ses cuisses sans qu’il ne paraisse même
le remarquer.

Lorsqu’il se rendit compte qu’il avait la bouche ouverte, Harry la referma brusquement.
Tonks croisa accidentellement son regard, s’empourpra, et attrapa le poignet du Maître des
Potions, le stoppant net dans son examen.
« Ce ne sont que des contusions. » marmonna-t-elle. « J’ai mal atterri tout à l’heure et le
poids de Remus n’a pas aidé. »

Harry étudia la jeune femme une poignée de secondes et estima qu’elle mentait rien qu’à la
manière dont elle respirait et à la façon dont elle favorisait le côté gauche. Il s’était cassé et
fendu les côtes suffisamment de fois pour le savoir.

Et Severus n’était pas davantage dupe que lui.

« Tu aurais dû le signaler plus tôt. » la gronda le professeur avec une moue agacée. L’homme
se dégagea de sa prise avec une douceur surprenante pour mieux recommencer à l’ausculter.
Il lui arracha plus d’un grognement de douleur lorsqu’il appuya sans ménagement sur son
flan droit.

Dans sa cage, Remus devenait fou. Il se fracassait contre les barreaux, montrait les dents,
grondait et gémissait tour à tour…

Severus lui décocha un regard noir, les lèvres retroussées dans un rictus presque sauvage…

« Tout cela est ta faute, Lupin. Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. » cingla-t-il.
« Silencio. »

Harry se sentit un peu mal pour Remus lorsque le sort le réduisit au silence. Ce n’était pas
tout à fait sa faute, après tout. Il n’était pas conscient de ce qu’il faisait. Quoi qu’il ait été
suffisamment idiot pour avaler cette potion en premier lieu…

Était-ce idiot ou courageux ?

Il était quasiment certain qu’avant son séjour à Serpentard, il l’aurait admiré pour sa bravoure
et l’aurai défendu à corps et à cri. À présent, il trouvait l’acte stupide. Il n’y avait rien de
brave à avaler une potion dont on ne connaissait ni les effets précis, ni les conséquences
possibles. Au contraire.

Remus avait su pertinemment que la potion déclencherait sa transformation et l’avait


ingurgitée en toute connaissance de cause. Il aurait pu tuer tous les autres membres de
l’Ordre qui étaient partis en mission avec lui.

Il aurait pu tuer Tonks d’après ce qu’il avait compris.

« On aurait pu penser au silencio avant. » soupira la jeune femme.

L’homme ignora complètement le commentaire, visiblement contrarié.

« Celle-ci est cassée. Fêlée, au minimum. » continua Severus, en déplaçant sa paume sur le
flan de la jeune femme.

Son expression était concentrée et s’il n’y avait rien d’ambigüe à la situation – Harry savait
que ses compétences en magie médicale faisait de lui le soigneur tout désigné lorsque l’Ordre
n’avait pas accès à un Médicomage – l’adolescent ne put s’empêcher de se racler la gorge,
comme pour rappeler sa présence. Il avait la vague sensation qu’ils l’avaient oublié.
Le professeur ne sursauta pas mais il se tendit légèrement, comme pris en faute. « Il serait
sage d’y remédier rapidement. Il sera également nécessaire que tu bandes tes côtes durant
quelques jours. »

Harry dénicha finalement un verre qui n’était ni poisseux ni poussiéreux au fin fond du
placard. Il se dirigea vers le robinet et le remplit, feignant de ne pas prêter attention à ce qui
se jouait sur sa gauche.

Le professeur était simplement en train d’aider l’Auror. Rien d’ambigu là-dedans. Rien du
tout.

Même si ses mains s’attardaient sur elle bien plus longtemps que nécessaire. Était-ce plus
long que nécessaire ? Pomfresh avait-elle mis autant de temps à palper son abdomen en
soixante-quinze ?

Même si Tonks avait été religieusement rendu visite à Severus tous les jours lorsqu’il avait
été prisonnier de l’infirmerie. Ils étaient amis, non ? C’était ce qu’elle avait prétendu de toute
manière. Et McGonagall avait toujours semblé trouver sa présence normale alors Harry
n’avait jamais véritablement tiqué, plus préoccupé par l’état général de Severus que par les
membres de l’Ordre qui se présentaient à la porte de l’infirmerie.

Même si le loup se fracassait contre les barreaux de la cage comme s’il était possédé, sa rage
réduite au silence par le sort que le Maître des Potions avait jeté. Remus n’avait-il pas eu un
faible pour Tonks ? Il était quasiment certain d’avoir entendu Sirius le taquiner à ce sujet
récemment…

« Je vais demander à Sirius de s’en occuper. » suggéra Tonks.

Severus claqua la langue avec irritation. « Black et les sorts de soin font deux. Si j’avais pu
m’en charger tout à l’heure, tu n’auras pas eu à garder de cicatrices… »

Il y avait une touche de regret dans la voix du Maître des Potions et Harry tourna la tête pour
mieux les observer, tout en portant le verre à ses lèvres…

Et il manqua s’étouffer lorsqu’il vit le professeur retracer du bout du doigt la courbe d’une
balafre fraichement refermée sur l’épaule dénudée de la jeune femme.

Toussant et crachotant, Harry se détourna.

Severus avait-il complètement oublié que son fils se tenait juste là ? Il était dans le champ de
vision de Tonks. Ne pouvait-elle pas relever la tête et s’en rendre compte ? Apparemment
pas. Elle était trop occupée à soutenir le regard du professeur comme si le sort du monde en
dépendait.

Confus, gêné et légèrement en colère, Harry préféra leur tourner le dos une fois de plus,
prétendant fouiller les placards à la recherche de quelque chose à manger et claquant les
portes avec violence lorsqu’il ne trouvait rien de comestible.
Les pensées se bousculaient sous son crâne et il en était à se demander s’il avait pu
accidentellement tomber sur une tempête magique qui l’aurait transporté dans une autre
dimension sans s’en rendre compte lorsque la chaise de Severus racla contre le sol. Harry
sursauta et s’enfonça dans le placard qu’il était en train d’inspecter presque jusqu’aux
épaules, un peu effrayé de ce qui pouvait bien se jouer dans son dos.

Il n’était pas idiot. Il pouvait lire entre les lignes. Il pouvait parvenir à ses propres
conclusions.

Quand était-ce arrivé ? Avant leur départ pour soixante-quinze ? Severus n’en avait pas
soufflé mot et Harry n’avait jamais eu le moindre soupçon qu’il ait laissé qui que ce soit
d’important derrière lui. Cela s’était forcément passé après leur retour. Et il n’avait rien
soupçonné. Presque rien. La présence et l’attitude de Tonks lui avaient semblé légèrement
étrange lorsque le professeur avait été blessé mais il avait mis ça sur le compte de l’amitié ou,
peut-être, d’une ancienne relation élève-professeur privilégiée.

Oh, Merlin… Tonks avait été son élève.

C’était bizarre.

Très, très bizarre.

Harry s’enfonça encore un peu plus dans le placard. S’il avait pu, il s’y serait glissé
entièrement et aurait fermé la porte à clef. Il avait besoin de digérer l’idée sans craindre de
voir quelque chose qu’il ne voulait pas voir s’il s’aventurait à se retourner.

Et Lily dans tout ça ?, hurlait une partie de lui, la partie qui était plus en colère qu’étonnée.

Lorsqu’une main lui effleura le dos, il bondit et se cogna la tête contre le dessus du placard.
Le souffle coupé, il recula en se frottant le crâne. Sa main fut immédiatement repoussée
tandis que Severus lui palpait le dessus de la tête à la recherche d’une bosse, avec son air
désapprobateur des grands jours.

« Ne peux-tu donc faire attention, insupportable gamin ? » gronda-t-il avec une affection
évidente.

Trop conscient que Tonks les observait – Tonks et ses jambes qu’il ne semblait pas parvenir à
cesser de contempler même à présent qu’il soupçonnait que… – Harry rougit d’autant plus et
recula pour échapper aux mains inquisitrices.

« Ça va, ça va. » grommela-t-il. « Vous m’avez fait peur, c’est tout. »

« Je t’ai appelé deux fois. » répondit platement Severus, sourcils froncés. « Es-tu sûr que tout
va bien ? Si tu veux aller t’allonger… »

« Non, ça va. » répéta-t-il fermement.

Severus l’étudia quelques secondes puis soupira. « Peux-tu aller chercher Black ? Miss Tonks
est blessée et quelqu’un doit garder un œil sur ce loup pendant que je la soigne… » Harry
ouvrit la bouche et l’homme leva une main tremblante. « Quelqu’un de majeur de préférence.
Encore que tu sois plus responsable que ton parrain… »

À peine rasséréné par cette dernière remarque et peu certain qu’il ne s’agisse pas d’une ruse
pour rester seul avec ‘Miss Tonks’, Harry s’exécuta de mauvaise grâce, ravalant à grande
peine une offre mesquine de ramener un pantalon à la jeune femme tant qu’il y était.

°O°O°O°O°O°

Sirius fouilla dans les tiroirs mal rangés de sa commode jusqu’à trouver un tee-shirt que
Tonks pourrait utiliser pour dormir, l’esprit ailleurs. Il plaisanta sur le fait qu’elle ne devrait
pas déambuler dans les couloirs de la vieille maison avec une serviette pour tout vêtement,
pas tant parce qu’il n’était pas amusant de regarder les portraits de leurs ancêtres communs
s’offusquer que parce qu’il n’était pas certain que la cage survivrait au loup-garou s’il
l’apercevait dans cette tenue, mais la plaisanterie tomba à plat.

Personne n’appréciait son humour, ce soir là.

Il prit le temps de se débarrasser de son pyjama, pressentant que les chances qu’il retrouve
son lit étaient faibles. Il enfila un jean délavé, une chemise à la propreté douteuse et la vieille
paire de bottes légèrement défoncées au talon droit qu’il n’avait pas emmenées à Poudlard
parce qu’il projetait de les jeter depuis des mois sans trouver le temps de le faire.

Il tâcha d’ignorer le gout de bile à l’arrière de sa gorge pendant qu’il s’habillait.

La réaction d’Harry face à Lunard ne lui avait pas échappé.

Pas plus que l’éclat de terreur dans le regard de Snape plus tôt ce soir là.

Sirius n’avait jamais eu le bon sens d’avoir peur de Lunard, pas réellement, pas en
profondeur… N’importe qui de sensé aurait été terrorisé face à un loup-garou, encore qu’ils
en avaient tous combattu tant ces derniers mois que se tenir près d’un loup-garou devenait
presque une routine. Il avait lu la frayeur dans les regards de Charlie et d’Anthony, la
méfiance justifiée dans ceux de Nyssandra, la crainte dans ceux de Dumbledore…

Ce n’était rien par rapport à l’épouvante, à la terreur pure, qui exsudait de Snape et d’Harry
lorsqu’ils s’étaient retrouvé nez à truffe avec le loup.

Sous forme canine, l’odeur l’avait pris à la gorge et il soupçonnait que c’était la raison pour
laquelle Lunard était si agressif avec Snape. L’homme était absolument terrorisé par l’animal,
seule sa haine surpassait sa peur. La panique d’Harry n’avait pas été moins forte, la haine en
moins.

Et Sirius en était responsable, dans un cas comme dans l’autre.

Bien sûr, il n’avait pas attiré Harry dans la Cabane Hurlante mais il était trop facile
d’imaginer un monde où il aurait pu le faire. À l’époque, cela lui avait paru comme la
meilleure des farces et, peut-être, très certainement, une part de lui avait-elle espéré que
Snape serait blessé parce qu’il le haïssait d’une haine noire et que si Snape était tombé raide,
il n’aurait pas versé une larme. Il n’avait pas escompté que Snape pénétrerait dans la Cabane
Hurlante ou se mettrait réellement en danger, il avait pensé que le Serpentard apercevrait le
loup-garou, se ferait dessus de peur et repartirait en hurlant…

Sans James…

Qu’Harry ait pu vivre la même expérience lui tordait l’estomac de culpabilité et remettait les
choses en perspective.

Il l’avait su, bien sûr. Il avait suivi la scène, une partie de la scène du moins, grâce aux
souvenirs que Snape lui avait confié si longtemps auparavant, il s’était rendu compte que…

C’était une chose de se sentir vaguement coupable de ce qu’il avait fait subir à Snape durant
leur adolescence, cela en était tout à fait une autre de se dire que son filleul avait lui aussi
souffert par sa propre stupidité.

Il chercha dans les tiroirs jusqu’à trouver un vieux paquet de cigarettes tout cabossé et en
alluma une avant de se glisser hors de la chambre. Il prit soin de faire tomber les cendres loin
des tapis poussiéreux et autre tentures moisies bien qu’une part de lui soit tentée de mettre le
feu à la bâtisse pour le simple plaisir de ne plus jamais avoir à y mettre les pieds.

Arpenter les couloirs du Square Grimmaurd la nuit lui rappelait trop de souvenirs.

Tous n’étaient pas entièrement mauvais. Enfant, se glisser le long des couloirs sinueux sans
se faire repérer par un elfe de maison ou ses parents avait été un jeu. Ainsi, il s’était souvent
faufilé jusqu’à la cuisine pour chaparder une pâtisserie, par simple goût d’aventure…
Regulus l’avait suivi quelques fois mais sa partenaire de crime la plus fréquente avait été
Bella.

Bella qui avait toujours partagé son besoin maladif de briser les règles…

Il détestait cette maison et tous les souvenirs qui lui collaient à la peau dès qu’il y mettait un
pied. Ici, il était trop facile d’oublier la psychopathe que Bellatrix était devenue, trop facile de
se remémorer l’enfant qui avait partagé ses jeux avant que l’adolescence ne balaye leur
innocence et qu’il ne se trouve une autre famille, une famille de cœur qui l’avait aimé sans
conditions…

Il avait reproché à Andy de les avoir abandonnés mais ne les avait-il pas, lui aussi,
abandonnés ? S’il avait été là… Aurait-il pu empêcher Regulus de rejoindre les
Mangemorts ? Aurait-il pu le sauver ? Il doutait qu’il aurait pu faire quoi que ce soit pour
convaincre Bellatrix mais Regulus…

Et Narcissa ? Merlin savait où elle était à présent. En sécurité, du moins l’espérait-il. Draco
ne semblait pas savoir et, bien qu’il ait un don certain pour feindre la tranquillité d’esprit,
Sirius devinait que la question dévorait l’adolescent. Il avait été tout décidé à haïr son jeune
cousin avant de le rencontrer mais le garçon l’avait surpris. Il peinait à admettre qu’il s’était
attaché au fils de Lucius Malfoy mais le fils de Lucius était également celui de Narcissa et
cela… Il ne parvenait pas à balayer la connexion comme il l’aurait fait un an plus tôt à peine.
Être un homme libre faisait toute la différence.

Les mois qu’il avait passés à déambuler dans les couloirs sombres avec leurs lambris en bois
noir, assigné à résidence comme le criminel qu’il n’était pas, forcé de ruminer sa rancœur et
de sombrer encore plus avant dans cette folie qui lui rongeait l’esprit… Les mois qu’il avait
passés au Square Grimmaurd avaient bien failli le tuer.

La liberté…

La liberté, Sirius la savourait jour après jour.

C’était un cadeau trop précieux pour être considéré comme acquis.

Par jeu autant que par habitude, il évitait les lattes qui craquaient et enjambait les endroits où
la moquette était trop lâche et décollée par les années d’abandon, songeant qu’il était temps
pour lui de redescendre. Snape n’était très visiblement pas au sommet de sa forme et Lunard
se tiendrait mieux si Patmol était là. La perspective de voir Harry tressaillir au moindre
mouvement brusque du loup n’était pas réjouissante cependant, et il continua à tirer sur sa
cigarette, s’enfonçant dans la maison un peu au hasard.

Ou peut-être n’était-ce pas tant le hasard que son subconscient qui le guidait…

La porte de la chambre que Nyssandra avait réquisitionné à son arrivée au QG était


entrebâillée.

Sirius y vit une invitation explicite.

La vampire ne leva pas la tête lorsqu’il poussa le battant et pénétra dans la pièce mais un fin
sourire se dessina sur ses lèvres trop pâles.

La décoration de la chambre était spartiate. Comme toutes les pièces du Square Grimmaurd,
elle sentait la poussière et le renfermé. Elle semblait s’être figée dans le temps des siècles
plus tôt, une impression que les tableaux, la couleur des murs et les meubles antiques ne
faisaient que renforcer. Les quelques vêtements qu’elle avait apporté avec elle étaient rangés
dans l’armoire, les lourdes tentures pourpre étaient tirées en permanence sur la petite fenêtre,
un mug vide trainait sur la table de nuit, récent vu que le sang n’avait pas eu le temps de
coaguler…

Assise sur son lit à colonnes, une trousse de secours ouverte à côté d’elle, Nyssandra était en
train d’enrouler une longue bande de gaze autour de son avant-bras.

Sans un mot, Sirius s’agenouilla en face d’elle et lui prit gentiment les pansements des mains.
De longues et profondes griffures zébraient ses bras.

Il ne se décida pas à demander si elle devait ses blessures à Remus ou à un autre loup. Trop
occupé à vérifier que sa cousine n’était pas blessée, il n’avait pas entièrement prêté attention
au rapport succinct que Charlie et Anthony avaient fait à Dumbledore.

« Tu te fais rare. » remarqua la vampire, d’un ton neutre où perçait une touche d’amusement.
Sirius ne répondit pas immédiatement, tout entier à sa tâche. Elle ne risquait pas d’infection
et il savait par expérience qu’il ne resterait de ses plaies que des cicatrices le lendemain au
coucher du soleil. Les panser n’était que formalité, elle avait déjà commencé à guérir.

Il n’avait pas revu Nyssandra depuis la mort de Fol’Œil, jamais en tête à tête du moins, et il
aurait souhaité que la situation soit moins gênante. Il n’était pas tout à fait certain d’où se
positionner ou même de comment aborder la question épineuse de ce qu’ils représentaient
l’un pour l’autre.

Elle avait souffert de la mort de son ancien amant, il le savait, et il avait voulu lui donner
l’espace nécessaire pour le pleurer en paix, sans qu’elle se sente obligée de cacher son
chagrin parce qu’il était là à espérer plus qu’elle ne voulait donner. L’opportunité de
remplacer Snape à Poudlard était tombée à point nommé, lui donnant une excuse pour
s’éloigner sans avoir à s’enliser dans des explications douteuses.

« Je commençais à croire que tu ne voulais plus… chasser avec moi. » insista-t-elle.

Il releva brusquement la tête, croisant le regard vert, y lisant toute la peine qui ne perçait pas
dans sa voix… Ses cheveux bruns étaient encore humides de la douche qu’elle avait sans
doute prise pendant qu’il montait la garde auprès de Lunard. L’odeur fruitée de son
shampoing lui remplit les narines et, dessous, plus discrète, celle davantage boisée de son
propre savon.

L’avait-elle utilisé parce que cela était plus pratique ou bien lui manquait-il ?

« Je veux toujours chasser avec toi. » répondit-il, nouant distraitement le bandage en dessous
de son coude avant de passer au bras gauche. « Je n’étais pas certain que tu… »

« Sirius. » l’interrompit-elle.

Elle plaça sa main sur la sienne, l’empêchant de commencer à enrouler les bandages propres
autour de son autre poignet.

Il leva à nouveau les yeux, croisa son regard…

Il y lut tout ce qu’elle ne se décidait pas à dire, tout ce que lui aurait hurlé au monde entier,
qu’importe l’opinion des gens bien pensants, si elle l’avait laissé faire.

Que lui importait qu’elle soit une vampire ? Que lui importait qu’elle ne vieillirait pas alors
que lui se flétrirait ? Que lui importait ce que les autres avaient à en dire ?

Il comprenait ses réticences, comprenait les doutes qu’elle lui prêtait, la prudence dont elle
faisait preuve…

Il comprenait.

Mais si elle avait pu lire en lui comme dans un livre, elle aurait compris qu’il était sûr de sa
décision, que…
« Tu m’as manqué. » murmura-t-il, parce que c’était la phrase la plus innocente qu’il pouvait
lui offrir. Il n’était pas sûr qu’elle soit prête à entendre le reste. Il était presque certain du
contraire.

Il n’était pas quelqu’un de particulièrement patient mais pour elle… Pour elle, il pouvait faire
l’effort de l’être.

Elle sourit. La lumière douce de la lampe se refléta brièvement sur ses canines mais il n’avait
jamais eu peur de ses crocs, pas même lorsqu’elle s’oubliait et le mordait parfois. Elle n’avait
jamais bu son sang et elle ne le ferait jamais sans sa permission. Il lui faisait totalement
confiance.

Il voulait lui faire totalement confiance.

Le fait demeurait qu’il y avait un espion quelque part dans la maison et que…

Peut-être était-ce pour cela, aussi, qu’il avait pris une légère distance. Parce qu’il avait peur
de se laisser aveugler par ses sentiments, parce qu’il était vaguement conscient, bien que la
chose n’ait jamais été ouvertement discutée, que Snape la soupçonnait. Probablement autant
qu’elle soupçonnait Snape.

« Tu m’as manqué aussi. » répondit-elle, se penchant jusqu’à ce que leurs fronts soient
pressés l’un contre l’autre. Le bruit qui échappa à sa gorge était si près d’un ronronnement
que Sirius sourit malgré lui, oubliant ses réserves. « J’aurais aimé que tu sois là ce soir. La
chasse était bonne. »

« Chasser te donne toujours envie de… chasser. » plaisanta-t-il.

Il plaça la main sur sa joue, repoussa doucement les mèches humides derrière son épaule…
Ce genre de mission réveillait invariablement le prédateur en elle. Être la proie ne le
dérangeait pas. Cela l’excitait même. Son besoin maladif de jouer avec le danger, sans doute.
L’adrénaline avait toujours été sa drogue favorite.

Elle passa à l’attaque si vite qu’il ne le vit pas venir.

Ses lèvres capturèrent les siennes dans un baiser sauvage, ne s’éloignant que brièvement pour
déposer un baiser plus léger sur sa carotide. Ses canines effleurèrent sa peau, provoquant un
frisson de plaisir. Son rire était insouciant, gentiment moqueur, et il le fit sourire. Il attrapa sa
taille, le cuir de son pantalon se réchauffant rapidement sous ses paumes, et l’attira en avant.
Elle se laissa tomber du lit, écrasant ses cuisses de tout son poids sans qu’il ne songe à s’en
plaindre. Il trouva à nouveau sa bouche, perdant le compte du nombre de baisers qu’ils
échangèrent, s’abandonnant à leur étreinte fougueuse bien qu’attentif à ne pas
accidentellement ne serait-ce que frôler les plaies fraiches de ses bras…

Il n’était pas tout à fait certain d’à quel moment il perdit sa chemise ou de quand il agrippa à
pleine main la masse de cheveux brun pour mieux guider sa tête en arrière et gagner accès à
sa gorge…
Il la sentit se figer brusquement mais n’eut pas la présence d’esprit de cesser de mordiller la
peau douce qui s’offrait à lui.

« Sirius. »

Elle était légèrement essoufflée mais pas encore assez à son goût. Il grogna lorsque sa main
trouva son épaule, tentant vainement de le repousser…

« Qu’est-ce que… » demanda-t-il, les mots se perdant contre sa gorge.

Il n’eut pas l’occasion de terminer sa question.

Le glapissement choqué sur le seuil de la chambre le coupa net dans ses ardeurs, bien plus
efficacement que les doigts qui enserraient son épaule. Il se leva d’un bond, remarquant à
peine qu’il venait de projeter Nyssa au sol et se retourna pour faire face à son filleul.

Il n’était pas sûr duquel d’eux deux était le plus rouge.

La peau de son visage le cuisait mais Harry était cramoisi.

Sirius aurait voulu lancer une boutade, lui dire que cela aurait pu être bien pire s’il s’était
aventuré dans les étages une poignée de minutes plus tard – parce qu’il était bien certain que
ni Nyssa, ni lui n’aurait été encore habillé à ce moment là – mais la plaisanterie demeura
coincée dans sa gorge.

La seule pensée qui tournait dans sa tête était ‘Merci Merlin, j’ai toujours mon pantalon’.

James, Sirius en était certain, se retournait dans sa tombe comme un scrutoscope à proximité
de Voldemort.

« Vous vous êtes tous donné le mot ce soir ou quoi ? » grommela l’adolescent, promenant son
regard partout excepté sur la vampire qui se relevait péniblement et sur lui qui se tenait là
avec l’air d’un enfant pris en faute.

Soudain, il se souvint avec une précision extraordinaire d’à quel point cela avait été
embarrassant lorsque McGonagall l’avait surpris en train de peloter une fille dans une alcôve.
Sauf que là c’était pire. Cent fois pire.

« Hein ? » demanda-t-il, sa voix proche du couinement, plus déconcerté par la remarque qu’il
ne l’aurait été s’il avait pu réfléchir de manière cohérente.

« Rien. » grinça le garçon, pince-sans-rire. « Tonks a une côte cassée. Sev veut que tu
surveilles Remus pendant qu’il s’en occupe. »

Les derniers mots suintaient le sarcasme mais Sirius n’en comprit pas la raison. Il le mit sur
le compte du ressentiment général qu’Harry nourrissait à son encontre. Ils faisaient des
progrès mais leur relation n’était plus ce qu’elle était et, supposait-il, l’adolescent
n’appréciait sans doute pas qu’il ait été là haut en train de prendre du bon temps avec sa
petite-amie alors qu’il aurait dû être en bas à aider à surveiller Lunard.
« J’arrive tout de suite. » promit-il.

Nyssa fit un pas en avant et ils se tournèrent tous les deux vers elle. Il était impossible de ne
pas la regarder lorsqu’elle bougeait de la sorte. Il y avait une telle fluidité dans ses gestes, une
telle harmonie… Elle savait se faire oublier lorsqu’elle le désirait, se fondre dans l’ombre
lorsqu’il le fallait, mais lorsqu’elle n’en prenait pas la peine, son charisme seul attirait
l’attention. Vampire, songea Sirius avec un frisson qui n’avait rien à voir avec de la terreur.

« Harry, je suis désolée. » offrit-elle sincèrement. « Sirius aurait dû fermer la porte. »

« Hey ! » protesta-t-il. « Ce n’est pas moi qui ait commencé à… » Elle lui jeta un regard et il
referma prestement la bouche parce qu’il était évident que s’il voulait un jour terminer ce
qu’ils avaient commencé, il n’avait pas intérêt à la contredire sur ce point. « D’accord,
d’accord… J’aurais dû fermer la porte. »

Harry grimaça de plus belle et se frotta l’arrière de la nuque, toujours aussi empourpré.
« C’est ma faute. Sirius m’a dit de crier. J’aurais dû crier. La prochaine fois, je crierai. Fort et
longtemps. »

Nyssa laissa échapper un petit rire et secoua la tête. « La prochaine fois, je me souviendrai de
fermer la porte et tu n’auras qu’à frapper. À ma décharge, j’ignorai que tu étais là. »

L’adolescent haussa les épaules et lui adressa un petit sourire gêné. « Ça ne fait rien,
vraiment. Je n’ai rien vu. »

Sirius se racla la gorge. « Quant bien même. Je n’aurais pas dû… Je ne pensais pas que tu
monterai à l’étage. »

Et voilà pourquoi il ferait un piètre parent et Snape était le choix tout désigné. Pour
commencer, Snape était pratiquement un moine et ce genre de choses ne risquait pas de se
produire avec lui.

Il ramassa la chemise qu’il ne se souvenait pas avoir perdue, jeta un dernier coup d’œil à
Nyssa qui avait l’air beaucoup trop amusée et guida Harry hors de la pièce par l’épaule. Ils
longèrent les couloirs sombres pendant plusieurs minutes dans un silence qui trahissait une
gêne palpable.

« Je suis désolé, Harry. » soupira-t-il encore.

Le garçon secoua la tête et esquissa un bref sourire. « Je l’aime bien. Elle est gentille. »

À sa connaissance, Harry n’avait rencontré Nyssa que trois fois, et encore brièvement, mais il
avait mentionné l’avoir croisée dans le passé. Il ravala la question. Il était curieux d’en
apprendre plus sur la Nyssandra humaine tout en sachant implicitement que la vampire n’était
plus la même personne. La transformation l’avait changée. Le rejet de Fol’Œil l’avait brisée.
L’immortalité l’avait endurcie.

« C’est sérieux. » s’entendit-il confesser. « Enfin, je crois. »


Harry lui jeta un coup d’œil et lui adressa un sourire plus franc. Il lui rappela tellement James
à ce moment précis, les lunettes en moins, que Sirius sentit sa gorge se serrer. Ce qu’il
n’aurait pas donné pour pouvoir discuter cinq minutes avec son meilleur ami… Cinq petites
minutes. Juste…

La morsure de la jalousie lui tordit le ventre lorsqu’il se souvint que Snape et Harry avaient
passé des mois avec eux. James, Lily… C’était injuste. Injuste que lui n’ait pas eu
l’opportunité d’en faire de même. Injuste d’envier ce qui était hors de leur contrôle.

« Je suis content pour toi. » offrit l’adolescent avec sincérité.

Sirius le remercia d’un hochement de tête, se sentant soudain plus léger. Tous n’accepteraient
pas sa relation avec une vampire d’un bon œil mais Harry n’était pas tout le monde et son
opinion était probablement la seule qui comptait – avec celle de Remus mais Remus était la
dernière personne qui lui aurait reproché d’être tombé amoureux de quelqu’un ayant subit
une transformation magique.

Ils marchèrent en silence pendant plusieurs minutes. Ce ne fut que lorsque l’escalier central
fut en vue qu’Harry reprit la parole. « J’ai eu une vision. »

Sirius manqua trébucher et se figea immédiatement, attrapant le bras du garçon pour


l’empêcher de fuir la conversation. Les yeux verts fixèrent ses bottes éraflées plutôt que de
croiser son regard.

« Je croyais que ça n’arrivait plus avec l’Occlumencie… » hasarda-t-il.

Harry secoua la tête. « Ça n’arrive plus normalement. Presque plus. » L’adolescent regarda
tout autour de lui d’un air perdu, déglutit avec peine, baissa la voix… « Severus m’a dit que
tu savais pour… »

« Pas ici, Harry. » l’interrompit-il rapidement, jetant un coup d’œil aux portraits qui
somnolaient dans leurs cadres.

Il était certain que le mot Horcruxe en réveillerait plus d’un.

Et le Q.G. ne serait pas sûr tant qu’ils ne sauraient pas de façon certaine qui était l’espion. Il
refusait de penser que Nyssandra avec son ouïe plus développée que la moyenne aurait
parfaitement pu être en train de suivre la conversation de l’autre bout du couloir. Il refusait de
penser qu’il aurait été facile pour Charlie ou Anthony de mettre la main sur une de ces
oreilles à rallonge que les jumeaux avaient inventées. Il refusait de soupçonner ses amis.

Harry hocha la tête pour montrer qu’il avait compris mais ne changea pas de sujet pour
autant.

« J’ai peur qu’il prenne le contrôle. » murmura-t-il. « Des fois je le sens. Là. » L’adolescent
se frappa le torse au niveau du plexus avec une telle force que Sirius grimaça et écarta sa
main avant qu’il ait pu reproduire le geste. « Je crois que je le sens. Peut-être que c’est dans
ma tête. Peut-être que… »
« Harry… » appela-t-il doucement parce que la respiration du garçon devenait hachée et que
cela ne pouvait rien augurer de bon. C’était la deuxième fois ce jour là que Sirius le voyait au
bord d’une crise de panique. La troisième s’il comptait la scène dans la cuisine avec Remus.
« Respire. » Il attendit que son filleul ait repris le contrôle de sa respiration avant de
continuer. « Tu en as parlé à Snape ? »

Il avait fait toutes les recherches qu’il avait pu sur les horcruxes mais l’expert demeurait
Snape. Il était davantage versé en magie noire que lui et avait une bonne longueur d’avance.
Sirius s’était concentré sur la destruction possible d’un horcruxe, Snape les avait étudiés sous
toutes les coutures. Si la part de Voldemort qui était en lui pouvait posséder Harry…

« Il dit que tant que les autres ne sont pas détruits ce n’est pas dangereux. » marmonna le
garçon. « Que ça ne peut pas m’influencer ou me posséder ou… » Il haussa les épaules et
croisa le regard de Sirius, son angoisse était palpable. « Mais s’il a tort… »

L’Animagus fit de son mieux pour avoir l’air serein. Il plaça une main réconfortante sur
l’épaule d’Harry et serra.

« Ça m’arrache la bouche de l’admettre et ne va pas le lui répéter mais Severus Snape a


rarement tort. » plaisanta-t-il. « Cette vision… »

« Rien que vous ne sachiez déjà apparemment. » soupira Harry, en se détournant.


« Ollivanders. »

L’adolescent reprit son chemin vers l’escalier et Sirius suivit, pas tout à fait certain d’avoir
réussi à le rassurer.

« Tout ira bien, Harry. » promit-il, en lui emboitant le pas.

Le garçon lui répondit d’un sourire tout aussi creux que la promesse qu’il venait de proférer.

°O°O°O°O°O°

Severus poussa la porte du petit salon jusqu’à entendre le clic de la serrure puis se retourna
lentement. Ne pas chanceler, ne pas s’écrouler lui demandait un effort certain que même le
philtre de force emprunté à Harry ne parvenait pas à alléger. Sa tête était lourde et pleine de
pensées parasites qui lui faisaient regretter l’absence de pensine. Occluder lui aurait demandé
trop d’énergie et son seul réconfort était l’absence de douleur dans son avant-bras gauche. Il
avait craint que quitter Poudlard ne réveille la Marque mais le sortilège de Bill Weasley
paraissait tenir bon.

Nymphadora s’était d’ors et déjà avachie sur le canapé poussiéreux au velours déchiré, trop
pale et trop apathique. Ses cheveux d’un châtain terne tombaient mollement sur ses épaules et
il était impossible d’ignorer les cernes sous ses yeux gris. Les faisaient-elles habituellement
disparaître grâce à son don de Métamorphomage ou bien ne lui avait-il simplement pas assez
prêté attention ces dernières semaines pour les remarquer, consumé comme il l’avait été par
ses propres problèmes et insécurités ?

Elle semblait tout aussi épuisée que lui.


Quel beau couple ils formaient, songea-t-il amèrement en prenant place à côté d’elle sur le
sofa. Il dut presque se faire violence pour tirer sa baguette. Le duel avec Black cet après-midi
là lui avait redonné confiance et énergie mais il semblait qu’affronter Slughorn et devoir faire
face à un loup-garou en prime l’avaient à nouveau vidé.

« Tu n’es pas censé te surmener. » remarqua Nymphadora d’un ton las quoi que légèrement
inquiet. « Depuis quand ne t’es-tu pas reposé ? »

« Depuis que tu m’as réveillé avec ta délicatesse d’hippogriffe lancé au pas de charge. »
rétorqua-t-il, plus sèchement qu’il ne l’avait voulu.

« J’adore quand tu me dis des mots doux. » plaisanta-t-elle et, malgré lui, malgré la fatigue et
l’agacement, il sentit ses lèvres s’étirer brièvement en un fin sourire. Elle se détendit
légèrement. « Severus… Pour tout à l’heure… »

Il balaya l’air de sa main tremblante. « Occupons-nous de tes côtes. »

Il n’aimait pas l’idée de laisser Harry trop longtemps avec un loup-garou, même si le dit loup
était en cage. Connaissant le Survivant, Lupin trouverait le moyen de s’échapper et Harry se
jetterait entre lui et sa victime choisie…

Et, plus sérieusement, Severus se sentait coupable de l’avoir abandonné si longtemps plus tôt
dans la soirée. Que le garçon ait dû gérer une vision tout seul lui déplaisait, qu’Harry se soit
griffé les bras jusqu’à se faire saigner en l’attendant… Il ne voulait pas se laisser distraire
davantage ce soir-là, pas lorsque son fils avait besoin de lui.

« Tu es sûr que ça ira ? » insista-t-elle. « Sirius n’est peut-être pas très doué pour les sorts de
soin mais Charlie ou Anthony… »

« Nymphadora. » cingla-t-il. Il avait conscience de souffler le chaud et le froid, conscience


qu’elle avait été plus patiente que beaucoup d’autres ne l’auraient été à sa place, conscience
que si elle n’avait pas été si fatiguée ses cheveux auraient probablement virés au rouge depuis
longtemps… Il se reprit, tenta d’adoucir légèrement sa voix… « Finissons-en. »

Avec un soupir, elle releva son tee-shirt, dévoilant un abdomen déjà couvert d’hématomes
bleu-violacés tirant sur le jaunâtre. Il lui fallut plus longtemps que d’ordinaire pour réparer
les fractures. Il devait se concentrer davantage, forcer davantage pour que sa magie toujours
quelque peu récalcitrante lui obéisse…

Après sept longues minutes passées à fredonner une litanie latine et deux sorts de diagnostic,
il s’estima satisfait et s’accorda une seconde de repos. Il ferma les yeux, s’appuya plus
lourdement contre le dossier inconfortable du canapé…

« Merci. » murmura-t-elle.

Il rouvrit les yeux à temps pour la voir laisser tomber son tee-shirt – ou plutôt, s’il en jugeait
par l’emblème fané d’un groupe de rock sorcier qui avait vaguement été populaire durant son
adolescence, le tee-shirt de Black. Trop tard, il attrapa sa main pour la stopper. « Il faut
bander tes côtes. »
Le sort pour cela était sur le bout de sa langue mais lui échappait.

« Je peux le faire toute seule. » répondit-elle gentiment. Elle tourna sa main pour que leurs
paumes soient pressées l’une contre l’autre et il observa leurs doigts entrelacés sur sa cuisse,
trop fatigué pour lui rappeler qu’ils avaient passé l’âge de se tenir la main. « Je ne voulais pas
prendre la défense de Remus tout à l’heure. »

« Tu as le droit de défendre qui tu le désires. » rétorqua-t-il, sans parvenir à cacher un sursaut


de colère.

« C’est terminé. » insista-t-elle. « Avec Remus. Je sais que… »

« Je ne suis pas jaloux, Nymphadora. » grinça-t-il. S’il ne s’était s’agit que de ça… Il serra
les dents et préféra fermer les yeux, occludant le souvenir de la scène que lui, Dumbledore et
Black avaient interrompu avant que l’angoisse ait pu le paralyser à nouveau. Il prit une
profonde inspiration et rouvrit les paupières, croisant finalement son regard. « Il aurait pu
t’arracher la gorge. »

Parce qu’il occludait, il parvint à ne donner aucune intonation particulière à cette dernière
phrase.

Parce que ses boucliers n’étaient plus ce qu’ils étaient, il était presque certain qu’elle lut dans
ses yeux toutes les émotions qui tambourinaient sous la surface.

Elle ne prit ni la peine d’occluder, ni la peine de cacher ses propres sentiments. Ses yeux se
remplirent de larmes et il n’aurait su dire laquelle de leur main tremblait le plus.

« J’ai cru que j’allais mourir… » avoua-t-elle. « J’ai cru… » Elle prit une inspiration
tremblante puis s’humecta les lèvres, tentant de se contrôler, de… « Je sais qu’il ne voulait
pas me faire de mal. » Il ouvrit la bouche pour protester ce qui, selon lui, était d’une stupidité
sans nom mais elle leva la main pour lui faire signe de ne pas l’interrompre et continua
rapidement comme pour ne pas lui en laisser l’occasion – sans doute parce qu’elle le
connaissait trop bien. « Il ne voulait pas me faire de mal, Severus, c’est Remus. C’est
toujours Remus, même sous cette forme. Ça ne veut pas dire que j’excuse ce qui s’est passé.
Ou que ça ne me fait pas mourir de trouille. Ou que je ne suis pas furieuse… » Elle secoua la
tête, apparemment à cours d’énergie. « J’ai eu une journée de merde. J’ai vraiment eu une
journée de merde. Je ne veux pas me disputer avec toi par-dessus le marché. »

Il était à deux doigts de rétorquer que ce n’était pas lui qui avait commencé à défendre le
loup-garou qui avait manqué la tuer ou pire. Encore à présent la marque des crocs était visible
sur sa peau. Black avait refermé les plaies, certes, mais il pouvait toujours deviner leurs
contours à la légère rougeur qui formait un ovale plus ou moins marqué sur sa gorge…

Il était à deux doigts.

Mais elle laissa tomber sa tête sur son épaule avec un soupir et toute la colère et la rancœur
qu’il avait soigneusement cultivées jusque là s’évaporèrent parce que…
Sa vie avait été nettement plus simple avant qu’Harry ne la chamboule, songea-t-il en
appuyant lentement sa tête sur la sienne, avant qu’il ne se permette la folie de s’attacher à des
gens.

« L’idée de te perdre… » marmonna-t-il à contrecœur. « L’idée de te perdre était…


déplaisante. »

Avouer ne serait-ce que cela lui demandait un effort surhumain. Il n’était guère doué pour les
déclarations et une part de lui demeurait méfiante, attendait le jour où elle lui éclaterait de rire
au visage et déclarerait sans regret qu’il avait été fou d’espérer plus que…

Elle rit, en effet.

Elle rit mais c’était nerveux, éreinté et peut-être légèrement hystérique. « Maintenant que tu
sais ce que ça fait, peut-être que tu y penseras à deux fois avant de te jeter dans les bras de
Tu-sais-qui et de rester des jours entiers dans le coma. »

Il leva les yeux au ciel avec un soupçon d’agacement et lui aurait volontiers rappelé qu’elle
n’était guère en mesure de lui donner des leçons de prudence si elle n’avait pas relevé la tête
à ce moment là et capturé ses lèvres sans lui donner l’occasion de répondre.

Le baiser était quelque peu désespéré et il l’aurait très certainement approfondi si un cri
n’avait pas retentit, réveillant au passage le portrait de la mère de Black qui se mit à hurler
des injures.

« Papa ! »

Severus avait bondi du canapé, traversé la pièce et rejoint la cuisine avant même d’avoir
véritablement saisi ce qui se passait. Harry se tenait dans un coin de la pièce, sa baguette était
sortie mais pendait le long de son bras, Black se tenait légèrement devant le garçon mais
n’avait pas pris la peine de sortir sa propre baguette. Tous les deux avaient le regard rivé sur
la cage et ce qui s’y jouait.

Le loup-garou s’était effondré sur son flanc et semblait pris de convulsions.

Nymphadora le rattrapa une seconde plus tard et laissa échapper un glapissement alarmé
lorsqu’elle aperçut le loup. Il attrapa son bras pour la retenir avant qu’elle ait pu avoir l’idée
saugrenue de s’approcher.

« Qu’est-ce qui se passe ? Il faut l’aider ! » s’exclama-t-elle.

En dépit de tout ce qu’il venait de déclarer, Severus sentit la mâchoire familière de la jalousie
se refermer sur son ventre.

« C’est normal. » expliqua Black, d’un ton calme ou perçait à peine une pointe d’angoisse.
« Il est en train de se retransformer. »

« Oh… » laissa-t-elle échapper, son inquiétude semblant fondre comme neige au soleil. Elle
croisa les bras devant sa poitrine, trahissant une certaine vulnérabilité et jeta un regard
hésitant à Severus. « Vous n’avez pas besoin de moi, n’est-ce pas ? Je crois que je vais aller
me coucher. Je n’ai pas très envie de… »

Elle laissa sa phrase en suspens pourtant Severus supposa qu’ils en avaient tous deviné la fin.

Elle ne voulait pas avoir à faire face au loup-garou, forme animale ou non, et personne
n’aurait pu le lui reprocher.

« Vas-y. Je reste en renfort si besoin. » invita la vampire, en se glissant dans la pièce.

Severus ne sursauta pas mais il s’en voulut de ne pas avoir perçu son arrivée. Il n’aimait
guère la manière qu’elle avait de se faufiler partout sans un bruit. Il était habitué à être le seul
à se glisser furtivement d’ombre en ombre. Comme si elle savait parfaitement ce qu’il en
pensait, Nyssandra lui adressa un sourire où brillaient deux canines. Pas ouvertement
menaçant mais certainement pas bienveillant non plus.

Nymphadora ne se fit pas prier et disparut dans les étages aussi rapidement qu’elle le put sans
donner l’impression de fuir.

« Harry. » ordonna-t-il pour se redonner contenance, en reprenant place derrière la longue


table. « Prends des notes. »

Il n’avait jamais assisté à une transformation de première main, même durant les années qu’il
avait passées à perfectionner la potion Tue-Loup. La possibilité de se retrouver face à un
autre loup-garou l’avait terrifié des années durant.

Il dicta ses observations à Harry tandis que le loup se tordait de douleur, gardant un œil
clinique sur la situation. Les autres n’étaient pas aussi détachés. Black se mordait l’ongle du
pouce, exsudant une inquiétude sourde, l’adolescent semblait au bord de la nausée, et la
vampire regardait le loup avec un éclat affamé dans les yeux.

Au bout de dix minutes, les couinements de douleur devinrent insupportables à entendre,


même pour lui. Aurait-ce été un véritable animal, Severus l’aurait achevé par pure pitié.

Lupin perdait peu à peu forme lupine sans toutefois paraître devenir plus humain.

D’après tout ce qu’il avait lu, une transformation ne dépassait généralement guère les quinze
minutes, la moyenne se situant entre cinq et dix minutes.

Il finit par se tourner vers Black qui, nul doute, avait assisté à plus de transformations qu’il
n’aurait pu le compter. « Est-ce toujours aussi long ? »

L’Animagus secoua la tête en signe de dénégation, les mâchoires contractées.

« On ne peut rien faire pour le soulager ? » demanda Harry, grimaçant de compassion


lorsqu’un nouveau couinement retentit.

« Tenter quoi que ce soit sans en savoir davantage sur cette potion serait trop risqué. » répéta-
t-il pour ce qui lui semblait être la centième fois ce soir là.
Il continua à dicter ses observations, tâchant de garder son attention rivée sur le loup malgré
la fatigue, sachant déjà qu’il devrait utiliser une pensine pour analyser la transformation plus
en détails.

Lupin avait été stupide d’avaler cette potion mais Severus en tirait des informations utiles. Le
fait que la transformation soit plus lente que d’ordinaire était un indice et il était déjà en train
de mentalement faire une liste d’ingrédients potentiels.

Lorsque les couinements se transformèrent en hurlements de douleur, il proposa à Harry de


sortir.

Le garçon refusa avec un entêtement tout Gryffondor mais la chose était éprouvante à
regarder. Severus, qui avait pourtant l’habitude des spectacles peu ragoutants, avait le cœur
au bord des lèvres.

Finalement, après vingt-trois minutes de supplice, les cris cessèrent et un homme nu était
prostré dans la cage.

Black se précipita vers les barreaux tout en sortant sa baguette, un Finite Incantatem déjà sur
les lèvres…

« Attends. » gronda Lupin d’une voix plus rauque que d’ordinaire.

Cela aurait pu être dû aux hurlements, bien entendu, mais un frisson parcourut lentement
l’échine de Severus. Son instinct de survie lui hurlait de s’enfuir en courant et il repoussa
lentement sa chaise, se redressant aussi souplement que possible.

Il regrettait de ne pas avoir emporté sa cane.

Certes il détestait l’idée de trahir le moindre signe de faiblesse mais non seulement il en
aurait eu bien besoin à l’instant mais il aurait pu s’en servir comme d’une arme contondante.

« Remus ? » demanda Black avec incertitude et puis, après une longue inspiration…
« Lunard ? »

« Lunard. » confirma le loup, en s’appuyant sur ses mains pour se redresser. Il secoua la tête
dans un geste plus animal qu’humain. Une fois. Deux fois. « Fais le sortir. »

« Harry ? » hésita l’Animagus.

Il n’en fallut pas plus pour que l’adolescent bondisse sur ses pieds. Severus le poussa
légèrement derrière lui, notant tout de même le discret déplacement de la vampire qui se
plaça sans en avoir l’air entre la cage et le garçon.

« Snape. » cracha le loup avec un nouveau grondement. « Il empeste son odeur. »

« Son odeur ? » répéta Black. « De quoi tu parles ? »

Lupin prit de grandes inspirations, éternua une fois, secoua la tête avant de la redresser
brusquement…
Des yeux ambre à la pupille fendue se braquèrent dans les siens et Severus y lut une
promesse de mort.

Il fut soudain heureux que Nymphadora soit montée à l’étage. Sa présence dans la pièce
l’aurait sans doute rendu fou.

« Es-tu maître de toi-même ou non ? » s’enquit-il d’un ton tranquille, ignorant la main qui
agrippait l’arrière de ses robes. Il ne savait pas exactement pourquoi Harry avait choisi de
s’accrocher à lui de sa main libre, sans doute avait-il concocté un plan digne d’un lion et
projetait-il de le pousser hors de portée si le loup se jetait sur eux.

Lupin gronda à nouveau. « Tu n’aides pas. »

« Tu m’en vois navré. » siffla-t-il. « Te rappelles-tu ce qui s’est passé ? Ce que tu as failli
faire ? »

Ils se fusillèrent du regard un moment dans un silence de plomb. Même Black semblait
retenir sa respiration.

Puis, finalement, au prix de ce qui sembla être un effort surhumain, Lupin laissa brièvement
retomber la tête. Elle pendit mollement au bout de son cou pendant plusieurs secondes.
Lorsqu’il la redressa, ses yeux étaient redevenu normaux et il avait l’air à la fois meurtri et
coupable.

« Dora ? » demanda immédiatement le loup-garou.

« Elle va bien. Elle n’a rien. » le rassura Black, en se détendant légèrement. « Putain mais
qu’est-ce qui t’es passé par la tête, Remus ?! »

Le ton dur de l’Animagus fit tressaillir l’homme toujours prostré au sol.

« Je ne lui aurais pas fait de mal. » marmonna le loup-garou. « Je voulais juste… »

Ce qu’il avait juste voulu demeurerait à jamais un mystère car il s’interrompit et, selon
Severus, c’était pour le mieux. Le fait que ses paroles fassent écho à celles de Nymphadora
ne l’aidèrent pas à garder son amertume pour lui.

« Bien sûr que non… » asséna-t-il, sans s’embarrasser de cacher ses sarcasmes. « Tu l’aurais
simplement transformée en louve pour mieux pouvoir la posséder. Certes, elle n’aurait plus
pu exercer son métier mais cela aurait été un moindre mal à payer pour le plaisir de ta
compagnie, j’en suis certain. »

« Je ne l’aurais jamais… » répliqua Lupin.

« Tu peux à peine te contrôler sous forme humaine. » cracha Severus. « Épargne-moi tes
serments inutiles sur ce que le monstre qui rôde dans ta tête aurait fait ou non. »

« Sev. » murmura Harry. C’était à peine audible pour lui qui se tenait à côté mais les trois
autres adultes dans la pièce avaient une ouïe supérieure à la moyenne.
Il détestait quand le garçon utilisait ce surnom. Cela lui rappelait Lily. Et Lily l’incitait
toujours à contrôler son mauvais caractère.

« Comment te sens-tu ? » lança-t-il sans la moindre trace d’intérêt. « Nausées ? Vertiges ?


Envie irrépressible d’arracher la gorge de quelqu’un ? »

Le regard que Lupin lui jeta était plus que clair sur ce dernier point, pourtant l’homme pinça
les lèvres sans mordre à l’hameçon. Il s’assit lentement et accepta la couverture que Black
glissa entre les barreaux de la cage. Une fois qu’il fut décent, il se racla la gorge. « Rien de
différent d’une transformation normale. C’était plus douloureux. Je ne me rappelle pas de
grand-chose après avoir pris la potion. Juste… Des flashs. Je me souviens avoir… Je me
souviens que j’étais sur Tonks à un moment donné… Je ne sais plus… Je ne sais plus
pourquoi. Est-ce que je l’ai attaquée ou… »

« On pense que tu cherchais à la marquer comme un membre de la meute. » répondit Black,


sans grande compassion. Il sembla s’en vouloir et adoucit sa réponse initiale. « Tu l’as sauvée
dans la forêt. »

Lupin cilla et accepta l’information d’un hochement de tête puis il chercha à nouveau le
regard de Severus. « Ce n’était pas comme la potion Révèle-Loup, c’était comme une pleine
lune normale. Le loup était totalement aux commandes. »

Pourquoi aurait-ce été différent ? La potion Révèle-Loup était un prototype. Une prototype
qu’il avait créé. Il n’y avait aucune raison pour que la potion permettant la transformation ait
les mêmes effets.

Severus avait jeté silencieusement plusieurs sorts de diagnostics pendant qu’ils parlaient et
n’avait rien relevé de bien alarmant ou de particulièrement intéressant.

« Es-tu certain de pouvoir te contrôler à présent ou doit-on te museler ? » se moqua-t-il. « Et


avant de répondre, je te prie de te souvenir de qui est présent dans cette pièce. »

Pas seulement lui qui donnait visiblement des pulsions de meurtre au loup mais Harry.

Une lueur sauvage passa furtivement dans les yeux ambrés. Lupin détourna rapidement le
regard, honteux.

« On se passera de tes remarques. » grommela Black, en le fusillant des yeux.

Il refusa d’admettre que l’opinion de l’Animagus avait une quelconque importance. D’une
main tremblante, il poussa gentiment Harry vers la table.

« Rassemble le matériel, s’il te plait. » exigea-t-il, avant de se tourner vers Lupin. « Je


m’assurerai que Pomfresh te rende visite à la première heure. Je suggère que tu te tiennes
aussi loin de Nymphadora que le quartier général le permet. »

« C’est une menace ? » rétorqua Lupin.

Le loup affleurait encore à la surface, Severus le voyait.


« Un avertissement, tout au plus. » lâcha-t-il d’un ton faussement doucereux. « Elle peut être
si… passionnée. Il serait dommage qu’elle te tue dans un accès de fureur. »

Il regretta de l’avoir provoqué au moment où les mots quittèrent sa bouche et pas seulement à
cause de l’éclat sauvage qui brilla à nouveau dans son regard. Lupin avait très clairement
saisi le sous-entendu, cela ne rendait pas la boutade moins indigne de lui ou insultante pour la
jeune femme.

Vérifiant d’un coup d’œil qu’Harry était prêt, il se tourna vers Black avant que qui que ce soit
ait pu répliquer ou lui demander des informations. « Attends une heure ou deux avant de le
libérer. Assure-toi qu’il soit calme et redevenu complètement lui-même. » Anticipant une
objection, il leva la main. « Il est préférable qu’il passe la nuit dans une cage plutôt qu’il
blesse quelqu’un par accident, je suis certain qu’il en conviendra lui-même. »

« Je suis juste là et j’en conviens volontiers. » lâcha Lupin.

« Harry. » grinça Severus, guidant l’adolescent d’une main impatiente vers la porte de la
cuisine. Le garçon se retourna à moitié pour adresser aux autres un geste d’au revoir mais
paraissait heureux de pouvoir échapper à la pièce qui empestait le fauve.

Ils étaient presque arrivés à la cheminée du salon lorsque le garçon se risqua à un


commentaire sur un ton espiègle où l’amusement se disputait à une légère irritation. « Vous
aviez l’air très préoccupé par les côtes de Tonks tout à l’heure… »

La main qu’il avait tendue en direction de la poudre de cheminette se figea brièvement,


suffisamment brièvement pour qu’Harry ne s’en soit pas rendu compte. Avec un peu de
chance.

« Je suis surpris que tu ais remarqué étant donné la fascination avec laquelle tu regardais ses
jambes. » répliqua-t-il. Mouché, Harry resta un instant la bouche ouverte avant de laisser
échapper un bruit amusé. Severus jeta une poignée de poudre dans les flammes et porta
l’estocade. « Il est peut-être temps que nous ayons une conversation au sujet des filles… »

« Quoi ? » s’alarma Harry, horrifié. « Vous plaisantez, hein ? »

Severus lança l’adresse de ses appartements et traversa sans prendre la peine de répondre.

Seule la perspective d’avaler accidentellement de la cendre le convainquit de ravaler un petit


rire.
Things They Don't Teach You At School

"I've been making a list of the things they don't teach you at school. They don't teach you
how to love somebody. They don't teach you how to be famous. They don't teach you
how to be rich or how to be poor. They don't teach you how to walk away from someone
you don't love any longer. They don't teach you how to know what's going on in someone
else's mind. They don't teach you what to say to someone who's dying. They don't teach
you anything worth knowing."

Neil Gaiman The Kindly Ones

“Je travaille sur une liste de toutes les choses qu’on ne nous apprend pas à l’école. On
ne nous apprend pas à aimer quelqu’un. On ne nous apprend pas à être célère. On ne
nous apprend pas à être riche ou pauvre. On ne nous apprend pas à s’éloigner de
quelqu’un que l’on n’aime plus. On ne nous apprend pas à deviner ce qui se passe dans
la tête de quelqu’un d’autre. On ne nous apprend pas quoi dire à quelqu’un qui est en
train de mourir. On ne nous apprend rien qu’il vaille le coup de savoir. »

Neil Gaiman – The Kindly Ones

Les réunions pédagogiques de Poudlard ressemblaient à s’y méprendre aux réunions de


l’Ordre du Phoenix, les bons plats de Molly Weasley en moins.

Sirius s’avachit davantage sur sa chaise, quêtant Snape du regard de l’autre côté de la table.
L’ancien Mangemort affichait un air impassible qui dissimulait mal sa contrariété et
échangeait régulièrement des coups d’œil agacés avec Flitwick qui se tenait debout sur sa
chaise depuis le début de la réunion, attendant poliment qu’Albus daigne leur donner la
parole.

À proprement parler, la réunion n’avait pas pour but de discuter les problèmes scolaires mais,
à la seconde où ils avaient pris place, Chourave s’était enquis des examens de fin d’année et
chacun des professeurs installés autour de la longue table avait tenu à mettre leur grain de sel,
même Binns qui flottait au-dessus de sa chaise sans bien avoir l’air de savoir ce qu’il faisait
là.

Tonks, assise à la droite de Dumbledore, consultait régulièrement sa montre sans cacher son
ennui. Elle était là pour représenter le Département des Aurors – et le Ministre – et avait sans
doute la singulière impression de perdre son temps.

Sirius ne pouvait que compatir.

À l’extrême opposé de la table, Remus marinait dans son jus, tentant sans succès d’attirer
l’attention de la jeune femme. Remus était là en tant que second de Dumbledore au sein de
l’Ordre – et, du moins Sirius le supposait-il, parce que cela avait paru comme une bonne
occasion pour lui de voir Tonks.

Durant les deux dernières semaines, sa cousine s’était apparemment faite rare au QG – cela il
le tenait de Nyssandra, de Charlie et de McGonagall. Cette dernière s’avérait être une
véritable mine d’or en termes de potins, ce qu’il n’aurait jamais deviné avant d’être intégré au
corps professoral.

Pour sa part, Sirius était partagé entre une compassion toute amicale envers Remus et un
agacement qui grandissait depuis un moment. Il s’était fait un devoir de rendre visite à son
meilleur amis tous les deux jours pour vérifier qu’il se remettait bien de sa mésaventure et
savait donc de source sûre que Lunard avait passé les quinze derniers jours déchiré entre
culpabilité et mélancolie. Culpabilité d’avoir blessé Tonks et de l’avoir presque transformée.
Mélancolie de ne pas avoir accès à davantage de potion et de ne pas pouvoir se transformer à
loisir.

L’obsession que Remus vouait à son loup intérieur commençait sérieusement à inquiéter
Sirius.

Il avait tenté d’en toucher deux mots à Snape, craignant toujours que ça ait à voir avec sa
potion Révèle-Loup mais l’ancien Mangemort ne voulait rien entendre au sujet du loup-
garou. Toute conversation entamée à ce sujet finissait irrémédiablement par un commentaire
désobligeant et une dispute. Sirius était conscient que son ancien rival faisait, lui aussi un
effort pour s’entendre mais il était tout de même fatigué de devoir toujours arrondir les
angles.

La vérité était qu’être ami avec Severus Snape était épuisant et il comprenait aisément
pourquoi Lily avait fini par jeter l’éponge.

« Peut-être pourrions-nous mettre ces considérations techniques de côté et nous concentrer


sur l’objet de cette réunion. »

Snape n’éleva pas la voix mais son timbre dangereusement courroucé suffit à mettre un terme
à l’échange vif entre Sinistra et McGonagall.

« Excuse-moi, Severus, mais cela fait des semaines que j’essaye d’obtenir une réponse au
sujet des examens. » rétorqua Sinistra. « Je ne sais plus quoi dire à mes élèves. Alors pour
une fois qu’on a une employée du Ministère sous la main… »

Tonks sursauta comme prise en faute, n’ayant probablement pas du tout suivi la conversation.
« Je ne suis pas là pour ça. »

« L’Auror Tonks est ici pour discuter des contingences à mettre en place en cas d’attaque. »
rappela Dumbledore. Lui aussi avait jusque là gardé le silence, perdu dans ses pensées. « Les
examens ne sont actuellement pas notre priorité. »

« Les vacances d’été approchent. » insista Sinistra.


« Le Ministère est débordé. » répondit Tonks dans un haussement d’épaules. « Toutes nos
ressources vont à l’effort de guerre. Les examens… »

« De toute manière, il semble exclu de renvoyer les élèves chez eux dans l’immédiat,
vacances ou pas. » intervint McGonagall. « N’est-ce pas la raison de notre présence
aujourd’hui ? »

Cela jeta un froid.

Les attaques éclair s’étaient multipliées au cours des dernières semaines. Villes Moldues,
communautés magiques… Il y en avait eu au moins une tous les deux jours. Attaque de
loups-garous, de Mangemorts, de Détraqueurs… Il y avait même des rumeurs à propos d’une
armée d’Inféris… Une seule chose était certaine, la Marque des Ténèbres brillait dans le ciel
aux quatre coins du Royaume-Unis et le Ministère de la Magie peinait à faire face.

Cette fois-ci, Snape croisa brièvement le regard de Sirius. Il ne le soutint pas longtemps, ce
n’était pas nécessaire, ils étaient sur la même longueur d’onde. Dumbledore prévoyait
toujours de renvoyer Harry chez les Dursley cet été. Quelques semaines au minimum, avait
déclaré le directeur, répétant à loisir son abracadabrante excuse de la protection que le sang
de Lily conférait au garçon et qu’il fallait renouveler.

Ni Snape ni Sirius n’était d’accord avec ça et Sirius avait d’ors et déjà entamé des démarches
afin d’officiellement récupérer la garde de son filleul ce qui semblait singulièrement
contrarier Dumbledore. Comme Tonks venait de le rappeler cependant, le Ministère avait
d’autres priorités pour le moment et la lenteur bureaucratique se faisait sentir dans toute sa
splendeur.

Il avait proposé de kidnapper Pétunia Dursley s’il était vraiment nécessaire qu’Harry passe
quelques semaines en sa compagnie mais le vieux sorcier n’avait pas réellement apprécier sa
boutade. Il avait, en revanche, brillé un tel éclat dans les yeux de Snape que Sirius devinait
qu’une excursion sauvage à Little Whinging n’était pas totalement exclue.

Snape se racla la gorge. « Albus, pouvons-nous commencer ? Certains d’entre nous ont des
choses plus importantes à faire qu’écouter Aurora ressasser ad vitam aeternam des problèmes
triviaux. »

Sinistra manqua s’étouffer d’indignation mais plus d’un enseignant autour de la table masqua
un sourire ou étouffa un éclat de rire. Même Slughorn qui paraissait bien taciturne ces
derniers temps marqua un mouvement amusé.

« Certes. » approuva le directeur avec un regard désolé pour le professeur d’Astrologie.


« Sans vouloir vous offenser, ma chère. La raison pour laquelle j’ai organisé cette réunion est
très simple. Il semble probable que Volde… » Dumbledore s’interrompit brusquement. Snape
s’était tendu comme un arc et avait replié le bras gauche vers sa poitrine dans un geste
instinctif qui fit froncer les sourcils à Sirius. La Marque. Avec un instant d’incertitude, le
vieux sorcier se reprit. « … que Poudlard soit une cible. J’ai donc demandé à Filius et à
Severus d’élaborer un plan si le pire devait se produire, raison pour laquelle j’ai invité le
Ministère et l’Ordre à assister à nos échanges. »
Il y eut un long silence autour de la table.

Ni Tonks, ni Remus n’étaient particulièrement surpris, Sirius en déduisit donc qu’ils étaient
déjà au courant. McGonagall ne trahit aucun mouvement de surprise non plus.

Ce fut Slughorn qui posa la question que tous les autres pensaient tout bas. « Tu ne penses
pas que les protections du domaine suffiront ? »

« Nous les avons encore renforcées… » renchérit Chourave d’un ton hésitant. « Elles n’ont
jamais été plus robustes… »

« Robuste ne signifie pas impossible à briser. » rétorqua Snape.

Flitwick approuva d’un hochement de tête. « Severus et moi avons passé des jours à étudier
les protections et nous sommes tous les deux d’accord. Elles nous protègent d’une intrusion
mais si une armée se masse au portail ou à la limite de la Forêt Interdite… »

« Les centaures ne permettraient jamais… » remarqua Pomfresh avec espoir.

« Hagrid tente de négocier une alliance avec eux, toutefois… » soupira Albus, en faisant
signe au demi-géant installé en bout de table, derrière Remus de prendre la parole.

« Ils ne sont pas très emballés. » marmonna Hagrid avec une grimace.

« Les protections nous permettrons de gagner du temps en cas d’attaque frontale. » reprit
Snape. « Suffisamment, espérons-le, pour évacuer les élèves. Il serait néanmoins naïf et
stupide de croire qu’elles suffiront. Si Poudlard est attaqué… »

« Poudlard ne doit pas tomber. » interrompt Dumbledore. Son ton ne souffrait d’aucune
controverse et Sirius, tout comme bon nombre d’autres, se tendit. « Le Ministre et moi-même
sommes d’accord sur un point : si le Ministère est attaqué, une évacuation immédiate est la
seule option. Les locaux en eux-même ont peu d’importance. »

Tonks tiqua. « Les coffres sous le Ministère… »

« Tous les artéfacts sensibles en possession du Ministère ont déjà été envoyé à Gringotts. »
anticipa le vieux sorcier. « Vol… »

Une nouvelle fois Dumbledore s’interrompit. Ce coup-ci, il jeta un coup d’œil à Snape. Tout
le monde observait Snape, à présent. Certains avec curiosité, d’autres avec méfiance.
Personne n’aimait se rappeler qu’il portait une Marque des Ténèbres.

« Dites son nom et qu’on en finisse. » siffla l’ancien Mangemort, probablement agacé d’être
la cible de tous les regards. « Je survivrai. »

« Il ne trouvera aucune arme au Ministère. » conclut Dumbledore comme si le Maître des


Potions n’avait pas ouvert la bouche.

« Il n’y a pas plus d’armes à Poudlard. » remarqua McGonagall. « La priorité est de protéger
nos élèves bien entendu mais… »
« Poudlard est un symbole. » contra le directeur. « Plus que cela, Poudlard est probablement
l’endroit le plus sûr du pays. Si le pire devait arriver, l’école doit demeurer un havre dans la
tempête où les sorciers pourront venir se réfugier. Il est exclus de perdre le château. S’ils
attaquent, nous nous battrons. »

Il y eu un long, long silence.

« Nous ne sommes pas des Aurors ! » s’exclama soudain Trelawney, oubliant de s’exprimer
avec son cinéma habituel. « Nous ne serons que de la chair à canon ! »

Le regard perçant de Dumbledore se posa sur elle et s’adoucit. « Je ne forcerai personne à se


battre, bien entendu. Il est, de toute manière, exclu d’évacuer les élèves sans aucune
protection. Les Professeurs qui désirent les accompagner sont libres de le faire, Sybille, cela
va sans dire. »

« Je resterai. » déclara McGonagall.

« Moi aussi. » renchérit Chourave, après un court silence.

Sirius se contenta de lever la main avec un sourire désinvolte. Il fut imité par Madame
Bibine, Flitwick, Sinistra, Hagrid et la grande majorité des autres. Après un long moment de
considération, Slughorn leva lui aussi la main à la surprise générale.

Dumbledore salua le geste d’un signe de tête puis se tourna vers Snape. « Severus. »

Snape n’avait pas levé la main mais il était évident pour tout le monde qu’il ferait partie des
combattants. Il n’était pas encore tout à fait remis de ses blessures, il conservait un léger
boitement de sa mésaventure et ses mains tremblaient toujours, bien que de manière moins
prononcées, mais personne ne s’attendait à ce qu’il fuit pour autant.

Remerciant le directeur d’un hochement de tête de lui avoir donné la parole, il déplia d’un
coup de baguette le large parchemin abandonné au centre de la table qui s’avéra être une
carte géante de Poudlard.

Pas aussi détaillée que la Carte des Maraudeurs mais extrêmement précise tout de même.

Sirius échangea un coup d’œil avec Remus et ne réprima pas un sourire complice lorsqu’il vit
que son meilleur ami était arrivé à la même conclusion.

« Filius et moi estimons que les protections nous ferons gagner en moyenne entre une demi-
heure et une heure selon la force employée par l’ennemi. » déclara Snape, en lissant le
parchemin du plat de la main.

« Si peu ? » s’étonna McGonagall. L’ancien Mangemort pinça les lèvres, visiblement irrité
d’avoir été interrompu, et la Directrice des Gryffondors lui jeta elle-même un coup d’œil
ennuyé. « J’ai tout de même le droit d’être étonnée, Severus. »

« Nous avons choisi de considérer le pire des scénarios, Minerva. » intervint Flitwick. « Si
Vous-Savez-Qui entrait lui-même dans la danse… Il ne fait aucun doute qu’il serait amène de
briser les protections aussi rapidement qu’Albus pourrait le faire. Il suffit d’une seule
brèche… »

« Une demi-heure. Une heure, tout au plus. » insista Snape. « Si nous avons davantage de
temps, tant mieux. Il me semble plus judicieux de nous préparer au pire. »

McGonagall acquiesça. « Comment évacuerons-nous les élèves ? »

« J’y viens. » gronda l’ancien Maître des Potions, en agitant sa baguette. Des traits lumineux
apparurent sur la carte, illuminant une partie des cachots. « Il y a une cinquante de tunnels
sous les cachots, bon nombre d’entre eux finissent leur course sous le lac, trois ou quatre
débouchent aux alentours de Pré-au-Lard. »

« Des tunnels ? » releva Remus. « Quand ont-ils été… »

« Lis L’Histoire de Poudlard sur ton temps libre. » cingla Snape. « L’important, c’est que ces
tunnels ont été construits justement pour permettre d’évacuer les élèves en cas de siège. Le
problème est qu’ils datent du Moyen-âge et sont en ruine. »

« En l’état, le seul que je trouve fiable est celui-ci. » renchérit Flitwitck, en touchant à son
tour le parchemin du bout de sa baguette. Les tracés lumineux de Snape se rejoignirent en un
seul, surlignant un trait fin qui serait autrement passé inaperçu. « Je m’emploierai à le
renforcer dès demain. Minerva, votre aide me serait précieuse. »

McGonagall accepta immédiatement.

« Nous pensions qu’un groupe de professeurs, ceux qui ne souhaitent pas se battre, et les
préfets pourraient se charger de guider les enfants. » reprit Snape, sans intonations
particulières pour ceux que Sirius aurait, lui, qualifié de déserteurs. « Les élèves majeurs
pourront rester et aider s’ils le désirent. »

« Albus. » protesta immédiatement la Directrice des Poufsouffles.

« Nous pourrons compter sur l’Ordre du Phoenix. » grinça l’ancien Mangemort avant que le
Directeur ait pu ouvrir la bouche. « Nous ne savons pas si le Ministère enverra ses Aurors ou
même si ses Aurors pourront nous rejoindre à temps. »

« Nous viendrons. » contra Tonks. « Si Poudlard a besoin de nous… »

« Combien d’Aurors compétents reste-t-il, Nymphadora ? » se moqua Snape sans hostilité. Il


secoua la tête. « Si nous en venons à nous battre ici, nous aurons besoin de toutes les bonnes
volontés. » L’homme balaya la pièce de ses yeux sombres, notant sans doute que plus d’un
des professeurs n’approuvait pas l’idée de laisser des élèves se battre. « Croyez-vous que cela
me plaise plus qu’à vous ? Je ne suis pas en train de suggérer de laisser se batte des première
et des deuxième années, restreignons-nous simplement aux septième années si cela vous
agrée davantage. Pour ma part, je pense que tous les élèves majeurs devraient avoir le choix,
sixième et septième année confondues. À eux de décider, ce n’est plus seulement notre
guerre. »
Les regards se tournèrent vers Dumbledore dont les yeux étaient perdus dans le vide.
Lorsqu’il s’aperçut qu’il était le centre de l’attention, le vieux sorcier eut une moue de regret.

« Je pense que Severus a raison. » déclara l’homme. « Tout le monde devrait avoir le choix. »

« Les sixième et les septième années majeurs uniquement. » répéta rapidement Snape, en le
foudroyant du regard.

Il fallut une seconde à Sirius pour comprendre le sous-entendu et il serra les poings, agacé
que Dumbledore cherche toujours à impliquer Harry davantage.

« Très bien. » lâcha Remus, après s’être raclé la gorge. « Les plus jeunes élèves s’enfuient par
les tunnels guidés par les préfets et un groupe de professeurs. Comment nous assurons-nous
de ne pas perdre l’école ? »

« Un ancien sortilège. » répondit Flitwick avec une excitation perceptible. « Très difficile à
mettre en place sans les bons éléments mais je pense que c’est réalisable. Quelqu’un a-t-il
entendu parler de la sphère de Troie ? »

Sirius grimaça. « Je ne suis pas expert en histoire mais est-ce que ça n’a pas très mal fini pour
les sorciers de Troie ? Une sombre histoire de cheval… »

Il jeta un coup d’œil vers Binns mais lorsqu’il n’était pas question des guerres de gobelins, le
fantôme n’était guère prolixe.

« La sphère de Troie a fonctionné pendant des siècles avant la chute de la cité. » démentit
Flitwick. « À vrai dire, il y a une théorie selon laquelle la seule raison pour laquelle… »

« Filius. » interrompit Snape avec un soupir agacé. « Peut-être pourrions-nous nous en tenir
aux faits ? »

Le Professeur de Sortilèges eut l’air légèrement déçu mais se reprit très vite. « Bien sûr. La
sphère de Troie fonctionne selon un concept très simple. Il faut cinq sorciers pour jeter et
maintenir le sort, des ancres si vous préférez, il en résultera un dôme impénétrable. »

« Nous ne pourrons couvrir que le château et une infime partie du domaine. » avertit Severus.
« Plus le sortilège est étendu plus il est dur à maintenir. Ce sera aux Professeurs, aux Aurors
et aux membres de l’Ordre de repousser les Mangemorts hors du parc. Je suggère que nous
minions autant que possible les alentours du châteaux dans cette éventualité. La riposte devra
être rapide et efficace. »

« J’ai une plante ou deux qui devraient faire l’affaire. » proposa Chourave.

Snape approuva d’un hochement de tête. « Nous devrions tous y contribuer selon nos
spécialités. J’ai une formule de potion incendiaire que j’espérais tester… »

S’en suivit un brouhaha où tout le monde donna son avis. Hagrid était particulièrement
enthousiaste à l’idée de commander quelques créatures monstrueuses avides de chair
humaine – incomprises, cela allait sans dire.
« Qu’en est-il précisément de ces ancres, Filius ? » s’enquit Dumbledore au bout d’un
moment, lorsque les idées commencèrent à se tarir. « Ceux qui devront maintenir le
sortilège ? »

Flitwick et Snape échangèrent un long regard.

« Ça ne peut pas être n’importe qui. » expliqua le Professeur de Sortilèges de but en blanc.
« Pardonnez-moi pour ce que je vais dire mais maintenir le sortilège est épuisant et ne serait-
ce que le jeter demande une puissance magique qui n’est pas accessible à tout un chacun. En
conséquence… »

« En conséquence, vous avez déjà une liste de candidats. » termina simplement Dumbledore.

« Cinq ancres sont nécessaires. » déclara Snape. « Idéalement, je placerai les quatre à chaque
point cardinaux du domaine. Ici, ici, ici et ici. » Quatre points lumineux dansèrent sur la
carte. Un au niveau du hall d’entrée, un au sommet de la tour nord, un au pied de l’aile est et
le dernier dans une des petites courts au sud. « Le cinquième… » L’ancien Mangemort hésita.
« Le cinquième au sommet de la tour d’Astronomie. » Un cinquième point lumineux
s’alluma au centre de ce qui s’apparentait à un losange irrégulier. « Cette personne là sera la
clef de voute du sortilège. Nous pourrons peut-être maintenir la sphère sans un des points
cardinaux mais sans la clef de voute, le sortilège ne tiendra pas plus d’une poignée de
minutes. »

« Il s’agit du point le plus éreintant. » renchérit Flitwick. « Ce sorcier-là devra avoir une
puissance magique bien supérieure à la norme. »

Tout le monde avait compris ce que Snape et Flitwick sous-entendaient pourtant Dumbledore
avait l’air serein des grands jours.

« Severus, donc. » lâcha le vieux sorcier.

Snape eut l’air sincèrement surpris l’espace d’un moment puis cela disparut derrière une
expression lisse et quelque peu froide. « Vous me flattez mais je serais loin d’avoir les
capacités magiques nécessaires même sans considérer les récents… évènements. Cela doit
être vous. »

« En cas d’attaque, je veux pouvoir être mobile. » refusa Dumbledore. « Quelqu’un doit
superviser les troupes au sol et je suppose que vous comptiez vous-même être l’une des
ancres…. »

Snape fronça les sourcils. « Lupin peut se charger de coordonner nos défenses. Vous n’avez
pas l’air de comprendre… Vous êtes le seul avec la puissance magique nécessaire. Le seul
autre sorcier capable d’un tel exploit serait le Seigneur des Ténèbres. Il y a une raison pour
laquelle ce sortilège est pratiquement tombé dans l’oubli. »

Dumbledore et Snape s’affrontèrent si longtemps du regard que Sirius commença à se


demander s’il se jouait une bataille de Legilimencie derrière leurs expressions neutres.
Au final, le vieux sorcier détourna les yeux le premier. « Sans vouloir offenser Remus, je
n’aime pas l’idée de ne pas être aux commandes en cas d’attaque. D’autant plus si vous
n’êtes pas en état de donner les ordres qui s’imposent. »

« Albus… » siffla Snape avec une colère rentrée. « Ce plan entier repose sur… »

« J’entends bien, Severus. » l’interrompit Dumbledore. « Je sais exactement qui peut servir
de clef de voute. À vrai dire… Cela résoudra plus d’un problème… Oui, oui… Cela fera
parfaitement l’affaire. »

Un murmure parcourut la pièce mais le directeur ne sembla pas s’en rendre compte. Il se
caressait pensivement la barbe, à nouveau perdu dans ses pensées.

« Vous connaissez un sorcier aussi puissant que vous et Vous-Savez-Qui et vous n’avez
jamais eu l’idée de… Je ne sais pas… Lui proposer de rejoindre l’Ordre du Phoenix ? »
grinça McGonagall. « Vraiment, Albus… »

Dumbledore lui jeta un regard amusé mais, qu’importe combien de questions lui furent jetées
au visage, il refusa de s’expliquer.

« Les ancres ? » invita-t-il Snape à poursuivre.

« Les ancres… » reprit l’ancien Mangemort avec une irritation croissante. « … seront
entièrement vulnérables durant toute la durée du sortilège. Nous les positionnerons dans des
endroits reculés, toutefois je suggère fortement de leur attribuer un partenaire qui sera chargé
de les protéger et qui, si le siège devait se prolonger, sera capable de les relayer. » Il prit
appui sur la table pour se lever et désigna du bout de sa baguette le point lumineux situé dans
le hall d’entrée. C’était très clairement la position la plus risquée. « Je me tiendrais ici. » Il
jeta un regard furtif à Tonks, parut hésiter l’espace d’une seconde, pourtant il n’y avait
aucune incertitude dans sa voix lorsqu’il reprit. « Black, je suppose que je ne peux pas te
convaincre de t’enfuir avec les élèves ? »

Avec Harry, voulait-il dire.

Sirius secoua la tête. Il comprenait la nécessité de protéger Harry mais, tout comme Snape
semblait-il, il n’était pas décidé pour autant à passer la totalité de la guerre loin du front.

Le Maître des Potions ne parut pas surpris outre mesure. Il accueillit cette déclaration d’un
hochement de tête. « Dans ce cas, tu seras avec moi. »

De toutes les personnes qu’il aurait pu choisir…

À nouveau il y eut une série de murmures dans la pièce, leur rivalité étant légendaire. Remus
ne semblait pas particulièrement enchanté par ce développement et même Tonks paraissait un
peu contrariée.

« Compte sur moi. » répondit-il sobrement, conscient que c’était une énorme preuve de
confiance de la part de Snape mais peu sûr de comment y répondre.
L’homme ravala à grand peine une remarque acerbe et continua, ignorant les chuchotements
curieux.

« Filius prendra le sud. » enchaina Snape. « Avec Bill Weasley s’il est d’accord. Au nord… »
L’ancien Mangemort leva les yeux et croisa le regard de la Directrice des lions. « Minerva ? »

McGonagall n’hésita pas, ne serait que l’espace d’une seconde, avant d’acquiescer.

Sirius se demanda si elle réalisait que, mis à part la tour d’Astronomie, la tour nord serait
l’endroit le plus sûr et que Snape l’avait sûrement conçu ainsi du départ.

« Aurora, tu iras avec elle. » ordonna Snape, sans un regard pour l’autre professeur.

« Je ne suis pas si puissante… » objecta Sinistra avant de grimacer. « Je veux dire… Vous
avez dit qu’il fallait être puissant et… »

« Minerva l’est pour deux et tu ne seras pas non plus un atout sur le champ de bataille. »
rétorqua le Maître des Potions sans douceur ou délicatesse. « Tactiquement parlant, c’est le
choix le plus sensé. Si besoin est, tu devrais pouvoir la remplacer quelques heures. Si cela ne
fonctionne pas, nous trouverons quelqu’un d’autre. »

« Je pourrais le faire. » proposa Tonks timidement.

« Je l’ai considéré. » répondit Snape, nettement moins sèchement. « Toutefois, je préfère te


savoir en protection du mystérieux ami d’Albus. En espérant qu’il ne soit pas un produit de
son imagination. »

Dumbledore parut plus amusé que blessé par la remarque.

« Et la dernière ancre ? » s’enquit McGonagall.

« Nous pensions à Kingsley Shacklebolt. » offrit Flitwick. “Il a la puissance magique


nécessaire.”

“Certes, néanmoins, cela nous prive d’un combattant expérimenté. » contra Snape. « Nous
n’avions pas escompté… » Les yeux sombres se dirigèrent vers Slughorn qui, malgré sa
masse imposante, avait un don certain pour se faire oublier. « Horace ? »

Il y avait quelque chose de menaçant dans le sifflement de Snape et une certaine rancœur sur
le visage de Slughorn. Sirius soupçonnait que cela n’avait rien à voir avec le fait que le vieux
professeur ne cessait de récupérer son ancien poste de Directeur de Maison au nez et à la
barbe de Snape.

« Je ne sais s’il s’agit d’un compliment ou d’un arrêt de mort. » commenta Slughorn, pince-
sans-rire. « Mais oui, j’accepte. Pomona, me serviras-tu d’escorte ? »

« Naturellement. » accepta Chourave.

« Bien. » approuva Snape. « Shacklebolt pourra ainsi diriger les Aurors au sol. Nymphadora,
la Tour d’Astronomie sera sous ta protection, il te faudra des renforts, fais ton choix. Lupin,
tu coordonneras l’Ordre. Albus, il faudra également prévoir un endroit où évacuer les enfants
une fois sortis du château. Par portoloins peut-être. »

Dumbledore hocha la tête avant de taper dans ses mains et de les frotter avec un sourire bien
trop jovial.

« Eh bien, c’était une réunion très productive. Bon travail, mes amis. » déclara le directeur.
« Retrouvons nous à la même heure la semaine prochaine afin d’affiner le plan. » Il se leva,
mettant ainsi effectivement terme à la réunion. « Severus, n’oubliez pas notre rendez-vous
tout à l’heure. Minerva, accompagnez-moi, voulez-vous ? »

Les professeurs se levèrent tous, la plupart s’attardèrent pour bavarder avec un collègue ou un
autre, Sirius vit Remus bouger aussi si vite qu’il le pouvait sans attirer l’attention générale et
fit sagement le tour de la table tout aussi rapidement de sorte que lorsque son meilleur ami
atteignit Tonks, il se tenait déjà à côté d’elle.

Elle leur jeta à tous les deux un regard contrarié mais leva à peine les yeux vers Remus. Elle
enfila son blouson en jean déchiré au coude sans un mot.

« Dora… » grimaça Remus. « Je voudrais m’excuser. »

« Pour changer. » marmonna-t-elle, sans lui accorder un regard.

Sirius fit discrètement signe au loup-garou de lâcher l’affaire mais ce dernier préféra
l’ignorer.

« Peut-être pourrions-nous faire le chemin jusqu’au portail ensemble ? » proposa Remus, en


esquissant un geste vers elle. « J’aimerai vraiment… »

Il s’interrompit lorsque Tonks bondit en arrière, baguette au poing et braquée droit sur lui.
Les conversations s’étaient interrompues dans la pièce et tout le monde les observaient,
abasourdis par ce rebondissement de situation. Remus leva les deux mains en signe de paix
mais la respiration de la jeune femme demeura hachée.

« Allons-y. » décréta Sirius, en poussa gentiment Remus vers la sortie. Il fusilla les
professeurs qui trainaient encore dans la salle du regard. « Il n’y a rien à voir ! »

La tête de mule de loup-garou refusa de bouger d’un iota. « Dora… »

« Puis-je te voler une minute de ton temps ? C’est à propos de Mr Malfoy. » s’enquit Snape.

Sirius manqua sursauter. L’espion s’était glissé dans son dos à son insu et se tenait à présent
près de Tonks, à qui il s’était adressé comme s’il ne s’était rien passé de choquant ces
dernières secondes.

« Oui. » acquiesça-t-elle immédiatement d’une voix légèrement tremblante qu’elle s’efforça


de raffermir d’un raclement de gorge. « Oui. Raccompagne-moi au portail. »

D’autres avaient été assassinés pour moins que ça mais il semblait que Snape avait réellement
sa cousine à la bonne parce qu’au lieu de s’insurger car elle lui donnait des ordres, il la guida
hors de la pièce d’une main galamment posée au creux de son dos.

Sirius fronça les sourcils puis haussa les épaules, se tournant vers le loup-garou qui semblait
fulminer.

« Laisse-la tranquille, Lunard. » exigea-t-il plus qu’il ne conseilla. « C’est terminé et,
franchement, après ce qui s’est passé, tu ne peux pas lui en vouloir d’avoir besoin d’espace. »

« De quel côté es-tu ? » gronda le loup.

« De nous deux, c’est moi l’idiot. » rétorqua-t-il. « Ne me vole pas mon rôle. »

Remus se rembrunit mais lui emboîta le pas lorsqu’il quitta la pièce, enfonçant les mains dans
ses poches. « Je voulais simplement m’excuser. Il faut toujours qu’il se mette entre nous. »

« Qui ? Snape ? » se moqua-t-il. « Ne me dis pas que tu es jaloux de Snape ? »

L’idée était tellement ridicule qu’il manqua s’en étouffer de rire, ce qui agaça d’autant plus le
loup-garou.

Deux étages plus bas, Sirius riait toujours à en avoir mal au ventre.

°O°O°O°O°O°

Lorsque Severus ouvrit le portrait qui gardait l’entrée de ses appartements deux heures après
la fin de la réunion, ce fut pour trouver Black hilare dans le couloir.

Il leva un sourcil interrogateur, ses muscles se contractant par réflexe. Son corps avait depuis
longtemps appris qu’un Sirius Black riant aux éclats était une source potentielle de danger. Il
attendit le Servillus moqueur qui ne vint pas. L’Animagus prit plusieurs profondes
inspirations pour parvenir à se contrôler, pouffa une fois ou deux puis s’essuya les yeux avec
un soupir qui se transforma à moitié en gloussement.

Ridicule et indigne.

Mais qu’attendait-il d’autre de Black ?

Severus s’effaça pour le laisser entrer, vérifiant par habitude que le couloir était désert avant
de refermer le portrait. Il n’attendait pas Harry avant plusieurs heures encore.

« Je crains de poser la question. » ironisa-t-il, agacé de voir que Black se sentait


apparemment suffisamment à l’aise dans ses quartiers pour attraper un livre abandonné sur
une table basse et l’inspecter avant de le reposer.

Ravalant une remarque peu amène, Severus choisit de se diriger vers la cuisine, laissant le
cabot le suivre.

« Désolé, c’est juste que… Remus est jaloux de toi. » expliqua Black et, à nouveau, il éclata
de rire.
Son rire, décida Severus, sonnait comme un aboiement.

« Il pense que Tonks en pince pour toi. » rajouta l’Animagus après coup.

Espérer cacher leur liaison au loup-garou était certainement trop en demander. Outre l’odorat
et l’ouïe supérieurs à la norme, Remus Lupin n’avait jamais manqué de jugeote.

« Hilarant, en effet. » commenta-t-il sans intonation particulière.

Les intonations qu’il aurait aimé donner à cette phrase, il les occluda, comme il avait occludé
la colère plus tôt en salle de réunion.

Il avait fallu de longues minutes avant que Nymphadora ne cesse de trembler sur le chemin
du portail. Elle n’avait pas offert d’explications et il n’avait pas ressenti le besoin d’en
demander. Il était parfaitement au fait d’à quel point se retrouver nez à truffe avec un loup-
garou était terrifiant – et, lui, n’avait pas fait l’expérience de devoir supporter le poids d’un
prédateur le clouant au sol pendant plus d’une demi-heure.

Elle s’était réveillée en sueur la plupart des nuits qu’ils avaient passées ensemble depuis
l’incident et il n’était pas bien difficile d’imager le sujet de ses cauchemars bien qu’elle n’ait
jamais souhaité en discuter ouvertement. En règle générale, elle se contentait de se recoucher,
de se blottir contre lui et d’enfouir son visage dans son cou jusqu’à ce qu’elle cesse de
trembler et se rendorme. Cela ne faisait que rajouter à la fatigue de la jeune femme – et à la
sienne par-dessus le marché – et la fatigue était un facteur dangereux de leurs jours étant
donné ce qui se tramait là dehors. Il ne se passait pas un jour sans qu’il y ait une
escarmouche.

Alors, lorsqu’il avait vu Lupin s’approcher plus tôt, tenter de la toucher, il avait vu rouge et
avait dû s’empêcher de lui jeter un sort qui l’enverrait voler à travers la fenêtre et droit dans
le lac. Avec un peu de chance, le calamar géant en aurait fait son quatre heure.

Ce n’était pas de la jalousie, simplement un besoin pathologique de protéger les personnes


qu’il…

« Thé ? » proposa-t-il pour se distraire, envoyant déjà la bouilloire sur le feu et sortant
manuellement les tasses du placard. C’était un bon exercice pour ses mains.

« Tu n’as rien de plus fort ? » demanda Black, en se laissant tomber sur l’une des chaises qui
entouraient la petite table carrée nichée dans un coin de sa cuisine. « Je n’aurais rien contre
un Whiskey-Pur-Feu. »

« Je ne bois pas. » répondit-il, s’en tenant là.

Black leva les yeux au ciel et tira son paquet de cigarettes de sa poche. « Tu ne bois pas, tu ne
fumes pas, tu ne baises pas… Pas étonnant que tu ais toujours l’air aussi coincé. »

« Épargne-moi tes vulgarités. » cingla-t-il, s’adossant au comptoir de la cuisine. Il croisa les


bras devant lui, en partie pour dissimuler les tremblements de ses doigts.
Les deux dernières semaines avaient été salutaires pour sa santé, le fait qu’il ait enfin
récupéré la maîtrise de sa magie avait grandement aidé son moral et sa récupération physique
s’en était trouvée grandement améliorée. Ses mains n’étaient toujours pas entièrement dextres
mais la potion qu’il avait créée et à laquelle il avait, par l’intermédiaire de Granger et de
Draco, fait quelques ajustements s’avérait extrêmement efficace. Il n’escomptait pas
retrouver un jour un plein contrôle, ses jours de potioniste étaient derrière lui bien qu’il peinât
toujours à en faire le deuil. Toutefois, son corps s’était peu à peu remis et mis à part la
dégénérescence des nerfs de ses mains et une raideur ponctuelle dans sa jambe gauche, il ne
gardait pas d’autres séquelles de ce qui aurait dû être sa mise à mort.

Il était conscient que ça aurait pu être bien pire.

Cela ne l’aidait pas tout à fait à accepter la situation mais il en était conscient.

« Des nouvelles du Ministère ? » s’enquit-il.

Il s’imaginait déjà glisser les papiers de tutelle sur le bureau d’Albus, l’expression sur le
visage du vieux sorcier… Échec et Mât.

Black lui jeta un coup d’œil distrait puis tapa le bout de sa cigarette contre la table
pensivement. « Non. Je sais qu’ils ont leurs propres problèmes mais je commence à
penser… »

« Qu’Albus a fait jouer de ses relations pour retarder les choses ? » termina-t-il dans un
grincement. « Comme tu es brillant, Black. »

Une nouvelle fois, l’Animagus leva les yeux au ciel avant de porter la cigarette à ses lèvres et
de l’allumer avec sa baguette. Il ôta la tasse de sa coupelle et se servit de celle-ci comme d’un
cendrier.

Severus serra les dents et énuméra silencieusement toutes les raisons pour lesquelles il avait
besoin de ce cabot mal élevé comme allié.

« J’irai faire un tour au Ministère en personne. » déclara Black. « Et, si besoin, j’airai voir la
Gazette. Il faut bien que ma célébrité serve… » Le ton badin disparut lorsqu’il leva la tête
vers Severus. « Aucune chance que tu fasses changer Dumbledore d’avis pour ce soir ? »

La bouilloire se mit à siffler et cela lui donna l’excuse rêvée pour se détourner de
l’Animagus. Il occluda sa colère et son impuissance, s’obligeant à ne trahir aucun signe
d’énervement. Contrôler son mauvais caractère était difficile ces temps-ci, particulièrement
quand Albus semblait prendre plaisir à le contrarier.

La chasse aux Horcruxes…

Tous ses refus les plus nets et toutes ses tirades incendiaires à propos du rôle qu’Harry devait
pour l’instant jouer dans cette guerre s’étaient soldés par l’offre peu alléchante de prendre un
bonbon au citron.

Severus en était venu à espérer que le vieux sorcier s’étouffe avec.


« Cela serait plus simple si Harry n’était pas si impatiemment de prendre part à la mission. »
répliqua-t-il. « En l’état… C’est déjà un miracle que j’ai été autorisé à les accompagner. Je
suis certain qu’Albus avait prévu une sortie initiatique immanquablement traumatisante. »

Parce que c’étaient bien là les sorties scolaires qu’Albus Dumbledore affectionnait le plus.

Black laissa échapper un bruit agacé mais ne commenta pas, pas plus heureux de la situation
que Severus ne l’était.

« Harry t’a parlé de ses craintes à propos de… » Black s’interrompit brusquement. « On peut
parler ici ou… »

Severus lui adressa un regard dédaigneux. « Mes appartements sont toujours protégés par
tous les sorts anti-intrusions possibles, Black. Tu m’en vois navré si tu ne vois pas la
nécessité de prendre les mêmes précautions. »

Il se demanda brièvement si l’ancien fugitif battrait son record et lèverait à nouveau les yeux
au ciel pour la troisième fois en quinze minutes mais Black se contenta de tirer sur sa
cigarette avec une grimace.

« Frimeur. » lâcha le Gryffondor.

Tire au flanc, faillit-il répondre. Faillit seulement. Il ne se lancerait pas dans une joute
verbale puérile qui aurait autrement pu être qualifiée d’amicale avec son ancien rival.
Certainement pas.

« Harry a peur que l’Horcruxe puisse le posséder. » lâcha Black. « Il me l’a dit le soir où
Remus… J’ai essayé de lui en reparler depuis mais il évite le sujet. Il m’évite tout court
d’ailleurs si tu veux mon avis. »

Severus fit léviter la bouilloire qui vint remplir la théière.

« J’ai déjà discuté de cela avec lui, il y a un moment de cela… Une possession me semble
peu probable tant qu’il n’est pas le dernier Horcruxe restant… » déclara-t-il. « Je pensais que
ses craintes étaient apaisées. Je lui parlerai. » Une fois que la théière fut pleine et que le sort
ne demandait plus son attention, il plaça les mains sur la table et se pencha légèrement en
avant pour mieux toiser l’Animagus avec une expression sévère. « Pourquoi t’éviterait-il ?
Qu’as-tu encore fait ? »

Black avait le regard fuyant des grands jours. « Bill ne devrait pas déjà être là ? Il est en
retard, non ? »

« Mr Weasley a encore trois minutes pour être à l’heure. » riposta-t-il, sans daigner jeter un
coup d’œil à l’horloge. « Et tu me caches quelque chose. »

L’Animagus grimaça et se tortilla nerveusement sur son siège avec un air coupable. « Il est
possible qu’il ait vu quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir… »

« Comme ? » siffla-t-il.
Black soupira et écrasa sa cigarette dans la soucoupe. « J’étais occupé avec Nyssa et on ne l’a
pas entendu arriver. La porte n’était pas fermée. Il n’a rien vu de bien traumatisant mais je
suppose qu’à sa place j’aurais du mal à regarder mon parrain en face, moi aussi. »

Severus pinça les lèvres à s’en faire mal, autant parce qu’il était en colère que pour réprimer
un rictus amusé. Mieux valait Black que lui.

« Oh, ça va… » s’énerva l’Animagus, en s’empourprant. « On ne peut pas tous être des
exemples de vertu. »

« Rassure-toi. Personne ne t’accusera jamais de posséder une quelconque once de vertu. » se


moqua-t-il.

Des coups au portrait mirent un terme à cette conversation et Severus se redressa pour aller
ouvrir.

« Tu es sûr que tu veux lui dire ? » lâcha Black, nerveux pour d’autres raisons à présent.
« L’espion court toujours et… »

« Bill Weasley n’est pas l’espion. » l’interrompit-il. « Et son expérience ne serait pas
superflue. S’il a les capacités de se protéger contre un assaut mental… »

« Plus il y a de gens dans la confidence, plus il y a de risques que Dumbledore l’apprenne. »


lui rappela inutilement l’Animagus.

Une autre série de coups frappés au portrait le firent se diriger vers le couloir, non sans un
dernier regard pour le parrain de son fils. « Contente-toi de me laisser parler. »

Sirius Black leva à nouveau les yeux au ciel, brisant son record.

Bill avait les bras chargés de marmites et autres récipients de cuisine et lui jeta un regard
presque désespéré derrière la pile de plats. « J’ai dit à maman que vous aviez apprécié sa
cuisine. »

Severus cilla, masquant son amusement derrière une expression neutre. « Black ! »

L’Animagus arriva au pas de course, alarmé peut-être, et leva immédiatement les sourcils
lorsqu’il aperçut le jeune homme. Il le soulagea immédiatement de quelques plats, cachant
mal son intérêt soudain pour ce qui s’y trouvait.

« Ça fait des mois que je n’ai pas vu ta mère ! » s’exclama Black. « Comment va-t-elle ? Est-
ce qu’elle se remet ? »

Au moins, songea Severus en refermant le portrait derrière Bill, avait-il pris le soin de
prendre un ton plus sobre. On ne pouvait pas toujours faire confiance aux Gryffondors pour
faire preuve de délicatesse lorsque leur estomac était concerné.

« Elle a vécu une période difficile après… Après papa. » lâcha Bill, quêtant le regard de
l’ancien Professeur de potions. Severus ne laissa rien paraître. Seule Minerva était au courant
de ce qui s’était passé avec Molly et il ne voyait pas l’intérêt de répandre la nouvelle. Ce
n’était certainement pas à lui de le faire. « Elle va beaucoup mieux. »

« Tant mieux. » déclara Black, en guidant Bill vers la cuisine comme s’il était chez lui. « Dis
lui qu’elle nous manque. »

Il était évident que l’ainé des Weasley était curieux quant à la présence de l’Animagus,
d’autant plus lorsqu’ils eurent déposés les plats sur le comptoir de la cuisine et que l’ancien
fugitif les examina un à un avec un appétit évident.

« Ne touche pas à la tarte à la mélasse. » avertit Severus.

C’était le dessert préféré d’Harry et il n’y avait pas de raison qu’il en soit privé parce que son
parrain était un estomac sur pattes.

Black lui fit une grimace absolument enfantine et attrapa une tarte aux pommeq qu’il attaqua
directement dans le plat après avoir trouvé une fourchette d’un Accio. Ravalant un soupir
irrité, Severus fit signe à Bill de s’asseoir.

C’était probablement une chance que Weasley soit trop poli pour faire un commentaire sur
les manières de l’Animagus.

« On m’avait dit que vous aviez récupéré mais c’est presque miraculeux. » remarqua
toutefois le briseur-de-sorts. « Il y a deux semaines, vous… »

« Poppy pense que retrouver le contrôle de ma magie a accéléré ma guérison. » l’interrompit-


il, peu amène de s’épancher sur ses ennuis de santé.

Bill marqua sa compréhension d’un hochement de tête et prit un ton professionnel que
Severus préféra largement à toute la compassion dont il aurait pu faire preuve. « Et la
Marque ? »

« Le traitement semble faire effet. » admit-t-il, en ôtant ses sur-robes. Ensuite, il prit place
autour de la table et défit le bouton de la manche de sa chemise – ou, plus exactement, lutta
contre le bouton de la manche de sa chemise avec ses doigts tremblants. « La douleur a
augmenté ces deux derniers jours. Le saignement a repris ce matin. »

Il expliqua le tout d’un ton clinique et détaché, prenant soin de ne pas regarder du côté de
Black. Cela ne l’empêcha d’entendre le juron à moitié étouffé de l’Animagus lorsque la
Marque fut à découvert. Apparemment, le spectacle de sa chair rougie et boursoufflée était
suffisamment dégoutant pour que l’homme abandonne sa tarte aux pommes. Qui l’aurait
cru ?

« Putain, Severus, tu n’as jamais dit que c’était aussi grave. » siffla Black.

Severus fut plus choqué d’entendre son prénom dans la bouche de son ancien rival que par la
colère rentrée dont il faisait preuve.

« Je ne vois pas en quoi ça te concerne. » rétorqua-t-il.


« Vraiment ? Tu ne vois pas ? » cingla l’Animagus.

Il s’en tint là mais Severus devina le reste. Si jamais la Marque le tuait, la tâche de l’annoncer
à Harry reviendrait à Black. La tâche d’élever Harry reviendrait à Black.

Le Maître des Potions se renfrogna.

Bill se racla la gorge, pas tout à fait à l’aise. « Je vais drainer l’excès de magie noire,
exactement comme l’autre fois. » Il jeta un coup d’œil à Black, hésita. « Ce n’est pas
vraiment un spectacle agréable. Les conjoints… »

« Pardon ? » s’exclamèrent-ils tous deux en cœur, avec un dégout similaire.

Weasley grimaça. « Hey, ça ne me dérange pas. Mon frère est… »

« Jamais. Jamais. » cracha Black. « Pas même s’il était le dernier homme sur terre. »

Severus lui jeta un regard noir. « J’en éprouve autant à ton service. »

Black s’ébroua comme un chien mouillé. « Ami, je peux. Plus, pas question. Désolé, j’ai mes
limites. »

Cette fois-ci, ce fut au tour de Severus de lever les yeux au ciel. « Je tâcherai de contenir ma
déception. » Il pinça les lèvres. « Et nous ne sommes pas amis. » Pourquoi cela sonnait-il de
moins en moins convaincu à chaque fois qu’il le clamait à corps et à cri ? Il balaya l’air de sa
main libre et fusilla Weasley des yeux. « Procédons. »

Bill sortit un flacon barré de runes de sa poche sans se faire prier et commença le long et
douloureux processus. Severus serra les dents et se retrancha derrière ses boucliers, laissant
Black poser toutes les questions qu’il désirait.

Un éclat d’intérêt s’était allumé dans ses yeux gris et Severus devinait qu’il avait enfin
compris pourquoi il souhaitait consulter Bill.

Il fallut un long moment avant que le briseur-de-sorts ne déclare qu’il en avait terminé pour
cette session. Il était tout aussi pâle que Severus, légèrement en sueur, et il accepta la part de
tarte aux pommes et la tasse de thé que Black glissa devant lui sans discuter.

« Excuse-moi, je ne m’y connais pas très bien en briseurs-de-sorts… » lança Black, après que
Bill ait pris une bouchée de tarte. « Est-ce que vous êtes tenus au secret comme les
Médicomages ou les avocats ? »

Subtil, grinça Severus en son fort intérieur avec un nouveau regard noir pour l’Animagus.

« Rien d’officiel mais ce n’est pas vraiment dans l’intérêt d’un briseur-de-sorts de trahir la
confiance d’un client. » répondit Bill, en haussant les épaules. « Certains contrats ont des
clauses de confidentialité. Dumbledore me paye très bien pour garder le secret. Personne ne
saura pour la Marque, Professeur. À vrai dire, je l’aurais fait gratuitement ne serait-ce que
pour… »
Bill s’empourpra légèrement et Severus cessa d’examiner la Marque pour rajuster sa manche.
Une fois le serpent et le crâne sombre hors de vue, il étudia le jeune homme qui lui faisait
face.

« Comme à son habitude, Black ne pose pas la bonne question. » déclara-t-il lentement. « La
question qu’il devrait poser est celle-ci… Seriez-vous prêt à risquer votre vie pour garder un
secret qui pourrait changer le cours de la guerre ? »

Weasley demeura interdit une seconde, son visage se ferma. « Je connaissais les risques
lorsque j’ai rejoint l’Ordre. Je… »

« Il ne s’agit pas de l’Ordre du Phoenix. » l’interrompit-il. « Et Albus Dumbledore ne doit


rien savoir de cette discussion. »

La méfiance du jeune homme était à présent nettement perceptible. Bill jeta un coup d’œil à
Black, se rendit compte que l’Animagus ne comptait rien ajouter de plus et croisa à nouveau
le regard de Severus.

Le contact visuel était tout ce qu’il avait attendu et il examina discrètement les pensées en
surface de son ancien élève. À peine eut-il le temps d’examiner deux souvenirs sans
conséquences qu’un mur de briques s’abattit fermement devant lui, sans fioritures ou
subtilité, lui barrant l’accès à l’esprit de Bill Weasley.

« Non. » refusa net le briseur-de-sort.

Les lèvres de Severus tressautèrent en un rictus satisfait. Il l’avait suspecté mais en avoir la
confirmation facilitait les choses.

« Une excellente maîtrise de l’Occlumencie. » le félicita-t-il. Il leva les sourcils en direction


de Black. « Prends exemple. »

L’Animagus ne prit pas la peine de répondre, à peine celui de grimacer.

« Je serais un piètre briseur-de-sorts si je ne savais pas fermer mon esprit. » remarqua Bill.
« C’est la première chose qu’on nous apprend. » Le jeune homme les étudia tour à tour.
« Qu’est-ce qui se passe ? »

Severus consulta Black du regard, les réserves qu’il avait émises plus tôt étant, après tout,
justifiées. Après plusieurs secondes, l’Animagus hocha la tête en signe d’assentiment.

« Que savez-vous des Horcruxes ? » s’enquit-il d’un ton nonchalant.

Il n’y avait rien de nonchalant à la réaction de Bill Weasley.

« Assez pour savoir que si vous soupçonnez Vous-savez-qui d’en avoir crés, il faut le dire au
Professeur Dumbledore immédiatement. » répliqua le briseur-de-sorts.

« Je ne soupçonne rien et Albus est déjà au courant. » répondit-il. « Il apparait qu’il y en a


sept en tout. »
Bill s’humecta les lèvres et porta la tasse de thé à présent tiède à sa bouche, trahissant sa peur.
« Détruire un horcruxe peut être dangereux mais il nous suffit de trouver un extrait de venin
de basilic et… »

Severus leva la main, le coupant net.

« En tant que briseur-de-sorts… Comment procéderiez-vous si je vous demandais de… vous


débarrasser d’un Horcruxe sans détruire le vaisseau ? » Bill resta interdit alors il poursuivit.
« Nous avons envisagé de tenter de déplacer l’horcruxe vers un autre contenant. Il m’est
également apparu qu’une dérivation du sortilège que vous utilisez pour drainer la magie noire
de ma Marque… »

« Ça n’a rien à voir. » l’interrompit Bill. Le jeune homme se leva et se mit à faire les cent
pas, réfléchissant à voix haute. « La magie dans la Marque des Ténèbres est puissante mais
elle est résiduelle. Un Horcruxe… Un Horcruxe est vivant. Il va se défendre. Il va se battre.
L’arracher à son vaisseau sans détruire ce dernier… Je ne sais même pas si c’est
matériellement possible. Ce serait risqué. Vraiment, risqué. Presque suicidaire, en fait. » Il
secoua la tête et cessa de tourner en rond. « Pourquoi voudriez-vous faire ça ? Qu’est-ce qui
peut bien être aussi précieux que vous préfériez courir le risque d’être possédé par Vous-
savez-qui plutôt que de le détruire ? »

Weasley les observa tour à tour, désemparé.

Severus et Black restèrent silencieux longtemps, peut-être trop longtemps.

« Ta parole que tu n’en parleras à personne, surtout pas à Dumbledore ? » lança l’Animagus
au bout d’un long moment.

« Un serment. » corrigea Severus doucement. « Un serment inviolable qui vous liera à


Black. »

Black tourna brusquement la tête vers lui mais le Maître des Potions garda les yeux dans le
vide.

« Pourquoi moi ? » demanda l’homme, en fronçant les sourcils. « Je peux officier. »

« Parce que mon espérance de vie est toujours inférieure à la tienne. » soupira-t-il, avant de
croiser à nouveau le regard de Bill. « Alors ? »

La respiration de Bill était hachée, il était blanc comme un linge et une profonde tristesse se
dessinait sur ses traits.

Il avait compris, déduisit Severus.

Bien sûr qu’il avait compris. Quoi d’autre aurait pu les réunir lui et Black ?

« Et merde… » lâcha Bill. « Et merde. C’est Harry, c’est ça ? »

°O°O°O°O°O°
Les livres de cours gisaient ouverts sur la couverture qu’Hermione avait fait apparaître un
peu plus tôt, abandonnés par leurs propriétaires. Harry poussa celui de potions du pied sans
vraiment s’en rendre compte, suivant du regard la folle envolée d’un hibou qui s’échappait de
Poudlard à tire d’ailes.

Déserter la bibliothèque pour venir réviser autour du lac avait été l’idée d’Astoria et malgré
ses réticences, Hermione devait admettre que cela s’était révélé une excellente suggestion.
Pour la première fois depuis longtemps, le ciel était clair, dépourvu de la grisaille qui avait
assombri tout le printemps, et bien qu’il ne fasse pas exactement chaud, ils avaient tout de
même choisi de tomber leurs capes, avides de prétendre que les beaux jours étaient enfin là.
L’air était pur bien qu’un peu frais et cela faisait du bien de quitter enfin le château. Le leur
n’était d’ailleurs pas le seul groupe à profiter du beau temps ce jour là.

Bien sûr, la séance de révision avait très vite tournée court lorsque les jumeaux étaient arrivés
avec un souaffle. Une partie de Quidditch improvisée sans balais, sans vif d’or ou cognards et
sans équipe particulière avait débuté sous les yeux d’Harry, Ron et Hermione qui s’étaient
attardés sur la couverture. Malgré tous les efforts de Dean, les autres refusaient d’appeler ça
du football – surtout Draco qui maintenait fermement que le football était bien en-dessous du
Quidditch. Les rires fusaient, les adolescents chahutaient joyeusement et la scène était
presque incongrue de normalité.

L’espace d’une seconde, Hermione les envia.

De parvenir à oublier.

De parvenir à ignorer.

« J’aimerai qu’on puisse venir avec toi. » avoua-t-elle à mi-voix.

Harry haussa les épaules et s’allongea à moitié, s’appuyant sur ses coudes pour mieux suivre
la partie de non-Quidditch des yeux. « Severus sera là. Je ne risque rien. »

« Et Dumbledore. » renchérit Ron, d’un ton légèrement inquiet. « Dumbledore vous


accompagne toujours, hein ? »

Le regard d’Hermione voyagea d’Harry à Ron, notant la nonchalance feinte avec laquelle les
deux garçons étaient avachis. Assis en tailleur, le plus jeune des fils Weasley trahissait
cependant sa nervosité en triturant un brin d’herbe. Il croisa brièvement son regard mais elle
fut la première à détourner les yeux. À temps pour apercevoir un flash fugitif d’irritation
déformer les traits d’Harry. Juste avant que son visage ne devienne aussi lisse qu’un masque.
Sans aucun reflet.

Elle détestait lorsque Harry faisait ça. Occluder. Cela le rendait… Elle refusait de penser le
mot inhumain mais plus froid, plus distant…. Ils n’avaient pas besoin de davantage de
froideur ou de distance entre eux en ce moment. Leur amitié était déjà suffisamment tendue
ainsi.

Les choses devenaient plus simples qu’elles l’avaient été après son retour à mesure qu’Harry
trouvait sa place dans leur groupe mais il restait comme une fêlure mal recollée dans une
amitié qui avait auparavant été faite de granit.

« Bien sûr que Dumbledore y va, Ron. » cingla-t-elle avant que l’autre garçon ait pu
répondre. Elle baissa la voix, jetant un coup d’œil alentour pour s’assurer que personne ne les
espionnait. Le seul à leur prêter une quelconque attention était Draco et il paya la distraction
dont il faisait preuve lorsque le souaffle que Blaise lança l’atteignit en pleine tête. « C’est
normal qu’il veuille emmener Harry. Après tout, il l’avait déjà chargé de recueillir les
informations auprès de Slughorn… »

« Et ça a été un beau succès. » lui rappela Harry pince-sans-rire.

Elle ne savait pas trop quoi penser du fait que Snape avait, au final, été celui à extraire les
renseignements clefs de l’autre Maître des Potions. Elle ne savait plus trop quoi penser de
Snape tout court ces derniers temps. Elle ne l’avait jamais haï avec la même détermination
farouche que ses deux meilleurs amis mais elle n’avait eu aucune sympathie pour lui non
plus, à peine une légère admiration pour ce qu’il était parvenu à accomplir en un temps
record pour son âge (plusieurs découvertes révolutionnaires dans le domaine des potions, un
poste de professeur à Poudlard et la position de Directeur de Maison…). Puis la tempête
magique avait bousculé le statu quo en recrachant un Harry Potter qui ne jurait plus que par
l’espion à qui personne au sein de l’Ordre n’avait eu entièrement confiance jusque là… Et
juste au moment où Hermione commençait à s’habituer à l’idée que l’homme puisse avoir
des qualités autres que son don indéniable pour les potions, voilà qu’il manquait se faire tuer
et lui demandait à elle de préparer en secret une potion non brevetée à la difficulté bien
supérieure au niveau des A.S.P.I.C.s uniquement pour finir par dévaster le laboratoire et
s’écrouler au milieu de fioles brisées comme un pantin auquel on aurait coupé les fils…

Elle n’avait pu s’empêcher d’éprouver une compassion sincère pour lui lorsqu’elle l’avait
découvert au milieu du carnage, malgré le choc. Elle ne pouvait s’imaginer perdre ce pour
quoi elle était le plus doué au monde. Si on lui avait retiré sa magie, sa vivacité d’esprit, sa
capacité à retenir la plupart de ce qu’elle lisait… Elle pouvait comprendre pourquoi l’idée de
ne plus jamais pouvoir préparer de potion par lui-même dévastait Snape.

Néanmoins, lorsqu’Harry leur avait rapporté, à elle et à Ron, que Snape avait utilisé ses dons
de Legilimens pour extorquer le souvenir qu’il avait pour mission de convaincre Slughorn de
lui confier, elle s’était quelque peu offusquée. Elle avait renoncé à critiquer l’attitude du
Professeur lorsque son meilleur ami s’était immédiatement mis sur la défensive mais il lui
semblait évident que si Dumbledore avait chargé Harry de cette mission, il y avait une raison.
Une raison plus profonde que simplement déterminer le nombre d’Horcruxes. Après tout, si
Snape avait été capable d’arracher le souvenir à Slughorn, Dumbledore en aurait très
certainement eu lui aussi les moyens.

Non, il était évident pour Hermione, que le véritable but avait davantage été d’impliquer
Harry dans la chasse aux Horcruxes afin de le préparer au rôle qu’il viendrait à jouer à un
moment ou à un autre dans cette guerre.

Il y avait cette prophétie dont l’ampleur lui faisait tourner la tête à chaque fois qu’elle
s’aventurait à y songer de trop près…
Et étant donné ce qui se passait à l’extérieur aux quatre coins du Royaume-Unis, le directeur
devait très certainement penser qu’Harry devrait endosser le rôle d’Élu très bientôt.

« Harry ne risquera rien avec Dumbledore. » déclara-t-elle, plus pour se rassurer elle-même
que les garçons.

Harry lui jeta un coup d’œil que ses boucliers mentaux rendaient indéchiffrable.

« Je ne risque rien avec Severus. » corrigea-t-il doucement.

Hermione se fit violence pour ne pas tourner les yeux vers Ron dont le regard lourd lui
brûlait pratiquement le visage. Lui non plus n’était pas tout à fait certain d’où se positionner
par rapport au nouveau statu quo avec Snape. Ils en avaient discuté des dizaines de fois pour
ne pas dire grand-chose, ils avaient tous les deux conclu qu’Harry ne tolèrerait pas de remise
en question, certainement pas après la Seconde Nuit des Ténèbres et ce qui avait failli arriver
à l’espion.

« Évidemment. » lâcha-t-elle. Ce fut son tour de jouer nerveusement avec un brin d’herbe.
« Je ne voulais pas dire… »

Elle laissa sa phrase en suspens, espérant sans trop y croire que le Survivant la terminerait
pour elle. Il n’en fut rien. Les yeux verts suivaient le jeu improvisé à quelques mètres d’eux
avec un peu trop d’intensité.

Il fallut plusieurs minutes avant qu’il ne reprenne la parole. Sa voix ne trahissait aucune
émotion particulière et elle ne parvenait pas à déterminer si c’était parce qu’il se servait de
l’Occlumencie ou parce qu’il était d’une de ses humeurs étrangement apathiques qu’elle ne
parvenait pas tout à fait à comprendre.

Au début de l’année, Harry n’avait été qu’une boule de fureur qui explosait à tout bout de
champ. À présent, il était d’un calme imperturbable la plupart du temps. Presque calculateur.

Elle n’avait aucune difficulté à comprendre comment il avait été réparti à Serpentard.

« Severus ne veut pas que j’y aille mais Dumbledore insiste. » expliqua-t-il.

Ron grimaça et se frotta la nuque, visiblement gêné. « Mais, toi, tu veux y aller, pas vrai ?
C’est important. C’est… »

La possibilité de se débarrasser d’un Horcruxe. C’était énorme. Non seulement parce qu’elle
était certaine qu’être témoin de la destruction d’une telle chose était exceptionnel mais
également pour ce que cela représenterait pour l’effort de guerre.

Plus ils détruisaient d’Horcruxes et plus ils seraient rapidement débarrassés de Voldemort.

« Moi… » répéta Harry. Une pointe de vulnérabilité perça dans sa voix et le masque neutre
sur son visage se fissura brièvement. Il suivit Ginny des yeux lorsqu’elle se jeta sur Blaise
avec un cri sauvage pour lui arracher le souaffle des mains. « Ça n’a pas d’importance ce que
je veux. »
Hermione observa son meilleur ami, la manière dont ses lèvres s’étirèrent en un demi-sourire
inconscient lorsque la cadette des Weasley rit aux éclats, et en déduisit qu’il ne fallait pas être
un géni pour devinait ce qu’il désirait et ne pensait pas pouvoir obtenir.

Ron allait devoir se faire une raison, elle pressentait que sa sœur aurait un nouveau petit-ami
d’ici peu.

« Mais, Harry, c’est… » Ron s’interrompit et souffla de frustration lorsqu’il peina à trouver
les bons mots. « C’est important. » Il martela une nouvelle fois chaque syllabe du mot. « Ne
me dis pas que tu voudrais passer ta chance de… Je suis sûr que si tu voulais, tu pourrais
rejoindre l’Ordre du Phoenix maintenant. »

Harry laissa tomber la tête en arrière, son torse se soulevant en bref à-coups. Un rayon de
soleil dissimula son visage à la vue d’Hermione et, l’espace d’une seconde, elle crut qu’il
pleurait. Elle ne savait pas pourquoi. C’était stupide. Harry n’avait aucune raison de pleurer.
Il riait. Un petit rire silencieux qui ralluma une lueur de vie dans ses yeux verts.

« Honnêtement ? Je crois que si Dumbledore essaye de me faire entrer dans l’Ordre, Severus
le lui fera payer au centuple et ce ne sera pas joli à voir. » plaisanta-t-il, avant de secouer la
tête. « Peut-être un laxatif dans son thé ou quelque chose du genre. Il peut être très retors
quand il veut. »

Le sourire amusé resta accroché à ses lèvres, comme si la scène imaginaire lui procurait un
plaisir certain.

Hermione avait déjà noté cette nouvelle tendance à non seulement se méfier de Dumbledore
mais à quelque peu le dénigrer et elle ne l’aimait pas du tout. Sans Dumbledore…

« Mais ce n’est pas à lui de décider. » lui rappela Ron, presque avec désespoir. « Et si le
Conseil te le propose… »

« Severus ne me laissera jamais accepter. » l’interrompit Harry, son ton perdant quelque peu
en jovialité. « Et, franchement, je n’ai aucune envie de rentrer dans l’Ordre du Phoenix de
toute manière. »

La déclaration fit à Hermione l’effet d’un coup de poing au creux de l’estomac.

Peut-être parce qu’elle avait secrètement espéré que si Harry était effectivement invité à
rejoindre l’Ordre, elle et Ron seraient autorisés à l’imiter. Elle voulait faire sa part, elle avait
déjà tant sacrifié, elle voulait…

Plus que cela, cependant, c’était la certitude avec laquelle son ami s’exprimait qui la prit de
court. Il n’y avait aucune amertume, aucune colère vis-à-vis de l’enseignant qui voulait
l’empêcher de marcher dans les traces de ses parents, aucune rancune, aucun regret…

Depuis qu’il avait entendu parler de la société secrète, tout ce qu’Harry avait voulu était
d’être autorisé à rejoindre l’Ordre du Phoenix, à se battre, et maintenant, parce que Severus
Snape le lui interdisait…
Hermione était perdue.

Elle chercha le regard de Ron, le soutint quelques minutes et, lorsque le Gryffondor hocha
discrètement la tête, elle se lança.

« Harry… » soupira-t-elle. « Je sais que tu as beaucoup d’estime pour le Professeur Snape. »

« Mon père. » lui rappela Harry d’un ton doucereux qui lui rappela immédiatement le Maître
des Potions. Il y avait une menace voilée derrière ces deux mots, un avertissement à peine
déguisé.

« Ton père. » accepta-t-elle sans discuter. « On comprend que… »

« On ? » releva-t-il. Il se redressa, son regard s’arrêtant brièvement sur Ron avant de revenir à
elle.

« Ron et moi. » clarifia-t-elle. « On comprend que tu sois heureux d’avoir trouvé une famille.
Et on est heureux pour toi. » se dépêcha-t-elle de rajouter. « Mais Harry ce n’est pas parce
que… Avoir un père ne signifie pas que tu dois faire tout ce qu’il veut. Je comprends que tu
ais peur de le décevoir mais… »

« Je n’ai pas peur de décevoir Severus et je ne fais certainement pas tout ce qu’il veut. »
l’interrompit-il avec un bruit amusé. Il grimaça. « Si tu lui poses la question, c’est plutôt
l’inverse. J’ai passé ces derniers mois à faire un tas de trucs qu’il m’avait interdit de faire. »
Harry soupira et puis secoua la tête. « Et tu sais quoi, Hermione ? Il avait raison. À chaque
fois. Depuis que j’ai mis les pieds dans cette école, j’ai passé ma vie à me mettre en danger.
À vous mettre en danger. »

Hermione s’assit un peu plus droite, raidissant le dos comme si elle cherchait instinctivement
à se grandir. Le bruit du jeu de ses autres amis se perdit dans le lointain. Pour elle, il
n’existait plus que ce bout de couverture, Harry, Ron et l’énormité de ce que le Survivant
était en train de dire.

« Pour la bonne cause. » contra Ron, partagé entre frustration et incompréhension. « Tout ce
qu’on a fait… »

« Tout ce qu’on a fait, Dumbledore aurait pu le faire cent fois plus intelligemment. » coupa
net Harry, la mâchoire contractée et les poings serrés. « La pierre philosophale… Que crois-
tu qu’il se serait passé si on ne s’était pas lancé à la poursuite de Quirrell ? Rien du tout. Il
serait resté bloqué devant le Miroir du Rised et peut-être que Voldemort ne se serait pas
échappé. Le basilic… D’accord, peut-être qu’ils n’auraient jamais trouvé l’entrée de la
chambre des secrets sans nous mais de, toute manière, c’était déjà trop tard, j’étais déjà trop
bien dressé à ce moment là. Évidemment que j’allais essayer de sauver Ginny, évidemment…
Et Sirius… Si on ne s’en était pas mêlé… Si on avait laissé faire Remus, peut-être qu’il aurait
été innocenté plus tôt et… »

Il laissa sa longue diatribe en suspens, légèrement essoufflé.


Hermione attendit, le souffle court. Le fantôme de Cédric planait désormais au-dessus de leur
tête parce qu’il était la suite logique de ce discours. Après Sirius était venu le Tournois des
Trois Sorciers et avec lui…

« Il m’a élevé comme un porc pour l’abattoir. » cracha-t-il. « Il s’est assuré que je deviendrai
le genre de personne qui risque sa vie pour les autres sans y penser à deux fois. Pour le plus
grand bien. »

Il murmura les derniers mots presque avec amusement. Un amusement tristement amer.

Elle n’osa pas regarder Ron, n’osa pas demander si c’était Snape qui lui mettait ce genre de
choses dans la tête, n’osa pas demander ce qu’en pensait Sirius, n’osa pas…

« Alors, non, je ne veux pas rejoindre l’Ordre du Phoenix et je n’ai pas particulièrement envie
d’accompagner Dumbledore ce soir, même si j’ai dit le contraire à Severus, parce que je sais
déjà ce qu’il veut que je comprenne. » termina-t-il d’un ton définitif. « Tout ce que je veux,
moi, c’est profiter du temps qu’il me reste. »

Il parlait comme un mourant.

Hermione se mordit l’intérieur de la joue jusqu’au sang mais ce fut Ron qui réagit le premier,
Ron qui plaça sa main sur l’épaule de leur ami et serra à en faire pâlir les articulations de ses
doigts…

« Si c’est la prophétie qui te tracasse… » hésita le garçon.

« Harry, tu ne vas pas mourir. » chuchota Hermione, la gorge serrée. Elle attrapa la main
d’Harry et la pressa entre les siennes avec ferveur. « Dumbledore ne te laisserait jamais…
C’est pour ça que c’est important que tu participes à ces missions, tu ne comprends pas ?
C’est comme un entraînement. Exactement comme tes cours particuliers avec Remus et
McGonagall et Sirius. C’est… »

Elle s’interrompit.

Harry les observait avec un air triste, comme s’il savait quelque chose qu’ils ignoraient et elle
eut soudain l’insupportable soupçon qu’il leur cachait des choses. Des choses importantes.

« Non ! » s’écria Daphné dans un cri suraigu qui se termina en éclat de rire lorsque Blaise
l’attrapa à bras le corps et fit mine de la jeter dans le lac.

La partie de non-Quidditch avait pris fin et les autres revenaient s’affaler près d’eux, Hannah
et Susan d’abord puis Astoria et Ginny…

Draco fut l’un des derniers à les rejoindre, bataillant avec les jumeaux Weasley qui lui
avaient chacun passé un bras autour du cou… Pas assez digne à son goût probablement… En
d’autres circonstances, Hermione en aurait plaisanté.

Ni Ron, ni Harry, ni elle ne prononcèrent un mot.

Elle n’était pas certaine, de toute manière, qu’elle aurait su quoi dire.
Elle se sentit coupable du soulagement qui l’envahit lorsque Draco, après s’être débarrassé
des jumeaux et s’être tourné vers eux, n’eut à les étudier que quelques secondes avant de
perdre son sourire.

« Vous ne m’en voudrez pas si je vous enlève Granger. » déclara-t-il plus qu’il ne demanda.

Elle n’hésita pas quand il lui tendit la main, le laissant la tirer sur ses pieds.

Harry ne fit pas un commentaire, il était à nouveau perdu dans ses pensées, à l’abri derrière
ce masque neutre qu’elle commençait à vraiment haïr.

Ron lui jeta un regard tout à la fois jaloux et agacé, apparemment pas tout à fait ravi qu’elle
l’abandonne.

Elle lui fit une légère grimace d’excuse mais se dit, qu’au fond, c’était un mal pour un bien,
qu’Harry s’ouvrirait peut-être davantage seul avec Ron…

Lorsque Draco l’attira à lui, elle se blottit contre son flanc et le laissa décider de la direction à
prendre. Ils déambulèrent un peu au hasard jusqu’à ce qu’ils arrivent en vue du hangar à
bateaux. Ils s’installèrent près de la berge, suffisamment près pour que l’eau du lac lèche
leurs chaussures. Le bras du Serpentard était autour de ses épaules et, sans plus réfléchir, elle
nicha sa tête au creux de son épaule.

Malgré tous ses efforts, elle ne parvint pas à se détendre.

« Ai-je le droit de demander ce qui ne va pas ou est-ce une de ces choses dont tu ne peux pas
discuter ? » s’enquit-il sur le ton de la conversation, un agacement à peine perceptible sous la
touche d’amusement.

Quand exactement, se demanda-t-elle, était-il devenu plus simple de parler à Draco qu’à ses
meilleurs amis ?

Elle connaissait la réponse, cependant. La réponse datait de ce matin peu après Noël où elle
avait pris la plus dure décision de sa vie.

« Je crois qu’Harry… » hésita-t-elle. Elle devait peser ses mots, ne pas trop en révéler sans
lui cacher ce qui la perturbait vraiment. « Je crois qu’Harry ne pense pas qu’il survivra à…
tout ça. »

Draco demeura silencieux une seconde de plus que ce qu’elle aurait pensé. Il se mit à jouer
avec la tresse lâche qui tombait sur son épaule mais la légèreté qu’il voulut prêter à sa voix
sonnait faux.

« Potter est moins idiot que ce que je pensais dans ce cas. » se moqua-t-il.

« Ce n’est pas drôle. » le gronda-t-elle.

Il n’avait pas pris le temps de remettre sa cape et il avait retroussé ses manches lors de la
partie de non-Quidditch, elle observa son avant-bras gauche, caressant la peau presque
maladivement pâle du regard, refusant de penser qu’un serpent lové autour d’un crâne aurait
pu s’y trouver.

Il tira gentiment sur le bout de sa tresse. « Je n’ai jamais prétendu que ça l’était. »

Elle ne répondit pas immédiatement mais se redressa, laissant le bras de Draco glisser de ses
épaules. Il posa la main légèrement derrière elle, de sorte qu’elle soit toujours un peu appuyée
contre lui.

« Je sais que ça peut arriver. » expliqua-t-elle. « Je sais que ça peut m’arriver à moi mais… »

« S’il te plait, ne me dis pas ça. » soupira-t-il. Son expression se durcit. « Je dois déjà me
faire violence pour ne pas te jeter un stupefix et t’emmener loin d’ici, si en plus tu parles de te
faire tuer… »

« Mais tu ne le feras pas parce que tu sais que je ne te le pardonnerai jamais. » l’avertit-elle
en l’observant attentivement.

C’était le problème lorsqu’on sortait avec un Serpentard, on n’était jamais sûr de lorsqu’il
s’agissait de simple sarcasme…

« Dans ce cas de figure, tu aurais tout le reste de nos vies pour me détester et moi pour te
convaincre de me pardonner. » raisonna-t-il. « Bien des mariages ont des fondations moins
solides. »

Le mot était tellement gros, tellement ridicule, qu’elle préféra l’ignorer. Seul un Sang-Pur
aurait seulement pu envisager ce genre de choses à leur âge. Et rien qu’à la manière dont il
jouait distraitement avec la bague qui pendait autour de son cou, elle savait que ce n’étaient
pas simplement des paroles en l’air mais qu’il envisageait véritablement d’ors et déjà un
avenir commun. Parce qu’il possédait le seau des Malfoy et que cela faisait de lui le
dépositaire de l’héritage de sa Maison et que, en conséquence, il se devait d’envisager
sérieusement ses responsabilités.

Hermione savait qu’il prenait ses devoirs envers sa famille très au sérieux.

Ce n’était pas une raison pour parler mariage à seize ans.

« Je ne fuirais pas. » insista-t-elle.

« Je le sais bien. » répondit-il dans un haussement d’épaules. « C’est bien pour ça que je parle
de stupefix. »

Il y avait une drôle de tension entre eux qu’Hermione regretta immédiatement.

« Je n’ai pas changé d’avis, tu sais. » reprit-il. « Je n’ai aucune intention de me faire tuer sur
un champ de bataille. »

Elle attrapa sa main qui jouait toujours avec le sceau des Malfoy, entrelaça leurs doigts…
« Je sais. » promit-elle doucement « Et après ce qui s’est passé au Ministère… Je ne peux pas
te le reprocher. »

Il laissa échapper un long soupir et retira lentement sa main de la sienne, ramenant ses jambes
contre son torse et les étreignant de ses bras. Il posa le menton sur ses genoux et son regard
gris se perdit dans la contemplation du lac. Il était toujours si guindé, si maître de lui-même
que l’attitude vulnérable inquiéta Hermione.

« Nous n’avons jamais parlé de ce qui s’est passé au Ministère. » lâcha-t-il.

Elle s’humecta les lèvres, un poids lui écrasant la poitrine. Elle n’aimait pas repenser à cette
nuit là. Oui, ils avaient sauvé Sirius mais Ron et Ginny garderaient à jamais les cicatrices sur
leurs bras et… Et bien qu’elle ait fait de son mieux pour occulter ce qui s’était passé dans la
salle des prophéties, il n’était pas rare qu’elle se réveille en sursaut la nuit, tremblante et en
sueur, le souvenir de l’expression défaite de Lucius Malfoy gravée dans son esprit. Elle se
souvenait parfaitement du poids mort de la main de Draco dans la sienne, les hématomes que
ses poings avaient laissés sur son torse alors qu’elle tentait de le ranimer, la drôle de brume
qui valsait autour d’eux en volutes…

« L’amulette des Peverell… » commença-t-elle. Elle était étrangement essoufflée, comme si


elle avait couru un marathon.

Il balaya distraitement l’air de la main, comme pour lui dire d’oublier ces considérations
techniques. Lorsqu’il parla son ton était dur, froid.

« Je suis mort. » lui rappela-t-il bien inutilement.

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. « Draco… »

Il lui jeta un coup d’œil, fronça les sourcils et attrapa à nouveau ses doigts qui, entretemps,
étaient devenus gourd. Son corps entier était gourd.

Elle avait le cœur dans la gorge.

« Je ne t’ai jamais dit… » continua-t-il, laissant sa phrase en suspens quelques secondes. Il


détourna les yeux comme si soutenir son regard et avoir cette conversation en même temps
lui étaient insupportable. « Lorsque j’étais mort, j’ai fait un rêve. Je croyais que c’était un
rêve. Potter était là. »

Le cœur battant, elle étudia son profil.

« Il a volé l’amulette à ton père dans le passé. Le passé alternatif. » lui apprit-elle. « Lui
aussi, il est… » Elle ne se décida pas à prononcer le mot. Pas quand Draco hochait tristement
la tête en signe de compréhension. Elle se mordit brièvement la lèvre. « Tu crois que c’est
pour ça qu’il… Je peux comprendre d’avoir peur de mourir mais la manière dont il agit
c’est… C’est comme s’il l’avait déjà accepté. Comme s’il avait renoncé à seulement essayer
de… »
« Nous étions dans les limbes. » la coupa-t-il et elle se tut immédiatement, sachant à quel
point cela devait être difficile pour lui d’en parler. « Pour être franc, tout ça devient plus flou
de jour en jour alors je ne peux jurer de ce qui s’est dit toutefois… Nous avons abordé le
sujet une fois. Vaguement. Je crois qu’il aurait préféré mourir, Granger. »

Ce fut son tour de se détourner brusquement, de regarder au loin pour tromper cette douleur
dans sa poitrine… Des larmes coulaient sur ses joues et venaient mourir sur ses lèvres…

« Difficile de le lui reprocher quand tu y penses… » murmura pensivement Draco. « Il y a


pire qu’un sort de mort. C’est indolore. Si le Seigneur des Ténèbres… »

« Arrête. » le supplia-t-elle. « Arrête, s’il te plait. »

Elle sentit sa main sur son épaule, la sentit remonter jusqu’à sa nuque, masser les muscles
noués…

« Excuse-moi. » offrit-il. « Excuse-moi, je ne voulais pas… »

Elle se blottit à nouveau entre ses bras, pressa son visage dans son épaule avant de changer
d’avis et de l’embrasser un peu trop brusquement si elle en croyait son mouvement de
surprise. Il lui rendit son baiser pourtant. Il lui rendit tous ses baisers jusqu’à ce que la tête lui
tourne et qu’elle oublie comment réfléchir.

Le chagrin, pourtant, continua de peser sur son cœur.

°O°O°O°O°O°

Lorsque Malfoy entraîna Hermione, Harry en fut soulagé.

Il se sentit un peu coupable parce que c’était sa meilleur amie et il l’aimait mais toutes ses
questions et ses grandes convictions en noir et blanc étaient parfois dures à supporter.

À Serpentard, il avait appris à voir en teintes de gris.

« Harry… » lâcha Ron du ton sérieux qu’il prenait de plus en plus ces derniers temps. Il ne
s’était toujours pas habitué à ce nouveau Ron plus mâture. « S’il y avait autre chose, tu nous
le dirais, hein ? »

Les yeux bleus de son meilleur ami fouillèrent les siens et, s’il ne l’en avait pas su incapable,
Harry se serait demandé s’il cherchait à lire son esprit. Ses boucliers étaient de toute manière
en place, flammes et marécages, systèmes de défenses et dernier recours, son coffre tout au
fond… Il préférait être prêt au cas où sa cicatrice se mette à nouveau à brûler mais, depuis la
nuit où les Mangemorts avaient capturé Ollivander, aucune vision n’avait été suffisamment
forte pour que ses boucliers ne les repoussent pas automatiquement.

Il détestait mentir à Ron et Hermione mais avouer qu’il était lui-même un Horcruxe était hors
de question.

Pas seulement parce que cela aurait été trop dangereux, parce que si Voldemort le découvrait
cela serait un désastre ou parce que si Dumbledore apprenait qu’il était au courant cela
compliquerait grandement les choses… Tout ça c’étaient les préoccupations de Severus.
Harry savait que ses meilleurs amis auraient gardé le secret de leur vie – ou du moins auraient
essayé. Non, le problème, c’était qu’Harry ne supportait pas l’idée qu’ils sachent.

Qu’ils sachent qu’un bout du mage noir se déplaçait partout avec lui.

Qu’ils sachent que son âme était souillée.

Qu’ils sachent qu’Harry était…

Harry était le monstre que les Dursley l’avaient toujours accusé d’être et il ne voulait pas voir
le regard de ses amis changer, il ne voulait pas surprendre la lueur fugitive de tristesse dans
leurs yeux comme il lui arrivait parfois de la voir dans ceux de Sirius, il ne voulait pas être
témoin du désespoir croissant alors qu’ils se rendaient lentement compte qu’il n’y avait rien à
faire pour le sauver… C’était déjà assez terrible de voir Severus tenter de le lui dissimuler, de
l’entendre faire encore et encore des promesses creuses, lui qui d’ordinaire abhorrait les faux
serments.

L’arrivée d’Hedwige lui évita d’avoir à mentir ouvertement. Il accueillit sa chouette et la


félicita pour sa rapidité, dispensant généreusement caresses et gratouilles. Le temps qu’il
détache le paquet souple de sa patte et vérifie l’adresse d’expédition, il feignit d’avoir oublié
la question.

Hedwige sauta sur son épaule et lui mordilla affectueusement le lobe l’oreille. Harry la flatta,
frottant son visage contre ses plumes douces, un sourire se dessinant sur ses lèvres…

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Ron, en tirant le paquet vers lui.

« Juste des ingrédients. » répondit-il dans un haussement d’épaules qui fit hululer Hedwige
en guise de protestation. « Pardon, ma belle. »

La chouette se rengorgea et se pavana d’autant plus lorsqu’Astoria la repéra et s’exclama


d’admiration. Ginny suivit le regard de l’autre quatrième année et se rapprocha. Bientôt les
deux filles flattaient Hedwige qui se laissait faire avec une fierté dédaigneuse qui dissimulait
mal son plaisir.

Harry en profita pour récupérer le paquet avant que Ron ait pu avoir l’idée de l’ouvrir pour
l’inspecter.

« Saevus Prince ? » insista quand même son ami. « Pourquoi un faux nom ? »

Ginny jeta un coup d’œil au paquet puis à son frère avant de lever des sourcils moqueurs. « À
ton avis ? Avec toutes ces attaques de Mangemorts pourquoi est-ce que Harry Potter
utiliserait un faux nom pour faire ses achats ? »

Parce qu’il aurait été très facile pour n’importe qui d’ensorceler ou d’empoisonner un objet à
son insu malgré les protections en place autour de Poudlard.

Ron s’empourpra lorsqu’il en comprit la raison, vexé de ne pas avoir fait le lien plus vite que
sa sœur.
« Ce n’est pas pour moi, c’est pour Severus. » répondit-il, en se levant. « Et je ferais mieux
de lui apporter. »

L’heure tournait de toute manière et le professeur avait spécifié qu’il souhaitait dîner avant de
suivre Dumbledore à l’aventure.

Il rassembla rapidement ses affaires et jeta son sac sur son épaule, gardant le paquet à la main
pour plus de sûreté. S’il endommageait les ingrédients qui, il le savait pour avoir aidé son
père à remplir le bon de commande, coutait un bras chacun, il passerait un sale quart d’heure.

« Attends-moi, je vais faire le chemin avec toi. » exigea Ginny. « Je dois terminer mon devoir
de Métamorphose. »

La perspective de quelques minutes en tête à tête avec elle suffit à le faire sourire et, pour
tromper cette chaleur bizarre qui lui envahissait la poitrine et parce que le regard de Ron
s’était fait un peu suspicieux, il se tourna vers Hedwige qui ne se lassait pas de se faire
admirer par Astoria.

« Et toi ? Tu restes là ou tu viens avec moi ? » lança-t-il à sa chouette.

Le hululement et la manière dont elle étira le cou pour permettre à la quatrième année de
mieux lui gratter les plumes furent toute la réponse dont il avait besoin. Hedwige ne raffolait
pas des cachots. Elle ne raffolait pas de Masque non plus.

« Je suis prête. » déclara Ginny, en passant la lanière de son sac sur l’épaule.

Sans vraiment y réfléchir, il l’en délesta et le jeta sur sa propre épaule, ignorant autant qu’il le
pouvait l’expression à moitié contrariée de Ron et le demi-sourire qu’Astoria dissimulait mal.

Après s’être raclé la gorge, il lui fit signe de le précéder et ils se mirent en route vers le
château. Le silence devint rapidement gênant. Ginny ne cessait de lui jeter des coups d’œil
curieux, presque inquiets à cause de son soudain mutisme. Harry était fasciné par la manière
dont sa longue queue de cheval rebondissait à chaque pas et dut résister à l’envie de tirer
dessus – et pour de bonnes raisons, il n’avait aucun envie de devoir esquiver un sortilège de
chauve-furie.

Dis quelque chose, se répéta-t-il alors que les grandes portes du hall d’entrée se dessinaient
au loin, au bout du chemin. Dis quelque chose.

Pour l’amour de Merlin et tous les autres sorciers célèbres, sa tête était absolument vide.

Quelque chose d’intéressant, insista la partie de son cerveau qui semblait être la seule en état
de marche.

« Je crois que Tonks sort avec mon père. » lâcha-t-il.

Intéressant, grinça la partie valide de son cerveau, intéressant pas suicidaire. Snape aurait sa
peau s’il entendait Harry colporter ce genre de rumeurs.

Ginny trébucha de surprise et manqua s’étaler par terre. « Quoi ? »


« Mon père… » répéta-t-il dans une grimace avant de se corriger. « Severus. Et… Tonks.»

La quatrième année avait cessé de marcher alors Harry s’immobilisa lui aussi et se tourna
vers elle.

Elle l’observait avec des yeux ronds, comme s’il était devenu complètement fou. Lorsqu’elle
leva la main vers son visage un peu trop brusquement, il parvint à maîtriser un mouvement de
recul instinctif. Ce qui était heureux parce qu’elle la posa simplement sur son front comme
pour vérifier sa température.

« Tu as trop pris le soleil. » déclara-t-elle, un rire dans la voix. « Tu penses que Tonks…
Tonks… a une histoire avec Snape ? »

Dit comme ça, ça semblait fou.

Mais tous ces regards dans la cuisine du Square Grimmaurd, la manière dont ils s’étaient
tournés autour, la façon dont Severus se crispait légèrement à chaque fois qu’il prononçait
accidentellement le nom de l’Auror devant lui avant d’Occluder sans raison apparente…

Il avait eut tout le loisir d’observer le comportement de Severus lorsqu’il était amoureux de
Lily. Les signes ne trompaient pas.

« Pourquoi pas ? » demanda-t-il dans un haussement d’épaules.

Les yeux bruns de Ginny pétillaient d’amusement.

« Déjà parce que… Désolé, je sais que tu l’aimes beaucoup mais… c’est Snape. Et c’est
Tonks. » contra-t-elle et, cette fois, elle ne chercha pas à masquer son éclat de rire. « Enfin, tu
imagines ? Ils n’ont rien en commun ! Tu imagines Snape rire à une de ses blagues ? Et
Tonks… Sérieusement… »

Il s’était répété ces arguments là une centaine de fois. Et pourtant… Il ne pouvait pas
s’empêcher de penser que…

« Ce ne serait pas toi qui aimerait bien Tonks, par hasard ? » plaisanta-t-elle.

La manière dont elle l’observait contrastait pourtant avec la légèreté de la question.

« Je préfère les rousses. » répondit-il du tac au tac avant de rougir jusqu’à la racine des
cheveux.

Je préfère les rousses.

Une chose était certaine : il n’avait pas hérité des dons de dragueur de son vrai père.

Ginny aussi rougit mais un sourire satisfait se dessina sur ses lèvres.

Le moment menaçait de devenir gênant alors il se racla la gorge et désigna d’un geste de la
tête les grandes portes. « On fait la course ? »
‘On fait la course. On fait la course’ se morigéna-t-il.

Se sentant de plus en plus stupide, il se mit à courir en direction du château.

Sans surprise, Ginny le dépassa comme un feu follet au bout d’une poignée de secondes. Elle
était plus svelte et elle n’était pas chargée comme une mule.

Elle riait lorsqu’il la rejoignit dans le hall d’entrée, essoufflé et en sueur. Elle récupéra son
sac et déposa un léger baiser sur sa joue qui le fit ciller frénétiquement – ce qui, il en était sûr,
le fit ressembler à un hibou.

Il la regarda monter quatre-à-quatre le grand escalier, son regard dérivant progressivement


vers sa chute de reins avec l’air probablement aussi éveillé qu’un verracrasse jusqu’à ce
qu’un raclement de gorge ne le fasse sursauter. McGonagall l’observait par-dessus ses
lunettes carrées avec une telle expression sur le visage qu’Harry sut qu’elle savait exactement
ce qu’il avait été si occupé à admirer.

Il s’échappa vers les cachots sans demander son reste, dévalant les marches humides et
inégales avec la facilité de l’habitude.

Il déboula dans leurs appartements si brutalement que Severus fit tomber sa baguette dans sa
main d’un geste vif du poignet et ne l’abaissa que lorsque Harry eut jeté son sac dans un coin
et ne se fut laissé tomber dans un fauteuil. Il dut payer sa réaction instinctive parce qu’il
rangea sa baguette et se massa distraitement le poignet d’une main tremblante.

« Où est la horde d’hippogriffes sauvages à tes trousses ? » lança le professeur avec l’ironie
mordante qui le caractérisait.

Harry fit la grimace mais agita triomphalement le paquet dans les airs, comme si cela avait
été la raison de sa course folle. Ses mains moites avaient laissé des traces humides sur le
papier kraft.

« Les feuilles de spathiphyllum sont arrivées. » déclara-t-il inutilement avant de marquer une
pause, défiant l’homme du regard de commenter sa prononciation. Severus refusait d’appeler
ces plantes fleurs de lune comme tout un chacun et s’était moqué de lui les rares fois où
Harry s’était aventuré à l’imiter.

Les lèvres de l’ancien Mangemort tressautèrent mais il ne le corrigea pas. « Et c’est là la


raison de ton enthousiasme ? Si tu ne prends pas garde on pourrait croire que tu prends goût
aux potions… »

Harry leva discrètement les yeux au ciel pendant que Severus était occupé à déballer son
colis. Côtoyer Severus (l’adolescent comme l’adulte) l’avait peut-être réconcilié avec la
matière mais il n’avait guère de passion pour ce que l’espion élevait au rang d’art. Toutefois,
il avait été promu assistant pour tout ce qui touchait à la question de la potion qui permettait
aux loups-garous de se transformer hors des pleines lunes.

Cela relevait davantage des circonstances que d’un potentiel talent, il le savait bien.
Contrairement à Malfoy et Hermione que Severus utilisait pour toute autre entreprise, il était
déjà au courant que l’Ordre avait en sa possession un échantillon de la potion et il avait été
témoin de la transformation de Remus alors quand le Maître des Potions lui avait demandé
d’être ses mains devant un chaudron, Harry avait accepté sans hésiter.

Cela avait évidemment entraîné quelques frictions. Severus était souvent frustré qu’il ne
comprenne pas des instructions qui étaient pour lui évidentes (et il était rapidement apparu
qu’une pincée ne signifiait pas la même chose pour lui que pour le garçon) et il y avait des
instincts qu’Harry ne possédait pas et auxquels l’homme ne pouvait plus répondre avec
l’agilité nécessaire. Néanmoins, cela leur permettait également de passer du temps ensemble
et, entre les cours, les sessions d’entraînement inutiles avec Remus, les travaux
d’apprentissage de plus en plus frustrants avec McGonagall, l’AD et les heures que Severus
passait à ses recherches de son côté, c’était un temps qu’Harry jugeait précieux.

L’un dans l’autre, il avait quand même fini par s’intéresser de près à la potion qu’ils tentaient
de recréer et ne pouvait s’empêcher de considérer chaque victoire comme étant un petit peu la
sienne. Severus était peut-être le cerveau des opérations, mais c’était lui qui mettait les
consignes en pratique en s’appliquant de son mieux.

« Il n’y en a pas autant que je l’espérais pour le prix. » pesta l’homme, en étudiant
attentivement les petits paquets. « Enfin… Elles sont de bonne qualité. Je suppose que l’on
peut déjà s’estimer heureux étant donné le nom d’emprunt. »

Apparemment, les apothicaires avaient tendance à soigner les Maîtres des Potions davantage
que des clients lambda et Severus Snape davantage encore que tous les autres.

« Quand vous avez dit qu’on appelait ces plantes Fleurs de Lune, je m’attendais à quelque
chose d’un peu plus joli. » remarqua-t-il.

« Qu’importe l’esthétique. » rétorqua Severus, le regard plus vif qu’Harry lui avait vu depuis
des semaines. « Si elles ont été récoltées à la pleine lune comme je l’ai spécifié dans ma
commande, nous tenons peut-être le début d’une réponse. »

Ils ne cherchaient pas à répliquer la potion, se rappela Harry parce que l’homme le lui avait
expliqué quinze fois, mais à créer quelque chose de similaire. Ultimement, le garçon devinait
que l’ancien Mangemort comptait combiner cette nouvelle potion avec ses améliorations de
la potion Tue-Loup de sorte que le sujet garde une forme de conscience durant la
transformation.

Et afin que Remus ne risque plus d’accidentellement égorger quelqu’un sous sa forme
animale.

Une fois qu’il eut terminé d’examiner avec attention les plantes, l’homme jeta un coup d’œil
à la pendule et se rembrunit. Il ne fut pas surpris de le voir disparaître dans la cuisine avec un
vague grommèlement sur le fait qu’ils feraient mieux de diner avant leur rendez-vous avec le
directeur.

Severus ne laissait toujours pas d’elfe de maison entrer dans ses appartements – de la même
manière qu’il n’autorisait aucun portrait – et appréciait de toute manière de temps en temps
de cuisiner. Trop habitué à la scène pour s’en étonner, Harry se laissa tomber sur une chaise
et l’observa disperser divers légumes sur une planche à couper.

D’ordinaire, il faisait ça d’un sort, comme Molly Weasley au Terrier, mais récemment il avait
pris l’habitude de les trancher à la main. La méthode était lente mais prudente, probablement
parce qu’il ne voulait pas à avoir à se précipiter chez Pomfresh pour qu’elle lui recolle un
doigt. Il n’avait rien dit mais Harry devinait que c’était une manière de tenter de réhabituer sa
main à tenir un couteau.

Il vola un tronçon de carotte crue pendant que l’homme travaillait, répondant distraitement à
ses questions sur ce qu’il avait fait de sa journée. Oui, ils avaient révisé leur B.U.S.E.s ; non,
il n’avait pas de difficultés particulières dans aucune matière et, non, il ne voulait pas parler
de cet accidentel T en Botanique. Il mit la table pendant que la soupe cuisait, n’écoutant que
d’une oreille le professeur déblatérer sur l’importance de se donner au maximum en classe…
Il avait entendu le discours cent fois de la part de son double et au minimum trois cents de la
part d’Hermione. À ce stade, il aurait pu le réciter par cœur.

« Oh ! Au fait ! » s’exclama-t-il tout d’un coup, en se souvenant de ce qu’il avait été si


impatient de lui montrer depuis la veille. Il n’arrivait pas à croire qu’il ait oublié. Il blâmait
Ginny.

Severus s’interrompit au milieu de sa phrase, cessant de remuer la soupe pour le dévisager à


la fois interloqué et irrité.

Harry ne le laissa pas se lancer dans une autre tirade qui lui rappellerait sans nul doute que la
politesse voulait qu’on ne coupe pas la parole à ses aînés et qu’il ne tolèrerait pas un tel
manque de respect. Réprimant mal un sourire, il prit une profonde inspiration exactement
comme McGonagall le lui avait conseillé et, la seconde suivante, il exhibait fièrement sa
patte de tigre, remuait des oreilles arrondies et agitait les sourcils pour que le professeur
remarque la nouveauté.

« Alors ? » lança-t-il, se retenant de sautiller sur place comme un enfant de cinq ans dans son
excitation. « Qu’est-ce que vous en dites ? »

Le Maître des Potions semblait déchiré entre sévérité et amusement. Preuve que les choses
changeaient, ce fut ce dernier qui l’emporta. Il secoua la tête pour mieux dissimuler un
sourire.

« Terrifiant. » commenta l’homme.

Le professeur se moquait si ouvertement de lui qu’Harry renifla de dédain et, abandonnant


ses pupilles fendues de félin, redevint humain. Il lui fallut un moment pour que toutes les
parties de son corps coopèrent. Il ne progressait pas aussi vite que ce qu’il aurait souhaité
bien que McGonagall ne cessait de lui répéter que pour son âge, c’était déjà bien, qu’il fallait
être patient. Patient, Harry ne l’était pas. Il lui paraissait de plus en plus injuste que Severus
soit arrivé à se fondre dans Nox aussi rapidement.

Voyant certainement qu’il boudait, l’ancien Mangemort leva les yeux au ciel.
« Je suis certain que tu maîtriseras ta forme Animagus sous peu. » offrit Severus en guise de
concession. « La soupe est chaude, passons à table. »

Il était un peu tôt pour diner et Harry n’avait pas très faim mais il avait également trop
souffert de privations durant son enfance pour gâcher de la nourriture. À mesure que le repas
avançait et malgré la banalité de la conversation, cependant, l’estomac du garçon se serra
jusqu’à ce que l’idée d’avaler quoi que ce soit lui devienne insupportable.

L’intermède avec Ginny avait chassé quelque peu la morosité morbide de sa discussion avec
Ron et Hermione et passer du temps avec Severus chez eux était si normal qu’Harry
n’aspirait qu’à une seule chose ce soir là et c’était de se rouler en boule sur le canapé avec sa
couverture et un bon roman pendant que le professeur lisait dans son fauteuil ou corrigeait
des copies.

Or cela n’arriverait pas.

Les yeux noirs trop aiguisés observèrent un peu trop longtemps l’assiette à demi-pleine pour
qu’Harry n’en devine pas la raison et l’ordre sous-jacent. Il se força à avaler une autre
cuillerée. La soupe, pourtant bonne, était fade sur sa langue.

« Est-ce l’Horcruxe qui te tracasse ? » s’enquit finalement Severus d’un ton tranquille.

Lequel ? aurait-il voulu demander. Celui qui le rongeait de l’intérieur ou celui qu’ils
s’apprêtaient à détruire ?

Il traça des ronds dans le reste de soupe sans se décider à lever les yeux et affronter le regard
de son père.

« Est-ce que… » hésita-t-il. « Est-ce que les autres Horcruxes deviendront plus forts une fois
qu’on aura détruit celui-là ? »

Le Professeur mit un moment à répondre. Trop longtemps.

« C’est une possibilité. » admit Severus. « Si Albus ne nous accompagnait pas… S’il y a une
opportunité de subtiliser la bague sans qu’il s’en aperçoive je la saisirais. Toutefois, je crains
qu’il soit trop risqué de lui mettre la puce à l’oreille. Notre meilleure option est de le prendre
de vitesse la prochaine fois. »

« Et ensuite quoi ? » insista-t-il. « Même si vous pouvez mettre la main sur les Horcruxes
avant lui… On ne peut pas tous les cacher. Tant qu’ils existent… »

« Je ne compte pas les cacher. » coupa l’homme. « Je compte tenter de séparer l’âme du
Seigneur des Ténèbres du vaisseau afin de ne pas faire de toi un rat de laboratoire le moment
venu. »

Cela lui semblait dangereux et extrêmement optimiste mais le ton que le professeur avait
employé lui fit dire qu’il n’accepterait aucun commentaire défaitiste.

Et pourtant…
« Sev… » commença-t-il doucement parce qu’il ne pouvait pas l’appeler autrement durant la
conversation qu’il souhaitait avoir. Papa était exclu. Il ne pouvait lui donner ce titre là
lorsqu’il souhaitait lui rappeler la prophétie et la possibilité de plus en plus tangible qu’il
allait…

« Je ne te laisserai pas mourir, Harry. » cingla Severus d’un ton péremptoire et hargneux.

« Ce n’est pas mourir qui m’inquiète. » lâcha-t-il, en trouvant finalement la force de croiser
son regard. « C’est qu’il prenne le contrôle de mon corps ou que ce qui s’est passé à
Halloween recommence »

« Je t’ai déjà expliqué… » grinça l’homme.

« Mais vous n’en savez rien ! » explosa-t-il en serrant les poings. « Vous n’en savez rien
parce que je suis le seul Horcruxe humain de l’Histoire et… » La colère le déserta aussi vite
qu’elle l’avait saisi. Il soupira et secoua la tête. « Si vous trouvez une solution tant mieux
mais… Pas en vous mettant en danger. Pas si ça permet à Vol… » Il s’interrompit juste à
temps, ses yeux dérivant brièvement vers la Marque. « Vous-savez-qui de rester en vie. »

Severus l’étudia longtemps, les mains posées bien à plat sur la table, de chaque côté de son
assiette, un masque lisse sur le visage qui dissimulait mal les émotions qui tourbillonnaient
derrière les yeux noir.

Harry sursauta lorsqu’il se leva brusquement et il enfouit le visage dans ses mains lorsque
l’homme quitta la pièce. S’il les avait portées, ses sur-robes et sa cape auraient sans nul doute
claqué de façon menaçante dans son sillage.

Il ne s’attendait pas à ce que le professeur revienne immédiatement dans la cuisine ou à ce


qu’il se rassoie, il avait pensé que le Maître des Potions s’éloignait pour mieux laisser éclater
son mauvais caractère sans que lui en soit témoin. Il laissa lentement retomber ses mains sur
son giron et croisa à nouveau le regard de son mentor, espérant que ses yeux étaient moins
humides qu’il ne le pressentait.

Il y avait une grosse boule dans sa gorge.

Elle ne disparut pas lorsque Severus posa silencieusement une lourde bague au milieu de la
table, entre leurs deux verres, la carafe d’eau et la salière. Elle était en or terni, un peu large,
et il lui fallut un moment pour réaliser qu’il s’agissait en fait d’un sceau comme celui que
Zabini portait en permanence à la main gauche ou l’épais anneau qui pendait au cou de
Malfoy.

Les armoiries à moitié effacées par le temps étaient à peine déchiffrables. Il distingua un
serpent enroulé autour de ce qui lui semblait être une couronne… Il connaissait ces armoiries.
Il les connaissait parce que le professeur l’avait obligé à apprendre tout un tas de choses sur
la lignée des…

« Le sceau des Prince. » lâcha Severus avec une amertume à peine déguisée. « Tu n’es peut-
être pas familier avec les coutumes des Sangs-Purs mais… »
« Elle désigne le Chef de famille. » suppléa-t-il. Il avait passé huit mois à Serpentard et
continuait à côtoyer les serpents. Il s’y connaissait davantage en coutumes Sangs-Pures qu’il
ne l’aurait voulu.

« Correct. » approuva le professeur d’un hochement de tête. « Je l’ai hérité à la mort de mon
grand-père ainsi qu’une somme confortable et quelques biens dont je me suis débarrassé
depuis. Je n’ai pas hérité du titre de Lord Prince, comme tu peux t’en douter, ou du rôle de
Chef de famille. »

Un rôle qui aurait dû lui revenir de droit, comprit Harry, un affront supplémentaire pour lui,
sans aucun doute.

« Légalement parlant, elle n’a aucune valeur, ce n’est que la relique d’une des grandes
Maisons Sang-Pures réduite à néant. » continua Severus. « Théoriquement, elle se transmet
de père en fils, de Chef de famille à héritier. »

L’homme la poussa davantage vers lui du bout des doigts.

Il fronça les sourcils, étudiant la bague avec hésitation, comprenant sans vraiment
comprendre. « Je ne suis pas sûr… »

« Le sceau des Potter t’attend certainement quelque part à Gringotts et, à ta majorité, tu
hériteras du titre de ton père. » répondit calmement Severus. « Si j’ai bien déduit les projets
de Black, tu risques également d’hériter de son propre titre un jour. Tu ne seras pas le premier
à cumuler le rôle de… »

« Severus. » coupa-t-il parce qu’il n’était pas vraiment d’humeur à écouter un exposé sur le
fonctionnement de la communauté magique.

Severus s’interrompit sans le reprendre pour son impolitesse, il s’humecta simplement les
lèvres, le regard fuyant.

« Je n’ai qu’une breloque à te transmettre. Pas de titre ou de manoir familial. » lâcha Severus.
« Mais… Si tu le souhaites… Une fois que la question de ta tutelle sera réglée, une fois que
toi et Black auraient signé les papiers… Tu auras dix-sept ans dans un peu plus d’un an, bien
sûr, et c’est sans doute ridicule, toutefois… »

Le cœur d’Harry battait à cent à l’heure, la boule dans sa gorge avait grossi jusqu’à lui couper
la respiration…

Le professeur lui jeta un regard presque suppliant, comme s’il aurait préféré que le garçon
l’interrompe une nouvelle fois et déclare tout haut ce qu’il ne parvenait décidément à dire…

Harry n’aurait pas été capable de prononcer un mot s’il l’avait voulu.

« J’aimerai faire de toi mon héritier. » termina Severus au prix d’un effort évident. L’homme
tentait d’occluder mais ses boucliers récalcitrants ne répondaient pas. « Harry, je ne suis pas
certain que le Magenmagot m’y autorise… Mon passif de Mangemort est de notoriété
publique malgré le témoignage du Professeur Dumbledore et cela implique que Black donne
son accord dans tous les cas… Je ne veux pas te faire de fausses promesses mais… Si cela est
possible, si tu le désires… J’aimerai t’adopter. Légalement, s’entend. »

Ses oreilles tintaient, son cœur battait si fort qu’il lui semblait qu’il allait exploser et ses yeux
le brûlaient désormais pour une raison bien différente…

« Bien entendu, officialisation ou pas, tu demeures mon fils et… »

Harry ne le laissa pas terminer sa phrase. Il fit le tour de la table et jeta ses bras autour de son
cou, le serrant probablement trop fort à un croire le léger grognement de protestation. Severus
lui rendit maladroitement son étreinte avec autant de force cependant.

« Je suppose que cette attaque toute lionesque équivaut à un oui. » lâcha l’homme, d’un ton
sarcastique qui masquait mal une certaine émotion. « Tu vois… Voilà une raison
supplémentaire pour toi de demeurer en vie. Je n’envisage pas d’avoir un autre enfant dans
un futur proche, tu ne peux me laisser sans héritier. À qui pourrais-je donc léguer mon
chat ? »

Harry renifla et ferma les yeux, refusant d’être embarrassé de son mouvement d’affection
subit.

« Vous avez tout compris. » plaisanta-t-il. « Tout ce qui m’intéresse, ce sont le chat et les
livres. »

« À vrai dire… » déclara lentement l’homme d’un ton plus sérieux en se détachant de son
étreinte. « Entre les brevets des potions que j’ai inventées et l’argent que j’ai hérité des
Prince… Ce n’est certes pas comparable à la fortune des Potter mais… »

« Je me fiche de l’argent. » lâcha-t-il, trouvant soudain la conversation particulièrement


glauque. Il ne voulait pas discuter de ce que Severus pouvait lui léguer. Il attrapa le sceau des
Prince et l’essaya à plusieurs doigts jusqu’à en trouver un où il ne risquait pas de la perdre.
Lorsqu’il fut sûr quel a bague resterait en place à son majeur gauche, il croisa à nouveau le
regard de Severus. « Vous ne savez pas ce que ça représente pour moi… »

L’homme avait l’air un peu triste. « Oh, si, je le sais, détrompe-toi… Sais-tu ce que cela
représente pour moi ? »

Il baissa les yeux, étudiant avec attention les armoiries des Prince…

La main de Severus recouvrit la sienne, exigeant son attention.

« Il n’y a pas si longtemps, tu m’as fait jurer de me battre coûte que coûte pour te revenir. »
lui rappela le professeur, d’un ton pressant. « Aujourd’hui, je te demande la même promesse.
Cesse de penser que tu ne survivras pas à cette guerre, Harry. Bats toi. » Harry hocha la tête
parce qu’il ne savait pas quoi faire d’autre mais il ne croisa pas son regard, pas même lorsque
l’ancien Mangemort lui secoua les mains. « Jure le moi. »

« Je le jure. » marmonna-t-il, mal à l’aise.

Les mots avaient un goût amer.


Le goût du mensonge.
Would You?

Perhaps that’s what all human relationships boil down to: Would you save my life? Or
would you take it?
Toni Morrison –Song Of Solomon

Peut-être toutes les relations humaines se résument-elles à cela : Me sauverais-tu la


vie ? Ou me la prendrais-tu ?
Toni Morrison – Song Of Solomon

Ils descendirent le chemin qui menait aux portes du domaine dans un silence processionnaire
qui évoquait irrépressiblement à Severus un cortège funéraire. Albus ouvrait la marche, son
costume moldu bleu nuit recouvert d’étoiles et de demi-lunes argentées tout aussi incongru
que l’auraient été ses robes sorcières, Harry suivait l’expression trop lisse pour qu’il ne soit
pas en train d’Occluder l’information que le Directeur s’était bien gardée de leur révéler
avant de les rejoindre dans le Hall et Severus se tenait à l’arrière, en retrait, la meilleure
position pour protéger le reste du groupe, tentant lui aussi de digérer ce qu’Albus venait de
leur annoncer.

La nuit était claire au-dessus de leur tête, à peine nuageuse, une nuit idéale pour le cours
d’Astronomie où le garçon aurait dû se trouver en ce moment même. Il résista à l’envie de
jeter un coup d’œil par-dessus son épaule, de se tourner vers la plus haute des tours où les
cinquièmes années ne tarderaient probablement pas à les repérer bien que leurs télescopes
aient théoriquement dû être pointés vers le ciel…

Dumbledore avait-il seulement envie de garder cette excursion secrète ? Severus ne le pensait
pas. Si tel avait été le cas, ils auraient quitté le domaine par une entrée dérobée. Non… Il
voulait que les gens sachent qu’Harry Potter était impliqué. Pour le moral des troupes ? Peut-
être.

Lorsqu’ils atteignirent finalement le portail, Harry ralentit la cadence jusqu’à marcher à côté
de lui, jouant nerveusement avec le sceau des Prince qu’il avait tenu à garder à son doigt.
Albus lui avait jeté un regard désapprobateur lorsqu’il l’avait aperçu mais avait
miraculeusement tenu sa langue.

« On ne va pas aller au cimetière, hein ? » demanda Harry dans un chuchotement anxieux.

« Je transplannerai un peu plus loin. » promit-il. « Néanmoins, il serait peut-être mieux que tu
accompagnes le Professeur Dumbledore. Nul doute qu’il a une meilleure connaissance de
Little Hangleton que moi et pourra apparaitre dans un endroit… neutre. »

Little Hangleton.

Le nom ne lui avait pas évoqué grand-chose jusqu’à ce qu’Harry ne cesse de respirer…
Ensuite, il avait compris. Le cimetière dans lequel ils avaient combattu le Seigneur des
Ténèbres, le même cimetière où Harry avait été pris en otage et où il avait vu Cédric Diggory
mourir…

« Les Gaunt ? » s’était enquit le garçon et Albus avait hoché la tête.

Severus avait décidé qu’il était nécessaire qu’il mette la main sur les souvenirs que le
Directeur avait montré à Harry. Son élève lui avait tout rapporté en détails, bien entendu, et il
en avait vu des bribes par Legilimencie mais le souvenir d’un souvenir n’était jamais aussi
clair que l’original et s’il voulait prendre Albus de vitesse à la course aux horcruxes, il allait
lui falloir tous les avantages possibles.

« Je maintiens qu’il est dangereux pour vous de nous suivre. » intervint le Directeur.

Son inquiétude n’était pas feinte, Severus le savait, pourtant il ne put s’empêcher de ressentir
une pointe de rancœur.

« Visiblement, les Détraqueurs se sont lassés de m’attendre. » rétorqua-t-il.

Le temps relativement agréable était une preuve suffisante de cet état de fait.

Albus le dévisagea, une main sur l’imposant portail. « Vous savez tout comme moi qu’il y a
bien pire que quelques Détraqueurs là dehors. Quitter le domaine est dangereux pour vous,
Severus. Le Square Grimmaurd est une chose, là dehors je ne peux garantir votre sécurité. »

« Ne vous préoccupez pas de ma sécurité. » siffla-t-il. « Je suis encore capable de me


défendre. »

Sa jambe le faisait souffrir ce soir là mais elle n’était pas trop raide et il pensait pouvoir se
battre si nécessaire.

« Êtes-vous capable de défendre Harry ? » répliqua Albus avec une politesse froide. « Si Tom
détecte votre Marque et déduit que vous avez quitté Poudlard… S’il envoie un escadron de
Mangemorts après vous… Ne pensez-vous pas que c’est votre fils que vous mettrez en
danger ? »

Harry se tenait en retrait, les bras croisés devant son torse, les observant l’un et l’autre tour à
tour, apparemment indécis.

Severus n’avait aucune peine à deviner ce qui se jouait sous le crâne de l’adolescent ou même
pourquoi Albus choisissait précisément ce moment pour remettre sa présence en question. Le
garçon s’apprêtait à remettre les pieds dans un endroit qui figurait dans tous ses cauchemars –
et les siens, depuis le sort de mort qui l’avait touché – et était déjà, si ce n’était effrayé, au
tout du moins nerveux. Il n’y avait rien qu’Harry n’aurait fait pour le protéger et Albus jouait
là-dessus.

« La solution à ce dilemme est toute trouvée, n’est-elle pas ? » se moqua-t-il, avant que son
fils ait pu intervenir. « Laissez Harry à l’école. »

Ils s’affrontèrent du regard un long moment.


Albus se détourna le premier, les yeux pétillants presque d’amusement. « Vous devenez plus
buté qu’un Gryffondor avec l’âge, mon garçon. »

« Il a toujours été buté. » grommela Harry entre ses dents.

Cela lui valut un regard noir qu’il fit mine d’ignorer.

« Allons-y. » trancha Severus.

Plus vite, ils partiraient, plus vite ils reviendraient et plus vite Harry serait en sécurité.

°O°O°O°O°

Tonks détestait l’idée d’un subterfuge, d’autant plus qu’avant toute cette histoire de chasse à
l’espion, elle s’était beaucoup rapprochée de Nyssa. De fait, ce n’était pas bien compliqué de
se forcer à rire aux remarques de la vampire ou de simuler une certaine complicité entre elle.

Le bar que l’Auror avait choisi se situait dans le Londres Moldu, non loin du Chemin de
Traverse, aux alentours du Square Grimmaurd. Attablée autour de deux pintes qu’elles
n’avaient guère touchées pour des raisons qui leur étaient propre, les deux jeunes femmes
parlaient beaucoup pour ne rien dire depuis le début de la soirée.

Elles avaient évoqué des sujets sans conséquences, plaisanté d’anecdotes sur les autres
membres de l’Ordre et semblaient tacitement éviter les sujets qui fâchent malgré les quelques
discrètes tentatives de Tonks pour en découvrir davantage sur la zone d’ombre de sa vie en
Brocéliandre. Sa curiosité n’était pas sans arrière pensée. Elle voulait savoir si les
Mangemorts avaient pris l’Ordre de vitesse en recrutant les vampires pour ensuite mieux les
infiltrer. Elle voulait mettre la main sur cet espion qui les mettait tous en danger.

À cause de l’état grave de Severus après son échappée belle d’Azkaban et de ce qui se passait
dans le monde magique actuellement, elle avait remisé l’enquête sur l’espion au second plan.
Il devenait évident, toutefois, que Dumbledore n’était pas capable de déterminer qui les avait
vendus et Tonks était anxieuse de résoudre la situation au plus tôt.

Nyssa était la concurrente la plus sérieuse sur leur liste de suspects pour l’instant.

« Tu te fais rare au QG. » remarqua la vampire, l’air de rien. Ses mains jointes agrippaient le
verre qu’elle n’avait pas touché et ses yeux verts, plus observateurs qu’ils n’en donnaient
l’impression, étudiaient chacun de ses gestes.

Tonks avait l’impression depuis qu’elle avait proposé cette sortie que Nyssa enquêtait sur elle
autant que la réciproque était vraie. Parce que Tonks la soupçonnait et qu’elle voulait savoir à
quel point ? Ou parce qu’elle soupçonnait Tonks ?

Le climat de méfiance au sein de l’Ordre finirait par causer leur perte. S’ils ne pouvaient pas
se faire confiance alors qu’ils mettaient leur vie entre les mains des uns et des autres…

« Je ne peux pas trop te blâmer, cela dit. » continua la vampire quand elle fut trop longue à
répondre. « L’attitude de Remus… Personne ne l’approuve. »
Tonks haussa les épaules. « Tout le monde m’a avertie que ça finirait mal quand j’ai
commencé à m’intéresser à lui, lui le premier. Je me suis entêtée. »

Nyssa la fixait du regard, guettant elle ne savait trop quoi sur son visage…

« L’amour nous fait faire des choses particulièrement stupides… » murmura la vampire. « Ya-
t-il quelqu’un de nouveau dans ta vie ? Tu as l’air plus heureuse ces derniers temps. »

Ce fut la manière dont elle posa la question qui indiqua à Tonks qu’elle connaissait déjà la
réponse.

Or les seules personnes qui connaissaient cette réponse avec certitude, outre Dumbledore et
McGonagall, étaient les Mangemorts. Et Charlie. Mais elle doutait que Charlie soit allé
discuter de sa vie sentimentale avec Nyssandra, ils n’étaient pas particulièrement proches.

« Et toi ? » botta-t-elle en touche avant de le regretter aussitôt. Les dernières semaines avaient
été si mouvementées, étaient passées si vite qu’elle en avait presque oublié… Elle se
rembrunit. « Désolée. Je n’ai pas réfléchi… » Elle grimaça, fixa du regard la mousse qui
s’accrochait encore aux côtés de sa pinte, sentant la profonde mais désormais familière
tristesse l’envahir… « Je pense beaucoup à Fol’Œil, tu sais. Je ne voulais pas dire… »

« J’y pense aussi. » l’interrompit gentiment Nyssa, un peu tristement aussi peut-être. « Mais
lui et moi… C’était fini depuis longtemps. » La vampire prit une longue inspiration dont elle
n’avait techniquement pas besoin et la relâcha lentement. « Je regrette le temps qu’on a passé
à se déchirer, particulièrement sur la fin mais… » Ses lèvres s’étirèrent en un sourire forcé à
la limite de la grimace. « Ça ne veut pas dire que je ne tenais pas à lui, cela dit. Ou que je ne
compte pas le venger. »

La voix de la vampire baissa dans un murmure glacial, une promesse de mort brillait dans les
yeux verts de la jeune femme et Tonks prit sur elle pour ne pas réagir ouvertement, pour
garder un masque neutre sur son visage.

« Cela impliquerait de trouver qui nous espionne. » remarqua-t-elle nonchalamment.

« J’y travaille. » répondit Nyssandra tout aussi tranquillement.

La conversation prenait un tour dangereux. Elle avait espéré la prendre de cours. La plupart
des membres de l’Ordre évitait toute mention directe de l’espion et bottait en touche dès qu’il
en était question.

L’Auror s’humecta les lèvres et but une gorgée de sa bière à présent tiède pour se donner
contenance. « Des pistes ? »

« Une seule. » rétorqua la vampire.

Tonks fronça les sourcils. « Sérieuse ? »

La vampire la jaugea du regard et se leva avec cette grâce fluide que lui aurait enviée
n’importe quelle ballerine. « La nuit est belle, autant en profiter. »
Si Nyssa était l’espion et se savait démasquée, la suivre était plus qu’imprudent, c’était
suicidaire. Toutefois, tout ce que Tonks avait contre elle pour l’instant, c’étaient des soupçons
– ceux de Severus davantage que les siens d’ailleurs – et aucune preuve. Si Nyssandra
projetait de l’attirer à l’extérieur pour en finir avec elle… Au moins, auraient-ils
définitivement mis un nom sur leur espion. Et elle était de taille à, si ce n’était vaincre Nyssa,
tout du moins à l’occuper suffisamment longtemps pour avoir le temps de fuir.

Elle se leva donc – avec beaucoup moins de grâce et de fluidité que la vampire – et feignit un
sourire confiant qui, elle le craignait, ne convainquit pas la vampire.

Les rues du Londres Moldu aux alentours du pub n’étaient pas désertes mais elles n’étaient
pas bien remplies non plus, l’endroit n’attirait pas autant les touristes que Piccadilly. D’un
accord tacite, ou du moins cela fit cet effet à Tonks, elles prirent la direction du Square
Grimmaurd.

Elles marchèrent en silence jusqu’à ce que les rues se rétrécissent aux hasard d’un quartier
piéton. Tonks était nerveuse. Tous ses sens étaient en alerte. Cela faisait plusieurs minutes
qu’elles n’avaient croisé personne et les rues qu’elles arpentaient désormais étaient sombres.

L’air de rien, elle ajusta son bras de manière à pouvoir dégainer sa baguette rapidement.

Son instinct lui hurlait que quelque chose se tramait. L’endroit était trop désert, trop parfait
pour un piège…

« Quelqu’un a patiemment tissé une toile d’araignée au sein de l’Ordre. » déclara lentement
Nyssa, presque prudemment. « Quelqu’un a cultivé des amitiés à droite, créé des conflits à
gauche… Quelqu’un qui manipule tout le monde dans l’ombre… Quelqu’un qui a presque
réussi à supplanter l’autorité de Dumbledore… »

Tonks l’observa, oubliant momentanément sa méfiance. La vampire semblait sincère et…

« Il y a des Mangemorts aux deux bouts de cette ruelle. » continua calmement la vampire.
« À qui as-tu parlé de notre rendez-vous de ce soir ? »

Un frisson mauvais courut le long de sa colonne vertébrale.

C’était donc bien un piège.

Son premier réflexe fut d’essayer de transplanner mais sans succès. Cela avait été préparé en
amont. Les Mangemorts avaient posé des protections anti-transplannage.

« Des tas de gens savent que je suis avec toi. Si je meurs, ils sauront qui est responsable. »
cracha-t-elle, en tirant sa baguette. Elle n’était pas assez bête pour se jeter dans la gueule du
loup sans prendre de précautions. Charlie et Anthony étaient au courant. Elle l’avait
mentionné l’air de rien devant Sirius. Et, bien sûr, il y avait Severus…

Severus qui lui avait ordonné d’être prudente et de ne surtout rien faire d’inconsidéré…

Severus qui avait calmé sa crise d’angoisse cet après-midi là, lorsque Remus avait refusé de
se laisser éconduire après la réunion…
Severus qui avait hésité à l’embrasser lorsqu’ils s’étaient séparés au portail de l’école et y
avait finalement renoncé par peur d’être surpris par un élève ou un enseignant…

Severus qu’elle ne reverrait peut-être plus si…

Un éclair de surprise passa sur le visage de la vampire. « Tu crois que moi je… »

Elle s’interrompit au milieu de sa phrase pour la pousser violemment en arrière.

Tonks n’y était pas prête mais ses réflexes prirent le dessus et elle ne chercha pas à se retenir,
elle roula au sol et s’accroupit, baguette levée et pointée sur Nyssa…

À temps pour voir la vampire esquiver un deuxième trait vert qui fusait sur elle.

Pourquoi les Mangemorts attaquaient-ils l’une des leurs ?

Pour donner le change ?

Elle n’eut pas le loisir d’étudier la question plus avant. Quatre silhouettes drapées de robes
sombres et aux masques polis sortirent de l’ombre…

°O°O°O°O°O°

Si le temps était finalement devenu clément à Poudlard, ce n’était pas le cas dans l’arrière
pays où se situait Little Hangleton.

La brève désorientation du transplanage passée, Harry ne lâcha pas immédiatement le bras de


Severus, quêtant sa chaleur. Le ciel était chargé de nuages qui masquaient les étoiles et, s’il
ne pleuvait pas encore à torrents, la fine bruine qui se glissait dans le col de sa veste était bien
plus insidieuse et le laissa gelé jusqu’aux os en l’espace de quelques secondes.

« Impervius. » marmonna le Professeur deux fois d’affilé.

« Merci. » répondit Harry en essuyant son visage. L’eau glissait désormais sur eux sans les
mouiller. Il étudia discrètement l’homme du coin de l’œil, sachant qu’il aurait droit à un
sermon s’il se faisait surprendre à le surveiller mais incapable de s’empêcher de s’inquiéter.
Severus était toujours amoindri, davantage qu’il ne voulait l’admettre.

Son attention dévia toutefois rapidement vers le grand manoir qui trônait sur une colline au-
dessus du village, les surplombant de toute sa grandeur passée. Harry sentit son estomac se
nouer alors que le souvenir de Frank le jardinier se rappelait à lui. C’était là que l’homme
était mort, là qu’Harry l’avait regardé mourir… Automatiquement, son regard dévia vers le
cimetière, facilement reconnaissable car, lui-aussi, situé sur une colline surplombant le
village…

Même de loin et malgré l’obscurité, il pouvait deviner les silhouettes des croix à moitié
détruites par le temps, les tombes abandonnées et, surtout… La masse plus sombre au loin…
Était-ce la statue des Jedusort ?

Tue l’autre…
Cédric…

Lily qui hurlait sous le coup d’un Endoloris…

James qui tenait son bras cassé contre son torse, sifflant de douleur…

Remus qui se ruait sur un Mangemort…

Sirius qui tentait de sauver Bellatrix en dépit de tout…

Le Professeur Prince qui engageait Voldemort pour le distraire…

Sev et le révolver…

L’Avada qui l’avait cueilli au plexus et le souffle qui s’était bloqué dans sa gorge…

« Harry. » La voix ferme de Severus le fit ciller et les fantômes du passé cessèrent de danser
devant ses yeux. La main du Professeur lui pressa l’épaule. « Tout va bien. »

Pour l’instant, souffla une voix dans son esprit. Cet endroit ne lui avait jamais réussi.

Au prix d’un gros effort, il s’arracha à sa contemplation et indiqua d’un hochement de tête
qu’il était prêt à continuer.

Dumbledore se tenait un peu plus loin sur le chemin qui menait visiblement au village,
feignant d’observer un arbre qui n’avait rien de particulier. Harry lui fut tout de même
reconnaissant de lui avoir accordé un semblant d’intimité en prétendant ne pas avoir
remarqué son moment de faiblesse.

Le regard pensif que lui jeta le vieux sorcier lorsqu’ils s’avancèrent sur le chemin poussa
Harry à se demander s’il regrettait d’avoir tant insisté pour l’emmener, s’il doutait finalement
du fait qu’Harry puisse remplir le rôle de héro qu’il voulait le voir endosser.

Le chemin de campagne en terre battue était difficilement praticable, l’obscurité et la pluie


rendaient le terrain boueux et traitre. Harry prit soin de demeurer à côté de Severus, ignorant
ses regards de plus en plus noir, prêt à le rattraper au moindre signe de chute. Lorsqu’il avait
suggéré, avant de quitter les cachots, que le Professeur ferait peut-être mieux d’emporter sa
canne, l’homme avait tempêté et rouspété tant et si bien que le garçon avait renoncé à lui
faire entendre raison. Il regrettait un peu de ne pas avoir insisté davantage, surtout lorsque
Dumbledore bifurqua brusquement sur un sentier étroit et glissant qui s’éloignait du village
pour sembler se perdre dans la campagne environnante.

« Êtes-vous sûr de savoir où vous allez ? » s’enquit Severus après plusieurs minutes de
marche. « N’y a-t-il pas une meilleure manière d’atteindre cette fameuse ruine ? »

« Le cottage n’était pas si coupé du monde dans les souvenirs de Bob Ogden. » renchérit
Harry. Il enfonça les mains dans ses poches pour les réchauffer, regrettant vivement de ne pas
avoir emporté ses gants. Songer qu’il avait passé une bonne partie de l’après-midi à lézarder
au soleil près du lac semblait inconcevable à présent. Il faisait froid et humide et il
désespérait déjà de retrouver sa chambre où il faisait toujours bon et où, le cas échéant, sa
couette moelleuse l’attendait.

« C’était il y a un certain temps, mon garçon. » répondit Dumbledore avec une pointe
d’humour. « Et je crains que V… » Un bref coup d’œil à Severus et Dumbledore parut se
reprendre. « Tom n’ait quelque peu influé sur l’environnement. Un peu de courage. Nous y
sommes presque. »

Il était compliqué de déchiffrer l’expression du Maître des Potions dans la pénombre, la nuit
était sans lune et le sentier s’enfonçait de plus en plus profondément dans ce qu’Harry
soupçonnait être une forêt davantage qu’un bois, accentuant plus encore le manque de
visibilité. Toutefois, il lui semblait que l’homme se rembrunit aux paroles du directeur.

« Sors tes mains de tes poches. » murmura-t-il. « Et reste près de moi. »

Harry obéit immédiatement, comprenant ce que le Professeur n’avait pas ouvertement dit : il
semblait qu’ils étaient les premiers à briser la tranquillité des lieux depuis un certain temps
mais cela ne signifiait pas qu’il n’y avait aucun danger.

Comme pour lui donner raison le sentier rétrécit encore davantage, les obligeant à avancer en
file indienne. Dumbledore ouvrait la marche et Harry le suivait de près, laissant à Severus la
tâche de surveiller leurs arrières. Les arbres étaient plantés proches les uns des autres, de
sorte qu’il était pratiquement impossible de distinguer quoi que ce soit à plus d’un mètre et,
plus d’une fois, ils durent écarter une branche récalcitrante du passage.

La sensation de claustrophobie était réelle et Harry était si préoccupé par les souvenirs des
années qu’il avait passé enfermé dans le placard sous l’escalier qu’il ne se rendit pas
immédiatement compte que Dumbledore s’était arrêté. Il butta contre le dos du vieux sorcier
et ne dut qu’aux réflexes de Severus de ne pas s’étaler par terre. Il marmonna un mot
d’excuse que le directeur balaya d’un geste distrait.

Le sentier s’arrêtait brutalement sur ce qui semblait être un barrage de ronces.

Le buisson semblait épais et s’élevait haut au-dessus de leur tête, atteignant presque la cime
des arbres environnantes.

Il n’avait rien de naturel.

Severus fit la grimace.

« Magie noire. » siffla-t-il.

Même sans son œil d’expert, Harry l’aurait reconnu pour ce que c’était. Les épines étaient
d’un rouge pourpre alors que le reste était d’un noir de jais. Il n’était pas le meilleur en
Botanique mais il s’y connaissait suffisamment pour deviner que cette plante n’était pas
naturelle.

« On peut le contourner ? » suggéra-t-il, quêtant le regard de Dumbledore.


Le vieux sorcier était absorbé par son observation et ne lui répondit pas. Harry se tourna vers
Severus qui scrutait le mur d’épines d’un air contrarié. Au bout d’un moment, il reporta son
regard vers l’adolescent.

« Il y a fort à parier qu’il n’y a pas de brèche. » répondit finalement l’ancien espion.

« Alors quoi ? » demanda-t-il, en fronçant les sourcils. « On… Taille dans le tas ? » Un
diffindo bien placé, peut-être ? Le buisson semblait trop épais pour cela et la solution trop
simple. « Un sectumsempra ? »

Dumbledore jeta au professeur un coup d’œil réprobateur, preuve qu’il n’était pas aussi
inattentif qu’il en avait l’air. Harry refusa de s’émouvoir du fait que le directeur désapprouve
les sortilèges que son père lui avait enseigné. Ce n’était pas un sort qu’il jetterait posément au
premier venu mais en cas de nécessité… Cela valait mieux qu’un sort de mort.

Et puis… Ce n’était pas vraiment ce Severus qui lui avait appris ce sortilège de toute
manière.

« Au mieux, cela n’aurait aucun effet. » expliqua Severus sans prêter grand cas à la
désapprobation dont il faisait l’objet. « Au pire, la magie noir réfléchirait tes sorts comme un
miroir. »

Frustré, Harry laissa échapper un grognement. « On ne va pas rentrer bredouille, quand


même ? On a fait tout ce chemin… »

« Nous n’allons pas rentrer bredouille, en effet. » contra Dumbledore. « Il suffit de trouver la
clef… »

Severus soupira. « La clef est évidente. Le Seigneur des Ténèbres n’a jamais été d’une
subtilité folle. »

Harry fronça les sourcils et les dévisagea tour à tour. « Quelle clef ? »

« Approche Harry. » demanda doucement le vieux sorcier.

« Absolument pas. » refusa Severus tout net. « Vous ou moi, mais pas lui. »

« Quelle clef ? » insista-t-il, sans faire un seul pas en direction de Dumbledore. Il n’aimait
peut-être pas que Severus lui intime des ordres mais ils avaient vécu trop de choses ensemble
pour qu’il les discute dans ce genre de situations.

Il faisait aveuglément confiance à l’ancien Mangemort en situation de vie ou de mort. Ils n’en
étaient peut-être pas encore là mais, très visiblement, il y avait un danger dont il n’avait pas
encore conscience et que l’homme avait détecté.

« Le sang, Harry. » répondit Dumbledore. « Lorsqu’il est question de magie noire, le sang est
presque toujours la réponse. Il y a fort à parier qu’une offrande nous ouvrirait le passage. »

Harry fronça les sourcils. Cela paraissait logique mais… « Pourquoi mon sang ? »
« Ce ne sera pas ton sang. » répliqua Severus d’un ton sec. Il repoussa Harry derrière lui, fit
un pas vers le mur de ronce en tirant sa baguette…

« Harry a un lien avec Tom. » intervint rapidement Dumbledore avant que le professeur ait pu
faire quoi que ce soit de drastique. « La protection de Lily… »

« Risquerait inutilement de déclencher des alarmes. » coupa Severus tout net.

Le Directeur secoua la tête. « Improbable. La connexion entre eux est si profonde… Son sang
pourrait peut-être tromper les protections, leur faire croire qu’il s’agit de Voldemort. Nous
rencontrerions moins de résistance. »

Le nom du mage noir fit à Severus l’effet d’un coup de poing, Harry le vit bien. Sa main
gauche se contracta, son bras se raidit… Et comme Dumbledore faisait rarement d’erreur, il
devina qu’il s’agissait là d’un coup bas mesquin.

Plus inquiétant était la teneur des propos du vieux sorcier.

Harry se redressa légèrement, tous les sens en éveil. Il s’efforça d’assouplir la prise qu’il
avait sur sa baguette comme Severus le lui avait enseigné, peu certain de quand exactement il
l’avait sortie.

La connexion entre eux est si profonde…

…leur faire croire qu’il s’agit de Voldemort…

Severus paraissait tout aussi alarmé que lui.

Était-il simplement en train de parler du fait que Voldemort s’était servi de son sang pour
reprendre une forme corporelle ou bien faisait-il allusion à l’Horcruxe ?

Il sentit son rythme cardiaque s’emballer alors qu’un soupçon atroce s’emparait de lui.
Dumbledore avait tant insisté pour qu’il l’accompagne – sans Severus – et les voilà dans un
lieu isolé, sans témoins, où personne ne viendrait jamais les chercher…

Était-ce un deuxième Halloween ?

Dumbledore allait-il encore essayer de…

« Il n’y a aucune connexion entre Harry et Voldemort. » cingla l’ancien espion. « Des effets
secondaires dus à un rituel de magie du sang que Pettigrow a très certainement raté, comme à
son habitude, je vous l’accorde, mais une connexion ? Le terme est disproportionné. Ne soyez
pas ridicule, Albus. »

Le ton du Professeur était cassant, moqueur même, mais il s’était déplacé jusqu’à être
presque totalement devant Harry et la tension dans ses épaules démentait sa tranquillité
d’esprit. Il était prêt à se battre si nécessaire, Harry le voyait bien.

Il était prêt à se battre mais pour tout remis qu’il soit, l’adolescent doutait qu’il ait été
suffisamment en forme pour affronter Albus Dumbledore et gagner.
Harry se décala donc légèrement sur la droite, pas pour pouvoir le couvrir en cas de duel mais
pour avoir une ligne de tir correcte. S’ils en venaient là, Harry assommerait Severus d’un
stupefix et laisserait Dumbledore faire ce qu’il pensait devoir faire. C’était la meilleure
manière de protéger le Professeur et puis…

Et puis il avait toujours su que cela finirait comme ça.

Le sceau des Prince pesait lourd à sa main gauche.

Il n’y a pas si longtemps, tu m’as fait jurer de me battre coûte que coûte pour te revenir.
Aujourd’hui, je te demande la même promesse. Cesse de penser que tu ne survivras pas à
cette guerre, Harry. Bats toi. Jure le moi.

Il avait juré mais il avait menti.

Il croisa le regard bleu de Dumbledore, augmenta par réflexe ses boucliers mentaux… Le
vieux sorcier ne tenta même pas une percée. Il n’en avait pas besoin.

Ils s’étaient compris.

Du moins, Harry le pensait.

Dumbledore savait pour l’Horcruxe – bien entendu, qu’il savait – mais la mort ne viendrait
pas ce soir là. Pas maintenant. Pas devant Severus. Le Directeur pouvait être calculateur mais
il n’était pas suffisamment cruel pour tuer un enfant devant son père.

Le Directeur fronça légèrement les sourcils lorsqu’il reporta son regard sur Severus, l’air à la
fois étonné et réprobateur. « C’est bien aux conséquences de ce rituel que je faisais référence,
Severus. Détendez-vous, mon garçon. »

Le Maître des Potions ne se détendit pas. Ses yeux noirs ne cessaient de regarder alentours,
cherchant une possible échappée…

« Je vais le faire. » déclara Harry, coupant court à la discussion. Severus ouvrit la bouche
pour protester mais il le prit de court. « C’est juste une coupure, je survivrai. C’est juste une
coupure, hein ? Je ne dois pas me vider de mon sang ? »

Il adressa la question à Dumbledore qui hocha la tête avec un petit sourire amusé.

« Une légère entaille devrait suffire. » acquiesça l’homme.

Les doigts de Severus enserrèrent son bras, le retenant fermement prisonnier à ses côtés. « Je
refuse qu’Harry soit à nouveau exposé à de la magie noire. C’est trop dangereux. Prenez mon
sang et qu’on en finisse. »

Le Directeur paraissait contrarié mais céda finalement avec un hochement de tête comme si,
au fond, ce n’était pas vraiment important qu’Harry soit celui à verser son sang. Le
Gryffondor ne comprenait pas réellement pourquoi, alors, ils avaient perdu plus de dix
minutes à en débattre mais le Serpentard en lui lui soufflait qu’il s’agissait là d’une simple
bataille d’ego. Il s’agissait de savoir qui avait la main haute sur l’autre.
L’espace d’une seconde, Harry eut l’impression d’être de retour dans la salle commune des
serpents et d’assister, impuissant, à tous leurs petits jeux de pouvoir.

Il observa Severus approcher sa baguette tremblante de sa paume et l’abattre brusquement.


Une entaille suffisamment profonde s’ouvrit presque lentement et le professeur leva le bras,
inclinant le poignet d’un geste qui trahissait l’expérience, afin que son sang coule sur le mur
de ronces, sans en gaspiller une goutte.

Au début, il ne se passa rien de notable, et puis, un cri suraigu à donner la chair de poule
raisonna dans les bois alentour… Harry se vouta instinctivement, rentrant la tête dans ses
épaules pour mieux se protéger du son atroce qui lui faisait grincer les dents.

Severus retira sa main juste à temps pour voir les ronces se rétracter avec lenteur, comme si
elles étaient douées d’une vie propre et ne s’écartaient qu’à contrecœur. Le terrible cri atteint
son apogée avant de s’éteindre et les ronces cessèrent de reculer.

Le silence revenu, après le hurlement atroce, parut d’autant plus lourd.

Tout le corps du garçon était tendu, ses yeux verts balayant les alentours pour trouver
l’origine du cri, son estomac était contracté et son instinct de survie lui soufflait de fuir, fuir
loin et vite, parce que si la chose qui avait hurlé l’attrapait…

“Curare.” murmura Dumbledore.

Harry et l’ancien Mangemort baissèrent les yeux vers la plaie sur la main du professeur juste
à temps pour la voir se refermer. Severus le remercia d’un bref hochement de tête et fit un
geste en direction du trou dans le mur de ronces, les sourcils légèrement levés. “Après vous.”

Le passage n’était pas plus large que le chemin et formait un cercle inégal au milieu du tas de
ronces. Il leur faudrait se pencher pour pouvoir passer… Harry n’aimait pas beaucoup cette
idée. Il ne pouvait s’ôter de la tête que si les ronces se refermaient sur eux…

“Trop aimable.” répondit le vieux sorcier avec un brin d’amusement qui disparut bien vite
lorsque les yeux bleus tombèrent sur l’adolescent. “Je vais te demander la plus grande
vigilance à partir de maintenant, Harry. Obéis-nous en tout. Si moi ou le Professeur Snape
t’ordonnons de fuir...”

“Non.” l’interrompit-il, en dépit de tout ce que son instinct lui criait.

“Harry.” grinça Severus.

“Non.” répéta-t-il fermement. Il croisa le regard noir et le soutint, ignorant royalement


l’expression contrariée sur le visage de l’homme. “Je ne m’enfuis pas sans vous. S’il faut se
battre, je me bats avec vous.”

La contrariété se transforma en agacement puis en une acceptation récalcitrante.

“Je ne sais ce que le loup et ton parrain t’ont mis dans la tête ces derniers mois mais je te
prierais de te rappeler ce que je t’ai enseigné.” cingla Severus. “Pas de bravoure inutile.
Utilise ta tête et ton instinct. Suis mes instructions à la lettre.”
Harry se retint à grand peine de lever les yeux au ciel. S’il ne lui avait pas seriné cinquante
fois le même refrain en soixante-quinze… “Je sais.”

Visiblement, Severus avait, lui aussi, le plus grand mal à ne pas lever les yeux au ciel.

“C’est ce que tu dis toujours et, pourtant, tu termines toujours à l’infirmerie.” rétorqua
l’homme, pince-sans-rire. “Reste près de moi quoi qu’il se passe. Albus?”

“Allons-y.” répondit le vieux sorcier avant de se courber en deux pour traverser le mur de
ronces avec une détermination teintée d’impatience. Ou d’excitation, c’était dur à dire.

Il y avait une étincelle presque frénétique dans les yeux bleus du Directeur qu’Harry n’était
pas certain d’avoir jamais vu auparavant.

Sur un geste de Severus, Harry le suivit. Il retint sa respiration, tenta de ne pas imaginer que
les ronces allaient se refermer sur lui pour sûr et le transpercer… Il agrippa sa baguette plus
fermement, tous les sens aux aguets…

Au final, traverser le mur de ronces fut aussi simple que de faire deux pas.

Le mur ne se referma pas sur lui et rien ne l’attaqua dès qu’il fut arrivé de l’autre côté.

Il n’y avait pas de monstres ou de pièges invisibles… Juste un chemin qui serpentait jusqu’à
un cottage qu’Harry reconnut pour l’avoir aperçu dans la pensine de Dumbledore. C’était dur
de le déterminer avec certitude étant donné le ciel nuageux et la fine bruine qui continuait de
ruisseler impitoyablement sur eux mais Harry pensait que la petite maison était en ruine.

Le bois s’arrêtait au mur de ronces mais la campagne environnante n’était pas beaucoup plus
rassurante que la forêt qu’ils venaient de traverser.

Quelque chose clochait…

Il y avait comme une vibration dans l’air, quelque chose de…

Severus émit un claquement de langue dès qu’il les eut rejoints, laissant son regard balayer
les alentours avec une appréhension évidente.

“L’endroit est saturé de magie noire.” grommela-t-il.

Harry ne se détendit pas mais fut heureux de pouvoir mettre un terme précis sur cette
sensation de malaise qui l’avait pris aux tripes. Il avait la chair de poule et il était dur de se
souvenir de pourquoi exactement il était si important de continuer. Tout son corps lui hurlait
de tourner les talons et s’enfuir.

« Albus ? » insista Severus. « Comment souhaitez-vous procéder ? »

Le Directeur n’écoutait pas.

Ou, s’il écoutait, il ignora le Professeur et s’élança d’un pas étonnamment agile sur le chemin
de terre battue.
Harry le suivit sans y réfléchir à deux fois, presque forcé de courir pour le rattraper. Il jeta un
coup d’œil à Severus par-dessus son épaule, peu étonné de voir que l’homme était contrarié.

« Bien sûr. » marmonna Severus. « Fonçons dans le tas comme une bande de Gryffondors
sans cervelle. »

L’adolescent ne chercha même pas à réprimer un sourire amusé mais détourna la tête pour
que le Professeur ne l’aperçoive pas.

La sensation désagréable se fit plus oppressante à mesure qu’ils approchaient du cottage. Le


vent se durcit, sifflant dans les branches des arbres au loin, donnant presque l’impression
que… Harry frissonna.

Il lui semblait entendre des voix dans le lointain, murmurant son nom.

C’était le vent, se dit-il fermement, juste le vent.

Il y avait un trou béant dans le toit du cottage, la porte d’entrée était à moitié dégondée et
pendait, rouillée, barrant sans grande efficacité le chemin, des briques s’étaient cassées sur le
devant de la façade, laissant des ouvertures aléatoires dans le mur…

« Ça a l’air abandonné… » hésita Harry. Murmurer n’était pas un choix conscient. Il avait
l’impression que moins il dérangerait les lieux, plus il aurait de chances de survivre.

« Le sort de repousse est extrêmement puissant. » commenta Severus, à peine plus fort.

La mâchoire de l’homme était contractée et Harry fut rassuré de voir qu’il n’était pas le seul à
combattre une réaction épidermique. Dumbledore, par contre, paraissait à peine affecté. Il
dégagea la porte d’un coup brusque de sa baguette faisant grincer Severus avec réprobation.

« Albus. » siffla le Professeur. « Peut-être… »

Dumbledore avait déjà pénétré dans le cottage.

« C’est moi ou il est bizarre ? » grimaça Harry.

« Non. » répondit Severus, ajustant sa prise sur sa baguette. « Non, ce n’est pas toi. Ne
t’éloigne pas de moi. »

Harry dut se faire violence pour approcher du porche. Passer le seuil fut un combat. Son
corps refusait purement et simplement de lui obéir. Son cerveau lui hurlait qu’il allait mourir
s’il pénétrait à l’intérieur, qu’il n’était pas le bienvenu ici, qu’il devait s’enfuir et vite, que…

« Le sort de repousse influe sur ton esprit. » expliqua Severus. « Occlude. »

Occluder aida légèrement, suffisamment pour qu’il se convainque d’entrer.

Si possible, la sensation d’être un intrus était encore pire à l’intérieur. L’entrée s’ouvrait sur
un petit couloir sombre et Harry sursauta en apercevant une silhouette qui se détachait des
ténèbres, n’identifiant Dumbledore qu’avec une seconde de retard. Le vieux sorcier paraissait
enfin peiner à combattre le sort de repousse sur ce qu’Harry savait être le seuil de la cuisine.

Sa main libre fermée en un poing, ses ongles s’enfonçant dans sa chair, il se força à avancer.
Ses pieds trainaient malgré lui, son corps lui livrant une bataille sans merci, soulevant des
nuages de poussière à chaque pas.

Il avait presque rattrapé Dumbledore lorsque celui parut finalement reprendre le contrôle de
lui-même et se propulsa pratiquement dans la cuisine.

Derrière lui, Severus laissa échapper un grondement mécontent. « Albus ! »

Harry sentit la main de l’ancien espion s’abattre sur son épaule et se servir de lui pour mieux
se lancer en avant. Sans doute que l’homme devait, lui aussi, lutter pour avancer. C’était
étrange, presque comme si l’endroit avait une gravité qui lui était propre. Comme… avancer
dans du chewing-gum.

Il atteignit le seuil et fut presque écrasé par le poids du sort. Il s’effondra contre le
chambranle de la porte, remarquant à peine le trou dans le toit ou la lumière naturelle qui en
émanait, éclairant d’un faible halo une partie de la table de la cuisine au bois vermoulu. Et au
centre de ce halo…

La bague des Gaunt.

Dumbledore tendait déjà la main avec une expression de convoitise sur le visage qui lui glaça
le sang.

« Albus ! » s’écria à nouveau Severus.

Mais trop tard…


Through Dark Shadows

« Grief. The ever-changing sea. Brutal and turbulent. Stretches of peace. And out of
nowhere, a knockout wave that rolled through dark shadows, stretching so far back in
time now their power had thinned to threads.

Or should have. »

Battle Royal – Lucy Parker

« Le chagrin. Cette mer éternellement changeante. Brutale et turbulente. Des moments


de paix. Et, venue de nulle part, une vague formidable qui roule entre les ombres
sombres venues d’un passé si lointain que leur pouvoir s’est à présent élimé.

Ou aurait dû s’élimer.

Battle Royal – Lucy Parker

Cinq contre une.

Tonks avait vécu pire.

Elle avait vécu pire, se répéta-t-elle fermement, en dressant un bouclier à la hâte. Ensuite, il
fût trop tard pour penser, pour réfléchir.

Par de nombreux aspects, une bataille magique était comparable à de la danse. Il ne servait à
rien d’anticiper le prochain mouvement, il fallait simplement suivre la musique. Se couler
dans le flot. Laisser son instinct guider sa main sans toutefois omettre de réfléchir.

Tonks para un premier maléfice, pivota en sentant une présence dans son dos juste à temps
pour en esquiver un autre, parvint à envoyer un sort d’entrave au milieu d’une batterie de
sorts défensifs… Trois des Mangemorts avançaient vers elle, l’emprisonnant au sein d’un
triangle meurtrier.

Son regard gris balaya la ruelle, cherchant le quatrième et la vampire du regard…

Fol’Œil reviendrait probablement la hanter si elle faisait l’erreur grossière de ne pas repérer
tous ses ennemis. Elle refusait de mourir, elle aussi, d’un sort de mort pris dans le dos. Si elle
devait partir, ce serait la baguette à la main.

Elle trouva le quatrième Mangemort aux prises avec Nyssandra à l’extrémité de la ruelle,
cette dernière paraissait déterminée à lui arracher la gorge et il paraissait peiner à la garder à
distance.

Tonks fronça les sourcils mais elle n’eut pas le loisir d’analyser la scène ou de tenter d’en
tirer une quelconque conclusion.
L’étau se resserrait sur elle, impitoyable…

°O°O°O°O°

Le cœur battant à cent à l’heure malgré des tentatives infructueuses pour occluder la terreur
surnaturelle qui lui broyait les tripes, Severus attrapa le poignet d’Albus juste à temps pour
l’empêcher de refermer la main sur la bague qui trainait négligemment sur la table de la
cuisine vermoulue et poussiéreuse.

« Avez-vous perdu l’esprit ? » siffla-t-il, laissant percer plus d’effroi qu’il ne l’aurait
souhaité.

Harry était avachi contre le chambranle de la porte de la cuisine, luttant visiblement contre
l’affreux sort de repousse qui leur intimait de quitter les lieux. Severus aurait souhaité
pouvoir être plus fort pour l’adolescent, rester de marbre, impassible.

Une part de lui ne pouvait s’empêcher de penser qu’avant toute cette histoire, avant leur
retour dans le passé, ses anciens boucliers auraient suffi à le protéger, à lui permettre de
compartimenter suffisamment ses sentiments pour ne pas se laisser perturber par le maléfice.
Sans doute aurait-il pu mieux résister, sans doute aurait-il pu mieux raisonner. Ses nouveaux
boucliers en revanche…

Dumbledore, lui, avait l’air imperturbable. S’il ne l’avait pas vu hésiter sur le seuil de la
cuisine, Severus l’aurait cru immunisé.

Quoi qu’à voir l’expression presque fanatique qui étirait lentement ses traits à présent, une
expression que le Professeur ne lui avait jamais vue en quinze ans d’amitié, le vieux sorcier
était peut-être moins imperturbable que possédé.

Ou, tout du moins, sous influence.

L’endroit était gorgé de magie noire.

Il n’était pas dit qu’elle les affectait tous de manière similaire.

« Vous ne comprenez pas. » gronda Albus, la voix brûlante d’un désir à peine contenu.

Severus en fut presque choqué. L’émotion dans la voix de son mentor, il la connaissait
intimement. C’était la même qui avait poussé son lui adolescent à ingurgiter livre après livre
traitant de magie noir, la même qui l’avait mené à rechercher la protection de Lucius Malfoy,
la même qui l’avait conduit à prendre cette Marque qui lui brûlait désormais le bras.

Jamais il n’aurait pensé l’entendre de la bouche d’Albus Dumbledore.

Le Directeur tenta de se dégager, de rafler la bague qui attendait là, sans aucune protection
apparente, comme une babiole sans valeur que l’on aurait oubliée sur la table en partant.
Severus raffermit sa poigne, l’éloignant de force mais avec peine. Pour un homme de son
âge, Dumbledore avait une résistance physique insoupçonnée et ses mains n’avaient plus la
robustesse nécessaire.
« Albus ! » cingla-t-il « Reprenez-vous ! »

« La pierre ! » rétorqua le Directeur, fixant la bague d’un regard avide. « Cela fait des années
que je la cherche ! Cela fait des années… Il me la faut. »

Enfiévré par ses délires, le vieux sorcier parvint presque à lui échapper. Maudissant
mentalement la faiblesse de ses mains, Severus se planta physiquement devant lui, bloquant
son chemin. « Ne soyez pas stupide. Croyez-vous vraiment que le Seigneur des Ténèbres
aurait laissé un horcruxe sans aucune protection ? Que croyez-vous qu’il se passera si vous
touchez cette bague, Albus ? »

Le mot horcruxe sembla se répercuter contre les murs en un millier de chuchotements dont
aucun ne sonnait comme sa propre voix. Il regretta d’avoir utilisé ce nom là. Les noms
avaient des pouvoirs et en des lieux saturés de magie noire comme celui-ci…

Il croisa les yeux bleus, quelque peu embrumés du Directeur, et fut alarmé de n’y lire aucune
étincelle de raison.

À cet instant, Severus n’était même pas certain que l’homme sache qui il avait en face de lui.
Rien ne comptait que la bague. La convoitise était inscrite sur chaque trait de son visage.

« Aguamenti ! » lança Harry.

Severus s’écarta mais pas assez rapidement pour ne pas être aspergé lui aussi par la trombe
d’eau qui se déversa soudain sur le vieil homme. Il pinça les lèvres avec désapprobation et se
sécha d’un coup distrait de baguette.

Toutefois, pour aussi inélégante que fût la solution du garçon, cela parut fonctionner…

Albus cilla plusieurs fois, son regard se fit moins fiévreux, ses traits se détendirent… Il porta
la main à son front avec un trouble évident.

« Mes excuses. » offrit Dumbledore. « J’ignore… Je me suis laissé emporté. »

« Tâchez de ne pas vous laissez emporter dans votre tombe. » grinça Severus. « Et, pour
l’amour de Merlin, ne touchez pas à cette bague avant que nous ayons déterminé si cela est
sûr. »

Harry, la mâchoire serrée et le regard dur, se fit clairement violence pour les rejoindre dans la
pièce.

« Est-ce qu’on peut faire ça vite et sortir d’ici ? » implora l’adolescent. « Cet endroit… »

Son bras droit pendait le long de son flanc, sa baguette serrée au creux de sa paume, de
l’autre, il se tenait le torse en une parodie d’étreinte.

« Finissons-en. » décréta Severus, tout aussi impatient de quitter le cottage. « Albus,


comment comptiez-vous procéder ? »
Pour toute réponse et avec à peine une pointe d’hésitation le vieux sorcier tira un vieux bout
de tissu rapiécé de la poche intérieure de la veste du ridicule costume moldu qu’il portait.
Severus n’identifia le Choixpeau qu’avec un temps de retard.

« Veux-tu faire les honneurs, Harry ? » s’enquit Albus, en tendant le Choixpeau à


l’adolescent.

Perdu, Severus fronça les sourcils et observa Harry prendre le Choixpeau avec une
incertitude perceptible.

« Et si je suis trop Serpentard maintenant et que ça ne marche plus ? » lâcha le garçon.

« Tu as toujours eu des qualités de Salazar Serpentard en toi. » répondit calmement


Dumbledore. « Cela ne renie pas ce qui fait de toi un Gryffondor. »

« Pourrions-nous philosopher sur le sens de la vie plus tard ? » siffla Severus. « Que voulez-
vous donc qu’il fasse avec un… »

Sans avertissement, Harry plongea la main à l’intérieur du Choixpeau, fermant les yeux
comme s’il avait peur du résultat, et en tira une épée qui, depuis quelques années, occupait
une place de choix dans le bureau directorial.

Severus se tut.

« La lame est imbibée de venin de basilic. » expliqua Dumbledore en prenant l’épée de


Gryffondor qu’Harry lui tendait.

« Oui. » cingla Severus, résistant avec peine à l’envie d’agripper l’épaule du garçon pour
mieux le protéger. « Je vous remercie j’ai eu le récit détaillé de cette histoire. »

Et à chaque fois qu’il s’aventurait à imaginer Harry faire face à un basilic à douze ans, avec
pour seules armes un vieux chapeau rapiécé, un phénix et une épée plus grande que lui, il en
avait des sueurs froides.

« Le venin de basilic est un des seuls moyens connus de détruire un horcruxe. » continua le
vieux sorcier comme s’ils étaient dans une salle de classe.

À nouveau, le mot se répercuta contre les murs dans un chœur de chuchotements à glacer le
sang.

Harry fit un pas vers lui et Severus ne résista pas plus longtemps à l’instinct qui lui intimait
de le toucher. Une main sur l’épaule du garçon, il se sentit un peu moins anxieux. Un peu
moins seulement. S’il s’était écouté, il aurait attrapé l’adolescent et aurait transplanné loin
d’ici.

« Il va très certainement tenter de résister. » avertit Dumbledore, en avançant à nouveau vers


la table, épée levée au-dessus de sa tête. « Préparez-vous. »

Avertissement bien inutile, songea Severus, entonnant un sort de protection à tout hasard.
Harry l’imita, jetant tous les sorts de boucliers qu’il connaissait.

Une bonne chose, décida Severus lorsque Albus abattit finalement l’épée.

Une bonne chose parce que lorsque le monde explosa et qu’ils furent tous projetés dans les
airs, les sorts de protection leur évitèrent de se briser la nuque sur les meubles pourris et
délabrés qui avaient jusque là parus bien inoffensifs mais qui s’avérèrent tous posséder
quelques angles tranchants et saillies de métal rouillé.

Cela ne leur évita pas, en revanche, de cogner tout ce qui se trouvait sur leur chemin.

Un mur stoppa net le vol plané de Severus. Sa tête heurta la pierre et il s’effondra au sol
comme une poupée disloquée, songeant vaguement que cela faisait longtemps qu’il n’avait
pas été projeté contre une surface en pierre ou en brique et que cela ne lui avait pas
particulièrement manqué.

« Sev ! » cria le gamin.

Severus se repoussa immédiatement en position assise, ignorant la nausée et le vertige,


ignorant les protestations bien inutiles de son corps meurtri, prêt à voler au secours de
l’adolescent…

Une brume argentée avait envahi la pièce et, l’espace d’un instant, il n’était plus dans la
cuisine délabrée du cottage des Gaunts mais dans la salle de potions à Poudlard. La brume lui
rappelait tellement celle qui avait accompagnée la tempête magique qu’il chercha le
Gryffondor du regard, craignant une nouvelle catastrophe…

Mais la brume ne tarda pas à se solidifier en volutes et, lorsqu’il repéra enfin son fils à l’autre
bout de la pièce à travers le fin brouillard, il était trop tard pour le rejoindre.

Devant lui, fait de brume mais aussi solide qu’un être de cher et d’os l’aurait été, lui barrant
le chemin, se tenait Tobias Snape.

°O°O°O°

Tonks para le maléfice que le Mangemort qui lui faisait face lança, tout en se contorsionnant
pour éviter celui qui venait de droite. Elle ne fût en revanche pas assez rapide pour esquiver
celui qui venait de gauche.

Une douleur cuisante se répandit dans toute son épaule, lui faisant craindre, l’espace d’un
instant, de perdre connaissance. Elle vacilla, des papillons noirs dansant devant ses yeux, ne
parvint à lever sa baguette qu’au tout dernier moment pour bloquer le sort noir qui fusait vers
elle…

Les sortilèges de boucliers que Severus lui avait enseignés lui donnait un mince avantage
mais elle était acculée et…

Elle vit l’éclat vert du sort de mort sur sa droite.

Ne put rien faire pour en dévier la course.


°O°O°O°O°

« Tu es mort. » siffla Severus, fixant le… Était-ce un fantôme ? Il paraissait bien trop solide,
bien trop… Était-ce une manifestation de l’horcruxe ? Un maléfice qui protégeait la bague ?
Cela semblait cohérent. Les défenses magiques, jusqu’ici, avaient toutes été basées sur une
tactique visant à les effrayer. La terreur brute instillée par le sort de repousse à l’approche du
cottage, l’impression de claustrophobie dans les bois, et maintenant…

Maintenant un de ses pires cauchemars se tenait devant lui, le rictus méprisant si familier aux
lèvres, ses yeux noirs froids et haineux…

« Tu es mort. » répéta-t-il plus fort, comme pour conjurer le sort. Son cœur battait si fort qu’il
n’entendait rien d’autre. Le moment semblait hors du temps.

Combien d’années depuis qu’il n’avait pas vu son père ? Beaucoup. Presque deux décennies,
sans doute. Oh, comme il avait haï cet homme… Comme il avait voulu sa mort…
Aujourd’hui encore, lorsqu’il lui fallait utiliser un sort de mort, c’étaient ses sentiments là
qu’il invoquait.

« C’est toi qui devrait être mort. » cracha l’apparition d’une voix caverneuse mais
douloureusement familière, levant un bras qui tenait une ceinture qui n’avait pas été là
l’instant d’avant. « Bon à rien. Bâtard. Une larve... »

La ceinture s’abattit, cinglant l’air dans un sifflement que Severus n’avait jamais été capable
d’oublier, un sifflement qui avait hanté ses rêves pendant…

L’espace d’une seconde, il redevint un enfant.

Ils n’étaient plus perdus au milieu de la campagne anglaise mais à Spinner’s End, et il était
sans défense.

°O°O°O°O°

Tonks se laissa tomber au sol, moins par réflexe que parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire
pour éviter la mort qui la frôla de près. Elle roula sur elle-même pour esquiver le prochain
maléfice, ignorant les rires gras des Mangemorts qui semblaient s’amuser de ses acrobaties.

Son épaule était en miette. Elle ne sentait pas de sang couler mais elle était prête à parier que
le sortilège avait brisé ses os à plusieurs endroits. La douleur, pour vive qu’elle fut, n’était
pas plus forte que son instinct de survie, cependant, et elle se releva aussi souplement qu’elle
le put, tranchant l’air de sa baguette avec sa main valide.

« Sectumsempra ! » gronda-t-elle.

Le Mangemort qu’elle avait visé s’écroula au sol, mort ou en passe de l’être, sans qu’elle
n’en éprouve énormément de remords. La culpabilité viendrait plus tard, elle venait toujours.
Pour le moment, tout ce qui comptait c’était sortir de là vivante.

Les Mangemorts avaient cessé de rire.


Elle pivota de sorte à les avoir tous les deux dans son champs de vision, repliant son bras
blessé contre son ventre afin qu’il la gêne le moins possible, serrant les dents contre la
douleur. La sueur perlait à son front, dégoulinant sur son visage, lui piquant les yeux… La
veste en jean moldue ralentissait ses mouvements et si elle avait su qu’elle aurait à se battre,
elle n’aurait pas laissé ses cheveux lâchés, ou, du moins, elle les aurait raccourcis…

Le Mangemort avec lequel Nyssa s’était débattue gisait au sol, plus loin, certainement mort.
Il n’y avait plus aucune trace de la vampire.

« Crève ! » cracha le Mangemort sur sa gauche. « Avada… »

Le feulement précéda de peu la masse sombre qui lui tomba dessus.

Tonks n’essaya pas de comprendre où Nyssa avait été perchée ou pourquoi elle avait mis si
longtemps à intervenir, elle pivota vers le dernier Mangemort qui recula précipitamment. Il
parvint à peine à bloquer son sort d’entrave et parut paniquer lorsque son compagnon
s’écroula au sol et que Nyssandra se redressa, la bouche et le menton couverts de sang.

Le Mangemort tourna les talons et tenta de s’enfuir…

Le grondement menaçant de Nyssa emplit la ruelle. « Je ne ferai pas ça si j’étais toi… »

°O°O°O°O°

Le choc assomma presque Harry.

Luttant pour garder les yeux ouverts, il toucha l’arrière de son crâne, peu surpris lorsqu’il
sentit une bosse se former sous ses doigts. Son premier réflexe, dans la panique, fut d’appeler
Severus, inquiet de la brume qui semblait envahir la pièce et qui n’était pas sans lui
rappeler… La tempête magique avait eu lieu des mois auparavant mais cette soirée était
gravée dans sa mémoire et il ne put réprimer un frisson à l’idée qu’il allait une nouvelle fois
être propulsé à une autre époque.

Pourtant, lorsqu’il parvint à se remettre sur ses pieds, inquiet car la brume était si épaisse
qu’il ne pouvait distinguer ni Severus, ni Dumbledore, ce ne fût pas une tempête magique qui
le fit se figer comme si on lui avait jeter un stupefix. Non… C’était la silhouette qui se
détacha de la brume, si compacte, si exacte, qu’Harry aurait pu jurer qu’elle était réelle. La
réplique était si frappante, jusqu’à l’uniforme de champions qu’ils avaient porté dans le
labyrinthe, déchiré aux mêmes endroits que cette nuit là, que la nuit où…

La culpabilité lui tordit l’estomac.

« Cédric… » murmura-t-il.

Était-ce un fantôme ? Une illusion ?

« Ta faute… » accusa l’apparition, en levant sa baguette. « Tout ça c’est ta faute. Et tu vas


payer… »
Harry ne songea même pas à se défendre. Il ne savait même pas où était sa baguette. Il l’avait
sans doute lâchée lorsque le monde avait explosé…

Il resta là, à attendre la sentence que Cédric jugerait bon d’appliquer.

Du moins jusqu’à ce qu’il entende un cri de douleur étouffé sur sa gauche. Il était beaucoup
trop familier des bruits que faisait Severus lorsqu’il avait mal.

Son sang ne fit qu’un tour.

Oubliant toute culpabilité ou tout besoin d’expier ses fautes, il se jeta dans la brume épaisse
en direction du son, trop conscient que Cédric le suivait, le traitait de lâche, lui ordonnait de
lui faire face…

Il ne voyait rien…

La brume était si épaisse…

Quelque chose roula sous son pied et il manqua trébucher, il s’accroupit, chercha à tâton ce
qu’il espérait être sa baguette…

Cédric jaillit de la brume juste au moment où ses doigts se refermaient sur un bois lisse qui
n’était pas aussi familier que sa propre baguette mais qu’il identifia sans mal comme étant
celle de Severus.

« Expulso ! » cria-t-il dans la panique, oubliant tout ce que le Professeur avait pu lui
inculquer quant aux avantages des sortilèges informulés ou… Il y avait quelque chose dans
ce cottage qui jouait sur ses peurs les plus primaires et lui demander de réfléchir de manière
cohérente était trop en attendre de lui.

Cédric – ou la chose qui se faisait passer pour Cédric – fut projeté en arrière, avalé par le
brouillard.

« Severus ! » appela-t-il, battant du bras gauche dans une piètre tentative pour écarter la
brume. « Severus ! »

°O°O°O°O°

La ceinture, toute aussi fantomatique qu’elle fut, était suffisamment solide pour lui arracher
un cri lorsqu’elle heurta son visage et déchira la chair, manquant de peu son œil. Du sang
chaud ruissela le long de sa joue, sur ses lèvres…

Était-ce la douleur ou le goût de son propre sang qui lui fit l’effet d’un électrochoc ? Toujours
était-il que lorsque Tobias leva à nouveau le bras, une litanie d’insultes qu’il n’avait que trop
entendue à la bouche, Severus était prêt.

Lorsque la ceinture s’abattit à nouveau, il se jeta sur la droite, décocha un coup de pied au
fantôme pas si fantomatique et profita du fait que Tobias ait perdu l’équilibre pour tâter le sol
autour de lui à la recherche de sa baguette ou d’une arme de fortune. Il avait, bien
évidemment, plusieurs dagues dissimulées sur lui mais il doutait que les lames soient d’une
quelconque utilité sur une entité faite de brume.

Ses mains tremblantes l’handicapaient et sa jambe le lançait. Il aurait dû écouter le garçon et


prendre sa canne. Une canne lui aurait été diablement utile à ce moment précis.

Il lui semblait entendre quelqu’un qui appelait son nom mais avant qu’il ait pu songer à
répondre, il dut esquiver une nouvelle attaque en roulant sur lui-même. La ceinture manqua
de très peu son torse, soulevant un nuage de poussière qui le fit tousser.

Décidant qu’il ne pouvait continuer à gigoter au sol comme il l’avait fait dans son enfance, il
tenta de se redresser, de se relever…

Peine perdue.

Sa jambe se déroba sous lui, refusant de soutenir son poids et cela lui coûta les précieuses
secondes dont il aurait eu besoin pour échapper à Tobias. La ceinture cingla à nouveau l’air,
se dirigeant droit sur son visage… Il leva un bras pour se protéger – sachant d’expérience que
cela le protégerait du pire mais pas pleinement – et…

« Papa ! Expulso ! » quelqu’un hurla sur sa droite.

L’instant d’après, Tobias valsait dans les airs et était avalé par la brume épaisse qui les
entourait. Severus eut à peine le temps d’intégrer l’absence immédiate de danger et de baisser
le bras qu’Harry se jetait à genoux près de lui pour lui inspecter le visage, un lumos un peu
trop brillant bien trop près de ses yeux…

Un lumos qui illuminait le bout de sa baguette.

« Je vais bien. » grommela-t-il, en repoussant les mains du garçon. « Aide-moi à me lever. »

« Est-ce que ce sont de vrais fantômes ? » demanda Harry, en le hissant tant bien que mal sur
ses pieds. Il lui rendit sa baguette sans que Severus ait à en formuler la requête.

« Je ne pense pas. » répondit-il après un moment d’hésitation. « Qui as-tu… »

« Cédric. » l’interrompit le garçon d’un ton qui sous-entendait que la conversation était close.
Severus l’accepta momentanément, se promettant d’avoir une énième discussion avec lui plus
tard sur son absence de culpabilité dans la mort de Diggory. « Il faut trouver Dumbledore. »

Sur ce point, Severus était plus que d’accord.

°O°O°O°O°

Tonks aurait pu mesurer davantage la force de son sortilège mais elle était blessée, furieuse et
sous l’emprise de l’adrénaline.

L’Incarcerem s’enroula autour des jambes du fuyard, le faisant tomber à plat ventre avant
qu’il ait atteint le bout de la ruelle.
« Tu es blessée ? » s’enquit Nyssa, en se rapprochant. Tonks s’écarta vivement, pointant sa
baguette sur elle. La vampire leva lentement les mains en signe de paix. « Ce n’est pas moi,
Tonks. »

« Et je suis censée te croire sur parole ? » cracha-t-elle. « Alors que comme par hasard
l’embuscade arrive alors que je suis avec toi ? »

« Je pourrais te retourner l’accusation. » siffla la vampire. « Et si mes soupçons sont


exacts… »

« Tes soupçons. » répéta-t-elle, sans baisser sa baguette. « Écoutons-les, ces fameux


soupçons. »

Les yeux verts de la vampire ne cillèrent pas alors qu’elle les plongeait dans les siens. Tonks
renforça ses boucliers mentaux par réflexe mais aucune attaque ne vint par ce biais là.

« Severus Snape. » lâcha finalement Nyssa.

Tonks la dévisagea avec incrédulité pendant une bonne minute avant de laisser échapper un
petit rire amer qui sonnait faux. « Tu plaisantes, j’espère. »

« Penses-tu que tu en aurais conscience si tu étais sous Impérium ? » demanda Nyssandra de


sa voix doucereuse, en baissant lentement les mains.

« Je ne suis pas sous Impérium. » gronda-t-elle, d’autant plus énervée que lorsqu’elle
repensait à la scène qui avait pris place au Square Grimmaurd durant la deuxième Nuit des
Ténèbres… Elle avait pensé que Severus, au moins, avait été définitivement rayé de la liste
des suspects.

« Il y a plus d’une manière de contrôler quelqu’un. » insista la vampire. « C’est un Maître des
Potions, après tout. Cela ne te semble pas étrange que tu ais si vite oublier Remus pour… »

« Ne termine pas cette phrase. » lui conseilla-t-elle. « Je ne suis pas sous l’emprise d’un
philtre d’amour, je t’assure. »

Il n’avait jamais été question d’amour. Du moins, ils n’en avaient pas discuté.

Il était indéniable qu’il y avait un certain attachement et, oui, si elle s’autorisait à être honnête
avec elle-même une minute, elle savait qu’il aurait été très facile pour elle de…

Mais ce qui s’était passé avec Remus était difficile à oublier.

Elle n’était pas prête à…

« Il est facile de manipuler quelqu’un qui a des sentiments pour vous. » déclara tout de même
Nyssa. « S’il se sert de toi, même à ton insu… »

« Oh, tu veux dire comme le jeu auquel tu joues avec Sirius ? » rétorqua-t-elle.
« Je ne me sers pas de Sirius. » grinça la vampire. « Je m’inquiète pour lui. Depuis quelques
temps, lui et Snape… »

Le gémissement de douleur à l’extrémité de la ruelle coupa court à la dispute.

Après un moment d’hésitation, Tonks abaissa lentement sa baguette et se dirigea vers leur
prisonnier – non sans garder la vampire dans son champ de vision. Elle l’attrapa par le dos de
ses robes et le redressa sans ménagement, le forçant à genoux, avant de lui arracher le
masque lisse et blanc qui dissimulait son visage.

Elle ne put s’empêcher d’avoir un pincement au cœur.

Même Nyssa laissa échapper un soupir déçu lorsqu’elle vit qui se cachait sous le masque.

°O°O°O°O°

Albus n’avait pas la présence d’esprit d’avoir peur.

Il aurait dû pourtant.

Il aurait dû car l’enfant qui se tenait devant lui avait peu en commun avec la fillette de ses
souvenirs. Ses traits, qui avaient été si doux, étaient déformés en une grimace vengeresse. Ses
cheveux flottaient autour de son visage, lui conférant un halo mystique. Et le doigt accusateur
qu’elle pointait sur lui en disait long.

Arianna ne prononça pas un mot.

Non, bien sûr.

Était-elle réelle ? Était-ce bien sa sœur qui se tenait là ?

En temps normal, il aurait été tenté de conclure à une fraude, une extension de la magie noire
qui oppressait les lieux, un maléfice qui aurait tiré directement de son esprit son plus vieux et
vivace regret…

Mais avec la bague si proche, avec la pierre de résurrection à portée…

Il leva la main vers elle, vers ce doigt accusateur, certain que s’il pouvait la toucher,
l’enlacer…

« Expulso ! »

« Non ! » eut-il à peine le temps de crier avant que sa sœur ne soit projetée au loin, avalée par
la brume.

Severus, lorsqu’il émergea des volutes, lui jeta un regard scrutateur, lourd de question. Ce fut
Harry qui s’empressa de le remettre sur pieds, grimaçant tout du long.

Il ignora leurs questions, trop conscient des fantômes qui s’agitaient dans la brume autour
d’eux.
« Finissons-en. » ordonna-t-il, appelant à lui d’un Accio informulé sa baguette et l’épée de
Gryffondor.

°O°O°O°O°

Un gamin.

C’était un gamin.

À peine suffisamment vieux pour avoir passé ses A.S.P.I.C.s, si tant est qu’il les ait seulement
passés. Avec tous les élèves qui avaient quitté l’école récemment…

A peine plus vieux que Draco, Harry et les autres.

Tonks l’étudia un moment en silence, ne ressentant que pitié pour le garçon qui tentait de
garder un air bravache mais cachait mal à quel point il était terrifié. Il pouvait être terrifié,
cela dit. Elle n’avait pas pour habitude de terrifier ses prisonniers mais ils étaient en guerre et
une fois qu’elle l’aurait ramené au bureau des Aurors…

Scrimgeour avait autorisé l’utilisation de Veritaserum sur tous les Mangemorts capturés.

« Ton nom. » demanda-t-elle.

« Va te faire foutre, Sang-de-Bourbe ! » cracha le garçon.

Nyssa se coula près d’elle et, avant qu’elle ait pu l’arrêter, attrapa les cheveux du gamin pour
tirer sa tête en arrière, exposant sa gorge. La vampire sourit, découvrant des canines
impressionnantes. Sa bouche était toujours tâchée du sang de l’autre Mangemort.

« Ce n’est pas très gentil, ça. » susurra-t-elle, le forçant davantage à arquer la nuque avant de
promener un doigt sur sa gorge. « Pas très prudent non plus. »

Tonks espérait fortement que la vampire bluffait mais était un peu trop consciente d’avec
quelle facilité elle aurait put l’égorger. Et il était leur seul témoin, la seule personne qui
pouvait innocenter ou incriminer l’autre femme. « Nyssa… »

« Qui vous a envoyés ? » demanda la vampire, sur le ton de la conversation.

Le garçon se raidit. « Tuez-moi. Je ne parlerai pas. »

« Oh, que si tu vas parler. » se moqua Tonks. « Que tu le veuilles ou non, d’ailleurs. » Elle
secoua la tête. « Ramenons-le au Ministère et tirons ça au clair. »

Nyssa, cependant, ne semblait pas prête à le remettre aux mains des autorités compétentes.

La vampire approcha sa bouche de sa gorge, claquant les dents à un millimètre de la peau,


souriant lorsque le Mangemort laissa échapper un gémissement terrifié.

L’Auror fronça les sourcils. « Nyssa. »


« Qui est l’espion ? » murmura la vampire, d’un ton presque hypnotique. « Qui vous fournit
vos informations ? »

Le gamin avait les yeux presque révulsés de peur. « Je sais pas ! »

Tonks était encline à le croire. Il était évident que les Mangemorts qui les avaient attaquées
étaient du menu fretin. Elle était prête à parier que lorsqu’elle ôterait les masques de ceux qui
étaient morts, elle ne trouverait aucun sorcier important dessous. Personne, en tout cas, du
cercle intime du mage noir.

« Pourquoi étiez-vous ici ? » insista tranquillement Nyssa. « Quelle était votre mission ? »

Le garçon resta silencieux une seconde de trop. Nyssa inclina la tête, approcha à nouveau ses
canines de la jugulaire…

« Snape ! » couina-t-il.

Tonks se raidit. « Quoi ? »

Le gamin fit la grimace puis sembla capituler. « Le traître finira par crever de toute
manière… La Marque… Mais le Maître veut le faire souffrir d’abord. Alors… »

Le regard qu’il posa sur elle en disait long.

« Ça en devient vexant. » soupira-t-elle. « Tous ces gens qui me veulent morte à cause de tel
ou tel homme… Quoi ? Je ne mérite pas d’être sur leur liste juste parce que je suis une putain
d’Auror qui peut leur botter le cul ? »

Nyssa laissa échapper un petit rire sans trop d’amusement.

« On est censé te capturer si possible. » grommela le gamin.

Ça attira son attention. « Répète ? »

Le garçon avait les yeux bruns et ils étaient si froids, si pleins de fanatisme lorsqu’ils
rencontrèrent les siens que Tonks dût se faire violence pour ne pas faire un pas en arrière.

« La Sang-de-Bourbe de Snape. » cracha-t-il. « Le Maître te veut vivante si possible. »

Inutile de demander pourquoi.

Elle fit de son mieux pour ignorer le frisson glacé qui lui parcourut l’échine.

« Il n’est pas suffisamment stupide pour se précipiter dans la gueule du loup à mon secours. »
rétorqua-t-elle, en secouant la tête.

Et, pourtant, elle ne put s’empêcher de se remémorer le bras que Dumbledore avait levé pour
lui barrer le passage lorsque Remus avait eu ses crocs de part et d’autre de sa gorge, la vitesse
avec laquelle il s’était jeté sur elle pour la trainer loin du danger une fois que les mâchoires
s’étaient écartées…
Mais Severus était plus intelligent que ça.

Il ne foncerait pas dans un piège pour elle.

Il n’était pas un Gryffondor.

« Il va mourir. » insista le Mangemort.

« C’est ça, c’est ça… » soupira-t-elle. « Stupefix. »

Nyssa le laissa tomber au sol sans grande douceur et lui fit face, semblant incertaine.

« Je ne suis toujours pas convaincue. » déclara la vampire.

« Eh bien, moi non plus. » rétorqua Tonks. « Tu es toujours très suspecte. »

« Autant que toi. Autant que Snape. » Nyssandra haussa les épaules. « Autant que tous les
autres. »

« Oui… » grinça-t-elle. « C’est bien ça le problème. »

°O°O°O°O°

Harry agrippait la baguette que Severus lui avait rendue grâce à un sort d’attraction, scrutant
la brume qui les enveloppait, si dense qu’il parvenait à peine à distinguer les silhouettes des
deux sorciers qui l’encadraient.

« Est-ce que l’horcruxe est toujours sur la table ? » demanda-t-il, sans réfléchir.

Comme plus tôt, le mot sembla rebondir sur les murs en un millier de chuchotements à glacer
le sang. Il grimaça.

« Je pense qu’il serait sage de bannir ce mot de notre vocabulaire pour l’instant. » ordonna
Severus.

« Un Accio ? » suggéra-t-il, tout de même. « Sur la bague ? »

« Trop risqué. » détermina le Professeur.

« Sans compter qu’elle est certainement protégée contre ce genre de sortilèges. » remarqua
Dumbledore, en faisant un pas prudent en avant.

Harry le suivit et sentit plus qu’il ne vit Severus faire de même sur sa gauche.

La cuisine n’était pas si grande malgré l’effet que produisait le brouillard. La table, et donc la
bague, ne pouvait pas être bien loin.

Ils n’avaient pas fait deux pas qu’une ondulation sembla faire frémir les volutes de brume
autour d’eux.

Et puis…
Harry recula instinctivement lorsque la brume sembla se matérialiser en plusieurs corps.
Cédric était, au centre, et derrière lui…

« Lily. » s’étrangla presque Severus.

Ce n’était pas la Lily qu’Harry avait connu cependant.

Ce n’était pas l’adolescente qui souriait facilement, riait volontiers et aimait à le taquiner.
Non… C’était l’adulte, celle qu’il avait étudiée si souvent sur les photos que lui avait
données Hagrid. Elle avait l’air si triste, si…

James se tenait, grave, à côté de sa mère.

Mais ils n’étaient pas seul.

Des douzaines de gens se tenaient là, les encerclant au point qu’Harry, Severus et
Dumbledore se mirent instinctivement dos à dos, une position défensive qui les laissait
toutefois trop exposés.

« Qui sont ces gens ? » demanda-t-il.

Les visages, pour la plupart, n’étaient pas familiers.

Lorsqu’il répondit, la voix de Severus était tranchante, distante. Harry savait, sans avoir
besoin de le voir, qu’il occludait.

« Mes victimes. » murmura le Professeur. « Des gens que j’ai tué. »

Harry sursauta.

C’était une chose de savoir que…

« Les miennes également. » ajouta Dumbledore, pensif. « D’autres que je n’ai pas pu sauver.
Certains dont j’ai malencontreusement provoqué la mort. »

Harry se risqua à quitter Cédric et ses parents du regard suffisamment longtemps pour jeter
un coup d’œil vers le Directeur. La fille qui lui avait fait face dans la brume était là de
nouveau. Et juste derrière elle…

Il sentit son cœur se serrer en reconnaissant Arthur Weasley et Fol’œil.

« Vous n’avez pas tué Fol’œil ou Mr Weasley. » se sentit-il obligé de lui rappeler.

« Non… » répondit Dumbledore. « Non, tu as raison, Harry, mais je suis responsable. »

Avant qu’Harry ait pu l’en empêcher, le vieux sorcier abaissa sa baguette et marcha droit vers
ses fantômes, l’épée de Gryffondor pendant au bout de son autre bras ballant.

« Professeur ! » cria-t-il, tentant de le retenir.

Ses doigts frôlèrent à peine le tissu éliminé de son ridicule costume moldu.
« Harry ? » s’enquit Severus, d’un ton faussement calme. « Que se passe-t-il ? »

Le Maître des Potions n’osait pas détourner le regard de la masse de personne devant lui,
comprit Harry.

« Il a marché droit vers eux. Il… Il a disparu. » résuma-t-il.

Il ne pouvait plus voir Dumbledore. C’était comme si la brume l’avait avalé. Il ne pouvait
plus voir les fantômes du vieux sorcier non plus.

Severus se déplaça jusqu’à ce qu’ils se tiennent complètement dos à dos mais ne lui donna
aucune instruction. Il était si difficile de réfléchir… Le sort de repousse lui broyait toujours
les tripes, lui intimait toujours de se sauver et…

« Culpabilité. » lâcha soudain le Professeur dans son dos. « Tu n’as pas tué Cédric ou tes
parents. Il ne s’agit donc pas de véritables… »

La voix trainante du Maître des Potions s’éteignit sans qu’il termine sa phrase.

« Alors quoi ? » répondit Harry, s’étouffant presque sur un rire plus paniqué qu’amusé. « On
baisse les armes et on marche vers eux et… »

« Je l’ignore. » grinça Severus. « Je peux à peine réfléchir. La sensation ne pourrait pas être
pire s’il y avait un Détraqueur dans la pièce. »

C’était exactement la sensation qu’éprouvait Harry. Excepté qu’au désespoir s’ajoutait la


terreur que…

C’était comme si quelqu’un venait d’allumer la lumière.

L’idée jaillit et, avant qu’il ait put se laisser douter, il ferma les yeux et murmura la formule.
Il ne se donna pas le temps d’hésiter ou de craindre d’échouer. De son pouce gauche, il pressa
contre le sceau des Princes qui reposait sur son majeur, pour mieux s’ancrer dans son
souvenir heureux.

Le sombral argenté fusa du bout de sa baguette et courut autour d’eux, formant un cercle
protecteur avant de foncer sur les silhouettes menaçantes qui explosèrent en volutes dès que
le Patronus les toucha.

« Spero Patronum. » lança Severus quelques secondes plus tard.

La biche était bien moins brillante que le sombral et paraissait diminuée, plus petite, plus…

Oh.

Ce n’était pas une biche.

« Euh… » hésita-t-il.

« Plus tard. » siffla Severus d’un péremptoire qui signifiait sans doute jamais.
Se souvenant d’à quel point il avait été embarrassé quand son propre sombral avait changé, il
décida de laisser tomber.

Il y avait, de toute manière, plus urgent.

Les Patronus patrouillant autour d’eux en un large cercle, ils s’élancèrent, un peu à
l’aveuglette, dans la direction qu’avait pris le vieux sorcier. Il ne leur fallut pas longtemps
pour le rejoindre.

Apparemment, il avait trouvé la table.

Il avait la main tendue au dessus de l’horcruxe et laissait couler son sang sur la bague qui
semblait l’absorber comme si…

« Albus, que… » s’inquiéta Severus.

Le Directeur jeta un coup d’œil aux patronus. « Il suffisait d’embrasser votre culpabilité. Ce
n’est qu’une illusion. Ils sont inoffensifs au demeurant. »

« Une illusion ? Ils peuvent… » Le Maître des Potions porta la main à son visage, comme par
reflexe, avant de la retirer avec une expression surprise. « J’aurais juré… »

« Des illusions toutefois convaincantes. » nuança Dumbledore. « Reculez, Severus, les


protections vont céder. Harry, si tu veux bien. »

Harry attrapa par réflexe l’épée que le vieux sorcier lança dans sa direction.

« Non… » commença à protester Severus. « Si quelqu’un doit… »

Il n’eut pas le temps de finir.

Il y eut un craquement sonore et puis la brume disparut brusquement, comme aspirée par la
bague. Harry coinça hâtivement sa baguette dans sa poche et empoigna à deux mains la garde
de l’épée. Il ne se donna pas le temps de réfléchir car il ne semblait que trop évident que
l’horcruxe allait à nouveau les combattre.

Il abattit l’épée de Gryffondor sur la table, laissant à peine à Dumbledore le temps de reculer
précipitamment.

Un cri affreux retentit dans le cottage et quelque chose surgit de la bague, quelque chose qui
ressemblait à une ombre poisseuse, uniquement pour disparaitre dans les air.

Le cri d’agonie mit une minute à s’éteindre et Harry le sentit, il le sentit dans sa poitrine, le
déchirement.

« L’horcruxe est détruit. » murmura-t-il, plus pour lui-même que…

Voldemort l’avait-il senti lui-aussi ?


« En est-on certain ? » s’enquit Severus, en levant un peu sa baguette. « Les protections sur le
cottage sont toujours actives. »

« Il est détruit. » insista Harry.

Son cœur continuait pourtant de battre de manière anarchique et il n’avait rien qu’il souhaitait
plus que de quitter cet endroit au plus vite.

« Que faites-vous ? » demanda soudain Severus, alarmé. « Albus ! »

Harry s’écarta par réflexe lorsque le Professeur se jeta presque sur le Directeur, l’empêchant
une nouvelle fois d’attraper la bague. Le vieux sorcier se dégagea sans mal de la poigne du
Maître des Potions mais Harry était prêt. Il envoya voler la bague à l’autre bout de la cuisine
du bout de l’épée.

Dumbledore n’avait pas l’air amusé du tout par leur manège.

« Il me faut cette bague. » grinça le vieil homme, en tentant de contourner Severus.

« Qu’a-t-elle donc de si important ? L’horcruxe est détruit. » riposta le Maître des Potions, en
lui coupant la route. « S’il s’agit de l’étudier… »

« Bien évidement qu’il s’agit de l’étudier. » rétorqua Dumbledore.

Harry ne put s’empêcher de penser qu’il mentait.

« Et si on l’emportait et que vous vous disputiez plus tard ? » suggéra-t-il. « Vous savez,
ailleurs que dans ce trou à rat effrayant ? »

Severus, les lèvres pincées, ne bougea pas. « Il est stupide de penser que le Seigneur des
Ténèbres n’a pas placé plus d’un maléfice dans cet endroit, horcruxe détruit ou pas. Si vous
tenez absolument à récupérer cette bague, procédons avec prudence. »

L’homme ne recula que lorsque Dumbledore acquiesça.

Harry tenta du mieux qu’il put de contrôler son impatience alors que le Maître des Potions
s’accroupissait tant bien que mal à côté de la bague et lançait une série de sortilèges visant à
déterminer si l’objet était dangereux. L’épée de Gryffondor dans une main, sa baguette dans
l’autre, le garçon scrutait les ombres qui semblait se mouvoir aux quatre coins de la cuisine
comme si elles étaient vivantes.

« Il y a une malédiction sur cette bague. » gronda Severus, au bout de plusieurs minutes. Il
leva la tête vers Dumbledore, son expression mécontente. « Si vous l’aviez touchée, vous
seriez mort en quelques heures. Quelques mois, peut-être, en imaginant que j’ai pu contenir le
maléfice à temps. »

Le vieux sorcier ne tressaillit pas mais il inclina la tête en guise d’excuse et de remerciement.
Severus lui rendit son hochement de tête mais paraissait toujours contrarié par son manque
étrange de prudence.
« Pouvons-nous briser la malédiction ? » s’enquit Dumbledore.

« Probablement mais cela prendra du temps et je refuse de rester ici une minute de plus que
nécessaire. » répondit le Maître des Potions. « Seul le contact physique est dangereux. Tant
que vous ne la touchez pas à mains nues… »

« Je m’en occuperai plus tard. » approuva le vieux sorcier, en faisant apparaître un coffret à
bijou. Il fit léviter la bague à l’intérieur, en referma le couvercle d’un geste sec et les invita à
sortir de la cuisine.

Harry fût le premier dehors.

Il respira à pleins poumons l’air frais de la nuit, ne parvenant pas à s’émouvoir de la pluie
battante dont il n’était plus protégé. L’impervius de Severus avait du s’estomper.

La main du Maître des Potions le poussa vers l’avant et ils avancèrent aussi vite que sa jambe
raide le lui permettait vers le trou dans la barrière de ronces. Dumbledore semblait moins
pressé.

Il avait l’air… satisfait.

Harry aurait dû l’être aussi, supposait-il. Ils auraient tous dû l’être. C’était une victoire, après
tout, le premier pas qui leur permettrait de vaincre Voldemort…

« Vous croyez qu’il l’a senti ? » demanda-t-il à Dumbledore alors qu’ils se hâtaient le long du
sentier dans les bois. « Vous croyez qu’il sait ? »

« Dur à dire. » répondit le Directeur.

Severus lui jeta un regard dur. « S’il y avait ne serait-ce qu’une possibilité pour qu’il le sente,
il aurait mieux valu récupérer tous les horcruxes avant de les détruire. S’il a senti la
destruction de celui-ci, il risque de déplacer les autres à Azakaban… »

Le vieux sorcier secoua la tête. « Il y a tellement de fragments… Non, je ne pense pas qu’il le
sente pour le moment… Quant il n’en restera que deux ou trois, là, peut-être… Et il ne
prendra jamais le risque de les rassembler au même endroit. »

Harry accrocha le regard de Severus dans le dos du Directeur et eut une moue dubitative.

Il l’avait senti.

Certes, il l’avait peut-être imaginé.

Et peut-être que c’était différent parce qu’il était un autre horcruxe mais…

La main du Professeur serra brièvement son épaule en signe de compréhension.

« Rentrons à Poudlard. » intima sèchement Severus, son regard balayant nerveusement les
alentours.
Harry n’était que trop heureux d’obéir.

°O°O°O°O°

Severus ne se détendit que lorsqu’ils passèrent les grandes portes. À l’abri à l’intérieur du
château, il s’autorisa finalement à souffler.

Son corps meurtri le fit grimacer et il résista à grand peine au besoin de s’appuyer contre le
mur. Il aurait dû emmener sa canne, se reprocha-t-il pour la cinquantième fois. La marche
allée et retour avait été rude pour sa jambe et cela sans parler des diverses attaques physiques
dont il avait fait l’objet ce soir là.

« Souhaitez-vous mon aide pour… » s’enquit-il, se préparant mentalement à monter les


nombreux escaliers qui menaient au bureau du Directeur et à la longue nuit qui suivrait
passée à étudier la malédiction qui pesait sur la bague.

Dumbledore le congédia d’un simple geste, sans même un véritable regard, déjà à moitié
escalier.

Severus échangea un regard avec Harry qui haussa les sourcils. Inquiet étant donné le
comportement d’Albus dans ce cottage, il ne résista pas au besoin de lui rappeler une
nouvelle fois d’être prudent. « Ne la touchez pas à mains nues ! »

La dernière chose dont ils avaient besoin était que le vieux sorcier ne s’empoisonne
accidentellement.

« C’est moi ou il est bizarre avec cette bague ? » demanda Harry, alors qu’ils se dirigeaient
lentement – lentement car Severus boitait ouvertement, incapable de dissimuler plus
longtemps son problème – vers les cachots.

Le garçon esquissa un geste mais retira sagement la main qu’il avait tendue lorsque Severus
le fusilla du regard.

Il n’avait pas besoin d’aide. Il pouvait très bien se débrouiller seul.

Lentement, certes, mais seul.

« Ce n’est pas toi. » grommela-t-il. « Et j’aurais préféré pouvoir la subtiliser… Ou tout moins
y jeter un meilleur coup d’œil… »

« Ah, je savais bien que ces sorts de diagnostics prenaient un peu trop longtemps… »
plaisanta Harry mais le cœur n’y était pas.

L’adolescent était renfermé depuis qu’ils avaient quitté le cottage.

« Veux-tu en parler ? » offrit-il.

À sa décharge, le Gryffondor ne fit pas semblant de ne pas comprendre. « Il n’y a pas grand-
chose à dire, si ? »
Severus voulait insister. L’attitude du garçon dernièrement l’inquiétait. Il paraissait déprimé,
si certain qu’il ne survivrait pas, que…

Le Maître des Potions refusait d’envisager l’éventualité.

Il décida d’attendre avant de pousser le gamin à la confidence. Parvenir à leurs appartements


demandait toute sa concentration et il n’était que trop conscient d’être à bout de souffle et en
sueur lorsqu’ils y arrivèrent enfin.

Il n’était pas dans les meilleures dispositions lorsqu’il trouva Black avachi dans un de ses
fauteuils, un livre – un livre qui lui appartenait – à la main.

« Qui t’a laissé entrer ? » aboya-t-il.

« Toi. » répondit le cabot, bravache. Black dut cependant comprendre qu’il n’avait guère
d’humour à ce moment là car il s’extirpa du fauteuil et leva les mains en geste d’apaisement.
« Tu m’as donné le mot de passe de ton laboratoire… »

« En cas d’urgence. » siffla-t-il.

« Oui, eh bien, il y a un passage secret qui le relit à tes appartements et je voulais être sûr
qu’Harry était revenu en un seul morceau. Et puis si tu avais voulu me garder à la porte, tes
protections ne m’auraient pas laissé passer. » lâcha l’homme, comme si cela réglait la
question.

C’était sa propre faute, se morigéna Severus. Les lions tendaient à se penser les bienvenus
perpétuellement dès lors qu’on leur ouvrait la porte une seule fois.

« Il s’agissait d’une précaution, pas d’une invitation. » cingla-t-il.

Le sorcier l’ignora, étudiant Harry du regard. « Comment ça s’est passé ? »

« Génial. » se moqua Harry, pince-sans-rire. « Quelques fantômes, une malédiction, une


randonnée dans les ronces, un bout de l’âme de Vol… » Le garçon s’interrompit le temps
d’un coup d’œil à l’avant-bras gauche du Maître des Potions et se reprit dans la second.
« Tu-sais-qui. »

Black secoua la tête avec une grimace. « Tu passes trop de temps avec Snape. Le sarcasme,
c’est contagieux ? »

« Toujours moins que ta stupidité. » grommela Severus, en claudiquant jusqu’au mur où sa


canne était abandonnée. Il grinça les dents, sentant les regards inquiets qui suivirent sa
progression, mais fût soulagé une fois qu’il put s’appuyer sur autre chose que sa jambe raide.
« L’horcruxe est détruit. »

« Il était vivant. » déclara le gamin. « Il était conscient. Ils nous auraient possédés s’il l’avait
pu. »

« Extrapolation. » jugea Severus.


« La brume… C’était l’horcruxe. » insista Harry. « Il était dans nos têtes. Il… »

« Harry, ça aurait aussi bien pu être un sortilège. » l’interrompit Severus, s’appuyant plus
fortement sur sa canne. « Cesse de penser que l’horcruxe peut prendre possession de toi ou
t’influencer. Je t’ai déjà expliqué… »

« Très bien. » Le garçon leva les yeux au ciel.

« Harry. » grinça-t-il, agacé tout autant par sa propre incapacité à convaincre l’adolescent que
par son insolence.

« Je vais me coucher. » déclara l’adolescent.

Même si Severus avait voulu le rattraper ou le suivre pour mieux le sermonner à propos de la
porte qu’il claqua quelques secondes plus tard, il ne l’aurait pas pu. Sa main tremblait si fort
sur le pommeau de la canne qu’elle ne lui offrait pas la stabilité escomptée. Il n’osait pas
faire un pas.

La main qui agrippa son bras n’était pas surprenante mais elle était toutefois malvenue et il se
dégagea sèchement.

Black ne dit rien mais jeta un regard insistant en direction du canapé.

« Si je m’assois, je ne me relèverai pas. » maugréa-t-il, les joues rouges de devoir en avouer


autant.

« Est-ce un mal ? » rétorqua l’ancien prisonnier, sur un ton de défi.

Trop éreinté pour se mettre pleinement en colère, Severus soupira avec lassitude. « J’ai
besoin d’une douche davantage que de repos. »

C’était sans doute faux. Il avait davantage besoin de repos que d’une douche mais il avait
l’impression très désagréable que la magie noire qui avait suinté de tous les pores de ce
cottage lui collait à la peau.

La sensation le répugnait.

« Je n’allais rien dire… » plaisanta Black, en fronçant le nez comme si l’odeur était
particulièrement gênante.

« Rappelle-moi pourquoi je tolère ta présence ? » grinça-t-il, résistant de peu à l’envie de lui


jeter un sortilège bien puéril.

« Parce que tu n’as pas d’autre ami. » rétorqua le sorcier, goguenard. L’amusement disparut
bien vite, cependant. « Comment ça s’est vraiment passé ? Parce que tu n’as pas l’air en
forme. Et Harry… »

« La nuit fût éprouvante. » confirma-t-il. « Nous en parlerons demain. J’ai pu examiner la


bague une fois l’horcruxe détruit, ce n’était pas encourageant. »
Black sembla sur le point de protester puis acquiesça finalement, non sans lui jeter un dernier
coup d’œil incertain. « Tu es sûr que ça va ? »

Severus leva les yeux au ciel. « Tant de sollicitude. »

« C’est Harry qui me préoccupe. Je n’ai pas envie de le ramasser encore une fois à la petite
cuillère parce que tu es aux portes de la mort. » cingla l’homme.

« Je ne suis pas aux portes de la mort. » marmonna-t-il. « Je me porte très bien. »

Black laissa échapper un bruit amusé qui était plus ironique qu’autre chose. « Si tu le dis,
Servilus. Envoie-moi un Patronus au besoin. »

Il attendit d’entendre la porte d’entrée se refermer sur l’autre sorcier pour s’effondrer contre
le mur et fermer les yeux. Il renforça ses boucliers mentaux, emprisonnant ce qui s’était passé
plus tôt ce soir là derrière un mur d’émotions. Il n’était pas prêt à y penser, pas prêt à
l’affronter…

Il se concentra plutôt sur l’effort de mettre un pied devant l’autre et se traina jusqu’à sa
chambre.

La douche ne parvint pas totalement à effacer l’impression que les effluves de magie noire lui
collait à la peau. Et elle ne fit rien pour faire passer le dégout qui lui brûlait la gorge.

À chaque fois qu’il fermait les yeux, au travers de ses boucliers, il revoyait tous ces
visages…

Il aurait dû se coucher, tâcher de dormir, mais il se força pourtant à claudiquer jusqu’à la


cuisine, engoncé dans sa robe de chambre. Il n’osait imaginer les horreurs qui l’attendraient
dans son sommeil.

Il fit chauffer la bouilloire d’un coup de baguette, mit le thé à infuser d’un autre… Ses mains
tremblaient trop pour qu’il essaye de s’en servir.

Avec difficultés, il se traina jusqu’à la chambre d’Harry, toqua faiblement à la porte. Il n’y
eut pas de réponse alors il poussa tout de même la porte, sans entrer, juste pour vérifier que
tout allait bien. Le garçon était dans son lit, endormi d’un sommeil qui ne semblait pas tout à
fait paisible. Une boule de lumière aux couleurs douces et changeantes flottait à côté de sa
tête.

Latundo.

Il avait donc ressenti le besoin d’occluder ou, tout du moins, d’être rassuré.

La bouche pincée d’agacement envers Dumbledore qui aurait très bien pu lui éviter cette
épreuve, il referma doucement la porte et lança un simple sort qui l’alerterait si le garçon
avait un cauchemar.

Puis il alla au salon, prenant appui sur le mur, sa jambe trainant derrière lui comme un poids
mort. Il s’affala sur le canapé puisque personne n’était là pour être témoin de son manque de
contrôle et fit léviter son thé de la cuisine jusqu’à la table basse.

Bien évidemment, il lui apparut très vite qu’il ne serait pas capable de le boire.

Ses mains…

Avec une grimace de dépit, il laissa tomber sa tête en arrière sur le dossier du canapé et ferma
les yeux.

Ses boucliers n’étaient pas encore suffisamment résistants pour qu’il ignore plus longtemps
l’éléphant au milieu du magasin de porcelaine alors il les abaissa, grimaçant davantage.

La peur, le dégout…

Elles le prirent au ventre.

Tobia qui se dressait au-dessus de lui.

Le bruit de la ceinture.

La morsure de la douleur lorsque le cuir avait rencontré sa joue…

Tout son corps tremblait et il aurait été hypocrite de blâmer l’endoloris.

Sur le moment, il se prit à regretter ses anciens boucliers mentaux. Eux auraient pu contenir
ces émotions parasites, les réprimer… Il n’aurait jamais eu à les affronter. Elles n’auraient
servie à qu’à renforcer ses protections.

Et puis tous ces visages qui l’avaient entourés par la suite, tous les visages qui le hantaient
parfois la nuit…

Et qu’Harry ait dû être témoin de tout ça en prime…

Le feu se raviva d’un coup dans la cheminée, le faisant sursauter.

Le visage de Nymphadora apparut dans les flammes, passablement contrarié. Un coup d’œil à
la pendule lui apprit qu’il était bien trop tard pour une simple visite de courtoisie.

« Severus. » lâcha-t-elle d’un ton plat. « Est-ce que je peux traverser ? »

Severus jeta un coup d’œil en direction de la porte du salon, prenant soin de garder la voix
basse. « Harry est dans sa chambre. »

Et la dernière chose dont il avait besoin ce soir là était de devoir s’expliquer sur sa relation
avec l’Auror.

Le garçon avait fait une ou deux insinuations qui lui laissaient passer qu’il soupçonnait plus
qu’il n’en disait mais Severus n’était pas prêt à… Après tant de temps passé à avoir juré que
Lily avait été l’amour de sa vie, comment pouvait-il expliquer à son fils que…

Il n’était pas prêt.


Et, plus que tout, il ne voulait pas risquer sa relation avec Harry pour ce qui n’était que…

Mais n’était-ce que…

Et il y avait plus urgent que sa vie sentimentale de toute manière.

Nyssandra, se souvint-il, pendant qu’il était parti chasser l’horcruxe, l’Auror s’était mise en
tête d’enquêter sur la vampire.

« J’ai besoin de te parler. » insista la jeune femme.

D’un coup de baguette, il déplaça le pare-feu et l’invita à traverser d’un hochement de tête.
Puis il posa des protections sur le salon. Harry était suffisamment familier avec elles pour
passer au travers s’il le souhaitait mais il espérait que, s’il les renforçait au maximum,
l’adolescent comprendrait qu’il voulait un peu d’intimité et le respecterait.

Le sort le préviendrait de toute manière si Harry se réveillait… Il aurait le temps d’anticiper.

Nymphadora émergea de la cheminée dans un nuage de cendres qui le fit froncer du nez mais
un seul coup d’œil à la jeune femme et il oublia ses remontrances.

« Que t’est-il arrivé ? » s’inquiéta-t-il.

Se hisser sur ses pieds fut un effort mais elle…

Son blouson en jean était déchiré à plusieurs endroits, elle avait une estafilade sur la joue et
son bras gauche était replié contre sa poitrine.

« J’ai vu un Médicomage. » déclara-t-elle préventivement. Elle ne tenta pas, cependant, de


l’empêcher de jeter un sort de diagnostic. A peine leva-t-elle les yeux au ciel lorsqu’il la
tourna de force pour appuyer prudemment sur son omoplate où le sortilège lui indiquait des
os fraichement ressoudés. Elle ne put retenir un petit glapissement de douleur, cela dit.
« Hey ! »

« J’ai un baume pour… » offrit-il, sans avoir une chance de terminer.

Elle se retourna et le fusilla du regard, les mains sur les hanches.

Ses cheveux étaient rouges.

Il leva les sourcils.

« Nyssa et moi sommes tombées dans une embuscade. » l’informa-t-elle, l’irritation


clairement perceptible dans sa voix. Elle balaya l’air de la main avant qu’il ait pu en
demander plus. « Plus de peur que de mal. Non, je ne sais pas si c’est elle l’espion mais, elle,
elle nous soupçonne nous, si tu veux tout savoir. Et, non, ce n’est pas le plus important, là
tout de suite. » Son regard se durcit encore. « Montre moi ta Marque. »

Placer son bras gauche derrière son dos, hors de portée, fut un réflexe. Une erreur. Une erreur
qu’il n’aurait jamais commise si ses boucliers avaient encore été intact, s’il avait pris le temps
de réfléchir à ce que cela trahissait au lieu de réagir, si… « Nous avons un accord à ce
sujet. »

Un accord qui lui avait bien rendu service ces dernières semaines.

Il n’avait jamais voulu qu’elle voit la Marque et la gardait bandée quand ils étaient ensemble.
Cela lui avait évité d’avoir à expliquer à quel point la situation était… périlleuse.

« Nous avons capturé un Mangemort. » siffla-t-elle. « Il n’avait pas grand-chose d’intéressant


à dire mais, crois le ou non, il semblait persuadé que la Marque était en train de te tuer à petit
feu. Ce qui est, bien sûr, ridicule parce que s’il se passait quelque chose de ce genre, tu me
l’aurais dit, Severus, n’est-ce pas ? »

Les cheveux de la jeune femme avait progressivement virés au noir.

Severus se réfugia derrière le masque lisse et neutre de l’Occlumencie.

Il avait la sensation pernicieuse d’avoir fait une erreur quelque part.

« Dire que la Marque est en train de me tuer est grandement exagéré. » contra-t-il finalement.

Elle le fixa longtemps du regard avant de se frotter les yeux. « Montre-moi. »

Il pressa son bras plus fort contre le creux de son dos. « Non. »

Elle avait l’air bien plus vieille que son âge lorsqu’elle croisa à nouveau son regard, bien plus
vieille qu’au début de cette guerre.

« Tu me mens. » accusa-t-elle.

« Non. » grimaça-t-il. « La Marque n’est pas en train de me tuer. Du moins… pas tant que
Bill Weasley effectue un certain rituel à intervalles réguliers. »

Ses yeux lançaient des Avada.

« Donc Bill est au courant mais pas moi ? » grinça-t-elle. « Qui d’autre ? Dumbledore ? »

« Dumbledore. » confirma-t-il dans un haussement d’épaule, s’appuyant de ce qu’il espérait


être d’une manière nonchalante plus qu’épuisée contre l’étagère la plus proche afin de
soulager sa jambe de son poids. Son regard gris était trop perçant et il était quasiment certain
qu’elle savait pertinemment ce qu’il était en train de faire. Il en était agacé et perdu à la fois,
pas tout à fait certain de pourquoi elle semblait si en colère. « Poppy. Ta mère. Et Black. »

« Sirius ? » explosa-t-elle. Il rajouta un sort de silence sur le salon juste au cas où mais n’était
pas inconscient au point de lui demander de baisser d’un ton. « Tu l’as dit à Sirius ? »

« Black était là lorsque Weasley… » commença-t-il à se justifier avant de s’interrompre d’un


coup. Pourquoi exactement était-il en train de se justifier ? « Je ne vois pas en quoi c’est
important. Tu… »
« Tu ne vois pas en quoi c’est important que tu m’ais caché que tu étais peut-être en train de
mourir ? » cingla-t-elle, lui coupant la parole.

Ses yeux étaient pleins de larmes.

Severus détestait les émotions qui se bousculaient en lui. Il voulait se mettre en colère, la
tenir à distance, mais, en même temps, il se sentait… coupable, et agacé de se sentir
coupable. Et puis…

« Je ne suis pas en train de mourir, Nymphadora. » répliqua-t-il sèchement. « La situation est


sous contrôle. »

« Mais tu n’as pas jugé bon de me le dire. » insista-t-elle. « Tu t’es confié à Sirius, à Bill,
mais moi… Quoi ? Je ne compte pas ? »

Elle secoua la tête et se détourna, marchant jusqu’à la grande fenêtre enchantée qui reflétait la
vue sur la Forêt Interdite. Il faisait trop sombre pour y voir quoi que ce soit mais il doutait
que ce soit la vue qui l’intéressait de toute manière. Ses épaules tressautaient et…

Oh, il n’avait jamais été bon lorsqu’il était question d’affronter ses propres émotions, celles
des autres le mettaient toujours mal à l’aise.

Il ne savait pas comment exprimer cet amas de sentiments qui se battaient en lui. Avec ses
nouveaux boucliers, occluder ne l’aidait pas à faire le tri et il n’était pas suffisamment…
Rester détaché était tellement plus compliqué depuis soixante-quinze, depuis Harry…

« Tu comptes trop. » murmura-t-il, presque trop bas pour que sa voix porte jusqu’à elle. Il se
racla la gorge, reporta son attention sur la tasse de thé qu’il n’avait pas bue et qui avait depuis
longtemps cesser de fumer. La confession lui coûtait. Il était mal à l’aise. « Je n’ai pas non
plus informé Harry. »

« Harry est un enfant sous ta responsabilité. » rétorqua-t-elle, la voix lourde de larmes.


« C’est différent, Severus. »

Mais pas tant que ça.

Parce qu’Harry et elle étaient probablement les deux personnes les plus proches de lui
actuellement.

Et n’était-il pas de sa responsabilité à lui de s’assurer de leur bien être ?

« Il n’y avait aucune raison logique de t’informer de quelque chose qui t’inquiéterait pour
rien. » insista-t-il.

« Je n’ai pas besoin qu’on me protège ! » s’énerva-t-elle, en faisant volte-face.

Il se détesta pour les larmes qui coulaient sur ses joues mais, en même temps, lui en voulait
un peu pour cette scène qui… Qu’avait-il fait de mal exactement ? Il ne lui avait rien
dissimulé de grave. Il n’avait pas cherché à la blesser ou…
Il n’avait pas retourné sa baguette sur elle emporté par l’ambiance générale après avoir juré
lui faire confiance, souffla une petite voix mesquine au fond de son esprit.

« Je pensais que tu l’avais compris, que tu me traitais en égale. » grinça-t-elle.

Ce coup-ci, la colère l’emporta et il se redressa tant bien que mal. « Ne me reproche pas, à
moi, les erreurs de Lupin. Je ne t’ai jamais… »

« Mais c’est exactement la même chose. » l’interrompit-elle, en levant les bras au ciel. « Sois
tu ne me respectes pas assez pour me dire la vérité parce que tu penses que je suis une petite
chose fragile qu’il faut ménager, soit je ne compte pas assez pour que tu me tiennes informée.
Alors ? Lequel des deux ? »

« Je t’ai déjà répondu, il me semble. » cingla-t-il, le rouge lui montant aux joues.

Il n’aimait pas les épanchements. Il n’allait certainement pas…

Elle secoua la tête. « Ce n’est pas comme ça que ça marche, Severus. On ne se cache pas des
choses juste parce que c’est plus simple. C’est censé être toi et moi. Pas toi et tes secrets d’un
côté, et moi de l’autre. »

Il rouvrit la bouche et la referma, soudain très, très las. Il frotta son front, gardant ses yeux
rivés sur le tapis. « Il est impossible que ce ne soit que toi et moi, Nymphadora. Il y a la
guerre et Harry et… »

« Je ne suis pas en train de parler de la guerre ou d’Harry. » s’énerva-t-elle à nouveau.


« Évidemment que je ne m’attends pas à ce que tu trahisses des secrets d’état ou que… J’ai
bien compris qu’Harry était important pour toi, non pas que tu ne m’ais jamais expliqué votre
lien, tant qu’on en parle. Merlin préserve que tu t’ouvres un tout petit peu. » Il s’était ouvert,
songea-t-il, il lui avait montré ses cicatrices. Il lui avait… « Je suis en train de parler de nous.
Toi et moi, notre relation. Je pensais qu’on s’était compris, qu’on était d’accord pour essayer
de construire quelque chose. »

Construire quelque chose…

Notre relation…

Il n’avait aucune expérience dans ce domaine.

« Ma priorité est Harry. » répondit-il. « Elle sera toujours Harry. »

Elle ferma les yeux, les rouvrit lentement. « C’est une autre conversation, ça, Severus. »

Il s’emporta, fouettant l’air du bras avec agacement. « Alors je ne comprends pas ce que tu
veux m’entendre dire ! »

« Laisse-moi te poser une question. » soupira-t-elle, sa colère apparemment retombée.


« Lorsque tu as besoin de l’aide de quelqu’un, d’un autre adulte, pas d’Harry, à qui ferais-tu
spontanément appel ? »
Cette question était d’un ridicule. « Cela dépend de pourquoi j’ai besoin d’aide. »

Il n’allait pas appeler Black s’il avait besoin d’un Médicomage, de la même manière qu’il
n’allait pas appeler Flitwick s’il avait besoin d’un expert en Métamorphose lorsque Minerva
ferait mieux l’affaire. Sans tous les paramètres, comment était-il censé répondre à sa
question ?

« Vers qui te tournes-tu quand tu as besoin de parler, de te confier ? » reformula-t-elle,


perdant visiblement patience. « De réconfort ? »

Il rejeta immédiatement ce qui s’apparentait pour lui à un aveu de faiblesse. « Je n’ai jamais
ressenti le besoin de me confier à qui que ce soit et je n’ai certainement pas besoin de
réconfort. Je ne suis plus un enfant, Nymphadora. »

Il sut à la seconde où les mots avaient passé ses lèvres qu’il avait dit exactement le contraire
de ce qu’il aurait fallu.

Le visage de la jeune femme se ferma.

« Nymphadora… » grimaça-t-il.

Le temps qu’il claudique jusqu’à elle, elle avait pêché une pincée de poudre de cheminette
dans le bol sur la cheminée. Il attrapa son bras avant qu’elle ait pu les jeter dans l’âtre.

« Attends. Attends. » exigea-t-il plus qu’il ne demanda.

Elle s’immobilisa mais refusait de le regarder en face. Ses doigts tremblaient trop lorsqu’il
essaya de lui caresser la joue et il y renonça finalement, peu sûr de ce qu’il était censé dire ou
faire de toute manière.

Certain, en revanche, que s’il la laissait partir comme ça…

Il ne se souvenait que trop bien de la manière dont il avait perdu Lily.

« J’ai gardé le silence pour la Marque parce qu’il n’y avait aucune raison de t’inquiéter
davantage. Tu l’étais déjà bien assez comme ça et tu as besoin d’être concentrée, là dehors,
pas de te préoccuper de moi. » lâcha-t-il. « Je ne te l’ai pas caché parce que… Je n’ai jamais
pensé que tu avais besoin d’être protégée. Tu es l’une des combattantes les plus douées que je
connaisse. » Son bras se décrispa légèrement sous ses doigts donc il supposa qu’il avait au
moins dit quelque chose de bien. « Je ne suis pas Lupin. »

« Je sais que tu n’es pas Remus mais dans un sens… » elle s’interrompit et soupira.

Mais dans un sens… quoi ?

La jalousie lui mordit le vendre.

Il l’occluda.
Lupin n’était pas une menace, pas sur ce plan là. Elle ne pouvait toujours pas le voir sans
paniquer suite à son numéro de loup-garou possessif.

« Reste. » l’invita-t-il sur un coup de tête. Il y avait Harry à prendre en compte mais le
sortilège lui indiquait que le garçon dormait toujours et il suffirait de mettre une alarme
suffisamment tôt pour qu’elle s’échappe avant qu’il ne se réveille le lendemain matin. C’était
risqué mais faisable. « Reste avec moi ce soir. »

Plus il y pensait, plus l’idée le séduisait.

Si son lit n’était pas vide et froid, il y aurait moins de place pour les cauchemars.

« Je ne suis pas d’humeur. » répondit-elle, presque sèchement.

« Juste pour dormir. » clarifia-t-il, en fronçant les sourcils. Ce n’était pas comme si elle
n’avait jamais passé la nuit sans qu’il ne se passe rien entre eux auparavant, particulièrement
depuis son hospitalisation. Et il n’aurait, de toute manière, pas été bon à grand-chose ce soir
là.

Elle prit une profonde inspiration et tourna enfin la tête vers lui. Ses boucliers étaient abaissés
et, bien qu’il ne fit qu’effleurer la surface de son esprit, il lut en elle un chaotique tourbillon
d’émotions.

« J’ai besoin de réfléchir. » déclara-t-elle, plus gentiment. Elle déposa un baiser sur ses lèvres
mais il était hésitant, pas aussi tendre que d’habitude. « Bonne nuit, Severus. »

Elle jeta la poudre de cheminette et partit au Square Grimmaurd avant qu’il ait eut le temps
d’essayer de la retenir une nouvelle fois.

Alors il resta là, à fixer les flammes, peu sûr de ce qui venait de se passer mais certain que le
goût amer sur ses lèvres signifiait qu’il venait de perdre quelque chose d’important.
Break Me Like A Promise

And you call me up again just to break me like a promise


So casually cruel in the name of being honest
I'm a crumpled up piece of paper lying here
'Cause I remember it all, all, all
Too well

All Too Well –Taylor Swift

Et tu me rappelles uniquement pour me briser comme une promesse


Tellement cruel sous prétexte d’être honnête
Je suis un bout de papier froissé jeté là
Car je me souviens de tout
Trop bien

All Too Well – Taylor Swift

« Le mouvement doit être plus précis, je te l’ai déjà dit. Fais davantage attention. » le rabroua
le Maître des potions.

Harry prit une profonde respiration et s’appliqua à corriger son geste. Il remua lentement la
potion dans le sens des aiguilles d’une montre, tâchant de faire de son mieux de ne pas trahir
son irritation.

Mais ça devenait difficile.

Cela n’aidait pas que le laboratoire personnel de Severus soit si profondément enfoncé sous
les cachots qu’il n’y avait pas le moindre bruit. L’atmosphère n’était pas seulement pesante,
elle était étouffante – et elle ne les aidait sans doute pas à contenir leur agacement respectif.
Sans distraction, il était difficile de se concentrer sur autre chose que sur la tension qui
régnait dans la pièce.

« La couleur est correcte bien qu’elle me semble trop aqueuse. » marmonna le Professeur, en
lorgnant dans le chaudron par-dessus son épaule. « Tu as mal nettoyé les yeux de triton. Je
t’avais pourtant bien indiqué… »

« Que s’il restait ne serait-ce qu’un millimètre de membrane sur les yeux de tritons alors la
potion serait fichue. » termina-t-il impatiemment. « Oui, vous me l’avez dit hier. Et avant-
hier. Et avant-avant-hier. »

« On aurait pu alors penser que cela te serait resté en tête. » rétorqua immédiatement
l’homme avec agacement. « En l’état… »

Harry en avait assez.


Il posa avec un peu trop de force la louche en argent pur sur la table.

« Je ne t’ai pas demandé d’arrêter de remuer. » gronda Severus. « Si tu… »

« Vous ne faites que me critiquer. » l’interrompit Harry. « Si vous n’êtes pas content, trouvez-
vous un autre assistant. Je suis sûr qu’Hermione sera ravie de vous aider. »

Mais ce n’était pas si simple que ça. Parce que Hermione n’était pas un membre de l’Ordre
ou au courant de tout alors qu’Harry, lui, en savait juste assez pour être utile.
Malheureusement, il n’avait pas le niveau nécessaire en potions pour satisfaire les exigences
de Severus. D’un autre côté, les exigences de Severus étaient si exagérées qu’il en venait à
penser que même Slughorn ou un autre Maître des Potions ne les aurait pas remplies.

Ce n’était jamais assez bien coupé ou assez précis ou le geste était trop rapide ou trop lent ou
bien les quantités n’allaient pas…

Harry s’échinait à la patience car il savait à quel point Severus était frustré de ne pas pouvoir
le faire lui-même et il connaissait l’importance de percer le secret de la potion qui permettait
aux loups-garous de se transformer en dehors de la pleine lune.

Mais il avait ses limites.

« Surveille ton ton. » siffla le Professeur, en le fusillant du regard. « Je t’autorise une certaine
souplesse mais je ne tolère pas l’insolence et tu le sais très bien. »

La mâchoire contractée, Harry prit une nouvelle inspiration et se força à occluder une grosse
partie de son irritation.

Il savait à quel point Severus était pénible lorsqu’il était question de potions – l’adulte
comme l’adolescent – toutefois cela avait été gérable lorsqu’il avait commencé à lui apporter
son aide après son hospitalisation. Cependant, depuis une semaine…

Harry pouvait comprendre.

L’excursion où ils avaient détruit l’horcruxe n’avait pas été une partie de plaisir pour lui non
plus.

Mais tout de même… Depuis ce soir là, Severus était…

« Ça fait une semaine que vous êtes d’une humeur de chien. » lâcha-t-il, grinçant un peu des
dents. « Et ça m’énerve. On sait tous les deux comment ça finit dans ces cas là alors autant
que j’aille prendre l’air et que vous… »

Il ravala le reste de sa phrase avant d’avoir pu lui conseiller d’avaler une potion calmante.
Malheureusement, il n’avait pas meilleur conseil à prodiguer et donc il laissa sa voix en
suspens.

Le regard de Severus se fit plus dur mais, progressivement, l’irritation et la frustration


disparurent de son visage au profit d’un masque lisse et froid.
Fût un temps où le Maître des Potions lui aurait arraché la tête avant de penser à occluder –
ou après d’ailleurs – preuve qu’ils faisaient des progrès.

« Cinq points en moins pour Gryffondor pour ton manque de respect. » lâcha le Professeur.
Ses yeux noirs rencontrèrent brièvement les siens avant de se détourner vers la potion.
« Toutefois… J’entends. »

Harry le regarda jeter un sort de stase, bras croisés, peu préoccupé par les points qu’il venait
de perdre. Personne ne se préoccupait plus de la Coupe désormais, pas depuis la Trêve.

« L’homme dans la brume, ce soir là, celui avec la… » hésita-t-il.

« Cela ne te regarde pas, Harry. » cingla Severus.

S’il avait eu besoin d’une confirmation qu’il s’était s’agit de Tobias Snape, elle était là.
Severus était renfrogné depuis ce soir là, trop prompt à prendre la mouche, déterminé à tout
prendre comme une attaque personnelle… Harry connaissait ses mécanismes de défense
presque aussi bien que les siens. Ils avaient tous les deux une certaine tendance à repousser
les personnes qui les aimaient lorsqu’ils en avaient le plus besoin.

D’un geste qui était devenu presque un réflexe ces derniers jours, il retraça du pouce l’épaisse
bague passé à son majeur gauche. Il portait le sceau des Prince comme un talisman, le
symbole de la vie qu’il pouvait avoir si… Mais il savait, même si Severus ne voulait pas
l’accepter, que cette vie était hors de portée. Voir un horcruxe de près, le détruire, n’avait fait
que renforcer cette conviction.

« Sev… » hésita-t-il une nouvelle fois, peu certain de comment aborder la question de Tobias.

« Ne me confonds pas avec mon double. » gronda l’homme, en se détournant dans un


claquement de cape pour aller inspecter un bocal sur l’une des étagères. « Il se plaisait peut-
être à s’épancher auprès de toi mais ce n’est pas mon cas. »

Harry profita qu’il avait le dos tourné pour lever les yeux au ciel.

Personne n’aurait jamais pu accuser Severus Snape, jeune ou vieux, de s’épancher sur qui ce
soit.

« Très bien. » lâcha-t-il sans chercher à dissimuler davantage son agacement. « J’ai des trucs
à réviser et on n’avance pas de toute manière, donc… »

« Très bien. » répéta Severus sur le même ton.

Harry récupéra son sac au fond de la pièce et s’éclipsa sans un regard en arrière.

Il aimait cet homme comme un père mais Merlin savait qu’il pouvait être insupportable.

Il lui fallut dix bonnes minutes pour sortir des cachots et, une fois dans le hall d’entrée, il
renonça à l’idée de monter les étages jusqu’à la bibliothèque. Ron lui avait dit qu’il allait y
rejoindre Lavande et quelques autres mais il savait aussi qu’Astoria, Ginny et Luna avaient
décidé de profiter du beau temps, tout relatif qu’il soit.
Toujours un peu agacé et plus que frustré par le comportement de l’ancien espion, il
s’aventura dans le parc, prenant la direction du lac lorsqu’il n’aperçut pas les quatrième année
dans la masse d’élèves qui s’étaient appropriée la pelouse humide.

Il tomba sur Malfoy, appuyé à un arbre, les mains dans les poches et la chemise retroussée
jusqu’aux coudes, qui observait Hermione faire les cent pas un peu plus loin. Un simple
regard à sa meilleure amie indiqua à Harry qu’il valait mieux la laisser tranquille. Elle
marmonnait tout en marchant, ses yeux jetaient des éclairs et ses cheveux, rassemblés à la
vite en un chignon lâche sur le haut de sa tête, semblait s’échapper un peu plus à chaque pas,
évoquant à Harry l’image d’une gorgone.

« Qu’est-ce qu’il lui arrive ? » demanda-t-il, rajustant la bandoulière de son sac sur son
épaule. Il était trop lourd, il aurait dû laisser quelques livres dans sa chambre, dans les
appartements de Severus.

« Elle est allée voir McGonagall pour savoir pourquoi nous n’avions toujours pas les dates
des examens. » soupira Malfoy.

Harry fit la grimace. « Laisse-moi deviner… »

« Le Ministère n’a toujours pas communiqué à ce sujet. » confirma Malfoy. « Et cela la rend
folle. »

Hermione ne semblait pas l’avoir aperçu, tout entière à son monologue selon lequel il était
honteux de laisser les élèves dans une telle incertitude, et que ce se passerait-il si les examens
finissaient par être annulés ? Harry décida de battre en retraite.

« Bonne chance. » se moqua-t-il, en faisant un pas en arrière.

Il n’alla pas plus loin.

Malfoy attrapa son poignet et, parce que sa main retenait la bandoulière de son sac, il ne
parvint pas immédiatement à échapper à sa poigne. Le Serpentard le lâcha avant qu’Harry ait
put faire quoi que ce soit pour se débattre.

« Ce n’est pas le sceau des Potter. » remarqua l’autre garçon, avant de reporter son attention
sur sa petit-amie comme si rien ne s’était passé.

La bague, réalisa Harry, il avait juste voulu mieux voir la bague sur laquelle il avait lorgné
toute la semaine. Ron et Hermione y avaient à peine prêté attention mais tous les Serpentards
de leur groupe d’amis – et quelques Sang-Purs des autres Maisons – avaient, eux, tous fait
preuve d’un certain intérêt. Aucun aussi ouvert que celui de Malfoy, cependant.

« Non. » grinça-t-il. « Je ne sais pas où il est. »

Probablement dans son coffre à Gringott.

Ça n’avait pas grande importance, de toute manière, il ne portait pas le sceau parce qu’il
voulait que tout le monde sache qu’il était le Chef de famille ou quelles que soient les raisons
pour lesquelles les Sang-Purs faisaient toujours des effets de manches pour mieux exposer
leurs armoiries.

« Ce n’est pas celui des Black non plus. » insista Malfoy d’une voix calme, presque lasse,
comme s’il ne venait pas d’à moitié lui tordre le bras pour mieux assouvir sa curiosité.

« Non. » répondit-il encore, tout aussi laconique.

Severus n’avait pas dit que c’était un secret et il n’avait pas fait un seul commentaire de la
semaine sur le fait qu’Harry portait la bague, bien qu’il soit trop attentif à tout – contrarié ou
non – pour ne pas l’avoir remarqué. Toutefois, c’était devenu tellement une seconde nature
pour le Survivant de toujours cacher la vérité…

Le Serpentard observait à présent ouvertement la bague à son doigt avec un air pensif,
concentré. Son expression s’éclaircit soudain avec satisfaction. « Ce sont les armoiries des
Prince. »

Harry ne doutait pas que Lucius ait obligé son fils à apprendre par cœur toutes les armoiries
de toutes les familles Sang-Pures – après tout, Snape l’avait plus ou moins contraint à en faire
de même au début de leur séjour dans le passé.

« Malfoy, mêle-toi de tes affaires. » grinça-t-il.

« Ce sceau n’a aucune valeur, la lignée des Prince s’est éteint. » continua pourtant le
Serpentard de ce même ton songeur, comme s’il réfléchissait à voix haute. « La Maison a
disparu lorsque le vieux Prince a refusé de passer le titre à… » Le garçon s’interrompit
brusquement et lui jeta un regard perçant. « Ce sceau n’a aucune valeur, Potter. »

Harry supposait que Malfoy n’ignorait pas qui était le dernier descendant de la lignée des
Prince.

« Peut-être pas pour toi. » rétorqua-t-il avant de s’éloigner à grandes enjambées.

Il tourna et retourna la bague autour de son doigt tout en marchant vers le château.

Ce sceau n’avait peut-être aucune valeur légale mais, à ses yeux, il était l’une de ses plus
précieuses possessions, au même titre que les dessins de sa mère, la cape ou la carte des
Maraudeurs.

Le sceau était une promesse.

Avec un soupir rageur parce qu’il aurait aimé se draper de sa fierté mal placée plus
longtemps, il traversa le hall d’entrée et monta les marches quatre à quatre jusqu’à atteindre
la Salle de Défense.

Il n’était pas certain d’y trouver son parrain. Après tout, c’était le week-end et Sirius avait
sans doute mieux à faire de son temps libre que de s’enfermer dans sa salle de classe. Il entra
sans frapper mais s’immobilisa sur le seuil en apercevant l’Animagus assis derrière le bureau
au fond de la pièce. Le sorcier leva la tête, alarmé par son entrée fracassante, et lui sourit
immédiatement avec un plaisir évident.
« Harry ! » s’exclama-t-il, reposant sa plume dans l’encrier. « Dis-moi que tu viens me sauver
de la paperasse ! McGonagall a menacé de me transformer en carpette si je ne commençais
pas à noter ces copies mais je suis sûr qu’elle comprendrait si j’avais une urgence familiale. »

Harry laissa échapper un petit rire parce qu’il était un peu drôle de voir son parrain être
contraint d’agir en enseignant responsable. Le rôle lui allait bien, cependant, et, pour
l’instant, bien qu’il aille mieux, Severus n’avait pas émis le souhait de reprendre son poste.
Tout son temps libre, il le passait le nez dans les grimoires, à essayer de résoudre l’énigme
des loups-garous ou à chercher à en apprendre plus sur les horcruxes.

Ce qui, étant donné qu’il était dans l’impasse autant sur projet que sur l’autre, n’améliorait
probablement pas son humeur, réalisa Harry.

« J’ai un service à te demander. » déclara-t-il, en s’approchant du bureau. Il se percha sur une


des tables au premier rang, hésitant un peu à aller jusqu’au bout de son idée loufoque.

« Tout ce que tu veux. » répondit immédiatement Sirius. « Quoi que je ne suis pas sûr que
Snape approuverait que je t’achète un nouveau balais de course si c’est ça ton plan. »

Harry se força à sourire mais ça ressemblait plus à un rictus et la plaisanterie tomba à plat.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? » demanda son parrain lorsqu’il tarda un peu trop à s’expliquer.
Le sorcier se leva de sa chaise pour venir s’appuyer de l’autre côté du bureau. Cela réduisit la
distance entre eux et lui donna l’impression que la discussion était devenue plus personnelle.
« Harry, tu sais que tu peux tout me dire. »

L’adolescent tourna et retourna le sceau autour de son doigt.

Cela lui avait paru une bonne idée quelques minutes auparavant mais, à présent, il doutait du
génie de son plan. Severus verrait-il ça comme une trahison ? D’un autre côté, si l’homme
refusait de lui parler à lui, vers qui d’autre allait-il se tourner ? Il ne faisait plus confiance à
Dumbledore, ne se laissait probablement pas aller aux confidences avec McGonagall et
Tonks… Harry n’aurait pas su comment seulement aborder la question avec Tonks. Il n’allait
pas écrire à la jeune femme pour lui demander si elle voulait bien sauver le Maître des
Potions de son entêtement à toujours tout vouloir garder pour lui.

« C’est le sceau des Prince ? » s’enquit Sirius, d’un ton un peu trop détaché.

Sans doute que lui aussi avait dû étudier des blasons dans sa jeunesse, grimaça intérieurement
Harry.

« Oui. » confirma-t-il, avant de se racler la gorge. « Severus… Il m’a proposé de… Euh… »

Il n’était pas certain de comment terminer sa phrase. Sirius vouait un tel culte à James qu’il
ne voulait pas le blesser ou l’offenser.

« Il t’a proposé de t’adopter. » devina son parrain après quelques secondes de silence. Le ton
du sorcier était délibérément neutre mais il n’y avait aucune véritable surprise sur son visage,
à peine de la résignation qui disparut rapidement lorsqu’il se força à sourire. « Si tu voulais
me demander mon autorisation… Une fois que les papiers de tutelle seront passés et que tu
seras officiellement sous ma garde… Je ne sais pas exactement quelles sont les démarches
mais je suppose que Snape se sera renseigné. » Sirius détourna brièvement les yeux.
« J’aimerais que tu passes quelques semaines chez moi l’été. Si tu le souhaites, bien sûr. Et
puis… Je voudrais que tu m’aides à choisir une maison quand tout ça sera fini, je veux
acheter quelque chose qui te plaise, où tu te sentiras bien. Snape est d’accord, je lui ai déjà
demandé. »

Harry resta assis là, un peu choqué.

Il n’avait pas prévu de demander à Sirius son autorisation, à vrai dire, mais c’était bon de
l’entendre dire qu’il ne comptait pas si opposer ou rendre la chose difficile.

« James… » Sirius fit la grimace puis soutint à nouveau son regard, son sourire un peu plus
sincère. « James aurait voulu ce qu’il y a de mieux pour toi et je sais… »

Il haussa les épaules sans terminer sa phrase.

« Merci. » offrit-il, parce qu’il aimait à penser que James – un James plus mature que celui
qu’il avait rencontré dans le passé – aurait approuvé tout ça mais il était bon de se l’entendre
confirmer de la bouche de son parrain.

Un parrain un peu trop perspicace et qui le regardait avec un peu d’amusement. « Mais ? »

Harry se frotta la nuque, un peu gêné. « Mais ce n’est pas de ça que je voulais te parler. »

« Ah. » grimaça Sirius. « Eh bien… »

« Mais j’apprécie ce que tu as dit. » promit-il. « Ça compte pour moi, ce que tu penses. »

Peut-être pas autant qu’avant mais il ne pouvait pas nier que Sirius faisait des efforts.

Son parrain hocha la tête, força un sourire qui n’atteignit pas ses yeux, et s’efforça de prendre
un ton enjoué qui sonnait un peu faux. « Alors que puis-je pour toi ? »

Harry était de moins en moins persuadé que c’était une bonne idée.

Néanmoins…

« Severus et toi, vous êtes amis maintenant ? » demanda-t-il, d’un ton hésitant.

Sirius leva les yeux au ciel. « Est-ce qu’il sait seulement ce que c’est d’avoir des amis ? On
est alliés, si tu l’écoutes, mais tu n’as pas besoin de t’inquiéter. Je tiens trop à toi pour faire
quoi que ce soit qui… »

Harry fit un geste de la main pour interrompre ce qui ne serait qu’une nouvelle promesse de
ne pas tout gâcher entre eux. Il le croyait sur ce point là.

« Admettre que tu es son allié, c’est déjà énorme pour lui. » expliqua-t-il. Et, à nouveau, il
avait l’impression de le trahir rien qu’en admettant si peu. « Écoute… Il ne veut pas me
parler, mais je sais qu’il y a quelque chose qui ne va pas. »

C’était frustrant mais d’un autre côté…

Lui et Snape-Prince n’avaient jamais eu la même relation que lui et Severus.

Il savait avec certitude que Severus ne se confierait pas à lui parce que, dans son esprit, il
était responsable de lui. Il était son père, pas son ami. Et c’était normal, supposait-il.

Seulement, Harry restait persuadé qu’il avait tout de même besoin d’un ami.

Sa relation avec Dumbledore était trop compliquée, celle avec Tonks… Harry ne voulait
même pas essayer de s’en mêler… Sirius était ce qui s’approchait de plus d’un ami, pour
l’instant, aussi improbable que cela semble.

« Il est têtu comme un hippogriffe. » soupira Sirius. « Mais je veux bien essayer. »

°O°O°O°O°

« Impensable. » décréta Severus, en ressemblant en un tas méticuleux les parchemins qu’ils


venaient d’étudier. « Autant envoyer directement un hibou au Seigneur des Ténèbres pour
l’informer de nos intentions. »

Derrière son imposant bureau, la sous-directrice fit la moue.

Severus n’était pas aussi inconscient de ses regards noirs qu’il s’efforçait de le paraître. La
réunion avait été rapide et efficace car ils étaient toujours rapides et efficaces lorsqu’il était
question de la gestion de l’école mais Minerva était bien plus agacée à présent qu’elle ne
l’avait été lorsqu’il s’était présenté à la porte de son bureau à l’heure convenue.

« Il me semble optimiste de penser que nous pouvons évacuer l’école avec un minimum
d’efficacité sans préparer les élèves à l’avance. » insista-t-elle. « Et ce sans parler du corps
professoral chargé de les escorter. Ce ne seront pas nos professeurs les plus capables en cas
de crise, Severus. » Elle claqua la langue avec agacement et se resservit une tasse de thé après
avoir réchauffé la théière d’un coup de baguette. « J’aurais presque préféré qu’Horace décide
d’évacuer avec eux. Il n’est peut-être pas le plus fiable dans une salle de classe mais je lui
fais davantage confiance qu’à Sybil Trelawney pour mener cette opération à bon port. »

Il devait admettre qu’elle marquait un point. Il hocha la tête lorsqu’elle plaça la théière au-
dessus de sa tasse vide en guise de question tacite.

Ses mains étaient relativement stables lorsqu’il attrapa la hanse de la tasse et la porta à ses
lèvres, réfléchissant au problème. Minerva et Flitwick avaient fini de renforcer le tunnel sous
les cachots qu’ils prévoyaient d’utiliser pour évacuer l’école le cas échéant et il était temps
d’envisager sérieusement les choses.

Les Mangemorts continuaient leurs attaques éclairs qui ne paraissaient avoir pour but que de
semer le trouble, la peur et la confusion dans le pays mais il semblait bien trop optimiste de
penser que cela allait durer encore longtemps.
Le Ministère et Poudlard étaient les deux prochaines cibles évidentes.

« Utilisons la Grande Salle comme point de rassemblement. » suggéra-t-il, après avoir pris
une gorgée de thé un peu trop sucré à son goût. « Cela suffira à entraîner les élèves à se
regrouper et elle est suffisamment près des cachots pour qu’il soit facile de les y guider le
moment venu. » Il réfléchit un moment avant de soupirer. « Il serait toutefois prudent de
s’assurer que Sybil et les autres soient en mesure de naviguer ces tunnels les yeux fermés. Il
faudra également prévoir que l’un d’entre nous se charge de la supervision globale… Si
l’école est attaquée vous et moi devrons immédiatement rejoindre nos positions et il en va de
même pour Filius et Pomona. »

« Albus devrait pouvoir s’en charger. » décida Minerva. « Après tout, il voulait pouvoir être
mobile, autant qu’il se rende utile. »

Severus étouffa un bruit amusé avant de reposer sa tasse de thé dans un cliquètement de
faïence trop prononcé. Les tremblements de ses mains n’étaient peut-être pas aussi évidents
ce jour là mais cela ne signifiait pas que le problème avait disparu – comme en attestait la
canne qu’il avait appuyée contre le bureau.

Il fit un effort pour ne pas fixer l’objet trop longtemps du regard.

L’emmener lorsqu’il se déplaçait, que sa jambe le gêne ou non, était une décision logique.
Ou, du moins, c’était ce dont il tentait de se convaincre depuis leur chasse à l’horcruxe. S’il
n’en avait pas besoin, tant mieux, mais si sa jambe recommençait à lui faire défaut… Et puis,
il lui avait apporté de petites modifications qui, le cas échéant, pourraient s’avérer utiles.

« Vous a-t-il informé de l’identité du mystérieux personnage qui est censé servir d’ancre à sa
place ? » s’enquit-il.

Minerva secoua la tête, l’observant par-dessus ses lunettes carrées. « Je présume qu’il s’agit
d’Abelforth. »

« N’oubliez pas de conseiller à Hagrid de rentrer ses chèvres. » ironisa-t-il.

« Severus, voyons. » gronda Minerva, sans parvenir à cacher un certain amusement.


« Plaisanteries mises à part, je ne vois pas qui d’autre cela pourrait être. »

« Est-on sûr qu’il a la puissance magique nécessaire ? » insista-t-il. Il n’avait jamais


beaucoup côtoyé le frère d’Albus et l’homme n’appartenait même pas à l’Ordre. Il aurait
préféré plus de clarté lorsqu’il était question de la sécurité de l’école. « Il serait bon de s’en
assurer. Et bon également de s’assurer qu’il sache jeter le sortilège… L’improvisation n’est
pas de mise. »

Minerva agita la main en guise d’invitation un peu ironique. « Je vous en prie, posez donc la
question à Albus, mais bonne chance pour obtenir une réponse. Il est particulièrement évasif
cette semaine. Il n’y a pas moyen d’obtenir quelque chose de lui. Faites au mieux, Minerva
semble être tout ce qu’il a à la bouche et je suis persuadée qu’il n’écoute rien de ce que je dis.
»
Frustré, Severus leva les yeux au ciel. « Se souvint-il seulement qu’il est censé diriger cette
école ? Je pensais pourtant que le Ministre préférait se passer de ses services autant qu’il le
puisse… »

« Quoi qu’il fabrique dans son bureau, je ne pense pas que cela ait un rapport avec le
Ministère. » répondit-elle. « Car si c’était le cas, je saurais quoi dire à mes élèves à propos
des examens. »

Il se frotta le visage. « Ah, vous aussi… Je ne peux pas faire un pas hors de mon bureau sans
être assailli par des septièmes années. »

« Ou Hermione Granger. » ironisa-t-elle, tout en prenant une nouvelle gorgée de thé.


« Cependant, je ne peux pas les blâmer. Nous devrions déjà avoir des dates. Nous devrions
déjà avoir commencé au moins les A.S.P.I.C.s. »

« Vous savez comme moi que le Ministère ne va pas organiser les examens cette année. »
objecta-t-il. « Tout du moins, pas avant l’été. »

La situation était bien trop précaire, requérait l’attention et la collaboration de la plupart des
Départements, et les examens étaient loin d’être la priorité. Il n’était plus question de donner
le change et de préserver les apparences. Severus n’était même pas certain qu’ils aient assez
d’examinateurs. Entre les victimes de la guerre, ceux qui avaient préféré fuir le pays et les
gens qui avaient choisi de faire profil bas… Sans compter que Pouldard avait perdu une
bonne part de ses effectifs dans l’exode qui frappait le Royaume-Uni.

« Dans ce cas, ils devraient tout simplement l’annoncer officiellement. » rétorqua la sous-
directrice. « Ou nous autoriser à les organiser en interne. »

L’avis de Severus n’était pas aussi tranché sur la question. « Se préparer aux examens donne
une occupation aux élèves, ce qui n’est pas plus mal. »

« Les vacances d’été approchent. » remarqua-t-elle.

Il préférait ne pas y penser.

Black n’avait toujours pas reçu de réponse officielle du Ministère et Severus refusait tout
simplement d’imaginer devoir renvoyer Harry chez les Dursley, dut-il le kidnapper pour
éviter la chose. Il s’attendait toutefois à ce qu’Albus lui mette des bâtons dans les roues à ce
sujet.

Une préoccupation de plus qui devrait néanmoins attendre pour être adressée.

« Y avait-il autre chose ? » s’enquit-il, soudain las.

Minerva l’observa un moment, avant de se racler la gorge. « Comptez-vous reprendre votre


poste d’ici à la fin de l’année ? Ne vous méprenez pas, je sais que vous travaillez pour
l’Ordre et Sirius fait de l’excellent travail bien qu’il ne paraisse pas avoir compris que les
évaluations ne sont pas optionnelles. S’il vous faut davantage de temps… »

Encore une autre question à laquelle Severus évitait de penser.


Physiquement, il était aussi remis qu’il était susceptible de l’être. Sa jambe continuerait à lui
donner du fil à retordre pour le reste de sa vie et les nerfs de ses mains avaient des jours
meilleurs que d’autres. Sa magie, elle, en revanche, était pleinement sous contrôle et rien ne
l’empêchait donc de retourner en classe.

En théorie, rien ne lui interdisait de reprendre son poste. Il avait d’hors et déjà soulagé
Slughorn de son rôle de Directeur de Maison et avait, plus d’une fois, débarrassé Minerva de
la paperasse qui s’accumulait au cours des derniers jours.

En pratique…

En pratique, il estimait son temps mieux employé à plancher sur le problème des horcruxes et
des loups-garous.

Bien que, sur la question des loups-garous, ses progrès soient très, si ce n’était trop, lents.

S’il n’avait pas eu besoin de l’assistance d’Harry… S’il avait pu se débrouiller seul…

« Severus ? » insista Minerva.

Ses yeux noir se reportèrent sur la sorcière.

Combien de temps s’était-il perdu dans ses pensées ?

« Je pourrais décharger Horace de ses cours de premières années et deuxièmes années. »


suggéra-t-il. Cela devrait être faisable. Il y avait plus de théorie que de pratique à
l’enseignement des potions, après tout, surtout au plus faible niveau. Il ne serait pas obligé de
démontrer quoi que ce soit.

« Vous voulez reprendre les cours de Potions ? » s’étonna-t-elle. « Je pensais plutôt à la


Défense. »

Il ne savait pas comment lui expliquer qu’il n’était pas certain d’en être capable. Il pouvait
encore se battre, il pouvait se défendre… Mais boiter dans une salle de classe, avoir à utiliser
une baguette qu’il ne pouvait empêcher de trembler, affronter les regards d’adolescents qui
l’avaient craint et qui le regardaient désormais avec pitié…

Il serait moins exposé assis derrière le bureau de sa vieille salle de potions.

Et les plus jeunes élèves se tiendraient plus facilement cois.

« À quoi d’autre suis-je bon ? » railla-t-il avec rancœur.

Il détourna la tête car il ne voulait pas voir la pitié sur son visage.

« Severus. » le sermonna-t-elle sans aucune douceur.

« Il n’y a rien d’autre à en dire, Minerva. » l’avertit-il, en se levant. Il ignora la canne et


traversa la pièce jusqu’à la fenêtre, le boitement à peine perceptible ce jour là. Il faisait beau à
l’extérieur ou, du moins, le temps était plus clair qu’il ne l’avait été jusque là. Le parc était
pris d’assaut par les adolescents.

« Que s’est-il passé vendredi dernier ? » exigea-t-elle de savoir, sans aucune trace de
subtilité.

« J’ignore ce dont vous parlez. » mentit-il.

Dans le reflet de la vitre, il la vit lever les yeux au ciel.

« Albus vous a entrainés, Potter et vous, dans quelque aventure et depuis que vous êtes
revenus, vous êtes tous les trois très revêches. » accusa-t-elle. « Albus a passé le plus gros de
la semaine enfermé dans son bureau, Potter a son air mélancolique des grands jours, et
vous… Lorsque vous n’êtes pas de fort méchante humeur, ce qui est la plupart du temps, pour
votre gouverne, vous broyez du noir. »

Il laissa échapper un bruit faussement amusé. « Je vais parfaitement bien. »

Le regard de la sous-directrice était si intense qu’il lui brûlait la nuque.

« Nous n’avons pas parlé de la protection des Aurors autour du château. » déclara-t-elle un
peu brusquement. « D’ordinaire, Tonks me consulte une ou deux fois par semaine pour mieux
organiser la chose mais je ne l’ai pas vue de la semaine. »

Subtile, la Directrice de Gryffondor ne l’était pas.

Il garda sagement le silence, occludant rapidement les émotions dérangeantes avant de perdre
son calme.

Il n’avait guère apprécié l’impertinence d’Harry un peu plus tôt mais il ne pouvait non plus
nier que le garçon avait raison. Il avait été exécrable toute la semaine malgré ses efforts pour
protéger l’adolescent du pire et ce n’était certainement pas la faute d’Harry si…

« Auriez-vous une idée de quand Tonks reviendra à Poudlard ? » insista Minerva.

« Je n’y compterais pas. » cracha-t-il.

Il renforça d’autant plus ses boucliers mentaux mais ne put cacher un mouvement d’humeur.

Il n’avait reçu ni message, ni visite de la jeune femme or il était inhabituel qu’elle reste si
longtemps sans donner de nouvelles. Il savait, pour avoir discrètement soutiré l’information à
Black, qu’elle allait bien donc la conclusion logique était qu’elle ne voulait pas lui parler.

Le soupir de la sous-directrice était plus déçu qu’autre chose. « Severus, qu’avez-vous fait ? »

« Qu’ai-je fait ? » répéta-t-il, perdant momentanément le contrôle de ses émotions. Il se


tourna vers elle dans un claquement de cape, laissant libre cours à la colère qui couvait depuis
une semaine. Tout n’était pas à cause de Nymphadora, non… Il y avait Tobias et ses
anciennes victimes… Et les cauchemars qui… « Pourquoi conclure si vite que je suis en tort,
Minerva ? »
La vieille sorcière se contenta de s’enfoncer un peu plus dans son fauteuil et de lever un
sourcil qui en disait long.

Serrant la mâchoire pour ravaler des mots qu’il ne pourrait effacer, il se retourna vers la
fenêtre et se replia à nouveau derrière ses boucliers mentaux.

Tout avait été tellement plus simple avant, lorsqu’il pouvait s’abriter derrière des boucliers
qui le protéger de sentiments bien trop compliqué à gérer…

« Je suis certain que l’Auror Tonks ne négligerait pas ses responsabilités. Si vous lui envoyez
un hibou, elle vous fera sans doute parvenir un planning mis à jour. » déclara-t-il, plus
posément. « Elle a sans doute oublié. »

Minerva, cependant, n’avait visiblement pas véritablement grand-chose à faire des Aurors.

Il n’était pas particulièrement étonné.

« Severus… » avança-t-elle doucement. « Pardonnez-moi d’être franche mais quoi qu’il se


soit passé… »

« Il ne s’est rien passé. » la coupa-t-il sèchement.

« Elle a fait le trajet tous les soirs lorsque vous étiez à l’infirmerie. Je vous ai vus ensemble,
mon garçon. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir votre attachement mutuel. »
rétorqua-t-elle.

Il réprima un nouveau mouvement d’humeur mais s’enfonça dans sa colère.

La colère était une amie familière.

Et elle était bien plus simple à gérer que la tristesse qui se cachait sous la couche épaisse de
ses boucliers, que l’impression de gâchis.

« Rien n’est irrémédiable que la mort, Severus. » le réprimanda-t-elle. « Je suis certain


que… »

« Dites-moi… » l’interrompit-il dans un sifflement. « En quoi est-il mal de dissimuler à


quelqu’un une information qui vous concerne personnellement et qui ne ferait que lui causer
de la détresse ? »

Minerva resta silencieuse un long, long moment et il eut la sensation désagréable que la
réponse à sa question était si évidente qu’elle cherchait à la formuler sans l’offenser
davantage.

« Cela dépend de la nature de la relation en question. » déclara-t-elle finalement. « Quelqu’un


de très proche pourrait le prendre comme une trahison ou un manque de confiance. »

Il se pinça l’arrête du nez, fatigué et toujours aussi perdu qu’il l’avait été une semaine
auparavant.
« Je vous connais trop bien pour vous demander de me confier de quoi il s’agit… » continua
la sous-directrice. « Mais mettez vous une minute à sa place. Si elle vous avez caché la même
information. Comment auriez-vous réagi ? »

Mal.

Très mal, certainement.

Cependant, il aimait à se penser rationnel et la grande partie de sa colère serait venue du fait
qu’il aurait pu l’aider de par son expertise.

Nymphadora ne pouvait rien contre la Marque.

Logiquement, il n’y avait rien à gagner à l’informer de la chose mis à part de l’inquiétude.

Néanmoins, il se laissa également aller à imaginer l’espace d’une seconde qu’Harry lui cache
quelque chose de similaire ‘pour le protéger’ comme il aurait été bien capable de le faire et..
Certes, il n’aurait pas mieux réagi que la jeune femme, qu’importe qu’il ait été en mesure
d’agir ou non.

Bien entendu, cela lui fit également se rendre compte que si Harry apprenait la vérité sur la
Marque, l’adolescent lui ferait certainement les mêmes reproches que Nymphadora.

Apparemment, il importait peu qu’il s’agisse de sa propre vie et, qu’en conséquence, il aurait
dû être décisionnaire d’à qui il révélait l’information et quand.

Il entendit la sorcière se lever et se rapprocher mais ne bougea pas de la fenêtre, observant


sans s’y intéresser les adolescents en contrebas. Ça ne l’empêcha pas de se tendre lorsqu’elle
tapota son épaule en guise de réconfort.

« Allons, tout va s’arranger. » offrit-elle. « Ce n’est qu’une dispute sans conséquence. Certes,
il vous faudra peut-être vous excuser platement et nous savons tous à quel point vous raffolez
de présenter vos excuses mais… Vous survivrez, Severus. »

Il doutait que ce soit aussi facile que de présenter de simples excuses.

Des excuses n’avaient jamais suffi.

Selon son expérience, le pardon ne s’obtenait que chèrement.

°O°O°O°O°

Plus le repas avançait, plus Harry se disait qu’il aurait peut-être mieux faire d’aller dîner dans
la Grande Salle avec les autres, quitte à affronter Malfoy et ses remarques sur les Prince.

Cependant, lui et Severus avaient leur habitudes le week-end et, s’il connaissait le Maître des
Potions, ce dernier aurait pris son absence comme une déclaration de guerre – ou tout du
moins un signe qu’il lui en voulait davantage qu’en réalité.
La soupe, au moins, était bonne. Qu’ils aient passé une demi-heure à la préparer en silence,
un silence qui continuait à s’étirer inexorablement entre eux, gêné et gênant, n’enlevait rien à
ses qualités. Néanmoins, à chaque rondelle de carotte, que Severus avait passé de longues
minutes à minutieusement couper en tranches égales, qui atterrissait dans sa cuillère, Harry se
demandait jusqu’à quand ils pourraient ignorer l’éléphant au milieu de la pièce.

Cinq minutes de plus et il décida que s’il n’était pas le premier à s’exprimer, ils finiraient
sans doute le repas en silence, s’installeraient au salon dans ce même silence, et que cela
pourrait durer des jours – ou, avec un peu de chance, jusqu’à ce que Sirius tienne sa promesse
et n’essaye de lui faire cracher le morceau.

« Je suis désolé pour tout à l’heure. » offrit-il, les yeux rivés sur sa soupe. Il emprisonna le
reste de son irritation derrière un mur de flammes et fit de son mieux pour que ses excuses
sonnent sincères.

Il ne releva pas le regard lorsqu’il entendit Severus soupirer. « Je te dois également des
excuses pour mon comportement. »

Harry leva des sourcils surpris mais garda bien sagement le silence et avala une nouvelle
cuillerée de soupe. Il ne s’était pas attendu à ce que le Professeur admette ses torts. Lorsqu’il
était de ce genre d’humeur, généralement…

« Je te suis reconnaissant de ton aide. » continua l’homme de sa voix trainante. « Mais j’ai
également conscience de t’en demander trop. »

Le garçon posa hâtivement sa cuillère et leva les yeux vers le Maître des Potions qui
l’observait avec embarras. « Ça ne me dérange pas de vous aider. »

C’était une bonne manière de passer du temps ensemble.

Et trouver du temps libre qu’ils pouvaient partager, entre ses divers cours particuliers avec
Sirius, Remus et McGonagall, et les recherches du Maître des Potions n’était pas si simple.

« Je le sais. » acquiesça Severus. « Et il est indéniable que tu as fais d’énormes progrès en


Potions depuis le début de l’année. Toutefois… A ce niveau de recherches, le travail serait
délicat pour quelqu’un ayant ses A.S.P.I.C.s. »

C’était une manière bien polie et serpentarde de lui faire comprendre qu’il n’avait pas le
niveau.

Harry ne put s’empêcher de se renfrogner. « Je peux faire plus d’efforts… »

« Le problème ne vient pas de toi mais de moi, Harry. » contra l’homme avec un nouveau
soupir. « Tu pourrais être le potioniste le plus compétent du monde et je suis certain que je
serais tout de même contrarié par ta performance. » Severus secoua la tête. Sur la table, sa
main se referma plusieurs fois en un poing dans un geste qui paraissait inconscient mais
reflétait certainement sa frustration au sujet des tremblements. « Il est sans doute temps
d’admettre la défaite. »
Harry fronça les sourcils, choqué. « Avec la potion ? »

Ils avaient besoin de la potion. Tant que Voldemort avait l’avantage des loups-garous…

« Avec la méthode. » le corrigea le Professeur, comme si les mots lui arrachaient la bouche.
« Il me faut l’assistance d’un autre Maître des Potions. »

Oh.

Harry en grimaça.

Voilà qui n’allait pas être drôle, surtout après que Severus lui ait arraché le souvenir des
horcruxes par Legilimencie.

« Slughorn ? » demanda-t-il, quand même. Juste pour être sûr.

« Slughorn. » confirma Severus d’un ton dépité.

°O°O°O°O°

Tonks survola du regard une énième lettre qui accusait quelqu’un d’être un Mangemort et,
avec un soupir, la posa sur la pile qu’elle estimait valoir une enquête un peu plus approfondie.

Elle s’était installée dans la salle de réunion car son bureau n’avait pas de fenêtre et lui
donnait une impression de claustrophobie.

Tout, ces derniers jours, lui donnait une impression de claustrophobie.

La lumière avait suffisamment décliné cependant pour qu’elle ait allumé, d’un coup de
baguette distrait, les torches et bougies parsemées ça et là dans la pièce. Il était tard, elle avait
écouté ses collègues quitter peu à peu les lieux en lançant des ‘au-revoir’ et des ‘à demain’ il
y avait déjà quelques heures, sans vraiment leur répondre.

Elle attrapa un autre parchemin, le parcourut rapidement et le jeta sur la pile des lettres qui
seraient classées sans suite.

La communauté magique ne manquait ni de rancœurs, ni de personnes qui souhaitaient se


venger de telle ou telle supposée offense. Les lettres de délations reçues par le Ministère se
comptaient en centaine. Certains accusaient leur voisin, d’autres leur collègue, d’autres
encore un membre de la famille qui leur avait sucré un héritage sous le nez… Séparer le vrai
du faux était épuisant.

« N’avons-nous pas des gens pour ça ? »

Elle sursauta, refermant la main sur sa baguette et pivotant vers l’intrus avant même d’avoir
reconnu le son de sa voix. Elle la reposa sur la table lorsqu’elle aperçut Scrimgeour dans
l’entrebâillement de la porte vitrée et força un sourire poli.

« Monsieur le Ministre. » le salua-t-elle d’un hochement de tête.


L’ancien Auror dût prendre ça pour une invitation car il pénétra dans la salle de réunion et
s’assit sur le siège voisin du sien, avant d’attraper une des lettres qui attendaient d’être
étudiées. Il n’y jeta qu’un goût d’œil vaguement dégoûté.

« La nature humaine… » se lamenta-t-il.

Elle ne put qu’acquiescer. « Ce n’est pas joli, joli. »

« Non, et c’est pourquoi nous avons décidé de laisser les jeunes recrues trier ces courriers
plutôt que de perdre le temps d’un Auror expérimenté. » remarqua le vieil homme, en
reposant la lettre pour mieux l’observer elle. « Surtout lorsqu’il s’agit du numéro deux de
mon Département. »

Elle rougit légèrement, sans savoir si c’était sous le coup du compliment ou du reproche
sous-jacent.

« Il n’y a pas d’urgence pour le moment et j’étais en poste à Downing Street toute la
journée. » se défendit-elle. « Et puis, justement, vous l’avez dit.. Nous n’avons pas assez
d’Aurors expérimentés. Il se peut qu’il y ait quelque chose d’important dans ces lettres et… »

« Et, hier, vous avez passé en revue tous les rapports d’incidents qui n’avaient pas de rapport
avec l’activité des Mangemorts. » l’interrompit-il. « Avant-hier, si je ne m’abuse, vous avez
relevé un de nos nouveaux Aurors de sa patrouille sur le Chemin de Traverse en dehors de
vos heures de service. Le jour d’avant, vous avez fait le tour de vos contacts au cas
improbable où ils aurait une quelconque information utile… Dois-je continuer ? »

Qu’était-elle censée faire d’autre ? L’Ordre n’avait pas cru bon de lui confier une mission et,
si d’habitude elle se rendait à Poudlard une à deux fois dans la semaine… Elle ne savait pas
si elle y serait encore la bienvenue et, même si elle avait prit son courage à deux mains, elle
n’était pas certaine de quoi dire. Et puis… Severus n’avait pas cherché à la joindre. Pas de
hibou, pas de messages… Certes, ils n’avaient jamais échangé de lettres auparavant mais…

Elle n’était pas certaine de comment interpréter son silence.

Attendait-il qu’elle le contacte ? Le silence était-il un signe qu’il était lui aussi fâché ?

Elle n’était même pas sûre de ce qu’elle lui reprochait, au demeurant, ou de pourquoi elle
avait réagi de la manière dont elle l’avait fait. Qu’il lui ait caché que sa Marque était un
problème l’avait mise en colère mais qu’il en ait informé d’autres personnes avant elle l’avait
blessée. Sur le coup, elle avait eu l’impression de ne pas compter autant pour lui qu’il
comptait pour elle. Elle avait eut l’impression de…

C’était ridicule mais elle n’avait pu s’empêcher de repenser à la Nuit des Ténèbres, à la scène
dans sa cuisine lorsqu’elle avait avoué ses sentiments à Remus uniquement pour s’entendre
dire que c’était fini entre eux.

Au fond, elle était morte de trouille à l’idée que cela se reproduise, d’ouvrir son cœur
uniquement pour le voir à nouveau réduit en bouillie.
« Je ne comptais pas faire passer ça en heures supplémentaires. » plaisanta-t-elle, pince-sans-
rire, chassant de son esprit toute pensée de Severus. Elle supposait qu’elle le verrait le
lendemain à la réunion de l’Ordre. Elle n’était pas certaine de comment elle aborderait la
chose mais c’était un problème qui devrait de toute manière attendre. Le vendredi et le
samedi, Harry passait généralement la soirée dans les appartements du Professeur, elle doutait
qu’il apprécie qu’elle choisisse précisément ce jour là pour le contacter.

Ça arracha un ricanement au Ministre qui ajusta sa position sur le siège inconfortable, étirant
sans manière la jambe qui l’handicapait parfois.

Elle fit un gros effort pour ne pas penser à un autre homme qui devait se faire à l’idée que son
corps ne serait jamais aussi agile qu’autrefois. L’Occlumencie était un peu mais à chaque fois
qu’elle occludait, elle se souvenait également de qui lui avait appris cette discipline et…

« Vous êtes une excellente Auror, Tonks. » déclara le Ministre. « Alastor était dithyrambique
à votre sujet, vous savez. »

Elle détourna le regard, préférant le reposer sur les piles de lettres pour ne pas qu’il aperçoive
les larmes dans ses yeux. Ce n’aurait pas été très professionnel.

« J’aurais dû… » lâcha-t-elle, sans trop savoir comment terminer sa phrase.

Scrimgeour attendit quelques secondes puis sembla avoir pitié d’elle. Son expression s’était
faite compatissante mais il y avait toujours cette dureté dans son regard, cette force qui faisait
dire à Tonks que de tous les Ministres qu’ils auraient pu avoir, l’ancien Auror n’était pas le
pire. « Le sauver ? »

Elle serra les dents pour contrôler ses émotions, sachant pourtant que ses cheveux l’avaient
déjà trahis. De violet, il avait sans doute tourné au brun terne qui était leur couleur naturelle.

« Je sais que ce n’est pas ma faute. Je ne me tue par à la tâche par culpabilité mal placée. »
lâcha-t-elle. « Cette nuit là, c’était… Vous savez. Vous y étiez. »

Elle n’aurait pas été capable de décrire la bataille. Elle se souvenait juste avoir combattu
chèrement pour sa peau. Tout le reste était flou.

Même ce qui s’était passé juste après était flou.

La seule chose dont elle se souvenait avec précision était le regard trahi de Severus
lorsqu’elle avait, elle aussi, levé sa baguette vers lui, emportée par l’élan général de
suspicion. Et puis la panique, après coup, lorsque Dumbledore avait dit…

« Il y a tant à faire. » soupira-t-elle, sans lui laisser le temps de répondre. Elle se frotta le
visage, refusant d’admettre que ses yeux la piquaient de fatigue, qu’elle avait un peu trop tiré
sur la corde dernièrement.

« Et trop peu de gens qualifiés pour le faire. » lui accorda Scrimgeour. « Néanmoins, vous ne
pouvez pas continuer à travailler sur vos heures de repos. Vous ne tiendrez pas la distance,
Tonks. » Le regard du Ministre s’était fait scrutateur. « Les bons Aurors ne comptent jamais
leurs heures mais il doit y avoir une limite. » Il prit appui sur la table pour se relever, non
sans une certaine souplesse, et se dirigea vers la porte. « Un conseil de la part d’un ancien
Auror qui a sacrifié deux mariages à sa carrière… Vous noyez dans le travail ne solutionnera
rien de vos problèmes personnels. Qui que ce soit qui vous attende, là-dehors, allez le
retrouver. Les regrets ne sont pas de bonne compagnie. » Il s’arrêta sur le seuil et lui jeta un
dernier regard, celui-ci un peu plus amusé. « Bien sûr, vous pouvez m’ignorer et peut-être
qu’un jour vous finirez Ministre de la Magie et passerez vos nuit à étudier les plans
d’Azkaban jusqu’à ce qu’ils soient imprimés sur vos rétines. »

Elle ne put s’empêcher de rire.

Mais lorsqu’il eut quitté la pièce, elle attrapa une nouvelle lettre et… Le cœur n’y était pas. Si
elle était honnête avec elle-même, il n’y avait jamais été.

Scrimgeour avait raison sur un point : les regrets pesaient lourds.

Mais il était facile d’y remédier.

°O°O°O°O°

« Albus ? » appela Remus, non sans un certain agacement.

Le vieux sorcier avait été distrait tout le long de leur entrevue et ce n’était pas la première
fois que le loup-garou avait prononcé son nom sur ce ton exaspéré. L’attention du Directeur
se détourna du fond de la pièce pour se reporter sur lui mais il ne cessa pas pour autant de
jouer, sans sembler y penser, avec une pierre noire qu’il tournait et retournait entre ses doigts.

Remus avait la désagréable sensation qu’ils n’étaient pas seul dans la pièce. Il y avait un
courant d’air froid qui lui avait donné la chair de poule au moment où il avait pénétré dans le
bureau, pourtant aucune fenêtre n’était ouverte et, certes, Poudlard était un vieux château où
il ne faisait jamais très chaud mais il y avait des sortilèges pour ça et le feu ronflait dans la
cheminée… Ce courant d’air ne lui semblait pas très naturel.

Il avait inspecté la pièce du regard une dizaine de fois au moins depuis qu’il avait pris place
dans un des fauteuils qui faisaient face au bureau du Directeur mais n’avait rien remarqué
d’inhabituel si ce n’était la pensine qui trônait sur une étagère, apparemment pleine. Fumseck
était sur son perchoir, calme.

Et pourtant, en lui, Lunard s’était tapis comme prêt à bondir, sentant quelque chose que
Remus ne pouvait percevoir.

« Faites au mieux, Remus. » déclara soudain Dumbledore et Remus eut la sensation très nette
qu’il n’avait pas écouté un seul mot de ce qu’il venait de dire.

« Vous êtes donc d’accord pour séparer les élèves en petits groupes une fois qu’ils auront été
évacués et les envoyer dans différents lieux sûrs ? » répéta-t-il, juste pour vérifier que le vieil
homme avait bien entendu.

Il n’avait pas été certain qu’Albus approuverait son plan.


L’Ordre n’avait plus tant d’abris que cela et y envoyer les enfants en bloquerait plus d’un.

« Oui, oui… » Albus eut un geste agacé de la main. « Si c’est tout, Remus… »

Le loup-garou fronça les sourcils. « Êtes-vous certain que tout va bien ? Vous êtes… très
distrait, ce soir. »

« J’ai beaucoup à l’esprit. » répondit le vieux sorcier, un peu plus sèchement que nécessaire.
Ses yeux bleus se perdirent à nouveau vers le fond de la pièce et son expression s’adoucit…

Remus jeta à nouveau un regard discret dans cette direction mais n’aperçut rien qui sortait de
l’ordinaire.

« Je ne pense pas qu’il serait bon de communiquer l’emplacement exact de ces abris lors de la
réunion de l’Ordre demain. » insista-t-il, quand même. « Tant que nous ne saurons pas d’où
viennent les fuites… »

Il laissa sa phrase en suspend, espérant l’encourager à rebondir sur la question de l’espion.


Cela faisait des semaines depuis la mort de Fol’œil et ils n’avaient pas avancé d’un iota.
Remus n’avait même pas l’impression que Dumbledore s’intéressait sérieusement à la
question. Sirius non plus ne paraissait pas prendre la chose au sérieux…

En attendant, un climat de suspicion régnait au Conseil de l’Ordre et tout ceux qui transitaient
par le QG se regardaient en chiens de faïence, avec une méfiance évidente. Des clans
s’étaient formés, par ailleurs. Snape avait son petit cercle. Quant à Remus, il préférait encore
la compagnie de Nyssa, Charlie et Anthony.

Rien de tout ça n’était bon, cependant. S’ils étaient divisés…

« Je vous fais confiance pour gérer ça au mieux, mon garçon. » Le vieux sorcier se leva et
avança d’un pas lent vers l’étagère où était posée la pensine. « Malheureusement, je ne
pourrais pas assister à la réunion demain. Vous présiderez à ma place. »

Remus l’observa porter le bout de sa baguette à sa tempe et en retirer un filament argenté


qu’il fit tomber dans la pensine d’un geste sec.

« Des nouvelles de la potion ? » demanda-t-il, car il savait qu’Albus était sur le point de le
congédier.

« Severus y travaille. » répondit le Directeur.

Remus ne fit aucun effort pour réprimer sa moue dubitative ou l’agacement qui le fit ajuster
sa position sur le siège, somme toute, confortable. « Êtes-vous sûr qu’il fait son maximum ?
Cela fait des mois. Et, si je ne me trompe pas, il n’avait que ça à faire ces dernières semaines,
non ? Il n’a toujours pas repris les cours. »

Et Remus était un peu impatient qu’il le fasse, ne serait-ce que parce que Sirius serait forcé
de quitter Poudlard et de revenir au Square Grimmaurd. Lunard détestait l’idée de n’avoir
aucun membre de sa Meute sous la patte. Partager cette grande maison glauque avec Nyssa
n’était pas bon pour lui. Il ne comptait plus le nombre de soirs où il avait préféré se rendre au
cottage de Laura. Il avait besoin de la présence de sa Meute, pas d’une vampire.

Albus se tourna vers lui, une expression contrariée sur le visage, et, pour la première fois ce
soir là, Remus eut l’impression que le Directeur lui prêtait sa pleine attention.
Malheureusement, elle s’accompagnait d’une évidente contrariété. « L’état physique de
Severus ne lui permet pas d’avancer aussi vite qu’il le souhaiterait. »

Remus ne tenta pas de ravaler un bruit amèrement amusé. « Il n’avait pas l’air si mal à
chaque fois que je l’ai croisé ses dernières semaines. »

Il avait été suffisamment bien, en tout cas, pour raccompagner Tonks au portail malgré la
longue marche que cela représentait la semaine précédente, après la réunion du corps
professoral. Et il n’avait pas paru à l’agonie lorsqu’il s’était immiscé entre eux comme il
avait pris la désagréable habitude de le faire.

« Il y a des conséquences à une exposition prolongée à l’endoloris, Remus, je ne vous


l’apprend pas. » cingla Dumbledore, sans plus aucune amabilité. « Je vous prierai de ne pas
soulever les sujets qui fâchent à la réunion, demain soir. J’ai toute confiance en Severus et je
sais qu’il fait tout ce qu’il peut pour nous apporter des réponses. » Le vieil homme l’observa
par-dessus ses lunettes en demi-lunes avec un regard un peu trop entendu. « Ne laissons pas
nos querelles personnelles entacher le bon fonctionnement de l’Ordre. »

Dûment réprimandé, bien que pas convaincu et passablement irrité de se voir gronder comme
un troisième année qui aurait fait une bêtise, Remus prit congé.

Il émergea de la cheminée du salon au Square Grimmaurd et envisagea immédiatement l’idée


de sortir, aller marcher malgré l’heure tardive, s’éclaircir un peu les idées… Lunard était
toujours moins agité après une petite promenade nocturne.

Trois pas dans le salon et il sut qu’il n’en ferait rien.

C’était sa part animale qui avait senti sa présence mais ce fût l’homme qui se réjouit de la
chose et se hâta jusqu’à la cuisine.

Il s’attendait à la trouver sur le départ, ayant peut-être déposé un mot ou un rapport à son
intention pour l’Ordre, mais elle était assise derrière la grande table, la bouteille poussiéreuse
de whiskey pur-feu que Sirius gardait généralement dans le placard bien en évidence devant
elle. Avec deux verres.

« Dora… » l’appela-t-il doucement, pour ne pas l’alarmer.

Elle sursauta quand même, son regard quittant le sol de la cuisine près du poêle pour venir se
planter dans le sien.

En lui, le loup hurla à la lune, heureux et impatient de… Il voulait la prendre dans ses bras,
respirer son odeur, l’embrasser… Sa compagne lui manquait.
Remus resta bien sagement immobile sur le seuil de la cuisine, trop conscient qu’il ne fallait
pas l’effrayer. Depuis l’épisode de la potion volée à Greyback… Elle empestait la peur à
chaque fois qu’ils se retrouvaient dans la même pièce.

Ça ne l’empêcha pas de la dévorer avidement du regard. Ses cheveux étaient bruns et


encadraient son visage en mèches éparses, elle portait un jean déchiré et un tee-shirt rose fané
avec un logo d’un groupe de rock sorcier underground…

Elle était si belle que…

« Qu’est-ce que tu fais là ? » demanda-t-il, non sans curiosité, lorsqu’elle ne lui rendit pas
son bonjour. Elle l’évitait depuis des semaines – des mois.

Elle prit une profonde inspiration et poussa l’un des verres en direction de la chaise la plus
proche. « Il faut qu’on parle. »

Saisissant l’invitation, il s’assit et la laissa lui verser une généreuse dose de whiskey. Son
propre verre, nota-t-il, avait déjà servi mais ça ne l’empêcha pas d’y verser un peu plus
d’alcool.

Ce n’était pourtant pas sur l’alcool que Remus se concentra mais sur son odeur. Ou plutôt sur
l’odeur qu’il ne sentait pas. Certes la peur qui émanait d’elle par vagues couvrait beaucoup
mais elle avait exhalé les herbes et autres ingrédients de potions si fort à chaque fois qu’il
l’avait vue ces derniers temps qu’il était impossible de ne pas remarquer leur absence.

« Je veux m’excuser. » ouvrit-il tout de go. « Pour ce qui s’est passé avec Lunard. »

Elle déglutit et avala une petite gorgée de whiskey. Ses doigts pianotèrent impatiemment sur
le verre lorsqu’elle l’eut reposé. Ses ongles étaient courts mais peints en violet foncé, cela le
fit sourire. Son sourire s’effaça bien vite, en revanche, lorsqu’elle le regarda droit dans les
yeux.

« Ce qui s’est passé une fois sous ta forme de loup n’était pas ta faute. Mais boire cette potion
était stupide. » l’accusa-t-elle.

Il avait entendu ce refrain d’à peu près tout le monde.

Il savait qu’ils n’avaient pas tort.

Mais une part de lui savait aussi que s’ils pouvaient reproduire le philtre, le coupler à la
potion Révèle-loup, cela pourrait changer drastiquement le cours de la guerre. Il avait passé
des dizaines d’années à craindre Lunard alors il comprenait leur scepticisme mais maintenant
que lui et le loup ne faisaient qu’un…

Il aurait pu tenter de le lui expliquer mais il était trop conscient que sa présence était
inespérée et qu’il devait choisir ses batailles. « De quoi voulais-tu me parler ? »

Il y avait une chance pour qu’elle veuille discuter de l’espion ou d’autre chose ayant trait à
l’Ordre et pas…
Mais à nouveau elle planta ses yeux gris dans les siens. Ils étaient si gardés, si distants… Il
détestait ce nouvel état de fait. Elle était si franche avant, un vrai livre ouvert, et à présent…
Même sa voix manquait d’intonation, comme si elle s’efforçait de refouler toute émotion.
« De nous. »

Nous…

Un si petit mot pour tant de bonheur.

Il sourit, plus heureux qu’il n’aurait pu l’exprimer, et tendit la main vers la sienne.

Elle la retira si brusquement qu’elle manqua renverser son verre.

« Non. » Elle fit la grimace, détourna le regard. « Désolée, je ne voulais pas dire ça comme
ça. »

« Peut-être est-ce un lapsus révélateur, alors ? » tenta-t-il de plaisanter, cherchant son regard.
« Nymphadora… »

« Ne m’appelle pas comme ça. » cingla-t-elle. Son regard retrouva le sien sans douceur ou
affection. Ses cheveux avaient pris un reflet rouge.

« Il y en a d’autres qui t’appellent comme ça et tu ne leur dis rien. » remarqua-t-il


méchamment, refusant de cacher la jalousie dans sa voix. Ce n’était qu’un soupçon, bien sûr,
il n’avait pas de preuves…

Du moins jusqu’à ce qu’elle grimace.

« C’est différent, Remus. » lâcha-t-elle.

« Oui. » acquiesça-t-il, tentant de contrôler la colère dans sa voix. Lunard était très agité et
cela rendait la chose difficile. « Oui, c’est différent parce que ce n’est qu’une passade que je
suis prêt à te pardonner. Tout est ma faute, Dora, je le sais, mais… »

« Pardon ? » s’étouffa-t-elle à moitié. « Non, mais pour qui tu te prends ? Tu n’as rien à me
pardonner parce que, moi, je n’ai rien fait de mal. »

Il ravala les accusations et le ressentiment, ravala le besoin de lui jeter sa trahison au visage,
ravala le tout et s’efforça de ne pas se laisser emporter par la jalousie brûlante qui lui dévorait
les tripes et donnait des envies de meurtres à Lunard.

Elle avait raison. Ils avaient rompu. Ce qu’elle faisait et avec qui… Il ne pouvait pas le lui
reprocher.

« Je n’ai jamais dit que tu avais fait quelque chose de mal. » grinça-t-il.

Son rire était amer, furieux. Elle avala une nouvelle gorgée de whiskey. « Tu ne l’as jamais
dit mais tu l’a suffisamment sous-entendu. Comme si je te trompais. » Elle secoua la tête.
« C’est terminé, Remus. C’est toi qui l’a décidé, tu te souviens ? »
« Et c’était la plus grosse connerie de ma vie. » répliqua-t-il, en levant les mains avant de les
laisser retomber lourdement en un geste d’impuissance. « Il ne s’est pas passé un jour sans
que je le regrette. Si je pouvais revenir en arrière… »

« Mais on ne peut pas. » le coupa-t-elle froidement. « On ne peut pas revenir en arrière. »

« Et pourquoi pas ? » lança-t-il, d’un ton de défi. « Pourquoi pas ? Je t’aime. »

Elle secoua à nouveau la tête, refusant de le regarder en face, ses cheveux virant du rouge au
noir. « Ne dis pas ça. Je t’interdis… »

« Je t’aime. » répéta-t-il, cherchant à nouveau à attraper sa main. Il fût plus rapide cette fois
et ses tentatives pour se détacher étaient passives. « Je t’aime. Je t’aime. Tu peux m’interdire
de te le dire autant que tu veux, ça ne changera rien à… »

« Mais moi je ne t’aime plus. » murmura-t-elle doucement, presque à regret.

Et le regret n’était pas là car elle aurait aimé retourner ses sentiments, comprit-il, mais parce
qu’elle ne voulait pas lui faire de mal.

Et, oh, comme cela faisait mal…

« On peut recoller les morceaux. » contra-t-il. « Ça prendra peut-être un peu de temps


mais… »

« Non, Remus. » objecta-t-elle calmement. Elle serra sa main avec gentillesse. « Je ne suis
pas venue pour ça. J’aimerai qu’on soit amis mais il faut… Il y a des choses qu’il faut que je
te dise, des choses dont j’ai besoin de me débarrasser pour avancer. »

Il l’observait sans vraiment la voir, son cœur battant trop fort, paniqué et un peu désespéré. Il
avait la sensation de se trouver au bord d’un précipice, que s’il ne trouvait pas les mots pour
la convaincre, il allait définitivement la perdre.

« On a eu d’excellents moments. » continua-t-elle avec un soupir. « J’étais bien avec toi.


J’étais… J’étais très amoureuse. Mais la manière dont tu m’as traitée… »

« Je regrette… » chuchota-t-il d’une voix étranglée. « Si tu savais comme je… »

« Tu regrettes d’avoir rompu avec moi. » l’interrompit-elle. « Ou la manière dont tu l’as fait.
Tu ne regrettes pas le reste. »

Il fronça les sourcils. « Quel reste ? »

Elle retira sa main lentement. Lorsqu’il s’y accrocha, elle se dégagea d’un petit coup sec du
poignet, pour mieux croiser les bras sur sa poitrine en une parodie d’étreinte.

« Même quand on était ensemble… Tu m’as toujours traitée comme une gamine, comme si je
n’étais pas capable de comprendre le poids de mes propres décisions. » déclara-t-elle. « Tu
me rabaisses à chaque fois que tu en as l’occasion. Tu es condescendant. Tu me traites
comme… »
« C’est faux. » cingla-t-il. Il voulait bien admettre qu’il avait ses torts mais ça… « C’est faux.
Je dis juste des choses que tu ne veux pas forcément entendre et, j’en suis désolé, mais ce
n’est pas être condescendant que de te dire que tu n’as aucune chance contre Bellatrix ou
Greyback. C’est la vérité. Je suis désolé mais c’est la vérité. »

« Et critiquer mes décisions à chaque fois qu’on parle du Bureau des Aurors, c’est la vérité
aussi, peut-être ? » rétorqua-t-elle.

Il grimaça. « Tu oublies parfois que tu n’as pas l’expérience de… »

« Oh, oui, bien sûr… L’expérience. » se moqua-t-elle. « Tu es au courant que je me suis


battue contre Greyback et Bellatrix plusieurs fois et que j’ai survécu à chaque fois ? Tu es au
courant que le Ministre de la Magie, en personne, pense que je peux aller loin ? Est-ce que ça
t’est venu à l’esprit que tu avais tort ? Que je n’étais pas… »

« J’ai vu l’arrogance coûter la vie de plus d’un sorcier. » la coupa-t-il. « Tu n’était pas assez
grande durant la première guerre mais… »

« Et revoilà la condescendance. » grinça-t-elle, en repoussant sa chaise. Un instant il eut peur


qu’elle ne parte en claquant la porte mais elle se contenta d’aller et venir dans la cuisine. Ses
cheveux étaient couleur charbon à présent. « Tu sais tout mieux que moi, hein, Remus ?
D’ailleurs, c’est pour ça que tu m’as brisé le cœur, je me trompe ? Parce que tu avais décidé
que tu savais ce qui était le mieux pour moi ? »

« Pour quelqu’un qui affirme que c’est terminé entre nous, je trouve que tu es bien obsédée
par notre rupture. » répliqua-t-il, sans mesurer ses paroles.

Il suivait ses allées et retours des yeux, souhaitant en son fort intérieur qu’elle s’asseye à
nouveau. Ses mouvements répétés réveillaient le prédateur en lui et Lunard n’était pas des
mieux disposé envers elle à l’instant.

Non pas qu’il lui ferait jamais du mal, non… Mais c’était plus difficile de contrôler les
instincts du loup quand…

« Si je suis obsédée par notre rupture, comme tu dis, c’est parce que, à cause de toi, je suis
incapable de ne pas me méfier dès que quelqu’un dit vouloir faire quelque chose dans mon
intérêt. » cingla-t-elle. « Je n’ai pas besoin qu’on me protège. Je n’ai pas besoin qu’on… »
Elle s’interrompit et prit une profonde inspiration avant de se tourner vers lui. Elle avança
jusqu’à pouvoir poser les mains bien à plat sur la table et le fusiller du regard. « Tu m’as fait
du mal et je continue à te laisser m’affecter comme si… » Sa mâchoire se contracta. « C’est
fini entre nous et j’ai besoin que tu prennes tes distances. J’ai besoin que tu me laisses
tranquille. J’ai besoin d’arrêter de penser que tous les hommes vont me traiter comme toi tu
l’as fait. »

« Oh, et Snape te traite mieux que moi, c’est ça ? » cracha-t-il. « J’ai tous les torts et il est
parfait ? »

« Non. » répondit-elle lentement, plus calmement, comme si elle soupesait chacun de ses
mots. « Il est loin d’être parfait. Il est difficile à vivre, il a un caractère de merde et il peut se
fermer comme une huitre sans prévenir. Mais il me soutient et il m’encourage. Il ne m’a
jamais dit que je ne pouvais pas faire quelque chose, au contraire. Il croit en moi. »

Remus était furieux. Furieux au point de taper du poing sur la table. Furieux au point de
perdre le contrôle de sa magie.

Le verre plein de whiskey se fendit sur toute la longueur.

« Il faut dire que c’est un peu son métier d’encourager ses élèves, non ? » persiffla-t-il dans
un rictus. « Après tout, il t’a eue suffisamment longtemps dans sa salle de classe pour que… »

« Tais-toi. » cingla-t-elle.

Il ne comptait pas se taire.

Il se leva brusquement, ne prêtant aucune attention à la chaise qui bascula dans son dos. « Tu
crois que ce que tu as avec lui, c’est sérieux, Dora ? Ce n’est qu’un fantasme. »

Il n’avait jamais vu une telle expression sur son visage, c’était au-delà de la fureur, c’était…

« Tu me dégoûtes. » cracha-t-elle.

« Moi, je te dégoûte ? » Il rit sans trouver ne serait-ce qu’une once d’amusement dans la
conversation. « Il couche avec ses élèves et c’est moi qui te dégoûte ? »

« Ça fait un bail que je ne suis plus son élève. » riposta-t-elle. « Et il n’y a jamais, jamais rien
eu d’inapproprié quand je l’étais. Ce que tu insinues, c’est… » Elle secoua la tête sans se
départir de son expression furibarde. « Et de toute manière, ce ne sont pas tes oignons,
Remus. Ce que je fais et avec qui, ça ne te regarde pas. »

« Tu es ma compagne ! » rugit-il d’une voix qui n’était plus tout à fait la sienne. Il savait que
ses yeux avaient perdu leur couleur naturelle, que le loup était si proche de la surface…

« Non. » nia-t-elle froidement. « Non, je ne le suis plus, alors tu vas arrêter de me tourner
autour ou on va vraiment avoir un problème. Si tu veux qu’on reste amis, Remus, il va falloir
que tu changes d’attitude. »

Elle se détourna et s’éloigna à grandes enjambées vers la sortie.

Il dût se faire violence pour ne pas s’élancer à sa poursuite. Il avait peur de ce qu’il aurait pu
faire.

Lunard hurlait à la mort dans sa tête, raclait des griffes dans sa poitrine. Le loup voulait sortir
mais ne le pouvait pas et…

« Une fois qu’un loup a choisi sa compagne, c’est pour la vie. » lança-t-il.

Elle s’arrêta sur le seuil mais ne se retourna pas.


« Je ne suis pas un loup. » lui rappela-t-elle. « Et si tu es essayes encore de me Marquer
comme tu l’as fait l’autre jour, loup-garou ou pas, je te promets que tu le regretteras. »

Elle disparut dans le couloir.

Remus écouta l’écho de ses pas jusqu’à ce qu’elle claque la porte et que le portrait de la mère
de Sirius ne se mette à hurler.
Secret Heart

"The most important things are the hardest to say. They are the things you get ashamed
of, because words diminish them -- words shrink things that seemed limitless when they
were in your head to no more than living size when they're brought out. But it's more
than that, isn't it? The most important things lie too close to wherever your secret heart
is buried, like landmarks to a treasure your enemies would love to steal away. And you
may make revelations that cost you dearly only to have people look at you in a funny
way, not understanding what you've said at all, or why you thought it was so important
that you almost cried while you were saying it. That's the worst, I think. When the secret
stays locked within not for want of a tellar but for want of an understanding ear."
Stephen King - Different Seasons

« Les choses les plus importantes sont les plus difficiles à dire. Ce sont les choses dont
on a honte, parce que les mots les amoindrissent – les mots affaiblissent des choses qui
paraissaient démesurées lorsqu’elle étaient dans votre tête, les réduisent à du terre à
terre une fois exprimées. Mais c’est plus que ça, n’est-ce pas ? Les choses les plus
importantes reposent trop près d’où votre cœur secret est enterré, comme une piste
menant à un trésor que vos ennemis adoreraient vous voler. Et il se peut que vous fassiez
des révélations qui vous coûteront énormément uniquement pour que les gens vous
regardent bizarrement, sans comprendre du tout ce que vous venez de dire, ou pourquoi
vous pensiez que c’était si important que vous avez presque pleuré en le disant. C’est le
pire, je crois. Lorsque le secret demeure coincé pas parce qu’on ne veut pas le révéler
mais parce qu’on a personne à qui le confier.
Stephen King – Different Seasons

Tomber sur quelqu’un par accident à Poudlard était plus difficile qu’il n’y paraissait. Cela
impliquait un minimum de préparation et une légère embuscade. Bien heureusement pour lui,
il ne manquait pas d’entraînement grâce à sept années passées avec les Maraudeurs. Surtout,
il ne manquait pas d’entraînement lorsqu’il était question de tomber sur Snape ‘par hasard’ à
Poudlard.

C’est pourquoi Sirius resta appuyé contre le mur du couloir du deuxième étage pendant dix
bonnes minutes avant d’enfin voir la gargouille se déplacer. Il se mit à marcher comme s’il
n’avait pas attendu là pendant plusieurs minutes et interpella l’homme dès qu’il descendit la
dernière marche de l’escalier qui menait au bureau du Directeur dans un claquement de cape
qui laissait présager sa mauvaise humeur.

« Ah, Servilus ! » s’exclama-t-il. « Justement l’homme que je cherchais. »

Snape lui jeta un regard noir – à cause du surnom désobligeant, supposa Sirius sans s’en
tracasser outre mesure – mais ne ralentit même pas, visiblement contrarié.
Sirius lui emboîta naturellement le pas. « C’est Dumbledore qui t’a convoqué si tôt un
dimanche ? »

La plupart des élèves étaient encore dans la Grande Salle à prendre leur petit-déjeuner. Il
avait croisé Ron, Hermione et Harry qui arrivaient à peine lorsqu’il en était parti, non sans un
clin d’œil à son filleul pour assurer qu’il n’avait pas oublié la mission qu’il lui avait confié la
veille.

« Non. J’avais besoin de son accord. » répondit le Maître des Potions, ponctuant chaque mot
en enfonçant sa canne dans le sol. « Harry est d’excellente volonté mais je n’avancerai pas
sur la potion des loups-garous sans mains expertes pour remplacer les miennes. »

Sirius fit mentalement le tour des membres de l’Ordre qui se débrouillaient correctement en
potions et en vint à la conclusion logique qui expliquait le mieux l’expression renfrognée de
l’autre homme. « Slughorn ? »

Ce n’était pas un membre de l’Ordre mais Dumbledore paraissait lui faire suffisamment
confiance pour lui avoir confié la confection des potions durant l’absence de Snape. Et il
avait été le premier à plancher sur la question des loups-garous…

« Slughorn. » cofnirma Snape avec mauvaise humeur. « Si tant est qu’Albus ait écouté un
traître mot. Il semblait bien pressé de me mettre à la porte. »

« Incompréhensible. » plaisanta-t-il. « Tu es de si bonne compagnie. »

Ça lui valut un autre regard noir. « Tu disais me chercher. Que me veux-tu ? »

Ils arrivaient en vue des escaliers et Sirius le détourna habilement en direction de ceux qui
menaient vers les étages supérieurs avant qu’il ait pu s’engager en direction des cachots. « Je
voudrais que tu jettes un œil sur un exercice que j’ai préparé pour la réunion de l’A.D. ce soir.
»

Snape pila net. « Dans la Salle Va-et-Vient ? »

« Les gamins appellent ça la Salle sur Demande. » le corrigea-t-il. « Il faut rester à la page.
Et, oui. »

Le Maître des Potions s’appuya de manière plus marquée sur sa canne. « Et pourquoi
exactement grimperais-je jusqu’au septième étage pour te rendre service ? »

Sirius répondit joyeusement au salut de deux troisièmes années qui montaient l’escalier, peu
surpris que Snape choisisse de les ignorer, avant de baisser la voix. « Parce que je voudrais
aussi qu’on parle de tu-sais-quoi et que c’est un bon endroit pour être tranquille. »

Ce n’était pas tout à fait un mensonge, il comptait bien parler des horcruxes. Une fois qu’il se
serait assuré, pour Harry, que l’homme n’était pas à nouveau à deux doigts de péter les
plombs et de détruire son laboratoire ou autre. S’il fallait en passer par un autre duel pour en
arriver là… Un peu d’action ne lui ferait pas de mal.

Il s’encroûtait à Poudlard.
Snape soupira, lui lança un dernier regard mauvais, puis entama l’ascension des escaliers
d’un pas un peu plus lent que d’ordinaire. Sirius calqua son allure sur la sienne et tâcha d’être
discret alors qu’il surveillait la jambe de son ancien rival. Il ne devait pas être assez discret
cela dit.

« Je suis parfaitement capable de monter des escaliers. » cingla l’homme. « Tu peux cesser de
m’observer comme si j’allais m’effondrer. »

« Que veux-tu, je ne veux pas risquer de manquer le fou rire de la décennie au cas où tu
tomberais vraiment. » rétorqua-t-il. « Tâche juste de ne pas te rompre le cou. Ce ne serait pas
une mort très héroïque. »

« Je te hais tellement. » lâcha Snape avec une sincérité qui poussa Sirius à placer une main
sur son cœur comme s’il était extrêmement ému.

« Servilus, personne ne me dit ces choses-là comme toi. »

Snape leva les yeux au ciel si fort que ça devait en être douloureux.

« En plus, on sait tous que c’est un mensonge. » ajouta-t-il. « Je suis ton Maraudeur préféré. »

Un silence pesant suivit sa déclaration alors qu’ils atteignaient le palier supérieur. Ils
s’écartèrent pour laisser passer un groupe de cinquièmes années qui les saluèrent tous les
deux poliment. Ce coup-ci, Snape leur répondit d’un hochement de tête, probablement parce
que Zabini et Greengrass se trouvaient parmi eux et qu’il était physiquement incapable
d’ignorer ses serpents.

Sirius attendit patiemment jusqu’au palier suivant mais aucune protestation outragée ne
survint.

« Je m’attendais à un déni un peu plus virulent. » commenta-t-il finalement. « Des cris, des
hurlements… Un ou deux impardonnables… »

« Nous avons une trêve. » grommela Snape de sa voix traînante. « Par ailleurs, Pettigrow est
un Mangemort. Lupin… Mieux vaut ne pas évoquer le sujet. Tu n’es pas exactement en tête
de ma liste de Maraudeurs à assassiner pour l’instant. »

Il avait presque envie d’insister jusqu’à lui faire dire qu’il avait fini par apprendre à
l’apprécier puis décida que c’était vraiment trop étrange. Il avait déjà suffisamment de mal à
se dire qu’il passait volontairement son temps avec l’autre homme, inutile de l’entendre
retourner le couteau dans la plaie.

Et puis…

« C’est quoi le problème entre toi et Remus ? » demanda-t-il curieusement.

Remus avait longtemps fait tampon entre eux. Lorsque Sirius avait de sérieuses envies de
meurtre envers Snape, c’était le loup-garou qui s’interposait, le convainquait de se détourner,
lui rappelait que l’ancien Serpentard avait ses raisons de les détester…
Les relations entre Remus et Snape, à sa connaissance, n’avaient jamais été cordiales. Snape
l’avait, après tout, fait renvoyer du poste de Défense lorsque Sirius s’était échappé
d’Azkaban, mais depuis quelques temps l’hostilité entre eux atteignait des records qu’elle
n’avait jamais atteint même durant leur scolarité.

« C’est un loup-garou. » répondit platement le Maître des Potions, comme si ça expliquait


tout.

Sirius garda le silence un moment, tiraillé entre une envie de lui jeter ses préjudices au visage
et une culpabilité qu’il avait fait de son mieux pour ignorer jusque là – parce que c’était
Snape, qu’ils avaient un passif très chargé et que s’il commençait à se sentir coupable de tout
ce qui s’était passé durant leur jeunesse…

« Ce n’est pas pour ça que tu le détestes. » contra-t-il, ralentissant automatiquement le pas


quand Snape en fit de même. L’autre homme était légèrement essoufflé et utilisait librement
la rampe pour mieux monter les marches. « Dans les souvenirs que tu m’as montré… Quand
tu as cru qu’Harry avait été mordu, tu as dit… »

« Harry est Harry. » cingla l’ancien espion. « Il est l’exception à énormément de règles. » Il
prit une profonde inspiration et jeta un regard peu aimable à Sirius. « Un loup-garou est
dangereux. Franchement, que tu persistes à confondre Lupin avec une peluche après toutes
ces années est alarmant. »

« Je n’ai jamais pensé qu’il n’était pas dangereux durant la pleine lune. » rétorqua Sirius.

« Oh, s’il te plait. » cracha Snape. « Vous êtes devenus Animagus juste pour lui tenir
compagnie. C’était un jeu pour vous. Potter et toi n’avez jamais rien pris au sérieux. »

« C’est faux. » s’agaça-t-il. « Et ce n’était pas un jeu. Remus avait besoin de nous. »

Ils arrivaient à peine au cinquième étage. Snape montrait des signes de fatigue et d’irritabilité
et Sirius devait se faire violence pour ne pas dire quelque chose qu’il regretterait.

Peut-être qu’il n’aurait pas dû promettre à Harry de s’en mêler.

Lui et Snape, ce n’était jamais une bonne combinaison. Surtout quand…

« Lupin est instable. » insista l’homme, d’un ton qu’il s’efforçait visiblement de garder
calme.

Sirius n’était sans doute pas le seul à avoir des envies de meurtre.

« C’est ma faute, hein ? » demanda-t-il pourtant, en grimaçant. « Si tu détestes les loups-


garous. C’est ma faute. Les souvenirs que tu m’as confiés… Celui dans la Cabane
Hurlante… »

« Je n’ai aucune intention de discuter de ça avec toi. » l’interrompit Snape. « Je t’ai confié
ces souvenirs pour expliquer le comportement d’Harry envers toi, pas pour que tu les
dissèques. »
« Et l’autre jour au Square Grimmaurd, quand il était sous sa forme de loup… » continua-t-il,
cependant. « Tu étais paniqué. »

« Certainement pas. » siffla le Maître des Potions, en s’immobilisant au beau milieu des
marches.

Sirius s’arrêta machinalement pour lui faire face, grimaçant toujours. « Je ne pensais pas que
tu irais aussi loin, ce soir là. Je pensais… Je pensais que tu aurais une bonne frayeur et voilà.
James et Remus ont refusé de m’adresser la parole pendant des semaines, tu sais. »

Snape le foudroyait du regard.

Sirius se passa une main dans les cheveux, plus gêné qu’il aurait aimé l’être. « C’était con,
comme blague. »

« Non, penses-tu ? » commenta l’homme, non sans sarcasme.

« J’essaye de m’excuser, là. » bougonna-t-il.

« Est-ce là ce que tu essayes de faire ? Ce n’était pas évident. » répliqua le Maître des
Potions.

Sirius leva les yeux au ciel. « Je suis désolé. Voilà. Tu es content, maintenant ? »

« Généralement pas mais je suppose qu’il me faudra m’en contenter. » grinça Snape, avant de
recommencer à monter les escaliers. « Et je maintiens que Lupin est instable. »

Il lui emboîta le pas avec un temps de retard et dût monter les marches quatre à quatre pour le
rattraper, ce qui contribua d’autant plus à l’agacer.

« Et, moi, je maintiens que ta potion Révèle-Loup n’a fait qu’empirer les choses. » répliqua-t-
il. Qu’importait combien Remus clamait haut et fort qu’elle avait changé sa vie.

Snape laissa échapper un bruit légèrement amusé. « Je note que tu n’essayes pas de me
convaincre qu’il est tout à fait saint d’esprit. »

Il haussa les épaules, enfouissant ses mains dans ses poches. « Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il
est instable mais je n’approuve pas tout ce qu’il fait en ce moment. Ces histoires de meute, la
manière dont il agit avec Tonks, c’est… » Il laissa échapper un soupir. « Bref. »

Le Maître des Potions accepta sa requête tacite de mettre un terme à cette conversation et
aurait sans doute été heureux de poursuivre en silence mais Sirius n’avait jamais été très doué
pour garder sa langue dans sa poche.

« Je croyais que tu ne voulais pas utiliser la canne tout le temps ? » remarqua-t-il parce que la
question l’intriguait. Snape avait été un peu plus présent au sein de l’école la semaine passée
et à chaque fois qu’il l’avait aperçu, le Maître des Potions avait la canne en main. Or, jusque
là, il était plus enclin à vous la balancer au visage si vous suggériez qu’il s’en serve…
« Suite à notre sortie scolaire de vendredi dernier, j’ai reconsidéré la chose. » L’homme jeta
un coup d’œil alentour pour vérifier qu’ils étaient seuls et qu’aucun n’élève ne risquait de les
interrompre. Ses yeux sombres s’attardèrent sur les portraits mais il parut résister à ses
tendances paranoïaques car il ne jeta aucun sort de protection. Au lieu de ça, il frappa
brièvement la canne contre la rambarde de l’escalier de deux coups secs et précis. Une lame
jaillit du bout, transformant la simple canne en une lame acérée. Un autre coup tout aussi
précis et elle reprit sa forme initiale. Snape paraissait très content de lui. « Filius l’a
enchantée pour moi. »

Sirius laissa échapper un sifflement pour le coup sincèrement admiratif. « Pas mal. Tu
pourrais aussi cacher une deuxième baguette dans le pommeau. »

« Très Lucius Malfoy. » se moqua Snape.

Sirius haussa les épaules. « C’est un connard mais un connard rusé. »

« Étant donné la disparition d’Ollivanders, il semble peu probable que je mette la main sur
une baguette de secours. » commenta-t-il.

Ils n’étaient plus bien loin de la Salle sur Demande. Sirius ralentit légèrement le pas, ce qui
lui valut un autre regard agacé mais aucune protestation. Lorsqu’ils s’arrêtèrent devant le mur
de briques, Snape était parvenu à reprendre son souffle.

Sirius ouvrit la porte et le précéda dans la pièce qui avait, pour l’occasion, prit des
proportions gigantesques. Il était plutôt fier de lui, à vrai dire. Une fois la porte refermée
derrière Snape, l’illusion était pratiquement parfaite. Le Maître des Potions fit quelques pas
sur les pavés inégaux, observant les alentours avec intérêt.

« Londres ? » s’enquit-il.

Sirius acquiesça, surveillant son œuvre d’un œil confiant. La Salle sur Demande avait
reproduit, à l’échelle, une intersection de plusieurs rues et ruelles qui formaient un dédale
urbain géant. L’illusion avait ses limites, le plafond demeurait une voûte au-dessus de leur
tête, mais une fois la lumière tamisée pour simuler l’obscurité d’une nuit sans lune, cela ne
devrait pas faire grande différence.

« Quel est l’objectif de cet exercice, exactement ? » demanda Snape, sa curiosité


apparemment piquée.

« Tu vois les mannequins ? » répondit Sirius, en désignant du doigt celui le plus en évidence
au deuxième étage d’une des étroites maisons à leur gauche.

Snape hocha la tête. « Il y a cinq dans cette rue. »

L’Animagus haussa les sourcils, impressionné malgré lui. Celui qu’il lui avait montré était
exposé à dessein afin qu’il puisse expliquer aux adolescents, plus tard, ce qu’il attendait
d’eux. Tous les autres étaient si bien dissimulés que s’il n’avait pas passé des heures à les
cacher, Sirius aurait eu du mal à les trouver.
« Ils sont enchantés pour cibler les participants. » expliqua-t-il. « Je compte les lâcher au
milieu des rues deux par deux. Le but, c’est qu’ils s’en sortent tous les deux sans être
touchés. Je veux qu’ils se concentrent sur la protection, aujourd’hui. Se protéger eux-mêmes
mais aussi leur coéquipiers. Ils commencent à se débrouiller lorsqu’il s’agit de se battre mais
ils ne font pas toujours attention à ce qui se trouve autour d’eux. J’ai perdu le compte du
nombre de fois où Neville a accidentellement dévié un sort sur un autre gosse avec un simple
protego. »

« Londubat n’est pas exactement un exemple. » ironisa le Professeur.

« Neville est excellent lorsqu’il a confiance en lui. » rétorqua-t-il, sur la défensive. « Et c’est
également arrivé à Draco et Harry. »

Qu’Harry ait pu commettre ce genre d’erreur semblait être un affront personnel pour l’ancien
espion qui se redressa, piqué. « Cela fait des mois que le loup le cantonne à des exercices
inutiles. Il est peu étonnant qu’il ait pris de mauvaises habitudes. Il n’a jamais fait ce genre
d’erreurs auparavant, pas même lors de vraies batailles. »

Sirius haussa les épaules. « Peut-être parce qu’il fait plus attention quand c’est toi et pas
Malfoy. Je ne lui jette pas la pierre. Mais on ne peut pas être sûr de toujours se battre avec des
gens qu’on apprécie comme soutien. »

Leur propre situation en était un exemple flagrant.

Snape pinça les lèvres mais choisit de ne pas relever. Il avança de quelques pas dans la ruelle,
étudiant la position des mannequins. « Comment vas-tu simuler les sortilèges ? Si le but est
de les placer dans une situation suffisamment stressante pour qu’ils aient à contrôler leurs
réactions… »

« Ah, mais c’est là que tout mon génie s’exprime ! » triompha-t-il, avant de lui expliquer le
système.

Plutôt que d’utiliser des sortilèges, les mannequins cracheraient des jets de peintures
enchantés. Le jaune représenterait un sort mineur et légèrement handicapant, si l’élève était
touché il ne ressentirait qu’une sensation de chaleur désagréable. Le rouge représentait une
blessure grave, la peinture ferait momentanément perdre à l’adolescent toute sensation dans
la zone de sorte que s’il était touché au bras ou à la jambe, il ne pourrait plus s’en servir. Et le
vert… Le vert était là pour représenter le sort de mort.

La peinture servirait à analyser, après-coup, leurs erreurs.

« Aucun sort ne peut arrêter la peinture verte mais il y a suffisamment d’objets et de


renfoncements sur le chemin pour se protéger d’une autre manière. » termina Sirius.

« Cela leur apprendra à utiliser leur environnement à leur avantage. » approuva Snape. « Cela
me semble un excellent exercice. »

Le compliment était si clairement délivré à contrecœur que Sirius ne put s’empêcher d’en
rire. « Inutile d’être jaloux, tu sais. Harry continue à me répéter que tu es le meilleur
Professeur de Défense qu’il ait jamais eu. »

Un rictus satisfait étira les lèvres de l’homme mais il ne commenta pas.

« Une fois qu’ils maîtriseront cet exercice, il serait judicieux de les entraîner à riposter. »
suggéra Snape. « À vrai dire… Tu devrais le proposer à toutes tes classes de quatrièmes au
septièmes années, pas seulement à un club de Défense plus ou moins officiel. »

Sirius fronça les sourcils. « Ce sont tes classes. Et c’est toi qui décides du programme, je te
rappelle. »

Snape détourna la tête, inspectant avec une attention un peu trop soutenue le carrefour
central. « J’ai informé Minerva que je comptais décharger Slughorn de ses premières et
deuxièmes années. Je te laisse la Défense. »

L’Animagus secoua la tête. « C’est ridicule. Je sais me battre mais je n’ai pas la moitié de ton
expérience ou de tes connaissances. »

Et cela lui coûtait autant de l’admettre que cela avait couté à Snape de le complimenter sur
son exercice.

« Mon expérience et mes connaissances ne m’ont pas sauvé du Seigneur des Ténèbres ou de
Bellatrix. » lâcha l’autre homme platement. « Certains jours, je peux à peine tenir ma
baguette. »

Sirius l’observa un moment puis laissa échapper un bruit dédaigneux. « C’est des conneries,
ça. C’est juste ta tendance à t’apitoyer sur toi-même qui parle. »

Snape se tourna vers lui dans un claquement de cape menaçant. « Fais attention, Black. »

Sirius leva les yeux au ciel. « Attention à quoi ? Tu peux à peine tenir ta baguette, c’est toi
qui vient de le dire. »

L’ironie mordante déplut très visiblement à Snape. C’était comme agiter un foulard rouge
devant un taureau.

L’ancien prisonnier ne fut même pas surpris lorsque le premier sort fusa droit sur lui.

Il le para d’un revers du bras, baguette déjà levée pour répliquer…

Il n’était pas entièrement certain de si l’ex-Mangemort était sérieux ou pas mais la plupart des
sorts qu’il déviait ou repoussait n’était pas exactement amicaux. N’étant pas de nature à
ignorer un défi, cependant, il plongea derrière le mur d’une ruelle et activa la simulation. Les
lumières baissèrent immédiatement, de sorte que s’il n’avait pas su qu’il était à Poudlard, il
aurait pu se penser à Londres. Les mannequins commencèrent automatiquement à tenter de
les viser avec leur jets de peinture.

Les rues plus ou moins étroites formaient un labyrinthe dans lequel Sirius s’élança, pressé de
mettre une certaine distance entre lui et Snape.
« Tu as conscience qu’on est censé s’entraider, pas se battre ? » lança-t-il à la cantonade.
« C’est le total opposé de mon exercice ! »

Cela dit, cela lui donnait des idées.

Un sortilège le toucha dans le dos, entre les deux omoplates, lui arrachant un cri de douleur.
La sensation était déplaisante, une démangeaison intense qui lui fit se mordre la langue, mais
disparut rapidement. Il pivota immédiatement, un bouclier bien en place.

Snape le regardait avec mépris, faisant tourner sa canne de la main qui ne tenait pas sa
baguette. « As-tu conscience que trahir ta position ainsi car tu ressens le besoin d’apostropher
tes ennemis est stupide ? »

« Excuse-moi de penser que tu allais jouer dans les règles. » râla-t-il. « J’oubliais que
Monsieur le grand méchant Serpentard… »

L’homme leva brusquement sa baguette, poussant Sirius à renforcer son bouclier au


maximum, mais au lieu du maléfice auquel il s’attendait, un couvercle de poubelle s’envola
pour s’interposer entre lui et le jet de peinture verte qui filait droit sur sa tête.

« Le mannequin dans la troisième ruelle est mal placé. » lâcha simplement Snape.

« Et c’est pour ça que je voulais qu’on le teste. » grinça Sirius, pince-sans-rire. « Sauf qu’on
était censé coopérer. »

« Nous coopérons bien assez comme ça. » rétorqua l’homme. « Le premier à vaincre l’autre
et à sortir ‘vivant’ de la zone gagne. Pas de règles. »

Et avec cet avertissement pour le moins menaçant, le sorcier disparut dans une brume qu’il fit
apparaitre et qui ne tarda pas à recouvrir toute la zone, diminuant d’autant leur visibilité.

Encore une autre bonne idée que Sirius comptait lui voler.

Bien sûr, il savait où était placé tous les mannequins mais la brume amoindrissait grandement
cet avantage et, au demeurant, Sirius avait tous les sens aux aguets. Il était moins inquiet des
jets de peinture que de l’ancien Mangemort qui le pourchassait.

Après cinq minutes passées à avancer prudemment le long des ruelles sans voir ou entendre
l’ombre de l’autre sorcier, Sirius décida que Patmol serait plus efficace que lui et il se fondit
dans sa forme canine, rampant aussi près du sol qu’il le pouvait pour ne pas trahir sa position.

Sous cette forme, il ne lui fallut qu’une minute ou deux pour repérer l’odeur de Snape et en
suivre la trace. Il était impatient de faire ravaler ses mots à son rival. Très impatient. Si
impatient qu’il ne sentit le piège qu’une fois qu’il fut engagé dans l’impasse qui débouchait
sur le mur de pierre de la Salle-Sur-Demande.

Comprenant immédiatement le piège – et son erreur – il redevint humain juste à temps pour
sauter en arrière et éviter le jet de peinture rouge qui alla s’écraser contre le mur à sa droite.
« Si prévisible. » commenta Snape en sortant de l’ombre, à l’entrée de l’impasse, laissant
tomber son sortilège de désillusion.

Le temps que perdit Sirius à mettre hors d’état de nuire le mannequin qui le bombardait de
traits rouge permit au Maître des Potions de se mettre en position de combat et de commencer
à lancer sortilège sur sortilège.

Et aucun d’entre eux était inoffensif.

Sirius répliqua en conséquence, gêné par l’étroitesse des lieux qui l’empêchait d’esquiver
physiquement comme il l’aurait souhaité. Snape, en revanche, avait l’avantage de la rue
derrière lui – il avait dû s’occuper des mannequins de la zone au préalable – et paraissait
déterminé à lui faire mordre la poussière.

Un sort mauve passa son bouclier, laissant une estafilade brûlante sur son épaule, alors Sirius
répliqua en tordant son poignet, envoyant un jet de flammes droit sur l’homme, mettant
malencontreusement le feu à une benne à ordure.

Snape créa immédiatement un tourbillon d’air qui dirigea les flammes droit sur lui…

La fumée le prit à la gorge et, coincé comme il l’était dans la ruelle, il jeta un sortilège qui
l’aida à respirer mais lui fit baisser la garde juste assez longtemps pour que le sortilège du
Maître des Potions l’atteigne en pleine poitrine, à peine ralenti par son bouclier.

Sirius se sentit soulevé dans les airs par la cheville et il eut beau se débattre, il se savait
entièrement à la merci de son adversaire.

« Voilà qui me rappelle des souvenirs… » plaisanta-t-il.

Lorsque Snape le fit tourner sur lui-même suffisamment longtemps et rapidement pour lui
donner la nausée, il ne sentit plus d’humeur à rire.

« Ça va, ça va… On a compris ! Tu as gagné ! » capitula-t-il.

Il fût soudain immobilisé dans les airs mais n’eut pas le temps de prendre ses repères avant
de sentir le coup le cueillir au plexus. La force de l’impact lui coupa brièvement la
respiration. Lorsqu’il baissa la tête pour voir ce qui l’avait percuté, il vit l’énorme fleur de
peinture verte qui s’étalait sur sa poitrine.

Il eut à peine le temps de fusiller l’homme du regard que le sorcier mettait un terme à son sort
et le laissait choir brutalement sur le sol dur. Sonné, il écouta les bruits de pas s’éloigner.

Une minute plus tard environ, la lumière se ralluma, la benne à ordure qui flambait encore
s’éteignit et redevint comme neuve, pas une seule marque de suie. Les différentes traces de
peinture avaient, elles, aussi disparu.

Sirius en déduisit que Snape avait atteint une des sorties et avait, par conséquence, terminé
l’exercice.
Il se remit debout avec quelques difficultés et se traina jusqu’à l’entrée de la Salle-sur-
Demande où l’attendait son éternel rival avec un rictus bien trop satisfait aux lèvres.

« Tricheur. » accusa-t-il, avec mauvaise foi avant de hausser les épaules. « Mais, à part ça, tu
ne peux pas reprendre les cours de Défense. Bien sûr. »

Le plaisir qui brillait jusque là dans le regard noir disparut d’un coup. « C’est différent. »

Sirius poussa un long, long soupir. « Pourquoi est-ce qu’on ne se partagerait pas le
travail ? J’adore m’occuper de l’A.D. et j’aime bien la pratique mais je déteste devoir
monologuer pendant des heures, je déteste leur donner des devoirs ou les corriger et je déteste
devoir leur mettre des notes. »

Snape le dévisagea avec sa plus belle expression sarcastique. « Donc, tu apprécies la partie
agréable mais tu ne veux pas avoir à gérer les désagréments. Comme je suis surpris. »

« Tout ce que je dis, c’est que si tu ne te sens pas de tout gérer tout seul, on pourrait trouver
un terrain d’entente. » rétorqua-t-il. « Je peux m’occuper de la pratique et toi de la théorie. »

« Des désagréments, autrement dit. » marmonna le Maitre des Potions.

« C’est toujours mieux que les cours de potions des premières et deuxièmes années, non ? »
insista-t-il.

« Tu as conscience que cela implique que nous travaillons ensemble ? » Snape fit la grimace.
« De manière plus poussée que nous ne le faisons déjà, s’entends. Cela signifierait nous
parler tous les jours, nous coordonner, nous mettre d’accord avec un tant soit peu de
courtoisie, passer des heures de nos journée en compagnie l’un de l’autre, et… »

« Severus. » l’interrompit-il. Utiliser son prénom était toujours une manière certaine de le
faire taire, principalement parce que cela le choquait trop pour qu’il continue à s’écouter
parler. « Ça pourrait marcher. Et rien ne nous empêche d’au moins essayer. Si c’est un
désastre… » Il haussa les épaules. « McGonagall nous assassinera probablement tous les
deux parce qu’elle n’en peut plus de devoir gérer les changements de professeurs et on n’aura
plus à se soucier des horcruxes, de la guerre et du reste. »

Snape le dévisagea longtemps, l’air méfiant mais tenté, puis inclina finalement la tête. « Très
bien. »

Sirius hocha la tête en retour puis claqua dans ses mains pour dissiper la gêne qui s’installait
et se tourna vers le dédale de ruelles. « Okay… Faisons le tour des mannequins. J’en ai repéré
trois qui seraient mieux ailleurs… »

Un quart d’heure plus tard, ils émergeaient de la Salle-sur-Demande, en échangeant des idées
pour améliorer l’exercice. La conversation était presque plaisante si l’on exceptait les
remarques acerbes que le Maître des Potions ne semblait pouvoir s’empêcher d’asséner, de
sorte que Sirius n’hésita pas à attraper la manche de ses sur-robes avant qu’il ne s’éloigne de
trop.
Faire trois allers-retours devant le mur fût l’affaire de quelques secondes et il poussa la lourde
porte, la tenant ouverte pour Snape qui pénétra à l’intérieur avec un soupir agacé. « Qu’y a-t-
il encore qui ne puisse pas… » L’homme s’interrompit brusquement. « Black. »

Sirius laissa la porte se refermer lourdement et louvoya entre les tables pour atteindre
l’impressionnant bar au fond de la pièce qui était à présent la réplique parfaite des Trois
Balais. Il ne manquait que Rosmerta.

S’il avait eu le choix, il aurait trainé l’homme directement à Pré-au-Lard et l’aurait arrosé
d’assez d’alcool pour qu’il se confie – ça avait été sa première idée quand Harry lui avait
demandé son aide – mais même lui savait que c’était trop dangereux. Il était peu probable que
des Mangemorts ne les attaquent au village mais ce n’était pas une raison pour tenter le
diable.

« Tu ne m’as toujours pas raconté ce qui s’est passé quand vous êtes allés chercher
l’horcruxe. » lui rappela-t-il, sans lui laisser le temps d’arguer qu’il n’avait pas le temps de
prendre un verre. « Autant le faire confortablement installé. »

Snape s’approcha du bar, son boitement légèrement plus prononcé qu’avant leur entraînement
improvisé, et s’installa sur un des tabourets, non sans une moue désapprobatrice. « Il n’est
même pas midi. »

« Il est midi quelque part. » répliqua-t-il, en inspectant le stock de bouteilles. « Et tu sais


comme moi que la réunion de ce soir va être insupportable donc autant s’y préparer bien en
avance. »

« En s’enivrant ? » se moqua Snape. « Non merci. »

Loin de se laisser décourager, Sirius porta finalement son choix sur une bouteille de cognac
d’un âge respectable et plaça deux verres sur le comptoir.

« Je ne bois pas. » lui rappela l’homme avec agacement.

Sirius lui en servit tout de même un verre, avant de tirer son paquet de cigarettes de sa poche.

« Vas-y. » l’invita-t-il d’un geste impatient de la main avant d’allumer sa cigarette.


« Raconte. »

La mâchoire du Maître des Potions se contracta. « Je t’ai déjà résumé l’essentiel. »

Il leva les yeux au ciel. « Tu m’as dit que les protections étaient fortes mais pas aussi
efficaces que tu l’aurais pensé. Tu m’as dit que l’horcruxe avait poussé un cri lorsque vous
l’avez détruit avec l’épée de Gryffondor, ce qui a perturbé Harry. Tu m’as dit que
Dumbledore avait récupéré la bague mais que tu avais pu y jeter un œil sur le moment et que
tu n’avais rien vu d’utile. » Snape leva un sourcil qui signifiait très clairement que c’était là
l’essentiel. Sirius se fit violence pour ne pas l’envoyer se faire voir. « Dans quel état était la
bague ? »
La question dût lui paraître pertinente parce que l’homme se pencha un peu au-dessus du
comptoir, attrapant le verre qu’il lui avait servi sans toutefois le porter à ses lèvres. « Intacte
mise à part l’endroit où la lame l’a frappée. Tous les livres semblaient indiquer que détruire
l’horcruxe détruisait le vaisseau… J’en avais conclu qu’il s’agissait d’une destruction totale
mais j’avais visiblement tort. »

« Ça veut peut-être simplement dire que le vaisseau ne peut plus être enchanté. » suggéra-t-il,
en tirant sur sa cigarette. « Il faut qu’on en trouve un pour nous, sans Dumbledore. J’ai
discuté avec Bill de l’idée de déplacer l’horcruxe, il a des idées qu’on pourrait essayer… Si
on y arrive et que, en plus, le vaisseau n’est pas aussi à risque qu’on le pensait… »

« Albus semble penser que la clef se trouve dans le passé du Seigneur des Ténèbres. » déclara
Snape. « Il a montré à Harry plusieurs souvenirs mais rien que je n’ai trouvé concluant,
toutefois des souvenirs de souvenirs sont toujours moins précis que les originaux. Le
Seigneur des Ténèbres est très porté sur les symboles… Si je devais m’y hasarder, je dirais
que les horcruxes sont cachés à des endroits qui ont une importance pour lui. »

« Il faudrait pouvoir enquêter sur lui. » Il tapota la cigarette pour faire tomber la cendre à
même le comptoir, ce qui lui valut un regard réprobateur. La seconde suivante, un cendrier
apparaissait devant lui. Il regarda Snape ranger distraitement sa baguette. « Tom Jedusor… Il
doit bien y avoir des archives quelque part à Poudlard… »

« Je doute que nous trouvions quoi que ce soit dans les archives de Poudlard. » rétorqua
Snape avec un amusement amer. « Nous aurions plus de chances en fouillant le bureau
d’Albus mais nous n’y parviendrons jamais sans nous faire prendre. » Sirius ouvrit la bouche
pour argumenter le contraire mais l’homme l’interrompit d’un geste. « Non, Black. Je ne m’y
risquerai pas moi-même et j’ai bien davantage confiance en mes capacités qu’en les tiennes,
Maraudeur ou pas. »

Il fallait admettre que les chances que Dumbledore n’ait pas un million d’alarmes et
sortilèges autour de ses affaires, particulièrement ses recherches, étaient faibles.

Mais Poudlard n’était pas le seul endroit où trouver une mine d’informations…

« Bonne chose que ma cousine soit la meilleure Auror de sa génération, hein ? » lança-t-il,
très content de lui-même. Voilà qui était une excellente idée.

Snape parut surpris, puis intrigué, puis renfrogné. « Encore faut-il qu’elle accepte. »

Il haussa les épaules. « Elle ne me refuserait pas un service. Et puis, elle t’a à la bonne, non ?
J’avais l’impression que vous vous entendiez bien. »

Le Maître des Potions porta le verre de cognac à ses lèvres et en sirotant une gorgée
lentement, ses yeux noirs rivés au bois patiné du comptoir, la mâchoire contractée à
l’extrême.

« Eh ben voilà. » se moqua-t-il. « Je croyais que tu ne buvais pas. »


« Je ne raffole pas de l’activité. » grinça Snape. « Mettons-le sur le compte de mauvaises
expériences. »

Une part de Sirius voulait continuer à le taquiner mais il y avait une gravité sur le visage de
l’homme qui lui fit dire que le sujet était sensible.

« Et les protections autour des horcruxes, alors ? » demanda-t-il, décidant de changer de


sujet. « Tu as parlé d’un sort de repousse… »

« La malédiction sur la bague elle-même était la protection la plus dangereuse. » répondit le


Maître des Potions. « Si Albus l’avait touchée… » Il secoua la tête. « Je ne comprends
toujours pas ce qui lui a pris d’agir de la sorte. L’espace d’un instant, j’ai cru qu’il était
envoûté. »

« On est sûr qu’il ne l’est pas ? » s’inquiéta l’Animagus. « Parce que je ne l’ai pas vu de la
semaine et McGonagall n’arrête pas de se plaindre qu’il ne l’écoute même pas… »

« Il était parfaitement maître de lui-même ce matin. » contra Snape. « Distrait, certes, mais
maître de lui-même. Non… » L’homme s’interrompit un moment, semblant réfléchir, puis
émit un bruit peu convaincu. « Peut-être le sortilège qui protégeait la bague l’a-t-il affecté
différemment d’Harry et de moi. »

« Le fameux sortilège dont tu ne veux pas parler. » commenta Sirius, pince-sans-rire. « Toi ou
Harry, d’ailleurs. » Il lui laissa le temps de répondre mais Snape prit une autre gorgée de
cognac sans rien dire. Sirius termina sa cigarette, puis soupira. « Bon, cartes sur table,
Servilus. Tu es imbuvable depuis ce soir là, à peu près autant qu’avant ton petit séjour dans le
passé. Harry s’inquiète pour toi. »

« Harry ferait mieux de se mêler de ses affaires. » siffla le Maître des Potions.

« Je suis désolé de devoir te l’expliquer mais ce sont ses affaires. » cingla-t-il. « Ce sont
devenu ses affaires au moment où tu as décidé de l’adopter. »

Snape sursauta légèrement, ses yeux noirs trouvant brutalement les siens. « Je comptais t’en
parler avant qu’il ne le fasse. Je n’ignore pas que… »

« On règlera ça quand j’aurais sa tutelle. » le coupa-t-il. « Et ne cherches pas à noyer le


poisson. Dis-moi ce qui s’est passé ce soir là. C’était quoi ce sortilège ? »

L’espace d’une seconde, la tension fût telle que Sirius s’attendit très sérieusement à ce que
l’ancien Mangemort ne sorte en trombe avec toute l’indignation dont il pourrait faire preuve.
Lorsqu’il n’en fit rien, lorsqu’il se contenta de rester assis là à fixer Sirius du regard et à
respirer un peu trop vite, L’Animagus le prit un peu en pitié.

« Écoute, je sais que tu ne comprends pas bien comment ça marche, mais on est amis
maintenant. » lâcha-t-il, parvenant à peine à contrôler une grimace lorsqu’il prononça ces
mots. « Ça veut dire que quand tu as des problèmes, on en parle et on trouve une solution. Je
sais que c’était il y a longtemps mais Lily devait bien… »
« Ne te compare pas à Lily. » somma Snape avec juste assez de réelle hostilité dans la voix
pour que Sirius lève les deux mains en signe d’apaisement.

Il jeta la cigarette encore allumée dans le cendrier et se frotta la bouche, peu certain de
comment procéder. Remus était parfois réticent à se confier mais jamais comme ça. Snape
était un cactus et…

« Nous ne sommes pas amis. » maugréa le Maître des Potions, à peine plus aimablement.
« Cesse de répéter ça à tout va, cela devient gênant. »

« Gênant pour moi. » ricana-t-il, sans grand amusement.

Il commençait à croire qu’Harry avait vu juste et qu’il y avait vraiment un problème autre
que la disposition naturelle de Snape.

Le Maître des Potions avala une nouvelle gorgée de cognac d’un geste un peu saccadé qui
n’avait rien à voir avec les tremblements de ses mains.

Sirius attendit une autre longue minute avant de descendre la moitié de son propre verre d’un
coup, perdant patience. « D’accord. Tu n’es pas obligé de m’en parler à moi mais tu devrais
trouver quelqu’un à qui… »

« Le sortilège créait des illusions extrêmement réalistes. » l’interrompit froidement Snape.


« Ce n’était pas des spectres mais cela y ressemblait. »

Il s’accouda au comptoir pour mieux prêter à l’autre homme sa pleine attention. L’ancien
Mangemort ne le regardait pas en face, cependant, il tournait et retournait son verre,
observant le mince filet de liquide qui y restait.

« Le sortilège jouait sur le sentiment de culpabilité. » ajouta le Maître des Potions après une
poignée de secondes. « Harry a vu Diggory ainsi que Potter et Lily. Encore qu’il soit possible
que Potter et Lily aient été là pour moi ou Albus… »

Sirius n’était peut-être pas un Serpentard mais il savait lorsque quelqu’un essayait de
détourner la conversation. « Et toi ? »

« Je ne suis pas exactement étranger au sort de mort, Black. » railla l’homme. « Ni à la


culpabilité. » Il termina son verre d’un geste sec. « Si j’ai paru perturbé à Harry c’est qu’il y
avait quelqu’un dans la masse dont la présence m’a pris de court. Je n’éprouve aucune
culpabilité vis-à-vis de sa mort. À vrai dire, à une époque, je l’aurais volontiers tué de mes
mains. Je ne parviens pas à comprendre ce qu’il faisait là. »

Il comprenait un peu mieux la réticence de son rival à s’expliquer désormais. Sirius n’était
pas sûr qu’il aurait mieux réagi à un sort lui renvoyant ses plus gros échecs ou erreurs au
visage. Il ne savait pas combien de gens Snape avait déjà tué, que ce soit pour Voldemort ou
Dumbledore, mais il pouvait deviner sans mal qu’il y en avait un certain nombre. Ce n’était
pas comme si lui n’avait jamais tué personne, non plus. Il n’abusait pas des sorts de mort
mais, à l’époque, durant la première guerre, il en avait jeté plus qu’à son tour.
Et, outre les Avada, il y avait différentes manières de tuer les gens. Un sort malheureusement
plus fort que ce qu’on ne le désirait et…

« Qui c’était ? » demanda-t-il, avant d’avoir pu s’en empêcher.

Snape repoussa son verre vide, son expression pas aussi neutre et lisse qu’à l’accoutumée –
ou, plutôt, pas aussi neutre et lisse qu’avant son séjour dans le passé. Ils n’avaient jamais
discuté de l’Occlumencie, l’homme lui avait intimé de rafraichir ses bases puis l’avait testé
inlassablement jusqu’à être satisfait de ses progrès et cela avait été la somme de leur échange
sur le sujet. Il semblait à Sirius que Snape était passé de Maître Occlumens à…

« Mon père. » murmura l’homme, presqu’à regret.

Sirius écarquilla les yeux, légèrement choqué par cet aveu, mais se reprit bien vite. Il ne
savait pas exactement pourquoi il était si étonné. Ce n’était pas comme si Snape avait jamais
eu l’air particulièrement heureux durant leur adolescence.

Et il s’y connaissait lui-même sur la question.

Ce n’était pas pour rien que les Potter l’avaient pratiquement adopté.

Il leva son verre en un toast un peu ironique. « Aux parents merdiques. »

Snape trinqua avec son verre vide, laissant à Sirius le soin de terminer le sien. Il attrapa la
bouteille et s’en servit une nouvelle rasade. Lorsqu’il voulut faire de même avec le verre de
l’autre sorcier, celui-ci le couvrit de sa main.

« Tu bois beaucoup trop. » lui reprocha le Maître des Potions.

« Et c’est pour ça que tu vas adopter Harry et que je vais me contenter d’être le parrain
sympa. » constata-t-il. « J’ai passé douze ans à Azkaban, je ne suis pas prêt à abandonner mes
vices tout de suite. »

Pour mieux ponctuer cette affirmation, il s’alluma une deuxième cigarette – pour ça et pour le
seul plaisir de voir Snape froncer le nez de dégout.

« Parlant de vices… » rebondit l’autre sorcier. « Ton amourette avec ta vampire… Est-ce
sérieux ? »

Sirius prit le temps d’avaler une gorgée d’alcool avant de répondre, principalement parce
qu’il n’appréciait pas la désapprobation dans la voix de l’ancien Mangemort.

« Plus ou moins. » offrit-il finalement. « Plus que moins. »

« Ne t’est-il pas venu à l’esprit qu’elle pourrait être notre espionne ? » questionna l’homme,
non sans condescendance.

« Comme c’est drôle, elle m’a demandé la même chose à ton sujet. » Il lui jeta un regard
vaguement amusé avant de porter sa cigarette à sa bouche. « Vous devriez peut-être avoir une
petite conversation tous les deux. »
Le bruit qu’émit Snape laissait présager que la chose n’était pas à l’ordre du jour. L’homme
semblait toutefois un peu gêné d’un coup. Son regard se fit fuyant et ses doigts pianotaient
impatiemment sur le bois du comptoir. « Black… Si tu étais à ma place… Lui aurais-tu dit
pour la Marque ? »

Il haussa les épaules. « Je n’en sais rien. Pourquoi ? »

Snape leva les yeux au ciel. « Je ne comprends pas pourquoi il serait nécessaire de divulguer
des informations qui ne serviraient qu’à causer de la détresse sous-prétexte que la personne
partage notre vie. »

Sirius avait eu le malheur de prendre une nouvelle gorgée d’alcool juste à ce moment là et
manqua s’étouffer. Il toussa et crachota tout en dévisageant Snape, les yeux grands ouverts
embués de larmes.

« Servilus… » Il déglutit avec difficulté, la gorge douloureuse. « Est-ce que tu es en train de


me dire que tu as une petite-amie secrète ? Pas gonflable, ça ne compte pas si elle est
gonflable. » Si les regards pouvaient tuer, Sirius serait probablement tombé raide mais il ne
parvenait pas à s’en préoccuper parce que Snape avait l’air bien trop coupable. « Oh,
Merlin ! Mais qui ? La seule femme que tu fréquentes un minimum c’est McGonagall. » Il
s’interrompit, bouche ouverte, un air qu’il savait être horrifié sur le visage. « Dis moi que ce
n’est pas McGonagall. »

« Minerva et moi entretenons une liaison torride depuis des années. » cracha le Maître des
Potions.

Sirius ne releva même pas sa mauvaise humeur évidente. « Je sais que tu es plus que
probablement sarcastique, là, tout de suite, mais il va me falloir une vraie confirmation
qu’elle et toi vous n’êtes pas… »

« Évidemment que je suis sarcastique, espèce de crétin. » le coupa l’homme.

L’Animagus se mit à respirer un peu plus facilement. « Merlin, Severus, ne me mets pas ce
genre d’images en tête. Même pour plaisanter. » Il se frotta les yeux comme pour mieux
effacer les dites images. « Qui alors ? »

« Personne. » marmonna Snape, le visage fermé. « Je pensais à Harry. Il m’est apparu que s’il
découvrait que ma Marque est si dangereuse… »

« Ne lui dis pas. » le conseilla Sirius, en secouant la tête. « C’est sous contrôle pour le
moment. Si ça change… Si ça change, c’est autre chose, mais pour le moment, il n’a pas
besoin de savoir. »

Snape hocha la tête, l’air soudain un peu plus satisfait. « Voilà exactement mon
raisonnement. »

« Oui, mais là on parle d’Harry. » contra Sirius. « Ce serait différent si on parlait… de


quelqu’un d’autre. »
L’ancien Mangemort fronça les sourcils. « En quoi ? La situation est la même. »

« La situation n’est pas la même parce que j’ose espérer que la personne en question est
majeure et pas sous ta responsabilité. » corrigea Sirius, en se penchant pour mieux l’étudier.
« Est-ce que je la connais ? »

« Il n’y a personne. » répéta sèchement Snape.

Il était trop bon menteur.

Sirius ne savait pas s’il devait le croire ou non.

Il passa rapidement en revue les femmes de leur âge qui gravitaient autour d’eux…

« Sinistra ? » devina-t-il. La Professeur d’Astronomie était une ancienne Serpentard, après


tout, ça devait leur faire des points communs.

« Black, ne m’oblige pas à te jeter un sort. » grinça Snape.

« Oh… Tu n’as pas encore conclu, c’est ça ? » s’exclama-t-il, avec entrain. « Je peux t’aider.
J’ai des années d’expérience dans ce… »

Il eut à peine le temps d’esquiver ce qui, il en était à peu près sûr, était un sort noir qui lui
aurait valu une jolie brûlure. Plusieurs bouteilles éclatèrent derrière le bar. Il nettoya le tout
d’un coup de baguette distrait.

« Ça va, ça va… » bougonna-t-il. « J’ai compris, je me tais. » Il lui jeta un coup d’œil amusé.
« Mais si tu as besoin de conseils… »

La manière dont Snape leva sa baguette était si visiblement une menace que Sirius éclata de
rire. « Tu sais, je te préfère comme ça que quand tu es déprimé. C’est beaucoup plus drôle. »

« Personnellement, je préférais quand je n’étais pas obligé de te côtoyer. » maugréa l’ancien


espion, avant de soupirer. « Parlant de conseils, cependant… »

« Des fleurs. » déclara immédiatement Sirius. « Et puisqu’elle est Professeur d’Astronomie,


quelque chose en rapport avec les étoiles ou… »

« Pour l’amour de Merlin, Black, je ne m’intéresse pas à Aurora ! » s’emporta l’homme,


avant de se renfrogner. « Je voulais parler de transformations Animagus. »

« Dommage que tu ne sois pas vraiment avec McGonagall, alors. » plaisanta-t-il. « Ça ferait
de fantastiques conversations sur l’oreiller… » Snape attrapa sa canne et fit mine de se lever.
« D’accord, d’accord ! J’arrête. Mais tu ne peux pas me tendre des perches pareilles et
t’attendre à ce que je ne dise rien, aussi… » Sirius jeta la cigarette qui s’était consumée toute
seule et termina son verre. « Qu’est-ce que tu veux savoir sur les Animagus ? D’après ce que
nous a raconté Harry, tu te débrouilles très bien tout seul, Nox. »

Snape fit la grimace. « Ce garçon n’est pas doué pour nommer les animaux. »
« Oh, je ne sais pas, c’est plutôt sympa comme surnom pour un Maraudeur honoraire. »
commenta-t-il, juste pour le plaisir de voir son visage virer au rouge cramoisi.

« Ne répète jamais ça. » gronda Snape, outragé.

Sirius avait l’impression de suffisamment avoir poussé sa chance ce jour là. « C’est quoi le
problème exactement ? »

« Il n’y a pas de problème. » marmonna le Maître des Potions. « Je m’interrogeais


simplement… T’es-tu déjà transformé en étant blessé ? »

« Bien sûr. » Il hocha la tête. « Je me sers souvent de Patmol quand je me bats. »

Snape acquiesça pensivement puis fit tourner sa canne entre ses doigts. « Qu’en est-il d’une
blessure plus grave ? Comme une fracture ou… »

« Des nerfs endommagés ? » suggéra-t-il, comprenant où le Professeur voulait en venir. Il


contourna lentement le bar pour aller s’asseoir sur le tabouret à côté de celui de Snape. « Tu
n’as pas réessayé depuis... »

Il laissa sa phrase en suspend.

Snape, pour sa part, gardait les yeux rivés sur sa canne. « Non. Je ne suis pas persuadé que
cela fonctionnerait ou que le sombral serait d’un quelconque avantage désormais. Étant
donné l’état de mes mains, quelles sont les chances que mes ailes fonctionnent ? »

« Tu ne le sauras pas tant que tu n’auras pas essayé. » remarqua-t-il avec un petit haussement
d’épaules. L’autre sorcier resta silencieux un moment de trop. Sirius l’observa attentivement,
avant de se détourner légèrement, sachant d’avance que ce qu’il allait dire serait mal pris. « Il
n’y a pas de honte à avoir peur de… »

« Je n’ai pas peur de quoi que ce soit. » cingla Snape, sans lui laisser le temps de terminer.
« J’aimerai simplement être certain que cela soit sans danger. »

« Rien n’est sans danger dans la vie, Servilus. » soupira-t-il, mais s’il se laissait aller à penser
à cette nuit là où Snape avait été présumé mort… « Harry nous a dit que Dumbledore et
McGonagall t’avaient forcé à te retransformer. »

« Nous ? » releva Snape dans un froncement de sourcils.

« Nyssa, Remus et moi. » clarifia-t-il. « Dumbledore l’a envoyé au Q.G., très certainement
pour ne pas l’avoir dans les pattes, il refusait de te laisser… Il était en état de choc quand il
est arrivé Square Grimmaurd. Il ne nous a pas passé les détails. Ce qu’il a décrit… Ca avait
l’air douloureux et traumatique. »

Le Maître des Potions resta silencieux suffisamment longtemps pour que Sirius pense qu’il
allait détourner la conversation une nouvelle fois.

« Je n’en garde que des bribes de souvenirs. » admit pourtant l’ancien espion. « La douleur,
cependant… Elle était omniprésente et la transformation n’a rien arrangé. Que ce soit lorsque
je me suis transformé en sombral en premier lieu ou lorsque Albus et Minerva m’ont forcé à
reprendre forme humaine. »

« Je suis resté coincé à moitié-chien à moitié-homme, une fois, au début. » offrit Sirius.
« James a dû me jeter le sort pour forcer la transformation… C’était une des pires sensations
que j’ai jamais ressenti. »

« Étant donné mes dons en Métamorphose, il n’est pas impossible que cela arrive. » railla
Snape. « Ce qui est une autre bonne raison de m’abstenir. »

« C’est une bonne raison de t’abstenir d’essayer seul. » rétorqua-t-il. « Une chance pour toi
que je sois non seulement disponible mais je sache également comment te retransformer le
cas échéant. »

Snape ne bougea pas de son tabouret, les yeux perdus dans le vague. « Ils m’ont poursuivi.
J’ignore quand ils ont renoncé… Tout ce dont je me souviens c’est de m’être répété de
continuer à battre des ailes. C’est un miracle que je sois parvenu à regagner l’école. »

« Je n’aurais jamais dû te laisser partir. » soupira Sirius.

Les yeux noirs trouvèrent les siens, sérieux et froids. « Il restait une chance de sauver ma
couverture. Il me fallait essayer. »

« Non. » Il secoua la tête. « C’était stupide et j’aurais dû te retenir. Je savais que c’était une
connerie avant même que tu partes. »

« Ce qui est fait est fait. » décréta l’homme, en balayant l’air d’une main tremblante.

Sirius l’étudia un moment puis écarta d’un coup de baguette les tables et chaises rassemblées
dans la pièce avant de lui désigner l’espace libre de la main. « Allez, essaye. Qu’est-ce que tu
risques ? »

« Souhaites-tu la liste exhaustive ou celle plus détaillée ? » grinça Snape. Il se leva pourtant
lentement, laissant la canne appuyée contre le comptoir. « Es-tu certain de maîtriser la
formule ? Si Minerva doit à nouveau me venir en aide sous ma forme Animagus, j’ai peur de
terminer en retenue avec ses élèves. »

« Je ne veux pas entendre parler de vos jeux coquins. » plaisanta Sirius, en ayant la présence
d’esprit de jeter un bouclier qui s’avéra utile lorsque le sort de lévitation s’écrasa dessus. Il rit
face à l’expression agacée de son rival. « Allez, transforme-toi. Plus tu attendras, pire ça
sera. »

Snape le foudroya du regard puis ferma les yeux et prit une profonde inspiration.

Pour lui, se fondre en Patmol et inversement était aussi facile que de respirer, la
transformation ne lui prenait qu’une demi-seconde, à peine une arrière pensée.

Ce fût plus long pour Snape. Moins d’une minute mais d’avantage qu’une poignée de
secondes.
Tout amusement dissipé, Sirius se tint aux aguets, prêt à intervenir si le Maître des Potions
restait coincé.

Pourtant, lentement mais sûrement, l’homme laissa place à un sombral qui gigota
maladroitement sur place comme s’il n’était pas tout à fait à l’aise dans ce corps. Ça lui
rappela les premières fois où James avait réussi à se transformer et où les bois étaient si
lourds que son meilleur ami peinait à lever la tête ou à faire trois pas sans perdre l’équilibre.
Sirius avait tellement ri à l’époque…

« Essaye de déplier tes ailes. » ordonna-t-il, s’efforçant de se concentrer sur le présent.


L’animal était couvert de cicatrices plus ou moins anciennes qui se fondaient dans l’aspect
spectral de la créature, ce qui lui fit dire que le corps de l’homme devait être similairement
marqué.

Lentement, prudemment, Snape écarta les ailes jusqu’à ce qu’elles soient étirées de chaque
côté de son dos.

Sirius sauta de son tabouret et approcha, tendant la main vers celle de droite.

« Je peux ? » demanda-t-il avant de toucher, peu enclin à prendre un coup de sabot.

L’animal renâcla mais baissa la tête ce qu’il prit comme une permission. La membrane de
l’aile était extrêmement fine sous ses doigts, il passa la main sur son ossature suivant la
courbe jusqu’à son dos où le tremblement était évident. Comme si l’aile était trop lourde et
qu’il peinait à en supportait le poids.

« Je ne suis pas expert en sombrals mais je pense qu’il y a peut-être un problème ici. » Il
tapota l’endroit en question. L’aile de Snape s’abattit d’un coup et il ne dût qu’à ses réflexes
de se baisser juste à temps. « Hey, doucement ! » Le bruit que fit le sombral n’était pas
aimable. « Oui, eh bien, j’en ai autant à ton service. » Il ne se laissa pourtant pas distraire,
s’écartant légèrement et plaçant ses mains sur les hanches pour mieux appréhender la
situation. « On pourrait voir avec Hagrid. » Nouveau bruit agacé. « Très bien, alors mis à part
aller dans le parc et essayer de te faire voler pour voir si cette aile fonctionne ou pas, je n’ai
pas d’autre idée. Tu me diras, si tu voles au-dessus du lac, au pire tu te noieras au lieu de
t’écraser… »

Il recula de deux pas lorsque le sombral disparut lentement pour laisser place à un sorcier fort
peu amusé.

« Tu es le pire enseignant au monde. » décréta Severus Snape.

Venant de lui, Sirius décida de le prendre comme un compliment.

°O°O°O°O°

Il n’y avait pas de mots pour décrire la joie qu’Albus ressentait à cet instant précis, la joie qui
ne l’avait pas quitté ces derniers jours alors qu’il observait Arianna déambuler dans son
bureau.
Elle n’était, certes, que l’ombre de ce qu’elle avait été, incapable de basculer pleinement dans
la réalité, mais cela lui suffisait.

Voir sa sœur, si jeune, si frêle, se poster à la fenêtre ou s’asseoir dans un coin pour quelque
jeu qui lui était propre…

Elle n’interagissait pas avec lui malgré toutes ses tentatives mais il s’y était préparé.

Le conte des Trois Frères était un avertissement suffisant sur le sujet. Elle était là sans être là.

Peut-être, songea-t-il, ignorant la voix de Minerva qui était depuis longtemps devenue un
bruit de fond, peut-être que s’il était véritablement le Maître de la Mort, la pierre réagirait
différemment et permettrait à Arianna d’être plus… vivante ? S’il demandait à Harry de lui
prêter momentanément la cape, le garçon accepterait très certainement, et alors…

Mais c’était cette certitude qui le retenait tout aussi fermement que cet alors.

Le temps et l’expérience lui avait prouvé qu’il n’était pas digne de posséder les trois reliques.
Il ne se faisait pas confiance. Oui, leur pouvoir conjugué lui permettrait peut-être de détruire
plus facilement les horcruxes et Tom Jedusor, oui… Toutefois saurait-il s’arrêter là ou se
mettrait-il en tête de redresser d’autres torts de la communauté magique jusqu’à ne devenir
qu’un tyran drapé de bonnes intentions ?

Pour le plus grand bien.

Il faisait déjà des choix difficiles, bien sûr, au nom de ce plus grand bien.

Un plus grand bien différent de la vision de sa jeunesse mais…

« Albus. »

Ce fut la main qui frappa à plat sur le bureau qui le fit sursauter davantage que l’appel
réprobateur de son prénom.

Sa sous-directrice se tenait droite sur son siège, un parchemin oublié dans sa main libre, la
bouche pincée et l’air désapprobateur des grands jours. « Voulez-vous bien me dire ce qui ne
va pas ? Voilà une semaine que vous êtes distrait au possible. Je ne suis pas la seule à l’avoir
remarqué. »

Distrait, il l’était.

Trop, il le savait.

Il n’accordait ni à Poudlard, ni à l’Ordre l’intérêt qu’il leur devait.

Mais après toutes ces années de bons et loyaux services… N’avait-il pas gagné le droit de ces
instants volés avec sa sœur ? Le simple plaisir de la revoir, de prétendre, l’espace d’un
instant, qu’elle était encore vivante ?
La nostalgie, le regret, la culpabilité… Autant d’émotions avec lesquelles il vivait depuis près
d’un siècle.

Il fit pourtant un effort pour se concentrer sur la discussion, détournant les yeux d’Arianna
qui était allée s’asseoir sur le rebord de la fenêtre et dont le regard s’était perdu dans le
lointain.

« Mes excuses, Minerva. » offrit-il platement, passant une main dans sa barbe pour mieux la
lisser. « Vous disiez ? »

La moue réprobatrice ne disparut pas immédiatement, le regard de son amie s’était fait un
peu trop perçant. « Désirez-vous en parler ? »

Il n’aurait pas su par où commencer.

Il aurait fallu tout lui expliquer et ça…

Il viendrait un temps sans doute où ses secrets seraient révélés au grand jour mais ce moment
n’était pas venu.

« Une simple fatigue passagère, ne vous inquiétez pas. » réfuta-t-il poliment. « Vous me
parliez du plan d’évacuation de l’école ? »

Elle l’étudia une demi-seconde de plus avant de soupirer. « Severus, et je suis bien d’accord
avec lui, souhaiterait savoir qui vous avez choisi pour être la clef de voûte du sortilège afin de
s’assurer que cette personne en est capable et saura comment faire le moment venu. De plus,
il serait sans doute plus sage de la garder à portée. »

« C’est en cours. » répondit-il. « J’espère qu’il devrait arriver sous peu. »

Minerva fronça les sourcils. « Je pensais qu’Abelforth… »

« Abelforth protégera Pré-au-Lard et nous fournira un soutien si nécessaire. » expliqua-t-il


« Mais il n’a pas l’expérience pour ce genre de magie. »

Trop complexe, trop subtile…

Non, il n’y avait qu’une seule personne autre que lui-même qui aurait pu tenir le rôle de la
clef de voûte. Les hiboux étaient partis et revenus puis repartis… Les négociations étaient
difficiles mais il avait bon espoir de triompher. Il ne permettrait pas qu’il en soit autrement.

‘J’espère que vous savez ce que vous faites’ lui avait dit Scrimgeour et il était resté d’un
calme impassible lorsqu’il avait répondu par l’affirmative mais Albus aurait menti s’il avait
affirmé ne pas ressentir une pointe d’excitation à l’idée ce qui était, au fond, un plan
stupidement risqué.

Il aurait été plus simple de convaincre Severus d’endosser le rôle. Certes, le Maître des
Potions n’était pas aussi puissant que lui mais il avait une maîtrise de sa magie qu’Albus
avait rarement vue ailleurs et, il le soupçonnait, son ancien espion aurait parfaitement pu tenir
le sortilège au moins quelques temps.
Severus était plus sage que lui, cependant, et connaissait ses limites.

Et, au demeurant, cela l’arrangeait.

À présent qu’il avait les trois Reliques à disposition…

Cela semblait un trop gros signe pour être ignoré.

« Viendrez-vous à la réunion ce soir ? » s’enquit Minerva, d’une voix plus douce.

Il secoua la tête en signe de dénégation. « Non, Remus me remplacera. Il n’y a, de toute


manière, pas grand-chose à dire. »

« Alors pourquoi s’embarrasser d’une réunion ? » soupira-t-elle. « Tant que nous n’aurons
pas identifié l’espion… »

« Il est impératif que l’Ordre tienne, espion ou pas. » l’interrompit-il. « Si nous nous ne nous
voyons plus, si nous laissons nos liens s’étioler… »

La sorcière hocha la tête avec compréhension mais ne put s’empêcher une grimace. « Vous
réalisez que la situation est d’ors et déjà tendue, n’est-ce pas ? Les divisions sont telles… »

Oui, il était plus qu’au fait de ces divisions et bien que cela l’ai arrangé pendant un temps, à
présent que Severus n’espionnait plus… Remus était un excellent coordinateur et gérait
admirablement leurs ressources humaines et autres, néanmoins son obsession pour les loups-
garous était un point qui inquiétait Albus. Et puis, au demeurant, si Remus était plus apte à
gérer directement les troupes, Severus, lui, avait la vision nécessaire à un meneur.

Si jamais Albus devait tomber, si l’Ordre devait se rassembler autour de quelqu’un d’autre…

Severus aurait été le meilleur candidat. Il saurait faire les choix qui s’imposaient, quelque soit
les sacrifices qui en découleraient.

Remus était trop tendre.

« Tout ira bien, Minerva. » lui promit-il. Cela sonnait peut-être un peu creux mais c’était tout
ce qu’il pouvait offrir pour l’instant. « Tout ira bien… »

Son regard suivant les allées et venues d’Arianna, il refusait de croire autre chose.

°O°O°O°O°

La poudre de cheminette n’avait jamais été son moyen de transport favori mais plus il le
pratiquait depuis la nuit où il avait été capturé, plus Severus en venait à le détester.

Il lui était devenu quasiment impossible de faire une entrée un tant soit peu digne. Sa jambe
le faisait légèrement souffrir, conséquence de son duel avec Black et des heures qui avaient
suivies, et, propulsé hors du réseau de cheminées, il trébucha avec inélégance sur le tapis fort
mal placé du salon du Square Grimmaurd et manqua heurter la table basse.
Il se redressa rapidement et épousseta ses robes, heureux que le salon soit vide mis à part
pour Minerva qui venait très visiblement d’arriver par le même biais et s’abstint de tout
commentaire. Ils échangèrent un hochement de tête poli et se dirigèrent vers la cuisine d’où
ils pouvaient entendre des voix, celle de Black s’élevant plus forte que les autres.

Severus avait déjà la migraine.

Il blâmait le verre de cognac que l’Animagus l’avait poussé à avaler avant même le déjeuner
et les heures qu’ils avaient passées dans le parc à essayer de déterminer s’il pouvait ou non
risquer de voler vu l’état dans lequel étaient les ailes du sombral. Severus aurait préféré s’en
assurer seul pour éviter précisément le genre de moqueries qu’avait lancées Black sans
discontinuer mais l’autre sorcier avait refusé de le laisser, arguant qu’il était stupide qu’il
s’isole en sachant qu’il pouvait avoir besoin d’aide.

Il n’avait pas eu besoin d’aide, au final.

Toutefois, Nox n’avait jamais été très à l’aise avec le vol et il était évident que les dommages
causés à ses nerfs n’avaient pas amélioré la situation. Severus, sous sa forme de sombral, était
parvenu à décoller plusieurs fois mais n’était pas arrivé à maintenir ni son allure ni l’altitude
plus d’une dizaine de minutes consécutives. Il avait fait plus d’un atterrissage précipité,
raison pour laquelle il utilisait la canne moins de manière décorative ce soir là que par réel
besoin. La patte arrière du sombral était tout aussi peu fiable, désormais, et, à chaque fois
qu’il avait heurté le sol un peu trop violemment, la douleur était remonté jusque dans sa
hanche.

« Es-tu donc incapable de t’exprimer à un timbre normal, Black ? » lança-t-il, en pénétrant


dans la pièce tout en se pinçant l’arrête du nez.

Fletcher et Shacklebolt étaient assis à la table de la cuisine, chacun avec une tasse de thé
fumante devant eux ; la vampire leur faisait face et il sentit son regard se river sur lui mais il
ne lui prêta, en apparence, aucune attention ; Lupin se tenait debout appuyé contre le mur et
Black fouillait dans les placards, une cigarette coincée au coin de la bouche.

Le cabot se tourna pour lui jeter un regard agacé qui se transforma immédiatement en
amusement lorsqu’il avisa Minerva juste derrière lui. « Vous êtes venus ensemble ? Quelle
coïncidence… »

Severus prit une profonde inspiration, devinant que la soirée allait être difficile. Il
appréhendait déjà la présence de Nymphadora, peu certain de comment il était censé agir
avec elle. Elle avait dit avoir besoin de réfléchir mais elle l’avait également embrassé en
partant et, certes, elle n’avait pas cherché à le contacter depuis plus d’une semaine mais…

Il occluda rapidement un train de pensées qui lui donnait l’impression d’avoir à nouveau
quinze ans.

« En quoi est-ce une coïncidence ? » demanda Minerva, avec une certaine méfiance, sentant
certainement le coup fourré. « La réunion est à sept heures et il est sept heures. Nous sommes
tous deux ponctuels… »
« Vous avez tant de points communs. » remarqua innocemment Black avec cette étincelle
dans les yeux que Severus avait appris à craindre durant leur première année.

« As-tu terminé ou dois-je, à nouveau, te rappeler qui de nous deux est supérieur en duel ? »
grinça-t-il, conscient que tout le monde les regardait désormais avec curiosité, si ce n’était
suspicion.

Black n’avait aucun instinct de survie. « Je dis juste que vous feriez un beau couple, c’est
tout. »

« Mais de quoi parlez-vous ? » s’insurgea Minerva, s’étouffant à moitié dans son outrage.

Il y eut plusieurs rires autour de la pièce.

« Ne l’encouragez pas en posant des questions, je vous en prie. » la supplia Severus dans un
soupir. « Black n’a jamais appris que les plaisanteries les plus courtes étaient les meilleures. »

« Ce n’est pas moi qui rêve de retenues avec notre estimée sous-directrice. » rétorqua Black,
dans un éclat de rire. Le regard qu’il posa sur Minerva était toutefois affectueux. « Je suis un
peu jaloux, je dois dire. Si j’avais su que vous aimiez les hommes plus jeunes, j’aurais tenté
ma chance. »

Minerva rougit violemment, ne sachant apparemment pas comment répondre. Elle se racla la
gorge, tira une chaise et s’assit en pressant ses mains sur ses joues en feu. « Oh, taisez-vous,
Sirius. Vos flatteries ne fonctionnent pas sur moi. »

Severus leva les yeux au ciel face à l’attachement manifeste dans sa voix.

Il n’avait jamais compris l’engouement de la sous-directrice pour ses lions. Surtout ceux-là.

« Si nous en avons terminé avec ces âneries… » marmonna-t-il.

« Ça va, ça va… Je plaisante. » répondit Black, en balayant ses objections de la main. C’était
une preuve d’à quel point leur relation s’était améliorée ces derniers mois qu’aucun sortilège
n’ait déjà fusé. Une chose que Severus reconsidéra sur le champ lorsque l’Animagus ajouta
avec un clin d’œil : « On sait tous que Minerva peut trouver mieux que toi. »

« Ce n’est pas comme si Minerva s’intéresserait jamais à un de ses anciens élèves, de toute
manière. » intervint Lupin d’un ton calme, légèrement moqueur, parfaitement normal. « Elle
a, après tout, un certain sens de l’éthique. »

La pique était ciblée et, s’il avait envisagé une coïncidence, l’œillade prononcée que le loup
lui jeta l’aurait détrompé. Elle passa loin au-dessus de la tête de Black et de Fletcher qui
rirent de bon cœur, la vampire se contenta de lever les sourcils sans offrir de commentaires et,
si Minerva comprit l’allusion, elle ne le laissa pas paraître.

« Allons, allons, les garçons. » les gronda-t-elle, comme s’ils étaient encore à l’école.

Shacklebolt, en revanche, avait tiqué et le dévisageait à présent sans en avoir l’air.


Severus choisit de ne pas relever mais détermina qu’il ne survivrait pas à la réunion sans une
tasse de thé. Il s’approcha du plan de travail où quelqu’un avait laissé une théière fumante et
une collection de tasses dépareillées. Il s’en servit une et l’agrémenta à sa convenance.

Black avait recommencé à fouiller dans le placard du bas. « Bon, sérieusement, où est passée
ma bouteille de Whiskey Pur-Feu ? »

« Désolé, c’est ma faute. » répondit Lupin. « Tonks et moi nous sommes un peu laissés
emporter hier soir. Je t’en rachèterai une. »

Severus renforça mentalement tous ses boucliers avant de pouvoir dire ou faire quelque chose
qu’il allait regretter.

« Tonks et toi ? » releva immédiatement Black, en se redressant.

Le loup haussa les épaules, les mains dans les poches et un petit sourire horripilant aux
lèvres. « Elle est passée hier soir. Elle voulait qu’on parle. »

Il était évident que Lupin cherchait à provoquer Severus ou, tout du moins, à susciter une
réaction qu’il ne lui ferait pas le plaisir de lui donner. Quant à la véracité de ses propos… Il
supposait qu’il était possible que Nymphadora ait vu le loup, la veille, en passant au Q.G.,
mais pour le reste… Elle demeurait si profondément marquée par l’épisode du loup-garou qui
avait manqué lui arracher la gorge – et il aurait été bien mal placé pour lui jeter la pierre… Il
doutait que l’entrevue ait été aussi amicale que Lupin se plaisait à le laisser entendre.

Il fouilla ses poches à la recherche d’une potion antidouleur avec des mains qui n’étaient pas
aussi stables qu’il l’aurait souhaité. Il trouva néanmoins ce qu’il cherchait et en versa une
généreuse rasade dans sa tasse de thé. Cela aurait le mérite d’atténuer la crispation des
muscles de sa jambe et de faire disparaître sa migraine.

« Je croyais que c’était fini ? » demanda Fletcher. « Faut que je passe plus souvent, je rate
tous les bons ragots. »

Il était bien le seul à manifester un minimum d’enthousiasme autour de la table.

Severus prit soin de garder son attention sur le plan de travail et le thé qu’il ne se décidait pas
encore à risquer de transporter à table, pas avec des mains qui tremblaient tant. Black avait
froncé les sourcils, un déplaisir évident sur le visage. La vampire et Shacklebolt semblaient
plus gênés qu’autre chose. Et Minerva le regardait, lui, avec une telle transparence qu’il se
promit de lui rappeler, dès qu’ils seraient seuls, qu’un minimum de subtilité n’avait jamais
tué un Gryffondor, contrairement à ce que tous les lions semblaient penser.

Le bruit de la lourde porte d’entrée retentit à ce moment là, suivi des hurlements du portrait
qui trônait toujours dans le hall, d’un Silencio jeté avec impatience, et des rires joyeux de
jeunes gens qui ne tardèrent pas à débarquer dans la cuisine au pas d’une horde
d’hippogriffes enragés.

Nymphadora avait les bras autour des épaules de Charlie Weasley et de son compagnon, de
sorte que les trois amis formaient une sorte d’unité compacte. Leur bonne humeur parut
fondre comme neige au soleil lorsqu’ils se retrouvèrent confrontés au silence gêné qui fit
suite à leur entrée tonitruante.

Le regard de Severus passa des bottes épaisses en cuir de dragon au pantalon jaune et noir à
carreaux retenu à la taille par un ceinturon noir, remonta le long du tee-shirt à peine
suffisamment court pour laisser entrapercevoir un ventre plat malgré la lourde veste en cuir
qui le plombait, glissa sur le ras de cou noir, et finit par rencontrer le regard gris qui avait
immédiatement cherché le sien. Le sourire fût lent mais radieux et contribua largement à ce
que Severus se détende.

Il se détourna pourtant vers sa tasse de thé, avec nonchalance, feignant d’ajouter un autre
sucre.

« Alors comme ça, toi et Remus avez dévalisé ma réserve de Whiskey ? » lança Black, plus
agressivement qu’il ne l’avait probablement voulu.

« Je plaide non coupable ! » répondit Weasley.

« Remus dit que vous avez vidé la bouteille hier soir, Tonks. » insista l’Animagus.

Severus leur tournait désormais le dos mais il suivit la scène du coin de l’œil, dans le reflet de
la vitre au-dessus de l’évier. Nymphadora lâcha ses amis, son sourire s’effaçant peu à peu
pour laisser place à de l’agacement.

« Si c’est sa version des faits. » railla-t-elle, sa couleur de cheveux s’assombrissant de


seconde en seconde. « Remus aime bien réécrire l’histoire. »

L’un dans l’autre, détermina-t-il, ce fût une bonne chose que Bill Weasley arrivât sur ces
entrefaites avec Delacour et Molly.

C’était la première fois que Molly assistait à une réunion depuis longtemps et toutes les
personnes dans la pièce se précipitèrent sur elle, heureux de la revoir.

Severus resta sagement où il était, en retrait, peu surpris lorsqu’il sentit la présence familière
se glisser à ses côtés. Nymphadora attrapa une tasse vide, se servit du thé…

Sa main frôla accidentellement la sienne, s’attarda…

Severus étira ses doigts autant qu’ils voulaient bien coopérer, prolongeant le contact.

Elle se détourna la première, non sans un sourire complice, pour aller rejoindre les autres. Il
éprouva une certaine satisfaction à voir que ses cheveux avaient à nouveau viré au rose.

Ce plaisir disparut pourtant sous le coup de la panique lorsque Molly se mit en tête de
l’enlacer avec gratitude, à la stupéfaction de tous excepté Minerva.

« Sans vous… » murmura la sorcière, la gorge nouée d’émotions.

L’aîné des Weasley dût lire sur son visage à quel point ces effusions lui étaient pénibles car il
s’empressa d’éloigner sa mère et de la guider jusqu’à un siège.
Comme si cela avait signalé le début de la réunion, ils prirent tous place autour de la table.
Severus ne pouvait nier un certain sentiment de soulagement lorsque Nymphadora s’accapara
la chaise à sa droite, comme elle en avait pris l’habitude. Elle était à peine assise qu’il sentit
sa jambe presser contre la sienne dans un geste qui semblait trop délibéré pour être un
accident. Il lui rendit le contact avec maladresse, ayant l’impression désagréable que tout le
monde autour de la table devait savoir à quel jeu ils jouaient.

Lui n’était jamais dupe lorsque ses élèves s’adonnaient à ce genre de choses dans sa salle de
classe.

Toutefois, personne mis à part Lupin ne leur prêtait attention et, étant donné que Nymphadora
semblait déterminée à ignorer le loup, Severus décida d’en faire de même.

Le sujet de la réunion lui passa un peu au-dessus de la tête, s’il devait être honnête. Il but son
thé, écoutant d’une oreille distraite les informations partielles que débitait Lupin – rien qu’ils
ne sachent tous déjà à l’exception peut-être de Molly – plus intéressé par la manière dont
Nymphadora jouait avec le bout de sa queue de cheval. Elle enroulait et déroulait les mèches
autour de ses doigts distraitement… Ou d’une manière qui se voulait distraite, plutôt.

Il n’était pas dupe du sourire qui flottait sur ses lèvres.

Ce sourire signifiait généralement qu’elle désirait capturer sa pleine attention et il ne pouvait


nier que…

La quinte de toux soudaine de Minerva le ramena brutalement à la réalité.

Tous les regards étaient rivés sur lui.

Il ne dût qu’à toute sa maîtrise de l’Occlumencie de rester de marbre.

« Des progrès sur la potion des loups-garous ? » répéta charitablement Nymphadora,


l’amusement clairement perceptible dans sa voix.

Il lui jeta un regard noir qui manquait singulièrement d’hostilité, se promettant


silencieusement de lui faire payer ça plus tard. Sa bouche s’étira davantage, comme si elle
savait pertinemment ce à quoi il était en train de penser.

« Pas pour l’instant. » lâcha-t-il. « J’en ai discuté avec Albus, ce matin. »

« Peut-être que si tu te dispersais moins, tu avancerais plus vite. » commenta sèchement


Lupin.

Severus reporta son attention sur lui, avec un agacement franc qu’il ne s’embarrassa pas
d’enrober de politesse ou te diplomatie. « Si tu penses pouvoir faire mieux, je t’en prie. »

« On a du nouveau sur Ollivanders ? » intervint Bill Weasley avant que la conversation ne


puisse dégénérer.

« Rien de concluant. » soupira Shacklebolt.


Cette réunion était une complète perte de temps.

Au moins, se réconforta-t-il, la potion avait fait effet et sa migraine avait disparu. Sa jambe
demeurait douloureuse mais ce n’était rien qu’il était incapable d’occluder.

« Et pour l’espion ? » lança la vampire, alors qu’ils se mettaient enfin d’accord pour mettre
un terme à la réunion entièrement inutile. « Ou, est-ce qu’on va continuer de marcher sur des
œufs à ce sujet et prétendre qu’il n’y a pas de loup dans la bergerie ? Si tu me passes
l’expression, Remus. »

Elle balada son regard vert et perçant sur chacun d’entre eux, s’attardant sur Severus et
Nymphadora davantage que sur les autres.

Personne ne lui répondit mais la majorité d’entre eux gigotèrent sur leurs chaises avec
embarras.

« Il y a une solution toute trouvée. » insista-t-elle. « Quelques gouttes de Veritaserum et une


simple question. »

« Et qui posera cette question ? » railla Severus, dans le silence qui suivi cette suggestion.
« Vous ? »

Il n’était pas entièrement opposé à l’utilisation du Veritaserum, à vrai dire, mais il y avait trop
de gens dans cette pièce qui gardaient ses secrets. Les horcruxes, sa relation avec
Nymphadora, les cicatrices sur son corps… Il ne pouvait se permettre de risquer exposer
Nymphadora, Black, Bill ou Minerva à un philtre de vérité.

« J’était sûre que vous seriez le premier à protester. » triompha la vampire, cherchant le
regard de l’Auror à ses côtés. « Et toi, Tonks, qu’est-ce que tu en dis ? »

« Tonks n’est pas une traître. » intervint Charlie Weasley. « Qu’est-ce qui te prend, Nyssa ? »

« Laisse-tomber. » répondit calmement Nymphadora, en se redressant légèrement – pour


mieux pouvoir sortir sa baguette le cas échéant. « Non, je ne prendrai pas de Véritaserum.
J’ai des responsabilités au Ministère que je ne veux pas trahir. »

« Je suis d’accord avec elle. » ajouta Shacklebolt, en lui adressant un signe de tête. « Et je
devrais refuser pour les mêmes raisons. »

« On ne peut pas être sûr de démasquer qui que ce soit avec du Véritaserum. » trancha Lupin.
« Il se peut que la situation soit plus compliquée qu’il n’y parait. Il peut s’agir d’un accident
ou d’un envoutement. »

« Ou d’un besoin maladif de rallier de nouveaux loups à sa meute ? » siffla Severus, avant
d’avoir pu s’en empêcher.

« Snape. » cingla Black, l’avertissement perceptible dans sa voix.

« Black. » répliqua-t-il sur le même ton.


« Ne joue pas au con. » insista l’Animagus.

« Oh, je ne pense pas qu’il joue au con… » gronda Lupin.

« Non, ça c’est plutôt ton secteur. » plaisanta Nymphadora, sans aucun amusement.

L’hostilité dans la pièce augmenta d’un cran.

« Je pense que nous pouvons nous en tenir là, pour ce soir. » déclara Minerva. Elle fût la
seule à se lever. « Cela suffit. Cette réunion est terminée. »

Il y avait suffisamment d’autorité dans sa voix pour que les plus jeunes obéissent
instinctivement. Delacour et Charlie furent les premiers à se lever, rapidement imités par Bill,
Anthony et Nymphadora… Il fallut plus longtemps pour que Severus et les autres en fassent
de même.

Comme à l’accoutumée, de petits groupes se formèrent mais personne ne semblait tenté de


s’attarder. Nymphadora prit congé rapidement, laissant le portrait de la matriarche Black
hurler dans son sillage. Severus lui donna environ une minute d’avance avant de lui emboîter
le pas vers la porte d’entrée.

C’était sans compter sur Black qui lui agrippa le bras dans le couloir. « Où tu vas ? »

« J’ignorais que je te devais des comptes. » riposta-t-il, dans un sifflement irrité. Il se dégagea
de la poigne de l’Animagus. « Je désire marcher un peu, si tu veux tout savoir. »

Black croisa les bras avec mécontentement. « Tu as oublié qu’il y a une prime sur ta tête ? »

« Je ne compte pas passer ma vie à me cacher. » grinça-t-il.

Un air compatissant passa sur le visage de l’ancien fugitif. « Crois-moi, je comprends, mais
tu as pensé à Harry ? S’il t’arrive un truc, il ne s’en remettra pas. Si tu as envie de marcher,
va te promener dans le parc une fois rentré à Poudlard. Par la cheminée. »

Il était d’autant plus agaçant que Black ait raison. Il était stupidement risqué d’aller se
balader dans Londres alors que tous les Mangemorts voulaient sa tête.

Toutefois…

« Je serais prudent. » promit-il avec réticence.

Il n’aimait pas l’idée de devoir rendre des comptes, encore moins au Maraudeur.

Il comprenait néanmoins pourquoi c’était nécessaire. Si leurs situations avaient été inversées,
pour le bien de Harry, il aurait insisté pour que Black ne prenne pas de risques.

Black l’étudia longtemps puis finit par soupirer. « Envoie-moi un Patronus lorsque tu es en
sécurité. Si je n’ai pas vu Bambi d’ici quinze minutes, je préviens Dumbledore. »
Severus était agacé mais accepta tout de même le compromis d’un hochement de tête. Il se
hâta à l’extérieur, aussi bien parce qu’il avait désormais un compte à rebours que parce qu’il
craignait avoir pris trop de temps…

Il était étrange de traverser seul le petit square à l’extérieur du Q.G.. Il aurait été incapable de
dire quand il avait été seul, à l’extérieur de Poudlard, pour la dernière fois. Il lui vint à l’esprit
que cela jouait probablement aussi sur ses moments de déprime. Il était foncièrement
indépendant et avait besoin de solitude, ne pas pouvoir aller où il voulait quand il le voulait,
sans avoir à se soucier de prévenir quelqu’un, lui pesait.

Il se dirigea à pas aussi vifs que sa jambe le lui permettait vers la ruelle que les membres de
l’Ordre utilisaient généralement pour transplanner.

Elle était déjà vide.

La déception laissa vite place à de la colère puis à de la méfiance. Peut-être s’était-il s’agit
d’un jeu pour elle… Une manière de le punir ou de l’humilier.

Il manqua presque repérer le mouvement incongru sur sa gauche.

Il anticipa l’attaque, vit le corps qui se jetait sur lui et lâcha sa canne pour mieux tirer sa
baguette. Sachant que sa jambe l’handicaperait, il ne chercha pas à esquiver mais utilisa le
poids de son adversaire pour renverser la situation et le coincer contre le mur crasseux. Il
enfonça le bout de sa baguette dans la gorge de…

Ce n’était pas un Mangemort.

Évidemment que ce n’était pas un Mangemort.

Le sourire de la jeune femme était moins confiant que durant la réunion. Elle enroula ses
doigts autour de son poignet et écarta gentiment la baguette de sa carotide.

« Toi, moi, et le mur d’une ruelle… Ça faisait longtemps. » plaisanta-t-elle, un peu


nerveusement.

« Si je ne me trompes pas, la dernière fois, tu m’as suggéré de t’offrir un verre avant tout
autre chose. » répondit-il, sans pourtant s’écarter.

Si elle avait voulu le repousser, elle était plus que capable de le faire.

« Je peux me passer du verre… »

Elle approcha son visage du sien lentement, comme pour lui laisser le temps de s’éloigner.

Comme si s’éloigner d’elle était encore une option.

Il n’avait pas la patience pour ce genre de danse, ce soir là. Il réduisit la distance entre eux au
néant, capturant sa bouche dans un baiser sans doute un peu trop possessif.

Ce n’était pas ainsi qu’il avait imaginé leurs retrouvailles après leur dispute.
Cela semblait un peu trop facile.

Mais il n’allait certainement pas s’en plaindre.

°O°O°O°O°

Harry fourra la Carte des Maraudeurs dans la poche arrière de son pantalon et tourna le coin
du couloir, interceptant Sirius alors qu’il sortait de ses appartements. Le visage de son parrain
se fendit immédiatement d’un sourire.

« Hey, Harry. » lança-t-il, avec une bonne humeur un petit peu forcée. « Prêt pour l’A.D. ? »

Severus avait laissé échapper qu’il y aurait une réunion de l’Ordre ce soir là et Harry avait
depuis longtemps compris que ces réunions avaient davantage tendance à semer la discorde
qu’à trouver des solutions. Il ne s’alarma donc pas de l’humeur bizarre de son parrain.

« Je me suis porté volontaire pour t’avertir… Hermione est en boucle sur les examens. »
plaisanta-t-il, en lui emboîtant le pas. « Prépare-toi à être assailli de questions sur si tu penses
qu’ils vont annuler les B.U.S.E.s ou les reporter. »

Sirius fit la grimace. « C’est une question pour un Directeur de Maison, ça. »

Il s’apprêtait à répondre que ça n’arrêterait pas Hermione – rien n’arrêterait plus Hermione à
ce stade, Malfoy, Ron et lui avaient passé la journée à tenter de lui rappeler qu’il y avait plus
urgent là-dehors – lorsqu’un Patronus apparut juste devant eux.

Le faon n’était pas aussi familier que la biche l’avait été mais il le reconnut immédiatement.

« C’est celui de Sev. » s’inquiéta-t-il, ayant déjà fait deux pas dans la direction opposée,
baguette à la main. « Il… »

« Du calme. » lui ordonna gentiment Sirius, en attrapant son épaule. « Il va bien. C’était juste
un code entre nous. »

Harry s’immobilisa, légèrement hésitant. « Un code ? »

Son parrain leva les yeux au ciel. « Il a insisté pour transplanner après la réunion. Je voulais
juste être sûr qu’il était revenu à l’école sain et sauf. »

L’adolescent n’était toujours pas tranquille et, il le savait, ne le serait pas tant qu’il ne se
serait pas assuré que Severus était en un seul morceau. Il pêcha la Carte des Maraudeurs dans
sa poche mais ne résista pas lorsque Sirius, sa main toujours sur l’épaule, le poussa gentiment
en avant.

« Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises. » marmonna-t-il. L’encre se


déploya jusqu’à former la carte familière du château. Il plia le parchemin pour mieux isoler la
zone des cachots, ses yeux scannant le parchemin.

« Mission accomplie, au fait. » lâcha Sirius. « J’ai eu une discussion avec lui, ce matin. Tu
n’as pas besoin de t’inquiéter pour lui. »
Le jour où il cesserait de s’inquiéter pour Severus serait le jour où Voldemort serait mort et
enterré – et encore.

Le Professeur pouvait bien clamer haut et fort qu’Harry n’avait aucun instinct de
conservation et une tendance marquée à se jeter dans la gueule du loup mais, en ce qui le
concernait, Severus n’était pas mieux. Il avait une noblesse qu’il refusait d’admettre et qui lui
avait joué plus d’un tour.

Il finit finalement par repérer le point libellé Severus Snape dans une alcôve d’un couloir des
cachots.

Rougissant jusqu’à la racine des cheveux lorsqu’il vit le second nom et la proximité
manifeste des deux points, il replia rapidement la carte, jetant un coup d’œil à Sirius pour
s’assurer que l’homme n’avait rien vu.

« Tu l’as trouvé ? » demanda son parrain, trop négligemment pour avoir repéré ce qu’Harry
avait aperçu sur la carte. Il semblait plus préoccupé par la sangle de son étui à baguette qui
s’était desserrée au niveau de son poignet.

Harry l’étudia une seconde sans avoir l’air, juste pour être sûr qu’il ne jouait pas la comédie,
mais Sirius était trop Gryffondor pour ce genre de faux-semblants.

« Oui, oui… » marmonna-t-il, en se raclant la gorge. Il fit un effort pour occluder l’embarras
avant que son parrain ne s’en aperçoive. « Méfait accompli. »

La carte disparut et il l’enfonça à nouveau dans la poche arrière de son pantalon, sans se
préoccuper de ne pas la froisser.

Il allait devoir s’assurer d’être le seul à y toucher, ce soir là.

C’était suffisamment gênant qu’il ait accidentellement épié ce genre de choses, il savait que
Severus n’aurait pas apprécié que qui ce soit d’autre soit au courant.

« Je pense que tu vas aimer l’exercice de ce soir. » déclara Sirius, avec entrain. « Ça devrait
être sympa. »

Harry ne put que répondre à l’enthousiasme de son parrain avec un sourire encourageant.

°O°O°O°O°

Draco resserra encore son étreinte et Hermione se tendit légèrement, peu dupe de son
manège, avant de se forcer à se détendre en poussant un long soupir.

Le Serpentard avait le dos appuyé contre le mur du couloir du septième étage, un peu à
l’écart des autres adolescents rassemblés devant la Salle sur Demande, et l’avait attrapée dès
qu’elle et Ron étaient arrivés. Elle avait été à mi-discours à ce moment là, mais ça n’avait pas
empêché son meilleur ami de s’enfuir lâchement en direction de Blaise et Daphné avec un air
soulagé.
Draco n’avait pas encore prononcé un mot. Il l’avait laissée terminer son monologue sans
aucun commentaire.

Petit à petit, elle se détendit suffisamment pour appuyer la tête sur son épaule, respirant à
plein poumon l’odeur désormais familière de l’eau de Cologne qu’il utilisait toujours avec
juste assez de parcimonie, contrairement à d’autres garçons de leur année qui s’en
aspergeaient.

« Veux-tu bien me dire ce qui ne va pas, à présent ? » murmura-t-il à son oreille.

Elle observa leurs amis rire et chahuter ensemble avec bonne humeur, comme si tout allait
pour le mieux dans le meilleur des mondes. Elle observa Ginny, clairement offensée par
quelque chose que venait de dire son frère, sauter à moitié sur le dos de Georges en guise de
punition. Elle observa Daphné et Astoria échanger un sourire complice.

« S’ils annulent les examens ou s’ils les reportent à l’année prochaine… » expliqua-t-elle, à
contrecœur. « Les vacances ne sont plus si loin. »

L’étreinte se fit plus tendre alors qu’il déposait un léger baiser sur le haut de son crâne. « Je
suis certain que les Weasley t’offriront de rester chez eux. »

Elle supposait que ce serait effectivement le Terrier ou le Square Grimmaurd. Elle était bien
certaine que les Professeurs ou l’Ordre en avaient déjà discuté et avaient décidé pour elle.
Elle savait que personne ne la laisserait à la rue.

Mais ça n’empêchait pas cette douleur sourde dans sa poitrine, la panique qui l’avait prise par
surprise alors qu’elle pensait s’être préparée au fait qu’elle ne reverrait peut-être jamais sa
famille. Le manque l’avait cueillie soudain au plexus, comme un coup de poing.

« Et toi ? » s’enquit-elle, en levant la tête vers lui. « Est-ce que tu vas aller chez Tonks ? »

Il haussa les épaules en signe d’ignorance.

« Il se peut que je demande s’il est possible de reste à Poudlard et je ne serais probablement
pas le seul. » offrit-il. « Nous sommes loin d’être les seuls qui n’avons pas d’endroit où
passer l’été, Granger. Je suis certain que Dumbledore a sans doute une idée en tête. »

Le rappel lui fit l’effet d’une douche froide.

Évidemment, avec la guerre là-dehors et les attaques répétées visant la communauté


magique… Beaucoup d’élèves avaient quitté Poudlard mais beaucoup d’autres avaient perdu
des membres de leur famille si ce n’était leurs parents. Les pertes étaient…

« Il y a pire que possiblement passer l’été ensemble… » répondit-elle, alors qu’Harry et


Sirius arrivaient.

Le sourire de Draco était malicieux, comme s’il avait d’ors et déjà tout plein d’idées de
comment ils pourraient s’occuper. Il captura sa bouche, une seconde plus tard, dans un baiser
qui lui coupa le souffle.
Elle était vaguement consciente de la voix amusée de Sirius qui leur demandait de rentrer
dans la Salle sur Demande mais ce n’était qu’un bruit de fond.

Lorsque Draco recula finalement, il s’humecta les lèvres, une étincelle espiègle dansant dans
ses yeux gris.

« En effet, il y a pire. »

°O°O°O°O°

Severus tentait de ne pas somnoler mais son corps était lourd et les ongles qui allaient et
venaient le long de son avant-bras dans une caresse hypnotique l’incitaient à fermer les yeux
et à se laisser emporter par le sommeil. Il n’avait guère trouvé de repos durant la semaine qui
avait précédé et même l’Occlumencie ne l’avait pas aidé à se vider l’esprit.

Il fit un effort pour rester éveillé, toutefois.

Nymphadora était allongée contre lui, le dos contre son torse, le drap pudiquement remonté
sur sa poitrine, et était trop méthodique dans ses caresses pour être sur le point de basculer
dans le sommeil. Ses doigts courraient de l’intérieur de son coude à la limite du bandage
enroulé autour de son poignet. Elle était prudente et ne touchait jamais la bande de gaze.

Il n’était pas suffisamment stupide pour penser que ce qui s’était passé entre eux serait balayé
sous le tapis aussi facilement, pas même s’ils avaient échangé davantage de baisers que de
paroles sur le chemin qui les avaient amenés à terminer dans son lit.

Avec un soupir, il leva sa main droite et fit disparaitre le bandage d’un sortilège informulé. Sa
baguette était… quelque part dans ses appartements, avec le reste de ses vêtements. Il aurait
sans doute dû aller la chercher au cas improbable mais néanmoins possible où un Mangemort
parvienne à infiltrer Poudlard et ses protections en particulier. Il ne bougea pas pour autant. Il
y avait un poignard dans le tiroir de la table de nuit, sa baguette à elle était tombée quelque
part dans la chambre, si ses souvenirs étaient exacts, et, s’ils se retrouvaient effectivement en
danger, il les pensait plus que capable, à eux deux, de se défendre.

Elle étouffa une exclamation dans sa main libre lorsqu’elle aperçut la Marque.

L’idée de l’exposer à cet amas de magie noire lui déplaisait toujours autant mais il supposait
qu’elle avait gagné le droit de… de constater les dégâts par elle-même.

« Putain, Severus… » murmura-t-elle, choquée.

Ce n’était pas joli à voir, il fallait l’admettre.

Elle effleura prudemment le contour de la Marque qui paraissait de plus en plus s’enfoncer
dans sa chair.

« Tu dois souffrir le martyre… » s’horrifia-t-elle, en tournant le cou pour le regarder en face.

Ses yeux gris étaient légèrement brouillés de larmes.


Il n’aimait pas l’idée de lui causer de la peine mais une partie de lui… Il n’était pas certain
que, mis à part Harry, quiconque ait jamais eu envie de pleurer parce qu’il avait été blessé.
Cela le fit se sentir… reconnaissant. Et un petit peu plus humble, peut-être.

« J’ai une haute tolérance à la douleur. » tenta-t-il maladroitement de la rassurer. « Le


sortilège de Bill Weasley fonctionne plutôt bien pour l’instant et me soulage beaucoup.
L’Occlumencie me permets de gérer le reste. Il m’arrive même d’oublier que la douleur est
là, je t’assure. »

Elle secoua la tête, supportant tendrement le dos de son avant-bras de sa main pour mieux
étudier la chose. « Tu ne devrais pas avoir mal du tout. Ce n’est pas juste. »

C’était une bonne chose qu’elle ait détourné les yeux, décida-t-il, cela lui évita d’apercevoir
la petite grimace que Severus ne parvint pas à contrôler. Autant de tics nerveux que ses
anciens boucliers auraient stoppés.

« Je ne suis pas exactement quelqu’un de bien, Nymphadora. » lui rappela-t-il lentement.

Elle se redressa légèrement pour mieux se tourner vers lui, posant une main sur son torse
pour garder l’équilibre. Son expression était très contrariée. « N’essaye même pas de me dire
que c’est une punition cosmique. Et puis, peut-être que tu n’as pas toujours été quelqu’un de
bien, mais maintenant tu l’es et c’est tout ce qui compte. »

Il y avait tant d’outrage dans son regard, pour lui, qu’il sentit son cœur s’emballer quelque
peu. Elle réveillait des choses en lui qui…

« Je fais de mon mieux pour l’être. » nuança-t-il. Mais il n’y parvenait pas toujours. Il n’était
pas au-dessus de tuer ou voler pour parvenir à ses fins. Pas si cela signifiait la différence
entre victoire ou défaite. Pas si la vie de son fils était en jeu. Il baissa les yeux, les laissèrent
s’attarder sur la Marque qu’il évitait autant que possible de regarder d’ordinaire… « Ce que
tu m’as reproché la semaine dernière… »

« Je suis désolée. » offrit-elle, le prenant de court.

Il fronça légèrement les sourcils, rencontrant à nouveau son regard. « J’aurais dû te mettre
dans la confidence. »

« Oui, tu aurais dû. » confirma-t-elle, avec un petit bruit amusé, avant de se réinstaller dans sa
position initiale, calant l’arrière de sa tête dans le creux de son épaule. « Mais j’aurais pu te
laisser t’expliquer au lieu de réagir comme je l’ai fait. »

Il laissa sa tête rouler sur l’oreiller, juste assez pour que son nez soit presque enfoui dans les
cheveux roses qui s’étalaient sur son épaule.

« Tu dois comprendre… » hésita-t-il, d’une voix un plus rauque que d’ordinaire. « Mis à part
Harry, et c’est très différent, je n’ai jamais laissé entrer personne dans ma vie. Certainement
pas aussi intimement. Il y a des choses qui peuvent te sembler évidentes que je ne… Je n’ai
aucune expérience dans ce domaine, Nymphadora. Avec la meilleure volonté du monde, il est
plus que probable que j’accumule les erreurs. »
Et cela lui coûtait beaucoup de l’admettre car il était généralement trop fier pour admettre ses
faiblesses.

Elle lui prit la main mais il résista, inquiet à l’idée qu’elle effleure accidentellement la
Marque – pas parce qu’il craignait la douleur mais parce qu’il refusait de la voir souillée par
ses erreurs passées.

« Accio baguette. » marmonna-t-il.

Le sort était vague et ce fut la baguette la plus proche qui vola vers eux, celle de la jeune
femme. Elle tenta de l’attraper au vol, la manqua de peu et pouffa lorsqu’elle cogna Severus
en plein visage. Elle la récupéra et, sachant ce qu’il voulait, fit apparaître une nouvelle bande
de gaze autour de son poignet. Elle jeta ensuite sa baguette sur la table de nuit de son côté du
lit.

« Je ne suis parfaite non plus, tu sais. » déclara-t-elle, un peu abruptement. « Je veux juste…
Je veux qu’on soit honnête l’un envers l’autre, c’est tout. »

Être honnête n’avait jamais été son forte.

Cette fois-ci, il la laissa entrelacer leurs doigts bien que les siens tremblaient de manière
incontrôlable.

« Je ne peux pas te livrer tous mes secrets. » l’avertit-il. « Certains ne m’appartiennent pas. »

Elle tourna la tête juste assez longtemps pour déposer un baiser rapide contre sa peau.

Il aurait pensé s’habituer à la facilité avec laquelle elle dispensait toujours sa tendresse mais il
paraissait pourtant incapable de cesser de s’en émerveiller. Il était tellement conditionné à
appréhender les contacts physiques, à s’attendre à de la douleur ou à une menace…

« Je sais. » promit-elle. « C’est pareil pour moi. Mais les choses qui nous concernent,
nous… Je ne dis pas que tu dois tout me dire, Severus, juste… t’ouvrir un peu. »

S’ouvrir un peu.

Ça ne lui avait jamais été si facile.

« Je n’ai jamais eu de véritable exemple de félicité conjugale. » expliqua-t-il, un peu à


contrecœur.

Le sous-entendu devait être évident car elle se tendit légèrement.

« Est-ce que je peux te poser une question ? » demanda-t-elle doucement. « Ce n’est pas
grave si tu ne veux pas me répondre, d’accord ? Si tu ne veux pas en parler, je comprends, et
tu n’es pas obligé. »

Il savait de quoi elle voulait parler.


La fureur et la panique l’envahirent immédiatement, comme à l’accoutumée dès lors qu’il
s’aventurait à y penser, mais il se força à prendre une profonde inspiration, à occluder sa
réaction viscérale.

« Mon père était Moldu. » lâcha-t-il. Il occludait si profondément que sa voix manquait
d’intonation. « Il était également porté sur la boisson. »

Elle se tourna sur le côté, se blottit un peu plus contre lui. Du pouce, elle retraça une des
cicatrices à demie-effacées sur son torse. Celles de son dos étaient les pires, même après
toutes ces années.

« Il était violent. » avança-t-elle et ce n’était pas vraiment une question.

« Oui. » confirma-t-il, gardant les yeux rivés au plafond. « Il a tué ma mère. »

« Severus. » murmura-t-elle, une douleur sourde dans la voix.

Pour lui.

Pour ce qu’il avait traversé.

Il ferma les yeux, ressentant le besoin de visualiser plus précisément ses boucliers, de se
retrancher aussi loin derrière eux qu’il le pouvait.

« Si je lève jamais la main sur toi… Si j’esquisse seulement le moindre geste agressif… »
déclara-t-il. « Je veux que tu me quittes. Je veux que tu partes aussi loin que tu le peux et que
tu ne te retournes jamais. Ne me laisses pas m’excuser. Ne me laisses pas te convaincre de
me donner une seconde chance. Pars. Et si tu parviens à jeter un Impardonnable ou deux
avant de le faire, ce serait pour le mieux. »

Elle secoua la tête, envoyant voler dans tous les sens les mèches roses qui encadraient son
visage. « Tu n’es pas le genre d’homme qui… »

« Jure-le moi. » l’interrompit-il.

Cela semblait capital à cet instant là.

Il était lentement parvenu à maîtriser cette crainte là avec Harry, à se persuader qu’il ne se
transformerait pas en Tobias, mais la terreur demeurait, pourtant, insidieuse. Et s’il ne voulait
pas être le genre de père qui tapait sur son fils, il désirait tout autant ne pas être le genre
d’homme qui battait sa femme pour se sentir puissant.

Nymphadora était amplement capable de se défendre mais elle avait trop bon cœur. Sa
loyauté, une fois acquise, faisait honneur à sa Maison. Il savait qu’elle lui pardonnerait s’il
suppliait assez, s’il lui promettait la lune.

Et il ne voulait jamais courir ce risque.

Elle croisa son regard, presque en une invitation tacite. Son esprit effleura le sien, juste assez
pour sentir sa détermination…
« Je te le jure. » offrit-elle, avec suffisamment de conviction pour qu’il sente sa magie se lier
à la sienne.

Il se détendit à nouveau, lentement, un peu trop conscient que cela n’aurait pas dû demander
tant d’effort de cesser d’être sur ses gardes lorsqu’on était allongé dans un lit avec une femme
qu’on…

« Tu m’as également fait remarquer que je ne t’avais jamais expliqué ma relation avec
Harry. » déclara-t-il, décidé à éclaircir les zones d’ombres dont elle lui avait fait le reproche.

Le pouce de la jeune femme retraçait distraitement une autre de ses cicatrices, une plus
récente qui était encore boursoufflée et rougeâtre.

« Je dois avouer que je suis curieuse. » admit-elle.

« C’est mon fils. » annonça-t-il.

Sa main se figea sur son torse. « Biologique ? »

« Non. » réfuta-t-il. « Cependant, cela ne fait aucune différence pour moi. À terme, j’espère
pouvoir l’adopter. Toutefois, si c’est impossible… Il demeura mon fils de toutes les manières
qui comptent. »

Il chercha son regard mais elle avait reposé sa tête sur son épaule et il ne pouvait
véritablement apercevoir son visage.

« Vous devez avoir vécu de sacrées aventures dans cette réalité parallèle. » remarqua-t-elle
avec un bruit amusé. « Parce que vous n’étiez vraiment pas en bons termes avant la tempête
magique… »

« C’est un peu plus compliqué que cela. » nuança-t-il. « Mais… je ne peux nier que sans la
tempête, nous ne nous serions certainement pas rapprochés. »

Et ça aurait été son tort, songea Severus, parce qu’Harry avait changé sa vie.

« Compliqué comme… Tu étais amoureux de sa mère ? » demanda-t-elle, en levant


légèrement la tête pour l’observer.

Trop choqué pour répondre, Severus la dévisagea en silence.

Elle eut une grimace d’excuse. « J’ai additionné un plus un quand tu étais à l’infirmerie.
Désolée. »

Son instinct et plus de deux décennies passées à dissimuler ses sentiments sur le sujet lui
intimaient de la repousser, lui hurlaient qu’elle venait de franchir une limite… La colère,
l’humiliation, le désespoir, la rancœur, la jalousie… Autant d’émotions qui lui étaient
intimement familières et qui s’agitaient en lui en un mélange dangereux.

Il prit une profonde inspiration et s’efforça d’occluder.


Sa vie était différente désormais, se remémora-t-il. Il n’était plus l’homme qui avait passé des
années à se noyer dans ce marasme. Il avait un fils à présent, une raison de se lever le matin,
une raison de vivre au lieu de simplement attendre que l’un ou l’autre de ses Maîtres ne
finisse par l’assassiner.

« Lily… » murmura-t-il, s’étranglant légèrement sans le vouloir sur ce prénom qu’il ne


prononçait que rarement. « Pendant longtemps Lily était… tout ce que j’avais. »

Nymphadora l’observait en silence. Son regard gris brillait de curiosité mais il savait qu’elle
n’insisterait pas s’il déclarait le sujet hors-limite.

Ce fût peut-être la raison pour laquelle il persévéra.

« Elle a été ma meilleure amie mais je n’en étais pas digne. » continua-t-il. Elle fronça les
sourcils alors il drapa son bras autour d’elle dans une étreinte lâche, sachant que si elle
l’interrompait, il n’irait pas au bout de son récit. « Je l’ai traitée de Sang-de-Bourbe. J’étais
déjà bien trop intéressé par le pouvoir et la magie noire. Elle savait que j’étais une cause
perdue. »

L’expression de l’Auror se durcit. « Ne le prends pas mal mais elle n’avait pas l’air d’être une
si bonne amie que ça. »

Il refusait de l’entendre.

Harry avait plus ou moins insinué la même chose, avait réussi à convaincre l’adolescente de
pardonner à son jeune double, mais dans la réalité des faits…

« Elle était faite pour le bonheur. » contra-t-il, en détournant la tête dans la direction opposée.
« Je n’avais rien à lui donner que des ténèbres. »

Nymphadora glissa la main jusqu’à sa joue, le força à tourner à nouveau la tête vers elle, à
croiser son regard un peu trop perçant. « Ce n’est jamais aussi noir et blanc. »

Peut-être pas.

Peut-être que son retour dans le passé lui avait fait ouvrir les yeux sur certaines choses,
néanmoins…

« Tu ne m’as jamais demandé pourquoi j’avais trahi le Seigneur des Ténèbres. » remarqua-t-
il.

C’était pourtant une question, jetée telle une accusation, dont il était extrêmement familier.

« Parce que je sais que tu es de notre côté. » répondit-elle calmement. « Tu ne dois


d’explications à personne. »

Non, néanmoins, pour la première fois peut-être, il désirait en donner.

« J’ai suivi Albus un soir, j’ai surpris une partie d’une prophétie et j’ai couru la rapporter au
Seigneur des Ténèbres. » confia-t-il.
« Ah, la fameuse prophétie qu’on a passé la moitié de l’année à protéger. » devina-t-elle.

Celle qui avait coûté la vie d’Arthur Weasley.

Il confirma d’un hochement sec de la tête. « Le Seigneur des Ténèbres en a déduit que la
prophétie concernait les Potter. J’ai supplié Albus de la sauver, j’aurais donné n’importe quoi
en échange, ma vie était un faible prix à payer. Nous sommes liés par un serment inviolable.
Tu vois, je n’ai pas changé de camps par conviction… »

Sa main était toujours sur sa joue, elle caressa sa pommette avec une tendresse qu’il ne
méritait pas.

« Tu crois en toutes ces conneries ? » se moqua-t-elle, sans hostilité. « Tu crois que mon père
vaut moins que ma mère parce qu’il est Né-Moldu ? Que je suis inférieure aux Malfoy ou aux
Weasley ? »

Elle connaissait déjà la réponse à sa question.

« Je n’y ai jamais cru, pas même à l’époque. » confessa-t-il. « Ce n’était pas ce qui m’attirait.
»

« Non… » soupira-t-elle. « Tu n’étais qu’un gosse pommé et probablement solitaire qui n’a
jamais connu la sécurité. Tu voulais être puissant parce que tu ne voulais plus que qui que ce
soit puisse à nouveau te faire du mal. » Ses yeux gris brillaient à nouveau de larmes
contenues. « Tu n’as pas inventé cette histoire, Severus, et tu ne seras malheureusement pas
le dernier à la réécrire. »

« Cela n’excuse rien. » cracha-t-il.

« Peut-être pas, mais ça explique beaucoup de choses. » contra-t-elle dans un demi-


haussement d’épaules. « Est-ce que tu l’aimes encore ? Lily ? »

Si elle lui avait posé cette questions quelques mois plus tôt…

« Elle m’a pardonné. » murmura-t-il, en détournant le regard. « Lors de notre séjour dans le
passé. Ce n’était pas réellement elle, bien sûr, toutefois j’aime à penser qu’elle en aurait fait
de même. » Il s’humecta nerveusement les lèvres. « Je n’avais jamais accepté sa mort. Je
m’accrochais à ma culpabilité comme si cela avait pu garder une part d’elle vivante. »

« Et maintenant ? » insista-t-elle.

« À présent, je me sens toujours coupable de sa mort. » déclara-t-il. « Mais je l’ai acceptée. »

Ce fût au tour de la jeune femme de fuir son regard. « Tu n’as pas vraiment répondu à la
question, tu sais. Si tu es toujours amoureux d’elle… » Elle fit la grimace. « Hey, je sais ce
que c’est. J’ai probablement été la dernière personne à comprendre que Charlie était gay et je
n’étais vraiment pas subtile lorsque j’avais le béguin pour lui. Et on ne va même pas parler de
ce qui s’est passé avec Remus. »
Il lui paraissait presque sacrilège de comparer ses sentiments pour Lily à une amourette
d’adolescent.

Quant au loup, en effet, mieux valait ne pas le mentionner.

« Lily était la seule lumière dans un océan de ténèbres. » objecta-t-il. « Ce n’était pas un
béguin ou… Nous étions enfants lorsque nous nous sommes rencontrés, c’était bien avant
Poudlard. Elle… » Il se tut, incapable d’en dire davantage. S’il y parvenait jamais, ces
souvenirs là appartenaient de toute manière à Harry, pas à Nymphadora. « Cela allait bien au-
delà de sentiments romantiques mal avisés. Néanmoins, je ne serais pas ici avec toi si cela
était toujours un problème. » Elle avait l’air un peu trop vulnérable, à son goût.
« Nymphadora, je ne joue pas à ce genre de jeux. Si je n’avais pas désiré davantage qu’une
relation charnelle, je te l’aurais dit. »

Elle se détendit lentement. « Je sais. »

Il caressa son bras avec hésitation, jamais très à l’aise lorsqu’il était question d’exprimer son
affection.

« Cela étant dit, si tu désires réellement envisager un avenir commun, il faudra que tu
composes avec Harry. » ajouta-t-il.

« J’adore Harry. » répondit-elle. « Et je te rappelle que, pour le moment, j’ai aussi un ado à
charge. Je sais que ce n’est pas la même chose mais c’est probablement à prendre en
considération. » Elle soupira. « Tu sais que je n’ai aucune idée de ce que je vais faire de
Draco cet été ? Il n’y a qu’une chambre dans mon appartement… Je suppose que je peux le
faire dormir sur le canapé mais ce n’est pas très sympa, hein ? »

« Je suis certain qu’Albus a déjà une solution à ce problème. » contra-t-il. Il y avait trop
d’élèves qui se retrouveraient sans parents ou dans une situation précaire. Severus était prêt à
parier que la décision serait prise de garder l’école ouverte durant l’été pour ceux qui le
souhaitaient.

« Probablement. » marmonna-t-elle, avant de se redresser à nouveau avec une autre grimace.


« J’adore Harry mais je ne suis pas prête à jouer les belles-mères et je suis heureuse que tu
veuilles envisager un avenir commun mais je ne suis pas prête à me mettre en ménage tout de
suite, non plus. »

Elle le dévisagea avec crainte, appréhendant visiblement sa réaction.

Il ne put retenir un léger rire qui le prit par surprise, comme à chaque fois. Avant soixante-
quinze, il ne se souvenait plus de quand il avait ri pour la dernière fois.

« Je ne m’apprêtais pas à te demander ta main, Nymphadora. » la taquina-t-il.

« Tant mieux. » Elle poussa un soupir de soulagement. « Ne le fais pas, s’il te plait. Enfin, un
jour peut-être mais dans un long, long moment. »

Il secoua la tête, amusé malgré lui.


Il était plus facile de s’amuser de la conversation que de s’en alarmer parce que le mariage…
Ce n’était pas quelque chose qu’il avait jamais envisagé.

« Tant qu’on en est à s’avouer des choses… » reprit-elle, avec un petit air coupable.
« J’aurais probablement dû te le dire la semaine dernière mais le Mangemort qu’on a capturé
nous a avoué autre chose… »

Tout amusement disparut immédiatement. Il se redressa légèrement, s’adossant à l’oreiller


pour mieux l’observer. « Qu’y a-t-il ? »

« Apparemment, ils ont ordre de me capturer morte ou vive. Préférablement, vive. » Elle leva
les yeux au ciel. « Tu-sais-qui est un idiot qui pense que tu te précipiteras à mon secours s’ils
m’attrapent. C’est un plan débile, je me demandes si c’est une idée de Tante Bella. »

« Stupide, en effet. » marmonna-t-il, agacé. « Tu aurais dû m’en parler. »

Elle leva les sourcils, non sans ironie.

Il eut la grâce d’admettre son hypocrisie d’un soupir.

« Pourquoi ? Tu comptes me demander de me cacher au Q.G. ou à Poudlard parce que c’est


trop risqué pour moi de sortir ? » le défia-t-elle, en s’asseyant.

Elle ne s’embarrassa pas de retenir le drap et il fût momentanément distrait par ce que le tissu
ne dissimulait plus.

« Non. Tu es bien plus utile à l’extérieur que tu ne le serais enfermée ici. » répondit-il
finalement. Cela ne lui plaisait pas mais il ne serait pas Lupin, il ne l’enfermerait pas dans
une cage juste pour la protéger. « J’ose espérer que tu redoubleras de prudence, cependant. »

Il avait dû dire ce qu’il fallait parce que, soudain, elle l’embrassait à pleine bouche.

Et il était loin de s’en plaindre.

Plusieurs minutes et plusieurs baisers plus tard, cependant, alors qu’il passait la main dans ses
cheveux colorés, il recula juste assez pour croiser son regard.

« Pour clarifier les choses… S’ils te capturent, je ne me précipiterai pas à ton secours. »
annonça-t-il.

« Je serais très en colère si tu étais aussi stupide. » commenta-t-elle, en attaquant son cou
avec ses dents.

Il perdit momentanément le fil de ses pensées mais l’Occlumencie avait plus d’un avantage.

« Je prendrais le temps de rassembler Black, Lupin et Charlie Weasley. » déclara-t-il. « Et


pendant qu’ils rempliront leur rôle de chair à canon, là, je viendrais à ton secours. »

Elle éclata de rire.


Il aimait l’entendre rire.

Il l’embrassa, simplement parce qu’il en avait envie. Parce qu’il en avait le droit.

Le baiser était plus tendre que les précédents, plus doux.

« Tu m’as manqué… » murmura-t-elle contre sa bouche.

« Tu as hanté beaucoup trop de mes pensées cette semaine. » se força-t-il à admettre, avant
d’effacer cette confession d’un autre baiser.

°O°O°O°O°

« Désolé, Roméo, mais le but c’était d’atteindre une zone de sortie vivants, tous les deux, pas
de se sacrifier pour sa partenaire ! » se moqua Sirius, non sans un rire amusé.

Ron ne pouvait pas voir l’Animagus de là où il se tenait appuyé contre le mur de la Salle sur
Demande, attendant son tour, mais il aperçut très bien Harry et Ginny sortir de l’illusion du
dédale de rues Londoniennes. Son meilleur ami avait une grosse tache de peinture verte au
milieu du torse.

Il observa Harry et Ginny plaisanter de loin avec un mauvais pressentiment au creux du


ventre. Harry semblait souvent rechercher la compagnie de sa sœur, en ce moment, et…

« Tu aurais pu en faire de même. » râla le Serpentard à sa gauche. « Ou faut-il avoir de jolies


jambes pour que les Gryffondors se sacrifient pour vous ? »

Ron leva les yeux au ciel, choisissant de passer outre la remarque sur les jambe de sa petite
sœur, sachant que Draco ne cherchait qu’à le provoquer – ce qui était légèrement
compréhensible étant donné les diverses taches de peintures que l’autre garçon arborait. Ron
n’était pas mieux servi, cependant. Ils n’étaient pas parvenus à atteindre une zone de sortie
non plus.

Pour l’instant, les seuls qui y étaient arrivés étaient Hermione et Daphné, Blaise et Astoria et
les jumeaux.

« J’ai déjà donné cette année. » répondit-il, du tac au tac.

Il regretta l’allusion voilée à ce qui s’était passé au Ministère au moment où les mots
quittèrent sa bouche. Les cicatrices sur bras parurent le brûler à nouveau, comme si elles
étaient fraiches. Elles semblaient reprendre vie à chaque fois qu’il s’aventurait à penser à ces
cerveaux nacrés qui…

Draco se tendit légèrement, son visage se ferma et il plana entre eux un silence inconfortable.

Ils ne parlaient pas du Ministère. Ils ne parlaient pas du fait que le Serpentard les avait suivis
à contrecœur, ils ne parlaient pas du fait que Draco s’était jeté devant Luna pour la protéger
d’un Avada Kedavra qu’il avait pris de plein fouet, ils ne parlaient pas du fait que Draco était
mort ou que Ron avait failli y passer lui aussi…
« Est-ce que ça ne te perturbe jamais de penser que tout ceci… » L’autre garçon désigna la
reproduction de Londres d’un geste vague. « … n’a pour seul but que de nous préparer à nous
battre réellement dans cette guerre ? »

La Salle sur Demande semblait étroite ce jour là, principalement car le décors que Sirius avait
créé prenait beaucoup de place. Les adolescents s’étaient plus ou moins alignés contre le mur
en petits groupes, attendant leur tour. Draco et lui se tenaient suffisamment loin des autres
pour que leur conversation ne porte pas, toutefois, Ron prit soin de garder la voix basse.

« Si on avait su la moitié de ce que Sirius nous a appris cette nuit là, on s’en serait mieux
sortis. » remarqua-t-il. « Je vois ça comme de la prévention. »

Draco secoua la tête. « Je n’ai même pas seize ans, je refuse de servir de chair à canon. »

« Personne n’a dit qu’on devait servir de chair à canon. » objecta Ron, avec un léger malaise.

Fût un temps, quelques mois auparavant, où il aurait été beaucoup plus impatient de rejoindre
l’Ordre, de faire sa part, de se battre… À présent, tout paraissait différent. Peut-être parce
qu’il avait perdu son père, peut-être parce qu’il était passé si près de la mort au Ministère,
peut-être parce qu’il s’était retrouvé nez à nez avec Voldemort et qu’il était persuadé que le
mage noir n’était pas prêt d’oublier qu’il l’avait désarmé, peut-être parce que passer des mois
sans Harry l’avait obligé à ouvrir son cercle d’amis, à se comporter davantage comme un
adolescent normal qui n’était pas obligé de résoudre un mystère car des vies pesaient dans la
balance… Il aimait Harry comme un frère et il ne regrettait rien, il n’hésiterait pas à risquer
sa vie pour lui ou à le suivre vers le danger à l’avenir mais… Il ne pouvait nier non plus qu’il
n’était plus aussi pressé de grandir.

« Quelles sont les chances qu’on survivent tous à cette guerre ? » murmura Draco, presque à
regret, comme s’il avouait une crainte qu’il n’osait pas totalement formuler. Les yeux gris du
Serpentard suivaient Hermione alors qu’elle se déplaçait d’un groupe de leurs amis à l’autre,
l’air un peu moins stressée que tout à l’heure.

Les chances qu’ils survivent tous à cette guerre, Ron le savait, n’étaient pas bonnes.

La guerre était aux portes de Poudlard et, tôt ou tard, elle les rattraperait.

Et ils le savaient tous les deux.

Draco ne devait, de toute manière, pas attendre de réponse parce qu’il soupira. « As-tu
remarqué la nouvelle bague de Potter ? »

Ron fronça les sourcils, cherchant automatiquement son meilleur ami dans les petits groupes
d’adolescents mais il devait être de l’autre côté de la pièce parce qu’il ne le vit pas. Pas plus
que Ginny, ne put-il s’empêcher de constater.

Il haussa les épaules. « Pas vraiment, pourquoi ? »

Harry n’avait eu pas l’habitude de porter des bijoux mais Harry était également très différent
du garçon qu’il avait été avant la tempête magique. Cette tempête les avait tous changés.
« C’est un sceau. » lança le Serpentard, avec une certaine excitation contenue.

« Un sceau. » répéta Ron, avant de comprendre ce que Draco voulait dire. « Le sceau des
Potter ? »

Il n’avait pas été élevé dans la tradition Sang-Pure et ses parents ne se souciaient pas du tout
des coutumes mais ce n’était pas pour ça qu’il était entièrement ignorant de ce qui se faisait
chez les autres. Si les Weasley avaient jamais eu un sceau, il n’avait aucune idée d’où il était
passé. Peut-être chez une autre branche ou peut-être Bill en avait-il hérité lorsque…

« Non. » contra immédiatement Draco, les lèvres étirés dans un sourire satisfait. « C’est bien
ce qui est intéressant. »

Ron ne savait pas pourquoi Harry se serait soudain préoccupé du sceau des Potter. Certes, son
séjour à Serpentard l’avait changé, mais de là à arborer les armoiries de sa famille comme
Draco ou Blaise le faisaient quelques fois…

« Celui des Black ? » devina-t-il, car cela aurait expliqué l’intérêt qu’y portait l’autre garçon.
Après tout, techniquement parlant, avant le pardon de Sirius, sa mère avait probablement été
la dernière héritière des Black. Ou non… Sirius avait été renié mais pas déshérité,
contrairement à la mère de Tonks – ou du moins c’est ce qu’il avait compris de l’histoire.

Draco secoua la tête, les yeux brillants de plaisir. Rien ne lui plaisait plus que de connaître
une information que les autres n’avaient pas et des les faire se languir de l’entendre. Cela le
faisait se sentir supérieur.

Bien au fait de la chose, Ron ne lui donna pas ce plaisir. Il attendit patiemment, bras croisés,
nonchalamment appuyé contre le mur, pendant que Lee Jordan et Cassiopée Jones sortaient
victorieux de l’exercice. Lee leva la main pour un tope là que la Serpentard ignora
royalement. Neville et Luna s’élancèrent à leur tour.

« Il porte le sceau des Prince. » souffla Draco, au bout de deux minutes, ne tenant visiblement
plus.

« Les Prince ? » répéta-t-il, confus.

Le Serpentard leva les yeux au ciel. « Tu fais vraiment un piètre Sang-Pur. Les Prince étaient
une famille puissante, quasiment autant que celle des Malfoy, mais elle s’est éteinte. »

« Pourquoi Harry porterait-il le sceau d’une Maison qui n’existe plus ? » riposta-t-il,
légèrement moqueur. « Tu débloques, mon vieux. Tu as dû mal voir. »

Draco avait pris son air supérieur des grands jours. Le blond leva un sourcil. « Parce que,
Weasley, la dernière de leur lignée s’appelait Eileen Prince. »

Eileen Prince…

Le nom lui disait quelque chose…


Il claqua des doigts lorsque ça lui revint. « Elle était capitaine de l’équipe de Bavboules. Elle
a gagné un trophée ou un truc du genre… »

Il connaissait malheureusement le contenu de la Salle des Trophées sur le bout des doigts, il
les avait suffisamment astiqués en retenues avec Rusard.

Le Serpentard lui jeta un regard amusé. « Tu ne connais pas les différentes Maisons Sang-
Pures qui ont joué un rôle important ces cent dernières années mais tu connais le nom de la
président du club des bavboules d’il y a cinquante ans ? »

S’il se souvenait correctement des dates, on était plus prêt des soixante…

« Je suis plein de surprise. » rétorqua-t-il, dans un haussement d’épaules. « Bon, c’est quoi
l’histoire avec Eileen Prince, alors ? »

« Oh, trois fois rien… » ironisa Draco. « Mis à part le fait qu’elle a épousé un Moldu qui
s’appelait Snape. »

Le regard de Ron se braqua sur lui. Il ne se sentait soudain plus du tout amusé. « Quoi ? »

Harry Prince.

Merlin, ce qu’il pouvait être stupide. Évidemment qu’il savait qui était les Princes. Harry ne
leur avait-il pas résumé tout son séjour en soixante-quinze ? N’avait-il pas vu son nom
d’emprunt sur de nombreuses copies lorsque son meilleur ami sortait les notes qu’il avait
prise dans le passé ?

Il aurait dû faire le lien immédiatement.

« Le vieux Prince a préféré laisser sa Maison mourir plutôt que de transmettre le titre à un
Sang-Mêlé. » résuma le Serpentard. « Bien que je crois que le Professeur a quand même
hérité de la fortune familiale… Elle devait être maigre à ce moment là, cela dit. » Il balaya
l’air de la main. « Bref, la question est : pourquoi est-ce que Potter porte soudain le sceau des
Prince ? »

« C’est peut-être une babiole qu’il a ramené de soixante-quinze… » hasarda Ron, sans y
croire vraiment.

Draco n’était pas plus dupe. Il laissa échapper un bruit amusé. « Le sceau d’un Chef de
famille ? C’est loin d’être une babiole, titre ou pas. Je te garantie que cette bague était en
possession de Snape et, même si Potter était suffisamment stupide pour la lui voler, il ne la
porterait pas sauf s’il a des tendances suicidaires. Non, non… La conclusion logique c’est
que Snape la lui a offerte. Tu sais à qui on offre ce genre de choses ? »

Il n’était peut-être pas un Sang-Pur modèle mais, oui, il savait.

Et il n’était toujours pas certain de s’être fait une opinion à ce sujet.

Le Serpentard s’impatienta de son manque apparent de réaction. « Cela signifie qu’il a fait de
Potter son héritier, Ron. Cela signifie que Snape va l’adopter. Suis-je le seul à penser que le
monde marche sur la tête ? »

Ron avait l’impression d’avoir pris un coup de massue.

Ce n’était pas si surprenant, au demeurant, pas étant donné tout ce qui s’était passé ces
derniers mois, mais…

C’était Snape.

Snape qui, à en croire Harry, était davantage digne de confiance que Dumbledore. Snape qui
ne souhaitait pas que le Directeur entraîne Harry dans la chasse aux horcruxes ou lui laisse
endosser le rôle d’Élu. Snape qui avait manqué mourir et laissé Harry dans un état de
dépression duquel, Ron en était sûr, ils auraient du mal à le sortir. Snape qui avait été un
Mangemort. Snape qui…

« C’est son père. » lâcha-t-il, un peu maladroitement, parce qu’en dépit de ses réserves il
savait qu’Harry avait fait son choix et tout ce que, lui, pouvait faire était de le soutenir.

Draco le dévisagea soudain avec le masque de politicien neutre qu’il se plaisait à cultiver.
« Es-tu en train de me dire que Snape et Lily Potter… »

« Non. » l’interrompit-il brusquement, jetant un coup d’œil alentour pour s’assurer que
personne ne les écoutait. « Non. » Il se racla la gorge. « C’est juste qu’Harry l’a plus ou
moins adopté. » Ce n’était pas vraiment un secret, pas depuis que le Survivant avait passé des
semaines à l’infirmerie à son chevet. Certes, les rumeurs allaient bon train sur pourquoi Harry
se tracassait de l’ancien Professeur de Potions mais… Ce n’était plus tellement un secret.
Néanmoins… « Garde le pour toi. »

Le Serpentard pinça les lèvres avec un déplaisir évident. « Il t’en avait parlé, donc. »

Non.

Non, Harry ne lui avait pas du tout parlé du fait que Snape avait apparemment décidé de
l’adopter ou, du moins, lui avait offert un bijou qui était, pour les sorciers, extrêmement
symbolique. Le sceau en lui-même n’avait peut-être aucune valeur légale mais l’intention,
elle, était explicite.

Dans tous les cas, non, Harry ne lui en avait pas parlé.

Et il doutait qu’il en ait parlé à Hermione non plus.

Ce que cela signifiait pour leur amitié, ça…

« Comment ça se passe dans ta salle commune ? » changea-t-il de sujet.

Draco se rembrunit immédiatement. « Ce n’est rien que je ne puisse gérer. »

Ron n’aimait pas l’idée qu’il puisse être en danger dans les cachots. Blaise et les autres ne
pouvaient pas toujours être avec lui.
« Tu sais que la porte est ouverte, si tu as besoin. » insista-t-il. « On peut te faire une place
dans notre dortoir. Tous les autres sont d’accord et McGonagall ne dira pas non. »

L’autre garçon poussa un soupir. « Je ne suis pas encore prêt à devenir un lion honoraire. »

Mais il n’en était pas loin, devina Ron, parce que ce ne devait pas être très drôle de se méfier
de son ombre dans les dortoirs.

Il parvenait peut-être à cacher à Hermione la plupart des hématomes mais Ron était plus
attentif qu’il n’y laissait paraître.

°O°O°O°O°

La main de Severus se baladait distraitement le long de l’épine dorsale de la jeune femme


lovée contre son torse.

« Qu’y a-t-il ? » demanda-t-il, au bout de quelques minutes.

Il était évident qu’autre chose la tracassait.

« Je suis allée voir Remus, hier soir. » avoua-t-elle après un court silence.

Il ne s’en alarma pas. Il était évident, au vu de leurs interactions durant la réunion, qu’ils ne
s’étaient pas réconciliés, au contraire. Certes, il ne pouvait faire taire une certaine suspicion
instinctive mais la maigre jalousie qu’il éprouva fût facilement balayée. Le sentiment
d’insécurité était plus difficile à faire taire mais il s’y employa.

Il refusait de provoquer une nouvelle dispute à peine la précédente réglée. Surtout pas à
propos de Lupin. Il ne lui ferait pas ce plaisir.

« Ah… Vais-je découvrir ce qui est réellement arrivé au Whiskey Pur-Feu de Black ? »
plaisanta-t-il.

Elle laissa échapper un bruit qui était plus amer qu’amusé. « Vu l’état dans lequel il était
quand je suis partie, soit il l’a bu, soit il l’a fait exploser. »

Severus fronça les sourcils, moins enclin à la taquiner étant donné le sérieux dans sa voix.
« S’est-il montré agressif ? » Elle ne répondit pas immédiatement, ce qui ne fit que
l’inquiéter davantage. « Nymphadora. »

Si le loup avait seulement fait mine de la toucher, il allait le dépecer et s’en faire un tapis de
fourrure.

Il importait peu qu’elle soit parfaitement capable de se défendre. Il y avait des démons contre
lesquels on était impuissants, il ne le savait que trop bien.

« Pas plus que d’habitude. Ça m’inquiète qu’il ne se rende même pas compte que… » Elle
s’interrompit et soupira. « C’était ma faute de toute manière. Je voulais mettre certaines
choses au clair et… Ce n’était pas forcément une bonne idée. Ça s’est plutôt bien passé
jusqu’à ce que je lui répète que c’est fini pour de bon et qu’il ne me jette au visage que les
loups s’accouplent pour la vie. »

« Si cela tourne à l’obsession, cela pourrait devenir un problème. » la mit-il en garde. « Ce


qui s’est passé lorsqu’il a bu cette potion… »

« Je sais, je sais… » le coupa-t-elle. « Mais je ne peux pas croire qu’il me ferait vraiment du
mal. »

Il émit un bruit dubitatif. « Accepter l’animal en lui l’a rendu moins enclin à sombrer dans la
folie par certains côtés, mais il démontre quand même une certaine instabilité dès qu’on
touche à ce qu’il considère étant en rapport avec sa condition. Toi, sa pseudo meute,
Greyback… »

Elle demeura silencieuse un long moment. « Il sait pour nous. Je suis désolée. »

Severus pinça les lèvres mais contrôla son agacement. « Il le soupçonne depuis un moment et
il y a suffisamment de personnes au courant, de toute manière, pour que le secret ne tienne
plus bien longtemps. »

Il devait en parler à Harry avant que quelqu’un d’autre ne le fasse et il en était bien conscient.
Simplement, il n’était pas certain de comment aborder le sujet ou de comment l’adolescent
réagirait.

Tout entier à sa préoccupation de comment il allait l’annoncer à son fils, il ne remarqua pas
immédiatement qu’elle s’était à nouveau enfoncée dans un silence trop lourd.

Songeant qu’il n’avait sans doute pas dit ce qu’il fallait, il soupira. « Si je tenais à de la
discrétion, ce n’est pas par honte ou par manque d’implication. Simplement… »

« Il a dit qu’on n’était qu’un fantasme. » cracha-t-elle, avec une colère rentrée qui dissimulait
mal une certaine tristesse.

Severus s’en retrouva sans voix l’espace d’une seconde. « Pardon ? »

« Remus. Hier. » murmura-t-elle, en se recroquevillant légèrement sur elle-même – et sur lui,


accessoirement, mais il avait depuis longtemps renoncé à dormir confortablement lorsqu’elle
occupait son lit. C’était une contrepartie qu’il était prêt à payer. « Il a dit que, toi et moi, ce
n’était qu’un fantasme. Tu sais, le goût de l’interdit ou un truc du genre. »

Ce qui expliquait sa réflexion sur Minerva qui aurait eu trop d’intégrité pour coucher avec un
ancien élève.

De là, à parler de fantasme… Ce que cela impliquait…

« Nous ne sommes pas un fantasme. » siffla-t-il, avec dégoût. « Je n’ai jamais eu ce genre de
penchants. »

« Je sais. » promit-elle.
« Non. » contra-t-il. « J’ai besoin que tu l’entendes. Je n’ai jamais, pas une seule seconde,
pensé à aucune élève comme… Je ne t’ai jamais prêté aucune attention de ce type lorsque tu
étais dans ma classe. » Il fit la grimace. « Si je dois être honnête, c’était une des raisons qui
m’ont tant fait hésiter lorsque… »

« Je sais. » répéta-t-elle, plus fermement. « Je n’étais pas attirée par toi, non plus, à
l’époque. »

« Inutile de le préciser. » se moqua-t-il, pince-sans-rire.

« Oh, ça va… Je suis sûre que tu as ton compte d’admiratrices. » plaisanta-t-elle. « Ta voix,
tes mains… Et ce n’est pas comme s’il y avait beaucoup d’autres professeurs aussi jeunes
que toi à Poudlard. Tu es le seul qui n’a pas encore de cheveux blancs. Encore que Sirius doit
te faire concurrence maintenant… »

Il préférait ne pas penser à ce genre de choses.

Ce qui rendait le commentaire de Lupin doublement offensant.

« Il ne sera probablement pas le seul à faire ce genre de remarques désobligeantes. » grinça-t-


il.

« Ça m’est égal. » répondit-elle, dans un haussement d’épaules. « Enfin, ce n’est pas vrai…
Ça m’embête pour toi. Est-ce que tu auras des ennuis si… »

« Minerva est au courant. Albus aussi. » l’interrompit-il. « S’ils avaient désapprouvé d’une
quelconque manière, ils m’en auraient déjà fait part. »

Elle tendit le cou pour pouvoir le regarder en face sans bouger. « Je n’ai rien prévu de ce qui
s’est passé entre nous, tu sais, mais je ne regrette rien non plus. »

Sans rien avoir prévu, elle en avait pourtant été l’entière instigatrice. Peut-être avait-il été
conscient, à un certain degré, de l’ambigüité entre eux après la tempête magique, peut-être
s’était-il pris un peu au jeu des regards qui s’attardaient, peut-être l’avait-il encouragée sans y
prendre garde… Il n’avait, certes, jamais protesté les baisers sur la joue qui atterrissaient
toujours à la commissure de ses lèvres… Mais il n’aurait jamais franchi la ligne, jamais fait
le premier pas.

Et ce qui avait commencé comme une passade, une manière pour elle d’oublier le loup et
pour lui d’évacuer le stress constant… Cela était devenu tellement plus.

Il n’aurait pas parié dessus.

Et il aurait eu tort.

Il ignorait si ce qu’ils partageaient survivrait hors du contexte de guerre et dans la banalité du


quotidien mais il aurait aimé la chance de le découvrir.

« Il n’y a rien à regretter. » déclara-t-il. Il n’eut pas à se pencher beaucoup pour l’embrasser
brièvement, toujours légèrement hésitant lorsqu’il s’agissait d’initier ce genre de contact.
« Quant à Lupin, il ne cherchait probablement qu’à te blesser. »

« Je sais. » soupira-t-elle. « C’est juste que… J’ai beaucoup réfléchi après qu’on se soit
disputés, la semaine dernière. »

Severus fronça les sourcils. « Si tu t’apprêtes à m’annoncer que tu souhaites rompre, tu t’y es
certainement pris d’une manière un peu particulière… »

Son rire le rassura plus qu’un long discours ne l’aurait fait. « Non. À Remus et à moi, je veux
dire. À pourquoi ça n’a pas marché. À pourquoi je ne voulais pas faire les mêmes erreurs
avec toi. »

« Et à quelle brillante conclusion es-tu parvenue ? » s’enquit-il. « Mis à part le fait que le
loup est un crétin de t’avoir laissée partir, s’entend. »

Il laissa reposer sa main au creux de ses reins, s’efforçant de tracer des cercles réconfortants
sur sa peau avec son pouce. Le résultat était approximatif car ses mains étaient loin d’être
stables.

« Il m’accusait toujours de ne pas savoir ce que je voulais, au début, de ne pas avoir


conscience de ce qu’être avec lui impliquait. Comme si je n’étais qu’une gamine tout juste
sortie de Poudlard au lieu d’une Auror qui avait terminé sa formation. » expliqua-t-elle
lentement, avec hésitation. « Et je pensais que j’étais si mature et qu’il avait tort mais… Peut-
être que j’étais vraiment trop naïve. » Elle se frotta le visage. « Ces derniers mois… Il s’est
passé tellement de choses, j’ai vu tellement de mes amis mourir… J’ai l’impression d’avoir
pris dix ans. »

La guerre faisait cet effet là.

Et elle ne parlait jamais des collègues qu’elle avait perdus mais le bureau des Aurors avait été
entièrement décimé le jour de l’attaque du Chemin de Traverse. Outre le fait que sa charge de
travail et ses responsabilités s’en étaient trouvées décuplées, elle avait forcément perdu des
amis ce jour là. Des amis dont elle n’avait sans doute jamais eu le temps de faire le deuil.
Sans parler de la mort de Fol’Œil qui, il le savait, avait été un mentor pour elle ou de celle
d’Arthur Weasley. Elle était amie avec Charlie depuis suffisamment longtemps et à un degré
d’intimité tel qu’il était impossible qu’elle ne l’ait pas bien connu. Connaissant l’hospitalité
des Weasley, elle avait sans doute passé une certaine partie de ses étés au Terrier dans son
enfance.

Il était indéniable qu’elle avait changé. L’impact de tant de morts… Il ne lui avait pas prêté
tant d’attention avant la tempête magique mais il était certain qu’elle lui paraissait plus
adulte, plus mûre, n’en déplaise à ses tenues un peu excentriques.

« La différence d’âge entre nous est la même qu’entre toi et Lupin. » remarqua-t-il.

« Elle te gêne ? » demanda-t-elle avec incertitude. « Parce que Remus la rabâchait tout le
temps mais tu ne la mentionnes jamais… »
Il prit un moment pour y réfléchir mais, au demeurant, la réponse était évidente au vu des
derniers mois. « Moins que je l’aurais cru. Moins que le fait que j’ai été ton Professeur, si je
suis honnête. » Il caressa son bras pour adoucir cette dernière remarque, espérant qu’elle ne
sonnait pas comme un reproche. « Tu es une excellente Auror, Nymphadora. Tu es
intelligente. Tu es belle. Tu es loyale. Je suis le plus chanceux des deux, en ce qui me
concerne. Cependant… La différence d’âge, le fait que tu ais été mon élève… Si cela te
donne l’impression que je suis en position de force… »

« Non. » l’interrompit-elle, en se redressant pour secouer la tête. « Pas tant que tu me traites
en égale. Tant qu’on est sur une position d’égalité, nous n’aurons pas de problèmes. Remus…
» Elle chercha son regard puis grimaça. « Je lui ai tellement couru après, je lui ai donné tous
les pouvoirs. Ce n’était pas entièrement sa faute, j’ai ma part de responsabilité. Mais je l’ai
laissé me faire me sentir… moindre. »

Il l’observa longtemps, pesa le pour et le contre, puis finit par se décider à poser la question
qui le démangeait, bien à l’abri derrière un masque neutre. « As-tu toujours des sentiments
pour lui ? »

Il ne l’aurait pas blâmée si tel était le cas. Il aurait été mal placé pour le faire étant donné les
longues années qu’il avait passé à se languir de Lily. Les sentiments ne se contrôlaient pas, il
était bien placé pour le savoir.

Son expression s’adoucit. « Non. » C’était ferme et définitif. Il aurait aimé s’y fier
pleinement, toutefois il craignait un peu qu’elle soit en train de lui dire ce qu’elle pensait
qu’il voulait entendre. Ses boucliers mentaux n’étant définitivement plus ce qu’ils étaient,
elle dût lire ses doutes dans ses yeux car elle caressa sa joue et l’attira à elle pour un nouveau
baiser. « Non, Severus, je n’ai plus aucun sentiment pour lui. »

Pour quelqu’un qui s’enorgueillissait d’être capable de se contrôler en toute circonstance, il


avait un problème certain à résister à ce genre d’arguments. Le baiser se transforma en un
deuxième, puis un troisième…

« C’est là où la différence d’âge se fait sentir. » murmura-t-il contre ses lèvres.

Il éprouva une immense satisfaction lorsqu’elle rit à sa plaisanterie douteuse.

°O°O°O°O°

Sirius ne s’embarrassa pas de discrétion lorsqu’il émergea de la cheminée du salon du Square


Grimmaurd pour la deuxième fois ce soir là. Après tout, il était toujours propriétaire des lieux
et il était passablement contrarié.

Bien que son agacement fondit légèrement lorsqu’il entra dans la cuisine et qu’un sourire
heureux naquit sur les lèvres de Nyssa.

Elle posa rapidement la tasse fumante qu’elle tenait entre les mains et se repoussa du plan de
travail contre lequel elle avait été appuyée pour venir vers lui. Chaque geste dénotait d’une
fluidité surnaturelle qui ne cessait de l’impressionner.
« Je ne pensais pas que tu reviendrais cette nuit… » l’accueillit-elle, en jetant ses bras autour
de son cou.

Revenir cette nuit là n’avait pas réellement fait partie de ses projets. Nyssandra lui manquait
et il aurait souhaité avoir davantage de temps libre à lui consacrer, néanmoins il était plus
difficile qu’il ne l’aurait cru d’assumer un poste de Professeur à Poudlard. Il savait qu’il
regretterait le manque de sommeil le lendemain, comme il l’avait toujours regretté en classe,
lorsque lui et le reste des Maraudeurs avaient passé la nuit à chahuter plutôt qu’à dormir. La
chose la plus sage à faire aurait été de rester à l’école et de laisser couler le problème
jusqu’au lendemain soir, d’y faire face à tête reposée…

Pourtant Sirius n’avait cessé de ressasser la scène de la fin de la réunion tout au long de la
session de l’A.D. et il savait qu’il passerait la nuit à se tourner et se retourner dans son lit s’il
ne mettait pas les choses au clair.

C’est pourquoi il recula légèrement la tête lorsque Nyssa voulut l’embrasser et posa les mains
sur ses hanches pour la tenir à distance, au lieu de l’enlacer comme il en avait envie.

« C’était quoi ce cinéma, tout à l’heure ? » demanda-t-il. « Du Véritaserum ? Et puis quoi


encore ? »

Certes, il comprenait la logique de la démarche et, s’il n’avait pas eu son compte de secrets à
préserver, peut-être aurait-il même été d’accord avec cette idée mais…

Quelque part dans la maison, les lattes du parquet grinçaient, preuve que les lieux étaient
occupés et qu’ils n’étaient pas les seuls insomniaques. Il se demanda brièvement s’il
s’agissait de Remus ou si quelqu’un d’autre avait décidé de rester au Q.G. ce soir là. Il n’était
pas tout à fait certain de vouloir faire face à son meilleur ami, à l’instant. Il ne savait pas trop
ce qui se passait entre lui et Tonks mais il était bien certain qu’il n’appréciait pas la tension
entre eux.

Il avait toujours considéré Andy comme une grande sœur et, en conséquence, il se sentait
responsable de sa fille. Ça avait été une chose lorsque Remus et elle avaient été amoureux
mais il était évident que la jeune femme ne voulait plus rien avoir à faire avec lui.

Cela ne lui avait pas échappé que Tonks avait pris soin de rester loin du loup-garou toute la
soirée, quitte à ne pas lâcher Snape d’une semelle – sans doute car elle pensait que Remus ne
s’approcherait pas de lui, étant donné l’hostilité grandissante entre eux. L’ancien espion était
également prompt à s’interposer sans avoir l’air dès que son meilleur ami cherchait à entamer
la conversation avec sa cousine. Pour ça, Sirius se sentait légèrement redevable. Il aurait dû
être celui à s’assurer que Tonks n’était pas mise mal à l’aise par son ex, pas son ancien
professeur de Potions, mais le fait qu’il s’agisse de Remus rendait la situation compliquée
pour lui. Sa propre relation avec Remus était suffisamment compliquée en ce moment sans
qu’il en rajoute.

« Ce n’est pas une si mauvaise idée. » contra-t-elle immédiatement, se rembrunissant face à


ce qui devait ressembler à une douche froide. Elle retira ses bras d’autour de son cou pour
mieux les croiser devant sa poitrine et fit deux pas en arrière, rétablissant entre eux un certain
espace. « Tu as remarqué qui a protesté en premier, j’espère ? »
Sirius leva les yeux au ciel. « Snape n’est pas le traître. »

Nyssa le fixa du regard un long moment, la mâchoire contractée et l’air butté. « Ce n’est pas
ce que pensait Alastor. »

Le prénom parut raisonner dans la cuisine.

Il dût faire un sérieux effort pour ne pas perdre son calme, pour ne pas céder à la jalousie qui
lui tordait les tripes. L’autre sorcier était mort, ça aurait été non seulement stupide mais un
peu pathétique d’en être jaloux.

« Fol’Œil était parano, Nyssa. » lui rappela-t-il, aussi calmement qu’il le put. « Et un peu
cinglé. Et, au cas où tu l’aurais oublié, il refusait de te considérer comme une personne parce
qu’il était bourré de foutus préjugés ! »

Autant pour garder la tête froide, se morigéna-t-il immédiatement.

« Ne t’avise pas de me crier dessus. » l’avertit-elle, révélant des canines impressionnantes.


Elle s’éloigna pour récupérer sa tasse sur le comptoir, en descendit avidement deux gorgées
d’affilée en prenant soin de lui tourner le dos.

Elle détestait se nourrir devant lui, habituellement. Elle ne le faisait que lorsqu’elle était à
cran.

Depuis quand n’avait-elle pas quitté le Q.G. ? Depuis quand Remus ne lui avait-il pas assigné
une mission qui assouvirait ses besoins de chasser ?

« Nyssa… » soupira-t-il.

« Je comprends comment il a ferré Tonks. » lâcha-t-elle. « Je suis quasi sûre que Bill a une
dette quelconque envers lui. Mais toi… je ne comprends pas comment on est passé de ‘je
veux le tuer’ à ‘je le défendrai jusqu’à la mort. »

Elle ne s’était pas retournée.

Il franchit prudemment la distance entre eux, un peu trop conscient qu’elle aurait pu le tuer si
elle l’avait voulu. Cela ne l’effrayait pas. Pas totalement. Cet aspect là n’avait pas perdu ce
qu’il avait d’excitant pour lui.

Il posa les mains sur ses épaules mais elle ne se détendit pas, pas même lorsqu’il tenta de
vaincre la tension en la massant gentiment.

« Est-ce que tu me fais confiance ? » murmura-t-il, par prudence plus que par besoin de créer
un sentiment d’intimité. Il y avait de légers bruits dans le placard que Kreattur s’était attribué
qui lui faisaient dire que l’elfe de maison rôdait dans les parages et il ignorait qui se trouvait à
l’étage.

Les murs avaient des oreilles dans cette maison et il n’était pas prêt de l’oublier.

« Tu sais bien que oui. » soupira-t-elle.


« Il considère Harry comme son fils. » expliqua-t-il. « Et Harry le considère comme son
père. »

Elle posa doucement la tasse sur le plan de travail et se retourna finalement pour lui faire
face, l’air toujours contrarié.

« Ce qui te rendait fou de rage, il n’y a pas si longtemps, si je ne m’abuse. » rétorqua-t-elle.

« C’était avant. » répliqua-t-il, agacé. « Écoute… Je ne peux pas te dire ce que je sais. Je ne
peux pas. Mais il m’a convaincu. S’il y a une personne sur cette terre à qui je fais confiance
pour protéger Harry, pour faire tout ce qu’il faut et davantage encore pour le garder en vie
coûte que coûte, c’est Snape. Et, crois moi, j’en suis le premier surpris. » Il se passa une main
sur le visage. « Il est… différent depuis qu’ils sont revenus. Il est toujours aussi chiant mais il
est aussi beaucoup plus humain. »

Nyssa le dévisageait avec une suspicion évidente.

Il encadra son visage de ses mains et se pencha jusqu’à ce que leurs fronts se touchent.

« Nyssa, tu le soupçonnes, il te soupçonne… » chuchota-t-il, en plantant son regard dans les


siens. « Et moi je sais que ce n’est ni toi, ni lui, alors ça m’arrangerait si vous pouviez régler
ça entre vous une bonne fois pour toute parce que je n’ai vraiment pas envie d’être au
milieu. »

« Remus est d’accord avec moi. » insista-t-elle. « On trouve tous les deux qu’il manipule son
monde, la moitié des membres du Conseil sont dans sa poche, toi inclus. »

« Remus n’est pas exactement lui-même, en ce moment, et il en veut à Snape de ne pas le


fournir en potion Révèle-Loup. » rétorqua-t-il. « Nyssa, s’il te plaît, fais moi confiance. »

Elle claqua la lange avec agacement mais finit par se détendre et passer ses bras autour de sa
taille.

« Je veux bien lui parler. » capitula-t-elle. « Mais si on se fait tuer parce qu’il a joué sur ta
corde sensible, je vais te botter le cul. »

Sirius ne chercha pas à museler son éclat de rire. Il l’attira plus fermement à lui et déposa un
baiser dans ses cheveux. « Ça marche. »

« Dis-moi que tu restes ce soir. » exigea-t-elle, en levant la tête vers lui.

Il l’embrassa pour toute réponse.

Plus tard, bien plus tard, alors qu’il commençait à s’endormir, leurs corps toujours enlacés
entre les draps froids, elle cala son menton dans le creux de son épaule.

« Si ce n’est pas lui… Qui ? » murmura-t-elle.

« Je ne sais pas. » marmonna-t-il, en se frottant les yeux. Serait-il plus intelligent de retourner
à Poudlard dès à présent ou bien d’espérer parvenir à se lever à temps pour ne pas être en
retard à son premier cours ?

« C’est le coupable idéal. » insista-t-elle. « Personne ne l’aime. Enfin… Personne ne l’aimait


avant qu’il se fasse prendre dans une tempête magique qui lui a apparemment greffé une
nouvelle personnalité… »

« Je n’irais pas jusque là. » se moqua-t-il. « C’est toujours un emmerdeur de première


catégorie. Mais… il a ses moments. »

Elle balaya l’air de la main. « C’est malin, si tu y penses… Pendant que tout le monde
surveille Snape… Qui surveille le véritable espion ? » Elle marqua une pause. « Ou alors il
joue double jeu depuis le début et c’est un coup de maître. Je vais trouver dans tous les cas, tu
sais. »

Il n’en doutait pas vraiment.

Rien n’arrêtait une vampire en chasse.

« Je veux ma vengeance. » conclut-elle, un éclat mauvais dans le regard.

Cette fois-ci, le frisson qui parcourut son échine était plus alarmé qu’excité.

Elle ne plaisantait pas, il le savait.

Lorsqu’ils aurait déniché l’espion… Cela finirait dans un bain de sang.

°O°O°O°O°

Tonks venait juste de terminer de verser du café dans chacune des deux tasses sur le plan de
travail lorsque une main se posa sur sa hanche. Elle pouvait en sentir la chaleur à travers le
coton de la chemise qu’elle avait volée d’à même le sol et elle se laissa prudemment aller en
arrière jusqu’à trouver le corps qui se tenait derrière elle. La main glissa de sa hanche à son
ventre dans une étreinte légèrement maladroite, comme toujours, alors qu’il tendait l’autre
vers une des tasses.

Sa main s’immobilisa à moitié chemin lorsqu’il apparut évident qu’il n’était pas en mesure
d’agripper quoi que ce soit et il marmonna un juron avant de serrer le poing.

Elle attrapa sa main avant qu’il ait pu la laisser tomber et la porta à ses lèvres, déposant un
léger baiser sur les phalanges bardées de minuscules cicatrices gagnées au fil des longues
années à expérimenter avec des potions.

Elle le sentit se détendre légèrement et compta comme une victoire qu’il n’ait pas simplement
disparu pour bouder dans une autre pièce. Il détestait être incapable de masquer ses faiblesses
physiques et ça n’aurait pas été la première fois qu’il se serait drapé dans une fierté froissée
plutôt que de la laisser le réconforter.

« Il est tard. » se plaignit-il, car c’était elle qui avait faire taire son réveil un peu plus tôt. Ils
n’avaient, de toute manière, pas la même définition de tard. Elle était certaine que le petit-
déjeuner était toujours en train d’être servi dans la Grande Salle. « Ne travailles-tu pas, ce
matin ? »

« Non, je suis d’astreinte, aujourd’hui. » répondit-elle, en se tournant pour passer les bras
autour de son cou. Il fût lent à lui rendre son étreinte mais pas par manque d’envie. Il était
toujours un peu hésitant lorsqu’il s’agissait d’exprimer son affection, incertain de ce qui était
permis et de ce qui ne l’était pas.

Après ce qu’il lui avait confié la nuit dernière…

Elle avait toujours su que les cicatrices cachaient plus que certainement un drame familial
mais le cauchemar qu’il avait dû vivre… Elle ne pouvait pas l’imaginer. Elle ne voulait pas
l’imaginer.

Même si elle était actuellement en plus ou moins mauvais termes avec sa mère, elle savait
avec une certitude absolue qu’Andromeda l’aimait, que ses parents remueraient ciel et terre
pour elle. Ne pas avoir ce genre de convictions…

Elle avait toujours perçu, plus ou moins consciemment, qu’il lui accordait un privilège
spécial en lui ouvrant ses appartements. Chaque baiser qu’il initiait, chaque caresse qu’il
offrait… Parfois, il la regardait comme s’il s’attendait à tout moment à ce qu’elle transforme
la tendresse de ses gestes en agression, comme s’il était incapable de ne pas se méfier alors
même qu’un simple acte de gentillesse paraissait le toucher plus que de raison…

Elle mesurait maintenant à quel point tout cela lui était étranger.

Et pourtant ses yeux noirs étaient doux lorsqu’ils plongèrent dans les siens, sa bouche s’étira
en ce qui n’était pas tout à fait un sourire mais qui trahissait tout de même une certaine
satisfaction, et ses bras ne tardèrent à se resserrer autour d’elle.

L’instant était si parfait, la bulle de bonheur si complète, que ça en était presque douloureux.
Elle savait que si elle devait produire un Patronus sous peu, ce serait vers ce souvenir-ci que
s’orienteraient ses pensées.

Et cela la terrifiait autant que cela l’enthousiasmait.

« Severus… Je suis en train de tomber amoureuse de toi. » avoua-t-elle, dans un murmure.


Elle parvint presque à voir les boucliers mentaux descendre brusquement derrière ses yeux
pour maîtriser la panique instinctive qui y avait brillé l’espace d’un instant. Il ouvrit la
bouche mais elle plaqua une main sur ses lèvres avant qu’il ait pu dire quoi que ce soit,
soutenant son regard. « Ne me réponds pas maintenant. Je ne veux pas… Je n’ai pas besoin
que tu en sois au même point. Juste… Si jamais tu te rends compte, à un moment, que tu ne
pourras jamais me rendre mes sentiments, j’aimerais que tu me le dises. » Elle fit la grimace,
se forçant à lui faire un clin d’œil, à prendre le ton de la plaisanterie. « De préférence : pas
avant une grosse bataille et pas parce que tu penses que c’est ce qu’il y a de mieux pour
moi. »

Il repoussa les mèches roses qui lui tombaient sur le visage de sa main qui tremblait le moins,
la laissa s’attarder sur sa joue. Elle retira la sienne lentement, lui rendant la parole, retenant
légèrement sa respiration juste au cas où il s’apprêtait à lui briser ce cœur qu’elle avait mis si
longtemps à recoller…

« Tu me rends heureux. » murmura-t-il, un peu mal à l’aise.

Il n’ajouta rien mais, de sa part, c’était déjà une telle confession qu’elle se retrouva à sourire
au point d’en avoir mal. Sachant qu’il n’apprécierait pas davantage d’effusions, elle
l’embrassa peut-être un peu trop fougueusement, se racla la gorge et le lâcha pour placer les
deux tasses de café sur la table de la cuisine.

La pièce n’était pas bien grande mais elle supposait que les cuisines dans les appartements
des Professeurs étaient là davantage pour dépanner que pour être utilisées. Severus était
probablement le seul qui était trop paranoïaque pour autoriser les elfes de maison à pénétrer
dans son antre.

Elle avait à peine bu une gorgée de son café qu’une assiette de toasts lévitait jusqu’à la table,
suivie de beurre et de confiture.

Il n’avait pas pris la peine d’utiliser sa baguette bien qu’elle l’ait vu la glisser dans la manche
de sa robe de chambre un peu plus tôt.

« Frimeur. » l’accusa-t-elle, avec amusement.

« Simple question d’entraînement. » répondit-il, un peu trop humblement pour être sincère.

« Ou de puissance magique. » contesta-t-elle.

Il leva un sourcil, un coin de sa bouche s’étirant légèrement en un demi-sourire de défi. « Ce


dont tu ne manques pas. »

Elle leva les yeux au ciel et avala une deuxième gorgée de café brûlant. « Crois-moi, je suis
suffisamment maladroite avec une baguette. »

« Tu n’es maladroite que lorsque tu es anxieuse. Je ne t’ai jamais vue trébucher lors d’une
bataille. » commenta-t-il, appelant à lui d’un accio, informulé et sans baguette, une fiole de
potion qu’il avala en retenant sa respiration.

« Tu es arrivé à perfectionner la formule ? » s’enquit-elle, changeant le sujet.

Il lui répondit d’une légère secousse de la tête, poussa la fiole désormais vide loin de leur
petit-déjeuner. « Je ne peux demander davantage à Granger et Draco qu’ils ne sont capable de
donner. Ils suivent mes instructions à la perfection mais il m’est difficile d’expliquer des
nuances qui me viennent instinctivement. » Il leva la main qui le gênait particulièrement ce
matin là, la laissa dans les airs quelques secondes, le temps de jauger le niveau de
tremblements. « Il est extrêmement peu probable que mes nerfs se régénèrent jamais
entièrement, toutefois le résultat est encourageant. »

La Marque des Ténèbres ne devait pas aider.


Elle repoussa cette pensée à peine l’eut-elle formulée. Il était évident qu’il ne voulait pas en
parler, ou ne savait pas comment en parler, plutôt, et elle ne voulait pas remettre le sujet sur
le tapis.

Il détourna de toute manière la conversation, utilisant son autre main pour attraper la tasse de
café et la porter à ses lèvres. « Tu ne m’as jamais dit ce que tu avais découvert sur la vampire,
la semaine dernière. »

« La vampire a un nom, tu sais. » le sermonna-t-elle gentiment. « Peut-être que ça se


passerait mieux entre vous si tu l’utilisais de temps en temps. »

« Peut-être devrais-je également prendre une dose de Véritaserum avec mon petit-déjeuner. »
ironisa-t-il, impassible.

Elle attrapa un toast qu’elle beurra distraitement. « Oui, ça, ce n’était pas vraiment subtil.
Mais je ne pense pas que ce soit elle l’espionne. » Elle lui résuma la soirée du vendredi de la
semaine précédente. « Elle pense que c’est toi. Et moi par extension. Que tu m’as ensorcelée
ou fais boire un philtre d’amour… »

« Car un philtre d’amour est évidemment le moyen le plus simple de garder quelqu’un sous
sa coupe. » se moqua-t-il.

« Ça l’est si tu veux coucher avec, je suppose. » plaisanta-t-elle, avant de grimacer. « Cette


conversation devient glauque. Bref, je suis quasiment certaine que ce n’est pas elle. »

« Je préfèrerai me reposer sur des faits ou des preuves que sur ton instinct. » déclara-t-il.

Tonks secoua la tête et finit son café d’un trait. « Tu ne l’as pas vue après la mort de
Fol’Œil… »

« Ils ne se supportaient pas de son vivant. » objecta-t-il.

« Ça ne veut pas dire qu’elle ne l’aimait plus. » insista-t-elle, en beurrant un autre toast
qu’elle lui tendit. « Elle veut le venger. Et puis… Elle sort à peine du Q.G. Et, avant ça, elle a
vécu chez moi pendant des semaines… Quand est-ce que les Mangemorts auraient eu le
temps de l’approcher et de la retourner ? »

Il fusilla le morceau de pain du regard puis finit par le saisir.

Il n’avait rien avalé depuis qu’ils s’étaient assis et elle était prête à parier que c’était parce
qu’il se savait incapable de se servir d’un couteau.

« Rien ne dit qu’ils n’ont pas pris contact avec les vampires avant que l’Ordre ne le fasse. »
contra-t-il.

« Non, c’est moi qui suis allée tenter de recruter les vampires. » répondit-elle. « Leur reine a
été très claire sur le fait qu’ils ne prendraient pas partie. À part ça et prophétiser des histoires
de tigres… »
« De tigres ? » releva-t-il, reposant le toast sur la table après une simple bouchée. « Les
vampires vous ont révélé une prophétie à propos d’un tigre ? »

Elle haussa les épaules, intriguée par l’intérêt prononcé qu’il y prêtait. « Leur reine semblait
persuadée qu’un enfant nous sauverait tous. Harry, je suppose. Elle a dit un truc à propos de
cicatrices et d’un tigre… Je ne m’en souviens pas très bien. Ça n’avait aucun sens. »

Clairement, ça en avait pour lui.

Il se pencha légèrement en avant, capturant son regard avec un insistance à la limite de la


Legilimencie. « Puis-je voir ? »

Elle soupira. « Si ça t’amuse. »

Elle ne lui opposa aucune résistance quand elle sentit son esprit pénétrer le sien, pourtant elle
dût se faire violence pour ne pas dresser ses boucliers. Depuis la fois où Dumbledore avait
effacé ses souvenirs… Elle n’avait peut-être jamais mentionné la chose au Directeur mais elle
n’avait pas oublié pour autant et elle comptait bien le lui faire payer à un moment donné.

« Aussi fascinants que tes projets de meurtres soient… » railla Severus. « Pourrais-tu te
concentrer sur les vampires de sorte que je n’ai pas à fouiller dans tes souvenirs et
accidentellement voir des choses que je ne suis pas supposé voir ? Comme ces multiples
fantasmes d’assassiner Albus, par exemple. »

Elle le fusilla du regard, plus amusée qu’agacée, et se concentra davantage.

Elle sentit sa présence s’accroître brusquement alors que le souvenir lui revenait en mémoire.
Elle se revit dans la forêt avec Fol’Œil, leur rencontre avec Sanguini, le comportement limite
de son mentor avec le vampire… Puis la clairière, la reine qui paraissait à peine quinze ans…

« Son destin est écrit dans les étoiles. » déclara la vampire, la tête tournée vers le ciel, le
visage triste. « Tant de sacrifices sont exigés de lui... Jusqu'au dernier, le plus grand d'entre
eux. »

« De qui parlez-vous ? » demanda-t-elle doucement. Les yeux gris s'ancrèrent aux siens.
Hypnotiques. Elle n'aurait pas pu détourner le regard si elle l'avait voulu.

« Les cicatrices du temps s'ouvriront pour le recracher. » murmura la Reine. « Le vent chante
son nom à qui sait écouter, le tigre a entamé son voyage avec la mort comme gardien. »

Elle sentit comme un écho la déception de Severus. Il se retira de son esprit un moment plus
tard.

« Cette prophétie s’est déjà réalisée. » marmonna-t-il. « Nous sommes revenus de soixante-
quinze. »

Elle ne put cacher sa surprise. « Tu penses que le tigre, c’est Harry ? Un lion, ça aurait été
plus logique, non ? Et puis la mort comme gardien… »
Le Maître des Potions la dévisagea quelques secondes avant de contracter la mâchoire
comme s’il se préparait au combat. « Il est possible que j’ai omis de te révéler quelque chose
d’important que je comptais t’avouer la nuit dernière. À ma décharge, tu paraissais
déterminée à me distraire. »

Elle inclina la tête mais elle était résolue à rester calme quoi qu’il en soit. « Je t’écoute. »

« Il se pourrait, hypothétiquement s’entend, que je sois un Animagus non déclaré. » avoua-t-


il.

Elle parvint à ne ciller que deux fois. « Tu sais que je devrais t’arrêter pour
ça. Hypothétiquement. »

« Tu peux toujours essayer. » la défia-t-il, les yeux brillants de…

Refusant de se laisser distraire aussi facilement, elle croisa les bras devant sa poitrine, un peu
trop consciente qu’elle n’avait pas l’air aussi sérieuse qu’elle l’aurait voulu dans la chemise
trop grande qu’elle lui avait volée. « Et quelle serait hypothétiquement ta forme Animagus ? »

« Un sombral. » avoua-t-il.

« Oh… » lâcha-t-elle, oubliant de faire semblant d’être contrariée. « La mort comme


gardien… »

« Précisément. » Il se pinça l’arrête du nez, les yeux fermés. « Cela ne nous avance donc en
rien. Encore une impasse. »

« Je ne pense vraiment pas que c’est Nyssa. » insista-t-elle. « Le truc… c’est que je ne vois
pas qui d’autre. »

« Nous ne manquons malheureusement pas de suspects. » soupira-t-il, en récupérant ce qui


restait de son toast.

« Ça, c’est ce que tu dis. » contra-t-elle, fatiguée rien que d’y penser. « J’ai filé Fleur une
partie de la semaine sur mes heures de repos et je n’ai strictement rien vu de suspect, à part
son goût en matière de fringues. Charlie et Anthony sont hors de tout soupçon… »

« Personne n’est hors de soupçon, Nymphadora. » l’interrompit-il.

« Charlie ne trahirait jamais l’Ordre du Phoenix. » gronda-t-elle. Elle savait, sans avoir
besoin de vérifier, que ses cheveux menaçaient de virer au rouge. « Je le connais aussi bien
que moi-même, tu vas devoir me faire confiance sur ce point là. Et, à cause du sort qui a mal
tourné, ils ne peuvent pas s’éloigner l’un de l’autre de plus de quelques mètres donc, tu vois,
si Anthony était un Mangemort ou espionnait pour eux, Charlie s’en serait aperçu. »

« Et t’aurait-il averti ? » ironisa-t-il. « Certains sont prêts à l’impensable par amour. Changer
de camp n’est pas si inimaginable. »

L’allusion aux raisons qui l’avaient poussé à quitter les Mangemorts pour l’Ordre était
impossible à rater.
Il avait été nettement plus facile d’aborder le sujet la nuit dernière dans l’obscurité.

En plein jour, à la table du petit-déjeuner, elle ne se sentait pas la force d’inviter le spectre de
Lily Potter à se joindre à eux.

« Je lui confierai ma vie les yeux fermés. » insista-t-elle.

Severus pinça les lèvres avec agacement. « Voilà toute la différence entre nous. Je ne
confierai jamais ta vie à qui que ce soit, encore moins les yeux fermés. »

C’était une sorte de déclaration, supposait-elle, et ça la toucha plus qu’elle ne voulait


l’admettre.

« Tu es agaçant. » râla-t-elle, sans s’empêcher de sourire. « Il faut toujours que tu ais le


dernier mot. »

« Crois le ou non, tu n’es pas la première à m’en faire le reproche. » répondit-il, non sans un
certain amusement. « Néanmoins, je vais te laisser le plaisir d’avoir le dernier mot,
aujourd’hui, car j’ai besoin d’une faveur et de tes talents d’Auror. »

Elle envoya la vaisselle sale dans l’évier d’un coup de baguette. « Dis-moi. »

Si elle avait été chez elle, elle s’en serait tenue là mais Severus étant archi-maniaque, elle fit
l’effort de marmonner le sort qui laverait les tasses et les assiettes.

« J’ai besoin que tu trouves toutes les informations que le Ministère possède sur Tom
Jedusor. » demanda-t-il.

« Et qu’est-ce que j’y gagne ? » plaisanta-t-elle, en croquant dans un bout de pain juste pour
se donner contenance.

Il soutint son regard, soudain un peu gardé, aucune trace de jeu sur son visage. « Quel est ton
prix ? »

Il n’avait pas saisi la plaisanterie, comprit-elle, parce que son esprit était trop Serpentard ou
parce qu’il était trop habitué à un monde où personne ne faisait rien sans rien, même la
personne qui était sensée vous soutenir en dépit de tout. Cela lui brisa un petit peu le cœur.

« Un truc coquin. » Elle profita de la surprise qui s’inscrivit sur son visage pour se lever et
faire le tour de la table. Elle posa la main sur son épaule et se pencha pour murmurer à son
oreille ce qu’elle avait très exactement en tête.

Lorsqu’elle recula et alla s’adosser au plan de travail avec un sourire amusé, il se racla la
gorge, les joues légèrement rouges. « Cela me semble une contrepartie acceptable. »

Elle se mordit la joue pour ne pas pouffer de rire.

Il ne l’aurait probablement pas bien pris.

« Marché conclu. » déclara-t-elle. « C’est qui ce Tom Jedusor ? »


Il lui jeta un regard indéchiffrable. « Le Seigneur des Ténèbres. »

Il lui fallut une bonne seconde pour digérer cette information.

« Ok… » lâcha-t-elle. « On va dire deux trucs coquins, alors. »

Parce que, si elle connaissait le Ministère et son penchant à enterrer les informations qui
fâchent, ça n’allait pas être une partie de plaisir.
The Same Kids Wearing Older Bodies

« When you’re young, you can assume everyone older than you has life figured out.
Once you get command yourself, you realize we’re all just the same kids wearing older
bodies. »

Starsight - Brandon Sanderson

« Lorsqu’on est jeune, on peut croire que tout ceux qui sont plus vieux que nous ont leur
vie bien en main. Lorsque c’est notre tour d’être au pouvoir, on se rend compte que nous
sommes tous les mêmes enfants dans des corps plus âgés. »
Starsight – Brandon Sanderson

Hermione parcourut pour la troisième fois le bout de parchemin, tout aussi perplexe qu’à la
première lecture. La lettre avait visiblement été griffonnée à la hâte ou, peut-être, avec
réticence…

« Autre chose à ajouter ? Granger ? »

La main que Draco posa sur son avant-bras la fit sursauter. Le brouhaha matinal de la Grande
Salle lui revint brutalement aux oreilles comme si un sortilège de silence qu’elle n’avait pas
jeté venait d’éclater. Elle avait été tellement perdue dans ses pensées qu’elle n’avait plus
prêté aucune attention à ses environs, ce qui était une erreur. Vigilance constante, aurait dit
Maugrey. Et Sirius ne cessait de leur répéter quelque chose de similaire.

Elle tentait de s’entraîner à rester perpétuellement consciente de son environnement, un peu


jalouse de la manière dont Harry semblait le faire naturellement, mais se laissait trop souvent
distraire dès lors qu’un livre était ouvert devant elle ou qu’elle planchait sur une question
épineuse.

« Tout va bien ? » insista le Serpentard, sourcils froncés.

« Oui, bien sûr. » mentit-elle, en repliant la lettre avant qu’il ait pu y jeter un coup d’œil.

Elle se força à sourire à Luna qui l’observait avec curiosité, son livre de Potions ouvert
debout entre eux. Elle avait un test plus tard ce matin là, se remémora Hermione, et avait des
questions à leur poser, raison pour laquelle ils s’étaient tous les trois isolés à la table des
Poufsouffles plutôt que de suivre Ron et Blaise vers celle des Serdaigles où les avait
attendues Lavande et les sœurs Greengrass. Harry avait choisi de s’installer à la table des
serpents avec les jumeaux, Ginny et Neville mais un regard dans cette direction lui apprit que
son meilleur ami était plus occupé à remuer son bol de porridge sans en avaler une bouchée
qu’à chahuter avec la même bonne humeur que le reste des Gryffondors.

« Tu as d’autres questions ? » demanda-t-elle à Luna, bien que ce soit Draco qui l’ait aidée
jusque là.

Le hibou était arrivé alors que Luna ouvrait son manuel et Hermione avait été entièrement
absorbée par le contenu de la lettre. Elle avait à peine touché à son assiette.

« Non. Merci. » répondit rêveusement la Serdaigle. « Même si je persiste à penser que de la


poudre de cornes de Jabberwocky serait plus efficace. »

« Excepté que les Jabberwocky n’existent pas. » remarqua calmement Draco, sans aucune
trace de l’impatience qu’Hermione y aurait mis.

Luna ne marqua aucun signe d’irritation. Elle se contenta de le regarder avec ses grands yeux
bleus et de lui sourire comme si elle savait quelque chose qu’il ignorait.

À un autre moment, Hermione aurait probablement soulevé la question du poème de Lewis


Carroll et de comment un Moldu aurait pu entendre ce nom, mais elle était sensiblement
préoccupée à l’instant. Elle effleura la main de Draco pour attirer son attention.

« Il faut que je parle à Ron. On se retrouve en Botanique ? » s’excusa-t-elle.

Il hocha la tête, peu surpris, même si son regard s’attarda sur le papier toujours dans sa main
avec curiosité. « Je suppose qu’il s’agit de quelque chose dont tu n’es pas libre de discuter ? »

Elle fit la grimace mais acquiesça. Puis, elle hésita. « Tu penses que tu pourrais t’assurer
qu’Harry ne nous suive pas ? »

Le Serpentard grogna avec un déplaisir évident. « Tu veux que j’occupe Potter ? Sais-tu à
quel point je déteste passer du temps avec Potter ? »

Elle inclina légèrement la tête sur le côté avec une expression contrariée.

Il s’affrontèrent du regard un moment puis il leva les yeux au ciel.

« Très bien. » capitula-t-il. « S’il le faut. Luna, tu m’accompagnes ? »

La blonde secoua la tête en signe de déni et récupéra son livre. « Je veux relire le chapitre. »

« Je ne peux pas t’en blâmer. » lâcha Draco. « Entre réviser et la perspective d’une fin de
petit-déjeuner avec Saint Potter… »

« Tu as fini, oui ? » grommela Hermione. « Si c’est si terrible de passer du temps avec lui,
pourquoi tu te balades tout le temps dans les couloirs en sa compagnie ? »

« C’est purement politique. » répondit-il, sans même ciller.

Elle n’en croyait pas un mot.


Certes, Harry et lui ne seraient jamais les meilleurs amis du monde mais ils étaient
parfaitement capable d’être civils l’un envers l’autre lorsqu’ils le voulaient. Le problème,
c’était qu’ils adoraient se voler dans les plumes.

Elle lui vola un baiser rapide, ramassa son sac qu’elle jeta rapidement sur son épaule et se
dirigea vers la table des Serdaigles où ses amis l’accueillirent chaleureusement.

« Hermione, assieds-toi et aide-moi à convaincre ces idiots qu’ils n’y connaissent rien en
Quidditch. » exigea Daphné, avec un regard glacial pour son petit-ami. Blaise n’en parut pas
particulièrement affecté.

Ron, pour sa part, avait l’air butté.

Hermione croisa le regard de Lavande qui leva les yeux au ciel avec exagération. Elle avait
toute sa sympathie. Les batailles rangées à propos de Quidditch au petit-déjeuner lui coupait
l’appétit à elle aussi.

« Ron, je peux te parler ? En privé ? » demanda-t-elle.

L’adolescent jeta à son assiette encore à moitié pleine un regard empli de convoitise. « Mais
je n’ai pas fini de manger… »

« C’est important. » insista-t-elle.

Ron soupira mais se glissa pourtant hors du banc. Il récupéra son sac sous la table, attrapa
deux ou trois bouts de pain dans la corbeille, planta un baiser sonore sur la bouche de
Lavande et marmonna qu’il la verrait en Botanique.

« Et pourquoi Harry a le droit de finir son petit-déjeuner, lui ? » se plaignit-il, lorsqu’elle


l’entraîna vers la sortie sans s’arrêter à la table des serpents où Draco venait de s’installer. Il
lui fit un clin d’œil lorsque leurs regards se croisèrent et elle se sentit rougir légèrement. Elle
ne parvint pas à maîtriser son sourire avant qu’ils atteignent le couloir du premier étage où
elle poussa son meilleur ami dans la première salle de classe vide qu’elle trouva.

Elle verrouilla la porte et jeta un sort pour s’assurer que personne ne pourrait surprendre leur
conversation – un sort homologué par le Ministère, qu’elle avait trouvé dans un grimoire de
la bibliothèque en faisant des recherches et pas un sortilège créé par un sorcier qui ne l’avait
jamais ni enregistré au Ministère, ni fait tester plus sérieusement que cela.

« Un assurdiato aurait aussi bien fait l’affaire. » remarqua Ron, en laissant tomber son sac sur
un bureau avant de se percher sur un autre.

Elle résista à la nécessité de lui rappeler, une nouvelle fois, qu’utiliser des sorts non
répertoriés était non seulement illégal mais dangereux.

« J’ai reçu une lettre très bizarre de Remus. » l’informa-t-elle, en tirant le parchemin de sa
poche. « Il dit qu’on doit garder un œil sur Harry, particulièrement avec Snape. »

Elle lui tendit le parchemin et le laissa lire la lettre lui-même, en se tordant nerveusement les
mains.
Lorsqu’il eut terminé, il leva les yeux vers elle puis rebaissa la tête pour la relire une
deuxième fois.

Il avait l’air aussi mal à l’aise qu’elle l’était à cette demande.

« Tu crois que ça a à avoir avec… Tu-sais-quoi ? » hésita-t-il.

« Je ne sais pas. » avoua-t-elle. Mais si l’Ordre du Phoenix était inquiet à propos de la


sécurité Harry, il était logique que Remus leur demande, à eux, d’être vigilent. Ce n’était pas
la partie qui lui posait problème.

Ron poussa un long soupir et replia lentement la lettre en quatre avant de tapoter le morceau
de papier contre sa jambe. « Pourquoi il voudrait qu’on surveille Snape ? Tu-sais-qui l’a à
moitié assassiné. Si on est sûr d’un seul truc, c’est qu’il est de notre côté. Non ? »

Parce qu’elle avait besoin de s’occuper les mains, elle rassembla la masse de boucles qui lui
tombaient sur les épaules en un chignon lâche au sommet de sa tête. « Il peut très bien être
contre Tu-sais-qui sans être une présence bénéfique pour l’Ordre… Ça ne te plaît pas non
plus, l’influence qu’il a sur Harry ! »

L’accusation vola, plus agressive qu’elle ne l’aurait voulu. Cependant, cela faisait des
semaines qu’ils en discutaient à voix basse dès qu’ils étaient sûr qu’Harry n’était pas dans les
parages. Il était indéniable que leur meilleur ami vouait au Professeur une confiance aveugle
et buvait ses paroles sans les remettre en question alors que tout ce que disait ou faisait
Dumbledore paraissait désormais soumis à caution.

« Non, mais… » Ron s’interrompit et se frotta le visage. « Tu sais qu’il va mal le prendre si
on s’en mêle, Hermione. Et, pour être franc… Ce n’est pas comme si j’étais le plus grand fan
de Snape mais… c’est le seul adulte en qui Harry a confiance. »

« Justement. » contra-t-elle. « Remus ne nous avertirait jamais qu’il y a un problème si ce


n’était pas sérieux. La dernière chose dont Harry a besoin c’est d’une autre… déception. Il est
tellement déterminé à l’appeler son père… »

Hermione était partagée. Une part d’elle se réjouissait pour lui, une autre… Une autre se
méfiait.

Rien n’était jamais aussi simple avec Harry Potter.

Ron tapa le parchemin un peu plus fort contre sa jambe, l’air coupable. « Il faut que je te dise
quelque chose. Je ne t’ai rien dit plus tôt parce que… J’attendais qu’Harry nous en parle.
Mais ça fait plus d’une semaine et il n’a toujours pas craché le morceau, alors… »

« Qu’est-ce qu’il y a ? » s’inquiéta-t-elle, en lui arrachant la lettre des mains avant qu’il ne
l’abîme. Elle voulait la relire à nouveau, juste pour être sûre de n’avoir rien raté.

« Tu as remarqué la bague qu’il porte sans arrêt, ces temps-ci ? » s’enquit-il. « Depuis qu’ils
sont partis en mission ? »
Elle dût y réfléchir puis haussa les épaules. « Peut-être ? Je n’y ai pas fait attention. Il a
changé de style depuis la tempête magique. »

Elle s’habituait à peine à l’absence de ses lunettes et cela faisait pourtant des mois qu’il était
revenu. Il se tenait plus droit, prenait plus d’espace, avait davantage de charisme,
commandait l’attention… Parfois, il parlait avec l’assurance légèrement arrogante de tous les
Sang-Purs… On ne pouvait nier que Serpentard l’avait changé. Alors s’il avait décidé de
porter des bijoux désormais… Non, elle n’avait pas fait attention.

« C’est un sceau. » expliqua Ron. « Le même genre que celui que Draco a autour du cou. »

Elle fronça les sourcils, ayant été suffisamment éduquée sur l’importance d’un sceau pour
une famille Sang-Pure par son petit-ami. « Il se balade avec le sceau des Potter au doigt ? »

Comme un puriste ?

Elle ravala à grand peine cette dernière partie qui aurait sonné comme une accusation.

« Celui des Prince. » corrigea-t-il, en se frottant la nuque.

Elle fit immédiatement le lien. « Prince, comme le nom d’emprunt qu’il utilisait en soixante-
quinze ? Comme la famille de Snape ? »

Ron hocha la tête. « Je pense qu’il veut l’adopter. »

« Snape. » lâcha-t-elle. « Snape veut adopter Harry. Légalement. Est-ce que c’est seulement
possible ? Après tout, il est toujours sous la garde des Dursley et Sirius a fait une demande de
tutelle… »

« Je ne sais pas. » avoua Ron. « Mais je suppose que si Sirius est d’accord… »

« Mais Sirius ne sera jamais d’accord. » objecta Hermione. « Ils se détestent. »

Sauf que ce n’était plus si vrai. Elle les avait aperçus à différent endroits de l’école et ils
avaient eu l’air en meilleurs termes. De plus, Snape reprenait progressivement les cours et il
avait annoncé que Sirius resterait en tant que suppléant et assistant… Au lieu d’en prendre
ombrage, l’Animagus avait éclaté de rire comme s’il s’agissait d’une bonne plaisanterie.

« Peut-être que Dumbledore n’est pas ravi par cette idée… » avança Ron. « Et c’est pour ça
que Remus nous demande d’ouvrir l’œil. »

Elle prit le temps de relire la lettre une quatrième fois. Il n’y avait que quelques lignes et rien
de plus qu’elle ne pouvait déchiffrer dans ce qui n’était pas explicitement dit.

« Je n’aime pas la façon dont Snape semble déterminé à le faire douter de Dumbledore. »
soupira-t-elle. « Ou qu’il semble si décidé à empêcher Harry d’endosser son rôle. »

« Oui, mais d’un autre côté… » contra-t-il. « Je ne veux pas me faire l’avocat du diable mais
si j’étais à la place d’Harry, mon père… » Sa voix se brisa et il se racla la gorge, prenant soin
de détourner les yeux. « Il aurait cherché à me protéger aussi. Ça ne veut pas dire que c’est un
complot ou un truc du genre, ça veut peut-être juste dire que Snape fait ce qu’un père devrait
faire… »

Elle ne pouvait nier que ses parents auraient probablement eu la même réaction.

Il était donc possible que Snape essaye simplement de s’assurer de la sécurité d’Harry, même
si cela allait à l’encontre des besoins de la guerre… Il était possible que Snape soit
simplement… un bon père.

« Si Snape veut vraiment l’adopter… Pourquoi ne nous en a-t-il pas parlé ? Pourquoi garder
le secret ? Et si Snape essayait de… de contrôler Harry dans le dos de Dumbledore ? S’il
n’était pas sincère ? S’il avait une idée derrière la tête ? » insista-t-elle. « Et Remus… Je reste
persuadée que Remus ne nous contacterait pas si ce n’était pas important. Dans sa lettre…
C’est évident qu’il se méfie de Snape. »

Et, jusqu’à preuve du contraire, elle faisait davantage confiance à Remus qu’à Snape.

Cela ne l’enchantait pas mais…

« S’il te plaît, ne le dis pas. » plaida Ron, en faisant la grimace.

« Il faut qu’on en parle à Harry. » déclara-t-elle tout de même. « Il faut, au minimum, qu’on
l’avertisse. »

Ron laissa tomber la tête en arrière avec un grognement. « Hermione, il ne va pas nous
écouter et ça va mal finir. »

Il avait raison, elle le savait, mais elle refusait de ne rien faire.

°O°O°O°O°

Harry rangea ses affaires dans son sac, sans parvenir à s’ôter de la tête que Ron et Hermione
lui cachaient quelque chose. Ils l’avaient évité la plus grande partie de la journée tout en le
suivant partout où il allait. Ron paraissait incapable de le regarder en face et Hermione, au
contraire, le dévisageait avec une compassion qui frôlait la pitié.

Il avait passé la moitié du cours de Défense à se demander si ses meilleurs amis avaient
découvert son secret, soupçonnaient l’existence de la part de Voldemort qu’il abritait en lui,
s’ils en étaient dégoûtés ou suspicieux, si…

« Harry. »

Il leva instinctivement la tête à l’appel de son nom, sursautant légèrement lorsqu’il se rendit
compte que Severus se tenait juste devant son bureau, sourcils légèrement froncés. Sirius,
pour sa part, était au fond de la classe et plaisantait avec certains des membres de l’A.D.

Les avoir tous les deux dans une salle de classe était très, très étrange mais, pour le moment,
cela semblait fonctionner. Severus se chargeait de l’aspect théorique et des remarques
sarcastiques tandis que Sirius s’occupait des démonstrations et des encouragements.
« Tout va bien ? » s’enquit le Maître des Potions.

« Euh… Oui. » répondit-il, non sans jeter un coup d’œil furtif à ses meilleurs amis qui
l’observaient sans avoir l’air – et n’était pas très doués pour le subterfuge. À droite
d’Hermione, Malfoy n’avait clairement rien raté de leur manège et paraissait curieux. Leurs
regards se croisèrent. Le Serpentard leva les sourcils en une interrogation muette à laquelle il
répondit d’un haussement d’épaules.

« Ta dernière période est libre, n’est-ce pas ? » insista l’homme.

Harry hocha la tête, tout en fermant son sac. « Remus a annulé l’entraînement cette
semaine. »

La pleine lune approchait et il n’était pas au mieux de sa forme.

« Lupin n’est peut-être pas disponible mais je le suis. » répondit Severus.

Il se sentit immédiatement de bien meilleure humeur.

« Pour un duel ? » voulut-il clarifier, juste au cas où il était question de descendre aux cachots
et de l’aider au laboratoire. Il ne se serait pas fait prier non plus dans ce cas de figure là. Il
appréciait de passer du temps avec Severus, surtout maintenant qu’il ne paraissait plus
d’aussi méchante humeur que la semaine précédente.

« Un duel ou une mise en situation. » suggéra le Professeur. « Je n’ai pas eu l’occasion


d’évaluer tes progrès depuis un certain moment… »

Une mise en situation, c’était encore mieux, songea Harry, en jetant négligemment son sac
sur son épaule. Contrairement à Remus, Severus ne cherchait jamais à le ménager et ça faisait
un moment qu’il n’avait pas véritablement été mis en difficulté.

« La Salle sur Demande ? » proposa-t-il.

Severus inclina la tête en signe d’assentiment et lui fit signe de passer le premier. Harry
s’était depuis longtemps habitué au bruit de la canne qui heurtait les pierres à chaque pas
mais les quelques élèves qui s’étaient attardés dans la classe les regardèrent passer avec des
yeux ronds. Harry les foudroya tous du regard, amis comme les autres.

Neville eut la décence de détourner les yeux en rougissant.

« Tu n’es pas obligé de défendre mon honneur. » ironisa Severus, une fois qu’ils se furent
suffisamment éloignés de la salle classe. « Je suis parfaitement capable de terroriser quelques
adolescents par moi-même, infirme ou non. »

« Vous n’êtes pas infirme et ils sont stupides. » grommela-t-il avec agacement. « Vous êtes
tout aussi dangereux qu’avant. »

Peut-être davantage même, décida-t-il, car, désormais, tout le monde le sous-estimait à cause
de la canne et de ses mains qui tremblaient parfois de manière trop prononcée pour être
dissimulée.
Ce qui lui rappela…

« Hey ! Vous avez un check-up, aujourd’hui. » déclara-t-il, d’un ton légèrement accusateur. Il
en était sûr parce qu’il avait été en train de lire sur le canapé du salon lorsque Pomfresh
l’avait contacté par cheminette pour l’y convoquer et la sorcière n’avait pas eu l’air content.

« Dans une heure. » répondit le Professeur avec un coup d’œil agacé qui cachait mal une
certaine affection. « Ne t’inquiète pas, je compte bien m’y rendre. Minerva me l’a déjà
rappelé quatre fois aujourd’hui. J’ai bien peur qu’elle ne me kidnappe si je m’avise d’oublier
une nouvelle fois. »

Harry baissa la tête pour dissimuler un sourire amusé, sachant pertinemment à quel point
Severus adorait être materné.

« Vous êtes nerveux ? » demanda-t-il, tout de même.

Severus s’était rendu très régulièrement à l’infirmerie après en avoir été libéré mais, ces
dernières semaines, il avait décrété qu’il n’avait plus besoin d’une surveillance aussi poussée.
C’était le premier check-up depuis… Au moins quatre semaines, si Harry n’avait pas perdu le
compte. Et pas parce que Pomfresh avait décidé qu’il n’y avait plus de raison de l’examiner
régulièrement mais parce qu’il oubliait sciemment de se rendre aux rendez-vous.

« Il n’y a aucune raison d’être nerveux. » contra le Maître des Potions, un peu trop
nonchalamment pour qu’il ne soit pas en train d’occluder. « Les choses sont ce qu’elles
sont. »

Harry ralentit automatiquement le pas lorsqu’ils arrivèrent en vu des escaliers, trop conscient
que les montagnes de marches aux quatre coins de Poudlard étaient devenues la bête noire du
Professeur de Défense. Et, de fait, il l’entendit prendre une longue inspiration avant
d’attaquer la première volée de l’escalier.

« Oui, mais, d’habitude, lorsque vous décidez que vous voulez vous entraîner comme ça, sur
un coup de tête, c’est parce que vous êtes sois énervé, soit stressé. » se moqua-t-il à moitié.

« Tu me confonds encore avec mon jeune double. » commenta Severus, avant de lever les
yeux au ciel. « Néanmoins… Il s’avère que Slughorn a finalement accepté de travailler avec
moi et m’a généreusement trouvé un créneau ce soir avant le dîner pour parler de la potion. »

Harry se renfrogna à la mention du Professeur de Potions. Cela faisait des jours qu’il faisait
mariner Severus. Comme si lui demander de l’aide ne lui avait pas déjà suffisamment
coûté…

Quant à l’ironie dans la voix du Maître des Potions, elle était palpable.

« Dumbledore lui a tapé sur les doigts ? » se réjouit-il, probablement avec un peu trop
d’espoir.

« Le Professeur Dumbledore. Et je l’ignore mais il faut croire. » répondit l’homme avec un


plaisir évident. « La diplomatie parait toutefois être de rigueur. » Il marqua une pause, à la
fois pour reprendre son souffle et car il parut hésiter à confier la suite. « On m’a fait
remarquer que je serais sans doute moins enclin à céder à la tentation de sortir ma baguette si
je me défoulais suffisamment auparavant. »

Ce n’était pas faux.

Mais il plaignait la personne qui avait été suffisamment inconsciente pour faire cette
observation à voix haute.

« Sirius ? » devina-t-il, simplement parce que son parrain était suicidaire quand il s’agissait
de tenir sa langue autour de son ancien rival.

Il sut que ce n’était pas Sirius à la manière dont Sev parut réfléchir un peu trop longtemps à
la réponse.

« Nymphadora. » lâcha Severus, un peu brusquement, comme s’il n’était pas certain que
c’était une bonne idée de l’avouer.

Gêné, Harry préféra fixer ses pieds, se concentrant sur les marches parfois inégales. Il était
mal à l’aise et il ne savait pas trop pourquoi. Oui, penser que Severus puisse avoir une vie
romantique était au-delà du bizarre et Tonks était… aux antipodes du genre de femmes qu’il
aurait imaginé avec lui s’il s’y était aventuré. Mais il avait eu le temps de s’habituer à l’idée
et ce n’était plus le choc que cela avait été dans la cuisine du Square Grimmaurd.

C’était juste que…

Son père se racla la gorge, s’appuyant plus franchement sur la canne l’espace d’un moment.
« À ce propos, Harry… »

« Oh, au fait, je voulais vous demander… » l’interrompit-il, espérant sans trop y croire que
l’homme ne détecterait pas la touche de panique dans sa voix. Ce n’était pas qu’il était contre
ou qu’il n’appréciait pas Tonks, mais il ne voyait pas comment cette conversation pourrait ne
pas devenir embarrassante. « Vous pourriez jeter un œil à mon devoir de Potions ? Il y a toute
une partie sur les antidotes… Je ne suis pas sûr de ne pas m’être emmêlé les pinceaux. »

S’il en croyait son regard un peu trop pesant, Severus n’était pas entièrement dupe de son
inquiétude soudaine pour ses devoirs.

« Le programme était bien plus avancé dans le passé. Tu ne devrais avoir aucune difficulté,
particulièrement sur des sujets que tu as déjà étudiés… » lui reprocha le Professeur.

Harry haussa les épaules, en se composant une expression qu’il espérait innocente.

L’homme laissa échapper un long soupir exaspéré. Ou qui se voulait exaspéré. L’affection
était suffisamment perceptible dans ses yeux noirs pour que l’adolescent n’en doute pas.

« Très bien. » capitula Severus. « Je lirai ton devoir de Potions. Et nul doute que je
souhaiterai m’arracher les yeux. Ou les tiens. »
La menace sonnait creux et Harry ne retint pas un éclat de rire, heureux de ce moment de
normalité qui, il le savait, se faisait trop rare. La guerre, à l’extérieur, empiétait sur le
quotidien et il était agréable, pour une fois, de se chamailler à propos d’un devoir. Cela lui
rappelait soixante-quinze.

Et soixante-quinze lui manquait un peu trop parfois.

Pas seulement la simplicité avec laquelle ils avaient pu afficher leur lien familial – Harry
n’était pas aveugle et chaque groupe d’élèves qu’ils avaient croisés sur le chemin de la Salle
sur Demande les avait dévisagés comme s’il était complètement aberrant de voir le Survivant
avec Severus Snape – mais tout le reste : Severus, Lily, la banalité du quotidien…
L’insouciance.

Il n’eut pas conscience de s’être enfermé dans un silence pensif jusqu’à ce qu’une main lui
serre gentiment l’épaule.

Severus ne prononça pas un mot, comme s’il savait déjà vers quels souvenirs Harry s’était
laissé aller à penser. Lui aussi tomba dans un silence méditatif.

Ils ne s’adressèrent plus la parole jusqu’à ce qu’ils atteignent la Salle sur Demande mais ce
n’était pas un silence gêné ou tendu, c’était familier et réconfortant. Ce fût lui qui fit
apparaître la pièce et, sans savoir pourquoi, il demanda à Poudlard de faire réapparaitre le
décors dans lequel Sirius les entraînait actuellement pendant l’A.D.

Il avait à peine fait deux pas dans la reproduction de la ruelle Londonienne, avait à peine
ouvert la bouche pour lui expliquer le fonctionnement de l’exercice, lorsque son instinct le fit
pivoter brusquement. Il parvint à peine à dresser un bouclier à temps pour parer le maléfice
que lui avait envoyé Severus.

« Serpentard. » l’accusa-t-il, en souriant pourtant.

Remus refusait toujours de l’attaquer dans le dos ou sans l’avertir au préalable parce qu’il
craignait qu’Harry se blesse accidentellement. Ou, plutôt, parce qu’il ne pensait pas Harry
capable de remporter un véritable duel contre lui.

Ce qui était aussi rageant qu’insultant – et un tantinet risible.

« Montre-moi ce que t’ont enseigné tes lions. » exigea Severus, avant de l’attaquer sans plus
d’avertissement.

Harry se lança à corps perdu dans le duel, parant, bloquant et répliquant avec abandon.

Il fuit lorsqu’il perdit un peu trop la main, cherchant un endroit qui lui donnerait l’avantage.

Severus ne se donna pas la peine de lui courir après. Harry finit par se tapir derrière une
grosse poubelle, tendant l’oreille avec attention. L’ancien Mangemort était extrêmement
silencieux mais sa canne battait régulièrement les pavés, trahissant sa présence.

Harry attendit patiemment le moment opportun, retenant presque sa respiration.


Lorsqu’il entendit le Professeur se rapprocher suffisamment, il leva sa baguette.

« Obscuro Totalum. » souffla-t-il, aussi silencieusement que possible. Il maîtrisait quelques


informulés, mais pas celui là.

L’obscurité s’abattit, si complète qu’il aurait été incapable d’apercevoir sa main s’il l’avait
agitée devant son visage. Le bruit de la canne de Severus s’interrompit et Harry laissa un
sourire satisfait étirer ses lèvres.

McGonagall ne cessait de lui répéter que la raison pour laquelle il ne parvenait pas à se
transformer entièrement était parce qu’il cherchait à métamorphoser chaque partie
individuelle de son corps au lieu d’y penser comme à un ensemble. Mais même une
transformation incomplète avait ses avantages.

Armé de ses oreilles de tigre qui percevaient bien mieux les bruits que celles d’un humain,
d’une patte griffue et d’yeux félins qui n’avaient aucun mal à percer l’obscurité presque
solide, il se glissa hors de sa cachette et se rapprocha de sa proie.

Severus n’était pas resté exposé. Se sachant passé de chasseur à chassé, il avait trouvé refuge
derrière le coin d’une rue parallèle et si les marmonnements que l’adolescent percevaient
étaient exacts, paraissait essayer de lever le sortilège sans y parvenir.

Harry n’était pas peu fier de sa trouvaille. Il la trouvait… inspirée.

Il prit son temps pour trouver un chemin détourné qui l’amènerait derrière Severus, n’hésita
qu’une poignée de secondes avant de lancer un sortilège qui fit voler sa canne au loin… Le
Professeur avait déjà pivoté avant même que la canne n’heurte le sol, un sort quittant sa
baguette dans la direction exacte d’où se tenait Harry.

À croire que lui aussi voyait dans le noir.

Harry esquiva en se jetant sur le côté, sans parvenir à véritablement se rattraper, déséquilibré
par la lourde patte de tigre qui remplaçait son bras.

Vraiment, le plan avait été parfait.

S’il avait pris en compte ce que se battre avec un seul bras et un poids mort au bout de
l’épaule aurait comme conséquences…

Sev avait un sixième sens lorsqu’il s’agissait de déterminer où étaient les gens dans le noir. Il
avait forcé Harry à s’entraîner les yeux bandés de trop nombreuse fois et s’était soumis lui-
même à des exercices similaires.

Décidant que l’obscurité n’était plus l’avantage qu’il l’avait souhaité, yeux de félin ou pas,
Harry marmonna le contre sort.

Qui ne fonctionna pas.

Il tenta de dissiper à nouveau le sortilège et échoua à parer à temps l’incarcerem qui l’envoya
voler au sol un peu plus loin, la respiration coupée.
« Harry ? » s’inquiéta Severus, probablement parce qu’il avait laissé échapper un feulement
de douleur.

Un feulement.

Il faudrait qu’il en parle à McGonagall.

« Ça va. » promit-il en se trémoussant pour essayer de défaire les liens qui l’emprisonnaient.
La patte de tigre était très, très mal positionnée, pas du tout faite pour être attachée à un corps
humain et… Cela faisait très, très mal. Il n’était pas certain que son épaule n’allait pas se
déboîter. « Vous pourriez me libérer, s’il vous plaît ? »

Il dût échouer à garder sa voix impassible parce que Severus murmura immédiatement le sort
qui fit disparaître ses liens. « Es-tu blessé ? »

« Non, non… » répondit-il, un peu honteux. « C’est juste que j’étais à moitié transformé et ce
n’était pas ma meilleure idée. »

Il se remit sur ses pieds et massa son épaule douloureuse.

« Ah… D’où l’obscurité… L’idée avait son potentiel. » commenta le Professeur. « Quel sort
as-tu utilisé ? Je ne parviens pas à l’annuler. »

Et il en semblait très contrarié.

En d’autres circonstances, Harry s’en serait probablement amusé. Étant donné qu’il n’y
arrivait pas non plus, il grimaça, sachant que Sev ne pourrait pas le voir.

« Une variante d’obscuro ? » hésita-t-il.

Il y eu un moment de silence.

« Et où as-tu déniché cette… variante ? » siffla trop doucement le Maître des Potions avec
une suspicion évidente.

« J’ai vu Sev expérimenter avec des sortilèges pendants des mois. » se défendit-il. « Vous le
faites tout le temps. »

Il n’avait pas besoin de ses yeux de chats pour savoir que l’homme était en train de lever les
yeux au ciel.

« Est-il nécessaire que je me lance dans un long monologue destiné à te rappeler à quel point
ce genre d’expériences peut être dangereux ? » grinça son père.

« Toujours moins dangereux que lorsque vous éventriez une gourde pour tester le
Sectumsempra. » marmonna-t-il entre ses dents.

« Plaît-il ? » demanda Severus, toujours avec cette douceur dangereuse.


« Rien, rien… » répondit-il hâtivement. « Videri Totalum. » L’obscurité demeura, presque
oppressante. Harry soupira. « Le contre sort fonctionne une fois sur trois. »

« Probablement parce que tu utilises le nom latin et non le verbe. Ce genre de sortilège
demande une commande active et non passive. » ironisa Severus. « Vide Totalum. » Les
ténèbres s’estompèrent lentement, révélant le Professeur qui l’observait avec une expression
impassible. « J’ignorais que tu t’intéressais à la création de sortilèges. »

Harry haussa les épaules et le regretta immédiatement. Avec une grimace, il se massa à
nouveau celle qui était douloureuse, peu surpris lorsque l’homme franchit la distance entre
eux en quatre enjambées rapides si ce n’était légèrement claudicantes, et poussa sa main pour
la remplacer par la sienne. Le Professeur tâta l’articulation douloureuse, jeta deux sorts de
diagnostic…

« Utiliser ta forme Animagus peut être un réel avantage mais, en l’état, je t’interdis de t’en
servir excepté si tu n’as pas d’autres choix. » le sermonna Sev. « Particulièrement en combat
rapproché. Une transformation incomplète te laisse trop vulnérable. »

« Désolé. » marmonna-t-il, parce qu’il savait qu’il n’était pas censé s’entraîner à se
transformer hors de la présence de McGonagall. Ce qui ne l’empêchait pas de le faire bien à
l’abri dans son dortoir, cela dit.

« Mis à part cela, tes réflexes sont excellent. » admit Severus. « Et ce sort pourrait s’avérer
utile. » Il lui lâcha l’épaule, ayant visiblement déterminé qu’Harry ne s’était pas sérieusement
blessé, et leva un sourcil. « Néanmoins, ce n’est pas parce que j’étais inconscient durant mon
adolescence que tu dois en faire de même. Expérimenter avec des sortilèges peut être
dangereux… »

« Je sais. » soupira-t-il. « C’est juste que Flitwick nous a parlé des familles de sortilèges et de
comment certains sont des variantes d’autres sorts et… ça m’a intrigué. »

« Il n’y aucun mal à être intrigué. Ou à pousser la curiosité aussi loin que tu le peux sur le
plan académique. » contra le Maître des Potions. « Cependant… Si tu souhaites mettre la
théorie en pratique, je préfèrerai que tu approches d’abord un adulte. » Il plaça à nouveau sa
main sur son épaule et se racla la gorge, un peu mal à l’aise. « Le Severus que tu as rencontré
dans le passé n’avait personne qui se souciait de lui, Harry. Je pense avoir clairement établi
que s’il t’arrivait quelque chose, j’en serais extrêmement contrarié. »

Harry ne chercha pas à retenir son sourire.

« Je ne le ferai plus, papa. » promit-il.

Severus se détendit considérablement, lui serra l’épaule une dernière fois avant de le lâcher et
de se détourner, ouvrant la marche vers la sortie – et ramassa sa canne au passage.

« Je suis heureux de constater que Lupin n’a pas réussi à te bourrer le crâne de notions de
noblesse. » railla l’homme. « Arracher sa canne à un invalide ? Voilà une manœuvre
entièrement Serpentarde. »
« Vous n’êtes pas vraiment invalide. » remarqua-t-il.

Il avait été entièrement conscient que la perte de la canne, ce jour là, ne l’affecterait pas des
masses. Il était devenu un expert lorsqu’il s’agissait de déterminer si Severus souffrait ou pas,
si sa jambe le ralentissait, s’il pouvait utiliser ses mains ou non…

« Cela n’enlève rien à sa sournoiserie. » répliqua Severus, en ouvrant la porte. Il la tint béante
le temps qu’Harry récupère le sac qu’il avait abandonné à l’entrée et sorte le premier. « Plus
sérieusement… Ton niveau est excellent, je n’ai pas grand-chose à te reprocher, mais je ne
constate aucune véritable évolution. Lupin t’a-t-il seulement enseigné quoi que ce soit
d’utile ? »

Il soupira et ajusta son sac sur son épaule toujours douloureuse. « Honnêtement ? Pas
vraiment. C’est une perte de temps. Et ce n’est pas parce que ce n’est pas un bon enseignant
ou parce que c’est un mauvais combattant… Mais il faut toujours tout faire dans les règles,
respecter un code moral, discuter pendant cent ans de la nécessité d’utiliser tel ou tel maléfice
plutôt qu’un sort moins inoffensif… »

« J’en toucherai deux mots au Professeur Dumbledore. » offrit le Maître des Potions, avec
une contrariété évidente. « Il est inutile de surcharger ton emploi du temps avec des leçons
particulières qui ne t’apportent rien. »

« C’est beaucoup plus intéressant de m’entraîner avec Sirius. » glissa-t-il. « Il est moins à
cheval sur ce qu’il est moralement bon de faire. »

Ils prirent tacitement la direction de l’infirmerie, étant donné qu’on approchait de l’heure du
rendez-vous de Severus. Ils marchaient cependant sans se presser.

« Black peut se monter très imprévisible, ce qui est un avantage sur un champ de bataille. »
acquiesça l’homme. « Il sait s’adapter à toute situation. Plus tard, lorsque tu maîtriseras ta
forme Animagus, il pourra t’apprendre comment t’en servir en situation de combat. »

Harry lui jeta un regard amusé. « Je ne m’y ferai jamais, vous savez. À vous entendre
complimenter Sirius, je veux dire. »

Ce fût au tour de Sev de pousser un soupir las. « Crois-moi, moi non plus. » L’homme
marqua une pause. « Je suis heureux que tu sois parvenu à dépasser ce qui s’est passé en
soixante-quinze et à renouer avec lui. »

L’adolescent hésita un moment, puis haussa les épaules. « Vous aviez raison. Ce n’était pas
vraiment lui… Et si vous pouvez lui pardonner… »

« Je ne dirai pas que je lui ai pardonné quoi que ce soit. » marmonna Sev, presque trop bas
pour qu’Harry l’entende.

« Ce n’est pas tout à fait pareil qu’avant entre nous. » continua-t-il. « Mais qu’est-ce qui l’est,
de toute manière ? »
L’amertume devait percer un peu trop clairement dans sa voix parce que le Professeur fronça
les sourcils et s’immobilisa. Ils étaient dans un couloir du cinquième étage et Harry s’arrêta,
lui aussi, par réflexe, se tournant pour faire face au sorcier.

Ils n’étaient pas bien loin d’une fenêtre où la pluie battante frappait la vitre sans discontinuer.
L’orage avait dû éclater lorsqu’ils étaient dans la Salle sur Demande parce que le ciel était
désormais strié d’éclairs, la luminosité était médiocre et l’ambiance dans les couloirs un petit
peu glauque.

« Veux-tu bien me confier ce qui ne va pas ? » exigea son père, avec un regard un peu trop
perçant. Ce fût un réflexe de raviver les flammes de ses boucliers, non pas qu’il soupçonnât
que Severus se servirait de Legilimencie, mais… « Tu étais distrait la moitié du cours de
Défense. »

Harry soupira, souhaitant, non pour la première fois cette année là, que l’homme soit un peu
moins observateur. « C’est rien. »

« Ce n’est jamais rien, avec toi. » insista Sev, non sans un certain amusement. « Ou, plutôt, ce
n’est rien jusqu’à ce que tu te retrouves en danger de mort. »

Il leva les yeux au ciel, ce qui lui valut un regard désapprobateur. Il poussa un nouveau soupir
et se rapprocha de la fenêtre qui donnait sur une des cours intérieures. Elle était vide, étant
donné le temps, et cela ne lui apporta pas la distraction qu’il cherchait.

« Harry. » hésita Severus. « Si ce qui te perturbe est en rapport avec… »

L’homme laissa sa phrase en suspens, comme s’il n’était pas certain de comment la terminer.

Harry devina sans mal qu’il pensait à l’Auror-qu’il-refusait-de-mentionner.

Ou bien peut-être que c’était lui qui faisait une obsession de cette histoire et que Severus
pensait aux horcruxes.

« Hermione et Ron sont bizarres, aujourd’hui. » lâcha-t-il. « Et… Il y a des moments où tout
est facile entre nous, comme avant, et d’autres jours où c’est… bizarre. Comme si on ne se
comprenait plus. Comme si tout était différent, comme si on était trop différents. » Il prit une
longue inspiration, garda les yeux rivés sur la cours en contrebas. « Et Sev et Lily me
manquent. »

Severus le rejoignit lentement près de la fenêtre, un masque impassible sur le visage.

« Je n’ai malheureusement pas de réponses ou de conseils à t’offrir sur le sujet. » avoua


l’homme. « Je ne peux nier que j’ai moi-même l’impression que nous sommes revenus dans
un monde complètement différent de celui que nous avons quitté. »

« Peut-être qu’on est pas revenus dans la bonne réalité, finalement. » commenta-t-il, sans trop
d’espoir.

« Ou, peut-être, avons-nous autant changé que le reste du monde ? » suggéra Severus
patiemment.
« Ce n’est pas que leur faute à eux. Je ne sais plus comment leur parler. » concéda-t-il.

« Je ne prétends pas être un expert en matière d’amitié mais l’on m’a récemment fait
remarquer que discuter de problèmes et trouver des solutions ensemble étaient un pas dans la
bonne direction. » conseilla son père.

Les lèvres d’Harry s’étirèrent légèrement malgré lui. « Tonks ? »

Severus endossa son expression la plus offusquée. « Black. »

Tous ces gens qui osaient braver la colère de Severus Snape pour lui prodiguer conseils et
vérités, songea Harry. Oui, le monde avait bel et bien changé.

« Vous allez être en retard. » remarqua-t-il, en jetant un coup d’œil à sa montre.

« Poppy survivra. Il y a parfois plus important qu’être ponctuel. » répliqua l’homme.

« Je saurais m’en rappeler la prochaine fois qu’on a Défense. » plaisanta-t-il. Il était évident
que Sev ne trouvait pas ça très drôle alors il haussa les épaules, son sourire moins forcé qu’il
ne l’aurait pensé. « Je vais bien, promis. Vous voulez que je vienne avec vous ou… »

« Je suis encore capable de me rendre à un rendez-vous médical sans personne pour me tenir
la main malgré ce que vous semblez tous penser. » railla Severus.

Harry leva les sourcils et l’observa avec amusement. « C’est parce qu’on vous connait. »

°O°O°O°O°

L’orage éclata juste au moment où Albus atteignait la lisière de Pré-au-Lard, reflet si soudain
de son humeur qu’il ne fût pas certain, l’espace d’un instant, de ne pas l’avoir
accidentellement déclenché.

Les mots d’Abelforth lui résonnaient encore aux oreilles, secs et blessants.

Aller trouver son frère avait été son erreur, songea Albus, sans s’embarrasser de jeter un sort
qui repousserait la pluie. Ses robes de velours s’alourdissaient à chaque pas, à mesure que
l’orage torrentiel le trempait un peu plus, mais il accueillit l’inconfort presque avec
soulagement. Dans sa poche, son poing était étroitement serré autour de la pierre sombre et
lisse qui paraissait toujours anormalement froide.

À ses côtés, Arianna peinait à suivre son allure mais Albus ne ralentit pas, sachant que sa
sœur ne se perdrait pas quoi qu’il en soit. La pierre ne le permettrait pas. Tant qu’il souhaitait
manifester sa présence…

Ce n’était pas contre nature, contrairement à ce qu’Abelforth lui avait craché au visage
lorsqu’il lui avait révélé la pierre avec une excitation à peine contenue. Certes, ce n’était pas
entièrement naturel mais Arianna ne souffrait pas et n’avaient-ils pas mérité une opportunité
de faire leurs adieux ? C’était cette chance qu’il avait voulu offrir à son frère.

Il aurait dû savoir qu’Abelforth n’apprécierait jamais aucun de ses efforts.


L’accuser de retomber dans ses vieux travers…

Le toupet !

Certes, Albus était désormais en possession de deux Reliques et, certes, il sentait à nouveau
la même excitation qu’il avait éprouvé dans sa jeunesse mais cela n’avait rien à voir avec les
Reliques et davantage à voir avec…

Il atteignit les grilles de l’école qui s’ouvrirent sur son passage sans qu’il ait à seulement les
toucher ou à y penser. Elles se referment brutalement dans son dos dans un fracas assourdi
par la tempête. Il s’engagea sur le chemin de terre désormais boueux qui serpentait vers le
château, Arianna toujours à ses côtés, ses grands yeux tristes rivés sur lui.

Il l’ignora.

Abelforth avait tort et il était ingrat.

Si leurs positions avaient été inversées, Albus aurait pleuré de gratitude à l’opportunité de
revoir leur sœur, d’implorer son pardon…

Abelforth avait toujours accusé Albus de son meurtre.

Et Albus… Albus était persuadé que c’était Gellert qui…

Mais la vérité, la vérité dérangeante qu’Abelforth préférait oublier, était qu’ils avaient été
trois, ce jour fatidique, et qu’Abelforth avait tout aussi bien pu être responsable que lui ou
Gellert.

Ils n’auraient jamais la réponse à cette terrible question.

Il avait étudié son propre souvenir dans sa pensine des milliers de fois, s’était torturé jusqu’à
en avoir mal à vouloir en mourir, mais il n’était jamais parvenu à une véritable conclusion.
Tout s’était passé trop vite. Sa propre mémoire n’était pas fiable.

Et ce jour là lui avait déjà tellement coûté…

La véritable culpabilité, celle qui le rongeait comme un acide depuis tant de décennies, n’était
pas seulement l’idée qu’il ait été responsable de la mort d’une sœur dont il avait parfois perçu
l’existence comme un boulet à son pied, songea-t-il en poussant les grandes portes du
château, mais de ce sentiment de nostalgie dont il n’était jamais parvenu à se débarrasser.

Il y avait eu d’autres hommes.

Certains étaient même parvenus à faire battre son cœur un peu plus vite pendant quelques
temps.

Il n’en avait jamais aimé aucun avec le même abandon, la même passion, qu’il avait éprouvé
pour Gellert.

Et si Arianna n’était pas morte ce soir là…


Il avait sacrifié son grand amour. Il avait sacrifié son grand amour au souvenir d’une sœur
qu’il avait chéri et Abelforth osait…

Il ignora Argus qui marmonna quelque chose à propos des traces de boues sur son passage,
ignora les élèves qui le regardaient avec des yeux écarquillés alors qu’il traversait le hall
d’entré d’un pas vif, presque agressif, sa silhouette illuminée par les éclairs qui striaient le
ciel dans son dos.

Il n’était jamais parvenu à se défaire de cet amour, pas même lorsqu’il s’était érigé en son
plus grand ennemi. Au fond, se dresser contre Gellert avait été une manière de continuer à…

L’adolescent le percuta de plein fouet, mettant un terme à un train de pensées dangereux.


Albus aurait peut-être perdu son calme légendaire, trop profondément centré sur ses propres
tourments, si des yeux verts un peu choqués n’avaient croisé les siens.

Comme un rappel du destin.

Comme un rappel à la raison.

« Harry. » dit-il, un peu mollement. Le garçon l’avait heurté avec tellement de violence qu’il
en était tombé au sol.

« Désolé. » offrit l’adolescent. « Je ne vous avais pas vu. »

Étant donné l’allure à laquelle Albus s’était déplacé, ce n’était pas bien étonnant.

Il tendit la main au garçon pour l’aider à se relever. « C’est moi qui te présente mes excuses.
J’ai bien peur de n’avoir prêté absolument aucune attention à ce qui m’entourait. »

Harry balaya ses excuses d’un haussement d’épaules mais fronça les sourcils. « Tout va bien,
Professeur ? Vous avez l’air… »

L’adolescent était trop poli pour terminer sa phrase.

Albus mesura pourtant ce qu’il ne se décidait à dire. La scène avait attiré un petit public
d’élèves qui les observait sans avoir l’air. Et c’était bel et bien une scène car le Directeur de
Poudlard ne traversait pas souvent les couloirs au pas de charge, ses robes, cheveux et barbes
trempés par la pluie, les ourlets couverts de boue, et une expression furieuse sur le visage.
Les enfants autour d’eux le dévisageaient avec crainte, appréhendant sans doute une nouvelle
catastrophe…

Il fit un effort pour détendre ses traits, pour sourire.

« Je me suis trouvé pris sous l’orage, ce qui m’a mis de méchante humeur, à ma grande
honte. » déclara-t-il, suffisamment fort pour être entendu de tous. « J’étais fort pressé de me
changer. »

Harry le regardait comme s’il n’était pas tout à fait certain qu’Albus n’avait pas sombré dans
la folie. « Et, euh… Un sortilège pour vous sécher ? »
Il cilla comme si l’idée était brillante et qu’il ne l’avait pas eue avant. « Une excellente
notion, Harry. Cinq points pour Gryffondor. »

Il agita la main négligemment et ses robes redevinrent sèches et propres. La boue disparut
également du sol qu’Argus était en train d’éponger.

Les élèves commencèrent à se disperser lentement, riant légèrement sous cape à son
comportement un peu loufoque.

Harry resta là où il était, à le dévisager avec attention. « Est-ce qu’il s’est passé quelque
chose ? »

« Non. » le rassura-t-il, avec un long soupir. « Contrariété toute personnelle. » Il observa


l’adolescent qui paraissait, lui aussi, un peu abattu. « Voudrais-tu prendre une tasse de thé ? »

Un peu de compagnie lui ferait du bien, décida Albus, en jouant avec la pierre dans sa poche.
Arianna s’était éloignée, l’air triste. Il s’était trop enfermé avec des fantômes récemment.
Peut-être était-il temps de rejoindre les vivants.

Le garçon hésita un peu, probablement parce que Severus n’approuvait pas leurs tête-à-tête,
puis finit par accepter d’un hochement de tête. « Pourquoi pas ? »

°O°O°O°O°

Severus attaquait le sol de sa canne avec, peut-être, un peu trop d’impatience et d’irritation. Il
ne parvenait pas à s’ôter de la tête que tout ceci était une perte de temps.

Il était plus que capable de jauger ses propres progrès, de surveiller son état de santé par lui-
même et de s’assurer que de nouvelles séquelles ne se présentaient pas de manière
impromptue.

Apparemment, personne ne partageait son avis sur la question, ce qui était vexant.

Poppy l’avait accusé d’être son pire patient.

Ce fût en se remémorant cette remarque précise qu’il pénétra dans l’infirmerie avec pertes et
fracas, ouvrant les doubles portes d’un geste théâtral qui aurait eu plus d’impact si la pièce
n’avait pas été entièrement vide. Pas même un première année à impressionner.

« Poppy ! » aboya-t-il avec mauvaise humeur, en direction du bureau de l’infirmière dont la


porte était ouverte.

Il se dirigea vers le lit le plus proche, se faisant violence pour ne pas boiter ne serait-ce que
légèrement.

« Êtes-vous toujours aussi impoli, Severus ? » rétorqua une voix désormais familière.

Il se tourna dans un élan de surprise, retenant juste à temps un réflexe instinctif de faire un
pas en arrière et de sortir sa baguette lorsqu’il aperçut la sorcière qui se tenait sur le seuil du
bureau de Poppy.
La ressemblance avec Bellatrix était frappante.

Il renforça ses boucliers mentaux, s’efforçant de rester impassible et de ne pas céder aux
souvenirs invasifs, de ne pas revivre la dernière fois où il avait vu Bellatrix, à la douleur
qui…

« Andromeda. » la salua-t-il d’un hochement de tête. « J’ignorai que Poppy avait de la


visite. »

La Médicomage approcha, une expression amusée sur le visage qui cachait mal une certaine
détermination. « Ce n’est pas Poppy qui a de la visite, c’est vous. On m’a dit que vous ne
vous présentiez pas suffisamment régulièrement pour vos check-ups. N’avons-nous pas été
claires lorsque nous vous avons autorisé à quitter l’infirmerie ? »

Severus serra les dents.

En temps normal, il n’aurait eu aucune hésitation à remettre en place la Médicomage, en lui


rappelant qu’il n’était pas exactement étranger aux sorts de soin, que s’il n’avait pas
poursuivi dans la voie médicale, son parcours de Maître des Potions l’avait emmené à faire
un détour dans l’art de la médecine et que, vraiment, il y avait suffisamment de sorcières plus
âgées qui se prenaient pour des mères poules dans sa vie actuellement.

Mais Andromeda était la mère de Nymphadora et cela compliquait légèrement la situation.

« Asseyez-vous. » ordonna-t-elle, en sortant sa baguette.

Il obéit à son injonction, tendu à l’extrême car il avait toujours détesté se trouver à la merci
d’une baguette quelconque. Elle jeta une panoplie de sorts de diagnostics classiques et fit la
moue lorsqu’elle en obtint les résultats.

« Votre tension est trop élevée. » commenta-t-elle. « Nous n’allons même pas discuter du fait
que je vous avez demandé de vous ménager. Poppy me dit que vous avez repris le travail ? »

« En début de semaine. » confirma-t-il. « Avec un assistant. »

Black grommelait à chaque fois qu’il le qualifiait de la sorte, ce qui le poussait à utiliser le
terme aussi souvent que possible.

« Et comment vous sentez-vous globalement ? » demanda-t-elle, en jetant un sort un peu plus


précis.

« Très bien. » répondit-il, aussi plaisamment que possible, espérant expédier la chose.

Elle leva ses sourcils, absolument pas dupe de son petit jeu. « Continuez-vous les exercices
que je vous ai montrés ? »

Il acquiesça puis, décidant qu’elle n’abandonnerait pas tant qu’il n’aurait pas avoué un
minimum, il se racla la gorge et soupira. « Ma jambe est plus ou moins raide, suivant les
jours. »
Elle étudia le résultat du diagnostic puis, après avoir quêté son approbation du regard, palpa
sa jambe.

« Les muscles sont très crispés. » remarqua-t-elle, en fronça les sourcils.

« Je sors d’un entraînement de Défense. » admit-il.

« Précisément ce que je vous avez défendu, donc. » Elle émit un bruit plus amusé que
désapprobateur. « En règle générale, en dehors d’un exercice physique intense, s’agit-il plutôt
d’une gêne ou de douleur ? »

« De la gêne. » offrit-il. « Elle me fait surtout souffrir si je m’active beaucoup. »

« Et il est inutile de vous prescrire plus de repos, étant donné que vous n’en ferez qu’à votre
tête, Poppy m’a bien prévenue. » railla-t-elle, pince-sans-rire mais toutefois sérieuse. « Pour
l’instant, je vous conseille une potion antidouleur légère si la douleur est importante. Je ne
vous fais pas l’affront de vous prescrire un dosage, vous êtes plus qu’amène à jauger par
vous-même. Toutefois, si la situation s’aggravait et que la douleur persistait même au repos,
recontactez-moi et nous réévaluerons la chose. N’attendez pas que cela devienne un
problème avant de vous manifester. Montrez-moi vos mains. »

Elle lui fit lever les mains et les laisser en l’air quelques minutes le temps d’évaluer les
tremblements sous l’effort, les lui fit tourner et retourner, plier et déplier les doigts, jeta
plusieurs sorts complexes afin d’évaluer l’état de ses nerfs…

« Quand pensez-vous que le prototype de votre potion sera prêt à être présenté au comité des
Maîtres des Potions ? » s’enquit-elle.

« Ma potion ? » répéta-t-il, feignant la confusion.

Elle lui jeta un regard fort peu amusé. « Je ne suis pas aussi stupide que j’en ai l’air, Severus.
Lorsque vous vous êtes réveillé, vous réclamiez à corps et à cris une potion que vous étiez en
train de développer et qui avait pour but de soigner les lésions nerveuses provoquées par
l’Endoloris. Mon pronostic à propos de vos main était loin d’être optimiste et vous voilà,
aujourd’hui, avec des lésions pratiquement cicatrisées et bien plus résorbées que ce que
j’escomptais. Le lien n’est pas très difficile à faire. »

Il la dévisagea quelques secondes puis détermina qu’il serait ridicule de nier. « La formule
n’est pas encore parfaite. »

« Elle révolutionnerait pourtant la vie de nombreux patients de Sainte Mangouste, même en


l’état. » remarqua-t-elle.

Il secoua la tête. « Je pense qu’elle est plus efficace prise immédiatement après l’exposition à
l’Endoloris. Je ne suis pas certain qu’elle aurait un quelconque effet sur quelqu’un qui en
aurait été victime il y a des mois ou des années. »

« Vous ne constatez plus d’amélioration. » devina-t-elle.


« L’amélioration était évidente durant les premiers jours et est, plus ou moins, restée
constante, les premières semaines. » expliqua-t-il. « À présent, elle est minime. Ma main
gauche est en meilleur état que ma main droite, j’en ai peur. »

Ce qui était ironique étant donné que la Marque rendait parfois son bras difficile à bouger.

« Vous n’avez pas été simplement soumis à l’Endoloris, Severus. » lui rappela la
Médicomage, avec plus de douceur. À cet instant, elle ressemblait davantage à sa fille qu’à sa
sœur et il détourna le regard, un peu mal à l’aise. « Vos blessures étaient plus importantes du
côté droit, cela a aggravé les effets de l’Impardonnable. » Elle marqua une pause. « Je vais
êtes honnête, aussi impressionnante que cette potion soit et aussi miraculeux que semble
votre rétablissement jusque là, je pense que vous avez atteint les limites de ce que vous
pouvez espérer en termes de récupération. La cicatrisation est pratiquement terminée, les
dégâts sont faits. »

Son ton était plein de compassion mais Severus s’agaça tout de même de ce diagnostic.

Peut-être car il était parvenu à la même conclusion par lui-même.

Devant son silence, Andromeda posa une main sur son épaule dont il eut le plus grand mal à
ne pas dégager d’une secousse brusque. Il détestait qu’on le touche, il méprisait l’idée que
quelqu’un cherche à le réconforter et…

Nymphadora serait probablement très en colère s’il insultait sa mère, se morigéna-t-il


mentalement, s’exhortant à la patience.

« Je sais que ce n’est pas ce que vous voulez entendre. » soupira la sorcière. « Mais vous
aurez déjà une bien meilleure qualité de vie que ce que j’osais espérer lorsque Albus m’a
appelée en urgence cette nuit là. Vous êtes vivant, vous êtes mobile, votre magie n’a pas été
affectée, et votre cerveau n’a subi aucune séquelle. Severus, c’est davantage que… »

« Je sais. » coupa-t-il, un peu trop brusquement pour être poli. « Mais mes mains sont mon
outil de travail. »

« Je comprends. » offrit-elle, mais il doutait que cela soit véritablement le cas. « Et j’espère
me tromper. J’espère que votre potion aura l’effet que vous escomptez. En attendant, j’espère
aussi que vous la brevèterai bientôt parce qu’elle pourrait sauver des vies. »

« Elle n’est pas prête. » insista-t-il. « Je refuse de la mettre sur le marché avant d’être certain
qu’elle fonctionne comme il se doit. »

Andromeda lui sourit, puis fit un geste en direction de son bras gauche. « La Marque ? »

Sachant qu’il n’échapperait pas à cette partie de l’examen, il commença à déboutonner sa


manche tout en décrivant le rituel qu’avait mis au point Bill Weasley.

« Ingénieux. » commenta-t-elle, alors qu’il faisait disparaître la bande de gaze autour de son
poignet.
Elle était trop professionnelle pour laissait paraitre un signe d’inquiétude ou de dégoût mais
elle n’était pas non plus une Occlumens naturelle et il perçut son malaise rien qu’en croisant
son regard. Elle inspecta la Marque sous toutes les coutures, appuya et palpa la chair
boursoufflée jusqu’à le faire grimacer.

« Sur une échelle de un à dix… » commença-t-elle.

« J’ai rendez-vous avec Bill demain. » grinça-t-il. « Le sortilège diminue la douleur par
deux. »

« Ce n’est pas la question, Severus. » répliqua-t-elle, en appelant à elle un baume d’un accio.
Il ne protesta pas lorsqu’elle en étala une généreuse dose sur son avant-bras. « À ce stade, je
préconiserai presque une amputation… »

« Il y aurait fort à parier que la Marque réapparaîtrait ailleurs sur mon corps. » rejeta-t-il
l’idée, l’ayant lui-même étudiée les jours où la douleur était particulièrement difficile à
ignorer. « Le Seigneur des Ténèbres n’est pas si facile à quitter. »

Elle secoua la tête, reboucha le petit récipient et d’un coup de baguette expert, rebanda son
avant-bras avec attention. Elle lui tendit ensuite le baume avec un regard entendu.
« Appliquez-le aussi souvent que nécessaire. Personne ne distribue de médailles à ceux qui
souffrent en silence. »

Il empocha le baume mais ne put s’empêcher un geste agacé. « Il ne s’agit pas de


masochisme, il m’arrive simplement parfois d’oublier. »

Elle le dévisagea avec stupeur. « Vous oubliez que vous souffrez le martyre ? »

Il eut un rictus amer. « Le conditionnement est une chose merveilleuse. J’ai passé tant
d’années à fonctionner en dépit de la douleur que j’oublie parfois que ce n’est pas un état
naturel. »

Ça ne parut pas la rassurer.

« En avons-nous terminé ? » s’enquit-il, souhaitant soudain se trouver n’importe où ailleurs.

« Presque. » répondit la sorcière, en jetant un nouveau sortilège qu’il savait inutile et dont la
raison se manifesta avec sa question suivante. « Avez-vous vu ma fille récemment ? »

Son ton était nonchalant, presque distrait. La question se voulait visiblement innocente.

Severus était trop bon espion pour s’y laisser prendre.

« Andromeda… » grimaça-t-il, sans trop savoir quoi dire.

Elle abandonna son excuse de sortilège pour le dévisager, les mains sur les hanches et le
regard perçant. « Épargnez-moi les mensonges. J’étais à Serpentard, moi aussi. Ce n’est pas
aux vieux elfes de maison qu’on apprend à faire la vaisselle. »
« Il s’agit d’une conversation que vous devriez avoir avec Nymphadora et non avec moi. »
botta-t-il en touche, tout en reboutonnant sa manche.

Il ne désirait pas de conflit avec la sorcière mais il ne comptait pas non plus se retrouver en
porte-à-faux entre une mère et sa fille.

Son expression s’adoucit légèrement. « Elle ne laisse personne utiliser son prénom. Pas
même moi. »

Il en était bien conscient. Il était la seule personne à l’appeler ainsi, ce qui lui convenait
parfaitement. C’était spécial. Et un privilège.

Il garda pourtant le silence, n’offrant aucun commentaire qui pourrait être mal interprété – ou
interprété tout court.

Andromeda poussa un long soupir. « J’aime beaucoup Remus. »

Un hoquet irrité lui échappa. « Vous m’en voyez désolé. »

« J’aime beaucoup Remus. » répéta la sorcière, avec un regard sévère. « Mais je


désapprouvais leur relation car il était trop vieux et c’est un loup-garou. Je voulais mieux
pour ma fille. »

Il n’était pas certain d’être mieux.

Il ne risquerait pas de la tuer accidentellement une fois par mois, cependant, et c’était sans
doute un point en sa faveur ?

D’un autre côté, il avait attiré sur elle l’attention personnelle du Seigneur des Ténèbres et, ça,
ce n’était probablement pas ce qu’une mère aurait voulu pour sa fille.

« Vous avez bien douze ans de plus qu’elle. » insista Andromeda. « Vous avez été son
Professeur, ce que, vous m’excuserez, j’ai presque plus de mal à avaler que la lycanthropie.
Vous êtes, de l’avis général, un homme extrêmement aigri, déplaisant et colérique. Et, comme
si cela ne suffisait pas, vous avez été un Mangemort. »

À nouveau, il resta silencieux.

Des années à servir le Seigneur des Ténèbres et Albus Dumbledore lui avaient appris que,
parfois, la meilleure des défenses était de ne rien dire du tout.

« Eh bien ? » s’énerva-t-elle. « Vous n’allez même pas tenter de me convaincre que vous la
méritez ? »

D’un autre côté, il n’avait jamais entretenu de relation privilégiée avec la fille du Seigneur
des Ténèbres ou d’Albus, songea-t-il, en se frottant brièvement les yeux avec embarras.

« Nymphadora est une adulte et elle est la seule que je doive convaincre de quoi que ce
soit. Bien que, non, je ne pense pas la mériter. » lâcha-t-il finalement. « Encore une fois, c’est
une conversation que vous devriez avoir avec elle. »
Il se leva, espérant ainsi signifier que la conversation était terminée mais la Médicomage ne
s’écarta pas de son chemin.

Il aurait tout donné, à cet instant, pour que Poppy les interrompe mais l’infirmière brillait par
son absence.

Suprêmement gêné, il évita son regard et poussa un long soupir, baissant la voix juste au cas
où quelqu’un les aurait espionnés. « Je ne vais pas plaider ma cause, Andromeda, il est
évident que votre opinion est déjà arrêtée. La seule chose que je puisse vous promettre avec
certitude est que je ne lui ferai jamais sciemment du mal, que j’ai le plus grand respect pour
elle et que mes intentions sont honorables. À présent, si vous voulez bien m’excuser… »

Elle le dévisagea une seconde puis s’écarta, cette même expression mi-colérique mi-
désapprobatrice persistant sur ses traits.

Il resta sur ses gardes jusqu’à ce qu’il ait passé les portes de l’infirmerie, peu certain qu’elle
ne lui lancerait pas un sort extrêmement douloureux dans le dos.

À sa place, il n’aurait probablement pas hésité.

Elle se contenta pourtant de le regarder partir, mettant dans ses yeux tout le poids de son
animosité.

°O°O°O°O°

L’ambiance dans son bureau était maussade.

La pluie battait les carreaux avec trop de force pour être ignorée, le ciel était empli de nuages
noirs qui donnaient l’impression qu’il était bien plus tard qu’il ne l’était en réalité, les éclairs
qui striaient régulièrement le ciel jetaient des ombres changeantes dans la pièce et, Albus le
supposait, ils étaient tous deux d’humeur trop morose.

Tâchant de se composer une expression un peu plus avenante et d’ignorer le fantôme de sa


sœur qui s’était perchée sur une pile de grimoires entassés dans un coin, Albus alluma d’un
geste négligeant du bras toutes les bougies de la pièce et renforça le feu qui brûlait dans l’âtre
pour combattre la faible luminosité et de donner à la pièce une ambiance un peu plus
chaleureuse.

Harry se laissa tomber dans un des fauteuils qui faisaient face à son bureau, abandonnant son
sac par terre. L’adolescent ne prononça pas un mot tandis qu’Albus appelait un elfe de
maison et demandait du thé qui arriva une minute plus tard, accompagné de petits gâteaux
que le garçon affectionnait particulièrement.

Il versa le liquide dans les tasses et encouragea d’un geste le Gryffondor à se servir.

« Alors, dis-moi, Harry… » commença-t-il, avec un sourire complice. « Qu’est-ce qui te


tracasse ? »

L’adolescent leva un sourcil légèrement sarcastique dans une expression qui était trop proche
de celle de Severus pour que l’influence du Maître des Potions ait pu être mise en doute.
« C’est plutôt moi qui devrait vous demander ça, non ? » riposta le garçon, avec juste assez
d’humour pour ne pas être insolent. « Après tout, c’est vous qui avez terrifié ces deuxièmes
années… »

Il lui accorda cet argument avec indulgence, portant la tasse à ses lèvres. Le thé était à la
bonne température, idéalement infusé et parfaitement parfumé. En temps normal, ce simple
plaisir aurait suffit à le détendre, à lui permettre de remettre en perspective ce qui devait
l’être.

Mais Arianna était toujours dans un coin de la pièce, à l’observer avec des yeux trop tristes.

Et ce petit plaisir lui laissa un goût amer en bouche.

Tout, en ce moment, lui laissait un goût amer en bouche.

« As-tu jamais désiré quelque chose de tout ton cœur, Harry ? » s’enquit-il doucement. « As-
tu jamais désiré quelque chose si fort et durant tellement longtemps que tu n’aurais jamais
pensé pouvoir l’obtenir ? »

« Oui. » offrit simplement le garçon.

Les yeux bleus d’Albus se déplacèrent lentement de sa sœur à l’adolescent qui lui faisait face.
Ils n’étaient pas si éloignés en âge. Un peu plus d’un an.

« Il se trouve que j’ai récemment obtenu quelque chose que je convoitais depuis des
décennies et cela ne m’apporte pas la satisfaction que j’aurais escompté. » avoua le vieux
sorcier. « J’ai anticipé ce moment si longtemps et, si j’ai apprécié les premiers moments, je
me trouve désormais… déçu. »

Déçu qu’Arianna refuse d’interagir avec lui ne serait-ce que par gestes.

Déçu que la branche d’olivier qu’il avait tendu à son frère ait été rejetée.

Déçu de sentir cette soif de posséder les trois Reliques s’agiter suffisamment fort en lui pour
qu’il ait dû s’empêcher par quatre fois déjà de demander à Harry de bien vouloir lui confier la
cape quelques temps.

« Ah… Ce n’est pas très drôle, hein ? » grimaça Harry, en croquant dans un biscuit. « Quand
on a débarqué dans le passé… C’était la panique, c’est sûr, mais malgré tout… J’étais
impatient de voir mes parents, d’apprendre à les connaître. » L’adolescent haussa les épaules,
baissant les yeux vers la pâtisserie à moitié dévorée dans sa main. « Ce n’était pas vraiment
ce que j’espérais. »

Albus hocha lentement la tête, appréhendant ce que le garçon avait vécu avec une
compréhension nouvelle. « Peut-être la satisfaction est-elle dans le désir davantage que dans
la résolution de ce désir. »

« Peut-être ? » hésita le Gryffondor, avec une expression suffisamment dubitative pour


qu’Albus devine qu’il n’avait pas saisi un traître mot de ce qu’il venait de dire.
Il lui sourit avec affection et prit une nouvelle gorgée de thé. Celle-ci lui parut un peu moins
amère.

« Je regrette que ton expérience avec James ait été si négative. » commenta-t-il. « Ton père
était quelqu’un d’exceptionnel. J’aurais aimé que tu puisses rencontrer l’homme qu’il était
devenu. »

Harry gardait les yeux rivés sur le biscuit dont il n’avait toujours pas pris une seconde
bouchée.

« Ce n’était pas entièrement négatif. » nuança le garçon. « Mais c’était… décevant. Même
Lily… Il y a des choses… »

L’adolescent soupira, se forçant visiblement à relever la tête et à rencontrer son regard. Albus
l’effleura de son esprit par réflexe, la Legilimencie depuis longtemps devenu un sixième sens
dont il usait sans s’en rendre compte, mais ne rencontra qu’un barrage de flammes parfait. Si
Harry perçut la tentative d’intrusion, il ne le laissa pas paraître.

« Au final, ils étaient juste… humains. » continua le Gryffondor. « Et… ils me manquent
toujours. »

Albus l’observa avec compassion. « J’aimerai te dire que cela cessera un jour mais, selon
mon expérience, le manque s’émousse avec le temps sans pourtant disparaître. »

Son regard dériva à nouveau vers Arianna.

Il pêcha la pierre dans sa poche et se mit à jouer distraitement avec, la tournant et la


retournant entre ses doigts. Il perçut le coup d’œil curieux qu’Harry y jeta mais ne s’en
préoccupa pas.

« Si j’ai appris une seule chose, ces derniers mois, c’est qu’on ne peut pas vivre tourné vers le
passé. » déclara le garçon, avec une détermination nouvelle. Il se redressa légèrement,
termina son biscuit et attrapa la tasse de thé qui lui était destiné.

« Voilà une attitude très sage. » remarqua-t-il. « L’as-tu appris de ton séjour ou auprès de
Severus ? »

La mention du Maître des Potions mit immédiatement l’adolescent sur la défensive.


Toutefois, Harry dût percevoir qu’il n’avait pas eu l’intention d’insulter la figure paternelle
qu’il s’était choisi car il se détendit légèrement.

« Un peu des deux. » admit le Gryffondor.

Albus délibéra quelques secondes, tournant et retournant la pierre, la soupesant. « Puis-je te


faire une confidence, Harry ? » Il attendit que le garçon hoche la tête avec curiosité et, il ne
put s’empêcher de le noter, un soupçon de méfiance. « Je désespérais de voir Severus
reprendre goût à la vie. Je l’ai observé des années durant survivre en oubliant de vivre… Je
suis heureux qu’il ait finalement dépassé la mort de ta mère. »
« Ce n’était pas juste la mort de Lily. » contra le garçon, en fronçant les sourcils. « Vous
auriez dû l’aider avant qu’il ne rejoigne les Mangemorts. »

Le Directeur inclina la tête sous le poids de la culpabilité familière bien que légère. « Son
chemin semblait tracé. »

« Et vous n’avez jamais essayé de l’en détourner. » accusa Harry, sans merci. « Il avait juste
besoin de… » Le garçon s’interrompit brusquement et détourna la tête. « Il n’aimerait pas
qu’on parle de lui comme ça. »

« Non… » lui accorda-t-il. « Il n’aimerait certainement pas cela. Néanmoins… Je sais que je
n’ai pas toujours dû te paraître heureux de votre rapprochement mais je t’assure qu’il me fait
chaud au cœur. Simplement… » Il laissa sa phrase en suspend, l’attention attirée par Arianna
qui s’était levée pour déambuler vers la fenêtre. Il dût faire un effort pour se reprendre.
« Simplement, l’amour d’un Serpentard peut être une force plus terrible que celle d’un
Gryffondor ou d’un Poufsouffle. »

« Parce qu’il ne s’arrêtera à rien pour protéger la personne qu’il aime ? » devina Harry, ayant
clairement eu le même cheminement de pensées avant aujourd’hui.

Albus acquiesça lentement. « Severus placera toujours ton intérêt au-dessus de tout le reste.
Et, s’il te plaît, crois-moi lorsque je te dis que j’aimerai pouvoir en faire de même, mais… »

« Mais j’ai un rôle à jouer dans cette guerre. » termina le garçon avant qu’il le puisse. Harry
but une longue gorgée de thé, sa jambe tressautant un peu nerveusement. « Je sais.
Severus… » Il haussa les épaules, l’air un peu apathique, résigné, ses boucliers mentaux si
puissants qu’Albus pouvait presque apercevoir le reflet du brasier qui le protégeait dans ses
yeux verts. « Je ferai ce qu’il faut pour que Voldemort soit vaincu. »

Un poids s’envola des épaules d’Albus.

Cela faisait des mois qu’il craignait l’influence de Severus sur le garçon, qu’il tentait de
freiner les intentions manifestes de son ancien espion… Il aurait dû faire confiance à Harry.

Severus ne souhaitait peut-être pas croire à la prophétie – encore qu’il s’agisse davantage de
déni volontaire que de réel scepticisme – il désirait peut-être protéger Harry de la guerre
mais…

Le moment venu, Harry jouerait son rôle.

Parce que Harry était de cette rare trempe d’hommes.

« Si je pouvais t’éviter tout ça… » murmura-t-il, la voix un peu trop frêle. Il lui arrivait
parfois, de plus en plus souvent, de se sentir fatigué. Par le poids des années. Par les fantômes
qui le hantaient. Par la communauté magique qui semblait peser sur ses épaules.

Toute l’ironie était là…

De multiples fois, il avait refusé le poste de Ministre, se sachant trop tenté par les arcannes du
pouvoir, refusant de céder à ses vieux démons.
Il avait préféré se tenir dans l’ombre, aiguillant lorsqu’il le fallait, dispersant conseils et mises
en garde, tissant sa toile sans avoir l’air…

Il avait refusé d’endosser officiellement le manteau du dirigeant par prudence, par peur de
lui-même, mais il dirigeait pourtant, tirait les ficelles… Par de nombreux aspects, il était
parvenu plus loin que Gellert ne l’avait jamais fait.

« Est-ce que vous bloquez vraiment la demande de tutelle de Sirius ou est-ce qu’il est
paranoïaque ? » demanda le garçon, en posant la tasse vide sur la soucoupe qui était restée
sur le bureau.

Cela aurait pu avoir l’air d’un changement de sujet radical mais Albus, comme Harry, savait
qu’ils étaient liés. Parce que tant que Sirius n’avait pas sa garde, le Directeur aurait
ultimement le dernier mot en ce qui le concernait – comme pour l’autoriser à se battre, par
exemple.

Et s’il ne s’était s’agit que de ça, après cette conversation, Albus aurait été enclin à céder.

« Il est impératif que tu continues à vivre à Privet Drive. » regretta-t-il. « La protection que
t’a offert le sacrifice de ta mère passe par les liens du sang. »

Tant que le foyer de Pétunia était également le sien, il serait protégé de Voldemort et des
Mangemorts.

Harry détourna la tête mais n’insista pas. Là encore, il avait l’air résigné. Et triste.

Le regard d’Albus fût attiré par l’épaisse bague que le garçon tournait distraitement autour de
son doigt. Il l’avait remarquée le soir où ils étaient allés détruire l’horcruxe puis l’avait
complètement oubliée. Le sceau des Prince.

Il devinait sans mal que ce n’était pas la tutelle de Sirius à laquelle Harry s’intéressait
réellement. Sans doute les deux hommes étaient-ils parvenus à un accord. Sans doute Severus
voulait-il faire les démarches nécessaires pour…

Albus chercha brièvement une solution heureuse à ce dilemme sans en trouver aucune.

Il ne pouvait pas laisser Severus adopter Harry.

Pas sans rompre les liens magiques qui reliaient Harry et Pétunia.

Or, les protections qu’offrait Pétunia étaient bien plus puissantes et avantageuses que tout ce
que Severus, avec la meilleure volonté du monde, avait à lui donner.

« Je regrette. » l’implora-t-il presque.

Par de nombreux côtés, il avait autant failli à ce garçon qu’il avait failli à la fillette qui errait
devant la fenêtre.

L’orage s’était un peu calmé à l’extérieur, la pluie ne tambourinait plus autant contre les
carreaux.
« Je sais. » murmura Harry, en lui jetant un regard las.

Parfois, le Survivant faisait son âge.

Parfois, il avait l’air plus vieux qu’Albus.

Ce fût le Directeur qui détourna les yeux le premier. Un peu honteux, un peu affligé.

Il avait depuis longtemps appris que rien n’était juste dans la vie, mais cela lui sautait parfois
à nouveau à la gorge.

La pierre de résurrection était si froide entre ses doigts qu’il se sentait glacé jusqu’à l’âme.
Hanté. Par ses échecs. Ses décisions. Ses choix.

« Puis-je te poser une autre question ? » s’enquit-il, en portant à nouveau la tasse à ses lèvres.

Le thé était tiède, il le réchauffa d’un geste négligent.

« Est-ce que je peux vous en empêcher ? » rétorqua Harry, un brin insolent.

Ce n’était qu’une façade, cependant, destinée à dissimuler le gouffre béant de désespoir


qu’éprouvait le garçon. Albus la lui accorda sans ciller. Il lui devait bien ça. « Te souviens-tu
du miroir du Rised ? »

Ça eut le mérite de distraire l’adolescent de ses pensées moroses. Il cessa de jouer avec le
sceau à son doigt pour le dévisager avec incrédulité.

« C’est dur à oublier. » plaisanta le Gryffondor. « J’en fais encore des cauchemars. »

Il faisait référence au moment où il avait récupéré la pierre philosophale mais Albus ne


pensait pas à cet évènement là.

« La nuit où je t’ai trouvé dans cette pièce avec le miroir… Il s’agissait, je pense, de notre
première conversation importante. » se remémora-t-il.

« Oui… Et c’était aussi la première fois où vous m’avez menti. » contra Harry, avec un
amusement amer. « Ou est-ce que vous avez vraiment une passion pour les chaussettes ? »

Un sourire flotta sur les lèvres d’Albus. « Tu t’apercevras en grandissant que l’on ne possède
jamais assez de chaussettes. »

L’adolescent leva discrètement les yeux au ciel avec un bruit amusé, comme s’il n’avait pas
réellement attendu une réponse franche.

« Si tu avais l’occasion de mettre la main sur un objet similaire… » reprit le Directeur. « Un


objet qui te permettrait peut-être de voir tes parents, de leur parler… »

« Ce soir là, vous m’avez dit qu’il ne fallait pas s’installer dans ses rêves et oublier de
vivre. » l’interrompit Harry. « Je ne suis pas sûr d’avoir compris à l’époque mais… Vous
aviez raison. » L’adolescent s’humecta les lèvres nerveusement puis baissa les yeux. « Je ne
sais pas combien de temps il me reste… Je ne sais pas si je survivrai à cette guerre… » Il en
doutait, comprit Albus au ton de sa voix. « Mais je sais que… Je veux profiter tant que je le
peux. Pas avec des fantômes. Avec les gens qui sont là. »

Albus l’observa longtemps, la pierre serrée au creux de son poing.

Il n’avait pas les mots pour d’écrire l’humilité qu’il ressentait à cette seconde.

Car Harry à quinze ans faisait preuve de davantage de sagesse que lui et le siècle qu’il trainait
derrière lui.

« Veux-tu me rendre un service ? » demanda-t-il, en tendant la main par-dessus le bureau. Il


attendit qu’Harry en fasse de même pour laisser tomber la pierre dans sa paume. « Garde ceci
pour moi. Range-la au fond de ta malle ou d’un tiroir, là où personne n’ira la chercher. »

L’adolescent fronça les sourcils, en examinant ce qu’il venait de déposer au creux de sa main.
« Qu’est-ce que c’est ? » Il dût reconnaître la pierre car son expression se figea. « C’est ce
qui sertissait la bague, non ? C’est une partie de l’horcruxe ? »

« C’est… bien plus que cela. » avoua Albus, débattant avec l’idée de lui parler des Reliques.
Toutefois, pour un enfant qui valsait un peu trop souvent avec la Mort, il craignait que la
tentation soit un peu trop forte de les rechercher. Il ne connaissait que trop bien l’obsession
que pouvait devenir la quête des Reliques de la Mort. « Elle est tout à fait inoffensive, à
présent. Excepté pour moi. D’aucun pourrait dire qu’il s’agit d’une de mes plus grandes
faiblesses. »

Harry lui jeta un regard songeur, puis fit tourner la pierre au creux de sa paume d’un coup de
pouce. « Et vous voulez que je la cache ? »

« S’il te plait. » confirma le vieux sorcier, en hochant la tête.

Il savait qu’il faisait le bon choix, il le sentait au creux de son ventre. Et puis, cela faciliterait
grandement les choses plus tard. Harry aurait déjà en sa possession et à son insu deux des
Reliques… Oui, c’était aussi bien ainsi.

« Je suppose que vous ne voulez pas que j’en parle à Severus ? » soupira-t-il.

Les chances que l’adolescent décide de garder son secret, il le savait, étaient mitigées. Non
pas qu’Harry ne soit pas digne de confiance mais sa loyauté était désormais davantage
acquise à Severus qu’à lui.

« De préférence. Néanmoins, je ne voudrais pas te placer dans une position inconfortable vis-
à-vis de ton père. » offrit-t-il.

Appeler Severus ainsi était une maigre concession qui ne lui coutait pas grand-chose.
Légalement parlant, le titre n’avait aucune valeur mais les formalités n’étaient pas toujours ce
qui importait.

Harry soupesa la pierre quelques secondes de plus puis la fit disparaitre dans une poche
intérieure de son uniforme. « D’accord. »
« Je te remercie. » lui sourit-il.

L’adolescent dût prendre cela comme le signe que leur entrevue était terminée car il se leva,
récupéra son sac, vola un dernier biscuit avec un coup d’œil un peu espiègle, et quitta le
bureau.

À mesure qu’il s’éloignait vers la porte, Arianna s’estompa lentement en volutes de gris,
comme une aquarelle délavée. Sa sœur lui souriait lorsqu’elle s’évapora finalement.

Albus attendit d’être à nouveau seul dans son bureau pour prendre une gorgée de thé qu’il eut
du mal à avaler car l’émotion l’étouffait quelque peu. Pour la première fois depuis qu’il avait
trouvé la pierre, cependant, rien ne lui laissa de goût amer en bouche.

La tristesse menaça de le submerger mais ce n’était pas une mauvaise tristesse.

Car elle s’accompagnait de la certitude d’avoir fait le bon choix.

°O°O°O°O°

Severus était en avance de cinq minutes lorsqu’il atteignit son laboratoire personnel, pourtant
Slughorn patientait déjà devant la porte verrouillée, consultant sa montre à gousset comme si
son ancien élève était en retard et lui faisait perdre son temps.

L’espion prit une profonde inspiration, occluda l’irritation et le ressentiment que son
Directeur de Maison lui avait toujours inspirés, et s’efforça de garder une expression neutre.

« Horace. » le salua-t-il sans intonation particulière.

« Severus. » répondit l’autre sorcier, froidement.

Oh, que cela allait être plaisant, songea-t-il. Il ignorait comment il allait survivre à cette
entrevue sans perdre son calme, la perspective de travailler en étroite collaboration avec
Slughorn ne le réjouissait pas le moins du monde.

Il déverrouilla la porte d’un coup de baguette et d’un sortilège marmonné trop bas pour que
l’autre sorcier le saisisse, puis le précéda dans la pièce, se dirigeant directement vers le plan
de travail où trônait un chaudron sous sort de stase ainsi que de multiples parchemins.

Slughorn le suivit, jetant des coups d’œil furtifs qui se voulaient discrets mais qui étaient plus
que curieux.

Avec satisfaction, Severus se dit qu’il avait eu bien raison d’ôter de la pièce toutes ses
expériences en suspens. Il ne faisait pas confiance à l’autre Maître des Potions pour ne pas lui
voler idées et prototypes. Ne restaient dans la pièce que tout ce qui était relatif aux loups-
garous et la potion de régénération des nerfs qu’il ne pouvait malheureusement déplacer
puisque Granger et Draco devaient pouvoir y avoir accès.

« Je présume que vous êtes familier du problème ? » s’enquit Severus, lorsque Slughorn l’eut
rejoint près de la station de travail. Un coup de baguette – qui, remarqua-t-il avec satisfaction,
fit tressaillir l’ancien Directeur de Maison – ferma la porte restée béante. Poser ses
protections habituelles fût l’affaire d’une poignées de secondes et plus un réflexe qu’une
réelle nécessité.

« Albus m’avait confié ces recherches pendant votre absence. » confirma Slughorn.
« Cependant, comme je le lui ai répété à de multiples reprises, sans échantillon… »

Severus ouvrit un petit cabinet sur la gauche qu’il gardait habituellement verrouillé et en
sortit une fiole qui irradiait d’une lumière douce, comme la caresse d’un rayon de lune.

Horace fit un pas vers lui, fasciné. « Est-ce la potion originale ou votre œuvre ? »

« Il s’agit du seul échantillon que nous ayons été en mesure de nous procurer. » répondit-il.
« Malheureusement, je n’avais pas terminé de l’étudier avant… » Il laissa sa phrase en
suspens mais ne put s’empêcher d’agripper le pommeau de sa canne un peu plus fort.
Admettre la raison pour laquelle l’autre Maître des Potions se tenait dans la pièce était
davantage qu’il ne sentait capable de faire, admettre ses faiblesses aussi ouvertement… « Je
pense avoir compris le fonctionnement de la potion. Quant à la récréer, c’est tout à fait autre
chose. Je travaillais déjà sur une version plus poussée de la potion Tue-Loup, il m’est apparu
plus simple d’adapter mon propre travail que de tenter de reproduire celui-ci. Mes notes. »

Il désigna d’un geste une pile bien nette de parchemins couverts de calculs alourdis par un
carnet à la couverture noire qui contenait le gros de ses recherches sur la potion Révèle-Loup.
Il espérait qu’Albus mesurait son sacrifice en permettant à Slughorn de les lire. S’il avait
réussi à la breveter, les retombées en Gallions se seraient probablement comptées en millions.
Cette potion aurait pu être l’apogée de sa carrière.

Après avoir quêté son approbation du regard, Horace lui ôta la potion des mains avec
prudence et curiosité. Il la leva pour mieux l’inspecter à la lumière, la fit tourner lentement
dans la fiole, la déboucha et, après une seconde d’hésitation, la renifla. Il replaça le bouchon
sans rien dire, rendit l’échantillon à Severus puis attrapa l’épais carnet que lui avait montré
l’ancien Mangemort.

Le Maître des Potions l’observa feuilleter rapidement les pages et lire suffisamment pour se
faire une idée de la teneur des recherches, avec l’impression dérangeante d’être à nouveau un
adolescent rendant un projet scolaire et attendant sa note.

Après de longues minutes, Slughorn referma lentement le carnet et le replaça sur le plan de
travail, avant de jeter un coup d’œil au chaudron en état de stase. Il ne s’attarda pas sur son
contenu.

« Impressionnant. » commenta finalement son ancien Professeur. « J’ai toujours su que vous
étiez brillant, Severus, mais vous vous êtes surpassé. Et votre prototype fonctionne durant la
pleine lune ? »

« Je ne l’ai testé qu’une seule fois et sur un seul sujet. » nuança-t-il. « Sans observation
directe. »

Slughorn émit un bruit pensif. « La pleine lune est demain. Si votre sujet est disponible,
j’aimerai l’observer. »
Cela promettait d’être drôle, se dit-il en son fort intérieur. Révèle-Loup ou pas, il était prêt à
parier que Lupin chercherait à l’égorger dès qu’il serait transformé.

« Cela peut sans doute s’arranger. » déclara-t-il.

Horace inclina la tête et fit lentement le tour de la pièce, feignant d’inspecter les étagères
remplies de bocaux et d’instruments plus ou moins rares. Il gardait sa réverse personnelle un
peu plus loin, dans une pièce séparée, mais il avait une belle collection dans son laboratoire.

Severus, toutefois, n’était pas dupe de son manège qui le rapprochait petit à petit de l’autre
chaudron qui bouillonnait dans la pièce.

« Souhaitez-vous voir autre chose ? » demanda-t-il, avec toute la politesse qu’il avait en
réserve – et elle était maigre.

« Oui. » confirma Slughorn, légèrement pince-sans-rire, abandonnant l’approche subtile pour


se diriger directement vers l’autre plan de travail. « La potion qui vous a permis de vous
remettre si promptement et de manière si miraculeuse. »

Handicapé par sa canne, il ne fût pas assez rapide pour lui bloquer le passage. Le temps qu’il
le rejoigne, Horace était déjà en train d’étudier le chaudron et les ingrédients que les
adolescents avaient organisés dans un coin.

« Cette potion n’est pas ce pour quoi vous êtes là. » siffla-t-il.

« En êtes-vous à sa version définitive ? » demanda Slughorn, comme s’il n’avait pas ouvert la
bouche. « J’en doute. Draco et Hermione sont d’excellents élèves mais ils n’ont pas
l’expérience nécessaire pour perfectionner une potion comme celle-ci, même en suivant à la
lettre vos instructions. Je me trompes ? »

La mâchoire de Severus se contracta sous le coup de l’agacement. « Je n’ai pas besoin de


votre aide. »

Horace jeta un regard lourd de sens, presque moqueur, à ses mains qui tremblaient. L’ancien
Mangemort serra les poings. Le pommeau de sa canne lui rentrait de manière presque
douloureuse dans la chair. Il enfourna son autre main dans sa poche.

« De ce que je vois là, il suffirait d’un rien pour perfectionner cette potion. » remarqua
Slughorn, d’un ton paternaliste. « Un rien qui est encore hors de portée pour Hermione et
Draco mais ne me demanderait aucun effort. »

Il avait raison, c’était bien le plus rageant.

Draco était extrêmement précis et Granger suivait les instructions comme personne mais ils
n’étaient pas professionnels et cela se sentait. Il aurait suffit de si peu…

Le diagnostic pessimiste d’Andromeda lui résonnait encore aux oreilles.

S’il y avait une chance de guérir davantage ses mains, cela se jouait maintenant.
« J’ai informé Albus que je consentais à jeter un œil à vos travaux, sans m’engager. » ajouta
l’ancien Directeur de Maison, en se tournant vers lui pour mieux le toiser. Il avait deux
bonnes têtes de moins que Severus mais, à cet instant, il avait le plein pouvoir et cela le
réjouissait très visiblement. « Si vous souhaitez réellement mon aide, j’ai, bien évidemment,
des conditions. Rien de personnel à cela, mon garçon, ce sont les affaires. »

Il doutait qu’il n’y ait rien de personnel là-dedans.

L’hostilité était palpable d’un côté comme de l’autre.

« Que voulez-vous ? » cracha Severus.

Albus ne l’avait pas prévenu qu’il y aurait une contrepartie mais il aurait dû s’y attendre. La
survie du monde magique n’était pas suffisamment de motivation pour les personnes comme
Horace. Il était trop Serpentard. Et si Severus était honnête, s’il avait été à sa place, il en
aurait probablement fait de même.

Horace le dévisagea longtemps, jouissant clairement du pouvoir qu’il exerçait à cet instant,
trop conscient que Severus ne pourrait rien lui refuser.

« Pour cette potion-ci… » Il désigna le chaudron qui bouillonnait à côté de lui « … rien. Je
vous préparerai un nouveau chaudron en suivant vos instructions et en faisant les ajustements
que vous pensez nécessaire. Sentez-vous libre de me remercier d’une bonne bouteille
d’armagnac d’un certain âge. »

Severus laissa échapper un bruit plus amer qu’amusé. « Suis-je supposé croire que vous
m’aiderez par bonté, sans aucune contrepartie ? »

« Non, ce n’est certainement pas par bonté. » répliqua son ancien Directeur de Maison, en le
regardant de haut en bas avec une antipathie bardé de… Était-ce de l’admiration ? « Vous
avez un don, Severus. Je l’ai repéré le premier jour, durant notre première classe. Vous avez
un don que je n’avais jamais vu auparavant et que je n’ai jamais revu depuis. L’idée que vous
ne puissiez plus exercer ce don me rend malade car, croyez-le ou non, j’ai consacré ma vie
entière à l’art des potions et, dans cette catégorie, vous êtes peut-être le plus grand virtuose
qu’il m’est été donné de rencontrer. »

Severus en resta cois, des émotions contradictoires se battant en lui. Le compliment touchait
à un besoin de reconnaissance dont il ne s’était jamais entièrement débarrassé sans jamais
l’embrasser, le compliment lui faisait… plaisir. Pourtant, malgré cela, ou peut-être à cause de
cela, il sentit la vieille rancune, la vieille haine se réveiller. S’il avait été si spécial, si doué,
pourquoi Slughorn ne lui avait-il pas plus prêté attention ? Pourquoi n’avait-il jamais rien fait
pour le sortir de la situation dangereuse dans laquelle il avait vécu ?

Il était persuadé que Slughorn avait su mais n’avait rien fait par paresse, par indifférence.

« Parlons à présent du reste. » continua le sorcier, sans lui laisser le temps de trier ses
sentiments conflictuels. « Je vous aiderai à développer votre potion Révèle-Loup et à la
modifier jusqu’à ce qu’elle permette à un loup-garou de se transformer en dehors de la pleine
lune – encore que je trouve l’idée bien dangereuse. Une fois prête à être brevetée, je veux être
cité comme co-créateur. Nos noms seront listés par ordre alphabétique, cela va sans dire. Les
profits éventuels seront divisés en parts égales. Voyez, je ne suis pas si généreux que cela,
une fois commercialisée, cette potion nous rendra riche et compensera pleinement le temps
que je passerai sur votre autre projet. »

S’ils y parvenaient, cette potion deviendrait célèbre.

Et Severus avait déjà fait la plus grosse partie du travail, s’il avait eu l’usage de ses mains…

Mais avait-il le choix ? Pas s’il voulait avancer.

Cela lui arrachait la bouche mais il se força à s’incliner. « Très bien. »

« Très bien. » répéta Slughorn, sans même tenter de cacher sa satisfaction. « Une dernière
chose, cependant. Une condition à laquelle je ne dérogerai pas. »

Évidemment, cela ne pouvait pas être aussi simple.

« Des excuses. » reprit Horace, lorsque Severus demeura silencieux.

« Des excuses ? » répéta-t-il, d’un ton doucereux qui n’augurait rien de bon.

S’il perçut la menace, l’ancien Directeur de Maison n’en laissa rien paraître.

« De plates excuses. » précisa Slughorn, en le fusillant du regard. « Joliment formulées, de


préférence. »

Severus s’éloigna jusqu’à avoir mis une bonne partie de la pièce entre eux. Il ne se faisait pas
confiance pour ne pas céder la pulsion meurtrière qui était née dans sa poitrine. Une veine
battait fortement sa tempe, laissant présager une migraine carabinée.

« Vous dissimuliez des informations qui pourraient causer notre perte à tous et vous pensez
que je vous dois de plates excuses ? » siffla-t-il.

Slughorn se redressa de toute sa masse, rougissant de colère et d’outrage.

« Vous avez envahi mes appartements, vous m’avez attaqué, vous avez violé mon esprit et
m’avez laissé au sol, inconscient, sans même prendre la peine de vous assurer que je pourrais
me relever ! » tonna l’autre Maître des Potions. « Oui, Severus, j’exige des excuses et
estimez-vous heureux que ce soit la seule chose que je vous demande ! »

« Et que pourriez-vous donc demander d’autre ? » rétorqua-t-il. « Souhaitez-vous me


provoquer en duel pour laver votre affront ? Voilà qui devrait être amusant… »

Slughorn devait savoir qu’il n’avait aucune chance contre lui dans un duel formel ou informel
car il se dirigea vers la sortie d’un pas pesant, le visage écarlate d’humiliation.

« Mes conditions sont posées. » cingla l’autre sorcier. « Acceptez-les ou non, cela m’est
égal. »
Il tenta d’ouvrir la porte sans y parvenir, prisonnier des protections de Severus qui le regarda
s’agiter quelques secondes avec délectation avant de se trouver ridicule et de le libérer d’un
coup de baguette.

Une fois seul, il se pinça l’arrête du nez et poussa un long soupir.

°O°O°O°O°

Assis sur son lit, seul dans le dortoir des Gryffondors, Harry roulait entre ses doigts la pierre
que Dumbledore lui avait confié, le cœur battant un peu trop vite. De sa main libre, il tournait
distraitement les pages du livre fin qu’il s’était empressé d’aller emprunter à la bibliothèque
juste avant le dîner.

Il l’avait trouvé exactement dans le même rayon qu’en soixante-quinze et avait reçu le même
regard désapprobateur de Madame Pince lorsqu’il l’avait porté à l’accueil pour l’inscrire sur
le registre.

Quête du pouvoir absolu, devenir le Maître de la Mort par Gellert Grindelwald.

C’étaient les illustrations qui l’intéressaient. Les croquis de ce à quoi, supposément, auraient
pu ressembler les Reliques de la Mort.

La ressemblance entre la pierre qu’il tenait dans la main et le dessin griffonné pour illustrer
l’article, certainement de la plume même de Grindelwald, n’était pas frappante. Et pourtant…
Harry était certain de ce qu’il tenait entre les doigts.

Il le sentait.

La pierre demeurait froide, peu importait combien de temps il la gardait au creux de sa


paume, et elle était trop sombre, comme si elle absorbait la lumière. Trop lisse aussi.

Elle lui rappelait tellement l’amulette des Peverell…

Et puis les propos de Dumbledore n’étaient pas si difficiles à interpréter, lorsqu’on avait déjà
des soupçons. Lui avait-il confié la pierre pour une raison précise ou bien simplement parce
que Harry avait affirmé vouloir se tourner vers l’avenir au lieu de vivre dans le passé ?

La tentation de s’en servir, en dépit de ce qu’il avait affirmé, était grande.

La pierre, toutefois, semblait presque la plus dangereuse des trois reliques. Grindelwald ne
s’attardait pas dessus, préférant consacrer davantage de place à la baguette de sureau et à la
cape d’invisibilité, mais il en disait suffisamment long pour convaincre le garçon que, comme
dans le conte, les spectres qu’elle feraient apparaître ne seraient pas… tout à fait présent.

Et ce serait plus terrible de voir ses parents forcés de se manifester que de ne pas les voir du
tout.

La porte du dortoir s’ouvrit, laissant brièvement échapper la joyeuse cacophonie de la salle


commune, alors Harry fit disparaître la pierre dans sa poche. Lorsqu’il leva les yeux, ce fût
pour trouver Ron et Hermione qui l’observaient avec une appréhension manifeste. Ron avait
les mains dans les poches et paraissait particulièrement penaud. Hermione… Hermione prit
soin de fermer la porte et de jeter un sort qui, sans être l’assurdiato, semblait remplir le même
rôle.

Harry fronça les sourcils.

Il n’avait pas particulièrement cherché à les retrouver après son entrevue avec Dumbledore et
son crochet par la bibliothèque. Lorsqu’il était arrivé dans la Grande Salle pour le repas du
soir, ses amis avaient déjà été attablés avec une bonne partie de l’A.D. et Harry, ne se sentant
pas d’humeur à interagir avec un gros groupe d’adolescents ce soir là, avait préféré se glisser
à la table des Serdaigles où Luna avait été en train de lire un épais grimoire. Ils n’avaient pas
échangé plus de trois mots de tout le repas mais c’était précisément ce dont il avait eu besoin,
trop préoccupé par sa conversation avec le Directeur.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-il, préférant attaquer de front une situation qui
menaçait de devenir gênante.

Hermione prit une profonde inspiration et vint s’asseoir au pied de son lit. Après une seconde
d’hésitation, Ron fit le tour et s’assit à côté d’elle. Tous deux faisaient face à Harry qui eut
l’impression nette qu’il s’agissait d’une sorte de procès plus ou moins amical.

« Harry… » commença un peu trop sérieusement Hermione, uniquement pour être coupée
par Ron qui attrapa le livre qu’Harry avait laissé se refermer.

« C’est le symbole de Grindelwald ! » s’exclama l’autre garçon, en tapant sur l’image des
Reliques gravée sous le titre. « Qu’est-ce que tu fais à lire des traités de magie noire ? »

L’expression d’Hermione se décomposa immédiatement. « C’est Snape qui te l’a prêté ? »

Harry arracha le livre des mains de Ron, se morigénant de son manque de discrétion. N’avait-
il pas déjà eu ce problème une fois en soixante-quinze avec cet exact ouvrage ?

Il ne manqua pas, toutefois, la pique envers l’ancien Mangemort.

« Severus m’arracherait la tête s’il s’avait que je lis ça. » rétorqua-t-il. « Et je l’ai trouvé à la
bibliothèque, si tu veux tout savoir. »

« Donne-le moi. » exigea la jeune fille, en tendant la main. « Je vais le rapporter à Madame
Pince. Il doit y avoir une erreur. Il ne devrait pas y avoir de livres de Grindelwald sur les
rayonnages. »

Son ton pompeux l’agaça au plus haut point mais il fallait savoir choisir ses batailles et
abandonner le livre à Hermione ne lui coûtait rien. Il avait tiré ses conclusions et il n’en avait
plus besoin.

Il lui donna donc le livre, en se rappelant qu’agir de temps en temps comme un serpent avait
ses avantages. Même si l’air supérieur de sa meilleure amie lui donnait envie de lui hurler
qu’il n’était pas un idiot qui tomberait dans la magie noire par accident.

« Pourquoi est-ce que tu as emprunté un livre de Grindelwald ? » insista Ron, avec suspicion.
« Pourquoi est-ce que vous m’avez évité toute la journée et pourquoi est-ce que vous avez
l’air si coupable ? » rétorqua-t-il, en croisant les bras sur la poitrine.

S’il avait craint d’être paranoïaque, leurs réactions furent une confirmation évidente qu’il ne
l’était pas. Ron grimaça et baissa les yeux, tandis qu’Hermione relevait un peu le menton
avec entêtement.

Elle se racla la gorge. « On voudrait te parler de… En fait, on s’inquiète parce


que… Pourquoi est-ce que tu ne nous as pas dit que… »

À mesure qu’elle balbutiait, Harry sentit la panique le gagner.

Ils avaient compris pour l’horcruxe et ils ne savaient pas comment le lui dire.

Ils savaient et, à présent, Harry les dégoûtait et…

« On n’est pas sûr d’aimer l’influence que Snape a sur toi. » lâcha Ron, terminant pour elle.
Cela lui valut une bourrade réprobatrice d’Hermione, à laquelle il répondit en levant les bras
dans un geste d’impuissance. « Il faut appeler un chat, un chat, Hermione ! »

Harry était à peine conscient de leur manège, trop soulagé du fait que le mot horcruxe n’ait
pas été prononcé. Bien sûr, une seconde plus tard, ce que Ron venait de dire le frappa et il
décroisa les bras, résistant de peu à l’envie de tirer sa baguette, immédiatement sur la
défensive. « Quoi ? »

Hermione fit un geste vers sa main gauche. « C’est Snape qui t’a donné ça ? »

Le sceau des Prince.

Il se fit violence pour ne pas le couvrir de son autre main.

Pas parce qu’il en avait honte mais parce que, stupidement, il ressentait le besoin de protéger
quelque chose qui était devenu son bien le plus précieux. Personne n’avait jamais voulu de
lui, avant. Pas suffisamment pour lui donner une chambre, un foyer, une famille. La bague
symbolisait tout ça.

« Et après ? » répliqua-t-il, dans haussement d’épaules.

« Il veut t’adopter ? » insista Ron.

Les yeux d’Harry passèrent de l’un à l’autre. Il avait la sensation croissante d’être mis en
accusation.

En d’autres temps, il aurait déjà explosé. Des mois à Serpentard le poussèrent à réagir comme
il l’aurait fait face à Lucius et sa clique. Il se redressa, occluda juste assez pour se composer
une expression distante, presque méprisante, et les dévisagea tour à tour.

Cette attitude, il le savait, exaspérait Hermione.

Ron, lui, soupira. « Pourquoi tu ne nous l’a pas dit ? »


Peut-être pour éviter ce genre de scène ?, songea-t-il méchamment.

« D’abord, parce que ça ne regarde que moi. » cingla-t-il. « Ensuite, parce que ça ne se fera
pas de toute manière. »

« C’est Snape qui t’a dit ça ? » demanda Hermione. « Qu’il voudrait t’adopter mais qu’on ne
le laisserait pas faire ? »

Elle avait ce ton si particulier de quand elle pensait avoir mis le doigt sur le fin mot de
l’histoire, comme si l’offre d’adoption de Severus était l’un des mystères qu’ils s’étaient
régulièrement employés à résoudre au cours de leur scolarité.

« Non, c’est Dumbledore. » contra-t-il, froidement.

Dumbledore qui insistait pour qu’il retourne chez les Dursley bien que Severus lui ait
expliqué que son oncle et sa tante le détestaient, qu’ils le traitaient mal. Mais, ça, il ne leur
confia pas.

Et, lorsque ses deux meilleurs amis échangèrent un regard entendu, comme s’ils en savaient
plus que lui, cela ne l’encouragea pas à s’expliquer davantage.

« Écoute… » reprit Ron, un peu gêné. « Je sais que tu considères Snape comme ton père et…
Et je pense que c’est génial que tu ais trouvé… une famille. Je suis vraiment content pour
toi. »

« Ça se voit tout de suite. » grinça-t-il, non sans sarcasme.

« On veut juste que tu sois prudent. » ajouta Hermione, avec nettement moins d’embarras,
presque comme si elle le sermonnait.

« Prudent. » répéta-t-il, froidement.

Trop froidement.

Ses boucliers flambaient haut et fort alors qu’il se battait pour garder sous contrôle ses
émotions volatiles.

« Oui, prudent. » insista-t-elle, toujours de ce ton moralisateur. « Je ne doute pas que Snape
soit contre Voldemort, mais… Mais est-ce qu’on est sûr qu’il est de notre côté ? Est-ce qu’on
est sûr qu’il est loyal à Dumbledore ? » Elle lâcha la dernière partie rapidement, comme si
elle n’avait attendu que ça depuis des semaines. « Parce que, Harry… Oh, s’il te plaît, ne le
prends pas mal mais parfois quand je t’écoute parler… J’ai l’impression qu’il y a toi et Snape
d’un côté et Dumbledore de l’autre et… Et que Dumbledore est presque votre ennemi. »

Sa vision était si simpliste.

Comme la sienne avant qu’il ne comprenne juste à quel point la situation était compliquée,
avant qu’il ne cesse de voir les choses en noir et blanc.
« Il y a des contextes où il peut l’être. » expliqua-t-il, avec froideur. « Dumbledore n’est pas
exactement un saint, tu sais. »

Et la pierre dans sa poche en était le parfait exemple.

L’entrevue dans le bureau de Dumbledore, plus tôt, avait, à certains moments, davantage
ressemblée à une conversation à sens unique, trop philosophique pour lui. Il en avait toutefois
retenu l’essentiel : cette pierre que le vieux sorcier lui avait confié était une faiblesse. Quoi
que le Professeur ait vu dans le miroir du Rised – et il doutait sincèrement qu’il ait été
question de chaussettes – ou plutôt qui qu’il ait vu, il s’était certainement servi de la pierre
pour les ramener et il ne se faisait pas suffisamment confiance pour garder la pierre avec lui.

Et c’était là l’explication charitable.

Il n’avait pas oublié les nombreux articles que Dumbledore avait écrit sur les Reliques.

Être le Maître de la Mort… Il n’était pas certain que le Directeur soit au-dessus de ça.

Non pas qu’il s’aventurerait à expliquer ça à Ron et Hermione. Même Severus ne croyait pas
en l’existence des Reliques.

« Dumbledore est le seul sorcier que craint Tu-sais-qui. » contra Ron, le visage fermé.
« Harry… Je ne dis pas que Snape est mauvais. Juste que… Peut-être… Enfin… »

« Tu dis quoi, au juste ? » cingla-t-il.

« Ce que Ron veut dire c’est que… Il se pourrait que l’Ordre soupçonne Snape de… quelque
chose. » grimaça Hermione. « Et… »

« Et ça sort d’où, ça ? » la défia-t-il.

Parce qu’aux dernières nouvelles, l’Ordre n’était pas exactement ce qu’il avait été.

Hermione parut hésiter un long moment. Ron ouvrit la bouche mais elle attrapa son bras,
comme pour le faire taire.

« On ne peut pas te le dire. » répondit-elle. « Tu vas immédiatement aller le répéter à


Snape. »

Évidemment qu’il allait immédiatement aller le répéter à Severus.

« Je peux te dire d’où ça ne vient pas, en tout cas. » se moqua-t-il. « Ça ne vient pas de Sirius
ou de Tonks. Ou de McGonagall, d’ailleurs. L’Ordre… » Il mima des guillemets. « … n’est
pas contre Severus. »

« C’est ce qu’il te dit ? » insista son amie.

« J’en sais plus que toi, Hermione. » cracha-t-il, perdant finalement son calme. « Tu n’as
aucune idée de ce qui se passe avec l’Ordre. »
« Parce que l’Ordre t’intéresse maintenant ? » riposta-t-elle, railleuse. « La dernière fois
qu’on en a parlé tu n’avais pas l’air de t’en soucier ! Tu as eu l’opportunité de faire quelque
chose de concret pour la guerre et ça avait l’air de t’ennuyer ! Comme si ce n’était pas une
bonne chose que Dumbledore t’emmène en mission ! »

« Hermione. » intervint Ron. « Il a le droit de ne pas vouloir… »

« Parce que ce n’est pas une bonne chose ! » s’énerva-t-il, parlant par-dessus son meilleur
ami. « Je n’ai pas envie d’aller chasser les hor… » Il ravala le mot avant d’avoir pu le crier. Il
ne connaissait pas le sort qu’Hermione avait jeté sur la porte et il ne s’y fiait pas. Sans parler
des tableaux au murs. « Je n’ai pas envie de jouer les soldats de plombs pour Dumbledore, tu
peux comprendre ça ?! Je ne suis qu’un pion sur l’échiquier pour lui, il me sacrifiera sans
ciller s’il le faut ! »

Et Harry le laisserait faire.

C’était ce qu’ils s’étaient dit à demi-mots tout en buvant leur thé comme des Anglais
civilisés…

Pour un ancien Gryffondor, Dumbledore parlait très bien le Serpentard.

« Il ne ferait jamais ça ! » réfuta-t-elle, en pointant un doigt accusateur vers lui. « Ça, c’est
ce que Snape t’a mis dans la tête ! Dumbledore… »

« Dumbledore pense que la prophétie est le début et la fin de tout. » ricana-t-il amèrement.
« Tu ne vois pas ? Pour que Voldemort meure, je dois soit le tuer, soit être tué par lui. À un
moment donné, Dumbledore me demandera de m’y soumettre. »

Il ne pouvait pas être plus explicite sans mentionner l’horcruxe.

Même avouer si peu était un risque, elle était trop intelligente pour ne pas additionner un plus
un.

« C’est ton destin ! » contra-t-elle, avec une ferveur presque fanatique.

Il secoua la tête, sa colère retombant comme un soufflet, ne laissant place qu’à une déception
acerbe.

« Mais tu ne vas pas mourir ! » ajouta-t-elle rapidement, lorsqu’il resta silencieux trop
longtemps. « C’est pour ça que c’est important que tu suives les conseils de Dumbledore et
tes cours particuliers et… »

« Hermione. » la rabroua Ron, agacé. « Harry, je comprends, moi. Je comprends pourquoi tu


ne veux pas être plus impliqué que ça. Et Snape… Peut-être que ses intentions sont bonnes.
Peut-être qu’il essaye juste de te protéger. Mais… Peut-être aussi qu’il s’y prend mal et que
la guerre est plus importante que… »

« Que moi ? » railla-t-il, en se levant.

« Non, bien sûr que non ! » protesta Hermione. « Ce n’est pas du tout ce qu’on veut dire. »
Il ne s’attarda pas pour en entendre davantage.

Il avait envie de hurler, de pleurer et de tout casser à la fois alors il était sans doute plus sage
qu’il parte avant que l’Occlumencie ne lui fasse défaut et qu’il dise des choses qu’il
regretterait par la suite.

« Je t’avais dit que ça ne se passerait pas bien et qu’il ne fallait pas s’en mêler ! » accusa Ron
dans son dos.

Ça ne l’empêcha pas de claquer la porte du dortoir derrière lui.

°O°O°O°O°

À l’abri des regards dans ses appartements, Severus s’affala sur son fauteuil favori sans
aucune retenue ou légèreté. Il s’autorisa un soupir et se frotta le visage, plus las qu’il ne
l’aurait voulu. Sa jambe le faisait souffrir et il l’étendit devant lui, espérant soulager un peu
les muscles crispés depuis son entraînement avec Harry.

Il avait laissé ses robes pendues à une patère dans l’entrée en arrivant, de sorte qu’il n’eut
qu’à défaire les boutons de sa chemise au niveau du poignet et à remonter la manche pour
dévoiler le bandage autour de son avant-bras gauche. Avec un nouveau soupir, il fit
disparaître la bande de gaze déjà tâchée et observa la Marque qui était particulièrement
douloureuse ce soir-là.

C’était une bonne chose qu’il ait rendez-vous tôt avec Bill Weasley le lendemain matin. Peut-
être serait-il bon de réduire le laps de temps entre les séances, songea-t-il, car si le sortilège
ne paraissait pas perdre en efficacité, la colère du Seigneur des Ténèbres semblait, elle,
augmenter.

La vue de la chair boursoufflée autour du tatouage aurait sans doute donné la nausée à
n’importe quel estomac non averti. Était-ce pire qu’une semaine auparavant ? Pire que la
veille ? Il n’aurait su le dire. Ce n’était pas beau à voir, cela était certain, et il avait toujours
l’impression que la Marque sombrait dans sa chair, le brûlait au fer rouge…

Amputer…

Il n’en était pas là.

Pas encore.

Avec un nouveau soupir, il sortit sa baguette et fit venir à lui le baume qu’il avait abandonné
dans ses robes. Le temps que la petite boite vole jusqu’à lui, un chat avait sauté sur
l’accoudoir du fauteuil.

« Tiens, te voilà, toi ? » murmura-t-il, en grattant Masque derrière les oreilles, déclenchant
une turbine à ronrons. « Tu passes tellement de temps chez les lions, je pensais que tu avais
déserté les cachots… »

Le chat qu’il n’avait jamais officiellement adopté descendit sur ses jambes et entreprit de lui
labourer affectueusement les cuisses de ses griffes, en demandant des caresses que Severus
lui accorda avec un rare sourire. Masque suivait Harry à la trace, ces derniers temps, il ne
venait plus aussi souvent dans ses appartements. Le félin avait l’affection généreuse mais
courte et il ne tarda pas à sauter pour mieux aller s’étaler sur le canapé où il aurait tranquillité
et espace.

Severus étala soigneusement le baume sur la Marque, constatant sans surprise que cela ne
soulageait quasiment pas la douleur. Cela apaisait quelque peu la sensation de brûlure, sans
plus.

Il était en train d’entourer son avant-bras d’une bande de gaze fraîche lorsque le feu se raviva
brusquement dans la cheminée. Il se détendit lorsque le visage de Nymphadora apparut. Il
n’aimait pas recevoir Albus ou un des autres Professeurs lorsqu’il ne portait pas ses robes ou
sa cape. Il se sentait un peu trop vulnérable en simple pantalon et chemise.

« Severus ? » appela-t-elle.

« Traverse. » l’invita-t-il.

Il déplaça le pare-feu d’un coup de baguette, se hissant déjà sur ses pieds en prenant appui sur
les accoudoirs.

Elle émergea de la cheminée quelques secondes plus tard, un épais dossier fermement serré
contre la poitrine. Ce ne fût toutefois pas la chemise cartonnée qui attira son attention.

« Aurais-je oublié une occasion particulière ou bien es-tu venue encaisser une de ces faveurs
que je te dois ? » plaisanta-t-il, non sans apprécier la vue.

Elle portait une robe de cocktail noire classique, presque trop sage pour elle, qui épousait son
corps juste là où il fallait. Ses cheveux blonds platine étaient remontés en un chignon lâche
mais étudié, elle s’était maquillée de manière plus prononcée que d’ordinaire mais avec
retenue… Cela lui allait à ravir mais la vieillissait un peu, lui donnait l’air presque altier des
Sang-Pures… Son ascendance Black n’avait jamais été aussi évidente pour lui qu’à l’instant.

Il se surprit à penser qu’il la préférait en jean troué et tee-shirt à l’effigie d’un quelconque
groupe de rock.

« Ni l’un, ni l’autre. » répondit-elle, en s’époussetant de sa main libre. « Il y a une réception à


Downing Street et on m’a priée de bien vouloir me fondre dans le décors. »

« C’est un échec. » commenta-t-il, sans dissimuler son admiration. « Je doute que tu passes
inaperçue dans cette tenue… »

Le temps qu’elle ait terminé de saupoudrer son tapis de cendres, Severus l’avait rejointe et
osa poser une main sur sa hanche, l’attirant à lui avec juste assez de force pour lui faire
comprendre ce qu’il voulait. Elle aurait aussi bien pu s’éloigner si elle l’avait souhaité mais
elle se laissa faire avec une joie évidente, répondant à son baiser avec juste assez
d’enthousiasme pour lui faire oublier la mauvaise humeur qu’avait provoqué son entrevue
avec Slughorn.
Il avait traîné sa colère tout le long du dîner, s’attirant plus d’un commentaire désobligeant de
Minerva et d’un coup d’œil curieux d’Albus qui s’était présenté dans la Grande Salle pour la
première fois depuis des semaines.

Nymphadora s’écarta finalement, avec un petit rire. « La flatterie te mènera où tu voudras


avec moi mais pas ce soir. Je n’ai pas beaucoup de temps. Je suis juste venue te déposer ce
que tu m’as demandé. J’encaisserai mes faveurs une autre fois. »

Elle lui fit un clin d’œil qui l’amusa et contribua à le détendre davantage. Son attention,
néanmoins, s’était portée sur la pochette cartonnée.

Les recherches sur Jedusor.

Il tendit la main vers le dossier mais elle s’éloigna d’un petit bond, un sourire malicieux sur
le visage, le mettant hors de portée – et elle avec. « Dis-moi d’abord ce qu’à dit Pomfresh. Je
te jure que si tu as encore accidentellement oublié d’aller à ton rendez-vous… »

« Ce n’était pas Pomfresh mais ta mère. » l’interrompit-il, levant un sourcil lourd de sens.

« Oh, Circé ! » s’exclama-t-elle, son humeur espiègle semblant fondre comme neige au soleil.
« S’il te plait, dis-moi qu’elle ne t’a pas suffisamment effrayé pour que tu me laisses
tomber… »

Il laissa échapper un bruit amusé. « Notre entrevue m’a certainement rappelé un ou deux
interrogatoires avec Maugrey. »

Peut-être pas celui où il lui avait cassé le nez mais l’Auror n’avait jamais été tendre avec les
suspects.

Elle fit la grimace. « Je suis désolée. Elle a eu des soupçons quand tu étais à l’infirmerie. »

Il se détourna légèrement, reportant son attention sur le chat très occupé à se lécher la patte.
« Il est évident qu’elle désapprouve l’idée de notre relation. »

« Severus… » murmura-t-elle, se rapprochant suffisamment pour poser une main sur son
épaule. « Ce n’est pas sa vie, ce n’est pas sa décision. »

« Oui, je lui ai répondu sensiblement la même chose. » soupira-t-il, tournant la tête vers elle.
« J’ai tâché d’être diplomate, néanmoins. Il ne me semblait pas judicieux de mettre le feu aux
poudres. »

Ce devait être la bonne réponse ou, du moins, ce qu’elle voulait entendre parce qu’elle lui
sourit avec soulagement et l’attira plus près pour voler un autre baiser auquel il s’abandonna
sans se faire prier.

« Et ton état de santé ? » insista-t-elle, sans chercher à s’écarter à nouveau ou échapper au


bras qu’il ne se souvenait pas avoir enroulé autour de sa taille.

Il aurait probablement dû s’alarmer du naturel avec lequel il la touchait dernièrement.


Lorsqu’elle était près de lui, initier un quelconque contact était presque devenu un reflexe. Il
ne se l’expliquait pas.

N’aurait-il pas dû se lasser avec le temps ? C’était tout le contraire. Son parfum, le goût de sa
peau, la sensation de son corps pressé contre le sien… Il avait parfois l’impression qu’elle
était comme une drogue. Plus il y goûtait et plus il avait envie de recommencer, plus il peinait
à s’en passer.

« Bon. » répondit-il, un peu trop laconiquement si l’on devait en croire son expression mi-
amusée, mi-soupçonneuse. « L’état de la Marque est préoccupant mais nous le savions déjà.
Elle pense que mes mains n’évolueront plus beaucoup. »

Ce qui était, il fallait l’admettre, un coup dur.

Encore que si Slughorn acceptait véritablement de lui préparer sa potion…

Il rejeta cette idée dans un coin de sa tête, avec tout ce qui concernait son ancien Directeur de
Maison, avant que la colère ait pu à nouveau l’envahir.

Nymphadora le dévisagea quelques secondes puis dût conclure qu’il ne lui dissimulait rien
car elle lui tendit la sommes de ses recherches. Il accepta la pochette, retirant à regret son
bras de sa taille pour mieux la consulter. Le dossier n’était pas bien épais mais comportait
divers documents officiels, quelques photographies jaunies, un ou deux articles de journaux,
et plusieurs pages de notes rédigées au stylo bille dont il identifia l’écriture comme étant celle
de la jeune femme.

« Je n’ai pas trouvé grand-chose au Ministère. » résuma-t-elle. « Quelqu’un s’est donné


beaucoup de mal pour faire disparaitre ses traces. Heureusement pour toi, je suis excellente
enquêtrice. »

Ses yeux gris brillaient d’amusement et, peut-être un peu, de satisfaction. Il supposait que
cela avait dû être une bénédiction de pouvoir faire ce qui l’intéressait : résoudre un mystère,
au lieu de se cantonner à une suite interminable de batailles ou de missions de protection et
surveillance.

« As-tu trouvé quelque chose d’intéressant ? » s’enquit-il, en passant rapidement en revue les
divers documents. Il lui faudrait faire le tri mais cela lui semblait prometteur. Il devait bien y
avoir, quelque part dans cette mine d’informations, la trace de la cachette d’au moins un des
horcruxes.

« Qu’il avait tout du parfait psychopathe bien avant de changer de nom ? » railla-t-elle.
« Tous les indices étaient là : cadavres d’animaux de compagnie, disparitions inquiétantes en
séries dans son entourage, signes évidents de mégalomanie… » Elle secoua la tête. « Il y a
certaines personnes que je n’ai pas pu trouver et qui, j’en suis quasi sûre, sont enterrées dans
un coin. C’était presque plus facile d’enquêter sur les années qu’il a passé chez les Moldus.
L’orphelinat dans lequel il a grandi a brûlé, il y a très longtemps, sa directrice avec, mais cette
Mrs Cole tenait des registres très détaillés et les archives venaient juste d’être transférées
deux semaines avant l’incendie. Coup de chance, même si ça m’a pris des heures de tout lire.
» Elle repoussa gentiment ses mains pour feuilleter les papiers elle-même jusqu’à s’arrêter
sur ce qui semblait être des photocopies de carnets passablement anciens, l’encre en était
presque effacée. « Commence par là, c’est édifiant. »

L’écriture était élégante quoi qu’un peu désuète. Le contenu paraissait à mi-chemin du
journal intime. Nymphadora avait clairement trié dans le tas et n’avait rassemblé que les
passages pertinents…

Il referma le dossier, sachant qu’il devrait prendre son temps pour l’étudier, et le déposa sur
la table basse.

« Tu en as fait bien plus que ce que j’espérais. » remarqua-t-il.

« Je peux creuser davantage, si tu veux. » offrit-elle. « Il y a deux ou trois pistes que je n’ai
pas eu le temps d’approfondir. Et puis tous ces gens qui ont disparu sans laisser de traces…
Ça m’intrigue. »

Il hésita. « Je ne voudrais pas alerter le Seigneur des Ténèbres. Ou te mettre en


danger. Laisse-moi déjà étudier ceci. »

Elle marqua son assentiment d’un haussement d’épaules, ses lèvres s’étirant dans un sourire
qui n’atteignit pas ses yeux. « Je suppose que je n’ai pas le droit de savoir pourquoi tu fais
ces recherches ? »

Une nouvelle fois, il hésita. Sur le plan tactique, lui révéler la vérité n’avait pas grand sens.
Elle ne leur apporterait rien dans le domaine de la magie noire et ne les aiderait pas à avancer
sur la manière de se débarrasser de l’horcruxe qui vivait en Harry. Cependant… Elle avait un
esprit analytique et réfléchissait en Auror, ce que ni lui, ni Black, ni Bill Weasley ne savaient
faire. Lorsqu’il s’agirait de déterminer où étaient les horcruxes…

Il effleura son esprit du sien, jaugea la force de ses boucliers…

Elle fronça les sourcils, ayant clairement perçu l’intrusion, et ses boucliers se renforcèrent
alors même qu’une ribambelle de souvenirs sans conséquence valsait au premier plan de sa
conscience. Exactement comme il le lui avait appris.

Cependant, s’il poussait un peu, s’il exerçait toute la force de ses dons de Legilimens…

Elle avait une résistance naturelle qui l’avait aidée à assimiler rapidement le concept
d’Occlumencie mais si jamais elle tombait entre les mains du Seigneur des Ténèbres – ou si
Dumbledore s’avisait à nouveau de s’insinuer dans sa tête sans sa permission – il était certain
qu’elle échouerait à le repousser. Elle ne serait déjà pas parvenu à le repousser, lui, s’il avait
été déterminé à éventrer son esprit.

« Pas tant que tu n’amélioreras pas davantage tes capacités d’Occlumens. » répondit-il. Il
effleura sa joue de sa main tremblante, espérant qu’elle ne lui tiendrait pas rigueur de son
refus.

Un des avantages à entretenir une liaison avec une Auror, toutefois, était qu’elle comprenait
l’importance de garder certains secrets.
Elle hocha la tête en signe de compréhension.

« Ce n’est pas une question de confiance. » insista-t-il.

« Je sais, ne t’inquiète pas. » confirma-t-elle. Elle jeta un coup d’œil à la pendule qui égrenait
lentement les minutes et fit la moue. « Je n’ai aucune envide d’aller à cette soirée. Downing
Street est d’un ennui mortel. »

Il ne lui rappela pas que c’était le métier qu’elle avait choisi ou que c’était son devoir parce
qu’il était parfaitement conscient qu’elle ne le savait que trop bien et qu’elle ne s’attarderait
pas davantage que quelques minutes de plus. Ça ne l’empêcha pas de sentir ses lèvres s’étirer
légèrement lorsqu’elle plaça ses bras autour de son cou, se rapprochant beaucoup trop près
pour que l’étreinte soit tout à fait innocente. Leurs regards s’accrochèrent, refusèrent de se
lâcher…

« Tu sais, si tu aimes tellement cette robe… » commença-t-elle, uniquement pour être


interrompue par le claquement brusque d’une porte quelque part dans ses appartements.

La porte principale, si Severus ne se trompait pas.

« Papa ? » appela Harry une seconde plus tard, d’un ton qui trahissait énervement et
frustration.

Severus eut à peine le temps de la repousser et de s’écarter assez pour ne pas être pris la main
dans le sac.

Ce fût un échec, à en croire l’expression du garçon lorsqu’il pénétra dans le salon à grandes
enjambées agacées uniquement pour se figer lorsqu’il aperçut la jeune femme.

Le moment ne dura sans doute pas plus d’une poignée de secondes mais, pour Severus, il
s’étira de manière interminable. Le cœur battant un peu trop fort, se sentant pris en faute sans
trop savoir pourquoi, il était un peu trop conscient que ses cheveux devaient être ébouriffés
depuis qu’elle avait passé la main dedans en l’embrassant, qu’il n’avait jamais pris la peine
de reboutonner sa manche lorsqu’il avait terminé de soigner sa Marque, ce qui lui donnait
l’air débraillé, et que Nymphadora portait une tenue trop habillée par rapport à d’habitude, ce
qui pouvait donner une fausse impression de ce qu’ils avaient été en train de faire.

« Euh… » bredouilla finalement le garçon, en s’empourprant. « Désolé, je ne savais pas


que… Je ne voulais pas vous interrompre. »

Severus, il le savait, était probablement aussi rouge d’embarras que lui.

Ce n’était pas du tout comme ça qu’il avait voulu aborder le sujet.

Nymphadora, Merlin la bénisse, ne parut pas du tout perturbée par cette arrivée tonitruante.
Elle se contenta de feindre un sourire comme si tout était normal, comme s’ils ne venaient
pas de manquer se faire surprendre en pleine étreinte, comme si Harry et elle s’étaient croisés
un million de fois dans ses appartements.
« Hey, Harry ! » le salua-t-elle avec bonne humeur. « Tu ne nous interromps pas, je m’en
allais. Je venais juste déposer un dossier. » Elle fit un geste vers sa robe – un geste bien
inutile parce que l’adolescent paraissait peiner à détacher le regard de ses jambes – et leva les
yeux au ciel. « Je suis sous couverture à Downing Street. Je te prie de croire qu’ils ne
demandent pas aux hommes de se pomponner comme ça. »

Harry ne répondit rien et, si le sourire de la jeune femme faiblit un petit peu, elle n’en laissa
rien paraître.

« Bonne soirée, les garçons ! »

Avant que Severus ait pu tenter de dire quoi que ce soit, elle avait attrapé une poignée de
poudre de cheminette et s’était sauvée sans demander son reste.

Il ne pouvait pas exactement l’en blâmer.

Il était furieusement tenté d’en faire de même.

°O°O°O°O°

Harry était partagé entre frustration, déception et colère lorsqu’il traversa la salle commune
des Gryffondors au pas de charge, ignorant les regards qui suivirent sa progression. Une fois
qu’il eut passé le portrait de la Grosse Dame, ses pas le menèrent machinalement vers les
cachots.

On frisait l’heure du couvre-feu et il n’avait aucune intention de retourner dans les dortoirs ce
soir là de toute manière. Autant qu’il retourne dans sa chambre.

Le toupet de Ron et d’Hermione…

Il fulminait lorsqu’il atteignit finalement le pan de mur nu qui abritait pourtant la porte
cachée qui menait aux appartements de Severus. Il préférait d’habitude utiliser l’entrée
dérobée qui partait du bureau du Directeur de Maison mais il n’avait pas vraiment fait
attention à où il allait ce soir là.

Il n’y avait pas besoin de mot de passe, les protections arrêteraient quiconque n’était pas
autorisé à entrer, il poussa donc le mur à l’endroit précis où il le fallait pour déclencher le
mécanisme d’ouverture et, tout entier à son irritation, le repoussa un peu trop brutalement une
fois à l’intérieur.

« Papa ? » appela-t-il, sans réfléchir.

Il se pourrait que l’Ordre soupçonne Snape de… quelque chose.

Hermione ne savait pas ce qu’elle disait. Il l’avait bien remarqué depuis son retour, elle
agissait comme si elle voulait à tout prix se donner de l’importance. Ou non, c’était peut-être
une pensée ingrate, songea-t-il en déboulant dans le salon au pas de charge, mais on ne
pouvait nier qu’elle avait apprécié de jouer les leaders en son absence et…

Harry se figea lorsqu’il surprit la scène.


Severus se tenait derrière un fauteuil, les cheveux passablement en désordre, une des
manches de sa chemises béante, l’air suprêmement coupable.

Tonks était debout, plus près de la cheminée, dans une robe clairement trop habillée pour les
cachots.

Il s’entendit balbutier des excuses, sans trop savoir ce qu’il disait, incapable de décider où
poser le regard – ailleurs que sur les jambes de l’Auror semblait tout indiqué,
malheureusement son cerveau ne semblait pas vouloir coopérer.

La jeune femme offrit une explication bancale qu’il écouta à peine, trop gêné pour faire autre
chose que rougir en se demandant s’il empirerait la situation en s’enfuyant ou pas, puis elle
disparut dans la cheminée, le laissant seul avec Severus.

Ce qui était encore pire.

L’homme se racla nerveusement la gorge, les joues en feu.

Harry fit un pas vers la porte, puis deux, décidant qu’il n’y avait aucune honte à effectuer un
repli tactique.

« Je suis désolé. Je ne voulais pas vous déranger. » s’excusa-t-il encore. Quel idiot, il faisait.
Pourquoi n’avait-il pas regardé la Carte avant de se précipiter dans les appartements de
Severus comme…

Comme quoi ?

Comme s’il habitait là ?

Ils n’étaient plus en soixante-quinze. Peut-être que…

« Harry, tu es ici chez toi. » contra fermement Severus, comme s’il avait lu dans ses pensées.

Oh, oh, songea l’adolescent avec un brin de panique, il avait été tellement choqué que… Il
s’assura que les boucliers qu’il avait complètement oubliés étaient à nouveau en place.

« Tu ne me déranges jamais. » insista le sorcier. « Tu peux aller et venir à ta guise. »

À cet instant précis, il aurait préféré aller que venir.

« J’aurais dû vous avertir avant de débarquer comme ça. » réfuta-t-il, en faisant un autre pas
vers la porte. « Ou frapper… Ou… »

« Tu n’as pas besoin de m’avertir ou de frapper. » soupira Severus, en se pinçant l’arrête de


nez. « Viens t’asseoir. Je pense qu’une conversation s’impose. »

« Non, non, vraiment, ce n’est pas nécessaire. » protesta-t-il.

« Je pense que si, au contraire. » contra le Professeur.


Harry était presque arrivé à la porte du salon lorsque Severus traina la jambe jusqu’au
fauteuil avec suffisamment de difficultés pour qu’il reconsidère l’idée de le laisser seul.

C’était un piège, bien entendu, parce que Sev n’admettait jamais ses faiblesses et aurait fait
son maximum pour lui dissimuler la douleur s’il avait réellement souffert. Le sorcier savait
simplement qu’Harry serait incapable de le laisser s’il soupçonnait qu’il avait besoin de son
aide.

Foutus Serpentards.

Il était presque certain que c’était une manière de le manipuler.

Presque.

A contrecœur, il se laissa aller sur le canapé, à côté de Masque qui rechigna un peu à
partager. Il se mit immédiatement à caresser le chat, préférant fixer du regard le matou noir et
blanc que d’affronter Severus.

« J’ai essayé d’aborder le sujet plusieurs fois… » commença maladroitement l’homme.

Les oreilles d’Harry le brûlaient si forts qu’elles devaient être écarlates. « J’ai compris, il y a
un moment. On n’a pas besoin d’en parler. »

Severus demeura silencieux suffisamment longtemps pour qu’Harry risque un coup d’œil
vers lui. Son visage était lisse, neutre, mais une lueur incertaine tremblait dans ses yeux noirs.

« Si tu penses que tu n’es plus le bienvenu ici, alors, si, Harry, nous avons besoin d’en
parler. » murmura Sev, avant de se racler à nouveau la gorge. « Toutefois, afin de clarifier la
situation… Nymphadora est simplement passée me déposer des recherches sur Tom Jedusor
qu’elle a faites pour moi. Je suis déterminé à trouver le prochain horcruxe avant Albus. »

Il ne voulait pas vraiment clarifier la situation et il y avait, certes, un dossier flambant neuf –
ou, du moins, un qu’il n’avait jamais vu avant – sur la table basse, entre deux grimoires qui,
eux, lui étaient familiers… Pourtant, il ne put s’empêcher de faire la grimace. « Vous ne faites
pas que échanger des dossiers avec Tonks. »

Ou alors il se trompait sur toute la ligne mais il ne le pensait pas.

Severus, à sa décharge, ne mentait pas lorsqu’il disait avoir tenté d’aborder le sujet plusieurs
fois, ces derniers jours.

« Non. » confirma le Professeur. « Nous… »

Il s’interrompit comme s’il n’était pas certain du terme à employer.

Il paraissait si gêné, autant qu’Harry si ce n’était plus, que l’adolescent le prit en pitié.

« Vous êtes ensemble. » devina-t-il.


Sev prit une profonde inspiration puis inclina la tête. « Oui. Cependant, cela ne remet pas en
cause mes priorités, Harry, j’ai été très clair avec elle sur le sujet. »

Le connaissant, voilà qui avait dû être une conversation extrêmement romantique, se dit-il,
pince-sans-rire.

« D’accord. » répondit-il faiblement, parce que c’était ce que l’homme voulait entendre.

Et Harry dirait tout ce qu’il voulait entendre si ça lui permettait de partir plus vite.

Il n’avait toujours pas l’intention de passer la nuit dans les dortoirs mais il supposait que
Sirius le laisserait peut-être squatter son canapé sans poser trop de questions.

Le Professeur le dévisagea avec contrariété. « Quelle est ma priorité ? »

Il dût faire un effort pour ne pas soupirer. Il détestait lorsque le Maître des Potions s’amusait
à poser ce genre de questions. C’étaient toujours des questions piège.

« La potion Révèle-Loup. » répondit-il sans réfléchir. C’était ce dont ils parlaient en


permanence depuis des semaines.

« Non, Harry. Certainement pas. » grinça l’homme.

« Les horcruxes ? » tenta-t-il immédiatement.

« Toi, crétin ! » s’emporta Severus, mais sa colère retomba rapidement, ne laissant derrière
elle qu’une expression triste sur son visage. « En sommes-nous vraiment toujours là ? »

Harry baissa le regard vers Masque, se sentant coupable. Le chat dût sentir sa détresse parce
qu’il daigna quitter son coin de canapé pour venir se pelotonner sur ses genoux. Il le caressa
distraitement, sans oser lever les yeux.

Il avait l’impression d’avoir déçu Severus or…

« Harry. » appela doucement le Professeur. « Tu es ma priorité, ma seule priorité. Tu es mon


fils et rien ne changera cela. »

« Je sais. » murmura-t-il.

Mais Severus dût entendre la fêlure dans sa voix parce qu’il poussa un soupir. Lorsqu’il se
hasarda à lui jeter un coup d’œil sous sa frange, cependant, Harry ne vit aucune émotion sur
son visage, rien qu’un masque neutre, presque froid, qu’il n’avait pas vu depuis un moment.
Un détachement parfait, comme si l’homme éprouvait le besoin d’occluder entièrement des
émotions dérangeantes.

« Je vais rompre avec elle. » offrit l’ancien espion. « Je ne pensais pas que cela te perturberait
autant. Je… Je m’excuse. » Harry manqua s’étouffer de surprise mais l’homme continua,
imperturbable. « Je t’ai promis de la stabilité et… »
« Vous n’avez pas besoin de rompre avec elle ! » l’interrompit-il. « Je ne veux pas que vous
rompiez avec elle. Ce n’est pas ça, c’est juste que… »

« Que ? » pressa Severus, lorsqu’il échoua à terminer sa phrase.

Qu’Harry était très égoïste.

Ne venait-il pas de tacitement promettre à Dumbledore de se sacrifier s’il le fallait ? Ne


venait-il pas d’affirmer à Ron et Hermione que c’était ainsi que l’histoire finirait ?

Il savait que Severus se tuerait à la tâche jusqu’au dernier moment pour le sauver, même si
c’était impossible.

Il savait que Severus se tuerait tout court pour le sauver si la situation l’exigeait.

Il savait aussi comment Severus réagirait si… lorsque Harry mourrait. Il se replierait sur lui-
même, repousserait tout le monde, et s’installerait dans sa douleur comme il l’avait fait après
Lily.

Avec un peu de chance, Tonks l’aiderait à surmonter sa mort, l’aiderait à se reconstruire, ne le


laisserait pas sombrer… Il aurait besoin d’elle.

Et, de toute manière, il était évident que le Maître des Potions avait des sentiments pour elle.
Harry ne l’imaginait pas s’embarquer dans une relation avec quelqu’un comme Tonk sans
qu’il n’y ait des sentiments quelque part.

Il était hors de question qu’il le prive de retrouver l’amour.

Hors de question.

« Que… » répéta-t-il, au bout de quelques secondes. « C’est juste un peu gênant, c’est tout. »

« Tu n’es pas le seul pour qui cela est gênant, je te rassure. » marmonna l’ancien Mangemort,
un éclair de soulagement fugitif passant dans son regard.

Oui, se dit Harry, il y avait des sentiments là-dessous.

Alors, malgré tout, il laissa échapper un bruit amusé.

Severus parut se détendre un peu, suffisamment en tout cas pour lever les sourcils avec un
brin de sarcasme. « J’insiste sur le fait que cela ne change rien. Tu es libre de venir quand tu
le veux, comme tu le veux. Cela me peinerait que tu cesses de considérer ces appartements
comme ton foyer. »

Harry hocha la tête, légèrement hésitant. « D’accord mais… Comment est-ce que je peux être
sûr de ne pas… déranger ? »

L’homme qui venait de retrouver son teint habituellement pâle s’empourpra à nouveau mais
parvint pourtant à plaisanter. « Vu ta discrétion d’hippogriffe, il n’y aucun danger. »
Il leva les yeux au ciel. « Ce n’est pas ma faute si la porte est lourde. Vous ne pouviez pas
avoir un portrait comme porte d’entrée ? Comme tout le monde ? »

« Et de quoi te plaindrais-tu dans ce cas là ? » rétorqua Sev, en se levant.

Il se dirigea hors de la pièce et Harry le suivit par réflexe, notant que le boitement était
nettement moins prononcé que tout à l’heure. Une fois qu’ils eurent atteint la cuisine et que
l’homme eut mit la bouilloire à chauffer, Harry se percha sur la table, jouant distraitement
avec le sceau des Prince.

« Je l’aime bien. » commenta-t-il, tandis que Severus sortait deux tasses du placard.

Le sorcier lui jeta un coup d’œil sans avoir l’air. « Est-ce la raison pour laquelle tu trouves la
situation si gênante ? Parce que tu l’aimes bien ? »

La question était posée avec suffisamment de détachement pour qu’Harry ne prenne pas la
mouche mais ça ne l’empêcha pas de redevenir rouge comme une tomate et de manquer
s’étouffer sous le coup d’une toux nerveuse.

« Non ! » protesta-t-il, puis il fit la grimace et avoua. « Peut-être un peu. » Elle avait de très,
très jolies jambes. Était-ce sa faute s’il l’avait remarqué ? Et il était persuadé que Severus
avait remarqué qu’il avait remarqué. « Elle est trop vieille pour moi, de toute manière. »

Il ajouta cette dernière phrase après-coup, sur le ton de la plaisanterie. Ce n’était pas comme
s’il était tombé amoureux de Tonks ou quelque chose du genre. C’était juste qu’elle était
très… jolie. Et qu’il l’avait noté. Silencieusement. À chaque fois qu’il l’avait vue.
Particulièrement depuis qu’ils étaient revenus du passé.

La bouilloire siffla et Severus transféra l’eau bouillante dans la théière avec prudence. Il
aurait pu préparer le thé d’un coup de baguette mais le travail manuel était bon pour ses
mains.

« Certains diraient que je suis trop vieux pour elle. Tu es libre de me le dire, si cela te
dérange. » commenta le Professeur, avec un peu trop de détachement. « Ou si tu
désapprouves, d’ailleurs. »

Harry fronça les sourcils. « Pourquoi est-ce que je désapprouverai ? Je vous l’ai dit, je l’aime
bien. Et vous… » Il haussa les épaules. « Ce que j’essaye de dire c’est que… Je suis content
pour vous. Si vous êtes heureux avec elle. »

Il ne comprenait peut-être pas comment deux personnes aussi différentes pouvaient s’être
trouvées mais… Ce n’était pas à lui de leur faire la leçon.

Severus l’étudia un moment puis lui adressa un rare sourire. « Merci, Harry. »

Il lui sourit en retour, se détendant un peu. « Je suis désolé si j’ai réagi bizarrement. C’est
juste que je ne sais pas trop… Je ne sais pas trop où est ma place là-dedans. »

« Rien n’a changé. » affirma à nouveau le Professeur. « Et rien ne changera pour l’instant. Ta
place est la même qu’elle a toujours été. » Il lui jeta un regard légèrement désapprobateur.
« À présent, descend de la table, les chaises ne sont pas là pour rien, et dis-moi plutôt
pourquoi tu étais si contrarié que tu as manqué enfreindre le couvre-feu. »

Il sauta de la table d’un bon souple et récupéra sa tasse, délaissant la table de la cuisine car il
préférait retourner au salon. Il s’assit à même le sol, sur le tapis épais, devant la table basse,
au grand désespoir évident de Severus.

« Eh bien ? » le relança son père, lorsqu’ils furent installés.

Il tira à lui l’épaisse chemise cartonnée que l’homme avait désignée un peu plus tôt. « C’est
ça les recherches sur Vol… Vous-savez-qui ? » Il attendit une seconde puis, lorsque l’homme
ne protesta pas, ouvrit le dossier. « Vous savez que Dumbledore a déjà tout une collection de
souvenirs… »

« À laquelle nous n’avons pas accès. » remarqua Severus. « De plus, étudier notre ennemi par
nos propres moyens n’est jamais une sotte idée. Très jolie tentative d’évasion, par ailleurs,
réponds à ma question. »

Harry soupira, enveloppant la tasse brûlante entre ses doigts. « Juste Ron et Hermione. Je n’ai
pas envie d’en parler. »

Il n’avait pas envie d’expliquer au Professeur que ses deux meilleurs amis, les personnes qui
comptaient le plus pour lui, désapprouvaient l’idée qu’ils puissent former une famille. Et
pourquoi ? Parce qu’un membre de l’Ordre le leur avait dit ? Il ne savait même pas de qui il
était question.

« Ne comptais-tu pas essayer de leur parler ? » demanda Severus, avec hésitation.

Il laissa échapper un bruit amer et se tourna jusqu’à être adossé au canapé, le regard perdu
dans les flammes qui brûlaient haut dans l’âtre, écho parfait des boucliers qui flambaient dans
son esprit.

« Ils ne comprennent pas. » murmura-t-il. « Ron, si, peut-être…. Mais Hermione… On dirait
qu’elle n’attend qu’une chose, c’est de pouvoir jouer les héros. »

« Elle a soif de faire ses preuves. » constata le Maître des Potions. « Ce n’est pas nouveau. »

Certes, mais maintenant, c’était…

Harry était mort.

Ce n’était ni plaisant, ni glorieux, ni…

« Est-ce que vous repensez au cimetière, des fois ? » demanda-t-il, presque avec réticence.

« Je le revis presque toutes les nuits dans mes cauchemars. » admit Severus, après un silence.
« J’ai réellement cru que je t’avais perdu cette nuit là, Harry. »

« Moi aussi, j’y repense. » avoua-t-il.


Mais ce n’était pas toujours un cauchemar.

Parfois… Parfois, c’était presque une délivrance.

Il plongea la main dans sa poche, trouva la pierre froide que lui avait confiée Dumbledore…

Était-ce pour ça qu’il n’éprouvait aucune véritable inclination à s’en servir ? Parce qu’il était
déjà mort une fois ? Parce qu’il avait presque continué à travers les limbes au lieu de
rebrousser chemin ?

Un instant, il fût tenté de la montrer à l’homme, de lui expliquer…

Il n’en fit rien.

« C’est naturel. » offrit le Professeur. « Tout comme il est naturel d’appréhender la présence
de l’horcruxe. »

Harry prit une gorgée de son thé. Il était trop chaud et lui brûla la gorge mais il ne voulait pas
parler de l’horcruxe ou de la guerre ou…

« Comment est-ce que ça va se passer pour l’année prochaine s’il n’y a pas de B.U.S.E.s ? »
demanda-t-il, d’un ton qui se voulait plus léger.

Le regard de Sev pesait sur sa nuque mais l’homme ne fit aucune remarque sur son
changement brutal de sujet.

« Je suppose que les enseignants décideront au cas par cas si les élèves ont le niveau ou non
pour suivre des cours niveau A.S.P.I.C.s. » répondit le Professeur. « Peut-être en se basant sur
leurs moyennes. À moins que nous organisions nous-mêmes les examens en interne au moins
pour garder un semblant de normalité. Rien n’a été décidé pour le moment. »

« Oh… Oui, je suppose que c’est logique. » acquiesça-t-il, en prenant une nouvelle gorgée de
thé.

Severus fût plus prudent lorsqu’il porta la tasse à ses lèvres, soufflant d’abord sur le liquide
pour ne pas s’ébouillanter comme Harry l’avait fait.

« As-tu réfléchi aux matières que tu aimerais poursuivre ? » s’enquit son père.

La conversation était si normale qu’Harry se détendit lentement.

Ils ne pouvaient pas prétendre éternellement que les choses étaient normales, qu’ils n’étaient
pas qui ils étaient, mais il vivait pour ces moments de répits où, pour quelques minutes, il
pouvait faire semblant.

« Je ne sais pas. » soupira-t-il. « Jusque là, je pensais… C’était évident que je deviendrais un
Auror. »

L’entraînement que Severus lui avait fait subir n’avait fait que le conforter dans ce choix. Au
début, du moins. Parce que depuis le cimetière… Depuis qu’il sentait cet horcruxe en lui…
Depuis que l’issue lui apparaissait si inévitable…

« Pourquoi serait-ce évident ? » releva l’homme, en l’observant.

Harry rencontra brièvement son regard puis le détourna à nouveau vers les flammes. « James
était un Auror… Et… Je suis doué pour ça. »

« Tu es également un excellent joueur de Quidditch. » remarqua l’homme. « Je ne doute pas


que la moitié des équipes du Royaume-Unis se battraient pour te recruter. »

« Parce que je suis l’Élu ? » grinça-t-il. « Non merci. J’ai assez de publicité comme ça. »

« Parce que tu es doué. » insista le Professeur, avant de concéder l’argument d’un geste de la
main. « Mais, je te l’accorde, cela signifierait davantage encore d’exposition médiatique. »

Harry posa sa tasse de thé à moitié terminée sur le tapis, attentif à ne pas la renverser, et se
remit à jouer avec la bague dans un tic nerveux.

« Tu ferais un excellent Auror. » reprit Severus lorsqu’il devint évident qu’il ne dirait rien de
plus. « Néanmoins, rien ne t’oblige à le devenir. Tu as parfaitement le droit de changer
d’avis. »

« C’est ce à quoi tout le monde s’attend, non ? » répondit-il.

« Ce que tout le monde veut importe peu. » affirma le Professeur. « Si le métier d’Auror ne
t’attire plus, tu ne devrais pas te forcer à suivre cette voie uniquement car tu penses que c’est
ce que le monde attend d’Harry Potter. Ce qui compte, c’est ce que tu veux, toi. La vie est
beaucoup trop courte pour la gâcher dans un métier qui nous déplait, j’en sais quelque
chose. »

Il soupira et croisa le regard de l’homme. « Les choses étaient beaucoup plus simples quand
j’étais Harry Prince. »

« Laisse-moi les simplifier pour toi, dans ce cas. » déclara Severus. « Que voudrais-tu faire
de ta vie, Harry ? »

En supposant qu’il ait le temps d’avoir une vie ?

Parce que cela ne lui échappait pas que faire des plans d’avenir alors qu’il était quasiment
certain qu’il n’atteindrait pas sa majorité était…

Il hésita. « C’est bête. »

« J’en doute. » commenta Sev.

Il avait à peine osé y penser de son côté ces derniers temps, n’en avait parlé à personne…

Il tourna et retourna la bague avec suffisamment de force pour se tordre légèrement le doigt.

« Harry. Dis moi. » l’encouragea le sorcier.


« Eh bien… Si je voulais devenir Auror, c’était pour protéger les gens mais à force de passer
tant de temps à l’infirmerie… Il y a d’autres façons d’aider les gens que de tout le temps se
battre… Et peut-être même les enfants comme nous qui… Vous savez. » bredouilla-t-il, en lui
jetant un regard furtif. Severus se tendit légèrement à cette allusion mais ne le rabroua pas.
« Mais je sais que Médicomage est l’un des métiers les plus compliqués. Lily nous a fait lire
tout un tas de brochures à Sev et moi. Je ne suis pas assez… »

Il grimaça.

« Pas assez quoi ? » grinça le Professeur, non sans agacement.

Ce n’était pas très gentil de le lui faire dire, songea Harry.

« Pas assez intelligent. » lâcha-t-il. « Et je ne suis pas si bon que ça en Sortilèges. Sans parler
de la Botanique ou des Potions. »

Il avait beaucoup remonté ses notes en soixante-quinze et depuis mais la seule matière dans
laquelle il excellait véritablement était la Défense. C’était pourquoi il serait nettement plus
logique de…

« Qui a dit que tu n’étais pas assez intelligent ? » le défia son père, ses yeux noirs lançant des
éclairs.

« Vous. » se moqua-t-il. « Vous m’avez traité de crétin, il n’y a pas une heure, vous vous
souvenez ? »

Il avait juste voulu plaisanter mais le Professeur sembla consterné.

« Le crétin, c’est moi. » siffla Severus. « Tu es très intelligent quand tu te donnes la peine de
réfléchir au lieu de foncer dans le tas comme un lion sans cervelle. Je refuse de te voir
t’imposer des limites par manque de confiance en toi. »

Harry rit parce que…

« L’intelligence, c’est le truc d’Hermione. » contra-t-il. « Ou de Ron. Ron est brillant aux
échecs. Moi… Moi, je suis bon en Défense. »

Dans leur trio, il était les muscles.

« L’intelligence ne se définit pas toujours par les résultats scolaires. » rétorqua l’ancien
espion. « Et tu es parfaitement capable de réussir tout ce que tu entreprendras si tu t’en
donnes les moyens. » Severus l’étudia un moment, lèvres pincées et avec cette expression un
peu trop entendue. « Qui t’a dit que tu n’étais pas assez intelligent, Harry ? »

Ils s’affrontèrent du regard un long moment.

Parce que Sev connaissait déjà la réponse et qu’Harry ne voulait pas la lui donner.

Au final, il fût le premier à détourner le regard.


« Tante Pétunia. » admit-il.

Tante Pétunia chez qui il était destiné à retourner sous peu.

« Si je pouvais lui tordre le cou… » grommela l’homme.

« Lily l’aimait. » lui rappela-t-il, dans un murmure.

« Lily aurait été la première à vouloir l’étrangler si elle avait su comment elle te traiterait. »
contra Severus, en se frottant le visage. « Écoute moi… Tu me fais confiance, n’est-ce pas ? »
Il attendit que l’adolescent hoche la tête pour continuer. « Tu es parfaitement capable de
devenir Médicomage. Ton niveau en Sortilèges est excellent, ton niveau en Potions est
maintenant suffisamment correct et tu peux continuer à m’assister si tu le souhaites, tu
gagneras en expérience et en confiance ainsi, quant à la Botanique, cela se travaille. »

Dit comme ça…

Il cessa de tourner le sceau des Prince autour de son doigt et récupéra sa tasse pour en
prendre une longue gorgée.

« Vous ne trouvez pas ça ridicule, alors ? » insista-t-il.

« Ce qui est ridicule c’est que tu puisses penser que c’est ridicule. » rétorqua Severus. « Tu
auras également besoin des cours de Soins aux Créatures Magiques et de Métamorphose. La
Legilimencie et l’Occlumencie sont deux disciplines prisées dans ce domaine… Tu maîtrises
déjà l’une, je peux t’enseigner l’autre. La Défense n’est pas nécessaire mais dans ton cas… »

« Ce n’est pas comme si Dumbledore allait me laisser abandonner la Défense de toute


manière. » remarqua-t-il.

« Je suppose que non. » admit le Professeur. « Encore que tu aurais le niveau de passer
l’A.S.P.I.C.s dès cet année, si examen il y a… C’est à réfléchir, si tu le souhaites. » Il marqua
une pause puis se racla la gorge. « Tu ferais un excellent Médicomage, tu as l’empathie
nécessaire. Toutefois… Médicomage, Auror ou joueur de Quidditch… Je serais toujours…
fier de toi. J’espère que tu le sais. »

Harry bondit sur ses pieds avant même d’avoir réfléchi, la gorge serrée par un trop plein
d’émotions. Il percuta Severus comme un boulet de canon. Le Professeur s’était clairement
attendu à l’attaque parce qu’il lui rendit maladroitement son étreinte.

« Toujours ces effusions typiquement Gryffondor… » se plaignit l’homme pour la forme.

Harry sourit, sans s’y laisser tromper.

Ron et Hermione pouvaient penser ce qu’ils voulaient.

S’il y avait une seule certitude dans sa vie, c’était Severus Snape.

°O°O°O°O°
Le hibou frappa au carreau jusqu’à ce qu’Albus ne quitte son lit chaud en grommelant.

Il était tard, beaucoup trop tard, pour un courrier autre qu’urgent.

Il fit entrer le majestueux grand-duc et récupéra l’enveloppe légèrement humide attachée à sa


patte. Il en déchiffra péniblement le contenu à la lumière de la lune.

Lorsqu’il eut terminé, il ferma les yeux et sourit.

Le destin était en marche.


A Hundred Kinds Of Silence

« There are a hundred kinds of silence.

There’s the thick silence of places long sealed shut, and the muffled silence of ears
stoppered up. The empty silence of the dead, and the heavy silence of the dying.

There is the hollow silence of a man who has stopped praying, and the airy silence of an
empty synagogue, and the held-breath silence of someone hiding from themselves.

There is the awkward silence that fills the space between people who don’t know what to
say. And the taut silence that falls over those who do, but don’t know where or how to
start. »

The Invisible Life Of Addie Larue – V.E. Schwab

“Il y a une centaine de genres différents de silence.

Il y a le silence oppressant des endroits trop longtemps calfeutrés, et le silence étouffé


des oreilles bouchées. Le silence vide des morts, et le silence lourd des mourants.

Il y a le silence creux d’un homme qui a cessé de prier, et le silence colossal d’une
synagogue vide, et le silence essoufflé d’un homme qui se fuit lui-même.

Il y a le silence gêné qui emplit l’espace entre des personnes qui ne savent pas quoi dire.
Et le silence tendu qui tombe sur ceux qui savent mais ignorent par où ou comment
commencer.

The Invisible Life of Addie Larue – V.E. Schwab

Il y eut deux coups frappés brièvement sur la porte ouverte de sa chambre.

Harry leva la tête du sac de cours auquel il manquait deux manuels abandonnés dans le
dortoir des lions, les cheveux en bataille et la cravate pendant, défaite, autour de son cou. Il
s’était levé en retard, il allait manquer le petit-déjeuner et…

Severus l’observait avec un mélange d’amusement et d’irritation entièrement familier,


comme si l’adolescent était un désastre ambulant.

« Je ne veux pas te mettre à la porte mais j’ai un rendez-vous pour lequel tu ne peux pas être
présent. » annonça le Professeur. « Par ailleurs, quelqu’un t’attend devant la porte depuis
plusieurs minutes. »
Harry fronça les sourcils, tout autant à la mention du mystérieux rendez-vous qu’à la
remarque. « Qui ? »

Personne ne savait où étaient les appartements de Severus. À la rigueur, si quelqu’un savait


où il était ils auraient pu faire le pied de grue devant le bureau du Directeur de Maison,
mais…

« Pourquoi ne pas t’activer un peu et le découvrir par toi-même ? » suggéra l’homme, un brin
sarcastique. « Si tu te dépêches, tu devrais avoir le temps de faire un crochet par la Grande
Salle avant ton premier cours. Je ne veux pas que tu sautes un repas. »

Harry leva les yeux au ciel mais jeta son sac sur l’épaule. « Je suis déjà prêt. »

Les yeux noirs s’attardèrent sur sa tenue débraillée avec désapprobation. Harry entreprit de
remettre de l’ordre – et de nouer sa cravate – tout en marchant vers la sortie.

« À plus tard ! » lança-t-il, en guise d’au revoir.

La réponse de Severus se perdit dans sa surprise lorsqu’il émergea dans le couloir des cachots
pour trouver Ron appuyé contre le mur opposé, les bras croisés et l’air embêté.

« Qu’est-ce que tu fais là ? » s’enquit-il. Pas très aimablement, il devait l’admettre.


« Comment tu m’as trouvé ? »

Ron tira la Carte des Maraudeurs, un peu froissée de son sac. Harry la récupéra d’un geste sec
et l’enfonça dans la poche arrière de son pantalon avec agacement. « Sers-toi dans mes
affaires, ne te dérange pas. »

Ça n’avait jamais été un problème auparavant et c’était peut-être un peu mesquin mais…

« Je suis désolé pour hier soir. » lâcha Ron.

Il se repoussa loin du mur et lui emboîta le pas lorsqu’il débuta la longue marche qui les
ramènerait vers une partie plus usitée des cachots. C’était beaucoup plus simple de passer par
le Bureau du Directeur de Maison mais aussi beaucoup moins discret.

« C’est allé trop loin. » continua son meilleur ami lorsqu’Harry ne dit rien. « Et on s’y est
mal pris. »

L’autre Gryffondor avait l’air sincèrement contrit, assez pour que sa colère s’apaise un peu
mais il ne parvenait pas à se débarrasser de cette amertume qui lui bloquait la gorge.

« J’ai trouvé qu’Hermione était très claire, au contraire. » riposta-t-il.

Ron fit la grimace et se frotta l’arrière de la nuque. « Hermione… Tu dois comprendre…


Quand tu as disparu… On croyait que tu étais mort. Elle s’est lancée à corps perdu là-
dedans… Résister contre Ombrage, le Ministère, créer l’A.D…. C’était sa façon de te garder
vivant, Harry. Et maintenant… »
« Maintenant, je l’embête parce qu’elle a l’impression que je prends sa place. » termina-t-il.
Il n’était pas aveugle. Ou stupide. « Eh bien, elle peut garder l’A.D., je n’irais plus. Et elle
peut jouer à être Harry Potter si ça lui fait plaisir. J’ai déjà donné. J’en ai marre. »

L’autre Gryffondor lui jeta un regard un peu trop appuyé. « C’est quand tu dis des trucs
comme ça qu’on trouve que Snape a trop d’influence sur toi. »

Harry cessa de marcher, s’immobilisant au beau milieu du couloir, forçant Ron à se tourner
pour lui faire face.

« Je vais mourir, Ron. » cracha-t-il.

Les mots lui faisaient mal mais il savait qu’ils étaient vrais, il le savait tout au fond de lui, il
l’avait su au moment où il avait compris ce qui se cachait dans son âme. Il l’avait su lorsque
Dumbledore était venu le trouver dans leurs appartements, ce soir d’Halloween, et lui avait
calmement offert une fin digne. Severus vivait dans le déni, dans l’espoir désespéré d’un
miracle, mais pas lui.

Son meilleur ami eut l’air très alarmé. « Tu ne peux pas penser comme ça, tu… »

« Ron. » l’interrompit-il sèchement. Il prit une profonde inspiration, occluda le ressentiment


et le regret. « Quand vous dites que Dumbledore et Severus ne sont pas dans le même
camps… Severus ferait n’importe quoi pour me garder en vie et Dumbledore le
sait. Dumbledore sait aussi que la prophétie doit s’accomplir. »

« Mais ça ne veut pas dire que tu dois mourir. » protesta le Gryffondor. « Si tu tues Tu-sais-
qui… »

Et l’un devra mourir de la main de l’autre, car aucun des deux ne peut vivre tant que l’autre
survit.

Il savait ce que la prophétie voulait dire et, il le soupçonnait, Severus et Dumbledore le


savaient également.

Tant qu’Harry abritait un horcruxe, Voldemort survivait et ne pouvait réellement vivre. Or ce


qui n’était pas réellement vivant ne pouvait pas mourir.

Si Harry tuait Voldemort, il ne pourrait pas vivre parce que Voldemort survivrait. Pire, il
risquait de se voir possédé ou…

La seule interprétation logique était que Voldemort devait le tuer – tuer la part de lui-même
qui vivait en Harry – pour pouvoir devenir mortel, pour pouvoir être tué. C’était lui qui
tomberait de la main de Voldemort, pas l’inverse.

« Je ne sais pas à qui vous avez parlé. » reprit-il, comme si Ron n’avait rien dit. « Mais
Dumbledore fait confiance à Severus. Il l’apprécie, même. Le seul point de désaccord entre
eux, c’est moi. » Il haussa les épaules. « L’Ordre… Il se passe des choses dans l’Ordre. Je ne
peux pas t’en parler mais… À votre place, je ne ferai pas confiance à n’importe qui parce
qu’il y a beaucoup de trucs politiques. »
« Ce n’était pas n’importe qui. » hésita son meilleur ami. « C’était… quelqu’un à qui on fait
confiance. »

Un de ses frères ou Remus, alors.

Il devrait en toucher un mot à Severus, se dit-il, déjà épuisé à cette perspective.

Il y avait peu de chances que le Professeur le prenne calmement.

« Écoute… » soupira-t-il. « Je sais ce que je dis, d’accord ? »

Leurs regards s’accrochèrent, ils se dévisagèrent longtemps, puis Ron capitula, baissant les
yeux vers ses chaussures. Il donna un petit coup de pied dans un pavé inégal. « Je ne voulais
pas… Je ne veux pas qu’on se dispute. »

« Moi non plus. » admit-il, se forçant à sourire. Il attrapa son épaule et l’entraîna à nouveau
vers la sortie. « Alors, allons petit-déjeuner et oublions ça. »

Il devrait avoir une conversation avec Hermione et il n’en avait pas très envie mais il se
sentait mieux de s’être déjà réconcilié avec Ron.

Seulement, il sentait une certaine réticence de la part de son meilleur ami, comme s’il
cherchait la meilleure manière de dire quelque chose qu’Harry ne voudrait pas entendre.

« Pourquoi est-ce que tu ne m’as rien dit pour l’adoption ? » demanda finalement l’autre lion.
« La vraie raison. »

Harry s’arrêta brièvement à une intersection entre plusieurs tunnels, le temps de s’orienter.
C’était un labyrinthe là-dessous. Il tourna à gauche, cherchant un moyen diplomatique de
formuler sa réponse.

« Vous êtes différents, Hermione et toi. Et moi aussi j’ai changé. » déclara-t-il, après un long
moment. « Et, des fois, je ne sais plus comment vous parler. Je savais que si je vous disais
que Severus avait offert de m’adopter, vous vous regarderiez et vous auriez l’air… » Il
soupira. « Je sais que vous ne l’aimez pas et que c’est compliqué. J’ai passé huit mois avec
lui et il m’a bien fallu la moitié pour apprendre à le connaître… Je sais que je vous demande
de me croire sur parole et… » Il s’interrompit, le temps de jeter un coup d’œil à Ron qui
l’écoutait en silence. « C’est la première personne qui m’a dit que la manière dont me
traitaient les Dursley n’était pas normale. »

Ron fronça les sourcils. « Ce n’est pas… »

« Le premier adulte. » se corrigea-t-il. « C’est le premier adulte qui m’a dit que ce n’était pas
normal, que je méritais mieux et qui a fait quelque chose. » Ou qui essayait de faire quelque
chose. « C’est le premier adulte qui… Je n’avais jamais eu quelqu’un pour moi, jusque là, tu
comprends ? Quelqu’un qui s’occupe de toi quand tu es malade. Quelqu’un qui se relève la
nuit parce que tu fais un cauchemar. Quelqu’un qui se préoccupe de si tu sautes des repas ou
pas. Quelqu’un qui te gronde parce que tu as eu une mauvaise note. Quelqu’un qui te prive de
sorties à Pré-au-Lard. Quelqu’un qui te dit qu’il est fier de toi. Quelqu’un qui… »
Il cilla rapidement pour cacher les larmes qui lui montaient aux yeux et se racla la gorge,
incapable d’aller jusqu’au bout de sa phrase.

Quelqu’un qui t’aime.

« Je crois qu’il avait autant besoin de moi que j’avais besoin de lui. » conclut-il. « Et tu peux
te méfier de lui, tu peux ne pas comprendre… Mais, Ron… Je n’ai jamais eu une famille
avant. Je n’ai jamais eu… Je n’ai jamais eu ça. » Il déglutit difficilement. « Je n’ai rien dit
pour l’adoption parce que je savais déjà que ça ne se fera jamais mais ce n’est pas important.
Ce qui est important, c’est qu’il me l’ait proposé. Qu’il veuille qu’on soit une famille. »

Et il pourrait supporter quelques semaines chez les Dursley cet été si ça voulait dire retrouver
sa vraie famille, sa vraie maison, en septembre. Deux mois n’étaient pas cher payé s’il
pouvait avoir un père le reste de l’année.

« Ce qu’il s’est passé hier soir, c’était tout ce que je voulais éviter. » lâcha-t-il, une arrière-
pensée. « Je n’ai rien dit aussi parce que je ne voulais pas devoir encore m’expliquer. Me
justifier. Et juste pour clarifier, ce n’est pas Severus qui m’a demandé de garder le secret.
Sirius est au courant. »

« N’importe quel Sang-Pur qui a vu ta bague est au courant, Harry. » remarqua doucement
Ron, en enfonçant les mains dans ses poches. « Draco m’en a parlé, il y a plus d’une
semaine. »

Harry ne répondit pas, un peu honteux. Il aurait dû y penser, aurait dû avertir ses meilleurs
amis avant qu’un étranger à leur trio ne le fasse…

Ils atteignirent la partie la plus fréquentée des cachots sur ses entrefaites. Ils restèrent
silencieux le temps nécessaire à dépasser un groupe de troisième année de Serpentard et de
les laisser loin derrière eux.

Ils étaient sur le point d’émerger dans le hall d’entrée lorsque Ron attrapa son bras, le
stoppant net. Il se força à lui faire face, éprouvant une certaine difficulté à rencontrer son
regard. Il n’aimait pas se sentir si vulnérable, si exposé.

« Je suis de ton côté. » jura son meilleur ami, en fouillant son regard. « Je serais toujours de
ton côté. Si tu es vraiment convaincu que tu as de meilleures chances de survivre avec Snape
qu’avec Dumbledore, alors je suis avec Snape. À cent pourcent. » Sa poigne se fit presque
douloureuse mais Harry ne protesta pas. « Tu ne vas pas mourir, Harry. » Ron se racla la
gorge, les yeux humides, l’air un peu embarrassé et très déterminé. « Je ne peux pas te perdre
encore, d’accord, mon pote ? »

Mais Ron survivrait.

Harry le savait parce que lui et Hermione l’avaient déjà cru mort et avaient appris à vivre
sans lui, à avancer.

Et c’était une bonne chose.


Il força un faible sourire sur ses lèvres mais ne put se résoudre à mentir, à promettre quelque
chose sur lequel il ne pouvait rien.

L’un dans l’autre, ce fût un soulagement d’être interrompu par la silhouette de Bill Weasley
qui les observait tous les deux avec un froncement de sourcils.

« Tout va bien, les garçons ? »

Harry et Ron s’empressèrent d’acquiescer, faisant de leur mieux pour gommer toute trace
d’émotion de leurs visages.

« Qu’est-ce que tu fais là ? » voulut savoir Ron.

« Un rendez-vous de travail. » répondit vaguement Bill, avant de leur souhaiter une bonne
journée et de descendre dans les cachots comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

Harry nota la chose avec intérêt.

Severus avait-il recruté le briseur de sorts pour la chasse aux horcruxes ? Mais pourquoi
refuser de le lui dire ?

Le long soupir de Ron le tira de ses théories. « Si on s’arrête dans la Grande Salle, on va être
en retard en Divination. »

Le choix n’était pas exactement cornélien.

« Oh non… » railla Harry avec un regret tout à fait feint. « On va être en retard en
Divination. »

Ils éclatèrent de rire et se dirigèrent vers leur petit-déjeuner.

°O°O°O°O°

L’air était gorgé d’une humidité qui poussa Severus à s’engoncer dans sa cape. Black avait eu
l’idée brillante de proposer un exercice en extérieur à leurs troisièmes années de Poufsouffle
et Serdaigle, sans vérifier au préalable que le temps s’y prêtait.

La pluie avait cessé dans la nuit mais le sol était boueux, le ciel d’un gris maussade, et il
faisait suffisamment frais pour qu’il en sente la morsure dans sa jambe malgré plus d’un sort
visant à le réchauffer. Au moins, se consola-t-il, son bras gauche était-il à nouveau
opérationnel. Bill Weasley n’avait pas failli à la tâche avant son premier cours et, si la séance
avait été des plus désagréables, la douleur était désormais presque négligeable. Cela ne
durerait pas mais la sensation de soulagement était impossible à nier.

« Il est d’accord mais il refuse d’être enfermé dans une cage. » conclut Black, en gardant un
œil sur le groupe de troisièmes années qui s’élançaient à tour de rôle dans le parcours
d’obstacle que l’ancien fugitif avait mis en place durant le petit-déjeuner. Quelques créatures,
deux ou trois sorts à lancer à un mannequin… Rien de bien sorcier mais les enfants
paraissaient apprécier la session et s’en sortaient sans supervision.
L’avantage était que lui et Black pouvaient se tenir à distance et discuter, sans craindre d’être
interrompus.

« Et je refuse de servir de dîner à un loup-garou. » cracha-t-il, en croisant les bras. « En


conséquence, ce sera la cage ou pas de potion Révèle-Loup. »

Il reporta son attention sur leurs élèves, ignorant le sorcier qui poussa un long soupir
d’agacement. « Honnêtement ? À ce stade, je ne pense pas qu’il restera enfermé même avec
la potion Tue-Loup. Il y a des kilomètres entiers de landes au nord de Poudlard… »

« Es-tu réellement en train de suggérer de laisser un loup-garou en liberté aussi près de


l’école ? » rétorqua-t-il, avant de lever les yeux au ciel. « Pourquoi est-ce que je pose la
question… Évidemment, tu ne vois pas le problème. »

« Deux loups-garous. » corrigea Black platement. « Il veut emmener Laura. »

Severus se pinça l’arrête du nez. Pourquoi est-ce que tout le monde semblait déterminer à lui
mener la vie dure alors qu’il tentait, désespérément, de résoudre leurs problèmes ? Lupin
désirait l’accès à une potion du même type que celle de Greyback… Pourquoi ne pouvait-il
pas coopérer gentiment et…

« La Cabane Hurlante. » offrit-il, en guise de compromis. Encore que l’idée d’être enfermé
dans une maison branlante avec deux loups-garous sous potion Révèle-Loup et Slughorn
pour seul soutien ne l’enchantait pas. « J’aurais besoin de ton aide. »

Black faisait partie de la meute de Lupin, s’il fallait le calmer ou le maîtriser, il serait un
atout.

« J’ai passé une heure à discuter avec lui hier soir. Crois-moi, c’est la lande ou rien. » railla
l’autre sorcier, non sans irritation.

« Pourquoi as-tu laissé entendre qu’il avait le choix ? » grommela-t-il. « Il aurait été bien plus
efficace de lui dire que c’était un ordre d’Albus. »

L’Animagus secoua la tête. « C’est toi qui m’a demandé de jouer les
intermédiaires… Pourquoi tu ne vas pas lui parler toi-même si tu penses que tu peux lui faire
entendre raison ? »

« Parce que je ne peux pas garantir que la conversation demeurerait courtoise. » lâcha-t-il,
trahissant davantage qu’il n’aurait voulu en révéler.

Il n’avait pas recroisé le loup depuis la dernière réunion mais il ne parvenait pas à gommer de
son esprit les mots de Nymphadora, sa vulnérabilité, la manière dont elle s’était
recroquevillée contre lui lorsqu’elle lui avait rapporté ses propos. Plus généralement, il
peinait à oublier l’image du loup-garou ayant les mâchoires de pars et d’autres de la gorge de
la femme qu’il…

Il occluda la fureur jusqu’à ce qu’il soit certain de pouvoir la contrôler.


Voilà pourquoi il ne voulait pas aller parler à Lupin lui-même avant d’y être obligé et voilà
pourquoi il ne pensait pas qu’il serait judicieux de se retrouver en sa présence sous forme de
loup.

« À ce point ? » releva Black, sourcils froncés. « C’était tendu entre vous l’autre jour, à la
réunion… C’est quoi ton problème ? »

« N’avons-nous pas déjà eu cette discussion ? » riposta-t-il, avant d’élever la voix.


« Higgins ! Essayez-vous de jeter un sort d’entrave ou de perdre votre baguette ? »

Le troisième année qu’il avait apostrophé paniqua, fit tomber sa baguette, la ramassa et refit
exactement la même erreur.

Londubat n’avait qu’à bien se tenir, la relève arrivait.

En lui jetant un regard sombre qui suintait de désapprobation, Black s’éloigna le temps
d’expliquer patiemment au gamin pourquoi il s’y prenait mal. Higgins ne parvint pas à lancer
le sort mais l’Animagus l’encouragea à avancer d’une tape amicale sur l’épaule.

« Tu as dit qu’il était instable. » déclara Black, comme s’ils n’avaient jamais été interrompus,
en revenant se planter à ses côtés. « Mais quand tu parles de lui, ça semble très personnel et il
ne peut plus te voir en peinture non plus, ce qui me fait dire qu’il y a quelque chose que vous
ne me dites pas ni l’un ni l’autre. »

« J’ignorais que j’étais obligé de tout te dire. » grinça-t-il.

« Tu n’est pas obligé de tout me dire. » rétorqua son rival de toujours. « Mais lorsque vous
me mettez au milieu de vos histoires, ce serait sympa de me dire pourquoi. »

Severus rumina cette remarque, au demeurant censée, quelques minutes.

« J’exècre son comportement envers Nymphadora. » avoua-t-il.

Black soupira, avant de se frotter la nuque. « Je ne peux pas te donner tort. Ça me gêne aussi
mais je ne sais plus comment lui dire de la laisser tranquille. »

Lupin n’allait jamais la laisser tranquille.

Severus en était persuadé. Cette histoire ne se réglerait pas pacifiquement, qu’importe ce


qu’espérait la jeune femme. On frôlait l’obsession et c’était dangereux.

« C’est pour ça qu’il t’en veut, sûrement… » continua Black, comme s’il réfléchissait à voix
haute. « Tu fais souvent tampon entre eux. » L’homme fit la grimace. « D’ailleurs… Je
voulais te dire… J’apprécie que tu veilles sur elle. C’est mon rôle, je sais bien, mais je n’ose
pas remettre Remus en place aussi souvent que je le devrais. »

Légèrement mal à l’aise, le Maître des Potions se racla la gorge. « Je ne le fais pas pour
toi. Et elle n’a pas besoin qu’on veille sur elle, elle est parfaitement apte à se défendre toute
seule. »
Ce qui ne l’empêchait pas de garder un œil attentif sur elle mais…

« Remus est ridicule de t’en vouloir pour ça. » marmonna l’autre sorcier. « Ce n’est pas
comme si tu couchais avec elle. Elle a bien le droit d’avoir des amis. »

Severus se tendit, peu sûr de ce qu’il était censé répondre. À présent qu’il en avait discuté
avec Harry, il ressentait moins le besoin de garder leur liaison secrète – cela ne la protégerait
pas, étant donné que le Seigneur des Ténèbres était déjà au courant – mais de là à en discuter
avec Black.

Black qui considérait apparemment que veiller sur elle lui incombait parce qu’elle était sa
petite cousine…

Il lui fût épargné d’avoir à prendre une décision lorsque plusieurs des troisièmes années
pointèrent le doigt vers le ciel avec des exclamations à moitié surprises et à moitié terrifiées.

Severus et Black pivotèrent tous les deux dans la direction indiquée par les gamins, à temps
pour voir un carrosse sombre tiré par des chevaux ailés au pelage de jais s’approcher
rapidement de l’école.

Les deux Professeurs sortirent immédiatement leurs baguettes, se rapprochant instinctivement


du groupe d’élèves, sans se consulter. Le carrosse allait très clairement atterrir entre eux et le
château, il était impensable de demander aux enfants de courir se mettre à l’abri…

« Hagrid. » ordonna Severus, sa priorité étant la sécurité de ses troisièmes années. « Allez
chez Hagrid. Maintenant ! »

La hutte du garde-chasse était à l’opposée du parc et les éloigneraient du danger potentiel tout
en les laissant libres, Black et lui, de les défendre.

« Qu’est-ce que c’est que cette merde ? » jura l’Animagus, une fois que les gamins se furent
enfuis en courant dans la direction indiquée par le Maître des Potions.

« Je l’ignore mais ils n’auraient jamais pu passer les protections sans l’accord d’Albus. »
contra-t-il, en faisant quelques pas vers le carrosse qui venait tout juste de toucher le sol.

Cela ne présageait, pourtant, rien de bon.

Il y avait des barreaux aux fenêtres et les deux sorciers qui menaient l’attelage n’avait pas
l’air sympathique.

Black lui toucha le bras pour attirer son attention. « Voilà Dumbledore. »

Albus avait effectivement émergé de l’école et se dirigeait à grands pas vers le carrosse,
ignorant le public qu’il avait accumulé. Black et lui n’étaient pas les seuls à avoir été alertés
par le spectacle. Plusieurs professeurs et élèves étaient agglutinés aux fenêtres, Charlie
Weasley et son partenaire se tenaient au seuil de la Forêt Interdite, baguettes à la main…

Un des deux intrus sauta du carrosse et salua le Directeur d’un hochement de tête. À la
manière dont il se tenait, à la manière dont l’autre homme paraissait prêt à repartir au
moindre danger…

Severus aurait parié qu’il s’agissait d’Aurors.

Il en avait suffisamment côtoyés dans sa jeunesse pour les reconnaître.

Mais ces Aurors n’étaient certainement pas d’ici…

Albus échangea quelques mots avec celui qui avait sauté au sol puis ce dernier se tourna vers
le carrosse et agita sa baguette, ce qui encouragea Severus à réaffirmer sa prise sur la sienne.
La canne dans son autre main le gênerait s’il devait se déplacer rapidement mais il n’était pas
prêt à la lâcher.

Au bout de plusieurs minutes, l’étranger ouvrit finalement la porte et recula de plusieurs pas,
sans ranger sa baguette.

Un homme émergea du carrosse, s’agrippant d’une main frêle pour ne pas tomber, se
protégeant de l’éclat du soleil pourtant pâle de l’autre.

Il fallut un moment à Severus pour replacer dans sa mémoire le visage famélique.

Et plus d’une poignée de secondes pour se persuader qu’il était en train d’avoir une
hallucination très réaliste.

Mais c’était sans compter sur Black qui lui frappa soudain le bras sous le coup de la surprise,
dans une réaction toute Gryffondoresque. « Est-ce que c’est… »

« Gellert Grindelwald. » confirma Severus, tout aussi sidéré que lui et incapable de le cacher.

Il ne put qu’observer, comme Black et la moitié de l’école, alors qu’Albus et le prisonnier se


dévisageaient en chiens de faïence, et puis…

Sa mâchoire se décrocha.

Black émit un bruit choqué. « Est-ce qu’ils viennent de… »

« Oui. » lâcha-t-il.

« C’est peut-être une coutume allemande ? » hésita Black.

« Je ne pense pas. » contra-t-il.

Ils étaient comme cloués sur place.

Il fallait bien pourtant que quelqu’un tire au clair cette folie.

Severus fit un pas en avant, puis un deuxième, décidé à confronter Albus et à le traîner
jusqu’à l’infirmerie si nécessaire. Clairement, il n’était pas le seul à avoir manqué un check-
up ou deux récemment.

L’homme était devenu fou-à-lier.


Black le rattrapa rapidement, l’air vaguement nauséeux. « On y va, alors ? Tu es sûr qu’on
doit y aller ? Non, parce que McGonagall… »

Oh, il était bien certain que Minerva, qu’il n’apercevait à aucune fenêtre, ne manquerait pas
l’opportunité de lui délivrer le fin mot de sa pensée dès qu’elle apprendrait la nouvelle.

Mais il comptait bien être le premier à lui sonner les cloches.

°O°O°O°O°

Albus faisait nerveusement les cent pas dans son bureau, incapable de se concentrer sur quoi
que ce soit, les yeux rivés sur la pendule, lorsqu’il sentit la pression sur les protections qui
entouraient Poudlard. Il autorisa l’intrusion avec un soulagement palpable, s’élançant hors de
la pièce avec un élan de jeunesse retrouvée.

On était au milieu de la première période, les couloirs étaient donc pratiquement déserts. Il
émergea du château pile au moment où l’énorme carrosse sombre touchait le sol.

Le cœur battant Albus avança vers l’homme qui venait de sauter de l’attelage avec
l’impression troublante d’être dans un rêve. Combien de fois avait-il fantasmé cet instant ?
Une part de lui était vaguement consciente des visages pressés contre les vitres, de la
présence de quelques personnes dans le parc… Il ne parvint pas à s’en soucier.

« Guten Morgen, Herr Dumbledore. » le salua l’Auror avec un signe de tête respectueux
qu’Albus lui rendit un peu trop distraitement.

Son allemand était rouillé et il ne prêtait pas entièrement attention au discours de l’autre
sorcier. Un rappel, pensa-t-il, de l’accord qu’il avait passé avec la Chancellerie Magique
Allemande. Il répondit machinalement, tentant d’apercevoir le prisonnier à l’intérieur du
carrosse par la petite fenêtre striée de barreaux…

Il dût dire ce qu’il fallait car l’Auror se détourna et entreprit de lancer la longue série de
contre sorts qui cesserait de faire du carrosse une prison. L’homme ouvrit finalement la porte
avant de reculer presque avec crainte.

Une main pâle, aux veines prononcées, émergea la première, suivie d’un corps émacié.
Gellert s’accrocha à la portière pour descendre du carrosse, son autre main levée devant son
visage pour se protéger de la luminosité…

L’intérieur du carrosse était sombre malgré les petites fenêtres, comme magiquement
enchanté pour demeurer obscur. En était-il de même à Nurmengard ? Avait-il passé la moitié
d’une décennie dans le noir ?

Il s’était préparé à l’idée que Gellert ne serait plus le jeune homme fringuant duquel il était
tombé amoureux ou l’homme charismatique qui avait conquis l’Europe, mais la fragilité de
son ancien amant le heurta de plein fouet. Famélique, l’air souffrant, presque chauve…
Gellert paraissait aux portes de la mort.
Le mage noir qui avait été le plus craint de tous les temps avant Voldemort abaissa lentement
la main qui l’empêchait d’être ébloui.

Leurs regards s’accrochèrent et ne se lâchèrent plus.

Qui fit le premier pas ? Lui ? Gellert ?

Il avait tellement appréhendé, tellement désiré ce moment… Il avait craint les reproches, le
rejet, mais tout était si évident… Si facile.

Ils se tombèrent dans les bras comme si tout était effacé.

Ce n’était pas aussi simple, bien sûr, mais pour l’instant… Pour l’instant, il était simplement
heureux d’enlacer Gellert qui l’étreignait avec la même force que lui. Un peu désespérée, un
peu incrédule.

« Zu lang. » murmura Gellert, d’une voix cassée.

« Trop longtemps, en effet. » répondit Albus, ému.

Le poids des regards estomaqués le poussa pourtant à mettre un terme à leur étreinte qui
s’étirait un peu trop. Il se racla la gorge, se tourna vers l’Auror qui avait déjà grimpé à côté de
son collègue, sans demander son reste. Avant qu’il ait pu les saluer à nouveau, le carrosse
s’ébranlait et les chevaux prenaient leur envol.

« Je suis vieux, brisé, mais ils me craignent toujours. » expliqua Gellert, buttant sur les mots,
son accent plus prononcé que par le passé.

« Il faut dire que tu leur as donné des raisons. » plaisanta-t-il, avant de repérer les deux
hommes qui approchaient à grands pas. « Ah, les ennuis commencent. »

Il n’était pas impatient d’avoir à justifier sa décision devant le corps professoral,


particulièrement les Directeurs de Maison. Peut-être aurait-il dû les prévenir avant mais les
négociations avaient été rudes, autant avec Scrimgeour qu’avec les Allemands, et la situation
ne s’était débloquée que dans la nuit, comme si le Chancelier de la Magie allemand avait
cédé sur un coup de tête et voulait expédier sa décision avant de pouvoir y penser à deux fois.

Albus y voyait un signe.

Il avait abandonné son obsession, avait confié la pierre de résurrection à Harry, avait décidé
de laisser le passé où il était et…

« Severus ! Sirius ! » les salua-t-il d’un ton enjoué. « Beau temps, n’est-il pas ? »

Severus rageait déjà et sa remarque nonchalante ne fit rien pour l’apaiser.

« Albus, avez-vous définitivement perdu l’esprit ? » l’interpella le Maître des Potions, en


martelant le sol de sa canne à chaque pas qui le rapprochait inexorablement d’eux. La
baguette en bois sombre était sortie et pointée sur Gellert.
« Vous désiriez une clef de voute, Severus. » lui rappela-t-il, un peu sèchement. « Un sorcier
aussi puissant que moi. » Il désigna son ancien amant d’un geste qui, certes, ne payait pas
vraiment de mine. Albus n’avait pas escompté qu’il soit aussi affaibli. Qu’importe…
Quelques bons repas, Poppy, et des conditions de vie plus décentes le remettraient vite sur
pieds. « Je ne vous le présente pas, je suppose. Gellert, voici Severus Snape, l’un de mes plus
brillants professeurs. »

« Merci. » lâcha Sirius, en rattrapant l’ancien Mangemort, d’un ton vexé.

« Et son assistant, Sirius Black. » ajouta-t-il avec humour.

« Ah… » releva Gellert avec intérêt. « L’homme qui s’est échappé d’Azkaban. »

Sirius se rengorgea un petit peu, comme flatté que le mage noir connaisse son nom. Ce fût de
courte durée, Severus le rappela à l’ordre d’un coup de canne dans le mollet. Cela lui valut un
regard noir mais l’Animagus parut se souvenir que Gellert n’avait pas exactement été
enfermé à tort, lui.

« Albus. » insista Severus, une veine battant fortement à sa tempe. « Vous n’êtes pas
sérieux. »

« J’ai bien peur que si, mon garçon. » soupira-t-il, en levant les yeux vers la façade du
château. Les visages les observaient toujours avec un mélange de crainte, d’incrédulité et de
fascination. « Ce n’est toutefois pas l’endroit d’en discuter. Si vous insistez pour essayer de
me faire changer d’avis, autant aller dans mon bureau. Ma décision est déjà prise, bien
entendu, mais nous serons au moins à l’abri des regards indiscrets lorsque vous perdrez votre
calme. Gellert ? »

Il lui offrit son bras comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Gellert y prit appui
sans se faire prier, ses traits trahissant une certaine fatigue.

Oui, songea Albus, sa décision était prise et elle était la bonne.

Severus et Filius lui avaient fourni l’excuse idéale.

Dans l’état dans lequel il était, combien de temps aurait encore survécu Gellert dans sa
prison ?

°O°O°O°O°

« Pardon ? » s’étouffa-t-elle à moitié, dévisageant le Ministre de la Magie avec des yeux


ronds.

Il avait perdu l’esprit, c’était la seule explication possible que voyait Tonks. Être convoquée
dans le bureau du Ministre, presque aux aurores, alors que cette fichue soirée s’était étirée
sans fin à Downing Street la veille au soir, uniquement pour être informée que Gellert
Grindelwald allait être transféré à Poudlard dans le courant de la matinée, si ce n’était déjà
fait, n’était pas exactement son idée d’un bon moment.
Avachi dans l’imposant fauteuil de velours derrière le tout aussi impressionnant bureau
couvert de parchemins et dossiers en tout genre, Scrimgeour eut une moue contrariée.

« Je faisais de mon mieux pour faire traîner les choses. » avoua le Ministre. « Dumbledore a
pris sur lui de négocier personnellement avec la Chancellerie Allemande et Nurmengard en
particulier. Il a également convaincu les membres du Magenmagot avec le plus d’influence
qu’il serait dans l’intérêt du Royaume-Uni de lui laisser carte blanche sur la
question. L’affaire s’est, pour ainsi dire, réglée dans mon dos. »

Tonks reporta son attention sur l’autre Auror qui se tenait dans la pièce. Kingsley n’avait rien
dit depuis que Scrimgeour les avait faits demander. Il se tenait droit, les mains croisés dans le
dos, une expression si neutre sur le visage qu’elle devina que la nouvelle n’était pas une
surprise pour tout le monde.

Évidemment.

Il restait des membres de l’Ordre qui faisaient ce que le Directeur voulait sans discuter, qui
gardaient ses secrets.

« C’est inacceptable. » trancha-t-elle. « Poudlard est une école. Pas… »

« C’est fait. » l’interrompit le Ministre, avec un certain agacement. Pas envers elle, songea-t-
elle, mais parce qu’il se trouvait être le dindon de la farce. « La Chancellerie a contacté
Dumbledore la nuit dernière et m’a informé, moi, une fois la chose entendue. Je ne peux leur
renvoyer Grindelwald sans perdre la face. » Elle ouvrit la bouche mais il leva la main, lui
intimant le silence. « S’il ne s’agissait que de cela, Tonks, je le ferais sans hésiter. Mais outre
la nécessité de ne pas passer pour un pantin auprès d’alliés dont nous aurons très
certainement besoin sous peu, je doute qu’ils acceptent de le reprendre. Ou que Dumbledore
accepte de le renvoyer. Et ce n’est pas comme si nous pouvions prendre le château d’assaut
pour le lui arracher. »

Elle se laissa tomber dans un des fauteuils en face du bureau sans y être invitée, bouillonnant
de colère.

« Combien d’Aurors les Allemands ont-ils affectés à Poudlard ? » demanda-t-elle, cherchant


déjà comment elle pouvait optimiser la protection de l’école. Elle avait peu d’Aurors à sa
disposition et il y en avait déjà trop peu sur le domaine à son goût. Pouvait-elle faire
confiance à des sorciers étrangers qu’elle ne connaissait pas ? Auraient-ils une arrière-pensée
en tête, étaient-ils là pour espionner ou bien pour les aider ?

« Aucun. » l’informa platement Scrimgeour. « Dumbledore leur a apparemment affirmé que


ce n’était pas nécessaire et qu’il répondrait personnellement de Grindelwald. »

Elle demeura assise là, pendant plusieurs secondes, à soutenir le regard du Ministre, espérant
avoir mal entendu. « C’est une plaisanterie. »

« C’est Dumbledore qui l’a capturé, en premier lieu. » remarqua doucement Kingsley. Les
premiers mots qu’il prononçait.
Tonks serra les dents. « Et que se passera-t-il si Grindelwald s’échappe ? S’il prend des
enfants en otage ? »

Scrimgeour fouilla sur son bureau et extirpa un parchemin d’une pile de courriers. Il le lui
tendit. Elle prit rapidement connaissance du document, commençant à secouer la tête à moitié
lecture. Elle le passa à Kingsley avec dépit.

Le transfert de Grindelwald n’avait été approuvé que parce que Dumbledore insistait sur le
fait qu’il avait besoin d’un sorcier de sa trempe pour de nouvelles mesures de protection de
l’école – il comptait lui faire jouer le rôle de la clef de voute dans le sortilège de la Sphère de
Troie, cela lui semblait évident, ce qui voulait dire qu’en cas d’attaque de Poudlard, elle
serait, elle, affectée à la protection d’un homme qui avait massacré des populations entières
dans un mouvement fasciste qui n’était pas sans rappeler ce qui se passait actuellement. À
quel moment exactement le Directeur avait-il pu penser que c’était une bonne idée ? Le
courrier précisait que la proposition avait été soumise au mage noir, comme spécifié par
Dumbledore, en toute bonne foi, et qu’il avait choisi de l’accepter en s’engageant sur
l’honneur à ne rien faire d’hostile. D’après le document, Grindelwald n’avait pas le droit de
toucher une baguette excepté dans le cas d’une attaque de l’école et la décision de l’armer
serait laissé à la seule appréciation de Dumbledore.

Tout, au final, était laissé à l’appréciation de Dumbledore.

Et, bien entendu, c’était compter sur le fait que Grindelwald ait seulement besoin d’une
baguette pour être dangereux…

« Je vais à Poudlard voir ce qu’il en est. » déclara-t-elle. « C’est de la folie pure. Je ne peux
pas détacher plus d’Aurors, pas sans laisser d’autres zones vulnérables… Kingsley… »

Le Chef du Département des Aurors haussa les épaules. « Il y a suffisamment de combattants


à Poudlard. Si Dumbledore affirme avoir la situation sous contrôle, je pense qu’il n’est pas
nécessaire de modifier le système en place. »

Tonks et Scrimgeour échangèrent un regard qui en disaient long. Ils se comprenaient.


Beaucoup mieux qu’elle ne comprenait son partenaire, chef et ami, à cette minute.

Peut-être était-ce dû au fait que l’homme qu’elle fréquentait vivait à Poudlard, peut-être était-
ce dû au fait qu’un adolescent dont elle avait officiellement la charge était un élève, ou peut-
être était-ce dû au fait qu’elle était depuis longtemps revenue du culte de la personnalité que
beaucoup des plus jeunes membres de l’Ordre vouaient à Dumbledore, toujours était-il que
rien dans cette nouvelle ne lui paraissait sûr ou normal.

« Qu’en est-il du conseil d’administration ? » s’enquit-elle, sans trop d’espoir.

Le Ministre secoua la tête. « On m’a poliment répondu que Poudlard n’était pas de mon
ressort et qu’ils avaient une confiance aveugle en Dumbledore. »

Elle se leva. « Eh bien, ce n’est pas mon cas à moi. Je n’ai pas travaillé pendant des mois à
solidifier la défense de Poudlard pour le voir tout réduire à néant maintenant. » Elle leva les
bras et les laissa retomber avec incrédulité. « Sérieusement ? Grindelwald ? Qu’est-ce qu’il
lui ait passé par la tête ? »

« On m’a affirmé qu’il avait exprimé du remord, ces dernières années. » commenta
Scrimgeour, en se frottant le front. « J’y crois à peu près autant que lorsque Albus m’affirme
n’avoir aucunes ambitions politiques. » Il croisa à nouveau son regard. « Allez à Poudlard
vous rendre compte si vous le souhaitez, Tonks, faites les modifications que vous jugerez
nécessaire, je vous fais confiance. Tâchez, toutefois, de ménager la chèvre et le choux. Vous
pouvez être certaine que tout cela me retombera dessus en cas de drame mais, pour l’instant,
il a tous les soutiens et nous aucun. »

« Oh, je vais être très diplomate. » promit-elle, en sortant du bureau à grandes enjambées,
bousculant au passage Percy Weasley qui piétinait devant la porte avec un agenda chargé.

Aussi diplomate qu’un blaireau enragé, se promit-elle.

°O°O°O°O°

L’école était en ébullition.

Lorsqu’ils quittèrent la tour où Trelawney vivait pour rejoindre les cachots où ils avaient une
double leçon de Potions, Harry, Ron et Neville ne purent que le constater. Les tableaux
passaient d’un cadre à l’autre avec une excitation qui n’avait d’égale que les chuchotements
des élèves.

Leur curiosité était dévorante mais ils n’avaient pas le temps de s’arrêter pour découvrir ce
qui se passait. Harry ignorait qui avait eu la bonne idée de faire suivre un cours de Divination
de celui de Potions mais, étant donné qu’ils se situaient à deux parties diamétralement
opposées du château et qu’ils n’avaient que cinq minutes pour traverser l’école, s’attarder
était exclu s’ils souhaitaient arriver à l’heure.

Slughorn n’était pas aussi à cheval sur la ponctualité que Severus mais il fronçait tout de
même les sourcils s’ils arrivaient plus de cinq minutes après la sonnerie.

Ils n’eurent pas à attendre longtemps pour avoir leur explication, de toute manière. Ils
atteignaient à peine le hall d’entrée lorsque Hermione et Malfoy les rejoignirent en
compagnie de quelques autres, tout droit sortis de leurs cours d’Arithmancie ou de Runes.

Harry n’eut pas le temps de décider comment il souhaitait réagir face à Hermione parce que,
dès qu’elle les aperçut, elle l’attrapa d’une main, Ron de l’autre, et les tira à l’écart du
groupe. Malfoy suivit le mouvement, l’air très amusé.

« Tu savais ! » l’accusa-t-elle.

Fronçant les sourcils, ayant préféré que cette conversation s’ouvre sur des excuses plutôt que
sur ce ton péremptoire, Harry se dégagea sans chercher à dissimuler son agacement. « De
quoi tu parles ? »

« Hermione. » la rabroua un peu Ron.


« Grindelwald ! » s’exclama la jeune fille, sa voix touchant aux aigus, tout en dévisageant
Harry, les lèvres pincées. « Tu savais qu’il devait venir ici. C’est pour ça que tu lisais ce livre,
hier. »

Grindelwald était à Poudlard ?

Impensable.

Il ricana, se disant qu’elle plaisantait ou que quelqu’un lui avait joué un tour.

« Tu débloques. » se moqua Ron. « Qu’est-ce que Grindelwald ferait à Poudlard ? »

« Nous avons assisté à son entrée triomphale depuis la classe d’Arithmancie. Il est arrivé en
carrosse, tiré par des Gronians pur-sang. » confirma Draco, en plaçant un bras autour de la
taille de la lionne. Il paraissait presque plus excité par les chevaux ailés que par l’arrivée d’un
mage noir. « Vector a failli faire un malaise. »

Ils n’avaient strictement rien vu de la classe de Divination pour la bonne raison que
Trelawney gardait les rideaux tirés et la pièce aussi embrumée que possible.

« Tu savais. » insista Hermione.

Harry n’en avait rien su du tout et ressentait le besoin de réévaluer toute son entrevue avec
Dumbledore. Ça ne pouvait pas être une coïncidence. Pas juste après que le Directeur lui ait
confié ce qui, il en était désormais certain, était une des trois Reliques. Dumbledore,
Grindelwald et les Reliques de la Mort… A tort ou à raison, les trois étaient liés dans son
esprit depuis qu’il avait découvert leur existence.

Avait-il bien fait de la cacher dans sa chambre ? Il l’avait glissée au fin fond d’une chaussette
qu’il avait roulée dans une autre avant de l’abandonner au milieu de toutes ses autres paires,
vers le devant du tiroir. Parce que, s’il avait appris une seule chose à Serpentard, c’était que
parfois la meilleure cachette était bien en évidence. Severus n’irait pas fouiller ses tiroirs à
vêtements, les elfes de maison n’y avaient pas accès et les appartements du Maître des
Potions étaient probablement l’endroit le plus sûr de Poudlard, en dehors de ceux de
Dumbledore, étant donné le nombre de protections, enchantements et autres systèmes de
sécurité qu’il avait en place.

« Peut-être. » mentit-il, en prenant la direction des cachots, laissant les autres le rattraper à
leur convenance.

Cela ne prit que quelques secondes à Hermione.

« Tu aurais pu me le dire hier au lieu de me laisser me ridiculiser. » grommela la jeune fille.

« Comme si tu m’avais laissé en placé une. » cingla-t-il, sans s’encombrer d’arrondir les
angles.

Elle soupira. « Harry, je n’ai pas envie de me disputer avec toi, c’est ridicule… Peut-être que
je m’y suis mal prise, hier, mais… »
« Tu sais quoi ? » l’interrompit-il. « Oui, tu t’y es mal prise et je n’ai plus envie d’en parler
avec toi. Ou de quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. »

Il accéléra l’allure, faisant de son mieux pour écraser dans l’œil l’élan de culpabilité qu’il
ressentit face à son expression blessée. Elle ne tenta pas de le rattraper une nouvelle fois,
préférant rejoindre Malfoy dont il sentit le regard noir lui fusiller le dos.

Il entendit tout de même Ron pousser un profond soupir derrière lui.

« Tu n’aurais pas pu commencer par dire ‘désolée, Harry’ au lieu de l’attaquer comme ça ? »
lui reprocha son meilleur ami.

« Je ne l’ai pas attaqué ! » s’indigna Hermione.

Harry préféra presser encore le pas.

°O°O°O°O°

Lorsqu’ils émergèrent de derrière la gargouille qui gardait le bureau du Directeur, Severus


fulminait. Il fulminait tellement qu’il aurait été prêt à frapper un mur si ses mains n’avaient
pas été aussi précieuses et déjà endommagées.

« Je t’ai connu plus loquace. » aboya-t-il en direction de Black qui venait d’atteindre le bas
de l’escalier.

L’Animagus avait été virulent au début puis était lentement tombé dans un mutisme
consterné.

« Qu’est-ce que tu voulais que je dise ? Tu hurlais bien assez pour deux. » rétorqua son
ancien rival avec un haussement d’épaules, les yeux toujours un peu écarquillés. « Et puis…
Tu as vu comment il le traitait ? C’était… »

Ça avait été plus qu’étrange.

À peine avaient-ils rejoint son bureau qu’Albus faisait preuve de toutes les sollicitudes,
offrant au mage noir du thé, des gâteaux, la meilleure place auprès du feu et une couverture.
Comme s’il recevait un ami cher perdu de vue de longue date et pas un homme qui avait mis
l’Europe à feu et à sang et dont la chute avait cémenté sa réputation comme le sorcier le plus
puissant du siècle.

C’était aberrant.

Ça n’avait aucun sens.

« Il est devenu fou. » décréta Severus. C’était la seule explication qui tenait la route.

La seconde période était bien entamée, les couloirs étaient vides. Ils se dirigèrent d’un
commun accord vers les étages inférieurs. Théoriquement ils étaient toujours censé être en
cours avec les troisièmes années qui avaient dû vaquer à leurs occupations depuis longtemps.
« Il n’a pas l’air bien dangereux. » nuança Black, légèrement hésitant. Sous son regard noir, il
leva les deux mains. « Hé, je suis d’accord avec toi, c’est complètement insensé mais on ne
passe pas cinquante ans en prison sans garder quelques séquelles. Crois moi. Il va lui falloir
un moment pour se remettre. »

« Ce qui signifie qu’il ne servira probablement pas à grand-chose si l’école est effectivement
attaquée. » riposta Severus. « Ce qui rend sa présence d’autant plus stupide que dangereuse. »

Où Albus avait-il la tête ?

Depuis qu’ils avaient détruit l’horcruxe… Un soupçon s’insinua en lui mais il finit par le
repousser. Si le vieux sorcier était possédé ou sous influence, l’un d’eux s’en serait forcément
aperçu. Minerva passait beaucoup de temps avec lui et le connaissait suffisamment bien pour
s’alarmer s’il y en avait besoin.

Minerva… Elle avait un double cours de Métamorphose avec ses A.S.P.I.Cs ce matin, s’il ne
se trompait pas. Il ne doutait pas qu’elle foncerait dans le bureau d’Albus dès qu’elle serait
libre et qu’elle hurlerait probablement encore plus fort que lui ne l’avait fait.

Lui et Black avaient croisé Filius qui montait en redescendant et le Directeur de Maison de
Serdaigle avait eu l’air particulièrement déterminé à laisser éclater sa colère, lui-même. Il ne
doutait pas que Pomona ne tarderait pas, même si ses mots seraient probablement plus posés.

Le plan était insensé mais qu’il ait pu le mettre en route sans même avertir les Professeurs…

Même lorsqu’il avait accepté d’abriter la pierre philosophale au sein de l’école, il avait
d’abord cherché l’approbation du corps professoral – il n’en avait reçu que le soutien partiel,
la majorité d’entre eux ayant souligné qu’une école pleine d’enfants n’était pas l’endroit idéal
pour dissimuler une chose qui attirerait autant les convoitises, et cela ne l’avait pas empêché
de mettre en route son projet mais… Tout de même, il y avait eu un semblant de respect pour
l’opinion de ses enseignants.

« Je vais essayer de trouver les troisièmes années. » soupira Black, en consultant sa montre.
« On peut au moins sauver une demi-heure de cours… Faire le point sur le parcours de ce
matin. »

Ils descendaient l’escalier qui menait au hall d’entrée. Severus fit un geste négligeant de la
main. Les gamins se seraient éparpillés dans le parc ou dans l’école. Le temps qu’ils les
rassemblent…

« Fais donc si cela t’amuse. » répondit-il. « Je vais aller trouver Slughorn. »

Il avait organisé les choses avec Lupin mais n’avait jamais réglé la situation avec son ancien
Directeur de Maison. L’idée même de devoir lui présenter des excuses le rendait vert de rage.
Avait-il le choix, cependant ? La vérité était qu’il avait besoin de l’autre Maître des Potions.

Et avec Grindelwald au sein de l’école…


Les Gryffondors et Serpentards de cinquième année avaient Potions ce matin. Il en profiterait
pour toucher un mot à Harry. Une pierre, deux coups.

« D’accord. » approuva Black. « On se retrouve pour le cours de première année ? Tonks !


Qu’est-ce que tu fais là ? »

Ils atteignirent le hall d’entrée au moment où l’Auror franchissaient les lourdes doubles
portes du château.

« À ton avis ? » rétorqua-t-elle, de l’autre bout du hall désert.

Severus l’étudia d’un coup d’œil, du jean noir déchiré aux cheveux sombres qui tombaient au
niveau de son menton et détermina qu’Albus allait vraiment passer une mauvaise matinée.

« J’en déduis que le Ministère n’était pas davantage au courant que les Professeurs ? » lança-
t-il.

Tant mieux, d’un côté. Ils s’étaient mis d’accord pour respecter leurs secrets respectifs,
toutefois si elle lui avait caché quelque chose d’aussi énorme que la venue à Poudlard de
Grindelwald…

« Est-ce que j’ai l’air de quelqu’un qui était au courant ? » siffla-t-elle avec agacement. Ils se
rejoignirent au milieu du hall. « Et, tiens toi bien… Aucun Auror supplémentaire n’est prévu
pour le surveiller. Dumbledore a convaincu le Magenmagot qu’il pouvait s’en charger seul. »

Severus se frotta le visage, n’ayant même pas l’énergie de s’en étonner. Évidemment
qu’Albus ne désirait pas davantage d’Aurors sur le domaine que nécessaire. À Poudlard il
régnait en maître et sans interférence.

« J’ai besoin d’air. » lâcha Black, en secouant la tête. « Tout ça, c’est… » Il leva les bras avec
impuissance, avant de les laisser retomber, puis posa brièvement la main sur l’épaule de
Severus comme si c’était entièrement naturel. « À tout à l’heure. »

Lui et Nymphadora le regardèrent partir en direction du parc, puis, une fois certain qu’ils
étaient seuls, il leva les sourcils. « Un mot en privé ? »

Elle hésita, très clairement furieuse et impatiente de laisser éclater sa colère sur qui de droit,
mais elle finit par acquiescer et le laissa l’entraîner jusqu’à une salle de classe vide proche de
la Grande Salle. Il prit le temps de poser des protections rapides pour s’assurer que leur
conversation demeurerait privée.

« Grindelwald ! » explosa-t-elle, à la seconde où il eut terminé. « Il est complètement


cinglé ! Pourquoi pas une bombe nucléaire tant qu’il y est ? »

La référence Moldue, qui aurait été perdue pour un autre sorcier, lui arracha l’ombre d’un
sourire.

« Puis-je te rappeler que cela ne s’est pas exactement bien terminé la dernière fois que tu as
envahi son bureau au pas de charge ? » déclara-t-il, en tendant la main vers elle.
Elle l’attrapa et le laissa l’attirer plus près de lui, l’air toujours contrarié.

« Je n’en peux plus de ses lubies. » cracha-t-elle, avec dégoût. « C’est suffisamment moche,
là-dehors, suffisamment dangereux… Il est tellement hypocrite. Il prêche tous ces idéaux qui
sont très bien sur le papier mais, dès que les choses ne vont pas comme il veut, il passe par-
dessus la tête du Ministre, manipule le Mangenmagot… » Elle secoua la tête, ses épaules
s’affaissant légèrement. « C’est une école ici… Il y a des enfants… Et il ramène un ancien
dictateur qui a tué combien de gens ? »

Severus cala sa canne contre le bureau le plus proche pour pouvoir caresser son visage de sa
main libre, un peu peiné de la voir si bouleversée. C’était une chose de la savoir en colère
contre Albus, une autre de la sentir si… déçue.

« Je ne suis pas d’accord avec toutes ses décisions… » nuança-t-il. « Je ne suis certainement
pas d’accord avec celle-ci… Mais nous ne gagnerons pas la guerre par démocratie,
Nymphadora. Il nous faut un général et ce général est Albus Dumbledore. Croire le contraire
serait naïf. »

Elle soupira et se laissa aller prudemment contre lui. Il l’enlaça sans vraiment y penser,
appuyant son menton sur le haut de sa tête et fermant les yeux, goûtant à un moment de paix
suspendu dans une journée qui allait – et irait, il le sentait – de mal en pis.

« Ça ne va pas m’empêcher de lui dire le fond de ma pensée. » marmonna-t-elle.

« Sois prudente, c’est tout ce que je te demande. » répondit-il. « Garde tes boucliers levés. »

Il ne pensait pas qu’Albus tenterait à nouveau de la contrôler par magie ou d’effacer


l’entrevue de sa mémoire. Si peu de subtilité ne lui ressemblait pas. Cela lui avait coûté la
loyauté de la jeune femme et, étant donné qu’elle était devenue le numéro deux du
Département des Aurors, cela s’était avéré un faux pas sur le plan tactique. Albus ne ferait
pas la même erreur deux fois.

« Severus… Tu t’inquiètes pour moi ? » le taquina-t-elle, en levant la tête, un faible sourire


aux lèvres.

« Constamment. » avoua-t-il.

Les traits de la jeune femme s’adoucirent. Elle l’embrassa avec cette tendresse qui
l’émerveillait toujours un peu.

Il éprouva un élan de culpabilité qu’il étouffa dans l’œuf lorsqu’il se remémora avec quelle
facilité il avait offert de rompre avec elle la nuit précédente. Encore que facilité n’était
probablement pas le bon mot. Il avait occludé suffisamment pour avoir l’air détaché, ou du
moins l’espérait-il, néanmoins il avait été douloureux de seulement y penser.

Il l’aurait fait.

Pour Harry, il l’aurait fait.


Et peut-être aurait-il été plus honnête de le lui avouer mais il n’en avait ni la force, ni le
courage. Et il n’y avait de toute manière aucune raison de le faire.

« J’ai parlé de nous à Harry. » lui annonça-t-il.

Elle se recula légèrement, plaçant une main sur son torse. « Oui, j’imagine que tu n’avais
plus le choix. Le pauvre, il avait l’air si choqué… » Elle grimaça, un peu nerveuse.
« Comment est-ce qu’il a réagi ? »

« Bien dans l’ensemble. » offrit-il. « Il savait déjà. »

Il manqua presque faire une plaisanterie sur le fait que tout se passerait bien tant qu’elle
éviterait les jupes ou les robes courtes autour de l’adolescent mais la ravala. Cela aurait été
trahir une confidence innocente. Harry avait presque seize ans, il était naturel qu’il remarque
une belle femme.

Et elle était belle.

Trop pour lui, certainement.

« Pas étonnant. Il est futé. » remarqua-t-elle, avec un sourire hésitant. « Tant mieux si ça s’est
bien passé. Je sais que ça te tracassait. »

Il tira gentiment sur une mèche de ses cheveux, l’air satisfait. « Te voilà de bien meilleure
humeur. »

Sans avoir virés entièrement au rose, ses cheveux sombres étaient parsemés de mèches plus
claires.

Elle combattit vaillamment un sourire qu’elle finit par laisser percer. « Il faut croire que tu as
cet effet sur moi. »

« Tu dois bien être la seule. » plaisanta-t-il.

La main qui était posée sur son torse agrippa ses épaisses robes et le tira vers l’avant. Il se
fondit dans le baiser par réflexe, la respiration coupée par sa fougue.

Elle parut extrêmement fière d’elle-même lorsqu’elle s’écarta finalement. « Toujours d’une
humeur massacrante ? »

« Pas présentement. » admit-il. « Cela ne durera pas, cependant. Je dois aller confronter
Slughorn. »

Elle inclina la tête pour mieux l’étudier. « Tu ne m’as pas dit s’il avait accepté de travailler
avec toi, hier. »

Il récupéra sa canne et s’éloigna d’elle avec un regret certain, conscient pourtant qu’il se
comportait avec le même ridicule qu’un adolescent qui entrainerait un béguin dans une classe
vide pour mieux l’embrasser. Il la blâmait entièrement pour sa mauvaise influence.
Il n’avait jamais eu autant de mal à contrôler ses pulsions par le passé.

« Sous réserve que je lui fasse des excuses. » cracha-t-il, sentant son agacement, sa colère,
revenir au galop.

Elle fronça les sourcils. « Qu’est-ce que tu as fait pour lui devoir des excuses ? »

« Rien que je ne puisse t’avouer sans que tu ne sois contraire de m’arrêter. » répondit-il, en
sortant sa baguette pour abaisser ses protections.

« Encore ? » se moqua-t-elle. « Tu ne peux pas respecter la loi, de temps en temps ? »

Elle ne paraissait pas fâchée et il n’avait, de toute manière, aucune intention de changer ses
habitudes. La fin justifiait les moyens.

« À Serpentard, nous apprenons que les lois existent pour être contournées. » déclara-t-il,
d’un ton presque didactique.

Elle n’eut guère l’air impressionné. « C’est drôle, parce qu’à Poufsouffle, on apprend plutôt
que les visites conjugales ne sont pas autorisées à Azkaban. »

Ses lèvres tressautèrent avec amusement. « Je tâcherai de garder ça à l’esprit à l’avenir. »

Elle planta un dernier baiser sur ses lèvres et se dirigea vers la porte d’un pas plus guilleret.
« Fais donc. »

Elle attendit qu’il ait baissé les protections pour quitter la pièce avec un dernier clin d’œil
entendu. Il l’observa tandis qu’elle s’éloignait en direction du bureau du Directeur, s’avisa
qu’il souriait toujours et se détourna dans un claquement de cape, se composant un visage un
peu plus sévère, songeant que c’était une bonne chose que le couloir ait été désert.

Si l’intermède avait eu l’avantage de le distraire quelques minutes de ses idées sombres, cela
ne dura pas.

Lorsqu’il atteignit son ancienne salle de classe, il était à nouveau d’humeur massacrante.
Interrompre un collègue en pleine leçon n’était peut-être pas très protocolaire mais son
raisonnement était que cela aurait le mérite de garder la conversation brève. Étant donné qu’il
ne savait toujours pas ce qu’il comptait dire à Slughorn, c’était sans doute pour le mieux.

Il frappa à la porte, attendit trente secondes une réponse qui ne vint pas, sans doute couverte
par le brouhaha qu’il pouvait entendre à travers l’épais bois, et pénétra dans la salle de classe
d’un pas de propriétaire – il avait après tout enseigné dans cette pièce pendant quinze ans, lui-
même.

S’il s’attendait à être immédiatement confronté par son ancien Directeur de Maison, il fût
déçu. Une vingtaine de regards se tournèrent vers lui mais aucun d’eux n’appartenait à
Horace.

Severus balaya la pièce du regard, jaugea le niveau de chaos inacceptable, et se redressa


automatiquement, projetant une telle aura d’autorité que les adolescents se figèrent tous là où
ils étaient – et peu d’entre eux étaient près de leurs chaudrons. Ses yeux se dirigèrent
automatiquement vers la porte béante qui menait à la réserve, attendant que Slughorn en
émerge, alarmé par le silence soudain. Lorsqu’il fût évident qu’il n’en serait rien, il se tourna
vers la classe qui l’observait avec une appréhension évidente.

Severus Snape et une salle de potion dans un tel désordre ne faisaient pas bon ménage.

« Que se passe-t-il ici ? » siffla-t-il, en fusillant du regard chacun des cinquièmes années qui
n’étaient pas à leurs places. Il les avait mieux habitués que ça. Slughorn n’était peut-être pas
pointilleux sur la sécurité mais il avait passé des années à leur inculquer des règles de base
qu’ils auraient dû être assez intelligents pour suivre d’eux même. Harry, au moins, semblait
surveiller son chaudron. « Où est le Professeur Slughorn ? »

« Il avait des potions à préparer, monsieur. » répondit Draco, du fond de la classe. « Il nous a
demandé de choisir chacun une potion dans le manuel et à lui remettre à la fin du cours pour
qu’il la note. »

La désapprobation dans la voix de son serpent était subtile mais présente.

Severus s’énerva encore davantage. « Sans supervision d’aucune sorte ? »

Personne ne s’aventura à répondre, ce qui était, en soi, suffisamment explicite.

« Retournez tous à vos places. » ordonna-t-il, d’un ton doucereux que chaque étudiant dans
cette pièce savait dangereux. Il attendit qu’ils ait tous retrouvé leur plan de travail – et il ne
s’habituerait jamais à voir les serpents et les lions mélangés – avant de les dévisager un à un
suffisamment longtemps pour les mettre mal à l’aise. « Puisque j’ai échoué à vous enseigner
les bases élémentaires de la sécurité dans un laboratoire de potions, vous me rendrez tous un
essai au prochain cours de Défense détaillant chacune des règles de sécurité basiques et
expliquant pourquoi elles sont nécessaires. »

« Peut-être que Slughorn pourrait en lire un ou deux. » marmonna Harry entre ses dents.

Severus décida de faire comme s’il n’avait pas entendu.

Néanmoins, il était entièrement d’accord avec le garçon et toute bonne volonté qu’il aurait été
enclin à mettre dans son entrevue avec Slughorn s’évanouit totalement.

Incapable de laisser la classe livrée à elle-même, il entreprit de vérifier les chaudrons les uns
après les autres. Il débuta par celui de Londubat qui, miraculeusement, ne paraissait pas sur le
point d’exploser. Ça ne l’empêcha pas de toiser l’adolescent, une remarque sarcastique prête
à passer ses lèvres…

Un raclement de gorge le fit tourner la tête vers Harry qui l’observait, sourcils levés.

Severus plissa les yeux mais ravala sa réplique acerbe et passa au chaudron suivant,
distribuant remontrances et avertissements au besoin.

Harry avait choisi une potion calmante, ce qui n’était guère un défi étant donné qu’il avait vu
Severus en préparer des dizaines et avait été mis à contribution plus d’une fois. La
consistance était bonne, la couleur parfaite… Il l’encouragea à continuer d’un hochement de
tête.

Les dernières potions qu’il vérifia furent celles de Granger et de Draco qui partageaient un
plan de travail au fond de la classe. Sans surprise, les potions étaient parfaites.

« Ôtez-les du feu et rangez vos ingrédients. » exigea-t-il, anticipant leurs protestations d’une
main levée. « Je m’arrangerai avec le Professeur Slughorn pour qu’il vous donne un O à tous
les deux. Surveillez vos camarades et, surtout, ne laissez personne faire exploser mes
cachots, nous entendons-nous ? » Il attendit que les deux adolescents hochent la tête, Granger
rougissant légèrement sous le compliment implicite, avant de se détourner. « Potter, un mot
dans le couloir. Weasley, surveillez son chaudron une minute. »

Harry le suivit sans discuter mais, à peine eut-il fermé la porte de la classe derrière eux que le
gamin s’anima. « Est-ce que c’est vrai que Grindelwald est à Poudlard ? »

« C’est non seulement vrai mais il est, en ce moment même, en train de siroter un thé dans le
bureau d’Albus. » grinça Severus. « Assurdiato. Je ne veux pas que tu ailles où que ce soit
avec le Directeur. Ne t’approche pas de lui ou de son bureau. S’il te fait demander, viens me
rejoindre. Tu as ta cape d’invisibilité sur toi ? »

Le garçon secoua la tête. « Elle est dans le dortoir. »

« Garde-la sur toi en permanence. » le sermonna-t-il. « Ta fameuse Carte également. Tu as


toujours une réserve de potions sur toi ? »

« Oui. » confirma l’adolescent, en fronçant les sourcils. « Vous pensez… »

« Je ne pense rien. » l’interrompit-il. « Lorsqu’un mage noir réside en nos murs, je préfère
anticiper. »

Harry enfonça les mains dans ses poches, l’air curieux. « Ils sont vraiment en train de prendre
le thé ? »

Severus changea sa canne de main pour ouvrir et fermer plusieurs fois le poing. Il serrait le
pommeau si fort depuis l’arrivée de Grindelwald que ses doigts s’étaient crispés. « Il s’agit de
la scène la plus surréaliste à laquelle j’ai assisté de ma vie. Et n’oublions pas que je t’ai vu
être réparti à Serpentard. »

Le gamin ricana puis inclina la tête, un sourire goguenard aux lèvres.

« Le seul lien qui existe entre Grindelwald et Dumbledore, c’est le duel de Darmstadt. »
lâcha l’insupportable garnement, avec une lenteur presque comique.

Il supposait qu’Harry n’avait pas suffisamment l’opportunité de lui jeter ses mots au visage
en temps normal et devait saisir toutes les occasions possibles.

« Tu m’imite très mal. » déclara-t-il.

« Oh, je ne sais pas… Je trouve que j’ai pris le coup. » plaisanta le garçon.
Il lui jeta un regard noir quelque peu atténué par l’affection qu’il ne pouvait pas réprimer.

« Cinq points en moins pour Gryffondor. » gronda-t-il, pour la forme. « Tâche de ne pas
mourir dans un accident de potions. Je m’en vais rappeler à Slughorn pourquoi laisser des
adolescents sans supervision est stupide. »

« Si vous avez besoin d’aide pour faire disparaitre le corps, une fois que vous aurez fini, vous
savez où me trouver. » se moqua Harry. Il esquissa un mouvement vers la salle de classe puis
se retourna au dernier moment, son sérieux retrouvé. « Au fait, il a dit quoi pour la potion
Révèle-Loup ? »

« Que je lui devais des excuses et qu’il ne nous aiderait qu’à condition que je lui en présente
en bon et due forme. » grinça-t-il, pince-sans-rire.

Contrairement à Nymphadora qui avait traité la chose comme une plaisanterie, incapable de
mesurer ce que cela lui aurait coûté par manque d’information, Harry se referma tout de suite.
Le visage dur, la colère brillant dans ses yeux verts, il fit un pas vers lui.

« Sev, tu ne lui dois rien. » cingla brusquement le garçon, avant de ciller rapidement lorsqu’il
se rendit compte de ce qui venait de sortir de sa bouche. Il pâlit un peu et fit la grimace. « Je
veux dire… Peut-être que vous l’avez attaqué mais c’est un connard et… »

‘Il n’a jamais rien fait pour vous.’

Il pouvait presque lire les mots dans l’esprit du gamin, sans même avoir à user de
Légilimencie.

Harry baissa rapidement les yeux, fixant les pavés inégaux des cachots du regard. « Ça ne
vaut pas le coup. Je vous aiderai pour la potion. Je ferais plus attention. On peut se
débrouiller sans lui. »

Severus prit une profonde inspiration, occludant une grosse partie des émotions qui
menaçaient de l’étouffer.

Entre tous, il supposait qu’Harry, seul, mesurerait l’humiliation que serait de présenter des
excuses à Horace Slughorn.

À nouveau, et malgré ses boucliers, il ressentit la vieille colère, la vieille rancune, relever sa
vilaine tête.

« Retourne en classe et laisse-moi m’inquiétez de Slughorn. » ordonna-t-il, prenant soin de


garder un ton neutre. Il s’était éloigné de quelques pas, l’adolescent avait la main sur la
poignée de la porte lorsqu’il se figea. « Harry ? » Le garçon se retourna vers lui, une
expression inquisitrice sur le visage. « En dehors d’une salle de classe, je ne considère pas
que le tutoiement serait… déplacé. »

Il s’en alla sans attendre la réaction de l’adolescent.

Trouver Slughorn ne fût pas bien compliqué. Il était dans le laboratoire qu’il s’était attribué,
non loin de la réserve privée qu’ils utilisaient désormais tous les deux et que l’homme laissait
perpétuellement en désordre.

À son entrée, l’ancien Directeur de Serpentard leva les yeux du chaudron sur lequel il était
penché, son visage se durcissant immédiatement. « Ah, Severus. »

« Lupin est disposé à servir de cobaye ce soir. » l’informa-t-il, sans aucune intonation dans sa
voix. Il occludait trop fort, trop bien, pour laisser percer la moindre faille. « Les détails sont
toujours en cours de négociation, toutefois je vous serai reconnaissant de préparer un
chaudron de potion Révèle-loup, je vous ferai parvenir les notes dans la matinée, ainsi que de
vous tenir prêt à passer une partie de la nuit à l’extérieur. » Il marqua une pause, prit le temps
de renforcer encore ses boucliers, se rappelant que des sacrifices étaient nécessaires.
« J’accepte de partager les droits et crédits sur cette potion à la condition que mon nom soit
listé en premier et qu’il soit explicite que je suis seul responsable de la phase de recherche.
L’argent m’importe moins, nous pouvons donc diviser les revenus en parts égales. »

Horace l’étudia longtemps puis inclina finalement la tête. « Très bien. »

« Très bien. » répéta-t-il froidement. « Tant que nous y sommes, il m’incombe, en tant que
Directeur de Maison, de vous rappeler qu’un laboratoire de potions, particulièrement un qui
est situé si près de la salle commune de Serpentard, est un endroit dangereux et qu’y laisser
une classe entière d’adolescents livrés à eux-mêmes est irresponsable. Je vous remercierai
donc de mettre en suspens votre expérience, quelle qu’elle soit, et de retourner vous occuper
de vos élèves, de préférence avant que l’un d’eux ne fasse exploser l’école. »

Avec un mage noir entre ses murs, Poudlard n’avait pas besoin d’une autre menace ce jour là.

Il se détourna vers la porte, heureux d’avoir eu la présence d’esprit de ne pas pénétrer plus
loin dans le laboratoire. Il était presque arrivé à la sortie, avait presque réussi à se contenir
tout à fait, lorsque l’autre homme l’interpella, visiblement contrarié – ou ayant peut-être peu
apprécié la remarque sur ses méthodes d’enseignement.

« Il me semble que vous oubliez ma condition première, Severus. » remarqua Slughorn, d’un
ton faussement amical. « Je pensais avoir été clair sur le fait qu’elle était incontournable. »

Severus s’immobilisa mais se tourna pas, préférant lui garder le dos tourné. Il ferma les yeux,
prit une inspiration, deux, se retrancha autant qu’il l’osa derrière des boucliers bien moins
efficaces que les anciens…

« Je ne vous présenterai pas d’excuses. » énonça-t-il clairement.

« C’est regrettable. » commenta l’autre Maître des Potions. « Dans ces conditions, je crains
de ne pas être disposé à… »

La porte du laboratoire claqua.

Severus fit un effort, il fit véritablement un effort pour se contrôler, mais, malgré lui, les
fioles et autres instruments s’entrechoquèrent sur les étagères qui longeaient les murs.

Sev, tu ne lui dois rien.


La voix d’Harry résonnait dans sa tête.

Calme, se morigéna-t-il, reste calme.

« Vous comprenez que ce n’est pas à moi que vous rendez service en portant votre attention
sur cette potion mais à la communauté magique ? » s’enquit-il, avec toute l’amabilité qu’il
pouvait feindre.

« Et pourtant, c’est vous qui avez besoin d’aide pour en venir à bout. » rétorqua Horace, sur
le même ton. « Vous, encore, qui avez choisi de m’attaquer dans mes appartements en toute
impunité. J’exige des excuses, Severus. J’exige… »

« Et où sont mes excuses ? » tonna-t-il, perdant momentanément le contrôle de ses boucliers


et de sa magie. Plusieurs bocaux éclatèrent sur les étagères. Severus pivota pour lui faire face,
incapable de dissimuler plus longtemps la fureur que cette conversation faisait naître en lui.
« Où sont mes excuses, Horace ? » répéta-t-il dans un sifflement.

Le Maître des Potions se drapa dans une dignité offensée. « Pourquoi vous devrais-je des
excuses exactement ? Pour vous avoir tout appris ? Pour vous avoir accueilli dans mon club ?
Pour vous avoir présenté à la fine fleur du monde des potions ? »

Oh, comme le sorcier se plaisait à réécrire l’histoire, songea amèrement Severus. Certes,
Slughorn l’avait invité à son club ; certes, Severus s’était fait quelques relations à ces
soirées… Mais il aurait été faux de dire qu’Horace Slughorn l’avait pris sous son aile ou était
devenu un mentor d’aucune sorte. Passé les A.S.P.I.C.s, il n’avait plus eu aucun contact avec
lui. Ce n’était pas auprès de lui qu’il avait fait son apprentissage, l’offre n’était jamais venue.

Parce que Severus n’était pas Lily Evans et que sa favorite avait toujours été Lily. C’était à
elle qu’il avait fait une offre bien que Lily ne se soit jamais destinée aux potions et,
lorsqu’elle l’avait refusée, il ne lui avait pas étendu la même courtoisie. Son apprentissage, il
l’avait décroché grâce à Lucius qui avait usé de son influence par amitié – ou ce qu’il avait
appelé amitié, à l’époque, mais qui n’avait été que le même système de dettes et de services
que durant leur scolarité.

« Vous étiez mon Directeur de Maison. Vous étiez le Professeur avec qui je passais le plus de
temps. » murmura-t-il, d’un ton accusateur. « Vous auriez pu, vous auriez dû m’aider… Au
lieu de cela, vous avez préféré fermer les yeux. »

« J’ignore de quoi vous parlez. » mentit Slughorn. Plutôt bien, d’ailleurs.

Si Severus n’avait pas été certain de ce qu’il avançait, il aurait pu douter.

Décidemment, l’homme était bien meilleur Occlumens que ce qu’il avait toujours soupçonné.
Il n’en était même pas étonné. Slughorn avait toujours gardé ses secrets près du corps.

« Vous le savez très bien, au contraire. » contra-t-il. « Combien de fois Pomfresh a-t-elle tenté
de vous convaincre d’intervenir ? Combien de fois Lily est-elle venue supplier dans mon dos
durant notre première année ? »
Que l’infirmière l’ait averti, il en était certain.

Lily… C’était pure spéculation de sa part, pourtant il était quasiment certain de ce qu’il
avançait. Sa meilleure amie avait été encline à faire entièrement confiance aux adultes,
particulièrement en position d’autorité, et Slughorn l’avait tout de suite prise en affection. Si
elle était allée voir un seul professeur pour tenter de l’aider, c’était lui.

Et quant bien même aucune des deux sorcières ne l’aurait prévenu…

Severus avait saigné aux quatre coins des dortoirs durant des semaines les cinq premières
années de sa scolarité. Il avait tâché des draps, des vêtements, des serviettes… Les elfes de
maison de Poudlard auraient alerté le Directeur de Maison.

Cela, il le savait de source sûre.

Il y avait milles et une manière d’ignorer certains problèmes.

« Si l’un de nous doit des excuses à l’autre, ce n’est certainement pas moi qui vais
commencer. » conclut-il, en parvenant de justesse à redresser ses boucliers.

« Ce n’est pas à moi de juger les choix disciplinaires des parents d’élèves. » rétorqua
Slughorn avec dédain, abandonnant sa charade d’ignorance. « Je suis d’une autre époque,
sans doute, mais de mon temps, ce genre de choses était monnaie courante. Les enfants
acceptaient leur punition, ne se plaignaient pas et retenaient la leçon. Étant donné les choix
discutables que vous avez faits par la suite, tout au long de votre vie, peut-être la leçon n’a-t-
elle pas été inculquée avec suffisamment de force. »

Le propos était tellement absurde qu’il lui fallut une bonne minute pour le digérer. Mais une
fois que les mots firent leur chemin… Une fois que…

« Vous devriez également garder pour vous vos conseils sur la gestion d’une salle de classe,
Severus. J’enseignais déjà quand vous étiez en culottes courtes. » cingla l’ancien Directeur de
Maison. « Et, si je ne m’abuse, d’après les échos qui me sont revenus durant votre absence,
vous n’êtes pas exactement un bon Professeur et aucun de vos élèves ne vous a regretté. »

Il ignorait à quel moment il avait sorti sa baguette.

Il ignorait à quel moment la fureur avait pris le pas sur tout le reste.

La première syllabe de l’Avada Kedavra était sur ses lèvres.

Sev, tu ne lui dois rien.

Il se détourna au prix d’un effort qui le laissa chancelant et sortit en trombe, courant presque
pour s’éloigner au plus vite du laboratoire, fuyant la confrontation comme un lâche.

C’était la lâcheté ou commettre un meurtre.

Il se dégoûtait de céder à la première option mais, la seconde, ni Harry, ni Nymphadora ne la


lui pardonneraient.
°O°O°O°O°

Le jour où il avait ensorcelé la porte de son bureau pour qu’elle demeure silencieuse en toutes
circonstances avait été une de ses plus riches idées, songea Albus, non sans ironie, alors que
Tonks quittait son bureau en trombe, non sans avoir tenté avec frustration de claquer la porte
derrière elle.

Severus ne s’était pas donné cette peine, ayant trop fait l’expérience de son sort de silence au
fil des années.

Filius, qui avait abandonné bien avant l’Auror, s’était contenté d’un regard noir.

La sonnerie retentit et Albus estima qu’il n’avait qu’une poignée de minutes avant que
Minerva ne débarque, libérée de sa classe d’A.S.P.I.Cs et prête à l’envoyer à Sainte
Mangouste aussi rapidement qu’elle trouverait une poignée de poudre de cheminette. Il
s’attendait également à ce que Pomona fasse une apparition sous peu.

Gellert, au moins, paraissait plus amusé qu’inquiet du ballet incessant de visiteurs venus soit
pour hurler, soit pour lui demander s’il avait perdu l’esprit.

« De mon temps, les sous-fifres ne remettaient pas en cause leurs employeurs. » remarqua
l’autre sorcier, avant de se perdre dans une quinte de toux.

Albus raviva le feu d’un coup de baguette, bien qu’il fasse déjà chaux dans la pièce. Il
n’aimait pas le sifflement rauque qui suivait ces quintes de toux. Il avait peut-être prêté une
oreille attentive aux récriminations de ses enseignants et de l’Auror car il les trouvait
légitimes, après tout il n’avait prévenu ni les uns, ni les autres, mais cela ne l’avait pas
empêché de passer une bonne partie de la matinée à observer Gellert sans s’en avoir l’air.

« Je vais appeler notre infirmière. Elle est très compétente, tu verras. » déclara-t-il.

L’expression de Gellert se fit plus triste. « Ich sterbe, Albus. »

Il se figea, le dévisageant, plus choqué que surpris.

« Je me meurs. » répéta son ancien amant. « Aussi compétente soit-elle, je doute qu’elle
puisse arranger ça. N’ais pas l’air si alarmé, j’ai accepté de t’aider en toute connaissance de
cause. J’ai quelques mois devant mois, un an peut-être, pas beaucoup plus. Cela devrait
suffire, ja ? »

À protéger Poudlard en cas d’attaque ? Oui.

À empêcher Voldemort de remonter jusqu’à la baguette de Sureau si Ollivanders venait à lui


en parler ? Sans doute.

À suturer la plaie béante dans sa poitrine qu’il n’avait jamais su comment soigner ?

Il ne répondit rien.
Le Ministère de la Magie allemand ne l’avait pas prévenu, pas plus que le directeur de la
prison avec qui il avait pourtant si souvent correspondu. Il avait été conscient que Gellert
était mal en point, avait craint longtemps de recevoir un hibou qui lui annoncerait sa mort,
mais il n’avait pas compris que c’était plus grave que ce que ses conditions
d’emprisonnement entraînaient…

La grande majorité de la communauté magique internationale célébrerait probablement sa


mort.

Et Albus pouvait le comprendre.

Pourtant…

Pourtant avant d’être Gellert Grindelwald, le sorcier honni qui avait fait plier l’Europe, il était
juste un homme. Une homme qu’Albus…

« Est-il temps de parler de ce qui fâche ? » demanda cet homme, avec une tranquillité pas
tout à fait feinte.

Albus avait cultivé cet air de mystère qui l’entourait, ce calme olympien de grand sage qu’il
gardait en toutes circonstances. Gellert était né avec.

« Pas encore. » refusa-t-il. « Ce sera certainement une longue conversation. »

« Probablement agrémentée de quelques désaccords. » glissa Gellert, avec ce même sourire


qui lui avait fait perdre la tête fût un temps. Une pointe de morgue, trop d’assurance, et un
amusement indéniable.

« Probablement. » acquiesça Albus, en lui rendant son sourire. « Je ne veux pas être
interrompu. Or, ma sous-directrice ne devrait pas tarder à venir nous exposer plus clairement
que les autres ne l’ont fait à quel point je suis sénile. »

Il fronça d’ailleurs les sourcils, en jetant un coup d’œil à la pendule.

Il était étonnant que Minerva ne soit pas déjà là.

°O°O°O°O°

Ses pas l’avaient menés à la salle des professeurs sans qu’il ne sache trop pourquoi. Il aurait
été plus logique de retourner dans ses appartements.

La pièce était bien heureusement vide et Severus claudiqua jusqu’à un fauteuil près du feu.
Sa cage thoracique était en feu, sans qu’il n’en comprenne la raison. Sa respiration était
courte. Ses mains tremblaient mais ce n’était pas dû à l’Endoloris. Sa vue était floue.

Il porta une main à sa bouche, la frotta, sans parvenir à s’ôter des lèvres le goût aigre de
l’Avada qu’il avait presque jeté.

Il agrippa les accoudoirs, s’exhorta au calme, tenta de faire le vide dans son esprit sans y
parvenir…
…peut-être la leçon n’a-t-elle pas été inculquée avec suffisamment de force.

Il ferma les yeux pour mieux occluder mais les rouvrit immédiatement lorsque l’image de
Tobias levant le poing s’imposa à lui avec un peu trop de netteté. Un gémissement passa ses
lèvres, sans qu’il ne parvienne à se contrôler, ce qui ne fit qu’exacerber le sentiment
d’humiliation.

Peut-être aurait-il dû tout simplement faire mine de s’excuser, après tout. Il aurait trouvé ça
rabaissant mais toujours moins que la condescendance, le mépris, avec lequel Slughorn
s’était adressé à lui. Lui reprocher ne pas garder sa lèvre supérieur rigide, de ne pas taire plus
longtemps un crime qu’il n’avait pas levé le petit doigt pour empêcher…

Mais n’était-ce pas ce que Severus avait fait toute sa vie ? Garder le silence. Garder le secret.
Garder la honte et l’humiliation pour lui. Préserver sa fierté. Préserver ce qu’il lui restait de
dignité.

Aucune femme ne l’avait vu entièrement nu avant Nymphadora.

Il n’avait jamais ôté sa chemise pour personne.

Il n’avait jamais…

La porte grinça lorsqu’elle s’ouvrit, laissant brièvement pénétrer dans la pièce le brouhaha de
l’intercours.

« Ah, Severus, vous êtes là… » lança la sous-directrice distraitement, en se ruant sur la table
du fond, où était disposés plusieurs théières, tasses et tout ce avec quoi on était susceptible
d’assaisonner son thé. « Voulez-vous bien me dire d’où viennent ces rumeurs qui circulent
selon lesquelles Gellert Grindelwald marcherait en nos murs ? Il vaudrait mieux pour Albus
qu’elles ne soient pas véridiques. Je suis toute disposée à arriver en retard à mon prochain
cours si… »

Il n’entendit que la moitié de son discours. Ses oreilles teintaient de manière curieuse, sa
vision se brouillait…

« Severus ? » appela-t-elle, avec une pointe d’inquiétude.

« Je suis peut-être piètre pédagogue et très mauvais enseignant… » déclara-t-il, le souffle


court, la voix rauque. « Mais je suis un excellent Directeur de Maison. »

À nouveau, il se frotta les lèvres, comme pour mieux effacer cet Impardonnable qu’il n’avait
pas prononcé.

Une main se posa doucement sur son avant-bras.

« Qui a dit le contraire ? » demanda Minerva.

Lorsqu’il ne répondit pas, elle serra gentiment son bras un peu plus fort. Il leva la tête vers
elle, cillant pour chasser les papillons qui dansaient devant ses yeux.
Elle avait approché un autre fauteuil du sien et était légèrement penchée vers lui, un air
inquiet sur le visage.

« Je n’ai jamais laissé un enfant dans une situation dangereuse. Pas une fois. Pas même
lorsque cela aurait été plus simple. » l’implora-t-il de comprendre. « J’ai toujours fait en sorte
qu’ils puissent aller vivre chez un cousin, un parent… Et lorsqu’il était impossible de les
retirer discrètement à leurs familles, j’ai menacé, fait du chantage… Pas pour mon gain
propre, pas pour collecter quelque dette plus tard… » Il secoua la tête. « Je n’ai jamais laissé
un enfant en danger, jamais, même ceux que je n’appréciais pas particulièrement. »

« Severus, je sais tout cela. » promit Minerva.

« Aucun enfant ne devrait être brutalisé. Ce n’est pas un choix disciplinaire, Minerva, ce
n’est pas une méthode d’éducation. » insista-t-il.

La douleur dans sa poitrine se fit plus sévère et il avala goulument une bouffée d’air qui ne
suffit pas à alimenter ses poumons.

Il hyperventilait, comprit-il, une seconde plus tard.

Il était en train d’avoir une crise d’angoisse.

Cela ne lui était pas arrivé depuis…

Quelque chose pressa contre ses lèvres et il eut un sursaut de recul, levant un bras pour mieux
se protéger d’un coup qui ne vint pas.

« Severus. » murmura la Directrice des lions. « Ce n’est qu’une potion calmante. L’une des
vôtres. »

Il prit la fiole d’une main qui tremblait trop, qui trahissait trop, et l’avala d’un trait.

L’effet fût presque immédiat. Sa respiration, trop rapide, ralentit suffisamment pour qu’il
parvienne à reprendre son souffle.

« Je ne veux jamais être comme lui, Minerva, jamais. » marmonna-t-il, sans savoir s’il parlait
de Tobias ou de Slughorn. « J’ai failli le tuer. » Il était vaguement conscient qu’elle lui frottait
le bras avec une compassion dont il se serait d’ordinaire outragé par crainte que ce soit de la
pitié. Une compassion mal placée. « Slughorn. J’ai failli le tuer, il n’y a pas vingt
minutes. Ma baguette était pointée sur lui. J’avais la première syllabe du sort de mort sur les
lèvres. »

Il perdit à nouveau le contrôle de sa respiration, fit un effort pour demeurer droit malgré le
vertige, la nausée…

« Horace ? » s’exclama la sous-directrice, choquée. « Mais pourquoi ? »

Il lui répéta, mot pour mot, ce que l’homme lui avait jeté au visage, déjà trop humilié pour se
soucier de l’être encore davantage.
L’expression de la sorcière passa de choquée à outrée en moins d’une seconde. « C’est moi
qui vais l’assassiner, ce crétin paresseux ! Vous dire ça ! Le culot ! »

Severus ferma les yeux et se laissa aller contre le dossier du fauteuil.

« S’il avait fait quelque chose… » souffla-t-il. « S’il avait essayé… »

Tobias était la raison et la source de toutes les erreurs qu’il avait jamais commises. Et il avait
cru, il avait toujours été persuadé que rien n’aurait jamais pu le détourner du chemin qu’il
avait emprunté. Parce qu’il était foncièrement mauvais, au fond, parce qu’il était lâche, parce
qu’il ne méritait pas le respect ou l’amour… Lily avait essayé et Lily avait échoué. Or Lily
était la meilleure personne au monde. Si Lily n’était pas parvenue à le sauver, s’il n’avait pas
réussi à résister à ses démons pour elle, personne d’autre n’aurait pu y parvenir.

C’était ce qu’il s’était répété toute sa vie en s’armant de solitude, en se drapant dans son
amertume.

Rien ni personne n’aurait pu faire la différence.

Sauf qu’Harry avait essayé.

Harry avait persévéré lorsque son double l’avait rejeté.

Harry avait persévéré lorsque Lily avait renoncé.

Harry avait réussi l’impensable et l’avait sauvé.

Deux fois.

Car s’il était parvenu à garder son jeune double sur le droit chemin, il avait réussi l’exploit
non négligeable de rendre le goût de vivre à un homme que la vie avait rendu aigri, triste et
seul, ce qui était d’autant plus difficile.

Et il ne pouvait s’empêcher de penser que les choses n’avaient pas été autant gravées dans le
marbre qu’il s’était plu à le croire.

« Pourquoi n’êtes-vous jamais venu me trouver ? » s’enquit Minerva, d’un ton qu’elle prit
grand soin de garder neutre. « Je vous aurais aidé, moi. »

Il rouvrit les yeux, laissa son regard se perdre dans l’âtre où il ne subsistait que des braises.
« Vous me détestiez. »

« Je ne déteste aucun de mes élèves. » le gronda-t-elle.

« Disions que vous ne m’appréciez vraiment pas, dans ce cas. » railla-t-il faiblement. « Ne
niez pas, vous me méprisiez tant qu’il vous a fallu trois mois pour m’adresser la parole
lorsque j’ai rejoint Poudlard en tant que Professeur. »

Elle pinça les lèvres, les joues légèrement rougies. « Je n’étais pas ravie qu’Albus nous
impose la présence d’un Mangemort sans même nous consulter. »
Elle prit un ton d’excuse, sachant que le terme le blesserait sans doute, mais il émit
simplement un bruit amusé.

« Je vous le rendais bien. » remarqua-t-il. « Je n’avais aucune confiance en vous, vous étiez
trop en amour de vos Maraudeurs. Je n’avais, de toute manière, confiance en aucun adulte. »

Et cela, au demeurant, n’avait pas changé.

La veille, il s’était trouvé frustré lorsqu’il avait demandé à Harry de nommer sa priorité
première uniquement pour entendre le gamin ânonner une série de tâches comme s’il ignorait
encore à quel point Severus tenait à lui, comme si, même après tout ce temps, il ne parvenait
pas à y croire véritablement. C’était probablement pour ça que le garçon ne se séparait jamais
du sceau des Prince, pour se rappeler que c’était vrai.

Et, plus tard dans la soirée, il s’était mis en colère lorsqu’il s’était aperçu à quel point
l’opinion de Pétunia l’influençait toujours.

Et pourtant, au fond, n’en était-il pas de même pour lui ?

Sa vie entière, il avait laissé son passé le contrôler, trop peureux pour le regarder en face,
préférant enfouir les souvenirs douloureux, les utiliser comme un bouclier qui, lorsqu’il avait
volé en éclats, avait manqué le briser.

« Je vous aurais aidé. » répéta-t-elle, avec un regret palpable.

Elle l’aurait sans doute fait, réalisa-t-il, avec plus de clarté qu’à quinze ans. Elle aurait essayé
du moins. Les sorciers, Slughorn en était la preuve, n’étaient pas aussi en avance que les
Moldus sur ce qui constituait de la maltraitance mais Minerva n’aurait jamais toléré qu’un
enfant sous sa charge soit brutalisé comme lui l’avait été.

« Horace estime indubitablement le sujet malvenu… » remarqua-t-il.

« Je vais avoir une petite discussion avec Horace au sujet de ce qui est malvenu. » grinça-t-
elle. « Ne lui prêtez aucune attention. »

Pourquoi semblait-il incapable de cesser de ressasser ces vieilles histoires ?

Pourquoi était-il soudain incapable de taire ce qu’il avait passé des années à garder pour lui ?

Parce que la brume qui protégeait l’horcruxe avait ravivé des souvenirs de Tobias avec trop
de vivacité ?

Ou parce qu’il était un hypocrite qui tâchait de convaincre Harry qu’il pouvait dépasser les
traumatismes que lui avait laissé les Dursley alors qu’il n’avait jamais pris la peine
d’affronter les siens ?

Il n’en parlait jamais, à personne, parce que c’était humiliant. Parce qu’il ne voulait pas
paraître faible.
Mais Harry savait et le gamin ne le regardait jamais comme s’il était lâche ou faible, au
contraire. Nymphadora n’avait pas changé de comportement et n’avait jamais fait preuve ni
de mépris, ni de condescendance. Même Black, avec qui il n’avait fait que vaguement
évoquer le fait que Tobias n’était pas quelqu’un de bien, ne s’était pas moqué ou ne l’avait
pas jugé.

Vous avez vu des cicatrices, la belle affaire ! Voulez-vous connaître un secret, Potter ? Les
cicatrices ne vous rappellent jamais la douleur physique, ce ne sont pas leur rôle. Les
cicatrices sont là pour vous rappeler la terreur, l'humiliation. Elles sont là pour qu'à chaque
fois que vous vous retrouvez face à un miroir, vous vous souveniez. Voulez-vous que je vous
dise autre chose ? Il y a deux sortes de cicatrices, et celles que l'on discerne à l'œil nu ne sont
pas les pires !

Ces mots qu’il avait jetés à Harry le soir où tout avait changé, ces mots qu’il avait
silencieusement portés en lui pendant si longtemps…

« Est-ce ma honte, Minerva ? » demanda-t-il, à voix basse. « Ou celle de mon père ? »

Je sais ce que c’est de grandir sans amour, lui avait répondu Harry.

On pouvait toujours faire confiance au garçon pour aller droit au but, pour cerner le cœur du
problème et l’énoncer sans détour…

« Oh, Severus… Vous n’y êtes pour rien. » Elle attrapa à nouveau son bras, le serra avec
force. « Vous n’avez pas à avoir honte. Vous n’étiez qu’un enfant… Qu’auriez-vous pu
faire ? »

Il aurait pu acheter une arme à feu plus tôt.

Trouver le courage de tuer Tobias.

Protéger sa mère.

La sauver peut-être.

Son premier réflexe avait toujours été la violence, songea-t-il, même aujourd’hui.

« Cette haine… » Il posa une main sur son cœur, soudain las. Trop las. Le genre de lassitude
qui ne menait à rien de bon et qu’il n’avait pas ressenti depuis longtemps. « Cette haine que
je traine… Elle refuse de disparaître. » La facilité avec laquelle il avait failli prononcer le sort
de mort en était la preuve. « Elle a pourri en moi. » Il ferma à nouveau les yeux, détourna la
tête. « Tout est pourri en moi… »

Et, à la longue, Harry et Nymphadora s’en apercevraient, comme Lily l’avait fait, et
l’abandonneraient… Ou, pire, il ferait ou dirait quelque chose d’impardonnable et…

Ne serait-il pas mieux pour tout le monde s’il s’éloignait le premier ? Si…

« Cessez immédiatement de penser ce qui est en train de vous passer par la tête, mon
garçon. » le gronda Minerva, en lui secouant le bras jusqu’à ce qu’il la regarde à nouveau. «
Vous voulez savoir ce que je crois ? Je crois que c’est une très bonne chose que vous ayez
confronté Horace sur le sujet. »

« J’ai failli l’assassiner. » lui rappela-t-il, d’un ton sarcastique. « Vous ne mesurez pas… »

« Mais vous ne l’avez pas fait et je suis persuadée que vous ne seriez jamais allé au bout dans
tous les cas. » le coupa-t-elle. « Ce que je mesure, en revanche, c’est qu’avant votre petit
séjour dans le passé, avant que vous ne soyez forcé de revivre cette période, aussi
douloureuse soit-elle pour vous…. Nous n’aurions jamais pu avoir cette conversation. Avant
tout cela, vous n’auriez jamais été capable de vous attacher autant à qui que ce soit que vous
l’êtes à Harry, d’entretenir une relation amoureuse ou amicale un tant soit peu profonde ou
même d’aborder un sujet aussi personnel. Par Morgane, Severus, vous m’auriez envoyé paître
au moment où j’ai passé la porte plutôt que de laisser transparaître le moindre monceau de
vulnérabilité ! »

Elle n’avait pas tort.

Il s’efforça de lui jeter un regard noir qui n’était pas bien convaincant.

Elle lui adressa un sourire triste. « Vous guérissez, mon garçon. C’est peut-être douloureux,
c’est peut-être désagréable… Mais Severus cela me comble de vous voir aujourd’hui. »

Il parvint à lever un sourcil lourd d’ironie. « Cela vous comble de me voir m’humilier devant
vous ? »

Elle balaya l’air de la main, l’air sévère. « Il n’y a rien de honteux ou d’humiliant à exprimer
ses sentiments, aussi difficiles soient-ils. Je suis flattée que vous vous confiez à moi. Et, si je
puis me permettre… Je suis fière de vous, fière du chemin que vous avez parcouru ces
derniers mois. »

Était-ce cela qu’avait ressenti Harry, la veille, lorsqu’il lui avait offert ces quelques mots ?
Cette chaleur dans la poitrine ? Ce sentiment qu’il n’aurait pas tout à fait pu nommer ?

Il avait plus de contrôle qu’un lionceau de quinze ans et, en conséquence, ne se jeta pas sur
elle pour l’étreindre. Il couvrit pourtant la main qui était toujours posée sur son bras de la
sienne, la serra avec plus de gratitude qu’il n’aurait su l’exprimer.

Ce fût sur ces entrefaites que la porte s’ouvrit sur Black qui fit deux pas à l’intérieur de la
pièce avant de les apercevoir.

Un sourire espiègle étira immédiatement les lèvres du Mauraudeur et Severus sut, il sut, qu’il
allait faire une plaisanterie déplacée.

« Je ne suis pas d’humeur. » l’avertit-il.

Cela manquait de force et de suffisamment d’hostilité. Sa voix était rauque, un peu cassée,
trahissait beaucoup trop de choses.

L’éclat malicieux disparut immédiatement du regard de Black. « Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Ça s’est mal passé avec Slughorn ? » Il fronça les sourcils. « Ou est-ce que tu es retourné voir
Dumbledore ? Parce que je viens de recroiser Tonks qui partait, elle s’est faite envoyer
promener elle aussi. »

Minerva s’assit un peu plus droite, l’air grave. « Ne me dites pas que ces rumeurs sont
vraies. »

« Je vois que votre salle de classe ne donne pas sur la bonne partie du château. » ironisa
Severus, sans parvenir à y mettre un tant soit peu de mordant. « C’était pourtant une entrée
remarquable. »

« Particulièrement le moment où ils se sont tombés dans les bras. » ajouta Black, en hochant
la tête. « Encore que, mon moment préféré, c’est quand il a fait apparaître une couverture
pour la poser sur ses genoux, après l’avoir installé dans son meilleur fauteuil. »

« Oh, je ne sais pas… » se moqua-t-il. « Le moment où il a insisté pour préparer son thé juste
comme il faut était certainement frappant. »

Minerva les observait tour à tour, la bouche entrouverte.

« Vous me faites marcher. » les accusa-t-elle. « Je préférais quand vous ne vous entendiez
pas. Se moquer d’une vieille femme, vraiment, c’est… »

« Je préfèrerai vraiment que ce soit une blague. » l’interrompit Black, en grimaçant.

La sous-directrice dût conclure qu’ils étaient sérieux parce qu’elle se leva brusquement, avec
l’expression farouche qu’elle réservait à ses élèves les plus irritants.

« Veuillez m’excuser, je dois libérer ma classe de quatrième année qui doit se demander où je
suis passée, après quoi il va me falloir aller hurler sur notre estimé Directeur. » grinça-t-elle.

« Bonne chance. » lui souhaita Severus.

Black s’effaça pour la laisser passer, referma la porte derrière elle, et s’affala dans le fauteuil
qu’elle venait de quitter. Le sorcier l’observa quelques secondes sans rien dire puis décida
visiblement que le silence était trop lourd. « Ça va ? »

Severus voulait se montrer cinglant, voulait lui dire que ce n’était pas ses affaires, voulait que
l’homme cesse de le poursuivre de ses offres d’amitié dont il ne savait que faire…

Il n’en eut pas la force.

« Non. » admit-il.

La confrontation avec Slughorn, sans parler de celle avec Albus, l’avait laissé dans un
complet état d’épuisement.

Il se sentait vide.

Vide et las.
Black dût comprendre qu’il n’avait pas envie d’en discuter car, pour une fois, il tint sa
langue, se contentant de rester assis là en silence jusqu’à ce qu’il soit tant d’aller faire cours à
leurs premières années.

°O°O°O°O°

L’entrevue avec Albus – et Grindelwald, puisque son collègue avait refusé de la recevoir seul
– l’ayant laissée de fort méchante humeur et passablement remontée, Minerva en profita pour
emprunter le chemin des cachots.

Elle arriva juste au moment de la fin du cours de Potions et laissa passer les cinquièmes
années, en distribuant saluts et hochements de tête, sans rater le regard surpris et quelque peu
suspicieux de Potter, avant de s’engouffrer à l’intérieur de la classe, prenant soin de refermer
la porte derrière elle d’un coup de baguette.

Étonné, car elle ne mettait quasiment jamais les pieds dans les cachots, Horace l’accueillit
avec un sourire un peu méfiant. « Minerva ? »

Fût un temps, un temps ancien que les élèves ne soupçonnaient même pas, cet homme avait
été son professeur de Potions. Ils avaient été collègues plus longtemps que ça encore. Elle se
targuait donc le connaître bien, sans pour autant véritablement l’apprécier. Il était affable,
paresseux et tirait toujours son épingle du jeu.

« Horace. » lui rendit-elle son salut d’un ton froid.

« Quel bon vent vous amène ? » s’enquit-il, en rassemblant quelques parchemins sur son
bureau.

« Vraiment ? Vous ne le devinez pas ? » railla-t-elle, avec agacement.

Horace l’observa un long moment avant de laisser échapper un bruit amusé. « Qu’est-il arrivé
à ce garçon ? Je l’ai connu plus digne. Voilà qu’il court se réfugier dans vos jupes, à
présent ? »

« Je vous serai grée de nous épargner ce genre de commentaires. » rétorqua-t-elle.

« Vous a-t-il dit qu’il m’attaqué, Minerva ? » la défia-t-il, posant ses deux mains sur son
ventre rebondi comme pour mieux se placer en victime. « Vous l’a-t-il dit, ça ? »

« Il m’a tout dit. » cingla-t-elle. « Et, à présent, me voilà dans la désagréable position de vous
faire savoir que nous ne pouvons tolérer ce genre de discorde au sein du corps professoral. »

« Je suis bien d’accord. » approuva-t-il, en hochant la tête. « Si nous commençons à nous en


prendre les uns aux autres… »

« Vous vous méprenez. » l’interrompit-elle. « Vos propos étaient aussi déplacés


qu’inadmissibles et en disent plus long sur vous que son mauvais caractère en dit sur lui.
Vous me connaissez suffisamment pour savoir que je n’aime pas jouer à ces petits jeux de
pouvoirs que vous affectionnez tant, permettez-moi donc d’exprimer clairement ma pensée :
il n’est pas dans votre intérêt d’entrer en conflit avec Severus. S’il faut choisir entre vous et
lui, je vous renverrai à votre retraite sans sourciller et le monde est très hostile là-dehors,
Horace. Vous conviendrez sans peine que Poudlard est l’endroit le plus sûr du Royaume-Uni
et vous appréciez trop votre sécurité personnelle pour risquer en être renvoyé. »

Le Maître des Potions s’était figé et la dévisageait à présent. « C’est Albus qui est venu me
chercher. Vous n’êtes pas encore Directrice, Minerva. Vous n’avez pas le pouvoir de… »

« Albus est très attaché à ce garçon, tout comme je le suis. Tout comme le sont Filius et
Pomona. Sans parler d’Harry Potter qui, vous en conviendrez sans peine, a plus d’influence
que vous. » rétorqua-t-elle. « Vous avez suffisamment failli à votre tâche comme cela. Je ne
vous demande pas de l’apprécier, je ne vous demande pas d’être ami avec lui, mais je vous
demande de ne plus jamais tenir le genre de discours que vous eu l’audace de lui jeter au
visage. Dans le cas contraire, vous et moi aurions un problème et je ne suis pas sorcière à
contrarier à la légère. Bonne journée, Horace. »

Elle se détourna dans un claquement de capes qui aurait rendu Severus fier.

« Je l’apprécie beaucoup, détrompez-vous. » déclara-t-il brusquement.

Elle se figea, la main sur la poignée de la porte. « Vous avez une drôle de manière de le
montrer. »

« Il me doit des excuses. » grommela-t-il. « Toutefois… Toutefois, j’étais en colère et mes


mots ont dépassé ma pensée tout à l’heure. C’était inexcusable, j’en conviens. Et petit de ma
part, si je dois être honnête. Je suis prêt à tourner la page s’il l’est également. »

Elle doutait fortement que Severus soit prêt à passer l’éponge.

« Vous devrez voir ça avec lui. » répondit-elle. « Dans l’intérêt de tous, néanmoins, il
vaudrait mieux que rien d’autre ne me revienne aux oreilles. »

Elle quitta la pièce sur cette menace.

°O°O°O°O°

La fourchette d’Hermione traçait des sillons dans sa purée sans qu’elle ne la porte à sa
bouche. Elle avait à peine touché à son assiette.

« Pourquoi ne vas-tu pas lui parler ? » suggéra Draco, dans un soupir.

Elle ne fit pas semblant de ne pas comprendre ce dont il parlait. Il régnait dans la Grande
Salle le même joyeux brouhaha qu’à l’accoutumé, les conversations peut-être un peu plus
excitées que d’ordinaire. Dumbledore n’avait fait d’apparition ni au déjeuner, ni au dîner,
mais tout le monde n’avait que le nom de Grindelwald à la bouche.

Par réflexe, son regard dériva vers la table des Gryffondors où Harry et Ron étaient installés
avec Neville, Lavande et Parvati.

Draco et elle étaient arrivés tard et avaient pris les premiers sièges libres à la table des
Poufsouffles.
Harry avait refusé de lui adresser la parole toute la journée. Il ne s’était pas montré cruel ou
particulièrement fâché mais il s’était débrouillé pour toujours laisser quelqu’un entre eux,
avait prétendu ne pas l’entendre lorsqu’elle lui avait parlé et l’avait plus ou moins évitée à
chaque intercours.

Elle avait la sensation que ce n’était pas juste.

Qu’avait-elle fait de mal à part essayer de le protéger ? De le mettre en garde ? Elle


s’inquiétait pour lui, était-ce un crime ?

« J’essaye juste d’être une bonne amie. » soupira-t-elle, en posant sa fourchette.

Elle n’avait pas d’appétit.

« Je ne peux pas juger, vous refusez tous de m’expliquer ce qui s’est passé. » répliqua Draco,
avec un certain agacement.

Il n’aimait pas les cachoteries, n’aimait pas qu’elle ait des secrets avec Ron et Harry. Ce
n’était pas tout à fait de la jalousie, il s’inquiétait, elle le savait, mais…

« Je n’ai pas été très diplomate. » admit-elle finalement. Elle hésita. La relation de Snape et
Harry n’était plus exactement un secret, à présent… « Je voulais qu’il fasse attention avec
Snape. Je ne voudrais pas que… » Elle poussa un autre soupir. « Ce n’est pas que je pense
que Snape ne soit pas du bon côté, c’est juste que… Harry est tellement…. Il n’est plus… »

Elle s’interrompit, frustrée de ne pas parvenir à exprimer clairement sa pensée.

« Potter est le même Potter qu’il a toujours été. » avança son petit-ami, baissant la voix. Ils
étaient entourés d’élèves plus jeunes qui ne leur prêtaient pas véritablement attention mais
cela ne voulait rien dire. « Il est toujours prêt à voler au secours du premier venu. Est-il un
peu plus subtil que par le passé ? Oui. Est-il plus assuré ? Peut-être. » Les yeux gris
soutinrent les siens avec un peu plus d’intensité. « Au fond, il est toujours aussi horripilant de
noblesse. »

« Tu ne comprends pas. » insista-t-elle, en secouant la tête. Elle jeta un coup d’œil autour
d’eux et se pencha vers lui, murmurant presque. « C’est comme si la guerre ne l’intéressait
plus, comme s’il ne voulait plus se battre… »

Draco l’observa longtemps, un peu tristement. « J’espère que c’est contagieux, dans ce cas.
Parce que parfois, Granger, tu es un peu trop impatiente d’aller te faire tuer à mon goût. »

Sa voix était douce mais cela sonnait tout de même comme une critique.

Elle reporta son attention sur son assiette pleine. Sa détermination à jouer un rôle actif dans la
guerre dès que possible était toujours un point d’achoppement entre eux.

« Tu penses que j’ai eu tort de lui dire de rester sur ses gardes avec Snape, alors ? » s’enquit-
elle.
Ce n’était pas vraiment qu’elle soupçonnait l’homme d’être toujours un Mangemort… Et elle
ne pouvait nier qu’elle était flattée que le Maître des Potions l’ait choisie pour préparer sa
potion…

« Non. » admit-t-il. « Snape est un Serpentard pur et dur. Il a toujours un as dans la manche et
trois coups d’avance. » Il inclina la tête sur le côté pour mieux l’observer. « Mais si Potter ne
veut pas l’entendre, cela ne sert à rien de le lui répéter. »

Elle jeta un nouveau coup d’œil vers ses meilleurs amis. Ron riait avec Neville, un bras passé
autour des épaules de Lavande, mais Harry paraissait préoccupé. Il jetait régulièrement des
regards discrets en direction de la table des Professeurs.

Snape était assis entre McGonagall et Sirius, le regard perdu dans le vide, laissant les
conversations passer au-dessus de lui. Il ne semblait pas avoir plus d’appétit qu’Hermione.

S’étaient-ils disputés lorsque le Professeur l’avait entrainé dans le couloir pendant le cours de
Potions ? Son meilleur ami avait eu l’air contrarié lorsqu’il était revenu en classe, inquiet
presque…

« Je ne peux pas… Je ne peux pas faire semblant d’approuver certaines choses. » lâcha-t-elle.
Comme la manière dont Harry parlait de Dumbledore. « Et puis… Ce n’est pas comme si
j’inventais des choses… J’ai des raisons de penser ce que je pense. »

La lettre de Remus, aussi incongrue qu’elle ait été, était une preuve suffisante que quelque
chose se tramait. Peut-être que si elle avait dit à Harry que l’information venait de Remus…
Mais elle ne pouvait pas risquer qu’il le rapporte à Snape au cas où la discrétion soit de mise.
Et elle ne pouvait pas être certaine qu’il accorderait du crédit à la parole de leur ancien
professeur. Depuis qu’il disait avoir vu le vrai visage des Maraudeurs… Il paraissait avoir
pardonné à Sirius mais il était très critique des cours particuliers avec Lupin, comme si,
vraiment, il en savait plus que le sorcier…

C’était ces commentaires arrogants, un peu trop sûr de lui, qui rendaient Hermione folle
depuis son retour.

Il pouvait parfois être si immature…

Et, pourtant, il avait su pour Grindelwald. Quelqu’un lui avait révélé une information
capitale. Snape ou Dumbledore ?

Si c’était Snape… Avait-il le droit de confier ce genre de choses à Harry ? Était-ce pour ça
que Remus se méfiait ? Parce que le Maître des Potions laisser filtrer des informations
potentiellement dangereuses ?

Et si c’était Dumbledore… Étant donné les propos qu’Harry avait tenu la veille… Avait-il
refusé une mission que le Directeur aurait tenté de lui confier ?

Parfois, elle avait l’impression qu’elle ne le connaissait plus du tout.


Et ça l’agaçait que Ron ait si facilement retourné sa veste et ait été aussi rapidement
pardonné.

Une main couvrit la sienne sur la table et elle leva les yeux vers Draco qui l’étudiait avec
tendresse.

Elle se força à sourire, entrelaçant leurs doigts.

« Heureusement que tu es là… » avoua-t-elle.

Il porta sa main à ses lèvres et y déposa un baiser qui en disait plus qu’un long discours.

°O°O°O°O°

Le soleil déclinait rapidement et Slughorn n’avait toujours pas fait son apparition.

Severus n’était déjà pas particulièrement en forme, ajouté à ça la peur de voir Lupin et sa
louve se transformer juste devant les grilles du château sans avoir consommé au préalable ni
potion Tue-Loup, ni potion Révèle-Loup, et seule sa maîtrise de l’Occlumencie l’empêchait
de s’arracher les cheveux.

Lupin et lui ne s’étaient pas approchés l’un de l’autre, ne s’étaient pas adressés la parole,
avaient pris soin d’éviter de croiser le regard…

« La lune ne va pas tarder à se lever… » murmura Flemmings avec crainte.

Severus n’avait jeté qu’un vague coup d’œil à la femme qui s’accrochait au bras de Lupin
comme une naufragée à son rocher. Suffisamment longtemps pour déterminer qu’elle n’était
pas une menace.

Black marmonna un juron. « Tu crois qu’il nous a posé un lapin ? »

La question s’adressait à lui. Il ne put pourtant qu’hausser les épaules, s’appuyant davantage
sur sa jambe valide pour soulager l’autre. Il avait laissé sa canne dans ses appartements,
sachant qu’elle ne ferait que l’encombrer plus tard. Il le regrettait un peu, à présent.

« Albus m’a confirmé que tout était en place, en fin d’après-midi. » déclara Lupin, en
tournant le visage vers le ciel. « Laura a raison… Nous avons une demi-heure, peut-être un
peu moins. S’il nous faut trouver un abri où nous enfermer… »

Severus était surpris qu’Albus ait trouvé le temps de s’occuper de la logistique, étant donné
les nombreuses visites qu’il avait reçues dans la journée. Une réunion improvisée dans la
salle des Professeurs durant le déjeuner avait confirmé que personne n’était ravi d’avoir été
mis au pied du mur.

« Le voilà. » déclara-t-il, repérant la silhouette de Slughorn qui se hâtait avec difficulté le


long du chemin qui serpentait jusqu’à la grille.

Ils se détendirent tous d’un cran.


Black en profita pour se rapprocher de lui, baissant la voix pour ne pas qu’elle porte
jusqu’aux loups ou au Maître des Potions qui approchait aussi rapidement que sa masse l’y
autorisait.

« Tu es sûr que tu veux venir ? » demanda l’Animagus.

Il était certain qu’il aurait préféré rester bien au chaud dans ses appartements, malgré son
humeur mélancolique qui l’aurait sans doute poussé à briser sa règle auto-imposée en matière
d’alcool. Néanmoins, il avait besoin d’observer les effets de sa potion tout autant que
Slughorn.

« Bill a drainé la Marque ce matin et les protections qu’a arrangées Albus devrait empêcher
qui que ce soit de pénétrer dans la zone. » répondit-il platement. « Avec un peu de chance,
cela empêchera le Seigneur des Ténèbres de me localiser. »

Les yeux gris l’observèrent avec un peu trop de sagacité. « Tu ne veux toujours pas me dire
ce qui t’a mis dans cet état ? »

Il aurait tellement voulu avoir l’énergie de se mettre en colère, de se draper d’indignation


pour mieux garder l’autre sorcier à distance… Il avait passé la journée à reconstruire
patiemment une version plus crue de ses anciens boucliers et se savait en état de fonctionner
correctement mais lui demander de gérer ses émotions était une tout autre histoire. À
l’instant, il était apathique et cela lui allait très bien. Il ne pourrait pas maintenir la chose
éternellement mais, pour l’instant, c’était la seule chose qui le faisait tenir debout.

« Rien d’important. » mentit-il.

Black ne le croyait pas mais eut la décence d’accepter son mensonge d’un hochement de tête.

Slughorn les rejoignit sur ce, haletant sous l’effort, engoncé dans un manteau de voyage
volumineux, un gobelet de potion fumant dans chaque main. Il les passa à Lupin et à la louve,
murmurant un salut à bout de souffle.

Lupin et Flemmings avalèrent la potion d’un trait, sans se faire prier. Ils échangèrent un
regard puis transplannèrent sans même un avertissement.

Severus soupira. La nuit allait être longue.

« Severus, un instant, je vous prie. » exigea le Maître des Potions plus qu’il ne le demanda.

Son regard se déplaça vers Black, la requête pour un peu d’intimité implicite… Black ne
bougea pas d’un centimètre. L’air renfrogné, il se redressa légèrement jusqu’à avoir l’air
passablement menaçant.

Severus aurait vraiment dû s’horrifier, voire s’offenser, du fait que l’Animagus pensait qu’il
ait besoin d’un garde-du-corps, mais il s’était retranché bien trop loin derrière ses boucliers
pour en avoir véritablement quelque chose à faire.

Même la vue de Slughorn ne l’impactait pas autant qu’il l’avait craint.


Son esprit était détaché, clair, calme.

Le silence s’étira d’inconfortables secondes jusqu’à ce que l’ancien Directeur de Maison


paraisse accepter que Black ne ferait pas la chose polie et ne s’éloignerait pas.

L’homme se racla la gorge, mal à l’aise, puis sortit une fiole de la poche intérieure de sa veste
et la lui tendit.

Severus la prit par réflexe, identifiant la potion sans difficulté au premier coup d’œil.

Un sursaut d’irritation menaça d’ébranler les boucliers qu’il avait si patiemment passé la
journée à reconstruire. « Comment avez-vous mis la main sur la formule ? »

Il ne lui avait fait parvenir que les notes relatives à la potion Révèle-Loup, pas celles sur
nerfs.

« Vous oubliez que je connais le moindre recoin de cette école. » déclara Slughorn, autant une
explication qu’une menace voilée. « Vos appartements et votre laboratoire ont été les miens
avant d’être les vôtres. »

La panique perça, menaçant son équilibre précaire. Il lui fallait immédiatement renforcer ses
protections. Ses appartements étaient censés être imprenables. L’idée que Slughorn aurait pu
s’y rendre quand bon lui semblait…

« Remettez un orteil là où vous n’êtes pas invité et je m’arrangerai pour que vous puissiez
voir un loup-garou de très, très près. Sans potion Révèle-Loup. » gronda Black.

Il aurait dû protester la manière dont le Maraudeur prenait sa défense.

Il aurait dû…

« Je souhaitais simplement récupérer la formule. Je n’ai touché à rien d’autre. » contra le


Maître des Potions avec indignation. « Vous vouliez des excuses, Severus, les voilà. »

Severus fit tourner la fiole entre ses doigts distraitement, puis l’empocha. Il n’était pas
suffisamment stupide pour boire une potion préparée par quelqu’un qu’il avait failli
assassiner le jour même. Il l’analyserait d’abord.

« Ce n’était pas nécessaire. » répondit-il, sans intonation particulière.

Black fronçait les sourcils, sa curiosité manifeste.

« Je ne pensais pas la moitié de ce que je vous ai dit ce matin. » insista Horace. « Mes
mots… »

« Cela n’a pas d’importance. » l’interrompit-il.

Parce que, au demeurant, cela n’en avait pas.

Slughorn n’était pas le problème, il ne l’avait jamais été.


Le problème, c’était lui.

Les démons qui dormaient en lui.

« Faisons table rase, voulez-vous ? » proposa Slughorn, en lui offrant une poignée de main.
« Collègues ? »

Quel autre choix avait-il que de serrer la main tendue ?

C’était ce qu’Albus aurait attendu de lui, ce qui était nécessaire à l’effort de guerre…

Slughorn lui adressa un hochement de tête, passa la grille et transplanna vers le morceau de
lande où les loups-garous devaient les attendre.

Severus lui emboîta le pas, uniquement pour être retenu en arrière lorsque Black attrapa son
bras.

« Le petit numéro d’Occlumens stoïque que tu me fais depuis cet après-midi, là… Ça me fait
flipper. » déclara l’homme, un peu sèchement. « Tu veux bien redevenir humain, s’il te
plait ? »

Il se dégagea d’un geste brusque mais ne parvint pas à mettre suffisamment d’hostilité dans
son regard noir.

« Je commence à comprendre comment tu fonctionnes. » insista Black. « Hurle-moi dessus


si ça peut te défouler mais baisse tes foutus boucliers et dis-moi ce qui se passe. »

Il était las, si las… Pourquoi tout le monde s’échinaient-ils à lui compliquer la vie ? Il désirait
simplement remplir la mission qui lui avait été confiée, faire au mieux, et ensuite…

« Severus. » cingla l’Animagus, presque un ordre.

Il ne s’habituerait jamais à entendre son prénom dans la bouche de son ennemi.

Excepté que Black n’était plus son ennemi.

Il se frotta le visage, relâchant quelque peu la prise qu’il avait sur ses boucliers avant de
pouvoir retomber dans ses vieux travers, de rendre vivace une rancune qui datait de plus de
vingt ans simplement pour mieux garder à distance tout autre émotion.

« Sev. » tenta Black, d’un ton hésitant.

« Non. » siffla-t-il, le surnom ébranlant ses boucliers bien plus que quoi que ce soit d’autre
l’aurait pu. « De la part d’Harry, c’est une chose. De toi… » Il perdit le contrôle sur ses
boucliers, attendit que la colère l’envahisse mais elle ne vint pas. Au fond, mis face à face
avec des émotions qu’il avait passées la journée à fuir, il se rendit compte qu’il était juste
triste, amer. « Ne m’appelle jamais comme ça. »

L’Animagus avait levé les deux mains en signe d’apaisement. « D’accord, d’accord…
Désolé. » Il lui lança un de ses sourires insolents. « Mais tu vois quand tu veux… Alors ?
C’est quoi le problème ? »

Le problème ne pouvait être ni décrit, ni réglé devant les grilles de Poudlard en cinq minutes.

Le problème ne regardait pas Black.

« Nous devrions y aller. » rétorqua-t-il. « Slughorn doit penser que nous l’avons jeté en
pâture aux loups. »

Le regard de son ancien rival était bien trop scrutateur. « Slughorn est un connard. »

Au moins, Severus savait à présent d’où Harry tirait son langage peu châtié.

« Il a toujours été un connard. » continua Black. « Quoi qu’il t’ait dit… Je n’y prêterais pas
trop attention, si j’étais toi. Ce qui compte c’est ce que pense Harry, ce que pensent tes
amis. »

Les mots le touchèrent. Mal à l’aise, il s’abrita à nouveau derrière ses boucliers, bien que de
manière un peu moins extrême.

« Si tu as fini de faire preuve de sensiblerie… » grommela-t-il, lui indiquant d’un geste de


passer devant. Lorsqu’il n’en fit rien, Severus poussa un soupir excédé – ou qui se voulait
excédé. « Je survivrai, Black. Merlin me préserve des Gryffondors et de leur émotivité ! »

Il passa la grille et transplanna, sans oser affronter une nouvelle fois le regard de l’Animagus,
craignant un peu trop que Black y lise la gratitude qu’il éprouvait à cet instant.

Il était plus facile de s’enfoncer à nouveau dans sa propre tête, d’utiliser la douleur, la peur,
l’humiliation comme un bouclier.

Beaucoup plus facile.

°O°O°O°O°

Le silence s’étirait entre eux.

Sans être tout à fait inconfortable, il n’était pas aussi naturel qu’il aurait pu l’être.

La nuit tombait doucement, jetant des ombres changeantes dans les recoins de son bureau,
pourtant Albus ne se décidait pas à allumer davantage de bougies. Il s’était penché sur sa
correspondance, certaines connaissances ne pouvant être négligées, revenant régulièrement à
la lettre que Scrimgeour lui avait envoyé en fin d’après-midi. Rufus n’était pas ravi.

Gellert était toujours assis dans le fauteuil le plus près de l’âtre et contemplait les flammes.

Le cœur d’Albus était serré et il s’autorisa, l’espace d’un instant, le fantasme d’une autre vie
où toutes les soirées auraient pu être similaires à celle-ci.

Il n’était pas bon de s’installer dans ses rêves, comme Harry le lui avait rappelé la veille.
Le ballet des visiteurs souhaitant lui indiquer leur façon de penser avait depuis longtemps
cessé et, cent fois, ils auraient pu avoir cette fameuse conversation à laquelle ils avaient
éludé, plus tôt. Pourtant, Albus ne s’en sentait pas capable.

L’autre sorcier dût sentir son regard sur lui car il leva vers lui des yeux bleus rendus plus
laiteux par la vieillesse. Son sourire naquit lentement sur ses lèvres.

Albus retrouvait le jeune homme de Godric’s Hollow dans son sourire, l’homme dont
l’ascension avait fait trembler l’Europe…

Lentement, il se leva, ignorant les rhumatismes qui se faisaient sentir après une journée
entière passée derrière son bureau, et s’installa dans le fauteuil qui faisait face à celui de
Gellert.

« Pourquoi avoir accepté de venir à mon aide ? » s’enquit-il.

« Ich wollte… » commença le mage noir, avant de s’interrompre avec agacement face à son
propre faux pas. « Excuse-moi, cela fait longtemps que j’ai dû parler autre chose que ma
langue natale. » Il s’humecta les lèvres, frotta de la paume de ses mains le bout des
accoudoirs dans un geste qui, Albus le savait, témoignait de sa nervosité. « Tu ne m’as écrit
qu’une fois en cinquante et un ans. »

« Tu n’avais pas le droit de recevoir du courrier. » lui rappela-t-il.

Gellert ne retint pas un petit rire. « Les règles ne s’appliquent pas à toi, Albus. Personne ne
t’aurait empêché d’entretenir une correspondance avec moi. »

Albus détourna le regard. Un aveu tacite.

« Le premier hibou en cinquante et un ans et tu écrivais pour réclamer mon aide… »


murmura Gellert. « Que pouvais-je faire d’autre qu’accepter ? »

« Tu aurais pu m’ignorer. » remarqua-t-il. « Bien que, je suppose, après cinquante et un ans,


l’opportunité de quitter ta cellule devait être tentante. »

« J’étais résolu à y mourir. » contra calmement son ancien amant. « Mais la vérité… Je
voulais te revoir, ne serait-ce qu’une dernière fois. »

« Même après tout ce temps ? » s’étonna-t-il presque. « Bien que j’ai été celui à t’enfermer
dans cette prison ? »

Il était trop pragmatique, trop vieux, pour ne pas soupçonner que Gellert était en train de lui
chanter exactement ce qu’il voulait entendre.

Pourtant…

Pourtant quand leurs yeux se croisèrent, s’accrochèrent, refusèrent de se lâcher…

Albus y lut la même flamme que celle qui brûlait toujours dans sa poitrine, la même douleur,
le même regret…
« Tu étais le seul qui pouvait m’arrêter. » répondit calmement Gellert.

« Tu aurais pu me tuer ce jour là. » contra pourtant Albus. Une vérité qu’aucun des nombreux
livres et traités écrits sur le sujet du duel de Darmstadt ne relatait. Aucun sort de mort n’avait
été lancé, ni d’un côté, ni de l’autre.

« Je n’aurais jamais pu te tuer. Ni ce jour là, ni un autre. » se moqua l’autre sorcier, sans
animosité, à peine un peu d’amertume. « Tu le sais très bien. » Son regard bleu s’attarda sur
la manche de la robe mauve que portait Albus, là où était rangée la baguette qu’il avait pris
grand soin de ne pas sortir de la journée. « T’a-t-elle bien servie ? »

Il tira la baguette de sureau de sa cachette, guettant l’étincelle de convoitise dans les yeux de
Gellert sans qu’elle n’y apparaisse. Si tout ceci était un jeu d’acteur, alors il était maître dans
cet art.

« Plutôt bien, oui. » acquiesça-t-il. « Elle m’a sauvé la vie plus d’une fois. »

« Bien… » murmura Gellert, en hochant lentement la tête. Il rencontra à nouveau son regard,
son sourire un peu forcé mais pas rancunier. « C’est bien. J’ai suivi la montée au pouvoir de
ce Voldemort de loin, tu sais… J’avais dans l’idée que, lui, n’aurait aucun scrupule à
t’assassiner. J’étais heureux que tu es… un avantage. »

Il tourna la baguette entre ses doigts distraitement avant de la ranger à nouveau dans sa
manche.

« Les autres reliques me sont passées entre les mains à un moment où à un autre. » lui confia-
t-il. Un autre test.

Cette fois-ci Gellert se pencha un peu en avant, incapable de cacher son intérêt.
« Vraiment ? »

« Je ne les ai pas gardées. » annonça-t-il.

« Évidemment que non… Tu as toujours été plus sage que moi. » commenta le sorcier.

À nouveau, Gellert rit légèrement. Cela se termina dans une quinte de toux. Albus se leva
pour lui servir un verre d’eau. Leurs doigts se frôlèrent lorsqu’il le lui prit des mains,
s’attardèrent un moment de plus que nécessaire.

« Merci. » marmonna le mage noir, luttant pour reprendre sa respiration. Il prit une gorgée
d’eau, sourit à nouveau devant l’inquiétude qu’Albus ne paraissait pas en mesure de cacher.
« Ne me regarde pas comme si j’allais m’écrouler, je ne vais pas mourir tout de suite. Je
vivrais assez longtemps pour te servir de clef de voûte… Ce sera un beau sortilège… Cela
fait si longtemps que je n’ai pas vu de belle magie… » Il secoua la tête comme pour mieux
chasser ces pensées. Albus n’avait pas regagné son fauteuil, il se tenait là, indécis pour la
première fois depuis si longtemps. Gellert osa tendre la main, effleurer la sienne. « Assez sur
le passé, Albus. Raconte-moi ta vie depuis que nous nous sommes quittés à Darmstadt. »

« Il n’y a pas grand-chose à en dire, je le crains. » plaisanta-t-il, avec un pauvre sourire.


N’importe qui aurait protesté cette affirmation.

Sa vie avait été bien remplie. D’aventures… De découvertes… D’intrigues…

Mais tout ça était de notoriété publique et ce n’était pas ce que voulait savoir Gellert.

« Cela me rend triste de l’entendre. » admit le mage noir. « De tous mes regrets…
J’espérais… J’espérais que tu sois heureux, au moins. »

« Je n’ai pas été malheureux. » le corrigea-t-il, car c’était la vérité. Il avait été content, pour la
plus grande partie. Seul, certainement, trop seul. Mais il ne pouvait pas se plaindre. Il étudia
l’expression de l’autre homme. « Des regrets, dis-tu ? »

« Cinquante et un ans est une longue sentence pour méditer ses crimes. » offrit Gellert, avec
un haussement d’épaules. « J’ai fait des erreurs sur la forme, même si je reste convaincu du
fond. Mon ambition… Mon ambition m’a tout coûté. » Il marqua une pause puis reprit, plus
bas. « Nous a tout coûté. »

La différence entre Grindelwald et Voldemort se situait là, songea Albus.

Voldemort ne trouverait jamais la rédemption car il en était incapable, incapable d’aimer.

Cela n’avait jamais été le problème de Gellert.

« Cinquante et un ans et un seul hibou… » répéta l’autre sorcier, dans un murmure, comme
s’il lisait dans ses pensées.

Cela était bien possible au demeurant. Gellert n’avait pas de baguette mais Albus n’avait
jamais croisé quelqu’un pour qui la Légilimencie venait aussi naturellement. Et ses propres
boucliers… Ses boucliers n’avaient jamais été très efficaces face à lui.

Gellert était son talon d’Achilles.

Encore une autre bonne raison de le mettre à l’abri près de lui, songea-t-il, plutôt que de le
laisser là dehors, une possible proie pour Voldemort.

« Arianna. » lâcha-t-il. Une explication, une excuse et une déclaration, tout à la fois.

Le regard de Gellert s’embruma mais il acquiesça comme s’il comprenait.

Albus ne doutait pas que ce soit le cas.

Il avait compris quand ils étaient des jeunes hommes.

Il avait compris lorsqu’ils étaient des hommes mûrs.

Et les voilà maintenant des vieillards…

Une vie entière.

Une vie gâchée.


« Je vais jeter ton sortilège le moment venu. » jura Gellert. « Je protégerai ton école. Et
lorsque la mort viendra finalement me chercher… Nous serons à nouveau amis, ja,
Albus ? Je peux le promettre, si tu veux. Ein Unbrechbarer Schwur… Comment dites-vous
déjà… »

« Un serment inviolable. » traduisit-il lentement.

« Ja. » confirma le sorcier. La convoitise dont il n’avait pas fait preuve envers la baguette du
sureau brillait à présent dans ses yeux bleus un peu trop pâles. Pour l’amitié dont ils ne
sauraient se contenter l’un et l’autre. « Un serment inviolable. Ainsi tu seras sûr… Tu seras
sûr que je ne mens pas. »

« Tu lis dans mes pensées. » l’accusa-t-il, avec plus d’amusement qu’autre chose.

« Est-ce ma faute si elles sont gravées sur ton visage ? » se moqua Gellert, en touchant à
nouveau sa main.

Albus aurait probablement dû se dérober au contact.

Il n’en eut pas la force.

« Un serment inviolable. » accepta-t-il. « La promesse que tu ne chercheras pas à


t’échapper. »

« Je n’ai aucune envie de t’échapper. » murmura Gellert, avec un peu trop de force, un peu
trop de conviction.

Leurs mains glissèrent, leurs doigts s’entrelacèrent…

Une larme roula sur la joue d’Albus, alors qu’il demandait silencieusement pardon à sa sœur.

°O°O°O°O°

Tonks était crevée.

L’arrivée de Grindelwald à Poudlard avait fait la une de la Gazette et la moitié des sorciers du
pays avait pris le Ministère d’assaut pour protester – ou, du moins, c’était l’impression
qu’elle avait eu. Le discours improvisé de Scrimgeour n’avait pas véritablement apaisé la
foule.

Et, comme si cela ne suffisait pas, les Mangemorts avaient attaqué une petite bourgade en
Irlande qui abritait une réserve de Leprechauns… Elle, Kingsley et un groupe d’Aurors
toujours trop peu formés étaient arrivés à temps pour sauver quelques créatures magiques
mais pas toutes. Le Département de Protection des Créatures Magiques était venu leur
demander des comptes comme si c’était eux et pas les Mangemorts qui étaient coupables…

Elle sortit de sa douche, s’enveloppa dans une serviette un peu trop rêche d’être restée trop
longtemps humide et s’observa un long moment dans le miroir. Les cernes sous ses yeux
disparurent, la fatigue qui marquait ses traits fût lentement gommée, ses cheveux d’un brun
terne virèrent au bleu électrique… Si seulement il avait été aussi facile de faire disparaitre
l’épuisement dont ses os semblaient être perclus…

Elle soigna d’un coup de baguette qui était devenu presque machinal l’estafilade peu
profonde qui lui barrait le bras, cadeau d’un Mangemort, puis retourna dans sa chambre pour
passer un jogging lâche et un tee-shirt trop grand pour elle.

Elle était en train de se dire qu’elle allait commander une pizza lorsqu’elle avisa l’état du
salon – et du reste de son appartement. Elle n’avait jamais été une fée du logis mais, à ce
stade, on frisait la limite de l’acceptable et le fait qu’elle semblait passer si peu de temps chez
elle dernièrement n’était pas une excuse.

Prenant son courage à deux mains, elle remit un peu d’ordre à l’aide de sa baguette, se
sentant tout de même mieux lorsqu’il n’y eut plus de vaisselle sale empilée sur la table du
salon, de vêtements abandonnés aux quatre coins de la pièce et une épaisse couche de
poussière sur tous les meubles.

Lorsqu’elle eut terminé, l’appartement sentait le propre.

Et elle était d’autant plus fatiguée mais elle se sentait également plus adulte qu’adolescente
attardée qui se reposait sur les visites sporadiques de sa mère pour faire le ménage à sa place.

Les coups à la porte étaient inattendus et pas tout à fait bienvenus. Ajustant sa prise sur sa
baguette, elle se rapprocha de l’entrée, méfiante.

« Oui ? » lança-t-elle.

Son appartement était une forteresse où personne ne pouvait entrer sans son consentement
mais cela signifiait aussi qu’elle ne pouvait pas en sortir facilement en cas de besoin.

« C’est nous ! » répondit la voix de Charlie. « On a de la vodka et de la bouffe ! »

Levant les yeux au ciel, elle ouvrit la porte, souriant déjà. Charlie agita deux bouteilles de
Vodka Glace-boyaux tandis qu’Anthony peinait sous le poids de plusieurs tuperware.

« Molly ? » demanda-t-elle avec espoir, en avisant la collection de nourriture.

« Elle t’en a fait assez pour que tu tiennes toute la semaine. » répondit Charlie, en se glissant
entre elle et le battant, comme s’il était chez lui.

Anthony lui jeta un regard d’excuse pour les mauvaises manières de son compagnon.
Souriant toujours, elle le soulagea des deux contenants les plus larges et lui fit signe d’entrer
d’un coup de tête.

Charlie s’était immobilisé au centre du salon et regardait autour de lui, sourcils levés. « C’est
si propre… Tu attends quelqu’un ? »

Il était très doué pour raviver sa puérilité et, en conséquence, elle lui tira la langue. « Non. Je
suis capable de faire le ménage de temps en temps. »
« Première nouvelle. » se moqua Anthony, non sans affection.

« Ah, ah… » grinça-t-elle, en plantant les poings sur ses hanches. « Qu’est-ce que vous faites
là ? Je ne vous attendais pas… »

Une nouvelle fois, Charlie regarda autour de lui avec ce qui ressemblait à de l’incertitude.
« Si on te dérange… »

« Non, non ! » s’empressa-t-elle de le corriger. « Je suis contente de vous voir. »

« Sûre ? » insista Anthony, après avoir échangé un coup d’œil avec son compagnon. « Parce
que si tu dois avoir de la visite… »

Elle leva les yeux au ciel. « Vous êtes si subtils, tous les deux. Severus ne peut pas quitter
Poudlard, vous le savez très bien. »

« Severus. » répéta Charlie, avant de se laisser dramatiquement tomber sur le canapé. « Je ne


m’y ferai jamais. »

Elle choisit de penser qu’il plaisantait.

« Je vais chercher des verres. » annonça-t-elle. « Et des couverts. »

Ils avaient passés suffisamment de soirées juste comme celles-ci pour savoir qu’ils ne
s’embarrasseraient pas d’assiettes.

Elle venait d’ouvrir le placard de la cuisine à la recherche de verre bas qui conviendraient
mieux à la vodka que ceux qu’elle utilisait tous les jours, lorsqu’elle entendit Anthony dire à
Charlie qu’il avait besoin d’utiliser la salle de bain.

Elle mit la main sur les verres, referma le placard et sursauta si fort lorsqu’elle sentit la
présence dans son dos qu’elle manqua les lâcher. Elle se retourna vers Charlie, un reproche
aux lèvres. Elle n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit avant d’être attirée dans une
étreinte presque étouffante.

« Ma nymphe… » murmura-t-il, à son oreille. « Ma nymphe… »

Alarmée, elle fronça les sourcils et lutta pour s’éloigner juste assez pour pouvoir voir son
visage. Ses yeux bleus fouillèrent les siens avec une telle intensité qu’elle dressa
immédiatement ses boucliers mentaux.

« Charlie ? » s’inquiéta-t-elle.

« Je t’aime. » lâcha-t-il, en l’étreignant à nouveau.

« Je t’aime aussi. » répondit-elle machinalement. « Mais qu’est-ce que… »

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda Anthony, du seuil de la cuisine.

Charlie se tendit puis la relâcha lentement avant de se tourner vers lui…


Tonks était perdue et son instinct lui criait que quelque chose n’allait pas. Les avertissements
de Severus comme quoi l’espion pouvait être n’importe qui résonnaient dans sa tête mais elle
ne pouvait pas se résoudre à penser que…

« Tu lui as dit. » soupira Anthony avec une désapprobation palpable.

« Pas encore. » contra Charlie. « Mais j’allais le faire. »

« Dit quoi ? » intervint-elle, en se décalant légèrement, de sorte qu’elle aurait l’espace


nécessaire si l’un des deux autres sorciers sortait sa baguette et qu’elle devait se battre.

La tension disparut subitement lorsqu’Anthony sourit tendrement à son partenaire. « Allez,


dis lui. Tu en meurs d’envie. »

Lorsque Charlie se tourna vers elle, plus aucune trace de la détresse qu’elle avait cru
percevoir dans sa voix ne subsistait sur son visage.

« On va se marier. » annonça-t-il dans un sourire.

Elle accueillit la nouvelle d’un cri de joie et lui sauta dessus pour le féliciter, avant d’attirer
Anthony dans l’étreinte qui ressemblait, de fait, davantage à une mêlée.

« Tu seras mon témoin, bien entendu. » exigea Charlie.

Tonks se mit à pleurer. La fatigue, la joie, la culpabilité parce qu’elle l’avait un instant
soupçonné de… De quoi ? Elle devenait aussi paranoïaque que Fol’Œil et voyait des espions
partout.

Plusieurs heures et plusieurs verres de vodka plus tard, ils avaient célébré la nouvelle comme
il se devait et elle avait posé toutes les questions qu’un témoin se devait de poser. Ils
n’avaient pas encore de date mais espéraient pouvoir organiser une petite cérémonie simple
au cours de l’été.

« Et on invitera tous nos amis dragonniers. » ajouta Charlie en riant, un peu éméché. « Tu en
trouveras bien un à ton goût. »

« Emeric. » commenta Anthony, en agitant les sourcils.

« Oh, oui… Emeric… » approuva son meilleur ami, en hochant la tête, l’air rêveur.

Cela lui valut un coussin en pleine tête de la part de son fiancé.

Tonks n’était pas tout à fait sobre non plus, pourtant elle ne se joignit pas à leurs rires.

« J’ai déjà quelqu’un. Tu sais bien. » objecta-t-elle, peu à l’aise à l’idée qu’ils essayent de
jouer les entremetteurs.

Et puis… Ce n’était pas comme si elle allait se rendre au mariage seule… D’ici là, le secret
serait très certainement éventé pour de bon. Severus accepterait sûrement de l’y
accompagner. Ce n’était pas que du sexe entre eux et c’était le genre de choses que faisait un
couple.

L’idée de s’afficher publiquement avec lui était un peu étrange mais dans le bon sens. Cela lui
donnait des papillons dans le ventre. Elle se prit à sourire.

« Mais ce n’est pas sérieux. » remarqua Anthony, avec hésitation. « C’est juste une histoire
de fesses, non ? »

« Emeric a de bien plus jolies fesses que Snape, je te le garantie. » renchérit Charlie, sur le
ton de la plaisanterie.

« C’est sérieux. » les corrigea-t-elle, tout en se resservant un verre de vodka pour se donner
contenance. Elle n’était pas sûre d’apprécier la manière dont ils se regardaient, comme s’ils
hésitaient à dire quelque chose qu’ils savaient qu’elle n’apprécierait pas. « C’est très sérieux,
même. » Elle jeta un regard agacé à son meilleur ami. « Et, ça ne te regarde pas mais il a de
très belles fesses. »

Charlie haussa les sourcils, puis se pencha en avant avec curiosité. « Et le reste ? »

Ce fût à son tour de lui balancer un coussin au visage.

Anthony, lui, ne semblait rien trouver de drôle au tour qu’avait pris la conversation.

« Tonks… Tu es sûre que c’est une bonne idée ? » demanda-t-il, avec une réticence évidente.
« Crois-moi, je n’ai aucune envie de te dire avec qui ou pas sortir mais… »

« Mais il y a de grandes chances qu’il soit notre espion. » termina Charlie pour lui, en se
frottant le visage. « Et te savoir avec lui, ça nous inquiète. »

Elle les observa tour à tour, l’irritation se disputant à l’affection en elle.

Elle savait qu’ils n’essayaient pas de faire ingérence dans sa vie, que leur inquiétude était
sincère et motivée par l’amitié qu’ils lui portaient. Ça n’empêchait pas qu’elle avait
suffisamment été claire avec Charlie à ce sujet.

« Severus n’est pas le traitre. » asséna-t-elle, sans prendre de gants. « Et… Et j’ai des
sentiments pour lui. Alors il va falloir que vous appreniez à vous entendre tous les trois. »

Charlie parut sur le point d’insister puis se ravisa. Ça ne lui plaisait visiblement pas mais il se
força à sourire et lui passa un bras autour des épaules pour l’attirer contre lui.

« Je ferai n’importe quoi pour toi, tu le sais. » promit-il contre ses cheveux.

Elle se détendit, s’abandonnant à son étreinte un peu alcoolisée et quêta le regard d’Anthony.

Le jeune homme força lui aussi un sourire mais ne dit pas un mot.

°O°O°O°O°
Le monde n’était pas aussi vaste qu’il aurait dû l’être.

L’horizon n’était qu’une illusion.

Lunard était à nouveau enfermé dans une cage. Une cage plus vaste, une cage invisible, une
cage qui lui permettait de hurler à la lune, de chasser et de jouer avec sa meute, mais une cage
tout de même.

Par sécurité, lui souffla la part de lui qui était humaine.

Par sécurité, accepta le loup, trop heureux de pouvoir courir, de jouer avec la louve qui
tressaillait de joie depuis des heures ou de rappeler à l’ordre l’énorme chien noir qui peinait à
suivre leur rythme.

Lunard était homme et il était loup.

Lunard était un.

Lunard était complet.

Il leva la tête et chanta son bonheur à une lune qui déclinait irrémédiablement. Le ciel
rosissait, la nuit touchait à son terme…

Le vent porta jusqu’à lui l’effluve de son ennemi et son appel, que la louve avait repris, se
transforma en un grondement sourd.

Deux sorciers les avaient suivis toute la nuit, trop haut dans le ciel pour que Lunard puisse les
attraper même s’il l’avait voulu. Drôles d’oiseaux sur des bâtons de bois. Oiseaux qui
n’étaient pas des proies, sa part plus humaine n’aurait pas permis qu’il leur arrive du mal.

Du moins pas au plus imposant des deux.

Sa part humaine était tout aussi encline que sa part animale à faire du mal à l’autre.

Pas le tuer, non…

Ils étaient civilisés, même sous leur forme animale.

Mais l’autre menaçait sa meute, avait volé sa compagne… Plus tôt, alors qu’il n’était pas
encore Lunard, avant que la lune lui permette de se fondre dans sa moitié lupine, il avait senti
son odeur sur lui. Faible mais présente. Entêtante. Il savait que s’il avait vu sa compagne ce
jour là, elle aurait empesté la sienne. Et comme si cela ne suffisait pas, Patmol lui aussi
charriait ce mélange d’herbes âcres qui était propre à son ennemi.

Ennemi n’était pas le bon terme.

Lunard n’en connaissait pas d’autre.

Proie ou prédateur.
Meute ou ennemis.

La vie, sous cette forme, était simple, ramenée à l’essentiel.

Il grogna un ordre à Patmol qui échoua à se mettre en position à temps pour coincer le lapin
qu’ils s’amusaient à traquer depuis un moment. La louve y parvint d’un bon. Il la félicita
d’un coup de museau, frottant son pelage contre le sien, s’enivrant du plaisir que ne pouvait
procurer que la présence de sa meute. Elle comprenait enfin, il le savait. Elle qui, comme lui,
avait craint sa nature durant des années… Elle comprenait enfin la joie que c’était de ne plus
être déchirée jusqu’à l’âme. Humain et loup, loup et humain… Un. Indivisible.

Elle suivait ses ordres, elle. Le traitait avec affection mais déférence.

Alpha, il était.

Alpha, il resterait.

À nouveau, il leva la tête vers le ciel, vers les drôles d’oiseaux qui prenaient des notes.

Patmol approcha et Lunard le rabroua d’un coup de patte.

Pour avoir échoué à attraper le lapin.

Pour ne pas comprendre qu’il devait obéissance à son Alpha.

Parce qu’il portait sur lui cette odeur que le loup exécrait.

Meute ou ennemis.

La part humaine en lui était plus indécise mais le loup n’avait pas ses scrupules.

Et Lunard n’était qu’un.

Meute ou ennemis.

Ennemi.

°O°O°O°O°

Harry roula de son lit et sortit de sa chambre au moment où il entendit du bruit dans le reste
de l’appartement. Il déboula dans le couloir juste à temps pour voir Severus fermer la porte
qui menait au bureau du Directeur de Maison. Si le Maître des Potions se figea brièvement,
aucune surprise ne se refléta sur son visage ou dans ses yeux, confirmant ce que le garçon
soupçonnait.

Après le cours de potions, il ne l’avait vu que de loin la veille, mais cela avait été amplement
suffisant.

« Je ne m’attendais pas à te trouver là. » remarqua le Professeur, d’un ton beaucoup trop
neutre.
Il ôta son épaisse cape et ses sur-robes et les pendit à la patère dans l’entrée d’un geste
machinal, le laissant en pantalon et chemise.

« Vous avez dit que je pouvais aller et venir comme je voulais. » répondit Harry, un peu
incertain.

« Bien sûr. » se dépêcha de confirmer l’homme, en lui jetant un coup d’œil, un sursaut
d’émotions passant sur son visage. Ça ne dura pas. Le masque lisse reprit sa place. « Passe
une robe de chambre. »

Harry battit en retraite dans sa chambre juste assez longtemps pour récupérer robe de
chambre et chaussons. Ça ne l’empêcha pas de rattraper Severus dans le couloir qui menait à
la cuisine, son pas était lent encore que sa claudication n’était pas très prononcée. Sans un
mot, l’adolescent fit un crochet par le salon et attrapa la canne qui était restée appuyée contre
le canapé.

« Je suis juste passé discuter hier soir, après le dîner, mais vous n’étiez pas là. » expliqua-t-il,
finalement, en lui tendant la canne. Severus l’accepta, le remerciant d’un hochement de tête.
« Je vous ai attendu longtemps mais… »

Il laissa sa phrase en suspens.

Il avait fini par penser que le Professeur était allé rejoindre une certaine Auror.

À voir sa tête, cependant, il en doutait. Severus avait l’air de ceux qui n’avaient pas dormi de
la nuit et pas par choix.

« C’était la pleine lune. » répondit le Maître des Potions. « J’ai passé la nuit à observer deux
loups-garous folâtrer dans la lande, si tu veux tout savoir. »

Ce qui expliquait certaines choses mais pas tout. Severus avait beau avoir ses problèmes avec
les loups-garous, cela ne justifiait pas le masque neutre, le ton monocorde ou le regard
presque vide.

« Tu n’as pas veillé trop tard, j’espère ? » demanda l’homme, avec ce qui semblait être une
tentative de sévérité mais sonna un peu faux, un peu creux, comme si le cœur n’y était pas. Il
sortit sa baguette pour faire chauffer la théière mais là encore le geste paraissait machinal.

Harry le prit de vitesse et sortit les tasses du placard, lui faisant signe de s’asseoir.

Miraculeusement, et de manière alarmante, Severus ne protesta pas et prit place à table.

« Non, je me suis endormi sur le canapé. » avoua-t-il. « Et quand je me suis réveillé, vous
n’étiez toujours pas là, alors je suis allé me coucher. »

Non sans avoir hésité à contacter Dumbledore d’abord, juste pour vérifier que tout allait bien.

Le Professeur ne répondit pas. Harry tourna la tête pour l’observer discrètement : son regard
était perdu dans le vague, il se tenait raide et son expression était si lisse… Comme un
masque.
Harry mit le thé à infuser et, lorsqu’il parut évident que l’homme ne le ferait pas, s’activa aux
fourneaux pour préparer le petit-déjeuner. Cuisiner ne le dérangeait pas mais Severus ne le
laissait jamais faire tout seul, d’habitude. Il insistait pour qu’Harry ne fasse pas tout tout seul.

Parce que ça avait été une de ses corvées chez les Dursley.

Parce que c’était différent et qu’il ne voulait pas qu’Harry ait l’impression qu’il se servait de
lui comme d’un elfe de maison.

Il attendit et attendit que le Maître des Potions se débarrasse de cette étrange humeur, se
ressaisisse… Cela ne vint pas. Du moins, pas avant qu’il ne dépose une assiette pleine de
bacon croustillant, d’une généreuse portion d’œufs brouillés et de deux toasts grillés juste
comme il le fallait devant lui, ainsi qu’une des fioles que l’homme avalait chaque matin pour
combattre le tremblement de ses mains.

Alors Severus cilla, comme s’il reprenait juste contact avec la réalité, regarda autour de lui,
semblant s’apercevoir, à cette seconde seulement, qu’Harry avait passé dix minutes à
préparer à manger, et lui adressa un regard d’excuse qui était beaucoup trop honteux pour la
situation.

« Tu n’es pas obligé de… » lui rappela le Maître des Potions.

« Je sais. » l’interrompit-il, sans le laisser terminer. Cela lui valut un regard noir qui n’était
pas véritablement hostile. Il récupéra sa propre assiette, nettement moins garnie, s’assit en
face de son père, mais ne toucha pas à la nourriture. Il n’avait pas vraiment d’appétit, en ce
moment. « Qu’est-ce qui s’est passé ? »

« Avec les loups-garous ? Rien de bien intéressant. Encore que l’amie de Lupin a confirmé
que la potion Révèle-Loup lui est apparu, à elle aussi, comme une révélation de sa vraie
nature. » releva Severus. Il prit la fiole de potion qu’Harry avait posée devant lui mais, au
lieu de l’avaler, il l’inspecta sous toutes les coutures, la porta à la lumière et la plaça
finalement sur le côté sans la boire. Devant son air perplexe, l’homme claqua la langue avec
agacement. Le premier véritable signe d’émotion qu’il manifestait ce matin là. « Il s’avère
qu’Horace, fort de ses années passées à Poudlard, peut pénétrer dans mon laboratoire à mon
insu. Or s’il peut pénétrer dans le laboratoire… »

« Il peut entrer ici comme il veut. » termina-t-il, avec un mauvais frisson.

Les appartements de Severus étaient l’endroit où il se sentait le plus en sécurité. Mieux que
cela, c’était chez lui. L’idée que Slughorn puisse y pénétrer sans invitation…

« Je compte renforcer les protections spécifiquement pour lui interdire l’entrée dès ce
matin. » déclara le Professeur. « Mais je préfère ne pas consommer une potion qu’il sait de
source sûre que je prends chaque jour. Je ne pense pas qu’il m’empoisonnerait, trop de
personnes le soupçonneraient… Prudence est mère de sûreté, toutefois. »

Harry lui faisait confiance lorsqu’il était question de prudence. Il n’était pas paranoïaque pour
rien.
Néanmoins…

« Je voulais dire qu’est-ce qui s’est passé avec vos boucliers ? » lâcha le garçon.

Severus se figea. Cela aurait presque pu être comique parce qu’il venait de porter la
fourchette à sa bouche. Lentement, le Professeur se remit à mâcher, cherchant très
visiblement à gagner du temps.

« Rien qui ne te concerne. » déclara finalement l’homme, d’un ton péremptoire.

C’était le genre d’avertissement qu’il n’avait jamais véritablement appris à prendre en


compte.

Parce que cet éclat paniqué dans les yeux sombres, la manière dont sa voix s’était faite un
tout petit peu plus cassante, la façon dont il s’était redressé comme pour mieux le toiser…

Harry savait ce que ça signifiait.

Ça signifiait que le sujet était trop personnel, trop douloureux, et que tel un animal blessé et
sauvage, le Professeur pesterait, mordrait et menacerait pour être laissé tranquille. Ça
signifiait aussi qu’il avait besoin d’une aide qu’il se refuserait à demander.

« On dirait les anciens. » insista-t-il. « Vous êtes… loin. »

C’était encore la meilleure manière de le décrire.

Il l’avait remarqué la veille, durant le déjeuner. L’expression de Severus était neutre, distante,
détachée… Cela ne s’était pas amélioré lorsqu’il l’avait recroisé dans la Grande Salle durant
le dîner.

« J’ai encore le droit de gérer mes émotions comme je l’entends, Harry. » cingla l’homme,
d’un ton peu amène.

Il n’en prit pas ombrage, trop habitué. Aucune tasse n’avait encore été lancée contre le mur, il
y avait donc de la marge avant de véritablement s’inquiéter.

« Tant que vous les gérez. » commenta-t-il, pince-sans-rire.

Il était allé trop loin et il le sut immédiatement.

De neutre, son expression vira à colérique, voire furieuse. « Ce ne sont certainement pas tes
affaires et je te prierai de te souvenir de qui est l’adulte ici. Tes commentaires ne sont ni
désirés, ni bienvenus. »

Harry ne tressaillit pas parce qu’il occludait lui-même mais ça n’empêcha pas la petite pointe
de douleur dans sa poitrine.

« Vous avez fait trop d’efforts, vous avez trop changé pour retomber là-dedans et vous le
savez. » insista-t-il, ignorant la petite voix dans sa tête qui lui murmurait qu’il était suicidaire.
« Vous cacher derrière vos boucliers, ça ne sert à rien. Ce n’est pas une solution. »
« T’est-il jamais venu à l’idée que c’est la seule manière dont je puisse survivre ? » tonna
Severus, perdant visiblement le contrôle de lui-même. « T’est-il venu à l’esprit que j’étais
bien plus heureux avant que tu ne me forces à les briser ? »

Harry se leva parce que, il le savait, à partir de là, la conversation ne ferait que dégénérer et si
l’un d’eux ne partait pas, ils allaient dire des choses qu’ils regretteraient.

Déjà, cette simple remarque le blessait.

Ce n’était pas Harry qui l’avait forcé à briser ses boucliers.

Les boucliers dont Snape s’était cadenassé l’esprit toute sa vie avaient été des murs, une
carapace. Et Harry n’avait rien demandé.

Si ses boucliers avaient fini par s’écrouler, c’était uniquement parce qu’il avait cessé de
regarder passer la vie en spectateur et avait recommencé à créer des liens émotionnels qui lui
interdisaient de rester absolument détaché de tout.

« Vous vous faites du mal. » lança-t-il, tout de même. « Quand vous ignorez vos émotions,
quand vous les utilisez pour vous tenir à distance de tout et de tout le monde… Vous vous
faites du mal. Et je ne veux pas voir ça. »

Il quitta la pièce, ignorant l’appel courroucé qui lui intima de se rasseoir.

Et s’il claqua la porte de sa chambre… Eh bien, il avait bien le droit de se mettre un peu en
colère lui aussi.

Il se laissa tomber sur son lit, couvrit son visage de ses mains et laissa son esprit sombrer
dans les flammes qui l’entourait, absolument conscient qu’il était en train de faire exactement
ce qu’il avait reproché à son père. Mais c’était différent. Harry ne cherchait jamais à
supprimer ses émotions négatives… Il les repoussait, il les mettait de côté, mais à un moment
donné… Il était bien obligé de les affronter, de les accepter.

Severus était le maître du déni.

Il attendit plusieurs minutes, à moitié certain que l’homme allait débarquer en furie dans sa
chambre pour mieux poursuivre la dispute, mais lorsque rien ne se passa, il décida qu’il
pouvait tout aussi bien se préparer et rejoindre sa salle commune pour récupérer son sac de
cours. Il prit son temps dans la salle de bain, espérant sans trop y croire que le Professeur se
serait retranché dans sa propre chambre le temps qu’il en émerge.

Peine perdue.

« Harry. » appela Severus, à l’instant même où il mit un orteil dans le couloir.

Avec un soupir, il se dirigea vers le salon, en se disant qu’il aurait mieux fait de prétendre ne
pas avoir entendu.

Le Maître des Potions était assis dans son fauteuil favori, Masque sur les genoux, le regard
perdu dans les flammes qui crépitaient dans la cheminée. Il ne tourna pas le regard vers lui.
« Je regrette. » lâcha Severus, avec difficulté. « Je n’étais pas plus heureux avant que tu
entres dans ma vie. J’étais seul, amer et misérable. »

Malgré lui, parce qu’il aurait voulu rester fâché un petit peu plus longtemps, Harry se surprit
à sourire avec amusement. « Ce que j’aime chez les Serpentards, c’est qu’il faut toujours que
tout soit très dramatique. Même les excuses. »

La plaisanterie lui valut un regard faussement courroucé. L’expression de Severus était


incertaine, toutefois. Il occludait toujours mais de manière moins prononcée, certainement
moins extrême.

« J’ai jeté un sort sur ton assiette pour la garder au chaud. » lui dit le Professeur.

Il secoua la tête. « Je n’ai pas faim. »

« Tu n’es pas autorisé à sauter un repas. » lui rappela Severus, avec une véritable contrariété
cette fois-ci. « Tu as perdu du poids depuis notre retour. »

« Je ne m’entraîne plus avec Terrens. » contra-t-il, dans un haussement d’épaules. « Et


comme je ne joue plus au Quidditch… »

« Tu ne vis plus, non plus, autant avec moi et je ne surveille probablement pas assez ce que tu
manges. » riposta le Professeur. « En conséquence, sauf si tu souhaites être forcé de prendre
tous tes repas en ma compagnie jusqu’à nouvel ordre, je te conseille de te nourrir
correctement. »

La menace était sérieuse alors Harry préféra capituler. Il alla récupérer son assiette et sa tasse
de thé, ignorant le regard réprobateur de son père lorsqu’il s’installa en tailleur sur le tapis
devant la cheminée pour avaler son petit-déjeuner.

Pendant plusieurs minutes, les seuls bruits furent ceux de la fourchette cliquetant contre la
faïence. L’adolescent ne chercha pas à entamer la conversation. Il connaissait trop bien les
humeurs de Severus. Dans ce genre de situation, c’était mieux de lui donner le temps et
l’espace qu’il désirait.

Il avait presque terminé son assiette lorsque le Professeur poussa un soupir.

« Certaines habitudes ont la vie dure… » déclara lentement Severus. « L’Occlumencie a


toujours été un refuge pour moi. »

Harry tourna et retourna ce qu’il désirait dire dans sa tête, mâchant ses œuf avec un peu trop
de méticulosité. « Ne le prenez pas mal mais… J’ai l’impression que c’est plus une prison
qu’un refuge. »

« Certes. » acquiesça le Professeur, le prenant par surprise. Il avait toujours chanté les
louanges de cette discipline et… « Je l’utilise comme une béquille, j’en suis conscient. » Les
yeux noirs rencontrèrent brièvement les siens. « Mes anciens boucliers, ceux que tu détestes
tant, étaient bien plus efficaces que les nouveaux, néanmoins tu n’as pas tort, ils
m’empêchaient également de… vivre pleinement. Ils me permettaient de garder une certaine
distance. »

L’adolescent préféra terminer son assiette plutôt que de commenter cette distance que le
Professeur voulait mettre entre lui et le monde. Lorsque ce fût fait, il la posa par terre avec la
sensation désagréable d’avoir trop mangé.

Il tint exactement deux minutes supplémentaires avant de rassembler son courage et de briser
le silence pensif qui était tombé sur la pièce.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé avec Slughorn ? »

C’était le cœur du problème.

Tout son instinct le lui criait.

Il avait été si outré lorsque le Professeur lui avait dit, la veille, que l’autre sorcier désirait des
excuses. Des excuses alors qu’il avait encouragé Voldemort à… Des excuses alors qu’il avait
fait preuve de tellement de négligence que…

Harry préféra rejeter en bloc la colère que faisait naître chez lui les nombreux défauts de
Slughorn. Il ne l’avait jamais apprécié mais exiger des excuses de la part de Sev, vraiment…

« Rien qui aurait dû me surprendre ou que j’aurai dû laisser m’affecter autant que je l’ai
fait. » répondit Severus. « Le passé est simplement impossible a ignorer, parfois. »

Oui, il était intimement familier de cette impression. Souvent, les souvenirs du cimetière lui
enserraient la gorge si fort qu’il ne pouvait plus respirer, qu’il aurait pu jurer avoir fait un bon
dans le passé et en être prisonnier.

« Le présent est plus important. » contra-t-il, non sans songer à l’étrange conversation qu’il
avait eu avec Dumbledore. Une nouvelle fois, il hésita à s’en ouvrir à son père puis y
renonça.

« En effet. » acquiesça Severus, en caressant le chat qui ronronnait sur ses genoux. « Et tu es
très doué pour me le rappeler, ce dont je te remercie. Bien que je n’apprécie guère l’insolence
avec laquelle tu semble toujours le faire… »

Ce n’était pas vraiment un reproche.

Harry se détendit finalement, terminant le peu de thé qui restait dans sa tasse.

« On ne serait pas nous et on ne serait pas là. » murmura-t-il, après plusieurs minutes.

« Que veux-tu dire ? » releva Sev, avec curiosité.

Il soupira et recula jusqu’à pouvoir s’adosser au canapé, laissant sa tête tomber en arrière sur
le coussin d’assise. Le plafond était en pierres épaisses qui suintaient légèrement d’humidité.
Il lui apparut soudain qu’ils étaient très, très bas sous le lac, que la pression que l’eau devait
exercer sur les pierres étaient colossale et que…
Il emprisonna bien vite cette idée derrière un mur de flammes avant que la sensation de
claustrophobie ait pu le laisser à bout de souffle. Quand ils auraient terminé cette
conversation un peu déprimante, se promit-il, il irait ouvrir les lourds rideaux que Severus
gardait généralement clos. La fenêtre enchantée donnant sur la Forêt Interdite fournirait un
peu de lumière et lui permettrait de prétendre qu’ils n’étaient pas sous terre.

« Je veux dire… » hésita-t-il, tentant de rassembler ses pensées éparses en un discours


cohérent. « Le Severus de soixante-quinze… Il n’aura pas la même vie que vous. Et peut-être
que ce sera une meilleure vie, d’un certain point de vue. »

« Aucun doute là-dessus. » marmonna Severus.

« Oui, mais… » Il s’interrompit, un peu frustré, puis haussa les épaules. « Ce Severus…
Peut-être qu’il finira avec Lily, peut-être pas… Peut-être qu’ils seront heureux, peut-être
qu’ils vivront d’autres drames pires que les nôtres… Mais ce Severus… Il ne m’aura pas moi.
Il n’aura pas Tonks. Il sera peut-être ami avec les Maraudeurs mais pas comme vous et
Sirius. »

« Je ne suis certainement pas ami avec Black. » grinça le Professeur.

Harry lui jeta un regard amusé, peu convaincu par le manque de conviction évident dans sa
voix.

« Et si Vol… Vous-savez-qui avait décidé que c’était de Neville que parlait la prophétie et pas
moi… » continua-t-il. « Peut-être que mes parents seraient vivants, peut-être qu’ils seraient à
Sainte Mangouste… Peut-être que je serais normal… Peut-être que personne ne connaîtrait
mon nom… Peut-être qu’il n’y aurait pas d’horcruxes… Ou peut-être que je serais quand
même allé vivre chez Pétunia… Peut-être que je ne serais jamais venu à Poudlard parce que
personne ne se serait intéressé au garçon qui n’a pas répondu à sa lettre… Peut-être que
Cédric aurait gagné le Tournois et ne serait pas mort… » Il déglutit. « Mais je n’aurais pas de
chambre à moi. Je n’aurais pas de chat psychopathe. Vous ne seriez pas mon père. »

Le chat psychopathe en question sauta des genoux du sorcier pour s’en aller, la queue en
panache, terroriser sa prochaine victime. Ou, plus probablement, s’assurer que son assiette
dans la cuisine avait été remplie.

« Tu as passé trop de temps avec Albus dernièrement. » l’accusa Severus, non sans
amusement. « Te voilà philosophe, maintenant. »

Il ne chercha pas à retenir un petit rire. « Je veux juste dire que le présent est plutôt chouette.
Même si le passé était merdique. Et douloureux. Et vraiment pas drôle. » Celui d’Harry
comme le sien. « Et peut-être… Peut-être que c’est justement parce le passé était merdique et
qu’on ne sait pas comment sera le futur qu’il faut profiter des bons moments tant qu’on
peut. »

Il risqua un coup d’œil vers le Professeur qui le dévisageait d’un air songeur.

« Cinq points pour Serpentard. » murmura Severus, au bout d’un long moment. « Pour une
excellente démonstration de maturité. »
« Merci. » commenta Harry, en agitant sa cravate rouge-et-or. « Mais c’est Gryffondor,
maintenant. »

Le Maître des Potions fit la grimace. « Faut-il vraiment que tu me le rappelles ? Qu’ai-je fait
pour me retrouver cerné de Gryffondors ? »

Parce que l’homme essayait visiblement de détendre l’atmosphère, ce qui ne lui venait pas
naturellement, l’adolescent rit à nouveau et se hissa sur ses pieds, ramassant son assiette et sa
tasse pour aller les laver.

« C’est vrai que vous préférez les Poufsouffles maintenant… » se moqua-t-il, juste avant de
quitter précipitamment la pièce, juste au cas où il lui viendrait l’idée de lui lancer un maléfice
quelconque.

« Dix points en moins pour Gryffondor ! » lança Severus dans son dos, sans véritable
hostilité ou reproche.

Harry ricanait toujours lorsqu’il atteignit la cuisine. La tasse et l’assiette lui échappèrent des
mains pour voler dans l’évier et entreprirent de se laver toute seule, sous l’effet d’un sort
qu’il n’avait pas jeté. Il avait cuisiné, c’était donc au Professeur de s’occuper de la vaisselle.

Oui, se répéta-t-il, le présent était plutôt chouette.


The Fear Of The Brave

“Oh, you are afraid. They are always afraid at the end. But the fear of the brave—that is
best.”

The Bear And The Nightingale – Katherine Arden

« Oh, tu as peur. Ils ont toujours peur à la fin. Mais la peur des courageux – c’est la
meilleure. »
The Bear And The Nightingale – Katherine Arden

La bibliothèque avait toujours été l’endroit préféré d’Hermione depuis qu’elle en avait
découvert l’existence, le lendemain de son arrivée à Poudlard. L’odeur de vieux parchemins,
de poussière et du bois vermoulu des étagères… Même se retrouver coincée sous l’un des
épais rayonnage n’avait pas entaché l’amour qu’elle portait à la pièce. C’était son refuge.

Pourtant ce jour là, le chuintement feutré des pages que l’on tournait ne lui apportait pas le
réconfort escompté. Peut-être parce qu’Harry persistait à l’éviter sans ouvertement entrer en
conflit avec elle. Peut-être parce que la manière détendue avec laquelle il s’était avachi dans
un des fauteuils, près de la fenêtre, avec un épais grimoire et paraissait concentré sur sa
lecture, l’irritait au plus au point – Harry n’avait jamais été un gros lecteur avant la tempête
magique et il ne s’était certainement jamais servi de cette tactique pour l’ignorer.

Les autres s’étaient dispersés en petits groupes à différentes tables et planchaient soit sur la
dissertation que Snape leur avait réclamé pour le prochain cours de Défense, soit sur leurs
devoirs de Métamorphose. Hermione avait déjà terminé les deux et se trouvait désœuvrée. Si
seulement les examens s’étaient dessinés à l’horizon, elle aurait pu s’y préparer mais elle
avait atteint la limite de ce qu’elle pouvait réviser sans attaquer le programme de sixième
année.

« Tu ne travailles pas ? » lança-t-elle, en direction d’Harry, faisant attention à garder la voix


basse pour ne pas déranger leurs amis. Ses yeux bruns accrochèrent le titre du grimoire avec
curiosité, puis suspicion. Elle tint sa langue, cependant, sachant que si elle lui demandait
pourquoi il lisait un livre sur la magie médicale, il l’enverrait paître ou prétendrait avoir des
raisons qu’elle n’était pas autorisée à connaître.

Elle se sentait toujours un peu honteuse d’avoir sauté aux pires conclusions en le voyant avec
un livre de Gellert Grindelwald entre les mains alors, qu’avec un peu de recul, il était évident
qu’il avait été au courant de l’arrivée du mage noir.

Évidemment, rien ne l’aurait empêché de s’expliquer au lieu de lui laisser imaginer le pire…
« J’ai déjà terminé. » répondit Harry, un peu sèchement, sans lever les yeux de la page.

Hermione fit un effort pour ne pas laisser l’irritation percer dans sa voix. « Sirius ne peut pas
venir ce soir mais on va quand même faire une réunion de l’A.D. Tu as des idées de ce qu’on
pourrait travailler ? Je pensais qu’on pourrait peut-être s’entraîner à se battre en duel… »

Harry tourna la page un peu trop brutalement vu l’âge du grimoire mais elle se retint de
justesse de lui dire de faire plus attention.

« Je ne viendrais pas. » annonça-t-il, tranquillement. Comme si ce n’était pas important.

« Pourquoi ? » Elle fronça les sourcils puis la lumière se fit dans son esprit et elle s’approcha,
baissant encore la voix. « Sirius ne nous a pas dit pourquoi il ne pouvait pas venir… Est-ce
que vous allez quelque part ? Est-ce que vous allez chercher le prochain tu-sais-quoi ? »

Il s’arracha finalement à sa lecture pour croiser son regard. Elle n’y lut qu’une profonde
lassitude.

« Non, Hermione. » lâcha-t-il avec un bonne dose d’ironie. « Je ne viendrais pas parce que,
comme ça, tu pourras arrêter de me critiquer pendant cinq minutes. »

« Je ne t’ai pas critiqué. » protesta-t-elle.

Il émit un bruit amèrement amusé. « Tu accuses mon père de je ne sais quel complot, tu ne
veux pas comprendre ce que j’essaye de t’expliquer depuis des semaines, tu m’as, limite,
traité de lâche et, pour couronner le tout, tu viens juste de me demander pourquoi est-ce que
je ne travaillais pas d’un ton qui sous-entendait clairement que je devrais être en train de le
faire. »

« Pas du tout ! » se défendit-elle. « Je n’ai jamais… »

« Hermione. » l’interrompit-il. « Je ne veux pas me disputer avec toi. »

« Mais moi non plus ! » insista-t-elle. Ses épaules s’affaissèrent un peu. « Harry, je
m’inquiète juste pour toi… »

Le visage de son meilleur ami se fit un peu moins hostile mais ne tarda pas à ne refléter
qu’un masque lisse.

Ce qu’elle pouvait détester l’Occlumencie…

« Je veux juste terminer mon livre, d’accord ? » demanda-t-il, en se forçant visiblement à


sourire.

À cours d’arguments – ou du moins d’arguments qui ne provoqueraient pas cette dispute


qu’ils souhaitaient tout deux éviter – elle s’éloigna. Cillant pour éviter les larmes qui lui
brûlaient les yeux, elle se perdit entre les rayonnages. Du coin de l’œil, elle vit Draco se
lever, Ron le prendre de vitesse…

Elle était déjà dans la section Histoire le temps que son meilleur ami la rattrape.
« Hermione… » soupira-t-il, en l’attirant contre lui. C’était à moitié un reproche et à moitié
une tentative de la consoler.

Elle s’abandonna à l’étreinte une poignée de secondes puis s’écarta, croisant les bras devant
la poitrine plus pour se réconforter que par défiance. « Il ne veut toujours pas me parler. »

Ron s’appuya contre le lourd rayonnage, croisant lui aussi les bras quoi que de façon
beaucoup plus belligérante. « Tu as essayé de t’excuser ? »

Elle savait que le garçon l’avait fait. Il lui avait proposé de venir avec lui ce matin où il était
allé trouver Harry mais elle ne pensait pas devoir s’excuser. Qu’avait-elle dit qui était faux ?
Où était son tort à part de s’inquiéter pour lui ?

« Il ne veut pas venir à l’A.D. ce soir… » déplora-t-elle, sans répondre. C’était inutile, ils
connaissaient tous deux la réponse à sa question.

Ron poussa un long soupir. « J’essayerai de lui parler mais… Peut-être qu’il vaut mieux ne
pas insister pour le moment, lui laisser un peu d’espace. Tu y es allée trop fort, l’autre jour. Et
puis… Franchement, peut-être qu’il n’a pas tort… Peut-être que c’est Snape qui a raison. »

« Tu ne vas pas commencer, toi aussi ! » s’impatienta-t-elle. « Dumbledore sait ce qu’il fait.
Si… »

« Il est persuadé qu’il va mourir. » murmura-t-il.

Cela lui coupa la parole plus sûrement que s’il avait hurlé.

Hermione jeta un coup d’œil autour d’eux. Il y avait un sixième année plus bas dans l’allée
qui cherchait un livre. Elle jeta le sort qui leur assurerait une certaine intimité.

« C’est pour ça qu’il faut qu’il suive les instructions de Dumbledore. » riposta-t-elle, dans un
chuchotement. « C’est pour ça qu’il faut qu’il s’implique. S’il ne se prépare pas… » L’idée de
ce qui pourrait arriver si Harry n’était pas prêt lorsqu’il se retrouverait à nouveau face à
Voldemort la terrifiait. « Snape ne l’aide pas en essayant de le tenir à l’écart. Je peux
comprendre que ses intentions soient bonnes mais… » Elle soupira. « On dirait qu’Harry ne
prend pas la chose au sérieux. »

Et cela la mettait hors d’elle parce qu’elle ne comptait pas le perdre une nouvelle fois.

« Je crois qu’il le prend très au sérieux. » contra Ron. « C’est juste que… Il s’est mis dans la
tête que la prophétie veut dire que Tu-sais-qui va le tuer. Et il pense que c’est le plan de
Dumbledore. »

« Impossible. » cingla-t-elle. « Peut-être que Dumbledore veut qu’il l’affronte mais pourquoi
est-ce qu’il le préparerait autant juste pour le regarder se faire tuer ? Ça n’a aucun sens, tu
vois bien. » Elle hésita un moment puis baissa le regard pour que son meilleur ami
n’aperçoive pas son air coupable. « Remus m’a envoyé une autre lettre. Il voulait savoir si on
avait repéré quoi que ce soit, comment allait Harry… Ce genre de choses. »
Le Gryffondor la dévisagea longtemps, sans s’embarrasser de cacher sa désapprobation. « Et
qu’est-ce que tu lui as dit ? »

« La vérité. » avoua-t-elle. « Que Snape voulait adopter Harry, qu’Harry était bizarre… »

« Il n’est pas bizarre. » protesta Ron, en secouant la tête. « Il est juste… »

« Oh, s’il te plait ! » l’interrompit-elle, avec agacement. « Il ressemble au Harry que tu


connais, peut-être ? Tu vois bien qu’il ne va pas bien ! Il ne rit presque pas, il a toujours l’air
triste quand on ne le regarde pas, il mange à peine, il est déprimé, il s’isole, il prétend tout
savoir sur tout dès qu’on lui fait une remarque et ne me lance même pas sur l’utilisation
abusive de l’Occlumencie… »

« Il croit qu’il va mourir. » répéta son meilleur ami, dans un sifflement. « Tu ne comprends
pas ? »

Elle comprenait mais elle refusait de l’accepter.

Ce n’était pas possible.

Elle leva le menton, un geste de défi. « J’ai eu raison d’en parler à Remus. Visiblement, la
négativité de Snape ne lui réussit pas. »

La mâchoire de Ron était contractée, il était renfrogné. « Et tu crois vraiment que Remus va
faire quelque chose ? »

« Il pourra en parler à Dumbledore. » rétorqua-t-elle.

« Et ça va changer quoi ? » rétorqua-t-il. « Ce n’est pas comme si Harry se confiait à


Remus. Ou à Dumbledore. » Il la regarda un moment, avant de secouer la tête. « Il l’aime,
Hermione. Il l’aime, il a trouvé une famille et… Oui, j’ai mes doutes et je n’approuve pas
tout… Mais je ne vais pas lui mettre des bâtons dans les roues. S’il pense que Snape est le
seul qui agira dans son intérêt, le seul qui veuille vraiment le sauver… Je lui fais confiance et
je refuse de m’en mêler. Je ne vais pas le perdre pour ça. »

« Je ne veux pas le perdre non plus. » contra-t-elle. « C’est pour ça que je… »

« Si tu te mets entre lui et son père, ce n’est pas toi qu’il va choisir. » la prévint-il. « On a eut
tort de se mettre au milieu. On devrait le soutenir quoi qu’il arrive pas remettre en question
un truc qu’il a désiré toute sa vie. »

Hermione hésita. « Mais… »

« Est-ce que tu penses que Snape ferait du mal à Harry ? » la coupa-t-il.

À une autre époque, peut-être.

Là, tout de suite…

« Non. » avoua-t-elle. « Et je ne pense pas non plus qu’il soit mauvais. Mais Remus… »
« Laisse Remus là où il est. » lui conseilla Ron. « On n’est pas membres de l’Ordre. On n’est
pas à la solde de Dumbledore. Nous, la seule personne dont on doit se tracasser, c’est
Harry. »

« Mais c’est ce que je fais ! » siffla-t-elle. « Et tu étais d’accord avec moi. »

« C’était avant que j’en parle calmement avec lui. » déclara-t-il, en haussant les épaules.
« Peut-être que si tu t’excusais et que tu faisais la même chose… »

Elle pinça les lèvres mais éprouvait un tel sentiment de défaite qu’elle hocha finalement la
tête et laissa Ron la ramener vers les autres.

Excepté que la plupart de leurs amis étaient partis, Harry et Draco inclus.

« Ils sont allés jouer au Quidditch. » lui apprit Neville, en se débattant avec son manuel de
Défense.

Malgré elle, elle en fût un petit peu soulagée.

Elle n’était pas sûre d’être prête pour une nouvelle confrontation.

Et, en attendant…

Il était peut-être temps qu’elle aille trouver le seul autre adulte en qui Harry avait jamais eu
confiance avant toute cette histoire.

°O°O°O°O°

Le bout de ses doigts effleurèrent le vif d’or qui s’éloigna à tire d’ailes.

Draco eut à peine le temps de replacer la main sur le manche pour accélérer que Potter lui
coupait la route, plongeant en piqué pour rattraper la balle dorée qui lui échappa finalement
in extremis, lui arrachant un juron.

Ignorant les autres qui fonçaient au-dessus de leurs têtes à la poursuite du souaffle, Draco
s’arrêta juste à côté du lion avec un regard railleur.

« Ce n’est pas si facile lorsqu’on n’a pas un balai dernier cri, n’est-ce pas ? » se moqua-t-il.

Il se savait pas comment Daphné était parvenue à soutirer à Potter le droit d’essayer l’Éclair
de Feu et il aurait menti s’il n’avait pas admis être vert de jalousie mais voir le Gryffondor se
débattre avec un Nimbus 2000 après s’être habitué à la fine fleur de ce que comptaient les
balais de course était distrayant.

Potter grommela quelque chose à propos de matchs de Quidditch qu’il aurait gagnés sur des
balais ancestraux, probablement dans son passé alternatif, et lui jeta un coup d’œil agacé.
« C’est toi qui dit ça ? Rappelle-moi qui a acheté sa place dans l’équipe de sa Maison avec
des balais tous neufs, déjà ? »

Draco l’observa sans ciller, sans se sentir le moins du monde coupable.


Le Gryffondor détourna les yeux le premier, en secouant la tête, l’ombre d’un sourire amusé
aux lèvres. Au lieu de repartir à la recherche du vif d’or, il leva la tête et regarda Daphné
foncer d’un côté à l’autre du stade, juchée sur l’Éclair de Feu, le souaffle sous le bras. Elle
paraissait avoir oublié qu’elle était censé marquer et se contentait de distancer ses
poursuivants en riant comme une démente.

Les Greengrass, se lamenta-t-il silencieusement. Ils se comportaient parfois comme la plèbe.

Cela, au moins, paraissait amuser Blaise qui l’observait faire avec indulgence et avec un
amour indéniable.

Il aurait pu qualifier de ridicule l’expression rêveuse sur le visage de son meilleur ami s’il
n’avait pas été bien persuadé qu’il dévorait Granger des yeux de la même manière la plupart
du temps.

Ce qui lui rappelait…

« Tu lui fais de la peine. » déclara-t-il, son ton se durcissant.

Potter fit pivoter son balai pour mieux lui faire face, sourcils froncés. « À qui ? » La réponse
dût lui apparaître comme évidente parce que ses épaules s’affaissèrent. « Hermione. »

Cela aurait été plus simple s’il avait fait preuve de morgue ou s’était mis en colère. Au lieu de
ça, il avait l’air aussi abattu que sa petite-amie, ce que Draco trouvait personnellement
ridicule. S’ils étaient aussi désespérés d’être en froid et étant donné le manque flagrant
d’hostilité ouverte, ils auraient tout aussi bien fait de se réconcilier.

« Elle s’inquiète pour toi. Elle tient à toi. » lâcha-t-il. « Et cela ne me fait aucun plaisir, crois
le bien, mais si tu disparaissais à nouveau, elle en aurait le cœur brisé. Or, son cœur, c’est à
moi d’en prendre soin. »

Potter semblait déchiré entre l’envie de lui dire de se mêler de ses affaires et une profonde
lassitude. La lassitude l’emporta.

« C’est compliqué, Malfoy. » soupira-t-il.

Il émit un bruit amusé. « Cela ne l’est pas tant que ça. » Il garda le silence quelques secondes,
observant sans le voir leurs amis poursuivre Daphné et le souaffle qu’elle refusait toujours de
lâcher. « J’ai grandi avec Crabbe et Goyle, certes c’étaient plus des sous-fifres qu’autre
chose, je n’ai jamais été aussi proche d’eux que de Blaise. » L’attention de Potter était
soutenue et, pour cacher son malaise, il se redressa un peu plus, le dos droit et l’air altier. Une
attitude qui était convenable pour un Sang-Pur mais pas lorsque celui-ci était perché sur un
balai. Il dût redresser le manche pour l’empêcher de dériver. « Aujourd’hui, ils n’hésiteraient
pas ni l’un, ni l’autre à me poignarder dans les douches s’ils en avaient l’occasion. »

« Il faut que tu te tires de chez les serpents. » répondit Potter, sans comprendre la teneur de
son propos.

Non qu’il en soit étonné.


Les Gryffondors, et Potter en particulier, avaient tendance à mettre du temps à intégrer les
choses évidentes.

« Ce que j’essaye de te dire, c’est que mon amitié avec Crabbe et Goyle est compliquée. Ton
amitié avec Granger ou Weasley est, elle, très simple. » répliqua-t-il. « Réfléchis-y. Et cesses
de rendre ma petite-amie malheureuse ou nous allons avoir un problème, toi et moi. »

Il accéléra brusquement, fonçant vers l’éclat doré qu’il venait de repérer près d’un des
anneaux des buts.

Potter s’élança après lui, le talonnant, poussant autant qu’il le pouvait sur son balai…

Draco se perdit dans la course, dans la sensation du vent qui lui fouettait le visage, dans
l’excitation du moment…

C’était préférable à laisser ses pensées s’attarder sur des amitiés perdues.

°O°O°O°O°

Tonks débarqua au Département des Aurors à bout de souffle d’avoir couru depuis l’atrium.

Le large espace de travail était plein à craquer d’Aurors – ou, du moins, de ce qui passait
pour des Aurors de leurs jours. Les visages étaient trop jeunes, pleins de bonne volonté mais
terrifiés, ou trop vieux, déterminés mais burinés par le temps et les années déjà sacrifiées à la
protection de la communauté magique.

Les uns comme les autres s’écartèrent pour la laisser passer, la saluant d’hochements de tête
ou de murmures, avec un respect auquel elle peinait toujours à s’habituer.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-elle, dès qu’elle eut atteint Kingsley qui se tenait à
l’avant du groupe, parcourant des parchemins à une vitesse folle.

Le Patronus de son ami n’avait pas été très clair. Il lui avait simplement intimé de revenir
d’urgence au Ministère aussi vite que possible.

Elle avait abandonné Charlie et Anthony au Chaudron Baveur et avait sauté par la cheminée
que Tom s’était empressée de lui libérer.

« On nous a signalé trois Marques des Ténèbres à trois endroits différents. » expliqua
immédiatement Kingsley. « Bennet a déjà emmené un groupe vers l’un des sites. Je prends
l’autre, tu dois couvrir le troisième. »

Bennet était trop vieux pour être sur le terrain, c’était la raison pour laquelle ils lui avaient
confié le programme de formation… Ce n’était pas une bonne idée.

« On a confirmation qu’il y a des Mangemorts ou… » s’enquit-elle.

« Non. » l’interrompit-il. « Mais je ne veux pas prendre de risques. Ils sont de plus en plus
agressifs ces derniers temps. »
Les attaques éclairs se multipliaient, créant la terreur derrière elles et laissant souvent le
Ministère à la traîne. Les morts, Moldus ou sorciers, se comptaient par dizaines.

Elle étudia la force d’une cinquantaine de personnes rassemblées derrière elle puis se
rapprocha de son partenaire, baissant la voix. « Si tu déploies toutes nos troupes… »

Maigres comme elles étaient…

« Scrimgeour est dans son bureau. Je laisse un contingent ici, il peut prendre le
commandement si nécessaire. » la rassura Kingsley. « Si la situation dérape de ton côté,
préviens Dumbledore. Nous aurons besoin de l’Ordre. »

Elle hocha la tête pour montrer qu’elle avait compris ses ordres, se tourna vers le groupe
d’Aurors derrière elle et en appela un tiers. Lorsqu’elle partit au pas de course vers là où il
leur serait possible de transplanner, ils suivirent, Albert à sa gauche et Leo à sa droite.

De toutes les nouvelles recrues, c’étaient eux les plus aguerris et, si elle ne pouvait pas avoir
Kingsley à ses côtés, c’étaient encore eux qu’elle préférait avoir avec elle. Les autres… Les
autres y mettaient toute la meilleure volonté du monde mais n’avaient pas terminé leur
formation et, bien qu’ils apprennent vite, ils avaient tendance à ne pas forcément obéir aux
ordres dans la panique.

« Quelque chose à signaler à Poudlard ? » demanda-t-elle à Albert.

C’était à lui qu’elle assignait le plus souvent à la protection de l’école. Il était suffisamment
jeune pour bien se rappeler des lieux, paraissait connaître le terrain comme sa poche, et était
assez sympathique pour ne pas donner l’impression au corps professoral de leur marcher sur
les pieds.

« Grindelwald ne sort pas de la tour du Directeur. » répondit-il, sachant ce qu’elle désirait


vraiment entendre.

Elle accepta cette information d’un hochement de tête.

« Grindelwald à Poudlard… » grogna Leo. « Le monde marche sur la tête. »

Elle ne pouvait pas le nier.

« Faites attention tous les deux. » lâcha-t-elle. « Surveillez vos arrières, essayez d’encadrer
les autres autant que possible… Là-dehors, vous êtes mes seconds, compris ? Vous relayez
mes ordres mais si on est séparés ou si je tombe, vous avez l’autorisation de prendre le
commandement. Votre première mission dans ce cas de figure est de contacter Shacklebolt. »

Ils hochèrent la tête, aussi sérieux l’un que l’autre. Elle regarda tous les autres tour à tour
pour s’assurer qu’ils avaient tous entendu les consignes, qu’ils avaient tous l’air grave plutôt
qu’excité parce que la dernière chose dont elle avait besoin était de jeunes gens qui
voudraient jouer aux héros.

Juste avant de transplanner vers le lieu que lui avait indiqué Shacklebolt, elle eut une pensée
pour Fol’Œil et ce qu’il aurait dit en voyant l’état du Département à présent. La plupart
d’entre eux étaient à peine plus jeunes qu’elle mais la manière dont ils la regardaient,
agissaient avec elle… Elle avait l’impression d’avoir trente ans de plus. Elle se sentait vieille.
Usée. Il lui arrivait de se demander si Fol’Œil aussi s’était senti comme ça.

Le transplannage la força à se concentrer sur autre chose.

Il leur était arrivé si souvent de débarquer après la bataille ou de faire face à un petit groupe
de deux ou trois Mangemorts qu’elle ne s’était honnêtement pas attendue à la scène qu’elle
interrompit.

La bourgade était Moldue, elle était également en proie aux flammes qui jetaient des reflets
changeant dans l’obscurité, diminuant d’autant la visibilité.

La Marque des Ténèbres, verdâtre mais nette, flottait dans un ciel sans étoiles.

Et une quinzaine de Mangemort déambulaient, torturant les Moldus, riant à gorge déployée,
lançant des incendio à droite et à gauche comme si le brasier ne flambait pas assez haut.

Elle avait treize Aurors avec elle.

Elle estima, durant les quelques secondes de flottement que mirent les Mangemorts à
s’apercevoir de leur présence, que le combat serait dur mais équitable. Elle repéra leur leader
facilement car il se tenait en retrait et ne se laissait pas aller à la même indécence que ses
troupes.

Un Mangemort plus aguerri, devina-t-elle.

Un Mangemort qui ne s’embarrassait pas de porter un masque : Rabastan Lestrange.

Les autres étaient sans doute de nouvelles recrues, pour qui ce genre d’affrontements était
tout aussi nouveau que pour ses Aurors.

Elle cria ses ordres : la mission était de protéger les civils, capturer leurs adversaires n’était
pas leur priorité, l’usage de l’Avada était autorisé. Elle n’eut pas le temps de leur assigner des
postes plus précis, la vague de Mangemorts déferla sur eux, impitoyable et impatiente d’en
découdre.

°O°O°O°O°

Severus arracha ses yeux aux documents étalés devant lui sur la surface de son bureau, levant
un sourcil lourd de mécontentement.

« Si seulement il existait des objets capables de donner l’heure… » ironisa-t-il.

Black referma la porte du bureau du Professeur de Défense avec un rictus peu aimable et vint
s’affaler dans un des fauteuils près de l’âtre comme s’il était chez lui. Encore que, supposait
Severus, il l’était un petit peu. Après tout, ils partageaient désormais le poste de Professeur
et, donc, le bureau qui s’y apparentait. De plus, c’était ici qu’ils conservaient toutes les
recherches sur l’horcruxe, ainsi que les grimoires et autres documents qui s’y rapportaient.
Ces derniers temps, Black venait s’y pencher tout aussi souvent que lui.
Et il restait à Severus le bureau de Directeur de Maison, ce n’était donc pas un trop gros
sacrifice de partager celui-ci.

L’Animagus attrapa le grimoire, le parchemin et la plume qu’il avait abandonnés à côté du


fauteuil à un moment donné, mais n’ouvrit pas le livre.

« Hermione m’a attrapé après le dîner. » annonça le sorcier. « Elle voulait à tout prix me
parler en privé. »

Severus cessa d’étudier le dossier sur Tom Jedusor, intrigué, et non sans un mauvais
pressentiment au creux du ventre. « Et pourquoi donc ? »

Black pianota distraitement sur le grimoire, les traits tirés. « Est-ce qu’Harry t’a dit quelque
chose récemment ? Tu le trouves différent ou… »

« L’horcruxe ne peut pas le posséder. » l’interrompit-il froidement.

Non pas que Granger ait dû pouvoir s’inquiéter de ce genre de choses. Elle n’était pas censé
être au courant.

L’homme tourna vers lui un regard fatigué. « Non, ce n’est pas ça. Du moins je ne crois
pas… Elle est venu me dire qu’elle s’inquiétait pour lui. »

Le Maître des Potions fronça les sourcils. « Ils sont en froid. J’ignore ce qu’il s’est passé
exactement, Harry n’a pas voulu me le dire. Je n’ai pas insisté puisqu’il semble s’être
réconcilié avec Weasley. »

« Elle dit qu’il est déprimé, défaitiste… » insista Black. « Qu’il s’isole. Qu’il pense que
Dumbledore va le sacrifier ou un truc du même genre. »

Severus s’appuya plus fermement contre le dossier de son fauteuil et ferma brièvement les
paupières, las. « Et cela t’étonne ? »

« Non. » admit le sorcier. « Mais c’est vrai que ça ne lui ressemble pas. Il est très renfermé
depuis quelques temps. C’est quelqu’un de joyeux, d’habitude, de… »

« C’était quelqu’un de joyeux. » le corrigea-t-il doucement. « Avant de voir un ami mourir


devant lui, assassiné par Pettigrow. Avant de découvrir l’existence de l’horcruxe. Avant d’être
touché par un sort de mort. » La liste était non-exhaustive. « Et je ne suis pas persuadé qu’il
était si joyeux que ça, au fond. Peut-être le cachait-il davantage. » L’ombre des Dursley plana
dans la pièce. « Il est traumatisé. Il fait des cauchemars trop souvent, a des attaques de
panique pour un rien… Il y a beaucoup trop de pression sur ses épaules. »

Et il avait perdu du poids récemment, ce que Severus ne pouvait tolérer. Il n’avait aucune
envie de voir le gamin retrouver son apparence famélique du début de l’année.

« Qu’est-ce qu’on peut faire ? » demanda Black, en se penchant un peu en avant. « Quand
j’essaye de lui parler de choses importantes ou de comment il va, il se referme comme une
huitre. »
« Si ce n’était donné qu’à moi, je lui aurait déjà trouvé un thérapeute. Quelqu’un à qui il
pourrait parler sans crainte de jugement. » répondit-il d’un soupir. « Albus ne le permettra
jamais, il y est opposé. » Il balaya l’air de la main avec agacement. « Il vient me trouver
lorsqu’il en a besoin. Il me parle de ce qui le perturbe. Pour l’instant, c’est le mieux que nous
puissions faire. »

Black l’étudia un moment puis baissa les yeux vers le grimoire sur lequel il pianotait toujours
nerveusement. Severus ne fût pas surpris lorsqu’il sortit un paquet de cigarettes de sa poche
et en alluma une.

« Apparemment, il a dit à Ron qu’il allait mourir. » lâcha l’Animagus. « Pas qu’il pourrait
mourir mais qu’il allait mourir. »

Severus eut la sensation qu’on lui avait déversé un sceau d’eau froide sur la tête.

« A-t-il… » Sa voix se serra et il dût se racler la gorge, occluder la panique pour rester calme,
efficace. « A-t-il laissé entendre qu’il pourrait se faire du mal ? »

C’était une crainte qui lui avait effleuré l’esprit une ou deux fois mais Harry ne lui avait
jamais donné de raison concrète de s’y attarder. Le lion était bien plus susceptible de se faire
tuer par noblesse – ou bêtise – qu’en cherchant volontairement à se blesser.

Toutefois, Severus ne pouvait nier qu’il exhibait des signes alarmants d’imprudence lorsqu’il
était question de sa sécurité physique ou de sa santé. Le Professeur blâmait les Dursley pour
cela. Personne ne lui avait jamais inculqué qu’il était important et, en conséquence, il agissait
comme si son existence n’avait aucune valeur – ou, tout du moins, moins de valeur que celle
de n’importe qui d’autre.

« Non. » répondit Black, avec le même soulagement qui le fit s’affaisser légèrement. « Je
pense qu’il parlait de l’horcruxe. Je ne pense pas qu’il… Tu crois qu’il pourrait… »

« Non. » confirma-t-il. Harry savait pertinemment que Severus en souffrirait s’il faisait
quelque chose d’inconsidéré et le garçon était incapable de faire sciemment du mal à
personne, particulièrement à ceux qu’il aimait. Il resta silencieux un moment puis secoua la
tête. « Je n’ai pas constaté de changements alarmants. Harry est très doué pour donner le
change mais ces périodes de déprime n’ont rien de nouveau. »

« Comme tous les gamins qui viennent d’un foyer moins qu’idéal. » commenta Black, pince-
sans-rire, en lui jetant un regard entendu. « Je suppose qu’on en sait quelque chose, tous les
deux. »

Severus se tendit.

Il n’avait fait qu’une brève allusion à son père et n’était pas disposé à en discuter plus avant
avec Black.

Le pronom employé ne lui échappa pas, néanmoins.

« Est-il possible que Granger exagère ? » s’enquit-il.


« Hermione n’est pas du genre à inventer des histoires. » contra l’autre sorcier, sur la
défensive. Puis, il parut hésiter et grimaça. « Mais c’est vrai qu’elle a mentionné que tu
n’avais peut-être pas une bonne influence sur lui… »

Ah.

Il commençait à comprendre l’origine de la dispute.

Harry n’aurait pas très bien digéré ce genre d’accusations.

« Craint-elle que je ne le transforme en Serpentard modèle ou bien s’est-elle mise en tête que
j’en faisais le prochain mage noir? » ironisa-t-il.

Il devait avouer une pointe de déception. Il n’avait pas toujours été ni juste, ni agréable avec
Granger mais il avait fait au mieux pour réparer la chose, ces derniers temps. Il l’interrogeait
en cours, lui donnait les points qu’elle méritait et lui avait, après tout, fait confiance en lui
demandant de travailler avec lui sur sa potion.

Certains de ses anciens élèves niveau A.S.P.I.Cs se seraient battus pour ce privilège.

« Ni l’un, ni l’autre. » réfuta Black, en tirant sur sa cigarette. « Je n’ai pas tout compris, je
dois t’avouer. Elle parlait à demi-mots, comme si j’aurais dû être au courant d’un secret mais
qu’elle n’en était pas sûre… » Il secoua la tête. « Globalement, je pense qu’elle te reproche
surtout de l’éloigner de Dumbledore. Ah, et, visiblement, tu es trop négatif et ça perturbe
Harry. »

Il émit un bruit amusé. « Harry est le dernier à se soucier de ma négativité. »

Son pessimisme forçait souvent le garçon à se faire la voix de l’optimisme, au contraire.

« Tu as peut-être raison… » soupira Black, en s’affaissant un peu plus dans son fauteuil.
« Peut-être que cela fait un moment qu’il ne va pas bien mais qu’il n’a jamais rien laissé
paraître. Je savais qu’il n’était pas heureux chez les Dursley mais je ne savais pas… »

Severus serra la mâchoire et s’efforça de garder son calme, de ne pas projeter une colère qui
lui était personnelle sur une situation qui le touchait déjà de trop près. Les mots de Slughorn
pesaient lourd sur son esprit et il peinait à supprimer des souvenirs trop invasifs, ces derniers
temps. Il avait l’impression d’avoir soulevé le couvercle d’une boîte trop longtemps enfouie
en lui et, par de nombreux aspects, c’était comme si elle lui avait explosé au visage, ne lui
laissant aucun autre choix que d’affronter des choses qu’il avait préféré ignorer à dessein des
années durant.

Il ne comptait plus le nombre de nuits où il s’était réveillé en sueur et à bout de souffle,


malgré une application religieuse de l’Occlumencie avant de dormir. Dans la panique, l’autre
soir, il avait presque attaqué Nymphadora. Une bonne chose qu’elle ne soit pas étrangère aux
cauchemars trop prenants ou violents et ait anticipé sa réaction.

Elle n’avait pas posé de questions, ce pourquoi il était reconnaissant.


Lorsqu’il se laissait aller à penser à ce qu’Harry avait vécu… Sa rage déjà bien présente se
décuplait et il peinait à la contrôler.

« Il pense toujours que le fait qu’ils l’aient enfermé dans un placard n’était pas si grave. »
remarqua-t-il, d’un ton dangereux. « Que tout ce qu’ils lui ont fait subir n’était pas si grave.
Je pense qu’il a compris que ce n’était pas normal, mais il agit toujours comme si c’était de
son fait à lui, comme s’il était déficient ou ne méritait pas la même attention qu’un autre
enfant. »

Black prit une longue bouffée de sa cigarette. Le bureau empestait désormais le tabac et
Severus ne put s’empêcher de le respirer à pleins poumons. Une part de lui était tentée d’en
emprunter une à l’autre sorcier, de laisser la nicotine chasser momentanément ses problèmes.
Mais c’était une part de lui qu’il avait laissée dans son adolescence et, de plus, il ne pourrait
jamais regarder Harry en face s’il cédait à cette sirène là. Pas après la dispute qui avait failli
être celle de trop pour le garçon.

Il agita sa baguette, assainissant l’air.

« Il en a toujours un peu plaisanté. » lâcha l’Animagus. « Ou, du moins, il tournait ça à la


plaisanterie. Maintenant, je me dis que c’était sa manière de dédramatiser la situation. Qu’au
fond, il a honte. »

« Bien sûr qu’il a honte. » commenta-t-il, tout en faisant léviter un cendrier vers Black avant
qu’il ait pu mettre davantage de cendres partout. L’Animagus le remercia distraitement d’un
hochement de tête. « Je viens de te le dire, il pense que c’est sa faute. Il croit toutes les
horreurs qu’ils lui ont crachées au visage, à un niveau plus ou moins conscient. » Il poussa un
soupir. « Il faudra du temps pour l’aider à se débarrasser du poison qu’il lui ont mis en tête.
Si cela est seulement possible. »

Black resta silencieux un moment, puis soupira. « Mon père avait la main leste mais il avait
surtout la langue très aiguisée. C’est fou ce que les mots peuvent faire mal parfois. »

Severus détourna le regard, mal à l’aise face à la facilité avec laquelle l’autre homme
semblait prononcer ces mots.

« La première fois que je suis allé chez les Potter… » continua l’Animagus, les yeux perdus
dans le vague. « J’ai eu l’impression de changer de planète. Je ne savais pas ce que c’était
une famille équilibrée où les gens n’échangeaient pas d’insultes enveloppées de fausse
affection à table, où les parents ne regardaient pas leurs enfants comme s’ils étaient leur plus
grosse déception, où on n’encourageaient pas les gamins à une compétition permanente… »
Il secoua la tête. « Ma tante et mon oncle n’étaient pas mieux. Les filles… Ce n’était pas plus
facile pour elles. D’une certaine façon, c’était peut-être pire. Mon père et mon oncle parlaient
toujours d’elles comme des juments à vendre… Devant elles, même. Leur seule valeur était
le mariage qu’elle pourrait faire… »

Severus avait vécu une expérience similaire avec la famille de Lily. Les Evans l’avaient pris
sous leur aile mais, contrairement à Black, il avait fui leur hospitalité plus souvent qu’il ne
l’avait acceptée.
Qu’avait dit Rose Evans dans le soixante-quinze alternatif déjà ? On ne pouvait pas
apprivoiser un chat sauvage…

Son silence avait dû être trop prolongé, trop lourd, parce que Black se racla la gorge,
visiblement gêné par les confidences qu’il venait de faire.

« Harry t’a-t-il parlé de ce qu’il souhaiterait faire après Poudlard ? » demanda-t-il, désespéré
de changer le sujet.

L’Animagus écrasa sa cigarette dans le cendrier, son visage s’éclairant immédiatement.


« Auror, non ? James aurait été… »

« Médicomage. » l’interrompit-il, non sans une certaine fierté.

« Vraiment ? » s’étonna Black. « Il ne m’a jamais dit que ça l’intéressait. Il a une telle
passion pour la Défense… »

« Pétunia l’a apparemment convaincu qu’il n’était pas assez intelligent pour faire quoi que ce
soit de trop compliqué. » grinça-t-il, en lui jetant un regard lourd de sens. « Il va de soi que
lorsqu’il t’en parlera tu n’exprimeras qu’un soutien sans faille. James Potter était peut-être un
Auror mais… »

« James aurait voulu qu’Harry fasse quelque chose qui le rende heureux. » le coupa Black.
« Et moi aussi. Pas besoin de me faire la leçon, je ne suis pas complètement idiot. »

« Heureux de l’entendre, ce n’est pas toujours évident. » railla-t-il.

Black leva les yeux au ciel, non sans amusement. « Je me demande bien pourquoi Hermione
pourrait penser que tu es une mauvaise influence et pourquoi Harry est devenu si sarcastique
dernièrement. »

Severus préféra se pencher à nouveau sur le dossier de Jedusor plutôt que de répondre, ne
serait-ce que pour cacher son propre amusement.

°O°O°O°O°

La sueur qui ruisselait sur ses joues couvertes de suie lui piquait les yeux mais Tonks n’avait
pas le temps de s’essuyer le visage. Elle virevoltait, bondissait et esquivait, à bout de souffle
et pourtant forcée de respirer avec modération. La fumée acre lui piquait la gorge, lui faisait
monter les larmes, mais elle ne pouvait pas se permettre de tousser, non plus.

Le gros des Mangemorts avait convergé vers elle.

Parce qu’ils l’avaient reconnue et avaient ordre de la capturer morte ou vive ?

Parce qu’elle était clairement la plus dangereuse du groupe d’Auror et qu’ils voulaient
l’abattre pour mieux désorganiser le groupe ?

Au demeurant, cela l’arrangeait.


Pendant qu’ils se focalisaient sur elle, son équipe avait le champ libre pour évacuer les
blessés, pour tenter d’endiguer l’incendie… Elle était vaguement consciente de la présence
d’Albert et Leo légèrement derrière elle qui avaient organisé quelques autres en formation…
Lentement mais sûrement, ils repoussaient les Mangemorts.

Elle commençait à se dire que la bataille était gagnée lorsque Rabastan Lestrange entra dans
la danse.

Il vint droit vers elle et, comme sous un ordre muet, les Mangemorts s’écartèrent pour
engager d’autres cibles, la laissant à sa merci. Ou ce qu’ils pensaient être sa merci.

Il était courant au milieu d’une bataille que se créent des poches de duels plus personnels,
dans ces cas là, les autres sorciers n’intervenaient généralement pas. Même les Mangemorts
respectaient ces règles tacites, elle supposa donc qu’elle n’avait pas à craindre un Avada dans
le dos.

Ils échangèrent quelques passes, des sorts plus ou moins forts destinés à jauger le niveau de
l’adversaire. Tonks para, répliqua, para encore…

Elle dévia un stupifix vers un autre Mangemort qui s’écroula, provoquant un certain
amusement chez Lestrange.

Puis le combat devint sérieux.

Lestrange était excellent duelliste et connaissait bon nombre de sorts qui la firent frissonner.
Plus d’une fois, l’un des boucliers que Severus lui avait appris lui sauva la vie. Un protego
classique n’aurait jamais suffit à bloquer ces maléfices.

Lestrange était excellent pourtant elle parvint à le mettre en difficulté une fois ou deux, lança
un sort d’entrave qui brisa son bouclier et qu’il n’évita qu’au prix d’une esquive inélégante. Il
parvint de justesse à bloquer le stupifix qu’elle lança juste derrière…

« Le Seigneur des Ténèbres a de grands projets pour toi… » siffla-t-il, sa voix presque
entièrement couverte par le craquement des bâtiments en proie aux flammes, par les
hurlements des blessés et le chaos de la bataille. Il entrecoupa chaque mot d’un maléfice et
tout ce qu’elle put faire fût de concentrer toute sa force dans ses boucliers, bloquer, bloquer et
bloquer encore. « Peut-être qu’il me laissera envoyer un petit cadeau à Severus… Que crois-
tu qu’il préférerait ? »

Le premier Adava fusa vers sa tête et elle se jeta au sol, tirant une dague de sa botte et la
lançant dès qu’elle fût à nouveau sur ses pieds dans un mouvement fluide. Combien de fois
Fol’Œil l’avait-il forcée à répéter ce mouvement à l’entraînement ? Des centaines ? Des
milliers ?

Lestrange dévia la dague avec précipitation.

Par un heureux hasard pour lui, elle alla se ficher dans la cuisse d’une des Aurors qui
s’écroula dans la poussière avec un cri de douleur. Tonks voulut faire un pas vers elle, se
ressaisit à temps pour parer le prochain maléfice…
« Un doigt ? » la provoqua Lestrange. « Une oreille ? »

Un nouvel Avada fusa vers elle.

Elle bondit sur le côté, répliquant immédiatement d’un sectumsempra. Le sort de mort ne lui
venait pas facilement. Les maléfices de Severus, en revanche, ne demandaient pas d’état
d’esprit particulier et étaient tout aussi efficaces, bien que moins propres.

Lestrange ne para pas à temps et le sortilège lui lacéra le bras gauche, lui arrachant un cri de
douleur.

« Salope… » cracha-t-il. « Tu veux jouer à ça ? Diffindo ! »

Elle dressa un bouclier hâtif qui bloqua le sortilège mais elle dût reculer sous sa force. Elle
manqua trébucher sur un corps étalé là. Elle se força à ne pas regarder. Ami, ennemi ou
victime… Elle ne pouvait pas se permettre de se déconcentrer, de le perdre de vue ne serait-
ce qu’une seconde…

« Peut-être que je lui enverrai plutôt un œil. » reprit Lestrange, avec un nouveau sort de mort.
« Ou peut-être que je lui enverrai le souvenir de ce que je vais te faire une fois que… »

Il s’interrompit lorsque le craquement caractéristique d’une douzaine de transplannage


couvrit presque la cacophonie de la bataille.

C’était Kingsley et ses Aurors. Ils prenaient leurs ennemis en tenaille.

Les Mangemorts paniquèrent, commencèrent à refluer…

Tonks attaqua à nouveau avec une énergie décuplée. Distrait par l’arrivée des renforts,
Lestrange ne para pas à temps.

Le Sectumsempra le heurta en pleine poitrine.

Elle avait mis suffisamment de force dans son maléfice, cette fois-ci, pour qu’il s’effondre. Il
tomba à genoux, les yeux écarquillés, l’écume rosâtre perlant à ses lèvres, le sang imbibant
ses robes, la regardant comme s’il ne comprenait pas… Sa baguette échappa à ses doigts
gourds et il s’écroula la tête la première.

Elle s’autorisa à souffler une seconde, le soulagement menaçant de lui couper les jambes.

Elle était sur le point de s’approcher, pour écarter sa baguette d’un coup de pied et vérifier
qu’il était bien mort, lorsqu’elle entendit Albert hurler : « Non ! »

Elle vit l’éclat vert du coin de l’œil, se tourna à temps pour voir Leo être projeté en arrière et
atterrir contre un bâtiment en flammes. Mort avant même d’avoir décollé.

Albert cherchait à se frayer un chemin jusqu’à son partenaire, sans se soucier d’être à
découvert…
Il y avait suffisamment d’Aurors, à présent, pour que l’issue de la bataille soit certaine mais
cela demeurait dangereux. Elle le couvrit du mieux qu’elle le put à distance, jetant bouclier
après bouclier jusqu’à ce qu’il atteigne la dépouille de son ami… Le temps qu’il constate
qu’il n’y avait plus rien à faire et ne se tourne pour chercher le coupable avec une rage
vengeresse que Tonks avait éprouvé plus d’une fois, ces derniers mois…

Elle ne se rendit pas compte qu’elle s’exposait elle-même, trop soucieuse de couvrir celui
qu’elle considérait un peu comme son protégé.

Le sort la heurta sous la poitrine, l’envoyant voler sur quelques mètres. Elle heurta le sol, le
souffle coupé…

Puis la douleur frappa.

Et elle hurla.

Sa cage thoracique était…

Tout était…

Elle croisa le regard de Lestrange qui la fixait avec un rictus ensanglanté, l’air satisfait… Il
mourut la seconde suivante mais elle n’était plus en état de s’en soucier.

« Tonks ! » cria Albert, en la repérant. Il se jeta à genoux à côté d’elle, ses mains tâtèrent son
corps à la recherche d’une blessure qu’il ne trouva pas.

Elle ne pouvait plus parler, ne pouvait pas expliquer… Elle toussa, sentit le sang remonter
dans sa gorge, manqua s’étouffer…

Tous les Aurors étaient formés aux premiers secours mais cela n’allait pas bien loin. Les
mains tremblantes, il jeta un sort de diagnostic…

« Merde ! Merde ! » s’écria-t-il, complètement paniqué lorsqu’il obtint le résultat. « Vos côtes
sont en miettes. Merde ! »

Et les éclats avaient dû perforer des choses, songea-t-elle, à demi-consciente, luttant pour
rester éveillée, pour continuer à respirer.

La douleur…

Oh, ce ne serait pas une bonne manière de mourir… Mieux aurait valu un Avada.

Ses pensées s’égarèrent vers ses parents, dansèrent vers Severus…

Elle ferma les yeux, se remémora le matin dans sa cuisine… Ses bras autour d’elle, la chaleur
dans ses yeux noirs, le bonheur comme une bulle dans son ventre…

« Non ! Hé ! Restez réveillée ! » Albert la secoua sans ménagement, lui arrachant un


gémissement. Elle força ses paupières trop lourdes à s’ouvrir, s’accrocha aux larmes qui
roulaient sur les joues du trop jeune homme… Il regarda autour de lui avec désespoir,
panique, puis se pencha à nouveau sur elle. « D’accord, d’accord… Euh… »

Elle ne saisit pas le sort qu’il prononça mais, soudain, tout était mieux et pourtant pire.

Son torse s’affaissa.

La douleur s’apaisa un peu mais ce n’était pas plus simple de respirer, au contraire. La
torpeur qui l’envahit était moite, pesante, et elle eut toutes les difficultés du monde à ne pas
s’y abandonner.

Bats-toi, murmura une voix dans sa tête, une voix qui ressemblait à s’y méprendre à celle de
Fol’Œil. Bâts-toi, gamine.

L’imaginait-elle ? Ou était-il là ? Juste derrière le voile ? Si proche ? Si…

« Qu’est-ce que tu as fait ?! »

Kingsley venait de s’accroupir au-dessus d’elle, un sort de diagnostic déjà aux lèvres. Il
fusillait Albert du regard comme si c’était sa faute alors que, vraiment… Il jeta un sort de
soin. Deux… Trois… Puis un autre sort qui rendit une forme un peu plus normale à son
torse…

Sa respiration se fit pus facile, elle cessa de s’étouffer dans son propre sang… Il ajusta sa tête
pour qu’elle peine moins à aspirer l’air.

L’expression de son supérieur était calme mais ce n’était qu’un masque.

La terreur brillait dans les yeux de son partenaire.

« Cet idiot a fait disparaître tes côtes. » déclara lentement Kingsley.

Ça expliquait la sensation bizarre dans son abdomen, se dit Tonks, à moitié dans les vapes.

« Je ne savais pas quoi faire ! » protesta Albert. « Elle… »

Le trait vert sortit de nulle part et le faucha sans prévenir.

Le cœur de Tonks s’emballa alors même que Kingsley se couchait à moitié sur elle pour la
protéger, se redressait juste assez pour répliquer…

Elle tourna la tête, plongea dans le regard vitreux d’Albert…

Elle aurait voulu pleurer mais elle n’avait pas l’énergie, pas le souffle.

Elle aurait voulu hurler mais le cri resta bloqué dans sa gorge.

Alors elle ferma les yeux et s’imagina ailleurs.

En sécurité.
« Tonks ? Tonks ! » cria Kingsley. Elle entendit plus qu’elle ne sentit la bardée de sorts de
soin. « Ne t’avise pas de me faire ça ! Tonks ! »

Bâts-toi.

Ce n’était plus la voix de Fol’Œil qu’elle imaginait murmurer à son oreille mais une plus
grave, plus douce…

Elle avait promis à Severus d’être prudente.

Il serait en colère, songea-t-elle, juste avant de sombrer.


Wolves At The Door

« Just because someone knocks on the door doesn’t mean you have to open it.
Sometimes, sweet girl, there are wolves at the door. If we are not careful, they might eat
us. »

Salt To The Sea – Ruta Sepetys

« Ce n’est pas parce que quelqu’un frappe à la porte que tu es obligée de l’ouvrir.
Quelques fois, ma douce, les loups sont à la porte. Si l’on n’est pas prudent, ils
pourraient nous dévorer. »
Salt To The Sea – Ruta Sepetys

« Je pense que je tiens quelque chose. » déclara Severus.

Cela faisait plus d’une heure qu’il lisait et relisait les documents que Nymphadora avait
rassemblés pour lui. Les notes de la jeune femme étaient claires et concises, il avait ajouté les
siennes dans les marges… Ses mains ne l’autorisaient toujours pas à utiliser une plume, du
moins pas sans mettre de l’encore partout, mais si les tremblements n’étaient pas trop
prononcés, il parvenait à tenir un des stylos billes que la jeune femme avait eu l’idée de lui
ramener, après l’avoir vu une fois de trop s’échiner à gribouiller sur un parchemin. Son
écriture était à peine illisible, même pour lui, mais c’était un soulagement de parvenir à écrire
à nouveau.

« Un horcruxe ? » demanda Black, levant la tête du grimoire qu’il parcourait. Il tentait


toujours de déterminer le meilleur moyen de déplacer l’horcruxe. Bill Weasley les avait
orientés vers l’utilisation de runes mais le procédé paraissait complexe. Le briseur de sorts
travaillait sur la meilleure séquences de runes à utiliser de son côté, lui et Black planchaient
sur le sort à utiliser…

« Une possible cachette. » nuança-t-il, en extirpant du tas de documents une des photocopies
des archives de l’orphelinat. « Vois-tu, il y a cette caverne qui… »

Le linx argenté apparut entre eux, au beau milieu de la pièce, sans avertissement.

Le cœur de Severus se serra avant même que le Patronus ne commence à délivrer son
message.

« Venez au Q.G. aussi vite que possible. Tonks est blessée et vous demande. » annonça la voix
grave de Shacklebolt. « Son état est stable pour l’instant. »

La dernière partie semblait avoir été ajoutée comme une arrière-pensée, comme si ce n’était
pas la plus importante.

Il était déjà debout alors même que Black bondissait sur ses pieds comme si…
« Je n’ai pas besoin que tu m’accompagnes. » cingla-t-il.

Black fronça les sourcils. « De quoi tu parles ? Le message était pour moi,
évidemment. Pourquoi est-ce que Tonks te demanderait, toi ? »

Pour une myriade de raisons qu’il ne se sentait pas capable d’expliquer à Black, à l’instant.

Pas alors que sa respiration demeurait courte et qu’il sentait l’adrénaline lui parcourir les
veines, alors même que la crainte lui serrait le ventre.

Stable ne voulait pas dire hors de danger.

Pour l’instant ne voulait pas dire pour de bon.

« Parce que je suis formé au soin et que le reste d’entre vous est à peine compétent lorsqu’il
est question de premier secours. » rétorqua-t-il.

Ce n’était pas un mensonge, pas vraiment, mais il ne s’attarda pas pour tâcher de l’en
convaincre.

Il se précipita sur la cheminée. Elle n’était, cependant, reliée qu’au réseau interne de Poudlard
et il fit rapidement le choix qui lui parut le plus sensé en traversant directement dans le
bureau du Directeur. Il aurait pu aller dans ses quartiers et retraverser en direction du Square
Grimmaurd, mais outre le fait qu’il n’avait pas ôté le pare-feu de devant son âtre, il lui
paraissait important d’informer Albus. Sans compter qu’il aurait peut-être des informations.

Il émergea de la cheminée et interrompit apparemment une conversation animée au sujet d’un


traité de Métamorphose. Les fauteuils d’Albus et de Grindelwald avaient été traînés près l’un
de l’autre et ils étaient tous deux penchés sur le même livre avec une telle complicité que
Severus eut l’impression de faire irruption dans un moment intime.

C’était absurde bien sûr.

Durant la demi-seconde qu’il lui fallut pour se ressaisir, Albus s’était levé, alarmé.

« Severus ? Je ne vous attendais pas… » Le Directeur fronça les sourcils et traversa la pièce
pour lui saisir le bras. « Vous êtes pâle comme la mort, mon garçon. »

« Nymphadora est blessée. » lâcha-t-il, avec plus d’émotions, plus de panique, qu’il ne l’avait
souhaité.

Il raviva immédiatement ses boucliers mentaux mais ne parvint pas à se contrôler tout à fait.

La compréhension se fit sur le visage du vieux sorcier. « Vous me l’apprenez. Est-ce… »

« Je l’ignore. » déclara-t-il, en faisant un geste vers la cheminée. « Je dois… »

Il n’eut pas le temps de faire quoi que ce soit. Le feu se raviva et Black s’extirpa des
flammes, l’air mécontent.
« Tu aurais pu m’attendre. » ronchonna le Maraudeur, avant de se tourner vers Dumbledore,
son regard glissant sur Grindelwald comme s’il était préférable d’ignorer sa présence. « Vous
savez ce qu’il s’est passé ? »

« Non. » répondit Albus. « Mais nous allons le découvrir. Gellert… »

Le mage noir se hissa péniblement hors de son fauteuil. « Je serais en haut. »

Il se glissa derrière une porte dérobée qui, Severus le savait, menait dans les étages de la tour
vers les appartements du Directeur.

Albus hébergeait-il littéralement Grindelwald ?

C’était une manière radicale de le garder à l’œil…

« Sirius, voulez-vous bien rester ici jusqu’à mon retour ? » ordonna Albus, plus qu’il ne le
demanda. « Gardez le château pour moi. Severus, allons-y. »

Il ne se le fit pas dire deux fois.

Ignorant les protestations de Black, il attrapa une poignée de poudre de cheminette qu’il jeta
dans l’âtre et murmura l’adresse du Square Grimmaurd.

Il avait oublié sa canne dans la précipitation et sa jambe se rappela à son mauvais souvenir
lorsqu’il sortit de la cheminée avec un peu trop d’empressement. Albus émergea juste
derrière lui et manqua lui rentrer dedans…

Severus ne s’excusa même pas, il se précipita vers le couloir d’où il pouvait entendre des
voix. Shacklebolt se tenait là, l’air épuisé, ses robes couvertes de trainées de suie, de sang et
de boue…

Il ne prit même pas la peine de jeter un coup d’œil à Lupin qui se rembrunit pourtant
immédiatement. « Où est-elle ? »

« À l’étage. » répondit le chef du Département des Aurors, en levant une main dans un geste
d’apaisement qui exsudait l’autorité. « Elle est stable. »

« Qu’est-ce que tu fais là ? » aboya Lupin avec hostilité. « On n’a pas besoin de toi. Tu… »

« C’est moi qui l’ait prévenu. » intervint Shacklebolt, en fronçant les sourcils. « Tonks l’a
réclamé plusieurs fois. Tu l’as entendue comme moi. »

« Elle ne sait pas ce qu’elle dit. » cracha le loup. « Elle est dans les vapes. Elle… »

« Allons, Remus. » l’interrompit Dumbledore, en sortant du salon. « Un peu de courtoisie.


Kingsley, que s’est-il passé ? »

Severus écouta à peine le résumé rapide des batailles, les pertes tragiques…
« Comment a-t-elle été blessée ? » s’imposa-t-il, lorsqu’il n’y tint plus. « Qu’a-t-elle
exactement ? »

Son ton était trop cassant, trop inquiet. Son expression, il en était certain, trahissait
précisément la panique qu’il ne parvenait pas à contenir.

Il occludait pourtant.

Essayait, du moins.

Albus posa brièvement une main rassurante sur son épaule, ordonnant à Shacklebolt d’un
signe de la tête de répondre à ses questions.

« De ce que j’ai pu déterminer, elle a abattu Rabastan Lestrange mais il a eu le temps de lui
jeter un confringo en pleine poitrine avant de mourir. Elle devait protéger quelqu’un d’autre à
ce moment là car elle n’a dressé aucun bouclier. » expliqua l’Auror.

Severus retint sa respiration, imaginant sans mal les dégâts qu’un sort d’explosion en pleine
poitrine, sans aucun sortilège défensif pour en atténuer l’effet pouvait provoquer. « Comment
peut-elle être stable ? »

Ses côtes auraient explosé sous l’effet du sort. Cela aurait déjà été problématique mais les
bouts d’os se seraient, en plus, transformés en projectiles. Ses organes auraient dû être
lacérés.

Elle aurait dû…

Elle devrait être…

« Une de nos jeunes recrues était près d’elle. Il a paniqué et fait disparaître ses os. » continua
Shacklebolt, imperturbable. « Un peu barbare mais cela lui a, au demeurant, sauvé la vie. J’ai
colmaté les différentes hémorragies sur place. »

« Fait disparaître ses os ? » répéta Severus, incrédule. « Quelle espèce d’incompétent… »

« Il s’agissait d’Albert. » l’interrompit l’Auror, d’un ton légèrement plus agressif. « Il est
mort alors même qu’il essayait de l’aider. »

Albert était l’Auror en place le plus souvent à Poudlard.

Un Serdaigle qui avait passé ses A.S.P.I.Cs quelques années plus tôt. Il n’avait jamais été
brillant en Potions mais il était curieux, respectueux, et il n’avait jamais fait partie des élèves
qui agaçaient le plus le Maître des Potions. Il ressentit une certaine tristesse à l’idée de sa
mort.

Nymphadora l’adorait, se souvint-il, avec un temps de retard.

Il se força à se concentrer sur ce qui était important.


« Êtes-vous en train de me dire que vous avez ramené Nymphadora ici alors que… »
s’énerva-t-il.

« Bien sûr que non. » rétorqua Shacklebolt. « Je l’ai conduite à Sainte Mangouste avec le
reste des blessés. Ils l’ont soignée et lui ont donné une forte dose de Poussos. Je l’ai ramenée
ici car elle refusait de rester à l’hôpital. Elle ne pensait pas y être en sécurité et je n’avais
aucun Auror à assigner à sa protection. Les Médicomages n’étaient pas heureux de la laisser
partir mais ils n’anticipent pas de complications. »

Sainte Mangouste n’aurait pas été sûr pour elle, sur ce point, elle avait eu raison.

Mais il aurait été bien plus sage de la ramener à Poudlard où Pomfresh aurait pu garder un
œil sur elle.

L’air fatigué, l’Auror se tourna vers Dumbledore. « Je dois retourner au Ministère. Le


Ministre doit attendre mon rapport et il voudra des nouvelles de Tonks. Il a beaucoup
d’affection pour elle. »

Albus hocha la tête avec compréhension. « Très bien. Transmettez-lui mes amitiés. »

N’ayant que peu à faire des banalités et ne tenant plus en place, Severus se détourna et fit un
pas vers l’escalier, déterminé à ausculter la jeune femme lui-même, à s’assurer qu’elle était
effectivement stable et hors de danger. Il n’alla pas très loin avant que Lupin ne lui barre la
route.

« Tu n’es pas le bienvenu ici. » cracha Lupin.

Il n’était vraiment pas d’humeur pour ce genre de scène.

« Aux dernières nouvelles, tu n’étais pas le propriétaire des lieux. » rétorqua-t-il, en faisant
tomber sa baguette dans sa main.

« Cela suffit. » tonna Albus, avec sévérité.

Le loup tourna la tête vers le vieux sorcier, visiblement en colère. « Il n’a rien à faire ici. »

« Elle l’a réclamé. » répéta Shacklebolt, une nouvelle fois, avec un agacement perceptible.
« Du moment où je l’ai soignée sur le champ de bataille au moment où nous l’avons installée
dans la chambre, elle n’a eu que son prénom à la bouche. Et elle savait très bien ce qu’elle
disait à ce moment là, Remus. »

« Je pense qu’il est évident pour tous ici que Severus a davantage sa place à son chevet que le
reste d’entre nous. » ajouta Dumbledore, sans se départir de son ton strict. « Allez-y, mon
garçon. Inutile de faire attendre l’héroïne du jour. Rabastan Lestrange… Ce n’est pas rien.
Remus, un mot dans la cuisine, je vous prie. »

Severus n’attendit pas que Lupin s’écarte, il continua son chemin, percutant son épaule au
passage avec suffisamment de violence pour en ressentir l’élancement jusqu’au premier
palier. La satisfaction fût de courte durée, cependant.
Il n’avait pas pensé à demander dans quelle chambre elle était et les marches raides étaient
difficiles pour sa jambe sans l’appui de sa canne. Il persévéra pourtant, s’aidant de la
rampe… Il croisa Anthony alors qu’il atteignait le premier étage.

« Où est-elle ? » demanda-t-il, sans s’embarrasser de le saluer.

Le jeune homme l’étudia brièvement, puis s’effaça pour le laisser passer sans discuter la
légitimé de sa présence. « Deuxième porte à gauche. »

La porte était restée entrouverte et il l’entendit bien avant de l’atteindre. Des gémissements
de douleur, des sanglots, des petits cris essoufflés…

Elle se débattait contre Charlie Weasley lorsqu’il pénétra dans la pièce au pas de charge.
L’ancien Gryffondor essayait de presser une fiole contre sa bouche mais elle refusait d’en
avaler le contenu… Il avait les larmes aux yeux de devoir batailler avec elle alors qu’elle était
dans cet état, paraissait inquiet, agité…

Severus l’écarta avec brutalité pour prendre sa place à ses côtés.

« Nymphadora… » murmura-t-il, en se penchant au-dessus d’elle.

Elle peinait à respirer.

Ses yeux gris débordaient de larmes qui roulaient sur ses tempes et allait se perdre dans ses
cheveux, sa poitrine se soulevait trop vite…

Il plaça une main sur sa joue pour maintenir sa tête dans une position qui faciliterait sa
respiration, écarta de l’autre les mèches brunes qui collaient à son visage…

« Nymphadora. » répéta-t-il, plus fermement. Leurs regards se croisèrent, s’accrochèrent…


« Cesse immédiatement de pleurer. »

Les mots sonnèrent bien plus secs et froids qu’il ne l’avait voulu.

« Elle vient de traverser un truc horrible. » protesta Charlie Weasley, derrière lui. « Ce n’est
pas une machine ! Si elle a besoin de pleurer… »

« Les sanglots ne feront qu’aggraver les choses. Plus tu paniqueras et pire ce sera. » expliqua-
t-il, davantage à son intention que pour son meilleur ami, en effaçant ses larmes d’un pouce
tremblant. « Peux-tu occluder la douleur ? » Il n’était pas certain qu’elle soit en mesure de
comprendre ce qu’il disait. Ses yeux brillaient de souffrance, de peur… Il claqua la langue de
frustration. « Laisse-moi entrer… » Il attendit que son regard se fasse un soupçon plus clair,
caressant son visage sans même y penser. « Laisse-moi entrer, Nymphadora. »

Elle cilla de manière un peu trop prononcée pour être naturelle, ce qu’il interpréta comme un
consentement.

D’un Legilimens informulé, il pénétra prudemment dans son esprit.

La vague de douleur le heurta immédiatement, comme un raz-de-marée.


Physique.

Psychique.

La souffrance était omniprésente et, couplée à ses défenses naturelles, manqua l’éjecter de sa
tête.

Severus tint bon, cependant, trop adepte à naviguer les courants de douleur. Aurait-il été dans
son propre esprit, il aurait été facile d’enfermer la souffrance derrière des boucliers
provisoires, d’en atténuer la morsure… Dans celui de la jeune femme, en revanche… Il tâcha
patiemment de lui montrer ce qu’il fallait faire, comment isoler la douleur, comment tromper
son cerveau, comment lui faire croire que la souffrance était moindre qu’elle ne l’était en
réalité…

Elle mit du temps à comprendre et lorsqu’elle saisit finalement le concept, elle était presque
trop faible pour que cela fasse une différence majeure.

Sur le plan physique, pourtant, il sentit sa respiration s’apaiser, se calquer lentement sur la
sienne. Il entendit ses gémissements diminuer puis cesser, ses pleurs se tarir…

Lorsqu’il fût certain qu’elle avait la situation sous contrôle, il se retira, peu surpris de sentir
que ses muscles s’étaient crispés, que ses membres s’étaient ankylosés…

Le temps passait différemment sur la sphère psychique, pourtant, d’expérience, il savait qu’il
s’était écoulé une bonne dizaine de minutes sur le plan physique.

Charlie Weasley s’était déplacé et se tenait désormais au pied du lit, une main posée sur la
cheville de la jeune femme, comme si, lui aussi, avait besoin de se rassurer…

Severus ne lui prêta qu’une attention limitée.

« Severus… » souffla-t-elle, un peu plus lucide.

« Je suis là. » lui promit-il. Il lui caressa plusieurs fois les cheveux, incapable de cesser de la
toucher, de s’assurer qu’elle était vivante… « Je suis là. »

Son corps perdit en tension et il s’autorisa finalement à l’observer, à étudier la manière peu
naturelle dont son torse s’affaissait… Il jeta deux sorts de diagnostic qui contribuèrent à le
rassurer sur son état de santé mais lui indiquèrent distinctement à quel point elle était passée
près de la mort.

Weasley se racla la gorge, lui tendant la même fiole qu’il avait été en train d’essayer de lui
faire avaler lorsqu’il était entré. « La Médicomage a dit qu’elle devait prendre ça. »

« Et qu’est-ce que ça, précisément ? » railla-t-il, sans esquisser le moindre geste pour prendre
la potion.

Il était incapable d’ôter les mains de son visage, de cesser de la toucher, de caresser ses
cheveux, ses joues, sa gorge…
Il était incapable de repousser la crainte irrationnelle qu’elle disparaîtrait au moment où il
perdrait le contact physique avec elle.

« Une potion de sommeil-sans-rêve. » clarifia le jeune homme.

Severus refusa immédiatement d’une secousse de tête. « Un somnus est préférable. »

« Kingsley a dit… » insista Weasley.

« Sous l’effet de cette potion, elle serait incapable de se réveiller pour nous avertir si la
douleur empire ou si elle se sentait mal. » l’interrompit-il, s’efforçant de rester aussi courtois
qu’il le pouvait. Il n’était, après tout, pas le seul à être inquiet et Nymphadora avait été très
claire quant au fait que Charlie Weasley était une des personnes les plus importantes dans sa
vie. « Son usage serait peut-être acceptable à Sainte Mangouste où il y a pléthore de
Médicomages pour la surveiller mais, ici, un sortilège plus léger dont elle pourra se réveiller
si besoin est préférable. Qui plus est, le Poussos est une potion violente pour l’organisme et la
coupler à une autre ne fera qu’amplifier son inconfort. Cela repoussera d’autant le moment où
elle pourra prendre une potion antidouleur. C’est bien trop cher payer pour quelques heures
de sommeil profond. »

Le dragonnier hésita puis haussa les épaules. « C’est vous l’expert. »

Si seulement tout le monde pouvait accepter cet état de fait avec la même facilité, songea-t-il,
reportant son attention sur la jeune femme.

« Nymphadora… » murmura-t-il doucement. « Je vais t’endormir, d’accord ? »

Elle attrapa son poignet, sa prise beaucoup plus ferme que ce à quoi il s’était attendu. La
pression sur la Marque manqua lui arracher un sifflement de douleur. Elle secoua la tête,
presque avec panique.

Il pinça un peu les lèvres, n’éprouvant aucun plaisir à l’idée de la contraindre à quoi que ce
soit.

« Il le faut. » insista-t-il. « Tu as besoin de repos et, crois-moi, tu ne veux pas être éveillée
lorsque le Poussos commencera à véritablement agir. » Des larmes perlèrent à nouveau à ses
yeux et il marmonna un juron, s’asseyant prudemment à côté d’elle pour mieux emplir son
champ de vision. « Tu es en sécurité. »

« Severus… » supplia-t-elle, la respiration un peu trop sifflante.

« Je suis là. » répéta-t-il.

Ses doigts s’enfonçaient avec suffisamment de force dans sa chair pour laisser des bleus. Il
occluda la douleur, occluda la brûlure de la Marque alors qu’elle pressait par inadvertance sur
une zone particulièrement sensible…

« Reste… » l’implora-t-elle, une lueur paniquée dans le regard. « Ne me laisse pas… »


« Il n’en était pas question. » la rassura-t-il. « Je te l’ai dit, tu es en sécurité. Je suis là. Je
veillerai sur toi. » De sa main libre, il retraça sa pommette avant d’agripper son épaule. « J’ai
besoin que tu te reposes, à présent. Je ne te laisserai pas seule, je te le jure. »

Elle fouilla son regard avec désespoir, à la limite de la Legilimencie. Il abaissa ses boucliers,
juste assez pour qu’elle puisse trouver ce qu’elle cherchait, et se détendit légèrement
lorsqu’elle ferma finalement les paupières.

« Somnus. » chuchota-t-il, sans s’embarrasser de sortir sa baguette.

Il l’observa durant plusieurs minutes, s’assurant que le sortilège avait pris et qu’elle dormait
bel et bien, avant de finalement être rattrapé par la réalité et de regarder autour de lui.

Son sang ne fit qu’un tour.

Ce n’était pas une chambre d’amis destinée à abriter un des membres de l’Ordre pour la nuit
ou quelques jours. Celle-ci était visiblement habitée sur le long terme.

Et il n’était pas dur de déterminer par qui.

Tout ici empestait le fauve.

Des pull-overs rapiécés empilés sur la commode, attendant d’être rangés, aux malles au cuir
élimé rangées sous la fenêtre.

« Pourquoi l’a-t-on installée ici ? » siffla-t-il, sentant la colère familière monter.

Lorsqu’il était inquiet, la fureur était souvent prompte à se manifester.

« Je ne sais pas. » avoua Charlie Weasley, en secouant la tête. Il s’approcha davantage,


étudiant la jeune femme avec inquiétude. « Kingsley venait juste de la déposer sur le lit
quand on est arrivé. »

Cela n’avait aucun sens.

Il savait de source sûre qu’elle s’était plus ou moins appropriée une des chambres dans les
étages. Et s’il s’était simplement s’agit de trouver un lit au premier étage pour éviter de la
déplacer trop loin, il devait bien y avoir une pièce plus adaptée que la chambre de son ex
petit-ami.

Pas étonnant qu’elle ait été si paniquée, se dit-il, pas étonnant qu’elle ne se soit pas sentie en
sécurité.

« Et ces vêtements ? » insista-t-il, en remarquant le détail qui manqua lui faire perdre
définitivement son calme. Il n’y avait prêté aucune attention jusque là, plus préoccupé par
l’état de la jeune femme que par ce qu’elle portait. Il était quasiment certain que le pantalon
de pyjama en coton à carreaux marron et la chemise dépareillée en flanelle grise
appartenaient également à Lupin. « Qui l’a déshabillée ? »

Si c’était le loup, s’il l’avait touchée, il était un homme mort.


Severus allait…

« Moi. » répondit Weasley, sur la défensive. « Ce n’est pas la première fois. Elle ferait pareil
pour moi. Et puis, elle était consciente. Ses fringues étaient couvertes de boue et de sang. »

Où était donc la vampire ? Pourquoi personne n’était allé chercher l’autre femme ? Cela ne
lui plaisait pas que Weasley ait ce genre d’intimité avec elle…

Néanmoins, il supposait qu’il valait mieux Charlie Weasley que Lupin.

Cette situation était la goutte d’eau qui faisait déborder un chaudron déjà trop plein.

En ce qui le concernait, Lupin venait de franchir une ligne rouge et il n’était plus question de
laisser Nymphadora gérer la chose seule.

Pour tromper son irritation, il sortit sa baguette et jeta un nouveau sort de diagnostic. Cette
fois, lorsqu’il analysa les résultats, il frissonna. Les sorts qui avaient réparés les dégâts sur ses
organes étaient suffisamment frais pour laisser une trace. Elle allait bien maintenant mais sur
le coup… Son poumon gauche avait été lacéré… Son rein gauche… Sa rate…

Sans soin, elle serait morte en quelques minutes et dans des souffrances indescriptibles.

Il était passé à un cheveux de la perdre.

Sans magie…

« Elle va se remettre, hein ? » demanda Charlie Weasley, la voix nouée.

Severus leva les yeux vers lui, lui trouva une ressemblance frappante avec son plus jeune
frère, à l’instant, et soupira, l’irritation qu’il ressentait envers lui disparaissant subitement.

« Nous n’en serons certains qu’une fois que le Poussos aura fait son œuvre. » déclara-t-il.
« Toutefois, je ne vois rien d’alarmant et il n’y aucune raison de penser qu’il y aura des
complications. Je vais la veiller. »

Weasley hocha la tête en signe d’approbation. « Je peux vous relayer dans quelques heures si
vous voulez dormir un peu. »

« Inutile. » marmonna-t-il. « Je serais incapable de fermer l’œil en la sachant dans cet état. »

Il venait d’avouer plus qu’il ne l’aurait dû mais le jeune homme, loin de se moquer, continua
d’hocher la tête, comprenant visiblement très précisément ce qu’il voulait dire. Il ouvrit la
bouche pour répondre mais des éclats de voix dans le couloir l’en empêchèrent.

« Restez avec elle. » ordonna-t-il, en se levant souplement – du moins, ce fût souple jusqu’à
ce que sa jambe ne vienne lui rappeler qu’il n’était plus aussi agile qu’autrefois.

Il dissimula son boitement autant qu’il le put lorsqu’il sortit de la pièce, prenant soin de
refermer la porte derrière lui, peu surpris de trouver Lupin dans le couloir, l’air furieux.
L’autre dragonnier lui barrait le passage, les mains levées devant lui comme pour apaiser un
animal sauvage. Encore que ce n’était pas si loin de la vérité…

« Tu es pathétique. » cracha-t-il, ajustant sa prise sur sa baguette, résistant de peu à l’envie de


jeter un sortilège. « Quel était le plan, Lupin ? La glisser dans ton lit pour mieux l’y rejoindre
lorsqu’elle serait endormie ? »

Anthony les regarda tour à tour puis s’écarta sagement.

Les yeux du loup brûlait d’un éclat sauvage, ambré. L’animal rôdait trop près de la surface.

Non pour la première fois, Severus eut des doutes à propos de la potion Révèle-Loup. Sur le
papier, elle aurait dû fonctionner comme une version plus poussée de la potion Tue-Loup,
aurait dû permettre aux loups-garous de trouver un meilleur équilibre entre leurs deux
natures… Sauf que lorsqu’on voyait Lupin…

« Va-t-en. » intima ce dernier, irradiant d’une autorité à laquelle une meute de loups se serait
peut-être soumise mais qui ne fit qu’enrager Severus davantage. « Tu n’as rien à faire ici. »

« Ce n’est pas moi qui n’ait rien à faire ici. » rétorqua-t-il. « Ou bien as-tu déjà oublié qui elle
désire à son chevet ? Mais cela ne compte pas pour toi, n’est-ce pas ? Ce qu’elle désire ?
Pourquoi respecter ses souhaits, après tout. »

Le sarcasme fût la provocation de trop.

Lupin se jeta sur lui, poing levé…

Évidemment.

La bête sauvage oubliait qu’il possédait une baguette et recourait directement à la violence
physique.

Severus aurait pu le repousser par magie mais ce poing qui se dirigeait droit vers son
visage… La situation était bien trop familière.

Excepté qu’il n’était plus un adolescent sans défense.

Il esquiva la frappe sans trop de difficulté, attrapa le poignet de Lupin au passage, se servit de
son élan pour le retourner contre lui… Il n’avait pas compté sur sa jambe qui l’handicapait ou
ses mains moins fiables qu’autrefois. Emporté, lui aussi, par l’élan de Lupin, ils s’écrasèrent
contre le mur. Severus se reprit, en premier, cependant et lui écrasa la joue contre la cloison
d’un bras pressé en travers de la nuque, utilisant le poids de son corps pour le maintenir en
place.

« Elle te l’a expliqué gentiment pendant des mois. » siffla-t-il à l’oreille du loup. « Puisque la
méthode douce ne fonctionne pas, je suis tout disposé à tenter une autre approche. »

« Vas te faire foutre. » cracha le loup.


Il accentua la pression qu’il maintenait sur sa nuque, si furieux qu’il aurait réellement pu la
lui briser sans sourciller.

« Dans ton lit ? Vraiment, Lupin ? Es-tu tombé si bas ? » ragea-t-il. « Que comptais-tu faire ?
Laisse-moi être clair : si tu poses à nouveau une de tes sales pattes sur elle, je me ferais un
tapis de ton pelage. »

Le loup sembla se recroqueviller sur lui-même. Severus aurait dû se méfier.

La seconde suivante, il se dégageait d’un coup brutal d’épaule.

Le Maître des Potions trébucha en arrière, levant immédiatement sa baguette, s’entourant


d’un bouclier.

« Je l’ai mise en sécurité. » rétorqua Lupin, en tirant sa baguette.

« En sécurité. » répéta Severus, avec un ricanement moqueur. « Et qui l’y aurait protégée de
toi ? »

« Ce n’est pas de moi qu’elle doit être protégée. » gronda le loup, dans un bruit sourd. « C’est
de toi. »

« Remus, ça suffit. » intervint finalement Anthony.

Ils l’ignorèrent tous les deux.

« Elle semble avoir l’opinion contraire. » railla l’ancien espion.

« Tu profites d’elle ! » l’accusa Lupin, avec un doigt pointé vers lui.

« Pourtant ce n’est pas moi qui ait tiré profit du fait qu’elle soit blessée pour la contraindre à
s’allonger dans mon lit. » répliqua-t-il. « Ce n’est pas moi qui ait manqué lui arracher la
gorge. Ce n’est pas moi qui la rabaisse sans arrêt et l’infantilise. Ce n’est pas moi qu’elle fuit
comme la peste. »

Le danger brillait dans les yeux du loup-garou.

Qui était aux commandes à ce moment précis ?

Lupin ?

Ou le loup ?

Ou bien s’agissait-il de cette symbiose parfaite entre les deux que la potion Révèle-Loup était
censée provoquer ?

« Elle est à moi. » murmura Lupin, avec un mélange de douleur, de fureur et de désespoir.
« Elle s’amuse avec toi mais elle est à moi. »
« Elle ne t’appartient pas. » contra sèchement Severus. « Pas plus qu’elle ne m’appartient à
moi. Ce n’est pas un animal. »

« C’est ma compagne ! » rugit le loup. « Pour la vie. »

« Oh, s’il te plait… » dédaigna-t-il. « Ce n’est pas la première femme avec qui tu as une
aventure ou dont tu t’amouraches. »

Il le savait de source sûre.

Le loup n’avait pas exactement vécu en célibataire durant leur scolarité.

« C’est différent. » insista Lupin, cet éclat mauvais toujours dans le regard. « Trouve-toi un
autre passe-temps. Elle est prise. »

« Elle n’est certainement pas un passe-temps. » siffla-t-il. « Et, oui, en effet, elle est prise. »

« Tu n’as rien à lui offrir. » gronda Lupin. « Tu n’as jamais aimé personne et personne ne t’a
jamais aimé. Tu es pourri jusqu’à la moelle. Même Lily le savait. »

Le prénom fût comme un coup de poing au plexus.

Et le loup dût le percevoir parce qu’il sourit avec une cruauté féroce que Severus n’avait
jamais vu sur son visage auparavant. L’animal se dessinait derrière l’humain.

« Oh, je n’ai pas oublié… Et même si c’était le cas, Harry est bavard lorsqu’il s’agit de votre
escapade en soixante-quinze. Toujours amoureux des femmes que tu ne peux pas avoir, pas
vrai, Servilus ? » se moqua froidement l’ancien Maraudeur. « Tu la dégoûtais sur la fin. Elle
ne pouvait même pas prononcer ton nom sans plisser le nez… Comme si elle sentait une
mauvaise odeur… Ce sera pareil pour Dora. Elle s’apercevra de qui tu es vraiment, elle verra
que tu es mauvais, et elle me reviendra. »

Ses mains étaient loin d’être stables et sa baguette tremblait si fort qu’il manqua la lâcher.

La fureur l’envahit, moins puissante cependant que le regret, la honte, le chagrin…

Lupin mentait-il ou bien Lily avait-elle été répugnée par lui ?

Non, bien sûr qu’il ne mentait pas.

Il n’en avait pas besoin.

Severus l’avait toujours su. Comment aurait-elle pu conserver ne serait-ce qu’un infime degré
d’amitié pour lui ? Il n’était même pas digne de la nostalgie affectueuse avec laquelle on
pensait à un ami d’enfance.

Et c’était tout ce qu’il méritait.

Il baissa sa baguette.
« Je ne te laisserai pas lui faire du mal. » l’avertit-il. « Tiens-toi le pour dit, Lupin. Si je n’ai
pas de cœur, ton meurtre ne pèsera pas bien lourd sur ma conscience. »

« Je ne te laisserai pas lui faire du mal non plus. » rétorqua Lupin. « C’est pour ça que tu vas
retourner à Poudlard et y rester. Elle n’a pas besoin… »

« Elle lui a demandé de rester. »

Trop préoccupé par sa dispute avec le loup, Severus n’avait pas fait attention à Anthony qui
avait visiblement battu en retraite dans la chambre. Charlie se tenait maintenant sur le seuil
de la pièce, sa baguette à la main.

« Professeur Snape. » l’appela le dragonnier, en lui faisant signe de rentrer dans la chambre.

Il ne leva pas tout à fait sa baguette en direction de Lupin mais il était évident qu’il se tenait
prêt à la confrontation.

« Charlie. » gronda le loup. « Tu ne sais pas… »

« Je sais que c’est ma meilleure amie et que je l’aime. » le coupa Weasley. « Je sais que tu lui
as brisé le cœur et que tu t’es comporté comme un connard avec elle. Je sais qu’elle s’est
remise à sourire, à plaisanter et qu’elle est heureuse. Je sais que c’est en grande partie grâce à
lui parce qu’elle me l’a dit. Je sais aussi que je ne vais pas te laisser rentrer dans cette
chambre tant qu’elle est inconsciente parce que ton comportement est plus que limite,
Remus, et je sais que la personne qu’elle veut auprès d’elle là, tout de suite, c’est lui. Voilà
tout ce que je sais et, honnêtement, ça me suffit. »

Lupin les dévisagea tour à tour. « Ce n’est pas terminé. »

Non, pensa Severus en le regardant disparaître dans l’escalier, ce n’était pas terminé.

Ce ne serait pas terminé avant qu’un drame ait eu lieu.

Parce que si Lupin ne pouvait plus la posséder… Jusqu’où irait le loup ?

Il ne remercia pas Charlie ou son partenaire qui se tenait juste à l’intérieur de la porte, les
bras croisés comme s’il lui déplaisait de devoir trancher en sa faveur, mais il leur adressa à
chacun un hochement de tête reconnaissant.

Il écouta à peine Weasley lorsqu’il l’informa qu’ils allaient passer la nuit au Q.G. et qu’il
pouvait les appeler si besoin. Il attendit qu’ils quittent la pièce avant de jeter ses sorts de
protection les plus forts sur la porte, non pas parce qu’il craignait le loup mais parce que
l’idée que Nymphadora ne se trouve pas en lieu sûr lui était insupportable.

Une fois barricadé à l’intérieur, il envoya valser au sol la pile de vêtement entassés sur une
chaise dans le coin, la transforma en fauteuil plus confortable et le fit léviter au plus près du
lit, le positionnant de telle manière à ce qu’il puisse garder porte et fenêtre dans son champ de
vision.
Tu n’as jamais aimé personne et personne ne t’a jamais aimé. Tu es pourri jusqu’à la
moelle.

Il se laissa aller dans le fauteuil avec un soupir las.

Tout est pourri en moi.

N’était-ce pas ce qu’il avait affirmé à Minerva quelques jours plus tôt ?

Tu n’as jamais aimé personne et personne ne t’a jamais aimé.

Il se frotta le visage.

Severus… Je suis en train de tomber amoureuse de toi.

C’est mon père que je veux.

Tu n’as jamais aimé personne et personne ne t’a jamais aimé.

Un enfant. Tu meurs pour un enfant.

Mon enfant.

Tu es tout ce que j’ai. Tu es mon fils.

« Severus… »

Il leva les yeux vers le lit.

Les paupières de Nymphadora papillonnaient.

« Tu devrais être en train de dormir. » la gronda-t-il, sans hostilité aucune. Il se pencha en


avant, dégagea les mèches brunes de son visage. « Cesses de lutter contre le sort. »

« Mal… » bredouilla-t-elle, en tournant la tête vers sa main, calant sa joue contre l’intérieur
de son poignet.

Il jeta un sort de diagnostic mais n’y lut rien d’alarmant. Une légère fièvre qui n’était que la
conséquence normale du stress subit par son corps…

« La potion a commencé à faire effet, tes côtes sont en train de repousser. » murmura-t-il. « Je
vais te rendormir. »

« Reste… » insista-t-elle.

« Jusqu’à ce que tu ne veuilles plus de moi. » promit-il, avec une tristesse palpable, avant de
jeter à nouveau le sort.

Sa respiration s’apaisa lentement à mesure qu’elle sombrait dans un sommeil plus profond.
Il caressa une dernière fois ses cheveux puis attrapa ses doigts, les portèrent à ses lèvres pour
y déposer un baiser. Un second… Il s’inclina de fatigue, pressant son front contre le dos de sa
main.

Il avait failli la perdre.

Tu n’as jamais aimé personne et personne ne t’a jamais aimé.

C’était faux, songea-t-il.

Il avait aimé par le passé et il aimait encore aujourd’hui.

Lily. Sa mère. Même Tobias, par moment, à son corps défendant.

Albus.

Harry.

Quant à Nymphadora… Il ne pouvait nier que…

S’il l’avait perdue…

Lorsqu’il était question d’amour, d’émotions, Severus était un équilibriste. Il était faux de
dire qu’il ne ressentait rien, il était juste devenu très habile lorsqu’il était question d’éviter de
ressentir.

Lorsque Lily était morte il était tombé au fond d’un gouffre dont il ne s’était extirpé que
grâce à la détermination d’Albus à le sortir de l’abysse. Depuis, il marchait sur un fil, trop
conscient qu’il serait trop simple pour lui de retomber dans cette dépression qui l’avait rongé
une grosse partie de sa vie.

La fureur était préférable à l’apathie.

L’amertume était préférable au chagrin.

La haine de soi, des autres, était préférable au désespoir.

La vérité était qu’il déambulait désormais sur ce fil en portant à bout de bras les deux poids
qu’étaient Harry et Nymphadora. Non pas parce qu’il les considérait comme des boulets à ses
pieds, un encombrement, ou parce qu’il était irrité de la place qu’ils occupaient dans sa vie,
au contraire. Mais parce que s’il perdait l’un ou l’autre, il perdrait également l’équilibre et
sombrerait à nouveau dans le gouffre béant en lui.

Celui que les paroles de Slughorn avait rouvert si brutalement l’autre jour.

Certaines blessures ne cicatrisaient jamais.

Tu n’as jamais aimé personne et personne ne t’a jamais aimé.

C’était faux. Trop faux.


Que savait Lupin de sa vie ? Rien ou presque.

Tu es pourri jusqu’à la moelle.

Peut-être.

Sûrement même.

Harry avait vu le pire et était resté.

Nymphadora…

Finirait-elle par le fuir avec la même véhémence qu’elle mettait à fuir le loup-garou ?

C’était probable.

Et cela le terrifiait.

Parce que la vérité, cette vérité nue qu’il n’était pas tout à fait prêt à admettre, c’était qu’elle
n’était pas la seule qui était en train de tomber amoureuse.

Et là où Lupin n’avait pas tort, c’était que ce genre de choses ne s’étaient jamais bien
terminées pour lui.

°O°O°O°O°

Tonks avait mal partout.

Elle gémit avant même de chercher à ouvrir les yeux. Chaque inspiration lui piquait la
poitrine comme si une centaine d’aiguilles s’enfonçaient dans son abdomen, ses poumons…

Une main passa dans ses cheveux, s’attarda tendrement sur son front comme pour vérifier sa
température…

Elle tourna instinctivement la tête pour la suivre lorsqu’elle se retira, l’esprit embrumé.

« Nymphadora ? »

Malgré la douleur, elle sentit ses lèvres s’étirer en un faible sourire, et elle renonça à ouvrir
les yeux.

« Severus… » souffla-t-elle.

« Je suis là. » murmura-t-il. « Rendors-toi. »

Elle voulut bouger, se blottir contre lui, mais cela lui arracha un nouveau gémissement. Et le
lit était vide. Le lit était… familier sans l’être tout à fait… Trop mou pour être celui de ses
appartements à Poudlard, trop dur pour son propre matelas. Trop…

L’odeur la frappa brusquement.


Familière, elle aussi.

Pas désagréable. Simplement…

Elle ouvrit les yeux en grands, paniquée. « Severus… »

« Je suis là. » répéta-t-il, une main posée sur son épaule pour l’empêcher d’essayer de se
redresser.

Elle dût ciller plusieurs fois avant de parvenir à le distinguer dans la pénombre. Quelques
bougies éclairaient une pièce qu’elle ne connaissait que trop bien.

La panique la prit à la gorge.

« Pourquoi… »

« Si j’étais charitable, je dirais que cela venait d’un besoin instinctif de te mettre en sécurité
dans sa tanière. » répondit calmement Severus. « Mais comme je suis simplement
pragmatique, je résumerais ça à Lupin étant un parfait connard. »

Le juron était si incongru dans sa bouche qu’il la choqua.

« Qu’est qu’il s’est passé ? » demanda-t-elle, en couvrant la main posée sur son épaule de la
sienne.

Elle avait besoin…

Elle voulait…

« Quelle est la dernière choses dont tu te souviennes ? » s’enquit-il.

Elle ouvrit la bouche pour répondre, la referma… Ses souvenirs étaient flous mais ne
tardèrent pas à lui revenir, un peu en désordre, un peu trop vivaces…

Leo.

Albert.

« Ne pleure pas. » la gronda-t-il gentiment, effaçant du dos de sa main les larmes qui venaient
de lui échapper. « Tu vas aggraver tes blessures. Prends sur toi encore un peu. »

Elle était désorientée.

Elle croisa son regard, s’y accrocha comme une noyée à son rocher…

« Combien de temps… » marmonna-t-elle.

Combien de temps avait-elle été inconsciente ?

Combien de temps était-elle restée dans cette chambre sans lui ?


Elle se rappelait vaguement avoir exigé de Kingsley qu’il la ramène au Q.G., puis de Remus
qui l’avait faite porter jusqu’à sa chambre… Elle avait paniqué. Elle ne pouvait pas se
défendre. Sa baguette… Elle tâta autour d’elle, ignorant la douleur…

Severus plaça le bout de bois dans sa main et elle se détendit, respirant un peu plus
facilement.

Charlie et Anthony étaient arrivés juste après ça, se souvint-elle.

Et après… après….

« Il est… » Le Maître des Potions jeta un rapide tempus. « …cinq heures du matin. Tu as
dormi plus ou moins la nuit entière. J’ai dû te jeter un somnus à plusieurs reprises. »

« Tu es resté avec moi. » murmura-t-elle.

Elle avait de vagues souvenirs de l’avoir supplié plusieurs fois de ne pas la laisser…

« Bien sûr. » répondit-il, comme si c’était l’évidence. « Tu devrais te reposer davantage. Tu


as à nouveau une cage thoracique fonctionnelle mais le Poussos n’a pas tout à fait terminé
d’agir, il lui faut consolider tes os. Et il te faut un repos complet pendant quelques jours. »

Il était hors de question qu’elle se rendorme dans ce lit, dans cette chambre, tout droit sortis
d’un écho du passé.

« Je veux rentrer chez moi. » décida-t-elle. « Ramène-moi chez moi. »

Elle essaya de se redresser mais il la maintint fermement allongée. Ce n’était pas qu’elle ne
lui faisait pas confiance ou qu’elle avait peur de lui, ça n’avait rien à voir avec lui du tout,
mais elle ne put s’empêcher de se débattre, ce qui raviva la douleur dans son torse et lui
arracha un cri.

« Nymphadora. » cingla-t-il, un petit plus sévèrement, cette fois-ci. « Arrête. »

« Je veux rentrer chez moi. » insista-t-elle, repoussant sa main.

Elle parvint à se hisser un peu contre les oreillers, dans une position semi-assise qui ne lui fit
aucun bien. Severus n’essaya pas de l’attraper à nouveau, ayant certainement peur de la
blesser davantage.

Avec un nouveau juron qui, vraiment, trahissait sa fatigue et son inquiétude, il jeta un sort de
diagnostic qui ne parut pas le satisfaire tout à fait. « Tu as de la fièvre. »

« Je me sens bien. » mentit-elle, les larmes aux yeux. De douleur, de fatigue, de peur, peut-
être. « Ramène-moi chez moi, s’il te plaît. »

Son hésitation fût perceptible mais ne dura pas longtemps. Son expression était
compréhensive mais inflexible. « Je regrette, je ne peux pas. Tu n’es pas en état de
transplanner, encore moins de marcher aussi longtemps qu’il le faudrait, et nous serions trop
exposés pendant trop de temps. Je ne pourrais pas garantir notre sécurité. C’est beaucoup trop
risqué. »

Son ton était catégorique.

« Je ne veux pas rester ici. » l’implora-t-elle, repoussant les couvertures qui sentaient Remus.

C’était trop bizarre.

Trop…

« Je peux t’aider à changer de chambre. » offrit-il. « Ou… Si tu te sens capable de descendre


l’escalier et d’emprunter la cheminée, je peux te ramener chez moi. »

À Poudlard.

Oui… Oui, songea-t-elle, Poudlard était une bien meilleure option que de rester coincée au
Square Grimmaurd pendant des jours. Seule. Parce que bien qu’il ferait son possible si elle le
lui demandait, il ne pouvait pas tout abandonner pour lui tenir la main toute la journée.

Et c’était certainement mieux que de rester une seconde de plus dans ce lit.

« Doucement. » la morigéna-t-il, lorsqu’elle essaya de se lever toute seule.

Il la força à ralentir la cadence, s’assura que la douleur était supportable avant de l’autoriser à
faire quelques pas, la soutenant avec précaution…

« Es-tu certaine que… » demanda-t-il.

« Si tu tiens un tant soit peu à moi, sors-moi d’ici. » exigea-t-elle.

Il cessa de lui poser la question et démantela les protections dont il avait bardé la porte sans
plus discuter. Cela lui prit plusieurs minutes.

La tête lui tournait et elle s’appuya plus fort contre lui, agrippant sa baguette sans trop savoir
de quoi elle avait peur.

« Pourquoi… » marmonna-t-elle.

« Un loup-garou grattait à la porte. » répondit-il, acerbe.

Un loup-garou qui avait insisté pour que Kingsley la porte dans sa chambre, arguant que
c’était la plus proche lorsque son partenaire avait émis un doute. Elle tira sur la chemise
qu’elle portait, l’identifia sans mal comme une de celles qu’elle s’était plu à lui emprunter par
le passé…

Tout dans cette situation la dérangeait.

Remus ne l’avait pas touchée.

C’était Kingsley qui l’avait portée, Charlie qui l’avait aidée à se changer…
Remus ne l’avait pas touchée, lui avait à peine adressé la parole, mais cela ne l’empêchait pas
d’avoir l’impression qu’il s’agissait d’une manière de la marquer. Comme une possession.
Comme…

C’était malsain.

Tous ses instincts étaient en alerte.

Elle refusait de rester dans cet endroit où rôdait impunément son ex qui se permettait des
libertés qu’elle lui avait explicitement refusées.

Elle n’avait plus confiance.

Pire, elle se sentait en danger.

Elle devait sortir d’ici.

Maintenant.

« Tu n’es pas seule, Nymphadora. » lui rappela Severus, comme s’il avait suivi son
raisonnement muet. Sa panique devait être évidente. « Tu es en sécurité avec moi. »

Elle se détendit d’un cran mais pas totalement.

Il ne mentait pas pourtant. N’était-ce pas pour ça qu’elle l’avait réclamé à corps et à cri, la
veille ? À Kingsley, d’abord, à Remus, ensuite, et puis, lorsqu’ils étaient arrivés, à Charlie et
Anthony… Elle ne se souvenait pas bien mais elle savait, elle savait, que l’impression de
danger ne s’était atténuée que lorsqu’elle avait entendu le son de sa voix.

« Allons-nous en. » chuchota-t-elle.

La maison était lourde du silence qui précédait l’aube. Tout le monde paraissait dormir mais
ça ne l’empêcha pas d’être anxieuse. Son cœur battait trop fort, sa tête tournait, la douleur
était à peine supportable… Severus la portait plus qu’il ne la soutenait, mais elle savait qu’il
peinait, sa jambe manqua céder plus d’une fois dans l’escalier. Leur progression était lente et
inélégante.

Ils étaient presque arrivés à la porte du salon lorsque Remus en émergea, l’air bien trop
éveillé, sa baguette à la main. Comme s’il avait été en train de monter la garde.

« Qu’est-ce que tu fais ? » demanda-t-il à Severus, en lui accordant à peine un regard à elle. Il
avait l’air terriblement satisfait, comme s’il avait pris le Maître des Potions en flagrant délit
de…

De quoi ?

De fuite ?

Pourquoi avait-elle l’impression qu’ils essayaient de s’évader ? Elle n’avait de comptes à


rendre à personne, si ce n’était peut-être à l’homme qui la tenait contre lui, et encore parce
qu’elle l’avait choisi. Elle n’en devait certainement plus au loup-garou.

Si elle souhaitait partir, cela la regardait.

« Laisse-nous tranquille. » cracha-t-elle.

Les yeux de Remus revinrent vers elle, s’adoucirent… « Tu ne sais pas ce que tu dis. Tu
devrais être au lit, pas… »

« Dans ton lit ? » rétorqua-t-elle, à bout de souffle. « Plus jamais. »

Le loup-garou fit un pas en avant et, perdant en bravoure, elle se recroquevilla davantage
contre Severus, s’agrippant à ses robes par réflexe, tout en sachant que c’était une erreur, que
s’il devait se battre, elle ne ferait que l’encombrer, que la meilleure chose qu’elle aurait pu
faire était de s’écarter, de lui laisser le champ libre parce qu’elle serait un poids mort… Au
lieu de ça, elle pressa le visage dans le creux de son épaule, la respiration courte, la sensation
de vertige atroce…

Elle savait qu’elle tremblait.

Elle le savait parce que Severus l’attira plus près encore, la serra plus fort.

« Écarte-toi, Lupin. » ordonna-t-il.

« Et te laisser l’emmener je ne sais où pour lui faire je ne sais quoi ? Je ne crois pas, non. »
riposta le loup-garou. « Lâche-la. »

« Je ne le redirais pas. » insista le Maître des Potions, avant de secouer la tête. « Regarde
dans quel état elle est. Regarde. Si tu dis la vérité lorsque tu prétends tenir à elle, écarte-toi. »

« C’est toi qui la met dans cet état. » gronda le loup. « Et il est temps que ça cesse… »

« Tu la terrifie ! » s’énerva Severus, perdant son calme. « Et, en effet, il est grand temps que
cela cesse. »

Elle ne vit pas le sortilège partir mais elle entendit le bruit lourd d’un corps heurtant le mur.

Elle ne chercha pas à vérifier que Remus n’avait rien ou à protester qu’elle était une Auror
que rien n’effrayait et certainement pas une ancienne idylle. Ses jambes flanchaient, elle avait
trop mal pour se soucier de sa réputation, elle n’était pas certaine qu’elle n’allait pas vomir…

Elle laissa Severus l’entraîner vers le salon, fermer la porte d’un autre sortilège et la
verrouiller derrière eux.

Une seconde plus tard, des coups sourds résonnaient dans toute la maison. Le bruit d’un
poing qui frappait sur la cloison, puis celui, plus brutal, d’une épaule qui essayait d’enfoncer
la porte… Remus l’appelait, désespéré comme si elle était en danger de mort, comme si elle
s’apprêtait à s’enfuir retrouver Voldemort plutôt que de partir avec un membre de l’Ordre qui
avait cent fois prouvé son allégeance…
Severus la soutint jusque à la cheminée, attrapa une poignée de poudre qu’il lui fourra dans la
main.

« Peux-tu traverser seule ? » demanda-t-il.

Elle hocha la tête bien qu’elle n’en soit pas certaine.

Il la lâcha prudemment, lentement, s’assurant qu’elle pouvait tenir sur ses pieds par elle-
même.

« Le pare-feu est devant la cheminée. Je passe le premier. » déclara-t-il. Parce que cela serait
douloureux, songea-t-elle, et qu’il ne permettrait pas qu’elle se blesse davantage. Il posa la
main sur sa joue, chercha son regard… « Je te donne une minute pour me rejoindre. Si tu ne
le fais pas, je considérerai qu’il te retient en otage, je reviendrai et je le tuerai. »

Ce n’était pas une menace en l’air.

Elle frissonna, mal à l’aise face à cette violence pure – du moins jusqu’à ce que le prochain
choc ne fasse trembler la porte.

Elle ne savait pas ce dont elle avait peur, au fond. Remus ne lui ferait pas de mal, elle en était
convaincue, mais…

Mais rien du tout, lui murmura une petite voix au fond de sa tête, certains instincts ne
trompaient pas.

Elle s’était sentie en danger ou, du moins, pas en sécurité, et il y avait des raisons à cela.

Elle hocha la tête à nouveau pour lui indiquer qu’elle avait compris.

Il s’attarda une seconde supplémentaire, puis prit une profonde respiration et traversa en
direction de ses appartements. Elle se rapprocha de la cheminée sur des jambes tremblantes, à
peine consciente que les voix de Charlie et Anthony s’étaient jointes à celle de Remus dans le
couloir. Ils semblaient tenter de le convaincre de se calmer…

Elle jeta la poudre de cheminette, tâcha d’être claire en énonçant l’adresse…

Lorsqu’elle arriva, Severus peinait encore à se relever, empêtré dans le pare-feu qu’il avait
pris de plein fouet. Elle fût projetée de la cheminée avec un peu trop de force pour son état
chancelant et manqua trébucher sur lui. Elle se rattrapa de justesse à un fauteuil, resta pliée en
deux, de douleur et de fatigue.

Elle l’entendit fredonner une litanie latine dans son dos puis elle sentit ses mains se poser sur
ses hanches, l’une d’elles remonta jusqu’à son dos et le frotta doucement.

« Respire. » lui conseilla-t-il.

Elle chercha derrière elle à tâtons, trouva l’épais tissu de ses robes et l’agrippa, s’en servant
pour se redresser. La douleur lui coupa le souffle et elle chancela, se réfugiant contre son
torse. C’était ce qu’elle avait voulu, de toute manière, trouver la chaleur de son corps. Elle
ferma les yeux, ne ravala pas un sanglot…

Il referma immédiatement les bras sur elle, l’étreignant avec prudence, attentif à ne pas lui
faire mal. Il cala sa tête contre la sienne. Elle l’entendit prendre une profonde inspiration,
perçut ce qu’elle interpréta comme du soulagement…

« Ne pleure pas. » lui rappela-t-il, avant de déposer un baiser maladroit sur sa tempe.

Combien de fois lui avait-il répété ça, ces dernières heures ? Ses souvenirs de la nuit étaient
vagues, brumeux… Mais elle se rappelait indistinctement s’être réveillée plusieurs fois, lui
avoir demandé à chaque fois de ne pas la laisser… Et de sa voix qui lui demandait de ne pas
pleurer, de se contenir un tout petit peu plus longtemps, au moins jusqu’à ce que la douleur
reflue davantage…

« Je suis désolée… » souffla-t-elle, la gorge nouée.

Elle se sentait mal, un peu coupable de l’avoir mis dans une situation désagréable. Sans
parler de le forcer à veiller sur elle comme elle l’avait fait.

La douleur, la peur, le contrecoup de la bataille…

Les larmes montèrent mais elle fit un effort pour les ravaler.

« Ce n’est certainement pas à toi de présenter des excuses. » siffla-t-il. « J’ai bloqué l’accès à
la cheminée. Cela ne durera pas plus de quelques heures, Poudlard n’aime pas qu’on obstrue
son réseau, mais cela nous assurera de ne pas recevoir de visites intempestives dans
l’intervalle. » Il resserra légèrement son étreinte dans un geste qui sembla inconscient. « Tu
es en sécurité ici. »

« J’ai… J’ai peut-être paniqué pour rien. » avoua-t-elle, en enfouissant son visage contre son
épaule.

Il poussa un soupir. « Non, je ne pense pas. Ma réaction n’a pas été bien meilleure que la
tienne, hier soir, pour tout t’avouer. Et, non, il ne s’agit pas de jalousie. Je suis sincèrement
inquiet, maintenant. Son comportement est au-delà de ce qui est acceptable. »

Elle n’avait pas vraiment pensé qu’il avait accédé à sa demande de la sortir de là par jalousie.

« Il ne me ferait pas de mal… » insista-t-elle. Son ton n’était ni convainquant, ni convaincu.


Elle s’humecta les lèvres, sentant un nouveau vertige lui couper les jambes… « Je me sens
mal. »

L’avertissement lui évita de s’écrouler au sol.

Severus la rattrapa, soutenant à nouveau la majorité de son poids.

« Il faut te recoucher immédiatement. » ordonna-t-il. « Tu ne devrais pas être debout. Foutu


Lupin… »
Il marmonna l’insulte entre ses dents. Elle songea à protester puis décida qu’elle s’en fichait.
Si elle s’était sentie mieux, si elle avait été en meilleur état, peut-être qu’elle aurait géré la
situation différemment.

Elle était suffisamment grande pour affronter ses propres dragons.

Néanmoins, il était agréable de savoir que quelqu’un était prêt à le faire à votre place lorsque
vous ne pouviez pas le faire vous-même.

Pas à pas, lentement, ils avaient presque atteint le seuil du salon lorsqu’il se figea.

« Je n’ai pas d’autre chambre que la mienne. » hésita-t-il. « Il y a celle d’Harry, mais… Si tu
préfères le canapé… Je peux le transformer en lit d’appoint. Tu n’es pas obligée de… »

« Severus. » l’interrompit-elle, un peu sèchement parce que la nausée lui broyait le ventre.
« Me réveiller dans le lit de Remus, c’est une raison de paniquer. Me réveiller dans ton lit,
c’est normal. »

Son lit était un peu le sien, désormais. Elle y passait suffisamment de ses nuits,
platoniquement ou non.

Certes, il en avait été de même pour celui de Remus à une époque mais toute la différence
était là : elle n’aurait jamais paniqué si elle s’était réveillée avec Severus. C’était devenu la
norme. Une habitude.

Sans plus tergiverser, il l’aida à atteindre sa chambre, la déposa sur le lit impeccablement fait.
Elle se laissa aller jusqu’à se recroqueviller en position fœtale, ce qui s’avéra être une erreur
parce que, loin de diminuer la douleur, cela sembla la rendre plus aigue. Elle ne retint pas un
gémissement.

Le Maître des Potions la força immédiatement à rouler sur le dos.

« Respire. » ordonna-t-il. Encore une consigne qu’il avait répété plusieurs fois ces dernières
heures.

Elle ne tarderait pas à sombrer dans l’inconscience, songea-t-elle, soit parce qu’elle allait
s’endormir – ou être endormie par un nouveau somnus, vu l’expression de Severus – soit
parce qu’elle allait perdre connaissance.

Il restait un dernier problème à régler, avant ça.

Maladroitement, elle commença à déboutonner sa chemise.

« Que fais-tu ? » demanda l’ancien espion, un peu gardé.

« Je ne veux pas de ses vêtements. » murmura-t-elle, frustrée par les boutons qui ne
coopéraient pas.

Elle avait l’impression désagréable que Remus n’aurait pas pu faire davantage pour la
marquer mis à part lui pisser dessus comme un chien sur un lampadaire. La pensée était
ingrate et elle la regretta mais… tout de même.

Un murmure et, sous l’effet d’un sortilège qu’elle n’avait pas saisi, tous les boutons se
défirent d’eux-mêmes.

« Pratique… » commenta-t-elle.

« Nécessaire lorsque tes mains ne sont pas toujours coopératives. » contra-t-il, en fouillant
dans un tiroir de sa commode.

Il en extirpa un tee-shirt jaune fané qu’elle reconnut sans mal et un caleçon de sport long noir
qu’elle avait cherché partout avant de le déclarer perdu dans le triangle des Bermudes qu’était
son appartement.

« Tu les as oubliés dans la salle de bain. » expliqua-t-il, d’un ton presque trop neutre. « Les
elfes les ont récupérés et lavés avec mon linge. »

Elle n’était pas en état d’avoir cette discussion là. Oui, elle emmenait souvent un pyjama et
des affaires de rechange pour le lendemain. Oui, elle en oubliait sans doute quelques unes ici
ou là. Oui, à ce stade, il aurait été plus pratique qu’elle laisse carrément des choses dans ses
appartements. Une brosse à dents, au moins.

Il l’aida à se changer ou, plutôt, il fit tout le travail pendant qu’elle luttait pour rester
consciente puis, une fois que ce fût fait, il donna un petit coup de pied dans le tas de
vêtements empruntés à Remus. Encore que, pouvait-on parler d’emprunt étant donné qu’elle
n’avait rien demandé en premier lieu et aurait nettement préféré porter des affaires
appartement à Sirius, Nyssa ou même Charlie ?

« Crois-tu qu’il serait puéril de notre part d’y mettre le feu ? » railla-t-il, à demi-sérieux.

Le souvenir de la chaleur des flammes la veille lui sauta à la gorge.

Elle ferma les yeux sans répondre, l’entendit soupirer avant de marmonner un evanesco.

Ensuite, elle le sentit manœuvrer pour la faire glisser sous les couvertures en la secouant la
moins possible. Elle s’efforçait encore de soulever les paupières lorsqu’il parvint finalement à
la couvrir convenablement. Il lui caressa le front, les cheveux…

« Tu m’as fait peur. » avoua-t-il, dans un murmure.

Elle s’était fait peur à elle-même.

Elle attrapa son bras, tira légèrement dessus avec la maigre force qu’il lui restait… « Viens te
coucher. »

« Je devrais me lever dans une heure… Cela ne vaut pas la peine. » protesta-t-il.

« Viens te coucher. » répéta-t-elle, d’un ton un peu plus suppliant.

Elle avait besoin de lui, besoin de ses bras autour d’elle, de sentir son odeur, sa chaleur…
Il soupira mais retira ses lourdes robes, enleva ses chaussures et sa ceinture… Il se glissa
sous les draps tout habillé, ce qui lui fit dire qu’il ne comptait pas rester longtemps.

Elle s’en contenterait.

Elle voulut se blottir contre lui mais se tourner sur le côté était insupportable. Frustrée, elle
grogna de rage.

Il devait avoir deviné ce qu’elle voulait, cependant, parce qu’il la déplaça prudemment
jusqu’à ce qu’elle soit plus ou moins allongée sur lui, son dos contre son torse, son bassin et
ses jambes entre les siennes, légèrement surélevée mais pas trop… La position rendait sa
respiration plus facile, allégeait la pression sur sa cage thoracique et elle se laissa aller sur lui,
tournant la tête juste assez pour pouvoir presser son front contre sa gorge… Il l’entoura de
ses bras, attentif à ne pas serrer trop fort sans pour autant que l’étreinte soit lâche…

Il y avait beaucoup de choses qu’elle aurait aimé pouvoir lui dire, des choses qui lui étaient
venues alors qu’elle se tenait aux portes de la mort, des choses qui pesaient sur sa poitrine et
d’autres qui la rendaient plus légères… Elle était incapable de trouver les mots.

« Rabastan Lestrange. » lâcha-t-il.

Elle attendit qu’il la réprimande pour avoir seulement essayé de l’affronter, anticipant déjà la
dispute qui la laisserait épuisée, avant de réaliser que c’était ce que Remus aurait fait.

Severus, lui…

« Ils te décoreront bien d’un Ordre de Merlin, pour ça. »

« Sectumsempra… » marmonna-t-elle. « C’est comme ça que je l’ai tué. » Et, comme


toujours lorsqu’elle prenait une vie, elle en éprouva plus de dégoût que de fierté. La nausée
s’amplifia et elle ferma les yeux plus fort, espérant parvenir à se maîtriser. « Il voulait me
capturer et t’envoyer un de mes yeux par hibou… »

Elle n’avait pas prévu de lui raconter ça.

Il se raidit, resserra son étreinte. « C’est aussi bien que tu l’ai tué, dans ce cas, je préfère tes
yeux là où ils sont. »

Elle avait chaud, dût s’en plaindre à voix haute, parce qu’il murmura un sort de diagnostic.

« Tu as de la fièvre. » répondit-il. « Rien de bien préoccupant ou d’anormal. Veux-tu que je


m’écarte ? »

« Non. » protesta-t-elle. Elle avait toujours le front pressé contre sa gorge. Elle pouvait sentir
son pouls. Ou s’imaginait pouvoir sentir son pouls. « J’ai cru… J’ai cru… »

« Tu vas bien. Tu es en sécurité. » offrit-il, lorsqu’elle échoua à terminer sa phrase.

Sans doute pouvait-il deviner ce qu’elle voulait dire.


Après tout, il était passé par là, lui aussi, s’était vu partir…

« Mal… » admit-elle, un peu malgré elle.

« Dans quelques heures, ton organisme aura évacué le Poussos et tu pourras prendre une
potion antidouleur. » expliqua-t-il. « Tu te sentiras mieux. Je crains que ce ne soit un mauvais
moment à passer. Le meilleur remède est le repos, pour l’instant. »

De gré ou de force, songea-t-elle, alors que le malaise la tirait vers l’inconscience.

« Reste avec moi ? » insista-t-elle.

« Aussi longtemps que tu le souhaiteras. » promit-il patiemment.

« Toujours. » décida-t-elle, emportée par la fièvre qui l’empêchait de mesurer ses paroles.

Une de ses mains s’aventura le long de son bras, redescendit en une caresse hésitante.

« Toujours n’existe pas. » déclara-t-il, à regret. « Aussi longtemps que possible. »

Ce n’était pas assez.

Rien, songea-t-elle, juste avant de perdre connaissance, ne serait jamais assez.


Seal Our Fate

“We’re all gonna die. We don’t get much say over how or when. But we do get to decide
how we’re gonna live. So do it. Decide. Is this the life you wanna live? Is this the person
you wanna love? Is this the best you can be? Can you be stronger? Kinder? More
compassionate? Decide. Breathe in. Breathe out, and decide. »

Grey’s Anatomy (Seal Our Fate)

« Nous allons tous mourir. On ne peut pas vraiment choisir comment ou quand. Mais
nous pouvons choisir comment nous voulons vivre. Alors, faites-le. Décidez. Votre vie
est-elle celle que vous voulez mener ? Cette personne est-elle celle que vous voulez
aimer ? Êtes-vous la meilleur version de vous-même ? Pouvez-vous être plus fort ? Plus
gentil ? Plus altruiste ? Décidez. Inspirez. Expirez, et décidez. »
Grey’s Anatomy (Seal Our Fate)

Sirius avait à peine pris place à la table des Professeurs que le petit-déjeuner fût interrompu
par l’arrivée des hiboux qui déferlèrent par les fenêtres ouvertes. Son exemplaire de la
Gazette atterrit dans son assiette – une bonne chose qu’il ne se soit pas encore servi. Il attrapa
la cafetière et remplit sa tasse avant de déplier le journal…

Et écarquilla les yeux lorsqu’il vit un portrait de sa cousine en première page. Le cliché avait
visiblement été pris en pleine bataille et Tonks jetait sort sur sort, parait et ripostait, une
expression sauvage sur le visage…

L’article était à peine plus qu’un morceau de propagande pro-Ministère s’appuyant sur
l’ascension rapide de sa cousine au sein du Département, ses états de service exemplaires,
son courage indéfectible à chaque bataille et, bien sûr, le clou de l’affaire : le fait qu’elle ait
abattu Rabastan Lestrange la nuit précédente, s’illustrant ainsi aux côtés des grands noms de
ceux que le Département des Aurors comptait de célèbres.

Scrimgeour n’avait pas lésiné sur les compliments même si Tonks méritait cent fois ces
accolades.

Il en était à sa troisième gorgée de café et terminait à peine l’article qui la décrivait comme
l’une des héroïnes de cette guerre lorsqu’il aperçut, du coin de l’œil, l’approche de son autre
cousin. Draco était bien trop le fils de son père pour trahir le moindre signe de panique mais,
pourtant, le cinquième année marchait vite, le visage figé dans une expression pas tout à fait
détachée, et le poing qu’il ne cessait de serrer et relâcher trahissait sa nervosité.

« Ils disent qu’elle a été grièvement blessée. » lâcha l’adolescent, sans même un bonjour.
Shacklebolt avait également déclaré à la Gazette qu’elle se remettait en lieu sûr mais Draco
n’était sans doute pas assez naïf pour croire sur parole ce qui était écrit dans le journal.

« Elle était stable, hier soir. » répondit-il, immédiatement. « Je compte passer la voir plus
tard. Je peux lui porter une lettre si tu veux lui écrire. Ou je peux lui dire que tu t’inquiètes
pour elle, ça lui fera plaisir. »

Le rose monta aux joues de son cousin. « Je ne m’inquiète pas. C’est ma tutrice. Que suis-je
censé faire si elle se fait tuer ? Attendre qu’une famille de Mangemorts réclame ma garde
sous couvert d’une lointaine parenté pour mieux m’assassiner ? »

« Suis-je bête. » plaisanta-t-il, voyant clair dans le jeu du Serpentard qui cachait mal son
anxiété. Il redevint toutefois sérieux, captant le regard du garçon. « Draco, s’il arrivait
quelque chose à Tonks, je prendrais le relais. Et s’il m’arrivait quelque chose à moi,
Andromeda s’assurerait que tu es en sécurité. Tu ne manques pas de famille qui ne veuille
pas t’assassiner. Et quand bien même nous arriverait-il quelque chose à nous tous, je suis
certain que ta mère referait surface si tu étais véritablement en danger. »

Sans parler de Lucius.

Sirius l’avait vu au Ministère après que le gamin se soit miraculeusement remis d’un Avada
qui aurait dû le tuer. Malfoy tenait à son fils plus qu’à n’importe quoi d’autre.

Le Serpentard ne s’était visiblement pas attendu à ce genre de déclaration parce qu’il parut
touché. Le garçon s’humecta les lèvres. « Tu es certain qu’elle va bien ? »

Était-il certain ? Non.

Avec une grimace, il se leva, abandonnant sa tasse de café. « Viens. »

Il contourna les Professeurs attablés jusqu’à atteindre Dumbledore, laissant Draco longer la
table par devant, de sorte qu’ils prirent le Directeur, qui mangeait son porridge plongé dans la
dernière édition du Chicaneur, en tenaille.

« Sirius, Mr Malfoy… » les salua gaiment le vieux sorcier, une étincelle amusée dansant dans
ses yeux. « Que puis-je pour vous ? »

McGonagall leva les yeux au ciel, faisant un geste vers la Gazette ouverte devant elle. « Cela
me semble évident. »

« Avez-vous des nouvelles de Tonks ? » demanda Sirius.

L’hésitation du Directeur fût à peine perceptible mais l’Animagus tint sa langue parce que
l’attention du vieux sorcier était dirigée vers son jeune cousin. « Ses blessures étaient
sérieuses mais il y a toutes les raisons d’espérer un prompt rétablissement. Quelques jours de
repos et elle sera comme neuve. »

Draco se détendit légèrement. « Quelqu’un a-t-il prévenu sa mère ? »


« Je crains que non. » admit Dumbledore, un regret sincère passant sur son visage. « Dans la
précipitation, cela m’est sorti de l’esprit. »

« Je vais le faire. » offrit immédiatement le garçon.

Sirius attendit patiemment que son cousin s’éloigne, après leur avoir poliment souhaité une
bonne journée, pour placer une main sur le dossier de la chaise du Directeur, le toisant sans
détour. « Qu’est-ce que vous ne vouliez pas dire devant lui ? »

Ce fût McGonagall qui jeta une bulle de silence autour d’eux trois.

« Rien de bien alarmant. » répondit Dumbledore. « Rien qui ne concerne la santé de Tonks. »

« Albus. » le réprimanda la Directrice des Gryffondors.

Agacé de les surplomber et d’être si facilement ignoré, Sirius s’accroupit pour être à leur
hauteur. Cela leur donnait sans doute des airs de conspirateurs si l’on devait en croire les
coups d’œil curieux que leur jetèrent les autres professeurs.

« J’ai été réveillé tôt ce matin par les protections de Poudlard qui m’informaient que Severus
et Tonks étaient revenus sur le domaine. » admit le Directeur. « Il a bloqué l’accès à sa
cheminée, peu après. »

Sirius fronça les sourcils. « Pourquoi est-ce qu’il aurait ramenée Tonks à Poudlard ? » La
réponse lui vint immédiatement et il s’alarma. « Elle est à l’infirmerie ? Pomfresh… »

« Pour autant que je sache, ils sont toujours dans ses appartements. » l’interrompit le vieil
homme.

« Albus. » siffla McGonagall, avec un regard lourd de sens que Sirius ne comprit pas.

Pas plus que l’air gêné du vieux sorcier.

« Je ne pense pas qu’il s’agissait d’une urgence médicale. » continua pourtant le Directeur.
« J’ai reçu, dans la minute suivant leur arrivée, un Patronus sans-queue-ni-tête de Remus qui
m’informait que Severus avait kidnappé Tonks et qu’elle était en danger. »

« En danger ? » releva la sous-directrice, les lèvres pincées. « Je vois mal comment elle
pourrait être en danger avec Severus. »

« C’était exactement mon ressenti. » avoua Dumbledore. « Et Remus était déjà très contrarié,
hier soir… Je lui ai répondu qu’ils étaient à Poudlard et de ne pas s’inquiéter. J’ai présumé
qu’ils avaient eu un désaccord et que Severus et Tonks avaient préféré quitter le Square
Grimmaurd. »

« Mais vous n’avez pas vérifié ? » insista Sirius. « Vous n’avez pas contacté Snape ? »

« Vu l’agitation de Remus, je n’ai pas voulu briser le sceau qu’il a apposé sur sa cheminée. »
contra Dumbledore. « Et étant donné que je suis bien certain qu’il avait ses raison de la
ramener sur le domaine en plein milieu de la nuit, j’ai préféré me rendormir. »
La désinvolture dont il faisait preuve énerva Sirius. « Remus ne serait pas allé inventer… »

« Remus n’est pas tout à fait irréprochable lorsqu’il s’agit de Tonks, Sirius. » l’interrompit
McGonagall, non sans compassion. « Il me semble évident que Severus n’aurait pas pris la
décision de la déplacer alors qu’elle est gravement blessée si la situation ne l’imposait pas. »

L’ancien Maraudeur était partagé entre une vieille loyauté qui avait survécu à l’épreuve du
feu et une plus récente qui lui soufflait que Snape n’aurait jamais fait de mal à Tonks et qu’il
devait effectivement avoir une bonne raison de l’avoir ramenée à Poudlard. De plus, il doutait
qu’il ait vraiment été question de kidnapping. Ça, ça puait l’exagération à plein nez.

« Je vais aller voir ce qu’il en est. » décida-t-il, en sortant sa montre à gousset de sa poche. Il
avait le temps avant le premier cours. Et puis il paraissait évident, vu l’heure, que Snape ne
ferait pas d’apparition dans la Grande Salle ce matin là pour répondre à leurs questions.

« Dites-lui que sa cheminée restera close jusqu’à nouvel ordre, voulez-vous ? » demanda
Dumbledore, en se désintéressant de la situation pour retourner à sa lecture.

« Et tâchez de ne pas sauter aux conclusions hâtives. » conseilla McGonagall.

Sirius parvint à ne pas lever les yeux au ciel avant d’avoir le dos tourné et de s’être éloigné de
quelques mètres. À croire qu’ils n’étaient pas inquiets du tout.

Snape avait modifié ses protections pour lui permettre l’accès à ses appartements en cas
d’urgence, pourtant, ce jour là, la porte dérobée dans le bureau du Directeur de Serpentard
refusa de s’ouvrir. Agacé et plus qu’un peu alarmé, il dût faire le long chemin jusqu’à l’entrée
principale, perdue au fin fond des cachots.

Il ne frappa pas tant à la porte qu’il y fracassa son poing dessus plusieurs fois.

Il fallut approximativement cinq minutes de coups ininterrompus avant que la porte ne


s’ouvre sur un Maître des Potions de très méchante humeur. Sirius détailla ses cheveux en
désordre qui n’avaient pas vu de peigne ce matin là, la légère ombre qui lui mangeait les
joues, les yeux rougis de fatigue, les vêtements froissés…

« Les premières années seront contents de voir une goule en chair et en os. » railla-t-il,
s’attirant un regard noir.

« J’ai dormi deux heures, Black. Épargne-moi tes plaisanteries vaseuses. » cracha Snape,
avec agacement, avant de s’effacer pour le laisser entrer. « Que me vaut le déplaisir de ta
visite ? »

Sirius s’avança vers le salon, non sans remarquer le sortilège de silence que le Maître des
Potions jeta sur la porte close de sa chambre. C’était la seule pièce, mis à part celle d’Harry,
où Tonks aurait pu se trouver et il lui vint un soupçon… Si Tonks était dans la chambre de
Snape, alors…

Mais il rejeta immédiatement cette hypothèse en arrivant dans le salon. Il y avait une
couverture jetée négligemment sur l’un des accoudoirs du sofa. Ajoutée à la tenue débraillée
du sorcier, la conclusion était évidente : il avait laissé sa chambre à Tonks et avait dormi sur
le canapé.

« Remus a envoyé un Patronus à Dumbledore disant que tu as kidnappé Tonks et tu m’as à


nouveau coupé de tes protections. » résuma l’Animagus.

La mâchoire de Snape se contracta si fort que Sirius craignit, l’espace d’une seconde, qu’il ne
se casse une dent.

« J’ai resserré les protections ce matin, après avoir kidnappé Nymphadora, comme tu dis. »
grinça-t-il. « Personne n’aurait pu entrer mis à part Harry. Ou Albus, s’il l’avait vraiment
voulu, je suppose. Étant donné les exploits de ton loup domestique, cela me semblait
nécessaire. »

Sur la défensive, mais avec le mauvais pressentiment que Snape n’exagérerait pas ce genre de
choses, Sirius croisa les bras devant son torse. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

« Oh, par où désires-tu que je commence exactement ? » persiffla le Maître des Potions, ses
yeux noirs brillants de fureur. « Le fait qu’il ait trouvé normal de l’installer dans son lit ?
Qu’il se soit arrangé pour qu’elle porte ses vêtements ? Que nous en soyons tous deux arrivés
aux mains ? Ou, bien préfères-tu entendre la manière dont il a refusé de la laisser partir alors
qu’elle tremblait de peur ? »

Rien de tout ça n’avait de sens.

« Tonks a sa chambre au Square Grimmaurd… » hésita-t-il. « Pourquoi… »

« Précisément, Black. » se moqua froidement Snape. « Pourquoi ? »

L’insinuation lui fit froid dans le dos. « Il ne lui aurait jamais fait de mal. »

« Elle m’a supplié de la sortir de là dès qu’elle s’est réveillée. » rétorqua son rival. « Et il se
trouve que je n’étais pas enclin à ignorer sa requête. Elle ne se sentait pas en sécurité et je
n’étais pas persuadé qu’elle ait tort. » Snape le foudroya du regard. « Je te conseille d’avoir
une conversation avec ton loup, de lui faire comprendre qu’elle est hors-limite, car j’en ai
terminé d’être conciliant sur le sujet. Elle n’a pas à subir ce harcèlement constant. » Soudain,
sans crier gare, deux ou trois bibelots explosèrent sur l’étagère la plus proche, comme si
l’homme avait perdu le contrôle de sa magie. Sa voix, lorsqu’il reprit la parole, était basse et
enragée. « Dans son lit. Il l’a mise dans son lit alors qu’elle était incapable de se défendre. »

« Il ne lui aurait jamais fait de mal. » insista-t-il, d’une voix qui manquait peut-être de
conviction.

« Dois-je réellement t’expliquer pourquoi la situation est inacceptable en dépit de ses


intentions ? » tonna le Professeur, perdant ce qu’il lui restait de calme. « J’aurais dû lui tordre
le cou. »

« C’est vraiment Tonks qui te préoccupe ou tu veux juste un prétexte pour te battre avec
Remus ? » accusa-t-il, avec mauvaise foi.
Avoir la pleine attention de Severus Snape lorsqu’il était de cette humeur massacrante n’était
jamais plaisant mais Sirius avait des années d’expérience dans le domaine et ne s’était jamais
laissé impressionner. Il affronta donc son regard courroucé jusqu’à ce que le Maître des
Potions paraisse s’affaisser légèrement, comme vidé de toute cette rage sourde.

« Elle tremblait de peur. Sirius. » répéta l’ancien espion.

Son prénom était hésitant. C’était peut-être la première fois que Snape le prononçait.

Preuve, s’il en fallait une, qu’il était très sérieux.

L’Animagus se frotta la bouche, plus que mal à l’aise, tiraillé entre le besoin instinctif de
défendre son meilleur ami et la confiance qu’il faisait désormais à son rival. Si Snape
affirmait que la situation avait été suffisamment perturbante pour qu’il soit nécessaire
d’exfiltrer Tonks…

Remus n’était pas des plus stables.

Et sa cousine ne tremblait pas face à des Mangemorts. Elle était courageuse et rien ne
l’effrayait.

« Tu es sûr qu’elle n’avait pas juste mal ou… » hésita-t-il.

« Elle était dans mes bras. J’aurais eu du mal à me tromper. » cracha Snape, l’air renfrogné,
en s’asseyant sur l’accoudoir d’un fauteuil. Il étira sa mauvaise jambe devant lui avec une
grimace. « Il est allé trop loin, cette fois. Il est persuadé qu’elle lui appartient. »

« Il ne lui ferait jamais de mal. » réitéra-t-il.

« J’aimerai sincèrement pouvoir te croire sur parole. » lâcha le Professeur. Son regard se
perdit momentanément dans le feu qui brûlait bas dans la cheminée. « Black, tu as exprimé
des doutes quant à la potion Révèle-Loup, dès le départ… Son comportement récent,
particulièrement hier soir… J’en viens à me demander si nous devrions poursuivre ces
recherches. »

Avec un soupir, Sirius se laissa aller sur le canapé sans y être invité. « Il est beaucoup plus
agressif depuis qu’il a pris ta potion, beaucoup plus… dominant. Ce n’est pas un trait de sa
personnalité qu’il a jamais beaucoup exprimé jusque là. Il dit qu’il est un Alpha. Je ne l’ai
jamais entendu parler comme ça avant. Tout ce qui se rapportait aux loups-garous… Il avait
tendance à le rejeter en masse, à insister qu’il était un homme comme un autre. »

« La potion Révèle-Loup avait pour but de permettre à un loup-garou de mieux se contrôler


en gommant la fracture entre la partie humaine et animale du psyché. » expliqua Snape. « Les
effets se sont avérés plus frappants que je ne l’avais prévu. »

« Ça n’a pas eu l’air d’affecter autant Laura. » remarqua-t-il. « Tu l’as bien vue, l’autre nuit.
Elle t’a dit que c’était une révélation, elle semblait réconciliée avec son loup mais elle n’était
pas non plus prête à se déclarer Alpha ou à grogner sur tout le monde même sous forme
humaine. »
« Certes, mais elle de nature docile. » contra le Maître des Potions. « Et, d’après ce que j’ai
compris, elle vivait déjà dans une dynamique de meute avant que Lupin ne la recrute. Il est
possible que la potion affecte différemment des loups-garous plus dominants. » L’homme
secoua la tête. « Cette potion nécessiterait des années de recherches et d’expériences… La
modifier pour permettre à n’importe quel loup-garou de se transformer en dehors de la pleine
lune me semble… »

« Fou ? Terrifiant ? » suggéra-t-il, non sans humour.

« Irresponsable. » trancha Snape, en se frottant le visage.

Sirius devait admettre que ça ne lui plaisait pas beaucoup plus à lui non plus. Certes, sur le
papier, ils avaient besoin de la potion au plus vite mais la guerre ne durerait pas
éternellement. Et cette potion pourrait s’avérer extrêmement dangereuse…

« Est-ce qu’on a le choix ? » s’interrogea-t-il pourtant. « Tant qu’ils ont l’avantage… »

« Récupérerons-nous vraiment l’avantage en produisant notre version de cette potion ? »


rétorqua l’ancien Mangemort. « Nous avons un seul loup prêt à se battre dans notre camp… »
L’homme claqua la langue avec irritation. « Il faut que j’en discute avec Albus. »

Sirius aurait pu lui dire comment la discussion allait se dérouler avant même qu’elle ait lieu.
« Si tu peux le détacher cinq minutes de Grindelwald. »

Snape leva les yeux au ciel. « Au moins le garde-t-il sous clef. Étant donné l’empressement
avec lequel il l’a reçu à son arrivée, je craignais qu’il ne lui laisse le libre accès à l’école. »

L’idée était saugrenue et complètement folle mais toujours moins que de faire venir
Grindelwald en premier lieu.

« Remus compte sur cette potion. » remarqua-t-il. « Si vous décidez de laisser tomber… »

Cela suffit à ranimer l’animosité sur le visage du Maître des Potions. « Je me fous royalement
de ce que Lupin attend ou pas. »

« Je lui parlerai tout à l’heure. » promit-il, avant que Snape ait pu remonter sur ses grands-
chevaux. Il s’extirpa du canapé, avisant l’heure. « Il vient entraîner Harry. »

Visiblement, le Professeur avait oublié ce détail parce que son expression se glaça. « Je ne
suis pas certain que cela soit une bonne idée. »

« Ce qui se passe entre lui et Tonks ne concerne pas Harry. On n’a aucune raison de
l’empêcher de le voir, tout ce que tu vas y gagner, c’est d’empirer les choses. » répliqua
Sirius. « Je vais lui parler, je te dis. »

Snape n’avait pas l’air convaincu.

Il avait également l’air d’avoir besoin d’une bonne sieste.


« Il y a une chambre vide dans mes appartements. » continua-t-il. C’était pour Harry mais son
filleul n’y avait jamais mis les pieds. « Pourquoi tu ne dis pas à Tonks de s’y installer ? Tu
pourras récupérer ta chambre. »

« Je préfère qu’elle demeure là où je suis certain que le loup ne peut pas l’atteindre. »
rétorqua le Professeur d’un ton neutre.

« Remus ne lui ferait pas de mal. » insista-t-il pour ce qui semblait être la centième fois. Il
leva la main dès que Snape commença à protester. « Fais comme tu veux. »

Ce n’était pas comme s’il pouvait jamais lui faire entendre raison, de toute manière. C’était
une tête de mule.

°O°O°O°O°

Harry faisait de gros efforts pour se concentrer sur le cours mais ses pensées ne cessaient de
dériver vers la partie de Quidditch de la veille. Le sport lui manquait et, s’il n’était pas
question de reformer les équipes si tard dans l’année, il lui trottait dans la tête qu’un petit
tournois amical inter-maisons ne serait pas si difficile à mettre en place sur un week-end… Il
était en train de se demander s’il avait techniquement besoin de la permission de Madame
Bibine ou du Directeur ou si, tant que cela restait amical, ils pouvaient faire comme bon leur
semblait, lorsqu’il sentit la présence dans son dos.

Soudain, il mit beaucoup d’attention dans son protego informulé, répondant à l’expression
frustrée de Ron par une grimace d’excuse.

Severus et Sirius les avaient surpris cet après-midi là en leur annonçant qu’ils allaient
commencer à s’entraîner aux Informulés, ce qui avait provoqué plus d’un murmure
d’excitation dans la pièce. Les résultats, eux, étaient mitigés. Ils étaient censés jeter un
protego et un expelliarmus. Harry maîtrisait déjà ces deux sorts et Ron n’avait pas encore
réussi à briser son bouclier ou à le désarmer. Lui, par contre, y parvenait à chaque fois.

Conscient du regard sombre qui pesait sur lui, il mit un peu trop de force dans son sort de
désarmement et la baguette de Ron s’envola à l’autre bout de la pièce.

« Je conçois que l’exercice n’est pas un défi pour toi, mais ce n’est pas une raison pour
t’endormir à la tâche. » commenta le Professeur, avec un légère désapprobation.

Il marmonna des excuses mais, avisant que Ron était toujours en train de chercher sa baguette
entre les différents duos éparpillés autour de la pièce, il en profita pour se tourner vers son
père, baissant la voix. « J’ai vu la Gazette, ce matin. Elle va bien ? »

Il n’eut pas besoin de préciser de qui il parlait. Une certaine émotion passa dans les yeux
noirs avant d’être avalée par un bouclier qu’Harry aurait eu dû mal à lui reprocher. Le récit
dans le journal était extravagant et tout à la gloire de Tonks, une propagande pro-Ministère si
évidente qu’il avait dû résister à l’envie de lever les yeux au ciel plusieurs fois, mais il avait
suffisamment lu entre les lignes pour deviner que la bataille avait été rude. La liste des
défunts avait été publiée en fin du journal et elle comportait une dizaine d’Aurors.
« Elle se remettra. » répondit le Maître des Potions, sans aucune trace d’émotion particulière.
Cela ne dupa pas Harry. Étant donné son air plus renfrogné que d’habitude, le tremblement
prononcé de ses mains et la manière dont il s’appuyait sur la canne, l’adolescent doutait qu’il
ait passé une bonne nuit. Il doutait qu’il ait dormi tout court. « Concentre-toi. »

Il se tourna à temps pour bloquer l’expelliarmus que Ron venait de jeter, pensant profiter de
sa distraction. Le sort vint s’écraser sur son bouclier.

« Ça valait le coup d’essayer. » plaisanta son meilleur ami.

« En effet. » remarqua le Professeur, en s’avançant entre eux. Il leva la main pour interrompre
Harry alors qu’il s’apprêtait à jeter lui aussi le sort de désarmement, balayant la salle du
regard. Sirius se tenait à l’autre extrémité, en train de faire la leçon à Crabbe et Goyle…

Crabbe et Goyle qui, apparemment, n’hésiteraient pas à poignarder Malfoy sous la douche…

Il savait que le Serpentard avait regretté sa confession au moment où il l’avait faite mais
Harry n’était pas parvenu à l’oublier. Laisser Malfoy à Serpentard, même avec Zabini, les
Greengrass et les quelques autres membres de l’A.D. lui paraissait stupide. Ils tentaient le
sort…

« Granger. » appela soudain Severus. « Changez avec Weasley. »

Harry s’efforça de ne pas laisser transparaître quoi que ce soit. Il n’était pas allé à la réunion
de l’A.D. la veille mais, après sa discussion avec Malfoy, il avait fait un effort pour être plus
aimable. Elle avait visiblement saisi ses intentions et agissait de même, de sorte qu’ils étaient
extrêmement plaisants l’un envers l’autre dans une impressionnante démonstration
d’hypocrisie qui faisait grincer des dents à Ron.

« Allez-y. » les invita le Professeur, une fois qu’Hermione eut pris la place de Ron.

Ils se sourirent faiblement, un peu gênés. Harry la laissa attaquer en premier, bloquant le sort
sans aucun véritable effort. Son propre expelliarmus alla s’écraser sur un bouclier parfait.

« Excellent. » commenta Severus, déclenchant quelques murmures choqués.

Ce n’était pas la première fois qu’il complimentait des lions. Il était beaucoup plus équitable
depuis qu’il n’espionnait plus, bien qu’il avantageait toujours Serpentard dès qu’il le pouvait.
Il était également moins avare de compliments. Ça n’empêchait pas les gens de continuer à
réagir de manière disproportionnée.

« Puisque vous maîtrisez ces informulés, passons à l’étape suivante. » continua le Professeur,
en se déplaçant dans la classe. Tout le monde s’était spontanément arrêté pour le regarder et
l’écouter. Sirius s’était appuyé contre une des arches qui longeaient les murs de la salle de
Défense, bras croisés. « Quelle est-elle ? »

Au bout de plusieurs secondes, Hermione leva une main hésitante. Au hochement de tête de
Severus, elle se racla la gorge. « Un autre sort informulé ? Un qui handicaperait ou
contiendrait l’adversaire comme un stupefix ou un incarcerem ? »
« Un raisonnement logique. » approuva le Maître des Potions, en se déplaçant toujours dans
la pièce, commandant l’attention. « Toutefois, je me plaçais davantage du côté du sorcier qui
a perdu sa baguette. Au milieu d’une bataille, les chances de se retrouver désarmé, pour une
raison ou un autre, sont grandes. Que fait un sorcier qui a perdu sa baguette ? »

Il y eut un silence puis un bruit moqueur de la part de Theodore Nott. « Il meurt. »

Il n’était pas difficile d’identifier les élèves qui respectaient toujours la Trêve, ceux qui
appartenaient à l’A.D. et les autres. Nott, Parkinson, Bullstrode, Crabbe et Goyle se tenaient
dans un coin, l’air pincé.

Le commentaire provoqua des chuchotements que Severus fit taire d’un geste. « S’il est
incompétent, Mr Nott, oui, il meurt. Réfléchissez un peu. Un sorcier sans baguette est-il pour
autant sans défense ? » Le silence s’étira, sans qu’il n’y ait de réponse à sa question.
« Potter ? »

Harry haussa les épaules. « Non. Il y a la magie sans baguette. »

Les murmures, cette fois, étaient excités.

« Mais, Professeur… » objecta Lavande, en levant la main pour la forme mais sans attendre
qu’on lui donne la parole. « Seuls les sorciers très puissants peuvent se passer d’une
baguette. »

« Vraiment ? » s’enquit Severus tranquillement, comme étonné. « Dites-moi, Miss Brown,


comment détermine-t-on qu’un enfant est un sorcier ? »

« La magie accidentelle. » lâcha Neville, avant de grimacer sous le regard noir de l’homme.
Parce qu’il n’avait pas levé la main ou attendu qu’on lui donne la parole.

Harry se racla la gorge avant que le Professeur ait pu le reprendre. Ce n’était pas la faute de
Neville si Voldemort avait décidé que la prophétie concernait les Potter et non les Londubat
et il ne tolèrerait pas qu’il le fasse payer à son ami.

Preuve qu’il en était conscient, au prix d’un effort visible, Severus reporta son attention sur le
groupe. « La magie accidentelle est une forme de magie sans baguette. »

« Oui, mais elle est incontrôlable. » contra Lavande, une nouvelle fois. « C’est pour ça qu’on
nous apprend à nous servir d’une baguette. »

« La baguette est un intermédiaire. » intervint Sirius, pour la première fois. « Elle permet de
concentrer sa magie, de rendre un sort plus précis, mais son usage est relativement récent
dans l’histoire de la magie… »

« Merlin utilisait un bâton. » remarqua Hermione.

« Exactement. » approuva son parrain, d’un haussement d’épaules. « Avant les baguettes, les
bâtons étaient courant. Il y a eu un moment ou les pierres précieuses étaient également à la
mode, surtout pour les dames… »
« Nous nous éloignons du sujet. » l’interrompit Severus. « Si ces détails vous intéressent, je
vous invite à en discuter avec le Professeur Binns. Miss Brown nous disait que la magie
accidentelle est incontrôlable, c’est vrai et faux à la fois. Dans une situation où un enfant se
trouve en danger, il est courant que sa magie se manifeste de manière incontrôlée pour le
protéger. Il est tout aussi courant qu’un enfant, particulièrement en bas âge, utilise cette
magie pour un jeu ou quelque chose d’une nature similaire. Il y a là un niveau de contrôle
plus ou moins conscient. Ce qui signifie ? »

Le silence s’étira et Harry leva la main en même temps qu’Hermione.

« Potter. » lâcha le Professeur.

« Que tout le monde a un potentiel pour se servir de la magie sans baguette. » répondit Harry,
ignorant l’air déçu d’Hermione lorsqu’elle baissa le bras.

« Exactement. » commenta le Maître des Potions. « N’est pas Albus Dumbledore qui veut,
cependant. Miss Brown a raison lorsqu’elle dit que seul un sorcier puissant pourra se passer
de baguette pour des sorts complexes. » Ce n’était pas exactement ce qu’avait dit Lavande
mais Harry dût réprimer un sourire en la voyant se rengorger sous le compliment. Ce n’était
pas souvent qu’elle était mise en avant en dehors de la Divination. « Pourquoi ? »

Cette fois Hermione fût plus rapide que lui, montant presque sur la pointe des pieds dans son
enthousiasme.

« Miss Granger. » l’invita à répondre Severus, impassible.

Harry devina pourtant un certain amusement chez son père.

« Parce qu’une baguette permet de concentrer la magie comme le disait Sir… le Professseur
Black et ce serait très difficile d’obtenir le même niveau de précision sans une baguette ou un
bâton ou quelque chose qui servirait à canaliser la magie. » déclara-t-elle si rapidement
qu’elle manqua de souffle. « Donc, seul un sorcier puissant serait capable d’obtenir le même
résultat qu’avec une baguette, pas parce qu’il serait plus adroit mais parce que sa puissance
compenserait le manque de précision. »

« Ce qui entraîne le raisonnement suivant… » l’encouragea-t-il à poursuivre.

Hermione prit une seconde puis son regard s’éclaira et elle sourit avec satisfaction. « Qu’un
sorcier de puissance moyenne ou moindre pourrait obtenir un résultat tout à fait correct voire
similaire avec ou sans baguette sur un sort spécifique s’il prend la peine d’apprendre à le
maîtriser. Bien sûr, c’est exponentiel, si un sorcier puissant s’entraîne à jeter le même
sortilège encore et encore, le sortilège demeurera plus puissant que celui d’un autre sorcier
mais si la précision s’acquiert avec l’entraînement alors n’importe qui pourrait,
techniquement, se passer de baguette. Ce serait simplement plus contraignant. »

« Vingt points pour Gryffondor. » déclara joyeusement Sirius, s’attirant le regard noir de
Severus.
« Et c’est pourquoi vous allez apprendre à vous passer de baguette pour jeter un bouclier et
un sort de désarmement. » enchaîna Severus, en agitant la main vers eux. « Dès que vous
maîtrisez l’informulé, rangez vos baguettes et passez à la suite. »

La main d’Hermione était à nouveau dans les airs. « Comment est-ce que ça marche
précisément ? »

« De la même manière qu’un informulé. » répondit Harry, sans réfléchir. « Il faut juste se
concentrer davantage. »

Il perçut le geste presque négligent de Severus du coin de l’œil, dressa un bouclier hâtif qui
ne parvint pas à bloquer le sort de désarmement. Sa baguette vola dans les airs sans que le
Professeur ne fasse un geste pour la rattraper.

À dessein, comprit-il, les mains du Professeur ne lui auraient pas permis de la rattraper au
vol.

Le prochain sort que lança le Professeur s’écrasa sur son bouclier, un peu chancelant, un peu
trop faible par endroit, mais suffisant pour bloquer le tarantallegra informulé qui fusa vers
lui. Il y en eut trois autres en rapide succession. Les mains levées devant lui, Harry fit de son
mieux pour maintenir son bouclier… Au quatrième, il vola en éclat et il se retrouva à danser
au grand amusement du reste de la classe.

« Finite. » jeta Severus à voix haute, rétablissant le silence par le seul son de sa voix. « Cela
répond-il à votre question, Miss Granger ? Vous servir de vos mains n’est pas une obligation
mais, à votre niveau, cela peut vous aider à visualiser vos sorts. » Il jeta un coup d’œil aux
autres adolescents et plissa les yeux. « Au travail. »

Harry l’observa s’éloigner pour échanger quelques mots avec Sirius puis se concentra sur
Hermione.

Il aurait été beaucoup plus facile de ne pas se servir d’un informulé pour apprendre à se
passer d’une baguette mais Harry suivait le raisonnement de Severus pour être si familier de
ses méthodes d’enseignement : qui pouvait le plus, pouvait le moins.

À la fin de la séance, Harry pouvait faire apparaître un bouclier sans sa baguette mais peinait
à le maintenir. L’expelliarmus, c’était une autre histoire. Hermione, elle, avait réussi à le
désarmer une fois mais n’était pas parvenue à dresser un bouclier.

« C’était un excellent cours. » lui glissa-t-elle, alors qu’ils récupéraient leurs affaires.

« C’est un excellent professeur de Défense. » rétorqua-t-il, sur la défensive.

« Je n’ai jamais dit le contraire. » protesta-t-elle, avant de soupirer, baissant légèrement la


voix pour ne pas que leurs camarades entendent. « Harry, je ne voulais pas te mettre en
colère, l’autre jour… Et ça m’embête que tu ais l’impression que je te critique tout le
temps. »

« Tu as changé d’avis ? » demanda-t-il, sans préciser sur quoi.


« Pas vraiment. » admit-elle, en baissant le regard. « J’ai des informations qui… »

« Laisse-tomber. » lâcha-t-il, en la contournant pour quitter rapidement la pièce.

Il sentit le regard inquisiteur de Severus le suivre et ne fût pas entièrement surpris lorsque le
Professeur l’intercepta alors qu’il allait passer la porte. Il se tendit, s’attendant à des questions
sur sa dispute avec Hermione, mais le sorcier paraissait légèrement mal à l’aise et jetait des
coups d’œil discrets à Sirius qui parlait avec Ron et Malfoy.

« Sois prudent avec Lupin, aujourd’hui. » murmura l’ancien espion.

Harry fronça les sourcils. « Comment ça ? »

Sirius avait terminé sa conversation et les avait repérés. Severus se renfrogna légèrement.
« Ce n’est peut-être rien, un mauvais pressentiment. Je serais en salle des Professeurs, si tu as
besoin de moi. »

Voilà qui n’était pas de mauvaise augure du tout, songea Harry, en se mettant en route vers la
salle de classe que Remus s’était attribuée pour leurs entraînements.

°O°O°O°O°

Remus faisait les cents pas dans la pièce, comme un loup en cage.

En un sens, c’était le cas. L’animal en lui rongeait sa laisse, griffait et mordait pour sortir,
furieux, humilié et inquiet. Sa part humaine s’exhortait au calme mais n’en était pas moins en
colère, blessée dans sa fierté ou préoccupée. Ce qui, au final, n’était pas une bonne
combinaison.

Il tremblait toujours de rage au souvenir du Patronus que Dumbledore lui avait renvoyé au
petit matin. Il était toujours furibond que Charlie et Anthony l’aient tellement ralenti que
lorsqu’il avait finalement réussi à passer la porte du salon du Square Grimmaurd, Tonks et
Snape avaient disparu. Le fait que la cheminée ait refusé de se connecter aux appartements de
Severus lui faisait toujours grincer des dents.

Il n’avait aucune idée d’où était Tonks ou de ce que Snape lui avait fait.

La veille, lorsque Kingsley l’avait portée au Q.G., blessée, il avait fait la seule chose logique
dans son esprit. Il l’avait mise en sécurité, au cœur de son domaine, là où personne ne
viendrait la chercher.

C’était sans compter sans Severus Snape, bien sûr.

Il avait exigé d’Albus qu’il le laisse voir Tonks dès qu’il avait débarqué dans son bureau, plus
tôt, mais le Directeur était demeuré inflexible, avait eu l’audace de suggérer que Remus
réagissait de manière démesurée et d’insinuer que la jeune femme était plus à sa place dans
les appartements de Severus qu’au Square Grimmaurd avec lui.

La porte s’ouvrit sans crier gare et Remus pivota immédiatement vers la source du danger,
ses yeux trouvant immédiatement le garçon qui se figea sur le seuil, alarmé.
Il se força à prendre une profonde inspiration.

Ce n’était pas la faute d’Harry.

« Tu es en retard. » gronda-t-il, pourtant, le loup perceptible dans sa voix.

Harry faisait partie de sa meute mais Harry, comme Sirius et Tonks, paraissait déterminé à
remettre en question son autorité.

« Désolé. » lâcha le garçon, avec une légère méfiance. Une méfiance entièrement perceptible
lorsqu’il entra dans la pièce et posa son sac près de la porte. « Qu’est-ce qu’il vous est
arrivé ? »

L’adolescent fit un geste vague vers son propre visage et Remus résista de peu au besoin de
toucher l’hématome qu’il savait subsister sur sa joue, malgré une application généreuse d’un
baume de soin.

« Pourquoi ne demandes-tu pas à ton cher Professeur Snape ? » rétorqua-t-il.

Son sortilège d’expulso l’avait propulsé contre le mur et c’était un miracle qu’il ne se soit pas
brisé la nuque. Non que qui que ce soit s’en préoccupe. Ils paraissaient tous penser qu’il
exagérait.

Et c’était à cet homme qu’ils préféraient confier la femme de sa vie.

« Okay… » marmonna le Gryffondor, en grimaçant. « Vous êtes sûr que vous voulez qu’on
s’entraîne ou… »

« Mets-toi en position. » cracha Remus, en tirant sa baguette et en avançant au centre de la


pièce. « Voyons si tu te souviens de ce que je t’ai appris la dernière fois. »

Un éclat d’ennui passa dans les yeux verts mais Harry eut le bon ton de ne pas protester ce
jour là comme il le faisait d’ordinaire. Le garçon se plaisait à répéter à loisir qu’il ne le
mettait pas assez en difficulté. Albus lui en avait d’ailleurs touché un mot, plus tôt, lorsqu’il
avait eu terminé de lui faire la leçon à propos de Tonks et Snape, comme si le mage noir qui
semblait avoir élu une résidence permanente dans un coin du bureau n’empestait pas son
odeur de manière beaucoup plus prononcée que la situation ne le justifiait.

Dumbledore devrait balayer devant sa porte avant de s’immiscer dans la vie des autres, voilà
ce que Remus aurait aimé lui répondre.

Quant à être trop doux avec Harry…

Il essayait simplement de corriger ces tendances Serpentards que Snape s’était pris plaisir à
instiller en lui. Il était tout à fait d’accord sur le fait que, dans une vraie bataille, tous les
coups étaient permis lorsqu’il s’agissait de rester en vie, mais il y avait une différence entre
une formation et la réalité des faits.

Il ne laisserait pas Snape corrompre Harry.


Il attaqua sans retenir ses coups puisqu’ils pensaient tous que le garçon était plus qu’apte à se
défendre. Ce qu’il souhaitait, c’était qu’Harry fasse la démonstration des différents boucliers
qu’il lui avait enseigné lors de leur dernière session – bien que le gamin lui ait déjà répété que
Severus lui avait déjà montré des protections similaires qu’il maîtrisait déjà. Et, pendant
plusieurs minutes, bien qu’il parut surpris de sa véhémence, Harry fit ce qu’il attendait de lui.

Et puis, un de ses sortilèges passa le bouclier, il fit une remarque sèche sur sa forme et le
garçon se rembrunit. Dans la seconde suivante, au lieu de se cantonner à la défense,
l’adolescent se mit à répliquer.

« Ce n’est pas l’exercice que je te demande. » lui reprocha-t-il.

« Je sais déjà me défendre. » râla Harry. « Et je ne vais vous servir de punching-ball. Si vous
êtes de mauvaise humeur… »

« Tu es arrogant. » l’interrompit-il, avec agacement. « Tu penses que tu peux te défendre ? Tu


n’en sais rien. Face à un adversaire plus expérimenté… »

« Vous savez combien de fois j’ai dû me battre contre Voldemort ? » rétorqua le Gryffondor,
avec trop de morgue. « Il est un peu plus expérimenté que vous et je suis toujours vivant. »
Le garçon secoua la tête. « Severus dit que je pourrais passer les A.S.P.I.Cs de Défense en
avance. »

« Severus est un menteur. » siffla-t-il, peinant à contrôler la réaction de son loup qui voulait
hurler rien qu’à la mention de ce nom.

Severus lui arrachait sa meute petit bout par petit bout et il ne se laisserait pas faire.

Harry l’étudia un moment, rien d’autre qu’un calme lisse et froid sur le visage. Rien de
naturel, là-dedans et cela fit froid dans le dos de Remus.

« Je ne vais pas me tenir là bien tranquillement et vous laisser insulter mon père. » l’avertit le
lion.

« Severus Snape n’est pas ton père. » gronda-t-il, serrant les poings. « Cesse de répéter cette
ineptie. »

Le garçon l’observa une seconde supplémentaire, puis secoua la tête avant de ranger sa
baguette. « Je m’en vais. »

« Certainement pas. » interdit-il mais le Gryffondor s’était déjà retourné. La fureur l’envahit
à nouveau, brûlante et incontrôlable. C’était comme regarder à nouveau Tonks se détourner
de lui, se blottir dans les bras de Snape comme si… « Je suis ton Alpha et tu vas m’obéir ! »

Sa voix tonna, amplifiée par l’autorité d’un chef de meute…

Mais Harry n’était pas un loup et il se tourna vers lui, incrédule. « Mon quoi ? Je crois que le
coup que vous avez pris sur la tête vous a retourné le cerveau… Pourquoi on irait pas à
l’infirmerie et… »
« Tu ne lui appartiens pas. » insista-t-il, trop pris par son propre délire. « Tu m’appartiens à
moi. »

Le garçon secoua à nouveau la tête. « Je ne crois pas non. » Il fit un pas prudent en arrière,
sans le quitter des yeux, les mains levées devant lui. « Je vais y aller maintenant. »

Remus avança d’un pas vers lui.

Harry s’immobilisa mais il sentit la magie onduler entre eux sous la forme d’un bouclier que
le garçon venait de faire apparaître. Sans baguette.

Parce qu’il se sentait menacé. Par lui.

Remus se figea, déchiré entre deux élans diamétralement opposés. Il ne voulait pas faire de
mal à Harry mais il voulait aussi que le gamin comprenne.

« Snape est mauvais. » cracha-t-il. « C’est pour ça que j’ai demandé à Hermione de garder un
œil sur lui. » Un éclair de compréhension passa sur le visage du Gryffondor, suivi d’une
profonde colère. « Je ne sais pas ce qu’il cherche à faire avec toi mais… »

« Il ne cherche rien du tout. » l’interrompit Harry. « C’est mon père. »

Ce fût à ce moment là qu’il remarqua la bague que le garçon portait au majeur. Le sceau avait
légèrement tourné autour de son doigt, de sorte que Remus aperçut les armoiries qui n’étaient
ni celles des Potter, ni celles des Black. Il ne connaissait pas celles de la famille de Snape
mais il aurait parié sa vie que c’était celles là.

Snape avait marqué le garçon.

Son garçon.

Un membre de sa meute.

Remus vit rouge.

« Ton père était James Potter. » rugit-il « Et tu lui aurais fait honte. »

Harry ne tressaillit même pas.

À croire qu’il était fait de marbre.

Il ressemblait tellement à Snape à ce moment là… Pas physiquement mais dans son attitude,
dans la manière dont il s’était refermé comme si rien ne pouvait l’atteindre, comme si…

« Je ne crois pas que c’est de moi qu’il aurait eu honte. » se moqua le garçon. « Vous vous
êtes regardé dans un miroir récemment ? »

« Il aurait mieux valu pour tout le monde que James et Lily soient ceux qui survivent ce soir
là. » répliqua-t-il. « Tu les aurais tellement déçus. »
Cette fois, le masque lisse sur le visage du garçon se fissura alors qu’il encaissait le coup.

Les mots passèrent ses lèvres, irréfléchis et cruels.

Il les regretta dans l’instant.

Même le loup, en lui, se figea d’horreur.

Il écarquilla les yeux, pâlit…

« Harry… »

Le garçon s’était déjà détourné.

Il essaya d’attraper son bras, de s’excuser, mais au moment où il effleura la manche du


garçon, une vague de magie le cueillit au creux du ventre…

Et tout ne fût plus que douleur.

°O°O°O°O°

Choqué, blessé, Harry voulait juste fuir.

Lorsqu’il sentit la main de Remus effleurer son bras…

Était-ce parce qu’ils avaient discuté si longuement de magie informulée, sans baguette ou
accidentelle durant le cours de Défense ? Ce n’était pas ce qu’il voulait faire… Ce n’était
pas…

Mais il sentit sa magie réagir sans son consentement, sentit une vague de fatigue s’écraser sur
lui dès que le sort l’eut involontairement quitté…

Remus hurla avec suffisamment de souffrance pour lui glacer le sang.

Il ne savait pas ce qu’il avait jeté.

Il ne savait pas.

Peut-être avait-il souhaité, malgré lui, que l’homme ait aussi mal que lui.

Le loup-garou s’écroula et ne bougea plus.

Harry n’était pas certain qu’il respire encore et il était trop terrifié pour le vérifier.

Il sentait l’horcruxe en lui. Il sentait l’horcruxe qui irradiait de satisfaction.

Il aurait été trop simple de le blâmer pour ce qui venait de se passer pourtant. C’était sa
magie qui avait jeté le sortilège. Sa magie qui…

Il partit en courant.
Il aurait mieux valu pour tout le monde que James et Lily soient ceux qui survivent ce soir
là. Tu les aurais tellement déçus.

Les mots tournaient et retournaient dans sa tête, le frappant encore et encore en plein cœur
comme milles coups de couteau.

Tu lui aurais fait honte.

Ces mots là faisaient un peu moins mal.

Parce que son rapport avec James avait été conflictuel en soixante-quinze, parce qu’il ne
pensait pas vraiment que c’était vrai, parce que…

Il aurait mieux valu pour tout le monde que James et Lily soient ceux qui survivent ce soir
là. Tu les aurais tellement déçus.

Mais ces propos là…

Étaient-ils vrais ? Aurait-il déçu ses parents ?

Parce qu’il était trop lâche pour affronter la réalité de l’horcruxe ou pour véritablement
s’impliquer dans la guerre comme le sous-entendait Hermione ? Parce qu’il avait échoué à
sauver Cédric ? Parce qu’il ne voulait plus devenir un Auror ? Parce que si le choix lui avait
été donné de fuir à l’autre bout du monde avec Severus, il se serait peut-être laissé tenter ?
Parce qu’au fond il avait beau se répéter que la partie était pliée et qu’il allait mourir, il était
terrifié à cette idée et aurait tout fait pour l’éviter ?

Il déboula dans le couloir qui abritait la salle des Professeurs sans même savoir que c’était là
qu’il se rendait, la respiration hachée, la tête trop pleine de mots qui faisaient mal… Il vit, de
loin, la porte s’ouvrir, vit Sirius, McGonagall et Severus en sortir… Il ne ralentit pas.

Il ne ralentit pas même lorsqu’il percuta le Professeur de plein fouet, sans se soucier de ce
dont ça avait l’air ou du fait qu’il était trop âgé pour se jeter sur un adulte en quête de
réconfort, même si c’était son adulte.

Le visage pressé contre les épaisses robes noires, il ne vit pas la réaction de Sirius ou de
McGonagall. Et c’était tout aussi bien, sans doute.

Il aurait mieux valu pour tout le monde que James et Lily soient ceux qui survivent ce soir
là. Tu les aurais tellement déçus.

« Harry. » appela Severus, comme de très loin. Il avait entouré ses épaules d’un bras mais
cherchait à l’éloigner de sa main libre. « Harry, regarde-moi. J’ai besoin que tu occludes. Que
tu respires au moins. »

Il ne respirait plus.

Il haletait.

Parce qu’il avait couru.


Parce que la tête lui tournait, que ses doigts le picotaient et qu’il se savait en train de
paniquer.

« Harry, concentre-toi sur ma voix. » ordonna calmement Severus, comme s’ils n’étaient pas
au beau milieu d’un couloir, comme si tout allait bien.

Excepté que rien n’allait bien.

« Visualise l’angoisse, enferme la dans une boite. » insista Severus. « Visualise tes boucliers.
Laisse la boîte couler au fond des marécages. »

Il lui fallut deux bonnes minutes avant d’être en état de faire autre chose que de se donner en
spectacle. Lorsque sa tête arrêta de tourner suffisamment longtemps pour qu’il puisse aligner
deux pensées cohérentes, il se recula légèrement, gardant pourtant une prise ferme sur la cape
du Maître des Potions.

« J’ai blessé Remus. » lâcha-t-il. « Il ne bougeait plus… Il… »

Sirius marmonna un juron et détala en courant.

« Je vais prévenir Poppy. » déclara McGonagall, en partant dans la direction opposée à


grandes enjambées.

Severus attendit qu’ils soient partis puis l’entraîna dans la salle des Professeurs heureusement
déserte. Il plaça une main sur son épaule, l’agrippant avec juste assez de force pour l’ancrer
au moment présent.

« Que s’est-il passé ? » demanda le Professeur, toujours aussi calme.

Un calme de façade, Harry le savait.

Un calme qu’il enviait à l’instant.

Il fit un effort pour renforcer ses propres boucliers, pour mettre momentanément la panique
de côté. Restait la douleur, sourde.

« Harry. » appela patiemment Severus. « Les accidents arrivent, surtout à un haut niveau de
Défense. »

« Ce n’était pas un accident. Je voulais lui faire du mal. » avoua-t-il, dans un murmure
honteux, en levant finalement les yeux vers lui. Il abaissa ses boucliers dans une invitation
tacite.

L’instant d’après, il sentit l’esprit de son père frôler prudemment le sien.

Lorsque Severus mit un terme à la Légilimencie, même sa maîtrise de l’Occlumencie ne


parvenait pas à cacher sa fureur.

« Ce n’est pas ta faute. » déclara immédiatement l’homme.


« Bien sûr que si… » contra-t-il, en se frottant le visage. « Il ne bougeait plus. Vous croyez
que… »

« Il faut plus que ce genre de magie pseudo-accidentelle pour achever un loup-garou. »


l’interrompit Severus, une lueur mauvaise dans le regard. « Je n’aurais jamais dû l’autoriser à
t’entraîner, aujourd’hui. Tout ceci est ma faute. Je savais… » Il s’arrêta brusquement, prit une
profonde inspiration. « Ce qu’il t’a dit est non seulement inacceptable mais ridicule. »

Il aurait mieux valu pour tout le monde que James et Lily soient ceux qui survivent ce soir
là. Tu les aurais tellement déçus.

Ce n’était pas si ridicule que ça…

C’était…

Severus lui secoua l’épaule sans douceur mais sans agressivité non plus. « Harry, regarde-
moi. » L’ancien espion attendit qu’il croise son regard pour continuer. « Ils auraient été fiers
de toi. »

Harry détourna la tête, s’écarta jusqu’à mettre quelques pas entre eux, croisant les bras sur sa
poitrine dans une parodie d’étreinte. « Je voulais qu’il ait mal. Je n’ai pas fait exprès
d’utiliser ma magie mais une part de moi voulait qu’il ait mal. »

« Ce qui n’est pas étonnant, étant donné les propos qu’il a tenu. » décréta Severus. « Il ne
t’approchera plus. »

Il aurait voulu protester pour la forme mais la vérité était qu’il n’avait pas très envie que
Remus s’approche pour l’instant. « Je ne devrais pas vouloir faire du mal à qui que ce soit. »

Le Professeur soupira. « Tu es humain et ta réaction est normale. J’aurais fait pire. »

Comme laisser un bleu sur sa joue, par exemple ? Mais il ne posa pas la question de pourquoi
ils s’étaient battus ou de pourquoi le loup-garou lui en voulait tant que ça.

« Rentre à la maison. » offrit Severus, avec un soupçon d’hésitation. « Je vais aller voir ce
qu’il en est, si cela peut te rassurer. Bien que je sois certain que ton parrain l’aura
malheureusement déjà remis sur pieds. »

Il n’était pas sûr que ce soit un bonne idée… Pas quand Sev paraissait si déterminé à en
découdre…

Mais il était trop fatigué, avait l’esprit trop embrumé pour protester.

Rentre à la maison.

La maison.

Oui, c’était exactement ce qu’il voulait. Sa maison. Sa chambre. Son chat. Sa couverture.

Là où il était en sécurité.
Là où il pourrait prétendre être normal.

°O°O°O°O°

Les quelques élèves qui trainaient dans les couloirs s’écartèrent très rapidement de son
chemin, fuyant sa fureur évidente comme ils l’avaient fait avant que la canne et la fin de ses
activités d’espionnage n’aient émoussé sa réputation de tyran.

Severus n’était pas simplement furieux.

Cela allait au-delà de la simple fureur.

Furieux, il l’avait été la veille lorsqu’il s’était avisé que Lupin avait placé Nymphadora dans
sa chambre. Furieux, il l’avait été lorsque Lupin avait essayé de le chasser de son chevet.
Furieux, il l’avait été lorsqu’elle s’était recroquevillée contre lui en tremblant alors que le
loup leur barrait le chemin. Furieux, il l’avait été au réveil, tiré du lit par un tambourinement
sourd à sa porte et les accusations de Black.

Ce qu’il ressentait à l’instant, ce n’était pas de la fureur.

Ce n’était même pas de la rage.

C’était une haine froide qui était bien plus insidieuse et dangereuse.

Que Lupin s’en prenne à lui, grand bien lui en fasse.

Qu’il s’attaque à Nymphadora, passe encore. Elle était adulte et capable de se défendre, du
moins lorsqu’elle n’était pas criblée de douleur.

Mais qu’il retourne son ressentiment contre son fils ?

Severus ne pouvait pas le tolérer.

Il débarqua dans la salle de classe que Lupin utilisait pour ses entraînements en trombe,
ralentit à peine lorsqu’il aperçut Black accroupi près du loup qui peinait à reprendre
connaissance…

« C’est quoi ce bordel ? » demanda l’Animagus, sans lever les yeux. « Harry t’a dit ce qu’il
s’est passé ? Parce qu’on dirait qu’il a pris un endoloris en pleine… »

Severus n’avait pas cessé d’avancer et la brutalité avec laquelle sa canne heurtait le sol dût
finalement alerter le Maraudeur valide parce que Black leva la tête, avisa son expression et sa
baguette dressée, et bondit sur ses pieds pour s’interposer, le tenant en respect d’une main
fermement posée sur son torse, faisant barrage entre lui et le loup-garou affaissé au sol.

« On se calme. » ordonna Black.

« Retire ta main ou je te brise le poignet. » siffla-t-il.

Était-ce une menace en l’air ? Il n’aurait pas su le dire.


Lupin avait fait du mal à son fils. Il avait senti la douleur d’Harry lorsque ce dernier lui avait
autorisé l’accès à son esprit et ajouté à la terreur de Nymphadora la veille, il ne se sentait pas
d’humeur charitable.

« Tu ne vas pas t’attaquer à un homme à terre. » contra Black, avec à peine un soupçon
d’hésitation.

C’était accorder beaucoup trop de confiance à son sang-froid. Severus n’aurait pas cette
retenue. Pas lorsque son fils avait témoigné tant de détresse que…

« Il a dit à Harry que son père aurait eu honte de lui. Qu’il aurait mieux valu qu’il meure à la
place de Lily et James. Qu’ils auraient été déçus. » grinça-t-il.

Black écarquilla les yeux sous le choc. Il déglutit avec difficulté puis tourna juste assez la tête
pour voir le loup, sans s’écarter du chemin de Severus et sans ôter la main qui le tenait
toujours en respect.

« Dis-moi que c’est un malentendu. » exigea Black.

Le Mangemort aurait pu se défaire de sa prise sans effort et attaquer Lupin.

Mais outre le fait que Black n’avait pas tort lorsqu’il disait qu’il n’allait pas attaquer un
homme à terre, il rechignait à perdre sa nouvelle entente avec l’ancien fugitif. Or, s’il passait
en force, le Maraudeur prendrait la défense du loup et…

« Je suis désolé… » lâcha Lupin, en s’asseyant avec difficulté.

Harry n’avait peut-être pas voulu lancer le sort mais il n’y était pourtant pas allé de main
morte.

Et il allait s’en vouloir.

Severus le connaissait suffisamment bien pour savoir que ce qui venait de se passer serait la
cause de plusieurs nuits blanches, de plus d’une interrogation sur l’influence de l’horcruxe,
et, pour finir, sur un sentiment grandissant de culpabilité qu’il trainerait comme une punition
auto-infligée.

L’équilibre psychologique de l’adolescent était déjà si précaire…

Il aurait pu tordre le cou du loup uniquement pour ça.

Black encaissa ces excuses et l’aveu tacite qui allait avec sans broncher mais avec une
déception évidente. Et un grand écœurement.

L’Animagus tourna le dos à son meilleur ami, le visage fermé, presque dur, et croisa le regard
de Severus.

Toutes les inquiétudes du Maître des Potions à propos d’Harry, Black les partageait.
Comment aurait-il pu en être autrement après leur discussion de la veille au soir ? Un seul
regard échangé suffit à confirmer qu’ils étaient sur la même longueur d’onde. À ce sujet là,
du moins.

« Je refuse qu’il s’en tire à si bon compte, cette fois-ci. » gronda Severus, en avisant la
détermination sur les traits de l’autre homme.

« Tu n’aideras personne en te faisant arrêter pour meurtre. » rétorqua Black. « Ou pour avoir
torturé quelqu’un dans l’enceinte de Poudlard. » L’ancien espion aurait répliqué qu’il ne
comptait pas se faire prendre mais son rival le prit de vitesse. « Harry a besoin de toi. »

L’argument était imparable et le sorcier le savait.

Ravalant un cri de rage impuissante, Severus fit un pas en arrière et abaissa sa baguette.

Il fusilla le loup-garou du regard. « Ces petits cours de Défense sont terminés. Tu ne


l’approcheras plus jamais. »

Il attendit les protestations, la colère, les déclarations grandiloquentes de l’Alpha…

Lupin baissa simplement la tête, apparemment contrit. « Severus, je suis désolé. »

« Tu peux. » cracha-t-il, en se détournant dans un claquement de cape.

°O°O°O°O°

Tonks regardait sans le voir le liquide ambré dans sa tasse fumante. Les appartements étaient
recouverts d’une chape de silence ouaté qu’expliquait leur profondeur sous le lac ; le seul
bruit qui troublait le calme était le tic-tac régulier de la pendule dans le salon. De la cuisine,
elle l’entendait à peine.

Elle aurait dû attraper sa tasse et retourner dans la chambre, elle le savait. Non seulement
parce qu’il était un peu étrange d’être seule ici sans Severus mais parce que chaque
inspiration lui donnait toujours l’impression qu’on lui enfonçait des sabres dans les poumons,
le ventre…

Elle s’était réveillée et rendormie plusieurs fois au cours des dernières heures mais n’avait
pas trouvé la force de bouger, pas même lorsqu’elle était restée consciente un peu plus
longtemps en début d’après-midi, affamée mais certaine que manger aurait été une très
mauvaise idée. Elle avait vaguement souvenir de Severus quittant le lit, ce matin là, d’un sort
ou deux de diagnostic, de la promesse murmurée qu’elle était en sécurité… Elle pensait, sans
en être certaine, qu’il était repassé à la pause déjeuner pour s’assurer qu’elle allait bien…

Mais elle n’avait véritablement émergé qu’une heure auparavant, la fièvre retombée et
l’esprit enfin clair.

Elle avait fait exactement ce qu’il lui avait interdit et avait pleuré au souvenir de la veille.
Albert et Leo… Et combien d’autres ? Il y avait eu davantage de corps au sol, des visages
amis qu’elle n’avait pas pris le temps d’identifier sur le moment…
Une part d’elle voulait contacter Kingsley, obtenir la liste des morts, mais elle était trop
épuisée, trop…

Pleurer avait été tout aussi douloureux que ce dont Severus l’avait avertie et l’avait laissée…
vidée.

Alors elle s’était trainée jusqu’à la cuisine et s’était préparée un thé, ignorant au mieux la
douleur dans sa poitrine. Elle avait trouvé un paquet de Fondants du Chaudron dans un
placard et avait grignoté la moitié d’une confiserie, en se demandant s’ils appartenaient à
Harry ou si Severus savait que c’étaient ses préférés et s’était assuré d’en avoir sous la
main…

La gourmandise était depuis longtemps abandonnée sur le plan de travail au milieu des
miettes qu’elle n’avait pas la force de faire disparaître d’un coup de baguette. La tasse fumait,
attendant qu’elle cesse de la contempler pour la boire…

Elle était si fatiguée… Si…

Une porte claqua, troublant le silence.

« Severus ? » appela-t-elle, se détestant pour le léger tremblement dans sa voix, pour la


manière dont elle attrapa immédiatement la baguette posée sur le plan de travail. En une
seconde, la fatigue laissa place à une vigilance disproportionnée.

Severus avait promis, avant de partir ce matin là, que personne mis à part lui et Harry ne
pouvaient entrer sans son consentement, elle en était pratiquement certaine.

Il n’y eut pas de réponse bien que la qualité du silence semblait avoir changé.

Il y avait quelqu’un d’autre dans les appartements.

Elle sortit de la cuisine sans se laisser le temps de flancher, baguette levée, son bras libre
encerclant sa taille pour… Pourquoi ? Protéger sa blessure ? Tenter d’alléger la douleur que
rien ne semblait atténuer ? S’il lui fallait se battre, elle ne serait pas dure à vaincre. Mais elle
vendrait chèrement sa peau, tout de même.

Elle cilla lorsqu’elle repéra Harry qui s’était immobilisé au beau milieu du couloir et
grimaçait, l’air gêné.

« Oh, c’est toi… » murmura-t-elle avec soulagement, baissant immédiatement sa baguette.

« Désolé. » marmonna l’adolescent. « Je ne savais pas que tu étais là. Severus m’a dit de
venir ici et… »

Le garçon n’avait pas l’air bien. Trop pâle, trop agité… Il aurait été simple de mettre ça sur le
compte de la gêne de la trouver ici en pyjama – ou du moins, ce qui s’apparentait à un
pyjama pour elle : des leggins noirs et un tee-shirt beaucoup trop grand dans lequel elle
flottait – mais sa bouche était également plissée d’inquiétude et son regard vert était… hanté.
« Je suis désolée si tu trouves ça bizarre que je sois là… » s’excusa-t-elle, grimaçant elle
aussi. Elle se rapprocha pourtant, rangeant sa baguette pour mieux se tenir le ventre à deux
mains. La douleur était pire lorsqu’elle était debout et elle était restée trop longtemps à
contempler sa tasse de thé, comme une idiote. « J’ai été blessée hier soir et… »

Un élan de culpabilité passa sur le visage du Gryffondor qui se tourna finalement vers elle
pour la détailler avec inquiétude. « Severus a dit que tu allais bien. »

Severus avait grandement exagéré la chose, décida-t-elle.

Mais face à l’anxiété du Survivant, elle se força à prendre un air plus léger, à minimiser elle
aussi, espérant que la manière dont elle s’appuya contre le mur semblait naturelle.

« Rien de grave. » mentit-elle. « Mais j’ai dû boire au moins un litre de Poussos pour faire
repousser mes côtes… Très désagréable. »

Harry grimaça avec compassion. « Lockhart a fait disparaître tous les os de mon bras en
deuxième année. Le Poussos… » Il secoua la tête. « Toutes tes côtes ? »

« C’est une longue histoire. » soupira-t-elle – et le regretta immédiatement parce que si


respirer était douloureux, pleurer un supplice, soupirer n’était pas très marrant non plus. « Je
ne pouvais pas rester au Q.G., c’est pour ça que Severus a proposé de m’héberger le temps
que je sois en état de rentrer chez moi. »

Elle avait la désagréable impression de se justifier mais, en même temps… Elle ressentait le
besoin de s’expliquer. La situation était délicate. Elle n’avait jamais eu à gérer ce genre de
choses auparavant et elle ne voulait surtout pas dire ou faire quelque chose qui lui mettrait
Harry à dos. Elle était sérieuse lorsqu’elle disait vouloir construire quelque chose avec
Severus et Harry était la personne qui comptait le plus pour lui…

Elle n’était peut-être pas prête à s’impliquer auprès de lui ou à former une belle famille
recomposée pour le moment mais en mettant l’adolescent au courant, il lui paraissait évident
qu’ils avaient passé un cap dans leur relation. Cesser de se cacher signifiait trouver un
équilibre avec le garçon, s’assurer de ne pas trop empiéter sur ses plates bandes, parce qu’elle
n’avait aucun doute que si Harry décidait qu’il la détestait et ne voulait plus la voir, Severus
n’hésiterait pas une minute entre eux deux.

Cela aurait peut-être dû la contrarier mais la Poufsouffle en elle admirait sa loyauté envers le
gamin, au contraire. Et c’était à elle de trouver sa place, si Harry voulait bien lui en faire une.

Le Gryffondor hocha la tête puis baissa le regard, visiblement embarrassé. « Ça ne me


dérange pas. Que tu sois là, je veux dire. C’est juste que je ne m’y attendais pas. »

Severus lui avait dit de venir ici mais ne l’avait prévenu ? Ajouté à l’attitude générale de
l’adolescent, cela mit tous ses sens d’Auror en alerte.

« Tout va bien ? » demanda-t-elle, avec ce qu’elle espérait être de la délicatesse. « Tu as l’air


préoccupé. »
L’adolescent gigota légèrement avec culpabilité.

« J’ai blessé Remus. » lâcha-t-il, en se frottant le visage. « C’est grave, je crois. »

Elle ne laissa rien paraître. Trop de sentiments se bousculaient en elle. Une inquiétude
naturelle qui se battait à une satisfaction qu’elle écarta immédiatement. Elle n’était pas de
nature rancunière ou plus que de raison portée sur la vengeance mais elle était très en colère
contre le loup-garou.

« Les accidents, ça arrive. » le rassura-t-elle. « Surtout à l’entraînement. Un jour, j’ai mis le


feu à mon instructeur par erreur, et pas un petit incendie… Il a passé trois jours à Sainte
Mangouste. »

Et il lui en avait voulu le reste de sa formation.

C’était comme ça que Fol’Œil l’avait repérée et prise sous son aile.

« Ce n’était pas un accident. » avoua Harry, sans la regarder en face. « Il était énervé… Il a
dit des trucs horribles sur Severus, sur mes parents, sur moi… » Le Gryffondor croisa son
regard une demi-seconde puis détourna les yeux, honteux. « J’ai voulu partir, il a essayé de
me retenir et… J’ai perdu le contrôle de ma magie. J’ai voulu lui faire mal. »

Qu’avait encore fait cet idiot ?

Comme si son comportement de ce matin et de la veille au soir n’était pas suffisamment


accablant…

Il s’en était pris à un ado ?

Parce qu’il en voulait à Severus ?

« Harry, il a trente-six ans, tu en as quinze. » déclara-t-elle fermement, sans parvenir à retenir


une pointe de colère. « Si l’un de vous est supposé savoir se contrôler, ce n’est pas toi. »

« Je ne l’aurais pas mieux dit moi-même. » commenta une voix doucereuse.

Harry et elle sursautèrent de concert.

Elle porta la main à sa poitrine, ravalant à grande peine un gémissement. Le mouvement


brusque ne lui avait fait aucun bien.

Elle jeta à l’ancien espion un regard noir.

« Je vais te passer une clochette autour du cou. » le menaça-t-elle. « Comment fais-tu pour
être aussi silencieux ? » Elle avisa la canne et son air goguenard et leva les yeux au ciel. « Ne
réponds pas, je peux déjà deviner que ça va être sarcastique. »

Il avait emprunté l’entrée qui partait de son bureau de Directeur de Maison et était, en
conséquence, arrivé dans leurs dos.
« Comment va Remus ? » s’empressa de demander le garçon.

« Tout à fait remis. » déclara Severus, en les rejoignant. « Tu ne lui as pas fait grand mal. »

L’expression du Professeur ne reflétait rien de particulier mais Tonks eut la sensation qu’il
mentait ou, du moins, minimisait l’état de Remus. Harry n’était pas plus dupe qu’elle.

« Vous essayez de me protéger. » l’accusa le Gryffondor, avec un mélange de contrariété et de


détresse.

« Je t’assure… » insista l’homme.

« Ne me mentez pas. » l’interrompit l’adolescent sèchement.

Un peu trop sèchement.

Tonks fit la grimace, s’étant trouvé suffisamment de fois dans cette position avec ses propres
parents pour sentir la tempête venir.

« Surveille ton ton. » exigea Severus, avec moins d’agacement qu’elle ne l’avait craint.

Harry leva les yeux au ciel et s’éloigna à grandes enjambées énervées. Quelques secondes
plus tard, il disparut dans sa chambre et la porte claqua suffisamment fort pour faire trembler
un miroir ouvragé au reflet légèrement terni qui pendait dans le couloir.

Severus marmonna quelque chose à propos d’adolescents et de portes qui claquent qui était
loin d’être aimable.

« Est-ce que Remus va vraiment bien ou… » hésita-t-elle.

« C’est tout ce qui te préoccupe ? » siffla-t-il. Il parut le regretter immédiatement et se pinça


l’arrête du nez avec un long soupir. « Excuse-moi, la journée a été longue. Ton loup se
remettra. »

Elle fit un effort pour se repousser loin du mur et se rapprocher lentement de lui, luttant pour
dissimuler la douleur. Elle posa la main sur son bras sans toutefois cacher sa contrariété.

« Ce n’est pas mon loup. » répondit-elle, un peu froidement.

Severus cilla plusieurs fois. Elle savait qu’il était furieux – et pas après elle – et qu’il
occludait pour ne pas perdre son sang-froid… Elle ne craignait pas son mauvais caractère
mais elle n’avait pas non plus envie de faire les frais des conneries de Remus, alors elle lui
accorda une minute de calme.

Lorsqu’il reprit la parole, sa voix était neutre mais ses yeux noirs s’étaient adoucis.

« Je ne pensais pas qu’il pouvait dépasser les limites de l’acceptable davantage que hier
soir. » lâcha-t-il. « S’attaquer à Harry pour m’atteindre ? » Il secoua la tête. « Et toutes ces
histoires de meute… » Il croisa son regard et son expression se durcit brusquement, comme
s’il venait tout juste de se rendre compte qu’elle n’avait rien à faire là. « Que fais-tu
debout ? N’ai-je pas été clair lorsque j’ai dit repos complet ? »

Il jeta une série de sorts de diagnostic auxquels elle se soumit bon grès mal grès.

« Je voulais juste une tasse de thé. » grommela-t-elle.

« Eh bien, récupère ton thé et retourne t’allonger. » trancha-t-il. « Le Poussos a pratiquement


terminé son œuvre mais la douleur… »

« Oh, la douleur est là. » grinça-t-elle.

« Raison de plus pour rester allongée et te reposer jusqu’à ce que tu puisses prendre une
potion antidouleur en toute sécurité. » la gronda-t-il, non sans une certaine affection.

Protester n’aurait servi à rien, elle le voyait à son regard. Pire, elle était presque certaine qu’il
l’aurait trainée jusqu’au lit si elle s’était avisée de refuser. Et puis, vu les coups d’œil peu
discrets qu’il jetait en direction de la chambre d’Harry, il était évident qu’il voulait pouvoir
parler au garçon tranquillement.

Avec un douloureux soupir, elle capitula.

Elle lui vola un baiser rapide puis battit en retraite vers la cuisine pour récupérer la tasse de
thé qui avait dû cesser de fumer depuis longtemps.

°O°O°O°O°

Severus s’assura que la jeune femme suivait ses instructions avant de s’approcher de la porte
close de la chambre de son fils. Se préparant à une conversation difficile, il prit une profonde
inspiration puis frappa à la porte.

Il n’y eut pas de réponse mais aucun sort de verrouillage ne l’empêcha de pousser la poignée
et, lorsqu’il fit un pas dans la pièce, Harry lui jeta un regard grincheux mais ne protesta pas.
L’adolescent était assis en plein milieu de son lit, les bras autour des jambes, le dos courbé,
recroquevillé exactement comme le Maître des Potions aurait souhaité l’éviter.

Il repoussa la porte sans la fermer tout à fait et alla s’asseoir au bord du matelas, avec la
désagréable impression qu’ils avaient fait un bond des mois en arrière. À nouveau, le voilà
contraint de consoler le gamin à cause de l’action malfaisante d’un Maraudeur…

« Lupin était conscient et cohérent lorsque je l’ai laissé. » déclara-t-il. « Cesse


immédiatement d’imaginer que tu l’as assassiné ou que tu lui as laissé d’horribles séquelles. »

« Le sort que je lui ai jeté… » demanda Harry, avec une détresse évidente.

« Tu ne lui as pas jeté de sort. » corrigea-t-il fermement. « Tu t’es senti menacé et tu t’es
défendu. Ta magie t’a défendu. »

« Ma magie aurait pu lui jeter un stupefix ou un petrificus totalus. » rétorqua le garçon. « Au


lieu de ça, j’ai jeté… C’était un Impardonnable, n’est ce pas ? »
Il n’attendit pas sa réponse pour enfouir la tête dans ses genoux avec une honte manifeste.

Severus se frotta le visage, hésitant entre un petit mensonge et la vérité. Le Gryffondor


détestait qu’on lui mente mais…

« Ce n’était pas un Impardonnable. » offrit-il finalement. Ce n’était pas tout à fait un


mensonge. Après tout, il existait tout un tas de sort qui provoquaient la douleur et qui
n’étaient pas l’endoloris. Harry n’avait pas prononcé de formule. « Mais, certes, ta magie a
été quelque peu… agressive. » L’adolescent marmonna quelque chose que Severus ne
comprit pas, prostré comme il l’était. « Redresse-toi. Il n’y aucune raison de te sentir
coupable. »

Le garçon releva la tête pour lui jeter un regard incrédule. « J’ai pratiquement jeté un doloris
et je ne devrais pas me sentir coupable ? »

« Il est l’adulte. » cracha Severus. « Et il n’y avait rien d’acceptable dans ce qu’il t’a dit. »

Il était bien conscient que, venant de lui, cela aurait pu paraître hypocrite, étant donné le
nombre de fois où il avait abreuvé le garçon d’injures. Pourtant, le souvenir de leur dernière
grosse dispute le hantait suffisamment pour qu’il ne commette jamais plus la même erreur.

La leçon avait été acquise. Chèrement et douloureusement, peut-être, mais il refusait de


commettre à nouveau la même erreur.

Et, que ce soit l’influence d’Harry ou qu’il ait juste été contaminé par de la sensiblerie à force
d’être entouré de lions, il tâchait, dans la mesure du possible, d’être un tant soit peu plus
pédagogue avec ses autres élèves.

« J’aurais dû me contrôler. » insista le Gryffondor. « Je ne suis plus un enfant. J’aurais dû


pouvoir… »

« J’ai perdu le contrôle de ma magie pas plus tard que ce matin. » le coupa-t-il. « J’ai vu
Albus Dumbledore rentrer dans de telles colères sourdes que son bureau entier en tremblait.
Personne n’est parfait, Harry. » Il toucha son genou pour être certain d’avoir son attention,
attendit que le regard vert se reporte sur lui pour continuer… « Ce qu’il s’est passé entre toi
et Lupin est d’autant plus inacceptable que cela n’avait rien à voir avec toi. C’était après moi
qu’il en avait. »

Harry fouilla son regard, à la limite de la Legilimencie.

Severus devait vraiment commencer à l’entraîner dans cette discipline. Ils avaient ouvert une
porte en soixante-quinze et la magie de l’esprit était délicate. Mal maîtrisée, elle pouvait
s’avérer dangereuse. Harry avait instinctivement compris suffisamment de ses techniques
pour s’en servir, accidentellement ou non, mais n’avait aucune subtilité et peu de contrôle.

« Il a dit que vous l’aviez frappé. » avoua le garçon, avant de se reprendre. « Non, il n’a pas
dit ça exactement… Mais il a dit que c’était vous qui lui aviez fait le bleu sur sa joue. »
« Il me barrait le passage. » admit Severus sans détour, omettant pourtant de parler de la
petite bagarre de la nuit d’avant. « Il faut que tu saches… »

Il hésita, délibéra, puis décida finalement que bien que cela le dérangeait de s’exposer autant,
son fils avait le droit de savoir. Pire, il préférait prendre les devants au cas où Lupin ne
choisisse de se venger de manière plus perfide, en s’attaquant à sa réputation.

« Nymphadora et Lupin entretenaient une relation amoureuse durant notre absence. »


expliqua-t-il.

La compréhension se fit sur le visage d’Harry. « Oh… Il est jaloux. »

« En partie. Cela va plus loin que cela, du moins je le crois. » répondit-il. « Il est possible que
la potion Révèle-Loup joue un rôle dans tout ça… Mon alliance avec Black… Notre lien à
tous les deux… Il est possible que son loup me perçoive comme un danger pour sa pseudo
meute. Il est possible qu’il ne soit pas entièrement responsable de ses actes, encore que cela
n’excuse rien. »

« Si c’est la potion, ce n’est pas vraiment sa faute. » objecta le garçon, toujours beaucoup
trop prompt à ne voir que le bon chez les gens.

À nouveau, Severus hésita mais… Il ne voulait pas que des doutes puissent exister dans
l’esprit du gamin si jamais Lupin lançait des rumeurs déplaisantes.

« Tu n’es pas le seul à qui il a tenu des propos déplacés. » déclara-t-il, à contrecœur. Les mots
que le loup lui avait craché au visage hier le hantaient encore, pourtant c’était davantage les
paroles qu’il avait tenues à l’Auror qui le préoccupait. « Et, au cas où il lui viendrait à l’idée
de les propager… Il faut que tu saches que Nymphadora a été mon élève. »

Harry fronça les sourcils. « Oui, je sais. »

Évidemment, qu’il savait. Son fils était loin d’être stupide. Les calculs n’étaient pas si
compliqués lorsqu’on connaissait leurs âges respectifs.

« Je veux qu’il soit extrêmement clair qu’il ne s’est jamais rien passé de répréhensible
lorsqu’elle était à Poudlard. » lâcha-t-il, gêné. « Je n’ai jamais…

« Bien sûr que non ! » l’interrompit le Gryffondor, outré pour lui. « Il raconte vraiment des
trucs comme ça ? C’est… C’est dégoûtant ! »

Severus détourna le regard, la mâchoire contractée. « Il ne sera certainement pas le seul à


faire ce genre de commentaires désobligeants. L’opinion des gens m’importe peu mais la
tienne… Je ne veux pas qu’il y ait le moindre malentendu sur le sujet. »

« Je n’ai jamais pensé ça. » promit Harry, en secouant la tête, les joues légèrement rougies.
« Ça ne lui ressemble pas de dire ce genre de choses… » Le Gryffondor fit la grimace comme
s’il venait soudain de se souvenir de quelque chose. « Il a dit qu’il avait demandé à Hermione
de… » Il s’interrompit, secoua à nouveau la tête et soupira. « Ceci explique cela, je suppose.
Il faut que je lui parle, que je lui explique… Euh, est-ce que je peux lui dire… »
« Dis-lui ce que tu veux. » soupira Severus. « Il n’y a plus guère de secret et elle sait se
montrer discrète. Je préfèrerai que cela ne fasse pas le tour de Poudlard, cependant. »

« Non, non, évidemment… » promit le garçon, en tirant sur un fil de la couverture.


« N’empêche que… Je ne peux pas perdre le contrôle comme ça. L’horcruxe… J’ai senti
l’horcruxe qui jubilait. »

Le Maître des Potion se frotta le front. « Les émotions négatives te rendent plus sensible à
son existence. »

« Oui, mais… » insista l’adolescent, uniquement pour s’interrompre lorsqu’ils entendirent les
coups à la porte d’entrée.

Ayant une bonne idée de l’identité du visiteur, Severus soupira intérieurement et fit
rapidement les modifications nécessaires à ses protections. Moins d’une minute plus tard,
Black pénétrait dans la chambre. L’Animagus les étudia en silence un moment puis vint
s’asseoir de l’autre côté du lit d’Harry comme si c’était la chose la plus naturelle à faire.

La scène était si domestique que Severus dût se faire violence pour ne pas le pousser hors du
matelas.

« Remus regrette sincèrement son comportement. » déclara Black, tout de go, en posant une
main sur le bras du garçon. Sa fureur ravivée, le Professeur ouvrit la bouche mais l’autre
sorcier le prit de vitesse. « Cela dit, je suis d’accord avec Severus et il n’a plus le droit de
t’approcher sans notre approbation préalable. S’il essaye, je veux que tu tournes les talons et
que tu rejoignes l’un de nous aussi vite que possible. À défaut, trouve un autre Professeur ou
Dumbledore. »

Satisfait, Severus garda le silence.

« Il va bien ? » demanda Harry, faisant clairement une confiance limitée au Maître des
Potions sur le sujet.

« Pomfresh va le garder quelques heures en observation pour être prudent mais, non, il n’a
rien. » répondit calmement l’Animagus. « Ce n’était pas ta faute. »

« J’aurais dû mieux me contrôler. » répéta Harry, têtu.

« Ce n’était pas ta faute. » insista Black. « Severus, dis le lui. »

« Je me tue à le lui dire. » grinça-t-il. « C’est un Gryffondor buté. Il parle ton langage. »

La plaisanterie arracha un faible sourire au garçon.

« Je veux qu’on discute de ce qu’il a dit. » déclara l’ancien évadé, sans se dérider, lui.

Harry baissa la tête. « Ce n’est pas la peine. »

« Si. » contra son parrain. « Si, ça l’est. » L’Animagus prit une profonde inspiration. « Harry,
du moment où tu es né, James a été fier de toi. Il était fier comme un paon. Si on n’avait pas
tous été aussi gâteux que lui, ça en aurait irritant. Pour lui, tu étais le plus beau bébé, le plus
intelligent, le plus en avance… Il n’était jamais à cours d’anecdotes ou de photos à nous
montrer ou… » La phrase s’étira sans se terminer. La peine dans la voix du sorcier semblait
toujours fraiche malgré les années. « Je connaissais James mieux que personne, mieux que
Remus, même… Il aurait été fier de toi quoi que tu fasses, quoi que tu décides. Je ne veux
pas que tu doutes de ça, jamais, parce que c’est la vérité, Harry. Je te jure que c’est la
vérité. »

La gorge nouée, le garçon hocha la tête.

« Quant à dire qu’il aurait mieux valu que tes parents survivent… » intervint Severus, faisant
de son mieux pour maîtriser sa colère. « Lily ne se serait jamais remise de t’avoir perdu. »

« On se remet de tout. » murmura Harry. « Même vous, s’il m’arrivait quelque chose,
vous… »

« Non. » cingla-t-il brutalement. « Non, je ne m’en remettrais pas. »

« Et moi non plus. » renchérit Black, en attrapant l’épaule de l’adolescent. « Et Severus a


raison. James et Lily… Tu étais leur monde. Ils ne se seraient jamais pardonnés ta perte. Je
sais que c’est terrible à entendre mais… Mourir pour te protéger, c’était leur choix. C’était la
seule option pour eux. Ils n’auraient jamais supporté de te survivre. »

Les yeux verts étaient humides de larmes.

Severus ne fût pas particulièrement surpris lorsque Harry étreignit son parrain suffisamment
fort pour lui couper la respiration mais il ne fût pas particulièrement ravi non plus lorsque le
garçon attrapa sa cape pour l’attirer dans une étreinte collective qu’il ne désirait pas. D’autant
moins lorsque Black, incapable de perdre une occasion de plaisanter même dans ces
circonstances, se fit un malin plaisir de lui passer un bras autour des épaules dans le seul but
de le pousser à se débattre pour se dégager avec le manque d’élégance d’un chat offusqué.

Cela entraîna un rire d’Harry, cependant.

Severus supposait qu’il y avait de plus cher prix à payer pour cette bonne humeur retrouvée
qu’une légère perte de sa dignité.

°O°O°O°O°

Lorsque Sirius pénétra dans l’infirmerie, il peinait toujours à contrôler la fureur qui lui
donnait envie de taper dans quelque chose. Il avait fait bonne figure dans les appartements de
Snape, avait plaisanté avec Harry jusqu’à ce qu’il soit sûr que son filleul, à défaut d’aller
bien, n’était pas trop perturbé par cette histoire, avait échangé des piques amicales avec le
Maître des Potions pour le simple plaisir de voir le garçon se moquer d’eux… Mais tout du
long, il avait ressassé sa colère comme une vieille amie.

Il y avait des rancœurs entre Remus et lui qui persistaient aujourd’hui.


Ils n’avaient jamais véritablement discuté de la Nuit des Ténèbres et de la dispute qui avait
éclaté entre eux, ce soir là, avant qu’il ne se précipite au Ministère, des reproches qui avaient
fusé des deux côtés… Sirius avait décidé d’avancer, de laisser le passé là où il était, estimant
que l’amitié de Remus était trop précieuse.

Oui, mais voilà, même l’amitié avait ses limites.

Et, songea-t-il en se plantant devant le lit qu’occupait son meilleur ami, ils avaient atteint les
siennes.

L’infirmerie était relativement déserte. Deux ou trois rideaux tirés indiquaient que des lits
étaient occupés par des élèves, Pomfresh vadrouillait entre eux… L’infirmière lui jeta un
regard mais ne protesta pas sa présence – elle n’était pas des mieux disposée envers Remus
depuis qu’il lui avait avoué comment il avait été blessé.

Sirius jeta un sort de silence autour d’eux afin que leur conversation demeure privée.

Le loup-garou l’observait l’air coupable, sans prononcer un mot.

« Tu ne vas vraiment rien dire ? » l’interpella finalement Sirius, n’y tenant plus.

Il avait muselé ses reproches, plus tôt, pressé de confier Remus à l’infirmière pour mieux
aller voir Harry, mais, à présent…

« Qu’y a-t-il à dire ? » soupira son meilleur ami. « J’ai perdu les pédales. J’étais tellement en
colère après Severus… »

« C’est trop facile de rejeter la faute sur Snape. » l’interrompit-il. « Et puis, d’après ce qu’on
m’a dit, c’est plutôt à lui d’être en colère contre toi. Et à Tonks. »

Un éclat sauvage dansa momentanément dans les yeux ambrés du loup-garou. « Qu’est-ce
qu’il t’a dit exactement ? »

Sirius ne se laissa pas impressionner par le grondement dans sa voix. « Que Tonks s’était
réveillée dans ton lit et qu’elle avait mal réagi. Qu’elle lui a demandé de l’aider à partir et que
tu as essayé de les en empêcher. Que tu lui as fait peur. »

Il éleva un peu plus la voix à chaque mot, l’accusation manifeste.

L’air bravache du loup-garou se transforma lentement en regret. « Je ne voulais pas lui faire
peur. Je l’ai faite porter dans ma chambre parce que, pour Lunard, c’était l’endroit le plus sûr
de la maison. Je voulais juste qu’elle soit en sécurité. Je ne pensais pas que ça causerait de
tels problèmes. » Remus s’interrompit, puis grimaça. « Non, ce n’est pas tout à fait vrai… Je
savais que Severus allait protester mais j’espérais… »

Il ne termina pas sa phrase.

C’était sans doute pour le mieux.


« Pour info, je suis d’accord avec lui. » lâcha Sirius. « Peut-être que tes intentions étaient
bonnes mais ton comportement avec Tonks, ce n’est plus possible. Il faut que tu la laisses
tranquille, que tu passes à autre chose. » Son meilleur ami ouvrit la bouche et il leva la main
pour l’interrompre. « Ne commence pas avec tes conneries sur les loups qui s’accouplent
pour la vie. Ce n’est pas ta première aventure. Peut-être que tu es tombé amoureux d’elle,
peut-être que c’était l’amour de ta vie… Je peux comprendre. Mais ce n’est pas comme ça
que tu vas la reconquérir, Remus. Tu l’as faite flipper. Et pour être honnête, tu me fais flipper.
Tu veux une chance de la convaincre que vous êtes faits l’un pour l’autre ? Laisse-la partir.
Elle reviendra ou pas, mais ce que tu fais là… C’est trop. »

Au moins le loup-garou l’avait-il écouté en entier sans protester. C’était un progrès.

« Je sais… » soupira Remus. « Mais quand je la vois avec Snape… C’est plus fort que moi.
L’instinct du loup… »

« Si tu arrêtais de la traiter comme tu le fais, Snape ne se sentirait pas obligé de la protéger. »


remarqua-t-il.

Son meilleur ami lui jeta un regard un peu étrange, sourcils froncés, puis détourna les yeux
comme s’il venait de comprendre quelque chose. Comprendre quoi, ça…

« Si tu as un problème avec Snape, réglez ça entre vous. » continua-t-il. « Battez-vous une


fois pour toute et passez à autre chose. Et, oui, c’est moi qui dit ça. »

Remus laissa échapper un bruit amèrement amusé. « Oh, s’il te plait… Vous êtes
inséparables, ces derniers temps. »

« C’est faux. » nia-t-il, en écrasant dans l’œuf un léger sentiment de culpabilité. Avait-il
délaissé son meilleur ami, ces derniers mois ? Peut-être un peu. Mais la vérité, c’était que le
loup le mettait mal à l’aise depuis qu’il ne cessait de parler de meute à tout va. « Et, de toute
manière, ce n’est pas la question. Tu te rends compte de ce que tu as fait aujourd’hui, au
moins ? De ce que tu as dit à Harry ? »

L’air coupable du loup-garou n’était pas feint et il ne chercha pas à se défendre.

« Tu n’as plus le droit de l’approcher sans mon consentement ou celui de Snape. » déclara
Sirius fermement. « Je me fous de ce qu’en dira Dumbledore, tu m’entends ? Tant que tu n’es
pas capable de te contrôler, je ne veux pas que tu lui parles. »

« Le consentement de Snape… » grommela Remus. « Tu sais qu’il compte l’adopter ? Il te


l’a dit, ça ? »

« Oui, il me l’a dit. » rétorqua-t-il. « Et j’ai donné mon accord. »

Pour la première fois depuis qu’il l’avait rejoint dans l’infirmerie, son meilleur ami eut l’air
outré. « Harry nous appartient, il appartient à ma meute. Tu ne peux pas… »

« Harry est son fils. » le coupa Sirius. « Il m’a prouvé une dizaine de fois déjà qu’il était la
meilleure option pour lui. Il est exactement ce dont il a besoin et je ne vais sûrement pas me
mettre entre eux parce qu’Harry ne me le pardonnerait jamais. » Son regard se durcit. « Et
toutes ces histoires de meute, Remus… Peut-être qu’il est temps que tu jettes un bon coup
d’œil dans un miroir et que tu te demandes si c’est vraiment la personne que tu veux être
parce que plus ça va et moins je te reconnais. Tu veux vraiment être un Alpha plus que tu ne
veux garder tes amis, ta famille ? Tu te rappelles de pourquoi tu détestais autant Greyback ? »

Le sort de silence qui les entourait éclata sans crier gare sans qu’il n’y ait mis un terme.
Sirius regarda autour de lui, peu surpris de voir Dumbledore marcher vers eux, l’air contrarié.
Le Directeur fit l’effort d’un sourire lorsqu’il le salua mais ses yeux bleus demeurèrent durs.

« Sirius, pourriez-vous nous excuser ? Je voudrais m’entretenir seul à seul avec Remus. »

Sirius avait été convoqué suffisamment de fois dans le bureau du Directeur durant sa jeunesse
pour savoir que son ami était dans de très sales draps. Pourtant, il ne chercha pas à rester pour
le défendre.

De une, il était toujours en colère.

De deux, il avait dit tout ce qu’il avait à dire.

°O°O°O°O°

Severus n’était pas tout à fait habitué à ce qu’il y ait autant de vie dans ses appartements. Il
s’était fait à partager les lieux avec Harry, s’était accoutumé à la présence de Nymphadora
tard le soir ou tôt le matin… Que les deux soient présents en même temps et en fin d’après-
midi était nouveau et déstabilisant sur de nombreux points.

Il n’était pas tout à fait certain de comment il était censé se comporter lorsqu’il se glissa dans
sa propre chambre, un peu désœuvré.

Severus ferma consciencieusement la porte et jeta un assurdiato pour plus de prudence. Il


doutait sincèrement qu’Harry cherche à épier leur conversation mais il était également
perturbé de les savoir tous deux sous son toit au même moment. Il ne voulait pas que le
garçon pense qu’il se préoccupait davantage de Nymphadora que de lui, cependant le
Gryffondor lui avait aussi clairement fait comprendre qu’il voulait être seul, alors s’assurer
que la jeune femme allait bien avait semblé logique. Seulement, il était terriblement conscient
de la présence de son fils au bout du couloir.

Aurait-il dû laisser la porte ouverte ? Harry allait-il s’imaginer des choses…

Sa gêne passagère disparut immédiatement lorsqu’il aperçut Tonks assise au bord du lit au
lieu d’allongée comme il le lui avait recommandé. Elle jouait avec sa baguette, comme elle le
faisait toujours lorsqu’elle était nerveuse, un bras enveloppé autour de ses côtes.

« C’est notre faute si Remus s’en est pris à Harry. » murmura-t-elle tristement, sans lever la
tête, lorsqu’elle l’entendit entrer.

« Certainement pas. » répondit-il fermement. « Du moins, ce n’est pas la tienne. Si


responsabilité, il y a… Je suis sans doute fautif. » Il n’avait pas réellement prévu de lui
cacher ce qui s’était passé la veille mais il n’avait pas non plus réfléchi à comment il allait lui
expliquer ce qu’il s’était passé. « Nous nous sommes battus, hier soir. »

Elle fronça légèrement les sourcils, levant les yeux vers lui. « Tu veux dire ce matin ? »

« Non. » avoua-t-il, grinçant un peu des dents parce qu’il savait qu’elle n’allait pas
approuver. « Je n’ai pas extrêmement bien réagi lorsque j’ai compris que nous étions dans sa
chambre. Nous en sommes venus aux mains. »

Elle n’eut pas l’air particulièrement surprise. Elle se frotta le visage sans parvenir à atténuer
la fatigue qui alourdissait ses traits. Elle avait attaché ses cheveux bruns passablement
emmêlés en une queue de cheval basse.

Il dût se faire violence pour ne pas lui ordonner une nouvelle fois de se rallonger. Elle était si
visiblement épuisée…

« Je m’en veux. » insista-t-elle. « J’ai l’impression que c’est ma faute. »

Il soupira et traversa la pièce jusqu’à se tenir devant elle. « Si vous pouviez, Harry et toi,
cessez de vous auto-flageller pour les actes de Lupin… Ce n’est pas plus ta faute que la
sienne. Le seul responsable, c’est Lupin. Et, dans une moindre mesure, moi pour ne pas avoir
insisté pour que la leçon d’Harry soit annulée après ce qu’il s’est passé hier. » Il occluda la
colère résiduelle. « Cela ne se reproduira pas. Lupin a interdiction de s’approcher à nouveau
de lui sans mon autorisation. » Nymphadora n’avait toujours pas l’air convaincu. Son regard
était perdu, triste. Il effleura son menton de la main, l’incitant à relever la tête pour le
regarder en face. « Si je pouvais le tenir éloigné de toi aussi facilement… »

Il aurait presque préféré qu’elle s’offusque au lieu de cette étrange apathie qui paraissait
s’être emparé d’elle.

Sa blessure expliquait beaucoup mais pas tout. Il soupçonnait que les évènements de la veille
l’avaient rattrapée et qu’elle était en train d’en subir le contrecoup. Il avait remarqué ses yeux
rougis, plus tôt, devinait qu’elle avait pleuré…

« On est tous adultes… » remarqua-t-elle. « On devrait être capable d’au minimum travailler
ensemble. » Elle fouilla son regard, sans tenter de lui dissimuler sa lassitude. « Et ce n’est pas
comme si je pouvais l’éviter, tu sais. L’Ordre… »

« Je le sais. » Il la tranquillisa d’une caresse sur la joue. Au moins sa fièvre était retombée.
« Pourquoi n’es-tu pas couchée ? »

Elle sursauta légèrement comme si elle venait juste de se souvenir de quelque chose
d’important.

« Je vais rentrer chez moi. » déclara-t-elle.

Severus fronça les sourcils. « Tu es contrariée que je me sois battu avec lui ? »

« Je ne suis pas enchantée. » admit-elle, en s’humectant les lèvres. « Mais je ne suis pas
fâchée, non, ça n’a rien à voir. »
Sa perplexité se transforma vite en entêtement. « Tu n’es pas en état de marcher jusqu’aux
grilles du château, de transplanner, puis de marcher encore jusqu’à ton appartement. »

Le problème serait le même si elle tentait de rejoindre le Square Grimmaurd d’abord.

Il comprenait qu’elle aurait été plus à l’aise chez elle. Il n’y avait rien de pire qu’être
gravement blessé ailleurs que chez soi et, si ça avait été lui, il aurait également bataillé
jusqu’à être autorisé à regagner ses appartements… Toutefois, c’était bien trop risqué – pour
sa santé comme pour sa sécurité.

De plus, il ne dormirait pas tranquille tant qu’il ne serait pas certain qu’elle allait bien et le
Poussos n’avait pas encore tout à fait fini de faire effet.

« Harry a besoin de toi. » contra-t-elle. « Je ne veux pas déranger… »

« Tu ne déranges personne. » démentit-il. « Harry n’a pas l’intention de rester ce soir. »

Elle lui jeta un regard lourd de sens. « Parce que je suis là. »

« Non. » rétorqua-t-il. « Parce que Lupin a apparemment manipulé Granger à son insu et que
cela a créé des problèmes entre eux qu’il souhaite résoudre au plus vite. »

Elle le dévisagea un moment puis laissa échapper une profonde expiration qui devait, sans
conteste, être douloureuse. « Il va me falloir une explication plus détaillée mais ça peut
attendre. »

« Cela peut attendre que tu sois davantage reposée, c’est certain. » conclut-il, comme si
l’affaire était entendue.

Il se pencha pour arranger les oreillers, l’encourageant d’une faible pression sur l’épaule à
s’allonger.

« Tu es sûr que tu veux que je reste ? » insista-t-elle, avec hésitation. « Je me sens un peu
coupable de t’avoir obligé à t’occuper de moi toute la nuit et toute la journée… »

Il lui jeta un regard sévère, tout en l’aidant à se glisser sous l’épais duvet. « Tu ne m’as obligé
à rien. »

Elle leva les yeux au ciel. « Je me suis comportée comme un bébé. »

« Tu souffrais. » contra-t-il.

« Ce n’est pas une raison… » marmonna-t-elle.

« Nymphadora… » soupira-t-il, en s’asseyant au bord du matelas. « Je ne considère pas que


prendre soin de toi lorsque tu es blessée ou malade soit une corvée. Je suis soulagé que tu
m’ais fait appeler hier, pour tout te dire. D’ailleurs, j’exige que tu me fasses appeler lorsque
tu es blessée. » Il se frotta les yeux, commençant à ressentir les effets de sa nuit blanche. «
Même si cela me donne des sueurs froides. Lorsque j’ai reçu le Patronus de Shacklebolt, je
dois admettre que j’ai cru… »
Il ne termina pas sa phrase, ne préféra même pas repenser à cette terrible seconde avant que
le lynx ne se mette à parler où il avait craint que l’Auror lui annonce le pire.

Il croisa le regard gris, trop fatigué, trop pénétrant.

Ils étaient passés très, très près du désastre.

Severus ne parvenait pas à détourner les yeux. L’espace entre eux était chargé de non-dits qui
n’attendaient que d’être formulés.

Il ne savait pas comment faire le premier pas.

Tu n’as jamais aimé personne et personne ne t’a jamais aimé. Tu es pourri jusqu’à la moelle.

Il ne savait pas s’il était sage de faire le premier pas.

« Severus… » murmura-t-elle, un sourire flottant sur ses lèvres.

Ce fût le moment où un fracas tonitruant résonna du salon, suivi d’une série de


marmonnements mécontents.

Severus ne paniqua pas car il savait qu’une seule personne aurait été capable de passer ses
protections sans son accord, la même qui pouvait aller où bon lui semblait au sein de l’école
car il y régnait en maître, mais il leva tout de même les yeux au ciel.

« On pourrait croire, qu’après toutes ces années, Albus se souviendrait du pare-feu. »


remarqua-t-il, en se levant avec difficulté. « Tente de te rendormir quelques heures. La
douleur ne devrait pas tarder à s’atténuer et tu pourras prendre une potion. »

Nymphadora ne chercha pas à discuter. Elle se blottit dans le duvet aussi confortablement
qu’elle le put et ferma les yeux. Il s’attarda une seconde de plus qu’il ne l’aurait dû pour la
regarder se rendormir avant de quitter la pièce. Harry avait passé la tête par l’entrebâillement
de la porte de sa chambre mais n’avait pas poussé jusqu’à enquêter sur la source du chaos,
ayant sans doute reconnu la voix du vieux sorcier.

Severus l’encouragea à retourner à ses occupations d’un geste, trainant sa jambe raide
jusqu’au salon, peu surpris de trouver le Directeur en train de se masser le mollet. Son pare-
feu avait été métamorphosé en une souris mécanique que Masque observait d’un air
dédaigneux de son perchoir sur le dossier d’un fauteuil.

« Vous auriez tout aussi bien pu utiliser la porte pour entrer par effraction. » commenta-t-il,
non sans ironie.

Albus ne sembla pas apprécier son humour noir.

Néanmoins, Severus arborait lui aussi les hématomes dus à une rencontre trop brutale avec ce
pare-feu et, bien que cela en prouve l’efficacité, il devait admettre que ce n’était guère
agréable.
« Pardonnez-moi l’intrusion, Severus, j’ai simplement voulu aller au plus court. » répondit le
vieux sorcier. « Je viens de l’infirmerie où je me suis longuement entretenu avec Remus. »

Il se renfrogna immédiatement, foudroyant le Directeur du regard. « Les leçons particulières


sont terminées. »

« Indubitablement. » acquiesça Albus, le prenant de court. Cela parut l’amuser mais il ne


cacha pas une certaine amertume. « N’ayez pas l’air si surpris, mon garçon. Remus ne m’a
rien caché de ce qu’il s’est passé et son récit était accablant. Si cela fait une différence, je
pense que son remord est sincère. »

« Cela ne fait aucune différence. » grinça-t-il. « Quant à être surpris, vous m’excuserez de me
méfier de vos tendances laxistes envers vos précieux Maraudeurs. »

« Remus lui-même a demandé à être relevé de ses fonctions. » lui apprit le vieux sorcier, avec
une légère désapprobation. « Je pense que la situation, aussi malheureuse ait-elle été, lui a
ouvert les yeux sur son comportement récent. »

C’était un peu trop facile et Severus refusait de tomber dans le piège.

« Il se tiendra aussi loin de Harry qu’il est humainement possible de le faire. » siffla-t-il.

« Certes. Il m’a dit que c’est ce que Sirius souhaitait. » confirma Albus, avec un soupir.
« Tout ceci est bien malheureux… Comment va Harry ? »

Le Maître des Potions croisa les bras, sans rien cacher de sa contrariété. « Il se reproche son
manque de contrôle et d’avoir blessé Lupin. »

« Souhaitez-vous que je lui parle ? » proposa le Directeur. « Peut-être pourrais-je le rassurer à


propos de James et de ses parents ? »

« Inutile. Nous nous en sommes déjà chargé. » refusa-t-il. « Par ailleurs, Sirius et moi avons
décidé que nous reprendrions nous-mêmes son entraînement en main. Inutile donc de lui
chercher un nouveau professeur. »

Une étincelle amusée brilla dans le regard de Dumbledore.

« Sirius et vous semblez former une formidable équipe parentale. » se moqua gentiment le
vieux sorcier.

L’ancien espion laissa échapper un grognement. Il n’avait pas fait exprès d’utiliser le prénom
de son rival. À force de se voir appelé Severus à tout bout de champ, voilà qu’il s’y mettait
lui aussi.

« Merlin m’en préserve. » s’offusqua-t-il.

Albus ne poussa pas plus loin la plaisanterie, il redevint sérieux. « Je ne vois pas d’objections
à ce que vous entrainiez Harry vous-même ; néanmoins, il m’est apparu qu’à son niveau il
serait peut-être intéressant de le confronter à différents styles et adversaires. Des cours
sporadiques exceptionnels, si vous préférez. »
Ce n’était pas la pire idée mais Severus flairait le piège. « Et qui avez-vous en tête ? Si vous
dites Grindelwald, je vous jure… »

« Gellert n’est pas autorisé à toucher une baguette excepté en cas d’attaque. » l’interrompit
Albus avec une désapprobation blessée, comme si le Professeur l’avait offensé. « Cela dit, ses
conseils pourraient sans doute… »

« Il faudra me passer sur le corps. » grinça-t-il, en se redressant pour mieux le toiser de toute
sa hauteur.

Albus ne parut pas autrement surpris.

« Je pourrais superviser une séance ou deux. » déclara le vieux sorcier. « Je pensais


également à Filius, Shacklebolt ou Tonks s’ils trouvent le temps… Minerva lui donne déjà de
mystérieux cours particuliers dont je prétends ne pas avoir deviné la teneur, elle pourra sans
doute détourner une séance ou deux en cours de duel… »

Severus ne trahit aucun signe d’étonnement ou d’agacement. Il n’avait pas réellement pensé
pouvoir cacher à Albus qu’Harry tentait de devenir un Animagus. Il y avait peu de chances de
dissimuler les cours particuliers avec Minerva et, de toute manière, sa propre forme ayant été
démasquée… Le Directeur savait pertinemment qu’il n’avait pas été un Animagus avant la
tempête magique et qu’une idée aussi saugrenue, au vu de ses piètres dons en Métamorphose,
ne lui serait pas venue toute seule. La conclusion logique s’imposait d’elle-même.

Il ne confirma, ni n’infirma, rien.

« Tant que j’approuve ces séances au préalable… » répondit-il, sans s’engager. « Je pense
qu’il nous faut également discuter du bien fondé de continuer les recherches sur la potion
Révèle-Loup, Albus. J’avoue avoir des doutes… »

« Nous pouvons certainement en discuter. » offrit le vieux sorcier. « Mais je ne vois guère
d’autre solution. »

Sachant qu’insister serait inutile pour le moment, Severus ne chercha pas à forcer le
problème. Au lieu de cela, il raccompagna Albus à la cheminée, retransforma la souris
mécanique que Masque boudait en son fidèle pare-feu et se tourna finalement vers
l’adolescent qui l’observait, les avant-bras appuyé sur le dossier du canapé.

« Vous ne me laissez jamais rien faire de marrant. » se plaignit Harry, une lueur amusée dans
le regard. « Un cours avec Grindelwald… Imaginez tout ce que je pourrais apprendre. »

« Range un peu tes affaires, au lieu de dire des bêtises. » rétorqua Severus, en désignant la
table basse où s’empilaient les livres du garçon, un paquet éventré de Dragées Surprises et
une demi-douzaine des fiches de révision qu’il reconnaissait de ses nombreuses années
d’amitié avec Lily. Le bazar du garçon se disputait aux parchemins, grimoires et autres
carnets qu’il avait lui-même tendance à empiler aux quatre coins du salon comme s’il
s’agissait d’une annexe de son bureau.

« Père indigne. » se moqua le Gryffondor, en se mettant au travail.


« Fils insupportable. » répliqua-t-il, avec suffisamment d’affection pour que l’adolescent ne
le prenne pas mal.

°O°O°O°O°

Remus essuya la buée du miroir d’un coup de serviette, le corps parcouru de frissons. Le
Square Grimmaurd était plein de courants d’air et la salle de bain du premier étage, avec sa
fenêtre qui fermait mal et son carrelage glacé, ne faisait pas exception.

Il préférait pourtant la maison trop glauque des Black à Poudlard.

Il s’était enfui de l’infirmerie dès que Madame Pomfresh lui en avait donné l’autorisation,
incapable de supporter plus longtemps ses regards un peu trop pesants. L’infirmière avait tant
fait pour lui durant son adolescence que la sentir déçue par son comportement était une pilule
un peu trop amère à avaler.

Ce n’était pas la seule chose si amère qu’elle lui restait en travers de la gorge.

Les mots durs de Sirius l’avaient d’abord mis en colère, puis…

Il affronta son reflet.

Son corps n’était plus aussi maigre et famélique qu’autrefois. S’il gardait les cicatrices de
trop nombreuses transformations douloureuses, aucune d’entre elles n’était récente. Il avait
pris en muscles, en souplesse, depuis la première fois où il avait goûté à la potion Révèle-
Loup. Il possédait le corps d’un prédateur, désormais.

Son visage, lui aussi, s’était un peu durci. Il avait gagné en confiance, en charisme… Et ses
yeux étaient plus ambrés que bruns désormais, ils gardaient l’éclat sauvage de sa nature en
permanence.

Il avait changé, c’était indéniable.

Et il refusait de s’en excuser.

Le loup et lui ne formaient plus qu’un, à présent. L’animal était si présent dans son esprit…
Tout comme sa partie humaine s’imposait lorsqu’il était sous forme de loup. Ils étaient un et
c’était merveilleux. Lunard ne s’était jamais senti aussi en paix avec lui-même.

Tu te rappelles de pourquoi tu détestais autant Greyback ?

Il était différent de Greyback.

Le grondement échappa à sa gorge, plus animal qu’humain.

Le loup, en lui, pourtant se recroquevillait.

Ils avaient blessé un membre de la meute.

Pire…
Ils avaient blessé le plus jeune membre de la meute.

La meute devait être protégée à tout prix.

Surtout les plus jeunes.

Contrairement à Greyback, il tenait à chacun de ses membres, tenait à leur vie, tenait à…

Il ne voulait pas être le genre d’Alpha qui régnait par la peur et l’agressivité. Il voulait…

Remus croisa son propre regard, sans parvenir à s’ôter de l’idée qu’il était faux, qu’il ne
renvoyait pas la vérité. C’était un loup-garou qui aurait dû le fixer en retour.

Et cela ne l’effrayait plus. Même après tout ce qu’il avait vécu ces derniers mois, cela ne
l’effrayait plus.

Il en avait terminé de se craindre, de laisser sa nature le terrifier.

Il avait blessé Harry.

Il baissa les yeux de honte. Ses mains agrippèrent la porcelaine de par et d’autre du vieux
lavabo.

Il avait blessé Harry.

Il était allé trop loin, beaucoup trop loin. Il avait laissé sa fureur le contrôler. Pas le loup,
non… S’il était honnête, le loup était une excuse toute trouvée pour excuser sa jalousie.

Severus…

Ennemi.

Ses doigts se contractèrent autour de la porcelaine, ses phalanges blanchirent légèrement…

Ennemi.

Mais Severus n’était pas celui qui avait blessé le plus jeune membre de sa meute,
rationnalisa-t-il, Severus n’était pas celui qui avait fait fuir Dora.

Cette vérité là était plus dure à encaisser car il aurait été beaucoup plus simple de continuer à
s’enferrer dans son déni, de continuer à prétendre que Severus la lui avait volée ou la
manipulait alors qu’en réalité…

Les loups s’accouplaient pour la vie mais, comme elle le lui avait si justement fait remarquer,
Tonks n’était pas une louve.

Et la manière dont elle s’était reculée, ce matin là, la manière dont elle s’était recroquevillée
contre Snape parce que…

Tu la terrifies.
L’accusation de l’ancien Mangemort l’avait mis hors de lui.

Était-ce pour autant un mensonge ?

Il avait préféré se voiler la face, prétexter qu’elle ne savait pas ce qu’elle disait alors même
qu’elle réclamait Severus entre deux sanglots la veille….

Il l’avait faite installer dans sa chambre d’une part parce que, pour lui, c’était l’endroit le plus
sûr de la maison et il l’aurait veillée pour être certain qu’elle soit en sécurité, mais d’une
autre… D’une autre, il avait également espéré provoquer le Maître des Potions, le pousser à
perdre son calme, à l’attaquer le premier, à prouver à Tonks que…

Il se frotta le visage sans parvenir à effacer le souvenir de ce matin là, à oublier la manière
dont la jeune femme s’était écartée avec frayeur… Le prédateur en lui avait senti sa peur, s’il
devait être honnête.

Et ensuite… Le temps qu’il défonce la porte…

Avait-il réellement envoyé un Patronus à Albus accusant Severus de l’avoir kidnappée ?

Il savait bien que le sorcier ne l’avait pas forcée à partir, que c’était elle qui l’avait décidé…

« Tu deviens fou, mon pauvre Lunard. » murmura-t-il à son reflet.

Il l’aimait.

Il l’aimait à en perdre la raison.

Tu veux une chance de la convaincre que vous êtes faits l’un pour l’autre ? Laisse-la partir.
Elle reviendra ou pas mais ce que tu fais là… C’est trop.

Sirius avait raison, songea-t-il avec regret. C’était trop.

Les paroles qu’il avait craché au visage d’Harry, la cruauté avec laquelle il avait traité le
garçon simplement parce qu’il avait choisi de se rapprocher de Severus…

Combien de temps avant qu’il ne retourne accidentellement ou non cette colère, cette haine,
contre Dora ?

Il ne voulait pas être ce genre d’homme, de loup ou d’Alpha.

Oui, il aimait Tonks. Non, il n’appréciait gère Snape en ce moment.

Mais il avait perdu de vue l’essentiel.

Severus n’était pas l’Ennemi qu’il fallait abattre en priorité – ou du tout s’il tenait à ne pas
blesser deux membres de sa meute qui lui étaient chers.

Il leur fallait gagner cette guerre.

Et tuer Greyback.
Et lorsque Greyback serait mort, sa meute aurait besoin d’un Alpha. La plus grosse meute du
Royaume-Uni…

Il y avait là une opportunité pour les loups-garous, Remus y croyait véritablement. S’il jouait
correctement ses cartes, il pourrait faire bouger les choses, peut-être changer les mentalités…
La potion Révèle-Loup pouvait tout renverser…

Mais la première étape serait de vaincre Greyback, de le remplacer en tant qu’Alpha.

Et pour ça Lunard devait se concentrer sur autre chose que Severus Snape.

Oui, le fait que sa compagne le rejette était un crève-cœur dont il ne guérirait jamais mais il
ne pouvait pas la contraindre à l’aimer ou la retenir de force.

Tu veux une chance de la convaincre que vous êtes faits l’un pour l’autre ? Laisse-la partir.
Elle reviendra ou pas mais ce que tu fais là… C’est trop.

Peut-être Sirius avait-il raison sur un autre point. S’il la laissait partir… S’il renonçait à la
poursuivre…

Elle était tombée amoureuse de lui en dépit de ses propres doutes, de ses tentatives pour la
repousser… Elle était tombée amoureuse de celui qui se donnait corps et âme à l’Ordre et
faisait tout pour gagner cette guerre…

Il n’était plus le même homme mais cela ne signifiait pas qu’elle ne retomberait jamais dans
ses bras.

Il n’abandonnerait jamais cet espoir, le loup en lui ne le permettrait pas.

Mais il était prêt à lui rendre sa liberté si c’était ce qu’elle désirait.

Car l’ironie était que s’il l’avait fuie, au début, c’était parce qu’il se croyait un monstre. Or
maintenant qu’il était en paix avec lui-même… S’il continuait sur cette voie il risquait de se
transformer en ce même monstre qu’il avait tant craint.

Non, songea-t-il en affrontant à nouveau le regard mordoré dans le miroir, il ne ferait plus ce
genre d’erreurs.

°O°O°O°O°

« Voilà, tu sais tout. » conclut Harry.

La tête d’Hermione tournait de toutes les informations que son meilleur ami venait de lui
confier. Il était suffisamment tard pour qu’il ne subsiste que quelques groupes d’élèves dans
la salle commune et ils s’étaient attribués les meilleurs fauteuils près de la cheminée. Ron
avait été trop heureux de les laisser seuls lorsqu’Harry en avait fait la demande, espérant sans
doute qu’ils parviendraient à régler leur différent. Des sorts leur assuraient que leur
conversation demeurait privée.
Hermione avait espéré qu’Harry soit prêt à discuter à cœur ouvert, elle ne s’était pas attendu
à… ça.

La violence des paroles de Remus l’avait choquée, tout autant que l’idée que leur ancien
Professeur ait pu lui demander de surveiller Snape uniquement par jalousie…

« Tonks et Snape ? » répéta-t-elle, un peu incrédule.

Il était un peu difficile d’imaginer la jeune femme, si pleine de vie et d’humour, avec un
homme aussi renfermé et acariâtre mais elle était mal placée pour juger les autres en matière
de romance. Elle était bien consciente que, sur le papier, son histoire avec Draco aurait
semblé improbable au début de l’année.

« Ce n’est pas vraiment un secret mais, s’il te plaît, n’en parle à personne. » demanda Harry,
en grimaçant légèrement. « Je ne crois pas que Sirius soit déjà au courant, par exemple. »

Et si Remus répandait vraiment des mensonges sur Snape et Tonks, ce n’était pas étonnant
qu’ils veuillent être discrets sur le sujet, songea-t-elle.

« Non, bien sûr. » promit-elle, en hochant distraitement la tête. « Tu te rends compte que vu
que Tonks a la garde de Draco… »

Harry suivit son raisonnement et pâlit brusquement à l’idée de se retrouver demi-frère


d’adoption avec le Serpentard, ce qui l’amusa légèrement.

« Tu ne lui dis surtout pas à lui. » insista son ami, en grognant. « C’est la pire commère du
château. »

Elle protesta pour la forme mais ne pouvait pas entièrement lui donner tort sur le fond. Elle
adorait Draco mais il était avare de ragots. Il gardait certain dans sa manche s’il estimait
qu’ils pouvaient lui servir plus tard, mais avait une tendance prononcée à répandre les autres.

« Je n’arrive pas à croire que Remus ait pu dire des choses pareilles… » murmura-t-elle,
ramenant la conversation sur un terrain un peu plus sérieux.

Harry haussa les épaules, s’affaissant davantage dans son fauteuil. « Severus pense que c’est
peut-être dû à la potion Révèle-Loup. »

Il ne leur en avait jamais dit beaucoup sur les avancées de l’Ordre avec cette potion et
Hermione brûlait d’en savoir plus. Elle se contint, pourtant.

« S’il est sous influence, il faut l’aider. » répondit-elle.

« C’est un peu plus compliqué que juste de l’influence, d’après ce que j’ai compris. » contra-
t-il. « La potion lui a permis d’harmoniser ses deux natures… Et en acceptant le loup en lui…
Eh bien, il a changé. »

Sans pouvoir lire les recherches qui entouraient la potion, Hermione ne pouvait pas se faire sa
propre opinion.
« En tout cas… » hésita-t-elle. « Écoute, je suis désolée. Lorsque j’ai reçu cette lettre de
Remus, je me suis dit… J’avais déjà mes propres doutes, tu comprends. »

Et le fait que Remus se soit révélé moins qu’honnête, au demeurant, ne les effaçait pas.

« Hermione… » soupira-t-il d’un ton las.

C’était cette lassitude permanente qui ressurgissait plus ou moins à certains moments qui
l’inquiétait.

Elle prit une profonde inspiration et se pencha légèrement vers lui. Elle était déjà assise au
bord de son fauteuil, elle n’eut donc pas d’effort à faire pour lui attraper la main.

« Ron m’a répété ce que tu lui as dit. » avoua-t-elle, en fouillant son regard. Il ne se déroba
pas mais resta silencieux. « Il m’a dit que tu pensais que tu allais mourir, que Dumbledore
allait te sacrifier… » La mâchoire d’Harry se contracta comme sous l’effet d’un tic nerveux.
« Harry, c’est ridicule. Dumbledore veut simplement s’assurer que tu seras prêt le moment
venu. » Malgré les protections, elle baissa légèrement la voix, trop consciente des quelques
groupes d’élèves qui discutaient à divers endroits de la pièce. « Une fois que tous les
horcruxes seront détruits, ce sera toi contre Voldemort. Tu as toutes tes chances. Tu seras
suffisamment préparé et… »

Elle s’interrompit lorsque Harry détourna brusquement la tête, son regard allant se perdre
dans les flammes qui se consumaient dans l’âtre. Petit à petit, son visage devint lisse comme
un masque.

L’Occlumencie, encore.

« C’est normal d’avoir peur. » insista-t-elle gentiment. « À ta place, je serais terrifiée. »

« Ce n’est pas pour moi que j’ai peur. » lâcha-t-il, sans intonation particulière.

Elle pouvait comprendre ça aussi.

« Harry, la seule chose qu’on puisse faire, c’est s’assurer d’être prêt. » déclara-t-elle, avec
ferveur. « C’est à ça que sert l’A.D. À nous donner une chance le moment venu. »

Elle fit un gros effort pour ne pas repenser à la débâcle qu’avait été le Ministère, à quel point
ils n’avaient pas été prêts malgré tous leurs efforts… Ce serait différent la prochaine fois, se
jura-t-elle.

Harry ne la regardait toujours pas.

Elle hésita à nouveau puis décida de profiter du fait qu’il semblait disposé à l’écouter. « Oui,
Dumbledore veut sûrement que tu affrontes Voldemort parce que c’est ce que dit la Prophétie,
mais ça ne veut pas dire qu’il veut te sacrifier. »

Le Survivant ferma les yeux, son expression n’exprimant qu’une profonde fatigue.
« Ce n’est pas ce que veut dire la Prophétie. » marmonna-t-il, presque trop bas pour qu’elle
l’entende.

Elle n’était pas certaine qu’il ait fait exprès de parler à voix haute.

Elle fronça les sourcils. « Qu’est-ce que tu veux dire ? Elle est plutôt explicite. L’un de vous
doit… »

Elle s’interrompit brusquement alors que les termes précis lui revenaient en mémoire.

Et l’un devra mourir de la main de l’autre, car aucun des deux ne peut vivre tant que l’autre
survit.

Aucun des deux ne peut vivre tant que l’autre survit.

Tant que l’autre survit.

Survit.

Elle était coutumière de ces moments où la lumière se faisait dans son esprit. C’était comme
dérouler une pelote de laine, on tirait sur le fils et, tout d’un coup, la tapisserie se révélait :
limpide.

Et, l’espace d’une terrible seconde, tout devint extrêmement clair.

Pourquoi Harry pensait qu’il allait mourir.

Pourquoi il pensait que Dumbledore allait le sacrifier.

Pourquoi il était si déprimé, si défaitiste.

Pourquoi Snape était du côté de l’Ordre mais s’opposait au Directeur.

Pourquoi Sirius et Snape paraissaient si déterminés à former une alliance.

Pourquoi la cicatrice d’Harry servait de lien entre lui et Voldemort.

« Oh mon dieu… » murmura-t-elle, la gorge nouée. Sa bouche était sèche, ses yeux
écarquillés… Dans sa tête, les corrélations se faisaient les unes après les autres, venant étayer
une hypothèse qui…

« Enlève-toi ça de la tête et n’y pense plus jamais. » ordonna sèchement Harry. « C’est trop
dangereux. »

Parce que la Légilimencie existait et qu’elle n’avait aucune base en Occlumencie.

Parce que…

Parce que c’était certainement la vérité.


Les larmes lui montèrent aux yeux. Elle cilla mais ne parvint pas à les empêcher de rouler sur
ses joues.

Harry l’observait avec un peu de crainte.

« Je te dégoûte, maintenant ? » demanda-t-il, avec la voix de quelqu’un de beaucoup plus


jeune.

L’espace d’un instant, elle revit le garçon de onze ans avec lequel elle avait affronté un Troll
des montagnes et les larmes coulèrent de plus belle.

Elle se laissa tomber au sol, plus près de son fauteuil et l’enlaça fermement, sans se
préoccuper du spectacle qu’ils étaient en train de donner et des rumeurs qui se propageraient
sans doute. Les bras du garçon se refermèrent sur elle sans hésitation, avec un peu de
désespoir…

Ils restèrent comme ça longtemps. Plusieurs minutes, au moins.

« Tu l’as dit à Ron ? » chuchota-t-elle, le menton appuyé sur son épaule.

« Il n’y a rien à dire. » contra Harry. « Et tu ne dois plus jamais croiser le regard de
Dumbledore. »

Mais Dumbledore devait déjà savoir ou son ami ne serait pas persuadé que…

Dumbledore ne savait pas qu’ils savaient, souffla la logique.

Ce qui signifiait que Snape cherchait une solution.

Ce qui signifiait que…

« D’accord. » murmura-t-elle, en le serrant plus fort. « D’accord. Oublie Dumbledore, oublie


l’Ordre… On est avec Snape. Est-ce que je peux aider ? Est-ce que je peux… »

« Tu ne dois rien faire. Tu dois oublier que tu as seulement eu cette idée, tu comprends ? »
insista-t-il, en relâchant son étreinte pour lui attraper les épaules, pour l’écarter suffisamment
afin de croiser son regard. « Je suis sérieux, Hermione. Severus serait furieux. »

Parce que plus il y avait de gens au courant et plus le secret risquait de fuiter.

Rester sans rien faire lui paraissait inconcevable mais…

« Il va te sauver. » insista-t-elle. « Snape. C’est le plan, n’est-ce pas ? »

« C’est le plan. » confirma-t-il.

Mais elle comprit qu’il n’y croyait pas vraiment.

Elle se jeta à nouveau dans ses bras et le serra contre elle à l’étouffer comme si cela pouvait
suffire à le protéger, à…
Le soupir du Gryffondor alla se perdre dans ses cheveux mais il la serra à nouveau contre lui.

« Ce serait probablement mieux que tu ne croises pas non plus le regard de Severus. »
marmonna-t-il. « Je suis à peine Legilimens et je peux tout lire dans tes yeux, là tout de
suite. »

« Je vais me reprendre. » promit-elle.

Mieux, décida-t-elle, elle allait devenir Occlumens.

Oui, elle détestait le concept mais il n’y avait rien qu’elle n’aurait fait pour protéger Harry et
son secret.

Rien.

°O°O°O°O°

Severus rouvrit les yeux lorsqu’il entendit le bruit familier des pas de la jeune femme, sans
s’être aperçu les avoir fermés.

Il s’était assis sur le canapé lorsqu’elle avait décidé de prendre une douche, avec dans l’idée
qu’il pourrait tout aussi bien jeter un coup d’œil aux copies des troisièmes années… Les
copies étaient toujours sur la table, dans le coin de la pièce, et il était bien trop fatigué pour
affronter les inepties qu’il allait sans aucun doute y lire.

Au lieu de cela, il observa l’Auror faire le tour du canapé pour le rejoindre. Sa démarche était
plus assurée, elle était moins pâle et paraissait souffrir moins. La potion antidouleur qu’il lui
avait donné durant le repas frugal qu’ils avaient partagé dans la cuisine avait visiblement fait
effet.

« Fais comme chez toi. » plaisanta-t-il, caustique.

Elle avait volé son épaisse robe de chambre en laine ainsi que, s’il ne se trompait pas, une
chemise. Elle n’avait pas cru bon de dérober de pantalon, en revanche, et bien que la vue de
ses jambes nues soit appréciable, ce n’était pas réellement une tenue appropriée pour des
cachots perpétuellement humides.

Un éclat espiègle dansa dans ses yeux gris et elle s’allongea sur le reste du canapé, calant les
mollets sur l’accoudoir et la tête sur sa cuisse comme si c’était entièrement naturel. Ses
jambes dénudées ne lui permettaient pas de cacher qu’elle avait la chair de poule. Le plaid
qui résidait perpétuellement sur le canapé était à portée de main mais il appartenait à Harry et
il se refusait à l’utiliser, il jeta donc un sort pour la réchauffer et raviva le feu dans la
cheminée d’un geste tremblant.

Il s’était décidé à utiliser la version de la potion fournie par Slughorn et il ne pouvait nier
avoir remarqué une certaine amélioration mais c’était infime. La potion, il le savait, ne ferait
plus de miracles et ne pouvait plus être perfectionnée. Il comptait envoyer la somme de ses
recherches et la présenter au comité qui pourrait en valider l’usage, dès qu’il aurait eu le
temps de mettre ses notes en forme. Sainte Mangouste l’avait déjà contacté pour lui signifier
qu’ils étaient prêts à expédier les procédures s’il pouvait attester de son bon fonctionnement.
Les victimes de l’Endoloris se multipliaient.

Ses mains, pourtant, tremblaient beaucoup ce soir là. Plus de vingt-quatre heures quasi-
ininterrompu d’éveil ne lui avaient fait aucun bien.

Il avait à peine conscience qu’il s’était mis à caresser les cheveux bruns qui cascadaient sur
sa jambe. Ils étaient encore légèrement humides et, en son fort intérieur, il se fit la réflexion
que le sort pour les sécher était simple et qu’elle aurait dû le maîtriser depuis sa première
année, mais même lui et son expérience limitée avec la gente féminine savait que commenter
la coiffure d’une femme inviterait les problèmes. Pendant quelques secondes, il regarda les
mèches brunes tourner au rose pâle dès que ses doigts courraient dedans…

« Tu le fais exprès. » l’accusa-t-il.

Ils viraient d’ordinaire beaucoup plus naturellement.

« Peut-être. » admit-elle, d’un ton taquin. « Je sais que tu les préfères de cette couleur. »

Elle paraissait de meilleure humeur mais il ne savait pas trop s’il devait s’y fier. Il préférait la
voir ainsi que triste et abattue, toutefois.

« La couleur m’importe guère. Je préfère le rose car il signifie que tu es heureuse. » répondit-
il, peut-être un peu trop sérieusement.

Son humeur malicieuse en prit un coup et le rose dans ses cheveux se fondit lentement dans
la masse brune. Parce qu’elle n’était pas réellement heureuse à ce moment précis. Comment
aurait-elle pu l’être étant donné les dernières vingt-quatre heures ?

Elle avait rapidement parcouru la Gazette durant le dîner et l’avait jetée à la poubelle sans un
commentaire. C’était tout juste si elle n’avait pas jeté un incendio pour faire bonne mesure.

Elle ne dit plus rien pendant un long moment et il ferma à nouveau les yeux sans vraiment le
vouloir, se demandant vaguement comment se déroulait la conversation entre Harry et
Granger. Il espérait, pour le bien être de son fils, qu’ils parviendraient à se réconcilier. Il ne
savait que trop bien à quel point perdre sa meilleur amie à quinze ans pouvait s’avérer
déterminant…

« Comment ça se passe lorsque les Professeurs ont une famille ? » demanda-t-elle, soudain.

Il se força à rouvrir les paupières. Il recommença à lui caresser les cheveux sans y penser,
uniquement parce que le mouvement répétitif suffirait à le garder éveillé. « Que veux-tu
dire ? »

« Est-ce qu’ils vivent à Poudlard avec leur famille ? » clarifia-t-elle. « Ou est-ce qu’ils
rentrent chez eux le soir ? Le week-end ? Uniquement pendant les vacances ? »

Une intéressante question.


« Je ne suis pas certain qu’il y ait eu un Professeur dans cette situation à Poudlard depuis au
moins vingt ans. » remarqua-t-il. Le cas ne s’était présenté ni durant sa scolarité, ni durant ses
années au sein du corps professoral. « Je suppose que cela dépend du cas de figure et de la
générosité du Directeur… Techniquement, tous les enseignants sont censés participer aux
rondes au moins une fois par semaine, mais des exceptions ont déjà été faites… » Il lui vint à
l’esprit que la question n’était pas tout à fait innocente et il se sentit obligé de clarifier.
« Néanmoins, un Directeur de Maison se doit d’être présent et disponible à tout heure du jour
ou de la nuit. » C’était, du moins, sa conception du poste, à défaut d’être celle de Slughorn.
« Dans ce cas précis, je suppose que le Professeur en question devrait résider à Poudlard au
minimum la semaine et la plupart des week-ends… »

Il ne se hasarda pas à interpréter le bruit qu’elle émit en commentaire à cette information.

« Tu passes aussi l’été à Poudlard ? » s’enquit-elle.

« Si je ne voyage pas, le plus souvent, oui. » acquiesça-t-il. Il laissa le silence s’étirer


quelques secondes puis soupira. « J’ai hérité de la maison de mes parents à Cokeworth mais
je n’y mets pas les pieds si je peux l’éviter. »

Elle inclina légèrement la tête en arrière pour mieux l’étudier. « Tu ne veux pas la vendre ? »

« Je n’ai jamais pris le temps de le faire. » admit-il.

Il était plus difficile de vendre une propriété Moldue qui avait mauvaise réputation qu’il ne
l’avait été de se débarrasser de ce qu’il restait du domaine des Prince. La propriété était partie
en deux jours. Il avait regretté son impulsivité, par la suite. Il avait été en colère, furieux de se
voir refuser le nom des Prince, le titre… Peut-être aurait-il dû garder le manoir. Poudlard était
sa résidence principale mais, à présent, il se surprenait à penser qu’il lui fallait trouver autre
chose, une maison pour Harry.

« J’ai grandi à la campagne. » offrit-elle, bien qu’il ne le lui ait pas demandé. « C’était génial
quand j’étais petite mais, pour l’instant, je ne me vois pas vivre ailleurs qu’à Londres. »

Il n’était pas étonné que le dynamisme de la capitale la séduise.

« Pourquoi du côté Moldu plutôt que sur le Chemin de Traverse ? » s’enquit-il, parce que la
question l’avait effleuré une fois ou deux.

Il avait cessé de lui caresser les cheveux et elle attrapa sa main pour jouer distraitement avec
ses doigts. Severus se laissa faire, se demandant brièvement à quel moment il en était venu à
lui faire suffisamment confiance pour se détendre complètement en sa compagnie. Si une
infime part de lui demeurait sur ses gardes, prête à réagir au moindre danger, ce n’était pas
par méfiance envers elle mais par simple prudence.

« C’est important pour moi de garder un lien avec mon côté Moldu. » expliqua-t-elle. « Je
suis proche de mes cousins du côté de mon père. Aussi proche qu’on peut l’être lorsqu’on
ment sur son identité, en tout cas. » Elle haussa les épaules. « Et puis, il y a des choses que
les Moldus font mieux que les sorciers, tu sais. »
Elle le dit d’un ton de défi qui le fit presque sourire.

« Je ne te contredirais pas sur ce point. » déclara-t-il.

Il avait renoncé à cette partie de son héritage mais il avait grandi avec un pied dans chaque
monde, lui aussi. Et bien qu’il avait cédé, à l’époque, à la tentation de rejeter en bloc tout ce
qui lui rappelait son père…

« Deux mots : le téléphone. » lâcha-t-elle, avec amusement.

« L’art. » renchérit-il, après une seconde de réflexion. La magie permettait de créer des
choses superbes mais l’art n’était pas le point fort de la communauté magique. « La peinture
s’est arrêtée au classicisme. »

La société magique britannique vivait encore, pour la plupart, comme au victorianisme. Cela
s’expliquait d’une part par la longévité moyenne de la vie d’un sorcier mais également par le
fait que la communauté stagnait. Ce n’était pas une coïncidence si deux mages noirs avaient
presque réussi à prendre le pouvoir durant le dernier siècle. Ils n’évoluaient plus. Le
Ministère était rongé par la corruption et, bien que la plupart des politiques auraient été les
premiers à le décrier en public, le droit du sang était toujours en vigueur. C’étaient les vieilles
Maisons qui dirigeaient toujours la communauté magique. Rien n’avait changé depuis des
lustres.

« Et la littérature est pauvre. » admit-elle.

Les sorciers préféraient les traités biographies, historiques ou les recherches académiques aux
romans. Ils existaient, bien sûr, et certains étaient excellents, mais il fallait admettre que le
choix était limité.

« Est-ce l’amatrice de science-fiction en toi qui parle ? » se moqua-t-il. Il n’était allé chez elle
qu’une poignée de fois mais étudier les titres sur les étagères d’une personne pouvait être
révélateur. Et, en terme de fictions, elle semblait favoriser la science-fiction Moldue à tout le
reste.

Elle lui fit une grimace mais entrelaça leurs doigts. Il ne parvenait pas à affermir sa prise
mais cela ne semblait pas la déranger. « Ce n’est pas ma faute si c’est génial. »

« Je dois admettre que j’ai eu ma dose de science-fiction, cette année. J’ai passé des mois à
devenir un expert en physique quantique… » soupira-t-il. « Encore une choses dans laquelle
les Moldus excellent, cependant : la science. »

Beaucoup de sorciers tendaient à traiter les découvertes Moldues comme de charmantes


explications désuètes lorsque, en réalité, la magie n’était qu’un phénomène naturel de plus
qu’une étude poussée aurait sans doute pu…

« Le cinéma. » contra Nymphadora.

Il n’avait jamais réellement apprécié la télévision ou le cinéma – Lily le lui avait


suffisamment reproché à l’époque.
« La musique. » riposta-t-il, sans réfléchir.

Elle fronça les sourcils, une expression outrée sur le visage. « Tu ne peux pas dire ça. Le rock
sorcier… »

« Oh, ce n’est pas du rock. » l’interrompit-il, balayant l’air de sa main libre. « Rien ne vaut
les classiques et, sur ce point, aucun groupe ne vaut les Moldus. »

Son éclat de rire fût si spontané, si joyeux qu’il oublia de se vexer. Particulièrement lorsque
son fou rire se termina en un grognement et qu’elle agrippa ses côtes.

« Doucement. » la gronda-t-il, dégageant sa main pour lui palper prudemment la cage


thoracique. Satisfait qu’elle n’avait rien déplacé ou cassé, il laissa sa main traîner sur sa
hanche, attentif à ce que son bras ne pèse pas trop sur ses côtes.

« Désolée. » offrit-elle, les yeux brillants d’amusement. « J’ai juste du mal à t’imaginer fan
de rock. »

Il leva les yeux au ciel. « J’étais un adolescent torturé, avec des problèmes par-dessus la tête,
qui passait ses étés chez les Moldus et qui avait trop de temps à tuer. Qu’est-ce qui t’étonne,
exactement ? »

« Dans deux minutes, tu vas me dire que tu fumais comme un pompier juste pour avoir l’air
cool. » se moqua-t-elle. Il détourna le regard, provoquant un nouveau rire. « Severus
Snape ! »

Il aimait la faire rire, décida-t-il, même si c’était à ses dépends. Il n’y avait pas de malice
dans son regard, juste un amusement presque enfantin.

« Pour toutes les choses que les Moldus font mieux que nous… Rien ne vaut la magie… »
murmura-t-elle, lorsqu’elle se fût reprise. Elle l’étudia quelques secondes. « Si tu pouvais
vivre n’importe où ailleurs qu’à Poudlard, qu’est-ce que tu choisirais ? »

« Le Londres Moldu n’est pas inacceptable. » déclara-t-il. Harry préférerait certainement un


quartier Moldu à une communauté magique, ne serait-ce que pour l’anonymat que cela lui
accorderait. « Il y a des quartiers agréables. Belgravia ou Kensington, par exemple. »

Elle manqua s’étouffer. « Combien crois-tu que gagne un Auror ? Ces quartiers sont hors de
prix. »

« Sans doute beaucoup moins qu’un Maître des Potions dont plusieurs brevets ont eu un
certain succès et qui enseigne, en plus, à Poudlard. » répondit-il, pince-sans-rire. Il n’avait
pas la fortune d’un Sang-Pur mais il était bien loin de la pauvreté de sa jeunesse.

« J’aime mon quartier. » grommela-t-elle. « Il y a de la vie. »

« Ton immeuble est à peine salubre. » commenta-t-il. Ce n’était pas loin de la vérité.

« Mais je peux me le payer. » rétorqua-t-elle.


Il leva les yeux au ciel. « Notting Hill. »

« Toujours trop cher. » insista-t-elle. « Hammersmith ou un peu plus à l’ouest. »

Il connaissait mal ces quartiers.

« Peut-être. » répondit-il, sans s’engager, puis l’énormité de ce dont ils étaient en train de
discuter, même en plaisantant, le heurta. « Je croyais que tu n’étais pas prête à te mettre en
ménage ? »

« Pas tout de suite. » commenta-t-elle. « Mais… J’ai besoin de penser que la guerre finira un
jour, de faire des projets… Tu comprends ? Severus ? »

Il s’était emmuré dans son silence, songea-t-il, sans parvenir à croiser à nouveau son regard.

« Je t’ai fait peur ? » demanda-t-elle, plaisantant à moitié. Lorsqu’il ne répondit pas, elle
tendit la main pour la poser sur sa joue, le forcer à tourner la tête vers elle. « Severus ? »

Ses pensées avaient viré au noir si vite qu’il ne savait pas comment répondre à sa question
implicite. Avec hésitation, il tourna le visage juste assez pour presser les lèvres contre
l’intérieur de son poignet, mais il savait que son expression était distante, qu’il donnait
l’impression de s’être fermé.

Et c’était un peu le cas.

Il occludait.

Il occludait parce que c’était plus facile que d’affronter la vérité.

Il n’était pas prêt à ce qu’elle se redresse ou passe une jambe au-dessus des siennes.
Cependant, à présent qu’elle était assise sur ses genoux, ses bras encerclant fermement son
cou, il était impossible de les ignorer, elle et son expression déterminée.

« Tes côtes. » protesta-t-il immédiatement, alors même que ses mains allaient se poser sur ses
hanches pour la stabiliser.

« Je vais bien. » mentit-elle. « Dis-moi ce qui ne va pas. »

Il ne parvenait pas à croiser son regard. « L’expérience m’a appris que ce genre de projets ne
mène qu’à de cruelles désillusions. »

« Il n’y a pas que ça. » insista-t-elle. « Ça fait quelques jours que ça ne va pas, je le vois
bien. »

Tu n’as jamais aimé personne et personne ne t’a jamais aimé.

Tu es pourri jusqu’à la moelle.

Tout est pourri en moi.


Ses mains glissèrent de ses hanches, atterrirent sur ses cuisses… Du pouce, il retraça
distraitement la cicatrice qu’il avait lui-même laissée le jour où les Mangemorts et le
Seigneur des Ténèbres en personne avait attaqué le Chemin de Traverse. Il l’avait soignée
rapidement, sans finesse, en se moquant royalement de laisser ou non une marque…

Tout avait été beaucoup plus simple, à l’époque. Beaucoup plus clair.

« Ça fait vingt-quatre heures que tu t’occupes de moi. » pressa-t-elle, plus doucement. « C’est
mon tour. »

« Est-ce ainsi que ça fonctionne ? » railla-t-il, sans humour. « Nous tenons les comptes ? »

« Oui, c’est comme ça que ça marche. » répondit-elle. « Et, non, on ne tient pas les
comptes. » Elle lui caressa la joue et, sous le poids de son regard, il se força à lever les yeux
vers elle. Elle avait l’air inquiet. « Parle-moi. »

Il n’était pas de nature à s’épancher, surtout pas lorsque le sujet le touchait.

Il ne parvenait pas à oublier les mots de Lupin parce qu’ils faisaient écho à une crainte qui
palpitait en lui depuis le premier baiser qu’ils avaient échangé et que sa dispute avec
Slughorn avait amplifiée en réveillant des démons bien enfouis.

Elle s’apercevra de qui tu es vraiment …

« Tu as dit.. » hésita-t-il « …que tu souhaitais que je te préviennes si je pensais ne jamais


pouvoir te rendre tes sentiments. »

Nymphadora se raidit. « Oh. »

Il fronça les sourcils, sans comprendre pourquoi elle retirait si vite les bras d’autour de son
cou, pourquoi elle rougissait si…

Il referma les bras sur sa taille avant qu’elle ait eu le temps de s’enfuir.

« Non ! » se corrigea-t-il rapidement, rougissant légèrement lui-aussi. « Ce n’est pas ce que je


voulais sous-entendre. »

Il fallut plusieurs secondes avant qu’elle ne se détende un peu mais le mal était fait, elle était
mal à l’aise, il se sentait idiot et…

Il soupira et lui rendit sa liberté. Elle ne se leva pas pourtant, elle l’observait avec indécision
et il n’osait plus la regarder en face.

« Je voudrais une promesse similaire de ta part. » lâcha-t-il, lorsqu’il n’y tint plus.

Elle soupira lentement, plaça à nouveau ses bras autour de son cou avec une incertitude à
peine perceptible. « Severus, je ne comprends rien à ce que tu racontes. »

Il ferma les yeux.


Il était fatigué. Peut-être, s’il avait fait plus que sommeiller deux heures ce matin là, aurait-il
mieux gérer cette conversation. Peut-être s’il n’était pas passé par toutes les émotions depuis
la veille au soir…

« Lorsque tu t’apercevras que je ne suis pas l’homme que tu crois, ne fais pas durer la
rupture. » exigea-t-il, presque froidement.

Lorsque pas si. Il aurait dû dire si. Prolonger plus longtemps cette parenthèse qu’il savait ne
pas mériter.

La vérité était qu’ils n’auraient probablement jamais l’occasion de se quereller gentiment à


nouveau pour décider où vivre parce, malgré les projets qu’elle nourrissait, il avait le don de
toujours tout gâcher. Par ses actes. Par ses paroles. Par les erreurs qu’il multipliait comme…

« De quoi tu parles ? » Il ne répondit pas et elle perdit visiblement patience parce qu’elle
encadra son visage de ses mains, le forçant à rouvrir les yeux pour la regarder en face.
« Qu’est-ce que ça veut dire tu n’es pas l’homme que je crois ? »

Tout est pourri en moi.

Pourri jusqu’à la moelle, Lupin avait raison sur ce point.

Son cœur rata un battement et ses boucliers lui échappèrent une fraction de seconde mais
étant donné l’intensité avec laquelle ses yeux étaient plantés dans les siens, cela suffit à ce
qu’elle perçoive la détresse qu’il s’efforçait de contenir.

« Je suis mauvais. » marmonna-t-il, parce qu’il savait qu’elle ne renoncerait pas avant d’avoir
obtenu une réponse. « Tu penses que je suis un homme meilleur que lorsque j’ai pris la
Marque mais c’est faux. Au fond, je suis mauvais. Je l’ai toujours été et je le resterai. »

Il y avait davantage. Comme le fait qu’il ne pouvait s’empêcher de penser que Lupin avait
visé juste lorsqu’il avait dit que personne ne l’avait jamais aimé – et que c’était parce qu’il
n’était pas digne d’amour, parce que quelque chose était viscéralement si pourri chez lui
que…

Mais il avait entendu des paroles similaires dans la bouche d’Harry, il savait que ce n’était
pas vrai, que c’était simplement son passif qui parlait.

Seulement ce passif, il le trainait avec lui comme un boulet à son pied et…

« C’est n’importe quoi. » cracha-t-elle. « D’où tu sors ça ? » Il s’humecta les lèvres et


détourna le regard, attrapant ses poignets avec précaution pour ne pas lui faire mal et
éloignant ses mains de son visage. Elle laissa échapper un petit bruit mi-moqueur, mi-furieux.
« C’est Remus qui t’a sorti ces conneries ? »

Il n’aurait pas dû être surpris qu’elle le déduise. Elle était, après tout, une excellente Auror.

« Je vais le tuer. » gronda-t-elle. « Je vais le tuer, cet abruti ! »


Cela lui arracha un bruit amusé mais il ne pouvait toujours pas la regarder en face. « Tu dis
que tu pourrais le tuer mais ce ne sont que des mots en l’air alors que moi… Je serais capable
de le faire sans sourciller. »

« Ce n’est pas vrai. » contra-t-elle, avec une telle assurance qu’il se surprit à braver son
regard.

« Si. » rétorqua-t-il, entièrement sérieux. « Si je m’étais écouté je l’aurais achevé, tout à


l’heure. Lorsque je suis furieux… L’autre jour encore, je me suis laissé emporter et j’ai
manqué assassiner Slughorn simplement parce qu’il avait dit… »

Il s’interrompit brusquement, non sans se demander ce qu’il lui prenait. À croire qu’elle avait
versé du Véritaserum dans sa soupe.

« Dit quoi ? » s’enquit-il, d’un ton presque dangereux de soupçons.

« Ce n’est pas l’important. » décréta-t-il. « Le point crucial est que je n’ai rien de… »

« Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que c’est important, au contraire ? » l’interrompit-elle,
sourcils froncés. Il se butta dans son silence et elle secoua la tête, choisissant pourtant de
laisser couler. « Quand est-ce que tu as tué quelqu’un pour la dernière fois ? En dehors d’une
bataille ? »

Ils s’affrontèrent du regard un long, long moment.

Il détourna les yeux le premier. « Demande-moi plutôt combien de personnes j’ai regardé
mourir dernièrement alors que j’aurais pu les sauver, simplement pour me protéger. »

« Te protéger toi ou ta couverture ? » le provoqua-t-elle immédiatement, sans se laisser


perturber. « Tu sais ? Ce rôle que tu jouais au péril de ta vie pour rapporter des
informations… »

« N’essaye pas de me faire passer pour un héro. » tonna-t-il.

Il voulut la repousser mais elle refusait de bouger et il avait trop peur de la blesser par
accident. Il fût donc contrer d’abandonner et de la fusiller du regard.

Elle n’était pas très impressionnée.

« N’essaye pas de te faire passer pour un monstre. » rétorqua-t-elle. « Et ne laisses pas


Remus te mettre des conneries pareilles en tête. Je te vois pour ce que tu es, Severus. Je vois
tes qualités, je vois tes défauts… Je connais ton passé. Je connais aussi ton présent. Je ne suis
pas une idiote qui se serait amourachée de son professeur. »

« Ce n’est pas ce que j’ai dit. » grommela-t-il.

« C’est tout comme. » cingla-t-elle. Ses cheveux avaient viré au rouge. « Et tu n’es pas
mauvais. »
« Je suis colérique, égoïste, assoiffé de pouvoir et j’ai très peu de problèmes à faire taire ma
conscience si j’estime que la fin justifie les moyens. » cracha-t-il. « Y a-t-il une autre
définition ? »

Elle inclina la tête sur le côté, sans cesser de le foudroyer du regard. « Pourquoi ne pas
demander à Harry ce qu’il en pense ? »

« Harry est comme toi. » marmonna-t-il. « Il préfère ne voir que le bon côté des gens. »

« Ah, tu admets donc que tu as un bon côté. » triompha-t-elle.

« Nymphadora… » grinça-t-il.

« Qu’a dit Slughorn, Severus ? » riposta-t-elle.

Il attendit que la colère monte mais elle ne vint pas.

À sa place, il n’éprouva qu’une profonde lassitude.

« Ce n’est pas ce qu’il a dit, c’est la haine que je traine avec moi depuis mon enfance. »
avoua-t-il finalement. « Tu mérites beaucoup mieux que ce que j’ai à t’offrir. »

« Je croirais entendre Remus. » l’accusa-t-elle, l’agacement se disputant à la tristesse dans sa


voix.

La soirée avait été si agréable, songea-t-il. Il avait tout gâché. Encore.

« Contrairement à Lupin, je suis trop égoïste pour te rendre ta liberté. » rétorqua-t-il. « Et ce


n’est pas pour ton cœur que je m’inquiète, si tu veux tout savoir. Répète-moi encore à quel
point je ne suis pas mauvais. »

Il s’attendait à davantage de protestations, au lieu de ça elle se détendit d’un coup et un


sourire naquit lentement sur ses lèvres.

« Tu as peur que je te brise le cœur ? » demanda-t-elle, un brin d’amusement dans la voix.

Il n’était pas ravi qu’elle trouve ça drôle.

« Si tant est que j’en ai un. » ironisa-t-il.

Le baiser le prit de court mais il y répondit par réflexe, s’abandonnant à ces sensations
désormais familières presque avec désespoir parce qu’il avait réussi à se convaincre, ces
dernières minutes, que cette conversation houleuse se solderait par une prise de conscience de
sa part et une méchante déception de la sienne.

« Tu tiens à moi. » murmura-t-elle contre ses lèvres, comme enchantée.

Il fronça les sourcils mais vola un autre baiser juste parce qu’il le pouvait, juste au cas où elle
changerait d’avis et…
« N’était-ce pas déjà établi ? » riposta-t-il.

« Pas exactement en ces termes. » protesta-t-elle, en reculant suffisamment pour pouvoir le


dévisager à nouveau. Ses traits étaient à nouveau tirés dans son expression la plus têtue.
« Soyons clairs : je ne t’idéalise pas, d’accord ? Je sais très bien qui tu es. Et tu as plus de
failles que tu ne veux l’admettre. Quoi qu’il se soit passé avec Slughorn… Visiblement ça a
remué des choses dont tu n’aimes pas beaucoup parler alors je vais être gentille et te
pardonner le fait que tu ais laissé Remus en profiter pour te mettre des idées stupides en
tête. »

Il aurait souhaité s’agacer mais, même à travers la chape de fatigue, son raisonnement
paraissait sensé. Et cette situation un peu ridicule.

« C’est très généreux de ta part. » railla-t-il.

« Je trouve aussi. » lâcha-t-elle, non sans sarcasme.

Il blâma l’épuisement pour l’aveu qui franchit ses lèvres, alors qu’ils auraient tout aussi bien
pu s’en tenir là. « Je ne veux pas te perdre. »

Toute irritation disparut de son visage.

« Je ne compte pas rompre avec toi, Severus. » jura-t-elle. « Plus ça va et plus… Plus je
trouve ça facile d’imaginer davantage. Je suis bien avec toi. Vraiment bien. »

« Je ne parlais pas de cette perte là. » admit-il, glissant les mains à l’intérieur de la robe de
chambre pour mieux toucher ses côtes. Il n’avait aucune arrière-pensée, aucun projet de la
séduire, il voulait juste s’assurer que tout était normal, qu’elle allait… bien.

Elle se décomposa.

Il lut dans ses yeux toute sa peine. Pour les Aurors qui étaient morts la veille.

« Je ne peux pas te promettre que ça n’arrivera pas. »

Il l’attira à lui avec précaution, attentif au moindre tressaillement de douleur. « Je le sais. »

Et il ne lui demanderait jamais de renoncer à sa vocation pour sa tranquillité d’esprit. Elle


n’aurait pas été la même si elle n’avait pas été prête à risquer sa vie pour celle d’autrui. Son
métier la passionnait et il était heureux pour elle mais…

Elle se blottit dans ses bras avec l’aisance de l’habitude et il ferma les yeux, sans pourtant
parvenir à mieux respirer. Elle était passée si près de la mort, si près…

« Je pensais à toi. » murmura-t-elle. « À la fin. »

Ce n’était pas une consolation, loin de là.

Mais il ne savait pas comment exprimer cette émotion qui lui enserrait le cœur comme un
étau.
Il n’avait pas les bons mots, les mots justes.

Il se sentait maladroit et désarmé, trop exposé.

Alors il ne dit rien.

Il se contenta de la serrer aussi fort qu’il l’osait, compte-tenu de sa blessure, et d’écouter sa


respiration remplir le silence.

Il n’avait jamais entendu plus précieux son.


In The Darkness
Chapter Notes
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“When we hold each other, in the darkness, it doesn't make the darkness go away. The
bad things are still out there. The nightmares still walking. When we hold each other we
feel not safe, but better. "It's all right" we whisper, "I'm here, I love you." and we lie: "I'll
never leave you." For just a moment or two the darkness doesn't seem so bad."

Neil Gaiman

« Lorsqu’on s’étreint dans les ténèbres, cela ne fait pas disparaître l’obscurité. Les
problèmes sont toujours là dehors. Les cauchemars continuent de marcher. Lorsqu’on
s’étreint, on ne se sent pas plus en sécurité mais réconforté. Tout va bien, murmure-t-
on, Je suis là, je t’aime. Et l’on ment : Je ne te quitterai jamais. L’espace d’une ou deux
secondes, l’obscurité ne parait plus si terrible.
Neil Gaiman

La Botanique n’était vraiment pas son point fort.

Harry tourna la page du manuel et ravala un soupir. Ce n’était pas qu’il était mauvais, c’était
juste que ce n’était pas la matière la plus passionnante du monde.

Le feu craquait dans l’âtre mais il ne faisait pourtant pas chaud dans les cachots. Coinçant le
bout de sa plume entre ses dents, il remonta distraitement la couverture sur ses genoux, tout
en tâchant de ne pas faire tomber le parchemin sur lequel il avait rédigé la moitié de sa
dissertation. L’équilibre état précaire et il aurait probablement mieux fait de s’installer au
bureau de sa chambre ou sur la table basse plutôt que sur le canapé.

« Harry ? »

Il émit un bruit interrogatif mais fronça les sourcils en relisant pour la troisième fois le
paragraphe dédié à une plante en particulier qui avait trois noms différents et dont les
propriétés, il en était quasi certain, étaient plus larges que ce qui était écrit dans son livre de
cinquième année. Sev s’en était servi, en soixante-quinze, pour…

« Me prêtes-tu la moindre attention ? »

Il sursauta en sentant la présence du sorcier qui le toisait de derrière le canapé, un sourcil


levé. Anticipant la remontrance, il déplaça rapidement l’encrier calé entre sa hanche et le
dossier sur la table basse avec une expression innocente.

« Ton incapacité à utiliser le mobilier correctement, mise à part, as-tu entendu un traître mot
de ce que je viens de te dire ? » s’enquit Severus, pince-sans-rire.
Pour être honnête, il n’avait même pas entendu le Professeur rentrer. Il s’était réfugié là,
après les cours, dans le but non avoué d’échapper à Hermione. Oui, ils s’étaient réconciliés
mais elle avait décrété qu’il était nécessaire qu’elle se mette à l’Occlumencie et elle débordait
de questions techniques qui lui faisaient tourner la tête.

« Euh… » lâcha-t-il.

Severus leva les yeux au ciel, tout en se débarrassant de sa cape.

« Deux choses. » répéta le sorcier, à présent qu’il avait son attention. « Le Ministère nous
demande d’organiser les examens par nous-mêmes et dans les plus brefs délais. »

« Ça veut dire quoi dans les plus brefs délais ? » s’inquiéta-t-il, repoussant toutes ses affaires
pour mieux le suivre dans le couloir. Il ignora le regard désapprobateur lorsque le Professeur
réalisa qu’il se baladait en chaussettes sur les pierres froides. « On va quand même avoir le
temps de réviser ? »

« N’avez-vous pas passé les derniers mois à vous y préparer ? » rétorqua Severus. « Je n’ai
pas de réponse plus précise pour l’instant. L’injonction est si visiblement une riposte du
Ministre à la folie d’Albus avec Grindelwald que la réunion s’est terminée précipitamment
lorsque Minerva a perdu son calme. »

Harry ne chercha même pas à cacher son sourire. Il pouvait imaginer ça sans mal.

« Tant que ce n’est pas demain… » soupira-t-il, songeant aux fiches de révision que Lily
l’avait forcé à rédiger si longtemps en avance et qui allaient probablement lui sauver la vie. Il
allait devoir les organiser un peu mieux, par contre.

Hermione allait battre le rappel des troupes.

Leur groupe d’étude avait tendance à se relâcher à l’approche de l’été, ces derniers temps,
mais cela allait être bel et bien terminé. Elle allait les organiser à la baguette.

Il en était épuisé d’avance.

« Eh bien, nous nous étions déjà plus ou moins préparés à ce cas de figure. » expliqua
Severus, en se dirigeant vers la cuisine. « Dînons-nous ici ou dans la Grande Salle ? »

« Ici. » répondit-t-il sans réfléchir.

Le Professeur acquiesça d’un geste machinal et se mit à préparer le repas. Harry l’aida sans y
penser. La routine était bien huilée bien qu’elle ait été légèrement bousculée durant les
quelques jours où Tonks avait été séquestrée avec eux dans les cachots. Le garçon avait
d’abord évité de visiter les appartements autant que possible avant de la prendre en pitié
parce que, d’après elle, Severus n’avait rien à lire d’un tant soit peu intéressant, que c’était un
tyran qui lui interdisait la moindre activité physique et que, puisque Shacklebolt refusait de
lui envoyer de la paperasse à remplir, elle s’ennuyait à mourir durant la journée.

Il avait donc découvert que Tonks était bien meilleure que lui aux échecs sorciers mais
beaucoup plus mauvaise à la bataille explosive et qu’elle préférait les romans de science-
fiction Moldu bien qu’elle ait décrété que ceux qu’il lui avait ramenés du maigre rayon de la
bibliothèque sur le sujet étaient pauvres. Au final, il avait rassemblé tous les magazines de
Quidditch qu’il avait pu emprunter à ses amis et les lui avait rapportés, ce qui l’avait occupée
un moment.

« Il a été décidé que nous ne noterions pas notre propre matière pour être plus objectif. »
continua le sorcier, comme s’il ne s’était pas interrompu. « Ce qui pose la question de décider
qui supervisera quoi. »

Harry tâcha au mieux de ravaler un bruit défaitiste. « Vous allez noter les Potions. »

« Évidemment. » déclara Sev. « Black s’est porté volontaire pour le Soin aux Créatures
Magiques. »

« Et Slughorn ? » demanda-t-il, curieux.

« La Botanique. » répondit l’homme, provoquant un autre bruit défaitiste chez lui.

Le Professeur de Potions l’ignorait autant qu’il le pouvait depuis l’histoire de l’horcruxe, ce


qui lui allait très bien, mais de savoir que le sort de son examen serait entre ses mains…

« Nous devons tous préparer des examens niveau B.U.S.E.s et A.S.P.I.Cs pour une matière
que nous n’enseignons pas, mettre en place un emploi du temps – une responsabilité qui, j’en
suis bien persuadé, va nous tomber dessus à Minerva et moi, parce que Merlin préserve que
notre estimé Directeur lève le petit doigt… » grommela Severus, plus pour lui-même que
pour le bénéfice d’Harry. « Il y a la question des élèves qui ont quitté le château… Doit-on
les inviter à revenir passer leurs examens ou considérer que c’est au Ministère de s’en
occuper ? D’un côté, s’ils ont choisi de quitter l’école, ils ne sont plus sous notre
responsabilité, mais on ne peut nier que nous aurions l’impression de les jeter aux loups
si… »

Harry avait la sombre impression que c’était un sujet d’inépuisables jérémiades et que, s’il le
laissait faire, Severus allait ronchonner toute la soirée.

« Vous avez dit deux choses. » intervint-il, en attrapant des couverts dans le tiroir pour mettre
la table. « C’était quoi l’autre ? »

Severus se tourna vers lui avec un sourcil levé, appréciant peu d’être interrompu en plein
monologue.

Harry prit son plus bel air innocent, ce qui arracha un rictus amusé au Professeur.

« Je t’ai demandé ce que tu penserais d’un entraînement d’infiltration, cette nuit. » répondit
Severus, d’un ton nonchalant. « Mais, étant donné ton manque d’intérêt… »

« D’infiltration ? » répéta-t-il, contenant mal son excitation.

Voilà qui semblait amusant. Et nouveau. Severus et Sirius avaient repris en main ses cours
particuliers de Défense et avaient augmenté le niveau d’un cran, de sorte qu’il sortait souvent
plus épuisé de ces séances que d’un entraînement de Quidditch, mais il n’y avait rien de bien
inédit à ce qu’ils faisaient.

« Notre mission, si tu l’acceptes, consistera à pénétrer dans la Chambre des Secrets et à en


ressortir sans se faire repérer par qui que ce soit. » décréta le Professeur, non sans humour.

Harry fronça les sourcils, son excitation retombant légèrement. « La Chambre des Secrets ? »

Cela ne sonnait pas comme un jeu ou un entraînement.

Severus remua la poignée de légumes qui s’accrochaient dans la poêle, sans lui prêter un
regard. La tension dans ses épaules était pourtant évidente. « J’ai besoin d’un moyen de
détruire un horcruxe et tu conviendras qu’Albus tiquerait si nous lui demandions d’emprunter
l’épée de Gryffondor. »

« Vous voulez un crochet de basilic. » déduisit Harry, baissant les yeux vers les deux assiettes
qu’il tenait entre les mains.

« Un crochet ou ce que nous pourrons récupérer de venin… » Le Maître des Potions balaya
l’air de la main. Il sembla remarquer son trouble et fronça légèrement les sourcils. « Tu n’es
évidemment pas obligé de m’accompagner, bien que j’aurais besoin d’instructions pour y
accéder. Je pensais… »

« Non, non… » murmura-t-il. « Je viens. C’est juste que… Vous en avez trouvé un ? »

Severus parut hésiter et accordait toujours plus d’attention à leur repas qu’à lui.

« Je pense en avoir localisé un, en effet. » avoua finalement le Professeur, avant d’expliquer
qu’il soupçonnait Voldemort d’avoir utilisé une caverne dans une petite ville côtière pour
avoir torturé des camarades d’orphelinat et qu’il s’agirait d’une cachette potentielle idéale.

« Et… Si vous en trouvez vraiment un… Il se passe quoi ? » demanda Harry.

« Nous tenterons de déplacer l’horcruxe dans un autre vaisseau sans détruire le premier. »
répondit patiemment Severus, en se détournant finalement des légumes pour lui faire face.
« Le procédé est extrêmement théorique à ce stade et il est peu probable que cela fonctionne.
Je ne veux pas que tu ais de trop gros espoirs. En revanche, cela nous permettra sans doute
d’affiner le processus et cela devrait certainement faciliter la chose pour le suivant. »

Harry doutait que le suivant réussirait davantage mais il devait admettre qu’une graine
d’espoir venait de se planter en lui. Ni Severus, ni Sirius ne lui avaient dit qu’ils avaient un
plan aussi défini en tête…

« Je peux venir lorsque vous irez chercher l’horcruxe ? »

Il connaissait la réponse avant même d’avoir posé la question.

« Non. » trancha Severus. « Il sera suffisamment compliqué pour Black et moi de quitter
Poudlard sans attirer l’attention de Dumbledore. » L’homme lui jeta un regard entendu. « Et
je te préfère en sécurité. Cela m’ennuie déjà suffisamment de te demander de retourner dans
la Chambre des Secrets. »

Parce qu’il lui avait confié faire des cauchemars à propos du basilic de temps à autre.

Harry s’humecta les lèvres, s’efforçant d’adopter une attitude bravache. « Je veux venir. Mais
on va avoir besoin de balais. »

°O°O°O°O°

Albus n’avait pas passé une excellente journée.

Son bras de fer avec Rufus s’était soldé par une défaite cuisante.

Certes, devoir organiser les examens eux-mêmes était une maigre riposte étant donné que le
Directeur était passé par-dessus sa tête pour s’assurer de la libération de Gellert mais, tout de
même, tant de mesquinerie…

La réunion des Professeurs organisée à la hâte à la fin du dernier cours s’était relativement
bien passée, la possibilité ayant déjà été évoquée entre eux et le corps professoral s’étant déjà
préalablement réparti les sujets de sorte qu’aucun enseignant ne jugerait sa propre matière.
Cela ne serait toutefois pas aussi impartial que des examinateurs extérieurs mais nécessité
faisait force de loi.

Le problème venait de tous les à-côtés qu’organiser des examens entraînaient. Il fallait mettre
en place un emploi du temps, décider de la répartition des salles et de qui surveillerait quelle
matière, organiser les examens plus pratiques que théoriques, s’accorder sur un barème…
Des milliers de détails dont il n’avait pas le temps de s’occuper car il était légèrement
préoccupé par la guerre qu’il s’efforçait de gagner.

Ce qui n’avait pas empêché Minerva de lui faire une centaine de reproches.

Et comme si cela ne suffisait pas, Lucius l’avait contacté plus tôt dans la soirée pour lui
confier que quelque chose se préparait mais qu’il n’avait pas les détails parce que Tom jouait
le mystère et se méfiait apparemment de tous ses partisans, même les plus fidèles. Ollivander
avait cédé et s’employait désormais à façonner une baguette puissante, gorgée de magie
noire, pour Voldemort. D’après Lucius, il semblait faire trainer la chose autant que possible
mais était proche de terminer son œuvre. Le fabriquant de baguette ne cessait de répéter ses
mises en garde selon laquelle une baguette choisissait son sorcier mais ses avertissements
tombaient dans l’oreille d’un sourd.

Albus avait déployé Nyssandra une semaine plus tôt lorsque son espion lui avait signalé que
Voldemort était, en personne, parti chasser l’animal qui constituerait le cœur de la baguette…
Tout ce que Lucius avait su lui dire, c’était que Tom se dirigeait vers l’Albanie. Il avait donc
arrangé un portoloin pour la vampire en toute discrétion, lui recommandant la plus grande
prudence…

La vampire était revenue la veille avec un récit à faire froid dans le dos.
Ce que Tom était parti chercher était apparemment un basilic et, d’après les témoignages
concordant de Lucius et Nyssandra, il en était revenu avec une corne.

Une corne qui, le Sang-Pur venait de le lui apprendre, était actuellement en train de tremper
dans le sang d’une jeune victime de Lord Voldemort.

Albus se frotta le visage et leva les yeux des lettres pleines de craintes qu’il recevait par
dizaine du Conseil d’administration, du Magenmagot et de diverses connaissances dans le
pays que les attaques répétées des Mangemorts terrifiaient. Il ne pouvait guère leur reprocher
leur terreur : le pays était à feu et à sang. La tactique de Voldemort fonctionnait. Ceux qui
n’avaient pas encore fui se terraient chez eux…

« Tu as quelques notions en fabrication de baguette, je crois ? » s’enquit-il à voix haute.

Le sorcier qui somnolait dans un fauteuil près de l’âtre sursauta et se racla la gorge, tournant
son attention vers lui. Les yeux de Gellert ne tardèrent pas à retrouver l’éclat animé qu’ils
prenaient toujours lorsque le sujet le passionnait. « Que veux-tu savoir ? »

« Que peux-tu me dire d’une hypothétique baguette en bois de cerisier avec pour cœur une
corne de basilic qui aurait été mise à tremper plusieurs jours dans le sang d’un enfant
assassiné ? » demanda-t-il, s’efforçant de ne pas laisser sa voix trembler.

Parce que même lui, sans qu’il ait de connaissances poussées sur le sujet, pouvait deviner que
rien de bon ne ressortirait de cette association.

Gellert s’assit un peu plus droit, soudain beaucoup plus alerte. « Je dirais que quelqu’un
essaye de créer un nouveau Bâton de la Mort. »

« Mais encore… » l’invita-t-il à poursuivre, se levant de son bureau pour venir prendre place
dans son fauteuil.

Son ancien ami l’étudia en silence, semblant rassembler ses pensées, puis reprit. « Le bois de
cerisier, seul, possède un pouvoir mortel. Les baguettes sont généralement exigeantes et
demandent une grande maîtrise de la magie et des arts mentaux. Quant à la corne de basilic…
Ces créatures sont contrenatures et extrêmement venimeuses… Je n’ai jamais vu de mes yeux
de baguette contenant un cœur provenant d’un basilic mais j’ai lu des choses… » Il secoua la
tête. « La baguette serait prédisposée aux sorts noirs. Ajoute à cela le sang d’un innocent dont
la vie a été volée… »

Ils parlaient sur une baguette qui serait puissante, de base, et qui, si elle acceptait Tom
Jedusor, pourrait potentiellement devenir impossible à stopper.

« Albus. »

Il releva la tête et croisa le regard extrêmement sérieux du mage noir.

« Si tu as les moyens de détruire cette baguette avant qu’elle ne tombe entre les mains de ton
Lord Voldemort, du musst. » conseilla son ancien amant.

Tu le dois.
« Je crains que cela ne soit pas aussi simple que cela. » soupira-t-il.

Ollivander et la baguette étaient au cœur de la prison d’Azkaban, sous bonne garde. Lui et
Lucius avaient déjà évoqué la possibilité de faire évader le fabriquant de baguette mais le
Mangemort certifiait qu’il ne le pouvait pas, pas sans révéler ses véritables allégeances et, là
encore, rien ne garantissait qu’il parviendrait à le faire sortir. L’issue la plus probable était
qu’ils mourraient tous les deux. Lucius avait émis l’idée qu’il serait plus simple de glisser du
poison dans la nourriture du prisonnier que de l’exfiltrer et Albus avait refusé l’idée, arguant
que ce serait tout autant révéler la présence d’un espion.

Certains poisons étaient, pourtant, indétectables et Ollivanders n’était plus suffisamment


jeune pour qu’une mort inopinée n’interpelle les soupçons.

Certains dormaient sous clef dans un compartiment secret dissimulé derrière les grimoires de
sa bibliothèque.

Il pianota sur son accoudoir, tiraillé entre un choix que sa conscience réprouvait et les
nécessités de la guerre.

« Crois-tu que cette baguette serait plus puissante qu’une Relique de la Mort ? » demanda-t-
il.

Gellert grinça des dents. « Je n’ai guère envie de le découvrir. Es ist zu gerfährlich. »

C’était trop dangereux, sur ce point, son vieil ami avait raison. Trop risqué, également.

La baguette de sureau aurait peut-être une chance contre cette autre baguette mais les
autres…

°O°O°O°O°

L’ambiance était déjà joyeuse lorsqu’elle passa la porte d’entrée du Square Grimmaurd,
attentive à ne pas trébucher sur le porte-parapluie et à ne pas réveiller le portrait qui
sommeillait derrière ses rideaux tirés. Elle pouvait entendre le bruit des conversations, les
verres qui trinquaient…

Nymphadora était nerveuse.

C’était la première fois qu’elle remettait les pieds au Q.G. depuis sa blessure et elle aurait
préféré que Severus soit là mais il avait refusé l’invitation, se contentant de lui adjoindre
d’être prudente. Étant donné qu’elle avait passé trois jours entiers chez lui à faire peu d’autre
chose que de se plaindre, bouder le fait que la douleur ne disparaissait pas assez vite, et
pleurer les morts dans la salle de bain dès que l’appartement était vide, elle n’avait pas
insisté, estimant qu’un peu d’espace leur ferait du bien. Elle le regrettait à présent.

Severus avait un don certain pour la rassurer par sa simple présence.

Or, alors qu’elle pénétrait dans le salon, lissant d’une main la robe noire à lacets qui épousait
ses formes, elle avait davantage l’impression de s’élancer sur un champs de bataille que de
rejoindre la fête de fiançailles de ses meilleurs amis.
« Ma nymphe ! » l’accueillit immédiatement Charlie avec enthousiasme, en levant son verre,
l’air déjà un peu éméché.

Une bonne partie de l’Ordre était dans la pièce. Charlie, Anthony, Kingsley, Fleur, Bill,
Nyssa, Molly et, bien sûr, Remus dont elle évita le regard. Elle passa plus ou moins de bras
en bras alors que tout le monde voulait s’assurer qu’elle allait mieux…

Elle mentit comme un arracheur de dents, souriant et hochant la tête pour leur assurer qu’elle
était totalement remise…

La vérité était que ses côtes continuaient de la faire souffrir. Ce n’était pas surprenant, ni
alarmant, à en croire Severus – le seul à qui elle avait dit la vérité – et cela ne devrait pas
durer plus de quelques jours de plus. Elle le croyait sur parole, étant donné qu’il avait passé
trois jours à jeter sort de diagnostic sur sort de diagnostic et que c’était, là encore, la première
chose qu’il avait fait la veille au soir lorsqu’elle était passée à Poudlard après une séparation
de quelques jours.

Elle avait repris le travail pourtant, insistant qu’elle allait mieux. Scrimgeour n’était pas dupe
mais il avait aussi utilisé son image à des fins de propagande sans son autorisation et, en
conséquence, ils avaient tout deux tacitement choisi de ne pas lancer d’accusations dans un
sens ou dans l’autre. Le Ministre avait paru soulagé de la retrouver en un seul morceau,
même s’il l’avait confinée à un bureau pour l’immédiat.

Quelqu’un lui colla un verre de champagne dans les mains.

Elle y trempa à peine les lèvres pour faire illusion, laissant le brouhaha se refermer sur elle
mais incapable de se mêler à ses amis, de conjurer l’enthousiasme et la bonne humeur
nécessaire à l’occasion.

« Comment te sens-tu ? » demanda Kingsley, en se glissant auprès d’elle, une lueur beaucoup
trop compréhensive dans le regard.

« Très bien et toi ? » répondit-elle mécaniquement.

« Aussi bien que toi. » soupira son partenaire et ami.

Ils échangèrent un regard entendu sans pour autant chercher à évoquer plus avant le sujet. Le
temps qu’elle revienne au bureau, Scrimgeour avait déjà envoyé des lettres de condoléances
aux familles des Aurors tombés au combat et la moitié des funérailles avait déjà eu lieu. Il ne
lui était rien resté à faire qu’à lire et relire la liste des morts. Elle se sentait si inutile que…

Kingsley, lui, se sentait responsable.

Il n’avait rien dit mais il était en charge du Département qui venait de perdre une douzaine
d’Aurors de plus.

Une perte qu’ils ne pouvaient pas se permettre.

À ce stade, lorsque Voldemort choisirait finalement d’attaquer, ils n’auraient plus de sorciers
pour les défendre. Si c’était là sa tactique, elle fonctionnait.
Elle lui pressa le bras sans un mot de plus. Il y avait rien à dire de toute manière, rien qui ne
le réconforterait.

Molly les attira tous les deux dans une conversation sur le mariage qu’elle envisageait
grandiose. Nymphadora n’écouta que d’une oreille Anthony s’empresser de lui rappeler qu’il
voulait quelque chose de simple.

Sans vraiment le vouloir, elle se retrouva appuyée contre le mur au fond de la pièce, la même
coupe de champagne qu’elle n’avait pas touchée à la main, à observer ses amis s’amuser. Elle
se sentait épuisée, mais pas par ses blessures.

L’idée lui vint de retourner à Poudlard. Cela n’aurait pas été si compliqué de se faufiler hors
de la maison et de transplanner jusqu’à Pré-au-Lard… Harry serait certainement dans les
quartiers de Severus et elle avait suffisamment empiété sur leur temps familial mais le garçon
n’avait pas paru trop dérangé par sa présence les trois jours où elle était restée dans leurs
appartements… Peut-être ne lui en voudrait-il pas si…

Soudain, elle eut la chair de poule et tout son corps se tendit à l’extrême dans un réflexe qui
hurlait le danger. Ravalant un grognement de douleur au mouvement brusque qui n’avait fait
aucun bien à ses côtes, elle posa une main sur son plexus, cherchant du regard ce qui l’avait
alarmée.

Elle n’eut pas à chercher bien loin.

Remus se tenait près d’elle.

Pas suffisamment proche pour envahir son espace mais assez près pour qu’il soit évident
qu’il veuille entamer la conversation. Un coup d’œil autour de la pièce lui apprit que
personne ne leur prêtait attention.

Elle se redressa légèrement par habitude tout en assouplissant légèrement ses jambes,
prenant, sans vraiment le vouloir, une posture de duel. Sa baguette était sanglée à l’intérieur
de son avant-bras dans un étui de cuir qu’elle avait rendu invisible simplement parce qu’il
gâchait l’esthétique de sa tenue. Un coup de poignet aurait suffit à la faire tomber dans sa
main.

Remus parut lire tout ceci sur son visage et baissa les yeux.

Elle aurait dit qu’il avait l’air honteux s’il n’avait pas prouvé, ces derniers temps, qu’il était
incapable de se remettre en question.

« Est-ce que je peux te parler ? » demanda-t-il doucement. « On peut rester ici, si tu ne veux
pas être seule avec moi. »

Cela l’agaça prodigieusement qu’il pense avoir un tel pouvoir sur elle, qu’il pense l’effrayer
autant.

« Je n’ai pas peur de toi, Remus. » rétorqua-t-elle. « Mais je n’ai rien à te dire non plus. »
Il inclina la tête, si attentif à ne pas faire de gestes brusques, à ne pas l’alarmer, que cela
l’irrita d’autant plus.

Si elle avait été dans son état normal lorsqu’elle s’était réveillée dans sa chambre ce jour là,
elle aurait géré la situation différemment. Elle aurait insisté pour partir, cela ne faisait aucun
doute, mais elle ne lui aurait pas fait le plaisir de se donner en spectacle. En l’état, elle ne
pouvait qu’être reconnaissante que Severus ait été là ou cela aurait sans doute été encore pire.
Sans lui, elle ne serait probablement jamais parvenu à quitter les lieux.

« Je veux m’excuser. » lâcha le loup-garou.

Elle rit.

Ce n’était ni gentil, ni charitable, et c’était si amer, si incongru dans sa bouche que cela lui
attira quelques regards autour de la pièce.

« Tu passes ta vie à me présenter des excuses. » cracha-t-elle finalement, dans un murmure.


« Et ensuite, tu fais pire. »

Le coup porta.

Si un éclat sauvage dansa dans son regard, l’espace de quelques secondes, Remus baissa la
tête. « Je sais. Et ça va changer. Je vais changer. » Elle émit un bruit dubitatif qui le fit
grimacer. « Je ne te demande pas de me croire sur parole. Ce qu’il s’est passé avec Harry…
C’est allé trop loin. Je suis allé trop loin. »

« C’est bien que tu en sois conscient. » rétorqua-t-elle, incapable de réfréner un certain élan
protecteur pour l’adolescent qui avait eu l’air si perdu, cet après-midi là. « Tu lui as fait
beaucoup de mal. Il avait confiance en toi. »

« Je sais. » soupira Remus. « Et je le regrette. C’est entre Harry et moi, ça, cependant. C’est à
toi que je veux présenter mes excuses, ce soir. » Il se racla la gorge, visiblement gêné. « Je
sais ce qu’a insinué Severus mais… »

« Severus n’a rien insinué. » siffla-t-elle.

À nouveau, le loup-garou grimaça. Toutefois, il ne perdit pas son calme comme elle l’avait
craint.

« J’ai insisté pour t’installer dans ma chambre parce que, pour moi, pour le loup en moi,
c’était l’endroit le plus sûr de la maison. Je n’avais pas d’arrière-pensées. » expliqua-t-il
calmement. « Mais je reconnais qu’étant donné notre… passé, c’était inapproprié. » Il
attendit une seconde puis ajouta : « Je savais aussi que ça allait énerver Severus et je
cherchais sans doute une excuse pour le provoquer. »

« Sans doute ? » releva-t-elle, d’un ton moqueur.

Remus encaissa la provocation avec un déplaisir évident mais sans lui faire de reproches.
« Je ne m’en mêlerai plus. » promit-il. « Ce qu’il y a entre vous, vous regarde. Ce ne sont
plus mes affaires, tu as été très claire sur le sujet. Seulement… » Il hésita. « Sache que si tu
changeais d’avis… Je serais toujours là. Tu n’as qu’un mot à dire. »

Elle fronça les sourcils, le dévisageant ouvertement. « C’est ça tes excuses ? Désolée, mais il
va falloir faire mieux, Remus. »

Ses yeux ambrés brillaient de l’éclat du loup contrarié mais il ne perdit pas son calme. « Je
comprends que tu ne me crois pas. J’ai passé les bornes plus d’une fois. Sache juste que je
compte me concentrer sur ce qui est vraiment important, à partir de maintenant. »

Elle ne put s’empêcher de penser qu’il y avait une pique sous-entendue là-dessous, comme si
elle aurait dû mal prendre le fait de ne plus être suffisamment importante pour qu’il continue
à verbalement agresser Severus à chaque interaction ou à la poursuivre d’attentions qu’elle ne
désirait pas.

« Tant mieux pour toi. » répliqua-t-elle, avant de s’éloigner, préférant le planter là.

°O°O°O°O°

Sirius arriva tard au Square Grimmaurd, sa conversation avec Hagrid ayant duré plus
longtemps qu’il ne l’avait prévu. Être Professeur à Poudlard, même assistant ou suppléant,
demandait beaucoup plus de temps et d’énergie qu’il ne l’aurait cru. Et la perspective de
devoir organiser des examens niveaux B.U.S.E.s et A.S.P.I.C.s pour le Soin des Créatures
Magiques l’angoissait quelque peu.

La petite fête battait déjà son plein lorsqu’il émergea de la cheminée et il ne perdit pas de
temps avant de féliciter le couple du jour, distribuant saluts et accolades à droite à gauche. Il
évita soigneusement Remus mais enlaça sa cousine avec affection.

« Tu dois être heureuse d’avoir réussi à t’échapper des cachots. » plaisanta-t-il. « Trois jours
enfermée chez Snape, je ne sais pas comment tu as survécu. »

Il aurait aimé lui rendre visite mais le Maître des Potions lui avait clairement fait comprendre
que sa présence n’était pas souhaitée.

Elle fronçait les sourcils lorsqu’elle échappa à son étreinte, l’air un peu gêné. « Ce n’était pas
si terrible. »

Il leva les yeux au ciel, cachant mal son amusement. « Tu peux dire que c’était horrible, il
n’est pas là pour l’entendre. »

« Il s’est très bien occupé de moi. » protesta-t-elle, avec une loyauté qui faisait honneur à sa
maison.

Il haussa les épaules. « Je n’en doute pas mais je passe mes journées avec lui. Crois-moi, je
sais à quel point ses sautes d’humeurs peuvent être chiantes, même en étant amis, alors vivre
avec lui pendant trois jours… Je ne sais pas comment fait Harry. »

Tonks gigota légèrement, évitant son regard. « Sirius, on est… proches, Severus et moi. »
« Oui, je sais qu’il t’a prise sous son aile. » Il repéra la silhouette fine qui quittait la pièce et
effleura rapidement le bras de sa cousine. « Excuse-moi. »

Sa cousine ouvrit la bouche mais il s’effaça avant qu’elle ait pu ajouter quoi que ce soit, se
faufilant entre les petits groupes de gens pour mieux suivre sa proie. Il rattrapa la vampire
dans le couloir et l’attira derrière la première porte venue. Il y avait une affreuse odeur de
calfeutré dans le boudoir, la poussière était lourde dans l’air et, lorsqu’il referma la porte et
plaqua Nyssandra dessus pour mieux l’embrasser, il y régnait une nuit noire, ce qui lui fit dire
que les rideaux n’avaient probablement pas été ouverts depuis des années.

Il n’avait pas besoin d’y voir clair pour embrasser Nyssa, cela dit.

Les baisers s’enchaînaient, avides et légèrement agressifs.

« Où étais-tu passée ? » marmonna-t-il contre sa bouche, ses mains s’égarant sur son corps.

« Mission de surveillance. » répondit-elle, laconique. « Top secret. »

Il recula légèrement la tête pour la dévisager mais il pouvait à peine la distinguer dans
l’obscurité. « Seule ? »

Ce n’était pas le protocole. Personne ne partait en mission seul.

« Aucun d’entre vous n’est aussi furtif que moi. » répondit-elle.

Ce n’était pas le sujet. « C’était dangereux ? » Elle resta silencieuse un peu trop longtemps.
« Merde, Nyssa. Dumbledore ne devrait pas t’envoyer seule en mission, furtive ou pas…
D’abord Grindelwald, maintenant ça… Il déconne complètement. »

Elle tira sur le revers de sa veste pour l’attirer dans un nouveau baiser.

« Tu t’es inquiété pour moi. » commenta-t-elle, avec une certaine satisfaction.

Il leva les yeux au ciel avant de se souvenir que s’il ne pouvait pas la voir dans l’obscurité
totale, la réciproque n’était pas vraie pour autant.

« Évidemment que je me suis inquiété pour toi. » avoua-t-il, dans un soupir. « Personne ne
savait où tu étais passée. »

Ses lèvres effleurèrent les siennes. « J’ai très envie de chasser, Sirius… »

D’un geste, il verrouilla la porte du boudoir.

Il était sûr que Charlie et Anthony comprendrait.

°O°O°O°O°

Draco tombait de sommeil mais s’efforçait de rester alerte sans rien en laisser paraître.
Il lisait dans un coin de la salle commune, tâchant de ne pas trop prêter attention au groupe de
septièmes années qui le regardaient d’un air mauvais.

Le couvre-feu était tombé depuis longtemps mais Blaise et Daphné n’étaient pas encore
revenus. Il se doutait bien que ses amis roucoulaient quelque part et, tant mieux pour eux,
mais il hésitait à rejoindre les dortoirs sans son meilleur ami.

Crabbe et Goyle s’étaient révélés particulièrement agressifs dernièrement, sans être


ouvertement hostiles. Une bousculade accidentelle à droite, un croc-en-jambe purement
fortuit à gauche… Nott n’était pas un problème malgré leur inimité mais il n’interviendrait
pas non plus s’il prenait à leurs camarades l’envie de l’assassiner…

Seulement les coups d’œil des septièmes années devenaient de plus en plus belliqueux à
mesure que la salle commune se vidait.

Décidant qu’il valait mieux affronter Crabbe et Goyle plutôt que des adolescents qui, il en
était sûr, portaient déjà la Marque, il se leva avec une nonchalance feinte et se dirigea vers les
escaliers.

« Traître. » cracha l’un des garçons sur son passage.

Draco continua d’avancer comme s’il n’avait rien entendu, la tête droite, rongeant son frein.
Laisser passer l’insulte lui coûtait mais il valait mieux courber l’échine que de se faire
bêtement tabasser voire tué pour l’honneur.

Les dortoirs des cinquièmes années étaient silencieux, les rideaux tirés autour des trois lits
des autres garçons. Il prit garde de ne pas faire de bruit en allant dans la salle de bain,
montrant plus de délicatesse qu’il n’en avait jamais fait preuve jusque là.

Il avait la désagréable impression d’être passé de prince à manant en l’espace de quelques


mois.

Dans la salle de bain, il garda sa baguette à portée à chaque instant, attentif à chaque petit
bruit qui pourrait trahir une intrusion. Le cœur battant, il se lava rapidement, enfila son
pyjama en quatrième vitesse et rejoignit son lit à pas de loup, jetant des regards méfiants à
chaque lit occupé. Des ronflements familiers résonnaient du côté de Crabbe mais Goyle était
trop silencieux pour être endormi.

Draco tira lentement les rideaux, sans commettre l’erreur de relâcher sa garde.

Il jeta deux sorts de protection standard, apposa trois alarmes de proximité différentes sur les
draperies et, une fois certain que personne ne pourrait l’attaquer par surprise sans qu’il ne se
réveille avant, se glissa sous les draps, sa baguette serrée au creux de son poing.

Il était épuisé mais savait, qu’une fois encore, il ne dormirait que d’un œil.

Il minimisait la situation pour Granger et les autres, en plaisantait ou fanfaronnait avec


morgue, mais la vérité était qu’il se savait en danger à Serpentard et la présence de Blaise ne
dissuaderait pas longtemps ses ennemis.
Il savait qu’il aurait été le bienvenu chez les lions ou, dans une moindre mesure, à Serdaigle
ou à Poufsouffle. Il savait qu’un seul mot à un Professeur résoudrait le problème, qu’aucun
des adultes qui enseignait dans cette école n’était dupe de sa sécurité toute relative dans les
cachots… Serait-il plus en sécurité dans une autre Maison, toutefois ? Serpentard n’était pas
la seule à compter des Mangemorts fraîchement initiés.

Les dortoirs des cinquièmes années de Gryffondor aurait été sûr, cela dit. Même Londubat,
qui ne le portait pourtant pas dans son cœur malgré la Trêve, ne l’attaquerait jamais dans son
sommeil.

La solution était tentante simplement pour une nuit de repos complète. À ce rythme, il ne
tiendrait plus bien longtemps.

Il sentait le vent tourner.

Il savait qu’être sous le nez de Snape n’arrêterait pas longtemps ceux qui voulaient plaire au
Seigneur des Ténèbres. Au contraire. Si, en s’en prenant à lui, ils pouvaient attirer Snape
dans un piège…

D’une pierre deux coups, en somme, songea-t-il, en luttant contre la torpeur qui voulait le
faire sombrer.

Il ne se laissa aller que lorsqu’il entendit les ronflements de Goyle se joindre à ceux de
Crabbe.

°O°O°O°O°

Harry jeta sa cape d’invisibilité sur ses épaules, laissant baissé le capuchon, et rejoignit
Severus dans l’entrée de leurs appartements.

« Je ne m’y ferai jamais. » marmonna ce dernier, avant de se reprendre. « Quelles sont les
règles ? »

« Ne surtout pas toucher le cadavre du basilic à mains nues. » récita-t-il. Comme s’il avait
encore cinq ans et qu’il se serait précipité dessus, se dit-il, non sans ironie. « Ne pas se faire
repérer par qui que ce soit. Faire attention aux portraits. Il reste Mimi Geignarde. »

S’ils arrivaient à pénétrer et ressortir de la Chambre des Secrets sans que Dumbledore en ait
vent, ce serait un exploit.

« Il y a des moyens de se débarrasser momentanément des fantômes. » répondit distraitement


le Professeur. « Allons-y. Si nous sommes séparés, nous nous retrouvons aux toilettes des
filles du deuxième étage. »

Harry rabattit sa capuche pendant que Severus jetait un sort de Désilusion, non sans se dire
que le Professeur exagérait légèrement. Pour être coutumier des balades de nuit dans
Poudlard, il savait qu’atteindre leur objectif sans être repéré ne serait pas si difficile. Le
problème viendrait plutôt de la Chambre des Secrets. Ils n’auraient pas Fumseck pour les
aider à en sortir en cas de pépin.
Il sortit à la suite de l’ancien espion, la porte de leurs appartements se refermant dans son
dos.

Le sortilège de Désilusion de Severus était suffisamment puissant pour qu’il paraisse


invisible, surtout à la lumière tremblotante des torches qui éclairaient perpétuellement les
cachots. S’il se concentrait, Harry pouvait apercevoir une légère ondulation le précéder dans
le couloir mais c’était si léger que s’il n’avait pas su de quoi il s’agissait, il n’y aurait
probablement pas prêté attention.

Une fois dans la partie principale du château, en revanche, dans l’obscurité presque totale,
Severus était entièrement invisible. Et, nota-t-il non sans une certaine jalousie, complètement
silencieux. Avait-il jeté un silencio ? Harry n’avait pas pris cette peine et ses baskets
crissaient parfois sur les pierres inégales.

Ayant perdu le Professeur de vue, il s’engagea prudemment dans l’escalier, tâchant d’être
discret. Ce n’était pas une course après tout.

Bien sûr, à peine avait-il pensé ça qu’il repéra le halo d’une lanterne qui descendait vers lui
alors qu’il venait juste d’atteindre le premier palier.

Rusard.

Severus avait dû le croiser dans l’escalier mais Harry refusa de s’y risquer. Il rebroussa
chemin lentement, décidant qu’il allait juste s’écarter et attendre bien immobile que le
concierge passe… Sauf que, évidemment, le Cracmol choisit de se déplacer droit sur lui.

Il battit en retraite un peu précipitamment, son talon ripa sur une pierre humide et il se
rattrapa in extremis mais pas sans effleurer une des armures qui bordaient le couloir. Le bruit
était infime mais, dans le silence épais de la nuit, suffit à alerter Rusard.

Sa lanterne se balança brusquement dans sa direction. « Qui va là ? »

Fort de son expérience avec le concierge, Harry partit en courant, ignorant les cris qui
résonnaient dans son dos lui ordonnant de s’arrêter. Il tourna à droite, à gauche, monta un
escalier, finit par se repérer et glissa derrière une tapisserie qui l’amena, après une course
folle, jusqu’au troisième étage où il se réfugia dans une salle de classe et attendit plusieurs
minutes, le cœur battant.

Il attendit longtemps mais rien ne troublait plus le silence.

À l’abri sous sa cape d’invisibilité, il jeta un lumos informulé et sortit la Carte des
Maraudeurs de sa poche arrière. Aussi bas qu’il le put, il murmura la phrase qui fit apparaître
les tâches d’encre. Il trouva Rusard en train de fouiller le premier étage. Severus Snape faisait
les cents pas dans les toilettes du deuxième étage. Il devait s’être occupé de Mimi Geignarde
ou, alors, elle n’était pas là parce qu’il était seul.

Le Professeur Vector patrouillait au troisième étage et Flitwick était au sixième…

McGonagall était dans son bureau.


Dumbledore aussi, proche d’un autre point libellé Grindelwald…

Harry n’avait pas eu l’occasion de parler au Directeur depuis l’arrivée du mage noir et il ne
pouvait nier une certaine curiosité. Il y avait une histoire là-dessous, il en était persuadé, une
histoire liée aux Reliques, et, sans qu’il ne s’explique pourquoi, les Reliques le fascinaient.

Après avoir calculé un trajet qui, avec un peu de chance, l’empêcherait de tomber sur les
Professeurs en patrouille, il se glissa hors de la salle de classe – non sans avoir jeté un
silencio sur ses chaussures au préalable.

Il lui fallut cinq minutes supplémentaires pour rejoindre les toilettes du deuxième étage, en
évitant Vector.

Il avait à peine refermé la porte derrière lui avec prudence que la voix de Severus résonnait
dans la pièce autrement silencieuse, un peu moqueuse. « Voilà qui n’était guère
impressionnant. Étant donné ton expérience extensive lorsqu’il est question de violer le
couvre-feu, je m’attendais à mieux. »

« Haha, très drôle. » ironisa-t-il, un peu grognon, en repérant l’ondulation caractéristique du


sortilège de Désilusion près des lavabos.

Il s’approcha de celui où un petit serpent était gravé et prit une grande inspiration, légèrement
nerveux. L’idée de retourner dans la Chambre des Secrets était moins angoissante que la
perspective de retourner au cimetière mais il ressentait tout de même une pincée de… C’était
trop facile de se souvenir s’être tenu là avec Ron, Lockhart tenu en respect au bout de leurs
baguettes…

« Tu n’es pas obligé de descendre. » lui rappela son père. « Je peux très bien me débrouiller
seul une fois que tu auras déverrouillé l’entrée. »

Sauf qu’il ne le pourrait pas parce qu’il y avait la porte de la Chambre elle-même. Et puis
Severus n’avait pas emporté sa canne et c’était plein de gravas là-dessous.

Non…

Harry devait descendre lui aussi.

« Vous avez les balais ? » demanda-t-il. Il sentit le mouvement sur sa droite, entendit la
formule qui rendit aux balais leur taille normale… Il était allé chercher son éclair de feu un
peu plus tôt, sous prétexte d’un manuel oublié dans sa malle, et avait lui-même jeté le sort qui
l’avait miniaturisé, non sans un gros pincement au cœur à l’idée que cela pourrait peut-être
l’abimer ou… Severus avait juré que son balai de course n’en souffrirait pas. À tâtons, il
récupéra son balai qui redevint visible au moment où le Professeur le lâcha. Il se sentit un peu
mieux une fois sa main refermée sur le bois familier. Comme s’il s’était s’agi d’un talisman.
« Je passe en premier. »

« Non. » refusa tout net Severus. « S’il y a un danger… »


« Ça va demander un peu d’adresse sur un balai et ça c’est mon domaine. » l’interrompit
fermement Harry. « Suivez-moi de près. »

« Je ne suis pas entièrement incompétent sur un balai. » lui rappela l’homme, sans
apparemment apprécier l’interruption.

« Je sais mais je suis meilleur. » remarqua-t-il, en haussant les épaules. Ce n’était pas de
l’arrogance ou de la morgue, juste la vérité. « Ouvre-toi. »

Pour la discrétion, ils devraient repasser.

Dans le silence nocturne, il lui sembla que le lavabo fit un vacarme de tous les diables en se
déplaçant. Severus marmonna un juron et jeta un assurdiato hâtif.

Harry prit le temps de jeter un coup d’œil à la Carte avant d’enfourcher son balai. « Il n’y a
personne dans le coin. On est tranquille. »

Il prit une grande inspiration et s’engagea prudemment dans le tunnel, pratiquement couché
sur son balai pour ne pas se cogner la tête. Au bout d’un mètre, il ôta sa cape pour que
Severus puisse le suivre correctement et alluma un lumos pour contrer l’obscurité menaçante.

Au début, suivre les tours et détours des tuyaux fût relativement simple, ce ne fût qu’un peu
plus bas qu’il commença à y avoir des décombres à éviter. Il fallait voler plus bas, se glisser
entre deux pierres…

Il jeta un coup d’œil derrière lui durant les passages les plus difficiles, heureux de constater
que Severus s’était lui aussi débarrassé du sort de Désilusion et s’éclairait à la lumière
tremblotante de sa baguette.

Bientôt, ils atterrirent dans l’espèce de semi-caverne jonchée d’os de rongeurs auxquels
s’ajoutaient désormais les rochers tombés du plafond.

« Merlin… Tu étais là-dessous lorsque cela s’est écroulé ? » murmura Severus, en regardant
autour de lui, augmentant quelque peu l’intensité de son lumos pour mieux constater
l’ampleur des dégâts.

« Lockhart a volé la baguette de Ron et le sort d’amnésie a rebondi vers lui. » expliqua-t-il, se
frayant prudemment un chemin vers le tas de rochers qui bloquait l’accès à la Chambre.

Derrière lui, Severus émit un bruit de détresse et Harry fit volte face, s’attendant presque à ce
qu’un autre serpent géant ne leur tombe dessus – parce que, il fallait être honnête, ce serait
bien leur veine – mais le Professeur s’était accroupi, et tenait entre les mains la mue du
basilic. Si ses souvenirs étaient exacts, il y en avait un peu partout, mais les yeux du Maître
des Potions brillaient de convoitise.

Il dût apercevoir l’étonnement du garçon, parce qu’il grimaça, légèrement embarrassé. « As-
tu une idée de combien ce genre d’ingrédient est rare ? Et du prix qu’ils coûtent ? »

Harry n’en avait aucune idée mais alors que Severus faisait basculer la besace qu’il avait
emportée, enfilait des gants et entreprenait de méticuleusement mettre en bocal tout ce qu’il
pouvait récupérer de la peau du basilic, le Gryffondor se dit qu’il n’allait pas tarder à
l’apprendre.

« On peut revenir, vous savez. » proposa-t-il, au bout de dix minutes. « Il y a assez de mue
dans la Chambre pour vous occuper pendant des jours. »

Sans parler du cadavre du Basilic.

Severus termina rapidement de rassembler ce qu’il pouvait puis se redressa avec une nouvelle
grimace – de douleur cette fois. Son boitement était beaucoup plus prononcé lorsqu’il
rejoignit Harry près du mur de rochers, être resté aussi longtemps accroupi ne lui ayant fait
aucun bien.

Ils étudièrent tous deux l’espace étroit qui menait plus loin avec doute. Le trou avait été
suffisamment large pour un enfant de douze ans et une fille de onze mais pour des sorciers de
taille adulte…

Avec un claquement de langue incertain, Severus posa la main sur son épaule. « Recule. »

Il travailla lentement mais soigneusement, dégageant un espace un peu plus large sans faire
s’écrouler le tout. Un équilibre délicat.

Il se glissa le premier par l’ouverture, faisant signe à Harry de passer lorsqu’il fût certain que
ce n’était pas trop dangereux.

Quelques mètres de plus et ils se retrouvèrent face au mur où deux serpents entrelacés et leurs
yeux d’émeraude semblaient les attendre.

« Ouvre-toi. » ordonna Harry. Comme à l’accoutumé, il n’avait pas conscience de parler une
autre langue mais il nota le regard pensif que Severus lui jeta. « Je sais, c’est effrayant. »

« Être Fourchelang n’est pas le signe d’un attrait pour la magie noire. » le gronda le
Professeur. « C’est un don extrêmement rare qui a très mauvaise réputation. J’étais
simplement en train de penser qu’il pourrait y avoir des avantages à un tel pouvoir… Si nous
te trouvions un serpent… »

Il laissa sa phrase en suspend mais Harry le connaissait suffisamment pour deviner ce à quoi
il pensait.

« Je ne veux pas d’un Nagini. » refusa-t-il, en pénétrant le premier dans la Chambre. Il


s’arrêta après deux pas. L’endroit était toujours aussi vaste et majestueux que dans ses
souvenirs bien qu’il y régnât la même impression d’abandon.

Severus parut en avoir le souffle coupé.

Harry laissa son regard s’attarder sur les hautes colonnes gravées de serpents, le plafond
qu’on ne pouvait distinguer dans l’obscurité, la lueur verdâtre qui éclairait l’endroit rendant
leurs lumos superflus, la statue immense au fin fond de la salle et, lorsqu’il ne put faire
autrement, à cours d’autre chose à observer, il affronta enfin le cadavre de l’énorme serpent
qui remplissait une bonne partie de la pièce. Il s’était attendu à ce qu’il lui paraisse moins
grand mais il n’en était rien.

Il sentit la main du Professeur sur son épaule, les doigts tremblants serraient sa chair à lui
faire presque mal.

Ce n’était pas le basilic que Severus regardait mais la tâche noirâtre qui s’étendait non loin
d’une des colonnes.

Son sang.

Il y en avait beaucoup plus que dans ses souvenirs.

« Il m’a mordu la jambe. » murmura-t-il. « J’ai arraché le crochet et je m’en suis servi pour
poignarder le journal. Le crochet… Il doit toujours être par terre. »

Il ne s’attendait pas à être attiré dans les bras de son père mais l’étreinte lui fit du bien. Elle
chassa l’étrange brouillard qui pesait sur son esprit.

« Je n’aurais pas dû te demander de remettre les pieds ici. Je regrette. » souffla Severus,
comme s’il n’avait véritablement saisi, avant ce moment, l’ampleur de ce qui s’était passé en
ces lieux.

Peut-être avait-il imaginé le basilic plus petit.

Harry se dégagea gentiment, s’efforçant de sourire. « Je vais bien, promis. C’était il y a


longtemps tout ça. Ginny va bien, le journal est détruit… »

Le journal qui avait possédé Ginny…

Severus avait beau dire que l’horcruxe ne pouvait pas l’influencer…

Il s’éloigna de quelques pas, s’avançant automatiquement vers là où s’était tenu le souvenir


de Tom Jedusor…

Dans son dos, il entendit Severus se mettre au travail sur la dépouille du basilic. Il observa
longtemps la zone sous la statue comme s’il pouvait encore y voir les fantômes de Voldemort
et Ginny, puis se détourna finalement et fit face au serpent.

La Chambre était suffisamment froide et humide pour qu’il soit en parfait état de
conservation, même trois ans après. Le Maître des Potions avait perdu de son enthousiasme
mais ne se contentait pas de drainer le venin, il récupérait également ce qui pouvait l’être. Il y
avait déjà une collection impressionnante de fioles et de bocaux autour de lui.

Attentif à ne pas toucher la bête, Harry fit le tour du serpent, plissant le nez car il avait beau
être en bon état l’odeur était désagréable.

« Je n’ai jamais essayé de lui parler. » avoua-t-il, au bout de quelques minutes.

« Pardon ? » répondit Severus avec incompréhension. « De qui parles-tu ? »


« Du basilic. » clarifia-t-il. Il le regrettait un peu. À douze ans, la bête lui avait paru
terrifiante et les seules options qui lui étaient venues à l’esprit étaient de fuir ou de détruire. À
aucun moment il n’avait tenté de communiquer avec elle. « Peut-être que j’aurais pu le
raisonner. Vol… Vous-savez-qui le contrôlait. Peut-être que si j’avais essayé de le rallier de
mon côté… »

« Pitié, dis-moi que tu ne te sens pas coupable d’avoir échoué à sauver un basilic. » lâcha le
Professeur. Il ne tarda pas à faire le tour du serpent pour le rejoindre, une expression sévère
sur le visage. « Harry, ce n’est pas ta responsabilité de sauver le monde. »

L’adolescent ricana amèrement. « Ce n’est pas ce que dit la Prophétie. »

« Oublie la Prophétie. » siffla le sorcier.

Il aurait aimé en être capable mais ils savaient tous les deux que ça n’aurait été que du déni.

« Il a passé des siècles tout seul. » continua-t-il, en enfouissant les mains dans ses poches.
« Ce n’est pas étonnant qu’il ait fait tout ce que Jedusor voulait… Peut-être que si j’avais
essayé… Peut-être que tout ce que ça aurait demandé, c’était un peu de gentillesse… »

« Il a passé des siècles seul. » confirma Severus, dans un soupir. « Cela rendrait n’importe qui
fou, sans parler d’un animal. Tu n’as rien à te reprocher. »

Et il avait tué Mimi Geignarde, il ne fallait pas l’oublier, mais cela avait ressemblé à un
accident et n’était-ce pas davantage la faute de Tom Jedusor que du serpent ?

Il fit quelques pas en direction de l’endroit où le sang coagulé noircissait le sol, les mains
toujours dans les poches. Peut-être pour cacher qu’elles tremblaient.

« C’est un peu ironique, non ? » lança-t-il.

Severus n’était pas retourné à sa découpe méthodique du serpent. Il se tenait dans son dos et
Harry pouvait sentir son regard attentif peser lourd sur sa nuque.

« Quoi donc ? » s’enquit le Professeur.

« Si Fumseck ne m’avait pas sauvé avec ses larmes… S’il m’avait laissé
mourir… L’horcruxe aurait probablement été détruit. » lâcha-t-il. « Le venin de basilic
l’aurait détruit et, d’une certaine manière, je serais mort de la main de Vol… Vous-savez-qui
donc la prophétie aurait été respectée. »

« Penses-tu que cela aurait été préférable ? » demanda le Maître des Potions d’un ton neutre.
« Si tu étais mort en deuxième année ? »

Ce qu’il pensait, c’était que cela lui aurait évité de vivre beaucoup de choses horribles par la
suite tout ça pour en arriver, au final, au même point.

Cependant, il n’aurait jamais rencontré Sirius, n’aurait pas eu trois ans supplémentaires avec
Ron et Hermione, il n’aurait jamais retrouvé ses parents, n’aurait jamais su ce que c’était que
d’avoir une famille…
« Non. » répondit-il fermement, en se détournant de la vue morbide de son propre sang pour
faire face à Severus. « La vie vaut la peine d’être vécue jusqu’au bout du bout, n’est-ce
pas ? »

Même si le chemin était court.

Ou difficile.

« Et c’est pourquoi je te demande de te battre. » contra Severus, avec une légère hésitation.
« Tu es trop prompt à penser que tu ne survivras pas à cette guerre. »

Harry ne répondit rien.

Il ne voulait pas mentir encore.

°O°O°O°O°

Tonks s’approcha discrètement de Charlie, des excuses déjà aux lèvres, mais son meilleur
ami lui jeta un coup d’œil et son expression devint sévère.

« Non, non, non. » refusa-t-il. « Tu viens avec nous. »

Elle grimaça. Molly, Kingsley et Remus s’étaient retirés depuis longtemps, Sirius et Nyssa
avaient disparu peu après que l’ancien fugitif soit arrivé… Il ne restait que Bill, Fleur,
Anthony et elle dans le salon et la fête s’apprêtait à changer de lieu. Elle n’avait pas réalisé
qu’il y avait un plan de soirée après le Square Grimmaurd et, si elle était honnête, la dernière
chose qu’elle avait envie de faire était de passer le reste de la nuit dans une boîte Moldue
parce que tous les clubs sorciers étaient fermés.

« Charlie, je suis fatiguée… » protesta-t-elle.

« Percy a promis de nous retrouver là-bas. » insista-t-il. « Il amène sa copine, tu ne l’as


jamais rencontrée, non ? »

Non, mais la perspective de passer du temps avec Percy en dehors du Ministère ne la


réjouissait pas des masses. Le jeune homme était très gentil mais il ne savait pas parler
d’autre chose que du travail.

« Charlie… » soupira-t-elle.

« Tu es mon témoin. Allez… Une petite heure, au moins. S’il te plait ? » la cajola-t-il.

Elle ne pouvait pas résister à son regard de chien battu et c’est ainsi qu’elle se retrouva à
traverser à pieds la moitié de Londres pour rejoindre un club Moldu. Les garçons étaient trop
éméchés pour remarquer qu’elle trainait à l’arrière du groupe, la respiration hachée. Ce
n’était pas simplement que ses côtes lui faisaient mal, c’était aussi qu’elle se sentait
responsable de leur sécurité. Elle était la seule qui n’avait pas touché à un verre d’alcool.

« Ça va ? » lui demanda Fleur à un moment, laissant Bill passer les bras autour des épaules
de Charlie et d’Anthony pour marcher à côté d’elle.
Elle se força à sourire. « Oui, oui. Je ne suis juste pas encore remise à cent pour cent. »

La française accepta l’explication sans plus commenter et un silence pesant tomba entre eux.
Elles n’avaient tout simplement rien à se dire, elles étaient trop différentes.

Ils étaient déjà venus plusieurs fois dans la boîte Moldue que Charlie avait choisie, ce qui
contribua à la faire se sentir un tout petit peu mieux parce qu’elle savait où étaient toutes les
entrées et sorties.

Vigilance constante, aurait dit Fol’Œil.

Ne te fais pas stupidement tuer, aurait dit Severus.

Malgré les encouragements de ses amis, elle s’en tint au soda, refusant toute forme d’alcool,
ce qu’elle regretta légèrement lorsque Percy arriva avec une jeune femme brune qu’il
présenta comme s’appelant Audrey. La sorcière paraissait sympathique mais elle s’entendit
également immédiatement avec Fleur, ce qui fit dire à Nymphadora qu’elles ne seraient
jamais amies.

Elle échappa à la main de Charlie lorsqu’ils décidèrent d’aller danser, prétextant le besoin de
garder leur table chèrement acquise.

L’endroit était plein à craquer. D’ordinaire, elle appréciait ce genre d’ambiance mais, à
l’instant, elle sentait le mal de tête venir, elle était plus fatiguée qu’elle ne voulait l’admettre
et, qu’importe comment elle s’asseyait, ses côtes lui faisaient mal.

En conséquence, elle n’était vraiment pas d’humeur lorsque le jeune homme Moldu se glissa
sur la banquette à côté d’elle comme s’il avait tous les droits d’être là.

« Bonsoir. » offrit-il, avec un sourire charmeur.

« Pas intéressée. » cingla-t-elle, sans même lui jeter un regard.

« Quel dommage… » murmura-t-il, sa voix à peine audible sous les basses assourdissantes de
la musique. « Et moi qui me suis donné tant de mal pour vous traquer jusque ici. »

Soudain plus alerte, elle se redressa, sa main volant vers l’étui invisible sanglé à son avant-
bras… Mais c’était précisément de ce côté-là qu’était assis l’inconnu et il referma la main sur
son poignet avant qu’elle ait pu sortir sa baguette, dans un geste qui parut probablement tout
naturel à un quelconque observateur. Sa poigne, elle, n’avait rien de naturel ou d’amical.

« Allons, allons… » L’homme claqua la langue avec réprobation. « Ne créons pas un


scandale au milieu de tous ces Moldus, ma chère nièce. »

Polynectar.

C’était la seule explication parce qu’elle ne connaissait pas le visage de l’homme assis près
d’elle. Il avait des cheveux noirs un peu trop longs qui lui tombaient dans des yeux d’un gris
acier. Il était conventionnellement beau et se mouvait avec une grâce toute aristocratique.
« Lâchez-moi. » ordonna-t-elle.

« Pour que vous sortiez votre baguette et m’attaquiez ? » plaisanta l’inconnu. « Je ne crois
pas, non. Pensez à toutes les victimes potentielles qui seraient prises dans le feu croisé…
D’autant que je suis venu en ami. Si je vous voulais morte, vous le seriez déjà. »

« Je ne suis pas si facile à tuer. » grinça-t-elle.

« Et pourtant vous avez bu votre verre sans même vérifier qu’il n’était pas empoisonné. »
rétorqua-t-il.

Elle l’avait bu parce que Charlie le lui avait tendu après l’avoir directement récupéré des
mains du barman.

Le cœur battant, elle baissa les yeux vers le verre à moitié vide dont la condensation se
répandait sur la table…

Les doigts qui entouraient son avant-bras relâchèrent légèrement leur prise.

« Il n’y avait rien dedans, rassurez-vous. » commenta l’homme. « Davantage de prudence ne


serait pas superflu, toutefois. Puis-je vous lâcher, à présent, ou comptez-vous créer un
scandale qui nous embarrasserait tous deux ? »

Tonks prit une profonde inspiration qui lui donna l’impression très désagréable qu’on lui
enfonçait des aiguilles dans les poumons.

« Lucius. » devina-t-elle.

Il y avait plusieurs personnes qui aurait pu l’appeler leur nièce. Bella ne se serait pas
encombrée d’un déguisement pour l’approcher et elle n’aurait certainement pas entamé la
conversation. Son époux n’était probablement pas bien disposé envers elle depuis qu’elle
avait tué Rabastan, elle doutait donc qu’il aurait élaboré ce genre de stratagèmes. Narcissa
était aux abonnés absents et, de ce que Nymphadora savait d’elle, était tellement vaine que si
elle avait usé de Polynectar, elle aurait choisi une belle femme plutôt qu’un homme.

Restait donc Lucius Malfoy.

Qui ne confirma pas ses soupçons mais ne les réfuta pas non plus.

« Que voulez-vous ? » siffla-t-elle.

Lentement, il retira la main de son bras.

Elle ne tira pas immédiatement sa baguette mais se tint sur le qui-vive, prête à bouger au
moindre mouvement menaçant.

« J’ai une dette envers vous. » déclara-t-il. « Et nous payons nos dettes. »

Son regard gris fouilla le sien. Elle sentit la caresse subtile effleurer son esprit, presque
indiscernable…
Elle dressa immédiatement des boucliers constitués de souvenirs sans importance mais ne le
repoussa pas ouvertement, curieuse de savoir ce qu’il cherchait…

Il se retira sans pousser plus avant, cependant.

« Excellent. Je vois que Severus a fait votre éducation en la matière. Encore que, quiconque
serait familier de ses boucliers reconnaîtrait sa marque de fabrique dans les vôtres. »
remarqua-t-il. « Non qu’il y ait encore un quelconque secret à ce sujet, n’est-il pas ? »

« Grace à vous. » cracha-t-elle.

Il fronça les sourcils. « Non, Nymphadora. Ce n’est pas moi qui ait vendu cette information
là. »

Elle ne le crut pas.

Au moment où Voldemort avait été mis au courant, mis à part Charlie, elle ne l’avait dit à
personne. Nyssa ou Anthony aurait pu entendre sa confession mais…

« Il n’y a pas de dette. » cracha-t-elle. « Je ne sais pas de quoi vous parlez mais… »

« Vous avez recueilli Draco. » l’interrompit-il. « Il est sous votre protection et votre
protection commence à peser son poids. » Il lui jeta un regard appréciateur. « Une vraie
Black, vous irez loin. »

« Mon nom est Tonks. » gronda-t-elle.

Son irritation parut l’amuser mais cela disparut rapidement lorsqu’il jeta un coup d’œil
alentour, apparemment méfiant. Il baissa la voix, presque trop pour qu’elle puisse l’entendre
par-dessus la musique. Elle dût se pencher vers lui, ce qui, elle le savait, n’était guère
intelligent, d’autant plus lorsqu’il s’approcha lui aussi pour lui parler directement à l’oreille.

« C’était une chose lorsque Bellatrix voulait votre tête pour atteindre votre mère ou lorsque
Greyback voulait vous tuer pour donner une leçon à Lupin mais le Seigneur des Ténèbres
ferait n’importe quoi pour se venger de Severus. Il a perdu la face, comprenons-nous, et il ne
peut laisser passer l’affront. Or vous êtes la première et unique faiblesse que notre ami ait
jamais commis l’erreur de montrer. Vous blesser serait toucher Severus au cœur et le
Seigneur des Ténèbres est… impatient d’y parvenir. » murmura Lucius.

« Je le sais déjà, ça. » grinça-t-elle. « Si c’est tout ce que vous vouliez me dire… »

« Rodolphus aimait son frère. » continua Lucius, sans se laisser perturber par l’interruption.
« Et il ne s’arrêtera à rien pour venger sa mort. Il est créatif et retord. Il n’est peut-être pas
aussi vicieux que Bellatrix mais il est beaucoup plus sournois. Il ne frappera pas
immédiatement, il laissera votre méfiance s’endormir d’abord. Ne commettez pas l’erreur de
baisser la garde. Lorsque le coup viendra, il ne sera pas direct et vous ne le verrez pas venir.
Ne buvez ou ne mangez rien dont vous n’êtes pas certaine de la provenance, avoir un bézoard
sur vous en permanence ne serait pas superflu, méfiez-vous de tout et surtout de tous. »
Elle se recula, secouant la tête. « Pourquoi m’avertir ? Je n’ai pas accepté de m’occuper de
Draco pour vous rendre service. Il mérite… »

« Je paye mes dettes. » la coupa-t-il. Quelque chose passa sur son visage, une expression
qu’elle ne sut déchiffrer. « Et vous m’impressionnez, je dois l’admettre. En d’autres
circonstances, je crois que j’aurais aimé vous appeler nièce sans ironie. »

Il s’écarta comme s’il s’apprêtait à se lever.

Ce fût à son tour d’attraper son poignet pour le retenir.

Elle aurait dû l’arrêter, elle le savait, club bondé ou pas, mais outre le fait qu’elle n’était pas
persuadée qu’elle aurait pu gagner contre lui étant donné sa condition physique…

« Comment m’avez-vous trouvée, ce soir ? » demanda-t-elle.

Elle-même n’avait pas prévu de sortir…

Un demi-sourire étira les lèvres du Mangemort. « La bibliothèque du manoir regorge de


grimoires remplis de sortilèges oubliés. Lorsqu’on est déterminé, localiser quelqu’un n’est
pas bien difficile, surtout lorsque l’on a en sa possession du sang appartement à un membre
de sa famille. Une chose dont vous feriez bien de vous souvenir. Je ne suis pas le seul à avoir
accès à ce genre de livres ou au sang d’une Black. » Il leva un sourcil condescendant. « Que
vous le vouliez ou non, vous voilà sorcière à abattre. Bienvenue dans la cours des grands,
Nymphadora. Soyez plus prudente. » Il échappa à sa poigne et se leva, non sans un dernier
clin d’œil. « Mes amitiés à Severus. »

Elle aurait dû l’arrêter.

Au lieu de ça, elle l’observa se fondre dans la foule et disparaître, sans trop savoir quoi faire
de ses avertissements.

°O°O°O°O°

Harry se laissa tomber dans un des fauteuils de leurs appartements, légèrement extatique de
leur mission réussie – et plus que soulagé d’avoir laissé derrière lui l’ambiance lugubre de la
Chambre des Secret.

« Un chocolat chaud pour célébrer ce succès ? » proposa-t-il.

Severus jeta un coup d’œil à la pendule, sembla hésiter à commenter l’heure plus que tardive
puis haussa les épaules, sans doute tout aussi sujet au trop plein d’adrénaline qu’Harry l’était.
« Pourquoi pas ? »

Le garçon s’attarda le temps de l’observer curieusement déplacer plusieurs énormes livres


d’une étage, peu surpris de découvrir un compartiment secret dissimulé dans le mur. Le
Professeur y apposa la main, murmura quelque chose qu’il ne saisit pas et le coffre s’ouvrit.
Il entraperçut des papiers à l’intérieur, un éclat doré qui lui fit dire que Severus ne gardait pas
tout son argent à Gringotts…
Il partit pour la cuisine alors que le Maître des Potions mettait prudemment le crochet de
basilic et les fioles de venin qu’il avait récolté sous clef. Préparer le chocolat chaud fût
l’affaire de quelques minutes. Le temps qu’il revienne au salon avec une tasse fumante dans
chaque main, Severus s’était débarrassé de sa cape et de ses épaisses sur-robes et s’était
installé dans son fauteuil favori, parcourant d’un air distrait son devoir de Botanique
abandonné.

« Tu as oublié l’une des propriétés. » remarqua l’homme, en posant le parchemin sur la table
pour lui prendre la tasse des mains.

Harry hocha la tête pour montrer qu’il avait compris puis s’installa sur le canapé, ôtant ses
chaussures pour mieux se recroqueviller sous le plaid, laissant la faïence lui réchauffer les
mains. Ils burent en silence pendant quelques minutes. S’il avait été moins tard, il aurait peut-
être proposé une partie d’échecs sorciers. Cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas trouvé le
temps d’y jouer.

Il essayait toujours de savourer au maximum ces moments de tranquillité un peu hors du


temps, arraché à la réalité de la guerre, pourtant ce soir là, il ne parvenait pas tout à fait à
mettre son cerveau sur pause. Peut-être à cause de ce qu’ils venaient d’aller chercher… Peut-
être parce qu’il sentait la guerre se refermer sur eux comme une mâchoire sur sa nuque…

« Quand est-ce que vous allez aller chercher l’horcruxe ? » demanda-t-il.

Severus s’était perdu dans ses propres pensées mais son regard, lorsqu’il se posa sur lui, était
aiguisé. Le sorcier l’observa quelques secondes puis pinça les lèvres.

« Dès que nous pourrons quitter le château sans attirer l’attention du Professeur
Dumbledore. » lâcha-t-il. « Le plus tôt possible. »

Harry acquiesça lentement, ressentant une pointe de culpabilité. Severus et Sirius faisaient de
leur mieux pour cacher leurs intentions à Dumbledore mais ils ne savaient pas qu’Hermione
pouvait involontairement trahir le secret…

Plusieurs fois, il avait failli l’avouer à Severus.

Il avait ravalé les mots à chaque fois, craignant un peu sa réaction. Il aimait le Professeur
mais Sev restait un Serpentard pour qui la fin justifiait les moyens. Un sortilège d’amnésie ne
pèserait pas lourd sur sa conscience. Et même si Harry lui demandait de ne rien faire… Dans
ce cas là, il ne doutait pas qu’il forcerait Hermione à se soumettre à un apprentissage accéléré
de l’Occlumencie et…

Severus avait assez à faire comme ça. Entre adapter et affiner la potion Révèle-Loup,
l’horcruxe et Harry qui lui prenait du temps… Un temps que le garçon gardait jalousement…
Non, il n’avait pas envie d’en rajouter.

Cependant, il n’aimait pas avoir l’impression de lui mentir, non plus.

Poussé par la culpabilité, il avoua autre chose qui lui pesait sur la conscience depuis quelques
jours.
« Remus m’a écrit. »

Le Maître des Potions se figea, son expression virant rapidement à l’orage. « Très
visiblement, je vais devoir lui rappeler ce que ne pas s’approcher signifie… »

« Il voulait juste s’excuser. » protesta-t-il faiblement.

Le ricanement de Severus était des plus sarcastiques. « Il a beaucoup d’expérience en la


matière. Méfie-toi des personnes qui s’excusent à tout bout de champ uniquement pour
reproduire le même comportement néfaste dans la seconde qui suit. »

Il supposait que cela faisait référence à des histoires entre Remus et Tonks, ce pour quoi il
était désolé mais, au demeurant, cela ne le concernait pas vraiment.

« C’était la première fois… » nuança-t-il.

« Mais ce ne sera certainement pas la dernière. » siffla Sev. « Et je refuse de t’exposer à ce


genre de conduite abusive. »

Ce mot, encore.

Severus l’utilisait à loisir lorsqu’il parlait des Dursley mais Harry en était venu à le détester.

Et il ne pensait pas vraiment que ça s’appliquait à Remus.

« Je lui ai répondu. » répondit-il, s’efforçant de garder un ton nonchalant parce qu’il


anticipait l’agacement de son père.

Il ne fût pas surpris lorsque ce dernier ne cacha pas son irritation.

« Et tu lui as pardonné, je suppose ? » railla Severus. « J’ai toujours trouvé cela fascinant
comme l’absolution était si facilement offerte à certains alors que d’autres doivent ramper et
s’avilir pour l’obtenir. »

Le terrain était glissant et Harry ne voulait pas gâcher la soirée qui avait été plutôt agréable,
si l’on exceptait le moment où ils avaient disséqué un serpent géant.

« Je lui ai pardonné parce que c’était la première fois, ce n’est pas comme s’il s’en était
systématiquement pris à moi depuis qu’on s’est rencontré. Et puis, il a toujours été là pour
moi, avant. » lâcha-t-il, en tournant nerveusement le sceau des Prince autour de son doigt.

Il n’avait pas voulu sous-entendre quoi que ce soit mais Severus détourna la tête comme s’il
l’avait giflé.

Le parallèle, avec un peu de recul, était évident.

Il soupira. « Ce n’est pas ce que je voulais dire… »

« C’est pourtant la vérité. » grinça le Professeur, observant les flammes qui brûlaient bas dans
l’âtre.
« Papa. » insista-t-il.

Il dût attendre un long moment pour que Severus ne le regarde à nouveau et il ne fût pas
surpris de voir que le Professeur occludait.

« Ce n’est pas ce que je voulais dire. » répéta-t-il. « C’est juste que… J’ai pardonné pire à
d’autres. » Cela ne sonnait pas mieux. Il grimaça. « J’ai pardonné pire à Sirius. »

« Ainsi qu’à moi. » murmura l’homme.

Harry grimaça plus fort.

Ce n’était pas faux, pourtant.

Severus poussa un profond soupir. « Sois prudent, c’est tout ce que je te demande. Je n’ai
plus aucune confiance en lui. »

« Je suis désolé. » marmonna-t-il, sans trop savoir pourquoi. Il se sentait en faute, comme si
en pardonnant à Remus, il avait trahi Severus d’une certaine manière.

« Tu n’as pas à être désolé. » contra le Maître des Potions. « Tu es libre de tes décisions, aussi
généreuses soient-elles. Je n’ai pas changé d’avis, toutefois, il ne reviendra pas te donner de
leçons particulières et je ne veux pas que tu sois seul avec lui. »

Il hocha la tête parce qu’il n’avait pas de problème avec ça. Il avait peut-être écrit à Remus
qu’il était pardonné mais c’était loin d’être oublié.

L’ambiance avait changé.

Severus s’enfonça dans un mutisme maussade, laissant ce qui restait de chocolat chaud
refroidir au fond de sa tasse.

Harry termina la sienne, cherchant les bons mots sans les trouver.

« Je ne voudrais pas d’un autre adulte. » lâcha-t-il finalement, un peu gêné mais déterminé à
exprimer le fond de sa pensée.

Le Professeur lui rendit sa pleine attention, aussi silencieuse soit-elle.

Il se racla la gorge et continua. « Et, non, on n’a pas le passif le plus facile mais… Vous avez
changé. Pour moi. Vous avez changé. Et c’est plus difficile et honorable que de juste envoyer
une lettre d’excuse en s’attendant à être pardonné de toute manière. » Il baissa les yeux, se
concentrant sur la lourde bague à son doigt. « Je ne suis pas spécialiste en rédemption ou
absolution, peut-être que certains l’atteignent plus facilement que d’autres, mais… Peut-être
aussi que ça fait longtemps que vous vous êtes racheté et que vous ne l’avez simplement pas
remarqué parce que vous persistez à penser que vous ne le méritez pas. Et… C’est faux. Je
vous ai pardonné, il y a longtemps. Pour tout. Vous vous souvenez ? »

Il entendit l’ancien espion prendre une profonde inspiration et il se raidit, pas entièrement
certain que Severus n’allait pas perdre son calme. Il y avait des choses dont ils ne parlaient
pas directement, des sujets qui déclenchaient des colères terribles chez le Maître des Potions.
Sa quête de rédemption, en était un.

« Comment pourrais-je l’oublier ? » murmura son père.

Harry se détendit légèrement et, enhardi par l’absence de hurlements, osa croiser à nouveau
son regard. « Je ne veux pas dire que Remus ne compte pas mais… Il est beaucoup moins
important pour moi que… vous. Peut-être que je lui pardonne trop facilement mais… » Il
haussa les épaules. « Je n’ai pas envie de dépenser de l’énergie à lui en vouloir. » Il hésita un
court moment, décida qu’il aurait eu le courage de dire le reste s’il s’était adressé à Sev et pas
à sa version adulte, et poursuivit. « Je le vois dans vos yeux, vous savez. Parfois, vous avez
ces moments où… Vous vous repliez derrière vos boucliers parce que vous pensez que vous
ne méritez pas d’être heureux. C’est faux. Vous le méritez. Vous avez suffisamment payé vos
erreurs. Vous êtes trop dur avec vous-même. »

Il attendit, retenant son souffle, que la tempête se déchaine.

Preuve qu’ils avaient fait du chemin depuis ces premiers mois en soixante-quinze, Severus ne
perdit pas son calme. Il paraissait, en revanche, incapable de trouver les mots pour lui
répondre.

Un peu gêné, un peu certain d’en avoir trop dit, Harry simula un bâillement et se leva.
« Bonne nuit. »

Il était à la porte lorsque Severus se racla la gorge à son tour.

« Je ne t’ai jamais remercié. »

Harry s’immobilisa sur le seuil, tournant la tête pour l’observer par-dessus son épaule.
« Remercié pour quoi ? »

Parce que, si l’on tenait les comptes, c’était Harry qui aurait dû exprimer sa gratitude et pas
l’inverse.

« De m’avoir laissé être ton adulte. » lâcha le Professeur. « De m’avoir donné une raison de
ne jamais abandonner. » Leurs regards se croisèrent, un peu embarrassés mais sincères. « Être
ton père est la chose la plus précieuse qu’il m’ait été donné d’être. »

La gorge un peu nouée par l’émotion, le garçon se força à plaisanter. « Plus que le poste de
Professeur de Défense ? »

Saisissant probablement son intention, Severus laissa échapper un rare rire. « N’exagérons
rien, tout de même. »

Harry en souriait encore lorsqu’il rejoignit sa chambre.

°O°O°O°O°

Tonks retrouva l’air frais de la nuit avec plaisir après tout ce temps passé dans le club un peu
trop confiné à son goût. Dans les différents groupes de fumeurs qui s’agglutinaient devant la
boîte, elle repéra sans mal Anthony adossé à un lampadaire. Elle le rejoignit, acceptant la
cigarette qu’il lui tendit sans un mot pour en voler une taffe.

« Tu n’es pas trop loin de Charlie ? » s’enquit-elle, en lui rendant la cigarette.

Elle avait du mal à jauger la distance à laquelle ses deux amis pouvaient désormais
s’éloigner. Ce n’était guère plus que quelques mètres mais combien exactement…

« La magie nous tiraille mais on essaye d’apprendre à faire avec. » la tranquillisa-t-il, avec un
sourire. La cigarette passa entre eux plusieurs fois avant que son sourire ne devienne curieux.
« Ce type avec qui tu parlais… C’était qui ? »

Elle ne s’était pas rendu compte que ses amis avaient remarqué quoi que ce soit, occupés
comme ils l’avaient été à danser.

Elle lui dit presque la vérité.

Presque.

« Juste un Moldu. » mentit-elle, en haussant les épaules.

« Vous avez parlé longtemps. » remarqua-t-il.

« Il ne voulait pas comprendre que sa drague ne marchait pas sur moi. » botta-t-elle en
touche. « Tu sais… Le genre qui ne veut pas croire que tu es déjà en couple juste parce que tu
n’as pas de bague au doigt. »

Anthony souffla lentement la fumée vers le ciel, l’observant se déliter dans l’air frais. « À ce
propos, je suis désolé, tu sais. »

Elle fronça les sourcils, croisant les bras sur sa poitrine pour se réchauffer. Elle n’avait pas de
veste et il ne faisait pas exactement chaud là-dehors après la torpeur qui régnait à l’intérieur
du club. « Pourquoi ? »

Le dragonnier sembla délibérer silencieusement avec lui-même avant de croiser à nouveau


son regard. Lorsqu’il lui tendit à nouveau la cigarette, elle la prit par réflexe mais ne la porta
pas à ses lèvres.

« On n’a pas été très… » hésita son ami. « On ne t’a pas beaucoup soutenue lorsque tu nous
as dit que tu étais avec Snape. » Il enfouit les mains dans ses poches et baissa les yeux vers
ses chaussures. « Pour ne pas dire qu’on a été très lourds. »

Elle ne s’était pas vraiment plaint jusque là mais elle dût admettre que les excuses, aussi
maladroites soient-elles, lui firent du bien. Ce n’était pas tant Anthony que Charlie qui l’avait
un peu blessée sur le sujet, pourtant.

Elle garda le silence, préférant fumer que de dire des choses qu’elle risquerait de regretter.

« Je sais que tu as dit que c’était sérieux… » continua Anthony. « Mais je ne le croyais pas
vraiment jusqu’à ce que je le vois l’autre soir. Je pensais qu’il s’amusait avec toi, pas qu’il
t’aimait. »

Elle s’étouffa, la fumée emprisonnée dans sa gorge ressortant par ses narines dans un manque
total de classe. Toussotant et crachotant, elle lui passa la cigarette, grimaçant contre la
douleur abrupte que la toux déclencha dans sa cage thoracique.

« Ça va ? » s’alarma son ami, en lui frottant le dos.

Elle plantant son regard légèrement larmoyant dans le sien, la voix rauque. « Je n’ai jamais
dit qu’il m’aimait. »

La main d’Anthony s’attarda dans son dos jusqu’à ce qu’il soit certain qu’elle n’allait pas
s’écrouler. Lorsqu’elle eut retrouvé son souffle, il la lâcha avec un sourire amusé.

« Pas besoin. » commenta-t-il. « C’était gravé sur son visage. Je sais reconnaître l’expression
d’un homme amoureux qui croit que sa moitié est sur le point de mourir… » Son ton se fit
plus pensif, plus triste, mais il secoua la tête, son sourire revenant lentement. « Et encore, je
n’étais pas dans la chambre… Charlie m’a dit qu’il n’avait jamais imaginé qu’il puisse être
aussi humain. » Il leva les sourcils. « J’étais dans le couloir, par contre. Et j’avoue que la
manière dont il a botté les fesses de Remus, c’était jouissif. »

Nymphadora refusa d’un geste la cigarette qu’il lui tendit à nouveau, ayant eu son compte de
tabac pour la soirée. Mais même sa crise de toux n’expliquait pas ses joues cuisantes. Elle ne
pouvait nier que les mots d’Anthony lui faisaient plaisir et lui donnaient des papillons dans le
ventre parce que…

« De là à parler d’amour… » nuança-t-elle. « Il n’a jamais dit… »

Elle laissa sa phrase en suspens.

« Crois-moi, il t’aime. » déclara Anthony, avec un sourire presque forcé. Il y avait de la


tristesse dans son regard que Tonks ne s’expliquait pas. « Et tu l’aimes aussi, n’est-ce pas ? »

Elle détourna le regard, mal à l’aise de parler de ça avec lui alors qu’elle n’en avait discuté
qu’à demi-mots avec Severus. Cela aurait été différent si Charlie lui avait posé cette question.
Elle et Charlie ne se cachaient rien. Ou, du moins, n’avaient pas eu l’habitude de se cacher
des choses avant…

Le dragonnier parut prendre son absence de réponse comme une confirmation parce qu’il
hocha distraitement la tête, terminant la cigarette d’une longue aspiration. Il la jeta par terre et
était en train de l’écraser d’un coup de talon lorsque Charlie les rejoignit, un sourire aux
lèvres, plus soul qu’éméché désormais.

« Vous êtes là ! Je vous cherchais. »

Il passa son bras autour des épaules de Tonks qui s’appuya contre lui par réflexe, trouvant
dans la familiarité de son étreinte un certain réconfort.

« On parlait de l’autre soir au Q.G. » répondit Anthony, non sans amusement. « J’étais en
train de lui raconter comment Snape a plaqué Remus contre le mur… »
« C’est Remus qui a commencé. » rétorqua Charlie, en resserrant légèrement le bras passé
autour de ses épaules. « Il se comportait comme un connard… Et ce qu’il a dit à Snape… »
Son meilleur ami secoua la tête. « C’était tellement petit… »

La curiosité la démangeait mais Severus n’avait pas voulu lui répéter exactement ce qu’avait
dit Remus. L’essentiel semblait évident, pourtant, étant donné la semi-dispute qu’ils avaient
eu le lendemain. Même sur le coup, elle n’avait pas été en colère contre lui, cependant. Il
avait en lui un énorme mal-être avec lequel il était très mal à l’aise et que leur relation, parce
qu’elle était intime et nécessitait de se dévoiler, titillait constamment. Elle préférait encore
qu’il lui dise ce qui le tracassait, aussi stupide que cela puisse paraître, plutôt que de le laisser
couver. Elle ne savait pas précisément ce qu’avait dit Remus mais si Severus en était venu à
se questionner sur sa propre nature…

Tu penses que je suis un homme meilleur que lorsque j’ai pris la Marque mais c’est faux. Au
fond, je suis mauvais. Je l’ai toujours été et je le resterai.

Elle ne savait pas comment elle allait le convaincre du contraire mais elle était déterminée à y
parvenir, même si cela prenait des années.

« C’était un coup bas. » acquiesça Anthony.

« Dis donc, au fait… » enchaîna Charlie, en laissant glisser son bras de ses épaules pour
mieux la dévisager. « Tu ne m’as jamais dit que Snape était un Legilimens. »

Elle demeura impassible. « Comment ça ? »

Soudain, Charlie n’avait plus l’air si soul. Tout du moins pas soul au point de ne pas savoir ce
qu’il disait. Il paraissait très intéressé, au contraire, et elle s’en voulut de la pointe de
suspicion dans son ventre.

C’était Lucius et ses avertissements qui réveillaient sa paranoïa, rien d’autre, elle le savait
mais…

« Ce soir là, il t’a demandé d’utiliser l’occlumencie pour contrôler la douleur. » insista son
meilleur ami. « Et ensuite, il t’a demandé de le laisser rentrer dans ton esprit. »

« Tu es une Occlumens ? » demanda Anthony, avec surprise et curiosité.

Elle se força à éclater de rire comme si c’était une bonne blague, comme si cela ne tiraillait
pas sur ses côtes et réveillait une douleur déjà trop présente, comme si c’était entièrement
ridicule.

Et tout du long elle se demanda pourquoi, exactement, elle ressentait le besoin de leur mentir.

« Pas du tout. » répondit-elle. « Il dit que j’ai juste une résistance naturelle, ça me vient des
Black. Mais je n’ai pas le temps de la développer donc… » Il haussa les épaules. « Et, oui,
c’est un Legilimens mais, d’après ce que j’ai compris, il est tout à fait moyen. Je n’y connais
pas grand-chose à ce genre de magie. »
« Une résistance naturelle ? » répéta Charlie, en fronçant les sourcils. « Je ne savais même
pas que ça existait. »

« Tu ne veux pas devenir Occlumens ? » insista Anthony. « Ça pourrait te servir. »

« C’est trop subtil pour moi. » plaisanta-t-elle. « Je vous rappelle que je ne peux pas rentrer
dans une pièce sans trébucher sur quelque chose alors la magie de l’esprit… Ça demande
beaucoup trop d’adresse. » Elle balaya l’air de la main. « Assez parlé de moi. Comment ça se
passe à Poudlard ? Le frère d’Hagrid vous donne toujours du fil à retordre ? »

Elle les écouta d’une oreille, sans vraiment y prêter attention, incapable de mettre un nom sur
la sensation bizarre qu’elle éprouvait.

°O°O°O°O°

Severus se redressa sur le coude, réveillé en sursaut par le sortilège d’alarme qui entourait le
bureau de Directeur de Maison. Il attendit une seconde mais au lieu de l’avertir qu’un élève
frappait à la porte, le sort lui apprit que quelqu’un avait passé ses protections. Sans les forcer.

Il ne bougea pas, peu surpris lorsqu’il sentit la seconde alarme se déclencher et les
protections s’effacer à nouveau alors que la personne utilisait la porte dérobée qui menait à
ses appartements.

Les protections étaient programmées pour laisser passer trois personnes : Harry qui était déjà
dans sa chambre, Black qui ne se serait pas amusé à venir lui rendre visite au milieu de la nuit
sauf s’il désirait prendre un maléfice en pleine figure et Nymphadora qui n’avait aucune
raison d’être là mais dont la présence était la plus probable. Albus aurait pu déjouer ses
sortilèges mais pas sans efforts qui auraient alerté Severus sur son identité.

Le bruit des pas dans le couloir était feutré.

Quelques secondes plus tard, il entendit un très léger toc à sa porte.

« Entre. »

Elle se glissa silencieusement dans la chambre, comme une ombre, les bottes à la main pour
ne pas faire de bruit. Dans la pénombre, il peinait à deviner son expression mais elle
paraissait un peu gênée.

« J’étais en train de rentrer chez moi quand j’ai réalisé que je n’avais pas vraiment envie de
dormir seule… » avoua-t-elle, en s’asseyant au bord du lit. « Pathétique ? »

Il l’observa, son regard s’attardant sur la robe qu’elle portait, différente de celle qu’elle avait
mis pour sa réception à Downing Street, moins classique, plus punk… Non moins séduisante.

« Sans doute autant que le fait qu’après trente-six ans de célibat, mon lit me semble
désormais bien vide lorsque tu n’es pas dedans. » répondit-il, non sans humour. Un humour
un peu gardé, un peu hésitant. Parce que ce genre d’aveu ne lui venait pas naturellement et
qu’il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il souffrirait plus tard de se hasarder à ce genre
d’épanchement.
Harry avait raison, cependant, il avait tendance à s’interdire d’être heureux simplement parce
que…

La confession valait la peine simplement pour la voir se détendre d’un coup, pour apercevoir
le sourire qui étira ses lèvres.

« Comment as-tu passé les grilles ? » demanda-t-il. À cette heure-ci, il n’y aurait eu guère
qu’Albus pour entendre et répondre à l’appel magique que devait envoyer tout visiteur non
affilié au château.

« Je ne t’ai pas dit ? » Elle fronça les sourcils, repliant un peu les jambes sur le matelas.
« Dumbledore m’a ajoutée aux protections de l’école puisque je suis en charge de sa sécurité.
J’ai les mêmes privilèges qu’un employé. » Ce qui signifiait qu’elle pouvait aller et venir
comme elle le souhaitait. « Entre nous, je pense que McGonagall en avait marre de venir
m’ouvrir tous les deux jours. »

En ce qui le concernait, c’était une excellente nouvelle. Personne n’aurait besoin d’aller lui
ouvrir et moins de gens se mêleraient de leurs affaires.

Il n’en pouvait plus des petits sourires entendus Minerva dès qu’elle mentionnait la jeune
femme.

« Tes côtes ? » s’enquit-il, tout en soulevant le duvet dans une invitation muette.

« Mieux mais pas génial. » soupira-t-elle. Elle se glissa sous les draps et il se rallongea sur le
côté. Ils s’observèrent en silence quelques secondes puis elle détourna le regard. « Lucius
Malfoy te fait ses amitiés. »

Il fronça les sourcils, alarmé. « Il t’a attaquée ? »

Peu probable, cependant. Elle ne semblait pas blessée et elle était beaucoup trop calme pour
quelqu’un qui serait tombé dans une embuscade. Un instant, il lui vint l’idée qu’elle pouvait
très bien être sous imperium. Cela aurait très certainement été un moyen efficace de
l’assassiner : l’envoyer se glisser dans son lit à une heure indue, sachant qu’il ne se méfierait
pas d’elle, ne se réveillerait peut-être même pas…

Mais elle n’eut aucun geste agressif, aucun comportement étrange laissant penser qu’elle était
sous influence. Au lieu de cela, elle soupira encore une fois et entreprit de lui résumer son
entrevue avec Lucius qui, décidemment, faisait un piètre espion. S’il avait été à sa place, il
n’aurait pas couru le risque d’avertir la jeune femme. Toutefois, il était vrai que s’il
substituait Harry à Draco… Peut-être aurait-il pris le risque, après réflexion.

« Je n’arrive pas à le cerner. » conclut-elle. « C’est un Mangemort pur et dur, pas de doute là-
dessus, mais… »

« Ma Maison avant tout. » murmura-t-il. « La devise des Malfoy. »

Elle souffla avec agacement. « Ça ne l’a pas empêché de renier son fils. »
« Renié, pas déshérité. » nuança-t-il. « À la mort de Lucius, Draco deviendra Lord Malfoy. Il
sera Chef de famille, il en porte d’ailleurs déjà le sceau, et héritera de la fortune et des terres
qui vont avec. On pourrait en conclure qu’il refuse simplement de laisser sa Maison sans
héritier mais c’est plus profond que cela. S’il n’avait pas écarté Draco… Le Seigneur des
Ténèbres aurait insisté pour qu’il prenne la Marque rapidement. »

Nymphadora se rembrunit. « Ne me donne pas de raison d’avoir de la compassion pour


Lucius Malfoy, s’il te plait. »

« De la compassion, ce serait dangereux. » commenta-t-il. « Toutefois, le contexte est


important. Tu as pris Draco sous ta protection, il considère qu’il a une dette envers toi. » Il se
frotta le visage. « Je ne m’y fierai pas, à ta place, cependant. J’ai moi-même une dette envers
lui et puisque nous sommes à présent liés… Il pourrait très bien considérer que ces dettes
s’annulent l’une l’autre. »

Amusée, elle sourit. « Ai-je envie de demander pourquoi tu as une dette envers lui ou est-ce
que c’est encore un de ces moments où tu vas m’avouer un crime pour lequel je serais censée
te traîner devant un tribunal ? »

Severus délibéra quelques secondes puis décida qu’il était peu probable que quelqu’un
cherche un jour à lui soutirer cette information et que, le cas échéant, ses boucliers suffiraient
probablement à la dissimuler.

« Sans lui, je ne serais jamais parvenu à quitter Azkaban. » avoua-t-il. « Il s’est arrangé pour
que je puisse récupérer ma baguette. »

Son amusement disparu comme par enchantement, laissant place à une gravité lasse alors
qu’elle mesurait, peut-être, pourquoi Lucius aurait pu considérer leurs dettes comme
mutuellement payées.

« Pourquoi ? » demanda-t-elle, non sans curiosité. « S’il s’était fait prendre… »

Elle laissa sa phrase en suspens.

Il poussa un léger soupir, détournant à son tour le regard. « Si nous étions tout deux moins
Serpentard, nous aurions pu être de véritables amis. »

« Ce serait plus simple si les méchants pouvaient être simplement méchants. » remarqua-t-
elle.

Il ne protesta pas lorsqu’elle vint se blottir dans ses bras, savourant au contraire le plaisir
simple de la tenir contre lui.

« Un monde manichéen serait plus simple, n’est-ce pas ? » murmura-t-il contre ses cheveux.
Elle sentait le tabac et l’alcool au lieu de son shampoing fruité habituel. « Nous ne pouvons
pas pourtant nous permettre d’états d’âme. Ils n’hésiteront pas à nous torturer ou nous tuer, tu
peux en être certaine. Ne prends pas les avertissements de Lucius à la légère. Je te donnerai
un bézoard avant que tu ne partes demain matin. J’aurais dû y songer avant. »
Harry en avait un sur lui en permanence, en plus de son stock de potions. Il avait insisté pour
que la jeune femme s’encombre des potions mais le bézoard, il n’y avait pas pensé.

« Je commence à comprendre Fol’Œil. » marmonna-t-elle. « Je vais finir complètement


parano. Rien que ce soir… »

Elle s’interrompit.

« Ce soir ? » l’invita-t-il à poursuivre.

Elle cala la tête dans le creux de son bras et soupira une nouvelle fois. « Rien. J’ai
l’impression de me méfier de mon ombre, c’est tout. »

« À raison, malheureusement. » déplora-t-il, en basculant sur le dos pour lui laisser plus de
place. Elle s’étira immédiatement, passant un bras autour de sa taille et une jambe au-dessus
des siennes dans une position qui était devenue extrêmement familière. Le poids de sa tête
dans le creux de son épaule était, lui-aussi, devenu naturel. Suffisamment pour qu’il lui
manque lorsqu’elle n’était pas là.

Elle resta silencieuse pendant tellement longtemps qu’il était presque endormi lorsque sa voix
le tira du sommeil.

« On a perdu trop d’Aurors l’autre jour. » déclara-t-elle, d’un ton morne. « Ce matin, j’ai dû
les remplacer par certains des vétérans qu’on avait faits revenir pour former les nouvelles
recrues. Ils ont tous plus de soixante-dix ans et n’ont rien à faire sur le terrain. »

Mais c’était eux ou des gamins sans aucune expérience qui risquaient de paniquer à la
première escarmouche, supposa-t-il.

« J’ai signé les ordres de mission puis je suis allée voir Scrimgeour pour lui dire qu’il ferait
mieux de me remplacer par n’importe lequel d’entre eux. » continua-t-elle. « Que je serais
plus utile là-dehors et que n’importe lequel de ces sorciers ou sorcières serait plus légitime
que moi pour seconder Kingsley. »

Severus caressa son bras, toujours un peu incertain lorsqu’il était question de distribuer des
gestes de tendresse.

« Tu ne me demandes pas ce qu’il a répondu ? » souffla-t-elle, lorsqu’il garda le silence trop


longtemps.

« Je le devine. » lâcha-t-il.

Elle tourna légèrement la tête, pressa son visage contre son épaule. Il repoussa les mèches
brunes qui lui tombaient sur les joues, attendant patiemment qu’elle se reprenne.

« Tu n’as peut-être pas l’expérience d’un Auror plus âgé mais tu as un excellent instinct, tu es
intelligente et tu as prouvé que tu étais capable de commander la loyauté d’un groupe. »
déclara-t-il, au bout de plusieurs minutes, quand il devint évident qu’elle ne dirait rien. « Et
tu ne devrais pas avoir besoin que je te le rappelle, Nymphadora, parce que tu sais déjà tout
ça. Où est passé ta confiance en toi ? »
« Dans un village Moldu en flammes avec tous les Aurors qui sont morts sous mon
commandement. » cracha-t-elle, la voix nouée de larmes.

« Tu as fait ce que tu as pu. » lui rappela-t-il.

« Et ce n’était pas assez. » rétorqua-t-elle.

Son corps était raide contre le sien, tendu…

« Il est plus simple d’obéir aux ordres que de les donner. » admit-il. « Néanmoins, que tu le
veuilles ou non, tu n’es plus un simple soldat, à présent, il n’y a plus de retour en arrière
possible. Tu as abattu un des plus anciens favoris du Seigneur des Ténèbres… Tu es le visage
de l’armée du Ministère… Et, comme si cela ne suffisait pas, tu as démontré plus d’une fois
que tu disposais d’une puissance magique supérieure à la norme. »

« C’est faux. » protesta-t-elle. « Je ne suis pas… »

« Tu es une Métamorphomage. » l’interrompit-il, refusant de la laisser se dénigrer ou se


voiler la face. Ce n’était pas première fois qu’elle faisait preuve d’un peu trop de modestie
sur le sujet. « Tu as maitrisé tous les sortilèges de mon invention que je t’ai enseigné avec
une facilité déconcertante alors qu’ils n’ont rien de simples. Et tu es une Black. »

« Tu es la deuxième personne à me dire ça ce soir. » râla-t-elle, retrouvant un peu de son


caractère habituel. « Je ne suis pas une Black, je suis une Tonks. »

« Et je suis certain que ton père est un sorcier très doué. » riposta-t-il. « Reste que les Black
ont méthodiquement entretenu leur lignée pendant des siècles pour s’assurer de ne produire
que des sorciers puissants. Avec quelques ratés, certes, pourtant, je garantie que tu n’es pas
l’un d’eux. »

« Toujours purs. » cracha-t-elle.

Il haussa les épaules, la secouant légèrement sans le vouloir. « Tu peux détester leurs
méthodes et leurs idéaux. Cela ne change rien aux faits ou à l’identité de tes ancêtres. Cela ne
change pas qui tu es, non plus. J’ai toujours admiré la manière dont tu refusais de te
conformer à la masse. Tu sais qui tu es, Nymphadora, et tu refuses de compromettre cette
identité, c’est une qualité. »

L’irritation sembla la déserter d’un coup. Son corps se fit plus lourd contre le sien.

« Peut-être que je ne sais plus qui je suis, justement. » avoua-t-elle.

Il resserra légèrement son étreinte, écartant à nouveau les cheveux de son visage. Il chercha à
capter son regard mais elle gardait le sien résolument détourné.

« Parce que tu es désormais la quatrième personne la plus influente du Ministère ? » s’enquit-


il.

Il n’y avait guère que Scrimgeour, Bones et Shacklebolt au-dessus d’elle, à ce stade.
« Je n’étais pas prête. » admit-elle. « Je n’étais pas prête à ce que Fol’Œil meure. Je n’étais
pas prête à prendre sa place. Je n’étais pas prête du tout à… à devoir donner des ordres qui
ont coûté la vie à des gens. » Elle prit une profonde inspiration, souffla lentement. « Et je sais
que je vais devoir recommencer. Je sais que, d’ici la semaine prochaine, je vais devoir
prendre une douzaine de décisions différentes, donner une douzaine d’ordres différents, et
que des gens vont mourir parce que je vais me tromper ou parce que je ne vais pas réagir
assez vite ou… » Elle s’interrompit, souffla à nouveau. « Je ne suis pas prête, Severus. »

Sa détresse le touchait parce qu’il la savait sincère.

Il était probablement très ironique, ou très révélateur, que quelqu’un d’aussi renfermé et
réfractaire aux sentiments que lui se soit attaché à deux des personnes les plus humaines qu’il
ait jamais rencontrées. Nymphadora, comme Harry, ne supportait pas d’échouer si cela
signifiait perdre une vie.

Elle était devenue un peu plus cynique dernièrement, à son contact ou à cause de la guerre,
mais au fond, elle demeurait quelqu’un qui plaçait la vie humaine avant tout autre chose. Il y
avait une raison au fait qu’elle ne parvenait pas toujours à lancer un Avada et préférait des
sorts incapacitants ou, tout du moins, qui demandaient moins de haine. Au-delà du reste, elle
était intègre, fidèle à ses principes, courageuse, brillante…

La savoir en charge du Département des Aurors était, par beaucoup d’aspects, un


soulagement. Il lui faisait confiance pour faire les choses correctement et avec suffisamment
d’intelligence. Shacklebolt n’était pas le pire Auror qu’il ait rencontré et l’homme avait
l’esprit vif derrière son calme inébranlable mais c’était en Nymphadora qu’il avait le plus
confiance pour garder le bateau à flots.

Et il n’aimait pas la voir douter autant d’elle-même. Il était peiné qu’elle soit dans cet état.

« Je crains que personne de décent ne soit jamais prêt pour le pouvoir, mon amour. » offrit-il,
presque distraitement, trop occupé à se demander comment il pouvait la convaincre qu’elle
était la personne parfaite pour ce poste précisément parce qu’elle n’en voulait pas.

Ses propres mots le heurtèrent avec un temps de retard.

La panique fût immédiate, brutale et totale. Lui qui était habitué à faire face à des situations
dangereuses et potentiellement mortelles au quotidien avec phlegme se figea d’horreur,
incapable de dire ou de faire quoi que ce soit.

Il n’aurait su dire qui d’eux deux était le plus tendu.

Le silence se prolongea, lourd de ce mot qui planait entre eux.

Et puis, il sentit sa main se poser sur sa joue et, avant qu’il ait décidé quoi dire pour réparer
ce qui n’était pas tout à fait une bévue, les lèvres de la jeune femme trouvèrent les siennes
dans l’obscurité. Le baiser était presque violent et il y répondit avec la même intensité, se
laissant emporter presque malgré lui par la passion qu’elle faisait toujours naître en lui.

Le désir remplaça progressivement la panique et l’embarras.


Pourtant, lorsqu’elle l’attira à lui, il résista, cherchant son regard dans le noir.

« Ta blessure. » lui rappela-t-il, un peu à regret.

« Je survivrai. » répondit-elle, le souffle court, avant de capturer à nouveau ses lèvres dans un
baiser provocant qui lui vida complètement la tête.

Elle avait cet étrange pouvoir sur lui de réduire son contrôle légendaire à néant.

Et, plus tard, alors qu’il attendait qu’elle revienne se coucher, sommeillant à moitié, le corps
lourd de satisfaction, il manqua presque le lui avouer.

Mais il s’était assez trahi comme cela, cette nuit là.

Les idées noires et les pensées cyniques tourbillonnaient à l’arrière de son esprit, cherchant à
se frayer un chemin jusqu’à lui, mais il les repoussa, refusant pour un temps le pessimisme de
penser que tout ceci ne pouvait durer. À cette seconde, il était heureux. Et Harry ne venait-il
pas, quelques heures auparavant à peine, de lui enjoindre de cesser de s’auto-saborder dans
ces moments là ? Ne pouvait-il pas simplement profiter de l’instant ?

La lumière de la bougie qui dansait dans la salle de bain fût soufflée. Il suivit sans mal sa
progression dans la chambre, profitant du couvert de l’obscurité pour sourire lorsqu’elle se
dirigea droit vers la commode avec naturel pour y prendre un des tee-shirts qu’elle oubliait
régulièrement et qu’il avait rangés dans le premier tiroir.

Il lui trottait dans la tête dernièrement qu’il pouvait tout aussi bien lui offrir le reste de
l’espace dans ce tiroir, justement, mais il ne savait pas trop comment aborder cette
conversation.

Elle se baissa pour ramasser l’étui de sa baguette qu’elle balança sur la table de nuit, de ce
qui était devenu son côté du lit, après avoir jeté un sort de réveil pour une heure absolument
trop matinale et qui, étant donné l’heure tardive, ne leur laisserait pas beaucoup de sommeil.
Néanmoins, il apprécia l’attention, sachant qu’elle prévoyait de partir avant qu’Harry ne se
lève.

Il apprécia beaucoup moins qu’elle ne l’écrase au passage – et à dessein – en revenant se


glisser sous les draps.

Preuve qu’elle l’avait ensorcelé d’une quelconque manière, au lieu de protester, il l’attrapa
alors qu’elle cherchait à rejoindre son côté du lit et refusa de lui rendre sa liberté même
lorsqu’elle fit mine d’essayer de se dégager, sans véritable effort. Son rire résonna un peu
trop fort dans le silence nocturne et il se sentit obligé de l’avaler d’un baiser qui se transforma
en plusieurs autres, dont la tendresse lui faisait presque mal.

« Tes côtes ? » demanda-t-il, au bout d’un moment, contre sa bouche.

« Ça va. » lui promit-elle.

Un mensonge, mais un qu’il lui accorda parce qu’elle souriait, que ses mains se baladaient
sur lui avec possessivité, et qu’il aimait trop la lueur dans ses yeux pour briser le moment.
Il craignit un peu qu’elle ne cherche à discuter de ce mot qu’il avait laissé échapper mais, à sa
décharge, elle le connaissait mieux que ça. Elle se pelotonna contre lui et prit la profonde
inspiration d’un corps prêt à trouver le repos.

« Merci. » murmura-t-elle.

Ce fût à son tour d’échouer à retenir un petit rire.

« À ce point ? » se moqua-t-il. « Tout le plaisir était pour moi, je t’assure. »

Elle étouffa son ricanement dans son épaule mais lui frappa légèrement le bras en
remontrance. « Idiot. »

« Je préférai les louanges. » plaisanta-t-il.

Elle planta un baiser sur sa bouche.

« Merci de ne jamais me dire que je ne suis pas capable de faire les choses. » clarifia-t-elle.

Et, avec cette phrase pourtant sincère, ce fût comme si l’ombre d’un loup se glissait dans le lit
avec eux.

La morsure de la jalousie, il l’écarta bien vite, l’enfermant derrière ses boucliers.

Il n’y avait pas de quoi être jaloux bien qu’il aurait apprécié qu’elle cesse de les comparer,
même s’il avait, pour l’instant, le dessus sur Lupin.

« Je déteste qu’il ait encore autant de pouvoir sur toi. » admit-il dans un murmure, en écartant
les mèches roses de son visage.

« Il n’en a plus tant que ça. » soupira-t-elle, en reposant sa tête dans le creux de son épaule.
« En grande partie grâce à toi. C’est juste que… Il a tellement répété que je n’étais pas… »

« C’est un idiot possessif qui voulait juste te garder sous sa coupe. » gronda-t-il,
l’interrompant. « Le jour où je penserai véritablement que tu n’es pas capable de faire
quelque chose, je serais franc avec toi, et je me réjouirai lorsque tu me prouveras
inévitablement que j’avais tort. »

Il sentit son sourire contre sa peau, se détendit lorsqu’elle pressa un baiser sur son torse.

« Il s’est excusé tout à l’heure. » lui apprit-elle.

Severus ne retint pas un bruit tout aussi dédaigneux qu’agacé. « Et, as-tu choisis de lui
pardonner ? »

Cela ne l’aurait pas surpris outre mesure. Tout le monde semblait bien prompt à effacer
l’ardoise lorsqu’il était question de Lupin. Alors que la sienne…

« Si on m’avait donné une mornille à chaque fois qu’il m’a présenté des excuses, ces derniers
mois, je serais riche. » répondit-elle, non sans amertume. « Il peut garder ses excuses et ses
explications. Je veux juste qu’il me laisse tranquille. »

Il se détendit considérablement.

« Voilà une leçon qu’Harry n’a malheureusement pas encore apprise. » marmonna-t-il.
« Lupin lui a envoyé des excuses et il les a acceptées. »

Nymphadora soupira. « Ce n’est pas ma place de dire quoi que ce soit, mais… Je pense que
le tenir éloigné d’Harry était la bonne décision. »

« Et je compte m’y tenir. » confirma-t-il.

« S’il est déterminé à changer, comme il le dit, tant mieux, mais je n’y crois plus. » Elle
remonta le duvet un peu plus haut jusqu’à le coincer sous son menton. « Tu sais qu’il a eu le
culot de me dire qu’il ne se mettrait plus entre nous mais qu’il m’attendrait aussi longtemps
qu’il le faudrait ? Comme s’il était toujours persuadé que nous ne sommes qu’une passade et
que, au final, je reviendrai vers lui. »

« Cela ne me semble guère indiquer qu’il est prêt à changer son comportement. » remarqua-t-
il. « Il s’agit juste d’un changement de tactique en ce qui te concerne. »

Elle lâcha un nouveau soupir. « Ne parlons plus de lui. »

Voilà qui lui aurait parfaitement convenu mais il savait que c’était un vœux pieu. Lupin
reviendrait tôt ou tard dans la conversation parce qu’il y revenait toujours.

« Severus ? » murmura-t-elle, au bout d’un moment. Il dormait déjà à moitié et ne répondit


que par un bruit ensommeillé. « Il faut que tu parles à Sirius. »

« De quoi ? » marmonna-t-il.

« De nous. » précisa-t-elle.

Il protesta dans un demi-sommeil, la serrant un peu plus fort dans ses bras. « C’est ton
cousin. »

« Mais c’est ton ami. » rétorqua-t-elle. Trop endormi, il oublia de contester le terme. « Et j’ai
essayé de lui dire, tout à l’heure, mais il n’a pas voulu comprendre. »

« C’est bien le seul qui n’ait pas encore compris. » grommela-t-il.

« Raison de plus pour que tu lui dises. » insista-t-elle.

Il acquiesça parce que, à cet instant, il aurait acquiescé à tout, et s’endormit sans entendre le
reste, si reste il y avait.

Le sort d’alarme le réveilla brièvement ce qui semblait être quelques minutes plus tard mais il
se rendormit dès qu’elle l’eut annulé, n’émergeant à nouveau uniquement lorsqu’elle déposa
un léger baiser sur les lèvres.
« Passe une bonne journée. » chuchota-t-elle.

Il marmonna quelque chose en réponse mais fût trop lent à se réveiller tout à fait pour lui
offrir quelque chose de plus cohérent. Il l’écouta se glisser hors de la chambre et hors des
appartements, sans se rendormir tout à fait. Il somnola jusqu’à ce que sa propre alarme ne le
force à se tirer du lit.

Il était d’excellente humeur, cependant.

Il prépara le petit-déjeuner avec un léger entrain, songeant déjà à tout ce qu’il devait faire ce
jour là sans que cela ne le décourage, pour une fois. Il se sentait étrangement optimiste.

Il ne remarqua la présence d’Harry, appuyé au chambranle de la porte de la cuisine, qui


l’observait, qu’avec un temps de retard. Le garçon paraissait lutter contre un fou rire et avait
l’expression goguenarde des jours où il ne pouvait s’empêcher de se moquer de lui pour une
raison ou une autre.

« Qu’y a-t-il ? » demanda-t-il, en le fusillant légèrement du regard pour prévenir une trop
grosse ineptie.

Les yeux verts riaient sous cape mais le garçon parvint à garder son sérieux. « Vous n’êtes
pas obligé de la chasser à l’aube, vous savez. Elle peut rester pour le petit-déjeuner. »

Tout son corps se glaça d’effroi à l’idée qu’il ait pu entendre…

Mais non… Severus avait jeté un assurdiato ainsi qu’un sort de silence, dès que la
conversation avait pris un tour plus… charnel, juste au cas où. Il était plus probable qu’il l’ait
entendue partir.

Il ne voulait pas vraiment poser la question mais embarrassé pour embarrassé… Il se racla la
gorge. « Comment sais-tu que… »

Luttant toujours contre son amusement manifeste, Harry vint s’asseoir à table, s’appropriant
un des deux verres de jus d’orange fraîchement pressé. « Vous fredonniez. »

« Absolument pas. » démentit-il, légèrement offusqué.

Avait-il été en train de fredonner ? Il n’en avait pas eu conscience.

Sans se laisser troubler mais les lèvres tressautant tellement il s’efforçait de ne pas rire, le
Gryffondor attrapa une tranche de pain grillé et la beurra tranquillement.

« Par contre, je ne suis pas sûr que cette couleur de rouge à lèvre vous aille particulièrement
bien. » commenta-t-il, en agitant la main en direction de son propre cou.

Severus plaqua immédiatement la paume sur sa gorge, comme pour mieux cacher les preuves
d’un crime bien innocent.

Ça en fût trop pour Harry qui éclata de rire.


Severus battit en retraite vers sa salle de bain, s’efforçant de garder un air digne.

« Imbécile. » accusa-t-il, non sans affection, lorsqu’il en revint, sans avoir trouvé la moindre
trace de rouge à lèvre sur sa peau.

« N’empêche que vous fredonniez. » rétorqua Harry, en pointant un bout de toast à moitié
dévoré vers lui dans un geste accusateur. « C’est suffisant pour traumatiser un enfant, vous
savez. »

Il leva les yeux au ciel, attrapant la tasse de thé que le garçon lui avait servie. « Oh,
certainement… Tu peux affronter le Seigneur des Ténèbres sans trembler mais Merlin
préserve que je fasse preuve d’un minimum de bonne humeur le matin. »

« Ça arrive si rarement que ça fait peur. » se moqua le Gryffondor, avant de baisser les yeux,
son amusement diminuant légèrement. « J’étais sérieux, par contre. Ce n’est pas parce que je
suis là que… Elle peut rester. »

Severus se racla à nouveau la gorge, un peu gêné. « Elle ne veut pas te mettre mal à l’aise. Ou
empiéter sur un temps qui est le nôtre. »

« Oui, mais… » insista le garçon, dans un haussement d’épaules. « Ce n’est pas comme si…
Je veux dire, vous… »

Le Gryffondor s’empourpra, regrettant visiblement d’avoir lancé la conversation.

« Pose ta question. » l’encouragea-t-il, en se redressant légèrement, se préparant au pire.

Harry grimaça un peu puis croisa à nouveau son regard. « C’est sérieux entre vous, non ? À
un moment donné, vous voudrez… Euh… Habiter ensemble et tout ça ? »

L’Occlumencie était un outil magnifique qui lui permit de garder contenance. « Nous n’en
sommes pas là. Toutefois, j’imagine que… Si les choses suivent leurs cours alors, oui, c’est
une possibilité. » Il étudia son fils quelques secondes. « Je ne prendrais aucune décision sans
t’en parler au préalable et cela ne change rien au fait que tu seras toujours chez toi là où je
vis. »

Le garçon se détendit légèrement puis haussa à nouveau les épaules. « Elle peut rester si elle
veut. Ça ne me dérange pas. »

Cela promettait un futur petit-déjeuner bien gênant, songea-t-il, mais il supposait qu’il
faudrait en passer par là à un moment où à un autre parce que, comme Harry l’avait compris,
il espérait que cela devienne un jour une habitude de l’avoir à table.

« Je transmettrai le message. » offrit-il. « Néanmoins, je me passerai de ce genre de


plaisanteries. Tu passes trop de temps avec ton parrain. »

Il prit garde à ne pas mettre d’hostilité dans sa voix afin qu’Harry comprenne qu’il n’était pas
sérieusement fâché.

« C’était un peu trop facile. » se moqua son fils, en croquant à pleines dents dans son toast.
« Il me serait tout aussi facile de commenter la manière dont tu fais les yeux doux à une
certaine quatrième année. » remarqua-t-il, pince-sans-rire. « Pourtant je me restreins. »

Harry manqua s’étouffer avec son toast.

Ce n’était que justice, à son sens.

Chapter End Notes

Et c'est bon! On est à jour!


A Poisoned Cup
Chapter Notes

Notre premier chapitre sur AO3!

Je sais que la grande majorité préfère ff mais bienvenu à ceux qui ont migré jusque ici!
Niveau alerte, je pense que souscrire ici est encore la meilleure manière de ne rater
aucun chapitre! Et, bien sûr, le grand avantage c'est qu'ici, je peux répoooondre aux
commentaires!

J'espère que vous apprécierez ce chapitre!

Enjoy & Review!

“She called it betrayal. I called it justice. A poisoned cup for a poisoned cup, a death for
a death. A queen for a king.”

Crown of Feathers – Nicki Pau Pretyo

« Elle qualifia ça de trahison. Je l’appelais justice. Une coupe empoisonnée pour une
coupe empoisonnée, une mort pour une mort. Une reine pour un roi. »
Crown of Feathers – Nicki Pau Preyto

Sirius frappa à la porte béante du bureau de la Directrice de Maison des Gryffondors, se


précipitant immédiatement à l’intérieur lorsqu’il la vit lutter pour ôter d’énormes grimoires
d’une étagère bien trop haute pour elle.

« Oh, merci, Sirius. » soupira-t-elle, en lui indiquant de les poser sur son bureau.

Il ne s’agissait pas de livres, nota-t-il, mais d’épais registres d’élèves. Davantage de


préparations pour les examens, songea-t-il. Il avait résolu son propre problème en
s’enjoignant l’aide de Charlie et d’Anthony, mais la sous-directrice devait sans doute
s’occuper de la partie administrative.

« Que puis-je pour vous ? » demanda-t-elle.

À la lumière des torches et des bougies qui éclairaient généreusement son bureau, la sorcière
paraissait éreintée et Sirius en nourrit un léger sentiment de culpabilité. Il savait que les
autres Directeurs de Maison faisaient de leur mieux pour l’épauler mais…
« Je suis juste venu vous dire que je partais pour la soirée. » répondit-il, en se raclant la
gorge.

Elle fit immédiatement la grimace. « Le devez-vous absolument ? Severus doit déjà quitter le
château pour l’Ordre et Albus vient de me dire qu’il devait s’absenter quelques heures dans la
soirée… Pomona et Horace travaillent sur les examens de Botanique… J’espérais que vous et
Filius pourriez vous occuper des rondes, ce soir. »

De toute cette mine d’informations, il n’en retint qu’une seule. « Dumbledore doit sortir ? »

« Oui. » se rembrunit-elle. « Non, qu’il ait consenti à me dire pourquoi. Et me voilà obligée
d’aller m’installer dans un bureau où rode un mage noir qui a des opinions un peu trop
arrêtées sur certaines théorie de Métamorphose. »

Sirius leva les sourcils avec amusement mais, hésita. « Vous ne devriez pas rester seule avec
Grindelwald. »

McGonagall pinça les lèvres, le dévisageant par-dessus ses lunettes en demi-lunes. « Je suis
parfaitement capable de me défendre. Qui plus est, il est tenu par serment de ne pas chercher
à s’échapper. Je n’apprécie simplement pas sa compagnie. »

« On ne peut pas vraiment vous le reprocher. » plaisanta-t-il, ses doigts pianotant


nerveusement contre sa cuisse. « Ça m’embête de vous laisser comme ça mais j’ai promis à
Bill… Il ne va pas très bien, vous savez. Arthur… »

Il s’en voulut de son mensonge mais savait que jouer sur sa corde sensible était le meilleur
moyen d’obtenir ce qu’il voulait. Or ce qu’il voulait, c’était un alibi.

Et, de fait, l’expression sévère de la sorcière se fit plus compatissante. « Bien sûr. » Elle lâcha
un soupir. « Eh bien, je suppose que nous nous débrouillerons sans vous. »

« Si je rentre assez tôt, je ferais une patrouille. » lui promit-il, ne serait-ce que pour apaiser sa
conscience.

McGonagall le remercia d’un hochement de tête, mais non sans un sourire. « Vous êtes
beaucoup trop laxistes avec les élèves, de toute manière. »

Il la laissa avec un clin d’œil.

Il considérait ça comme un compliment.

°O°O°O°O°

« Ah, Severus… »

Le Maître des Potions s’immobilisa au milieu du hall d’entrée, ignorant les quelques élèves
qui y trainaient, pour attendre que le Directeur ne le rejoigne. Il le salua d’un hochement de
tête poli. « Albus. »

« Vous partez pour le cottage ? » demanda le vieux sorcier.


Severus résista de peu au besoin de lever les yeux au ciel face à ces banalités qu’il estimait
toujours nécessaire d’échanger. Une perte de temps, selon lui. Le Directeur savait
pertinemment où il allait.

« Comme convenu. » répondit-il.

C’était Albus, lui-même, qui avait organisé l’entrevue entre lui, Lupin et Laura Flemmings
dans le cottage où le loup gardait cette dernière sous le sceau du secret. Le loup-garou ne s’y
était plié que bon gré, mal gré, d’après les retours qu’il en avait eu, mais savait que Severus
avait ouvertement émis des doutes quant au bien fondé de poursuivre les recherches sur la
potion et était déterminé à le convaincre que ce serait pour le mieux.

Et il n’était pas le seul.

Albus, lui aussi, l’encourageait à ne pas cesser les recherches.

Et paraissait présentement un peu gêné.

« Je sais que les tensions entre Remus et vous sont justifiées… » remarqua le vieux sorcier.
« Toutefois, je sais aussi que vous pourriez être le plus mature des deux, s’il vous prenait
l’envie de faire un effort. Je vous demande de faire cet effort, Severus. Nos inimités ou
attachements personnels ne doivent pas rentrer en ligne de compte, étant donné le contexte. »

« Vraiment ? » ironisa-t-il. « Est-ce pour cela que Grindelwald est si confortablement installé
dans votre chambre d’amis ? »

Albus ne goûta visiblement pas à la plaisanterie.

« Je ne veux pas apprendre qu’une baguette a été sortie, ce soir. » ordonna plus sèchement le
Directeur.

« Je n’apprécie guère lorsque vous me parlez comme si j’étais toujours un élève. » siffla-t-il
en retour.

« Tâchez de ne pas vous comporter comme tel, dans ce cas. » rétorqua le vieux sorcier, avant
de se détourner.

Severus serra les dents jusqu’aux grilles du château, pilonnant le sol meuble de sa canne juste
pour le plaisir de frapper quelque chose. Le sujet de Lupin demeurait sensible. Il n’avait plus
abordé le sujet avec Harry mais il nourrissait une certaine rancune de la facilité avec laquelle
il avait passé l’éponge alors que lui – et Black, d’ailleurs – avaient dû batailler bien plus
longtemps pour son pardon. Et c’était sans compter ses sentiments plus qu’ambigus sur le
lien qui subsistait entre le Maraudeur et Nymphadora. Qu’elle le veuille ou non, il exerçait
toujours sur elle une influence qui le dérangeait.

Il ne transplanna pas dès qu’il eut passé les protections de Poudlard, mais continua en
direction du village, attentif à ses alentours. Une embuscade était vite arrivée et, bien que les
Mangemorts n’aient aucune raison d’être au courant de sa sortie de l’école, il se méfiait.
Il faisait déjà sombre et Pré-au-Lard, comme la plupart des bourgades magiques, s’était
calfeutré pour la nuit.

Personne ne le vit donc se glisser vers la Cabane Hurlante.

Ce qui ne l’empêcha pas de se tourner brusquement, baguette levée, lorsqu’il entendit une
brindille craquer sous un talon.

La silhouette se tenait dans l’ombre d’un arbre, à l’écart du chemin. Robes noires, épaisse
cape de laine sombre, les deux mains posée sur le pommeau d’une canne, un rictus aux
lèvres…

Une entrée des plus dramatiques.

« Je ne m’attends pas à ce que vous ne compreniez grand-chose à la beauté d’un chaudron qui
bouillonne, ni à la délicatesse d’un liquide qui s’insinue dans les veines d’un homme pour
ensorceler peu à peu son esprit et lui emprisonner les sens…. » murmura le nouveau venu,
d’un ton traînant.

Loin de se laisser impressionner par l’imitation, Severus leva les yeux au ciel et avança
jusqu’à se tenir devant son parfait sosie.

La ressemblance était impeccable, comme regarder dans un miroir. C’était probablement pour
le mieux qu’il se soit habitué à faire face à son double, ces derniers mois, où la situation
aurait eu quelque chose de vraiment très dérangeant.

« Tu changes de discours pour les premières années, des fois ? » demanda l’imposteur,
perdant momentanément la cadence naturelle de sa voix.

« Pourquoi changer une entrée en matière qui fonctionne parfaitement ? » répondit-il


distraitement, en l’étudiant avec attention. Le visage était parfait, l’attitude également…
Toutefois… « Il te faut, au minimum, deux centimètres de plus. »

« Tu es trop grand. » râla son double, en corrigeant pourtant la chose.

« Peut-être est-ce toi qui est trop petite. » rétorqua-t-il, en tirant un épais carnet de la poche
intérieure de sa cape, ainsi qu’une dictaplume qui avait connu des jours meilleurs. « Tu
n’auras qu’à suivre la liste de questions. Gagne autant de temps que tu le pourras. Il me faut
deux heures, au minimum. »

Nymphadora inclina la tête pour le dévisager, dans une attitude qui semblait déplacée sur son
propre corps. « Tu ne veux toujours pas me dire pourquoi tu as besoin d’un alibi ? »

« Rien qui ne te poussera finalement à me mettre aux fers. Tranquillise-toi. » plaisanta-t-il.


« Ta baguette. » Elle la tira de sa manche avec une main trop stable. « N’oublie pas de les
laisser voir les tremblements. » lui rappela-t-il, en sortant la sienne. « Chaque détail
compte. »

Échanger momentanément leurs baguettes aurait été plus simple mais il jugeait la chose trop
risquée. Rien ne garantissait que la baguette de la jeune femme lui obéirait or il aurait besoin
de tous les avantages ce soir là. Il préférait donc jeter un sort d’illusion qui donnerait à sa
baguette l’air d’un double parfait de la sienne.

« On m’a recommandé de contenir mon mauvais caractère, ce soir. » soupira-t-il, en croisant


son propre regard, ce qui était quelque peu perturbant.

« Je ferais de mon mieux. » acquiesça-t-elle. « Tu es sûr qu’il ne se rendra pas compte de la


supercherie ? Les loups-garous et leur odorat… »

Severus secoua la tête. « Tu portes mes vêtements, ce qui devrait suffire et il ne s’étonnera
pas de te sentir sur moi, dans tous les cas. S’il en fait la remarque, dis lui simplement que
nous nous sommes vus aujourd’hui, il en déduira ce qu’il voudra. Et s’il cherche à me
provoquer… »

« Je le plaque contre un mur et je susurre des menaces dans son oreille ? » railla-t-elle, en
levant les sourcils.

Face à sa propre expression sarcastique, le Maître des Potions pinça les lèvres, choisissant de
passer outre le choix du mot susurrer. « Peux-tu te battre aussi bien sous cette forme ? À quel
point tes transformations influencent-elles ta mobilité ? »

Elle pouvait l’imiter à la perfection, cela était un fait, mais il imaginait qu’incarner une autre
personne, particulièrement quelqu’un dont l’apparence physique était si différente de la
sienne, impactait son poids du corps, les appuis dont elle aurait besoin pour se battre…

« Je fais toujours en sorte d’être à l’aise si je dois me battre. » répondit-elle. « Mais je


préfèrerai ne pas avoir à frapper Remus, même si je ne peux pas dire que ça ne me ferait pas
plaisir. »

« S’il devient trop ingérable, rappelle-lui que le sort de la potion repose sur sa capacité à me
convaincre qu’il est saint d’esprit. » railla-t-il, en tirant un papier de la poche de sa cape.

Dessus, l’écriture arrondie de Lupin indiquait l’emplacement du cottage. Il lui avait fallu
ruser pour subtiliser le bout de parchemin lorsqu’Albus le lui avait momentanément confié
avant de le détruire.

Nymphadora en prit connaissance puis y mit le feu d’une torsion du poignet un peu théâtrale,
lui arrachant un sourire.

« As-tu finalement accepté que tu étais capable de te passer de ta baguette pour ce genre de
sorts ou est-ce une manière de me faire remarquer que j’ai l’air affreusement pompeux
lorsque je fais ce genre de choses ? » demanda-t-il.

« Je laisse ça à ton appréciation. » répondit-elle, taquine. Son amusement ne subsista pas


longtemps, toutefois. « Tu seras prudent. »

Ce n’était pas une question.

« Je serais prudent. » lui promit-il. Si elle ne lui avait pas ressemblé comme deux gouttes
d’eau et si cela n’avait pas été aussi étrange, il l’aurait sans doute embrassée.
« Et tu m’enverras un patronus si tu as besoin d’aide. » insista-t-elle.

« Cela nuirait quelque peu à mon alibi… » remarqua-t-il. Elle le foudroya du regard – il
constata avec plaisir que son regard meurtrier était tout aussi glaçant que le prétendaient les
premières années – et il soupira. « Je serais prudent, Nymphadora. Ne t’inquiète pas. »

Elle croisa les bras devant sa poitrine, sans l’effet de manche qu’il y mettait généralement.
L’expression sur son visage lui était également étrangère. « Tu sais que… Je te fais
entièrement confiance mais tout ça est un peu suspect. »

Il en avait grandement conscience.

« Tes boucliers ne sont pas encore assez solides pour que je te révèle ce secret là. » contra-t-
il, avec un regret sincère.

Elle lui jeta un regard de défi. « J’y travaille. »

« Bien. » commenta-t-il. Il effleura sa main malgré le bizarre de la chose. « À tout à


l’heure. »

« À tout à l’heure. » répondit-elle, dans un murmure.

Elle transplanna la première.

Il en fit de même une seconde plus tard, non vers le cottage où Lupin et Flemmings
l’attendaient, mais vers la côté anglaise.

Il apparut à quelques kilomètres d’un village moldu dont les lumières troublaient l’obscurité,
à quelques mètres de deux silhouettes qui l’attendaient plus ou moins patiemment. Derrière
lui, la falaise tombait à pic, le bruit du ressac était assourdissant et les embruns lui collèrent
immédiatement à la peau, le faisant frissonner.

Le temps qu’il ait fini de contempler le mur naturel dardé de rochers acérés qui plongeait vers
la mer, Black et Weasley l’avaient rejoint. La besace du Briseur de Sort battait sa hanche,
apparemment bien chargée. Black, en comparaison, avait les mains dans les poches, et ne
devait pas avoir beaucoup plus chaud que lui, vu la manière dont il s’engonçait dans son
blouson en cuir.

« Tu savais que Dumbledore devait quitter Poudlard, ce soir ? » lança l’Animagus, en guise
de salut.

Severus le dévisagea, sourcils froncés. « Pas du tout. Il ne m’a rien dit. »

« Super. » soupira Black. « Donc, on s’est débrouillé pour se fabriquer des alibis juste au cas
où il lui viendrait l’envie de nous demander des comptes plus tard, et, avec la chance qu’on a,
on va le croiser juste au moment où on repartira avec l’horcruxe ? »

Bill haussa les épaules. « Raison de plus pour faire ça vite et bien. »
« Pas faux. Tu es en retard. » remarqua l’ancien fugitif. « Il y a eu un problème avec
Tonks ? »

« Aucun. » démentit-il.

« Et tu es sûr qu’elle ne dira rien ? » insista Black. « Ça m’étonne qu’elle n’ait pas demandé
d’explications… »

Severus remarqua que l’ainé des Weasley trouvait un soudain intérêt manifeste à la sangle de
l’étui de sa baguette. Une personne de plus qui devait être plus observateur que Black – ou
bien avait été mis dans la confidence par son frère.

« Ma confiance en Nymphadora est absolue. » répondit-il. « Elle ne me trahira pas. »

C’était bien la première fois de sa vie qu’il exprimait autant de foi en un autre être humain.
Cela aurait suffi à mettre la puce à l’oreille de n’importe qui mais l’Animagus était
extrêmement obtus.

Si Harry avait été déterminé à éviter d’avoir cette conversation avec lui par gêne, Black
paraissait résolu à en faire de même par stupidité.

Il soupçonnait que tant qu’il ne le forcerait pas à s’asseoir et ne prononcerait pas les mots
exacts, son rival refuserait de comprendre ce qui était pourtant évident pour pratiquement tout
le monde à ce stade.

Ce n’était ni pourtant ni le lieu, ni le moment pour cette conversation. Il s’approcha du bord


de la falaise autant qu’il l’osa et se pencha pour mieux en détailler la base. Aucune bande de
sable opportune, malheureusement. Les vagues battaient les rochers.

« Il nous faut descendre. » remarqua-t-il.

« Joie. » grommela Black.

« On peut sans doute transplanner. » proposa Weasley. « Mais je préfèrerai savoir où. Ces
rochers ont l’air glissant. »

D’après ses recherches, la caverne devrait être à quelques mètres au-dessous d’eux, invisible
de leur point d’observation.

« Quelqu’un doit descendre le premier. » déclara l’Animagus. « Quelqu’un qui peut observer
le terrain avant d’atterrir. »

« Nous aurions dû emporter des balais. » râla Severus, se reprochant son manque de
prévoyance. La prochaine fois, ils ne commettraient pas la même erreur.

« Une chance que l’un de nous puisse voler, dans ce cas. » insista Black, avec une mauvaise
humeur manifeste.

Weasley fronça les sourcils mais il ne lui prêta aucune attention, jetant un regard interloqué à
l’autre Gryffondor. « Tu plaisantes, j’espère ? »
Black secoua la tête. « C’est un simple vol plané. Tu t’en sortiras très bien. »

« Ou bien je m’empalerai sur un rocher et, ce, si je ne me noies pas d’abord. » riposta-t-il.

L’Animagus leva les yeux au ciel. « Il te suffit de contrôler ta descente. Tu peux le faire. »

Severus chercha activement une autre solution pendant plusieurs secondes, envisagea même
de simplement transplanner à l’aveugle, puis marmonna des paroles très peu aimables avant
de fourrer sa canne dans les mains de son rival et d’initier sa transformation en sombral qui,
comme à l’accoutumé, fût nettement moins fluide que celle de Black en chien – un point dont
sa fierté souffrait énormément.

« Oh. » lâcha Bill. « Cool. »

Son hennissement agacé résonna dans la nuit.

« Il ne trouve pas ça cool. » traduisit Black. « Il a peur de voler. »

Son hennissement suivant se passa de traduction.

Il avança jusqu’à la falaise, tâchant de contrôler ses nerfs. Sous cette forme, il lui était
beaucoup plus difficile de vider son esprit, de se replier derrière ses boucliers. Il repensa au
vol désespéré qui l’avait miraculeusement ramené à Poudlard, à celui qui lui avait permis de
retrouver Harry en soixante-quinze… Et il refusa de penser aux divers handicaps qui lui
vrillaient le corps et, n’en déplaise à Black, rendait l’utilisation de ses ailes compliquée.

Avant de s’élancer dans les airs, il eut une dernière pensée pour Harry et pour Nymphadora
auxquels il avait tous deux promis d’être prudent. Sauter d’une falaise ne se qualifiait
définitivement pas comme de la prudence.

Passées les premières secondes de panique, il laissa l’instinct le guider, utilisant les courants
de vent pour freiner sa descente, attentif à ne pas se laisser rabattre contre la paroi de la
falaise et ses saillies mortelles… Il repéra un large rocher plus plat que les autres à la surface
de l’eau et s’y dirigea, non sans crainte. L’atterrissage n’était pas son point fort et ses sabots
dérapèrent sur la pierre émoussée… Il parvint toutefois à se stabiliser et, après quelques
instants peu glorieux où il resta figé, cœur battant et jambes tremblantes, il redevint humain
et cria aux autres de descendre.

La houle était forte et il était déjà trempé le temps que Bill Weasley apparaisse à côté de lui,
suivi de près par Black.

« Tu vois ? » déclara ce dernier avec bonne humeur, avant de lui asséner une claque amicale
dans le dos. « Je t’ai dit que ce serait facile. »

« Je ne suis pas certain que facile soit l’adjectif approprié. » râla-t-il, en récupérant sa canne.

« Au moins, on n’est pas venu pour rien. » intervint Bill, l’air concentré. « Il y a
définitivement de la magie dans l’air. »
Étant donné que c’était son domaine et qu’il connaissait des sorts bien plus spécialisés
qu’eux, Severus fût heureux de le laisser prendre la tête de leur petite expédition. Leur
avancée était lente et périlleuse. Ils devaient passer de rocher en rocher, les vagues leur
battant les jambes et, quelque fois, le torse, sans glisser, se raccrochant souvent à la première
saillie venue ou les uns aux autres.

« Par ici. » s’écria soudain l’ainé des Weasley. « Lumos. »

Ils se regroupèrent tous trois, en équilibre instable, autour de ce qui était sans conteste une
faille dans le creux de la falaise.

« Il va falloir nager. » remarqua Black, l’étudiant avec inquiétude sans avoir l’air. « Peut-être
que… »

« Ne t’avise même pas de suggérer que vous attende ici. » siffla-t-il. D’un reducto, il
miniaturisa sa canne et la rangea dans sa poche, feignant plus d’assurance qu’il n’en
possédait en réalité. Le courant semblait fort et entre le froid et les vêtements trempés, sa
jambe se raidissait lentement mais sûrement, irradiant de léger pics de douleur.

« Je passe le premier. » offrit Bill. « Vous n’aurez qu’à suivre mon Lumos. »

« Je passe en dernier. » décida l’Animagus, sans lui laisser le choix.

Severus n’était pas dupe de leur manège. Une part de lui s’offusqua d’être traité comme un
maillon faible, une autre, plus petite, éprouva un certain plaisir de les voir s’inquiéter avec
autant de sincérité. Il n’était toujours pas habitué à ce que des gens se préoccupent de lui au-
delà d’un intérêt purement intéressé.

Dans tous les cas, il ne se laissa pas hésiter lorsqu’il pénétra dans l’eau glacée, laissant le sel
et la forte odeur d’algue lui emplir les narines.

°O°O°O°O°

Abelforth ne lui avait pas jeté un regard, pas même lorsque Albus s’était, d’autorité, faufilé
dans la pièce du fond qu’il utilisait souvent pour des rendez-vous fortuits. Il avait conseillé
plus d’un Ministre dans cet endroit, sous couvert de l’anonymat que garantissait la Tête de
Sanglier.

Ce n’était pourtant pas le Ministre de la Magie qu’il attendait ce soir là et il était tiraillé quant
à la teneur de l’entrevue qui allait suivre.

Sa conscience était en conflit avec sa raison.

Son cœur avec sa tête.

Sa décision était arrêtée ou il ne serait pas là, et pourtant… Pourtant il hésitait encore. Ou
prétendait hésiter pour mieux se donner l’impression qu’il était meilleur qu’il ne l’était en
réalité.

Gellert aurait dit qu’il était trop sentimental.


Peut-être n’aurait-il pas eu tort.

Peut-être aussi, comme il n’avait pas tardé à le lui rappeler, était-ce la raison pour laquelle il
n’avait jamais franchi la ligne rouge entre éminence grise et tyran, contrairement à lui.

La porte ne tarda pas à s’ouvrir pour laisser passer une silhouette encapuchonnée qui, dans
l’établissement de son frère, ne choquerait personne.

« Avez-vous été suivi ? » demanda-t-il, bien inutilement.

« Bien sûr que non. » répliqua sèchement le Sang-Pur, en rejetant en arrière le capuchon d’un
geste agacé, révélant de long cheveux blonds. « Faisons-vite. Nous rencontrer en personne est
trop dangereux. »

Lucius avait perdu du poids, ces derniers mois, et, bien qu’il se soit avéré un exceptionnel
menteur, Albus ne put s’empêcher une pointe d’inquiétude. D’une part parce qu’il ne pouvait
pas se passer d’un espion, d’une autre parce que… Il ne dirait pas qu’il s’était attaché à
Lucius Malfoy, cela aurait été poussé la sensiblerie un peu trop loin, mais il lui était venu à
l’esprit dernièrement que, s’il avait suivi un autre chemin, Lucius aurait pu se révéler un
homme décent à défaut de bien.

Sans un mot, il lui tendit la minuscule fiole, pas plus grosse qu’un vif d’or. Il n’y avait que
quelques gouttes à l’intérieur mais ces quelques gouttes feraient l’affaire.

Entièrement indétectable, à défaut d’être tout à fait indolore, sauf pour le plus aguerri des
Médicomages ou Maître des Potions.

Même Horace et Poppy s’y seraient laissés prendre.

Peut-être pas Severus mais Severus avait un don inégalé.

« Vous êtes certain ? » s’enquit Lucius, en empochant la fiole.

Les yeux d’un gris acier quêtèrent les siens, insondables.

Sans doute goûtait-il à l’ironie de la situation. Elle n’était pas perdue pour lui non plus.

Pendant des années, il avait pris Lucius de haut, le jugeant pour ses actes répréhensibles et
ses choix plus que discutables, se drapant dans sa bienséance… Et le voilà aujourd’hui en
train de commanditer un assassinat.

« Faites au plus vite. » ordonna-t-il, sans se départir de son calme. « Cette baguette ne doit
pas voir le jour. »

« Elle est pratiquement terminée. » répondit Lucius. « Je ne suis plus convaincu que le
supprimer fera une quelconque différence, vous avez trop tardé. »

« Il nous quand même essayer. » contra-t-il.


Le Sang-Pur le dévisagea longtemps. « Ce sera ma main, Dumbledore, mais c’est votre
décision. Êtes-vous certain de pouvoir vivre avec ? »

Albus ne retint pas un bruit amèrement amusé. « Pensez-vous vraiment que ce sera la
première mort qui pèsera sur ma conscience, Lucius ? »

Le sourire qui étira les lèvres de l’aristocrate était satisfait, son coup ayant fait mouche. « Il
est bon de vous voir ôter ce masque de vieil imbécile amoureux des Moldus, de temps à
autre. Vous convainquez peut-être votre monde, mais vous ne m’avez jamais trompé, moi.
Vous êtes un hypocrite. »

« Un hypocrite qui fait barrage entre Voldemort et votre famille, me semble-t-il. » rétorqua-t-
il. « Un peu de respect ne serait pas superflu. »

Lucius ravala ses sarcasmes et sa morgue, les yeux brillants de haine, puis se détourna sans
un mot.

Albus l’observa quitter la pièce, à l’abri sous le large capuchon de sa cape, et se prit à se
demander lequel d’eux deux était le pire.

Lucius qui dissimulait peu ou pas assez sa nature et que la communauté magique craignait ?
Ou, lui, qui s’abritait derrière de grands et beaux principes et que tout le monde adorait, mais
qui frappait dans l’ombre ?

°O°O°O°O°

Sirius avait des flashbacks de son évasion d’Azkaban.

Il avait préféré se fondre dans sa forme canine pour affronter le courant, sachant d’expérience
pour avoir déjà fait face à une mer déchainée, que Patmol en était capable. Pourtant, il n’avait
pas été préparé à l’étroit tunnel qui s’étirait au-delà de la crevasse dans la paroi de la falaise.
À marée haute, l’endroit devait être impraticable.

La marée n’était peut-être pas haute, ce soir là, mais elle n’était pas basse non plus et leurs
têtes étaient si près du plafond que, plus d’une fois, il vit Snape être forcé de plonger pour
éviter un rocher trop acéré.

Le lumos de Bill dansait loin devant lui, jetant des reflets changeants sur les parois lisses qui
semblaient s’être refermées sur eux.

Cela n’en finissait plus.

L’eau était glacée, le courant cherchait à les entraîner vers le fond…

Sirius ne parvenait pas à empêcher son esprit de ressasser de vieux souvenirs. Et lorsqu’il
parvint finalement à s’arracher à sa mémoire, ce fût pour se demander s’ils faisaient tout ça
pour rien, s’ils allaient tomber droit sur Dumbledore, si…

Penser pouvoir cacher cette expédition au Directeur était ambitieux et cela aurait été typique
de sa part de les attendre quelque part, les mains sur les hanches, et de leur faire remarquer
qu’ils avaient pris leur temps.

Et quant bien même Dumbledore serait parti faire autre chose que chasser cet horcruxe en
particulier… Toute cette histoire de se forger un alibi semblait foireuse. Certes, le vieux
sorcier n’avait aucune raison de penser que Bill était dans le coup si jamais il lui venait à
l’idée de soupçonner que lui et Severus voulaient voler un horcruxe mais.. Le plan du Maître
des Potions était alambiqué. Demander à Tonks de prendre sa place… Remus n’ayant aucune
raison de lui faire une fleur, le loup-garou était incontestablement l’alibi parfait, mais le fait
qu’il y ait un intermédiaire… Et puis, il avait du mal à croire que sa cousine ait accepté de lui
rendre ce service sans poser de questions ou sans contrepartie. Ils étaient peut-être amis
mais…

Snape peinait.

Patmol l’entendait à ses expirations douloureuses, à la manière dont ses brasses ralentissaient
peu à peu…

« Il y a des marches ! » s’écria soudain Bill.

Le Maître des Potions redoubla d’efforts et finit par s’extirper de l’eau, aidé par l’ainé des
Weasley. Sirius monta rapidement les marches promises et s’ébroua, ignorant les regards
noirs des deux autres sorciers lorsqu’il les éclaboussa.

Ils étaient déjà trempés de la tête au pied, un peu plus, un peu moins…

Le temps qu’il redevienne humain et se sèche d’un sort, Bill s’était déjà mis à l’œuvre,
faisant le tour de la caverne dans laquelle ils avaient débouché.

L’endroit était immense mais ne semblait rien cacher de particulier. Aucune galerie
dissimulée, aucun emplacement secret plus ou moins évident qui aurait crié ‘horcruxe’…

« On est sûr qu’on est au bon endroit ? » demanda-t-il, après plusieurs minutes.

Bill continuait à inspecter les lieux, l’air concentré. Snape n’avait pas bougé mais avait
incliné légèrement la tête, les yeux à demi-clos comme s’il écoutait une mélodie que Sirius ne
pouvait pas entendre…

« Oui. » confirma ce dernier, en rouvrant les yeux. « Tu ne sens pas la magie noire ? »

Il secoua la tête. « Je n’ai jamais été très doué pour sentir la magie. »

Tous les sorciers n’étaient pas égaux sur ce plan là. Il avait une affinité pour la
Métamorphose et les Sortilèges, mais il ne percevait pas la magie aussi facilement que le
Maître des Potions semblait le faire. Il avait grandi dans une maison où la magie était chose
commune… En vérité, il lui était peut-être plus facile de percevoir l’absence de magie que
des sorts ou enchantements complexes.

« Ici. » déclara Bill, en s’arrêtant devant un pan de roche tout à fait identique à tous les
autres. Le briseur de sorts l’effleura de sa baguette et une lumière aveuglante dessina une
arcade qui ne tarda pas à se fondre à nouveau dans la pierre. « Il faut un sacrifice pour
entrer. »

« Du sang. » suggéra Snape, avec dédain. « C’était le prix à payer pour accéder à la maison
des Gaunt. »

L’ancien Mangemort fit un pas pour se rapprocher de l’endroit en question et manqua s’étaler
de tout son long. Sirius le rattrapa de justesse.

« Attention, ça glisse. » plaisanta-t-il.

Severus se dégagea avec un regard embarrassé.

Parce qu’ils savaient tous les deux qu’il n’avait pas glissé mais que sa jambe n’avait pas
apprécié la plongée dans l’eau glacée.

Le temps qu’ils le rejoignent, Bill avait sorti un couteau de la poche intérieure de sa veste.

« Je vais le faire. » offrit Severus, en tendant la main.

« Vous êtes sûr ? » hésita le Briseur de Sorts, cherchant le regard de Sirius par-dessus l’épaule
du Professeur.

Le Maître des Potions le prit mal, interprétant correctement cet instant de doute comme un
commentaire sur ses capacités physiques.

Il fallait admettre que Snape était mal en point. Il trainait la jambe, ses mains tremblaient…

Mais Sirius n’était pas assez suicidaire pour le lui faire remarquer.

« Ce ne serait pas mieux si c’était moi ? » intervint-il, avant que Severus ait pu éviscérer leur
expert en mauvais sorts. « Après tout, vous avez tous les deux plus d’expérience en magie
noire que moi… Autant que je me rende utile. »

Severus arracha le couteau de la main de Bill pour toute réponse.

« Nous savons déjà que mon sang fonctionne puisque cela a marché la dernière fois. »
rétorqua l’ancien espion. « De plus, le Seigneur des Ténèbres est un Sang-Mêlé, comme moi.
Il n’y aucune raison de tester l’effet qu’aurait celui d’un Sang-Pur sur les protections. »

Sans avertissement, il se trancha la paume. Un peu trop profondément, de l’avis de Sirius, car
des gouttes de sang éclaboussèrent la roche avant même qu’il n’y place la main.

L’arcade apparut à nouveau mais ne disparut pas, cette fois-ci. La roche s’ouvrait désormais
sur une obscurité totale.

« Curare. » murmura Snape, les yeux rivés sur le passage davantage que sur sa chair qui se
refermait lentement. « À partir de maintenant, nous devons faire preuve de la prudence la
plus absolue. »
« Ah, parce que jusque là on plaisantait, peut-être ? » bougonna Sirius, en lui emboîtant le pas
lorsqu’il se glissa par l’ouverture.

Il frissonna dès qu’il se retrouva de l’autre côté, renforçant immédiatement son lumos sans
que cela ne semble faire une grosse différence. Cette caverne-ci était gigantesque, la lumière
qui s’échappait de leurs baguettes ne portait pas jusqu’au plafond, ni jusqu’à l’autre extrémité
de l’énorme lac souterrain qui s’étendait devant eux. Il n’y avait aucune autre source de
lumière si ce n’était une vague lueur verdâtre qui paraissait se situer au milieu du lac.

« Laissez-moi deviner… » lâcha-t-il. « L’horcruxe fait de la lumière verte extrêmement


glauque. »

Les autres ne répondirent pas, trop concentrés sur les sorts qu’ils lançaient en rafale…

« Severus ? » s’enquit Bill, après plusieurs minutes, buttant légèrement sur le prénom qui lui
était sans doute encore un peu étranger.

« Je suis d’accord. » acquiesça le Professeur.

Sirius se retint à grand peine de ne pas lever les yeux au ciel. « Et pour les sorciers non dotés
de détecteur de magie noire ? »

« L’horcruxe est au milieu du lac. » déclara le Maître des Potions. « Ou, si ce n’est
l’horcruxe, quelque chose d’extrêmement noir qui semble être le point culminant des
enchantements. »

« Il faut traverser le lac ? » demanda-t-il, en grimaçant déjà à la perspective de se retrouver à


nouveau glacé jusqu’aux os. La distance n’était pas insurmontable, du moins pas pour
Patmol, mais l’eau noire ne lui donnait aucune confiance.

« Indubitablement. » marmonna Snape. « La méthode reste à être déterminée. »

« Et pourquoi pas un sort d’attraction ? » proposa-t-il. Bill et Severus le dévisagèrent tous les
deux comme s’il était un idiot fini. « D’accord, d’accord, je sais, c’est stupide. Mais c’est si
stupide… Qui dit que Vol… Vous-savez-qui y aurait pensé ? »

Il ne se reprit qu’au tout dernier moment, sous le regard noir de l’ancien Mangemort. Outre la
douleur que le nom provoquait toujours dans la Marque, il devait admettre que ce n’était pas
le lieu où l’utiliser.

« On ne perd rien à essayer. » décréta Bill.

Puisque ni l’un, ni l’autre ne s’y décidait, Sirius lança le sort. Aucun horcruxe ne vola dans
leur direction. En revanche, quelque chose fendit les eaux à quelques mètres d’eux, une
forme pâle et massive qui replongea immédiatement dans une gerbe d’éclaboussures…

Il n’avait pas très bien distingué ce dont il s’agissait.

Il espérait qu’il n’avait pas bien distingué ce dont il s’agissait.


Cependant, étant donné le silence qui s’étirait à n’en plus finir et l’immobilité soudaine des
deux autres…

Il attendit, le cœur battant, appréhendant le moment où la surface du lac se troublerait à


nouveau.

Cependant, la caverne avait retrouvé son calme.

« Bien. » lâcha finalement Snape d’une voix blanche. « Je pense que traverser à la nage est
exclu. »

« Dis-moi qu’il s’agissait d’une créature magique sous-marine. » le supplia Sirius.

« Tu as très bien vu de quoi il s’agissait. » répondit froidement le Maître des Potions.

« Non, non, non… » refusa-t-il, en secouant la tête. « Je déteste les Inféris. Je n’ai jamais
signé pour affronter des Inféris. »

« Les Inféris craignent le feu. » leur rappela inutilement Bill. « Et ceux-ci ne semblent pas
agressifs. »

« Du moins, tant que nous n’aurons pas tenté de nous emparer de l’horcruxe. À ce moment
là, ce sera une autre histoire. » commenta Snape. « Il doit y avoir un moyen de traverser.
Cherchons. »

Sirius n’était pas emballé par son idée de se séparer pour mieux fouiller les alentours.
L’obscurité était si pesante, si oppressante, que les deux autres lumos disparaissaient à peine
s’éloignaient-ils de quelques mètres les uns des autres.

« Qu’est-ce qu’on cherche exactement ? » marmonna-t-il, se sentant de plus en plus nerveux


et d’une manière qui n’était pas tout à fait naturelle. S’il avait été sous forme canine, sa
fourrure se serait hérissée.

« La magie laisse toujours des traces. » répondit Severus, comme si c’était évident.

Cela devait l’être pour Bill car il ne protesta pas.

Sirius ne voyait aucune trace, lui.

Ce qu’il voyait, en revanche, c’était l’eau noire qui clapotait doucement un peu trop près de
ses chaussures.

« Là ! » s’exclama soudain le Maître des Potions.

Il se hâta de le rejoindre, imité par le Briseur de Sorts.

« Je ne sens rien. » déclara Bill, les sourcils froncés. « Ou peut-être que si mais c’est très
ténu. »
« Il y a quelque chose de dissimulé ici. » insista Severus. « L’empreinte magique est celle du
Seigneur des Ténèbres. Reculez. »

Ils obéirent tous les deux à son ordre, le laissant avancer jusqu’à la limite de la rive…

Un centimètre de plus, songea Sirius, et il troublerait l’eau du lac. Or il n’avait aucune envie
de voir ce qui arriverait si l’un d’eux effleurait la surface trompeusement calme…

Snape leva un poing tremblant, prit une longue inspiration et murmura une suite de bruits
saccadés qui étaient très certainement une formule magique. Dans quelle langue, ça, Sirius
aurait été incapable de le dire.

Une lourde chaine en cuivre verdie par le temps et l’exposition à l’eau apparut dans sa main.
Son extrémité plongeait dans le lac…

« Oh, c’est très malin… » commenta Bill, à sa gauche, les yeux brillants d’excitation. « Seul
un sorcier d’une certaine puissance magique aurait pu le percevoir. »

Et il se mit à étudier l’ancien Mangemort d’un regard neuf, comme s’il n’avait pas
entièrement eu conscience que Severus était au-dessus de la norme, magiquement parlant.

Snape tapa la chaîne du bout de sa baguette et elle se mit à s’enrouler sur elle-même jusqu’à
ce qu’une barque émerge lentement des flots et ne vienne s’arrimer à la berge.

« C’est une coquille de noix. » lâcha l’Animagus. « On ne tiendrait même pas à deux, là-
dedans. »

« Il n’est pas fait pour deux. » répondit Bill, en s’avançant pour mieux inspecter
l’embarcation. Il y jeta plusieurs sorts puis osa caresser le bois vermoulu de la main. « Il ne
peut transporter qu’un seul sorcier à la fois. »

« Sublime. » soupira-t-il. « On tire à la courte-paille ? »

« N’est-ce pas toi qui voulait te rendre utile ? » railla Snape. « Pourquoi ne pas envoyer celui
qui parle en permanence pour ne rien dire ? Cela nous permettra peut-être de travailler
correctement. »

Sirius leva les yeux au ciel et s’apprêtait à répliquer lorsque Bill mit d’autorité un pied à
l’intérieur de la barque.

« J’y vais le premier. » déclara l’ainé des Weasley. « C’est moi l’expert. »

Le Maître des Potions protesta, sourcils froncés. « Rien ne garantit que la barque voudra bien
nous transporter ensuite sans déclencher les mesures de protection… Très visiblement, un
seul sorcier à la fois est censé s’approcher de l’horcruxe… »

« Vous avez une autre idée ? » demanda Bill.

Severus marmonna des paroles peu aimables mais finit par reculer d’un pas. « Soyez prudent.
Envoyez-nous un patronus lorsque vous aurez trouvé quelque chose. »
L’ainé des Weasley secoua la tête. « Je n’ai pas de patronus corporel. »

L’expression de Snape passa d’inquiète à la limite de l’exaspération alors pour éviter à Bill
l’humiliation de devoir s’expliquer – tous les sorciers ne parvenaient pas à produire de
patronus, après tout – Sirius se racla la gorge. « Moi non plus. »

Severus n’eut pas l’air enchanté. « Très bien. Tentez de renvoyer la barque lorsque vous serez
arrivé et restez sur vos gardes. »

L’embarcation s’enfonça dans l’obscurité du lac dès que Bill eut les deux pieds à l’intérieur.
Ils observèrent en silence le lumos s’éloigner peu à peu, pendant quelques secondes, puis
Snape soupira.

« Tu étais parfaitement capable de produire un patronus corporel durant notre adolescence. »


remarqua-t-il.

« Je ne peux même plus en faire apparaître un de non corporel. » avoua-t-il, sans aucun
plaisir. « Le sort ne fonctionne plus pour moi. »

Parce qu’il était terrifié par les Détraqueurs à un niveau viscéral.

« Nous allons devoir travailler là-dessus. » l’avertit Snape. « C’est un trop gros handicap. Tu
sais pertinemment que les Détraqueurs sont à Sa botte. »

Il secoua la tête. « Je ne peux pas. J’ai essayé. Aucun souvenir heureux ne fonctionne. » Il
serra le poing plus fort autour de sa baguette. « Quant à affronter un Détraqueur… Je n’en
suis pas capable. »

Severus le dévisageait ouvertement, les traits tirés dans une expression neutre mais avec un
regard qui en disait long sur ses véritables pensées.

« Tu en es parfaitement capable. » rétorqua l’homme. « Tu m’as convaincu que les séquelles


de l’endoloris ne signifiaient pas la fin de ma vie, je peux tout aussi bien te rendre la pareille.
S’il faut te jeter devant un Détraqueur pour cela… »

Il décida que le brin d’amusement dans la voix de son rival signifiait qu’il plaisantait.

Il espérait qu’il plaisantait.

« Douze ans à Azkaban. » murmura-t-il, un peu trop sérieusement. « Je sais que j’ai l’air
équilibré, comme ça, mais, crois-moi, les cicatrices sont là. »

Severus hésita, leva la main, la laissa retomber, puis lui pressa finalement l’épaule avec
maladresse.

Gênés, aucun d’eux ne commenta ce geste de réconfort qui aurait paru inimaginable quelques
mois auparavant.

« Personne de sensé ne t’accuserait d’être équilibré. » se moqua Snape, après quelques


secondes.
Une tentative évidente de revenir sur le terrain plus familier des insultes.

Il aurait sans doute répliqué pour le pur plaisir d’avoir le dernier mot si la distante lumière
qui dansait sur le lac n’avait atteinte la lueur verdâtre. « Il y est. »

Ils attendirent pendant de longues minutes, tendus, baguettes levées et prêts à faire déferler
un torrent de flammes si les cadavres se décidaient à sortir du lac…

Mais tout ce qui se produisit fût le lent retour de la barque qui vint heurter la rive dans un
léger clapotis.

« Au suivant, donc. » marmonna Sirius, en faisant un pas vers l’embarcation.

Severus l’arrêta d’une main posée sur son bras. « Rien ne garantit qu’elle acceptera de
transporter un deuxième sorcier. Elle peut très bien te jeter dans le lac ou déclencher
l’animation des Inféris… »

« Raison de plus pour que tu passes en dernier. » contra-t-il. « Je suis moins indispensable. »

La mâchoire du Maître des Potions se contracta avec irritation. « Harry serait tout aussi
dévasté de te perdre, toi, que moi. »

« Pas autant, non, et on le sait tous les deux. » nuança-t-il, en posant la main sur la barque.
« Rends-moi service, si ça se passe mal, assure-toi que mon corps brûle. Je ne veux pas finir
là-dedans. »

Il ne pouvait rien imaginer de pire que son cadavre allant rejoindre l’armée de Voldemort.
Passer l’éternité à pourrir lentement sous la surface en attendant une nouvelle victime…

« Rends-moi service et ne meurs pas. » grommela Severus.

Il sauta dans la barque qui commença lentement à s’éloigner et fit un clin d’œil au Maître des
Potion qui demeurait sur la rive. « Attention, Servilus, je vais commencer à croire que tu
m’apprécies. »

« Aucun risque. » répondit le Mangemort, avec une mauvaise foi manifeste, en élevant un
peu la voix pour qu’il l’entende.

« Tu t’es habitué à moi ! » riposta-t-il.

« Comme un chien s’habitue à ses puces ! » rétorqua son rival, avant que l’obscurité ne
l’engloutisse.

Sirius se força à rire mais n’en menait pas large.

Son lumos n’éclairait pas grand-chose, mis à part la barque, l’eau noire et les cadavres plus
ou moins submergés qui l’entouraient. De temps en temps l’embarcation en cognait un et
dérivait légèrement…
Il resta tendu, sur le qui-vive, incapable de penser à autre chose qu’à quel point les Inféris le
dégoûtaient, attendant l’attaque qui ne manquerait pas de survenir…

°O°O°O°O°

La salle principale de La Tête de Sanglier n’était pas aussi fréquentée que d’ordinaire même
si elle comportait son compte d’habitués avec leurs airs louches et leurs échanges sous cape.
Albus s’approcha du comptoir derrière lequel Abelforth était occupé à essuyer une chope loin
d’être impeccable, complétant le cliché du bar douteux.

Son frère l’ignora royalement jusqu’à ce qu’Albus, trop coutumier de ces petits jeux de
pouvoir, ne s’assoit sur un des tabourets. Comprenant sans doute qu’il ne comptait pas
abandonner si facilement, Abelforth poussa un soupir qui fit tourner la tête à plus d’un client
et vint se planter devant lui.

Son regard était dur, son expression colérique et il était sans doute bon qu’il y ait un solide
comptoir de bois entre eux.

« Qu’est-ce que tu veux ? » cracha son frère.

« Je ne dirais pas non à un verre de cet excellent armagnac que tu conserves dans ta réserve
personnelle. » répondit-il calmement. « Et un mot en privé ? »

Il émana plus d’espoir de la question qu’il n’avait souhaité le laisser paraître.

Abelforth émit un bruit à la limite entre le ricanement et l’outrage. « Tu as du culot, Albus. »

« Ce ne serait pas la première fois que l’on m’en accuse. » acquiesça-t-il, se tendant
légèrement lorsqu’il sentit la chape de silence s’abattre sur ses épaules.

Les rumeurs les plus folles courraient sur Abelforth, du fait qu’il serait un cracmol à l’amour
déplacé qu’il vouerait à ses chèvres… La vérité, celle que seule une poignée de gens
connaissait, c’était qu’Abelforth était un sorcier très puissant qui préférait les tâches
manuelles à la magie. S’il avait pu vivre comme un Moldu, il l’aurait sans doute fait.

Le sortilège de silence qui alourdissait désormais sa langue était parfait, tout autant que la
bulle qui les entourait, leur assurant une discrétion absolue.

Albus aurait pu briser le silencio mais il n’en fit rien, se contenter d’observer son petit frère et
d’attendre les récriminations qui ne tardèrent pas à tomber.

« Que tu viennes ici me proposer de torturer l’esprit d’Arianna en l’obligeant à apparaître


avec ta maudite Relique, c’était déjà beaucoup. » cracha Abelforth. « Mais que tu oses
remettre les pieds ici pour régler tes petites affaires après avoir installé cette pourriture au
château ? » Le regard de son frère se fit plus haineux et Albus, ainsi que les autres clients du
bar, auraient eu du mal à ignorer la manière dont les bouteilles s’entrechoquaient derrière le
comptoir. « Comment as-tu pu ? »

« C’était nécessaire. » répondit-il, sans perdre son calme.


« Nécessaire ? » répéta Abelforth, moqueur. « Pour le plus grand bien ou pour le tien ? »

L’accusation le heurta en plein cœur et il détourna la tête, sachant qu’il méritait les reproches
mais incapable de le regarder en face.

« Je suis vieux, Abel. » murmura-t-il doucement. « Je n’ai plus tant d’années devant moi… »

« Et cela excuse ta trahison ? » l’interrompit son frère, avec dégoût. « N’essaye pas de
prétendre que tu l’as ramené pour protéger l’école, Albus. Je devine dans quel lit il couche. »

Albus tressaillit, comme s’il l’avait frappé. Il aurait peut-être préféré la violence physique à
cette attaque verbale, au demeurant justifiée. Il avait su qu’Abelforth ne lui pardonnerait pas
la libération de Gellert. Évidemment, qu’il l’avait su…

« Tu l’as toujours aimé plus que nous. » ricana son frère. « Il n’y a jamais eu que lui, hein ?
Qu’importe qu’il t’ait poussé à tuer ta sœur. Qu’importe les atrocités qu’il commettait.
Qu’importe ce que moi j’en pense. Qu’importe que ce soit la pire des ordures. Tu n’as jamais
cessé de l’aimer et tu n’arrêteras jamais. »

Albus se força à croiser à nouveau le regard de son frère, se força à baisser ses boucliers
mentaux, espéra qu’il lirait la sincérité dans ses yeux…

« L’amour ne se contrôle pas. » déclara-t-il, d’une voix qui tremblait un peu. « Je ne te


demande pas d’approuver mais… »

« Encore heureux. » railla Abelforth.

« Ne peux-tu pas me pardonner ? M’aimer ? » continua-t-il, sans cacher son désespoir. « Tu


es mon frère et… »

« Et tu persistes à aimer un monstre. » le coupa à nouveau son frère. « Comment veux-tu que
je te pardonne ? Comment veux-tu que je t’aime ? C’est toi qui aurait dû mourir, pas Arianna.
Tu l’as tuée, Albus. À cause de lui. Et maintenant tu le ramènes ici pour me narguer avec
votre petit bonheur tardif ridicule ? »

« Il ne s’est rien passé. » contra-t-il. « Et il ne se passera rien. Je sais que tu… »

« Oh, ne m’utilise pas comme excuse. » cingla Abelforth. « Tu l’as choisi. Encore et encore,
tu l’as choisi. Assume tes choix, grand frère, mais ne me demande d’avoir quoi que ce soit à
y voir. »

La bulle de silence éclata et Abelforth se détourna.

La discussion était close.

Humilié, blessé, Albus se leva et quitta la taverne d’un pas lourd.

°O°O°O°O°
Severus attendait, tendu à l’extrême, guettant la lumière du lumos de Black qui dansait à la
surface du lac. Lorsque ce dernier atteignit la lumière verdâtre et rejoignit le second lumos, il
s’autorisa à respirer, devinant qu’il était peu probable qu’ils déclenche accidentellement les
défenses autour de l’horcruxe en utilisant une nouvelle fois la barque.

Lorsqu’elle revint vers la rive, il n’hésita pas avant de monter à l’intérieur.

Le trajet dura d’interminables minutes.

Perdu dans l’obscurité oppressante, entouré des corps qui affleuraient à la surface, il aurait
été facile de paniquer. Il garda le regard rivé sur la lumière verdâtre et les lumos qui
s’agitaient, dressant mentalement la liste des tous les sorts qui fonctionnaient contre les
Inféris et se demandant si, le cas échéant, il aurait la puissance nécessaire pour contrôler un
feudaymon.

La barque accosta finalement sur un îlot de roches guère plus grand que le bureau du
Directeur de Maison de Serpentard. Un piédestal se dressait en son centre, soutenant un
bassin de la taille d’une pensine. Weasley et Black l’observaient tous les deux avec
d’identiques expressions frustrées sur le visage.

« Si l’horcruxe est là-dedans, je ne sais pas comment l’en sortir. » avoua Bill, en se tournant
vers lui. « Je n’arrive pas à briser la protection. »

Il démontra le problème en tentant de toucher le bassin. Sa main semblait rencontrer une


barrière invisible à quelques centimètres de la surface.

Severus approcha pour mieux examiner la chose et se figea lorsqu’il vit le liquide verdâtre
irradiant d’une lumière menaçante dans le bassin.

« Je ne peux pas faire disparaître ce liquide, quoi que ce soit. » exposa le Briseur de Sorts.
« Clairement, il y a un enchantement en place, il y a une clef pour s’en débarrasser mais
laquelle… Pas du sang, à nouveau, ce serait trop grossier. »

« Il s’agit d’une potion. » murmura Severus, glacé d’effroi. « Un poison mortel, plus
précisément. Unique en son genre. Il n’a jamais été répliqué. »

« Tu peux dire ça comme ça ? » demanda Black, incrédule. « Avec un simple coup d’œil ? »

« Je peux le dire car c’est moi qui l’ait créé. » répondit-il, d’une voix blanche. « Et la seule
manière de s’en débarrasser et de le boire. » Les deux Gryffondors échangèrent un long, long
regard mais ne dirent rien alors Severus déglutit, s’efforçant de se ressaisir. « Je terminais à
peine mon apprentissage lorsque le Seigneur des Ténèbres m’a demandé de créer un poison
particulier. Le défi était de taille et j’étais flatté. J’ai été… très créatif. » Il se frotta les lèvres.
« Je suppose qu’il s’agit là d’une punition karmique. »

« Pourquoi le boire ? » intervint l’Animagus. « On ne peut pas… »

« Non, nous ne le pouvons pas. » coupa-t-il. « Je te l’ai dit, j’ai été très créatif. »

Bill se racla la gorge. « Vous dites que c’est mortel… Il n’y a pas d’antidote ? »
« Bien sûr qu’il y a un antidote. » rétorqua Black. « Il n’aurait jamais créé un poison de ce
genre sans s’assurer qu’il pouvait s’en protéger. J’ai tort ? »

Il pinça les lèvres, appréciant peu que l’ancien fugitif le connaisse aussi bien.

« Non. » confirma-t-il. « J’ai effectivement un antidote en tête. Toutefois, je n’en ai pas de


prêt et je ne l’ai jamais testé. »

« D’accord… » soupira Black, en se passant la main dans les cheveux, la laissant quelques
secondes à l’arrière de sa tête pendant qu’il réfléchissait. « Alors, c’est quoi le plan ? On
retourne à Poudlard chercher l’antidote et on revient une autre fois ou… »

Sa question demeura en suspension.

« Ce serait le plus sage. » commenta Severus.

« Sauf qu’on ne peut pas garantir qu’on n’a pas déclenché d’alarmes ou que Dumbledore ne
nous coupera pas l’herbe sous le pied. » remarqua Bill, en grimaçant. « Ce poison… Il est
rapide ? »

« Non. » Il secoua la tête. « Il causera une douleur innommable, des hallucinations et une soif
irrépressible… »

« Ah, d’où le lac plein d’Inféris… » en déduisit Weasley. « La victime se traine jusqu’à l’eau
et déclenche les protections… Puis elle vient grossier les rangs des cadavres. »

Severus acquiesça. « Si elle survit, elle ne tardera pas à être prise de faiblesse. La mort suivra
au bout de plusieurs heures. »

« Plusieurs heures, ça nous laisse le temps de retourner à Poudlard et de préparer l’antidote. »


commenta Black, en prenant une profonde inspiration. « Je vote pour qu’on le fasse
maintenant. »

Il fit apparaître une coupe avec un peu trop d’effets de manche, sa bonne humeur entièrement
disproportionnée.

Severus attrapa son bras avant qu’il ait pu tenter de plonger la coupe dans le bassin.

Il n’y aurait pas débat sur qui devait boire la potion. Severus était le seul capable de préparer
un antidote et Bill sortait déjà un coffret bardé de runes de sa besace pour contenir
l’horcruxe… Black était le seul d’eux trois qui pouvait se permettre d’être hors service
pendant plusieurs heures.

« Si tu n’avales pas d’eau immédiatement après avoir fini la potion, le poison rongera ton
estomac si rapidement qu’un antidote ne servira à rien parce que les dégâts seront trop
importants. » lâcha-t-il.

L’Animagus soutint son regard quelques secondes, cachant mal sa frayeur malgré son air
bravache. « Quand tu fais les choses, tu ne les fais jamais à moitié. »
Il refusa de se laisser distraire par la semi-plaisanterie.

« Mes mains, Black. » insista-t-il. « Rien ne garantit que je puisse… »

« Tu te débrouilleras. » contra-t-il, en se dégageant. « Et on perd du temps. Bill, tu es prêt ? »

Weasley hocha la tête.

Black plongea la coupe dans la potion avec une légère hésitation mais la barrière invisible ne
le stoppa pas.

« Il est très probable que je sois forcé de t’obliger à boire. » l’avertit Severus.

« Me forcer à boire du poison ? C’est ton rêve devenu réalité. » s’esclaffa l’Animagus – ou
prétendit s’esclaffer, plutôt.

Le ventre noué, ayant vaguement la nausée parce qu’il savait très bien les douleurs que la
potion était censée provoquer, il se força pourtant à étirer les lèvres en un rictus familier.
« Exactement. »

Black leva haut la coupe, en un toast un peu tremblant. « Santé, les amis. »

Il l’avala d’un trait puis se resservit sans un mot.

Bill et lui l’observèrent en boire une deuxième coupe, puis une troisième…

À la quatrième, sa main tremblait tellement que le liquide menaçait de se renverser. Severus


lui prit le verre des mains tandis que Weasley l’aidait à s’asseoir. Il porta la coupe à ses
lèvres, attendant que l’Animagus contrôle son mouvement de recul instinctif pour finalement
en avaler le contenu.

Les yeux gris brillaient de haine. « Je te déteste. »

« Crois-moi, à cet instant précis, tu n’es pas le seul. » marmonna-t-il, en remplissant à


nouveau la coupe.

Black commença à se débattre dès qu’il l’approcha à nouveau de sa bouche. « Non… Non…
Je ne veux pas… Je… »

Severus ne se laissa pas attendrir, sachant qu’à présent qu’ils avaient commencé il aurait été
idiot de s’arrêter. Black n’en demeurerait pas moins empoisonné et ils auraient échoué.

À la sixième coupe, Bill dût le ceinturer pour l’empêcher de rouler au sol. Black gémissait,
suppliait… Le Maître des Potions lui agrippa le menton et vida la coupe dans sa bouche,
s’interdisant de s’inquiéter de le voir tousser, de l’entendre s’étouffer…

« Non ! » s’écria Black, en luttant plus ardemment contre Weasley qui peinait à le contenir
malgré sa carrure supérieure. « Non... Pas ça ! Pas ça ! Pas le Baiser ! Tuez-moi ! Tuez… »

« Ce n’est pas réel. » murmura Bill. « Sirius, ce n’est pas réel. Il n’y a pas de Détraqueurs. »
Il n’y avait pas de Détraqueurs mais…

« Spero Patronum. » lança Severus.

Le faon était translucide, bien moins solide qu’il n’aurait dû l’être, mais il eut l’effet
escompté sur Black qui se calma légèrement, apparemment fasciné par le patronus.

« Les Détraqueurs ne peuvent pas t’atteindre. » lui promit-il, en collant la coupe contre ses
lèvres. « Bois. »

Les yeux rivés sur le faon, l’Animagus lui obéit docilement.

Cela ne dura pas.

Le sorcier refusa de boire la huitième coupe mais il s’était affaissé contre Weasley, trop faible
pour continuer à lutter.

« Tue-moi… » supplia Black, en croisant son regard. « Tue-moi… C’est moi qui aurait dû
mourir… C’est moi… »

Severus n’avait pas besoin de Légilimencie pour savoir de quoi il parlait.

« Potter n’aurait pas voulu que tu meures pour lui. » lui rappela-t-il, en lui agrippant à
nouveau le visage pour mieux le forcer à boire. « C’est presque terminé. »

Il apercevait presque l’ombre de l’horcruxe sous le liquide.

Ce n’était pas la coupe, ce qu’il avait déjà deviné à la taille du bassin, ce qui signifiait qu’il
s’agissait soit du médaillon de Serpentard, soit d’un objet ayant appartenu à Serdaigle ou
Gryffondor…

Black pleurait désormais à gros sanglots mais n’essaya pas de se débattre lorsqu’il lui fit
boire la neuvième coupe.

« De l’eau… » plaida-t-il. « De l’eau… »

« Laissez-le et tenez-vous prêt à attraper l’horcruxe. » ordonna-t-il à Weasley, lorsqu’il sentit


qu’il raclait le fond du bassin.

L’Animagus ne protesta pas lorsque Bill l’allongea au sol ou lorsque Severus lui souleva la
tête, à peine s’agrippa-t-il à son avant-bras. « De l’eau… »

« Oui, de l’eau. » mentit Severus. « Bois. »

Black avala goulument le liquide avant de hurler comme un damné, se recroquevillant sur lui-
même en se tenant le ventre.

Le Maître des Potions occluda toute émotion. Ses sentiments personnels ne feraient que
saboter la mission.
« C’est la dernière. » promit Bill. « Ensuite, je pourrais l’attraper. »

« Assurez-vous qu’il n’y ait pas d’autres protections avant de le toucher. » insista Severus,
tout aussi perturbé que lui par les cris et les gémissements de l’Animagus.

« Je ne compte pas le toucher à mains nues. » rétorqua Weasley, d’un ton sec.

L’ancien Mangemort préféra en finir plutôt que de répondre.

Le patronus s’était depuis longtemps évanoui et il se surprit à en regretter la présence


réconfortante.

« De l’eau. » murmura-t-il à nouveau, sachant que le mensonge serait encore le plus efficace.

Black réagit à peine, se contentant de sangloter alors que Severus le contraignait à boire.
Lorsque la dernière goutte de potion eut disparu, Weasley plongea une main gantée dans le
peu qui restait de potion et en retira un médaillon sur lequel il jeta immédiatement une
douzaine de sorts visant à contenir la magie noire avant de le caler dans le coffret bardé de
runes.

Pendant qu’il rangeait le tout dans sa besace, Severus fit apparaitre de l’eau dans la coupe
mais le liquide disparut avant d’atteindre les lèvres de Black. Avec un juron, il recommença
uniquement pour voir l’eau s’évaporer à nouveau.

Il tenta de lui faire couler directement dans la bouche mais l’eau s’évanouissait avant de
toucher ses lèvres.

Oh, le piège était parfait…

« Il lui faut de l’eau. » déclara-t-il, se tournant vers le lac sans pour autant se diriger vers les
profondeurs sombres.

« Si on touche la surface… » contra Bill.

« Je sais mais c’est cela ou on le condamne. » insista-t-il.

Or il s’avérait qu’il n’était pas prêt à perdre Sirius Black.

L’ironie de la vie était parfois mordante.

Sans plus tergiverser, il se leva et s’approcha de l’eau, se questionnant sur le bien fondé de lui
faire boire un liquide où barbotaient des cadavres, tout en sachant qu’il n’avait pas le choix.

« Couvrez-moi. » exigea-t-il.

« Attendez ! » s’écria Weasley, perdant un peu son sang-froid. « Comment on va sortir d’ici ?
Une fois que les Inféris attaqueront… »

« Nous nous battrons. » rétorqua-t-il.


Quel autre choix avaient-ils ?

Trop inquiet pour Black, il plongea la coupe dans l’eau du lac et se précipita au chevet de
l’Animagus. Le temps qu’il revienne, les gémissements avaient cessé.

Le sorcier avait les yeux clos et ne respirait plus.

Il entendit à peine Bill lancer incendio sur incendio, trop occupé à secouer le Maraudeur…

« Black ! » gronda-t-il, en frappant une fois sur son torse. « Enervate ! Black ! »

Aucune réponse ou réaction.

Il vit un éclat de chair pâle du coin de l’œil, repoussa l’Inféri d’un sort hâtif avant de lancer à
nouveau un enervate sur le corps inanimé devant lui.

« Sirius ! » beugla-t-il, perdant contenance.

Ils étaient assiégés de toute part.

Black ne respirait plus.

Et Severus soupçonnait que, bientôt, le Seigneur des Ténèbres aurait trois Inféris de plus pour
protéger son horcruxe…
A Greater Cause

« But if a hero isn’t ready to lose everything for a greater cause, is that person really a
hero? »
The Tower Of Nero – Rick Riordan

« Mais si un héros n’est pas prêt à tout perdre pour une grande cause, est-ce que cette
personne est vraiment un héros? »
The Tower Of Nero – Rick Riordan

C’était un jeu d’équilibriste.

Nymphadora avait perfectionné l’art de caricaturer nombres de leurs Professeurs pour amuser
la galerie durant sa cinquième année. Pourtant, il y avait une différence majeure entre imiter
quelqu’un pour faire rire et l’incarner avec suffisamment de justesse pour se faire passer pour
lui.

Au demeurant, son avantage était qu’elle connaissait tous les tics de Severus, même les plus
intimes. Elle était loin de l’égaler en Occlumencie, pourtant, son propre niveau était suffisant
pour garder ses traits tirés en une expression neutre qu’elle s’assurait parfois de laisser glisser
pour mieux que ses interlocuteurs aperçoivent son agacement et son impatience. La
dictaplume lui évitait de trahir son écriture mais elle s’était assurée de les laisser voir le
tremblement de ses mains avant de les cacher subrepticement comme si elle en avait honte.
Sa voix lui demandait le plus de concentration : garder la bonne cadence, la bonne
intonation…

Severus lui avait demandé au moins deux heures et elle arrivait au bout de ce temps imparti et
de sa liste de questions.

À leur décharge, Remus et Laura y avaient répondu avec candeur et à peine une trace
d’hostilité rentrée de la part de l’Alpha.

Remus avait été aussi poli que distant dès le moment où « Severus Snape » était apparu à la
limite du cottage bien qu’il soit évident qu’il n’appréciait pas son intrusion sur son territoire.

Jusque là, pourtant, il n’y avait pas eu d’esclandre ou de dispute.

Nymphadora posait les questions sur sa liste les unes après les autres, les loups y répondaient,
et la plume transcrivait leurs réponses. Elle évitait de les regarder autant que possible.

Elle n’aimait pas Laura, ce qui était probablement injuste et venait sans conteste de l’avoir
vue échanger un baiser avec Remus alors que la rupture était encore fraîche, le jour où ils
avaient récupéré l’échantillon de la potion – le jour où elle avait attiré Severus dans son lit, en
partie par vengeance, en partie par désir. Elle n’aimait pas la manière dont Remus la rassurait
d’un geste tendre, auquel il ne paraissait même pas prêter attention, dès qu’elle trahissait le
moindre signe de nervosité.

Ce n’était pas de la jalousie.

Elle n’était pas jalouse.

À vrai dire, il lui était venu à l’idée que si Remus choisissait de se mettre avec elle, cela lui
simplifierait certainement la vie.

Ce n’était pas de la jalousie, c’était juste que la manière dont il se comportait avec sa louve
était cent fois plus respectueuse, cent fois plus affectueuse que la manière dont il se
comportait avec elle qui était censée avoir compté pour lui. Et cela l’agaçait de ne pas avoir
droit à ce genre de respect ou d’égards, de devoir faire face à sa condescendance.

Au final, décida-t-elle, en observant la plume consigner par écrit ce que Remus disait, c’était
une femme comme ça qu’il lui faudrait : timide, gentille et qui avait besoin de sa protection.

Comment, alors, avait-il pu développer des sentiments pour elle ?

Avait-elle était comme ça au début ?

Timide, certainement pas. Elle l’avait poursuivi de ses assiduités avec détermination.
Gentille, sans doute. Avait-elle quêté sa protection ?

Peut-être, admit-elle silencieusement.

Et cela avait été son erreur.

Elle savait pouvoir se reposer sur Severus lorsqu’elle doutait ou souffrait sans que cela
n’influence son opinion sur elle. Elle savait que ce n’était pas parce qu’elle avait exprimé des
doutes ou parce qu’elle était rentrée blessée qu’il allait tenter de la garder prisonnière de
Poudlard pour mieux la protéger ou l’étouffer d’attentions comme si elle avait besoin d’être
enveloppée de papier bulle.

Or Remus…

Remus semblait avoir pris son besoin d’affection, de soutien, pour une carte blanche visant à
lui donner tout pouvoir sur elle.

Et elle était encore en train de les comparer, se reprit-elle, en se raclant la gorge.

Ce n’était pas juste pour Severus, même si ses conclusions penchaient toujours en sa faveur.
Jamais il n’avait seulement sous-entendu qu’il étudiait leur relation avec Lily à l’esprit. Ils
étaient tous deux adultes, avec leur passé respectif et on ne pouvait pas gommer leurs anciens
amours mais elle avait conscience que le sien était un peu trop présent entre eux.

En grande partie parce que Remus prenait trop de place dans leur présent.
« Tu as tout ce qu’il te faut ? » demanda ce dernier, lorsqu’elle referma le carnet d’un geste
du poignet.

La magie sans baguette ne lui venait pas naturellement mais Severus avait sans cesse recours
à ce genre d’effets de manche, surtout depuis que ses mains n’était plus aussi coopératives
qu’il l’aurait voulu. Elle n’était pas certaine si sa magie compensait instinctivement sa
faiblesse physique ou s’il s’agissait davantage de prouver au monde qu’il était tout aussi
dangereux qu’avant.

« Oui. » répondit-elle sèchement.

« Et ? » pressa Remus, couvrant la main de Laura sur la table. « Ta décision ? »

« Je dois y réfléchir. Consulter Horace. » lâcha-t-elle, laconique. Elle empocha le carnet et la


plume, attrapa la canne qu’elle avait posée contre la table et feignit une légère difficulté à se
lever.

Visiblement, ce n’était pas la réponse que le loup-garou voulait entendre. « Je te


raccompagne. »

« Inutile. » répliqua-t-elle. « Je ne risque guère de me perdre. »

« Je te raccompagne. » insista-t-il.

Elle prit soin de contracter sa mâchoire pour laisser percer son agacement non-feint, et
martela le sol du bout de sa canne comme Severus en avait pris l’habitude lorsqu’il était
mécontent. Elle prit également soin de trahir un léger boitement, faisant semblant d’ignorer
les regards qui s’attardèrent sur sa jambe.

L’air frais nocturne, après l’étroitesse du cottage surchauffé dans lequel le loup-garou gardait
Laura, lui fit du bien.

« Dumbledore m’a fait la leçon. » lâcha Remus, à peine avait-il fermé la porte derrière lui.
« Il m’a demandé d’être mature, de ne pas te provoquer indument… »

« Et tu y parvenais si bien jusque là… » railla-t-elle, pressant légèrement le pas.

Le sentier qui menait à la lisière de la forêt, où se terminait le sort de Fidelitas, n’était pas
bien long.

« Je la sens sur toi. L’odeur est si forte, comme si tu l’avais dans la peau… » murmura le
loup-garou, presque trop bas pour être entendu. Nymphadora choisit de ne pas répondre et
continua à marcher, la tête haute. « Est-ce que tu l’aimes ? »

Comment aurait réagi Severus face à cette question épineuse qu’ils n’avaient toujours pas
abordée ensemble ?

Malgré tout ce qu’en disait Anthony, malgré ses propres sentiments naissants ou ceux que le
Maître des Potions avaient exprimés avec hésitation et pudeur, elle savait que c’était trop tôt
pour en parler, qu’il y avait trop de choses en jeu, trop de choses en suspens, pour s’y pencher
pour l’instant.

« Ce ne sont pas tes affaires. » cingla-t-elle. Une formulation qui lui était davantage propre
qu’à Severus et elle se morigéna, s’exhortant à rester dans le personnage.

Remus, miraculeusement, ne parut rien remarquer d’étrange. « C’est ma compagne. Ce sont


mes affaires. »

Ils arrivaient au bout du sentier lorsque le loup-garou attrapa son bras. Elle se dégagea d’un
coup sec et tira sa baguette dans le même temps. L’illusion n’était pas parfaite mais Remus ne
baissa pas les yeux sur le bois, préférant lever les deux mains en guise d’apaisement.

Le loup rôdait dans ses yeux mais il paraissait plus maître de lui-même qu’il ne l’avait été
récemment.

« Elle mérite d’être aimée. » lâcha-t-il. « Je lui ai dit… Je lui ai dit que je ne me mettrais plus
entre vous. Je sais qu’elle tient à toi. Beaucoup. Trop. » Sa voix glissa lentement vers un
grondement. « Mais je suis décidé à respecter ses choix. Cela étant dit, si elle sous-entend
seulement jamais que j’ai une chance… »

« Tu n’as plus aucune chance. » l’interrompit-elle, irritée.

« Nous la laisserons être juge de ça. » rétorqua le loup-garou, son regard peu aimable. « Mais
si tu t’amuses simplement avec elle… »

« Je n’ai pas à me justifier, Remus. » le coupa-t-elle froidement.

Ils restèrent tous les deux figés alors qu’ils mesuraient son erreur.

Severus ne l’appelait jamais par son prénom. Ou très rarement. Et certainement pas
récemment.

Elle se força à retrousser les lèvres dans un rictus méprisant, à reprendre le bon ton, le bon
rythme. « Je ne m’attends à ce qu’un loup le comprenne mais ce qu’il y a entre Nymphadora
et moi ne regarde que nous. »

Remus la dévisagea longtemps et elle se replia derrière l’Occlumencie, le fusillant du regard,


tâchant de ne pas se trahir davantage…

Finalement, le loup-garou détourna les yeux. « Tant que tu la rends heureuse, tant que tu la
traites bien, nous n’aurons plus de problèmes. »

Elle dût prendre sur elle pour ne pas lui rappeler qu’elle était adulte, majeure et vaccinée et
n’avait pas besoin de sa permission pour quoi que ce soit.

« Tu m’en vois ravie. Puis-je partir, à présent ? » siffla-t-elle, non sans ironie, en esquissant
un pas vers la forêt.
« Une dernière chose. » grinça le loup-garou, avec un déplaisir évident. « Je te dois des
excuses. »

Oh, Severus allait regretter d’avoir raté ça.

« Garde les. » décréta-t-elle, parce qu’elle était quasiment certaine que cela aurait été sa
réponse. Elle fit quelques pas de plus vers la forêt, jusqu’à sentir la limite des protections
devant elle…

« Lily ne parlait jamais de toi. » lança-t-il dans son dos, juste avant qu’elle ne les franchisse.
Elle s’arrêta. « J’ai menti, l’autre jour. Lorsque ton nom était prononcé devant elle, elle avait
toujours l’air triste, pas dégoûté. Je voulais simplement te blesser. » Nymphadora resta
silencieuse et ne se retourna pas. « Je ne pense pas non plus que tu sois pourri jusqu’à la
moelle. Tu n’es pas… On ne peut pas dire que tu sois quelqu’un de bien mais tu as fait de ton
mieux pour rattraper tes erreurs, tu as payé pour tes crimes, et ce n’était pas juste de ma part
de… » Remus se tut, attendant une réaction qui ne vint pas. Il se racla la gorge. « Cette
potion, elle pourrait changer la vie de tous les loups-garous. Tu as vu Laura… Elle n’a pas été
affectée négativement. Et moi, non plus. Si je suis honnête… Je devenais déjà plus loup bien
avant que tu me la fasses boire. Tout ce que la potion a fait, c’est me stabiliser, m’empêcher
de devenir fou. »

Elle ne savait pas quoi répondre alors elle se remit à marcher.

Il ne tenta plus de la retenir.

Elle transplanna dès qu’elle eut franchi les protections, sans un regard en arrière.

°O°O°O°O°

« Enervate ! » beugla Severus, entre deux autres sorts qui firent apparaître des langues de feu
qu’il lança directement sur les cadavres qui se trainaient hors du lac et sur la terre ferme. Leur
chance était que les Inféris soient lents. Lents mais déterminés. « Enervate ! »

Finalement, alors qu’il s’apprêtait à véritablement céder à la panique, le corps de Black


s’arcbouta et il inspira une bouffée d’air dans un râle, ses paupières s’ouvrant sur un regard
fiévreux.

Severus ne perdit pas de temps avant de lui faire avaler la coupe d’eau qui leur avait coûté si
cher. L’Animagus bût goulument, sans sembler respirer…

« Ignis ! » hurla Bill, non loin, et soudain, l’îlot fût entouré d’un mur de flammes qui
brûlaient haut et suffisamment fort pour que de grosses gouttes de transpiration roulent sur
les joues du Maître des Potions. La chaleur était suffocante, l’air presque irrespirable.

Il repoussa les quelques Inféris qui avaient réussi à avancer avant que le piège de feu ne se
referme puis, le danger momentanément écarté, s’autorisa à souffler, baissant à nouveau les
yeux vers Black qui paraissait lucide, à défaut d’être en forme.

Un sort de diagnostic le fit grincer intérieurement.


Le bézoard qu’il gardait dans sa poche intérieure ne le sauverait pas mais atténuerait les effets
ou, du moins, l’espérait-il. Tout temps gagné était bon à prendre. L’Animagus ne protesta pas
lorsqu’il le lui enfonça dans la bouche, se contentant de le mâcher mollement avec une
grimace.

« Nous devons sortir d’ici au plus vite. » déclara-t-il, davantage pour Weasley que pour son
rival.

« Je suis tout à fait pour. » rétorqua le Briseur de Sorts, non sans ironie. « Des idées ? »

Les Inféris s’amassaient en périphérie du cercle de flammes, attendant que le sorcier


fléchisse. Bill tenait bon mais maintenir le sort demandait concentration et puissance…

La barque était exclue, décida Severus. Il y avait fort à parier qu’elle ne leur obéirait plus et
ils ne tiendraient, de toute manière, pas tous à l’intérieur. Il était également hors de question
de tenter des allers-retours en solo.

Ils auraient vraiment dû emporter des balais, songea-t-il, en grimaçant.

« Une seule. » lâcha-t-il.

Et il n’était pas certain qu’elle soit bonne.

« Peux-tu te lever ? » demanda-t-il à Black qui paraissait peiner à rester conscient. Un


hochement de tête las fût tout ce qu’il obtint. Il le remit sur ses pieds d’autorité, le soutenant
maladroitement jusqu’à Bill qui l’attrapa automatiquement mais pas sans cracher un juron.

« Merde, Professeur. Je ne peux pas maintenir le sort et… » Il s’interrompit lorsqu’il vit qu’il
était en train de se transformer et ne parut pas plus enchanté que ça par son idée. « Vous êtes
sûr que vous pouvez nous porter tous les deux ? »

Non, Severus n’en était pas certain. Nox avait bien transporté Dumbledore mais c’était dans
l’urgence et Dumbledore était plus léger que deux sorciers à la carrure relativement musclée.
Et c’était également avant que son état physique soit réduit à ce qu’il était désormais.

Avait-il une meilleure idée, cependant ? Non.

Ce qui ne l’empêcha pas de manquer renoncer une fois que Bill eut jeté Black en travers de
son dos comme s’il était un vulgaire cheval de trais. Et avec le poids cumulé de Weasley…

« Je ne peux plus maintenir le sort beaucoup plus longtemps… » l’avertit le Briseur de sorts,
à bout de souffle.

Severus recula jusqu’à sentir le mur de flammes lui chauffer l’arrière train, sachant qu’il
aurait besoin de tout l’élan disponible pour seulement décoller. On ne parlait pas d’un vol
plané dans des conditions moins qu’idéales mais d’un vol maîtrisé.

Il ne s’autorisa pas à penser à cet après-midi passé en compagnie de Black à tenter de


maîtriser à nouveau sa forme Animagus et pendant lequel il avait passé plus de temps à
s’écraser au sol qu’à voler.
Il prit son élan, battit des ailes, ignora sciemment la tension dans son aile gauche, la sensation
de tiraillement au niveau des articulations qui reliaient les membranes fines à son dos… Le
sol se déroba sous ses pieds et il prit péniblement son envol, trop alourdi par les deux sorciers
pour véritablement aller bien haut… Il parvint à passer par-dessus le mur de flammes mais en
sentit le souffle lui brûler le ventre et les pattes…

Weasley relâcha le sortilège dès qu’ils furent véritablement dans les airs, s’affalant un peu
trop sur lui. Severus dût ajuster son vol, surpris par le mouvement incontrôlé…

« Trop bas… » marmonna Black.

Et, oui, en effet, ils étaient trop bas mais il ne parvenait pas à prendre plus d’altitude.

Les Inféris jaillissaient du lac, sous eux, pour tenter de les attraper, le danger suffisamment
proche pour qu’ils soient éclaboussés par les remous. Severus força, ignorant la douleur…

Le vol fût chaotique, il parvenait à gagner un peu d’altitude uniquement pour la perdre dans
la seconde suivante, chutant et ne se rattrapant qu’au dernier moment…

Ses yeux étaient rivés sur la rive.

S’ils pouvaient atteindre la rive…

Bill avait dû récupérer parce qu’il frappait les Inféris qui sautaient suffisamment haut pour les
menacer de langues de feu qui lui chauffaient un peu trop le pelage…

La rive, se répéta Severus, bats des ailes jusqu’à la rive…

Il tenta de toucher le sol proprement mais l’atterrissage n’était pas son point fort et sa patte
arrière, celle qu’il avait désormais tendance à garder repliée sous sa forme Animagus, se
déroba sous lui. Ils roulèrent tous les trois dans la poussière.

Bill fût le seul à se relever immédiatement, prêt à les défendre.

Mais les Inféris ne tentèrent pas de sortir du lac.

Au loin, la barque s’enfonça lentement dans l’eau, la lumière verdâtre de la potion qu’ils
avaient vidée se remit à briller faiblement comme si elle s’était auto-régénérée…

Le temps que Severus ne redevienne humain ce fût comme s’ils n’avaient jamais pénétré à
l’intérieur de la grotte. Il attendit, fébrile, la baguette à la main, puis la baissa lentement.

« Les protections se sont remises à zéro. » commenta Bill, traduisant sa pensée.

« Vous avez l’horcruxe ? » demanda-t-il, par acquis de conscience, en s’accroupissant près de


Black qui n’avait pas esquissé un geste pour se relever.

« Dans le sac. » confirma Weasley. « Le coffret est prévu pour contenir indéfiniment la magie
noire. Je m’en sers pour des objets maudits, d’habitude. »
« Toujours vivant, sac-à-puce ? » s’enquit-il, en posant la main sur le bras de son rival.

L’Animagus se fendit d’une grimace mais ne parvint pas à se forcer à plaisanter. « Je ne me


sens pas bien du tout… »

Il tremblait et était beaucoup trop pâle.

Severus se tourna vers Bill. « Sortons d’ici. »

Ce fût plus facile à dire qu’à faire. Il leur fallut trainer Black tout le long du tunnel jusqu’à
l’ouverture dans la falaise sans le noyer – lui, ou Severus. À l’extérieur, la mer ne s’était pas
calmée et les rochers glissaient d’autant plus…

« Transplannez au Square Grimmaurd. » ordonna-t-il à Bill qui soutenait plus ou moins Black
d’un bras passé autour de sa taille. « Utilisez la cheminée pour rejoindre directement ses
appartements à Poudlard. Si quelqu’un vous voit, dites qu’il est saoul. » Black avait l’air
suffisamment dans les vapes pour que ça passe, décida-t-il. « Il va me falloir quelques heures
pour préparer l’antidote. Faites-le boire de l’eau autant que possible. Contactez-moi si son
état s’aggrave. »

Weasley se dépêcha de hocher la tête. « Il y a des signes alarmants ? »

Il hésita une seconde puis décida que toute la discrétion du monde ne valait pas la vie de
Black. « Il va sans doute cracher du sang dans une heure ou deux. S’il s’étouffe, emmenez
directement à l’infirmerie sans attendre. »

« Je te déteste. » grommela Black, apparemment suffisamment conscient pour suivre le gros


de la conversation.

Encore une fois, Severus n’était pas loin de partager ce sentiment.

°O°O°O°O°

Tonks faisait les cents pas à l’abri dans l’ombre de la Cabane Hurlante, depuis plus de quinze
minutes, rongeant son frein. L’envie de retourner trouver Remus pour lui flanquer son poing
dans la figure la démangeait fortement depuis qu’il lui avait présenté – ou plutôt présenté à
Severus – ses excuses.

Ainsi, c’était donc ça qui avait si profondément perturbé le Maître des Potions qu’il avait
manqué provoquer une dispute stupide. Remus avait joué la carte de Lily, avait osé lui dire
qu’il était pourri jusqu’à la moelle… Elle devinait facilement que ça ne s’en était sans doute
pas tenu là.

Et cela la mettait en rage.

Il ne parlait jamais de son enfance et c’était probablement déjà un miracle qu’il lui en ait dit
autant qu’il l’avait fait mais les quelques allusions qu’il laissait échapper parfois… Cela le
hantait toujours, elle le savait. Et s’entendre dire qu’il était pourri jusqu’à la moelle… Ce
n’était pas si étonnant qu’il ait essayé de la convaincre qu’il était quelqu’un de mauvais au
fond ou qu’il ait soudain semblé terrifié à l’idée qu’elle ait une épiphanie à son sujet et le
quitte. Qui, mis à part Harry, lui était jamais resté fidèle au bout du compte ? Personne. Et
Remus avait osé…

Mieux valait se concentrer sur sa colère envers le loup que sur l’inquiétude qui lui rongeait le
ventre. Severus avait dit deux heures. Il était en retard.

Elle avait déjà repris sa véritable apparence, métamorphosé les vêtements d’emprunt en un
jean et un chemisier noir…

Elle s’apprêtait à jeter un nouveau Tempus lorsqu’elle entendit le bruit caractéristique du


transplannage.

Elle eut à peine le temps de se tourner que Severus était là, trempé jusqu’aux os, empestant
l’iode et l’algue, ses robes brûlées par endroits…

« Qu’est-ce que… » commença-t-elle, surprise.

Elle n’eut pas le temps de poser sa question. Il attrapa ses avant-bras et la tira vers le chemin
de terre battue qui serpentait devant la Cabane Hurlante.

Elle se dégagea, faisant tomber sa baguette dans sa main d’un coup de poignet, par réflexe.
« Severus, que… »

« J’ai besoin de tes mains. » déclara-t-il, attrapant à nouveau son bras. « Vite. »

Il était évident à la manière dont il boitait de manière prononcée que sa jambe le gênait mais
la canne n’était nulle part en vue. Trop choquée par le tour qu’avait pris la soirée, elle se
laissa entraîner sur quelques mètres avant de reprendre ses esprits. La première chose qu’elle
fit – parce que vraiment… – fût de le sécher d’un coup de baguette.

Il lui jeta un regard surpris, comme s’il n’avait pas réalisé dans quel état il était, et bien qu’il
ne ralentisse pas l’allure ou refuse de la lâcher, il la remercia d’un hochement de tête.

« Qu’est-ce que tu veux dire, tu as besoin de mes mains ? » demanda-t-elle.

« Pas ici. » refusa-t-il, tout net.

Elle l’étudia avec méfiance, se demandant s’il était bien qui il paraissait être. Après tout ce
genre de déclarations n’auraient pas détonnées dans la bouche de Greyback et…

« Quand nous sommes-nous embrassés pour la première fois ? » grinça-t-elle, empoignant sa


baguette plus fort.

La prise qu’il avait sur son bras se desserra légèrement.

« Cela dépend de ce que tu considères un baiser. » répondit-il, en lui jetant un coup d’œil
coupable. Probablement parce qu’il venait de se rendre compte de ce que la situation pouvait
avoir de suspect. « Tu m’as embrassé lorsque que je t’ai aidée à retrouver tes pouvoirs. »

« C’est toi qui a tourné la tête. » l’accusa-t-elle. « C’était tout à fait innocent. »
Ses lèvres tressautèrent mais son amusement ne perça pas véritablement. Son expression était
fermée, inquiète. « Très bien, dans ce cas, tu m’as embrassé dans mon laboratoire, après que
je t’ai repoussée dans les couloirs. »

« Imagine le temps qu’on aurait gagné si tu n’avais pas tenté de me résister. » plaisanta-t-elle,
rassurée quant à son identité.

Mais pas quant à ce qu’il se passait.

« Nous sommes trop lents. » pesta-t-il, en s’arrêtant. La main qui tenait son bras se fit plus
pesante, probablement parce que sa jambe ne voulait pas soutenir son poids. « Au point où
j’en suis… Monte. »

Elle fronça les sourcils. « Monte où ? »

Mais la réponse devint évidente lorsque le sorcier à côté d’elle laissa place à un sombral.
C’était une chose de savoir qu’il était secrètement un Animagus, ça en était une autre d’être
confrontée à la chose. Surtout lorsque la forme Animagus était si… Elle embrassa l’animal
du regard, n’ayant pas souvent eu l’occasion d’en voir un autrement qu’en illustrations dans
un livre. Il était étrangement élégant malgré son aspect squelettique. Sa tête ressemblait
davantage à celle d’un dragon que celle d’un cheval. Elle se hasarda à caresser la bande de
peau à l’aspect un peu rugueux entre ses yeux et se vit recadrée d’un bruit impatient.

De la tête et du cou, il la poussa vers son dos.

« Niveau rendez-vous galant, on fait mieux. » marmonna-t-elle, en obéissant à son injonction.

Elle décida immédiatement qu’elle préférait le balai à toute autre forme de transportation
dans les airs.

Le sombral ne paraissait pas capable de tenir une allure continue et s’élevait dans les airs
uniquement pour perdre subitement de l’altitude et remonter quelques secondes plus tard.
Comme un yo-yo. Il ne lui fallut pas plus de deux minutes avant d’avoir la nausée.

Elle s’accrocha à son encolure et s’efforça de se convaincre qu’elle n’allait pas rendre le
contenu de son estomac, rassurée, au moins, de voir les grilles de Poudlard se dessiner au
loin. Ils passèrent au travers des protections sans mal…

Seulement Severus fonçait maintenant vers le sol avec beaucoup trop de rapidité et à un angle
légèrement inquiétant.

Si elle avait été sur un balai, elle aurait tiré sur le manche de toute sa force pour redresser la
barre.

Là, elle put à peine ravaler un cri.

°O°O°O°O°
Albus sentit les protections de l’école s’agiter alors qu’il montait lentement le grand escalier,
l’informant que Sirius Black et Bill Weasley venaient de revenir sur le domaine. Un simple
effort de concentration et Poudlard lui indiqua qu’ils étaient dans les appartements du
Professeur de Défense adjoint. Il se désintéressa de la chose, sachant que s’il y avait eu un
problème, l’un ou l’autre l’aurait déjà contacté.

La gargouille qui gardait son bureau s’écarta sur son passage sans qu’il ait besoin de dire un
mot, les marches le portant vers les étages, sentant sans doute son humeur maussade.

Minerva leva la tête dès qu’il eut franchi le seuil du bureau avec un soulagement palpable.
« Ah, Albus, vous revoilà. »

« Me revoilà. » confirma-t-il d’un ton morne, non sans jeter un coup d’œil vers le fond du
bureau où Gellert était en train de passer en revue les ouvrages sur les étagères, à la recherche
d’une nouvelle lecture. Fumseck était perché sur son épaule et il caressait de temps en temps
le phœnix d’un geste distrait.

Minerva paressait très déconcertée par le manège du phœnix.

Albus ne parvint même pas à s’en étonner. Non, Fumseck n’aurait pas dû être enclin à
s’approcher d’un sorcier qui avait si longtemps pratiqué la magie noire, mais Fumseck avait
également toujours été d’une symbiose presque parfaite avec lui.

« Wilkommen züruck. » lança Gellert, sans même se retourner. Ses doigts courraient sur la
tranche des grimoires…

Le Directeur se força à détourner le regard, se concentrant sur Minerva qui rassemblait déjà
ses affaires, visiblement impatiente de s’en aller.

« Quelque chose à signaler ? » demanda-t-il.

« J’ai terminé les emplois du temps pour les examens. » annonça-t-elle. « Je vous préviens, je
compte vous mettre à contribution. »

Comme s’il avait véritablement du temps à perdre avec tout cela…

Il s’efforça pourtant de sourire aimablement à son amie. « Vous êtes une perle. »

Minerva rougit légèrement sous le compliment trop rare mais le regard qu’elle lui jeta lui
laissa pleinement entendre qu’elle ne comptait pas se laisser prendre par ses flatteries. Elle ne
tarda pas à quitter le bureau et il alla se planter à la fenêtre, lissant sa barbe d’une main
distraite, le regard perdu à l’extérieur.

« Qu’y a-t-il ? » demanda Gellert, dans son dos.

Peut-être n’avait-il feint d’étudier les rayonnages que pour échapper à une conversation
déplaisante avec Minerva. Ces deux là ne s’entendaient pas.

Il sentit l’homme approcher, mu par un sixième sens qui ne s’était jamais estompé, et ferma
les yeux.
« Le mythe d’Albus Dumbledore comme un parangon de vertu est un tel mensonge… »
murmura-t-il, fatigué.

Lucius avait-il déjà glissé le poison à Ollivanders ou bien cela devrait-il attendre le matin ?

Était-il encore temps de changer d’avis ?

« C’est le mensonge en lequel il leur faut croire. » riposta Gellert. Il sentait son regard peser
lourd sur sa nuque. « Toute vérité n’est pas bonne à dire. Tu peux davantage de ton piédestal
que s’ils connaissaient la vérité. »

C’était tout à fait vrai.

Et pas du tout ce qui le préoccupait tout au fond.

Et Gellert devait en être tout à fait conscient parce qu’il sentit sa main hésitante se poser sur
son épaule.

« Liebling. »

Le mot doux venait de si loin dans le temps qu’Albus sentit son souffle se serrer dans sa
gorge.

Il rata presque les protections l’avertissant du retour de Severus, ne songea pas à être surpris
qu’il soit accompagné alors qu’il était parti seul. Tonks passait le plus clair de son temps à
Poudlard, ou, du moins, c’était l’impression qu’il avait et la raison pour laquelle il avait
choisi de l’ajouter à la liste des personnes qui pouvaient aller et venir de l’école comme elles
le souhaitaient. Une concession pour Severus, à qui il devait tant.

« Abelforth. » répondit-il, de manière laconique.

Il sentit presque l’animosité qui irradiait de l’homme qui se tenait derrière lui, trop proche
pour les convenances. Il lui aurait été facile de le pousser par la fenêtre s’il l’avait voulu.

Mais ce n’était pas son meurtre que Gellert avait en tête.

« Qu’a-t-il dit ? » grinça le mage noir, d’un ton qui trahissait tout le dédain qu’il éprouvait
pour son frère.

S’ils avaient su mettre de côté leur inimité à l’époque…

« Il semble penser que nous avons repris précisément où nous nous sommes arrêtés. » confia-
t-il, non sans un soupir.

Or rien n’était plus faux.

Oui, Albus s’était laissé aller à un fantasme de domesticité. Oui, il discutait parfois des
heures le soir avec Gellert au coin du feu. Oui, ils partageaient ses appartements en partie
parce qu’il voulait perpétuer le mensonge et en partie parce que c’était le choix pragmatique
lorsqu’il était question d’avoir le mage noir à l’œil. Oui, leurs mains se frôlaient plus que de
raison. Oui, plus d’une fois ils s’étaient endormis au beau milieu d’une discussion, sur le
sofa, et s’était réveillés blottis l’un contre l’autre et perclus de rhumatismes parce qu’ils
n’avaient plus l’âge pour ce genre de choses. Oui, une part de lui avait finalement trouvé la
paix à avoir Gellert auprès de lui…

Mais il n’avait pas franchi la ligne.

Il n’avait pas…

Gellert fit un pas de plus et cette fameuse ligne parut se brouiller considérablement.

Son front se cala à l’arrière de son épaule, ses bras, après une légère hésitation, s’enroulèrent
autour de sa taille…

Albus garda résolument les yeux fermés, se retint même de respirer.

Si longtemps…

Cela faisait si longtemps…

« Ist er falsch ? » murmura le sorcier.

Abelforth avait-il tort ? Peut-être pas, au fond. Peut-être un peu.

Mais Albus était si fatigué d’avoir à lutter contre ses sentiments. De toute sa vie, il n’avait
véritablement voulu qu’une seule chose. Une chose que, s’il était honnête, il aurait pu
arracher de force à Nurmengard. Qui l’aurait arrêté ? Le Ministère ? La Chancellerie
Allemande ? Autrichienne ? Un des autres gouvernements magiques d’Europe ? Personne.
Parce que la vérité, la vérité nue, était que personne n’aurait pu le battre s’il avait été
suffisamment déterminé, certainement pas avec la baguette de sureau à sa disposition. Et une
fois Gellert libéré… Seul, il aurait été très difficile à interpeller, ensemble…

Ensemble, qui aurait eu une chance ?

Ils auraient pu vivre comme des dieux. Prendre le pouvoir. Le garder. Façonner le monde
comme ils l’entendaient.

Mais c’était là les délires d’un adolescent pris par les affres de son premier amour, se rappela
Albus, ce n’était pas ce qu’il avait choisi d’être.

Et pourtant, il aurait pu.

Qu’Abelforth continue à lui reprocher une chose qu’il s’était interdit toute sa vie par pur
principe…

Un grésillement dans le bureau précéda de peu une musique familière et, malgré lui, il sourit
au souvenir que la chanson évoquait.

« Tu n’es pas supposé faire de magie. » gronda-t-il, par réflexe plus que par conviction.
« Je ne suis pas censé toucher de baguette. » corrigea Gellert, alors qu’une voix s’imposait
lentement sur la mélodie.

« Tu n’as jamais eu besoin de baguette. » murmura-t-il. Pas plus que lui. Peut-être était-ce
pour ça qu’il n’avait jamais pu passer à autre chose : parce que lui et Gellert étaient égaux
dans un monde où il était bien plus puissant que la norme.

« Ce que tu savais très bien avant de me faire venir ici. » remarqua son ancien ami.

Ils dansaient sans danser, désormais. Oscillant au rythme lent de la chanson d’une manière
qui aurait sans doute dû être ridicule étant donné leurs âges respectifs.

Sans prévenir, la lumière des torches baissa d’un cran, voilant le bureau d’un semblant
d’intimité.

Albus aurait probablement dû s’alarmer de la facilité avec laquelle Gellert se faisait obéir de
Poudlard mais, pour être tout à fait honnête, une part de lui se réjouissait de sentir l’empreinte
magique de l’autre sorcier. Ses propres pouvoirs crépitaient en lui, comme s’ils se
souvenaient eux aussi des sorts et enchantements qu’ils avaient créés ou lancés ensemble par
le passé.

De la belle magie.

Terrible parfois, mal avisée souvent, mais toujours de la belle magie…

Et, non contente d’avoir tamisé les lumières et fait tourner le vieux gramophone dans le coin
de la pièce, la magie de Gellert était maintenant occupée à réordonner les titres de sa
bibliothèque, simplement, il en était certain, pour prolonger un peu plus cet instant où leurs
magies se mêlaient avec naturel.

« Essaierais-tu de me séduire ? » s’enquit-il, d’un ton qu’il aurait voulu posé mais qui était
très loin de l’être.

Le rire de Gellert était familier, légèrement étouffé par l’épaisse robe qu’Albus portait…

« Est-ce que cela fonctionne ? » rétorqua le mage noir.

Y avait-il une seule fois où cela n’avait pas fonctionné ?, aurait-il voulu répliquer.

« Arianna. » murmura-t-il, comme un bouclier, comme une supplique.

La ligne était là. Elle portait le nom de sa sœur.

Son plus grand crime.

Et Gellert l’avait toujours respectée, cette frontière invisible.

Toujours.

Excepté cette fois-ci.


« Albus, c’était il y a si longtemps… » soupira l’autre sorcier. « Et il ne te le pardonnera
jamais. Que nous soyons amis, amants ou ennemis, il ne te le pardonnera jamais. Ton
frère… »

« Est tout ce qu’il me reste. » l’interrompit-il, rouvrant les yeux, brisant ce moment suspendu.

Malgré son ton définitif, malgré la musique qui s’était brusquement interrompue et les
torches qui flambaient à nouveau haut, Gellert ne le lâcha pas, ne s’écarta pas…

« Pas tout, non. » contra le sorcier. « Que tu le veuilles ou non, nous sommes liés. Nous le
resterons jusqu’à la fin, je le suspecte. » C’était l’évidence pour lui depuis des dizaines et des
dizaines d’années, mais l’entendre de sa bouche fût un soulagement. Peut-être n’était-ce pas
tant de la folie si… « Il n’est pas tout ce qu’il te reste. Et quand bien même tu ne serais pas
disposé à me croire, il y a là-dehors une école entière qui serait sans doute prête à discuter la
chose.

« Ce jour là… » hésita-t-il, après un long silence. Et s’il se laissa aller à s’appuyer légèrement
contre Gellert, si les bras qui l’étreignaient se resserrèrent d’autant… « Sais-tu lequel de nous
trois… »

« Nein. » le coupa immédiatement Gellert. « Willst du gar nicht wissen. »

Tu ne veux pas savoir.

Mais il savait déjà.

Au fond de son cœur, il savait.

« Nous n’avions pas une bonne influence l’un sur l’autre. » lui rappela-t-il, à défaut d’un
autre argument. « Nous étions d’horribles personnes. »

Gellert resta silencieux un moment puis poussa un soupir de regret. « Liebling, c’est toujours
le cas. Nous avons toujours été d’horribles personnes, ensemble ou séparément. Nos
motivations n’effacent pas nos actes. Le plus grand bien est toujours pavé de victimes. »

Albus aurait voulu protester, pour la forme, mais ne venait-il pas de commanditer l’assassinat
d’un homme ? Un homme brillant, qui plus était, dont la perte ébranlerait la communauté
magique.

Albus manipulait, mentait, sacrifiait et se dédouanait comme le meilleur Serpentard. Certes, il


le faisait pour la Lumière, mais cela n’effaçait pas les faits.

D’un certain point de vue, Gellert était plus honnête que lui.

Il y avait une vérité qu’il aurait aimé avouer. Une simple vérité. Trois petits mots qui pesaient
sur sa conscience depuis des années et des années.

Il n’y parvenait pas.

Le poids de la culpabilité les retenait.


« Tu sais, il m’est passé par l’esprit que si tu souhaitais me trahir, manipuler mes sentiments
serait la manière la plus facile de m’atteindre. » remarqua-t-il.

« Ne t’ai-je pas prêté serment de ne pas chercher à m’enfuir ? » rétorqua Gellert avec
agacement, sans pour autant mettre un terme à l’étreinte.

« Peut-être ne veux-tu pas t’enfuir… » répondit-il. Sous contrôle, Poudlard était après tout la
meilleure des places-fortes… Tactiquement parlant…

Cette fois-ci, les bras se retirèrent et le mage noir s’écarta avec un mouvement d’humeur.
Albus se retourna finalement pour lui faire face, presque surpris de se retrouver face au
sorcier amoindri par l’âge et non au souvenir qu’il gardait de leur jeunesse.

« T’ai-je déjà trahi, Albus ? » cracha presque Gellert, vexé. « Toutes ces années… Ai-je
jamais trahi une promesse ? Un seul serment ? »

La réponse était non.

Pas au sens littéral.

Si l’un d’eux était revenu sur des serments ou des promesses, c’était lui.

« Toujours nous revenons au même point. » continua le mage noir. « Toi et moi et Abelforth
entre nous qui te retient, qui t’arrache à moi. Par jalousie. Par… » Les mots semblèrent lui
faire défaut et il marmonna une longue phrase en allemand qu’Albus ne comprit pas, avant de
secouer la tête. « Laisse-moi te poser la question, Liebling, était-ce moi que ton frère
désapprouvait, à l’époque, ou le fait que je ne sois pas une femme ? Était-ce nos recherches,
nos projets, qui le dégoûtaient ou ce que nous faisions dans ta chambre derrière une porte
close ? »

Les questions sonnaient un peu comme un ultimatum, un coup de semonce, mais tombèrent à
plat parce qu’Albus s’était maintes fois interrogé sur le sujet.

La conclusion à laquelle il était arrivé ne lui plaisait pas mais il n’avait jamais ouvertement
osé aborder la question avec Abelforth. C’était à peine s’ils parvenaient à avoir une
conversation courtoise, en temps normal, alors…

Autres temps, autres mœurs.

Ils étaient nés dans un autre siècle, avec d’autres morales et d’autres préjugés.

Ils étaient vieux, se redit Albus pour ce qui semblait être la centième fois ces derniers jours.
Lui, Gellert, Abelforth… Ils étaient trop vieux.

Il lui arrivait d’envier la liberté de Charlie Weasley.

« As-tu seulement jamais cessé de te cacher, Albus ? »

Gellert dût comprendre qu’il n’obtiendrait pas de réponse à sa question parce qu’il poussa un
long soupir et se détourna, disparaissant sans un mot par la porte dérobée qui menait à ses
appartements.

Resté seul, Albus ferma les yeux.

Et se traita d’idiot.

°O°O°O°O°

« Plus jamais ! » jura Nymphadora pour la dixième fois, en entrant à la suite de Severus dans
son laboratoire.

« Crois-moi, ce n’est pas plus plaisant pour moi. » grinça le Maître des Potions, en
claudiquant jusqu’à un des plans de travail qu’il débarrassa d’un coup de baguette.

Elle observa les divers objets s’envoler pour trouver une autre place sur une étagère ou dans
un coin, observa un chaudron de cuivre venir remplacer celui en fonte, observa divers bocaux
et fioles quitter les étagères…

« Tu veux bien m’expliquer maintenant ? » râla-t-elle. « Et qu’est-ce que ça veut dire : tu as


besoin de mes mains ? »

À le voir s’agiter, elle avait peur de comprendre.

« Black a bu du poison. » lâcha-t-il.

« Quoi ? » s’exclama-t-elle.

« J’ai besoin que tu m’aides à préparer l’antidote. » continua-t-il, avec un calme de façade. Il
inspecta une des étagères, remua plusieurs fioles, ne dût pas trouver ce qu’il cherchait parce
qu’il marmonna quelque chose dans sa barbe. « Il faut que j’aille à la réserve. Commence à
broyer les pattes de tarentules. Broyer pas écraser, Nymphadora. Je veux de la poudre, pas de
la purée. »

Et, juste comme ça, elle eut un affreux flashback de ses cours de Potions.

« Non. » refusa-t-elle tout net. « Je ne suis pas… »

« Tu as tes A.S.P.I.C.s et c’est tout ce qu’il me faut. » l’interrompit-il. « Avec mes


instructions, tu t’en sortiras très bien. »

Elle n’eut pas le temps de s’énerver ou de l’envoyer se faire voir parce qu’il était déjà parti, la
jambe trainant derrière lui sans même s’en rendre compte. Serrant la mâchoire et ravalant sa
contrariété, elle rassembla ses cheveux en un chignon aussi brouillon que hâtif et se plaça
devant la paillasse et son chaudron de cuivre, la boule au ventre.

D’abord Severus lui soutirait un service quelque peu suspect en lui demandant de lui servir
d’alibi pour elle ne savait quel projet… Ensuite, il revenait dans un état lamentable et la
trainait jusqu’à Poudlard pour mieux lui avouer que Sirius avait non seulement été de la
partie mais s’était empoisonné…
Elle inspecta les différents bocaux jusqu’à trouver celui qui contenait les tarentules et
entreprit d’en ôter les pattes avec précaution avant de les aplatir à l’aide du burin.

« En poudre, pas en purée. » grommela-t-elle entre ses dents. « C’est ta tête qui va finir en
purée. »

« Heureux de l’apprendre. » rétorqua Severus, en déposant trois autres bocaux sur le plan de
travail. « Excellent. Émiette les feuilles d’églantier dans le même bol. »

« S’il te plait. » grinça-t-elle.

« Si je dois user de politesse à chaque instruction, nous en avons pour la nuit. » riposta-t-il.
« Or, Black n’a pas la nuit devant lui. »

« Et moi je ne suis pas bonne en Potions ! » s’exclama-t-elle, à moitié effrayée, à moitié


énervée.

« Tu n’est pas mauvaise en Potions ou je ne t’aurais jamais admise dans mes classes
d’A.S.P.I.C.s. Tu t’en sortiras très bien. » répéta-t-il, un peu trop délibérément.

Elle s’en sortirait très bien parce qu’ils n’avaient pas d’autres choix, voilà ce qu’il ne voulait
pas dire.

Elle pivota vers lui, le suppliant du regard. « On peut aller chercher Slughorn. »

Il n’hésita même pas avant de l’attraper fermement par les épaules et de la tourner à nouveau
vers le plan de travail. Il se positionna juste derrière elle, suffisamment près pour qu’elle
sente la chaleur de son corps contre son dos.

« Cela nous coûterait beaucoup trop cher. » déclara-t-il. « Je préfèrerais d’abord essayer avant
de devoir en arriver là. »

« Severus… » supplia-t-elle.

Si la vie de Sirius était en jeu…

« Fais-moi confiance. » contra-t-il, en poussant vers elle les feuilles d’églantier. « Émiette. »

Les minutes suivantes se perdirent dans une série d’instructions du même type. Il corrigeait
ses gestes d’une main posée sur son poignet, la forçait à ralentir ou à accélérer selon une
cadence qui n’avait aucun sens pour elle mais en avait clairement pour lui…

« Plus souple. » ordonna-t-il, en exerçant une pression sur son avant-bras alors qu’elle
remuait prudemment le contenu du chaudron, exactement comme il le lui avait dit. « Ceci est
un antidote extrêmement volatile, pas une vulgaire soupe de légume. »

Merlin, ce qu’elle aurait préféré ne jamais plus avoir à préparer de potions. Surtout avec lui.

Elle s’en était relativement bien passé jusque là.


« Je préférais quand tu me disais des mots doux. » râla-t-elle, sans cacher son irritation.

Ses cheveux avaient viré au rouge il y avait déjà un moment mais s’il l’avait remarqué, il
n’en avait pas fait cas.

Il se tenait suffisamment près d’elle pour qu’elle le sente se crisper à cette mention d’un
incident dont ils n’avaient pas discuté – et dont, à l’évidence, ni l’un ni l’autre n’était encore
prêt à le faire, certainement pas au milieu d’un exercice de préparation de potions.

Après quelques secondes, ses lèvres effleurèrent sa nuque un peu trop délibérément pour que
ce soit un accident.

Sa version d’excuses, supposait-elle.

« Très bien. » offrit-il, en lui indiquant de cesser de remuer. « Nous approchons de la partie
délicate. »

« Ah, parce que c’était facile jusque là ? » ironisa-t-elle. Elle n’avait jamais préparé de potion
plus difficile et était complètement perdue. Elle n’avait aucune idée de ce qu’ils étaient en
train de faire, elle se contentait de suivre ses ordres au pied de la lettre et espérait qu’elle le
faisait correctement. Deux fois déjà il avait dû rattraper une fiole qu’elle avait bousculée
avant qu’elle ne se renverse.

Sans relever, il lui indiqua d’ajouter deux autres ingrédients au chaudron à précisément trente
secondes d’intervalle. Ensuite, il lui faudrait remuer trois fois dans le sens contraire des
aiguilles d’une montre et deux fois à l’opposé.

« Souplement. » lui rappela-t-il.

« Je vais t’enfoncer la louche souplement là où je pense si tu n’arrêtes pas de prendre ce ton


condescendant. » menaça-t-elle.

« Tu te débrouilles très bien, Nymphadora. » contra-t-il.

« Tu peux arrêter de me flatter pour me faire plaisir. » marmonna-t-elle.

Elle n’avait pas besoin de le voir pour savoir qu’il était en train de lever les yeux au ciel.

« Si je t’instruis, tu me menaces ; si je te complimentes, tu m’accuses de flagornerie… »


soupira-t-il. « Y a-t-il quelque chose que je fasse correctement ce soir ? »

« Non. » répondit-elle, tout à fait franchement.

Sans plus hésiter, elle jeta la poignée d’anémones séchées, compta jusqu’à trente et, lorsqu’il
ne fit aucun geste pour la stopper, ajouta le deuxième ingrédient, avant de remuer exactement
comme il le lui avait dit. Elle avait à peine fini le premier tour que sa main revient se poser
sur son poignet, la guidant gentiment mais fermement.

« Et maintenant ? » demanda-t-elle, lorsqu’ils eurent fini de remuer.


« Maintenant, nous laissons la potion à feu vif pendant vingt minutes. Si l’antidote est réussi,
un précipité blanc devrait se former à la surface. » déclara-t-il, avec un soulagement palpable.
« Pour ce que cela vaut, je pense que le résultat est excellent à défaut d’être parfait. Black
devrait s’en sortir. »

Il recula d’un pas, lui rendant finalement sa liberté de mouvement. Elle se retourna pour
mieux le dévisager. « Devrait ? »

« Rien n’est jamais certain en matière de poison. » répondit-il, le visage fermé. « Mais je suis
confiant. »

Elle leva les yeux au ciel. Il ne s’était pas suffisamment éloigné pour qu’elle ne puisse pas lui
taper le torse d’un index accusateur. « Tu n’as jamais dit qu’il y aurait du poison. Ou que tu
emmenais Sirius. »

« Je l’ignorais. » se défendit-il, écartant sa main d’un geste. Il ne résista pourtant pas


lorsqu’elle entrelaça leurs doigts. « Et, je réitère, je ne peux rien te dire de spécifique tant que
tes boucliers… »

« Oui, oui, ça va… J’ai compris. » bougonna-t-elle.

Elle voulut retirer sa main mais il résista, l’attirant à lui avec à peine une légère hésitation.
Elle accepta l’étreinte parce qu’elle avait la sensation qu’il en avait plus besoin qu’elle.

Il sentait la mer et le brûlé.

La curiosité était un très vilain défaut.

« Le truc que je ne peux pas savoir… Ça n’aurait pas un rapport avec Tom Jedusor, par
hasard ? » s’enquit-elle.

Parce qu’il y avait une raison pour laquelle il lui avait demandé de faire ces recherches. Or,
de manière intéressante, dans les carnets de la directrice de l’orphelinat, les archives mêmes
par lesquelles elle lui avait conseillé de commencer, il était plusieurs fois fait mention d’une
sortie à la mer…

« Je me suis retrouvé confronté, ce soir, à l’une de mes anciennes créations dont j’avais
entièrement oublié l’existence. » avoua-t-il, sans qu’elle puisse déterminer si c’était une
manière de changer le sujet ou juste une confirmation détournée. « Un poison fourbe et
extrêmement violent. »

Malgré elle, elle frissonna. « Et pourquoi est-ce que Sirius a décidé de le boire exactement ? »

« Nous n’avions pas le choix. L’un de nous devait le prendre. » souffla-t-il, en la relâchant. Il
ne recula pas pourtant et elle ne chercha pas à remettre une quelconque distance entre eux.
« Cela me pousse à me demander combien des horreurs que j’ai créées dans ma vie sont
toujours là-dehors. »

Elle ne savait pas quoi répondre à ça.


Son passé était derrière lui mais ils ne pouvaient pas nier qu’il avait existé. Ses choix, ses
erreurs… Ils continueraient sans doute à le poursuivre jusqu’à ce que Voldemort soit bel et
bien mort.

Elle croisa son regard mais ne put rien y lire, par contre elle devinait sans mal les boucliers
mentaux qui se dessinaient derrière ses yeux.

Elle lui caressa la joue mais ravala les mots bateaux qu’elle aurait voulu pouvoir lui offrir.

Elle ne pouvait pas lui dire que ce n’était pas sa faute, elle pouvait simplement lui montrer
qu’elle acceptait ses erreurs passées.

Il tourna la tête suffisamment longtemps pour déposer un léger baiser dans le creux de son
poignet.

« Comment s’est déroulée l’entrevue avec Lupin ? » demanda-t-il, ensuite, d’un ton presque
détaché.

« Oh, tu as raté ses excuses. » se moqua-t-elle, avant de secouer la tête. « Ce serait plus
simple que tu regardes directement. »

« Es-tu certaine ? » Il quêta sa permission du regard, puis à son hochement de tête, murmura
la formule. « Legilimens. »

Explorer le souvenir ne lui prit pas longtemps et il s’extirpa de son esprit avec un
grommellement agacé. Et quelque peu embarrassé.

Probablement parce que Remus avait plus ou moins exposé ce qui l’avait mis dans un tel état
lorsqu’elle avait été blessée. Ou peut-être parce qu’il avait posé la question à un million de
gallions sur ses sentiments.

Il se racla la gorge. « Il ne soupçonnait rien, je pense. »

Ils allaient donc passer la chose sous silence, déduisit-elle.

Encore.

Au demeurant, cependant, c’était sans doute pour le mieux. Elle ne voulait pas aller trop vite.
Elle voulait prendre son temps, construire… Elle ne voulait plus se précipiter comme elle
l’avait fait avec…

Elle chassa cette pensée avant d’avoir pu finir de la formuler, déterminée à cesser de les
comparer en permanence.

« Non, ton alibi pour ta mystérieuse mission secrète est parfait. » déclara-t-elle. « Mais ça
risque de paraître suspect que je sois à Poudlard juste après… Si quelqu’un cherche
véritablement à établir… »

« Ce n’était qu’une précaution. » l’interrompit-il. « Nous n’avons commis aucun crime, je ne


m’attends pas à une enquête trop élaborée. Le cas échéant, Dumbledore se contentera de
demander l’air de rien ce que nous faisions. Il ne serait pas si étrange que nous ayons prévu
de nous retrouver, toi et moi, ensuite… »

Elle inclina la tête, fronçant exagérément les sourcils. « Tu es sûr que tu n’as commis aucun
crime, Monsieur l’Animagus Non Déclaré ? »

Elle fût récompensée d’une ébauche de sourire avorté.

« Si c’est le cas, te voilà ma complice. » remarqua-t-il.

Elle feignit un grognement de compréhension. « C’était donc ça le plan… Compromettre une


Auror ? »

« Exactement. » déclara-t-il, rentrant dans son jeu. « Te compromettre, te réduire à ma


merci… »

« Et que vas-tu faire de moi, maintenant que tu m’as à ta merci ? » le défia-t-elle, non sans
amusement.

Il lui vola un baiser, bref mais suffisamment tendre pour qu’elle se détende. Le stress de la
soirée s’allégea quelque peu. Elle se blottit contre lui, lorsque leurs lèvres se séparèrent,
fermant les yeux, s’autorisant, l’espace d’une seconde, le droit de souffler…

Ses mains tremblantes tracèrent un chemin hésitant de ses omoplates au creux de ses reins.

« Je ne t’ai même pas demandé comment tu allais aujourd’hui, si ? » murmura-t-il, au creux


de son oreille. « Tu n’as peut-être pas tort… Je ne fais pas grand-chose correctement ce
soir… »

Il n’y avait pas de véritable remord dans sa voix, probablement parce qu’il estimait que ce qui
le préoccupait était plus important que les convenances.

Elle ne lui en voulait pas véritablement, non plus.

« Ça va. » mentit-elle, parce qu’il fallait bien donner le change.

Elle n’avait aucune raison de se lamenter. Elle était vivante, en bonne santé et n’avait perdu
aucun proche ces dernières semaines. C’était beaucoup plus que ce que la plupart des gens
pouvaient en dire récemment.

Mais, putain, ce qu’elle était fatiguée…

Il l’obligea à relever la tête d’un coup de pouce sous le menton, croisa son regard, y lut
probablement tout ce qu’il avait besoin de savoir… Il n’avait pas l’air tout à fait dupe, de
toute manière.

« Nymphadora… » la rabroua-t-il, avec inquiétude.

« Je ne veux pas en discuter. » le prévint-elle.


À quoi bon ?

Aujourd’hui, elle avait dû dire à l’un de ses anciens instructeurs qui lui donnait un peu trop
de fil à retordre qu’il n’avait pas d’autre choix que de lui obéir, qu’il soit d’accord avec ses
ordres ou pas. Elle n’y avait pris aucun plaisir, s’était sentie ridicule comme une enfant qui
ferait un caprice, et le fait que Kingsley ait été obligé de régler l’affaire dans son bureau
n’avait rien arrangé.

Et si seulement cela avait pu être le pire moment de sa journée…

Il allait insister lorsque son attention fût détournée par le chaudron.

« Tu vois ? » triompha-t-il, en désignant la potion d’un geste. « Un résultat pratiquement


parfait. Peut-être devrais-je t’engager comme assistante. »

Elle laissa échapper un bruit amusé. « Ne le prends pas mal, mais non merci. »

Il mit l’antidote en bouteille, jeta un sort de stase sur le chaudron et l’entraîna vers son
bureau. Il traversèrent la cheminée en direction des appartements de Sirius et, bien qu’elle se
fût attendue à trouver son cousin en mauvaise posture, elle fût surprise de le voir
recroquevillé sur le canapé, pâle et tremblant. Et sa surprise se coupla d’agacement
lorsqu’elle remarqua la présence du frère ainé de Charlie, assis dans un fauteuil, qui paraissait
le surveiller.

À sa décharge, Bill parut tout aussi choqué de la voir.

« Black ? » lança immédiatement Severus, en fondant sur l’Animagus. « Toujours là ? »

« À peine. » marmonna-t-il, ses yeux gris fiévreux trouvant les siens par-dessus l’épaule du
Maître des Potions. « Tu as ramené Tonks ? »

« Elle m’a aidé à préparer l’antidote. » répondit le Professeur, en guise d’explication. « Elle
ne sait rien, tâche de tenir ta langue. »

La réflexion agaça Tonks.

Elle comprenait sincèrement pourquoi Severus refusait de lui confier leur fameux secret
mais… Bill Weasley ? Et Sirius était meilleur Occlumens qu’elle ? Vraiment ? Il était dur de
ne pas faire un parallèle avec la Marque. Ces deux là paraissaient toujours au courant de ses
secrets avant elle.

« Merlin préserve. » marmonna-t-elle, non sans ironie, en se laissant tomber dans le dernier
fauteuil disponible.

Si Bill se pensait discret ou subtil en dissimulant discrètement, d’un geste lent du pied, le sac
sous son propre fauteuil, il se fourrait le doigt dans l’œil, mais comme elle était charitable,
elle se retint de faire un commentaire.

« Il a craché du sang deux ou trois fois. » expliqua Bill à Severus. « Mais ça ne me semblait
pas trop grave. »
Oui, c’était sans doute tout à fait normal, songea-t-elle, non sans ironie. Severus lui jeta un
tel regard que, l’espace d’une seconde, elle se dit qu’elle avait dû accidentellement parler à
voix haute mais apparemment son attitude en disait tout aussi long. Elle ne bougea pas pour
autant, gardant les jambes croisées, légèrement avachie, et continuant de pianoter sur les
accoudoirs du fauteuil. À peine leva-t-elle un sourcil lourd de sarcasmes. Les lèvres du
Maître des Potions tressautèrent mais il retourna aux sorts de diagnostic qu’il était en train de
jeter à l’Animagus.

Sirius était trop dans les vapes pour remarquer quoi que ce soit.

Bill faisait un gros effort pour prétendre ne rien avoir vu.

« L’empoisonnement n’est pas trop avancé. » déclara Severus, au grand soulagement de tous.
« L’antidote devrait suffire. »

Y avait-il eu une chance pour qu’il ne suffise pas ?, se demanda Nymphadora avec horreur.

Il approcha une des fioles de la bouche de Sirius mais ce dernier lui attrapa brusquement le
poignet.

« Attends. » souffla l’Animagus, le regard toujours fiévreux. Il semblait à la jeune femme


qu’il délirait légèrement.

« Je sais que c’est difficile pour le pois chiche qui te sert de cervelle mais nous n’avons pas le
temps d’attendre. » rétorqua le Maître des Potions, en essayant de se détacher de sa poigne.

Mais Sirius s’accrochait avec force.

« Mon… Mon testament… » bredouilla-t-il.

« Nous n’avons pas besoin de ton testament. » grinça Severus, en tentant à nouveau de lui
faire boire l’antidote.

Sirius secoua la tête et le Professeur dût reculer de peur de renverser la fiole.

« Il est… Il est dans le dernier tiroir de la commode… » insista Sirius. « Ma chambre. Square
Grimmaurd. Remus a la copie. »

« Et il peut la garder. » rétorqua Severus, en perdant patience. « Veux-tu bien avaler cette
potion ? Je n’ai pas subi de multiples menaces en la préparant pour la gaspiller. »

« Oh, ça va… » se moqua Tonks, avec amusement. « J’aurais pu les mettre à exécution, ces
menaces. »

Elle et Bill échangèrent un coup d’œil et, bien que l’ainé des Weasley semble toujours
déterminé à prétendre qu’il était aveugle et sourd, ses yeux pétillaient d’amusement. Qui
l’avait mis au courant, se demanda-t-elle, ou bien étaient-ils si peu discrets ?

« Harry… Harry hérite de tout. » continua Sirius, pris dans son délire. « S’il ne veut pas du
titre de Lord Black… Ce putain de nom peut mourir avec moi… »
« Excepté que tu ne vas pas mourir. » riposta Severus, en levant les yeux au ciel. « Inutile de
dramatiser. »

« Ou, tu peux l’avoir, si tu veux… » marmonna l’Animagus, en rencontrant le regard de


l’Auror.

« Lady Black. » plaisanta-t-elle. « Pas sûre que maman approuverait. »

« Ça suffit. » intervint le Professeur de Défense. « Weasley, aidez-moi. »

À eux d’eux, ils parvinrent à forcer Sirius à avaler la potion. Il n’y eut pas d’effets immédiats
et, en dépit de son amusement, elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter. Son cousin toussa
une ou deux fois puis parut s’endormir.

« Et maintenant ? » hésita-t-elle, alors que Severus jetait un autre sort de diagnostic.

« Il faut attendre. » annonça-t-il.

°O°O°O°O°

Les sorts d’alarmes de proximité le tirèrent d’un sommeil agité qui ne lui avait accordé aucun
repos.

Draco se redressa sur le coude, sa main se refermant sur sa baguette par réflexe, peinant à
ouvrir les yeux malgré la décharge d’adrénaline…

Les épais rideaux de brocard étaient toujours tirés autour de son lit et rien ne semblait
troubler le silence des dortoirs. Il s’assit, sourcils froncés, annulant le sort qui continuait à
l’avertir d’un danger invisible. Le sortilège avait-il mal fonctionné ?

« Lumos. » murmura-t-il, malgré le risque d’avertir un potentiel assassin de son éveil.

Il attendit, le cœur battant, inspectant l’espace clos que formait le baldaquin du regard…

Et ce fût comme ça qu’il aperçut le mouvement sous l’épaisse couverture.

Quelque chose s’était glissé sous la laine.

Trop petit pour être le chat de Nott.

Trop gros pour être le crapaud de Vince.

La chose paraissait fine et se mouvait lentement, en oscillant comme…

Il blâmât l’épuisement pour sa réflexion trop lente.

Et pour la réaction totalement stupide qui suivit.

Avec un hurlement très peu viril ou aristocratique, il se repoussa hors du lit, s’emmêlant dans
les épaisse tentures… Le temps qu’il tombe sur les pierres froides, le serpent avait jailli du
tas de couvertures empilées sur son lit…
Il recula précipitamment jusqu’à se cogner contre le pied du lit de Greg, à peine conscient
que tous les autres garçons s’était réveillés en grommelant, que Blaise avait jeté un sort pour
rallumer les torches, que Nott l’insultait dans son oreiller…

Et puis, ils semblèrent tous repérer l’animal en même temps et il y eut plus d’un cri
d’alarme…

On ne vivait pas à Serpentard sans devenir un peu expert en serpent. Or, celui qui glissait
lentement du lit de Draco, apparemment déterminé à l’attaquer, avec son pelage noir bleuté
était si facilement identifiable pour être, peut-être, le plus mortel au monde…

Un mamba noir.

Celui avait eu cette idée avait un sens de l’humour tordu.

Une seule morsure et…

Le serpent s’immobilisa face à lui, dressé, prêt à passer à l’attaque, et Draco n’osait pas
bouger, sachant qu’il ne serait pas assez rapide, que…

« Protego Maxima ! » cria-t-il, dans la microseconde avant que le serpent ne se détende.

« Confringo ! » lança Blaise, au même moment.

Le sort rata le serpent d’un centimètre mais laissa un trou dans le sol.

« Ad Vincula ! » jeta Nott, dans la seconde qui suivit.

Draco avait bien inutilement placé un bras devant son visage – cela ne ferait pas de différence
où le serpent le mordrait, la morsure serait mortelle quoi qu’il en fût – et il sentit les crocs se
refermer à un millimètre de la manche de son pyjama alors que le sort de l’autre adolescent
cueillait le mamba noir et l’emprisonnait dans une sphère lumineuse.

Il fixa la prison magique du regard quelques secondes, incrédule, le souffle court, puis
s’écarta sans aucune grâce, rampant à moitié jusqu’à mettre la longueur de la pièce entre lui
et le serpent.

« Tu n’as rien ? » s’inquiéta Blaise, rejetant ses couvertures pour venir le tirer sur ses pieds.

Les autres regardaient alentours avec méfiance, apparemment pas certain qu’il n’y avait pas
d’autres animaux venimeux cachés dans un coin des dortoirs…

Au moins, songea-t-il, il était certain que cette tentative d’assassinat ne venait pas de l’un de
ses camarades de dortoir. À voir la manière dont Nott s’était plaqué contre sa tête de lit et
dont Vince et Greg scrutaient les moindres recoins sombres de la pièce au cas où il y aurait
un autre danger…

« Tu trouves toujours que ta Sang-de-Bourbe vaut le coup ? » le provoqua Nott, lui épargnant
par là la nécessité de le remercier – et cela lui aurait coûté. « Elle vaut ta vie ? La nôtre ? »
Ayant repris ses esprits, Draco plaqua la main sur le mur de pierre du dortoir et actionna le
sort que seuls les préfets de Serpentards étaient habilités à déclencher.

« Severus Snape. »

Il n’était pas impatient de devoir expliquer à son Directeur de Maison comment il avait
échoué à se défendre et ne devait sa vie qu’aux réflexes d’un garçon qui ne l’appréciait guère,
en règle générale.

°O°O°O°O°

Severus sortait juste de la salle de bain de Black, où il avait remis un peu d’ordre à sa tenue –
il y avait peu d’intérêts d’avoir un alibi si ses robes brûlées et la forte odeur d’iode le
trahissaient à la première occasion – lorsque le sort le cueillit brusquement au plexus.

Avec un juron, il retourna au salon à grandes enjambées inégales.

Bill et Nymphadora discutaient Quidditch, Black était endormi…

« Il y a un problème dans les dortoirs de Serpentard de cinquième année. » déclara-t-il.

La jeune femme fût sur ses pieds dans la seconde, un pli inquiet lui barrant le front.
« Draco ? »

« Il se peut qu’il s’agisse simplement d’un enfant malade. » nuança-t-il, sans y croire.

Elle leva les yeux au ciel, traduisant exactement sa pensée. « Je viens avec toi. »

Il n’essaya pas de l’en dissuader. Peut-être n’était-ce rien, peut-être était-ce une attaque
rangée et, dans ce cas là, il serait heureux d’avoir du soutien.

« Restez avec Black. » ordonna-t-il à Bill. « Nous revenons aussi vite que possible. »

Ils rejoignirent la salle commune de Serpentard en utilisant la poudre de cheminette. Se


souvenant, un peu tard, de la canne réduite rangée dans la poche de sa robe, il lui rendit sa
taille normale, s’appuyant dessus avec soulagement car sa jambe était extrêmement
douloureuse. Cela le ralentit à peine alors qu’il se dirigeait droit vers l’escalier qui descendait
dans les dortoirs, remarquant à peine la manière dont Nymphadora tourna sur elle-même au
milieu de la salle commune pour mieux observer les lieux…

« C’est moins glauque que ce que j’avais imaginé. » remarqua-t-elle, en le rattrapant dans
l’escalier.

Malgré le ton badin, elle avait l’air concentré, attentif, et sa baguette était levée devant elle.
Elle le suivait parce qu’il savait où il allait mais il ne doutait pas qu’elle se jetterait devant lui
s’ils devaient se battre. Étant donné l’état de sa jambe, il était enclin à la laisser faire.

« À toi l’attaque. » proposa-t-il, alors qu’ils approchaient rapidement des dortoirs des
cinquièmes années. Tout semblait calme, il n’y avait aucun cri, aucune agitation… Mais cela
ne voulait rien dire. « Je nous défendrai. »
Elle hocha la tête, lui adressant un bref sourire un peu tendu.

Il s’immobilisa derrière la porte close, n’entendit rien de suspect…

« Hominum Revelio. » murmura-t-il.

Le sort lui indiqua qu’il y avait cinq personnes à l’intérieur de la pièce. Il leva les mains en
guise d’ignorance pour l’Auror puis poussa la porte, la laissant passer en premier.

Il s’attendait davantage à une bataille rangée ou, tout du moins, au résultat d’une bataille,
qu’à ce qu’il trouva.

Un serpent venimeux se débattait dans les airs, prisonnier d’une sphère bleutée, et les cinq
adolescents s’étaient rassemblés à l’autre bout de la pièce, baguette au poing.

Un mamba noir.

Un des serpents les plus dangereux au monde.

On ne lésinait pas sur les moyens. Malfoy aurait dû se sentir flatté.

« Draco, tu n’as rien ? » demanda immédiatement Nymphadora, en avançant de quelques pas.

Severus lui attrapa le bras de la main qui tenait sa baguette et la ramena vers le seuil, scrutant
les trop nombreux recoins sombres où un second serpent aurait pu se dissimuler.

« Qu’est-ce que tu fais là ? » répondit Malfoy, presque en même temps.

S’étant probablement rendu compte que tout danger n’était pas écarté, l’Auror se retrancha
dans le couloir. « J’étais… euh… en patrouille. »

Nott leva des sourcils dubitatifs, le regard rivé à la main du Directeur de Maison qui agrippait
toujours le bras de la jeune femme. Zabini, lui aussi, parut le remarquer. Crabbe et Goyle
n’aurait pas remarqué un hippogriffe dansant la gigue devant eux.

Quant à Draco, ses yeux gris passaient de l’un à l’autre avec suspicion…

Severus coupa court à toute élucubration en lâchant finalement la jeune femme, inspectant
toujours du regard le sol du dortoir.

« Que s’est-il passé ? » exigea-t-il de savoir.

Les garçons s’entre-regardèrent, avec franche hostilité pour certains.

« Visiblement, quelqu’un a perdu un animal de compagnie exotique. » expliqua Draco, non


sans sarcasme. « Dans mon lit. »

Le visage du Maître des Potions se durcit. « Je présume qu’aucun de vous n’a été blessé ? »

« Non. » confirma Zabini. « Encore que ce n’est pas grâce à Draco. Un protego maxima,
vraiment ? »
« Oh, parce que confringo était une meilleure idée, peut-être ? » rétorqua ce dernier, vexé.

Merlin le préserve des adolescents…

« Qui a eu l’idée du sort de confinement ? » les interrompit-il.

« Moi. » se rengorgea Nott.

Il n’était pas surpris.

« Dix points pour Serpentard. » le récompensa-t-il. « L’un de vous, idiots, a-t-il songé à jeter
un sort de détection ou bien est-il possible que vous vous teniez tous au milieu d’un vivier de
serpents mortels ? »

« Je ne détecte rien. » intervint Nymphadora, l’air crispé. « Mais ce ne serait pas très difficile
d’interférer avec ce genre de sorts… »

Il inspecta les visages des cinq adolescents regroupés à l’autre bout de la pièce, prenant son
temps pour les toiser tour à tour. « Lorsque j’aurais trouvé le coupable, il regrettera
amèrement cette petite… plaisanterie. J’espère donc qu’il n’est pas dans cette pièce. »

Crabbe et Goyle étaient trop bêtes. Zabini trop attaché à Malfoy. Quant à Nott…

Nott n’était pas assez idiot pour lâcher un animal sauvage et venimeux dans son propre
dortoir.

Il fit apparaître un Patronus, peu enclin à envoyer Nymhadora seule jusqu’à la cheminée dans
la salle commune au cas, certes improbable, où il y avait bel et bien d’autres animaux, et
prévint Dumbledore qu’il avait besoin d’aide.

Ils allaient devoir fouiller la salle commune et les dortoirs.

Le temps que Nymphadora et lui aient terminé d’examiner chaque centimètre carré de la
pièce – et si elle s’amusa visiblement beaucoup de la collection de magasines que Goyle
gardait sous sa table de nuit, il trouva la chose beaucoup moins drôle et lui enjoignit une
retenue simplement pour lui apprendre à mieux cacher sa contrebande – ainsi que la salle de
bain attenante, Albus débarquait avec Charlie et Anthony.

Le Directeur ne paraissait pas plus heureux que lui d’être tiré du lit pour ce genre d’incident
et ne manqua pas de le faire sentir.

Il leur fallut des heures pour s’assurer que l’endroit était entièrement sûr.

Ils fouillèrent la salle commune puis y rassemblèrent les garçons de cinquième année avant
de procéder minutieusement, dortoir par dortoir, envoyant les élèves grossir le groupe dans la
salle commune au fur et à mesure.

Il fallait vérifier chaque recoin, les canalisations, les creux dans le mur là où les pierres
humides s’effritaient…
Et chercher des indices.

L’aube pointait lorsqu’ils s’estimèrent tous satisfait.

Anthony et Charlie avaient depuis longtemps évacué le mamba noir.

Albus achevait d’apposer de nouvelles protections visant à tenir hors de la salle commune
tout animal possiblement venimeux.

Draco se tenait très à l’écart de ses camarades, appuyé contre le chambranle de la cheminée,
les bras croisés, toisant le reste de leur Maison avec dédain, l’effet à peine diminué par la
robe de chambre épaisse qu’il avait enfilé. Zabini, les sœurs Greengrass, les jumeaux Sywent
et Jones s’étaient plus ou moins regroupés autour de lui. Le contingent Serpentard de la
fameuse Armée de Dumbledore, devina-t-il.

La ligne de démarcation entre ces élèves et les autres était nette.

Et Severus était on pouvait plus furieux.

Il fit les cents pas devant ses serpents, frappant le sol de sa canne à chaque pas, fusillant du
regard ceux dont il soupçonnait la présence d’une Marque sur leur avant-bras.

« Ce qui s’est passé cette nuit ne se reproduira pas. » cingla-t-il, finalement, brisant le silence
hostile qui était tombé sur la pièce. « Les Serpentards ne se déchirent pas entre eux. »

Quelqu’un ricana.

Un garçon.

Mais Severus ne repéra pas qui.

Il ouvrit la bouche, décidé à leur rappeler pourquoi il était le Professeur le plus craint de
Poudlard, lorsque Nymphadora perdit visiblement le peu de calme qu’il lui restait. Il l’avait
vue se faire violence pour ne pas examiner Draco elle-même, afin, certainement, d’épargner
sa dignité, mais il l’avait aussi vue se mettre progressivement en colère lorsqu’ils avaient
inspecté les dortoirs des premières années et que les enfants avaient eu l’air, de manière très
justifiée, terrifiés à l’idée de finir en nourriture pour serpent venimeux.

La jeune femme le dépassa pour mieux se camper devant ses élèves, mains sur les hanches.
Ses cheveux d’un noir de jais tombaient sur ses épaules et ses yeux gris semblaient lancer des
éclairs.

« On n’envoie peut-être plus les criminels à Azkaban. » lâcha-t-elle. « Mais, croyez-moi, les
oubliettes qu’on a remises en service sous le Ministère ne sont pas beaucoup plus agréables.
Certes, il n’y a pas de Détraqueurs, mais il y a tout un tas de sortilèges aux effets…
intéressants. Le Ministère froncerait les sourcils sur l’utilisation de ce genre de magie,
d’habitude, mais nous sommes en guerre et, en temps de guerre, on utilise toutes les
ressources à notre disposition. Et devinez qui décide quel criminel a la chance d’aller dans
ces cellules ? » Elle attendit une seconde une réponse qui ne vint pas. « Le Chef du
Département des Aurors et son adjoint. Vous savez qui je suis ? »
Les élèves s’agitèrent légèrement.

« Sang-de-Bourbe. » chuchota quelqu’un dans la foule.

Pas suffisamment bas et pas suffisamment discrètement.

Severus leva sa baguette et un des septièmes années décolla de son fauteuil pour mieux se
retrouver plaqué au mur par le col de son pyjama, ses jambes battant le vide.

« Qu’avez-vous dit, Rowle ? » siffla-t-il, de son ton le plus dangereux. Il approcha lentement
de son élève, sans manquer la manière dont tous les autres s’empressèrent de s’écarter de son
chemin. « Comment l’avez-vous appelée ? »

Rowle le défia du regard une dizaine de secondes puis détourna sagement les yeux, perdant
de sa morgue. « J’ai dit qu’elle est une Auror. »

« Est-ce là ce que vous avez dit ? » railla-t-il. « Je vous conseille de surveiller votre langage
en ma présence. Vous vous apercevez que je suis moins tolérant que par le passé de certaines
tendances. »

Traître.

Personne n’eut besoin de prononcer le mot pour qu’il flotte dans l’air.

Il abaissa sa baguette, laissant Rowle tomber lourdement au sol, pour mieux faire face au
reste de sa Maison. « À titre indicatif, Miss Tonks n’est pas seulement une Auror, elle est
l’une des deux Aurors qui peuvent décider de vous jeter dans une des oubliettes du Ministère
et de faire en sorte que personne ne se souvienne de votre existence. La contrarier serait…
mal avisé. »

Loin de protester, Nymphadora tapota sa baguette contre la paume de son autre main,
ignorant les étincelles qui s’en échappèrent. « Je suis aussi la tutrice de Draco Malfoy. »

« Oh Merlin, achevez-moi. » marmonna l’ingrat en question.

Zabini et l’ainée des Greengrass, au moins, semblaient amusés par le spectacle.

L’Auror l’ignora, se contentant d’adresser au reste de la Maison Serpentard un de ses sourires


habituellement chaleureux. Celui-ci manquait singulièrement de douceur toutefois. Il était
plutôt carnassier.

« S’en prendre à lui, c’est s’en prendre à moi. » termina-t-elle, très sérieusement.

Severus se demanda s’il pouvait convaincre Black de véritablement lui abandonner son titre.

Elle aurait fait une fabuleuse Lady Black.

Narcissa aurait probablement été fière.

Elle les toisa tous avec une condescendance que lui aurait envié un Sang-Pur.
Ce n’était pas une part de sa personnalité qui ressortait souvent mais il ne pouvait nier que
cela lui faisait un certain… effet.

« Je pense que tout est dit. » déclara joyeusement Albus, en apparaissant dans leur dos, venu
d’il ne savait où. « Je rajouterai également, si vous me le permettez, Professeur Snape, que
bien que je n’ai jamais suggéré un examen approfondi destiné à déterminer si certains élèves
arboraient des… tatouages condamnables, la chose n’est pas hors de question. Tant que
Poudlard demeure une école, je suis disposé à garder la guerre à l’extérieur. Néanmoins, si la
guerre se glisse à l’intérieur du château… » Le Directeur laissa sa phrase en suspens quelque
minutes puis frappa dans ses mains. « Allez-vous recoucher, à présent, j’avertirai les
Professeurs que les Serpentards sont dispensés de la première heure de cours ce matin. »
Severus fût tenté de lui demander si cela valait pour les enseignants car il n’aurait,
personnellement, rien eu contre quelques heures de sommeil. Il était trop tard pour ça, sans
doute. « Draco, un mot, je te prie. »

Draco ne bougea pas alors que le reste des élèves retournaient dans leur dortoir respectif,
dans un brouhaha de chuchotements et de protestations indignées.

À la seconde où le dernier eut disparu dans l’escalier, Nymphadora se jeta presque sur
l’adolescent. « Tu es sûr que tu n’as rien ? »

« Non. » grommela le garçon. « Étais-tu obligée de faire tout un spectacle ? »

« Personnellement, j’ai trouvé la chose plus impressionnante que malvenue. » intervint


Severus, avec un regard sévère. « Cela devrait donner à réfléchir à vos camarades et vous
devriez lui témoigner un peu plus de gratitude. »

« Je me fiche de sa gratitude. » rétorqua Nymphadora. « J’aimerai juste qu’il reste en vie


jusqu’à la fin de l’année. »

« Nous l’aimerions tous. » déclara Albus, dans un soupir. « C’est pourquoi je pense que le
moment est venu de te changer de dortoir. »

« Non. » protesta immédiatement Draco. « Non, je refuse de les laisser gagner. »

Severus se pinça l’arrête du nez.

Parfois, il se demandait si lui et Harry avaient conscience de se ressembler autant.

« Préférez-vous leur donner la satisfaction de vous tuer ? » ironisa-t-il.

« Je ne suis pas sans défense. » rétorqua le gamin, avec arrogance.

Secouant la tête, il se tourna vers le Directeur. « Albus. »

Dumbledore observa Draco un long moment, la bouche pincée, l’air pensif puis soupira.
« Soit. »

« Albus. » répéta-t-il, avec un agacement certain.


« Je ne suis pas d’accord. » contra Nymphadora. « Severus a raison. Ça devient trop
dangereux et… »

« Draco est parfaitement capable de déterminer par lui-même s’il est ou pas à même de gérer
la situation. » l’interrompit le Directeur.

Severus ne cacha pas un bruit irrité. « Draco a seize ans et, comme tous les adolescents de
seize ans, se croit beaucoup plus fort qu’il ne l’est. »

Le garçon s’outragea mais personne ne lui prêta attention.

« Vous êtes à portée de main, au besoin, Severus. » contra Albus. « Et si la situation évoluait
défavorablement ou si Draco changeait d’avis, nous réévaluerons. » D’un geste du menton, il
désigna l’escalier qui s’enfonçait dans l’obscurité. « Va te coucher, à présent. »

Trop heureux d’obtenir ce qu’il voulait, le gamin ne se fit pas prier.

Nymphadora et Severus emboitèrent le pas au Directeur par réflexe alors qu’il les menait
hors de la salle commune, restant sourd à leurs arguments.

« Je suis certain que Miss Tonks les a effrayés pour un petit moment. » finit-il par couper
court, alors qu’ils quittaient les cachots. « C’était très impressionnant, ma chère. »

Elle leva les yeux au ciel. « Ma mère est une Serpentard, vous vous souvenez ? J’ai grandi
avec ce genre de discours grandiloquents. Et puis, certaines personnes ont une mauvaise
influence. »

Il fallut plusieurs secondes à Severus pour comprendre qu’elle parlait de lui. Et plaisantait.
Sans doute.

« Ou une excellente influence, au contraire. » riposta-t-il, peut-être un peu sur la défensive.


« Je te ferais remarquer que tu es beaucoup moins maladroite depuis que tu assumes
pleinement ta puissance au lieu de prétendre être une petite chose timide. »

Elle fronça les sourcils. « Je n’ai jamais été timide. »

« Question de point de vue. » décréta-t-il.

Timide n’était peut-être pas le bon mot. Timorée aurait sans doute été plus exact.

Elle n’avait peut-être jamais eu de problèmes à imposer sa présence ou à créer des liens avec
des gens mais elle avait aussi toujours paru heureuse de suivre les ordres et s’était cantonnée
à une magie basique, à des sorts étriqués et à une idée préconçue d’elle-même qui était en
accord avec ce qu’on attendait d’une bonne Auror typique du Ministère.

Elle s’était auto-imposée des limites ridicules qui l’avaient empêchée d’atteindre son
potentiel, tout en refusant de se conformer à ces limites en se parant de tenues exubérantes et
de couleurs de cheveux improbables.
Et, peut-être y serait-elle parvenu naturellement dans plusieurs années, elle était, après tout,
encore très jeune, mais il ne pouvait nier une certaine fierté à la voir s’épanouir dernièrement.
Il sentait les changement à chaque fois qu’elle jetait un sort important près de lui. Sa magie
était devenue plus stable, plus forte… Plus mature.

Ce qui n’était pas aussi évident de son caractère, à l’instant.

« Mon point de vue, là tout de suite, c’est que tu es grincheux. » rétorqua-t-elle.

« Et toi insupportable. » riposta-t-il, sans véritablement le penser. Elle avait simplement le


don, parfois, de…

« Allons, allons, mes enfants… » intervint Albus, visiblement très amusé par leur joute
verbale.

Severus fût presque surpris de le trouver encore là, tant il avait été concentré sur elle.

Se sentant pris en faute, il occluda rapidement sans parvenir à cacher son embarras.

Nymphadora, elle aussi, baissa les yeux, les joues rouges, mais pas sans lui jeter un regard en
coin et un sourire un peu espiègle.

Insupportable, songea-t-il à nouveau, avec beaucoup trop d’affection.

« Je suggère d’ajouter les mêmes protections contre les animaux venimeux à toutes les salles
communes. » déclara-t-il, s’efforçant de se concentrer sur ce qui était le plus important et pas
la manière ridicule dont son cœur s’emballa lorsque la main de Nymphadora frôla, pas si
accidentellement, la sienne alors qu’ils montaient les escaliers qui menaient au premier étage.

« J’en toucherai un mot à Pomona, Filius et Minerva au petit-déjeuner. » acquiesça Albus.


« Il me semblerait également judicieux de renforcer les protections sur vos appartements et
vos deux bureaux du même enchantement, Severus. »

« Je m’en occuperai tout à l’heure. » promit-il, car il était hors de question qu’Harry y soit
moins qu’en totale sécurité.

« Et comment s’est passé votre entrevue avec Remus, hier soir ? » demanda le vieux sorcier,
changeant complètement le sujet. « Êtes-vous parvenu à une conclusion sur la potion ? »

Il n’avait pas eu le temps de seulement jeter un œil sur le carnet que Nymphadora lui avait
rendu.

« Eh bien… » commença-t-il, sans trop savoir comment il comptait terminer sa phrase.

Ce fût probablement heureux que Minerva débarque au pas de charge alors qu’ils atteignait la
statue qui marquait l’entrée du bureau du Directeur.

Ou peut-être pas si heureux vu son air pâle.


« Albus, je vous cherchais partout… » lança-t-elle, de l’autre bout du couloir. « La Marque
des Ténèbres… »

« Où ça ? » demanda le vieux sorcier.

« Devant Poudlard. » murmura la Directrice des lions, la voix nouée. « Devons-nous sonner
l’alarme ? »

S’ils déclenchaient le plan d’évacuation sur une fausse alerte, les Mangemorts en déduiraient
la teneur et ils perdraient l’effet de surprise de la sphère de Troie, aurait voulu contrer
Severus. Toutefois… C’était peut-être un sacrifice nécessaire pour s’assurer que les enfants
soient en sécurité.

« Ce n’est pas une coïncidence. » lâcha Nymphadora, sourcils froncés. « Une attaque dans les
cachots et maintenant la Marque ? »

« Une attaque dans les cachots ? » releva Minerva, en examinant le Maître des Potions des
pieds à la tête avec inquiétude.

« Un serpent venimeux dans les dortoirs des cinquièmes années. » expliqua-t-il rapidement.
« Très grossier stratagème. »

« Mais qui aurait très bien pu se finir en drame. » insista l’Auror.

« Severus, Tonks, avec moi. » décréta soudain le Directeur. « Minerva, rassemblez les
Professeurs et tenez-vous prêts à lancer l’évacuation si je vous l’ordonne par Patronus. Pour
l’instant, verrouillez les salles communes et assurez-vous que tous les élèves soient où ils
doivent être. »

Severus emboîta le pas au Directeur, tentant au mieux de le pas se laisser distancer, et espéra
que Black avait suffisamment récupéré pour donner le change.

Encore que, si une armée de Mangemorts était à leur porte, le secret était le dernier de leur
soucis.
The Costs Of War
Chapter Notes

Juste un petit mot pour vous informer que j'ai changé le rating pour du Mature. Y a pas
une raison particulière à ça. Je ne compte pas écrire de scènes trop explicites ou quoi que
ce soit mais j'avoue que le rating me bloquait un peu et commençait à me limiter et LDS
est quand même plus violent et sombre que ses prédécesseurs. Et, oui, il y a des scènes
qui seront peut-être un poil plus spicy parce que la fic est plus centrée sur les adultes qui
ont des préoccupations d'adultes ;)

Enjoy & Review!

« These are the costs of war: a thousand shattering moments of pain and loss and a
lifetime of regret. »

Heart Of Flames – Nicki Pau Preto

“Voilà le prix d’une guerre: un millier d’atroces moments de souffrance et de perte et


une vie entière de regrets. »

Heart Of Flames – Nicki Pau Preto

Tonks leva les yeux vers la Marque qui tâchait le ciel rosé, dès qu’ils quittèrent le château,
s’interdisant de flancher. Elle se précipita à la suite de Dumbledore, dont elle peinait à suivre
l’allure malgré son âge. Le vieux sorcier était tendu, anxieux.

Elle comprenait pourquoi.

Severus était le plus lent d’eux trois et il la rattrapa avec une difficulté évidente, s’appuyant
fermement sur sa canne, le visage dur dissimulant mal une grimace de douleur à chaque
pas… L’inquiétude lui crispa le cœur. Était-il en mesure de se battre après une nuit pareille ?
Elle savait bien que si elle se hasardait à suggérer qu’il ne prenne pas part aux combats…

« Si nous étions sur le point d’être attaqués, nous le saurions déjà. » déclara-t-il, s’apercevant
sans doute de son trouble. « Une armée n’est pas discrète. Ceci ressemble plus à une tentative
d’intimidation qu’aux prémices d’une bataille. »

Son ton était confiant, rassurant, mais Nymphadora ne se détendit pas pour autant.

« Ou c’est une distraction. » contra-t-elle. « Comme le serpent dans les cachots. »


« Ne tirons pas de conclusions hâtives. » les reprit Dumbledore, en leur jetant un regard par-
dessus son épaule.

Rapidement, ils arrivèrent aux grilles de l’école pour les trouver closes et sans aucune armée
de Mangemorts se pressant contre elles. Il y avait par contre une personne allongée au sol et
une autre accroupie au-dessus d’elle, baguette au poing et l’air paniqué.

« Gaby ! » appela immédiatement Tonks, en reconnaissant son Auror – si l’on pouvait


qualifier d’Auror une jeune femme qui n’avait même pas terminé sa première année de
formation. Elle venait à peine de terminer Poudlard l’été précédent.

« Oh, Madame ! » s’exclama la jeune fille avec un soulagement évident. C’était toujours très
bizarre pour Tonks de se voir appelée Madame mais elle avait renoncé à reprendre les
recrues. « Je viens de le trouver comme ça… J’ai envoyé un message au Professeur
McGonagall et… »

« Nous nous passerons des détails, Delgado. » l’interrompit sèchement Severus, en


déverrouillant les grilles.

Dumbledore, dans l’intervalle, avait fait disparaître la Marque.

Aucun d’eux ne commit l’erreur de relâcher sa garde.

« Ne fais pas attention au Professeur Snape, Gaby. » lâcha-t-elle pourtant, son attention
focalisée sur les rochers et les arbres qui bordaient le chemin et pouvaient dissimuler des
ennemis. « Il aboie plus qu’il ne mord. »

« Tu m’avais dit que la situation était critique, tu ne m’avais pas dit que vous en étiez à
utiliser des adolescents à peine sortis de Poudlard. » grinça-t-il, suffisamment bas pour
qu’elle soit la seule à l’entendre.

Elle l’ignora pour mieux se concentrer, laissant Dumbledore s’accroupir auprès de la victime.

« Il s’agit de ce pauvre Ollivanders. » soupira le Directeur, en lui passant la main sur le


visage pour lui fermer les yeux.

« De quoi est-il mort ? » demanda Tonks.

« Est-ce réellement important ? » rétorqua Severus, étudiant lui aussi les abords de l’école
avec méfiance. « Nous ferions mieux de rentrer, Albus… »

« C’est important s’il a une morsure de serpent et qu’il y a un lien avec ce qu’il s’est passé
dans les cachots. » répliqua-t-elle.

« Je dirais qu’il est possible qu’un sort de mort l’ait achevé… » répondit calmement Albus.
« Je ne vois ni morsure, ni aucune plaie visible… »

« Gaby, porte-le à l’infirmerie. » ordonna-t-elle. « Je veux que Pomfresh l’examine. »

« Est-ce nécessaire ? » intervint le vieux sorcier. « Je rejoins Severus. La priorité… »


Le hurlement d’un loup dans le lointain mit court à ses récriminations. Le bruit venait de la
direction du village.

Bien sûr.

Le corps n’était pas arrivé là tout seul, qu’il s’agisse d’une tentative d’intimidation ou d’un
message plus alambiqué.

« Et merde ! » jura-t-elle. Parce qu’elle n’avait qu’une recrue avec elle, qu’elle l’avait
assignée à Poudlard par défaut, estimant que l’école avait suffisamment d’adultes capables de
se battre, et que les Aurors expérimentés étaient malheureusement plus utiles ailleurs. Parce
qu’elle savait que la situation pouvait très facilement basculer. Parce que… « Spero
Patronum. »

La brume argentée jaillit de sa baguette pour former…

L’espace d’une seconde, elle resta interloquée de ne pas voir le loup qu’elle s’était mis à
honnir. Le singe se tenait là, attendant ses instructions, familier et étranger à la fois, après tout
ce temps…

Elle croisa brièvement le regard de Severus qui ne laissait rien paraître mais semblait
pourtant… satisfait.

« Kingsley, j’ai besoin de renforts à Poudlard de tout urgence. Une victime. Possible présence
de loups-garous dans les environs. » annonça-t-elle. « Je pars à leur poursuite. »

Le Patronus disparut délivrer son message et elle se tourna vers le groupe qui la regardait,
semblant attendre ses instructions.

« Gaby, tu es sous les ordres de Dumbledore jusqu’à ce qu’un Auror plus gradé arrive. »
déclara-t-elle. « Fais tout ce qu’il te dit. » Elle se tourna vers le Directeur. « Ne la faites pas
tuer. » Le vieux sorcier inclina la tête, avec un léger amusement. « Transportez Ollivanders à
l’infirmerie et faites le examiner. Tenez-vous prêt à lancer l’évacuation mais attendez d’être
certain. Inutile de dévoiler le plan aux graines de Mangemorts dans l’école. »

« Je t’accompagne. » décréta Severus, lorsqu’elle se tourna vers lui. Il la rejoignit en deux


enjambées peu assurées.

Elle ne fût pas surprise. Ni par l’annonce, ni par la lueur déterminée qui brillait dans ses
yeux.

« Non. » contra-t-elle, avec douceur mais sans hésitation.

« Il se peut qu’il y ait plus d’un loup-garou. Il se peut que ce soit une embuscade. » insista-t-
il.

« Et ils veulent ta tête. » lui rappela-t-elle.

« Et la tienne. » riposta-t-il.
« Severus, tu ne peux pas venir. » murmura-t-elle, baissant la voix, avec une grimace
d’excuse.

Elle ne voulait pas dire les mots mais ce n’était pas nécessaire. Il était tout aussi conscient
qu’elle que sa jambe, ce jour là, serait un handicap beaucoup trop important. Il la ralentirait
au mieux, deviendrait un poids au pire. Son expression passa de vexée à frustrée avant de
finalement demeurer inquiète.

« Attends au moins les renforts. » plaida-t-il.

Elle ne pouvait pas se permettre d’attendre. Il faudrait plusieurs minutes avant que Kingsley
ne mobilise des Aurors et elle était déjà en train de perdre du temps qui pourrait sauver la vie
de quelqu’un si un loup-garou se baladait dans les environs.

Elle hésita, l’espace d’une seconde, puis se remémora ces instants où, couchée dans la
poussière et la cendre, elle s’était sentie mourir. C’était le poids des regrets qui avait pesé le
plus lourd, ce soir là, ce qu’elle n’avait pas osé dire, faire…

Sans plus tergiverser, elle plaça la main sur sa joue, ignorant Dumbledore qui venait
visiblement de trouver quelque chose de captivant au sol ou l’air éberlué de sa jeune recrue.
Elle s’attendait presque à ce qu’il la repousse mais il lui rendit son baiser, l’air juste un peu
embarrassé de ces effusions publiques.

« Reviens-moi. » exigea-t-il, contre sa bouche.

Elle ne fit pas de promesse qu’elle ne pouvait pas tenir.

Elle se détourna et partit en courant sur le chemin qui menait à Pré-au-Lard, ne ressentant que
trop la fatigue d’une nuit blanche.

Elle ne se retourna pas.

Il planait sur le village une sensation de panique. Il y avait des signes de destructions visibles,
des traces de sorts… La magie crépitait encore dans l’air matinal.

Les gens étaient calfeutrés chez eux. Elle vit plusieurs rideaux tressauter lorsqu’elle
redescendit l’allée principale, la baguette levée et prête à en découdre.

« Tonks ! » appela une voix chuchotée du seuil Des Trois Balais. Rosmerta se tenait là, les
cheveux défaits, une robe de chambre en soie parsemée de dragons nouée à la hâte, sa
baguette levée.

L’Auror se rapprocha, non sans continuer de surveiller les alentours…

« C’est suffisamment prêt. » gronda la tenancière, la voix légèrement tremblante. « La


dernière boisson que je t’ai servie. »

Il lui fallut honnêtement se creuser la tête. « Vodka Glace-Boyaux. »

Rosmerta se détendit et baissa sa baguette.


« La première fois où tu m’as servie quelque chose d’alcoolisé ? » s’enquit-elle, en retour, un
peu méfiante.

« Ta cinquième année. » répondit Rosmerta. « Tu m’as eue en te faisant passer pour un


septième année… »

Elle ne baissa pas sa baguette mais cessa de la pointer sur la sorcière. « Qu’est-ce qu’il s’est
passé ? »

« Un loup-garou. » chuchota la tenancière, l’air terrifié. « Sous forme de loup. En plein jour.
Je savais… J’ai lu les journaux mais… »

« Des victimes ? » l’interrompit-elle, n’ayant pas le temps de prendre de gants.

« Non. » s’empressa d’expliquer la sorcière, en secouant la tête. « Il a bien essayé d’attaquer


mais… »

« Je l’ai fait fuir. » conclut une voix bourrue, sur sa gauche.

Tonks pivota, un sort déjà aux lèvres qu’elle n’avorta qu’à la toute dernière seconde.

Elle n’avait pas souvent croisé le propriétaire de la Tête de Sanglier mais il lui avait toujours
fait forte impression. Ce matin là, en bras de chemise, les bretelles pendantes à l’arrière de
son pantalon comme s’il n’avait pas pris la peine de terminer de s’habiller, et appuyé
négligemment sur un bâton presque aussi grand que lui et orné d’une pierre runique, il
irradiait de lui une tel aura de pouvoir qu’elle fit un pas en arrière.

« Il s’est enfui vers la gare. » lui apprit l’homme. « Et s’il sait ce qui est bon pour lui, il a
continué vers la lande. Pré-au-Lard est protégé. »

À cet instant, l’homme lui rappela Dumbledore.

« Retournez chez vous et enfermez-vous jusqu’à ce que les Aurors vous disent que vous êtes
en sécurité. » lâcha-t-elle, en le remerciant d’un hochement de tête. Elle ne cessa pas de
l’observer avec méfiance pour autant.

Vigilance constante.

« La Marque. » demanda le sorcier, avant qu’elle ait pu continuer son chemin. « Le


château… Ils ont besoin d’aide ? »

« Pas pour l’instant. » répondit-elle. « Rentrez chez vous. »

Elle partit à petite foulée vers la gare et ne tarda pas à repérer les énormes traces de pattes
dans la poussière lorsque les rues pavées cédèrent à des chemins plus naturels, alors qu’elle
s’enfonçait progressivement dans le paysage escarpé qui entourait Pré-au-Lard. Ralentissant
l’allure, elle suivit les empreintes jusqu’à ce que celles-ci se mettent à changer
progressivement pour se transformer en pieds humains.

La potion avait-elle terminé de faire effet ?


Les traces disparaissait subitement et elle se dit, un peu soulagé, que le loup avait dû
transplanner.

Du moins, jusqu’à ce qu’elle entende les bruits de pas juste derrière elle, comme si quelqu’un
avait voulu la prendre à revers…

°O°O°O°O°

Severus regarda Nymphadora partir en courant et dût se faire violence pour ne pas la suivre.
Maudissant sa jambe, l’ego froissé, plus que gêné par la démonstration à laquelle ils venaient
de s’adonner en public, il fit ce qu’il put pour garder contenance et sauver les apparences.
Refusant l’aide de Delgado qui avait toujours été une catastrophe ambulante dans sa salle de
classe, il fit apparaître une civière, y chargea le corps d’Ollivanders et entreprit de mener la
lente procession vers l’infirmerie, remarquant à peine lorsque le Directeur ordonna à la jeune
Auror de bien vouloir faire le tour du périmètre de l’école pour s’assurer que tout était en
ordre.

Albus cala son allure sur la sienne alors qu’ils remontaient vers le château, sans commenter
lorsque Severus s’arrêtait pour reprendre son souffle.

Il y avait un problème avec sa jambe, décida-t-il. Certes, la douleur s’aggravait avec des
activités physiques intenses et il avait très visiblement passé les limites cette nuit là, mais…
Arpenter des rochers glissants demandait une adresse qui lui avait coûté. Et tous ces
atterrissages avec Nox n’avaient pas amélioré la chose.

Il était de fort méchante humeur lorsqu’ils pénétrèrent dans le hall d’entrée où une bonne
partie du corps professoral était rassemblée, attendant visiblement de savoir s’ils devaient ou
non déclencher le plan.

Minerva jeta un coup d’œil à la civière et s’autorisa une expression peinée avant de leur
emboîter le pas avec l’efficacité d’un général ayant rameuté les troupes.

« Horace, Pomona, Filius et Bill Weasley sont en position, au cas où nous devrions lancer le
sort. » leur apprit-elle. « Aurora et moi sommes prêtes à rejoindre la tour nord. J’ai supposé
que vous vous chargeriez vous-même de Grindelwald, Albus. Et, Severus, il vous faudra vous
trouver un autre second, Sirius Black est indisposé. Croyez-le ou non, l’homme a tellement
bu hier soir qu’il ne tient pas debout. » Son agacement était perceptible. « Je n’ai pas manqué
de lui exprimer ma déception. Je pensais que vous aviez une meilleure influence sur lui, mon
garçon. » Elle claqua sèchement la langue et s’adressa à nouveau à Albus. « J’ai également
pris l’initiative d’envoyer un Patronus à tous les membres de l’Ordre pour qu’ils se tiennent
prêts, le cas échant. »

« Vous avez été, comme à l’accoutumée, parfaite. » répondit galamment Albus. « Toutefois,
je doute que cela soit nécessaire. Faites servir le petit-déjeuner dans les salles communes et
gardez les verrouillées jusqu’à nouvel ordre. Ensuite, répartissez les adultes en binômes, je
veux être certain qu’il n’y a aucune surprise aux alentours de l’école. N’oubliez pas de
vérifier les passages secrets, même ceux que nous avons condamnés, et le lac. »
Severus ne prêta qu’une oreille distraite aux instructions du Directeur et n’adressa pas un mot
à la sorcière lorsqu’elle partit transmettre ses ordres.

Il n’ouvrit la bouche que lorsqu’ils atteignirent le troisième étage. « Où sont Shacklebolt et


ses Aurors ? Ils devraient déjà être là. Leur temps de réponse est épouvantable. Si nous étions
véritablement assiégés… »

Le regard d’Albus pétillait un peu trop.

« Je suis certain qu’elle va bien, Severus. » offrit le vieux sorcier. « Et puis, nous sommes à
côté si elle a besoin d’aide. Je vous promets de l’assister moi-même, le cas échéant, si cela
peut vous rassurer. »

« Je pensais simplement à la sécurité du château. » mentit-il.

Mal.

Pomfresh avait commencé à préparer l’infirmerie au cas où une bataille éclaterait bel et bien
mais parut se détendre lorsque le Directeur l’informa qu’il n’en anticipait pas le besoin. Elle
n’eut pas l’air enchanté, en revanche, qu’on lui demande de pratiquer ce qui s’apparentait à
une autopsie.

Severus lui proposa son aide parce qu’il n’y avait rien d’autre qu’il pouvait faire.

Il n’était pas en état d’arpenter le domaine avec les autres Directeurs de Maison et il ne
pouvait pas, non plus, se précipiter à Pré-au-Lard pour s’assurer que Nymphadora n’était pas
en train d’affronter seule une meute de loups-garous.

Ce fût à ce moment précis qu’il décida de persévérer avec la potion. Parce que même un seul
loup dans leur camp aurait fait une différence. Face à un tas de ses congénères, Lupin aurait
été plus efficace qu’un groupe de sorciers.

Et Lupin, instable ou non, odieux ou non, n’aurait jamais permis qu’il arrive quoi que ce soit
à la jeune femme.

Il se contenta de se tenir là, assistant l’infirmière lorsqu’elle le lui demandait, pendant


qu’Albus observait la chose, d’un air un peu absent. Il occludait, remarqua distraitement
Severus, avec beaucoup d’énergie. Pourquoi ? À cause du décès d’Ollivanders ou parce que
le Seigneur des Ténèbres avait choisi de déposer l’homme devant l’école en guise
d’avertissement ?

La sorcière examina Ollivanders sous toutes les coutures sans trouver une trace de morsure
ou les vestiges d’un sort de mort… Elle s’en serait tenue là si Severus n’avait pas décidé
d’inspecter l’intérieur de sa bouche, plus par réflexe que par réel intérêt, parce qu’il venait de
penser à Black qui avait dû passer un mauvais quart d’heure aux mains de Minerva. Il n’y
avait aucune trace visible de poison, aucune indication que la mort n’était pas naturelle…

La légère décoloration de la langue lui fit froncer les sourcils.


Il étudia ses yeux vitreux, ceux qu’Albus s’était empressé de fermer, notant les petits
vaisseaux qui avaient explosé…

« Severus ? »

Le ton était à peine intrigué, la question à peine voilée.

Un test plus élaboré aurait, il en était certain, mis en évidence l’utilisation d’un poison
pratiquement indétectable.

Seulement voilà, il croisa le regard d’Albus et, bien que l’expression du Directeur ne changea
pas d’un iota, bien qu’aucune instruction ne fût donnée à voix haute, il était beaucoup trop
familier des méthodes de l’homme pour ne pas comprendre l’injonction.

Légèrement dégoûté, Severus s’assura que sa propre expression demeurait neutre.

Et ne se rappela que trop bien avoir préparé, sur son ordre, plusieurs fioles de ce poison des
années en arrière.

Les portes de l’infirmerie s’ouvrirent sur Shacklebolt et l’attention du Maître des Potions se
détourna du mystère qu’était Ollivanders.

« Où étiez-vous ? » apostropha-t-il le Chef du Département des Aurors. « Nymphadora… »

« Va bien. » l’interrompit fermement l’autre homme, en levant une main apaisante. « Je l’ai
rejointe moi-même directement à Pré-au-Lard. »

Il n’eut pas le temps de demander des explications, la jeune femme débarqua dans la seconde
qui suivit, n’ayant, effectivement, pas l’air d’avoir eu à se battre.

Il s’autorisa à respirer à nouveau, alors même qu’il l’inspectait silencieusement des pieds à la
tête. Elle lui adressa un sourire rassurant, venant sans paraître y réfléchir se tenir près de lui.

Il dût sérieusement résister au besoin de la toucher pour s’assurer qu’elle n’avait rien alors
même qu’elle leur résumait sa visite à Pré-au-Lard qui n’avait rien donné. Elle avait perdu la
trace du loup-garou au moment où Shacklebolt l’avait trouvée.

« Et Ollivanders ? » lança-t-elle, lorsqu’elle eut terminé.

« Pas de morsures de serpent. » répondit-il, un brin ironique. « Je n’aime pas non plus les
coïncidences mais celle-ci parait en être une. »

« De quoi est-il mort ? » s’enquit Shacklebolt.

« Naturellement, de ce que je peux en dire. » offrit Pomfresh. « Il y a des traces de torture


plus ou moins récentes… Il était âgé… Il est possible que son corps n’ait simplement pas
résisté. »

Severus croisa le regard d’Albus, le soutint une seconde de trop…


Les boucliers du Directeurs étaient à leur maximum.

« Nous allons faire le nécessaire pour sa dépouille. » décréta le Chef du Bureau des Aurors.
« Je dois retourner au Ministère. Tonks ? »

« Je te rejoins tout à l’heure. » promit la jeune femme. « Je pense que ça ne ferait pas de mal
que les élèves voient quelques Aurors faire le tour du château, ce matin. Ça rassurera les uns
et ça servira d’avertissement aux autres. »

Shacklebolt approuva d’un hochement de tête et s’éloigna en compagnie d’Albus.

Il voulut se tourner vers la jeune femme, peut-être lui confier ses soupçons, mais se retrouva
traîné sans ménagement vers le lit le plus proche par une poigne ferme. Sa jambe manqua
céder sous lui et il n’eut d’autre choix que de se laisser malmener par l’infirmière, s’asseyant
sur le matelas, sous l’œil amusé de Nymphadora.

« Êtes-vous devenu folle ? » siffla-t-il, la fusillant du regard.

Pomfresh le toisa, les bras croisés, n’ayant rien à envier, à cet instant, aux plus vicieux
bourreaux du Seigneur des Ténèbres. « Qu’avez-vous encore fait à votre jambe ? »

« Rien du tout. » mentit-il. « Je vais très bien. »

« Je suis presque sûre qu’il l’a tordue. » intervint Nymphadora, en se rapprochant.

Il lui jeta un regard trahi qui ne la fit même pas tressaillir.

L’infirmière ferma le rideau autour du lit d’un coup de baguette mais ne protesta pas lorsque
l’Auror se dépêcha de passer à l’intérieur avant d’être exclue.

« Tordue, comment ? » exigea de savoir Pomfresh, après avoir lancé une batterie de sorts de
diagnostic.

Severus demeura de marbre, les foudroyant toutes les deux du regard.

« Oh, ne me donnez pas de cette attitude, Severus Snape ! » s’emporta la sorcière. « En


dehors d’un exercice intense, cette jambe ne devrait pas vous faire souffrir autant, or nous
vous avons explicitement interdit tout effort physique trop poussé, il me semble. »

« Je ne suis pas encore infirme et je ferai autant d’exercice qu’il me sied ! » rétorqua-t-il, déjà
un peu trop vexé d’avoir dû renoncer à aider Nymphadora.

Le regard de l’infirmière passa de lui à l’Auror plusieurs fois, puis une lueur de
compréhension s’alluma dans ses yeux. Deux ronds rouges apparurent sur ses joues et elle se
racla la gorge.

Severus, devinant très bien ce à quoi elle venait de conclure, s’empourpra lui aussi. « Ne
vous avisez pas de… »
« Bien évidemment, certains exercices physiques ne sont pas malvenus mais vous devez
prendre en compte… » commença-t-elle.

« Je crois que Kingsley m’appelle. » l’interrompit Nymphadora, avant de disparaître si vite


que le Professeur aurait pu jurer qu’elle avait transplanné.

Traitresse.

L’infirmière ne sembla pas dissuadée pour autant.

« Poppy… » grinça-t-il, d’un ton d’avertissement.

Malheureusement, cela ne l’arrêta pas.

C’était le désavantage lorsqu’on travaillait avec des gens qui vous avaient connu enfant : ils
se sentaient parfois autorisés à vous traiter comme si vous en étiez toujours un.

°O°O°O°O°

Harry marchait de long en large devant la cheminée de la salle commune sous les regards
impuissants de ses amis qui tentaient depuis plusieurs minutes de le convaincre de s’assoir et
de manger quelque chose.

Il avait l’estomac bien trop noué pour avaler quoi que ce soit.

Ils avaient découvert, au réveil, qu’ils étaient enfermés dans la tour des lions et les rumeurs
les plus folles courraient. Un lève-tôt que McGonagall avait raccompagné à la salle commune
avait dit que la Marque des Ténèbres flottait à l’entrée de Poudlard. Tout le monde était
demeuré tendu jusqu’à ce leur Directrice de Maison ne repasse pour leur promettre que, non,
ils n’étaient pas sur le point d’être attaqués mais qu’ils devaient rester là pour l’instant par
mesure de sécurité.

C’était à ce moment là, à peu près, qu’Harry avait sorti la Carte des Maraudeurs pour mieux
suivre les pérégrinations des enseignants et des divers Aurors, uniquement pour s’apercevoir
que Severus était à l’infirmerie.

Il n’arrivait pas à s’ôter de la tête que quelque chose avait mal tourné la veille et…

« Harry, assieds-toi. » plaida Ron. « Tu me donnes le tournis. »

« Bois un verre de jus de citrouille, au moins. » renchérit Ginny. « Tu es tout pâle. »

Il refusa l’un comme l’autre d’une secousse de la tête.

« Je suis sûre qu’il va bien. » offrit Hermione, avec à peine un moment d’hésitation.

« S’il va bien pourquoi est-ce qu’il serait avec Pomfresh ? » rétorqua-t-il.

Il aurait dû insister pour aller avec Sirius et lui, il aurait dû insister pour…
« Vous êtes libres de circuler à nouveau dans le château. » annonça la voix de McGonagall,
amplifiée par un sonorus. « Les cours auront lieu comme d’habitude. »

Harry n’attendit pas d’entendre le reste. Il bondit dès que le portrait de la Grosse Dame se
déverrouilla et s’élança en direction du troisième étage. Le cœur battant, terrifié de ce qu’il
allait y trouver, il sauta plus qu’il ne descendit les marches des escaliers, fonçant si vite qu’il
manqua heurter plusieurs murs sur le chemin…

Il s’était tellement persuadé que ce serait aussi terrible que lorsque Nox s’était écrasé sur la
tour d’astronomie qu’il fût presque choqué d’entendre la voix du Maître des Potions alors
qu’il tournait le coin qui menait au couloir de l’infirmerie.

« Tu m’as lâchement abandonné. » était en train d’accuser Severus.

Un éclat de rire lui répondit et Harry ralentit l’allure, à bout de souffle, juste à temps pour
voir Tonks lui attraper le bras, apparemment hilare.

« Je suis désolée ! » répondit la jeune femme, sans paraître désolée du tout. « Je suis prête à
faire beaucoup de choses pour toi, tu le sais, mais discuter de ce genre de choses avec
Pomfresh, non merci. Est-ce que c’était instructif, au moins ? »

Si son regard avait lancé des Avada, l’Auror serait probablement tombée raide. Pourtant
Harry devina que Severus était plus amusé qu’il n’était prêt à le laisser voir.

« Papa ! » appela-t-il, en se rapprochant, tentant de reprendre son souffle. Il l’étudia


attentivement mais ne vit aucune blessure ou… « Tout va bien ? »

Le Professeur se tourna vers lui, un peu surpris de le trouver là. « Tout est relatif. Certaines
viennent de passer un meilleur moment que d’autres. »

La réponse redéclencha un fou rire de la part de Tonks qui s’efforça pourtant de reprendre
contenance.

Un peu perplexe et se sentant légèrement comme la troisième roue du carrosse, Harry jeta un
assurdiato et un léger sort anti-intrusion qui les engloba tous les trois. Une seconde plus tard,
il sentit la magie de Severus renforcer ses sortilèges et en ajouter deux de plus.

« Vous n’avez pas été blessé ? » demanda-t-il, plus sérieusement. « Tout s’est bien passé, hier
soir ? »

Il avait voulu attendre dans leurs appartements mais Severus lui avait dit qu’il ne ferait qu’y
tourner en rond et qu’il valait mieux pour lui qu’il reste chez les lions où il aurait ses amis
pour le distraire. Évidemment Harry avait passé la moitié de la nuit à scruter la Carte mais
lorsque Sirius et Bill, puis Severus et Tonks étaient revenus sur le domaine, il s’était autorisé
à dormir.

« Attends, sérieusement ? » intervint Tonks, apparemment moins encline à rire. « Harry a le


droit de savoir mais pas moi ? »

Le garçon fronça les sourcils. Avait-il commis une gaffe ?


Il avait cru…

« Harry, contrairement à toi, est pratiquement un Maître Occlumens. » s’enorgueillit Severus.

Première nouvelle, songea-t-il.

La jeune femme leva les yeux au ciel.

« Ça va, ça va… » maugréa-t-elle. « J’ai compris que mes boucliers ne sont pas à la hauteur
de tes exigences. Des critiques, toujours des critiques… À se demander ce que tu me
trouves. »

« D’autres attraits que tes dons d’Occlumens. » rétorqua Severus, ses lèvres tressautant avec
amusement.

Un peu gêné, Harry enfonça les mains dans les poches, peu à l’aise avec la conversation. Il
sourit pourtant lorsque Tonks rabroua l’homme d’une bourrade affectueuse, secouant la tête
avec amusement. Leur complicité était évidente.

Il était content que Professeur ait quelqu’un d’autre que lui dans sa vie, quelqu’un qui
comptait suffisamment pour sa disparition éventuelle ne le brise pas trop.

Et puis… Il était évident qu’elle lui faisait du bien. Il n’était pas aveugle au point de ne pas
voir que Severus était beaucoup plus détendu lorsque Tonks était dans les parages.

Et c’était différent de la manière dont Sev avait jalousement gardé son temps avec Lily dans
le passé… Le Professeur ne paraissait pas craindre perpétuellement d’être remplacé, avec
elle.

« Un conseil Harry, si jamais tu as besoin de demander à quelqu’un comment parler aux


filles, adresse-toi à n’importe qui sauf à ton père. » plaisanta-t-elle.

Severus leva les yeux au ciel avec un peu trop d’emphase. « Et pourtant, malgré mes piètres
talents, je ne t’ai pas encore faite fuir. »

« Tu as d’autres attraits. » riposta-t-elle, en imitant à la perfection la voix et le ton du Maître


des Potions, ce qui arracha à Harry un petit ricanement.

Son père lui jeta un regard trahi un peu trop théâtral pour être sincèrement blessé.

Tonks, pour sa part, lui fit un clin d’œil puis redevint sérieuse.

« Je dois retourner au Ministère. » dit-elle, dans un soupir. Elle pointa un doigt accusateur
vers Severus. « Repose ta jambe. Et tiens-moi au courant pour Sirius. » Elle sourit à Harry.
« Empêche-le de faire des folies, tu veux ? »

Ils la regardèrent partir en silence puis Harry se tourna vers lui, sourcils froncés. « Qu’est-ce
qu’elle a votre jambe ? Et qu’est-ce qui est arrivé à Sirius ? »
« J’ai dû faire appel à Nox et les atterrissages ne sont toujours pas mon point fort, je le crains.
Ma jambe se remettra très bien. Quant au reste… » Le Professeur poussa un long soupir,
plaça une main sur son épaule et l’encouragea d’une légère pression à avancer. « Pas ici.
Autant retourner chez ton parrain. Il va me falloir une tasse de thé si je veux survivre à cette
journée, quoi qu’il en soit. »

Harry se força à ne pas le harceler de questions à propos de l’horcruxe mais parvint à lui
soutirer l’explication de ce réveil stressant. Il accueillit la nouvelle de la mort d’Ollivanders
sans grande surprise mais avec tristesse. Par contre, le récit rocambolesque de la sortie
nocturne dans la salle commune des Serpentards…

« Malfoy ne peut pas continuer à vivre là-bas. » remarqua-t-il. « C’est stupide et dangereux. »

« Il est à peu près aussi têtu que toi. » répondit Severus.

Harry hésita quelques secondes puis décida de passer outre ses réticences naturelles à trahir la
confiance d’un autre adolescent pour demander de l’aide à un adulte.

« Il s’est fait tabasser plus d’une fois. » avoua-t-il. « Il ne nous le dit pas à chaque fois mais je
sais qu’il cache régulièrement des bleus. »

L’expression du Directeur de Maison se rembrunit. « J’aurais une petite discussion avec lui. »

« Et moi, je vais avoir une petite discussion avec Hermione. » déclara-t-il.

Parce qu’elle était probablement la seule qui pourrait lui faire entendre raison.

« Si manipulateur… » commenta fièrement l’homme. « Un vrai Serpentard. »

Le Gryffondor leva les yeux au ciel mais sourit malgré lui, ravi de l’avoir satisfait.

Il fût nettement moins ravi lorsque Bill Weasley les firent entrer dans les appartements de
Sirius et qu’il vit dans quel état était son parrain. L’Animagus était avachi dans le canapé,
trop pâle, l’air épuisé…

« Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? » s’inquiéta-t-il.

« J’ai bien cru que McGonagall allait me coller une retenue. » répondit Sirius, en plaisantant.
« Ça m’a un peu remué. Rien de grave. »

« Elle n’était pas du tout commode. » acquiesça Bill.

Agacé par leur manière de tourner autour du pot, Harry pivota vers Severus qui soupira et se
laissa tomber dans un des fauteuils avec moins de grâce que d’ordinaire. Il grimaça lorsqu’il
étendit sa jambe devant lui.

« Peux-tu faire du thé, avant que tu ne m’arraches toute l’histoire, s’il te plaît ? » demanda le
Professeur.

« Ce n’est pas un elfe de maison. » grommela Sirius. « Jimlin. »


Un elfe à l’aspect vaguement familier apparut dans un craquement sonore et s’inclina
profondément devant l’Animagus. « Le Professeur Black a besoin de Jimlin ? »

« Du thé. » exigea son parrain. « Et des toasts. »

« S’il te plait. » rajouta Harry, avant que l’elfe ne disparaisse, avec un regard réprobateur
pour Sirius. La politesse ne coutait rien.

Jimlin sursauta pourtant à ce mot, puis s’inclina plus profondément devant Harry qu’il ne
l’avait fait devant Sirius, son nez touchant presque le sol, avant de disparaitre.

Quelques secondes plus tard, une théière fumante apparaissait sur la table basse avec des
toasts grillés et une assiette contenant une part de tarte à la mélasse dont il s’empara
d’autorité et avec gourmandise.

Severus secoua la tête. « Tu as conscience, bien sûr, qu’en autorisant les elfes à aller et venir
comme ils le veulent, tu invites Albus à t’espionner à sa guise ? Je suppose que je devrais
m’estimer heureux que tu ais retiré tous les portraits. »

« Tu es paranoïaque. » décréta Sirius. « Et puis, je peux vivre sans peintures mais pas sans
elfe de maison. »

Bill servit le thé et passa une tasse bien remplie à Severus d’abord puis une autre à Sirius qui
la prit d’un air nauséeux. Il fixa le liquide du regard quelques secondes puis fit la grimace.

« Je ne suis pas sûr de pouvoir jamais plus boire quoi que ce soit pour le reste de ma vie. »
marmonna-t-il.

« Tu mourras donc de soif. » rétorqua le Maître des Potions. « Voilà qui nous fera des
vacances. »

Harry accepta la tasse que Bill lui tendit avec un remerciement, ignorant leurs chamailleries,
puis s’installa à même le sol, sur le tapis. Il attendit.

Les trois hommes échangèrent un regard.

Ce fût Severus qui fit un résumé – qu’il devinait sporadique – de leur soirée, après avoir jeté
ses protections habituelles pour s’assurer que personne ne les espionnait.

La mésaventure de Sirius qui avait été forcé de boire une potion nocive, par exemple, lui
parut très édulcorée. À les entendre, l’Animagus n’avait véritablement été en danger à aucun
moment. Et toute l’histoire des Inféris n’avait été rien de plus qu’une promenade de santé.

« Je peux le voir ? » demanda-t-il, lorsque son père se tut.

« On ne peux pas essayer de le transférer comme ça. » expliqua Bill. « Il faut préparer tout un
rituel… »

« Je veux juste le voir. » insista Harry, tournant les yeux vers Severus qui restait silencieux.
« Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de le sortir de sa boîte… » hésita Sirius.

« À vrai dire… » murmura Severus. « Une étude poussée avant d’essayer de le transférer ne
serait pas une mauvaise idée. Et j’aimerai savoir si Harry peut le percevoir. »

« Je ne pouvais pas sentir la bague. » nuança-t-il.

« Nous luttions pour nos vies. » remarqua le Professeur. « En dehors du danger… Si deux
horcruxes réagissent lorsqu’ils sont à proximité… »

« On pourrait se servir de l’un pour trouver l’autre. » termina Bill, les yeux légèrement
écarquillés.

« Tu n’es pas sérieusement en train de suggérer qu’on se serve d’Harry comme détecteur à
horcruxes. » gronda Sirius.

« Bien sûr que non. » cingla sèchement Severus. « Je suis en train de suggérer que nous
pourrions utiliser celui-ci pour en trouver un autre avant de le détruire. »

« Oh. » lâcha son parrain, en se laissant retomber un peu plus lourdement contre le dossier du
canapé.

« Nous n’avons pas beaucoup de temps avant le début des cours. » remarqua Severus, en
faisant disparaître les restes de leur petit-déjeuner d’un geste.

Il posa davantage de sortilèges et de protections autour des appartements de Sirius, pour


contenir la marque potentielle de magie noire, devina Harry.

Puis Bill sortit un coffret de sa besace cachée sous le fauteuil et, après avoir pris plusieurs
minutes pour annuler les sorts de protection qui l’entouraient, le posa sur la table basse. D’un
coup de baguette, il souleva le couvercle.

Un médaillon reposait sur le velours quelque peu élimé de la boite.

« Gardez vos baguette à la main. » ordonna Severus, l’air concentré.

Harry se demanda, l’espace d’une seconde, si c’était là précisément le genre de folies contre
lesquelles Tonks l’avait mis en garde.

Ils demeurèrent tous sur le qui vive d’interminables secondes, attendant qu’il se passe
quelque chose…

Mais rien ne se produisit.

Le garçon osa approcher plus près…

« Harry. » l’avertit Severus, tendu.

Mais le garçon baissa sa baguette, fronçant les sourcils. « Vous êtes sûr que… »
« Que quoi ? » demanda Sirius, lui aussi avait l’air perplexe. « Je ne vais pas mentir, je
m’attendais à plus de son et lumière… C’est un peu décevant. »

« Pourquoi ne pas envoyer tes remarques au Seigneur des Ténèbres ? » siffla Severus, avec
agacement.

« Il ne ressemble pas au médaillon que j’ai vu dans la pensine de Dumbledore. » intervint-il,


avant que les deux hommes aient pu se lancer dans un échange de piques.

« Comment ça ? » demanda Bill.

Un autre pas le rapprocha davantage de la table basse. Severus lui attrapa le poignet, prêt à le
tirer en arrière…

Ce médaillon était plus petit que celui que lui avait montré Dumbledore et il n’avait pas le S
ouvragé sur le dessus.

Après le récit de leurs aventures pour l’obtenir…

« Je suis désolé. » lâcha-t-il. « Mais je ne crois pas que ce soit le médaillon de Serpentard. »

L’annonce jeta un froid.

Severus le poussa légèrement pour prendre sa place. D’un sort informulé, le médaillon se mit
à léviter, tournant lentement sur lui-même pour qu’ils puissent l’observer sous toutes les
coutures. Bill fredonnait une litanie latine, baguette à la main…

Sirius n’avait pas tenté de se lever du canapé. Sa baguette était pointée sur le bijou mais il se
tenait le ventre de son autre bras et n’avait pas l’air bien du tout.

« Ce n’est pas le médaillon de Serpentard mais c’est bien l’horcruxe ? » insista l’Animagus.
« Toutes ces protections… Voldemort ne se serait pas amusé à poser toutes ces protections
pour… »

La fin de sa phrase se perdit dans le sifflement douloureux de Severus qui lâcha sa baguette et
sa canne pour ramener sa main gauche contre son torse. Harry l’aida à s’asseoir sur le
fauteuil, l’absence de protestations l’alarmant davantage que la pâleur soudaine du
Professeur, puis lui rendit sa baguette.

« Désolé. » grimaça Sirius.

Bill cessa d’inspecter l’horcruxe pour contourner la table basse, s’emparant du bras gauche
du Maître des Potions avec autorité.

« Pas maintenant. » refusa rapidement Severus, avec un regard en coin pour Harry que ce
dernier ne rata pas.

Se désintéressant du médaillon, il l’observa avec méfiance, additionnant plusieurs indices et


remarques qu’il avait surprises. « Il y a un problème avec la Marque ? »
« La Marque réagit toujours violemment au nom de son Maître. » répondit son père, avec un
peu trop de détachement. « Comme tu le sais déjà. Rien de plus. »

Bill évitait son regard avec un peu trop d’empressement et Sirius était beaucoup trop
silencieux dans son coin de la pièce.

Et Harry était beaucoup trop familier des mensonges de Sev.

« Vous avez dit que c’était sous-contrôle. » l’accusa-t-il presque. « Vous avez dit que… »

« Et la situation est sous-contrôle. » l’interrompit Severus. « Inutile de t’inquiéter. »

Le ricanement du Gryffondor était plus fatigué qu’amer. « Quand vous dites que je ne dois
pas m’inquiéter, c’est là où je sais que je dois paniquer. » Il fixa son avant-bras gauche du
regard comme s’il pouvait voir à travers l’épais tissu de ses robes. « C’est beaucoup plus
grave que vous l’avez dit, c’est ça ? » Il croisa le regard du Professeur, le soutint à la limite
de la Legilimencie. « À quel point ? »

Les boucliers de Severus étaient à leur maximum.

« La situation est sous-contrôle. » répéta le Maître des Potions.

Ce qui voulait tout dire et rien dire à la fois.

Bill se racla la gorge. « Je ne détecte aucune magie sur le médaillon. Les seuls résidus de
magie noire sont ceux de la potion dans laquelle il était immergé mais à part ça… C’est un
objet banal, de ce que je peux en dire. Il n’y a ni enchantements, ni rien de suspect. Je ne
pense pas que ce soit un horcruxe. »

Harry ne détourna pas le regard, n’ayant strictement plus rien à faire de l’horcruxe. Pas si son
père…

« Je vais bien, Harry. » soupira finalement le Professeur, en baissant les yeux le premier.
Était-ce pour mieux mentir ou parce qu’il savait pertinemment que le garçon serait furieux
qu’il lui ait caché la vérité ?

« Le problème c’est que ce que vous considérez comme aller bien enverrait la plupart des
gens à l’infirmerie. » marmonna-t-il, avec irritation.

Le regard que Sev lui jeta était agacé. « Surveille ton ton. »

Le Gryffondor ne chercha même pas à s’empêcher de lever les yeux au ciel. « Oui, parce que
c’est mon ton le problème, là tout de suite, pas le fait que vous m’ayez caché des choses. »

« Je ne suis pas tenu de tout te dire. » grinça l’ancien espion. « Ce n’est pas ainsi que cela
fonctionne. »

« Vous êtes mon père. » cracha-t-il. « Vous êtes censé me le dire si la Marque est en train de
vous tuer ! »
Severus se pinça l’arrête du nez. « La Marque n’est pas en train de me tuer. »

« Les protections de Poudlard le protègent. » lâcha Sirius.

« Black. » gronda le Professeur.

« Il est à l’abri ici. Bill a toute une panoplie de sorts pour s’assurer que la Marque ne le fasse
pas trop souffrir. » continua l’Animagus. « Et c’est moi qui lui ait demandé de ne pas te le
dire pour ne pas t’inquiéter. »

Les deux hommes échangèrent un regard un peu trop intense pour qu’Harry les croit. Il
doutait que lui cacher la vérité ait été l’idée de Sirius. Il doutait aussi que la situation soit
aussi facilement réglée qu’ils ne le prétendaient.

Et cela mettait Harry tellement en colère de se voir rejeté sur le banc de touche…

« Je préférais quand vous ne vous entendiez pas. » cingla-t-il, les foudroyant du regard l’un
après l’autre. « Vous ne pouvez pas me cacher des choses comme ça. »

« Nous le pouvons et, dans certains cas, nous le devons. » riposta Severus. « Je sais que c’est
un concept extrêmement abstrait pour toi mais prendre soin d’un enfant implique… »

« Mais je ne suis plus un enfant ! » s’énerva-t-il.

« Avec ce genre de caprice, ce n’est pas évident, à l’instant. » commenta froidement le


Professeur.

Harry se renfrogna, croisant les bras avant de les décroiser avec agacement lorsqu’il réalisa
que cela lui donnait l’air boudeur de l’enfant que Severus l’accusait d’être.

« Harry… » intervint Sirius.

« Il y a un mot à l’intérieur. »

Ils cessèrent tous les trois de se disputer pour se tourner vers Bill qui, durant cet intermède,
avait attrapé le médaillon. À mains nues.

« Ceci était une décision extrêmement stupide. » murmura Severus, d’un ton méfiant, luttant
pour se remettre debout. « Il se peut très bien que… »

« Ce n’est qu’un objet inanimé. » l’interrompit l’ainé des Weasley. « Ce que j’essaye de vous
dire depuis dix minutes. » Il tira le parchemin plié en petits morceaux du creux à l’intérieur
du médaillon, jeta quelques sortilèges puis posa le bijou pour mieux le déplier. Il le parcourut
rapidement avant de soupirer. « Quelqu’un nous a pris de vitesse. »

« Dumbledore ? » suggéra Sirius.

« Non, un certain R.A.B. » répondit Bill, en haussant les épaules.

L’Animagus se figea comme si on lui avait jeté un sortilège de pétrification.


À la droite d’Harry, Severus s’était lui aussi raidi.

« Vous savez qui c’est ? » demanda le garçon, en tendant la main pour prendre le mot. Bill le
lui passa sans protester. Personne ne lui répondit. Sirius paraissait choqué, Severus
perplexe… Il lut le mot à haute voix. « Au Seigneur des Ténèbres, Je sais que je ne serais
plus de ce monde bien avant que vous ne lisiez ceci mais je veux que vous sachiez que c’est
moi qui ai découvert votre secret. J’ai volé le véritable Horcruxe et j’ai l’intention de le
détruire dès que je le pourrai. J’affronte la mort dans l’espoir que lorsque vous rencontrerez
un adversaire de votre taille, vous serez redevenu mortel. R.A.B. »

Sirius se leva brusquement et se précipita hors du salon. Une porte claqua quelques secondes
plus tard.

Bill paraissait tout aussi surpris et curieux que lui, Harry se tourna donc vers Severus. « Qui
est R.A.B ? »

Severus soupira. « Si je devais me hasarder à deviner… Je dirais Regulus Arcturus Black. »

« Regulus ? » répéta-t-il. Il lui semblait impossible que le garçon chétif de troisième année
qui lui avait servi de suppléant ait pu s’emparer d’un horcruxe…

La première sonnerie retentit, annonçant le début des cours, et, malgré ses protestations et ses
arguments comme quoi il pouvait être plus utile ici qu’en Métamorphose, Severus le mit à la
porte sans accepter de discuter.

Grommelant contre l’injustice de la chose, surtout étant donné qu’il lui avait caché des
informations importantes, Harry se promit que la conversation n’était pas terminée.

°O°O°O°O°

Severus prit le temps de raccompagner Bill à la cheminée, en promettant de le tenir au


courant, avant d’aller frapper à la porte de la salle de bain. Elle s’ouvrit après une minute et il
ne put s’empêcher de plisser le nez à la forte odeur de bile.

Clairement, l’Animagus n’était remis de son empoisonnement.

Ou bien peut-être était-ce le choc.

Le sorcier paraissait perdu et s’avachit contre le chambranle de la porte, l’air défait.

« On est d’accord que R.A.B. ne peut être que lui ? » demanda Black, d’une voix blanche.

Le Maître des Potions leva des mains tremblantes en signe d’ignorance. « La coïncidence
serait un peu grosse si ce n’est pas le cas. »

« Mais c’était un Mangemort. » contra l’Animagus. « Il croyait en la rhétorique. Le parfait


Sang-Pur, le parfait héritier à la dynastie des Black… » L’homme secoua la tête. « Quand il a
disparu… J’ai toujours pensé qu’il s’était retrouvé trop impliqué, qu’il avait eu les jetons et
qu’il avait voulu partir mais que… »
Sa phrase demeura en suspens.

Severus se sentit obligé de la terminer. « On ne trahit pas le Seigneur des Ténèbres


impunément. »

Black croisa son regard, perdu. « Alors… Quoi ? Tu sais ce qu’il lui ait arrivé ? Tu sais… »

« Non, je regrette. » le coupa-t-il, en secouant la tête. « Je ne l’ai jamais su. Il a disparu du


jour au lendemain. Le Seigneur des Ténèbres a simplement dit qu’il était mort. Je suppose
qu’il le savait par la Marque… Si je suis honnête, Black, je ne crois pas que ce soit lui qui
l’ait tué. Il semblait penser que c’était l’Ordre. »

L’Animagus se frotta le visage. « Ce n’était pas l’Ordre. Je n’ai jamais su… Je n’ai jamais
su. »

Le Maître des Potions croisa les bras et détourna le regard. « S’il a bu la potion… »

« Oh… » lâcha l’Animagus, comme si ça ne l’avait pas effleuré. « Mais comment serait-il
sorti ? Comment… »

« Il est possible qu’il ne soit jamais sorti de la caverne. » remarqua-t-il, un peu à regret. « Il
est possible que l’horcruxe soit au fond du lac. »

Auquel cas le récupérer n’allait pas être une mince affaire…

« Non. » refusa Black, tout net. « Non, ça… Non. »

Severus ne pouvait pas le blâmer pour ce déni instinctif, il n’aurait pas aimé penser qu’un
proche fasse partie d’une armée d’Inféris lui non plus.

« Imaginons qu’il soit parvenu à quitter la caverne avec le médaillon… » lâcha-t-il. « Où


l’aurait-il caché ? »

Il retournerait à la caverne s’il le devait, drainerait le lac avec ses Inféris, mais s’il y avait une
option plus simple à explorer d’abord…

Black secoua la tête en signe d’ignorance, le dévisageant avec impuissance. « Le Square


Grimmaurd ? Sa chambre. »

« Un peu trop simple. » jugea-t-il. « Toutefois, il y a peut-être des indices… » La seconde


sonnerie retentit, lui indiquant qu’il était en retard. Il ne se hâta pas pour autant, observant
l’Animagus d’un air critique. « Tu devrais t’allonger et dormir. Ton corps devrait avoir
éliminé la toxine d’ici vingt-quatre heures mais je ne m’attends pas à ce que tu sois en pleine
possession de tes moyens avant deux ou trois jours. »

Il n’était pas certain que son rival l’ait entendu.

« Je pensais que… » marmonna Black. « J’ai tiré un trait sur lui, tu comprends ? Je… Je n’ai
rien vu. Je n’ai pas… »
« Sirius. » soupira-t-il, en lui tapotant maladroitement l’épaule. « Va dormir. Les choses
seront plus claires à ton réveil. »

L’Animagus l’étudia longtemps, l’air toujours perdu, puis hocha lentement la tête et se
dirigea vers la chambre d’un pas trainant.

Voilà une complication dont ils n’avaient pas eu besoin, songea Severus.

°O°O°O°O°

Draco sut qu’il allait avoir des ennuis lorsque Granger se planta devant lui alors qu’il
s’apprêtait à entrer dans la Grande Salle pour une pause déjeuner bien méritée. Le cours de
Sortilèges, après la nuit passée et étant donné la détermination de Flitwick a rattraper le retard
accumulé durant son absence avant les B.U.S.E.s, l’avait fatigué. Il n’était pas parvenu à
fermer l’œil après que Snape les ait renvoyés dans leurs dortoirs et, en conséquence, il avait
sommeil et faim. L’un ne pouvait être réglé pour l’instant, mais l’autre…

Blaise, pleutre qu’il était, jeta un seul coup d’œil à la lionne et se dépêcha de fuir.

« Bonjour à toi aussi. » marmonna-t-il, sous son regard noir.

« Tu déménages dans la Tour de Gryffondor dès ce soir. » ordonna-t-elle.

Qui lui avait raconté ?

Certes, la rumeur devait aller bon train mais il avait espéré que la présence de la Marque des
Ténèbres aux portes de Poudlard aurait suffisamment distrait les élèves pour ne pas que le
récit de l’incident chez les Serpentards atteigne Granger.

La réponse lui apparut évident lorsqu’il croisa le regard vert, passablement contrarié, de
Potter alors que le garçon pénétrait dans la Grande Salle avec Ginny et Luna.

Potter, bien sûr.

Probablement alerté par Snape.

Ou sa cousine qui s’était sentie obligée de menacer ses camarades de dortoir.

« Non. » répondit-il fermement.

D’inquiète, l’expression de la jeune fille devint furieuse.

« Draco. » siffla-t-elle.

Il étouffa tous ses arguments d’un baiser, lui volant sa respiration et ses mots. Lorsqu’il fût
certain qu’elle n’était plus en état de réfléchir, il recula, croisant son regard.

« Je respecte tes choix, aussi dangereux qu’ils soient, lorsqu’il est question de la guerre. »
remarqua-t-il. « Tu dois respecter les miens. »
Il n’allait pas se laisser chasser de Serpentard.

Il était Draco Malfoy, futur Lord, héritier de l’une des plus grandes Maisons Sang-Pure, et il
valait mieux que tous les imbéciles qui vivaient dans les cachots.

Et il n’était, de toute manière, pas certain que cela ferait une quelconque différence, à ce
stade.

S’il déménageait dans une autre Maison, il risquait de mettre davantage de ses amis en
danger.

« C’est stupide. » décréta-t-elle, avec peut-être un peu trop de compréhension.

Mais elle n’insista pas.

Il l’embrassa à nouveau, avec un peu trop de désespoir parce qu’il avait vu sa mort dans les
yeux du mamba noir, puis lui prit sa main pour l’attirer vers la Grande Salle.

Et prétendre, l’espace d’un moment, que tout était normal.

°O°O°O°O°

Albus était en train d’admirer un spécimen particulièrement rare de champignon lorsqu’il


sentit la présence de l’homme dans son dos. Il ne s’alarma pas. Les protections de Poudlard
s’arrêtaient peut-être à la lisière de la Forêt Interdite mais ils n’étaient pas suffisamment
profondément enfoncés entre les arbres pour que la situation soit dangereuse.

Et puis, il aurait reconnu l’empreinte magique de l’autre sorcier entre mille.

Il avait mis plus de temps à venir le trouver qu’Albus avait escompté.

C’était, en partie, la raison pour laquelle il avait dit à Minerva qu’il voulait inspecter les
abords de la Forêt durant la pause déjeuner afin de s’assurer que tout était en ordre après la
fausse alerte de la matinée. Il avait su que l’information ne serait pas perdue pour tout le
monde.

Là, au moins, ils étaient seuls.

« Severus. » salua-t-il, sans se retourner. « N’êtes-vous pas censé reposer cette jambe ? »

Il boitait beaucoup ce jour là et l’excursion nocturne dans les cachots n’expliquait pas le
degré de fatigue sur les traits du sorcier.

Albus devinait une entourloupe mais n’avait pas le temps de s’y pencher plus avant. Il faisait
trop confiance à Severus pour le soupçonner de trahir l’Ordre – ou Harry – de toute manière.
Cela devrait donc attendre.

« Pourquoi ? »

La question n’était pas une surprise.


Il se redressa, mettant un terme à son observation de la flore locale, et dirigea un regard tout à
fait compatissant au Maître des Potions. « Il me semble qu’elle vous fait particulièrement
souffrir, aujourd’hui. »

Ce ne fût pas un choc de voir son enseignant perdre son calme. La canne frappa le sol avec
agacement. « Pourquoi, Dumbledore ? »

Le Directeur leva un sourcil à cette familiarité impolie que Severus ne s’autorisait que
lorsqu’il était véritablement furieux après lui et voulait le lui faire comprendre.

Cessant de prétendre qu’il ne savait pas de quoi l’homme parlait, il soupira et continua sur le
chemin à peine visible qui les ramènerait vers la cabane d’Hagrid. « C’était nécessaire. »

Severus lui emboîta le pas et ils feignirent tous les deux de ne pas remarquer qu’Albus
prenait soin de ne pas leur imposer un rythme trop soutenu. Leur allure tenait plus de la
promenade qu’autre chose.

« Pourquoi ? » répéta pourtant le Maître des Potions.

« Fût un temps où savoir que c’était nécessaire vous aurait suffi. » remarqua-t-il, dans un
autre soupir.

Le Professeur écarta un gros caillou d’un coup de canne. « Fût un temps où ma conscience
était la seule à qui je devais rendre des comptes. »

Ah, bien sûr…

Malgré le désagrément que cela impliquait pour lui, Albus se prit à sourire. « Et est-ce le
jugement d’Harry ou celui de Tonks que vous craigniez, Severus ? »

L’ancien Mangemort se referma comme une huître.

Il fût donc surpris de l’entendre répondre.

« Harry désapprouverait très certainement et serait fort déçu de me savoir impliqué dans ce
genre de choses, quoi que sans doute pas étonné. » lâcha l’homme.

Or perdre l’affection ou l’estime du garçon lui serait insupportable.

« Vous n’êtes pas impliqué. » répondit tranquillement Albus. « Et si cela peut tranquilliser
votre conscience, sachez que si vous vous hasardiez à formuler à voix haute certaines
hypothèses, je me verrais dans l’obligation de jeter un oubliette. »

Severus laissa échapper un bruit moqueur. « Vous savez pertinemment que si vous effaciez
mes souvenirs, j’identifierai sans mal votre empreinte magique et viendrai vous demander
des comptes. Je suis trop bon Occlumens pour ne pas remarquer la chose. »

« Certes mais votre conscience serait sauve. » remarqua-t-il, avant de lui jeter un coup d’œil
par-dessus ses lunettes en demi-lunes. « Je suis disposé à le faire si cela vous pose réellement
un problème de vous taire. »
« Tenez-vous loin de ma tête. » gronda son ancien élève, sans surprise. « Mais donnez-moi
une vraie réponse. Pourquoi était-ce nécessaire ? »

Albus hésita quelques secondes puis décida que la vérité, dans ce contexte, était encore la
meilleure explication. Il le mit au courant de la création de cette horrible baguette qu’ils
avaient, avec un peu de chance, stoppée dans l’œuf.

Lorsqu’il eut terminé, Severus poussa un long soupir. « Je garderai mes soupçons pour moi.
Après tout, notre Médicomage a rendu ses conclusions et je ne suis, moi, que Maître des
Potions… »

La chose n’avait donc pas été aussi entendue qu’Albus l’aurait souhaité avant cette mise au
point. Et comme il doutait que l’ancien espion serait allé se confier à l’adolescent, cela
signifiait qu’il avait envisagé d’en parler à l’Auror, ce qui lui aurait sans conteste compliqué
la tâche, à lui.

Mais Severus, entre tous, comprenait qu’il était parfois nécessaire de se salir les mains.

Ils marchèrent en silence quelques minutes, le chemin qu’ils suivaient les mena jusqu’à
l’arrière de la cabane d’Hagrid. Le garde-chasse n’était pas dans les environs mais ils
aperçurent Charlie et Anthony qui revenaient des écuries. Albus les salua d’un geste mais
préféra bifurquer vers le lac, bien que cela rallongerait leur retour au château, plutôt que les
croiser.

« Puis-je vous poser une question indiscrète, Severus ? » s’enquit-il, alors qu’ils rejoignaient
un des sentiers plus arpentés du parc. Il n’y avait pourtant pas d’élèves en vue – et les
sortilèges dont ils avaient tous deux l’habitude de s’entourer leur aurait assuré une certaine
intimité dans tous les cas – mais le chemin de terre battue serait sans doute moins difficile
pour la jambe du sorcier que le sol inégal de la Forêt.

« Puis-je vous en empêcher ? » rétorqua le Professeur, pince-sans-rire.

Albus ne retint pas son sourire. « Vous et Tonks… »

Severus poussa un grognement agacé. « Sommes-nous véritablement si fascinants que tout le


monde du Seigneur des Ténèbres jusqu’à vous se sente obligé d’en discuter ? »

Il rit sans chercher à s’en cacher. « Eh bien, il faut dire, mon garçon, que vous connaissant
vous conviendrez que la chose peut surprendre. » Le Maître des Potions leva les yeux au ciel
mais ne commenta pas. Il lui laissa quelques secondes puis persévéra. « Vous semblez
proches. »

Severus lui jeta le regard qu’il réservait d’habitude à un élève médiocre qui aurait soulevé
l’évidence sans s’en rendre compte. « Nous sommes proches. À quoi riment ces sous-
entendus ? Vous, entre tous, savez pertinemment à quel point nous sommes proches. Ou bien
pensez-vous qu’elle a passé la nuit dans mes appartements si régulièrement ces derniers mois
parce que nous jouons aux échecs ? »
« Je me garderai bien de présumer. » se défendit-il, sans être toutefois très crédible. Severus
devait bien se douter que lui et Minerva en avaient discuté. Et Poudlard l’ayant effectivement
averti à chaque fois que l’Auror mettait les pieds sur le domaine… Oui, il avait mesuré, peut-
être même avant l’autre homme, à la fréquence de ces visites et à leurs durées, que leur
relation devenait sérieuse.

C’était une chose de le deviner et une autre d’y être confronté, pourtant.

Ce matin là, il avait lu de la peur dans les yeux de l’ancien Mangemort quand il l’avait
regardée partir. De la peur et de l’impuissance.

Sans parler du fait qu’il se soit laissé embrasser devant témoins.

« Posez votre question, s’il le faut. » grinça Severus, alors qu’ils arrivaient en vue de la rive
du lac.

Son Maître des Potions surveilla l’eau avec méfiance puis occluda brusquement de manière
plus évidente. Albus était curieux mais ne chercha pas à creuser la chose, sachant qu’il
opérait déjà en terrain glissant.

« Après tout ce temps… Lily ? » demanda-t-il, presque prudemment.

Severus trébucha légèrement, sans que sa jambe ne soit à blâmer.

« Toujours. » répondit le Professeur, après un moment, d’une voix calme et mesurée. « Mais
différemment. »

Albus hocha lentement la tête, prenant garde de ne pas chercher à croiser son regard, sachant
qu’il n’apprécierait pas ce qu’il apparenterait à une intrusion. Il était déjà miraculeux qu’il ait
consenti à lui répondre.

« Je dois être honnête, je ne pensais pas que vous parviendriez un jour à passer outre votre
sentiment de culpabilité. » admit-il.

Après la mort des Potter…

Au début, il avait gardé Severus auprès de lui car il avait deviné que Voldemort reviendrait et
il lui avait paru évident qu’il aurait, à nouveau, besoin d’un espion. Pourtant, la détresse
sincère de Severus, les mois qu’il avait passé dans les affres d’un désespoir si profond
qu’Albus avait craint ne pas parvenir à l’en sortir… Il s’était attaché au jeune homme, il
n’avait jamais cherché à s’en cacher. Et échouer à lui faire comprendre que la manière dont il
menait sa vie, drapé de remords qui le dévoraient de l’intérieur, était du gâchis l’avait peiné.
Même si, égoïstement, il avait également été conscient que ce serait un avantage sur le long
terme pour la guerre…

« Harry m’a pardonné. Lily m’a pardonné. Une version d’elle l’a fait, dans tous les cas. »
soupira Severus, d’un ton las.

« Et vous ? Vous êtes vous pardonné, Severus ? » demanda curieusement Albus.


Le Maître des Potions fût silencieux si longtemps qu’il n’attendait plus de réponse lorsqu’ils
contournèrent les quelques groupes d’élèves répartis sur la pelouse pour rejoindre le chemin
qui menait au château. Pourtant, l’homme le surprit une nouvelle fois.

« J’ai accepté. » offrit le Professeur pensivement. « Rien n’effacera ma part de responsabilité


ou mes erreurs mais je ne peux pas changer le passé. Je peux, en revanche, tenter de mieux
faire à l’avenir. »

« Voilà une philosophie très sage. » approuva-t-il.

« Elle n’est pas si facile à mettre en application. » remarqua Severus.

« Non, je m’en doute. » murmura-t-il, son regard se perdant vers les tours et vers celle qui
abritait son bureau, en particulier.

Severus Snape était trop bon espion pour manquer un tel geste.

Et Albus était trop las pour tenter de le déguiser en autre chose.

Gellert était resté enfermé dans sa chambre, ce matin là.

« La culpabilité est une chose terrible, n’est-ce pas ? » continua-t-il, presque distraitement.
« Elle vous dévore de l’intérieur… Et pourtant, parfois, on a beau connaître le prix, on cède
quand même à la tentation… »

Au lieu de remonter vers le château, Severus changea brusquement de direction, les menant
vers les serres. Albus suivit, devinant que c’était une manière de ne pas mettre un terme à la
conversation.

« Allez-vous enfin me révéler ce que fait Grindelwald ici ? » s’enquit-il. « Parce que nous
savons tous les deux que, bien qu’il y en ait peu, il y a tout de même d’autres sorciers au
Royaume-Uni avec une puissance magique proche de la vôtre. »

« Alastor aurait pu le faire. » acquiesça-t-il, tristement. Il était toujours peiné de la disparition


de son ami. « Vous auriez très bien pu servir de clef de voute, ne vous en déplaise. »

Severus n’était certes pas aussi puissant que lui mais il était un excellent sorcier et savait
compenser par ses compétences lorsque le pouvoir lui faisait défaut.

« Vous détournez la conversation. » rétorqua son enseignant. « Grindelwald est peut-être


presque aussi puissant que vous mais… »

« Il l’est davantage, en vérité. » l’interrompit-il, tranquillement.

Le Maître des Potions le dévisagea avec effarement. « Vous n’êtes pas sérieux. »

Il soupira sans pourtant tenter de le convaincre.

« Albus… » reprit Severus, ralentissant encore le pas. Il grimaçait à chaque pas, à présent. Il
aurait été plus sage de faire demi-tour – et de le trainer jusqu’à l’infirmerie – mais maintenant
qu’ils avaient entamé cette conversation, il était réticent à y mettre un terme. « Pourquoi avoir
fait venir Grindelwald à Poudlard ? »

« Deux raisons. » avoua-t-il, calant son allure sur celle de son enseignant. « L’une tout à fait
pragmatique, l’autre beaucoup moins. »

L’ancien Mangemort atteignait le bout de sa patience. « Commençons par la plus


pragmatique. »

Albus réfléchit une seconde à ce qu’il souhaitait révéler et ce qu’il préférait dissimuler.
« Gellert possède des informations que je ne voulais pas voir tomber entre les mains de Vol…
de Tom. »

Il ne se reprit qu’au tout dernier moment et, encore, uniquement parce que Severus s’était
raidi d’appréhension. Il devait faire plus attention, se morigéna-t-il. La Marque était un réel
danger, à présent, et pas une simple désagrément.

« Et il ne vous est pas venu à l’idée qu’une option plus radicale était de mise ? » se moqua
l’ancien espion.

Albus lui sourit mais cela n’atteignit pas ses yeux. Il ne chercha pas à cacher la profonde
tristesse qui l’habitait, la mélancolie qui l’accompagnait depuis plus de cinquante ans… « Ah,
mais c’est là qu’intervient la deuxième raison beaucoup moins pragmatique. »

« Une raison qui, je le devine, a un lien avec toutes ces questions malvenues sur ma vie
sentimentale. » railla Severus.

« Il est possible que je vois un certain parallèle entre les deux situations, en effet. » admit-il.

L’expression du Maître des Potions se durcit. « Auriez-vous causé la mort de la femme que
vous aimiez en révélant accidentellement certaines informations à un mage noir, par
hasard ? »

Ce n’était pas si loin de la vérité, en fin de compte.

Et il aurait peut-être pu s’en tenir là.

Mais Albus était las et les accusations de Gellert résonnaient encore à ses oreilles.

De façon justifiée.

« Seriez-vous choqué d’apprendre que je n’ai jamais aimé de femmes de ma vie, Severus ? »
demanda-il, un peu trop tranquillement, un peu trop distraitement. Il feignit d’observer le vol
d’un hibou qui s’échappait de la volière pour mieux éviter de voir la réaction du jeune
homme. Par pudeur ou par crainte de lire sur son visage…

La main qui effleura son bras mit un terme à leur semblant de promenade et Albus se tourna
vers son espion, se résignant à croiser finalement son regard. Il occludait pourtant mais dût
mal dissimuler son appréhension car Severus fronça les sourcils.
« Avez-vous une si piètre opinion de moi pour penser que cela ferait une quelconque
différence ? » répondit le Professeur, visiblement blessé. « J’ai mes griefs contre vous, Albus,
cela n’enlève en rien à mon estime ou à mon… amitié. Or ni cette estime, ni cette amitié ne
seraient si facilement abîmées par vos actions les plus discutables tant qu’elles ne concernent
pas mon fils, encore moins par vos préférences en matière de romance. »

Albus était un vieil homme dont la vie était derrière lui, un Maître Legilimens et un Maître
Occlumens, qui aurait dû parfaitement pouvoir maîtriser ses émotions, et pourtant, à cet
instant là, la gorge nouée par un sentiment qui s’apparentait tout autant à la peur qu’à la
libération, il sentit ses yeux s’embrumer.

Mal à l’aise comme il l’était toujours face aux débordements d’émotions, Severus lui tapota
maladroitement le bras.

Cela le fit sourire et lui permit de reprendre contenance. Qu’il le veuille ou non, le jeune
homme avait véritablement changé, ces derniers mois. Avant la tempête magique, dans une
situation pareille, il aurait pris la poudre d’escampette bien avant de tenter de prodiguer du
réconfort.

Ils se raclèrent tous les deux la gorge de concert et reprirent leur promenade mal avisée pour
la jambe du Professeur de Défense.

« Gardez-vous Grindelwald en vie pour venger l’homme que aimiez ? » s’enquit finalement
Severus, visiblement incapable d’oublier le mystère.

Il supposait que c’était justifié. Après tout, il n’ignorait pas que, pour le monde extérieur,
c’était pure folie que de ramener Gellert à Poudlard. Le Ministère avait dû faire face à des
mouvements de protestation, il avait lui-même été assailli de hiboux de parents d’élèves et de
nombreuses beuglantes…

« Je vous envie. » confessa-t-il. « D’avoir su oublier Lily. »

« Je ne l’ai pas oubliée. » corrigea sèchement le Maître des Potions. Il s’arrêta quelques
secondes, changea sa canne de main pour mieux ouvrir et fermer le poing… Ses mains non
plus n’étaient pas dans leur meilleur jour, nota curieusement Albus. Il ne reprit la parole que
lorsqu’ils se remirent à marcher. « Je ne me souviens pas d’un jour où je ne l’ai pas aimée.
Mais ça n’a pas toujours été de nature… »

« Romantique ? » suggéra-t-il, lorsque l’autre sorcier échoua à trouver le bon mot.

Bon gré, mal gré, Severus approuva d’un grognement. « Lorsque je pense à elle, désormais,
ce sont ces sentiments là qui me reviennent, ceux de notre enfance. Si je suis honnête… »
L’homme s’empourpra légèrement et Albus était persuadé qu’il ne terminerait pas sa phrase.
Severus persévéra pourtant, prouvant une nouvelle fois qu’il avait grandi durant ces derniers
mois dans le passé. « Vous n’êtes pas sans ignorer que je n’ai jamais eu de relation sérieuse,
auparavant. À présent… Avec le recul… M’aurait-elle rendu mes sentiments, je suis bien
persuadé que j’aurais trouvé le moyen de tout saborder. Lily n’était pas toujours de nature
patiente. »
Or il fallait de la patience avec quelqu’un comme Severus.

« Je l’aimais. » reprit le Maître des Potions, avec un soupir. « Mais, ces dernières années…
J’avais oublié à quel point certaines choses m’horripilaient, à quel point elle désapprouvait
certaines parts de moi dont je ne saurais me défaire. »

« Nous sublimons toujours nos morts. » acquiesça Albus, avec un petit sourire plein de
compassion. « Je suis heureux pour vous, vous savez. Sincèrement. Nous ne sommes peut-
être pas d’accord sur la place que doit prendre Harry dans cette guerre, et, nul doute, aurons-
nous des mots à ce propos dans un avenir proche, mais j’espère que vous savez que je ne
serai jamais votre ennemi, Severus. »

Severus détourna la tête, embarrassé.

Ils arrivaient aux serres et firent silencieusement demi-tour vers le château avant de pénétrer
sur le domaine de Pomona où des élèves se rassemblaient déjà en prévision de la reprise des
cours. Ils ne pressèrent pas l’allure pour autant.

« Vous n’avez jamais répondu à ma question. » remarqua le Professeur, au bout de quelques


minutes.

« Certes… » admit-il. « Mais vous êtes trop intelligent pour ne pas arriver à la conclusion qui
s’impose par vous-même. »

Severus soupira. « J’avais mes soupçons mais j’espérais un peu me tromper. » Il marmonna
quelque chose à propos de Harry qui avait évité à tout prix une certaine conversation et d’à
quel point il le comprenait à présent avant de se racler la gorge. « Laissez-moi deviner…
Vous vous êtes rencontrés à cause de vos articles respectifs sur les Reliques de la Mort qui
seraient plus réalité que mythe… »

Choqué, Albus tourna brusquement la tête pour le dévisager.

Apparemment ravi de son petit effet, le Maître des Potions ricana. « Ces articles ont fait forte
impression sur Harry, en soixante-quinze. Il est toujours très déçu que vous ayez changé
d’avis par la suite. »

« Il y a toujours une part de vrai dans un conte de fée, mon garçon. » se força-t-il à plaisanter,
à peine rassuré que Severus ne paraisse pas prêter foi à ces articles dont il avait ignoré qu’il
subsistait une trace. Il avait pensé les avoir tous détruits.

Quant à Harry…

Harry était beaucoup plus brillant que la plupart des gens ne le réalisait.

« Ne l’encouragez pas. » le gronda le Professeur, sans trop d’hostilité. « Il s’est déjà à moitié
persuadé que sa cape était celle des Peverell… » Il soupira. « Parfois, il est un peu trop
crédule. »

Extrêmement brillant.
Et, apparemment, conscient d’avoir deux Reliques en sa possession.

« C’est un rêveur. Est-ce si terrible ? » riposta-t-il.

« Non… » répondit Severus, après un moment. « Mais je déteste le voir subir des
désillusions. »

« Les désillusions sont malheureusement légions avec l’âge. » commenta-t-il, non sans
regret.

Ils marchèrent en silence jusqu’à ce que le château ne se dessine à nouveau au bout du


chemin. La sonnerie retentit au loin mais, bien qu’il ait cours, Severus ne fit aucun geste pour
se hâter. Sans doute ne le pouvait-il pas ou bien s’était-il arrangé avec Sirius.

« L’aimez-vous encore ? » demanda le Professeur, alors qu’ils entamaient la côte qui menait à
une porte dérobée de l’aile ouest.

« Me jugeriez-vous si je vous répondais que je n’ai jamais cessé de l’aimer ? » murmura-t-il,


sans parvenir, une nouvelle fois, à le regarder en face.

Severus laissa échapper un rire qui ne contenait aucun amusement. « Vous oubliez à qui vous
parlez. »

« Lily n’était pas le mage noir qui a fait ployer l’Europe. » remarqua-t-il. « Je ne suis pas
certain que la comparaison soit valable. »

« Les sentiments demeurent les mêmes. » contra le Maître des Potions. « Et vous êtes plus
courageux que moi. Serait-elle devenu un mage noir qui aurait fait ployer l’Europe, je me
serais jeté à ses pieds et sans aucune hésitation. »

« À seize ans, peut-être. » corrigea-t-il, avec affection. « Admettons que Tonks décide demain
de marcher dans les pas de Tom, je ne suis pas certain que vous soyez si prompt à la suivre ou
à vous prosterner devant elle. »

« Peut-être cela est-il un commentaire sur la force de mes sentiments et pas le reflet d’un
changement de ma nature. » riposta immédiatement Severus.

« Ou peut-être est-ce parce que vous idéalisiez tellement Lily que vous la traitiez comme une
déité alors que vous ne voyez qu’une femme en notre amie Auror. » suggéra Albus, en lui
jetant un regard entendu. « Ce qui est beaucoup plus sain, tout à fait entre nous. »

L’ancien Mangemort leva un sourcil ironique. « Étant donné votre situation actuelle, je ne
suis pas certain que vous soyez en position de juger ce qui est sain ou pas. »

Souriant à cette joute verbale amicale, Albus lui accorda la victoire d’un geste, savourant un
moment de complicité qui, s’il devait être honnête, lui avait manqué et devenait trop rare.
Depuis leur retour suite à la tempête, lui et Severus avaient été en conflit plus ou moins
ouvert.

La paix ne durerait pas, il le savait, pas avec Harry au milieu, mais…


Merlin, ce qu’il pouvait tenir à lui, tout aussi arrogant et impertinent qu’il soit.

Ils venaient de passer la porte du château lorsqu’Albus se décida à lui révéler un secret, un
autre.

« Je n’ai pas arrêté Gellert à Darmstadt. » déclara-t-il, s’amusant de l’expression choquée qui
naquit sur le visage de son enseignant. « Il aurait pu me tuer s’il avait essayé. Il s’avère qu’il
ne voulait pas essayer. »

Severus le dévisagea longtemps. « À vous deux, vous auriez pu conquérir le monde. »

« C’est ce qu’il aime à me rappeler, oui. » plaisanta-t-il, sans amusement. « Je ne pouvais pas
le faire assassiner, Severus. Le faire venir ici n’était sans doute pas la décision la plus avisée
que j’ai jamais prise mais je suis quasiment certain qu’il ne me trahira pas et, en ce sens, ce
n’était pas non plus mon pari le plus risqué. Comprenez-vous ? »

L’ancien espion hocha la tête lentement.

Après un sourire légèrement crispé, Albus se détourna pour rejoindre son bureau, laissant son
enseignant digérer ces nouvelles informations.

« Albus ? » appela Severus, avant qu’il ne se soit trop éloigné. Les sortilèges qui les
entouraient s’était évanouis et le Directeur ne fût pas surpris qu’il demeure vague. « Il y a des
contextes où l’égoïsme est excusable. »

Cela ressemblait à une permission.

Une permission dont Albus avait vitalement besoin.

Mais ce n’était pas à Severus de la lui donner.

°O°O°O°O°

Harry donna un coup de baguette un peu trop agressif et la flamme de la bougie qu’il
s’entraînait à contrôler pour le cours de Sortilèges s’embrasa si haut et si fort qu’elle manqua
mettre le feu aux rideaux en lambeaux qui pendaient de chaque côté de la fenêtre.

Assise en tailleur sur un des bureaux qu’elle avait préalablement débarrassé de son épaisse
couche de poussière, Hermione se dépêcha d’éteindre la bougie avant qu’il ait pu déclencher
un incendie, lui jetant un regard désapprobateur au passage.

Le garçon préféra ne pas relever.

Il n’avait pas voulu l’emmener dans la vieille classe de Divination et ils avaient tous deux
décidé d’éviter la Salle sur Demande, sachant qu’il était trop probable qu’un de leurs amis ne
leur tombe dessus par accident. Les salles de classes vides et abandonnées faisaient légion à
Poudlard et en trouver une n’avait pas été si compliqué. Obscurcir les portraits d’un sort et
leur jeter des silencio n’avait pas pris si longtemps non plus.
« Qu’est-ce que tu as, à la fin ? » râla Hermione. « Tu as été de mauvaise humeur toute la
journée… »

« Je ne sais pas comment tu fais pour ne pas être de mauvaise humeur, toi aussi. » rétorqua-t-
il. « Tu vas vraiment laisser Malfoy retourner dans les dortoirs de Serpentard ? »

Hermione poussa un soupir mais baissa la tête, tournant et retournant sa baguette entre ses
mains. « Je l’ai emmené avec moi lorsque j’ai utilisé une potion qui frisait la magie noire sur
ma famille et il m’a tenu la main tout du long. Lorsque je me suis précipité au Ministère
parce que je pensais que Sirius était en danger, il est venu avec moi même s’il trouvait que
c’était stupide – et il avait raison. Je lui ai dit que je voulais me battre contre les Mangemorts
et, même s’il veut rester neutre, il ne m’a pas quittée… »

Harry leva les yeux au ciel. « Donc, ce que tu es en train de m’expliquer, c’est que vous
choisissez de ne rien dire à l’autre lorsque ses décisions sont atrocement stupides ? »

Vexée, la jeune fille se redressa légèrement. « Ce que je suis en train de t’expliquer, c’est que
nous respectons nos décisions mutuelles. Et puis… Je n’approuve pas parce que c’est
dangereux et qu’il n’a rien à prouver mais, si tu y penses, sa décision est courageuse… »

Sa décision, selon Harry, était surtout politique.

Il avait passé suffisamment de temps chez les Sang-Purs pour savoir que ceux-ci respectaient
le pouvoir et ses démonstrations les plus flamboyantes. Si Malfoy se laissait chasser du
domaine des serpents maintenant, il perdrait en crédibilité lorsque, à l’âge adulte, il tenterait
de contrôler les autres Maisons Sang-Pures.

« Ils disent que lorsqu’on essaye de faire un truc noble ou courageux, on est imprudent. »
grommela-t-il. « Mais tu as remarqué comme les Serpentards ont la noblesse ou le courage
dramatique ? » Il leva à nouveau les yeux au ciel, rallumant la bougie d’un sort muet pour
mieux tenter à nouveau d’en contrôler la flamme, toujours aussi en colère qu’il l’avait été ce
matin là. « Merlin préserve qu’ils disent simplement les choses, hein ? Non… Mieux vaut
faire des cachoteries. »

Hermione éteignit à nouveau la bougie avant qu’il ait pu perdre le contrôle. « Et si tu me


disais ce que Snape a fait qui t’a mis si en colère ? »

« Rien. » mentit-il.

Son amie n’était ni dupe, ni convaincue, mais décida de laisser couler. « Je suis prête. »

Harry lâcha un grognement, délaissant la bougie pour se rapprocher d’elle, toujours


convaincu que l’idée était très mauvaise. Certes, il l’avait laissée le convaincre de trouver un
endroit où s’entraîner, de fausser compagnie à leurs amis… Mais il ne l’avait fait qu’à
reculons.

« Tu es sûre, Hermione ? » demanda-t-il pour la dixième fois. « Je ne maîtrise pas la


Legilimencie… Je n’ai que des bases. »
C’était sur la liste de choses que Severus voulait lui enseigner mais ce n’était pas une priorité.

« On n’a pas le choix. » insista la jeune fille. « Il faut bien que je teste mes défenses pour voir
si elles fonctionnent ou non. »

« Je ne peux pas garantir que je ne vais pas te faire mal. » l’avertit-il – également pour la
dixième fois. « Severus est un Maître Legilimens et j’avais l’impression qu’il me passait le
cerveau au rouleau compresseur à chaque fois. »

Encore qu’il n’était pas entièrement certain que le Professeur ait tenté d’être délicat lors de
leurs premières séances. C’était comme à l’entraînement au duel… La douleur, tant qu’elle
n’était pas débilitante, était permise. Blessures et autres seraient soignées immédiatement
après que l’entraînement soit fini mais la douleur aidait le corps à comprendre que la situation
était sérieuse, poussait à se dépasser…

« On n’a pas le choix. » répéta son amie.

Harry soupira puis prit un moment pour inspecter ses propres défenses. Il fit le tour des
marécages, enferma sa colère rentrée dans un coffre qu’il enfouit très profondément dans
l’eau, raviva le brasier qui formait la protection principale de son esprit… Une fois satisfait et
certain d’être suffisamment concentré, il planta son regard dans celui, légèrement craintif,
d’Hermione.

« Legilimens. » murmura-t-il.

Il s’enfonça dans sa tête comme dans du beurre.

Très visiblement, il y avait une couche de souvenirs à la surface de son esprit qui étaient là
pour servir de distraction mais si c’était son bouclier, il était faible. Il les effleura à peine, se
désintéressant des conversations qu’elle avait eu ce jour là pour s’enfoncer plus
profondément dans son esprit. Il sentit sa panique, sentit qu’elle cherchait à le repousser,
devinait aux souvenirs qu’elle jetait devant lui presque avec affolement que sa méthode ne
marchait pas mais il persévéra pourtant, cherchant un souvenir bien précis.

Il en trouva d’autres qui l’auraient fait rougir s’il avait été dans son propre corps et s’en
détourna rapidement, n’ayant que très peu envie de garder l’image d’un Draco Malfoy torse
nu gravé dans sa tête.

Il ne voulait pas savoir ni pourquoi, ni comment elle avait cette image là en tête.

Il fût relativement simple de dénicher le souvenir de la salle commune, le moment où elle


avait compris ce qu’il était… Terreur, douleur, chagrin, panique, compassion… L’étalage
d’émotions le déstabilisa et il se retira de son crâne, à peine soulagé de ne pas avoir trouvé de
dégoût.

Hermione se plia en deux, se tenant la tête, haletante.

Il l’attrapa avant qu’elle puisse basculer du bureau, l’encourageant gentiment à respirer


jusqu’à ce que la nausée soit passée.
« Pour une première fois, ce n’était pas si mal. » la consola-t-il, lorsqu’il fût certain qu’elle
n’allait pas perdre connaissance.

Elle lui jeta un regard incrédule. « Ça ne t’a même pas ralenti. »

Il enfonça les mains dans ses poches et haussa les épaules, grimaçant légèrement. « Je t’avais
dit d’essayer l’Occlumencie élémentaire. Se servir de ses souvenirs, c’est bien trop… »

« Subtil ? » suggéra-t-elle. « Le livre dit que c’est le meilleur moyen de pas laisser voir qu’on
est Maître Occlumens. »

« Oui mais à moins que tu ne veuilles devenir espion, tu n’as pas besoin de subtilité. » contra-
t-il. « Tu as juste besoin de boucliers qui garderont les gens hors de ta tête. »

« Et tu penses que Dumbledore ne s’étonnerait pas s’il essayait de regarder dans ma tête et
qu’il trouvait un mur de flammes ? » rétorqua-t-elle.

Il concéda l’argument d’un geste mais secoua pourtant la tête. « Dans ces cas là, tu pourrais
lui dire que tu as décidé de t’y mettre parce que ça te semblait un avantage tactique et faire la
Gryffondor toute offensée qu’il ait essayé de lire ton esprit, en premier lieu. »

Elle le dévisagea puis soupira. « Très Serpentard. »

Il s’inclina avec un sourire amusé qui ne tarda pas à disparaître. « Tu veux réessayer ? »

Elle hocha la tête avec détermination et sauta du bureau pour mieux se camper sur ses
jambes, cette fois.

« Rends-moi service… » plaisanta-t-il – à moitié. « Essaye d’occluder très, très


profondément les souvenirs impliquant Malfoy. »

C’était sa faute, décida-t-il, quelques secondes plus tard, lorsqu’il envahit à nouveau son
esprit et qu’elle tenta, avec la même panique, de le détourner des souvenirs qu’elle voulait lui
cacher. Excepté qu’il lui avait mis Malfoy en tête et, parce qu’elle voulait les lui cacher, ces
souvenirs là prédominaient. À trop penser à les lui dissimuler…

Il essayait vraiment de ne pas trop en voir.

Ça ne l’empêcha pas de mettre un terme au sortilège et de se frotter les yeux avec dégoût.

« J’ai besoin que tu me jettes un oubliette ! » exigea-t-il.

Parce qu’il n’avait vraiment, vraiment pas eu besoin de savoir qu’elle avait déjà retiré son
chemisier pour cet abruti de Serpentard qu’il allait se faire un plaisir de tuer lui-même. Sans
serpent venimeux. Avec ses propres poings.

Rouge comme une écrevisse, Hermione enfouit à nouveau son visage dans ses mains.

« Est-ce que tu étais obligé d’aller fouiner dans ces souvenirs là ? » gémit-elle.
« Attends, ce n’est pas ma faute si tu me les jetais dessus ! » riposta-t-il, avec tout autant de
détresse. « Ça suffit pour ce soir. Je ne veux plus voir d’autres horreurs, je fais assez de
cauchemars comme ça. »

Elle fit apparaître quatre oiseaux qui foncèrent sur lui dans le but évident de lui faire du mal.
Il les fit exploser dans un nuage de plumes avant qu’ils aient pu l’atteindre.

« Choisis un élément et construis une défense. » lui conseilla-t-il, avec davantage de sérieux.
« Oublie la subtilité. Je suis quasiment persuadé que ce genre de boucliers ne fonctionnent
que pour les naturels. »

Toujours écarlate, incapable de croiser à nouveau son regard, Hermione acquiesça.

°O°O°O°O°

Severus tournait et retournait le faux horcruxe entre ses doigts.

Le poids de la nuit précédente et de la journée pesait sur ses épaules, le rendant incapable de
faire la chose sensée qui aurait été de se trainer jusqu’à sa chambre – sans parler de faire des
choses nécessaires comme finaliser l’examen de Potions des A.S.P.I.C.s ou de parcourir une
nouvelle fois ses recherches sur les horcruxes.

Ils avaient été si prêts du but, songea-t-il, en occludant davantage la frustration et


l’impuissance qui ne l’avaient pas quitté de la journée. Sans parler de l’humiliation qu’il
ressassait depuis qu’il avait dû s’admettre incapable de suivre Nymphadora, ce matin là.

La porte d’entrée de ses appartements s’ouvrit et se ferma sans claquer. Un miracle.

Severus savait qu’il aurait dû bouger, faire semblant, mais il ne parvint pas à esquisser un
mouvement. Trop tard de toute manière. Le gamin se tenait déjà sur le seuil du salon et le
dévisageait avec une expression si lisse et neutre qu’il devait être en train d’occluder de
manière très prononcée.

« Vous n’avez pas déjeuné dans la Grande Salle à midi et vous avez raté le diner. » déclara
Harry.

Le Maître des Potions se retint de justesse de lui rappeler que c’était lui qui était censé se
nourrir correctement au lieu de surveiller ses propres repas.

« Sans compter que vous avez été en retard en cours au moins deux fois aujourd’hui. »
continua le Gryffondor.

« Et comment le sais-tu ? » railla-t-il.

Avait-il demandé à ses amis de l’espionner ? Il n’aurait même pas été surpris.

« J’ai mes sources. » marmonna l’adolescent, relevant le menton avec défi.

Severus laissa échapper un bruit amusé. « Tes sources ne seraient pas rouquines, en quatrième
année et extrêmement douées pour les sortilèges de chauve-furies, par hasard ? »
« Vous avez mangé quelque chose ? » insista le garçon, sans tomber dans le piège.

Il soupira, trouvant la discussion bien futile.

Harry savait pertinemment qu’il ne se serait jamais laissé attraper assis de travers sur le
canapé dans le simple but d’étendre une jambe qu’il ne parvenait plus à bouger sans ressentir
de douleur s’il avait été dans son état normal. Sans parler de la main qui tressautait là où elle
était posée sur le dossier, des manches retroussées de sa chemise qui ne dissimulaient pas le
bandage tâché sur son avant-bras gauche ou ses sur-robes et sa cape qui avaient été jetées sur
le dos du fauteuil plutôt que pendues dans l’entrée.

Il n’avait pas pensé qu’Harry passerait, ce soir là.

Le regard vert s’attarda sur l’emplacement de la Marque mais le garçon ne fit pas de
commentaires.

« Ce n’est pas à toi de prendre soin de moi. » grinça-t-il. « Je suis l’adulte et… »

« Les enfants prennent soin de leurs parents aussi. » l’interrompit cet insupportable
garnement, avec juste assez de reproches dans la voix pour lui faire sentir qu’il n’était pas
raisonnable.

« Quand ils sont grabataires. » rétorqua-t-il, agacé.

Il tenta de s’assoir un peu plus correctement mais la morsure vive dans le muscle crispé de sa
cuisse qui remonta dans sa hanche le fit se figer. À peine ravala-t-il un grognement.

« Je prends juste un peu d’avance. » se moqua Harry, faisant visiblement un effort pour
garder son ton léger parce qu’il savait que son humeur était volatile et qu’il n’aurait pas fallu
beaucoup pour qu’il se mette en colère. « Qu’est-ce que vous voulez manger ? »

Il réfréna à grand peine le besoin de lui rappeler qu’il n’avait pas besoin de cuisiner pour lui,
qu’il n’était pas son elfe de maison… Il détestait l’idée que Pétunia se soit servi de lui
comme ça.

« Un sandwich fera l’affaire. » capitula-t-il. « Et du thé, si ça ne te dérange pas, s’il te plait. »

« Et une potion antidouleur. » rajouta le garçon, avec défi.

Ce n’était pas une bataille que Severus voulait mener. Si ces potions n’avaient pas été dans
une autre pièce, il en aurait fait léviter une jusqu’à lui depuis longtemps. « Et une potion
antidouleur. »

Le manque de protestations parut inquiéter le garçon encore plus mais, encore une fois, le
Gryffondor tint sa langue et disparut dans la cuisine.

Severus aurait pu jurer n’avoir fermé les yeux que quelques secondes mais ce fût une main
lui secouant prudemment l’épaule qui le poussa à les rouvrir.
Le sandwich débordait de tout ce que le gamin avait pu trouver dans les placards. Severus
l’avala sans discuter, plus affamé qu’il n’était disposé à l’admettre. Il avala aussi la fiole
entière de potion antidouleur au lieu de chercher à la doser.

À ce niveau de souffrance, compter les gouttes n’aurait servi à rien.

Harry, à son habitude, s’était installé par terre et s’était servi une tasse de thé. Son regard était
rivé au bandage souillé sur son avant-bras.

Severus reposa sa propre tasse de thé et soupira. « Il y a un danger avec la Marque, c’est vrai,
mais la situation est véritablement sous contrôle et il n’y avait aucune raison de t’inquiéter
pour rien. Je ne t’ai jamais caché que la Marque était davantage qu’un simple tatouage. »

« Elle vous fait mal. » l’accusa presque le garçon.

« Oui. » confirma-t-il. « Elle me fait mal. Mais j’ai toujours su que trahir le Seigneur des
Ténèbres ne serait pas sans conséquences. »

Certes, il n’avait pas pensé qu’il serait toujours en vie pour subir ces conséquences, mais… Il
ne le regrettait pas. Les inconvénients, séquelles et autres désagréments… Il les endurerait
autant qu’il le faudrait si cela lui permettait d’être là pour Harry.

« Je n’aime pas quand vous me mentez. » grommela son fils. « Même par omission. »

Il se frotta le visage, trop fatigué pour avoir cette conversation qu’ils, lui semblait-il, avaient
déjà eu cent fois. « Harry, je ne te mens pas autant que je le pourrais ou que je le devrais.
Certaines choses, toutefois, ne regardent que moi. S’il y avait véritablement eu un danger que
je meure soudainement à cause de la Marque, oui, je t’en aurais averti. En l’état, nous avons
trouvé une solution qui fonctionne. La douleur me regarde. »

Au final, c’était probablement une bonne chose qu’il ait déjà eu cette dispute là avec
Nymphadora. Au moins, il avait eu le temps de mieux préparer et rationaliser ses arguments.

« Et votre jambe ? » demanda le garçon, son regard dérivant du bandage à la jambe toujours
allongée devant lui.

« Je te l’ai dit, les atterrissages de Nox ne me réussissent plus. » soupira-t-il. « J’en ai trop
fait, je suis prêt à l’admettre, et cela ne s’arrangera pas sans repos, raison pour laquelle te
voilà dispensé de cours particulier de Défense demain. »

Le Gryffondor fronça les sourcils. « Sirius ne va pas mieux ? »

« Je suis passé le voir après mon dernier cours. Il se remet. » répondit-il. « Il faudra un jour
ou deux avant qu’il soit tout à fait sur pieds. »

Apparemment rassuré, Harry hocha pensivement la tête. « Et l’horcruxe ? Vous pensez


vraiment que c’est Regulus qui l’a pris ? »

Il eut un geste d’ignorance. « Je ne vois pas qui d’autre. Regulus était un Mangemort…
L’hypothèse est cohérente. Lorsque Black sera remis il ira fouiller la chambre de son frère et,
avec un peu de chance, nous en apprendrons davantage. »

Le garçon soupira et termina sa tasse de thé d’une longue lampée. « S’il l’a caché quelque
part, le Square Grimmaurd est l’endroit idéal, c’est plein de bibelots et de trucs comme ça. »
Soudain, il fronça les sourcils. « Attendez… Cet été, quand Mrs Weasley nous a fait faire le
ménage… Il y avait un médaillon dans une vitrine. Je crois, du moins. On a jeté tellement de
choses… »

« Il n’y a plus qu’à espérer que le médaillon de Salazar Serpentard n’a pas terminé dans une
décharge publique. » se moqua-t-il. « Voilà qui serait d’une belle ironie. »

Mais peu probable.

Si Molly avait jeté ces objets, ils n’étaient certainement pas restés longtemps dans les
ordures. Ils aurait été trouvés, vendus ou échangés… Ils avaient probablement changé de
mains une dizaine de fois depuis.

« Kreattur n’arrêtait pas de récupérer des choses en douce. » l’informa Harry. « Vous pourriez
lui demander. »

« Voyons d’abord ce que nous trouvons par nous-mêmes avant d’impliquer un elfe de maison
dont je ne suis toujours pas certain de la fiabilité. » nuança-t-il.

Le garçon émit un bruit amusé. « Un jour, vous devrez me dire ce que vous avez contre les
elfes de maison. »

« Mis à part le fait qu’ils n’ont aucune maîtrise de la grammaire et qu’ils fouinent toujours
partout sous prétexte de faire le ménage ? » riposta-t-il.

Harry secoua la tête pour cacher son amusement. Un amusement qui ne dura pas.

Rien qu’à la manière dont il se mit à tourner et retourner distraitement le sceau des Prince
autour de son doigt, Severus sut qu’il n’allait pas aimer la suite.

« Le Professeur McGonagall a posté l’emploi du temps des examens dans la salle commune
tout à l’heure. » annonça le garçon.

Elle avait bien de la chance d’avoir eu le temps de le faire elle-même. Severus avait confié la
chose à un préfet de sixième année.

« Et ? » l’encouragea-t-il, lorsque le garçon garda trop longtemps le silence. « Il te reste un


peu de temps pour revoir ce dont tu n’es pas certain. Tu as bien travaillé cette année, Harry,
fais de ton mieux et… »

« Ce n’est pas ça. » l’interrompit nerveusement le Gryffondor, sans le regarder en face.


« Hermione a tout un emploi du temps pour qu’on puisse réviser tout ce qu’il faut. » Il
grimaça. « C’est juste que les vacances d’été commenceront deux jours après la fin des
B.U.S.E.s. »
« Nous n’avons pas eu l’occasion de finaliser les détails donc, garde l’information pour toi,
mais c’est une quasi-certitude que Poudlard continuera d’accueillir les élèves cet été. »
expliqua-t-il.

Il y avait trop d’adolescents dans la situation de Malfoy ou de Granger. Trop de familles qui
ne pensaient pas pouvoir assurer la sécurité de leurs enfants chez eux et avaient supplié
Dumbledore de le faire à leur place.

Harry ne leva pas la tête. « Dumbledore va vouloir que je retourne chez les Dursley. »

« Dans ce cas le Professeur Dumbledore me trouvera sur son chemin. » rétorqua-t-il, d’un ton
ferme.

Peut-être pas assez ferme, cependant, parce que le garçon soupira légèrement avant de lui
jeter un bref coup d’œil par-dessous sa frange. « Légalement, vous ne pouvez rien faire. Et
Sirius non plus. »

Black harcelait le Ministère d’hiboux mais se voyait confronté à une fin de non recevoir. Le
Ministère était en état d’urgence et personne ne considérait apparemment sa demande de
tutelle comme une priorité.

Un problème dont il devinait sans mal l’origine.

Il ouvrit la bouche pour lui assurer, une nouvelle fois, qu’ils trouveraient une solution lorsque
l’adolescent le prit de cours.

« Écoutez, j’ai réfléchi et je crois qu’on devrait faire ce qu’il veut. » lâcha Harry, d’une voix
qui se voulait sans doute très mature. « Après tout, ce ne sera que pour deux semaines, trois
maximum, et après je pourrais revenir vivre ici avec vous. »

« Non. » décréta-t-il.

Le Gryffondor se mit à jouer plus agressivement avec la bague. « Je ne serais pas en danger
et ça ne va pas me tuer. Au mieux, ils m’ignoreront et prétendront que je n’existe pas. Au
pire, ils m’enfermeront dans ma chambre et je devrais éviter Dudley. Un Serpentard ne fait
pas de choix, non ? Ça ne vaut pas le coup de se mettre Dumbledore à dos pour si peu. »

« Si peu ? » répéta-t-il, avec amertume. Il dût faire un effort pour déplacer sa jambe. La
potion avait apaisé la douleur mais la plier et placer son pied au sol pour s’asseoir
correctement lui arracha tout de même une grimace. Il ignora l’air alarmé du garçon pour
tapoter le coussin libre à côté de lui. « Viens ici. »

Harry hésita puis obéit, visiblement mal à l’aise. Il attendit qu’il se soit assit à côté de lui
avant de reprendre.

« Le soir où tu t’es confié à moi pour la première fois, où tu m’as expliqué qu’ils t’avaient
gardé dans un placard toute ton enfance… » lui rappela-t-il. « Une des premières choses que
tu m’as dites, ce soir là, c’est que personne ne t’avait jamais sorti de là. »
L’adolescent se voûta comme sous le poids d’un chagrin trop lourd à supporter. Severus plaça
une main à l’arrière de sa tête, sans réfléchir, une part de lui s’étonnant presque d’à quel point
ce genre de gestes de réconfort était devenu seconde nature.

« C’est différent. » murmura le garçon. « Je sais que… Je sais que je peux rentrer à la
maison. Ce sera différent. Ce n’est pas comme si vous m’abandonniez. »

« Non, en effet. » répondit-il calmement. « Et, ce, parce que tu ne retourneras jamais chez ta
tante et ton oncle. »

« Papa… » soupira Harry.

« Laisse-moi m’occuper d’Albus Dumbledore. » déclara-t-il. « Et s’il me faut me le mettre à


dos, comme tu dis… Je ne considère pas que ce serait pour si peu. Tu n’es pas peu, Harry, tu
es tout. Tu es mon fils. Tu es la personne la plus importante à mes yeux. Et il est hors de
question que je te renvoie chez des gens qui te traitent mal, que ce soit pour deux semaines
ou un jour. »

Et il n’aurait pas dû avoir besoin de le répéter encore.

Harry souffla doucement puis se redressa, faisant sans doute appel à son courage tout
Gryffondor.

« Tu ne peux pas me sauver de tout. » lâcha le garçon, avant de rougir légèrement,


visiblement mal à l’aise. Il se racla la gorge et détourna le regard. « Je veux dire, vous… »

« Je t’ai déjà autorisé à abandonner le vouvoiement en dehors d’une classe, si tu le souhaites.


Cela ne me dérange pas. » lui rappela-t-il, avec un détachement feint. Il n’était pas plus à
l’aise que l’adolescent lorsqu’il était question de mettre en mots certaines choses. « Et je ne
peux peut-être pas te sauver de tout mais je peux très certainement essayer. »

Le sourire du garçon n’atteignit pas ses yeux.

Était-ce parce qu’il avait discuté de Lily avec Albus plus tôt que la pensée lui vint, fugace,
qu’il ne se souvenait plus de la dernière fois où il avait comparé le regard du garçon à celui
de sa mère ? Les yeux verts qui l’avaient hanté depuis l’arrivée du Survivant à l’école, pleins
d’accusations et de reproches, avaient cessé de lui rappeler son amie. C’étaient ceux de son
fils, avant d’être ceux de Lily, à présent.

« Ça ne vaut pas le coup. » insista Harry. « Je ne vais pas vous empêcher d’essayer, mais… Je
peux supporter deux semaines chez les Dursley si ça permet de monnayer le reste de l’été
ailleurs. »

« Moi vivant, tu ne remettras pas un orteil là bas. » répéta-t-il.

Il était très opportun qu’Albus lui ait fourni le chantage idéal ce jour là. Certes, il répugnait
un peu à s’en servir étant donné l’émotion dont le vieil homme avait fait preuve mais…

Pour Harry, il aurait tout fait.


Si Albus venait le trouver pour lui ordonner de rendre le gamin aux Dursley, il aurait une
vilaine surprise sur les bras.

L’adolescent ne le croyait toujours pas mais se força à nouveau à sourire. « En attendant, il


faut que je remette un orteil dans la salle commune, j’ai promis à Ron de l’aider avec la
Métamorphose. » Il l’étudia avec inquiétude. « Ça ira, si je vous laisse tout seul ? »

Severus leva les yeux au ciel. « Tu es bien conscient que j’ai survécu trente-cinq ans sans
toi ? »

Harry laissa échapper un bruit amusé. « Oui, mais à peine. »

« Insolent garnement. » gronda-t-il, sans hostilité, juste pour le plaisir de le faire rire.

Il le regarda ramasser ses affaires et ramener le plateau avec l’assiette vide et le reste du thé à
la cuisine malgré ses protestations qu’il le ferait plus tard, ressentant un immense sentiment
d’affection qui menaça de le submerger si brutalement qu’il fût forcé de l’occluder en partie.

Son fils.

S’habituerait-il jamais à la force de l’attachement qu’il lui portait ?

Les autres pères finissaient-ils par s’habituer ?

Ou serait-il toujours émerveillé dans dix ans par ces liens qu’ils tissaient entre eux ?

°O°O°O°O°

Albus fût franchement surpris de trouver son salon occupé lorsqu’il se décida finalement à
quitter son bureau pour monter les étages qui menaient à ses appartements personnels.

Gellert ne le salua pas, ne tourna même pas la tête vers lui. Avachi dans le fauteuil le plus
proche de l’âtre, il observait les flammes qui y dansaient, fortes et claires.

C’était un progrès, cependant, songea-t-il, oubliant son vague projet de se coucher tôt pour
une fois pour aller se tenir derrière son fauteuil. Il hésita un long moment, leva la main puis la
laissa retomber plusieurs fois…

Gellert ne fit aucun signe prouvant qu’il avait remarqué sa présence.

Mais lorsque Albus rassembla finalement son courage et posa la main sur sa nuque, comme il
le faisait autrefois, l’autre sorcier laissa échapper une longue expiration un peu trop sifflante.

Il n’avait donc pas gardé la chambre simplement par bouderie, comprit-il, mais parce qu’il ne
se sentait pas bien.

« Es tut mir Leid. » s’excusa Gellert, dans un murmure. « Tu m’as offert ton amitié et je suis
devenu avide de plus. C’était égoïste de ma part. Mais tu savais déjà que j’étais égoïste. »
L’homme leva la tête pour lui adresser un demi-sourire auquel Albus répondit par un autre,
un peu plus triste.

« Un ami m’a dit aujourd’hui qu’il y a des contextes où l’égoïsme est excusable. » offrit-il, la
gorge nouée.

Gellert prit sa main, l’écarta de sa nuque pour la porter à ses lèvres sans jamais détourner le
regard. Albus ne chercha pas à se dégager lorsqu’il embrassa sa paume.

Son cœur s’emballa dangereusement.

« Cent fois, à Nurmengard, j’ai refait l’histoire. » avoua Gellert. « Cent fois, j’ai imaginé
différents choix, différents moments clefs, différents dénouements… Si je ne m’étais pas
battu avec Abelforth, ce jour là, si Arianna ne s’était pas mise entre nous… »

« Nous ne pouvons pas changer le passé. » l’interrompit-il, faisant sans le vouloir écho à
d’autres mots que lui avait offerts Severus, cet après-midi là.

« Ja, mais… » continua Gellert, imperturbable. « Serais-tu parti avec moi, Liebling ? Si rien
de tout ça n’était arrivé. Serais-tu parti avec moi ? »

La réponse n’avait pas été aussi évidente à l’époque qu’elle l’était désormais, à posteriori.

« Bien sûr. » murmura-t-il. « Je t’aurais suivi au bout du monde. » Et ils auraient


probablement mis leurs projets à exécution, peut-être moins brutalement que Gellert ne
l’avait fait par lui-même parce qu’il aurait été là pour le freiner, le tempérer… « Moi aussi
j’ai refait cent fois l’histoire, toutes ces années, tu sais. » Gellert sourit, ses yeux s’éclairant
d’une satisfaction simple, alors il se força à poursuivre. « J’aurais pu aller te chercher, au lieu
de me terrer à Poudlard. J’aurais pu te convaincre de… »

« Improbable. » l’interrompit le mage noir.

« Ce sont mes rêves. » contra-t-il aimablement.

« Dans les miens, c’est moi qui te convainquais. » insista pourtant son ancien amant, en
pressant la main qu’il n’avait toujours pas lâchée. « Nous savons tous les deux que je suis
trop têtu pour me laisser détourner de mes objectifs. Mais soit. »

Amusé malgré lui, Albus secoua la tête. « Même lorsque tu réécris l’histoire, il faut que tu
gagnes. »

Gellert ne protesta pas mais son expression s’adoucit. « Je t’aurais épousé. »

Les sourcils du Directeur se levèrent de surprise. « La loi… »

« J’aurais changé la loi. » siffla-t-il. « Les lois de la communauté magique ne devraient pas
être basées sur des lois moldues archaïques, de toute manière. » Il balaya l’air de sa main
libre avec agacement. « Et qui se soucie de l’aspect légal, Albus ? Certainement pas la magie.
C’est courant de nos jours, Ja ? Légal ou pas, les gens se marient, ont des cérémonies,
échangent des serments. » Il n’attendit pas la réponse. « Je t’aurais épousé. Je t’épouserai tout
de suite si tu n’étais pas aussi obstiné. »

Albus ouvrit et referma la bouche, sans trop savoir que dire. « Est-ce une demande ? »

« Te faut-il une demande en bonne et due forme ? » se moqua gentiment Gellert. « Heirate
mich, Liebling. Épouse-moi. »

Il n’était pas sérieux.

Ce n’était pas sérieux.

Ils se dévisagèrent longtemps, figés dans un moment qui s’éternisait sans qu’Albus ne sache
si c’était une bonne ou une mauvaise chose…

Les coups de bec à la vitre brisèrent cet instant qui n’en finissait pas.

Reprenant ses esprits, Albus se détourna, remarquant à peine que Gellert ne lâchait sa main
qu’à regret. Le hibou était familier, il récupéra la lettre avec un brin de culpabilité qui ne fit
que s’accentuer lorsqu’il lut le mot griffonné avec une colère rentrée.

« C’est d’Abelforth. » soupira-t-il.

Gellert émit un bruit amèrement amusé qui se termina par une quinte de toux. « Il a toujours
eu un don certain pour nous interrompre au mauvais moment. »

La culpabilité enfla alors qu’il relisait la lettre. « Il s’inquiète à cause de la Marque ce


matin. »

Non pas que son frère se soit exprimé avec autant de franchise mais Albus pouvait lire entre
les lignes. Il avait hésité à lui faire porter un message pour le rassurer quant à sa propre
sécurité puis avait jugé, qu’étant donné leur dispute de la veille, la rumeur ferait aussi bien
l’affaire. Ça avait été petit de sa part, songea-t-il.

Mais ce n’était pas la raison du sentiment de culpabilité, de regret, qui l’accabla tout à coup.

« Ne dis rien. » exigea Gellert. « Je sais déjà. Restons-en là. »

« Gellert… » le supplia-t-il, sans bien savoir de quoi.

Certainement pas de s’extirper de son fauteuil avec une difficulté visible. Le mage noir lui
adressa un sourire faussement amical. « Je suis fatigué. Je vais me coucher. Bonne nuit,
Albus. »

« Bonne nuit. » offrit-il, en sachant que ce n’était pas la bonne réponse.

°O°O°O°O°

Les protections de ses appartements le tirèrent lentement du sommeil, sans qu’il ne s’en
alarme. Le temps qu’il émerge totalement de la torpeur dans laquelle l’avait plongé une
nouvelle dose de potion antidouleur, la porte de sa chambre s’était ouverte et refermée en
silence et, après une minute ou deux, quelqu’un se glissa dans son lit.

Severus sourit, enlaçant instinctivement le corps chaud qui vint se blottir contre le sien, sans
que sa main ne rencontre beaucoup de tissu. Des lèvres se posèrent sur son cou, trois baisers
rapides en guise de salut, avant qu’une tête ne trouve le creux familier de son épaule…

« Je ne t’attendais pas… » murmura-t-il.

« J’ai fait une ronde à Pré-au-Lard. » expliqua Nymphadora. « Et, après ce qu’il s’est passé
ce matin, je n’aimais pas l’idée qu’il n’y ait pas au moins un Auror expérimenté à Poudlard. »

« Je ne vais pas m’en plaindre. » plaisanta-t-il.

Son rire raisonna dans la pièce. « C’est bien ce que je pensais. »

Elle bougea légèrement pour trouver une position plus confortable, heurta accidentellement
sa jambe… Trop détendu pour occluder correctement, il ne ravala pas assez vite le sifflement
de douleur.

Elle se figea immédiatement. « Ça ne va pas mieux ? »

« Ça ira mieux demain ou après-demain. » marmonna-t-il, agacé par cette faiblesse qu’il ne
parvenait à cacher à personne.

« Tu as pris une potion ? » insista-t-elle.

« Pourquoi paraissez-vous tous penser que je suis incapable de prendre soin de moi-même ? »
se plaignit-il, sans pour autant éprouver le ressentiment ou l’irritation qu’il aurait dû. Il
s’avérait que, pour quelqu’un dont personne ne s’était jamais soucié la majorité de sa vie, il
était agréable de voir que certaines personnes s’inquiétaient.

« Parce qu’on te connait. » rétorqua-t-elle, en s’installant avec un peu plus de prudence.

Il chercha à se rendormir. Il n’avait pas eu de problèmes, plus tôt, il avait sombré à peine sa
tête avait-elle touché l’oreiller, mais à présent qu’il la tenait dans ses bras… Sa conscience le
tiraillait et ce n’était pas une sensation très agréable.

« Nymphadora, il y a certaines choses que je n’aime pas te dissimuler. » avoua-t-il, presque à


contrecœur.

« Si c’est à propos de ce que vous avez fait hier soir… » marmonna-t-elle, visiblement
éreintée, elle aussi, après leur nuit blanche. « Je sais que je râle mais c’est pour
plaisanter. C’est important et je ne peux pas garantir la sécurité de l’information, j’ai compris.
C’est pour ça qu’on a un accord sur les secrets professionnels. Ou ceux de l’Ordre. »

« Je le sais. » soupira-t-il. Il était conscient qu’elle ne lui tenait pas rigueur de ce secret là. « Il
s’agit d’autre chose. » Il hésita, laissant distraitement traîner ses doigts le long de son bras,
encore et encore... « J’ai découvert quelque chose par inadvertance que tu désapprouverais.
J’ai juré de garder le silence mais… »
Mais il n’aimait pas garder entre eux autre chose que des secrets essentiels.

Cela lui paraissait être une pente sérieusement savonneuse.

Or celui-ci n’était pas véritablement indispensable.

« Juré à qui ? » demanda-t-elle.

« Dumbledore. » avoua-t-il.

Elle hésita. « C’est important ? »

« Pas vraiment si l’on considère le contexte… » Sauf pour Ollivanders, supposait-il, le


fabriquant de baguette aurait sans doute jugé la chose plutôt importante. « Mais si tu venais à
l’apprendre par la suite, je ne voudrais pas que tu me reproches d’avoir aidé à le dissimuler. »

« Tu étais impliqué ? » demanda-t-elle, soudain plus réveillée.

Une intéressante question.

« Je t’ai dit hier que je m’étais retrouvé confronté à un poison dont j’avais complètement
oublié l’existence… » grinça-t-il. « Le Seigneur des Ténèbres n’est pas le seul à m’avoir un
jour demandé de lui préparer certaines… potions. »

Ses doigts pianotèrent distraitement sur son flan alors qu’elle réfléchissait. « Dumbledore t’a
payé pour ces potions ? »

Ces questions ressemblaient à s’y méprendre à un interrogatoire, pourtant Severus se força à


répondre. « Non. »

« Dans ce cas, tu n’as rien fait d’illégal. » décréta-t-elle. « Tant que tu n’as pas vendu,
échangé contre services ou utilisé toi-même ces potions pour commettre un crime…
Légalement, tu n’es pas impliqué. »

Ce n’était pas tout à fait ainsi que l’interprétait sa conscience, s’il devait être honnête.

Et c’était une technicalité qui n’aurait jamais suffi à Lily.

« Est-ce la main qui prépare le poison ou celle qui l’utilise qui est coupable ? » demanda-t-il.

Elle poussa un grognement qu’elle étouffa à moitié dans son épaule. « Je n’ai pas dormi
depuis trop de temps pour les questions philosophiques à la con, Severus. »

« Tu ne m’en veux pas, donc ? » chercha-t-il pourtant à clarifier.

« T’en vouloir de quoi ? » se moqua-t-elle. « D’avoir juré à Dumbledore de ne pas révéler


qu’Ollivander n’est pas mort de son grand âge ou bien de lui avoir promis de taire un meurtre
? Il était beaucoup trop fuyant tout à l’heure… Et il s’est jeté sur le corps… » Elle souffla
lentement. « Est-ce que j’ai besoin de savoir ce qui lui est véritablement arrivé ? »
Il n’était pas surpris qu’elle en ait autant deviné. C’était elle, après tout, qui avait insisté pour
qu’on examine le corps. De là à arriver à la conclusion que les coupables n’étaient pas les
Mangemorts…

Il réfléchit quelques secondes avant de trancher. « Non. »

Sa voix trembla légèrement. Probablement parce que, exactement comme il l’avait redouté,
elle n’était pas à l’aise avec ce genre d’idées. « Est-ce que Dumbledore a vraiment… »

« Tu viens de me dire que tu ne voulais pas savoir. » l’interrompit-il.

« Dis-moi juste qu’il y avait une très, très bonne raison. » insista-t-elle.

« Il y avait une excellente raison. » confirma-t-il, avant de grimacer. « Il n’aurait


probablement pas survécu longtemps, de toute manière. Il a été torturé de manière
extensive. »

Elle soupira, se blottit davantage contre lui, tout en faisant attention de ne pas secouer sa
jambe. « Serre-moi plus fort. J’ai froid. »

Il s’exécuta, doutant que le froid ait réellement à voir avec son besoin d’affection. Ça ne
l’empêcha pas d’enfouir le nez dans ses cheveux ou de fermer les yeux pour mieux savourer
l’étreinte.

« Peut-être que si tu ne te baladais pas nue dans les cachots… » remarqua-t-il, caustique.

« Si ça te dérange tant que ça… » plaisanta-t-elle, faisant mine de s’éloigner.

Il la ramena contre lui, sans chercher à contrôler le petit rire qui lui échappa. Il caressa sa
gorge, sa clavicule, embrassa son front, ses lèvres…

Maudit sa jambe qui le faisait souffrir à chaque mouvement.

« Ne me demande plus jamais de te laisser aller affronter seule un loup-garou. » exigea-t-il.


Cela sonna davantage comme une supplique que comme un ordre.

Elle l’embrassa doucement, tendrement.

« On devrait dormir. » suggéra-t-elle, sans rien promettre d’autre. Ça ne l’empêcha pas de


faire une pointe d’humour. « Tu as fouillé tes appartements, j’espère ? Pas de serpent
venimeux dans le lit ? »

« Pas d’autre que moi. » répliqua-t-il.

« Tu n’es pas venimeux. » protesta-t-elle, avec un peu trop de sérieux.

Il répondit tout aussi sérieusement, la serrant plus fort contre lui. « Jamais pour toi. »

Il lui semblait qu’ils ne dormaient que depuis quelques minutes à peine lorsque le lynx
argenté fit irruption dans la pièce mais il avait dû s’écouler quelques heures.
Nymphadora poussa un grognement, enfouissant le visage dans son épaule pour se protéger
de l’éclat du patronus, sans véritablement écouter le message standard qui convoquait tous les
Aurors disponibles au Ministère. « Et merde… »

L’instant suivant, elle s’échappait du lit et s’habillait en vitesse. Le temps qu’il mette la main
sur sa baguette et allume la lumière, elle était prête à partir.

Il garda une expression neutre, s’efforça de demeurer calme même s’il voulait l’attraper et la
garder là où elle ne risquerait rien. Elle n’était pas assez reposée, elle n’était pas…

« Je t’envoie un patronus dès que je peux. » promit-elle, posant un genou sur le lit pour lui
voler un baiser.

« Reviens. » exigea-t-il à la place, exactement comme ce matin là.

Et, à nouveau, elle négligea de répondre.

°O°O°O°O°

Ce fût le miroir qui le réveilla au beau milieu de la nuit.

Pestant silencieusement de voir son sommeil une nouvelle fois écourté, Albus s’empara du
miroir pour faire face au visage mécontent de Lucius Malfoy.

« C’est un échec. » lâcha immédiatement le Sang-Pur, sans banalités d’usage. « Il a terminé


la baguette lui-même. »

Un rare frisson d’effroi descendit le long de sa colonne. « Elle fonctionne ? »

« Suffisamment bien pour raser une ville entière. Cardiff n’existe plus. » déclara Lucius,
cachant mal sa propre horreur. « J’ai déjà eu des artefacts gorgés de magie noire entre les
mains mais une magie aussi vile… »

Albus ferma les yeux.

« Vous soupçonne-t-il ? » s’obligea-t-il à demander.

L’attaque sur Draco quelques heures avant qu’on ne dépose le corps d’Ollivanders paraissait
une trop grosse coïncidence mais, en même temps, il gardait un œil suffisamment attentif sur
le cinquième année pour savoir que ce n’était pas la première attaque qu’il subissait.
Simplement la plus meurtrière.

« Je ne pense pas. » répondit Lucius. « Mais il est plus paranoïaque que jamais. »

Et plus dangereux, nul doute.


Warped

“It happens in the epilogue. The stories after the stories. Warriors who have fought
return home, but find they no longer belong. The battle has changed them, warped them,
to the point where they are strangers. They protected the society they love, but in so
doing made themselves into something that could never again belong to it.”
Starsight – Brandon Sanderson

« Ça se passe dans l’épilogue. Les histoires après les histoires. Les guerriers qui ont
combattu rentrent chez eux, mais s’aperçoivent qu’ils n’y ont plus leur place. Combattre
les a changés, les a déformés, jusqu’à être devenus des étrangers. Ils ont protégé la
société qu’ils aiment mais, ce faisant, se sont transformés en quelque chose qui ne
pourra plus jamais y appartenir. »
Starsight – Brandon Sanderson

Il s’était écoulé trois jours depuis Cardiff et la brûlure sur son épaule la dérangeait toujours.
Tonks n’avait toujours pas trouvé le temps d’aller la montrer à un Médicomage, se contentant
de la soigner avec un baume qu’elle avait déniché au fond d’un tiroir de l’ancien bureau de
Fol’Œil.

Peut-être que c’était ça le problème, songea-t-elle distraitement, en faisant jouer l’articulation


de son épaule, tout en se penchant sur la carte étalée devant eux. De l’autre côté de la large
table, les manches retroussées jusqu’aux coudes, exhibant ses propres brûlures et coupures en
cours de guérison, Kingsley fixait lui aussi le gigantesque parchemin du regard comme si la
solution allait miraculeusement apparaître.

Nymphadora avait depuis longtemps conclu qu’ils auraient beau étudier les plans d’Azkaban
sous toutes les coutures, ils n’auraient pas plus d’idées. Mis à part un assaut frontal, elle ne
voyait pas ce qui fonctionnerait.

Ils étaient seuls dans la salle de briefing pour le moment mais les plus jeunes recrues
entraient et sortaient sans cesse pour leur porter un message ou relayer des informations, leur
faire passer des mémos colorés en provenance de différents Départements, utilisaient la
moindre excuse pour entrer dans la pièce. Elles ne cessaient, en bref, de venir les
importuner…

Il fallait dire que, dans la partie principale du Département, l’ambiance était plus que morose.

Ils n’avaient même pas eu l’occasion de se battre et cela, les Aurors avaient du mal à le
digérer. Lorsqu’ils étaient arrivés à Cardiff, il n’y avait eu aucun Mangemort à affronter. Juste
une Marque des Ténèbres dans la nuit noire et un paysage apocalyptique là où la ville s’était
tenue. Ils avaient cherché des survivants toute la nuit, avaient fouillé les décombres, déterré
cadavre sur cadavre… Elle s’était blessée en essayant de sortir un chien qui avait
miraculeusement réchappé du massacre de débris encore fumants, incapable de voir quoi que
ce soit d’autre mourir cette nuit là.
Cardiff avait été un charnier comme elle n’en avait encore jamais vu.

Dumbledore était arrivé tard dans la nuit, la majorité des membres de l’Ordre avec lui, sauf
les Professeurs qui étaient restés à Poudlard pour protéger l’école.

D’autres sorciers et sorcières avaient fait le déplacement de tout le pays, vers l’aube, une fois
que le bruit avait commencé à courir. Pour aider. Pour essayer de faire sens d’une horreur
telle que personne ne parvenait à l’expliquer.

La théorie qui avait atterri sur le bureau du Ministre, venue directement des tréfonds du
Ministère, était que Cardiff se situait sur une ligne de pouvoir particulièrement forte et que
Voldemort, quel qu’ait été son sortilège, s’en était très visiblement servie pour amplifier la
destruction.

Objectif accompli.

La destruction avait été totale.

Les Moldus étaient en panique. Même les plus réticents d’entre eux à remarquer l’étrange ne
pouvaient ignorer la disparition d’une ville aussi importante. Il n’y avait eu aucun moyen de
couvrir la chose ou de seulement tenter de gérer les retombées. Le Code International du
Secret Magique n’avait jamais été autant en danger.

Elle avait accompagné Scrimgeour chez le Premier Ministre Moldu, s’était tenue là, toujours
couverte de cendres, de poussière et de sang, pendant que John Major perdait son calme et
invectivait le Ministre de la Magie. Scrimgeour avait à peine réagi, comprenant sans doute
que l’homme avait tous les droits de lui demander des comptes. Ils étaient arrivés à se mettre
d’accord sur une histoire de tremblement de terre à l’ampleur catastrophique.

Percy et Kingsley les avaient attendus lorsqu’ils étaient revenus au Ministère avec la
mauvaise nouvelle que le Magenmagot était en séance exceptionnelle et les attendait. Percy
lui avait jetée un coup d’œil et, sans même demander l’autorisation, lui avait jeté un sortilège
de nettoyage. Comme si ça avait été sa priorité…

Parce qu’ils étaient le numéro un et la numéro deux du Département des Aurors, c’était à elle
et à Kingsley que les membres du Magenmagot avait demandé des comptes, à peine moins
hostiles avec Scrimgeour, leur reprochant leur incompétence, les accusant presque d’être
responsables de tous les échecs répétés du Ministère…

Tonks qui, jusque là avait évolué dans un état second, avait fini par perdre son calme et leur
faire remarquer, malgré les tentatives de Kingsley et de Scrimgeour pour la faire taire, que
s’ils avaient perdu moins de temps à s’acharner à faire passer Harry et Dumbledore pour des
fous et un peu plus à se préparer pour le retour de Voldemort – déclenchant plusieurs bruits
choqués au son de son nom – les choses auraient sans doute été différentes.

Ils avaient réclamé sa tête au bout d’une pique.

Dégoutée, fatiguée, elle avait craché qu’elle démissionnait.


Scrimgeour avait calmement déclaré que si elle partait, il partait avec elle, et Kingsley avait
renchéri, laissant le Magenmagot extrêmement mécontent mais fort embêté car la vérité
qu’ils préféraient tous ignorer était que, sans eux, le Ministère ne tiendrait pas une journée.

C’était il y a trois jours.

Et, depuis, elle et Kingsley cherchaient désespérément une solution plus proactive que
d’attendre que les Mangemorts les attaquent.

« Café ? » soupira son partenaire, s’écartant de la table pour aller remplir sa tasse à la petite
table dans le coin qui offrait thé ou café chaud à volonté. L’un comme l’autre était
absolument révoltant mais ils subsistaient pourtant de ça et des sandwich insipides de la
cafétéria depuis des jours : le café en intraveineuse, couplé de manière fort peu intelligente à
des doses régulières de philtre de force.

Elle accepta et se laissa tomber sur une des chaises, observant les allées et venues de leurs
collègues à travers les vitres qui donnaient sur l’open space. « Je n’en peux plus de regarder
cette carte. »

« Même si on trouvait la faille… » remarqua Kingsley, en posant sa tasse nouvellement


remplie devant elle, avant de fermer la porte d’un coup de baguette et de baisser la voix.
« Soit on se fie à cette prophétie et on jette en pâture un ado de quinze ans à Voldemort, soit
on espère que Dumbledore peut le vaincre. »

« Je croyais que tu étais son plus grand fan ? » se moqua-t-elle, sans hostilité. Elle n’avait pas
assez d’énergie pour être hostile. Elle n’avait plus assez d’énergie pour rien.

Elle n’avait même pas assez d’énergie pour être triste ou en colère ou pour ressentir quoi que
ce soit d’autre qu’une profonde lassitude.

« Je crois qu’Albus Dumbledore est le plus grand sorcier de ce siècle et qu’il est le seul à
pouvoir nous sortir de là, oui. » répondit calmement son ami. « Mais Voldemort a détruit une
ville entière. Seul. D’un unique coup de baguette. »

C’était ce qu’ils avaient pu tirer des rares témoins.

Voldemort. Seul. Un geste. Et puis le désastre.

Elle ferma les yeux, se frotta le visage… « Peut-être qu’on peut se servir de Grindelwald. »

Elle ne plaisantait même plus, c’était le plus triste. Et, là où elle aurait rechigné à se servir de
qui que ce soit, fusse un mage noir, quelques semaines plus tôt, à ce moment là, elle
n’éprouvait pas le plus petit remord de le suggérer.

« Il faudrait en discuter avec Dumbledore. » répondit Kingsley, ayant sans doute considéré la
chose lui-même. « Il faut réunir l’Ordre. Ça fait trop longtemps. »

« Ces réunions sont une blague et le resteront tant qu’on n’aura pas trouvé par où filtrent les
informations. » rétorqua-t-elle. « Tu sais que… » La porte s’ouvrit sans prévenir,
l’interrompant. Elle jeta un regard noir à la jeune fille qui se tenait sur le seuil. « Qu’est-ce
qu’il y a ? Et personne ne t’a jamais appris à frapper ? »

Pas une autre urgence, supplia-t-elle silencieusement, elle n’était pas en état d’aller se battre
ou d’aller récupérer des cadavres.

Quant au fait qu’elle se comportait parfois comme Fol’Œil avec les jeunes, elle ne voulait
même pas y penser.

« Désolée. » s’excusa la recrue, après s’être raclé la gorge. Elle entra dans la pièce, une large
enveloppe à la main. « C’est sur votre bureau depuis ce matin, je me suis dit que c’était peut-
être important. »

Nymphadora attrapa l’enveloppe par réflexe et la lâcha tout aussi rapidement, se reprochant
immédiatement son manque de prudence.

L’enveloppe n’était pas une de celles qu’utilisaient les Départements du Ministère.

« D’où ça sort ? » demanda-t-elle sèchement, en faisant léviter la lettre dans les airs d’une
torsion du poignet. Le sceau était vaguement familier. Deux S entrelacés en relief sur de la
cire verte…

Elle avait vu le tampon sur le bureau de Severus, dans ses appartements, elle s’était même
moquée de lui parce qu’il s’était fait faire un sceau sur mesure comme les Sang-Purs…

« Je ne sais pas. » offrit la jeune fille. « C’était déjà là quand j’ai posé un mémo sur votre
bureau ce matin et je viens d’y retourner pour porter des papiers à signer et c’était toujours là
alors… »

Tonks ne se détendit pas pour autant, jetant plusieurs sorts de détection sur l’enveloppe.

La jeune recrue l’avait touchée, elle aussi, et ne paraissaient pas s’en porter plus mal, mais
cela ne voulait rien dire. Certains poisons étaient lents.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Kingsley, congédiant la recrue d’un geste.

Ses sorts ne donnaient rien.

Elle claqua la langue, incapable de s’ôter de l’idée que quelque chose clochait.

« Je ne suis pas sûre. Ad Vinculat. » murmura-t-elle, s’assurant que le sortilège de


confinement ait pris avant de décacheter l’enveloppe d’un coup de baguette. S’il lui prenait
l’envie d’exploser, à présent, les dégâts seraient contenus à la sphère magique. Il ne se passa
rien. D’un autre coup de baguette, elle fit léviter une carte et un écrin hors de l’enveloppe. La
carte était rectangulaire, ornée de discrètes arabesques aux coins et elle en avait également
vues des similaires sur le bureau de Severus, avec son nécessaire à correspondance. Il n’y
avait rien d’écrit dessus mis à part la signature qu’elle savait être la sienne. Excepté que la
signature était trop nette pour ses mains tremblantes et qu’elle avait été tracée à la plume et
pas au stylo bille. « Tu veux bien jeter un sort de détection, s’il te plait ? Je ne trouve rien. »
Kingsley s’exécuta puis secoua la tête. « Je ne trouve rien non plus. Ni sur l’enveloppe, ni sur
la carte, ni sur l’écrin. »

Avec réticence, elle annula le sort de confinement et celui de lévitation, laissant le tout
retomber lentement sur la table. Elle ne fit aucun geste pour toucher quoi que ce soit.

Ce fût le moment que choisit Scrimgeour pour entrer dans la pièce, uniquement pour se figer
lorsqu’il remarqua l’attitude tendue des deux Aurors.

« Que se passe-t-il ? » s’enquit le Ministre.

« Apparemment Tonks n’est pas très bijoux. » répondit Kingsley, sur le ton de la plaisanterie.

Ou, du moins, ce qui passait pour de la plaisanterie lorsqu’on était épuisé physiquement et
moralement.

Tonks ne se laissa pas distraire, étudiant les trois objets, sourcils froncés. Elle jeta deux autres
sorts de détection, plus poussés, qu’elle avait trouvés dans un des grimoires de Severus lors
de sa convalescence dans les cachots. Ils ne révélèrent rien de plus.

« Severus Snape. » grogna Scrimgeour, en approchant suffisamment pour lire la carte.


« Oserais-je demander pourquoi un Mangemort… Pardon, un ancien Mangemort tourné
espion sur le tard vous envoie des bijoux ? »

« Je préfèrerais que vous restiez à distance, Monsieur le Ministre. » déclara-t-elle, en


s’interposant entre lui et la table. « Je ne suis pas certaine qu’il y n’ait aucun risque. »

Ce n’était pas parce qu’elle ne trouvait rien qu’il n’y avait rien à trouver.

« Avec un ancien Mangemort, le contraire serait étonnant. » commenta l’ancien Auror, non
sans sarcasme. « Mais vous le défendez toujours si farouchement dès que son nom vient dans
la conversation, je suis surpris que… »

« Je suis quasiment certaine que ça ne vient pas de lui. » l’interrompit-elle, avec agacement.

« Ce n’est pas son écriture ? » demanda Kingsley, en attirant la carte plus près de lui du bout
de sa baguette pour mieux l’examiner.

« Si. » confirma-t-elle. « Mais je pense que la carte date de quelques mois. Sa signature ne
serait sans doute pas dure à se procurer. Le sceau sur l’enveloppe était aussi le sien mais il ne
serait pas bien difficile à répliquer, non plus… » Kingsley et Scrimgeour échangèrent un coup
d’œil qui en disait long. Elle lâcha un soupir. « Je sais que j’ai l’air paranoïaque mais… »

« Ça fait trois jours que nous campons ici, Tonks… » la coupa gentiment son partenaire.
« N’est-il pas possible que tu lui manques, tout simplement ? »

Elle espérait bien qu’elle lui manquait parce que, lui, il lui manquait. Violemment. Elle aurait
tout donné pour quelques minutes volées en tête à tête. Une étreinte, un baiser… Elle se serait
contentée d’une conversation par cheminette.
Mais elle n’avait pas le temps.

Elle n’avait pas quitté le Ministère depuis Cardiff, avait dormi dans son bureau lorsqu’elle
avait pris le temps de fermer l’œil quelques heures et les seuls contacts qu’elle avait eus avec
Severus étaient le patronus qu’elle lui avait envoyé pour l’informer qu’elle allait bien et celui
qu’il lui avait envoyé la veille. Le faon n’avait délivré aucun message particulier mais elle
l’avait enlacé tout de même, avait posé la joue contre son flan, s’émerveillant de sa
consistance, et s’était laissée imprégner de l’affection qui s’en dégageait.

Elle savait que c’était sa manière maladroite de lui dire qu’il pensait à elle.

De là à lui faire parvenir au Ministère une lettre avec un écrin à l’intérieur ?

« Ça ne lui ressemble pas. » insista-t-elle.

Percy passa la tête dans la salle de réunion, un épais agenda serré contre son torse.
« Monsieur le Ministre, vous avez rendez-vous par cheminette avec le Président de la Magie
français dans quinze minutes. »

« Weasley, trouvez-moi comment cette enveloppe est arrivée sur le bureau de Tonks. »
ordonna le Ministre, en sortant sa baguette.

« Mais, monsieur… » protesta son assistant.

« Tout de suite. » l’interrompit Scrimgeour, avant de jeter un sort sur l’écrin. « Je ne détecte
rien d’alarmant. Puis-je ? » Elle haussa les épaules, le regardant ouvrir l’écrin d’un coup de
baguette. Il laissa échapper un sifflement admiratif. « Eh bien, on ne se moque pas de vous. »

Le plus ironique était qu’elle serait tombée amoureuse de la bague si elle n’avait pas été
persuadée qu’il y avait quelque chose de très, très louche dans cette histoire.

Elle était très visiblement ancienne, une antiquité sans doute. L’argent était ouvragé,
s’enroulait en spirales autour d’une large pierre d’ambre ovale qui avait la couleur chaude du
miel. Un peu grande mais elle aurait pu la porter à l’index ou au pouce et elle n’aurait pas
dépareillée des autres bagues qu’elle portait parfois.

Le bijou était magnifique et la mit immédiatement mal à l’aise.

À la seconde où la pierre fût exposée à la lumière, la température baissa brusquement de


quelques degrés.

Ça aurait pu être mis sur le compte de la fatigue ou de la paranoïa…

« Fais monter un Langue de Plomb ou un Briseur de Sorts s’il y en a un dans le bâtiment. »


demanda-t-elle à Kingsley. « Ça ne vient pas de Severus. Ma main à couper. »

Kingsley ne discuta pas, sans doute percevait-il lui aussi l’aura sombre qui se dégageait du
bijou, et quitta la pièce.
Lorsqu’ils furent seuls, Scrimgeour poussa un léger soupir. « Loin de moi l’idée de vous dire
qui fréquenter… »

« Tant mieux parce que je ne le prendrais pas bien. » l’interrompit-elle, sans se soucier de son
impertinence.

Le Ministre lui jeta un regard sévère mais ne la reprit pas. « Il ne sera pas un atout pour votre
carrière. »

« Je ne suis pas avec lui pour ma carrière. » rétorqua-t-elle.

Scrimgeour la dévisagea longtemps puis reporta son attention sur la bague. « Êtes-vous
certaine qu’il ne s’agit pas simplement d’un geste d’affection ? Les hommes, aussi idiots
soient-ils, se rappellent parfois que leur moitié apprécie ce genre d’attentions. »

Elle secoua la tête. « Il ne m’enverrait jamais ce genre de choses ici. » Ils ne s’écrivaient déjà
pas en temps normal, n’avaient jamais échangé de cadeaux, alors le faire directement sur son
lieu de travail ? Non, Severus ne ferait pas ça. « Et il ne m’offrirait pas de bague. »

C’était trop connoté.

Un collier ou un bracelet, à la rigueur, lui auraient paru moins suspects.

Une bague…

Severus maîtrisait trop la subtilité pour ça.

« Je maintiens, c’est donc un idiot. » déclara le Ministre, d’un ton paternaliste qui lui fit lever
les yeux au ciel.

Percy revint à la charge sur ces entrefaites. « Personne ne sait comment l’enveloppe est
arrivée là. Monsieur le Ministre, le Président français. »

« Oui, oui… » répondit Scrimgeour, en agitant la main. « Faites-le patienter quelques


minutes. »

« Vous n’êtes pas obligé de rester, vous savez. » lâcha-t-elle. « J’ai déjà un suspect en tête. »

« Un autre Mangemort ? » suggéra-t-il, pince-sans-rire.

« Severus n’est plus un Mangemort depuis longtemps. » s’agaça-t-elle, en le fusillant du


regard. Ses cheveux virèrent au rouge. « Il a risqué sa vie de trop nombreuses fois et a payé
un trop gros prix pour que je vous laisse l’insulter comme ça, Ministre de la Magie ou pas. »

« Monsieur le Ministre. » soupira Percy, d’un ton déterminé. « Je me dois d’insister… »

« Quelques minutes, Weasley. » insista-t-il.

Percy n’avait pas l’air content du tout lorsqu’il partit et le lui fit comprendre d’un regard noir
comme si c’était elle qui avait dérangé l’emploi du temps du Ministre.
Ce n’était pas tout à fait faux, supposait-elle.

« Vous méritez mieux. » décréta Scrimgeour, avant de lever une main en signe de paix.
« Mais ce ne sont pas mes affaires et vous êtes suffisamment intelligente pour savoir ce que
vous faites. Parlez-moi de votre suspect. »

« Il y a pas mal de gens qui veulent ma peau mais on m’a laissé entendre que Lestrange était
proche de son frère. » expliqua-t-elle.

Kingsley revint accompagné d’un sorcier d’une quarantaine d’années qui ne se présenta pas
mais portait les robes caractéristiques des Langues de Plomb. Ils attendirent tous en silence
pendant que l’homme examinait enveloppe, carte, écrin et bague.

Il ne trouva rien sur les trois premiers mais, après plusieurs minutes, et quelques sortilèges
déclara que la bague faisait l’objet d’une malédiction. L’aurait-elle passée à son doigt qu’elle
se serait soudain mise à saigner par tous les orifices jusqu’à ce que l’hémorragie la tue. Cela
aurait duré une poignée de minutes et aurait été très douloureux.

Charmant.

« N’avions-nous pas saisi l’inventaire du coffre des Lestrange ? » demanda Scrimgeour,


nettement moins amusé qu’il ne l’avait été un peu plus tôt.

« Ce que Gringotts avait bien voulu nous donner. » marmonna Kingsley, aussi renfrogné que
lui.

Nymphadora soupira. Elle aurait volontiers partagé leur indignation et leur colère,
principalement parce qu’ils ne savaient toujours pas comment la bague était arrivée là, ce qui
tendait à prouver qu’elle avait été déposée et que, donc, ils étaient infiltrés – non qu’il y ait
véritablement un doute à ce sujet, le Ministère était un moulin – mais elle ne parvenait pas à
rassembler assez d’énergie pour se sentir choquée qu’on ait essayé d’attenter à sa vie.

Le stratagème était grossier.

C’était presque vexant.

« Monsieur le Ministre… » Percy venait de réapparaître, plus déterminé que jamais.

« Allez-y. » soupira Tonks. « Je vais consulter l’inventaire… »

Mais ce n’était pas comme s’ils pouvaient faire beaucoup plus que de confirmer d’où venait
l’attaque.

Scrimgeour pinça les lèvres, un air soucieux sur le visage. « Inspectez votre bureau de fond
en comble et passez le reste des locaux au peigne fin. Discrètement. » Il lui jeta un regard
embarrassé. « Une nouvelle fois, ce ne sont pas mes affaires, mais il y a un avantage certain à
vos… fréquentations : Poudlard sera toujours plus sûr que votre appartement. Ne rentrez pas
chez vous et certainement pas seule. » Elle voulut protester mais il lui jeta un regard sévère.
« Ne prenez pas la chose à la légère. Ne vous en déplaise, il y a des personnels clefs que nous
ne pouvons nous permettre de perdre et vous en faites partie. Poudlard ou l’une des cachettes
de l’Ordre du Phoenix mais pas chez vous, Tonks. »

Elle était toujours irritée par cet ordre, deux heures plus tard, lorsqu’elle s’installa finalement
pour consulter l’inventaire du coffre des Lestrange, après avoir fouillé son bureau sous tous
les angles. Elle n’aimait pas l’idée de se laisser chasser de chez elle.

D’un coup, elle comprenait mieux l’insistance de Draco à demeurer dans les cachots.

Les Lestrange avaient beaucoup d’artefacts magiques ou non, de bibelots et autres pierres
précieuses dans leur coffre. Une coupe apparemment inestimable, quatre colliers ensorcelés,
une autre tonne de bric-à-brac…

Des pages et des pages…

Les Gobelins avaient rechigné à leur donner ne serait-ce qu’un inventaire vague et avaient
visiblement décidé de les noyer sous la paperasse dans le but de diminuer la rupture de
confidentialité avec leurs clients… Clients qui avaient toujours le droit de se servir dans leur
coffre, recherchés ou non, parce que la banque magique respectait ses propres règles.

Il y avait bien quelques bagues catégorisées comme magiques sur la liste… Quant à savoir si
c’était l’une d’elles ou non…

« Tu trouves ? » demanda Kingsley, au bout d’un moment.

Elle referma l’inventaire avec un soupir. « Non. Il y a plus important, de toute manière. Prêt à
recommencer à étudier les plans d’Azkaban jusqu’à saigner des yeux sans l’aide d’une bague
maudite ? »

Pour toute réponse, son partenaire offrit d’aller chercher davantage de café.

°O°O°O°O°

Sirius ne se souvenait pas de quand il avait pénétré dans la chambre de son frère pour la
dernière fois.

Cela dit, il ne se souvenait pas de quand il avait parlé à son frère pour la dernière fois.

Que s’étaient-ils dit ? Avait-il été désagréable ? Agressif ? Avait-il reproché à Regulus de
trop jouer au parfait Sang-Pur comme il le faisait souvent ? L’avait-il une nouvelle fois mis
en garde contre l’influence de Bellatrix ? L’avait-il ignoré ? Rabaissé ? S’étaient-ils
disputés ?

Il ne se souvenait pas.

On savait rarement qu’une conversation allait être la dernière…

Il dût se faire violence pour passer le seuil de la pièce, après avoir caressé du bout des doigts
les initiales gravées sur la porte, tâchant de ne pas trop briser le silence qui régnait sur la
maison. Remus était dans la bibliothèque et recherchait une explication à ce qui avait bien pu
se passer à Cardiff comme si cela aurait pu faire une quelconque différence. Nyssa devait
encore dormir puisque le soleil brillait toujours haut.

Remus avait eu l’air hagard lorsqu’il l’avait croisé en arrivant, toujours choqué par le degré
de destruction dont il avait été témoin. Il n’avait pas eu les mots pour l’expliquer à Sirius,
s’était contenté de l’étreindre… C’était peut-être le seul bon côté de son empoisonnement,
décida-t-il. S’il n’avait pas été aussi malade, il aurait peut-être insisté pour accompagner
Dumbledore et l’Ordre, même si le Directeur avait spécifiquement demandé aux Professeurs
de demeurer au château, alertes et prêts à réagir en cas d’attaque. Les images dans la Gazette
avaient été terribles mais n’étaient rien à côté de la réalité, à ce qu’il paraissait.

Cependant, s’appesantir sur ce qu’il ne pouvait pas changer n’aiderait personne, se rabroua-t-
il, en allumant les lumières d’un lumos informulé. Il ferma silencieusement la porte dans son
dos et fit quelques pas dans la pièce, son regard s’attardant sur le blason familial peint au
dessus de la tête de lit, sur le Toujours Pur quelque peu fané par les ans, et sur les multiples
coupures de journaux placardés au mur. Une collection entière d’articles consacrés à
Voldemort.

Sa mission consistait à fouiller la chambre. Chercher le médaillon ou des indices.

Comme si ça avait été aussi simple.

Comme si se tenir au milieu de cette pièce n’était pas un crève-cœur.

Comme si les sentiments ambivalents qu’il éprouvait pour Regulus n’avaient pas menacé de
le paralyser depuis des jours.

Ce n’était pas à cause du poison qu’il avait gardé le lit toute la journée, le lendemain de leur
chasse à l’horcruxe, mais parce qu’il était assommé par la révélation que Regulus ait pu faire
quelque chose d’aussi…

Où était son frère ?

Severus paraissait certain qu’il était mort mais il avait aussi pensé que l’Ordre l’avait tué or
Sirius était certain que ce n’était pas le cas. Et si ce n’étaient ni les Mangemorts, ni
Voldemort, ni l’Ordre… S’il n’y avait pas de corps… Était-il possible que son frère ait fui
quelque part avec l’horcruxe pour essayer de le détruire ? Allait-il trouver un jeu de piste qui
le mènerait à Regulus ? Un Regulus qui respirait toujours ?

Regulus aurait trente-quatre ans, à présent. À quoi ressemblait-il ? Quel genre d’homme était-
il devenu ? Était-il possible que…

Folie, murmura une voix à l’arrière de sa tête. La voix de la raison.

Sirius ferma les yeux et souffla lentement. Cela faisait des mois qu’il n’avait plus imaginé de
fantômes dans chaque coin sombre, qu’il avait cessé de se torturer avec le passé… Depuis
qu’il était libre, depuis qu’Harry était revenu et que Severus le tenait occupé avec leurs
recherches…
Mais le papier portant la signature de son frère n’avait pas quitté sa poche depuis trois jours.

Remplis la mission avant que Remus ne vienne voir ce que tu fabriques, se morigéna-t-il, en
se forçant à bouger, à soulever la pile de livres abandonnés sur la commode… On aurait dit
que le temps s’était figé dans la chambre, comme si son propriétaire allait revenir d’une
seconde à l’autre. Tout avait été laissé tel quel mais il n’y avait pas une trace de poussière,
cela ne sentait pas le renfermé, comme si le ménage avait été fait récemment… Kreattur sans
doute. Pour mieux le torturer, lui.

Severus avait offert de l’accompagner.

Il aurait dû accepter.

Mais il n’était pas un gamin et cela était beaucoup moins suspect que lui fouille la chambre
de son frère que de se faire prendre la main dans le sac avec l’ancien espion.

Sauf que Severus l’aurait obligé à se concentrer et l’aurait empêché de prêter attention aux
spectres imaginaires qui ne vivaient que dans sa tête. Parce que Regulus n’était plus le gamin
de huit ans que Sirius était en train d’imaginer sauter sur le lit et qui voulait tout savoir sur
Poudlard.

Concentre-toi, se dit-il.

Bien évidemment, il n’y avait pas de flèches lumineuses désignant la cachette du médaillon.
Il fouilla tous les endroits où son frère aimait gardait ses secrets – du moins, là où il avait
aimé les cacher à l’époque où ils se parlaient encore – il souleva la latte branlante sous le lit
mais n’y dénicha que des magasines, certains Moldus, qui avaient très visiblement été volés
dans sa propre chambre.

Il fit coulisser le faux fond du placard, les rouages étaient grippés et crissèrent suffisamment
fort pour alerter le reste de la maison probablement mais personne ne vint poser de questions
alors il jeta un lumos pour éclairer l’intérieur de la cloison… Les robes noires et le masque
d’argent finement ouvragé lui retournèrent l’estomac.

Il fouilla les tiroirs de la commode par acquis de conscience, remuant le linge mangé par les
mites sans rien y trouver, retourna la vieille malle au pied du lit sans que rien ne lui saute aux
yeux, avisa un coffret sur la table de nuit qui refusa de s’ouvrir, se souvint avec un temps de
retard du Noël où Narcissa l’avait offert à son frère…

Mot de passe. Le coffret était protégé par un mot de passe, elle en avait eu un similaire.
L’avait-elle encore ?

« Toujours Pur. » murmura-t-il, absolument pas étonné lorsque cela fonctionna. Regulus
n’était pas le plus imaginatif.

Il y avait des lettres à l’intérieur.

Il en parcourut une ou deux, ne fût par surpris que la majorité d’entre elles soient de Bella…
Il n’y avait rien là-dedans sur les horcruxes mais il emporta quand même la liasse juste au cas
où pour les lire plus tard, pour vérifier qu’il ne ratait rien.

Il ouvrit et feuilleta les quelques livres dans la pièce au cas où quelque chose serait caché à
l’intérieur mais ne trouva rien d’important.

À court d’idées, il attrapa une des photos, l’équipe de Quidditch de Serpentard. Son frère était
devant au milieu, sérieux comme à son habitude alors que l’équipe chahutait autour de lui
malgré les tentatives de Terrens pour y mettre bon ordre.

« Pourquoi est-ce tu n’es pas venu me trouver ? » siffla-t-il, plus en colère qu’il ne l’avait
réalisé.

Si Regulus était venu lui demander de l’aide…

Parce que tu ne m’aurais pas écouté, répondit la voix de son frère, aussi nette que s’il s’était
tenu dans la pièce.

« Sirius ? »

Il sursauta, pivotant automatiquement en levant sa baguette vers la voix, bien réelle, qui
n’appartenait pas à un fantôme.

Nyssandra se tenait sur le seuil, une expression curieuse sur le visage. Elle ne portait qu’un
tee-shirt, un tee-shirt qui lui appartenait, ses cheveux étaient en bataille et sa peau était encore
marquée des plis des draps. Elle était belle à lui donner envie de la dévorer et le désir
immédiat qui lui tordit le ventre l’aida à se recentrer bien davantage que ses tentatives
ridicules de se répéter qu’il n’était pas fou.

« Qu’est-ce que tu fais ? » demanda-t-elle, sans jugement ou suspicion.

Pourquoi l’aurait-elle jugé ou suspecté alors qu’il se tenait dans la chambre d’un frère décédé
à parler à sa photo, se dit-il, ce n’était sans doute pas la chose la plus étrange qu’il ait jamais
faite.

« Je… Je n’ai pas arrêté de penser à lui, ces derniers jours. » lâcha-t-il. Ce n’était même pas
un mensonge. « Je ne sais pas pourquoi. » Ça, c’était un mensonge, mais un qu’il couvrit en
reposant lentement le cadre, lui tournant à moitié le dos. « Il est encore tôt pour toi, non ? »

« J’ai entendu du bruit. »

Il ne sursauta pas lorsqu’il sentit ses mains se poser sur ses épaules, descendre le long de ses
bras… Elle s’était déplacée vite et en silence mais il n’avait jamais commis l’erreur d’oublier
qu’elle était un prédateur mortel. Il ne résista pas lorsqu’elle l’enlaça, inclinant la tête
lorsqu’elle frotta son nez contre son cou, lui offrant sa carotide…

Elle ne l’avait jamais mordu et elle ne le ferait pas.

Mais il aimait jouer avec le danger.

« Tu veux me parler de lui ? » demanda-t-elle doucement.


Il voulait la traîner hors de cette chambre et jusqu’à la sienne.

Il voulait la pousser sur le lit et oublier toute cette merde, prétendre pour un petit moment que
la situation n’était pas aussi affreuse qu’elle l’était.

Il fût donc surpris de s’entendre lui raconter une stupide anecdote, d’un temps où Regulus
n’était pas encore devenu le parfait héritier que lui n’était pas. Ses yeux le brûlaient, sa gorge
le démangeait. Il le mit sur le compte de la poussière inexistante.

Il ne voulait plus éprouver ces remords, ce sentiment de gâchis, alors il se tourna,


s’interrompant en plein milieu d’une phrase, et l’embrassa jusqu’à ne plus pouvoir respirer.

°O°O°O°O°

Nymphadora passa les grilles de Poudlard un peu avant l’heure du diner, non sans avoir fait
un tour à Pré-au-Lard d’abord pour s’assurer que tout était en ordre. Quitte à se retrouver
bannie de chez elle par ordre express du Ministre, elle avait décidé qu’elle pouvait se rendre
utile – plus utile qu’au Ministère où Kingsley avait fini par décréter qu’ils n’arriveraient à
rien tant qu’ils ne se seraient pas correctement reposés et lui avait interdit de passer une
nouvelle nuit dans son bureau.

À Poudlard, l’air sentait bon l’été, le ciel était d’un bleu sans nuage et si les quelques élèves
qui s’étaient installés dans le parc étaient un peu moins exubérants qu’à l’accoutumée,
l’ambiance était tout de même relativement normale. Le contraste avec Londres, le Ministère
ou le Chemin de Traverse était tel que cela lui fit presque un choc.

« Tonks. » appela la voix familière et chaleureuse de la sous-directrice alors qu’elle venait


juste de passer les grande portes et se tenait, indécise, dans le hall d’entrée.

« Professeur. » la salua-t-elle, s’obligeant à sourire mais doutant fort d’être parvenue à


dissimuler la lassitude et la fatigue incrustées sur son visage. « Vous m’évitez d’avoir à vous
chercher dans toute l’école. »

« Minerva. » corrigea la sorcière, pas pour la première fois. « Que puis-je pour vous ? Vous
venez juste de rater Albus, il est parti pour Londres à l’instant. »

« Rencontrer le Ministre, je sais. » soupira-t-elle.

Elle avait fait remarquer qu’il aurait été judicieux qu’elle ou Kingsley soit présent parce que
Scrimgeour comptait discuter avec lui des possibilités d’attaquer Azkaban mais le Ministre
semblait penser qu’elle et son partenaire tenaient à peine debout. À se demander où il était
allé chercher tout ça.

McGonagall la dévisageait par-dessus ses lunettes avec un œil critique. « Venez avec moi, ma
chère. »

Tonks ne chercha même pas à protester, se retrouvant, sans surprise, installée dans le bureau
de la Directrice de Maison des Gryffondors, une tasse de thé généreusement sucrée à la main
et une assiette remplie de petit sandwiches devant elle. Elle devait être plus fatiguée qu’elle
ne le pensait parce que, sur l’ordre impérieux de la sorcière, elle but et mangea avec avidité et
ne put qu’admettre une fois rassasiée qu’elle se sentait un plus alerte.

Elle jeta un regard coupable à la vieille femme qui l’observait avec désapprobation.

« Vous et Severus êtes bien pareil. » la rabroua-t-elle. « Vous êtes toujours la dernière
personne dont vous vous souvenez de prendre soin. Oserai-je demander depuis quand vous ne
vous êtes pas nourrie ? »

« J’ai mangé un paquet de chips à midi ? » avoua-t-elle, en grimaçant. Puis elle se souvint
qu’elle était une Auror confirmée et pas une élève sous son égide et se racla la
gorge. « Comment ça se passe avec les nouveaux Aurors que je vous ai envoyés ? »

McGonagall pinça les lèvres. « Eh bien, ils semblent parfois oublier qu’ils ne sont plus des
élèves et je les retrouve fréquemment dans leurs anciennes salles communes avec leurs amis.
Mais je suppose que vous le savez déjà. »

Elle soupira, se laissant aller un peu trop pour être professionnelle dans le confortable fauteuil
qui faisait face au bureau de la sous-directrice. « J’ai dû redéployer les Aurors à la retraite qui
servaient de formateurs et il faut bien que je case les recrues quelque part. Préférablement là
où ils ne se feront pas tuer à la première baguette levée. »

Le Professeur hocha la tête. « Oui, c’est ce que Severus m’a dit. »

« Je vais être honnête, laisser l’école sans davantage de protection ne me plait pas, surtout
avec votre… invité de marque. » lâcha-t-elle. « Mais, objectivement, j’ai besoin des Aurors
plus expérimentés ailleurs et… Sirius est ici. Charlie et Anthony sont là, la plus grande partie
du temps. Je suis ici assez souvent. Bill et Remus arriveraient dans la seconde. Sans parler de
vous, Severus et de Dumbledore. La vérité c’est que Poudlard ne manque pas de gens qui
savent se battre et seraient capable de tenir le temps que le Ministère redirige les Aurors. Ce
n’est pas le cas d’autres zones plus vulnérables. »

« Je comprends bien. » soupira la sous-directrice. « Envoyez-nous vos recrues, nous leur


trouverons bien quelque chose à faire pour les occuper. »

Elle se força à la remercier d’un sourire puis se frotta les yeux.

« Vous devriez aller vous reposer. » conseilla McGonagall, non sans compassion. « On m’a
dit que Cardiff… »

« Je préfèrerais ne pas en parler. » la coupa-t-elle, en se levant brusquement. « Savez-vous


où… »

« Dans son laboratoire, avec Horace. » répondit la sorcière, avant qu’elle ait pu terminer sa
question. « Utilisez ma cheminée, si vous le souhaitez. »

La tentation de s’éviter une traversée du château était trop forte et elle accepta avec gratitude,
émergeant dans le bureau du Directeur de Maison plutôt que dans ses appartements – de une,
parce qu’elle n’avait pas envie de trébucher sur le pare-feu, de deux parce qu’elle n’était pas
certaine qu’elle aurait résisté à l’envie de simplement aller s’écrouler sur le lit.

Les pierres humides et glissantes du passage secret qui menait à son laboratoire la firent
grommeler entre ses dents. Elle trébucha trois fois mais finit par atteindre la porte. Elle frappa
puis entra sans attendre.

Si Slughorn eut l’air surpris de la voir débarquer par la porte dérobée qui menait au bureau
plutôt que par celle qui donnait sur le reste des cachots, il le cacha bien vite.

Quant à Severus, il avait dû sentir son intrusion au travers des protections. Ils n’avaient
jamais discuté le fait qu’il les avait modifiées pour qu’elle puisse passer sans difficulté mais
elle ne pouvait nier apprécier la manière dont sa magie embrassait la sienne à chaque fois
qu’elle les franchissait. Au début, il lui avait fallu se frayer un chemin au travers ou attendre
qu’il les lève pour elle… C’était un petit détail mais cela signifiait beaucoup.

« Je dérange ? » demanda-t-elle, bien que la question soit idiote.

Évidemment qu’elle dérangeait, ils étaient clairement en train de travailler.

« Donne-moi dix minutes. » réclama Severus, la regardant à peine.

Parce qu’il n’avait vraiment été inquiet pour elle ou parce que Slughorn les étudiait sans avoir
l’air ?

Elle alla se percher sur la seule station de travail vide de la pièce, celle qu’ils avaient utilisée
pour préparer l’antidote, agrippant le rebord de la table si fort que le bois laissa des échardes
dans ses paumes. Elle n’écoutait pas leur débat sur les quantités de telle ou telle plante qu’il
faudrait rajouter, observant sans vraiment la voir la faible lueur qui émanait de leur
chaudron…

Ses jambes pendaient dans le vide, trop lourdes, et elle ne tarda pas à courber la nuque,
laissant ses cheveux bruns retomber de par et d’autre de son visage…

Dix minutes s’étaient-elles écoulées lorsque les chaussures du Maître des Potions entrèrent
dans son champ de vision ?

Lentement, elle releva la tête, réalisant qu’ils étaient seuls. À quel moment Slughorn était-il
parti ?

« Dans quel état t’es-tu mise ? » murmura Severus, un peu tristement.

Il repoussa ses cheveux bruns en arrière pour mieux dégager son visage, l’étudiant avec
attention. Elle aurait voulu se laisser aller complètement, tomber même, en sachant qu’il la
rattraperait, pleurer, peut-être hurler…

Elle cilla et l’impulsion disparut mais trop tard pour ne pas qu’il la lise dans ses yeux.

« Tu ne mentais pas lorsque tu disais travailler sur tes boucliers. » remarqua-t-il, d’un ton
neutre.
L’Occlumencie était la seule chose qui lui avait permise de rester debout, ces derniers jours,
mais elle n’était pas sûre de totalement la contrôler. Ce n’était pas elle qui avait levé les
boucliers, ils s’étaient mis en place tout seuls à Cardiff, comme si son esprit avait voulu se
protéger de l’horreur ambiante. Et depuis elle ne ressentait plus rien ou très peu.

C’était reposant.

Un peu effrayant.

Cela aussi, il dût le lire sur son visage.

« Nymphadora… »

Il lui caressa la joue. Le geste était si tendre qu’il lui fit mal.

Elle baissa les yeux, s’efforçant de retrouver un peu d’entrain. « Juste pour être sûre… Tu ne
m’as rien envoyé au Ministère aujourd’hui, hein ? »

« Bien sûr que non. » répondit-il, en fronçant les sourcils. « Pourquoi ? »

« On a déposé une enveloppe sur mon bureau avec ton cachet, une de tes cartes avec ta
signature et une bague très légèrement maudite. » plaisanta-t-elle.

Ou essaya.

Cela tomba à plat.

Il avait l’air horrifié. À nouveau, il toucha son visage, ses yeux l’inspectant avec davantage
de minutie, cherchant une blessure ou…

« Tu n’as rien ? » demanda-t-il.

Elle eut un bruit amusé. « Lestrange doit croire que je suis vraiment idiote. »

Severus secoua la tête, se rapprochant encore. Elle écarta automatiquement les jambes pour
lui laisser plus de place, n’ayant rien contre l’idée de le sentir proche. Assise sur le plan de
travail, comme elle l’était, leurs visages étaient presque au même niveau.

« Mon sceau, ma signature… » ragea-t-il. « Tu aurais très bien pu t’y laisser prendre. »

Elle leva les yeux au ciel. « Oh, s’il te plait… Ce n’est pas comme si tu avais l’habitude de
me faire ce genre de surprises, ce n’est pas vraiment ton style. Je me serais méfiée même si
ça avait été un simple bouquet de fleurs. »

Elle avait voulu le rassurer mais il l’observait maintenant avec incertitude et une vulnérabilité
qu’elle devinait largement gommée par ses boucliers mentaux.

« Est-ce quelque chose que tu voudrais ? » hésita-t-il. « Des fleurs ou des attentions plus…
romantiques. »
Il prononça le mot comme s’il l’avait personnellement offensé.

Elle n’avait jamais voulu lui donner l’impression de se plaindre ou de réclamer quelque
chose. Grimaçant un peu, elle joua avec un des boutons de ses robes. « Ce n’est pas ton
style. »

« Mais cela te ferait plaisir. » déduisit-il.

« Je n’ai pas besoin que tu me séduises. » se moqua-t-elle gentiment, en rencontrant son


regard. « Je suis déjà tombée sous ton charme, au cas où tu l’aurais oublié. »

« Mais cela te ferait plaisir. » répéta-t-il, comme si c’était la seule chose qui importait.

Elle passa les bras autour de son cou, resserrant légèrement les jambes pour l’obliger à
s’approcher encore…

« Tu sais ce qui me ferait plaisir, là tout de suite ? » murmura-t-elle, en effleurant ses lèvres
des siennes.

Elle sentit la chaleur de ses paumes sur ses cuisses puis sur sa taille.

« Un bain, un repas chaud et une nuit complète de sommeil ? » suggéra-t-il, avec ce qui
n’était pas tout à fait du sarcasme mais pas tout à fait de l’humour non plus.

« Aussi, mais plus tard. » admit-elle, cherchant sa bouche pour un baiser qu’il lui refusa.
« Severus. »

Le gémissement frustré lui arracha un ricanement.

Elle le fusilla du regard, bien que ça manquait un peu de force. « Tu es cruel. »

« Très. » confirma-t-il. « Et toi épuisée. »

Elle l’était.

Suffisamment pour qu’elle sente les larmes lui monter aux yeux lorsqu’il se déroba à
nouveau alors qu’elle tentait de l’embrasser. Il dût comprendre qu’elle n’appréciait pas le jeu
parce qu’il fronça les sourcils et plaça une main sur sa joue, la forçant à incliner légèrement
la tête en arrière.

« Nymphadora ? »

Elle n’avait pas les mots.

Elle ne savait pas comment expliquer qu’elle ne voulait ni se prélasser dans l’eau chaude, ni
avaler quelque chose de bon ou même s’abandonner au sommeil, que l’idée même de faire
l’une de ces choses lui tordait le ventre parce que c’était un luxe que tant de personnes
n’auraient plus et…
« Nymphadora. » répéta-t-il, un peu plus fermement, son pouce retraçant lentement sa
pommette. « Parle-moi. »

Elle secoua la tête, la voix rauque. « Je ne veux pas parler. Je veux juste… Je veux ressentir
quelque chose. »

Son regard sombre cherchait le sien mais elle détourna les yeux.

« Si tu baisses tes boucliers… » conseilla-t-il.

« Je ne veux pas baisser mes boucliers. Je veux me sentir vivante. » répliqua-t-elle, un peu
trop sèchement. « Et je te garantie que baisser mes boucliers ne m’aidera pas de côté-là. »

Si elle lâchait prise…

Non…

Non.

« Tu veux me faire plaisir ? Tu veux faire quelque chose pour moi ? » insista-t-elle. Il ne
recula pas lorsqu’elle chercha à l’embrasser, cette fois-ci, mais il n’y répondit pas vraiment
non plus. « C’est ça que je veux. »

« Tu es fatiguée. » protesta-t-il. « Et très visiblement bouleversée. »

« Et toujours très agacée quand des hommes essayent de m’expliquer mes propres sentiments
comme si j’étais trop stupide pour savoir ce que je veux. » siffla-t-elle, l’attirant plus près,
laissant sa main s’égarer entre leurs deux corps, éprouvant une satisfaction un peu trop
prononcée lorsqu’elle l’entendit inspirer brusquement. « Oui ou non, Severus ? »

Il était si près de refuser.

Elle le lut dans ses yeux, la certitude que c’était une mauvaise idée ou qu’il ne devrait pas
accepter par pur principe, parce qu’elle n’était pas entièrement maîtresse d’elle-même…

Mais elle savait ce qu’il aimait, elle savait comment le faire céder, et, lorsqu’il ferma les
paupières sous l’effet de ses doigts, elle sut aussi qu’elle avait gagné.

Et il n’était pas particulièrement heureux qu’elle l’ait obligé à capituler. Il n’avait jamais
vraiment aimé perdre la main mise sur la situation et n’aimait pas être manipulé, surtout pas
par elle à qui il faisait confiance.

Il l’embrassa avec violence, arracha sa veste avec une agressivité à peine contrôlée…

Toutefois, ce n’était pas son contrôle légendaire qu’elle voulait à l’instant et cela lui
convenait très bien comme ça.

Leurs mains étaient impatientes, exigeantes, se repoussant l’une l’autre pour aller plus vite,
pour prendre le dessus, pour…
Cela ressemblait plus à un duel qu’à autre chose. S’il attaquait, elle répliquait. S’il reculait,
elle allait le chercher. Il était en colère après elle, une colère rentrée, une colère
soigneusement maîtrisée pour ne pas qu’elle transparaisse dans ses gestes, une colère qui
enflait à mesure qu’elle le provoquait, et elle…

Elle, elle ne pouvait plus réfléchir.

Elle ne pouvait que ressentir.

Et c’était exactement ce qu’elle avait voulu.

Alors elle fit tout ce qui était nécessaire pour le faire sortir de ses gonds.

°O°O°O°O°

Severus était irrité et pas aussi satisfait qu’il aurait dû l’être étant donné ce qui venait de se
passer.

Il n’était pas tout à fait certain d’à quel moment ils avaient réussi à retourner dans ses
appartements, encore moins de comment ils étaient parvenus jusqu’à sa chambre, la dernière
demi-heure était d’un flou quasiment total, perdue en sensations plutôt qu’en réflexions.

Ce qu’il savait, à cet instant précis, en revanche, c’était qu’il regrettait un peu d’avoir cédé à
ses avances. Pas parce qu’il n’en avait pas tiré du plaisir mais parce qu’il n’était pas
convaincu que, malgré ce qu’elle prétendait, cela lui avait fait du bien. Ils avaient eu de
nombreux échanges au cours des derniers mois : passionnels ou tendres, sensuels ou légers,
rapides ou étirés à la limite du supportable… Aucun de leurs rapports n’avait jamais été aussi
brutal que celui-ci et il n’était pas certain d’être à l’aise avec ça.

Son dos le piquait là où elle l’avait griffé et il devinait qu’elle ne tarderait pas à arborer les
marques de ses doigts sur ses hanches et ses poignets sous forme d’hématomes.

Or il ne voulait pas laisser de bleus sur son corps. Jamais. Pour aucune raison que ce soit. Pas
même si elle l’encourageait en murmurant son nom à son oreille. Il y avait d’autres manières
de se faire plaisir que d’attiser la colère de son partenaire jusqu’à ce qu’aucun d’eux ne soit
plus maître de ses actes.

Couchée sur le ventre, sans s’être préoccupée de remonter les draps sur son corps nu, elle
refusait à présent de le regarder, gardait la tête résolument tournée et le regard rivé au mur,
trop intensément pour qu’elle ne soit pas en train de penser à des choses déplaisantes. Chacun
de ses muscles était tendu.

Rarement auparavant avait-il senti cette distance entre eux et jamais après l’amour.

La main qu’il posa sur son dos était hésitante. Elle tressaillit mais ne protesta pas, ne chercha
pas à s’en débarrasser, alors il retraça distraitement sa colonne, étudiant avec un agacement
certain la brûlure en passe de guérison sur son épaule. Soit, elle n’avait pas pris le temps de la
soigner, soit le baume qu’elle avait utilisé était de piètre qualité. Il en avait un pot dans la
réserve et prévoyait déjà d’en étaler une bonne dose sur la blessure avant de la laisser quitter
son lit. Le problème était qu’il faudrait, pour ça, aller chercher l’onguent et qu’il n’était pas
entièrement certain qu’elle serait toujours là quand il reviendrait.

Il ne savait pas comment interpréter son humeur à l’instant.

Cela faisait des semaines qu’il constatait, avec inquiétude, son abattement croissant mais il ne
savait pas quoi dire ou quoi faire pour lui remonter le moral. Ce n’était pas comme si ce qui
la tracassait était trivial, après tout. Ce n’était pas comme s’il était lui-même d’un optimisme
délirant ou libre de tout tracas.

« T’ai-je fais mal ? » demanda-t-il, trop anxieux pour seulement tenter de le cacher. Il l’avait
empoignée avec tant de brutalité, l’avait poussée sans ménagement, était pratiquement certain
qu’elle s’était cognée contre une étagère à un moment… Elle n’avait pas été beaucoup plus
tendre avec lui mais il ne se préoccupait guère de son propre sort. Ce n’était pas à elle de
faire attention, c’était à lui. C’était lui qui avait le passif génétique d’une brute.

Au moins, la question eut le mérite d’attirer son attention.

« Non. » protesta-t-elle immédiatement, tournant légèrement la tête pour croiser son


regard. « Non, Severus, bien sûr que non. »

Elle ne mentait pas.

Sa respiration se fit un peu plus facile et il se détendit légèrement. Il continua à caresser son
dos, cataloguant, sans même s’en rendre compte, les quelques coupures en passe de se
refermer, principalement sur ses épaules et ses bras et les hématomes déjà jaunis. Rien n’était
aussi alarmant que la brûlure mais il comptait bien s’en occuper aussi avant qu’elle ne reparte
sauver le monde.

Elle n’avait pas vu de Médicomage après Cardiff, cela était certain.

Il aurait dû prendre contact avec elle, décida-t-il, s’assurer qu’elle prenait correctement soin
d’elle.

Mais elle n’était pas revenue à Poudlard et ils n’avaient pas pour habitude d’échanger
d’hiboux – il ne faisait pas confiance à la poste sorcière, en règle générale, et encore moins
depuis que le Seigneur des Ténèbres avait repris le pouvoir. Lorsque le silence était devenu
insupportable, il lui avait envoyé un patronus qui était censé ne lui apparaître que lorsqu’elle
serait seule. Mais il n’avait pas su quoi dire…

Il ne savait toujours pas quoi dire à l’instant mais savait qu’il devait dire quelque chose, que
cela créerait un mauvais précédent s’il se taisait.

« Je ne suis pas étranger au besoin de trouver un… dérivatif face à des souvenirs
dérangeants. » lâcha-t-il lentement, tâchant de mesurer chaque mot parce que la dernière des
choses qu’il souhaitait était de la faire fuir. Il continua à caresser sa peau nue, attentif à ne pas
toucher les petites plaies, aussi insignifiantes soient-elles. « Je n’ai aucune objection à ce que
tu te serves de moi comme distraction, Nymphadora. Lorsque tu le souhaites. Comme tu le
souhaites, que ce soit pour parler ou plus. Cependant… Plus jamais de cette manière ci. » Il
déglutit péniblement, cachant mal, sans doute, le regret dans sa voix lorsqu’il effleura les
marques que ses doigts avaient laissé dans le creux de sa taille. « Il est dangereux pour toi
d’essayer de me mettre en colère lorsque… Je ne voudrais pas… »

Elle roula sur le côté pour lui faire face, alarmée. « Severus, tu ne m’as pas fait mal. »

« Mais j’aurais pu. » contra-t-il. Son visage se ferma lorsqu’il se mit à occluder. « Ne
m’utilise pas comme un instrument de punition parce que tu te sens coupable. »

« Je n’ai jamais dit que je me sentais coupable. » protesta-t-elle, en s’asseyant, ramenant le


drap sur sa poitrine.

« Tu n’en as pas besoin. » rétorqua-t-il. « C’est évident. »

Elle le fusilla du regard, écartant d’un coup de tête agacé les cheveux bruns qui lui tombaient
dans les yeux. « Oh, bien sûr… Tout est toujours évident pour toi, hein ? Tu sais tout mieux
que tout le monde. Mieux que moi, très visiblement. »

Il ouvrit la bouche et la referma immédiatement, au prix d’un très, très gros effort.

Sous l’irritation, la colère, dans sa voix, il y avait une véritable détresse. Et beaucoup
d’impuissance.

« Je ne vais pas me disputer avec toi. » l’avertit-il.

« Trop aimable. » répliqua-t-elle.

Il s’assit lui aussi, appuyant les bras sur les genoux et regardant partout dans la pièce plutôt
que vers elle. Il occluda la colère, il occluda le sentiment d’injustice…

« Je ne suis pas venue ici pour me disputer… » reprit-elle, un peu essoufflée, un peu trop sur
la défensive.

« Trop aimable. » railla-t-il, avant de pouvoir s’en empêcher.

« Tu sais quoi… » s’énerva-t-elle. « Vas te faire voir ! »

Il attrapa son bras avant qu’elle ait pu rejeter le drap pour mieux faire une sortie fracassante.
Preuve qu’elle ne devait pas avoir très envie de s’en aller, elle se figea, la tête baissée, sans
rencontrer son regard.

« Nymphadora. » gronda-t-il, sans autant d’hostilité qu’il aurait pu y mettre. Elle courba un
peu plus le dos. Il soupira, tirant gentiment sur son bras. « Viens ici. »

À son grand soulagement, elle ne lui résista pas et se fondit dans ses bras, se recroquevillant
contre lui comme si elle voulait disparaître.

« Je suis désolée. » murmura-t-elle.


Il déposa un baiser sur le sommet de son crâne, resserrant son étreinte autant qu’il l’osa. «
Inutile. »

« Si. » insista-t-elle. « Je suis affreuse depuis tout à l’heure et je ne sais même pas
pourquoi… »

Il s’apprêtait à lui répéter que, au risque de se voir à nouveau accusé de lui expliquer
comment elle se sentait, elle était très visiblement éreintée et que cela expliquait ses sautes
d’humeur, lorsqu’il sentit l’intrusion dans ses protections. Aucune résistance, à peine un
avertissement, parce que la personne était autorisée à entrer comme bon lui semblait.

« Il y a quelqu’un à la porte. » lâcha-t-il, en s’extirpant du lit, cherchant son caleçon sans le


trouver.

« Harry ? » demanda-t-elle, en remontant à nouveau le drap sur elle.

« Non. » grimaça-t-il.

La porte d’entrée s’ouvrit et se ferma avec une négligence flagrante. « Servilus ? »

Où étaient passé ses sous-vêtements ? Ou ses vêtements, d’ailleurs ?

Il était conscient qu’ils en avaient semés quelques uns dans le laboratoire et probablement
dans son bureau mais…

« Sirius ? » chuchota Nymphadora, avec une certaine panique. « Pourquoi est-ce qu’il peut
rentrer comme il veut ? »

« En cas d’urgence. » expliqua-t-il, abandonnant sa quête de vêtements pour attraper la robe


de chambre jetée au bas du lit. « Une erreur de jugement momentanée que je vais
m’empresser de corriger. »

« Hello ? Snape ? »

La voix de Black était presque à la porte de la chambre.

Il lutta pour nouer la ceinture avec des mains peu coopératives et se dépêcha de sortir avant
qu’il ait pu lui venir l’idée saugrenue d’entrer. Il prit grand soin d’à peine entrebâiller la porte
et de la refermer derrière lui.

Black se figea, visiblement surpris de le voir apparaître tout à coup. Ou bien, se dit Severus,
alors que l’homme l’étudiait de haut en bas avec un rictus moqueur, c’étaient les jambes
pâlichonnes qui dépassaient de la robe de chambre et les pieds nus qui l’avaient surpris.

« Qu’est-ce que tu fais là ? » siffla-t-il, d’un ton menaçant. Aussi menaçant qu’il pouvait
l’être, du moins, quand il ne portait qu’un morceau de laine sur le dos.

Black, pour sa part, ne semblait pas s’être aperçu qu’il était à deux doigts de recevoir un
maléfice en plein visage. Il était trop occupé à le dévisager avec un sourire narquois
horripilant, les sourcils levés.
« Je viens au rapport. » répondit-il. « Et toi, qu’est-ce que tu faisais ? »

« Je prenais une douche. » mentit-il. Stupidement. Depuis quand avait-il à se justifier sur ce
qu’il faisait chez lui ? Il tâcha d’occluder le puéril sentiment de panique qui l’avait envahi,
comme s’il avait été pris en faute.

« Oui, ça m’arrive de prendre ce genre de douche, moi aussi. » se moqua ouvertement Black.
« J’en ai pris plusieurs avec Nyssa, tout à l’heure, d’ailleurs… »

Severus fit la grimace, n’ayant ni l’envie, ni le besoin, ni l’inclination de connaître ce genre


de détails.

« J’espère au moins que tu t’es assuré qu’Harry ne risquait pas d’interrompre ta… douche. »
continua l’Animagus.

L’accusation était si offensante qu’il oublia momentanément de l’envoyer paître. « Harry


révise avec ses amis et n’a aucune intention de mettre les pieds ici, ce week-end. Pour qui tu
me prends ? »

« Pour quelqu’un qui prend des douches au milieu de la journée et sème ses affaires
partout. » ricana Black. « Si tu cherches ton caleçon, il pend au miroir là-bas. »

Il indiqua, d’un geste paresseux du pouce, par-dessus son épaule, le vieux miroir un peu
opaque dans l’entrée. Auquel était effectivement accroché son caleçon.

Il y avait des humiliations dont même l’Occlumencie ne pouvait le sauver.

Le visage écarlate, il esquissa un geste pour attraper Black et le raccompagner à la porte par
la peau du cou lorsqu’il y eut un bruit sourd derrière lui, suivi d’une bordée de jurons à peine
étouffés.

Si Black avait été amusé jusque là, il jubilait à présent. « Attends, ce n’était pas une douche
solitaire ? Il y a quelqu’un ? » Severus refusa de répondre et tenta, à nouveau, de l’attraper
pour le traîner jusqu’à l’entrée mais l’homme esquiva avec un petit rire. « Servilus ! Tu ne
m’as jamais dit que tu avais réussi à séduire Sinistra, petit cachotier ! Salut, Aurora ! »

« Ce n’est pas Aurora ! » grinça-t-il, parvenant finalement à l’attraper, un peu trop conscient
du silence pesant de l’autre côté de la porte.

« Oh. » lâcha l’Animagus, en se laissant entraîner sans trop de résistance. « Désolé ! » cria-t-
il, en direction de la chambre, avant de dévisager Severus. « C’est qui alors ? »

Ça aurait sans doute été un très bon moment pour tout avouer.

Sans doute.

Seulement, il rechignait à dire à Black qu’il fréquentait sa petite cousine – une cousine qu’il
considérait très visiblement comme une petite sœur ou une nièce – alors qu’il était si évident
qu’ils venaient de… Ce n’était pas qu’il tenait tant que ça à l’amitié de l’autre sorcier mais il
s’était habitué à une relation plus cordiale et il était pratiquement certain de pouvoir deviner
comment ce genre d’annonce serait prise étant donné le contexte…

Non, non, il n’allait certainement pas dire à Black qu’il couchait avec Nymphadora alors que
son caleçon pendait au miroir de l’entrée. Caleçon qu’il décrocha au passage et enfouit dans
sa poche, comme pour mieux effacer les preuves.

Il était chez lui, se répéta-t-il pour tromper son malaise, il était chez lui et y faisait ce qu’il y
voulait.

« Ça ne te regarde pas. » gronda-t-il.

« Excuse-moi, c’est peut-être la future belle-mère de mon filleul, ça me regarde un peu ! »


protesta son rival, en se tordant le cou pour regarder derrière lui, espérant visiblement que la
jeune femme allait sortir de la chambre pour éclaircir le mystère. « Ou bien est-ce que c’est
juste une histoire de fesses ? »

Severus parvint à ouvrir la porte d’entrée et à le pousser à l’extérieur mais uniquement, il en


était conscient, parce que Black se laissa plus ou moins faire. « Bonsoir, Black. »

« Attends ! » exigea l’homme, avant qu’il ait pu lui claquer la porte au nez. Il était redevenu
sérieux. Trop sérieux. Et il baissa la voix. « Je n’ai rien trouvé. »

Oubliant momentanément sa honte ou ce que la situation avait de gênant, Severus fronça les
sourcils. « Tu es certain d’avoir cherché partout ? »

Black hocha la tête. « Il n’y avait rien dans sa chambre. Juste le costume du parfait
Mangemort, masque inclus. »

« Dans ce cas, il faut fouiller le reste de la maison. » soupira-t-il. Ce qu’il avait espéré éviter.

« Ce soir ? » proposa l’Animagus.

Il hésita. Agir sous le couvert de la nuit aurait été intelligent…

Seulement, il ne voulait pas laisser Nymphadora, pas lorsqu’il était évident qu’elle n’allait
pas bien.

« Demain après-midi. » décida-t-il. « Nous emmènerons Bill. Après tout, tu as bien le droit
d’engager un Briseur de Sort pour évaluer ta collection d’artéfacts familiaux, n’est-ce pas ? »

Absolument pas dupe de la raison pour laquelle il ne voulait pas aller au Q.G. ce soir là,
Black se remit à sourire comme l’abruti qu’il était. « Tu es sûr que ce n’est pas Aurora ? »
Severus ferma la porte – et verrouilla les protections – mais ça ne l’empêcha pas d’entendre
le rire dément de l’Animagus. « McGonagall ? Chourave ? Pomfresh ? »

Le Maître des Potions s’éloigna en secouant la tête, en se demandant si Harry lui en voudrait
véritablement s’il assassinait légèrement son parrain. Peut-être un autre poison, songea-t-il,
en rouvrant la porte de sa chambre, un qui…
Son petit fantasme de vengeance mourut dans l’œuf.

Nymphadora se tenait debout près de la commode où elle avait très visiblement récupéré le
tee-shirt qu’elle utilisait d’ordinaire comme pyjama et qu’elle ne cessait d’oublier, pas si
accidentellement que ça, dans la salle de bain. Il déduisit que c’était en l’enfilant qu’elle
s’était cogné.

Il déduisit aussi que les chances qu’elle n’ait pas entendu les stupidités de Black étaient très
minces.

D’abord, parce que sa poitrine se soulevait beaucoup trop vite.

Ensuite, parce que, malgré un effort visible, ses yeux étaient pleins de larmes dont certaines
avaient débordé.

Et, enfin, parce que ses cheveux étaient un mélange entre le noir d’encre qui signifiait qu’elle
était furieuse et un vert vif qu’il n’avait encore jamais vu.

Préventivement, il leva les deux mains devant lui, résistant à peine à l’envie de jeter un
bouclier, se morigénant de ne pas avoir pensé à récupérer sa baguette plus tôt.
« Nymphadora… »

« Sinistra ? » siffla-t-elle,

Il ne paniqua pas. Il refusait de paniquer. Il n’avait absolument rien fait de mal.

« Nymphadora… »

L’étui de cuir qu’elle portait habituellement sanglé sur son avant-bras était par terre à côté du
lit, baguette toujours à l’intérieur. Elle le repéra, fit plusieurs pas vers lui, mais s’immobilisa
lorsque Severus s’interposa, mains toujours levées.

« Il est inutile de perdre ton calme pour… » tenta-t-il.

« Perdre mon calme ? » répéta-t-elle. « Pourquoi est-ce que je perdrais mon calme ? Je suis
très calme. »

Elle était tout sauf calme.

Mais étant donné qu’elle choisit de sortir en trombe de la chambre plutôt que d’essayer de
récupérer sa baguette – que Severus, après un moment de considération, poussa davantage
sous le lit juste au cas où il aurait besoin d’attraper la sienne en premier – il décida de ne pas
le lui faire remarquer à voix haute.

Il la suivit.

Que pouvait-il faire d’autre ?

« Pourquoi est-ce que Sirius pense que tu couches avec Sinistra exactement ? » cracha-t-elle,
en arpentant son salon de long en large.
« Parce que c’est un idiot qui saute sur la première conclusion venue plutôt que d’utiliser son
cerveau. » lâcha-t-il.

« Et la première conclusion sur laquelle il pouvait sauter c’est que toi tu sautes Sinistra ? »
tonna-t-elle, avec suffisamment de colère pour que sa magie lui échappe.

La tasse qu’Harry avait abandonnée sur la table basse et qu’il n’avait pas encore trouvé le
temps de ramener dans la cuisine explosa.

Severus s’était retrouvé en danger de mort suffisamment de fois pour ne pas traiter la
situation à la légère.

Ce n’était, de toute manière, pas tant sa colère qu’il redoutait que la douleur sur son visage,
dans sa voix.

« Il a mal interprété une chose que je lui ai dite et il s’amuse depuis à me trouver des idylles
parmi nos collègues. » expliqua-t-il, en s’efforçant de garder un ton placide, apaisant.

Elle lâcha un bruit qui n’avait pas grand-chose d’amusé. « Si c’est vrai, pourquoi est-ce que
tu ne lui as pas dit la vérité ? Pourquoi est-ce que tu ne lui as pas dit que tu n’étais pas
libre ? »

Il leva les yeux au ciel. « Je ne porte qu’une robe de chambre et tu voulais que je choisisse ce
moment là pour lui dire ? Je suis à peu près certain de savoir ce qu’il aurait visé avec son
diffindo… »

Elle ne trouva pas sa plaisanterie amusante.

« Ça fait des mois qu’on est ensemble ! » rétorqua-t-elle. « Et tu n’as toujours pas trouvé
l’occasion de le lui dire ? »

« Le bon moment ne s’est jamais présenté. » se défendit-il.

Et, très bien, peut-être était-il un peu réticent à entacher leur relation nouvellement amicale.
Or il craignait fortement que Black ne soit pas vraiment bien disposé à l’idée qu’il fréquentait
sa cousine.

Il n’était, après tout, pas Remus Lupin et ne méritait pas l’approbation instantanée qui allait
avec son amitié.

« Mais, visiblement, il y a eu un bon moment pour parler de Sinistra ! » contra-t-elle, en


attrapant un presse-papier sur une étagère uniquement pour le reposer à un endroit différent.
« Je te préviens, si je découvres que tu couches avec elle… » Elle ramassa un coupe papier, il
retint sa respiration mais elle se contenta de le poser ailleurs. « C’est un fossile ! Elle doit
avoir… »

« Elle est plus jeune que moi. » se sentit-il obligé de l’interrompre.

Une erreur vu le regard noir qu’elle lui jeta. « Pile ton genre, dans ce cas ! »
Elle referma la main sur un bibelot, ce coup-ci. Une statuette en forme de dragon qu’Albus
lui avait ramenée d’un voyage en Chine quelques années auparavant…

Un objet au demeurant contondant.

« Nymphadora, c’est ridicule ! » explosa-t-il, n’y tenant plus. « Que fais-tu avec ça ? »

« J’essaye de me retenir de ne pas te le jeter à la tête ! » riposta-t-elle. « Ou d’aller pousser


cette idiote de la Tour d’Astronomie ! Et, ce, si je ne lui fais pas manger un de ses foutus
télescopes d’abord ! »

Un peu alarmé par le sérieux, le désespoir, dans sa voix, il traversa la pièce et lui arracha le
dragon des mains. Bien heureusement, elle se laissa faire. Mais, en un sens, il aurait presque
préféré qu’elle continue à hurler parce que les larmes qui coulaient sur ses joues…

Il les essuya du revers de la main, suprêmement mal à l’aise.

« Je ne veux pas te perdre… » souffla-t-elle, en cherchant son regard. « Je ne veux pas… Je


la tuerai, je te jure que j’en suis capable… Ou… Ou peut-être pas… Mais je l’enfermerai
quelque part et… »

« Inutile de planifier un kidnapping. » l’interrompit-il, son irritation se transformant


lentement en amusement. « Je n’ai jamais été intéressé par Aurora. »

Ce n’était pas tout à fait vrai.

Ils avaient tous les deux été à Serpentard, ce qui leur avait fait un point commun. Qu’elle ait
été pendant longtemps la seule autre enseignante en dessous de la barre des cinquante ans
leur en avait fait un autre. Il aurait été malhonnête de nier qu’ils s’étaient brièvement tournés
autour l’année où elle avait rejoint le corps professoral. Mais ce n’était pas allé beaucoup plus
loin.

Severus n’avait jamais cherché de relations amoureuses.

Et il n’était pas suffisamment stupide pour lui avouer une vague attirance qui datait d’années
auparavant et n’avait abouti à rien.

« Le vert n’est pas ta couleur. » se moqua-t-il gentiment, en tirant légèrement sur une des
mèches colorées.

Elle n’était apparemment pas encore prête à en rire.

« Je ne veux pas te perdre. » répéta-t-elle, en agrippant l’épaisse laine de la robe de chambre


avec une telle détresse que…

Il soupira, encadrant son visage de ses mains tremblantes pour mieux l’obliger à le regarder
en face. « Tu ne vas certainement pas me perdre parce que j’aurais soudain décidé que je te
préférais Aurora Sinistra. Elle ne t’arrive pas à la cheville, tu en es consciente ? Aucune
femme ne t’arrive à la cheville. Tu es la seule que je vois. La seule à qui je pense. La seule
que je… »
Il s’interrompit, rougissant légèrement et avec l’impression d’en avoir trop dit.

Il ne s’attendait pas vraiment à ce qu’elle éclate en sanglots.

Elle avait l’air à moitié horrifiée, à moitié paniquée. Probablement parce qu’elle venait de
réaliser la scène qu’elle était en train de lui jouer.

« Je suis… Je suis désolée ! » hoqueta-t-elle. « Je ne sais pas… Je ne sais pas ce que j’ai…
Je… »

Il l’attira contre lui parce qu’il ne voyait pas bien quoi faire d’autre. Il était à court de potions
calmantes ce qui, étant donné les tendances d’Harry aux crises de panique et les examens qui
approchaient, risquait de devenir un problème. Ses mains étaient loin d’être stables mais,
dans un bon jour, peut-être pourrait-il essayer de… Une potion simple serait peut-être
accessible s’il ne s’attendait pas à un résultat parfait ?

« Tu es épuisée. » la gronda-t-il. « Et puisque tu n’es pas sujette à ce genre de crises


d’hystérie d’habitude, je pense, sans grande peur de me tromper, que tu as aussi besoin
d’évacuer. »

Elle s’accrochait désormais à lui avec désespoir mais contrôlait plus ou moins ses sanglots.
Elle secoua la tête et enfouit le visage dans le creux de son épaule.

Il lui caressa les cheveux, à peine rasséréné de voir que le noir et le vert avaient cédé la place
au brun plus naturel. « L’Occlumencie est un outil extrêmement utile. Toutefois, on m’a fait
remarquer à plusieurs reprises, et à raison, qu’en abuser n’était pas… sain. Ces sentiments
que tu fuis en les emmurant derrière tes boucliers… Tu as besoin d’y faire face. »

« Je ne peux pas. » refusa-t-elle.

Il plaça une main à l’arrière de sa tête, appuya la joue contre sa tempe. « Je suis là. Tu n’es
plus seule. »

« Tu ne comprends pas… » sanglota-t-elle. « Cardiff, c’était… Je ne peux pas. »

Il l’attira vers la chambre, ayant dans l’idée qu’elle allait soit s’écrouler de sommeil, soit
s’écrouler de chagrin et que, dans les deux cas, ils seraient toujours mieux installés au lit. Elle
se laissa faire, se rallongea docilement uniquement pour se blottir contre lui lorsqu’il la
rejoignit sous les draps, comme si elle ne supportait pas l’idée de le lâcher.

Il la prit dans ses bras.

« Baisse tes boucliers et dis moi. » insista-t-il.

« Severus… » le supplia-t-elle.

« Je suis là. » répéta-t-il patiemment. « Explique-moi. »

Elle expliqua.
Lentement.

Par à-coups.

Entre deux crises de larmes.

Elle lui décrivit le désastre, le trou dans la baie, la fumée, les flammes, le cratère, les bouts de
métal tordus et brûlants qui avaient été des immeubles, le désordre apocalyptique qui n’avait
aucun sens…

L’odeur atroce de la mort qui se mêlait au spectre de la magie noire qui planait sur les lieux.

Les morts, en morceaux pour la plupart.

Ceux qui étaient en surface et ceux qu’ils avaient déterrés encore et encore en cherchant des
survivants.

L’horreur.

L’impuissance.

La sensation que plus rien n’aurait jamais de sens parce qu’elle ne parvenait pas à
comprendre ce qu’elle avait sous les yeux.

Elle parla jusqu’à ce que sa voix devienne rauque et qu’il ne reste que les larmes chaudes qui
roulaient dans son cou.

Il continua de lui caresser inlassablement les cheveux, s’attendant honnêtement à ce qu’elle


s’endorme mais lorsque ses pleurs se tarirent, elle était toujours bien réveillée – et luttait
tellement pour le rester qu’il commençait à penser qu’il y avait un problème plus sérieux
qu’un simple choix de ne pas privilégier son repos.

« Je suis désolée. » murmura-t-elle.

« Pourquoi ? » demanda-t-il, l’esprit toujours occupé par son récit glaçant.

Albus leur avait fait un résumé concis à son retour de Cardiff et Bill, qui était venu s’occuper
de la Marque la veille, lui avait également décrit la chose avec un choc et une horreur
évidents mais l’Ordre n’était arrivé qu’à l’aube et Nymphadora avait fait partie des premiers
à arriver sur les lieux. Il n’imaginait pas à quel point la scène avait dû être pénible pour ceux
qui avaient répondu à l’urgence.

Son rire sonna faux et un peu trop fatigué. « Tu n’as que l’embarras du choix… Pour t’avoir
pleuré dessus pendant vingt minutes ? Pour t’avoir fait une crise de jalousie ? Pour t’avoir
forcé la main tout à l’heure alors que tu n’avais pas très envie de… »

« Je t’assure que tu n’auras jamais besoin de me forcer la main pour ça, avoir envie de toi
n’est jamais un problème. » plaisanta-t-il, déposant un baiser sur son front. Il ne résista pas
lorsqu’elle chercha ses lèvres, savourant la tendresse du baiser pour l’excuse que c’était, aussi
inutile soit-elle. « Quant au reste… Sais-tu que c’est la première fois qu’une femme est
jalouse de mes fréquentations ? C’est presque flatteur, au fond. »

Elle rit à nouveau, enfouissant le visage dans son cou.

Il aurait préféré que son amusement n’ait pas cette lisière d’hystérie qu’il attribuait à
l’épuisement mais il préférait les rires aux larmes.

« Juste pour clarifier, toutefois… » insista-t-il. « Il n’y a que toi. » Elle resserra le bras qu’elle
avait passé autour de sa taille. « Je ne suis pas certain d’où tu penses que je trouverai le temps
de t’être infidèle, par ailleurs. »

La taquinerie ne lui arracha pas de nouveau rire.

« On est en train de perdre. » lâcha-t-elle, d’un ton las.

Et voilà, se dit-il, ils touchaient enfin au cœur du problème.

« Poudlard, c’est comme… » reprit-elle lentement. « C’est comme l’œil au milieu de la


tempête. À chaque fois que je viens ici… » Elle souffla longuement, descendit un peu jusqu’à
ce qu’elle puisse caler la tête sur son torse. La manière dont elle écarta légèrement les pans de
la robe de chambre d’abord, pour que son oreille soit contre sa peau ne lui échappa pas.
C’était son cœur qu’elle voulait entendre. Une preuve de vie. « La tempête, elle est là dehors.
Et on est en train de perdre. Je pense… Je pense qu’on a déjà perdu. »

Il posa une main sur son épaule, attentif à éviter la zone de la brûlure. « Ce n’est pas un bon
état d’esprit. »

« Mais c’est la vérité. » riposta-t-elle, avec un peu trop de désespoir. « Tout à l’heure… Tout
à l’heure, je me suis dit que j’aurais aussi bien fait de passer la bague de Lestrange parce que
c’est comme ça que ça va finir de toute manière. Tout le monde va mourir et… »

Il la tira à côté de lui pour pouvoir la regarder en face, un peu trop brutalement peut-être,
mais…

« Non. » cingla-t-il. « Tu ne peux pas raisonner ainsi. Si tu commences à raisonner ainsi… »

Ce serait terminé.

Elle mettrait juste une seconde de trop à jeter un bouclier, juste un instant de trop à esquiver
un sort de mort, juste un..

Il croisa son regard, n’eut pas à pousser beaucoup pour effleurer son esprit… Elle avait
finalement baissé ses boucliers et n’offrait aucune résistance. Il ne voulait pas envahir son
intimité de cette manière mais cela ne l’empêcha pas de sonder les émotions à la surface, le
désespoir un peu trop prononcé l’effrayait.

Il cilla, mettant un terme à l’échange, pas tout à fait sûr qu’elle avait seulement senti
l’intrusion vu l’état de nerfs dans lequel elle était.
« J’ai passé ma vie entière à attendre la mort, Nymphadora. » avoua-t-il.

Il ne se souvenait pas d’un moment où il n’avait pas craint pour sa vie. Un de ses premiers
souvenirs était le corps meurtri de sa mère qui se trainait sur le sol de la cuisine, la certitude
qu’il serait le prochain. Cela ne s’était jamais arrangé. Pendant des années il avait attendu le
coup de trop, l’accident qui l’enverrait se briser la nuque contre le coin d’une table ou la plaie
trop profonde ou mal placée qui le laisserait se vider de son sang. Et puis, plus tard, le
Seigneur des Ténèbres et, à certains moments Dumbledore, avaient remplacé Tobias.

La mort lui avait toujours rôdé autour. Sa forme Animagus n’était pas un hasard.

Et il avait attendu.

Attendu et attendu.

« Crois-moi lorsque je te dis que ce n’est pas une bonne manière de vivre. » lâcha-t-il, trop
d’émotions dans la voix.

« J’ai peur. » confessa-t-elle. « Là dehors… Ce n’est vraiment pas beau, là-dehors, Severus. »

Partons.

C’était sur le bout de sa langue, seulement muselé par la certitude que ni elle, ni Harry, n’y
consentiraient.

L’idée était pourtant là, dans un coin de sa tête, depuis un moment. Partir. Ne pas se retourner.
Créer une nouvelle vie ailleurs.

Il aurait pu le faire, en aurait été parfaitement capable… Ou du moins c’était ce dont il aurait
voulu se convaincre.

« Rien ne t’oblige à y retourner. » offrit-il à la place. Ce qui était tout aussi stupide. Il la
connaissait mieux que ça.

Son sourire était triste et il l’effaça du bout des doigts.

« Je t’interdis de mourir. » gronda-t-il. « Je t’interdis de mourir après m’avoir donné envie de


vivre. Nous survivrons à cette guerre, toi, Harry et moi, même si je dois tuer le Seigneur des
Ténèbres à mains nues, tu m’entends ? »

Elle l’embrassa avec ce même désespoir qui brillait dans ses yeux.

Il mit un terme au baiser mais garda les paupières closes, le front pressé contre le sien, se
sentant tout à la fois ridicule et trop fatigué pour s’en préoccuper.

« Ne m’oblige pas à te perdre, Nymphadora. » supplia-t-il.

Parce que cette seule idée lui donnait l’impression qu’on lui ouvrait la poitrine en deux pour
mieux lui arracher le cœur.
Il était déjà passé par là.

Il refusait de le revivre.

« Je ferai de mon mieux. » promit-elle. Elle pressa un court baiser sur ses lèvres, puis un
autre. « Sinistra ne sait pas ce qu’elle perd. »

Il accueillit la tentative de plaisanterie d’un bruit amusé, rouvrit les yeux pour mieux la
regarder, se força à revenir aux considérations pratiques…

« Tu as besoin de dormir. » déclara-t-il. Elle secoua immédiatement la tête. Il lui jeta son
regard le plus sévère mais elle était immunisée depuis le temps. « Tu ne tiendras pas à ce
rythme. » Devinant le problème, il se tourna pour pécher une fiole dans le tiroir de sa table de
nuit. « Potion de Sommeil-sans-Rêves. Pour ce soir uniquement. »

« Non… » refusa-t-elle, mais il sentait qu’elle était tentée. « S’il y a une urgence… »

« S’il y a une urgence, ils se passeront de toi. » décréta-t-il, en plaçant la fiole dans sa main.
« Tu as besoin de repos, Nymphadora. Tu n’aideras personne en te faisant tuer. »

Elle hésitait encore.

Et il n’était pas au-dessus d’une petite manipulation bien placée pour la forcer à prendre soin
d’elle-même.

« S’il te plait. » insista-t-il, en dégagea ses cheveux de son visage. « Mon amour. »

Les mèches brunes virèrent immédiatement au rose sous ses doigts et le regard qu’elle lui jeta
lui indiqua qu’elle n’était pas tout à fait dupe de son manège mais cela n’avait pas
d’importance parce qu’elle déboucha la fiole et l’avala après seulement un moment
d’hésitation. Elle se pelotonna contre lui et il la laissa faire, satisfait de la savoir en sécurité.

Étant donné son état de fatigue, il ne fût pas surpris qu’elle s’endorme dans la seconde.

Il resta là un long moment, à écouter sa respiration profonde et régulière, à fixer le plafond du


regard, sa main se perdant parfois dans la masse de ses cheveux bruns…

Le sommeil le fuyait. Il jeta un Tempus, s’étonna presque qu’il soit encore si tôt mais comprit
pourquoi son corps n’était pas prêt au repos. Après une légère hésitation, parce qu’il n’aimait
pas l’idée de la laisser alors qu’elle était si vulnérable, il s’assura qu’elle était bien installée,
au chaud, et se glissa hors du lit.

Il se rhabilla en silence, pantalon et chemise, sans s’embarrasser de ses lourdes robes, avec la
vague idée qu’il allait jeter un dernier coup d’œil à l’examen de Potions pour les A.S.P.I.C.s
auquel il manquait toujours au moins deux questions et, peut-être, s’il avait le temps, étudier
à nouveau l’ébauche de rituel qu’ils comptaient employer pour transvaser l’horcruxe. Une
fois qu’ils l’auraient trouvé.

Mais d’abord…
Ramasser leurs vêtements fût un jeu de piste.

La plupart était dans le tunnel qui menait de ses appartements au bureau du Directeur de
Maison. Et dans celui qui allait au laboratoire, encore que quelques uns avaient été jetés dans
la pièce. La dernière chose qu’il ramassa fût la veste en cuir de la jeune femme qui avait
atterri dans un chaudron heureusement vide.

Secouant la tête à leur stupidité, il rebroussa chemin, les bras chargés de vêtements, de sa
canne et de chaussures, déjà reconnaissant que personne ne l’ait pris sur le fait. L’intervention
de Black était suffisamment humiliante comme ça.

Ce fût, bien évidemment, au moment où il avait cette pensée précise, alors qu’il traversait son
bureau, que le patronus apparut dans la pièce.

Severus fusilla le phœnix argenté du regard comme si le patronus avait été capable d’aller
rapporter à son maître ce dont il venait d’être témoin – encore qu’avec Albus, il n’aurait
jamais parié contre l’impossible.

« Venez dans mon bureau, Severus. » exigea Dumbledore. L’ordre n’était même pas déguisé.
« Tonks est la bienvenue. »

Il n’allait certainement pas la réveiller avant de savoir quelle nouvelle catastrophe allait leur
tomber dessus.

Il lui vint bien à l’idée, alors qu’il époussetait les robes qu’il avait portées plus tôt et les
renfilait, qu’Albus avait découvert le pot aux roses de l’horcruxe mais qu’il invite
Nymphadora à assister à ce qui ne serait ni plus ni moins qu’un long pugilas lui paraissait
improbable. Sauf si Lupin en avait compris plus qu’il n’en avait laissé paraître et avait vendu
la mèche…

Il s’assura que ses boucliers étaient dressés et toutes ses défenses en place avant de traverser
la cheminée vers le bureau du Directeur, canne à la main. Il s’attendait à trouver Albus
trônant derrière l’énorme bureau en bois massif, peut-être Grindelwald dans le coin… Le
mage noir n’était nulle part en vue et pour cause…

Rufus Scrimgeour se tenait devant la fenêtre, les mains croisées dans le creux du dos, l’air
très mécontent. Albus était bien assis derrière son bureau mais paraissait plus amusé qu’autre
chose. Il y avait un troisième homme, avec une lourde besace sur l’épaule, qui se débattait
avec un énorme appareil photo qui laissait échapper un peu de fumée à chaque cliché.

Et il prenait cliché sur cliché.

Abasourdi, Severus se tourna automatiquement vers le vieux sorcier pour une explication qui
ne vint pas immédiatement.

« Vous êtes seul ? » demanda Albus, son regard s’attardant sur la cheminée, s’attendant
visiblement à ce que Nymphadora en sorte.
« Elle a besoin de repos, alors à moins que nous soyons en passe d’être assiégés… »
rétorqua-t-il, avec moins de mordant qu’il l’aurait voulu. Il était évident qu’ils n’allaient pas
être attaqués dans la minute. Quant à ce que le Ministre faisait là…

« Très bien. Dans ce cas, procédons. » grommela Scrimgeour, en sortant quelque chose de sa
poche.

Severus esquissa par réflexe un geste pour tirer sa baguette mais un doigt levé impératif
d’Albus le stoppa. Le tout resta suffisamment discret pour que personne ne le remarque.

Avant qu’il ait pu comprendre de quoi il retournait, Scrimgeour approchait et épinglait


quelque chose sur son torse avec un sourire de façade, avant de lui serrer la main, le tout
mitraillé par le photographe. La seule raison pour laquelle il se laissa faire fût l’ordre net dans
le regard du Directeur.

« J’ai tout ce qu’il me faut. Ça sortira demain matin. » décréta ce dernier. « Au revoir,
Professeurs. Monsieur le Ministre. »

« Quelqu’un va-t-il m’expliquer ce qu’il se passe ? » exigea-t-il finalement, lorsque le


photographe eut quitté le bureau. Il arracha la chose épinglée sur sa poitrine, parvenant
finalement à voir ce dont il s’agissait…

Une lourde médaille en or frappée du M ministériel, accrochée à un ruban vert qui indiquait
le rang de Commandeur du Grand-Ordre de Merlin. Plus communément appelé un ordre de
Merlin première classe.

« Est-ce une plaisanterie ? » s’étouffa-t-il à moitié, en tenant la médaille à bout de bras.

« Je préférerais. » déclara le Ministre.

« Allons, Rufus… » intervint Albus, en se levant et en contournant le bureau pour venir se


tenir à côté de Severus. « Nous en avons discuté. »

Ils avaient discuté de lui remettre une décoration pour laquelle un grand nombre de sorciers
auraient tué ou, tout du moins, payé une fortune ? Première nouvelle. À sa connaissance,
Albus était parti à Londres débattre des possibilités d’attaquer Azkaban. Comme s’il avait lu
ses pensées – impossible étant donné la prise ferme qu’il avait sur ses boucliers – le Directeur
lui adressa un sourire amusé. « C’est, du moins, venu dans la conversation. »

« Le Ministère ne reconnait pas l’Ordre du Phoenix comme une entité officielle. » expliqua
sèchement Scrimgeour, en le dévisageant toujours comme si rien ne lui aurait fait plus plaisir
que de l’arrêter et le trainer devant un tribunal. « En conséquences, vos activités
d’espionnage n’étaient, jusque là, pas reconnues par le Ministère. Vous voilà Commandeur du
Grand-Ordre de Merlin pour services exceptionnels rendus à la patrie au lieu d’un
Mangemort aux loyautés discutables qui pourrait être trainé devant le Magenmagot si l’envie
prenait à un Auror de venir regarder votre avant-bras de trop près. »

« Rufus. » le rappela à nouveau à l’ordre Albus.


Severus ne comprenait rien.

Certes, il était appréciable de savoir qu’il avait la garantie de ne pas être incarcéré à cause de
la Marque sur son bras mais… Il se tourna vers le Directeur, s’arrêtant à la première
conclusion possible. « Le Seigneur des Ténèbres essayait-il de m’atteindre par la voie
officielle ? »

Cela n’aurait pas été un si mauvais plan.

Le faire arrêter par les Aurors pour ses activités de Mangemort. Aurors qui n’auraient pas
manqué de le ramener au Ministère où il aurait été beaucoup plus simple pour un Mangemort
infiltré ou un sorcier sous imperium de le livrer sur un plateau au Seigneur des Ténèbres.

« Ah, je crains que l’idée ne soit pas venue de moi mais de Rufus. » offrit le vieux sorcier, ses
yeux pétillants d’amusement. « Il semble que Tonks ait quelque peu bousculé le
Magenmagot. »

« Elle s’est faite plusieurs ennemis. » acquiesça Scrimgeour.

Le visage de Severus se durcit alors qu’une colère sourde enflait en lui. Le Magenmagot et
leur inutilité criante – et croissante – aurait dû la remercier à genoux d’en faire autant pour la
communauté magique et certainement pas…

« Elle semble les collectionner. » remarqua-t-il froidement.

« Ceux-ci sont politiques. » répondit le Ministre. « Moins dangereux mais pas moins
tenaces. » L’homme soupira. « Elle finira à la tête du Département si ce n’est plus haut et,
malheureusement, qu’on le veuille ou non, c’est un poste politique. Il est inutile de donner
davantage de munitions à ses opposants. Raison pour laquelle il fallait vous légitimer. »

Scrimgeour avait l’air d’avoir avalé une potion particulièrement répugnante.

Oh, il ne l’aimait pas beaucoup.

Sans doute pensait-il que Nymphadora aurait pu trouver mieux que lui. Il n’avait pas tort.
Mais Severus était bien trop égoïste pour lui rendre sa liberté alors qu’elle ne voulait pas la
prendre.

De plus, cela allait en sa faveur. Légitimer publiquement sa position d’espion, faire de lui une
figure de héro de guerre au lieu du Mangemort aux loyautés douteuses… Ce n’était pas tant
la gloire ou la reconnaissance qu’il convoitait, il avait cessé de se préoccuper de ce genre de
choses il y avait un moment, mais un héro de guerre, un Commandeur du Grand-Ordre de
Merlin…

Un homme de cette trempe avait davantage de chances d’être autorisé à adopter le Survivant.

« Bien. Puisque nous en avons terminé… » lâcha le Ministre, en saluant le Directeur d’un
geste sec de la tête. « Albus. Ne me raccompagnez pas, je connais le chemin. »
« Un Ordre de Merlin première classe ne s’accompagne-t-il pas habituellement d’une faveur
ministérielle ? » demanda-t-il, avant que Scrimgeour ait pu quitter le bureau.

L’homme se figea puis l’observa avec un amusement qui se disputait à l’hostilité. « Comme
ne pas terminer dans les oubliettes sous le Ministère, par exemple ? »

« Par exemple. » répondit calmement Severus, non sans ironie.

Albus n’était d’aucune aide. Il se tenait là, à picorer des bonbons au citron dans une boite sur
son bureau, s’étant apparemment désintéressé de la conversation…

« On ne peut pas dire que vous manquiez de culot. » se moqua Scrimgeour. « Eh bien, que
voulez-vous ? »

L’espace d’une seconde, l’idée folle lui vint de réclamer Harry. En temps normal, si la chose
avait été plus officielle, dans un autre contexte… Demander la facilitation de l’adoption avec
l’accord de l’adolescent et de son parrain n’aurait sans doute pas été si fou que cela… À
l’instant, il était pratiquement certain que cela ne passerait pas, surtout avec Albus qui
feignait de ne pas écouter mais qui était sans doute à l’affut.

La question des Dursley n’avait pas encore été abordée et Severus ne serait pas le premier à
soulever le sujet.

« Elle ne m’en remerciera pas mais… » hésita-t-il. « Elle est exténuée. »

Il ne précisa pas de qui il parlait, c’était inutile.

Il crut voir un éclat d’approbation dans le regard du Ministre mais, qu’il soit Occlumens ou
simplement excellent politicien, l’homme était également impénétrable.

« Dites lui de prendre sa journée, demain. » déclara Scrimgeour. « Et, comme je la connais,
dites lui que je ne veux pas la voir avant au minimum quatorze heures et que c’est un ordre. »

« Merci. » lâcha-t-il, même si cela lui arrachait quelque peu la bouche. Il n’était pas
exactement étranger à la politique, lui non plus, et était parfaitement conscient que se mettre à
dos le Ministre de la Magie alors que Nymphadora occupait un poste haut placé au Ministère
lui nuirait à elle.

« Ne me remerciez pas. Je n’ai rien fait de tout ça pour vous. » rétorqua le Ministre, en
l’étudiant comme s’il était un mystère. « Elle vous défend farouchement, vous savez. Ne lui
faite pas avoir tort. Méritez la. »

Et sur cette injonction, Scrimgeour quitta la pièce, refermant lourdement la porte derrière lui.

Bien évidemment, la porte ne fit pas un bruit.

Severus se demanda si cela agaça le Ministre autant que cela agaçait le corps professoral. Il y
avait quelque chose de parfaitement horripilant à ne pas pouvoir claquer une porte lorsqu’on
essayait de faire une sortie un peu théâtrale.
Il se tourna finalement vers Albus qui continuait à suçoter ses pastilles au citron.

« Voilà qui était inattendu, n’est-ce pas ? » demanda le Directeur. « Amplement mérité, bien
sûr, mais inattendu. »

Severus soupira. « Rajoutons le Ministre de la Magie à la liste de personnes qui se sentent


obligées d’avoir une opinion sur ma vie privée. »

Le vieux sorcier rit de bon cœur à la plaisanterie puis fit le tour du bureau pendant que
l’ancien espion détaillait la médaille qu’il tenait toujours à la main avec une légère
incrédulité. Lorsqu’il s’arracha finalement à sa contemplation, ce fût pour voir Albus fouiller
dans un petit compartiment à la base d’une étagère, un petit placard plein de bric-à-brac,
apparemment. Il se redressa avec un bruit triomphant, un cadre à la main.

« On me couvrait tellement de ces babioles à une époque que j’avais stocké quelques
présentoirs. » expliqua tout naturellement le directeur. « Permettez ? » Severus lui tendit la
médaille et le laissa l’épingler avec expertise au velours pourpre qui constituait le fond du
cadre avant de replacer la vitre. « Voilà. »

Le Maître des Potions récupéra le tout sans parvenir à se débarrasser d’un certain sentiment
d’irréalité.

« Rufus s’est beaucoup attaché à Nymphadora. » commenta Albus, en retournant prendre


place derrière son bureau. Il l’invita d’un geste à s’asseoir. « Mais je suppose que vous le
saviez déjà. »

« Je sais qu’elle le tient en très haute estime. » offrit-il. Ce qui lui suffisait, elle n’avait pas
pour habitude de respecter les crétins. « Ce n’est pas le pire Ministre que nous ayons eu. »

« Non, certes. » approuva le Directeur. « Un peu trop déterminé à se passer de l’Ordre ou de


moi, à mon goût, mais pas suffisamment arrogant pour nous rejeter complètement… Et ce
n’est pas l’ambition personnelle qui le guide, ce qui est noble et beaucoup plus réconfortant,
en ces temps troublés, que les machinations de Cornélius. »

« Je suppose. » soupira-t-il, en se frottant le visage.

Le vieux sorcier l’observa, quelques secondes, puis fronça les sourcils. « Y-a-t-il un
problème avec Tonks ? Vous la disiez éreintée et Minerva m’a glissée, à mon retour, qu’elle
était au château mais n’avait pas l’air en forme… »

« Rien que du repos ne réglera. » mentit-il.

Albus n’avait probablement pas besoin d’user de Legilimencie pour savoir qu’il ne disait pas
tout à fait la vérité mais, à son crédit, n’insista pas.

Au lieu de cela, il poussa un long soupir et s’enfonça plus profondément dans son fauteuil.

Lorsque Severus sentit la tonne de sortilèges se refermer sur le bureau, des protections visant
à garder leur conversation secrète de toute éventuelle oreille indiscrète, il sut qu’il n’allait pas
aimer la suite.
Il se prit presque à espérer que le Directeur voulait finalement parler des Dursley et que les
précautions n’étaient là que pour étouffer la dispute qui ne manquerait pas d’éclater. Mais, au
fond, il savait que c’était plus grave.

« Thé ? » proposa le vieux sorcier. « Ou, peut-être, exceptionnellement, quelque chose d’un
peu plus corsé ? J’ai une bouteille d’un excellent scotch, quelque part, que Minerva m’a
rapportée de… »

« Albus. » l’interrompit-il, avec un mauvais pressentiment.

Le regard du Directeur se balada partout dans la pièce avant de revenir s’arrêter sur lui.

« Ollivanders est mort pour rien. »

Les implications le heurtèrent les unes après les autres.

Ollivanders était mort pour rien.

Le Seigneur des Ténèbres avait donc en sa possession une baguette plus noire et puissante
que…

Cardiff, bien sûr.

Plusieurs théories étaient apparues dans la Gazette sur ce qui avait bien pu se passer, dont
certaines à propos de lignes de Ley que Severus avait trouvées cohérentes mais… Bien sûr.

La tempête, elle est là dehors. Et on est en train de perdre. Je pense… Je pense qu’on a déjà
perdu.

Il fit de son mieux pour occluder l’horreur mais ne parvint pas à réprimer un frisson.

« Ollivanders serait mort de toute manière. » s’entendit-il tenter de consoler le vieil homme à
qui la culpabilité pesait visiblement. « Il fallait le tenter. »

Albus ne répondit pas immédiatement mais une bouteille et deux verres s’envolèrent des
étagères. Lorsqu’il versa une dose respectable d’alcool dans chaque verre, Severus ne
protesta pas.

Je pense qu’on a déjà perdu.

« Est-ce terminé, Albus ? » demanda-t-il, après un long silence. « Est-il temps de


considérer… un repli ? »

La fuite.

C’était ce qu’il voulait dire.

Il était déjà en train d’échafauder trois possibles plans différents…

Il aurait été plus simple de simplement attraper son fils et de quitter le pays mais…
Il ne se résignait pas à abandonner Nymphadora.

Nymphadora ne partirait pas sans Draco, Draco ne partirait pas sans Granger… Harry ne
partirait pas sans Granger, Weasley ou Black. Black insisterait pour emmener Lupin et sa
vampire.

Quand s’était-il mis à collectionner autant de bagages ?

« Tom poursuivra Harry où que vous alliez le cacher. » lui rappela Albus, mettant un terme à
ses ébauches de plans. « Et, non, je ne pense pas que cela soit terminé, mais je dois admettre
que… Je nous sens au bord du précipice, Severus. En bien ou en mal, ce statu quo ne tardera
pas à exploser. » L’homme prit une gorgée de scotch, ferma brièvement les yeux. « Lorsque
la situation basculera… Poudlard tiendra. »

« Ne serait-il pas plus sage de disparaître plutôt que de lui donner une cible aussi
importante ? » insista-t-il. « Des cellules clandestines de l’Ordre… »

« Si la situation était différente, une armée de l’ombre serait effectivement plus appropriée. »
le coupa Albus. « En l’état… Poudlard sera la chandelle dans l’obscurité. Nous tiendrons,
Severus, nous n’avons pas le choix. »

« Mais jusqu’à quand ? » contra-t-il. « À en croire Nymphadora, la situation est déjà


critique. »

« Tom veut que nous l’attaquions. Il nous nargue, il nous provoque… Seulement comme je
viens de l’expliquer au Ministre pendant des heures, à Azkaban, il a tous les avantages. »
soupira Albus. « Et nous sommes trop peu nombreux. »

« Certes, mais il gagne des partisans tous les jours, qu’ils le rejoignent par peur ou par la
force. » Severus secoua la tête. « Leurs rangs enflent et les nôtres s’épuisent. Attendre… Je
ne vois pas d’option satisfaisante, Albus. Attaquer, c’est aller à la mort. Mais attendre… »

« Il nous faut nous re-concentrer sur les horcruxes. » murmura le Directeur. « Je pense savoir
où est le médaillon… »

Severus occluda fermement.

« Je vous interdis d’emmener Harry. » lâcha-t-il.

Albus agita la main. « Nous sommes d’accord. Avec cette baguette… Harry serait trop en
danger loin de Poudlard. »

Il leva un sourcil. C’était trop simple.

« Vous me voyez heureux de vous l’entendre dire. » grinça-t-il. « Quoi que dubitatif. »

Le vieux sorcier lui jeta un regard blessé puis claqua la langue. « Le fait est que je rechigne à
quitter l’école moi-même… Même l’aller-retour à Londres, ce soir, me paraissait un risque
inutile… »
« Vous pensez qu’il va attaquer l’école. » déduisit-il.

« Je sais qu’il va attaquer l’école, tôt ou tard. » soupira Albus. « Vous le savez aussi où vous
n’auriez pas imaginé une défense reposant sur un siège. Laissons cela de côté, pour l’instant.
Attendre ne me plait pas plus qu’à vous mais je n’ai pas d’autre idée pour l’instant. »

Il l’observa par-dessus ses lunettes en demi-lunes et Severus but une gorgée simplement pour
s’occuper les mains. L’alcool lui brûla la gorge.

« Dois-je avertir l’Ordre de l’existence de cette baguette ? » demanda le vieux sorcier.

Le Maître des Potions fronça les sourcils. « Pourquoi demander mon opinion alors que nous
savons tous les deux que vous n’en ferez qu’à votre tête ? »

« Parce que, lorsqu’il est question d’espionnage, vous faites autorité. » répondit Albus. « Et
parce que la guerre s’apprête à prendre un tournant qui va obliger l’Ordre a adopter un
fonctionnement différent. »

« Ah… » lâcha-t-il, non sans ironie. « En avons-nous terminé avec ce Conseil inutile et ces
semblants de démocratie ? »

« J’en ai peur, en effet. » commenta le Directeur.

Severus avait toujours su qu’ils en arriveraient là.

Certes, il n’avait pas pensé être toujours en vie à ce moment là mais…

« Et quel rôle me réservez-vous dans cette nouvelle hiérarchie ? » demanda-t-il. Cela aurait
été évident auparavant. Il était censé être l’espion, le Maître des Potions, le soignant si
besoin…

« Le rôle que vous avez toujours été destiné à occuper. » répondit tranquillement Albus, en
sirotant son verre. « Mon second. »

Severus resta figé.

Ce n’était pas ce à quoi il s’était attendu. Pas après toutes les tensions autour d’Harry.

« Mais… Lupin ? » contra-t-il.

Lupin dirigeait l’Ordre à la place d’Albus dès que le Directeur était absent. Il était tacitement
établi que…

« Remus est un excellent coordinateur mais il n’est plus aussi stable que je le souhaiterais. »
expliqua le vieux sorcier. « D’autre part, je sais que la comparaison ne vous fera pas
forcément plaisir mais nous avons une manière semblable de réfléchir. Notre façon d’aborder
un problème diffère mais nos conclusions sont souvent les mêmes, vous en conviendrez. »

« Ce qui est précisément la raison pour laquelle quelqu’un qui remettrait cette manière de
réfléchir et ces conclusions en question serait peut-être un meilleur choix. » remarqua-t-il.
« J’ai Minerva pour cela. » déclara Albus. « Vous aurez Tonks. »

Severus leva les sourcils à la comparaison quelque peu incongrue mais ne se hasarda pas à
plaisanter, pas sur un sujet aussi sérieux.

« Minerva ne serait pas un mauvais choix pour vous seconder. » insista-t-il.

« Minerva a un cœur en or et manque de la brutalité nécessaire à certaines décisions peu


ragoutantes. » Albus termina son verre. « Ne pensez pas que je n’ai pas longuement réfléchi à
la question, Severus. Vous êtes le meilleur choix. Si je tombe… Si je tombe, je sais que
l’Ordre sera en de bonnes mains. » Le vieil homme se leva et alla se poster à la fenêtre,
faisant son âge pour une fois. « De plus, vous êtes le seul dont je suis complètement certain.
Ces informations qui filtrent… »

« Ne viennent ni de moi, ni de Minerva, ni de Bill Weasley, ni de Nymphadora, ni de Black. »


termina-t-il.

Un sourire amusé et un peu amer flotta sur les lèvres du vieux sorcier. « Ah oui… Votre mini-
Ordre tout personnel… Voyez pourquoi vous êtes le meilleur choix, Severus ? La moitié du
Conseil vous obéit déjà. »

« Ce ne sont pas mes laquais. » cracha-t-il.

« Non… Bien sûr… » murmura Albus, avec une condescendance à peine dissimulée. « Ce
qui nous ramène toutefois à notre problème… Dois-je, ou pas, informer l’Ordre ? »

C’était un test, songea Severus, un de ces multiples tests dont Albus Dumbledore adorait
jalonner la vie des pions sur son échiquier.

Un échiquier qu’il était apparemment destiné à hériter.

Il était également possible que tout ça ne soit qu’une manipulation de plus pour le faire
rentrer dans le rang.

« Si vous leur cachez l’information, leur sécurité est compromise. » déclara-t-il. « Mais si
vous la leur révélez et que l’espion la rapporte à son Maître, vous révélez au Seigneur des
Ténèbres que je n’étais pas le seul à le trahir sa cause. »

Albus hocha lentement la tête et l’invita d’un geste à poursuivre. « Et donc ? »

« Et donc, il est ici question d’équilibre et de profit. » continua-t-il. « Est-il plus avantageux
de prévenir vos alliés, vos amis, du risque qu’ils encourent s’ils se retrouvent face au
Seigneur des Ténèbres ou bien de préserver la sécurité de votre espion actuel. »

« Vous évitez de prendre une décision, Severus. » lui reprocha le Directeur.

« Parce que ce n’est pas ma décision. » contra-t-il.

« Mais cela pourrait l’être à l’avenir. » commenta Albus.


C’était donc bien un test.

Severus leva les yeux au ciel.

« Vous savez très bien ce que je ferais à votre place. » cingla-t-il. « Pourquoi vouloir me
l’entendre dire ? »

« Faites plaisir à un vieil homme. » insista le Directeur.

Le Maître des Potions le dévisagea avec agacement puis haussa les épaules. « J’informerais
les personnes importantes. Dans ce cas présent, Harry, Nymphadora et Black. »

« Pas Minerva ou Bill Weasley ? » releva Albus.

« Minerva a peu de chances de se retrouver face à Lui dans un avenir proche. » cracha-t-il.
« Quant à Weasley, il a trop d’attaches familiales pour lui confier un secret de cette nature. »

« Tonks a également des attaches familiales. » nota le vieux sorcier.

« Ses parents sont sous Fidelitas. » rétorqua-t-il. « Ils n’ont aucune raison de se retrouver
face au Seigneur des Ténèbres. De plus, Nymphadora comprend très bien pourquoi certains
secrets sont nécessaires et je ne lui mens pas si je peux l’éviter. »

« Et Harry et Sirius ? » demanda Albus, presque distraitement.

« Je n’ai pas pour habitude de cacher à Harry des informations qui pourraient potentiellement
lui sauver la vie. » grinça-t-il. « Et Black… » Il n’avait pas réellement de bonne raison
d’informer Black. « J’ai confiance en lui. »

C’était toujours aussi douloureux de l’admettre.

« Sirius a tendance à ne pas respecter les ordres et à faire ce qu’il pense être juste. » déclara le
vieux sorcier. « Êtes-vous si certain qu’il ne diffusera pas l’information ? »

« Sirius, plus que quiconque, sait le mal qu’un Mangemort infiltré peut provoquer. » se prit-il
à le défendre. « Certes, comme avec tous les Gryffondors, il faut lui expliquer longtemps
pour qu’il comprenne mais il finit, en général, par comprendre. »

« Très bien. » approuva Albus. « Informez-les. »

Se sachant congédié rien qu’au ton qu’avait pris le Directeur, Severus se leva et se dirigea
vers la cheminée sans y être invité – sa jambe allait mieux mais il ne désirait pas avoir à
traverser l’école entière s’il n’y était pas forcé.

« Severus. » le rappela Albus. Il se retourna et prit le cadre avec la médaille que lui tendait le
vieux sorcier. « Félicitations. »

Pour l’Ordre de Merlin ou pour avoir prouvé être aussi tordu qu’Albus Dumbledore ?

Il préférait ne pas trop se poser la question.


Shake Off The Past

Sometimes I still think it's coming but I know it's not

Tryin' to breathe in and then out but the air gets caught

'Cause even though I'm older now and I know how to shake off the past

I wouldn't have made it if I didn't have you holding my hand

Control - Zoe Wees

Parfois il m’arrive toujours de penser que ça va recommencer mais je sais que non
J’essaye d’inspirer puis d’expirer mais l’air reste bloqué
Car même si je suis plus vieux maintenant et que je sais comment me détacher du passé
Je n’aurais pas survécu si tu n’étais pas là pour me tenir la main.
Control – Zoe Wees

Tonks se réveilla lentement, la tête lourde d’avoir trop dormi, mais reposée pour la première
fois depuis… Trop longtemps, décida-t-elle, en enfouissant le visage dans l’oreiller tout en
tâtant à l’aveugle pour trouver le corps chaud qui aurait dû être dans le lit.

Les draps étaient froids.

Elle marmonna la formule du Tempus, grimaça lorsqu’elle vit que la moitié de la matinée
était déjà passée… Et pourtant, il lui fallut du temps et du courage pour se convaincre de
sortir du lit. Quitte à être en retard, elle prit son temps dans la salle de bain, s’autorisant le
luxe d’une longue douche après des jours à utiliser des sorts de nettoyage. Elle était toujours
vaguement en train d’essayer de se souvenir de quand elle avait abandonné une bouteille de
shampoing dans la salle de bain de Severus lorsqu’elle regagna la chambre, enroulée dans
une serviette.

Elle n’avait aucune idée d’où étaient passés ses vêtements – et vu qu’elle les portait depuis
des jours, elle n’en était pas tout à fait fâchée – mais trouva un pantalon trop grand et un des
tee-shirts qu’elle avait abandonnés dans les cachots sur la commode, bien en évidence. Un
sort de Métamorphose et le pantalon était à sa taille – et à son goût.

Scrimgeour n’avait pas eu tort de lui dire d’éviter de rentrer chez elle, décida-t-elle, mais il
lui fallait des vêtements de rechange. Peut-être demanderait-elle à Kingsley ou à Charlie et
Anthony de la raccompagner à son appartement le temps qu’elle récupère quelques affaires…
Il serait sans doute plus sage qu’elle aille s’installer au QG quelques temps. Même si la
perspective ne la réjouissait pas du tout…
Elle se tourna et sursauta, ravalant à peine un cri surpris, lorsqu’elle avisa le gros chat noir et
blanc qui l’observait de son perchoir au bout du lit, la queue battant avec agacement. Elle
l’avait déjà aperçu plusieurs fois mais l’animal avait tendance à déguerpir lorsqu’elle était
dans les parages.

Elle tendit prudemment la main dans l’intention de faire ami-ami et la retira à peine assez vite
pour éviter la griffure. Le chat feula et partit en courant.

« Aussi bon caractère que son maître. » marmonna-t-elle, entre ses dents.

Son maître, elle le trouva sans trop de mal au salon, assis à la petite table de travail dans le
coin.

« Ton chat me déteste. » déclara-t-elle, en guise de bonjour.

Il leva la tête vers elle, un sourire amusé aux lèvres. « Curieux, il est toujours très affectueux
avec Aurora. »

Elle ne l’avait sans doute pas volée, celle la.

« Ha, ha. Très drôle. » riposta-t-elle, en s’approchant suffisamment pour voir qu’il travaillait
sur ce qui semblait être un examen de Potions. Sans sembler y penser, dès qu’elle fût
suffisamment proche, il plaça une main à l’arrière de sa jambe comme pour l’attirer encore
plus près. Elle se pencha pour l’embrasser et il y répondit sans hésitation, ce qui contribua
légèrement à la rassurer. Ni la fatigue, ni la longue nuit de repos n’avaient malheureusement
gommé ses souvenirs de la veille au soir ou de son comportement… « Je suis désolée, tu
sais. »

« Inutile. » offrit-il pour la seconde fois.

Elle l’embrassa à nouveau. Juste parce qu’elle le pouvait, parce qu’elle en avait envie, parce
qu’il avait été beaucoup trop compréhensif et qu’elle s’en sentait presque honteuse.

« Il faut que je m’en aille. » soupira-t-elle, à regret. Elle n’aurait rien eu contre l’idée de
rester là encore un peu, juste discuter ou plaisanter… De prendre le temps de se recentrer, de
retrouver son équilibre.

« Le Ministre a insisté pour que tu prennes ta journée ou, à défaut, ta matinée. » rétorqua-t-il.
La main toujours posée à l’arrière de sa cuisse se fit un peu plus pressante, comme s’il était
déterminé à la retenir coûte que coûte.

Elle commença par rire à ce qui était sans doute une plaisanterie avant de remarquer le cadre
posé sur un coin du bureau. Et la médaille avec son ruban vert à l’intérieur.

Elle l’attrapa pour mieux la détailler, sourcils froncés. « D’où ça sort, ça ? »

« Il semble qu’un Mangemort semi-repenti devenu espion n’est pas assez convenable pour ta
carrière. » lâcha-t-il, pince-sans-rire. « Me voilà adoubé du sceau de l’approbation
Ministérielle. »
Son regard se balada de lui à la médaille. « Scrimgeour ? » Sa seule réponse fût un geste de la
main et une expression amusée. Elle secoua la tête. « Quand ? »

« Hier soir. » répondit-il tranquillement. « Est-ce une habitude de ta part de collectionner les
mentors chez les anciens Aurors qui me détestent au premier regard ? »

Il plaisantait, elle le savait bien, mais elle n’était pas du tout amusée. L’ingérence dans sa vie
privée, elle avait du mal à le supporter et elle avait été très claire avec le Ministre. « Tu aurais
dû me réveiller. »

« J’ignorais dans quoi je mettais les pieds lorsque Albus m’a convoqué, pour être honnête. »
admit-il. « Et tu avais besoin de dormir. Par ailleurs, je crains que cela ne fasse désordre si tu
assassines le Ministre de la Magie. » Il haussa les épaules. « Au demeurant, c’est un
avantage. Ne cherchons pas d’ennuis là où nous n’en avons pas besoin. » Ses lèvres
s’étirèrent à nouveau, ses yeux noirs brillant presque d’amusement. « Vois le bon côté des
choses, si jamais il te prenait à nouveau l’envie de me jeter des objets contondants au visage,
ceci ferait une excellente arme du crime. »

Il lui prit le cadre des mains et le reposa sur un coin de la table.

« Tu en ris mais soixante-dix pour cent des meurtres gérés par le bureau des Aurors sont en
rapport avec des adultères, figure toi. » l’avertit-elle, en croisant les bras, prenant un faux air
sévère qui ne le trompa pas une seconde.

« Ce n’est pas de l’adultère tant que nous ne sommes pas mariés. » riposta-t-il, en se levant.

Tant que.

Leurs regards se croisèrent instantanément.

Les mots semblèrent planer entre eux.

Tant que.

Il se détourna brusquement, en se raclant la gorge, rassemblant ses papiers en un tas


approximatif.

« Ce serait de l’infidélité. » corrigea-t-il, clairement gêné. « Et le problème ne se pose, de


toute manière, pas, étant donné que je n’ai jamais rien fait de répréhensible. »

Nymphadora n’était pas certaine de comment réagir. Son cœur battait un peu trop vite et elle
ne savait pas bien si c’était de l’appréhension ou de l’excitation qui lui tordait le ventre. Peut-
être un peu des deux.

Elle resta silencieuse trop longtemps.

Il prit une inspiration – et son courage à deux mains – et lui fit à nouveau face avec une
expression un peu trop gardée. « Le petit-déjeuner t’attend dans la cuisine. »
Elle accueillit le changement de sujet avec un soulagement évident et un sourire à peine
forcé. « Tu aurais pu me l’apporter au lit. »

« Pour que tu mettes des miettes partout ? » se moqua-t-il, la guidant vers la cuisine d’une
main posée au creux du dos.

Elle allait répondre du tac au tac mais ce qui l’attendait sur la table la fit taire. Ce n’était pas
un petit-déjeuner ça, c’était presque un brunch. La table était couverte de plats encore
fumants qui, elle en était sûre, venaient directement des cuisines de Poudlard. Il y avait des
œufs cuisinés de trois manières différentes, du bacon, des toasts, des haricots en sauce, quatre
ramequins de confitures différentes, des céréales, du lait…

« Je sens qu’il y a un message caché là-dessous. » plaisanta-t-elle, en le laissant la pousser


vers une chaise.

« Je pensais pourtant qu’il était clair. » rétorqua-t-il, le reproche sous-jacent plus qu’évident.

« Je n’ai pas vraiment eu le temps de prendre de pause déjeuner. » admit-elle.

« Ou de pause diner. Ou de pause petit-déjeuner. » grommela-t-il, en s’appuyant contre le


comptoir, bras croisés. Elle aurait préféré qu’il s’assoit avec elle mais il ne semblait pas
décidé. Il favorisait sa bonne jambe, nota-t-elle, mais pas de manière trop prononcée.

Elle se servit copieusement, juste pour le faire taire et parce que son estomac gargouillait.
Elle ne se souvenait pas de quand datait son dernier repas chaud.

« Pas de café ? » demanda-t-elle, en étudiant l’assortiment de boissons chaudes. Trois sortes


de thé, du chocolat chaud…

« Je n’étais pas certain que t’alimenter en caféine serait une bonne idée. » répondit-il, une
touche d’humour dans la voix. « Je craignais ce qui se passerait si tu t’énervais à nouveau. Je
n’ai échappé à la mort que d’un fil, hier soir, après tout… Et je n’aimerais pas que cette
pauvre Aurora finisse kidnappée et séquestrée ou forcée de manger ses télescopes. »

Elle lui jeta un regard noir tout en avalant ses œufs. « Quelqu’un est de bonne humeur, ce
matin. »

« Je suis toujours de bonne humeur lorsque je me réveille avec toi. » riposta-t-il, un peu trop
galamment. Elle attendit la chute et ne fût pas déçue. « Surtout lorsque, dans ta magnanimité,
tu décides de ne pas m’assassiner pour des tromperies imaginaires. »

« Tu ne veux pas passer à autre chose ? » s’enquit-elle.

« Laisse-moi savourer la nouveauté. » se moqua-t-il. « Ce n’est pas tous les jours qu’une
femme menace de tuer pour me garder. »

Elle leva les yeux au ciel, se servant une tasse de thé. Et à lui aussi par la même occasion.
« Assieds-toi et arrête tes conneries où je vais vraiment te tuer. »
Il ricana mais s’assit avec elle et ne protesta pas lorsqu’elle crocheta le pied à l’arrière de sa
cheville, avec possessivité. Son amusement sembla le déserter peu à peu alors qu’il attrapait
la tasse de thé à deux mains, comme pour les y réchauffer.

« Plaisanteries mises à part, j’ai des nouvelles moins agréables. » déclara-t-il.

Elle s’efforça de ne pas s’avachir sur sa chaise, s’efforça de se tenir droite et de continuer à
manger ce qu’il y avait devant elle parce qu’elle ne savait pas quand elle pourrait à nouveau
s’accorder ce luxe à l’avenir.

« Dis-moi. » l’invita-t-elle, de son ton le plus détaché.

Elle cacha mal son appréhension ou alors il la connaissait trop bien. Ou, et c’était sans doute
le plus logique, suite à sa petite crise de nerfs de la veille, il craignait sa réaction.

Il expliqua néanmoins, en des phrases brèves mais précises, ce qui s’était sans doute passé à
Cardiff.

« Donc Ollivanders est mort pour rien. » commenta-t-elle avec un frisson, renonçant à
terminer son assiette. Ce qu’elle avait avalé lui pesait déjà lourd sur l’estomac.

« Il serait mort de toute manière. » lui rappela-t-il, une expression neutre sur le visage. « Ce
n’est pas tout à fait l’information la plus capitale dans tout ce que je viens de te dire. »

Certes.

Mais penser que Voldemort avait en sa possession une baguette d’une puissance considérable
et que leurs chances de l’arrêter venaient à nouveau de diminuer d’un cran lui donnait envie
d’aller se pelotonner sous la couette et de ne plus en bouger. Or ce ne serait pas exactement
productif.

« On ne peut rien y faire. » répondit-elle.

Il ne la contredit pas.

« Tu dois garder l’information pour toi. » insista-t-il. « Je compte informer Black et Harry,
mais c’est tout. »

Elle ne chercha même pas à discuter, songea à peine à désobéir. Elle comprenait le
raisonnement. S’ils partageaient l’information et que l’espion le rapportait à Voldemort,
alors…

« La source de Dumbledore, tu sais qui c’est ? » demanda-t-elle. Parce qu’il était évident
qu’il en avait une.

« J’ai mes soupçons. » offrit lentement Severus, d’un ton qui indiquait clairement qu’il ne
voulait pas les formuler à voix haute.

Elle hocha la tête. « Oui, moi aussi. »


Et ces soupçons se portaient fortement sur l’oncle qui avait soudain décidé qu’elle aurait été
digne d’être sa nièce et s’était senti obligé, dette ou pas, de l’avertir du danger qu’elle
courrait.

Elle pianota distraitement sur la table de sa main libre, tournant et retournant machinalement
la tasse de thé de l’autre.

« Draco. » lâcha-t-elle. « Il ne peut pas rester à Serpentard. »

« J’ai ajouté davantage de sorts d’alarmes et de protections sur la salle commune et les
dortoirs. » soupira-t-il. « J’ai tenté de lui parler mais il refuse d’entendre raison et il est… très
peu réceptif à mes conseils. Il ne me fait plus confiance. »

Elle se frotta le visage. « Je vais lui parler. »

« Il ne t’écoutera pas. » contra-t-il, en terminant sa tasse de thé. « Il est extrêmement


déterminé à prouver que les Malfoy sortent toujours vainqueurs. De plus, je n’approuve pas
l’idée d’Albus et de Minerva de le transférer dans une autre Maison. Gryffondor serait
certainement plus sûr que Serpentard, je l’admets volontiers, mais se convaincre qu’il n’y ait
pas de sympathisants chez les lions est irresponsable. »

« Poufsouffle… » commença-t-elle.

« Il y en a également à Poufsouffle. Et à Serdaigle. » l’interrompit-il. « Ils profitent


simplement du manque de suspicion, ce qui est plus dangereux. »

« Alors quoi ? » s’agaça-t-elle. « On le laisse là où on sait qu’il y a des Mangemorts


avérés ? »

« Ça ne me plait pas plus qu’à toi. » se défendit-il. « C’est mon élève, ne l’oublie pas. »

« Oui, mais c’est mon… » contra-t-elle, avant de se taire. Ce n’était pas comme si elle avait
réellement rempli son rôle de tutrice à part pour quelques lettres. Depuis le début, elle traitait
la chose comme une corvée et… « Je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose. »

« Très honnêtement, après la dernière tentative ratée, je ne pense pas que nous ayons à nous
inquiéter tout de suite. » offrit-il. « J’ai demandé aux elfes de garder un œil sur la salle
commune et Albus a ses portraits dans le dortoir… Je suis plus inquiet de ce qui pourrait
arriver dans les couloirs ou dans le reste de l’école et qu’on le change de Maison ne ferait pas
beaucoup de différence à ce sujet. Je lui ai recommandé de ne pas se déplacer seul, quant à
savoir s’il va m’obéir… As-tu songé à ce que tu voulais faire pour les vacances ? Parce que
j’y ai réfléchi et bien qu’Albus ait décidé de garder l’école ouverte… Le fait est que je me
demande s’il ne serait pas plus sûr pour lui de passer l’été au Q.G. »

Elle manqua s’étouffer avec sa gorgée de thé. « Tu te souviens qu’il y a un espion qui
pourrait très bien s’attaquer à lui ? »

« Pas sans se démasquer, ce qui ne serait pas dans son intérêt. » contra-t-il. « Et, quand bien
même, Draco est parfaitement capable de se défendre contre un seul sorcier ou sorcière. Ou
vampire. Contre une bande de Mangemorts en herbe qui auront l’avantage du nombre, en
revanche… »

Elle le dévisagea. « Tu vas envoyer Harry au Square Grimmaurd ? »

« Harry reste avec moi. » siffla-t-il, un peu trop brutalement.

« Dans ce cas, Draco reste avec moi. » rétorqua-t-elle. Sauf que… Elle leva les yeux au ciel et
arracha un petit bout à un des toasts grillés, juste pour s’occuper les mains. « Mais ce sera
sans doute au Q.G. parce que Scrimgeour ne veut pas que je rentre chez moi, du moins pas
pour le moment. »

Severus fronça les sourcils. « Il y a toujours une possibilité que quelqu’un te suivre mais ton
appartement en lui-même est extrêmement sûr. Je ne veux pas me vanter mais, en termes de
protections, c’est un de mes chefs-d’œuvres. Seul un Fidelitas serait plus sûr. »

Cela lui arracha un sourire, même si, effectivement, le risque qu’on la suive rendait la
fiabilité de ses protections secondaire. Cela lui ferait une belle jambe d’être en sécurité chez
elle si on l’assassinait sur le chemin. « Je n’ai vraiment pas envie d’aller vivre au Square
Grimmaurd, même quelques jours… Il ne nous resterait pas un autre endroit sûr où je
pourrais aller momentanément habiter ? »

Si ses parents n’étaient pas sous Fidelitas… Vivre sous le même toit que sa mère l’aurait
peut-être rendue folle mais probablement moins que la perspective de partager une maison
avec Remus, aussi gigantesque soit-elle.

« Il y a Poudlard. » remarqua-t-il lentement.

Elle releva brusquement le regard, croisant le sien, le cœur battant à nouveau avec un peu
trop de force parce que…

« Pas ici. » précisa hâtivement le Maître des Potions, après s’être raclé la gorge. « Je suis
certain qu’Albus t’accorderait l’asile, le château ne manque pas de suites vides. Et cela
règlerait le problème d’avoir un Auror à demeure… »

Elle ne savait pas si elle était déçue ou…

« C’est une option. » acquiesça-t-elle. « De toute manière, je vis pratiquement au bureau, en


ce moment, donc… »

Le moment menaçait fortement de devenir gênant.

« Cela ne solutionnerait pas le problème de la sécurité de Draco, cela dit. » remarqua-t-il, en


se resservant une tasse de thé. Purement pour avoir une excuse afin de ne pas la regarder en
face, elle en était sûre.

Il y avait plusieurs choses que cela ne solutionnerait pas mais elle se garda de le dire.

En revanche…
Elle fronça les sourcils. « J’ai une question… Je sais que tu m’as dit que tu voulais adopter
Harry et, très visiblement, il veut aussi que tu l’adoptes mais… Sirius n’a jamais légalement
récupéré sa garde, si ? Il m’a demandé de fureter au Ministère mais c’est motus et bouche
cousue, là bas, cette histoire. » Elle secoua la tête. « Sa famille… »

« Il ne retournera jamais là-bas. » gronda-t-il. Il y avait de la haine dans sa voix, de la pure


haine, comme elle n’en avait jamais entendu.

Elle pouvait additionner un plus un. « Ce ne sont pas des gens très bien, n’est-ce pas ? » Il
garda le silence, préférant fixer la tasse du regard, mais la tension dans ses épaules, la fureur
qu’il dissimulait si mal… « Tu savais que je faisais partie du groupe qui est allé le chercher
cet été ? Il y a un truc qui cloche dans cette maison. »

Ses yeux noirs se levèrent lentement pour croiser les siens. « Comme ? »

« Comme plusieurs verrous sur la porte de sa chambre. À l’extérieur. » lâcha-t-elle. « Comme


une chatière sur la porte mais aucun chat. Comme des douzaines de photos partout mais
aucune de lui. » Elle plissa le nez. « Et l’endroit était beaucoup trop propre, ça puait la javel.
Je me méfie toujours des endroits un peu trop propres, ça me fait me demander ce que les
gens ont à cacher. »

Sans parler de la manière dont Harry avait été si pressé de partir avant que les Moldus ne
reviennent. Presque paniqué à l’idée que son oncle réalise que le concours qu’ils étaient
censés avoir gagné n’était qu’un leurre.

Le seul fait qu’il y ait eu besoin d’un tel subterfuge, en premier lieu, elle ne l’avait jamais
compris. Les Dursley étaient au courant que la magie existait, qu’ils soient mal à l’aise avec
ou pas ils avaient un neveu sorcier… Pourquoi ne pas simplement leur dire qu’ils venaient
chercher Harry ? Quelle drôle de famille avait besoin d’être trompée comme ça ?

« Une chatière. » répéta Severus d’un ton beaucoup trop neutre pour qu’il ait été au courant
de ce détail.

« J’en ai parlé à Fol’Œil. » admit-elle. « Mais il m’a dit que je me faisais des idées, que ces
Moldus étaient particuliers et que Dumbledore savait ce qu’il faisait. » Elle fit la grimace.
« Harry avait l’air d’aller bien et il n’y avait rien de réellement incriminant. Il y avait tout ce
bordel au Ministre et, ensuite, la tempête magique… Severus, est-ce que j’ai manqué quelque
chose d’important ? »

Elle n’avait pas insisté.

Sur le moment, elle n’avait pas insisté. Parce que, malgré ce que lui soufflait son instinct, elle
n’avait été que la jeune Auror accrochée aux basques de son mentor, plus encline à faire rire
la galerie qu’à autre chose, encore un peu émerveillée de s’être vue proposé d’intégrer
l’Ordre du Phoenix, une de leurs plus jeunes membres qui ne se sentait pas tout à fait
légitime.

Elle n’avait pas insisté, persuadée qu’Alastor et Dumbledore savaient mieux qu’elle.
Il délibéra un long moment puis détourna finalement à nouveau le regard. « Il ne retournera
jamais là-bas. »

Ce qui était une réponse en soi et, étant donné les cicatrices sur son corps et les cauchemars
qui le hantaient encore, elle n’était plus si étonnée que Severus se soit autant attaché au
garçon au point de le considérer comme un fils.

Elle ferma les yeux et souffla longuement, ressentant à nouveau le poids d’une fatigue
écrasante.

Parce qu’il y avait trop d’innocents qui souffraient des erreurs des autres.

« Entre toi et Sirius, je suis surprise que les Moldus soient encore en vie. » remarqua-t-elle.

« Dois-je m’inquiéter de ces nouvelles pulsions meurtrières, Nymphadora ? » plaisanta-t-il,


sans parvenir à y mettre de la légèreté.

Elle ne répondit pas.

Une main recouvrit la sienne et elle fit un effort pour rouvrir les paupières.

« Harry va bien. » offrit-il, plus fermement. « Aussi bien qu’il le peut étant donné le contexte,
du moins. »

Ce qui n’effaça ni le remord, ni l’élan protecteur dans sa poitrine.

Elle aurait dû essayer de lui parler, de s’assurer qu’il était bien en sécurité à Privet Drive. Les
verrous sur la porte, la chatière… Ce n’était pas normal.

« Une seule fois, je voudrais une bonne nouvelle… » avoua-t-elle. « Tout est si… sombre, en
ce moment. Je voudrais juste… » Elle soupira et se leva, portant par réflexe les tasses et son
assiette dans l’évier. « Dommage que tu ne fumes plus parce que je n’aurais rien eu contre
une cigarette. »

Et elle allait se faire un devoir de trouver Sirius, Charlie ou Anthony avant de quitter
Poudlard et d’en emprunter plusieurs parce que…

Elle sentit sa présence dans son dos, se laissa aller en arrière jusqu’à s’appuyer sur lui, notant
distraitement qu’il était moins hésitant à lui rendre ce genre d’étreintes ces temps-ci, plus à
l’aise. Un bras passé autour de son ventre la tenait contre lui, de sa main libre, il déposa
quelque chose sur le plan de travail.

Un petit carnet noir du genre qu’il avait toujours dans une poche pour noter ses idées de
potions ou de sorts, généralement enchantés pour que personne d’autre que lui ne puisse les
lire. Un ruban vert avait été noué tout autour avec trop de précision pour que cela n’ait pas été
fait par magie.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-elle.


« Ni une bague, ni des fleurs… » murmura-t-il, à son oreille. « Mais mes options en matière
de gestes romantiques étaient limitées et, au moins, tu auras l’assurance qu’il n’y a pas de
malédiction. »

Elle se sentit se détendre, s’appuyant davantage contre lui, un sourire naissant spontanément
sur ses lèvres. « Je t’ai dit que tu n’étais pas obligé de… »

« Il se trouve que cela me fait plaisir de te faire plaisir. » l’interrompit-il.

« Oh, tu me fais souvent plaisir… » remarqua-t-elle, d’une voix feutrée.

Elle sentit son petit rire se répercuter de son torse à son dos et elle n’en sourit que plus fort,
heureuse de cette petite victoire. Il riait peu mais beaucoup plus librement ces derniers temps.
Ses lèvres se posèrent sur le côté de son cou et elle laissa tomber sa tête sur son épaule pour
lui donner un meilleur accès, non sans attraper le carnet. Elle dénoua le ruban et le feuilleta…
Il était vierge.

« Ce n’est rien de bien exceptionnel. » l’avertit Severus, sur un ton d’excuse. « Un simple
sortilège de transfert comme ceux que les plus idiots de mes élèves utilisent en classe
lorsqu’ils veulent discuter sans avoir à passer de mots… Mais j’ai modifié légèrement le sort
et il devrait perdurer dans le temps et quelle que soit la distance. »

« Tu as son jumeau. » devina-t-elle.

« Ce n’est pas un téléphone mais ce sera toujours plus fiable et rapide qu’un hibou et plus
pratique qu’un Patronus. » expliqua-t-il. « Ces trois derniers jours sans contact… Je
m’inquiétais. Et à raison, visiblement. »

Elle se tourna dans ses bras, attrapa le col de sa chemise et l’attira à elle pour l’embrasser à
pleine bouche. Cela lui valut un nouveau ricanement alors même que ses mains quittaient le
creux de son dos pour glisser plus bas.

« J’en déduis que tu apprécies l’intention ? » souffla-t-il contre ses lèvres.

« Les chances qu’Harry passe à l’improviste, ce matin ? » demanda-t-elle, déboutonnant déjà


sa chemise. Il n’avait pas l’air enclin à la repousser.

« Faibles. » répondit-il, en glissant ses propres mains sous son tee-shirt, effleurant à peine sa
peau dans un contact électrique. « Quasiment inexistantes. »

« Dans ce cas, à mon tour de te faire plaisir. » annonça-t-elle, avec un sourire pleins de
promesses.

Et elle tint chacune d’entre elles.

Et, beaucoup plus tard, elle fit taire la petite voix qui murmurait qu’elle aurait dû se sentir
coupable d’être toujours affalée sur le torse de Severus, les draps emmêlés autour de leurs
tailles, au lieu d’avoir déjà rejoint le Ministère. Parce qu’elle avait un besoin vital de ces
moments de paix.
Les doigts du Maître des Potions, un peu tremblants, courraient le long de son dos ; son autre
bras – celui qui ne portait pas la Marque – était replié sous sa tête pour remplacer l’oreiller
qui était… quelque part. Elle en profita pour explorer du bout des doigts l’intérieur de son
bras, son aisselle – ce qui le fit tressaillir parce que, même s’il n’aimait pas l’avouer, il y avait
des endroits où il était chatouilleux… Autant d’endroits fragiles et vulnérables, deux des
rares qui n’avaient ni marques ni cicatrices, qu’elle seule avait le droit de voir, de toucher ou
d’embrasser…

« Je veux soigner ça avant que tu partes. » murmura-t-il distraitement, comme si la pensée


venait juste de lui venir. Il toucha à peine la limite de la brûlure qui la dérangeait toujours un
peu. Elle ne protesta pas, sachant que n’importe quel baume qu’il avait chez lui serait plus
efficace que le vieux pot qu’elle avait trouvé au Ministère.

Pour l’instant, cela dit, elle voulait profiter de chaque seconde et ne pas penser au départ ou
aux raisons de cette brûlure.

La main de Severus reprit ses caresses paresseuses bien que pas tout à fait innocentes vu là où
elle s’égarait parfois.

« Je réfléchissais… » reprit-il.

Elle étouffa un bruit amusé contre son torse. « Sans blague ? Parce que tu arrêtes, parfois ? »

Il lui pinça légèrement la fesse en guise de punition, lui arrachant un glapissement mi-amusé,
mi-outré. Elle se tortilla pour lui échapper mais se retrouva coincée sous son corps, riant sans
détour alors qu’il embrassait sa gorge, descendait plus bas…

« Fais attention, Severus… » se moqua-t-elle, riant toujours. « Tu sais, d’après Pomfresh,


certains exercices physiques sont… »

« Tant d’impertinence… » la coupa-t-il, en s’appuyant sur son avant-bras droit pour mieux lui
jeter un regard faussement courroucé. « Jamais Aurora ne me traiterait comme ça. »

Elle savait que c’était de l’humour mais elle perdit toute envie de rire.

« Cette plaisanterie n’était déjà plus très drôle, hier soir, tu sais. » répondit-elle, un peu trop
cassante. Il fronça les sourcils, l’étincelle amusée disparaissant brusquement de son
regard. « Ou peut-être que tu me préfèrerais comme ça ? »

Elle modifia ses trait, assombrit ses yeux jusqu’à ressembler à Sinistra sans toutefois être son
sosie.

« Je vais tuer Black. » grommela-t-il, en lui caressant le visage de sa main libre comme pour
effacer l’illusion. « Tu n’es pas réellement jalouse d’Aurora, n’est-ce pas ? »

Il semblait un peu désemparé, incertain.

Elle reprit son visage habituel, plus d’humeur aussi badine.


« Non. » promit-elle bien que cela ne sonna pas aussi convaincu que ça l’aurait dû. « Mais ça
ne m’amuse pas. »

Il grimaça. « Nymphadora… »

« T’embrasser cette nuit là, c’est la meilleure décision que j’ai prise cette année. » avoua-t-
elle, en croisant son regard. « Et j’ai déjà l’impression que tout s’écroule alors… Toi et moi,
ce qu’il y a entre nous… C’est une des seules choses qui me restent qui ne me donnent pas
envie de hurler. J’ai besoin de… J’ai besoin de toi. Et peut-être que ça m’effraye un peu
parfois, à quel point, parce que ça va vite et que c’est très fort mais… J’ai besoin de toi. »
Elle détourna le regard, ravalant difficilement la boule dans sa gorge. « Je n’aime pas
plaisanter avec l’idée de te perdre, même si je sais que c’est ridicule d’être jalouse parce que
tu n’es pas le genre d’hommes qui me tromperait. » Elle haussa les épaules. « Ce n’est même
pas vraiment de la jalousie, juste… »

Elle laissa sa phrase en suspens.

« Je déteste l’idée que tu ailles vivre au Square Grimmaurd. » lâcha-t-il. « Et pas uniquement
parce que l’espion y a accès. »

« Remus ? » devina-t-elle. « Tu sais que tu n’as rien à… »

« Je sais. » la coupa-t-il. « Ce n’est pas réellement de la jalousie non plus. Je ne veux pas plus
te perdre que toi. » Il se pencha pour l’embrasser avec hésitation. « Il n’y aura plus de
plaisanteries stupides sur Aurora. » lui jura-il.

L’ambiance s’était un peu refroidie. Elle ne protesta pas lorsqu’il bascula sur le dos,
l’entrainant avec lui. Elle se blottit contre lui, comme elle en avait l’habitude, et ferma les
yeux, se laissant bercer par la caresse de son pouce sur son bras.

« Comme je le disais avant d’être si impoliment interrompu… » murmura-t-il, au bout de


plusieurs minutes. « Je réfléchissais à tes pouvoirs de Métamorphomage et à leurs limites. »

Elle laissa échapper un bruit amusé. « Tu t’ennuyais à ce point ? Ou bien est-ce que tu veux
une démonstration précise ? »

Elle prit garde d’adopter un ton taquin mais ne put s’empêcher de ressentir une pointe de
méfiance. Il ne lui avait jamais demandé quoi que ce soit jusque là mais avec une partenaire
qui pouvait devenir qui elle voulait de la plus célèbre top model à une femme morte depuis
des années… Les gens avaient tendance à avoir des requêtes.

« Puisque tu peux changer de forme, pourquoi ne peux-tu pas te soigner ? » demanda-t-il,


sans comprendre le sous-entendu. Ou, plus probablement, feignant de ne pas le comprendre.

La question était si loin de ce qu’elle avait craint qu’elle fût prise de court.

« Parce que c’est différent. » répondit-elle. « Si je changeais entièrement d’apparence, là tout


de suite, je conserverais la brûlure et les plaies à moins que ce ne soit vital de les
dissimuler. »
« En quoi est-ce différent ? » insista-t-il. « Parce que, théoriquement… Cela relève du même
processus. Techniquement, tu aurais dû pouvoir reconstruire ta cage thoracique sans
Poussos. »

« Non. » Elle secoua la tête. « Déjà parce que je ne me métamorphose pas à partir de rien et il
n’y avait plus d’os à manipuler. »

Il lui accorda l’argument d’un bruit pensif mais déplaça sa main jusqu’à retracer légèrement
une des petites coupures sur son dos. « Ces blessures sont si superficielles… »

Elle se concentra et la plaie se referma sous ses doigts. Ignorant la sensation de vertige, elle
souffla lentement jusqu’à ce que le malaise passe.

« Nymphadora ? » appela-t-il, alarmé.

« Elles sont peut-être superficielles mais les faire disparaître demande beaucoup d’énergie. »
expliqua-t-elle. « Changer d’apparence, c’est aussi facile que de respirer pour moi, ça ne me
coûte rien. Mais me soigner… Si j’essayais de régénérer ma peau au niveau de la brûlure, ça
me laisserait K.O. pour une semaine. »

« Je vois. » commenta-t-il. « As-tu jamais essayé de t’entraîner sur la durée ? Peut-être que
l’habitude rendrait la chose moins épuisante ? »

« Ce n’est pas le même principe que la magie sans baguette. » répondit-elle. « C’est difficile
à expliquer. C’est juste… Mon corps est fait comme ça. »

Andromeda avait suggéré que peut-être si elle s’y connaissait mieux en anatomie, cela
deviendrait une seconde nature, que si elle pouvait visualiser le problème, cela aiderait. Elle
avait dévoré des bouquins entiers de médecine en quatrième année sans que cela ne fasse de
différence. Cela lui avait été utile lorsqu’elle s’était façonnée d’autres corps mais cela ne
l’avait jamais aidée à comprendre pourquoi elle ne pouvait pas ressouder un os facilement ou
refermer une plaie.

Et elle avait cessé de chercher à pousser son don dans une direction qu’il ne voulait pas
prendre.

« Dans ce cas, laisse-moi aller chercher de quoi soigner tout ça. » ordonna-t-il, en dégageant
ses cheveux roses de son épaule. « Et, la prochaine fois, montre-le à un Médicomage
immédiatement. »

« Si je faisais ça, on ne pourrait pas jouer au docteur. » riposta-t-elle, en remuant les sourcils
de manière prononcée.

Il leva les yeux au ciel, cachant mal qu’il avait envie de sourire à ses bêtises.

Elle l’embrassa profondément avant de l’autoriser à quitter le lit.

Et remercia le ciel d’avoir eu le courage de lui faire des avances parce que si elle ne l’avait
pas fait, si elle ne l’avait pas eu dans sa vie…
Elle refusait d’y penser.

°O°O°O°O°

Une des bonnes choses lorsqu’on cherchait le Survivant, c’était qu’on était quasiment
toujours certain de le trouver. Poudlard était un nid à ragots où tout le monde s’occupait des
affaires de tout le monde.

En conséquence, Severus n’eut qu’à dénicher un élève capable de lui dire où était son fils.

Il arrêta Crivey junior dans le hall qui l’envoya vers la Grande Salle où, apparemment,
plusieurs septièmes années s’étaient installés pour réviser leurs A.S.P.I.C.s, uniquement pour
croiser Luna Lovegood qui lui expliqua que Granger avait rabattu tout le monde à la
bibliothèque, craignant qu’ils ne soient pas assez concentrés dans un endroit où ils pourraient
discuter.

Étant donné que Lovegood se rendait elle aussi à la bibliothèque, il eut le plaisir mitigé de
faire le chemin en sa compagnie. La quatrième année déblatérait à propos des propriétés
supposées de la corne de Jabberwocky dans les potions d’un ton rêveur. Severus avait depuis
longtemps renoncé à la reprendre sur ce qui existait ou pas. La jeune fille était… spéciale.
Pas inintelligente, pour ne pas dire qu’elle pouvait avoir des réflexions tout à fait brillantes
qui expliquaient largement sa place à Serdaigle, que ce soit en Potions ou en Défense, mais
spéciale d’une manière qui ne se prêtait pas à ses moqueries habituelles lorsqu’il était
question d’élèves agaçants. Même lui n’était pas si cruel. Et puis, les Serdaigles l’avaient
toujours moins agacé que les Gryffondors.

Ce fût en partie pourquoi il toléra ses bavardages.

Et pourquoi il foudroya du regards tous les idiots qui les regardèrent passer en riant sous cape
dans les couloirs. Il avait entendu Filius se lamenter du fait que la jeune fille était une cible
pour ses camarades, il n’avait pas entièrement compris que c’était au stade où les gens la
pointaient du doigt pour se moquer ouvertement. Surtout lorsque lui était à côté.

« Il y a beaucoup de Joncheruines sur votre bras, Professeur. » remarqua-t-elle, soudain, alors


qu’ils atteignaient – enfin – les portes de la bibliothèque. « Vous devriez faire attention.
Harry aussi en a toujours qui lui tournent autour. »

À bout de patience, Severus fût plus sec qu’il ne l’aurait souhaité. « Je n’y manquerai pas. »

Elle hocha pourtant la tête, satisfaite, et le précéda dans la bibliothèque, sautillant plus qu’elle
ne marchait à travers les rayonnages. Il salua Mrs Pince d’un hochement de tête puis la suivit
vers l’une des plus grandes tables, tout au fond, où les chuchotements allaient bon train, au
grand désespoir de Granger. Le groupe était composé de ce qui semblait être la moitié des
cinquièmes années, plus les jumeaux Weasley, les Sywent et il repéra également Jones qui
discutait un peu timidement avec Susan Bones. La troisième année semblait être enfin
parvenue à se faire des amis, qui était-il pour lui reprocher de les avoir trouvés en dehors de
Serpentard ? Cela n’avait jamais été simple pour les Nés-Moldus chez les serpents.
« Comment exactement est-on censé se préparer à un examen théorique de Défense quand
nos cours pour les trois-quarts de l’année sont pleins d’inepties ? » râlait Draco, en agitant un
parchemin. « Tu te souviens des kelpies ? Je doute que Flitwick se contente d’un : je me
cache et j’appelle le Ministère. »

« Cela semble peu probable, en effet. » commenta Severus, en émergeant des rayonnages à la
suite de Luna qui alla prendre place entre Londubat et Zabini comme si c’était la chose la
plus naturelle du monde.

Tous les autres adolescents sursautèrent, trahissant par là-même un manque crucial
d’attention à leur environnement et le poussant à lever les yeux au ciel. Pourquoi donc
s’échinait-il à leur enseigner quoi que ce soit en Défense ?

« Félicitations, Professeur Snape. » offrit Zabini, ce qui fût rapidement reprit en cœur, avec
plus ou moins de sincérité, par les autres adolescents.

Il dût avoir l’air suffisamment perdu parce que son fils se racla la gorge. « L’Ordre de Merlin.
Ça a fait la Une de la Gazette. »

« L’article était dithyrambique. » commenta Draco, avec un brin d’insolence. « Qui aurait cru
qu’un tel héro se cachait chez les Serpentards… Et on dit qu’il n’y a que des traitres et des
Mangemorts chez nous… »

Le commentaire lui valut un coup de pied sous la table de la part de Granger et plus d’un
regard réprobateur.

Severus décida de l’ignorer mais prit note de trouver un exemplaire de la Gazette afin de se
rendre compte par lui-même d’à quel degré d’inepties il allait devoir faire face.

« Harry, un mot, s’il te plait. » demanda-t-il, sans les remercier, alors même que le garçon se
levait déjà, repoussant avec un soulagement évident le lourd tome d’Histoire de la Magie
qu’il était en train de consulter.

Severus se tourna sans plus un regard pour les autres mais se figea lorsqu’il entendit l’éclat
de rire général. Il se retourna brusquement pour les fusiller de son regard le plus noir, ce qui
les calma efficacement, mais plaça néanmoins une main protectrice sur l’épaule de son fils
lorsque le garçon le rejoignit, peu enclin à les voir se moquer d’Harry simplement parce que
leur Professeur le moins aimé souhaitait lui parler.

Cependant, Harry lui-même paraissait lutter contre un fou rire.

Il l’entraîna un peu plus loin dans les rayonnages, s’assurant de quelques coups de baguette
que personne ne surprendrait la conversation, sans pour autant jeter de sortilèges trop
complexes. Il n’avait pas l’intention de discuter de quoi que ce soit de dangereux dans la
bibliothèque.

« Je serais au Q.G. toute l’après-midi. » annonça-t-il. « Ton parrain n’a rien trouvé de
satisfaisant hier. Des recherches plus poussées sont nécessaires. »
L’amusement du garçon fondit comme neige au soleil. « Oh… D’accord. »

« Envoie-moi un Patronus si tu as besoin de moi. » ordonna-t-il. « Et j’aimerais que tu


viennes diner à la maison, ce soir. »

Severus avait prévu, de toute manière, de l’informer de l’existence de la nouvelle baguette du


Seigneur des Ténèbres et, peut-être, de le tenir au courant de leurs avancées mais…

Comme une chatière sur la porte mais aucun chat.

Harry lui avait dissimulé des choses, sciemment ou non. Il avait dit que Pétunia lui avait
donné la seconde chambre de Dudley à son entrée à Poudlard – la seconde chambre quand
elle avait obligé son fils à vivre dans un placard pendant des années – il n’avait jamais dit
que la chambre s’accompagnait de verrous ou d’une chatière. Ce n’était pas une chambre que
lui avait décrit Nymphadora mais une cellule.

Harry comprenait-il seulement que ce n’était pas acceptable ?

Probablement pas vu la manière dont il avait tenté de le convaincre de le laisser y retourner.

« D’accord. » répéta le garçon, en hochant la tête. « Et… Est-ce que… »

Il baissa brusquement la tête, apparemment gêné.

Severus fronça les sourcils. « Est-ce que ? »

« Est-ce qu’on pourrait revoir les bases et les catalyseurs dans les antidotes, après diner. Je
veux être sûr d’avoir compris le concept. » lâcha-t-il, en grimaçant. « Si ça ne te dérange
pas. »

Le Gryffondor ne le regardait pas en face mais avait mis juste un peu trop d’intensité dans
son tutoiement, comme s’il tâtait toujours le terrain de ce côté-là. C’était devenu chose
courante, ces derniers jours. Harry oscillait entre tutoiement et vouvoiement, semblant parfois
se forcer à être plus familier, toujours plus craintif lorsqu’il s’y aventurait par accident
comme s’il pensait que Severus allait soudain changer d’avis et le punir pour son
impolitesse…

Était-ce sa faute ou un nouveau problème hérité des Dursley ?

Il n’avait pas anticipé que ce soit si… compliqué pour lui. C’était, après tout, Harry qui avait
commencé seul à l’appeler par son prénom ou surnom, sans s’embarrasser de demander sa
permission, et c’était Harry qui avait décidé de l’appeler Papa davantage que Professeur. En
dehors d’une salle de classe, il ne l’appelait pratiquement plus que ça.

Et puis, Harry l’avait tutoyé plusieurs fois en soixante-quinze sans que cela ne semble le
gêner. Toujours devant témoins, certes. Pour lui forcer la main ou vendre leur mensonge,
certes.

Mais…
Merlin savait ce que les Dursley lui avait mis dans la tête.

Comme une chatière sur la porte mais aucun chat.

Il appréhendait fortement la conversation qu’ils allaient devoir avoir. Harry n’aimait pas
parler des Dursley, l’évitait autant que possible, et Severus n’avait peut-être pas fait le bon
choix en décidant de le laisser partager à son rythme.

« Tant que tu ne t’attends pas à ce que je te livre les questions de l’examen sur un plateau,
nous pouvons revoir ce que tu veux. » offrit-il. Ce n’était pas très juste pour les autres élèves,
peut-être, mais les autres élèves n’étaient pas son fils.

Harry se détendit immédiatement. Son sourire reconnaissant, toutefois, se transforma vite en


amusement.

« Il faut que je vous demande… » hésita le garçon, les yeux pétillants. « Est-ce que c’est un
nouveau style ou est-ce que c’est une déclaration ? »

« De quoi es-tu en train de parler ? » s’enquit-il, avec un très mauvais pressentiment.

Les rires sous capes et les doigts pointés dans les couloirs…

Avait-il été la cible et pas Lovegood ?

Était-ce à cause de l’article ?

À nouveau, Harry paraissait lutter contre un fou rire. « Vous avez regardé votre cape avant de
l’enfiler ? »

Son mauvais pressentiment s’accentuant, il ôta rapidement sa cape et la tint à bout de bras
pour l’examiner. Il n’eut pas à chercher bien loin ce qui avait déclenché tant d’amusement
dans tout Poudlard.

L’arrière de sa cape était orné du blason de la Maison Serpentard ce qui, jusque là, aurait sans
doute pu passer pour un goût vestimentaire douteux, si le serpent sur le blason, un serpent
animé qui glissait inlassablement autour du S, n’avait pas porté autour du cou une écharpe
aux couleurs de Poufsouffle, du moins.

Harry n’y tint plus et éclata de rire, s’accrochant à un rayonnage pour mieux rester debout.

Severus aurait été nettement plus en colère si cela n’avait pas été une démonstration
admirable de magie. Le serpent lui fit un clin d’œil avant de brusquement disparaître. Oui, un
sortilège impressionnant de complexité, étant donné qu’elle avait dû le jeter en moins de
quelques minutes lorsqu’il avait le dos tourné.

Il jeta un sort pour s’assurer que le blason ne réapparaîtrait pas dès qu’il aurait détourné les
yeux et renfila la cape avec calme et mesure.

Et une promesse intérieure de lui faire payer cette petite plaisanterie.


« Qu’est-ce que vous lui avez fait ? » osa demander Harry avec curiosité, une fois qu’il se fût
repris.

Il claqua la langue avec agacement, n’ayant pas du tout l’intention de lui expliquer le
quiproquo de la veille.

« Disons que je n’ai pas été des plus délicats. » admit-il. « J’ai traité comme une plaisanterie
quelque chose qui lui tenait à cœur. »

Il n’aurait pas dû remettre le malentendu avec Aurora sur le tapis, même pour s’en amuser.
La chose lui avait paru hilarante, une fois sa crise de nerf terminée, mais elle ne partageait
visiblement pas cette opinion. Elle n’avait pas l’air de mesurer à quel point il était rare qu’une
femme s’intéresse à lui. Sans parler du fait que son infidélité supposée était d’autant plus
risible qu’il n’avait pas menti lorsqu’il lui avait dit qu’elle était la seule femme à occuper ses
pensées.

« Très mauvaise idée, apparemment. » commenta sagement le garçon.

« Très mauvaise idée, oui. » confirma-t-il, dans un soupir.

« Au moins elle ne vous a pas collé une écharpe de Poufsouffle directement autour du cou
avec un sort de glue éternelle. » remarqua Harry, dans un haussement d’épaules fataliste.
« C’est un peu plus subtil comme manière de dire que vous êtes avec elle. » Le gamin
combattit à nouveau vaillamment un ricanement qui finit par lui échapper. « Et c’était drôle.
Il faut que je lui demande de m’apprendre ce sort. »

Severus fronça un peu les sourcils face à la conclusion trop nonchalante pour ne pas être
convaincue de l’adolescent. Était-ce là ce qu’elle avait tenté de faire ? Revendiquer leur
relation davantage que de se venger de ses plaisanteries ?

Black était probablement la dernière personne dans leur cercle de connaissances à ne pas être
au courant mais il était vrai qu’ils n’avaient jamais véritablement non plus… annoncé la
chose. Il n’était pas à l’aise avec tout ça, n’avait aucune idée de ce qu’il était approprié de
faire, n’avait aucune intention de s’afficher… Pensait-elle qu’il ne prenait pas leur relation
suffisamment au sérieux parce qu’ils la gardaient principalement cachée dans les cachots ? Il
n’avait pas protesté lorsqu’elle l’avait embrassé devant Albus, il avait été gêné, oui, mais il
ne l’avait pas repoussée. Et il n’avait pas nié lorsque le Ministre avait sous-entendu qu’il
serait probablement dans sa vie suffisamment longtemps pour avoir une influence sur sa
carrière. Mais il n’avait toujours pas informé Black. Et il s’était amusé de sa jalousie alors
que, visiblement, c’était un point sensible.

Et puis il y avait Lestrange et sa tentative de meurtre…

Lestrange était loin d’être idiot et lui avait paru plutôt sain d’esprit malgré les années passées
à Azkaban. Lestrange était également marié à une psychopathe qui n’avait jamais eu la
romance à l’esprit. Et malgré ça, il avait pensé que Nymphadora trouverait normal de
recevoir un cadeau de sa part, s’il y avait sceau et signature pour confirmer sa provenance.
Parce que, songea-t-il, bien que cela ne lui ait jamais effleuré l’esprit, c’étaient des choses
que les hommes faisaient pour les femmes qu’ils fréquentaient : leur offrir des cadeaux ou
des fleurs, avoir des attentions…

Se sentait-elle négligée ?

S’y prenait-il mal ?

Était-ce comme lorsqu’il ne l’avait pas informée pour la Marque ? Était-il entièrement inapte
en matière de relations humaines ?

Il connaissait déjà la réponse à cette dernière question, bien sûr.

Et il y avait une solution, évidemment. Il ne commettrait pas l’erreur d’essayer de demander


son opinion à Black une deuxième fois mais il y avait Minerva… Minerva lui avait conseillé
de s’excuser, la dernière fois, et cela n’avait pas été la pire idée. Toutefois, il refusait d’aller
expliquer à Minerva que…

« Sev ? »

Avec un sursaut un peu coupable, il revint vite sur terre et adressa une grimace d’excuse au
garçon qui le dévisageait avec inquiétude.

« Tu te n’es pas disputé avec elle, hein ? » hésita Harry.

« Non. » répondit-il. Ce n’était pas vraiment un mensonge. Ils avaient été loin d’être fâchés
lorsqu’ils s’étaient quittés. Il supposait que sa petite farce n’était pas un signe de colère, pas
lorsqu’ils avaient eu toutes les peines du monde à se résoudre à quitter son lit, ce qui était
franchement embarrassant vu leurs âges et leurs responsabilités respectives. « Non, tout va
bien. »

« Oh, tant mieux. » déclara le Gryffondor, visiblement soulagé.

Pour lui ou parce qu’il s’était attaché à l’Auror ?

Était-il sage de laisser Harry s’habituer à sa présence dans leurs vies alors qu’il n’était pas sûr
que…

Pas sûr de quoi ? se moqua une voix à l’arrière de sa tête, tu as sous-entendu que tu comptais
l’épouser ce matin même.

Ce n’était pas, du tout, ce qu’il avait eu l’intention de dire et il occluda prestement ce


souvenir qui l’avait laissé aussi gêné qu’elle.

« Vous serez prudent ? » exigea Harry. « Au Q.G., je veux dire. Mrs Weasley et Sirius ont dit
qu’il y avait beaucoup d’objets maudits. »

« Je suis toujours prudent. » contra-t-il. « Ton parrain, en revanche… Je ferais mieux d’aller
m’assurer qu’il ne s’est pas une nouvelle fois empoisonné. »
Il s’était à peine éloigné de quelques pas lorsqu’il entendit, dans son dos, les jumeaux
Weasley tomber sur Harry.

« Harry, Harry, Harry… »

« S’il te plait, dis nous que tu sais… »

« Qui est le génie… »

« Le maître… »

« L’artiste… »

« Qui est parvenu à jouer un tour pareil à Snape. »

Il leva les yeux au ciel.

Oui, Nymphadora n’avait qu’à bien se tenir.

À provoquer un Serpentard, il fallait s’attendre à avoir des ennuis.

°O°O°O°O°

Sirius et Bill venaient de terminer d’explorer chaque recoin du salon lorsque le feu de
cheminée vira au vert. À sa connaissance, le Maître des Potions n’avait pas été capable de
faire une entrée digne par cheminette depuis sa rencontre prolongée avec l’Endoloris. Le
sorcier trébucha au bout de deux pas, se rattrapa avec difficulté grâce à sa canne et s’autorisa
une grimace frustrée avant qu’il ne les remarque et que son expression ne devienne
entièrement lisse.

Sirius décida que le laisser ruminer le fait d’avoir été pris en grand délit d’humanité n’était
pas dans leur intérêt.

« Si ce n’est pas le dernier Commandeur en date du Grand-Ordre de Merlin ! » se moqua-t-il,


en faisant tout un cinéma pour sortir sa montre et regarder l’heure. « Trop aimable à toi de
sortir du lit pour venir nous aider. »

Severus le foudroya du regard. « Je devais parler à Harry. »

Il salua Bill d’un hochement de tête plus poli que l’ainé des Weasley lui rendit.

« Harry a bon dos. » riposta Sirius, non sans humour. Il était prêt à parier que la raison du
retard très inhabituel du sorcier était davantage sa mystérieuse conquête de la veille au soir.
« Mais je suppose qu’on ne peut pas vraiment te demander des comptes… » Il plaça une
main sur son cœur et soupira avec un air tragique. « Après tout, l’incarnation de Garet Flinsh
a sans doute des choses plus intéressantes à faire… »

Sirius n’avait jamais été fan de cette série de livres pour enfants qui mettaient en scène un
sorcier espion mais Harry les dévorait par la douzaine bien qu’ils aient plus de dix ans, ce qui
lui avait rappelé que Lily les adorait à l’époque.
Severus se figea. « Dis-moi que c’est une de tes piètres tentatives d’humour et pas une
citation de cet article… »

« Vous ne l’avez pas vu ? » demanda Bill, plus amusé qu’il ne voulait le laisser paraître.

« Je n’en ai pas eu l’occasion. » avoua l’ancien Mangemort.

« Oh, c’est très dommage, mon cher brun ténébreux au regard de jais. » ricana Sirius. « Une
figure austère qui cache un passé tragique devrait toujours lire les articles écrits sur lui. »

Severus n’avait pas l’air tranquille. « Passé tragique ? »

Parce qu’il y avait une vraie appréhension dans sa voix, Sirius cessa de le taquiner. « Ils
mentionnent la mort de ta mère en cinquième année et les Prince qui t’ont refusé leur titre. »
Il hésita puis fit la grimace, devinant que ça ne servait à rien de lui cacher le reste. « Ils disent
aussi que ton père a été arrêté pour le meurtre de ta mère… »

Ce dont il n’avait jamais entendu parler.

Que Severus ait perdu sa mère lors de leur cinquième année, toute l’école l’avait appris. Il se
souvenait même de la conversation que les Maraudeurs avaient eu dans le dortoir où ils avait
collectivement décidé de le laisser tranquille pendant quelques temps, même si lui cherchait à
les provoquer. C’était Remus qui avait lancé cette initiative, sans véritable surprise.

Mais que son père Moldu ait été arrêté pour l’avoir jetée en bas d’un escalier,
accidentellement ou pas… Cette information là avait été bien gardée. Sirius n’avait jamais
entendu la moindre rumeur à ce sujet.

L’ancien espion n’avait pas tressailli ou marqué le moindre signe d’émotion mais l’Animagus
savait qu’il était contrarié, pire, il était touché. Et on le serait à moins, supposait-il.

L’article n’était pas de Rita Skeeter mais ce n’était pas beaucoup mieux.

« Lily ? » lâcha Severus.

« Non. » Sirius secoua immédiatement la tête. « Ils n’en font pas mention. Ni d’Harry,
d’ailleurs. »

« Il y a une copie dans la cuisine. » offrit Bill. « Je suppose que c’est celle de Remus… »

Le Maître des Potions s’y précipita – sans avoir l’air de se précipiter, bien sûr. Après avoir
échangé un regard, lui et Bill suivirent. Severus parcourait déjà l’article qui s’étalait à la Une
le temps qu’ils le rattrapent. Sur la photo, Scrimgeour épinglait encore et encore une médaille
sur le torse du Professeur qui avait l’air éberlué.

Rien qu’à la manière dont les mains tremblantes du Maître des Potions étaient crispées sur le
journal, Sirius devina qu’il n’appréciait pas sa lecture.

« On s’habitue à ces articles débiles. » le consola-t-il. « Ils continuent à en faire sur moi
régulièrement quand ils n’ont rien d’autre à dire. Et puis… Être célèbre c’est un peu la
marque de fabrique de la famille, non ? Il y avait Harry et moi, maintenant il y a toi. »

Severus lui adressa un regard noir qui manquait singulièrement d’hostilité. Probablement
parce qu’il venait de dire qu’ils étaient une famille.

Sirius attendit le déni, le rejet, se sentant un peu trop vulnérable à son goût et trop conscient
que la véritable famille était Harry et Snape, que lui n’était que le parrain dont le garçon
pouvait éventuellement se passer et…

« Quels progrès avez-vous fait ? » demanda Severus, en jetant le journal dans la poubelle.

« On sait qu’il n’y a rien dans le salon. » déclara Bill. « Le problème c’est qu’il y a trop
d’objets ensorcelés, maudits ou simplement vecteurs de magie noire dans la maison. Je ne
peux pas jeter de sorts de détection sur le bâtiment non plus parce que la maison est magique.
Il faut fouiller pièce par pièce. »

Ce qui risquait de leur prendre des semaines, songea Sirius.

« Séparons-nous. » suggéra le Maître des Potions. « Bill, prenez le rez-de-chaussée et le


premier. Je fouillerai le deuxième et le troisième. Black… »

« Je prends le deuxième et le troisième. » l’interrompit Sirius. « Prends le grenier et les


anciens quartiers des elfes. » Severus le dévisagea comme s’il était stupide, l’Animagus leva
donc les yeux au ciel. « Comment est-ce tu justifierais d’être surpris par quelqu’un en train de
fouiller les chambres ? Moi je suis chez moi, je fais ce que je veux. Et puis il y a Buck. Buck
ne t’aimera pas beaucoup. »

« Buck… » lâcha Severus. « … devrait peut-être retourner chez Hagrid sous un nom
d’emprunt avant de devenir trop sauvage d’avoir été enfermé ici pendant des mois. Cela fait
deux ans et personne ne le cherche. »

Certes.

Il verrait ça avec Charlie et Anthony.

« Au travail. » exigea le Professeur, comme si ce n’était pas lui qui était arrivé en retard.

Sirius disparut dans les étages, agacé que Severus donne des ordres mais ne soit pas plus
prompt à les exécuter, avant de se rendre compte que s’il n’avait pas voulu monter jusqu’au
grenier, c’était à cause de sa jambe. Déconfit et se sentant un peu coupable, il rebroussa
chemin jusqu’à l’escalier, observant son ancien rival monter les marches avec quelques
difficultés.

« J’ai oublié ta jambe. » avoua-t-il, tout de go. « On peut échanger, si tu veux. »

Mais il n’avait vraiment, vraiment pas envie et Severus dut le lire sur son visage parce qu’il
pinça les lèvres. « Qu’y a-t-il là en haut que tu ne veuilles pas affronter ? »

« Trop de souvenirs. » soupira Sirius. « Comme dans le reste de cette foutue baraque. »
Le sorcier le dévisagea un instant puis agita la main. « Je peux très bien arriver en haut. »

« Sûr ? » hésita-t-il.

« Je ne suis pas infirme, Black. » trancha Severus, dans un sifflement.

Il préféra ne pas répondre à ça. Le Maître des Potions n’était pas infirme mais ne paraissait
pas non plus vouloir admettre ses limites, ce que Sirius pouvait comprendre et respecter, mais
il savait aussi qu’il souffrirait des trop nombreux escaliers.

Égoïstement, il n’insista pas.

Il n’était pas capable de retourner au grenier.

La dernière fois, avec Andy…

« Il y a peut-être un Epouvantard. » l’avertit-il. « Je crois que Remus l’a détruit mais je ne


suis pas sûr. »

« Fantastique. » commenta l’ancien Mangemort, avant de reprendre son ascension.

À court d’excuses, Sirius commença à fouiller les pièces du deuxième étage.

°O°O°O°O°

Severus bouillait de colère.

L’Ordre de Merlin était une chose, cet article dans la Gazette en était une autre. La prose était
ridicule, la tentative de le faire passer pour une espèce de héro tragique Byronien était
insultante et les détails, au demeurant tous de faits publics, dévoilés sur sa vie privée étaient
de trop. Il supposait devoir s’estimer heureux que le journaliste, qui avait clairement usé
d’une plume à papote, n’ait pas fait correctement son travail et enquêté. L’article ne
mentionnait pas Lily et ne s’étendait, bien heureusement, pas sur Tobias ou sa brutalité. Ce
qui ne l’empêcherait pas d’envoyer un hibou à la Gazette.

Le Square Grimmaurd devait avoir eu tout un bataillon d’elfes de maison dans le temps parce
que leurs quartiers étaient beaucoup plus larges que ce à quoi il se serait attendu. L’endroit
n’avait très visiblement pas été habité depuis un très long moment et il était évident que
Kreattur n’y mettait jamais les pattes.

Il fouilla méthodiquement la pièce sans s’attendre à y trouver quoi que ce soit.

Il passa au grenier dont la porte était rouillée, marmonnant entre ses dents des insultes pour
Black qui l’avait obligé à monter jusque là, ce pourquoi sa jambe ne le remerciait pas. Elle
avait mis deux jours à cesser de le faire souffrir à chaque pas suite à leur petite excursion sur
la côte et il aurait préféré éviter de renouveler l’expérience.

Il comprit néanmoins pourquoi l’Animagus n’avait pas voulu venir là lorsqu’il pénétra dans
la pièce, forcé de se courber légèrement en deux pour éviter de se cogner aux poutres de la
soupente. Il y avait des poupées abandonnées, les restes pourris d’un goûter, des cartes et
autres jeux de société… Visiblement, l’endroit avait servi de salle de jeux à des enfants dans
le passé.

Par certains côtés, la pièce lui rappelait la vieille salle de Divination que lui et Lily utilisaient
comme quartier général.

Sur ses gardes, au cas où l’Epouvantard soit toujours dans les parages, il avança dans le
grenier, en se demandant par où commencer. Si l’endroit avait eu une importance
sentimentale pour Regulus, cela rendait la possibilité qu’il l’ait utilisé comme cachette plus
forte. Mais la pièce avait été laissée dans un fatras incommensurable.

Il s’apprêtait à jeter un sort de détection à tout hasard lorsqu’une chaleur douce dans sa poche
intérieure le stoppa net.

Il sortit le carnet de sa poche, sans oublier de garder un œil sur la vieille armoire, au fond, qui
aurait été la cachette rêvée pour un Epouvantard.

La vengeance est un plat qui se mange froid, avait-il écrit avant de quitter Poudlard, peut-être
pas l’entrée en matière qu’il aurait souhaitée lorsqu’il avait enchanté un des carnets qu’il
achetait en gros, ce matin là.

Dis moi que tu es passé dans la salle des prof avant de t’en rendre compte et qu’une
certaine personne a compris le message.

Nymphadora avait une écriture qui trahissait sa joie de vivre et son impulsivité. Surtout
lorsqu’elle griffonnait à la hâte.

Il leva les yeux au ciel, sortant le stylo bille de sa poche. Il dût trouver une surface plane sur
laquelle s’appuyer et se concentrer pour tracer des lettres lisibles. Il faisait moins d’efforts s’il
prenait des notes pour lui-même mais bien que ses mains se soient un peu stabilisées depuis
que Slughorn lui préparait sa potion, il n’y avait pas eu de miracles. Et son écriture, bien que
plus lisible au stylo qu’à la plume, ressemblait désormais à celle d’un enfant malhabile.

Je pensais que nous étions d’accord pour cesser d’en plaisanter.

Il n’eut pas le temps de fermer le carnet ou de le remettre dans sa poche. La réponse fût
immédiate, chaque mot apparaissant les uns après les autres à mesure qu’elle les traçait.

Qui a dit que je plaisantais ? Tu as vu l’article dans la Gazette ? Tu vas avoir des
dizaines d’admiratrices plus cinglées les unes que les autres… N’ouvre plus tes lettres si
tu ne sais pas de qui elles viennent. J’ai dit ma façon de penser au M.

Ce qu’elle n’avait pas pu savoir lorsqu’elle avait ensorcelée sa cape.

Et il n’avait pas vraiment besoin de ses conseils en matière de sécurité.

Néanmoins, il était amusé qu’elle soit allée affronter le Ministre de la Magie sur le sujet.

Tentative de diversion. Serpentard.


L’accusation dût la faire hésiter parce qu’une tâche d’encre apparut, comme si elle avait posé
la plume et l’avait retirée sans rien écrire. Il s’apprêtait à ranger le carnet et retourner à sa
chasse au médaillon lorsqu’elle répondit finalement.

Désolée.

Était-elle énervée ? Se sentait-elle véritablement coupable ? Craignait-elle qu’il soit en colère


après elle ? Il n’y avait aucune manière de le déterminer à travers un simple mot.

Tout ça devenait bien compliqué.

Cela avait été beaucoup plus simple au début.

Les excuses ne te sauveront pas de ma vengeance.

Il espérait qu’elle comprendrait qu’il plaisantait, que…

Ce ne fût pas des mots qui apparurent mais un cœur hâtivement dessiné.

Rien ne suivit alors il rangea le carnet dans sa poche, les joues le cuisant suffisamment pour
qu’il les devine rougies.

Trente-six ans, se gronda-t-il en se mettant au travail, tu as trente-six ans, pas seize.

°O°O°O°O°

Sirius en était à la dixième pièce.

Il s’était écoulé à peu près trois heures depuis qu’ils avaient commencé à fouiller la maison et
il n’en pouvait plus.

Il s’efforçait de garder le cap, de rester concentré, mais être à nouveau ici de manière
prolongée… Il entendait des murmures qui, il en était certain, étaient dans sa tête. Des échos
du passé. Chaque pièce ramenait son lot de souvenirs. Des spectres imaginaires dansaient à la
périphérie de son champ de vision.

Il avait fouillé les chambres que divers membres de l’Ordre s’étaient plus ou moins attribués,
la suite de son oncle, celle de sa tante, les chambres que les filles occupaient quand elles
étaient au Square Grimmaurd… Seule celle de Narcissa avait été plus ou moins vidée et il se
demanda si c’était elle qui, au décès de ses parents, avait scellée magiquement la maison. Elle
avait été la dernière Black en liberté, après tout.

Finalement, il aurait dû prendre le grenier et laisser à Snape ou Bill ces chambres trop pleines
de fantômes.

Il ne lui restait que deux pièces : la suite de son père et celle de sa mère.

Il avait fait deux pas dans la chambre de son père et s’était figé, incapable de bouger,
incapable de se souvenir qu’il n’était plus un enfant.
Parce qu’il n’avait pas le droit de rentrer ici.

Il entendit les bruits de pas dans le couloir, ferma les yeux, attendit les hurlements qui lui
reprocheraient de désobéir encore, la main qui se refermerait sur son bras et le secouerait
comme un prunier, les mots cruels qui le découperaient en morceaux…

« Sirius. »

Il rouvrit les yeux, avala une bouffée d’air sans s’être aperçu avoir retenu si longtemps sa
respiration, cilla plusieurs fois jusqu’à ce que la silhouette devant lui se transforme de celle
de son père à celle de Severus.

L’expression du Maître des Potions était neutre mais il y avait une lueur un peu trop
compréhensive dans ses yeux.

« Je n’ai rien trouvé en haut. Bill est en train de retourner la bibliothèque de fond en
comble. » expliqua l’homme, en jetant un coup d’œil à l’intérieur. « Je peux m’occuper de
cette pièce si tu veux. »

« C’est la suite de mon père. » lâcha-t-il.

« Je peux m’en occuper. » répéta Severus, en posant une main hésitante sur son épaule.

« Je n’ai pas le droit d’y entrer. » murmura-t-il. Ça ne l’avait pas empêché de le faire plus
d’une fois lorsqu’il était certain de ne pas être surpris. Il l’avait fait par défi, par goût de
braver l’interdit…

« Ton père est mort depuis longtemps. » lui rappela calmement l’ancien Mangemort. « Et la
maison t’appartient. »

« Le dernier hériter des Black. » cracha-t-il, en prenant une profonde inspiration. Il fit un pas
dans la pièce, un deuxième…

Son père ne revint pas d’entre les morts pour l’invectiver d’injures.

« Si je pouvais je brûlerais cet endroit jusqu’à ce qu’il ne reste que des cendres. » gronda-t-il.

Cette maison ne lui faisait aucune faveur.

« Je comprends. » offrit Severus.

Ce n’était pas une platitude, il y avait de la conviction dans la voix de l’autre sorcier, une
conviction qui le poussa à se reprendre.

« Tu peux fouiller le salon ? » demanda-t-il. La suite se composait d’une chambre, d’un


salon, d’un large placard qui tenait plus du dressing et d’une salle de bain, dans la plus
typique organisation victorienne. « Il y a un compartiment caché dans le manteau de la
cheminée. »
Severus acquiesça et ils se partagèrent les lieux sans discuter mais en faisant suffisamment de
bruits pour que Sirius ne se laisse pas trop emporter par ses fantômes. Ils firent choux blanc.

À part quelques papiers qui prouvaient qu’Orion trempait dans des affaires louches avant sa
mort, Sirius ne trouva rien de bien intéressant.

Ils traversèrent le couloir et passèrent aux appartements de sa mère.

Et il regretta immédiatement d’y avoir pénétré parce que c’était comme faire un voyage dans
le passé.

Il pila si net que Severus lui rentra dedans.

Grommelant entre ses dents, le Maître des Potions ne tarda pas à froncer les sourcils.
« Comment se fait-il que le reste de la maison soit à l’abandon mais que cette pièce soit si
propre ? Quelqu’un vit ici ? »

Personne n’avait choisi d’occuper les chambres qui avaient été celles de sa famille. Tous les
autres s’étaient installés dans celles des invités ou dans les pièces reconverties à la hâte. La
seule exception était Tonks qui utilisait parfois la chambre d’Andromeda.

« Kreattur. » lâcha-t-il. « Il voue un culte à ma mère. La chambre de Regulus était dans le


même état. Comme s’il attendait qu’ils reviennent. »

« Et cela ne te parait pas suspect ? » contra Severus.

Sirius secoua la tête. « Cet elfe est fou à lier. »

« Oui, c’est aussi ce qu’on disait de toi. » rétorqua son rival, en le dépassant pour rentrer dans
la pièce.

Sirius le suivit lentement.

Il y avait des photos au mur. Son visage avait été brûlé méthodiquement sur chacune d’entre
elles.

Il ne savait pas pourquoi cela lui fit mal, il n’avait jamais pensé que sa mère l’aimait
beaucoup. Ou tout court.

C’était Regulus, le fils prodigue. Pas lui.

Ce fût long et difficile de fouiller cette suite-ci parce qu’il ne connaissait pas tous ses recoins
ou ses cachettes. Il avait défié son père par bravade, mais il n’avait jamais été assez stupide
pour s’opposer aussi ouvertement à sa mère. Par bien des côtés, elle avait été plus terrifiante.

« C’était une Black aussi. » déclara-t-il, au bout de plusieurs minutes. « Ma mère. Ma grand-
mère était une Crabbe, mon grand-père un Black. »

« Ah, la consanguinité… » se moqua Severus, à genoux sous le secrétaire dans le coin du


petit salon pour mieux chercher des compartiments secrets. Il en avait déjà trouvé deux.
« Voilà qui explique tout. »

Sirius ne releva pas l’insulte parce qu’elle était vraie.

« Je crois qu’ils m’auraient fait épouser Bella ou Cissy, s’ils avaient eu leur mot à dire. »
continua-t-il. « Andy était promise aux Rosier. »

« Il est heureux qu’Andromeda ait eu le courage de s’enfuir. » commenta le Maître des


Potions, avant qu’un léger clic ne signale la présence d’un troisième compartiment secret.
« Et toi aussi, je suppose. »

« Ce n’était pas du courage, c’était de la survie. » murmura-t-il, en déplaçant la petite table


basse pour rouler le tapis rongé par les mites. Le parquet dessous était décoloré mais il ne
trouva pas une trace d’une latte branlante ou d’une trappe.

« Je ne suis pas certain d’être d’accord. » remarqua Severus, en s’extirpant de sous le


secrétaire avec difficulté. Il jeta un tas de lettres et documents sur le bureau mais il ne devait
rien y avoir d’intéressant parce qu’il ne commenta pas sa trouvaille. « M’enfuir ne m’est
jamais venu à l’esprit. »

Sirius lui jeta un coup d’œil, un peu surpris qu’il offre volontairement ce genre
d’informations. Il en avait laissé échapper assez pour qu’il parvienne à ses propres
conclusions et les rares fois où il avait fait des insinuations prudentes, l’ancien espion ne les
avait pas détrompées, mais…

« J’avais la chance d’avoir les Potter. » répondit-il.

Et la mère de James avait été la seule véritable mère qu’il ait connue.

Walburga… Son Epouvantard avait longtemps pris la forme de Walburga et son air
désapprobateur, déçu.

« J’aurais pu avoir les Evans. » commenta l’ancien Mangemort sans le regarder en face,
d’une voix trop neutre pour être véritablement détachée. « J’étais trop fier pour demander de
l’aide. »

« Tu étais trop fier ou tu savais que personne ne t’aiderait ? » riposta Sirius, en abandonnant
sa fouille pour mieux le dévisager. « Parce que, moi, pendant très longtemps, j’étais certain
que personne ne m’aiderait. » Il haussa les épaules. « Après tout, ce n’est pas comme s’ils
m’avaient vraiment brutalisé. Ils étaient… Ils étaient affreux mais Regulus et les filles étaient
là et survivaient. Pourquoi est-ce que je me serais plains ? Pourquoi est-ce qu’on m’aurait
cru ? »

« Ta situation était similaire à celle d’Harry. » remarqua Severus.

« Et pas à la tienne ? » rétorqua-t-il, fatigué de tourner autour du pot.

Le Maître des Potions se figea brièvement puis continua à inspecter la bibliothèque dans le
coin, retirant et ouvrant chaque livre pour s’assurer qu’ils ne cachaient rien. « Harry m’a
toujours assuré que les Dursley n’avaient jamais été physiquement violents avec lui. »
Ce qui était une manière détournée de dire que Severus, en revanche, avait subi des violences
physiques. Le souvenir de leur scolarité, de tout ce que les Maraudeurs lui avaient fait subir
par ennui ou par jeu lui tordit l’estomac.

« Je ne suis plus sûr de le croire, toutefois. » soupira l’homme, avec lassitude, en se frottant
les yeux. « Est-ce un bon moment pour discuter de ça ou bien cela va-t-il déclencher des
souvenirs trop… pesants pour toi, étant donné l’endroit ? Cela peut attendre que nous soyons
revenus à Poudlard. Je dois te parler d’autre chose, de toute manière. »

Il ne souciait plus du tout de ses souvenirs ou du reste.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » s’inquiéta-t-il. « Qu’est-ce qui se passe avec Harry ? »

Severus avait repris sa fouille méthodique de la bibliothèque. « Il m’avait laissé entendre que,
bien que leur négligence manifeste ait persisté après ses onze ans, les Dursley lui avaient
donné une chambre et que le degré d’hostilité avait… diminué. Qu’ils l’ignoraient, en
somme, tant qu’ils n’étaient pas confrontés à de la magie. »

« Oui. » confirma-t-il. « Ils détestent la magie mais, oui, c’est ce que j’ai compris aussi. »

« Nymphadora m’a dit que lorsqu’elle était allée le chercher cet été avec le reste de l’Ordre,
elle avait remarqué des verrous et une chatière au bas de la porte de sa chambre. » siffla le
Maître des Potions. « Harry n’a jamais mentionné ni l’un, ni l’autre. T’en a-t-il parlé ? »

Sirius se tendit, la colère extrêmement dure à contrôler lorsqu’il imaginait son filleul… « Il
m’a dit que ses Moldus craignaient la magie. Il m’a dit que son oncle était déterminé à le
garder enfermé à Privet Drive après sa première année. Une histoire d’elfe de maison ? »

« Dobby. » suppléa Severus, en se détournant de la bibliothèque pour lui faire face, en


croisant les bras. « T’a-t-il parlé du reste ? »

Toujours agenouillé sur le sol, il secoua la tête. « Pourquoi… Pourquoi une chatière ? »

Le Maître des Potions l’observa comme s’il était stupide. « Je suis certain qu’on te nourrissait
aussi à Azkaban. »

« Tu penses qu’ils l’enfermaient dans sa chambre. » lâcha-t-il. « Tu penses que c’était comme
une cellule. »

« Je pense qu’il y a quelques jours il m’a dit que ce serait probablement moins contraignant
pour nous de laisser Albus le renvoyer chez les Dursley sans protester si cela signifiait qu’il
pouvait passer le reste de l’été avec moi. » expliqua Severus.

« Non. » décréta immédiatement Sirius. « Tu ne peux pas… »

« Évidemment que non. » l’interrompit l’homme, presque agacé. « Mais il m’a également
dit : au pire ils m’enfermeront dans ma chambre. Et, à présent, je me demande si sa chambre
n’était rien d’autre qu’un plus grand placard et, comme il a toujours insisté pour dire que le
placard était la pire des punitions, je me demande aussi s’il a menti sur le reste. »
Sirius soutint son regard longtemps puis se passa les mains sur le visage. « Putain… »

« Comme tu dis. » soupira Severus, l’air tout aussi fatigué. « La question est… Doit-on
adresser le problème ? Doit-on lui demander de nous expliquer la présence des verrous et de
la chatière ? Doit-on clarifier ce qui s’est passé depuis son entrée à Poudlard ? Ou le laisser
venir à nous à son rythme ? »

« Il n’y a pas de nous. » remarqua Sirius. « Il ne m’a plus spontanément parlé des Dursley
depuis l’été avant sa quatrième année et, comme je te l’ai déjà dit, il en plaisantait. Tu es le
seul à qui il a jamais dit la vérité, je pense. Il ne se confiera pas à moi. »

L’ancien espion se détourna et entreprit de fouiller un petit meuble à tiroirs.

Lentement, Sirius se remit lui aussi à explorer la pièce.

Le silence ne dura pas plus d’une minute.

« C’est égoïste et cela ne diminue en rien le reste de la maltraitance dont il a fait l’objet, la
négligence seule est inacceptable, sans parler de la violence morale, mais j’ai besoin de
savoir s’ils l’ont brutalisé et s’il m’a menti tout du long. » lâcha Severus.

Sirius cessa de prétendre qu’il était concentré sur ce qu’il faisait et se tourna pour l’observer à
nouveau. « Pourquoi est-ce qu’il t’aurait menti ? S’il t’en a parlé en premier lieu, ce n’est pas
pour… »

« Ce n’est pas comme s’il était venu me trouver parce qu’il se sentait en confiance, Black. »
cracha le Professeur avec une agitation manifeste. « Il ne m’en a parlé uniquement parce
que… » Le sorcier s’interrompit, prit une profonde inspiration. « Nous nous disputions. Je
l’ai accusé d’être un enfant gâté et il… Il m’a tout avoué parce que cela lui pesait et qu’il a…
Il a reconnu quelque chose en moi, je suppose, mais je ne suis pas certain que c’était une
décision réfléchie. Et étant donné la teneur de notre dispute… »

Il regrettait presque de devoir poser la question. « Pourquoi est-ce que vous vous
disputiez ? »

Severus avait l’air d’avoir croqué dans un citron particulièrement acide et semblait incapable
de croiser son regard.

« Il partageait un dortoir avec mon double. » grinça-t-il. « Il a vu… des marques. »

« Des marques. » répéta Sirius. Voulait-il dire des bleus ou…

« Mes cicatrices. » lâcha le Maître des Potions faiblement, le visage toujours détourné pour
ne pas le regarder en face. « Il a vu mes cicatrices. Et mon double ayant eu la brillante idée de
lui expliquer… » Il s’interrompit. « Ce que je veux dire c’est qu’Harry a tendance à penser
que ce qui lui arrive n’a pas d’importance. Je l’ai vu torse nu, je sais qu’il n’a pas de
cicatrices de ce genre, mais toutes les formes de brutalité ne laissent pas forcément de
marques physiques durables. Des ecchymoses disparaissent. Il m’a toujours dit que les
Dursley ne l’avaient jamais frappé mais il m’a aussi dit qu’il ne l’avait jamais plus enfermé
après Poudlard. J’ai peur qu’il ait comparé le degré de violence entre nos situations et m’ait
menti, peut-être même sans le vouloir, parce qu’il a décidé que ce qui m’avait été fait était
plus grave et donc… »

Il laissa sa phrase en suspens.

Sirius tâcha de digérer rapidement l’avalanche d’informations.

Et de ne pas involontairement dire ou faire quelque chose qui agiterait davantage Severus.

Severus qui avait été brutalisé avec suffisamment de force dans son enfance pour en garder
des cicatrices.

C’était une chose d’avoir des soupçons, une autre de se les voir confirmer.

Sirius avait toujours été très protecteur envers ses amis. C’était dans sa nature, l’explication
peut-être de sa forme Animagus. Il était loyal à défaut du reste.

C’était probablement une bonne chose que Snape senior soit mort parce qu’il brûlait de faire
une petite expédition punitive. Il devait déjà se faire régulièrement violence pour ne pas aller
torturer les Dursley.

« On peut lui redemander. » proposa-t-il calmement, suivant du regard son ancien rival qui
s’était mis à faire les cent pas dans la pièce. « Severus, je ne suis pas sûr que ce soit aussi
grave que ce que tu es en train de t’imaginer. » Cela lui valut un regard à moitié incrédule et à
moitié hostile. Il grimaça. « Non, c’est grave, ce n’est pas ce que je veux dire. Évidemment
que c’est grave. Mais… Le fait qu’il ne t’ait pas dit qu’ils l’enfermaient dans sa chambre…
Ça ne veut pas dire qu’il t’a menti. Est-ce que vous avez jamais parlé de sa chambre ? De la
manière dont ils le traitaient lorsqu’il n’était pas à Poudlard. »

Le Maître des Potions ne cessa pas d’aller et venir, sa canne heurtant le sol avec force. Son
expression était légèrement paniquée et Sirius n’était pas certain que ce soit entièrement à
cause d’Harry.

« Occlude. » suggéra-t-il.

Severus lui jeta un coup d’œil irrité mais, dans la seconde suivante, il ralentit jusqu’à
finalement se tenir à nouveau immobile, son visage figé dans une expression neutre.

L’Animagus n’avait pas eu l’intention de réveiller le robot en lui, mais… Il lui fallait des
réponses sur Harry. Ensuite, ils pourraient s’occuper de l’adulte.

« Nous avons abordé le sujet quelques fois, oui. » répondit finalement l’ancien Mangemort.
« Mais nous avons davantage parlé du fait qu’ils ne se souciaient pas de lui ou des bêtises
qu’ils lui avaient inculquées que de comment il vivait lorsqu’il était à Privet Drive. »

« D’accord… » hésita-t-il. « Est-ce qu’il y a quoi que ce soit qui t’ait jamais fait penser qu’il
ne t’a pas dit la vérité sur le fait qu’ils ne l’ont jamais frappé ? »
Severus prit le temps de réfléchir puis secoua la tête. « Non. Il ne… Il n’a jamais semblé
avoir physiquement peur de moi. Il n’aime pas les mouvements brusques, surtout proches de
son visage, mais il n’a jamais eu le bon sens de me craindre sur ce plan là or jusqu’à
septembre dernier j’étais probablement la figure d’autorité la plus hostile dans sa vie mis à
part son oncle et sa tante. »

« Il est plein de bon sens. » corrigea-t-il. « Et il te connait trop bien. Même moi je sais que tu
ne lèverais jamais la main sur un gamin. »

« Il n’a pas peur d’Hagrid, non plus. » remarqua Severus, sans lui prêter attention.

« Hagrid est un nounours. » se moqua-t-il.

« Hagrid est un demi-géant qui pourrait l’assommer d’une main. » rétorqua le Professeur.
« S’il y avait eu… » À nouveau, il s’interrompit. « Je ne sais plus, Sirius. Je ne pense pas
mais… »

« Mais tu ne seras pas tranquille tant que tu ne seras pas certain. » termina-t-il. Et lui non plus
s’il devait être honnête.

« J’ai vu des bribes de son enfance. » avoua le Professeur, après un moment. « Dans son
esprit. Pendant nos séances d’Occlumencie et… » Il soupira. « Le rejet, le désespoir… Sa
terreur quand ils l’enfermaient dans le placard, dans le noir. Tout ça est suffisamment grave.
L’idée qu’il y ait davantage… Et c’est sans parler de Diggory, du Seigneur des Ténèbres, de
Quirrel, du basilic ou des… tu sais quoi. »

Sirius l’étudia puis leva les yeux au ciel. « Dis moi si je me trompe mais tu es en train de te
persuader que tu ne fais pas du bon travail avec lui, que tu es un mauvais père. »

« Je ne suis pas un mauvais père. » grommela son ancien rival. « Je sais ce qu’est un mauvais
père, je sais très précisément ce qu’il ne faut pas émuler. Mais cela ne veut pas dire que je
sais ce que je fais ou… »

« D’accord. Severus. » le coupa-t-il. « Voilà ce que je vois, moi, et ne crois pas que ça me
fasse plaisir de devoir te faire des compliments : depuis que t’occupes de lui, Harry a pris
confiance en lui, il a beaucoup moins tendance à vouloir tout régler tout seul en se mettant en
danger dans la foulée, il est à l’aise avec toi comme je ne l’ai jamais vu à l’aise avec aucun
adulte, moi inclus. » Visiblement gêné, le Maître des Potions ouvrit la bouche mais Sirius
leva la main pour le faire taire. « Tu veux qu’on lui en parle, on peut lui en parler. »

Severus se frotta le visage, soupirant longuement. « Viens diner chez nous, ce soir. Il y a autre
chose dont il nous faut discuter tous les trois. »

« Quoi ? » demanda Sirius, en fronçant les sourcils.

Le Professeur secoua la tête. « Pas ici. »

Parce que les murs avaient des oreilles.


Il acquiesça, autant pour montrer qu’il avait compris que pour accepter l’invitation, puis
désigna le reste de la pièce d’un geste. « Finissons-en. »

°O°O°O°O°

Severus était debout, appuyé au comptoir de la cuisine, et attendait que le thé finisse
d’infuser. Il n’écoutait que d’une oreille distraite la conversation entre Bill et Sirius, plus
préoccupé par le carnet qui avait chauffé dans sa poche intérieure une bonne partie de l’après-
midi.

Ils avaient retourné le Square Grimmaurd de fond en comble sans rien trouver.

Et la conversation qu’il avait eue avec Black l’avait simultanément vidé et rempli d’une rage
qu’il faisait de son mieux pour occluder.

Il se sentait désemparé, impuissant et légèrement humilié d’avoir dû exposer devant le


Maraudeur des choses qu’il préférait habituellement taire.

Black ne s’était pas moqué, toutefois, n’avait pas plaisanté ou…

Évidemment que non, Black était dans le même bateau qu’Harry et lui.

Il lui avait fallu du temps pour l’accepter mais…

Il était plus simple de se concentrer sur les phrases griffonnées à la hâte par Nymphadora au
cours de l’après midi. Visiblement, le Ministère devait être particulièrement ennuyeux ce jour
là parce qu’elle avait fait deux, trois commentaires sur les plus jeunes recrues qui étaient plus
encombrantes qu’autre chose, se plaignait de ne pas avoir le droit de sortir sur le terrain parce
qu’elle était censée coordonner les troupes et avait terminé par un paragraphe écrit avec
irritation sur pourquoi elle aurait été heureuse de ne jamais plus voir un seul plan d’Azkaban
de sa vie entière.

« Peut-être qu’on l’a raté ? » soupira Bill, en se massant la nuque. « Il faudrait recommencer.
Peut-être échanger les pièces entre nous. Il y a tellement de coins et de recoins cachés… Et la
maison ne coopère pas du tout. Elle est hostile au possible. »

« Peut-être qu’il n’est pas là, tout simplement. » rétorqua Black, affalé sur sa chaise
habituelle. Le sorcier en était à sa deuxième cigarette.

Et Severus faisait un gros effort pour prétendre ne pas respirer délibérément la fumée.

S’il retombait dans le tabac à cause de ce stupide cabot…

Il avait besoin d’une distraction, raison pour laquelle il sortit son stylo et répondit à Tonks
qu’elle ne semblait pas beaucoup travailler ce jour là. Parce que paniquer face à leur manque
de pistes pour retrouver le médaillon n’aiderait pas. Il devait y réfléchir à tête reposée,
fomenter un plan quitte à retourner dans la caverne…

J’ai craqué. J’ai rassemblé les recrues et j’ai décidé qu’une simulation de combat était
la meilleure idée que je pouvais avoir aujourd’hui.
Ses lèvres s’étirèrent avec amusement alors qu’il laissait le stylo courir sur le papier.

Ne voulais-tu pas plutôt te défouler ?

Une tâche d’encre apparut comme si elle avait posé sa plume un peu trop longtemps, puis une
série de mots.

Peut-être un peu. Severus, le niveau du cours de Défense à Poudlard ces dernières


années est EFFRAYANT. Je sais qu’ils sont jeunes et que je leur en demande beaucoup
mais ils ont leur putain d’A.S.P.I.C.s et ils ont passé l’année à s’entraîner. Je pense que
je suis en droit de m’attendre à ce qu’ils sachent jeter un foutu stupefix correctement,
non ?

Il ne pouvait pas lui donner tort. Avant qu’il ait pu répondre, pourtant, d’autres mots
s’étalaient sur la page blanche, continuant sur la suivante.

Tu passes une meilleure journée que moi ?

Pas vraiment, s’il devait être honnête, mais cela ne l’aiderait pas de l’entendre et il était trop
soulagé de la voir un peu moins déprimée pour en rajouter.

Certainement plus productive. Si j’avais su que ce carnet te distrairait autant de ton travail,
je ne te l’aurais pas offert…

Il n’eut pas à attendre longtemps sa réponse.

Ce n’est pas le carnet qui me distrait, c’est toi.

J’ai des courbatures.

Le rire quitta sa gorge sans qu’il ne parvienne à le ravaler, le prenant par surprise. Cela
devenait une habitude. Il se contint immédiatement mais le mal était fait.

Weasley et Black le regardaient avec de grands yeux, comme s’il venait de lui pousser une
deuxième tête.

L’expression de l’Animagus vira soudain de la stupéfaction à une suspicion amusée.

« Qu’est-ce qui te passionne tellement dans ce carnet ? » demanda ce dernier, d’un ton taquin
dont Severus avait appris à se méfier.

Il se dépêcha de le faire disparaître dans la poche intérieure de ses robes, ayant l’impression,
une fois encore, d’être un adolescent pris sur le fait. « Rien du tout. »

Les dégâts étaient faits, cependant.

« Ça n’aurait pas un rapport avec ce que j’ai interrompu hier soir, des fois ? » insista Black,
avec un peu trop de malice, comme si lui aussi avait désespérément besoin d’une distraction.
Il jeta un regard entendu à Bill. « Severus a une mystérieuse conquête. »
Weasley émit un bruit amusé et servit le thé, estimant sans doute qu’il avait suffisamment
infusé. « Elle n’est pas si mystérieuse que ça. »

Le Professeur le toisa avec mécontentement, le foudroyant du regard jusqu’à ce que son


ancien élève grimace et marmonne une excuse dans sa barbe.

Black, pour sa part, les regardait tour à tour avec indignation. « Tu as dit qui c’était à Bill
mais pas à moi ? »

« Je n’ai rien dit à Bill. » rétorqua-t-il, en venant prendre place à table, soulagé de pouvoir
s’asseoir quelques minutes. Toutes ces allées et venues dans l’escalier ne lui avaient fait
aucun bien et Nymphadora n’était pas la seule à avoir des courbatures.

« Comment est-ce que tu as pu le lui dire à lui et pas à moi. » s’indigna Black – ou fit
semblant de s’indigner, c’était parfois dur de suivre avec lui. « Je suis ton meilleur ami ! »

Severus parvint à ne pas cracher la gorgée de thé qu’il venait de prendre mais échoua à ne pas
s’étouffer avec. « Pardon ? »

« Je suis ton seul ami. » précisa l’Animagus, en haussant les épaules. « Donc, je suis le
meilleur. »

Face à un raisonnement aussi absurde, il resta d’abord muet de stupeur puis laissa finalement
place à son outrage. « Tu n’est certainement pas mon seul ami. »

« Harry ne compte pas. » rétorqua Sirius avec un amusement manifeste.

« Évidemment qu’Harry ne compte pas, c’est mon fils, pas un camarade. Je ne suis pas
étonné que tu n’ais toujours pas saisi la nuance. » siffla-t-il. « Mais que fais-tu de Minerva ?
Filius ? Nymphadora ? »

« Ce sont nos anciens Professeurs, pas nos amis. » décréta Black, en prenant une gorgée
satisfaite de son thé. « Et Tonks ne compte pas non plus, c’est ta protégée. »

Il ouvrit la bouche pour lui expliquer très précisément pourquoi elle comptait plus que lui
mais la referma bien vite. Certes, l’occasion de lui expliquer toute la situation semblait
parfaite. Mais la scène de la veille était un peu trop fraiche dans son esprit. Et la rapidité avec
laquelle Sirius venait d’écarter Nymphadora comme si elle était quantité négligeable, comme
s’il ne pouvait pas imaginer qu’il y ait plus entre eux que… Que quoi ? L’idée que Black
pense qu’il soit une sorte de mentor pour elle le perturbait.

Allait-il, comme Lupin, leur jeter au visage le fait que Severus avait été son Professeur ?
Allait-il les juger ? Les rejeter ?

Il aurait aimé pouvoir affirmer qu’il s’en serait relevé sans trop de mal mais outre le fait qu’il
avait besoin de la coopération de Black pour tout ce qui touchait à Harry…

L’homme n’était certainement pas son meilleur ami.

Mais… Mais il était un ami et…


Bill paraissait fasciné par sa tasse de thé.

« Albus. » contra-t-il, préférant dévier la conversation loin de ces eaux troubles. Oui, c’était
lâche. Et Nymphadora était mécontente qu’il n’ait pas encore clarifié la situation – de
manière justifiée. Mais il n’avait jamais prétendu être courageux. « Albus est mon ami. »

« Albus n’est l’ami de personne. » se moqua l’Animagus, un peu amèrement. L’amertume


disparut rapidement alors qu’il se mettait à agiter stupidement les sourcils. « Allez, dis moi
qui c’est. Je suis sûr que c’est Sinistra. »

« Ce n’est pas Sinistra. » gronda Severus. « Et, à ce sujet, ne t’est-il pas venu à l’idée que
parler d’une sorcière en sachant qu’une autre se tenait derrière la porte pouvait m’attirer des
ennuis ? »

« Ah Ah ! » triompha Black, en pointant un doigt accusateur vers lui. « Donc c’est


suffisamment sérieux pour qu’elle te demande des comptes. »

« C’est sérieux. » admit-il, un peu à reculons. Il jeta un coup d’œil à Bill mais Bill observait
toujours sa tasse de thé, luttant visiblement pour garder une expression neutre. Severus
grimaça. Il aurait préféré qu’il n’y ait pas de témoins. Et il hésitait toujours à sauter le pas.

Il fallait le faire pourtant.

Ça en devenait ridicule.

Certes, Black aurait pu faire un effort et comprendre de lui-même, comme le reste du monde.
Même Harry était parvenu à la bonne conclusion après les avoir vus ensemble une seule
fois…

Abandonnant le ton de la plaisanterie, l’Animagus l’étudia avec hésitation. « Suffisamment


sérieux pour que tu en parles bientôt à Harry ? »

« Harry est déjà au courant. » soupira-t-il. « Écoute, Sirius… »

Il allait le faire.

Il allait lui dire.

Il était sur le point de tout confesser lorsqu’il sentit la présence sur le seuil de la cuisine et se
raidit instinctivement, lâchant la tasse de thé pour poser la main sur la hampe de sa baguette.

Parce que Remus Lupin se tenait là et qu’il ne l’avait pas revu depuis qu’il avait agressé
Harry.

Cela lui prit toute sa maîtrise de l’Occlumencie pour ne pas laisser libre court à la pulsion qui
exigeait qu’il lui jette un sort bien vicieux.

Du point de vue de Lupin, bien sûr, cette première rencontre avait déjà eu lieu.

« Remus. » l’accueillit Black, sans hostilité manifeste mais avec une certaine tension.
Il était évident que Lupin revenait de l’extérieur. Il portait son vieux manteau moldu élimé
malgré le temps plaisant et avait les cheveux en bataille.

Et il semblait particulièrement surpris de les trouver dans la cuisine, comme s’ils s’étaient
invités chez lui à son insu, comme si la maison était à lui et pas à Black, comme si, en tant
que membres de l’Ordre, ils n’avaient pas eu entièrement le droit d’être là.

Severus n’était pas réellement impatient de devoir s’impliquer plus dans l’Ordre mais cela
vaudrait sans doute la peine rien que pour la tête que le loup-garou ne manquerait pas de faire
lorsqu’il serait explicitement établi qui d’eux deux Albus estimait le plus. Une victoire
supplémentaire sur le loup dont il se délectait d’avance.

« Qu’est-ce que vous faites là ? » s’enquit le loup, en ôtant sa veste.

« J’ai engagé Bill pour qu’il inspecte un ou deux artefacts de la collection familiale pour
moi. » expliqua Sirius. « Il y a trop de trucs dangereux, ici. »

Le sourire du loup était loin d’être amical, ses yeux un peu trop ambrés. « Et tu as emmené
Severus avec toi, parce que… »

« Dois-je avoir ton autorisation pour visiter le Q.G., Lupin ? » rétorqua-t-il.

L’idée que Nymphadora soit obligée de passer plusieurs jours ici, avec le loup-garou dans les
parages… Il aurait dû lui dire qu’elle était la bienvenue chez lui. Pour quelques jours.
Stupidement, il avait paniqué sur le moment, principalement parce qu’il avait fait cette blague
ridicule sur l’adultère qui impliquait qu’il souhaitait l’épouser à termes et…

« Non. » répondit Lupin posément. « Je m’étonne simplement que tu trouves le temps de te


balader. Tu n’es pas censé travailler sur ta potion ? Ou bien étais-tu trop… distrait, à
Poudlard ? »

Le reniflement du loup-garou était exagéré mais la manière dont il semblait se tenir aussi loin
de lui que possible n’était pas feinte. Severus supposait qu’il pouvait sans doute sentir l’odeur
de Nymphadora sur lui, ce qui, d’un côté l’agaçait en raison de l’intrusion dans leur intimité
que cela représentait, mais d’un autre…

« Je voulais consulter la bibliothèque. » rétorqua-t-il, d’un ton sec. « Les Black ont des
volumes qu’on ne trouve nulle part ailleurs mis à part peut-être chez les Malfoy. »

« Oui, je vois que tu es en plein travail… » se moqua Lupin, dans un rictus.

« Remus. » lâcha Black, presque à voix basse.

Un avertissement manifeste.

Le loup lui jeta un regard blessé, posa son manteau sur le dossier d’une chaise et rebroussa
immédiatement chemin vers le couloir.

« Tu peux rester. » offrit maladroitement Bill. « Le thé est prêt. »


« Non, merci. » riposta Lupin. « Je cherche toujours à comprendre ce qui s’est passé à Cardiff
et l’odeur dans la cuisine est nauséabonde. »

Severus n’était pas certain de s’il avait perdu le contrôle de sa magie ou bien si Black avait
anticipé sa réponse mais la porte claqua brusquement, les isolant du reste de la maison.

L’intermède avait eu l’avantage de leur rappeler pourquoi ils étaient là et Severus jeta ses
protections habituelles.

« Bon, on fait quoi maintenant ? » soupira l’Animagus.

Bill haussa les épaules. « Comme je le disais, on l’a peut-être raté. S’il y a des enchantements
visant spécifiquement à ce que personne ne le remarque…

« La maison est pleine de compartiments secrets… » admit Sirius. « Je ne les connais même
pas tous. »

« Harry a mentionné une vitrine avec tout un tas d’objets que Molly aurait demandé aux
enfants de nettoyer cet été. » lâcha-t-il soudain. « Il pense qu’il y avait un médaillon mais il
n’est pas sûr. Il a aussi mentionné que beaucoup d’objets on été jetés. »

L’ainé des Weasley émit un bruit amusé. « Ce serait bien maman de se débarrasser d’un bout
de Vous-Savez-Qui par inadvertance… »

« Il a aussi dit que l’elfe avait récupéré certaines choses mais je n’ai rien vu dans les quartiers
des serviteurs, là haut. » soupira-t-il.

« Kreattur ne dort pas là haut. » réfuta Sirius, avec un regain d’excitation. « Il a fait son nid
ici, ce cafard. Tu as fouillé son placard, Bill ? »

« Son placard ? » répéta le Briseur de Sorts. « Je… Non, je ne crois pas. »

L’ancien fugitif se leva d’un bon souple que Severus lui envia parce qu’il lui fallut prendre
appui sur la table pour se remettre sur ses pieds et la canne n’était, ce jour là, pas qu’un
simple accessoire. Le temps qu’il ait traversé la cuisine, Sirius était déjà agenouillé devant un
placard bas et avait entreprit de vider le renfoncement. Il tira d’abord un matelas à moitié
éventré qui ne pouvait pas être bien confortable, tout un tas de bric-à-brac, médailles et autres
objets de valeur…

Severus repéra le médaillon presque par hasard, il était à moitié caché sous une couverture
sale…

« Là ! » s’exclama-t-il, en se penchant pour le ramasser.

Ses doigts s’étaient à peine refermés sur la chaine que, dans un craquement sonore et un cri
de guerre, un elfe enragé se jeta sur lui.

Surpris, Severus recula instinctivement, lâchant canne et médaillon pour mieux tenter de
repousser la créature vicieuse qui tentait de lui arracher les yeux en hurlant. Sa mauvaise
jambe céda sous l’assaut et il se retrouva au sol, tournant désespérément la tête pour essayer
d’échapper aux griffes acérées qui labouraient son visage.

« LES TRAITRES À LEUR SANG ET LES SANG DE BOURBES NE VOLERONT PAS


LE MEDAILLON DE MAITRE REGULUS ! » beugla l’elfe. « KREATTUR LES TUERA !
KREATTUR LES TUERA ! »

Et alors que les griffes couvertes de crasse raclaient dangereusement la chair près de son œil
gauche, Severus se dit que l’elfe paraissait particulièrement déterminé à réussir.
All In One

« It’s always been fascinating to me how things can be simultaneously true and false,
how people can be good and bad all in one, how someone can love you in a way that is
beautifully selfless while serving themselves ruthlessly. »
The Seven Husbands Of Evelyn Hugo – Taylor Jenkins Reid

« Ça me fascine toujours de voir comme les choses peuvent être à la fois vraies et
fausses, comment les gens peuvent être en même temps bons et mauvais, comment
quelqu’un peut vous aimer de manière admirablement désintéressée tout en profitant
sans aucune pitié. »
The Seven Husbands Of Evelyn Hugo – Taylor Jenkins Reid

Albus râlait dans sa barbe, insultant les idiots du Conseil d’administration qui lui
reprochaient de ne pas avoir renvoyé, en temps et en heure, de la paperasse pour l’année
prochaine alors qu’il s’échinait à gagner une guerre. L’administration était parfois un mal
bien pire que tous les mouvements politiques radicaux, décida-t-il, en tentant désespérément
de retrouver le fameux formulaire dans la pile de documents qui s’étaient accumulés sur son
bureau – et en s’efforçant de se rappeler, encore et encore, et que Minerva en faisait déjà plus
qu’elle ne devrait pour la gestion de l’école en plus de ses cours et ne pouvait pas tout faire à
sa place.

Il trouva finalement le parchemin qu’il cherchait, s’avisa, à la trace ronde dessus, qu’il y avait
sans doute posé une tasse de thé à un moment donné, et soupira avant de le nettoyer d’un
geste paresseux de la main. Il lui fallut plusieurs secondes supplémentaires pour dénicher sa
bonne plume d’oie parce que celle sur son bureau était désespérément usée… Ce fût à ce
moment qu’il décida de véritablement contempler le désordre et se morigéna d’être parvenu,
en quelques heures, à avoir mis une pagaille que Minerva lui reprocherait certainement la
prochaine fois qu’elle devrait lui emprunter son bureau ou trouver ce qu’elle cherchait dans
ce fatras.

Quelques sorts et les documents se triaient d’eux-mêmes, les miettes du déjeuner pris à la
hâte disparaissaient, l’encrier se vidait et se nettoyait tout seul avant de se remplir, sa plume
s’aiguisait… Il observa la chose avec satisfaction et put finalement se réinstaller pour remplir
ce satané formulaire sans qui, visiblement, l’école serait en passe de ne pas être solvable
l’année prochaine.

Il entendit la porte qui menait à ses appartements grincer mais ne leva pas les yeux, agacé de
découvrir qu’il lui allait falloir trouver le budget demandé par chaque Professeur pour leur
matière respective. La matière la plus chère était toujours les Potions, bien évidemment. Et il
savait qu’il avait tous ces renseignements quelque part dans le tas de documents, simplement
parce que ses enseignants étaient plus professionnels que lui, mais encore fallait-il les
dénicher et faire les calculs de ce qui était acceptable ou pas et…
« Albus. » appela Gellert, légèrement essoufflé.

« Une seconde. » lui demanda-t-il, essayant de localiser le petit dossier qu’il se souvenait
avoir rangé quelque part lorsque Minerva le lui avait donné, l’année précédente. Il allait lui
falloir le budget actuel comme référence et…

« Je crains de ne pas pouvoir te la donner… » répondit le mage noir, avant de partir dans une
quinte de toux grasse qui arracha immédiatement Albus à ses préoccupations administratives.

Le temps qu’il se lève et traverse la pièce pour rejoindre Gellert qui était courbé en deux, une
main posée contre le mur pour garder l’équilibre, la toux avait cessé mais il paraissait peiner
à reprendre sa respiration.

« Gellert… »

Il l’aida à se redresser, uniquement pour apercevoir le mouchoir tâché de sang que l’homme
pressait contre sa bouche.

L’espace d’une seconde, il fût persuadé que quelqu’un avait jeté un Arresto Momentum. Il ne
voyait que les tâches de sang sur le mouchoir. Son cœur avait cessé de battre. Il n’y avait plus
un bruit, plus rien que le sang.

Et puis Gellert prit une inspiration sifflante et le monde se remit en marche.

« Peut-être est-il temps de consulter ta Médicomage… » murmura le mage noir.

« Ce que nous aurions dû faire, il y a des semaines. » rétorqua-t-il, un peu trop sèchement.

« Liebling… » toussota Gellert, d’un vague ton de reproche.

« Tu es une telle tête de mule. » gronda Albus, en passant un bras autour de sa taille pour le
soutenir jusqu’à la cheminée. « Si arrogant. Écouteras-tu jamais l’avis et les conseils de
quelqu’un d’autre ? Non, bien sûr que non, parce que le grand Gellert Grindelwald sait tout
mieux que tout le monde. Sais-tu quel est ton problème, Gellert ? »

Un rire empli d’amertume entrecoupé de toussotements échappa à son ami. « Je pensais que
c’était toi mais je suis certain que tu as une opinion bien différente…. »

« Tu veux toujours avoir raison. » rétorqua-t-il, en plongeant la main dans le petit bol sur la
cheminée où il gardait la poudre de cheminette – qu’il lui faudrait remplir, par ailleurs, tout
partait à vau-l’eau dans ce bureau. « Même si cela finit par te tuer. Infirmerie, Poudlard. » Il
jeta la poudre et le força à traverser dans le même mouvement, ajustant sa prise sur lui
lorsqu’il le sentit trébucher. « Poppy ! »

Le Serdaigle de troisième année qui était en train de se faire examiner laissa échapper un petit
glapissement à la vue du Directeur et du mage noir. L’infirmière tourna la tête vers eux,
écarquilla les yeux et, après avoir fermé hâtivement le rideau autour du lit de l’adolescent, se
dirigea vers eux à grands pas.
Le temps qu’elle les rejoigne, Albus avait déjà installé Gellert sur le lit le plus proche, avait
tiré les rideaux et jeté une douzaine de sorts leur assurant de ne pas être entendus.

« A-t-il essayé de vous attaquer ? Vous êtes-vous battus ? » demanda l’infirmière sans détour,
en sortant sa baguette. « Quel sort, Albus ? » Elle lui jeta un coup d’œil mais dût déterminer
que, si bagarre il y avait eu, il était en un seul morceau. « Doit-on l’attacher au lit ou va-t-il se
tenir tranquille ? »

Grondé comme un gamin pris en faute au lieu du mage noir qui avait fait ployer l’Europe,
Gellert la dévisagea avec incrédulité puis éclata d’un rire franc qui dégénéra bien vite en une
nouvelle quinte de toux. Albus plaça une main sur son épaule avec inquiétude, tâchant de
l’aider à s’asseoir un peu mieux pour qu’il ne s’étouffe pas en ajustant les oreillers derrière
lui, tandis que la sorcière lançait un sort de diagnostic.

Visiblement, le résultat du sort ne lui fit aucun plaisir parce qu’elle en relança quatre autres,
plus poussés, en rafale.

« Gellert prétend que ses jours sont comptés mais je ne cesse de lui répéter qu’il n’y a rien
que vous ne puissiez arranger, Pompom. » lâcha-t-il.

Poppy resta silencieuse jusqu’à ce qu’elle ait le résultat de ses sortilèges puis échangea un
regard avec Gellert. Se sentant exclus, Albus se racla la gorge.

« Alors ? » pressa-t-il.

« Avez-vous vu un Médicomage ? » demanda-t-elle. Gellert secoua la tête. Elle pinça les


lèvres. « Et quand les crises ont-elle commencées ? »

« Un an. » répondit le mage noir, à bout de souffle. « Peut-être un peu moins. »

« Et… personne ne vous a proposé de traitement ? » insista-t-elle.

Le sourire de Gellert était légèrement ironique. « Me garder en vie n’était pas vraiment leur
priorité, vous savez. »

« Je vois. » marmonna-t-elle, avant d’agiter sa baguette et de murmurer une formule. Une


bulle transparente vint se fixer sur le bas du visage de Gellert, englobant son nez et sa
bouche. Il parut se détendre immédiatement. « Ce sort vous permettra de mieux respirer, vous
manquez d’oxygène. À renouveler dès que vous en sentez le besoin. »

« Vous pouvez le soigner. » exigea-t-il, plus qu’il ne le demanda, las d’être ignoré.

Poppy eut l’air légèrement mal à l’aise. « Albus, cela relève du secret médical. Je comprends
que la situation est particulière mais… »

« Vous pouvez parler devant lui. » intervint Gellert, la voix légèrement étouffée par la bulle
d’oxygène magique autour de sa bouche.

L’infirmière hésita. « Je peux traiter les symptômes et améliorer considérablement sa qualité


de vie. Je peux certainement m’assurer qu’il ne souffre pas. » Elle se détourna pour attraper
un de ses porte-blocs métalliques dont elle se servait pour remplir les dossiers médicaux de
chacun. « Merlin me préserve des hommes qui refusent d’admettre qu’ils ont mal… »

Ce n’était pas ce qu’Albus voulait entendre. « Qu’a-t-il précisément ? Il y a forcément… »

« Cinquante ans à Nurmengard. » coupa le mage noir, non sans humour.

« Une pneumonie jamais bien soignée ou guérie, si je devais me hasarder à deviner, et des
conditions de vie déplorables. » soupira Poppy. « Sans avoir eu aucun accès à sa magie…
Son état physique s’est dégradé lentement mais inévitablement. Ses poumons sont très
endommagés, au-delà de ce qui est réparable. »

Albus avala péniblement autour de la boule logée dans sa gorge. Gellert l’avait averti mais il
n’avait pas voulu véritablement le croire, il n’avait pas voulu…

Sa main trouva celle de Gellert sans qu’il en soit conscient, serra les doigts trop froids.

Le regard de Poppy s’égara mais elle était trop professionnelle pour rien laisser paraître.

« Combien de temps ? » demanda-t-il.

L’expression de l’infirmière s’adoucit. « Quelques mois. Deux ou trois, au plus. »

C’était comme un coup de massue.

« Diagnostic optimiste. » se moqua Gellert, en fermant les yeux. « Donnez-nous le réaliste. »

« Deux mois. » se corrigea Poppy. « Sans doute moins. »

De sa main libre, Albus se frotta la bouche, sous le choc.

Il ne comprenait pas pourquoi il était si abasourdi. Gellert le lui avait dit dès le premier jour.
Ce n’était pas une surprise.

Et pourtant…

« J’espérais plus. » admit le mage noir, presque dans un murmure.

« Il y a des potions qui renforceront vos poumons et empêcheront le fluide de s’accumuler, ce


qui devrait soulager les crises de toux et empêcher les saignements. » continua calmement
Poppy, en levant les yeux vers lui. « Savez-vous où est Severus ? Je préfèrerais le consulter
sur les dosages. Il faudra également voir avec Horace pour les préparer, je n’en ai pas en
stock. »

« Severus… » répéta-t-il, toujours un peu sonné.

« Albus. » Gellert serra sa main. « Je ne suis pas encore mort. Essaye-de te souvenir que tu
me détestes. »
« Je ne t’ai jamais détesté. » se défendit-il, sans se soucier de qui pouvait l’entendre ou du fait
qu’il avait élevé la voix. « Tu sais très bien que… »

« Une plaisanterie, Liebling. » l’interrompit le mage noir. « De mauvais goût, certes. »

Poppy était très occupée à faire semblant de remplir un dossier pour Gellert.

Albus se sentait mal.

Ce dont elle parut s’apercevoir parce que, soudain, elle ne prétendit plus ne rien remarquer et
se tenait devant lui, agitant un léger lumos devant ses yeux. « Albus ? »

« Tout va bien, Poppy. » mentit-il. Mal. Son cœur lui faisait mal. Ce qui était logique parce
que son cœur se mourrait lentement juste devant lui sur ce lit d’hôpital. « Severus, vous
disiez. Severus est… » Severus était parti un peu après Sirius, se souvint-il. Les protections
l’en avaient informé mais il n’y avait pas véritablement prêté attention parce qu’ils s’étaient
tous deux rendus Square Grimmaurd, d’après le réseau de cheminée de Poudlard, et…
Severus n’était pas encore revenu. « Je vais le trouver. »

°O°O°O°O°

Tout se déroula si vite que Sirius resta figé de surprise.

Une seconde Snape ramassait l’un des objets volés qu’il venait de tirer du nid de Kreattur, la
suivante une elfe enragé apparaissait dans un craquement sonore et se jetait sur le Maître des
Potions qui trébucha et s’étala au sol.

« LES TRAÎTRES A LEUR SANG ET LES SANG DE BOURBE NE VOLERONT PAS LE


MEDAILLON DE MAITRE REGULUS ! » beugla l’elfe. « KREATTUR LES TUERA !
KREATTUR LES TUERA ! »

Kreattur paraissait déterminé à crever les yeux au Mangemort ce qui le sortit enfin de sa
transe.

« Kreattur, je t’ordonne d’arrêter ! » hurla-t-il, mais pas plus fort que l’elfe qui continuait à
s’époumoner.

« KREATTUR NE LES LAISSERA PAS ! KREATTUR NE LES LAISSERA PAS ! »

« Incarcerem ! » cria Bill, le sort suffisamment violent pour propulser l’elfe loin de Severus.
Cela n’empêcha pas Kreattur de continuer à se tortiller pour échapper aux liens que le Briseur
de Sort avait fait apparaître, l’œil fou et les babines retroussées comme s’il avait la rage.

« Arrête de bouger ! » ordonna Sirius. Ça ne fonctionna pas. L’elfe continua de se trémousser,


se cognant simplement la tête contre le sol toutes les deux secondes pour se punir de
désobéir.

Bill continuait de le menacer de sa baguette alors il s’accroupit à côté de Severus qui peinait à
s’asseoir.
« Putain, il t’a pas raté… » marmonna-t-il, en grimaçant. Le visage du Professeur était
couvert de sang et de lacérations. Sirius leva sa baguette sans prévenir ce qui fit sursauter
l’ancien Mangemort qui esquissa un geste comme pour se protéger le visage. Un peu désolé
mais déterminé, il écarta gentiment son bras et attrapa son menton, ses doigts de part et
d’autre de la mâchoire pour mieux refermer les plaies. Certaines étaient profondes. « Arrête
de bouger. »

« Excuse-moi de ne pas avoir foi en tes sorts de soins. » grinça Severus, ayant visiblement
retrouvé ses esprits.

Sa mâchoire se contractait parfois sous ses doigts lorsqu’il refermait soigneusement une plaie
plus profonde qu’une autre. Bientôt il ne resta que de vagues traces de griffures sur son
visage qui auraient probablement disparues dans quelques jours. Celle juste à côté de son œil
gauche, en revanche…

« Il a failli t’éborgner, ce connard. » grinça-t-il. « À un centimètre, il te fallait un œil


magique. Celle là va laisser une marque. »

La cicatrice ne serait sans doute pas bien grosse mais il allait garder un souvenir de Kreattur.

« Au point où j’en suis. » marmonna le Maître des Potions.

« Tu t’es cogné la tête ? » demanda Sirius, en lâchant son menton.

Il esquissa un geste pour tâter l’arrière de son crâne et vit sa main détournée avec agacement.
« À ton avis ? Je ne pense pas avoir de traumatisme crânien, si c’est ta question. »

Il allait devoir choisir de le croire sur parole.

« Et ta jambe ? » insista-t-il.

Severus grimaça et fit visiblement un effort pour la replier. Sirius se remit debout et lui tendit
les mains. Preuve que sa jambe avait pris mal dans la chute, Severus le laissa le hisser sur ses
pieds et s’accrocha à son bras jusqu’à ce qu’il lui rende sa canne.

Une fois entièrement certain que son elfe de maison n’avait pas réussi à trop amocher son
ami, il se tourna vers Kreattur, des années accumulées de haine le poussant à lever sa
baguette.

« Endolo… »

« Non. » siffla Severus, en déviant brusquement son bras. Il avait l’air pâle, la respiration
courte. « Si je n’entends plus ou ne vois plus ce sort durant le reste de ma vie, ce sera encore
trop tôt. »

Et Sirius pouvait comprendre mais…

« Comment ça se fait que Remus ne soit pas encore venu voir ce qui se passe ? » demanda
Bill, tendu.
« Mes sorts de protection. » expliqua le Professeur, en se laissant tomber sur une chaise. Il
avait sorti sa baguette mais la gardait baissée. « Nous pourrions être en train de nous
entretuer, personne ne l’entendrait. On n’est pas espion pendant plus de quinze ans sans
développer des sortilèges extrêmement fiables, Mr Weasley. »

L’homme avait pris le ton dogmatique qu’il utilisait généralement dans une salle de classe.
Ce fût sans doute la raison pour laquelle Bill prit le risque de cesser d’observer Kreattur pour
lui jeter un coup d’œil.

« Vous pourriez me les apprendre ? » s’enquit l’ainé des Weasley. « Je pourrais vous montrer
des sorts très pratiques pour contenir des malédictions, en échange. »

Severus agita la main comme pour accepter, de guerre lasse.

Sirius ne leur prêtait qu’une attention limitée.

L’elfe se tortillait toujours, se frappait toujours la tête au sol pour se punir, le regard rivé sur
le médaillon que Snape avait lâché.

L’Animagus se pencha pour le ramasser, le levant légèrement pour l’observer à la lumière…

« On ne devrait vraiment pas toucher ça à mains nues. » leur rappela Bill.

Il y eut un craquement sonore.

Kreattur disparut, les liens tombant au sol.

L’instant suivant un poids alourdit les épaules de Sirius et sa tête fût violemment tirée en
arrière par les cheveux. Il ne retint pas un cri alors que l’elfe le frappait, se frappait pour se
punir, le frappait encore et, alors que Sirius tournait sur lui-même pour essayer de se
débarrasser de lui, tentait de lui arracher le médaillon des mains.

Severus s’était remis debout et semblait attendre une ouverture, baguette pointée sur l’elfe, de
même que Bill, mais…

Finalement Sirius parvint à se débarrasser de Kreattur d’un violent coup d’épaule. L’elfe fût
projeté contre un des placards de la cuisine et glissa au sol mais ne parut pas se préoccuper de
s’être fait mal et ne chercha pas à réattaquer. Haletant, les yeux rivés sur Sirius, il recula en
rampant jusqu’à se recroqueviller dans le coin de la cuisine, le médaillon pressé contre son
torse.

« Tu ne veux pas que lui jette un doloris mais que penses-tu d’un avada ? » gronda-t-il, en
pointant sa baguette sur l’elfe qui dût comprendre qu’il était parfaitement sérieux parce
que… « Je t’interdis de t’enfuir de cette pièce. » ajouta-t-il rapidement, anticipant le
transplannage. « Si tu t’enfuis, je veux que tu tombes raide mort. »

« Cet elfe est fou à lier. » marmonna Bill.

« L’est-il vraiment ? » murmura Severus, en étudiant pensivement Kreattur.


« Il était déjà timbré quand j’étais gosse. » cracha Sirius. « Mais j’avoue que, là, on atteint
des sommets. Il est complètement dérangé. »

« Kreattur… » appela lentement le Maître des Potions, en sortant de sa poche le médaillon


qu’ils avaient trouvé dans la caverne. Il le laissa pendre au bout de la chaine. L’elfe suivit son
balancement hypnotique des yeux presque avec convoitise. « As-tu déjà vu cet objet ? »

Kreattur se mit à se taper la tête contre le mur.

« Arrête ça. » ordonna Sirius. « Réponds-lui. Sans mentir. »

L’elfe paru lutter mais finit par leur adresser un minuscule hochement de tête.

« Le médaillon. » reprit-t-il. « Donne le moi. » Il tendit la main mais l’elfe ne bougea pas. Si
possible, il se recroquevilla en une boule plus minuscule, faisant disparaitre le médaillon dans
le repli du chiffon crasseux qui lui servait d’uniforme. Il se frappa la tête encore plus fort.
« C’était un ordre, Kreattur ! Je suis ton Maître et tu vas m’obéir ! »

Avec un petit glapissement de terreur, l’elfe se jeta soudain de l’autre côté de la cuisine,
attrapa la bouilloire encore chaude et se la fracassa plusieurs fois sur la tête avec violence.

« Non. » gronda Severus, avec un coup de baguette.

La bouilloire alla s’écraser contre le mur.

Kreattur attrapa un couteau.

« Arrête ! » s’écria Sirius, un peu effrayé de ce que ferait l’elfe avec ça. « Arrête. Ne te punis
pas ! Arrête. »

Il était si déterminé à ne pas lui obéir… Irait-il jusqu’à se tuer plutôt que de lui donner
l’horcruxe ? Il n’aurait pas pleuré l’elfe mais l’idée d’être responsable de sa mort n’était pas
une pensée aussi réjouissante qu’il aimait à en plaisanter.

Kreattur se figea, de grosses larmes de douleur coulant le long de ses joues, respirant vite et
avec l’air d’un animal acculé.

« Ne te fais pas de mal. Pose le couteau. » exigea Sirius. Et, bien que ça lui arrachât la
bouche… « S’il te plait. »

L’elfe hésita puis, lentement, posa le couteau au sol. Il sembla attendre un autre ordre qui, ne
venant pas, le laissa libre d’aller à nouveau se recroqueviller dans un coin de la pièce.

« Kreattur… »

Sirius ne savait pas comment il allait terminer sa phrase, ce fût donc sans doute une bonne
chose que l’elfe le prenne de vitesse.

« Kreattur doit garder le médaillon de Maître Regulus. »


« Est-ce Regulus qui t’a ordonné de garder le médaillon, Kreattur ? » demanda calmement
Severus.

L’elfe hésita puis hocha la tête une fois.

Sirius se retrouva accroupi aussi près de Kreattur qu’il l’osa. « Tu sais où il est ? Tu sais où
est Regulus ? »

Il était tout à fait conscient du regard alarmé qu’échangèrent Snape et Bill dans son dos.

Kreattur recommença à se frapper la tête contre le mur.

« Arrête. » ordonna à nouveau Sirius. L’espace d’une seconde, il ne fût pas certain que
l’ordre suffise, mais l’elfe s’immobilisa à nouveau. « Réponds-moi. »

« Kreattur ne peut pas. » croassa la créature. « Kreattur ne peut pas raconter à la famille de
Maître Regulus. Le traître à son sang de Maître est de la famille. Kreattur ne peut pas. »

Un frisson d’excitation lui parcourut l’échine. Si Regulus lui avait ordonné de ne rien dire…
Si l’ordre était toujours actif…

Alors…

Alors…

« Ils m’ont rayé de la tapisserie. » contra-t-il. « Je ne fais plus vraiment parti de la famille,
si ? »

Kreattur ne paraissait pas convaincu. « Le Maître est un traître à son sang qui a brisé le cœur
de ma maîtresse et Kreattur ne l’aime pas du tout ! Le Maître n’a jamais été un bon garçon !
Pas comme Maître Regulus ! Le Maître… »

« J’ai un nom, Kreattur. » l’interrompit-il dans un sifflement. « Utilise-le. »

L’elfe le fusilla du regard. « Maîtresse a ordonné que le nom du traître ne soit plus jamais
prononcé dans cette maison. »

« Mais ta maîtresse est morte et tu m’appartiens à moi désormais. » répliqua cruellement


Sirius. « Utilise mon nom. Et ne te punis pas. »

Kreattur, qui s’était apprêté à se cogner une fois de plus le crâne contre le mur, s’immobilisa
puis, à contrecœur, il soupira. « Maître Sirius. »

Le silence plana sur la cuisine, comme s’il s’était s’agit d’un moment capital.

Et, d’un certain côté, ça l’était. C’était une victoire sur sa mère.

« A qui obéis-tu ? » insista-t-il.


« Maître Sirius. » répondit Kreattur, avec un peu moins d’hésitation. Il esquissa un
mouvement pour se punir puis parut se contenir. « Maître Sirius est de la famille Black.
Kreattur ne peut pas expliquer à Maître Sirius où est Maître Regulus. Kreattur a promis de ne
rien dire. Il a promis. »

« Promis à Regulus ? » s’enquit-il. « Tu dois me dire où il est. Je sais que tu lui obéis parce
que c’est ton préféré. Je sais que tu l’aimes. Mais, moi aussi, je l’aime. C’est peut-être ton
Maître mais c’est mon frère. Tu dois me dire où il est, Kreattur. On peut le ramener à la
maison. Ça te ferait plaisir, non ? Si on ramenait Regulus à la maison ? Tu aurais ton autre
Maître et moi j’aurais mon frère. Dis moi, Kreattur. Tu ne trahis aucun ordre en me disant la
vérité parce que je suis l’aîné, je suis l’héritier, mon ordre supplante celui de mon frère. Tu
n’as pas besoin de te punir, tu n’as pas besoin d’hésiter, tu feras rien de mal. Dis moi. »

Il sentit la magie qui suintait de chacun de ses mots alors qu’il pressait plus ou moins
inconsciemment sur le lien magique qui le reliait à l’elfe.

« Sirius… » intervint prudemment Severus.

Il était conscient que le Maître des Potions l’observait avec incertitude, que le regard de Bill
était plein de pitié. Ils croyaient qu’il était fou mais il s’en fichait. Il s’en fichait parce qu’il
n’y avait pas de corps et personne ne savait qui avait tué Regulus, ce qui tendait à prouver
que personne ne l’avait tué du tout, qu’il était bel et bien vivant, que…

« Maître Regulus… » murmura Kreattur, paraissant lutter contre lui-même. « Maître Regulus
est mort. »

Et il se frappa la tête encore et encore contre le mur, se jeta au sol pour se rouer de coups, et
Sirius ne pouvait rien faire que de le regarder, muet de stupeur, tout son corps soudain
engourdi. Il était toujours accroupi mais il se laissa tomber au sol, sur ses fesses, regardant
l’elfe sans le voir.

Bien sûr que Regulus était mort.

Quel idiot d’avoir espéré…

Il s’était raconté toute une histoire, une histoire qui, pour une fois, finirait bien, une histoire
où il ne perdrait pas son frère à la fin, fût-il biologique ou adoptif. James. Peter. Regulus.
Remus aussi, par bien des côtés. Il était très doué pour perdre ses frères.

Bien sûr que Regulus était mort.

Une main atterrit sur son épaule, serra brièvement.

« Dis-lui de se calmer. » demanda Severus.

Il s’exécuta automatiquement, sans chercher à se relever. Il fallut quelques secondes avant


que Kreattur ne s’assoit lui aussi, les yeux mouillés de larmes pathétiques, les brûlures que la
bouilloire avait laissées sur son crâne formant des marques incongrues au milieu de sa peau
burinée. Le médaillon, toutefois, était toujours pressé contre son torse.
« Kreattur. » reprit l’ancien Mangemort. « Dis-nous tout ce que tu sais sur ce médaillon. Dis-
nous ce qui est arrivé à Regulus. Si tu ne peux pas parler directement à ton Maître, parle-moi
à moi. »

Les oreilles de l’elfe tressautèrent une ou deux fois puis avec un sanglot, l’elfe se mit à
raconter comment un jour, Regulus était descendu à la cuisine parce que Voldemort avait
besoin d’un elfe. Kreattur était le meilleur elfe de maison, avait dit Regulus, et Kreattur était
donc parti avec le mage noir qui s’était servi de lui pour tester les défenses de la caverne.

Sirius avait déjà deviné où allait l’histoire et Severus devait en avoir une bonne idée, lui
aussi, puisqu’il fallait être deux pour sortir le médaillon du bassin de poison et que Kreattur
était là mais que Regulus était mort. Oui, il devait en avoir une bonne idée parce que sa main
revint se poser sur son épaule et n’en bougea pas.

Kreattur sanglotait, se donnait souvent des coups, mais leur révéla toute l’histoire.

Voldemort n’avait pas dû penser que l’elfe survivrait et l’avait abandonné mais Regulus lui
ayant ordonné de revenir, Kreattur était revenu. Son frère qui avait le cœur trop tendre pour
un Mangemort et était attaché à l’elfe, avait commencé à douter. Il avait caché Kreattur et
s’était intéressé à ce que Voldemort voulait dissimuler avec tant de violence. Et ensuite…
Ensuite, plus tard, Regulus lui avait demandé de les emmener à la caverne, il avait confié à
l’elfe un médaillon semblable à celui de Voldemort, avait ordonné à Kreattur de rentrer à la
maison et de garder le silence mais pas avant de l’avoir forcé à boire la potion et d’avoir
interverti les médaillons.

« Maître Regulus… Maître Regulus a été… entraîné… sous… l’eau… » continua à gémir
l’elfe.

Et s’en fût trop.

Sirius se leva d’un bond, atteignit à peine l’évier avant de vomir.

Les Inféris…

Les Inféris…

Ces cadavres nus et pâles, boursoufflés par l’eau, leurs yeux vides, leurs mâchoires
pendantes…

Regulus…

Il tremblait, peinait à rester debout… Penché au dessus de l’évier, luttant contre la nausée qui
lui tordait le ventre…

« Il t’a ordonné de veiller sur le médaillon ? » entendit-il Severus demander. « De le


protéger ? »

« Non… » réfuta l’elfe de sa voix de crapaud. « Kreattur devait le détruire… Mais Kreattur a
tout essayé ! Tout essayé ! »
L’elfe laissa soudain échapper un couinement de détresse et se précipita vers le tisonnier…

Sirius y arriva juste après lui et lutta pour le lui arracher des mains, attrapant l’elfe à bras le
corps… Il finit assis par terre avec l’elfe contre lui, ce vieux montre qu’il avait toujours
détesté, qui beuglait sa détresse et se débattait comme un diable…

Et tout ce qu’il put faire fût de le serrer fort contre lui.

« Arrête. » murmura-t-il, même plus un ordre. « Arrête. Regulus n’aurait pas voulu ça,
arrête. »

Kreattur avait combattu la plupart de ses ordres ce jour là mais, celui là, il l’entendit.
Soudain, Sirius avait un poids mort dans les bras, secoué d’énormes sanglots.

« Kreattur a essayé et essayé ! Kreattur s’est puni ! Kreattur a réessayé encore ! » expliqua
l’elfe, visiblement désespéré. « Kreattur pense qu’il faut le détruire de dedans mais Kreattur
n’arrive pas à l’ouvrir. Kreattur a échoué. Kreattur… Kreattur est un mauvais elfe. »

Le corps de l’elfe fût animé par une grosse secousse comme s’il luttait contre l’envie de se
faire du mal.

Sirius ferma les yeux et laissa tomber la tête en arrière jusqu’à ce qu’elle se cogne contre
l’assise de la chaise derrière lui. Il aurait été si simple de blâmer Kreattur de la mort de son
frère, si simple de glisser ses mains autour de son cou et de serrer… Mais cela n’aurait pas
apaisé la haine ou le remord ou le regret.

« Non… » s’entendit-il dire, la voix rauque. « Non, tu n’es pas un mauvais elfe. Tu es un très
bon elfe. Tu as fait ce que Regulus voulait et tu as gardé le médaillon en sécurité tout ce
temps. Et maintenant tu vas me le donner et je vais le détruire. »

Les oreilles de Kreattur s’agitèrent alors qu’il se tortillait pour pouvoir le regarder avec des
grands yeux un peu méfiants mais trop pleins d’espoir. « Maître Sirius veut le détruire ? »

« Oui. » confirma-t-il. « Oui, je veux le détruire. »

L’elfe cilla et cilla encore puis laissa échapper un cri qui aurait pu exprimer la détresse autant
que la joie et se remit sur ses pieds, bondissant presque. « Tout de suite ? »

« Non, pas tout de suite. » tempéra Severus. « Il y a tout un rituel. »

Douché dans son enthousiasme, Kreattur pressa à nouveau le médaillon contre son torse.
« Alors Kreattur garde le médaillon jusqu’à ce que Monsieur Severus fasse le rituel. Il est
mauvais, très mauvais. Il parle à Kreattur dans ses cauchemars. »

« Il te parle dans tes cauchemars ? » répéta Bill, en s’accroupissant. Il sortit des gants de sa
poche et les enfila – non sans jeter un regard lourd de sens à Sirius et Severus qui l’avaient
tous deux touché sans précautions. « Est-ce que je peux le voir ? Je te le rends tout de suite,
promis. »

Kreattur hésita, se balança d’avant en arrière, puis se tourna vers Sirius.


« Donne le lui. » exigea-t-il.

« S’il te plait. » rajouta Severus, ses yeux noirs s’étant égaré vers le placard où nichait l’elfe
et le bazar qu’ils y avaient mis.

Sirius ne comprit pas ce qu’il trouvait si intéressant jusqu’à ce, soudain, il fasse le lien. Un
placard. Un matelas à moitié crevé. Des possessions amassées à la sauvage et gardées dans un
endroit sûr. La manière dont il traitait Kreattur depuis qu’il était revenu s’installer au Square
Grimmaurd – ou avant, s’il devait être honnête. Il n’aimait pas être honnête.

Il n’aimait pas, non plus, le parallèle qui se dessinait dans sa tête.

Certes, Kreattur était un elfe et pas…

« S’il te plait. » fit-il écho au Maître des Potions.

L’elfe de maison, après un long moment d’hésitation, confia finalement le médaillon au


Briseur de Sorts qui y jeta tout un tas de sortilèges trop poussés pour Sirius.

« C’est bien l’horcruxe. » décréta finalement Bill, après plusieurs minutes. « Ou, si ce n’est
pas l’horcruxe, c’est un objet contenant une magie très, très noire. Et l’elfe a raison sur un
point, si on veut le détruire, il va falloir l’ouvrir. Kreattur… Je ne peux pas te le rendre
comme ça. Je vais le mettre dans une boîte spéciale qui va contenir sa magie. »

Kreattur inclina la tête sur le côté, étudiant chacun des gestes que faisait l’ainé des Weasley.
« Il ne parlera plus à Kreattur dans le noir ? »

« Non. » confirma Bill. « Il ne te parlera plus. »

« Mais Kreattur peut garder la boîte. Kreattur doit terminer sa tâche. Kreattur doit obéir aux
ordres de Maître Regulus. » insista l’elfe, en se tournant vers Sirius d’un air suppliant.

Sirius se frotta le visage. Ils n’allaient pas laisser l’horcruxe à l’elfe, encore moins au Square
Grimmaurd. Rien que le fait qu’il en sache autant était dangereux…

« Kreattur, viens ici, s’il te plait. » ordonna Severus, pendant que Bill tirait le coffret à présent
familier de son sac et jetait les sorts nécessaires.

L’elfe se déplaça docilement jusqu’à se tenir devant le Maître des Potions qui, malgré sa
jambe, s’accroupit pour être à son niveau.

« Réponds à quelques questions pour moi. » ajouta le Professeur.

« Sans mentir. » commenta Sirius, sans esquisser un geste pour se remettre debout.

« Kreattur peut répondre aux questions de Maître Sirius et Monsieur Severus, si Maître Sirius
et Monsieur Severus détruisent le médaillon de Maître Regulus. » décida l’elfe.

Qu’était-il arrivé aux elfes si obéissants de son enfance, se demanda Sirius, pourquoi avait-il
fallu qu’il écope de l’elfe le plus réticent à obéir à ses ordres ?
« As-tu jamais rapporté des informations de ce qui se passait dans cette maison à quelqu’un à
l’extérieur ? » demanda calmement Severus. « Comme Bellatrix ou Narcissa, par exemple. »

Kreattur n’eut pas l’air entièrement heureux. « Le Maître a ordonné à Kreattur de ne pas
quitter la maison. Kreattur obéit. »

« Dumbledore lui a déjà demandé ça quand tu étais à l’infirmerie. » commenta Sirius.

« Et tu n’as jamais enfreint cet ordre, Kreattur ? » insista pourtant le Maître des Potions.

Kreattur réfuta l’accusation d’une secousse de la tête. « Kreattur n’est pas sorti de la maison
depuis que le Maître le lui a ordonné. » L’elfe attendit une seconde puis eut une expression
embêtée. « Maîtresse Bella appelle parfois Kreattur. Kreattur ne répond pas mais Kreattur se
punit. »

« Je t’ai ordonné de ne pas avoir de contacts avec Bella. » soupira Sirius. « Tu n’as pas
besoin de te punir parce que tu m’obéis. »

« Mais en t’obéissant, il désobéit à Bellatrix. » remarqua Severus. « Et elle est une Black. »

« Maîtresse Bella a toujours été bonne avec Kreattur. » marmonna l’elfe entre ses dents. « Pas
comme le Maître ingrat. »

Sirius préféra faire comme s’il n’avait pas entendu. « Mais je suis son Maître. Et lorsque je
mourrais, Harry deviendra son Maître, comme mon testament le veut. Le contrat est
magique. Bella est peut-être une Black mais je suis le chef de famille, ma volonté fait loi. »

Le Professeur laissa échapper un bruit moqueur. « Parlé comme un bon Sang-Pur. »

Il leva les yeux au ciel. « Tu sais très bien ce que je veux dire. »

« Je sais que cet elfe est resté enfermé dans cette maison pendant près de seize ans, avec un
horcruxe et le portrait de ta mère pour seule compagnie, et que la bâtisse elle-même a été
contaminée par des décennies de magie noire. » répondit calmement le Maître des Potions.
« Je sais également qu’un elfe de maison à qui on ne donne pas d’ordres, qui ne peut pas
s’occuper de sa famille et qui est délaissé se laisse généralement dépérir ou sombre dans la
folie. »

« Depuis quand tu te préoccupes des elfes de maison ? » rétorqua Sirius, en utilisant la chaise
derrière lui pour se redresser. « Tu les détestes. »

« Je ne les déteste pas. » protesta Severus, en faisant de même avec des difficultés évidentes.
« Je me méfie de ceux de Poudlard parce qu’ils sont loyaux à Albus et je n’ai jamais aimé
qu’on fouille dans mes affaires. Cela ne veut pas dire que je n’apprécie pas de voir ma lessive
faite ou les repas préparés pour moi. » Le Professeur garda le silence quelques secondes puis
haussa les épaules. « Et, si je dois être franc, bien que Granger s’y prenne mal, elle n’a pas
tout à fait tort sur un point : la manière dont les sorciers les traitent manque souvent
d’humanité. »
« Ils ne sont pas humains. » rétorqua-t-il, ignorant la manière dont Kreattur suivait la
conversation avec une attention un peu trop pointue. Ce vieux crapaud.

« Les Gobelins non plus. » rétorqua l’ancien Mangemort. « Et pourtant ils ont la main mise
sur l’économie magique. »

Sirius ouvrit la bouche pour répliquer puis la referma, se frottant le visage avec fatigue.
« Qu’est-ce que tu veux de moi, Severus ? »

À nouveau, les yeux noirs s’étaient égarés vers le placard de Kreattur. « Je veux être certain à
cent pour cent que ton elfe n’a jamais laissé filtrer d’informations à n’importe quel
Mangemort. Je veux être certain qu’il t’est loyal. »

Il se retint à grand peine de laisser éclater un rire amer. « Kreattur me déteste. »

« Le Maître déteste Kreattur. » rétorqua l’elfe, prouvant qu’il avait suivi la conversation.

Il ne pouvait pas lui donner tort.

« Très bien. » lâcha-t-il. « Kreattur, as-tu déjà parlé de l’Ordre avec qui que ce soit ? »

L’elfe inclina la tête sur le côté. « Non, Maître. »

« As-tu rapporté des informations à qui que ce soit à l’extérieur ? » insista-t-il. « Pas
seulement Bella ou Cissy, mais n’importe qui. »

« Non, Maître. » répéta l’elfe.

« As-tu rapporté des informations à quelqu’un qui appartient à l’Ordre ? » intervint Severus.

« Non, Monsieur Severus. » répondit calmement Kreattur.

« Est-ce que tu sais qui le fait ? » demanda Sirius.

L’elfe secoua la tête. « Non, Maître. »

« As-tu vu quelque chose de suspect ? » enchaina le Maître des Potions. « Quelqu’un qui
s’intéresserait d’un peu trop près aux documents, par exemple. »

Kreattur hésita. « L’hybride est toujours en train de travailler dans la cuisine de Kreattur. Et il
se comporte comme si la maison était à lui. Sale animal souillant la noble et respectable
demeure des Black… »

« Il va falloir travailler sur ton vocabulaire si tu veux qu’on s’entende un peu mieux. »
l’avertit Sirius sévèrement, en croisant les bras. « Il veut dire Remus, mais c’est normal que
Remus touche aux documents. Il dirige l’Ordre pour Dumbledore. »

« Pour l’instant, et cela ne l’exonère pas. » grommela Severus. « Personne d’autre ? »


L’elfe désigna Bill du doigt. « Celui-ci fouinait tout le temps dans le laboratoire de Maître
Regulus, il n’y a pas si longtemps. »

« Oui, mais ce n’est pas notre espion. » soupira Severus. « Cela ne fait rien… »

« L’homme qui n’aime pas le Maître écoute souvent aux portes. » ajouta Kreattur. « Mais le
Maître a dit que ce n’était pas les affaires de Kreattur ce que faisaient les gens dans la maison
alors Kreattur n’a jamais rien dit. »

Sirius, Severus et Bill échangèrent un regard.

« Quel homme ? » s’enquit Sirius.

Kreattur haussa les épaules. « Un des amis de Maîtresse Nymphadora. »

Intéressant de noter que Tonks avait droit au titre de maîtresse. Andromeda avait peut-être été
reniée mais apparemment l’elfe la considérait toujours comme une Black.

« Pas Charlie. » décréta immédiatement Bill, en les défiant du regard de le contredire.

« L’autre. » confirma l’elfe. « Toujours silencieux. Toujours dans un coin à écouter. »

« Anthony. » lâcha Severus.

« Tu as vu Anthony espionner ? » insista Sirius.

Kreattur grimaça, se tordant les mains. « Kreattur ne sait pas. Monsieur Severus a dit quelque
chose de suspect. Kreattur trouve que l’ami de Maîtresse Nymphadora est suspect. Kreattur
ne l’aime pas. »

« Ce n’est pas exactement une preuve flagrante. » commenta-t-il, en se tournant vers le


Professeur et le Briseur de Sorts.

« Que sait-on sur lui exactement ? » demanda Severus.

« Ses parents ont été tués par des Mangemorts. » offrit Bill. « Il a grandi entre un orphelinat
et des foyers d’accueil. C’est un gars bien. Il a eu une vie difficile et il s’en est sorti.
Franchement… »

« Pourquoi n’a-t-il pas fait sa scolarité à Poudlard ? » insista le Professeur.

« Tout le monde ne va pas à Poudlard. » remarqua Sirius, parce que l’ainé des Weasley était
clairement sur la défensive.

Le Maître des Potions lui jeta un regard incrédule parce que si tout le monde n’allait pas à
Poudlard, quatre-vingt-dix pour cent des sorciers répondaient à l’appel. L’Animagus leva les
sourcils, espérant qu’il comprendrait son message silencieux.

Bill n’avait visiblement pas très envie d’entendre suspecter son futur beau-frère et ils avaient
besoin du Briseur-de-Sorts pour l’horcruxe.
Severus dût comprendre parce qu’il se racla la gorge et tendit la main pour récupérer le
coffret que Bill tenait toujours. Kreattur suivit le mouvement avec une agitation croissante.

« Nous ne pouvons pas laisser ça ici, Kreattur, pas même sous ta surveillance. » annonça
l’ancien Mangemort. L’elfe n’eut pas l’air surpris mais il était impossible de manquer son tic
de colère. « En revanche… » Il se tourna vers Sirius. « C’est ta décision, je suppose, et je
compte de toute manière le garder dans mes quartiers sous une dizaine de sortilèges
d’alarmes, mais une protection supplémentaire ne serait pas… malvenue. »

Sirius le dévisagea sans comprendre. « Tu veux que je lui donne la permission de quitter le
Square Grimmaurd ? Tu viens de dire qu’il éprouvait toujours de la loyauté pour Bella et
Cissy. »

« Certes, cependant nous venons également de démontrer à plusieurs reprises que tu es son
Maître. » rétorqua Severus. « Soit nous décidons d’en faire un allié, soit nous effaçons sa
mémoire mais étant donné la place qu’a pris sa mission dans sa vie, je ne peux pas garantir
dans quel état cela le laisserait. »

Kreattur ne tressaillit même pas. Il resta là, à les dévisager tour à tour, son regard s’égarant
souvent vers le coffret comme s’il contemplait l’idée de le voler pour mieux tenter de
terminer tout seul ce que Regulus avait exigé de lui.

« On ne peut pas lui faire confiance. » contra-t-il.

« Ce n’est pas ce que pensait ton frère. » riposta le Professeur. « Et je ne suis pas en train de
suggérer qu’on le laisse aller et venir comme il le souhaite. Simplement, il me semble que
notre cause est commune et qu’une protection supplémentaire ne se refuse pas. »

Son frère…

Son frère qui pourrissait dans un lac souterrain au milieu d’autres cadavres.

« Fais ce que tu veux. » lâcha-t-il.

Les protections de Severus éclatèrent au moment où il ouvrit la porte de la cuisine. Il s’était


transformé avant d’avoir terminé de traverser le couloir et ce fût Patmol qui sauta sur le
canapé.

Pour une raison qu’il n’avait jamais réussi à comprendre, tout était toujours plus supportable
sous sa forme Animagus.

Il se passa plusieurs minutes avant qu’il entende le bruit de pas entrecoupés du son
caractéristique d’une canne heurtant le sol, puis, dans la foulée, entendit le murmure d’un
assurdiato. Il ne bougea pas de là où il était recroquevillé.

C’était trop.

Tout était… trop.


Severus se laissa aller plus qu’il ne s’assit sur le coussin libre à côté de lui et étendit sa jambe
devant lui avec une grimace de douleur.

« Je veux bien admettre que nous sommes amis. » déclara le Maître des Potions. « Mais c’est
ma limite. Je refuse de te gratter derrière l’oreille, de t’appeler Patmol ou de converser avec
toi comme si tu étais véritablement un cabot. Encore que… »

Patmol ne bougea pas, à peine poussa-t-il un léger râle malheureux.

« Tu n’aimes pas l’elfe, j’ai bien compris. Tu ne lui fais pas confiance et tu as raison. »
continua le sorcier, en dépit de son refus de discuter avec sa forme Animagus. « Seulement…
T’est-il jamais venu à l’idée que cet endroit était son Azkaban ? Les elfes ne sont pas
puristes… Il ne fait que répéter ce qu’il a entendu pendant des années. Si tu gagnes sa
loyauté… Vois ce qu’il a fait pour Regulus. Je ne suggère pas de lui donner davantage de
liberté par bonté d’âme, Sirius. Ce genre de loyauté aveugle… Nous pourrions en avoir
besoin. Harry pourrait en avoir besoin. Toutefois si tu trouves le pari trop risqué, rien ne nous
empêche d’effacer ses souvenirs. Je peux tenter de le faire sans trop l’endommager. »

Le chien poussa un nouveau râle puis laissa place à un humain qui laissa tomber sa tête en
arrière sur le dossier du canapé.

« Regulus est mort à cause de lui. » cracha-t-il.

« Regulus est mort à cause du Seigneur des Ténèbres. » corrigea calmement Severus, en
sortant le faux horcruxe de sa poche. « Il est mort en tentant de se racheter. Il est mort parce
qu’il aimait ton elfe. Il y a de pire raisons d’aller se sacrifier. »

Sirius l’accepta machinalement, l’emprisonnant au creux de son poing, mais ne répondit pas.

Son ancien rival l’observa un moment puis détourna le regard. « Pensais-tu vraiment qu’il y
ait une chance pour que ton frère soit vivant ? »

« Quand je suis ici, n’importe quoi ferait sens. » avoua-t-il. « Cette maison me rend fou. Il y a
des fantômes partout. Et… oui, j’espérais que… C’est idiot ? »

C’était idiot, il le savait.

Mais peut-être étaient-ils véritablement amis à présent parce que le Maître des Potions ne se
moqua pas.

« Au moins, maintenant, tu sais. » le consola le sorcier avec maladresse.

Il savait.

Il savait que Regulus avait passé quinze ans au milieu des Inféris.

« Il faut que je retourne à la caverne. » lâcha-t-il.

« Je te l’interdis. » trancha Severus.


« Tu n’as rien à m’interdire. » riposta-t-il, en lui adressant un regard noir. « Mon frère est là-
bas et… Je dois lui donner une sépulture décente. Je dois… »

Il devait le sortir des griffes de l’enchantement de Voldemort. Il devait…

« Sirius. » siffla son ancien rival, en attrapant son bras avec une poigne qui manquait de
fermeté. Ses doigts tremblaient. « Si tu y retournes, tout ce que tu accompliras c’est de te
faire tuer. Et quant bien même parviendrais-tu à briser la malédiction et récupérer le corps de
ton frère, tu risquerais d’alerter le Seigneur des Ténèbres. Tout ce pour quoi nous travaillons
serait vain. »

Il secoua la tête. « Je ne peux pas le laisser là-bas. Je ne peux pas. L’idée qu’il soit en train de
pourrir dans l’eau avec tous les autres cadavres… »

« Lorsque tout sera terminé, j’y retournerai avec toi. » promit Severus. « D’ici là, tant que le
Seigneur des Ténèbres n’est pas vaincu, tu n’y remettras pas les pieds. Jure le moi. Sur ta
magie, Black. Pense à Harry. »

Il posa les coudes sur les genoux et enfouit le visage dans ses mains.

Il avait l’impression de trahir son frère une deuxième fois, de…

« Je le jure. » marmonna-t-il et sentit un légère décharge alors que sa magie se liait à celle de
Severus. Ce n’était pas un Serment Inviolable. Il ne mourrait pas de le briser mais il en
paierait le prix. « S’il était venu me trouver… »

Il laissa sa phrase en suspens.

« L’aurais-tu seulement écouté ? » demanda le Maître des Potions. « L’aurais-tu cru ? »


L’homme poussa un léger soupir. « Crois-moi, je suis expert lorsqu’il est question de
ressasser le passé et cela ne mène jamais à rien qu’à de l’amertume et des regrets. Ce qui est
fait est fait. Et lorsque tout sera fini, nous pourrons dire la vérité, nous pourrons rétablir son
image, si tu le souhaites. »

« Dire au monde qu’il n’est pas mort en Mangemort. » murmura-t-il.

« Ils lui donneront peut-être même un Ordre de Merlin première classe à titre posthume pour
ça. » plaisanta Severus. « Ils semblent les distribuer à n’importe qui, ces derniers temps… »

Cela ne lui arracha pas un bruit amusé.

Il ne releva pas la tête.

Il ne s’alarma même pas lorsque les flammes de la cheminée se ravivèrent tout d’un coup
avant de virer au vert.

« Ah, Severus, vous êtes là ! » s’exclama la voix de Dumbledore. « J’ai besoin de… Que se
passe-t-il ? »
Sirius se força à se redresser pour faire face au visage inquiet du Directeur qui dansait dans
les flammes.

« Rien. » lâcha-t-il, au prix d’un effort. « Rien du tout. »

« Qu’y a-t-il, Albus ? » intervint Severus.

« J’ai besoin de vous à l’infirmerie. Tout de suite. » ordonna le vieux sorcier, son regard
passant de l’un à l’autre de ses anciens élèves avec curiosité, ou peut-être inquiétude.

« Harry ? » s’alarma immédiatement le Maître des Potions, déjà sur ses pieds.

« Non. » le tranquillisa Dumbledore, tout aussi rapidement. « Non, c’est… personnel. »

« J’arrive. » lâcha Severus. Il attendit que le Directeur libère l’âtre avant de se tourner vers
Sirius. « Ça ira ? »

« Je survivrai. » déclara Sirius. Il avait déjà survécu à pire après tout.

« Rentre à Poudlard. » lui conseilla l’autre homme. « Si cette maison ne te réussit pas, il n’y a
pas de raison que tu t’y attardes. »

Il hocha la tête puis le regarda partir par la cheminée mais ne fit aucun geste pour l’imiter. Il
ignorait si Bill était toujours là où s’il était parti. Il savait qu’il aurait dû se trainer à la
bibliothèque et tenter de renouer le dialogue avec Remus mais n’en avait pas très envie.
Quant à Nyssa… Il faisait toujours jour et elle devait dormir.

L’idée d’aller la rejoindre dans son lit l’effleura.

« Maître Sirius est triste. » croassa la voix de son elfe de maison, à sa droite, le faisant
violemment sursauter.

Il plaqua une main sur son cœur qui s’était emballé et le fusilla du regard. « Putain. »

« Ce n’est pas une bonne façon de parler pour un Lord Black. » le gronda Kreattur, du même
ton qu’il employait lorsque lui, Regulus et les filles étaient encore en culottes courtes. L’elfe
l’observa quelques secondes puis claqua des doigts et une tasse fumante apparut sur la table
basse devant lui. « Maître Sirius a toujours aimé le chocolat chaud de Kreattur quand il était
triste, même lorsqu’il était un garnement insolent qui causait du soucis à ma maîtresse. »

Sirius ne parvint pas à ressentir l’hostilité qu’il aurait dû.

Au lieu de ça, il s’empara de la tasse de chocolat chaud, non sans remarquer les
marshmallows qui y flottaient. Exactement comme dans son enfance, Kreattur n’avait pas
tort. Il l’examina un moment, en se demandant si l’elfe aurait pu vouloir l’empoisonner, puis
décida que, étant donné l’après-midi qu’ils avaient eu, il pouvait aussi bien y goûter. Le
chocolat avait le goût sucré d’un après-midi d’hiver passé à jouer dans la neige avec Regulus.
Il reposa la tasse sans un mot.

Après un moment d’hésitation, il tourna à nouveau la tête vers l’elfe.


« Approche. » ordonna-t-il.

Ses oreilles brunes et les touffes de poils blancs qui en sortaient s’agitèrent mais la créature
s’exécuta. Lorsqu’il fût suffisamment près, Sirius lui passa le faux horcruxe autour du cou.

Kreattur s’agita avec panique et il ne comprit pourquoi qu’au bout de quelques secondes.

« Ce n’est pas un vêtement. Je ne te congédie pas. » déclara-t-il rapidement. Le sort de


Severus fonctionnait-il toujours ? Par acquis de conscience, il en jeta un autre pour s’assurer
que des oreilles indiscrètes – ou trop fines – ne l’entendraient pas, accidentellement ou non.
« Reg aurait voulu que tu l’ais en souvenir de lui. Tu l’as bien servi. »

Les grands yeux globuleux de l’elfe s’écarquillèrent. Il poussa un gémissement de détresse à


crever le cœur, tout en serrant le médaillon au creux de ses mains.

« Kreattur n’a pas réussi à détruire le médaillon. » protesta la créature, en se frappant le


visage. « Kreattur a failli à l’ordre de Maître Regulus. Kreattur… »

Sirius lui attrapa le bras pour l’empêcher de se faire mal, plus las et épuisé qu’il n’aurait su
l’exprimer.

« Tu n’aurais jamais pu le détruire tout seul, Kreattur. Ça dépasse de loin ta magie. » déclara-
t-il. « Tu as fais ce que tu as pu et tu l’as gardé en sécurité, c’était le mieux que tu aurais pu
faire. Il aurait été fier de toi. »

Un nouveau gémissement pitoyable échappa à la créature qui se tira sur l’oreille assez fort
pour tenter de l’arracher

Il allait le regretter, il le savait déjà, et il blâmait Snape.

« Si tu veux, je peux être essayer d’être… un meilleur Maître. » lâcha-t-il.

Pour Regulus.

Il pouvait faire ça pour Regulus.

En sa mémoire.

Kreattur tira à nouveau sur son oreille mais répondit rapidement. « Kreattur peut être un
meilleur elfe pour Maître Sirius, même s’il a brisé le cœur de Maîtresse. Maître Sirius va finir
la tâche de Maître Regulus pour Kreattur. Kreattur peut être un bon elfe pour Maître Sirius. »

« Très bien. » soupira-t-il. « Dans ce cas… Je vais essayer d’être plus aimable et toi… Toi tu
ne vas plus traiter personne de traître ou de noms plus vulgaires. Nous ne sommes plus des
puristes, Kreattur. C’est fini, ces conneries. Nous sommes la nouvelle génération des Black. »

Kreattur le dévisageait avec hésitation mais pas incompréhension. « Comme Maîtresse Andy
et Maîtresse Nymphadora. Et Maître Draco. »

Sirius fronça les sourcils. « Qu’est-ce que tu sais de Draco ? »


Il attrapa le bras de l’elfe avant que celui-ci ne se frappe à nouveau.

Ses oreilles s’agitaient frénétiquement. « Kreattur écoute quand le Maître et les Sang-de.. »

« Qu’est-ce que j’ai dit ? » siffla Sirius.

L’elfe s’arracha à sa poigne pour aller se cogner la tête sur la table basse, renversant un peu
de chocolat chaud sur le bois, ce qui ne fit qu’augmenter sa détresse.

« Arrête. » ordonna-t-il, mal à l’aise face à cette violence qui ne l’avait jamais fait broncher
auparavant. Kreattur, à contrecœur, obéit. « Finis ta phrase. »

« Kreattur écoute quand le Maître et ses… associés parlent de Maître Draco. » avoua l’elfe,
penaud. « Kreattur ne veut pas qu’il arrive du mal au fils de Maîtresse Cissy. Maîtresse Cissy
a toujours été bonne avec Kreattur. »

« Moi non plus je ne veux pas qu’il arrive du mal au fils de Narcissa. » répondit-il.

« Kreattur le sait. » admit la créature. « Maître Sirius et Maîtresse Nymphadora s’occupent de


Maître Draco pour Maîtresse Cissy. Maître Sirius est un bon garçon avec le fils de Maîtresse
Cissy. »

Maître Sirius dût se faire violence pour lui rappeler qu’il avait trente-six ans et pas six et que
c’était lui le maître ici. Bon garçon.

Au lieu de ça, il grinça des dents. « Quoi qu’il en soit, Andy, Tonks, Draco et moi, nous
sommes anti-puristes. »

« Maîtresse n’aimerait pas ça. » commenta Kreattur, en se tirant les oreilles.

« Maîtresse est morte. » contra froidement Sirius. « Et Regulus est mort en tentant d’arrêter
un cinglé qui voulait installer la suprématie des Sang-Purs, alors, si tu réfléchis, à la fin,
Regulus pensait comme moi. »

L’elfe l’observa longtemps puis baissa les yeux vers le médaillon autour de son cou,
incapable de cacher son émerveillement de s’être vu donné un tel objet. « Kreattur veut être
un bon elfe pour la famille Black. Kreattur veut être un bon elfe pour Maître Sirius. »

La décision semblait cimentée.

« D’accord… » hésita-t-il, sans trop savoir par où commencer. « Première chose, tu n’as pas
le droit de parler du médaillon ou de ce qui s’est passé avec Regulus à quiconque qui n’est
pas moi, Severus ou Bill. Ou Harry. Et tu ne peux pas en parler devant d’autres personnes
non plus. »

Kreattur s’inclina pour marquer qu’il avait compris.

Machinalement, Sirius reprit la tasse de chocolat qui avait tiédi et en bu plusieurs gorgées,
réfléchissant vite et bien. « Il vaudrait mieux que tu caches ce médaillon pour l’instant,
aussi… Je ne t’interdis pas de le porter, ce n’est pas ça, mais peut-être… » Sans qu’il ait
besoin de rien ajouter, l’elfe fit passer le médaillon sous le tissu crasseux qui lui servait
d’uniforme. « Est-ce que tu as besoin d’être à Poudlard en permanence pour protéger le
coffret ? »

Un sourire torve étira les lèvres de l’elfe, ce qui, somme toute, était un peu effrayant. « Si
Maître Sirius ordonne à Kreattur de garder le coffrer, Kreattur gardera le coffret où que
Kreattur soit. »

« Je t’ordonne d’empêcher qui que ce soit qui ne soit pas moi ou Severus de prendre le
coffret sans notre accord. Tu as l’autorisation d’user de toute la violence et magie que tu
jugeras nécessaires s’il résiste mais je veux un potentiel voleur vivant. » décréta-t-il. Il aurait
inclus Bill mais… Non. Il faisait confiance au Briseur de Sorts, ce n’était pas le problème,
toutefois il ne voulait rien risquer. « Tu n’as toujours pas le droit de parler à Bella, Narcissa
ou aucun représentant de Voldemort. Et tu n’as toujours pas le droit de quitter le Square
Grimmaurd sauf si le coffret est en danger ou si je t’appelle. » Il réfléchit à nouveau puis
termina le chocolat en deux longues gorgées. « Kreattur, fais ce que les membres de l’Ordre
te disent mais que ce soit clair : les seuls ordres auxquels tu doives obéir sont les miens et, si
je ne suis pas là, ceux de Severus. Ou d’Harry. Harry Potter est mon hériter, tu sais ce que ça
veut dire. »

Kreattur s’inclina à nouveau.

« Maître Sirius va donner des ordres à Kreattur ? » s’enquit l’elfe avec un peu trop
d’enthousiasme. « Kreattur va de nouveau pouvoir être un bon elfe ? »

Je sais que cet elfe est resté enfermé dans cette maison pendant près de seize ans, avec un
horcruxe et le portrait de ta mère pour seule compagnie, et que la bâtisse elle-même a été
contaminée par des décennies de magie noire. Je sais également qu’un elfe de maison à qui
on ne donne pas d’ordres, qui ne peut pas s’occuper de sa famille et qui est délaissé se laisse
généralement dépérir.

Il n’était pas impossible que Severus ait raison, que ceci soit une version d’Azkaban pour un
elfe de maison.

« Ton ordre principal est de protéger le coffret, pour l’instant. » répéta Sirius. « Mais, je
suppose que… La maison mériterait un bon nettoyage. Si tu t’en sens capable. »

L’elfe était déjà vieux quand Sirius était enfant, après tout.

« Kreattur est un bon elfe. » contra la créature, comme si l’Animagus venait de l’insulter.
« Maître Sirius revient vivre à la maison ? Kreattur prendra bien soin du Maître maintenant. »

« Non, je travaille à Poudlard. » nia-t-il rapidement et farouchement.

L’elfe perdit de son enthousiasme.

« On avisera dans quelque temps, d’accord ? » s’entendit-il promettre. « Si on arrive à se


supporter… Peut-être que tu pourras venir à Poudlard avec moi. » Juste parce que ce vieux
crapaud avait toujours l’air déçu et parce qu’il se sentait coupable vis-à-vis de Regulus, il
ajouta « Les elfes de là-bas n’ont pas ta longue expérience. Ils me servent moins bien. »

Kreattur s’inclina plusieurs fois avec tellement d’entrain qu’il manqua se cogner sur la table
basse.

Et Sirius ne put s’empêcher de se dire qu’il allait le regretter.

°O°O°O°O°

Albus attendit impatiemment que Severus sorte de la cheminée, stabilisant automatiquement


l’autre sorcier lorsque celui trébucha. Le Maître des Potions vacilla un instant avant de
prendre appui sur sa canne et de se dégager, les joues légèrement rougies de cet instant de
faiblesse.

Ou peut-être était-ce autre chose…

« Qu’est-il arrivé à votre visage ? » demanda le vieux sorcier, en fronçant les sourcils.

Severus le dévisagea un moment avec incompréhension puis sa main libre esquissa un geste
vers sa propre joue avant de retomber mollement. « Une histoire très embarrassante
impliquant mon chat et Nymphadora sur laquelle je préfèrerai ne pas m’étendre. »

Il croisa le regard d’Albus très brièvement et ce dernier ne put s’empêcher de…

Ton chat me déteste, se plaignait Tonks dans l’esprit du Professeur, la bribe de scène saturée
d’affection et d’amusement.

Ce fût tout ce qu’Albus eut le temps de voir avant que l’homme ne dresse des boucliers hâtifs
et beaucoup moins subtils que par le passé mais non moins infranchissables.

« Était-il nécessaire de violer mon intimité ? » siffla Severus.

« Non. Non… » s’excusa-t-il, dans un soupir, en l’invitant d’un geste à quitter le bureau de
Poppy. « Ce n’était pas à dessein, j’ai eu une après-midi difficile. »

« Nous en sommes tous là. » marmonna son enseignant, ravivant sa curiosité. « Que se passe-
t-il ? »

« Gellert… » hésita Albus, en s’arrêtant au milieu de l’infirmerie bien heureusement déserte.


« Poppy n’est pas très optimiste et veut votre opinion sur des potions. J’espérais… Peut-être
pourriez-vous… »

Son ancien espion le regardait avec une expression neutre bien que légèrement
compatissante.

« Poppy est Médicomage, Albus. » lui rappela le jeune homme, non sans un certain tact.
« S’il ne s’agit ni d’un empoisonnement, ni d’une malédiction… Elle a davantage d’autorité
que moi en la matière. »
« Certes, mais peut-être aurez-vous une de ces idées brillantes dont vous êtes coutumier en
matière de potions. » rétorqua-t-il. Il savait que son ton était capricieux, qu’il s’enferrait dans
un déni qui ne lui apporterait rien… « Faites ce que vous pouvez, Severus. C’est une faveur
que je vous demande. »

Il connaissait suffisamment le jeune homme pour savoir qu’il ne rejetterait pas cette offre.

Il savait aussi qu’il le regretterait sans doute plus tard lorsque le sorcier exigerait qu’il la lui
rende. Il s’attendait, sans crainte de se tromper, à une conversation animée lorsqu’il serait
question de l’endroit où Harry passerait ses vacances d’été et il prévoyait que Severus se
servirait de cette faveur pour lui extorquer l’autorisation de garder le garçon avec lui.

Ce qui était trop dangereux, beaucoup trop dangereux, mais pourtant…

« Très bien. » accepta le Maître des Potions, sans grande surprise. « Mais je ne garantie
rien. »

Ils se remirent à marcher lentement. Poppy avait installé Gellert dans le fond, à l’abri des
regards indiscrets.

« Que faisiez-vous au Square Grimmaurd ? » s’enquit Albus, plus pour se distraire qu’autre
chose.

Severus émit un bruit amèrement amusé. « La plupart des gens ne demandent pas une faveur
à quelqu’un uniquement pour lui faire subir un interrogatoire dans la seconde qui suit. »

« Ce n’était qu’une question, pas un interrogatoire. » rétorqua-t-il. « Y aurait-il matière à un


interrogatoire ? »

L’ancien Mangemort soupira avec une mauvaise humeur manifeste. « Demandez à Lupin.
Apparemment j’ai besoin de son autorisation pour aller au Q.G. désormais. J’avais besoin de
consulter le traité sur la lycanthropie de Mafalda Hopkins et la copie de Poudlard est, comme
vous le savez, endommagée, si vous voulez tout savoir. Il y a de véritables trésors dans la
bibliothèque des Black… »

L’explication était raisonnable.

Pourtant…

« Et Sirius ? » pressa-t-il.

Il n’était pas tout à fait certain de ce qu’il avait interrompu par son appel par cheminette mais
il était évident que la conversation avait été tendue. Étant donné la posture défaite de
l’Animagus, il s’était presque attendu à ce qu’ils lui annoncent une nouvelle catastrophe.

« Douze ans à Azkaban. » lâcha Severus, avec hésitation. « Il n’est pas aussi remis qu’il
aimerait le faire croire et passer du temps dans cette maison ne l’aide en rien. »

« Certes. » admit-il. « Le contraindre à y rester enfermé n’a pas été ma plus brillante idée.
Pourquoi y est-il retourné aujourd’hui ? Je ne le lui avais pas demandé. »
« Il a engagé Bill Weasley pour examiner quelques artéfacts. Il y a énormément d’objets
dangereux au Square Grimmaurd et Weasley a besoin d’argent. Cela dit… » répondit le
Professeur, avant de ralentir le pas, comme s’il hésitait. « En toute confidence ? »

« Bien sûr. » acquiesça-t-il immédiatement, les entourant d’une bulle de silence d’un geste
distrait de la main.

Severus hésita quelques secondes de plus, comme s’il n’était pas certain de ne pas trahir la
confiance de son ancien rival. Albus n’aurait jamais cru que ces deux là puissent jamais
devenir amis. Il avait espéré une tolérance bordée d’hostilité mais n’avait pas osé exiger plus
d’eux…

Et, certes, cela contrariait ses projets vis-à-vis du garçon car, unis, ils formaient un obstacle
de taille mais une part de lui était tout de même heureux qu’ils aient appris à mettre leurs
différents de côté. Severus avait besoin d’un ami sur lequel il pouvait compter en toutes
circonstances et Sirius avait besoin qu’on le tempère.

« Remuer ces objets a ravivé des souvenirs douloureux. » confia finalement le Maître des
Potions. « Je n’avais pas conscience que ne pas savoir ce qui était arrivé à son frère le
perturbait autant après tout ce temps. »

« Ah, Regulus Black… » murmura-t-il, en hochant tristement la tête. « Il a refusé d’admettre


qu’il était touché par sa disparition à l’époque. Et puis, les Potter venaient d’être placés sous
Fidelitas, nous soupçonnions Remus… Je n’ai pas pu prêter à l’affaire l’attention qu’elle
méritait peut-être. »

« Il est mort. » lâcha Severus. « J’ai au moins pu le lui confirmer. »

Albus ressentit un élan de compassion coupable. « Espérait-il que… »

« Il n’y avait pas de corps. » soupira le Maître des Potions. « Je suppose qu’une partie de lui
pensait qu’il avait pu s’échapper. »

« Vous savez donc ce qui lui est arrivé ? » demanda-t-il curieusement.

« Le Seigneur des Ténèbres lui est arrivé. » se moqua sinistrement l’ancien Mangemort. « Me
l’auriez-vous demandé à l’époque, j’aurais pu vous renseigner et il n’aurait pas eu à vivre
dans l’incertitude pendant toutes ces années. »

À l’époque, il avait désiré des informations plus importantes de son tout nouvel espion que le
sort d’un Mangemort de piètre rang, eut-il été le frère d’un des membres de l’Ordre. Exiger
des réponses de Severus ne lui avait même pas effleuré l’esprit.

Néanmoins s’il avait su que la disparition de Regulus avait réellement impacté Sirius…

« Je vois. » murmura Albus. « Puis-je faire quelque chose ? »

« Ne surtout pas lui dire que je l’ai mentionné. » grinça Severus. « Je ne vous en parle qu’en
toute confidence. »
Il esquissa un sourire qu’il fit de son mieux pour dissimuler. « Il n’y a pas de mal à
s’inquiéter pour un ami, mon garçon. »

Le sorcier grommela entre ses dents mais ne protesta pas ouvertement le qualificatif.

Ils approchaient de l’alcôve où reposait Gellert, il pouvait entendre la voix de l’infirmière qui
égrenait des recommandations qui ne le sauveraient pas. Il mit momentanément de côté le
chagrin de Sirius, autant pour retarder le moment d’affronter à nouveau la réalité brutale qui
l’attendait derrière le rideau qui entourait ce lit que par sincérité.

« Je suis heureux que vous vous confiez à nouveau à moi. » avoua-t-il. « Votre amitié m’a
manqué. »

Il crut percevoir un bref éclat de culpabilité dans le regard de Severus mais celui-ci fût
gommé par des boucliers mentaux parfaits.

« Tant que vous ne tentez pas de vous servir de mon fils, il n’y a pas lieu d’être ennemis,
Albus. » répondit le Professeur.

Une promesse et un avertissement, tout à la fois.

°O°O°O°O°

Il régnait dans la salle commune de Gryffondor une cacophonie ambiante qui lui donnait mal
à la tête. Draco ne se plaignit pourtant pas, resserrant plutôt les bras autour de la jeune fille
assise entre ses jambes. Certes, Granger était plus occupée à tourner frénétiquement les pages
de leur livre d’Histoire de la Magie qu’à lui prêter la moindre attention et, certes, ils étaient
assis à même le sol comme la plèbe pendant que les Weasley se partageaient les canapés et
les fauteuils, passant une lettre d’un de leurs frères à la ronde.

Potter était assis par terre lui aussi, occupé à trier des fiches de révision – ou à faire semblant
de trier des fiches pour éviter les remarques de Granger.

Il appuya la tête contre le fauteuil dans son dos, sans se préoccuper du fait que Ginny y était
installée. Il ferma les yeux quelques secondes, uniquement pour les rouvrir brusquement
lorsque le coussin sous sa joue l’éjecta brusquement.

Il rougit légèrement lorsqu’il se rendit compte qu’il s’était endormi et que sa tête avait roulé
sur la jambe de la quatrième année.

« Utilise ta petite amie comme oreiller. » protesta Ginny, sans réelle hostilité.

Draco marmonna une excuse et ignora les regards emplis d’inquiétude, particulièrement celui
de Granger, pour accidentellement rencontrer celui de Potter qui semblait très agacé.
Qu’avait-il fait pour provoquer la colère du Gryffondor exactement ? La réponse lui vint
lorsque la quatrième année plaça les mains sur ses épaules pour le secouer gentiment, avec ce
qui passait pour de l’affection chez les lions.

« Tu sais, tu pourrais dormir ici, ce soir. » suggéra le Survivant, l’irritation disparaissant au


profit d’une expression lisse. « Prends mon lit, si tu veux. Je vais dormir chez mon père. »
Il ne s’habituerait jamais à la manière dont Potter clamait que Snape était son père.

Preuve qu’il était beaucoup plus épuisé qu’il ne voulait l’admettre, cependant, il hésita.

« C’est une excellente idée. » décréta Granger, en le suppliant des yeux. « Comment veux-tu
réussir tes B.U.S.E.s si tu ne fais que somnoler toute la nuit ? »

« Oui, parce que c’est les B.U.S.E.s l’important. » se moqua Ron. « Pas le fait que quelqu’un
ait mis un putain de serpent venimeux dans son lit. »

Quelqu’un qu’il refusait de laisser gagner, se remémora fermement Draco.

« Une nuit. » intervint Potter, avant qu’il ait pu leur dire qu’il gérait parfaitement la situation.
« Une seule nuit, Malfoy. Ce n’est pas perdre la face. »

Une nuit ne serait pas tout à fait une capitulation mais ce n’était pas non plus idéal et…

« J’irais dans la salle commune avec toi demain. » promit le Survivant. « Histoire qu’on nous
voit ensemble. »

« Je n’ai pas besoin de me cacher derrière toi. » grommela-t-il.

Mais il ne pouvait nier que l’influence de la coqueluche du monde magique avait son
importance et le fait était qu’être associé avec lui était excellent pour sa réputation. Certes,
cela avait l’effet désagréable d’enrager d’autant plus ceux qui le traitaient de traître mais
c’était sa réputation qui comptait. Celle des Malfoy. La guerre ne durerait pas toujours et il
comptait bien être une des influences qui forgeraient le monde magique lorsqu’elle serait
terminée. Il ferait honneur à sa Maison.

« À charge de revanche. » répondit Potter, sur le ton de la conversation. « Tu me devras une


faveur. »

Si Serpentard. Cela le perturbait toujours que le Survivant soit si adepte à manier le langage
des serpents – ou des Sang-Purs.

Sans compter qu’étant donné la manière dont l’autre garçon s’était appliqué à établir qu’ils
étaient, si ce n’était amis, au moins alliés et la mesure de protection que cela lui avait déjà
offert, Draco lui devait déjà plus d’une faveur.

Il était fatigué.

Si fatigué.

Cela faisait si longtemps qu’il ne dormait que d’un œil…

« Allez. » insista Ron. « Soirée pyjama. »

« Tu sais… » commença Fred.

« Si tu nous disais… » continua George.


« Quels Serpentards ont besoin… » enchaina l’autre.

« Qu’on leur botte le cul… » termina le deuxième.

« Je peux me débrouiller seul. » riposta-t-il, sans parvenir à y mettre un degré suffisant


d’agacement.

Les Gryffondors avaient une manière très différente d’exprimer leur affection que les
Serpentards. Il aimait ses amis mais ils n’étaient ni très démonstratifs, ni très ouvertement
vocaux. Les Gryffondors avaient l’amitié presque oppressante. Il ne comptait plus le nombre
de bourrades, de bousculades et d’étreintes distraites dont il avait fait l’objet ces derniers
mois. Comme si c’était normal d’être aussi… expansifs.

De fait, les lèvres de Granger se posèrent sous sa mâchoire, ce qui était totalement déloyal.

« S’il te plaît ? » chuchota-t-elle.

Les bras de Ginny se refermèrent autour de ses épaules dans une étreinte lâche et elle se
pencha pour lui murmurer à l’oreille. « Tu sais que les filles peuvent accéder aux dortoirs des
garçons, je dis ça, je dis rien… »

« Ginny ! » protesta Granger, riant à moitié, le visage cramoisi.

« Quoi ? » demanda Ron, en fronçant les sourcils. « Quoi ? Qu’est-ce qu’elle a dit ? »

Draco ricana. « Rien que tu n’approuverais. »

S’en suivit une conversation incompréhensible où tout le monde cherchait à parler plus fort
que les autres. Dans le chaos ambiant, un chaos qui ne lui portait plus autant sur les nerfs
qu’au début s’il devait être honnête, il croisa à nouveau le regard de Potter.

« D’accord. » capitula-t-il. « Mais juste pour ce soir. Et à charge de revanche. »

°O°O°O°O°

Harry sut qu’il était tombé dans un traquenard à la seconde où on toqua à la porte et qu’il vit
Severus se figer avec une tension indéniable.

Pourtant, jusque là, la soirée avait été agréable. Le Professeur lui avait fait un résumé succin
de sa journée, l’important étant, bien sûr, l’horcruxe désormais enfermé dans le coffre fort
dissimulé dans un rayonnage de la bibliothèque. Harry ne savait pas s’il était heureux qu’ils
l’aient trouvé ou… Il n’était pas sûr de ressentir quoi que ce soit, à vrai dire, mis à part du
soulagement que personne n’ait été blessé.

Excepté Regulus, apparemment.

Tout en préparant le repas, Severus lui avait réexpliqué, avec une impatience à peine voilée,
les interactions des bases et des catalyseurs en Potions, lui faisant réciter tout un tas de
passages appris par cœur – et dont le Professeur n’était pas entièrement satisfait parce que,
apparemment, Slughorn n’était pas assez précis. Harry était parvenu à ne pas trop se
ridiculiser bien qu’il ait continué à alterner bêtement tutoiement et vouvoiement comme un
idiot.

Et voilà que Severus déposait une troisième assiette sur la table.

« Va ouvrir, s’il te plait. » exigea son père, avec naturel. À croire que rien ne clochait. Sauf
qu’Harry le connaissait trop bien pour ne pas remarquer à quel point il se tenait droit, presque
comme s’il se préparait à un duel.

« C’est Tonks ? » demanda-t-il, alors qu’on retoquait à la porte.

Il ne voyait que la présence de l’Auror pour rendre Severus aussi nerveux. Et, il fallait
l’admettre, la perspective de toute une soirée avec la jeune femme avait quelque chose d’un
peu bizarre. Harry n’était plus réellement mal à l’aise, il s’était habitué à l’idée que Tonks
fasse désormais partie de leurs vies et il était naturel qu’elle passe plus de temps dans leurs
appartements, mais… Oui, tout ça était toujours nouveau et un peu déstabilisant et il était un
peu anxieux à l’idée de faire bonne impression. Mais il était également déterminé à ce qu’elle
soit à l’aise chez eux.

« Ton parrain. » répondit Severus, contre toute attente.

Il fronça les sourcils. « Pourquoi il frappe ? »

« Parce que je lui ai retiré le droit d’entrer comme il veut tant qu’il n’aura pas appris les
bonnes manières. » grinça le Professeur. « Va lui ouvrir. »

Le Maître des Potions n’aimant pas se répéter, Harry s’exécuta, avec cette sensation somme
toute familière qu’il se jouait quelque chose qu’il ne comprenait pas. Sirius lui sourit dès
qu’il ouvrit la porte, lui ébouriffant les cheveux et invectivant immédiatement Severus à
propos des protections qui lui avaient refusé l’entrée…

Il les regarda se chamailler comme ils en avaient l’habitude, incapable de ne pas penser que
quelque chose sonnait faux.

Sirius en faisait trop.

Il riait trop fort, parlait de manière trop enjouée et ne se départait pas d’un sourire qui
n’atteignait pas ses yeux.

Quant à Severus… Il était plus dur de détecter ce qui n’allait pas chez l’ancien espion parce
que celui-ci occludait juste assez pour que son expression soit calme sans être excessivement
neutre, ses gestes étaient mesurés sans être mécaniques et s’il entretenait la conversation avec
Sirius, il ne paraissait pas tout à fait intéressé non plus.

Ils étaient assis à table depuis plus de dix minutes et Harry avait plus moins massacré le
morceau de poisson qu’on lui avait servi lorsque le Professeur se racla la gorge.

« J’ai des nouvelles. Des nouvelles qui ne doivent pas sortir d’ici. » déclara le Professeur.

Harry se tendit, s’attendant au pire.


Sirius, à son habitude, chercha à désamorcer la tension dans l’air avec une plaisanterie.

« Tu as trouvé qui a enchanté ta cape ? Non parce que toute l’école ne parle que de ça… Il
parait que c’était génial, une farce digne des Maraudeurs… Curieux qu’on t’ait filé une
écharpe de Poufsouffle, cela dit… Vu cet article dans la Gazette, j’aurais choisi
Gryffondor… » se moqua son parrain. « Qu’est-ce que tu en dis, Harry ? »

« Euh… » répondit-il, avec une grande éloquence.

« Je sais que c’est un concept qui t’est étranger, mais je suis sérieux. » le rabroua Severus, en
découpant avec davantage de méthode que de finesse sa propre part de poisson. Harry
n’arrivait jamais à ôter les arrêtes aussi proprement et il n’avait pas l’excuse de mains
tremblantes.

« Mais moi aussi ! » protesta Sirius. « On ne peut quand même pas laisser Poufsouffle voler
notre Gryffondor honoraire. »

« Severus adore les Poufsouffles. » ricana Harry.

Un regard noir le renvoya à l’examen de son assiette, ce qui ne l’empêcha pas de sourire
autour d’une bouchée d’haricots verts.

« Vraiment ? » murmura l’Animagus, en dévisageant Severus. « Notre cher Professeur de


Défense a bien mentionné que tu en savais plus que moi sur sa mystérieuse amie. Es-tu en
train de me dire que c’est une Poufsouffle ? »

« Euh… Oups ? » grimaça-t-il, en quêtant le regard de son père.

Le Maître des Potions se pinça l’arrête du nez.

« Pas Chourave, quand même… » marmonna Sirius, en fronçant les sourcils. « Qui est-ce
qu’on connait qui était à Poufsouffle ? Oh ! Oh ! Trudy Travers ! Attends… Son frère n’est
pas un Mangemort ? »

« Qui ? » demanda Severus, apparemment ahuri.

Harry étouffa son rire dans sa serviette.

« Mais si ! Trudy ! » insista l’Animagus. « Elle était dans la même année que nous. Jolie.
Très, très jolie, même… James est sorti avec elle pendant… » Son parrain s’interrompit
brusquement. « Euh… C’est peut-être pas la meilleure anecdote. » Il se racla la gorge. « Ce
n’est pas Trudy ? »

« Je ne sais même pas de qui tu parles. » siffla Severus. « Peut on se concentrer, à présent ? »

« Tu n’es pas sérieux. » accusa Harry, une fois qu’il fût parvenu à maîtriser son amusement.
« Tu sais très bien qui c’est mais tu veux juste le faire tourner en bourrique. »

Sirius regarda son filleul avec une innocence qui ne paraissait pas feinte. « Comment je
saurais ? Il ne veut rien me dire. Mes suspectes principales sont Sinistra et McGonagall mais
si tu me dis que c’est une Poufsouffle… »

« Beurk ! » s’exclama-t-il, en se cachant les yeux comme pour mieux chasser les images
dégoûtantes que les suppositions de son parrain avaient fait naître. Il n’avait vraiment pas
envie d’imaginer son Professeur d’Astronomie ou de Métamorphose avec son père. Vraiment,
vraiment pas. « Beurk, beurk et beurk. »

« Je sais ! » soupira Sirius. « Aurora, je ne dis pas, je n’aurais rien contre, mais McGonagall,
c’est… »

« Le Seigneur des Ténèbres a en sa possession une baguette suffisamment puissante pour


rayer une ville comme Cardiff de la surface de la planète d’un simple geste. » intervint
Severus, non sans ironie. « Mais, je vous en prie, continuez à échafauder des hypothèses
abracadabrantes sur ma vie sentimentale. »

Harry perdit toute envie de rire. « Quoi ? »

Un brin de remord passa sur le visage de son père, probablement pour la brusquerie avec
laquelle il venait d’annoncer cette nouvelle. « Ollivanders n’a pas eu le temps de terminer la
baguette mais le Seigneur des Ténèbres l’a apparemment fait pour lui. »

Sirius non plus ne riait plus.

Il semblait digérer l’information.

« Comment tu le sais ? » s’enquit finalement son parrain.

« Parce qu’Albus me l’a dit. » soupira Severus.

« Et il le sait parce que… » insista Sirius.

L’ancien espion ne répondit pas mais haussa un sourcil, l’invitant à former ses propres
conclusions.

Ce n’était pas si dur de déduire que Dumbledore avait retourné quelqu’un d’autre dans les
rangs des Mangemorts. Après tout, Voldemort avait lui aussi un agent infiltré…

« Est-ce que c’est une bonne ou une mauvaise chose que nos baguettes n’aient plus de cœurs
jumeaux ? » demanda-t-il, juste pour tromper la tension entre les deux adultes.

À nouveau, Severus poussa un léger soupir. « Le temps nous le dira mais comme je ne
compte pas lui laisser l’opportunité de t’approcher, la question ne se pose, de toute manière,
pas. »

C’était très optimiste de penser qu’il pouvait l’empêcher mais Harry avait depuis longtemps
appris à ne pas trop insister sur les sujets qui fâchent. Il se contenta donc de remuer des bouts
de poisson et des haricots verts d’un côté à l’autre de l’assiette avec sa fourchette, en écoutant
son père et son parrain discuter de ce que cela changeait pour la guerre.
« Harry, termine ton assiette. » ordonna Severus, alors que la discussion venait de dériver sur
Kreattur et la décision de Sirius de faire un effort avec l’elfe de maison.

« Je n’ai plus faim. » marmonna-t-il, tout en se sentant ingrat de gaspiller de la nourriture. À


Poudlard, ce n’était jamais un problème. Mais…

« S’il te plait. » insista son père. « Tu n’as presque rien avalé. »

« Allez… » l’encouragea Sirius, avec une légère bourrade affectueuse. « On commandera de


la tarte à la mélasse aux cuisines en dessert. »

Il était incapable de résister à la tarte à la mélasse, même s’il s’agissait très visiblement d’une
manipulation peu subtile. Avec un soupir, il entreprit d’empiler autant d’haricots et de bouts
de poisson qu’il le pouvait sur sa fourchette afin de terminer plus rapidement, ignorant le
regard amusé de son parrain autant que celui réprobateur de son père. Non, ses manières à
table n’étaient pas impeccables, Sev le lui avait assez reproché en soixante-quinze.

Un coup de baguette distrait de Severus envoya la vaisselle sale dans l’évier et ce qu’il restait
de poisson dans le placard sous sort de stase qui permettait de conserver les aliments au frais
comme un frigo.

« Tu fais du thé ? » ordonna plus que ne demanda Sirius au Professeur, en guidant Harry vers
le salon par les épaules. « Je m’occupe de contacter les cuisines par cheminette. »

Et, à nouveau, alors qu’il était mené jusqu’au canapé comme un enfant, Harry se dit que ça
sentait le coup fourré.

Parce que, une fois qu’il eut récupéré trois assiettes par la cheminée, Sirius se laissa tomber
dans le fauteuil à sa gauche et Severus, une fois qu’il eut fait léviter un plateau avec tasses et
théière jusqu’à la table basse, s’installa dans son fauteuil préféré à sa droite. Harry se retrouva
au milieu, la cible indéniable de leurs regards scrutateurs.

Cela aurait peut-être été moins suspect si les deux hommes n’avaient pas échangé des coups
d’œil nerveux.

La partie de lui qui avait passée huit mois à Serpentard lui soufflait d’attendre et voir.

Son côté Gryffondor, en revanche, en avait assez de leur manège.

« D’accord, qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-il, n’y tenant plus.

« Comment ça ? » répondit innocemment Severus.

Harry leva les yeux au ciel. « On dirait que vous allez m’annoncer une catastrophe. Ou que
vous êtes soudainement tombés amoureux. » Il jeta un regard lourd de sens au Professeur de
Défense. « Mais comme je sais que ça, ce n’est pas possible… »

« Absolument, irrémédiablement impossible. » confirma Sirius gaiment.


« Tu peux arrêter de faire semblant d’être de bonne humeur, aussi, parce que ça se voit que tu
te forces. » rétorqua-t-il, avant de le regretter immédiatement. Sirius ne se forçait pas à avoir
l’air de bonne humeur parce qu’il voulait l’entourlouper mais parce que…

Parce qu’il devait être très triste d’avoir appris ce qui était vraiment arrivé à son frère.

« Harry. » cingla Severus avec un mécontentement évident.

« Désolé. » offrit-il sincèrement, mal à l’aise.

« Non, non… » soupira Sirius. « Je suppose qu’on n’est pas très… subtils. Bon, écoute… On
a juste besoin de te poser une ou deux questions. »

Il fronça les sourcils. « Quelles questions ? »

Visiblement, ce n’était pas l’approche qu’aurait choisie le Maître des Potions parce qu’il
claqua la langue. Sur coup de baguette impérieux, la théière se mit à servir le thé toute seule.

« Les Dursley ont-ils un chat ? » s’enquit lentement Severus.

Harry se détendit légèrement.

Il aurait dû savoir qu’il était question des Dursley. Il s’y était attendu. Il avait dit à Severus
que Dumbledore le forcerait à y retourner.

C’était ça qu’ils voulaient lui annoncer et c’était pour ça qu’ils étaient bizarres. Ils se
sentaient coupables.

« Un chat ? » répéta-t-il, imaginant avec amusement la réaction de Tante Pétunia s’il


retournait à Privet Drive avec Masque. Il avait eu suffisamment de mal à lui faire accepter la
présence d’Hedwige qu’il pouvait garder en cage. « Jamais. Tante Pétunia aurait une
attaque. »

Il ricana rien que de l’imaginer devoir changer une litière ou chasser les poils sur ses
vêtements. Non… Un chat n’aurait pas fait long feu chez les Dursley. Dudley les avait
suppliés de le laisser adopter un des chiens de Marge à une époque et c’était peut-être la seule
de ses requêtes que ses parents aient jamais refusée.

Il se pencha pour attraper sa part de tarte à la mélasse et croqua dedans, ricanant toujours en
imaginant Pétunia adopter un félin. Il cessa de rire lorsqu’il remarqua la mine grave de
Severus et l’air préoccupé de Sirius.

« Quoi ? » demanda-t-il, la bouche pleine.

Le Professeur ne lui rappela même pas d’avaler avant de parler.

« S’ils n’ont pas de chats… » hésita Severus. « Pourquoi y a-t-il une chatière sur la porte de
ta chambre ? »

La question le prit de court.


D’un coup, il eut très chaud, puis très froid, à mesure que la panique montait…

Il reposa la part de tarte dans l’assiette. « Vous êtes allés chez les Dursley ? »

Il ne savait pas pourquoi il avait pris un tel ton accusateur.

Peut-être parce que l’idée de son père ou de son parrain se retrouvant à parler avec Pétunia ou
Vernon… Ce n’était pas tant qu’il craignait que son oncle et sa tante les convainque qu’il
n’était qu’un moins que rien mais…

« Non. » réfuta le Maître des Potions. « Nymphadora m’en a parlé. De ça et des verrous. »

La colère fût fulgurante et suffisamment forte pour qu’il sente s’agiter l’horcruxe en lui.
« Peut-être que Nymphadora devrait se mêler de ses affaires. »

Lui et Severus s’affrontèrent longtemps du regard.

Il n’y avait aucune hostilité dans les yeux de son père, cependant, juste de l’inquiétude et une
affection que l’homme ne faisait aucun effort pour masquer. Peu à peu, la colère céda la place
à la honte et il détourna la tête.

« Harry. » tenta Sirius. « Tu sais qu’on est là pour toi. »

« Je ne vois pas pourquoi on doit parler de ça. » lâcha-t-il.

« Parce que nous sommes inquiets. » répondit Severus, presque trop bas. « Parce que tu me
l’as caché et que cela me pousse à me demander si tu ne m’as pas dissimulé autre chose. »

« Je ne t’ai rien caché. » contra-t-il. « Ce n’est juste jamais venu dans la conversation. »

« Eh bien, emmenons le dans la conversation. » intervint son parrain, avec un sourire qui
tenait plus de la grimace qu’autre chose. « Pourquoi tu ne nous dis pas pourquoi ces verrous
et cette chatière sont là ? »

« Pourquoi, à ton avis ? » rétorqua-t-il, avec trop d’agressivité. Il jeta un coup d’œil à son
père, attendant le rappel à l’ordre qui ne vint pas. Severus occludait et pas qu’un peu.
« Écoutez… » Il soupira, fit un effort pour prendre un ton plus raisonnable. « Ce n’est
vraiment pas si terrible que ça… Ce n’est vraiment pas la peine d’en faire toute une
histoire… »

« T’enferment-ils ? » demanda franchement Severus.

S’il avait pensé que cela fonctionnerait, Harry aurait peut-être menti. « Des fois. »

« Une heure ? Une après-midi ? » insista le Professeur.

Il risqua un regard vers Sirius mais son visage était fermé, lui aussi. Il posa l’assiette sur la
table basse, l’appétit bel et bien coupé, même pour de la tarte à la mélasse. « C’est surtout la
nuit. Ils ont peur de moi, c’est tout. »
« C’est tout. » répéta son père d’un ton cassant, presque moqueur.

« Severus. » l’avertit Sirius.

Il savait que ce n’était pas dirigé contre lui mais ça ne l’empêcha pas de tressaillir. Sans
réfléchir, il attrapa le plaid roulé en boule dans un coin et, après avoir replié ses jambes sur le
canapé, s’enroula dedans.

Severus adressa à l’autre sorcier un hochement de tête puis reprit, d’une voix un peu plus
contrôlée. « La nuit, tu dis. Que se passe-t-il si tu dois utiliser la salle de bain ? »

Il n’allait certainement pas réveiller les Dursley parce qu’il avait envie d’aller aux toilettes,
si ? Quelle question idiote. Il haussa les épaules. « Je me retiens. » Il soupira. « On sait déjà
qu’ils ne m’aiment pas. Pourquoi est-ce qu’on doit ressasser tout ça ? »

« Ils t’ont déjà gardé enfermé plusieurs jours d’affilé ? » demanda Sirius, comme s’il n’avait
pas parlé.

À nouveau, Harry haussa les épaules et prétendit ne pas remarquer le regard que les deux
hommes échangèrent.

« À quoi sert la trappe dans la porte ? » insista Severus.

Il n’allait pas laisser tomber, il le savait.

« Si je suis punis plusieurs jours, Tante Pétunia me donne à manger par là. » admit-il.

« Punis. » siffla son père.

« Severus. » le rappela à nouveau à l’ordre Sirius.

C’était un peu drôle que son parrain parvienne à rester calme alors que le Professeur soit
celui qui peinait à ne pas exploser, se dit-il.

Ou peut-être était-ce juste triste.

« Et pourquoi te punissaient-ils ? » grinça Severus. « Donne-moi un exemple d’une infraction


qui vaudrait d’être enfermé plusieurs jours pour ta harpie de tante. »

Il ouvrit la bouche et la referma immédiatement, peu sûr de comment expliquer la chose.


Privet Drive était un monde différent de Poudlard avec ses propres règles. Il y avait de
nombreuses offenses, petites ou grandes, qui pouvaient valoir de se voir jeté dans son
placard. Ou sa chambre. « Si je les réveille avec mes cauchemars, par exemple. Ou s’ils
reçoivent des gens et qu’ils ne veulent pas que je les embarrasse. »

Severus se leva un peu brusquement, le poussant à se recroqueviller dans le coin du canapé


avec sa couverture. Sa réaction le fit se figer et le Professeur parut chercher le regard de son
parrain.
Sirius avait l’air très grave, plus grave peut-être qu’Harry l’avait jamais vu et ça incluait la
fois où il l’avait supplié de lui donner une chance après leur retour de soixante-quinze. « Il
faut qu’on te demande quelque chose et il faut que tu nous répondes franchement. »
L’Animagus attendit qu’il hoche la tête pour continuer. « Est-ce qu’ils ont jamais été violents
avec toi ? »

Harry tourna les yeux vers Severus sans comprendre. « On a déjà parlé de ça. Je vous ai dit
que non. Ce n’est pas comme… »

Il ravala la fin de sa phrase.

« Qu’ils n’aient pas été aussi violent que mon père ne veut pas dire que ce serait acceptable
s’il t’avait malmené d’une quelconque autre manière. » répondit le Maître des Potions, le
prenant un peu par surprise.

Le regard vert fusa immédiatement vers son parrain mais Sirius n’avait pas l’air étonné.

« Harry… » reprit Severus, en venant s’asseoir à côté de lui sur le canapé. L’homme hésita
puis posa une main sur son pied, couvert par le plaid. « Tu n’auras pas d’ennuis. Il n’y a pas
de bonne ou mauvaise réponse, nous voulons juste la vérité. Nous voulons juste t’aider. »

Le garçon le dévisagea sans comprendre. « Mais j’ai dit la vérité. Ils n’ont jamais rien fait
comme ça. Une claque à droite à gauche, peut-être, mais n’importe quoi d’autre aurait été
trop fatiguant pour Vernon. Et Pétunia… Pétunia n’a jamais vraiment fait d’efforts quand elle
agitait sa poêle à frire, elle ne me visait pas vraiment. » Il avait voulu plaisanter mais
apparemment ce n’était pas bien drôle parce que la mâchoire de Severus s’était contractée à
l’extrême. « Les seuls qui m’ont jamais frappé, c’est Dudley et sa bande, papa, je te jure. Et
c’était il y a longtemps. Et j’arrivais à m’échapper la plupart du temps. J’ai toujours été
rapide. »

La main posée sur son pied serra très, très fort.

Severus avait détourné la tête.

Sirius… Sirius n’avait pas l’air plus amusé.

« Je ne vais même pas demander si ton oncle et ta tante réprimandaient ton cousin lorsqu’il
t’attaquait. » lâcha son parrain.

Harry leva les yeux au ciel. « Ils l’encourageaient, oui. Ils trouvaient ça drôle. »

« Tu n’as pas l’air de te rendre compte que tout ce que tu nous décris est une forme de
maltraitance. » murmura Severus. « Psychologique et physique. Sans parler de la négligence
manifeste. »

« Ce n’est vraiment pas si… » protesta-t-il, uniquement pour se voir couper la parole.

« Ne t’avise pas de me dire que ce n’est pas si terrible ou si grave. » l’interrompit son père.

Harry ne savait pas ce qu’il était censé dire, alors.


« Ce sont juste les Dursley. » soupira-t-il. « Ils sont comme ça. Je sais bien que ce n’est pas
normal mais ce n’est pas comme si on leur avait laissé le choix, non plus… »

Peut-être que s’ils avaient eu le choix, ils auraient été plus gentils avec lui.

« Harry, qu’ils aient choisi ou pas de t’élever, rien ne justifie de traiter un enfant ou un
adolescent de la manière dont ils l’ont fait. » intervint Sirius. « C’est inadmissible. Si tu m’en
avais parlé plus tôt… »

Il tressaillit sous le reproche à peine voilé.

« Je t’ai dit qu’ils étaient horribles. » se défendit-il.

« Mais tu n’as pas dit qu’ils te traitaient comme… » contra son parrain.

« Parce que tu crois que si j’avais été heureux avec eux j’aurais accepté d’aller vivre avec toi
cinq minutes après t’avoir rencontré alors qu’on pensait tous que tu étais un tueur en série
jusqu’à une heure avant ? » se moqua-t-il, un peu méchamment.

Mouché, Sirius se tut.

La main que Severus posa sur son épaule était lourde et réconfortante. « Nous ne te faisons
pas de reproches. »

« Ce n’est pas de ça que ça a l’air. » marmonna-t-il, en croisant les bras. « Qu’est-ce que ça
change, de toute manière ? Vous êtes inquiets parce que je dois y retourner ? Je vous ai dit
que ça m’était égal d’être enfermé… J’emmènerai juste de quoi manger et… »

« Tu ne retourneras jamais là-bas. » l’interrompit son père. « Je te le répéterai autant de fois


qu’il le faudra. » Le Professeur fronça les sourcils. « Tu viens de dire que Pétunia te
nourrissait par la trappe. Pourquoi aurais-tu besoin d’emmener de quoi te nourrir ? »

Un demi-mensonge lui vint spontanément aux lèvres. « Dudley doit suivre un régime. »

« Ce qui n’est pas ton cas. Au contraire. » répliqua Severus mais le garçon savait qu’il n’avait
pas besoin de clarifier. « Décris-moi un repas normal chez les Dursley. »

Harry soupira. « Je suis obligé ? On sait tous les deux que ce n’est pas ce que vous
considéreriez correct. »

Le Maître des Potions pinça les lèvres mais lui serra l’épaule. « Dis-moi que tu comprends
pourquoi nous sommes tellement en colère, ton parrain et moi. »

Il détourna le regard avec un puissant sentiment d’injustice. « Ce n’est pas comme si j’avais
volontairement caché des choses. Je vous ai parlé du placard et je vous ai dit qu’ils ne
m’aimaient pas et ne s’occupaient pas de moi. D’accord, je n’ai pas dit qu’il y avait des
verrous sur la porte ou qu’ils m’enfermaient toujours parfois, mais… »

« Harry, nous ne sommes pas en colère après toi. » l’interrompit doucement Severus.
Tout entier à son plaidoyer, il lui fallut une seconde pour comprendre. « Oh. »

Avec un léger pop, Sirius laissa place à Patmol. Le chien sauta entre eux sur le canapé et
s’affala à moitié sur Harry. Par réflexe, l’adolescent se mit à le caresser comme il l’aurait fait
avec un véritable animal. Severus, sans lâcher l’épaule du garçon, s’écarta légèrement en
grommelant pour ne pas être collé contre lui.

« N’avons-nous pas eu cette conversation aujourd’hui même ? Tu n’es pas un vrai chien,
Black. » grinça le Maître des Potions.

Patmol fit mine de ne pas l’entendre et pressa son museau humide dans le cou de Harry.

« Je ne comprends pas pourquoi c’est si important. » répéta-t-il, en agrippant à pleines mains


la fourrure de l’Animagus. Pour le garder contre lui ou pour le repousser, il n’était pas sûr.
« D’accord, ils m’enferment de temps en temps mais ce n’est pas le pire. »

« Non ? » releva Severus, en l’étudiant comme un de ses ingrédients de potions. « Quel est le
pire, dans ce cas ? »

Sur la défensive, il haussa à nouveau les épaules, préférant garder le regard rivé au sol que de
rencontrer celui de son père.

« Harry… » soupira ce dernier.

« Le pire, c’était quand Tante Pétunia accrochait les dessins de Dudley sur le frigo mais
déchirait les miens. » cracha-t-il. « Le pire, c’était la fois où je l’ai accidentellement appelée
maman et où elle a menacé de me laver la bouche au savon. Le pire, c’était la fois où j’ai
voulu prendre la main de Vernon parce qu’il y avait trop de monde et où il m’a poussé
comme si j’étais répugnant et est devenu si rouge qu’il était presque violet. Le pire, c’est le
dégoût avec lequel ils m’ont toujours regardé. » C’était comme si tout l’air était sorti de ses
poumons. Les mots l’avaient laissé épuisé. Sans douceur, il repoussa le chien qui sauta au sol.
Le seul bruit était le cliquetis des griffes sur la pierre. « Je peux aller me coucher,
maintenant ? Hermione veut qu’on se retrouve tôt pour réviser demain. »

Il refusa de croiser le regard de Severus.

« Harry… » murmura le Professeur.

« Je peux aller me coucher ? » répéta-t-il, sans trop savoir pourquoi il demandait la


permission. Sa chambre était toujours au même endroit. C’était sa chambre. Il était chez lui
ici. Cela faisait longtemps qu’il n’avait plus demandé la permission pour quoi que ce soit.

De quoi avait-il peur ? Que Severus, contaminé par son récit de sa vie chez les Dursley, le
renvoie dans la Tour des lions ? Cela ferait désordre vu que Malfoy avait sans doute déjà pris
son lit. Enfin, il y avait des canapés, de toute manière, ce n’était pas comme si…

« Bien sûr. » offrit Severus, presque à regret. « Harry… »

« Bonne nuit. » lâcha-t-il, avec finalité.


Sans un regard pour lui ou le chien, il se dépêcha de s’enfuir dans sa chambre. Il ne claqua
pas la porte mais il hésita quelques secondes à la verrouiller avant d’y renoncer. C’était
différent lorsque le verrou était du bon côté de la porte mais cela ne diminuerait pas
l’impression de claustrophobie qu’il sentait se déclencher.

Heureusement, la fenêtre enchantée au dessus de son bureau donnait sur le parc et pas sous le
lac.

Il prit son temps dans la salle de bain, savourant le fait de pouvoir prendre une douche chaude
aussi longue qu’il le souhaitait. Sans doute Severus et Sirius auraient-ils eu des choses à dire
s’ils avaient su que les Dursley lui interdisaient souvent l’eau chaude par soucis d’économies
et le disputaient s’il y passait plus de cinq ou dix minutes.

Les légers coups à sa porte vinrent alors qu’il sortait de la salle de bain.

« Entrez. » marmonna-t-il, sans dévier de sa trajectoire. Il ne jeta pas un coup d’œil à


l’homme qui pénétra dans sa chambre, repoussant la porte derrière lui juste assez pour leur
donner un semblant d’intimité sans la fermer. Sirius était-il toujours dans le salon ? Il se jeta
sur son lit et se glissa sous les draps.

Il n’eut pas le temps d’esquisser un geste vers le nécessaire à lentilles sur la table basse avant
que Severus ne soit là. Le Professeur remonta les draps, s’assurant qu’il soit bien couvert, et
s’assit au bord du matelas.

Une boule apparut immédiatement dans la gorge de l’adolescent.

Il savait qu’il était trop vieux pour être bordé mais à chaque fois cela lui faisait chaud au
cœur et il ne pouvait s’empêcher de s’imaginer une vie où il aurait été bordé tous les soirs de
son enfance.

« Je regrette si nous t’avons blessé. » soupira Severus. « Nous nous y sommes mal pris. »

« Je ne vois pas pourquoi il faut en reparler. » grommela-t-il.

Le sorcier leva une main légèrement tremblante, hésita, puis dégagea les mèches qui lui
tombaient sur le front. Malgré lui, Harry ferma les yeux, s’abandonnant à la tendresse de la
caresse.

Encore une chose qu’il se plaisait à imaginer avoir toujours fait partie de sa vie.

« Il est important que tu en parles parce que je ne veux pas que tu finisses comme moi. »
murmura son père.

« Le plus jeune Professeur à avoir jamais enseigné à Poudlard, un célèbre Maître des Potions
avec un Ordre de Merlin première classe ? » se moqua-t-il.

Severus n’était visiblement pas d’humeur à plaisanter. Il semblait triste. « Un homme amer
qui a passé trente-cinq ans replié à l’intérieur de sa propre tête pour tenir le monde à distance.
Un homme qui, lorsqu’il a perdu la seule personne qui comptait pour lui, d’abord au figuré,
s’est tourné vers une secte de magie noire et puis, lorsqu’il l’a ensuite perdue au sens propre,
a passé des années à vouloir mourir et, en conséquence, à tâcher de s’assurer de rendre tout le
monde aussi malheureux que lui. Un homme dur, acerbe et seul. Un homme triste qui n’avait
jamais vraiment su ce qu’était le bonheur avant qu’un lionceau têtu, casse-cou et
extrêmement horripilant ne l’oblige à ouvrir les yeux. »

Il se racla la gorge pour chasser l’émotion qui lui piquait les yeux.

« Extrêmement horripilant ? » répéta-t-il, la voix rauque.

« Je ne te forcerai pas à en parler. » continua Severus, sans relever. « Je sais à quel point c’est
difficile. Il m’a fallu plus de trente ans pour y parvenir. Toutefois… Toutefois, je suis là si tu
as besoin d’en discuter. Et je pense que tu as besoin d’en discuter, Harry. »

Il soupira. « Qu’est-ce qu’il y a à en dire ? Ce sont des gens petits qui aiment se sentir plus
grands en s’en prenant à plus faible qu’eux. Je ne vous ai jamais menti. Ils ne me frappent pas
et ils ne m’enferment presque plus, non plus. Ils ont peur de moi, je crois, c’est tout. »

La mâchoire du Professeur se contracta et, sans même avoir besoin de croiser son regard,
Harry devina qu’il s’était remis à occluder.

« J’aimerai que tu arrêtes de dire ‘c’est tout’ ou ‘ce n’est pas si terrible’ ou ‘ce n’est pas si
grave’ à chaque fois que tu parles d’eux. » exigea calmement l’homme. « Ce n’est pas tout.
C’est terrible. Et c’est grave. Je suis pas certain que tu mesures à quel point. »

« Je sais que ce n’est pas normal. » riposta-t-il. Ils tournaient en rond, cette conversation
tournait en rond, ce n’était…

« Tu leur trouves des excuses. En permanence. » contra Severus. « Tu sais que ce n’est pas
normal mais ils n’ont pas choisi. Ils te traitaient mal mais ils avaient peur de toi. Tu n’as pas
à leur trouver d’excuses, Harry, il n’y a pas d’excuses pour ce qu’ils ont fait. »

« Peut-être mais c’est vrai. » insista-t-il, se risquant à affronter les yeux noirs fixés sur lui.
« Ils m’ont trouvé devant leur porte un beau matin avec un lettre qui leur disait que ma mère
était morte… Je sais que c’était la guerre mais… Personne ne pouvait le dire à Pétunia en
personne ? Personne ne pouvait s’assurer qu’ils voulaient bien d’un autre enfant ? »

La tristesse semblait se disputer à la colère chez le Maître des Potions. « Je ne peux pas
répondre à ces questions. Il faudrait les poser au Professeur Dumbledore. » Il prit une
profonde inspiration. « Cela ne change rien aux faits, cela dit. Il n’y a pas d’excuses. »

Harry soupira, s’enfonçant plus profondément sous sa couette. « Qu’est-ce que ça change,
maintenant ? J’ai un adulte, à présent. » Il était toujours bien persuadé qu’il finirait par devoir
retourner chez les Dursley, aussi bref que le séjour soit, mais il ne pensait pas qu’il serait
productif d’en reparler à l’instant. « Je suis bien avec vous. Et vous n’allez pas m’enfermer
dans ma chambre ou dans un placard, ou me priver de repas ou faire comme si je n’existais
pas. »

« La barre de tes exigences est très basse, ça en est alarmant. » ironisa Severus.
« J’ai confiance en toi. » insista-t-il, revenant accidentellement au tutoiement. Il fallait qu’il
se décide, se morigéna-t-il, il ne comprenait pas pourquoi c’était si difficile de passer le cap
une bonne fois pour toute. Peut-être parce qu’il avait tellement de respect pour lui que…
« Et… Les Dursley, c’est du passé. » Du moins, pour le moment. « Si j’ai besoin d’en parler,
j’en parlerai, mais honnêtement si je peux éviter de penser à eux, j’évite. »

Le Professeur n’avait pas l’air d’apprécier tout à fait cette réponse mais il était trop
Serpentard pour ne pas savoir lorsqu’il fallait abandonner une bataille pour mieux gagner la
guerre.

« Soit. » capitula Severus, en laissant son regard vagabonder dans la chambre.

Il y avait de tout partout, Harry en était conscient.

« Je rangerai demain. » promit-il, en grimaçant.

« Ramasse au moins les vêtements sales. » le gronda son père. « Est-ce si compliqué de tout
mettre directement dans le panier à linge ? » L’homme secoua la tête puis son regard fût attiré
par le mur au dessus du lit. En soixante-quinze, la pièce avait été tapissée des dessins,
esquisses et premiers jets ratés de Lily. « Tu as changé la décoration. »

Harry avait sélectionné ses dessins préférés de sa mère et les avait soigneusement collés au
mur mais il avait également rajouté quelques posters de Quidditch que Ron lui avait donnés,
et les rares photos de lui, Ron et Hermione qu’il possédait. Il n’y en avait pas beaucoup ce
qui l’avait contrarié lorsqu’il s’en était aperçu. Il avait même demandé à Colin où il avait
acheté son appareil photo…

« On n’a pas de photos tous les deux. » remarqua-t-il, parce que c’était une autre des choses
qui l’avait perturbé. Il n’avait pas de photos de lui avec Severus. Ou Sirius. Et s’il arrivait
quelque chose à eux ou à lui… Il savait à quel point les souvenirs pouvaient être importants.
« On devrait en prendre, parfois. »

Il ne savait pas si Severus avait suivi son raisonnement ou était parvenu à un constat similaire
mais le sorcier se contenta de hausser les épaules au lieu de protester comme il s’y attendait.
« Si tu le souhaites. » Après une brève hésitation, il lâcha un petit soupir. « Je possède
plusieurs photos de Lily et moi. Je peux faire des copies. Si cela te ferait plaisir. »

« Oui. » répondit-il avec avidité, toujours désireux d’en posséder plus sur ses parents. Et une
photo de Lily et Sev… Ce ne serait pas vraiment ses amis mais ce serait tout comme.

« Latundo. » murmura le Professeur. La boule de lumière flotta à côté du visage d’Harry. Un


coup de baguette de l’homme et elle prit les teintes bleues que le garçon préférait. « Occlude
avant de dormir. J’ai peur que nous ayons remué trop de souvenirs désagréables. »

Il étouffa un bâillement, étrangement heureux que Severus ne s’en aille pas tout de suite.

« Vous… » hésita-t-il pourtant, avant de se reprendre. « Tu l’as dit à Tonks ? Pour les
Dursley. »
Il n’aimait pas l’idée que les autres soient au courant. Dumbledore était un mal nécessaire.
Sirius, cela ne le dérangeait pas tant que ça. Il savait que Severus en avait parlé à
McGonagall, au moins à demi-mots…

Mais qu’il en ait discuté avec Tonks…

« Non. » lui promit son père et il en fût soulagé. « Néanmoins… Il s’avère qu’elle a remarqué
plusieurs éléments alarmants l’année dernière lorsqu’elle est venue te chercher avec les autres
membres de l’Ordre, dont les verrous et la trappe sur la porte. »

« Oh. » souffla-t-il.

Severus eut l’air incertain pendant un instant puis parut parvenir à une décision. « Elle a tenté
d’attirer l’attention dessus mais s’est vue assurée que tu étais parfaitement en sécurité là-
bas. »

« Ce qui est vrai. » marmonna-t-il.

« Question de point de vue et ce n’est certainement pas le mien. » rétorqua le Professeur,


avant de s’adoucir. « Je n’ai rien dit ou confirmé à Nymphadora mais c’est une Auror
expérimentée, Harry. Elle a tiré ses propres déductions de mon silence. »

Il ne répondit pas, ne sachant pas trop quoi dire.

C’était humiliant.

Et un peu honteux.

Et…

La main du Maître des Potions passa à nouveau dans ses cheveux, apaisante. « Elle ne pense
pas moins de toi. »

« Tu n’en sais rien. » grommela-t-il.

« Je le sais parce qu’elle ne pense pas moins de moi. » contra pourtant Severus.

La honte l’emporta et il rougit jusqu’à la racine de ses cheveux. « Je suis désolé. Je ne voulais
pas dire… »

« Je le sais. » le tranquillisa le Professeur. « Mais cela fait partie des raisons pour lesquelles je
préférerai que tu en parles. Tu as honte de la manière dont tu as été traité. Ce n’est pas à toi
d’avoir honte. C’est à eux. Tu n’es peut-être pas encore prêt à l’entendre ou à l’accepter mais,
crois-moi, c’est une chose que j’aurais personnellement aimé comprendre plus tôt et te le
répéter autant de fois que nécessaire ne me coûte rien. »

Rien que du temps et de l’énergie qui auraient été mieux employés ailleurs, songea pourtant
le garçon.

Il n’en pouvait plus de parler de tout ça.


Il jeta un coup d’œil à la porte entrouverte et baissa la voix. « Pourquoi est-ce que tu n’as pas
dit à Sirius que… Enfin… » Il se racla la gorge. « Pour Tonks, je veux dire. »

Severus se frotta le visage mais prit soin, lui aussi, de parler bas. « Ton parrain est
particulièrement obtus sur le sujet. »

Ça, Harry voulait bien le croire vu ce qui s’était passé à table. « Tu es sûr qu’il ne fait pas
semblant de ne pas avoir compris ? Qu’il ne vous joue pas un tour à tous les deux ? »

Parce que, dernièrement, lorsque Severus et Tonks étaient ensemble, il était impossible de ne
pas voir qu’ils étaient épris l’un de l’autre. C’était évident à leurs regards, à leur manière de
plaisanter comme s’ils avaient une conversation privée en parallèle de celle qu’ils avaient à
voix haute, à leur complicité…

« Si seulement. » soupira le Maître des Potions. « Vu son entêtement à ne pas seulement


considérer qu’il puisse s’agir d’elle, je crains… qu’il ne désapprouve. Non que cela fasse une
grande différence, au demeurant, ton opinion est la seule qui compte pour moi mais… »

« Et celle de Tonks. » l’interrompit-il, non sans amusement. « Mon opinion et celle de


Tonks. »

Severus le dévisagea quelques secondes puis lui accorda l’argument d’un geste de la main.
« Certes. »

Harry attrapa son nécessaire à lentilles machinalement et entreprit de les enlever, saisissant
l’excuse de ne plus avoir à regarder le Maître des Potions en face. « Ron est persuadé que
Ginny est comme une sœur pour moi. »

Il savait qu’il rougissait.

Il savait aussi que Severus était plus amusé que mal à l’aise.

Il se racla la gorge.

« Personnellement j’ai décidé de ne rien dire… Non pas qu’il y ait quoi que ce soit à dire de
toute manière parce que je ne sais même pas si elle est intéressée ou… Je n’ai même pas
essayé de… » Une bonne chose que, sans ses lentilles, il soit pratiquement aveugle parce
qu’il était certain d’avoir entendu son père étouffer un ricanement. « Ce que je veux dire c’est
que je ne vais rien dire du tout. Et s’il s’en aperçoit tout seul, tant mieux. Sinon… Ce n’est
pas comme si je me cachais, non plus. S’il ne veut pas voir… »

« Un raisonnement si Serpentard… » commenta le Professeur, en éteignant les lumières d’un


coup de baguette dès qu’il eut reposé, à tâtons, le nécessaire à lentilles sur la table de nuit. La
seule lueur venait à présent du latundo. « Peut-être pas très mature, mais si Serpentard. »

« Les Serpentards sont très immatures, en règle générale. » répliqua Harry. « Ah, parlant de
Serpentards immatures… Si vous cherchez Malfoy, il est dans mon lit. »

« Et Miss Weasley est-elle au courant ? » se moqua son père, en se levant.


« Ha ha. » grommela-t-il, en se laissant doucement tomber à l’intérieur de son esprit pour
inspecter ses défenses avant de dormir. Les flammes d’abord, les marécages ensuite… « Il a
des cernes jusqu’en bas des joues. Au moins, il passera une bonne nuit avant de retourner
jouer avec les serpents venimeux. »

Il entendit le bruit amusé et suivit, de loin, le son de ses pas qui s’éloignaient vers la porte.
« Bonne nuit, Harry. »

« Bonne nuit, papa. » marmonna-t-il, déjà à moitié endormi.

°O°O°O°O°

Gellert s’était finalement endormi.

Il avait refusé de rester à l’infirmerie et, sachant que le Ministère et la plupart de ses
enseignants trouveraient à y redire s’il l’abandonnait dans un lieu accessible aux élèves,
Albus l’avait raccompagné dans leurs appartements. Ses appartements. Leurs appartements ?

Avec quelle vitesse il s’était habitué à partager son espace, lui qui n’avait jamais vécu avec
qui que ce soit…

Albus l’avait aidé à se coucher, avait relancé la bulle d’oxygène qui épousait sa bouche et son
nez pour lui permettre de mieux respirer, et était resté assis à son chevet, à lire à haute voix
un passage du grimoire que Gellert avait volé dans son bureau et dévorait en ce moment…

Et voilà que le mage noir dormait à présent, plus épuisé qu’il ne souhaitait le laisser voir, et
Albus…

Albus était désemparé, paniqué et plus désespéré qu’il ne l’avait été depuis longtemps.

Étrange qu’il parvienne à rester de marbre lorsque Voldemort détruisait une ville mais que
quelques mots désolés de la bouche de Poppy Pomfresh suffisent à le mettre plus bas que
terre.

Severus n’avait pas de diagnostic plus optimiste que la Médicomage.

Il avait suggéré des potions différentes que celles qu’elle avait originellement proposées mais
il avait été clair sur le fait qu’il n’y avait aucune garantie qu’elles fonctionnent et que, quand
bien même remplieraient-elles leur office, ils gagneraient quelques semaines, quelques mois
s’ils étaient chanceux, rien de plus.

Gellert était bel et bien condamné.

Severus, après avoir obtenu leur accord et celui de Poppy, avait transmis la liste des potions à
préparer à Horace. Encore un à qui Albus avait dû promettre une faveur et encore un qui ne
manquerait pas de l’encaisser à un moment donné.

Son ancien espion, il en était conscient, outre la dette qu’il avait emmagasiné envers lui,
souhaitait surtout garder Gellert en vie suffisamment longtemps pour qu’il accomplisse sa
tâche si Poudlard était attaqué. Il avait émis des doutes sur le fait qu’il puisse seulement
servir d’ancre, sans même penser à la clef de voûte, mais le mage noir s’était contenté de lui
sourire et de lui promettre, avec un charisme que Nurmengard n’avait pas écorché, qu’il était
plus que capable d’un phénoménal exploit magique, mourant ou pas.

Albus avait assisté à la chose sans un mot.

Ce n’était pas souvent qu’il était à court de mots mais il était pourtant muet face à cette
perspective si terrifiante que…

Gellert allait mourir.

Et il ne pouvait pas supporter cette idée.

L’espace d’une seconde, il lui vint l’idée folle de s’arranger pour qu’il récupère la loyauté de
la baguette de sureau, de descendre aux cachots trouver Harry Potter pour lui reprendre la
pierre et le supplier de lui donner sa cape d’invisibilité. L’espace d’une seconde, cette folle
idée prit corps en lui : faire de Gellert le Maître de la Mort.

Puis il se reprit, se força à se rappeler que leur tragédie personnelle s’inscrivait dans un
dessein plus grand, qu’il était important qu’Harry conserve les Reliques…

Sa deuxième idée, tout aussi folle, fût de réveiller Gellert et d’exiger qu’il tienne parole, qu’il
l’épouse comme il l’avait proposé. Là, tout de suite, dans sa chambre d’amis. Il s’imaginait le
ruban de magie douce et chaude comme un soleil d’automne glissant autour de leurs mains
jointes, la promesse qui viendrait des années trop tard mais qui ne serait jamais brisée…

Qui n’avait jamais été brisée, s’il était franc.

Il regardait Gellert et c’était comme apercevoir le reflet légèrement distordu d’un miroir
érodé par le temps. Son double. Son âme.

L’amour était une force en laquelle il avait toujours cru, la source de magie la plus puissante,
et pourtant…

Pourtant il ne se décidait pas à troubler le repos de son ancien amant, ne se décidait pas à
offrir ce qu’ils désiraient tous les deux, ne se décidait pas à passer outre ce sentiment de
culpabilité qui l’étouffait.

Il prenait des décisions qui influençaient le monde sans ciller.

Mais lorsqu’il était question de Gellert, il était à nouveau un adolescent perdu, déchiré entre
l’amour et le devoir.

°O°O°O°O°

Severus ferma doucement la porte de la chambre derrière lui, attentif à ne pas la claquer
puisque le garçon s’endormait déjà, et retourna au salon pour trouver son plus vieux rival
avachi sur son canapé avec un verre à la main. Le thé et les pâtisseries qu’ils n’avaient jamais
touchés avaient disparu, remplacés par une bouteille de Whiskey Pur-Feu. Sans un mot, sans
un regard, Black lui tendit un verre plein qu’il accepta parce que… Eh bien, il y avait des
journées où, vraiment, c’était la seule chose à faire.

« Où as-tu trouvé ça ? » s’enquit-il, bien certain que ce n’était pas dans ses placards.

« J’ai fait un aller-retour dans mes appartements. » marmonna l’Animagus. Ce qui expliquait
sans doute pourquoi son pare-feu n’avait pas été replacé devant la cheminée. « Comment il
va ? »

C’était dur à dire. Harry était Harry. Courageux à l’extrême.

« Je ne pense pas qu’il soit sage de ré-aborder le sujet tout de suite. » soupira-t-il, en
s’installant dans son fauteuil. Il étendit sa jambe douloureuse et prit soin d’appuyer la canne à
portée avant de tourner son attention vers le liquide ambré dans son verre.

« C’était simultanément pire et moins pire que ce à quoi je m’attendais. » avoua Black, d’un
ton où la colère se disputait au chagrin. « Si tu savais ce que je donnerais pour échanger ma
place avec James, là, tout de suite… »

Il faillit répondre qu’il en était de même pour lui et Lily puis s’abstint. À une époque, cela
aurait sans doute été vrai. S’il avait pu faire en sorte que Lily revienne à la vie par sa mort, il
aurait sauté sur l’occasion. Par soucis d’expier ses fautes. Par culpabilité. Par amour.

Mais à présent…

À présent, il avait Harry. Et Nymphadora.

Il n’était plus si pressé de mourir, pas même hypothétiquement.

Il prit une gorgée d’alcool, grimaçant lorsqu’il lui brûla la gorge.

« Concrètement, comment on va l’empêcher de retourner chez les Dursley ? » reprit


l’Animagus, après avoir terminé son verre et s’être resservi. Il tira un paquet de cigarettes de
sa poche et en coinça une entre ses lèvres.

La soirée avait été si éprouvante que Severus était extrêmement tenté de lui en demander une.

« Concrètement, je m’y emploie. » riposta-t-il, à la place, non sans sarcasme. Black haussa
des sourcils interrogateurs alors il se décida à s’expliquer. « On pourrait croire que m’ayant
vu m’appliquer à demeurer dans les bonnes grâces du Seigneur des Ténèbres et des familles
Sang-Pures pendant des années, Albus remarquerait mes manigances, mais… Non. Il est trop
arrogant pour penser que cela me viendrait seulement à l’idée de retourner ses machinations
contre lui. »

Sirius tira sur sa cigarette. « C’est quoi l’idée ? »

« Lorsque la guerre basculera en conflit ouvert, il a prévu de me donner toute autorité sur
l’Ordre. » répondit-il franchement et non sans un brin d’arrogance. « Il a besoin de moi et il
le sait mais nous sommes en désaccord depuis que j’ai décidé de m’occuper d’Harry… Je lui
ai laissé croire que j’étais prêt à enterrer la hache de guerre, prêt à retourner sous sa coupe,
tant qu’il laisse mon fils en dehors de sa partie d’échecs. »

Ce n’était pas tout à fait un mensonge, non plus.

Il n’éprouvait pas de plaisir à se trouver à couteaux tirés avec Dumbledore.

Qui plus était, peut-être se livrait-il à une manipulation mais il ne pensait pas une seule
seconde qu’Albus prévoyait réellement de laisser Harry tranquille et, en conséquences…
Deux trahisons s’annulaient l’une l’autre.

« Et… Quoi ? » le défia Black, avec un bruit moqueur. « Tu veux devenir Directeur à la place
du Directeur ? C’est sûr que ça solutionnerait nos problèmes de garde mais… »

« Nous avons besoin d’Albus si nous voulons gagner. » l’interrompit-il. « Néanmoins, s’il me
croit à nouveau son pion le plus fidèle… Il ne faut pas sous-estimer l’influence d’un second
ou les informations auxquelles j’aurais accès… Nous pourrions le prendre de vitesse pour les
autres horcruxes. Et s’il persiste à faire ingérence dans la vie d’Harry, eh bien… Il n’y a
qu’une seule manière de faire ployer un homme qui a besoin de projeter une certaine image. »

« Je sens que ce n’est pas l’intégrité, le courage ou la noblesse. » ironisa l’Animagus.

« Le chantage. » lâcha-t-il, en s’offrant une deuxième gorgée de whiskey. « On obtient bien


des choses en se conformant à ce qu’un homme comme Dumbledore ou le Seigneur des
Ténèbres attend de nous. Des secrets. » Dont celui de sa relation avec Grindelwald, qu’il
n’utiliserait qu’en dernier recours parce que, quoi qu’il en dise, il avait de l’affection pour le
vieux sorcier et se servir de ce secret là comme d’une arme serait une trahison odieuse. « Des
faveurs. » Dont il userait, par contre, sans sourciller.

Sirius le dévisageait sans paraître savoir s’il admirait ses dons de tacticiens ou en était
horrifié.

Severus s’en moquait.

Il ferait tout pour garder son fils en vie et en bonne santé. Tout.

« Je suis très content que tu sois de notre côté et pas de celui des Mangemorts. » commenta
finalement l’Animagus. « Parce que es vraiment le pire Serpentard que j’ai rencontré. Sans
t’offenser. »

« Je vais le prendre comme un compliment. » marmonna-t-il. « Autre chose… »

« Il y a toujours autre chose. » soupira Black.

« J’ai rapidement examiné l’horcruxe tout à l’heure. » l’ignora-t-il.

« Seul ? » s’exclama le sorcier, avant de baisser brusquement la voix sur son geste impérieux.
« Tu es fou ou quoi ? On a dit… »
« Je l’ai juste examiné. » l’interrompit Severus, en levant les yeux au ciel. « J’ai pris toutes
les précautions et j’ai reposé les sortilèges de Weasley. Tout va bien. Néanmoins… » Il hésita,
délibéra, puis jeta un assurdiato. Harry dormait très certainement mais, au cas où il serait
venu à l’idée du gamin de les espionner… Ce n’était pas quelque chose qu’il voulait qu’il
entende. « Je suis certain que l’horcruxe ne peut pas posséder Harry. Je l’ai vu de près et il
s’agit davantage d’une excroissance greffée à son âme. Il peut certainement le sentir,
particulièrement lorsqu’il éprouve des émotions négatives, mais le risque de possession est
minime tant qu’il n’est pas le dernier horcruxe, particulièrement vu sa maîtrise de
l’Occlumencie. »

« Ce qui est une bonne chose. » remarqua Black. « Alors pourquoi… »

« Il en est différent pour le médaillon. » le coupa-t-il. « Je n’ai pas eu le temps d’un examen
plus poussé et l’aide de Bill me serait précieuse, mais j’ai le pressentiment qu’avec une
exposition prolongée, le médaillon ferait davantage qu’influencer l’état d’esprit du porteur.
Je… Je l’ai senti qui me sondait en retour. »

« Kreattur ? » s’inquiéta immédiatement l’Animagus.

« Kreattur est un elfe de maison. » Severus secoua la tête. « Non, c’est nous qui devons être
prudents. Je ne pense pas qu’il soit sage de le conserver longtemps, même sous clef. »

« On essayera le rituel aussi vite qu’on peut, dans ce cas. » décréta son ancien rival. « À
propos de ce qu’a dit Kreattur sur Anthony… »

« Bill était beaucoup trop sur la défensive. » remarqua-t-il, en posant ce qui lui restait de
whiskey sur la table basse.

Black avait déjà vidé son verre et venait de jeter son mégot dedans, ce qui était stupide pour
de nombreuses raisons.

« Charlie est très, très amoureux de lui, il faut dire. » grimaça Black. « Je l’ai toujours trouvé
un peu… froid mais Tonks l’adore et elle a généralement un bon instinct. »

Severus ne se figea pas, ne trahit aucun signe de surprise, parce qu’il était trop bon espion
pour ça. Toutefois…

Tu es sûr qu’il ne fait pas semblant de ne pas avoir compris ? Qu’il ne vous joue pas un tour
à tous les deux ?

Était-ce possible ? En termes de farces, il savait qu’il ne fallait jamais jurer de rien avec un
Maraudeur mais…

Il se racla la gorge. « À propos de Nymphadora… »

À peine eut-il fini de prononcer son nom que les flammes dans la cheminée virèrent au vert et
que, comme s’il l’avait invoquée, la tête de la jeune femme apparut dans l’âtre. Son sourire se
crispa lorsqu’elle repéra son cousin.

« On parlait justement de toi ! » s’exclama ce dernier, sur le ton de la plaisanterie.


« Ah ? » hésita-t-elle. « Severus, je peux traverser ? »

« Note comment elle me demande la permission au lieu d’envahir mes appartements comme
un hippogriffe enragé. » commenta-t-il, pour Black, pince-sans-rire. Il fit signe à la jeune
femme qu’elle était libre de les rejoindre.

« Qu’est-ce qui t’emmène ? » demanda l’Animagus, sans se lever du canapé lorsqu’elle


apparut, un maigre sac de sport jeté sur l’épaule.

Severus n’osa pas bouger de son fauteuil non plus.

« Oh, euh… Les recrues. Je veux l’avis de Severus sur un possible programme de Défense
accéléré. » mentit-elle, avant de se racler la gorge. « Vous parliez de moi ? »

« De ton instinct pour juger les gens. Depuis quand connais-tu Anthony ? » s’enquit le Maître
des Potions.

« Depuis que Charlie me l’a présenté. » répondit-elle, en haussant les épaules. « L’année
dernière, quand ils sont venus pour le Tournois, mais il m’en parlait depuis un moment dans
ses lettres. Pourquoi ? »

« Kreattur dit qu’il fouine au Q.G. » expliqua Sirius.

Nymphadora n’eut pas l’air bien impressionné. « Kreattur ne peut pas passer dix minutes
sans insulter quelqu’un. »

« C’est pas faux. » soupira Black, en se frottant le visage. Puis il soupira et s’extirpa du
canapé. « Bon, si tu n’as pas besoin de mon avis à moi, je vais me coucher. » Il attrapa la
bouteille de whiskey par le goulot au passage. « Ne t’attarde pas trop, par contre. Severus
reçoit des visites d’une mystérieuse amie le soir… » Son visage s’éclaira soudain, une lueur
de malice brillant dans ses yeux gris, et il se tourna vers la jeune femme avec enthousiasme.
« Dis-moi, il n’y aurait pas une ancienne Poufsouffle dans les Aurors qui font des rondes à
Poudlard, par hasard ? »

Nymphadora laissa son regard dériver jusqu’à Severus puis revint vers lui avec un sourire un
peu forcé. « Il y a moi. »

S’il avait pu penser qu’Harry avait raison et que l’Animagus se moquait d’eux, ce qui suivit
le détrompa. Parce que Sirius fit la moue et balaya la suggestion d’un geste agacé de la main
qui fit valser le whiskey dans la bouteille. « Oui mais toi tu ne couches pas avec Servilus. » Il
soupira. « Tant pis, je vais continuer à enquêter. »

Peut-être auraient-ils pu le détromper s’il n’avait pas disparu dans la cheminée sans demander
son reste.

Nymphadora observa les flammes avec incompréhension jusqu’à ce qu’elles retrouvent leur
couleur naturelle puis se tourna vers lui et leva les mains, paumes vers le haut, en guise de
question.
Il se pinça l’arrête du nez. « J’ai passé la journée à essayer de le lui dire. Il refuse de
comprendre. »

« Tu sais quoi… » soupira la jeune femme. « Laisse tomber. » Elle approcha du fauteuil puis
s’immobilisa, son regard dérivant vers la porte du salon. « Harry est là ? »

« Il dort. » répondit-il mais, pour plus de sûreté, il coupla un sort de protection à l’assurdiato
et ferma la porte du salon d’un geste. Il n’en fallut pas plus pour qu’elle vienne s’assoir sur
ses genoux et ne lui vole un baiser.

La journée avait été si longue que ce fût un soulagement de se laisser aller à cette tendresse
offerte sans arrière-pensées.

Sans arrière-pensées ou presque, parce que lorsqu’elle détacha sa bouche de la sienne, ce fût
pour se mordiller la lèvre inférieure avec nervosité.

« Je n’ai pas tenu dix minutes au Square Grimmaurd. » déclara-t-elle. « Impossible que je
m’y installe. »

Tant mieux, fût sa première pensée.

Sa deuxième…

« Qu’a-t-il encore fait ? » siffla-t-il, imaginant déjà dix manières différentes d’écorcher ce
loup de malheur.

« Rien. Je l’ai à peine croisé. » réfuta-t-elle, en secouant la tête. « Mais l’idée de dormir sous
le même toit que lui… Je n’étais pas tranquille. Kingsley a dit que je pouvais squatter chez
lui quelques jours mais il a dû rejoindre le Ministre et il n’a pas eu le temps de me donner les
clefs donc… » Elle pressa un baiser contre ses lèvres, puis un deuxième. « Je peux dormir
ici ? »

Il ne cacha pas son amusement. « Depuis quand as-tu besoin de me demander la


permission ? »

Elle avait pris l’habitude de venir le rejoindre lorsque bon lui semblait et il n’avait, jusque là,
émis aucune protestation…

« Je ne sais pas… C’est un peu différent si je débarque avec un sac et mes affaires, non ? »
hésita-t-elle.

Ils étaient dangereusement près d’une discussion trop sérieuse or Severus avait eu son
compte de conversations importantes pour la journée.

« Tu devrais laisser des vêtements de rechange ici, de toute manière. » offrit-il pourtant,
tâchant au mieux de masquer son incertitude. « Il y a suffisamment de place dans ton tiroir
pour ça. »

Une myriade d’émotions dansèrent sur le visage de l’Auror avant qu’elle ne se décide pour
un amusement teinté de tendresse. « C’est mon tiroir, maintenant ? »
« T’ai-je jamais reproché d’abandonner tes affaires chez moi ? Ou t’ai-je interdis de remplir
ce fameux tiroir ? » rétorqua-t-il, un peu sèchement parce qu’il était mal à l’aise. Au moins
avait-elle l’air heureuse. Il se racla la gorge. « Tu as mangé ? »

« Un sandwich. » répondit-elle.

Ce qui n’était pas acceptable, comme il l’en informa immédiatement. Une chance qu’il y ait
eu des restes après le dîner.

« Qu’est-ce je ferais sans toi ? » plaisanta-t-elle, alors qu’il la poussait vers la cuisine.

« Espérons que tu n’ais jamais à le découvrir. » rétorqua-t-il.

Elle ne dût pas apprécier son ton sérieux parce qu’elle le gronda d’un baiser possessif.

Il y avait pires manières de se voir faire la leçon.


Braver Than That
Chapter Notes

Hello! Faite gaffe d'avoir lu le 49 avant de lire celui-ci parce que je l'ai publié lundi ;)

Comme d'habitude, j'attends vos retours avec impatience!

Enjoy & Review!

See the end of the chapter for more notes

Maura kissed the back of his hand. “You’re going to have to be brave.”
The Gray Man said, “I’m always brave.”
She said, “Braver than that.”
Maggie Stiefvater – The Dream Thieves

Maura embrassa le dos de sa main. « Il va falloir que tu sois courageux. »


L’homme En Gris dit : « Je suis toujours courageux. »
Elle répondit : « Plus courageux que ça. »
Maggie Stiefvater – The Dream Thieves

Severus étudia pour la dixième fois les runes que Bill avait patiemment et méticuleusement
tracées sur la pierre. Le Briseur de Sorts en faisait de même à l’autre extrémité pour s’assurer
qu’aucune d’entre elles n’était brisée par le sol inégal et trop humide. Le sang commençait à
sécher et ils ne pouvaient se permettre de s’attarder beaucoup plus longtemps, le fait qu’il
s’agisse de sang volé dans un hôpital Moldu au lieu de fraichement versé affecterait déjà sans
doute le rituel – mais aucun d’entre eux n’avait été prêt à sacrifier suffisamment de sang pour
la quantité dont ils auraient eu besoin et ils manquaient de prisonniers Mangemorts qui
auraient potentiellement pu mourir pour la cause.

Les runes formaient deux cercles reliés par un chemin runique. Des bougies rouges et noires
avaient été disposées selon un ordre précis tout autour. Le vieux collier un peu cabossé qui
attendait de recevoir l’horcruxe était posé dans le deuxième cercle. Ils n’avaient pas encore
sorti le médaillon du coffret que gardait jalousement l’elfe de maison qui observait les
préparations avec impatience.

« On est sûr que c’est une bonne idée de faire ça ici ? » demanda Black.

Il se tenait à l’écart, une main protectrice posée sur l’épaule d’Harry, le regard rivé au
cadavre du basilic à l’autre bout de l’énorme salle.
Tenter le rituel dans la Chambre des Secrets n’était peut-être pas la meilleure des idées mais
c’était la seule qui était venue à Severus. L’endroit était spacieux, suffisamment loin sous
l’école pour être isolé et avait dû, en son temps, voir d’autres rituels similaires.

« Connais-tu un autre endroit à Poudlard où nous pouvons nous adonner à de la magie aussi
noire sans alerter le Directeur ? » riposta-t-il, sans même lever les yeux.

Pour être franc, ses appartements étaient couverts par suffisamment de sorts de protections
pour qu’ils y agissent sans qu’Albus ne soupçonne rien mais l’idée de corrompre l’endroit où
il vivait avec Harry par de la magie aussi vile… Il n’avait pas pu s’y résoudre.

« La Salle sur Demande. » répondit Sirius.

« On y est tout le temps et c’est en plein cœur du château. » soupira Harry. « Et puis… Tu-
sais-qui a utilisé cet endroit pendant des années sans que Dumbledore ne le remarque. »

« Il y a probablement créé un horcruxe ou deux sans alerter qui que ce soit. » marmonna Bill.

Black leva les yeux au ciel. « Très bien. Faisons le rituel bien noir sous les yeux de la statue
de Salazar Serpentard, à deux pas de son animal de compagnie mort. Ça va très bien se finir,
je sens. »

Severus termina son inspection et lui jeta un regard agacé avant de se déplacer jusqu’à Harry,
vérifiant d’un coup d’œil qu’il portait bien ses gants et avait fermement en main le second
crochet de basilic qu’il venait d’arracher à la carcasse. Juste au cas où. Harry ne serait pas
présent pour le rituel mais le Professeur le préférait armé.

Ignorant l’Animagus, il plaça ses propres mains gantées sur les épaules de l’adolescent pour
emplir son champ de vision, se détestant pour ce qu’il s’apprêtait à faire, pour ce qu’il n’avait
pas su éviter.

« Je regrette d’avoir dû te demander de redescendre ici. » déclara-t-il.

Il avait tergiversé et tergiversé, avait envisagé d’utiliser la Cabane Hurlante à la place… Mais
la Cabane Hurlante impliquait de quitter Poudlard, ce qui impliquait d’alerter Albus. La
Chambre… Il était plus simple d’accéder à la Chambre, surtout avec Kreattur. On ne pouvait
transplanner à Poudlard mais les elfes allaient et venaient comme ils voulaient et, le cas
échéant, avec qui y ils voulaient. L’endroit était le secret le mieux gardé de l’école. C’était
l’endroit parfait pour leurs expériences.

Cela ne voulait pas dire qu’il avait demandé à son fils de les accompagner de gaité de cœur.
Devoir l’exposer à nouveau au cadavre du basilic, à la tâche de son propre sang dans le coin,
aux souvenirs traumatiques de voir l’horcruxe adolescent du Seigneur des Ténèbres tenter de
tuer Ginny Weasley…

« Tu l’as déjà dit. » commenta l’adolescent, avec un sourire un peu forcé. « C’est pas grave.
Ça va. Je veux aider. »
S’il avait pu se passer de son aide, le garder à l’écart, Severus l’aurait fait, il n’avait jamais
prévu de l’impliquer. Malheureusement, après deux jours passés à étudier le médaillon sous
toutes les coutures, ni lui, ni Black, ni Bill Weasley n’étaient parvenus à l’ouvrir. Et Kreattur
avait tout essayé au fil des ans.

Harry avait débarqué dans ses appartements après une longue session d’étude totalement
improductive et leur avait offert la réponse sur un plateau d’argent avec l’assurance de
l’évidence : il fallait lui demander de s’ouvrir en Fourchelang. Le garçon n’avait pas su
expliquer pourquoi il en était si sûr mais il était absolument convaincu.

Ce qui impliquait qu’il soit là lorsqu’ils tenteraient le rituel.

« Une fois que tu auras ouvert le médaillon… » reprit-il.

« Je m’éloigne autant que possible et je reste à l’écart quoi qu’il arrive. » répéta Harry avec
une irritation certaine. Parce qu’il aurait préféré participer.

Cela allait être suffisamment dangereux comme ça. Severus l’avait interdit.

« Je ne m’attends pas à ce que cela fonctionne. » insista-t-il. « Pas cette fois-ci, tout du
moins. Le but est d’aller aussi loin que possible, affiner ce qui fonctionne et repérer ce qu’il
faut changer. Et le rituel est extrêmement noir, Harry. Je veux que tu sortes de la Chambre. Je
ne veux pas que tu sois exposé à… »

« Je sais. » l’interrompit l’adolescent.

« Kreattur. » appela Black, attirant l’attention de l’elfe qui tenait le coffret contre son torse.
« Si Harry est en danger de mort, je veux que tu le sortes d’ici. »

Severus n’avait pas été pour avoir l’elfe dans les pattes pendant le rituel mais Sirius avait
insisté, arguant qu’il pourrait être utile si cela se passait mal. Kreattur semblait aller beaucoup
mieux depuis qu’il n’était plus exposé quotidiennement à l’horcruxe. En quelques jours, la
transformation était déjà marquée. Il avait troqué son chiffon crasseux pour une taie d’oreiller
immaculée frappée du blason des Black au centre et les poils blancs qui lui sortaient des
oreilles avaient été lavés et ordonnés.

De fait, au lieu de marmonner dans sa barbe à l’ordre de Sirius, il s’inclina bien bas pour
indiquer qu’il avait entendu.

« Il faut le faire avant que le sang sèche. » leur rappela Bill, l’air grave. Il se tenait déjà en
position, à l’extrémité du second cercle, celui où le collier attendait d’être transformé en
vaisseau.

Le Maître des Potions pressa les épaules de son fils et prit sa propre place, en miroir de Bill,
du côté de l’horcruxe.

Black, qui avait l’autre crochet de Basilic et serait responsable de détruire l’horcruxe s’ils
perdaient le contrôle, étreignit brièvement le garçon puis se dirigea vers Kreattur. Weasley
ayant désactivé les protections sur le coffret au préalable, il n’eut qu’à soulever le couvercle
et en sortir le médaillon. Ils portaient tous des gants au cas où il leur faudrait toucher un des
crochets mais avaient, de toute manière, déterminé que toucher cet horcruxe à mains nues ne
les tuerait pas. À défaut d’autre chose.

Prudemment, attentif à ne pas marcher sur aucune des runes, Sirius plaça le médaillon au
centre du premier cercle puis recula jusqu’à se tenir près de Kreattur. L’elfe n’était pas armé
mais avait ordre de les protéger si cela devenait nécessaire.

« À toi, Harry. » ordonna Severus, en ajustant sa prise sur sa baguette. Il avait abandonné la
canne à la maison, sachant que ce qui allait se jouer serait déterminé par sa maîtrise magique
davantage que par ses capacités physiques.

Le garçon avança jusqu’à la limite du cercle. Trop près. Beaucoup trop près.

« Il va résister. » les avertit Harry, la tête inclinée sur le côté comme s’il écoutait une voix que
personne d’autre ne pouvait entendre. « Il sait. »

« Ses pouvoirs sont limités. » répondit Bill. « Il est vivant mais… »

« C’est un bout d’âme. » l’interrompit Severus, avec un rictus méprisant. « Évidemment qu’il
est vivant et évidemment qu’il va résister. Ouvre-le et quitte la pièce, Harry. »

L’adolescent parut hésiter puis prit une profonde inspiration.

Il ne se passa qu’une seule seconde avant que le sifflement rauque ne quitte la bouche du
garçon mais pendant cette seconde, Severus rassembla tous ses souvenirs heureux – la soirée
de la veille passée à jouer aux échecs avec Harry, tout en s’assurant qu’il soit entièrement prêt
pour les B.U.S.E.s ; le fou rire à lui donner mal au ventre qui l’avait secoué lorsque
Nymphadora avait avalé le philtre à babille qu’il avait glissé dans son jus d’orange et qu’elle
s’était vue condamnée à dire tout ce qui lui passait par la tête pendant dix bonnes minutes,
peu de choses aimables à son encontre étant donné la vilaine farce qu’il venait de lui jouer,
mais il avait promis de se venger et il tenait toujours ses promesses ; les bulles de bonheur
des derniers mois – et les enferma dans un coin de sa tête, bien à l’abri derrière une douzaine
de couches de boucliers. Pour ce qui allait suivre, il devait être froid, sans sentiments autres
que des émotions négatives, méthodique.

Le médaillon bascula en position ouverte d’un seul coup.

Severus vit, du coin de l’œil, Harry reculer précipitamment mais n’osa pas détourner le
regard pour vérifier qu’il sortait bel et bien. Les deux verres à l’intérieur du médaillon
luisaient comme des yeux à la lumière des bougies.

Il commença à entonner le sort qu’ils avaient mis au point, la voix de Bill se joignant à la
sienne comme un écho distordu. L’air s’alourdit alors que la magie noire se déployait autour
d’eux comme une fleur vénéneuse… Les runes tracées dans le sang s’éclairèrent d’un coup.

Même Black qui se disait insensible à la magie trépignait d’un pied sur l’autre.

Le médaillon se mit à tourner sur lui-même mais pas sous l’effet du rituel.
Severus échangea un regard alarmé avec Bill mais ne cessa pas de psalmodier, pour autant.

Une voix sifflante qu’il connaissait trop bien emplit alors la Chambre.

« J’ai vu dans ton cœur et ton cœur est mien. »

« Putain. » marmonna Black, en posant une main sur l’épaule de Kreattur. « Va avec Harry,
protège le. »

Dans un craquement, l’elfe disparut.

« J’ai vu tes rêves, Severus Snape, et j’ai vu tes peurs. Tout ce que tu désires est possible,
mais tout ce que tu crains l’est également… »

Il n’aurait jamais dû toucher le médaillon à mains nues, se reprocha-t-il, tout en continuant à


répéter le sort. Il avait senti l’horcruxe le sonder lorsqu’il l’avait étudié, avait senti sa
noirceur effleurer son esprit, son âme… Lire en lui, peut-être, au-delà de tout ce que la
Legilimencie aurait pu accomplir.

Le médaillon cessa brusquement de tourner sur lui-même et, l’espace d’un instant, tout fût
tranquille. Le collier dans lequel il tentait de transvaser l’horcruxe s’était mis à fumer.
Severus sentait une résistance mais il sentait aussi la magie qui affluait en lui, lui donnait
l’impression qu’il pouvait tout faire, qu’il était tout puissant, que…

La magie noire était une drogue et cela faisait si longtemps qu’il n’y avait pas touchée, pas à
ce niveau du moins, qu’il n’avait pas ressenti ce plaisir à jouer avec des forces qui le
dépassaient… C’était grisant. Il dût faire un effort conscient pour se reprendre, se concentrer,
ne pas laisser son âme se laisser grignoter par la puissance de ce qu’ils étaient en train de
faire. C’était moins pire que de tuer un homme. Mais c’était tout aussi dangereux, en un
sens : plus tentant, plus enivrant.

Le rituel était presque terminé.

Ils avaient presque réussi.

Ils avaient…

L’éclat de rire de Lord Voldemort résonna dans la Chambre, répercuté à l’infini par les murs
de pierres.

« Regarde-toi, Prince de Sang-Mêlé… Tu penses pouvoir me vaincre ? Toi ? Toi qui aurait
voulu être comme moi ? Qui aurait voulu être moi ? »

Le collier qu’ils essayaient d’utiliser comme nouveau vaisseau explosa sans un


avertissement. Weasley, qui était le plus près, fût projeté au loin et ne se releva pas.

Le sortilège était brisé.

Les runes redevinrent de simples dessins sur la pierre.


Les bougies furent soufflées par un courant d’air soudain.

« Bill ! » s’écria Black, en courant vers lui.

Severus avait eu la présence d’esprit de dresser un bouclier hâtif qui le protégea de la


déflagration mais pas de l’attention trop prononcée du médaillon. Il entendit les sorts de soin
que Black jetait désespérément, vit la flaque de sang luire à la lumière surnaturelle de la
Chambre sous le corps du Briseur de Sorts…

Il ne fit aucun geste pour les rejoindre.

Il ne pouvait pas.

Il était figé.

Figé parce que la magie noire avait ouvert une porte en lui qu’il maintenait habituellement
fermée et dans laquelle l’horcruxe s’était engouffré.

Figé parce que les yeux de Tom Jedusor étaient rivés sur lui de l’intérieur du médaillon. Deux
têtes sortirent de ses entrailles, suivies par deux torses, quatre jambes… Les silhouettes
avaient l’air solide mais leurs couleurs étaient ternes, comme une photo vieillie, et leurs yeux
brillaient comme des points rouges. Comme ceux du Seigneur des Ténèbres.

Mais ils étaient facilement identifiables.

C’étaient Lily et James Potter.

« Tu crois être un héro ? » se moqua Lily, avec un rire cristallin qui était le sien et pourtant
pas. Déformé. Tordu. Avili. « Tu crois que si tu fais suffisamment semblant d’être courageux
tu les mériteras ? »

« Tu m’as volé mon fils. » renchérit James. « Tu crevais tellement d’envie d’être moi que tu
m’as fait tuer, tu aurais pris ma femme si elle n’était pas morte à cause de toi et maintenant
mon fils… Tu m’as volé mon fils… »

« Tu ne le mérites pas. » répéta Lily.

« Et tu crois que je ne le sais pas ? » rétorqua-t-il, en sachant pourtant que c’était une
mauvaise idée de répondre, de lui donner de l’attention, de nourrir le fantasme que ces deux
là étaient qui ils prétendaient être. Ce n’était pas la vraie Lily ou le vrai James, pas même un
reflet de leurs existences, ce n’étaient que ses propres craintes qui avaient pris forme. Rien
d’autre qu’un Epouvantard un peu plus intelligent que la norme. Rien qu’il ne pouvait
vaincre.

Où était le crochet de Basilic ?

Où…

« Et elle… » murmura Lily. « Je croyais que tu m’aimais, Sev… Pour toujours. Tu as juré que
tu ne m’oublierais jamais. Tu as juré qu’il n’y aurait que moi. Tu as juré que tu mourrais
pour te racheter. Et tu m’as remplacée par un modèle plus jeune ? »

Il sentait l’horcruxe l’attirer à lui, comme des crochets plantés dans sa poitrine. Il voulait se
détourner, chercher le venin qui lui permettrait de mettre un terme à tout ça, mais ne
contrôlait plus son propre corps.

Sans le vouloir, il fit un pas vers le médaillon.

« Comme si elle pouvait t’aimer, de toute manière… » ricana James. « Comme si qui que ce
soit pouvait véritablement aimer cette boule de graisse de Servilus… »

Un deuxième pas.

L’Occlumencie n’aidait pas.

Rien n’aidait.

Les mots le transperçaient. Des flèches qui le touchaient à l’âme, un acide qui le rongeait.

« Elle ne t’aime pas. » acquiesça Lily. « Peut-être qu’elle le croit mais elle ne t’aime pas. On
n’aime pas un fruit une fois qu’on découvre qu’il est pourri à l’intérieur. Elle t’admire. Elle
croit encore que tu es un homme bien, que tu peux devenir l’homme de ses rêves, mais elle ne
sait pas… Elle ne sait pas qu’on ne peut pas te faire confiance. Elle ne sait pas que tu la
trahiras comme tu m’as trahie moi. Oh, comme elle sera déçue… Tu es prêt à ça, Sev ? Prêt
à ce qu’elle te regarde avec dégoût ? Avec haine ? »

Un autre pas et il venait de passer les runes à présent bien inutiles.

« Tu vas la souiller comme tu souilles tout. Comme tu souilles mon fils. » siffla James, ses
yeux rouges brillant de haine. « Tu me l’as arraché. Tu me l’as… »

Soudain, alors qu’il tendait involontairement la main vers le médaillon, luttant de toutes ses
forces contre la volonté qui se supplantait à la sienne, quelque chose lui rentra dedans et il eut
le souffle coupé.

Il tomba lourdement au sol, remarquant à peine la douleur vive dans sa jambe, l’esprit
embrumé par…

Black se dressait entre lui et les silhouettes, le crochet emprisonné dans son bras levé, la
respiration hachée, mais il ne se décidait pas à frapper.

Ou, plus possiblement, il ne pouvait pas frapper.

Severus n’était pas le seul à avoir touché le médaillon à mains nues au Square Grimmaurd, à
lui avoir stupidement ouvert une fenêtre vers son âme.

« Ah… Le meilleur ami qui a précipité ma mort avec sa brillante idée… » se moqua James
dans un rire cruel. « J’ai vu ton cœur, Sirius Black. J’ai vu tes désirs. J’ai vu tes craintes. Tant
de craintes pour un Gryffondor… Mais un véritable Gryffondor ne serait pas si empressé de
mourir et de laisser les difficultés aux autres, n’est-ce pas ? Peut-être le Choixpeau s’est-il
trompé… Peut-être que tu aurais dû finir à Serpentard comme tous les autres membres de ta
famille ? Peut-être qu’au fond tu es le digne héritier de la Maison des Black. Fou à lier.
Lâche. »

Black restait immobile.

Severus se repoussa en position assise avec davantage de difficultés que ne l’expliquait sa


jambe. Son corps était trop lourd, comme si la gravité avait soudain augmenté, sa tête tournait
et…

« Fils indigne. » cracha Walburga Black, là où Lily s’était tenue une seconde plus tôt.
« Merlin seul sait d’où tu sors. Tu as laissé mourir ton frère par jalousie. Parce que tu savais
qu’il était cent fois l’homme que tu es. Regulus était digne d’être le Chef de famille. Il était
digne d’être le futur des Black. Et toi… Toi… »

« Traître. » murmura la voix de Lupin qui avait remplacé la silhouette de James. « Traître à
ta famille. Traître à tes amis. Traître qui préfère nos ennemis à tes meilleurs amis. Tu me
laisses m’enfermer dans ma folie parce que c’est plus simple de passer ton temps avec Snape.
De jouer à la petite famille parfaite avec Harry et lui. Mais James t’aurait renié de laisser ce
Mangemort tourner autour de son fils. James t’aurait haï pour tes choix. C’était ton idée de
changer avec Peter. C’est toi qui les a tués. C’est ta faute si Harry a grandi seul et
malheureux. Ta faute. »

Le crochet de Basilic échappa aux doigts gourds de Black et tomba au sol dans une série de
cliquetis.

Severus rampa dans sa direction.

L’Animagus, pour sa part, avait fait un pas vers le médaillon, main levée comme pour
l’attraper…

Le Maître des Potions devinait que si l’un d’eux touchait l’horcruxe à cet instant précis…
Son poison était trop insidieux, il tenait leurs âmes bien trop fermement dans ses pinces…

« Qu’est-ce que tu fais, Papa ? » demanda la voix moqueuse d’Harry.

Il tourna la tête pour voir qu’un double de son fils avait pris la place de Walburga Black. Sauf
que cette vision lui fit serrer la mâchoire parce qu’elle était… Le garçon avait l’air trop
parfait, trop détendu, les mains dans les poches, un sourire arrogant aux lèvres, les yeux
rouges… Peut-être une de ses peurs les plus refoulées. Un Harry qui ressemblait trop à un
jeune Seigneur des Ténèbres. L’horcruxe transformerait-il un être vivant en une copie de
l’original ou bien influencerait-il Harry jusqu’à le transformer en une sorte d’hybride ?
Jusqu’à ce qu’Harry soit une version pervertie de lui-même ? La vision sourit cruellement,
comme si elle savait pertinemment ce à quoi il pensait.

« Et que crois-tu que je deviendrais, de toute manière, exposé à ton influence ? » railla son
fils. « Puissant. Cruel. Manipulateur. Mauvais. À ton image. »

Il secoua la tête, se força à se reconcentrer sur le crochet de Basilic…


Black luttait tant que son corps tremblait mais ses doigts n’étaient plus qu’à quelques
centimètres de l’horcruxe et ses yeux brillaient d’un éclat écarlate qu’il devinait luire
également dans ses propres pupilles. Ils étaient si complètement sous l’emprise de l’horcruxe
que…

« Ça vaut mieux que lâche, bon à rien et déloyal comme Sirius. » renchérit Lupin.

L’Animagus laissa échapper un gémissement alors qu’il tentait de fermer le poing, de retarder
encore le moment où…

Il y eut un craquement sonore et puis Black tomba au sol, maîtrisé par une boule de poils que
Severus identifia comme étant Kreattur avec un temps de retard.

« Maître Sirius ne doit pas toucher ! Très mauvais ! Très mauvais ! » gronda l’elfe, en
ceinturant son maître.

« Kreattur. Mauvais elfe ! » cria une version fantomatique de Regulus.

Les oreilles de Kreattur tressautèrent avec agitation mais l’elfe secoua la tête et refusa de
lâcher Black, de le laisser se relever. Ça ne l’empêcha pas de se frapper la tête contre le sol
lorsqu’il le pouvait.

« Tu n’en as pas assez de te trainer au sol comme une mauviette, Severus ? » siffla Tobias
Snape. « Lève-toi. Lève-toi et bats toi comme un homme au lieu d’aller pleurnicher dans les
jupes de ta mère. Quand est-ce que tu arrêteras d’aller te cacher derrière une fille, hein ? »

Il avait presque atteint le crochet de Basilic… Il avait presque…

L’ordre le prit au ventre et il eut beau lutter, eut beau se retrancher derrière ses boucliers
mentaux, il se vit contraint de s’accroupir et, à contrecœur, de se remettre debout.

« Ta mère, d’abord. » Le rire de son père était aussi gras que dans ses souvenirs, aussi
embrumé d’alcool, rendu rauque par la cigarette. « Puis cette petite pute rousse après qui tu
haletais comme un chiot en chaleur. Et maintenant cette… »

Le sombral argenté fusa droit sur Tobias le faisant momentanément éclater, avant de galoper
autour de lui, Black et Kreattur, créant un cercle protecteur.

Le temps que son père ne se reforme, Severus avait l’esprit un peu plus clair et il ramassa
rapidement le crochet de basilic.

Il n’eut pas le temps d’essayer de détruire l’horcruxe.

Dans un hurlement à glacer le sang les silhouettes disparurent et le silence retomba sur la
Chambre, troublé uniquement par les coups de tête que Kreattur donnait contre le sol pour se
punir. Ils ne tardèrent pas à se tarir lorsque Black l’attrapa à bras le corps pour l’arrêter.

Severus se tint là, à bout de souffle, et croisa le regard de son fils qui, accroupi près de ce qui
restait du médaillon fracassé, haletait lui aussi. L’horcruxe fumait légèrement mais semblait
inerte.
Black rendit finalement sa liberté à l’elfe et roula sur le côté pour s’asseoir prudemment.

« Je ne t’avais pas ordonné de sortir Harry d’ici ? » demanda l’Animagus.

« Si Maître Harry était en danger de mort. » nuança Kreattur. « Et Maître Sirius a aussi
ordonné à Kreattur d’obéir à Maître Harry comme à lui. Maître Harry est l’héritier de Maître
Sirius. Maître Harry voulait aider Maître Sirius. Kreattur aussi. Maître Harry n’était pas en
danger de mort. Kreattur n’a pas vraiment désobéi. »

L’elfe devait pertinemment savoir que son raisonnement, pour aussi recevable qu’il fût, allait
à l’encontre de la volonté de son maître, parce qu’il recommença à se frapper.

Black attrapa ses poignets rapidement. « C’est bien. Tu as bien fait, Kreattur. Mais obéis-moi
la prochaine fois. Surtout si c’est à propos d’Harry. » Il jeta à son filleul un regard faussement
courroucé. « Et toi, ne retournes pas mon elfe contre moi. »

Finalement, Severus sortit de sa torpeur et se précipita sur son fils, en boitant, pour l’écarter
des restes de l’horcruxe. « Je t’ai ordonné de partir. »

Harry leva les yeux au ciel. « Comme si j’allais vraiment te laisser. »

« Bill ! » s’exclama Black, en se hâtant vers l’homme qui n’avait toujours pas fait mine de se
relever. « Severus ! »

Décidant que gronder Harry pouvait attendre, il se précipita au chevet du Briseur de Sorts.
L’Animagus avait clairement tenté d’endiguer les dégâts plus tôt mais ses blessures étaient
profondes. Lorsque le collier avait explosé, des bouts de métal s’étaient logés dans sa
poitrine.

« Vulnera Sanentur. » murmura Severus, encore et encore. Sa baguette tremblait trop et il


n’était pas aussi précis qu’il l’aurait fallu. Et son état d’esprit n’était pas le meilleur pour de
la magie de soin qui était, par définition, de la magie très pure. Avec un claquement de
langue, il leva la tête vers son fils. « Harry, prends ma place. »

Le garçon s’exécuta avec hésitation. « Je n’ai jamais jeté ce sort… »

« Je vais te guider. » insista-t-il, en posant une main sur son poignet. « Vulnera Sanentur.
Concentre toi sur les plaies et l’idée de les refermer, des pensées positives comme pour un
patronus. »

C’était beaucoup lui en demander alors qu’il venait de détruire un horcruxe mais Harry ferma
les yeux quelques secondes, le temps sans doute d’Occluder ce qui le dérangeait, puis balada
sa baguette le long des plaies, répétant doucement la formule, à voix presque inaudible. Sa
méthode manquait de finesse et Bill garderait très certainement des cicatrices mais les
saignements se tarirent et les paupières du Briseur de Sorts se mirent à papillonner lentement.

« Kreattur, peux-tu nous ramener dans mes appartements ? » demanda Severus.

« Kreattur peut. » L’elfe se tenait devant l’horcruxe qui avait cessé de fumer et lui donna un
petit coup de pied. « Vilain médaillon. »
« Très vilain, mais il est détruit. » commenta Black. « Il est détruit, on est d’accord ? »

Ce fût Harry qui répondit. « Il est définitivement détruit. »

« Tu peux le sentir ? » s’inquiéta Severus. Parce que si Harry pouvait le sentir alors le
Seigneur des Ténèbres…

« Je l’ai senti parce que j’étais à côté, je crois. Comme la bague. Je ne pense qu’il… Je ne
sais pas. » répondit le garçon, en se tournant vers l’elfe. « Kreattur, tu peux nous sortir d’ici,
s’il te plait ? »

« Oui, Maître Harry. »

Le transport par elfe de maison était similaire au transplannage d’escorte. Et tout aussi
désagréable. Severus s’écroula dans un fauteuil dès qu’ils se furent matérialisé dans son
salon.

Bill reprenait lentement conscience…

« Harry, le placard à potions. » demanda le Professeur.

« Reconstituant sanguin ? » répondit le garçon, sans attendre de réponse pour tirer la fiole
correspondante du placard et s’agenouiller auprès de Bill pour l’aider à la boire.

Black s’était laissé aller sur le canapé et se frottait le visage. « Est-ce que c’était un échec ou
un succès ? »

C’était un succès dans le sens où ils devaient détruire les horcruxes pour vaincre le Seigneur
des Ténèbres mais un échec parce qu’ils n’étaient pas plus près de sauver Harry.

Et tout le monde dans cette pièce en était conscient.

°O°O°O°O°

Harry n’eut pas besoin du regard appuyé de Severus pour quitter le salon et se diriger vers la
cuisine où Kreattur s’était retranché. Le Maître des Potions n’aimait pas l’idée qu’un elfe
sans surveillance rôde dans leurs appartements et Harry en avait assez d’écouter la
conversation trop technique des trois sorciers. Bill était à peu près remis mais s’était mis
immédiatement à parler théories, Severus et Sirius avaient beaucoup d’idées eux aussi… Et la
moitié de la discussion passait au-dessus de sa tête.

Harry ne savait pas si c’était le sang qui posait problème parce qu’à utiliser des poches de
sang Moldu, on perdait l’idée de sacrifice, ou si c’était la nature de telle ou telle rune, ou
même s’il fallait affiner la formule et, pour être franc, il s’en fichait.

Il ne s’était jamais attendu à ce que cela fonctionne.

Et pourtant il ressentait quand même une pointe de déception. La terreur qu’il occludait en
permanence avait augmenté d’un cran.
Parce que le nombre d’horcruxes était son compte à rebours.

L’elfe de maison avait grimpé sur une chaise et semblait occupé à réorganiser les épices
alignées sur le plan de travail. La bouilloire chauffait et, à côté, attendaient théière, tasses et
plateau.

« Pas sûr que Sev apprécie que tu touches à son système de rangement. » l’avertit Harry, en
se laissant tomber sur une chaise.

Kreattur continua à déplacer des choses, selon une logique qui était la sienne.

« Le jeune maître a besoin de quelque chose ? » demanda l’elfe, sans lui jeter un regard. « Le
jeune maître veut un chocolat chaud au lieu de thé ? Kreattur fait du bon chocolat chaud. »

Et, comme si c’était décidé, l’elfe claqua des doigts et une casserole de lait apparut sur le
poêle, juste à côté de la bouilloire.

Harry s’était toujours demandé comment fonctionnait la magie des elfes. Souvent, ils
semblaient simplement claquer des doigts et les choses apparaissaient comme s’il n’y avait
pas de préparations en amont mais les elfes de Poudlard trimaient toute la journée dans la
cuisine pour préparer les repas et Kreattur était en train de faire chauffer du lait et de l’eau
manuellement et…

« Est-ce que tu es obligé de tout faire chauffer comme ça ou est-ce que tu pourrais
simplement claquer des doigts ? » s’entendit-il demander, en observant l’elfe passer à la
réorganisation du placard à vaisselle. Il n’y avait pas grand-chose à ranger là-dedans mais ça
ne l’empêcha pas de le faire.

« C’est meilleur lorsqu’on y met du travail. » répondit Kreattur, avant de se tourner vers lui,
agitant les oreilles avec détresse. « Maître Harry est pressé ? Maître Harry le veut tout de
suite ? Kreattur peut… »

« Non, non… » le rassura-t-il, en levant les deux mains. « Simple curiosité. »

L’elfe le dévisagea longtemps, avec méfiance, comme s’il n’était pas certain qu’il disait la
vérité puis la bouilloire siffla avant de s’envoler pour aller verser l’eau fumante dans la
théière où attendaient déjà les feuilles de thé. Kreattur n’avait même pas agité la main, il
continuait à regarder Harry avec incertitude.

La transformation de l’elfe n’était pas radicale mais elle était perturbante.

Il avait été facile de le détester lorsqu’il avait ressemblé à un vieux crapaud rabougri et sale
qui pestait et insultait tout le monde en trainant dans les coins sombres. Mais Kreattur était
maintenant propre, avec une taie d’oreiller fièrement marquée du sceau des Black, et il avait
l’air beaucoup plus sain d’esprit. On ne pouvait pas nier l’étincelle d’intelligence qui brillait
dans son regard.

Mal à l’aise, Harry se remémora Dobby et…


Il n’aurait pas dû être aussi dur avec Kreattur, l’été précédent. Certes, il n’avait fait que suivre
l’exemple de Sirius mais…

Kreattur vivait dans un réduit minuscule dans la cuisine, il était ignoré et détesté par son
maître qui était censé, techniquement, prendre soin de lui, et… Et… Et…

Harry dressa une barrière de flammes entre lui et le parallèle que son cerveau essayait de
faire. S’il devait mourir bientôt – et il n’y avait aucun doute qu’il allait mourir bientôt – il ne
voulait pas perdre de temps à penser aux Dursley, n’en déplaise à Severus ou Sirius.

« Je peux te poser une question ? » hésita-t-il. « Tu n’es pas obligé de répondre. » L’elfe
inclina la tête sur le côté, semblant attendre, ce qu’il prit pour une permission. « Est-ce que tu
préférerais… Est-ce que tu préférerais être libre ? »

Dobby n’avait jamais voulu que ça et était très heureux mais Winky avait vécu ça comme la
pire des humiliations et ne s’en était jamais remise.

Il ne savait pas qui de Ron ou d’Hermione avait raison au sujet des elfes de maison. Quand il
y pensait… Cela le mettait mal à l’aise. C’était plus simple d’accepter que c’était ainsi que
marchait le monde magique. Plus simple mais peut-être pas plus éthique.

Les yeux de Kreattur s’agrandirent d’effroi et il sauta de la chaise pour se jeter à genoux aux
pieds de Harry.

« Kreattur a déplu au jeune maître ? » gémit l’elfe, en frappant le torse avec une détresse non
feinte. « Kreattur va être congédié ? Non, non, Maître Harry ! Kreattur préfère mourir !
Kreattur… »

« Arrête, arrête ! » s’alarma-t-il, en se reprochant d’avoir posé une question aussi stupide.

« Harry, tout va bien ? » lança Sirius du salon.

« Oui, oui ! » mentit-il, tout en fermant la porte d’un coup de baguette.

Il lui fallut presque cinq minutes pour calmer l’elfe et le convaincre qu’il n’avait aucune
intention de demander à son parrain de le renvoyer. Il lui en fallut cinq de plus pour l’installer
à table et le forcer à accepter la tasse de thé qu’il posa devant lui. Kreattur paraissait
suprêmement mal à l’aise et ne touchait pas au thé.

Les elfes de maison n’en buvaient peut-être pas.

Ou bien Harry était un idiot et…

« Le jeune maître veut que Kreattur boive avec lui comme un égal ? » s’effraya l’elfe. « C’est
inconvenant, Maître Harry, très inconvenant ! Kreattur ne mérite pas cet honneur !
Kreattur… »

« Tu as aidé à détruire un horcruxe. » l’interrompit Harry. « Et tu as finalement rempli la


mission de Regulus. Ça se fête. Tu mérites bien… euh… cet honneur. »
Kreattur cilla plusieurs fois en l’observant d’un air émerveillé. C’était plus subtil que lorsque
Dobby le dévisageait ainsi mais non moins… dévoué.

« Maître Harry est gentil. Maître Harry sera un bon maître pour Kreattur. » décida l’elfe.
« Même si Maître Harry n’est pas vraiment un Black et que sa mère était une Sa… » Kreattur
s’interrompit, pâlit, puis se frappa la tête contre le bord de la table, renversant du thé partout.
Harry eut à peine le temps d’esquisser un geste que la créature avait cessé son manège et le
regardait avec crainte. « Maître Sirius a ordonné à Kreattur de ne plus utiliser de vilains mots.
Mais Kreattur oublie. »

« Ce n’est pas grave. » promit-t-il. « Essaye juste d’éviter. »

Nouveau cillements puis l’elfe claqua des doigts. Le plateau de thé disparut, probablement
pour aller rejoindre le salon où discutaient toujours les trois hommes, le liquide renversé
rejoignit la tasse de l’elfe, et Harry se retrouva avec un mug fumant de chocolat chaud où
baignaient de petits marshmallows devant lui.

Il attrapa la tasse à deux mains pour s’y réchauffer les doigts. « Merci. »

Kreattur s’inclina – ou tenta de s’incliner, ce qui était dur à faire alors qu’il était agenouillé
sur une chaise pour atteindre la table.

« Je ne voulais pas t’offenser tout à l’heure. » grimaça-t-il. « Je me posais la question parce


que… Je croyais que tu détestais Sirius. »

Un tic nerveux agita le visage de l’elfe. « Maître Sirius n’est pas le préféré de Kreattur. » Son
œil tressauta jusqu’à ce qu’il ne cède à l’impulsion et ne se donner un énorme coup sur le
nez. « Kreattur ne doit pas dire du mal de son maître ! »

« Pardon ! Pardon ! » s’excusa rapidement Harry. « Je ne voulais pas… » Il soupira. Peut-être


que ce serait plus simple de mettre simplement un terme à la conversation. Il prit une gorgée
de chocolat et se figea. « C’est le meilleur chocolat que j’ai jamais bu. »

Et il ne mentait même pas.

Kreattur se rengorgea. « Mes jeunes maîtres et maîtresses ont toujours aimé le chocolat chaud
de Kreattur. Toujours. Maîtresse Bella et Maître Sirius en redemandaient toujours à
Kreattur. »

Harry lui sourit sans trop savoir quoi dire. Il était évident que l’elfe avait toujours de
l’affection pour Bellatrix.

Kreattur hésita puis porta la tasse à ses lèvres, comme au ralenti, comme s’il s’attendait à ce
qu’Harry lui ordonne brusquement de ne pas le faire et de se punir pour avoir eu la prétention
de boire en compagnie d’un humain. Lorsque rien de tout ça ne se passa, l’elfe parut se
détendre. « Maître Regulus était le meilleur maître. Kreattur était en charge du bébé quand
Maître Regulus est né. La maîtresse a dit : Kreattur et Kreattur seulement. Maîtresse faisait
confiance à Kreattur. Kreattur s’était aussi occupé de la maîtresse lorsqu’elle était enfant.
Beaucoup d’honneur. Beaucoup. Maître Regulus était un si gentil garçon. Si gentil. Si
courageux. Si bon avec Kreattur. »

Pas étonnant qu’il ait tellement aimé le frère de Sirius s’il l’avait pratiquement élevé, se dit-il.
Ou qu’il déteste tellement Sirius de ne pas être lui. Ou que Sirius le déteste parce que
Regulus était son préféré.

« Je suis sûr que tu t’occupais très bien de lui. » offrit-il maladroitement.

« Kreattur voulait être le meilleur elfe pour Maître Regulus. » soupira tristement l’elfe, en se
perdant dans la contemplation de sa tasse de thé, avant de visiblement se reprendre. Il se
redressa légèrement. « Maintenant Kreattur va être un bon elfe pour Maître Sirius et Maître
Sirius sera un bon maître pour Kreattur. Maître Sirius l’a dit. Et Kreattur va servir la noble et
ancienne nouvelle génération des Black comme il a servi Maître Regulus et sa maîtresse. »

Harry fronça les sourcils parce que ça n’avait pas grand sens pour lui mais l’elfe semblait si
convaincu qu’il se força à sourire. « C’est bien. Tant que ça te rend heureux. »

Kreattur l’observa comme si c’était lui qui ne faisait aucun sens. « Kreattur est heureux d’être
un bon elfe. Kreattur est malheureux quand il ne peut pas être un bon elfe. Kreattur ne peut
pas être un bon elfe sans un bon maître. Maître Harry comprend ? »

« Oui. » mentit-il. « Je comprends. »

Ça devait être la bonne réponse parce que l’elfe de maison hocha la tête d’un air entendu,
termina son thé et repartit à l’assaut des placards pour mieux les ranger.

Harry but son chocolat lentement, grignotant les marshmallows détrempés qui fondaient sur
sa langue…

« J’avais… J’avais de mauvais maîtres avant. » s’entendit-il déclarer dans le silence relatif de
choses qu’on déplaçait dans le placard. Les bruits moururent immédiatement. Il y eut un
craquement puis Kreattur réapparut juste en face de lui, debout sur la chaise qu’il avait
précédemment occupée, une expression confuse sur le visage.

« Le jeune maître est un sorcier. Le jeune maître n’est pas un elfe. » contra Kreattur, en
l’étudiant plus attentivement. « Le jeune maître n’est pas non plus un demi-elfe. »

Ça existait ?

Il mit ça de côté très, très vite. Il y avait certaines choses auxquelles il ne valait mieux pas
penser.

« C’est… une image. » lâcha-t-il, sans savoir pourquoi il continuait de parler alors qu’il avait
décidé de ne plus aborder le sujet. Ou pourquoi il en parlait à un elfe qui, jusque là, avait
toujours été hostile voir haineux avec lui. « Les gens qui étaient censés s’occuper de moi…
Ils n’étaient pas très gentils. Ils me traitaient un peu comme Sirius te traitait avant. Moi aussi
je vivais dans un placard et je ne devais pas faire de bruit, prétendre que je n’existais pas. »
Kreattur plissa les yeux dans une expression étrange. Il lui fallut plusieurs secondes pour
l’identifier comme étant de la colère sourde. « Maître Harry est un sorcier. Les sorciers ne
vivent pas dans des placards. Les bons elfes ne vivent pas dans les placards non plus. Les bon
elfes ont des quartiers dans le grenier. Maître Harry n’est pas un elfe mais si Maître Harry
était un elfe, il vivrait dans les quartiers sous les toits. »

Kreattur essayait de dire qu’il aurait été un bon elfe, déduisit-il, en souriant tristement. Ce qui
semblait être le plus haut compliment dans son arsenal.

« Non, les gens normaux n’enferment pas un bébé dans un placard. » murmura-t-il. « Mais
eux ils l’ont fait. Et… Et ils me faisaient souvent faire le ménage, la cuisine, le repassage, le
jardinage… Pour m’occuper. » Pour qu’il gagne son pain, disait Pétunia. Cela ne lui avait
même pas paru anormal à l’époque, ce n’est qu’avec le temps qu’il avait réalisé que Dudley
n’avait jamais rien à faire. « Ils n’étaient pas très gentils. »

L’elfe de maison se pencha en avant et baissa la voix dans un croassement à peine audible.
« Si Maître Harry l’ordonne, Kreattur peut leur faire beaucoup, beaucoup de mal. Maître
Harry est gentil. Kreattur serait content de faire beaucoup de mal à ses méchants maîtres. »

Et c’était tentant, s’aperçut-il.

Très tentant.

Suffisamment tentant pour qu’il sente l’horcruxe s’agiter en lui, roucoulant presque de plaisir
à la notion de la souffrance qu’éprouveraient les Dursley.

« Non. » se dépêcha-t-il de refuser. « Non, merci. Ils n’en valent pas la peine. »

Kreattur l’observa longtemps puis hocha la tête d’un air entendu. « Si Maître Harry change
d’avis, Kreattur est prêt. »

Et, comme s’il ne venait pas de proposer de torturer des gens pour lui, l’elfe se détourna à
nouveau et repartit à son ménage.

°O°O°O°O°

« C’est forcément le sang. » insista Bill. « Tous les livres disent qu’il faut un sacrifice pour
créer un horcruxe, si on suit cette logique pour le déplacer, il en faudrait un équivalent. »

Sirius ferma les yeux, affalé sur le canapé, sa tasse de thé corsée à la main – béni soit
Kreattur, il n’avait même pas eu besoin de le lui demander – et écoutait la conversation
tourner en rond. Harry était parti un peu plus tôt et il aurait dû en faire de même, parce que…

« On ne va pas commettre un meurtre. » cingla-t-il, en rouvrant les yeux pour fusiller l’ainé
des Weasley du regard. « Tu n’es pas en train de suggérer qu’on commette un meurtre, Bill,
si ? »

« Bien sûr que non. » soupira Bill, en se frottant le visage, l’air défait et toujours trop pâle
malgré la potion de reconstituant sanguin et la potion antidouleur. « Je dis juste que sans
ça… »
Sirius tourna la tête vers Severus, le trouvant beaucoup trop silencieux. L’ancien espion avait
une étincelle calculatrice dans le regard qu’il n’aimait pas du tout et ses doigts tremblants
pianotaient sur l’accoudoir.

« Non, nous n’allons pas aller capturer un Mangemort pour le saigner à blanc. » grinça-t-il.
Les yeux noirs croisèrent les siens, gardés et durs. « Non, Severus. »

La bouche du Maître des Potions se contracta avec un agacement manifeste mais l’homme se
contenta de soupirer. « Je persiste à penser que le problème était la nature du vaisseau de
remplacement. Le rituel a fonctionné correctement jusqu’au moment précis où l’horcruxe
devait changer d’objet. »

« Quoi, tu penses qu’il n’aimait pas le collier ? » se moqua-t-il.

« Je pense… » rétorqua Severus « … que le Seigneur des Ténèbres a choisi ses vaisseaux à
dessein, qu’ils étaient tous importants à ses yeux, qu’ils avaient du sens. Même Harry, si tu y
réfléchis, avait de l’importance pour lui, il le craignait, en avait fait son égal dans son esprit.
Peut-être qu’essayer de transvaser un horcruxe dans un banal collier n’est pas la meilleure
idée que nous ayons eu. Au minimum, il nous faudrait un objet lui ayant appartenu. »

« Ça se tient. » admit Bill. « On peut tester la théorie sur le prochain. Seulement, on va vite
être à court d’horcruxes pour faire des expériences. Si le problème ne vient pas du
vaisseau… »

« Alors nous trouverons un Mangemort qui ne manquera à personne et, pour reprendre
l’expression de Black, nous le saignerons à blanc. » lâcha froidement Severus.

La déclaration lui fit froid dans le dos.

L’homme assis dans ce fauteuil, ce n’était pas l’homme qu’il avait appris à connaître et
apprécier ces derniers mois.

C’était l’adolescent agressif qui inventait des sorts noirs pour mieux les tester sur les
Maraudeurs.

« Baisse tes boucliers. » exigea-t-il, alarmé.

Le regard de Severus se déplaça vers lui, toujours froid, toujours dur. Un peu trop vide.

Il était un peu trop facile d’imaginer qu’il y brillait toujours la lueur écarlate.

« Severus. Baisse tes boucliers. » répéta-t-il, avec un peu plus d’urgence.

L’espace d’une seconde, il pensa que l’homme allait l’envoyer se faire voir, puis, avec une
expiration presque douloureuse, il s’exécuta. La transformation fût immédiate. Le corps de
l’ancien Mangemort perdit en tension, son expression devint moins lisse, ses yeux plus
vivants…

« Ça va mieux ? » demanda prudemment Sirius.


« Je ne le formulerais pas comme ça. » marmonna Severus.

« C’était de la magie très noire. » commenta Bill, en grimaçant. « Je n’avais jamais… C’était
très désagréable. »

Il doutait que ce soit le rituel de magie noire qui ait indisposé l’ancien Mangemort. Un bref
échange de regards le confirma. C’était l’horcruxe, le problème. La manière dont il avait
enfoncé ses crocs dans leurs âmes, dont il avait exposé des choses qui…

« J’ai besoin d’une douche. » continua l’ainé des Weasley, plaisantant à moitié. « Si on a fini
pour aujourd’hui… »

« Où est-ce qu’on va trouver un objet ayant appartenu à Vol… Vous-savez-qui ? » demanda-t-


il.

« Ça doit se trouver au marché noir. » répondit Bill. « Quant à savoir s’ils sont
authentiques… »

« Il doit bien rester quelque chose de son passage à Poudlard… » murmura Severus.

Mais ce serait un problème pour un autre jour, comprit Sirius.

Ils se séparèrent sur cette conclusion. Il renvoya Kreattur au Square Grimmaurd, hésitant
l’espace d’un moment à le suivre, ne serait-ce que pour se perdre momentanément dans les
bras de Nyssa, puis se souvint qu’il était censé s’assurer que tout était prêt pour les examens
de Soins aux Créatures.

La plupart du temps, il adorait être un Professeur à Poudlard, surtout depuis qu’il partageait
les inconvénients avec Severus, mais il y avait des jours comme aujourd’hui où la futilité de
certains aspects le heurtait comme un uppercut à l’estomac.

Qui se souciait des B.U.S.Es ou des A.S.P.I.Cs lorsque la guerre était à leurs portes ?

Il traversa le château lentement, les mains dans les poches, répondant d’un sourire forcé ou
d’un hochement de tête aux saluts de ses élèves, notant que les plus jeunes se sentaient déjà
en vacances avant l’heure. Le parc était bondé des premières aux quatrièmes années qui
profitaient du beau temps.

En temps normal, cela lui aurait arraché un sourire et lui aurait réchauffé le cœur, cela lui
aurait rappelé tous ses meilleurs souvenirs. À cet instant…

Traître, murmurait la voix de Remus à son oreille. Le mot était douloureux parce qu’il savait
que ce n’était pas si éloigné de ce que le loup-garou pensait réellement.

Il était un piètre meilleur ami.

Et, oui, c’était l’évidence, peut-être que s’ils avaient finalement affronté les non-dits entre
eux… Mais ils étaient incapables de le faire. Remus était incapable de lui cracher au visage
qu’il avait trahi le premier en doutant de lui et Sirius était incapable de l’accuser de l’avoir
laissé pourrir à Azkaban pendant douze ans sans douter une seconde de sa culpabilité.
Hagrid était dans son potager. Il le salua, fit la conversation quelques minutes et aurait été
bien incapable de dire de quoi ils avaient parlé lorsque le demi-géant lui indiqua finalement
où il pourrait trouver Charlie et Anthony.

Les étables empestaient le crin et le fauve. Il n’y avait pas que des sombrals dans les boxs et
la quantité d’animaux rendait le tout presque irrespirable. Sans compter qu’il faisait très
chaud à l’intérieur.

Anthony était tout au bout et était occupé à pelleter du crottin. En sueur, il avait ôté sa
chemise.

Sirius n’avait pas d’appréciation particulière pour le corps masculin mais il nota les muscles
habituellement cachés sous les vêtements ainsi que les cicatrices qui bardaient son dos et son
torse. Des griffes de dragons, certainement. Mais pas que. C’étaient le genre de cicatrices que
Severus devait avoir aussi. Il nota également qu’il n’y avait pas la moindre trace d’une
Marque des Ténèbres.

Encore que cela ne voulait rien dire.

Traditionnellement, un Mangemort la portait à l’avant-bras gauche mais cela ne signifiait pas


qu’elle ne pouvait pas être ailleurs.

« Salut ! » lança-t-il, lorsqu’il devint évident qu’Anthony ne l’avait pas entendu entrer.

Le jeune homme avait dû être perdu dans ses pensées parce qu’il sursauta et se tourna vers lui
d’un coup, pelle levée comme pour lui asséner un coup. Il fallut quelques secondes de trop
pour qu’il l’abaisse, comme s’il avait lutté l’espace d’une seconde avec l’idée de frapper
Sirius.

Ce dernier fronça les sourcils. « Ça va ? »

Anthony planta la pelle dans le sol et se frotta les mains pour en ôter la poussière. « Il fait
trop chaud. Les bêtes sont nerveuses. Je suppose que c’est contagieux. »

L’explication était entièrement rationnelle mais sonnait faux, pourtant.

Sirius se pencha pour jeter un coup d’œil à un des boxs. Un hippogriffe lui rendit son regard
et il préféra s’éloigner prudemment. « Où est Charlie ? »

« Il est allé chercher de la viande fraiche pour les nourrir. » répondit Anthony. « Tu voulais
quelque chose ? »

« Je croyais que vous ne pouviez pas vous éloigner l’un de l’autre ? » remarqua-t-il,
innocemment. Ou aussi innocemment qu’il le put.

« On ne peut pas. » répliqua sèchement le jeune homme, en plongeant les mains dans les
poches. « Mais on a gagné en distance. Il n’est pas si loin. »

Sirius le dévisagea un moment puis décida qu’il n’était pas fait pour la subtilité Serpentarde.
Peut-être le Choixpeau s’est-il trompé… Peut-être que tu aurais dû finir à Serpentard comme
tous les autres membres de ta famille ? Peut-être qu’au fond tu es le digne héritier de la
Maison des Black. Fou à lier. Lâche.

« Tu ne m’aimes pas beaucoup, n’est-ce pas ? » lâcha-t-il.

Anthony laissa échapper un bruit amusé qui sonna très amer. « Pourquoi est-ce que je ne
t’apprécierais pas ? »

« Je ne sais pas. » Il haussa les épaules. « À toi de me le dire. »

Le dragonnier sortit sa baguette de sa poche. Sirius posa instinctivement la main sur la sienne
mais, au lieu de l’attaquer, Anthony entreprit de faire disparaître le tas de crottin qu’il avait
pelleté.

« Tu n’aurais pas pu commencer par là ? » demanda-t-il, en fronçant les sourcils.

« Si j’ai appris une seule chose dans mon enfance, c’est que la manière simple est toujours
moins gratifiante. » répondit calmement le dragonnier. « Peut-être que la manière difficile est
plus longue, demande plus d’efforts, mais cela vaut la satisfaction qu’on éprouve à la fin. Tu
ne trouves pas ? »

Il ne savait pas de quoi ils étaient en train de parler mais il doutait que ce soit de crottin.

« Sirius ! » lança joyeusement Charlie dans son dos, les bras pleins de caisses empilées. Les
animaux s’agitèrent tous sur son passage, sentant probablement la viande. « Tu viens voir ce
qu’on a pour l’examen pratique ? »

« Oui. » répondit-il, tandis que Charlie posait les boîtes dans un coin.

Puis, le dragonnier sembla remarquer l’humeur de son fiancé et le rejoignit rapidement, lui
parlant à voix trop basse pour que Sirius l’entende.

Il détourna pudiquement les yeux lorsqu’ils se mirent à s’embrasser, préférant étudier un des
sombrals qui avait l’air en bien meilleure forme que Nox.

Après plusieurs minutes, Charlie plaça une main sur son dos et l’encouragea à sortir de
l’étable.

« Je vais te montrer. » proposa-t-il. Ils marchèrent en silence quelques secondes, Sirius


calculant mentalement la distance que les deux hommes pouvaient désormais mettre entre
eux… « Ne le prends pas mal s’il est ronchon. Il lui faut du temps pour être à l’aise avec les
gens. »

Ils se connaissaient depuis près d’un an, à présent, aurait voulu rétorquer Sirius.

« Il déteste être ici, tu sais. » ajouta Charlie, avec hésitation. « Il est revenu pour moi mais…
Il ne voulait pas remettre les pieds au Royaume-Uni. Jamais. Trop de mauvais souvenirs.
C’est pour ça qu’il n’est pas toujours de bonne composition. »
Sirius émit un bruit compréhensif et garda ses doutes pour lui.

Lorsqu’il y pensait, c’était alarmant à quel point il ne connaissait rien de l’autre dragonnier.
Ce n’était pas le seul membre de l’Ordre qu’il avait rencontré seulement l’été précédent.
Shacklebolt, Tonks, Charlie et Bill, Fleur… Et pourtant, il savait des choses sur chacun
d’entre eux. Or Anthony…

Connaissait-il seulement son nom de famille?

Il se creusa la tête jusqu’à ce que Charlie lui montre ce qu’il avait préparé selon ses
instructions.

Le temps qu’ils aient fini et qu’il ait repris le chemin du château, tout ça lui était entièrement
sorti de l’esprit. Il n’y pensait même plus.

Il avait froid à l’intérieur, exactement comme lorsque les Détraqueurs s’attardaient devant sa
cellule à Azkaban.

Foutu horcruxe.

Ce fût Patmol qui se glissa entre les grandes portes et rejoignit ses appartements.

Patmol supportait toujours mieux la tristesse que Sirius Black.

°O°O°O°O°

Severus n’était pas fier de l’admettre mais il en était à sa quatrième chocogrenouille.

Il ne parvenait pas à se défaire du froid qui le glaçait jusqu’à l’âme. Il avait allumé un feu
dans la cheminée du bureau du Professeur de Défense, bien qu’il fasse suffisamment beau
pour qu’on étouffe dans les étages.

Severus n’étouffait pas.

Severus frissonnait.

L’effet de l’horcruxe sur son organisme n’était pas sans rappeler celui des Détraqueurs et une
part de lui se demandait si c’était la raison pour laquelle Harry était si sensible à ces
créatures. Quoi qu’il en fût, il s’était retranché dans son bureau, avec les recherches sur les
horcruxes et toutes leurs ébauches et théories sur un possible rituel pour les transvaser, et
passait frénétiquement le tout en revue, tout en se gavant de chocolat confisqué au passage,
dans un couloir, à un première année qui n’avait pas compris ce qu’il avait fait de mal.

Se replier derrière ses boucliers mentaux, mettre de la distance entre lui et les craintes
viscérales qu’avait réveillées l’horcruxe, était tentant mais cela aurait été un peu trop
dangereux.

La facilité avec laquelle il avait suggéré d’égorger quelqu’un, un peu plus tôt, l’effrayait.
Ce n’était pas qu’il n’ait jamais tué personne ou n’était pas prêt à le refaire mais…
Dernièrement, il tendait à avoir des remords lorsqu’il prenait une vie, à éviter de tuer autant
qu’il le pouvait. Or…

Une gorgée de magie noire pure et il replongeait dans ses vieux travers.

On n’aime pas un fruit une fois qu’on découvre qu’il est pourri à l’intérieur.

Ce souvenir, il l’occluda sans hésitation. Ce n’était pas Lily. Il savait que ce n’était pas Lily.
Juste le Seigneur des Ténèbres. Juste ses peurs les plus intimes. Mais…

Il tira le carnet de sa poche intérieure, feuilleta les pages déjà bien remplies jusqu’à trouver
leur dernier échange, attrapa le stylo qui tremblait davantage encore que d’ordinaire et
s’appliqua à former des lettres lisibles. Malgré tous ses efforts, on aurait dit qu’elles avaient
été tracées par un enfant malhabile.

Ce soir ?

Il avait besoin de voir Nymphadora, de la serrer dans ses bras, de respirer son odeur, d’effacer
par sa chaleur et sa tendresse la froideur et la cruauté de la voix de Lily.

Il avait froid.

Si froid, à l’intérieur.

Il fixa la page des yeux pendant plusieurs minutes puis, alors qu’il allait refermer le carnet, se
forcer à se replonger dans ses recherches, des mots apparurent, tracés à la hâte.

Tu sais que Kingsley a dit que j’étais la meilleure invitée qu’il ait jamais eue ?
Principalement parce que depuis que je lui ai demandé si je pouvais squatter son canapé, je
n’ai pas mis les pieds chez lui une seule fois…

Et alors ?, aurait-il voulu répliquer. C’était vrai qu’elle avait passé les dernières nuits avec lui.
C’était un concours de circonstances. Oui, la première nuit, elle était revenue parce qu’elle ne
voulait pas dormir au Square Grimmaurd et Shacklebolt n’était pas disponible. La seconde,
elle était venue à Poudlard en fin d’après-midi pour passer un savon aux recrues qui avaient
envahi le domaine et Severus n’avait pas vu l’intérêt de la renvoyer à Londres alors qu’elle
pouvait tout aussi bien rester là. Et la veille au soir… La veille au soir… Il avait oublié
pourquoi elle était passée la veille au soir. Avait-elle besoin d’une excuse, cependant ?

Ce n’était pas comme si elle vivait chez lui.

C’était juste…

Peut-être que quatre nuits d’affilée, en comptant celle qui avait précédée sa requête de
partager momentanément l’appartement de Shacklebolt, faisaient beaucoup. Est-ce que cela
faisait beaucoup ? Il n’en avait aucune idée. Il…

Tu vas la souiller comme tu souilles tout. Comme tu souilles mon fils.


Il prit une profonde inspiration, occluda le souvenir, décapita une nouvelle chocogrenouille
d’un coup de dents rageur avant qu’elle ait pu se sauver… Ca n’empêcha pas les frissons de
le secouer. Son corps entier tremblait.

Il était en colère et il ne savait pas pourquoi.

Il était triste et il ne savait pas pourquoi.

Il posa la pointe du stylo sur le papier, écrivit presque qu’il avait besoin d’elle. Elle viendrait
s’il disait qu’il avait besoin d’elle, il le savait. Elle était comme ça. Elle était…

Elle ne t’aime pas.

Il ferma brièvement les yeux. Ses mains tremblaient trop et le stylo laissa un gribouillis sur la
feuille avant qu’il ne le lâche.

Severus ?

Du bout des doigts, il retraça son nom, et se demanda, non pour la première fois, à quoi il
jouait. Il n’était pas de ceux qui avait des fins heureuses. Il ne méritait pas de fin heureuse. Il
ne méritait rien et surtout pas elle.

Il reprit le stylo.

Tu as raison. Une autre fois. Peut-être après les examens.

Deux bonnes semaines.

Deux semaines loin l’un de l’autre leur feraient le plus grand bien. Il reprendrait ses esprits et
cesserait de se comporter comme un adolescent avec son premier béguin et elle se rendrait
probablement compte qu’il ne lui était pas aussi essentiel qu’elle le pensait. Elle rencontrerait
peut-être même quelqu’un d’autre dans l’intervalle et…

Il ferma le carnet. Il chauffa dans sa main mais il le laissa tomber dans le premier tiroir de
son bureau et l’y enferma d’un coup de clef colérique sans lire son message.

C’était mieux ainsi.

Beaucoup mieux.

Elle t’admire. Elle croit encore que tu es un homme bien, que tu peux devenir l’homme de ses
rêves, mais elle ne sait pas… Elle ne sait pas qu’on ne peut pas te faire confiance. Elle ne
sait pas que tu la trahiras comme tu m’as trahie moi. Oh, comme elle sera déçue… Tu es prêt
à ça, Sev ? Prêt à ce qu’elle te regarde avec dégoût ? Avec haine ?

Lily avait raison.

Lily avait…
Ce n’était pas Lily, se remémora-t-il fermement, en enfouissant son visage dans ses mains.
Ce n’était pas Lily. C’était le Seigneur des Ténèbres.

Il était si familier des manipulations et méthodes du mage noir, il aurait dû s’en détacher
beaucoup plus facilement, passer outre…

Il laissa tomber ses mains, prit une profonde inspiration et se repencha sur les parchemins
étalés sur le bureau.

Parce que s’il ne résolvait pas ce problème, Harry allait mourir.

Et c’était beaucoup plus important que Nymphadora et ses propres états d’âme.

Et que crois-tu que je deviendrais, de toute manière, exposé à ton influence ? Puissant.
Cruel. Manipulateur. Mauvais. À ton image.

Il occluda l’image de l’horcruxe-Harry.

Cela ne lui avait pas échappé que son fils s’était sauvé de leurs appartements aussi vite qu’il
l’avait pu, plus tôt, afin d’éviter une conversation ou des remontrances pour lui avoir désobéi.

Harry n’aurait jamais dû être là.

Harry n’aurait jamais dû se retrouver à devoir poignarder le médaillon pour les sauver tous.

Harry…

Il faisait tout de travers.

Il n’était pas digne de…

Les frissons le firent claquer des dents.

D’un coup de baguette, il raviva le feu qui flamba haut dans la cheminée puis, sur un coup de
tête, jeta un patronus. Le faon n’était pas aussi corporel qu’à l’ordinaire mais il trotta
docilement jusqu’à lui, posa la tête sur sa jambe et Severus ferma à nouveau les yeux et laissa
échapper un soupir parce que…

Le froid qui lui gelait l’âme s’atténua.

Peu à peu, les tremblements qui l’agitèrent s’apaisèrent suffisamment pour que son corps
cesse de tressauter sans avertissement.

Lorsque le faon éclata comme une bulle de savon, il avait retrouvé un contrôle relatif de lui-
même. Ses pensées n’étaient plus aussi dispersées. Son cœur ne battait plus à cent à l’heure.
Il avait toujours froid et ses mains tremblaient toujours trop fort, même pour son handicap,
mais il était, à défaut d’être tout à fait remis, lucide et cohérent.

Il se repencha sur les parchemins, tâchant de trouver l’aiguille dans la meule de fois, persuadé
qu’il avait raison et que s’ils utilisaient un objet ayant appartenu au Seigneur des Ténèbres la
prochaine fois…

Des coups frappés à la porte l’interrompirent et il prit quelques secondes pour enchanter
grimoires et parchemins pour qu’ils aient l’air de parler de tout à fait autre chose avant
d’inviter son visiteur à entrer, levant momentanément ses protections.

Minerva pénétra dans la pièce avec l’énergie d’une tornade particulièrement mécontente, une
tonne de parchemins flottant derrière elle.

« De combien de bureaux avez-vous besoin précisément ? Je vous ai cherché dans tout le


château. » s’agaça-t-elle. « Croyez-vous que j’ai le temps d’aller à la chasse aux Directeurs
de Maison, Severus ? L’année prochaine, si tant est que l’école soit encore ouverte, vous
laisserez ce bureau à Sirius et vous vous contenterez du Bureau de Directeur de Maison de
Serpentard. Comment sommes-nous supposés savoir où vous vous installez pour vos heures
de permanence ? »

Étaient-ce ses heures de permanence ?

Il se frotta les yeux.

Il ne savait pas quelle heure il était. Ou quel jour, s’il devait être honnête. Il n’avait donné
aucun cours aujourd’hui. Black s’en était-il chargé ? Était-il censé… Non… Non, ses seuls
cours de la journée avaient pris place dans la matinée. Les élèves de cinquièmes et septièmes
années avaient quartier libre pour leurs dernières révisions et les sixièmes années… Qu’avait-
il fait de ses sixièmes années ? Ils leur avaient donné un devoir appliqué et envoyés à la
bibliothèque. Oui, voilà…

« On étouffe ici. » grommela la sorcière. « Qu’est-ce qui vous a pris d’allumer un feu ? » Elle
se dirigea droit vers la fenêtre et batailla quelques minutes avec la poignée avant de l’ouvrir,
laissant entrer le soleil en même temps que l’air extérieur. « Severus ? »

Il leva les yeux vers elle, tâchant d’avoir l’air moins perdu qu’il ne l’était en réalité.

Un échec vu son expression inquiète.

« Vous sentez-vous mal ? » s’alarma-t-elle, en se détournant vers la cheminée. « J’appelle


Poppy. »

« Je vais bien. » mentit-il, éteignant le feu d’un coup de baguette avant qu’elle ait pu avoir
l’idée de prendre la poudre de cheminette sur le manteau de la cheminée. « Laissez cette
dragonne là où elle est. »

Sa protestation manquait de naturel, d’énergie.

« C’est l’évidence même. » se moqua la sous-directrice, en l’observant la bouche pincée.


« Vous êtes pâle comme un linge. Et que fabriquez-vous avec ces papiers de
chocogrenouilles… Par Merlin, si vous en avez avalé autant, il n’est pas étonnant que vous
vous sentiez mal… »

« Je vais très bien. » marmonna-t-il. « Que vouliez-vous ? »


« La liste de vos Serpentards qui se sont inscrits pour les vacances d’été. » soupira-t-elle.
« Comme convenu. »

La liste était toujours sur le panneau d’affichage de la salle commune des serpents, là où il
avait oublié de la décrocher.

Avec une grimace d’excuse, il se frotta à nouveau les yeux. « Je vous enverrai un préfet avec
la liste avant ce soir. »

« Très bien. » accepta-t-elle. Plus parce qu’il avait l’air mal en point que par bonté d’âme,
supposait-il. « Il va également nous falloir faire une réunion avant la fin des examens. C’est
bien beau de garder les enfants à Poudlard mais encore faut-il décider de comment nous
allons les occuper. »

« Devons-nous les occuper ? » grinça-t-il.

« Je n’ai guère envie de les laisser sans supervision au sein de l’école pendant deux mois. »
lâcha-t-elle. « Si nous offrons tous un peu de notre temps… Filius parlait d’ouvrir un club de
duel. Il se demandait si… »

« Oui, très bien. » Il agita la main. « S’il me faut absolument participer, un club de duel est
acceptable. »

Elle leva les yeux au ciel. « Quel enthousiasme. Personnellement, je pensais ouvrir un club
d’échecs. Nous n’en avons plus depuis que Phyllis est partie à la retraite en quatre-vingt-six
et… »

« Minerva. » l’interrompit-il. « Je n’ose vous dire à quel point cela m’est égal. »

« Pour quelqu’un qui n’ose pas me le dire, je vous trouve bien direct. » râla la sorcière, avant
de l’étudier par-dessus ses lunettes. « Souhaitez-vous me dire ce qui ne va pas, à la place ? »

« Un malaise passager. » mentit-il.

Elle ne le croyait absolument pas et ne fit aucun geste pour quitter son bureau. Au lieu de ça,
elle s’assit dans le fauteuil qu’utilisait habituellement Black, ses parchemins flottant derrière
elle comme une armée administrative.

« N’étiez-vous pas débordée ? » railla-t-il, sans parvenir à y mettre le mordant nécessaire.

« Je ne suis jamais débordée s’il s’agit de vous tirer les vers du nez avant que vous
n’explosiez. » rétorqua-t-elle. « Vous avez le don de laisser les choses vous ronger jusqu’à la
limite du tolérable. Vous savez pertinemment que vous vous sentirez mieux une fois que vous
vous serez confié. »

« J’en doute. » cracha-t-il. Il voulut attraper le stylo pour s’occuper les mains mais il
manquait tellement de dextérité à cet instant qu’il lui échappa et roula au sol. Les joues
rougies d’humiliation il se pencha pour le ramasser.
« Vous êtes-vous disputé avec Potter ? » s’enquit-elle patiemment. « J’ai remarqué qu’il n’a
pas inscrit son nom sur ma liste. »

Il fronça les sourcils. Harry était-il toujours persuadé qu’il serait forcé de retourner chez les
Dursley ?

« Harry vivra avec moi, cet été. » déclara-t-il fermement. « Vous pouvez rapporter ça à qui de
droit et vous sentir libre de lui dire qu’il n’a pas voix au chapitre sur le sujet. »

Minerva leva les sourcils. « Vous a-t-il laissé entendre que c’était soumis à question ?
Techniquement, Potter est sous ma responsabilité tant qu’il est à Poudlard, vous savez.
M’inclure dans la conversation serait courtois. »

Albus ne tarderait pas à mettre les protections et les Dursley sur le tapis, Severus le sentait.

Il fallait l’ajouter à la liste des choses dont il devait s’inquiéter.

En plus du fait qu’il n’avait aucune idée d’où trouver le prochain horcruxe, sans parler de le
faire avant Albus Dumbledore, de s’il pouvait parvenir à faire fonctionner le rituel ou même
s’il survivrait à une autre rencontre aussi intime avec une de ces horreurs qui étaient
beaucoup trop intelligentes à son goût.

Rien que l’idée lui serra le ventre au point qu’il dût fermer les yeux et prendre une
inspiration.

« Je suis si fatigué… » murmura-t-il, sans véritablement le vouloir.

« Cela suffit, mon garçon. » le gronda Minerva. « Dites-moi ce qui se passe. Tout de suite. »

Il était presque tenté de le faire.

Rien que parce que Minerva, avec son assurance toute lionesque, ne manquerait pas de lui
promettre que tout allait s’arranger.

Il en avait assez d’être celui qui devait toujours promettre aux autres que tout allait
s’arranger.

Il gardait espoir pour Harry.

Il forçait Black à y croire.

Il encourageait Bill Weasley à repousser les limites de ses connaissances.

Il s’efforçait de rappeler à Nymphadora que rien n’était perdu tant qu’ils n’étaient pas morts.

Et lui dans tout ça…

Il n’avait personne pour le rassurer ou lui donner une illusion de calme.


Albus aurait pu remplir ce rôle mais lorsqu’Albus n’était pas occupé à être leur général et
commanditer des assassinats, il était trop focalisé sur son ancien amant mourant pour
s’apercevoir que Severus avait besoin de…

De quoi ?

L’horcruxe avait creusé un trou en lui qui siphonnait tout espoir ou sentiment positif et ne
laissait qu’angoisse et désespoir à la place.

« Voulez-vous bien me dire que tout ira bien, qu’il y a une lumière au bout du tunnel même si
nous ne pouvons pas la voir et que la situation n’est pas aussi désespérée qu’elle le parait ? »
plaida-t-il. « Mettez-y autant de platitudes et de clichés qu’il vous semblera nécessaire. »

Elle le regarda avec pitié. Ou peut-être était-ce de la compassion, il n’avait jamais été doué
pour faire la différence.

« Vous mentir, en somme ? » plaisanta-t-elle.

Il rit sans amusement puis empila les parchemins qui s’entassaient devant lui. « Qu’y a-t-il de
si urgent à faire pour nous assurer que nous ayons toujours une école à la rentrée ? »

« Gagner la guerre ? » répondit-elle avec cynisme, avant de soupirer. « Rédiger la lettre


informant les parents d’élèves des modalité du Poudlard Express pour les élèves qui
retournent chez eux, en faire des copies et les envoyer. Organiser une réunion du corps
professoral, comme je l’ai dit. Revoir une dernière fois l’emploi du temps des examens pour
nous assurer qu’il n’y aura aucun couac et que, le cas échéant, les couacs soient facilement
remédiables. Ah, et Albus n’ayant pas eu le temps, il faut également s’occuper des demandes
de budget pour l’année prochaine avant que le Conseil d’administration au grand complet ne
débarque pour nous demander des comptes et le tout pour avant-hier. »

Il hocha la tête, attrapa sa canne et se leva, lui indiquant de le précéder avant de fermer la
fenêtre d’un geste de la main. « Allons dans votre bureau et mettons nous au travail dans ce
cas. »

« La salle de réunion. » corrigea Minerva, en se levant, elle aussi, sa tonne de parchemins


flottant docilement derrière elle. « Aurora m’a proposé son aide. »

Ce fût presque assez pour le faire fléchir.

Puis il se rappela que le carnet était enfermé dans le tiroir de son bureau et que, de toute
manière, Nymphadora lui avait indirectement fait remarquer qu’ils passaient trop de temps
ensemble. Et puis, ce n’était pas la faute d’Aurora si Black lui avait mis des stupidités en tête.
Ils s’étaient toujours bien entendus et il n’y avait aucune raison que ça change.

Elle ne sait pas qu’on ne peut pas te faire confiance. Elle ne sait pas que tu la trahiras
comme tu m’as trahie moi.

Il occluda le souvenir intrusif et attaqua d’un pas aussi rapide que le lui permettait sa jambe le
chemin qui menait à la salle de réunion.
Il n’avait pas envie d’être seul, de toute manière.

Seul, il était trop facile de laisser gagner les angoisses que l’horcruxes avaient réveillées.

« Severus. » appela doucement la sorcière, alors qu’ils approchaient de leur destination.


« Nous allons gagner cette guerre. Nous ne survivrons peut-être pas tous mais nous allons
gagner. Parce qu’il n’y a pas d’alternatives. Tout s’arrangera parce qu’il n’y a pas d’autres
alternatives. Nos enfants auront un futur, parce qu’il n’y a pas d’autres alternatives. Et quoi
que ce soit qui ait mis cet air triste sur votre visage, cela passera. Tout passe, mon garçon. »

Il laissa ces paroles flotter dans l’air quelques instants puis émit un bruit amusé.

« Albus y met davantage de métaphores et de fioritures. » remarqua-t-il.

La sous-directrice leva les yeux au ciel. « C’est bien la seule chose qu’il fasse mieux que moi
dans cette école, dans ce cas. Je vous jure que j’ai très envie de lui agiter sa plaque de
Directeur sous le nez juste pour voir s’il se souvient qu’il a une école à gérer. J’ai parfois
l’impression que tout ce qui lui importe, c’est d’être maître de Poudlard. Tous les
inconvénients sont pour moi. »

Poudlard était une place forte et Albus menait une guerre, évidemment que le château était le
seul point important de son statut de Directeur à l’instant.

Il n’était pourtant pas suffisamment stupide pour énoncer cette vérité à voix haute devant elle.

Au lieu de ça, il marmonna qu’il était du même avis et suivit la vieille femme dans la salle de
réunion où Aurora était occupée à faire des copies de la lettre à envoyer aux parents. Elle le
salua amicalement et, en son fort intérieur, il se fit la réflexion qu’il était étrange de se sentir
gêné alors qu’elle n’avait aucune idée de la raison pour laquelle il avait délibérément mis la
table entre eux.

Il était agacé de se sentir obligé de le faire.

Après tout…

Elle ne t’aime pas.

Il avait l’impression d’entendre la voix de Lily le murmurer encore et encore à son oreille,
moqueuse et fière d’elle-même.

Il savait que ça venait de lui.

Il savait que…

Mais il ne pouvait pas étouffer les mots de l’horcruxe. Il ne pouvait pas ignorer le fait qu’il
s’était senti rejeté lorsqu’elle avait refusé de le rejoindre ce soir là, alors même que la part de
son esprit encore capable d’être rationnel lui rappelait qu’elle avait bien le droit de faire ce
qu’elle voulait, qu’elle ne lui devait rien.

S’il avait eu moins besoin d’elle…


Mais c’était pour ça qu’il n’avait jamais voulu dépendre de personne, n’avait jamais voulu
avoir besoin de personne…

On finissait toujours par en souffrir.

Personne ne restait jamais très longtemps.

Au bout du compte… Les gens finissaient par le quitter.

°O°O°O°O°

Harry aurait dû être occupé à revoir les derniers points importants avant l’examen pratique de
Métamorphose le lendemain. Il avait à peine mis un pied dans la bibliothèque qu’il en était
ressorti, pris à la gorge par l’ambiance angoissée qui y régnait et peu enclin à subir les ordres
tyranniques d’Hermione en matière de révisions.

Même Malfoy et Ron avaient fait sécession, en se repliant à une table dans l’avant-salle, un
endroit que seuls les plus jeunes fréquentaient parce qu’ils n’avaient pas encore appris à
éviter l’œil de rapace de Pince. Il avait hésité à s’installer avec eux puis avait finalement battu
en retraite sans qu’ils ne l’aperçoivent, pas tout à fait d’humeur à être avec des gens.

C’était comme ça qu’il s’était retrouvé à errer dans le parc à observer les différents groupes
de premières à quatrièmes années et les sixièmes années qui étaient libres d’examens et déjà
un peu en vacances, et avait terminé en haut des gradins du stade de Quidditch, allongé sur le
dos sur un banc, à regarder les nuages cotonneux qui dérivaient paresseusement dans le ciel.
De temps en temps, une silhouette sur un balai passait dans son champ de vision. Un des
deuxièmes années qui avaient improvisé un match de Quidditch. Certains n’étaient pas
mauvais. La fillette de Serdaigle aurait fait une bonne Attrapeuse.

Ça aurait été une très belle journée s’il n’avait pas su que, à des mètres et des mètres sous
l’école, dans une Chambre secrète, le sang d’un rituel de magie noire était probablement en
train de coaguler.

Il avait toujours su que ça ne marcherait pas, se remémora-t-il lorsqu’il sentit l’angoisse lui
nouer l’estomac. Même quand Severus avait promis… Severus était désespéré, ferait
n’importe quoi pour le sauver parce qu’il était incroyablement loyal aux personnes qu’il
aimait, mais il avait déjà fait l’impossible une fois cette année là. Deux miracles, c’était en
demander beaucoup.

Et Harry l’avait senti dès le début.

Au creux du ventre.

Il n’y aurait qu’une seule manière de se débarrasser de l’horcruxe en lui et c’était de


l’emporter avec lui lorsque…

Il prit une profonde inspiration, fût tenté de renforcer encore ses boucliers mais savait que s’il
le faisait il se couperait totalement de ses émotions et ça… C’était une chose de se servir de
l’Occlumencie pour atténuer la panique, l’angoisse, une autre de ne plus rien ressentir du
tout. Aussi tentant que ce soit.

Avec une exclamation de joie, la deuxième année de Serdaigle s’envola droit vers les nuages
le poing tendu haut au-dessus d’elle. La gamine riait, le bonheur sur son visage était simple et
sincère, il pouvait le voir de là, malgré l’éclat du soleil.

Avait-il jamais été aussi innocent ?

C’était dur à dire.

Même sa première année, où tout n’avait été que découvertes et émerveillement, avait été
entachée par la quête de ce qui avait été caché au troisième étage. Ça avait été excitant à
l’époque, une aventure. Mais quand il y repensait…

Avait-il jamais eu un moment où sa seule inquiétude avait été les devoirs à rendre ou réussir
ou non à ses examens ?

« Je savais que je te trouverai là. » déclara une voix derrière lui qui le fit sourire.

Spontanément.

Facilement.

Peut-être qu’il y avait encore un peu de bonheur innocent en lui finalement.

Il avait entendu les bruits de pas montant les gradins – bien sûr qu’il les avait entendus,
Severus l’avait entraîné à toujours être au fait des changements dans son environnement
immédiat – mais ne s’en était pas alarmé, estimant le poids trop léger pour appartenir à un
adulte ou un des adolescents plus âgés, ce qui limitait les chances d’une attaque surprise de
Mangemorts.

« Tu me cherchais ? » demanda-t-il, sans bouger.

Le visage de Ginny apparut au-dessus de lui, bloquant son champ de vision. Ses cheveux
étaient lâchés et le soleil derrière elle lui conférait une aura presque mystique que détrompait
son expression mi-amusée, mi-inquiète.

« Tout le monde te cherche. » répondit-elle. « Hermione dit que tu étais censé les rejoindre à
la bibliothèque et personne ne t’a vu depuis des heures. Tu as sauté le déjeuner. Tu n’as pas
mis les pieds dans la salle commune. Malfoy et Blaise sont même descendus aux cachots,
encore que, si tu veux mon avis, c’était juste une bonne excuse pour échapper à Hermione. »

Il laissa échapper un bruit amusé. « Hermione à la veille d’un examen n’est pas facile à
vivre. »

« Et Malfoy est en train de le découvrir, crois-moi. » se moqua-t-elle, mais son expression


s’adoucit. « Je ne leur ai pas dit que tu étais là. »

« Comment tu le savais ? » s’enquit-il avec curiosité.


Elle leva les yeux au ciel. « Où va Harry Potter lorsqu’il veut être seul ? Au Terrain de
Quidditch. Ton balai était toujours dans ton dortoir, je n’étais pas sûre. » Sa tête disparut de
son champ de vision mais elle s’assit juste à côté de lui. « Tu veux en parler ? »

Il lui vint bien à l’esprit qu’il aurait dû s’asseoir lui aussi mais il resta exactement comme il
était, suivant la course de la deuxième année qui agitait toujours le vif d’or sous les
acclamations de ses camarades. C’était toujours un peu étrange de voir des Serpentards,
Poufsouffles, Serdaigles et Gryffondors jouer tous ensemble. Il n’était pas certain qu’il s’y
ferait jamais.

« Elle est douée. » remarqua-t-il. « Tu penses que les Serdaigles la prendront dans l’équipe
l’année prochaine ? »

Elle observa la petite, quelques secondes, puis haussa les épaules. « Possible. C’est de
Gryffondor qu’on devrait se tracasser. On va perdre la moitié de l’équipe. »

« Katie nous trouvera bien de bons éléments. » remarqua-t-il. « Tu devrais passer les essais. »

« Katie ? » releva-t-elle.

« Elle sera Capitaine. C’est logique, ce sera la plus ancienne. » répondit-il.

Le rire de Ginny était presque affectueux. « Tu rigoles ? Ce sera toi le Capitaine, Harry. »

Et, juste comme ça, sa bonne humeur tourna légèrement aigre.

Il avait voulu prétendre, juste un peu, que tout était normal, que c’était une année comme une
autre, mais… Encore fallait-il tenir jusqu’à la rentrée, espérer que l’école puisse rouvrir,
penser que lui serait toujours…

« Si je suis encore là. » plaisanta-t-il. Ou prétendit plaisanter.

« Et où est-ce que tu comptes aller ? » se moqua gentiment Ginny, sans comprendre.

Comment aurait-elle pu comprendre ?

Même Ron, à qui il avait annoncé la chose, ou Hermione, qui comprenait parfaitement
pourquoi il était si sûr de lui-même, refusaient d’admettre que son temps était compté. Ils
étaient dans le déni. Comme Severus.

Les deuxièmes années étaient en train d’atterrir, tout en plaisantant les uns avec les autres…
Si innocents…

« Est-ce qu’il t’arrive de repenser au journal de Jedusor parfois ? » murmura-t-il.

La question jeta un froid.

Principalement parce qu’il n’avait pas eu la courtoisie de lui demander s’il pouvait lui poser
une question délicate d’abord.
Il s’en voulut de lui rappeler de mauvais souvenirs.

« Juste une fois par jour, en moyenne. » lâcha-t-elle, en tentant d’y mettre une pointe
d’humour. Ce fût un échec « Et je suis sûre que j’y penserai tous les jours jusqu’à la fin de
ma vie. »

Il se mordit la langue pour ne pas lui dire qu’il comprenait.

Il avait vu trop d’horreurs dans sa vie pour repenser tous les jours à Halloween, à la sensation
de Voldemort envahissant son âme… Ses cauchemars avaient tendance à alterner entre
Cédric, Voldemort, le cimetière, le basilic, Quirrell…

« Harry, qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-elle doucement, en se penchant au-dessus de lui


pour mieux le dévisager. « Tu m’inquiètes. »

Ses cheveux lui effleurèrent la joue et…

Sans réfléchir, il balança ses jambes hors du banc pour s’asseoir dans un mouvement fluide
qui la prit visiblement par surprise. Elle ne s’écarta pas, pourtant, lorsqu’il se retrouva plus
près d’elle qu’il était probablement convenable de l’être. Ou sage.

Il fouilla son regard, gardant une prise ferme sur son esprit parce que depuis qu’il s’entraînait
avec Hermione la Legilimencie lui venait un peu trop facilement, ressentant une telle
sensation d’urgence que…

Il allait mourir.

Il savait qu’il allait mourir.

Mais il voulait vivre avant d’en arriver là.

Il voulait vivre.

« J’ai envie de t’embrasser. » avoua-t-il. Il s’était attendu à être nerveux ou peut-être un peu
gêné, mais il ne ressentait rien de tout ça. Parce qu’il était juste honnête et si elle n’éprouvait
pas la même chose, il pouvait l’accepter, mais au moins il le lui aurait dit et il n’aurait pas de
regrets.

Il ne voulait pas de regrets.

Or il aurait regretté ne jamais avoir dit à Ginny Weasley qu’il voulait l’embrasser.

Apparemment prise par surprise, elle écarquilla légèrement les yeux, ouvrit et referma
plusieurs fois la bouche comme si elle ne savait pas quoi dire…

Son regard dériva jusqu’à ses lèvres qui ne paraissaient pas capables de former un mot et il
prit son courage à deux mains.

« Ça fait un moment que j’ai envie de t’embrasser. À chaque fois que je te vois. » ajouta-t-il.
« Je comprends si tu… »
Il n’eut pas l’occasion de finir sa phrase.

Elle l’attira à lui et ce baiser était… tout ce qu’il avait toujours voulu.

Il fût évident très vite qu’elle avait davantage d’expérience que lui, ce qui était probablement
heureux parce qu’une seule soirée passée à embrasser Amy ne lui avait pas appris beaucoup.
Il était à bout de souffle lorsqu’ils se séparèrent mais ils restèrent front contre front, souriant
tous les deux comme des idiots.

Voilà, décida-t-il, c’était ça le bonheur.

C’était pour ça qu’il se battait.

Parce que tout le monde aurait dû avoir la chance de goûter à ça sans se soucier de se le voir
arraché par un mage noir aux illusions de grandeur.

Elle voulut l’embrasser à nouveau mais il recula légèrement, pas assez pour écarter son
visage mais juste assez pour parler parce que…

La culpabilité lui vrilla le ventre, soudaine et inattendue.

« Je ne peux pas… Je ne peux pas te promettre que c’est pour toujours. » chuchota-t-il à
regret. Parce qu’il aurait probablement aimé lui promettre des toujours et y croire, même s’ils
étaient jeunes et que l’avenir semblait s’étirer à l’infini devant eux. Son avenir, à lui, n’était
pas infini.

« On a quinze ans. » se moqua-t-elle. « Je ne m’attends pas à ce que tu me demandes en


mariage. »

« Oui mais… » Il grimaça. « Je ne sais pas combien de temps je peux te promettre. Je…
Ginny, il y a vraiment beaucoup de chances pour que… » Il ne savait pas comment le lui dire,
se sentait mal de seulement avoir ouvert cette porte là. Était-ce égoïste ? Il l’avait embrassée
pour ne pas avoir de regrets mais lorsqu’il mourrait, elle en souffrirait d’autant plus et…
« Ginny… Je vais sûrement… »

Une main fine couvrit sa bouche, l’empêchant de terminer sa phrase.

Il y avait une compréhension grave dans le regard de la jeune fille, comme si elle avait deviné
ce qu’il essayait de lui dire. Il fût curieusement soulagé de ne pas avoir à le formuler.

« Ne dis pas des choses comme ça. » le rabroua-t-elle.

Il attrapa gentiment son poignet, écarta sa main de sa bouche, se recula légèrement pour
mieux pouvoir la regarder en face. « Mais c’est la vérité. Il faut… Je ne dis pas ça parce que
j’ai peur ou… C’est la vérité, tu comprends ? Je ne veux pas… Je ne veux pas que tu
t’engages là-dedans sans savoir que… »

« Harry, j’avais onze ans quand je me suis engagée là-dedans, comme tu dis. » l’interrompit-
elle. « Amie ou plus, si tu ne sais pas encore que je serais là jusqu’au bout, que ce soit dans
un mois, un ans ou un siècle, je ne sais pas quoi te dire. »
C’était probablement beaucoup trop tôt pour lui dire qu’il était amoureux d’elle.

Il n’était même pas sûr de s’il l’était vraiment ou si c’était les hormones qui parlaient mais…

À cet instant, à ce moment précis, il aurait été capable de faire quelque chose
d’excessivement stupide pour elle, comme aller décrocher la lune en plein jour.

Au lieu de ça, il se pencha avec un peu d’hésitation pour l’embrasser à nouveau. Il sentit son
sourire contre sa bouche juste avant qu’elle n’approfondisse le baiser. Incapable de lutter
contre ces explosions de joie dans sa poitrine, il l’attira encore plus près…

Puis il perdit le compte du nombre de baisers.

Rien n’existait plus qu’eux deux dans cette bulle.

Rien n’existait plus que Ginny.

Ses lèvres.

La peau douce juste derrière son oreille.

La manière dont elle se fondait parfaitement dans ses bras comme si elle avait été faite pour
lui…

°O°O°O°O°

Tonks était passablement agacée lorsqu’elle émergea des cachots, dont elle venait de faire le
tour, perdant vingt minutes d’un temps qui aurait été mieux employé ailleurs. Elle fit un pas
vers le grand escalier, louvoyant entre les groupes d’élèves qui se rendaient dans la Grande
Salle pour dîner et qui étaient, apparemment, si habitués à la voir déambuler dans l’école
qu’ils ne lui jetaient même plus de regard curieux.

« Nymphadora ! »

Elle se tourna même si la voix était trop jeune et bien trop enthousiaste pour appartenir au
sorcier qu’elle cherchait partout. Elle sourit pourtant en voyant Harry se frayer un chemin
jusqu’à elle, un air benêt sur le visage.

L’espace d’une seconde, elle crut qu’il était ivre et se dit qu’elle ne voulait surtout rien savoir.
Puis il la rejoignit finalement avec une grimace d’excuse qui n’atténua pas son sourire et elle
se rendit compte qu’il était simplement très heureux. Elle n’était pas sûre de l’avoir jamais vu
comme ça.

« Désolé, à force d’entendre Sev t’appeler comme ça… » offrit-il.

« Oh, tu peux m’appeler comme tu veux. Nymphadora, Tonks… C’est pareil. » répondit-elle
distraitement, avant de se rendre compte que c’était tout à fait vrai.

Elle ne se souvenait plus de la dernière fois où elle avait piqué une crise parce que quelqu’un
avait utilisé son prénom au lieu de son nom de famille et elle s’aperçut que… ça lui était égal.
En partie parce que, étant donné la situation là-dehors, c’était puéril de s’attacher à ce genre
de choses et en partie parce que… Entendre Severus susurrer son prénom avec révérence
contre sa peau l’avait fortement réconciliée avec. Sa mère avait toujours dit qu’un jour elle
serait assez grande pour le porter fièrement et… Elle avait eu raison.

« Tu peux m’appeler Dora, si tu veux. » offrit-elle, un peu sur un coup de tête. Elle n’allait
pas laisser Remus gâcher un surnom que lui avait donné son père quand elle était petite et qui
demeurait spécial. Peu de gens l’appelaient Dora. Sa famille et c’était tout.

« Dora. D’accord. » acquiesça Harry, sans cesser de sourire comme un idiot.

Amusée malgré elle, elle ravala un petit rire, oubliant momentanément son irritation
croissante envers un certain Maître des Potions qui l’avait ignorée une grande partie de la
journée après lui avoir plus ou moins dit qu’il ne voulait plus la voir pendant deux semaines.

« Toi, tu viens de passer du temps avec une fille, je me trompe ? » le taquina-t-elle.

Il eut l’air choqué.

C’était adorable, décida-t-elle.

« Comment… » balbutia-t-il.

Elle aurait pu mentionner ses cheveux en bataille, sa cravate à moitié dénouée ou le suçon qui
dépassait à peine du col de sa chemise mais, comme elle était charitable, elle se contenta d’un
clin d’œil. « Je suis un peu détective à mes heures perdues. »

La plaisanterie arracha un petit rire à l’adolescent qui se remit à sourire comme un dément.
Elle espérait vraiment qu’il n’était pas ivre d’autre chose que d’hormones.

« Tu peux garder un secret ? » chuchota-t-il, en jetant un regard nerveux autour de lui.

Terrain dangereux, l’avertit une petite voix à l’arrière de sa tête, parce que Severus
n’apprécierait certainement pas qu’elle lui cache des choses à propos de son fils.

Mais Severus n’avait qu’à répondre à ses messages s’il voulait avoir son mot à dire, rétorqua
un autre petite voix.

« Je serai une tombe. » promit-elle.

« J’ai embrassé Ginny Weasley. » lâcha-t-il, en riant, avec la joie d’un enfant.

Elle en déduisit qu’il avait eu envie de se l’entendre dire à voix haute davantage que de se
confier.

Elle ne put s’empêcher de sourire, confrontée à la simplicité d’un premier amour.

« Mais tu ne dis rien à papa, hein ? » insista-t-il soudain.

« Il n’aime pas Ginny ? » demanda-t-elle, en fronçant les sourcils.


« Si. » soupira-t-il. « Mais il va se moquer. » Il leva les yeux au ciel. « C’est de bonne guerre,
je suppose. Je me moque de lui, aussi. » Il fit la grimace et, cette fois ci, il perdit le sourire.
« Mais, à tous les coups, il va encore essayer de m’expliquer les choses de la vie et non
merci. »

Et, soudain, le secret n’était plus aussi mignon ou innocent et elle éprouva la même sensation
d’horreur que lorsqu’elle avait trouvé Draco en train d’embrasser Hermione dans la
bibliothèque.

« Harry… » grimaça-t-elle, elle aussi. « Dis-moi que tu connais le charme contraceptif. »

« Ne t’y mets pas ! » s’horrifia le garçon, en s’empourprant. « On vient à peine de


commencer à… Ce n’est pas… C’est trop tôt pour… »

Pourquoi mais pourquoi se retrouvait-elle dans ce genre de galères ? Elle aurait dû rester au
Ministère, faire des heures supplémentaires ou aller remplacer quelqu’un sur les rondes du
Chemin de Traverse, au lieu de dire à Kingsley qu’elle couvrait Poudlard et Pré-au-Lard pour
la soirée… Pour la cinquième nuit consécutive, comme l’avait fait remarquer son partenaire
en plaisantant. Il rirait moins quand elle atterrirait sur son canapé, probablement ulcérée par
la dispute qu’elle ne manquerait pas d’avoir avec Severus parce que soit il avait pris peur en
se rendant compte qu’ils étaient sérieux au point de passer plusieurs nuits d’affilées
ensemble, soit il avait mal compris ce qu’elle avait essayé de lui dire et…

« Je suis vraiment très, très contente pour toi et Ginny. » répondit-elle, s’efforçant de dire ce
qu’il fallait, en y mettant les formes. « Et je sais que c’est tout nouveau et je ne dis pas qu’il y
a besoin de… plus. Et même s’il y a… plus un jour, tu dois être sûr que… »

« Tonks. » plaida-t-il, l’horreur se peignant sur son visage.

C’était presque assez drôle pour qu’elle cesse elle-même d’être gênée. Presque.

« Tu dois être sûr que vous êtes sur la même longueur d’onde tout du long, qu’elle n’ait pas
changé d’avis. » termina-t-elle rapidement. « Mais à ton âge, ce genre de… plus peut arriver
sans prévenir et ça ne fait pas de mal d’être prêt alors tu dois aussi être sûr de connaître le
charme, d’accord ? Parce que c’est très mignon là tout de suite mais tu sais ce qui est
beaucoup moins mignon ? Un bébé. » Qu’est-ce qu’elle était en train de raconter ? « Enfin
si, un bébé, c’est mignon. Mais pas quand c’est ton bébé. » Elle se frotta le visage. « Tu
comprends ce que… »

« Tu es pire que Severus. » la coupa Harry, riant à moitié sous l’effet de l’embarras.

« Demande juste à un adulte de te montrer le sort, d’accord ? » insista-t-elle. « Demande à


Sirius, si tu ne veux pas demander à Severus. Demande à Charlie, si vraiment ça te gêne, je te
promets qu’il ne se moquera pas de toi, mais demande à un adulte et ne te contente pas
d’aller chercher à la bibliothèque parce que c’est le genre de sorts dont on veut être sûr à cent
pour cent. S’il est mal jeté, il n’est pas efficace. D’accord ? »

Le garçon grimaça. « D’accord. »


« Promets-moi. » exigea-t-elle.

Il grogna. « Promis. Si ça peut mettre un terme à cette conversation : promis. »

Elle ne put s’empêcher de rire, de manière peut-être un peu trop hystérique, parce que…
Qu’était devenue sa vie ?

« À quel point tu me détestes, maintenant ? » demanda-t-elle, non sans humour.

« Là tout de suite ? Un peu. » admit Harry. « Mais tant que tu ne dis rien à mon père, je te
pardonne. Ou à Charlie ! »

« Je ne le dirai à personne. » promit-elle. « Et je suis vraiment contente pour toi. » Le flot


d’élèves qui allaient dans la Grande Salle avait commencé à se tarir. « Va manger,
maintenant. Et si tu ne veux pas que tout le monde découvre ton secret avant la fin de la
soirée, tu devrais peut-être cacher ce suçon sur ton cou. »

Il s’empourpra à nouveau sous sa taquinerie mais entreprit de resserrer sa cravate et


d’arranger sa chemise. « Mieux ? »

« Parfait. » commenta-t-elle, avec amusement. « Dis-moi, tu ne saurais pas où est ton père,
par hasard ? Il n’est pas en bas. » Il sortit un parchemin de la poche arrière de son pantalon,
qu’il entreprit de déplier sans un mot. « Oh, c’est la fameuse Carte des Maraudeurs ? J’en ai
entendu parler… »

« Il est dans la salle de réunion, à côté de la salle des professeurs. » lui dit-il. « Méfait
accompli. »

« Pratique. » remarqua-t-elle, avant de céder à une impulsion et de remettre de l’ordre dans


ses cheveux en désordre. Il se débattit pour la forme mais riait de bon cœur lorsqu’il
s’éloigna en direction de la Grande Salle.

« Hé, Dora ? » lança-t-il, d’un ton un peu hésitant. Elle se tourna légèrement, levant les
sourcils en guise de question. « Tu… Tu lui fais vraiment du bien, tu sais ? Il est heureux. »

Ça la toucha beaucoup plus qu’elle n’aurait su l’exprimer.

Néanmoins, rumina-t-elle le long du couloir qui menait à la salle des professeurs, il allait être
nettement moins heureux lorsqu’elle allait finalement lui mettre la main dessus.

L’obliger à courir partout comme si elle n’avait que ça à faire, comme s’il n’y avait pas tout
un tas de parchemins sur son bureau qui attendaient qu’elle les lise ou comme si…

Elle poussa la porte de la salle de réunion sans frapper ou s’annoncer…

Et se figea, regrettant de ne pas l’avoir fait.

Parce que Sinistra était assise et que Severus était penché au-dessus d’elle, une main sur le
dossier de sa chaise, l’autre posée sur la table…
La partie rationnelle de son esprit lui dit qu’il n’y avait rien de mal à la scène. Il y avait une
distance respectable entre eux, même si Severus était penché par-dessus son épaule pour lire
le même parchemin qu’elle.

Mais la partie irrationnelle de son esprit qui était fatiguée, qui s’était sentie rejetée toute la
journée et qui était en colère qu’il l’ignore délibérément, elle, ne vit que le fait qu’il soit seul
avec Sinistra, beaucoup trop proches.

Les deux enseignants levèrent tous les deux la tête au même moent à son entrée un peu
fracassante.

Elle n’eut même pas le loisir de décider comment elle allait réagir parce que, au lieu de la
panique ou de la culpabilité qu’elle s’était attendue à voir apparaître sur le visage de Severus,
son expression vira au soulagement absolu. Un soulagement qui ne masqua pas sa profonde
tristesse.

« Tonks ! » s’exclama joyeusement Sinistra, avec une amabilité qui n’était pas feinte, comme
si elle était sincèrement contente de revoir une ancienne élève. « Comment allez-vous ? Si
vous cherchez Minerva, elle ne devrait pas tarder à revenir, elle… »

Le Professeur d’Astronomie s’interrompit, surprise par le mouvement brusque de Severus,


qui se repoussa de la table pour claudiquer jusqu’à la jeune femme avec une détermination
presque farouche.

Nymphadora n’eut même pas le temps d’exiger l’explication qu’elle était venue chercher.
Avant de bien comprendre ce qui se passait, elle se retrouva dans ses bras. Et, alors qu’il la
serrait suffisamment fort pour que ça en soit presque douloureux, elle remarqua la manière
dont son corps tremblait légèrement. Elle passa les bras autour de lui pour lui rendre son
étreinte, plus alarmée qu’autre chose.

Elle ne se soucia ni de la porte ouverte, ni de l’expression choquée de Sinistra.

Mais le fait que Severus, lui, ne s’en préoccupe pas au moins un minimum…

« Tu es là… » murmura-t-il dans son cou. Comme si c’était un miracle. Comme s’il avait
pensé ne plus jamais la revoir.

Quelle idée ridicule s’était-il encore fourré dans la tête ?

Soudain, il lui sembla moins probable qu’il l’ait ignorée toute la journée parce qu’il avait pris
peur… Elle n’aurait pas dû plaisanter au lieu de lui répondre si oui ou non elle comptait
passer à Poudlard ce soir là. Severus était… Il y avait des choses sur les relations amoureuses
qui auraient parues évidentes à n’importe qui qu’il ne saisissait pas ou prenait trop au sérieux.

Elle savait tout ça.

Sans doute s’était-il fait tout un film selon lequel elle essayait de le larguer en douceur alors
que…
Mais ce n’était pas que ça, souffla son instinct. Le tremblement n’était pas normal. Pas plus
que la manière dont il la serrait à l’étouffer. Ou qu’il ait initié ce genre d’étreinte désespérée
devant une tierce personne qui avait visiblement du mal à se remettre de sa surprise et à
fermer la bouche.

Elle recula le haut du corps jusqu’à pouvoir encadrer son visage de ses mains et le forcer
gentiment à la regarder en face. Il ne la lâcha pas pour autant. Et elle n’aima pas ce qu’elle lut
sur son visage.

Le soulagement était toujours présent.

La tristesse également.

Et dessous tout ça…

Était-ce de l’angoisse qu’elle voyait briller dans ses yeux ?

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-elle. « Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? »

Il secoua la tête sans y mettre assez d’énergie pour dégager ses mains.

McGonagall débarqua sur ses entrefaites et ne cilla même pas à les trouver dans les bras l’un
de l’autre. « Ah, Tonks… Parfait. Vous pouvez le ramener chez lui. Il ne se sent pas bien et
refuse de nous dire ce qu’il a. Il refuse également de voir Poppy, bien évidemment. Je vous
aurais appelée plus tôt mais nous gardions un œil sur lui et je sais que vous êtes occupée. »

Severus abaissa un de ses bras pour se tourner vers la vieille femme mais garda l’autre
fermement enroulé autour de sa taille.

Comme si c’était entièrement naturel d’avoir ce genre de gestes devant témoins.

Ou comme s’il était suffisamment désespéré pour ne pas vouloir la lâcher malgré la présence
des deux autres sorcières.

Qu’est-ce qu’il s’était encore passé ?

« Je ne suis plus un enfant, Minerva. » gronda-t-il.

Cela manquait d’hostilité, d’irritation. Ça sonnait trop faux.

« Et pourtant vous persistez à vous comporter comme tel. » rétorqua la sous-directrice avec
un regard sévère qui dissimulait mal son affection. « Allez. Filez, avant que je change d’avis
et ne vous force à terminer tous ces calculs budgétaires. »

Apparemment, c’était le seul argument dont il avait besoin. Il récupéra sa canne et la poussa
vers la porte d’une main posée au creux du dos. Tonks s’exécuta, un peu perdue mais
déterminée à avoir le fin mot de l’affaire…

Il était toujours en train de fermer la porte lorsque ils entendirent le chuchotement excité de
Sinistra. « Depuis quand ? Comment ? Oh, Minerva, c’est un crime d’avoir gardé un ragot
pareil pour vous toute seule ! »

« Voilà qui devrait te tranquilliser quant à ses intentions. » marmonna Severus.

Les seuls mots qu’il consentit à prononcer sur le chemin des cachots.

Elle cala son allure sur la sienne, notant la manière dont il s’appuyait fortement sur sa canne
comme si sa jambe le faisait souffrir alors qu’il n’en avait pas eu besoin pour se déplacer ce
matin là.

Il s’était définitivement passé quelque chose.

Il choisit le chemin le plus long jusqu’à l’entrée de ses appartements plutôt que de passer par
la porte dérobée dans le Bureau du Directeur de Maison de Serpentard. Si elle avait dû en
deviner la raison, elle aurait parié sur le fait que le tunnel était trop glissant et les dalles trop
inégales pour sa jambe.

Elle rongea son frein jusqu’à ce qu’ils atteignent la porte et qu’elle ne sente les protections
fondre brièvement autour d’eux pour les laisser entrer sans qu’il ait rien à faire. Elle ouvrit la
bouche aussitôt le seuil passé, décidée à obtenir des réponses, uniquement pour se retrouver
plaquée contre la porte fermée. L’instant d’après, il l’embrassait avec suffisamment
d’agressivité pour que…

Elle répondit à son baiser avec la même fougue.

Par réflexe.

Par désir.

Il n’en fallait jamais beaucoup pour qu’elle se laisse distraire par ses baisers, après tout.

Ses lèvres ne tardèrent pas à quitter les siennes, à tracer un chemin brûlant le long de sa
mâchoire, ce qui la poussa à laisser tomber la tête en arrière… La canne heurta le sol dans un
cliquètement, ses mains tremblantes glissèrent au creux de ses reins…

« J’ai froid… » murmura-t-il dans son cou. « J’ai si froid… »

Ça doucha momentanément le voile de désir qui lui avait fait perdre de vue l’important. À
nouveau, elle attrapa gentiment son visage pour le forcer à la regarder en face, pour pouvoir
l’étudier…

« Tu te sens mal ? » s’inquiéta-t-elle. Elle posa une main sur son front mais sa peau n’était
pas plus ou moins tiède que d’ordinaire…

« Pas physiquement. » répondit-il, de manière assez inquiétante. Il frôla sa bouche de la


sienne, quêtant sa permission. « J’ai besoin de toi. J’ai tellement besoin de toi… J’ai si froid à
l’intérieur, Nymphadora. S’il te plait… »

Le baiser était désespéré, suppliant, et comment aurait-elle pu dire non à ça ?


J’ai besoin de toi.

Les mots la cueillirent au cœur.

Alors elle l’embrassa en retour, décidant que les questions pouvaient attendre. N’avait-elle
pas été dans la même situation quelques jours auparavant ? Lorsqu’elle avait eu besoin de lui,
il lui avait donné ce qu’elle voulait.

Et ce n’était pas comme si c’était vraiment un gros sacrifice de s’abandonner à ses caresses, à
ses baisers enflammés…

Ils n’atteignirent pas la chambre.

Severus ne parvenait pas à la lâcher et sa jambe était un problème.

Ce fût un miracle qu’ils arrivent seulement au canapé sans trébucher sur quoi que ce soit.

Et ce fût parfait tant qu’ils furent perdus dans le feu du moment mais ensuite… Ensuite, elle
se retrouva allongée sur son torse alors qu’il gardait résolument la tête tournée vers les
braises qui rougeoyaient dans la cheminée derrière le paravent et refusait de la regarder en
face. Il ne lui caressait pas les cheveux ou le dos, comme il le faisait d’habitude. Il avait
l’air… éteint.

Elle n’osait pas demander si ça allait mieux.

Il était évident que ça n’allait pas du tout.

« Tu sais, s’il vient à quelqu’un l’idée de te contacter par cheminette, ils auront une
surprise. » plaisanta-t-elle. Le paravent cachait beaucoup mais pas tout.

Sa seule réponse fût d’agiter la main. Ses lourdes sur-robes noires flottèrent jusqu’à eux et se
posèrent sur elle, comme une couverture. Il ne prononça pas un mot.

« Pas sûre qu’Harry apprécie la vue non plus s’il revient à l’improviste. » remarqua-t-elle,
juste pour provoquer une réaction. Son apathie l’inquiétait.

« Il protestera probablement ma nudité davantage que la tienne… » marmonna-t-il, sans


véritable humour.

Il ne la regardait toujours pas.

Et elle commençait vraiment à s’inquiéter.

Elle chercha une manière subtile d’aborder le sujet puis abandonna l’idée de tourner autour
du pot.

« Parle moi. » supplia-t-elle, au bout de plusieurs minutes, en pressant un baiser sur une des
cicatrices qui serpentaient sur son pectoral. Celle-ci datait de la première guerre avait-il dit.
Un maléfice vicieux lors d’une bataille avec l’Ordre alors qu’il était encore fermement du
côté Mangemort. Il n’avait pas vu qui l’avait jeté mais soupçonnait Sirius.
« J’ai… fait de la magie noire aujourd’hui. » murmura-t-il, après un silence presque trop
long. « De la pure. »

Cela lui fit l’effet d’un seau d’eau glacé déversé sur sa tête mais elle s’efforça de ne pas
réagir, de ne pas seulement tressaillir.

La magie noire était dangereuse à plus d’un titre. Non seulement parce qu’elle pouvait faire
des choses terribles mais parce que son impact sur ceux qui la pratiquaient était avéré. C’était
une drogue. Une drogue qui vous détruisait jusqu’à l’âme.

Il était expert en Forces du Mal ou il n’aurait pas eu le poste de Professeur de Défense,


toutefois…

Elle n’était pas idiote, elle savait très bien que Severus y touchait. La moitié des sortilèges
qu’il inventait, la moitié de ceux qu’il lui avait appris, tirait vers la magie noire. Cependant
ils demeuraient à la limite de l’acceptable, le prix demandé était raisonnable, il n’y avait pas
de sensation de manque si on arrêtait de s’en servir.

De la pure magie noire, en revanche…

Elle ne pensait pas qu’il pratiquait encore. Elle savait qu’il avait dû le faire lorsqu’il était plus
jeune mais…

Elle n’aurait même pas su dire à quoi ressemblait de la pure magie noire. Ils étudiaient
brièvement la théorie lors de la formation des Aurors, étudiaient les signes et les effets pour
mieux les repérer, mais elle ne l’avait jamais vue pratiquée en dehors des Impardonnables ou
de maléfices. Des rituels ou ce genre de choses… Elle n’en avait jamais vu. Elle avait arrêté
des gens qui comptaient en faire ou en avait faits mais son expérience concrète s’arrêtait là.

« Et tu fais ça régulièrement ? » demanda-t-elle, parvenant à garder un ton neutre par elle ne


savait quel miracle.

S’il était accro à la magie noire, s’il était parvenu à lui cacher un secret pareil jusque là…
Qu’allait-elle faire ? Parce qu’elle ne pouvait pas le regarder se détruire à petit feu mais elle
ne voulait pas non plus l’abandonner et…

« Non. » répondit-il. « Pas à ce niveau. Pas depuis longtemps. J’avais sous-estimé l’impact
que cela aurait sur moi. J’avais oublié… » Il s’interrompit, déglutit péniblement. « C’était
nécessaire mais je ne compte pas replonger là-dedans. Ne t’inquiète pas. »

Ne t’inquiète pas.

« C’est dur de ne pas m’inquiéter quand tu t’es mis dans un état pareil. » rétorqua-t-elle, en se
repoussant en position assise. Un peu pour le provoquer, si elle était honnête. Assise sur ses
cuisses, elle le surplombait.

« Ce n’était pas la magie noire qui m’a mis dans cet état. » soupira-t-il, sans pour autant
tourner la tête. Il ne la regardait toujours pas. « Cela n’a pas aidé mais ce n’était pas la magie
noire. Si ce n’était que cela, je pourrais l’occluder. »
« C’était quoi alors ? » insista-t-elle, résistant à l’envie de lui demander ce qu’il avait
fabriqué avec de la magie noire. On obtenait moins en confrontant frontalement un suspect
qu’en détournant la conversation pour mieux y revenir par surprise. Non pas qu’il soit un
suspect. Mais…

« J’ai touché un objet… maudit. » expliqua-t-il lentement. « C’était stupide de ma part.


Irréfléchi. L’effet n’est pas dissimilaire à un Détraqueur, en pire. Il est en train de se dissiper
mais cela prend du temps. »

Cela expliquait au moins son comportement, supposait-elle, la manière dont il s’était


accroché à elle et le froid intérieur dont il se plaignait.

« Il est où cet objet ? » demanda-t-elle. Parce que ce genre de trucs étaient dangereux. Il y
avait tout un Département au Ministère dédié à leur destruction.

« Détruit. » souffla-t-il. « D’où la magie noire. »

Elle n’avait pas eu conscience d’à quel point son corps avait été tendu avant que le
soulagement ne le fasse se relâcher brutalement.

Il avait fait de magie noire pour détruire un objet maudit.

C’était tout aussi stupide que d’y avoir seulement touché en premier lieu mais ses intentions,
au moins, avaient été bonnes. Il ne s’était pas juste livré à de la magie noire pour se distraire
ou expérimenter. Il y avait eu une raison concrète, une bonne raison.

« Je ne devrais pas te dire ça. » s’alarma-t-il soudain, en se frottant le visage. « Tu ne peux


pas savoir. »

Elle leva les yeux au ciel. « Tu ne m’as pratiquement rien dit. »

« C’est assez. » riposta-t-il, en faisant finalement l’effort de la regarder. « Quelqu’un sachant


de quoi il s’agit pourrait le voir dans ton esprit et en déduire… »

« Ah, le fameux secret. » lâcha-t-elle.

« Ne fais pas cette tête. » protesta-t-il, en tendant la main pour frotter son pouce entre ses
sourcils. Pour effacer sa grimace contrariée, sans doute. Le geste affectueux la rassura
quelque peu. « C’est pour ta protection autant que celle du secret. Ils laisseraient ton esprit en
lambeaux l’un comme l’autre pour cette information. » Soudain, il avait l’air beaucoup plus
lucide, beaucoup plus présent. « Tout ce que je viens de te dire, enferme le derrière une
couche de boucliers et pousse le au fond de ton esprit. N’y pense plus. N’y prête plus aucune
attention. Oublie-le. »

Comme si c’était si facile.

Essayer d’oublier quelque chose était le meilleur moyen d’y penser encore et encore.

Mais il y avait suffisamment de détresse et d’inquiétude sur son visage pour qu’elle ne le lui
fasse pas remarquer.
« La magie noire. » attaqua-t-elle. « Promets-moi de ne plus en refaire. Pas à un niveau qui
peut te rendre accro. »

Il hésita. « Je ne peux pas. Et je ne peux pas te dire pourquoi. »

Ça l’énerva.

Évidemment que ça l’énerva.

Elle croisa les bras, pas moins agacée lorsque ses yeux noirs dérivèrent de son visage à sa
poitrine et y restèrent.

Tellement prévisible.

Il avait beau prétendre qu’il contrôlait son corps et son esprit d’une main de fer, il restait un
homme. Un homme qui appréciait toujours la vue et se laissait volontiers distraire par ses
charmes.

Elle résista à l’envie de se couvrir avec ses robes juste pour le contrarier.

« Et la raison pour laquelle tu m’as ignorée toute la journée, tu peux me le dire, ça ? » le


défia-t-elle.

Il fronça les sourcils comme si la question n’avait pas grand sens pour lui puis releva soudain
les yeux pour croiser son regard. « Je ne t’ignorais pas. J’ai enfermé le carnet dans le tiroir de
mon bureau. »

Elle lâcha un bruit amusé qui ne l’était pas vraiment. « Pour mieux m’ignorer. »

« Non. » nia-t-il. « Parce que… » Il se frotta le visage. « Nymphadora, je ne suis pas tout à
fait moi-même. »

« Juste assez pour me sauter dessus à peine la porte franchie. » le taquina-t-elle, malgré elle.

Sa bouche tressauta en un rictus qui n’était pas tout à fait un sourire mais elle comptait ses
victoires là où elle le pouvait. Lorsqu’il ôta la main de son visage, ce fût pour la poser sur sa
cuisse. Une autre victoire. Tout ce qui n’était pas cette apathie alarmante était une victoire.

« Je sais que nous avons déjà eu cette conversation… » hésita-t-il, avec davantage de
vulnérabilité qu’il s’autorisait d’ordinaire. « … mais es-tu certaine de bien me voir comme je
suis ? »

« Un sorcier extrêmement brillant qui peut parfois faire des choix extrêmement stupides et
qui est en plein bad trip après avoir touché à quelque chose qu’il n’aurait pas dû toucher ? »
railla-t-elle, non sans sarcasme.

Elle attendit qu’il insiste, qu’il essaye de la convaincre une nouvelle fois qu’il n’était pas un
homme bien, mais, au lieu ça, il ricana sans aucun amusement.

« Un excellent résumé, je suppose. » lui accorda-t-il.


Il aurait été facile de continuer à plaisanter, d’ignorer le vrai problème mais… Ignorer les
problèmes, prétendre qu’ils n’existaient pas, avait été son erreur avec Remus et elle tenait
trop à Severus pour reproduire le même schéma.

« La magie noire… » lâcha-t-elle.

« Je ne replongerai pas là-dedans. » jura-t-il. « J’ai trop à perdre et je le sais. Néanmoins… Je


ne peux pas te promettre de ne pas y retoucher sans te mentir. »

« Tu te rends comptes de quoi ça a l’air ? » demanda-t-elle calmement.

« Des excuses d’un junky, oui, je le sais. » admit-il. « Je suppose que c’est une question de
confiance. »

« De confiance aveugle. » corrigea-t-elle. « Que tu me demandes régulièrement sans jamais


rien m’expliquer en retour. »

Il ferma les yeux. « Sans doute. Je comprendrais que tu… »

« N’essaye même pas de dire que tu comprendrais que je te quitte. » cingla-t-elle, avant qu’il
ait pu terminer sa phrase.

Il rouvrit les paupières, l’observa avec tellement d’angoisse… Combien était dû à cet objet
qu’il avait touché et combien venait de ses insécurités chroniques ? Toutefois, se força-t-elle
à se remémorer, elle lui avait fait une crise de jalousie hystérique, il n’y avait pas si
longtemps, et au lieu de le lui reprocher ou de véritablement la tourner en dérision, il l’avait
rassurée, avait pris soin d’elle. Il n’était pas le seul avec des craintes. Il n’était pas le seul qui
avait parfois peur que cette relation finisse par le détruire parce que c’était trop fort.

Elle venait juste de recoller son cœur en miettes et… Elle était persuadée que si lui le brisait
il ne resterait pas assez de morceaux pour le rafistoler.

« Je te fais confiance. » offrit-elle, sincèrement à défaut de prudemment. « Mais, s’il te plaît,


s’il te plaît, fais en sorte que je n’ai pas à le regretter. »

Cela n’eut pas l’air de le rassurer.

Il déglutit péniblement. « Je ne veux pas te décevoir… L’idée de te décevoir m’est


insupportable. Mais je ne peux pas garantir… »

« Personne ne peut rien garantir, Severus. » soupira-t-elle. « Fais de ton mieux, c’est tout ce
que je te demande. »

« J’essaye… » chuchota-t-il. « J’essaye vraiment d’être un homme bien, tu sais. Digne de toi.
Digne d’Harry. »

« Je sais. » promit-elle, en plaçant une main sur son torse. « Tu te sens un peu mieux ? Tu es
sûr que tu ne devrais pas consulter Pomfresh ? »
Il secoua la tête. « L’effet s’est déjà atténué. J’ai moins froid depuis que tu es là, je me sens
moins vide. »

Qu’il en avoue autant aussi librement, cependant, ne contribuait pas à la rassurer. Severus se
livrait généralement au compte-goutte et cette conversation avait été un peu trop sincère.
C’était évident pour elle que, bien qu’il soit suffisamment lucide pour ne pas trop l’alarmer, il
n’était pas tout à fait en contrôle de lui-même non plus.

« Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ? » insista-t-elle.

« Rien. » marmonna-t-il, en passant un bras sur ses yeux comme pour bloquer la lumière.

Le bandage autour de son avant-bras était tâché de sang et elle attrapa sa main pour mieux
l’examiner, écartant son bras de son visage.

« Severus, la Marque… » s’horrifia-t-elle, en faisant disparaître le bandage d’un geste, sans


même s’apercevoir qu’elle n’avait pas utilisé sa baguette. Il était clair qu’elle avait saigné
abondamment et pendant un moment.

Il regarda la chose avec un détachement presque effrayant. « Je ne m’en suis pas aperçu. »

« Comment tu as pu ne pas t’en apercevoir ? » râla-t-elle. « Ça a dû être douloureux. »

Et elle voyait un lien de cause à effet avec la magie noire.

« Je ne sais pas. » admit-il. Il gigota un peu sous elle mais ne tenta pas de se lever, au lieu de
ça, il soupira. « Sais-tu ce que je donnerais pour pouvoir sortir d’ici ? Poudlard est devenu
une prison. Une prison agréable, certes, mais une prison. »

Elle refusait de se laisser distraire de la chair boursoufflée et enflammée qui aurait dû le


laisser à l’agonie. « Où est le baume ? »

« Dans la poche. » marmonna-t-il.

Il lui fallut une seconde pour comprendre qu’il parlait des sur-robes qui était tombées derrière
elle quand elle s’était redressée. Elle fouilla les poches visiblement élargies par magie vu tout
le bric-à-brac qui s’y trouvait et en retira finalement le petit pot.

S’il avait fallu une preuve qu’il n’était pas tout à fait dans son état normal, qu’il la laisse
étaler le baume sur la Marque sans protester, qu’il la laisse toucher la Marque, aurait été tout
ce dont elle aurait eu besoin.

Il ne semblait pas souffrir – encore qu’avec lui ça ne voulait pas dire grand-chose – alors elle
résista au besoin d’envoyer immédiatement un Patronus à Bill pour lui demander de venir
faire ce fameux rituel qui le soulageait mais se promit de lui envoyer un mot avant même le
petit-déjeuner.

« Où est-ce que tu voudrais aller ? » demanda-t-elle pour le distraire, tandis qu’elle étalait
prudemment le baume.
Son ricanement était amer. « Un bar ? »

Elle fronça les sourcils. « Tu n’aimes pas boire. »

« Ce n’est pas tant que je n’aime pas boire davantage qu’il me serait facile d’en arriver à trop
aimer boire. » répondit-il, non sans sarcasme. « Il y a des prédispositions génétiques à
l’alcoolisme. Un autre des souvenirs fabuleux de Tobias Snape. »

Parfois, elle aurait aimé que son père soit encore en vie juste pour avoir le plaisir de lui tordre
le cou.

Il en parlait peu et jamais directement mais ce genre de remarques suffisait à dessiner une
image de ce qu’avait dû être son enfance.

C’était probablement une mauvaise idée mais elle aurait tout fait pour effacer cette tristesse
de son visage. « Je suis sûre que tu as du Polynectar dans tes réserves et je peux changer
d’apparence… Si tu veux, on pourrait… »

« Non. » la coupa-t-il fermement. « Ne me tente pas. Ils finiraient par me traquer à travers la
Marque et tous ceux qui se trouveraient autour de moi seraient en danger, toi la première. »

Elle n’insista pas, principalement parce qu’elle savait qu’il avait raison et que c’était une très
mauvaise idée. Elle reboucha le pot, le remit dans la poche et se pencha pour chercher sa
baguette sans la trouver… Elle avisa la baguette en bois d’aubépine au pied de la table basse,
en revanche, et l’attrapa avant de la montrer à son propriétaire. « Je peux ? »

Il lui jeta un regard vaguement intéressé. « Il n’est pas sûr qu’elle fonctionne pour toi. Elle
est caractérielle. »

« Vous faites la paire, donc. » se moqua-t-elle.

Elle perçut une résistance lorsqu’elle jeta le sort qui fit apparaître une bande de gaze mais la
baguette parut consentir à fonctionner pour elle, même si c’était très différent d’utiliser la
sienne.

« Quel genre de bar ? » demanda-t-elle.

« Est-ce important ? » marmonna-t-il, avec fatigue. « Un pub, je suppose. »

Elle termina de bander son poignet puis lui rendit sa baguette, avant de planter un baiser sur
ses lèvres et de se relever, un plan se formant dans son esprit.

Il la regarda enfiler son jean avec un air déçu mais pas surpris. « Tu pars ? »

« Je reviens. » promit-elle, en renonçant à récupérer le tee-shirt qui avait atterri quelque part
dans le couloir. Elle vola sa chemise à la place et trouva son étui à baguette dessous. Elle
coinça la baguette dans la poche arrière de son jean, exactement comme Fol’Œil le lui avait
toujours déconseillé, au lieu de sangler à nouveau l’étui à son bras. « En attendant, demande
aux cuisines un plat de frites et d’ailes de poulet fris. Plus c’est gras, mieux c’est. »
Il s’assit mais fit la grimace. « Ne préfères-tu pas quelque chose d’un peu plus digeste ? »

« Non. » décréta-t-elle, en déplaçant le pare-feu. « Et n’oublie pas de mettre un pantalon.


Inutile de traumatiser les elfes… »

Il laissa échapper un bruit amusé. « Personne ne m’a jamais accusé d’être beau mais de là à
être qualifié de traumatisant… »

« Très bien, alors disons que je préfère être la seule à être autorisée à admirer certaines
parties de ton anatomie. » rétorqua-t-elle, avec un clin d’œil.

« Le sentiment est mutuel. » répondit-il, en levant un sourcil. « Raison pour laquelle je


m’inquiète de te voir partir Merlin sait où dans cette tenue… »

Elle baissa les yeux, grimaça en se rendant compte que le tissu était effectivement plutôt
transparent, puis haussa les épaules. Elle ne comptait croiser personne.

« Je reviens. » répéta-t-elle. « Des frites et du poulet. » Elle jeta une poignée de poudre de
cheminette dans l’âtre. « Douze Square Grimmaurd. »

Elle parvint à ne pas trébucher à la sortie de l’âtre, sa maladresse chronique jamais tout à fait
sous contrôle lorsqu’il était question de voyage par réseau de cheminée. Elle attendit
plusieurs secondes, comptant mentalement jusqu’à soixante, mais lorsque personne ne vint
s’enquérir d’un visiteur, elle s’autorisa à respirer.

Ses pieds nus avaient l’avantage d’être silencieux. Elle se déplaça vite mais furtivement,
prenant soin d’éviter les lattes de parquet qui grinçaient.

Severus n’avait pas de radio dans ses appartements or pour mettre son petit plan à exécution,
il lui fallait de la musique. Initialement, elle avait prévu de voler la petite stéréo dans la
cuisine mais un pas dans le couloir mit à un terme à cette idée. Il y avait du mouvement en
bas et, certes, ça pouvait être Kreattur ou Nyssa mais elle n’avait pas envie de risquer une
rencontre gênante avec Remus.

Elle se dirigea donc aussi silencieusement qu’elle le put vers le salon de musique qui avait été
converti en un dortoir d’urgence dont personne ne s’était jamais servi.

Elle sortit sa baguette et jeta un faible lumos juste pour être sûre de ne pas se cogner dans
quoi que ce soit. La radio était dans le coin, couverte de poussière, beaucoup plus imposante
que celle de la cuisine, le modèle étant ancestral. Elle y jeta un sort pour la nettoyer et un
autre pour la rendre plus légère avant de l’attraper à bras le corps. Elle aurait pu la faire
léviter mais ne se faisait pas suffisamment confiance pour ne pas la cogner contre quelque
chose et alerter…

La lumière inonda soudain la pièce, la faisant sursauter, et elle pivota, heureuse d’avoir
plaqué la radio contre son torse juste parce que cela cachait la transparence du tissu.

D’accord, avec le recul, s’aventurer au Square Grimmaurd avait été un plan de merde.
Elle aurait aussi bien fait d’aller demander à McGonagall si elle n’avait pas une radio ou un
gramophone qu’elle pouvait emprunter.

« Qu’est-ce que tu fais ? » demanda Remus, sourcils froncés.

Elle vit la seconde précise où le loup-garou aperçut la chemise d’homme qu’elle portait, ses
pieds nus, ses cheveux roses en désordre…

« Rien. » lâcha-t-elle. « J’emprunte juste un truc. »

Elle fit plusieurs pas vers la porte mais s’arrêta bien vite parce qu’il lui barrait le passage.

L’expression du sorcier était dure. « Tu as demandé l’autorisation à Sirius ? »

« Tu crois vraiment qu’il en a quelque chose à faire si j’emprunte une vieille radio ? »
riposta-t-elle. « Je la ramènerai, ce n’est pas la mer à boire. Laisse-moi passer. »

« Si ce n’est pas la mer à boire, peut-être que tu devrais lui demander d’abord. » riposta
Remus. « Mais peut-être aussi que tu n’as pas envie de lui expliquer que tu veux emprunter
sa radio pour un rendez-vous galant… » Il plissa le nez comme si quelque chose empestait.
« Tu pues son odeur comme si tu l’avais dans la peau… As-tu conscience d’à quel point vos
odeurs se mêlent dernièrement ? À croire que tu passes tout ton temps avec lui… »

« Je vois que tes bonnes résolutions n’ont pas duré longtemps. » railla-t-elle.

Il cilla mais ses yeux ne perdirent pas leur lueur ambrée. « J’aurais pu tout dire à Sirius mais
je ne l’ai pas fait, j’ai gardé ton secret. »

« Et quoi ? » cracha-t-elle. « Tu veux peut-être que je te remercie de t’être mêlé de tes


affaires pour une fois ? »

Remus s’humecta les lèvres, sa respiration était un peu trop profonde, un peu trop audible
dans la pièce calfeutrée. Ça la rendait nerveuse, lui donnait envie de sortir sa baguette mais
outre le fait qu’il n’avait eu aucun geste agressif, sortir sa baguette impliquait de poser la
radio, ce qui signifiait exposer ce que la chemise ne cacherait pas. Elle aurait dû écouter
Severus et passer autre chose par-dessus ou prendre le temps d’aller chercher son soutien-
gorge là où il avait atterri.

« En toute amitié… » offrit-il, avec un effort manifeste pour garder un ton calme, plaisant.
« Sincèrement… Dora, si tu as honte d’en parler à tes amis, à ta famille… Peut-être que tu
devrais te poser des questions. »

Elle éclata de rire.

« Honte ? » répéta-t-elle. « Je n’ai honte de rien, Remus, et surtout pas de lui. »

« Pourquoi le cacher à Sirius, dans ce cas ? » insista-t-il. « Tes parents… »

« Mais on ne le cache pas à Sirius ! » s’énerva-t-elle. « C’est lui qui est complètement
bouché ! Et puis ce ne sont pas tes affaires ! Je n’ai aucune intention de parler de ça avec toi.
Laisse-moi passer. »

« Je ne te garde pas prisonnière. » riposta le loup-garou, en levant les bras avec exaspération.
« Vas-t-en, si tu veux. »

Mais il était devant la porte et pour sortir elle aurait dû passer trop près de lui.

Elle avait beau affirmer encore et encore qu’il ne lui ferait jamais de mal… Quand avait-elle
commencé à avoir peur de lui exactement ? Parce que là, seule, sans arme, dans une pièce
poussiéreuse et mal éclairée, il était indéniable qu’elle ressentait une certaine appréhension.

Il lui était impossible de ne pas se souvenir de la sensation des crocs s’enfonçant dans sa
gorge, pas assez pour percer la chair mais juste assez pour lui laisser comprendre qu’ils le
pourraient.

Sous forme humaine, il ne lui ferait pas de mal, mais…

Mais il avait essayé de l’empêcher de partir alors qu’elle était vulnérable… Il avait essayé
d’éloigner Severus lorsqu’elle avait été inconsciente, après l’avoir installée dans sa chambre
comme s’il avait toujours eu un quelconque droit sur elle…

Il dût se méprendre sur les raisons de son immobilité parce qu’il fit un pas vers elle, en
soupirant. « Dora… Pourquoi finissons-nous toujours par nous disputer ? Tu sais que je… »

Elle fit un pas en arrière et se décida à poser la radio pour sortir sa baguette. Elle était sur le
point de le faire lorsqu’un craquement sonore annonça l’arrivée de l’elfe de maison qui se
tenait désormais entre eux, l’air mauvais.

Elle n’avait pas vu Kreattur depuis des semaines et il lui fallut une seconde pour le
reconnaître. Dans une taie d’oreiller propre, frappée du blason des Black, les poils de ses
oreilles coiffés, il ressemblait à un autre elfe.

« Maîtresse Nymphadora a dit à l’animal de la laisser passer. » gronda l’elfe, avant de se


donner un de poing sans raison apparente.

Maîtresse Nymphadora ?

Confuse, elle croisa le regard de Remus qui leva les yeux au ciel.

« Ignore-le. Il est bizarre depuis quelques jours. » expliqua-t-il. « Sirius dit qu’ils ont trouvé
un terrain d’entente. »

« Kreattur sert la noble et ancienne nouvelle génération des Black. » croassa l’elfe fièrement.
« Kreattur ne va pas laisser l’hybride menacer Maîtresse Nymphadora dans la maison de la
vénérable famille Black. »

Ça n’avait aucun sens mais elle n’allait pas se plaindre d’avoir du renfort.

Même si l’elfe se frappa immédiatement après.


« Je ne l’ai pas menacée, Kreattur. » s’agaça Remus.

« Pas avec des mots, non. » grinça l’elfe, en le fusillant du regard. « Monsieur Remus… » Le
titre dégoulinait de mépris « …n’est pas le maître ici. Monsieur Remus va laisser passer la
maîtresse où Kreattur va écarter Monsieur Remus pour elle. »

Aussi tentant que ce soit de laisser l’elfe corriger le loup-garou pour elle, elle se racla la
gorge. « Euh, Kreattur ? C’est très gentil mais j’ai la situation sous contrôle. »

L’elfe s’inclina bas devant elle mais ne disparut pas pour autant.

La tête haute, elle se dirigea vers la sortie, soulagée lorsque Remus n’esquissa aucun geste
pour la retenir. Il était trop occupé à demander à Kreattur ce qui lui prenait.

Elle ne courut pas jusqu’au salon mais elle se dépêcha autant qu’elle le put, uniquement
soulagée lorsqu’elle émergea de la cheminée de Severus.

« Il se passe des trucs de plus en plus bizarres dans cette maison de fous. » annonça-t-elle, en
posant la radio dans un coin.

« Inutile que je te demande si tu as croisé Lupin. » commenta le Maître des Potions, avec un
déplaisir évident. Il avait enfilé un pantalon et une chemise en tout point identique à celle
qu’elle lui avait volé. Il avança jusqu’à pouvoir tirer sur une de ses mèches rouges.

« Ne t’y mets pas, s’il te plaît. » râla-t-elle, en regardant autour d’elle. « Les frites ? »

« Dans la cuisine. » répondit-il. « J’ai mis la table. »

« Non, ce n’est pas l’idée. » déclara-t-elle. « Va les chercher. »

Il fronça les sourcils. « Quelle idée ? »

« Fais moi confiance ? » réclama-t-elle, en jouant avec les boutons de sa chemise. Pour
mieux le distraire.

« Aveuglément. » soupira-t-il, absolument pas dupe de son manège. « Bien qu’avec une
légère méfiance. »

Il adoucit cette raillerie d’un baiser.

Elle attendit qu’il ait quitté la pièce pour se mettre au travail. La métamorphose avait toujours
été une de ses meilleurs matières, elle avait une affinité naturelle pour la chose. Transformer
le canapé en comptoir de bar et les fauteuils en tabourets ne lui demanda aucun effort ; la
table basse devint un miroir, elle réarrangea le reste des meubles pour faire de l’espace. Elle
ouvrit les rideaux, mit un terme à l’enchantement de la fenêtre de sorte qu’ils aient vu sur le
lac et les créatures curieuses qui les épiaient à travers la vitre, éteignit les lumières puis
murmura un sort qui lança au plafond une douzaines de sphères lumineuses de tailles
différentes… La luminosité était tamisée, changeante, le reflet de l’eau louvoyait sur les murs
et donnait à la pièce une ambiance qui aurait été lugubre si elle ne l’avait pas compensé en
allumant la radio et en changeant de stations jusqu’à trouver la musique la plus ridicule qui
existait dans le monde sorcier.

C’était à peine de la musique, au fond. Rien qu’ils appréciaient, ni l’un, ni l’autre.

Lorsque Severus revint, il se figea sur le seuil.

« Tadaaa ! » s’exclama-t-elle, avec un geste théâtral. « Ton bar personnel… »

Elle vola une frite du plat qu’il tenait à la main – trop bon pour être de la nourriture de pub
mais ils feraient avec.

Elle avait à peine fini de l’avaler lorsqu’il glissa la main sur sa joue et l’attira dans un baiser
passionné qui traduisit sa gratitude plus efficacement que des mots l’auraient fait.

Il retourna à la cuisine suffisamment longtemps pour revenir avec des jus de fruits dans des
verres à scotch. Elle accepta le sien avec une méfiance feinte.

« J’espère qu’il n’y a pas de philtre à babille là-dedans. » l’avertit-elle.

Elle n’avait pas été fâchée par la plaisanterie. C’était de bonne guerre après ce qu’elle avait
fait à sa cape.

« Pas ce soir. L’un de nous devrait être en mesure de contrôler ce qui sort de sa bouche. »
ironisa-t-il, en triquant avec elle.

Elle avait voulu le dérider et était heureuse de le voir plus détendu.

Mission accomplie.

« Était-il nécessaire d’ouvrir les rideaux ? » se plaignit-il pourtant. « Harry le fait en


permanence mais, lorsque la fenêtre est enchantée, je peux au moins prétendre ne pas être un
animal de foire. »

« Ce n’est pas un bar si des gens louches ne te dévisagent pas comme une bête curieuse. »
décréta-t-elle, en agitant la main en direction d’une des créatures qui s’attardaient derrière la
vitre.

« Tu fréquentes de drôles de lieux. » commenta-t-il, en volant une frite dans le plat.

« Attends juste que je t’y traine. » l’avertit-elle. « Je vais là où il y a de la bonne musique. »

Il ne protesta pas autant qu’elle l’aurait cru.

Du moins pas avant qu’elle tente de l’attirer au centre de l’espace qu’elle avait sciemment
dégagé.

« Je ne danse pas. » grinça-t-il, en tentant de lui échapper. Peine perdue. Elle avait une prise
ferme sur ses poignets et il ne se débattait pas avec suffisamment d’agressivité pour qu’elle le
lâche. « Nymphadora. »
« Si tu me traines dans un bar, Severus, tu danses avec moi. » déclara-t-elle.

Il leva les yeux au ciel. « Est-ce une règle ? »

Elle hocha la tête. « Gravée dans le marbre. »

Il grogna mais cessa de tenter de lui échapper. La musique était ridicule et il se tenait droit
comme un piquet, ne consentant à bouger que si elle tirait sur ses bras… Elle se retrouva
donc à le forcer à danser comme s’il était une marionnette.

Mais plus elle exagérait, se déhanchait et se trémoussait, plus ses lèvres tressautaient alors
qu’il s’efforçait de ne pas sourire.

Elle s’estima satisfaite lorsque le premier rire lui échappa et qu’il l’attrapa à bras le corps
pour l’empêcher de continuer à se dandiner.

« Tu es ridicule. » accusa-t-il affectueusement.

« Et fière de l’être. » répondit-elle.

Elle ne renonça pas à essayer de le faire danser sans trop de succès mais lorsque, au bout d’un
moment, la musique laissa place à une chanson plus lente, ce fût lui qui l’attira contre lui. Il
consentit même à osciller lentement.

Les bras passés autour de son cou, le menton calé sur son épaule, elle sourit lorsqu’elle sentit
ses lèvres frôler sa gorge, s’égarer vers son oreille… Il resserra son étreinte…

« Je ne te mérite pas. » murmura-t-il.

« Ne recommence pas avec ça. » le gronda-t-elle. « C’est moi qui décide qui me mérite ou
pas. »

Il émit un bruit amusé mais pressa un baiser sous son oreille, pile à l’endroit qui la faisait
généralement fondre.

« Je… » hésita-t-il, après avoir pris une profonde inspiration. « Je… »

Elle recula précipitamment le haut du corps pour le bâillonner de sa main avant qu’il ait pu
dire quelque chose qu’il aurait probablement regretté au matin. Cela l’aurait tuée s’il avait
regretté.

« Dis moi lorsque tu auras l’esprit clair. » exigea-t-elle, en fouillant son regard.

Ses boucliers étaient inexistants à cet instant. La douceur dans ses yeux noirs, la tendresse, et,
oui, peut-être…

Elle l’embrassa.

Elle l’embrassa parce que c’était l’embrasser ou avouer tout un tas de choses qui la
terrifiaient, comme le fait que son cœur battait trop fort à chaque fois qu’elle le voyait ou que
se blottir contre lui avant de dormir était le meilleur moment de sa journée ou qu’elle était
désormais incapable d’imaginer un quelconque avenir sans lui.

°O°O°O°O°

Son salon avait repris son aspect habituel, il ne restait plus aucunes traces de la réplique de
bar en laquelle Nymphadora l’avait transformé. Comme s’il l’avait rêvé.

Les dernières heures avaient une impression suffisamment irréelles pour que ça ait été le cas.

Assis dans un de ses fauteuils, dans le noir, le regard rivé sur les eaux sombres du lac à
travers la large fenêtre, Severus fit le point. D’abord, inspecter ses boucliers, renforcer ceux
que la péripétie de la journée avait endommagé. Ensuite s’assurer que l’horcruxe n’avait rien
laissé derrière lui dans son esprit, ce dont il aurait dû se préoccuper plus tôt. Et enfin tâcher
de comprendre comment contrer l’influence des horcruxes parce qu’il avait beau être à
nouveau maître de lui-même, il avait beau avoir finalement dompté le froid qui lui avait glacé
l’âme pendant des heures, il en sentait toujours la morsure et il refusait de se retrouver à
nouveau dans une situation similaire.

Toutes les insécurités, les craintes que le médaillon avait déterrées… Il ne parvenait pas tout
à fait à les remettre dans leur boîte, même avec l’Occlumencie.

Il entendit une latte du sommier craquer, guetta les légers bruits de pas qui ne tardèrent pas à
approcher… Parce qu’il s’y attendait, il ne sursauta pas lorsqu’il sentit les bras l’enlacer par-
dessus le dossier du fauteuil. Une main glissa à l’intérieur du tee-shirt qu’il avait passé pour
dormir, des cheveux lui chatouillèrent la joue et, alors même qu’il souriait à l’odeur fruitée
qui s’en dégageait, des lèvres trouvèrent son cou…

« Je n’arrivais pas à dormir. » avoua-t-il.

« Et tu penses que tu vas mieux y arriver assis ici, tout seul, dans le noir ? » se moqua-t-elle,
la voix encore lourde de sommeil. « Loin de moi ? »

Il laissa tomber la tête vers son bras et ferma les yeux, en se demandant, pas pour la première
fois ces dernières heures, par quel miracle elle avait décidé qu’elle voulait de lui. Il n’était
tout simplement pas aussi chanceux.

« Est-ce si grave que nous ayons passé les cinq dernières nuits ensemble ? » s’entendit-il
demander.

Elle pressa un dernier baiser contre son cou puis fit le tour du fauteuil sans ôter le bras glissé
sous son tee-shirt pour se percher sur l’accoudoir. Elle était calée contre le dossier, le corps
incliné vers lui, de sorte qu’ils étaient pelotonnés l’un contre l’autre. Encore autre chose qu’il
n’aurait fait avec personne d’autre.

La simple idée l’aurait horrifié.

Mais avec Nymphadora…

Avec Nymphadora, c’était aussi naturel que respirer.


« C’est quoi mon livre préféré ? »

La question le prit de court mais il haussa les épaules. « Dune. »

« Mon film préféré ? » continua-t-elle patiemment.

Il agita la main. « Je ne me souviens plus du titre. Il est question d’otages, de terroristes et


d’un méchant particulièrement séduisant. »

Ou du moins, c’était ce dont il se souvenait de sa description.

« Mon équipe de Quidditch préférée ? » s’enquit-elle.

« Les Harpies, évidemment. » se moqua-t-il à moitié. « S’il y avait un examen, tu aurais pu


me prévenir… »

Dans la pénombre, son sourire paraissait particulièrement doux. « Tu dis que ton livre préféré
est un traité de Potions long comme le bras mais tu caches des romans d’aventure dans la
petite bibliothèque de ta chambre. Ton groupe préféré est The Cure, et tu prétends qu’aucun
groupe de rock ne les a jamais surpassés, surtout pas un groupe sorcier, mais je t’ai déjà
entendu fredonner des chansons d’Amortentia and the Gang. »

« Tu te trompes. » se défendit-il, avec mauvaise foi. « Et je ne fredonne pas. »

« Tu dis aussi que tu ne t’intéresses pas au Quidditch mais tu vérifies toujours le score
lorsque les Faucons de Falmouth jouent. » continua-t-elle, comme s’il n’avait rien dit. « Tu
préfères le thé au café, il n’y a rien qui t’énerve plus qu’un élève avec du potentiel qui ne fait
pas d’efforts et pour quelqu’un qui n’a aucune peinture dans ses appartements, tu aimes
l’art. » Son sourire s’était fait satisfait. « Tu vois, n’en déplaise à La Gazette, le mystérieux
espion n’est pas si mystérieux que ça pour moi. »

Étant donné son ton, il supposait que c’était une bonne chose.

« On passe beaucoup de temps ensemble, c’est vrai. » conclut-elle. « Mais c’est du temps qui
compte. Non ? »

« À toi de me le dire. » marmonna-t-il. « Ce n’est pas moi qui ait fait la remarque. »

Elle lâcha un soupir. « Severus… Je ne voulais pas dire quoi que ce soit par là… C’était
juste… Cinq nuits d’affilées, ça fait beaucoup, c’est tout. Certaines personnes prendraient
peur. Parce que ça veut dire que c’est vraiment sérieux, qu’il y a… des sentiments. »

Il ne comprenait pas le problème.

« N’avons-nous pas établi à plusieurs reprises que nous étions sérieux ? » répondit-il. « Ou
qu’il y a des sentiments ? »

Elle ouvrit la bouche, la referma et puis laissa échapper un rire semi-amusé. « Je ne sais
même pas pourquoi on se dispute. »
« Nous ne nous disputons pas, nous discutons. » corrigea-t-il. « Parce que s’il y a un nombre
de nuits limites à passer ensemble avant que tu prennes peur, pour reprendre ta formulation,
je préfèrerais le savoir. »

« J’ai un peu peur. » admit-elle. « Mais c’est de la bonne peur. Celle qui pousse en avant. Tu
vois ? »

Pas vraiment.

La peur chez lui n’avait jamais été positive. La peur était catégoriquement négative.

S’il avait peur de quoi que ce soit en rapport avec Nymphadora, c’était davantage qu’elle le
quitte plutôt qu’elle veuille passer du temps avec lui.

« Si j’échoue, Harry meurt. » lâcha-t-il. « Voilà ce qui m’empêche de dormir, pas le nombre
de nuits que nous passons ensemble. »

« Severus, c’est différent… » murmura-t-elle, presque offensée. « Évidemment, que c’est


différent. »

« Je n’ai pas le temps pour les petites peurs. » déclara-t-il. « Je dois vivre avec cette terreur là
et tu n’as aucune idée d’à quel point elle me pèse. Si j’échoue, Harry meurt. »

Sa voix se brisa sur le dernier mot. Il se racla la gorge, heureux qu’aucun d’eux n’ait allumé
la lumière.

Il avait des théories sur ce qui s’était mal passé avec l’horcruxe mais aucune certitude,
aucune piste, aucune…

Et lorsqu’il s’aventurait à y penser, à y penser vraiment, la panique le prenait à la gorge.

Il s’était douté qu’ils n’y parviendraient pas du premier coup mais avait était certain que cela
les aiguillerait or…

« C’est ce que je crains le plus au monde. » avoua-t-elle. « Perdre les gens que j’aime. Devoir
les regarder mourir. Lorsque Fol’Œil est mort… » Elle laissa sa phrase en suspens, soupira. «
Je comprends, surtout qu’Harry… »

« Non, tu ne comprends pas. » l’interrompit-il, sans hostilité mais avec une profonde
lassitude. Les restes de l’effet de l’horcruxe sans doute. Il s’appuya un peu plus fort contre
elle, ne protesta pas lorsque la main qui était à l’intérieur de son tee-shirt caressa son torse
pour mieux l’apaiser. « Il y a des choses que tu ignores. Des choses que je ne peux pas te
confier. Si j’échoue, il meurt. Ce n’est pas une métaphore, ce n’est pas une déclaration en
l’air, ce n’est pas une interprétation de cette foutue prophétie, c’est la réalité. Il y a un
problème concret à résoudre et si je ne le résous pas, si… » Il ferma les yeux, pressa le visage
contre le creux de l’épaule de la jeune femme. « Je ferais n’importe quoi, Nymphadora,
n’importe quoi. De la magie noire jusqu’à me détruire, tuer, mourir… Aucun sacrifice n’est
trop grand et si… si tu dois un jour me regarder avec dégoût, avec haine, à cause de cela… »

« Severus… » souffla-t-elle, la voix nouée d’émotions.


« Je le ferai quand même. » avoua-t-il. « Même si je dois te perdre. Même si… »

Le bras qui était toujours autour de son cou se contracta et elle passa le second autour de lui,
le serra contre elle avec force.

« Je n’ai jamais demandé à passer avant lui et je ne te le demanderai jamais. » murmura-t-


elle, en posant la tête sur la sienne. « C’est ta priorité. C’est normal. Mais… Mais, Severus,
j’espère que tu sais que… Tu peux compter sur moi. »

Les mots que la version horcruxe de Lily lui avaient jeté au visage tourbillonnaient dans sa
tête, moins puissants que plus tôt mais…

Il faisait sombre et elle le tenait si fort…

« Je n’ai jamais eu de relation comme la nôtre. » admit-il. Ce n’était pas un secret, il ne le lui
avait pas caché, mais il n’en avait jamais vraiment parlé non plus. C’était un peu ridicule
pour un homme de son âge de ne pas avoir d’expérience en la matière, surtout vu qu’il était
plus vieux qu’elle. Il n’en avait pas honte mais il craignait un peu ses taquineries, peut-être.
« Je n’en ai jamais voulu, si je suis honnête. Après Lily… Et j’ai toujours su que… Je n’ai
jamais pensé survivre une fois mon utilité devenue obsolète. Il n’y avait aucun intérêt à… » Il
s’agaça de son incapacité à terminer une phrase. « Je n’ai pas vécu en moine mais même
l’aspect physique ressemblait plus à une corvée, parfois. J’étais bien seul, j’étais mieux seul.
Être seul était… plus sûr. »

Il aurait probablement dû protester la manière dont elle caressait ses cheveux, la tendresse
qu’elle offrait toujours sans compter… La situation aurait dû lui paraître humiliante. Il aurait
dû être sur la défensive. Il aurait dû…

Mais ses défenses étaient à terre.

Une caresse d’elle et ses défenses étaient à terre.

« Parce que lorsqu’on est seul personne ne peut nous blesser. » chuchota-t-elle, au bout de
plusieurs secondes de silence.

« Sans doute. » soupira-t-il. « Certainement. » Il y avait une boule qui lui nouait la gorge.
« Lorsque j’ai commencé à travailler l’Occlumencie avec lui et qu’il a vu mes anciens
boucliers pour la première fois, Harry a dit qu’un jour ils m’exploseraient au visage et que ce
serait un désastre. Il avait raison. Je me suis coupé du monde si longtemps, j’avais oublié ce
que c’était de vivre. De… ressentir. »

Il attendit mais elle ne dit rien, ne répondit pas. Elle écoutait simplement.

« Je ne t’attendais pas, Nymphadora… » murmura-t-il. « Même après avoir accepté qu’Harry


soit devenu important pour moi, même après avoir déterminé que je ferais n’importe quoi
pour le voir survivre, pour le voir vivre et vieillir… Je ne souhaitais rien d’autre. Je n’ai
jamais eu besoin de beaucoup de personnes autour de moi. J’avais Harry et… Je ne
t’attendais pas. »
« Je ne t’attendais pas non plus. » plaisanta-t-elle, avec un peu trop d’émotions dans la voix.
« Mais je suis bien contente de t’avoir trouvé. »

« Je ne suis pas quelqu’un de bien. » lui rappela-t-il, pour ce qui semblait être la centième
fois. Elle ne relâcha pas son étreinte, ne tressaillit même pas. Ne le crut peut-être pas. « Ce
qu’il y a entre nous… Il n’y a pas grand-chose que je ne ferais pas pour le garder. Cependant,
Harry… Je pourrais être amené à faire des choses qui… »

« Severus. » soupira-t-elle.

« Comment puis-je t’affirmer que je ferais n’importe quoi pour toi tout en sachant que je
sacrifierai tout, même nous, pour sauver Harry ? » souffla-t-il.

« Parce que tu es son père. » répondit-elle. « Et que je passe après ça. Et que c’est normal. »

Il l’entendit à peine.

« L’idée de voir le dégoût sur ton visage ou… » s’entêta-t-il.

« Severus. » répéta-t-elle, plus fermement.

Ses bras ne le serraient plus aussi fort et, comprenant ce qu’elle voulait, il s’écarta juste assez
pour pouvoir croiser son regard. C’était plus difficile, cela demandait davantage de courage
qu’il ne lui en avait fallu pour aller à Azkaban le soir où sa couverture avait sauté. La mort il
pouvait l’affronter en face, la tête haute. Son jugement…

Sa main était toujours à moitié sous le col de son tee-shirt et elle ne la retira pas. Il sentait ses
doigts sur sa clavicule et se focalisa sur ce point de contact, occluda le reste, parce que c’était
plus simple. Parce que…

« Je vais dire quelque chose qui ne va peut-être pas te plaire mais que je pense que tu as
besoin d’entendre, d’accord ? » annonça-t-elle, sans lui laisser le loisir de refuser. « On a tous
notre passé. Quand on commence une nouvelle relation avec quelqu’un, une relation
sérieuse… Imagine qu’on emmène des valises pleines. Ça vaut pour moi aussi. »

« Les tiennes sont en peau de loup. » grommela-t-il.

« Pas que. » lâcha-t-elle. « Ma vie ne se résume pas à Remus, même si… Oui, c’est
probablement une des histoires qui a le plus compté pour moi. Avant toi. »

Il n’aimait pas l’entendre mais il pouvait l’admettre.

« Tes valises… » continua-t-elle, avant d’abandonner la métaphore. « Tu as peur de ne pas


me mériter ou que je me réveille un matin et que je me rende soudain compte que tu es une
personne affreuse. Tu as peur de faire quelque chose qui franchira la limite d’une frontière
imaginaire que tu penses que j’ai par rapport à toi ou à la magie ou quelque chose comme
ça… Vrai ou faux ? »

Il gigota, un peu mal à l’aise, mais il ne pouvait pas s’éloigner, pas sans la repousser et il ne
voulait pas la repousser, qu’importe ce que criait son instinct de survie. « Vrai. »
« Je ne t’ai jamais demandé de me mériter. » déclara-t-elle. « Je t’ai déjà dit que je ne
t’idéalisais pas. Et je n’ai pas de limites ou quoi que ce soit du genre. S’il y a quelque chose
de rédhibitoire, je te le dirai. La torture et les meurtres gratuits, par exemple, ça ce serait un
motif de rupture. Et si vraiment, vraiment, il faut tuer quelqu’un pour sauver Harry, même si
j’espère que c’est plus au figuré qu’au propre, s’il s’agit vraiment de faire un choix entre la
vie de ton fils et celle de quelqu’un d’autre, alors on tuera un Mangemort. Et, à choisir, on
essayera d’en capturer un vraiment irrécupérable, comme ma chère tante Bella. »

Il croisa brusquement son regard.

« Oui. » confirma-t-elle. « On. » Elle grimaça. « Maintenant, pour la partie que tu ne vas pas
aimer entendre… Essaye de ne pas me hurler dessus, s’il te plait… » Elle baissa les yeux,
tirant nerveusement un fil qui dépassait de son pantalon de pyjama. « Je peux me tromper
mais, de ce que tu m’as dit, il n’y a pas une personne qui ait compté dans ta vie qui ne t’a pas
abandonné à un moment ou à un autre. »

Le froid revint le balayer, acéré, mais c’était davantage la panique face à une conversation
qu’il ne voulait pas avoir que l’effet résiduel de l’horcruxe.

« Nymphadora. » l’avertit-il sèchement.

« Oui, je sais, tu n’aimes pas en parler. » lâcha-t-elle. « Mais… C’est important. Je crois qu’il
faut que tu l’entendes parce que… Parce que tu me mets dans un schéma qui n’est juste
pas… » Elle s’interrompit et grimaça. « Ton père était un connard, là-dessus pas de questions.
Et ta mère… »

« Nymphadora. » répéta-t-il, avec davantage d’hostilité.

Il voulut s’écarter mais d’une caresse du pouce sur sa clavicule, elle l’immobilisa.

Sa douceur…

Elle le tenait par la douceur.

« Ta mère t’a laissé tomber. » affirma-t-elle avec beaucoup trop d’aplomb.

« Ma mère est morte. » cracha-t-il. « Elle pouvait difficilement… »

« Tu avais quinze ans quand il l’a tuée. » l’interrompit-elle gentiment, toujours avec cette
douceur qui…

Il ne lui avait jamais dit son âge. Mais elle avait lu l’article de La Gazette.

« Pendant combien d’années est-ce qu’il t’a tapé dessus avant ça ? » demanda-t-elle.
« Pendant combien d’années elle t’a laissé dans cette merde ? Elle t’a abandonné parce
qu’elle aurait dû te sortir de là. »

« Ce n’était pas si simple. » aboya-t-il presque, bien qu’il se soit lui-même fait la même
réflexion plus d’une fois. Il lui en avait tellement voulu, il…
« Je ne dis pas que c’était simple. » contra-t-elle, sans élever la voix. « Les relations toxiques
ou abusives, c’est toujours compliqué et c’est facile de se laisser prendre au jeu du ‘c’est ma
faute’, ‘c’est moi le problème’. » Elle n’avait pas besoin de dire qu’elle pensait à Lupin et ce
fût la seule raison pour laquelle il ne s’énerva pas davantage. « Le truc, Severus, c’est que,
même si elle avait ses raisons, même si elle a fait de son mieux dans la situation où elle
était… Ça n’empêche pas qu’elle t’a abandonné. Les deux vérités peuvent coexister. » Elle
secoua la tête. « Elle aurait dû te sortir de là à la seconde où il a levé la main sur toi pour la
première fois. Elle aurait dû te protéger. Elle aurait dû faire de toi la priorité. Et parce qu’elle
ne l’a pas fait, maintenant, tu penses que tu ne vaux pas la peine que quelqu’un d’autre le
fasse. »

Il ferma les yeux.

Il aurait voulu protester, rager, mais c’était exactement ce qu’il répétait sans cesse à Harry.

Et la voix dans sa tête qui lui disait que ce qui s’appliquait à Harry ne s’appliquait pas
forcément à lui, qu’il avait fait trop d’erreurs, qu’il avait causé trop de mal…

« Où as-tu trouvé ton diplôme de psychologie ? » railla-t-il, sur la défensive. « Une pochette
surprise ? »

« Il y a des modules facultatifs d’accompagnement aux victimes pendant la dernière année de


formation. » répondit-elle calmement.

« Victimes. » cracha-t-il.

« Lily aussi t’a abandonné. » ajouta-t-elle, sans relever, mais avec une nervosité visible. « Et
c’est le nœud du problème, hein ? Je peux me tromper, parce que tu ne parles jamais d’elle,
mais tu m’as dit qu’elle était la seule chose de bien dans ta vie quand tu étais jeune et… C’est
ta référence. Je me trompes ? S’il y a un truc qu’elle n’aurait pas toléré de toi, tu décides que
je vais te le reprocher, moi. »

« Ce n’est pas… » protesta-t-il, la colère laissant place à la panique parce que si elle décidait
qu’il avait toujours des sentiments pour Lily ou… « Je ne te compare pas à elle. Tu n’es
pas… Tu… » À court de mots, il plaça la main sur son genou. « Serait-elle vivante que… »

Si elle avait été vivante, le monde aurait été différent et ils ne seraient probablement pas là
tous les deux à partager ce moment.

« Je ne t’accuse de rien. » soupira-t-elle. « Je dis juste… Severus, toutes les relations


importantes que tu as eues se sont terminées par un abandon et... D’une certaine manière,
c’est normal que tu ais peur de ça mais… Il faut que tu prennes conscience que c’est dans ta
tête et que tu arrêtes de projeter ça sur moi. Je sais ce que je veux, je sais qui tu es et je n’ai
aucune intention de prendre la place de ta conscience ou de te demander de changer. On est
ensemble, on est… On est des partenaires. Je ne te juge pas. Tu ne me juges pas. On avance
ensemble, pas l’un contre l’autre. Et si, à un moment, on décide que ça ne fonctionne plus ou
qu’on est trop différents… On se souviendra que Remus se comportait comme un connard et
qu’on trouvait ça ridicule et on essayera de ne pas faire la même chose. Et même dans ce cas
là, ça ne veut pas dire qu’on doit se déchirer ou ne plus jamais avoir de contacts, ça ne veut
pas dire que je ne serai pas là quand tu auras besoin de moi ou inversement. D’accord ? »

Lorsqu’il croisa son regard, il était persuadé que toutes ses émotions étaient à nues sur son
visage.

Une part de lui était en colère qu’elle ait remué le passé, une autre angoissait qu’elle en sache
autant, d’être aussi vulnérable devant elle, et le reste… Le reste était tellement, tellement
reconnaissant de l’avoir trouvée.

Il avait été parfaitement conscient des sentiments qu’il n’osait pas tout à fait nommer mais à
cet instant… Ce n’était pas si différent de la sensation de chute vide lorsque Nox s’élançait
d’un endroit surélevé.

La certitude absolue se cimenta en lui.

Et si elle le terrifiait un peu, elle le remplissait aussi de… joie.

Devant son silence soutenu, elle détourna la tête. « Tu veux savoir ce qui me fait le plus peur,
à moi ? J’ai peur que tu rendes compte que je suis très ordinaire et que tu pourrais trouver
quelqu’un de plus sophistiqué ou… »

« Ordinaire ? » l’interrompit-il, en fronçant les sourcils. « Tu n’as rien d’ordinaire. »

« Pourquoi ? Parce que je peux changer d’apparence comme je veux ? » lança-t-elle, sans
croiser son regard. « Ce n’est pas forcément un atout dans une relation, tu sais. Le nombre de
fois où on m’a dit ‘oh, tu ne veux pas devenir blonde’ ou ‘oh, jouons à un jeu, pourquoi tu ne
prends pas l’apparence de truc ou machin’… » Elle haussa les épaules. « Il y a eu un moment
dans ma vie où j’avais peur de ne plus me souvenir de mon vrai visage. Quand on peut
corriger ce qu’on veut, ressembler à ce qu’on veut… C’est dur, des fois, de se rappeler de qui
on est au lieu de qui les gens veulent qu’on soit. C’est pour ça que c’est important pour moi
de savoir qui je suis. C’est pour ça que ça m’effraye tellement d’avoir autant changé
dernièrement. »

« Tu n’as pas changé, Nymphadora. » contra-t-il. « Tu as mûri. »

« Peut-être. » répliqua-t-elle. « Mais il n’y a pas que ça. Remus m’a tellement… J’essaye
vraiment de ne pas laisser ses remarques m’affecter mais, parfois, je n’y peux rien. Je sais
que ce n’est pas juste mais je me dis que tu vas décider que je suis trop jeune ou immature
pour toi. Ou que tu vas me trouver trop arrogante parce que je pense pouvoir m’attaquer à
Bellatrix ou Greyback ou… Ou que tu vas te rendre compte que je ne suis pas si intéressante
que ça. Tu es brillant, tu sais ? Je ne dis pas ça comme ça. Tu es vraiment très intelligent, il
faudrait être aveugle pour ne pas le voir. Et moi… Je ne suis pas idiote, je le sais très bien,
mais on n’est pas au même niveau de… »

Il referma les bras sur sa taille et l’attira sur lui parce qu’il ne savait pas quoi faire d’autre. Il
voulait juste la faire taire, mettre un terme à ce flot d’insécurité qui l’offensait presque parce
qu’il détestait entendre ce tas de reproches envers elle-même… Qu’elle puisse seulement en
penser un quart…
« Faut-il que je liste tes qualités pour te convaincre que tu es… » Il s’interrompit brièvement,
hésita… « Parfaite. Tu es parfaite. Avec tous tes défauts et tes imperfections, pour moi tu es
parfaite telle que tu es. » Elle enfouit le visage dans son cou mais pas assez vite pour qu’il
n’aperçoive pas les larmes qui brillaient dans ses yeux. « Ce ne sont pas tes pouvoirs qui te
rendent extraordinaire… C’est toi… C’est toi. » Il déposa un baiser sur ses cheveux. « Tu
n’as rien d’ordinaire, mon amour, rien du tout. »

« Et je ne vais pas t’abandonner à la première difficulté. » répondit-elle, en relevant la tête,


quêtant son regard. « Ou à la deuxième. Ou à la troisième. C’est l’avantage d’être avec une
Poufsouffle… On prend la loyauté très au sérieux. »

« Tout comme les Serpentards, contrairement à la rumeur. » déclara-t-il.

« Alors, on arrête de laisser le passé nous faire peur, d’accord ? » hésita-t-elle. « C’est toi et
moi, Severus, c’est notre histoire, on peut l’écrire comme on veut. La prochaine fois que tu
penses que je vais te larguer sans même te donner l’opportunité de t’expliquer, rappelle-toi de
ce moment. »

« Uniquement si tu me promets de cesser de penser que je pourrais sérieusement m’intéresser


à quelqu’un d’autre. » négocia-t-il. « Tu es la seule femme en plus de quinze ans qui m’ait
donné envie de… » Sa voix se tut mais il se força à poursuivre après s’être raclé la gorge.
« Tu m’as dit avoir besoin de moi. C’est mutuel. »

Elle scella cet échange de promesses d’un baiser.

Et le froid reflua définitivement.

Chapter End Notes

pour les twittos: Oui la dernière scène a été écrite exclusivement avec "parce que c'est
toi" version vianney/mentissa en boucle XD
Chasing Its Own Tail
Chapter Notes

Le chapitre 51 AKA le chapitre que j'ai été obligé de caler là parce que c'était plus
possible et qu'il fallait intervenir XD

Mise à part ça, je passe une tête, d'abord pour vous remercier pour votre enthousiasme
continu pour cette histoire et tous vos commentaires, et aussi pour vous dire: ne vous
inquiétez pas si la semaine prochaine y a pas de chapitre (encore que rien n'est sûr),
j'entame une partie de l'histoire où j'aurais possiblement besoin d'aller et venir sur
plusieurs chapitres en même temps du coup je veux pas publier avant d'avoir cette partie
là calée.

Voilà, voilà!

Enjoy & Review!

“The great black dog gave a joyful bark and gamboled around them, snapping at
pigeons, and chasing its own tail. Harry couldn’t help laughing. Sirius had been trapped
inside for a very long time.”
J.K. Rowling – Harry Potter And The Order Of The Phoenix

« L’énorme chien noir aboya joyeusement et gambada autour d’eux, claquant des dents
après les pigeons et courant après sa queue. Harry ne put s’empêcher de rire. Sirius
était resté enfermé pendant très, très longtemps. »
J.K. Rowling – Harry Potter And The Order Of The Phoenix

Les examens étaient bien moins contraignants lorsque le Ministère envoyait des agents pour
les superviser, décida Severus, en terminant de reporter au propre les notes des élèves qu’il
avait évalués, trois par trois, cette après-midi là. Sans surprise, la majorité de ses cinquièmes
années n’avaient pas brillé.

Un an avec Horace Slughorn et, quelques exceptions mises à part, ils avaient oublié toutes les
consignes de sécurité qu’il leur avait enseignées.

Londubat avait fait fondre son chaudron, là-dessus pas de surprise, non plus.

Parkinson avait manqué faire exploser la salle de classe.


Granger et Draco avaient tout deux rendu une potion parfaite.

Et Harry…

La porte de la classe de Potions s’ouvrit à la volée et Harry débarqua en courant, avec un air
paniqué qui l’alarma immédiatement.

« Que se passe-t-il ? »

Déjà, il posait la main sur la baguette posée sur le bureau…

« Il faut que tu m’aide ! » exigea son fils, les yeux écarquillés, affolé. « J’ai perdu mes fiches
de Potions ! »

Comprenant, avec une seconde de retard, que l’urgence était moins de type un Mangemort a
infiltré le château que d’une banalité presque affligeante, il retira la main de sa baguette pour
se pincer l’arrête du nez. « Ne t’avais-je pas averti que si tu ne rangeais pas tes affaires… »

« Ça n’a rien à voir ! » protesta Harry, en se laissant tomber sur un tabouret au premier rang.
« Je suis sûr que Malfoy me les a volées. C’étaient des copies de celles de Sev. Elles étaient
parfaites. Je l’ai vu loucher dessus. »

Il leva les yeux au ciel. « L’examen écrit est demain matin. N’est-il pas un peu tard pour les
révisions de dernière minute, quoi qu’il en soit ? S’il y a quelque chose que tu ne sais pas
encore, tu ne t’en souviendras pas demain matin. »

La soirée était déjà bien entamée. Trop tard pour apprendre quoi que ce soit de nouveau.

Le garçon le dévisagea puis enfouit la tête dans les mains avec un grognement. « Je vais tout
rater. »

« Ne dramatisons pas. » soupira-t-il, en se demandant où Slughorn avait bien pu ranger le


stock de potions calmantes que lui et Poppy l’avaient forcé à préparer en prévision des
examens.

« En quoi est-ce que je dramatise ? » marmonna Harry, sans relever la tête. « J’ai déjà raté la
pratique de la Métamorphose, on ne va même pas parler de la Divination… Je vais avoir des
T dans toutes les matières, tu vas me renier, et… »

« Je ne te renierai pas même si tu as un T dans toutes les matières. » l’interrompit-il, plus


amusé qu’autre chose.

Ce cinéma durait depuis le début des examens et il était très impatients qu’ils se terminent.

Le premier jour, Harry était entré, défait, dans son laboratoire où lui et Slughorn avaient été
en plein travail, et avait déclaré qu’il avait tout raté sans même sembler se soucier du fait
qu’il ne soit pas seul. Il s’était avéré que Minerva lui avait demandé de transformer un cactus
en quelque chose en verre – plus c’était complexe, meilleure serait la note – et le garçon avait
tenté de reproduire un flacon de parfum ouvragé qu’il avait vu dans un magasine au lieu de
faire la chose simple et de le transformer en coupe. Son flacon avait gardé des épines.
Minerva, une fois discrètement consultée, avait pourtant déclaré être satisfaite de sa
performance, particulièrement parce qu’il avait progressé davantage avec sa transformation
Animagus même s’il était toujours bloqué à moitié chemin. Son fils n’aurait pas un O mais il
aurait au moins un E, devinait-il.

Tous les jours, depuis, Severus avait droit au récit théâtral d’un nouvel échec.

« Néanmoins, si tu as un T dans toutes les matières, je t’obligerai à travailler tout l’été pour
mieux repasser tes B.U.S.E.s avant la rentrée. » continua-t-il tranquillement, provoquant un
nouveau grognement.

« Les Potions, demain, ça va m’achever. » déclara le Gryffondor, en se redressant.

« Tu ne t’en es pas si mal sorti, aujourd’hui, avec la pratique. » offrit-il, tout en sachant qu’il
en disait déjà trop.

Il avait fait tirer au sort les potions à préparer, comme la plupart de ses collègues le faisaient
pour la partie pratique, et Harry était tombé sur un philtre d’allégresse. La consistance avait
été un peu trop épaisse mais mis à part cela, la potion avait été réussie.

« Il me faut juste un E pour que Slughorn me prenne l’année prochaine. » lâcha le gamin,
plus pour lui-même que pour Severus.

« Fais-moi plaisir et vise un O. » rétorqua-t-il. « Tu le peux. » Si le garçon réussissait bien la


partie écrite, ce n’était pas si inenvisageable. « Comment s’est passé la Botanique ? »

Il referma le cahier de notes et le rangea dans le tiroir du bureau, sous sort de verrouillage et
d’alarme – certains élèves pouvaient être désespérés en période d’examens – puis se leva.

« Oh, pas si mal ! » s’exclama l’adolescent, retrouvant un peu d’entrain. « Je peux passer à la
maison ? Je dois chercher ces foutues fiches. »

Ils s’étaient mis d’accord sur le fait qu’Harry passerait la période des examens dans la Tour
des Lions afin que personne ne puisse crier au favoritisme mais il n’avait jamais interdit les
visites.

« Langage. » grommela-t-il pour la forme. « Tu es toujours le bienvenu, tu le sais. As-tu


diné ? »

« Oui. » répondit Harry. « Mais tu sais qui n’a pas diné avec nous ? Malfoy. Il a disparu.
Comme mes fiches. »

« Une preuve indéniable de sa culpabilité. » railla-t-il. « La Botanique ? »

Severus le laissa ouvrir la voie, l’écoutant d’une oreille distraite déblatérer sur la partie écrite
de l’examen qu’il avait trouvé moins difficile que les interrogations habituelles de Chourave.

« Et cet après-midi, après les Potions, j’ai passé la Défense. » continua Harry, sans sembler
devoir reprendre sa respiration.
Severus le préférait ainsi, s’il était honnête. Lorsque le gamin se transformait en moulin à
parole, c’était qu’il allait bien. Lorsqu’il était renfermé et silencieux…

« Et ? » pressa-t-il. Il n’avait pas eu le temps d’échanger avec Filius.

« Flitwick… » reprit Harry.

« Le Professeur Flitwick. » le corrigea le Maître des Potions, alors qu’ils s’enfonçaient plus
profondément dans les cachots, sa canne battant le sol.

Il fit semblant de ne pas le voir lever les yeux au ciel.

« Le Professeur Flitwick a dit que je pouvais passer l’examen des A.S.P.I.Cs en fin de
semaine avec les septièmes années, si je voulais. » expliqua le garçon. « Aujourd’hui, c’était
beaucoup trop facile. »

« En quoi consistait l’examen ? » demanda-t-il.

« Oh, j’ai dû piocher un sort à démontrer au hasard. Je suis tombé sur un bouclier
élémentaire. » raconta le garçon. « J’ai jeté Aqua Protego, j’ai utilisé un informulé pour
gagner des points. Ensuite, il m’a demandé d’affronter en duel une des recrues que Dora a
abandonnées à Poudlard… »

L’adolescent lui jeta un regard amusé bien qu’un peu coupable.

Severus pinça les lèvres pour ne pas sourire, devinant sans mal ce qui s’était passé. « Dans
quel état l’as-tu laissée ? »

Harry enfonça les mains dans les poches et haussa les épaules, avec une grimace qui ne
gomma pas tout à fait son amusement. « Flitwick l’a averti que j’avais un bon niveau mais…
Je suppose qu’il ne l’a pas cru. Il n’a pas eu le temps de lever sa baguette. Son copain a dit
que j’avais triché. Ça a un peu dégénéré, après ça. »

Le Professeur grimaça. « As-tu détruit ma salle de classe ? »

« Non, mais Flit… Le Professeur Flitwick a dit que c’était bien fait. » ricana Harry. « Ils sont
à l’infirmerie. »

Severus secoua la tête pour mieux dissimuler son amusement. « Je te laisserais expliquer la
situation à Nymphadora. »

Elle avait cessé de s’enfuir avant l’aube quand l’adolescent était là et si le premier petit-
déjeuner avait été excessivement gênant pendant environ dix minutes, la jeune femme s’était
mise à parler Quidditch avec un désespoir à peine perceptible et Harry avait rebondi sur le
sujet avec une gaucherie à peu près égale. Deux minutes plus tard, la situation avait semblé
suffisamment naturelle pour que Severus cesse d’appréhender de mélanger ces deux parties
de sa vie, même si ce fameux mélange était toujours un peu… étrange. Comme un
échantillon de ce à quoi le futur après la guerre pourrait ressemblait.
« Ce n’est pas ma faute si ses recrues sont nulles. » protesta le garçon. « Et puis, il faut les
entendre, hein ! On dirait qu’ils marchent sur l’eau… Ils n’ont pas l’air de comprendre que,
s’ils sont là, c’est parce qu’elle ne sait pas quoi faire d’eux et pas parce qu’ils sont utiles. Il y
a quatre anciens Gryffondors qui squattent la salle commune tous les jours… McG… Le
Professeur McGonagall passe son temps à les en chasser. »

Il ne lui enviait pas ce problème dont Filius et Pomona s’était également plaints. Il n’y avait
qu’un seul ancien Serpentard dans la douzaine de recrues que Nymphadora avait parquées à
Poudlard et il avait trop de bon sens pour s’égarer dans son ancienne salle commune vu le
climat actuel.

Et ce n’était pas faute de la voir les rappeler à l’ordre non plus.

« Veux-tu tenter l’A.S.P.I.C ? » s’enquit-il. « Cela soulagerait ton emploi du temps l’année
prochaine. Nous pourrions nous contenter des leçons particulières. »

« Oui, je crois. » approuva Harry. « Le Professeur Flitwick a dit que si l’examen était trop
dur, je pouvais toujours le repasser l’année prochaine ou dans deux ans. »

« Je doute qu’il soit trop dur. » remarqua-t-il, non sans fierté, alors qu’ils tournaient dans le
couloir qui menait à leurs appartements.

Il sentit immédiatement que quelque chose n’allait pas.

Ses protections étaient en place, personne n’y avait touché, mais…

« Papa. » lâcha Harry, tendu lui aussi, en sortant sa baguette.

Severus l’imita, ajustant sa prise sur canne dans le même mouvement.

Le garçon pointa du doigt le papier plié en deux, lesté par un épais anneau bien en évidence
devant la porte. « Là. »

« Reste en retrait. » ordonna-t-il.

Il n’eut pas besoin de préciser que ça impliquait de couvrir leurs arrières le cas échant.

Il s’approcha lentement, attentif à ne pas déclencher de piège ou autre, mais parvint jusqu’au
papier sans problème. Il ne commit pas l’erreur de ramasser l’anneau ou le mot, les faisant
léviter à la place avant de jeter une batterie de sorts de détection. Il n’y avait aucune
malédiction ou autres sortilèges, l’anneau et le papier étaient bien ordinaires. Mais il repéra la
goutte de sang au sol, si près du mur qu’elle était presque indétectable, et la suivante, moins
d’un mètre plus loin, comme un jeu de piste macabre.

Il ne jeta qu’un vague coup d’œil à la bague avant de la faire voler d’un coup de baguette vers
Harry qui l’attrapa avec adresse.

« Peut-être n’a-t-il pas disparu parce qu’il a dérobé tes fiches. » commenta-t-il, pendant que
son fils étudiait le sceau des Malfoy.
Plus alarmant était le sang qui tâchait le morceau de parchemin plié en deux.

Le message était sommaire.

Venez seul ou il meurt.

Il le tendit à Harry qui, ayant correctement déterminé qu’il n’y avait pas de danger immédiat,
l’avait rejoint pour lire par-dessus son épaule.

« Venez où ? » demanda le garçon, en fronçant les sourcils.

D’un geste, il lui désigna les gouttes de sang.

Harry leva les yeux au ciel et sortit l’épais parchemin de la poche arrière de son pantalon.
« Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises. On pense que ce sont de vrais
Mangemorts ou des idiots ? »

« L’un n’exclue pas l’autre. » répondit-il calmement, occludant l’inquiétude à l’idée que l’un
de ses élèves, un des rares qu’il appréciait qui plus était, soit en danger. Paniquer n’aiderait
pas Draco Malfoy. « Encore que cela ressemble fort à une initiation mal avisée. »

« Du genre ? » s’enquit le garçon, en isolant la partie de la carte qui correspondait aux


cachots pour mieux les fouiller du regard.

« Du genre espérer m’attirer dans un piège et me ramener au Seigneur des Ténèbres en même
temps que Draco Malfoy contre le droit d’arborer la Marque. Deux traîtres pour le prix d’un,
en somme. » expliqua-t-il.

Harry laissa échapper un bruit amusé. « Des idiots, donc. Parce que je les ai et qu’ils ne sont
que trois. Rowle et Travers, ce sont des septièmes années de Serpentard, non ? Et… Marlow.
C’est qui celui-là ? »

« Celle-là est une sixième année de Poufsouffle. » soupira-t-il. « Voilà qui contrariera
Pomona. »

« Oui, et bien, ils manquent d’imagination. » décréta l’adolescent, en posant la Carte à plat
sur le sol pour qu’ils puissent mieux étudier le terrain. Le point libellé Draco Malfoy était au
centre d’une salle, deux étages plus bas, au cœur d’une partie désaffectée des cachots, Rowle
se tenait près de lui et faisait les cent pas… Travers et Marlow étaient positionnés de chaque
côté de la porte, pour mieux le prendre en tenaille sans doute. « Il y a une porte dérobée, là. »

Harry traça du doigt le chemin qui déviait du couloir principal pour mener à une autre pièce
qui, sur la carte, était connectée à la salle qu’avait choisie les Mangemorts en devenir. Cela
n’échappa pas à Severus qu’ils n’étaient pas loin d’un tunnel qui menait vers la lande. Il ne
faisait pas partie de ceux qu’ils avaient renforcés pour une hypothétique fuite mais Rowle et
Marlow étaient loin d’être stupides et avaient sans doute prévu leur point de fuite.

« Tu peux les distraire et je peux les prendre à revers. » proposa l’adolescent.


Severus leva les sourcils. « Ou : tu pourrais aller prévenir le Professeur Dumbledore ou ton
parrain, celui que tu trouveras le premier. »

« Je ne te laisse pas y aller seul. » riposta le Gryffondor. « Et, puis, franchement, trois contre
deux, ce sera du gâteau. »

« Ne t’ai-je pas enseigné que l’arrogance était la plus sûre manière de te faire tuer lors d’un
combat ? » grinça-t-il. « Je pense être en mesure de capturer trois adolescents seul, merci
bien. »

« Vois-ça comme mon examen de cours de Défense particulier parce que je viens. » insista
son fils avant de lui adresser un sourire innocent. « Est-ce que tu ne préfères pas que j’obéisse
à tes instructions plutôt que de te suivre en douce et de foncer dans le tas comme un
Gryffondor inconscient ? »

« Je pourrais très bien t’immobiliser. » menaça-t-il.

« Tu pourrais mais tu m’as appris au moins trois manières de me débarrasser de ce genre de


sorts. » rétorqua le gamin, avec insolence. « On perd du temps et Malfoy est blessé,
visiblement. Alors ? »

« Alors, il y a des jours où tu m’insupportes. » grommela-t-il, en faisant apparaître trois faons


argentés.

« Moi aussi je t’aime. » plaisanta son fils, avec un peu trop de nervosité. Comme s’il l’avait
dit délibérément mais était prêt à prétendre le contraire, à jurer qu’il plaisantait, si…

Severus ne se souvenait plus de la dernière fois où quelqu’un lui avait offert ces mots.

Eileen, certainement.

Mais quand, ça…

« Cela va sans dire. » répondit-il calmement, avec la même nervosité qu’Harry.

Le garçon se détendit pourtant, un sourire satisfait étirant ses lèvres. Tacitement, ils
décidèrent de ne pas en dire plus.

Il confia le même message à chaque patronus et les envoya simultanément à Albus, Minerva
et Black. L’un d’eux viendrait bien à leur rescousse.

Mais Harry avait raison et ils n’avaient pas le temps d’attendre.

Et il n’était pas réellement inquiet d’emmener son fils. La Carte leur donnait l’avantage d’être
certain que personne de plus expérimenté se cachait alentours, la situation était claire à défaut
d’être simple et Harry aurait probablement pu se débrouiller seul face aux trois septièmes
années, quoi qu’il en fût. Travers, comme tous les autres membres de sa famille, n’était pas
exactement un grand sorcier. C’était un suiveur à la puissance relative et à l’imagination
limitée. Marlow n’était pas dans son cours de Défense, elle n’avait donc qu’un niveau
B.U.S.E.s, du moins officiellement. Rowle était probablement le plus dangereux du lot.
Ils élaborèrent leur plan tout en marchant, gardant un œil sur la Carte davantage que sur les
gouttes de sang au sol.

Severus estimait que la quantité de sang n’était pas alarmante, la blessure devait être légère,
mais il était tout de même inquiet. Lorsqu’ils arrivèrent à l’embranchement, Harry avait
depuis longtemps disparu sous la cape d’invisibilité et un sort de silence.

« Pas d’acte d’héroïsme insensé. » murmura Severus. « Tiens t’en au plan. »

Il marcha jusqu’à l’entrée de la salle lentement pour laisser le temps à Harry de rejoindre la
seconde entrée, suivant les gouttes de sang qui ne se dissimulaient même plus à la base du
mur mais tâchait le milieu du couloir, plus rapprochées les unes des autres comme si les
adolescents avaient abandonné toute tentative de subtilité.

Il prit une grande inspiration avant d’ouvrir la porte d’un coup de baguette.

Draco était bien en évidence, ligoté à une chaise, visiblement prisonnier d’un sortilège de
silence, mais conscient. Dès qu’il l’aperçut, il se mit à se débattre, ses yeux gris se déplaçant
de manière exagérée de part et d’autre de la porte – pour mieux l’avertir de la petite surprise
que lui réservaient Rowle et ses amis, sans doute. Son cinquième année avait l’air
relativement en forme si on exceptait plusieurs égratignures sur son visage et quelques
hématomes et, bien sûr, son avant bras gauche qui saignait abondement là où la Marque
aurait pu se trouver…

Il ne doutait pas que Draco avait défendu chèrement sa peau.

Rowle se tenait derrière le garçon, une main posée sur son épaule en une parodie d’amitié.

Feignant de ne pas remarquer l’avertissement de Draco, Severus fit deux pas dans la pièce,
avec un rictus. « Pensez-vous vraiment pouvoir me capturer, Rowle ? »

La porte claqua derrière lui.

Sans surprise, l’expelliarmus le heurta dans le dos et bien qu’il aurait pu le contrer d’un sort
de bouclier, il laissa faire. Sa baguette s’envola et les deux autres aspirants Mangemorts
sortirent de l’ombre.

« Plus aussi fier que ça, hein, traître ? » triompha Rowle, avec morgue.

Marlow était celle qui avait approché le plus près.

Dommage pour elle.

Ce fût elle qui prit la canne en travers la gorge, le coup lui coupant suffisamment la
respiration pour qu’elle tombe à genoux et y reste.

Le temps qu’il pivote vers Travers, Harry était rentré dans la danse et l’issue du combat
semblait pliée.

°O°O°O°O°
La porte dérobée marquée sur la carte se révéla être un placard poussiéreux avec un double
fond. Harry prit soin de jeter un silencio avant de le faire coulisser, de même qu’il s’assura
que la porte ne grincerait pas avant de l’entrouvrir.

Juste à temps pour apercevoir son père entrer dans la pièce.

Le cœur battant sous l’effet de l’adrénaline, il s’obligea à garder la tête froide, à faire ce à
quoi Severus l’avait entraîné. Il évalua la distance entre lui et Rowle, évalua la distance entre
Rowle et Malfoy…

Lorsque Severus laissa Marlow lui prendre sa baguette pour mieux endormir leur méfiance,
Harry se tenait prêt.

Et lorsque, comme convenu, le Professeur asséna le premier coup de canne, Harry quitta sa
cachette.

Il ne se découvrit pas tout de suite et ne se jeta pas sur sa cible.

Alors que Marlow tombait au sol, le souffle coupé, et que Severus se tournait vers Travers,
utilisant sa canne comme une arme, Harry se glissa derrière Malfoy et d’un diffindo murmuré
du bout des lèvres, coupa ses liens.

Le Serpentard bondit immédiatement de la chaise, détournant l’attention de Rowle qui ne vit


jamais le stupefix venir.

Le temps que le Gryffondor se tourne vers Severus, Travers était recroquevillé au sol et se
tenait l’entrejambe.

Par acquis de conscience, il ligota les trois idiots avant de retirer sa cape.

« Ça va ? » demanda-t-il à Malfoy.

Le Serpentard avait l’air plus furieux que blessé. Il dépassa Harry d’un pas furibond et, avant
qu’il ait pu le stopper, asséna deux violents coups de pieds dans le ventre de Rowle.

« Mr Malfoy. » le rappela à l’ordre Severus, sans grande conviction.

Harry lui attrapa le bras avant qu’il ait pu le frapper une troisième fois. L’autre cinquième
année vacilla légèrement. Le regard vert fût attiré par le sang qui coulait librement le long de
son avant-bras et peignait sa main en rouge.

« Tu devrais t’asseoir. » conseilla-t-il.

« Ils m’ont eu dans le dos alors que je sortais de l’examen de Potions. » siffla Malfoy. « Je
n’ai même pas eu le temps de sortir ma baguette. Bande de… »

Le Serpentard était pâle et s’accrocha soudain à l’épaule d’Harry, sans terminer sa phrase,
l’obligeant à l’attraper à bras le corps pour le soutenir…
« Tu as perdu pas mal de sang. » le gronda-t-il. « Assieds-toi le temps qu’on te soigne,
d’accord ? »

L’autre garçon s’exécuta à contrecœur, préférant se laisser tomber au sol que d’utiliser la
chaise sur laquelle il avait été gardé prisonnier.

Severus était en train de les rejoindre pour examiner Malfoy lorsque la porte explosa sans
prévenir. Harry jeta un bouclier hâtif, se courbant à moitié sur le Serpentard par réflexe pour
mieux le protéger.

Le Maître des Potions n’avait pas de baguette.

Et il fût trop lent pour se protéger du bout de bois qui le cueillit en pleine tête et l’envoya au
sol.

« Papa ! » s’écria Harry, sans oser s’éloigner de Malfoy.

« Ça va, ça va… » marmonna Severus, en s’asseyant prudemment, pressant une main contre
son front qui saignait abondamment. « Était-ce réellement nécessaire ? La situation était
parfaitement sous contrôle. »

Il jeta un regard noir aux deux hommes qui se tenaient dans l’encadrement et qui auraient
probablement eu l’air plus impressionnants si leurs expressions n’avaient pas été aussi
penaudes.

Sirius pointa Dumbledore du doigt, comme pour mieux se dédouaner.

C’était si ridicule qu’Harry pouffa.

Severus, lui, leva les yeux au ciel.

°O°O°O°O°

« Je préfèrerais tout de même le garder en observation. » insista l’infirmière, tout en


terminant d’étaler le baume anti-hématome autour de l’œil tuméfié de Draco.

Sirius n’essaya même pas de capter le regard de Severus. À chaque fois qu’il s’était aventuré
à regarder le Maître des Potions sur le chemin de l’infirmerie, l’homme avait eu l’air de
vouloir lui arracher la tête.

Ce n’était pas faute de lui dire que c’était Dumbledore qui avait lancé le confringo.

Certes, ça avait été son idée à lui de faire une entrée remarquée pour les prendre par surprise
mais, ça, il n’allait pas s’en vanter.

Le Directeur, il fallait le noter, ne s’était pas attardé après avoir présenté ses excuses et s’être
assuré qu’il n’y avait pas de blessés graves. Il avait ordonné à Sirius de les escorter à
l’infirmerie et avait transporté les prisonniers dans son bureau, en annonçant qu’il allait
prévenir le Ministère.
« On ne peut pas le laisser à l’infirmerie alors que des Mangemorts en devenir viennent
d’essayer de le kidnapper. » contra Sirius pour la troisième fois.

Ce qui lui valut une autre expression agacée de la sorcière qui s’agitait autour de Draco
depuis qu’ils étaient entrés. « Insinueriez-vous que je ne suis pas capable d’assurer la sécurité
de mes patients dans mon infirmerie, Mr Black ? »

« Ce n’est pas la question, Poppy. » intervint finalement Severus, d’un ton las. Probablement
parce que, installé sur le lit juste à côté de celui de Draco, son front continuait à pisser le sang
– ce pour quoi Sirius se sentait légèrement coupable.

« Il me semble que c’est tout à fait la question, au contraire. » rétorqua l’infirmière, en


rebouchant son baume, avant de pointer un doigt accusateur sur le cinquième année. « Ne
bougez pas de là. »

Draco, bien qu’ayant clamé haut et fort qu’il allait bien tout le temps qu’elle avait mis à
l’examiner, était désormais bien silencieux, comme si la fatigue l’avait rattrapé. Ou, plus
probablement, l’adrénaline était retombée. Il se contenta d’un hochement de tête un peu trop
docile.

Harry, en revanche, n’avait pas l’air prêt à s’asseoir. Il se tenait près du lit de Severus et lui
passait une nouvelle compresse dès que la précédente était trop imbibée de sang.

« À vous. » décréta Pomfresh, en se plantant devant Severus, un air furibond sur le visage.
Elle avait eu l’air en colère depuis que Sirius lui avait expliqué ce qui s’était passé et il fallait
admettre qu’il y avait de quoi.

Certes, le plan des septièmes années avait été complètement stupide et avait eu peu de
chances de réussir parce qu’il en fallait plus que trois idiots pour capturer Severus Snape
mais Draco… Draco, c’était une autre histoire. Il avait livré le récit de ce qui s’était passé au
compte-goutte et avec une honte évidente. Les deux Serpentards lui étaient tombés dessus
alors qu’il sortait de la partie pratique de son examen de Potions et il n’avait même pas eu
l’occasion d’esquisser un geste pour se défendre avant de se voir désarmer. Il était parvenu à
lancer un sort de bouclier sans baguette mais cela ne l’avait pas beaucoup avancé. Il s’était
débattu et les garçons l’avaient frappé.

Il avait nié s’être vu soumis à l’endoloris mais Sirius n’était pas entièrement persuadé qu’il
disait la vérité.

Il était évident que son égo était froissé.

L’infirmière jeta une panoplie de sorts de diagnostic qui fit grincer des dents l’ancien espion.

« Contentez vous de refermer la plaie. » protesta-t-il. « Je n’ai pas besoin d’un examen
poussé. »

« Comme si j’allais laisser passer l’occasion lorsque je vous ai sous la main. » rétorqua
Pomfresh, courroucée, et apparemment pas ravie des résultats du sort. « Ai-je besoin de vous
dire que votre tension est trop élevée ? Dois-je vous répéter encore que… »
« Le stress aggrave les séquelles de l’endoloris et me met à risque de développer des
problèmes cardiaques sur le long terme. » termina Severus pour elle, avec une bonne dose de
sarcasme. « Laissez-moi immédiatement envoyer un hibou au Seigneur des Ténèbres pour
l’en informer, je suis certain qu’il aura l’amabilité de cesser ses attaques. »

« C’est quoi cette histoire de problèmes cardiaques ? » s’inquiéta Harry, en fronçant les
sourcils.

« Rien. Juste Poppy qui dramatise. » répondit le Professeur, un peu trop rapidement pour être
sincère.

L’infirmière eut l’air de vouloir protester mais, après un discret coup d’œil au Gryffondor, tint
sa langue, et referma finalement la plaie sur son front, puis elle fit apparaître une poche de
glace qu’elle lui colla dans la main avant de le forcer à l’appliquer sur la bosse avec un peu
trop de brutalité vu le sifflement que le Maître des Potions laissa échapper.

Sirius ravala très vite un sourire amusé.

Poppy Pomfresh était la meilleure Médicomage qu’il connaissait mais elle était aussi
beaucoup plus rancunière qu’il n’y paraissait.

« Pourquoi est-ce que vous ne mettez pas de baume sur l’hématome ? » demanda Harry
curieusement.

Visiblement s’en était trop pour la sorcière qui se tourna vers le garçon, mains sur les
hanches. « Comptez-vous m’apprendre mon travail, à présent, Mr Potter ? »

L’adolescent sursauta avec un air coupable et grimaça. « Euh… Non, je me demandais, c’est
tout, Madame Pomfresh. »

« Harry s’intéresse à la magie médicale. » le défendit sèchement Severus, avant de s’asseoir


un peu plus droit, avec une fierté évidente. « Il compte devenir Médicomage. »

L’infirmière parut étonnée mais perdit sa mauvaise humeur pour un sourire ravi. « Vraiment ?
Je pensais que vous voudriez devenir Auror vu le nombre de fois où il m’a fallu vous
rafistoler au cours des années. Ne venez-vous pas de m’envoyer trois patients aujourd’hui
même ? »

« Je préfèrerais soigner les gens que les attaquer. » offrit le garçon, un peu gêné.

« Saint Potter. » marmonna Draco, entre ses dents.

Sirius lui asséna une gentille bourrade, attentif à ne pas trop le secouer. Son cousin lui jeta un
regard noir.

« Eh bien, vous m’en voyez ravie. » décréta Pomfresh. « Venez donc à l’infirmerie quand
vous voulez si cela vous intéresse vraiment. La compagnie ne me dérange jamais et je
pourrais vous apprendre quelques petites choses. Il y a plusieurs autres élèves qui se destinent
à Sainte Mangouste qui passent de temps en temps… »
Et elle entreprit de se lancer dans une explication détaillée de pourquoi il n’était pas sage
d’utiliser un baume sur une plaie à peine refermée par magie. Sirius cessa d’écouter au bout
de quelques secondes mais Harry paraissait véritablement intéressé et posait même des
questions…

« Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? » soupira l’Animagus, en reportant son attention sur le
Serpentard qui avait l’air prêt à s’écrouler. « Et qu’est-ce qu’on fait pour les examens,
demain ? Je suppose qu’on peut te faire une dispense… Tu pourras les repasser à la fin de
l’été lorsque… »

« Sûrement pas ! » protesta Draco. « De toute manière, je pourrais réussir l’examen de


Potions dans mon sommeil. »

« Heureux de l’apprendre. » railla l’ancien Professeur de Potions. « Peut-être devrais-je vous


noter plus sévèrement, dans ce cas ? »

« Cessez de houspiller le garçon, Severus. » le gronda Pomfresh. « Je vais vous chercher une
potion antidouleur. Et ne dites pas que c’est inutile. Le résultat de mon sort de diagnostic
prouve le contraire. »

Le Maître des Potions évita soigneusement le regard d’Harry autant que le sien.

« Ma jambe est un peu raide. » admit-il, une fois que l’infirmière se fût éloignée.

Sirius ouvrit la bouche pour faire une blague, détendre l’atmosphère, mais avant qu’il ait pu
dire quoi que ce soit, les portes de l’infirmerie s’ouvrirent brutalement en grand sans que
personne ne les ait touchées.

Une seconde plus tard, une autre sorcière enragée entrait au pas de charge.

Sa cousine avait gagné en assurance dernièrement mais, à cet instant précis, il se fit la
réflexion qu’elle ressemblait à sa mère et à ses tantes lorsqu’elle était en colère. N’importe
qui de sensé se serait écarté de son chemin.

Manque de chance, c’était vers eux que Tonks fonçait ; ses cheveux étaient noirs, ce qui
n’était jamais bon signe, et l’air autour d’elle crépitait d’une magie à peine contrôlée, ce qui
l’était encore moins.

Ou, plus précisément, elle fonçait sur Draco.

Le garçon n’eut pas la présence d’esprit de se taire.

« Ne commence pas ! » l’avertit le cinquième année alors qu’elle fondait droit sur lui. « Je
n’ai rien du tout ! Ce… »

« Rien du tout ? » répéta Tonks dans un sifflement, en lui attrapant le menton pour mieux
inspecter son visage, avant d’aviser la manche déchirée et de la retrousser avec force, malgré
le fait qu’il se débattait, pour mieux inspecter la balafre magiquement refermée. « Ce n’est
pas ce que Dumbledore vient de me dire ! Rien du tout ! Je suppose qu’il a exagéré lorsqu’il
m’a dit que ces abrutis t’avaient saigné pour mieux organiser un petit jeu de piste tout autour
des cachots, alors, hein ? »

Cette fois-ci, Draco eut le bon sens de ne pas protester.

Sirius se sentit obligé d’intervenir parce qu’il était évident que Severus préférait observer le
sol et qu’Harry prétendait très fort être devenu sourd. Or Tonks était en train d’étudier leur
cousin sous toutes les coutures comme si elle avait récemment pris des cours particuliers de
mère poule avec Molly Weasley.

« Il va bien. » offrit-il.

Cela lui valut un regard qui aurait pu geler une armée sur place.

Oui, décida-t-il, elle était aussi effrayante qu’Andromeda lorsqu’elle était en colère.

« Ça suffit les risques stupides. » déclara-t-elle. « Tu déménages des dortoirs. »

« Absolument pas ! » riposta Draco. « Cela n’a rien à voir. Ils m’ont attaqué dans un couloir
et… »

« Et rien du tout. » cingla-t-elle. « Je suis responsable de toi et je décide. Tu déménages, un


point c’est tout. »

« Tu n’es responsable de moi que pour la forme ! » protesta le garçon. « Tu… »

« Continues et je ferai en sorte que tu n’ais même plus le droit d’entrer dans ta salle
commune. » l’interrompit-elle. « Le Directeur de Serpentard doit bien pouvoir trier qui est le
bienvenu ou pas. Je me trompe ? »

La question avait été lancée en l’air, elle ne s’était pas encore tournée vers le Professeur de
Défense.

Sirius attendit qu’il s’insurge mais Severus se contenta de grimacer en se cachant un peu plus
derrière sa poche de glace. « C’est… envisageable. »

« Voilà. » triompha-t-elle, les mains sur les hanches. « Alors ? Qu’est-ce que tu choisis ?
D’être complètement exclu de ta Maison ou d’aller dormir ailleurs, là où je serais certaine
que personne n’essayera de te kidnapper ou de t’assassiner pendant que j’aurais le dos
tourné ? »

« Et où est-ce que tu veux que j’aille ? » s’énerva Draco. « Ou bien est-ce que Dumbledore a
omis de te dire qu’il y avait une Poufsouffle dans le tas ? Tu vois, tous les méchants ne sont
pas à Serpentard. »

« Je n’ai jamais dit que tous les méchants étaient à Serpentard. » contra-t-elle. « Juste que ce
n’était pas un endroit sûr pour toi. Putain, excuse-moi de m’inquiéter quand je reçois un
patronus qui me dit que ma pupille a été attaquée et est à l’infirmerie ! »
L’adolescent ouvrit la bouche, la referma, quêta le regard de son Directeur de Maison qui ne
bronchait toujours pas et, en désespoir de cause, se tourna vers lui.

Sirius aurait préféré se faire oublier, lui aussi, mais… « Il peut venir chez moi. »

C’était une solution qu’il avait rechigné à proposer jusque là parce qu’il n’avait pas été
certain que la cohabitation se serait bien passée et parce qu’il ne voulait pas risquer d’abimer
sa relation avec Harry. Mais Draco n’était pas son père et il ne pouvait nier qu’il en était venu
à l’apprécier, même si c’était parfois un petit con arrogant, il ne voulait pas le voir blessé non
plus.

« J’ai une chambre vide. » continua-t-il, en croisant le regard de son filleul. « Si ça ne te


dérange pas de prêter ta chambre, je veux dire. »

Ce n’était pas comme si le garçon y avait jamais mis les pieds, de toute manière. La pièce
était plus une chambre d’amis qu’autre chose, à ce stade. Et il ne l’avait fait installer que
parce que le Gryffondor avait été si véhément à propos de sa chambre dans les appartements
de Severus.

« Non, c’est une bonne idée. » s’empressa d’acquiescer Harry, apparemment impressionné
par l’énervement de Tonks.

Il fallait dire qu’elle ne se mettait pas souvent réellement en colère… Et que, ce coup-ci, elle
avait ses raisons. Ils n’auraient jamais dû laisser la situation péricliter autant.

« Dans ce cas, c’est réglé. » lança-t-il joyeusement, en tapotant l’épaule du Serpentard qui
avait l’air d’avoir avalé une couleuvre. « J’espère que l’odeur de tabac ne te gêne pas… »

« Tu ne fumes pas devant ou autour de lui, Sirius. Tu ne bois pas non plus. » ordonna Tonks.
« S’il va vivre avec toi, tu dois être responsable. »

« Je sais que cela vous passe, à tous, au-dessus de la tête mais, moi, je suis responsable. »
intervint froidement Draco. « J’ai une responsabilité envers mon nom, envers ma Maison, et
fuir n’est pas une option. Si je quitte les dortoirs… Professeur Snape ! »

L’appel à l’aide n’eut pas l’effet escompté.

« Il reste moins d’une semaine de cours, Sirius est votre cousin… » répondit le Maître des
Potions. « Dites-leur que votre famille tient trop à son héritier pour le laisser plus longtemps
sans surveillance, étant donné le climat actuel. Cela ne trompera personne mais vous
permettra de sauver quelque peu la face. »

« Sauf que je ne suis pas l’héritier des Black. » cracha le Serpentard.

« Ta mère est une Black et, publiquement, je n’ai pas nommé d’héritier, même si tout le
monde se doute que c’est Harry… » soupira Sirius. « Il a raison, ça passe. »

« Mais… » insista Draco.


« Ce n’est pas un débat. » l’interrompit Tonks, en expirant lentement. Sa colère laissa place à
du soulagement. « J’étais vraiment inquiète. »

« Cousin, lorsqu’une femme emploie ce ton là, il vaut mieux ne pas discuter. » conseilla-t-il
avec humour. « Surtout si c’est une Black. »

Cela lui valut un autre regard noir mais Tonks devait considérer l’affaire réglée parce
qu’après avoir inspecté Draco des yeux une dernière fois, elle se tourna finalement vers
Harry, la mâchoire contractée. « Tu n’as rien eu, toi ? »

Le Gryffondor se dépêcha de secouer la tête et s’écarta prestement du chemin de la jeune


femme, venant se tenir près d’eux.

Et Sirius comprit brusquement que si Severus se cachait derrière sa poche de glace, ce n’était
pas simplement parce qu’il craignait le fait qu’elle soit en colère après lui pour avoir échoué à
empêcher Draco de se faire enlever, non… Parce que lorsqu’elle s’approcha, ce fût presque si
l’homme n’eut pas un mouvement de recul instinctif.

« Nymphadora. » grinça le Maître des Potions, un avertissement net dans la voix.

« Où es-tu blessé ? » siffla-t-elle.

« Nulle part. » rétorqua Severus. « Ce n’est qu’un hématome. Inutile de… »

Mais trop tard.

De la même manière qu’elle avait inspecté Draco, elle attrapa d’une main le menton du
Professeur et écarta de force la poche de glace de l’autre. Severus tenta de se dégager mais un
seul regard mit un terme à la tentative.

Oui, décida Sirius, ce regard noir était décidemment bien Black.

Si possible, l’expression de la jeune femme se durcit encore lorsqu’elle vit la blessure. Du


bout des doigts, elle retraça la plaie à peine refermée comme si elle voulait s’assurer qu’elle
avait été bien soignée.

« Oh non. » lâcha Draco, d’une voix blanche. « Non, non, non. »

« Tais-toi. » siffla Harry, en lui donnant un coup de poing qui n’avait rien d’amical dans son
bras non-blessé.

Sirius le remarqua à peine.

Il les observa et fronça les sourcils, mal à l’aise sans s’expliquer pourquoi.

C’était la manière dont ils se regardaient, les yeux dans les yeux… La manière dont Tonks
avait lâché le menton du sorcier pour poser la main sur son épaule avec naturel… La manière
dont elle se tenait si proche de lui que le Maître des Potions avait dû écarter légèrement les
jambes pour lui faire de la place… La manière dont elle ne semblait pas se soucier de se tenir
debout entre ses genoux comme si c’était tout à fait normal… La manière dont l’homme
s’était détendu alors qu’il détestait habituellement que quiconque empiète sur son espace
personnel…

« Ne t’inquiètes pas pour Servilus, on ne peut pas vraiment le rendre plus laid. » plaisanta-t-
il, avec un mauvais pressentiment dans le ventre.

Ce fût comme insulter un hippogriffe.

Le moment très bizarre qu’ils étaient en train de partager brutalement brisé – et Sirius avait
très légèrement envie de rappeler à Severus qu’il avait quelqu’un de sérieux dans sa vie parce
que ce regard avait été beaucoup trop intense pour être innocent – la jeune femme pivota vers
lui, si vite que ses cheveux noirs claquèrent autour de son visage sous le coup de la colère,
fouettant presque la joue du Maître des Potions.

Où était Pomfresh et sa potion antidouleur ? Sans doute dans son bureau en train de se cacher
en attendant que la tornade Tonks ne passe…

« Et où est-ce que tu étais, toi, pendant que mes gamins et mon… » accusa-t-elle sèchement,
uniquement pour s’interrompre tout à coup.

Sa première réaction fût d’éclater de rire. « Tes gamins ? Quand est-ce que tu as adopté
Harry ? »

Il était bien le seul à rire.

Harry avait les yeux rivés au sol et jouait avec le sceau des Prince à son doigt, signe certain
qu’il était mal à l’aise. Draco se frottait son bon œil comme s’il étudiait l’idée de le mettre
hors jeu lui aussi. Severus s’était à nouveau abrité derrière sa poche de glace. Et Tonks…
Tonks avait toujours une main sur l’épaule de Snape, ses doigts s’enfonçaient visiblement
dans sa chair d’une manière qui ne pouvait qu’être douloureuse. Elle paraissait un peu trop
nerveuse, d’un coup.

Et puis le reste de la phrase, la phrase qu’elle avait avortée le heurta.

Et le mauvais pressentiment se transforma en un soupçon très, très moche qu’il rejeta


immédiatement parce que… Parce que… C’était impossible.

Mais pleins de choses lui revenaient soudain en tête. Pleins de moments qu’il avait jugé
innocents ou même amusants mais qu’il n’avait jamais pris au sérieux.

« Elle était dans mes bras » avait cinglé Severus, le matin où Sirius était allé l’interroger,
chez lui, à propos du pseudo kidnapping de Tonks, alors même que Dumbledore et
McGonagall semblaient trouver ça complètement naturel que la jeune femme passe la nuit
dans ses appartements. Où elle était restée trois jours.

« Ma confiance en Nymphadora est absolue. » avait affirmé l’ancien espion, et pas qu’une
fois, alors qu’il n’avait confiance en presque personne et certainement pas de manière
absolue.
Et l’hostilité flagrante entre Remus et Severus qui était apparue sans avertissement mais
atteignait des sommets rarement égalés même entre eux, même entre Severus et James…

« Severus adore les Poufsouffles. » avait plaisanté Harry.

« Il y a moi. » avait répondu Tonks lorsqu’il lui avait demandé s’il y avait une Poufsouffle
parmi les Aurors qui patrouillaient parfois à Poudlard.

« Sirius, on est… proches, Severus et moi. » lui avait-elle confié à la fête de fiançailles de
Charlie et d’Anthony.

Et combien de fois Snape s’était-il raclé la gorge avant de dire « à propos de


Nymphadora… » exactement ?

Mais c’était impossible.

Impossible.

Parce que tout se serait fait sous ses yeux et qu’il n’aurait rien vu.

Impossible parce que c’était sa petite cousine, pratiquement un bébé, et Snape était…

« Ton quoi ? » lâcha-t-il, cessant brusquement de rire. « Tu as dit mon… Ton quoi ? »

Le silence qui suivit fût tel qu’on aurait pu croire que quelqu’un avait jeté un sort de silence.

Tonks leva fièrement le menton, ouvrit la bouche, sembla hésiter… puis grimaça. « Mon…
ancien Professeur de Potions. »

À côté de lui, Draco poussa un long grognement qui lui valut un autre coup de la part
d’Harry.

Sirius n’eut pas le temps de se détendre, pas le temps de partager en plaisantant les soupçons
ridicules qui l’avaient effleuré l’espace d’un instant, parce que Snape laissa échapper un
soupir agacé.

Et le Maître des Potions posa la main à l’arrière de la cuisse de sa cousine comme si c’était la
chose la plus naturelle au monde. La main était à peine au-dessus du genou, pas trop haut
pour que ce soit indécent mais qu’il ait la présomption de la toucher comme ça, de la toucher
tout court, c’était…

« Son amant, Black ! » s’emporta Severus, comme s’il n’en pouvait plus. Son visage était
cramoisi d’embarras. « Elle veut dire son amant ! »

Sirius entendit à peine les grondements horrifiés des adolescents parce que ses oreilles
tintaient comme si quelqu’un avait agité une centaine de petites clochettes.

« Achevez-moi. » supplia Draco, en se laissant gracieusement aller en arrière sur le lit où il


resta allongé.
« Sérieusement ? » s’étouffa à moitié Harry. « Non ! Non, non, non ! Je suis ton fils, tu ne
peux pas dire ce genre de trucs devant moi ! C’est illégal ! Sérieusement ! »

« Et que veux-tu que je dises ? » grinça Snape.

« Petit-ami, comme tout le monde ! » riposta le Gryffondor.

« Je n’ai pas quinze ans pour être le petit-ami de qui que ce soit. » rétorqua l’ancien
Mangemort.

« Très bien, alors, je ne sais pas moi… » s’agaça le garçon. « Ma conjointe, ma


compagne… »

« Veto sur compagne. » intervint Tonks, en se frottant le visage.

« Ma moitié, ma partenaire, mon amie… » continua l’adolescent, sans même s’essouffler.


« Ou alors il y a toute la panoplie de formules : nous sommes en couple, nous sommes
ensemble, nous sommes… »

« As-tu terminé ? » coupa le Maître des Potions, avec un amusement certain.

Harry n’en avait apparemment pas terminé mais Sirius ne pouvait toujours pas bouger ou voir
autre chose que la main de Snape posée à l’arrière de la jambe de sa cousine. Il devait résister
si fort à l’envie de l’arracher de là…

« N’importe quoi plutôt qu’un truc qui implique que vous faites des choses ! » conclut le
Gryffondor, à bout de souffle d’avoir tout lâché d’une seule traite.

Merlin.

Merlin, si c’était vrai, alors Tonks et Severus faisaient des choses.

Si c’était vrai alors le soir où il avait débarqué en fanfare dans les appartements de Snape…
Le caleçon sur le miroir. La femme derrière la porte. Les putains de jambes pâles qui
dépassaient de la robe de chambre et qui lui avaient fait dire que l’homme n’avait rien en
dessous.

Cette fois-ci le grognement de Draco tenait plus du gémissement. « Les images ! Les images
dans ma tête ! »

« Bien évidemment que nous ne faisons rien, Harry. Nous sommes entièrement chastes. » se
moqua ouvertement Severus. « Abstinents jusqu’au mariage. »

Mariage.

Était-ce une bonne ou une mauvaise chose que le mot soit lâché avec autant de naturel et que
Tonks ne semble pas plus surprise ou alarmée que ça ?

« Je vous déteste. » lâcha le garçon, avant de s’asseoir lourdement sur le lit de Draco,
l’écrasant à moitié au passage, ce que le Serpentard protesta fortement.
Snape eut le culot de ricaner.

« Dora ! » plaida le Survivant.

Et depuis quand est-ce que Harry l’appelait Dora ?, songea Sirius.

« Arrête de traumatiser les enfants, Severus. » le gronda Tonks, avec un amusement teinté de
nervosité. « Tu as déjà cassé Sirius. »

Toute l’attention de la pièce sembla retomber sur lui et il se demanda combien du numéro
d’Harry et Severus était une tentative malhabile de lui donner le temps de digérer
l’information.

Il y avait beaucoup à digérer.

Et la main de Snape sur la jambe de sa petite cousine était très, très indigeste.

« Ce n’est pas faute d’avoir essayé de te le dire. » grommela le Maître des Potions, sur la
défensive.

Il ravala sa première réaction qui était de lui demander s’il avait vraiment essayé parce que
Sirius se souvenait de très nombreuses discussions où il avait plaisanté sur le fait que Severus
ne couchait pas avec Tonks et où aucun aveu n’était venu.

« Sirius ? » hésita l’Auror, avec une pointe d’humour qui sonnait un peu faux. « Tu as besoin
que je trouve Pomfresh ou ça va aller ? Parce que Severus n’a pas tort, on a essayé de te le
dire. »

Et il était un crétin de ne pas avoir compris.

Même Harry avait pensé qu’il leur jouait un tour.

Il était probablement trop tard pour prétendre qu’il avait tout deviné il y avait de cela
longtemps et qu’il les avait faits tourner en bourrique pour le simple plaisir de les torturer.

« Vous me faites marcher. » s’entendit-il accuser.

Le déni, cette chose magnifique dont il préférait user plutôt que de remarquer que le pouce de
Snape caressait très subtilement l’arrière de la jambe de la jeune femme, de manière discrète,
probablement pour la rassurer.

« Oh, pour l’amour de Merlin ! » s’exclama Draco, en se redressant juste assez pour le
dévisager avec irritation. « La moitié du château ne parle que de ça. Elle passe sa vie dans les
cachots, pas étonnant que le Département des Aurors parte à vau-l’eau, soit dit en passant. Je
pensais juste qu’ils couchaient ensemble pas qu’ils avaient… des sentiments. »

« Nous nous passerons de ce genre de commentaires déplacés, Mr Malfoy. » cingla


immédiatement Snape. « Vingt points en moins pour Serpentard. »
« Et moi je me serais bien passé d’un beau-tuteur mais la vie est injuste et on n’a pas toujours
ce qu’on veut, Professeur. » répliqua le Serpentard, en se laissant à nouveau tomber en
arrière. Puis il se figea et se redressa complètement pour mieux dévisager Sirius. « J’ai une
idée brillante. Pourquoi tu ne serais pas mon tuteur, toi ? »

« Malfoy, arrête tes conneries. » marmonna Harry, écarlate. « Ce n’est pas le moment. »

« Bon, ce n’est pas que je ne passe pas un bon moment… » lâcha soudain Tonks. « Mais il
faut que j’aille arrêter trois aspirants Mangemorts et que je les ramène au Ministère pour les
interroger, peut-être les faire tomber un peu dans l’escalier au passage… Je vais vous laisser
régler… ça entre vous. »

Et, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, elle planta un baiser sur les lèvres de
Snape, ce qui acheva de convaincre Sirius que, non, vraiment, ils ne se moquaient pas de lui.
Une femme n’embrassait pas un homme comme ça pour plaisanter. Ce n’était pas
inconvenant, elle pressa simplement et rapidement ses lèvres contre les siennes, mais la
manière dont elle s’attarda, semblant peiner à se détacher, la manière dont il se pencha en
avant comme pour prolonger le contact jusqu’à la dernière seconde…

« Mes yeux. » se plaignit Harry, en se plaquant les mains sur le visage. Il riait à moitié,
toutefois.

« Ne m’attends pas. » murmura-t-elle, de manière délibérément basse. L’infirmerie était trop


silencieuse pour ne pas qu’ils entendent néanmoins. « J’en ai pour un moment, je dormirai au
bureau. »

Sirius se frotta le visage.

En étaient-ils à un stade où Snape était en droit de l’attendre le soir ou de demander une


explication si elle ne se montrait pas ?

Elle ébouriffa les cheveux d’Harry et donna un gentil coup de poing à l’épaule de Draco – qui
refusait de la regarder – avant de quitter l’infirmerie aussi précipitamment qu’elle y était
entrée.

Sans un regard pour lui.

Lorsqu’elle fût partie, le Maître des Potions jeta la poche de glace à moitié fondue sur un
chariot plein d’instruments et se tourna vers lui, le visage lisse mais les joues rougies,
probablement à cause de la petite scène qui venait de se jouer.

« Hurle si tu dois hurler. » l’invita son rival. « Mais, je t’avertis, je ne veux pas entendre un
seul mot contre elle. »

« Comme c’est mignon. » commenta Draco avec ironie.

Il ne parut pas goûter à l’oreiller qu’Harry écrasa sur son visage pour le faire taire.

Severus demeura imperturbable.


Sirius ouvrit la bouche…

… et réalisa qu’il n’avait aucune envie de hurler.

Il se sentait comme un idiot fini et ils auraient pu faire davantage d’efforts pour lui dire,
franchement, mais… Avec le recul c’était évident.

Cela faisait des mois que Severus parlait de Nymphadora. Elle revenait toujours dans la
conversation, semblait toujours au courant de tout. Le Professeur la complimentait sans arrêt.
Des mois qu’il les voyait se tourner autour. Il avait juste mal interprété la nature de leur
relation mais…

Avec le recul…

La manière dont ils se tournaient entièrement toujours l’un vers l’autre lorsqu’ils discutaient,
comme pour exclure le reste du monde… La manière dont Severus baissait parfois la tête
pour dissimuler un sourire… La manière dont elle riait ou cherchait toujours à se tenir près de
lui où qu’il soit dans une pièce…

Le plus effrayant était qu’il n’arrivait pas à se rappeler quand tout ça avait commencé, quand
les choses avaient changé. Après Remus, forcément. Après la tempête magique. Mais…

« Depuis quand ? » demanda-t-il.

« Plusieurs mois. » avoua Severus, après s’être raclé la gorge.

Il n’était pas fâché, ce n’était pas qu’il était fâché…

Maintenant que la main du Maître des Potions n’était plus posée sur la jambe de sa petite
cousine, il voyait moins rouge, mais…

C’était beaucoup à appréhender en une conversation.

L’un dans l’autre, il fût soulagé que Draco se mette debout. « Écoutez, cette conversation est
passionnante mais Potter et moi passons nos B.U.S.E.s de Potions demain matin, si vous
vous souvenez, et j’aimerais bien dormir un peu avant. »

« Kreattur. » appela-t-il, parce que, là tout de suite, aller se coucher lui paressait une
excellente idée.

L’elfe apparut et s’inclina bien bas. « Maître Sirius a appelé Kreattur ? »

« Va chercher les affaires de Draco dans son dortoir et installe les dans la chambre vide dans
mes appartements. » ordonna-t-il.

« Maître Draco vient vivre avec Maître Sirius ? » demanda l’elfe, avec un regain d’excitation.
Il s’inclina devant le Serpentard plusieurs fois d’affilées. « Kreattur a servi Maîtresse Cissy
dans son enfance. Kreattur est honoré de servir le fils de Maîtresse Cissy. Kreattur sert la
noble et ancienne nouvelle génération de la famille Black. »
Draco, sans surprise, ne parut pas savoir s’il devait être flatté ou horrifié mais, ayant grandi
avec des elfes de maison toute sa vie, ne cilla même pas. « Merci, Kreattur, je suis certain que
tu es un elfe tout à fait adéquat. »

Kreattur ne s’en tint plus de joie et disparut dans un craquement sonore exécuter son ordre.

Sirius secoua la tête. « Toujours aussi cinglé mais je commence à m’y attacher. »

« Je vais y aller moi aussi. » déclara Harry, en consultant sa montre. « Le couvre-feu… »

« Tu dors à la maison. » décréta Severus.

Le garçon fronça les sourcils. « Mais… »

« Tu dors à la maison. » répéta le Maître des Potions. « Je ne veux pas que tu te balades seul
dans les couloirs. »

Le Gryffondor ne tenta pas véritablement de discuter.

Sirius entraîna Draco, un peu soulagé lorsque Pomfresh réapparut soudain, les joues trop
rouges pour ne pas avoir suivi la majorité de la conversation, et intercepta Severus pour lui
faire prendre ses potions. Cela leur donna une longueur d’avance.

Le silence entre son cousin et lui alors qu’ils marchaient vers ses appartements aurait sans
doute été tendu si Sirius n’avait pas été trop préoccupé pour s’inquiéter de s’ils pouvaient
parvenir à cohabiter ou pas.

« Je te comprends, tu sais. » offrit Draco, au bout d’un moment. « C’est comme si Potter se
mettait avec Pansy ou Daphné. » Le garçon en frissonna d’horreur. « C’est juste contre-
nature. »

Il ouvrit la bouche et la referma, sans savoir quoi dire.

Ce n’était pas contre-nature.

Oui, il y avait la différence d’âge qui ne l’avait déjà pas tout à fait ravi lorsqu’elle était avec
Remus, mais, ça, c’était leurs affaires.

Oui, il y avait le fait qu’elle ait été son élève, ce qui, s’il était honnête, le mettait beaucoup
plus mal à l’aise que tout le reste mais, là encore, c’étaient leurs affaires. Il était avec une
vampire, il était mal placé pour leur faire la morale sur ce qui était acceptable ou pas.

Et il y avait le fait que c’était sa petite cousine… Pratiquement sa nièce vu qu’il considérait
Andy comme une sœur… Il était persuadé qu’il aurait eu du mal à avaler qu’elle ait une
relation sérieuse avec qui que ce soit…

Mais le fait que ce soit Severus…

Quelques mois plus tôt, il se serait jeté sur l’homme pour le massacrer sans autre forme de
procès.
Là…

Là, tout ce à quoi il pouvait penser c’était la manière dont Tonks souriait dernièrement.
Comme si elle était heureuse. En paix avec elle-même. Son assurance. La manière dont elle
n’hésitait plus à prendre la parole ou le contrôle d’une situation.

Et Severus… Severus était tellement plus humain, tellement plus apaisé, tellement plus
prompt à rire ou à plaisanter…

Non, ce n’était pas contre-nature.

Mais il fallait qu’il le digère.


There's Only Today

"Maybe you can afford to wait. Maybe for you there's a tomorrow. Maybe for you there's
one thousand tomorrows, or three thousand, or ten, so much time you can bathe in it,
roll around it, let it slide like coins through you fingers. So much time you can waste it.
But for some of us there's only today. And the truth is, you never really know."
— Lauren Oliver - Before I Fall

« Peut-être que vous pouvez vous permettre d’attendre. Peut-être que, pour vous, il y a
un demain. Peut-être que, pour vous, il y a un millier de demain, ou trois milliers, ou
dix, tellement de temps que vous pouvez vous y baigner, vous y roulez, le laisser filer
entre vos doigts comme des pièces. Tellement de temps que vous pouvez le gaspiller.
Mais pour certains d’entre nous, il n’y a qu’aujourd’hui. Et la vérité c’est qu’on ne peut
jamais savoir.
— Lauren Oliver - Before I Fall

Sirius doutait légèrement de l’intelligence de sa démarche mais il ne s’était jamais laissé


arrêter par si peu et, donc, il s’appuya contre le mur, en face de la porte des appartements de
Severus et d’Harry et attendit, espérant qu’ils comptaient bien prendre leur petit-déjeuner
dans la Grande Salle et qu’il n’aurait pas à poiroter trop longtemps.

Il n’avait pas beaucoup dormi la nuit dernière. Il avait ressassé ce qui s’était passé à
l’infirmerie, les révélations de la soirée, et avait beaucoup réfléchi.

« Personne n’a nettoyé. » grommela Draco, le regard rivé aux gouttes de sang en bas du mur
comme si c’était une offense personnelle.

Emmener le garçon avec lui, ce matin là, n’était probablement pas non plus une excellente
idée mais lorsqu’il avait annoncé, en quittant ses appartements, qu’il descendait dans les
cachots, le Serpentard s’était empressé de le suivre, arguant qu’il voulait parler à Harry.
Sirius avait pensé qu’il était peut-être nerveux à l’idée de se déplacer seul dans l’école et
n’avait pas protesté mais vu l’expression déterminée sur le visage du garçon…

Avant qu’il ait pu lui promettre de demander à un elfe de le faire, la porte s’ouvrit pour laisser
sortir Severus qui avait son air des mauvais jours : gardé, renfrogné et très mécontent de le
trouver là.

« Que veux-tu ? » attaqua le Maître des Potions, très visiblement sur la défensive.
Contrairement au coquard de son cousin, l’hématome sur son front n’avait pas disparu. La
bosse bleue violacée n’arrangeait pas son air revêche.

Ça se comprenait, décida Sirius, en forçant un sourire joyeux sur son visage. « Quoi ? Il me
faut une raison pour rendre visite à un ami, maintenant ? »
C’était probablement un signe qu’ils passaient trop de temps ensemble qu’il remarque son
léger changement de posture. C’était si subtil que la plupart des gens l’aurait probablement
manqué mais Sirius le vit : la manière dont ses épaules perdirent une fraction de leur tension.
L’ancien Mangemort ne laissa aucun soulagement apparaître sur son visage mais Sirius le lut
néanmoins dans ses yeux noirs et s’en voulut d’avoir été aussi prompt à fuir la veille. Peut-
être que s’il s’était attardé à l’infirmerie, s’ils avaient discuté…

Mais il lui avait fallu digérer.

Harry se glissa derrière son père pour sortir des appartements, hissant sa besace sur son
épaule tout en terminant de resserrer sa cravate de sa main libre…

« Toi, je te retiens. » plaisanta Sirius, avec suffisamment d’humour pour que tout le monde
comprenne bien qu’il n’était pas fâché. « Comment tu as pu me cacher un truc pareil ? »

L’espace d’une seconde, Harry sembla perdu, comme s’il ne savait pas de quoi il parlait, puis
la lumière se fit sur son visage et il leva les yeux au ciel.

« Ce n’est pas ma faute si tu es aveugle, Sirius. » ricana l’adolescent. « Il ne m’a fallu que
deux minutes dans la même pièce qu’eux et c’était avant qu’ils soient si… » Severus se racla
la gorge de manière délibérée et le garçon lui adressa un sourire tout à fait innocent. « Je dis
juste que c’était un peu évident. »

« Dis-en moins et concentre toi un peu plus sur l’examen de ce matin. » lui conseilla le
Professeur, non sans une pointe d’humour. « Draco, que puis-je faire pour vous ? »

« Convaincre Nymphadora que je peux très bien vivre dans les dortoirs ? » rétorqua le
Serpentard mais, devant l’expression intransigeante de son Directeur de Maison, il leva les
yeux au ciel. « C’est Potter que je voulais voir. »

« Tu as intérêt à avoir mes fiches. » grommela Harry, en faisant plusieurs pas dans le couloir,
sans s’embarrasser d’attendre les adultes.

« Quelles fiches ? » rétorqua Draco. « Ce n’est pas moi qui ai tes fiches. »

« Bien sûr. » railla le Gryffondor. « C’est drôle comme tu étais la dernière personne a les
avoir en mains avant qu’elles ne disparaissent. »

Les deux adolescents s’éloignèrent en se chamaillant, un peu trop rapidement pour lui et
Severus qui suivaient à un pas plus mesuré. Le Maître des Potions ne sembla pas apprécier
qu’ils s’éloignent trop.

« On ne peut pas les surveiller à chaque seconde, dans chaque couloir. » lui rappela Sirius,
avant qu’il puisse les rappeler. « Même si c’est tentant. »

Severus lui jeta un regard en coin, l’étudia quelques secondes, puis lâcha un bruit amusé.

« Tu as demandé à Kreattur de garder un œil sur eux. » devina son ancien rival.
« Disons que si quelqu’un d’autre a l’idée saugrenue d’attaquer l’un ou l’autre, il aura une
surprise. » répondit tranquillement Sirius, en enfonçant les mains dans les poches. Il attendit
quelques secondes, le temps d’être certain que les adolescents n’étaient plus à portée de voix,
puis soupira. « Tu aurais dû me le dire. »

« Parce que je te dois des comptes, maintenant ? » rétorqua sèchement Severus, à nouveau
sur la défensive.

« Parce que tu sais très bien que je la considérerai toujours comme un bébé. » riposta-t-il.

« Nymphadora n’est plus une enfant depuis longtemps. » s’agaça l’homme.

« Oui, je suppose que tu le sais mieux que personne vu que tu étais là quand elle a passé ses
A.S.P.I.Cs. » cingla-t-il. Exactement ce qu’il n’avait pas voulu dire. Il grimaça. « Désolé. »

Le Professeur se renfrogna davantage alors qu’ils arrivaient à une partie plus fréquentée des
cachots. Ils ne croisèrent heureusement que peu d’élèves et la plupart étaient trop occupés
pour leur prêter attention.

« J’ai conscience de ce dont cela a l’air. » soupira le Professeur.

« Je sais que ce n’est pas ce dont ça a l’air. » le rassura-t-il. « Déjà, parce qu’elle est trop
intelligente pour s’être amourachée d’un enseignant et, surtout, parce que malgré tous tes
défauts, tu n’es pas un pervers. »

Severus n’eut pas vraiment l’air de savoir comment le prendre mais il finit par émettre un
autre bruit amusé. « Quel compliment. »

« Tu couches avec ma petite cousine, le bébé de la famille, alors ne t’attends pas non plus à
ce que je saute de joie. » grommela-t-il.

« Techniquement, Draco est plus jeune. Ne devrait-il pas être considéré comme le bébé ? »
remarqua l’ancien espion, tentant probablement de noyer le poisson.

Il refusa de se laisser distraire. « Tu sais très bien ce que je veux dire. »

« Oui, je le sais, mais que veux-tu que je te dise, Sirius ? » s’énerva l’autre sorcier. « Le reste
du pays ne semble parler que de ça et ce n’est pas comme si nous nous cachions réellement,
ces derniers temps. »

« Le reste du pays ? » releva-t-il, sourcils froncés.

Ils s’arrêtèrent en bas des escaliers qui menaient au hall d’entrée, principalement pour que
Severus puisse faire une pause avant d’attaquer les marches.

« Le Seigneur des Ténèbres est au courant et a mis sa tête à prix. » admit l’ancien
Mangemort, visiblement à contrecœur. « Et pourquoi crois-tu que l’on m’ait soudain donné
un Ordre de Merlin ? Scrimgeour est très attaché à elle et à sa carrière. »
Il lui apparut soudain qu’il était encore plus idiot qu’il ne le pensait déjà. « Attends… Je suis
vraiment la dernière personne au courant ? »

Severus évita son regard. « Je suppose que personne n’a encore annoncé la chose à Molly ou
Mondingus. »

« Dumbledore ? » demanda-t-il, en connaissant déjà la réponse.

« Albus contrôle les protections du domaine. Ses allées et venues n’auraient pas pu passer
longtemps inaperçu, surtout vu ses heures de visite. » marmonna Severus.

« McGonagall ? » insista-t-il. Parce que, sûrement, il n’était pas allé se confier à la vieille
femme.

Mais un sourire amusé joua quelques secondes sur les lèvres de l’ancien Mangemort, comme
s’il s’agissait d’une excellente plaisanterie. « Oh, Minerva a compris avant moi… »

Il y avait une histoire là-dessous qui devrait attendre qu’ils puissent s’asseoir autour d’un
verre parce que le milieu du couloir n’était pas le lieu et ce n’était pas le moment s’ils
voulaient manger quelque chose avant la fin du petit-déjeuner.

Et il avait des questions plus urgentes.

« Tu as dis que ça durait depuis plusieurs mois, hier soir… » hésita-t-il.

Severus sembla débattre avec lui-même puis haussa les épaules. « Depuis le soir où vous
avez récupéré un échantillon de la potion des loups-garous. »

Sirius dût faire un effort pour garder la bouche fermée.

Certes, il s’était passé tellement de choses entretemps que ça semblait plus lointain que ça ne
l’était en réalité mais… C’était il y avait vraiment longtemps. Et il n’avait rien soupçonné. Il
n’avait…

« Cependant, s’il nous faut être précis, ce n’est sérieux que depuis que ma couverture a
sauté. » continua l’homme, avant de se pincer l’arrête du nez. « Encore que cela ait
commencé à être sérieux avant ce jour là, mais c’est à ce moment là que nous avons décidé
qu’il s’agissait d’une vraie relation et pas de quelque chose de plus léger. »

C’était une manière bien polie de désigner une histoire de cul.

Ce à quoi il ne voulait vraiment pas penser.

Il préférait encore la version où ils étaient amoureux.

Bien que le mot n’ait toujours pas été prononcé.

« Par sérieux, tu veux dire… » lâcha-t-il. Aucune réponse ne vint. Le Professeur était
insondable. « Non, parce que tu as mentionné le mariage, hier… »
« En plaisantant. » clarifia rapidement Severus, avant de grimacer. « Elle n’est pas prête. Et
moi non plus. C’est beaucoup trop tôt pour l’envisager. »

Sirius tenta vraiment de ne pas ciller comme un idiot. « Mais c’est un projet ? »

« C’est… » commença le Maître des Potions, avant de s’interrompre. « Pourquoi suis-je en


train de parler de ça avec toi ? »

Cette partie fût marmonnée et il entama l’ascension de l’escalier avec mauvaise humeur.

« Parce que je suis ton meilleur ami et que tu m’as caché un truc énorme. » rétorqua-t-il.

« Cesse de dire à tout va que je suis ton meilleur ami. » grommela l’ancien Mangemort.
« C’est suffisamment pénible d’admettre que nous puissions être simplement amis. »

Il n’y avait aucune hostilité dans la voix de son rival, à peine une affection un peu bourrue,
alors Sirius se prit à sourire. « Tu sais que si tu l’épouses, on sera cousins. »

Il adorait le faire tourner en bourrique.

« Avec un peu de chance, tu seras mort avant. » grinça Severus.

Sirius ne le prit pas mal parce qu’il savait qu’il ne le pensait pas. Et il y avait vraiment plus
important là tout de suite.

« Tu en es vraiment à penser mariage ? » insista-t-il.

Malgré les protestations et les railleries, il y avait une certain solennité dans le regard de
l’ancien espion qui lui faisait dire que c’était moins une idée en l’air que quelque chose qu’il
désirait.

« Contrairement à Lupin, je mesure précisément la chance que j’ai. » répondit le Professeur.


« Elle est… Je serais stupide de ne pas vouloir m’engager sur le long terme. »

Cela répondait à une question que Sirius n’osait pas poser.

Cet idiot était amoureux de Tonks.

Il n’était pas inconscient au point d’en faire la remarque à voix haute, cependant.

« Très bien. » soupira-t-il, alors qu’ils émergeaient dans le hall d’entrée et se dirigeaient vers
la Grande Salle. « Je suppose que j’approuve. »

Severus leva les yeux au ciel. « Ai-je jamais demandé ton approbation ? »

« Si tu n’en avais rien eu à faire, tu me l’aurais dit avant. » remarqua-t-il.

Il s’attendait à ce que l’homme nie tout en bloc mais le Maître des Potions le surprit.

Il sembla batailler quelques secondes avec lui-même puis admit, d’un ton sec et presque
froid : « Cela m’aurait peiné de perdre notre amitié. »
Trop estomaqué pour répondre, Sirius le regarda partir devant avec un peu de précipitation et
beaucoup de gêne.

Ou de pudeur.

Patmol n’avait ni l’un, ni l’autre et il le rattrapa rapidement, sans résister à l’envie de jeter un
bras amical par-dessus ses épaules, uniquement pour l’embêter et le pousser à se dégager en
protestant comme un chat effarouché, devant tous les élèves.

Les ricanements et les rires les poursuivirent jusqu’à la Grande Table où Dumbledore les
observait, en secouant la tête, une étincelle amusée dans le regard.

°O°O°O°O°

Malfoy ne voulait pas admettre qu’il avait volé ses fiches.

Tout ce dont il voulait parler sur le chemin qui menait à la Grande Salle était Severus et
Tonks. Harry avait déjà levé les yeux au ciel trois fois lorsqu’il repéra Zabini à la table des
serpents avec ce qui semblait être le reste des cinquièmes années de Serpentard au grand
complet. Cela ressemblait fort à un conciliabule mais il ne laissa pas un détail pareil l’arrêter.
Le Sang-Pur qui continuait à déblatérer tout seul sur les talons, il se dirigea droit vers eux.

« Zabini, fais taire ton meilleur ami avant que je ne le trucide ! » s’exclama-t-il, à bout de
patience.

Leur arrivée sembla prendre les cinquièmes années de court.

Puis tout le monde se mit à parler en même temps, même Grabbe et Goyle. L’avalanche de
reproches plut sur eux, presque incompréhensibles, et, surpris, Harry fit un pas en arrière,
laissant Malfoy faire face à l’animosité ambiante du reste de sa maison.

« Espèce de crétin ! » s’exclama finalement Parkinson, sa voix de crécelle s’élevant au-


dessus des autres.

Elle se leva du banc pour se précipiter vers Malfoy qui leva les mains devant lui, sur la
défensive. « Pansy… »

Le Gryffondor fit tomber sa baguette dans sa main d’un coup de poignet, juste au cas où…

Mais Parkinson se contenta de l’étreindre rapidement, cillant beaucoup comme si elle luttait
contre des larmes, avant de reculer et de lui frapper le bras avec suffisamment de force pour
que le Sang-Pur grimace.

« Qu’est-ce qui te prend ? » râla Malfoy.

« Qu’est-ce qui lui prend ? » siffla Greengrass. « Tu as disparu, Draco. Nous t’avons cherché
partout pendant des heures. »

« Tes affaires n’étaient plus dans le dortoir. » marmonna Goyle.


« Des septièmes années aux inclinations avérées étaient introuvables. » renchérit Zabini.

« On a cru que tu étais mort. » soupira Nott, comme si l’affaire l’ennuyait plus qu’autre
chose. « Cela en contrariait certains plus que d’autres. »

« Sans blague. » railla Malfoy, en toisant ses camarades, surtout ceux dont l’allégeance allait
à Voldemort. « Et depuis quand ça vous tracasse, ce qui peut m’arriver ? Je pensais que je
n’étais qu’un traître à son sang ? »

Harry se tint en retrait, bras croisés, baguette rangée dans sa manche, mais rechignant à
abandonner le Serpentard même si c’était son but originel.

« Ne sois pas stupide ! » s’énerva Parkinson, en remettant nerveusement en place une mèche
de cheveux derrière son oreille. « Tu t’es peut-être entiché d’une Sang-de-Bourde et fait des
choix… malencontreux, dernièrement, mais ce n’est pas pour ça que nous voulons que tu
meures ! » Elle sembla hésiter, regarda nerveusement du côté des élèves plus âgés, puis
grimaça. « Draco… »

L’expression de Malfoy, pourtant aussi hautaine et dédaigneuse que d’habitude, s’adoucit


légèrement. « Je n’ai rien du tout. Il s’avère que Black n’a pas d’héritier et… »

« Épargne-nous le baratin. » soupira Nott. « Rowle et Travers ont été arrêtés. Les clowns qui
passent pour des recrues d’Aurors sont venus fouiller leur dortoir, ce matin. »

« Ils ont fait du zèle. » ajouta Greengrass. « Ils ont inspecté les avant-bras de tout le monde. »

Dora n’avait sans doute pas autorisé ça, devina Harry, mais ses recrues étaient indisciplinées
et peu compétentes, de toute manière. Il l’avait entendue plaisanter – à moitié – que Severus
aurait peut-être dû faire un cours de Défense spécial juste pour eux. Le Professeur avait
refusé tout net.

« On s’en fiche. » déclara Parkinson, en balayant l’air de la main. « L’important c’est que tu
ne nous ais pas prévenus que tu allais bien. »

« On aurait pu croire que l’important soit que j’aille bien, tout court. » marmonna Malfoy.
Cela lui valut une seconde claque sur le bras de la part de Parkinson. « Pansy ! »

« Ça t’apprendra à m’inquiéter ! » s’agaça la jeune fille, avant de tourner les talons pour aller
s’installer plus loin. Le reste des cinquièmes années suivit en pestant après Malfoy mais
Harry détecta une certaine affection derrière la froideur de façade.

Au moins, les autres tables étaient trop occupées par le manège de Sirius et de Severus pour
s’intéresser à eux. Son parrain semblait déterminé à faire sortir son père de ses gonds mais ça
semblait plus amical qu’autre chose alors il n’intervint pas.

Zabini fût le seul à rester assis là où il était et Harry se laissa tomber à côté de lui, sans plus y
penser, laissant Malfoy faire le tour de la table.

« Les filles ! » se plaignit ce dernier, dès qu’il eut pris place.


« En parlant de filles, j’espère que tu as une meilleure explication prévue pour Granger parce
que la réaction de Pansy sera plaisante en comparaison de la sienne. » lâcha Zabini,
visiblement contrarié. « Elle t’a cherché partout, hier soir. Et toi aussi d’ailleurs, Potter. »

Harry se figea, la tartine qu’il venait de beurrer à quelques centimètres de sa bouche.

« C’est la faute de Malfoy. » décréta-t-il. « Il s’est laissé kidnapper. »

Le Sang-Pur s’étouffa presque dans son jus de citrouille, ce qui lui valut plusieurs regards
désapprobateurs de la part des autres serpents. Les manières à table comptaient à Serpentard.

« Je ne me suis certainement pas laissé kidnapper. » contra le garçon.

« Je l’ai sauvé. » continua-t-il, comme si le Serpentard n’avait pas ouvert la bouche.

« Ce n’est pas du tout comme ça que ça s’est passé ! » protesta Malfoy.

Les yeux sombres de Zabini passaient de l’un à l’autre, sans aucun amusement. « Et aucun de
vous ne s’est dit que prévenir vos amis, des amis qui vous connaissent trop pour ne pas
s’inquiéter dès que vous disparaissez plus de cinq minutes consécutives, était une bonne
idée ? »

Mouché, Harry échangea un regard avec Malfoy. Ils baissèrent tous les deux la tête, un peu
honteux parce que cela ne leur était même pas venu à l’esprit.

Zabini poussa un long soupir. « Nous étions inquiets, Draco. Tous. » Il fit un geste de la tête
vers l’endroit où le reste des cinquièmes années de Serpentard s’étaient retranchés. « Ils ne
sont peut-être pas du même côté que nous mais ça ne veut pas dire qu’ils ont oublié qu’on a
grandi ensemble. C’est une chose de dire que tu mérites ta déchéance parce que tu sors avec
Granger, une autre de véritablement penser qu’il puisse t’arriver quelque chose. La plupart
d’entre eux s’en sont aperçu hier soir. »

Malfoy leva les yeux au ciel mais la morgue était là pour la forme. « Très bien, je regrette de
vous avoir inquiété. Mais ce n’était pas mon choix de quitter le dortoir. »

« Racontez-moi, avant que Granger n’arrive et ne vous réduise en ingrédients pour potions. »
exigea Zabini.

Harry s’exécuta, souvent interrompu par Malfoy qui voulait corriger un détail ou insistait
pour dire que le Gryffondor exagérait et qu’il aurait parfaitement pu maîtriser Rowle seul.

« Et ensuite Nymphadora est devenue complètement hystérique et m’a interdit de retourner


dans les dortoirs. » conclut Malfoy, ayant à nouveau coupé la parole à Harry. « Ce qui me
ramène au point important que Potter et moi devons discuter. »

« Non. » lâcha Harry, se penchant légèrement en arrière pour voir l’entrée de la Grande Salle,
espérant un peu qu’Hermione allait apparaître et le sauver.

« Potter. » grinça Malfoy.


« Non. » répéta-t-il.

« Harry. » siffla le Sang-Pur.

« Encore moins. » cracha-t-il.

Zabini les regardait avec curiosité – et amusement, ce coup-ci. « Puis-je savoir ? »

« Non. » déclara-t-il, au moment précis où Malfoy poussait un soupir théâtral.

« Snape et Nymphadora. » lâcha la plaie de son existence.

Harry le foudroya du regard. « Mais tu vas la fermer, oui ? »

« Ah. » commenta Zabini, en coupant en deux une tranche de bacon d’un geste précis de son
couteau. « Je suis au regret de te dire que ce n’est plus véritablement un secret, Potter. Elle a
été vue quittant les cachots à l’aube, plus d’une fois. » Le garçon marqua une pause. « Qui
plus est, lorsque Snape est venu nous débarrasser du serpent qui avait élu domicile dans le lit
de Draco, elle était avec lui. En plein milieu de la nuit. Et la manière dont ils se comportaient
tous les deux… »

« Oh, crois-moi, je sais. » grogna-t-il.

« Non, mais c’est pire que ce que nous soupçonnions. » grinça Malfoy, en baissant la voix
dans un chuchotement furieux. « Il ne s’agit pas d’une simple liaison illicite ! Ils ont… des
sentiments ! »

Personne, la veille, n’avait parlé de sentiments.

Toutefois, il supposait que c’était extrêmement évident – pour tout le monde sauf pour Sirius,
apparemment. Il espérait que son parrain n’allait pas causer de difficultés.

L’amusement de Zabini sembla augmenter d’un cran mais c’était toujours dur à déterminer
avec lui. « Tu m’en diras tant. »

Harry beurra résolument une deuxième tartine.

« Et c’est pourquoi il nous faut y mettre un terme. » déclara Malfoy, pas pour la première fois
ce matin là.

« Malfoy… » lâcha-t-il calmement, en étalant une généreuse dose de confiture à l’abricot sur
le beurre, sans lever les yeux de son petit-déjeuner. « Si tu tentes de les séparer ou de créer
des problèmes, je vais te botter le cul si fort que tous les illustres ancêtres de ta stupide
famille vont le sentir dans leur tombe. »

Zabini étouffa son rire dans sa tasse de thé.

Le Serpentard le dévisagea comme s’il était particulièrement stupide. Ce n’était pas nouveau,
il le faisait souvent, mais, ce matin là, il avait l’air de penser qu’Harry était extrêmement
idiot.
« Potter, je vois bien que tu es perdu dans ton petit fantasme de papa et maman, mais reviens
sur terre une seconde et rends-toi compte de ce qu’une relation sérieuse entre eux implique. »
gronda Malfoy.

Imperturbable, bien qu’agacé par le sous-entendu qu’il souhaitait juste reformer une famille –
et quand bien même, râla-t-il intérieurement – Harry croqua dans sa tartine.

« Tu te rends compte que tant qu’elle est ma tutrice et que vous jouez à être père et fils… »
insista le Serpentard.

« Nous ne jouons pas. » l’interrompit-il froidement.

Malfoy l’ignora. « Cela signifie que s’ils s’installent ensemble, nous serons probablement
forcés de cohabiter à un moment donné. Pire, s’ils se marient… »

« Ah, ces vilaines rumeurs qui vont refaire surface si cela se sait que tu ne veux pas de Potter
comme frère parce que… » intervint Zabini, pince-sans-rire. « Parce que… quoi, déjà ? Il y a
pire sort que d’avoir le Survivant comme frère pour ta réputation… »

Harry émit un bruit dégoûté. « Nous ne serons pas frères. Même s’ils se marient. »

Les deux Sang-Purs lui jetèrent un regard, comme s’il venait de dire quelque chose de
stupide. Ce fût Zabini qui expliqua, un peu plus poliment que ne l’aurait fait Malfoy.

« Les sorciers prennent les tutelles très au sérieux. Dans les faits, un tuteur est l’équivalent
d’un parent. Si Tonks est sa tutrice et que Snape est ton tuteur et qu’ils se marient… Aux
yeux de la communauté magique, ce serait comme si vous étiez frères. La parenté sanguine,
dans ce cas de figure, n’entrerait pas en ligne de compte. »

Une bonne chose qu’il ne se soit jamais préoccupé de ce que la communauté magique
pensait.

Il haussa les épaules.

« Tant que je n’ai pas à partager ma chambre, ça m’est égal. » décida-t-il.

Malfoy se couvrit le visage de la main avec un grondement étouffé. « Potter. »

« Écoute, tu as des parents. » cingla-t-il. « Et j’espère pour toi que lorsque cette guerre sera
finie, tu pourras retourner vivre avec eux, même en sachant qui est ton père. » Parce qu’il
avait beau détester Lucius, il ne souhaiterait jamais à personne de perdre ses parents. « Mais
moi j’ai Severus. Et Severus est heureux avec Tonks. Et il se trouve que j’aime bien Tonks.
Alors tu vas te mêler de tes affaires. Parce que, tu l’as dit hier soir, ta tutelle est temporaire.
Moi, c’est ma vie. »

Le Serpentard l’observa avec agacement, touchant, sans sembler s’en rendre compte, le sceau
qu’il avait passé à son doigt lorsqu’Harry le lui avait rendu la veille. C’était devenu un tic.
Toutes les deux minutes, il le touchait.

Le Gryffondor comprenait. Si on lui avait arraché le sceau des Prince…


Par réflexe, il fit tourner la lourde bague autour de son doigt.

Heureusement, ou malheureusement, la conversation s’arrêta là parce que les Gryffondors


venaient d’arriver, pratiquement au grand complet. Et chargeaient vers eux.

Hermione en tête.

Mais Ron et Ginny étaient juste derrière.

« Où étiez-vous passé ?! » beugla Hermione, plus qu’elle ne le demanda.

« Tu n’as rien ? » enchaina Ron, en le trainant pratiquement hors du banc pour mieux
l’inspecter. « Putain, pourquoi tu ne nous as pas envoyé un message ?! Un Patronus !
N’importe quoi ! »

Ginny le foudroyait du regard, les jumeaux avaient l’air agacé, Neville était plus
compatissant mais semblait contrarié, Dean et Seamus semblaient un peu amusés mais tout
aussi inquiets que les autres, Lavande et Parvati le regardaient avec désapprobation…

« Euh… » lâcha-t-il.

« Tu nous as dit que tu descendais voir Snape et que tu n’en avais pas pour longtemps. »
gronda Ron. « Et ensuite tu as disparu ! Et pendant ce temps, on ne trouvait plus Malfoy non
plus ! »

« Je vous avais prévenus. » lâcha Zabini alors que lui et Malfoy se mettaient à balbutier des
explications qui se contredisaient parfois. Greengrass revint sur ses entrefaites, désirant
l’explication plus détaillée que celle que le Sang-Pur avait fourni au reste des cinquièmes
années de sa Maison… Elle se percha sur les genoux de Blaise qui cala son menton sur son
épaule pour mieux regarder le spectacle…

Hermione était furieuse.

Et Ginny n’avait pas prononcé un mot mais Harry sentait son regard meurtrier sur son profil
bien qu’il fasse un effort pour se concentrer principalement sur Ron.

« Et Tonks m’a ordonné d’emménager avec Sirius. » termina Malfoy, qui n’en menait
visiblement pas très large et se frottait le bras là où Hermione l’avait frappé plusieurs fois.

« Eh bien, il y a au moins une personne sensée dans cette école. » siffla la lionne.

« Sensée, sensée… » bougonna le Sang-Pur. « Tu savais qu’elle et Snape… »

« Mais il faut que je fasse quoi pour que tu te taises ? » intervint Harry, sous les exclamations
incrédules du public qu’ils avaient accumulé. « Que je te provoque en duel ? »

La majorité de l’A.D. se tenait désormais groupée autour d’eux et la plupart des élèves
attablés alentour écoutaient attentivement, avides de ragots. Ils étaient debout autour de la
table des serpents et avaient visiblement attiré l’attention de la table des professeurs.
McGonagall n’allait pas tarder à venir les disperser, vu ses lèvres pincées.
« Snape et Tonks, quoi ? » demanda curieusement Ron. Malfoy lui lança un regard lourd de
sens qui le fit éclater de rire. « C’est ça, oui ! Tu as pris un sort de confusion en pleine tête ou
quoi ? Tonks. Tu as vu Tonks ? Elle est… »

« Elle est quoi, Ronald ? » demanda froidement Lavande.

« Oui, elle est quoi, Ronald ? » répéta le Sang-Pur, soudain moins bien disposé. « C’est de ma
cousine que tu parles, je te rappelle. »

Embêté, Ron chercha le regard d’Harry qui préféra sagement détourner les yeux. Il savait très
bien ce que son meilleur ami voulait dire parce qu’ils en avaient déjà plaisanté cet été au
Square Grimmaurd. Mais c’était il y a une éternité et c’était bien avant que…

« Laisse-moi en dehors de ça. » plaida-t-il, avec un regard en coin pour Ginny qui,
décidemment, n’avait pas l’air très heureuse.

« Ce n’est pas une discussion très appropriée. » décréta Hermione, en se raclant la gorge. « Et
ce n’est pas le sujet. Tu aurais dû… »

« Excuse-moi, c’est un peu le sujet. » la coupa Ron, avec un bruit amusé. « S’il pense
vraiment que Tonks est avec Snape, il débloque et on devrait le ramener chez Madame
Pomfresh. Harry, dis-lui, toi. »

Tous les regards se tournèrent vers lui et il grimaça. Il ne voulait pas mentir comme si la
chose était ridicule ou honteuse. Et ce n’était plus un secret, si ? Mais ce n’était pas non plus
ses affaires et…

Dans le silence chargé qui suivit son absence de réponse, Greengrass soupira. « Il doit être
riche. »

Il se tourna vers la blonde avec agacement. Comme si ça avait été la seule explication à…

« Ou alors il n’est pas bon qu’en Potions… » remarqua Lavande.

Harry, les yeux écarquillés d’effroi, pivota vers sa camarade, uniquement pour entendre une
dizaine d’autres spéculations différentes sur ce que Tonks aurait pu trouver à leur Professeur
de Défense.

« Non, mais, attends… » insista Ron, en lui tirant la manche dans la cacophonie. « C’est une
blague, hein ? Non parce que je ne veux pas insulter ton père ou quoi, mais Tonks est quand
même très, très… Et Snape… C’est Snape. Enfin, tu comprends… »

Plus qu’énervé, Harry croisa le regard gris de Malfoy. « Satisfait ? »

Un bruit sec mais si fort qu’il avait dû être amplifié par un léger sonorus mit un terme aux
conversations qui avaient attiré l’attention de ce qui semblait être l’école entière. Tous les
adolescents détournèrent soudain les yeux ou se trémoussèrent sur place sous le regard noir
qui les fixait avec une irritation certaine.
Comment Severus et sa canne étaient parvenus à fondre sur eux sans que personne ne les
remarque, ça…

« Dispersez-vous. » ordonna-t-il, sans même élever la voix. L’hématome sur sont front lui
donnait l’air encore plus effrayant que d’habitude.

Tout le monde s’enfuit sans demander son reste, Hermione incluse, sauf lui et Malfoy qui
n’eut pas la présence d’esprit d’avoir l’air repentant. Et Zabini et Greengrass qui se firent
touts petits et continuèrent à avaler leur petit-déjeuner comme si de rien n’était.

« Le dernier jour des examens, vous vous présenterez à mon bureau à sept heures pour une
retenue, Draco. » cingla Severus, furieux.

« Je n’ai rien fait ! » protesta Malfoy.

« Deux retenues. » contra le Professeur, imperturbable. Le Sang-Pur serra les dents mais
parvint à se contenir. « Peut-être que récurer des chaudrons sales vous apprendra à tenir votre
langue sur la vie privée de vos enseignants. Daphné, il y a des sièges, utilisez-les. »

Sans un regard, un souffle ou un mot, Greengrass glissa des genoux de Zabini au banc à côté
de lui.

Harry se tint immobile, attendant que l’orage passe. Les yeux noirs passèrent sur lui et
Severus ne dit rien mais il pressentit qu’il allait en entendre parler une fois qu’ils seraient
seuls. Le Maître des Potions se détourna mais n’avait fait que deux pas vers la table des
Professeurs lorsque Malfoy perdit son calme.

« Ce n’est pas juste. » décréta-t-il. « Et je vais lui écrire pour lui dire que vous me
persécutez. »

Harry leva les yeux au ciel.

Zabini ferma les paupières comme s’il ne pouvait pas croire à tant de bêtise.

Quant à Greengrass, elle enfouit son visage dans l’épaule de son petit-ami pour mieux cacher
son amusement.

« Faites donc. » lâcha Severus, en se retournant pour mieux le fusiller du regard. « Souvenez-
vous simplement que tant que vous êtes au sein de cette école, vous êtes soumis à mon
autorité et pas à la sienne. » L’homme marqua une pause, puis leva les sourcils. « Sans
mentionner le fait que je suis certain qu’elle sera enchantée que vous ayez choisi de révéler
des informations privées à tout Poudlard moins de douze heures après qu’elles vous aient été
confiées. »

« Je désapprouve. » annonça le Sang-Pur, un peu trop fort vu les regards avides de scandale
de tous ceux qui prétendaient ne pas suivre la conversation.

« Si seulement je me souciais de votre opinion. » se moqua le Professeur. « Une semaine de


retenues, Mr Malfoy. Terminez votre petit-déjeuner, il serait malheureux d’échouer à votre
examen de Potions parce que vous n’auriez pas l’esprit clair. »
Severus s’éloigna à pas agacés, la menace planant dans son sillage.

« Tu es suicidaire. » commenta Zabini, en secouant la tête. « Qu’est-ce qu’il t’a pris ? »

« Nymphadora est ridicule mais c’est une Black et elle mérite mieux. » cracha Malfoy.

Harry aurait probablement fait quelque chose de très inconsidéré, comme sauter par-dessus la
table pour lui mettre son poing dans la figure, si Greengrass ne s’était pas brusquement levée,
et ne s’était pas plantée devant lui. Il se demanda s’il était évident qu’il voulait frapper
Malfoy.

« Je croyais que tu en avais terminé avec tes préjugés stupides ? » rétorqua-t-il, en étirant le
cou pour le regarder par-dessus l’épaule de la jeune fille. « Hermione sait que tu crois
toujours à ces conneries ? »

Le Serpentard eut le mérite d’avoir l’air gêné. « Ce n’est pas ce que je veux dire.
Simplement… »

« C’est un Prince. » l’interrompit-il, indiquant d’un signe de la tête que Greengrass pouvait se
rasseoir. Ce qu’elle fit après une seconde d’hésitation. « Ça vaut deux fois un Black. Ou un
Malfoy. »

« La Maison a disparu. » contra Malfoy.

« Ça ne change pas son arbre généalogique. » remarqua Zabini, agacé lui aussi.
« Franchement, Draco… »

Les deux Serpentards échangèrent un long regard lourd de sens puis Malfoy détourna la tête,
les joues rougies.

« Très bien, c’est un argument stupide. » admit le Sang-Pur. « Mais je n’approuve pas, je
maintiens. Et je vais écrire à ma tante, dès ce soir. Quelqu’un doit faire entendre raison à
Nymphadora… »

« Oui, c’est sûr que la femme qui a fui les Black et a été reniée par amour pour un Né-Moldu
va prendre ton parti et dire à sa fille qui elle doit aimer. » railla-t-il, en secouant la tête. « Tu
es pathétique, Malfoy. »

Il planta là le Serpentard et alla rejoindre le reste de ses amis à la table des Serdaigles.
Seulement, là aussi, la conversation tournait autour de son père et de Tonks comme si c’était
le ragot le plus croustillant que Poudlard avait eu à se mettre sous la dent depuis longtemps.

Un coup d’œil à la table des Professeurs révéla que Severus se pinçait l’arrête du nez et était
visiblement occupé à envoyer balader des collègues trop curieux sous le regard amusé du
Directeur et de la sous-directrice. Sirius paraissait trouver l’affaire hilarante et ne lui était
d’aucune aide.

Harry aurait voulu leur rappeler, à tous, qu’il y avait une guerre qui se jouait là-dehors.

Le regard de Ginny accrocha le sien par-dessus un plat d’œufs brouillés.


Il marmonna une excuse et quitta la Grande Salle pour mieux se cacher dans une des alcôves
près de l’escalier. Lorsqu’elle passa à proximité, quelques minutes plus tard, il l’attrapa par la
taille et l’attira dans sa cachette.

Il l’embrassa sans lui laisser le temps de lui reprocher de ne pas les avoir rassurés sur son
sort, la veille au soir.

Heureusement pour lui, elle semblait d’humeur à se laisser distraire.

« Ce n’est pas une très bonne cachette. » remarqua-t-elle, riant à moitié sous ses baisers.

« Je ne veux pas me cacher. » répondit-il, un peu hésitant.

Ils n’avaient rien dit à personne, se donnaient des rendez-vous secrets, passaient discrètement
des mots pliés en quatre, se retrouvaient dans des classes vides ou des alcôves… Le secret
était un peu excitant et il aurait menti s’il avait dit que ces rencontres illicites ne l’amusaient
pas mais il ne voulait pas non plus qu’elle pense qu’il ne voulait pas dire la vérité…

« Crois-moi, tu ne veux pas que mes frères l’apprennent. » rétorqua-t-elle, en le regardant en


face. « Pas tout de suite. »

Il repoussa les lourdes mèches de sa queue de cheval derrière son épaule, passant ses doigts
dans l’épaisse masse rousse.

« Je suis désolé si tu t’es inquiétée. » murmura-t-il. « Je n’avais rien du tout. Si Dumbledore


et Sirius n’avaient pas fait de zèle, on n’aurait même pas eu besoin d’aller à l’infirmerie pour
Severus. »

« Envoie-moi un Patronus, la prochaine fois, ou tu me le payeras. Et je ne plaisante pas. »


exigea-t-elle.

Il savait qu’elle ne plaisantait pas. Et ses sortilèges de chauve-furies étaient suffisamment


célèbres chez les Weasley pour qu’il ne veuille pas s’y frotter. « Promis. »

Elle l’embrassa à nouveau et ils passèrent plusieurs minutes ainsi plaisamment occupés
jusqu’à ce que la première sonnerie ne les oblige à se séparer avec un grognement.

« On se retrouve après mon examen de Potions ? » demanda-t-il.

« Tu ne veux pas plutôt réviser pour la pratique de cet après-midi ? » le taquina-t-elle.

« Tu peux m’aider à réviser si tu veux. On peut pratiquer tout ce que tu veux. » proposa-t-il,
volant plusieurs baisers consécutifs pour le simple plaisir de la faire glousser. Puis il
approfondit le baiser et il oublia complètement que…

Elle le poussa avec un amusement manifeste. « Va-t-en, avant de rater tes B.U.S.E.s. Snape te
tuera et, ensuite, ce sera mon tour pour t’avoir distrait… »

Son rire joyeux le poursuivait encore lorsqu’il sprinta jusqu’à la Grande Salle rejoindre le
reste de son année.
°O°O°O°O°

Draco attendit la fin du petit-déjeuner pour les rejoindre à la table de Serdaigle, l’air sombre
et très légèrement ennuyé.

Hermione le regarda approcher par-dessus son livre de Potions puis reporta les yeux sur le
texte, tournant délibérément une page avec un peu trop d’agressivité lorsqu’il se glissa à côté
d’elle sur le banc. Ginny, Harry et Neville étaient déjà partis ; Susan, Hannah, Parvati et
Padma se posaient des questions de dernière minute sur les propriétés du sang de dragon pour
être sûres de n’en oublier aucune ; quant à Ron et Lavande, ils étaient trop occupés à
s’embrasser à pleine bouche pour se préoccuper de l’examen qui suivrait.

Ils restèrent une bonne minute comme ça : Hermione feignant de lire son livre et Draco la
regardant avec une impatience grandissante.

« Granger… » finit-il par soupirer.

« Je n’ai pas dormi de la nuit. » cingla-t-elle. « Alors laisse-moi réviser parce que si je loupe
cet examen à cause de toi… »

Il émit un bruit amusé. « Tu sais très bien qu’il n’y aucune chance pour que tu loupes quoi
que ce soit. »

Elle pinça les lèvres avec irritation et tourna la page. C’était flatteur que tout le monde pense
qu’elle ne pouvait pas échouer mais c’était aussi un peu réducteur. Comme si elle ne méritait
pas ses notes. Comme si c’était moindre parce que c’était facile. Comme si elle ne travaillait
pas avec acharnement. Comme si…

« Hermione… » reprit-il, plus bas. Une supplique.

Une concession.

Parce qu’il ne cacha pas la fatigue dans sa voix, la tension.

Elle ferma son livre avec un soupir. Il avait beau avoir raconté l’épisode de la veille avec
légèreté, s’en être presque moqué comme si ce n’était qu’une aventure un peu gênante, cela
avait dû le secouer. Sans compter qu’ils lui avaient fait du mal.

« C’est une bonne chose que tu ne vives plus chez les Serpentards et je ne comprends pas
pourquoi personne ne t’a forcé à déménager avant. » lâcha-t-elle. « Les adultes dans cette
école sont parfois irresponsables. De ce que disait Harry, je pensais que Snape était un peu
plus digne de confiance mais qu’il ne t’ait pas sorti de là avant… »

« Pour être franc, il a essayé. » admit Draco. « J’ai refusé plusieurs fois. »

« Tu es un élève, lui ton Directeur de Maison. » rétorqua-t-elle. « Tu n’aurais même pas dû


pouvoir refuser. »

Mais elle savait que McGonagall n’aurait pas lutté trop ardemment non plus aurait-il été à
Gryffondor. Les sorciers ne semblaient jamais prendre les choses suffisamment au sérieux.
Comme lorsqu’ils avaient décidé de cacher une pierre philosophale en plein milieu d’une
école, par exemple.

« La question ne se pose plus de toute manière. » grommela son petit-ami. « À présent, je


vais devoir vivre avec Sirius Black et je rentrerai dans l’Histoire comme le Malfoy qui aura
déshonoré sa Maison parce qu’il n’était pas capable de faire face à trois crétins. »

Elle l’étudia attentivement, retraça du pouce le contour tuméfié de son œil. L’hématome était
pratiquement invisible, déjà résorbé. La magie permettait des choses incroyables mais ce
n’était pas parce qu’on soignait les blessures qu’on les oubliait aussi facilement…

Il inclina la tête, nichant la joue dans sa main.

Et, malgré elle, elle sentit son ressentiment et son irritation fondre.

Elle n’était pas douée pour résister aux yeux gris qui avaient accroché les siens,
particulièrement lorsqu’ils étaient tristes et un peu blessés.

« Ils t’ont pris en traître. » lui rappela-t-elle.

« Ce n’est pas une raison. » marmonna-t-il.

Ça n’empêchait pas son égo d’être froissé, comprit-elle.

Elle se pencha vers lui pour effleurer ses lèvres des siennes, recula alors qu’il allait affermir
le contact. Elle joua à ça une ou deux fois, jusqu’à ce qu’il perde patience et enfouisse la
main dans les boucles qu’elle n’avait même pas essayé de dompter ce matin là pour
l’embrasser passionnément.

Il y eut plusieurs sifflements facétieux mais ce fût le raclement de gorge désapprobateur de


Flitwick qui venait de faire une remarque similaire à Ron et Lavande qui la poussa à mettre
un terme au baiser.

Elle marmonna une excuse, rouge comme une pivoine, pressant le dos de sa main contre sa
joue cuisante.

Cependant, Draco souriait à nouveau et c’était bien le principal.

°O°O°O°O°

Ron et Lavande attendaient que les portes de la Grande Salle s’ouvrent pour qu’ils puissent
prendre place pour leur examen. Appuyé contre le mur, un peu à l’écart de la masse d’élèves
qui patientaient, la jeune fille dans ses bras, il volait des baisers lorsqu’il était sûr que les
Professeurs qui passaient de temps en temps pour s’assurer que les cinquièmes années ne
chahutaient pas trop ne regardaient pas vers eux.

Ils s’étaient déjà faits réprimander par Flitwick et McGonagall ce matin là. Et il ne voulait
pas entendre une nouvelle fois qu’il aurait dû montrer l’exemple en tant que préfet.

Quel meilleur exemple aurait-il pu donner ?


Il sortait avec l’une des plus jolies filles de l’école.

« Stressée ? » demanda-t-il finalement à sa petite-amie, qui jouait avec une boucle de ses
cheveux blonds.

« Non. » Lavande haussa les épaules. « Je ne veux pas continuer les Potions, l’année
prochaine, alors ça m’est un peu égal. Et toi ? »

« Un peu. » admit-il.

Il n’était pas tout à fait sûr de ce qu’il voulait faire plus tard. Percy lui avait envoyé une
longue lettre en début de semaine, avant que les examens ne commencent. Contrairement à
Charlie ou Bill, il ne s’était pas contenté de lui souhaiter bonne chance ou de lui dire de faire
de son mieux, non… Percy lui avait rappelé à quel point ces examens étaient importants,
simplement parce que même s’il ne savait pas bien à quel métier il se destinait, cela ne faisait
jamais de mal d’avoir le choix. Or pour avoir le choix, il devait avoir le maximum de E et de
O. Fred et Georges avaient reçu une lettre similaire et en avait fait une lecture à voix haute un
peu moqueuse dans la salle commune.

Ron avait ri avec les autres mais, pour une fois, les mots de son frère ainé ne lui semblaient
pas si dénués de sens.

Il avait toujours pensé que lui et Harry deviendraient Aurors mais Harry ne semblait plus
vouloir poursuivre dans cette voie dernièrement… Neville se destinait à la Botanique…
Hermione allait révolutionner le monde au Ministère… Draco avait un avenir tout tracé au
domaine familial et au Magenmagot… Et lui ne savait plus trop.

Tâcher de réussir le maximum d’examens, comme Percy le lui conseillait, afin d’avoir un
plus vaste choix de matières parmi lesquelles choisir à la rentrée n’était pas un mauvais plan.

Mais les Potions…

« Oh, rappelle-moi de rendre ses fiches à Harry, après, d’accord ? » demanda-t-il


distraitement. « Je voulais le faire au petit-déjeuner puis j’ai oublié. »

« Je ne suis pas un Rapeltout. » gronda Lavande, avec plus d’amusement que d’hostilité, en
se tournant dans ses bras. Un rapide coup d’œil pour s’assurer que la voie était libre et puis
elle vola un autre baiser.

Les portes de la Grande Salle s’ouvrirent lentement et les élèves commencèrent à entrer pour
aller prendre place au bureau qui était le leur. C’était devenu la routine, ces derniers jours.

« Je t’aime. » murmura Lavande, avant d’aller rejoindre rapidement Susan et Hannah.

Comme d’habitude, Ron marmonna quelque chose qui aurait pu être pris pour un
assentiment, toujours pas très sûr de ses propres sentiments. Oui, il aimait passer du temps
avec elle, oui, il aimait l’embrasser, mais…

« Prêt ? » lança un peu trop joyeusement Harry, en le rejoignant.


Son meilleur ami semblait beaucoup plus détendu, ces derniers jours, sans que Ron ne soit
parvenu à déterminer pourquoi. Il aurait soupçonné une histoire de filles si Harry n’avait pas
été aussi fuyant sur le sujet.

« Prêt. » répondit-il, avec un sourire plus bravache que ce qu’il éprouvait en réalité.

°O°O°O°O°

Installé au milieu de la table des Professeurs, à la place qui était d’ordinaire celle du
Directeur, Severus planchait sur les notes que Slughorn avait rédigées suite à leur dernière
session de travail. Ils étaient près de l’idée fulgurante qui débloquerait la situation, il le
sentait. Il était à ça de trouver comment transformer sa potion Révèle-Loup en un philtre
similaire à celui que possédaient les Mangemorts.

De temps en temps, il relevait la tête pour s’assurer que personne n’avait l’idée saugrenue de
tricher malgré les sortilèges mis en place pour l’empêcher. Toutes les demi-heures, il se levait
et faisait le tour de la Grande Salle, jetant parfois un œil sur un des parchemins des
cinquièmes années.

Il avait pris un malin plaisir à se tenir derrière Malfoy et à lire par-dessus son épaule pendant
plusieurs minutes, sachant à quel point le Serpentard détestait ça. Cela aurait été plus
satisfaisant s’il avait été moins bon en Potions. Toutes ses réponses étaient exactes et ils le
savaient tous les deux, son reniflement dédaigneux était donc passé loin au-dessus de la tête
de son élève.

Il résista, une nouvelle fois, à l’envie de sortir son carnet pour mieux informer Nymphadora
de son comportement.

Ils avaient échangé quelques lignes lorsqu’il s’était réveillé, suffisamment pour qu’il sache
qu’elle avait passé une partie de la nuit à interroger les élèves arrêtés la veille sans grand
succès. La Poufsouffle, mineure, avait été récupérée par ses parents et leur avocat avant que
qui que ce soit ait pu lever le petit doigt. Quant à Rowle et Travers, c’était presque comme
s’ils étaient heureux d’être dans leurs cellules, ce qui lui faisait dire qu’il y avait plus sous
toute cette histoire qu’une initiation ratée. Ils étaient trop calmes, trop satisfaits et son instinct
la titillait mais elle avait plusieurs réunions prévues ce jour là et le mystère devrait attendre.

Elle était fatiguée et avait d’autres préoccupations, Severus ne voulait pas en rajouter en lui
apprenant qu’ils étaient devenus le ragot le plus juteux de tout Poudlard. Surtout que la
situation lui semblait délicate. Elle avait été excessivement compréhensive avec Harry, avait
pris soin de ne jamais empiéter sur leur relation, et, si les choses étaient différentes entre elle
et Draco, il demeurait qu’elle était sa tutrice et Severus, par définition, l’intrus. Il lui semblait
que c’était à lui de faire un effort pour ne pas la mettre en porte à faux, à lui de convaincre
l’adolescent de ne pas compliquer les choses. Avec le recul, il n’aurait probablement pas dû
lui coller autant de retenues.

Le large sablier à côté de lui luisit faiblement, indiquant qu’une demi-heure de plus s’était
écoulée. Ravalant son soupir las, il se leva.
« Il vous reste une demi-heure avant la fin de l’examen. » annonça-t-il, s’assurant de parler
suffisamment fort pour que tous les élèves l’entendent. Certains paniquèrent visiblement,
d’autres restèrent d’un calme olympien… Granger, sans surprise, repoussa une mèche
derrière son oreille et se remit à écrire rapidement avec une expression déterminée… Elle
avait déjà rempli plus de parchemin qu’il n’était nécessaire et il dût résister à l’envie de lui
rappeler de rester concise – ce qui n’avait jamais été son fort.

Severus entreprit de faire le tour, marchant entre les bureaux individuels qui avaient remplacé
les longues tables des Maisons, laissant les yeux trainer sur une copie ou une autre.

Il n’était pas impatient d’en lire certaines.

Il repérait beaucoup trop d’inepties d’un simple coup d’œil.

Harry leva la tête lorsqu’il passa près de lui, lui adressa un sourire un peu tendu avant de
replonger dans son examen… Il ne lui restait que quelques questions et il ne semblait pas
avoir répondu trop mal à celle qu’il venait de terminer…

Severus se força à continuer sa ronde plutôt que de troubler son fils en lisant par-dessus son
épaule. Contrairement à Draco, il n’était pas en colère après lui. Ce n’était pas Harry qui avait
révélé à toute l’école que le Professeur le moins populaire avait une liaison avec l’héroïne du
Ministère. Certes, l’Ordre de Merlin avait redoré son blason, mais cela n’avait pas empêché
la stupeur générale à cette rumeur qu’il n’avait pas niée devant ses collègues – ce qui revenait
à une confirmation de sa part. Et ses dits collègues n’avaient pas hésité à faire part de leur
ahurissement, félicitations ou autres conseils douteux. Black, au moins, avait passé un bon
moment, les encourageant même. Sa petite vengeance pour être resté si longtemps dans
l’ignorance, semblait-il.

Il était presque revenu à la table des Professeurs lorsqu’il se sentit tomber à genoux.

Il ne comprit pas immédiatement ce qui s’était passé et Susan Bones et Hanna Habbot, entre
les bureaux desquelles il s’était écroulé, ne le comprirent pas non plus, étant donné leurs
exclamations choquées. Puis, il sentit la brûlure dans sa Marque et il ne parvint pas à contenir
le cri de souffrance. Son bras était en feu, la douleur se répercutait dans tout son corps, pas
différente d’un sort de doloris…

Un hurlement fit écho au sien plus loin dans la pièce.

Un bruit de chute : une chaise, un corps…

Puis des voix inquiètes, des…

Des papillons noirs dansaient devant ses yeux, il sentait la sueur naître sur sa nuque et son
front, le vertige comme une poing glacial contracté autour de son estomac, la nausée…

Des mains l’attrapèrent sous les aisselles et le hissèrent debout. Un peu à l’aveugle, il agrippa
un bureau de la main droite pour mieux se stabiliser. Sa main gauche… Sa main gauche ne
répondait plus. La douleur… Il occluda la douleur, occluda le malaise, occluda tout le reste.
Il replia le bras contre son torse et ignora la canne que quelqu’un lui tendait.
Weasley.

C’était Weasley qui l’avait remis debout. Plus d’un élève avait quitté son siège, les
chuchotements anxieux résonnaient dans la pièce… Sur le plafond de la Grande Salle, le
temps avait brusquement viré à l’orage… D’épais nuages gris et menaçants voilaient le ciel,
des éclairs zébraient, de temps en temps, la masse nuageuse… La luminosité avait
brutalement chutée…

« La cicatrice d’Harry saigne. » lâcha le Gryffondor. « Est-ce que… »

Malgré la distance, Severus croisa le regard de son fils qui se remettait lui-même debout, aidé
par Granger et Londubat…

Ils n’eurent pas le temps d’échanger un seul mot.

Poudlard trembla sur ses fondations, déclenchant des cris.

Severus n’était pas lié aux protections de l’école mais il n’en avait pas besoin pour deviner ce
qui venait de se passer.

« Silence ! » tonna-t-il, sa voix amplifiée par un léger sonorus. « Granger, Malfoy, Parkinson,
MacMillan, faites disparaitre tous les bureaux. Les autres préfets, rassemblez vos camarades
par Maison, en lignes. » Ils le dévisageaient tous avec incompréhension. « Allez ! »

Les élèves se mirent à obéir brusquement.

Faisant fi de l’ordre et ignorant ses camarades paniqués, Harry traça un chemin jusqu’à lui à
travers la foule, une main plaquée sur sa cicatrice enflammée de laquelle coulait un léger filet
de sang.

« TOUS LES ELEVES DOIVENT REJOINDRE LA GRANDE SALLE IMMEDIATEMENT. »


ordonna soudain la voix de Minerva, amplifiée par un sort qui devait résonner sur tout le
domaine. « TOUS LES PROFESSEURS A LEUR POSTE. CECI N’EST PAS UN
EXERCICE. »

« Il est là. » lâcha Harry, en le rejoignant. Le garçon grimaçait de douleur. « Je l’ai vu. »

« Occlude. » ordonna Severus. « Ne relâche pas tes boucliers. Ne lui donne aucune prise sur
son esprit. »

Sa main gauche était quasiment inutilisable mais il se força lui-même à occluder la chose plus
profondément, à ouvrir les doigts juste assez pour les refermer sur le pommeau de sa canne
où ils se crispèrent à nouveau.

Il fit apparaître un Patronus. Les oreilles du faon tressautaient avec nervosité, un tic qui en
trahissait beaucoup sur son état d’esprit.

« À tous les membres de l’Ordre, Poudlard est assiégé. Rejoignez-nous immédiatement via le
Q.G. » Il hésita une seconde parce que cela lui coutait, puis… « Lupin, à toi le
commandement. »
Le faon se multiplia puis détala jusqu’à disparaître.

Il en fit immédiatement apparaître un autre. « Hagrid, fouillez le domaine, assurez-vous qu’il


ne reste aucun élève à l’extérieur du château. »

Il se tourna vers Harry, pressa son épaule. « Rejoins les autres. »

L’adolescent paraissait vouloir protester mais finit par obéir, laissant Severus libre de quitter
la Grande Salle… Charity Burbage arriva en courant alors qu’il atteignait à peine les portes.
Il la salua d’un hochement de tête.

« Tu es la première. » l’informa-t-il.

« Septima arrive. » répondit-elle. « Elle fait le tour de la bibliothèque avec Irma. »

Il acquiesça et s’éloigna dans le hall, juste à temps pour voir débarquer Black qui descendait
les marches deux par deux, poussant pratiquement dans le dos un groupe de quatrièmes
années dont Ginny Weasley et Astoria Greengrass.

« Qu’est-ce que je peux faire ? » demanda immédiatement son ancien rival, après avoir dirigé
les adolescents vers la Grande Salle.

Un autre coup de semonce fit trembler à nouveau l’école.

Un changement brutal de luminosité l’alarma. Il se tourna vers les Grandes Portes qui étaient
restées ouvertes et, à travers le crachin qui tombait dru, il vit les protections qui entouraient
Poudlard apparaître. Un dôme rougeoyant qui semblait se craqueler…

Ils étaient à court de temps.

« Transforme-toi et fais un aller-retour discret jusqu’aux grilles. » exigea-t-il. « Je veux


savoir si c’est une attaque en règle ou simplement une tentative d’intimidation. Je veux une
estimation de leur nombre. »

Il en faudrait beaucoup pour faire tomber les protections de Poudlard.

Mais le Seigneur des Ténèbres avait en sa possession une baguette aux pouvoirs
incommensurables.

Et Severus pressentait qu’elles ne résisteraient pas beaucoup plus longtemps.

°O°O°O°O°

Albus vécut l’attaque sur les protections de Poudlard comme un uppercut soudain au plexus
qui lui coupa la respiration.

Il se rattrapa à l’aveugle au dossier d’un fauteuil, essuyant le coup. Le miroir qu’il avait dans
la main lui échappa et se brisa au sol avant qu’il ait pu répondre à Lucius, sa silhouette
encapuchonnée explosée en fragments avant que l’homme ait pu dire un mot. L’avertissement
que son espion avait sans doute voulu risquer semblait, de toute manière, bien inutile.
« Albus ! » s’exclama Gellert, alarmé. Malgré sa propre faiblesse, il bondit de son siège pour
venir lui attraper le bras, quêtant son regard. Mais les yeux bleus du mage noir ne tardèrent
pas à dériver vers la fenêtre et son expression se durcit. « Tu as des invités. »

« Des invités bien inopportuns. » murmura Albus, toussant pour reprendre sa respiration.

Après s’être assuré que le Directeur ne s’écroulerait pas et avoir réparé le miroir d’un geste
négligeant de la main, Gellert s’avança vers la fenêtre. « Je pense qu’il est temps que tu me
donnes une baguette, Liebling. Cela va demander plus de précision que des simples tours de
passe-passe. »

Il n’avait pas besoin de regarder par la fenêtre, les protections l’informaient de tout à la
seconde près, mais il le fit quand même, venant se tenir juste à côté du mage noir.

De là, il ne pouvait pas voir les Mangemorts qui se massaient aux grilles de l’école. Ceux qui
chevauchaient des balais et traçaient des cercles menaçants au-dessus de leurs têtes comme
des vautours, en revanche… Et les Détraqueurs étaient impossibles à rater. Il y en avait un
nombre suffisant pour que le froid insidieux s’infiltre au travers des protections…

Sa main frôla celle de Gellert, pas si accidentellement, n’osant imaginer l’effet qu’un
Détraqueur aurait sur lui après toutes ces années d’emprisonnement… Nurmengard n’était
pas Azkaban, mais…

L’autre sorcier fût moins hésitant lorsqu’il entrelaça le bout de leurs doigts. Une prise lâche
qui aurait pu facilement être brisée si Albus l’avait voulu…

« TOUS LES ELEVES DOIVENT REJOINDRE LA GRANDE SALLE IMMEDIATEMENT.


TOUS LES PROFESSEURS A LEUR POSTE. CECI N’EST PAS UN EXERCICE. » résonna
la voix amplifiée de Minerva dans tout Poudlard.

Le ciel était gris, chargé de nuages noirs, des éclairs troublaient de temps en temps la faible
luminosité, le crachin tombait fort, douchant la vitre…

Il était pourtant impossible d’ignorer la Marque des Ténèbres qui brillait net au dessus du
domaine, baignant le parc d’une lueur verdâtre.

« Tom est là. » offrit-il, pour Gellert.

Avec une baguette qui ne tarderait pas à causer leur perte.

Une brume argentée se manifesta entre eux, ne tardant pas à prendre la forme désormais
familière d’un faon. La voix de Severus emplit l’espace. « À tous les membres de l’Ordre,
Poudlard est assiégé. Rejoignez-nous immédiatement via le Q.G. Lupin, à toi le
commandement. »

Bien, songea Albus, bien… Severus avait visiblement pris les choses en main, cela lui laissait
assez de temps pour…

La seconde attaque contre les protections fût encore plus brutale et provoqua leur apparition,
un dôme rougeoyant qui entourait le domaine… Un dôme qui se craquelait.
Albus ravala un gémissement face à ce qui s’apparentait à une attaque physique sur sa
personne et déversa à l’école autant de puissance qu’il l’osa, s’autorisant à s’appuyer un peu
plus sur le mage noir. À l’instant, lui et Poudlard étaient si intrinsèquement liés qu’ils ne
formaient presque qu’une seule entité… Tel était le devoir du Directeur : protéger l’école.

Les fêlures disparurent peu à peu.

Mais ce n’était pas terminé.

Il avait la sensation que Voldemort jouait avec eux comme un chat avec des souris.

Avec sa baguette, s’il l’avait voulu, il aurait pu déjà avoir brisé leurs défenses…

Sans tergiverser plus avant, il fit apparaître son propre patronus pour l’envoyer à son frère, la
voix rauque d’appréhension.

« Fais évacuer Pré-au-Lard. » ordonna-t-il et, parce qu’il connaissait Abelforth, Rosmerta et
certains des habitants, parce qu’il savait que les Aurors ne seraient pas les seuls à venir à leur
secours… « Soyez prudent. Abel… » Il ravala l’expression de ses sentiments, sachant que
son frère n’apprécierait pas de grande déclaration. Il n’aurait pas non plus apprécié de savoir
qu’il tenait la main de l’homme qu’il haïssait le plus au monde alors même qu’il composait
son message mais c’était peut-être quelque chose qu’Abelforth n’avait pas besoin de savoir.
« Sois prudent. »

Un deuxième patronus et un autre message : aux membres de l’Ordre qui ne siégeaient pas au
Conseil. Il battit le rappel des troupes, les encourageant à se mettre en lien avec
Shacklebolt…

Le phœnix argenté fondit vers la fenêtre avant de disparaître.

Fumseck, quant à lui, s’agitait sur son perchoir.

Lui aussi, sans doute, sentait la proximité de la bataille dans l’air.

°O°O°O°O°

Remus observa Laura alors qu’elle lui présentait fièrement sa dernière tentative en date,
notant le sourire sur son visage et l’amusement qui pétillait dans ses yeux.

Laura lui était reconnaissante de l’avoir mise à l’abri dans ce cottage, sous Fidelitas, parce
qu’elle n’était pas une combattante, mais elle s’ennuyait. Ce qui se traduisait par des essais
répétés en pâtisserie. Elle n’était pas beaucoup plus douée en pâtisserie qu’en duel, comme le
prouvait la tarte qui était maintenant posée entre eux sur la table.

« Tu es sûre que c’est comestible, cette fois ? » plaisanta-t-il.

Laura fronça les sourcils avec une gentille réprobation qui le fit se sentir un peu coupable.
Cela le fit aussi sourire. Elle n’était peut-être pas une combattante aguerrie que ce soit sous
forme humaine ou sous forme de loup, mais elle avait un don certain pour l’apaiser. Lunard
se calmait toujours à son contact, et pas seulement parce qu’elle faisait partie de sa Meute.
Laura était comme ça. C’était sa louve qui réveillait cet instinct en lui.

S’ils avaient eu une meute fonctionnelle, elle aurait fait partie des éléments à protéger, des
membres les plus faibles physiquement. Pourtant, elle aurait aussi fait partie des loups qui
auraient formé le cœur de leur meute. Ceux qui auraient élevé les enfants, ceux qui auraient
eu pour mission d’apaiser les dominants par leur simple présence, ceux qui garantissaient le
bien-être du groupe…

Que Greyback l’ait obligée à combattre était une hérésie.

« Je suis sûr que c’est délicieux. » ajouta-t-il.

« Au moins je ne l’ai pas brûlée, cette fois, Alpha. » répondit-elle, non sans humour.

« Tu peux m’appeler Remus, je te l’ai déjà dit. » offrit-il, bien qu’il ne pouvait nier que le
loup en lui se complaisait à entendre ce titre. C’était bien. Cela lui était dû. C’était ainsi que
marchait une meute. Le respect de la hiérarchie. Mais Remus avait pris des résolutions et
voulait s’y tenir. Il ne voulait pas se perdre dans son rôle. « Ou Lunard, si tu préfères. »

La louve ouvrit la bouche – sans aucun doute pour décliner – mais n’eut pas le temps de dire
quoi que ce soit.

Un faon argenté apparut, s’exprimant avec la voix de Severus. « À tous les membres de
l’Ordre, Poudlard est assiégé. Rejoignez-nous immédiatement via le Q.G. Lupin, à toi le
commandement. »

La dernière partie l’agaça suffisamment pour que le loup se mette à hurler en lui.

Ce n’était pas à Snape de lui donner le commandement. Ce n’était pas dans ses attributions.

Remus commandait l’Ordre pour Dumbledore.

Remus était l’Alpha.

Puis la gravité du message le heurta et il se précipita vers la porte, arrêté dans son élan par la
main que Laura posa sur son bras.

« Sois prudent. » exigea-t-elle. Puis, avec hésitation… « Remus. »

Il glissa la main sur sa joue, l’attira vers lui et pressa un baiser chaste sur son front.

L’affection d’un Alpha pour un membre de sa meute.

Pas un au revoir mais un à bientôt.

°O°O°O°O°

« À tous les membres de l’Ordre, Poudlard est assiégé. Rejoignez-nous immédiatement via le
Q.G. Lupin, à toi le commandement. »
Les deux faons argentés s’effacèrent en même temps, laissant derrière eux la même
impression d’horreur dans la salle de réunion devenue soudain totalement silencieuse.

Tonks retenait sa respiration comme si cela allait changer la donne, comme si cela pouvait
arrêter le cours du temps…

Scrimgeour était assis en tête de table, interdit.

Percy laissa échappé un bruit alarmé et, à son expression, il n’était pas dur de déterminer
qu’il pensait à ses frères et à sa sœur.

Le visage des Aurors autour de la table, des Aurors qui avaient été à la retraite jusqu’à peu,
étaient fermés, graves…

Quant à Kingsley…

Il se racla la gorge.

« Tonks, va au Q.G. » ordonna-t-il. « Tu connais tes ordres. À toi Poudlard. Dis à


Dumbledore que nous prendrons les Mangemorts à revers. Nous arrivons dès que j’ai
organisé les troupes. »

Ça avait toujours été le plan.

Le plan n’avait pas changé.

Mais l’idée qu’elle allait être bien en sécurité à l’intérieur du château alors que ses collègues
seraient à l’extérieur… Et c’était sans parler des recrues qu’elle allait devoir mettre à
contribution…

« Tonks. » ajouta Scrimgeour, captant son regard. « Nous ne nous battrons pas en civil,
aujourd’hui. C’est l’occasion rêvée de tester les nouveaux uniformes. »

La gorge nouée, elle hocha la tête. Ils avaient déjà discuté de l’éventualité d’une bataille de
cette ampleur – parce qu’une attaque à Poudlard ne serait pas la même chose qu’une attaque
sur le Chemin de Traverse – et de la nécessité de s’identifier plus aisément. Elle se leva mais
n’esquissa aucun geste vers la porte.

Nous.

Elle pointa un doigt accusateur vers le Ministre de la Magie, s’efforça de mettre un peu
d’humour dans sa voix. « Je ne veux pas vous voir là-bas, c’est compris ? On ne peut pas se
permettre de vous perdre. Percy, si Monsieur le Ministre fait seulement mine de vouloir jouer
les Aurors réservistes, je t’ordonne de lui jeter un stupefix. »

Cela déclencha quelques rires qui sonnèrent faux.

Percy gonfla courageusement le torse, comme si elle venait de lui confier une véritable
mission. « C’est promis. »
Scrimgeour leva les yeux au ciel mais un sourire joua sur ses lèvres. Cela n’empêcha pas
l’amertume dans sa voix. « Ne vous inquiétez pas, je resterai sagement ici. »

Elle échangea un regard avec Kingsley, un regard lourd de sens, et elle fût rassurée
lorsqu’elle quitta cette pièce de savoir qu’il insisterait pour que le Ministre demeure là où il
était le plus en sécurité.

Scrimgeour ferait la chose sage, décida-t-elle, parce qu’il savait qu’il aurait été une trop
grosse distraction sur le terrain. Il serait une cible pour tous les Mangemorts et tous les
Aurors s’empresseraient donc de le protéger au détriment du reste. Cela n’aurait pas été une
bonne décision tactique.

Elle fit un crochet rapide dans son bureau, songeant qu’elle n’aurait pas aimé être à la place
du Ministre. Elle serait peut-être en sécurité au château pendant que ses collègues
risqueraient leur vie mais elle serait, au moins, plus près de l’action que lui, resté derrière au
Ministère.

Elle ne s’autorisa pas à flancher le long des couloirs jusqu’à la zone de transplannage, ne
s’autorisa pas à avoir peur ou à laisser s’égarer ses pensées.

C’était un de ces jours où elle était heureuse de connaître l’Occlumencie.

°O°O°O°O°

Le flot des élèves qui se déversaient dans la Grande Salle s’était tari.

Black n’était pas encore revenu.

Lorsque Hagrid fit entrer en courant les derniers trainards qui avaient été dans le parc,
Severus les suivit à l’intérieur de la Grande Salle, remontant rapidement l’allée entre les
rangs jusqu’à la table surélevée des Professeurs, comptant silencieusement les secondes. Il
n’avait pas cessé de compter depuis la deuxième attaque sur les protections, comme on
compte entre le flash d’un éclair et le grondement du tonnerre. Il attendait, le corps raidi
d’appréhension, mais l’attaque suivante ne venait pas.

Certains élèves pleuraient silencieusement ou s’accrochaient à un camarade. Les visages


étaient pâles, graves ou encore terrifiés…

Les Professeurs qui avaient opté pour escorter les élèves étaient tous là, les fantômes étaient
alignés devant les vitraux, Rusard se tenait à côté de l’entrée des enseignants, les bras croisés,
sa chatte à ses pieds… Argus, comme Hagrid, ne quitterait l’école que les pieds devant,
même s’il y avait peu qu’il puisse faire dans les faits.

Severus aurait préféré qu’Albus se charge de cette partie mais Albus n’avait pas encore
donné signe de vie et Minerva, si elle avait suivi le plan, avait déjà dû rejoindre la tour nord
avec Aurora.

Lorsqu’il arriva à l’estrade, il s’adressa aux fantômes, gardant le dos tourné vers la masse des
élèves qui le fixaient tous du regard comme s’il avait détenu les clefs de l’univers.
« L’école est attaquée, faites votre devoir envers Poudlard. » exigea-t-il des spectres.

Il y eu des murmures, un bruissement, plusieurs hochements de tête respectueux, puis les


fantômes s’élevèrent dans les airs et traversèrent le plafond, les murs… Si le plan échouait,
ils se joindraient aux combats. Peeves qui, pour une raison ou un autre, avait une casserole
sur la tête comme un casque, lui fit un salut tout militaire avant de disparaître, espérant sans
doute trouver un ou deux Mangemorts à torturer.

Les fantômes dispersés, à l’abris des regards, il s’autorisa une seconde pour fermer les
paupières, prendre une profonde inspiration, raviver encore les boucliers mentaux qui le
laissaient déjà à la limite de l’apathie, puis il se tourna et laissa ses yeux noirs balayer la
masse d’enfants et d’adolescents rassemblés devant lui avec un mauvais pressentiment au
creux de ventre. Plus perturbants que ceux dont la détresse était palpable étaient les visages
qui n’exprimaient que de la détermination, l’envie d’en découdre. Parmi eux, celui de son
fils.

Il évita de regarder vers Harry.

Il ne voulait pas voir l’expression trahie qui ne manquerait pas de déformer ses traits lorsqu’il
annoncerait l’évacuation. Ils n’avaient jamais exactement expliqué aux élèves ce qui se
passerait une fois rassemblés dans la Grande Salle, en cas d’attaque, par crainte que le plan
ne fuite.

« Il a été décidé que les élèves majeurs qui souhaitaient se battre… » commença-t-il,
uniquement pour être interrompu par une marée de mains qui se levaient haut dans les airs.

Gryffondor, des septièmes aux quatrièmes années. Au grand complet. Quelques troisièmes,
deuxièmes et premières années, par ailleurs.

La quasi-totalité des septièmes à cinquièmes années de Poufsouffle, plus quelques uns chez
les plus jeunes.

De nombreux Serdaigles.

Et plusieurs Serpentards.

Il se servit de l’Occlumencie pour garder un visage neutre, lisse, dénué de l’émotion qui lui
serrait la gorge. Ça avait été son idée d’autoriser certains élèves à se battre, parce qu’il savait
qu’ils auraient besoin du nombre, mais…

« J’ai dit majeurs, il me semble. » cingla-t-il.

Les mains de certains élèves mineurs restèrent en l’air, de manière extrêmement têtue. Il les
ignora, appelant les noms des élèves qualifiés et leur demandant d’aller l’attendre dans le
hall.

Tous les septièmes années de Gryffondor et deux sixièmes années. Cinq septièmes années de
Poufsouffle et un sixième année. Six septièmes années de Serdaigle, aucun sixième année. Et
à Serpentard… Une fois les élèves mineurs éliminés, il restait les jumeaux Sywent qui
venaient d’avoir dix-sept ans une semaine auparavant et Marie Gobswater. Les Sywent, il
n’hésita pas à envoyer dans le hall mais Gobswater ne faisait pas partie de l’A.D. et c’était
également une sixième année. Il hésita.

C’était une Sang-Pure mais la famille Gobswater n’était pas particulièrement puriste ou
proéminente dans la communauté magique, il y avait eu des mariages avec des Nés-Moldus
ainsi que des Moldus… De plus, depuis la Trêve instiguée par Draco et Granger, il l’avait vue
plus souvent en compagnie de membres d’autres Maisons que de la sienne. Sur un coup de
tête, il l’envoya aussi dans le hall.

« Professeur Snape ? » appela un des rares Serdaigles de septième année qui restaient.
Ahmed n’était pas dans sa classe d’A.S.P.I.Cs de Défense mais il l’avait admis avec plaisir
dans sa classe de Potions après ses B.U.S.E.s. C’était un élèves sérieux, calme et appliqué. Le
genre qu’il appréciait. « Je ne sais pas me battre mais je veux bien rester et aider à
l’infirmerie. C’est possible ? »

Il n’avait pas pensé à ça.

Même en admettant qu’ils arrivent à demander de l’aide à Sainte-Mangouste… Poppy aurait


besoin d’aide s’ils ne parvenaient pas à maintenir la sphère ou si le Seigneur des Ténèbres
parvenait, avec sa baguette, à la briser, nul doute là-dessus.

« Oui. » décréta-t-il. « Oui, c’est une option. »

Plusieurs autres mains se levèrent. Il envoya ces volontaires là à l’infirmerie, en espérant que
Poppy saurait quoi en faire, puis se tourna vers ceux qui restaient.

« Vous allez évacuer l’école. » annonça-t-il, déclenchant une vague de chuchotements et


d’exclamations choquées ou outragées. Il y eut des protestations, aussi. Beaucoup.

Ils avaient plusieurs fois entraîné les élèves à se rassembler rapidement dans la Grande Salle
au cas où ils seraient attaqués, ils ne leurs avaient jamais dit qu’ils devraient partir.

C’était peut-être contradictoire de se préparer à un siège, de vouloir tenir le château à tout


prix, et d’envoyer les enfants ailleurs, mais il y avait trop de chances qu’ils perdent le
contrôle de la situation. Et, si tel était le cas, personne ne voulait d’enfants pris entre deux
feux.

« Silence ! Les Professeurs vont vous escorter jusqu’à un endroit sûr. » expliqua-t-il. « Vous
allez les suivre, dans le calme et en ordre. Préfets, votre responsabilité va aux plus jeunes. »

Il quitta le hall rapidement, laissant Burbage et Vector organiser les choses, sachant que
Trelawney serait inutile. Il ignora l’appel de son prénom, il ignora les tentatives de son fils
pour attirer son attention, il ignora…

Il avait toujours su qu’Harry n’accepterait pas de partir facilement mais c’était la meilleure
solution pour garantir sa sécurité.

C’était la seule solution.


°O°O°O°O°

Albus appréhendait une nouvelle tentative de briser les protections qui tardait à se manifester.

Tom jouait avec ses nerfs.

Ou bien il attendait quelque chose… Mais quoi ?

Sur la pelouse, en contrebas, un énorme chien noir fila ventre à terre vers le château. Sirius.
Parti en reconnaissance, supposait-il, et revenu faire son rapport à Severus…

Il devait rejoindre son ancien espion, le relayer. C’était à lui de diriger ce siège, pas à
Severus. Severus devait jouer son rôle d’ancre.

Ils tardaient trop déjà, à lancer le sortilège.

« Il est temps, Albus. » insista doucement Gellert, comme s’il avait lu dans ses pensées.

Il était temps, oui.

Temps qu’Albus cesse de fixer du regard le dôme rougeoyant qui entourait le domaine pour
armer Gellert, pour l’envoyer vers la tour d’astronomie, et…

« Peut-être serait-il plus sage que je serve de clef de voûte. » déclara-t-il, en se tournant vers
lui. « Tu es affaibli. Peut-être serais-tu plus utile… »

« Albus. » l’interrompit Gellert dans un demi-sourire.

« Tu as plus d’expérience lorsqu’il est question de combattre une armée. » insista-t-il.


« Tu… »

« Tes partisans ne me suivront pas. » le coupa une nouvelle fois le sorcier. « Et je te rappelle
que j’ai perdu ma guerre, ja ? Tout ira bien, Liebling. Je peux tisser ton sortilège et le tenir
aussi longtemps que nécessaire. Mais ce serait plus simple avec une baguette. »

Il aurait pu faire sans mais moins facilement.

À regret, à contrecœur, avec un mauvais pressentiment, Albus hocha lentement la tête.

D’un pas lourd, il se dirigea vers le placard où il gardait la pensine, la déplaça pour pouvoir
tirer le lourd coffret de bois sombre caché tout au fond. Celui qu’il s’interdisait généralement
d’ouvrir et ne sortait que les nuits où, vraiment, la mélancolie était impossible à repousser. Il
le posa sur son bureau, conscient que Gellert se tenait désormais très près de lui et l’observait
avec curiosité, conscient aussi que lorsqu’il basculerait le couvercle…

Il le fit, pourtant, quel autre choix avait-il ?

Il y avait bien sa propre baguette, celle qui avait été la sienne avant la baguette de sureau, et
qui, il le savait, fonctionnerait correctement pour Gellert, mais…
Il entendit son ancien amant inspirer brusquement lorsqu’il se rendit compte de ce qu’il y
avait à l’intérieur du coffret. Dans la précipitation, Albus fit tomber quelques lettres sur le
bureau. Des lettres à l’encre presque effacée d’avoir été trop lues. Il y avait d’autres choses à
l’intérieur : des babioles sans grand intérêt autre que sentimental, une mèche de cheveux
blonds retenus par un ruban…

« Du hast mich nitch vergessen… » murmura Gellert.

Tu ne m’as pas oublié…

Comment l’aurait-il pu ?

« Mein Herz in einem Sarg. » répondit-il dans un Allemand bancal qui ne lui venait plus aussi
facilement qu’autrefois.

Mon cœur dans un cercueil.

Il trouva ce qu’il cherchait tout au fond du coffret, bien dissimulée. Si bien dissimulée, à vrai
dire, qu’il était presque parvenu à oublier qu’elle était là, au fil des années, la seule chose de
véritable valeur pour quelqu’un d’autre que lui. Il sortit la baguette, presque aussi familière
que la sienne, presque aussi familière que l’était devenue la baguette de sureau, et la lui
tendit.

Gellert, interdit, contempla le bois sinueux, ouvragé, sans le toucher. « Was… »

« Je l’ai trouvée avant les autorités, après Darmstadt. » expliqua Albus. « Je l’ai cherchée
avant les autorités. Je ne supportais pas l’idée de la voir brisée en deux. »

C’était l’idée de Gellert brisé qu’il n’avait pas supportée, mais sauver sa baguette, celle qu’il
avait utilisée jusqu’à ce qu’il mette la main sur la Relique, lui avait semblé être un bon
substitut à faire quelque chose de plus inconsidéré comme attaquer les Aurors pour le libérer.
Il avait fouillé deux des lieux que le mage noir utilisait comme quartiers généraux avant de la
trouver, coincée dans un livre de Métamorphose à côté de son lit, marquant une page sur
laquelle son propre nom figurait, signant un article qui avait par la suite été qualifié de
révolutionnaire.

Cela lui avait fait la sensation d’un coup de poignard, à l’époque, de trouver cette baguette
gardant son propre nom. Ou peut-être était-ce l’inverse ? Peut-être la baguette avait-elle été
laissée à la garde de son nom…

Gellert se souvenait-il d’où il l’avait laissée ?

Avait-ce été à dessein ? Au cas improbable où Albus serait venu la chercher ? Ou bien, ce qui
était pire, avait-ce été la preuve que l’homme avait brûlé, lui aussi, de ce même amour qui le
consumait toujours ?

Ignorant la baguette, le mage noir enroula ses doigts autour de son poignet, serrant aussi fort
que ses muscles affaiblit l’y autorisaient.
« Ich liebe dich. » déclara Gellert, sans plus s’embarrasser de dire à demi-mots ce qu’ils
savaient tous les deux.

Les mots planèrent un moment dans le bureau, si lourds d’avoir été si longtemps attendus.

Albus se tourna vers lui, les yeux humides de larmes qu’il ne se décidait pas à verser, trop
conscient que le temps passait et que la situation était urgente, trop conscient qu’il n’y avait
plus de temps à perdre, que…

Mais les mots ne venaient pas.

Les mots étaient prisonniers de sa gorge.

Les mots buttaient sur le souvenir du petit corps d’Arianna tombé au sol comme une poupée
de chiffon.

Un éclat de déception passa dans le regard de Gellert avant d’être remplacé par de la
détermination.

La seconde suivante, le mage noir avait attrapé l’avant de ses robes, barbe incluse, et l’attirait
vers lui. Le baiser était maladroit, tremblant, rouillé…

Depuis quand n’avait-il pas embrassé quelqu’un ?

Plus de trente ans peut-être.

Mais c’était Gellert et il lui rendit son baiser comme il l’aurait fait lorsqu’il était encore
jeune, avec abandon.

Une tranche de paradis.

Un sursaut impossible dans le passé.

Une parenthèse dans le temps.

Mais l’horloge ne cesse jamais de tourner pour personne et les flammes qui se ravivèrent
brusquement dans la cheminée refermèrent la parenthèse.

Il s’éloigna de Gellert juste à temps pour accueillir les nouveaux venus et dispenser ses
ordres.

°O°O°O°O°

Remus faisait les cents pas à côté de la cheminée, attendant que le reste des troupes arrive.

Anthony et Charlie étaient déjà là, les mains entrelacées, l’air grave. Molly se tenait près
d’eux, les yeux fermés, anxieuse. Fleur fût la suivante, elle débarqua par la porte d’entrée,
essoufflée, échevelée, mais déterminée à en découdre. Puis Bill arriva, plus serein que les
autres mais pas moins sérieux, moins enclin à la panique sans doute.
Lunard les étudia les uns après les autres, sachant que les chances qu’ils survivent tous
étaient…

Il repéra Nyssa, qui se tenait dans l’ombre du couloir et ne pouvait pas avancer dans le salon,
pas tant que les rideaux étaient ouverts… Il la rejoignit sous le silence de plomb qui régnait
sur la pièce. Un silence tendu. Il aurait dit un silence de mort mais ce n’était pas le silence
lourd et triste qui suivait la mort, plutôt celui anxieux et effrayé des instants qui la
précédaient.

« Tu ne peux pas venir. » lui rappela-t-il, en s’efforçant d’adoucir sa voix. Il y avait un éclat
sauvage dans les yeux de la jeune femme, un éclat un peu fou qu’il connaissait bien : celui du
prédateur coincé dans un piège trop étroit, celui d’un dominant voulant rejoindre le reste de
sa meute. « Il fait encore jour. »

La vampire laissa échapper un feulement mécontent qui ne trahissait rien d’autre que sa
détresse. « Dis lui que je viendrai au crépuscule. Dis lui… Je serai là à la seconde où le soleil
se couchera. Dis lui que s’il se fait tuer entretemps je serais très, très en colère. Dis lui… »

Sa voix baissa jusqu’au murmure mais elle ne termina pas sa phrase, comme si elle ne savait
pas trop elle-même comment elle voulait la finir. Il n’était pas dur de le deviner, pourtant. La
réponse était dans les yeux verts qui brillaient un peu trop, dans la crainte gravée sur chacun
de ses traits…

Sirius et lui ne parlaient plus ou presque pas et rarement de sujets personnels, ces derniers
temps. Il ne savait pas à quel point leur relation était sérieuse mais il fût évident pour lui, à
cette seconde, que Nyssa, au moins, avait des sentiments pour lui.

Et être forcée de rester au Q.G. en sachant que l’homme qu’elle aimait serait en danger… Il
comprenait trop bien ce qu’elle ressentait, même s’il se doutait que Sirius serait soulagé de ne
pas la voir prendre part aux combats, ce jour là.

« Si tout se passe comme prévu, si le plan fonctionne, personne n’aura à se battre


aujourd’hui. » chercha-t-il à la consoler. C’était la vérité, après tout. Ils ne partaient pas vers
une bataille rangée mais vers un siège à tenir le plus longtemps possible, assez longtemps
pour évacuer les enfants vers un endroit sûr, assez longtemps pour que les secours arrivent…

« Quand est-ce que quoi que ce soit s’est jamais passé comme prévu ? » siffla-t-elle, en
baissant la voix. « Surtout avec cette taupe qu’on n’a pas encore dénichée… Remus, Sirius
est persuadé que ce n’est pas Snape… »

« Ce n’est pas Severus. » l’interrompit-il, tout aussi bas.

Si bas que personne n’aurait pu les entendre, encore moins les comprendre. C’était l’avantage
de leur nature respective, leur ouïe était extrêmement fine.

Prendre la défense du Maître des Potions ne lui faisait aucun plaisir mais, sur ce point, il était
certain. Il aurait été envisageable que Severus ait joué une comédie digne des plus grands
pour mieux les trahir, blessures incluses, mais quiconque l’avait vu avec Harry… Non,
Severus n’était pas leur traître. Ses sentiments personnels l’avaient aveuglé sur beaucoup de
points mais pas sur celui là. Cela ne lui plaisait peut-être pas vraiment mais Severus
considérait le garçon comme son fils, il ne jouait pas là-dessus. Et c’était sans parler de
Nymphadora.

« Alastor… » insista-t-elle, pourtant un peu hésitante.

« Alastor était pleins de préjugés. Tu es bien placée pour le savoir. » contra-t-il. « Kreattur est
très bizarre, ces temps-ci. Je mise toujours sur lui. »

Elle inclina la tête mais son expression était pleine de doute. « Ce serait le moment rêvé pour
un sabotage. S’il s’agit d’un membre de l’Ordre… »

Son regard dériva vers le salon où Bill parlait doucement au reste de sa famille, le bras passé
autour des épaules de Fleur.

Cela le heurta, brusquement, qu’il n’y avait que des Weasley dans cette pièce – ou des
Weasley en devenir. Cela semblait injuste qu’une seule famille paye un tel prix. Ils avaient
déjà trop perdu.

La porte d’entrée claqua soudain, réveillant le portrait de Walburga qui s’époumona dans
l’indifférence générale.

Tonks se dirigea droit vers Nyssandra et lui, ses cheveux bruns, presque noirs, retenus en une
queue de cheval haute visiblement attachée à la va-vite, ses bottes en cuir de dragon heurtant
lourdement le sol à chaque pas, les lacets nouées avec une précision presque militaire,
laissant apparaître la garde d’au moins deux dagues à l’intérieur de ses chevilles… Et, fait
notable, elle portait d’épaisses robes bleues, fermées à la taille par un ceinturon auquel
pendait un autre poignard, marquées aux épaules par le cigle des deux M ministériel. Ce
n’était pas souvent qu’elle s’embarrassait de mettre quoi que ce soit qui l’identifiait comme
une Auror, encore moins les robes officielles que peu d’Aurors portaient tous les jours.

Il résista à l’envie de lui demander si elle était sûre de pouvoir se battre avec. S’était-elle
entraînée ? Serait-elle gênée par le lourd tissu ? Était-elle certaine de ne pas se laisser
distraire ? S’il posait ces question, il était certain de se voir accuser de la rabaisser encore et
cela ne la dissuaderait pas de les porter.

De plus…

À la voir se diriger vers eux d’un pas confiant, son expression lisse, sa baguette déjà à la
main… Elle paraissait plus âgée, plus mûre, plus… Les robes rajoutaient sans doute à cet
effet. Elle avait l’air d’une véritable guerrière et…

Lunard se tint plus droit, le loup en lui appréciant à sa juste valeur la puissance qui se
dégageait de sa compagne. Il était fier, se rendit-il compte, fier que sa compagne soit si
forte…

Elle ralentit assez pour presser la main de Nyssa avant d’entrer dans le salon mais eut à peine
un regard pour lui.
Il n’y avait aucune émotion sur son visage, rien ne perçait, ce qu’il détestait. Elle n’avait
jamais été aussi prompte à dissimuler ce qu’elle ressentait avant… Snape.

Elle avança jusqu’à se tenir devant la cheminée, commandant l’attention de la pièce, puis
observa les autres membres de l’Ordre tour à tour. Remus les rejoignit dans le salon, venant
sans y penser s’aligner avec les autres, ne réalisant qu’au tout dernier moment qu’en agissant
ainsi, il lui laissait la position d’autorité devant eux… Pourtant, il attendit qu’elle fasse une
plaisanterie, qu’elle allège l’atmosphère, se disant qu’il s’avancerait à ce moment là pour
reprendre le contrôle…

« Si le plan échoue, si l’on doit se battre, ce sera dangereux. Ce sera pour sauver nos vies et
celles de ceux qui se battront à côté de nous. » lâcha-t-elle. Sa voix n’était pas froide ou
dénuée de compassion mais elle était atrocement sérieuse. Tous les regards étaient sur elle
mais le sien s’attarda sur Molly et Fleur, sans jugement mais avec gravité. « Il n’y a pas de
honte à rester derrière ou à préférer prendre soin des blessés. Si vous venez, chacun d’entre
vous doit être certain d’être capable de se battre correctement et jusqu’au bout. Parce que ce
ne sera pas seulement votre vie en jeu. Ce sera aussi celle de la personne qui essayera de vous
sauver si vous flanchez. »

Remus ouvrit la bouche pour la rabrouer, lui dire que ce n’était pas vraiment une bonne
manière de galvaniser les troupes, que…

« Je suis prête. » déclara Fleur, en levant le menton avec agacement. « J’ai survécu à un
Tournois des Trois Sorciers, je n’ai pas peur d’une bataille. »

« Moi aussi. » offrit Bill, en posant une main sur l’épaule de sa petite-amie.

« Nous aussi. » renchérit Charlie, sa main toujours fermement serrée dans celle d’Anthony.
Ce dernier n’offrit rien d’autre qu’un hochement de tête impatient.

Les regards se tournèrent vers Molly qui leur adressa un sourire un peu tremblant mais
déterminé. « Je me battais déjà avant que vous soyez tous nés, mis à part peut-être Remus et
Nyssa. Je suis prête. »

Tonks l’étudia quelques secondes supplémentaires puis se tourna vers lui.

Elle ne lui fit pas l’affront de lui demander s’il était sûr, c’était déjà ça. Lunard n’aurait pas
supporté cette humiliation.

« Mondingus ? » l’interrogea-t-elle à la place.

« Pas de nouvelles. » répondit-il, dans un haussement d’épaules. « Mais je ne m’attends pas à


le voir. Les batailles, ce n’est pas son truc. »

Elle marqua son accord d’un hochement de tête. « Kingsley emmène les Aurors. Le plan est
de prendre les Mangemorts en tenaille et, pour ça, on doit s’assurer que les protections de
Poudlard tiennent. Charlie, Anthony, vous êtes avec moi. »

Lunard s’agaça. « Tu es consciente que c’est moi qui commande ? »


Il résista de peu à l’envie de lui rappeler que son précieux Severus le leur avait rappelé par
Patronus, comme s’il en avait l’autorité.

Les yeux gris qu’elle tourna vers lui étaient glacials. « J’ai mes ordres et mes ordres sont de
tenir la tour d’astronomie quoi qu’il en coûte. Je serai en haut avec Grindelwald, j’ai besoin
de deux personnes pour garder la base de la tour. Je prends Charlie et Anthony. Les autres
sont sous ton commandement. »

Bill se racla la gorge. « Je dois rejoindre Flitwick. »

Ce qui lui laissait Molly et Fleur.

Il ne voulait faire de peine à personne mais…

« On perd du temps. » trancha Tonks, avant qu’il ait pu essayer de mettre en mots ses doutes.
« Allons-y. »

En lui, le loup hurla à la lune à cet irrespect chronique.

Pourtant, il y avait suffisamment d’autorité dans sa voix pour qu’il obéisse, tâchant de se
convaincre qu’elle était sa compagne et que, puisqu’il était un Alpha, ce n’était pas si
étonnant qu’elle s’avère aussi… autoritaire. Ils se complémentaient.

Même si elle n’avait jamais agi comme ça par le passé, lorsqu’ils étaient ensemble.

°O°O°O°O°

Le chien noir revint à toute allure au château, dérapa sur les dalles de pierre du hall et se
transforma en un homme qui manqua s’étaler de tout son long et l’aurait probablement fait si
Severus ne l’avait pas rattrapé, serrant les dents parce que la douleur dans son bras gauche
était telle qu’il en aurait hurlé si l’Occlumencie ne lui avait pas permis de s’en détacher.

« Il y a des Détraqueurs. » annonça bien inutilement Black, en frissonnant de la tête au pied.


Il était impossible d’ignorer leur présence oppressante.

Et ils n’avaient jamais pris le temps de s’assurer qu’il puisse à nouveau lancer un patronus, se
souvint Severus, ce qui signifiait que l’Animagus serait particulièrement vulnérable à leurs
attaques.

« Combien ? Quoi d’autre ? Sois précis. » exigea-t-il.

Le compte rendu de l’Animagus était succin mais suffisant. Une douzaine de Détraqueurs,
une dizaine de Mangemorts sur des balais, une vingtaine environ au sol et le Seigneur des
Ténèbres juste devant les grilles.

Les calculs n’avaient aucun sens.

« Le Seigneur des Ténèbres et une trentaine de Mangemorts en tout ? » insista Severus. « Tu


es certain ? »
« Certain. » assura Sirius. « Je suis passé trois fois devant et j’ai fait le tour par la Forêt pour
m’assurer qu’il n’y avait personne cachés à la lisière. »

Ça n’avait aucun sens.

D’après les rapports du Ministère, d’après ses propres estimations, le Seigneur des Ténèbres
avait le triple voire le quadruple de ce nombre… Probablement plus. Et c’était sans compter
les loups-garous que Sirius n’avait pas aperçus. Pourquoi aurait-il attaqué avec une poignée
alors que…

Il fût distrait de sa conversation par Charity et Sybil qui menaient les élèves hors de la
Grande Salle et vers les cachots, premières années en tête. Il ne fallut pas dix secondes avant
qu’Harry émerge du groupe, l’air furieux.

« Retourne dans le rang. » ordonna-t-il, avant que le garçon ait pu seulement ouvrir la
bouche. Les mots sonnèrent si froids, si agressifs à ses propres oreilles qu’il grimaça et,
malgré la douleur, relâcha quelque peu la prise sur ses boucliers mentaux. « Harry… »

« Tu n’as jamais dit que je devrais partir ! » cracha le garçon. « Tu n’as jamais dit… »

« Parce qu’on savait comment tu réagirais. » intervint Sirius, le ton grave. « Harry… »

« Je ne pars pas ! » protesta l’adolescent. « Je reste. Je suis entraîné et… »

La scène avait attiré l’attention de tout le reste de l’école. Severus voyait les autres membres
de son petit groupe marmonner entre eux, planifier leur propre rébellion, se convaincre qu’ils
étaient capables d’aider…

Il posa les mains sur les épaules de son fils et le força à le regarder en face, mettant un terme
à son plaidoyer. « Ton rôle, aujourd’hui, n’est pas de rester ici et de te battre avec nous. Ton
rôle est de t’assurer que tous ces enfants arrivent à bon port. » Le garçon ouvrit la bouche,
probablement pour protester davantage, mais Severus le prit de vitesse. « Ils te suivront,
Harry. Regarde les. Ils te suivront où que tu ailles. Alors mène-les en sécurité. Tu veux une
mission, la voilà. Je n’ai pas besoin d’un combattant supplémentaire, j’ai besoin que
quelqu’un s’assure qu’il n’arrive rien aux autres élèves. »

L’adolescent flancha.

Sirius ne dit rien mais leva un sourcil impressionné dans le dos du Gryffondor. Severus ne
voyait pas pourquoi il était si étonné. Il avait toujours été bon manipulateur or protéger les
innocents était la corde sensible de l’adolescent.

Et il avait besoin qu’Harry s’en aille.

Il avait besoin d’avoir l’esprit libre, d’avoir la certitude que son fils était en sécurité pour se
battre sans inquiétude.

« Je ne veux pas te laisser. » insista Harry, la panique brillant brièvement dans ses yeux verts
avant d’être avalée par des flammes. Il devait occluder à haut niveau parce que le Maître des
Potions pouvait presque voir le reflet du brasier derrière ses pupilles. Son regard dériva vers
son parrain. « Vous laisser. » se corrigea-t-il.

« Hé, tout va très bien se passer. » promit Sirius, avec suffisamment de légèreté pour que
même Severus y croit. « On va lancer le sort de Severus et de Flitwick, et les Mangemorts ne
pourront pas rentrer. Avec un peu de chance, au bout d’un moment, ils en auront marre et s’en
iront. »

Harry leva les yeux au ciel. « C’est ça. »

« Les Aurors vont arriver, les autres membres de l’Ordre aussi. » contra Severus. « Et ils
seront pris en étau. » Il posa la main sur sa tête, s’humecta les lèvres. « Fais ce que je te dis,
s’il te plait. Suis les Professeurs. Je viendrai te chercher bientôt. Dès que je le peux. »

Harry ne le croyait pas.

Il n’était pas sûr d’y croire lui-même.

Il était préparé au boulet de canon qui le heurta et l’étreignit à l’étouffer. Il le serra dans ses
bras tout aussi fort, s’exhortant à rester calme, même quand Harry le lâcha finalement pour se
tourner vers son parrain qui subit le même sort et enlaça le garçon avec autant d’affection que
Severus l’avait fait.

« Ne meurs pas. » lui ordonna Harry, presque sèchement. « Bats-toi jusqu’au bout. Tu m’as
promis. »

« J’ai promis. » acquiesça-t-il, sans discuter. Il aurait été vain de lui rappeler que, face à une
armée déterminée à le tuer, il avait peu de chances, qu’importait combien il défendait sa vie.
À n’importe quel prix, avait exigé Harry par le passé et il s’était exécuté. Cela lui avait coûté
ses mains et sa passion. Il donnerait tout le reste pour ne pas décevoir son fils.

« Protège-le ? » demanda le garçon à son parrain.

Severus leva les yeux au ciel. « Il y a davantage de chances que ce soit l’inverse. »

« Promis. » répondit pourtant très sérieusement l’Animagus.

« Ne meurs pas non plus. » ajouta l’adolescent pour son parrain, avec une panique visible.

Harry étreignit à nouveau le Maître des Potions, comme s’il ne pouvait pas s’en empêcher,
puis rejoignit ses amis d’un pas lent, trainant, visiblement à contrecœur.

Sirius et lui regardèrent le défilé d’élèves jusqu’à ce qu’ils soient certain qu’Harry ait
descendu les marches qui menaient au cachot.

Severus eut l’impression terrible que c’était la dernière image qu’il garderait de son fils. Un
regard déchirant jeté par-dessus son épaule, puis son corps qui disparaissait dans la pénombre
de l’escalier.
« L’un de nous doit survivre. » murmura-t-il. « Quoi qu’il en coûte, l’un de nous doit
survivre. Il ne s’en remettra pas autrement. »

Black acquiesça lentement, l’expression grave.

« Si je meurs… » insista Severus.

« Arrête tout de suite. » l’interrompit Sirius. « Personne ne va mourir. C’est tout le but de ce
sortilège, non ? On tient jusqu’à ce que les Aurors et les autres les repoussent. »

C’était le but mais personne ne serait en mesure d’arrêter le Seigneur des Ténèbres.

Pas avec la baguette.

Pas avec les horcruxes.

« Si je meurs, tu t’occuperas de lui. » exigea-t-il. « Pas comme un parrain, Sirius. Ce n’est


pas d’un parrain qu’il a besoin. Tu t’occuperas de lui comme un père. Comme Potter l’aurait
fait. Comme moi je… » Sa voix mourut et il raviva ses boucliers, se retrancha derrière la
détresse qu’il éprouvait, trop vive. « Promets moi. »

« Sur ma vie. » jura Black, en lui pressant l’épaule, lui arrachant une grimace parce que son
bras gauche… « Mais tu ne vas pas mourir. Et moi non plus. Je surveille tes arrières, tu
surveilles les miennes, et tout se passera bien. »

L’élan de gratitude pour cette amitié qu’il n’avait ni désirée, ni recherchée le prit
brusquement au cœur.

Il l’occluda.

Ce genre de sentiments n’aiderait pas durant la bataille.

« Professeur ? » appela un des jumeaux Weasley. Ils se tenaient à l’avant du groupe d’élèves
majeurs qui s’étaient attroupés près de l’escalier. « Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? »

Si ça n’avait tenu qu’à lui, il aurait réparti les élèves à des points clefs du château, mais ce
serait Lupin et Albus qui géreraient la répartition des troupes au sol. Toutefois… Il aurait été
stupide de se passer d’éléments naturellement perturbateurs ou de gaspiller leurs ressources.

« Auriez-vous quelques tours dans votre sac, messieurs ? » demanda-t-il calmement.

À voir le sourire qu’échangèrent les jumeaux, ils n’avaient attendu que cette question là.

°O°O°O°O°

Le bureau d’Albus était en ébullition mais il demeurait un peu en retrais, tendu, attendant la
troisième attaque sur les protections qui tardait à venir. Que faisait Tom là-dehors ? Pourquoi
n’attaquait-il plus ? Pourquoi ne cherchait-il pas à presser son avantage ?
Le vieux sorcier avait déjà libéré Fumseck, le laissant s’éclipser dans la grisaille, sachant que
son phœnix saurait où se trouver, au bon moment…

Il mit un terme à sa conversation avec Remus pour se glisser jusqu’à Gellert qui semblait
subir avec amusement le discours menaçant de Tonks. La jeune femme était en train de lui
rappeler qu’il était toujours un prisonnier et qu’à la moindre incartade, au moindre coup
fourré, elle n’hésiterait pas à le mettre hors d’état de nuire. Elle ne cessait de jeter des regards
agacés à la baguette que le sorcier tournait distraitement entre ses doigts. Nul doute qu’elle
aurait préféré qu’Albus lui confie la baguette à elle jusqu’au tout dernier moment.

Il attrapa le bras du mage noir pour attirer son attention, interrompant la sorcière en plein
monologue.

« Sois prudent. » exigea-t-il, ignorant le regard interloqué de l’Auror autant que ceux,
curieux, des autres membres de l’Ordre.

« C’est à toi qu’il faut le dire. » rétorqua Gellert. « Moi, je serai en haut d’une tour
étroitement gardée, sous la protection de cette charmante jeune femme. » Son regard se fit
dur. « Si tu dois te battre contre lui, quoi qu’il se passe, ne le laisse pas te désarmer, Albus. »

La nouvelle baguette de Tom était déjà catastrophique, s’il mettait la main sur la baguette de
sureau, en prime…

Il força un sourire espiègle qui n’atteignit probablement pas ses yeux. « Allons, allons,
Gellert… Fais-moi un peu confiance. »

« Pour ne pas te mettre en danger en faisant la chose noble ? » se moqua son ancien amant.
« Jamais. »

Il concéda l’argument, trop conscient des regards curieux, trop conscient de l’attention
soutenue, trop conscient…

« Peut-être, lorsque tout ceci sera-t-il fini, pourrions-nous reparler de ma demande. » suggéra
calmement Gellert, son regard perçant braqué dans le sien. « Das Leben ist kurz. »

La vie était courte et rien ne le remettait davantage en perspective que des moments comme
celui-ci.

Il aurait voulu…

Il n’osa pas.

Et puis il fût trop tard.

Tonks entraina Gellert avec elle, empoignant fermement son bras, et Albus resta là, à le
regarder partir, ce mauvais pressentiment enflant dans sa poitrine…

Gellert tourna la tête juste avant d’être avalé par l’escalier, lui fit un clin d’œil…
Il n’utilisait pas l’Occlumencie à loisir comme Severus le faisait mais, à cet instant là, il
enferma Gellert et tout ce qui y touchait derrière des boucliers très épais, et s’efforça de se
concentrer sur la situation.

Et sur les recrues trop nerveuses que Tonks venait de mettre sous ses ordres.

°O°O°O°O°

Remus et Albus se dirigèrent vers le hall d’entrée d’un pas rapide qui tenait presque de la
course, suivis par Molly, Fleur et le petit groupe de recrues que Tonks leur avait assignés –
non sans avoir averti le loup-garou, en aparté, qu’ils n’étaient pas suffisamment compétents
pour les laisser sans supervision sur un champ de bataille ou leur donner la responsabilité
d’une portion du château.

Qu’était-il censé faire avec ça ?

Albus ne paraissait pas plus certain que lui.

Ils arrivèrent à temps pour voir les derniers élèves de la file disparaître dans les cachots.

« Severus ! » appela le Directeur.

Remus hésita à ordonner à Molly d’accompagner les enfants, même si, en théorie, ils
n’auraient pas dû avoir besoin d’une escorte. Le plan était simple : eux tenaient l’école, les
Aurors attaquaient par derrière et rabattaient les Mangemorts contre les protections, les
enfants évacuaient par un tunnel jusqu’à émerger dans la lande où les attendaient plusieurs
portoloins qui les transporteraient en divers lieux sûrs.

Severus et Sirius se détournèrent du groupe d’élèves majeurs à qui ils étaient en train de
parler.

« Albus. » répondit sobrement le Maître des Potions. Son regard glissa impatiemment sur
chaque visage qui se tenait derrière le vieux sorcier, cherchant…

« Tonks a emmené Grindelwald à la tour d’astronomie. » déclara-t-il, en le prenant en pitié,


même si le loup en lui se réjouissait d’avoir gagné une petite guerre de territoire : lui, au
moins, avait pu dire à la jeune femme d’être prudente, avait pu lui dire au revoir. Au cas où
l’un d’eux…

Severus n’aurait pas cette opportunité.

Le Professeur ne laissa rien paraître, n’indiqua même pas qu’il avait entendu, il se tourna vers
Albus et relaya une estimation des troupes ennemies qui leur fit, à tous, froncer les sourcils.

« Ça n’a aucun sens… » commenta Molly. « Et s’ils sont si peu… A-t-on vraiment besoin des
enfants ? » Elle désigna d’un geste les élèves majeurs qui attendaient leurs instructions et
suivaient leur conversation d’un peu trop près. Puis une expression soupçonneuse déforma
ses traits. « Où sont mes fils ? Ne me dites pas qu’ils sont partis avec les autres, je ne vous
croirais pas. »
« Mr et Mr Weasley sont retournés à leur dortoir chercher des munitions. » expliqua Severus.
« Ils ont apparemment quelques explosifs et autres farces et attrapes en réserve. Parlant
d’explosifs… »

« Deux groupes en haut des tours sud et ouest. » décida Dumbledore, terminant pour lui. « Il
y a un stock de potions incendiaires dans un coffre en haut de chaque tour. Le mot de passe
est Fumseck. Il nous faut aussi un groupe plus large à l’extérieur. Pomona a réveillé ses
plantes, Hagrid se tient près, mais il faut une première ligne humaine de défense. Il serait
sage de partager équitablement élèves et recrues sous la supervision d’un membre de
l’Ordre. »

Les apprentis Aurors se rebiffèrent à cette nouvelle mais un regard venimeux de Snape les fit
taire.

« Pourquoi est-ce qu’ils attendent ? Cela fait bien vingt minutes qu’ils n’ont pas essayé de
détruire les protections. » demanda Sirius, posant tout haut la question que tout le monde se
demandait tout bas. « Volde… »

« Sirius. » siffla Severus.

Un avertissement.

Un avertissement un peu craintif.

Son bras gauche semblait déjà bien raide, ses doigts crispés sur sa canne qui tremblait comme
s’il était incapable de la garder stable…

Le regard de l’Animagus dériva jusqu’à son avant-bras gauche et il lui adressa une grimace
d’excuse.

« Quoi qu’ils attendent, cela n’est sans doute pas bon pour nous. » déclara Dumbledore.
« Raison de plus pour agir vite. Remus ? »

Obéissant à l’ordre tacite, il entreprit de répartir les recrues entre lui-même, Molly et Fleur,
Albus souhaitant pouvoir rester mobile et aller où ils auraient le plus besoin de lui. Sirius
l’aida à trier les élèves selon leurs compétences.

Molly et Fleur prendrait chacun un groupe et une tour.

Fred et George n’étaient pas réapparus mais Remus leur faisait confiance pour opérer seuls.

« Visez les Détraqueurs et les Mangemorts sur les balais. » leur ordonna le loup-garou. Les
meilleurs élèves de Défense, il les garda pour lui, ainsi que les recrues qui lui avait fait la
meilleur impression. « Nous serons dehors. »

« Très bien. » acquiesça Albus. « Dans ce cas… »

Un singe argenté apparut, familier bien qu’il ne l’ait plus vu depuis des mois. Cela lui fit un
coup au cœur. Le patronus de Dora avait été un loup, il n’y avait pas encore si longtemps.
Qu’il soit redevenu un singe…
Ce que cela voulait dire ne lui échappait pas.

Il supposait qu’il pouvait simplement s’estimer heureux qu’il n’ait pas, à présent, la forme
d’une chauve-souris – ou, plus logiquement, d’un sombral.

« Aux ancres : la clef de voute est en position. » annonça-t-elle. « Nous sommes prêts à
commencer. »

Au lieu de disparaître, le singe argenté se dirigea droit sur Severus et frotta sa tête contre sa
main. Le Maître des Potions ferma brièvement les yeux et s’humecta les lèvres.

Personne ne commenta.

« À vos positions. Et bonne chance. » ordonna Albus, brisant le moment, avant de disparaître
dans les étages, à priori pour aller vérifier que toutes les autres ancres étaient là où elles
devaient l’être.

Molly et Fleur prirent la tête de leurs groupes et entrainèrent les plus jeunes à leur suite.

Remus en fit de même mais pas sans s’arrêter auprès de Sirius, pas sans serrer l’épaule de son
meilleur ami avec émotion.

« Pas de conneries, Lunard. » l’avertit Patmol, en pressant son bras avec la même affection.
« Ne joue pas les héros. »

« Toi non plus. » répondit-t-il.

« Oh, pas de risques. » plaisanta Sirius. « Je suis juste là pour jouer les gardes du corps et le
réservoir de magie de remplacement. »

« J’ai besoin de concentration. » marmonna Snape.

Remus l’ignora. « Nyssa sera là dès la tombée de la nuit. Elle m’a aussi demandé de te dire
que tu étais prié de rester en vie si tu ne voulais pas qu’elle te le fasse regretter. »

Le rire de son ami était contagieux.

Ce fût le son qu’il emmena avec lui lorsqu’il guida son groupe à l’extérieur, jetant un sort
pour que le crachin qui tombait dru glisse sur lui sans le toucher, et leur ordonna de se mettre
en position. Il voulait une ligne de défense, loin derrière les diverses plantes à l’aspect peu
engageant qui peuplaient désormais le parc… Hagrid ne tarda pas à les rejoindre, suivi par un
bon groupe de créatures plus ou moins sympathiques, hippogriffes en tête.

Il aurait dû emmener Buck, se dit Remus.

La visibilité serait atroce s’ils devaient se battre, pensa-t-il ensuite.

Puis il prit une profonde inspiration, laissa le loup en lui prendre davantage de place, faisant
plus confiance en son instinct qu’au sien.
Lunard huma l’odeur de la terre mouillée et un sourire carnassier étira ses lèvres.

Il était prêt.

°O°O°O°O°

Tout en se préparant à jeter le sort, Severus se répéta que c’était mieux ainsi.

Ils n’avaient pas de temps à perdre avec les au revoir ou les sois prudent qui ne seraient, de
toute manière, qu’une distraction inutile.

Se séparer d’Harry avait déjà été difficile et Harry partait pour un endroit sûr. Nymphadora
était dans le même bateau qu’eux. Il ne lui avait pas fait de cadeau en lui confiant la
protection de Grindelwald. Si l’ennemi parvenait à franchir les protections d’une manière ou
d’une autre… La clef de voute serait la cible à abattre. Et la tour d’astronomie était difficile à
manquer. Elle serait exposée, en danger.

Non… Il n’aurait pas su quoi dire, comment la laisser aller affronter le danger dignement.

Au moins avait-il reçu son message.

Pas celui énoncé à voix haute mais celui qu’elle lui avait transmis lorsque le singe avait frotté
sa tête contre le dos de sa main. Les Patronus n’étaient pas vecteurs d’émotions à proprement
parler mais il avait senti, pourtant, qu’elle s’était servie de souvenirs d’eux pour créer celui-
ci. La joie, le contentement, l’affection, l’autre mot qu’il ne se décidait pas à prononcer, pas
même dans sa tête… Tous ces sentiments, il les avait perçus à travers le sortilège. Comme un
rappel ou un aveu, comme un remerciement ou une supplique…

Il aurait aimé pouvoir y répondre par un patronus ou un message sur le carnet…

Reviens-moi, aurait-il exigé s’il en avait eu le temps. Des mots qu’il avait pris l’habitude de
prononcer lorsqu’elle partait en urgence ou en mission.

Mais ils n’avaient plus de temps pour ce genre de choses.

Il s’agenouilla dans le hall d’entrée sous le regard de Sirius, sentit que les autres avaient déjà
commencé à tisser le sort et qu’il était le dernier, qu’ils l’attendaient pour fermer la boucle…
Il plaqua sa main gauche contre les dalles, serra sa baguette de l’autre…

Le sortilège était complexe.

Peut-être l’un des plus complexes qu’il ait jamais jeté, à l’exception de celui qui les avait
ramenés dans le présent, Harry et lui.

Il psalmodia les sons d’une langue morte, encore et encore, laissa sa magie s’écouler dans le
sol jusqu’à ce qu’il sente le cercle se former autour de lui…

« Putain… » murmura Black, avec ce qui aurait pu s’apparenter à de l’émerveillement.

Severus rouvrit les yeux, vit la bulle bleutée qui l’entourait, continua à psalmodier…
Il sentit le moment précis où sa magie rencontra celle des autres ancres, la communion de ce
moment était… indescriptible. La magie de Minerva était un torrent au cours violent, celle de
Filius était vive comme un pinçon, celle d’Horace sinuait, indolente mais puissante… Il se
demanda, brièvement, comment ils auraient décrit la sienne.

Et puis, sans crier gare, leur magie fût aspirée, redirigée, multipliée…

La magie de Grindelwald était un ouragan et l’ouragan les emporta, donna corps à leur
sortilège…

L’intervention de la clef de voûte lui faisait l’impression d’une cascade à l’envers.

Et Severus savait que le sortilège fonctionnait, que la sphère était en place, que Poudlard était
imprenable pour la bonne et simple raison que rien n’aurait pu briser cette communion
parfaite entre eux cinq.

Il était vaguement conscient que Black s’éloignait vers les Grandes Portes, jetait un coup
d’œil à l’extérieur…

« Ça marche ! » jubila l’Animagus. « Je peux voir le bouclier ! »

Severus continua à psalmodier, continua à déverser un flot de magie régulier dans le sol… Il
devait se ménager, se contrôler… Il était tentant d’injecter davantage de pouvoir, de vouloir
renforcer la sphère de Troie… Le sort serait épuisant à tenir sur le long terme, cependant, et
s’il donnait trop immédiatement, Black devrait prendre sa place. Toute la difficulté était de
parvenir à doser, de trouver un juste milieu avec les autres…

Pendant plusieurs minutes, tout se déroula parfaitement.

C’était de la belle magie.

Pure comme il avait rarement eu l’occasion d’en pratiquer.

Le genre de magie à laquelle on ne participerait qu’une seule fois dans sa vie.

Et puis, bien évidemment, parce que tel était le lot de Severus dans la vie, tout dérapa.

Sirius était revenu se poster à côté de lui, attentif mais tourné vers l’extérieur, surveillant les
Grandes Portes parce que si attaque il devait y avoir, c’était de là qu’elle viendrait le plus
probablement.

Une seconde, l’Animagus se tenait là, à plaisanter que ça allait être bien ennuyeux d’attendre
comme ça indéfiniment ; la seconde, il était au sol et hurlait sous le coup d’un endoloris.

Severus ne pouvait pas cesser de psalmodier, ne pouvait pas se lever, ne pouvait pas les
défendre… Il fouilla le hall du regard, chercha désespérément leur assaillant qui finit par
sortir de l’ombre…

Il aurait dû le savoir.
Il n’était même pas surpris.

À un certain niveau de conscience, il l’avait toujours su.

Sirius hurlait et hurlait, réveillant en lui des souvenirs qu’il préférait occulter.

Et, comme si cela ne suffisait pas, comme si la situation n’était pas suffisamment critique…

Il y eut un déchirement.

Il n’y avait pas d’autre manière de le décrire.

Le sortilège se fractura, leur communion éclata, leur magie…

Severus accusa le choc qui s’avéra presque physiquement douloureux. C’était comme une
chute soudaine et l’atterrissage fût brutal. Sonné, il fit mentalement l’inventaire, à tâtons, des
magies toujours liées à la sienne… Il sentait Minerva, il sentait Horace, il sentait Filius…
Mais Grindelwald n’était plus connecté à eux. Ils n’avaient plus de clef de voûte.

Le sortilège s’affaiblit, vacilla…

Ils pouvaient se passer d’une ancre, le cas échéant.

Pas d’une clef de voûte.

Que s’était-il passé ?

Qu’était-il arrivé à Grindelwald ?

Sa maladie l’avait-elle rattrapé ou…

Nymphadora.

Pourquoi Nymphadora ne reprenait-elle pas le sortilège à la place du mage noir ?

Le temps n’était pas aux questions.

Pas alors que Black convulsait à quelques centimètres de lui, juste à l’extérieur de la bulle
bleutée qui l’entourait. Une protection qui faisait écho à la sphère de Troie mais qui ne serait
pas d’un réel secours face à un sorcier déterminé à l’assassiner.

Severus pouvait choisir de briser le sortilège pour venir en aide à son ami, sachant que cela
signifierait la fin du siège le plus court de l’Histoire de la Magie, ou…

Ou il pouvait faire quelque chose de fou qui le tuerait probablement.

Au fond, il n’y avait pas vraiment de choix à faire.


Aus Liebe
Chapter Notes

Faite attention d'avoir lu celui de mercredi avant celui-ci ;)

Et une petite réponse à une review, juste pour clarifier: Severus étant le parrain de Draco
est fanon et si c'était le cas dans Pandore, ce n'est pas le cas ici.

On fera le point sur mes trois théories préférées pour l'espion au prochain chapitre ;)

J'espère que vous aimerez celui-ci!

Enjoy & Review!

“ Was aus Liebe getan wird, geschieht immer jenseits von Gut und Böse.”
- Friedrich Nietzsche

“Ce qui est fait par amour se place toujours au-delà du bien et du mal.”
Friedrich Nietzsche

Nymphadora entraîna Grindelwald à travers les couloirs déserts à une allure trop soutenue
pour lui, à en croire sa respiration sifflante. Elle garda une prise ferme sur son bras,
empoignant sa baguette de sa main libre, tâchant d’ignorer les portraits paniqués qui
passaient d’un cadre à l’autre ou les bruits de pas précipités dans son dos.

Son attention, si elle devait être honnête, était divisée entre la baguette que le mage noir avait
en main et son environnement immédiat au cas où une attaque viendrait. Ce n’était pas si
improbable, pas alors que trois aspirants Mangemorts s’en étaient pris à Draco et Severus, la
veille. Un élève aurait très bien pu se cacher, attendre son heure pour frapper…

Et quelle idée ahurissante était venue à Dumbledore de donner une baguette à Grindelwald ?
N’aurait-il pas pu la lui confier à elle pour qu’elle la lui passe au tout dernier moment ?
Armer le mage noir qui avait fait plier l’Europe, était-ce vraiment une bonne idée ?

Ils parvinrent au pied de la tour d’astronomie sans encombres et, tirant sur le bras du vieux
sorcier qui allait s’avancer directement dans l’escalier pour l’arrêter, elle se tourna vers
Charlie et Anthony.

« Postez-vous ici. » ordonna-t-elle. « Restez vigilants. Et, si on en arrive là, n’oubliez pas
qu’ils ne se battrons pas pour capturer mais pour tuer. Je sais que c’est difficile, mais ripostez
de la même manière. Si vous n’êtes pas capables de lancer un sort de mort, rabattez-vous sur
des sorts comme diffindo ou confringo. »
Anthony lui adressa un hochement de tête solennel mais Charlie, le visage n’exprimant
soudain que détresse, se jeta presque sur elle pour l’étreindre. Surprise, elle en lâcha
Grindelwald qui, par chance, n’en profita pas pour essayer de s’enfuir.

« Nymphadora… » murmura son meilleur ami à son oreille, la voix étranglée. «


Nymphadora… »

« Quoi ? » demanda-t-elle, un peu alarmée par cet épanchement quelque peu excessif. Oui, la
situation était grave mais ils n’étaient mourant ni l’un, ni l’autre… Une idée germa dans son
esprit mais disparut avant qu’elle ait pu la saisir tout à fait. Elle ne s’en inquiéta pas, c’était le
stress sans doute.

Son corps se raidit soudain et il la lâcha, reculant jusqu’à retourner se tenir aux côtés
d’Anthony, l’air un peu gêné. « Sois prudente, c’est tout. Je ne veux pas qu’il t’arrive quoi
que ce soit. »

« C’est vous qui serez en bas. » remarqua-t-elle, cherchant à mettre un poil d’humour dans sa
voix. « S’il m’arrive quoi que ce soit, vous aurez déjà des ennuis, vous aussi. »

« Tout se passera bien. » déclara calmement Anthony. « Il faut juste s’en tenir au plan. »

« Oui. » acquiesça-t-elle, se forçant à sourire de manière rassurante. « Et vite. »

Elle ne savait pas combien de temps encore tiendraient les protections de Poudlard.

Avec un dernier regard pour ses amis, elle encouragea Grindelwald à monter les marches
d’une poussée dans le dos. Le mage noir grogna dès qu’il leva la tête et vu la distance à
parcourir.

« Il y a beaucoup trop d’escaliers dans cette école. » marmonna-t-il.

« Montez et taisez-vous. » rétorqua-t-elle.

Ils auraient pu monter de front, les escaliers étaient larges mais elle resta derrière lui pour
mieux le surveiller.

Selon son estimation, ils avaient monté environ un étage lorsqu’il reprit la parole, guettant
son regard par-dessus son épaule. « Votre ami est-il aussi émotif d’ordinaire ? »

« Mêlez-vous de vos affaires. » cingla-t-elle.

Les yeux bleus pétillèrent alors qu’il laissait échapper un petit rire qui se transforma
rapidement en toux grasse.

« Vous ne m’aimez pas beaucoup, n’est-ce pas ? » s’enquit-il, dans un sifflement essoufflé.

Ils montaient ces escaliers à l’allure de veracrasses et une part d’elle-même se demandait s’il
le faisait exprès, s’il s’agissait d’un piège ou d’une manière de retarder d’autant le sortilège…
« Qu’y a-t-il à aimer ? » riposta-t-elle. « Vous êtes un despote qui a commis un génocide et
qui aurait continué si Dumbledore ne vous avez pas arrêté. »

« C’est une version de l’Histoire. » lui accorda-t-il, en s’agrippant à la rampe pour mieux
grimper les marches.

C’était la seule version de l’Histoire.

Tout en gardant un œil sur la baguette qu’il n’avait pas fait mine de ranger dans sa manche
depuis qu’ils avaient quitté le bureau du Directeur, elle grimpa les deux marches qui les
séparaient pour se mettre au même niveau que lui et l’aider à monter plus vite.

Malgré ses soupçons, elle ne pensait pas qu’il feignait ses difficultés. Il était à bout de
souffle, sa poitrine semblait crépiter de manière audible à chaque inspiration…

« Qu’avez-vous sur Dumbledore ? » demanda-t-elle, pour le distraire. « Vous devez bien


avoir un moyen de pression pour qu’il vous ait sorti de Nurmengard et fasse preuve d’autant
de sollicitude envers vous. »

« Albus ? » répondit Grindelwald.

« Oui, Albus. » insista-t-elle, en le soutenant davantage encore. « On ne traite pas son ennemi
comme ça, généralement. »

« Ah, mais nous étions amis avant d’être ennemis… » expliqua le mage noir. Elle faillit rater
une marche et se serait probablement étalée dans l’escalier s’il ne l’avait pas rattrapée. Cela
lui valut un autre petit rire amusé quoi que très essoufflé. « Vous êtes apparentée aux Black,
n’est-ce pas ? Je connaissais bien la branche allemande, ils soutenaient ma candidature à la
chancellerie magique… »

« Ça ne m’étonne pas. » commenta-t-elle froidement.

À nouveau, il sembla amusé mais persévéra pourtant dans la montée des marches, comme
dans la conversation. « On reconnait un Black à ses yeux gris, son mauvais caractère et sa
puissance magique… Vous êtes Métamorphomage, n’est-ce pas ? »

Elle lui jeta un coup d’œil suspicieux. « Dumbledore vous a parlé de moi. »

« Un peu. » admit-il. « J’ai observé le reste. J’avais moi-même quelques dons pour la
Métamorphose physique à l’époque. Ce n’était pas naturel comme vous, bien entendu, mais
cela remplissait son office. »

Il grimaça, s’appuya davantage sur son bras…

« Plus que quelques étages. » se sentit-elle obligée de lui dire.

« Votre ami, tout à l’heure… » reprit-il, changeant brusquement de sujet. « Avez-vous


remarqué quelque chose d’étrange ? »

Oui.
« Non. »

Le mot passa ses lèvres, presque automatiquement.

Elle fronça les sourcils.

Mais cessa de s’en préoccuper dans la seconde, son esprit brusquement attiré vers un autre
problème. « Cette baguette… Où Dumbledore l’a-t-il trouvée ? Vous êtes certain qu’elle va
fonctionner correctement ? »

Les baguettes se faisaient rares depuis que le magasin d’Ollivanders avait été mis à sac. Elle
n’aurait pas su où s’en procurer une alors elle était curieuse d’où Dumbledore avait bien pu
commander celle-ci.

« Ja. » affirma Grindelwald, avec amusement. « C’est la mienne. »

Elle ouvrit la bouche, la referma.

« Dumbledore l’a gardée comme trophée ? » s’enquit-elle curieusement.

Elle en doutait, cependant.

Elle commençait à croire que les choses n’étaient pas aussi simples – ou aussi manichéennes
– qu’elle l’avait cru.

« Un souvenir. » corrigea-t-il. « Ne paniquez pas mais il me faut jeter un sort. »

Avant qu’elle ait pu protester, il avait tracé une arabesque élégante dans l’air. Elle le lâcha et
se tendit, sa propre baguette levée, deux sorts de boucliers différents déjà érigés autour
d’elle… Une bulle d’oxygène vint encercler le bas du visage du mage noir qui la regarda
avec ce même amusement qui ne l’avait pas quitté. Son corps se détendit, cependant.

Ils montèrent les dernières volées de marches en silence. Elle lui fit signe d’attendre sur le
seuil lorsqu’ils parvinrent finalement en haut de la tour pour qu’elle puisse contrôler le
périmètre et vérifier que personne ne s’y dissimulait.

L’antre de Sinistra était vide mais, de là haut, ils avaient une vue impeccable sur tout
Poudlard et ses alentours. Elle fit signe au sorcier d’entrer et de démarrer les préparatifs mais
garda un œil à l’extérieur.

Les éclairs zébraient un ciel rendu de plus en plus noir par les épais nuages sombres, éclairant
de temps en temps les silhouettes fantomatiques des Détraqueurs qui s’agglutinaient contre le
dôme rougeoyant qui encerclait Poudlard. Il y avait des Mangemorts sur des balais, aussi, qui
survolaient le domaine aussi bas que les protections ne leur permettaient.

Mais il n’y avait pas assez de Mangemorts massés aux grilles.

Trempée par la pluie qui battait drue, elle s’appuya néanmoins au parapet pour tenter de
mieux percer l’obscurité, de compter les silhouettes rassemblées devant Poudlard…
Une vingtaine peut-être ?

Pas de loups-garous sous forme animale qu’elle puisse distinguer.

Elle fit rapidement le calcul en revenant à l’intérieur, se séchant d’un coup de baguette…

Cela n’avait pas de sens. Il y avait trop peu de Mangemorts, même avec Voldemort à leur
tête.

« Was ist los ? » demanda-t-il, en levant la tête vers elle.

Il avait fait disparaitre la bulle d’oxygène mais n’avait pas l’air d’avoir totalement récupéré
de leur course à pieds dans l’escalier. Elle aurait peut-être dû plus le ménager.

Il dût comprendre que son allemand était perdu pour elle parce qu’il se reprit. « Qu’y a-t-
il ? »

Elle ne lui faisait aucune confiance, n’était pas entièrement persuadée qu’il n’était pas en
ligue avec Voldemort, mais dans le cas improbable où Dumbledore avait de bonnes raisons de
l’avoir fait venir et de lui témoigner autant de confiance…

« Ça pue le traquenard. » déclara-t-elle. « Ils ne sont pas assez nombreux. Et pourquoi est-ce
qu’ils ne pressent pas leur avantage ? Pourquoi est-ce qu’ils n’attaquent plus les protections ?
Voldemort pourrait les détruire s’il le voulait vraiment. »

Elle aurait presque préféré que Grindelwald l’accuse de paranoïa. Au lieu de ça, il se contenta
d’incliner la tête. « J’avoue me poser la même question, ma chère. Toutefois, je suis prêt. »

Elle hocha la tête et fit apparaître son patronus. Ce fût d’une facilité déconcertante malgré la
situation. Il lui suffisait de penser à Severus. Des souvenirs heureux, elle en avait à foison
dernièrement.

« Aux ancres : la clef de voûte est en place. » annonça-t-elle. « Nous sommes prêts à
commencer. »

Le singe se multiplia avant de disparaître délivrer son message, avec une petite intention
supplémentaire pour Severus.

Elle résista à l’envie de sortir le carnet qu’elle avait transvasé de la poche intérieure de son
blouson à celle des nouvelles robes d’Auror qu’elle avait enfilées à la hâte avant de quitter le
Ministère. Ils n’avaient pas le temps, elle ne pouvait pas le distraire.

Elle aurait aimé le voir avant que le cirque ne commence. Échanger une parole, un baiser…

Soudain, elle était soulagée de l’avoir embrassé la veille, à l’infirmerie, avant de partir. Elle
avait hésité, sachant qu’il n’appréciait pas vraiment les démonstrations d’affection en public,
mais… À présent, elle était heureuse de ne pas s’être laissée arrêter par la pudeur.

Ce fût à ce baiser qu’elle pensa lorsqu’elle observa Grindelwald s’agenouiller au centre de la


tour, alors même qu’elle allait se poster contre l’une des arches qui menaient sur le large
rempart circulaire encombré de télescopes et d’autres instruments. De son poste, elle pouvait
voir l’escalier, Grindelwald et l’extérieur. C’était l’idéal.

Pendant de longues minutes, il ne se passa rien de notable et elle se demanda s’ils n’avaient
pas tous surestimé ce dont le mage noir pouvait être capable après cinquante ans de prison.
Le vieil homme avait une main plaquée au sol et psalmodiait inlassablement, des sons
gutturaux qu’elle ne comprenait pas mais qu’elle avait elle-même appris par cœur, au cas où
elle doive le relayer au pied levé. Chaque ancre avait un remplaçant, elle n’avait pas le
pouvoir nécessaire pour tenir le rôle de clef de voûte plus de quelques instants mais
Dumbledore avait promis que, le cas échéant, il serait là dans les minutes qui suivraient si ce
n’était avant. Elle n’avait appris le sortilège que par précaution. Et curiosité. Et parce que
Severus lui avait assuré qu’elle aurait pu servir d’ancre, elle aussi.

Elle connaissait donc la théorie du sortilège.

Et pourtant il ne se passait rien.

Du moins, jusqu’à ce que Grindelwald ne laisse soudain échapper un glapissement et ne


rejette la tête en arrière. Une bulle bleutée l’entourait désormais. Il était nimbé de cette
lumière douce qui semblait illuminer ses yeux. Il dressa un bras tremblant vers le ciel,
comme s’il tentait de contrôler un flux indomptable…

Il souriait aussi.

Le sourire béat d’un enfant qui s’adonnait à son activité favorite.

Elle sentit l’instant précis où le sortilège se mit en place.

Pas simplement parce qu’elle le vit se déployer, vit la sphère de Troie recouvrir les
protections de Poudlard, mais parce qu’elle était si près de la clef de voûte qu’il lui aurait été
impossible de le rater. La magie était pure, puissante… Elle eut la chair de poule.

Elle était si fascinée de voir le sortilège en action qu’elle manqua presque rater l’arrivée des
Aurors.

La sphère de Troie assourdissait les sons mais il régnait un tel silence à l’extérieur, en dehors
du bruit de la pluie, que les craquements répétés d’un transplannage massif aurait été
impossible à ignorer. Elle se détourna pour suivre le combat que Kingsley engagea
immédiatement.

Le cœur au bord des lèvres, elle regarda le groupe en bleu attaquer le groupe en noir…

Voldemort ne se donna pas la peine de rentrer dans la danse.

Il y avait si peu de Mangemorts que le combat paraissait égalitaire, voire en leur faveur, mais
un rapide compte des troupes confirma que Kingsley, certainement avec l’approbation de
Scrimgeour, avait ramené tous ce qu’il restait d’Aurors au Ministère ou presque. C’était un
pari risqué car s’ils perdaient…

Mais peut-être ne perdraient-ils pas aujourd’hui.


Car d’autres sorciers et sorcières arrivaient.

Elle vit le groupe qui chargeait depuis Pré-au-Lard, mené par le patron de la Tête de Sanglier.
À lui seul, d’un coup de bâton, il envoya valser un groupe entier de Mangemorts.

Et il y en avait d’autres qui transplannaient et rejoignaient la bataille.

Les membres de l’Ordre qui ne faisaient pas partie du Conseil.

Les Mangemorts étaient acculés contre les grilles, leur nombre était inférieur… Les
Mangemorts sur des balais cessèrent de patrouiller les limites des protections pour rejoindre
les autres. Voler leur donnait un avantage considérable.

Mais le véritable danger venait des Détraqueurs.

Elle vit l’éclat de patronus sans parvenir à en deviner les formes, vit, surtout, plus d’un
sorcier à robes bleues être happé par une de ces créatures, embrassé, et rejeté au sol comme
une poupée de chiffon…

Un bruit de cavalcade dans l’escalier détourna son attention de la bataille et elle revint à
l’intérieur, non sans jeter un regard d’avertissement à Grindelwald. Elle fléchit les jambes,
raffermit sa prise sur sa baguette… Elle aurait préféré être plus reposée, avoir dormi
davantage que quelques heures dans l’inconfort de son bureau, mais le philtre de force qu’elle
avait avalé à la va-vite avant de quitter le Ministère avait fait son effet et elle ne manquait pas
d’énergie. Elle se posta à l’entrée des escaliers, barrant le passage de son corps.

Ce n’était que Charlie, cependant, alors elle se détendit légèrement, baissa sa baguette.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? »

De grosses larmes coulaient sur les joues de son meilleur ami, son visage était rouge comme
sous le coup de l’effort, et il paraissait lutter pour gravir les dernières marches et la rejoindre
sur le seuil.

Alarmée, elle tendit la main vers lui. « Qu’est-ce qui se passe ? Où est Anthony ? »

Il se dirigea droit sur elle, ouvrant un bras comme pour l’enlacer, et, vu sa détresse évidente,
elle se laissa faire sans se méfier. Sans comprendre. Elle l’attrapa elle aussi, se disant qu’elle
allait le pousser derrière elle, affronter quiconque était à ses trousses. Le protéger.

Et puis elle eut soudain le souffle coupé.

Et elle ne comprit toujours pas.

« Je suis désolé… » murmura-t-il. « Je suis désolé, je suis désolé, je suis désolé… »

Il murmurait toujours la même chose alors qu’il l’accompagnait tendrement jusqu’au sol.

Nymphadora ne comprenait pas.


Du moins pas jusqu’à ce qu’elle se retrouve sur le dos, à observer le plafond de la tour
d’astronomie qui semblait si lointain d’un coup et qu’elle ne baisse le regard.

Les nouvelles robes des Aurors étaient renforcées pour dévier lames et sortilèges, conçues
spécialement pour la guerre. Cela leur avait coûté un petit pactole et ils avaient dû batailler
pour que le Magenmagot accepte de débourser la somme.

Cependant, elles ne pouvaient rien contre une frappe directe, à bout portant.

La main de Charlie tenait toujours le manche du couteau qui était planté jusqu’à la garde dans
sa poitrine.

« Je suis désolé… Désolé… J’ai fait ce que j’ai pu… Je suis désolé… » marmonna-t-il, en lui
caressant brièvement les cheveux de sa main libre. « Je t’aime… Je suis désolé… Je
t’aime… »

Et puis il dégagea le couteau.

Et, là, la douleur la heurta.

La lame était crantée.

Le sang…

Il y avait du sang partout…

Elle se vidait de son sang.

Vite.

Trop vite.

Elle lutta contre l’inconscience, lutta contre le noir qui voulait l’engloutir, pressa les mains
contre la plaie pour endiguer l’hémorragie, ralentir l’inévitable…

« Avada… » sanglota Charlie. « Av… »

Tonks tourna la tête, capta le regard de Grindelwald qui n’avait pas cessé de psalmodier, ne
rompait pas le sortilège pour se défendre…

Ses boucliers mentaux étaient en miettes, l’esprit du mage noir fusa dans le sien avec facilité
pour se retirer presque aussitôt, la laissant d’autant plus désorientée.

Elle voulut parler, lui hurler de se défendre parce que s’il mourrait… Seul un gargouillis
informe sortit de sa gorge.

« Avada Keda… » continuait Charlie, en sanglotant toujours. La main qui tenait le couteau
avait retourné la lame contre lui, comme s’il luttait pour se poignarder lui-même, mais sa
baguette était toujours pointée sur Grindelwald. « Avada… »
Imperium.

Charlie était sous Imperium.

L’espace d’une seconde, tout fit sens.

Un million de choses qu’elle avait ignorées sans bien savoir pourquoi – ou, plutôt, parce que
quelqu’un avait fait en sorte qu’elle les ignore. Elle le sentait à présent : le sort dans sa tête.
Si elle avait été en état de maîtriser l’Occlumencie, elle aurait pu…

Tout était si clair, à présent…

Tout fit sens et elle sut…

Elle aurait voulu hurler. À Charlie de continuer à lutter. À Gringelwald de se défendre parce
que quelques minutes gagnées avec la sphère ne feraient pas grande différence s’ils perdaient
la clef de voûte.

Le couteau heurta le sol et les épaules du dragonnier s’affaissèrent. Il était défait, vaincu.

Sa voix ne tremblait plus, les sanglots s’étaient taris. « Avada Kedavra. »

Il y eu un éclat vert puis plus rien.

Par une des ouvertures sur l’extérieur, elle vit la sphère perdre en tangibilité, s’évanouir petit
à petit…

Les bottes de Charlie crissèrent lorsqu’il l’enjamba pour sortir, sans un seul regard en arrière.

Il laissa des empreintes rouges derrière lui.

Parce qu’il avait marché dans la flaque de sang qui se formait lentement autour d’elle.

Elle allait mourir.

Ce moment, elle l’avait déjà vécu.

Mais il n’y avait pas Kingsley pour lui tenir la main, rien pour adoucir ses derniers instants.

Juste les yeux vides de Gellert Grindelwald qui la fixait.

Elle n’avait pas mal.

C’était déjà ça.

Mais c’était un piège, elle le savait.

La douleur était preuve de vie.

L’engourdissement…
Elle allait mourir.

Elle allait…

Severus.

Elle aurait vraiment voulu savoir à quoi une vie à deux aurait pu ressembler.

Elle aurait dû lui dire qu’elle l’aimait.

Parce qu’elle l’aimait.

Bien sûr qu’elle l’aimait.

Charlie avait fait d’elle une menteuse.

Au final, elle allait l’abandonner comme tous les autres.

Et ce serait le plus gros regret qu’elle emporterait avec elle de l’autre côté du voile.

°O°O°O°O°

Harry devait lutter à chaque pas pour mettre un pied devant l’autre.

Burbage et Vector les menaient d’un bon pas, ils étaient déjà loin sous les cachots, mais un
groupe de la taille de l’école pratiquement entière ne se déplaçait pas vite. Les rangs s’étaient
défaits avec les minutes. Les premières et deuxièmes années s’agglutinaient toujours à l’avant
mais les autres s’étaient mélangés.

Il n’était pas sûr de comment l’A.D. s’était regroupée au fond, autour de lui, mais ils étaient
tous là, beaucoup marmonnant discrètement pour ne pas que Trelawney, qui fermait la
marche, ne les entende. Beaucoup, Neville en tête, disaient qu’ils auraient dû rebrousser
chemin, qu’ils auraient dû prêter main forte… Tous, pratiquement, quêtait son opinion.

Mais Harry restait de marbre.

Le visage lisse, l’esprit entouré d’un déluge de flammes, replié aussi loin du monde extérieur
qu’il l’osait sans perdre tout contact…

Ils te suivront, Harry. Regarde les. Ils te suivront où que tu ailles. Alors mène les en sécurité.

C’était tout ce qu’il avait voulu, ces derniers temps, n’est-ce pas ? Ne plus avoir à se battre…
Ne plus avoir à lutter à chaque instant… Laisser la guerre aux adultes et… et jouer à l’enfant
tant que cela lui était permis, tant qu’il n’avait pas besoin de mourir pour la cause. Mourir
pour délivrer la communauté magique était déjà beaucoup et il s’était dit que, peut-être,
Severus avait raison, peut-être qu’il n’avait pas besoin d’endosser davantage de
responsabilités, de…

Il n’était pas dupe des manigances de son père.


Severus savait très bien qu’il n’y avait rien qu’il ne prenait plus au sérieux que de protéger
plus faibles que lui, particulièrement les enfants. Ce n’était pas une mission qu’il lui avait
confié, c’était une excuse.

Une excuse qui lui laissait un sale goût en bouche.

« Harry ? Ça va ? » murmura Hermione, à sa gauche.

Son visage tremblotait dans l’éclat de son lumos.

Harry n’avait pas pris la peine d’illuminer le bout de sa baguette, suffisamment d’autres
élèves l’avaient fait.

Ils étaient si loin sous l’école… Depuis quand marchaient-ils ? Il n’y avait plus de torches au
mur et si le couloir étroit dans lequel ils ne pouvaient s’aventurer à plus de trois de front était
humide, il s’agissait davantage de la fraicheur de la terre que de celle suintante du lac. Ils
devaient être plus bas que les appartements de Severus, au même niveau que la Chambre des
Secrets ou presque. Ses oreilles s’étaient bouchées, un peu plus tôt.

La claustrophobie le prit à la gorge alors qu’il entendait presque la porte de son placard
claquer, le verrou tourner…

« Harry ? » s’inquiéta Ron, à sa droite.

Malfoy était juste devant avec Zabini et Greengrass, devant eux il y avait Ginny, Astoria et
Neville. Puis les autres adolescents qui formaient le reste de leur groupe.

Ils étaient les derniers de la file, se rendit-il soudain compte.

Un coup d’œil en arrière révéla Trelawney, qui s’accrochait à son châle, son lumos trop peu
stable pour qu’elle ne soit pas en train de trembler de peur.

Il aurait été facile, si facile, de lui échapper…

Partir en courant, remonter les couloirs…

Il avait senti un sortilège se mettre en place autour de l’école, ils l’avaient tous senti. La
puissance du sortilège leur avait donné des frissons.

« Harry, réponds-nous, mon pote. » insista Ron. « Tu commences à m’effrayer. »

Ils avaient attiré l’attention du reste du groupe qui avait ralenti pour mieux les regarder, pour
mieux essayer de déterminer ce qui se passait…

« Ne trainez pas ! » ordonna la voix nerveuse du Professeur d’Arithmancie, loin devant.

Il pouvait à peine deviner la silhouette de la sorcière derrière celles, en ombres chinoises, des
plus jeunes élèves.

Harry n’aurait jamais dû les suivre.


Harry n’aurait jamais dû partir.

À quoi bon se cacher quand il abritait un bout de Voldemort dans son âme ?

À quoi bon…

S’il devait mourir aujourd’hui pour que Tom Jedusor périsse enfin… C’était un aussi bon
jour qu’un autre. Il avait dit au revoir à son père et à son parrain. Il avait embrassé Ginny.
Il…

Derrière eux, Trelawney poussa soudain une petite exclamation choquée. Ils s’arrêtèrent tous,
ou, du moins, tout le bloc de l’A.D., pour se tourner vers elle, baguettes levées pour
neutraliser la menace…

Mais il n’y avait pas de menace.

À la lumière du lumos d’Hermione, il vit les yeux de la sorcière rouler dans ses orbites, elle
prit une inspiration et son souffle devint rauque.

Il devina ce qui se passait alors même que sa meilleure amie laissait échapper un bruit
dégoûté. C’était comme en troisième année.

« Ce n’est vraiment pas le moment, Professeur. » cingla-t-elle. « Vous… »

Harry attrapa son bras, l’interrompant.

« C’est une transe ! » murmura Lavande avec révérence, quelque part derrière eux.

« C’est de la comédie. » rétorqua Hermione. « Elle… »

« Hermione. » siffla-t-il.

Juste à temps.

La voix de Trelawney, trop rauque, résonnait étrangement dans le couloir de pierre brute. Une
voix d’outre tombe qui provoqua un frisson le long de son échine dorsale.

« Trois destins convergent ce jour. » déclara le Professeur de Divination. « Trois hommes de


l’ombre entrent dans la lumière. Le premier trouvera sa vengeance. Le deuxième trouvera sa
rédemption. Le troisième trouvera sa mort. »

Le temps sembla suspendu à son souffle puis elle s’affaissa. Lavande et Parvati se frayèrent
un chemin jusqu’à elle pour la soutenir.

« Professeur ? Professeur, ça va ? » demandèrent-elles avec inquiétude.

« Oui, oui, juste un vertige. » marmonna Trelawney, qui ne semblait pas en mener large. « Un
peu de claustrophobie, peut-être… Vous êtes gentilles, mes petites. »

Harry n’écoutait déjà plus.


Même l’Occlumencie n’aurait pas pu réguler sa panique.

Hermione dû lire dans ses pensées parce qu’elle dégagea le bras qu’il tenait toujours pour
mieux lui agripper la main. « Harry, c’est n’importe quoi. C’est… »

« C’était une vraie prophétie. » coupa-t-il. « Je connais la différence. Severus est en danger.
Je dois… »

Il fit un pas vers là d’où ils venaient mais n’alla pas plus loin.

Parce qu’ils le regardaient tous avec des expressions diverses mais, pour la plupart,
déterminées.

Regarde les. Ils te suivront où que tu ailles.

« Attends, attends… » temporisa Ron. « Même si cette prophétie est vraie, rien ne dit qu’elle
parlait de Snape. »

« Hommes de l’ombre. Ce sont des espions. » contra-t-il.

« Mais Snape n’est plus un espion. » commenta Malfoy, en passant un bras autour des
épaules d’Hermione pour l’attirer contre lui – comme s’il avait peur qu’elle se sauve avec lui.

Ce qui était exactement ce qui allait se passer, réalisa Harry. S’il repartait vers le château, il
ne repartirait pas seul.

Regarde les. Ils te suivront où que tu ailles.

Ils ne pourraient pas les arrêter ou les convaincre de continuer sans lui.

Alors mène les en sécurité.

« Vous devez tous continuer. » ordonna-t-il. « Je… »

« Si tu y retournes, on vient. » l’interrompit Neville.

« Parle pour toi. » cracha Malfoy. « Potter, c’est stupide. Cette vieille peau n’a jamais fait une
seule véritable prophétie de sa vie entière. »

Trelawney protesta fortement le manque de respect mais, mis à part Lavande et Parvati,
personne ne lui prêtait attention. Le conciliabule devait pourtant avoir attiré l’attention des
Professeurs à l’avant parce que Burbage demanda, au loin, pourquoi ils s’étaient arrêtés.

Et Malfoy avait tort.

Il y avait une prophétie qui était véridique, celle qu’elle avait fait en troisième année. Et
quant à celle que Severus avait interrompue et qui avait été la catalyse de tellement
d’événements… Celle-là aussi paraissait vraie.
« Trois espions. » répéta-t-il, à voix basse. Comme pour lui-même. Il y avait Severus. Il y
avait l’espion de l’Ordre. Et, personne ne l’avait dit mais vu les informations sur la baguette
de Voldemort… Dumbledore avait bien dû remplacer Sev. Ça collait. Ça collait trop bien.
Son père ne cherchait pas vengeance et il se pouvait tout à fait qu’il soit davantage concerné
par la rédemption qu’il désirait si fort mais…

Le troisième trouvera sa mort.

Soudain, il se passa quelque chose.

Il ne parvint pas immédiatement à mettre le doigt sur ce qui l’avait perturbé parce qu’il ne se
passa rien de visible.

Puis il réalisa.

Le sortilège de protection qu’ils avaient jeté sur Poudlard et qui les accompagnait comme une
légère vibration dans l’air, presque indiscernable, depuis qu’il avait été lancé… Il venait de
disparaître.

Regarde les. Ils te suivront où que tu ailles. Alors mène les en sécurité.

Il n’était pas fait pour mener les gens en sécurité.

Peut-être qu’il n’était pas fait pour être Médicomage non plus, au final.

Parce qu’à cet instant précis, à la croisée des chemins, il découvrit que ce n’était même pas
un choix à faire. Il rencontra le regard de Ron qui s’endurcit, puis celui d’Hermione qui lui
sourit courageusement. Ils n’avaient pas besoin de mots. Pas depuis qu’ils avaient affronté un
Troll des montagnes.

Alors il partit en courant, ignorant les appels de Trelawney ou ceux des autres Professeurs,
trop conscient des bruits de course qui le suivaient de près.

°O°O°O°O°

Potter allait s’enfuir, retourner droit vers le danger, Draco le lut dans ses yeux une demi-
seconde avant qu’il ne le fasse.

Il resserra son étreinte sur Granger pile au moment où le Gryffondor se détournait et partait
en courant, la retenant contre son grès.

« Non ! » lui interdit-il. « C’est… »

Elle se dégagea brutalement et se tourna pour lui faire face.

Autour d’eux, plusieurs de leurs amis partirent à la suite de Potter comme s’ils étaient
poursuivis par des hippogriffes enragés. Comme s’ils étaient pressés d’aller se faire
massacrer.
« Je dois y aller. » déclara Granger, avec cette expression entêtée qu’il détestait parce que
c’était toujours la même chose, toujours la même histoire… Il fallait toujours qu’elle fonce
tête la première vers le danger, en portant haut l’étendard de Saint Potter, et…

Non.

« Tu vas te faire tuer. » grinça-t-il, en attrapant ses bras.

Il savait qu’il serrait assez fort pour laisser des bleus mais il s’en moquait.

Tout pour la retenir.

Tout pour la sauver.

Tout pour…

« Draco… » Soudain, elle était contre lui, ses mains sur ses joues… Elle l’embrassa. Elle
l’embrassa comme si c’était la dernière fois et cela lui donna envie de hurler, de… « Je
t’aime. »

Les mots le choquèrent.

Suffisamment pour qu’elle échappe à sa poigne et fasse volteface.

Elle fût avalée par l’obscurité avant qu’il ait pu tenter à nouveau de la rattraper.

Elle ne lui demanda pas de venir avec elle.

Parce qu’elle savait qu’il voulait rester neutre, parce qu’il avait été clair sur le sujet un
nombre incalculable de fois, parce qu’il était déjà mort une fois cette année, parce que…

Il aurait aimé qu’elle le lui demande, lui laisse l’opportunité de changer d’avis ou de lui
prouver, une nouvelle fois, que ses sentiments surpassaient ses convictions.

Il aurait aimé qu’elle lui laisse le temps de répondre qu’il l’aimait aussi.

Il hésita à la suivre.

Il fit un pas, puis son attention fût détournée par Daphné qui criait sur sa sœur.

Avant qu’il ait compris ce qui se passait, elle avait poussé Astoria vers lui et il rattrapa la
quatrième année par réflexe.

« Empêche la de nous suivre. » ordonna Daphné, avant de se détourner.

Blaise était déjà un peu plus loin dans le tunnel, comme si…

« Vous n’êtes pas sérieux ! » protesta-t-il.

« Garde un œil sur les autres. » demanda son meilleur ami, avant de partir en courant à la
suite de Potter et des membres de l’A.D. qui avaient décidé que leur vie ne valait rien ou si
peu.

Astoria se débattait contre lui mais il ne la lâcha pas.

Burbage et Vector les avaient finalement rejoints, remettaient de l’ordre…

Mais tous ceux qui voulaient retourner se battre étaient déjà partis.

Et lorsqu’il regarda autour de lui, Draco réalisa qu’il restait peu de membres de l’A.D.
Astoria qui continuait à se débattre et s’était mise à pleurer, Jones… Cho Chang qui paressait
avoir été stoppée par Trelawney avant d’avoir pu partir et exprimait clairement son
mécontentement…

Il restait d’autres cinquièmes années autour d’eux, des Serdaigles, des Poufsouffles, la quasi-
totalité des Serpentards…

Mais aucun Gryffondor.

°O°O°O°O°

Les hurlements de Sirius le déchiraient. Il ne parvenait pas à les occluder. Pas plus qu’il ne
pouvait occluder la terreur sourde qui l’avait pris aux tripes.

Parce que, alors même qu’il prenait une décision stupide, il espérait que quelqu’un d’autre
relaierait Grindelwald.

Nymphadora aurait dû prendre la relève, ne serait-ce que le temps qu’Albus rejoigne la tour
d’astronomie. Elle aurait dû…

Mais les secondes s’égrenaient et il ne se passait rien.

S’était-elle attardée pour tenter de sauver le mage noir ? Était-elle en train de se battre ?

Les secondes passaient, le sort faiblissait et ne tarderait pas à se rompre…

Severus changea d’incantation.

Le pouvoir afflua vers lui.

La magie de Minerva, de Filius, d’Horace… Leur magie le heurta comme un torrent déchainé
et il rejeta la tête en arrière, incapable, l’espace d’un instant, d’en juguler la force.

C’était pour ça qu’il fallait un sorcier extrêmement puissant pour jouer la clef de voûte.

Il aurait été trop facile de se laisser écraser par le sort.

Lentement, luttant contre la magie qui voulait l’engloutir, il leva la baguette… La magie fusa
vers le plafond.

Et il sentit la sphère de Troie s’affirmer à nouveau.


Excepté que ce n’était plus une sphère.

La clef de voûte aurait dû être au milieu, entre les quatre points cardinaux représentés par les
ancres… Il manquait une ancre désormais pour stabiliser le sort et il n’était pas au centre.

Ils avaient perdu une partie du parc.

Les protections de Poudlard tenaient toujours mais pour combien de temps ?

Que se passait-il là-dehors ?

Il n’eut pas le temps de se poser longtemps la question.

Tenir le sortilège était épuisant, éreintant, demandait toute sa concentration…

Les hurlements de Sirius se turent enfin, sans qu’il ne sache si c’était une bonne ou une
mauvaise chose.

Au prix d’un effort, il tourna la tête vers son ami, le trouva allongé au sol, inconscient, le
corps agité de tressautements, sa baguette à un bon mètre de sa main…

Vivant mais pour combien de temps ?

Il reporta son attention sur les bottes qui entrèrent dans son champ de vision, remonta les
yeux le long du jean usé, du tee-shirt avec un accroc près du bord, passa sur le visage
d’Anthony…

Et il n’était pas du tout surpris.

Pourquoi n’était-il pas du tout surpris ?

Diviser son attention entre le sort et l’espion qui venait de sortir de l’ombre lui donnait
l’impression de passer son cerveau à la broyeuse.

Le dragonnier s’accroupit lentement devant lui, laissant suffisamment de distance pour que
Severus ne puisse pas l’atteindre même s’il l’avait voulu.

« Tu es en train de te demander pourquoi tu n’es pas surpris. Je me trompe ? » demanda


calmement Anthony.

Le Maître des Potions ne cessa pas de psalmodier, ne cessa pas d’alimenter le sortilège…

« Il existe un sort bien pratique qu’on utilise sur les dragons pour leur suggérer des choses,
les garder calmes, détourner leur attention vers autre chose que la seringue qu’on utilise pour
leur prélever du sang, par exemple. Un peu comme un vers planté dans leur esprit qui ferait
son chemin, tu vois ? » continua le dragonnier, du même ton calme, détaché. « Déconseillé
sur les humains, bien sûr, mais j’ai toujours été bon en Sortilèges. En l’adaptant un peu…
Dès que vous commenciez à trop vous intéresser à moi, à me soupçonner, le sort se
déclenchait automatiquement. Vous deveniez sereins, vous oubliez immédiatement pourquoi
j’aurais pu vous intéresser… Je n’ai jamais été un danger dans votre esprit, à peine une
curiosité. »

L’idée était suffisamment brillante pour que Severus en conçoive de la rancœur de ne pas y
avoir pensé plus tôt – cela aurait été bien pratique durant ses propres années d’espionnage. Et
de l’incrédulité. Parce que…

« C’est plus délicat sur des Occlumens. » confirma l’homme, comme s’il avait suivi son
raisonnement. « Mais vous avez tous vos défauts. Dumbledore est arrogant et j’étais bien trop
insignifiant pour lui, il ne s’est même pas méfié, n’a même pas pensé que je pouvais exceller
en magie de l’esprit… Et toi… » Anthony laissa échapper un bruit amer. « Toi, c’était plus
dur. Au lieu de te pousser à m’oublier, j’ai dû te pousser à t’intéresser à quelqu’un d’autre.
Quelqu’un comme Nyssa. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi tu étais obsédé par l’idée
qu’elle puisse être la taupe alors que tous les signes la disculpaient ? » Il haussa les épaules.
« Sirius a des dons d’Occlumens mais ils ne sont pas très bons, c’était facile. Quant à
Tonks… Elle commençait à lutter contre le sort sans même s’en rendre compte, des derniers
temps. Je ne comprenais pas comment elle faisait jusqu’à ce que Charlie me dise que tu avais
commencé à l’entraîner à l’Occlumencie. Elle a essayé de me mentir, en me disant qu’elle y
avait à peine touché mais… Tu l’avais déjà contaminée. J’ai dû ajuster le sort. »

Severus n’osa pas détourner les yeux de l’espion, pas même lorsqu’il sentit, plus qu’il ne le
vit, Sirius bouger.

Le regard d’Anthony voyagea jusqu’à l’Animagus et il pointa sa baguette sur lui. « Attends
ton tour, tu veux. Je vais te tuer dans deux minutes mais d’abord je veux savourer. »

Savourer quoi ?

« Connard… » siffla Black, en toussotant.

Severus l’entendit distinctement cracher. Il espéra que ce n’était pas du sang. C’était un
danger avec l’endoloris : se mordre la langue, arracher accidentellement un bon bout de sa
propre joue en verrouillant les mâchoires par réflexe sous le coup de la douleur…

« Connard ? » répéta Anthony, de la haine pure, sourde, dans la voix. « Vous m’avez tout pris
et c’est moi le connard ? Deux fois. Deux fois, vous avez tout détruit… » Il secoua la tête,
une détresse véritable dans le regard. « Je m’étais reconstruit, putain. J’étais heureux. J’avais
Charlie. Je… » Il s’interrompit brusquement. « Endoloris. »

Severus grimaça, non sans compassion ou inquiétude pour l’Animagus qui hurlait à nouveau.
Il continua à psalmodier, inlassablement.

Anthony ne maintint pas longtemps l’Impardonnable.

Sirius était toujours conscient.

Il s’étouffait, crachait et toussait, ses mains raclaient le sol alors qu’il tentait d’aspirer de l’air
à grosses goulées…
« Toi, je vais te tuer et je vais y prendre plaisir. » déclara Anthony, en s’adressant à
l’Animagus. « Parce que tu es le plus hypocrite des deux. Le grand Sirius Black, accusé à
tort, hein ? Tu n’es pas un meurtrier, hein, Sirius ? Réponds ! »

De manière mal avisée, peut-être, Sirius chercha à se repousser sur ses genoux, à foudroyer le
dragonnier du regard.

« Je n’ai jamais tué que des gens qui le méritaient. » cracha Black. « Des gens comme toi.
Des Mange… »

« Et ma mère elle le méritait ? » l’interrompit Anthony, dans un cri qui résonna dans le hall
désert. Il se repoussa sur ses pieds, se mit à faire les cent pas. « Elle n’avait jamais fait de mal
à personne, ma mère. C’était une musicienne, une artiste. Elle rendait le monde plus beau.
Elle s’est juste trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment. » Sirius s’était brutalement
tut et eut un mouvement de recul lorsque le dragonnier pointa un doigt accusateur sur eux
deux. « Elle s’est retrouvée entre vous et vous étiez aveugle à tout ce qui n’était pas l’autre,
hein ? Vous vous détestiez tellement… Et cette pute de Lily Potter a décidé d’enterrer la
vérité ! Elle a dit que c’était des Mangemorts mais c’est faux ! C’est faux ! J’ai tout vu ! » Sa
voix retomba à un volume plus normal, plus naturel. « J’ai tout vu et c’était toi. »

Sirius demeura au sol, interdit, choqué. « Non… Je… »

« J’ai tout vu, je te dis. Ne nie pas. » siffla le dragonnier, en pointant sa baguette vers Black.
« Ils t’ont jeté à Azkaban et je me suis dit… Justice est faite. Lui… » Il désigna Severus d’un
coup de tête. « Je ne savais pas qui c’était, il était masqué et je n’avais qu’un surnom. Lily
Potter, cette nuit là, quand elle expliquait à son mari pourquoi il ne fallait rien dire, parce que
ça te tuerait de savoir, Sirius, comme si mes parents à moi comptaient moins que ta putain de
conscience, elle a dit Sev. Il visait Sev. »

Severus reçut cette information comme un coup au cœur.

C’était sans importance comparé au reste, bien entendu, mais… Que Lily ait toujours utilisé
son surnom tant d’années après… Qu’elle ait toujours pensé à lui comme à son ancien
meilleur ami et pas… Elle aurait pu mettre de la distance, l’appeler Snape ou même
simplement Severus. Mais Sev…

« Je ne suis pas allé à Poudlard, je n’en avais pas les moyens. Il a fallu attendre que Charlie
me traine ici pour que je comprenne qui était Sev. » expliqua Anthony. « Severus Snape.
L’homme qui a tué mon père simplement parce qu’il le pouvait. À peine un coup d’œil. À
peine une pensée. Oublié dès le sort de mort jeté. Je me trompe ? »

Le Maître des Potions ne répondit pas, ne se détourna pas du sortilège.

Mais il ne chercha pas à nier non plus.

Il ne se souvenait pas.

Des nuits comme celles que le jeune homme décrivait, il y en avait eu des tas.
Mais cela ne paraissait pas improbable.

Il y avait eu une époque où il avait tué sans trop de regrets, de descriminations ou de remords.

Il n’avait jamais prétendu être meilleur qu’il n’était.

Tout ce qu’il pouvait faire était tenter de faire mieux, à présent.

Anthony haussa les épaules, la baguette qu’il pointait vers Sirius ne tremblait pas.

« J’ai attendu ma vengeance tellement longtemps. » murmura-t-il. « Toi, je vais te tuer. Mais,
toi… » Tenant toujours l’Animagus en respect, le dragonnier revint s’accroupir devant
Severus. « Toi, Lord Voldemort te veut. C’était le prix à payer et tu seras mort bientôt de
toute manière, probablement dans d’atroces souffrances, mais pas de ma main. Alors il me
fallait trouver autre chose pour me venger. »

Le nom fit flamber la Marque avec suffisamment de violence pour qu’il rate une syllabe. Le
sort fluctua puis se stabilisa.

« Je te hais encore plus pour ce que tu m’as fait faire, tu sais. » cracha le dragonnier, le ton
triste. « Le reste, Charlie aurait pu me le pardonner, même l’Impérium et les sorts de
confusion, même les mensonges, mais ça… Ça je ne sais pas comment on va en revenir,
comment je vais le convaincre de me pardonner. Il l’aime. Moi aussi je l’aime, je l’ai adorée
dès qu’il me l’a présentée… C’est notre meilleure amie. Comment on va revenir de ça, hein ?
Mais je n’avais pas le choix. Lorsque j’ai compris que tu l’aimais vraiment… Lorsque j’ai
compris à quel point tu l’aimais… »

Non.

Non, non, non.

Quoi qu’il ait fait, quoi qu’il ait tenté…

Nymphadora le valait dix fois.

Il n’aurait jamais pu la vaincre.

Il n’aurait jamais pu…

Et comme pour lui donner raison, il sentit quelque chose au niveau du sort, une cinquième
personne qui se liait progressivement à eux, qui cherchait à reprendre le contrôle… Il
abandonna l’incantation de la clef de voûte pour revenir à celle des ancres avec soulagement,
attendit de sentir la magie de Nymphadora embrasser la leur, attendit cette confirmation
que…

« Il y a plus d’une manière d’arracher le cœur de quelqu’un. » lâcha le dragonnier.

Severus entendit à peine l’exclamation choquée de Sirius.

Il jeta sa magie vers la nouvelle venue, désespéré de la sentir, de…


Ce n’était pas la magie de Nymphadora qui rencontra la sienne mais une qu’il connaissait par
cœur, ardente comme la flamme d’un phœnix. C’était celle d’Albus.

« J’ai demandé à Charlie de la poignarder en plein cœur. » murmura Anthony.

Celui de Severus manqua plusieurs battements à mesure que l’horreur l’envahissait. Le déni
fût immédiat, le…

Mais elle ne se serait pas méfiée.

Elle ne se serait jamais méfiée de Charlie Weasley.

« C’est presque plus poétique comme vengeance, au final. » se moqua le traître. « Avant que
Voldemort te tue, tu devras vivre avec ça : elle est morte à cause de toi. Parce que tu l’aimais
et uniquement pour ça. »

Severus ne pouvait plus respirer.

Il déversa moins de pouvoir dans le sortilège, ne contrôlait plus sa magie…

Il ne pouvait plus respirer.

Nymphadora.

Nymphadora…

Avec un hurlement de rage pure, Sirius se jeta sur Anthony.

°O°O°O°O°

Albus quittait la tour où Minerva et Aurora étaient retranchées, après avoir vérifié que tout
allait bien et s’être servi des hauteurs pour surveiller le combat qui s’était engagé aux grilles,
lorsqu’il sentit la sphère de Troie flancher.

Moins d’une minute plus tard, le sort sembla se stabiliser à nouveau mais quelque chose
n’allait pas. Il lui semblait bancal. Poudlard était plus vulnérable. Une des ancres avait dû
prendre le relais en tant que clef de voûte, supposa-t-il.

Sans hésiter, sans même prendre la peine d’y réfléchir, il se mit à courir vers la tour
d’astronomie.

Il n’était plus assez jeune pour que la chose soit aisée et il était déjà à bout de souffle, et avait
perdu de précieuses minutes, lorsqu’il arriva en bas des marches.

Charlie et Anthony n’étaient plus à leur poste.

Mais au sol…

De minces traces de sang.


Un loup argenté apparut soudain, parlant avec la voix de Remus. « La sphère ne couvre plus
le parc. Demande instructions. »

Il fit apparaître un patronus et le renvoya dans le même geste. « Tenez-vous prêt mais
n’engagez pas à moins qu’ils ne passent les protections. »

Il s’élança dans l’escalier, baguette au poing et cœur battant, observant avec horreur les
tâches de sang grandir jusqu’à former des empreintes nettes de bottes à mesure qu’il grimpait
les étages. Il attendit et attendit que quelqu’un reprenne la place de la véritable clef de voûte,
que le sort se stabilise, mais il ne se passa rien.

Pour cette raison, il savait ce qu’il allait trouver en arrivant au sommet.

Il savait et il s’y prépara.

Cependant, on n’était jamais prêt pour ce genre de choses.

Il se dit de ne pas regarder vers le centre de la tour, de rester aux aguets au cas où l’ennemi se
dissimulerait toujours là haut, bien que les empreintes sanglantes semblent indiquer que
quelqu’un était déjà parti…

La première chose qu’il vit lorsqu’il atteignit la pièce fût pourtant Gellert.

Sur le dos, les yeux vitreux, une main tombée négligemment au dessus de sa tête en une
position qui aurait pu évoquer un sommeil agréable si sa baguette n’avait pas été à quelques
centimètres de ses doigts, ses jambes étaient repliées sous son corps… Il avait dû être à
genoux lorsqu’il était mort.

Une exécution.

Il ne pouvait pas détourner les yeux.

Que ce soit pour déterminer s’il y avait un danger ou prendre sa place, il ne pouvait pas
détourner les yeux.

Gellert.

Gellert.

Gellert.

Puis il entendit le gargouillis.

Des années de réflexes prenant le pas sur son choc, il se tourna en direction du bruit, levant
plus haut sa baguette…

Et il la vit.

Baignant dans son sang.


Vivante mais à peine.

Tonks était encore consciente mais cela semblait tenir du miracle.

Il s’agenouilla à côté d’elle, captant son regard paniqué…

Elle était si pâle…

Et il y avait tellement de sang sur elle, autour d’elle… Ses robes bleues en étaient imbibées…

Il jeta un sort de diagnostic, par acquis de conscience. La lame l’avait touchée à l’abdomen.
À quelques centimètres, elle l’aurait prise en plein cœur et serait morte sur le coup. Était-ce
une bonne chose, cependant, que la plaie soit plus basse ? Les dégâts étaient importants et il
aurait pu les soigner s’il avait eu le temps de le faire.

Néanmoins, il y avait plus urgent.

Poudlard devait passer avant elle.

Combien de sang avait-elle perdu ? Combien de temps lui restait-il ? C’était l’hémorragie qui
allait la tuer.

À regret, il sortit de sa poche les deux fioles de reconstituant sanguin qu’il avait sur lui et la
força à les avaler. Deux était une forte dose, déconseillée, mais étant donné la quantité de
sang perdu, il espérait que cela l’aiderait à en synthétiser davantage plus rapidement. Elle
était perdue de toute manière sans soin immédiat, pourtant il voulait lui donner une chance. Il
jeta un sort de compression sur la plaie, espérant que cela ralentirait l’hémorragie à défaut de
l’arrêter…

Peut-être, si quelqu’un venait voir ce qui s’était passé avec la clef de voûte, un autre membre
de l’Ordre, peut-être…

« Je regrette, Tonks, je ne peux pas faire davantage. » offrit-il, en pressant la main poisseuse
de sang de la jeune femme. « Ce sera à vous de faire le reste. »

Elle était très visiblement désorientée mais essaya d’ouvrir la bouche, sembla incapable
d’émettre autre chose qu’un gargouillement qui tenait presque du sifflement… Un nom
commençant par S, peut-être.

Il avait une bonne idée de ce qu’elle essayait de dire.

Il savait ce qu’il aurait voulu dire à Gellert s’il avait été moins idiot.

À l’orée de la mort, c’étaient généralement des paroles d’amour qui venaient.

« Je le lui dirai. » promit-il. Il serra sa main, tâchant de ne pas remarquer à quel point, déjà,
elle était froide, et se redressa pour aller se tenir au centre de la tour.

Il ne laissa pas ses yeux dériver vers Gellert lorsqu’il s’agenouilla, ne se laissa pas attendrir
par la vue de la jeune femme qui agonisait devant lui.
Il ne se laissa pas distraire.

Il plaça la main couverte du sang de la sorcière contre la pierre, ferma les paupières et entama
l’incantation…

Il fût immédiatement happé par la communion des magies familières.

C’était Severus qui avait joué les clefs de voûte jusque là mais, à la seconde où il sentit la
présence d’Albus, le Maître des Potions abandonna le rôle pour revenir se fondre avec les
autres ancres…

Le sortilège était… grisant.

Et difficile à contrôler même pour lui.

Il ne fût donc pas surpris que Severus ne semble plus contribuer autant. Il sentait sa magie
mais elle était ténue par rapport à celle des autres ancres.

Et puis, d’un coup, elle disparut.

Il accusa le choc, tout comme Filius, Horace et Minerva qui, après un moment de flottement,
déversèrent davantage de pouvoir pour compenser la chose. Ils trouvèrent un nouveau point
d’équilibre mais le sortilège fonctionnait moins bien, il devait compenser davantage…

Albus attendit, s’efforçant de juguler le flux de magie au mieux, persuadé que Sirius allait
prendre le relais d’une seconde à l’autre, remplacer Severus qui avait dû s’épuiser à jouer les
clefs de voûte…

Il attendit et attendit encore…

°O°O°O°O°

Sirius se jeta sur Anthony avec un hurlement de rage, la haine lui étreignant le cœur.

Tonks.

Tonks.

Chaque battement de son cœur semblait hurler son nom.

Tonks.

Il n’atteignit pas sa cible.

Le dragonnier se redressa avec agilité, cingla l’air de sa baguette et l’Animagus se retrouva


propulsé en sens inverse avec violence.

Droit sur Severus qui, incapable de se défendre et de maintenir le sort en même temps, le prit
de plein fouet.
Ils roulèrent au sol dans un enchevêtrement de jambes et de bras, mettant plusieurs secondes
à se dégager…

Sirius vit sa baguette se précipita vers elle à quatre pattes, ne dût qu’aux réflexes de Severus
qui le tira brusquement en arrière de ne pas prendre, en pleine tête, le sort de mort qui
s’écrasa sur les pierres juste devant lui…

Anthony n’eut pas le temps d’en jeter un second.

Le Maître des Potions avait pris appui sur son épaule juste assez longtemps pour se remettre
sur ses pieds. Son bras gauche était replié contre son abdomen, sa canne perdue, mais cela ne
l’empêcha pas de se jeter corps et âme dans le duel contre le dragonnier.

Sirius en profita pour récupérer sa baguette, roulant sur ses pieds lui-aussi, cherchant
l’ouverture…

Lui et Severus s’étaient entraînés ensemble suffisamment de fois – s’étaient battus l’un
contre l’autre suffisamment de fois – pour être familier avec leur style de combat respectif.
L’ancien Mangemort aurait dû lui laisser de la place, le laisser l’épauler, le laisser…

Il n’y avait aucune entrée possible dans ce combat.

« La sphère ! » ordonna sèchement le Professeur, sans même un regard pour lui. « Il est à
moi ! »

Comprenant ce qu’il voulait, Sirius s’agenouilla à nouveau au sol, jetant un puissant bouclier
autour de lui pour faire bonne mesure et plaça une main contre la pierre sans pourtant quitter
des yeux le duel qui se jouait devant lui.

C’était…

Il avait vu Severus se battre à de multiples reprises, l’avait affronté plus souvent qu’à son
tour, furieux ou humilié, et, pourtant, jamais il ne l’avait vu comme ça.

Le sorcier, même si cela lui faisait mal de l’admettre, était un excellent duelliste, peut-être
l’un des meilleurs qu’il ait jamais affronté à l’exception de Bellatrix, mais sa force résidait
dans sa capacité à garder la tête froide. Severus était calculateur en toutes circonstances mais
jamais autant que lors d’une bataille. Il écoutait son instinct, oui, mais c’était toujours son
cerveau qui contrôlait ses actes, pas ses tripes. Ce n’était pas une tête brûlée.

Excepté ce jour là, apparemment.

Sirius ne se décidait pas à prononcer la formule parce que…

Severus jetait sort sur sort – des sorts plus noirs et potentiellement plus douloureux qu’un
Avada – sans s’embarrasser de s’entourer d’un bouclier ou de véritablement esquiver les
maléfices d’Anthony. Il les déviait, les renvoyait mais… Il ne tenait pas sa garde, ne mesurait
pas la puissance de ses sorts… Il se battait avec un désespoir, une rage qui…

Il allait se faire tuer.


Cet idiot allait se faire tuer.

Tonks.

Il verrouilla le chagrin, la douleur, dans un coin de sa tête. Ce n’était pas le moment. Ce


n’était pas le lieu.

Si seulement Severus avait pu faire l’effort de s’en souvenir…

Avec un grognement de colère, il se remit sur ses pieds sans jeter la formule. Oui, la sphère
aurait dû être la priorité mais ils pouvaient survivre avec trois ancres.

Harry lui avait fait promettre de protéger cet abruti.

Et il comptait bien tenir sa promesse.

Quoi qu’il en coûte.

°O°O°O°O°

Nymphadora agonisait.

Les potions de reconstituant sanguin avaient fait leur office et lui avait acheté un sursis mais,
malgré le sortilège de compression que Dumbledore avait jeté sur la plaie, elle sentait le sang
qui s’écoulait plus vite que son organisme ne le fabriquait, même avec deux doses.

Sa tête roula sur le côté et elle observa, quelques secondes, le vieux sorcier psalmodier, sa
baguette levée droit vers le ciel approvisionnant le faisceau de magie qui formait la sphère…

Si Charlie avait laissé le couteau dans la plaie, elle aurait eu davantage de chances. La lame
aurait efficacement comprimé la plaie. Elle serait probablement toujours en train de mourir
mais…

Des et si ne la sauveraient pas.

Lentement, l’esprit embrouillé, elle tâcha de déterminer où exactement il l’avait touchée, ce


qu’il aurait fallu réparer…

Elle n’était tellement pas douée pour ça, c’était tellement plus dur que de changer une partie
de son corps…

Tous ces livres d’anatomie qu’elle avait avalés pendant sa quatrième année…

Mais si peu d’énergie…

Si peu…

Severus…

Elle aurait voulu…


Severus…

Je t’aime…

Elle ravala un sanglot.

Elle aurait voulu…

°O°O°O°O°

Pour la deuxième fois de sa vie, l’Occlumencie ne lui était d’aucun secours.

Ses boucliers mentaux avaient explosé et lui étaient entièrement inaccessibles.

Était-ce parce que Severus s’y était retrouvé coincé en soixante-quinze que le souvenir de cet
Halloween à Godric’s Hollow était si net dans son esprit ou bien avait-il toujours été là,
attendant son heure pour mieux frapper ? Ce soir là non plus il n’avait pas été capable
d’occluder, pas plus que les mois qui avaient suivis.

Le souvenir était si net.

Si net.

Le poids mort du corps de Lily dans ses bras.

Il était trop facile d’imaginer celui de Nymphadora à la place. Ses yeux gris ouverts mais
vitreux. Ses lèvres entrouvertes sur une dernière expiration. Ses cheveux bruns autour de son
visage. Son corps rendu trop lourd par l’absence de vie.

Il était trop facile de s’imaginer courir jusqu’à la tour d’astronomie, grimper l’escalier,
comme il avait grimpé celui du cottage, pour y trouver… un cadavre.

Nymphadora.

Nymphadora qui était faite pour les rires et la vie, qui distribuait son affection sans compter
et avait plus de courage dans son petit doigt que la majorité des sorciers qu’il avait rencontré
au cours de toute son existence.

Nymphadora qui méritait le monde sur un plateau d’argent mais l’avait choisi, lui, encore et
encore, en dépit de tout.

Nymphadora…

Nymphadora qui était morte parce qu’il l’avait aimée.

Une partie de lui refusait de le croire, refuserait de l’accepter tant qu’il n’aurait pas de
preuve…

Mais, au fond… Au fond, il avait toujours su que cela finirait comme ça. Les gens qu’il osait
aimer le quittaient ou lui étaient arrachés, le plus souvent par sa faute. Il n’avait pas su
protéger Eileen. Il avait causé la perte de Lily. Et, à présent…

Nymphadora.

Il avait vaguement conscience qu’il se battait comme un débutant, qu’il prenait trop de
risques inutiles, que s’il y avait mis un minimum de méthode, il aurait pu vaincre Anthony en
une poignée de minutes et sans une goutte de sueur…

Mais il voyait rouge.

C’était comme un hurlement sans fin dans sa tête.

La douleur.

La terreur, la terreur que ce soit vrai, que…

La douleur dans sa poitrine.

Il y a plus d’une manière d’arracher le cœur de quelqu’un.

Les sorts fusaient et il parait, les déviant ou les renvoyant selon leurs degrés de noirceur,
répliquait avec cruauté… Des Sectumsempra, d’autres de ses créations les plus vicieuses…

Anthony paniquait mais refusait de reculer, ripostait avec tout autant de haine…

Un sort passa la garde de l’ancien Mangemort, laissant une large estafilade sur le côté de sa
gorge.

Quelques centimètres plus à gauche et il aurait touché sa jugulaire.

Ça l’enragea d’autant plus.

« Avada… » siffla-t-il.

Le dragonnier le prit de vitesse avec un autre Diffindo. Ce n’était pas un Sectumsempra mais
il fusait droit vers son torse et ferait des dégâts à l’impact.

Or il n’avait pas de bouclier.

L’espace d’une seconde, il hésita à poursuivre le sort de mort ou ériger un sort de protection à
la place.

Ce fût une seconde de trop.

Une erreur qu’il n’aurait jamais commise en temps normal.

Le Diffindo s’écrasa pourtant sur un protego hâtif qui explosa sous le choc, l’obligeant à
reculer de quelques pas.

Severus n’eut pas le temps de s’interroger.


Black avait profité de sa stupeur pour passer devant lui et engager Anthony.

« Rejoins les autres ancres ! » hurla l’Animagus, entre deux stupefix.

Il ne voulait pas rejoindre les autres ancres.

Il voulait tuer Anthony.

Il voulait le faire saigner.

Il voulait le faire souffrir.

Parce que Nymphadora…

Nymphadora aurait protégé l’école coûte que coûte et aurait fait passer son devoir avant tout
le reste.

Mais Nymphadora était une bonne personne et lui… ne l’était pas.

Mais se faire tuer ne la ramènerait pas, n’aiderait pas Harry et ne sauverait pas Poudlard.

Harry.

Harry était tout ce qu’il lui restait, à présent. Il ne pouvait pas l’abandonner.

À regret, le cœur lourd, il s’obligea à s’écarter du combat, à s’agenouiller à nouveau, à poser


la main au sol…

Elle n’est peut-être pas morte. Il se raccrocha à cet espoir ténu comme un noyé à un radeau
de fortune. Elle n’est peut-être pas morte. Anthony pouvait très bien avoir menti. Charlie
pouvait avoir combattu le sort. Elle avait très bien pu l’immobiliser. Qu’elle n’ait pas pris la
suite de Grindelwald ne voulait rien dire. Rien du tout. Peut-être Albus était-il arrivé à temps
pour l’aider. Peut-être…

Il s’efforça de calmer sa respiration, de remettre en place les boucliers mentaux qui


l’aideraient à se concentrer…

Il n’était tout simplement pas capable de jeter le sort, de faire de la magie à un niveau aussi
élevé, dans l’état dans lequel il était.

Il avait la sensation qu’on lui avait broyé le cœur.

Ses yeux le brûlaient.

Le trou dans sa poitrine…

« Quand tu veux, Servilus ! » beugla Sirius, en roulant au sol pour esquiver un maléfice.

Étrangement ce fût ce surnom, qu’il haïssait mais avait cessé de protester depuis qu’il était
prononcé avec plus d’affection que de mépris, qui lui permit de reprendre un peu ses esprits
alors qu’un plan se dessinait dans sa tête. Il allait rejoindre les ancres, Black allait arrêter
Anthony puis prendre sa place et, lui, pourrait rejoindre la tour d’astronomie pour voir ce
qu’il en était réellement.

Oui…

Oui.

Il n’eut pourtant pas le temps de prononcer plus d’une syllabe.

La sphère de Troie implosa.

Et, une seconde plus tard, les protections de Poudlard suivirent.

°O°O°O°O°

Severus ne revenait pas dans le sortilège et Sirius ne prenait pas le relais.

Albus tentait de compenser au mieux, les trois autres ancres en faisaient de même, mais cela
demandait davantage de puissance, davantage de concentration, davantage de…

Si personne ne prenait la place de la quatrième ancre, ils ne tiendraient pas longtemps.

Que s’était-il passé ?

La personne qui avait attaqué Tonks avait-elle frappé dans le hall ? Qu’en était-il de Charlie
et d’Anthony ? L’un d’eux était-il le traitre ? Les deux ? Ou bien avaient-ils été les premières
victimes ?

Et, plus préoccupant, qui serait la…

Une autre ancre disparut brutalement, trop brutalement, il tenta de compenser à nouveau avec
l’aide des deux qui restaient mais…

Il perdit le contrôle.

La sphère de Troie implosa.

L’onde magique fût telle…

Elle heurta les protections qui entouraient Poudlard, les réduisant à néant.

Et Albus, qui en ressentit la disparition dans sa chair, trop intrinsèquement lié à l’école pour
qu’il en soit autrement à ce moment là, s’écroula dans un hurlement de souffrance pure qui
donna voix à ce que Poudlard éprouvait.

°O°O°O°O°

Bill n’avait aucune idée de ce qu’il se passait précisément mais, très clairement, quelque
chose ne s’était pas déroulé comme prévu.
De la petite cours que leur avait assignée Snape, Bill ne pouvait pas voir grand-chose d’autre
que le dôme bleuté au-dessus de leur tête qui les protégeait de la pluie. Flitwick était
agenouillé au centre et le Briseur de Sort gardait un œil sur les différents points d’accès.

La sphère de Troie était en place.

Mais elle avait déjà faibli une fois avant de brusquement se déformer, ce qui lui avait fait dire
qu’il était arrivé quelque chose à la clef de voûte et qu’une autre ancre, probablement Snape
vu la direction qu’avait pris la sphère, avait pris le relais. Puis, après de longues minutes, le
sortilège s’était à nouveau arrondi et avait repris l’aspect qu’il était censé avoir.

Et puis Flitwick avait commencé à grimacer comme si le sortilège lui demandait beaucoup
plus qu’il n’avait à donner, comme s’il s’épuisait plus vite que prévu.

Bill se tenait prêt au cas où le Professeur de Sortilège éprouve le besoin de se faire relayer.

Il guettait le moindre signe d’affaiblissement, tout en surveillant du coin de l’œil les arches
qui menaient à l’intérieur du château…

Il repéra le mouvement avant d’en identifier la source et pivota, jetant un sort de bouclier, un
autre sort défensif déjà sur les lèvres…

… avant d’abaisser sa baguette en reconnaissant son frère.

« Charlie ? » s’inquiéta-t-il.

Sa chemise était tâchée de sang, beaucoup de sang, et il y avait des traces de larmes sur ses
joues bien que son expression soit désormais neutre, presque trop détachée. Sa baguette
pendait mollement le long de son bras…

En une seconde, Bill s’inventa une explication qui paraissait la plus sensée, étant donné les
informations dont il disposait : quelqu’un les avait attaqués lui et Anthony pour atteindre la
clef de voûte, Anthony était probablement blessé quelque part – pas mort parce que le
sortilège qui les liait aurait également tué son frère si ça avait été le cas – et Charlie était venu
chercher de l’aide…

Il ne réagit pas lorsque Charlie leva brusquement sa baguette.

Il ne comprit pas lorsque l’éclat vert fusa.

Il n’eut même pas le temps de retenir sa respiration, son cœur rata un battement, il attendit la
mort, incrédule, puis se rendit compte, l’instant d’après que ce n’était pas lui que son frère
avait visé.

Le sort de mort ne s’accompagnait pas d’une fanfare.

Lorsque Bill se retourna vers son ancien Professeur de Sortilèges, son Professeur favori, ce
fût pour le trouver gisant au sol, les yeux clos, sa baguette toujours fermement serrée dans
son poing comme si même la mort n’avait osé désarmer l’ancien champion de duel.
Au-dessus d’eux, le dôme bleuté implosa et ils furent balayés par l’onde de choc.

Sa tête heurta un muret et ce fût le trou noir.

°O°O°O°O°

Burbage et Vector les avaient menés beaucoup plus loin que ce qu’Harry l’avait cru au
premier abord, ils avaient à peine atteint une partie plus familière des cachots – du moins
familière pour lui, Zabini et Greengrass, les autres étaient perdus – lorsqu’ils sentirent l’onde
de choc balayer le château vers le bas.

Plusieurs des filles poussèrent des petits cris effrayés et surpris.

Beaucoup d’entre eux s’accroupirent par réflexe, protégeant leurs têtes.

« Qu’est-ce que c’était ? » demanda Lavande.

Ils retinrent tous leur respiration, levant la tête vers le plafond comme s’ils s’attendaient à ce
que l’école s’écroule…

Après quelques secondes, il fût évident qu’ils ne courraient pas de danger immédiat et ils se
détendirent tous un peu.

« Les protections. » lâcha finalement Hermione, d’un ton qui laissait percevoir sa frayeur.
« Je crois… Je crois que c’étaient les protections de l’école. Elles sont tombées. »

Ils s’entre-regardèrent tous, mesurant la portée de la chose.

Puis Harry s’élança à nouveau en direction du hall, plus terrifié que jamais pour son père.

°O°O°O°O°

Lunard ne savait pas ce qu’il se passait à l’intérieur et le besoin d’aller vérifier le démangeait.

Mais Albus avait été clair dans son patronus… Ils devaient tenir leurs positions…

Au loin, porté par le vent, il pouvait entendre le bruit de la bataille qui faisait rage devant
l’école. En lui, le loup s’agitait de plus en plus, impatient de rejoindre les combats, de faire sa
part…

Par trois fois déjà, il avait examiné la ligne de défense que formaient les recrues et les élèves
sous ses ordres, avait conféré avec Hagrid, avait jeté un coup d’œil aux plantes de
Chourave…

Malgré les instructions du Directeur, il était en train d’hésiter à aller jeter un coup d’œil dans
le hall, juste pour voir si Sirius savait ce qu’il s’était passé avec la clef de voûte un peu plus
tôt lorsque, soudain, sans crier gare, la sphère bleutée qui les entourait implosa, suivie de près
par les protections de Poudlard.

Il n’eut pas le temps de crier un avertissement, encore moins celui de dresser un bouclier.
Soufflé par l’explosion, son corps s’envola comme un grain de poussière balayé par le vent
pour retomber au sol quelques mètres plus loin. Le crachin avait rendu la terre meuble et, s’il
eut la respiration coupée, il en serait quitte pour quelques bleus…

Sonné, toutefois, il resta couché là quelques secondes, la pluie ruisselant à nouveau sur eux
maintenant que la sphère n’était plus là…

Et puis il l’entendit.

Le bruit des grilles qui explosaient.

La clameur.

Il doutait que ce soient les Aurors qui soient en train de crier victoire…

Quelques secondes plus tard, les premiers Mangemorts entraient dans son champ de vision.

°O°O°O°O°

Poudlard les protégea du plus gros de l’onde de choc mais Severus en ressentit tout de même
l’impact jusque dans ses os.

Sirius et Anthony continuaient leur duel qui les emportait vers l’escalier, imperturbables.

Le Professeur se remit difficilement sur ses pieds, voulut les rejoindre…

Sa jambe se rappela à son mauvais souvenir à cet instant précis mais il renonça à ramasser la
canne qui avait roulé dans un coin du hall. Sa main gauche… Il ne parviendrait pas à l’ouvrir,
encore moins à tenir quoi que ce soit.

La Marque était en feu.

Et cela faisait pourtant moins mal que le chagrin qui lui enserrait la gorge.

Il aurait voulu se précipiter vers les étages, il n’en eut pas le temps.

De l’extérieur retentissait la clameur d’une armée qui chargeait.

Il fit volte-face et claudiqua vers les portes d’entrée, déterminé à ne pas laisser le Seigneur
des Ténèbres prendre l’école.

Il eut à peine le temps de passer le seuil.

Il vit la fiole jetée par un Mangemort sur un balai, en suivit l’arc de cercle des yeux, eut à
peine le temps de se jeter en avant…

Le mur explosa et il fût projeté en l’air, alors qu’une avalanche de briques bouchait l’accès au
hall derrière lui.

°O°O°O°O°
Sirius sentit le souffle de l’explosion dans son dos mais il était suffisamment loin pour ne pas
être touché.

Il ne détourna pas son attention d’Anthony qui était bien meilleur duelliste qu’il ne l’avait
laissé paraître. Ou, peut-être, était-il juste très déterminé à le tuer.

Il ne voyait plus Severus, ne l’entendait plus…

Il risqua un coup d’œil, deux…

La poussière flottait dans l’air, le mur à moitié affaissé bouchait la lumière – et l’accès au
parc…

« Avada Kedavra ! » hurla Anthony.

Sirius sauta sur le côté, se fondit dans sa forme Animagus pour mieux se jeter sur lui, se vit
repoussé par un sortilège qui, il en était sûr, était généralement utilisé sur des dragons…

Il roula au sol quelques mètres plus loin, la patte arrière meurtrie ce qui se traduirait très
certainement par une jolie entorse sous sa forme humaine… Il ne laissa pas ça l’arrêter
pourtant. Il se retransforma, terminant son roulé-boulé accroupi pour mieux viser le
dragonnier de sa baguette…

« Expelliarmus ! » hurla une voix familière. La baguette d’Anthony s’envola. « Stupefix ! »

L’espace d’une seconde, à travers les particules de poussière en suspension, Sirius aurait pu
jurer que c’était James revenu d’entre les morts pour le sauver.

Puis son cœur se serra lorsqu’il comprit que ce n’était pas James mais Harry.

Et, comme si cela ne suffisait pas, la quasi-totalité de l’A.D. déboula des cachots à sa suite.

Alors que, au-dehors, il pouvait déjà entendre le choc de deux groupes s’affrontant.

La dernière chose dont il avait besoin était d’adolescents susceptibles de se faire tuer au
milieu.

« Incarcerem. » lança Hermione calmement.

Anthony tomba lourdement au sol, proprement ligoté.

« Attends, c’est le fiancé de mon frère ! » protesta Ron, l’air éberlué. « Qu’est-ce qui se passe
ici ? »

« Où est Severus ? » demanda Harry, l’air inquiet, en fouillant le hall du regard.

Sirius ouvrit la bouche – pour dire quoi ? Ça, il n’en était pas sûr, pour ce qu’il en savait
Severus était mort sous les décombres… Mais il n’eut pas le temps de répondre, de toute
manière.
Il y eut une détonation au niveau de la Grande Salle, il entendit un bruit de verre brisé qui
n’augurait rien de bon pour les vitraux, et puis…

La Dame Grise passa à travers le mur à tout allure, un air alarmé sur le visage.

« Les Mangemorts sont dans l’école ! Courrez ! » ordonna-t-elle.

Sirius n’hésita pas une seconde.

« Fuyez ! » répéta-t-il, en faisant un pas vers eux, tentant de les aiguiller vers les étages.
« Allez ! »

Certains élèves obéirent.

Pas tous.

Il n’eut pas le temps de faire le compte.

À peine celui de se retourner pour parer le maléfice qui fusait vers lui.

°O°O°O°O°

Draco avait gardé une prise ferme sur le bras d’Astoria durant les longues dernières minutes
alors qu’il la forçait à avancer, à suivre le troupeau des élèves qui, eux-mêmes, suivaient les
Professeurs d’Étude des Moldus et d’Arithmancie..

« Ce n’est pas juste. » se plaignit Astoria. « Ginny et Luna… »

« Vont probablement se faire tuer. » termina-t-il sèchement.

Et Granger avec.

Ce tunnel n’en finirait-il jamais ? Depuis combien de temps marchaient-ils ?

Soudain, comme en réponse à ses prières, le groupe pila net. Il y eut quelques
marmonnements, quelques protestations alors que les élèves se bousculaient
accidentellement, bien vite remplacés par les éclats de voix des Professeurs à l’avant et des
premières années qui hurlaient de terreur…

Draco essaya de se frayer un chemin à travers les quelques cinquièmes années restants et les
quatrième années qui lui bouchaient la vue, trainant Astoria avec lui…

Il joua des coudes juste à temps pour apercevoir deux éclats verts.

Vector et Burbage moururent avant d’avoir touché le sol.

L’espace d’un instant, tout le monde demeura figé, les élèves comme l’important groupe de
Mangemorts.

Puis Fenrir Greyback, qui se tenait à l’avant, sourit, les mains caressant l’échine des deux
énormes loups qui l’encadraient.
Un sourire carnassier, terrifiant.

« Venez à moi, petits enfants… » invita-t-il, d’un ton moqueur.

Et ce fût le chaos.
After Everything Else Has Perished
Chapter Notes

Hello!

Petites précisions:

On est loin d'être à la fin, les gens, j'ai jamais dit qu'on arrivait au terme de l'histoire. J'ai
peur de vous avouer qu'on vient à peine de passer le milieu (du moins selon mes
estimations).

Avec Hogwarts Legacy qui sort cette semaine, je vais faire au mieux pour sortir le 55 la
semaine pro mais on va pas se mentir je pressens que je vais être extrêmement occupée
haha (cela dit c'est l'avantage de travailler dans un milieu qui grève beaucoup en ce
moment).

Et maintenant, roulement de tambour, chose promises chose due, mes trois théories
préférées sur l'espion:

Numéro 3, en pas du podium, nous avons... Masque. J'avoue que j'adore l'idée de
Masque étant un Animagus secret (et qui sait, hein? Ce chat a clairement des secrets)
mais je ne vais pas faire durer le suspense, si ce chat a un don pour rentrer dans des
pièces fermées c'est qu'il a sûrement ses habitudes. Les chats font des trucs des fois, c'est
à halluciner. Enfin... Je ne vais pas vous mentir, non, Masque n'est pas un sorcier qui se
fait passer pour l'animal de compagnie de Severus, c'est juste un chat, probablement une
race magique, et plutôt intelligent.

Numéro 2: les portraits. Ah ça j'aimais tellement que j'ai failli tout changer pour suivre
cette théorie là. Mais non plus. Les portraits c'est surtout la méthode Dumbledore pour
espionner les gens en toute impunité mais Vodly ne l'a pas encore volée ;)

Numéro 1: Plus récente mais non moins brillante... Kingsley. C'était tellement
argumenté comme théorie que j'ai douté moi-même haha. Je me disais mais Kingsley
serait-il le traître au final? Non, non, pauvre homme, il ne l'est pas.

Mention spéciale pour Gellert en grand maître d'orchestre dans les coulisses parce que
ça aurait eu de la gueule.

Sinon, je sais qu'il reste beaucoup de zones d'ombre dans l'histoire d'Anthony. Pourquoi
s'est-il allié aux Mangemorts etc. On aura les réponses. Ah, je clarifie aussi un truc parce
que j'ai lu deux reviews dans ce sens: ses parents ne se battaient pas contre les
Mangemorts, hein, ils étaient là au mauvais endroit au mauvais moment sur le Chemin
de Traverse. Mais on ne sait pas s'ils avaient une opinion politique ou autre.

J'espère que vous aimerez ce chapitre!


Enjoy & Review!

« There will be hatred. There will be war. The country will fight itself to pieces. It will
starve its people, ravage its land, poison its breath. Shanghai will fall and break and cry.
But alongside everything, there has to be love—eternal, undying, enduring. Burn
through vengeance and terror and warfare. Burn through everything that fuels the
human heart and sears it red, burn through everything that covers the outside with hard
muscle and tough sinew. Cut down deep and grab what beats beneath, and it is love that
will survive after everything else has perished. »
Our Violent Ends – Chloe Gong

« Il y aura de la haine. Il y aura une guerre. Le pays se détruira jusqu’à ce qu’il ne reste
que des miettes. Il affamera ses habitants, ravagera ses terres, empoisonnera son air.
Shanghai tombera et se brisera et pleurera. Mais, au milieu de tout ça, il y aura
forcément de l’amour – éternel, immortel, tenace. Brûlez la vengeance et la terreur et la
guerre. Brûlez tout ce qui alimente le cœur humain et le forge jusqu’à le faire rougir,
brûlez tout ce qui le recouvre de muscles durs et de tendons résistants. Taillez
profondément et attrapez ce qui bat là-dessous et c’est l’amour qui survivra lorsque tout
le reste aura péri. »
Our Violent Ends – Chloe Gong

En moins d’une fraction de seconde, ce fût le chaos le plus total dans le tunnel.

Il y eut un mouvement de foule, les cris paniqués couvrirent les appels au calme de
Trelawney, tout le monde se bousculait, cherchait à fuir…

« Évacuez les premières années ! » hurla quelqu’un. Un des rares sixièmes années non
Serpentard qui restaient probablement.

Ça aurait été un plan sensé, songea Draco, en faisant de son mieux pour rester sur ses pieds,
si qui que ce soit avait été en mesure d’écouter ou de réfléchir. Plusieurs élèves, parmi les
plus jeunes, tombèrent au sol… Personne ne s’attarda pour les ramasser ou essaya d’éviter de
leur marcher dessus.

« Putain… » jura-t-il, en poussant Astoria plus près du mur, où, il l’espérait ils seraient moins
en danger d’être happé par la foule.

Peine perdue.

Il semblait y avoir deux courants contradictoires, l’un emportant les élèves dans la direction
d’où ils étaient venus, l’autre allant vers les Mangemorts. Mais le tunnel était si étroit, il
fallait se battre pour passer.

Quelqu’un le heurta délibérément ou non entre les omoplates et il perdit l’équilibre…


La seule chose qu’il put faire fût de lâcher Astoria avant de l’entraîner avec lui dans sa chute.
Il chercha immédiatement à se relever, sachant que s’il restait au sol, il était mort. Si les
Mangemorts ne l’achevaient pas, les autres élèves le feraient.

Ce n’était pas aussi facile que cela aurait pu le paraître de se remettre debout au milieu d’une
foule en panique. Il parvint à garder une prise sur sa baguette mais quelqu’un écrasa son autre
main, quelqu’un d’autre trébucha sur ses jambes et s’étala par-dessus lui uniquement pour se
faire piétiner par quelqu’un d’autre…

Il aurait dû suivre Granger.

La pensée lui vint, fugace et inutile.

Puis quelqu’un attrapa son bras et le hissa vers le haut… C’était toute l’aide dont il avait
besoin, il s’accrocha à son sauveur, s’agrippant à ses bras quand le mouvement de foule les fit
tanguer, menaçant de les renverser… Il ne reconnut le visage terrifié de Pansy qu’avec un
temps de retard. De grosses larmes roulaient sur ses joues et ses cheveux habituellement
impeccablement coiffés étaient tout ébouriffés.

Par réflexe, il l’attira vers lui, tâchant de la protéger de la foule par sa carrure.

« Astoria ? » s’inquiéta-t-il, haussant la voix pour se faire entendre par-dessus les cris. « Est-
ce que tu as vu… »

Mais quelqu’un leur rentra dedans, l’empêchant de terminer sa phrase et ils dérivèrent avec la
masse d’élèves, incapables de lutter contre la poussée.

Les Mangemorts n’avaient pas encore commencé à jeter de sorts, se dit-il, mais pourquoi se
fatigueraient-ils quand la panique faisait leur travail pour eux ?

Des adolescents jouaient pourtant des coudes, luttant contre les élèves qui cherchaient à
s’enfuir, leur bouchant la sortie… L’espace d’un instant, Draco pensa naïvement qu’ils
voulaient défendre les plus jeunes… Puis, le fait que la grande majorité de ces élèves soient
des Serpentards d’âges variés le heurta.

Et, comme pour confirmer sa vilaine suspicion, Nott apparut soudain, poussant un quatrième
année de Poufsouffle pour mieux se frayer un chemin jusqu’à eux. Ou plutôt jusqu’à Pansy.
Il attrapa le bras de la jeune fille, tenta de l’attirer vers lui mais leur amie était fermement
accrochée à Draco.

« Viens, Pansy ! Dépêche-toi ! » cria Nott. « Les loyalistes étaient tous au courant ! On doit
rejoindre les Mangemorts avant qu’ils ne commencent à abattre les branches pourries et les
traîtres ! »

Pansy le regarda avec des yeux ronds, jetant à peine un coup d’œil là où attendait Greyback
et ses loups-garous avec horreur.

Les Parkinsons étaient des Sangs-Purs on ne pouvait plus puristes.


Néanmoins, à la connaissance de Draco, le père de Pansy était heureux de donner raison au
Seigneur des Ténèbres sans avoir jamais poussé la chose jusqu’à prendre la Marque.

Si ce que Nott disait était vrai, ce n’était pas étonnant que son père n’ait pas été mis dans la
confidence. Si ce que Nott disait était vrai, alors les Mangemorts n’allaient pas se contenter
d’attaquer l’école, ils allaient chercher à massacrer tous les élèves qui ne suivaient pas la
doctrine ou qui se retrouveraient tout simplement au milieu.

Et ils étaient entourés de premières et deuxièmes années.

« Pansy ! » insista Nott, en tirant à nouveau sur son bras.

Un nouveau coup d’œil aux loups-garous et Pansy secouait la tête, terrifiée.

Un sixième année de Serdaigle entraîna Nott avec un aboiement de reproche. Vaguement,


Draco l’identifia comme un de ses cousins. La main du cinquième année lâcha le bras de
Pansy et ils furent avalés par la foule.

« Oh, Circée ! Oh, Circé ! » paniqua la jeune fille. « On va mourir ! On va… »

« Non, on ne va pas mourir. » gronda-t-il fermement, avant de lever sa baguette en l’air.

Le bruit tonitruant qui en sortit déclencha des cris mais mit un terme soudain au mouvement
de panique. Il profita de la surprise des Mangemorts comme de celle de ses camarades.

« Laissez passer les premières et deuxièmes années ! Les troisièmes années, ramassez les
blessés ! Les autres, en rang derrière moi !. » ordonna-t-il. « Préfets, à l’attaque ! »

L’espace d’une seconde, les yeux de la quasi-totalité de l’école furent rivés sur lui.

Il crut vraiment que ça allait fonctionner.

Nul doute que s’il avait été Saint Potter, cela aurait fonctionné.

Au lieu de ça, tout le monde se remit à courir et à hurler et, visiblement, les Mangemorts
trouvèrent sa petite intervention hilarante parce qu’ils se mirent à rire pendant que les
derniers enfants des familles loyales au Seigneur des Ténèbres se faufilaient entre eux.

Puis ils cessèrent de rire et attaquèrent.

Alors Draco fit la seule chose qui lui vint à l’esprit : il visa le plafond au dessus des
Mangemorts.

Et il lança un confringo.

°O°O°O°O°

Il y avait davantage de Mangemorts que les estimations de Sirius l’avait laissé penser mais
toujours pas autant qu’il aurait pu y en avoir.
Le parc était devenu un véritable champ de bataille où il était difficile de distinguer ami
d’ennemi. La visibilité limitée par la pluie et les épais nuages qui couvraient le ciel n’aidait
pas.

Severus parait et tâchait de répliquer depuis plusieurs minutes mais s’obligeait à des sorts
précis, restreints, par crainte de toucher un allié par accident.

Les Détraqueurs s’en donnaient à cœur joie, fondant sur les tours d’où Molly Weasley et
Fleur Delacour et leurs petites troupes bombardaient les Mangemorts sur leurs balais,
attaquant les membres de l’Ordre ou les Aurors sans crier gare…

Par deux fois, déjà, Severus avait manqué se faire soulever par une de ces créatures.

Il n’avait commis l’erreur de tenter de jeter un patronus que la première fois.

Le faon avait refusé de se manifester.

Ce qui n’était pas étonnant.

Comment aurait-il pu penser à un souvenir heureux alors qu’ils étaient désormais


pratiquement tous teintés de chagrin ? Il avait essayé de se concentrer uniquement sur Harry,
mais il n’était pas dans le bon état d’esprit pour un sort comme ça.

Il y a plus d’une manière d’arracher le cœur de quelqu’un.

Il ne parvenait pas à cautériser le trou béant dans sa poitrine, peut importait combien il
renforçait ses boucliers mentaux.

« Severus ! »

L’avertissement vint de sa droite et il tourna la tête par réflexe, vit le trait vert fuser vers lui,
se jeta au sol in extremis… Il eut du mal à s’extirper de la boue, à convaincre sa jambe
douloureuse de coopérer… Son bras gauche était toujours un poids mort, une douleur
tangible qui faisait écho à…

Une main attrapa son bras valide, le tira sur ses pieds.

Lupin n’avait pas l’air en meilleure forme que lui. Il avait une estafilade sur la joue, la lueur
ambrée dans ses yeux indiquait que le loup était davantage aux commandes que l’humain, et
il avait l’air tout aussi dépassé que lui.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé avec la sphère ? » demanda le loup, élevant la voix pour se faire
entendre par-dessus les bruits de combats et de la pluie. « Où est Albus ? »

Severus secoua la tête, en signe d’ignorance. « Où est le Seigneur des Ténèbres ? »

Il jeta un bouclier large autour d’eux deux, bloqua par réflexe un sort qui venait droit sur
Lupin, le laissa répliquer…
« Kingsley se battait avec lui la dernière fois que je l’ai aperçu. » répondit le loup-garou, tout
en engageant un sorcier masqué d’ivoire. « Les Mangemorts ont eu des renforts mais je n’ai
encore vu ni Malfoy, ni Bella, ni Peter… C’est étrange, non ? »

« Oui. » admit-il, en lui prêtant main forte. Parce que, autant le Seigneur des Ténèbres
semblait avoir pensé son attaque, autant il était étrange de ne pas voir au moins un ou deux de
ses lieutenants les plus intimes coordonner la batailler pour lui. « Charlie Weasley est sous
Imperium. »

Cela alerta Lupin qui se tourna vers lui, offrant une cible trop tentante pour le Mangemort qui
laissa son flanc à découvert une demi-seconde de trop.

Severus en profita pour se débarrasser de leur adversaire, la gorge serrée.

« Le traître était Anthony. » continua-t-il. « Black se battait avec lui avant que nous soyons
séparés. Je crois qu’il est toujours à l’intérieur. »

Le loup jeta un regard en arrière, vers le château qui se dressait dans leur dos, mis à mal par
les potions explosives. Il y avait des crevasses dans les murs, de la fumée s’élevait, âcre et
noire, vers le ciel… Une des tourelles semblait avoir pris feu mais la pluie paraissait contenir
l’incendie…

« Nymphadora… » lâcha-t-il, sa voix se brisant sur le prénom. « Il a dit que… Il a dit qu’il
avait ordonné à Charlie de… Il a dit qu’elle était… »

« Non. » l’interrompit Lupin, dans un grondement sourd. « Non. »

Juste au-dessus d’eux, quelqu’un lança une potion explosive de l’une des tours, visant
visiblement un Mangemort, mais ne réussit qu’à enflammer la queue de son balai. Le sorcier
perdit rapidement le contrôle et chutait vers eux à une vitesse alarmante.

Ils n’eurent le temps que d’échanger un regard avant de s’élancer dans des directions
différentes, Severus ralenti par sa jambe.

Le Mangemort devait avoir été en possession de potions volatiles parce qu’il ne se contenta
pas de s’écraser au sol, il explosa, laissant derrière lui un petit cratère dans le parc et
emportant dans la mort un Auror et un autre Mangemort qui se battaient non loin.

Un peu roussi, Severus se retrancha vers le mur d’enceinte, le souffle coupé, aveuglé par la
pluie et la sueur, sa jambe le portant à peine… Il s’écroula contre le mur, aux aguets…

Mais il ne semblait pas y avoir de danger immédiat.

Il pouvait s’autoriser à respirer une seconde…

Il pouvait…

Quelque chose chauffait dans sa poche intérieure.

Comment ne l’avait-il pas remarqué avant ? Senti ? Depuis quand le carnet chauffait-il ?
Ce n’était ni l’endroit, ni le moment, mais il ne pouvait pas attendre, il ne pouvait pas ne pas
savoir, il ne pouvait pas…

Forcer sa main gauche à coopérer demanda un peu d’effort mais il parvint à extirper le carnet
de sa poche malgré le fait que ses robes trempées d’eau et de boue collaient à sa peau. Il
s’abrita sous un bouclier et un impervius, l’ouvrit, prêt à feuilleter jusqu’à…

Les pages étaient couvertes d’encre.

Il lui fallut une seconde pour comprendre.

Le sort ne reproduisait pas la couleur.

Ce n’était pas de l’encre.

C’était du sang.

Le sang de Nymphadora qui avait imprégné son carnet.

Il n’y avait pas de message… Juste son sang qui avait déclenché le sort de transfert.

Tellement de sang.

Le carnet échappa à ses doigts gourds et tomba dans l’herbe mouillée. À nouveau, il sentit ses
boucliers mentaux s’écrouler sans qu’il n’y puisse rien alors qu’il imaginait… Il fit deux pas,
trois… Ses oreilles sonnaient, sa vision se rétrécissait…

Il se plia en deux et vomit, frissonnant, claquant presque des dents…

Nymphadora. Nymphadora. Nymphadora.

Son nom tournait en boucle dans sa tête.

Elle était morte.

C’était vrai.

Il avait voulu une preuve et elle était là.

Tellement de sang.

Elle était morte.

Et il ne lui avait jamais dit…

Il ne lui avait jamais qu’il…

Son désespoir, sa douleur étaient si pesants qu’il ne se rendit même pas compte qu’il n’était
plus seul.

Quand était-il tombé à genoux ?


Il leva les yeux, pas même surpris de trouver le Détraqueur juste devant lui, de le voir lever
les mains vers sa capuche…

Une part de lui voulait tenter à nouveau de lancer un patronus.

Sans espoir, répondit le reste de son cerveau.

Nymphadora était morte.

Si une de ces choses aspirait votre âme, pouviez-vous tout de même passer le voile ?
Rejoindre vos défunts ? Où étiez-vous doublement assassiné ? Éradiqué sur un plan physique
et cosmique ?

Tu as promis à Harry de te battre jusqu’au bout, murmura une petite voix à son oreille.

Une voix qui ressemblait à s’y méprendre à celle de la femme qu’il aimait.

Il ferma les yeux, empoigna plus fermement sa baguette, isola sans mal la poche de ses
souvenirs les plus précieux dans un recoin de son esprit : Lily, enfant, qui riait alors qu’il la
poussait sur la balançoire à moitié rouillée du parc ; Harry qui lisait enroulé dans son plaid
sur le canapé ; Harry qui plaisantait par-dessus un plateau d’échec ; Harry qui l’appelait papa
sans ironie pour la première fois ; Harry qui acceptait le sceau des Prince avec une émotion
palpable ; Nymphadora qui souriait ; un baiser qui s’égarait pas si accidentellement vers la
commissure de ses lèvres ; Nymphadora qui riait avec lui, le drap glissant sur sa peau nue
alors qu’il embrassait sa gorge, incapable de résister à la tentation ; une danse ridicule dans
un simili de bar à la lumière trouble et changeante qui venait de sous le lac ; Nymphadora qui
jurait de ne jamais l’abandonner…

Nymphadora qui jurait de ne jamais l’abandonner.

Le patronus ne vint pas.

Il rouvrit les yeux, sans panique mais sans satisfaction non plus. Ce n’était pas ainsi qu’il
aurait souhaité mourir même s’il y avait une justice poétique à la chose.

Le Détraqueur se penchait désormais vers lui.

La fin était là.

Et, lâchement, il en était presque soulagé.

°O°O°O°O°

Bill s’éveilla en s’étouffant à moitié dans la flaque d’eau qui s’était formée sous sa joue. Il
toussota tout en se redressant sur une main, portant automatiquement l’autre à l’arrière de sa
tête pour la retirer pleine de sang. Sa tête l’élançait de manière alarmante et il était désorienté,
les sons étaient étouffés comme s’ils venaient de très, très loin…

Il aurait pourtant fallu être aveugle pour rater les bruits d’explosions, les hurlements et les
éclats des sorts qui illuminaient la grisaille.
Il lui fallut une bonne minute pour reconstruire mentalement ce qui s’était passé avant que la
sphère n’implose.

La petite cours avait été balayée par le cataclysme, les bancs arrachés, les arbustes et autre
végétation aplatis…

Charlie.

Charlie avait jeté un sort de mort sur Flitwick.

Flitwick était mort.

Charlie avait été couvert de sang. Peut-être le sien, peut-être pas.

Bill voulut se relever, tangua et se retrouva à nouveau à genoux, les doigts enfoncés dans la
terre meuble, combattant la nausée.

Il n’était pas Médicomage mais le traumatisme crânien paraissait certain.

Charlie.

Charlie allait tuer quelqu’un d’autre ou se faire tuer.

Il ne savait pas si son frère avait trahi ou était sous influence – pitié, faites qu’il soit sous
influence – mais il était hors de question qu’il perde un autre membre de sa famille ce jour là.
Il prit une profonde inspiration, une deuxième, puis se repoussa en position accroupie et,
lentement, se remit debout. Le monde tangua autour de lui mais il parvint à rester sur ses
pieds.

« Accio baguette. » marmonna-t-il, en tendant la main.

Sa baguette vint se loger dans sa paume et il se sentit un peu mieux, un peu moins vulnérable.

Il ne voyait Charlie nulle part.

Son frère avait été plus à l’abri, au niveau de l’arche, peut-être n’avait-il pas été touché par
l’implosion ? Ou, du moins, pas autant que lui l’avait été ? Il fouilla tout de même la cours
par acquis de conscience, dénichant le corps de Flitwick sous un buisson.

Il dût le laisser là, sous la pluie.

D’un pas trainant mais déterminé, il rejoignit l’intérieur du château.

Il y avait des bruits de combat plus loin, pas à l’extérieur mais à l’intérieur.

Il dût se faire violence pour ne pas s’y précipiter dans l’espoir que ce serait Charlie.

Il devait être méthodique. Intelligent. Certes, ce n’était pas facile avec le crâne à moitié
défoncé, mais…

Il plaça sa baguette à plat sur sa main.


« Pointe vers Charles Weasley. » exigea-t-il.

Le bout de bois tourna vers la droite.

Alors Bill suivit la piste.

°O°O°O°O°

Le hall d’entrée s’était rapidement transformé en bataille rangée et Harry n’y voyait plus très
clair.

Tous les conseils de Severus et Sirius se bousculaient dans sa mémoire mais, dans un espace
aussi réduit où tellement de gens se battaient en même temps, dont certains qui ne semblaient
pas maîtriser leurs sorts autant qu’ils le devraient, c’était très différent de l’entraînement et,
avec un léger regret, il se vit contraint de davantage se reposer sur les enseignements de
Remus – à qui, visiblement, il aurait dû faire davantage confiance.

Harry campait sur la défense, se battait contre trois Mangemorts à la fois, et tentait de garder
un œil sur les autres dans le même temps… Mais c’était trop difficile. Ils avaient été séparés.
Certains, parmi lesquels Hermione, avaient été repoussés vers les étages. Il ne voyait plus
Ron, non plus. Les Mangemorts semblaient pousser comme des champignons.

Neville se battait pas très loin de lui mais son adversaire ne tarda pas à être renversé par un
énorme chien noir qui resserra ses mâchoires sur sa gorge et serra jusqu’à ce que le
Mangemort ne bouge plus. Neville eut l’air sur le point de vomir puis repartit à la charge.

D’où venaient ces putains de Mangemorts ?

L’instant de distraction lui coûta.

Les trois Mangemorts qui l’entouraient n’étaient pas si bons en duels – jeunes, s’il avait dû
deviner, un peu plus vieux que lui mais sans plus, bien que ce soit dur à dire vu les masques
qui dissimulaient leurs visages – mais ils avaient l’avantage du nombre. L’un d’eux lança un
endoloris qui l’aurait atteint en pleine poitrine s’il n’y avait pas eu un craquement soudain,
accompagné d’un cri de guerre…

L’elfe apparut directement sur les épaules du Mangemort et enfonça ses pouces dans ses yeux
à travers les encoches du masque jusqu’à le faire hurler – et dévier l’endoloris vers son
compagnon – puis disparut dans un nouveau craquement.

Cela faisait déjà trois fois que Kreattur intervenait mais ne s’arrêtait pas suffisamment
longtemps pour qu’Harry lui ordonne de rester en dehors de la bataille avant de se faire tuer.

Il élimina le troisième Mangemort d’un stupefix, jeta rapidement un incarcerem aux deux
autres…

Et se tourna à temps pour voir plusieurs jeunes élèves émerger des cachots en hurlant, leur
panique semblant augmenter lorsqu’ils réalisèrent dans quoi ils avaient débarqués.

La main de Sirius s’abattit sur son épaule, plus lourde et sévère que d’ordinaire.
« Reste près de moi. » ordonna-t-il dans un sifflement qui suintait la désapprobation.

Jamais encore son parrain n’avait eu l’air aussi fâché après lui.

Harry refusait de s’excuser.

Il n’avait toujours pas retrouvé Severus.

Mais un énorme loup au pelage argenté venait de quitter les cachots, s’arrêtant juste assez
longtemps pour que sa vue crée davantage de panique avant de rentrer dans la danse.

Malgré son ordre précédant, Sirius le poussa en arrière avec un juron.

La seconde suivante un énorme chien noir fonçait sur le loup qui faisait deux fois sa taille.

°O°O°O°O°

Un des enfants gémit. Draco le fit taire d’un chut probablement un peu trop sec, cependant il
était à bout de patience.

Et presque à bout de forces.

Pansy serrait sa main à lui faire mal, trois premières années étaient accrochées à l’arrière de
sa chemise comme des canetons, quatre deuxièmes années soutenaient deux autres premières
années et les rares troisièmes et quatrièmes années qu’ils avaient récupérés en route avaient
l’air hagard.

Sortir de ce tunnel sans se faire toucher par un sort de mort ou se faire mordre par l’un des
loups avait été l’enfer.

Les Mangemorts avaient tiré dans le tas et avaient touché plus d’un élève.

Ce n’était pas simplement un massacre, c’était une épuration.

Les loups… Les loups avaient ordre de mordre et de ramener les victimes à Greyback. Il
aimait transformer les enfants, apparemment.

Draco ne s’était pas attardé pour en apprendre davantage sur le sujet.

Il avait fait la chose la plus insensée, la plus dangereuse de sa vie – encore que, non, puisqu’il
ne s’était pas jeté devant un sort de mort, ce coup-ci – et avait lancé un confringo sur le
plafond dans l’espoir d’enterrer vivants leurs ennemis. Ça avait un peu trop bien fonctionné.

Il avait hurlé aux autres de le suivre mais il n’était pas sûr que…

Il ne pouvait pas être sûr que…

Il était possible que quelques uns des élèves se soient retrouvés coincés sous les rochers par
sa faute.
Cela n’avait pas arrêté les Mangemorts ou les loups très longtemps, de toute manière, ils
étaient à leur poursuite ou à la poursuite des autres groupes qui étaient partis en courant sans
s’occuper de ramasser les blessés ou d’attendre les plus jeunes qui, terrifiés, ne savaient pas
quoi faire.

Il n’avait pas non plus retrouvé Astoria.

Daphné allait le tuer lorsqu’elle apprendrait qu’il avait perdu sa sœur.

Elle allait le tuer.

Si les Mangemorts qui les pourchassaient ne le tuaient pas d’abord.

Qu’était-il censé faire avec Pansy pour seul soutien ? Les quatrièmes années paraissaient trop
terrifiés pour être d’une quelconque utilité…

Les cachots s’étaient transformés en labyrinthe.

Il n’avait aucune idée d’où ils étaient.

Il s’était perdu au moment où ils étaient parvenus à quitter le tunnel et il n’osait pas l’avouer
à voix haute parce que les autres le suivaient aveuglément mais il n’avait aucune idée d’où ils
allaient et ils ne pouvaient pas continuer à tourner en rond…

Et puis, soudain, devant eux, à quelques couloirs, il entendit des bruits de combat.

« N’allons pas par là. » supplia immédiatement Pansy, les yeux écarquillés d’effroi.
« N’allons… »

« Ça pourrait être d’autres élèves. » l’interrompit Draco, en se détachant de sa poigne – et de


celle des premières années tant qu’il y était. « Ou un Professeur. Reste là avec eux, d’accord ?
Jette un bouclier et un sortilège de Désilusion. »

« Draco… » siffla-t-elle, visiblement paniquée. « Ne me laisse pas toute seule. Tu… »

« Tu es une préfète. » lui rappela-t-il fermement. « Tu t’en sortiras très bien. »

Il n’était pas tout à fait persuadé que c’était vrai mais il n’avait pas le choix. Il attendit qu’ils
soient tous cachés sous un sort de désilusion avant de s’en jeter un sur lui-même et de se
glisser dans le couloir suivant, se guidant aux sons de l’affrontement.

Le soulagement qu’il ressentit en apercevant la quatrième année brune qui se battait comme
si sa vie en dépendait fût indescriptible. Peut-être que Daphné n’allait pas le tuer, après tout.
À côté d’Astoria, Cassiopée Jones faisait de son mieux pour l’épauler mais même un an
d’A.D. n’aurait pu transformer une troisième année en combattante aguerrie, quant aux trois
premières années recroquevillées contre le mur…

Draco se glissa dans l’ombre, visant le premier Mangemort d’un sort d’emprisonnement. Il
toucha sa cible, malheureusement cela attira l’attention du deuxième qui pivota vers lui et jeta
un endoloris avant même d’essayer d’identifier son adversaire.
La douleur fût intense mais miraculeusement brève.

Il n’eut pas le temps de hurler.

C’était le Mangemort qui hurlait.

Parce qu’un elfe enragé lui avait arraché l’oreille d’un coup de dents et paraissait déterminé à
lui crever les yeux.

Astoria lui jeta un stupefix, puis tourna sa baguette vers l’elfe qui…

« Non ! » lui ordonna Draco, alors que Kreattur sautait des épaules du Mangemort avant que
celui-ci ait pu toucher le sol. « Qu’est-ce que… »

« Maître Sirius a dit à Kreattur de protéger Maître Harry et Maître Draco. » expliqua l’elfe,
en s’inclinant profondément devant lui. Étant donné ce qu’il venait de faire et la matière
visqueuses sur ses doigts, c’était un peu incongru. Comme un salut après un spectacle
davantage qu’un signe de respect. « Maître Harry est en danger. Kreattur doit partir. Maître
Draco doit rester en sécurité, s’il vous plaît. Kreattur est un bon elfe mais Kreattur ne peut
pas être à deux endroits à la fois. »

Dans un craquement, l’elfe disparut avant que Draco ait pu lui ordonner d’aller chercher de
l’aide.

Relativement certain qu’ils n’allaient pas se faire à nouveau attaquer dans les minutes qui
suivraient, il se tourna vers Astoria qui se jeta dans ses bras sans aucun décorum. Il la serra
fort, s’autorisant à poser son menton sur ses boucles brunes l’espace d’une seconde et à
respirer.

Astoria était vivante.

Daphné n’allait pas le tuer.

Il la relâcha pour se tourner vers Jones et se vit faire l’objet d’une autre étreinte un peu
désespérée.

Si même les Serpentards se mettaient à s’enlacer à la moindre occasion comme des


Poufsouffles ou des Gryffondors, bougonna-t-il intérieurement, en lui rendant pourtant son
accolade. La troisième année respirait vite et il était clair qu’elle avait eu peur.

Compréhensible.

Les premières années recroquevillées contre le mur ne paraissaient pas en meilleur état mais
parurent tous rassurés de le voir.

Quand était-il devenu la coqueluche des premières années exactement ?

Ah oui… La Trêve… Ombrage… Autant d’évènements qui paraissaient à des années


lumières.
Il jeta un patronus, regardant le lion argenté avec le même mépris qu’à l’accoutumée. « La
voie est libre. »

Il l’envoya vers Pansy et s’assura que personne n’était trop sérieusement blessé le temps
qu’elle arrive avec le reste de leur petite troupe. Il y eut des exclamations soulagées de parts
et d’autres. Serpents, Aigles, Blaireaux ou Lions… Cela ne semblait plus avoir d’importance.
Ils étaient simplement heureux de trouver quelqu’un qu’ils connaissaient, qui n’était pas
hostile et, par-dessus tout, quelqu’un qui était vivant.

« Bonne nouvelle, je sais où on est. » murmura-t-il en aparté, pour Pansy.

Elle lui jeta un regard noir. « Parce que tu étais perdu ? »

Il leva les yeux au ciel.

Personne n’appréciait son génie dans cette école.

°O°O°O°O°

Albus émergea avec difficultés et un mal de tête carabiné.

La première chose qu’il vit lorsque ses paupières cessèrent de papillonner fût la baguette de
Gellert, à quelques centimètres de sa main inerte.

Le chagrin le heurta comme un dragon en charge et il referma les yeux.

Puis les bruits de combats le tirèrent brutalement de sa torpeur. Combien de temps avait-il été
inconscient ? Combien de temps…

Il chercha sa connexion avec Poudlard, la trouva ténue mais bel et bien présente… L’école
souffrait mais faisait son possible pour se défendre. Les protections étaient inactives sur le
domaine mais s’étaient automatiquement remises en place autour des zones les plus
importantes : les salles communes, son bureau et l’infirmerie. En plus de ça, Poudlard tentait
d’étouffer plusieurs incendies, et, surtout, de protéger les…

Merde.

Merde. Merde. Merde.

Il n’était pas prompt à la vulgarité mais rien d’autre n’aurait correctement exprimé la
situation, à cet instant précis.

Il y avait des enfants dans l’école.

Beaucoup trop d’enfants.

Un piège, ils étaient tombés dans un piège. C’était pour ça que Tom ne s’était pas empressé
de briser les protections, pour laisser à ses Mangemorts le temps de se mettre en place.
Il se remit debout, prit le temps de réfléchir, se frottant la bouche… Il fit quelques pas vers le
parapet extérieur, se figea en constatant l’ampleur des dégâts… La bataille faisait rage et, là,
dans le parc, au loin…

Une silhouette qu’il s’avait appartenir à Kingsley parce qu’il reconnaissait son style de
combat tenait tête à Voldemort.

Mais pas seul.

Abelforth se battait juste à côté de lui. Un large cercle s’était formé autour d’eux…

Il se détourna, le cœur au bord des lèvres.

Il devait rejoindre le parc, prendre la relève de son frère.

Gellert était mort.

Il ne supporterait pas de perdre…

Ses yeux s’arrêtèrent sur la jeune femme qui gisait au sol, apparemment toujours vivante,
quoi qu’à peine, mais il ne s’arrêta pas. Il ne pouvait pas se le permettre.

Il descendit les marches quatre à quatre, s’élança dans le couloir, sentit un mouvement sur sa
gauche avant d’atteindre l’embranchement suivant et leva sa baguette, un sort offensif sur les
lèvres…

Horace leva sa main libre et sa baguette, une expression de soulagement pure se peignant
immédiatement sur son visage lorsqu’il l’aperçut.

« J’étais à ta recherche. » expliqua le Maître des Potions. « Les élèves… »

« Je sais. » l’interrompit-il.

Horace acquiesça. « Pomona fait de son mieux pour tenir l’escalier sud. Elle a récupéré
quelques-uns de ses Poufsouffles pour l’aider. Je vais à l’infirmerie en faisant le grand tour.
Je ramènerai avec moi tous les enfants que je trouverai en route. »

Albus allait approuver ce plan puis hésita. « Pourrais-tu faire un crochet par la tour
d’astronomie avant ? Tonks est blessée. Je crains que ce ne soit fatal mais je lui ai donné deux
fioles de reconstituant sanguin… Si elle tient encore un peu… »

« L’Auror de Severus ? » releva Horace.

Tonks aurait probablement protesté d’être ramenée à cette partie de sa vie comme si elle
n’était pas une sorcière à part entière mais il n’avait pas le temps de discuter.

« Oui. » confirma-t-il.

« En haut de la tour d’astronomie ? » gémit presque le Professeur de Potions.


« S’il te plait. » insista-t-il. « Sais-tu où est Minerva ? »

« Aucune idée. » admit son collègue. « Mais la connaissant, probablement dans le parc en
train de se battre contre cinq Mangemorts à elle toute seule. »

Il ne s’attarda pas davantage, cherchant à rejoindre le rez-de-chaussée au plus vite. Pourtant,


lorsqu’il entendit un rire gras dans un couloir adjacent et une petite voix trop fluette jeter un
protego qui manquait singulièrement d’intention, il s’y précipita sans hésiter.

Le Mangemort qui avait acculé la première année passa par la fenêtre avant d’avoir
seulement compris ce qui se passait. La petite fille hurla de terreur puis l’aperçut et explosa
en sanglots qui secouèrent son petit corps. Rien ne remettait en perspective le tragique
d’enfants pris dans une guerre comme de voir une gamine trembler de peur.

Il lui fallut quelques secondes pour retrouver son nom.

Zoé, se souvint-il brusquement. Zoé Barnaby. Serdaigle. Première année. Née-Moldue.

Et qui avait fait partie de la chorale disparue pendant des mois, en plus de ça.

Il approcha lentement, s’efforçant d’avoir l’air le moins effrayant possible.

« Tout va bien, Zoé. » offrit-il.

« Professeur Dumbledore ! » s’exclama-t-elle finalement, à travers ses larmes. La seconde


suivante, deux bras étaient fermement attachés à sa taille alors que la fillette pleurait dans sa
barbe.

Un peu mal à l’aise, Albus lui tapota le dos, réfléchissant à ce qu’il pouvait faire d’elle
pendant qu’il allait rejoindre les combats, où était l’endroit sûr le plus proche…

Ce fût le moment où les armures se mirent en mouvement autour d’eux, arrachant un nouvel
hurlement à la fillette que le Directeur fit taire rapidement d’une main sur la bouche. Hurler
attirerait davantage de Mangemorts et, bien qu’il ne soit pas particulièrement inquiet pour sa
propre sécurité, c’était tout à fait autre chose de devoir se soucier de celle d’une enfant sans
défense ou presque.

« Il n’y a pas lieu d’avoir peur. » lui promit-il. « Je reconnais bien là la main créative du
Professeur McGonagall. » Toutefois, si Minerva en était à appeler les armures pour défendre
l’école… « Elle va gagner cette bataille à elle toute seule, sois-en sûre. »

« Je me suis perdue. » avoua Zoé, entre deux sanglots. « Je… Je ne sais pas où il faut que
j’aille… Draco a dit… Draco a dit de le suivre mais j’ai trébuché et… Il y avait des loups !
Des gros, gros loups ! J’ai couru. »

« Et tu as très bien fait. » la félicita-t-il, heureux de savoir qu’au moins un préfet semblait
avoir pris le commandement dans les cachots.

Draco était intelligent et suffisamment doué…


Mais pouvait-il protéger les enfants ?

Silencieusement, Albus demanda à Poudlard de l’aider autant que possible.

°O°O°O°O°

Entrer dans le château s’était avéré plus simple que Remus l’avait craint. Les grandes portes
s’étaient écroulées, bouchant le hall d’entrée, mais les combats avaient laissés des trous dans
les murs par lesquels il avait réussi à se glisser.

Il était au rez-de-chaussée et hésitait entre rejoindre le hall d’où il entendait de sérieux bruits
de combats et se précipiter vers la tour d’astronomie comme Lunard l’exigeait lorsque le mur
devant lui explosa dans une avalanche de briques sous l’impact d’un loup-garou ayant été
projeté par un sort particulièrement virulent.

Il aperçut Harry qui n’aurait absolument pas dû être là, puis une boule de poils noirs qui
attaqua le loup à la gorge.

Le loup l’envoya voler d’un coup de pattes arrières, les éclaboussant tous de sang au passage.

Patmol couina mais se releva, couvert de griffures, le pelage pelé par endroit, les flancs se
soulevant et s’affaissant brutalement…

Il ne se laissa pas hésiter.

Il n’allait pas regarder un ennemi tuer un membre de sa meute.

« Avada Kedrava ! » hurla-t-il, alors même qu’Harry jetait un sortilège de confinement qui
aurait potentiellement pu retenir le loup mais pas longtemps.

Les Impardonnables étaient traitres avec les loups-garous sous forme animale et le sort de
mort l’assomma à peine.

Patmol s’élança à nouveau à l’assaut, cherchant à emprisonner la jugulaire de sa mâchoire…

Remus s’avança lui aussi, profitant que Sirius ait coincé le loup à terre pour se jeter sur lui,
sortir le couteau qu’il gardait dans sa botte et planter la lame dans sa gorge. Il frappa fort et
ignorant l’animal qui se débattait sous lui, aidé par Patmol qui faisait de son mieux pour
l’immobiliser, ramena la lame vers lui dans un arc de cercle qui demandait beaucoup de
force.

Le loup-garou tressauta plusieurs fois puis devint inerte. Égorgé.

Couverts de sang, Lunard et Patmol s’écartèrent lentement du cadavre sous les yeux
nauséeux de Harry.

En lui, le loup hurlait sa victoire.

« Est-ce que c’était vraiment nécessaire ? » grimaça le garçon.


« Il n’y a pas cinquante façons de se débarrasser d’un loup sous forme animale. » trancha
Remus, sans remord. « Et ils sont endoctrinés. On ne les retournera pas tant que je n’aurais
pas tué Greyback et pris sa place d’Alpha. »

« Oh, donc c’est un projet sérieux, ça ? » marmonna Sirius, avant de les débarrasser du sang
poisseux qui les couvrait d’un sort de nettoyage.

Il n’eut pas le temps de lui répondre, les armures du couloir dans lequel ils se trouvaient
s’animèrent soudain et se mirent en marche dans un alignement parfait.

« Dumbledore ? » demanda l’Animagus, avec espoir.

« McGonagall. » corrigèrent Remus et Harry, en cœur.

Il jeta un regard curieux à l’adolescent qui haussa les épaules. « Elle m’entraîne pour… autre
chose. Je connais sa signature magique. »

Ils suivirent prudemment les armures qui s’engageaient vers le hall.

Étant donné les bruits métalliques qui résonnaient un peu partout, la sous-directrice semblait
avoir réveillé tout le château.

Et ils comprirent pourquoi quand les armures s’élancèrent dans la bataille.

Le premier Mangemort ne se méfia pas et se vit balayé d’un méchant coup de bras qui dût
briser beaucoup de côtes.

Les quelques adolescents qui se battaient dans le hall laissèrent échapper des exclamations de
joie et se relancèrent à l’assaut avec d’autant plus de détermination.

Ça effraya Remus.

Trop de gamins.

Pas assez d’adultes.

°O°O°O°O°

Draco était certain que Poudlard était en train de réarranger les cachots.

S’il s’était repéré après avoir récupéré Astoria et les autres, il était certain qu’ils avaient été
plus loin sous la surface qu’ils ne semblaient l’être à présent. Les couloirs s’enchaînaient sans
que cela n’ait de sens comme si l’école créait des raccourcis pour eux.

Bien sûr, en temps normal, il aurait sans doute jugé la chose impossible mais…

En l’état, il prenait tous les signes d’espoir, même impossibles, si cela signifiait un répit.

Ils avaient passé deux corps déjà.


Marietta Edgecombe, il l’avait identifiée sans mal parce qu’elle était dans leur année à
Serdaigle et que Chang la quittait rarement.

Le deuxième corps portait l’uniforme de Gryffondor et était suffisamment menu pour avoir
été un troisième ou quatrième année, tombé à plat ventre. Draco avait simplement vérifié
qu’il n’avait pas de pouls mais n’avait pas cherché à voir son visage et avait encouragé les
autres à presser le pas sans regarder.

Ils tournèrent à droite en silence et, malgré l’illogisme de la chose, arrivèrent à leur salle
commune.

« Ce n’est pas un bon plan. » protesta immédiatement Pansy. « N’importe quel élève plus
âgé… »

« Oh, et tu as peur d’eux maintenant ? » râla Astoria. « Je croyais que c’étaient tes amis ?
Miss je suis une Sang-Pure et je vaux mieux que tout le monde. »

« Toi aussi tu es une Sang-Pure, il me semble ! » rétorqua la cinquième année.

« Mais je n’ai jamais dit que le Seigneur des Ténèbres devrait prendre le pouvoir ! »
s’insurgea la plus jeune, en levant le bras vers le couloir d’où ils venaient. « Tu vois ce qu’il
se passe quand des tyrans veulent prendre le pouvoir ? »

« C’est sans doute une erreur. » répliqua Pansy. « Jamais ils ne s’en seraient pris à des Sang-
Purs. Il… »

« Oh, grandis un peu. » cracha Draco, en jetant le mot de passe et en priant pour que ça
fonctionne. La porte coulissa et il se dépêcha de faire rentrer tout le monde avant de la
refermer. Il fût soulagé de sentir la vibration réconfortante d’importantes protections
magiques sur la salle commune. Celles autour de Poudlard étaient tombées mais,
apparemment, celles sur les salles communes devaient avoir survécu… Sans attendre, il
plaqua la main sur le mur de pierre, et usa de son autorité de préfet. « Severus Snape. »

Il n’y eut pas de miracles dans les secondes qui suivirent, pas de messages, pas d’apparitions
de son Directeur de Maison, mais il ne s’y attendait pas vraiment. Avec un peu de chance, ça
avait suffi à alerter le Maître des Potions – s’il n’était pas mort – d’où ils étaient et il enverrait
du secours.

Les autres seraient à l’abri ici.

Il se dirigea donc vers la sortie.

« Où vas-tu ? » s’écria Pansy, se relevant soudain de là où elle s’était accroupie pour


inspecter une vilaine brûlure sur le bras d’un des premières années. Les gamins avaient
besoin de soins mais Pansy n’était pas forcément la personne la plus patiente ou douce qu’il
soit. Néanmoins, Snape ne l’avait pas choisie comme préfète pour rien.

Draco savait qu’elle était tout à fait capable de gérer une crise.

Si elle avait bien voulu s’en souvenir, toutefois…


« Il y a forcément d’autres élèves là-dehors. » lâcha-t-il. « Il ne peut pas rester que nous. »
S’il ne restait qu’eux, ce serait un bien triste constat. « Ils vont avoir besoin d’un endroit
sûr. »

« Tu veux juste aller chercher ta Sang-de-Bourbe. » accusa Pansy.

« N’appelle pas Hermione comme ça ! » siffla Astoria.

Il ne chercha pas à nier. Il laissa ses yeux gris glisser sur le groupe d’élèves qui, au lieu de
prendre possession des lieux, s’étaient tous entassés sur un canapé ou le sol pour mieux
s’agglutiner les uns aux autres.

Oui, décida-t-il, il comptait aller à la poursuite de Granger.

Mais il voulait aussi s’assurer que personne n’était coincé entre un Mangemort et un loup-
garou.

Ils avaient tiré dans la masse.

Sur les premières années.

Sur des gosses.

Et les loups…

Il avait vu un loup traîner un enfant par la jambe vers Greyback.

Il n’était pas Saint Potter et il n’était pas courageux… Merlin savait qu’il n’était pas
courageux. Mais il n’allait pas rester caché là s’il pouvait en sauver un ou deux.

Sans compter qu’il avait fait exploser le tunnel et…

Il n’était pas sûr.

Il n’était pas sûr de ne pas avoir touché d’élèves.

« Vous serez en sécurité, ici. » insista-t-il.

Il soupçonnait fort que Poudlard les avait guidés vers la salle commune et, en conséquence,
supposait que l’endroit serait sûr comme point de replis. C’étaient beaucoup d’hypothèses et
peu de preuves concrètes bien sûr, mais…

L’école était magique.

Le genre de magique qui, comme le Choixpeau, tirait quelque chose d’inanimé vers la
conscience et l’intelligence. Poudlard, comme beaucoup de demeures sorcières exposées à la
magie sur des générations, était vivante.

Et il supposait que Poudlard voulait, avant tout, protéger ses enfants.


« Draco. » Pansy le rejoignit en quelques grandes enjambées et attrapa son poignet pour
mieux conserver son attention. « Si… Je ne peux pas les protéger. »

« Tu es parfaitement capable… » contra-t-il.

« Non, non, non… » protesta-t-elle, en secouant la tête, gardant la voix basse. « Non
seulement je ne suis pas capable mais, en plus, je ne peux pas promettre que je ne les
vendrais pas tous contre ma vie. » Elle jeta un regard déchiré aux plus jeunes et baissa encore
la voix. « Regarde-les, ils sont sans défense. Je ne suis pas… Je ne suis pas du tout le genre
de personne à qui on veut confier des gens sans défense. Tu me connais ! »

« Tu te sous-estimes. » déclara-t-il.

Encore que…

Pouvait-il entièrement lui faire confiance pour protéger les gamins si on lui proposait une
meilleure alternative ?

Serpentard un jour…

Ravalant un juron, il chercha une autre solution. S’il avait pu envoyer un message, s’il avait
pu…

« Kreattur ! » appela-t-il, sans être certain que cela fonctionnerait.

L’elfe l’appelait Maître mais c’était un titre de courtoisie dû à son sang Black, il n’avait
aucune autorité sur lui et…

Dans un craquement, le vieil elfe apparut, l’air échevelé et la taie d’oreiller de travers. La
créature semblait épuisée.

« Maître Draco est en sécurité. Bien. » déclara l’elfe sans même s’embarrasser de s’incliner.
« Maître Draco doit rester là, s’il vous plaît. Kreattur doit retourner s’assurer que Maître
Harry ne se fasse pas tuer comme un stupide petit idiot inconscient. Kreattur ne le traite pas
d’idiot, bien sûr, ce serait une très mauvaise chose pour un bon elfe et Kreattur est un bon elfe
maintenant, Kreattur dit juste que si un troll ressemble à un troll, c’est généralement un
troll. »

Il allait disparaître à nouveau.

Draco se précipita pour lui attraper l’épaule. « Attends ! »

Les oreilles de l’elfe tressautèrent avec détresse mais il ne disparut pas. « Kreattur a des
ordres, Maître Draco. Kreattur doit… »

« J’ai besoin d’aide. » l’interrompit-il. « Ça rentre dans tes ordres, ça, non ? »

Kreattur inclina la tête, ses oreilles tressautant d’autant plus fort. « Les ordres de Kreattur
sont de protéger Maître Draco et Maître Harry. Maître Draco est protégé. Maître Harry… »
« J’ai des enfants ici. » le coupa-t-il à nouveau, forçant l’elfe à pivoter vers les gamins
terrifiés, recroquevillés les uns contre les autres. « Et il y en a probablement davantage dans
les couloirs à la merci des Mangemorts. J’ai besoin d’aide pour les trouver et pour les
protéger. »

Et s’il pouvait aller chercher Granger en même temps, c’était encore mieux.

Kreattur secoua la tête. « Kreattur a des ordres et… » Mais l’elfe se tut abruptement,
apparemment incapable de détourner les yeux des plus jeunes élèves. Ses oreilles ne
tressautaient plus tant qu’elles s’agitaient avec détresse et il se gifla deux fois. « Kreattur a
ses ordres. » Il se tourna vers lui à nouveau. « Beaucoup d’enfants en danger ? »

Draco secoua la tête. « Je ne sais pas mais je suis sûr qu’il y avait des blessés qui n’auront
pas pu remonter dans les étages. Et même ceux qui sont en haut… Ce n’est pas sûr qu’ils
soient en sécurité. »

Un grondement emplit la pièce et il fallut un moment au Serpentard pour réaliser qu’il venait
du petit corps de l’elfe. Il ne savait pas que les elfes de maison pouvaient faire ce genre de
bruits sauvages.

« Kreattur ne peut pas fouiller tout seul. » L’elfe lui jeta un regard irrité, se mettant une
troisième et une quatrième gifle sans même sembler s’en rendre compte. « Si Maître Draco
quitte la salle commune, Kreattur sera extrêmement contrarié et le ramènera d’une manière
qui ne plaira pas à au jeune maître. Maître Draco comprend ? »

Plus amusé qu’insulté – et peut-être un peu effrayé – Draco acquiesça.

« Dans ce cas, Kreattur va chercher de l’aide. » déclara l’elfe, en se frappant d’autant plus
fort. Il se tourna à nouveau pour regarder les jeunes élèves, puis Astoria qui se tenait là, les
bras croisés, puis Pansy qui le dévisageait avec incrédulité, puis Draco à nouveau. « Pas
bouger, Maître Draco. »

Il disparut dans un craquement.

Pansy brisa le silence tendu qui s’était installé par une exclamation incrédule. « C’était quoi
ça ? »

« Ça, c’est ce à quoi un véritable elfe de maison compétent devrait ressembler. » rétorqua-t-il,
sur la défensive.

Il n’avait peut-être rencontré Kreattur que la veille mais l’elfe lui avait sauvé la vie et n’avait
été que déférence et respect. Il appréciait ces qualités chez un serviteur.

« Kreattur sert la noble et ancienne nouvelle génération des Black. » rajouta-t-il, non sans une
touche de fierté.

Pansy secoua la tête. « Ça ne veut rien dire. »

« Tu es sûr que tu ne t’es pas cogné la tête en tombant, tout à l’heure ? » demanda Astoria.
Il n’eut pas leur temps de leur expliquer qu’elles manquaient de raffinement. Dans une série
de craquements, la salle commune se remplit de ce qui ressemblait fort à une armée d’elfes de
maison portant tous des taies d’oreillers barrées du blason de Poudlard et affublés de
casseroles et autres instruments de cuisine comme des casques de fortune. Plus d’un étaient
armés d’un rouleau à pâtisserie, d’une poêle ou, plus alarmant, d’un couteau.

Kreattur réapparut à côté de lui, se chamaillant avec un autre elfe qui portait au moins quatre
paires de chaussettes dont une sur les oreilles…

Il lui fallut une seconde pour le reconnaître. « Dobby ? »

C’était donc à Poudlard que l’elfe avait atterri ?

« Monsieur Draco. » répondit l’elfe avec un mépris évident.

Kreattur plissa les yeux. « Maître Draco, espèce de représentant dégénéré des elfes de
maison. »

Il n’avait pas le temps d’arbitrer une dispute. « Quel est ton plan, Kreattur ? »

« Le plan de Dobby est de sauver les élèves, Monsieur Draco ! » s’exclama l’autre elfe en
premier. « Un groupe va rester ici pour protéger tout le monde et Dobby va aller chercher les
autres enfants avec d’autres elfes ! »

« Kreattur veut aider. » grinça son elfe. Enfin… L’elfe des Black.

« Kreattur a ses ordres. » rétorqua Dobby, un peu moqueur. « C’est ce que Kreattur a dit à
Dobby, non ? C’est pour ça que Kreattur a demandé de l’aide à Dobby. »

Kreattur semblait fortement hésiter à se jeter sur Dobby pour le frapper puis parut se
reprendre.

« Kreattur va demander à Maître Sirius d’annuler son ordre. » grinça l’elfe, en pointant un
doigt légèrement menaçant vers Draco. « Maître Draco doit rester ici. »

Il disparut dans un craquement.

Draco en profita pour fait un nouveau pas vers la porte.

« Tu ne peux pas me laisser ici avec des elfes de maison pour toute protection ! » protesta
Pansy.

Il leva les yeux au ciel mais se tourna vers Dobby. « Les elfes peuvent-ils garantir la sécurité
des élèves dans la salle commune ? »

Dobby n’hésita même pas avant de hocher vigoureusement la tête. « Personne ne s’en
prendra aux élèves de Poudlard. S’il faut partir de l’école pour en être sûr, les elfes
emmèneront les enfants ailleurs. »

« Très bien. » déclara-t-il. « Si je trouve d’autres élèves, je t’appelle, d’accord ? »


Rien ne garantissait que l’elfe voudrait bien répondre.

« Pour les élèves de Poudlard, Dobby viendra. » promit froidement l’elfe.

La cinquième année tenta à nouveau de lui barrer la route mais il la repoussa gentiment.
« Reste ici et attends. Tout ira bien, Pansy. »

Il s’éclipsa avant que Kreattur puisse revenir.

Dobby, pas si curieusement que ça, semblait beaucoup moins inquiet de sa sécurité.

Pas si étonnant.

Il se souvenait distinctement d’avoir trouvé hilarant de le regarder repasser ses propres


oreilles en guise de punition quand il avait sept ou huit ans.

Peut-être que Granger n’avait pas tellement tort de dire que la manière dont les sorciers
traitaient les elfes de maison était relativement mauvaise.

°O°O°O°O°

Severus avait vu la mort en face tellement de fois qu’il était presque blasé.

Il aurait été incapable de dire si le désespoir qui glaçait son âme venait du Détraqueur ou de
ses propres émotions.

Puis un blaireau argenté apparut soudain dans son champ de vision, repoussant la créature
avec suffisamment de furie pour lui rendre ses esprits. Il rampa en arrière, aussi loin du
Détraqueur qu’il le put. Il ne tenta pas de relancer son propre patronus mais dressa
suffisamment de boucliers pour le ralentir si…

Mais le blaireau était extrêmement déterminé à vaincre le Détraqueur.

Il butta contre quelque chose dans son dos, eut à peine le temps de lever la tête avant qu’un
homme ne le remette sur ses pieds. Severus se dégagea immédiatement, levant sa baguette,
méfiant. Le sorcier ne portait pas les robes des Mangemorts, pas de masque, mais il ne le
connaissait pas et…

« Professeur Snape ? » demanda l’inconnu avec un amusement évident. « Je voulais vous


rencontrer depuis un moment. J’aurais préféré d’autres circonstances, évidemment, mais… »

Des cheveux bruns grisonnants aux tempes, des yeux clairs, une légère ombre qui lui
mangeait les mâchoires et la carrure d’un homme habitué aux travaux manuels…

Il y avait quelque chose de familier dans ses traits.

Un parent d’élève ?

Il…
« Ted. » offrit le sorcier. Puis, devant son manque évident de réaction… « Ted Tonks. »

Severus le dévisagea, le souffle coupé parce que…

Nymphadora était morte. À cause de lui. Par sa faute.

Mais ça l’homme ne pouvait pas le savoir.

Pas encore.

Il n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit, d’expliquer…

Ils se retrouvèrent happés par la bataille, ramenés vers le parc…

L’esprit de Severus était à moitié à ce qu’il faisait seulement. Les mots tournaient en boucle
dans sa tête.

Elle est morte.

Et son père se battait à côté de lui, avec lui, lançant de temps en temps une plaisanterie
comme pour mieux détendre l’atmosphère, comme s’il n’avait pas de raison de le haïr…

Parce qu’il avait tué sa fille.

Mais Ted ne le savait pas.

Et Severus ne pouvait pas le lui expliquer en plein milieu d’une bataille où cela ne résulterait
qu’en sa mort probable.

Des armures enchantées quittèrent le château, se mêlant aux combattants et renversant


visiblement le cours de la bataille. Il ne voyait Minerva nulle part. Peut-être était-ce l’œuvre
d’Albus… Mais… non. Il reconnaissait le style de la vieille femme qui déplaçait les armures
comme des pièces sur un plateau d’échecs.

Au-dessus de leurs têtes, les jumeaux Weasley avaient apparemment rallié tous les joueurs de
Quidditch qu’ils avaient trouvés et les avaient équipés de battes qui étaient tout aussi
efficaces contre les Mangemorts ou les Détraqueurs qu’elles l’étaient contre un cognard. Il
vit, du coin de l’œil, Katie Bell faire une ville pour éviter un sort de mort, défoncer la tête du
Mangemort avec la batte… Le sorcier n’avait pas encore touché le sol qu’un Détraqueur
arracha la jeune fille à son balai et, faisant fi de son hurlement, attira son visage sous sa cape.
Les autres élèves et leurs patronus arrivèrent trop tard. Un des jumeaux réceptionna son corps
lorsque la créature la lâcha mais…

Severus détourna les yeux.

Il se concentra sur les Mangemorts devant lui, perdant le compte de ceux qu’il vainquait et
ceux qu’il ne parvenait qu’à repousser…

Pour un Botaniste de métier, Ted savait se battre plus que correctement et, graduellement,
Severus se reposa sur lui pour garder son flanc gauche, en faisant de même pour son flanc
droit. Il aurait voulu demander ce qu’il faisait là. Il n’était pas censé être là. Il était censé être
à l’abri, derrière un Fidelitas avec Andromeda. Cependant, Albus avait dû lancer un appel
général à l’Ordre parce qu’il avait aperçu plus d’un membre qui, d’ordinaire, ne servait que
de contact ou de renfort le cas échéant…

Lady Londubat était particulièrement en forme. Facilement repérable à son chapeau à vautour
et son étiole de renard, elle avait pourtant fait le vide autour d’elle et ne semblait pas s’en
porter plus mal.

Soudain, un sortilège vicieux brisa sa première couche de boucliers et passa sous sa garde…

Ted l’intercepta d’un bouclier basique et répliqua dans la même seconde, prenant pourtant le
temps de lui faire un clin d’œil.

« Je sais que la tradition veut que je menace de vous tuer si vous faites du mal à ma fille et
tout ça, mais évitez de vous faire assassiner à côté de moi. Elle m’en voudrait. » plaisanta le
sorcier.

Nymphadora est morte.

Les mots étaient sur le bout de sa langue.

Il ne lui avait pas encore adressé la parole.

Il avait peur d’ouvrir la bouche.

Peur que ce soient les mots qui en sortiraient : Nymphadora est morte par ma faute.

Puis il repéra autre chose par-dessus l’épaule du sorcier ou, plutôt, quelqu’un. Une masse de
cheveux roux qui se balançaient dans une queue de cheval, un sortilège de chauve-furie
particulièrement féroce…

Et puis…

Et puis cela lui parut si évident qu’il ne savait pas comment il ne l’avait pas remarqué avant.

Il avait fait le tri.

Il avait fait le tri des adolescents majeurs et mineurs.

Il avait fait le tri.

Ginny Weasley n’était certainement pas majeure.

Pas plus que Cho Chang qu’il apercevait sur un balai dans le sillage d’un des jumeaux
Weasley.

Pas plus que Dean Thomas ou Seamus Finnigan qui arrosaient les Mangemorts de ce qui
ressemblait fort à des cocktail Molotov improvisés.
« Mon fils… » souffla-t-il. Parce que s’ils étaient là, alors…

Oh alors il y avait fort à parier qu’Harry était quelque part dans ce massacre lui aussi.

Que les armures semblent leur avoir permis de reprendre la main comptait peu…

« Votre… quoi ? » balbutia Ted, apparemment surpris.

« Mon fils ! » répéta-t-il, en s’élançant en direction de Ginny Weasley, tout autre


considération oubliée.

Nymphadora…

Ses boucliers mentaux se remirent en place tout seuls, compartimentant la douleur de sa


perte, l’enterrant assez profondément pour qu’il puisse pleinement fonctionner parce que…

Son fils était un idiot qui n’avait jamais fait ce qu’on lui ordonnait de faire, particulièrement
si sa sécurité était en jeu.

Il ne mesura pas la force de son sectumsempra et le Mangemort qui affrontait la jeune fille
termina en plusieurs morceaux. La lionne eut un haut le cœur mais il n’eut aucune pitié
lorsqu’il l’attrapa par le bras, la forçant à pivoter pour lui faire face. « Où est Harry ? »

Elle secoua immédiatement la tête en le reconnaissant. « Je ne sais pas, on a été séparés ! »

Il la poussa vers Ted, surveillant le champ de bataille des yeux sans apercevoir le Survivant.
« Mettez-la en sécurité… Mettez en sécurité autant d’enfants que vous le pouvez. Je dois
trouver mon fils. »

Visiblement Nymphadora n’avait jamais expliqué sa situation familiale peu orthodoxe parce
que Ted paraissait toujours perplexe mais avec une quatrième année face à lui, il fit la chose
sensée, hocha la tête et entraina la jeune fille vers le château.

« Attendez ! » cria Ginny. « Il y a eu une embuscade dans les cachots ! Personne n’est en
sécurité à l’intérieur ! Le château est envahi ! »

Merveilleux.

Excellente nouvelle.

Serrant les dents, il se lança à la recherche de son fils en se demandant quand est-ce qu’Albus
consentirait à venir leur prêter main forte à l’extérieur.

Personne ne dirigeait leur armée.

Et s’il voulait retrouver Harry sous cette pluie battante et au milieu de ces combats…

Il jeta patronus sur patronus, ne se laissant pas douter qu’il y parviendrait, et commença à
donner ses ordres.
Il leur fallait deux lignes de combattants sur les côtés, Minerva au centre avec ses armures,
Molly là haut sur sa tour avait une vue d’ensemble… Ils allaient repousser les Mangemorts
quoi qu’il lui en coûterait juste pour qu’il puisse retrouver son fils et lui passer le savon du
siècle.

Il venait juste de libérer les patronus lorsqu’il sentit le sortilège d’alarme sur la salle
commune des Serpentard le frapper au sternum. Seul un préfet aurait pu l’activer…

C’était bon signe, décida-t-il.

Cela signifiait que certains élèves avaient trouvé refuge dans la salle commune.

°O°O°O°O°

Horace n’était pas fier de l’avouer mais il termina l’escalade de la tour d’astronomie à quatre
pattes, épuisé, rouge et en sueur, le cœur battant si fort qu’il aurait pu jurer qu’il allait
exploser… Il en était à son deuxième philtre de force.

Pas très sage, pour ne pas dire peu recommandé.

Il y avait une raison pour laquelle il s’aventurait rarement au-delà du premier étage.

C’était décidé, il se mettait au régime dès le lendemain.

S’il survivait à cette guerre de fou.

Severus allait lui devoir beaucoup plus que des excuses, cependant, et c’était cette pensée qui
le convainquit de terminer l’ascension au lieu de mentir effrontément à quiconque poserait la
question plus tard et de déclarer qu’elle était déjà morte lorsqu’il était arrivé. Il n’avait pas
apprécié les insinuations de son ancien élève ou les menaces de Minerva. Sauver son Auror
serait une bonne manière de récupérer la main mise sur le Professeur de Défense. Après tout,
le garçon avait peut-être un talent inné mais c’était lui qui lui avait appris à s’en servir, à le
développer. Un peu de reconnaissance ne serait pas malvenue.

Il aurait une dette envers lui.

Et Horace collectionnait celles-ci avec autant de passion qu’il collectionnait les alcools les
plus rares.

Bien heureusement, il n’y avait personne en haut de la tour capable de remarquer son entrée
peu digne et il prit le temps de reprendre sa respiration, assis à l’entrée, ignorant du mieux
qu’il le put le cadavre de Gellert Grindelwald, avant de se traîner jusqu’à la jeune femme et la
flaque de sang qui s’étendait sous elle. Une partie avait déjà commencé à coaguler et une ou
deux mouches commençaient à s’intéresser à l’Auror.

Très honnêtement, lorsqu’il parvint à son chevet, écartant les insectes d’un geste impatient, il
était persuadé qu’il était arrivé trop tard. Elle était trop pâle, trop inerte et la quantité de sang
autour d’elle…
Il fit un rapide calcul, estima qu’elle en avait perdu beaucoup plus que ce qu’un corps humain
pouvait se permettre.

Mais il y avait les deux fioles de reconstituant sanguin que Dumbledore lui avait fait avaler,
si son organisme était parvenu à synthétiser assez de sang assez vite…

Il attrapa son poignet pour chercher un pouls, ne fût pas surpris de ne pas en trouver un.

Par acquis de conscience, il jeta un sort de diagnostic, s’attendant à ce qu’il confirme le


décès.

Il se redressa lorsque le sort lui indiqua un signe de vie. Il posa la main sur sa poitrine, se
pencha au-dessus de son visage… Oui, il y avait un souffle. Un souffle ténu qui ne tarderait
pas à s’éteindre.

Il jeta un second sort, fronça les sourcils lorsqu’il ne montra pas le résultat escompté… La
plaie était là, il le confirma en écartant les pans de sa robe d’Auror et en soulevant son tee-
shirt… Pourtant, l’hémorragie semblait si faible à présent par rapport à ce qu’elle avait dû
être… Parce qu’elle n’avait plus de sang à perdre ? Ou bien…

Soudain, il comprit.

C’était une Métamorphomage, il l’avait oublié.

« Oh, c’était très intelligent, ma chère… » murmura-t-il, en levant sa baguette au-dessus de


son abdomen. « Très intelligent… »

Il lui sembla voir ses paupières tressauter mais elle n’ouvrit pas les yeux.

« Je vais terminer ce que vous avez commencé et nous irons à l’infirmerie. » promit-il. « Ce
n’est pas gagné, comprenez-moi, mais vous semblez aussi têtue que notre ami commun. Cela
ne m’étonne pas. Il a toujours eu un faible pour les femmes à fort caractère… »

°O°O°O°O°

Lunard était déchiré entre deux instincts tout aussi forts l’un que l’autre.

L’un voulait qu’il se jette dans la bataille au côté des armures pour protéger les plus jeunes,
l’autre lui hurlait de courir jusqu’à sa compagne.

Le patronus arriva pile à ce moment là, le faon argenté presque intangible et clairement agité.

« Prends le contrôle du flanc gauche. » ordonna Severus. « Minerva tient le centre avec ses
armures. Je m’occupe du droit. Nous devons les prendre en tenaille. Renvoie tous les élèves
qui n’ont rien à faire à l’extérieur vers le château. La salle commune de Serpentard est
possiblement un endroit sûr. À confirmer. Et si tu trouves Harry, mets le en sécurité coûte que
coûte. »

À nouveau, Lunard s’agaça de se voir donner des ordres. Pourtant, il devait admettre que
quelqu’un devait prendre le commandement dehors et…
Sous les regards soucieux de Sirius et d’Harry, il jeta son propre patronus.

« Dis-lui que j’ai Harry avec moi. » demanda Patmol. Le garçon commença à protester, à
argumenter qu’il pouvait être utile à l’extérieur… « Fais ce que je te dis. » cingla Sirius, plus
sèchement qu’il ne l’avait jamais entendu parler à l’adolescent. « On sait tous les deux que ce
n’est pas à cause de l’embuscade dans les cachots que tu es remonté et Severus aura ma peau
s’il t’arrive quelque chose. Tu restes avec moi et tu fais tout ce que je te dis, un point c’est
tout. »

Harry n’était visiblement pas d’accord avec ça mais Remus l’ignora, refoulant une légère
pointe de satisfaction parce qu’il savait qu’il avait eu raison durant tous ces mois
d’entraînement. Sirius et Severus avaient insisté pour dire qu’il ne stimulait pas assez
l’adolescent, qu’il ne lui faisait pas assez confiance… Ils lui avaient mis dans la tête qu’il
pouvait se battre aussi bien qu’eux… Était-ce si surprenant que le gamin le croit, à présent ?
Veuille se mettre en danger ? Ils l’avaient entraîné comme un soldat. Ce n’était pas
surprenant qu’Harry réagisse en tant que tel.

« Je suis à l’intérieur. Il y a des Mangemorts dans le château. » confia-t-il à son patronus.


« Trouve quelqu’un d’autre pour le flanc gauche et envoie-nous des Aurors si tu peux, je vais
tâcher de coordonner l’intérieur et repousser l’ennemi à l’extérieur. Tenez-vous prêt à vous
battre sur deux flancs. Harry est avec Sirius, les deux sont sains et saufs. » Il envoya le loup
argenté puis se détourna du hall et de son meilleur ami même si ça lui faisait mal de
l’abandonner avec des adolescents pour seul soutien. « Je vais essayer de trouver Albus. Je
t’envoie Fleur et son groupe. »

Sirius ne chercha pas à discuter mais lui serra brièvement l’épaule. « Sois prudent. »

« Vous aussi. » offrit-il, son regard s’arrêtant sur Harry qui bouillait visiblement de retourner
se jeter dans la bataille. « Harry. » Il attendit que le garçon croise son regard pour continuer. «
Ne joue pas aux héros. Ce n’est pas ce qu’aurait voulu ton père. »

Non sans ironie, le Gryffondor lâcha un bruit amusé. « Lequel des deux ? »

Le poids de ce qu’avait dit Remus, ce qu’il avait fait, plana entre eux comme un non-dit
acéré. Ils ne s’étaient pas revus depuis.

Cela lui coûta de ne pas répéter que James aurait sans doute été horrifié de voir un homme
qu’il avait haï élever son fils mais… Il ne pouvait pas, non plus, nier que Severus avait pris le
rôle plus au sérieux que les Dursley. Ou que Patmol.

Quant à lui, comment aurait-il pu juger… Sirius le lui avait bien reproché, il n’avait jamais
tenté de voir Harry avant d’être invité à Poudlard.

« Aucun des deux. » répondit-il calmement, comme une offre de paix.

Harry lui adressa un hochement de tête.

Puis suivit Sirius lorsqu’il retourna dans le hall.


°O°O°O°O°

Entre les armures de McGonagall et Fleur et son groupe arrivé à la rescousse, Sirius
commençait à mieux respirer. Il commençait même à croire qu’ils pouvaient gagner.

Pour l’instant, il n’avait perdu aucun des adolescents encore dans le hall. Son corps était
fourbu, éreinté par les multiples transformations en Patmol, mais il ne prêtait attention ni aux
contusions, ni aux plaies que le loup-garou avait laissées derrière lui. Il était dans cet état
d’esprit si particulier aux batailles. Hyper-vigilent. Hyper-conscient de son environnement.

Depuis quand durait l’assaut ?

Il lui semblait que cela faisait des heures mais, rationnellement, il savait qu’il ne pouvait pas
être beaucoup plus tard que midi…

Il gardait perpétuellement un œil sur Harry, pas tant parce qu’il craignait que le garçon soit en
difficultés – Harry était facilement meilleur combattant que la plupart des Mangemorts qui
avaient pénétré le château jusque là – mais parce qu’il ne lui faisait pas confiance pour ne pas
s’enfuir rejoindre Severus.

S’il devait être honnête, il était furieux que l’adolescent ait désobéi et soit remonté.

Pas surpris mais furieux.

Bien sûr, au demeurant, cela n’aurait pas fait une grande différence.

Il ne savait pas exactement ce qui s’était passé là en bas mais l’avalanche d’élèves poursuivis
par des Mangemorts et des loups indiquait clairement que quelque s’était passé.

Il se battait contre deux des quelques Mangemorts qui restaient, se faisant mentalement la
réflexion qu’il était étrange que Bellatrix ne se soit pas encore montrée pour tenter de le tuer
vu l’obsession qu’elle vouait à éradiquer les membres renégats de la famille, lorsqu’il y eut
un craquement près de lui.

Kreattur déblatérait mais, entre le bruit des combats et son propre cœur qui battait à ses
oreilles, Sirius ne comprenait qu’un mot sur trois.

« Kreattur, je suis un peu occupé ! » cingla-t-il, parant à droite tout en se tournant pour mieux
éviter l’autre sort qui fusait vers lui.

L’elfe eut l’air suprêmement ennuyé puis disparut.

Uniquement pour réapparaître sur les épaules d’un des Mangemorts avec une précision qui
suintait l’habitude. Avant que l’homme ait compris ce qui lui arrivait, il avait perdu une partie
de l’oreille. Kreattur la cracha avec dégoût et enfonça ses pouces dans les encoches du
masque, refusant de lâcher jusqu’à ce que le sorcier laisse tomber sa baguette pour se débattre
en hurlant…

Pas très ragoûtant mais très efficace, décida Sirius, en désarmant le second Mangemort qui,
après avoir vu ce qui était arrivé à son copain, s’échappa sans demander son reste.
Kreattur réapparut devant lui.

« Kreattur veut aider les elfes à sauver les enfants, Maître Sirius, s’il vous plait. » plaida
l’elfe.

Sirius jeta un regard circulaire sur le champ de bataille mais Fleur avait la situation en main.
Elle avait placé les adolescents plus jeunes derrière sa ligne de septièmes années et de recrues
et était en train de botter les fesses des trois Mangemorts restants, aidée par les armures. Un
groupe de ces armures était occupé de déblayer l’entrée, sans doute pour rejoindre le parc
plus facilement…

« Maître Sirius ! » s’agaça Kreattur.

Il baissa les yeux vers son elfe, sans trop de patience. « Qu’est-ce que tu racontes ? »

Kreattur lui jeta un de ses regards lourds de jugement qui en disaient long. Principalement
que Regulus, lui, n’aurait jamais été aussi stupide et qu’il aurait fait un bien meilleur hériter.

L’elfe semblait avoir connu des jours meilleurs. Sa taie d’oreiller était déchirée, il avait
quelques écorchures…

« Les elfes de Poudlard rassemblent les enfants blessés et les cachent dans la salle commune
de Serpentard. Kreattur veut aider. » lâcha l’elfe. « Mais Maître Sirius a ordonné à Kreattur
de protéger Maître Draco et Maître Harry. Kreattur a dit à Maître Draco de rester dans la salle
commune, Maître Draco est en sécurité. » L’elfe se balança d’avant en arrière. « Kreattur veut
vraiment sauver les enfants, Maître. Kreattur ne fait pas confiance à ce Dobby pour bien faire
le travail. Dobby n’est pas un bon elfe, Kreattur peut le sentir. Kreattur peut faire mieux. »

Il y avait trop d’informations mais tout ce qu’il retint c’était que des gosses étaient en sécurité
dans la salle commune de Serpentard et Draco avec.

« Fais ce que tu veux. » offrit-il. Il le regretta immédiatement. C’était précisément le genre


d’ordres qu’on ne voulait pas donner à un elfe de maison en qui on avait une confiance
relative.

Kreattur agita les oreilles avec un contentement évident. « Maître Sirius est un bon maître.
Kreattur est désolé d’avoir dit que Maître Sirius avait l’hygiène d’un rat d’égout même si
Maître Sirius aurait bien besoin d’une douche là tout de suite. »

« Sale petit… » Mais il s’interrompit et dût en rire. De la part de Kreattur, c’était presque
affectueux. « Va sauver les gosses mais sois prudent. Kreattur ? Tu es un bon elfe. »

L’elfe s’inclina bas puis disparut.

Sirius se tourna vers Fleur pour voir ce qu’il pouvait faire mais elle venait de terminer le
ménage. Harry était à sa droite.

« On attache et assomme tous ceux qui sont encore vivants et on les entasse dans le coin. »
ordonna-t-il à la cantonade. « Coups de pieds autorisés. Fleur, occupe-toi des blessés. »
Ils travaillèrent en silence pendant plusieurs minutes, vite et bien. Ce furent les bruits de
course qui les alertèrent et ils se tournèrent tous vers les cachots, baguettes levées, ce qui fit
que lorsque Draco débarqua en trombe, il se retrouva face à un petit groupe armé de très
mauvaise humeur.

L’adolescent leva immédiatement les deux mains.

Les baguettes se baissèrent et le Serpentard avança vers lui à grandes enjambées.

« C’est drôle, Kreattur vient juste de me dire qu’il t’avait laissé en sécurité. » railla
l’Animagus.

« Hilarant. » commenta Draco mais le cœur n’y était visiblement pas. Ses yeux gris étaient
hantés, il avait une petite coupure au front, un gros hématome sur sa main gauche qui tirait
déjà au violet et il était couvert de poussière. « Granger ? »

« On a été séparés. Elle est quelque part dans les étages. » répondit Harry avec inquiétude, en
le regardant des pieds à la tête. « Ça va ? »

« Génial. » siffla le Serpentard. « Tu as emmené avec toi les meilleurs combattants et ensuite
on s’est retrouvés face à des Mangemorts, des loups, et Fenrir Greyback, avec moi et trois
pauvres sixièmes années pour défendre les premières et deuxièmes années. Il y a des cadavres
partout en bas. »

Harry accusa le coup.

Sirius posa une main sur son épaule mais son filleul se dégagea et alla rejoindre
silencieusement Fleur. Il ne prit pas la peine de reprocher à Draco son manque de tact. Il
n’était pas tout à fait d’accord avec lui sur son analyse de la situation mais il était évident que
l’adolescent venait de vivre quelque chose d’extrêmement difficile.

Les yeux gris, si similaires aux siens, passèrent sur le groupe qui continuait de travailler à
empiler leurs prisonniers dans un coin sous les encouragements de Fleur.

« Les elfes tiennent la salle commune mais si tu peux envoyer de l’aide… » lâcha le garçon.
« Il y a des blessés et j’ai laissé Pansy aux commandes. »

« Merlin, la situation devait être vraiment désespérée alors. » plaisanta-t-il. Ça tomba à plat.
Il posa les mains sur les épaules de son cousin, le força à le regarder en face. Le Serpentard
tremblait un peu. « Draco, respire avec moi. Grandes inspirations… »

L’adolescent se dégagea avec agacement. « Je n’ai rien. Je vais très bien. » Il secoua la tête.
« Je vais chercher Granger. »

« Absolument pas. » contra-t-il immédiatement. « Tu restes avec Harry et moi. »

Il était responsable du Serpentard maintenant.

La réalisation lui vint, soudaine et triste.


Il était responsable de lui parce que Tonks…

« Tu restes avec Harry et moi. » répéta-t-il.

Il n’allait pas perdre un autre membre de sa famille ce jour là.

Il refusait de perdre quelqu’un d’autre.

« Et où est Harry ? » se moqua Draco.

La panique tordit le ventre de Sirius lorsqu’il se retourna pour inspecter le groupe derrière lui.
Il ne voyait plus son filleul nulle part.

« Fleur ! » appela-t-il. « Fleur, où est Harry ? »

La jeune femme haussa les épaules.

Les adolescents reprirent l’appel mais Harry n’était plus là.

Les armures non plus.

Elles avaient terminé de dégager une ouverture dans le mur.

Sirius laissa échapper une série colorée de jurons puis pivota vers Draco pour…

Son cousin n’était plus là.

« Sales gosses. » cracha-t-il. « Sales putain de gosses ingrats. »

Voilà pourquoi il ne voulait pas d’enfants.

Severus allait le tuer.

Tonks allait…

Non, Tonks, la pauvre, ne le tuerait pas. Mais Narcissa, dans un futur plus ou moins lointain,
c’était une certitude.

Merlin, Andromeda allait le tuer.

Et elle aurait raison.

Il avait échoué à protéger sa famille.

« Neville ! » aboya-t-il. « Tu prends le reste de l’A.D. et tu files à la salle commune de


Serpentard. » Il étudia le groupe qui avait été avec Fleur, repéra une septième année qui avait
l’air trop blessée pour continuer vu la manière dont elle tenait son bras. « Simpson, avec eux.
Récupérez le maximum d’élèves en route mais pas de zèle. » Il y eut un moment de
flottement avant qu’il ne frappe dans ses mains. « Allez. »
Simpson leva une main tremblante. « Euh, Professeur Black ? Où est la salle commune de
Serpentard ? »

Son regard tomba sur la cravate bleue et argent.

Il chercha le hall à la recherche de…

Où étaient Zabini et Greengrass quand on avait besoin d’eux ?

Visiblement pas dans le hall.

« Et merde. » s’énerva-t-il. « Kreattur ! »

L’elfe ne parut pas ravi d’être rappelé pour jouer les guides mais s’adoucit lorsqu’il réalisa
qu’on lui demandait de ramener des élèves en sécurité.

Qui aurait cru que les gamins étaient le talon d’Achille de cet elfe de maison ?

°O°O°O°O°

Bill tournait en rond.

Il avait croisé deux Mangemorts mais avait préféré se cacher plutôt que d’engager le combat.
La plaie à l’arrière de son crâne battait au rythme de son cœur et il titubait plus qu’il ne
marchait, laissant des traces de sang derrière lui. S’il prenait l’envie à quelqu’un de remonter
la piste…

Mais il suivait toujours le sortilège.

Sa baguette indiquait toujours la bonne direction.

Du moins, l’espérait-il.

Le vertige et la nausée étaient…

Peut-être pourrait-il s’asseoir un peu, songea-t-il, en atteignant l’escalier qui menait au


troisième étage. Pourquoi Charlie était-il remonté ?

Pour éliminer les autres ancres.

Mais le sort s’était dissipé.

Il n’arrivait pas à réfléchir.

Il n’y arrivait pas.

Il allait s’asseoir, décida-t-il, alors même qu’une partie de son esprit le mettait en garde
contre cette idée stupide. Tout ce qu’il voulait, c’était s’asseoir. Fermer les yeux juste une
seconde. Se reposer. Juste une seconde.

Il continua pourtant à se traîner en haut de l’escalier.


Il allait s’asseoir mais pas au milieu, pas là où il pourrait facilement être découvert.

Un mur avait explosé juste derrière lui un peu plus tôt, sans crier gare.

Un potion explosive, sans doute. L’une des leurs ou une de l’ennemi.

Une salle de classe.

Il allait se traîner jusqu’à une des salles de classes et…

Les éclats de voix le tirèrent un peu de sa torpeur.

« Pourquoi tu fais ça ? » cria quelqu’un. « Charlie, arrête ! Tu me fais peur ! Charlie ! »

Bill se mit à courir – autant qu’il le pouvait – avant même d’avoir compris pourquoi. Avant
même d’avoir réalisé que c’était parce qu’il connaissait cette voix.

Il déboula dans le couloir alors même que Charlie pointait sa baguette tremblante sur Ron.

Ron qui se tenait debout devant Hermione qui était affalée au sol…

Il y avait eu duel, visiblement.

Il y avait des traces de sorts au mur.

La jeune fille semblait plus sonnée que blessée.

Ron avait les yeux pleins de larmes alors qu’il tâchait du mieux qu’il le pouvait de protéger
Hermione de son corps.

Ce fût là que Bill le vit.

Derrière eux, il y avait un corps inanimé. Celui aux yeux ouverts qui le fixait d’un air presque
réprobateur. Celui qui était mort.

Il ne portait pas l’uniforme de l’école.

Une des recrues que Tonks avait postées à Poudlard, supposait-il.

« Pourquoi tu fais ça ? » supplia Ron.

« Ava… » balbutia Charlie et le sang de Bill ne fit qu’un tour.

Ses deux frères sursautèrent de surprise lorsqu’il s’interposa entre eux, une main levée en
direction de Charlie, comme pour bloquer un sortilège qu’il n’avait aucun espoir de stopper.
Il ne chercha même pas à utiliser sa baguette. Il n’avait pas la force de…

« Charlie. » lâcha-t-il, les mots s’accrochant les uns aux autres parce qu’il n’était pas… Il
n’allait pas… Sa bouche était pâteuse, sa vision trouble… « Ron, prends Hermione et va-t-
en. »
Si son plus jeune frère le comprit, il ne bougea pas.

« Av… » répéta Charlie, en grimaçant, le visage couvert de sueur et de sang séché qui n’était
pas le sien. Il sanglotait. « Ar… Arrête moi. » supplia-t-il. « Avada… Bill… Bill… Ne me
laisse pas… Avada… Bill, je t’en supplie… Tue moi… Avada Ke… »

Mais Bill en était incapable.

Il ne pouvait pas lever sa baguette sur un frère qu’il avait tenu dans ses bras quelques minutes
à peine après sa naissance. Il ne pouvait pas lever sa baguette sur un frère qui avait été son
confident, son meilleur ami, son miroir. Il ne pouvait pas.

« Ron, prends Hermione et va-t-en. » répéta-t-il.

Il entendit Ron remettre la jeune fille sur ses pieds dans son dos, entendit les sanglots que son
plus jeune frère ne retenait plus.

« Bill… » plaida-t-il.

« Stupefix ! » lança soudain Hermione, sans avertissement, en bondissant de derrière lui.

Charlie para immédiatement et répliqua d’un sort de mort qui aurait touché l’adolescente si
Ron ne s’était pas jeté sur elle. Le sort frisa la tête de leur frère et Bill leva finalement sa
baguette, se décalant pour se retrouver à nouveau entre eux…

« Je dois… Je dois tuer tous ceux qui m’attaquent… » marmonna Charlie, luttant visiblement
contre lui-même. Sa main tremblait tellement que c’était un miracle qu’il puisse encore tenir
sa baguette. « Retrouver… Retrouver Anthony… Bill… Bill, s’il te plaît… Je ne veux plus
faire de mal… Bill, tue moi… Tue-moi… Ava… »

Bill ne vit pas le sort venir parce qu’il arriva dans le dos de Charlie.

Son frère s’écroula soudain, inconscient.

Remus se tenait là, juste derrière lui.

« Charlie ! » s’exclamèrent Bill et Ron en cœur, avant de se précipiter vers le dragonnier.

La main du Briseur de Sorts tâta sa gorge, chercha un pouls… Ron secouait le jeune homme,
pleurant à gros sanglots, en panique…

Bill aussi était en panique.

Ils ne pouvait pas perdre quelqu’un d’autre.

Pas si tôt après leur père.

Pas…
« Ce n’est qu’un stupefix. » gronda Remus, la voix rauque. Ses yeux brillaient d’un éclat
sauvage, comme si le loup le commandait davantage que l’humain. « Severus a dit qu’il avait
tué Dora. »

Il eut si froid tout d’un coup. La panique, la blessure à l’arrière de sa tête, l’énormité de ce
que Remus disait… Tonks était comme une sœur supplémentaire pour Charlie, elle l’avait
toujours été. Un peu comme Ron avait ramené Harry et Hermione dans la famille. Bill ne se
souvenait plus d’un moment, à partir de son entrée à Poudlard, où ces deux là n’avaient pas
été joints à la hanche et ça incluait la période après qu’elle ait été fortement amoureuse de lui
et lui très amoureux du chanteur d’un groupe de rock sorcier. Leur amitié avait survécu à ça
parce qu’elle survivait à tout. Tonks était sa meilleure amie. Tonks était…

Il a tué Flitwick.

Il a tué cette recrue.

Et Merlin savait combien d’autres.

Il ravala les mots qui voulaient passer sa gorge, ignora les bruits pleins de détresse de Ron et
d’Hermione…

« Il est sous Imperium. » le défendit-il, se plaçant de manière à pouvoir protéger Charlie de


son corps si le loup-garou…

« Et c’est la seule raison pour laquelle il est encore en vie. » siffla Remus, d’une voix
toujours plus animale qu’humaine. « Ron, Hermione… Ligotez Charlie puis aidez-les à
rejoindre l’infirmerie. Et n’en bougez plus. »

Ron semblait trop choqué pour réagir mais Hermione hocha immédiatement la tête, malgré
les larmes qui roulaient sur ses joues.

« Où… Où est-ce que vous allez ? » demanda-t-elle.

« Chercher Dumbledore ou ma compagne. » grinça le loup-garou. « Celui que je trouve en


premier. »

Ça n’avait pas grand sens parce que Tonks était morte, d’après lui, et, en plus, ce n’était plus
vraiment sa compagne si ? Personne ne lui avait confirmé qu’elle était avec Severus mais,
très franchement, il suffisait d’être dans la même pièce qu’eux pendant dix minutes pour
comprendre… Ils n’étaient pas exactement aussi subtils ou discrets qu’ils pensaient l’être.

Tonks ne portait plus beaucoup le loup dans son cœur de toute manière, elle…

Elle était morte.

Charlie l’avait tuée.

Son frère l’avait tuée.

Charlie avait manqué tuer Ron.


Il regarda Hermione jeter un incarerem au dragonnier, la regarda le faire léviter…

« Tu peux marcher ? » lui demanda Ron, d’un ton inquiet, en essuyant ses larmes d’un revers
de manche.

Lorsqu’il releva la tête, Remus était déjà parti.

Tout tanguait.

« Anthony… » marmonna-t-il. « Il faut le trouver… Il faut… »

« Harry, Hermione et Sirius l’ont déjà capturé. » répondit son frère, en le forçant à passer un
bras autour de ses épaules. « Allez, viens. On va à l’infirmerie. Pomfresh va briser
l’envoûtement sur Charlie et tout ira bien. »

« Ce n’est pas si simple, Ron… » soupira-t-il.

Briser le sort…

Il aurait pu le faire.

Il aurait dû le faire tout de suite.

Mais il devint évident lorsqu’il fût sur ses pieds qu’il n’était pas capable de faire de la magie
avancée. Il était à peine capable de mettre un pied devant l’autre avec l’aide de Ron qui
soutenait son poids sans sourciller.

« Quand est-ce que tu es devenu aussi grand ? » demanda-t-il, un peu choqué.

Dans sa tête, Ron et Ginny étaient pratiquement toujours des bébés. Mais Ron faisait presque
sa taille désormais.

« Qu’est-ce que tu veux dire, ce n’est pas si simple ? » insista son frère.

« Ce n’est pas briser le sort le problème. » murmura Hermione tristement. « C’est vivre avec
ce qu’on a été forcé de faire sous l’influence du maléfice. »

« Mais ce n’était pas sa faute ! » protesta Ron. « Il ne voulait pas… Tu as vu ! Tu as vu qu’il


a essayé de combattre l’Imperium. »

Bill doutait que Charlie verrait les choses de cette manière.

Tue-moi avait supplié son frère.

Peut-être que cela aurait été plus magnanime.

Parce que vivre avec la mort de Tonks, Flitwick, cette recrue et qui savait d’autre sur la
conscience ?

Ce ne serait pas facile.


°O°O°O°O°

Albus s’exhortait à la patience et affichait un calme à toute épreuve mais, à l’intérieur, il


bouillait.

Il n’avait pas réussi à seulement atteindre le rez-de-chaussée, encore moins le parc où se


déroulait désormais le gros des combats. Il avait accumulé les enfants à la place et n’avait
trouvé aucun endroit sûr où les abandonner momentanément.

Son idée, au départ, avait été de les redescendre vers les cachots où, selon ce que lui disait
Poudlard, les protections autour de la salle commune de Serpentard tenaient bon – et où un
certain nombre d’élèves semblait s’être réfugié. Mais il s’était vu barrer le passage par des
Mangemorts à chaque fois. Ce n’était pas véritablement un problème, ils n’étaient pas à sa
mesure. Lord Voldemort n’avait visiblement pas emmené la fine fleur de son armée ce jour là
mais il ne pouvait pas passer en force lorsqu’il avait cinq enfants avec lui.

Et le dernier groupe qu’il venait de trouver…

Luna Lovegood était, en apparence, tout aussi calme que lui mais il soupçonnait que c’était
davantage un air qu’elle se donnait qu’une véritable sérénité.

Elle était accompagnée de deux autres quatrièmes années, l’une de Gryffondor, l’autre de
Serpentard qui ne semblait pas savoir si elle devait être hostile envers eux ou reconnaissante
pour leur aide, et un troisième année de Serdaigle, Bowen Donovan qui était blessé.

Luna demeurait imperturbable alors qu’elle appuyait sur la plaie sur l’épaule du garçon qui
pleurait et gémissait, clairement terrifié. La Serpentard, Shelby Yates, se tenait aussi loin
d’eux que possible. Quant à la jeune Gryffondor, Josie Puckett, elle ne semblait pas savoir
quoi faire.

« Professeur Dumbledore. » le salua posément Luna, lorsqu’elle le vit approcher, sa


collection d’enfants accrochée à ses robes.

Shelby et Josie se lancèrent immédiatement dans le récit de ce qui s’était passé dans les
cachots – un récit auquel il avait eu droit plusieurs fois déjà, par chacun des élèves agglutinés
autour de lui.

« Il s’est fait mordre par un loup-garou ! » s’exclama Shelby, en pointant sa baguette sur le
troisième année.

« Range ça. » ordonna-t-il sèchement, en s’accroupissant près du garçon, masquant au mieux


son horreur. Luna écarta les mains sans qu’il ait besoin de le lui demander pour qu’il puisse
examiner la plaie. C’était bien une morsure. Et elle n’était pas jolie. « Quand est-ce arrivé ?
Lorsque vous étiez en train de fuir du tunnel ? »

« Non. » répondit Josie, en secouant la tête. « Yates et moi on a été séparées de nos amis
lorsque Malfoy a fait exploser le tunnel, on ne savait pas quoi faire alors on est montées dans
les étages… On a tourné en rond un moment… Loufoca était en train d’attaquer le loup-
garou quand on est tombées sur eux. »
« Je pense que tu veux dire Miss Lovegood. » corrigea Albus, sans s’embarrasser de cacher
son mécontentement.

« Ça ne fait rien. » répondit Luna, en observant le troisième année de sa Maison avec une
compassion évidente. « Je me battais avec Ginny mais on a été séparées. Ensuite, il y avait
des duels partout et je me suis retrouvée toute seule. Je cherchais les autres quand j’ai
entendu Bowen crier. Le loup-garou essayait de l’entrainer… »

« Pour mieux le manger ! » s’écria Shelby, déclenchant des petits cris et gémissements
terrifiés de la part des élèves plus jeunes qui l’entouraient.

« J’en doute fortement. » lâcha-t-il. Pour aller grossir les rangs de Greyback, en revanche…

« Je ne vais pas devenir un loup-garou, hein ? » demanda Bowen, entre deux sanglots. « Ce
n’est pas la pleine lune. Je ne peux pas être contaminé. Ce n’est pas la pleine lune. »

Il y avait des traces de la malédiction autour de la morsure.

La lune comptait-elle si le loup-garou était sous forme animale ?

Il lui faudrait demander à Remus d’examiner l’enfant, lui seul pourrait donner une réponse
certaine.

« Qu’est-il arrivé au loup-garou ? » demanda-t-il. « Comment l’avez-vous repoussé ? »

« Le Professeur Snape a dit que quand on ne savait pas quoi faire dans un combat, le mieux
c’était de faire simple et de s’en tenir à ce qu’on maîtrise. » expliqua Josie. « Le loup avait
lâché le garçon et s’était tourné vers Loufo… Lovegood pour l’attaquer, alors j’ai jeté un
bouclier sur nous quatre. »

« Ensuite le plafond s’est écroulé avec le mur de l’étage du dessus et le loup-garou était de
l’autre côté des débris. » continua Shelby. « On a eu de la chance. »

Albus croisa le regard de Luna qui semblait avoir compris que Bowen n’avait pas eu autant
de chance que ça.

Cela réglait la question de quoi faire des enfants, cela dit.

Il devait les ramener à l’infirmerie.

Bowen était le seul à avoir une blessures importante mais tous les autres avaient aussi des
bleus ou des écorchures… Ils y seraient aussi bien qu’ailleurs.

Des bruits de pas précipités l’alertèrent et il se releva souplement, baguette levée, un bouclier
puissant entourant déjà tous les élèves…

Draco Malfoy déboula au pas de course et se figea lorsqu’il les vit avant d’approcher, main et
baguette levées pour montrer qu’il n’était pas une menace. Albus baissa sa baguette,
s’autorisant un léger sourire qui n’atteignit pas ses yeux.
« Je te pensais dans les cachots, Draco. »

L’adolescent secoua la tête. Il était couvert de poussière, sale, avait plus d’une estafilade et,
surtout, avait l’air hanté. « Je cherche Granger. »

Le Directeur secoua la tête. « Je ne l’ai pas croisée. Harry ? »

« Il était en bas avec Sirius. » répondit le garçon, en haussant les épaules. Il continua à
approcher jusqu’à toucher la joue Luna. « Tu n’as rien ? »

La jeune fille déglutit avec difficulté puis se jeta dans ses bras. Draco n’eut aucune hésitation
avant de l’étreindre, plaçant une main à l’arrière de son crâne comme pour mieux la rassurer.

« C’est fini. » promit-il. « C’est fini. Tu n’aurais pas dû partir avec eux. »

« Ce sont mes amis. » protesta la quatrième année avec un reniflement. « Je n’ai jamais eu
d’amis avant… »

« Moi aussi, je suis ton ami. » lui rappela Draco, dans un grondement mécontent. « Et
contrairement à eux, je ne te demanderai jamais de charger dans le tas comme un stupide
Gryffondor. » Le garçon ignora les exclamations indignées des divers lions. « Tu aurais dû
rester près de moi. Tu aurais dû rester avec Astoria. » Par-dessus la tête de la jeune fille, il
croisa le regard d’Albus. « La salle commune des Serpentards… »

« Je sais. » l’interrompit-il. « Une excellente initiative. Je te récompenserais bien par des


points mais je crains que cela ne soit plus d’actualité. Le problème est d’atteindre la salle
commune. »

« Non. » réfuta Draco. « J’y ai pensé. Kreattur ! »

Albus fût plus qu’un peu ahuri de voir l’elfe de maison de Sirius apparaître en plein milieu du
couloir. N’était-il pas assigné à résidence ? Comment avait-il désobéi à Sirius ? Et pourquoi
obéissait-il à Draco Malfoy ? Que…

« Kreattur a dit à Maître Draco de ne pas bouger de la salle commune. » siffla l’elfe,
visiblement furieux. « Kreattur a dit à Maître Draco que Maître Draco n’allait pas aimer la
manière dont Kreattur l’y ramènerait. »

« Sirius t’a-t-il ordonné de m’y ramener ? » rétorqua le garçon.

L’elfe plissa des yeux. « Maîtresse Cissy était une si gentille sorcière. Kreattur commence à
penser que cette pauvre excuse d’elfe à chaussettes a raison sur son ancienne famille. »

Draco posa une main sur ton torse, au niveau du cœur. « Kreattur, tu me fais de la peine. Je
croyais qu’on était devenus proches, toi et moi. »

Kreattur agita les oreilles avec un agacement manifeste. « Maître Draco et Maître Harry vont
achever Kreattur avant que ce ne soit l’heure pour lui de voir sa tête montée sur le mur. Le
poil de Kreattur devient gris depuis que Kreattur doit surveiller les jeunes Maîtres. »
Albus se racla la gorge, levant les sourcils en guise de question.

Le Serpentard haussa les épaules. « Kreattur a rallié les elfes de maison. Ils cherchent les
élèves en danger et les ramènent dans les cachots. »

Pour toute réponse, Kreattur attrapa Luna et Josie avant de disparaître dans un craquement,
uniquement pour revenir immédiatement et attraper deux autres élèves.

« Bowen doit aller à l’infirmerie. » intervint le Directeur.

« Dobby ! » appela Draco. L’autre elfe apparut immédiatement, avec un regard noir pour son
ancien maître. « Monsieur Draco a appelé Dobby ? »

« Peux-tu emmener ce garçon à l’infirmerie, s’il te plait ? » s’enquit Albus.

Dobby se répandit en courbettes. « Oui, Albus Dumbledore, monsieur le Directeur ! »

En quelques minutes, l’affaire était pliée. Les deux elfes avaient évacué tous les élèves.

« Utiliser les elfes de maison était une brillante idée, Draco. » le félicita-t-il.

Le Serpentard secoua la tête, en croisant les bras. « J’ai… J’ai fait exploser le tunnel, en
bas. Je ne voyais pas quoi faire d’autre… »

« Je suis certain que tu as fait au mieux. » répondit-il.

L’adolescent se frotta le visage, étalant la poussière sur ses joues. « Je suis quasiment certain
que des élèves se sont retrouvés coincés dessous. Je n’ai pas mesuré… Je… Ça ne les a
même pas arrêtés… À peine ralentis… »

« Tu as donné à beaucoup l’opportunité de fuir. » contra Albus, en lui serrant l’épaule.

Kreattur réapparut dans un craquement qu’il parvint à rendre indigné. « Maître Draco
retourne aussi dans la salle commune. »

« Non. » protesta l’adolescent. « Je dois trouver Granger. Va voir si Potter a besoin d’aide. »

« Je vais me charger d’aller aider Harry. » intervint le Directeur. « Kreattur, pourquoi n’irais-
tu pas t’assurer qu’aucun élève n’a besoin d’aide dans le tunnel ? Draco pense que certains
pourraient être coincés sous les décombres. S’il y a des blessés, évacue-les vers
l’infirmerie. »

L’elfe ne semblait pas impressionné et le regarda avec agacement. « Kreattur ne sert pas le
grand loufoque. Kreattur sert la noble et ancienne nouvelle génération des Black. »

« Fais ce qu’il dit, s’il te plait ? » soupira Draco.

Kreattur sembla hésiter puis ses épaules s’affaissèrent. « Maître Sirius ne va pas aimer que
Maître Draco ne soit pas en sécurité. Si Maître Draco se fait tuer, Kreattur sera très, très
mécontent. »
« C’est noté. » railla le Serpentard. « Je ferai de mon mieux pour ne pas me faire tuer. Merlin
me préserve de la colère de notre elfe de maison. »

L’elfe ne sembla pas saisir l’ironie.

Il hocha la tête et puis disparut.

« Il va falloir m’expliquer comment cet elfe en est venu à circuler librement dans mon
école. » déclara-t-il. « Mais cela peut attendre. J’ai rendez-vous avec Lord Voldemort. »

« Essayez de le tuer, ce serait bien. » cingla Draco, en faisant quelques pas dans la direction
d’où il venait avant de s’arrêter. Il se tourna à nouveau mais parut incapable de croiser son
regard. « Avez-vous vu… Savez-vous si… »

« Je n’ai pas vu ton père. » répondit-il honnêtement et aussi gentiment qu’il le put. « Mais s’il
est quelque part, c’est certainement à la tête des troupes, dehors, dans le parc. »

Le garçon acquiesça, presque tristement, puis repartit en courant à la recherche de sa lionne.

Albus s’autorisa un soupir avant de s’élancer lui-même vers les étages inférieurs.

°O°O°O°O°

Horace avait presque stabilisé l’Auror, à défaut de l’avoir sauvée, lorsqu’il entendit les bruits
de course dans l’escalier.

Il n’hésita pas une seconde à l’abandonner pour se coller contre le mur et se transformer, d’un
coup de baguette, en une énorme armoire. La Métamorphose lui avait plus d’une fois sauvé la
vie. Personne ne pensait jamais à vérifier le mobilier.

Quelqu’un déboula dans la tour au pas de charge, le souffle court…

« Dora ! »

Il reconnut la voix du loup-garou et laissa filer le sort, redevenant humain.

Et il se retrouva face à un homme aux yeux entièrement ambrés, qui haletait, et dont les dents
ressemblaient presque à des crocs à la lumière grisâtre qui filtrait par les arcades de pierre…

Il leva immédiatement les mains, regrettant d’avoir été aussi impulsif.

Il aurait dû rester une armoire un peu plus longtemps.

°O°O°O°O°

Remus devait lutter pour garder le contrôle.

Sous sa peau, Lunard poussait et poussait… Il sentait ses griffes labourer ses entrailles alors
que le loup cherchait à sortir… Impossible, bien sûr, pas sans une dose de cette potion
miraculeuse ou la pleine lune mais…
Le loup était fou.

Le sang de sa compagne s’étalait partout.

Tellement de sang.

L’endroit puait la mort.

Et ce n’était pas juste le cadavre de Grindelwald.

C’était elle.

L’odeur lui collait à la peau.

« Remus, Remus, mon garçon… » murmura Slughorn.

« Que faites-vous là ? » aboya-t-il, en s’accroupissant près d’elle.

Elle était…

Elle était livide.

Si pâle…

Tellement de sang…

Ses robes bleues étaient devenues écarlates.

Et la plaie que Slughorn avait visiblement dégagée, le tee-shirt déchiré, sa chair exposée sans
pensée pour sa dignité…

C’était son pire cauchemar. Il avait toujours su que ça finirait comme ça. Elle était trop
imprudente, trop...

Il attrapa sa main, la porta à ses lèvres… Ses doigts étaient froids, si froids… Il souffla dessus
pour les réchauffer, ne chercha pas à ravaler le gémissement de détresse qu’émit Lunard mais
qui passa par sa bouche…

« Albus m’a demandé de… » balbutia Slughorn, visiblement interloqué.

« Laissez-nous ! » rugit-il.

Le sang lui battait aux tempes.

Il ne pouvait pas survivre sans elle.

Il ne pouvait pas…

Il ne pouvait pas.

« Elle… Elle est toujours vivante, Remus. »


Il leva la tête vers le Professeur si vite qu’il sentit quelque chose claquer à l’arrière de sa
nuque. Aussi vite qu’un prédateur ayant repéré une nouvelle proie.

« Quoi ? » demanda-t-il.

« Elle est toujours vivante. » répéta Slughorn, sans s’approcher. « Si vous me laissez terminer
de la stabiliser… Si nous parvenons à l’emmener rapidement à l’infirmerie… Ce n’est pas…
Ce n’est pas gagné, mais il y a des chances qu’elle… »

« Faite-le. » ordonna-t-il, plus loup qu’humain, plus Alpha que loup.

Slughorn se dépêcha de se remettre à genoux auprès d’elle, avec des difficultés liées à sa
masse, puis il agita sa baguette et Remus pressa à nouveau ses lèvres contre la main de la
jeune femme.

« Je suis là. » murmura-t-il contre sa peau. « Je suis là. Tu restes avec moi. Je suis là. »

« Voilà. » déclara Slughorn. « Cela devrait tenir le temps de… »

Remus n’attendit pas.

Il la prit dans ses bras, la cala avec autant de précautions qu’il le put contre son torse, et
détala comme un loup en chasse.

°O°O°O°O°

Le monde n’était plus que sang, sueur et rage.

C’était pire à l’extérieur qu’à l’intérieur du château.

Le parc était un champ de bataille à grande échelle.

Harry s’était immédiatement dirigé vers la droite parce que c’était là où son père avait dit être
dans son patronus mais il n’était pas allé bien loin avant de se retrouver pris dans les
combats. Ça ne l’empêchait pas d’avancer. Mètre par mètre. Il se frayait un chemin. Sortilège
par sortilège. Son patronus repoussait les Détraqueurs, offrant un répit aux sorciers et
sorcières qui avaient ralliés Poudlard pour défendre le château…

Trois destins convergent ce jour. Trois hommes de l’ombre entrent dans la lumière. Le
premier trouvera sa vengeance. Le deuxième trouvera sa rédemption. Le troisième trouvera
sa mort.

L’espion était Anthony.

Ils n’avaient pas eu le temps pour les débats ou les explications mais cela semblait évident.
Or, Anthony n’avait pas semblé éprouver de remords et il n’était pas mort puisque Harry lui-
même l’avait enfermé, toujours assommé, dans un des placards à balais de Rusard, dans le
hall, après l’avoir saucissonné un peu plus étroitement qu’Hermione l’avait fait. Il restait la
vengeance.
Ce qui signifiait que Severus risquait toujours de mourir.

Et ça, il ne le permettrait pas.

Alors il se frayait un chemin, coûte que coûte.

°O°O°O°O°

Il ne la trouverait jamais.

Draco marchait plus qu’il ne courrait, à présent, évitant les quelques Mangemorts qui
semblaient encore fouiller les couloirs, davantage pour mettre le désordre ou tuer
gratuitement des gens que par souci tactique, semblait-il. À chaque fois qu’il s’était aventuré
à regarder par une fenêtre, il semblait évident que les Aurors qui restaient, les Professeurs et
l’Ordre du Phoenix étaient en train d’accomplir l’impossible et de repousser l’assaut. Peut-
être y seraient-ils déjà parvenus sans la pluie qui rendait le terrain traître, les Détraqueurs et
les quelques Mangemorts sur leurs balais avec leurs potions explosives qui continuaient à
mettre le bazar.

Encore que les jumeaux Weasley semblaient avoir inventé une nouvelle version du Quidditch
qui consistait à frapper les gens avec des battes en plein vol. Pas très éthique mais
certainement efficace.

De Granger, il n’y avait aucune trace.

Il avait passé plusieurs cadavres.

Des recrues, des élèves d’âges divers, quelques Mangemorts… Il s’était arrêté à chaque fois
pour soulever leur masque, même lorsque la carrure ou la taille n’avait pas été la bonne. Pour
être certain. Parce que…

Ça le rendait malade.

Que son père ait pu participer à ce massacre, cela le rendait malade.

Il s’efforçait de rester sur ses gardes, concentré, mais son cerveau semblait rejouer en boucle
ce moment où les Mangemorts avaient commencé à lancer des sorts de mort à l’aveugle sur
la masse paniquée des élèves qui cherchaient à s’enfuir. Il lui semblait encore entendre les
cris, les bruis d’os qui se brisaient alors que d’autres élèves écrasaient ceux qui avaient eu la
malchance de tomber au sol, le rire gras de Greyback…

Il ne trouverait jamais Granger.

C’était comme chercher une aiguille dans une meule de foin géante.

Le château était grand, certains couloirs étaient endommagés, le plafond ou les murs s’étant
effondrés, le forçant à faire des détours… Encore que, était-ce un détour s’il ne savait pas où
il allait ?

Il aurait dû laisser Kreattur le ramener dans les cachots. Il y aurait été beaucoup plus utile.
Granger ne l’avait pas attendu, ne lui avait pas demandé de le suivre…

Je t’aime.

C’était facile de faire une déclaration d’amour et de partir se faire tuer.

C’était facile.

Il était en colère. Sous le choc et l’inquiétude et la peur… Il y avait de la colère.

Il n’était plus si loin de la classe d’Arithmancie.

Vector.

Il avait beaucoup aimé le Professeur d’Arithmancie. Elle était d’un calme et d’une logique
qui faisaient parfois du bien au milieu du monde chaotique dans lequel ils vivaient.

Elle ne méritait pas de mourir abattue comme un chien.

Il se racla la gorge parce qu’une boule s’y était logée et que ce n’était ni le lieu, ni le moment.

Il tourna à gauche à la prochaine intersection, s’éloignant de la classe d’Arithmancie et du


cœur du château pour mieux se rapprocher du couloir avec des fenêtres donnant sur
l’extérieur. Il voulait jeter un coup d’œil, voir où en était la bataille qui résonnait comme
autant de coups de tonnerre…

Il avait honnêtement renoncé à trouver qui que ce soit.

Ce fût la raison pour laquelle il se figea, presque choqué, lorsqu’il tomba sur Blaise
complètement par inadvertance.

Il lui fallut plusieurs secondes pour intégrer ce qu’il voyait : son meilleur ami était assis au
milieu du couloir, sa baguette abandonnée par terre. Il serrait Daphné dans ses bras mais
Daphné était… Daphné était toute molle.

Inconsciente ?

Draco n’osa pas faire un pas en avant.

Parce qu’il savait qu’elle n’était pas juste inconsciente.

Elle était trop…

Blaise la berçait presque, le visage enfoui dans ses cheveux blonds…

Et puis il y avait le corps inanimé – mort – du Mangemort qui gisait entre lui et ses amis.

Le masque avait glissé.

C’était le père de Goyle.


Blaise avait dû…

Blaise avait…

Ils étaient allés chez les Goyle un nombre incalculable de fois, Blaise et lui. Pansy aussi.
L’homme n’était pas beaucoup plus intelligent que son fils et il n’était pas non plus
particulièrement sympathique mais… Mais il était très habile lorsqu’il était question de
construire des choses avec des cubes en bois, cela Draco s’en souvenait de ses innombrables
visites lorsqu’il était petit. Et il était patient avec les enfants, ne rechignait jamais à jouer avec
eux. Plus que Lucius parfois et…

Blaise l’avait…

« Qu’est-ce que… Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » balbutia-t-il, sans s’approcher davantage.

Il aurait dû.

Il aurait dû se précipiter, examiner Daphné, appeler Kreattur pour qu’il les sorte tous de là…

Il n’osait pas bouger.

Il n’osait pas bouger parce qu’il était déjà mort une fois cette année et qu’il avait perdu toute
l’innocence qui lui restait. Ou, du moins, c’était ce qu’il avait cru avant ce jour là. Il était
persuadé que s’il avançait, s’il rejoignait Blaise, s’il touchait Daphné et qu’elle était… Il était
persuadé qu’une autre part de lui mourrait avec elle et il n’était pas tout à fait certain de ne
pas en avoir déjà laissé un autre petit bout dans les cachots.

Il n’osait pas bouger.

Il ne pouvait pas bouger.

Blaise leva lentement le regard vers lui, le visage baigné de larmes. Il ne faisait pas un bruit,
pourtant. Il pleurait en silence.

Draco sentit les larmes lui monter aux yeux à lui aussi.

Il tenta de les ravaler parce qu’un homme ne pleurait pas, c’était ce que Lucius lui avait
appris. Un homme demeurait fort, un homme demeurait… Un chef de famille devait rester
digne en toutes circonstances. Ne jamais rien montrer. Ne jamais faillir. Ne jamais faiblir.

« Blaise… » lâcha-t-il, sa voix se brisant de douleur pour la peine que devait éprouver son
meilleur ami. Il était trop simple d’imaginer Granger à la place de Daphné, trop simple de…

Sans prévenir le monde explosa.

Il n’y avait plus ni haut, ni bas, ni droite, ni gauche.

L’espace d’une seconde tout à fait glorieuse, Draco vola. Il n’y avait ni douleur, ni peur, juste
une absence de pesanteur…
Et puis le souffle de l’explosion le propulsa contre un mur et la douleur se manifesta, lui
arrachant un cri étranglé.

°O°O°O°O°

Remus débarqua à l’infirmerie en trombe, passant entre les élèves stationnés aux portes
comme autant de gardes superflus : les protections étaient toujours actives autour de cette
partie du château. Mais il fallait les occuper, supposait-il, les empêcher de se mettre dans les
pattes des soignants…

L’infirmerie était pleine à craquer.

Les lits étaient presque tous occupés. Élèves, professeurs, Aurors avec leurs robes bleues,
membre de l’Ordre, Bill et Charlie… Pomfresh courrait partout, il y avait d’autres
Médicomages reconnaissables à leur uniforme de Sainte Mangouste… Et…

« Andy ! » hurla-t-il, sa voix tonnant par-dessus le chaos ambiant.

Andromeda était en train d’examiner la tête d’un Auror mais lorsqu’elle l’aperçut, lorsqu’elle
vit qui il tenait dans les bras… Elle abandonna son patient sans un mot pour se précipiter vers
lui, avec une expression paniquée, le guidant jusqu’à un lit où il déposa avec précaution son
précieux fardeau…

« Qu’est-ce qui s’est passé ? » demanda-t-elle, en écartant déjà les pans de la robe bleue,
révélant le tee-shirt déchiré, dévoilant la plaie, une partie de son soutien-gorge. Il n’y avait
pas de rideau à tirer mais Remus jeta un regard venimeux alentour pour décourager qui que
ce soit de l’observer… Cependant personne n’avait le temps de se préoccuper de ce genre de
choses. « Nymphadora ? Dora, ma chérie, tu m’entends ? »

Remus lui résuma ce qu’il savait, ce qui n’était pas grand-chose au demeurant, et l’observa
jeter des sorts de diagnostic d’un geste tremblant. Le visage d’Andromeda, d’abord
décomposé, reprit rapidement des couleurs et sa respiration se fit plus facile.

« Elle a commencé à colmater l’hémorragie toute seule… » murmura-t-elle, avant de se


pencher pour poser un baiser sur le front de sa fille. « Tu vois ? J’ai toujours su que ces livres
d’anatomie serviraient un jour… Maman va s’occuper du reste. Tu es en sécurité, maintenant.
Ça va aller. Ça va aller, mon bébé, tu vas t’en sortir. »

Remus la regarda avec espoir. « Elle vivra ? »

Andy avait l’air déterminé mais il n’était pas sûr que… Il n’était pas sûr de ce qui était vrai et
de ce dont elle voulait se convaincre. Dora avait perdu tant de sang… Et l’odeur de la mort
s’accrochait à elle comme si…

Elle était très près du voile.

Sans répondre, elle commença à agiter sa baguette, les yeux fermés, fredonnant une litanie
latine…
Remus se tut et observa, serrant la main de Nymphadora dans la sienne comme si cela
pouvait la retenir sur cette terre. Avec lui. Où était sa place.

Sa compagne.

Slughorn débarqua après de longues minutes, le visage violacé et à bout de souffle. Il


repoussa les tentatives d’une septième année pour le faire asseoir et se traîna jusqu’à eux,
attendant que Andy ait terminé son incantation pour parler.

« Elle a déjà eu trois doses de reconstituant sanguin. Je ne recommande pas une quatrième. »
haleta-t-il. « Remus. Une chaise. »

Il dût lâcher la main de la jeune femme pour sortir sa baguette et faire apparaître un siège
avant que le Professeur de Potions ne s’écroule. L’homme se laissa aller dessus avec
reconnaissance, une main posée sur le cœur.

« Vous vous sentez mal, Professeur ? » s’inquiéta Andromeda, en se détournant à regret de sa


fille.

Slughorn agita la main. « C’est décidé, je me mets au régime. Comment va-t-elle ? »

« Elle avait commencé à régénérer sa blessure. » expliqua la Médicomage, en écartant avec


tendresse des mèches éparses du visage de Tonks. « Ce n’est pas une utilisation naturelle de
ses dons et cela la vide toujours de son énergie… J’ai réparé le reste. Elle a perdu beaucoup
de sang mais je suis optimiste, si elle parvient à passer la journée, elle… Nymphadora ? »

Remus attrapa à nouveau la main de la jeune femme, la serrant au creux des siennes, lorsqu’il
vit ses paupières papillonner.

« Nymphadora, tu m’entends ? » demanda Andy doucement.

« Dora ? » murmura Remus, en se penchant un peu plus. « Je suis là. Je… »

« Severus… » souffla-t-elle, sans sembler parvenir à complètement ouvrir les yeux.

Le coup de poignard qu’elle avait reçu n’avait pas pu être plus douloureux que ça.

Ignorant le loup enragé qui tournait comme un lion en cage dans sa poitrine, il lâcha sa main
comme si elle l’avait brûlé et recula.

Severus.

Andromeda et Slughorn avaient tous deux l’air gêné mais pas surpris.

Severus.

À l’agonie, aux portes de la mort, alors que son loup hurlait de douleur à l’idée de la perdre,
c’était le nom de Severus qui passait ses lèvres ?

Andy se racla la gorge. « Tu sais si… »


« Il était toujours vivant il n’y a pas si longtemps. » déclara-t-il avec un détachement forcé.
« Il commandait le flanc droit, je vais aller le relever. Il voudra la voir. »

« Oui, c’est aussi bien. » grimaça Andy. « On a besoin de tous les soignants possibles ici, de
toute manière. »

S’arracher du chevet de la jeune femme alors qu’elle était si vulnérable, si près du voile, fût
la chose la plus dure qu’il ait jamais faite. Il dût se battre contre son instinct le plus profond.

Mais Nymphadora voulait voir Severus.

Et il aurait fait n’importe quoi pour elle, à cette seconde.

Même aller chercher son amant.

Même s’arracher le cœur.

Ce qui, au fond, revenait au même.

°O°O°O°O°

Draco revint à lui graduellement.

Quelque chose bourdonnait. C’était tout ce qu’il entendait. Ce bourdonnement incessant.

Sa tête lui faisait mal.

Il porta la main à son front et siffla lorsqu’il rencontra une plaie. Il observa le sang qui tâchait
ses doigts sans comprendre, puis réalisa qu’il était allongé au sol et entreprit de se redresser
lentement.

Il ne comprenait pas ce qu’il voyait.

Là où s’était tenu Blaise, il n’y avait plus qu’un amoncellement de gravas.

À droite, la salle de classe était éventrée.

Et, à gauche…

À gauche, le mur… Non, il n’y avait plus de mur.

Il n’y avait plus que le ciel gris, la pluie qui tombait, les Détraqueurs qui filaient comme des
flèches, et les balais qui zigzaguaient de temps à autre. La falaise à pic. Le vide vertigineux.
Le lac en contrebas.

Il fixa la crevasse béante du regard plusieurs minutes, sans comprendre, puis il se traina
jusqu’au tas de gravas et se mit à creuser.

Blaise et Daphné étaient là-dessous.

Il devait les sauver.


Il ne s’était pas arrêté pour essayer de sauver les élèves dans le tunnel.

Mais c’était différent.

C’était Blaise et Daphné.

Il devait les sauver.

Ils étaient là-dessous.

Il lui suffisait de creuser.

°O°O°O°O°

Remus était presque au deuxième étage lorsqu’il entendit le hurlement suivi du rire menaçant
de Greyback.

Oubliant Severus, oubliant presque Nymphadora, il changea de direction et courut vers le


bruit qui venait d’une salle de classe vide. Il entra en trombe mais comprit rapidement ce qui
se passait lorsqu’il vit Parvati Patil recroquevillée dans un coin, terrifiée, et le loup au pelage
fauve qui trainait Lavande Brown vers Greyback et la seconde entrée, par la jambe.

La jeune fille avait perdu sa baguette mais ne se laissait pas faire pour autant, elle donnait des
coups de pied dans le museau du loup malgré le fait qu’il lui grognait dessus. Lionne
jusqu’au bout de ses ongles manucurés. Le Choixpeau ne se trompait jamais même quand les
raisons pour une répartition ne semblaient pas toujours évidentes.

« Lâche-la. » ordonna-t-il et le loup s’immobilisa, reconnaissant l’autorité dans sa voix.

Greyback cessa de rire mais semblait ravi de le voir.

« Elle est à moi. » déclara gaiment le sorcier, avec un sourire torve. « Ma Marque, ma
louve. »

« Je ne crois pas non. » gronda-t-il. « Lâche-la. »

Il mit davantage de force dans son ordre, ne se laissa pas hésiter. C’était un concours de
dominance et…

Les mâchoires du loup se desserrèrent suffisamment pour que Lavande lui assène un autre
violent coup de pied et se libère. Elle s’éloigna à quatre pattes, pleurant de peur. Le loup tenta
de la rattraper mais Remus lança un sort qui le toucha en plein museau et donna à la jeune
fille le temps de se réfugier derrière lui.

« Incapable. » siffla Greyback. « Je te punirai plus tard. File. Nous n’avons plus de temps. »
Le loup ne se le fit pas dire deux fois. Il fit volte-face et détala. « Quant à toi, Lupin… On a
un compte à régler mais ça devra attendre. »

« Pourquoi ? » se moqua-t-il. « Tu as trop peur d’affronter un autre Alpha ? Peur de perdre ta


meute ? Comme tu as perdu ta compagne ? »
Le grondement qui échappa à Greyback était plus animal qu’humain. « Tu payeras pour
Loba. »

Il écarta le bras d’un geste théâtral. « Je t’attends. »

Mais Greyback n’attaqua pas. « Je suis surpris que tu oses parler de compagnes… On dit que
la tienne préfère coucher avec les traîtres dernièrement… Tu ne pouvais pas la satisfaire ?
Quel genre de loup se laisse humilier comme ça ? Et tu prétends être un Alpha ? »

« Je ne prétends rien. » lâcha Remus. « Tu sais ce que je suis. Tu sais que je vais t’arracher ta
meute. Et tu as peur de moi. »

« Je n’ai peur de personne et surtout pas d’un louveteau qui découvre à peine son loup. »
cracha Greyback. « Mais je n’ai pas le temps de te régler ton compte. Le Seigneur des
Ténèbres n’aime pas qu’on soit en retard. » Il jeta un regard méprisant à Lavande. « Garde-la.
Elle m’amuserait une nuit ou deux mais elle chouine trop pour moi. »

Lunard lui intimait d’attaquer, de morde et de déchirer…

Mais avec deux adolescentes dans la pièce…

Il garda sa baguette levée, attendit que Greyback soit parti même si ça le tuait de le laisser
s’en tirer à si bon compte, puis il se précipita sur Lavande pour examiner sa jambe. Elle eut
un mouvement de recul mais ne chercha pas à se débattre lorsqu’il inspecta les plaies sur son
mollet.

Multiples morsures.

Ce n’était pas la pleine lune.

Mais sous forme de loup…

Il renifla aussi discrètement qu’il le put. C’était dur à dire parce que les deux adolescentes
empestaient la terreur mais… Il aurait pu jurer qu’il percevait Lavande différemment de
Parvati, comme un sixième sens qui se serait activé. Et, lorsqu’il jeta un sort sur une des
morsures, il trouva une trace de la malédiction.

Il n’eut même pas besoin de le dire à voix haute, à peine de croiser son regard pleins de
larmes.

« Non. » s’étrangla la jeune fille. « Non, non, non… »

« Je suis désolé. » offrit-il.

Elle continua de secouer la tête. « Non… Non, non, non, non, non, je ne peux pas devenir un
loup-garou ! Je suis trop jolie et trop jeune et… Non. »

Malgré lui, il laissa échapper un bruit amusé. Il fallait admirer sa liste de priorités. « Je vais te
porter jusqu’à l’infirmerie, d’accord ? » Épuisée, tremblante et en pleurs, elle se contenta de
hocher la tête. Avant de la soulever, il se tourna vers Parvati. « Tu es blessée ? »
La jeune fille ne répondit pas. Il voulut s’approcher d’elle mais elle recula jusqu’à être
complètement collée au mur, le dévisageant avec autant de peur que lorsqu’elle avait regardé
le loup et Greyback. Elle le visait également de sa baguette.

Ah.

Tout libéré qu’il était par la Potion Révèle-Loup, il avait presque oublié cet aspect des choses.
La peur des gens. Leur dégoût.

« Parvati ? » appela Lavande, d’une voix tremblante.

Le regard de la jeune fille dériva jusqu’à la jambe sanguinolente de sa camarade. Son


expression en disait plus long que tous les discours.

Lavande dût le comprendre parce qu’elle se mit à pleurer plus fort.

« Je ne peux pas te laisser toute seule ici, Parvati. » déclara Remus, un peu brusquement. Il
ramassa Lavande et la souleva sans difficulté, la laissant enfouir le visage dans son épaule
pour mieux sangloter. Il ne chercha pas à réprimer l’élan protecteur qu’il éprouva. Meute.
Elle était Marquée, pas par lui certes, mais cela n’avait pas grande importance. Il ne laisserait
pas une gamine grandir comme lui avait grandi, sans autres loups, terrifiée de sa propre
dualité, seule. Elle lui appartenait désormais. Elle appartenait à sa meute. Elle était sous sa
responsabilité. Et il n’aimait pas l’idée que son amie la regarde avec dégoût. « Passe
devant. »

°O°O°O°O°

Harry repéra finalement Severus parmi les sorciers qui repoussaient les Mangemorts vers le
lac.

« Papa ! » cria-t-il, cherchant à s’approcher.

Son père tourna la tête vers lui, croisa son regard puis regarda par-dessus son épaule avec un
soulagement manifeste…

La seconde suivante, avant qu’il ait pu le rejoindre, des bras se refermaient sur lui et Sirius le
traînait en arrière, vers le château.

« Je sais que j’étais aussi con et inconscient à ton âge, je sais, et le pire c’est que je n’ai pas
beaucoup grandi… Mais là, vraiment, c’est le pompon. » grommela son parrain, tout du long.
« On ne se casse pas le cul à essayer de te sauver la vie pour que tu ailles te faire tuer sur un
champ de bataille, Harry, merde. Si on te dit de faire quelque chose, c’est pour ton bien. Tu
crois que ça m’amuse de jouer les adultes responsables ? Pas du tout. Si, moi, je te dis que
c’est trop dangereux, c’est que c’est trop dangereux. Putain. Tonks est morte. Tu crois que
j’ai envie de t’enterrer toi aussi ? Tu crois que Severus pourrait survivre à ça ? »

Il cessa de se débattre lorsque les mots le percutèrent.

Tonks est morte.


Il ne s’attendait pas à ce que ça fasse si mal.

Il ne pensait pas s’être autant attaché en aussi peu de temps.

Dora était…

Severus le savait-il ?

S’il savait alors il ne pouvait pas avoir la tête à ce qu’il faisait.

S’il savait…

Le troisième trouvera sa mort.

Sans plus hésiter, il frappa le pied de Sirius du talon et, profita de sa surprise et sa douleur
pour se dégager et filer droit vers là où il avait aperçu Severus.

Mais il n’était déjà plus là.

°O°O°O°O°

Albus venait à peine de se frayer un chemin à l’extérieur par un trou dans la muraille lorsqu’il
repéra la silhouette de Kingsley qui boitait vers lui. Le sorcier avait vécu des jours meilleurs.
Il était trempé, couvert de boue et de sang, boitait bas et favorisait son côté gauche. Et c’était
sans parler de la large plaie qui lui barrait l’œil et l’obligeait à le garder fermer.

« Albus… » grimaça l’Auror, l’air grave, dès qu’il fût assez près. « Votre frère… »

Non.

Non.

Il voulut courir, retrouver Abelforth, provoquer Voldemort…

« Albus ! » s’écria Aurora, en se précipitant vers lui. Dès qu’elle fût assez près, elle attrapa
son bras, tira comme pour l’entraîner avec elle… « Minerva est épuisée. Elle ne pourra pas
maintenir les armures beaucoup plus longtemps mais c’est notre meilleur atout ! »

L’Occlumencie.

Cette amie à double-tranchant.

Sans plus tergiverser, il suivit son professeur d’astronomie.

°O°O°O°O°

Severus s’autorisa un moment de soulagement mêlé d’irritation lorsqu’il vit Sirius entraîner
le garçon qui se débattait vers le château, là où il serait en sécurité. Du moins, il l’espérait.

Beaucoup de Mangemorts avaient fui le bâtiment uniquement pour se retrouver confrontés


aux armures de Minerva qui continuaient à leur donner l’avantage. La sous-directrice devait
être à bout de forces. Lui-même accusait le coup de la sphère de Troie et il l’avait maintenue
moins longtemps qu’elle.

Il entraperçut Albus et ses robes bariolées.

Le Directeur pouvait prendre le relais, Severus n’en pouvait plus de coordonner la bataille.

Il n’en pouvait plus tout court.

Mais Sirius avait Harry et c’était l’important.

Il n’avait aucune idée de comment le reste arriva.

Était-ce un accident ou cela avait-il été orchestré ainsi ? Avait-il été rabattu à son insu par les
Mangemorts ? Il n’avait encore aperçu ni Bellatrix, ni Lucius, ni aucun membre du cercle
intime du Seigneur des Ténèbres, ce qui était plus que suspect, mais cela ne signifiait pas que
personne ne coordonnait les troupes dans le camp opposé.

Comment, sinon, expliquer qu’il trébuche sur le corps d’Abelforth Dumbledore ?

Comment expliquer que, lorsqu’il leva la tête, ce fût pour croiser les yeux rouges de Lord
Voldemort ?

Il était mort.

Ce fût la première pensée qui lui traversa l’esprit.

La deuxième et la troisième aussi.

Puis, passé ce moment de panique, il se releva aussi souplement qu’il le put et prit une
position de duel, tentant désespérément de prétendre que ses mains ne tremblaient pas, que sa
jambe n’était pas trop raide pour soutenir entièrement son poids, que…

Un sourire amusé étira les lèvres du Seigneur des Ténèbres.

« Tu ne manques décidément pas de bravoure, Severus. » commenta le mage noir. « Tu


m’affronterais ? Toi ? On dit que tu n’es plus que l’ombre de toi-même depuis notre dernière
rencontre… Que ton corps te trahit. Poétique pour un traître, non ? »

Severus s’humecta les lèvres, rassemblant ce qu’il lui restait de forces. Il ne perdit pas de
temps en paroles ou en discours. C’était la tactique préférée du Seigneur des Ténèbres, parler
jusqu’à abrutir son adversaire ou à faire germer la panique dans son cœur.

Il ouvrit le bal d’un sectumsempra que le mage noir para d’un geste presque blasé.

« As-tu remarqué ma nouvelle baguette, Severus ? » s’enquit le Seigneur des Ténèbres, sur le
ton de la conversation, en faisant tourner la baguette à l’aspect brut, ni polie, ni laquée, sans
décorations particulières. On aurait dit une fine branche que l’on venait d’arracher à un arbre.

Il ne répliqua même pas.


Il n’en avait pas besoin.

La Marque le brûlait tellement que Severus devait serrer les dents pour ne pas hurler. Il
s’efforça de garder l’esprit clair mais même l’Occlumencie avait ses limites.

« Peut-être pas. Tu ne sembles pas avoir remarqué, non plus, que tout ceci n’était qu’une
diversion. » continua tranquillement le mage noir, après avoir paré un deuxième maléfice.
« Tu perds la main, mon cher espion. »

Le Maître des Potions n’eut pas le loisir de se demander ce que cela signifiait.

Le Seigneur des Ténèbres avait visiblement terminé de jouer avec lui. D’un coup de baguette
presque négligent, il l’envoya glisser au sol sur plusieurs mètres et vola l’oxygène de ses
poumons. Severus ouvrit la bouche sans parvenir à avaler d’air.

« Ah, Peter… Pile à l’heure. » commenta le mage noir alors que le rat qui venait de se frayer
un chemin dans l’herbe jusqu’à eux se transformait en un homme rougeau et court sur pattes.
« Est-ce fait ? »

Peter Pettigrow s’inclina avec un grand sourire. « Oui, Maître. Bellatrix vous attend à
Azkaban pour vous faire son rapport. »

« Bien… Bien… » commenta le Seigneur des Ténèbres, en reportant son attention sur son
ancien espion. « Dans ce cas, il est temps de prendre congé. Qu’en dis-tu, Severus ? Il faut
bien en finir un jour, non ? »

Le mage noir pointa sa baguette sur lui.

Severus ne se laissa pas détourner le regard.

Il voulait affronter la mort en face.

Il voulait…

Harry, je suis désolé, je me suis battu jusqu’au bout.

Nymphadora, attends-moi, mon amour.


A Dead Hero
Chapter Notes

Je pense que c'est assez logique dans le texte mais juste au cas où: ce chapitre repart un
peu en arrière.

Enjoy & Review!

« Don’t try to be a hero, Xavier. A dead hero can’t help anyone. »


Allegiance Of Honor – Nalini Singh

« N’essaye pas d’être un héro, Xavier. Un héro mort ne peut aider personne. »
Allegiance Of Honor – Nalini Singh

L’image de Dumbledore s’était à peine affichée sur le miroir qu’elle éclata en dizaines de
fragments avant de disparaître.

Lucius marmonna un juron mais attendit quelques secondes, juste pour être certain que le
vieux sorcier ne réapparaîtrait pas par miracle. Il n’en fût rien et les coups frappés à la porte
ne lui laissèrent, de toute manière, pas le temps de chercher à recontacter le Directeur par un
autre moyen.

Pestant silencieusement contre cet homme qui avait fait de sa vie un enfer et n’était même
pas capable de répondre aux appels d’urgence, il quitta la petite cabine, prenant soin de tirer
la chasse et d’ensuite faire couler l’eau aux robinets dans la partie commune de les toilettes
habituellement réservées aux gardes d’Azkaban. Comme tout le reste dans cet endroit maudit,
elles étaient dans un état déplorable et Lucius aurait, d’ordinaire, préféré s’immoler par le feu
plutôt que d’y mettre un pied. Mais il y lui avait fallu une excuse pour s’isoler et vite.

Le Seigneur des Ténèbres et les autres venaient de partir, il y avait eu une chance pour qu’il
parvienne à contacter le Directeur à temps…

De nouveaux coups impatients furent frappés à la porte. « Lucius, sors de là où je viens te


chercher. »

Il grinça au son de la voix de sa belle-sœur mais ne s’attarda pas davantage, sachant que son
sens biaisé des convenances ne l’arrêterait pas longtemps et qu’elle viendrait effectivement le
chercher si l’envie lui en prenait.

Il s’assura d’avoir une expression placide sur le visage avant de quitter les toilettes, ses
boucliers mentaux fermement en place derrière cet ennui de façade.
L’élève avait depuis longtemps dépassé le maître et Severus avait élevé l’Occlumencie au
rang d’art après simplement quelques leçons rapides, ayant appris le reste par lui-même ;
Severus était un naturel comme il en avait rarement vu, ce qui était particulièrement
impressionnant pour un Sang-Mêlé. Cela ne signifiait pas que Lucius n’était pas doué, lui
aussi. C’était, après tout, lui qui avait expliqué à son jeune protégé comment utiliser ses
souvenirs comme boucliers pour mieux tromper son monde.

Était-il si étonnant que Severus soit par la suite devenu un espion ?

N’était-il donc pas ironique qu’il ait suivi, lui, le même chemin presque quinze ans plus tard ?

« Nerveux ? » se moqua Bellatrix, dès qu’il émergea des toilettes.

Le couloir était lugubre – comme tout le reste dans cet endroit – mais Bella semblait
étrangement à son aise dans la prison, davantage qu’elle l’avait été au manoir ou dans les
différents endroits où le Seigneur des Ténèbres s’était réfugié ces derniers mois. La présence
des Détraqueurs ne semblait pas la déranger. La plupart des Mangemorts qui avaient effectué
un long séjour à Azkaban semblaient immunisés contre le froid suintant et le désespoir qui
émanaient de ces créatures.

Ce n’était pas le cas de Lucius.

À chaque fois qu’il s’approchait trop près de l’une d’entre elles, il se mettait à douter de tout
et surtout du bien fondé de ses choix dernièrement. Il imaginait échouer. Il imaginait Draco
mort. Il imaginait Narcissa le regardant avec horreur et haine pour avoir failli à protéger leur
fils. Très désagréable. Et, bien sûr, il était impensable de jeter un patronus car les
Mangemorts se targuaient de ne pas en avoir besoin.

Menteurs et hypocrites, tous tant qu’ils étaient.

« Je ne comprends pas pourquoi je n’ai pas été mis au courant avant. » siffla-t-il, en lui
emboîtant le pas. « Doute-t-Il de moi ? »

Bella ricana amèrement. « Ton épouse s’est fait la malle, ton fils nous a trahis… »

« Et je l’ai renié. » cingla-t-il immédiatement. « Quant à mon épouse, c’est également ta sœur
et… »

« Renié mais pas déshérité, ne me prends pas pour une idiote. » remarqua-t-elle, les lèvres
pincées. Puis elle haussa les épaules. « Ce n’était pas contre toi, Lucius chéri. Le Seigneur
des Ténèbres ne voulait rien risquer. Il avait tout prévu avec le membre de l’Ordre qu’il a
retourné. Il ne m’a tout expliqué que hier soir avant de donner le feu vert aux trois jeunes à
Poudlard. »

C’étaient toujours des heures d’avance qu’il aurait pu mettre à profit pour avertir
Dumbledore, pour s’assurer que le château soit prêt, les élèves évacués…

La bataille de Poudlard avait déjà dû commencer et ce n’était pas étonnant que le vieux
sorcier n’ait pas pu le recontacter. L’image avait éclaté en une dizaine de fragments… Avait-il
brisé le miroir ?

Draco…

Il occluda l’inquiétude qu’il éprouvait pour son fils.

Le Seigneur des Ténèbres les avait convoqués en milieu de matinée et leur avait expliqué le
plan, seuls une poignée de Mangemorts, dont Bella, avaient été au courant. Ceux qui
devraient mener des groupes particuliers.

Greyback, par exemple, était chargé de récupérer les enfants de Mangemorts et de les mettre
en sécurité – leurs progénitures ayant été informées plus tôt dans la matinée par un septième
année digne de confiance – puis de tuer autant d’élèves que possible et de capturer Potter au
passage s’il y parvenait. Et il allait retrouver ces élèves non pas en suivant les indications
d’un espion qui avait apparemment refusé d’expliquer où iraient les enfants – imaginez ça, un
espion avec des principes – mais parce que quelqu’un, la veille, avait prélevé le sang de son
fils et s’en servait maintenant pour le traquer.

D’autres avaient pour mission de causer la pagaille, de distraire les troupes de Dumbledore
suffisamment pour qu’ils ne sachent plus où donner de la tête, pour qu’ils ne se méfient pas
lorsqu’ils ne verraient aucun des Mangemorts à qui le Seigneur des Ténèbres confiait
généralement ses missions les plus importantes. Le mage noir était lui-même impatient de
jouer le rôle de la plus grosse distraction entre toutes.

Et, pendant ce temps, ses Mangemorts fidèles, eux…

« Je ne comprends pas pourquoi nous n’en profitons pas pour prendre Poudlard. » grommela-
t-il, en fusillant du regard les cellules réaménagées en différentes salles de stockage ou
bureau devant lesquelles ils étaient en train de passer.

Le Seigneur des Ténèbres s’était attribué le dernier étage de la tour : les anciens appartements
du Directeur qui étaient luxueux et agréables. Mais le reste d’entre eux…

Lucius était bien content de pouvoir retourner au Manoir à la fin de la journée.

« Pourquoi devons-nous nous terrer ici comme des rats ? » insista-t-il.

« Cesse donc de questionner les choix de notre Seigneur et peut-être que tu seras mis dans ses
confidences, la prochaine fois. » rétorqua Bella. « Azkaban est la forteresse parfaite. Bien
plus que Poudlard. »

Elle cracha le nom avec mépris.

Sur un plan tactique, il ne pouvait lui donner tort.

Néanmoins, quelle image cela renvoyait…

« Des nouvelles de Cissy ? » demanda-t-elle, avec un peu trop de détachement.

« Tu sais bien que non. » rétorqua-t-il. « Elle m’a quitté. »


« Tu ne la cherches pas beaucoup. » riposta Bella.

« Qu’ai-je à faire d’une épouse volage ? » cingla-t-il, rendant sa voix plus cassante, se
repliant derrière ses boucliers. « Lorsque le Seigneur des Ténèbres sera pleinement au
pouvoir, je la répudierai et je prendrai une épouse plus jeune qui me donnera un héritier
moins décevant. »

Bellatrix ne laissa rien paraître mais ce n’était pas dur d’apercevoir la haine briller dans ses
yeux. Elle était en colère après Narcissa pour avoir disparu au milieu de la nuit sans un mot
mais ne croyait pas autant qu’elle le prétendait à son numéro de mari outré. Probablement
parce que, bien qu’elle n’ait jamais aimé personne, elle savait que Narcissa ne l’aurait jamais
abandonné, de la même manière qu’il n’aurait jamais répudié sa femme. Ou leur fils.

D’où ses piques répétées sur le fait qu’il l’avait officiellement rejeté mais n’avait jamais
poussé jusqu’à aller à Gringotts s’assurer que Draco ne pourrait plus avoir accès à leur
fortune ou à son héritage. Il n’avait pas changé son testament, non plus.

Draco.

Draco qui allait se retrouver face à une armée déterminée à le tuer.

Draco qui…

Il renforça ses boucliers.

« Et as-tu déjà une idée en tête pour ce remariage, cher beau-frère ? » siffla-t-elle, un éclat
mauvais dans le regard.

Il faillit plaisanter sur le fait qu’il ne commettrait plus jamais l’erreur de choisir qui que ce
soit apparenté aux Black, puis décida qu’il y avait une meilleure manière de l’irriter. Or irriter
Bella, dernièrement, était devenu son passe-temps favori. S’il avait pu lui tordre le cou sans
craindre de répercussions, il l’aurait fait.

« Oui, pour tout te dire. » lâcha-t-il. « Si nous arrivons à la capturer vivante, il me semble que
notre nièce ferait une excellente candidate. »

Bellatrix en cessa de marcher, se tournant vers lui pour le foudroyer du regard. « Tu n’es pas
sérieux. »

« Et pourquoi pas ? » répondit-il tranquillement. « C’est une Black. Elle est puissante. Plutôt
plaisante à regarder… Et puis, elle doit avoir bien des… arguments pour être parvenue à
séduire Severus. Tu en conviendras comme moi, il n’a jamais été très porté sur la chose… Je
suis curieux. »

« Le Seigneur des Ténèbres m’a promis sa tête. » gronda-t-elle. « C’est une souillure sur
l’arbre généalogique des Black et… »

« Et ce n’est pas sa tête qui m’intéresse. » déclara-t-il, d’un haussement d’épaules. « Un petit
Imperium ou deux et j’en ferais ce que je veux. Oui, vraiment, cela me semble la solution
idéale… Après tout, les Black me doivent une épouse, il me semble. »
Ah, si les yeux de Bellatrix avaient pu lancer des Avada… « Je vais la tuer. Puis je tuerai
Andromeda et Sirius. Et lorsque je l’aurais trouvée, il est fort possible que je tue aussi
Narcissa si elle n’a pas une excellente explication à sa disparition. Quant à ton fils… »

« Doucement, Bella. » l’interrompit-il, d’un ton faussement amical. « Certaines menaces sont
dangereuses pour la santé. »

Quelqu’un se racla la gorge au bout du couloir.

Il ne fût pas surpris que ce soit Pettigrow.

Toujours à fureter partout, celui-là.

« C’est l’heure. » déclara-t-il.

Lucius écarta galamment le bras, indiquant à la sorcière de passer la première. « Allons-y,


dans ce cas. Nous ne voudrions pas être en retard. »

°O°O°O°O°

Assis, seul, à la table de la salle de briefing qui avait été pleine d’Aurors jusqu’à encore
quelques minutes auparavant, Percy s’occupait en réorganisant l’emploi du temps du
Ministre. Il avait annulé tous ses rendez-vous pour la matinée et s’employait à trouver
d’autres blocs de temps où les caser dans la semaine.

À supposer qu’il y aurait encore une raison de caser des rendez-vous cette semaine là. Si
Poudlard n’était pas capturée par les Mangemorts. Si le Ministère ne devait pas encore faire
face à une défaite dont il ne se relèverait que difficilement. Si l’opinion ne se retournait pas
contre eux pour leur gestion de la crise.

Si ses frères et sœur…

Il cessa résolument de penser à ses frères et à sa sœur. Ou à sa mère qui, il en était persuadé,
s’était précipitée à Poudlard dès que le patronus de Snape était apparu au Terrier.

De temps en temps, il levait les yeux vers Scrimgeour qui se tenait devant la large fenêtre
enchantée par une vue surplombant Londres, les mains croisées dans le dos, les épaules
raides de tension.

Le Ministre était la seule et unique raison pour laquelle il s’était assis là au lieu de se
précipiter lui aussi à Poudlard. Le patronus de Dumbledore l’avait trouvé dans la cohue des
Aurors s’organisant pour partir au combat : celui qui appelait les membres de l’Ordre
secondaire au combat.

Percy aurait voulu y aller.

Il n’était pas un grand duelliste, cela ne l’avait jamais intéressé, mais rester là, en sécurité,
alors que…

Ginny, Ron, Fred et Georges…


Fred et George insisteraient pour se battre. Ils étaient majeurs. Il était probable qu’ils y soient
autorisés.

Charlie et Bill veilleraient sur eux et sur leur mère.

Quant à Ron et Ginny…

Ils étaient censés évacuer.

Mais Harry Potter n’allait jamais se laisser évacuer sans faire d’esclandre et si Harry Potter
restait en arrière, alors Ron et Hermione resteraient en arrière, et Ginny… Oh, Ginny était
beaucoup plus farouche et tenace que leurs frères le pensaient et elle resterait elle aussi et…

« Vous pouvez y aller, si vous le désirez, Weasley. »

Il leva la tête, sursautant légèrement. La plume qu’il tenait à la main était restée suspendue
dans les airs, une goutte d’encre tâchait maintenant la table. Depuis combien de temps s’était-
il figé, perdu dans ses pensées ? Le Ministre l’observait comme s’il savait pertinemment ce
qui était en train de lui passer par l’esprit.

La tentation d’accepter était grande.

Juste pour pouvoir s’assurer que…

Bill et Charlie pouvaient prendre soin d’eux-mêmes mais Ron, Ginny, Fred et George…
Ginny et Ron surtout. Et leur mère.

Mais Ginny et Ron…

Ginny et Ron qui collaient toujours aux basques d’Harry Potter, qui se laissaient toujours
entraîner dans toutes les situations dangereuses possibles et imaginables… Ginny et Ron…

« Non. » refusa-t-il, pourtant. « Je reste avec vous. »

C’était son devoir.

Et c’était là où il était le plus utile.

Il ne serait pas d’une grande efficacité sur un champ de bataille.

Mais ici…

Tonks avait eu beau prendre le ton de la plaisanterie lorsqu’elle lui avait ordonné de garder
un œil sur le Ministre, il savait qu’elle avait été parfaitement sérieuse. Scrimgeour avait
tendance à oublier parfois qu’il était plus important en tant que dirigeant de la communauté
magique qu’en tant qu’ancien Auror.

Il pouvait s’assurer que le Ministre ne se laisserait pas emporter par un élan de frustration et
resterait là où il était en lieu sûr.
« Combien de vos frères et sœurs sont encore élèves à Pouldard, rappelez-moi ? » s’enquit
Scrimgeour.

« Quatre. » répondit-il, s’asseyant un peu plus droit, un peu plus fièrement. C’était nouveau,
cette fierté qu’il avait pour sa famille. Auparavant… Il avait eu si honte de leur père et… Il
s’humecta les lèvres, déglutit avec difficultés, se concentra sur ses frères et sœur pour ne pas
y penser. Penser à Arthur était toujours douloureux et ne cesserait probablement jamais de
l’être. « Fred et George passent leurs A.S.P.I.C.s cette année. Ils comptent ouvrir un
commerce de farces et attrapes. »

Ce n’était peut-être pas l’avenir glorieux que Percy leur aurait souhaité mais, après tout, tout
le monde ne pouvait pas devenir Ministre de la Magie. Si leur commerce prospérait, ce serait
tout à fait respectable. Et il n’avait aucun doute qu’ils réussiraient leur vie. Ils avaient déjà
une clientèle fidèle, rentraient de l’argent plus qu’ils n’en dépensaient en fournitures… S’il
arrivait à les persuader de suivre une formation en gestion à Gringotts avant de s’installer à
leur compte – ou même en parallèle…

« Ron passe ses B.U.S.E.s. » continua-t-il. « Il ne sait pas encore bien ce qu’il veut faire mais
c’est un garçon brillant, je suis certain qu’avec un peu de confiance en lui, il ira loin. Et
Ginny… » Il sourit, comme toujours quand il pensait à sa sœur. Ce n’était pas bien d’avoir
une préférée, bien sûr, mais il en avait toujours été ainsi. Bill avait Charlie, Fred avait
George, et Percy, lorsqu’elle n’était pas en train de traîner après Ron, avait Ginny. « Ginny
réussira tout ce qu’elle entreprendra. Elle a une volonté de fer. »

Scrimgeour lui sourit, même si ça n’atteignit pas ses yeux. « Êtes-vous certain de ne pas
vouloir… »

Peut-être Percy aurait-il accepté ce coup-ci.

Mais il n’en eut pas le temps.

Un des rares Aurors que Shacklebolt avait laissés en poste au Ministère débarqua en trombe.

« Monsieur le Ministère, un des gamins que Tonks a ramenés hier a fait un malaise dans sa
cellule ! » s’exclama le jeune homme.

Plus jeune que Percy.

C’était la raison pour laquelle Shacklebolt les avait laissés, lui et les autres. Trop jeunes, trop
indisciplinés. Il avait voulu leur assigner un Auror plus âgé pour les diriger mais Scrimgeour
avait refusé, arguant que tous les sorciers expérimentés feraient la différence à Poudlard et
qu’il pouvait personnellement superviser le Département le temps qu’ils reviennent.

Le Ministre écarquilla les yeux, alarmé. « Ne le sortez pas de sa cellule ! »

Le jeune Auror eut l’air défait. « Mais… Mais… Le protocole… »

« Nous sommes en guerre, il n’y a pas de protocole ! » s’énerva Scrimgeour. « Il pourrait très
bien s’agir d’un… »
Une explosion tonitruante, suivie d’alarmes à vous rendre sourd, lui coupa la parole.

« Piège. » grogna Scrimgeour.

°O°O°O°O°

Jusqu’au bout, Lucius espéra, sans trop y croire, que les Mangemorts en herbe échoueraient à
remplir leur partie du plan. Il ne fût pourtant pas surpris lorsque tout se passa comme prévu.

Après tout, les Aurors avaient été suffisamment stupides pour gober, la veille, que les
aspirants Mangemorts avaient véritablement tenté de capturer Draco et Severus – une
information dont Bella s’était bien gardée de le mettre au courant sur le moment – et les
avaient arrêtés sans plus se demander comment ils avaient pu être aussi stupides pour penser
avoir seulement une chance contre un sorcier de la trempe de Severus Snape – affaibli ou
non, il restait un adversaire de taille. Cela étant dit, vu que n’importe qui cherchait à rejoindre
les rangs du mage noir dernièrement pour sauver sa vie, leur réputation n’était plus ce qu’elle
était.

Rowle Junior feignit donc un malaise à l’heure exacte prévue et, lorsque les pauvres excuses
d’Aurors qui restaient dans le bâtiment le sortirent de sa cellule comme le voulait le protocole
que seul un idiot aurait suivi en temps de guerre, détonna la série de potions explosives
placées au préalable par un sympathisant infiltré, libérant le reste des prisonniers. Le tout
alors même qu’un autre employé du Ministère à la solde du Seigneur des Ténèbres les
faisaient rentrer discrètement par une porte dérobée.

Onze heures pile à sa montre, exactement comme prévu.

Et personne au Ministère ne s’attendait à leur attaque.

Parce que Dumbledore, ce vieil imbécile arrogant, avait échoué à répondre à son miroir.

« Tout le monde sait ce qu’il a à faire. » déclara Bella, sautillant presque le long d’un couloir
alors qu’une alarme tonitruante se mettait à résonner dans tout le Ministère. « Tuez-en autant
que possible mais laissez-en échapper quelques uns pour qu’ils puissent raconter ce qu’ils ont
vu. Rodolphus chéri, si tu laisses échapper Bones, c’est moi qui te tue. »

C’était une armée qui attaquait le Ministère.

La véritable armée de Lord Voldemort.

Pas les jeunes Mangemorts ou les dégénérés qu’avait emmenés le Seigneur des Ténèbres
avec lui.

Ils se séparèrent en différents groupes. Les Carrow et Pettigrow emportèrent le groupe le plus
important vers l’atrium car c’était là que convergeraient très certainement les employés
lorsqu’ils fuiraient : vers les cheminées que d’autres sympathisants devaient déjà avoir
déconnectées. Yaxley et Rookwood emmenèrent un nombre plus restreint vers les points de
transplanage, Rodolphus se dirigea vers le Département de Justice Magique et le
Magenmagot avec Mulciber. Ce qui les laissait, lui, Bella, Avery, MacNair et Nott à la tête du
reste. Leur cible était le Département des Aurors, celle de Bella était Scrimgeour.

Oui, Dumbledore allait vraiment se mordre les doigts de ne pas lui avoir répondu.

« En avant ! » ricana Bellatrix, la folie meurtrière brillant déjà dans ses yeux sombres.

Si différente de sa sœur.

Narcissa n’était que lumière et beauté éthérée.

Bellatrix…

Il s’autorisa un bref moment de sentimentalisme. Narcissa lui manquait. Il ne lui avait pas
parlé depuis la nuit où il l’avait confiée aux bons soins de Dumbledore et il avait l’impression
d’avoir perdu un membre. Elle était tout pour lui. Son cœur. Son âme. Sa vie.

Sa sœur, en revanche, il l’aurait volontiers rayée de la carte.

En grande partie parce qu’il savait que si jamais elle se retrouvait face à Draco, elle
n’hésiterait pas une seconde avant de le torturer puis de le tuer pour avoir entaché la
réputation familiale.

Cela aurait été beaucoup plus simple si Draco s’était conformé à ce que l’on attendait de lui,
bien entendu, mais Lucius voulait davantage pour son fils qu’une vie de servitude à se traîner
aux pieds d’un mégalomane qui, cela devenait de plus en plus clair jour après jour, n’avait
aucune idée précise de comment Il allait diriger un pays. C’était bien beau de vouloir le
pouvoir mais qu’allait-Il faire une fois qu’Il l’aurait ?

Grindelwald, au moins, avait été un politicien avant de se rabattre sur des méthodes plus
radicales.

Le Seigneur des Ténèbres…

Il y eut des hurlements lorsqu’ils atteignirent les premiers étages et se mirent à jeter des
maléfices dans le tas, sans discriminer. Ils ne rencontrèrent que très peu de résistance. Les
sorciers et sorcières étaient paniqués et hurlaient à leur vue, cherchaient à courir… Il ne
pouvait pas les blâmer, Bellatrix qui riait aux éclats et tourbillonnait dans sa robe noire
comme si elle était à la fête, avait de quoi terrifier les plus stoïques.

Les rares personnes qui essayèrent de les ralentir ou de les attaquer furent facilement
vaincues.

Lucius se cantonnait aux sorts de morts mais les autres ne tuaient pas proprement. Avant qu’il
soit longtemps les couloirs étaient repeints de rouge et leurs masques blancs étaient tâchés de
sang.

Une bonne chose que son propre masque d’ivoire dissimulait son expression dégoûtée.
Ce n’était pas que tuer le dérangeait, il ne s’était pas ramolli à ce point et il ne se préoccupait
pas tant de la vie d’autrui que de la survie de sa famille et de sa Maison, toutefois…

Tout était de la faute de Dumbledore.

Peut-être, songea-t-il, tout en assassinant la secrétaire du chef du Département des Jeux et


Sports Magiques – une femme qui l’avait toujours horripilé – que cela aurait été plus simple
s’il avait sincèrement cru en ce que vendait le Seigneur des Ténèbres. Bien entendu que les
Sang-Purs auraient dû régner sur le reste de la communauté magique, par vertu de leur lignée,
parce que c’était leur responsabilité et leur devoir, parce que c’était leur héritage et que tous
ces parvenus de Sang-de-Bourbes volaient leurs positions au Ministère et sapaient leur
autorité, érodaient petit à petit la grandeur des Maisons… De là à croire, comme la plupart
des jeunes qui les rejoignaient, que les Sang-de-Bourbes volaient littéralement la magie des
sorciers…

Cependant, il était persuadé que plusieurs des Mangemorts les plus anciens y croyaient eux
aussi. C’était, après tout, une croyance populaire qui datait de plusieurs siècles. Ironique,
étant donné que toutes les études menées par Sainte Mangouste en secret indiquaient que les
familles Sang-Pures qui s’étaient mariées entre elles pendant des siècles rencontraient des
problèmes de fertilité alors que l’ajout d’un Sang-Mêlé de temps en temps, voire d’un Sang-
de-Bourbe si l’on pouvait s’y résoudre, renforçait les lignées.

Voilà pourquoi il n’était pas si fâché que Draco soit tombé amoureux d’Hermione Granger.
Lucius et Narcissa avaient eu toutes les peines à concevoir et n’étaient jamais parvenus à
avoir de deuxième enfant. Bellatrix était stérile. Andromeda n’avait eu qu’une fille et il
doutait que cela soit par choix. Un peu de sang neuf, même du sang moins bleu que le leur, ne
ferait sans doute pas de mal aux Malfoy. Qui plus était, son fils aurait pu moins bien choisir.
Granger, selon sa discrète enquête, était reconnue comme étant la sorcière la plus brillante de
sa génération. Et lorsque Draco avait subi le sort de mort au Département des Mystères… Il
était indéniable que la jeune fille l’aimait sincèrement. C’était tout ce qu’il souhaitait pour
son fils : un mariage d’amour.

Non, il ne croyait pas, ou plus, aux boniments du Seigneur des Ténèbres.

Cela ne signifiait pas qu’il aurait dû se sentir mal d’assassiner ces gens.

Pour ça, il blâmait Dumbledore et son hypocrisie, ses discours moralisateurs qui
dissimulaient ses propres crimes sous une chape de bienséance.

Bellatrix les quitta pour aller chasser le Ministre jusque dans son bureau.

Lucius prit naturellement la tête de leur groupe vers le Département des Aurors.

°O°O°O°O°

Les mémos arrivaient de tous les côtés, tâchés de sang pour la plupart, et il devint évident
très, très vite qu’ils n’auraient pas le temps de planifier une contre-offensive. Les prisonniers
étaient libres et une armée de Mangemorts avait envahi le Ministère.
« Il faut évacuer. » ragea Scrimgeour, en s’adressant aux quelques Aurors qui étaient revenus
se présenter au Département. Tous les autres étaient…

Percy l’ignorait.

Il se tenait derrière le Ministre et serrait le gros agenda contre son torse, sans savoir pourquoi.

« Escortez les employés jusqu’aux sorties. » ordonna le Ministre. « Repoussez les


Mangemorts. La priorité est de sauver le maximum de gens. Compris ? »

Les quelques Aurors – trop jeunes, trop jeunes - hochèrent la tête et s’empressèrent de
déguerpir. Aucun d’eux n’eut la jugeote de faire la réflexion évidente : escorter les employés
n’était pas la priorité. La priorité était Scrimgeour.

Percy gonfla le torse, prit son air le plus autoritaire. « Monsieur le Ministre… »

« Allez dans le bureau de Kingsley. Détruisez tous les documents compromettants. » ordonna
Scrimgeour. « Tout ce que nous avons sur Azkaban, tous les possibles plans et caches…
Allez, Weasley ! »

Avant qu’il ait pu protester, insister pour qu’il le laisse s’occuper des documents et aille se
mettre en sécurité, Scrimgeour s’était déjà détourné et, claudiquant, avait rejoint la salle de
briefing où il entreprit de rassembler tous les papiers et rapports au milieu de la table.

Probablement pour y mettre le feu.

Marmonnant un juron, Percy partit en courant vers le bureau de Shacklebolt. Plus vite il
aurait terminé, plus vite il pourrait convaincre Scrimgeour de s’enfuir.

Kingsley, fort heureusement, était un homme organisé et rassembler les ébauches d’une
possible attaque, ainsi que les planques du Ministère, ne lui prit pas longtemps. Il jeta le tout
dans la poubelle et y mit le feu s’en s’embarrasser de l’éteindre ou de s’inquiéter d’un
incendie. L’alarme continuait de toute manière à s’époumoner…

Scrimgeour n’était plus dans la salle de réunion mais il suivit le bruit jusqu’à l’ancien bureau
de Fol’Œil qui était maintenant exclusivement celui de Tonks.

« Rappelez-moi de lui botter les fesses pour lui apprendre à être plus organisée. » grommela
le Ministre, sans lever les yeux vers lui, un tas de documents dans les bras. Puis il parut
renoncer et jeta le tout sur le bureau, laissa son regard trainer alentour… « J’espère qu’il n’y
a rien là-dedans auquel elle tient. Reculez. »

Percy s’exécuta et laissa Scrimgeour passer l’intégralité du bureau à l’incendio avant de


maîtriser l’incendie d’un aguamenti. Il n’aimait pas les bruits qu’il entendait par-dessus
l’alarme.

« Ils approchent. » lâcha-t-il, sa voix tremblant légèrement.

« Prenez le petit couloir. » ordonna le Ministre. « Je ne donne pas cher de l’Atrium, tentez
plutôt les points de transplannage d’urgence. »
« Oh, vous venez avec moi. » rétorqua Percy. « J’ai mes ordres. »

Tonks serait furieuse s’il s’enfuyait en abandonnant le Ministre de la Magie.

« C’est moi qui donne les ordres, n’en déplaise à une certaine Auror. » riposta Scrimgeour.
« Nous ne sortirons pas tous d’ici, Weasley. Vous avez une meilleure chance sans moi de… »

« Sauf votre respect, Monsieur le Ministre, je ne vais pas vous laisser. Alors allons-y. »
l’interrompit Percy, en lui attrapant le bras et en l’entraînant vers le petit couloir en question,
plus discret et, avec un peu de chance, dénué de Mangemorts.

Ils n’avait même pas traversé la moitié de l’open space lorsqu’ils entendirent les Mangemorts
arriver.

Sans hésiter, Scrimgeour le poussa à l’intérieur d’un des bureaux et ferma la porte derrière
eux, lui intimant le silence d’un doigt posé sur les lèvres.

°O°O°O°O°

Le Département des Aurors était complètement vide.

Ce n’était pas si surprenant, au demeurant, se dit Lucius, c’était la preuve que le plan avait
fonctionné. Le gros des troupes était sans doute à Poudlard et ce qu’il en restait ici s’était
dispersé pour défendre la veuve et l’orphelin, ce qui signifiait que la voie jusqu’au Ministre
de la Magie serait libre. Excepté s’il avait un portoloin caché quelque part en cas d’urgence
mais Scrimgeour n’était pas Fudge alors il en doutait. Si portoloin il y avait, il ne l’aurait pas
pris.

« Faites ce que vous avez à faire. » ordonna-t-il aux autres. « Je vais fouiller les bureaux. »

Où il comptait ne rien trouver d’intéressant.

Regrettable comme les Aurors avaient tout détruit avant de partir à Poudlard.

Cela lui vaudrait probablement quelques doloris si le Seigneur des Ténèbres revenait de
mauvaise humeur… Dumbledore appréciait-il les sacrifices qu’il faisait pour la cause ? Bien
sûr que non. Comment Severus avait pu supporter ce rôle de martyre pendant plus de quinze
ans le dépassait. Lucius n’en pouvait déjà plus au bout de quelques mois.

Aucun des autres Mangemorts ne chercha à discuter. Le Département était très visiblement
désert et ils avaient soif de sang.

Il attendit d’être seul pour jeter un hominum revelio par acquis de conscience.

Deux signatures dans un bureau sur la droite.

Avec un soupir, il se dirigea vers le bureau en question. Pouvait-on se lasser de l’Avada ? Fût
un temps où la magie noire le comblait, où il pouvait passer des heures et des heures à la
pratiquer. Puis Draco était né et, s’il devait être honnête, aussi niais que cela semble, il avait
trouvé un sens tout nouveau à sa vie. Cela ne signifiait pas qu’il n’appréciait pas un bon rituel
de magie noire à l’occasion mais… Les Impardonnables avaient quelque chose de barbants
dernièrement.

Il refusait d’appeler ce pincement dans sa poitrine du remord.

C’était plus simple de le qualifier d’ennui.

Les années passées à magouiller dans l’ombre après la chute du Seigneur des Ténèbres lui
manquaient. Il ne s’était jamais ennuyé à cette époque là. Il avait toujours eu un projet en
cours et un autre sous le coude, les Impardonnables étaient suffisamment rares pour être
appréciés à leur juste valeur et il avait été agréable de ne pas craindre pour sa vie à chaque
seconde parce que son seigneur et maître était entièrement instable.

Il enfonça la porte du bureau d’un coup de pied et pointa sa baguette vers…

Il grogna légèrement, ravalant les premières syllabes du sort de mort.

« Un rouquin, une robe de seconde main… » railla-t-il. « Inutile de perdre du temps en


présentations. »

Le Weasley – c’était forcément un Weasley – déglutit mais releva légèrement sa baguette. Le


sort de bouclier qu’il avait jeté était si fort qu’il tremblotait presque autour de lui.

Mais il était seul et…

Oh, bien entendu…

Lucius pivota juste à temps pour éviter le sort de mort qui l’aurait touché en plein milieu du
dos et se retrouva face à Rufus Scrimgeour.

Il leva les yeux au ciel. « Vous ne pouviez pas vous enfuir comme tout bon Ministre qui se
respecte ? »

Voilà qui allait méchamment compliquer la situation.

Il savait très bien ce que Dumbledore aurait exigé de lui, s’il avait pu lui parler avant
l’attaque.

S’assurer que la communauté magique ait toujours un Ministre à la fin de la journée était
capital.

Était-il toujours utile d’obéir aux ordres de Dumbledore, toutefois ? Si Poudlard tombait…
Mais le Seigneur des Ténèbres avait apparemment décidé qu’il ne voulait pas prendre
Poudlard ce jour là et les chances que le vieux fou en réchappent étaient grandes. Poudlard
était une distraction, le véritable objectif était là devant lui. Poudlard vivrait pour voir un
nouveau jour se lever et Draco…

Draco s’était retrouvé face à Greyback et une armée décidée à l’assassiner…

Il renforça ses boucliers mentaux.


Draco était plein de ressources. Draco était un Malfoy et les Malfoy survivaient quoi qu’il
arrive.

« Lucius Malfoy. » cracha Scrimgeour, comme une insulte.

« En chair et en os. » soupira-t-il, en faisant disparaître son masque d’un geste négligeant des
doigts. « Bien. À présent, que ces formalités sont faites… »

Scrimgeour attaqua d’un autre sort de mort que Lucius n’évita que de justesse. Il para le
stupefix de Weasley dans la foulée et riposta avec suffisamment de force en direction du
Ministre pour l’envoyer voler dans l’open space désert du Département.

Weasley voulut l’attaquer à nouveau mais il le désarma avec facilité et lui jeta un sortilège de
pétrification. « Vous, restez là. »

Il aurait pu le tuer mais il aurait eu, ensuite, du mal à convaincre Scrimgeour de lui faire
confiance.

Il sortait à peine du bureau lorsque le troisième sort vert fusa vers lui. Il esquiva avec
agacement.

« Ne devriez-vous pas être un peu plus réfractaire aux Impardonnables, en tant qu’ancien
Auror ? » commenta-t-il.

Scrimgeour s’était remis debout et…

S’écroula à nouveau au sol où il convulsa durant une bonne minute, préférant visiblement se
mordre les joues plutôt que de crier.

Lucius compatissait. C’était un dilemme qu’il subissait à chaque fois que le Seigneur des
Ténèbres lui faisait l’honneur de le punir.

Ça n’empêchait pas les petits bruits étranglés à la limite du gémissement.

Il leva les yeux vers Bella qui se tenait à l’entrée du Département. Elle mit finalement un
terme à son sortilège de doloris, laissant le Ministre haleter au sol pour mieux le fusiller du
regard à lui. « C’est à moi que le Seigneur des Ténèbres a confié la mission de le tuer. »

Il pouvait assassiner cette folle. Là, tout de suite. Personne n’en saurait rien.

La pensée lui vint, insistante.

Il pouvait lui jeter un Avada, mettre sa mort sur le dos de Scrimgeour…

Il leva sa baguette…

Et la redirigea immédiatement vers le Ministre à qui il jeta un nouvel endoloris parce que
MacNair venait de les rejoindre.

« Tout est prêt. » déclara ce dernier.


Il ne pouvait plus rien pour Scrimgeour.

Pas à moins d’attaquer Bellatrix et MacNair, ce qui briserait sa couverture et il n’était pas
prêt à se déclarer ouvertement contre le Seigneur des Ténèbres. Pas depuis qu’Il avait une
baguette surpuissante.

Selon comment se terminait cette journée…

Il lui faudrait peut-être revoir sa stratégie sur le long terme.

Dumbledore n’était peut-être plus la solution la plus sûre.

Peut-être était-il temps de récupérer Narcissa là où le Directeur l’avait cachée et l’envoyer


avec leur fils aussi loin qu’il était humainement possible d’aller. Ni l’un, ni l’autre n’avait de
Marque des Ténèbres… S’il les expédiait suffisamment loin… Il était même prêt à inclure la
Sang-de-Bourbe de Draco, si cela pouvait faire la différence.

« Mais je n’ai pas eu le temps de jouer. » bouda Bella. « Et Lucius allait me voler la mise à
mort. »

Lucius leva les yeux au ciel. « Est-ce ma faute si tu n’étais pas au bon endroit au bon
moment ? Tu perds la main, ma chère. Avada… »

« Avada Kedavra ! » cria-t-elle, le prenant de vitesse.

Scrimgeour n’eut pas le temps de voir venir le maléfice.

C’était plus de chance que la plupart des victimes de Bellatrix n’en avaient généralement.

« Tu es témoin, MacNair, c’est moi qui l’ait eu ! » rit-elle, comme si c’était une bonne
plaisanterie.

Il échangea un regard lourd de sens avec l’autre Mangemort, n’étant pas le seul que les
gamineries de Bella insupportaient.

« Allons-y ! » lança-t-il, sans plus un regard pour le Ministre. « Je n’ai pas envie d’être
encore ici lorsque tout explosera. Combien de temps avons-nous ? Cinq minutes ? »

« Dix. » grogna MacNair. « J’ai mis la bombe dans mon bureau. Merde, ce que je peux
détester cet endroit… »

Lucius hocha la tête et entraîna les deux autres vers la sortie.

Aucun des deux n’aperçut son geste négligeant alors qu’ils quittaient le Département des
Aurors.

Un finite qui ne lui coûtait rien, pas plus que le fait d’avoir élevé la voix.

Simplement parce qu’il avait détesté Arthur Weasley et s’était réjoui de sa mort mais que
Draco était désormais ami avec son plus jeune fils.
Ce n’était ni du remord, ni de la compassion.

Il n’était pas devenu aussi sensible que ça pour chercher la rédemption là où il pouvait la
trouver.

C’était juste…

Avec agacement, il écarta le Weasley de son esprit.

Ce n’était rien du tout.

°O°O°O°O°

Le sortilège de pétrification disparut brutalement, sans que Percy ne se l’explique. Peut-être


que Malfoy avait relâché sa vigilance où peut-être l’avait-il simplement oublié… Quoi qu’il
en fût, il resta allongé là de longues secondes à avaler goulument l’air, tendant l’oreille pour
s’assurer que les Mangemorts étaient bien partis…

Lorsqu’il en fût certain, il se redressa et sortit prudemment de son abri, sachant déjà ce qu’il
allait trouver. Il s’y était préparé mais était-on jamais prêt pour ce genre de choses ?

Scrimgeour était mort.

Par acquis de conscience, il s’accroupit auprès de lui et vérifia son pouls puis il lui ferma les
yeux, déglutissant plusieurs fois sans parvenir à avaler la grosse boule qui lui obstruait la
gorge.

Il avait adoré travailler pour lui. Scrimgeour n’était pas facile tous les jours mais il l’avait
toujours traité avec respect et il avait plus appris avec lui qu’avec Fudge.

Et pourtant il avait, à de nombreuses reprises depuis la mort de son père, passé des
informations sur le Ministre ou le Ministère à Dumbledore.

Scrimgeour avait été un exemple de courage, exactement le leader dont la communauté


magique avait eu besoin et il ne savait pas comment ils allaient faire sans lui. Qui pouvait
reprendre la suite ? Techniquement, légalement, Madame Bones était Ministre à présent… À
supposer qu’elle était encore en vie. Dans le cas contraire… Kingsley Shacklebolt venait en
second.

J’ai mis la bombe dans mon bureau.

Dix minutes.

Moins, à présent.

Sans plus tergiverser, Percy partit en courant. Il pourrait régler la question de qui était
Ministre plus tard. D’abord, il lui fallait sortir d’ici vivant.

Cette alarme qui ne cessait de hurler allait le rendre fou.


Il se glissa de couloir en couloir, délaissa les ascenseurs pour mieux se jeter dans les cages
d’escaliers…

Il ne lui fallut guère qu’une poignée de minutes pour arriver, haletant, à destination.

Pas l’atrium ou la zone de transplannage, non, mais le bureau de MacNair.

Parce qu’il n’allait pas permettre que les Mangemorts détruisent le Ministère.

Le Ministère était un symbole et il devait demeurer fort.

Ils avaient évacué vers Gringotts tout ce qu’ils comptaient d’armes et d’artéfacts précieux
mais il restait des choses au Département des Mystères qu’ils ne pouvaient ps déplacer, des
choses qui n’avaient aucun prix, des choses qu’ils ne pouvaient pas se permettre de perdre.

Alors il se glissa courageusement dans le bureau de MacNair et ferma la porte derrière lui. Il
n’eut pas à chercher longtemps pour trouver la bombe, le Mangemort ne s’était pas encombré
de la dissimuler. Elle était posée sur le bureau : une création de fioles remplies de divers
liquides de différentes couleurs reliées entre elles par des filaments magiques…

Percy paniqua légèrement.

Comment désamorçait-on une bombe ?

Bill aurait su.

Mais Bill n’était pas là.

Percy n’avait jamais excellé en Défense mais il était, en revanche, très bon en Sortilèges et il
se défendait en Potions – Snape ne lui avait jamais hurlé dessus ou ne l’avait jamais accusé
d’incompétence du moins, ce qui revenait à de l’approbation pour le Professeur acariâtre – il
s’exhorta donc à garder son calme et à approcher le problème de manière rationnelle.

Une inspection approfondie, bien que rapide, lui dit que les fioles étaient remplies de deux
types de potions explosives. Assez pour détruire une bonne partie du Ministère, probablement
pas assez pour faire écrouler tout le bâtiment… Les filaments servaient de déclencheurs et de
minuteurs…

Un finite ne règlerait pas la question, il lui fallait trouver le bon contre-sort.

S’il se trompait…

Mais il ne se tromperait pas.

Il avait passé sa jeunesse à la bibliothèque, avait lu pratiquement tous les rayonnages malgré
les moqueries répétées de ses frères et de sa sœur, comme s’il avait toujours su que ça
servirait un jour. Percy n’avait jamais voulu être un héro, mais il avait aussi toujours su qu’il
ferait quelque chose d’important de sa vie et sauver le Ministère serait de bon ton lorsque,
dans de nombreuses années, il briguerait le poste de Ministre de la Magie.
Retenant légèrement sa respiration, il lança le sort qui feraient disparaître les filaments de
magie.

S’il se trompait…

Mais il ne s’était pas trompé.

Soufflant avec soulagement, il eut une pensée pour Flitwick qui l’avait encouragé, en
cinquième année, à explorer les différents sortilèges en rapport au temps. Puis, il se reprit et
écarta prudemment les fioles remplies de potions les unes des autres, juste au cas où.

Et, lorsqu’il fût certain qu’il avait complètement désamorcé la bombe, que c’était fini, il se
laissa glisser au sol et prit sa tête entre ses mains. Il laissa la terreur et la panique qu’il avait
réprimées ces dernières minutes l’envahir, laissa son corps se mettre à trembler…

Il devait sortir d’ici, contacter Shacklebolt, demander de l’aide, s’assurer que sa famille allait
bien… Bill n’allait jamais croire ce qu’il venait de faire…

Mais il allait d’abord prendre une minute pour respirer, pour…

Il allait demander Audrey en mariage.

Oui.

Oui, c’était exactement ce qu’il allait faire.

Dès qu’il aurait prévenu Shacklebolt ou Tonks, dès qu’il aurait localisé Madame Bones…

Il allait demander Audrey en mariage.

Il l’aimait.

Il voulait construire sa vie avec elle.

Pourquoi avait-il seulement tant tardé ?

Il n’avait pas assez d’économies pour acheter une bague, pas avec le Terrier à entretenir, mais
il irait supplier la Tante Muriel s’il le fallait. Après tout, elle avait…

Il y eut un bruit alarmant.

Il releva la tête, sans comprendre, et puis…

°O°O°O°O°

À l’abri sur le toit d’un grand immeuble, Lucius regarda le pâté de maison s’écrouler,
enterrant des Moldus et les quelques sorciers qui s’enfuyaient encore en courant du
Ministère.

MacNair et Avery n’avaient pas lésiné sur le nombre de bombes… Les pauvres idiots qui se
retrouveraient en charge d’expliquer la chose aux Moldus allaient avoir beaucoup de travail
pour les convaincre qu’il n’y avait rien de magique là-dessous. Surtout après Cardiff.

À ses côtés Pettigrow se trémoussa. « Dois-je… »

« Dépêche-toi de le prévenir. » cracha-t-il, se retenant à grand peine de lui jeter un maléfice.


Il n’avait jamais oublié qui avait tué son fils au Département des Mystères et il n’était pas
prêt de le faire. Sa vengeance viendrait.

Le rat servile transplanna sans demander son reste.

Bella était déjà repartie à Azkaban avec le reste des troupes.

Lucius s’était porté volontaire pour rester en arrière et s’assurer que le Ministère parte bien en
fumée.

Mission accomplie.

À voir le carnage, il ne restait rien là-dessous.

Ni personne d’ailleurs.

Il se demanda brièvement si le Weasley avait réussi à s’échapper à temps puis effaça cette
idée de son esprit.

Ce n’était pas productif.

Pas plus que se demander si Draco avait survécu à l’attaque de Poudlard.

Il avait donné une chance au fils d’Arthur Weasley…

S’il existait une balance cosmique…

Draco.

Si Draco était mort, il allait raser Azkaban à coup de Feudeymon.


What Came After

« Younger witches always thought they wanted adventure. They dreamed of bloody
battles, secret missions, and noble sacrifices. They were never prepared for what came
after—injuries that ached more every year, nightmares that never ended, and the guilt,
festering like a wound, fed by memories of friends killed in an act of mercy because the
healers always arrived too late or never at all. »
The Ones We Burn – Rebecca Mix

« Les jeunes sorcières pensaient toujours vouloir partir à l’aventure. Elles rêvaient de
batailles sanglantes, de missions secrètes et de nobles sacrifices. Elles n’étaient jamais
préparées à ce qui venait ensuite : les blessures qui faisaient davantage souffrir d’année
en année, les cauchemars qui ne disparaissaient jamais, et la culpabilité qui
s’envenimait comme une plaie, nourrie par les souvenirs des amis achevés dans un acte
de compassion parce que les guérisseurs arrivaient toujours trop tard ou pas du tout. »
The Ones We Burn – Rebecca Mix

Sirius cherchait à rejoindre Harry qui peinait lui-même à se frayer un chemin à travers les
combats lorsque, tout à coup, les Mangemorts refluèrent comme sous un ordre silencieux.

Il ne se donna pas l’opportunité de s’étonner ou de s’inquiéter. Du coin de l’œil, il avait vu


Dumbledore relayer McGonagall avec les armures or ces armures avaient faits plus de dégâts
qu’il n’y paraissait. Au loin, Hagrid et son demi-frère achevaient de nettoyer le parc à grands
coups de bras ou de parapluie rose, Molly et ses troupes paraissaient être parvenues à
repousser les Détraqueurs, le château ne crachait plus de Mangemorts…

Aussi fou que cela puisse paraître, aussi improbable, il semblait que la victoire leur était
acquise.

Mais le silence qui tombait lentement sur le champ de bataille…

Le silence était effrayant et peu naturel.

Sans perdre Harry des yeux, il vit Dumbledore avancer au centre, devant tout le monde…

« Eh bien, Tom, nous voilà dans une impasse. » lâcha le Directeur, avec davantage de haine
rentrée qu’il ne lui en avait jamais entendue.

Et soudain…

Dans ce silence…

« Papa ! » hurla Harry avec un déchirement évident, la voix rauque et brisée.


Sirius sprinta plus vite et parvint à l’attraper juste au moment où le garçon allait s’élancer à
travers le no man’s land qui s’était formé entre les deux armées.

Droit sur Voldemort.

Et sur Severus qui flottait dans les airs juste derrière lui, prisonnier d’un quelconque
sortilège.

« Papa ? » répéta le mage noir, d’un ton moqueur, en jetant un coup d’œil à son ancien
Mangemort par-dessus son épaule. « M’aurais-tu caché d’autres informations importantes,
Severus ? Cela expliquerait pourquoi tu étais si désespéré de me voir épargner ta Sang-De-
Bourbe, à l’époque… »

« Papa ! » s’égosilla à nouveau Harry, visiblement fou d’inquiétude.

« Il va vraiment falloir m’expliquer ce développement. » plaisanta Voldemort. « Mais si tu


veux récupérer ton… père, Harry, tu sais où me trouver. Je suis tout disposé à faire un
échange et je ne compte pas le tuer tout de suite. Ce sera une longue, longue agonie pour
lui… On ne trahit pas impunément Lord Voldemort. »

Le Gryffondor se débattait si fort que Sirius peinait à le retenir mais il se laissa pas fléchir, ne
se laissa pas prendre par surprise ce coup-ci. Malgré les coups, malgré les tentatives de
l’adolescent pour ruer ou mordre, il garda les bras fermement crochetés autour de sa taille.

« Harry, calme-toi… » supplia-t-il. « Harry… »

Et puis quelqu’un les rejoignit, se plaça devant le garçon, aida Sirius à le maîtriser. Harry se
débattit d’autant plus mais l’Animagus croisa le regard éteint de Minerva McGonagall avec
reconnaissance. La sorcière était échevelée, épuisée et avait visiblement vécu des jours
meilleurs.

Harry, en revanche, était comme possédé, il se débattait, criait, et Sirius n’entendit rien du
petit échange entre Dumbledore et Voldemort, n’en comprit rien…

Tout ce qui comptait, c’était empêcher son filleul de faire quelque chose de stupide.

Même à deux, ils peinaient.

Ce fût la raison pour laquelle il fût si heureux de sentir la présence familière dans son dos, de
sentir d’autres bras venir enlacer l’adolescent… Il rencontra le regard déterminé de Remus,
s’autorisa à relâcher légèrement ses muscles crispés en sachant que le loup-garou
compenserait…

« Sirius… »

C’était un sifflement, à peine un murmure, qui ne porta que par miracle.

Il leva la tête vers Severus qui était dans un état… Couvert de boue, de sang et d’il ne savait
quoi d’autre, les robes déchirées par endroits… Il était évident que le Maître des Potions avait
vendu chèrement sa peau.
La gorge nouée par un étau, peinant à croire que quelques heures plus tôt à peine ils avaient
plaisantés ensemble comme des gamins, Sirius se força à rester fort. Pour Harry. Tout pour
Harry. « Sur ma vie. »

Cela sembla suffire à son ami.

Mais pas à Harry qui s’époumonait comme un dément.

°O°O°O°O°

Albus était gelé.

Ce n’était pas l’eau glacée qui ruisselait sur le domaine et trempait tout le monde jusqu’aux
os, c’était le trou qu’avait laissé l’âme de Gellert en passant le voile. C’était l’absence
d’Abelforth sur le champ de bataille. Il n’avait pas encore aperçu son frère, ne savait pas si…
Kingsley avait laissé entendre que… Mais tant qu’il ne l’aurait pas vu, ce ne serait pas réel.

Alors Albus se contentait d’être gelé, de jouer le rôle que la communauté magique attendait
de lui.

Lorsque les Mangemorts refluèrent sous l’ordre silencieux de Lord Voldemort, il avança au-
devant de ses propres troupes pour l’échange attendu de phrases cinglantes et de mots
d’esprit.

Mais lorsqu’il atteignit la limite du no man’s land qui s’était formé entre les deux armées, ce
fût pour apercevoir un Voldemort à l’air heureux – trop heureux pour quelqu’un qui venait de
perdre une bataille. Et derrière lui, flottant dans les airs, trop faible pour seulement lutter
contre le sort qui le retenait prisonnier…

Comme quoi, son cœur n’était pas encore tout à fait brisé parce qu’il se serra à exploser à la
seconde où il vit Severus, sachant d’avance que c’était cause perdue, que l’homme avait beau
toujours respirer, il était déjà mort. Parce qu’ils ne pourraient pas partir à son secours.

« Eh bien, Tom, nous voilà dans une impasse. » lâcha-t-il, sans parvenir à y mettre le flegme
qu’il l’aurait souhaité.

« Dumbledore. » répondit le mage noir, avec bien trop de jubilation. « C’est gentil à toi de
cesser de te cacher dans ton château pendant que tes hommes meurent pour le défendre… »

Quelque part sur sa droite, quelqu’un fusa comme un boulet de canon, s’avançant dans le
vide entre les deux armées…

« Papa ! » hurla Harry, uniquement pour être trainé en arrière par Sirius. L’Animagus peina à
le retenir, alors même que Voldemort s’esclaffait.

« Papa ? » se moqua Tom, non sans un regard vers son ancien espion. « M’aurais-tu caché
d’autres informations importantes, Severus ? Cela expliquerait pourquoi tu étais si désespéré
de me voir épargner ta Sang-De-Bourbe, à l’époque… »

De mal en pis, songea Albus.


« Papa ! » s’égosilla à nouveau Harry, en se débattant comme un beau diable pour échapper à
son parrain.

Plus inquiétant, Severus réagissait à peine.

Il croisa brièvement le regard d’Albus, semblait déterminé à ne pas regarder vers Harry…

Le vieux sorcier comprenait.

Il voulait rester digne, garder un dernier souvenir de son fils qui ne soit pas celui-là, offrir une
image calme au garçon…

Alors il soutint son regard aussi longtemps qu’il lui fût donné, pendant que Tom
monologuait, tâchant de lui transmettre courage, force et calme, lui-même.

« Il va vraiment falloir m’expliquer ce développement. » ricana Voldemort. « Mais si tu veux


récupérer ton… père, Harry, tu sais où me trouver. Je suis tout disposé à faire un échange et
je ne compte pas le tuer tout de suite. Ce sera une longue, longue agonie pour lui… On ne
trahit pas impunément Lord Voldemort. »

Albus sentit plus qu’il ne vit Minerva se détacher du groupe derrière lui, aller prêter main
forte à Sirius pour retenir le garçon qui hurlait et hurlait…

Chaque cri transperçait le cœur d’Albus comme une flèche acérée.

Peut-être parce que lui aussi aurait voulu hurler avec autant d’abandon.

« Je pense qu’il est temps que tu partes, Tom. » déclara-t-il froidement. « Il me semble que
nous avons prouvé que Poudlard ne tomberait pas aussi facilement entre tes mains. »

Il s’attendait à ce que son égo soit froissé, à ce qu’il réplique… Au lieu de ça, des petits rires
résonnèrent dans les rangs des Mangemorts et Voldemort inclina la tête sur le côté, ses yeux
rouges brillant d’un amusement plein de morgue.

« Tu te fais vieux, Dumbledore. » répondit gaiment le mage noir. « Si j’avais voulu Poudlard,
je l’aurais prise. Cela viendra mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, j’ai déjà gagné la guerre. »

Et ce fût à ce moment là que l’évidence lui sauta au visage.

Greyback se tenait près du mage noir, Pettigrow n’était pas loin…

Mais Lucius ? Bellatrix ? Les autres Mangemorts plus âgés ? Il voyait bien Crabbe Senior
mais…

Il pâlit soudain.

Il avait fait une erreur.

Une terrible, terrible erreur…


Le sourire de Voldemort était effrayant.

« Sirius… » murmura Severus, dans le silence qui s’ensuivit, uniquement brisé par les
hurlements d’Harry.

« Sur ma vie. » répondit Sirius, à peine audible à travers les cris du garçon.

« Amuse-toi bien à tenter de sauver ce qu’il reste, Dumbledore. » se moqua Voldemort.


« Mais sache que vous ne survivez que parce que je l’autorise. Ma magnanimité aura un
terme, cependant. Un jour ou l’autre, je reviendrai vous écraser du talon. Vous avez perdu. »
Il tourna la tête vers l’adolescent qui criait à s’en arracher la gorge. « Harry, tu sais où me
trouver si tu veux être un peu plus courageux que ton Directeur et tenter ta chance. »

Et puis, dans une série de craquements, les Mangemorts disparurent, le laissant à la tête d’une
armée défaite et blessée.

« Kingsley ! » appela-t-il immédiatement.

Le Chef du Département des Aurors claudiqua jusqu’à lui. Il aurait davantage eu sa place à
l’infirmerie mais…

« Rassemblez tous les Aurors toujours en état de se battre. » ordonna-t-il. « Au Ministère ! »


Il n’attendit pas de voir si l’homme obéissait à ses ordres, il rejoignit l’endroit où Harry était
tombé à genoux, toujours retenu par ses geôliers bienveillants. Il aurait voulu avoir le temps
de dispenser réconfort et compassion mais… « Minerva ! » Sa sous-directrice leva la tête, des
larmes silencieuses se mêlant à la pluie qui ruisselait sur son visage. « Trouvez les autres
Directeurs de Maisons, rétablissez les protections de Poudlard. Ne fignolez pas, l’important
c’est qu’elles soient actives, je m’occuperai de les ajuster en revenant. Remus, veillez à
rassembler les blessés et organisez des patrouilles en attendant que les protections soient à
nouveau fonctionnelles. Sirius, prenez tous les membres de l’Ordre encore vaillants, faites le
tour du château, retournez chaque pierre et retrouvez-moi nos élèves. Ah, l’espion… »

« Anthony. » répondit Sirius, d’un ton plat. « Capturé. Charlie était sous Impérium, je ne sais
pas où il est. »

« Charlie est à l’infirmerie. » ajouta Remus. « Mais, Albus… »

« Faites ce que je vous ai dit. » rétorqua-t-il. « Minerva, quand vous aurez dressé les
protections, faites le tour du château, assurez-vous que la structure est stable au niveau des
explosions et que tous les incendies sont éteints. »

Il se détourna, ne s’autorisant pas à s’attarder, sachant qu’ils sauraient gérer en son absence.

Kingsley avait déjà transplanné avec ses Aurors, nota-t-il.

Il savait déjà ce qu’il allait trouver.

Il savait.

°O°O°O°O°
Sa gorge était à vif et ses cris se turent mais ils résonnaient toujours à ses oreilles.

Il était à genoux, dans la boue, des bras autour de lui mais aucun qu’il ne désirait vraiment.

Il tremblait. De froid, de…

McGonagall fût la première à le lâcher, puis Remus…

Sirius l’avait attiré plus près, comme si…

Dumbledore avait terminé de parler mais Harry n’en avait pas entendu un mot. Il le vit se
détourner, le vit…

D’un coup d’épaule dans le plexus de Sirius – un mouvement que lui avait appris Tonks en
plaisantant, un matin, après le petit-déjeuner ; Tonks qui était morte – il se détacha et,
glissant et trébuchant à moitié sous les exclamations de ceux qui voulaient le retenir, il courut
à la suite du Directeur, attrapant à pleines mains ses robes bariolées.

« Il faut partir à leur poursuite ! »

Il avait voulu crier mais sa gorge ne le permettait plus. Chaque mot était douloureux, comme
s’ils râpaient sur du papier de verre.

Dumbledore le regarda avec compassion et tristesse.

La réponse était dans ses yeux bleus.

Il n’eut pas le temps de supplier davantage. Sirius était à nouveau dans son dos, si près,
comme s’il craignait qu’Harry ne s’échappe… Il n’avait pas tort.

Le Directeur plaça une main sur son épaule et serra. « Sois courageux, Harry. C’est ce
qu’aurait voulu Severus. »

Le temps employé fût une claque en plein visage.

« Il n’est pas encore mort. » siffla-t-il.

Dumbledore croisa le regard de Sirius par-dessus lui, comme s’il n’était qu’un enfant qui ne
valait pas d’être écouté, et, sans un mot, s’éloigna à nouveau pour transplanner.

Autour d’eux, les gens commençaient à ramasser les blessés, à…

Il se tourna vers Sirius. « On peut… »

« Non. » le coupa l’Animagus, en secouant la tête, l’air triste. « Je suis désolé, Harry. Non, on
ne peut pas. »

« Il le ferait pour nous et tu le sais très bien ! » rétorqua-t-il.

Sirius prit une profonde inspiration puis s’agenouilla à même le sol boueux pour mieux lui
attraper les épaules, pour mieux le forcer à le regarder en face. « Il le ferait pour toi. Parce
que c’est ton père et qu’il t’aime. Mais il ne le ferait pas pour moi parce qu’il sait très bien
que je préfèrerai mourir plutôt que de te laisser seul sans personne pour veiller sur toi. Il a été
très clair avec moi, Harry. Et je suis désolé… Je suis tellement, tellement désolé. Crois-moi,
s’il y avait une chance… Mais Azkaban est imprenable, je le sais mieux que personne. Une
mission de secours ne se terminerait qu’en plus de morts pour nous. »

Harry secoua la tête. « Tu as entendu Voldemort ! Il ferait un échange ! Il… »

« C’est ça ton plan ? » se moqua tristement Sirius. « Échanger ta vie contre celle de Severus ?
C’est la dernière chose qu’il voudrait. On ne peut rien faire pour lui, Harry… Mais on peut
aider les gamins qui sont perdus ou blessés. Tu veux m’aider à les aider ? »

L’adolescent tourna la tête vers l’endroit où Severus s’était tenu quelques minutes plus tôt,
prisonnier du sort. « Je veux… Non, je… »

« Je ne te laisse pas vraiment le choix. » soupira son parrain. « Je ne te fais pas confiance
pour ne pas t’enfuir. Tu restes avec moi. Si je dois te jeter un sort comme à un gamin de trois
ans pour m’assurer que tu ne t’éloignes pas, je le ferai, alors… Évitons-ça, d’accord ? »

Un regard à Sirius prouva qu’il allait le faire pour de vrai.

Quel autre choix avait-il ?

Il hocha la tête.

Jouer le Gryffondor ne l’aiderait pas là tout de suite.

Non…

Là, tout de suite, il devait être un Serpentard.

°O°O°O°O°

Albus arriva sur les lieux quelques minutes après Kingsley et le rejoignit au bord de ce qui
s’apparentait à un cratère. Le pâté de maison entier semblait s’être écroulé. De la poussière
volait encore dans l’air, recouvrant tout et tout le monde… Les Aurors étaient déjà au travail
mais les premiers secours et les forces de l’ordre Moldus aussi. Et…

« Nous ne pouvons pas contenir ça… » lâcha Kingsley, son œil gauche fermé par la plaie qui
le barrait. Il pressait une main contre son flan. Il aurait sans doute dû voir un Médicomage.
« Je n’ai plus assez d’Aurors… J’ignore où sont les Langues-de-Plombs… Je ne peux pas…
Le nombre d’Oubliettes qu’il faudrait jeter… »

Après Cardiff…

Était-ce un mal pour un bien ? S’ils écrivaient aux Ministères de la Magie étrangers, les
convainquaient que Voldemort était un danger pour le statut du secret… Mais ce serait la fin
de la communauté magique du Royaume-Uni. Si les puissances étrangères venaient se mêler
de leur politique, ils mettraient un pantin à leur tête et…
« Concentrons-nous sur les survivants. » répondit Albus. « Fouillons les décombres,
camouflons les artefacts magiques que nous ne pouvons récupérer… »

Pratiquement tout avait été déplacé à Gringotts. Tout ce qui pouvait quitter le Ministère, du
moins. Et ce qui ne le pouvait pas…

« Il n’y a pas de survivants. » murmura Kingsley.

Albus tourna la tête vers lui. « C’est impossible. Il y avait… »

« Des centaines d’employés. » termina le Chef des Aurors pour lui. « Un de ceux qui sont
parvenus à se sauver vient de me contacter. Les seuls qui ont survécu sont ceux qui sont
parvenus à transplanner. »

« Rufus ? » s’enquit-il, en portant une main à son front.

Il ne pleuvait pas, à Londres, mais, en un sens, Albus aurait presque préféré.

Cela aurait un peu voilé la détresse sur le visage de son ami.

« Le Ministre aurait été le dernier à partir. » annonça Kingsley. « Il n’aurait jamais accepté de
se sauver tant qu’il restait des innocents à l’intérieur. » Le sorcier déglutit avec difficulté.
« C’est ma faute. Je l’ai laissé seul avec un nombre ridicule de gardes inexpérimentés. C’est
ma faute. »

« Ce n’est pas votre faute. » protesta immédiatement Albus, en lui tapotant l’épaule.
« J’aurais fait le même choix et je suis certain que Rufus aussi. » Il se racla la gorge, s’efforça
de garder l’esprit clair. « Fouillons les décombres et… »

« Vous ne trouverez pas de corps, Albus. » l’interrompit l’Auror. « Le Ministère était le point
central de l’explosion. Ils ont dû poser des dizaines de bombes pour obtenir ce résultat. Il a
été oblitéré. Il n’y aura ni corps, ni survivants. Je doute même que quoi que ce soit dans les
sous-sols ait survécu. »

« Fouillons quand même. » ordonna-t-il. « Par acquis de conscience. » Il se tourna en


direction de là où s’était tenu le Ministère. « Trouvez-moi Amélia Bones. »

Amélia était à présent la Ministre de la Magie et il refusait de la laisser tomber aux mains des
Mangemorts.

Il avait perdu suffisamment d’amis ce jour là.

Il repéra le Moldu qui avait l’air le plus important parmi la foule de premier secours et fit un
pas vers lui uniquement pour être retenu par une main ferme sur son bras. « Vous n’allez
nulle part seul, Albus. Si Bones ne s’en est pas sortie… »

« Alors, vous voilà Ministre, Kingsley. » répondit-il calmement.

Sans surprise, Kingsley secoua immédiatement la tête. « N’allez nulle part seul. » Il regarda
autour de lui, sourcils froncés. « Où est Tonks ? Ça m’étonne que… »
Albus grimaça. « Elle était très mal en point la dernière fois que je l’ai vue. Je ne suis pas
certain qu’elle ait survécu. »

Les yeux sombres de l’Auror s’éteignirent un peu plus mais il fit signe à une femme d’âge
mûr en robes bleues. Une ancienne Auror à la retraite qu’il avait eu le plaisir d’avoir dans sa
salle de classe à une époque très lointaine. « Bertha. Voulez-vous garder un œil sur le
Professeur Dumbledore ? Ne le lâchez pas d’une semelle quoi qu’il dise, fasse ou ordonne. »

« Ce n’est vraiment pas nécessaire. » grommela-t-il. « C’est vous qu’il faudrait… »

« Albus. » cingla Kingsley, perdant son calme pourtant d’habitude inaltérable.

L’homme avait combattu Voldemort pendant un long moment, ce matin là, et en gardait les
séquelles. Sans compter le poids des décisions à prendre duquel Albus était particulièrement
familier.

Il capitula et accepta l’escorte d’un hochement de tête.

°O°O°O°O°

Emmener Harry dans les cachots avait été une idée idiote qu’il regretta à la seconde où ils
trouvèrent le premier corps, non loin de la salle commune des Serpentards.

« C’est Colin. » lâcha Harry, lorsque Sirius eut retourné le petit corps qui était tombé sur le
ventre.

Il chercha un pouls par acquis de conscience mais le quatrième année était déjà froid.

« Est-ce que tu peux lancer un patronus ? » demanda-t-il, en levant les yeux vers son filleul.
Question idiote qu’il regretta aussitôt.

Harry haletait, les yeux dans le vague…

Crise de panique.

Il avait vu le garçon en avoir plusieurs mais…

Il se releva, enjambant Colin pour lequel il ne pouvait plus rien et attira l’adolescent dans une
étreinte ferme. Que faisait Severus dans ces cas là déjà ?

Sirius n’était pas fait pour ça.

Il n’était pas fait pour…

« Respire. » exigea-t-il, en posant une main à l’arrière de la tête d’Harry. « Respire avec moi,
d’accord ? De grandes inspirations. »

Mais ça ne fonctionnait pas.

Harry s’étouffait, pleurait…


Il ne fallut pas longtemps avant que Sirius ne doive l’aider à s’asseoir…

Il ne savait pas quoi faire.

Severus gérait ce genre de choses avec un tel calme, une telle facilité…

Severus était un bon père.

Sirius n’était pas fait pour la paternité.

S’il y avait eu une chance, une seule chance, qu’ils puissent récupérer le Maître des
Potions… Il l’aurait tentée. En dépit de ce qu’il avait affirmé à Harry, en dépit de ce qu’aurait
voulu Severus, il l’aurait tentée.

Mais il n’y avait aucune chance qu’une mission de secours aboutisse en autre chose qu’un
nouveau massacre. Aucune.

°O°O°O°O°

Albus venait à peine de convaincre le responsable Moldu, à grand renfort de Legilimencie et


de sortilèges, qu’il y avait eu une fuite de gaz et que lui et son équipe étaient des spécialistes
à qui il fallait laisser le champ libre lorsqu’il entendit le bruit du transplannage en plein
milieu de la rue.

Si le Code International du Secret Magique survivait à cette journée, ce serait un miracle.

Et il était à peine treize heures passées.

Il repéra Molly à sa chevelure rousse et la rejoignit, Bertha sur les talons.

« Molly ! » l’arrêta-t-il, en attrapant son bras. « Il vaudrait mieux… »

Mais la femme se dégagea et avança droit vers le cratère, les yeux ronds, la peau pâle. Il
marcha avec elle, se tenant près… Il tâcha de la rattraper au mieux lorsque ses jambes
cédèrent et qu’elle tomba à genoux dans la poussière.

« Percy ? » gémit-elle.

Albus s’accroupit auprès d’elle et l’attira contre lui sans plus s’embarrasser de pudeur. Elle
s’agrippa à ses robes et enfouit son visage contre son torse, pleurant à sanglots.

Croisant le regard compatissant de Bertha, il soupira. « Voulez-vous bien vous renseigner, s’il
vous plait ? S’il est parvenu à s’enfuir, il est peut-être retourné au Terrier ou chez sa petite-
amie… »

« Percy Weasley, c’est ça ? » demanda-t-elle, gardant la voix basse pour que Molly ne
l’entende pas par-dessus ses sanglots. Elle grimaça tristement. « Il n’aurait pas quitté le
Ministre. Brave gars. »

« Renseignez-vous tout de même. » insista-t-il.


« La pendule. » marmonna Molly, en reculant légèrement sans le lâcher. « La pendule, elle
me le dira si… » La sorcière s’humecta les lèvres, hocha la tête. « Je vais… Je vais au
Terrier. »

« Pas seule. » contra Albus. « Ce n’est pas prudent. Demandez au moins à Bill… »

« Remus a dit que Bill et Charlie étaient à l’infirmerie. » l’interrompit-elle. « Je… Je vais au
Terrier. »

Il refusait de la laisser partir seule. « Bertha, accompagnez la. »

« Mes ordres… » protesta-t-elle.

« Nous savons tous les deux que je n’ai pas besoin d’escorte. » rétorqua-t-il. « De plus, je
vais rejoindre les autres et fouiller les décombres. Je ne serai pas seul. »

Bertha hésita puis capitula. « C’est vous le chef. »

La phrase avait été jetée sans y penser mais elle heurta Albus en pleine poitrine.

Il avait un peu peur qu’elle soit prophétique.

°O°O°O°O°

Harry ne voyait plus rien.

Entre les larmes, la panique et ses yeux irrités, sa vue s’était troublée. Il avait fermé les
paupières, pressait les paumes de ses mains contre elles, mais cela n’aidait pas. Il voyait
toujours le visage de Colin, figé dans un rictus terrifié.

C’était sa faute.

Tout était sa faute.

Malfoy l’avait bien dit : s’il avait été en bas…

Mène les en sécurité, avait exigé Severus et il n’avait pas obéi.

Et il n’avait pas réussi à le sauver non plus.

Tout le monde était mort ou allait mourir et c’était sa faute.

Il ne pouvait plus respirer.

Il sentait les mains de son parrain sur ses épaules mais…

« Circée… » murmura une voix.

« Professeur ! » s’exclama Sirius avec soulagement. « Aidez-moi ! Je ne sais pas…


D’habitude, Severus… Je ne sais pas quoi faire. »
D’autres mains couvrirent celles de Sirius, le tournèrent de force. « Potter. Potter, buvez ça. »

Le goulot d’une fiole fût pressée contre ses lèvres et il avala automatiquement le contenu,
reconnaissant la potion calmante au goût peu ragoûtant. Elle fit effet immédiatement et sa
respiration ralentit suffisamment pour qu’il reprenne contenance mais ce n’était qu’un
pansement sur une plaie béante.

Temporaire.

McGonagall, agenouillée devant lui, l’air échevelée comme il ne l’avait vue qu’une fois –
une fois alors qu’elle roulait dans la poussière, la robe légèrement relevée sur ses jambes, sa
dignité volée par la mort, le chat de Dumbledore – effleura sa joue de la main.

« Potter, je sais que tout ceci est très, très difficile. Croyez-moi, je sais. » déclara-t-elle, sa
voix se brisant légèrement sur la fin. Elle se racla la gorge. « Mais il va falloir être courageux
un petit peu plus longtemps, mon garçon. Il y a des blessés là-dessous, d’autres qui se
cachent. Avez-vous cette fameuse Carte dont je fais d’ordinaire semblant de ne pas connaître
l’existence ? »

Il cilla plusieurs fois puis hocha la tête, extirpant de sa poche arrière la Carte des Maraudeurs,
froissée plus que de raison.

Elle la lui prit des mains. « Bien, c’est très bien. Voilà ce que vous allez faire, Potter : vous
allez guider votre parrain et l’aider à sauver ceux qui peuvent encore l’être. Cela vous
semble-t-il faisable ? »

Lentement, il hocha à nouveau la tête.

« Bien, très bien. » approuva-t-elle, avec un sourire forcé, en lui tendant à nouveau la carte.
« Pourriez-vous me dire où est le Professeur Flitwick ? »

« Les protections ? » demanda Sirius.

Elle grimaça. « J’ai besoin des autres Directeurs de Maison. Horace et Pomona sont à
l’infirmerie mais Filius ne répond pas à mes patronus. »

Harry ouvrit la Carte, dans un état second, incapable de véritablement suivre la conversation.
Colin était toujours allongé là. Personne ne lui avait fermé les yeux.

McGonagall et Sirius se penchèrent sur le parchemin, en passant méthodiquement chaque


coin en revue…

« Il y a trop de monde dans le château ! » râla la Directrice de Maison. « Je ne le vois pas… »

« Bill saurait peut-être… » suggéra Sirius.

L’infirmerie était le pire : un amas de points noirs où il était impossible de distinguer quelque
nom que ce soit. Beaucoup bougeaient, beaucoup étaient immobiles, certains disparaissaient
d’un coup…
La vieille femme secoua la tête. « Je vais tâcher de le trouver. » D’un coup de baguette, elle
fit léviter le corps de Colin. « Nous avons établi une morgue temporaire dans la Grande
Salle. Si vous avez besoin… Appelez un elfe. » Elle jeta un regard discret vers le garçon puis
baissa la voix. « Gardez-le occupé et, pour l’amour de Merlin, Sirius, ne le perdez pas des
yeux. Severus… » Elle s’interrompit, se racla à nouveau la gorge. « Vous êtes responsable de
lui, à présent. »

Non, aurait voulu protester Harry, Sirius n’était pas responsable de lui parce que Severus
n’était pas mort et il n’allait pas mourir, pas s’il avait son mot à dire. Mais il resta silencieux
et reprit la Carte lorsque son parrain la lui tendit, en l’encourageant à se remettre à marcher.

Il se concentra sur la partie des cachots et les mena vers là où plusieurs points semblés cachés
dans une salle de classe abandonnée.

Et tout en ce faisant, il s’efforça de patiemment reconstruire ses boucliers mentaux qui


s’étaient écroulés.

Il n’avait pas renoncé.

Il n’allait pas renoncer.

Un Serpentard ne faisait pas de choix.

Il attendait simplement une opportunité.

°O°O°O°O°

Bill avait cédé son lit à un Auror plus blessé qu’il ne l’était, refusant d’écouter les
avertissements du Médicomage qui l’avait examiné. Il n’avait toutefois pas protesté la chaise
que Ron lui avait trouvée et sur laquelle il l’avait forcé à s’asseoir. Lui, son frère et Hermione
s’agglutinaient au chevet de Charlie, observant le chaos qui régnait à l’infirmerie. Les blessés
ne cessaient d’affluer, sur leurs deux pieds ou portés par d’autres… Il y avait beaucoup
d’élèves dans le tas.

La bataille avait pris fin et ils avaient, semblait-il, gagné mais des rumeurs couraient que ça
n’avait été qu’une distraction pour… autre chose. Quoi, ça…

Sa tête lui faisait mal et rien que de se tenir assis lui demandait un effort – peut-être que le
Médicomage n’avait pas eu tort, après tout – il n’avait pas la force d’aller demander des
explications ou d’offrir son aide. Il n’était pas en état de le faire.

Ron, lui, ne cessait de se trémousser comme s’il se faisait violence pour ne pas partir en
courant. Faire quoi ? Chercher leurs frères, leur sœur ou leur mère, peut-être. Bill lui avait
ordonné d’attendre là avec lui, avait intimé à Hermione d’en faire de même lorsqu’elle avait
déclaré qu’elle voulait aller chercher Malfoy ou Harry… Ils n’avaient pas été faciles à
convaincre mais ils avaient fini par admettre que, logiquement, l’infirmerie était un bon
endroit où se regrouper et que Charlie aurait peut-être à nouveau besoin qu’on lui jette un
stupefix en attendant qu’un Médicomage se libère pour rompre l’Imperium et qu’il n’était pas
en état de le faire.
Ron ne les aurait pas abandonnés à leur sort.

Et Hermione n’aurait pas abandonné Ron.

« Bill… »

Il leva la tête, sourit automatiquement à Andromeda avant de se souvenir…

« Tonks. » lâcha-t-il, sa voix se brisant légèrement. « Je suis… »

« Elle est là, elle a reçu un vilain coup de couteau. » s’empressa de le rassurer la sorcière, en
écartant déjà d’autorité Ron pour venir agiter le bout illuminé de sa baguette devant ses yeux.
« On t’a examiné ? »

« Elle est vivante ? » demanda Hermione avec espoir. Des larmes lui échappèrent et Ron
l’attira contre lui, sans sembler y penser, déposant un baiser rassurant sur le haut de sa tête.

Andromeda adressa un sourire tendu à le jeune fille. « Elle n’est pas encore sauvée. Elle a
perdu beaucoup de sang mais elle est en bonne voie. »

« Charlie ne voulait pas. » intervint son plus jeune frère, la voix tremblante. « Il était sous
Imperium. Ce n’est pas sa faute. »

La Médicomage marqua un temps d’arrêt, son regard dérivant vers le meilleur ami de sa fille,
étendu sur le lit. « Charlie ? »

« C’est Charlie qui l’a poignardée. » expliqua Bill, en s’humectant les lèvres. « Mais il n’était
pas en contrôle de lui-même, Mrs Tonks. Son fiancé le tenait sous Imperium. »

La sorcière déglutit péniblement, ferma les yeux une seconde, puis prit une profonde
inspiration avant de jeter sur lui un sort de diagnostic. « Tu as un joli traumatisme crânien. Tu
devrais être dans un lit, Bill. »

« Charlie… » protesta-t-il, en attrapant la main de son frère. Il avait empoché sa baguette, par
plus de sûreté.

« Très bien. » soupira-t-elle, en jetant un coup d’œil à la jeune fille. « Hermione, c’est ça ?
Veux-tu aller me chercher une potion de Sommeil-sans-rêve, s’il te plaît ? Et une dose de
Poussos, tant que tu y est. »

Hermione acquiesça et partit en direction de la réserve à potions d’où entraient et sortaient un


ballet de Médicomages.

Ron se rapprocha de Bill jusqu’à se tenir pratiquement collé à son flanc. Ils observèrent
Andromeda jeter différents sortilèges…

« Il est sous influence depuis un bon moment. » marmonna-t-elle, en grimaçant. « Il y a des


traces répétées d’Imperium, des tas de sorts de confusion… »
« Mais si on jette le contre-sort, ça va aller, hein? » demanda Ron, avec une naïveté un peu
trop poussée, comme s’il n’aurait pas pu supporter une réponse négative.

Bill croisa le regard d’Andromeda et passa le bras autour de son frère cadet.

« On ne sait pas ce qu’Anthony lui a fait faire, Ron. » lui rappela-t-il.

« Mais ce n’était pas sa faute ! » insista l’adolescent.

« Non. » confirma la Médicomage, avec gentillesse. « Ce n’était pas sa faute mais il se peut
qu’il ne voit pas la chose comme ça. Il se peut aussi qu’on lui ait fait des choses contre son
gré. Il ne faut pas que tu penses que briser l’Imperium sera un remède miracle. On a violé son
esprit, ce n’est jamais sans conséquences. Il va devoir s’en remettre et pas que
physiquement. »

Merlin savait depuis quand Anthony lui avait volé son libre arbitre, songea Bill avec dégoût.

« Mais ce n’est pas sa faute… » répéta Ron, presque avec désespoir.

« On va l’entourer. » promit Bill, en se forçant à sourire. « Ça va aller, ne t’inquiète pas. »

Comme pour lui donner raison, les jumeaux débarquèrent à l’infirmerie avec pertes et fracas,
soutenant une jeune fille entre eux et suivis par plusieurs autres adolescents traînant des
battes de Quidditch derrière eux. Ils furent pris en charge par des septièmes années. Mais
Fred et George les repérèrent et se précipitèrent vers eux.

Plus d’un « Tu n’as rien ? » ou d’un « Qu’est-ce qui s’est passé ? » furent échangés.

Hermione revint avec les potions bien avant que Ron ait terminé de résumer leur côté de la
bataille. Bill le laissa faire, un œil sur Andromeda qui avait commencé à désenvoûter Charlie,
l’autre sur la porte, au cas où…

« Vous savez où est Maman ? » demanda-t-il aux jumeaux.

Fred secoua la tête. « Elle était en haut d’une tour. »

« Et on sait d’où Ginny tient ses dons pour les chauves-furies maintenant. » ajouta George.

« Elle était en pleine forme à la fin de bataille. » enchaîna Fred. « Je l’ai vue partir de la tour
mais le temps qu’on atterrisse et qu’on récupère les blessés… »

« Peut-être qu’elle est allée chercher Ginny ? » suggéra Hermione.

George hocha la tête. « Remus m’a dit que certains élèves s’étaient réfugiés dans la salle
commune de Serpentard. Ils ont été attaqués en s’enfuyant, je crois ? »

« Et Draco ? Est-ce que… » s’inquiéta la jeune fille.

« Et Fleur ? » coupa Bill, n’y tenant plus. « Vous avez vu Fleur ? »


« Oui, elle est en bas, en train de terrifier les prisonniers. » plaisanta Fred, sans trop
d’humour. Le regard qu’il posait sur Charlie était hanté. « Malfoy, je ne sais pas. Il y a autre
chose… »

George hésita. « On a entendu Remus dire que… »

« La bataille n’était qu’une distraction. » enchaina Fred.

« Dumbledore a emmené les Aurors au Ministère. » conclut George.

Au Ministère ?

Merde.

Merde, merde, merde…

Percy.

« Au Ministère ? » répéta Ron, faisant écho à ses pensées. « Percy. »

Bill voulu se lever mais un regard noir d’Andromeda le fit se rasseoir sagement. Son regard
noir ou le fait que ses jambes ne voulaient pas le soutenir…

Les jumeaux échangèrent un coup d’œil puis se tinrent un peu plus droit dans le même
mouvement. « On peut aller le chercher, nous. »

« Je viens. » offrit immédiatement leur frère.

« Moi aussi. » proposa Hermione.

« Personne ne va nulle part. » intervint Andromeda. « Je ne pourrais pas regarder Molly en


face si je laisse ses enfants partir risquer leur vie. La potion de Sommeil-sans-rêve,
Hermione. » Elle prit la fiole que lui tendit la jeune fille et força Charlie à en avaler une
généreuse rasade alors qu’il rouvrait à peine les yeux. Il sombra immédiatement. Elle se
tourna ensuite vers Bill. « Toi, tu as le crâne ouvert et je ne sais pas où tu penses que tu peux
aller mais tu ne feras pas trois pas avant de t’écrouler. Au lit, et pas de discussion. Le
Poussos ? »

Hermione lui tendit l’autre fiole. Elle fit apparaître un flacon, en mesura une dose et le passa
au Briseur de Sorts. Ce fût son tour de l’avaler sans tergiverser.

« Je reste avec Charlie. » s’entêta-t-il pourtant.

Andromeda leva les yeux au ciel, marmonna entre ses dents que cette génération était trop
têtue pour elle, et donna sa pleine attention aux jumeaux. Fred avait un hématome violacé sur
la pommette et George tremblait. Ce fût à George qu’elle s’adressa. « Détraqueur ou
doloris ? »

« Euh… Un peu des deux ? » grimaça l’adolescent.


« Au lit. » décréta-t-elle. « Toi, Ronald, c’est ça ? Aide-moi à trouver un endroit où parquer
tous tes idiots de frères. Un miracle qu’ils ne se soient pas faits tuer. Et je pensais que
Nymphadora était difficile… »

« Mais, et Percy ? » s’inquiéta Fred, avant qu’ils aient pu faire un pas. « On ne peut pas…
S’il y a une bataille au Ministère, on doit aller le chercher. On ne peut pas le laisser tomber
maintenant qu’il a arrêté d’être con. »

« Bah, c’est Percy… » plaisanta Ron, sans trop y croire. « Il s’est probablement enfui dès que
ça a commencé… »

« Ou il leur a jeté l’agenda du Ministre à la tête. » renchérit George, mais il n’y croyait pas
non plus. Il sembla attendre que Fred se joigne à la blague mais, lorsqu’il ne le fit pas, il
termina pour lui. « Ou il leur a récité toutes les lois qu’ils étaient en train d’enfreindre… »

Fred soutenait le regard de Bill avec un peu trop de forces. « Il faut qu’on aille chercher
Percy. »

Bill tenta à nouveau de se mettre debout, chancela…

Ron le rattrapa de justesse.

Andromeda prit un air entendu mais pointa sa baguette sur Fred. « Ne crois pas une seconde
que j’hésiterai à te jeter un stupefix. »

L’espace d’un instant, Fred parut hésiter à tenter sa chance quoi qu’il en fût mais un coup
d’œil à George, qui tremblait toujours, et ses épaules s’affaissèrent. « D’accord, mais je veux
au moins m’assurer que Ginny est en sécurité. Elle doit bien être… »

« Je suis là ! »

Leur sœur apparut soudain derrière eux, comme un miracle. Un miracle sale, trempé de pluie,
avec plusieurs égratignures et une vilaine coupure au mollet qui laissait des gouttes de sang
dans son sillage.

« Andy ! » s’exclama Ted Tonks, sur ses talons.

Les Weasley et Hermione accueillirent Ginny avec des étreintes soulagées tandis que Ted
Tonks attrapait les bras de sa femme avec un désespoir marqué.

« J’ai croisé Remus. » souffla le sorcier. « Il a dit… »

« Elle n’est pas sortie d’affaire mais elle est vivante. S’il n’y a pas de complications, elle va
se remettre, je ne supporterai pas le contraire. » l’interrompit Andromeda, en agrippant ses
coudes. « Elle est vivante, Ted. »

Par-dessus l’épaule de Ginny qu’il étreignait avec force, Bill observa le dos du sorcier
s’affaisser avec soulagement. Il lâcha sa sœur, laissant les autres résumer une nouvelle fois ce
qui était arrivé à Charlie…
« Peut-on la déplacer ? » demanda immédiatement Ted. « Il faut la ramener à la maison. »

« La déplacer ? » répéta Andromeda, surprise. « Je suppose, mais… »

« La rumeur court que le Ministère est détruit. » la coupa son mari. « Et… Tu-sais-qui a
capturé Snape. Il l’a emmené à Azkaban avec lui. »

Bill encaissa le double choc.

Le Ministère détruit ?

Percy.

Où était Percy ?

Son frère aurait-il eu la présence d’esprit de s’enfuir ? En avait-il eu le temps ?

Et Severus.

La tête lui tournait.

Ce n’était pas juste le fait que sans le Maître des Potions, les chances de trouver une solution
à l’horcruxe qui campait en Harry étaient moindres, c’était… Severus était devenu un ami.

Severus était condamné.

Si le mage noir l’avait capturé alors l’homme serait mort dans quelques heures.

Et Percy…

« Non… » murmura Andromeda, choquée, en se couvrant la bouche de la main. « C’est tout


ce que j’ai pu tirer d’elle… La seule chose qu’elle ait dite c’est son nom… Elle l’a réclamé,
Ted, et… Remus était censé le ramener mais il est tombé sur un loup-garou et… » Elle
secoua la tête. « Elle va être dévastée. »

« C’est pour ça que je veux la ramener à la maison. » insista Ted. « D’abord, nous y serons
tous plus en sécurité. Et puis… Nous pourrons contrôler comment elle l’apprend, alors
qu’ici… J’ai peur qu’elle fasse quelque chose de stupide. »

« Oui… » murmura-t-elle. « Oui, elle en serait bien capable. »

À gauche de Bill, Ginny était en train de faire campagne pour une sortie au Ministère.

Hermione et Ron voulaient trouver Harry, parce que s’il savait pour Severus…

« Il y a autre chose… » soupira Ted, en baissant la voix. « Encore que je ne compte pas le lui
dire… Remus m’a dit… Apparemment, Snape la croyait morte. »

Bill laissa tomber sa tête dans ses mains.

Il allait être malade.


C’était… trop.

Cela ne suffisait pas que Severus doive mourir, il devait en plus croire que la femme qu’il
aimait était également morte ?

Il manqua un bout de la conversation, trop certain qu’il allait rendre le contenu de son
estomac. Puis il se souvint qu’il n’avait plus rien à vomir.

« Et pourquoi est-ce que personne ne m’a dit qu’il avait un fils ? » râla Ted.

« Un fils… Tu veux dire Harry Potter ? » hésita Andromeda. « Il l’a appelé papa plusieurs
fois quand je le soignais pour le doloris mais je ne pensais pas que c’était… »

« Il l’a adopté. » offrit Bill, par-dessus le brouhaha de ses frères et sœur qui se chamaillaient à
propos de ce qu’il fallait faire maintenant. « Harry. » précisa-t-il, lorsque le regard de la
Médicomage se tourna vers lui. « Il l’a adopté. Veut l’adopter. Voulait l’adopter. »

Merlin, ce gamin avait déjà trop perdu.

« Pauvre gosse. » marmonna Ted, avec une compassion sincère. « Et… Draco ? »

Andromeda secoua la tête en signe d’ignorance.

Mais Hermione se remit à proposer avec véhémence de partir à sa recherche.

°O°O°O°O°

Ils durent esquiver un sort qui fit exploser un bout de mur lorsqu’ils poussèrent la porte de la
cachette que s’étaient attribués les trois élèves.

Le Serpentard de sixième année avait une vilaine coupure au sourcil droit mais semblait
déterminé à en découdre. Il ne baissa pas sa baguette lorsqu’il vit que c’étaient Harry et Sirius
à la porte.

« Je veux parler à Snape. » lâcha le garçon. « Je veux négocier. Oui, je savais, mais ils m’ont
abandonné et j’ai protégé ces deux là. Il peuvent témoigner. »

Ces deux là étaient un Serdaigle de troisième ou quatrième année et une Poufsouffle de


deuxième année.

Harry laissa Sirius passer d’abord, main et baguette levées en signe de paix.

« On n’en est pas encore à déterminer qui savait quoi. » soupira l’Animagus. « Pour l’instant,
ce qui compte, c’est que tu es blessé et que tu n’as attaqué aucun gamin. »

« Elias nous a sortis du tunnel. » confirma la Poufsouffle, des larmes roulant sur ses joues, en
leur montrant sa main – ou ce qu’il en restait. « J’étais tombée par terre. Tout le monde me
marchait dessus. »

« C’était… » Le Serpentard déglutit puis rangea finalement sa baguette. « C’était l’horreur. »


« Quelqu’un a fait exploser le tunnel. » offrit le Serdaigle.

« Malfoy. » contra le sixième année, en secouant la tête. « Malfoy a fait exploser le tunnel
mais, à sa décharge, il visait les Mangemorts et ceux qui étaient à l’avant était déjà tombés
sous les avada. Ce n’était pas la pire idée et ça nous a donné du temps. »

« Fais voir ta main, Amira. » exigea Sirius, en s’accroupissant devant la Poufsouffle.

Harry se tint en retrait, baguette en main. Juste au cas où. Il ne connaissait le Serpentard que
de vue mais il savait qu’il était dans la clique qui avait tourmenté Malfoy dernièrement. Il ne
pensait pas qu’il ait miraculeusement changé d’opinion, plutôt qu’il s’était retrouvé coincé du
mauvais côté et avait décidé d’aider deux élèves plus jeunes parce qu’il savait que cela
jouerait en sa faveur.

« Kreattur. » appela Sirius, en se redressant.

L’elfe apparut dans un craquement et chancela. Harry eut à peine le temps de lâcher carte et
baguette et de se précipiter pour le rattraper avant qu’il ne s’effondre. Il l’allongea au sol avec
précaution, levant un regard inquiet vers Sirius qui venait de s’agenouiller à côté de lui.

« Oh, Kreattur, tu me fais quoi là ? » s’inquiéta son parrain.

« Kreattur va très bien. » marmonna l’elfe.

« Oui, ça se voit tout de suite. » marmonna l’Animagus.

Il y eut un second craquement puis Dobby apparut, des chaussettes sur les oreilles et les
pieds.

« Harry Potter, Monsieur ! » s’exclama l’elfe avec bonne humeur. « Dobby peut aider Harry
Potter. »

« Maître Harry appartient à Kreattur ! » rétorqua l’autre elfe, en essayant de se redresser.


Mais même assis, il tanguait sur lui-même… « Sale elfe à chaussettes… Disgrâce… Voleur
de maîtres… »

« On peut savoir ce qui se passe ? » intervint Sirius, avant que ça ne dégénère. « Kreattur,
qu’est-ce qui t’arrive ? »

« Kreattur est un bon elfe. » grommela ce dernier.

« Le grincheux est vieux. » se moqua Dobby. « Le grincheux a fait trop de grosse magie. Le
grincheux n’est plus bon à rien. »

Un rictus haineux étira les lèvres de Kreattur et il se serait probablement jeté sur Dobby si
Harry n’avait pas anticipé. « Reste assis, Kreattur. »

L’elfe avait visiblement beaucoup donné durant la bataille. Sa taie d’oreiller était déchirée, il
avait des petites plaies un peu partout et, surtout, son teint était très grisâtre.
« Kreattur peut encore donner une correction à l’elfe à chaussettes qui veut lui prendre son
maître. » marmonna Kreattur, d’un ton boudeur.

« L’elfe à chaussettes n’a peut-être pas tort. » contra Sirius, un brin taquin. « Tu as beaucoup
donné et tu n’es plus tout jeune. »

Kreattur le foudroya du regard. « Kreattur servira jusqu’à sa mort. Et quand Kreattur sera
mort Maître Sirius montera sa tête au mur avec les ancêtres de Kreattur. Ce sera un grand
honneur. Oui ? »

Sirius fit la grimace. « S’il le faut. »

L’elfe soupira et se rallongea lentement. « Gentil Maître Sirius, bon garçon. »

« Mais tu ne vas pas mourir tout de suite. » déclara Harry. « Je t’interdis de mourir
aujourd’hui. C’est un ordre. Tu m’entends ? »

« Harry Potter est si gentil ! » commenta Dobby. « Harry Potter se soucie toujours des elfes
de maison ! »

« Maître Harry est un bon maître. » marmonna Kreattur, en fermant les yeux. « Kreattur ne va
pas mourir. Kreattur est juste un peu fatigué. »

« Kreattur va aller dans mes appartements et se reposer. » ordonna Sirius, en lui tapotant
l’épaule avec embarras. « Et c’est un ordre. Tu te reposes jusqu’à ce que tu ais récupéré,
compris ? Je n’ai pas le temps de t’empailler, là tout de suite. Mange, dors… Fais ce qu’il
faut mais je t’ordonne de prendre soin de toi. »

« Oui, Maître Sirius. » capitula l’elfe, en disparaissant dans un craquement.

Dobby se fit un plaisir de transporter les trois élèves à l’infirmerie.

Mais Harry avait beau se retrancher derrière ses boucliers, il ne parvenait pas à se défaire de
son inquiétude. « Il va se remettre, hein ? »

Il s’était attaché au vieil elfe depuis qu’il avait cessé de marmonner des insultes.

« Il est solide. » promit Sirius. « Tu vois d’autres noms sur la carte, dans les parages ? »

Harry inspecta la Carte des Maraudeurs. Il y avait beaucoup de monde chez les Serpentards,
presque trop pour que ce soit lisible, comme à l’infirmerie. Il repéra tout de même Neville.
Quant au reste des cachots…

« Là. » Il pointa du doigt une zone à la lisière de la Carte. Quelques centimètres de plus et
elle aurait été hors de Poudlard. « Trelawney. »

« Elle a dû être prise dans cette fameuse explosion… » supposa son parrain. « Draco a l’air
d’avoir fait des dégâts. »

Sans un mot de plus ils se mirent en route.


Mais plus ils s’enfonçaient dans les cachots, plus ils trouvaient de corps.

Harry avait perdu le compte du nombre de fois où ils durent appeler Dobby pour emmener un
corps vers la morgue de fortune.

C’était sa faute.

Il avait été censé les mener en sécurité et au lieu de ça…

C’était sa faute.

Le tunnel n’était plus qu’un tas de gravas dont dépassait un bras ou une jambe de manière
aléatoire. Une des manches appartenait à un Mangemort pour sûr, mais la jambe portait un
uniforme.

« Merde… » murmura Sirius, lorsqu’il vit l’ampleur des dégâts. « Harry… J’ai besoin d’un
Patronus. On ne peut pas… Il va falloir plusieurs personnes pour dégager les corps sans tout
faire s’écrouler. »

Harry n’essaya même pas. Il secoua la tête. « Dobby. »

L’elfe réapparut, perdant immédiatement son sourire lorsqu’il vit où ils étaient. « Dobby et
les elfes de Poudlard ont déjà sorti tous les enfants encore en vie d’ici. »

« Il reste un Professeur. » contra-t-il. « Trelawney. » Il lui montra la Carte. « Elle a l’air d’être
plus loin… »

L’elfe hocha la tête. « Dobby va aller voir. Harry Potter et le Professeur Black restent ici.
Trop dangereux. »

Il fallut plusieurs minutes avant que l’elfe ne réapparaisse avec le Professeur de Divination.
Trelawney était inconsciente et sa jambe était en bouillie.

Harry dût réprimer un haut le cœur.

« Dobby l’emmène à l’infirmerie. » déclara sobrement l’elfe.

Quand il fût parti, Sirius soupira. « On ne peut plus rien pour eux. »

« On ne peut pas les laisser. » protesta Harry.

Encore. Les laisser encore. Il n’aurait jamais dû partir, en premier lieu.

Sa faute.

C’était sa faute.

Il était censé les mener en sécurité et au lieu de ça…

« On reviendra. » promit Sirius, en lui posant une main sur l’épaule. « Il nous faut des
renforts. Allons voir la salle commune des Serpentard, ils doivent s’inquiéter. Tu connais le
chemin mieux que moi, passe devant. »

°O°O°O°O°

À court de mots, Remus osa poser la main sur l’épaule de son ancienne Directrice de Maison.

La sorcière se tendit davantage encore alors qu’elle faisait un effort évident pour ravaler ses
larmes.

La pluie s’était finalement arrêtée mais la petite cours était boueuse et avait subi le
contrecoup lorsque la sphère de Troie avait implosé. Le corps à moitié recouvert par un
buisson déraciné n’était pas indemne. Ou alors sa mort n’avait pas été paisible.

C’était surréaliste de se dire que Filius Flitwick était parti.

« Minerva. » osa-t-il.

« Je sais. Je sais. » répondit-elle, en prenant une inspiration tremblante. Un petit bruit qui
ressemblait à s’y méprendre à un sanglot lui échappa mais elle le ravala comme le reste.
« Jiggy. » L’elfe apparut dans la seconde, l’air bien moins peigné que d’ordinaire, et s’inclina
devant eux. « Veux-tu bien transporter le corps du Professeur Flitwick dans la Grande
Salle ? »

Jiggy regarda le corps avec tristesse puis s’inclina à nouveau. « Les elfes pensent avoir
récupéré tous les enfants encore en vie, Professeur, mais le château est dans un tel état que
c’est dur d’être sûr. »

« C’est bien. C’est très bien. » offrit-elle, avec un sourire de façade.

« Y-a-t-il d’autres ordres ? » insista l’elfe.

Sentant que les elfes souhaitaient se rendre utiles, Remus se racla la gorge. « Peut-être des
collations pour les Médicomages ? Et il va falloir prévoir de quoi loger du monde. » Au
regard interrogateur de Minerva, il haussa les épaules. « Si les rumeurs sont vraies et que le
Ministère… Les Aurors vont probablement s’installer ici. Sans parler du Ministre, que ce soit
Scrimgeour, Bones ou Kingsley… Certains Médicomages vont également vouloir rester au
moins quelques jours, sans doute. »

« Il faut d’abord renforcer les protections avant tout autre chose. » murmura-t-elle, avant de
secouer la tête. « Mais vous avez raison, ce n’est pas un travail pour les elfes. Fais-ce que dit
le Professeur Lupin, Jiggy, s’il te plait. Des collations pour ceux qui en ont besoin, du thé à
profusion et préparez autant d’appartements que vous le pouvez. »

Jiggy s’inclina et disparut avec le corps de Filius.

« Les protections… » hésita Remus.

« J’ai fait ce que j’ai pu. » avoua-t-elle. « Mais seul Albus pourra les renforcer jusqu’à ce
qu’elles soient à nouveau impénétrables… Enfin… Je dis impénétrables… »
« Nous les avons repoussés. » chercha-t-il à la consoler, sans y croire lui-même.

Les yeux de la sorcière retombèrent vers là où avait été couché le corps du Professeur de
Sortilèges. « À quel prix ? »

°O°O°O°O°

Emmener Harry dans la salle commune des Serpentards avait été une aussi mauvaise idée que
de le traîner dans les cachots.

Sirius avait espéré que sauver des élèves lui aurait remonté le moral ou l’aurait aidé à faire
sens de tout ce qui s’était passé mais… Ils avaient trouvé plus de cadavres que d’élèves
encore en vie et il n’y avait aucun sens à trouver à toute cette violence gratuite.

Seulement, il ne pouvait pas perdre Harry de vue. Il le connaissait trop bien. Et il se


connaissait trop bien. Il savait ce qu’il aurait fait à quinze ans si Voldemort lui avait volé
James. Il savait ce que James aurait fait si Voldemort lui avait pris son propre père. Et il
savait pertinemment ce qu’attendait Harry : une opportunité de s’enfuir.

Assailli par ses camarades au moment où ils mirent un pied dans la salle commune, Harry eut
un mouvement de recul auquel Sirius dût se battre pour ne pas faire écho.

Astoria Greengrass et Pansy Parkinson furent les premières à se jeter sur lui, la première
voulant savoir s’ils avaient vu sa sœur, la seconde demandant après Draco…

Draco.

Il espérait que le garçon était en sécurité quelque part.

« Il cherchait Hermione. » leur glissa Luna.

Évidemment qu’il cherchait Hermione, soupira intérieurement Sirius. Ça aussi il aurait pu le


prédire.

Excepté qu’il ne savait pas où étaient Hermione ou Ron.

Il était étonné qu’Harry n’ait pas demandé après eux plus tôt mais, lorsque son filleul se
tourna brusquement vers lui avec un air coupable, il grimaça. « Prochaine étape, l’infirmerie,
je suis sûr qu’ils sont tous là bas à nous attendre. »

Mais il lui fallut d’abord faire le tour des élèves. Simpson et Neville avaient eu la présence
d’esprit de faire une liste de noms de tous les élèves présents dans la salle commune…

« Vous devez rester là un peu plus longtemps. » déclara Sirius, au bout d’un moment, parce
que la majorité des élèves voulaient partir. « Certaines parties du château ne sont pas sûres. »

Et le parc était sans doute encore jonché de cadavres.

Il ignora les protestations et entraîna Harry avec lui.


Ils n’échangèrent pas un mot.

L’adrénaline était en train de retomber et Sirius commençait à trembler, bien qu’il fit de son
mieux pour le cacher à son filleul. Son corps était fourbu, les plaies laissées pas les griffes du
loup-garou le lançaient, sa chemise lui collait au torse, et sa cheville le faisait souffrir à
chaque pas. Des éclairs lui remontaient jusque dans le mollet à chaque fois qu’il posait le
pied par terre. Ce n’était pas une fracture mais c’était probablement une belle entorse.

Ce n’était pas juste son corps qui commençait à lâcher, cependant.

Son esprit s’était mis à rejouer certains moments de la bataille en boucle.

Et ma mère elle le méritait ? hurlait Anthony dans sa tête.

Il ne voulait pas penser à ça. Il ne voulait pas…

Lily et James avaient peut-être voulu le protéger mais qu’ils lui aient caché quelque chose
d’aussi énorme… Cela lui laissait un goût de trahison en bouche.

Et quant à ce dont l’accusait Anthony.

Il ne pouvait pas y penser.

Il ne pouvait pas.

« Sirius ? » s’inquiéta Harry, sourcils froncés. « Ça va ? »

Il n’y avait qu’une seule réponse à donner alors il se força à sourire. « Juste un peu fatigué. Je
n’ai plus l’âge de toutes ces conneries. »

L’adolescent ne le crut pas une seule seconde mais il ne chercha pas à insister.

Sirius le regarda s’enfoncer davantage derrière ses boucliers mentaux, seconde après seconde,
sans savoir s’il devait l’en empêcher.

Il détestait lorsque Severus faisait ça, ce n’était pas sain, mais, à l’instant, s’il en avait été
capable…

Pour lui l’Occlumencie était un bloc, une muraille, pas quelque chose qu’il pouvait manipuler
à loisir comme Severus ou Harry le faisait.

Il laissa faire.

Plus tard, il serait temps d’avoir une discussion avec Harry. Lorsqu’ils auraient récupéré
Draco et qu’ils pourraient s’asseoir quelque part au calme.

C’était ce qu’aurait fait un adulte responsable, non ?

C’était ce qu’aurait fait Severus.

Merlin, Severus.
Il ne voulait pas penser à ce que l’homme était en train de subir à cet instant précis.

°O°O°O°O°

Andromeda était une force de la nature et personne ne pouvait lui résister, pas même le clan
Weasley.

C’est comme ça que Bill se retrouva allongé sur un lit dans le fond de l’infirmerie, Charlie
sur celui de gauche et George sur celui de droite qui pestait qu’il n’avait pas besoin de
s’allonger mais qui n’avait pourtant pas cessé de trembler. Il était inquiet pour son frère, ses
frères, mais sa tête le lançait tellement… Le chaos s’était un peu calmé et l’infirmerie avait
pris un semblant d’ordre sous l’égide de Pomfresh mais le bruit était toujours assourdissant et
les conversations du reste de sa famille n’aidaient pas.

Fred était perché au bout du lit de George, Hermione était assise entre les jumeaux et lui, Ron
était debout, appuyé contre le mur près du lit de Charlie, et Ginny s’était calé au bout du sien,
sa jambe désormais soignée et bandée étalée vers lui sur la couverture râpeuse. Bill lui avait
demandé si elle était sûre qu’elle ne voulait pas s’allonger elle aussi mais la jeune fille avait
décliné, arguant que d’autres avaient plus besoin d’un lit qu’elle. Ce qui n’était, au
demeurant, pas faux.

Leur mère n’avait toujours pas fait son apparition.

Bill commençait à soupçonner qu’elle avait fait ce que lui et Charlie n’étaient pas en état de
faire et qu’elle était partie au Ministère.

Ce n’était pas rassurant, particulièrement vu ce qui se murmurait de lit en lit dans


l’infirmerie.

Les gens semblaient convaincus que le Ministre était entièrement détruit.

Entre eux, les Weasley ne parlaient que d’une seule chose et c’était Percy.

Ginny se rongeait les ongles. Bill plaça une main sur sa cheville pour la rassurer mais les
yeux bruns qui croisèrent les siens étaient hantés.

Il savait à quoi elle pensait.

Leur père.

Bill n’avait pas arrêté d’y penser non plus depuis que les premières rumeurs à propos du
Ministère l’avait atteint. Il ne pouvait pas perdre quelqu’un d’autre, pas si tôt après Arthur.

« Maman. » lâcha Ron, en se repoussant du mur.

Fred fit volte face sur le lit de George alors que le reste d’entre eux, Hermione incluse, se
tournaient vers Molly Weasley qui venait de passer les doubles portes grandes ouvertes de
l’infirmerie.
L’infirmerie était très grande, bien qu’elle soit surpeuplée à l’instant. Il fallut plusieurs
minutes à leur mère pour traverser la pièce.

Plusieurs minutes que Bill passa à guetter les portes, attendant que Percy entre à son tour,
l’air hagard et peut-être blessé, mais…

Ginny se mit à pleurer bien longtemps avant que Molly ne les rejoigne.

Bill ne protesta pas lorsqu’elle se traina jusqu’à lui et s’allongea contre son flanc pour mieux
enfouir son visage dans son épaule. Il referma le bras sur elle, lui caressant distraitement les
cheveux alors que son corps était secoué de sanglots.

Non.

C’était tout ce qu’il pouvait penser.

Non.

Percy allait passer les portes d’une seconde à l’autre et leur faire à tous la morale.

Percy allait…

Ron se laissa glisser en bas du mur et entoura ses jambes de ses bras, ses sanglots
complètement audibles par-dessus le brouhaha. Sans un mot, des larmes silencieuses coulant
sur ses joues, Hermione fit le tour du lit et vint le prendre dans ses bras.

Fred et George restèrent stoïques mais leurs mains se trouvèrent sur la couverture.

Non.

Percy allait arriver.

« Mes chéris… » murmura leur mère, la voix nouée, lorsqu’elle les rejoignit finalement.

Bill refusa de détourner les yeux des portes de l’infirmerie.

« Est-ce que c’est sûr ? » demanda Fred, le ton sombre.

« Non. » C’était lui avait répondu, pas Molly. « Non. Il est juste… Il est quelque part. Il suffit
de… »

Son regard vint enfin se poser sur elle et il aurait préféré être inconscient comme Charlie.

« Oh, Bill… » souffla-t-elle, ses traits se tordant sous le coup de la douleur. Ses yeux étaient
rougis et il y avait des traces de larmes hâtivement essuyées sur ses joues. Elle fit très
visiblement un effort pour ravaler celles qui voulaient couler à cet instant précis. « Je suis
rentrée à la maison. La pendule… »

« La pendule peut se tromper. » s’entêta-t-il, en serrant Ginny plus fort contre lui.
« Non, Bill, chéri… Elle ne peut pas. » répondit gentiment leur mère, en approchant
davantage pour passer un bras autour des épaules de Fred qui venait de se mettre à pleurer.
George se couvrit le visage des deux mains dans la seconde qui suivit.

Bill était le seul qui avait encore les yeux secs.

« Non. » répéta-t-il.

Non.

Ils avaient déjà perdu Arthur.

Charlie était…

Merlin savait s’ils parviendraient à récupérer Charlie et même si leur frère s’en sortait il ne
serait plus jamais le même alors…

Non.

Molly déposa un baiser sur la tête de Fred puis se rapprocha de son lit, frottant rapidement le
dos de Ginny mais venant écarter les cheveux roux qui lui tombait sur le visage, à lui,
caressant ses joues. Il était l’ainé. Ce n’était pas lui qu’elle aurait dû consoler en premier.

« Où… Où est-ce qu’il est ? » balbutia-t-il.

Molly s’humecta les lèvres, les yeux humides de larmes.

Il se demanda combien de temps elle était restée au Terrier à pleurer avant de venir leur
annoncer la nouvelle.

Il se demanda combien de temps il allait se passer avant qu’elle ne replonge dans les potions
calmantes.

Il se demanda si Severus…

Et puis il se souvint que Severus allait plus que certainement mourir dans les prochaines
heures, lui aussi, probablement dans d’atroces souffrances.

Ce n’était pas juste.

« Il n’y a pas de corps. » expliqua-t-elle calmement. « Le Ministère… Il ne reste plus rien. »

« Alors on ne peut pas être sûr… » contra George, avec espoir.

« La pendule ne ment pas. » répéta Molly, d’un ton fatigué. « Son aiguille a disparu. »

Bill ferma les yeux, rajustant son étreinte sur sa sœur que les sanglots secouaient. Il entendait
les murmures entrecoupés de sanglots d’Hermione à côté de lui qui cherchait à consoler
Ron…

« Audrey… » lâcha-t-il. « Il faut prévenir Audrey. »


C’était ce que Percy aurait voulu.

C’était…

Ses larmes le prirent de cours.

Il ne les avait pas senties arriver.

°O°O°O°O°

Minerva achevait de dégager les débris qui bouchaient le hall d’entrée lorsqu’elle sentit la
présence sur sa droite. Elle pivota automatiquement, levant sa baguette d’une main
tremblante, un sort offensif aux lèvres qu’elle ne suspendit qu’à la dernière seconde en
reconnaissant Kingsley. Ses robes étaient déchirées, sales et encore humides de la pluie qui
s’était abattue sur eux plus tôt mais plus alarmantes étaient la plaie qui striait son œil gauche
et la jambe qu’il semblait le faire souffrir.

Kingsley qui n’aurait pas dû pouvoir pénétrer sur le domaine étant donné qu’elle avait à
nouveau dressé les protections…

« Albus m’a donné la permission d’aller et venir. » expliqua le chef du Département des
Aurors, avant qu’elle ait pu poser la question.

Elle ne baissa pas sa baguette. Parce qu’elle était épuisée et s’endormirait au moment précis
où elle se laisserait aller sur une chaise mais qu’elle ne pouvait se le permettre parce que
quelqu’un devait superviser la bonne marche du château et… Pourquoi n’avait-elle pas baissé
sa baguette ? Elle…

« J’étais si mauvais en Métamorphose qu’il vous a fallu me donner plusieurs devoirs


supplémentaires pour me permettre de passer dans votre classe d’A.S.P.I.C.s. » ajouta
Kingsley, avec la même fatigue qu’elle éprouvait.

Elle baissa finalement sa baguette. « Le Ministère ? »

L’Auror avait pris dix ans depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu.

Il secoua la tête. « Il ne reste rien. »

Elle ne retint pas son glapissement choqué. « Rien ? Mais… »

« Rien d’autre qu’un cratère fumant en plein milieu de Londres. » confirma le sorcier, se
frottant le visage, évitant la zone blessée sur son côté gauche.

« Mais il y a des survivants ? » insista-t-elle, dressant immédiatement la liste de ses amis qui
travaillaient au Ministère, des anciens élèves à qui elle avait écrit une lettre de
recommandation ou…

« Une poignée. » soupira-t-il. « Ceux qui sont parvenus à s’enfuir avant l’explosion. Nous
n’avons pas trouvé Scrimgeour et il semble improbable qu’il se soit sauvé. Nous n’avons pas
trouvé Amelia Bones non plus. »
Elle fit rapidement le calcul. « Alors vous êtes… »

« Chef des Aurors. » l’interrompit-il, avec lassitude. « Il est encore tôt. Peut-être Scrimgeour
ou Bones sont-ils quelque part en lieu sûr… » Il secoua la tête. « Des parents d’élèves ont
commencé à se rassembler à la limite des protections. Je leur ai dit que nous allions leur
donner des nouvelles rapidement mais ils insistent pour rentrer… Et, pardonnez-moi, car je
sais que vous avez fait plus que votre part dans la bataille, mais les protections sont très
faibles… »

« Nous avons fait au mieux. » avoua-t-elle. « Mais je n’ai plus grand-chose à donner, Horace
a accusé le coup de la sphère de Troie et des sorts de soins qu’il a jeté sans discontinuer, et
Pomona, seule, ne pouvait pas faire beaucoup plus. Il nous faut Albus. »

« Albus, malgré mes protestations, est resté à Londres pour être absolument certain qu’il n’y
avait pas de survivants, Moldus ou sorciers. » lui apprit-il. « Je lui ai laissé un contingent
d’Aurors, j’ai envoyé les autres à Sainte Mangouste et sur le Chemin de Traverse voir ce
qu’il en était… » Il fronça les sourcils. « Vous n’avez pas mentionné… »

« Filius nous a quitté. » annonça-t-elle.

Kingsley eut l’air sincèrement peiné mais se reprit vite. « Les parents d’élèves… »

« Je vais aller les voir. » promit-elle, puis hésita. « Devons-nous les laisser entrer ? Certaines
parties du château son endommagées et je préfèrerais que tout le monde demeure dans des
zones désignées tant que nous n’avons pas réparé les dégâts… »

Filius allait manquer.

Filius était le meilleur lorsqu’il s’agissait de ce genre de sortilèges.

Elle…

C’était le genre de décisions que le Directeur aurait dû prendre.

Le genre de décision qu’elle discutait d’ordinaire avec Severus et…

« Je préfèrerais qu’il n’y ait pas plus de gens vadrouillant à Poudlard qu’il n’y en a déjà pour
l’instant. La Grande Salle ? » s’enquit Kingsley.

« Nous y avons placé les morts. » murmura-t-elle, en jetant un œil vers les grandes portes
derrière lesquelles s’alignaient les corps.

L’Auror acquiesça puis haussa les épaules. « J’ai aperçu Rosmerta à l’extérieur. Si elle veut
bien aider, envoyez les parents d’élèves aux Trois Balais pour l’instant et dès que vous aurez
une liste des survivants et des pertes… Que s’est-il passé sous les cachots exactement ?
J’étais dehors, je ne sais pas… »

« Une embuscade. » le coupa-t-elle. « Le traître était Anthony, semble-t-il. Ce qui me


rappelle… Tous les prisonniers ont été assommés à coups de stupefix et ligotés si étroitement
qu’ils ne bougeront pas de sitôt mais il nous faut trouver un meilleur endroit où les détenir
que la salle des professeurs. »

« Je vais m’en occuper. » promit Kinsley. « Il vous faut recenser vos élèves, moi mes
Aurors. »

Elle hocha la tête et le laissa partir en direction de la Grande Salle. Elle ne lui enviait pas la
tâche d’aller voir lesquels de ses hommes étaient morts. Elle avait cessé d’aller vérifier il y
avait un moment. Trop de corps en uniformes. Trop d’amis aussi.

Elle s’apprêtait à prendre son courage à deux mains lorsque Sirius et Potter émergèrent des
cachots. Elle les rejoignit immédiatement, inquiète de la pâleur de son ancien élève et de la
manière dont il tentait – mal – de dissimuler des tremblements.

« La liste des élèves dans les cachots. » offrit Sirius, en lui tendant un bout de parchemin.

« Merci. » Elle empocha le papier sans céder à la tentation de le lire. « Potter, veillez à ce que
votre parrain atteigne l’infirmerie en un seul morceau et se fasse soigner. » Sirius tenta de
protester mais Minerva le fusilla du regard. « Vous auriez dû me dire que vous aviez été
soumis au doloris. » Elle se tourna vers l’adolescent qui avait toujours l’air perdu, désespéré
et trop prêt à faire une bêtise. « Veuillez demander au Professeur Chourave d’établir une liste
de tous les élèves à l’infirmerie ainsi que de leurs blessures puis de me rejoindre à l’extérieur,
s’il vous plait. »

Potter hocha la tête pour indiquer qu’il avait compris puis entraîna Sirius vers les étages.

Elle prit une grande inspiration puis alla rejoindre Kingsley dans la Grande Salle pour établir
sa propre liste.

Ensuite, elle irait affronter les parents d’élèves et devrait leur annoncer le pire.

°O°O°O°O°

Rosmerta accepta immédiatement la requête de McGonagall et Remus ne put qu’approuver le


plan. Il était plus intelligent de garder les parents d’élèves à l’extérieur du domaine pour
l’instant, du moins ceux qui n’avaient pas immédiatement rejoint la bataille en entendant la
rumeur. Ils pourraient toujours évacuer les élèves que les parents souhaiteraient récupérer par
cheminette, le cas échéant… Quant à ceux qui souhaiteraient potentiellement trouver refuge
au château ou rendre visite aux enfants à l’infirmerie…

C’étaient des décisions pour Albus, se mirent-ils d’accord.

Le loup-garou surveilla une dernière fois le parc… Ils l’avaient parcouru de long en large
avec Hagrid et une poignée de volontaires, ils pensaient avoir trouvé tous les blessés – et tous
les corps, amis ou ennemis.

« Si vous le permettez, je voudrais aller voir mon petit-fils. » l’approcha Augusta Londubat,
après avoir conféré avec Minerva qui avait consulté une de ses listes.
« Bien sûr. » approuva Remus avec un sourire un peu forcé. « Si ce n’est pas trop vous
demander, puisque vous descendez… Cela vous gênerait-il de rester avec les élèves ? Je ne
crois pas qu’il y ait d’adulte avec eux… »

« Non, bien entendu. » accepta immédiatement la sorcière.

« Je vais descendre aussi. » proposa Sinistra. « Je ne serais bonne à rien à la protection du


domaine, de toute manière, mais je peux réconforter les enfants. »

« Ne te sous-estime pas. Tu t’es bien battue. » offrit-il.

La Professeur d’Astronomie secoua la tête. « J’ai eu de la chance et j’ai surtout couvert


Minerva. »

Remus ne discuta pas, il n’en avait pas le temps. Il dépêcha la moitié des membres de l’Ordre
qu’il lui restait en patrouilles, autorisa Hagrid à aller s’occuper de son frère et de ses
créatures, puis entreprit de faire lui-même le tour du champ de bataille une dernière fois.

En lui, le loup était silencieux comme il ne l’avait pas été depuis longtemps.

Abattu.

Il n’y avait plus de corps ou de blessés mais il y avait beaucoup de baguettes dans l’herbe que
les survivants voudraient sans doute récupérer. Et que les familles des défunts voudraient
probablement conserver.

Au plus près du château, la pelouse était jonchée de débris. Des briques, des poutres, des
bureaux fracassés là où la façade avait été éventrée… Il y avait des manuels aussi, des
livres… Tout était trempé, piétiné…

Il ne sut pas pourquoi le carnet attira son attention mais il le ramassa avant de bien
comprendre pourquoi. Ce ne fût que lorsqu’il l’eut en main qu’il détermina pourquoi il était
si familier : c’était le genre de carnets que Severus traînait partout. Gorgé d’eau et de boue, il
était au-delà du réparable mais il l’ouvrit tout de même, juste au cas où il se serait s’agit de la
somme des recherches sur la potion Révèle-Loup.

Cependant, ce n’était pas des recherches.

L’encre avait bavé, était illisible par endroit… Il ne lui fallut pourtant que quelques secondes
pour identifier les deux écritures qui se répondaient, pour comprendre ce qu’il tenait en main.
C’était un sort commun de transfert, Nymphadora devait posséder un carnet similaire. Ce qui
expliquait pourquoi une grosse portion des pages étaient noircies d’encre – pas d’encre mais
du sang qu’elle avait perdu lorsqu’elle avait été poignardée, plus que probablement.

Il restait des passages pourtant déchiffrables et il eut beau se dire d’empocher le carnet, de ne
pas le lire, que c’était indiscret, il le parcourut tout de même.

Et au lieu de ressentir de la fureur ou de la jalousie, il eut envie de pleurer.

Parce que s’il subsistait un seul doute que sa compagne en aimait un autre…
Il n’y avait pas de grandes déclarations dans les conversations qu’il parvint à déchiffrer. Elles
étaient anodines, généralement badines, parfois pleines de sous-entendus fripons qui le firent
grincer des dents… Mais ce qui transparaissait de ce qu’il parvint à lire…

Il n’y avait aucun je t’aime, du moins dans les pages encore lisibles. Reviens-moi, lui écrivait
souvent Severus, le plus souvent quand elle partait en mission, semblait-il. C’était là la limite
de son épanchement. Nymphadora était plus expressive. Tu me manques, avait-elle souvent
griffonné sur les dernières pages. Ou J’ai envie de te voir.

Mais c’était l’affection qui se dégageait des échanges qui frappa Remus au cœur.

Il avait promis de ne plus se mêler de leur relation, de la laisser suivre son cours, s’était
inquiété de sentir leurs odeurs se mêler tellement jusqu’à devenir unique ces derniers temps
et pourtant il avait persisté à imaginer… Peut-être pas quelque chose de sordide mais une
liaison plus basée sur le sexe que…

Ils s’aimaient.

Ils s’aimaient et il n’arrivait même pas à se mettre en colère parce qu’il était juste… Il était
juste triste.

Severus serait sans doute mort bientôt si ce n’était déjà fait.

Et Nymphadora…

Nymphadora allait en souffrir.

Parce qu’elle l’aimait.

Et que le Maître des Potions l’aimait en retour.

Ça transparaissait de chacune de ses phrases, chacune de ses taquineries…

Et lui dans tout ça…

En lui, Lunard poussa un petit gémissement.

Avec un soupir et une énorme sensation de gâchis, le loup-garou mit le carnet à l’abri à
l’intérieur de sa veste. Il le rendrait à la jeune femme plus tard. Elle voudrait sans doute le
conserver, peu importait l’état dans lequel il était.

°O°O°O°O°

« Nous sommes presque à court de potions, Horace. » grimaça Poppy, en venant le rejoindre
dans une annexe de l’infirmerie où des lits de fortune avaient été installés. « La réserve
s’épuise et j’ai déjà pioché dans celle de Severus… »

Il prit le temps d’adresser un sourire rassurant à la petite Poufsouffle dont il venait de soigner
la main aussi bien qu’il l’avait pu, puis se redressa pour mieux faire face à l’infirmière.
« Sybille ? » s’enquit-il.

Poppy se rembrunit, la fatigue alourdissant ses traits. « Nous n’avons pas pu sauver sa
jambe. »

Horace hocha la tête. « Il n’est peut-être pas encore trop tard. Je peux préparer du
Poussos… »

« Ce n’est pas la priorité. » contra la sorcière avec regret. « Des antidouleurs. Des potions de
régénération sanguine. Et la potion de Severus contre le doloris. »

Il tiqua et baissa la voix. « Il y a un chaudron en bas. Je suppose que le pauvre n’en aura plus
l’usage mais elle n’est pas encore légale et… »

« Le Ministère est détruit, Horace, et Sainte Mangouste avait décidé d’accélérer ses
accréditations de toute manière, il ne restait que la paperasse. » l’interrompit Poppy. « Cette
potion fonctionne. J’ai des patients qui montrent des signes de dégénérations. Si on l’avait
donnée immédiatement à Severus… »

« Oui. » acquiesça-t-il. « Très bien. Je descends préparer ce que je peux. » Il songea un


instant à emprunter la cheminée puis soupira, se maudissant intérieurement de développer
une conscience professionnelle. Les reproches de Severus et de Minerva l’avaient touché plus
durement qu’il ne l’aurait souhaité. « J’en profiterai pour jeter un œil aux parties
endommagées du château en chemin. Et je lancerai tout de même un chaudron de Poussos…
On ne sait jamais… Il sera peut-être toujours temps de faire repousser la jambe de Sybille
lorsqu’il sera prêt… »

« Pas à moins de garder la plaie ouverte. » contra Poppy. « Et je n’ai pas assez de potions de
régénération sanguine pour ça. Elle ne sera pas la seule à avoir perdu un membre aujourd’hui
malheureusement. »

Horace voulait bien le croire. Ses robes habituellement immaculées étaient tâchées de sang.

Avec un salut de la tête, il prit congé.

Les alentours immédiats de l’infirmerie étaient une ruche mais à mesure qu’on s’en éloignait,
un silence pesant tombait sur les couloirs.

Le Maître des Potions garda sa baguette à la main. Rien ne garantissait, après tout, qu’un
Mangemort blessé ne se cachait pas dans un recoin sombre, attendant une opportunité de fuir.

Il jeta plusieurs sorts en chemin, là où la façade extérieure semblait avoir été ébranlée par un
maléfice ou une potion… En conséquence, il n’avait pas pris le chemin le plus direct.

Mais ce fût toutefois un choc de tomber sur un trou en plein milieu du couloir.

Une fissure importante lézardait le mur de droite, qui donnait sur la falaise. Une crevasse
s’était ouverte dans le plancher, un bout du mur d’une salle classe s’était lui aussi effondré…
Il ne s’approcha pas, sachant que son poids aurait peut-être suffi à faire s’effondrer le tout
davantage. Il jeta deux sorts qui indiqueraient à chaque extrémité du couloir que la zone était
dangereuse…

Et ce fût là qu’il entendit les halètements.

Et les bruits de rochers qu’on déplaçait.

Il ne se hasarda pas à approcher du trou mais il se dépêcha de rejoindre l’étage inférieur.

Quiconque était coincé là-dessous risquait de voir un bout de plafond lui tomber sur la tête.

°O°O°O°O°

Un septième année de Serdaigle au visage fermé et au tablier tâché de sang leur sauta presque
dessus à la seconde où ils passèrent les portes de l’infirmerie. Un coup d’œil à Sirius et il lui
attrapa le bras pour l’entraîner vers un lit d’appoint malgré ses protestations. Tous les autres
étaient occupés.

« Combien de temps avez-vous été soumis au doloris, Professeur Black ? » demanda


l’adolescent, en jetant déjà toute une panoplie de sorts de diagnostic.

Harry se dit qu’ils pouvaient être très utiles puis se rappela qu’il n’en aurait probablement
jamais l’usage de toute manière.

Il ne serait jamais Médicomage.

Il ne vivrait pas assez vieux.

Et cela ne lui faisait aucune peine.

Il était loin derrière ses boucliers, son esprit bien à l’abri derrière les marécages et les
barrières de flammes, ses émotions cadenassées entre les deux couches de défense de sorte
qu’il pouvait réfléchir sans se laisser influencer par la colère ou la tristesse.

Il avait atteint un état d’apathie comparable à celui de Severus lorsqu’il utilisait


l’Occlumencie comme un bouclier contre le monde et il commençait à comprendre pourquoi
le Professeur favorisait cette méthode.

C’était beaucoup plus simple.

Lorsqu’il fût certain que Sirius allait laisser le septième année le soigner, Harry se racla la
gorge. « Je vais chercher Chourave. »

Son parrain s’alarma immédiatement. « Ne quitte pas l’infirmerie et reste là où je peux te


voir. »

Il occludait trop profondément pour lever les yeux au ciel.

La Professeur de Botanique fût facile à trouver même s’il dût s’éloigner beaucoup du lit de
Sirius et qu’il doutait d’être toujours dans son champ de vision. Chourave avait l’air éreinté
mais hocha immédiatement la tête une fois qu’il lui eut transmis les ordres de McGonagall,
tapotant distraitement son épaule avant de se diriger vers l’infirmière.

« Je suis désolée pour Severus, Potter. » offrit la Directrice des Poufsouffles.

Je suis désolée pour Severus.

Comme s’il était déjà mort.

Comme si…

Il se recula encore un peu plus profondément dans son esprit.

« Harry ! » appela soudain quelqu’un du fond de l’infirmerie.

Il se tourna pour voir Hermione lui faire des signes. Le soulagement était distant mais bien
présent. Il se dirigea vers le coin occupé par les Weasley, faisant mentalement le compte…
Hermione, les joues baignées de larmes, Ron qui avait l’air défait et était assis sur un lit
qu’occupait Charlie, Fred et George dans un autre lit, Mrs Weasley assise entre eux, Bill
Weasley dans un troisième lit, Ginny recroquevillée contre lui…

Il n’eut pas le temps de les rejoindre que la quatrième année avait fusé comme une flèche et
s’était jetée dans ses bras, en sanglots.

« Percy… » hoqueta-t-elle. « Percy est mort. »

La douleur était lointaine. Elle ne passa pas la barrière des marécages, coulant tout au fond de
l’eau avant de pouvoir l’atteindre. Il laissait tout couler au fond de l’eau. C’était plus simple.

Il fallut un moment à Ginny pour réaliser que quelque chose n’allait pas.

Il lui fallut plus longtemps, à lui, pour se rendre compte qu’il aurait dû l’enlacer en retour.

Elle s’écarta, l’air blessé, mais il n’avait pas les mots pour lui expliquer que…

« Harry… » murmura Hermione, en le prenant brièvement dans ses bras avant de


l’encourager à parcourir les derniers mètres qui le séparaient du reste des Weasley. Ginny
s’était détournée et était retournée auprès de ses frères, comme un automate.

Il aurait voulu tendre la main, l’attraper, lui dire…

Il n’avait pas la place pour les émotions.

Tout coulait fond de l’eau.

« Harry… » souffla Mrs Weasley, avec un soulagement évident. Elle tenta un sourire mais
cela tenait plus de la grimace. Ses yeux étaient rougies, elle avait des traces de larmes sur les
joues… « J’ai appris pour Severus. Je suis désolée. »

Ce mot encore.
Désolée.

Il n’était pas encore mort.

Il n’était pas…

°O°O°O°O°

Les mains de Draco étaient en sang mais il continuait à creuser.

Il ne sentait même pas la douleur.

Le bourdonnement dans ses oreilles avait cessé mais il devait s’arrêter de temps en temps
pour essuyer le sang qui coulait de son front et lui piquait les yeux. Ou peut-être était-ce de la
sueur.

Il ne savait pas depuis combien de temps il était là.

Il ne savait pas depuis combien de temps il creusait.

« Draco ! » appela soudain une voix inquiète, au loin.

Il l’ignora, dégageant un bout de roche particulièrement lourd qui entraina la chute d’autres
gravas avec lui.

L’appel fût répété, avec urgence, avec inquiétude, et puis, une main sur son épaule.

Il se dégagea violemment mais ne sortit pas sa baguette – sa baguette, où était sa baguette ? –


et ne chercha pas à se défendre. Tout ce qui comptait était de continuer à creuser.

Il n’avait pas sauvé les autres dans le tunnel mais il pouvait sauver Daphné et Blaise.

« Draco. » insista une voix que son cerveau finit par identifier comme appartenant à
Slughorn. Le vieux Professeur de Potions lui dit autre chose. Quelqu’un chose à propos d’un
plafond qui pourrait s’écrouler, de danger…

Il continua à creuser.

Et lorsque l’homme chercha à l’attraper, à l’éloigner de force, Draco se libéra d’un coup
d’épaule et retourna inlassablement à sa tâche.

« Mais qu’essayez-vous de faire à la fin ? » s’agaça le sorcier. « Oh, Merlin soit loué ! Auror
Shacklebolt, par ici ! »

Il n’écouta pas le reste.

Quelqu’un d’autre venait d’arriver mais malgré les suppliques de Slughorn, le sorcier ne
chercha pas à l’arracher à sa mission. Au lieu de ça, Shacklebolt s’accroupit auprès de lui.
« Draco ? J’ai parlé à plusieurs personnes qui m’ont dit que tu avais été héroïque
aujourd’hui. »
Il tiqua, ses mains s’immobilisant sur les rochers. Il regarda le sang qui les recouvrait et eut
envie d’hurler.

« Je les ai enterrés dans le tunnel. » lâcha-t-il.

Ça n’avait rien eu d’héroïque.

Il avait voulu sauver tout le monde et au lieu de ça…

Il était certain que des gens s’étaient retrouvés coincés dans le tunnel à cause de lui.

Qu’ils étaient peut-être morts à cause de lui.

« Les Mangemorts ? » demanda calmement l’Auror.

« Nous devons sortir d’ici. » insista Slughorn. « Le plafond… »

Shacklebolt leva la main, lui faisant signe de se taire.

« Les élèves. » répondit Draco, au bout d’un moment. « Je voulais les aider mais j’ai… Je les
ai peut-être tués. »

« Ce n’est pas ce qu’on m’a dit. » contra l’Auror, avec patience. « Tous les élèves à qui j’ai
parlé et qui m’ont décrit ce qui s’est passé dans les cachots m’ont dit qu’ils ne s’en seraient
pas sortis sans toi. »

Il secoua la tête et se remit à creuser.

« Nous ne sommes pas dans les tunnels, Draco. » reprit Shacklebolt.

Il savait qu’ils n’étaient pas dans les tunnels.

« Je dois les sauver. » marmonna-t-il, parce que peut-être que s’il s’expliquait alors ils le
laisseraient tranquille. « Daphné et Blaise sont là-dessous. Je dois les sauver. »

Il entendit Slughorn laisser échapper un bruit presque douloureux. « J’ai jeté un Hominum
Revelio en arrivant, mon garçon. S’ils étaient là-dessous… »

« Je dois les sauver. » s’entêta-t-il, en continuant à creuser.

Et, comme pour lui donner raison, une main apparut entre les décombres.

Fine, pâle, avec des bagues dorées abimées par les roches qui les avaient écrasées…

Il serra les doigts de Daphnée.

Ils étaient froids.

« Je dois les sauver. » répéta-t-il doucement et commença à essayer de dégager le reste de son
corps.
Ni Shacklebolt, ni Slughorn ne l’aidèrent.

L’Auror se releva pour rejoindre le Professeur.

« Il faut le forcer à… » commença le Maitre des Potions.

« Il a visiblement subi un gros choc et je ne veux pas aggraver les choses. » l’interrompit
Shacklebolt. « Jetons un sort de renforcement sur le plafond pour l’instant. Je sais que Tonks
est sa tutrice mais y a-t-il quelqu’un d’autre que nous pourrions appeler ? »

« Severus… » répondit Slughorn avant de laisser sa phrase en suspens. « Eh bien, je suppose


que je suis son Directeur de Maison à présent. »

« Non… Il nous faut quelqu’un en qui il a confiance. » contra l’Auror. « Quelqu’un qui
puisse jouer le rôle de parent. »

Bon courage, songea Draco.

Il n’avait plus personne.

°O°O°O°O°

Sirius laissa Pomfresh s’agiter autour de lui et le gronder comme un enfant pour ne pas avoir
rejoint directement l’infirmerie après la bataille. Il n’y avait pas assez de potion antidouleur et
il n’aurait pas accepté même si elle avait essayé de lui en faire avaler une. Son corps le faisait
souffrir et sa cheville le lançait mais un coup d’œil alentour suffisait à prouver qu’il était
chanceux.

Elle referma les plaies qu’avaient laissées le loup de quelques coups de baguette. Le travail
était grossier parce que fait dans l’urgence et il savait qu’il garderait les cicatrices.

« D’habitude, je vous dirais de reposer cette jambe autant que possible mais je sais que vous
allez retourner vagabonder dans le château dès que j’aurais le dos tourné. » soupira
l’infirmière avec fatigue. « Je l’ai immobilisée au mieux, si la douleur s’aggrave, revenez me
voir. Quant au doloris… Je vous enverrai un Patronus dès qu’Horace sera revenu avec la
potion de Severus, je veux que vous en preniez une dose au moins. Peut-être deux si les
tremblements persistent. » Elle lui jeta un regard sévère. « N’essayez pas de le cacher et de
souffrir dans votre coin, Sirius. Compris ? »

« Compris. » confirma-t-il, en se frottant le visage, trop fatigué pour protester.

Ils en étaient tous là, songea-t-il.

S’il prenait l’envie à Voldemort de revenir…

« Sirius ! »

Il leva la tête à temps pour voir Remus le rejoindre, l’air inquiet.

« Tu es blessé ? » demanda le loup, quêtant le regard de l’infirmière.


« Rien de grave. » le tranquillisa Pomfresh. « Il a eu de la chance. »

Elle s’éloigna sans un mot de plus.

« Ça va ? » insista pourtant son ami, en posant une main sur son épaule.

« Non. » répondit-il honnêtement. Il se décala pour pouvoir garder un œil sur Harry qui avait
rejoint les Weasley à l’autre bout de l’immense salle. « Je… Est-ce que tu savais que Lily et
James… »

Il n’eut pas le temps de terminer sa question.

Un lynx argenté apparut soudain à côté de lui.

« Sirius, nous aurions besoin d’aide avec Draco. Suivez le patronus. »

Sirius soupira mais se remit sur ses pieds. « Tu peux rester avec Harry ? Ne le laisse pas filer
hors de ta vue. »

Le visage de Remus devint grave. « Tu penses qu’il va tenter quelque chose ? »

« Je ne sais pas. Il est… » Il secoua la tête. « Il est choqué pour le moment, il n’a pas dit
grand-chose. Je ne veux pas tenter le diable. Je sais ce que je ferais si j’étais lui. »

« Je vais rester avec lui. » promit son ami. « Va t’occuper de Draco. »

« Je suppose que je suis responsable de lui aussi désormais. » soupira-t-il. Et puis il lui vint à
l’esprit que… Il attrapa le bras du loup, cherchant ses mots, ne sachant pas comment lui dire
que… « Lunard, Tonks est… Anthony nous a dit que… »

Sa gorge se serra.

L’expression de son meilleur ami se fit urgente. « Non, non, Sirius, elle est vivante.
Gravement blessée mais vivante. »

L’air quitta ses poumons et il dût se rasseoir brusquement, fermer les yeux…

Le soulagement était immense.

Il en aurait presque pleuré.

Il l’aurait peut-être fait si le lynx ne s’était pas impatienté. Avec un effort, il se remit debout
et, après une dernière recommandation de bien surveiller Harry, suivit le patronus.

Tonks était vivante.

Tonks était vivante.

C’était la première bonne nouvelle de la journée.

Mais Severus la pensait morte.


Combien de temps s’était-il écoulé depuis la fin de la bataille ? Voldemort avait-il commencé
à le torturer dès leur retour à Azkaban ou…

Il se résolut à ne pas y penser.

S’il y pensait il serait peut-être tenté de faire quelque chose d’extrêmement stupide du genre
qu’il avait interdit à Harry de faire.

C’était la deuxième fois qu’il était forcé d’abandonner Severus à son sort. Ça avait été
suffisamment terrible la première fois et ils n’avaient pas encore été véritablement amis à ce
moment là. À présent…

Le lynx disparut lorsqu’il tourna un couloir pour trouver un Slughorn nerveux et un


Shacklebolt vieilli prématurément par les derniers événements et qui n’avait clairement pas
pris le temps de se faire soigner. Puis il aperçut Draco qui semblait déterminé à dégager des
gravas d’où pendait une main indubitablement féminine.

S’il n’avait pas aperçu Hermione à l’infirmerie…

Le plafond était béant sur l’étage du dessus, le mur extérieur n’existait plus et la salle de
classe de l’autre côté était éventrée. Il était évident que l’endroit était dangereux et la zone
instable.

Oubliant sa cheville et son corps las, il se hâta vers son cousin, ignorant les deux hommes qui
n’avaient pas été foutus de le tirer de là.

« Draco, qu’est-ce que tu fais ? » demanda-t-il, s’agenouillant à côté de lui.

« Je dois sauver Blaise et Daphné. » marmonna le garçon.

Sirius étudia la main trop molle qui pendait entre deux rochers, pris le pouls juste pour être
certain mais il était évident que… Il jeta tout de même un sort, au cas où Zabini… Mais il n’y
avait aucun signe de vie, là-dessous.

Il fit au mieux pour ravaler son soupir fatigué. « Draco… »

« Non. » cingla l’adolescent.

Il leva les yeux vers Slughorn et l’Auror.

« Il refuse d’entendre raison. » expliqua le Professeur de Potions.

« Je ne voulais pas le traumatiser davantage. » commenta Kingsley, dans un haussement


d’épaules. « Si tu as la situation en main… »

Avait-il l’air d’avoir la situation en main ?

Parlant de mains, celles du Serpentard saignaient abondement. Tout comme son front.
Sirius attrapa fermement ses poignets avant qu’il puisse se blesser davantage. Draco chercha
à se dégager mais l’Animagus ne se laissa pas faire. Il l’obligea à se tourner vers lui, le
gardant prisonnier.

« Je dois les sauver ! » protesta le garçon, s’agitant davantage encore.

Combien de fois son cœur pouvait-il se briser dans sa poitrine, ce jour là ?

« Tu ne peux plus rien pour eux. » contra-t-il, avec autant de douceur qu’il le pouvait. Son
cousin secoua la tête et voulut se retourner vers la tombe de gravas. « Draco. Draco, écoute-
moi, tu ne peux plus les sauver. »

« Non ! » cria le garçon, sans aucune once du calme qui le caractérisait d’ordinaire. « Tu dis
n’importe quoi ! Tu… »

« Draco, ils sont morts. » le coupa-t-il.

Il regretta immédiatement sa brusquerie mais, au moins, son cousin cessa de se débattre pour
croiser son regard, la respiration trop hachée, les yeux trop humides.

« Non… » insista l’adolescent.

« Je suis désolé. » murmura-t-il. « Je suis désolé, ils sont morts. »

Les traits du garçon se contorsionnèrent de douleur et des larmes s’échappèrent pour rouler
sur ses joues. Sirius lâcha ses poignets, le laissant les essuyer rageusement. Sa respiration
était bruyante, hachée, à la limite du sanglot ou du gémissement de détresse, mais, après
plusieurs secondes, il parut se contrôler.

Il se tendit lorsque l’Animagus lui toucha l’épaule mais ne protesta pas lorsqu’il l’aida à se
remettre debout et l’entraîna vers une zone plus sûre du couloir.

« Il faut… Je dois le dire à Astoria. » marmonna l’adolescent, frottant à nouveau son visage
contre sa manche.

« Je vais le faire, mon garçon. » offrit Slughorn. « Il est urgent que vous voyez un
Médicomage. »

« Non. » insista Draco. « Astoria… »

« On va à l’infirmerie. » décréta Sirius, d’un ton qu’il espérait suffisamment ferme. Son
cousin ouvrit la bouche pour protester mais il ne lui en laissa pas le temps. « Je comprends, je
te promets que je comprends, mais ta main gauche m’a l’air salement amochée, cette plaie sur
ta tête n’est vraiment pas jolie et je suis sûr qu’il y a pire sous ton uniforme. On va à
l’infirmerie. »

Le garçon hésita mais il avait l’air suffisamment confus, suffisamment perdu, pour ne pas
trop lui causer de difficultés lorsqu’il le guida vers l’antre de Pomfresh.
« J’ai… Je crois que j’ai tué des gens. » marmonna Draco, sur le chemin. « Dans le tunnel.
J’ai fait exploser le tunnel. Il y avait des élèves coincés sous les rochers. Ils étaient morts. Je
crois que j’ai tué des gens. »

« Ce n’est pas toi qui les a tués. » contra Sirius. « Ce sont les Mangemorts. »

« C’est moi qui ait détruit le plafond. » insista l’adolescent. « Je visais Greyback mais je…
Ils étaient morts dessous, Sirius, et ça ne les a même pas arrêtés… Ils ont continué à jeter des
sorts de mort sur tout le monde et… »

« Draco, tu n’as tué personne. » l’interrompit-il, en passant un bras autour de ses épaules,
autant pour le réconforter que parce que son cousin semblait sur le point de s’écrouler. « Je te
promets que tu n’as tué personne. »

Si c’était un mensonge, tant pis. Il s’assurerait que ça devienne la vérité. Si quelqu’un allait
s’intéresser à comment étaient morts les élèves dans le tunnel… Il convaincrait bien
Dumbledore que ça ne rimerait à rien.

Et il allait s’assurer que Draco n’apprenne pas que Trelawney s’était retrouvée coincée sous
les gravas.

« Je veux rentrer chez moi. » murmura l’adolescent faiblement, plus comme un enfant que
comme un jeune homme.

C’était un vœu qui n’avait aucune chance de se réaliser et le gamin devait le savoir.

Sirius raffermit son étreinte. « L’infirmerie, d’abord, et ensuite tu peux retourner dans nos
appartements, d’accord ? Dormir un peu. »

« Dormir. » répéta Draco, mollement.

« Oui, dormir. » confirma-t-il. « Ou manger. Ou te laver. Ce que tu veux. »

Il espérait juste que ses appartements ne faisaient pas partie d’une zone du château qui n’était
pas sûre. Et puis, quand bien même, si c’était le cas, il ramènerait les garçons au Square
Grimmaurd. Ce serait mieux que rien.

Et Nyssa devait mourir d’inquiétude.

S’il avait pu jeter un patronus…

°O°O°O°O°

Harry ne comprenait pas tout à ce que les Weasley lui expliquaient.

Percy mort, Charlie sous Imperium qui avait poignardé Tonks – c’était donc comme ça
qu’elle était morte mais il ne voulait pas y penser, ne pouvait pas y penser…

Il savait qu’il ne faisait pas, ne disait pas ce qu’il fallait.


Mrs Weasley ne cessait de se forcer à lui sourire exactement de la même manière qu’elle se
forçait à sourire à ses propres enfants pour mieux les consoler, les rassurer… Ginny le fixait
du regard, attendant…

Attendant quelque chose qu’il n’était pas en mesure de lui donner.

Hermione, de même, semblait vouloir le faire parler, lui faire dire…

Il ne savait pas.

Lorsque Remus arriva silencieusement dans son dos et plaça une main sur son épaule, ce fût
presque un soulagement. Il se laissa attirer à l’écart, dans une partie un peu plus calme de
l’infirmerie.

Cela n’avait même pas d’importance qu’il n’ait pas revu Remus seul à seul depuis l’incident
où le loup-garou avait si violemment perdu son calme. Cela n’avait aucune importance. Rien
n’avait d’importance.

« Tu tiens le coup, Harry ? » demanda son ancien Professeur de Défense.

Là encore, le garçon n’avait pas les mots, pas l’énergie de mentir ou de faire semblant de…

« Oui. » soupira Remus, sans attendre de réponse. « Je suppose que c’est une question
idiote. » Il sembla hésiter un moment puis avec une petite grimace, tira un objet de la poche
intérieure de sa veste. « Je l’ai trouvée dehors. »

Harry lui arracha la baguette d’aubépine des mains avant même qu’il ait terminé son
explication et la serra contre son torse. La vague d’émotions menaça de balayer ses boucliers.
Il y avait une estafilade sur le manche qui n’avait pas été là avant aujourd’hui. Il passa et
repassa nerveusement le pouce dessus comme si cela avait pu la gommer.

Logiquement, il avait su que Voldemort n’aurait pas laissé sa baguette à Severus de toute
manière mais qu’il soit entièrement désarmé, sans possibilité de la récupérer sur un garde
ou…

« J’ai pensé qu’elle te revenait. » offrit Remus gentiment.

Comme un legs, déduisit-il. Parce que, comme tant d’autres, Lunard considérait que Severus
était déjà mort.

« Merci. » se força-t-il à marmonner.

Le loup-garou lui serra l’épaule, non sans compassion. « Je sais que c’est difficile… »

Harry ne répondit pas.

Pas plus que lorsque Chourave s’arrêta près d’eux pour toucher le bras de Remus. « Minerva
a besoin de vous pour parler aux parents d’élèves de Donnovan et de Brown. J’aimerai aussi
que vous jetiez un coup d’œil à Pritchard. Il était dans la salle commune et nie toute blessure
mais Aurora vient de nous l’emmener, il semble cacher une morsure. »
L’ancien Professeur de Défense acquiesça immédiatement mais parut hésiter un instant.
« Retourne avec les Weasley, tu veux ? »

À nouveau, Harry se laissa faire sans protester.

Il ne dit rien non plus quand Remus prit discrètement Mrs Weasley à part.

« Je suis désolé de te demander quoi que ce soit en un moment aussi pénible mais pourrais-tu
garder un œil sur Harry le temps que Sirius revienne ? »

Il ne fit même pas signe d’avoir entendu ou vu le regard lourd de sens que les adultes
échangèrent.

Harry n’était pas stupide.

Il n’allait pas s’enfuir de l’infirmerie alors que tout le monde s’attendait à ce qu’il le fasse. Il
ne faudrait pas plus de quelques minutes avant qu’ils ne le rattrapent.

Non…

Voldemort ne tuerait pas Severus tout de suite.

Il allait faire durer le plaisir, il était sadique comme ça.

Et Severus…

Severus pouvait endurer quelques heures de souffrance.

Severus…

Harry n’avait pas le droit à l’erreur.

Bien à l’abri derrière ses boucliers, il prenait son mal en patience.

Et il utilisait ce temps là pour peaufiner son plan.

°O°O°O°O°

Draco avançait comme dans le brouillard.

Il avait vaguement conscience du bras que Sirius avait passé autour de ses épaules mais ne
trouvait pas l’énergie de le repousser.

C’était comme si la scène ne cessait de se rejouer devant lui. Blaise qui relevait la tête. Le
monde qui explosait.

Il cilla et le couloir laissa place à l’infirmerie.

Il cilla et Sirius le guidait jusqu’à un lit.

Il cilla et un Médicomage aux robes de Sainte Mangouste agitait sa baguette autour de sa tête.
Son cousin lui parlait. Un flot de paroles continu qui ne parvenait pas jusqu’à ses oreilles.

Le Médicomage aussi posait des questions mais Draco ne connaissait pas les réponses. Il se
contentait de regarder l’homme comme un idiot sans rien comprendre.

Blaise relevait la tête.

Le monde explosait.

Il levait sa baguette.

Le tunnel s’écroulait.

Blaise relevait la tête…

« Draco. »

Sirius avait encadré son visage de ses mains, le forçait à le regarder en face.

Il aurait dû se dégager, protester le contact…

Il cilla, se concentra un peu plus.

« Est-ce que tu as mal quelque part ? »

Est-ce qu’il avait mal quelque part ?

« Partout. » murmura-t-il. Mais ce n’était pas vraiment de la douleur, si ? Juste… « Nulle


part. » Il voulut se frotter les yeux mais le Médicomage attrapa son poignet avant qu’il ait pu
toucher son visage. « Je ne sais pas. »

Le Médicomage n’avait pas l’air heureux mais il referma la plaie sur son front et disparut
juste assez longtemps pour revenir avec un bol dans lequel il guida ses mains. Essence de
dictame, lui dirent ses connaissances en Potions. Ça ne l’empêcha pas de siffler de douleur.

« Il a des hématomes et des coupures superficielles sur le reste du corps. » expliqua l’homme
à son cousin. « Veillez bien à ce qu’il les désinfecte après s’être lavé. »

« Je ne suis pas un enfant. » grommela-t-il, pour la forme.

« Personne n’a dit que tu étais un enfant. » soupira Sirius, en lui tapotant prudemment la
jambe.

Il n’osait pas demander où était Tonks ou pourquoi c’était lui qu’on avait appelé.

Il avait peur de deviner.

Quant à Snape…

Slughorn avait dit qu’il était à nouveau Directeur de Maison.


« Snape est mort ? » demanda-t-il.

« Capturé. » corrigea l’ancien fugitif comme si ça faisait vraiment une différence.

Draco ferma les yeux.

Cela semblait absolument ahurissant que le Professeur lui ait donné une série de retenues
injustes il y avait quelques heures à peine.

Quelques heures.

Blaise levait la tête.

Le mur explosait.

Blaise levait la tête.

Le mur…

« Blaise a tué le père de Goyle. » marmonna-t-il. « Je crois qu’il avait tué Daphné. »

« Alors Blaise a bien fait. » répondit Sirius.

« Ça n’a pas ramené Daphné. » remarqua-t-il. Et ça n’avait pas sauvé Blaise. Ça n’avait
pas… « Est-ce que tu sais si… Est-ce que… » Il déglutit avec difficultés, voulu étouffer une
légère quinte de toux dans sa main mais le bol d’essence de dictame… Il hésita… « Est-ce
que… »

« Hermione est quelque part par là. » offrit l’Animagus, en étirant le cou pour voir par-dessus
le ballet de soignants qui allaient et venaient.

Ils étaient dans une des alcôves, réalisa Draco avec un temps de retard, à l’abri des regards
indiscrets, sur un lit métamorphosé à la va-vite.

Hermione.

Penser à Hermione lui faisait mal.

Je t’aime.

Trop facile.

Trop facile…

Elle était partie.

Elle…

« Mon père. » lâcha-t-il. « Est-ce que tu sais si… »


« Oh. » Sirius cessa de chercher la jeune fille des yeux pour se tourner vers lui. « Je ne sais
pas. »

Il s’humecta les lèvres. « Est-ce que tu peux… Est-ce que tu peux demander ? »

C’était délicat, il le savait. Lucius était l’ennemi. Lucius…

Blaise levait la tête.

Le mur explosait.

Blaise levait la tête.

Il levait sa baguette.

Le tunnel…

« Oui. » offrit son cousin, dans un soupir. « Oui, je vais me renseigner. Reste là,
d’accord ? Laisse tes mains dans le bol. Je reviens tout de suite. »

Draco hocha la tête, s’enfonçant un peu plus dans l’alcôve.

Blaise levait la tête…

°O°O°O°O°

Albus rencontra sa sous-directrice sur le chemin qui menait au château.

Il venait à peine de revenir de Londres et était passablement agacé d’avoir dû lui-même


réparer les grilles de l’école en chemin, sans mentionner la sécurité générale qui…

« Minerva, pourquoi n’avez-vous pas relever les protections ? » attaqua-t-il, sans même lui
laisser le temps de dire quoi que ce soit.

Un éclat de colère passa dans son regard et il regretta de ne pas avoir modéré son ton. Il
n’était, après tout, pas le seul à avoir eu une journée difficile.

« Et comment étais-je censée relever les protections, Albus ? » cracha-t-elle. « Je ne suis pas
la Directrice, au cas où cela vous serait sorti de la tête. Je ne peux pas, à moi seule, protéger
Poudlard ! »

Il leva les mains en signe d’excuses. « Pardonnez-moi, Minerva. Je… Pardonnez-moi. »

L’irritation de sa vieille amie perdura plusieurs secondes puis disparût, remplacée par une
profonde lassitude. « Albus, votre frère… »

« Je sais. » lâcha-t-il. Kingsley le lui avait dit en des termes on ne pouvait plus clairs alors
qu’ils déblayaient des débris au Ministère. Et la douleur ne s’était toujours pas évanouie.

« Mes condoléances. » offrit la sorcière, en lui attrapant la main. Elle la serra fort une
seconde puis la laissa tomber avant de se racler la gorge. « Il est dans la Grande Salle avec les
autres. »

Les autres.

« Est-on allé chercher le corps de Gellert ? » s’enquit-il, s’efforçant de garder un ton neutre
mais échouant lamentablement à masquer son émotion.

« Gellert… Grindelwald ? » demanda-t-elle. « Non, ma foi, je ne crois pas. J’ignorais même


qu’il… Personne ne m’a dit en détails ce qu’il s’était passé là haut. » Elle secoua la tête.
« J’enverrai quelqu’un. Il nous faut aussi décider quoi faire avec les élèves et les parents. La
majorité ne semblent pas savoir s’ils veulent partir ou rester, c’est… » Elle s’interrompit,
soupira et leva les mains en signe d’impuissance. « Il y a beaucoup de pertes chez les élèves,
Albus. »

« Je sais. » répéta-t-il. Ou, du moins, il l’imaginait sans mal au récit que lui en avait fait les
enfants qu’il avait secourus. « Pour l’instant, l’urgence est aux protections. Les Directeurs de
Maisons… »

« Quels Directeurs de Maisons ? » l’interrompit-elle, avec amertume. « Je suis épuisée, je


n’ai même plus assez de forces pour un pauvre sort de lévitation. Severus… Horace a à
nouveau pris le relais mais Poudlard ne semble pas le reconnaître comme Directeur de
Serpentard et, quant bien même l’école se déciderait à le faire, entre son rôle d’ancre et
l’énergie qu’il a dépensé à l’infirmerie, il est presque aussi vidé que moi. Pomona n’a pas la
puissance nécessaire pour les redresser seule et quant à Filius… » Elle ferma les yeux.
« Filius a été assassiné par Charlie Weasley qui était sous Imperium. »

Il accusa le coup.

Encore une autre perte.

Encore un autre ami.

Si tôt après celles, immenses de Gellert et Abelforth, de Severus…

Il ferma son esprit.

Il aurait tout donné pour avoir accès à sa pensine à cet instant, pour se débarrasser de tous ces
souvenirs qui l’empêchait de réfléchir, de…

« Je vois. » parvint-il à déclarer. « D’autres pertes notables ? »

Elle ne se formalisa pas de la formulation, probablement parce qu’elle devinait qu’il


cherchait à cacher sa peine.

« Charity et Septima sont mortes dans les tunnels. » annonça-t-elle. « Mais le reste du corps
professoral est en vie à défaut d’être en un seul morceau. L’infirmerie est bondée et le
Directeur de Sainte Mangouste m’a fait savoir qu’il voulait vous parler au plus vite. Poppy a
parlé d’évacuer certains blessés vers l’hôpital mais les Médicomages freinent des quatre
fers. » Elle pinça les lèvres. « Je soupçonne que le Directeur compte mettre l’hôpital sous
Fidelitas afin de protéger les patients permanents. »
Cela ne l’étonnerait pas outre mesure.

« C’est avec Kingsley qu’il devrait discuter, dans ce cas. » commenta-t-il. « C’est une
décision pour le Ministre. »

« Rufus et Amelia ? » devina-t-elle tristement.

Il secoua la tête. « Tout indique qu’ils ont péris dans l’attaque. Le sort d’Amelia est moins
clair mais qu’elle ne se soit pas encore manifestée me fait dire qu’elle ne s’en est pas sortie
non plus. Elle n’est pas sorcière à se cacher. »

« Je ne suis pas certaine que Kingsley veuille endosser la responsabilité du Ministère,


Albus… » remarqua-t-elle prudemment.

« Je crains qu’il n’ait pas le choix. » soupira-t-il.

« Vraiment ? » se moqua-t-elle. « Il ne l’a pas ? »

Il préféra ne pas relever le sous-entendu et soupira à nouveau. « Les protections d’abord. Le


reste ensuite. Gérez au mieux les parents d’élèves pour le moment, dites leur que nous
accueillerons ceux qui souhaitent rester au château. Poudlard n’est plus une école désormais,
c’est un symbole. Le dernier lieu de résistance. Et nous aurons besoin de toutes les baguettes
possibles. Soyez claire cependant, s’ils restent, ils pourront être amenés à se battre. »

Il s’éloigna vers le lac, là où il serait seul et pourrait se connecter à Poudlard aussi


intimement qu’un Directeur pouvait le faire.

°O°O°O°O°

Remus avait à peine transplanné à la lisière de la forêt que Laura sortait du cottage et se
précipitait vers lui.

Il ouvrit les bras et la serra fort contre lui, respirant profondément son odeur familière.

Meute.

Lunard s’apaisa quelque peu.

« Tu empestes le sang et la mort, Alpha. » gronda la louve, pas avec agressivité mais avec
détresse.

Il ferma les yeux, laissa tomber sa tête sur son épaule, s’abandonnant au réconfort de son
étreinte.

Il n’avait quitté l’école qu’une fois certain que les protections étaient à nouveau
opérationnelles et qu’Albus avait la situation en main. Non pas qu’il y ait grand-chose de plus
à faire pour l’instant mis à part notifier les familles des décès, renforcer les zones du château
qui avaient été touchées , prodiguer du réconfort aux uns et consoler les autres, et…

Très bien, il y avait beaucoup à faire mais la priorité de Remus allait à sa meute or…
« Prépare tes affaires, je te ramène à Poudlard. » déclara-t-il, en la relâchant. « J’ai besoin de
toi là bas. »

Laura hésita. « Tu as promis que je n’aurais pas à me battre… »

« Ce n’est pas pour ça. » soupira-t-il. « Greyback et ses loups… Ils ont mordu des enfants. »

Elle fronça les sourcils. « Ce n’est pas la pleine lune. »

« Mais ils étaient sous forme de loups. » contra-t-il. « Et je sens la malédiction sur eux. »

Et la conversation qu’il avait eu avec les parents de Bowen Donnovan avait vite tourné en
rond. Ils avaient accueilli la nouvelle de la lycanthropie de leur fils avec colère et… Remus
avait préféré se retirer lorsque le père avait dit ouvertement qu’il aurait préféré le voir mort.
La mère de Lavande avait simplement été soulagée qu’elle soit vivante, au contraire, mais
avait également eu l’air de s’enfoncer dans le déni lorsqu’il avait tenté de lui expliquer
qu’elle avait été mordue. Quant à Graham Pritchard, le Serpentard de quatrième année
refusait toujours d’admettre qu’un loup l’avait attaqué, il persistait à dire que sa blessure
venait d’une mauvaise chute, et ses parents ne s’étaient pas encore montrés, probablement
parce qu’ils n’étaient pas du bon bord, comme le lui avait glissé Chourave.

Graham n’était pas le seul enfant de Mangemorts que Greyback avait échoué à ramener à bon
port, comme il en avait visiblement eu la mission. Il en avait compté au moins trois dont un
sixième année de Serpentard qui avait débité tout le plan à Kingsley dès qu’il l’avait aperçu
dans l’espoir de se voir épargné.

Épargné quoi, ça…

Ils ne savaient déjà pas ce qu’ils allaient faire de leurs prisonniers alors envisager des
répercussions pour des gamins qui avaient, au demeurant, suivi les instructions de leurs
parents…

« Ils ont peur et ils sont perdus. » continua-t-il tristement. « Cela n’aide pas que tout les
Médicomages les regardent comme des monstres de foire… J’ai pensé… »

« Oui. » déclara-t-elle immédiatement, son attitude ayant changé du tout au tout maintenant
qu’elle était certaine qu’il ne s’agissait pas de l’envoyer au combat. « Ils sont à nous ? »

« Ils ne sont certainement pas à Greyback. » gronda-t-il, du ton grave qui trahissait la
présence de Lunard. « Oui… Oui, ils sont à nous. »

Sa meute était principalement formée de loups vulnérables et ce n’était pas l’idéal.

Mais il mourrait pour les protéger comme tout bon Alpha se le devait.

°O°O°O°O°

Blaise levait la tête.

Le mur explosait.
Il levait sa baguette.

Le tunnel explosait.

Blaise levait la tête.

« Draco ! »

Il sursauta, renversa le bol d’essence de dictame qui se brisa sur le sol dans un bruit trop
brutal qui alarma tous les occupants des lits environnants et lui valut plus d’un regard noir de
la part des Médicomages. Il voulut nettoyer, ne trouva pas sa baguette…

Sa baguette.

Il levait sa baguette.

Le tunnel explosait.

Quelqu’un lui rentra dedans comme un boulet de canon. Des bras autour de son torse,
pressant sur des hématomes qui le firent siffler de douleur. Des larmes chaudes qui roulaient
contre sa gorge. Des cheveux en boucles désordonnées qui lui chatouillaient les narines.

Granger.

Une part de lui se détendit.

Une autre…

Il la repoussa.

Ses mains lui firent mal lorsqu’il lui attrapa les bras.

Elle avait l’air…

Elle n’avait pas l’air trop mal en point. Certainement moins que lui. Mis à part les larmes sur
son visage, elle semblait tout à fait indemne.

« Draco. » souffla-t-elle. « J’étais si inquiète… »

« Peut-être que tu n’aurais pas dû m’abandonner dans ce cas. » siffla-t-il, ses yeux gris
captant le regard vert par-dessus son épaule.

Potter et Weasley se tenaient derrière elle. Comme toujours. Parce que, au final, ce serait
toujours ainsi : Potter, Granger et Weasley contre le reste du monde. Et lui… Lui ne comptait
pas. Ni pour elle, ni pour Ron avec qui il pensait pourtant avoir lié une amitié sincère.

La colère le submergea.

Parce qu’il était seul, à présent. Plus de Blaise pour plaisanter avec lui, se moquer de ses
obsessions pour le Balafré ou lui faire remarquer à voix basse que la manière dont il regardait
Granger n’était pas subtile. Plus d’amis, plus d’alliés, plus rien.
Lorsqu’elle voulut le toucher à nouveau, il repoussa ses mains.

« Tu t’es bien amusée ? Tu t’es bien amusée à jouer les héros pendant qu’on se faisait tailler
en pièces ? » cingla-t-il.

Elle fit un pas en arrière comme s’il l’avait frappée.

Arrête, murmura une petite voix dans sa tête, peut-être celle de la raison. Ce n’est pas sa
faute.

Mais c’était sa faute.

Sa faute et celle de Potter et…

« Draco, calme toi. » exigea Ron, d’un ton plus fatigué que ferme.

« Que je me calme ? » répéta-t-il, en élevant la voix. « Tu veux que je me calme ? »

Il tourna les yeux vers Potter mais le Survivant paraissait étrangement muet. Il regardait la
scène se dérouler avec un calme olympien, presque comme si cela ne le concernait pas…

« Draco… » murmura Granger, en esquissant un nouveau geste vers sa main.

Il eut un mouvement de recul. « Blaise et Daphné sont morts. »

Elle laissa échapper un glapissement de surprise plein de douleur. Weasley ferma les yeux.

Potter…

Potter ne tressaillit même pas.

« C’était ton idée. » cracha-t-il. « L’A.D., c’était ton idée. »

« Hermione ne leur a pas demandé de nous suivre. » la défendit Ron. « Tu sais très bien
qu’ils… »

« Ce que je sais c’est qu’ils sont morts. » cingla-t-il. « Comme tous les gosses dans les
cachots. Comme… »

Blaise levait la tête.

Le mur explosait.

Il levait sa baguette.

Le tunnel…

Il s’interrompit. Secoua la tête.

« Tu m’as dit je t’aime. » reprit-il, tout en continuant de secouer la tête. Rien n’avait de sens.
Tout était confus. Tout… « Tu m’as dit je t’aime et tu es partie te faire tuer. Tu ne m’as même
pas laissé répondre. Tu… Qui fait ça ? Tu ne m’as même pas laissé le choix de venir avec toi.
Tu… »

« La dernière fois, tu m’as suivie et tu es mort. » le coupa-t-elle, entre deux sanglots. « Tu as


été très clair, tu ne voulais pas… Je ne t’aurais jamais forcé à te battre, tu as dit… »

« Tu m’as dit je t’aime et tu es partie te faire tuer ! » hurla-t-il, suffisamment fort pour que la
moitié de l’infirmerie se tourne vers eux.

Potter ne disait toujours rien.

Ron ne semblait pas savoir s’il voulait s’en mêler.

Granger continuait à pleurer. « Je t’aime. »

« Non. » ricana-t-il froidement, sans aucun amusement. « Non, tu ne m’aimes pas.


Certainement pas assez pour rester avec moi. Certainement pas autant que ta guerre sainte. »

« Draco… » gémit-elle. « S’il te plait, tu… »

« Blaise et Daphné sont morts ! » la coupa-t-il, criant à nouveau.

Il n’en fallut pas plus pour que Pomfresh fonde sur eux tel un rapace.

« Voulez-vous bien baisser la voix, Mr Malfoy ? » le gronda-t-elle, sans hostilité réelle.


« Vous êtes bouleversé et ça se comprend mais il y a ici des gens gravement blessés. Certains
qui ne s’en remettront probablement pas. »

« Merci, Madame Pomfresh. Je suis là maintenant. » intervint sèchement Sirius, en


réapparaissant derrière elle. L’infirmière ne parut pas heureuse de se faire chasser mais son
cousin savait obtenir ce qu’il voulait. « Bon, il se passe quoi, ici ? »

« Je veux qu’ils s’en aillent. » lâcha-t-il. « Je ne veux pas les voir. »

Granger voulut protester mais Weasley lui passa un bras autour des épaules.

« Viens. » l’encouragea Ron. « Tu lui parleras plus tard. Là, c’est… C’est trop tôt. Il ne sait
pas ce qu’il dit, tu vois bien. Laisse-lui le temps, d’accord ? »

Les sanglots de la jeune fille lui faisaient mal et une part de lui voulait la rattraper, s’excuser
d’être un idiot, la serrer fort contre lui, l’embrasser jusqu’à oublier son propre nom…

Il ne bougea pas.

Blaise levait la tête.

Le mur explosait.

Il levait sa baguette.

Le tunnel…
Potter n’avait pas bougé et le fixait du regard avec trop de compassion.

« Tout ça c’est ta faute. » siffla-t-il.

« Draco, ça suffit. » asséna Sirius. « Ce n’est pas plus la faute d’Harry que la tienne ou celle
d’Hermione. On a tous eu une journée de merde. Venez, tous les deux, je vous ramène dans
mes appartements. »

Mais alors que le Serpentard se remettait difficilement debout, Potter lui glissa, en aparté,
sans aucune intonation du tout. « Je sais. »

Et Draco sut qu’ils n’en avaient pas terminé avec son acte de martyr.

Bien sûr que non.

Snape avait été capturé.

Quelles étaient les chances qu’il n’aille pas se faire tuer en tentant de le sauver ?

Et Granger et Weasley suivraient bien entendu, comme toujours…

Pourquoi était-il allé s’attacher à des gens qui…

Mettre un pied devant l’autre était beaucoup plus difficile qu’il n’y paraissait. Il était
complètement à plat, si fatigué… Les couloirs semblaient interminables, aucun ne semblait
avoir été épargné par la bataille et…

« Tu m’entends ? »

Il sursauta, tourna la tête vers son cousin qui le regardait avec inquiétude, sourcils froncés.
« Pardon ? »

« Je disais que si ton père était là, il n’est pas parmi les… victimes. » répéta Sirius.

Le soulagement ne fût pas aussi intense qu’il l’aurait voulu. Il ressentait un certain conflit à…

« Merci d’avoir vérifié. » marmonna-t-il.

Son cousin lui adressa un hochement de tête.

Potter continua de les ignorer plus ou moins tous les deux.

Le chemin jusqu’aux appartements de Sirius fût long, pénible et se passa dans un silence
tendu, mais à la seconde où le portrait bascula, Draco voulut aller droit vers la chambre qu’il
avait occupée la veille uniquement pour se voir stoppé net dans son élan par une main sur son
épaule qui le tourna en direction de l’unique salle de bain.

« Douche-toi d’abord, tu t’écrouleras ensuite. » conseilla Sirius. « Et n’oublie pas de


désinfecter les plaies. Il y a des potions dans l’armoire à pharmacie. »
Dans un état un peu second, il obéit, fermant la porte derrière lui sans la verrouiller parce
que… Parce qu’il n’était pas sûr qu’il n’aurait pas besoin d’aide, s’il était honnête. Il ôta
machinalement le sceau des Malfoy et le posa sur le bord du lavabo avant de se débarrasser
de son uniforme dégoûtant. Il y aurait mis le feu s’il avait eu une baguette.

Sa baguette.

Où était-elle passée ?

Il levait sa baguette et le tunnel…

Il augmenta la température de l’eau jusqu’à être pratiquement ébouillanté.

Cela lui fit du bien.

Il perdit la notion du temps sous le jet d’eau chaude. Il appuya le front contre les tuiles
bleutées de la douche, ferma les yeux et…

Sursauta lorsque des coups furent frappés à la porte.

« Draco ? Tout va bien là dedans ? »

Se frottant le visage, grimaçant à cause de sa main gauche qui, en plus d’être lacérée par les
rochers qu’il avait déplacés, avait été écrasée pendant la bousculade, il coupa l’eau. « Oui ! »

Il y eut un silence puis son cousin se racla la gorge. « Tu es sûr ? Ça fait un moment que tu es
dans la salle de bain. »

Il hésita puis soupira, attrapant une serviette propre pour s’essuyer. « Je me suis endormi. »

Un autre silence puis un soupir las qui fit écho au sien. « Essaye de ne pas te rendormir de
nouveau, d’accord ? J’ai fait apparaître ton pyjama sur le bord du lavabo. »

Son corps était couvert d’hématomes et de coupures. Il trouva les potions dans l’armoire à
pharmacie et en badigeonna généreusement les plaies mais n’essaya même pas de se
contorsionner pour atteindre son dos. Il n’avait plus suffisamment de dignité ou de fierté pour
se préoccuper de ce dont cela aurait l’air lorsqu’il enfila le pantalon à la va-vite et sorti de la
salle de bain torse-nu, après avoir empoché le sceau des Malfoy qu’il ne put se résoudre à
remettre à son doigt. Il ne se préoccupa pas non plus de ce que cela signifiait que Sirius traîne
près de la porte avec un air inquiet, il se contenta de lui tendre la fiole de potion et de lui
tourner le dos.

Il y eut deux sifflements derrière lui.

Potter adossé au cadre de la porte du salon semblait enfin s’être souvenu que les êtres
humains avaient des émotions.

« Merde, ce n’est vraiment pas joli. » commenta son cousin, en appliquant prudemment la
potion sur les plaies. « Attends, laisse-moi jeter un sort de diagnostic… C’était un guignol ce
Médicomage, il aurait dû te garder à l’infirmerie… »
« Tu es sûr qu’il n’y a rien de cassé ? » demanda Potter. « Son omoplate. C’est très… »

« Le couloir a explosé. » marmonna-t-il.

Blaise levait la tête.

Le mur…

Il ferma les yeux, se força à prendre une profonde inspiration. « Ma baguette. J’ai perdu… »

« C’est moi qui l’ait. » répondit Sirius, en la lui rendant. « Slughorn l’a trouvée par terre. »

Draco se sentit mieux lorsqu’il eut sa baguette en main. Il laissa même l’ancien fugitif jeter
un sort de diagnostic.

« Rien de cassé. » soupira Sirius. « Mais tu es salement amoché, cousin. On ne peut pas
mettre de baume sur les hématomes à cause des plaies… »

Il haussa les épaules et se tourna vers eux. « Je ne sens rien. »

« Tu le sentiras demain. » remarqua Potter.

Sirius se racla la gorge et désigna la salle de bain du pouce. « Ton tour, Harry. »

Le Survivant secoua la tête. « Je n’ai pas mes affaires. Écoute, je peux très bien rentrer à la
maison et… »

« Oui, c’est ça. » grinça le Professeur de Défense. « Bien essayé. Je vais te passer de quoi
dormir. »

« J’ai besoin de mon nécessaire à lentilles et… » contra à nouveau Harry.

« Je ne vais pas te laisser te lancer à sa poursuite. » cingla Sirius. « Alors tu peux arrêter tout
de suite d’échafauder des plans pour me fausser compagnie. La cape d’invisibilité, donne la
moi. »

Draco enfila son haut de pyjama, n’ayant que peu à faire de si Potter s’enfuyait ou pas. Il
voulait juste… Il voulait juste dormir. Il voulait juste…

« Je ne l’ai pas. » protesta Potter. « Elle était dans mon sac et il est resté dans la Grande Salle.
Tout ce que j’ai, c’est la Carte et des potions. »

« Vide tes poches. » ordonna Sirius.

Le Survivant eut l’air trahi mais, avec un soupir agacé, fit exactement ce que lui demandait
son parrain et extirpa la Carte des Maraudeurs et quelques fioles de ses poches.

Draco décida que le drama familial ne l’intéressait pas et fit quelques pas vers la chambre
qu’il avait occupée la veille.
« Attends, attends… » exigea Sirius, en lui attrapant le bras, sans toutefois serrer assez pour
lui faire mal. « Le salon. Bois une tasse de thé, au moins. »

« Je veux juste dormir. » grogna-t-il .

Potter, semblait-il, avait cessé de protester et avait disparu dans la salle de bain.

« Oui, je sais. Mais tu n’as rien avalé de la journée. » contra son cousin. « Crois-moi, tu te
sentiras mieux quand tu auras bu et mangé. »

Il n’avait pas suffisamment d’énergie pour protester.

°O°O°O°O°

Les vêtements propres apparurent sur le bord du lavabo quelques secondes après qu’Harry ait
verrouillé la porte de la salle de bain derrière lui.

Sirius n’avait confisqué ni la Carte, ni les potions que Severus lui avait ordonné de garder sur
lui en permanence. Ses poches pendaient toutes à l’envers, retournées, ce qui n’empêcha pas
Harry de sourire légèrement lorsqu’il déboutonna sa chemise et que le tissu fluide de la cape
d’invisibilité apparut, collé à sa peau par un sort de glue.

Il avait su qu’il faisait le bon choix lorsqu’il avait supplié Mrs Weasley de lui laisser utiliser
les toilettes, plus tôt.

Il avait su que son parrain réclamerait la cape.

Severus se serait méfié.

Mais Sirius ne réfléchissait pas comme un serpent.

°O°O°O°O°

Les vitraux de la Grande Salle avaient été brisés pendant la bataille et le crépuscule qui
tombait lentement sur le domaine jetait des ombres changeantes sur les défunts qui
semblaient dormir là, bien alignés. Albus avait parcouru les allées de corps la gorge nouée,
avant de s’arrêter devant celui de son frère. Sa gorge avait été tranchée et si quelqu’un avait
fermé ses yeux, il devinait…

Quelqu’un avait couché son bâton près de lui.

Arianna, d’abord. Abelforth, maintenant.

Il avait échoué.

Si lamentablement échoué.

Il était l’ainé. Il aurait dû…


Des bruits de pas l’arrachèrent à sa tristesse, le poussèrent à repousser les émotions qui lui
étranglaient la gorge. Il se tourna vers le Chef du Bureau des Aurors dont le boitement
semblait s’être aggravé depuis le début de l’après-midi.

« Vous n’avez toujours pas vu de Médicomage. » lui reprocha gentiment Albus.

« Pas le temps. » répondit Kingsley, en balayant l’air de la main. « Mes Aurors sont revenus
de Sainte Mangouste et du Chemin de Traverse. Rien à signaler si ce n’est que le Chemin de
Traverse est encore plus désert que ces derniers mois. J’ai organisé une surveillance du
domaine mais ils sont épuisés. »

« Comme nous tous. » soupira-t-il.

Il avait envoyé Minerva se coucher lorsqu’elle avait manqué s’évanouir directement dans ses
bras. La sous-directrice en avait fait plus que ce qu’il pouvait lui demander.

« Justement. » contra l’Auror. « S’ils reviennent… »

« Ils ne reviendront pas tout de suite. » déclara-t-il, en secouant la tête. « Ce n’est pas ainsi
que Tom réfléchit. Il va s’amuser un moment de nous voir paniquer et tenter de nous
réorganiser, comme un enfant donne un coup de pied dans une fourmilière pour le simple
plaisir de torturer les insectes. »

Et puis il avait Severus pour l’occuper.

Sa mâchoire se contracta lorsqu’il imagina ce que son ami était en train de subir à cet instant
précis. Il s’inquiétait des horcruxes, de ce que son ancien espion pourrait avouer sous la
torture, mais lui faisait trop confiance pour douter. Severus Snape mourrait avant de trahir.

« Plusieurs enfants manquent à l’appel, de ce qu’on m’a dit. » remarqua Kingsley.

« Oui. » Encore une raison de grincer des dents, de céder à cette colère qui… « Une bonne
partie des absents se sont échappés avec les Mangemorts. Remus pense que Greyback en a
mordus et kidnappés certains mais il n’est pas exclu que nous n’ayons simplement pas encore
trouvé leurs dépouilles. »

Il avait, après tout, fallu plusieurs heures pour stabiliser la zone endommagée du château
avant de pouvoir dégager les corps de Blaise Zabini et de Daphné Greengrass, de ce qu’on lui
avait dit. Les Greengrass se trouvaient désormais avec leur fille cadette quelque part dans le
château. Ils n’étaient pas les seuls parents à avoir exprimé le souhait de demeurer là pour la
nuit. Ou davantage. D’autres avaient attrapé leur enfant rescapé et avait décampé,
probablement pour l’autre bout du monde. Albus ne pouvait pas le leur reprocher mais les
avait mis en garde : il y avait de la sécurité au nombre.

« Je vais faire à nouveau le tour de l’école. » déclara l’Auror. « Je trouverai peut-être… »

« Vous allez aller à l’infirmerie et vous faire soigner. » l’interrompit-il fermement. « Puis
vous demanderez à un elfe de vous conduire à une chambre libre et vous dormirez quelques
heures. »
« Est-ce un ordre ? » demanda le sorcier, avec un sarcasme dont il faisait rarement preuve.

Albus l’observa longtemps, cataloguant les blessures que son ami semblait avoir accumulées,
la plus terrible étant, sans conteste, la vilaine plaie qui lui barrait la moitié du visage et
semblait l’empêcher d’ouvrir la paupière gauche.

« Je ne suis plus en mesure de vous donner des ordres. » lui rappela-t-il calmement. « Cette
plaie est en train de s’infecter, Kingsley. » Des heures passées à fouiller les décombres du
Ministère, la poussière et la sueur, le manque de soin… Elle s’envenimait méchamment.
« Votre œil… »

« Est crevé. » lâcha le sorcier, sa voix trahissant une certaine frayeur. « Du moins, je le
crois. »

Était-ce pour ça qu’il avait résisté à l’idée de se faire soigner ? Parce qu’il en craignait la
confirmation ? Albus pouvait le comprendre mais…

« Il y a des potions régénératives. » le consola-t-il. « Et, dans tous les cas, il vaut mieux un
diagnostic clair qu’une septicémie. Allez voir Pomfresh, mon ami, nous aurons besoin de
vous dans les jours à venir et vous ne nous serez d’aucune utilité au fond d’un lit d’hôpital
parce que vous aurez laissé une blessure s’envenimer. »

Kingsley soupira. « Je suppose que tant que Tonks n’est pas en état de me seconder… »

Le visage d’Albus s’éclaira un peu. « Elle a donc survécu ? »

L’Auror se détendit, laissant ses lèvres s’étirer en un sourire soulagé. « Oui. Les Tonks l’ont
ramenée chez eux mais Andromeda m’a contacté pour me dire qu’elle était hors de danger, à
présent. Elle voulait aussi des nouvelles de Draco Malfoy… » Il ne doutait pas
qu’Andromeda voulait des nouvelles de son neveu mais il supposait que l’inquiétude venait
principalement d’une autre personne. « Le pauvre a été secoué. Pourtant, tous ceux à qui j’ai
parlé m’ont dit… »

« Kingsley, infirmerie. » le coupa-t-il, peu dupe de son manège.

Les épaules du sorciers s’affaissèrent légèrement. « Une dernière chose… Rusard a été
suffisamment aimable pour nous guider jusqu’aux anciennes geôles… J’y ai fait transférer les
prisonniers et ils sont sous bonne garde. Cependant… Anthony a exhibé des signes de
détresse physique lorsque nous avons essayé de le descendre dans les cachots et on m’a
confirmé que Charlie était similairement affecté… »

« Le sort qui les lie est donc toujours actif. » commenta-t-il. « J’avoue que je me posais la
question. »

« Il est actif bien que la distance qu’ils puissent mettre en eux désormais semble
importante. » confirma Kingsley. « Je l’ai fait enfermer en haut d’une tourelle, plus près de
l’infirmerie. Il est sous bonne garde mais je n’anticipe pas vraiment de problèmes… Il
semble… défait. Il n’a pas tenté de résister ou de se défendre. »
« Quand comptez-vous l’interroger ? » s’enquit-il.

L’Auror leva les mains. « Dès que vous m’en donnerez l’ordre. »

« Kingsley, Rufus et Amelia sont très certainement morts. » insista-t-il. « Si quelqu’un doit
donner les ordres… »

« Nous savons tous les deux qui doit prendre leur suite. » l’interrompit l’Auror.

Albus laissa son regard dériver vers le corps de son frère et ressentit tout le poids des
dernières heures. « Disputons-nous à ce sujet demain, après une nuit de sommeil. Vous
voulez un ordre, le voilà : allez faire soigner cet œil. Et le reste, tant que vous y êtes. »

Le sorcier marmonna quelque chose à propos d’une phobie qui touchait aux yeux… Albus
l’écoutait à peine, du moins jusqu’à ce que Kingsley se racle la gorge.

« Je suis désolé pour Abelforth. » offrit l’homme. « Il m’a sauvé la vie. Voldemort m’aurait
achevé trois fois sans lui. »

« C’était un sorcier exceptionnel, mon frère. » commenta-t-il. « Il menait une vie simple et
beaucoup confondent ça avec un aveu de faiblesse mais il était le plus fort des Dumbledore. »

Et ils s’étaient quitté fâchés.

Ils avaient passé tellement d’années fâchés.

« Je connais d’avance la réponse mais je dois poser la question… » hésita Kingsley. « Pour
Snape… »

Sa phrase resta en suspens.

Albus ferma les yeux. « Nous ne pouvons malheureusement rien faire pour lui. Nous ne
sommes pas en état d’attaquer Azkaban. »

« Un petit groupe infiltré… » proposa l’Auror et l’estime que le Directeur lui portait
augmenta d’autant pour avoir offert la chose.

« Et qui mènera ce groupe, Kingsley ? » contra-t-il. « Vous, qui devez vraiment faire soigner
cet œil et n’avez plus aucun droit de vous trouver en première ligne car, que vous le
souhaitiez ou non, vous êtes légalement le Ministre de la Magie ? Tonks, qui se vidait de son
sang il y a quelques heures à peine et ne peut probablement pas tenir debout ? Moi, ce qui
laisserait Poudlard sans défense ? Sirius ? Remus ? Nous sommes tous épuisés, nous sommes
tous… » Il secoua la tête. « Nous n’aurions aucune chance de réussir et il ne nous
remercierait pas de nous faire tuer pour lui. Severus est… Severus est l’homme le plus
courageux qu’il m’ait été donné de connaître. Il connait son devoir. Il sait les sacrifices qui…
Il sait. »

Et ce n’était pas une consolation du tout.

Cela ne voulait pas dire qu’il n’avait pas l’impression de le trahir.


Cela ne signifiait pas que ce qui restait de son cœur ne saignait pas à l’idée de le perdre.

Aussi irritant et exaspérant que le Maître des Potions pouvait l’être parfois, Albus l’aimait
comme un fils. Après Lily, il l’avait récupéré dans un tel état de détresse…

Kingsley se retira sans un mot de plus.

Il lui en fût gré.

« Je suis désolé. » murmura-t-il à Abelforth. « J’aurais dû être un meilleur frère. »

Il se recueillit là plusieurs minutes supplémentaires puis s’éloigna jusqu’à trouver l’autre


personne à qui il devait des excuses, à qui il devait tant.

Personne n’avait pris le temps de fermer les yeux de Gellert mais quelqu’un avait jeté sa
baguette sur son torse comme… Il s’agenouilla, rangea la baguette dans sa propre poche avec
soin en attendant de pouvoir la replacer dans le coffret.

Mein Herz in einem Sarg, avait-il dit à Gellert. Son cœur dans un cercueil.

C’était si littéral, à l’instant.

Lentement, la mâchoire contractée pour lutter contre les larmes qui lui brûlaient la gorge, il
passa la main sur le visage du sorcier qui avait été plus craint que Voldemort en son temps,
ferma ces yeux bleus dans lesquels il s’était tant de fois perdu.

Sa peau était froide.

Ce n’était qu’une coquille vide.

Son âme s’était envolée.

« Attends-moi derrière le voile. » murmura-t-il, caressant sa joue du bout des doigts.


« J’aurais dû t’épouser. J’aurais dû t’épouser il y a quatre-vingts dix-huit ans. J’aurais dû
t’épouser il y a cinquante ans. J’aurais dû t’épouser le mois dernier. J’aurais dû t’épouser. Je
suis un crétin trop têtu et il faut toujours que j’ai le dernier mot. Tu vois, me voilà bien
déconfit maintenant que je l’ai eu. » Les larmes étaient trop dures à ravaler et il ne s’y essaya
pas. Il les laissa couler, les laissa tomber sur le corps de son ancien amant. « J’aurais dû
brûler le monde plutôt que de les laisser nous séparer. J’aurais dû… » Il ferma les yeux. « Ich
liebe dich. Ça aussi j’aurais dû te le dire. »

Du regard, il retraça tendrement les traits qu’il connaissait si bien.

« Je t’aime. » répéta-t-il. « J’ai passé près d’un siècle à t’aimer et je continuerai tant que
j’aurais un souffle dans mes poumons. » Il s’humecta les lèvres. « Je donnerai n’importe quoi
pour t’entendre m’appeler Liebling encore une fois. Pour… » Sa voix se brisa. « Attends-moi
derrière le voile, Gellert. Peut-être pourrons-nous enfin y être unis. »

Il se releva aussi souplement qu’il le pouvait avec son grand âge et la fatigue de la journée,
prit une profonde inspiration puis, après un dernier regard pour l’homme qu’il avait aimé
toute sa longue vie, se détourna, le menton haut, pour aller faire ce qu’il fallait.

Pour le plus grand bien.

Et à son annulaire gauche brillait désormais une alliance de métal, frappée du discret sceau
des reliques, du symbole de Gellert Grindelwald.

Elle venait trop tard mais elle ne quitterait plus son doigt.

Il l’emporterait partout avec lui jusqu’à ce qu’il puisse le retrouver dans la mort.
Knives Out, Pistols Blazing

“I would have come for you. And if I couldn't walk, I'd crawl to you, and no matter how
broken we were, we'd fight our way out together-knives drawn, pistols blazing. Because
that's what we do. We never stop fighting.”
Leigh Bardugo – Crooked Kingdom

« Je serais venu te chercher. Et si je n’avais pas pu marcher, j’aurais rampé jusqu’à toi,
et qu’importe que nous ayons été brisés, on se serait battus pour s’en sortir ensemble –
les couteaux tirés, les revolvers fumants. Parce que c’est ce que nous faisons. On ne
cesse jamais de se battre. »
Leigh Bardugo – Crooked Kingdom

Severus se souvenait d’une conversation avec Harry où le garçon lui avait reproché de
toujours garder un langage trop ampoulé et où il avait répondu qu’être coincé en soixante-
quinze était être dans le pétrin alors qu’être prisonnier du Seigneur des Ténèbres…

Présentement, Severus était dans la merde.

On lui avait enlevé sa chemise, ses robes et ses chaussures mais ses anciens camarades
n’avaient pas poussé l’humiliation jusqu’à lui ôter son pantalon. Et, depuis, il pendait, attaché
par les mains à un crochet invisible loin au-dessus du sol, que quelqu’un daigne lui prêter
attention.

Cela lui convenait très bien d’être ignoré, cela dit.

Il doutait de goûter aux attentions du Seigneur des Ténèbres et des Mangemorts.

Pour l’instant, Il se délectait du récit de Bellatrix et de ses sous-fifres…

Le Ministère tombé…

Mais ce n’était plus le problème de Severus. Severus allait mourir très bientôt et, si les
regards en coin que le mage noir lui adressait sans avoir l’air étaient un signe, dans d’atroces
souffrances. L’ignorer était une tactique pour faire monter l’angoisse. Il sentait les yeux
avides des autres Mangemorts sur lui. Le Ministère avait peut-être été un succès mais
Poudlard avait été une défaite, qu’importe comment le Seigneur des Ténèbres essayait de le
tourner, et ses hommes avaient envie de sang.

Son esprit était clair à défaut d’être serein.

Il avait fait le vide.

Toutes les informations capitales, tous ses souvenirs les plus précieux, il les avaient déjà
placés en sécurité dans son coffre mental, aux tréfonds de son être, là où personne ne les
atteindrait jamais. Le reste… Le reste, le mage noir ne tarderait sans doute pas à le mettre en
pièces lorsqu’il dépècerait son esprit pour en découvrir les secrets.
Il allait mourir, il le savait.

Nymphadora.

Une part de lui était soulagé de ne pas avoir à apprendre à vivre sans elle, de ne pas être
obligé de devoir surmonter sa perte comme il avait été forcé de dépasser celle de Lily.

Majoritairement, il était triste de devoir quitter Harry. Il aurait voulu le voir grandir, vieillir,
le voir devenir un homme avec sa propre famille… Le protéger aussi.

Le perdre allait mettre un coup au garçon qui…

Le Seigneur des Ténèbres s’était levé et un silence d’anticipation s’était abattu sur la salle
caverneuse d’Azkaban. Qu’était cette pièce à l’origine ? Un réfectoire ? Une salle des
gardes ? Ils avaient réparé le plafond depuis l’envolée de Nox…

« Il est temps d’accueillir comme il se doit notre invité, ne croyez-vous pas ? » murmura le
mage noir.

Un frisson d’excitation parcourut la foule.

Il repéra Nagini qui louvoyait en marge des Mangemorts…

Peut-être, si l’occasion lui en était donné, tenterait-il d’emporter le serpent avec lui dans la
mort. Ce serait un horcruxe de moins, si tant était que ce soit vraiment un horcruxe, mais ce
n’en était pas un que Sirius pourrait jamais capturer de toute manière. Trop dangereux.

Une main aux longs doigts fins comme des pattes d’araignée glissa sur son menton, serrant sa
mâchoire, le forçant à relever la tête pour croiser ses yeux rouges.

Être pendu par les bras n’était pas drôle. Il avait déjà perdu toute sensation des mains aux
épaules.

« Comment as-tu pu me trahir ? » demanda le Seigneur des Ténèbres, avec ce qui ressemblait
à de la véritable peine. Un leurre, bien sûr. « Moi qui t’ai tout donné… Moi qui t’ai recueilli
comme un père… »

Severus ne ravala pas son bruit à moitié amusé, à moitié dédaigneux.

Comme un père, c’était bien la vérité.

Le genre de père qu’était Tobias et qui faisait du mal à la moindre incartade ou sans la
moindre raison valable, simplement parce qu’il le pouvait.

Les lèvres du mage noir s’étirèrent en un fin sourire.

Le Maître des Potions renforça ses boucliers mais c’était trop tard.

Tout le reste était au coffre, toutes ses forces étaient dédiées à les protections de ce coffre, ses
boucliers… Il n’y avait plus grand-chose à cacher à l’avant de son esprit de toute manière.
« Bellatrix, l’honneur te revient pour une mission impeccablement réussie. » offrit le
Seigneur des Ténèbres, en s’écartant. « Cependant, nous n’utiliserons pas d’Impardonnables
ce soir… J’ai ouï dire qu’un Doloris de plus risquerait de transformer notre ami en légume et
il serait triste qu’il ne soit pas en état d’apprécier longtemps notre hospitalité. »

Bella s’avança devant lui, une lueur sadique brillant dans ses yeux.

« Des suggestions, Maître ? » s’enquit-elle, ronronnant presque de plaisir.

« Oui. » répondit tranquillement le mage noir, en retournant s’asseoir sur ce qui lui servait de
trône. Il agita sa baguette à l’aspect rugueux et une ceinture à boucle épaisse apparut dans les
airs. « Il me semble que certaines leçons méritent d’être répétées. »

Malgré lui, malgré sa détermination à rester aussi digne que possible, Severus tressaillit.

Il aurait tout supporté : des Doloris à la torture la plus crue, mais une ceinture…

« Compte, Severus. » ordonna le Seigneur des Ténèbres. « Ou nous reprendrons au début.


C’est ainsi que font ces Sang-de-Bourbes que tu affectionnes si particulièrement, il me
semble ? »

La ceinture claqua.

Le bruit était si caractéristique, si violent, qu’il se tendit avant même qu’elle ne le frappe,
qu’elle ne déchire sa chair.

Il ne compta rien du tout.

Il s’efforça de ne pas paniquer, de rester dans le présent, alors même que des souvenirs
traîtres que les maigres boucliers qui restaient à l’avant de son esprit ne pouvaient repousser
tentaient de l’attirer vers le passé, de…

La douleur n’était pas la pire qu’il ait jamais éprouvé.

Elle ne battait ni l’endoloris, ni la brûlure de la Marque.

La douleur n’était pas le plus terrible.

C’était le bruit. La sensation du cuir heurtant sa peau, du fer mordant sa chair plus ou moins
profondément par endroits. Les souvenirs qui remontaient. La terreur.

Il ne savait pas combien de temps ça dura.

Il ne savait plus très bien s’il était à Azkaban ou à Spinner’s End.

« Assez. » siffla brusquement le Seigneur des Ténèbres, sans crier gare.

Brusquement, le sort qui le retenait attaché et suspendu dans les airs disparut et il s’effondra
au sol sans seulement faire un geste pour tenter de se rattraper. Ses genoux absorbèrent le
gros du choc, la douleur irradia de sa mauvaise jambe à sa hanche, et il s’écroula, le torse
poisseux de sang et de sueur, tremblant de tous ses membres.

« Bella. » ordonna le mage noir.

Quelqu’un – Bellatrix, supposait-il – lui attrapa une poignée de cheveux et tira sa tête en
arrière, de sorte qu’il n’ait d’autre choix que de plonger le regard dans celui du Seigneur des
Ténèbres.

Il n’y aucun avertissement.

Le mage noir maniait la Legilimencie comme un bélier. Aucune subtilité, aucune finesse.

Il s’y était attendu, bien sûr, et il tenta d’opposer une résistance mais la priorité était le coffre.
Le coffre qui, tout au fond de son esprit, était enterré sous une épaisse couche de souvenirs
sans importance apparente qui cachaient ses véritables boucliers.

Trop occupé à chercher des informations sur l’Ordre, le Seigneur des Ténèbres passa
plusieurs fois devant sans le voir. Rageant de ne rien trouver, Il ne tarda pas à s’emparer du
souvenir d’Anthony accroupi devant lui…

Il y a plus d’une manière d’arracher le cœur de quelqu’un.

Il obligea Severus à revivre ce moment encore et encore.

Il l’obligea à…

Et puis, Il en trouva un autre.

L’espoir lorsqu’il avait senti le carnet chauffer dans sa poche.

Les pages saturées d’encre.

De sang.

De trop de sang.

Nymphadora…

La morsure de la douleur était toujours aussi vive, toujours aussi terrible… Un abysse dans sa
poitrine dans lequel il serait si facile de sombrer…

Et l’attaque changea à nouveau d’angle.

Dumbledore.

Des griffes dans sa tête déterrant une douzaine de souvenirs sans importance autre que
sentimentale.

Albus refusant de le laisser s’enfermer dans son désespoir après la mort de Lily et persistait à
lui rendre visite le soir pour bavarder devant une tasse de thé.
Albus qui lui exprimait son amitié et son affection.

Albus qui lui souriait avec amusement par-dessus un plateau d’échecs.

Albus, l’air grave, qui soignait ses blessures après une réunion de Mangemorts
particulièrement dure.

Albus qui s’excusait de lui demander de devoir y retourner.

Albus…

Rien qui ne trahisse l’Ordre.

Rien qui ne trahisse Albus.

La fureur du Seigneur des Ténèbres enfla d’un cran.

La suite…

La suite était purement là pour le plaisir de le torturer, de se venger du manque


d’informations qu’il avait à donner.

Des souvenirs profondément enfouis de son enfance remontèrent à la surface. Eileen se


trainant sur le carrelage crasseux de la cuisine… Tobias qui le tirait du placard dans lequel
il s’était caché pour mieux lever la main sur lui… Les Maraudeurs qui l’humiliaient. Le lac.
Sang-de-Bourbe. Il la suppliait de bien vouloir lui pardonner et… La Cabane Hurlante.

La Cabane Hurlante.

Le souvenir changea, en appela un autre, et il n’était plus adolescent dans ce souvenir mais
adulte. Il…

Harry.

Harry victime de la blague stupide de Sirius Black.

Il courrait le long du passage secret, terrifié par la perspective de se retrouver face à un


loup-garou, mais Harry…

Son fils.

Le Seigneur des Ténèbres marqua une pause dans ses attaques.

Son fils.

La majorité des souvenirs étaient dans le coffre.

Mais pas tous.

Cela aurait été impossible.


Ces souvenirs là, il n’était pas malheureux de se voir forcé à les revivre.

Des scènes anodines de la vie quotidienne, des scènes sans importance autre que celle qu’il
leur accordait… Mais la preuve certaine qu’Harry vivait avec lui, qu’il l’appelait papa et le
traitait comme un parent que…

La fouille reprit avec une pointe d’excitation.

Lily.

Des souvenirs à la pelle parce qu’il n’en avait mis qu’un ou deux au coffre. Ce n’étaient plus
les plus précieux pour lui.

Mais plus le mage noir fouillait dans ses souvenirs, plus il devenait frustré.

Finalement, Il se retira de son esprit, lui laissant l’impression que sa tête était prise dans un
étau.

Severus aspira goulument une bouffée d’air, comme un noyé qui refaisait surface.

« Comment peut-il être ton fils si tu n’as jamais touché la mère ? » demanda le Seigneur des
Ténèbres.

La question ne fit pas immédiatement sens puis Severus comprit. Parce qu’il ne serait jamais
venu à l’esprit du mage noir que la biologie n’avait aucune espèce d’importance, que
quelqu’un puisse simplement adopter un enfant sans rien avoir à y gagner…

« Parce que je l’aime. » répondit-il.

Et cette vérité simple, qu’il ne lui coûtait rien d’avouer, le recentra, lui donna de la force.

Le Seigneur des Ténèbres le dévisagea un instant, interdit, puis laissa échapper un ricanement
amer. « Et c’est pour cela que tu m’as trahi ? L’amour ? Tu as passé trop d’années auprès de
Dumbledore. »

« Peut-être. » admit-il volontiers. « Peut-on en finir, à présent ? »

Parce qu’il ne lâcherait rien.

Aucune des informations qu’Il avait espéré arracher à son esprit.

Et Severus s’enveloppa de tous ces souvenirs anodins d’Harry qui lui faisaient chaud au cœur
et il était prêt à partir.

« Non, nous ne pouvons pas en terminer. » rétorqua le mage noir. « Vu la réaction de ton fils,
tu pourrais encore m’être utile. Néanmoins… Puisque tu ne veux plus me servir… La
Marque est un honneur. Un honneur que tu ne mérites plus. »

Il se tendit, sa respiration s’accélérant légèrement.


La Marque ne pouvait pas être retirée. C’était un contrat magique, un signe d’esclavage…
Rien ne pouvait le briser.

Mis à part…

« Non, je ne vais pas te couper le bras. » répondit le Seigneur des Ténèbres avec un plaisir
sadique, à la question qu’il n’avait pas posé à voix haute. « Encore que tu mériterais d’être
démembré pour m’avoir trahi. Il sera encore temps quand j’aurais tué Potter sous tes
yeux… »

Jamais.

Jamais.

« Oh si, cela arrivera. » se moqua le mage noir. « Et rapidement, si je connais le garçon… Il


ne laissera pas son cher papa entre mes mains sans rien faire. Mais revenons à toi… Bien sûr,
personne n’a jamais survécu à cette opération auparavant… A-t-elle seulement déjà été
tentée ? Je suis tout puissant, toutefois, et toi… Eh bien, je te préfèrerais vivant mais, au
demeurant, tu n’es pas indispensable. Mettons que cela te laisse aussi intelligent qu’un Inféri,
cela ne fera pas grande différence. Tiens… C’est une idée. Si tu ne survis pas, peut-être que
je rendrais ton cadavre réanimé à notre ami Potter… »

Le Seigneur des Ténèbres posa la main sur la Marque et si la brûlure avait jusque là été
intolérable, ce contact…

C’était comme plonger son bras dans un chaudron bouillant.

Severus hurla.

Severus hurla jusqu’à ce que sa voix se brise…

« Allons, allons, Severus… » siffla le Seigneur des Ténèbres, les lèvres s’étirant en un sourire
cruel. « Je n’ai pas encore commencé. »

Barbare jusqu’au bout, le mage noir le laissa prendre plusieurs inspirations saccadées avant
de fermer les yeux avec délice.

Et Severus hurla encore.

Il hurla jusqu’à ce que ses cordes vocales refusent de répondre.

Parce que la douleur…

La douleur…

C’était insoutenable, c’était…

Il voulait mourir.

Il ne pouvait pas…
Il voulait mourir.

Il voulait…

Il ne pouvait pas en supporter davantage…

Il…

°O°O°O°O°

Sirius détestait être l’adulte responsable, décida-t-il, en guidant son jeune cousin vers le
canapé du salon. C’était Harry qu’il fallait surveiller comme le lait sur le feu mais c’était
pourtant Draco qui l’inquiétait le plus, à l’instant. Le Serpentard se laissa tomber sur le sofa
sans protester et attrapa le sandwich qu’il lui fourra d’autorité dans les mains sans rien dire.
Mais au lieu de l’avaler, il regarda le triangle de pain de mie et la feuille de laitue qui en
dépassait comme s’il n’en avait jamais vus auparavant.

« J’ai dû transformer le lit double de ta chambre en deux lits simples. » déclara-t-il, pour
combler le silence. « Vous allez devoir partager ce soir. On verra comment on peut s’arranger
pour le long terme demain. »

Parce que ce serait du long terme, se rappela-t-il avec un pincement au cœur.

Il n’y aurait pas de miracles, Severus ne reviendrait pas.

Il glissa un regard vers le couloir mais l’eau coulait toujours dans la salle de bain. Harry ne
pouvait pas partir sans déclencher une dizaine d’alarmes, de toute manière. Il avait jeté toutes
sortes de sortilèges pour s’assurer que le Gryffondor demeurerait là où il était censé être.
Idéalement, il aurait demandé à Kreattur de monter la garde mais l’elfe dormait toujours,
roulé en boule sur une vieille couverture, dans un coin de la cuisine.

« Mange. » encouragea-t-il Draco, au bout d’une minute.

Il ne savait pas trop comment interpréter la différence de comportement entre les deux
adolescents.

Harry avait englouti trois sandwichs sans se faire prier et avait avalé deux tasses de thé – ce
qui lui faisait dire qu’il reprenait des forces pour le plan irréfléchi qu’il ne manquerait pas de
mettre en œuvre tôt ou tard. Draco, en revanche, était complètement amorphe.

Le Serpentard fit mine de porter le sandwich à sa bouche mais ne croqua pas dedans. Son
bras retomba sur sa jambe.

« J’ai tué des gens. » marmonna le garçon.

Sirius soupira et vint s’asseoir à côté de lui sur le canapé. Il espérait qu’Harry prendrait
moins de temps que lui dans la salle de bain parce qu’il avait désespérément besoin d’une
douche chaude lui aussi. Il se sentit immédiatement coupable d’avoir ce genre de
préoccupations alors que son cousin peinait visiblement à se remettre.
« Ce n’est pas vrai. » corrigea-t-il fermement, à nouveau.

« J’ai fait exploser… » insista Draco.

« Le tunnel. » termina-t-il pour lui, se retenant à grand peine de lever les yeux au ciel ou de
trahir un quelconque signe d’impatience.

Il n’imaginait pas ce que le garçon avait traversé, ces dernières heures. Certes, ça ne devait
pas avoir été plus terrible que de prendre un Avada et d’y survivre grâce à une amulette
enchantée mais ça ne devait pas avoir été joli non plus. S’être retrouvé catapulté responsable
de gamins plus jeunes que lui en pleine débâcle, avoir vu des camarades – des amis – mourir
devant lui…

« Draco, tu n’as tué personne dans ce tunnel. » lâcha-t-il.

Le Serpentard lui jeta un regard noir et reposa le sandwich sur le plateau sans y toucher. « Tu
n’en sais rien. »

Sirius accueillit le mouvement d’humeur avec un certain soulagement. La colère valait mieux
que l’apathie ou que ce regard vague qui le caractérisaient depuis qu’ils l’avaient trouvé dans
ce couloir.

« Tous les élèves qui étaient dans la salle commune ont dit la même chose : tu leur as sauvé la
vie. » contra-t-il, en posant une main sur son épaule. Il n’osa pas l’y laisser, se remémorant
trop bien les hématomes violacés qui coloraient sa peau sous son haut de pyjama. Il étira le
bras sur le dossier du canapé à la place, se tournant à moitié pour mieux lui faire face.
« C’était peut-être un peu radical comme méthode mais tu as sauvé des vies, aujourd’hui. »

Les yeux gris de son cousin fouillèrent les siens puis se détournèrent. « Il y avait des corps
sous les débris quand on s’est enfuis. Je voulais… Je ne pouvais pas m’arrêter, pas avec les
premières et deuxièmes années et les Mangemorts qui voulaient nous tuer. »

« Tu as fait ce qu’il fallait. » répéta-t-il. Il avait le désagréable pressentiment qu’il allait


devoir le lui répéter encore et encore dans les jours à venir. Dire que le gamin était choqué
était un euphémisme. « Bon, peut-être pas avec Hermione, par contre… Il va falloir te
rattraper sur ce coup là. »

« Elle a dit qu’elle m’aimait puis elle est partie. » marmonna l’adolescent.

« Mais elle t’aime. » releva-t-il. « C’est ce qui compte, non ? »

« Je ne sais pas. » avoua le garçon, avant de baisser la tête et de serrer le poing. « C’est avec
Blaise que je parle de tout ça d’habitude. »

La tristesse qu’il avait refoulé toute l’après-midi pointa son nez. « Je suis désolé pour Zabini.
C’était un brave type. »

« Le couloir a explosé. » murmura Draco. Combien de fois avait-il prononcé ces mots durant
les dernières heures ?
« Oui. » soupira Sirius. « Le couloir a explosé. Le tunnel a explosé. Tout a explosé. »
L’adolescent lui lança un regard qui aurait probablement été plus hostile s’il n’avait pas été
aussi épuisé. Sirius se pencha pour récupérer la tasse de thé qu’il n’avait pas touchée et la
réchauffa d’un coup de baguette avant de la lui tendre. « Bois. »

Le Serpentard hésita quelques secondes puis obéit.

Sirius en profita pour tendre l’oreille, pour vérifier qu’Harry était toujours dans la salle de
bain. Il savait que c’était le cas. Le sortilège qui le surveillait l’aurait averti s’il avait tenté
une percée vers le portrait qui gardait l’entrée – et l’aurait-il fait que des alarmes se seraient
déclenchées.

« Sirius… » lâcha Draco, au bout d’une longue minute de silence. Il posa la tasse sur la table
basse. Il n’en avait bu que quelques gorgées. Peut-être que l’Animagus aurait dû y glisser
quelques gouttes de potion calmante. « J’ai fait exploser le tunnel. »

« Oui, je crois que c’est clair pour tout le monde. » répondit-il, s’exhortant à la patience.

Ce n’était pas la faute du Serpentard.

« Ça les a à peine ralentis. » insista le garçon. « Les Mangemorts, ça les a à peine ralentis. »

« Ça les a suffisamment ralentis pour laisser le temps à beaucoup de s’enfuir. » contra-t-il.

« Ils ont abattu Vector et Burbage. » raconta l’adolescent, en s’humectant les lèvres. « Ils…
Ils ont jeté des sorts de mort sur nous. Ils ne visaient même pas, ils… Les premières années,
ce ne sont que des enfants. Ils les auraient… C’était une épuration. » Il secoua la tête,
plongea la main dans la poche de son pantalon, en ressortit quelque chose qu’il garda serré au
creux de son poing. « Je voulais rester neutre, je voulais… » Il releva la tête pour croiser son
regard, des mèches blondes habituellement impeccablement peignées lui tombant dans les
yeux, encore humides de la douche. « Quel genre d’homme reste neutre quand on s’en prend
à des enfants ? »

Sirius ne prononça pas un mot parce qu’il sentait que son cousin ne voulait pas véritablement
son opinion. Il se contenta de soutenir son regard, d’être… là.

Il n’était pas préparé à la question qui suivit.

« M’autoriserais-tu à prendre le nom des Black ? »

Il ne parvint pas à cacher un mouvement de surprise mais lorsque le Serpentard ouvrit la


main et qu’il aperçut le sceau des Malfoy au creux de sa paume, il comprit.

« Ton père est un Mangemort mais… Il reste ton père. » soupira-t-il.

Il n’allait pas défendre Lucius Malfoy, décida-t-il. Il n’irait pas jusque là.

« Nous étions heureux. » offrit Draco, en détournant le regard. « Avant que le Seigneur des
Ténèbres ne revienne, nous étions heureux. Mon père… C’est un bon père. Et il aime ma
mère. Et il m’aime. Mais ces Mangemorts ont tué des enfants sans défense… »
« Il était avec eux ? » demanda-t-il curieusement.

« Il était ailleurs. » rétorqua l’adolescent. « En train de tuer d’autres gens. Je ne peux pas… Je
ne plus rester neutre. »

« Ça ne veut pas dire que tu dois… » contra-t-il, uniquement pour se faire couper la parole.

« Tu n’as pas répondu à ma question. » remarqua sèchement Draco, en faisant disparaître


l’épaisse bague dans sa poche. « Me laisserais-tu prendre le nom des Black ? »

Sirius se frotta le visage. Les plaies laissées par les griffes du loup-garou, que Pomfresh avait
pourtant soignées, le démangeaient ; ses vêtements sales collaient à sa peau et sa propre
odeur le dérangeait. Il était trop fatigué, trop moralement à plat pour gérer ce genre de crise
délicate où un mot de travers pouvait déclencher un drame.

« Je n’ai pas à te laisser faire quoi que ce soit. » trancha-t-il. « C’est le nom de ta mère, si tu
veux le prendre, c’est ton droit. »

« Tu es le Chef de famille. » riposta l’adolescent.

L’Animagus leva les yeux au ciel. « Si tu savais comme je me fous de ces conneries… La
Famille, la Maison… Elle peut sombrer dans l’oubli, pour tout ce que ça m’importe. La
Maison Black est pourrie depuis des générations. »

Draco fronça les sourcils. « Alors change les choses. Tu es le Chef de famille, c’est ta
responsabilité d’ajouter ta pierre à l’édifice. C’est ta responsabilité de laisser ta Maison en
meilleur état que celui dans lequel tu l’as héritée. »

« Tu te serais très bien entendu avec ta grand-tante. » se moqua Sirius, avant de secouer la
tête. « Et puis, je pourrais te retourner la chose. Ou est-ce que je me trompe et tu n’es pas en
train d’abandonner ton rôle de futur Malfoy en chef ? »

« C’est différent. » cingla le garçon.

Ça ne l’était pas tant que ça mais il n’insista pas. Demain serait un autre jour et il serait
encore temps d’en rediscuter.

« Écoute… Black ou Malfoy, ça ne fait pas de différence pour moi. » soupira-t-il. « Je t’ai dit
que je m’occuperai de toi si besoin et je le pensais. » Il hésita. « Ta mère… On a grandi
ensemble. C’était comme une sœur pour moi. » L’adolescent ne dit rien, se contenta de le
regarder. Sirius haussa les épaules. « S’il n’y avait pas eu Voldemort… »

Draco tressaillit. « Ne prononce pas ce nom. As-tu une seule idée du nombre de malédictions
qu’il a pu y attacher ? »

Il l’ignora. « J’aurais pu être ton parrain. »

Narcissa n’aurait pas choisi Regulus. Reg avait toujours été plus proche de Bella. Et puis,
cela serait allé de soi qu’elle le nomme parrain de son premier né. Les Black ne coupaient
jamais les ponts avec leurs membres, qu’importe qu’ils se marient dans une autre famille
Sang-Pure. Le nommer parrain aurait été une manière pour Cissy de rattacher Draco à ses
racines maternelles. Lui ou Regulus auraient-ils eu une fille que quelqu’un, quelque part,
aurait probablement insisté pour les fiancer au berceau.

« Oh. » lâcha le Serpentard. « Je n’ai jamais rencontré mon parrain. Il est professeur à
Durmstrang… C’est une connaissance de Père dont il voulait les faveurs. »

À nouveau, il haussa les épaules. « Dans un autre monde. »

Draco se frotta la main gauche, celle où un vilain bleu noircissait le dos de sa main. « Je ne
sais pas qui je suis si je ne suis pas un Malfoy. Mais je ne peux pas être un Malfoy si cela
signifie être associé aux Mangemorts. »

« Alors sois un Black, si tu préfères. » l’invita-t-il, en balayant l’air d’un geste de la main.
« Mais ce n’est pas une décision que tu devrais prendre maintenant. Finis ta tasse de thé,
repose-toi… Remets-toi. Supplie Hermione de te pardonner de l’avoir envoyer
chier… Ensuite, tu pourras décider. »

Le garçon laissa échapper un bruit amusé. Ou qui se voulait amusé. « Je pourrais toujours
l’épouser et prendre son nom. Nous pourrions lancer la Maison des Granger. Créer une
nouvelle dynastie. »

Sirius supposait que c’était une bonne chose qu’il ne parle pas de tout bonnement rompre
avec la jeune fille. Ça tendait à prouver qu’il reprenait ses esprits.

Sans parler de l’ambition manifeste.

« Pas sûr qu’elle soit d’humeur à t’épouser après la scène de l’infirmerie. » remarqua-t-il.

« Je ne suis pas sûr de vouloir l’épouser en sachant que je passe après Potter et Weasley, de
toute manière. » répondit le Serpentard, son amusement retombant comme un soufflet. Il
reprit la tasse de thé qui devait être froid, à présent, et en avala deux gorgées. « Pour ce que
cela vaut… Je crois que j’aurais aimé que tu sois mon parrain. »

Un sourire étira les lèvres de Sirius. « J’aurais été fier de l’être. »

Ce fût évidemment le moment où Harry regagna le salon, dans un pantalon et un tee-shirt


trop larges pour lui. Son filleul se figea en entendant ces mots et le dévisagea longtemps.

L’Animagus grimaça. « Harry… »

« La salle de bain est libre. » lâcha le Gryffondor.

« Harry… » insista-t-il.

« C’est bon, ça va. » grommela son filleul, en contournant le canapé pour mieux se laisser
aller dans un fauteuil.

Généralement, Sirius ne voyait que James en Harry mais, il y avait des moments, des
moments comme celui-ci, où il était indéniablement le fils de sa mère. Parce que l’expression
obstinée et légèrement belliqueuse sur son visage ? C’était Lily tout craché.

Et parce que Sirius avait ses propres griefs contre James et Lily à l’instant et qu’il était trop
difficile d’ignorer les fantômes qui composaient les traits du Survivant, il fût lâche et
accueillit les coups à la porte comme un soulagement.

Il abandonna les adolescents à un silence légèrement hostile et alla ouvrir, espérant presque
que quelqu’un avait besoin de lui quelque part et qu’il pourrait les confier à un autre adulte.

Il n’eut que quelques secondes pour apercevoir le visage de Nyssa avant qu’un boulet de
canon ne le force à reculer de quelques pas. Il referma les bras sur la vampire et enfouit son
nez dans ses cheveux, respirant à pleins poumons son odeur un peu sauvage. Elle sentait
toujours la nuit et la forêt et…

« Tu empestes. » grommela-t-elle, en s’écartant pour mieux l’observer. Ses yeux verts


glissèrent sur lui et s’arrêtèrent avec précision sur chacune de ses blessures cachées sous ses
vêtements. Sans doute parce qu’elle pouvait sentir le sang. « J’ai vu Kingsley. J’avais peur
que tu sois en pire état. »

« Kingsley ? » releva-t-il. Il n’avait pas vraiment prêté attention à l’Auror, plus tôt, et…

« Il a perdu un œil. » répondit la vampire, en plissant le nez. « Enfin, pas perdu perdu. Mais
ce n’est pas bon. »

Sirius grimaça de compassion.

Puis il l’attira à nouveau contre lui, cherchant sa bouche… Elle ne se fit pas prier pour lui
rendre son baiser. L’étreinte était presque violente, un prélude à plus, et… Il désespérait
d’envie de se perdre en elle, d’effacer momentanément les dernières heures, de…

Quelqu’un fit du bruit dans le salon, lui rendant ses esprits.

Avec un grognement déçu, il mit un terme au baiser et la poussa davantage vers le portrait, à
l’extérieur de ses appartements. « J’ai récupéré… »

« Deux adolescents. Mâles. » termina-t-elle pour lui. À son regard interrogatif, elle haussa les
épaules. « Vampire. Harry et ton cousin, je suppose ? »

Il hocha la tête. « Severus… »

« Albus me l’a dit. » soupira-t-elle. « C’est lui qui est venu me chercher. Il m’a demandé de
patrouiller le parc cette nuit. Je voulais te voir avant. Je voulais être sûre… J’ai cru que
j’allais mourir d’angoisse seule au Q.G. »

« J’aurais aimé que tu sois là pour chasser avec moi. » avoua-t-il. La savoir en sécurité avait
été un soulagement mais sur un champ de bataille, Nyssandra était létale. « Est-ce qu’il t’a dit
pour Anthony ? »

« L’essentiel. » répondit-elle, un éclat dur passant dans son regard. « Il m’a aussi fait
promettre de ne rien faire d’inconsidéré. »
Ce qui ne l’arrêterait pas longtemps si elle était déterminée à se venger. « Et ? »

« Et on ne peut pas le tuer sans tuer Charlie. » gronda-t-elle. « Or si Charlie est innocent… »

« Il était sous Imperium. » lui dit-il.

« Oui, mais depuis combien de temps ? » rétorqua-t-elle. « Ça ne veut pas dire qu’il ne savait
rien ou qu’il n’a rien fait. C’est lui qui nous l’a ramené après tout. »

Sirius se frotta le visage et baissa la voix. Le couloir était désert mais il prit soin de refermer
davantage le portrait derrière lui pour que les adolescents n’entendent pas. « Anthony a dit
qu’il avait fait ça parce que… Il a dit que j’avais tué sa mère. Que Severus avait tué son père.
Je ne me souviens pas du tout de… Il a dit que Lily et James ont menti, qu’ils ont tout
couvert… »

Nyssa le dévisagea longtemps puis elle secoua la tête. « Il pourrait mentir. »

« Pourquoi il mentirait ? » répondit-il. « Je… Je ne me souviens pas, Nyssa. Je… »

« Si c’est vrai, c’était un accident. » l’interrompit-elle. « Et ça ne justifie pas tout ce qu’il a


fait depuis. »

Il secoua la tête. « Il n’avait pas l’air bien stable tout à l’heure. C’était… C’était comme si on
avait eu un homme totalement différent en face de nous. »

La vampire lui caressa la joue, une moue dubitative sur la bouche. « On ne saura pas tant
qu’on ne l’aura pas interrogé mais Albus préfère attendre demain. Il dit que personne n’est en
état de faire quoi que ce soit de productif, ce soir. »

Il devait admettre que… « Il n’a pas tort. C’était… La bataille a été dure. »

« La prochaine fois on leur demandera d’attaquer la nuit pour que je puisse jouer un peu, moi
aussi. » plaisanta-t-elle, sans véritable amusement. « Je dois rejoindre le parc. »

« Sois prudente. » exigea-t-il immédiatement. « S’ils reviennent… »

« Ils ne reviendront pas. Du moins, Albus ne le pense pas. » le coupa-t-elle. « Il y a une


fenêtre dans ta chambre ? »

« Oui mais il y a aussi d’épais rideaux de velours. » contra-t-il. « Et je peux toujours la murer
d’un sort… »

Un sourire étira les lèvres de la vampire et elle fit un pas en avant pour lui voler un baiser.
« Je te reverrai à l’aube, alors. Repose-toi d’ici là… »

Il la regarda partir le long du couloir, observa ses hanches qui se balançaient avec un peu trop
d’insistance pour ne pas que ce soit volontaire… Merlin bénisse les pantalons en cuir.

Puis il dût retourner à l’intérieur et toute lévité que Nyssa avait fait naître retomba comme un
soufflet. Il referma le portrait, trop conscient de l’elfe de maison complètement vidé dans la
cuisine, des deux garçons perdus dans son salon…

Sauf qu’apparemment, il n’y avait plus qu’un adolescent dans son salon.

Harry boudait dans un fauteuil, tournant le sceau des Prince autour de son doigt…

« Où est Draco ? » demanda-t-il, repérant immédiatement le sandwich intact et la tasse de thé


que le Serpentard avait à peine touchée.

« Il est allé se coucher. » marmonna son filleul, sans le regarder.

Vu l’état dans lequel il était, ce n’était peut-être pas plus mal. S’il se réveillait plus tard et
qu’il avait faim ou soif… Il saurait bien trouver la cuisine.

« Tu ne veux pas l’imiter ? » demanda l’Animagus, non sans une pointe d’ironie. Il attendait
toujours la tentative d’évasion.

« Je ne suis pas fatigué. » rétorqua sèchement Harry.

Sirius ne savait pas comment faisait Severus.

Et il allait devoir le découvrir très vite.

« D’accord. » lâcha-t-il simplement. « Je serai dans la salle de bain. »

Il était évident, à l’état de la pièce, que les gamins étaient passés avant lui. Leurs vêtements
sales étaient restés par terre, le sol était couvert de poussière – Draco était le responsable,
sans doute – et, plus alarmant, il y avait de légères traces de sang d’une blessure ou d’une
autre. La douche non plus n’était pas aussi immaculée que les elfes la laissaient d’habitude
mais il ferait avec.

Il ferma les yeux et inclina la tête vers le jet d’eau chaude dès que l’eau commença à couler,
avec un soulagement…

Qui ne dura pas.

Toutes ses alarmes se mirent soudain à résonner et il prit à peine le temps d’attraper une
serviette avant de se précipiter hors de la salle de bain et vers l’entrée où Harry s’acharnait à
vouloir ouvrir le portrait.

« Expelliarmus ! » cria-t-il, avant que le gamin puisse jeter un confringo sur l’entrée. Sa
magie sans baguette n’était pas excessivement puissante mais elle le dépannait à l’occasion.

« Qu’est-ce qui se passe ? » marmonna Draco, sur le seuil de la chambre, baguette au poing.

« Rien. » grinça-t-il. « Retourne te coucher, tout va bien. »

Le Serpentard ne se le fit pas dire deux fois.


Harry donna un coup de pied frustré dans le portrait. « Tu ne peux pas me garder
prisonnier ! »

« Tu crois ? » rétorqua-t-il. « Il y a des alarmes sur le portrait et il ne s’ouvrira pas pour toi.
J’ai aussi bloqué la cheminée alors n’y pense même pas. »

« Peut-être que je devrais sauter par une fenêtre alors. » riposta son filleul, avec suffisamment
de conviction pour que Sirius prenne peur. Ils étaient beaucoup trop haut dans les étages.
Sans balai… Il utilisa la baguette d’Harry pour rajouter des alarmes sur les fenêtres et les
coller de sorte qu’elles ne pourraient plus être ouvertes. « Je garde ça. » l’avertit-il, en agitant
la baguette du garçon. « Tiens-toi tranquille deux minutes, s’il te plait. »

Après ça, il n’osa pas prendre son temps dans la salle de bain.

Il se lava rapidement, s’habilla tout aussi vite et, après un instant de réflexion, cacha la
baguette du Gryffondor tout au fond du placard, derrière un tas de serviettes. Ce n’était pas
l’idéal mais il lui faudrait chercher un moment pour la trouver.

Il avait un peu espéré qu’Harry serait parti se coucher mais ce n’était pas dans la nature du
fils de James et de Lily d’abandonner la partie aussi facilement.

Il prit toutefois comme un bon signe que l’adolescent se soit assis à même le sol plutôt que
sur un des sièges disponibles. C’était ce que faisait Harry quand il était à l’aise.

« J’ai refait du thé. » râla l’adolescent, en poussant une tasse pleine à ras bord vers lui.

Sirius émit un bruit amusé.

Si l’adolescent se pensait subtil…

« Tu crois que je n’ai jamais essayé de faire boire un truc répréhensible à un adulte ? Tu crois
que je n’ai pas inventé cette méthode ? » se moqua-t-il, sans toucher au thé. « Tu n’y aurais
pas versé la potion de Sommeil-sans-rêves qui a disparu de mon armoire à pharmacie, des
fois ? »

Pris sur le fait, Harry lui jeta pratiquement la fiole vide qu’il avait gardé dans la main au
visage et bondit sur ses pieds pour faire les cent pas.

« Je ne comprends pas pourquoi tu ne veux pas m’aider ! » ragea son filleul.

« À te faire tuer ? » riposta Sirius. « J’ai promis à ton père… »

« Oh, tes promesses ! » le coupa-t-il, avec un rictus mauvais. « Tu as promis à James de


t’occuper de moi mais tu as préféré poursuivre Pettigrow. Tu as promis à Severus… quoi ?
De me protéger ? Je n’ai pas besoin qu’on me protège, j’ai besoin que tu m’aides à sauver
mon père. »

Blessé, en colère, Sirius s’intima à ne pas perdre son calme, parce que… « Harry, je
comprends que tu sois bouleversé mais… »
« Non, tu ne comprends rien. » cracha le Gryffondor. « Tu préférerais que Draco soit ton
filleul ? Moi, je préfèrerai avoir n’importe qui d’autre qu’un lâche pour parrain. »

« Fais attention à ce que tu dis. » rétorqua Sirius, en perdant patience. « Parce que ce n’est
pas moi qui ait fait de la merde aujourd’hui. »

Harry faisait toujours les cent pas. « Tu crois que je ne sais pas qu’ils sont morts à cause de
moi ? Draco a raison, si j’étais resté en bas… »

« Je ne parle pas de ça. » contra-t-il. « Tu n’as pas été foutu d’obéir à un seul ordre que je t’ai
donné pendant la bataille. Dis moi, à quoi ça sert qu’on s’acharne à se débarrasser de
l’horcruxe si tu fais tout pour te faire tuer ? »

Il avait trop élevé la voix et Draco était dans la pièce à côté. Il s’obligea à se maîtriser.

« Je croyais que Severus était ton ami, hein ? » riposta le garçon, sans répondre à sa question.
« Si c’était vraiment ton ami, tu voudrais aller le sauver. Quoi ? Tu as peur d’Azkaban ? Tu as
peur de… »

« Severus est déjà mort ! » rugit-il, perdant le contrôle.

Il le regretta immédiatement, surtout lorsqu’il vit les larmes briller dans les yeux de son
filleul.

Furieux, à bout de nerfs, Sirius se tourna vers le petit placard à côté de la cheminé et en sortit
un verre et sa bouteille de Whiskey Pur-Feu. Il se servit une généreuse rasade qu’il avala d’un
trait puis une deuxième avant de ranger la bouteille et de se tourner vers le garçon, s’efforçant
de modérer son ton, sa voix.

« S’il n’est pas déjà mort, il le sera bientôt. » lâcha-t-il. « Et si tu crois que je ne donnerai pas
n’importe quoi pour être à sa place… Si tu penses que ça me plait de rester là sans rien faire
alors que… » Sa gorge se serra et il avala une longue gorgée. « C’est mon ami. Et il m’a
confié la chose la plus précieuse pour lui : toi. Alors le meilleur truc que je puisse faire, là
tout de suite, c’est d’honorer sa confiance. » Il termina son verre puis secoua la tête. « Je suis
désolé, Harry. »

« Moi aussi je suis désolé. » murmura le garçon.

Ce fût à ce moment là qu’il vit l’étincelle de satisfaction mêlée de regret dans le regard vert.

Une décharge d’adrénaline le traversa mais c’était trop tard. Sa tête tournait, ses membres
étaient lourds… Il chancela, s’agrippa au dos du fauteuil…

« Qu’est-ce… Qu’est-ce que tu as fait ? »

Ses genoux cédèrent mais Harry le rattrapa avant qu’il ne s’écroule et l’aida à marcher
jusqu’au canapé.

« Ce que je devais faire. » répondit calmement le Gryffondor, sans plus aucune trace de la
rage qui l’avait habité quelques secondes plus tôt. Ses traits étaient neutres, détachés…
Occlumencie. « Je ne pensais pas que tu boirais deux verres mais ça devrait aller si j’ai bien
calculé les dosages… »

La potion n’avait jamais été dans la théière.

« Serpentard… » gronda-t-il, la bouche pâteuse, ses paupières déjà lourdes. Il lutta mais…

« Et fier de l’être. » offrit son filleul. « Je ne pensais pas un mot de ce que j’ai dit. Tu n’es pas
lâche et je n’aurais pas voulu d’un autre parrain. »

« Harry… » siffla-t-il, perdant le combat contre la torpeur qui l’envahissait. « Harry, ne fais
pas… »

« Tout ira bien, Sirius. » promit cet idiot comme si… « Tu vas devoir t’occuper de lui,
d’accord ? Moi aussi je te confie ce que j’ai de plus précieux. »

« Kre… » tenta-t-il. « Krea… »

Harry tira une baguette de sa poche.

Pas la sienne, pas celle qu’il avait caché dans la salle de bain, mais une baguette sombre.

Celle de Severus.

Quand…

« Somnus. »

Et Sirius sombra.

°O°O°O°O°

La tempête avait finalement cessé de souffler sur l’infirmerie.

La vague de blessés s’était finalement calmée et les Magicomages ne s’agitaient plus dans
tous les sens. Mis à part pour un gémissement occasionnel et quelques adultes ou septièmes
années qui patrouillaient entre les lits, l’endroit était presque calme à présent. Quelques
bougies étaient allumées mais très peu, somme toute, comme pour encourager les patients à
dormir…

Ron n’aurait pas pu fermer l’œil même s’il l’avait voulu.

Il y avait trop de choses qui tournaient dans sa tête. Charlie qui le menaçait de sa baguette,
qui le suppliait de s’enfuir, puis de le tuer… Bill qui s’interposait soudain entre eux… Et
puis, surtout, Percy.

Il laissa son regard dériver vers le reste de sa famille : les jumeaux partageaient le lit de
George et, dos à dos, dormaient à poings fermés, Fleur qui les avait rejoints un peu plus tôt
s’était glissée contre Bill et eux aussi dormaient, quoi que d’un sommeil agité, Ginny avait
fini par sombrer, épuisée, dans le fauteuil que leur mère avait fait apparaître entre les lits de
George et de Bill… Molly occupait un autre fauteuil, entre Bill et Charlie. Ron et Hermione
étaient assis à même le sol, dos au mur, et partageaient une couverture. La tête de la jeune
fille avait depuis longtemps roulé sur son épaule. Ses larmes avaient mis un moment à se tarir
et s’il en avait eu l’énergie, il aurait peut-être eu envie de casser la gueule de Malfoy pour ça.

Mais, au fond, il comprenait aussi le Serpentard.

Blaise et Daphné…

Durant la Trêve, ils avaient si souvent trainé ensemble, tous les cinq, que…

Il ferma les yeux.

Cela n’aidait pas.

Percy.

Ils n’avaient pas encore tous les détails de ce qui s’était passé au Ministère. Kingsley s’était
arrêté, plus tôt, avant d’aller faire soigner son œil, pour leur présenter ses condoléances mais
il était resté vague sur les circonstances de l’attaque.

Percy avait-il souffert ?

Ron espérait de tout son cœur que non.

Il espérait…

Soudain, il ne pouvait plus rester assis là, sans rien faire, à attendre que le sommeil le délivre
de son chagrin. Prudemment, sans la réveiller, il allongea Hermione par terre, s’assurant que
la couverture la couvrait bien, et jeta un sort pour la réchauffer, pour faire bonne mesure.

« Ron ? » murmura sa mère, dès qu’il fût sur ses pieds.

Sa voix n’était absolument pas ensommeillée.

Il n’était peut-être pas le seul Weasley qui ne parvenait pas à échapper à cette horrible réalité
où ils avaient perdu quelqu’un d’autre.

Percy ne méritait pas ça.

Ils ne méritaient pas ça.

Ce n’était pas juste.

Ce n’était pas…

« J’ai besoin de faire un tour. » expliqua-t-il. « J’ai besoin d’air. »

Sa mère l’observa un moment puis força un de ces sourires qui sonnaient si affreusement
faux. « Si tu veux parler… »
« Je ne veux pas parler. » l’interrompit-il, trop sèchement. Il s’en voulut immédiatement,
grimaça. « Je veux juste… Je n’ai pas vu Lavande depuis la bataille. Je veux faire un tour,
voir si je la trouve. »

Et si la jeune fille lui avait traversé l’esprit plus d’une fois, il n’avait pas trouvé le temps
d’aller la chercher ou même de se renseigner. Pas après Charlie, pas après Percy…

« Ne sors pas de l’infirmerie sans me le dire, s’il te plait. » exigea sa mère. « Je ne suis pas
sûre qu’ils aient terminé de stabiliser toutes les zones endommagées du château et… »

Et elle voulait savoir où ils étaient tous parce qu’elle venait de perdre un fils.

Il lui offrit un sourire. Un sourire tout aussi forcé que le sien et qui devait avoir l’air tout
aussi faux.

« Si je ne la trouve pas, je reviendrai. » promit-il. « Avec un peu de chance, elle est encore
dans la salle commune des Serpentards. Avec un peu de chance, elle n’a rien. »

Il devait quand même bien avoir un peu de chance, non ?

Parce que si Lavande était étendue dans la Grande Salle sous le plafond enchanté avec
Daphné et Blaise…

« Si tu ne la trouves pas, nous demanderons au Professeur McGonagall, à la première heure


demain matin. » offrit gentiment sa mère.

Il hocha la tête et s’éloigna de quelques pas puis, sur un coup de tête, revint en arrière et
marcha vite jusqu’à elle pour l’étreindre. Si elle en fût surprise, elle se reprit vite et le serra
fort contre elle. Elle semblait frêle dans ses bras. Elle avait perdu beaucoup de poids depuis la
mort de leur père, ses rondeurs avaient fondu.

Ce n’était pas juste.

Rien n’était juste.

« Je t’aime. » murmura-t-il, un peu gêné, parce qu’il avait perdu l’habitude de le lui dire
depuis que les jumeaux s’étaient moqués de lui, quelques années avant qu’il rentre à
Poudlard. Mais il fallait dire ces choses là, peut-être.

Parce qu’il ne l’avait jamais, jamais dit à Percy. Pas une fois.

Et Percy…

« Oh, je t’aime aussi, Ronnie… » souffla sa mère. « Tellement. » Sa voix se brisa mais elle le
lâcha, s’essuya les joues et le poussa gentiment. « Va chercher ta petite-amie. » Il hésita. « Je
vais bien, Ron. »

C’était un gros mensonge.

Elle n’allait pas bien.


Aucun d’eux n’allait bien.

Aucun d’eux n’irait jamais plus bien.

Il n’imaginait même pas rentrer au Terrier. Il n’imaginait pas à quel point la maison
semblerait vide sans son père et son frère. Il n’imaginait pas s’asseoir à table, en sachant que
deux des chaises resteraient à jamais inoccupées, que la vieille pendule avait perdu deux
aiguilles.

Mais il ne savait pas quoi dire pour consoler sa mère d’un chagrin qui semblait trop énorme,
trop lourd pour jamais se résorber.

« Garde un œil sur Hermione ? » demanda-t-il, avec un dernier regard pour sa meilleure
amie.

« Bien sûr. » Le sourire de sa mère était un peu plus naturel. « Elle fait partie de la famille. »

C’était vrai, comme pour Harry, mais, en même temps, à un moment pareil, c’était également
un peu faux. Parce que ni Harry, ni Hermione ne ressentaient la peine de la mort de Percy
comme lui ou ses frères et sœur. Ils étaient tristes peut-être – encore qu’Harry n’avait pas
vraiment eu de réaction du tout – mais ce n’était pas la même chose.

Ron s’éloigna, gardant un œil ouvert au cas où des boucles couleur miel attireraient son
attention, tout en espérant un peu que Lavande n’était pas à l’infirmerie, qu’elle était en
sécurité chez les serpents. Certains rideaux étaient tirés autour des lits, rendant sa mission
difficile.

Il croisa pourtant plus d’un camarade de classe. Il s’arrêta au chevet de certains qui étaient
réveillés, se demandant s’il avait la même expression perdue qu’eux sur le visage.

Draco aussi avait eu cet air hanté.

Blaise et Daphné…

Après de longues minutes, il arriva à l’autre bout de l’infirmerie et se retrouva devant le


bureau de Pomfresh. La porte était ouverte et la sorcière était assise dans un fauteuil devant la
cheminée, les jambes étendues devant elle, les yeux perdus dans les flammes qui brûlaient
bas dans l’âtre.

Il ne voulait pas la déranger alors qu’elle avait l’air si épuisé, si défait, alors il se détourna
mais accrocha accidentellement un plateau chargé d’instruments à côté de l’entrée.
L’infirmière sursauta et leva des yeux fatigués vers lui.

« Mr Weasley. » lâcha-t-elle. « Y a-t-il un problème avec l’un de vos frères ? »

Il secoua la tête. « Non. Je me demandais simplement… Est-ce qu’il y a une liste des élèves
blessés ou… Ou pire ? »

Il ne voulait pas penser que Lavande puisse être dans la Grande Salle.
Il ne voulait pas y penser.

Il n’arrêtait pas d’y imaginer Percy. Sauf que Percy n’y était pas parce que Percy était enterré
sous des tonnes de gravas. Il n’y aurait pas de corps. Il n’y aurait pas…

Pomfresh soupira. « Qui cherchez-vous, Mr Weasley ? »

Tellement de gens.

Il n’avait pas vu Neville même si Harry avait dit qu’il était dans les cachots et en un seul
morceau. Il n’avait pas non plus vu Dean ou Seamus. Il n’avait pas vu Luna ou Susan ou
Hanna ou Parvati ou la moitié des autres adolescents de leur année…

« Lavande Brown ? » s’enquit-il, espérant toujours qu’elle allait lui dire que la jeune fille
n’était pas là.

Il sut que ses espoirs étaient vains lorsque l’expression de l’infirmière s’assombrit de
tristesse.

Elle n’est pas morte. Elle n’est pas morte. Elle n’est pas morte.

Il se le répéta comme un mantra, comme une supplique…

S’il y avait une justice ou n’importe quelle déité dans l’univers, si le destin existait, si…

« Miss Brown est blessée mais elle se remettra. » lui dit la sorcière.

Le soulagement fût si brutal qu’il lui coupa les jambes et il dût s’appuyer contre le
chambranle de la porte. Pomfresh le regarda avec compassion.

« Qu’est-ce qu’elle a ? » demanda-t-il. « C’est grave ? »

« Le secret médical existe même en temps de guerre, Mr Weasley. » le gronda-t-elle, sans


méchanceté. « Elle doit être dans la petite pièce de droite. Demandez après Laura
Flemmings. » Il la remercia d’un hochement de tête et se détourna pour la laisser tranquille
mais elle le rappela. « Mr Weasley ? Ne soyez pas cruel. »

Cruel ?

Il s’interrogea sur cette consigne incongrue durant les quelques minutes qu’il lui fallut pour
trouver la bonne des petites annexes de l’infirmerie qui servaient rarement. Ce soir là, comme
la partie centrale, elle était pourtant pleine. Il y avait moins de Médicomages par ici et la
plupart des rideaux autour des lits étaient tirés, il parvint tout de même à trouver un adulte qui
voulut bien lui désigner la fameuse Laura Flemmings du doigt.

La femme était justement en train de sortir de derrière un des rideaux… Il approcha sans se
méfier, sans même y penser à deux fois, mais lorsqu’il fût juste devant elle… Rien dans son
apparence ne laissait penser qu’elle était une menace. Elle avait l’aspect frêle, elle était petite,
des mèches brunes échappées d’un chignon rapide encadraient un visage banal et elle portait
un cardigan à fleurs qui lui donnait l’air d’une bibliothécaire. La manière même dont elle se
tenait, les épaules légèrement voûtées, la tête baissée, lui donnait des airs inoffensifs.

Et pourtant, une fois qu’il fût juste devant elle, une fois qu’il eut croisé son regard légèrement
ambré, il se figea, son instinct lui hurlant que quelque chose clochait chez elle, que…

Il se racla la gorge. « Excusez-moi, je cherche Lavande. Madame Pomfresh m’a dit que vous
saviez où elle était. »

De curieux, le regard ambré devint méfiant, voire hostile.

« Que lui veux-tu ? » demanda la femme, sa voix beaucoup trop proche d’un grondement.

Protecteur, peut-être, mais un grondement tout de même.

Elle n’était pas humaine.

Il aurait mis sa main au feu qu’elle n’était pas humaine. Du moins, pas entièrement.

« C’est ma copine. » expliqua-t-il. « Je veux juste… Je veux juste être sûr qu’elle va bien. »

Laura Flemmings parut hésiter puis elle désigna un des rideaux. « Elle est là-bas. Sois gentil
avec elle. »

Il fronça les sourcils.

À nouveau, cette consigne un peu étrange.

Avait-il la réputation d’être un monstre avec sa petite-amie ?

Plantant là l’étrange femme, il se dépêcha de passer derrière le rideau en question, soulagé


lorsqu’il put enfin poser les yeux sur Lavande. Elle ne dormait pas et son regard se remplit de
larmes dès qu’elle l’aperçut. Elle étouffa un sanglot dans son poing.

« Hé, hé… » murmura-t-il, se précipitant à son chevet. « Tout va bien. Tout est fini. »

Elle secoua la tête, des larmes glissant sur ses joues.

Il eut à peine le temps de poser une main sur son épaule avant que le rideau ne soit
brutalement tiré et que Flemmings n’apparaisse.

Son hostilité ne semblait viser que Ron, pourtant. Pour Lavande, son visage n’exprimait que
douceur et compassion. « Tu veux qu’il s’en aille ? Tu n’es pas obligée de voir qui que ce
soit. »

« Non. C’est… » s’étouffa Lavande, la voix rauque comme si elle avait trop pleuré. « Ça ira.
Merci, Laura. »

La femme hésita à nouveau puis hocha la tête. « Je suis à côté si tu as besoin de moi,
d’accord ? Je vais tenir compagnie à Bowen. Tu n’as qu’à dire mon nom et je t’entendrai. »
Définitivement pas humaine, songea Ron, en s’asseyant prudemment sur le bord du matelas.
Il attendit que Flemmings ait tiré le rideau derrière elle pour se pencher vers Lavande et
doucement caresser ses joues, effacer les larmes qui coulaient encore.

« Tu es gravement blessée ? » s’inquiéta-t-il. « Pomfresh a dit que tu irais bien mais elle ne
m’a pas dit ce que tu avais. » Il fronça les sourcils. « Et c’est qui ce cerbère ? »

L’expression de Lavande se durcit. « Laura est… Elle est gentille. »

Sentant qu’il était en terrain glissant, Ron fit marche arrière. « D’accord, mais… »

« Parvati ne veut plus m’adresser la parole. » lâcha-t-elle. « Et le Médicomage… J’ai bien vu


comment il me regardait. Même m’a mère a hésité avant de me prendre dans ses bras.
Laura… Laura n’a même pas cillé. Elle est arrivée et… Laura est gentille. »

« Très bien. On aime Laura. » déclara-t-il, dans un haussement d’épaules. « Mais Lavande, je
ne comprends rien. Pourquoi Parvati… »

Elle emprisonna ses poignets et serra fort. « Embrasse-moi. »

Cela le prit autant au dépourvu que toutes ces instructions répétées à être gentil. « Quoi ? »

« Embrasse-moi. » répéta-t-elle, faisant un effort évident pour maîtriser ses larmes. « S’il te
plait. Au cas où… Juste… Embrasse-moi. »

Elle avait l’air si désespéré…

« Pousse-toi un peu. » demanda-t-il. Lorsque elle lui eut fait un peu de place sur le lit, il
s’allongea face à elle, caressant patiemment son visage, attendant que ses larmes se tarissent.
Mais elle ne semblait pas capable de s’arrêter de pleurer. Il y avait de la peur dans ses yeux,
de la véritable peur qu’il ne s’expliquait pas parce qu’il ne lui avait jamais fait de mal, ne lui
aurait jamais fait de mal et, sûrement, devait-elle le savoir, non ?

« Embrasse-moi. » murmura-t-elle, à nouveau, comme une supplique.

Il s’exécuta lentement, frottant d’abord le bout de son nez contre le sien avant de trouver sa
bouche. Il se contenta de quelques baisers légers mais elle ne tarda pas à les approfondir, à
passer ses doigts dans ses cheveux roux…

Ils étaient à bout de souffle lorsque leurs lèvres se détachèrent, suffisamment pour que Ron
ait un peu la tête qui tournait, mais c’était pour le mieux. Cela lui permettait d’oublier que
Percy…

Doucement, il repoussa les lourdes boucles blondes derrière l’épaule de la jeune fille. « Dis-
moi ce qui se passe. »

Parce qu’il était évident qu’il se passait quelque chose.

Lavande ferma les yeux et baissa un peu la tête jusqu’à ce que leurs fronts soient collés l’un à
l’autre.
« J’ai été mordue par un loup. » souffla-t-elle.

Il eut la sensation qu’un seau d’eau glacé venait d’être déversé sur sa tête. Un peu comme
lorsqu’il avait vu leur mère, plus tôt, et qu’il avait compris que…

« Ce n’est pas la pleine lune. » contra-t-il immédiatement, se raccrochant à la logique parce


que…

Le corps de la jeune fille se tendit comme si elle se préparait au pire. « Apparemment, ça ne


compte pas. Laura… Laura dit qu’elle sent le loup en moi. Le Professeur Lupin aussi. Quoi
que ça veuille dire. Mais… Mais je le sens moi aussi. »

Elle éclata à nouveau en sanglots.

La première réaction de Ron fût de rester figé d’horreur parce que…

Un loup-garou était dangereux, sous forme humaine ou animale et on ne devait pas s’en
approcher.

C’était ce qu’on lui avait toujours dit, du moins. Ses parents lui avaient toujours appris à faire
preuve de compassion, à en avoir pitié presque, mais ils n’auraient jamais invité un loup-
garou au Terrier non plus.

Et puis, il y avait eu Remus et…

Lavande était un loup-garou.

Lavande…

« Je t’aime. » s’entendit-il dire, un peu sonné.

Ça eut le mérite de la faire cesser de pleurer. Elle le regarda, l’air tout aussi choqué que lui.

Il n’avait pas vraiment prévu de prononcer ces mots dont il n’avait pas été certain avant
l’examen de Potions qui semblait s’être déroulés des semaines auparavant.

Il ne le lui avait jamais dit.

Il ne le lui avait jamais…

Mais, allongé là, face à une Lavande qui tremblait de peur qu’il ne la rejette, confronté au fait
qu’elle était désormais une créature plus dangereuse que bon nombre qu’il ait rencontré…
C’était tout ce qui lui venait à l’esprit.

Pas qu’il aurait dû partir ou ne plus jamais s’approcher d’elle ou même qu’il aurait dû lui
demander comment elle se sentait mais…

« Je t’aime. » répéta-t-il, plus fermement.

Elle était vivante.


Elle était vivante et en bonne santé relative et c’était tout ce qui comptait.

C’était aussi simple que ça, au final.

Il n’était pas sûr de comment ils se retrouvèrent à s’embrasser à nouveau ou de comment les
choses s’enflammèrent au point que, lorsque quelqu’un – qui s’avéra être Remus – se racla la
gorge, le haut de pyjama de Lavande était à moitié déboutonné, qu’il il avait perdu sa
chemise et que la jeune fille avait pratiquement roulé sous lui. Ils se séparèrent rapidement,
les joues cramoisies et remirent de l’ordre dans leurs tenues.

Leur ancien Professeur de Défense ne semblait pas savoir s’il était amusé ou désapprobateur,
un éclat bizarre brillait dans ses yeux. Comme dans ceux de Flemmings.

« Je vais me coucher, Lavande, mais si tu as besoin de quoi que ce soit Laura reste à
l’infirmerie, ce soir. » déclara Remus. « N’hésite pas à me faire appeler si nécessaire. »

Lavande hocha la tête, sans croiser son regard, les joues toujours rouges.

Le visage de Ron le brûlait tellement que…

« Ronald… » ajouta Remus, sa voix perdant quelques octaves, devenant presque un


grondement animal. « Lavande fait partie de ma meute, maintenant. Traite-la avec respect. »

Le ou je te dévorerai à la prochaine pleine lune était parfaitement clair.

Ron grimaça. « Oui, monsieur. »

Cela faisait bien deux ans qu’il n’avait pas appelé Remus monsieur.

Cela ne lui échappa pas non plus que, lorsque le loup-garou s’éloigna, il laissa le rideau
partiellement ouvert, de sorte que tous ceux qui passaient devant le lit pouvaient les
apercevoir. Le message était clair et Ron reboutonna entièrement sa chemise, sans parvenir à
trouver la force de regarder sa petite amie en face.

Ce qu’elle prit visiblement pour du regret.

« Je comprends si tu ne veux plus qu’on sorte ensemble. » marmonna-t-elle tristement.


« Parvati ne peut même plus me regarder… »

« Parvati est une cruche. » répondit-il sèchement, en se rallongeant près d’elle. « Et… Et
qu’est-ce que ça fait si tu deviens une louve une fois par mois ? Remus vit très bien avec. »
Du moins il avait très bien vécu avec jusqu’à dernièrement quand, selon Harry et Hermione,
il semblait avoir légèrement fondu un chaudron mais… « Je t’aime. » s’entêta-t-il. « Il en
faudra plus que ça pour me faire changer d’avis. »

Rideau ouvert ou pas, elle l’embrassa à nouveau, des larmes de soulagement coulant sur ses
joues. Il mit un terme au baiser pour mieux les effacer du pouce, l’attirant plus fermement
contre lui jusqu’à ce qu’ils trouvent une position confortable pour se reposer.

« Tu as mal ? » s’inquiéta-t-il. Un peu tard, il était prêt à l’admettre.


« Non… Madame Pomfresh m’a soignée. » répondit-elle. « Mais elle a dit que j’allais garder
les cicatrices. » Elle soupira. « Je ne pourrai plus mettre de jupes. »

Il voulut sourire à cette réflexion mais savait que ça ne lui vaudrait que des ennuis. « Les
cicatrices, c’est sexy. »

« Tu trouves ? » hésita-t-elle, avec incertitude.

« Tu pourrais être couverte de cicatrices, tu serais toujours la plus jolie fille de l’école. »
promit-il. Et il le pensait.

Elle n’était pas tout à fait dupe de sa manœuvre visant à la réconforter, toutefois, et nicha sa
tête dans son cou. Lorsqu’elle parla, son ton était inhabituellement sérieux. « Qui est mort ? »

La formulation en disait long, songea-t-il.

Pas est-ce que quelqu’un est mort ? Pas est-ce que nos amis sont blessés ? Mais qui est
mort ? Parce qu’il était évident qu’il ne pouvait en être autrement.

« Le Ministère a été détruit. » lâcha-t-il.

« Oui, ma mère me l’a dit… » soupira-t-elle, avant de brusquement se tendre. « Ton frère ? Il
a pu partir à temps, hein ? Il est… »

« Il est mort. » la coupa-t-il, sa voix se brisant. Il ferma les yeux aussi fort qu’il le put, fit de
son mieux pour ravaler la brûlure dans le fond de sa gorge, retint sa respiration.

« Oh, Ron… » murmura-t-elle.

Il prit une inspiration trop bruyante qui ressemblait un peu trop à un sanglot mais elle fit
semblant de ne rien remarquer.

« Flitwick. Snape, probablement. » Harry. Il aurait dû s’inquiéter d’Harry parce que son
meilleur ami avait eu cet air sur le visage qui lui disait qu’il s’apprêtait à faire un truc
extrêmement courageux et tout aussi dangereusement stupide mais Ron avait promis à sa
mère de ne pas quitter l’infirmerie et, s’il devait être honnête, il était trop épuisé pour…
Sirius le garderait en sécurité, non ? Sirius… « Katie Bell a reçu le Baiser d’un Détraqueur. »
continua-t-il. C’était ce qu’avait dit George, du moins. Il ne pouvait pas imaginer… « Et… »
Ce serait le plus dur à annoncer. Daphné et Lavande n’avaient pas été proches, pas comme
Hermione et la Serpentard qui passaient beaucoup de temps fourrées ensemble, mais c’étaient
des élèves de leur année et c’était… différent. « Blaise et Daphné. C’est tout ce que je sais
pour le moment. »

Elle semblait être à court de larmes.

Elle se recroquevilla un peu plus contre lui et il la serra dans ses bras aussi fort qu’il l’osa.

Qu’y avait-il d’autre à dire ? A faire ?

Il n’y avait pas de mots adéquats face à toute cette horreur.


°O°O°O°O°

Harry tourna son parrain sur le côté, en position de sécurité, au cas où il aurait une réaction
négative au mélange de potion et de whiskey. Techniquement, la potion de Sommeil-sans-
rêves et l’alcool ne faisaient pas bon ménage et il était fortement déconseillé de les mélanger
mais il avait calculé les dosages au mieux. Certes, il n’avait pas pensé que Sirius en
descendrait deux verres aussi rapidement mais il avait aussi su que s’il poussait l’ancien
fugitif dans la bonne direction, l’homme se tournerait plus facilement vers l’alcool que vers le
thé.

Sirius était prévisible sur de nombreux points.

Essayer de sortir en sachant qu’il déclencherait les alarmes, laisser la porte de la pharmacie
entrouverte pour qu’il remarque l’absence de la potion, faire semblant de l’avoir versée dans
la théière pour qu’il se tourne vers le whiskey, se laisser désarmer pour mieux endormir sa
méfiance, prétendre être furieux…

À l’abri derrière l’épaisse couche de ses boucliers, si loin que ses émotions étaient à peine
une nuisance, Harry était aussi froid et méthodique que Severus avait dû l’être pendant des
années. Et il comprenait pourquoi l’ancien espion y avait pris goût. Il ne serait pas capable de
maintenir un tel détachement éternellement mais, pour l’instant… Pour l’instant, cela lui
permettait de garder un esprit impeccablement clair. Les étapes de son plan étaient évidentes
et il lui suffisait de s’en acquitter les unes après les autres.

D’un accio, il récupéra la baguette qui fit de la casse dans la salle de bain en venant se loger
dans sa paume. Celle de Severus ne répondait pas tout à fait aussi bien que la sienne mais il la
garda pourtant en main et préféra empocher celle en bois de houx, ressentant le besoin de
cette connexion entre eux, aussi ténue soit-elle. Outre avoir versé quelques gouttes de potions
dans la bouteille de whiskey pendant que Sirius était sous la douche, il avait également jeté
un somnus à Kreattur qui dormait déjà simplement pour s’assurer qu’il ne se réveillerait pas
lorsque la dispute ne manquerait pas d’éclater.

Une fois certain que son parrain n’allait pas réagir négativement à la potion, il se dirigea vers
la chambre d’amis…

Et ne fût pas surpris de ne pas trouver Malfoy couché mais assis au bord d’un des deux lits
simples, baguette à la main à défaut d’être pointée vers la porte. Visiblement, le Serpentard
attendait quelque chose. Ou quelqu’un.

Lui, en l’occurrence.

Malfoy avait vraiment eu des meilleurs jours, songea distraitement Harry. Le garçon avait
l’air épuisé et portait les marques de la journée. Son dos, plus tôt, avait été un tableau fait de
bleu, violet et jaune… Le Médicomage qui l’avait examiné aurait sans doute pu faire un
meilleur travail, même dans l’urgence. Harry persistait à penser que l’hématome sur son
omoplate avait la couleur d’une fracture.

« Je ne ferai pas l’effort de prétendre être étonné. » lâcha le Sang-Pur. « Tu me pardonneras. »


S’il n’avait pas été retranché si loin dans son esprit, Harry aurait pu être amusé. « J’ai besoin
de contacter ton père. »

Il avait beaucoup réfléchi à cette partie du plan.

Il devait établir le contact avec un Mangemort et, entre tous les choix possibles, Lucius
Malfoy était l’option qui faisait le plus sens. Déjà parce qu’il était le Mangemort qu’Harry
connaissait le mieux – il avait passé suffisamment de mois à Serpentard pour avoir étudié le
septième année, il savait comment Lucius fonctionnait, il savait comment le prendre pour
obtenir ce qu’il voulait. Ensuite parce que c’était également celui auquel il avait un accès
immédiat.

La méthode la plus Gryffondor aurait consisté à s’échapper, récupérer son balai ou, à défaut,
un sombral aux écuries, puis à voler jusqu’à Azkaban où il aurait pu débarquer en force et
espérer qu’une attaque kamikaze surprise aurait l’effet escompté et qu’il pourrait récupérer
Severus et s’enfuir sans se faire tuer.

La méthode Gryffondor n’était pas viable. Principalement parce que, s’il ne comptait pas
survivre à ce qui allait suivre, Severus, lui, devait vivre ou rien n’avait de sens.

« Contacter mon père. Rien que ça. » railla Malfoy, en levant les mains et en les laissant
retomber.

Il perdait du temps. Du temps qu’il n’avait pas à perdre.

Mais sa maîtrise de l’Occlumencie ne permit pas à la frustration de l’envahir ou de prendre le


contrôle.

Froid.

Rationnel.

Logique.

C’était la seule manière de mener la chose à bien.

S’en tenir au plan.

Or le plan exigeait que le Serpentard coopère.

« Ne me dis pas que tu n’as pas un moyen de le contacter en cas d’urgence ou de retourner au
Manoir, je ne te croirais pas. » déclara-t-il.

Lucius n’aurait jamais laissé son héritier sans un as dans sa manche.

Malfoy pinça les lèvres et le dévisagea plusieurs secondes. « Tu comptes emmener Granger
avec toi ? »

« Non. » Il secoua la tête. « J’y vais seul. » Malgré la scène qu’il avait faite à l’infirmerie, les
épaules de l’autre garçon se courbèrent légèrement de soulagement, alors Harry se sentit
obligé d’ajouter : « Elle t’aime vraiment, tu sais. »

Le Sang-Pur balaya l’air de sa main libre, comme pour indiquer que ce n’était pas le sujet.
« Snape est probablement déjà mort. »

« Il a un talent inégalé pour survivre contre toute attente. » contra-t-il calmement.

Et Voldemort avait trop tendance à faire durer le plaisir.

S’il s’aventurait à baisser un peu la garde, il pouvait le sentir à travers l’horcruxe qui jubilait.
Non, Severus n’était pas encore mort, il en aurait mis sa main à couper.

« Admettons. » lâcha Malfoy. « C’est toi qui va te faire tuer. »

« On ne va pas prétendre que ça te chagrinerait beaucoup. » répondit-il, sans s’attendre au


mouvement de colère du Serpentard qui se leva brusquement et se mit à faire les cent pas
d’un bout à l’autre de la chambre. La pièce n’était pas si grande et les boucles étaient courtes,
ce qui était probablement pour le mieux parce que l’autre cinquième année avait l’air à bout
de forces.

« Tu crois vraiment que j’ai envie que quelqu’un d’autre meure ? » siffla le Serpentard.
« Même toi ? Blaise est… » Il s’interrompit brusquement, prit une profonde inspiration, puis
se tourna vers lui en pointant sa baguette comme une accusation qui passa au travers de ses
boucliers mentaux comme une flèche trop affutée et se ficha en plein cœur. « Au fond, tu
veux toujours monter dans ce train. »

Il n’arrivait pas à le nier.

Il n’arrivait même pas à se convaincre du contraire.

Son séjour dans les limbes était si flou mais il savait qu’il avait été dans une gare, il savait
qu’il y avait eu ce train et Malfoy qui cherchait sa propre sortie alors que lui aurait voulu…

« Je veux sauver mon père. » corrigea-t-il. « Si je meurs… Les gens s’en remettront. »

Le Sang-Pur émit un bruit plus amer qu’amusé. « Va dire ça à Sirius, Granger, Weasley ou
même Nymphadora… »

Oh. Personne ne lui avait dit…

Harry détourna le regard pour ne pas voir la douleur qu’il allait devoir provoquer. « Elle est
morte, Sirius me l’a dit. » Malfoy inspira brusquement et puis ce fût le silence. Un long, long
silence que le Gryffondor finit par briser parce que les minutes défilaient. « Je dois sauver
mon père. Je sais que tu comprends. La famille, c’est tout pour toi. On est peut-être très
différent mais je sais que tu ferais pareil que moi pour tes parents. »

Le Serpentard étouffa un juron puis se traina jusqu’à sa malle qui avait été poussée dans un
coin de la pièce. Il souleva le couvercle et fouilla dedans un moment avant de se redresser et
de lui tendre une broche finement ouvragée en forme de serpent.
« Si tu la lui montre, il saura que c’est véritablement moi qui t’envoie et que j’ai confiance en
toi. » expliqua le Sang-Pur, à contrecœur. Puis il plongea la main dans la poche de son
pyjama et en sortit le sceau des Malfoy qu’il soupesa dans sa paume pendant plusieurs
minutes, les yeux baissés. « Tu as raison quand tu dis que la famille est tout pour moi
mais… » Le garçon déglutit puis lui pressa le sceau au creux de sa main. « Si tu utilises la
cheminette pour te rendre au Manoir avec le sceau au doigt, les protections te laisseront
automatiquement passer. »

Le problème étant que Poudlard était plus cadenassé qu’Azkaban. Les cheminées, à sa
connaissance, étaient reliées au réseau interne et certaines s’ouvraient sur le Q.G. mais c’était
tout, la seule cheminée qui était entièrement ouverte au réseau de cheminette était celle du
Directeur et il n’allait pas s’y risquer.

Il révisa le plan, rajouta une étape.

Il devrait aller au Square Grimmaurd, d’abord. Il y avait des chances que l’accès soit restreint
là bas aussi mais c’était la meilleure option. Si la cheminée ne se connectait pas, il irait au
Terrier et réessaierait de là-bas.

Harry remercia le Sang-Pur d’un hochement de tête.

« Il n’y a aucune garantie que Bellatrix et son mari ne soient pas au Manoir. » insista Malfoy.
« Ou que mon père t’écoute. »

« Oh, il va m’écouter. » rétorqua-t-il, avec un sourire froid. « Je ne suis peut-être pas un


Sang-Pur, mais je suis un Potter, non ? On se doit des courtoisies entre anciennes Maisons. »

« La carte Lord Potter est une bonne approche. » commenta le Serpentard. « Il traitera plus
volontiers avec quelqu’un qui parle son langage. »

Lord Potter… Il ne s’y ferait jamais. Et il n’avait aucune raison de s’y faire.

« Je suppose… » soupira Malfoy, en se frottant le visage. « Je suppose qu’à défaut de te


convaincre de rester, je devrais te proposer de t’accompagner. »

Harry leva les sourcils, surpris malgré lui. « Tu ferais ça ? »

« Je ne peux plus rester neutre. » lâcha le Sang-Pur. « Je ne peux plus… » À nouveau, il


s’interrompit brusquement. « Tu n’étais pas dans les cachots. »

« Je sais. Je suis désolé, pour ce que ça vaut. » offrit-il sincèrement.

« Je veux qu’ils payent. » cracha Malfoy. « Alors, oui, je propose de t’accompagner. »

Il hocha la tête. « Je comprends mais tu n’es pas en état. Et, désolé d’avance, mais je vais te
jeter un stupefix, dès que cette conversation sera terminée. »

L’autre garçon eut l’air plus soulagé que déçu. « Un somnus serait mieux. J’ai plus de
chances de me réveiller et d’entendre Sirius s’étouffer si jamais il réagit mal à la potion
mélangée à l’alcool. »
« Tu as tout entendu ? » s’enquit-il, renforçant encore ses boucliers parce que… Sirius avait
mentionné l’horcruxe. Non pas que ça ait une grosse importance à présent mais…

« On va dire que non. » lâcha Malfoy.

Harry sourit. « Oui, on va dire ça. Parce que dans le cas contraire, je serais obligé de te jeter
un oubliette. »

Son rival le dévisagea un moment, avant de croiser les bras devant son torse. « Le numéro
d’Occlumens… C’est peut-être suffisamment saisissant pour surprendre le Seigneur des
Ténèbres. Cela te donnera peut-être une chance. »

« Peut-être. » Il haussa les épaules et leva la baguette de Severus pour lui jeter le sortilège de
sommeil…

« Attends. » exigea Malfoy. Soudain, il avait moins l’air d’avoir les bras croisés que de
s’étreindre. « Si tu vas au Manoir… Rends-moi service et rends-lui le sceau pour moi. Dis
lui… Dis lui qu’il n’a plus d’héritier et que si la Maison Malfoy meurt avec lui, tant mieux.
Je préfère ne plus avoir de nom plutôt que d’être le fils d’un Mangemort. »

À nouveau, Harry trahit un mouvement de surprise. « Tu es certain ? » Malfoy n’hésita


qu’une demi-seconde avant de hocher fermement la tête. « D’accord, je transmettrai. Tu
prendras soin d’Hermione et Ron ? »

Le Serpentard leva les yeux au ciel. « Inutile de jouer les adieux larmoyants. Snape a peut-
être un don pour survivre les situations improbables mais il n’est pas le seul. »

Peu probable.

« Tu prendras soin d’eux ? » insista-t-il.

Malfoy eut l’air agacé puis il soupira et alla s’asseoir sur le lit. Au sourcil qu’Harry leva, il
grommela. « Quoi ? Je n’ai pas envie de tomber par terre lorsque tu me jetteras le sort. Et,
oui, Potter, je veillerai sur tes crétins d’amis. »

« Ce sont aussi tes crétins d’amis, je te signale. Et, pour ce que ça vaut, je ne crois pas
qu’Hermione nous fasse passer avant toi. C’est juste différent. » remarqua-t-il, en glissant le
sceau des Malfoy à son doigt pour ne pas le perdre. Il était plus large que celui des Prince,
plus lourd aussi. Ou peut-être était-ce parce qu’il n’en avait pas l’habitude. « Vois le bon côté
des choses, si je meurs, Sirius aura besoin d’un autre héritier. Tu ne resteras pas un péquenot
très longtemps. »

Le Serpentard l’observait avec un peu trop de discernement. « Oui, je garderai aussi un œil
sur lui. Et sur Snape si tu parviens à le sauver. Après tout, je le dois à Nymphadora… »

« Si je reviens, on devrait essayer d’être amis. » suggéra-t-il, en sachant que ça ne l’engageait


à rien parce qu’il ne reviendrait pas.

« Merlin préserve. » grinça Malfoy, sans autant d’hostilité qu’il l’aurait pu. « Cependant,
essaye de revenir. Il y aura toujours d’autres trains. »
Harry lui sourit, puis dessina un cercle dans les airs avec la baguette de Severus. « Somnus. »

Le Sang-Pur eut à peine le temps de s’allonger avant que le sort ne prenne.

Le temps que sa tête touche l’oreiller, Harry avait disparu.

°O°O°O°O°

Nymphadora reprit connaissance par à-coups.

Elle n’avait pas mal à proprement parlé mais son corps était si lourd… Elle était si faible…

Il lui fallut un moment pour parvenir à ouvrir les yeux, plus longtemps encore pour que le
décors familier ne la frappe finalement comme étant incongru. Son instinct lui disait qu’elle
était en sécurité, à défaut d’en un seul morceau. Mais pourquoi était-elle dans sa chambre ?
Sa chambre d’enfance avec ses posters de hard rock Moldu ou sorcier au mur, ses murs
mauve parme et ses épaisses poutres qui se croisaient juste au-dessus de son lit.

Ça n’avait aucun sens.

Aucun.

Ses yeux se refermèrent pour se rouvrir de longues minutes plus tard.

Elle peinait à raisonner correctement. Ses souvenirs étaient embrouillés. Elle était si fatiguée.

Trop fatiguée.

Poudlard.

Elle était censée être à Poudlard, non ?

Elle…

Poudlard.

La bataille…

Par réflexe, elle voulut porter la main à son abdomen, là où le couteau… Le simple
mouvement lui coûta.

Elle avait réparé les dégâts avec ses pouvoirs.

Oui, elle se souvenait vaguement d’avoir pensé que foutue pour foutue…

Ça expliquait la fatigue.

Poudlard.

Charlie.
Les rideaux n’étaient pas tirés et, par la fenêtre, elle vit qu’il faisait nuit.

Mais la matinée était à peine en train de se terminer lorsqu’ils avaient été appelés à
Poudlard… Était-elle restée inconsciente tout ce temps ? Était-ce seulement la nuit qui suivait
la bataille ? Ses pouvoirs de Métamorphomage n’étaient pas faits pour le soin et elle n’aurait
pas été étonnée d’être restée inconsciente plus longtemps.

Elle avait perdu beaucoup de sang, elle s’en souvenait aussi. Il y en avait eu partout. Sur ses
mains, sur le sol sous elle, sur…

Dumbledore avait été auprès d’elle, à un moment.

Mais pourquoi était-elle chez ses parents ?

Concentre-toi, murmura une petite voix à l’arrière de son crâne.

Se concentrer demandait d’énormes efforts.

Si elle était chez ses parents, c’était que quelqu’un l’y avait ramenée et ça ne pouvait pas être
n’importe qui, à cause du Fidelitas. Mais pourquoi ici ? Pourquoi pas au Square Grimmaurd
ou à l’infirmerie ou même à Sainte Mangouste ?

Parce qu’ils avaient perdu.

C’était la conclusion logique. Le château était perdu et… Mais pourquoi ici ? Et pourquoi…

Severus.

Severus ne l’aurait pas laissée hors de sa vue alors qu’elle était sans défense si la situation
avait été désespérée. Sauf si…

La tête lui tournait mais, au prix d’un effort colossal, elle parvint à s’asseoir. Le vertige fût si
violent que des papillons noirs dansèrent devant ses yeux, ce qui ne présageait rien de bon
pour la suite. Elle s’entêta pourtant, repoussa la couette qui la recouvrait, notant au passage
que quelqu’un l’avait changée et qu’elle portait un vieux tee-shirt et un vieux short de pyjama
aux couleurs fanées de Poufsouffle qu’elle avait abandonnés là avant de déménager. Elle
s’arrêta pour prendre une profonde inspiration puis sortir ses jambes du lit et les posa par
terre, enfonçant ses dents dans sa lèvre inférieure lorsque l’arrière de sa tête se mit à la lancer
avec obstination.

Elle savait que c’était la pire idée du monde et que si Severus était quelque part dans la
maison, il n’allait pas manquer de lui passer un savon monumental pour être aussi stupide,
pourtant, elle prit appui sur la table de chevet et parvint à se mettre debout.

La pièce tangua violemment et ses jambes flanchèrent mais elle fit quelques pas en avant
plutôt que de se laisser retomber sur le lit, se rattrapant à la petite bibliothèque dont la
peinture blanche s’écaillait depuis des années.

Elle prit le temps de respirer lentement, laissa son regard dériver sur les diverses surfaces
planes de la pièce sans repérer sa baguette nulle part, ce qui n’était pas idéal. Prudemment, en
s’accrochant de meuble en meuble et en s’appuyant directement au mur lorsqu’elle ne
pouvait l’éviter, elle parvint à gagner la porte qui s’ouvrit sans rechigner sous sa main.

Une part d’elle s’était presque attendue à la trouver verrouillée.

C’est comme ça que commence la paranoïa, hein, Fol’Œil ?

Le palier n’était pas large mais l’escalier lui semblait être à des mètres de distance. Pourtant,
elle persévéra à son allume d’escargot, centimètre par centimètre, car il y avait
indéniablement des bruits de voix dans la cuisine. Elle était à moitié chemin lorsque la porte
de la salle de bain s’ouvrit sans crier gare.

Elle ne savait pas exactement à quoi elle s’attendait. Son père ou sa mère. Severus, d’un
certain côté, n’aurait pas été trop étonnant si ses hypothèses étaient justes ou même Harry
parce qu’il n’aurait jamais abandonné son fils, pas plus qu’il ne l’aurait laissée, elle.

Elle ne s’attendait absolument pas à se retrouver face à face avec Narcissa Malfoy en tenue
de nuit, ses cheveux blonds défaits cascadant sur ses épaules et une robe de chambre en soie
bleu roi ouverte sur une chemise de nuit luxueuse qui ne dissimulait pas un ventre un peu
trop rebondi.

Cela dit, la sorcière parut tout aussi surprise qu’elle.

Ce fût pourtant sa tante qui se reprit la première.

« Nymphadora. » dit-elle avec un sourire qui, s’il était hésitant, ne manquait pas de chaleur.
« J’avais hâte de faire ta connaissance. Néanmoins, je ne pense pas que tu sois censée être
debout. »

Tonks cilla. Une fois, deux fois… La vision incongrue ne disparut pas.

Elle glissa légèrement le long du mur, sa tête tournait et réfléchir lui demandait une énergie
qu’elle n’avait pas.

Narcissa esquissa un geste vers elle et Nymphadora recula par réflexe, se détournant d’elle
pour rejoindre l’escalier aussi vite qu’elle le put. Que pouvait-elle faire d’autre ? Elle n’avait
pas de baguette. Elle n’avait rien pour les défendre, elle ou ses parents.

Ce ne fût que lorsqu’elle manqua déraper sur la première marche et que des mains la
rattrapèrent par le dos de son tee-shirt, lui évitant de se rompre le cou qu’elle se souvint que
Narcissa était partie se cacher lorsque Draco avait plus ou moins officiellement changé de
camp et qu’il n’était peut-être pas si étonnant qu’elle semble se sentir chez elle ici. Tonks
l’avait soupçonné, après tout. Elle l’avait…

« Tu es blessée. » la gronda Narcissa. « Je peux appeler ta mère, si tu le souhaites, mais tu


devrais… »

« Je veux descendre. » exigea-t-elle, en s’agrippant plus fermement à la rampe. Sa tête


tournait tellement… Mais, à plonger dans les yeux gris de Narcissa, qui étaient identiques
aux siens, identiques à ceux de sa mère, à ceux de Sirius, à ceux de Draco… Draco…
« Draco. Est-ce que… »

Elle ne parvint pas à terminer la question, une boule lui obstruant soudain la gorge.

Elle n’avait aucun lien avec la femme devant elle, absolument aucun. Narcissa n’avait jamais
été présente dans sa vie. Elle n’était qu’un nom que sa mère prononçait parfois avec nostalgie
et une douleur qui ne s’atténuait pas avec les années…

Mais c’était son fils sur lequel elle avait juré de veiller et si elle avait échoué à le protéger,
si…

« Draco va bien. » la tranquillisa Narcissa. La question parut l’adoucir davantage encore. « Je


te remercie pour tout ce que tu as fais pour lui. La dette… »

Elle faillit rétorquer qu’il n’y avait pas de dette mais cela aurait été stupide, une dette pouvait
toujours servir, alors elle se détourna sans écouter le reste, sans oser laisser son regard dévier
vers son ventre.

Elles attirèrent l’attention de ses parents bien avant d’arriver en bas de l’escalier. Elle fût
soulagée de les voir, prétendre le contraire aurait été mentir. Elle se laisser aller dans les bras
de son père, le laissa la soutenir sur les quelques marches qui restaient et la mener jusqu’à
une chaise autour de la table de la cuisine, ne se déroba pas lorsque sa mère la gronda pour
avoir quitté son lit, lorsqu’elle se mit à lui caresser les cheveux comme si elle était encore une
enfant…

La vieille radio qui résidait habituellement sur le rebord de la fenêtre était posée sur la table,
la voix grave d’une journaliste sorcière célèbre égrenait sobrement des nouvelles mais trop
bas pour que Nymphadora ne saisisse les mots… Son père la fit taire d’un coup de baguette.

Ils avaient été en train de l’écouter, comprit-elle, suffisamment bas pour ne pas la réveiller.
Eux aussi étaient en pyjama.

« La… La bataille… » balbutia-t-elle, la tête lourde. « On… On a perdu ? »

Andromeda mit un terme à son sort de diagnostic avec une moue inquiète. « Nymphadora, tu
ne devrais pas être debout. Tu… »

« Est-ce qu’on a perdu ? » la coupa-t-elle, cherchant son regard.

La maison était trop silencieuse.

Il devenait douloureusement clair que les seuls habitants étaient réunis dans cette pièce.
Narcissa s’était glissée dans la cuisine à leur suite et avait noué sa robe de chambre avant de
remplir la bouilloire avec une aise parfaite, comme si elle avait toujours vécu là.

« Non. » répondit sa mère, avec à peine une hésitation. « Non, nous tenons toujours
Poudlard. »
Le soulagement manqua la clouer au sol et, sans plus tenter de résister, elle croisa les bras sur
la table et posa sa tête dessus, fermant les yeux très fort en espérant que cela atténuerait la
sensation de vertige. Elle avait vaguement conscience qu’ils discutaient entre eux, qu’ils lui
parlaient…

« Pourquoi est-ce que je suis ici ? » demanda-t-elle, lorsqu’elle fût certaine qu’elle n’allait
pas vomir ou perdre connaissance. Lentement, prenant appui sur la table, elle se redressa à
nouveau.

Ils avaient bougé pendant qu’elle se reposait.

Ted avait pris le relais de Narcissa et préparait du thé. Sa mère se tordait les mains de l’autre
côté de la table. Et sa tante, puisque visiblement elle avait une tante, à présent, s’était
appuyée contre le comptoir de la cuisine et pressait une main discrète au creux de ses reins.
Elle la fixait avec une telle intensité que ça attira l’attention d’Andromeda dont l’expression
vira d’inquiète à sévère en une seconde.

« Assieds-toi, Cissy. » ordonna la Médicomage.

Narcissa jeta un regard agacé à sa sœur. « Je vais bien. »

« Excuse-moi, rappelle-moi qui a eu des contractions tout à l’heure ? » rétorqua sa mère.

L’autre sorcière fronça le nez, le port de tête altier et le ton hautain. « Peut-être que si je
n’avais pas été forcée d’attendre pendant des heures sans savoir si mon fils… »

« Oh, je t’ai dit qu’on avait fait ce qu’on avait pu ! » riposta Andromeda. « Pour la centième
fois, je n’ai pas oublié Draco. »

C’était complètement surréaliste.

Peut-être qu’elle était morte et que c’était une version bizarre de l’au-delà.

Ou alors elle était à l’infirmerie de Poudlard et elle était en train de faire un rêve extrêmement
étrange. Peut-être qu’on lui avait donné les très bonnes potions antidouleur.

À défaut de savoir quoi faire, elle tourna la tête vers son père qui soupira. « Oui, elles sont
toujours comme ça. » Il sortit sa pipe de sa poche, aperçut le regard noir des deux sœurs et la
remit à sa place, sans même chercher à discuter. « Dora… »

« Pourquoi est-ce que je suis ici ? » répéta-t-elle.

Ça n’avait aucun sens.

« L’infirmerie était pleine. » répondit Andromeda. Une demi-vérité. Elle connaissait sa mère
par cœur, savait très bien reconnaître ses entourloupes Serpentardes.

« Mais on a gagné ? » insista-t-elle.

Ils étaient tous trop bizarres.


Même Narcissa semblait sur la réserve et rechignait à croiser son regard.

La situation était…

« Oui. » acquiesça sa mère. « Oui, on a gagné. » Elle se racla la gorge. « Mais la bataille a été
difficile. »

Il y avait eu des morts.

C’était ce qu’elle ne voulait pas dire.

Évidemment qu’il y avait eu des morts.

Et elle était ici toute seule.

Enfin, pas seule, mais…

Elle ne pouvait pas poser la question.

Elle ne pouvait pas…

Si…

« Charlie ? » demanda-t-elle, à la place. « Il était sous Imperium, maman. Ce n’était pas sa


faute. Il faut leur dire que… »

« On sait, ne t’inquiète pas. » s’empressa de la rassurer Andromeda. « Il va bien. Je l’ai


soigné moi-même. Mentalement, ce sera autre chose mais… Il est bien entouré. Ça ira. »

Trop de boniments, trop de…

Elle hocha pourtant la tête. « Kingsley ? »

Ses parents échangèrent un regard un peu trop nerveux qui en disait un peu trop long et elle
sentit son estomac se crisper davantage. Fatiguée ou non, elle restait une Auror et…

Il y avait trop de signes qui lui laissaient entendre que ce qu’ils se refusaient à lui dire était
grave.

Severus.

Elle ne pouvait pas poser la question.

« Kingsley est vivant. » offrit son père.

Elle s’humecta les lèvres, tourna le regard vers Narcissa. « Vous êtes enceinte. »

Il fallait bien que quelqu’un énonce l’évidence puisque ses parents semblaient déterminés à
faire comme s’il était absolument normal que Narcissa Malfoy squatte leur cuisine comme si
cela faisait des années qu’elle y avait ses habitudes.
La sorcière soupira mais ses lèvres s’étirèrent en un sourire lorsqu’elle posa la main sur son
ventre. « Une longue histoire. »

« Pas si longue. » se moqua Andromeda. « Apparemment, même à trente-huit ans, Cissy ne


sait pas compter et ne s’était pas aperçue qu’elle avait deux mois de retard. »

Ted décida soudain de s’occuper du thé, visiblement gêné.

« Bellatrix et Rodolphus avaient envahi mon manoir, le Seigneur des Ténèbres allait et venait
à sa guise et Draco s’acoquinait avec des Nées-Moldues. » riposta Narcissa. « J’avais
d’autres préoccupations. Après des années à essayer sans succès, tu m’excuseras de ne pas
avoir pensé, à trente-huit ans comme tu as l’amabilité de me le rappeler tous les jours, que
j’attendais enfin un second enfant. »

« Ce qui est drôle, c’est que Ted l’ait compris avant toi. » railla sa mère.

« Toi aussi tu vomissais à l’odeur des œufs cuits lorsque tu étais enceinte. » remarqua
tranquillement son père, en versant le thé dans des tasses.

Les chamailleries entre les deux sœurs reprirent et Nymphadora se frotta le visage sans plus y
prêter attention.

Tout ça était… trop. Elle se pencherait plus tard sur Narcissa et sur pourquoi ses parents la
traitaient comme un membre de la famille au lieu d’une invitée gênante. Certes, cela devait
bien faire presque six mois qu’elle était là mais… Cela justifiait-il l’affection évidente entre
Andromeda et sa sœur après toutes ces années de silence ? Cela justifiait-il…

Concentre-toi.

« Ma baguette ? » lança-t-elle, un peu à tous les vents.

Ted venait de placer une tasse sur la table, devant elle. Il tira sa baguette de la poche arrière
de son pantalon de pyjama comme s’il avait su que c’était une des premières choses qu’elle
demanderait et avait voulu être prêt. Elle s’en empara avec soulagement, se sentant un peu
mieux une fois armée.

« Tu ne dois pas faire de magie pour l’instant. » recommanda Andromeda. « Tu t’es


complètement épuisée lorsque tu as commencé à te soigner… Il te faut du repos. »

Oui, il lui fallait du repos.

Mais plus urgent que du repos…

« Je dois aller au Ministère. » murmura-t-elle. Pas par transplannage, elle en aurait été
incapable. Elle prendrait la cheminée. Mais la perspective de seulement bouger… « Ou peut-
être juste contacter le Ministre… »

Le silence était trop lourd.


Le raclement de la chaise lorsque son père prit place à côté d’elle fût trop bruyant. La main
qu’il posa sur la sienne trop lourde.

« Chérie… » hésita-t-il. « L’attaque à Poudlard était une diversion, la véritable cible était le
Ministère. »

Oh.

C’était donc pour ça qu’ils étaient tous étranges et pas parce que Severus…

Elle fût soulagée et se sentit immédiatement coupable d’être soulagée.

Ils n’auraient jamais dû déplacer tous les Aurors à l’école. Ils auraient dû anticiper.

« Scrimgeour ? » s’enquit-elle, la voix tremblante.

« Il n’y a pas encore eu d’annonce officielle… » expliqua Andromeda, en faisant le tour de la


table pour venir prendre place à côté d’elle. Elle aussi posa la main sur la sienne, de sorte
qu’ils formaient un bloc, et, l’espace d’une seconde, en dépit de tout, elle se sentit
complètement en sécurité. L’illusion se dissipa vite, cependant. « Mais Kingsley m’a dit tout
à l’heure qu’ils ne l’avaient pas trouvé et qu’il pensait que… Il est plus que probablement
mort, ma chérie, je suis désolée. »

Elle voulut ravaler les larmes mais elle n’y parvint pas.

Scrimgeour était… avait été plus qu’un Ministre. Il avait été un mentor pour elle, avait
comblé le vide que Fol’Œil avait laissé… Il lui avait fait confiance, contre vents et marées,
lorsque même elle doutait de ses propres décisions et…

« Je dois aller au Ministère. » décréta-t-elle, en cherchant le regard de sa mère. « Donne-moi


un philtre de force ou… »

« Tu dois te reposer. » l’interrompit Andromeda. « Papa va t’aider à retourner dans ta


chambre et… »

« Andy. » intervint doucement Narcissa, en venant prendre place sur la quatrième chaise vide
qu’il restait, une tasse de thé entre les mains. « Ce n’est plus une enfant. »

« Je ne te dis pas comment élever ton fils, il me semble. » rétorqua Andromeda.

Sa sœur leva un sourcil moqueur et Nymphadora devina qu’il y avait eu plus d’une
discussion à propos du bien fondé de ne pas s’opposer à sa relation avec Hermione.

« Qu’est-ce que vous ne me dites pas ? » exigea-t-elle de savoir, en se tournant vers son père.

Ted avait l’air vieux. Ça la choqua soudain parce qu’il n’était pas si âgé que ça, pas pour un
sorcier, il n’avait même pas cinquante ans, mais, là, à la lumière crue du néon de la cuisine, il
avait l’air vieux.

Et il ne semblait pas se décider à lui répondre.


Pas plus qu’Andromeda.

Alors elle se tourna vers la seule personne dans cette pièce qui semblait bien vouloir lui
donner des réponses. « Mrs Malfoy… »

« Oh, non. » grimaça cette dernière. « Tante Narcissa ou Tante Cissy, je te prie. Inutile d’y
mettre les formes. Et si formalités il devait y avoir, ce serait Lady Malfoy. »

Tante Narcissa n’était pas formel ? Du côté de son père, tous ses oncles et tantes étaient tatie
ou tonton.

« Vraiment ? Tu trouves que c’est ton titre qui est le plus important, là tout de suite ? » railla
Andromeda.

« Narcissa ? » coupa-t-elle court aux chamailleries, avant qu’elles aient pu reprendre. Elle
n’était pas sûre de vouloir lui donner du ma tante comme Draco le faisait avec Andromeda.
C’était trop étrange.

La sorcière se caressait distraitement le ventre. Elle devait bien en être à six ou sept mois,
peut-être même un peu plus. Si elle ne s’en était aperçu qu’ici… Lucius ne l’avait pas su, ne
le savait peut-être toujours pas. Ses parents avaient-ils informé Dumbledore ? Les
ramifications…

Elle était trop épuisée pour penser aux ramifications qui, pourtant, donnaient corps à ses
suspicions quant aux loyautés changeantes de Lucius Malfoy.

« Le Ministère a été détruit. » déclara posément Narcissa, comme si elle commentait le temps
qu’il faisait et pas…

L’énormité de la chose était tellement ahurissante que…

« Comment ça détruit ? » demanda-t-elle, en essuyant les larmes qui coulaient toujours sur
ses joues.

« Détruit. » répéta Ted, d’un ton grave. « Ils disent à la radio que l’explosion a rasé un pâté de
maison entier. Il y a très peu de survivants Moldus ou sorciers. »

C’était impossible à comprendre.

C’était impossible à admettre.

Le Ministère ne pouvait pas avoir disparu parce que…

« Qu’est-ce que… Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » bégaya-t-elle.

« Il n’y a pas eu de communiqué officiel pour le moment. » déplora Andromeda, dans un


haussement d’épaules. « Tout ce qu’ils disent à la radio, c’est que Kingsley n’a pas encore
fait de déclarations mais que le Bureau des Aurors semble s’être replié sur Poudlard. Il ne
m’a rien dit quand on s’est parlé. Nous n’en savons pas plus que toi, Dora. »
« Il va avoir besoin de moi. » soupira-t-elle. Il fallait qu’elle rejoigne ses collègues. Elle
n’était sûrement pas la plus mal en point. Toutes les bonnes volontés allaient compter. Si
Scrimgeour était mort et que personne ne parlait d’Amelia Bones… Soit Kingsley l’avait
récupérée et cachée en lieu sûr, soit il était désormais Ministre de la Magie, ce qui, de facto,
faisait d’elle…

Merde.

Si Kingsley était Ministre, elle était Chef du Département des Aurors.

Putain, faites que Bones s’en soit sortie…

« Oui. » confirma Andy. « Reposée et en état de jeter un sort. Tu ne pourrais même pas lancer
un Wingardium Leviosa pour le moment. »

Sa mère n’avait pas tort, même si elle n’aimait pas l’admettre.

Toutefois…

« Je peux tout aussi bien me reposer à Poudlard. » contra-t-elle, en se frottant à nouveau le


visage. Ce serait dur de prendre la cheminée jusqu’au Square Grimmaurd et du QG regagner
les appartements de Severus mais cela vaudrait le coup. Le lit était plus familier que celui de
sa chambre d’enfance et elle ne dormirait jamais aussi bien que lorsqu’il serait allongé à côté
d’elle – et lui aurait expliqué pourquoi il avait laissé ses parents la transporter hors du château
au lieu de l’installer chez lui. « Pourquoi est-ce que vous m’avez ramenée ici, je ne
comprends pas… »

Son esprit refusait de lâcher ce morceau d’illogisme.

Et le silence s’était à nouveau fait pesant.

« Je te l’ai dit. » déclara Andromeda, après s’être raclée la gorge. « L’infirmerie était pleine. »

Elle secoua la tête. « Les appartements de Severus étaient plus près. » Elle fronça les sourcils
et jeta un regard noir à sa mère – ou, du moins, il aurait été noir si elle n’avait pas été aussi
épuisée. « Ne me dis pas que tu lui as fait une scène… Je suis une grande fille. Que tu
désapprouves… »

Elle s’interrompit toute seule alors que le mauvais pressentiment qui l’avait cueillie au creux
du ventre au réveil se manifestait à nouveau.

Andromeda avait détourné un regard qui cachait mal une certaine appréhension.

Narcissa s’était plongée dans la contemplation de sa tasse de thé, l’air triste.

Et Ted…

Nymphadora pleurait de nouveau bien avant de se tourner vers son père. « Severus ne vous
aurait jamais laissés m’emmener. Il… Il… »
Ted attrapa ses mains et les serra fort. « Tu-sais-qui l’a capturé, ma chérie. »

Capturé.

Son esprit butta sur le mot.

Sans plus réfléchir, elle arracha les mains de celles de son père et attrapa la baguette qu’elle
avait posée sur la table.

La seconde suivante, elle était debout.

Capturé ne voulait pas dire tué.

« Dora ! » s’écria sa mère, alarmée.

Elle ne comprit pourquoi que lorsqu’elle chancela avant de s’écrouler à nouveau dans les bras
de Ted qui l’aida à se rasseoir.

Non.

Non, non, non…

« Qui… La mission de secours… Qui ? » paniqua-t-elle. Il n’y avait guère qu’en Kingsley
qu’elle avait confiance pour mener une telle chose à bien et…

À nouveau, personne ne voulait croiser son regard.

Parce qu’il n’y avait pas eu de mission de secours.

Des yeux, elle chercha la vieille pendule avec le coucou qui ne fonctionnait plus, malgré tous
les reparo du monde, tenta de calculer… « Combien de temps ? »

La main d’Andromeda se posa sur son bras. « Des heures. Je suis désolée. Je suis vraiment,
vraiment… »

« Non. » cingla-t-elle. « Non, il est encore vivant. Il… »

« J’espère pour lui que non. » murmura Narcissa.

Tonks se leva à nouveau, se rattrapant d’une main à la table, pointant sa baguette droit sur sa
tante, retenant à grand peine un Impardonnable. Seule la vue de la main qui allait et venait
inlassablement sur le ventre rond l’arrêta.

« J’espère que non car il vaut mieux une mort rapide qu’une lente agonie. » précisa
calmement la Sang-Pure, en soutenant son regard. « Je connais Severus depuis longtemps,
c’est un ami de la famille. »

Ce n’était pas l’opinion de Severus.

Du moins, il ne pensait pas qu’ils étaient véritablement amis.


« Il n’est pas mort. » s’entêta-t-elle. « Je dois… »

Pour clarifier les choses… S’ils te capturent, je ne me précipiterai pas à ton secours. Je
prendrais le temps de rassembler Black, Lupin et Charlie Weasley. Et pendant qu’ils
rempliront leur rôle de chair à canon, là, je viendrai à ton secours.

Le sanglot la courba en deux et elle se laissa glisser à nouveau sur sa chaise.

Il serait venu la chercher si la situation avait été inversée. Il avait eu beau en plaisanter, elle
savait qu’il serait venu la chercher. Elle devait…

« Harry. » lâcha-t-elle, soudain, la panique augmentant d’un cran. Parce que si Severus avait
été pris, il allait faire une connerie. La même connerie qu’elle s’apprêtait à faire. Et ça… Elle
ne pouvait pas le permettre parce qu’il n’y avait rien de plus précieux pour le Maître des
Potions que son fils et s’il n’était pas là pour veiller sur lui, alors…

« Il est avec Sirius. » promit Andromeda. « Il est en sécurité. »

Elle hésita.

Sirius n’était pas l’adulte le plus responsable qui soit. Elle rechignait déjà à lui confier Draco
et Draco n’était pas du genre à aller se jeter droit dans la gueule du loup alors que Harry…
Mais Sirius savait tout ça. Il n’aurait jamais permis que le Survivant lui fausse compagnie. Il
n’était pas aussi irresponsable que ça et il aimait trop Harry pour ne pas garder un œil attentif
sur lui.

« Maman, donne-moi un philtre de force. » exigea-t-elle, en essuyant ses larmes d’un revers
de bras. « Et fais tout ce que tu peux pour me remettre sur pied. »

« Tu comptes prendre Azkaban à toi toute seule ? » se moqua son père, sans méchanceté mais
avec une certaine inquiétude.

« Si personne d’autre ne veut m’aider, alors oui. » rétorqua-t-elle.

« Alors non. » répondit Ted fermement. « Nymphadora, c’est trop dangereux. » Elle ouvrit la
bouche mais il leva la main, l’air triste mais déterminé. « Si ce n’était que dangereux, je
pourrais peut-être me laisser convaincre, mais… Narcissa a raison, il est probablement déjà
mort. »

Les mots lui firent plus mal que la lame crantée que Charlie avait enfoncé dans sa poitrine.

Le gémissement qui lui échappa n’était ni digne, ni mesuré. Elle aurait hurlé si elle avait pu,
elle aurait…

« Non. » refusa-t-elle.

« C’est suicidaire, Dora. » continua son père, en adoucissant son ton. « C’est pour ça que
Dumbledore n’a envoyé personne à leur poursuite. Et, oui, si tu essayais vraiment, tu pourrais
probablement nous fausser compagnie, aller à Azkaban et te faire tuer… Mais outre le fait
que tu nous tuerais également ta mère et moi parce que nous partirions à ta poursuite, prends
le temps de réfléchir deux secondes à ce qu’il voudrait, lui. Parce que s’il t’aime, il serait
probablement furieux que tu ailles mourir pour lui. Avec lui. »

Mais mourir avec lui était cent fois préférable à vivre sans lui.

Son père ne mentait pas, pourtant. Si elle partait, ils la poursuivraient et…

« Je pourrais très bien vous empêcher de me suivre. » grinça-t-elle.

« Tu pourrais nous ralentir. » contra Ted. « Mais, honnêtement, vu l’état dans lequel tu es,
même la femme enceinte te battrait en duel. »

« La femme enceinte aimerait signaler à son cher beau-frère que quelques gouttes de potion
de Sommeil-sans-rêves dans le thé, comme elle l’avait suggéré, aurait réglé la situation
depuis longtemps. » glissa Narcissa, pince-sans-rire.

Nymphadora retomba sur sa chaise, refusant toujours d’y croire, refusant d’admettre que…

« Le carnet. » lâcha-t-elle, en portant la main à son torse avant de se souvenir que ses
vêtements étaient… « Mes robes ? Où sont-elles ? »

Elle se tourna vers sa mère qui leva les deux mains. « Elles étaient au-delà du réparable. Je
les ai jetées. »

« Le carnet. » insista-t-elle. « Il y avait un carnet dans la poche… »

« Il était imbibé de sang. » grimaça Andy.

« Où tu l’as mis ?! » s’énerva-t-elle, perdant patience.

« À la poubelle. » répondit sa mère. « Dora… »

Elle voulut se lever, s’effondra lorsque ses genoux refusèrent de la porter, ne se laissa pas
arrêter pour autant… Malgré les protestations de ses parents qui voulaient l’aider à se relever,
elle se traina jusqu’au petit placard sous l’évier où était rangée la poubelle à l’abri des
regards. Elle la renversa sans se préoccuper des ordures qui se déversaient sur le sol propre.
Ses robes étaient là, rigide de sang séché, et dessous…

Elle serra le carnet contre son cœur.

Il était froid.

« Tu l’as ouvert ? » lança-t-elle à sa mère.

Andromeda secoua la tête. « Non, je… Je ne pensais pas que c’était important. Je pensais que
c’était juste pour prendre des notes… »

« Qu’est-ce qu’il a de si important ce carnet ? » s’enquit patiemment son père.

Mais, déjà, elle le feuilletait jusqu’à trouver la dernière page, espérant…


Les pages étaient durcies et gondolées par le sang séché, collées entre elles, plus de la moitié
de leurs conversations étaient désormais illisibles… Le sort avait dû transférer le sang.
Qu’avait-il dû croire lorsqu’il avait vu les pages noircies ?

Ça la rendait malade de penser qu’il ait pu s’inquiéter de son sort alors que…

Severus, s’il te plaît, supplia-t-elle mentalement, arrivant à la dernière page.

Il n’y avait pas de nouveau message.

La dernière phrase avait été griffonnée à la hâte par sa propre main.

Je dois y aller. Réunion.

Voilà la dernière chose qu’elle lui aurait dite si…

Non, non, non…

Elle devait…

Elle voulut se remettre debout, ne parvint qu’à tomber encore…

Elle devait aller le sauver…

Son père la prit dans ses bras. Elle le repoussa.

Ce n’étaient pas ses bras qu’elle voulait autour d’elle.

« Severus ! » appela-t-elle, comme s’il pouvait l’entendre.

Elle agrippa le rebord du plan de travail, s’en servit pour se hisser sur ses pieds… Ne fit
qu’un pas avant que son père ne l’attrape et ne la soulève, un bras passé sous ses genoux,
l’autre calé dans son dos. Elle se débattit, le frappa, hurla comme une furie… Il manqua la
lâcher mais elle batailla encore jusqu’à ce que finalement, ses forces l’abandonnent tout à
fait…

« Je dois le sauver… » répéta-t-elle pourtant encore. « Je dois… Je dois le sauver… »

Elle supplia son père du regard de comprendre et sans doute comprenait-il mais il n’y avait
rien qu’il puisse faire.

Par-dessus son épaule, elle vit sa mère qui pleurait en silence. Narcissa avait passé un bras
autour de ses épaules…

Si elle avait eu ne serait-ce qu’un quart de ses forces…

Mais elle était vidée, épuisée…

Elle enfouit le visage dans le creux de l’épaule de Ted.

Et elle hurla jusqu’à ce que sa voix se brise.


Elle hurla sans que cela soulage la douleur qui lui vrillait le cœur.

°O°O°O°O°

Harry se glissa derrière la lourde porte de pierre et la referma doucement, sans un bruit. Leurs
appartements avaient une impression de vide. Les lumières étaient éteintes, il y faisait froid
parce que personne n’avait pris la peine d’alimenter le feu… Il frissonna à l’humidité qui
suintait du lac mais ne se laissa pas flancher.

Il devait suivre le plan et il devait se dépêcher.

Il alluma les lumières d’un lumos distrait et rejoignit sa chambre. La première chose qu’il fit
fût de plier la cape d’invisibilité puis de la poser sur le lit, bien en évidente. Ensuite, il s’assit
à son bureau, attrapa un morceau de parchemin et rédigea un mot à l’attention de
Dumbledore. Direct. Simple. Il lui dit que ce qu’il savait était caché dans le tiroir à
chaussettes, qu’il souhaitait que la cape d’invisibilité revienne à Sirius, sa fortune divisée de
manière égale entre Ron, Hermione et Severus, que ce dernier était son héritier donc que le
titre de Lord Potter lui revenait et que, si jamais il échouait à le sauver, le titre devait passer à
Ginny. Il termina en lui souhaitant bonne chance avec Voldemort, signa, plia le papier, le
glissa dans une enveloppe qu’il cacheta avec le sceau des Prince et la posa sur la cape.

Sur une autre feuille, il coucha quelques lignes inadéquates qu’il mit de côté.

Puis il se débarrassa des vêtement empruntés à Sirius et sortit son meilleur pantalon et sa
meilleure chemise de son armoire. C’étaient des vêtements qu’il avait ramenés de soixante-
quinze et qui étaient presque neufs.

Il ne pouvait pas aller affronter Voldemort dans un pyajama trop grand.

Non… Le plan demandait un minimum de théâtral et personne ne prendrait un gamin mal


habillé au sérieux. Les Sang-Purs ne respectaient que les gens qui jouaient le jeu, se prêtaient
au simulacre des apparences…

Harry Prince l’avait appris dans le passé.

Harry Potter devrait l’appliquer ce soir.

Il n’avait aucune robe qui ferait l’affaire alors, sans un bruit, il se dirigea vers la chambre de
Severus dont la porte était restée entrouverte. Il la poussa avec une légère hésitation. Il l’avait
déjà suivi jusqu’au seuil mais n’était jamais entré et certainement pas lorsqu’il n’était pas là.

« Lumos. » murmura-t-il.

Des bougies s’enflammèrent toutes seules sous l’effet du sort, baignant la pièce d’une lueur
tamisée.

Masque était lové sur la robe de chambre que Severus avait jetée sur le lit, ce matin là, et le
garçon eut du mal à ravaler la boule qui lui obstruait la gorge. Sans plus tergiverser, il pénétra
dans la chambre et alla caresser le chat qui se mit à ronronner, sans paraître comprendre la
gravité de la situation.
« Tu vas devoir aller chez Hagrid ou McGonagall quelques temps. » lui dit-il. « Ils prendront
soin de toi. »

Avec une dernière gratouille derrière l’oreille, il abandonna le chat pour poser la baguette de
Severus et le parchemin simplement plié en deux sur l’oreiller, là où le Professeur finirait
bien par les trouver.

Il savait que son père serait furieux. Il savait. Il espérait juste, qu’avec le temps, il
parviendrait à lui pardonner, à comprendre que c’était simplement le destin qui suivait son
cours.

On ne pouvait pas lui échapper éternellement.

Un tee-shirt rose qui n’appartenait définitivement pas à Severus avait été abandonné sur la
commode. Harry ne se laissa pas flancher, ne se laissa pas penser à Tonks, alors qu’il se
dirigeait vers l’imposante armoire où il savait que le Maître des Potions gardait ses sur-robes
et robes pour ne pas qu’elles se froissent.

Perdre ses parents, ça arrivait malheureusement, supposait-il, mais deux fois ? Que ça se
répète tendait à prouver qu’il y avait un problème chez lui. Peut-être que les Dursley
n’avaient pas tort… Peut-être qu’il portait malheur. Peut-être qu’ils avaient eu le nez creux en
refusant de l’aimer. Les gens qui l’approchaient d’un peu trop près avaient tendance à tomber
comme des mouches.

Non pas que Dora ait été un de ses parents. Elle n’en avait pas eu le temps. Il ne savait pas si
ça l’aurait intéressée de toute manière ou si lui-même aurait voulu qu’elle le devienne. Le fait
qu’elle soit avec Severus ne signifiait pas… Il était déjà grand, après tout, il n’avait pas
besoin de… Mais les quelques fois où elle était restée pour le petit-déjeuner ou où elle avait
été à la maison en même temps qu’Harry, elle s’était greffée si facilement à leur vie que… Il
avait aimé ce qui se dessinait à l’horizon. La possibilité d’une famille – un peu spéciale peut-
être, mais une famille néanmoins.

Malfoy n’avait peut-être pas eu tort sur ce point, ce matin là, lorsqu’il avait avancé que c’était
pour ça qu’il approuvait tellement leur liaison.

Harry raviva davantage ses boucliers, sachant qu’il arrivait rapidement à la limite de ses
capacités d’Occlumens. Il ne tarderait pas à devoir lâcher prise, à devoir affronter les
émotions qu’il gardait emprisonnées. Bientôt mais pas tout de suite. D’abord, il devait
terminer son plan.

Le Professeur n’avait rien d’autre que du noir dans son armoire mais il n’en était pas surpris.
Il décrocha une robe plus habillée qui avait été poussée tout à fait à gauche et n’avait
probablement jamais été portée ou très peu. Le tissu chatoyait à la lumière des bougie, pas
tant noir que d’un vert très foncé. Elle avait des liserés argentés finement ouvragés en forme
de serpent sur le devant, le col et les manches…

Harry l’enfila sans plus tergiverser, l’ajustant à sa taille d’un coup de baguette un peu
maladroit.
Un coup d’œil dans le miroir de la salle de bain confirma que l’effet aristocrate arrogant était
adéquat.

Il ne se laissa pas jeter un dernier regard vers Masque avant de quitter la chambre, ne se laissa
pas respirer à pleins poumons la légère odeur de diverses herbes fraichement coupées qui
s’accrochait toujours à Severus.

Il fit un dernier crochet par sa chambre, se força à sortir ce qu’il suspectait être la pierre de
résurrection du tiroir à chaussettes. Il hésita une seconde puis la serra au creux de sa main,
fermant les yeux et pensant de toutes ses forces à Severus, l’appelant intérieurement… Il
n’était pas certain de comment fonctionnait la pierre – si c’était bien la pierre, mais il était
persuadé que oui – mais son instinct lui disait que c’était ainsi.

Il ne se passa rien.

Aucun spectre n’envahit la pièce.

Parce que Severus n’était pas encore mort.

Il faillit appeler le fantôme de Tonks. Juste pour… Il se força à remettre la pierre en place,
cachée dans une paire de chaussettes, là où Dumbledore la trouverait facilement après avoir
lu sa lettre.

Puis il se consacra à mettre en place la pièce cruciale de son plan.

« Dobby. »

L’elfe apparut dans un craquement, les yeux grands ouverts, les oreilles couvertes de ses
chaussettes, toujours si désespéré de plaire…

Harry se sentait un peu mal d’abuser de son amitié mais pas suffisamment pour que cela
l’arrête.

« Harry Potter a besoin de Dobby ? » demanda joyeusement l’elfe, comme si c’était un grand
honneur.

Il ne put s’empêcher de penser à Kreattur qui avait été si impatient de servir Voldemort et en
avait été si pauvrement récompensé. Avait-il regardé le mage noir avec la même ferveur que
Dobby mettait à l’observer, à l’instant ?

« J’ai besoin d’un elfe digne de confiance. » déclara-t-il, plus froidement qu’il ne l’aurait fait
d’ordinaire, déjà dans son personnage. Harry Prince. Harry Potter. Du pareil au même. Le
nom des Prince aurait eu plus de poids mais il était le Chef de famille des Potter, vu qu’il ne
restait que lui, ce qui comptait tout autant. « Un elfe qui m’obéira sans poser de questions et
qui ne me trahira pas. »

Dobby se redressa, gonflant la poitrine de fierté. « Dobby peut tout faire, Harry Potter,
monsieur ! »
« Tu es sûr? » insista-t-il. « Parce que ce que je vais te demander est dangereux et
probablement un peu fou et si tu dois aller tout rapporter à Dumbledore, je peux demander à
Kreattur de… »

« Dobby peut servir Harry Potter mieux que le vieux grincheux. » grinça l’elfe de maison.
« Dobby est loyal à Harry Potter ! Tout ce qu’Harry Potter voudra ! »

Il n’aimait pas manipuler les gens.

Certes, c’était une méthode utile et efficace mais il n’aimait pas ça.

Kreattur, s’il avait seulement été en état, n’aurait jamais accepté de lui obéir, qu’il en ait
l’ordre ou pas. Il se serait peut-être arraché une oreille en punition mais il aurait enfermé
Harry quelque part jusqu’à ce que Sirius récupère.

Dobby…

Dobby voulait lui faire plaisir en toutes circonstances.

« Très bien, alors écoute. » ordonna-t-il. « Voilà ce que je veux que tu fasses. »

°O°O°O°O°

Le front appuyé contre la vitre froide du salon, recroquevillée sur la banquette de la fenêtre
qui avait toujours été son endroit préféré pour lire dans la maison, Nymphadora suivait des
yeux sans les voir les allées et venues du hibou familial dans le ciel nocturne. Archimède,
paresseux, n’allait jamais loin pour chasser.

Le carnet était serré contre son cœur, coincé entre sa poitrine et les jambes qu’elle avait
repliées.

Elle ne tourna pas la tête, pas même lorsque Ted s’assit sur la partie libre de la banquette et
chercha à lui tendre une tasse encore fumante.

« C’est de la camomille. » offrit-il.

Elle ne bougea pas.

Quand elle avait cessé de se débattre et de hurler, plus tôt, il avait voulu la porter dans sa
chambre mais elle avait refusé. De guerre lasse, ses parents l’avaient laissée s’installer au
salon, en vue de la cheminée, au cas où quelqu’un aurait des nouvelles et les contacterait. Au
cas où…

Elle attendait l’aube.

À l’aube, elle retournerait au château, quoi qu’il lui en coûte, pour rejoindre Harry. Certes, il
était en sécurité avec Sirius, certes elle n’avait aucun droit sur lui et ils n’étaient pas plus
proches que ça, mais… Mais ils aimaient tous les deux Severus et elle ne voulait pas que
l’adolescent soit seul lorsque… Elle ne savait pas s’ils auraient des nouvelles mais elle
doutait que Voldemort ignore l’opportunité de leur faire savoir que l’homme qui s’était joué
de lui était mort. Elle voulait être avec Harry quand la nouvelle arriverait. Elle voulait être là
pour lui. C’était la seule chose qu’elle pouvait faire pour Severus, maintenant.

Elle avait essayé plusieurs fois d’atteindre la porte d’entrée dans le but non avoué d’aller à
son secours mais elle ne tenait pas debout.

Ted soupira mais n’insista pas pour qu’elle prenne la tasse. « Dora… »

Elle était vaguement consciente que sa mère se tenait sur le seuil du salon, comme si elle ne
savait pas trop si elle serait la bienvenue ou pas. Narcissa était retournée s’allonger, non sans
avoir murmuré à l’oreille d’Andromeda de venir la chercher si elle avait besoin de discuter.

Elle s’était réveillée dans un monde entièrement différent de celui de la veille.

Elle n’avait plus la force pour les sanglots ou les hurlements mais les larmes continuaient à
couler silencieusement sur ses joues comme si ses yeux débordaient.

« Chérie, ça me tue de te voir comme ça. » murmura son père, avec une douleur sourde dans
la voix.

Elle se sentait morte à l’intérieur.

« Je ne lui ai jamais dit que je l’aimais. »

Il lui fallut quelques secondes pour réaliser que c’était elle qui avait parlé, que cette voix
cassée, rauque d’avoir trop crié, était la sienne.

Ted posa la main sur son genou. Elle était chaude sur sa peau.

Nymphadora avait froid, pourtant elle savait qu’il faisait bon dans la maison.

« Je suis sûr qu’il sait. Savait. » chercha-t-il à la consoler.

Elle secoua la tête, le front toujours collé à la vitre, les yeux toujours rivés sur le hibou qui
fondait en piquet, ayant sans doute repéré une pauvre souris qui ne reverrait jamais sa famille
et qui…

« Il faut lui dire ces choses là… » murmura-t-elle. « Il ne sait pas… Il… On lui a fait
tellement de mal… Il ne sait pas comment… J’aurais dû lui dire. »

Elle aurait dû.

Qu’est-ce qui l’avait arrêtée ? Une pudeur stupide ? Une peur ridicule qu’il ne lui rendrait pas
ses sentiments alors que…

Elle ne l’entendrait plus jamais l’appeler mon amour.

Elle ferma les yeux, le corps secoué de spasmes qui ne se décidaient pas à se transformer en
sanglots.
« On lui a fait tellement de mal… » répéta-t-elle. « Il commençait à peine à être heureux…
Ce n’est pas juste… Ce n’est pas… Et Harry… Harry va être… Ce n’est pas juste. »

Harry n’avait pas seize ans et allait devoir enterrer un second père.

Ted serra son genou. « Harry a Sirius. Et… » Il chercha le regard d’Andromeda derrière elle.
« Et il nous aura nous aussi. On ne va pas le laisser tomber comme ça. »

Ce n’était pas la même chose.

Ce ne serait jamais la même chose.

Ce qu’ils auraient pu construire tous les trois…

« C’est l’amour de ma vie. » lâcha-t-elle, en croisant finalement le regard de son père, avant
de vaguement jeter un coup d’œil derrière elle. « Je sais ce que tu penses. » cracha-t-elle pour
sa mère. « Tu penses que c’est un cliché, que je suis trop jeune, que… »

« Oh, ma chérie, on s’en moque de ce que je pense. » l’interrompit Andromeda, en venant les
rejoindre à grandes enjambées. Elle s’agenouilla à coté de la banquette, plaça une main sur
son épaule, l’autre sur la jambe que Ted n’agrippait pas déjà. « On s’en moque. Je préfèrerais
cent fois qu’il soit là pour que je puisse désapprouver et te faire la leçon. Je vois bien que tu
es très amoureuse. Je vois bien que… »

« C’est l’amour de ma vie. » réitéra-t-elle calmement, tristement. « Peut-être que ce n’était


pas un coup de foudre… Peut-être que je ne m’en suis pas aperçu au premier regard… »

« Il valait mieux vu qu’il était ton professeur… » marmonna sa mère, s’attirant un regard
réprobateur de la part de Ted.

Tonks continua comme si elle n’avait rien dit. « Mais, un jour, c’était comme si j’avais ouvert
les yeux et il était là et… J’ai su que c’était avec lui que j’allais finir ma vie, que… J’ai su. Je
sais. » Elle secoua la tête. « Vous pouvez vous moquer de moi, me traiter de gamine,
mais… »

« Je pense que tu as oublié à qui tu parles. » intervint gentiment son père. « On a inventé
l’histoire d’amour impossible. »

« Je l’aime tellement. » avoua-t-elle, sa voix se brisant à nouveau. « Je ne peux pas… Je ne


peux pas… »

Cette fois-ci, quand sa mère essaya de l’enlacer, elle se laissa faire, sans chercher à ravaler
ses larmes.

« Je suis désolée. » murmura Andromeda. « Je suis tellement, tellement désolée. »

« Ce n’est pas juste… » insista-t-elle. « On lui a fait trop de mal. Il mérite… Ce n’est pas
juste. »
« Je sais, bébé. Je sais. » promit sa mère. Sans doute savait-elle. Elle l’avait soigné, après
tout. Elle avait dû voir les cicatrices et en conclure le reste. « Ce n’est pas juste. »

« Je voulais… Je voulais… » balbutia-t-elle. « On avait parlé d’une maison à Londres…


Après la guerre… On… Je voulais… » Sa mère la serra plus fort contre elle, la berçant
gentiment et Nymphadora s’y abandonna. « Il est tellement persuadé qu’il ne mérite rien de
bien, que… C’est un homme bien. Peut-être qu’il ne le voit pas, peut-être que la plupart des
gens se laissent avoir par ses airs froids, mais, moi, je le vois. C’est un homme bien… »

« Je te crois. » offrit Andromeda. « Je te crois… »

Elle sentit la main de son père lui caresser les cheveux, silencieux mais là.

« Je ne sais plus comment vivre sans lui… Je ne sais plus… » leur dit-elle.

Loin de se moquer ou de lui promettre des banalités comme quoi le temps atténuerait la
douleur, ses parents échangèrent un regard et se contentèrent de la serrer tous les deux entre
eux, comme si leurs corps avaient pu faire rempart au chagrin.

Mais ce chagrin là… Rien ne pourrait jamais l’effacer.

Il se passa longtemps avant qu’elle ne cesse de pleurer, plus longtemps encore avant qu’ils ne
consentent à la lâcher et que Ted ne la convainque d’au moins s’allonger sur le canapé si elle
ne voulait vraiment pas rejoindre sa chambre.

« Tu peux me passer un crayon ? » demanda-t-elle, alors qu’il partait refaire de la camomille


parce qu’ils en avaient tous besoin.

S’il la regarda avec curiosité alors qu’elle ouvrait le carnet avec ce qui s’apparentait à de la
déférence, il lui laissa son intimité lorsqu’il vit qu’elle voulait écrire dedans.

Elle tourna les feuilles jusqu’à trouver une page propre, vide de sang.

Reviens-moi.

Deux mots.

Deux mots pour un espoir fou qui, malgré tout, refusait de mourir.

Tant qu’elle n’aurait pas de preuves, elle…

Elle ne pouvait pas tirer un trait sur lui comme ça, faire comme s’il était déjà mort, faire
comme si…

Deux mots.

« Reviens. » murmura-t-elle tout bas, les yeux étroitement fermés comme une prière. « S’il te
plait, reviens. »

°O°O°O°O°
Affalé dans un des vieux fauteuils au cuir patiné de la bibliothèque, Lucius observait son
avant-bras gauche qu’il avait dénudé après son deuxième verre de Whiskey Pur-Feu. Il en
était au quatrième et ce n’était pas encore assez pour lui faire oublier le son des hurlements de
Severus.

La Marque était d’un noir d’encre sur sa peau.

Il ne se souvenait plus d’un temps où elle n’avait pas été là.

Severus avait cessé de hurler lorsqu’il était finalement parvenu à s’éclipser d’Azkaban. Il
n’était pas le seul à avoir filé rapidement. Plus d’un Mangemort avaient récupéré leurs
progénitures un peu trop horrifiées de voir leur Professeur torturé de la sorte et s’étaient
empressés de les mettre à l’abri. Et c’était sans compter les grondements murmurés de ceux
dont les enfants n’avaient pas été là, ceux qui s’étaient vus coincés à Poudlard ou peut-être
pire. Lucius ne s’était pas attardé pour voir si ceux là auraient le cran de demander des
comptes à leur Seigneur et Maître. C’était, de toute manière, improbable.

Draco n’avait pas été dans le tas de gamins et il n’était pas prisonnier de Greyback non plus
mais personne n’avait pu lui dire…

Severus avait cessé de hurler lorsqu’il était parti mais ce n’était pas forcément une bonne
chose. Le Seigneur des Ténèbres avait toujours été en train de tenter de retirer la Marque de
son bras et… Lucius ne voyait pas comment le Maître des Potions pouvait y survivre. En
admettant que la magie noire ne l’achève pas, la douleur le ferait. Il y avait des limites à ce
qu’un corps humain pouvait supporter.

Et il était déjà affaibli par…

Lucius ferma les yeux et occluda les bruits de ceinture qui claquait dans le silence.

Il avait été soulagé de ne pas avoir l’honneur de devoir prendre part à sa torture mais il
n’aurait pas souhaité ça à son ami non plus.

Si le corps de Severus survivait à ce que le Seigneur des Ténèbres était en train de lui faire…
La souffrance le briserait. Son esprit se briserait. Au-delà d’un certain seuil de souffrance… Il
ne resterait plus rien de lui.

Calant son verre entre son pouce et l’index, il retraça la Marque de ses autres doigts. S’il y
avait eu une manière de la retirer en tout sécurité…

Mais il n’y en avait pas.

Pas plus qu’il y avait un moyen de savoir si Draco était encore en vie, mis à part se précipiter
à Poudlard.

Et il y avait songé.

Oh, il y avait songé…


Dumbledore ne répondait pas à son miroir, qui s’était sans doute, de toute manière, brisé
avant la bataille…

L’aurait-il su si son fils unique était mort ? L’aurait-il senti ? Y avait-il un espèce d’instinct
qui laissait savoir à un père que son fils…

Parce que je l’aime.

Il comprenait Severus plus qu’il ne comprenait aucun des autres Mangemorts qui avaient
risqué la vie de leurs enfants en choisissant de les confier à Greyback. Encore qu’ils n’avaient
pas véritablement choisi. Seul un fou s’opposait aux ordres du Seigneur des Ténèbres.

Il porta le verre à ses lèvres puis se figea lorsqu’il le sentit.

Les protections autour du Manoir fluctuèrent, sans lui demander la permission, pour laisser
entrer quelqu’un par cheminette. Et ce n’était ni Draco, ni Narcissa, ni Bellatrix, ni
Rodolphus, ni le Seigneur des Ténèbres or il n’y avait qu’une seule autre raison pour laquelle
les protections autoriseraient une tierce personne à entrer sans le consulter.

Le sceau familial.

Il se précipita vers le grand salon, en ignorant l’elfe de maison qui venait d’apparaître dans la
bibliothèque pour l’informer de l’intrusion.

Il n’était pas certain de ce à quoi il s’attendait.

Hermione Granger, peut-être.

Dans tous les cas, il ne s’attendait certainement pas à trouver l’adolescent qui se tenait au
milieu de son tapis en peau de veaudelune et qui observait le mobilier avec dédain, comme
s’il était dans une porcherie au lieu d’à l’intérieur d’une des plus sublimes demeures
d’Angleterre.

Sur le coup, Lucius ne le reconnut même pas.

Cela faisait longtemps qu’il ne l’avait pas vu, après tout, et ce n’était plus un petit garçon qui
se tenait là mais un jeune homme. Un jeune homme au menton haut, à l’expression fière et
aux épaules rejetées en arrière qui n’aurait pas dépareillé au milieu des Sang-Purs que le
patriarche des Malfoy fréquentait d’ordinaire. Les robes élégantes, la tranquillité avec
laquelle il se tenait, le charisme indéniable et, surtout, les boucliers mentaux qu’il ne
cherchait même pas à cacher… Un brasier brillaient dans les yeux verts. Patricien jusqu’au
bout des ongles.

Severus n’avait pas chômé.

À le voir comme ça, Lucius comprenait presque pourquoi le Seigneur des Ténèbres craignait
son influence.

À le voir comme ça, s’il lui était venu l’envie de se déclarer indépendant des deux autres gros
joueurs de cette partie d’échecs géante, Lucius aurait presque été tenté de le suivre et il
n’aurait sans doute pas été le seul. Le gamin exsudait la puissance tranquille de quelqu’un qui
sait qu’il a la main mise.

« Lord Potter. » l’accueillit-il, avec un léger hochement de tête, un peu moqueur.

La plupart des sorciers ne se donnaient plus la peine de respecter les anciennes coutumes, au
nom de la modernité qu’emmenaient les Sang-de-Bourbes.

Potter le surprit en s’inclinant légèrement. Juste assez pour lui indiquer qu’il considérait que
leurs rangs étaient égaux – ce qu’ils n’étaient pas, au demeurant, mais le léger sourire
arrogant aux lèvres du jeune homme prouvait qu’il le savait et s’en défiait.

Une pointe d’amusement naquit dans le ventre de Lucius. L’alcool sans doute.

« Lord Malfoy. » répondit finalement le Gryffondor qui avait tout l’air du parfait Serpentard
dans cette tenue. « Veuillez m’excuser d’envahir votre Manoir sans invitation.
M’accorderiez-vous un pourparler ? »

Oh… De plus en plus intéressant.

« Vous voilà bien renseigné sur les anciennes coutumes Sang-Pures, Mr Potter. » remarqua-t-
il. C’était aux antipodes de leur dernière rencontre…

« Lord Potter. » corrigea fermement le gamin. « Et vous n’avez pas répondu à ma demande.
M’accordez-vous un pourparler ou est-ce que la situation doit devenir… déplaisante ? »

Lui accorder un pourparler revenait à s’engager, sur son honneur, à garantir sa sécurité
jusqu’à la fin de la discussion…

« Qu’ai-je à y gagner ? » rétorqua-t-il.

Sans répondre, Potter leva la main et lui montra l’épais sceau qu’il portait à la main droite.

Sur sa main gauche, il y en avait un autre. Pas les armoiries des Potter, cela dit, mais celles
des Prince. Non, décidemment, Severus n’avait pas chômé…

Le regard rivé à son sceau, Lucius fit de son mieux pour ne rien laisser paraître mais l’alcool
et la journée éprouvante ne l’aidèrent pas à garder un contrôle impeccable de l’Occlumencie.
« Draco ? »

Le garçon tira quelque chose de sa poche et le lui lança.

Il l’attrapa par réflexe, retraçant du pouce la broche ouvragée en forme de serpent. Ils en
avaient tous les trois une. Lucius n’avait plus la sienne, l’ayant confié à Dumbledore pour
convaincre Narcissa de le suivre, tant de mois auparavant.

« Il est vivant, donc ? » s’enquit-il, avec un désintérêt qui sonnait terriblement faux. Potter
resta muet et Lucius perdit patience. « Très bien, j’accepte un pourparler. Je promets que vous
serez en sécurité sous mon toit et que je ne lèverai pas ma baguette contre vous jusqu’à sa
conclusion. Acceptez-vous les termes ? »
« J’accepte les termes. » répondit Potter, sans rien promettre en retour.

Le Gryffondor ôta le sceau de son doigt et le lui lança, avant de prononcer la phrase qui brisa
son cœur.

« Vous n’avez plus de fils. »


There Was A Line Here Once
Chapter Notes

Hello! Juste un mot pour vous dire que j'ai profité des vacances cette semaine et du coup
beaucoup moins écrit. Je n'ai pas fini le 59 donc pas sûre qu'il y ait une update la
semaine pro. Ce sera à voir ;)

Enjoy & Review!

« You have these lines you won’t cross. But then you cross them. And suddenly you
possess the very dangerous information that you can break the rule and the world won’t
instantly come to an end.

You’ve taken a big, black, bold line and you’ve made it a little bit gray. And now every
time you cross it again, it just gets grayer and grayer until one day you look around and
you think, There was a line here once, I think. »
Daisy Jones & the Six - Taylor Jenkins Reid

« Il y a ces limites qu’on ne veut pas franchir. Et puis on les franchit. Et, soudain, on a
en notre possession cette information très dangereuse qu’on peut briser les règles sans
que le monde ne s’arrête immédiatement de tourner.

On a pris une énorme grosse ligne noire et on l’a rendue un peu plus grise. Et, à
présent, à chaque fois qu’on la traverse, elle devient de plus en plus grise jusqu’à ce
qu’un jour, on regarde autour de nous et on se dise : il y avait une limite, là, à un
moment, je crois. »
Daisy Jones & The Six – Taylor Jenkins Reid

« Vous n’avez plus de fils. »

La déclaration résonna dans le salon trop grand et à la décoration trop clinquante. Tout dans
le mobilier exsudait la richesse. Était-ce si étonnant que Draco soit devenu un petit con
arrogant en ayant grandi dans ce décor de dorures, de porcelaines et de pièces gigantesques ?
Il y avait tellement à voir mais Harry n’osait pas détourner les yeux du Sang-Pur qui lui
faisait face, pourparlers ou non. Il ne lui faisait aucune confiance et sa parole n’avait que la
valeur que Lucius y accordait.

Lord Malfoy était trop habitué des jeux de pouvoir pour laisser paraître quoi que ce soit. Son
visage demeura lisse, son langage corporel ne trahit rien du tout, mais son regard…
Oui, songea Harry, bien à l’abri derrière ses propres boucliers, oui, il était plus affecté qu’il
n’était prêt à l’admettre. Il y avait deux côtés à Lucius Malfoy, comme les deux faces d’une
pièce. Le Sang-Pur arrogant qui se rêvait en leader de la communauté magique et le jeune
homme effondré dans un vestiaire du stade de Quidditch qui proclamait son amour à Narcissa
Black. C’était sur ce dernier que banquait Harry.

« Il ne peut pas être mort. » lâcha Lucius, sans aucune intonation particulière si ce n’était un
léger ennui. « Comment auriez-vous su pour la broche ? »

Le sceau des Malfoy, l’homme l’avait glissé à son doigt mais la broche… D’un geste distrait
du pouce, il en retraçait le serpent en or sans sembler s’en rendre compte.

« Je n’ai pas dit qu’il était mort. » rétorqua-t-il, tout aussi calmement. Tout était dans
l’équilibre entre trop et pas assez. Les Sang-Purs étaient tous si dramatiques… Presque un an
à Serpentard… Il savait quoi faire, quoi dire… « J’ai dit que vous n’aviez plus de fils. »

« Expliquez-vous. » cracha le sorcier avec un brin d’impatience. Et d’inquiétude.

Harry resta silencieux un long moment, plus qu’il n’était approprié, simplement pour
tacitement indiquer qu’il n’était pas disposé à recevoir des ordres et, aussi, pour laisser à
Lucius le temps d’imaginer les pires horreurs. Les Détraqueurs, les loups-garous, une
exposition trop prolongée au Doloris… Il y avait des milliers de manières de perdre
quelqu’un sans qu’il soit mort – comme le voir être capturé juste sous ses yeux sans aucune
chance de secours, par exemple.

C’était cruel, peut-être, mais Harry était loin au-delà de ces considérations.

« Potter. » l’avertit Lucius, lorsqu’il n’y tint plus.

« Vous n’avez plus de fils… » répéta lentement Harry. « Parce qu’il a honte de vous. Vous
n’avez plus de fils parce qu’il renonce à son nom et à votre Maison. Vous n’avez plus de fils
parce qu’il préfère voir s’éteindre la famille Malfoy plutôt que d’avoir un Mangemort pour
père. Vous n’avez plus de fils parce que vous étiez dans le groupe des lâches qui s’en sont
pris à des enfants alors que Draco, lui, était le héro qui cherchait à les sauver. »

Peut-être un peu trop grandiloquent, hésita-t-il, mais… Non. Cela eut l’effet escompté.
L’expression de Lucius passa de lisse à orageuse avant d’être à nouveau gommée par une
maîtrise somme toute exemplaire de l’Occlumencie.

Harry se demanda lequel d’eux deux était le meilleur Occlumens.

Parce que Lucius avait beau garder l’apparence du calme, pleins de petits détails trahissaient
sa nervosité, sa colère… Peut-être même sa tristesse.

« Vous n’êtes pas venu ici jouer les hiboux pour mon fils. » rétorqua le Sang-Pur. Il y avait
juste assez de possessivité, de défi dans ces deux derniers mots pour laisser entendre qu’il se
moquait éperdument de ce que souhaitait Draco : renoncer à son héritage n’était pas une
option. « Vous êtes venu ici pour me soutirer quelque chose. »
Il y avait deux options possibles à cet instant.

Harry pouvait soit faire appel à sa cupidité, à sa soif de pouvoir…

Ou…

Il pouvait parier sur le jeune homme qui avait aimé Narcissa à la folie, qui aimait son fils
suffisamment pour refuser de le déshériter, pour refuser d’accepter son rejet.

« Je suis venu vous donner l’opportunité de prouver à Draco que vous n’êtes pas qu’un
Mangemort sans cœur. » offrit-il, prenant soin d’injecter dans sa voix la même magnanimité
teintée de condescendance que Dumbledore utilisait lorsqu’il vous laissait entendre qu’il
vous faisait une faveur, tout en sous-entendant clairement qu’il avait le pouvoir de vous la
refuser. Oui, il avait beaucoup appris en soixante-quinze.

Lucius l’observa un moment puis émit un bruit qui n’avait rien d’amusé. « Vous voulez
sauver Severus. »

« Oui. » confirma-t-il tranquillement. « Et vous allez m’y aider. »

« Non. »

Le mot claqua. Ferme. Définitif.

Un élan de panique le prit aux tripes mais il s’efforça de renforcer sa prise sur ses boucliers.
Ce n’était pas le moment de flancher, de laisser la place au gamin impulsif… Il lui fallait
garder la tête froide, il lui fallait agir en Chef de famille, il lui fallait continuer le numéro de
Lord Potter parce que… Parce que c’était une arme comme une autre.

« Draco… » commença-t-il.

« Non, Potter. » l’interrompit Lucius Malfoy, en secouant la tête. « Quoi que vous vouliez
négocier, la réponse est non. »

Il ne fronça pas les sourcils parce que sa maîtrise de lui-même était trop entière mais…
« Voldemort… »

Lucius grimaça à peine à son nom et s’il esquissa un geste vers sa Marque, ce fût bref.

« Non. » le coupa-t-il, à nouveau. « Vous allez retourner à Poudlard et nous allons oublier que
cette petite discussion a seulement eu lieu. » Il le foudroya du regard. « Draco peut me juger
autant qu’il le souhaite, il comprendra lorsqu’il sera père. Un père protège son fils. Un père
fait tout ce qui est en son pouvoir pour sauver son fils. » Lucius le foudroya du regard. « Un
père préférerait mourir plutôt que de voir son fils aux mains du Seigneur des Ténèbres. »

Le sous-entendu était trop gros pour que…

« Vous n’êtes pas mon père. » cracha Harry.


« Certes. » répliqua le Sang-Pur. « Cependant, il se trouve que, en dépit de choix discutables,
votre père demeure mon ami. »

Il ne parvint pas à cacher sa surprise, cette fois-ci. Ce n’était pas ce qu’il avait vu en soixante-
quinze. Ce n’était pas ce qu’en disait Severus.

Lui et Lucius avaient une amitié faite de services et de dettes, pas…

Mais peut-être que, pour Lucius Malfoy, il y avait différents degrés d’affection dans ces
amitiés factices.

« Je suis venu à vous en tant que Lord Potter. » siffla-t-il, laissant son pouvoir enfler comme
il avait vu Dumbledore le faire, comme il avait vu Severus en jouer à l’occasion, jusqu’à ce
que les bibelots s’entrechoquent sur les étagères. « Je suis venu à vous en tant que… »

« Et c’était un excellent choix. » le coupa Lucius, en agitant la main comme pour balayer
l’argument. « Une preuve, s’il en fallait une, que le sang des Potter est plus fort que celui
d’une Sang-de-Bourbe. » Un vase en porcelaine éclata dans un coin de la pièce. Le Sang-Pur
ne tressaillit même pas. « À présent, si vous avez terminé votre petit caprice, je vous invite à
retourner à Poudlard et… »

Aussi brusquement qu’il avait perdu le contrôle, Harry le retrouva, s’enfonçant encore plus
profondément derrière ses boucliers, se réfugiant derrière les marécages comme un crocodile
sous la vase, attendant le bon moment pour frapper.

« Je regrette profondément que vous ayez refusé la manière douce. » lâcha-t-il, en haussant
les épaules. « Car vous n’allez pas aimer la manière forte. »

« Vous osez me menacer sous mon toit ? » se moqua Lucius. « Pourparler ou pas, je… »

« À votre avis, que dira Voldemort lorsqu’il saura que vous êtes tout autant un traître que
Severus ? » demanda-t-il calmement, presque plaisamment.

Cela n’avait été qu’une suspicion.

Il n’avait aucune preuve, juste une déduction logique faite à la va-vite grâce à plusieurs
indices que Severus avait laissé échapper – comme le fait que Dumbledore puisse avoir été au
courant pour la baguette de Voldemort.

Mais la manière dont Lucius se tut brusquement valait toutes les preuves du monde.

C’était exactement ce qu’aurait fait le Directeur : jurer de protéger Draco, cacher Narcissa
quelque part, et, en échange, saigner Lucius à blanc. Harry n’avait que très, très peu
d’illusions au sujet de la morale flexible de son ancien mentor, surtout avec des gens qu’il
n’appréciait pas particulièrement. Il avait ouvert les yeux dans le passé.

« Vous pouvez nier, bien sûr. » continua-t-il. « Mais, même s’il refuse de me croire, au fond,
vous savez qu’une fois que la graine aura germé dans son esprit, il vous soupçonnera jusqu’à
ce qu’il vous assassine. Quant à ce qu’il fera à votre fils et votre femme… »
« Vous bluffez. » accusa le Sang-Pur. « Vous ne risqueriez pas la vie d’innocents. »

Harry ricana, se drapant dans son numéro de Sang-Pur prétentieux. « Êtes-vous certain de me
connaître aussi bien que ça, Lucius ? Êtes-vous certain que Voldemort et moi ne sommes pas
faits du même bois ? Regardez-moi bien. Vous ne vous arrêterez à rien pour sauver votre
fils ? Je ne m’arrêterai à rien pour sauver mon père. Vous, votre famille… Vous n’êtes rien
pour moi. »

Ce n’était pas vrai, bien sûr.

Pourtant, s’ils en venaient là…

Draco était à l’abri à Poudlard et Narcissa devait bien être en sécurité là où Dumbledore
l’avait planquée. Le risque était minime. Du moins, pour eux. L’arrêt de mort de Lucius serait
signé. Mais, ça, c’était une décision qu’il était prête à prendre.

Le Sang-Pur le regardait, comme il le lui avait ordonné, et, visiblement, semblait légèrement
effrayé par ce qu’il voyait. Harry n’était pas étonné. En lui, l’horcruxe pulsait, se délectant de
cette petite démonstration de force. Il savait quelle image il renvoyait. Il savait qu’il
ressemblait un peu trop à la jeune version de Tom Jedusor qui était sortie d’un journal, il y
avait quelques années.

Les hommes comme Lucius ne respectaient que le pouvoir brut, cruel.

« Admettons que je vous emmène à Azkaban. » cingla le patriarche des Malfoy. « Vous
n’accomplirez rien. Il vous tuera, vous et Severus, probablement en se servant de l’un pour
faire souffrir l’autre d’abord. »

« Oh, nous n’allons pas à Azkaban. » rétorqua Harry. « Il va venir ici. Je lui accorde deux
Mangemorts comme gardes. Il va emmener Severus et nous ferons un échange en bon et due
forme. »

Lucius secoua immédiatement la tête. « Vous serez capturé avant d’avoir levé le petit doigt,
Potter. Il… »

« Je suis prêt à échanger la Carte des Maraudeurs contre Severus. » l’interrompit Harry.
« Qu’il interroge Pettigrow, il la voudra. Elle est actuellement en possession d’un elfe de
maison qui n’attend que mon ordre. Nous échangerons la Carte contre Severus. Et, une fois
que ce sera fait, je me livrerai à lui. Ce sont mes termes. »

Lucius se frotta le visage, abandonnant son acte de stoïcisme. « Le suicide ? Voilà votre plan
brillant ? »

« J’ai mes raisons. » lâcha-t-il.

Il fallait bien qu’il meure jour. Cela ferait un horcruxe de moins. Il était prêt. Aussi prêt qu’il
pouvait l’être. Sa vie contre celle de Severus… Au moins, il avait l’impression de mourir
pour quelque chose et pas juste pour le plus grand bien d’Albus Dumbledore et de la
communauté magique.
Le Sang-Pur leva les yeux au ciel. « Le Manoir n’est pas une bonne idée. »

« Vous contrôlez les protections. » contra-t-il. « Vous pouvez vous assurer qu’il n’emmène
pas plus de Mangemorts que nécessaire. »

« Un endroit neutre. En plein air. » insista le sorcier. « Cela vous donnera au moins une
chance de vous échapper. » Harry ouvrit la bouche mais l’homme le prit de vitesse. « Ou de
récupérer Severus si les négociations tournent court. Et, croyez-moi, elles tourneront court. »

Un endroit neutre, en plein air…

Il n’en connaissait pas.

Et le seul qui lui venait à l’esprit…

Oui, décida-t-il, il y avait une certaine symétrie à cette idée.

C’était un peu masochiste mais, quitte à se torturer, autant se torturer jusqu’au bout.

Autant en finir là où il aurait dû mourir deux fois déjà.

« Little Hangleton. » lâcha-t-il.

« Le cimetière ? » releva Lucius. « Ce n’est pas ce que j’appelle un endroit neutre. »

« Ce sont mes termes. » insista-t-il. « Contactez-le et voyez s’il les accepte. Ah, et s’il essaye
de me tendre un piège, l’elfe en question a pour ordre de détruire la Carte. Il peut l’attaquer, il
peut essayer de le tuer, il peut refuser au dernier moment d’échanger Severus, mais nous
savons tous les deux qu’un elfe de maison ira jusqu’à l’impossible pour obéir à un
ordre. Faites en sorte qu’il le comprenne. »

« Êtes-vous si certain que cette Carte sera tellement précieuse à ses yeux ? » insista le Sang-
Pur.

« Oh, je pense que oui. » se moqua-t-il. Un moyen d’espionner l’Ordre et Dumbledore à


loisir ? L’avantage tactique… Harry avait conscience de vendre Poudlard.

Seulement, il aurait vendu tout et n’importe quoi pour la vie de Severus.

L’amour d’un Serpentard peut être une force plus terrible que celle d’un Gryffondor ou d’un
Poufsouffle, avait dit Dumbledore et il n’avait pas tort. Ce qu’il n’avait jamais voulu
comprendre c’était qu’Harry était tout autant Serpentard que Gryffondor, peut-être plus. Le
Choixpeau n’avait même pas hésité au début de l’année.

Lucius était très mécontent mais il soupira. « Attendez ici. »

Harry croisa les mains derrière son dos et se dirigea vers une vitrine dans un coin, feignant
d’être complètement à l’aise, feignant la confiance de celui qui était le plus puissant dans la
pièce et qui le savait.
Encore un peu et ce serait fini, s’encouragea-t-il.

Encore un peu…

°O°O°O°O°

Albus rejoignit finalement son bureau, après avoir épuisé les excuses pour retarder ce
moment. La nuit était bien avancée, il était épuisé, mais il avait tenu à faire le tour de
l’infirmerie, à passer un moment dans la salle commune auprès des élèves, à parler aux
parents et aux employés du Ministère rescapés qui s’étaient présentés à Poudlard… Il avait
également réparé et renforcé autant de zones endommagées qu’il en avait trouvées, alimenté
les protections jusqu’à ce qu’elles soient à nouveau à leur niveau le plus haut. Les dégâts sur
la structure du château seraient facilement réparables au demeurant, lorsque Minerva et
Pomona seraient en mesure de l’assister.

Filius manquerait, toutefois.

Son bureau était froid, aucun elfe n’ayant pris le temps d’entretenir le feu ce jour là, mais,
plus que cela, il y avait une impression de vide qui…

Comme il s’était si facilement habitué à ce que quelqu’un l’attende à la maison !

D’un geste négligent, il alluma les bougies aux quatre coins de la pièce et se dirigea d’un pas
lourd vers le fauteuil capitonné. Le coffret était resté ouvert, les souvenirs à moitié éparpillés
sur la surface du bureau… Il ferma les yeux.

Une légère lueur attira son attention.

Le miroir qu’il avait laissé échapper et que Gellert avait réparé avant la bataille.

Lucius.

Lucius qui voulait s’expliquer ou demander des nouvelles de son fils, sans doute.

Il lui fallait répondre, bien sûr, et il allait le faire.

Il allait le faire…

Mais il avait besoin de quelques minutes.

Le fauteuil craqua lorsqu’il s’installa dedans et replaça méthodiquement, religieusement,


chaque lettre et souvenir dans le coffret. Il caressa la mèche de cheveux attachée par un ruban
bleu qui avait appartenu à Gellert, il y avait tant d’années, puis, à court d’excuses, sortit la
baguette de sa poche. Il s’en servit pour appeler à lui d’un accio la bouteille de scotch et un
verre. La baguette répondait à sa volonté avec à peine une légère résistance pour la forme. Il
en avait toujours été ainsi. Sa propre baguette, bien avant qu’ils mettent la main sur une
Relique de la Mort, avait obéi à Gellert avec la même docilité. Les baguettes avaient une
allégeance particulière à leur sorcier mais Albus avait toujours observé qu’elles avaient
également généralement une affinité pour ceux que ce sorcier aimait.
Après s’être servi un verre, il reposa lentement la baguette dans le coffret et en referma le
couvercle.

Cela avait une impression de définitif, comme s’il n’aurait jamais plus la force de revisiter
cette partie de sa vie.

Il se laissa aller davantage dans le fauteuil, le verre qu’il n’avait pas touché en main et…

Devait-il porter un toast à Abelforth ? C’était le genre de chose que son frère aurait fait, avec
une insulte ou deux pour faire bonne mesure.

Abel…

Quel gâchis.

Tout était un tel gâchis que…

Le miroir se remit à luire et Albus s’autorisa un soupir. Que pouvait-il y avoir de si urgent ? Il
doutait que Tom soit sur le point de réattaquer. Pas si tôt. S’il avait voulu Poudlard, il aurait
pressé l’avantage plus tôt. Que voulait Luicus ? Lui dire qu’ils avaient fait Rufus ou Amelia
prisonniers ? Lui dire que Severus était mort ? Dans un cas comme dans l’autre, il n’était pas
certain de vouloir l’entendre. S’ils avaient le Ministre de la Magie entre leurs griffes, que ce
soit l’un ou l’autre, la cause était perdue d’avance. Si Severus n’était plus, Albus n’était pas
tout à fait prêt à l’entendre.

Il allait lui répondre, le contacter…

Il allait le faire.

Il voulait simplement…

Quelques minutes.

Il avait juste besoin de quelques minutes pour reprendre sa respiration.

Gellert, Abelforth, Filius, Severus, tous ces enfants couchés sous le plafond étoilé de la
Grande Salle…

La lueur qui envahit le bureau dans la seconde qui suivit ne venait pas du miroir mais d’un
Patronus inconnu. Un cheval ailé, un abraxan s’il ne se trompait pas…

Et la voix de Lucius Malfoy envahit son espace.

« Allez-vous, oui ou non, répondre à votre miroir ? Vous semblez avoir perdu quelque chose
qui se trouve actuellement en ma possession et que je suis impatient de vous rendre. »

Oubliant sa surprise que Lucius Malfoy, entre tous, maîtrise le sortilège du Patronus alors que
les Mangemorts étaient connus pour ne pas s’en embarrasser, Albus tendit la main vers le
miroir, un espoir fou naissant dans sa poitrine.
Severus.

Si, par miracle, Lucius avait réussi à…

« Lucius ? » appela-t-il, à la seconde où le reflet lui renvoya l’image du patricien au lieu du


sien.

Le Sang-Pur paraissait extrêmement contrarié. « Comment se fait-il qu’un de vos élèves soit
parvenu à vous échapper sans que vous ne vous en soyez aperçu ? »

Albus cilla. « De quoi parlez-vous ? »

Oh, mais il le soupçonnait. Il y avait une chance pour que cela soit Draco qui ait voulu
retourner chez lui mais… Non, bien sûr. Il avait pensé que Sirius serait capable de le
maîtriser, de le garder sous contrôle, mais Harry était Harry et Harry avait un don certain
pour aller se fourrer dans la gueule du loup, particulièrement si quelqu’un était en danger. En
temps normal, il en aurait ressenti de la fierté mais là…

C’était la dernière chose dont il avait besoin ce jour là.

« Lord Potter est dans mon salon. » railla Lucius, en se frottant le visage. « Très franchement,
je tenterais bien de le désarmer et de l’assommer mais, outre le fait que j’ai accepté un
pourparler dont les termes m’en empêchent, je ne suis pas certain d’y parvenir. Le gamin…
Vous n’avez jamais dit qu’il était… » Le Sang-Pur hésita puis se racla la gorge. « S’il se
décidait à se déclarer, vous et le Seigneur des Ténèbres perdriez des partisans. Il a quelque
chose de spécial. »

Oui, il avait quelque chose de spécial. À savoir un horcruxe.

Albus se pinça l’arête du nez. « Harry est un brillant duelliste mais il reste un adolescent dans
votre demeure ancestrale, ne pouvez vous le maîtriser ? »

Le Manoir lui-même aurait dû pouvoir le contenir si Lucius n’en avait pas été capable.

Lucius le dévisagea non sans ironie. « Je préfèrerais que vous vous en chargiez vous-même.
Présentement, il pense que je suis en train de présenter les conditions de sa reddition au
Seigneur des Ténèbres. »

« Et quelles sont-elles, ces conditions ? » demanda le Directeur, se sentant fatigué jusqu’aux


os.

Son espion lui exposa le plan d’Harry.

Ce n’était pas un mauvais plan du tout.

Albus en était presque impressionné.

Il avait pensé à tout, semblait-il.


« Votre Maître accepterait-il un tel échange ? » s’enquit-il, pianotant distraitement sur
l’accoudoir de son fauteuil, faisant mentalement la liste des membres de l’Ordre encore en
état de combattre. S’il y avait une chance de récupérer Severus, une seule…

Après ce qui s’était passé aujourd'hui, après les lourdes pertes…

« Vu l’état proche de la mort dans lequel doit être Severus, il est possible qu’Il consente à
l’échanger. » soupira Lucius. « Mais avez-vous bien saisi la partie où votre précieux
Survivant est prêt à se suicider ? »

Ce n’était pas du tout ce qu’il avait prévu.

Harry aurait dû avoir les trois Reliques en sa possession.

Mais les Reliques n’étaient qu’un plan fou dont il n’était pas certain qu’il fonctionnerait.

Sacrifier Harry avait malheureusement toujours été gravé dans le marbre, bien qu’il avait
espéré pouvoir en maîtriser les conditions, mettre toutes les chances du côté de l’adolescent.

Pas si tôt.

Pas après aujourd’hui.

Il se frotta le visage.

Récupérer Severus serait bon pour le moral de tout le monde et s’avérerait un atout tactique
sur le long terme, l’homme était brillant et Albus l’avait toujours destiné à diriger l’Ordre
voire prendre sa suite si nécessaire. Personne n’aurait pu le remplacer à cette tâche, pas même
Remus. La Carte… Il pouvait s’arranger pour que la Carte disparaisse. Lucius pouvait la
détruire plus tard. Ou il pouvait protéger Poudlard contre ses pouvoirs. Avec l’aide de Sirius
et Remus… S’il rendait l’école entière aussi incartable que la Salle sur Demande ou… Il y
avait des solutions.

Perdre Harry Potter, même dans un grand geste héroïque, juste après la destruction du
Ministère, en revanche…

Toutefois, Harry devrait mourir un jour, c’était inévitable. Rien ne disait que cela devait être
aujourd’hui mais s’ils devaient sacrifier Harry pour sauver Severus… Il pouvait tourner la
chose à leur avantage. Un grand sacrifice, un geste héroïque, de quoi galvaniser les troupes…

Mais ils avaient encore le temps avant que sa mort devienne irrémédiable. Harry avait encore
des semaines, des mois devant lui…

« Dumbledore, vous n’êtes pas sérieusement en train d’envisager la chose ? » s’énerva


Lucius, face à son silence pensif.

Albus soupira, laissant son regard s’égarer vers la bague qu’il portait désormais à son doigt.

°O°O°O°O°
Harry faisait de son mieux pour ne pas s’impatienter.

Il avait déjà refusé deux fois l’offre d’un elfe de maison nerveux de s’asseoir ou de boire
quelque chose et se contraignait à rester immobile devant la cheminée, les yeux rivés sur une
pendule en or posée sur un meuble imposant dans le coin, comptant chacune des secondes
qu’elle égrenait, imaginant Severus convulsant sous les coups d’un Doloris.

Lorsque Lucius pénétra à nouveau dans la pièce, il s’était changé et portait les robes noires
des Mangemorts.

Quelque chose se dénoua en Harry.

Il aurait dû être nerveux d’aller à sa mort mais, au fond, c’était presque un soulagement que
tout ça se termine enfin.

« Le Seigneur des Ténèbres a accepté vos termes. » déclara Lucius. « En échange de la Carte,
votre elfe sera autorisé à emmener Severus. Vous avez Sa promesse solennelle qu’Il ne l’en
empêchera pas. Lorsqu’il sera parti, vous déposerez votre baguette et vous vous laisserez
capturer. »

Harry sourit. Un sourire froid, calculateur, qui n’avait pour seul but que de mettre le Sang-Pur
davantage mal à l’aise.

Parce que, qu’il en soit conscient ou non, Lucius avait contribué à lui rendre la vie difficile en
soixante-quinze et la vengeance était douce.

« Et Dumbledore ? » se moqua-t-il. « A-t-il accepté mes termes ? »

L’éclat de surprise dans le regard du Sang-Pur était presque vexant.

Le prenait-il vraiment pour un idiot ?

Il savait ce que Severus aurait fait à sa place. Il aurait consulté Dumbledore avant d’en référer
à Voldemort, juste au cas où le Directeur aurait souhaité stopper ce projet dans l’œuf. C’était
un risque, bien sûr, mais un risque calculé.

Dumbledore savait qu’Harry devait mourir…

Il espérait juste que le vieux sorcier le laisserait choisir la manière dont il voulait partir.

« Oui. » cracha Lucius, avec un dégoût palpable. « Je dois dire que pour des gens qui se
drapent de nobles idéaux, l’Ordre du Phoenix n’est pas plus chevaleresque que des
Mangemorts. »

Harry doutait fortement que la proposition ait été soumise au Conseil de l’Ordre – ou, plutôt,
à ce qu’il en restait.

Il haussa les épaules. « Vous n’avez pas encore compris qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais
côté ? Il y a juste des gens. Des gens et des décisions plus ou moins bonnes. »
« Celles d’Albus Dumbledore ont toujours été discutables. » rétorqua le sorcier.

« Ah ça… » Le sourire du garçon se fit un peu plus honnête, un peu moins forcé. « Ce n’est
pas moi qui vais vous contredire. »

Le Sang-Pur l’observa un long moment sans rien dire.

« S’il survit, si je survis… Severus exigera ma vie en réparation de ce que je m’apprête à


faire. » déclara Lucius, son regard bleu passant sur la tenue élégante qu’Harry portait. « Ces
robes vous vont bien. Je suppose que j’ai bien fait de forcer Severus a les acheter. »

Harry n’avait pas besoin du subtil rappel que Lucius considérait le Maître des Potions comme
un ami.

« Il survivra. » lâcha-t-il. « On survit à tout. »

Du moins, il l’espérait.

Il avait toujours escompté que Tonks serait là pour le ramasser à la petite cuillère lorsqu’il
mourrait… Les perdre tous les deux en même temps serait peut-être trop pour le Professeur.

Mais Sirius était têtu et il ne laisserait pas tomber Severus.

Dumbledore non plus d’ailleurs. Peut-être parce qu’il tenait sincèrement le Maître des
Potions, peut-être parce que le sorcier avait son utilité et qu’il ne voudrait pas trop
bouleverser ses plans… Dans tous les cas, le Directeur veillerait sur lui.

Et McGonagall avait l’amitié trop féroce pour l’abandonner, elle aussi.

Severus ne manquerait pas de gens qui refuseraient de se laisser repousser.

« Pas à la perte d’un enfant. » rétorqua pourtant Lucius. « Si vous êtes vraiment décidé à faire
ceci, faites le en connaissance de cause. Faites le en sachant que vous le condamnez à une vie
de douleur. »

« Mieux vaut une vie de douleur que pas de vie du tout. » s’entêta-t-il.

Severus survivrait.

Il devait le croire.

°O°O°O°O°

Remus se réveilla en sursaut, baguette déjà levée et un sort du bouclier brillant autour de lui,
avant même d’avoir déterminé ce qui l’avait tiré du sommeil. En lui, Lunard était aux aguets,
prêt à répondre au danger…

Puis il aperçut le phœnix argenté qui patientait à côté de son lit. La chambre que lui avait
attribué un elfe était autrement vide, il n’y avait aucune ombre ou bruit suspect… Il était en
sécurité.
« Allez vérifier que Sirius va bien puis rejoignez moi dans mon bureau. » ordonna la voix
d’Albus. « La situation a évolué. Il n’est pas impossible que nous récupérions Severus ce
soir. »

Les mots mirent plusieurs secondes à avoir du sens.

Puis, alors que le Patronus s’effaçait, il sentit la chaleur douce dans sa poche. Intrigué, il en
sortit le carnet qu’il avait ramassé plus tôt… C’était bien lui qui chauffait. Il tourna les pages
gondolées à la va-vite jusqu’à trouver…

Reviens-moi.

L’espace d’une seconde, il se perdit dans un fantasme où Dora savait qu’elle lui écrivait à lui.
C’était peut-être un signe du destin, après tout. Une preuve qu’il devrait…

Mais non.

C’était Severus qu’elle suppliait de revenir.

C’était Severus qu’elle aimait.

Il n’est pas impossible que nous récupérions Severus ce soir.

Elle n’était tout de même pas assez folle pour se lancer à sa poursuite dans l’état dans lequel
elle était ? Lunard hurla à la lune à mesure que la panique le gagnait. Bien sûr qu’elle l’était.
Elle…

Allez vérifier que Sirius va bien…

Et merde.

Et merde.

Harry.

Sans plus réfléchir, il se précipita vers la cheminée.

°O°O°O°O°

Draco grogna et enfonça le visage dans l’oreiller, tentant vainement de repousser la main qui
le secouait impitoyablement.

Ce qui ne l’empêcha pas de bondir comme un chat agressé lorsque un aguamenti le trempa
des pieds à la tête.

Il s’assit brusquement, sa baguette à moitié levée, la tête lourde, le cœur battant, le corps…

Pourquoi avait-il mal partout ?

Pourquoi…
« Désolé ! Je suis désolé ! » s’exclama Remus Lupin, en le séchant lui et le lit d’un coup de
baguette. « Je n’arrivais pas à te réveiller. »

Confus, sans tout à fait baisser sa baguette, Draco se frotta le visage. Le décor n’était pas
familier, la pièce… Et puis il siffla lorsqu’il tenta d’utiliser sa main gauche, sur laquelle un
hématome violacé s’étalait, et…

Le reste lui revint en mémoire.

Le tunnel.

Blaise.

« Où est Harry ? » demanda Lupin.

« Harry… » répéta Draco, d’une voix pâteuse que le léger somnus que lui avait jeté le
Gryffondor n’expliquait pas tout à fait.

« Draco, je n’arrive pas à réveiller Sirius. Kreattur ne veut rien me dire et ne semble pas
disposé à quitter son nid de couvertures. » insista Lupin. « Est-ce que tu sais où… »

« Il a mis une potion de Sommeil-sans-rêves dans son whiskey. » soupira-t-il. « Il m’a jeté un
sort pour m’endormir. Il a peut-être drogué Kreattur aussi. » Combien de temps s’était
passé ? Potter avait-il réussi à fuir Poudlard ? Le regard du loup-garou était plus
qu’accusateur et Draco n’avait aucune intention de servir de bouc émissaire. « Il a pris mon
sceau. Il voulait contacter mon… » Il s’interrompit avant de pouvoir terminer sa phrase, le
mot lui laissant un arrière-goût en bouche. « Lucius. Il voulait contacter Lucius. »

Lupin cracha un juron et se passa nerveusement une main dans les cheveux. Son regard fit le
tour de la pièce avant de retomber sur lui. « Est-ce que tu es en état d’emmener Sirius à
l’infirmerie ? »

En d’autres circonstances, il se serait peut-être vexé d’une question aussi stupide mais, à
l’instant… Sa tête était toujours lourde, il n’y avait pas un centimètre carré de son corps qui
ne lui faisait pas mal, et il avait beau savoir qu’il était dans la chambre que Sirius lui avait
assignée… Les images ne cessaient de rejouer devant ses yeux en séquences morcelées : le
tunnel qui explosait, Blaise qui levait la tête, la main de Daphné qui pendait entre deux
rochers…

Il déglutit difficilement. « Oui, je crois. Qu’allez-vous faire ? »

« Informer Dumbledore et me lancer à sa poursuite. Quoi d’autre ? » répondit Lupin, comme


si c’était l’évidence.

Draco ne tenta pas de l’en empêcher. Espérait-il que Potter ait assez d’avance ou bien
espérait-il qu’il se ferait rattraper avant de parvenir à accomplir son plan suicidaire ? Il ne le
savait pas vraiment.

Une fois Lupin parti, il transforma son pyjama en un pantalon et une chemise simple, puis se
traîna jusqu’au salon. Sirius n’avait pas l’air trop mal en point si ce n’était qu’il ne semblait
pas pouvoir ouvrir les yeux. Avec un soupir, il fit apparaître une civière puis fit léviter son
cousin jusqu’à l’infirmerie.

L’endroit s’était fortement calmé depuis qu’ils en étaient partis. La plupart des blessés
semblaient dormir et plus personne ne courrait partout avec panique… Les lumières avaient
été baissées dans la partie principale, de sorte que la pièce avait presque l’air paisible.
Presque.

Pomfresh se précipita vers eux à la seconde où elle l’aperçut, la bouche plissée de


mécontentement mais également clairement éreintée.

« Il n’est jamais revenu chercher sa potion contre le Doloris. » grinça-t-elle, en agitant sa


baguette. « Décrivez-moi précisément ce qu’il s’est passé, Malfoy. A-t-il convulsé ou… »

« Il est drogué. » l’interrompit-il, avant de résumer une nouvelle fois la situation.

Si l’infirmière se servit de sa baguette avec moins d’urgence, elle ne semblait pas moins
contrariée.

« Je vais avoir une sérieuse conversation avec Mr Potter dès qu’ils l’auront ramené. »
marmonna-t-elle, en guidant la civière jusqu’à un lit vide, dans une des petites annexes qui ne
servaient habituellement jamais et qui était pourtant bondée à l’instant. Lorsqu’elle eut
installé son cousin, elle tourna vers lui un regard critique. « Vous êtes dans un piètre état, Mr
Malfoy. »

Il haussa les épaules, le simple mouvement lui arrachant une légère grimace. Son épaule
gauche, comme Potter l’avait prédit plus tôt, était probablement le pire.

Il se soumit à l’examen rapide de la Médicomage sans sourciller, trop fatigué pour protester.

« Du repos. » décréta la Médicomage.

Oui, du repos, songea-t-il, il n’aurait rien eu contre.

« Sirius ? Il va bien ? » botta-t-il en touche.

Elle leva les yeux au ciel. « Il ira mieux dès que j’aurais vidé son estomac. Il en sera quitte
pour une violente migraine mais il ne réveillera probablement pas avant une heure ou deux. »

Il allait être de très bonne humeur au réveil…

Draco soupira et regarda autour de lui, espérant trouver une chaise…

« Il reste quelques lits d’appoint dans la troisième annexe. » lui dit l’infirmière, devinant
visiblement ce qu’il cherchait. « Je vous conseille fortement d’aller vous allonger. »

« Ça ira, merci. » refusa-t-il.

Il avait renié sa famille, Nymphadora était morte… Sirius était le dernier adulte qui lui restait.
Et, certes, il n’avait pas l’impression d’avoir encore besoin de supervision, mais… Sirius
était le dernier adulte qui lui restait.

Il y avait bien Andromeda mais il ne la connaissait pas aussi bien et…

Pomfresh semblait trop fatiguée pour ergoter. Elle se mit au travail en silence, le laissant
s’appuyer contre le mur… Ses paupières se mirent à tomber bien avant qu’elle ait terminé et
ait décrété Sirius hors de tout danger potentiel. Il s’aperçut à peine que l’infirmière s’en allait
ou qu’il glissait de plus en plus contre le mur.

Il se réveilla en sursaut avant de tomber comme une masse et se frotta la nuque avec un
grognement agacé.

« Hé. » appela une voix fatiguée d’un lit, un peu plus loin.

Draco observa Ron s’arracher à l’étreinte de Lavande avec une pointe d’envie.

Un lit, Granger dedans, la possibilité de fermer les yeux… Cela ressemblait fort au paradis.

Sauf que Granger ne serait probablement pas très disposée à ce genre de choses, étant donné
ce qu’il lui avait craché au visage plus tôt. Ravalant un soupir, il voulut à nouveau se frotter
le visage, siffla une nouvelle fois de douleur lorsqu’il chercha à utiliser sa main
douloureuse… Il ne cessait d’oublier. Il ne cessait de…

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » demanda Ron, avec une pointe de prudence, lorsqu’il l’eut
rejoint à côté du lit de Sirius.

Parce qu’il n’avait pas été plus aimable avec lui qu’avec la jeune fille, plus tôt.

Et, s’il devait être honnête, il le regrettait.

« Potter est passé. » expliqua-t-il.

Weasley ne semblait pas avoir la force de s’horrifier ou de s’inquiéter lorsqu’il lui dit que son
meilleur ami était parti affronter sa mort. Il se contenta de fermer les yeux et de souffler
lentement.

« Percy est mort. » lâcha le Gryffondor lorsqu’il eut terminé.

Percy était le préfet pompeux qui avait trouvé un emploi au Ministère comme secrétaire du
Ministre, se souvint Draco avec un temps de retard. Si tôt après la mort d’Arthur Weasley…

Il attrapa son épaule et la serra sans un mot, incertain de quoi dire.

Dans sa tête, les images passaient en boucle. Il levait sa baguette et le tunnel explosait. Blaise
levait la tête et le mur volait en éclat.

« Harry va revenir. » ajouta fermement Ron. « Il revient toujours. »

« J’espère. » murmura Draco et il se surprit à véritablement le penser.


« Tu devrais parler à Hermione. » conseilla son ami, avec un regard qui aurait sans doute été
sévère s’il n’avait pas été aussi fatigué. « Tu l’as fait pleurer. Je devrais te casser la gueule, tu
sais ? »

Il savait.

Et ça aurait probablement été mérité.

Encore qu’il ne pensait pas avoir eu tout à fait tort sur le fond à défaut de sur la forme.

« Blaise est mort. » répondit-il faiblement.

Ce fût le tour de Ron de lui serrer le bras avec force en guise de réconfort. « Va parler à
Hermione. Je vais rester avec Sirius jusqu’à ce que tu reviennes. »

Le lion le poussa gentiment dans la bonne direction et Draco se mit à marcher comme un
automate, passant devant les lits aux visages familiers.

Il aurait donné n’importe quoi pour que Blaise et Daphné aient été parmi eux.

Ce n’était pas juste.

Ce n’était pas…

Le clan Weasley était facile à trouver. Ils étaient rassemblés au fond de l’infirmerie, entassés
sur différents lits ou fauteuils métamorphosés à la va-vite… Granger était recroquevillée par
terre, à même le sol, et une part de lui s’agaça parce qu’elle n’était pas un animal, elle n’était
pas… Elle était la future Lady Malfoy et…

Excepté qu’elle ne serait jamais Lady Malfoy parce qu’il avait renoncé à son nom.

Il était fatigué. Si fatigué…

La mère de ses amis avait le sommeil agité.

Il repéra la couverture qui avait glissé au pied du fauteuil et la ramassa par réflexe, la
replaçant sur son giron comme il aurait pu le faire pour Narcissa ou…

« Ron ? » appela la sorcière, en se réveillant en sursaut.

« Non. » grimaça Draco. « Je m’excuse, je ne voulais pas vous déranger. Votre couverture
était tombée. »

Il fallut plusieurs secondes avant que le regard de Mrs Weasley ne s’arrête sur son visage,
avant qu’elle l’identifie et se détente légèrement. « Draco Malfoy. »

« Ron est avec Sirius dans l’annexe. Il va bien. » offrit-il, parce qu’il était évident que c’était
lui qu’elle cherchait par-dessus son épaule.
« Sirius ? » La sorcière fronça les sourcils mais elle semblait si fatiguée dans la demi-
pénombre qui régnait dans cette partie de l’infirmerie qu’il ne trouva pas intelligent d’en
rajouter avec le récit des aventures de Saint Potter.

« Rien de grave. » promit-il, avant de se racler la gorge. « Toutes mes condoléances pour
Percy. »

C’était maladroit et gênant parce qu’il ne la connaissait pas. Mais il était ami avec Ron, avec
Fred et George, avec Ginny…

La tristesse envahit les traits de la sorcière et ses yeux se remplirent de larmes qu’elle fit de
son mieux pour repousser. « Merci, tu es gentil. »

Personne ne l’avait jamais accusé d’une telle chose.

Il se força pourtant à sourire. « Hermione ne peut pas dormir par terre. Il y a des lits libres
dans le fond. »

Le regard de Mrs Weasley dériva jusqu’à la jeune fille et sembla s’horrifier en la découvrant
recroquevillée au sol. « Oui. Oui, bien sûr… »

Avec un dernier sourire forcé, il se détourna de la sorcière et s’accroupit auprès de sa petite


amie. Il n’en fallut pas beaucoup pour la réveiller. À peine avait-il posé la main sur son
épaule qu’elle sursautait, son regard plongeant immédiatement dans le sien… Un sourire
s’épanouit spontanément sur ses lèvres avant de brusquement y mourir alors que ses yeux se
mettaient à briller de larmes contenues.

« Draco… »

Son nom était presque une supplique.

Une supplique qui le frappa en plein cœur.

Il était toujours en colère, tellement en colère, mais, Merlin, il aurait fait n’importe quoi pour
ôter cette expression de son visage. Tendrement, il repoussa les mèches qui lui tombaient sur
la joue.

« Viens. » murmura-t-il. « Il y a des endroits plus confortables pour dormir que le sol. »

Elle le laissa la tirer sur ses pieds, le regardant avec une méfiance teintée de désespoir.
« Draco, je suis vraiment… »

« Je sais. » soupira-t-il. « Viens. »

Il ne voulait pas avoir cette conversation devant Mrs Weasley. Il lui prit la main et la guida à
travers l’infirmerie vers l’annexe, là où l’infirmière avait dit qu’il y avait des lits…

Elle pila avant qu’il ait pu l’y attirer et, lorsqu’il se tourna vers elle, secoua la tête. « J’ai
besoin d’air. »
Il aurait préféré s’allonger un moment mais il n’avait rien contre l’idée de prendre l’air.

Le tunnel explosait. Le mur éclatait.

Soudain, sa suggestion devint une évidence et il fit demi-tour vers les grandes portes.
Personne ne chercha à les arrêter ou à leur demander où ils allaient. Ils marchèrent en silence,
traversant les couloirs jusqu’à atteindre un escalier extérieur qui donnait sur le parc. C’était
un raccourci vers les serres mais, très clairement, c’était un raccourci qui ne menait plus nulle
part. Deux étages plus bas, la pierre était brisée et les marches se terminaient dans un
plongeon mortel au lieu de bifurquer vers la petite cours intérieure…

À leur étage, cependant, la structure semblait tenir et, après un moment d’hésitation, ils
s’assirent sur la première marche. Granger, après quelques secondes, se blottit contre son
flanc et parut soulagée lorsqu’il passa son bras autour de ses épaules pour l’attirer plus près.

La nuit était fraiche mais il ne faisait pas suffisamment froid pour qu’ils en souffrent. Il
appuya la joue sur le haut de sa tête et perdit son regard dans la voute céleste où des étoiles
brillaient derrière d’occasionnels épais nuages.

« Je suis fâché. » déclara-t-il, tout de go. « Mais je n’aurais pas dû te parler comme je l’ai
fait. »

« Est-ce qu’on est obligés de se disputer ? » demanda-t-elle, d’une toute petite voix.

Il prit une profonde inspiration. « Non, nous ne sommes pas obligés de nous disputer mais il
faut que nous parlions de ce qui s’est passé. »

Attendre aurait peut-être été plus judicieux. Attendre que cette journée affreuse soit enfin
terminée… Attendre qu’il ait la tête à l’endroit parce que les souvenir se bousculaient
toujours dans son esprit… Attendre que la colère disproportionnée qu’il éprouvait lui soit
passée…

Elle poussa un long soupir dont il sentit le souffle rouler dans son cou. « Je suis désolée,
Draco. Pas d’être partie… Tu savais très bien… J’ai toujours été claire sur mes
intentions. Mais je suis désolée si je t’ai blessé. Je voulais juste… Je voulais que tu saches, au
cas où… »

« Oui. » grinça-t-il, en tournant la tête pour presser un baiser sur ses cheveux. « C’est le au
cas où qui me pose problème. »

Elle enroula un bras autour de sa taille. « J’ai toujours dit que je voulais m’impliquer dans la
guerre. Et tu m’as toujours dit que tu voulais rester neutre, que… » Elle s’interrompit et
recula juste assez pour croiser son regard. « La dernière fois, tu m’as suivie et tu es mort. »
Sa voix se brisa légèrement sur le mot et ses yeux s’embrumèrent. « Je ne t’aurais jamais
demandé de… »

« Ne pleure pas. » la gronda-t-il, essuyant les larmes qui coulaient sur ses joues de sa main
valide. « Je déteste quand tu pleures. Comment puis-je rester fâché si tu pleures ? »
Elle laissa échapper un bruit mi-amusé, mi-triste. « C’est censé m’encourager à arrêter ? Je
déteste quand on se dispute comme ça. »

Il pressa doucement son front contre le sien. « Ce n’est pas tant que tu sois partie. C’est que
tu ne m’ais pas laissé le temps de… » De quoi ? Qu’aurait-il fait ? Il était si fatigué. La veille
au soir, ce qui semblait s’être passé mille ans auparavant, il s’était fait kidnapper par des
apprentis Mangemorts et ce matin là… « Tu ne peux pas me dire que tu m’aimes et ensuite
m’abandonner. C’est juste… Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne, Granger. »

« Et comment ça fonctionne alors ? » s’agaça-t-elle. « Parce que je respecte le fait que tu


veuilles rester neutre mais… »

« Oh, il n’y a plus de place pour la neutralité. » cingla-t-il avec lassitude, en se détournant
légèrement, préférant perdre son regard dans le parc. « En bas, c’était… » Il frissonna. Il
n’était pas sûr de pouvoir en parler, de pouvoir lui décrire l’horreur… Sans parler de la
certitude qu’il avait condamné des élèves avec son confringo. Il s’humecta les lèvres. « Il n’y
a plus de neutralité, Hermione. Excepté si tu as changé d’avis et que tu veux aller rejoindre ta
famille, considère ma baguette au service de Saint Potter et de sa cause perdue. Tu vois…
Inutile de m’abandonner à nouveau. Je t’interdis de m’abandonner à nouveau. »

Il regardait résolument de l’autre côté mais il était impossible de ne pas la sentir se glisser à
nouveau contre lui.

« Je suis désolée que tu ais été tout seul dans les cachots. » murmura-t-elle.

« Je n’étais pas seul. » répondit-il. « Il y avait Pansy. » Elle marmonna quelque chose de peu
aimable qui, malgré tout, lui arracha un sourire qui ne dura pas. « J’étais content qu’elle soit
là et qu’elle n’ait rien. C’était vraiment… C’était une boucherie. Et ensuite… Blaise et
Daphné… »

« Je sais. » commenta-t-elle tristement.

« Non, tu ne sais pas. Tu n’étais pas là. » cracha-t-il méchamment, avant d’avoir pu s’en
empêcher. Il tourna des yeux horrifiés vers elle. « Pardon. Je ne sais pas… Je ne sais pas ce
que j’ai… Je n’arrête pas… C’est comme si les images étaient gravées derrière mes rétines…
Je n’arrête pas de revoir le tunnel exploser et puis Blaise et le mur… » Il secoua la tête. « Je
deviens fou, Hermione. »

Elle passa les bras autour de lui et le serra si fort que les hématomes se rappelèrent à son
mauvais souvenir. Il ne protesta pas, pourtant. Il lui rendit son étreinte, respirant son odeur à
pleins poumons.

« Tu n’es pas fou, du tout. » promit-elle. « Tu as juste vécu des choses horribles et tu as
besoin de les digérer. »

« Ça ne pouvait pas être plus plaisant pour toi… » remarqua-t-il.

Elle haussa les épaules. « J’ai eu de la chance. Ron et moi, nous nous sommes fait repousser
vers les étages et… On a beaucoup couru mais on ne s’est pas vraiment retrouvés en danger
avant qu’on tombe sur Charlie qui se battait avec une des recrues… Ron s’est figé et j’ai
voulu m’interposer mais… Je ne suis pas arrivée à la sauver. »

« Charlie… » répéta-t-il. « Le frère de Ron ? »

Elle lui résuma rapidement la situation du dragonnier.

Lorsqu’elle expliqua qu’il avait poignardé Nymphadora sous Imperium, il ressentit un élan de
profond chagrin.

« C’est donc ainsi qu’elle est morte… » murmura-t-il.

Assassinée par son meilleur ami… C’était atroce. Elle méritait mieux. Elle méritait…

« Morte ? » répéta Granger, en fronçant les sourcils. « Elle n’est pas morte. »

Ce fût son tour de la regarder avec confusion. « Potter m’a dit qu’elle était morte. »

« Quoi ? » La jeune fille secoua la tête. « Non, non… Pourquoi est-ce qu’il croit… Non, elle
n’est pas morte. Sa mère nous a dit que c’était grave mais qu’elle allait s’en sortir. »

Le soulagement fût si violent…

Cela le chagrinait de devoir admettre qu’il s’était attaché à sa cousine et pourtant…

« Il faut le lui dire tout de suite ! » continua la lionne. « On ne peut pas le laisser penser
que… Le pauvre, il doit être dévasté ! Déjà que Snape… »

Ah, oui…

Ce petit détail qu’il aurait sans doute dû partager plus tôt.

Elle était déjà à moitié debout lorsqu’il attrapa son poignet et tira pour la forcer à se rasseoir.

« Draco, il faut qu’on le dise à Harry. » insista-t-elle. « Ce n’est pas… »

« Granger. » l’interrompit-il fermement, sérieusement. « Je t’aime. » Elle le regarda, les yeux


légèrement écarquillés, la bouche entrouverte sous le coup de la surprise. Il grimaça
légèrement. « Note comme je ne t’ai pas immédiatement abandonnée pour aller au devant du
danger bien que j’aurais pu car Potter est parti chercher le Professeur Snape et j’ai failli aller
avec lui. »

Il lâcha la dernière partie d’un coup, comme s’il y avait une chance qu’elle ne la saisisse pas
tout à fait.

Granger était Granger, toutefois, et elle se remit très vite. « Quoi ? » Dans un soupir, ce fût
son tour de résumer ce qui s’était passé plus tôt – encore. La jeune fille secouait la tête bien
longtemps avant qu’il ait terminé. « Il faut le rattraper ! Il n’est peut-être pas trop tard ! On
peut aller chez toi et convaincre ton père de… »
Il laissa tomber la tête contre la balustrade de pierre, sans cacher son agitation.

« Ne le prends pas mal mais… De une, je ne serais pas bon à grand-chose avant un bon
moment. De deux, Lupin et Dumbledore sont probablement déjà partis à sa rescousse. Et de
trois… » Il hésita. « C’est probablement une bonne chose que tu ne te sois jamais intéressée à
moi pour ma fortune parce que je suis probablement à peine plus riche que toi à présent. »

Il y avait un coffre à Gringotts à son nom, indépendant de la fortune des Malfoy, qui lui
venait tout droit de sa grand-mère maternelle et qui n’entrerait en sa possession qu’à sa
majorité. Il ignorait combien il y avait dedans, Narcissa et Bellatrix avaient hérité à parts
égales de leur mère mais il y avait eu des provisions pour d’éventuels petits-enfants. À moins
que sa mère ou son père ne lui conteste l’héritage, ce coffre là, au moins, devrait toujours
rester lui accessible lorsqu’il aurait dix-sept ans…

« Je… Quoi ? » demanda Granger, visiblement confuse.

Il ne pouvait guère lui reprocher de ne rien comprendre, il ne s’expliquait pas très clairement.

« J’ai dit à Potter de rendre le sceau des Malfoy à mon… à Lucius. » lâcha-t-il. « J’ai renoncé
à ma Maison et à mon héritage. »

Elle le dévisagea, interdite. « Draco… »

« Je sais, je sais… » soupira-t-il, balayant l’air de la main. « Tu trouves que c’est extrême,
que j’aurais dû prendre la décision à tête reposée… » Il haussa les épaules, grimaçant lorsque
la gauche lança un éclair de douleur dans le reste de son dos. « Ce n’était pas une décision si
compliquée au final. » Il lui prit la main, entrelaça leurs doigts. « Un jour, nous aurons des
enfants et j’aimerais autant pouvoir les regarder dans les yeux, sans avoir honte de quoi que
ce soit. »

À nouveau, la jeune fille le dévisagea avec une surprise mâtinée de choc. « Des enfants ? »

« Au moins deux. » décréta-t-il, ayant beaucoup réfléchi à la question. « Rapprochés de


préférence. Être un enfant unique n’est pas si drôle. »

Elle ne semblait plus savoir quoi dire mais elle finit par se reprendre. « On est en cinquième
année. »

Ses lèvres s’étirèrent en un rictus taquin. « Je n’étais pas en train de suggérer de commencer
tout de suite. Encore que si tu le désires vraiment, je suis prêt à faire un effort et… »

Elle le poussa sans y mettre trop de force, son rire se brisant brusquement, son amusement
virant à l’angoisse. « Harry. Il faut… »

« Lupin et Dumbledore sont au courant, je te l’ai dit. » la coupa-t-il, en serrant sa main.

Cela ne la calma pas. « Dumbledore… Si Harry est parti affronter Volde… »

« Hermione. » siffla-t-il, avant qu’elle ait pu terminer de prononcer ce nom que les
Gryffondors utilisaient avec beaucoup trop d’enthousiasme.
Elle le supplia du regard de comprendre. « Dumbledore ne partira peut-être pas à son
secours. Il y a… C’est compliqué mais… »

« Compliqué comme… Il y a un horcruxe dans l’équation ? » hésita-t-il, en baissant la voix.

Granger le dévisagea quelques secondes puis jeta un sortilège pour s’assurer que leur
conversation demeurerait secrète. « Qu’est-ce que tu sais des horcruxes ? »

« J’ai espionné une conversation entre Potter et Sirius. » avoua-t-il. « J’ai déduit le
reste. Enfin… Un bout du reste. Un horcruxe… Je me souviens d’avoir surpris une discussion
entre mon père et un de nos cousins quand j’étais plus jeune mais… Il s’agit d’un rituel en
rapport avec l’âme ? Une séparation de l’âme ? » Il secoua la tête. « Je ne me souviens plus
très bien. Lorsque le Seigneur des Ténèbres a jeté le sort de mort sur Potter quand il était un
bébé… C’est ce qu’il essayait de faire ? Séparer son âme ? Ou était-ce un accident ? »

Il était évident que la jeune fille était divisée. Sans doute avait-elle été jurée au secret.

« Un horcruxe… » déclara-t-elle lentement. « Un horcruxe est un fragment d’âme arraché à


l’original et placé en lieu sûr dans un réceptacle. En théorie, cela permettrait à quelqu’un de
vivre éternellement ou, du moins, jusqu’à ce que l’horcruxe soit détruit. »

« Et Potter est un horcruxe. » commenta-t-il. « C’est la raison pour laquelle il a


perpétuellement ces migraines et pourquoi sa cicatrice saigne… C’est la raison pour laquelle
il parle Fourchelang. »

Pas étonnant que le Survivant soit si désespéré de prendre un train dans les limbes.

Pas étonnant, non plus, qu’il ait eu l’air si déprimé, ces derniers temps.

Pour que le Seigneur des Ténèbres soit tué il fallait donc que…

« Ron n’est pas au courant. Personne n’est au courant que je sais à part Harry. » murmura la
lionne. « Tu dois garder le secret. Et tu vas devoir apprendre l’Occlumencie. » Elle secoua la
tête. « Mais rien de tout ça n’aura d’importance si Harry se fait tuer. On doit… »

« On ne peut rien faire. » l’interrompit-il, levant la main lorsqu’elle voulut le convaincre du


contraire. « Granger, sans le sceau, je n’ai aucun moyen de passer directement les protections
du manoir sans que mon père le sache, encore moins de te faire entrer, toi. Et je suis… Je suis
désolé, tu sais que je te donnerais la lune si tu me la demandais, mais je suis vraiment vidé. Je
ne peux pas me battre dans cet état. »

Lentement, les épaules de la jeune fille s’affaissèrent.

« Si Remus est au courant… Remus ne le laisserait jamais tomber. »

Il ne savait pas qui elle essayait de convaincre, si c’était lui ou elle-même.

« Lupin semblait très déterminé à le ramener par la peau des fesses. » approuva-t-il, pour la
consoler. « Et puis… Combien de fois Potter a-t-il frôlé la mort depuis que tu le connais ? »
« Trop de fois. » murmura-t-elle. « Beaucoup trop de fois… »

Il écarta tendrement les boucles folles de son visage, laissa sa main trainer sur sa joue. « Je
t’aime. »

Cela pouvait paraître hors sujet mais il ne savait pas comment la réconforter autrement et… Il
ressentait le besoin de le redire avec un peu plus de sérieux que précédemment.

Son expression, à défaut de se départir de son angoisse, s’adoucit. « Moi aussi, je t’aime. »

Les mots vinrent se loger dans sa poitrine, comme une douce chaleur.

Il l’attira contre lui, laissant sa main courir inlassablement le long de son bras dans une
caresse apaisante.

Il ne se laissa pas penser à Blaise ou à ce qui s’était passé dans le tunnel ou au fait que Potter
avait eu une raison valable de chercher à aller se faire tuer…

C’était trop difficile à appréhender.

Au lieu de ça, il se concentra sur le corps chaud pelotonné contre le sien, sur la certitude que
pour tous leurs problèmes lui et Granger s’aimaient, sur l’espoir que l’aube se lèveraient dans
quelques heures sur un meilleur jour.

Et attendant… Cet escalier n’était pas un mauvais endroit où patienter. Ils avaient vue sur le
parc, si Potter et Dumbledore revenaient au château en transplannant devant les grilles, ils
devraient passer par ici.

°O°O°O°O°

Le village de Little Hangleton dormait au loin, exactement comme les deux dernières fois
qu’Harry s’était retrouvé dans ce cimetière. À croire que ses habitants étaient soit sourds et
aveugles, soit superstitieux des éclats de lumières et autres bruits étranges. Avec la maison
des Gaunt toute proche, cette dernière explication était sans doute la bonne.

La maison des Gaunt… Il espérait que Voldemort n’aurait pas l’idée saugrenue d’aller y faire
un tour.

Harry se plaça juste devant la tombe des Jedusor, simplement pour l’effet que cela rendrait,
simplement pour voler au mage noir ce petit élément dramatique. Il se demanda si Voldemort
passait autant de temps à préparer ses effets ou si c’était devenu inné à force. La statue dans
son dos, le rayon de lune qui l’éclairait juste comme il fallait pour faire luire les liserés
argentés sur ses robes…

Lucius l’observait avec un amusement certain malgré sa nervosité évidente.

Le garçon n’osait pas lui dire que c’était se concentrer sur ce petit côté théâtral ou laisser
libre cours à la panique qui voulait le prendre à la gorge. Le cimetière avait peut-être pris le
mage noir de court mais lui… Lui il ne voyait que l’endroit où Cédric était mort, l’endroit où
Bellatrix s’était tenue lorsqu’elle avait lancé l’Avada Kedrava, l’endroit où le Feudeymon de
Dumbledore avait avalé le mage noir et sa bague-horcruxe…

Severus qui sortait le revolver et appuyait sur la gâchette.

Sirius agenouillé auprès de Bellatrix.

James qui tenait son bras cassé.

Lily qui pleurait.

Remus qui…

Il repoussa fermement ces souvenirs derrière sa première couche de boucliers.

Son contrôle de l’Occlumencie faiblissait de minute en minute.

Il s’en était servi trop longtemps et à trop haut niveau. Il ne savait pas comment Severus avait
pu le faire constamment pendant des années. Il sentait les souvenirs, les émotions qui
poussaient contre ses flammes, qui remontaient lentement à la surface des marécages… Il
avait beau battre en retraite davantage à l’intérieur de son esprit pour garder une distance,
pour pouvoir réfléchir sans se laisser influencer par quoi que ce soit, bientôt, il serait acculé
contre son coffre et n’aurait d’autre choix que de relâcher la pression. Et alors…

Quelques minutes de plus, se dit-il. Juste quelques minutes.

Une fois que Severus serait en sécurité, cela n’aurait plus d’importance. Il n’aurait plus
besoin de jouer cette comédie ou de rester calme.

Cela ne l’empêcha pas de tourner distraitement le sceau des Prince autour de son doigt,
trahissant ainsi que son contrôle n’était plus aussi exemplaire.

« Il n’est plus temps d’hésiter, Lord Potter. » glissa Lucius calmement, un brin moqueur sur
le titre.

Il releva le menton, se forçant à cesser de jouer avec la lourde bague. « Vous savez… Je n’ai
jamais compris ces histoires de Lord. Lord de quoi ? »

Le Sang-Pur n’aurait pas pu être plus blasé si Harry avait directement cherché à le contrarier.

« Poudlard devrait revoir son éducation. » grommela le sorcier. « La plupart des anciennes
Maisons se passent le titre de Lord ou Lady de Chef de famille à héritier depuis bien avant le
temps des Fondateurs. À l’origine, elles avaient quasiment toutes un domaine similaire au
mien mais avec le temps beaucoup ont dû vendre ou réduire leurs patrimoines au point que,
pour beaucoup, le titre n’est plus qu’une courtoisie tombée en désuétude. Dans le temps, les
terres couvraient des villages, des exploitations… Nous ne sommes plus qu’une poignée à
encore avoir des métayers et plus personne ne peut se vanter de posséder de hameaux. Encore
une vingtaine d’années et la plupart des anciennes Maisons seront probablement aussi mal
loties que les Weasley. Les Potter n’ont plus qu’un manoir et un lopin de terre, à ma
connaissance. Le patrimoine se compte davantage en gallions qu’en profits. »
Il leva les sourcils, plus que surpris. « J’ai un manoir ? »

« Ne vous est-il jamais venu à l’idée de vous renseigner à Gringotts ? » railla Lucius.

À vrai dire… « Non. »

Le Sang-Pur secoua la tête et soupira. « Eh bien, je ne peux en être certain mais, typiquement,
dans des cas comme le vôtre, le domaine se serait… endormi, à défaut d’un autre terme,
jusqu’à ce qu’un héritier en prenne possession. Je m’y suis rendu une fois ou deux, du temps
de votre grand-père… Excellente orientation pour des vergers, si vous chercher quoi en faire.
Je suppose qu’il est censé vous revenir, ainsi que le reste de votre fortune, à votre majorité. »

« Le reste de ma fortune ? » releva-t-il.

L’homme eut un geste d’ignorance. « Je ne connais pas les détails mais, votre père n’étant pas
un sauvage, je suppose qu’il a prévu qu’un coffre vous soit accessible vous assurant un train
de vie confortable jusqu’à vos dix-sept ans. »

Harry le dévisagea. « Ce coffre est plein. »

Lucius ne sembla ni surpris, ni particulièrement concerné. « Et, si mes estimations sont


correctes, il y en a au moins deux autres. Si vous survivez, ce soir, je vois conseille fortement
de demander à Severus ou à votre parrain de vous mettre en relation avec les gobelins. James
n’avait que peu de respect pour les traditions et ne s’est sans doute pas préoccupé de faire
fructifier le patrimoine mais vos grands-parents étaient redoutables en affaires, je ne peux pas
croire que tout soit tombé en désuétude. Encore que, présentement… Merlin sait si Gringotts
continuera de fonctionner correctement. Ah, le titre de Lord va également de pair avec un
siège au Magenmagot pour peu que vous le réclamiez. »

Cela faisait… beaucoup d’informations.

Des informations qu’il aurait probablement dû déjà avoir en sa possession.

Les Dursley ne savaient rien de son coffre, ce n’était donc pas eux qui avaient géré tout ça.
Ce qui laissait…

Dumbledore, bien sûr.

Dumbledore qui n’avait pas dû trouver judicieux de lui dire qu’il était encore plus riche qu’il
ne le pensait déjà où qu’il avait des responsabilités autres que la guerre. Non, bien sûr. Il était
plus facile de contrôler un enfant qui n’avait rien et à qui on donnait un peu qu’un enfant qui
apprenait soudain qu’il avait un pouvoir indépendant de celui de son bienfaiteur.

S’il mourait, Severus hériterait de tout.

Il n’apprécierait probablement pas de se voir devenir Lord Potter. Il y avait une certaine
ironie à ce qu’il hérite du titre de l’homme qu’il avait tellement haï, une à laquelle il aurait
probablement dû penser avant, mais il ne parvenait pas à regretter ses dernières volontés
griffonnées à la hâte. Le Maître des Potions lui avait tout donné. Il voulait le lui rendre,
même un peu.
« C’est un honneur de perpétuer une lignée qui remonte à si loin, Potter. » ajouta Lucius,
comme à son corps défendant. « Je n’ignore pas que Sirius Black a des vues… particulières
sur la question ; cependant, même en mettant de côté les politiques puristes ou progressistes,
être Chef de famille reste un… »

Les craquements de plusieurs transplannages successifs l’interrompirent.

Harry reprit immédiatement le contrôle de ses boucliers qui avait légèrement glissé pendant
leur discussion. Le visage lisse, l’attitude nonchalante de celui qui savait qu’il avait
l’avantage, mais la baguette fermement serrée dans sa main et le corps prêt à réagir à la
première attaque.

Voldemort le dévisageait.

S’il était contrarié que l’adolescent lui ait volé l’endroit le plus impressionnant du cimetière,
il n’en laissa rien paraître.

Bellatrix se tenait à sa droite. MacNair à sa gauche.

« Tom. » le salua-t-il presque joyeusement, se fendant d’un sourire de façade.

Il sentait l’amusement sadique du mage noir à travers l’horcruxe.

« Harry. » répondit Voldemort du même ton. « Je dois dire que je suis impressionné. Je ne
pensais pas que tu aurais le courage d’échapper à ton Maître. Je suppose que ton traître de fils
a ses utilités, au final, Lucius. »

Lucius s’inclina profondément mais demeura non loin d’Harry plutôt que d’aller rejoindre les
autres Mangemorts.

« Dumbledore n’est pas mon Maître. » rétorqua-t-il, avec une pointe d’irritation. « Je n’ai pas
de Maître. Je n’en ai pas besoin. »

À nouveau, il laissa enfler son pouvoir comme il avait vu Dumbledore ou Severus le faire,
s’assurant qu’ils puissent tous le sentir. Si Bellatrix fronça les sourcils et MacNair se
trémoussa légèrement mal à l’aise, Voldemort ne tressaillit même pas.

Au contraire, il ricana. « Harry, tu m’intrigues de plus en plus. Je devrais peut-être te


convaincre de nous rejoindre au lieu de te tuer tout de suite. »

« Vous pouvez essayer mais je ne m’attendrais pas à ce que cela fonctionne. » le défia-t-il, en
haussant les épaules. « Pour commencer, par contre, vous pourriez jurer de respecter notre
accord : la Carte des Maraudeurs contre Severus Snape, sans aucune interférence de votre
part. »

« Tu ne me fais pas confiance ? » se moqua le mage noir. « C’est insultant. Lord Voldemort
n’a qu’une seule parole. »

« Une seule parole qui change souvent. » remarqua-t-il. « Je veux que vous juriez pour que
tout le monde sache, si vous mentez, que le descendant de Salazar Serpentard n’est qu’un
parjure. »

Un peu de flatterie ne ferait pas mal, décida-t-il. Voldemort aimait toujours se targuer de ses
origines, après tout.

« Je jure de te donner Severus en échange de la Carte, sans intervenir. » promit le mage noir,
ses yeux rouges pétillant d’amusement.

Lucius émit un bruit qui aurait pu passer pour un raclement de gorge.

Harry n’avait pas besoin de ses conseils. « Vous ou aucun autre de vos Mangemorts. »

« Ton père t’a repris en main, je vois. » se moqua Voldemort. « Un parfait petit Serpentard. »
Harry leva un sourcil, laissant un rictus arrogant jouer sur ses lèvres jusqu’à ce que le mage
noir incline la tête en signe de reddition amusée. « Très bien. Personne n’interviendra, tu as
ma parole. Procédons, veux-tu ? »

Il ne se passa rien de visible, le mage noir ne lança aucun message évident, mais, dans la
seconde qui suivit, Pettigrow apparut, tenant le bras de Severus qui flottait dans les airs sur le
dos, les yeux clos. Il ne portait plus qu’un pantalon et des plaies s’ouvraient sur son torse,
saignant abondamment. Il était si immobile, avait l’air si…

Harry ne pouvait pas voir si sa poitrine se soulevait.

« Il est vivant ? » demanda-t-il, faisant un pas en avant.

« Tu n’as jamais précisé que c’était une de tes conditions. » s’amusa Voldemort.

Le Survivant leva vers lui un regard noir, alors que sa magie enflait à nouveau – sans son
approbation cette fois.

Le mage noir vit-il la promesse de mort dans son regard ?

« Il est vivant, à défaut d’être en bon état. » lâcha Voldemort. « Considère que c’est une
faveur de ma part. »

Il devait le croire sur parole.

« Dobby. » appela-t-il doucement. Pas suffisamment doucement pour que Lucius ne se


retourne pas brusquement avec un agacement évident.

L’elfe apparut dans un craquement, l’expression méfiante, la main en l’air, prêt à claquer des
doigts… Il jeta un coup d’œil suppliant à Harry dont les traits ne varièrent pas d’un iota.
Comme Voldemort, il avait endossé une expression vaguement ennuyée. Contrairement à lui,
ce n’était qu’une façade au travers de laquelle tout le monde voyait clair.

La Carte des Maraudeurs flottait dans les airs derrière Dobby qui s’avança lentement.

Pettigrow l’imitait pas à pas.


Finalement, ils se rencontrèrent à mi-chemin des deux camps.

L’ancien Maraudeur tendit la main vers la Carte alors que Dobby se jeta sur Severus et
disparut dans un craquement.

Harry s’autorisa finalement à respirer.

C’était terminé.

« Tom ? » s’enquit-il tranquillement. « Je n’ai rien juré, moi. »

S’il y avait un seul sort qu’il maîtrisait de façon non verbale, c’était incendio.

La Carte s’enflamma brusquement entre les mains de Pettigrow, si fort et si brusquement


qu’il ne put que la lâcher avec un cri.

Voldemort soupira, apparemment plus déçu que surpris. « Je suppose que c’est une bonne
chose que Severus n’ait plus rien à envier à un légume, dans ce cas. Je me sentais un peu
coupable de ne te rendre qu’une coquille vide. »

Harry pivota de manière à avoir les quatre Mangemorts et Voldemort dans son champ de
vision.

Il n’avait aucune chance d’en réchapper et il le savait mais ça ne voulait pas dire qu’il
comptait se laisser tuer sans résister. James et Lily s’étaient battus jusqu’au bout, il ferait de
même.

Et Severus…

Voldemort mentait.

Severus s’en sortirait.

Pomfresh faisait des miracles.

Severus s’en sortirait pour le maudire de s’être sacrifié à sa place.

« Un duel. » cracha-t-il. « Vous et moi. »

Voldemort laissa échapper un bruit amusé. « Parce que tu as prouvé que tu honorais tes
engagements ? Crois-tu que tu mérites mon attention ? »

La prophétie disait qu’il devait mourir de sa main mais comment l’horcruxe serait-il détruit
sans venin de basilic ou Feudeymon ? Cela suffirait-il qu’il meure vu qu’il était un vaisseau
vivant ?

« Bellatrix. » ordonna froidement le mage noir.

Harry n’eut que le temps de se tourner vers elle, une batterie de sorts de bouclier déjà en
place. Son maléfice explosa la première couche et vint s’écraser sur la seconde. Déjà, un sort
de découpe fusait de la baguette de MacNair, il dût rouler au sol pour l’esquiver. Celui de
Pettigrow passa si loin de lui que ça en était risible. Si Lucius se donna la peine de lever sa
baguette, le sortilège dût être stoppé par ses boucliers…

Il riposta sans réfléchir avec un sort d’entrave en direction de MacNair que l’homme évita
d’une torsion des épaules avant de répliquer d’un Doloris qui passa à travers ses boucliers
comme dans du beurre.

L’adolescent se retrouva sur le dos, à hurler face à la douleur qui brûlait chaque centimètre
carré de ses nerfs…

Lorsque le maléfice s’interrompit, il avala l’air à grandes inspirations, les membres toujours
tremblants. Ses doigts cherchant déjà à tâtons la hampe de sa baguette. Le soulagement
lorsqu’ils se refermèrent sur le bois familier n’était pas aussi intense qu’il l’aurait souhaité.
Son corps lui donnait l’effet d’être en feu.

« Voilà qui n’était guère impressionnant. » se moqua Voldemort. « Veux-tu réessayer, Harry,
ou bien préfères-tu te rendre ? »

Harry aurait préféré lui jeter un sort de mort en plein dans sa face de serpent, à vrai dire, mais
sa bouche avait le goût métallique du sang et il pressentait qu’il valait mieux garder ses
forces pour quelque chose d’important plutôt que pour des insultes.

« Obscuro Totalum. » lança-t-il, roulant sur le côté, chacun de ses muscles hurlant leurs
protestations, et repassant sur ses pieds.

Les Mangemorts lâchèrent des bruits surpris, voire alarmés, alors qu’une obscurité si
complète qu’elle en était pesante s’abattait sur le cimetière.

Il n’avait pas choisi de se positionner près de l’énorme tombe des Jedusor uniquement pour
l’effet qu’elle produisait. Sa transformation animagus était toujours incomplète mais, boostée
par l’adrénaline, elle fût beaucoup plus fluide que d’ordinaire et ses yeux de félin percèrent
l’obscurité avec facilité. Ses oreilles de tigre plaquées contre son crâne, son bras gauche un
poids mort malgré les muscles et les griffes, il se traina derrière le haut socle alors même que
les autres tâchaient encore de comprendre ce qu’il s’était passé.

Quitte à être aveugle, il redevint entièrement humain au moment où il fût à l’abri, se


souvenant trop bien de l’entraînement avec Severus où il avait tenté de se servir de sa forme
animale incomplète.

« Oh, Harry, tu me déçois vraiment… » se lamenta le mage noir. « Je pensais avoir un jeune
homme devant moi et te revoilà en train de te cacher comme un enfant. »

L’adolescent ne commit pas l’erreur de répondre et de trahir sa position.

S’il parvenait à…

Ses boucliers mentaux glissèrent de sa prise trop ferme et volèrent en éclat.

Non, non, non, pas maintenant…


Il tenta de les redresser avant que…

L’avalanche d’émotions le laissa plus tremblant et désespéré que l’endoloris. La panique était
intense, supplantant tout le reste, et tout ce qu’il pouvait faire était haleter la bouche ouverte
pour faire le moins de bruit possible.

À l’aveugle, il fouilla dans sa poche intérieure pour trouver le nécessaire à potions d’urgence
que Severus lui avait donné en soixante-quinze. Il pouvait à peine réfléchir, était vaguement
conscient que les Mangemorts tentaient de conjurer le sort à coups de lumos et d’autres
variantes… Il ne faudrait pas longtemps avant que…

Ses doigts retracèrent la forme des fioles, cherchant d’abord celle arrondie de la potion
calmante qu’il descendit sans attendre. L’effet ne fût pas aussi immédiat ou efficace qu’il
l’aurait souhaité mais son rythme cardiaque ralentit quelque peu.

Cela n’empêcha pas la terreur, le désespoir, le chagrin, la cascade d’émotions négatives qui se
fracassait contre son esprit…

Il trouva la seconde fiole, plus petite, avec le bouchon ciselé…

Il avala le philtre de force sans se préoccuper du fait que c’était mal avisé de le coupler à une
potion calmante.

S’il pouvait juste cesser de paniquer et réfléchir pendant quelques secondes…

Il y eut une série très audible de craquements par-dessus les tentatives des Mangemorts. De
nouveaux sorciers venaient de transplanner.

Harry n’avait pas pu compter.

Deux ou trois ?

Davantage de Mangemorts qui…

Le feulement n’avait rien d’humain et Bellatrix hurla de douleur dans la seconde qui suivit.

« Harry ?! » appela la voix familière de Remus Lupin.

Celle de Dumbledore lança un sort qui aurait éclairé le plus sombre des cachots, en temps
normal, sauf que… Rien ne pouvait percer le sort qu’Harry avait inventé.

« Lumière ! » hurla la voix de Lucius par-dessus la cohue.

Pour lui, déduisit Harry, le cœur battant.

« Vide Totalum. » murmura-t-il.

Les ténèbres s’estompèrent lentement. Prenant son courage à deux mains, faisant un effort
pour maîtriser sa panique, conscient que des larmes de fatigue et d’un trop plein d’émotions
coulaient sur ses joues, il passa la tête par-dessus le socle juste pour s’assurer que…
Dumbledore avait engagé le combat avec Voldemort.

Remus se battait contre MacNair et Pettigrow.

Nyssandra avait laissé une plaie béante à la gorge de Bellatrix qui pressait une main
ensanglantée contre son cou mais ne paraissait pas moins déterminée à toucher la vampire
d’un incendio que cette dernière évitait avec agilité sans pourtant parvenir à briser la garde
de la sorcière. Lucius était venu prêter main forte à sa belle sœur mais sans grande conviction
apparente.

Le petit contingent de l’Ordre n’aurait pas dû être là.

Dumbledore n’aurait pas dû être là.

Harry était censé mourir.

Dumbledore le savait.

Pourquoi…

Il vit le sort de Pettigrow fuser bas, comprit en une demi-seconde que Remus ne parviendrait
pas à le bloquer à temps et bondit de sa cachette, arrêtant le maléfice d’un bouclier et venant
automatiquement se ranger à côté de son ancien Professeur.

Le soulagement sur le visage du loup-garou était impossible à manquer.

« Tu n’as rien ? » parvint à demander Remus, entre deux sortilèges.

Un peu effrayé que ses cordes vocales ne le trahissent s’il essayait de les utiliser pour autre
chose qu’une formule, Harry se contenta de secouer la tête.

Pettigrow et MacNair se déplacèrent pour les prendre en tenailles.

Remus marmonna un juron. « Dos à dos. Je défends, tu attaques. »

Avec une terrible sensation de déjà-vu, l’adolescent s’exécuta.

Un coup d’œil confirma que Nyssa, malgré toute sa détermination, peinait.

Quant à Dumbledore, Harry n’avait jamais vu autant de haine sur son visage, il avait l’air
déterminé à blesser le mage noir à défaut de le tuer. Même Voldemort paraissait alarmé.

Ils devaient sortir d’ici.

Harry ne le supporterait pas si quelqu’un d’autre mourrait à cause de lui.

°O°O°O°O°

Sirius poussa un grognement de douleur au moment précis où il se réveilla.


Son estomac le brûlait, ses muscles étaient crispés et sa tête lui donnait l’impression d’avoir
été piétinée par un hippogriffe furieux. Et c’était sans mentionner sa cheville ou les blessures
récemment refermées sur son torse.

« Sirius ? »

Il papillonna plusieurs fois des paupières avant de parvenir à apercevoir le visage de Ron
penché au-dessus de lui.

Ron.

Pourquoi Ron était-il là ? La dernière chose dont il se souvenait était d’avoir parlé avec
Draco dans ses appartements, puis Nyssa était passée, et ensuite…

Oh, ce petit serpent…

S’il n’était pas trop occupé à le maudire, lui, il espérait que James était fier de son fils, là où
il était. Harry avait réussi à duper un Maraudeur.

Et s’il survivait, Sirius allait le tuer.

Sans plus hésiter ou tergiverser, il attrapa l’épaule du cinquième année et, sans se préoccuper
de la douleur, s’en servit pour se hisser en position assise. « Harry… »

« On sait. » l’interrompit rapidement le gamin, en posant une main sur son dos comme pour
l’empêcher de retomber sur le lit – humiliant mais pas si inutile.

« Ils sont partis à sa poursuite ? » demanda-t-il, balançant ses jambes hors du lit. « Il y a
combien de temps ? Où ? »

« Je ne sais pas. » admit Ron. « Draco a dit que Remus avait les choses en mains. »

Remus.

Il respira un peu plus facilement.

Il ne faisait aucune confiance à Dumbledore pour aller chercher Harry mais Remus ne
laisserait jamais le fils de James en danger. Surtout pas étant donné qu’il considérait le gamin
comme un membre de sa meute.

Sirius se mit debout.

Ron raffermit la prise qu’il avait sur lui alors qu’il chancelait. « Ouh là, tu es sûr que… »

« Sûr que je veux retrouver mon crétin de filleul et lui mettre un bon coup de pied au cul ?
Oh oui, je suis sûr. » siffla-t-il.

Après quelques pas, il parvint à se tenir debout sans l’aide de l’adolescent qui demeura
pourtant sur ses talons avec un air inquiet.
S’ils étaient déjà partis, ils ne savaient pas par où commencer à les chercher mais…

Draco.

Draco en savait apparemment davantage.

Il avait à peine atteint la partie centrale de l’infirmerie lorsque Pomfresh lui tomba dessus.
Son mécontentement visible ne cachait pas son épuisement.

« Et où pensez-vous aller comme ça ? » l’interpella-t-elle, son regard dérivant jusqu’à Ron.


« Je pensais pouvoir vous faire confiance pour le surveiller, Mr Weasley. » Elle agita la main
en direction de l’annexe. « Au lit, Professeur Black. Je suis sérieuse. »

« Moi aussi, je suis sérieux. » rétorqua-t-il. « Harry est en danger et… »

Avant qu’il ait pu terminer sa phrase, il y eut un craquement et, au centre de l’infirmerie,
attirant tous les regards de ceux qui n’étaient pas encore endormis, apparurent l’elfe à
chaussettes et Severus.

« Putain de merde ! » cracha-t-il, avant de se précipiter en direction de son ami.

Il l’avait fait.

Harry l’avait fait.

Severus était inconscient, à moitié nu, saignait de partout mais son torse se soulevait
régulièrement. Sirius se tourna donc vers l’elfe. « Où est Harry ? »

« Harry Potter a ordonné à Dobby de ne pas le dire. » marmonna l’elfe, ses gros yeux se
remplissant de larmes. « Harry Potter a dit que Dobby serait un mauvais elfe s’il le disait au
Professeur Black… »

« Écoute-moi bien. » gronda-t-il. « Je me fous parfaitement que tu ais à te couper une oreille
ou deux pour avoir désobéi, tu vas m’emmener là où est Harry. Tout de suite ! »

« Sirius ! » protesta Ron, en s’agenouillant à côté de Dobby. « Ne l’écoute pas. Je t’interdis


de te faire du mal. Harry ne voudrait pas ça. Et Harry n’est pas ton maître de toute manière. »

L’elfe tremblait, indécis, et…

« Sirius ! » appela l’infirmière, le distrayant momentanément.

Elle avait fait apparaître un lit près du mur et y avait posé Severus mais elle s’accrochait à
présent à la pierre, sa baguette coincée entre sa paume et les briques, sa main libre posée sur
sa propre poitrine.

Avec un nouveau juron, il se précipita à ses côtés, l’atteignant juste à temps pour la rattraper.

« Madame Pomfresh ? » s’inquiéta-t-il. Ses paupières papillonnaient et elle ne semblait pas


capable de répondre. Il avisa les robes vertes d’un Médicomage un peu plus loin et éleva la
voix. « J’ai besoin d’aide ! »

L’homme n’était autre que celui qui avait examiné Draco. Pas son premier choix, vu le piètre
travail qu’il avait fait sur le garçon, mais lorsqu’on n’avait pas d’autres options…

Le Médicomage ne semblait pas savoir sur qui se pencher en premier : Severus qui continuait
à saigner partout, Pomfresh qui paraissait sur le point de perdre connaissance, ou lui qui avait
probablement l’air d’un revenant. Au final, il agita sa baguette autour de l’infirmière avec
une moue agacée.

« Je lui ai pourtant dit qu’elle avait besoin de repos. » grommela l’homme. « Elle est épuisée
mais elle n’a rien de grave. Portez-la jusqu’à son bureau, voulez-vous ? »

C’était plus vite dit que fait mais il laissa le Médicomage se tourner vers le Maître des
Potions et soutint la sorcière jusqu’à son bureau, comptant mentalement chaque seconde loin
d’Harry. Il l’installa sur son fauteuil, le transforma en lit, s’assura qu’elle était à l’aise puis
revint en courant là où il avait laissé Dobby et Ron.

« Dobby va nous emmener. » déclara l’adolescent.

Sirius refusa tout net. « Reste ici et veille sur Severus. »

Il ne serait pas la raison pour laquelle Molly Weasley allait perdre un autre enfant.

Certainement pas.

°O°O°O°O°

Lucius avait la sensation dérangeante que la situation était en train de leur échapper.

Le plan avait été très simple, pourtant.

À la seconde où Dumbledore sentirait Severus passer les protections de Poudlard, lui et le


reste de l’Ordre débouleraient à la rescousse. Certes, le Directeur n’avait jamais précisé que
le reste de l’Ordre consistait simplement d’un loup-garou et d’une vampire mais il s’était
simplement s’agit d’attraper le gosse et de transplanner pas d’engager le combat.

Si Potter n’avait pas jeté ce sort…

La vampire n’avait aucune chance d’atteindre Bella. Elle l’avait prise par surprise une fois,
certainement parce que l’obscurité ne la gênait pas, mais elle ne réitèrerait pas l’exploit.
Dumbledore paraissait déterminé à faire payer Voldemort pour quelque affront qu’il n’avait
pas jugé bon de lui révéler auparavant – les sortilèges que le vieux sorciers lançaient sans
discontinuer n’étaient peut-être pas des Impardonnables mais ils n’étaient certainement pas
légaux et encore moins bénins. Il identifia au moins une invention de Grindelwald dans le
tas ; ironique comme le grand Directeur s’abaissait à utiliser la magie noire de son plus
célèbre ennemi lorsque cela lui était utile. Quant au loup… Lui et Potter affrontaient MacNair
et Pettigrow et parvenaient à les maintenir à distance sans difficultés apparentes mais pour
combien de temps ?
Lucius dansait en périphérie du combat, en faisant juste assez pour qu’on ne lui reproche pas
plus tard de ne pas avoir participé.

Il accrocha le regard légèrement paniqué de Potter, lança sur lui un diffindo que le garçon
dévia sans difficulté vers le rat qui glapit de douleur…

Oups, songea Lucius avec jubilation.

« Impero ! » hurla MacNair.

Lupin fût agité d’un sursaut lorsque le sort le cueillit à l’épaule et, s’il combattit le sort
pendant quelques secondes, il ne tarda pas à se tourner vers Potter, le regard vide.

Le gamin eut la présence d’esprit de s’écarter, les yeux verts lançant des éclairs au
Mangemort par-dessus l’épaule du loup-garou, mais sans baisser sa garde ou oublier
Pettigrow qui avait momentanément cessé ses attaques pour panser ses plaies.

Dans un moment de sentimentalisme, Lucius se dit qu’en d’autres temps et circonstances, il


aurait pu apprécier l’adolescent. Il aurait même pu, peut-être, se laisser persuader de lui
apprendre comment gérer un domaine ou les responsabilités qui allaient de pair avec la
charge de Chef de famille. Par certains côtés, le garçon lui rappelait Draco : la soif de se
prouver, sa dévotion à sa famille, la détermination farouche qui l’animait, l’assurance…

Puis un craquement retentit et son ancien elfe de maison, ridicule avec ses chaussettes
bariolées, revint avec Sirius Black qui ne perdit pas une seconde avant de se lancer dans le
combat.

« Remus est sous Imperium ! » l’avertit immédiatement Potter, esquivant un des sortilèges du
loup-garou.

Black laissa place à un chien noir qui se jeta sur son meilleur ami.

Potter ne cilla même pas avant de lancer un sectumsempra en direction de MacNair qui
plongea pour éviter le pire. Le maléfice le heurta à la jambe et le laissa au sol, hurlant de
douleur, tentant d’endiguer l’hémorragie des deux mains…

L’Imperium fût brisé dans la seconde mais Lupin n’eut pas le temps de se relever, à peine
celui de crier un avertissement.

Pettigrow s’était remis et venait de lancer un sortilège violacé qui n’augurait rien de bon.

La scène semblait se dérouler comme au ralenti.

Le rat avait visé Black mais Potter se jeta sur le chemin pour faire barrage de son corps.

Dobby hurla d’horreur et apparut juste devant lui…

Il aurait probablement pris le sort à sa place.

Probablement.
Ce qui fit rager Lucius.

Parce que dans un réflexe idiot qu’il ne s’expliquait qu’à peine et qui avait davantage à voir
avec le fait que Draco ne veuille pas d’un lâche pour père qu’avec un quelconque accès de
sensiblerie, Lucius avait déjà bougé, avait déjà poussé le Survivant – et l’elfe accroché à lui –
hors de la trajectoire du sort.

Le maléfice le toucha au creux des reins.

Pendant une fraction de seconde, il ne se passa rien et il eut le temps de se dire que Pettigrow
était un incapable, de toute manière, et que…

Puis la douleur se répandit dans tout son corps, insidieuse, latente, à peine là… avant
d’éclater.

Par les couilles de Merlin !

Il serra les dents pour ne pas hurler.

Il serra les dents mais il ne pouvait plus bouger, ne pouvait plus réfléchir, ne pouvait plus…

« Prends Harry et transplanne ! » hurla Black. « Nyssa ! On bouge ! »

« Albus ! » cria Lupin en réponse.

« Non, attendez ! » intervint Potter. La seconde suivante, des mains agrippaient son épaule,
lui arrachant un grognement de douleur. Il avait beau respirer entre ses dents serrées, la
douleur était… « On l’emmène avec nous ! »

« Harry… » hésita Lupin.

« C’était un espion. Il m’a sauvé. On l’emmène. » rétorqua le gamin, d’un ton qui ne souffrait
pas la contradiction.

C’était généreux, songea Lucius, Dumbledore l’aurait sans doute laissé pour mort.

Le loup-garou ne discuta pas davantage.

Le transplannage d’escorte lui fit l’effet de millions de couteaux plantés dans son corps.

Il aperçut la silhouette du château se dessiner au-dessus d’eux, au loin…

Puis il perdit connaissance.

°O°O°O°O°

Harry haletait, la tête à l’envers, le corps vibrant du philtre de force mais pourtant épuisé
jusqu’au tout dernier de ses muscles. Hyper-vigilant, il parcourut les alentours du regard,
aperçut les grilles, les hauteurs du château qui projetaient leur ombre sur eux… Il baissa les
yeux vers Lucius, vit qu’il était inconscient, essaya de le secouer pour le réveiller…
« Qu’est-ce que c’était ? » paniqua-t-il. « Le sort qui l’a touché ? Qu’est-ce que c’était ? »

« Je ne sais pas. » admit Remus, en posant une main sur son épaule. « Ramenons-le au
château et… »

Une série de craquements plus tard, Dobby apparut tenant la vampire d’une main et Sirius de
l’autre, suivi par Dumbledore.

Harry était le point de mire de tous les regards mais ce fût celui du Directeur qu’il chercha.
« Severus ? »

« À l’infirmerie. » répondit rapidement Dumbledore. « Vivant, de cela je suis certain, mais


j’ignore dans quel état. »

« Je vais te tuer. » gronda Sirius, en faisant plusieurs pas menaçants vers lui, poussant Harry
à ramper en arrière par réflexe jusqu’à parvenir à passer sur ses pieds, baguette tremblante
levée pour se défendre. Son parrain s’immobilisa, un éclat blessé passa dans son regard mais
fût bien vite remplacé par la fureur qui ne semblait pas l’avoir quitté depuis que le
Gryffondor avait désobéi à ses ordres pendant la bataille. « Tu es puni. » cracha-t-il. « Tu es
puni de tout. Jusqu’à, au moins, tes cinquante ans ! »

Remus leva un sourcil légèrement amusé mais fit la grimace. « Si on tient vraiment à le
sauver, il vaudrait mieux que Malfoy voit un Médicomage rapidement. Je ne sais pas ce qui
l’a touché mais mes sorts de diagnostics s’affolent. »

Dumbledore prit la place du loup pour jeter ses propres sorts de diagnostic, laissant à Remus
le temps de jeter un regard sévère à l’adolescent. « Sirius a raison, tu sais. C’était
irresponsable. J’attendais mieux de toi et je suis sûr que Severus aussi. »

Cela fit mal.

Évidemment que cela lui fit mal.

Mais il refusait de s’excuser pour quelque chose qu’il ne regrettait pas.

Qu’auraient-ils faits eux ? Rien du tout. Ils auraient laissé Severus mourir en lamentant sa
perte. Hypocrites. Ils l’auraient fait pour James ou Peter, à l’époque. Ils l’auraient fait l’un
pour l’autre. James l’aurait fait sans ciller pour n’importe lequel d’entre eux. Était-ce si
étonnant qu’il soit le digne fils de son père, au final ? Il comprenait qu’ils soient en colère
mais pourquoi lui reprocher d’avoir fait ce que eux auraient pu risquer dans un autre
contexte ?

Il baissa la tête et suivit le cortège peu triomphant alors qu’ils s’engageaient sur le chemin qui
menait vers le château. Il ne regardait pas où il allait, il se concentrait sur le chemin boueux
juste devant ses pieds, trop conscient que si Sirius trainait derrière lui ce n’était pas tant pour
échanger à voix basse avec la vampire que parce qu’il ne lui faisait pas confiance. Où son
parrain pensait-il qu’il voudrait aller, à présent ? Il n’était pas si pressé de mourir. Il y avait
une différence entre accepter son sort et le désirer. Mais ça, personne ne le comprenait, pas
même Severus.
Il n’arrêtait pas d’essuyer d’un revers de manche les larmes qui coulaient de ses joues.

Il ne savait même pas pourquoi il pleurait et il fit un effort pour se maîtriser mais
l’Occlumencie se dérobait à lui. Il y avait un trop plein. Trop plein d’émotions, trop plein de
craintes, trop plein de… Ses yeux débordaient.

Il sentit plus qu’il ne vit Dumbledore ralentir pour marcher à ses côtés et ne protesta pas la
main réconfortante que le vieux sorcier plaça entre ses omoplates.

« Pour ce que cela vaut, personnellement, je t’ai trouvé très courageux. » offrit le Directeur,
en lui frottant le dos. « Le plan était parfait, si ce n’est pour ta détermination à ne pas en
réchapper. »

« Je ne pensais pas que vous viendriez. » avoua-t-il dans un murmure. « Je pensais… »

« Il y a un temps pour tout, Harry. » le coupa gentiment Dumbledore. « Et il ne sert à rien de


précipiter les choses. »

N’était-ce pas pire, cependant, en un sens, d’attendre sans savoir combien de temps alors
qu’il avait été prêt à en finir ?

« Albus ! Il ne respire plus ! » s’écria soudain Remus, en immobilisant la civière qui lévitait à
côté de lui.

°O°O°O°O°

Draco s’était endormi, la tête appuyée contre la pierre granuleuse de la rambarde, mais
Hermione ne parvenait pas à en faire de même. Blottie contre son flanc, elle gardait le regard
fixé sur le tournant du chemin en contrebas, espérant de tous ses vœux qu’Harry survivrait à
cette nuit.

Elle n’avait plus de larmes à donner pour Percy ou Daphné ou aucun des autres.

Elle était épuisée, vidée, pas par l’ardeur des combats mais par le contrecoup émotionnel de
la bataille.

Son cœur lui faisait mal. Pour Ron et le reste des Weasley, pour Draco, pour Harry…

Elle était consciente d’avoir été chanceuse, de s’en être sortie sans trop de casse… Mais cela
la faisait aussi se sentir coupable parce que…

Son regard accrocha les silhouettes sombres qui avançaient dans l’ombre.

« Draco ! » s’exclama-t-elle, en se redressant brusquement. Il s’éveilla dans un sursaut


alarmé, tirant sa baguette avant même d’avoir complètement ouvert les yeux. Elle attrapa son
bras avant qu’il ait pu viser quoi que ce soit ou lancer un sort par réflexe. « Regarde ! »

Il fallut quelques secondes avant qu’il ne soit tout à fait lucide, elle le vit bien. Il la dévisagea
longtemps avant de ciller plusieurs fois et de suivre la direction de son doigt pointé.
Ses épaules s’affaissèrent de soulagement. « Tu vois, Potter a un don certain pour survivre
aux pires situations. »

Elle fit le compte des silhouettes plus ou moins familières. Celle d’Harry, plus petite que les
autres, était impossible à confondre. De même celles de Dumbledore et de Sirius se
distinguaient… Il y avait une femme avec eux qu’Hermione pensait avoir rencontrée au
Ministère lors de la Nuit des Ténèbres et le dernier… Remus, c’était Remus.

Elle respira plus librement.

« La civière… » remarqua-t-elle, en se levant pour mieux voir. « Tu penses que c’est Snape ?
Tu crois qu’il est vivant ? »

Juste à ce moment là, il sembla y avoir un moment de panique dans le groupe qui revenait
vers le château. Dumbledore et Sirius se précipitèrent vers la civière à côté de laquelle Remus
s’était agenouillé, laissant la femme poser deux mains réconfortantes sur les épaules
d’Harry…

Ce fût également le moment où les nuages s’écartèrent légèrement, laissant un rayon de lune
frapper le parc…

… et se refléter sur les cheveux d’un blond presque blanc du sorcier couché sur la civière.

Draco passa sur ses pieds en une seconde, le teint pâle. « C’est mon père. »

Fatigue et résolutions oubliées, il détala en direction de l’intérieur du château.

Hermione ne put rien faire d’autre que de suivre.

°O°O°O°O°

Remus ne put nier un certain soulagement lorsque Dumbledore parvint, à coups de plusieurs
anapneo agressifs, à faire repartir le cœur du Mangemort.

Ce n’était pas tant qu’il tenait à Lucius Malfoy qu’il avait vu assez de morts pour la journée.

Le Directeur prit le contrôle de la civière, pressa le pas vers le château, encourageant les
autres à en faire de même… Harry, sans paraître contrôler les larmes qui ruisselaient sur ses
joues, courut presque pour le dépasser, probablement impatient d’aller retrouver son père
adoptif. Sirius l’accompagna après un baiser rapide pour Nyssa qui fila vers le parc pour faire
un dernier tour de ronde avant l’aube.

Aucun d’eux ne s’aperçut que Remus était resté en arrière.

Aucun d’eux ne s’aperçut qu’il s’immobilisa dans l’ombre des grandes portes d’entrée
fraichement réparées.

Une fois qu’ils eurent disparu dans les étages, l’école redevint calme, paisible dans le silence
nocturne. Il aurait presque été possible de penser que c’était un soir comme un autre,
d’oublier que trop de corps gisaient couchés à quelques pas de là dans la Grande Salle.
Il tourna la tête vers le ciel, laissa le croissant de lune caresser son visage.

Lunard se secoua en lui, toujours perturbé par la sensation de l’Imperium leur ayant volé
pensées et volonté.

Remus s’humecta les lèvres, prit une profonde respiration, rassembla à lui les souvenirs de
nuits passées enlacés, d’un parfum discret mais qui menaçait de le jeter à genoux à chaque
fois qu’il le sentait, d’un rire avide qui éclatait à une plaisanterie pas si drôle, au murmure de
son nom comme une caresse…

« Spero Patronum. »

°O°O°O°O°

Pour ce qui semblait être la centième fois ce jour là, la situation échappa à Sirius.

À la seconde où ils passèrent les portes de l’infirmerie, tout partit à vau l’eau.

Severus était toujours là où il l’avait laissé, le Médicomage était toujours en train de s’agiter
autour de lui, et Harry, en l’apercevant, se jeta presque sur lui, à peine stoppé par le ton docte
du soigneur qui lui enjoignit de ne pas le déranger dans son travail. Ron le retint en arrière,
lui parlant à voix basse…

Mais Sirius fût distrait de cette scène par la présence de son cousin qui, lui, se serait jeté sur
la civière qui transportait son père si Hermione ne l’avait pas agrippé et convaincu de ne pas
bloquer le chemin…

« Qu’est-ce qu’il a ? » paniqua Draco. « Que s’est-il passé ? »

Sirius était dépassé.

Dumbledore appelait après Pomfresh – qui ne risquait pas de lui répondre – tout en guidant la
civière vers une annexe encore pratiquement vide. Draco voulait des réponses. Hermione le
regardait, à lui, avec de grands yeux comme si elle espérait qu’il allait l’aider à rassurer le
Serpentard. Remus avait disparu. Harry paraissait au bord de la rupture…

Putain, il avait tellement besoin d’un cigarette.

°O°O°O°O°

Ce fût l’éclat argenté qui la tira de sa torpeur qui n’était pas tout à fait un véritable sommeil.

De guerre lasse, Nymphadora avait obéi à son père et s’était allongée sur le canapé, la tête
appuyée sur sa cuisse comme quand elle était encore une petite-fille. Quelqu’un l’avait
tendrement enveloppée d’une couverture. Andromeda sans doute.

Ted dormait, la tête tombée en arrière sur le dossier du canapé, à un angle qui ne manquerait
pas de lui faire mal au réveil. De la cuisine, elle entendait des bruits de voix chuchotées.
Narcissa avait dû se relever pour une raison ou une autre et il était évident que sa mère n’était
jamais allée se coucher.
Tonks fixa le loup argenté du regard sans parvenir à ressentir autre chose que de
l’appréhension et de la tristesse, devinant quel message le Patronus avait pour elle.

« Severus est à Poudlard. Vivant mais dans un état indéterminé. » offrit la voix de Remus,
après un moment de silence. « Dora… Au revoir. »

Il lui fallut plusieurs secondes pour comprendre ce que les mots voulaient dire, pour admettre
que la teneur du message était absolument le contraire de ce à quoi elle s’attendait.

L’espoir.

L’espoir la cueillit au cœur et elle repoussa la couverture, se remettant debout d’un coup, en
oubliant que son corps avait dépassé ses limites. Le tournis la poussa à se rattraper à un
fauteuil…

« Qu’est-ce qu’il se passe ? » demanda Ted, d’un ton endormi, en se réveillant dans un
sursaut.

Prenant une grande inspiration, ignorant le vertige qui n’allait pas manquer d’en résulter, elle
se redressa à nouveau. « Remus a envoyé un Patronus. Severus est à Poudlard. Vivant. »

Son père ne parut pas feindre son soulagement. Dans la seconde, il s’était extirpé du canapé
et lui avait attrapé le coude. « Je sais que tu veux t’y précipiter mais laisse-moi, au moins,
aller te chercher un pantalon. »

Elle voulut protester cette perte de temps, baissa les yeux sur le pyjama fané et trop court
pour être porté ailleurs qu’en famille, et grimaça. « D’accord mais vite. »

« Aussi vite que possible. » promit Ted. « Andy ! »

Sa mère apparut dans la pièce si vite qu’elle la soupçonna d’avoir transplanné. Narcissa suivit
à un pas moins pressé, une main protectrice toujours posée sur son ventre.

Avant qu’ils aient pu leur expliquer que la situation avait changé, un autre Patronus débarqua
dans le salon dans une trainée argentée. Le phoenix n’était pas aussi corporel qu’à
l’accoutumée mais Tonks aurait eu du mal à reprocher à Dumbledore de peiner à rassembler
des souvenirs heureux, ce jour là.

« Andromeda, j’ai besoin de vous immédiatement. » ordonna le Directeur. « Lucius Malfoy


est gravement blessé. »

Le bruit qui échappa à Narcissa était celui d’une bête apeurée.

La Sang-Pure se maîtrisa dans la seconde mais Nymphadora ressentit une empathie


instantanée et viscérale pour elle.

« Je t’accompagne. » déclara immédiatement sa tante, d’un ton qui ne souffrait pas de


discussion.

« Tu n’es pas en état de transplanner. » protesta Andromeda. « Ce n’est pas raisonnable. »


Narcissa ne voulait rien entendre. À peine consentit-elle à aller passer rapidement une tenue
un peu plus adaptée que sa chemise de nuit et sa robe de chambre.

Nymphadora la comprenait très bien. Le temps gaspillé à enfiler un pantalon et un sweater


par-dessus son tee-shirt lui sembla tout autant de minutes gâchées pendant lesquelles Severus
aurait pu l’abandonner à nouveau.

Mais discuter aurait pris davantage de temps encore et elle n’était pas en état de transplanner
jusqu’aux grilles de Poudlard seule. Elle avait besoin que quelqu’un l’emmène. Alors elle se
tut, s’exécuta rapidement et les supplia mentalement, tous, d’accélérer le mouvement.

Elle ne savait peut-être pas trop quoi penser du revirement de situation impliquant sa mère et
sa tante mais, durant ces longues minutes où elles attendirent toutes les deux le bon vouloir
de Ted et Andromeda, quelque chose passa entre elles et Nymphadora se surprit à lui adresser
un sourire réconfortant qui avait l’air un peu trop faux. Peut-être qu’elles n’avaient pas
toujours été du même côté mais l’amour n’avait pas de bord politique.

Et, si elle était certaine d’une chose, c’était que Narcissa aimait Lucius au moins autant
qu’elle aimait Severus.

Et c’était sans parler de Draco qui les liait déjà, que Tonks le veuille ou non.

Le temps qu’Andromeda ne la prenne dans ses bras pour amortir autant que possible les
effets déplaisants du transplannage d’escorte, Nymphadora avait déjà capitulé dans son esprit.

Tante Narcissa était une réalité avec laquelle elle allait devoir composer désormais.

°O°O°O°O°

Sirius retraçait les allées et venues de son cousin des yeux, sentant le poids des regards
curieux de tous ceux qu’ils avaient réveillés avec leur remue-ménage. Autour du lit de
Severus, Harry avait partiellement tiré un rideau pour lui offrir autant d’intimité que possible
et avait laissé Ron l’entraîner un peu à l’écart pour laisser la place au Médicomage.

Draco refusait de s’assoir ou de se calmer.

Il faisait les cents pas devant la porte close de l’annexe dont les patients avaient été
rapidement relocalisés par une Chourave apparemment dépassée par les évènements.
Dumbledore s’était enfermé avec Malfoy et deux Médicomages…

Ça ne sentait pas bon.

Draco était dans un état de panique silencieuse qu’il n’avait aucune idée de comment gérer.
Hermione avait renoncé à le convaincre de s’assoir ou de ne pas s’imaginer le pire avant de
savoir ce qui se passait. Elle se tenait contre le mur, à le suivre des yeux avec angoisse, les
mains nouées devant elle comme pour s’empêcher de chercher à l’attraper…

Lorsque la porte se rouvrit, il ne s’était pas passé assez longtemps pour que ce soit une bonne
nouvelle.
Vu la dégradation rapide de l’état de Malfoy, Sirius doutait que Dumbledore et les
Médicomages aient pu trouver une solution en une poignée de minutes.

Draco chercha immédiatement à passer derrière le Directeur mais, cette fois-ci, Sirius lui
attrapa le bras et le retint, sentant qu’il valait mieux le préparer avant de le laisser voir…

« Sois patient, Draco, s’il te plaît. » lui enjoignit Dumbledore.

L’adolescent se figea et Sirius comprit pourquoi lorsqu’il aperçut ce qu’il se passait dans la
pièce, par-dessus l’épaule du vieux sorcier. Les Médicomages s’agitaient, Lucius avait été
partiellement déshabillé… Des sortilèges luisaient dans les airs… Il y avait une impression
évidente d’urgence.

« Sirius. » reprit le Directeur, le forçant à détacher les yeux du triste spectacle. « Les Tonks
sont aux grilles et je n’ai pas pu lier Nymphadora aux nouvelles protections. J’ai besoin
d’Andromeda au plus vite, allez leur ouvrir, s’il vous plaît. »

Il hocha la tête sans chercher à discuter, attendant simplement que Dumbledore ait fermé la
porte pour lâcher Draco. Le garçon ne semblait plus enclin à faire les cents pas. Il semblait
frappé d’horreur.

Sirius lança un regard lourd de sens à Hermione qui grimaça mais l’attira doucement vers le
mur contre lequel il s’affala sans résistance. Il s’attarda juste assez pour s’assurer qu’elle
avait la situation en main puis se dirigea vers la sortie, stoppé dans sa course par Molly qui
semblait hésiter dans l’allée.

« Qu’est-ce que je peux faire ? » demanda-t-elle, son regard passant de là où Draco était à
présent accroupi en bas du mur à là où Harry se tenait, s’essuyant toujours régulièrement le
visage de sa manche.

Où avait-il trouvé ces robes habillées d’ailleurs ?

Repoussant la question sans importance, l’Animagus la poussa gentiment vers les lits où la
majorité de ses enfants dormaient encore. « Te reposer. »

« Je suis triste, pas malade. » grommela Molly.

Il n’avait pas voulu la vexer.

« Je sais, c’est juste qu’on a la situation en main. » mentit-il.

« Harry… » insista-t-elle.

« Je vais m’occuper de Harry. » l’interrompit-il, s’efforçant d’y mettre du tact. « Et Tonks est
aux grilles. Elle va s’occuper de Draco. Tout va bien. On gère. »

Cela tenait davantage du vœu pieu qu’autre chose mais il dût projeter suffisamment
d’assurance pour qu’elle ne persiste pas.
Ce fût Patmol qui détala dans le couloir de l’infirmerie, la patte arrière tout aussi douloureuse
que sa cheville l’était – et l’escarmouche dans le cimetière n’avait rien arrangé. Il était plus
rapide sous cette forme et il atteignit les grilles en un temps record.

Les grilles où quatre silhouettes attendaient.

Il reprit forme humaine à quelques mètres du portail, trébuchant presque lorsqu’il identifia la
quatrième personne.

Il n’avait d’yeux que pour elle.

Il remarqua à peine Ted qui soutenait sa fille ou Andromeda qui piétinait sur place.

Il ne voyait que le visage pâle de Narcissa. Des mèches blondes dépassaient du capuchon de
la cape noire qui la couvrait jusqu’aux pieds. Et ses yeux gris… Ses yeux gris accrochèrent
les siens et Sirius cessa de respirer.

L’instant était hors du temps.

Il avait trente-six ans.

Il en avait treize.

Il en avait huit.

Elle avait vieilli depuis la dernière fois où il l’avait vue. De minuscules rides commençaient à
plisser le coin de ses yeux et de sa bouche mais cela n’enlevait en rien à sa beauté éthérée.

« Sirius ! » s’énerva Tonks avec impatience, lorsqu’il resta immobile trop longtemps.

Il cilla et l’étrange sortilège qui n’avait rien de magique se brisa. Il ouvrit les grilles, leur
accordant le passage.

Tonks échappa à son père et s’agrippa à son bras, fouillant son regard. « Severus ? »

Elle paraissait si désespérée, si terrifiée…

Il l’avait crue perdue à jamais, quelques heures plus tôt, et ne résista pas à l’envie de la serrer
brièvement dans ses bras juste pour s’assurer qu’elle était bel et bien vivante, qu’elle
respirait…

« Je ne sais pas. » admit-il, en la relâchant. « Vivant mais amoché. »

Elle s’élança vers le château – ou voulut s’élancer, plutôt.

Elle vacilla au bout de deux mètres et sans Ted et Andromeda qui se précipitèrent pour la
soutenir, il doutait qu’elle serait allée bien loin.

Les trois Tonks déjà partis, il ne restait plus qu’eux.


Narcissa n’avait pas bougé. Elle semblait aussi figée que lui, prisonnière de ce drôle d’instant
qui avait semblé impossible quelques secondes plus tôt encore. Il n’avait jamais tablé sur des
retrouvailles. Pas avec elle. Pas après tout ce temps. Pas après tout ce qui les divisait.

Il était dur de lire ses traits. Était-ce l’appréhension qui l’empêchait de bouger ? Le rejet ? La
colère ?

Son visage était lisse, indéchiffrable.

Sirius aurait parié que ce n’était pas de l’indifférence, en tout cas, parce que…

« On peut dire ce qu’on veut… » tenta-t-il de plaisanter, forçant un sourire qui tremblait de
trop d’émotions. « Andy est vraiment la meilleure d’entre nous pour garder un secret. Elle n’a
rien laissé échapper. »

Le masque froid et distant sur le visage de Narcissa se fissura. L’amusement se disputait à la


tendresse et à la peur dans son regard.

Il vint à l’esprit de l’Animagus qu’il n’était pas le seul qui appréhendait la réaction de l’autre.

Après tout, s’il avait ses raisons de lui en vouloir, elle avait également les siennes. Elle avait
peut-être épousé Malfoy et embrassé la cause de Voldemort mais, lui, avait entièrement
abandonné leur famille pour celle qu’il s’était choisie. Et si, sur le moment, ça avait semblé
naturel et la seule chose à faire… Il était désormais conscient de s’être lavé les mains du sort
de Regulus et de Bella, en se persuadant qu’il ne pouvait rien y changer. Et il avait rompu les
ponts avec Narcissa aussi, bien avant qu’elle ne se marie, ne tombe enceinte et accouche d’un
garçon qu’il n’avait rencontré que trop tard et sur lequel il avait entretenu beaucoup trop de
préjugés stupides.

Alors, certes, elle avait ses torts… De gros torts… D’énormes torts…

Pourtant…

Quelques mois plus tôt encore, la tête encore embrouillée par Azkaban et l’enfermement
forcé au Square Grimmaurd, il se serait peut-être détourné avec colère ou dégoût pour les
choix qu’elle avait fait. Mais c’était avant qu’il retrouve Andy. Avant qu’il n’apprenne la
vérité de ce qui était arrivé à Regulus. Avant que Severus ne lui prouve, à son corps
défendant, que les gens pouvaient changer, lui y compris. Avant que tous ces souvenirs trop
pesants soient revenus se nicher dans un coin de sa tête et qu’une seule constante en émerge :
les seuls qui avaient compté pour lui avant les Maraudeurs avaient été Reg et les filles.

Il n’aurait pas plus pu lui tourner le dos, à ce moment là, que rejeter Harry parce qu’il venait
de faire la plus grosse connerie qu’il puisse imaginer.

Ne l’avait-il pas affirmé à Draco, quelques heures plus tôt ? Narcissa et lui avaient été élevés
comme frère et sœur. On pardonnait tout à sa sœur. S’il était encore temps, s’il avait pu
revenir en arrière, il aurait tout pardonné à Regulus. Il aurait tout donné pour retrouver son
frère. Il avait porté cet espoir pendant de folles heures avant que Kreattur ne lui révèle la
vérité et ça avait été à la fois un temps de joie et d’angoisse. Narcissa n’était pas Reg mais
c’était presque la même chose.

Alors, sachant que si elle lui riait au nez, elle rouvrirait une ancienne blessure qui n’avait
jamais véritablement cicatrisé, il tendit des bras hésitants. « Cissy… »

Il n’était pas préparé à ce que Narcissa, qui était toujours si distinguée, si prompte à les
rappeler tous à l’ordre lorsqu’ils se montraient trop indisciplinés, se jette pratiquement dans
ses bras sans aucune retenue. Elle le serrait si fort qu’il ne put que lui rendre son étreinte avec
le même abandon : l’abandon de quelqu’un qui avait cru ne jamais revoir l’autre et qui se le
voyait miraculeusement rendu.

« Sirius… » murmura-t-elle, sa voix se cassant sur la deuxième syllabe avec une émotion
palpable.

Il ferma les yeux, appuya son front sur son épaule et huma le parfum capiteux de fleurs
exotiques qui semblait perpétuellement flotter autour d’elle. Il fût instantanément ramené à
leur enfance.

« Je suis désolée. » offrit-elle immédiatement. « Je savais pour Pettigrow. Je savais et je n’ai


rien dit. Je les ai laissés te… »

« Le passé est passé. » l’interrompit-il fermement. Ce n’était pas une méthode qui avait bien
fonctionné avec Remus mais il ne pouvait pas se permettre de faire les comptes avec chaque
personne qui l’avait trahi à l’époque. Pas sans devenir fou.

« J’ai pensé à toi tous les jours. » admit-elle pourtant.

« Tous les jours ? » la taquina-t-il. « Pauvre Lucius. »

Elle était beaucoup trop bien élevée pour lui donner une claque sur le bras mais apparemment
pas pour accidentellement lui marcher sur le pied.

« Je vois que tu es toujours aussi idiot. » siffla-t-elle dans son oreille, avec un brin de ce
sarcasme si familier dont elle n’usait qu’avec ses proches. Il plaignait les gens qui ne
voyaient en elle que l’ombre placide d’une épouse dévouée. Il les plaignaient vraiment.
Narcissa avait toujours été davantage que ce qu’elle se plaisait à montrer au monde. « Je
suppose qu’il est bon de savoir que certaines choses ne changent jamais, même après douze
ans à Azkaban. »

Il ne chercha pas à réprimer son éclat de rire et la serra d’autant plus fort.

Du moins jusqu’à ce qu’il sente quelque chose d’étrange contre son ventre et ne se fige.

« Euh… Cissy ? » hésita-t-il, en l’écartant gentiment par les épaules. Parce qu’elle tenait elle-
même ses bras, la cape s’était ouverte et ne dissimulait pas un ventre joliment arrondi. « Dis-
moi que tu as simplement forcé sur le chocolat chez Andromeda… »

Le chocolat, même celui de Honeydukes, ne frappait pas, cela dit, et c’était


immanquablement un coup que Sirius avait senti lorsque ce ventre rebondi avait été pressé
contre le sien. Un coup qui venait de l’intérieur. Il résista à l’envie d’y apposer la main, juste
pour vérifier que ce n’était pas une créature quelconque qui aurait fait son nid là. Qui savait
ce qui rampait dans le jardin de Ted, avec toutes les plantes magiques qu’il y plantait ?

Narcissa recula d’un pas et inclina la tête avec une expression tout à fait sereine qui exprimait
pourtant clairement ce qu’elle pensait de ses plaisanteries stupides – rien de bien, en somme.
« Je suis enceinte. À l’évidence. »

Enceinte.

N’était-elle pas trop vieille pour ça ? Il faillit poser la question mais un seul regard à sa
bouche pincée et il sut que si elle était trop bien élevée pour le frapper, elle n’était pas
suffisamment guindée pour ne pas sortir sa baguette et lui jeter un mauvais sort, comme
quand ils étaient enfants et qu’il lui volait ses poupées juste pour l’embêter – elle maîtrisait
parfaitement le maléfice visant à faire pousser les dents de sa victime et l’avait plus d’une
fois transformé en caricature de castor pour le punir.

Enceinte.

Il ne pouvait détourner les yeux de son ventre, sous le choc de cette nouvelle pour le moins
inattendue. Gênée, elle referma les pans de sa cape pour mieux dissimuler la chose. Pas parce
qu’elle en avait honte, comprit-il instinctivement, mais parce que cela faisait d’elle une proie
plus facile – et une cible. Parce que si Lucius aurait probablement fait n’importe quoi, en
temps normal, pour sa femme ou son fils, si ses ennemis mettaient la main sur sa femme
enceinte…

« Draco ne m’a pas dit que… » remarqua-t-il.

« Draco l’ignore. » l’interrompit-elle. « Tout le monde l’ignore. » L’inquiétude et la


culpabilité déformèrent soudain son expression. « Lucius. Que s’est-il passé ? Où est-il ? Le
Patronus disait qu’il était gravement blessé. »

« Honnêtement, je ne suis pas sûr. » admit-il.

Et, mis à part pour la détresse évidente de Draco, il n’en avait pas eu grand-chose à faire
jusqu’à cette seconde.

La situation était absolument, irrévocablement différente s’il y avait un bébé dans l’histoire.

Il avait vu trop d’enfants grandir sans père.

Sans compter que s’il arrivait le pire à Lucius, Narcissa allait être bouleversée et il n’était
peut-être pas un expert mais Sirius savait tout de même qu’on ne bouleversait pas une femme
enceinte – surtout lorsqu’elle avait l’air aussi enceinte.

Se retrouver à espérer que Lucius Malfoy n’ait rien de grave…

Mais qu’était devenue sa vie ?


« Viens. » l’encouragea-t-il, en posant une main dans son dos pour l’entraîner vers le château
– pour s’assurer qu’elle ne trébucherait sur rien ou qu’elle n’aurait pas besoin d’aide
d’aucune sorte.

Vu le regard en coin passablement irrité qu’elle lui jeta, elle n’était pas dupe des raisons de sa
prévenance. « Je ne suis enceinte que d’un peu plus de sept mois. Je ne risque pas
d’accoucher au milieu du parc de Poudlard. »

« Hagrid est à deux pas. Je suis sûr qu’il pourrait te dépanner, dans le cas contraire. »
rétorqua-t-il, s’attirant un autre regard noir. Il leva les yeux au ciel. « Excuse-moi de
m’inquiéter pour toi. Tu as l’air prête à exploser ! »

« Toujours aussi charmeur ! » souffla-t-elle avec agacement. « Je ne suis plus si sûre d’être
heureuse de te retrouver. »

Mais c’était un mensonge, il le vit à la manière dont ses lèvres tressautèrent légèrement. Et
malgré toutes ses protestations, elle ne chercha pas à s’écarter de lui.

Les paroles de Draco, un peu plus tôt, lui revinrent en mémoire.

Alors change les choses. Tu es le Chef de famille, c’est ta responsabilité d’ajouter ta pierre à
l’édifice. C’est ta responsabilité de laisser ta Maison en meilleur état que celui dans lequel
tu l’as héritée.

Il n’avait jamais prêté d’importance à tout ça et James, qui était également l’héritier d’une
vieille Maison, n’avait fait que l’encourager dans cette voie. Ils s’étaient voulu modernes,
libres penseurs, libérés des enclaves des traditions… Les parents de James avaient respecté
ses choix mais pas les siens évidemment, ce qui n’avait fait que le conforter dans l’idée
que…

C’est ta responsabilité de laisser ta Maison en meilleur état que celui dans lequel tu l’as
héritée.

Il avait peut-être eu des sentiments ambivalents pour Draco, au début, mais l’impression
d’être responsable de lui avait, d’une certaine manière, toujours été là. Ça l’avait arrangé que
Tonks se porte volontaire pour assumer sa garde mais, au fond, il s’était toujours un peu senti
responsable, tout comme il se sentait responsable de l’Auror. Parce qu’ils étaient sa famille,
peu importait combien sa famille l’avait rejeté ou combien il l’avait rejetée.

À voir Narcissa ainsi, à voir l’enfant qui grandissait dans son ventre, il lui vint cette
révélation dérangeante qu’il restait un Black et que, mariage ou pas, il considérait toujours
ses cousines et leurs enfants comme des Black – il n’avait pas oublié la demande de Draco de
reprendre leur nom, bien qu’il se doutait que ce n’était plus d’actualité.

En conséquence, qu’il le veuille ou non, qu’il le désire ou non, parce qu’il était l’ainé du fils
ainé, parce qu’il était le Chef de famille, ils étaient tous sous sa responsabilité.

Le patrimoine, la pureté de la lignée, les conneries politiques… Tout ça, il s’en foutait.
Mais protéger les siens ?

Ça, c’était une partie intégrante de sa personnalité.

Rajouter à ça un enfant à naître et…

Putain de merde, si Malfoy y restait, il allait devoir assumer ses responsabilités de Chef de
famille. S’assurer que les gosses ne manqueraient de rien. S’assurer que Narcissa serait en
sécurité, surtout.

Au moins, ça ferait un heureux, songea-t-il.

Kreattur allait avoir une jolie surprise en se réveillant.

°O°O°O°O°

Draco existait dans un état second.

Il était vaguement conscient qu’il était accroupi en bas d’un mur, que Granger lui frottait
doucement le bras et lui parlait à voix basse, que quelqu’un avait jeté un sort pour qu’aucun
son ne filtre de derrière la porte close où son père…

Son père qu’il avait renié quelques heures auparavant.

Son père qu’il…

Andromeda débarqua en trombe dans l’infirmerie, ne s’arrêta que pour demander quelque
chose à un Médicomage… Il n’eut pas le temps de se relever, de la supplier de lui dire que
Lucius allait s’en sortir. Elle le dépassa sans même sembler l’apercevoir et s’engouffra dans
la pièce, la porte claquant derrière elle.

Il serra les mâchoires contre les larmes qui lui brûlaient les yeux.

Le tunnel avait explosé.

Les corps dans les cachots.

Blaise qui levait la tête et…

Des lèvres se posèrent sur sa joue, si légères qu’il les sentit à peine. Cillant, il tourna la tête
vers Granger qui l’observait avec inquiétude. Il ne protesta pas lorsqu’elle se pencha pour
l’embrasser à nouveau. Au contraire. Il cessa de retenir sa respiration.

« Tout va bien se passer. » promit-elle contre sa bouche.

« Tu n’en sais rien. » accusa-t-il, sans pourtant chercher à s’éloigner d’elle. « J’ai dit à Potter
de… Si Potter lui a dit… Il pense que… »

Tout le joli discours qu’il lui avait tenu à l’extérieur était parti en fumée.
Oui, Lucius était un Mangemort. Oui, les Mangemorts étaient des gens affreux qui avaient
assassiné des enfants et il se ferait un devoir de les chasser jusqu’au dernier si Granger
refusait de fuir comme une personne sensée l’aurait fait. Oui, il avait honte de voir le nom des
Malfoy associé à celui du Seigneur des Ténèbres.

Et pourtant…

« C’est ton père, Draco. » répondit-elle, ses doigts s’enroulant autour de son poignet. « Tu as
le droit d’être inquiet. Tu l’aimes. Tu as le droit de l’aimer. »

« Même s’il défend une cause qui voudrait exterminer les gens comme toi ? Comme tes
parents ? » souffla-t-il, plus perdu encore qu’il ne l’avait été plus tôt lorsqu’il avait demandé
à Sirius la permission de prendre le nom de famille de sa mère.

« Oui. » lui sourit-elle, en caressant sa joue. « Même dans ce cas là. »

Malgré tout, il était chanceux.

Chanceux qu’elle ait consenti à s’allier avec lui. Chanceux qu’elle ait un jour entaillé leurs
paumes en plein cours de Potions pour mieux lui faire admettre l’évidence. Chanceux qu’elle
lui ait ouvert les yeux. Chanceux qu’elle lui ait sans réserve ouvert son cœur alors que lui
avait hésité longtemps, tiraillé entre ses sentiments et le poids des responsabilités qui
l’attendaient.

Et cette chance, il la mesurait.

« Quoi qu’il se passe… » murmura-t-il. « Quoi qu’il arrive ensuite… Riche ou pauvre. Avec
ou sans famille. Avec ou sans Maison. Un jour, je t’épouserai. »

C’était d’une telle clarté, c’était une telle évidence que quelque chose s’apaisa en lui.

Elle grimaça. « Draco… »

« Je sais. » la coupa-t-il, en volant un léger baiser. « Tu n’es pas prête à l’entendre, cela
t’effraye. Ce n’est pas grave. Je peux attendre. »

Il attendrait aussi longtemps qu’il le faudrait pour elle.

Il n’y aurait personne d’autre.

« Je ne dis pas non. » répondit Granger. « Je dis juste qu’on est beaucoup trop jeune pour
penser à ça. »

Elle avait le luxe de ne pas devoir penser à ça parce qu’elle n’avait pas de responsabilités
envers qui que ce soit d’autre qu’elle-même.

Draco avait le devoir de produire un héritier et le plus tôt était le mieux.

Mais cela il ne le lui expliqua pas parce que, de toute manière, il n’était pas certain d’avoir
toujours le poids de sa Maison sur ses épaules. Potter avait-il parlé à Lucius ? Lui avait-il
rapporté ces paroles qu’il regrettait déjà ? Son père était-il en colère ? Était-il déçu ? Était-il
peiné ?

Qu’avait-il…

Narcissa Malfoy, drapée dans une cape noire, fit une entrée remarquée dans l’infirmerie, et
pas uniquement parce que Sirius foudroyait du regard tout ceux qui osaient la regarder trop
longtemps. Sa mère avait ce genre de charisme qui attirait l’attention partout où ils allaient.
Elle était belle, elle avait la fierté de son nom et elle assumait pleinement la chose. Elle avait
toujours été quelqu’un d’important, après tout. Lorsqu’elle rejeta le capuchon qui lui couvrait
la tête, tous les yeux avides suivirent le mouvement comme si elle avait eu du sang de
Vélane.

Le regard gris accrocha le sien à travers la pièce.

Draco y lut du soulagement et, par-dessus tout, de l’amour.

Il aurait dû se lever calmement, la rejoindre d’un pas mesuré, conscient des regards tout
autour, et la saluer en s’inclinant légèrement, peut-être déposer un baiser respectueux sur sa
joue si elle l’y invitait. Il était pratiquement un adulte, après tout.

Mais la nuit avait été aussi longue et difficile que le reste de la journée voire que le reste de
l’année.

Et, en conséquence, il ne réfléchit même pas avant de détaler comme un lapin et de se jeter
dans ses bras dans une démonstration de puérilité qui aurait même embarrassé un Weasley.
Et, pourtant, il ne parvint pas à regretter la chose parce que, loin de le repousser ou de lui
faire la morale, elle le serra dans ses bras à l’étouffer.

Il était presque aussi grand qu’elle, à présent.

« Oh, mon dragon… » murmura-t-elle, l’émotion palpable dans sa voix. « Comme tu m’as
manqué. »

« Vous m’avez manqué aussi, Mère. » avoua-t-il, en la relâchant finalement, conscient qu’ils
se donnaient en spectacle et que…

La cape s’était entrouverte et son regard fût attiré vers l’arrondi de la robe qu’elle portait
dessous, un arrondi qui ne semblait guère naturel. Elle avait toujours été très mince. Elle…

« Tu vois. » glissa Sirius, d’un ton joyeux qui sonnait faux. « Y a pas qu’à moi que ça fait
l’effet d’un Petrificus Totalus. »

Narcissa, s’arrachant à la contemplation de son fils, lança un regard agacé à leur cousin. « Il
s’avère que tu ne me manquais véritablement pas tant que ça, à la réflexion. »

« Menteuse. » accusa-t-il, avant de s’éloigner retrouver son filleul.

Elle ne nia pas.


Draco ne parvint même pas à prêter attention à leurs chamailleries parce qu’il ne pouvait pas
détourner les yeux de l’évidence. Gentiment, sa mère attrapa son poignet et guida sa main
vers son ventre. La paume posée à plat sur la bosse, il était indéniable que quelque chose
s’agitait là-dedans.

Il savait que ses parents avaient voulu un deuxième enfant pendant longtemps. Il se souvenait
de moments ou Narcissa avait commencé à s’arrondir uniquement pour s’enfermer dans des
périodes de longues tristesses lorsqu’il était petit. Personne n’en avait jamais parlé à voix
haute. Draco n’avait jamais été assez idiot pour réclamer le frère ou la sœur qu’il aurait aimé
avoir plus jeune.

Plus tard, il avait saisi au vol des bribes de conversations, avait lu à droite ou à gauche que
les familles Sang-Pures avaient davantage de problèmes à concevoir que les autres et il en
avait déduit que c’était ce qu’il s’était passé.

Et pourtant, là, sous sa paume…

Il lui vint bien à l’esprit que cela signifiait que Lucius pouvait très bien, à présent, se
débarrasser de lui en raison de toutes les difficultés qu’il lui avait causé. Il ne parvint pas à en
avoir quelque chose à faire. Déshérité ou pas…

C’était son frère ou sa sœur qui grandissait là.

C’était…

Lentement, avec difficulté, il leva les yeux vers Narcissa qui l’étudiait avec attention. Ses
yeux gris étaient secs parce qu’elle n’aurait jamais trahi le moindre signe d’émotion en public
mais il était impossible pour lui, qui la connaissait si bien, de ne pas voir la tendresse et la
pointe de crainte dans son regard.

« Comment ? » parvint-il à demander, sans cacher son émerveillement.

Était-ce pour ça qu’elle était partie se mettre à l’abri ? Était-ce pour préserver ce petit être que
plus personne n’attendait et pour lequel Draco sentait déjà un irrépressible élan protecteur ?

Il avait vu la manière dont Bill et Charlie Weasley veillaient sur Ron ou Ginny et, à cet
instant, il fit le serment d’être le même genre de frère. Il voulait être le même genre de frère.
Il allait être le meilleur frère de l’Histoire de la Magie parce que… Oh, il l’aimait déjà.

Après toute l’horreur de la journée, de la nuit, c’était…

« Je l’ignore. » admit Narcissa, avec un soulagement certain. Elle passa une main dans ses
cheveux en désordre pour lui redonner un aspect plus convenable, dans un geste maternel qui
lui fit un bien indescriptible. Elle lui avait vraiment manqué. « Un heureux accident. »

« C’est un miracle, dans ce cas. » décréta-t-il.

« Oui… » sourit-elle. « Un miracle. » Puis elle se reprit, jeta un regard aux alentours et plissa
le nez en se voyant être observée avec autant d’attention. « Draco, ton père… »
« Ils ne veulent rien me dire. » la coupa-t-il, revenant brutalement sur terre. Il l’entraîna vers
la porte derrière laquelle Andromeda avait disparu et à côté de laquelle Granger attendait,
visiblement nerveuse.

Avant qu’il ait pu faire les présentations correctement, elle s’avança la main tendue. « Mrs
Malfoy, c’est un plaisir de vous rencontrer. »

« Lady Malfoy. » corrigea-t-il, à voix basse.

La jeune fille grimaça, lui jeta un regard d’excuse, puis se racla la gorge. « Lady Malfoy,
désolée. »

On ne tendait pas la main comme ça à la matriarche de l’une des anciennes Maisons, à plus
forte raison lorsque la Maison en question était celle des Malfoy. Narcissa tiqua fortement
mais, à son crédit, se força à sourire et à serrer la main tendue.

« Miss Granger, je présume. » lâcha-t-elle. « J’ai beaucoup entendu parler de vous. »

« Oh, euh… Vous pouvez m’appeler Hermione. » offrit la lionne, son regard dérivant vers
son ventre avec une surprise manifeste. « Félicitations. »

« Mère, vous devriez vous asseoir. » s’empressa d’offrir Draco, s’inquiétant des
conséquences qu’être sur ses pieds trop longtemps pourraient engendrer.

« Circé me préserve des mâles surprotecteurs. » marmonna Narcissa.

« Une chaise. » décréta-t-il, sans l’écouter. « Où… »

Il se tourna et se retourna, fouillant les environs pour un siège libre ou quelqu’un qu’il
pourrait déloger sans trop de scrupules lorsque Granger en fit apparaître un d’un coup de
baguette. Il se serait passé de son sourire amusé mais était trop soulagé de pouvoir guider sa
mère jusqu’à la chaise pour lui en faire la remarque.

Si sa mère lui fit plaisir en acceptant de s’asseoir, son expression ne tarda pas à s’endurcir.
« Dis-moi tout. »

Il s’exécuta autant que possible mais il n’avait pas les détails et Narcissa n’avait pas l’air
heureuse, particulièrement lorsqu’il relata qu’il avait demandé à Potter de rendre le sceau
familial à Lucius.

« Tout ce que ton père a fait, absolument tout, a toujours été fait pour ton bien. » le gronda-t-
elle, une fois qu’il eut terminé. « Le lui jeter au visage ainsi… »

Il baissa la tête, honteux et coupable.

Du moins jusqu’à ce qu’une main glisse dans la sienne, lui rappelant pourquoi il avait décidé
de se rebeller en premier lieu.

« Draco n’est pas obligé de penser la même chose que vous. » cingla Granger, avec son air le
plus têtu.
Narcissa et elle s’affrontèrent du regard très, très longtemps, aucune d’elles apparemment
prête à céder la première.

Suffisamment longtemps pour que Draco se demande s’il allait devoir, à nouveau, se voir
obligé d’établir clairement qu’il ne comptait pas rentrer dans le rang puriste et…

Sa mère émit un bruit amusé, puis détailla la jeune fille de la tête aux pieds avec un soupçon
d’approbation.

Un soupçon était suffisant. Il pouvait la convaincre qu’Hermione était parfaite si Narcissa


était bien disposée envers elle.

La porte s’ouvrit pour laisser sortir Dumbledore qui ne parut pas particulièrement surpris de
les trouver tous là. En revanche, ses sourcils se levèrent haut sur son front, d’une manière qui
aurait pu être comique en d’autres circonstances, lorsqu’il aperçut ce que la Sang-Pure
n’essayait plus tant de cacher.

« Voilà un rebondissement pour le moins inattendu. » commenta le vieux sorcier.

Narcissa se leva avec la grâce d’une reine et le toisa sans s’embarrasser de dissimuler ni sa
froideur, ni sa fureur. « J’exige de voir mon époux. »

Dumbledore ne trahit rien mais Draco interpréta pourtant sa tension comme un mauvais
signe.

Il remarqua à peine que Sirius les avait à nouveau rejoints et était allé se placer à côté de
Narcissa comme si c’était absolument naturel.

« Les Médicomages sont toujours en train de s’occuper de lui. » déclara le Directeur, d’un ton
radouci qui ne présageait rien de bon. « Il a été touché par un maléfice mais nous ne
parvenons pas à déterminer lequel. Son état est… préoccupant, je ne vous mentirai pas. »

L’adolescent eut la sensation que le sol se dérobait sous ses pieds.

Granger serra sa main plus fort.

Narcissa demeura silencieuse pendant un moment. Elle ne protesta pas la main inquiète et
réconfortante que leur cousin plaça dans son dos mais, comme si le contact avait été un choc,
elle leva le menton plus haut.

« Préoccupant ou désespéré ? » demanda-t-elle, le ton dur et le visage fermé.

Quelqu’un qui ne la connaissait pas aurait pu croire à de l’indifférence. Draco, et visiblement


Sirius, ne s’y laissèrent pas prendre. Le garçon lâcha la main de Granger pour mieux attraper
celle de sa mère, quant à l’Animagus, il fit un pas en avant comme pour se placer entre elle et
Dumbledore.

« Votre sœur fait son possible. » déclara le Directeur.

« Ce n’est pas une véritable réponse. » cracha Draco, avant d’avoir pu s’en empêcher.
Ce ne fût que lorsque le vieux sorcier, probablement trop conscient qu’ils étaient la cible de
tous les regards curieux, suggéra que Sirius les escorte jusqu’à un endroit plus privé pour
attendre des nouvelles, qu’il comprit que ça en était une.

Ce n’était simplement pas celle qu’ils voulaient entendre.

°O°O°O°O°

Se faire dépasser par une femme enceinte était vexant, décida Nymphadora, en prenant
davantage sur elle pour accélérer l’allure. Sa mère était partie devant, Narcissa et Sirius
venaient de leur passer à côté sans même offrir de les attendre…

Elle avait failli pleurer en avisant le premier escalier et en calculant toutes les marches qu’il
allait lui falloir monter.

Pourtant, tant bien que mal, avec l’aide de son père, elle parvint à l’infirmerie.

Et la première chose qu’elle vit fût Harry qui pleurait en silence, essuyant régulièrement ses
joues.

Derrière lui, il y avait un lit sur lequel Severus gisait, absolument inerte, torse nu, des plaies
profondes lacérant son torse. La plupart avait déjà été refermées, les autres étaient en passe de
l’être par le Médicomage à l’aspect peu engageant qui s’agitait autour de lui.

Ce fût l’état de l’adolescent qui l’alarma le plus.

« Harry ! » Elle échappa à la main secourable de Ted pour se précipiter vers lui, ignorant Ron
qui s’excusa en grimaçant pour aller retrouver sa famille, visiblement soulagé de se voir
relayé auprès de lui.

Le garçon se tourna vers elle, l’air absolument choqué. Elle n’eut pas le temps de tendre la
main qu’il s’était jeté sur elle comme un boulet de canon. S’il avait pleuré en silence jusque
là, c’étaient de vrai sanglots qui le secouaient maintenant et, prise de cours, elle le serra dans
ses bras.

« Tout va bien. » promit-elle, en espérant qu’elle ne s’avançait pas. Parce que Severus était là
mais il n’était pas conscient. Pourtant, si le Médicomage en était à refermer les blessures qui
ne semblaient pas mortelles, alors ça ne pouvait pas être si grave, si ? « Tout va bien, c’est
fini. »

Elle essaya de se détacher de l’adolescent pour aller parler au Médicomage, pour toucher le
torse pâle et couvert de cicatrices qui se soulevait lentement, pour s’assurer que Severus était
vraiment là, mais Harry la tenait bien trop fermement, avec bien trop de désespoir… Elle
croisa le regard de son père par-dessus la tête du gamin. Ted regardait la scène avec
étonnement mais, à sa question muette, haussa les épaules.

Renonçant à tenter de l’écarter, elle lui frotta le dos avec maladresse, peu certaine de
comment on consolait un garçon de presque seize ans aussi bouleversé.
« Calme-toi. » murmura-t-elle. « C’est fini, ça va aller. Calme-toi, mon chat. » Elle ne savait
pas d’où vint le surnom ridicule, elle savait à peine ce qu’elle disait. Harry ne protesta pas et
parut même se détendre, alors elle continua de répéter la même chose inlassablement. « Tout
va bien. C’est fini. Arrête de pleurer, mon chat, c’est fini. »

Au bout de longues minutes, l’adolescent finit par la lâcher, uniquement pour se frotter le
visage avec un embarras manifeste. Il ne s’éloigna pas beaucoup, pourtant, et ne parut pas
mal le prendre lorsqu’elle serra son autre bras pour continuer à le réconforter.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé, Harry ? » demanda-t-elle.

« Ce qu’il s’est passé ? » s’exclama Sirius, en les rejoignant. « Il a mis un somnifère dans
mon whiskey, voilà ce qu’il s’est passé. »

« Il va très bien s’entendre avec Narcissa, donc. » marmonna son père, en aparté.

Nymphadora l’ignora. « Quoi ? »

Elle chercha le regard du garçon mais il évitait résolument de tourner les yeux vers elle,
préférant fixer ses chaussures d’un air atrocement coupable.

« Il s’est enfui, a concocté un plan absolument insensé et a failli se faire tuer. » siffla Sirius.
« C’est un miracle qu’il soit toujours en vie et il est puni jusqu’à la fin des temps. »

À ça, le gamin redressa la tête avec fougue, fusillant son parrain du regard. « J’ai ramené
Severus. »

« Ça aurait fait une belle jambe à Severus que tu l’ai sauvé si tu étais mort, pauvre idiot ! »
s’énerva l’Animagus.

« Hey ! » protesta-t-elle, en s’interposant entre eux, jetant un regard noir à son cousin. « Déjà,
je me fous que tu sois en colère, tu ne lui parles pas comme ça. Ensuite, s’il t’a faussé
compagnie, tu as ta part de responsabilité là dedans. » Elle lui tourna le dos avant qu’il ait pu
répliquer, posa les mains sur les épaules d’Harry et le secoua gentiment mais fermement. « Et
toi… »

« Ils n’allaient rien faire ! » se défendit l’adolescent, la suppliant du regard de comprendre.

« Parce que c’était trop risqué et… » commença à protester Sirius.

Elle ne lui prêta pas attention, secouant à nouveau gentiment le gamin. « Moi, j’aurais fait
quelque chose. Harry, si Severus a besoin d’aide, c’est moi que tu viens voir. Évidemment que
je ne l’aurais pas laissé tomber. Si tu avais un plan… J’aurais pu prendre ton apparence…
J’aurais pu… »

Elle s’interrompit parce qu’elle n’aurait pas pu.

Elle aurait rampé jusqu’à Azkaban si on l’avait laissée faire mais la vérité était qu’elle n’avait
pas été en état de faire quoi que ce soit. Elle n’était toujours pas en état, d’ailleurs. Elle ne
tenait debout que par les derniers ressorts de sa volonté et elle aurait été tout aussi incapable
de jeter un sort que d’aller courir un marathon.

« Mais je croyais que tu étais morte ! » lâcha Harry, avec une détresse palpable. « Il m’a dit
que tu étais morte ! »

Avant d’avoir compris, elle avait une nouvelle fois les bras pleins d’un gamin clairement à
bout et à nouveau en larmes. « Qui a dit que… »

« Sirius ! » accusa-t-il, dans un sanglot.

Harry était visiblement épuisé autant physiquement qu’émotionnellement et elle ne put


contrôler l’élan protecteur qui la poussa à fusiller son cousin des yeux.

« Je n’ai jamais dit… » contra Sirius, avant d’être brutalement interrompu par son filleul.

« Quand on était dehors, pendant la bataille, tu as dit qu’elle était morte ! » insista-t-il. « Je ne
suis pas fou ! Tu as dit Tonks est morte. »

Le Médicomage, tout en continuant de refermer les plaies de Severus, leur jetait des regards
agacés. Elle laissa à Ted le soin de murmurer des excuses.

Elle était beaucoup trop furieuse.

« Mais, putain, qu’est-ce qu’il t’a pris de lui dire un truc pareil ? » grinça-t-elle, en resserrant
son étreinte sur l’adolescent.

La moitié de l’infirmerie, nota-t-elle, ne semblait pas savoir ce qui était le plus intéressant :
leur petite scène ou les Malfoy.

« C’est ce qu’Anthony nous a dit à Severus et moi. » grinça Sirius, beaucoup plus sobrement
d’un coup. « Qu’il avait ordonné à Charlie de te tuer parce que… » Il se tut lorsqu’il vit
l’horreur sur son visage et grimaça. « Mais j’ai dit à Harry que c’était faux dès que Remus
m’a prévenu que tu allais bien. Je lui ai dit. Je suis sûr que… » Il s’interrompit à nouveau et
pâlit. « Merde. Harry… Harry, je suis désolé. Ça m’est sorti de la tête et… »

Harry ne semblait pas tout à fait disposé à lui pardonner immédiatement son étourderie.

Nymphadora, pour sa part, était plus inquiète d’autre chose. « Severus. Il croit… »

Sirius grimaça d’autant plus.

C’était toute la réponse dont elle avait besoin.

Elle porta une main à son visage, parvenant sans peine à imaginer ce qu’il avait dû ressentir.
Et l’idée qu’il avait failli mourir en pensant que…

Elle prit une profonde inspiration, força Harry à s’écarter d’elle pour croiser son regard.
« Tu ne fais plus jamais un truc comme ça, d’accord ? » exigea-t-elle. « Sirius est peut-être
un idiot mais il n’a pas tort sur un point : c’était dangereux et irresponsable. La prochaine
fois, en espérant qu’il y ait pas de prochaine fois, tu viens me voir d’abord. Et si quelqu’un te
dit que je suis morte, vérifie d’abord avec une source un peu plus fiable. »

« Oui, c’est ça. » s’agaça son cousin. « Tout est ma faute. »

« Je n’ai pas dit ça. » rétorqua-t-elle.

L’Animagus croisa les bras. « Ah bon ? Tu ne t’entends pas, je crois. »

« Ne vous disputez pas. » soupira Harry. « C’est ma faute. Mais Severus est là et je ne le
regrette pas. »

« Et c’est bien le problème. » commenta Sirius. « Tu penses que tu as fait ce qu’il fallait faire.
Tu penses que tu avais raison. Et je suis désolé, Harry, mais tu as tort. »

Ted se racla la gorge. « Ça a été une longue journée et les esprits sont un peu échauffés. Peut-
être qu’on devrait s’en tenir là avant de dire quelque chose qu’on va regretter. »

Sirius leva les mains en signe de reddition. « Je vais voir si Narcissa et Draco ont besoin de
moi. Essaye de ne pas le perdre avant que Severus ne se soit réveillé pour lui passer le savon
du siècle. Et s’il te propose à boire, méfie-toi. »

Harry baissa à nouveau les yeux, sans sembler savoir s’il ressentait de la culpabilité ou de la
satisfaction.

Nymphadora n’avait aucune idée de quoi lui dire.

Elle était mal placée pour lui faire la leçon, elle aurait fait la même chose et, mis à part le
gronder comme un enfant, qu’était-elle censée faire ? Surtout vu qu’il ne semblait pas
capable de s’éloigner de plus de quelques centimètres d’elle ou de cesser de la regarder
comme si elle était un véritable miracle, et c’était sans parler des larmes qui continuaient de
couler sans qu’il paraisse s’en rendre compte.

Elle n’avait pas le mode d’emploi.

Mais elle pouvait s’assurer que Severus ait les meilleurs soins et se réveille au plus vite pour
gérer la situation – et pour qu’elle puisse lui dire qu’il ne l’avait pas perdue, au passage.

Alors elle se tourna vers le Médicomage qui semblait déterminer à les ignorer malgré le
scandale qu’ils avaient provoqué. « Excusez-moi… »

« Vous êtes sa femme ? » demanda le soigneur, en lui accordant à peine un regard.

En une seconde, elle l’identifia comme une de ces personnes rigides qui suivaient les règles
au pied de la lettre. Et, dans l’intérêt d’accélérer les choses sans avoir à attendre que
Dumbledore vienne intercéder en leur faveur, elle mentit sans même sourciller. « Oui. »

Son père se tendit très visiblement mais Harry ne réagit même pas.
« Comme je l’ai déjà dit à votre fils, si vous me laissez faire mon travail, cela sera plus rapide
que si vous m’interrompez toutes les deux secondes. » déclara sèchement le sorcier.

Votre fils.

Il ne lui vint même pas à l’esprit de protester.

Ce qui lui vint à l’esprit, en revanche, c’était que le Médicomage était soit aveugle, soit un
crétin fini.

Certes, entre les larmes et sa tenue un peu trop grande qu’il avait dû voler dans l’armoire de
Sirius ou de Severus, le garçon avait l’air plus jeune et la frange cachait la cicatrice en forme
d’éclair. Certes, il y avait des milliers d’Harry sur cette terre. Certes, le Maître des Potions
n’était pas si célèbre que tout le monde aurait dû le reconnaitre. Certes, son propre visage
avait beau avoir régulièrement fait la Une de la Gazette, ces dernières semaines, elle n’était
pas non plus une célébrité à part entière. Quant à Sirius, il accusait le coup de la journée et,
elle supposait qu’on pouvait ne pas l’identifier tout de suite. Mais tout de même.

Eux tous associés ? L’homme aurait dû savoir de qui il s’occupait.

Plus du tout confiante, elle se tourna vers Harry. « Où est Pomfresh ? »

Le Survivant haussa les épaules et croisa les bras devant lui, comme s’il avait froid.

Et elle se reprocha immédiatement de ne pas avoir remarqué avant les tremblements qui
l’agitaient. Elle avait pris ça pour le contrecoup de la journée, peut-être une conséquence des
larmes qu’il paraissait incapable de maîtriser mais…

« Harry, quelqu’un t’a examiné, hein ? » s’inquiéta-t-elle, tout d’un coup, se tournant tout à
fait vers l’adolescent. « Tu n’as rien ? »

Le garçon secoua la tête. Avec à peine une seconde d’hésitation.

« Harry. » gronda-t-elle.

Le Survivant grimaça. « J’ai peut-être reçu un petit Doloris… Mais ça va, je te promets. »

Elle eut soudain beaucoup de compassion pour sa mère.

Et pour Severus.

Et elle regrettait presque d’avoir été aussi vive avec Sirius.

Elle avisa Dumbledore qui se rapprochait et pointa un doigt accusateur vers lui. « Vous
n’avez pas pensé à demander à Harry s’il était blessé ? Il a été soumis au Doloris et il ne vous
ait pas venu à l’idée de… »

« Dora, je n’ai rien du tout. » l’interrompit l’adolescent. « Je te promets, je… »


« Harry ne m’a pas dit qu’il avait été touché par quoi que ce soit. » se défendit le Directeur,
en tournant immédiatement un regard inquiet vers lui. « Tu aurais dû… »

« Severus est ce qui est important, là tout de suite. » s’énerva l’adolescent. « Et le


Médicomage ne veut rien nous dire. »

Sa colère changea instantanément de cible, parce que ce n’était pas faux, et Nymphadora se
mit à fusiller le sorcier aux robes vertes du regard. « Et je ne suis pas sûre qu’il sache ce qu’il
fait. »

« Essayons de ne pas nous mettre les collègues de ta mère à dos, Dora. » intervint son père.

« Allons, allons… » temporisa Dumbledore. « Je suis certain que… »

« Très bien. » cingla le Médicomage. « Puisque on ne me laisse pas faire mon travail en
paix… Voilà ce que je peux dire, madame, votre époux a reçu de nombreuses lacérations plus
ou moins superficielles. Certaines étaient profondes mais facilement résorbables. »

Si Dumbledore tiqua à l’appellation, il garda le silence.

Ils gardèrent tous le silence.

Ils attendaient la suite.

Et la suite tardait à venir.

« Et ? » l’encouragea à poursuivre le vieux sorcier, au bout de quelques minutes.

« Et, c’est tout ce que je peux dire avec certitude pour l’instant. » décréta le Médicomage.
« Je ne m’explique pas son état comateux. Il faut faire davantage d’examens, peut-être
demander l’aide d’un collègue spécialisé dans le cerveau et… »

« Sa Marque n’est plus là. » déclara Harry, qui s’était approché du lit pendant qu’ils parlaient.

Il avait pris la main gauche du Professeur et avait légèrement tourné son bras vers la lumière
des bougies qui flottaient non loin.

Nymphadora fixa la zone enflammée qui avait eu l’air si atroce la dernière fois qu’elle avait
posé les yeux dessus. En comparaison, ce n’était pas si terrible. La peau était rougie, irritée,
mais ne semblait plus décidée à s’enfoncer dans sa chair.

Et il n’y avait plus aucune trace du crâne ou du serpent, pas même une indentation.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? » insista le garçon, quêtant tour à tour son regard et celui du
Directeur.

« Ça veut dire qu’il nous faut un Médicomage plus compétent et qui le connait. Celui-ci n’a
même pas remarqué le problème principal. » grinça-t-elle. « Pomfresh ou ma
mère. Professeur… »
« Madame Pomfresh n’est pas en état. » soupira le vieux sorcier, en s’approchant du lit pour
lancer une batterie de sorts de diagnostic. « Il est stable. Une fois que votre mère en aura
terminé avec Lucius… »

« Andy aussi est épuisée. » remarqua Ted. « Nous sommes tous épuisés. Et tu devrais
vraiment t’allonger, Dora. »

Le Médicomage, vexé, s’éloigna en marmonnant dans sa barbe. Aucun d’eux ne chercha à le


retenir ou à s’excuser.

« Je croyais qu’on ne pouvait pas la retirer ? Que c’était impossible ? » s’enquit Harry, l’air
perdu.

C’était censé l’être.

C’était censé…

Elle fit un pas vers le lit, voulut poser la main sur son torse juste pour s’assurer qu’il se
soulevait, pour s’assurer que…

Il aurait dû être mort.

La Marque… La Marque aurait dû le tuer…

Elle ne parvint qu’à le frôler.

Ses jambes se dérobèrent sous elle.

Son corps, dont elle avait trop longtemps ignoré les avertissements, la lâcha purement et
simplement.

Sans son père, qui avait semblé craindre exactement ce scénario, elle se serait écroulée au sol.

« Dora ! » s’écria Harry, effrayé.

Ce fût la dernière chose qu’elle entendit avant de sombrer.


Family

« You know, you can lose family, Min Hwani. Family whom you loved more than life. But
you can also find family—those who come into your life a stranger yet make you feel as
though you’ve known them for all your life … »
The Forest Of Stolen Girls – June Hur

« Tu sais, on peut perdre sa famille, Min Hwani. Une famille que l’on aime plus que sa
propre vie. Cependant, on peut aussi trouver une famille – ceux qui entrent dans ta vie
comme des étrangers et te donnent pourtant l’impression que tu les as toujours
connus… »
The Forest Of Stolen Girls – June Hur

Sirius leur avait trouvé une petite pièce poussiéreuse et clairement abandonnée depuis des
lustres, près de l’infirmerie, où patienter à l’abri des regards indiscrets avant de disparaître à
nouveau pour aller s’enquérir de l’état de Severus.

Il semblait à Narcissa qu’il s’était passé des heures depuis qu’elle avait rejoint Poudlard mais
elle savait qu’il ne s’était pas écoulé tant de temps que cela dans les faits.

La pièce était petite et circulaire, son usage était un mystère. Il y avait une cheminée,
quelques meubles de rangement, deux fauteuils et un sofa, un tapis rongé de mites… Peut-
être à une autre époque avait-elle servi à recevoir les familles des élèves malades ou blessés
mais était depuis longtemps tombée en désuétude sous l’égide de Madame Pomfresh qui
préférait son bureau pour ce genre de choses.

Sur le petit canapé qui tenait plus de la causeuse et qui aurait eu du mal à contenir deux
personnes si elles n’avaient pas été collées l’une à l’autre, Draco s’était plus ou moins laissé
aller dans les bras de sa petite-amie, témoignant d’un manque de dignité que Narcissa hésitait
depuis plusieurs minutes à lui reprocher. Elle l’aurait fait s’ils avaient été en public mais il
semblait évident que la jeune fille ne comptait pas. Et si Narcissa avait songé à lui faire
remarquer, à elle, que c’était un temps pour la famille et qu’il aurait été de bon ton qu’elle se
retire, elle semblait tellement apaiser son fils qu’elle n’avait rien dit.

Hermione Granger.

Cela faisait des mois qu’elle entendait parler d’elle et elle ne savait toujours pas quoi en
penser.

Elle les observait songeusement, tout en caressant son ventre dans l’espoir de calmer le bébé
qui remuait, répondant à son état pour le moins agité malgré les apparences – et pour lequel
Andy ne manquerait pas de lui faire la leçon – en se demandant si son fils était certain de ce
qu’il faisait.

Qu’il soit amoureux de la Gryffondor, cela ne faisait aucun doute.


Qu’il soit déterminé à la garder, voire à l’épouser, Narcissa n’en doutait pas non plus – il
avait sous-entendu la chose plusieurs fois dans la correspondance régulière qu’il entretenait
avec Andromeda. À l’origine, sa sœur n’avait pas été très enthousiaste à l’idée de trahir la
confiance de son neveu en lui faisant lire les lettres mais Cissy n’avait jamais laissé quelque
chose d’aussi bénin qu’un tiroir fermé à clef l’arrêter lorsqu’elle voulait quelque chose. Et
des nouvelles directes de son fils, elle en était affamée.

Que Draco s’entiche d’une Sang-de-bourbe, passe encore.

Qu’il l’épouse… Les Malfoy n’avaient pas vu leur arbre généalogique souillé par autre chose
que l’occasionnel Sang-Mêlé – qui avait déjà fait scandale – depuis au moins quatre
générations. Toutefois, puisqu’il semblait que les Malfoy aient désormais rejoint le camp des
progressistes menés par Dumbledore, il serait sans doute de bon ton de se mettre au diapason,
quitte à revenir à des traditions plus drastiques par la suite. Politiquement, cela faisait sens.

Mais s’il devait épouser une Sang-de-bourbe, il fallait que ce soit la bonne Sang-de-bourbe.

La manière dont elle lui avait tenu tête plus tôt, avait osé élevé la voix contre elle…

Pourtant, elle l’avait fait pour défendre Draco.

Narcissa aurait préféré une bru plus docile, au caractère moins farouche, et qui aurait été
facilement malléable… Cependant, d’un autre côté, une femme forte n’avait jamais fait de
mal à aucun homme et si cette Hermione Granger avait la tête aussi bien faite que tout le
monde semblait s’accorder à le penser…

L’étiquette, les coutumes, le rôle attendu de Lady Malfoy… Tout ça pouvait s’apprendre.

La loyauté envers son époux, l’amour profond qui la pousserait à le protéger envers et contre
tout, les sacrifices faits pour épargner ses sentiments… Cela, ce n’était jamais acquis. Mais
elle en voyait les prémices chez cette fille.

Si Narcissa la prenait en main…

« Mère, êtes-vous sûre que vous vous sentez bien ? » demanda Draco, coupant court à sa
réflexion.

Elle sursauta légèrement et s’alarma intérieurement de se laisser aussi facilement surprendre.


Elle avait toujours été parfaitement maîtresse d’elle-même en toutes circonstances. Elle
blâmait les mois passés chez Andy et Ted. Une fois dépassées les premières semaines
gênantes et les disputes à demi-mots qui l’avaient opposées à sa sœur alors qu’elles tentaient
de réparer quelque chose qui semblait irrémédiablement brisé, elle s’était sentie à l’aise chez
sa sœur, à la maison presque. Certes, le cottage était trop petit comparé au Manoir et elle
avait eu l’impression qu’ils se marchaient sur les pieds, tout du long, mais cela lui avait
également rappelé leur enfance et…

Les raisons qu’avaient eu Andy de s’enfuir, Narcissa pouvait les comprendre. Elle aurait tout
sacrifié pour Lucius. Ce qu’elle désapprouvait, c’étaient les origines de Ted.
Et il aurait été plus simple de s’en tenir à cette désapprobation si Ted avait été un rustre sans
manières mais elle avait dû admettre, après plusieurs semaines passées à s’accrocher à ses
préjugés, qu’il était très difficile de ne pas l’apprécier. C’était un homme discret qui ne
concevait d’autres plaisirs que de fumer sa pipe, de lire ses livres ou de disparaître dans son
jardin. Il était cultivé et s’il ne s’était jamais élevé aux plus hauts échelons de la carrière de
Botaniste, il semblait simplement heureux de faire ses expériences et d’entretenir ses plantes
qu’il vendait régulièrement à plusieurs apothicaires.

Ted et Andy menaient une vie simple, si éloignée de celle de Narcissa que s’en était risible.
Et pourtant, ils étaient heureux.

Elle tenait toujours à la pureté de la lignée, autant celle des Malfoy que des Black. Elle
croyait toujours, dur comme fer, que les Sang-Purs auraient dû diriger la communauté
magique.

Mais elle n’était pas assez stupide ou aveugle pour penser que le Seigneur des Ténèbres était
toujours la réponse. Déjà, à l’époque, elle avait eu ses doutes.

Si Draco finissait par épouser Granger… Eh bien, elle deviendrait une Malfoy et cela
compenserait son manque de pédigrée, décida-t-elle, tant que la jeune fille prouvait qu’elle
avait les épaules pour assumer son titre.

Narcissa réservait son jugement.

« Mère ? » insista son fils, visiblement inquiet.

« Mrs… Lady Malfoy, voulez-vous que j’aille chercher du thé ou quelque chose de sucré ? »
proposa la lionne.

Un point en sa faveur, décida Narcissa distraitement. Au moins, elle avait des qualités
d’hôtesse.

« Je vais bien. » mentit-elle.

Ni l’un, ni l’autre des adolescents n’était dupe mais la porte s’ouvrit, les empêchant de
persister.

Sirius leva immédiatement les mains lorsque tous les regards se tournèrent vers lui. « Je n’ai
pas de nouvelles de Malfoy. »

Les épaules de Draco s’affaissèrent à nouveau. La jeune fille s’empressa de lui murmurer des
paroles encourageantes à l’oreille que Narcissa ne chercha pas à surprendre.

Au lieu de ça, elle donna sa pleine attention à son cousin qui vint se tenir près de son fauteuil.
« Severus ? »

« Toujours pareil. » soupira-t-il. « Il est stable mais personne ne comprend pourquoi il ne se


réveille pas. Et personne ne comprend comment il peut ne plus avoir de Marque, non plus. »
Il haussa les épaules. « Ils l’ont transféré dans une pièce à l’écart, plus facile à défendre au
cas où… »
Il laissa sa phrase en suspens mais Narcissa comprit très bien le sous-entendu. Ils avaient
repoussé les Mangemorts et démasqué un espion mais cela ne signifiait pas qu’il ne restait
pas de danger à l’intérieur du château or l’espion qui avait par deux fois échappé aux griffes
du Seigneur des Ténèbres était ennemi à abattre.

Il en était sans doute de même pour Lucius mais elle ne pensait pas qu’aucun d’eux s’en
préoccupait.

Ingrats.

« Et Nymphadora ? » s’enquit-elle. « Comment va-t-elle ? »

« Inconsciente, elle aussi. » admit Sirius. « Mais Ted dit que c’est normal. J’ai laissé Harry
avec lui… » Il se passa la main dans les cheveux, la laissa trainer sur sa nuque avec nervosité.
« Il n’a plus de raisons de se sauver maintenant donc je suppose que je n’ai pas besoin de le
surveiller. Et, très franchement, je suis tellement furieux que… »

Un sourire joua sur les lèvres de Narcissa. « Toi qui adorais commander Bella et Reg, tu
aurais la paternité difficile ? »

« Moque-toi. » marmonna-t-il, en levant les yeux au ciel. « C’est beaucoup plus simple d’être
l’oncle sympa. »

Son sourire se transforma en grimace et ses mains se crispèrent. Elle souffla lentement.

Alarmé, Sirius s’accroupit, posant d’autorité une main sur son ventre. « Hey, tu m’as promis
que tu n’étais pas sur le point de pondre ! »

« Mère ? » s’horrifia Draco.

Elle serra la mâchoire à s’en faire mal pour mieux dissimuler la douleur.

« Sirius, ce n’est pas une façon de parler d’une femme ! » s’agaça la jeune fille.

Deux points en sa faveur.

« Exactement. » trancha Narcissa, en lui jetant un regard noir. « Je ne suis pas une poule. »
Elle s’efforça de sourire. « Et ce ne sont que des contractions passagères. »

« Tu vois, moi, j’entends le mot contractions et je sais qu’il faut que j’aille chercher un
Médicomage en urgence. » rétorqua Sirius, en se redressant d’un bond.

Elle lui attrapa le poignet avant qu’il ait pu s’éloigner. « Cesse ton cirque, Sirius. Ce n’est
rien du tout. Je vis avec une Médicomage depuis des mois, cette grossesse n’aurait pas pu
être mieux contrôlée. Je suis prête à admettre que la journée a été particulièrement
angoissante et qu’il vaudrait sans doute mieux que je me repose mais je te promets que je
vais bien. »

Sirius n’avait pas l’air tout à fait convaincu et Draco ne l’était pas davantage. Ils échangèrent
un long regard qui contenait toute une conversation silencieuse et Narcissa se demanda quand
exactement son cousin en était venu à connaître aussi bien son fils.

« Mère. » intervint l’adolescent, le ton tout ce qui était de plus raisonnable et poli. « Peut-être
devriez-vous vous retirer dans les appartements de Sirius. S’il y a des nouvelles je vous
informerai immédiatement et… »

« Je te remercie, Draco, il me semble que, jusqu’à nouvel ordre, je suis toujours ta mère et, en
conséquence, je prends les décisions. » rétorqua-t-elle.

« Je pense simplement au bébé. » se défendit le garçon.

« Sous-entendrais-tu que moi pas ? » siffla-t-elle, en levant les sourcils.

Il y eut un lourd silence qui fut brisé par le raclement de gorge gêné de la jeune fille. « Je
crois qu’ils veulent juste dire qu’ils sont inquiets pour vous. On pourrait peut-être transformer
le sofa… Vous pourriez vous allonger ici ? »

Elle fronça le nez. Le manque de dignité d’une telle chose la rebutait.

Pourtant…

« Si les contractions ne passent pas dans les dix minutes » compromit-elle. Elle foudroya des
yeux son cousin et son fils qui semblaient beaucoup trop prompts à se liguer contre elle à son
goût, puis tourna le regard vers la lionne, un peu à contrecœur. Essayait-elle de l’amadouer
ou était-elle naturellement prévenante ? « Peut-être qu’une tasse de thé n’est pas une si
mauvaise idée, après tout. »

Cela s’avéra même être une excellente idée parce que cela leur donna, à tous, quelque chose à
faire.

Le thé et ses rituels sauvaient, encore une fois, une situation gênante.

Du moins, jusqu’à ce que la porte ne s’ouvre et qu’Andromeda ne les rejoigne, l’air trop
grave et trop épuisé. Ses cheveux noirs, à présent grisonnant aux tempes malgré les
suppliques répétées de Cissy de la laisser les lui teindre avec une potion, étaient retenus en un
chignon désordonné, et, s’il n’y avait pas une goutte de sang sur les robes blanches
probablement empruntées à Pomfresh, le malheur semblait toutefois y coller.

Sirius fit apparaitre une cinquième tasse qu’il remplit sans un mot avant de la lui coller
d’autorité entre les mains. Andy lui offrit un petit sourire reconnaissant, avant de la boire
presque d’un trait, comme si cela avait été un verre de whiskey.

Sans doute aurait-elle préféré, songea Narcissa, parce que lorsque sa sœur se tourna vers elle,
son expression était à la fois résignée et triste.

« Parle. » exigea-t-elle, les mains accrochées aux accoudoirs comme une reine à son trône.

Elle refusait de se donner en spectacle comme Nymphadora l’avait fait plus tôt. Elle
comprenait la jeune femme, plus qu’elle n’aurait aimé l’admettre, mais si le pire devait
survenir, elle l’affronterait avec le calme et la distinction que se devait d’avoir Lady Malfoy.
Elle devait penser aux enfants avant de penser à son propre chagrin. Elle n’avait pas le loisir
de se complaire dans sa douleur. Pas avec son fils et le bébé à naître.

Andy laissa son regard dériver vers Draco avant de revenir le poser sur elle.

« Je ne vais pas te mentir, Cissy, ce n’est pas bon. » soupira sa sœur. « Nous ne parvenons pas
à identifier le maléfice, même le spécialiste de Sainte Mangouste n’a pas d’idée, et avec le
Ministère en ruines… Nous avons du mal à trouver un Briseur de Sorts ou un Langue-de-
Plomb qui pourrait potentiellement nous en apprendre plus. Si nous n’en trouvons pas dans
l’heure, je réveillerais Bill Weasley. »

« Réveille-le immédiatement. » contra-t-elle. « Je le payerai ce qu’il désirera. »

Andromeda grimaça. « Ce n’est pas si simple, Cissy. Il a perdu son frère, hier, et, quant bien
même, il a aussi subi un traumatisme crânien. Je préfèrerais attendre encore un peu avant de
le réveiller, être certaine qu’il soit au mieux de ses capacités. »

« Qu’a Père exactement, ma tante ? » intervint Draco. Il s’était levé du sofa, la jeune fille
toujours fermement accrochée à sa main, et paraissait attendre le verdict comme un
condamné va à l’échafaud.

« Le maléfice semble… » commença-t-elle, avant de se passer une main sur le visage. « Pour
simplifier, le maléfice semble affecter ses organes les uns après les autres. Il les… attaque, à
défaut d’un meilleur terme. Nous pouvons traiter les symptômes mais tant que nous n’avons
pas éliminé la source, le maléfice continuera à le ronger à petit feu. Nous lui avons donné des
potions, il ne souffre pas. »

« Et le pronostic ? » demanda froidement Narcissa.

Froidement parce qu’emmurer son cœur de glace était la seule manière de survivre à ce
moment.

Sirius voulut la toucher mais elle esquiva sa main.

« Le pronostic n’est pas bon. » admit Andromeda.

« Que signifie pas bon ? » s’énerva Draco. « Ce… »

« Ça veut dire que si on n’identifie pas le maléfice rapidement, il ne survivra probablement


pas parce qu’ils ne savent pas comment le soigner. » clarifia Sirius, épargnant à Andy de
devoir le faire.

« Combien de temps avons-nous ? » s’enquit Cissy.

Andromeda grimaça tristement. « Au rythme où vont les choses et vu l’adaptabilité du


maléfice face à nos sorts de soin… Je dirais la journée, peut-être la nuit si on a de la chance.
Mais le maléfice est agressif et nous résiste, cela se compte plutôt en heures. » Elle planta son
regard dans celui de sa sœur. « Je n’abandonne pas, Cissy. S’il y a un remède, on va le
trouver. Il y a quatre Médicomage en plus de moi sur son cas. »
« Pouvons-nous le voir ? » exigea l’adolescent.

« Cissy a eu des contractions. » la dénonça Sirius, dans la même seconde.

Andy ne paraissait pas autrement surprise, mais la soumit tout de même à un sort de
diagnostic complet.

« Il est conscient. » déclara sa sœur, tout en l’examinant. « Il vaudrait mieux y aller un par
un, pour l’instant, toutefois. Ne pas trop le fatiguer. »

Le reste, Narcissa le vécut comme un cauchemar. Elle écouta à peine la jeune fille proposer à
Draco d’aller à la bibliothèque faire des recherches ou Sirius offrir d’attendre avec son fils ou
Andromeda qui lui recommandait bien d’alerter quelqu’un si les contractions reprenaient.

Tout fut flou jusqu’à ce qu’Andy la guide dans la pièce où ils avaient installé son mari qui
portait désormais les pyjamas standards de l’infirmerie. Ils paraissaient si déplacés sur lui.
Elle devait à tout prix appeler un de leurs elfes de maison, lui ordonner de ramener un de ses
pyjamas en soie ou en satin…

Andy la laissa seule et, alors qu’elle avançait vers le lit comme un pantin dont quelqu’un
d’autre aurait manipulé les ficelles, Lucius ouvrit des yeux fatigués.

Et Narcissa revint dans son propre corps comme si on l’avait lâchée du haut de la tour
d’astronomie.

Andromeda avait dit qu’il ne souffrait pas mais il y avait de la douleur dans ses yeux. De la
douleur, de la peur et de la tristesse aussi.

Pourtant tout ça s’effaça lorsqu’il la vit.

Les yeux gris se mirent à briller de plaisir et sa bouche s’étira en un faible sourire qui appela
le sien.

« Narcissa… » murmura-t-il.

Elle voulait pleurer mais elle sourit davantage à la place. Elle fit comme si tout allait bien et
avança plus près encore jusqu’à ce qu’il puisse la voir correctement, jusqu’à ce qu’il
s’aperçoive de…

Ses yeux s’arrêtèrent sur l’arrondi de sa robe et il ouvrit la bouche sans émettre un son, à
court de mots, la surprise totale.

Elle avait si souvent pensé à comment elle allait lui annoncer la chose ! Elle avait craint,
dernièrement, de ne pas en avoir la possibilité avant le terme… Puis, elle s’était imaginée lui
mettant un bébé tout rose dans les bras avec fierté, sachant d’avance qu’il en aurait été fou de
bonheur…

« Comment ? » balbutia-t-il.
« Un miracle. » offrit-elle, en prenant sa main un peu trop molle pour venir la poser sur son
ventre. « Et, comme Andromeda se plait à me le répéter, un manque d’attention alarmant
envers mon propre corps. » Son sourire se fit plus doux, plus heureux, alors qu’elle se
penchait pour lui murmurer ce qu’elle avait tant espéré pouvoir lui confier. « Un autre fils,
Lucius. »

« Un fils ? » répéta-t-il, toujours sous le choc, son pouce caressant doucement la courbe de
son ventre. « Tu es certaine ? »

« Andy l’est. » répondit-elle. « Tu aurais peut-être préféré la surprise mais je devais savoir. »

« Ta curiosité n’a aucunes limites. » plaisanta-t-il.

« Aucunes, tu le sais bien. Il y a des choses pour lesquelles je n’ai aucune patience. » Elle fit
apparaître une chaise confortable et y prit place, sans lâcher sa main. « Sirius m’a expliqué ce
qu’il s’était passé. Autant qu’il a pu en déduire, du moins. Te sacrifier pour Potter ?
Vraiment ? »

« Un excès de courage après que notre fils m’ait traité de lâche. » marmonna Lucius, avant de
lever des yeux alarmés vers elle. « Ne le lui répète pas. Il ne le pensait pas, je le sais très bien.
Et puis… Potter a l’âge de Draco, il m’y faisait penser. C’était… Honnêtement, j’ignore ce
qui m’a pris. Un réflexe idiot que je regrette déjà. » Il soupira. « Avons-nous, au moins, sauvé
Severus ? »

« Oui. » mentit-elle. Severus, de ce qu’elle en retenait, n’était pas encore tiré d’affaire, mais,
cela, Lucius n’avait pas besoin de le savoir. « Nymphadora t’en remerciera certainement. »

Il eut un bruit amusé mais referma les yeux, comme fatigué. « Puisque nous voilà dans l’autre
camp… Elle ne ferait pas une mauvaise marraine pour celui-ci, sais-tu ? » Il se força à rouvrir
les paupières dans la seconde, sa main se promenant sur son ventre, sans cacher son
émerveillement. « Combien de mois ? »

« Presque huit. » murmura-t-elle. « Il n’y a plus très longtemps à attendre. »

« Un autre fils… » souffla Lucius, des étoiles pleins les yeux. « Tu as déjà décidé d’un
nom ? »

Étudier les vieux manuels d’Astronomie que Nymphadora avait abandonnés dans sa chambre
après ses B.U.S.E.s avait été leur occupation principale à elle et Andy depuis près de deux
mois. Toutefois…

« Y a-t-il meilleur nom que le tien ? » contra-t-elle. « Après tout, ce serait… »

Le rire de son époux sonna un peu trop creux. « Je suis donc bien mourant. Ta sœur ne
voulait rien dire mais si tu en es à vouloir affubler notre pauvre fils de mon prénom au lieu de
celui d’une constellation… »

Black un jour, Black toujours.


Lors de sa première grossesse, elle avait insisté et tempêté jusqu’à ce qu’il la laisse suivre
cette tradition ancestrale.

« Bien sûr que tu ne vas pas mourir, Lucius. » cingla-t-elle sèchement. « Je vais engager les
meilleurs Médicomages, le meilleur Briseur de Sorts et… »

« Je te connais trop bien, mon amour. » l’interrompit-il. « Quoi qu’ils t’aient dit, ce n’est pas
optimiste. »

« Lucius. » gronda-t-elle. « Je t’interdis de… »

« Mieux vaut parler de choses plus joyeuses. » soupira-t-il, tournant à nouveau son attention
vers son ventre. « Quel prénom as-tu en tête ? »

Elle hésita à insister puis capitula. Tout pour lui faire plaisir, tout pour le distraire.

« Orion. » lâcha-t-elle.

À nouveau, Lucius émit un bruit amusé. « Est-ce une coïncidence que cela soit le deuxième
prénom de ton cousin ? »

« C’est un prénom familial. » répondit-elle, puis, devant son regard amusé, leva les yeux au
ciel. « Très bien. Puisque nous voici dans le camp de Dumbledore, Sirius ferait un excellent
parrain pour lui et, puisqu’il n’a pas d’héritier, il serait juste qu’il lui laisse tout. Ainsi chacun
de nos enfants s’élèvera à une position appropriée en temps venus. »

Et elle remettrait la Maison Black dans le droit chemin, au passage, ce qui n’était pas
négligeable.

« Tu oublies le fait que Black a probablement déjà désigné Potter comme héritier. »
remarqua-t-il.

Narcissa balaya l’air de la main. « Potter a déjà sa Maison à gérer. Sirius verra bien qu’il est
plus sage de choisir Orion au bout du compte. Et puis… Si jamais il persistait, il me suffirait
simplement de m’assurer que le garçon se marie jeune et ait une fille rapidement. Après quoi,
nous les marierons. Ce ne sera certes pas la méthode la plus expéditive mais le rendu final
sera le même. »

Lucius la regarda avec tendresse. « Machination sur machination, je te reconnais bien là. »

Le cœur un peu serré par la résignation qu’elle sentait dans sa voix, elle porta sa main à ses
lèvres et y déposa un baiser. « Je t’aime. »

« Je t’aime aussi. » offrit-il, sans la moindre hésitation. « Et, si le pire arrivait, tu vas devoir
être forte, Narcissa. Pour nos enfants. »

Elle voulait trépigner, nier l’évidence, hurler comme Nymphadora l’avait fait, plus tôt, dans
la cuisine…

Mais elle était Lady Malfoy et Lady Malfoy ne se donnait pas en spectacle.
« Ma Maison avant tout. » murmura-t-elle.

Une promesse.

°O°O°O°O°

Nymphadora revint à elle lentement – et douloureusement. Son corps lui faisait l’effet d’avoir
été fracassé plusieurs fois contre un mur particulièrement dur et, plus inquiétant, elle se
sentait toujours très faible. Elle savait, avant même de se repousser en position assise, qu’elle
était toujours incapable du moindre sortilège et que, si elle avait été plus intelligente, elle se
serait tournée et rendormie en attendant que ça passe.

« Dora ! » s’exclama une voix un peu trop forte dans le silence qui régnait dans la pièce. « Tu
vas mieux ? »

La pièce.

Ils n’étaient plus dans l’infirmerie ou, du moins, plus dans la partie centrale. Les mêmes
panneaux de bois ouvragés couvraient les murs, le sol était le même, l’orientation des
fenêtres… Ils étaient toujours dans la même zone du château. La pièce n’était pas très grande
et il n’y avait qu’un seul patient allongé dans un lit, au centre : Severus. Sa mère, l’air éreinté,
était en train de l’examiner à grands coups de sortilèges… Il portait les pyjamas standards de
l’infirmerie, à présent, et, bien qu’elle soit soulagée pour lui que son corps ne soit plus
exposé à tous les regards, elle détestait ces pyjamas qui semblaient le diminuer alors que…

Une main se posa sur son épaule, comme pour s’assurer qu’elle n’allait pas retomber sur le lit
d’appoint, inconfortable au demeurant, poussé contre le mur, sur lequel elle était assise.

Harry portait toujours les mêmes robes un peu trop grandes et trop habillées et, s’il ne
semblait plus pleurer de manière incontrôlable, les traces de larmes étaient toujours visibles
sur ses joues. Derrière lui, Ted se tenait droit, les bras croisés, l’air tout aussi fatigué que le
reste d’entre eux.

Le garçon ne tremblait plus.

« Tu as vu un Médicomage ? » demanda-t-elle immédiatement.

Il leva les yeux au ciel avec un agacement teinté d’affection. « Ted m’a forcé. Dumbledore
m’a donné la potion de Severus. »

Ted.

Avait-elle seulement fait les présentations, plus tôt ?

Ce n’était…

« Harry et moi sommes de vieux amis, maintenant. » plaisanta son père, en l’étudiant
attentivement. « Chérie, tu as une mine épouvantable. »
Elle se frotta le visage comme si cela avait pu miraculeusement remédier à la chose. Aurait-
elle eu ses pouvoirs… « Combien de temps est-ce que j’ai été inconsciente ? »

« Moins d’un heure. » répondit Ted, son regard s’égarant vers sa mère et Severus. « Aucun
changement pour l’instant. »

« Mais il est stable. » offrit Harry rapidement, comme s’il voulait lui offrir la bouée de
sauvetage à laquelle il se raccrochait lui-même. « C’est une bonne chose. »

« Une très bonne chose. » confirma son père d’un ton apaisant, en tapotant l’épaule du
garçon.

« On ne sait toujours pas ce qu’il a ? » insista-t-elle. « Maman ? »

Andromeda venait de baisser sa baguette et de s’éloigner du lit. Elle se rapprocha d’eux, son
expression neutre au possible, ce qui signifiait qu’elle ne voulait pas l’inquiéter mais…

« Tu devrais être couchée. » la gronda sa mère, en lançant un sortilège de diagnostic sur elle.
« Tu as besoin de repos, de fluides et quelque chose à manger ne te ferait pas de mal. »

« Severus. » contra-t-elle avec entêtement. « Qu’est-ce qu’il a ? »

Elle et Andromeda s’affrontèrent un moment en silence puis sa mère glissa un regard vers
Harry qui attendait avec une patience contrainte et capitula. « Concrètement ? Je l’ignore. À
l’évidence, la Marque des Ténèbres a disparu, ce qui ne devrait pas être possible. Son état
général n’est pas préoccupant : ses nerfs présentent toujours des signes de dégénération mais
elle est stabilisée et ne s’est pas aggravée depuis la dernière fois où je l’ai vu, sa jambe doit le
faire souffrir vu l’état du muscle, je suppose qu’il l’aura blessée durant la bataille ou qu’il a
trop forcé dessus, mais ça non plus n’est pas nouveau, juste une séquelle de la dernière fois.
Mis à part ça… Il y a des traces de lacérations plus ou moins superficielles sur son torse et
son dos. Si je devais deviner, je dirais qu’elles viennent d’une lanière ou… »

« Une ceinture. » lâcha Harry rageusement, en se dirigeant vers le lit pour mieux attraper la
main du sorcier qui y reposait. « Voldemort aime ses effets de manche. »

L’horreur saisit Nymphadora à la gorge.

« Oui, c’est possible. » admit Andromeda, un peu à contrecœur. « La bonne nouvelle, c’est
que je ne détecte aucune trace de Doloris. »

« Mais il reste inconscient ? » insista-t-elle, tâchant de ne pas montrer son effroi. Quelqu’un
devait rester calme pour Harry et il devenait évident que c’était elle. Merlin savait où était
Sirius.

« C’est davantage que de l’inconscience à ce stade. » grimaça Andy. « Je n’ai pas les
réponses pour le moment. Poppy vient de reprendre connaissance, elle ne tardera pas à venir
l’examiner et je veux la consulter. Je voudrais aussi parler à Bill Weasley de la Marque. Pour
l’instant, il est stable et il n’y a aucuns signes alarmants qui me font dire que ça pourrait
changer dans les prochaines heures, il n’y a donc pas d’urgence. »
Harry manqua s’étouffer d’indignation et Andromeda leva la main pour anticiper ses
protestations.

« Je comprends, mon garçon. C’est ton père et, pour toi, il est plus important que tout. »
déclara-t-elle. « Mais l’état de Lucius Malfoy est plus préoccupant et, en conséquence, il a la
précéance. »

Nymphadora avait beaucoup de compassion pour Narcissa mais… « Severus est de notre côté
depuis des années. Severus est un héros. Lucius… »

« Lucius espionnait pour le compte de l’Ordre. » l’interrompit Andromeda sèchement. « Et


serait-il le bras droit de Tu-sais-qui que je tenterais tout de même de le soigner parce que j’ai
prêté un serment, Nymphadora, et ce n’est pas le genre de choses que je prends à la légère. »

« Ce n’est pas comme si personne ne s’occupait de lui, Dora. » temporisa son père.

C’était vrai, supposait-elle. Pomfresh allait venir et…

« Écoute… » soupira Andromeda. « Nous devons faire un point avec Albus à neuf heures.
Vous ne ferez rien de plus ici, tous les deux, à part vous mettre dans les pattes des
Médicomages. Pourquoi vous n’iriez pas vous reposer ? Prendre une douche, dormir
quelques heures… »

« Je reste. » contra immédiatement Harry.

Et ce fut exactement la réaction de Nymphadora, sauf que…

Sa mère lui jetait un regard lourd de sens que le garçon ne remarqua pas.

Et un coup d’œil au gamin lui indiqua pourquoi.

Harry était dans un état épouvantable et si personne ne le forçait à prendre soin de lui-
même… La dernière fois qu’ils s’étaient retrouvés dans cette situation, le Gryffondor avait
campé dans l’infirmerie pendant des semaines, au grand dam de McGonagall.

Avec un soupir, elle attrapa le bras de son père pour mieux voir la montre à son poignet. Il
était à peine cinq heures du matin… Deux à trois heures de sommeil ne leur feraient sans
doute aucun mal ni à l’un ni à l’autre, surtout si l’état de Severus persistait et qu’il leur fallait
tenir la distance…

Prudemment, elle se mit debout et, lorsque le monde cessa de tanguer, fut heureuse de
constater qu’elle était au moins un tout petit peu plus stable sur ses jambes. Elle se dirigea
vers le lit à pas lents et posa les mains sur les épaules du garçon qui se tendit légèrement.

« Je ne veux pas le laisser. » grinça Harry, sentant visiblement le traquenard venir.

Techniquement, ce n’était pas comme si elle avait une quelconque autorité sur lui ou pouvait
l’obliger à quoi que ce soit.
Severus était si pâle… Mais son torse se soulevait et retombait à intervalles réguliers,
paisibles, lui donnant l’apparence du sommeil profond.

Elle n’aimait pas l’idée de le laisser, ne serait-ce qu’un peu. Ils auraient pu dormir à tour de
rôle sur le lit d’appoint mais, outre le fait qu’il n’était pas confortable, elle doutait qu’ils
puissent fermer l’œil.

« Tu as besoin de te reposer ou tu ne vas pas tenir. » lâcha-t-elle. « Et tu sais ce qu’il dirait. »

Il se tourna vers elle, la suppliant du regard. « Mais… »

« Harry. » l’interrompit-elle, en fronçant les sourcils. « Tu auras suffisamment d’ennuis


quand il se réveillera. Ce serait mieux que tu ais l’air reposé et présentable. Inutile de lui
rappeler tout de suite ce que tu as fait… »

Elle s’efforça de prendre un ton plus léger parce qu’elle sentait qu’une parole de trop et le
gamin pourrait se remettre à pleurer comme une fontaine. Il y avait quelque chose qui la
dérangeait un peu dans son regard depuis la veille et… La réponse lui vint brutalement : ses
boucliers. Harry n’avait plus aucune défense mentale.

Elle pinça le tissu sale des robes habillées et l’agita légèrement pour mieux lui faire
comprendre.

Il hésitait mais ne semblait pas tout à fait décidé…

« Si tu restes, je reste. » déclara-t-elle. « Et j’ai vraiment besoin de m’allonger un peu. »

Les épaules du garçon s’affaissèrent et il soupira longuement. « D’accord, mais pas


longtemps. »

« On sera là à neuf heures tapantes. » promit-elle. « Et je suis sûre que Pomfresh aura eu une
idée d’ici là. »

Un peu rasséréné, le Gryffondor hocha la tête mais jeta un regard coupable au Maître des
Potions. « Je ne veux pas qu’il soit seul… »

« Il ne sera pas seul. » intervint Ted, en sortant un petit livre de la poche arrière de son
pantalon. « J’ai de quoi m’occuper jusqu’à ce que vous reveniez. Il sera en parfaite sécurité
avec moi. »

« Et s’il se réveille… » hésita Harry.

« Tu seras le premier au courant. » jura Ted.

Dans le dos d’Harry, Nymphadora le remercia silencieusement. Ted lui fit un clin d’œil.

« Albus a dit que les elfes avaient préparé des appartements pour les gens qui allaient rester là
un moment. Ils nous ont rassemblés par familles pour optimiser l’espace. » offrit Andy.
« Nous sommes au quatrième étage de l’aile est, je crois. »
Harry se tendit et elle secoua immédiatement la tête. « On va rentrer à la maison. »

C’était visiblement la bonne réponse parce que le garçon se détendit sur le champ.

Ce ne fut qu’en voyant le regard un peu perplexe de sa mère qu’elle se rendit compte de ce
qu’elle venait de dire et elle se racla la gorge, gênée. « Dans les cachots. Chez Severus, je
veux dire. » Soudain désespérée d’éviter le regard de ses parents, elle se pencha vers le
Maître des Potions pour lui caresser la joue et pouvoir murmurer à son oreille. « Merci d’être
revenu. Ce serait sympa que tu te réveilles vite, maintenant… »

Elle déposa un léger baiser à la commissure de ses lèvres et, sans croiser le regard de
personne, encouragea Harry à se diriger vers la sortie.

°O°O°O°O°

« Ce n’est pas ta faute. »

Draco leva les yeux vers son cousin qui, accoudé à la cheminée, l’observait avec un peu trop
de perspicacité. Il baissa le regard vers ses mains nues de toute bague et résista avec peine au
besoin de chercher à son cou la chaine que ses kidnappeurs avaient arrachée l’avant-veille et
sur laquelle pendait habituellement le sceau familial. Son poids lui manquait.

Une part de lui aurait préféré que Granger reste avec lui plutôt que d’aller à la bibliothèque
tenter de percer le mystère de ce maléfice mais il lui était également reconnaissant de l’avoir
proposé. Déjà parce que, s’il y avait quelque à trouver, elle le trouverait. Ensuite, parce
qu’elle n’avait aucune autre raison d’aider Lucius Malfoy, un Mangemort, que l’affection
qu’elle lui portait à lui et il avait besoin de cette preuve d’amour parce que…

Andromeda n’était pas revenue après avoir guidé sa mère jusqu’à son père. Elle l’avait laissé
seul avec Sirius qui, si Draco était franc, aurait probablement mieux fait d’aller s’écrouler
dans son lit que de rester là. Il avait l’air affreusement fatigué.

C’était amusant, d’une certaine manière, parce que l’adolescent qui avait été si épuisé toute la
nuit ne sentait désormais plus la fatigue. Ou même les hématomes qui lui couvraient le corps.
Il ne sentait plus grand-chose du tout.

Dès que son esprit dérivait, il le ramenait dans le tunnel ou dans le couloir. Blaise et Daphné,
les enfants, un déluge de briques… En boucle.

« Potter ne m’a pas drogué. » avoua-t-il. « Je lui ai donné le sceau des Malfoy pour qu’il
puisse passer les protections. Je lui ai même proposé de l’accompagner. »

Sirius le regarda longtemps puis se frotta le visage.

« Merlin me préserve des ados idiots… » marmonna-t-il. « On discutera d’une punition pour
ce manque de jugement, plus tard. Je n’ai plus l’énergie de me mettre en colère, là tout de
suite. »

Il ne lui fit pas remarquer qu’avec ses parents au château, Sirius était délivré de toute
responsabilité à son égard.
« J’ai dit à Potter de lui rendre le sceau, de lui dire que… » continua-t-il, sans parvenir à
terminer. « S’il l’a aidé uniquement parce que… »

« Draco. » l’interrompit son cousin, dans un soupir. « Lucius espionnait pour Dumbledore. »

Il dévisagea l’Animagus longtemps sans que les mots fassent sens.

Après la virée au Ministère, il savait que son père avait décidé de prendre des décisions
drastiques pour les protéger mais il avait pensé… Lui était en sécurité au château sous la
protection de Dumbledore et s’était acharné à se rapprocher de Potter pour mieux… Sa mère
avait disparu, présument dans un endroit sûr…

Il avait pensé que…

Il n’avait jamais imaginé que…

Pourtant, en y repensant, en y réfléchissant, il était évident que…

Draco laissa tomber son visage dans ses mains.

« Draco, ce n’est pas ta faute. » répéta Sirius.

Qui d’autre alors ?

C’était lui qui avait suivi Granger au Ministère. C’était lui qui s’était sacrifié pour Luna.
C’était lui qui avait mis le feu aux poudres en se présentant devant le Seigneur des Ténèbres
entouré d’une Sang-de-Bourbe et de traîtres à leur sang… C’était lui avait mis l’engrenage en
place et…

La porte de la petite pièce poussiéreuse s’ouvrit et sa mère entra d’un pas mesuré, le visage
fermé. Son expression s’adoucit à peine lorsqu’elle posa les yeux sur lui.

« Il veut te voir. » déclara-t-elle, en tendant la main. Obéissant, il se leva et alla vers elle, la
laissant remettre un peu d’ordre dans ses cheveux en bataille puis lui caresser la joue. « Il est
très faible, mon dragon. Prépare-toi et ne laisse rien paraître, tu comprends ? »

Il hocha la tête.

Le sourire de Narcissa était tendu. « Et je te prierais de garder tes idées politiques pour toi. »

Tout son corps encaissa le coup comme si les mots étaient un sort de diffindo. Ils le
déchiquetèrent.

Incapable de croiser son regard, il détourna les yeux. « Je suis désolé, Mère. »

« Désolé ? » répéta Narcissa, confuse.

« Draco pense que tout est sa faute. » expliqua Sirius, avec lassitude. « Ça dure depuis la fin
de la bataille. »
Il observait résolument le sol usé par les années mais ça ne l’empêcha pas de sentir le regard
lourd de sens qu’échangeaient les adultes.

« Ton père a fait les choix qu’il pensait les meilleurs pour notre Maison et pour nous. » offrit
finalement sa mère, radoucie. « Tant qu’il vit, c’est sa responsabilité de faire ces choix,
Draco, et ce ne serait pas lui rendre justice que de t’affliger parce que tu juges que ce ne sont
pas les bons. »

« Vous ne pouvez pas approuver. » contra-t-il, avec incrédulité. « Espionner pour l’Ordre du
Phoenix ? C’est… »

« Ce qu’il devait faire pour que Dumbledore accepte de nous protéger, toi et moi. » coupa-t-
elle.

« Sérieusement ? » cracha Sirius, en se rapprochant. « C’était ça leur accord ? Dumbledore a


négocié votre sécurité ? »

Son cousin semblait dégoûté mais pas surpris.

Narcissa hésita. « La mienne, tout du moins. »

Le regard gris de l’Animagus dériva jusqu’au ventre arrondi. Il serra la mâchoire puis il
planta les yeux dans ceux de la sorcière avec détermination. « Si… Si tu as à nouveau besoin
de protection, ne va pas voir Dumbledore. Viens me trouver, moi. »

« Nous sommes des Malfoy. » lui rappela-t-elle.

« Tu étais une Black avant d’être une Malfoy. » rétorqua Sirius. « Et quelqu’un m’a
récemment fait la leçon sur mes responsabilité de Chef de famille. Il est peut-être temps que
je rappelle à certaines personnes que la Maison Black a toujours eu du poids dans la
communauté magique. »

Face au regard interrogateur de sa mère, Draco haussa les épaules.

Amusée malgré tout, elle sourit. Toutefois, ce sourire ne tarda pas à mourir. « Va le voir,
Draco. Et toi, aide-moi à traquer ces Médicomages. »

Sirius laissa échapper un bruit amusé. « Les terrifier ou les menacer ne va pas les aider à
trouver une solution plus vite. »

Narcissa leva un sourcil sarcastique. « Souhaites-tu parier, cousin ? »

Draco les laissa à leurs chamailleries et se dirigea vers la partie centrale de l’infirmerie qui
commençait à se réveiller doucement. Il passa près des Weasley, nota l’agitation autour du lit
de Charlie qui était apparemment réveillé mais exhibait des signes évidents de détresse… Ses
frères et sœur étaient tous rassemblés autour de lui, leur mère essayait visiblement de le
calmer…

Il hésita mais continua finalement à marcher vers l’annexe lorsque l’un des jumeaux tira le
rideau pour leur donner un peu d’intimité. Leurs regards se croisèrent brièvement. Draco
inclina la tête avec compassion et George – il pensait que c’était George, du moins – lui
rendit son geste, l’air triste.

Ce n’était pas qu’il trainait les pieds ou qu’il ne voulait pas voir son père, c’était juste que…

Il y avait cette dichotomie dans sa poitrine entre la partie de lui qui adulait Lucius et ne
voulait surtout pas qu’il lui arrive quoi que ce soit et la partie qui avait vu mourir trop
d’enfants et exécrait l’idée même des Mangemorts. C’était dur de concilier les deux. Et,
maintenant, il s’avérait que Lucius avait accepté d’espionner pour Dumbledore en échange de
sa sécurité et de celle de sa mère ? Or Draco, par l'intermédiaire de Potter, lui avait jeté au
visage qu’il était lâche et…

La honte prédominait lorsqu’il poussa la porte de l’annexe et elle ne fit que s’accentuer
lorsqu’il vit l’état dans lequel était son père. Le pyjama de l’infirmerie paraissait déplacé sur
lui et c’était sans parler de ses joues creusées, de sa pâleur inquiétante ou des plis de douleur
aux coins de sa bouche. Andromeda avait dit qu’il ne souffrait pas mais…

La Médicomage en robes vertes qui venait juste de lui faire avaler une potion leva les yeux
vers Draco et lui offrit un sourire compatissant. « Pas trop longtemps. Il a besoin de repos. »

Lucius leva les yeux au ciel mais le garçon acquiesça, prenant la chose avec sérieux.

Il attendit toutefois qu’ils soient seuls pour baisser la tête. « Père, je vous dois des excuses.
Je… »

« Assieds-toi, Draco. » soupira Lucius, l’interrompant.

Sans oser lever les yeux du sol, trop honteux pour affronter le regard de son père, le garçon
s’exécuta.

« Sais-tu que je n’ai jamais trouvé le courage de m’opposer ouvertement à ton grand-père ? »
lâcha le Sang-Pur, au bout d’un long moment de silence. « Certes, cela démontrait
certainement d’une meilleure éducation. Les manières de tes amis de moins bonne naissance
semblent déteindre sur toi. »

Draco se redressa brusquement, piqué par cette attaque injuste. Il savait qui Lucius visait :
Granger et les Weasley. Il savait aussi qu’après ce qu’il avait fait et dit, il aurait dû se taire et
subir mais Blaise et Daphné étaient morts et il ne pouvait pas… « Ne parlez pas d’eux
comme ça. »

Même allongé dans un lit d’hôpital, Lucius était impressionnant et il dût lutter pour ne pas
flancher lorsque son père eut une moue désapprobatrice. « Tu es beaucoup trop émotif,
Draco. »

« Blaise est mort. » cracha-t-il. « Des dizaines d’élèves sont morts. J’ai cru que j’allais
mourir quinze fois aujourd’hui. Hier, qu’importe. Vous êtes blessé parce que j’ai donné à
Potter les clefs du Manoir. Je crois que j’ai le droit d’être un peu émotif. »

Quelque chose passa sur le visage de Lucius, surprise et regret mêlés. « Zabini est mort ? »
« Daphné aussi. Daphné Greengrass. » ajouta-t-il, à voix basse, perdant toute énergie
combative.

Et tellement d’autres.

« Je suis blessé parce que j’ai fait un choix, en toute connaissance de cause. » déclara Lucius,
après un moment. « Ce n’est ni ta faute, ni celle de Potter. Tu devrais garder le garçon sous le
coude, d’ailleurs. Il est loin d’être bête et Lord Potter ferait un bon allié lorsqu’il aura hérité
du domaine familial… Il n’a aucune idée de comment jouer son rôle, évidemment, mais tu
pourrais le guider. Il y a pire personnage qui pourrait avoir une dette envers toi que le
Survivant. »

Draco se frotta le visage.

Il n’avait guère envie de fomenter des machinations, à l’instant. Ou de parler comme si


Lucius allait…

« Apprenez-lui, vous-même. » suggéra-t-il. « Potter est assoiffé de figures parentales. Un mot


gentil à droite, un encouragement à gauche et il vous mangera dans la main. »

Il se sentit immédiatement coupable d’en avoir avoué autant, même s’il n’avait aucune
véritable loyauté pour Potter et…

Mais quel merdier, songea-t-il. Il ne savait même plus où allait son allégeance, où…

« Ta mère t’a demandé de prétendre que je n’étais pas en train de mourir, n’est-ce pas ? »
s’amusa Lucius, comme si c’était une plaisanterie. Mais il y avait de la tristesse dans son
regard.

Et Draco ne trouvait pas ça drôle.

« Vous n’allez pas mourir, Père. » décréta-t-il. « Je vais engager les meilleurs
Médicomages… »

« Vraiment ? » coupa Lucius. « Et avec quel argent vas-tu engager ces Médicomages ? »
D’un geste ostensiblement négligeant, le Sang-Pur tourna l’épais sceau autour de son
annulaire droit. « N’as-tu pas renoncé à ton nom et à ta Maison ? »

Il avait oublié.

L’espace d’une seconde, il avait oublié.

L’argent, cependant, était un détail. « Sirius m’avancera ce dont j’ai besoin. Ou Potter. »

Son père le dévisagea un moment avant d’émettre un bruit amusé. « Lorsque je disais ne
jamais avoir tenu tête à mon père, tout à l’heure, j’essayais de te complimenter. Non que
j’approuve la forme, mais sur le fond… Un bon Chef de famille doit savoir quand faire
passer la Maison avant ses sentiments personnels. » Lucius fronça les sourcils et son regard
se fit plus intense. « Envers ses parents peut-être, pas envers ses enfants. Je t’ai dit, un jour,
que ta Maison devait passer avant tout le reste mais pas avant ta femme ou tes enfants, te
souviens-tu ? »

« Oui. » acquiesça-t-il. « Mais… »

Lucius dût tourner la bague plusieurs fois avant de parvenir à la glisser hors de son doigt. Il la
lui tendit mais le garçon ne fit aucun geste pour la prendre.

Ce n’était plus une promesse de responsabilité à venir dans des années ou une preuve de
confiance anticipée.

C’était concret et…

« Vous avez un autre héritier, à présent. » remarqua-t-il.

« Et j’en suis comblé au-delà de ce que je ne saurais t’exprimer. » contra son père. « Mais tu
es mon premier né et l’avenir de notre Maison te revient de droit. »

Il ne fit toujours aucun geste pour prendre le sceau. « Peut-être mon frère ou ma sœur serait-il
plus amène à diriger la Maison Malfoy d’une manière qui vous satisferait davantage. »

La main de Lucius retomba sur le lit comme s’il n’avait plus la force de la tendre une seconde
de plus. Rien ne filtrait sur son visage, cependant.

« Comptes-tu vendre le domaine, le Manoir, te débarrasser de l’élevage de chevaux, et


dissoudre ce que des générations de Malfoy ont créé ? » demanda son père.

« Non. » répondit honnêtement Draco. « Mais mon épouse ne sera pas une Sang-Pure, nos
enfants seront des Sang-Mêlés et je ne compte pas poursuivre de politique puriste. »

« L’aimes-tu ? » s’enquit franchement son père. « Assez pour renoncer à tout ce que je peux
t’offrir ? Assez pour renoncer à prendre ta place légitime dans l’histoire familiale ? Es-tu
certain qu’il ne s’agit pas que d’un béguin qui passera avec le temps ? Es-tu certain qu’elle
vaut de renoncer à tout ? »

Il prit tout de même le temps d’y réfléchir une seconde parce qu’être le Chef de famille,
assumer les responsabilités du domaine, avait toujours été un projet de vie. Il n’avait jamais
rien envisagé d’autre, mis à part une carrière de dragonnier, brièvement, dans son enfance. Il
n’avait jamais eu l’impression de se retrouver coincé dans un rôle dont il ne voulait pas
vraiment. La gestion du domaine, du patrimoine, le passionnait. Il avait beaucoup d’idées et,
ces dernières années, Lucius avait été suffisamment patient pour en appliquer certaines et lui
expliquer pourquoi d’autres étaient irréalisables. C’était une responsabilité qu’il avait
toujours prise sérieusement. Et il savait que, sur le plan technique, il y excellerait.

Mais ce n’était pas la gestion qui posait problème, c’étaient les valeurs.

« Oui. » répondit-il finalement.

Lucius le surprit. Au lieu de le sermonner, il lui sourit. « Bien. Si nous en étions arrivés là,
j’aurais tout abandonné pour ta mère. Et, elle a beau le nier, elle aurait probablement suivi
l’exemple d’Andromeda pour moi. Ce n’est pas une faiblesse que d’aimer ta famille, Draco. »

« Mais la politique… » insista-t-il.

« Une fois que tu seras Chef de famille, ce sera ta responsabilité de faire prospérer notre
Maison. » l’interrompit son père. « Si cela implique d’embrasser une politique plus
moderne… » Lucius grimaça. « Simplement… N’oublie pas d’où tu viens. N’oublie pas nos
coutumes, nos traditions… Promets-moi de les enseigner à tes propres enfants. Sang-Mêlés
ou pas, il n’y a aucun mal à connaître les us et coutumes des sorciers, désuets ou non. Notre
culture doit survivre. Promets-moi de les enseigner aussi à ton frère. »

« Mon frère ? » releva-t-il. « Est-ce… »

« C’est un garçon. » confirma Lucius, avec un sourire heureux. « Ta mère ne te l’avait pas dit,
je vois. »

« C’est une surprise. » admit-il. « Mais une bonne surprise. Une excellente surprise. »

« Oui… » murmura son père, sans se départir de son sourire. Ses paupières papillonnaient
pourtant comme s’il luttait pour ne pas les fermer. « Tu vas devoir prendre soin d’eux, bien
sûr, et c’est injuste de t’en demander autant si jeune mais je sais que tu t’acquitteras de cette
tâche avec brio. S’il y a des choses qui m’inquiètent ou que je regrette, ce n’est pas l’avenir
des Malfoy, pas avec toi à leur tête. »

Il fit un effort visible pour rouvrir les yeux, lui tendit une nouvelle fois le sceau.

Cette fois-ci, Draco le prit avec un respect accru, la gorge nouée par une envie de pleurer
qu’il fit de son mieux pour ravaler. « Vous n’allez pas mourir, Père. Ce n’est pas Pettigrow
qui va vous tuer. »

Lucius grogna. « Il semble bien déterminé à nous achever les uns après les autres, ce rat. »

« Quelqu’un finira bien par le tuer. » déclara-t-il. Pettigrow avait trahi trop de monde.

« Je l’espère car un Malfoy paye ses dettes. » commenta son père, avec un regard lourd de
sens. « Directement ou indirectement. »

Comprenant sans mal le sous-entendu, Draco hocha la tête.

Il tourna le sceau plusieurs fois entre ses doigts avant de le passer à sa main gauche. Il
semblait plus lourd qu’avant.

« Je suis fier de toi. » murmura Lucius.

Ce fut le coup de grâce. Il dût baisser la tête pour ne pas que son père aperçoive les larmes
qui brillaient dans ses yeux. « Je suis désolé, Père. Je suis tellement… »

« Lord Malfoy ne s’excuse jamais. » le coupa Lucius, fermement mais sans hostilité, avant de
laisser échapper un bruit amusé. « Sauf devant Lady Malfoy et puis-je suggérer
d’accompagner ces excuses de fleurs ou d’un bijou extrêmement cher. »
« Granger préfèrerait un livre rare. » lâcha-t-il.

« Un livre rare, dans ce cas. » marmonna son père, luttant à nouveau pour ne pas fermer les
paupières. « Il y a trop de choses que je n’ai pas eu le temps de te dire ou de t’enseigner…
J’aurais voulu… »

« Vous n’allez pas mourir. » répéta-t-il, plus une supplique qu’autre chose. « Tante
Andromeda va trouver une solution. » Un coup bref à la porte l’empêcha de réitérer qu’il
allait personnellement s’assurer que les meilleurs Médicomages se penchent sur son cas.
« Entrez. »

La porte s’ouvrit sur Bill Weasley qui portait encore les vêtements poussiéreux de la veille et
ne paraissait pas en grande forme. Automatiquement, Draco se leva et s’inclina légèrement
comme il était de bon ton d’accueillir un Chef de famille, fût-il un Weasley. Le frère de Ron
l’observa un moment comme si ça n’avait aucun sens pour lui puis se frotta le visage.

« Mrs Tonks m’a demandé de jeter un coup d’œil à ce maléfice. » expliqua le jeune homme,
visiblement mal à l’aise.

Lucius sembla se réveiller dans un sursaut. Ses yeux gris parcoururent la pièce puis se
posèrent d’abord sur Draco et ensuite sur Bill…

« Weasley… » marmonna-t-il. « Il y avait un Weasley au Ministère… »

Draco se figea d’horreur et se tint prêt à sortir sa baguette, au cas où…

Bill aussi s’était figé, son expression virant d’embarrassée à haineuse, en un quart de
seconde…

« Je me suis assuré qu’il entende qu’il y avait des bombes… » continua Lucius, sans sembler
se rendre compte de ce qu’il disait. Était-il encore lucide ? Ses yeux gris étaient perdus dans
le vide. « Je n’ai dit à personne qu’il était là… Est-il parvenu à sortir ? J’espérais qu’il
sorte. »

« Oui. » mentit-il, parce que Bill était toujours figé. « Oui, il est sorti, Père. Vous l’avez
sauvé. »

« Oh… » lâcha Lucius. « Bien. »

Draco s’éloigna et entraîna Bill à l’extérieur de la pièce. Le jeune homme se laissa faire,
visiblement sonné.

« Je suis désolé. » offrit-il. Lord Malfoy ne s’excuse jamais. Oui, eh bien, il n’était pas encore
Lord Malfoy et, s’il avait son mot à dire, il ne le serait pas avant de nombreuses années. « Si
vous ne pouvez pas être objectif… » Il faillit proposer une somme astronomique, se rendit
compte qu’une telle chose ne fonctionnerait pas sur un Weasley… Il se frotta le visage. « Si
vous me donnez les coordonnées de votre meilleur collègue, je… »

« Tu peux me tutoyer. » l’interrompit le frère de son ami, en se reprenant. « Et si ce qu’il dit


est vrai… »
« Vous êtes certain que Percy est… » hésita-t-il. « Enfin, je veux dire… »

Un chagrin indescriptible passa sur le visage du Briseur de Sorts. « Si Percy a entendu qu’il y
avait des bombes, il ne se serait pas sauvé. Il aurait essayé de les désamorcer. Mais, ça, je
suppose que Malfoy ne pouvait pas le savoir. Il a essayé au moins. »

Ces Gryffondors, songea Draco, sans pourtant être suffisamment indélicat pour le dire à voix
haute.

« Si cela te pose un problème de travailler pour nous… » reprit-il, s’efforçant de rassembler


ses pensées éparses.

« J’ai déjà travaillé pour ton père. » l’interrompit Bill. « Et tu es un ami de Ron. Ça me
suffit. »

Le garçon leva vers lui des yeux un peu perdus. « Si simplement ? »

Parce que n’importe quelle autre de leurs relations habituelles aurait exigé une compensation
ou aurait négocié des honoraires exorbitants ou…

« Tu devrais t’allonger. » conseilla Bill, non sans gentillesse. « Dormir au moins une heure ou
deux. »

Draco refusa immédiatement d’une secousse de tête. « J’ai des choses à faire. »

À savoir : sauver son père.

°O°O°O°O°

Nymphadora toisa le chat qui, assis sur la commode, battait sa queue dans le vide avec un
déplaisir évident.

« Je sais que tu ne m’aimes pas beaucoup mais il va falloir t’habituer à moi parce que je
compte bien passer de plus en plus de temps ici. » déclara-t-elle, tenant fermement la
serviette sur sa poitrine.

La douche lui avait fait beaucoup de bien, même si elle avait manqué glisser plusieurs fois.
Outre le plaisir simple de se sentir propre, cela avait contribué à la réveiller davantage alors
qu’elle avait eu beaucoup de mal à émerger, malgré le sort d’alarme qu’elle avait demandé à
Harry de poser un peu plus tôt parce qu’elle ne s’en sentait pas capable.

Sur ce plan là, après deux heures de sommeil, elle sentait sa magie un peu plus encline à lui
répondre. Elle ne serait pas prête à jeter des sorts conséquents avant un moment mais elle
devrait pouvoir utiliser des sortilèges simples. Comme un sortilège d’attraction pour sortir
des vêtement propres de la commode…

Mais c’était une question de principes, à ce stade.

« Si tu me griffes, pas de croquettes. » prévint-elle le félin, avant de prudemment tendre la


main vers le tiroir que Severus lui avait attribué.
Le chat ne l’attaqua pas mais sauta du meuble et s’en alla en crachotant.

Très mauvais caractère, grommela-t-elle en son fort intérieur, en attrapant de quoi s’habiller.
Un autre plaisir simple : enfiler des vêtements propres qui ne dataient pas d’avant ou de la fin
de sa scolarité à Poudlard. Elle retrouva avec joie un jean suffisamment usé pour être
confortable, lacéré aux genoux, qu’elle coupla avec un tee-shirt assez court pour laisser
apparaître son ventre et elle termina la tenue en passant une chemise large à carreaux rouges
et noirs à manches longues. Si elle l’avait pu, elle aurait coloré ses cheveux en bleu turquoise
ou en violet juste pour…

Un peu de normalité, juste un peu de normalité…

En tout cas, laisser davantage de vêtements chez Severus avait été une excellente idée.

Elle avait presque l’impression d’être à nouveau humaine. Si seulement ses jambes pouvaient
cesser de lui donner l’impression qu’elles allaient lâcher…

Avec un soupir résolu, elle jeta un dernier coup d’œil à la chambre, avisa sa baguette sur la
table de nuit et, à défaut d’avoir son étui, la coinça dans la poche arrière de son jean avec une
pensée pour Fol’Œil. Elle ne savait pas où était passé le sien, probablement chez ses parents.
Avec un peu de chance, Severus en avait un en plus quelque part…

Elle allait demander à Harry.

Cela l’étonnait que le garçon n’ait pas encore tambouriné à la porte pour s’assurer qu’elle
n’allait pas être en retard.

Son regard tomba sur le lit qu’elle n’avait pas pris le temps de faire et, plus particulièrement,
sur la baguette d’aubépine et le bout de parchemin plié en deux qu’elle avait soigneusement
laissés là où ils étaient. La baguette était autant en sécurité ici qu’ailleurs et lorsque Severus
se réveillerait, ce serait tout aussi simple de la lui ramener. Quant au mot… Après un instant
d’hésitation, elle l’empocha.

Le reste des appartements était trop silencieux, ça la frappa dès qu’elle quitta la chambre. Pas
d’Harry faisant les cents pas pour la presser, bien qu’ils aient théoriquement du temps devant
eux parce qu’elle avait prévu une bonne marge lorsqu’elle lui avait demandé de jeter un sort
d’alarme.

Était-il parti sans elle ?

S’était-elle mise en colère – un peu injustement, il fallait l’admettre – après Sirius


uniquement pour se faire elle aussi rouler dans la farine ?

Ses pas la menèrent jusqu’à la porte de la chambre de l’adolescent. Elle n’était pas tout à fait
fermée et elle entendait des reniflements à l’intérieur.

Au moins, Harry était là…

Mais s’il était à nouveau en train de pleurer…


Nymphadora grimaça et, pour la première fois depuis la veille, éprouva une pointe d’irritation
envers Severus de l’avoir mise dans cette situation. Certes, ce n’était pas sa faute s’il s’était
fait capturer, surtout s’il pensait qu’elle était morte… Mais, maintenant qu’elle avait l’esprit
un peu plus clair, elle n’était pas entièrement certaine de pourquoi elle avait semblé penser
être responsable d’Harry ou de pourquoi personne, de Sirius à Dumbledore, n’avait insisté
pour qu’il reste avec quelqu’un qui était légitimement en droit de veiller sur lui.

Ce Médicomage à la mangue l’avait appelé son fils et elle n’avait même pas corrigé. Elle
n’imaginait pas ce qu’en pensait l’adolescent. Il n’avait rien dit mais… La présomption dont
elle avait fait preuve alors qu’elle s’était donné tant de mal pour ne pas trop envahir sa
relation avec Severus…

Elle rebroussa presque chemin jusqu’au salon pour l’appeler et feindre ne pas avoir entendu
sa détresse.

Presque.

Deux mois plus tôt encore, c’était ce qu’elle aurait fait.

Mais elle n’était plus une gamine et, dans cette situation – une situation dans laquelle elle
s’était mise toute seule – c’était elle l’adulte et donc à elle de s’assurer qu’Harry allait bien.

Prenant son courage à deux mains et se rappelant qu’une Poufsouffle ne flanchait pas devant
les obstacles, elle frappa à la porte. « Harry ? »

Il y eut un moment de silence gêné, davantage de reniflements puis une voix enrouée.
« Oui ? »

À l’abri derrière le panneau de bois, elle laissa tomber la tête en arrière et espéra qu’elle
n’allait pas trop mal s’en tirer. « Je peux entrer ? »

Le silence s’étira un plus longtemps cette fois puis le garçon soupira. « Si tu veux. »

Elle n’avait encore jamais mis les pieds dans cette pièce même si elle l’avait entrevue une
fois ou deux, Harry laissant parfois la porte ouverte. Elle était passablement en désordre mais
pas beaucoup plus que son appartement, la décoration tranchait, par contre, avec le reste des
lieux. Il n’y avait aucun doute que la pièce était aux goûts d’Harry et pas à ceux de Severus.

Ce n’était toutefois pas la déco qui attira son attention mais le garçon recroquevillé sur son
lit. Il s’était lavé et changé à un moment donné mais avait apparemment décidé que se
rallonger en position fœtale avec le vieux plaid du canapé maladroitement jeté sur les jambes
était plus attrayant que d’attendre qu’elle se lève.

Elle ne pouvait pas vraiment lui jeter la pierre.

Plus alarmantes étaient les larmes qui roulaient sur ses joues.

Avait-il seulement cessé de pleurer depuis l’infirmerie ?

« Harry… » soupira-t-elle, en venant s’assoir sur le bord du lit. « Tu as dormi, au moins ? »


« Un peu. » marmonna le garçon, en s’essuyant les yeux d’un revers de manche. Il évitait son
regard et il était évident qu’il était aussi embarrassé qu’elle.

Et pourquoi, après tout ? Parce qu’il pleurait et que c’était un garçon ? Parce qu’il jouait à
l’adulte mais qu’il n’était encore qu’un gosse ?

« Je sais que tu ne vas pas me croire, mais ça va aller, mon chat. » promit-elle, avant de
grimacer intérieurement. Ce surnom idiot, encore. Plus tôt, à l’infirmerie, il lui était venu
naturellement parce qu’Harry avait été tellement bouleversé qu’il avait eu l’air plus jeune et,
qu’après cette nuit, elle s’était sentie plus vieille. Et voilà qu’elle recommençait. « Désolée.
Je ne sais pas pourquoi je n’arrête pas de t’appeler comme ça. Je te jure que je n’ai pas
l’habitude de donner des petits noms aux gens. »

Elle avait tenté de prendre un ton plus léger, celui de la plaisanterie, mais Harry ne rit pas ou
ne s’empressa pas de faire comme si rien ne s’était passé. Il se frotta à nouveau le visage pour
essuyer ses larmes, toujours incapable de la regarder en face.

« Ça m’est égal. » finit-il par dire, rougissant encore un peu plus. « Personne ne m’a jamais
donné de nom spécial. Tu peux continuer, si tu veux. »

Ça la démangeait de lui demander ce qu’il en était des Dursley mais elle se rappelait trop bien
de la réaction de Severus lorsqu’ils en avaient parlé pour la dernière fois. Elle doutait que sa
tante soit du genre à montrer son affection par des petits noms. Ou tout court, d’ailleurs.

« Ça t’est égal que je t’appelle mon chat devant tes amis ? » le taquina-t-elle, juste pour
provoquer une autre réaction que ces larmes qu’il ne semblait pas contrôler.

Le garçon croisa finalement son regard, une lueur amusée passant brièvement dans ses yeux.
« Peut-être pas en public. »

« Marché conclu. » plaisanta-t-elle, avec un clin d’œil.

L’ambiance étant légèrement plus détendue, elle s’efforça de lui adresser un sourire confiant.
« Severus va s’en sortir, tu sais. Il est solide. »

« Ils ne savent pas ce qu’il a. » contra-t-il immédiatement.

« Mais ils vont trouver. » déclara-t-elle, avec beaucoup plus d’aplomb qu’elle n’en ressentait.
« Je te parie que d’ici trois jours, il se sera évadé de l’infirmerie. »

C’était très optimiste mais un peu d’optimisme n’avait jamais fait de mal à personne.

Avec un soupir, le garçon s’assit, s’adossant à la tête de lit pour mieux ramener ses jambes
contre son torse et presser son visage contre ses genoux. Il tremblait encore.

« Peut-être qu’on demandera à Pomfresh de s’assurer que le Doloris n’a pas laissé de
séquelles quand on sera à l’infirmerie. » suggéra-t-elle, avec hésitation. « Ne le prends pas
mal mais tu n’as pas l’air dans ton état normal. »

Il fallut plusieurs secondes avant qu’il se force à lever la tête, à la regarder en face…
« Ce n’est pas le Doloris, c’est l’Occlumencie. » admit-il. « J’en ai abusé cette nuit et depuis
que mes boucliers ont explosé… »

« Ah, je comprends mieux. » Et elle était rassurée. Parce qu’elle ne lui aurait pas tenu rigueur
d’être perturbé ou bouleversé par les évènements des dernières vingt-quatre heures mais ça ne
lui ressemblait pas d’être aussi émotif.

« Je n’arrive pas à les relever. » souffla-t-il, avec agacement. « Et je n’arrive pas à arrêter de
pleurer comme un bébé. »

Elle avait l’impression de marcher sur de la glace. Personne ne lui avait donné le mode
d’emploi d’un adolescent.

« Déjà, il n’y a pas de honte à pleurer. » décréta-t-elle, levant la main en anticipant ses
protestations. « Et ensuite, la dernière fois que ça m’est arrivé, à moi, j’ai fait une crise
d’hystérie complètement ridicule alors tant que tu ne te mets pas à hurler comme une harpie
sans raison, tu vois, ça pourrait être pire. »

« Ça t’est arrivé ? » releva-t-il, en l’observant avec intérêt.

Elle n’allait certainement pas rentrer dans les détails.

« Du repos et un bon petit-déjeuner. » annonça-t-elle, avant de consulter la montre que le


garçon portait au poignet. « Pas dans cet ordre parce que sinon on sera en retard. Mais dès
qu’on aura fait le point avec Dumbledore, tu te rallongeras et tu essayeras de dormir un peu
plus. »

Elle fit de son mieux pour ne pas ouvertement montrer un quelconque signe de faiblesse en se
levant, feignant d’être entièrement à l’aise sur ses jambes. Elle avisa une lettre encore
cachetée sur le bureau, jetée sur un tissu fluide qui reflétait bizarrement la lumière…

Harry suivit son regard et fit disparaître rapidement la lettre dans le premier tiroir du bureau,
l’air coupable.

Le parchemin qu’elle avait subtilisé dans la chambre lui brûlait la poche.

« Est-ce que tu sais si Severus a un étui à baguette de rechange ? » s’enquit-elle, feignant de


ne rien trouver d’anormal à son comportement. « J’ai perdu le mien. »

« Sûrement mais je ne sais pas où. » répondit le Gryffondor. « Mais tu peux prendre le mien.
J’en ai un deuxième dans les dortoirs. J’irai le chercher plus tard. »

Elle accepta la proposition sans hésiter, attachant le fourreau de cuir à son avant-bras. Il était
plus petit que le sien, moins confortable, mais sa baguette y tenait et c’était le principal. Elle
ne pensait pas avoir besoin de s’en servir tout de suite – elle n’était pas capable de s’en servir
tout de suite –mais en cas de besoin elle préférait avoir sa baguette à portée plutôt que dans la
poche de son jean.

Ils venaient à peine de mettre un pied dans la cuisine – et Nymphadora avait déjà décidé
qu’ils se contenteraient de toasts, de thé pour Harry et de café pour elle parce qu’elle ne
voulait pas cuisiner – lorsqu’un craquement sonore annonça l’arrivée d’un elfe de maison.

Elle regarda avec ahurissement l’elfe aux oreilles et aux pieds couverts de paires de
chaussettes qui se trémoussait visiblement mal à l’aise.

« Il y a un problème à l’infirmerie ? » demanda-t-elle immédiatement, son esprit sautant à la


pire conclusion possible parce que Severus interdisait l’accès à ses appartements aux elfes de
maison. Même le linge disparaissait et réapparaissait à des endroits spécifiques sans qu’ils ne
mettent un pied à l’intérieur.

« Non, Miss. » répondit l’elfe, en se torturant les mains. « Dobby est désolé de désobéir aux
ordre du Professeur Snape, Miss. Dobby se punira. »

Et, comme pour prouver sa bonne foi, il se précipita vers la table pour mieux se donner un
coup sur la tête.

« Non ! » s’écria Harry. Il attrapa rapidement l’elfe et l’écarta. « Arrête, Dobby ! Je t’interdis
de te punir ! »

L’elfe ne devait pas y tenir tant que ça parce qu’il n’essaya pas de se frapper à nouveau.

« J’ai l’impression que j’ai raté un épisode… » hésita-t-elle.

« Dobby est mon ami. » expliqua le garçon.

L’elfe ouvrit de grands yeux émerveillés et regarda l’adolescent avec de l’adoration pure
avant de brusquement se rembrunir.

« Dobby est l’ami d’Harry Potter. » confirma sobrement l’elfe. « Mais Dobby n’aime pas ce
qui s’est passé tout à l’heure. Harry Potter a dit à Dobby de l’abandonner et Dobby l’a fait
et… »

« Tu es revenu avec Sirius. » lui rappela l’adolescent.

« Parce que Monsieur Weasley a dit à Dobby que c’était la chose à faire ! » contra l’elfe de
maison. « Et Dobby a désobéi à son ami en emmenant le Professeur Black et… » Les grands
yeux de l’elfe se remplirent de larmes. « Dobby a l’impression que, peut-être, Harry Potter
savait qu’il mettait Dobby dans une situation délicate… Harry Potter a dit à Dobby qu’il avait
un plan pour échapper à Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom mais Harry Potter a…
menti. »

« Tu veux dire que tu penses que je t’ai manipulé. » soupira Harry, la mâchoire contractée.
« Et… C’est vrai. Je suis désolé de ne pas avoir été franc, mais je savais que tu ne m’aiderais
pas si je te disais tout. »

« Harry Potter est désolé mais pas désolé, en somme. » L’elfe avait l’air atrocement déçu.

Si possible l’humeur d’Harry sembla devenir encore plus désespérée et Nymphadora décida
que c’était là qu’elle devait intervenir. Elle se racla la gorge. « Dobby, la nuit a été longue
et… »
« Bien sûr, Miss. » l’interrompit l’elfe. « Dobby s’en va. »

« Dobby… » hésita Harry. « Je suis vraiment désolé de t’avoir blessé. C’est juste que je ne
peux pas être désolé d’avoir sauvé Severus. »

L’elfe de maison inclina la tête puis disparut.

Dans la seconde qui suivit, deux assiettes généreusement garnies apparurent sur la table avec
une théière et une cafetière fumantes. Nymphadora se jeta sur le café avant même de
s’asseoir.

L’adolescent, en revanche, ne s’empressa ni de manger, ni de boire. Pourtant, vu tout ce qu’il


avait pleuré, il devait être déshydraté. Il continuait de devoir essuyer des larmes…

Elle lui servit d’autorité une tasse de thé et la poussa vers lui, soudain mal à l’aise parce
que…

Avec un soupir, elle tira le parchemin désormais froissé de sa poche et le lui tendit. « Tu veux
sans doute récupérer ça. Et le brûler, de préférence. »

Severus n’avait ni besoin de le voir, ni besoin de le lire.

Il ne fit pas semblant de ne pas savoir ce que c’était, il le posa à côté de son assiette sans le
déplier. « Tu l’as lu ? »

Elle n’avait pas de raison de mentir alors elle haussa les épaules. « Oui. »

Ça n’avait pas pris longtemps, il n’y avait que deux lignes sur ce parchemin.

On savait tous les deux que ça finirait comme ça. Ce n’est pas ta faute.

Merci d’avoir été mon adulte.

Après ce que lui avait confessé Severus : que d’échouer à sauver Harry était sa plus grande
terreur, elle ne pensait pas qu’il soit bon pour lui de lire ça, surtout après ce qu’il avait dû
endurer. Il n’y avait aucun moyen de lui cacher ce que le garçon avait fait – et elle ne s’y
serait pas amusé, ils n’avaient pas de secrets l’un pour l’autre, certainement pas d’aussi
énormes – mais entre le moment où elle avait lu le parchemin pour la première fois et le
moment où Dobby avait disparu, elle avait décidé qu’il n’y avait pas non plus besoin
d’insister sur le fait qu’Harry pensait ne pas avoir besoin d’un billet retour vers Poudlard.

Elle l’observa prendre sa fourchette et la planter plusieurs fois dans ses œufs brouillés sans
jamais la porter à sa bouche.

Le garçon ne semblait pas savoir par où commencer. « Est-ce qu’il t’a dit pour… Euh…
Qu’est-ce que tu sais ? »

« Pas autant que je le voudrais. » admit-elle. « Ce que je sais, en revanche, c’est que te
perdre, ça le tuerait. »
Harry ne releva pas les yeux. « Peut-être si Charlie avait réussi à te tuer… Mais quand je
mourrais, tu seras là et il tient trop à toi pour retomber dans ses vieux travers. »

Quand pas si.

Elle n’avait pas toutes les informations, elle le savait bien, mais…

« Tu ne vas pas mourir. » contra-t-elle fermement.

Il y avait plus que la prophétie dans cette histoire, ça aussi, elle le devinait. Pourtant…

Il leva la tête juste assez longtemps pour croiser son regard et ce qu’elle y lut l’effraya un
peu. Il avait l’air désolé. De lui faire de la peine.

« Raconte-moi ce qui s’est passé hier. » exigea-t-elle. « Je n’ai eu droit qu’à la version
abrégée. »

Lui demander de faire un compte-rendu de la bataille n’était peut-être pas le plus intelligent
et elle s’en aperçut à la seconde où il débuta son récit parce que…

« Ce qui s’est passé dans les cachots n’est pas ta faute. » l’interrompit-elle fermement. « Les
Mangemorts auraient attaqué que tu sois resté en bas ou pas. »

« Oui mais l’A.D. aurait été là. » contra-t-il. « Malfoy n’aurait pas été seul. »

Ça, elle ne pouvait pas le contester. Et quand elle pensait à ce qui aurait pu arriver à Draco…
Elle l’avait négligé cette nuit et il avait sans doute besoin de soutien lui aussi. Oui, il avait
Sirius, Andromeda et Narcissa mais… Elle mit Draco de côté pour l’instant.

« Les si, ça n’apportent rien. » déclara-t-elle. « Dans une bataille, on doit souvent prendre des
décisions sur le moment, bonnes ou mauvaises. Pourquoi est-ce que tu as décidé de
rebrousser chemin ? »

Il soupira avant de lui parler de la dernière prophétie de Trelawney, entre deux bouchées. Si
elle peinait à avaler quoi que ce soit et devait se forcer, Harry, lui, semblait avoir retrouvé son
appétit à défaut de son entrain.

« Ce qui me fait peur c’est que la prophétie n’est pas complète. » avoua Harry. « Si elle
parlait d’Anthony, Severus et Lucius Malfoy… Anthony a peut-être accompli sa vengeance
mais Lucius m’a sauvé alors si la rédemption est pour lui ça veut dire que Severus… Mais
d’un autre côté, Severus n’a plus de Marque, alors ça pourrait vouloir dire que la rédemption
le concerne. Mais dans ce cas là, c’est ma faute si Lucius… »

« C’est n’importe quoi. » l’interrompit-elle.

Le garçon leva les yeux au ciel et repoussa son assiette vide pour se servir une seconde tasse
de thé. « C’est ce qu’a dit Hermione mais Trelawney fait de vraies prophéties de temps en
temps et… »
« Peut-être. » le coupa-t-elle à nouveau. « Mais ce genre de prophéties, ça peut tout dire et
rien dire. Tes hommes de l’ombre, par exemple… Oui, ça peut être des espions. Oui, ça
semble correspondre à Anthony, Severus ou Lucius… Mais ça peut aussi être n’importe qui
d’autre. Vengeance, rédemption, mort… C’est super vague. Ça ne veut rien dire. »

Harry fronça les sourcils.

« Mais ça colle. » insista-t-il.

Elle se força à finir son toast avant de hausser les épaules. « Si tu cherches un peu, tu pourrais
faire coller cette prophétie à n’importe qui. Regarde, prends Grindelwald… Il est mort. Il a
vécu dans l’ombre de Dumbledore depuis cinquante ans, d’une certaine manière, vu que c’est
lui a connu la gloire pour l’avoir arrêté. Quant à la vengeance… Crois-moi, vu la pagaille que
ça devait être, hier, plus d’une personne a vengé un ami ou un membre de sa famille. Pareil
pour la rédemption. Charlie ne m’a pas achevée, par exemple. Même Grindelwald, d’un
certain côté, s’est racheté avant de mourir. Tu comprends ce que j’essaye de dire ? »

Le Gryffondor la regardait avec hésitation.

Elle termina sa tasse de café d’une longue gorgée, un œil sur la pendule accrochée au mur.

Elle devait se débrouiller pour parler seule à seul avec Dumbledore à un moment. Elle ne
savait pas trop pourquoi mais ce besoin la tiraillait. Elle devait lui dire quelque chose. Elle
devait… Mais quoi ?

« À trop vouloir voir le résultat d’une prophétie ou en voulant la contrer, on la crée. » clarifia-
t-elle. « Du moins, c’était ce que Fol’Œil disait, que c’était un ramassis de conneries. Et je
suis d’accord avec lui. »

Harry émit un bruit qui aurait pu être amusé s’il n’avait pas été aussi amer. « Severus aussi
pense ça. Mais la prophétie qui me lie à Voldemort… Je la comprends parfaitement. Elle est
limpide. »

« Est-ce qu’elle est vraiment limpide, mon chat, ou est-ce que c’est toi qui l’interprète pour
mieux la faire coller à ton idée ? » le défia-t-elle gentiment.

Il s’enferma dans un silence songeur.

Peut-être qu’elle n’avait pas dit ce qu’il fallait, au final…

Parce qu’il n’avait toujours pas prononcé un mot lorsqu’ils arrivèrent à l’infirmerie.

°O°O°O°O°

Granger s’était déjà mise au travail lorsque Draco débarqua dans la bibliothèque.
Visiblement, elle avait également convaincu Madame Pince de l’aider parce que la
bibliothécaire allait et venait, transportant régulièrement d’épais grimoires – dont certains de
la Réserve – jusqu’à la table que la jeune fille s’était attribuée dans l’entrée. Il la salua d’un
geste de la tête qu’elle lui rendit.
« Bill Weasley ne connait pas le maléfice. » annonça-t-il, sans s’embarrasser de baisser la
voix.

L’endroit était vide et si la bibliothécaire lui jeta un regard légèrement désapprobateur, ça


semblait être davantage un réflexe qu’autre chose.

Granger leva les yeux de l’épais grimoire poussiéreux qu’elle était en train de consulter. « Le
Médicomage qui faisait les recherches est parti à Sainte Mangouste. Apparemment ils ont des
archives, là bas. Je n’ai rien trouvé dans Tous Les Maléfices Retords, Une Histoire De La
Magie Noire À Travers Les Siècles ou Un Traité Sur Les Malédictions mais ça ne veut pas
dire qu’il n’y a rien ailleurs. »

Madame Pince revint sur ces entrefaites, les bras chargés de trois gros grimoires tout droit
sortis de la Réserve.

« Essayez celui d’Elbert Mirador. » conseilla-t-elle. « Je vais chercher de mon côté . »

Il y avait déjà une belle pile sur la table et, si Draco la remercia d’un sourire fatigué, il tira à
lui le livre qu’elle avait indiqué.

« La bibliothèque n’a pas trop souffert ? » demanda-t-il, plus pour être poli qu’autre chose.
Après tout, rien n’obligeait Madame Pince à l’aider.

« C’est une des zones les plus sûres du château, à présent. » répondit la sorcière, d’un ton fier.
« Nous l’avons renforcée après la tempête magique. Rien n’atteindra ces livres sans devoir
me passer sur le corps. »

Elle était sérieuse, c’était bien le plus effrayant.

Il prit place à côté de Granger et ouvrit le livre, scannant le sommaire à la recherche d’un
chapitre prometteur.

« Bill n’avait pas une seule piste ? » s’enquit la lionne, avec un brin d’hésitation.

Il secoua la tête. « Il a dit que c’était sans doute un vieux maléfice et qu’il en comprenait le
mécanisme mais qu’il ne savait pas comment l’arrêter. Il va venir nous aider, il devait parler
avec Andromeda. Apparemment, ils pensent que le coma de Snape est lié à l’absence de la
Marque des Ténèbres. »

Du moins, c’était ce qu’il avait entendu sa tante confier à Sirius lorsqu’il avait écouté aux
portes – sous le nez de sa mère, qui plus était, mais Narcissa ne lui en avait pas fait le
reproche. Lucius s’était rendormi et, s’il avait hésité à quitter sa mère, il voulait se sentir
utile. Il lui avait fait promettre de le prévenir au moindre changement.

« Je croyais que retirer la Marque était… » hésita la jeune fille.

« Impossible, oui. » confirma-t-il. « Du moins sans le tuer. Ce qui explique sans doute
pourquoi ils pensent qu’il n’a peut-être plus toutes ses facultés mentales. »

Ça aussi il l’avait entendu par le trou de la serrure.


L’expression de sa petite-amie s’affaissa. « Tu as vu Harry ? Tu crois que ça va ? »

Il ne savait pas trop quoi penser de Potter et de son rôle dans toute cette histoire. C’était pour
le sauver que Lucius… Si Potter n’était pas allé se jeter dans la gueule du loup, en premier
lieu… Pourtant, c’était lui qui lui avait donné la clef pour le faire et il n’avait pas vraiment
chercher à l’arrêter… Il était tout aussi responsable que le Survivant.

« Je ne sais pas. » admit-il, son esprit dérivant vers quelque chose de plus positif. « C’est un
garçon. Le bébé. Je vais avoir un frère. »

Il ne put s’empêcher de le déclarer avec fierté, en se tenant un peu plus droit. Le sourire ravi
naquit naturellement sur ses lèvres parce que c’était bel et bien un miracle et que…

L’idée que Lucius ne soit pas là pour l’élever, le voir grandir, fit éclater son bonheur comme
une bulle de savon.

Granger lui sourit gentiment, avec un léger amusement. « Tu es vraiment content que ta mère
soit enceinte, hein ? »

« Bien sûr. » répondit-il, dans un haussement d’épaules. C’était la seule bonne nouvelle qu’il
ait eu depuis bien, bien longtemps. « Pourquoi est-ce que je ne serais pas content ? »

« C’est juste que ce sera une sacrée différence d’âge. » remarqua-t-elle. « Et que tu es habitué
à être enfant unique alors… »

« Je pourrais avoir dix ans de plus je serais tout de même heureux. » l’interrompit-il. « C’est
un miracle, tu comprends ? Ils n’en ont jamais parlé mais ils ont essayé pendant des années…
Je sais qu’il y a eu… plusieurs échecs. »

« Oh… » murmura-t-elle avec compassion.

« J’ai toujours voulu un frère ou une sœur. » insista-t-il. « Un frère, c’est encore
mieux. Quand je vois Ron avec Ginny, je préfère encore ne pas penser à l’idée d’une sœur. Il
me faudrait terrifier beaucoup trop de garçons… »

Ça arracha un rire amusé à la jeune fille.

Puis, tacitement, ils se concentrèrent à nouveau sur leur tâche.

Au bout de longues minutes, Draco dût se rendre à l’évidence : il ne trouvait rien. Un


maléfice semblait prometteur mais la liste des symptômes ne correspondait pas tout à fait
et…

Bill Weasley pénétra dans la bibliothèque, suivi de près par Ron et Ginny.

« Que faites-vous là ? » demanda-t-il, plus que surpris de les voir.

« On vient aider à faire des recherches. » répondit le cinquième année, avec un haussement
d’épaules nonchalant. « Cette question. »
Leur frère ainé s’était éloigné, sans doute pour aller parler à Pince.

Draco regarda ses amis approcher, sans comprendre. « Mais Charlie ? »

« Les jumeaux et Maman sont avec lui. » expliqua Ginny. « Et Bill nous a dit que vous alliez
sans doute avoir besoin d’aide alors nous voilà. »

La jeune fille paraissait l’ombre d’elle-même. Elle était d’ordinaire un vrai boute-en-train, la
voir sans aucune énergie, le regard éteint…

« Vous n’êtes pas obligés. » s’entendit-il insister, bien que toutes les bonnes volontés seraient
bienvenues. « Je suis sincèrement désolé pour… »

« Percy adorait la recherche. C’est probablement le plus bel hommage qu’on puisse lui
rendre. » l’interrompit-elle avec un sourire forcé qui n’atteignit pas ses yeux.

Il se sentait mal et coupable, toutefois. Son père avait visiblement pris part à ce qu’il s’était
passé au Ministère et…

La quatrième année dût le lire dans ses yeux parce qu’elle soupira. « Draco, est-ce que j’ai
envie d’aider un Mangemort ? Un Mangemort qui a aidé Tu-sais-qui à me posséder en
première année, qui plus est ? Non. Mais c’est ton père et je ne veux pas qu’il lui arrive quoi
que ce soit parce que tu es notre ami et que je n’ai aucune envie de voir un ami souffrir. Alors
c’est peut-être le dernier des salauds mais on va le sauver pour toi, d’accord ? »

Il n’avait pas les mots.

Il n’avait pas les mots et il était trop fatigué et Blaise et Daphné… Réagissant à l’instinct, il
l’attira contre lui. Elle lui rendit brièvement son étreinte avant de s’éloigner, lui tapotant le
torse tout en levant théâtralement les yeux au ciel. « Ta copine est juste là, Malfoy. Contrôle-
toi. » Elle se laissa tomber à côté de Granger qui n’avait encore rien dit et tira un livre vers
elle. « Alors, on cherche quoi ? »

Ron ne dit rien non plus mais, lorsqu’il passa à côté de lui pour aller s’assoir, il lui claqua
amicalement l’épaule.

Sa mauvaise épaule.

Draco ne put retenir un sifflement de douleur.

« Merde ! » s’inquiéta le Gryffondor. « Ça va ? »

Dire que ça allait aurait été un gros mensonge parce que rien n’allait. Rien du tout.

Et pourtant…

Pourtant il était étrangement ému que les Weasley se soient déplacés pour aider son père alors
qu’ils le détestaient, que…

« Ça va maintenant que vous êtes là. »


De sa part, c’était dégoulinant d’affection.

Granger posa discrètement une main sur sa cuisse, sous la table, à l’abri des regards.

Ron le dévisagea comme s’il envisageait de le trainer à l’infirmerie.

Ginny leva les sourcils, un sourire amusé un peu plus sincère aux lèvres.

« Eh bien, on est sûrs qu’il a pris un coup sur la tête, maintenant ! »

Il répondit par une pique sarcastique machinale et laissa Granger expliquer ce qu’ils
cherchaient mais il ne pouvait pas s’empêcher d’éprouver ce sentiment de gratitude un peu
incrédule face à ce geste d’amitié.

Une gratitude qui ne fit qu’enfler lorsque, au bout d’une vingtaine de minutes, d’autres
personnes débarquèrent à l’infirmerie.

Londubat, Luna, Bones et Abbot, les jumelles Patil…

Il était incapable de parler.

Incapable d’avaler la boule qui lui obstruait la gorge.

Parce que ses amis n’étaient pas là pour Lucius Malfoy, non…

Ils étaient là pour lui.

Et ça…

Ça, c’était un sentiment plus fort que tout ce qu’il aurait pu exprimer.

°O°O°O°O°

Harry avait à peine mis un orteil dans la chambre de Severus que Pomfresh claquait la langue
avec désapprobation, l’entraînait à l’écart et le soumettait à tout un tas de sorts de diagnostic.
Il jeta un regard suppliant à Dora mais cette dernière feignit de ne rien voir pour aller parler à
son père qui ne tarda pas à s’éclipser, probablement fatigué d’avoir veillé toute la nuit.

L’infirmière lui posa tout un tas de questions sur sa consommation de potions, ces dernières
heures, le sermonna longtemps sur le mélange potion calmante et philtre de force – autant
que sur le mélange alcool et potion de Sommeil-sans-rêves – mais, au bout du compte, elle
lui donna une nouvelle dose de potion calmante, le força à avaler un carré de chocolat et lui
enjoignit de se reposer dès qu’il le pourrait.

Il détestait être l’objet de l’attention de Madame Pomfresh, pourtant, personne ne pouvait nier
qu’elle était la meilleure Médicomage au monde, parce que, le temps que Dumbledore entre
dans la pièce, suivi d’Andromeda, Harry avait finalement cessé de devoir essuyer des larmes
traîtres. Ses boucliers mentaux se dérobaient toujours à lui, l’Occlumencie lui faisait l’effet
d’un muscle qu’il aurait froissé à trop l’utiliser, mais ses émotions, si elles menaçaient
toujours de le submerger, n’étaient plus si écrasantes qu’il ne pouvait pas les gérer.
« Miss Tonks, je suis ravie de vous trouver à nouveau sur pieds. » salua Dumbledore avec un
sourire fatigué. Avait-il seulement dormi ? « Harry. Poppy. »

Ils échangèrent tous des bonjours – un peu impatients de sa part et de celle de Dora – puis
Andromeda se racla la gorge.

« Allons droit au but… » déclara la sorcière avec une certaine réticence.

« Vous avez trouvé ce qu’il a ? » demanda Tonks, n’y tenant visiblement plus.

Elle s’était rapprochée du lit jusqu’à pouvoir attraper la main de Severus. Harry vint se tenir
près d’elle, de manière à pouvoir toucher l’épaule de son père, juste pour qu’il sache qu’il
était là lui aussi. Dumbledore se planta au pied du lit et se tourna vers les Médicomages avec
une expression polie mais légèrement inquiète.

Andromeda et Pomfresh échangèrent un regard.

« Pas à proprement parler. » soupira finalement l’infirmière, avec un coup d’œil attristé pour
le sorcier inconscient sur son lit d’hôpital. « En pratique, aucun de nos examens ne soulève
de problèmes. La dégénération des nerfs de ses mains ne s’est pas aggravée, les blessures
qu’il a reçues hier ne sont pas si sérieuses, et, médicalement, ce coma a peu de sens. »

« Il n’y aucun problème neurologique. » intervint Andromeda. « Aucun signe de Doloris ou


d’un maléfice similaire qui aurait pu affecter son cerveau. »

Harry se retint à grand peine de leur faire remarquer qu’on aurait dit qu’elle n’en savait pas
plus que quelques heures plus tôt. Principalement parce que Dora s’était tendue et n’avait pas
l’air plus heureuse que lui.

« La Marque. » lâcha-t-elle. « Ça a forcément un rapport avec… »

« Oui. » confirma Andromeda, en lui coupant la parole. « C’est notre théorie. »

« La magie noire ne se serait pas laissée retirer facilement. » commenta Dumbledore. « La


Marque, au demeurant, est un pacte magique. Le briser aurait dû être impossible. »

« Peut-être pas, de l’avis de Bill Weasley. » contra Pomfresh, en hésitant légèrement. « Du


moins, cela l’aurait été pour Severus ou tout autre Mangemort, mais il n’exclut pas que Vous-
savez-qui aurait pu le faire. La Marque, à l’origine, est un dérivé d’un sortilège d’esclavage et
le rapport entre les deux parties n’est pas égal. Vous-savez-qui reste le maître dans ce cas de
figure. »

« Il l’a fait, très visiblement. » intervint Harry, n’y tenant plus, en désignant le bras du
Professeur d’un geste. « La Marque n’est plus là. »

« Non. » acquiesça l’infirmière. « Et, qui plus est, il n’y a plus aucune trace d’elle. Pas même
une cicatrice. Pas le plus petit résidu de magie. »

« Il n’aurait pas dû y survivre. » murmura Dumbledore, avant de sursauter légèrement


comme s’il n’avait prévu d’en dire autant à voix haute. Il leur jeta, à Tonks et lui, un regard
d’excuse. « J’ai fait quelques recherches de mon côté, il y a quelques années. Et je m’y suis
replongé lorsqu’il s’est avéré évident que la Marque posait problème, il y a quelques
mois. Le fait est que je ne vois pas comment Severus aurait pu survivre à sa disparition. Bill
n’a pas tort, Voldemort aurait sans doute pu la lui arracher à coup de magie brute, mais que
Severus soit parvenu à y survivre… »

« D’où notre théorie. » intervint Andromeda. « Dans les faits… Son état est assez similaire à
celui des victimes d’un Détraqueur. »

« Maman, si tu es en train de dire qu’il a perdu son âme lorsque Tu-sais-qui lui a retiré la
Marque… » grinça Tonks, le visage fermé.

« Les domaines de recherche magique liée aux âmes est pauvre. » soupira à nouveau
Pomfresh. « Et le fait est que… »

« Il n’a pas perdu son âme. » cracha Harry.

Dumbledore secoua la tête. « C’est une conclusion extrême. J’avoue ne l’avoir examiné que
brièvement, cette nuit, mais son activité cérébrale, à défaut d’être tout à fait normale, n’était
pas inquiétante. Une victime de Détraqueur… »

« Son état est similaire, ce n’est pas forcément tout à fait la même chose. » le coupa
l’infirmière.

« Similaire en quoi ? » s’énerva Dora. « Juste parce qu’il est inconscient… »

« Il est plus qu’inconscient, Nymphadora. » intervint Andromeda, prudemment. « Son esprit


est toujours là, Poppy et moi sommes d’accord sur ce point là, mais il semble être ténu, à
peine présent. Comme… un résidu. »

« Un résidu ? » répéta la jeune femme avec colère.

Harry, lui, était trop figé d’horreur face à ce qu’elles étaient en train de dire pour se mettre en
colère.

« Le retrait de la Marque a très bien pu déchirer son esprit de la même manière qu’un
Détraqueur arrache l’âme de ses victimes. » admit Pomfresh, cillant rapidement parce que ses
yeux se remplissaient de larmes. « Je ne m’explique pas qu’il soit toujours en vie, dans tous
les cas. Admettons que la magie l’ait simplement fait souffrir lentement au lieu de le tuer sur
le coup, la douleur qu’il a dû éprouver… Son corps n’aurait pas dû résister. »

« Son cœur aurait dû lâcher. » clarifia Andromeda, en grimaçant. « Je sais qu’il a une
tolérance extrêmement accrue à la douleur mais il y a une limite à ce qu’un esprit humain
peut supporter… Le stress d’une telle souffrance sur le corps, particulièrement chez
quelqu’un comme lui qui a des antécédents médicaux importants… »

Il y a une limite à ce qu’un esprit humain peut supporter…

Harry attrapa brusquement l’avant-bras de Tonks. Elle tourna son regard horrifié vers lui, fit
un effort visible pour se contrôler…
« L’Occlumencie. » lui dit-il, avec une pointe d’excitation – de soulagement.

Severus n’était pas n’importe qui.

Severus était un Maître Occlumens.

Et Severus avait des années d’expérience lorsqu’il était question d’occluder la douleur.

« L’Occlumencie aurait pu l’aider à contrôler la souffrance mais elle n’explique pas son
coma. » remarqua Dumbledore.

Harry ne lui prêta pas attention, rivé au regard de Dora, la suppliant de comprendre. « Et si
l’Occlumencie basique n’avait pas été suffisante ? Et s’il avait dû aller… plus loin ? »

Il ne savait pas exactement à quel point Severus l’avait entraînée dans l’art de l’Occlumencie
mais…

Une lueur d’espoir s’alluma dans ses yeux gris. « Le coffre. »

Il hocha la tête, un sourire se dessinant sur ses lèvres. « Le coffre. »

Dumbledore se racla la gorge. « Il semble que vous ayez une théorie mais j’ai bien peur
que… »

« Il est dans son coffre ! » s’exclama le garçon, en se tournant finalement vers le vieux
sorcier. « Ça explique pourquoi son esprit est là mais… mais ténu ! Ou pourquoi il ne se
réveille pas ! »

« Son coffre ? » répéta le Directeur, en fronçant les sourcils, alors que les Médicomages
échangeaient un regard perplexe.

« Le dernier recours d’un Occlumens ! » répondirent Harry et Dora en cœur.

« Mes enfants, vous m’avez perdu. » avoua Dumbledore. « Je n’ai aucune idée de ce dont
vous êtes en train de parler. »

« Une seconde. » intervint Andromeda, en regarda sa fille avec incrédulité. « Depuis quand
connais-tu quoi que ce soit en Occlumencie ? »

Elle haussa les épaules, balayant la question d’une main impatiente. « Severus m’a enseigné
les bases. » Au bout d’une seconde, elle se corrigea. « Plus que les bases. »

La Médicomage l’observait avec surprise et, peut-être, un respect nouveau. « C’est de la


magie très avancée. »

« Oui, eh bien… » grimaça Dora, un peu gênée. « Je suis encore loin de la maîtriser
entièrement. »

« Et tu n’as pas pensé à m’en parler ? » demanda sa mère. « Et tant qu’on en est à parler des
choses que tu n’as pas jugées bon de me dire… Ton père m’a dit que tu avais affirmé être
mariée avec lui. Est-ce que… »

Tout le monde se tourna vers la jeune femme avec curiosité, Harry compris.

Elle les dévisagea tous les uns après les autres, les joues rougies. « Sérieusement ? »

« Il faut admettre que Severus a le goût de la discrétion. » commenta Dumbledore. « Un


mariage secret ne m’étonnerait pas tant que cela venant de lui… »

« Sans moi ? » grommela Harry, un peu vexé.

« Bien sûr que non, pas sans toi. » rétorqua Dora, avant de croiser les bras, un peu sur la
défensive. « Et, non, nous ne nous sommes pas mariés en secret. J’ai juste dit ça parce
que… » Elle souffla avec agacement. « Ce Médicomage était stupide et je savais qu’il ferait
moins d’histoires s’il pensait... Est-ce que c’est vraiment important ? »

La toux que le Directeur étouffa dans son poing avec tact ressemblait à s’y méprendre à un
petit rire. Tout amusement disparut bien vite, cependant, et il se tourna à nouveau vers eux,
sourcils levés. « Vous parliez d’un coffre. Puisque Severus vous a formés tous les deux à
l’Occlumencie et que je n’ai jamais entendu parler d’une telle technique, je suppose qu’il en
est l’inventeur ? »

Dora haussa à nouveau les épaules. « Je ne suis pas encore… Mon coffre n’est pas
fonctionnel. »

« Le mien, oui. » déclara Harry, s’attirant tous les regards. « C’est comme… C’est comme
une poche au milieu de tous mes souvenirs. C’est… » Il hésita, peinant à décrire ce que
Severus avait conçu comme un ultime recours. « Mettons que mon esprit soit en passe d’être
détruit par un Legilimens plus puissant, si je me réfugie dans mon coffre, je serais à l’abri…
Le problème c’est que… Une fois qu’on est à l’intérieur, qu’on s’y enferme, le coffre se
scelle et on n’existe plus qu’à un certain niveau de conscience… On est coupé du monde
extérieur. »

« Ah… » marmonna Dumbledore. « Je reconnais là l’ingéniosité de Severus. Je présume qu’il


est possible d’enfermer bon nombre d’informations sensibles dans ce coffre, empêchant ainsi
l’ennemi de mettre la main dessus ? »

« Oui, voilà. » acquiesça-t-il. « Et ça coupe de tous les stimuli extérieurs, de la douleur, de la


panique… »

« Mais le danger est passé. » contra Pomfresh. « Pourquoi y serait-il encore ? »

« Parce qu’il ne le sait pas. » murmura Dora.

« Il devait penser qu’il allait mourir dans tous les cas. » renchérit-t-il, d’accord avec elle. « Il
devait penser… Il n’a pas de raison de sortir vérifier que le danger est passé. Pas s’il
croit… »

« Mais il s’est passé des heures. » insista Andromeda. « Même s’il n’avait pas pensé pouvoir
s’en sortir, il… »
« Le temps passe différemment sur le plan psychique, surtout si ce procédé fonctionne
comme je le pense. » coupa Dumbledore, en se lissant pensivement la barbe. « Harry,
connais-tu un moyen d’ouvrir le coffre d’un Occlumens de l’extérieur ? »

Il secoua la tête. « Pas sans la clef. Severus pourrait ouvrir le mien parce qu’il m’a aidé à le
créer mais… » Mais il n’avait pas la clef de celui de Severus. « Un coffre est conçu pour
résister à toutes les attaques… » Ce qui n’allait pas l’arrêter. « Je peux essayer de le contacter
par Legilimencie. »

Le vieux sorcier l’étudia avec une moue dubitative. « Serait-ce sans danger pour toi ? Je
connais trop bien Severus… S’il a prévu un point de repli, j’ai du mal à imaginer qu’il n’y ait
pas un piège pour un intrus dans le reste de son esprit. »

« C’est censé former un labyrinthe. » intervint Dora.

Il lui jeta un regard trahi mais elle fronça les sourcils et il leva les yeux au ciel.

Finalement, peut-être qu’avoir un seul parent suffisait.

« Les souvenirs qui ne sont pas au coffre vont se disperser et, théoriquement, ils devraient
désorienter un intrus. Pas vraiment l’attaquer, mais… Ils seront durs à éviter parce que
personne ne les contrôle. » admit-il. « Parvenir jusqu’au coffre sans se perdre dans son esprit
pourrait être compliqué mais je suis déjà allé le chercher dans son pire souvenir, ça ne peut
pas être beaucoup plus difficile. »

« Quand tu dis te perdre dans son esprit… » demanda Andromeda.

Harry fit la grimace. « Je devrais m’enfoncer loin, du coup si je perds le chemin jusqu’à mon
propre corps… »

« C’est très risqué, Harry. » remarqua Dumbledore.

« Il ne répondra pas à quelqu’un à qui il ne fait pas confiance. » rétorqua-t-il. « Même vous,
ce n’est pas sûr qu’il… »

« Certes. » admit le Directeur, son regard dérivant vers Tonks. « Toutefois… »

« Je n’ai pas d’expérience avec la Legilimencie. » déclara-t-elle. « Je veux bien essayer


mais… »

« Non. » décréta Andromeda. « C’est beaucoup trop risqué pour une novice, de ce que dit le
garçon. Je ne suis pas certaine… »

« Ça ne va pas m’empêcher d’essayer. » l’avertit Harry, avec un peu trop d’insolence s’il en
croyait le regard agacé qu’elle lui jeta.

« Tu peux essayer. » l’y autorisa Dumbledore. « Mais pas aujourd’hui. » Il ouvrit la bouche
pour protester mais le Directeur leva la main avec autorité. « Harry, tes boucliers sont
inexistants. La magie de l’esprit est dangereuse. Peux-tu m’affirmer, sans mentir, que tu es en
état d’entreprendre ce genre d’expérience délicate sans aucun danger pour toi ou pour
Severus ? »

Il referma la bouche et baissa les yeux vers ses baskets.

« Est-ce qu’attendre ferait une différence ? » s’enquit Tonks. « Est-ce que… Est-ce qu’il est
en danger ? »

« À priori non. » répondit Pomfresh. « Son état est stationnaire. Évidemment, je ne suis pas
certaine qu’il soit bon pour son état psychologique d’être coupé du monde comme Potter le
décrit mais nous ne le saurons que lorsqu’il se réveillera et Severus étant Severus… Je
suppose que c’est un problème que nous passerons sous le tapis, de toute manière.
Physiquement, il ne risque rien. »

« Très bien. » commenta Dumbledore, non sans compassion pour lui. « Harry, je veux que tu
te reposes, aujourd’hui. »

« Je ne veux pas le laisser. » protesta-t-il rapidement.

Le Directeur n’eut pas l’air étonné. Il transforma le lit d’appoint toujours dans un coin de la
pièce en un lit un peu plus confortable et le lui désigna d’un geste.

« Je te fais confiance pour ne rien tenter d’inconsidéré. » déclara le Directeur, avec un regard
lourd de sens. « Tu as entendu Poppy, son état est stationnaire et tu seras plus à même de
l’aider une fois que tu auras récupéré tes forces. Dors quelques heures, mange, vas prendre
l’air, tâche de reconstruire tes boucliers… Demain matin, si j’estime que tu es en état, tu
essayeras d’établir le contact avec lui. Si tu n’y arrives pas, je tenterai ma chance. Et nous
réessayerons autant de fois que nécessaire. »

Harry aurait préféré qu’ils le fassent tout de suite mais… Il ne pouvait pas nier qu’il n’était
pas en état de jouer les Maîtres Occlumens, encore moins les Maîtres Legilimens. Prendre
quelques heures pour rétablir ses défenses mentales n’était sans doute pas une mauvaise idée,
aussi frustrant que cela puisse paraître.

Apparemment satisfait, Dumbledore se tourna vers Dora.

« Auror Tonks, si vous vous en sentez capable, Kingsley et Remus m’attendent dans mon
bureau. » poursuivit-il. « Il nous faut discuter de l’avenir du Ministère, entre autres choses. »

Tonks se tint légèrement plus droite et hocha la tête. « Je peux vous parler en privé, une
minute, avant ? »

Le Directeur eut l’air légèrement étonné mais lui indiqua de le précéder hors de la pièce. Elle
n’hésita que le temps de caresser la joue de Severus, puis se tourna vers Harry.

« Pas de bêtises. » ordonna-t-elle, un peu plus sérieusement que d’ordinaire. « Je reviens dès
que je peux, d’accord ? »

À moitié agacé de se voir traiter comme en enfant, à moitié heureux qu’elle se soucie
simplement de lui, il hocha la tête. Elle jeta un dernier regard à Severus puis passa la porte
que le Directeur tenait patiemment ouverte pour elle. Il allait lui emboîter le pas lorsqu’il
s’immobilisa, fronçant les sourcils en direction du garçon.

« Harry, j’ai omis de te poser la question, cette nuit… La Carte… » hésita le vieux sorcier.

« Détruite. » dit-il rapidement. « Il ne l’a pas. »

Dumbledore lui adressa un sourire approbateur qui n’atteignit pas tout à fait ses yeux. « Tu en
es certain ? » Il confirma et le Directeur hocha lentement la tête. « Repose-toi. »

Comme si c’était aussi facile à dire qu’à faire.

°O°O°O°O°

Albus ressentait le besoin d’utiliser sa pensine dès que possible.

Il avait trop de pensées parasites en tête, trop de préoccupations qui n’auraient pas dû prendre
la précédence sur d’autres, trop d’émotions volatiles qui se disputaient à son côté rationnel…

Que la Carte ait été détruite était un soulagement, cela rayait un problème de la liste des
urgences.

Qu’ils aient trouvé une explication plausible à l’état de Severus, qu’ils aient un plan visant à
son rétablissement, était un soulagement sans nom et lui ôtait une autre épine du pied.

« De quoi vouliez-vous me parler ? » s’enquit-il avec curiosité – et une pointe


d’appréhension, s’il devait être honnête – une fois que lui et la jeune femme se furent
éloignés de l’infirmerie. Dans cette zone du château, les couloirs étaient déserts. Minerva
avait dû autoriser les élèves à quitter la salle commune de Serpentard, avait dû commencer à
réorganiser le château pour le transformer d’école en refuge, mais, pour l’instant Poudlard
semblait toujours accuser le coup de la veille.

Il fut étonné lorsque Tonks attrapa son bras pour le traîner vers la pièce vide la plus proche.
Une salle de classe déserte qui n’avait pas servi depuis plus de trente ans, en l’occurrence.

Albus fronça les sourcils, plongeant la main dans la poche ample de ses robes pour mieux
attraper sa baguette… Elle avait, après tout, passé un certain laps de temps avec Charlie et
Anthony. Rien ne disait qu’elle n’était pas, elle non plus, sous Imperium et que sa cible…

« J’ai un message pour vous. » lâcha-t-elle, un peu nerveusement.

Son comportement était étrange. Elle se frottait le front, comme si quelque chose la
dérangeait, les doigts de sa main libre tressautaient comme si elle luttait contre quelque
chose…

« Nymphadora. » appela-t-il doucement, avec méfiance, espérant que son prénom la mettrait
suffisamment en colère pour qu’elle parvienne à contrôler le sort qui la tenait visiblement
sous la contrainte.

Il n’en fut rien.


Pas si étonnant, au demeurant, se morigéna-t-il, Severus l’appelait tout le temps ainsi et il
s’était passé du temps depuis qu’il l’avait entendue protester l’usage de son prénom pour la
dernière fois.

« Je ne savais pas… » expliqua-t-elle, sans sembler se rendre compte qu’il était à deux doigts
de lui jeter un stupefix.

Il avait laissé Harry seul avec elle. Il n’avait pas pensé à vérifier que… Peut-être serait-il plus
sage de s’assurer que tous les membres de l’Ordre, particulièrement ceux qui avaient passé du
temps avec Anthony, ne soient prisonniers d’aucun maléfice.

« Luttez contre le sort, Tonks. » l’encouragea-t-il, tirant lentement sa baguette de sa poche.

La jeune femme n’avait pas sorti la sienne et elle avait beau avoir l’avantage de la jeunesse, il
n’était pas vraiment inquiet de la voir prendre le dessus sur lui.

« Le sort ? » répéta-t-elle, en fronçant les sourcils. Elle croisa son regard, l’air confus. « Je
suppose que c’est un sort, oui. » Elle fit la grimace et porta à nouveau la main à son front.
« J’aimerais que tout le monde arrête de jouer avec ma tête. » Elle soupira. « Grindelwald a
laissé un message pour vous dans mon esprit. »

Cela le prit de court.

« Pardon ? » souffla-t-il.

« Je ne savais pas. » grimaça-t-elle davantage. « Je savais que je devais vous parler quand je
me suis réveillée, ce matin, mais je ne savais pas de quoi. Et je n’ai compris que lorsque nous
nous sommes retrouvés seuls. »

La magie de l’esprit était une forme de magie extrêmement complexe et délicate, comme il
l’avait dit à Harry. Que Gellert ait pu faire une chose pareille ne l’étonnait pas, il était
brillant. Avait été brillant. Mais…

« Il y a une pensine dans mon bureau. » offrit-il. « Nous pouvons… »

« Non. » l’interrompit-elle, visiblement irritée par toute cette affaire. « Ce n’est pas ce genre
de message. »

Elle croisa les bras avec mauvaise humeur et, peut-être, une pointe d’angoisse. Elle n’avait
toujours pas cherché à tirer sa baguette et cela le heurta, tout à coup, que ce n’était pas une
preuve de confiance de sa part mais plutôt un aveu de faiblesse. Andromeda lui avait dit que
sa fille ne serait pas en état de faire grand-chose avant un certain temps, qu’elle s’était
épuisée à se soigner.

Tonks savait qu’elle n’avait aucune chance contre lui.

Était-elle seulement capable du moindre sortilège, à l’instant ?

« Je vais vous laisser entrer dans mon esprit. » cracha-t-elle, à contrecœur. « Vous regardez le
message et vous sortez. Vous ne fouillez pas. Vous ne cherchez pas autre chose. Et si vous
tentez une nouvelle fois d’effacer certains de mes souvenirs… »

Albus ravala un soupir. « Je suppose qu’il est trop tard pour vous présenter mes excuses
pour… »

« Oui. » l’interrompit-elle sèchement. « Beaucoup trop tard. Nous avons peut-être besoin de
vous pour gagner cette guerre mais ça ne veut pas dire que je dois vous faire confiance sur
tous les plans. Et, au niveau humain, je ne vous fais absolument pas confiance. Je ne suis pas
non plus obligée de vous apprécier. »

C’était justifié, décida-t-il, et il ne lui fit aucun reproche.

« Êtes-vous certaine que vous souhaitez me laisser pénétrer dans votre esprit ? » demanda-t-il
pourtant.

« Oh, je suis certaine que je ne pourrais pas penser à autre chose tant que ce ne sera pas fait,
au risque de me rendre folle. » rétorqua-t-elle. « Foutu Grindelwald. »

« Gellert était… déterminé. » confirma-t-il, sans parvenir à cacher son affection. Ou sa


tristesse. « Prête ? » Il croisa son regard, lui laissa le temps de se préparer. « Legilimens. »

Severus l’avait bien entraînée. Il aurait probablement pu briser ses boucliers s’il avait eu
assez de temps et de détermination mais cela lui aurait demandé un certain effort. Ils
ressemblaient à ceux du Maître des Potions avant son saut dans le passé, faits de souvenirs
sans importance et d’écrans de fumée… Elle devait avoir un certain penchant naturel pour la
discipline, décida-t-il.

Il eut à peine le temps d’admirer ses défenses avant qu’elle ne les abaisse suffisamment
longtemps pour lui jeter un souvenir au visage.

Non…

Pas un souvenir.

Il fut absorbé par ce fameux message et le vécut comme une claque en plein visage. Au
travers des yeux de Gellert, il revécut leur première rencontre, la première fois où,
timidement, Albus avait osé effleurer sa main sous couvert de lui emprunter une plume, le
premier baiser avide dans un champ…

Il se souvenait encore de la sensation de l’écorce du tronc d’arbre dans son dos alors que
Gellert se pressait contre lui. C’était un des souvenirs qu’il utilisait généralement pour créer
un Patronus.

Mais, à cette seconde, il le revécut comme Gellert l’avait vécu.

Une pensine permettait d’étudier un souvenir de manière neutre, d’assister à la chose de


l’extérieur… Voler un souvenir dans la tête de quelqu’un, c’était vivre la scène de leur
perspective. Il y avait tout : le son, l’image, les odeurs, les sensations…

Et ce que Gellert avait ressenti…


Le souvenir se fondit dans un autre, plus précieux, plus secret… La chambre sombre, les
draps plissés, la découverte de l’autre…

Le bonheur.

L’espoir.

L’ambition.

Le futur ouvert grand devant eux.

L’amour.

L’amour brut qui recouvrait tout.

Le souvenir suivant datait des années trente, à en croire les tenues.

Albus marchait au loin dans la rue, perdu dans ses pensées, et Gellert le suivait de loin.

Il ne l’avait jamais su.

Le tiraillement que le mage noir avait ressenti, le désespoir, le besoin de lui parler, d’attirer
son attention… Renoncer à ses ambitions, peut-être. Le convaincre de le rejoindre, plutôt. La
certitude que rien ne serait pareil sans lui.

Puis Darmstadt.

Ce moment où Gellert aurait pu gagner, aurait pu le tuer. Cette microseconde où il y avait


pensé. Puis n’avait pu s’y résoudre.

La baguette de sureau échappa à ses doigts et s’il y avait une bonne dose de colère en lui, il y
avait aussi du soulagement à capituler parce que cela signifiait qu’Albus vivrait.

L’amour battait comme un cœur à la lisière du souvenir. Puissant. Sourd.

Gellert descendait du carrosse, affaibli, las, prêt à mourir, et Albus l’attendait. La crainte du
rejet se transforma en soulagement lorsqu’il lui ouvrit les bras.

L’amour encore.

Aussi fort, aussi brut qu’au tout début, à peine terni par les années.

Son bureau.

La bataille.

La certitude qu’il n’en réchapperait pas, qu’ils étaient à court de temps.

Mais Gellert était en paix avec ça.

Et ses sentiments étaient clairs, nets.


De l’amour.

Beaucoup de regrets.

Mais davantage d’amour.

Sa mort en face sous les traits de Charlie Weasley.

Pas de peur.

Juste de la paix.

Un peu de reconnaissance d’avoir le droit de mourir baguette à la main, en faisant de la belle


magie, plutôt que seul au fond d’une prison.

Le regard de Tonks qui se tortillait de douleur sur le sol.

Un dernier exploit magique.

Un message par-delà la mort.

La tristesse qu’Albus doive continuer seul.

La certitude qu’il se remettrait.

Ich liebe dich.

Auf Wiedersehen, Liebling.

Il fut éjecté sans ménagement de l’esprit de la jeune femme à la seconde où ce souvenir se


conclut. Elle avait l’air perplexe, un peu mal à l’aise, et très attristée aussi.

« Je suis désolée. » offrit-elle. « Je ne savais pas… Je suis désolée. »

Il sentit une larme lui échapper, rouler sur sa joue pour aller se perdre dans sa barbe.
« Personne ne le sait. » Il songea à Severus qui avait à peine cillé lorsqu’il le lui avait avoué,
à Abelforth qui n’avait jamais approuvé… « Presque personne, du moins. »

Après un instant d’hésitation, elle toucha son bras doucement, son expression passant de
méfiante à compatissante. « Je suis désolée. »

Pour sa perte, pour son chagrin…

Elle comprenait sa douleur, il le savait, il le lisait dans ses yeux. Il ignorait combien de temps
elle avait été consciente avant de débarquer à Poudlard, combien de temps elle avait vécu en
pensant avoir perdu Severus. S’il n’avait pas encore été certain que ces deux là s’aimaient
sincèrement, cette lueur particulière dans son regard, à cet instant précis, l’en aurait
convaincu.

Il espérait que, contrairement à lui, Severus ne serait pas assez stupide pour laisser passer sa
chance d’être heureux.
Il se força à lui sourire. « Merci. »

« Cela restera entre nous. » promit-elle ensuite, comme si c’était la conclusion logique à cette
conversation.

Et ça l’était, sans doute.

Plus tant parce qu’il avait honte de ce secret qu’il avait porté pendant tant d’années mais
parce que si cela s’apprenait qu’il avait eu des sentiments pour Gellert Grindelwald… Ils ne
pouvaient pas se permettre de voir sa réputation remise en cause. Plus maintenant.

« Vous avez dit que Kingsley attendait dans votre bureau ? » lui rappela-t-elle, un peu gênée.

Du pouce, il toucha discrètement la bague qu’il portait à l’annulaire, s’efforça de faire le vide
dans son esprit, de se concentrer sur les problèmes concrets qu’il pouvait résoudre.

Se rouler en boule et sangloter comme un enfant ne ramènerait ni Gellert, ni Abelforth.

Cela n’avait certainement pas ramené Arianna à l’époque.

« Cette réunion sera cruciale, Tonks. » l’informa-t-il. « Si nous voulons une chance de gagner
cette guerre… Nous devrons avoir un Ministre lorsque nous quitterons mon bureau. »

Et Kingsley ne paraissait pas disposé à accepter la chose.

°O°O°O°O°

Sirius avait besoin d’une cigarette.

Il avait tellement besoin d’une cigarette.

Et de dormir.

La sieste imposée par Harry ne l’avait pas reposé, elle l’avait simplement laissé avec une
migraine et des aigreurs d’estomac qu’il faisait de son mieux pour ignorer. Regarder Narcissa
terrifier des Médicomages n’avait pas été aussi distrayant qu’il l’avait espéré, surtout lorsque
Andromeda était venu lui dire que Lucius Malfoy voulait lui parler.

À lui.

Sirius avait presque refusé par principe mais un regard un peu trop gardé de la part de Cissy
et il avait soupiré, puis suivi Andy sans plus protester, laissant son autre cousine menacer ou
cajoler pour obtenir des réponses.

Et le voilà à avoir pitié de Malfoy parce que le Sang-Pur avait l’air aux portes de la mort et
pas de la meilleure manière qu’il soit. Il était pâle, légèrement en sueur, s’agitait un peu sur
son lit d’hôpital… Ses yeux étaient à demi-clos comme s’il devait lutter pour rester
conscient…

« Je croyais que tu avais dit qu’il ne souffrait pas ? » murmura-t-il à Andy.


« Son état s’aggrave de plus en plus. » avoua sa cousine. « La Marque n’aide pas la situation.
Severus gérait la chose avec tellement de… Disons qu’il donnait l’impression que ce n’était
pas aussi terrible que ça l’était en réalité. J’ai demandé à Bill de réaliser le même rituel sur lui
mais soit le maléfice interfère, soit il est trop faible pour que cela ait un effet majeur. »

L’Animagus se frotta le visage, puis laissa tomber sa main avec un soupir et s’humecta les
lèvres, avant de baisser encore la voix, soulagé que Narcissa ne les ait pas immédiatement
suivis.

« Il va mourir ? »

Andromeda croisa son regard et il y lut de la tristesse. Pas pour Lucius Malfoy. Ni l’un, ni
l’autre ne se préoccupait de Lucius Malfoy. Mais Narcissa, Draco et le bébé à naitre…

« Et merde. » marmonna-t-il.

Il voulait une cigarette.

Voire le paquet.

« Il le sait ? » demanda-t-il.

« Je ne le lui ai pas dit. » répondit-elle, dans un haussement d’épaules. « Mais je doute qu’il
veuille te parler pour rattraper le bon vieux temps. »

Ils échangèrent un autre long regard durant lequel Sirius la supplia presque de prendre sa
place, d’aller parler à l’homme mourant à qui il vouait une haine féroce. Elle approcha avec
lui, suffisamment longtemps pour jeter un sort de diagnostic et lui faire avaler une nouvelle
potion antidouleur. Ce ne devait pas être la première parce que Lucius avait le regard
embrumé mais, lorsqu’il prit la parole, son ton était lucide.

« Black. » marmonna le Sang-Pur, avec un dédain nettement perceptible.

« Malfoy. » rétorqua-t-il, sur le même ton.

« Gardez vos baguettes là où elles sont. » les avertit Andromeda, comme si le Mangemort
avait été en état de faire quoi que ce soit avec, de toute manière. Et Sirius n’avait pas
l’habitude de frapper les gens à terre.

Sauf Severus. À l’occasion. À l’époque.

Malfoy attendit que la Médicomage quitte la pièce pour tourner son regard gris, un peu voilé,
vers lui. « J’ai sauvé ton filleul. »

Il ne savait pas si c’était une bonne chose ou non que le sorcier ne cherche pas à
s’embarrasser de sous-entendus ou de propos offerts à demi-mots. Aller droit au but ne
ressemblait pas à un Serpentard et cela ne ressemblait certainement pas au Lucius Malfoy
qu’il connaissait.

Certes, Sirius préférait une discussion franche.


Mais il devinait aussi que si Malfoy ne cherchait pas à noyer le poisson, c’était parce qu’il se
savait à court de temps.

« Tu veux qu’on fasse le compte de tous les gens que tu n’as pas sauvés ? » cracha-t-il. « De
ceux que tu as tués ? »

Il était soulagé qu’Harry soit sain et sauf, ce n’était pas ça, mais il ne ressentait pas
véritablement de gratitude envers Lucius pour lui avoir sauvé la vie. Il n’était toujours pas
persuadé qu’il l’ait fait exprès. Cela lui ressemblait tellement peu…

Le ricanement amer de Malfoy se termina dans une toux grasse qui avait l’air douloureuse.
« Oh, je pense que je ne vais pas tarder à devoir répondre de ces faits là… »

Agacé de la pointe de tristesse qu’il ressentit – parce que trop de gens étaient déjà morts ces
dernières vingt-quatre heures – il baissa les yeux. Il ne voulait pas le voir, ne voulait pas se
rappeler à qui il s’apprêtait à faire ce genre de serment.

« Ce n’est pas la peine de marchander en me rappelant que tu as sauvé, Harry. » lâcha-t-il.


« Merlin sait comment, vu le père qu’il a, mais Draco est un bon gamin. Je ne vais pas le
laisser tomber. »

« Narcissa… » souffla le Sang-Pur. « Et le bébé… »

Il savait ce que Malfoy voulait et il rechignait à lui donner quoi que ce soit mais il pensa à
Cissy, à l’enfant dans son ventre, et il serra les dents.

« Ils sont tous les trois sous la protection de la Maison Black. » promit-il. « Du moins, ce
qu’il en reste. »

Les traits du sorcier s’apaisèrent un peu, ses lèvres s’étirèrent en un sourire amusé. « Donne
deux mois à Narcissa et la Maison Black sera aussi prospère que par le passé. »

« Ce n’est pas vraiment ma priorité. » rétorqua-t-il.

« Non, mais il faudra bien la distraire et il n’y a rien qu’elle aime plus que les jeux de la
société… » marmonna Malfoy. Sans prévenir, son regard croisa le sien et il attrapa son
poignet avec plus de force que Sirius ne lui aurait soupçonné vu son air malade. « Draco… Il
est presque adulte, je le sais… Mais il est encore si jeune… »

L’Animagus soupira. « Je garderai un œil sur Draco, je te dis. »

Malfoy hocha la tête puis le lâcha, ses paupières retombant comme si elles étaient trop
lourdes. « Le bébé… J’aurais aimé… »

Sirius ne saurait jamais ce qu’il aurait aimé parce que le Sang-Pur semblait s’être endormi.
Ou avoir perdu connaissance.

Un peu inquiet qu’il lui claque dans les pattes – ce que Narcissa n’aurait sans doute pas
manqué de lui reprocher – il se dépêcha d’aller chercher Andy.
°O°O°O°O°

Tonks suivit Dumbledore lorsqu’il entra dans son bureau, lui enviant un peu la facilité avec
laquelle il avait relégué ses émotions au second plan. Elle était toujours trop fatiguée pour
parvenir à gommer l’épuisement ou l’inquiétude de son visage et, si elle devait être honnête,
le paquet de souvenirs que Grindelwald avait planté dans son esprit sans son consentement
lui avait laissé un goût amer. Pas seulement parce que, encore une fois, sa tête avait été traitée
comme une commodité mais, surtout, parce que c’était si triste que…

Elle ne savait pas comment Dumbledore pouvait être en état de faire quoi que ce soit.

Au-delà de l’ahurissement qu’Albus Dumbledore et Gellert Grindelwald aient pu vivre une


passion secrète sans que qui que ce soit ne le découvre jamais, tous ces sentiments, cette
tristesse, cette sensation de perte avaient ravivé ce qu’elle avait éprouvé cette nuit et…

Elle avait dû se faire violence pour ne pas rebrousser chemin et retourner voir Severus. Qu’ils
aient un vague plan pour le soigner n’était pas le réconfort qu’elle aurait aimé que ce soit. Ce
n’était qu’une théorie, après tout, et elle n’aimait pas l’idée que ce soit Harry qui doive s’y
risquer. Elle voulait juste…

« Tonks. » l’accueillit Kingsley avec un plaisir manifeste, en se levant de son siège avec
difficulté.

Elle sourit au son de sa voix, avant de froncer les sourcils lorsqu’elle aperçut le bandeau qui
lui couvrait un œil. « Qu’est-ce que… »

« Voldemort. » lâcha-t-il, en guise d’explication. « Madame Pomfresh espère que je pourrais


récupérer une vue partielle avec le temps mais pour l’instant… » Il haussa les épaules. « Ce
n’est pas si terrible. Il y a des sorts pour prévenir les problèmes d’équilibre et ce genre de
choses. J’ai un angle mort et je ne serais pas capable de toucher un dragon à un mètre mais,
avec l’aide de Madame Pomfresh, un peu d’entraînement et je devrais pouvoir retourner sur
le terrain dans quelques jours. »

Elle n’osa pas lui dire que ça avait l’air affreux. Elle se força à sourire, à mettre un peu de
bonne humeur dans sa voix. « Ça pourrait être pire. Tu pourrais avoir un œil magique et une
jambe de bois. »

Elle se tourna vers l’autre personne qui avait attendu dans le bureau, un peu étonnée que le
loup-garou ne l’ait pas encore interpellée ou ne se soit pas levé pour l’accueillir. Un coup
d’œil rapide confirma que Remus n’avait pas souffert d’une blessure trop importante. Il la
dévisageait calmement mais ne paraissait pas décidé à croiser son regard, ses mains
s’accrochaient aux accoudoirs…

« Merci pour le Patronus. » offrit-elle. « Et pour avoir aidé à me sauver la vie. »

Andromeda avait mentionné que c’était lui qui l’avait portée jusqu’à l’infirmerie après que
Slughorn l’ait soignée. Encore un à qui elle devait des remerciements…
« De rien. » répondit Remus, avec un peu trop de détachement pour que ce soit sincère. « Je
suis heureux de te voir sur pieds. Des nouvelles de Severus ? »

Elle se tendit par réflexe, avant de se rendre compte que c’était une vraie question et pas une
pique.

« Toujours inconscient mais on a une idée de ce qu’il a et on espère pouvoir le réveiller sous
peu. » expliqua-t-elle.

Dumbledore avait fait le tour de son bureau et s’était installé dans son fauteuil. Elle se dirigea
vers le seul siège libre entre son partenaire et le loup-garou mais, avant qu’elle ait pu
s’asseoir, Kingsley lui tendit un épais tissu plié, à la couleur bleue familière.

Elle déplia les robes, une boule lui obstruant la gorge. Elles étaient propres mais avaient
visiblement vécu la bataille sur le dos de quelqu’un. Elle ne demanda pas qui, ne demanda
pas si la personne était encore vivante ou non. Elle retira sa chemise en flanelle et la remplaça
par les robes d’Auror, se sentant étrangement plus à l’aise une fois qu’elle eut l’uniforme sur
le dos.

C’était ironique, sans doute, se dit-elle, parce qu’ils n’avaient jamais vraiment porté les robes
bleues avant la bataille. Mis à part ceux qui patrouillaient dans la rue ou ceux en service
officiel pour le Ministre, les Aurors étaient en civil la plupart du temps.

Elle échangea un regard lourd de sens avec Kingsley, notant que lui aussi avait choisi de
réenfiler ses robes, aussi abimées qu’elles soient, et fut sûre qu’ils ressentaient la même
chose : dans un monde qui partait à vau l’eau, c’était bon de savoir qu’ils appartenaient à
quelque chose de plus grand.

Le Directeur se racla la gorge et les deux Aurors reprirent leur place.

Remus serrait toujours les accoudoirs et faisait un effort visible pour l’ignorer. Elle ne savait
pas ce qu’elle lui avait fait mais elle décida d’en faire de même. Mieux valait s’ignorer que
de se disputer.

« Entrons directement dans le vif du sujet… » commença Dumbledore, dans un soupir.


« Lucius a eu le temps de me confirmer, hier soir, que Rufus et Amélia avaient tous les deux
été éliminés, ainsi que les membres du Magenmagot qui étaient en séance au moment de
l’attaque. » Le vieux sorcier ôta ses lunettes pour les essuyer avec ses robes, le geste
trahissant plus de fatigue qu’il n’y paraissait. « La ligne de succession est claire, Kingsley. »

Nymphadora s’obligea à prendre des inspirations régulières.

La ligne de succession était claire.

Et si Kingsley devenait Ministre, alors elle serait Chef du Département des Aurors, à moins
qu’il ne préfère nommer un des Aurors plus âgés rappelés en service – ce pour quoi elle ne le
blâmerait pas.

« Nous en avons déjà discuté, Albus. » contra calmement Kingsley.


« Il n’y a rien à discuter. » riposta le vieux sorcier, en le regardant par-dessus ses lunettes en
demi-lunes.

Les deux hommes s’affrontèrent un moment du regard, poussant Tonks à échanger un coup
d’œil avec Remus. Ce dernier haussa discrètement les épaules en signe d’ignorance.

« Très bien. » capitula l’Auror, après de longues secondes. « Dans ce cas, mon premier et
unique décret en tant que Ministre sera de vous forcer à accepter le poste à ma place. »

Ah.

Nymphadora grimaça.

La solution était logique et avait ses avantages, bien qu’elle ne soit pas ravie à l’idée de voir
Dumbledore avec les pleins pouvoirs. Pourtant…

« Non. » refusa tout net le Directeur. « Je n’ai jamais voulu être Ministre. Je n’ai aucune
légitimité et… »

« Aucune légitimité ? » l’interrompit-elle, un peu moqueuse. « Ne m’avez-vous pas dit, en


chemin, que certains parents d’élèves voulaient rester ? Que beaucoup des survivants du
Ministère s’étaient présentés au château ? Ils ne viennent pas parce que les Aurors sont ici,
Professeur. Ils viennent parce que vous y êtes. »

Le regard bleu se posa sur elle, désapprobateur. « Ne m’avez-vous pas dit, vous, que vous ne
me faisiez aucune confiance sur le plan humain ? Vous ne pouvez approuver… »

« Une armée a besoin d’un chef. » le coupa-t-elle.

C’était ce que Severus lui avait répété à plusieurs reprises. Elle l’avait entendu sans vouloir le
comprendre, sans vouloir accepter les justifications à des actes qu’elle jugeait répréhensibles
mais… Ils avaient passé un cap. Et il n’était plus temps de jouer les ignorants ou de parler à
demi-mots. Le temps d’une armée de l’ombre était révolu, le temps où les Aurors et l’Ordre
du Phoenix, seuls, auraient pu l’emporter était passé. Ils auraient besoin de toutes les bonnes
volontés. Ils auraient besoin de tous les volontaires. Et ces gens là ne viendraient pas parce
que le Ministère le leur demanderait.

Le Ministère avait tenté de redresser la barre sous Scrimgeour mais les années passées sous
Fudge, la corruption ambiante, les batailles politiques internes… Tout ça entachait la
confiance que la communauté magique lui vouait.

« Et elle l’aura. » contra Dumbledore, en désignant Kingsley d’un geste.

Le sorcier secoua la tête. « Je serais plus utile sur le terrain. » Il avisa les regards dubitatifs et
croisa les bras, sur la défensive. « Pomfresh m’a promis qu’avec ses potions, ses sorts et un
peu d’entraînement, je serais apte au combat dans quelques jours. Je ne compte pas rester ici
pendant que les Mangemorts ravagent le Royaume-Uni et on ne peut pas se passer d’un bon
combattant. Et je suis un de vos meilleurs combattants, Albus. Donnez-moi une semaine et je
serai à nouveau au niveau, je vous le jure. »
Nymphadora se frotta le visage. « Il a raison. Ce n’est pas juste qu’on ne peut pas se passer
d’un bon combattant, c’est aussi qu’on a besoin de gens sur le terrain qui savent diriger. »
Elle se tourna vers son partenaire. « Combien d’Aurors avons-nous perdu ? »

« Trop. » répondit sèchement Kingsley, avant de baisser la tête. « Trop… Si nous voulons
avoir une chance, nous aurons besoin de l’Ordre et de civils. » Il croisa le regard de
Dumbledore, le soutint. « Je n’ai ni votre expérience, ni vos contacts et cela ne me vexe pas
d’admettre que je n’ai pas non plus votre discernement. Nous sommes à un stade où ils nous
faut considérer le bien de la communauté magique dans son ensemble et pas nos désirs
personnels. Si je pensais être ce dont nous avons besoin pour gagner cette guerre,
j’accepterais le poste. Mais nous savons tous que vous êtes le meilleur choix. »

Dumbledore ne répondit pas immédiatement. Il s’était engoncé dans son fauteuil et paraissait
réfractaire à tous leurs arguments.

Tonks attendit de voir si le loup-garou allait offrir son opinion mais, lorsque rien ne vint, elle
se racla la gorge. « Il y a autre chose… Se priver d’un combattant comme Kingsley,
simplement pour avoir un Ministre-marionnette serait stupide. Nous savons tous qui dirigerait
vraiment en coulisses, alors… »

Elle haussa les épaules, ignorant les regards réprobateurs des deux hommes assis de par et
d’autre d’elle.

« L’argument fonctionne en sens inverse. » remarqua Dumbledore. « Avec Kingsley en figure


d’état, je suis libre de mes mouvements. »

« Avez-vous besoin d’être libre de vos mouvements ? » le défia-t-elle. « Parce que jusque là,
vous avez dirigé cette guerre depuis Poudlard alors je ne vois pas trop la différence. »

Ils s’affrontèrent du regard et elle renforça ses boucliers juste parce que l’idée qu’il pénètre
encore dans son esprit la faisait frissonner.

« Vous ne m’appréciez guère, Tonks. » commenta-t-il.

« Vous avez violé mon esprit. » rétorqua-t-elle, refusant de minimiser la chose. « Et ensuite,
vous avez tenté de couvrir votre crime en effaçant mes souvenirs. »

Remus se redressa brusquement, son regard ambré braqué sur Dumbledore, choqué et trahi.
« Quoi ? Quand… »

Ils l’ignorèrent tous les deux, tout comme ils ignorèrent Kingsley qui avait froncé les
sourcils.

« Et c’est un homme comme moi que vous voudriez voir à la tête du pays ? » insista le
Directeur. « Un homme qui n’hésiterait pas à violer l’esprit d’une jeune femme simplement
parce qu’il soupçonne qu’elle lui cache des choses ? Vous vous mettriez au service d’un tel
homme ? »
La mâchoire contractée, elle s’efforça de ne rien laisser paraître. « Que je le veuille ou non,
n’y suis-je pas déjà ? » Elle balaya l’air de la main. « On perd du temps, Monsieur le
Ministre. Vous voulez un consensus ? Allons demander aux gens dans le château qui ils
voudraient voir succéder à Scrimgeour. Je peux déjà deviner la réponse. »

Il pinça les lèvres avec plus de tristesse que d’irritation, sa voix avait pris un ton un peu
suppliant. « Je ne peux pas simplement me déclarer Ministre, ce n’est pas… »

« Vous ne vous déclarez pas Ministre. » intervint Kingsley. « Je déclare la loi martiale et vous
offre le poste. Vous l’acceptez. S’il reste des membres du Magenmagot pour venir contester
la chose, libre à eux de se manifester. Nous les remettrons à leur place. »

« Albus, ils ont raison. » offrit Remus. Sa première véritable intervention.

Dumbledore les observa chacun longtemps, tour à tour, puis se leva et marcha jusqu’à la
fenêtre. Il regarda dehors pendant plusieurs minutes, tournant et retournant une bague qu’elle
n’avait jamais remarquée auparavant à son doigt.

« Savez-vous combien de fois j’ai refusé ce poste ? » demanda-t-il finalement, plus pour lui-
même que pour eux.

« Personne de décent n’est jamais prêt pour le pouvoir. » murmura-t-elle, avant d’avoir pu
s’en empêcher.

C’étaient les mots de Severus.

Et Severus lui manquait.

S’il avait été là, avec eux, qu’aurait-il dit ? Qu’il aurait été plus malin d’avoir un Ministre
facile à contrôler ? Ou bien que Dumbledore aurait dû cesser de tergiverser ?

« C’est bien le problème, Miss Tonks. » soupira-t-il, en se tournant vers eux. « Je suis prêt.
J’ai toujours été prêt. » À nouveau, il croisa le regard de chacun d’entre eux. « Très bien. »

« Vous ne quittez plus le château sans escorte. » décréta-t-elle immédiatement, parce qu’elle
commençait à le connaître. « Et je suis sérieuse. »

« Vous ne vous déplacez pas dans le château sans escorte. » renchérit Kingsley.

Avec un sourire légèrement amusé, Dumbledore revint s’asseoir dans son fauteuil et s’adressa
à Remus. « Et moi qui pensait que le Ministre donnait les ordres… »

« Pas en ce qui concerne votre sécurité. » contra-t-elle, avant que le loup-garou ait pu en
plaisanter avec lui. « Votre sécurité, c’est notre responsabilité et, sur ce plan, vous nous
obéissez. »

Rien qu’à voir son expression, elle devinait que ça allait être encore plus compliqué que de
faire entendre raison à Scrimgeour l’avait été.
Kingsley se racla la gorge. « Puisqu’on en est à parler sécurité, je n’aime pas qu’il y ait autant
de gens se déplaçant librement dans l’école. »

« Habituez-vous y parce que je compte ouvrir les portes de Poudlard à quiconque voudra s’y
réfugier. » rétorqua calmement le vieux sorcier.

Nymphadora se retint à grand peine de ne pas lever les yeux au ciel.

Tout ce cinéma alors qu’au fond, il avait déjà tout planifié. Peut-être ne voulait-il pas du titre
officiel mais elle n’avait aucun doute qu’il aurait fait plier Kingsley et l’aurait rangé à son
avis de toute manière.

« Nous restons ici, alors ? » demanda-t-elle. « Parce que je ne suis pas certaine que ce soit le
meilleur plan. Nous avons des lieux sûrs, nous pourrions… »

« Et combien de ces lieux sûrs Anthony a-t-il donné à Lord Voldemort ? » l’interrompit le
Directeur, avant de secouer la tête. « Il nous faut l’interroger au plus vite. »

« Est-ce qu’on sait comment il a pu nous tromper aussi facilement ? » hésita Remus. « Je
veux dire… »

Dumbledore eut un geste d’ignorance. « Je n’en ai honnêtement aucune idée. Je suis certain
d’avoir fait quelques recherches lorsque Charlie me l’a présenté, pourtant j’avais oublié
jusqu’à son nom de famille jusqu’à hier. À vrai dire, en repensant à ces derniers mois, je ne
peux pas dire qu’il m’ait beaucoup effleuré l’esprit. »

« C’est moi qui ait fait les recherches, l’année dernière. » confirma Kingsley. « Rien
d’alarmant. Mais il ne m’est jamais venu à l’idée de le soupçonner. »

« Moi non plus. » admit Remus. « Et pourtant, à y réfléchir, je me souviens avoir tiqué à
plusieurs moments… »

« Moi aussi. » soupira-t-elle. « Il devait y avoir un sortilège. Peut-être pas un Imperium ou un


sortilège de confusion mais quelque chose de similaire. »

« Il nous faut également interroger Charlie Weasley. » déclara Dumbledore, la bouche pincée
comme si cela lui déplaisait. « Déterminer ce qu’il savait. »

« Il était sous Imperium. » le défendit-elle immédiatement.

« Certes, mais depuis combien de temps ? » rétorqua le Directeur, sans hostilité. « À quel
point était-il impliqué avant cela ? Je préfère penser, comme vous, qu’il n’est qu’une victime
innocente dans tout ça mais nous ne pouvons pas en être certain avant de l’avoir
interrogé. Sous Véritaserum. »

Elle en comprenait la nécessité mais…

« Je peux m’en charger. » offrit Kingsley.

« Ou moi. » proposa Remus. « Tu n’es pas obligée de… »


« Je vais le faire. » le coupa-t-elle, en relevant un peu le menton. L’idée même lui donnait la
nausée mais… « J’étais la plus proche, je n’ai rien vu… C’est à moi de le faire. »

Le Directeur l’étudia, non sans compassion. « Ce n’est certainement pas votre faute, Tonks. »

« Sirius en sait peut-être davantage. » remarqua le loup-garou. « C’est lui qui l’a arrêté, après
tout. » Il se pencha un peu en avant. « À ce propos, Albus… Une réunion du Conseil ne serait
pas superflue… Nous devrions mettre toutes les informations sur la table et… »

« Le Conseil est dissous. » déclara Dumbledore.

Tonks ne pouvait pas dire qu’elle était tout à fait surprise.

Kingsley, de même, ne trahit aucun signe d’étonnement.

Remus, lui… Il fronça les sourcils. « Comment… »

« La nature de la guerre a changé. » expliqua le vieux sorcier, avec une pointe de regret mais
sans cacher la note de fer dessous. « Et n’allez pas penser que me voici devenu un tyran à
peine institué Ministre, Remus… » Il soupira. « J’avais déjà entrevu cette possibilité bien
avant la bataille. »

« L’Ordre devrait devenir un organisme officiel avec une hiérarchie claire, de toute manière.
Au moins le temps de la guerre. » conseilla Tonks. « Si on veut gagner… Il faut une certaine
unité. »

« C’est tout à fait mon opinion. » approuva Dumbledore. « Kingsley, vous resterez à la tête
des Aurors, naturellement. Tonks, je vous charge de veiller à la bonne coordination des deux
groupes. Remus… » Le vieil homme hésita. « Vous avez fait un travail remarquable en me
suppléant jusque ici mais je crains que cette phase n’exige une personne d’une nature plus
tactique à la tête de l’Ordre. »

Oh.

Nymphadora baissa les yeux, préférant faire semblant de brosser une poussière imaginaire de
ses robes.

Était-il obligé de faire ça devant eux ? C’était gênant et très peu respectueux de Remus qui,
malgré tous ses défauts, avait toujours fait son maximum pour l’Ordre.

Sans compter que ça n’allait pas plaire à…

« Inutile de deviner par qui vous me remplacez. » gronda Remus, le loup perçant dans sa
voix.

… Lunard.

« Dès que Severus se sera remis, il prendra la tête de l’Ordre. » confirma Dumbledore. « N’y
voyez pas un affront personnel, Remus, je vous estime beaucoup et vous le savez. Cela n’a
rien à voir avec vos capacités, il est simplement le choix évident pour ce poste et… Il a
toujours été destiné à l’être. Si je vous ai laissé penser le contraire, je m’en excuse. » Le
vieux sorcier se racla la gorge. « Sur ce sujet, j’aimerais qu’il soit clair que s’il m’arrivait
quelque chose et que vous vous trouviez à chercher par qui me remplacer… Severus est la
personne toute désignée. »

Nymphadora résista à demander si c’était entendu entre eux. Parce que ça avait l’air entendu.

Et Severus ne lui avait jamais dit que…

Mais ils avaient aussi toujours été d’accord pour dire que les secrets professionnels ne
comptaient pas. Néanmoins, quelque chose d’aussi énorme…

Elle aurait préféré qu’il lui en parle.

« Severus. » cracha Remus, en serrant les accoudoirs si fort que le bois craqua de façon
audible. « Et que sommes-nous censés faire en attendant que Severus soit capable de
remplacer le Conseil ? »

« En attendant, Kingsley et Tonks garderont les membres de l’Ordre à disposition des


Aurors. » répondit calmement Dumbledore. « Et, au besoin, vous assurerez l’intérim sous
leur direction. »

« Où est la démocratie dans tout ça, Albus ? » railla le loup-garou.

Tonks étouffa un bruit amèrement amusé. Avait-il toujours véritablement cru que l’Ordre
était une démocratie ?

« Tu trouves ça drôle ? » grinça le loup, tournant son regard un peu trop sauvage vers elle.

« Non. » lâcha-t-elle. « Non, je ne trouve pas ça drôle. Mais on fait tous notre part, Remus.
Tu crois que ça m’amuse d’être responsable de la vie de tellement de gens ? Tu crois que je
ne préfèrerais pas qu’on décide tous ensemble ? Ça ne fonctionne pas comme ça. Quelqu’un
décide, les autres suivent. Et, crois-moi, c’est parfois plus simple d’être celui qui suit les
ordres que d’être celle qui les donne. »

Remus la dévisagea avec un agacement manifeste mais Kingsley intervint avec un soupir
avant qu’il ait pu l’accuser de quoi que ce soit – probablement de prendre le parti de
Dumbledore juste parce que ça concernait Severus.

« Le fait est que j’aimerais aussi pouvoir croire que la démocratie l’emporterait sur la
tyrannie. » déclara Kingsley. « Mais le débat n’a pas exactement fonctionné jusqu’à présent.
Le Magenmagot n’a fait que nous freiner. C’est la raison précise pour laquelle je parlais de
loi martiale. Le Ministre aura les pleins pouvoirs et ne rendra compte à personne. »

« Jusqu’à la fin de la guerre lorsque nous pourrons reformer un gouvernement. » nuança


Dumbledore. « Si la manière dont je souhaite procéder vous pose problème, Remus… »

Ce n’était pas tant la manière que de ne pas être celui à donner les ordres, supposait-elle. Ou
plutôt, de devoir suivre les ordres de Severus. Lunard ne devait pas du tout apprécier.
Dans l’intérêt de tous, elle choisit de taire ses observations.

« Ce n’est pas comme si j’avais le choix. » répliqua Remus. « Vous me mettez au pied du
mur, ce que je n’apprécie pas. Je ne suis pas certain que les autres membres de l’Ordre
apprécieront davantage. »

Tonks n’était pas tout à fait sûre qu’il ait raison sur ce point là.

McGonagall suivrait. Sirius râlerait très certainement pour la forme mais finirait par se ranger
derrière Severus. Merlin savait où était Mondingus. Molly et Bill n’oseraient pas protester,
pas après Charlie. Charlie n’aurait sans doute plus voix au chapitre. Fleur… Fleur se
s’opposerait pas à Dumbledore. Nyssa non plus, d’ailleurs. Flitwick n’avait pas assisté à une
réunion depuis des lustres et ne dirait sans doute rien…

« Y a-t-il une chance que vous changiez d’avis à propos d’ouvrir Poudlard aux réfugiés ? »
demanda Kingsley, en se raclant la gorge. « Nous pourrions faire entrer le loup dans la
bergerie. À nouveau. »

« Non. » répondit Dumbledore fermement. « Je suis toutefois d’accord sur le fait qu’il nous
faut des mesures de protection plus importante que celles déjà en place. La sphère de Troie
aurait fonctionné sans Anthony mais notre manque de coordination pendant la bataille ne
parle pas en notre faveur… Quant à d’éventuels espions, c’est le risque qu’il nous faudra
courir. Je n’étais pas en train de suggérer que tout le monde puisse accéder à toutes les parties
du château. Sur ce point, je peux contrôler Poudlard bien mieux que Scrimgeour pouvait
contrôler le Ministère. Nous pouvons compartimenter des zones entières à notre seul usage. »

« Où sont les Langues-de-Plomb ? » s’enquit-elle, quêtant le regard de Kingsley. « Nous n’en


avons récupéré aucun ? »

« Les rescapés arrivent toujours au compte-goutte et, mis à part ceux qui sont venus me
trouver directement, je n’ai pas encore de liste. » expliqua son partenaire. « Cela n’aide pas
que nous n’ayons pas encore fait de déclaration officielle. Les Langues-de-Plomb qui étaient
au Ministère ont certainement rejoints le combat contre les Mangemorts et ne s’en sont pas
sortis. Ceux qui étaient en mission ou de repos… Tu sais comment ils sont. »

Leurs secrets avant tout le reste.

« Faire une déclaration officielle est la priorité. » décréta-t-elle. « Suivie de près par trouver
un moyen de mieux défendre le château. »

« Je m’en occupe. Tu organises les autres, je veux un poste d’opération fonctionnel ainsi que
des patrouilles régulières sur tout le domaine, intérieur du château compris, puis tu interroges
Charlie et Anthony. » ordonna Kingsley. « Il y a d’autres prisonniers dans les cachots aussi.
Ce qui soulève la question… Que sommes-nous censé faire d’eux ? »

Parce que ce n’était pas comme s’ils pouvaient les envoyer à Azkaban…

« Je n’aime pas l’idée de m’abaisser aux tactiques de l’ennemi. » admit Dumbledore.


« Cependant, s’ils refusent volontairement de parler, il nous faudra peut-être recourir à des
méthodes moins avouables… »

« Avons-nous assez de Véritaserum pour tout le monde ? » demanda Tonks.

« Nous avons ce que Severus garde sous clefs. Il vous faudra le récupérer vous-même, il le
garde sous des protections similaires à celles de ses appartements. » répondit le Directeur.
« Horace pourra sans doute en préparer davantage, en temps voulu, mais il se concentre sur
les potions dont l’infirmerie a besoin pour l’instant. » Il délibéra un moment puis agita la
main. « Laissez les prisonniers tranquille pour le moment. Severus saura en tirer les
informations nécessaires, le cas échéant. »

Elle tiqua. « C’est une chose d’en faire votre bras droit, une autre d’en faire votre bourreau.
Si l’on commence à torturer… »

Il s’exécuterait mais cela n’aiderait pas son estime de soi déjà flageolante de se voir reléguer
à la torture. Elle ne laisserait pas Dumbledore le forcer à faire des choses qui le dégouterait
davantage de lui-même.

Et puis…

Il devait y avoir des limites à ce qu’ils étaient prêts à faire ou…

« Il n’y aura pas besoin de torturer qui que ce soit, Tonks. » la coupa le vieux sorcier, avec
lassitude. « Il est un des Legilimens les plus habiles de ma connaissance. Il peut extraire
toutes les informations pertinentes sans la moindre goutte de sang versée. »

« Et sur le long terme ? » intervint Remus. « Parce que si vous comptez vraiment accueillir
tout le monde magique ici, il y a des considérations pratiques à prendre en compte. Le
ravitaillement… »

« J’ai passé les dernières années à remplir les stocks en prévision d’une situation comme
celle-ci. » le coupa Dumbledore. « Nous ne manquerons pas et, le cas échéant, j’ai une liste
de contacts qui nous fournira en vivres. Minerva est, en ce moment même, en train de
s’occuper de la partie logistique. »

Auraient-ils la place ? Poudlard était gigantesque et elle savait que l’école n’avait jamais
rechigné à s’agrandir par magie au mépris de la logique ou des lois de la physique mais…

« Remus n’a pas tort. » remarqua-t-elle. « Et il nous faut aussi un plan sur le long terme pour
les prisonniers. Les garder ici est un gros risque en matière de sécurité. »

« Les envoyer ailleurs implique de diviser encore un peu plus nos troupes. » contra Kingsley,
en grimaçant. « Je n’aime aucune des deux options. »

Il y eut un silence.

Un long silence.

Parce que la solution évidente ne plaisait à personne et personne ne voulait être celui à la
proposer.
« Nous n’allons pas les exécuter. » trancha finalement Dumbledore. « Ce n’est pas le
message que nous voulons envoyer. »

Une part d’elle en fut soulagée.

« Et… Que faisons-nous pour les morts, Albus ? » demanda Kingsley.

Ils ne pouvaient pas enterrer les corps. Pas avec le risque de les voir transformés en une
armée d’Inféris.

Le vieux sorcier se lissa la barbe, l’air triste. « Nous les brûlerons dans le parc… Demain.
Laissons les gens se remettre aujourd’hui… Une cérémonie de commémoration pour les
victimes ne serait sans doute pas malvenue non plus. Remus, peut-être pourriez-vous établir
une liste de noms des pertes à Poudlard et au Ministère… »

Il y avait une centaine d’autres décisions à prendre mais ils s’en tinrent là d’un commun
accord pour l’instant, convenant d’une deuxième réunion en début d’après-midi pour faire le
point.

Nymphadora s’efforça de ne rien laisser paraître jusqu’à ce qu’ils se séparent tous, au détour
d’un couloir : Kingsley et Dumbledore annoncer officiellement qui était Ministre, Remus
passer sa colère sur quelqu’un d’autre et elle en direction des cachots récupérer le
Véritaserum que Severus gardait – illégalement – sous clef.

À la seconde où elle se retrouva seule, cependant, elle se laissa glisser le long du mur et resta
assise par terre un long moment.

Ce n’était pas juste le vertige ou le fait que son corps criait grâce ou l’envie de pleurer qui lui
serrait la gorge…

C’était ce qu’elle avait vu venir depuis des semaines et des semaines sur le terrain.

La noirceur, le désespoir…

Le monde était entièrement différent, à présent.

Et ça la terrifiait.
Be Still
Chapter Notes

Un grand merci à Ellie qui a repris du service le temps de ce chapitre pour m'aider à
corriger et qui a accepté le rôle de chargée de communication de notre nouveau Ministre
;) Rendons à César ce qui est à César, elle a réécrit la grosse majorité du discours
politique parce que... Ben, ma foi, c'est un métier ma bonne dame et clairement, ce n'est
pas le mien haha. Merci d'avoir rendu Albus un peu plus crédible en Ministre!

Enjoy & Review!

If terror falls upon your bed

And sleep no longer comes

Remember all the words I said

Be still, be still, and know

And when you go through the valley

And the shadow comes down from the hill

If morning never comes to be

Be still, be still, be still

If you forget the way to go

And lose where you came from

If no one is standing beside you

Be still and know I am

Be Still – The Fray

Si la terreur tombe sur ton lit

Et que le sommeil te fuit

Rappelle-toi des mots que je te disais


Sois tranquille, sois tranquille et sache

Que lorsque tu traverseras la vallée

Et que l’ombre dévalera la colline

Si le matin ne vient jamais

Sois tranquille, sois tranquille, sois tranquille,

Si tu oublies où il faut aller

Et tu ne sais plus d’où tu viens

Si personne ne se tient près de toi,

Sois tranquille et sache que moi, j’y suis.

Be Still – The Fray

Après plusieurs minutes de recherches infructueuses, Nymphadora dénicha finalement sa


mère dans la chambre de Severus. Andromeda mit un doigt devant ses lèvres dès qu’elle
poussa la porte et la jeune femme tourna automatiquement les yeux vers le lit d’appoint, dans
le coin de la pièce, où Harry dormait à poings fermés. Il semblait s’être écroulé comme une
masse.

Elle approcha du lit de Severus en prenant garde d’être silencieuse, l’observant à la dérobée
tant qu’elle le pouvait. Il n’y avait pas eu de différences notables depuis qu’elle avait quitté la
pièce : il était toujours pâle, il était toujours inconscient, et il ne réagit pas du tout lorsqu’elle
lui prit la main.

« Il n’y a pas de changements. » l’informa Andromeda, à voix basse. « Poppy et moi jetons
un œil régulièrement. »

Elle hocha la tête, la gorge nouée.

Ce serait tellement plus simple s’il se réveillait seul… Non seulement parce qu’elle n’en
pouvait plus de l’angoisse qui lui rongeait le ventre malgré leurs paroles rassurantes, mais
aussi parce qu’elle aurait bien eu besoin de son aide.

À choisir, elle aurait préféré qu’il interroge Anthony et Charlie avec elle. Déjà, parce qu’il
aurait été plus impartial ; ensuite, parce qu’elle avait du mal à rester professionnelle à cette
idée alors qu’il s’agissait de ses deux meilleurs amis. Ou plutôt, ex-meilleur ami dans le cas
d’Anthony.

« Je sais que ce n’est pas ce que tu veux entendre mais il est stable, Nymphadora. » insista sa
mère. « Le coma est préoccupant mais, physiquement, il ne risque rien. »
Ce n’était, en effet, pas ce qu’elle voulait entendre.

Elle reporta son attention sur Harry. « Il dort depuis longtemps ? »

Andromeda haussa les épaules. « Une petite heure, je dirais. Il en avait besoin. Et toi aussi,
d’ailleurs. »

« Pas le temps. » soupira-t-elle. « Essaye de garder un œil sur lui, si tu peux. Il parle de sa
propre mort avec un peu trop de détachement à mon goût. »

La Médicomage fronça les sourcils, observant l’adolescent endormi, quelques instants, avant
de reporter son attention sur elle. « C’est une chose de fréquenter un homme plus âgé, ma
chérie, mais un homme avec un gamin perturbé… »

« Harry n’est pas perturbé. » cingla-t-elle, dans un sifflement. Elle vérifia d’un coup d’œil
que le garçon dormait toujours et ne faisait pas simplement semblant puis baissa encore le
ton. « Il a juste vécu beaucoup de trucs traumatisants. »

Andromeda lâcha un soupir. « Il a l’air gentil, je ne voulais pas insinuer le contraire. Merlin
sait que ton père l’a déjà à moitié adopté… Je veux juste dire… Est-ce que tu es sûre que tu
sais ce que tu fais ? »

Absolument pas.

« Oui. » mentit-elle. « Écoute, ce n’est pas pour ça que je te cherchais… »

Elle avait retardé la chose autant qu’elle l’avait pu. Elle avait couru après McGonagall dans
tout le château, avait appris avec tristesse la mort de Flitwick, avait demandé à la sorcière de
mettre un espace à la disposition des Aurors, avait organisé les patrouilles que voulait
Kingsley avec le maigre effectif qu’il leur restait – et avait, en conséquence, dû composer
entre les Aurors qui n’avaient pas dormi de la nuit et ceux qui avaient quitté l’infirmerie
contre avis médical – était allée récupérer la potion que Severus gardait sous clef au fond du
petit placard du salon…

« Il faut que j’interroge Charlie. » lâcha-t-elle. Elle aurait pu s’occuper d’Anthony d’abord
mais… Le fait était qu’elle voulait voir son meilleur ami, s’assurer qu’il allait bien. « Je dois
lui donner du Véritaserum. »

« Non. » refusa Andromeda, tout de go. « Il n’est pas absolument pas en état d’être
interrogé. »

Elle ferma brièvement les yeux, serra par réflexe la main inerte qu’elle n’avait pas lâchée…
Elle aurait tout donné pour que Severus tourne la sienne et laisse leurs paumes glisser l’une
contre l’autre, pour sentir leurs doigts s’entrelacer…

Bientôt, se gronda-t-elle. Bientôt Harry irait le chercher et il se réveillerait et tout se passerait


bien.

« Ce n’était pas une requête, maman. » répondit-elle, en se forçant à rouvrir les paupières, à
affronter le regard fatigué de sa mère. « Je dois lui parler. »
« Lui parler, à la limite. » capitula Andromeda. « Mais prends des pincettes. Je n’ai pas eu
autant de temps à lui consacrer que j’aurais aimé. Pour l’instant, il est sous une dose
importante de potion calmante. Il est confus, agité et bouleversé. J’interdis formellement
l’usage du Véritaserum, tu m’entends ? La dernière chose dont il a besoin c’est de voir son
libre arbitre à nouveau occulté. »

« D’accord. » accepta-t-elle, avec un certain soulagement. Il serait toujours temps


d’administrer la potion plus tard, lorsqu’il irait mieux. Et ils pouvaient toujours innocenter
Charlie via le témoignage d’Anthony… « Mais il faut quand même que je lui parle. »

La Médicomage n’était pas heureuse. « Mieux vaut toi qu’un de tes collègues, je
suppose. Mais, Nymphadora… Mentalement, il est fragile. Si tu sens que ça dérape, n’insiste
pas. »

Elle acquiesça puis, à regret, se détacha de la main de Severus. Elle et sa mère firent le
chemin jusqu’à l’infirmerie ensemble parce qu’Andromeda devait retourner auprès de
Lucius. Apparemment, ce n’était pas bon et elle s’inquiétait pour Narcissa qui refusait de se
reposer – comme le reste d’entre eux, semblait-il.

Elle n’eut pas de mal à trouver le lit de Charlie parce que Fred et George montaient la garde
devant le rideau tiré. Cela faisait un certain temps qu’elle ne les avait pas croisés et elle fut
momentanément choquée de se retrouver face à des adultes.

L’un des deux jumeaux avisa ses robes bleues, en déduisit sans doute que ce n’était pas une
visite amicale, et se décala pour mieux lui barrer le chemin.

L’infirmerie était encore pleine et elle ne voulait pas causer de scène.

« Il faut que je lui parle. » exigea-t-elle calmement.

« Il n’est pas en état de parler à qui que ce soit. » décréta l’autre jumeau. « Écoute, on sait ce
qu’il a fait… »

« …mais ce n’était pas sa faute. » termina son frère. « Il était… »

« …sous Imperium. » enchaîna l’autre.

« Je sais mais je dois quand même lui parler. » répondit-elle avec patience. « On doit
déterminer ce qu’il s’est passé. »

« Percy est mort. » cracha le jumeau de droite. Elle était quasiment certaine que c’était Fred.

Elle accusa le coup. « Je ne savais pas. Je suis désolée. »

Elle s’efforça de ne pas penser à leur dernier échange, à sa blague à moitié sérieuse
d’empêcher le Ministre de faire une connerie… L’avait-il prise au mot ? Était-il resté au lieu
de fuir parce que…

« Charlie ne savait rien, d’accord ? » s’énerva celui qu’elle suspectait être George.
« Je ne viens pas l’accuser d’avoir comploté contre l’Ordre. » contra-t-elle. « Mais il faut
mettre les choses au clair et le plus vite sera le mieux, alors… »

Molly sortit de derrière le rideau, l’air à moitié désespéré, à moitié furieux. « Il dort. »

Tonks se frotta le visage. Elle se détestait pour ce qu’elle était en train de faire. Elle détestait
cet aspect de son travail. Et c’était encore pire lorsqu’elle connaissait les personnes en
question.

« Alors, il faut le réveiller. » soupira-t-elle.

La sorcière lui attrapa la main et la serra à lui faire mal. « Tonks, je sais ce qu’il t’a fait mais
s’il avait été dans son état normal… Tu… »

« Je ne suis pas en colère. » l’interrompit-elle, alarmée qu’ils puissent seulement le penser.


Elle croisa leur regard tour à tour puis pressa elle aussi la main de Molly. « Je suis inquiète
aussi. Évidemment que je suis inquiète. C’est mon meilleur ami. Je sais très bien qu’il ne
m’aurait jamais attaquée de son plein gré… Mais on a besoin de réponses et, plus vite je l’ai
officiellement disculpé, plus vite il sera tranquille, d’accord ? Je sais que ce n’est pas le
moment idéal et je sais que… »

« Tonks ? » appela la voix groggy de Charlie, de derrière le rideau. « Tonks ? »

Il y avait trop de détresse dans sa voix pour qu’elle reste plantée là à parlementer. D’un geste
impatient, elle ouvrit le rideau et dépassa Molly uniquement pour se figer lorsqu’elle aperçut
Charlie. Trop pâle, en sueur, recroquevillé sur le côté, les yeux perdus dans le vague…

« Tonks… » sanglota-t-il, lorsqu’il la vit. La culpabilité tordit ses traits… « Je ne voulais


pas… Je ne voulais pas… »

Elle oublia la prudence, oublia ses ordres…

Elle se précipita jusqu’au lit, s’assit et se pencha pour le prendre dans ses bras.

« Je sais. » murmura-t-elle. « Je sais. C’est fini. Je n’ai rien. »

Presque rien, du moins.

Mais loin de se calmer, Charlie s’agita de plus en plus, pleurant et la suppliant de la


pardonner…

Elle eut beau lui promettre qu’elle ne lui en voulait pas…

C’était comme s’il ne l’entendait pas…

Comme s’il était prisonnier de ses propres démons.

°O°O°O°O°
Un dernier arrêt et puis il irait fumer sa cigarette, se promit intérieurement Sirius, et peut-être
même irait-il tout simplement se coucher. Au moins quelques heures. Il voulait rester
disponible pour Narcissa et Draco mais… La fatigue accumulée commençait à peser lourd.
Sa cheville aurait probablement mérité d’être à nouveau examinée par un Médicomage ou,
tout du moins, à nouveau immobilisée… Il ne parlait pas de sa migraine qui ne s’était pas
calmée depuis qu’il s’était réveillé…

La porte de la chambre de Severus était close, il essaya de tourner la poignée mais elle ne
bougea pas alors il frappa avec hésitation.

« Qui est là ? » demanda la voix légèrement endormie de son filleul.

« Moi. » répondit-il.

« Entre. » l’invita Harry. Et la porte s’ouvrit sans qu’il ait besoin de la toucher puis se
referma derrière lui. Devant son air perplexe, le garçon haussa les épaules. « Pomfresh a dit
que c’était un système de sécurité. Il n’y a que les gens autorisés qui peuvent rentrer dans la
pièce sans devoir être invités par quelqu’un d’autre. »

Étant donné que Severus était une cible de choix, cela faisait sens.

Sirius détailla d’abord l’adolescent assis sur un lit d’appoint, les cheveux en bataille et l’air
un peu ensommeillé, puis, une fois certain qu’il allait bien, tourna son attention vers l’homme
immobile sur son lit d’hôpital. C’était dingue comme il détestait voir Severus alité alors qu’il
s’en serait réjouit quelques mois encore auparavant.

C’était dingue comme tout pouvait changer en un quart de seconde.

« Comment il va ? » demanda-t-il.

« Pas de changements. » soupira Harry. « Mais on sait ce qu’il a maintenant. Enfin… On


espère qu’on sait ce qu’il a. »

Il écouta attentivement l’explication du Gryffondor puis laissa échapper un bruit un peu


amusé. « Et ils t’ont laissé sans surveillance ? Ils ne te connaissent pas très bien. Je suis
surpris que tu n’aies pas déjà essayé de prendre les choses en main… »

Il s’en voulut un peu de l’agressivité dans sa voix et fit un effort pour la contrôler.

« Dumbledore a dit qu’il valait mieux attendre. » grommela Harry, sur la défensive. « Je ne
suis pas un expert en Legilimencie et il va bien pour le moment alors… » Il haussa à nouveau
les épaules. « Je ne suis pas débile, Sirius. Je ne vais pas mettre ma vie et la sienne en danger
pour rien alors que ce serait plus sûr d’attendre un peu. »

Il se mordit la langue pour lui rappeler que s’enfuir comme il l’avait fait était débile, que s’il
avait eu un véritable plan, il aurait pu essayer de lui en parler avant de foncer dans le tas
comme un hippogriffe mal luné.

« Je suis toujours furieux. » déclara-t-il, en croisant les bras. « Et tu es toujours puni. »


Harry leva les yeux au ciel. « Super. »

Merlin le préserve des adolescents.

Merlin le préserve.

Et Draco n’était pas moins difficile à gérer que Harry, c’était le pire. Il avait pensé pouvoir
faire confiance au Serpentard et ce dernier avait donné les clefs de sa fuite au Survivant sans
même sourciller.

Il allait leur coller tellement de retenues… Et leur faire copier des lignes. Et récurer le hall
d’entrée avec Rusard. Toutes les pires retenues possibles.

« À priori, on va rester au château pour le moment et ils regroupent les familles, alors j’ai
demandé à un elfe d’installer une troisième chambre dans mes appartements pour
Narcissa… » hésita-t-il légèrement.

« Comment va Lucius ? » demanda Harry, tout aussi incertain.

« Mal. » soupira-t-il, ne voyant pas comment le lui cacher. « Les Médicomages ne sont pas
optimistes. » Il se racla la gorge. « Écoute, ce que j’essaye de te dire c’est que, même si je
suis en colère après toi, ça ne veut pas dire que je ne veux plus m’occuper de toi. Tu peux
partager la chambre de Draco le temps que Severus se remette. Et je suis toujours là pour toi,
rien ne changera ça. »

Il savait qu’Harry avait une tendance à s’imaginer le pire et, même si une discussion sévère
s’imposait, probablement quand ils seraient tous plus reposés et qu’ils pourraient se poser au
calme, il ne voulait pas que le garçon pense qu’il le jetait dehors ou qu’il se lavait les mains
de ce qu’il pouvait lui arriver.

« Oh… » lâcha son filleul, en baissant les yeux, un peu gêné. « C’est gentil, mais… Je
préférerais rester à la maison. »

« Pas seul. » refusa-t-il. Severus n’aurait pas approuvé que le gamin reste seul avec ses idées
noires et Sirius ne lui faisait plus tout à fait confiance. Et puis, s’il disait vrai et qu’ils
savaient comment soigner le Maître des Potions, ce ne serait que pour quelques jours…

« Non, pas seul… » grimaça Harry. « Il y a Tonks. »

Ah. Évidemment.

Il avait oublié ce détail.

« J’en discuterai avec elle. » offrit-il, sans rien promettre. « Mais il faut qu’elle soit
d’accord. »

Après tout, sa cousine n’était pas forcément partante pour baby-sitter le cinquième année.

Une légère musique résonna dans tout le château, les poussant tous les deux à lever la tête
pour chercher l’origine du bruit. Stupide, évidemment. Il s’agissait très visiblement d’un son
amplifié par un sonorus…

« Vous écoutez Radio Sorcière et ceci est une communication officielle d’urgence du
Ministère de la Magie. » déclara la voix fatiguée d’une des présentatrices les plus célèbres du
Royaume-Uni.

Ils échangèrent un regard. Harry semblait un peu étonné par le procédé mais Sirius ne l’était
pas. Il devinait que toutes les radios du pays s’étaient allumées par magie et à plein volume
pour être certain que personne ne manquerait la déclaration qui suivrait.

« La parole est au Ministre de la Magie par intérim Kingsley Shacklebolt, en direct de


Poudlard. »

« Kingsley est Ministre ? » demanda curieusement Harry.

Sirius haussa les épaules, en signe d’ignorance. Il n’en savait pas plus que lui. Il n’y avait pas
eu de réunion ou de mise en commun des informations et il n’avait pas quitté l’infirmerie
depuis qu’ils étaient revenus à Poudlard. Il n’avait même pas revu Remus depuis la mission
de secours – et il devrait probablement faire un effort pour le trouver, avant d’aller se
coucher, pour s’assurer qu’il allait bien.

La voix de Kingsley, magiquement amplifiée, ne tarda pas à retentir, de toute manière,


apportant les clarifications nécessaires.

« Sorcières, Sorciers… Je suis au regret de confirmer le décès de Rufus Scrimgeour, Ministre


de la Magie et d’Amélia Bones, Directrice du Département de Justice Magique, qui sont
tombés lors de l’attaque du Ministère, hier matin. Les membres du Magenmagot en session
sont également tous présumés morts.

Par conséquent, et dans le respect de nos institutions, c’est avec gravité que j’ai endossé le
poste de Ministre par intérim. »

« Au moins, il parle bien. » soupira Sirius. Kingsley n’était pas le pire choix de Ministre.

« Est-ce que ça veut dire que Dora dirige les Aurors, maintenant ? » s’enquit Harry, fronçant
les sourcils.

« Sûrement. » répondit-il.

Mais Kingsley n’en avait pas terminé.

« Cependant, j’ai conscience de ne pas être le meilleur choix pour ce poste actuellement. J’ai
la conviction profonde que je serais plus utile sur le terrain, à la tête de nos Aurors, plutôt
qu’à la tête de notre gouvernement. En conséquence, mon premier acte en tant que Ministre a
été de déclarer la loi martiale . »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? » demanda le garçon, confus.

« Ça veut dire que le Ministre prend les pleins pouvoirs. Normalement, ça devrait passer
devant le Magenmagot mais… » Il hésita. « Je ne crois pas que ce soit jamais arrivé dans
l’Histoire de la Magie. Ils en avaient parlé pendant une des Révoltes Gobelines mais… »

« Mon second et dernier acte a été de proposer le poste de Ministre à Albus Dumbledore qui
l’a accepté. » continua Kingsley. « La parole est à présent au Ministre de la Magie. »

« Oh, merde. » jura-t-il. Celle-là, il ne l’avait pas vue venir.

Encore qu’il aurait dû, probablement.

C’était logique, au fond.

« Sorcières, Sorciers, c’est le cœur lourd que je m’adresse à vous. » enchaîna Dumbledore,
d’un ton posé. « J’ai accepté, ce matin, un poste que j’ai refusé plusieurs fois au cours des
dernières années car je ne voyais pas d’alternatives. Hier, notre communauté a été touchée
au cœur et à la tête. Les pertes, à Poudlard comme au Ministère, sont incommensurables et je
sais qu’il n’y a pas une famille en Grande-Bretagne qui n’a pas été touchée de près ou de
loin par ces attaques et je voudrais saluer ceux qui, au péril de leur vie, se sont battus pour
repousser les ténèbres. »

Harry gigota un peu, s’installant en tailleur sur le lit et inclinant la tête en arrière comme pour
mieux suivre le discours. Sirius vint s’asseoir à côté de lui mais garda son regard sur Severus.
Il ne savait pas si l’ancien Mangemort était chanceux ou non de manquer un tel moment.

C’était historique, sans nul doute.

Peut-être pas davantage que la destruction du Ministère ou l’attaque de Poudlard, mais c’était
tout de même…

« À vous tous, où que vous soyez, seul, avec vos familles, peut-être encore dans cette attente
angoissante de nouvelles de vos proches, je veux promettre que ce n’est pas la fin de notre
communauté, et que tant qu’il restera un souffle de vie en moi, ma baguette et ma
détermination seront sans failles. À vous tous, je veux vous promettre que de l’aide sera
toujours apportée à Poudlard à ceux qui en font la demande. » reprit Dumbledore, après un
moment de silence.

« Il recycle. » commenta Harry distraitement. « Il m’a déjà dit ça en deuxième année. »

« Je suppose qu’on ne peut pas écrire le discours qui sera dans tous les livres d’Histoire de la
Magie en dix minutes. » plaisanta Sirius.

« Poudlard accueillera toutes celles et tous ceux qui en feront la demande, je vous en fais le
serment. Sorcières, sorciers, alors que notre communauté traverse des moments sombres, je
vous dois aussi la vérité. Nous ne pourrons gagner en nous reposant seulement sur le
courage et la force de nos Aurors, dont je tiens à saluer la bravoure, le sang-froid, et le
professionnalisme. Le temps est venu de s’engager pour ce qui juste, pour ce qui est
nécessaire. Nous avons besoin de baguettes, de vos baguettes. En tant que Ministère, j’invite
tous ceux qui sont en état de se battre à nous rejoindre aussi vite qu’ils le peuvent et
j’ordonne à tous les employés ministériels en mission ou en repos au moment du drame à se
manifester dans la journée. Nous avons besoin de vous. Nous ne gagnerons pas sans vous. »
« Est-ce que ce n’est pas dangereux d’annoncer à tout le monde où est notre quartier
général ? » demanda son filleul, en fronçant les sourcils. « Non, parce que… On n’a gagné
que d’un cheveu, hier, et… »

« Espérons qu’il a un plan et que ce n’est pas que de la poudre aux yeux. » offrit-il.

Parce que dans le cas contraire, c’était effectivement incroyablement stupide.

« À ceux qui préfèreront fuir le pays… Il viendra un temps où cette guerre sera terminée et où
nous nous souviendrons de qui aura eu le courage de nos convictions et de ceux qui auront
préféré laissé les autres se battre à leur place. À ceux qui ne peuvent rejoindre Poudlard…
Restez en sécurité, assurez-vous que vos maisons soient protégées, ne prenez aucun risque
inutile. Si vous avez besoin de nous, appelez-nous et nous viendrons vous chercher. »

Poudlard pouvait-elle seulement accueillir toute la communauté magique qui voudrait bien se
battre ou préfèrerait la sécurité du nombre ? Il y avait Pré-au-Lard, bien sûr, et il ne doutait
pas que le village les aiderait mais…

« Et, maintenant, je veux m’adresser à toi, Tom Jedusor, Lord autoproclamé, qui pense
pouvoir nous faire plier par la violence et la terreur : nous ne céderons pas. » La voix de
Dumbledore sembla se durcir d’un coup. « Nous ne céderons pas et nous n’oublierons jamais
nos morts. Le moment de la vengeance viendra bien assez tôt et tu en seras la première
victime, sur ma magie j’en fais le serment. »

Harry croisa son regard, sourcils levés. « La vengeance ? Ce n’est pas très… Dumbledore. »

Sirius fit la grimace. « Voldemort a tué son frère, hier. Mais c’est vrai que… »

« Ne désespérez pas. » reprit le Directeur – ou plutôt le Ministre. « L’aube se lève même sur
la nuit la plus noire. Dans cette obscurité, Poudlard sera votre étoile du berger. Suivez la. »

À nouveau, la musique résonna et le communiqué se coupa.

Ils restèrent assis là en silence quelques secondes, à digérer ce discours, puis Harry se laissa
aller en arrière sur le lit, dans un profond soupir.

« J’aurais préféré Kingsley. » décréta-t-il.

Sirius n’osa pas approuver à voix haute, par peur d’inquiéter davantage le garçon, mais, s’il
devait être honnête, lui aussi aurait préféré que quelqu’un d’autre que Dumbledore – qui
supportait déjà très mal les avis contradictoires pendant les réunions de l’Ordre – occupe le
poste.

Merlin, ce qu’il avait besoin de cette cigarette.

°O°O°O°O°

Draco tira un énième volume d’une étagère uniquement pour l’y replacer immédiatement,
frustré.
Ils n’avaient rien trouvé.

Cela faisait des heures qu’ils parcouraient grimoire sur grimoire et ils n’avaient rien trouvé.
Granger n’avait pas encore abandonné mais les autres échangeaient des regards de plus en
plus lourds de sens dans son dos et Bill Weasley s’était excusé pour aller consulter la
bibliothèque des Black. Il lui avait immédiatement offert un accès à celle du Manoir, sachant
que la collection des Malfoy était probablement plus large et comportait plus de livres
rares…

Il n’aurait sans doute pas dû envoyer un Weasley au Manoir sans une escorte armée pour
s’assurer qu’il ne fouillait pas là où il n’avait pas mettre son nez, mais ça n’avait pas empêché
Draco d’appeler un de leurs elfes et de lui ordonner d’aider Bill autant qu’il le pouvait.

Il appuya le front contre le bois solide de l’étagère, s’imagina l’espace d’un instant que les
rayonnages allaient basculer pour l’écraser, comme durant la tempête magique, se demanda
brièvement pourquoi cela lui aurait semblé plus simple, puis ressentit un tel élan de
culpabilité qu’il ferma les yeux.

Uniquement pour les rouvrir lorsque son esprit rejoua directement l’explosion du couloir.

Blaise.

Daphné.

Le tunnel en bas et les enfants qui…

Il prit une profonde inspiration qui resta bloquée dans sa gorge.

Il dut se forcer à la relâcher.

Lorsqu’il attrapa un autre livre, un peu au hasard, l’esprit un peu trop embrumé, ses mains
tremblaient.

« Draco. »

Il sursauta et, avant d’avoir pu identifier la voix, avait pivoté dans sa direction, baguette levée
et sort défensif aux lèvres.

Ce n’était pas très glorieux.

Surtout lorsqu’il vit que ce n’était que Pansy.

Il dut faire un véritable effort pour ranger sa baguette, se forcer à se redresser, à afficher
l’expression neutre qu’un Sang-Pur se devait d’avoir en toutes circonstances.

« Pansy. » répondit-il, un peu étonné de la voir là.

Contrairement à la plupart des autres adolescents qui n’avaient pas eu l’occasion de se


changer, elle ne portait pas son uniforme mais des robes sorcières parfaitement coupées pour
être respectables tout en étant à la dernière mode.
« Mon père est venu me chercher. » lui expliqua-t-elle. « Je voulais te dire au revoir. »

« Oh. » souffla-t-il.

Il ne savait pas pourquoi il était surpris.

Le Seigneur des Ténèbres n’avait pas pris la peine d’informer son père de l’attaque ou du
plan pour évacuer les enfants de Mangemorts mais ça ne voulait pas dire que Pansy allait
rester avec eux ou…

« Dumbledore est Ministre. » lâcha-t-elle, un peu gênée, comme si elle ne savait pas trop
quoi dire.

Il ne le savait pas davantage.

Comment disait-on au revoir à quelqu’un qu’on avait connu toute sa vie, que, malgré les
disputes de ces derniers mois, on considérait comme une amie proche ?

Comment disait-on au revoir en sachant que ce serait peut-être pour toujours parce qu’ils
étaient de deux côtés opposés d’une guerre qui…

« Je sais, on a entendu. » répondit-il, en levant la main pour mieux indiquer une radio
imaginaire. Il aurait parié que tout le château avec suivi le communiqué spécial, que les gens
le veuillent ou non.

Pansy força un sourire qui ressembla davantage à une grimace. « Le monde est devenu fou,
non ? »

Il émit un bruit qui sonna plus triste qu’amusé. « À qui le dis-tu. » Il prit une de ces
profondes inspirations qui avaient tendance à rester coincées dans sa gorge. « Blaise et
Daphné… »

« Je sais. » murmura-t-elle, en baissant la tête. « J’étais là quand Slughorn l’a dit à Astoria. »
Ce fut son tour de prendre une inspiration tremblante. « Comptes-tu réellement rester ici,
Draco ? Comptes-tu réellement… »

Elle ne termina pas sa question.

Probablement parce qu’il n’y avait pas de manière polie de demander s’il comptait mourir
avec les autres.

« Oui. » offrit-il, sans même l’ombre d’une hésitation.

Il n’y avait pas de choix à faire.

Le choix avait été fait des mois auparavant, au Département des Mystères.

Ou peut-être même plus tôt que ça, lorsqu’il avait aidé Weasley à sortir Granger de sous l’un
de ces rayonnages alors qu’il aurait été aussi simple de l’y laisser.
Peut-être que, parfois, on faisait des choix décisifs sans deviner l’impact qu’ils auraient sur le
reste de notre vie.

Pansy hocha tristement la tête mais ne tenta pas de le convaincre que c’était stupide ou perdu
d’avance. « Nous partons au chalet pour attendre l’issue de la guerre. »

Le chalet était une demeure ancestrale des Parkinson dans les montagnes autrichiennes qui
aurait facilement pu loger une quinzaine de personnes. Draco et ses parents y avaient été
invités plusieurs fois pendant les vacances.

« C’est bien. » commenta-t-il. Il le pensait. Il n’avait aucune envie de perdre une autre amie
et les Parkinson seraient en sécurité en Autriche. Du moins, tant que le Seigneur des
Ténèbres ne jetait pas ses vues sur l'Europe.

Pansy l’étudia longtemps puis soupira, détournant le regard. « Si jamais tu reprends tes
esprits ou que tu es obligé de fuir le Royaume-Uni… Tu es le bienvenu. Et si tu dois
absolument emmener ta Sang-de-Bourbe avec toi… Eh bien, je préfère que tu viennes avec
elle plutôt que pas du tout. Alors… Garde ça dans un coin de ta tête, d’accord ? »

C’était une offre généreuse.

Elle lui tendit la main avec une grâce étudiée, comme le voulait le protocole.

Il écarta sa main et l’attira dans ses bras.

Elle lui rendit immédiatement son étreinte avec un peu de désespoir.

« Ne te fais pas tuer comme eux. » exigea-t-elle sèchement. « Sois plus intelligent. »

« Reste en sécurité. » répondit-il. « Et nous nous reverrons à la fin de cette guerre. »

Ils restèrent enlacés un peu plus longtemps que nécessaire. Il se demanda si, elle aussi, avait
l’impression que c’était à leur enfance qu’ils s’accrochaient, à une innocence qui leur avait
filé entre les doigts sans qu’ils ne s’en rendent compte…

Il fut le premier à s’écarter et se força à lui offrir un sourire un peu crispé. Elle se détourna et
s’éloigna sans un mot de plus, la tête un peu trop haute, la démarche un peu trop raide.

Il ne la regarda pas partir.

Il ne le pouvait pas.

Il avait l’impression de perdre tous les gens qui…

Il ne fut pas extrêmement surpris que Granger le rejoigne quelques minutes plus tard, avec
une expression légèrement gardée.

« Tout va bien ? » demanda-t-elle. « Qu’est-ce qu’elle voulait ? »

« Dire au revoir. » murmura-t-il, en accrochant son regard.


Elle dut probablement lire toute la détresse qu’il éprouvait – à propos de tout – parce que son
visage ne reflétait que de la compassion et pas la jalousie qu’il avait craint.

Il ne résista pas au besoin de la serrer fort lorsqu’elle se glissa contre lui.

Il pressa un baiser sur ses boucles en bataille et ferma les yeux.

Cela n’aida pas.

C’était comme si son corps était toujours prisonnier de ce qu’il s’était passé la veille, comme
s’il était coincé dans ce moment où elle lui avait dit je t’aime puis s’était sauvée…

« Ne m’abandonne plus jamais. » supplia-t-il, la gorge serrée. « Quoi que nous fassions…
Faisons le ensemble. »

Elle recula le haut du corps juste assez pour glisser ses mains jusqu’à ses joues, pour
s’assurer de le regarder droit dans les yeux. « Je te le promets. »

Il vola un baiser, puis deux, puis trois, puis…

Il s’écarta brusquement et se passa une main sur le visage.

Il aurait été trop simple de se perdre dans ce genre de choses, de laisser Granger effacer tout
le reste, mais il ne pouvait pas se le permettre.

Le sceau des Malfoy était beaucoup trop lourd à son doigt.

« Vous avez trouvé quelque chose ? » demanda-t-il, tout en devinant déjà la réponse.

La grimace de la jeune fille était une réponse en soi.

°O°O°O°O°

Sirius était accoudé au parapet et observait la cour décimée en contrebas. La fontaine en


forme de vouivre était en morceaux; les buissons, arbres et bancs de pierres éparpillés au
quatre vents… Probablement parce que la passerelle en pierre à sa droite qui menait à l’autre
aile du château s’était écroulée pendant la bataille. La tourelle à l’opposé du gouffre avait
visiblement pris feu. La pierre était noircie, le toit avait un trou…

Il était sans doute censé faire quelque chose. Prévenir McGonagall ou un autre membre du
corps professoral, peut-être tenter de réparer les dégâts lui-même…

Parfois, il aurait aimé qu’ils lui aient donné un manuel en même temps que le poste de
Professeur de Défense. Il y avait tout un tas de choses qui étaient évidentes pour Severus ou
les autres qui ne l’étaient pas pour lui. Il ne connaissait pas les protocoles ou les règles ou…

Il reporta son regard plus loin, vers les collines couvertes de verdures en bordure du domaine.

Ce n’était pas l’endroit qui offrait la vue la plus impressionnante du château mais c’était
calme, à l’extérieur, et les chances que qui que ce soit ne vienne le déranger étaient…
La porte s’ouvrit dans un grincement – et quelques difficultés.

Évidemment, songea Sirius, il s’était auto-condamné avec cette idée optimiste qu’il pouvait
fumer une cigarette en paix.

Tonks émergea du château, des cernes pratiquement jusqu’aux joues, l’air trop pâle et pas
assez assurée sur ses jambes. Les yeux gris de sa cousine s’arrêtèrent sur lui avec surprise
puis tombèrent sur l’absence de passerelle et ses épaules s’affaissèrent légèrement.

« Je vais devoir faire tout le tour. » grogna-t-elle. « Personne ne peut réparer ça ? »

Il faillit lui demander pourquoi elle lui posait la question à lui puis l’évidence s’imposa : elle
lui posait la question à lui parce qu’il était Professeur.

C’était drôle la vie, décida-t-il avec fatigue, parce que c’était probablement le dernier métier
qu’il aurait choisi dans sa jeunesse. Il avait toujours voulu être Auror. James et lui avaient
postulé ensemble et…

Ils n’avaient même pas fini leur formation avant que James ait été forcé de se retirer du
programme pour aller se cacher sous Fidelitas.

Et lui n’avait jamais vraiment trouvé sa place au Département. Il détestait devoir obéir aux
ordres, n’avait jamais été très doué pour respecter la hiérarchie, s’était trouvé enfermé dans
un rôle qui ne lui correspondait pas…

Il avait abandonné en même temps que James, choisissant de se consacrer à l’Ordre à plein
temps, et avec soulagement encore…

Peut-être que ses parents avaient eu raison, au fond. Peut-être qu’il ne pouvait rien faire
correctement.

« Sirius ? »

Il était trop fatigué pour sursauter.

Il observa la main que sa cousine avait posé sur son coude, laissa son regard remonter le long
de son bras jusqu’à son visage, se força à sourire. « Désolé. Tu disais ? »

Il ne protesta pas lorsqu’elle lui vola la cigarette qui se consumait entre ses doigts sans qu’il
ne fasse un gros effort pour la fumer. Il la lui abandonna et en tira une autre du paquet à
moitié écrasé qu’il gardait dans sa poche.

« Je te dois des excuses. » hésita-t-elle. « Pour cette nuit. Je n’aurais pas dû te parler comme
ça… »

Il agita la main qui tenait la cigarette, laissant une légère traînée de fumée dans les airs.
« J’étais énervé aussi. Laisse tomber. C’est oublié. »

Elle fouilla son regard avec un peu trop de vulnérabilité. « Tu es sûr ? »


Il porta la cigarette à ses lèvres, souffla rapidement la fumée puis lui ouvrit son autre bras.
Elle se laissa aller contre lui avec un empressement un peu alarmant, prenant garde à ne pas
le brûler avec la cigarette qu’elle lui avait volée. Il la tint contre son flanc longtemps, sans
rien dire, fumant de sa main libre, lui laissant le temps dont elle avait besoin…

Au bout de plusieurs minutes, elle prit une inspiration tremblante et s’écarta. Elle jeta ce qu’il
restait de sa cigarette consumée par terre et l’écrasa machinalement sous sa botte avant
d’aller s’appuyer contre le parapet opposé.

« J’ai interrogé Charlie. » lâcha-t-elle. « Je n’ai rien pu tirer de lui. Il est… » Elle secoua la
tête, ses yeux gris se remplissant de larmes. « J’aurais dû voir que quelque chose n’allait pas.
J’aurais dû… »

Sa phrase resta en suspens alors que sa voix s’étranglait.

« Anthony nous a jeté un sort à tous. » annonça-t-il, en se frottant le visage. Il aurait déjà dû
avoir passé cette information au reste de l’Ordre. Il aurait déjà dû y avoir une réunion du
Conseil, même un simple conciliabule d’une poignée de minutes, parce que… « Un truc
qu’ils utilisent normalement sur les dragons pour les rendre dociles ? Il a tout expliqué à
Severus mais j’étais un peu dans le coltard. »

Elle soupira. « Qu’est-ce qu’il s’est passé, hier ? J’ai besoin de savoir tout ce que tu pourras
me dire. »

Hier…

Cela était difficile d’accepter que les évènements avaient eu lieu vingt-quatre heures
auparavant seulement. Il lui semblait simultanément que cela s’était passé quelques minutes
plus tôt ou bien il y avait des années de cela.

Il résuma l’attaque d’Anthony de manière aussi claire et précise que possible, sans lui cacher
les accusations qu’il avait portées contre eux. Il avait terminé sa cigarette lorsqu’il arriva au
passage où le dragonnier leur avait dit…

« Il a dit qu’il y avait plusieurs manières d’arracher le cœur de quelqu’un. » déclara-t-il, en


écrasant la cigarette sur la pierre pour ne pas avoir à la regarder en face. « Qu’il avait
demandé à Charlie de te poignarder en plein cœur. »

« Ce que Charlie n’a pas fait. » murmura Tonks, avec un soulagement évident. « Ce qui tend
à prouver qu’il n’était pas complice du tout même avant d’être mis sous Imperium. »

Sirius n’était pas sûr que ça prouvait quoi que ce soit mais il était évident qu’elle voulait y
croire et il ne voulait pas en rajouter. Ce qu’il avait à dire ensuite serait déjà suffisamment
compliqué à entendre.

« Il a dit à Severus que… » Il s’interrompit, soupira, se força à croiser son regard. « Écoute, il
n’y a pas de bonne manière de te dire ça mais je pense que tu dois le savoir alors… Il a dit à
Severus que tu devais mourir parce qu’il avait des sentiments pour toi, que c’était sa faute. »
La douleur qui passa dans les yeux gris de sa cousine était plus qu’il ne pouvait en supporter
après ces dernières heures et, lâchement, il se détourna à nouveau. « Après ça, Severus… Je
ne l’avais jamais vu comme ça, Tonks. Il n’était même plus en état de se battre
correctement. »

La respiration courte, elle lui tourna brusquement le dos pour mieux s’accouder au parapet.
La tête dans les mains, elle faisait visiblement un effort pour se maîtriser.

« Je ne voulais pas te faire de la peine… » hésita-t-il. « C’est juste que… Tu le connais… Je


voulais juste que tu saches au cas où il soit bizarre avec toi lorsqu’il se réveillera… »

Parce qu’il y avait de grandes chances que le Maître des Potions décide qu’elle était plus en
sécurité loin de lui ou…

« Il a assez payé pour ses erreurs. » cracha-t-elle. « Il a risqué sa vie encore et encore. Il… Il
s’est racheté dix fois. Quand est-ce que ça va s’arrêter ? C’est… »

« Est-ce qu’on paye jamais assez quand on tue les parents de quelqu’un ? » l’interrompit-il,
en croisant les bras devant lui et en laissant sa tête basculer vers l’arrière.

Contrairement à la veille, le soleil brillait faiblement et le ciel était bleu.

C’était presque… trop.

Sirius aurait préféré qu’il fasse gris ou même qu’il pleuve carrément à verse.

Tonks se redressa et se tourna à nouveau vers lui. « Tu ne savais pas, Sirius. »

« Mais s’il dit vrai, j’ai tué sa mère. » contra-t-il lentement, doucement.

« Mais tu ne savais pas. » insista-t-elle. « Si les Potter ne te l’avaient pas caché… »

Malgré la fatigue, il ressentit à nouveau la même pointe de colère sourde envers James et
Lily. C’était nouveau parce qu’il ne se souvenait pas jamais avoir éprouvé quelque chose
comme ça pour James. Ils s’étaient disputés parfois, c’était vrai – la fois où il avait
accidentellement failli tuer Severus en le menant à la Cabane Hurlante avait été leur pire
altercation – mais jamais au point où Sirius avait eu très, très envie de lui coller son poing
dans la figure.

Si James avait été vivant, là, tout de suite…

D’après ce que disait Anthony, c’était Lily qui avait pris la décision, Lily qui avait décrété que
Sirius ne supporterait pas de savoir mais…

Il se serait livré aux Aurors, il aurait assumé ses erreurs… Peut-être aurait-il fini à Azkaban
de toute manière mais il aurait assumé.

Et il se serait assuré que le gamin avait tout ce dont il avait besoin, il se serait assuré que…

« Harry veut rester dans les cachots. » lâcha-t-il, changeant brutalement le sujet. Il ne pouvait
pas ressasser les choix de James et Lily. Il ne pouvait pas. Ce qui était fait était fait. Il pouvait
simplement s’assurer de ne pas autant merder à l’avenir. « Il a dit que tu allais t’y installer
aussi ? »

Tonks eut l’air de vouloir insister puis elle soupira. « Je ne sais pas. Il y a une chambre pour
moi avec mes parents, apparemment. » Ce qui n’avait pas l’air de la réjouir. « Je ne peux pas
m’imposer chez Severus… Ce n’est pas comme si je pouvais emménager comme ça. Il n’est
peut-être pas prêt et… »

« Je ne veux pas qu’Harry soit seul en bas. » expliqua-t-il, avant qu’elle ait pu lui déballer ses
problèmes de couple.

En temps normal, ça lui aurait été égal et il aurait fait de son mieux pour aider mais là… Il
avait à peine digéré le fait qu’ils étaient ensemble avant de penser qu’elle s’était faite tuer à
cause de ça et il n’avait pas la force de s’en mêler, là, tout de suite.

« Oh. » Elle grimaça. « Oui, bien sûr. Je peux rester avec lui jusqu’à ce que Severus rentre à
la maison. Pas de problème. »

« Tu n’es pas obligée. » insista-t-il. « Harry peut venir chez moi quelques jours. Il survivra. »

Elle secoua la tête. « Non, non… C’est probablement mieux pour lui de rester là où il a ses
habitudes. Il n’est pas… Il n’était pas en grande forme, ce matin. »

Elle semblait un peu hésitante.

Il fronça les sourcils. « Je viens de lui parler et ça avait l’air d’aller… Il était fatigué mais… »

Elle enfonça les mains dans les poches de ses robes d’Auror et s’appuya au muret de pierre
derrière elle, l’air incertain. « Écoute, je ne veux pas que tu te mettes en colère et que tu ailles
lui hurler dessus de nouveau… » Il ouvrit la bouche mais elle grimaça avant qu’il ait pu dire
quoi que ce soit. « Même s’il l’a mérité. » Elle souffla puis s’humecta les lèvres. « Le truc,
Sirius, c’est que je peux me tromper et Severus ne m’a pas tout dit alors je n’ai pas toutes les
informations mais… Je pense qu’Harry ne comptait pas du tout revenir, cette nuit. Il pensait
qu’il allait mourir, que c’était une certitude. » Elle croisa son regard. « Il pense qu’il va finir
par mourir. Il en parle comme si c’était juste une question de temps et que Severus a juste du
mal à l’accepter. »

L’Animagus soutint son regard quelques secondes puis soupira. « On sait. »

Elle fronça les sourcils puis répéta : « Vous savez. »

« Oui, on sait. » Il haussa les épaules. « C’est compliqué. Mais on ne va pas le laisser mourir.
Bien sûr que non. »

Tonks l’étudiait avec tellement d’intensité qu’il pouvait presque voir ses méninges carburer
derrière ses yeux.

« Quitte à tuer quelqu’un pour le sauver. » lâcha-t-elle.


Ce fut son tour de froncer les sourcils. « Non. Qui t’a dit… Je ne sais pas ce que Severus t’a
raconté mais, non, on n’aura pas besoin d’aller jusque là. »

Ils avaient d’autres théories que celle du sacrifice. S’il devait commettre un meurtre… Deux
meurtres, en vérité : un pour tester la chose, l’autre pour Harry… Son filleul ne les laisserait
jamais faire.

Et puis…

Où était la limite si…

« Il faut que j’aille interroger Anthony. » déclara-t-elle, abandonnant le sujet un peu trop
facilement.

« Tonks. » soupira-t-il. « Personne ne va assassiner qui que ce soit. »

« Tant mieux. » répondit-elle, avec un sourire un peu trop grand.

Il ne savait pas bien ce que ça voulait dire : qu’elle ne voulait pas savoir ou qu’elle ne voulait
pas qu’il sache ? Que lui avait raconté Severus ? Et, surtout, pourquoi n’avait-elle pas l’air
plus perturbée que ça à l’idée qu’ils commettent un meurtre alors que…

Si Severus l’avait convaincue de tremper dans un truc louche parce que Sirius avait
clairement refusé de participer à un assassinat…

« Tonks… » grinça-t-il.

« Anthony. » insista-t-elle, d’un ton qui ne souffrait pas la contradiction. Elle s’adoucit
pourtant. « Tu ne voudrais pas venir avec moi ? S’il a fait tout ça pour vous atteindre… Il
sera peut-être plus enclin à parler devant toi. »

Comment aurait-il pu lui refuser quoi que ce soit alors qu’il l’avait crue morte ?

Il soupira puis lui fit signe de passer la première.

°O°O°O°O°

Debout devant la fenêtre, Harry observait les sorciers qui longeaient la rive du lac. Il était
trop haut dans les étages et trop loin pour les identifier mais il y avait au moins un Auror avec
eux, l’un d’eux entra dans l’eau jusqu’aux genoux, s’accroupit, fit quelque chose qui fit
s’élever un petit tourbillon d’eau dans les airs… Quelques secondes après ça, un des êtres de
l’eau émergea jusqu’au torse…

Les êtres de l’eau avaient-ils aidé durant la bataille ? Ou bien était-ce justement l’objet de
cette discussion à l’aspect officiel ?

Il y eut un craquement sonore et Harry se retourna brusquement, luttant pour sortir sa


baguette de sa poche – il ne savait pas comment il avait pu se passer d’un de ces étuis sanglés
à l’avant-bras avant que Severus n’exige qu’il en porte un en permanence. Il abandonna ses
efforts lorsqu’il vit que le Maître des Potions n’avait rien et que le bruit était venu de l’elfe
passablement contrarié qui se tenait à présent devant lui et tapait du pied avec une irritation
manifeste.

« Je vois que tu vas mieux… » plaisanta à moitié Harry.

Kreattur n’avait pas l’air amusé du tout. Il avait enfilé une taie d’oreiller propre, le blason des
Black trônait fièrement, bien en évidence, sur sa poitrine, les touffes de poils blancs qui
dépassaient de ses oreilles avaient été nettoyées et lissées, mais, malgré son apparence
soignée, il lui rappela l’elfe bougon des premiers jours au Square Grimmaurd.

« Maître Harry a drogué Maître Sirius. Maître Harry a jeté un sort de sommeil à Kreattur.
Maître Harry a corrompu Maître Draco. Maître Harry a mis sa vie en danger. Maître Harry a
demandé l’aide d’un mauvais elfe au lieu de réveiller Kreattur. » énuméra Kreattur, sa voix
gagnant en désapprobation à mesure qu’il faisait la liste de ses crimes.

Il soupira. « Tu n’étais pas en état de… »

« Kreattur est l’elfe de Maître Harry. Kreattur sert Maître Harry. » l’interrompit l’elfe, en le
fusillant du regard. « Si Maître Harry insiste pour partir dans des aventures risquées, Maître
Harry appelle Kreattur, pas l’elfe à chaussettes. Kreattur fera toujours en sorte que Maître
Harry survive quoi qu’il arrive. Kreattur est un bon elfe ! »

Il baissa les yeux, peut-être plus honteux devant Kreattur qu’il l’avait été devant Sirius,
Remus ou Dobby. Il ne regrettait toujours pas mais il n’aimait pas l’idée d’avoir fait de la
peine à l’elfe, pas après qu’ils se soient découverts des points communs et…

Manipuler Dobby lui avait laissé un mauvais arrière-goût en bouche mais trahir Kreattur,
c’était presque pire. Parce que, contrairement à Dobby, Kreattur était parfaitement capable de
comprendre les ramifications de ses décisions.

« Le meilleur elfe. » murmura-t-il. « Mais je savais que tu ne m’aiderais pas et je ne voulais


pas t’ordonner de faire quelque chose contre ta volonté. »

Kreattur croisa les bras et lui jeta un regard sévère. « Kreattur préfère que Maître Harry
ordonne quelque chose que Kreattur ne veut pas faire. Kreattur préfère se punir. La prochaine
fois, Maître Harry se souvient d’appeler Kreattur. Kreattur ne veut pas qu’il arrive du mal à
Maître Harry. » Kreattur s’adoucit un peu. « Kreattur… apprécie Maître Harry même si
Maître Harry n’est pas un Sang-Pur de la noble et ancienne famille Black. Maître Harry sera
un bon Maître. » Comme agacé par son propre élan de sentimentalisme, l’elfe se racla la
gorge puis claqua des doigts. Un plateau bien fourni apparut sur le lit d’appoint. « Maître
Harry mange son déjeuner maintenant. Kreattur l’a préparé lui-même. Maître Harry est trop
maigre. »

Malgré tout, il sourit et retourna s’asseoir sur le lit pour prendre la fourchette. Il était midi
passé et il était vrai qu’il avait faim. Puis son regard s’égara vers Severus et, bien qu’il sache
que Pomfresh et Andromeda ne le laisseraient pas dépérir, son estomac se contracta alors
qu’il se demandait à quel point il était conscient dans son coffre. Techniquement, il n’aurait
pas dû ressentir de stimulus physiques et ça incluait la faim et la soif mais…
Soupirant, il reposa la fourchette et se servit un verre de jus de citrouille, sous le regard
attentif de l’elfe de maison.

« Kreattur ? » hésita-t-il, soudain. « Est-ce que… Est-ce que tu pourrais faire quelque chose
pour moi ? »

Kreattur s’inclina, ses oreilles s’agitant avec plaisir. « Maître Harry n’a qu’à ordonner.
Kreattur fera. »

Il aurait aimé le faire lui-même mais il ne voulait pas laisser Severus, pas même une minute.

« Est-ce que tu pourrais vérifier que ma chouette va bien ? » demanda-t-il.

L’elfe s’inclina à nouveau. « Kreattur va le faire sur le champ. Maître Harry veut autre
chose ? »

Il ouvrit la bouche pour refuser puis la referma. « Euh… Je suppose que… Il y a un fourreau
à baguette dans ma malle, dans les dortoirs. Si tu pouvais me le ramener… Et puis… » Il
hésita mais il supposait que les vacances scolaires avaient officiellement dû commencer avec
l’attaque de l’école, donc… « Peut-être que tu pourrais descendre mes affaires du dortoir
dans ma chambre, dans les cachots ? S’il te plait. »

Après un troisième salut, l’elfe disparut.

Resté seul, Harry s’efforça de faire honneur au repas qu’il lui avait apporté. C’était délicieux.
Peut-être pas autant que ce que servaient les elfes de Poudlard mais c’était très bon et, s’il
devait être honnête, il était affamé. Il n’avait rien mangé, la veille, qu’un petit-déjeuner pris à
la hâte et quelques sandwiches.

La veille…

Ça semblait si lointain…

Le petit-déjeuner où il s’était disputé avec Malfoy puis s’était éclipsé avec Ginny lui semblait
avoir eu lieu il y avait des années.

Ginny…

Il aurait probablement dû aller lui parler, la réconforter de la perte de Percy… Une part de lui,
la partie qui aurait dû compatir avec les Weasley et avec Draco, lui semblait morte. Peut-être
n’avait-il pas la place pour davantage d’angoisse ou de tristesse alors que Severus…

Il savait que leur théorie tenait la route, qu’avec un peu de chance, ce serait rapidement résolu
et que Severus serait rapidement remis.

Mais quand avaient-ils eu de la chance pour la dernière fois ?

Et s’ils avaient tort et que Severus n’était pas dans son coffre ?
Si la théorie des Médicomages était la bonne et que la magie noire avait détruit l’esprit du
Maître des Potions ?

Et s’ils avaient raison mais que ce ne soit pas sans conséquences ?

Et si…

Et si…

Kreattur réapparut dans un craquement. « La chouette de Maître Harry est indemne. » L’elfe
fronça les sourcils – à son attitude abattue ou à l’assiette qu’il n’avait pas terminée, c’était dur
de dire. « Maître Harry n’a pas aimé la tourte ? Maître Harry préfère autre chose ? »

« Non, non… » refusa-t-il, se forçant à sourire. « C’était très bon, merci, Kreattur. Je n’ai
juste pas très faim. »

L’elfe laissa échapper un bruit dubitatif mais claqua des doigts et le plateau disparut. Kreattur
ne partit pas, cependant, il observa le garçon un moment.

« Kreattur peut rester et tenir compagnie à Maître Harry si Maître Harry veut. »

Un nouveau claquement de doigts et un tas de vieux jeux de société dont il n’avait jamais
entendu parler mais qui étaient très visiblement sorciers – et venaient probablement
directement du Square Grimmaurd – apparurent devant eux.

« Kreattur est très bon au Gringottpoly. » déclara très sérieusement l’elfe, en poussant une des
boites abimées par l’humidité plus près de lui. « Maître Regulus et Maîtresse Bella
ordonnaient souvent à Kreattur de jouer avec eux. »

À première vue, Gringottpoly avait l’air similaire au Monopoly.

Avec un haussement d’épaules, Harry ouvrit la boite et laissa Kreattur lui expliquer comment
installer le plateau dont les différentes cases étaient animées par magie.

Il n’avait pas la tête à quoi que ce soit d'autre, de toute manière.

°O°O°O°O°

Bill referma un énième grimoire qui avait semblé prometteur mais s’était révélé n’être qu’une
fausse piste et soupira en voyant les nombreux rayonnages qui lui restaient à explorer.

En temps normal, il aurait payé cher pour quelques heures sans supervision dans la
bibliothèque des Malfoy, mais là…

Severus aurait su.

Il n’arrêtait pas de tourner ça en boucle dans sa tête.

Severus aurait probablement identifié le maléfice plus vite qu’eux parce qu’il avait une
connaissance étendue - et presque dérangeante - de tout ce qui touchait de près ou de loin à la
magie noire. On aurait dû lui donner le poste de Professeur de Défense des années plus tôt. Il
était certainement plus compétent en la matière que tous les enseignants qui s’étaient
enchainés durant sa scolarité.

Severus aurait su.

Et Percy aurait réduit le temps de recherche par deux.

Il ferma brièvement les yeux, incapable de maîtriser la petite décharge de douleur lorsqu’il se
souvint que son frère était mort. On l’avait tellement sollicité ce jour-là, dès le réveil, qu’il lui
arrivait d’oublier par moments….

Percy était mort.

Et il se retrouvait dans la bibliothèque des Malfoy, sous la surveillance assidue d’un elfe de
maison qui ne semblait pas savoir s’il devait lui offrir une collation ou lui rappeler
régulièrement d’utiliser des gants pour les volumes les plus rares et anciens, à tenter de
sauver Lucius.

Lucius qui avait participé à l’attaque qui avait contribué à la mort de son frère.

Cela faisait-il une différence qu’il ait été un espion à la solde de Dumbledore ? Cela faisait-il
une différence qu’il ait tenté de prévenir Percy ? Si tant est que ce soit vrai.

Bill ressentait tellement d’ambivalence depuis qu’il était arrivé au Manoir que…

Il faisait ça pour Ron, se dit-il fermement. Ron était ami avec Draco. Et au-delà de ça, Draco
n’avait pas mérité de perdre un père, même si le père en question était le dernier des
connards. Il était bien placé pour savoir qu’on ne s’en remettait pas ou difficilement. Or il
n’avait rien entendu que du bien du Serpentard dernièrement. Draco semblait essayer de faire
les bons choix dans la vie.

C’était plus qu’il pouvait en dire de beaucoup d’autres.

Quand il pensait à Charlie et à ce qu’avait dû lui faire subir Anthony…

Il s’en voulait de n’avoir rien vu, de ne rien avoir deviné. Ils avaient été sous ses yeux
pratiquement en permanence et…

Avec un autre soupir, il se leva pour sortir d’autres volumes des étagères, laissant à l’elfe
revêche le soin de ranger le reste.

S’il avait eu le courage, il aurait été plus honnête avec Draco : le maléfice était agressif et le
temps allait leur manquer.

Il ne voulait pas baisser les bras.

Il voulait essayer jusqu’au bout.

Mais…
S’il était honnête, il n’y croyait pas.

°O°O°O°O°

Nymphadora échangea quelques mots avec l’Auror qui gardait la porte de la cellule
d’Anthony. L’homme avait près de quatre-vingt ans, n’aurait jamais dû se trouver là en
premier lieu et avait visiblement besoin de dormir, elle l’envoya donc se coucher tout en
sachant qu’il n’en ferait rien parce que ses petits-enfants étaient quelque part dans le château
et qu’il voudrait vérifier qu’ils allaient bien.

Elle ne déverrouilla pas pour autant la porte une fois qu’il fut parti.

À côté d’elle, Sirius se frotta le visage. « Après ça, je vais dormir pendant deux jours. »

Elle enfouit la main dans sa poche, referma les doigts autour de la petite fiole de Véritaserum,
et soupira. « Lorsque tu seras reposé, j’aurais besoin que tu prennes des tours de garde. Je
n’ai pas assez d’Aurors valides pour patrouiller le château aussi bien que je le voudrais. »

Et c’était sans parler du fait que le Chemin de Traverse et les autres enclaves magiques du
Royaume-Uni étaient complètement sans défense pour l’instant. Réorganiser le Département
serait la priorité dès que les choses se seraient un peu calmées et que les volontaires qu’avait
réclamé Dumbledore dans son discours auraient afflué.

Bien que cela présenterait son propre lot de difficultés. Sans accès aux dossiers du Ministère,
ils ne pourraient pas vérifier leurs antécédents et…

« Pas de problème. » offrit Sirius. « Sauf si Remus décide de m’envoyer ailleurs. »

« Remus n’est plus en charge de l’Ordre. » expliqua-t-elle. « Kingsley et moi le sommes


jusqu’à ce que Severus se réveille. »

Sirius la dévisagea quelques secondes puis se frotta à nouveau le visage. « Ça a dû lui plaire,
ça. Ça ne va lui poser aucun problème, c’est sûr. »

Nymphadora répondit à son sarcasme par un haussement d’épaules puis sortit sa baguette.
« Prêt ? »

« Impatient. » ironisa son cousin.

« Tu vas devoir ouvrir la porte. » grimaça-t-elle. Elle sortit sa baguette mais c’était plus pour
sauver les apparences qu’autre chose. Elle n’était toujours pas capable de jeter un sort
conséquent.

« Tu vas bien ? » s’inquiéta l’Animagus.

« Juste un peu fatiguée. » mentit-elle.

Sirius l’étudia quelques secondes puis s’exécuta.


Elle s’était préparée tout le chemin à se retrouver face à Anthony mais elle se rendit vite
compte, lorsqu’elle eut fait trois pas dans la pièce, qu’elle n’était pas prête. Parce que, à la
vue du jeune homme ligoté sur une chaise au milieu de la pièce, au centre d’un cercle de
runes qui formaient leur propre petite prison, sa première réaction fut l’inquiétude. Son
premier instinct était de le libérer, de s’assurer qu’il n’avait rien.

Elle dut se faire violence pour ne rien laisser paraître.

Même lorsqu’il releva la tête lentement.

Même lorsqu’un soulagement indéniable passa sur son visage en l’apercevant.

Le soulagement, feint ou non, ne dura pas. Il se transforma en haine pure et dure lorsque son
regard tomba sur Sirius.

« J’espérais que quelqu’un t’aurait crevé. » cracha-t-il.

L’Animagus resta de marbre. Il s’adossa au mur, les bras croisés, sa baguette au creux de sa
main, et ne prononça pas un mot.

Nymphadora se força à faire un pas en avant. Après quelques secondes, l’attention d’Anthony
revint sur elle – et avec elle, ce soulagement qu’il ne cherchait pas à réprimer.

« Tu n’es pas morte… Je suis content. J’espérais un peu que Charlie lutterait contre le sort. »
offrit-il. « Ça me suffisait que Snape le pense, qu’il crève en pensant avoir tué la femme qu’il
aimait… C’était tout ce qu’il méritait. Il est bien mort, hein ? »

Elle haussa les épaules avec nonchalance, faisant appel à ses boucliers mentaux. Ils n’étaient
pas à leur maximum mais ils ne lui demandaient pas trop d’énergie à maintenir.

« Désolée de te décevoir, mais il en faut plus que ça pour nous tuer. » se moqua-t-elle.
« Severus est en pleine forme. »

Anthony fouilla son regard, colère et incertitude se battant dans ses yeux. « Tu mens. S’il
était vivant, il serait venu lui-même. »

« Il est occupé et tu ne mérites pas l’attention du nouveau dirigeant de l’Ordre du Phoenix. »


rétorqua-t-elle. « Tu vas devoir te contenter de moi, je le crains. »

« Tu mens. » insista-t-il, en tournant les yeux vers Sirius. « J’ai au moins eu un de vous
deux. »

L’Animagus soupira longuement, avec une lassitude clairement perceptible. « Tu n’as eu


aucun de nous deux. Severus est avec Dumbledore. Tu as dû entendre, non ? Dumbledore est
Ministre, maintenant. Je te laisse deviner qui est son bras droit. »

« Remus… » contra Anthony.

« Remus n’a pas les tripes pour diriger une armée. » l’interrompit-elle. Encore que ce n’était
plus tout à fait vrai, mais… Remus était idéaliste là où Severus ne l’était pas.
Cette fois-ci, la fureur déforma le visage du dragonnier et, sans prévenir, il se mit à hurler
comme un forcené. Prenant garde de rester derrière le cercle de runes, Nymphadora en profita
pour lui verser quelques gouttes de Véritaserum dans la bouche. La dose recommandée était
trois mais elle ne compta pas parce que certaines atterrirent sur sa joue ou son menton de
toute manière.

Elle recula rapidement, attendant que la potion fasse effet.

Il cessa de hurler et son regard devint un peu plus brumeux mais il ne paraissait pas autant
sous l’emprise du philtre de vérité qu’il l’aurait dû. Elle n’avait assisté qu’à cinq
interrogatoires sous Véritaserum dans sa carrière, dont deux au cours d’un procès, et elle n’en
avait mené qu’un seul par elle-même. Elle connaissait les règles, cela dit. Les questions
devaient être précises parce qu’il était possible de s’entraîner à résister au philtre ou, tout du
moins, de parvenir à répondre quelque chose qui n’était pas faux sans pour autant être la
réponse attendue…

Toutefois, elle n’avait jamais vu quelqu’un lutter autant contre la potion…

« Ils ne t’ont pas dit que j’étais excellent en magie de l’esprit ? » la provoqua-t-il, prouvant
qu’il n’était pas aussi inconscient de son environnement qu’il l’aurait dû. « Je suis un Maître
Occlumens. Snape aurait dû savoir que ça ne fonctionnerait pas si bien que ça sur moi… Tu
es sûre que tu ne m’as pas menti, Tonks ? Tu es sûre qu’il est vivant ? »

Un rire lui échappa. Un rire qui avait une touche d’hystérie.

Nymphadora se força à ne pas réagir, à ne rien trahir.

« Mais ça fonctionne ? » demanda-t-elle froidement.

Dans le cas contraire, il leur faudrait peut-être un Legilimens. Severus ou Dumbledore.

« Plus ou moins. » lâcha-t-il, visiblement sous la contrainte. Il se mordit la lèvre puis finit par
souffler. « Je dois répondre et je ne peux pas mentir. Mais ça ne veut pas dire que je ne peux
pas détourner la vérité si j’en ai vraiment envie. »

Elle échangea un regard avec Sirius qui haussa les épaules.

C’était toujours mieux que rien.

« Et tu vas me dire la vérité ou tu vas la détourner ? » s’enquit-elle.

Il la fusilla du regard quelques secondes puis baissa les yeux. « Je n’ai plus de raison de
mentir. Je voulais me venger et j’ai échoué. »

Pas tout à fait, se dit-elle, pas tant que Severus était inconscient et qu’il pensait qu’elle était
morte.

Elle repensa à la prophétie dont Harry lui avait fait part puis la repoussa dans un coin de sa
tête. La Divination n’était qu’un ramassis de conneries.
« Est-ce qu’il est vraiment vivant, Tonks ? » demanda soudain Anthony. « Ou est-ce que tu
mens parce que tu es en colère après moi ? Je comprends, tu sais. Et je suis désolé. Je suis
vraiment désolé. Je n’avais pas prévu de te faire du mal, je t’assure. Je n’ai jamais voulu faire
du mal à aucun des autres non plus, à part Snape et Sirius. Mais quand j’ai compris à quel
point il t’aimait… Quand j’ai compris à quel point ça le détruirait de te perdre… »

Il ne pouvait pas mentir, pas sous Véritaserum, demi-vérité ou non.

Mais il n’aurait pas dû être capable de diriger la conversation non plus.

« Tonks… » insista-t-il. « Je voulais juste qu’il souffre, tu comprends ? Et je ne voulais pas


vraiment me servir de toi mais dès le moment où tu as dit à Charlie… »

« C’est toi qui a rapporté à Voldemort qu’on était ensemble. » déduisit-elle, dégoûtée.

Anthony résista contre la potion quelques secondes puis ses épaules s’affaissèrent et il baissa
les yeux, l’air un peu honteux. « Oui. »

« Depuis quand tu espionnais pour lui ? » enchaîna-t-elle.

Il soupira. « Depuis un peu après notre arrivée en Angleterre. »

« Et quand est-ce que tu es devenu un Mangemort ? » demanda-t-elle. « Je suppose que tu


n’as pas de Marque ou Charlie l’aurait remarquée. Ou bien est-ce que c’est pour ça que tu
l’as mis sous Imperium ? Depuis quand… »

« Tonks. » l’interrompit Sirius. « Une question à la fois. »

Elle garda le silence et ne se tourna pas vers son cousin. Elle connaissait les règles. Elle
connaissait les règles mais…

« Depuis quand es-tu un Mangemort ? » reprit-elle.

Le dragonnier eut une moue dégoûtée. « Je ne suis pas un Mangemort. »

Cette fois-ci, elle échangea un coup d’œil avec Sirius. « Il faut peut-être une version du
Véritaserum plus puissante. Tu peux aller demander à Severus si… »

Son bluff fut récompensé.

Anthony s’agita suffisamment pour que les pieds de la chaise sur laquelle il était ligoté se
soulèvent du sol. « Je ne mens pas ! Je ne suis pas un Mangemort. Je n’en ai rien à foutre des
Mangemorts. Mais je n’en ai rien à foutre de l’Ordre du Phoenix non plus. »

« Pourquoi l’avoir rejoint dans ce cas ? » riposta-t-elle.

« Parce que Charlie était déterminé et que je voulais le protéger. » souffla-t-il, en la suppliant
du regard de comprendre. Il pinça la bouche pendant un long moment puis, comme s’il n’y
tenait plus, rajouta : « Et parce que je voulais avoir accès à Sirius Black et je savais, par
Charlie, que ce serait le plus rapide. Je ne voulais pas juste le tuer. Je voulais le faire souffrir.
Sauf qu’il était déjà… » Il secoua la tête. « Il devenait fou enfermé dans cette baraque et
c’était jouissif à regarder. Je ne voulais pas le tuer tout de suite. »

Elle croisa les bras. « Comment les Mangemorts t’ont-ils contacté ? »

« Ils ne m’ont pas contacté. » contra-t-il, et s’en tint là.

« Très bien. » s’agaça-t-elle. « Quand et comment as-tu contacté les Mangemorts ? »

Il lui jeta un regard passablement irrité mais ne chercha pas à retenir l’information. « Mon ex.
Il n’avait pas de Marque mais je savais qu’il avait des contacts, qu’il avait assisté à une
réunion ou deux, qu’il pouvait me mettre en contact avec eux. » Il haussa les épaules. « Je
voulais juste dire à Tu-sais-qui que Snape était un espion, à la base. J’espérais qu’il le tue
pour moi. » Son expression s’assombrit. « Je ne suis pas idiot, Tonks. Il est expert en Forces
du Mal, c’est un Maître Occlumens et Legilimens, sans parler du genre de potions qu’il a
sous la main… Je n’allais pas essayer moi-même. Je savais qu’il y avait de fortes chances
pour que j’y reste. »

Elle serra les dents. « Et ensuite ? Tu t’es découvert une vocation pour la traitrise ? »

Anthony la regarda longtemps, luttant contre la potion uniquement pour finir par abandonner.
« Tu-sais-Qui m’a proposé un marché qui était plus avantageux pour moi. En échange de mes
informations, il l’a torturé un moment en lui faisant croire qu’il doutait de sa loyauté.
J’aimais assez l’idée qu’il se croit sur le fil du rasoir, qu’il pense qu’il allait mourir bientôt…
J’aimais assez le voir paniquer… »

« Et ça ne t’a pas gêné de nous mettre tous en danger juste pour torturer Severus ? » demanda
Sirius, avec un bruit dégoûté.

Le ricanement du dragonnier mit Nymphadora mal à l’aise. Il lui donna la chair de poule.

« L’Ordre ne vaut pas mieux que les Mangemorts. » cracha Anthony, dévisageant Sirius avec
haine. « Vous êtes tous plus hypocrites les uns que les autres… Vous vous êtes décrétés au-
dessus des lois pour le plus grand bien. Regarde ce qu’il s’est passé à chaque fois que l’Ordre
a tenté de faire quelque chose ! Des flammes et des morts! À chaque putain de fois! »

« Oui, parce que tu passais des informations cruciales à l’ennemi, Anthony. » remarqua-t-elle,
un peu incrédule. « Si tu n’avais pas… »

« Oh, s’il te plait. » se moqua-t-il. « Je n’ai pratiquement rien eu à faire pour semer la
zizanie, vous vous débrouilliez très bien tout seuls. Et, d’accord, peut-être que ça me faisait
plaisir de voir l’Ordre s’agiter dans tous les sens comme une fourmilière à moitié détruite…
Peut-être que je voulais le détruire, au fond. » Il laissa échapper un bruit amusé et croisa le
regard de Tonks, un léger sourire aux lèvres. « Hey, cette potion est plus efficace que des
années de thérapie… Tu devrais peut-être essayer… Peut-être que ça expliquerait pourquoi tu
es tombée si amoureuse d’un connard à la main leste. »

Elle leva sa baguette, ne se souvenant qu’au tout dernier moment qu’elle ne pouvait rien en
faire. « Severus n’est pas ce genre d’homme. »
« Attends un peu, ça va venir. » railla Anthony. « Parce que Tu-sais-qui m’a tout raconté sur
cette raclure, tu sais… Il t’a dit à quel point il aimait torturer les jeunes Moldues ? Il t’a dit
tout ce qu’il a fait derrière son masque ? Il t’a dit… »

« Tais-toi. » siffla-t-elle. « Tais-toi. »

« Si tu réfléchis… » continua son ex-meilleur ami, sur le ton de la conversation. « Je


cherchais à te rendre service, à toi aussi. Tu aurais été beaucoup mieux sans lui. »

« Mais elle n’aurait pas été beaucoup mieux morte, si ? » riposta Sirius, en se repoussant
finalement du mur.

Anthony se rembrunit. « Je voulais qu’il souffre. »

« Oui, ça, on a compris. » rétorqua l’Animagus, en venant se tenir près d’elle. « Mais
pourquoi maintenant ? »

Le dragonnier le dévisagea longtemps puis haussa les épaules. « Je te l’ai dit. Tu étais à
Azkaban. Lui, je ne savais pas qui c’était. »

« Tu aurais pu tout dire à Dumbledore. » murmura Tonks. « Tu aurais pu contacter le


Ministère, les dénoncer… »

« Oh, pour que l’histoire soit enterrée ? » cingla-t-il, en tournant à nouveau les yeux vers elle.
« Tu ne comprends pas à quel point ils ont pourri ma vie. Ils n’ont pas juste volé mes parents,
Tonks, ils ont volé mon enfance. Tu sais ce que c’est de passer de foyer d’accueil en foyer
d’accueil ? Tu sais ce que c’est de ne pas savoir sur quel genre de famille tu vas tomber ? Le
genre qui va te frapper ou le genre qui va t’ignorer ? » Il secoua la tête. « Le système était
surchargé pendant la première guerre. On m’a envoyé en Australie. Quand j’ai reçu ma lettre
pour Poudlard, à onze ans, la famille avec qui je vivais m’a forcé à refuser. Tu sais pourquoi ?
Parce qu’ils avaient une ferme et que, les orphelins, ça faisait de la main d’œuvre gratuite. Je
me suis éduqué tout seul. J’ai préparé mes examens tout seul. J’ai toujours tout fait tout
seul. »

À bout de souffle, il tourna son regard vers Sirius.

« Ils m’ont tout pris. » répéta-t-il. « À cause de leur petite guerre personnelle, j’ai tout perdu
et, comme si ça ne suffisait pas, il fallait qu’ils deviennent amis, par-dessus le marché ? Mes
parents sont morts à cause de leur haine et, juste comme ça, ils décident, qu’en fin de compte,
ils s’aiment bien ? Non, non, non… Je ne pouvais pas laisser passer ça. Non, non. »

À côté d’elle, Sirius s’était figé. Son expression était impossible à décrypter. Elle tendit la
main, effleurera ses doigts des siens, mais il ne sembla même pas le remarquer.

« Je suis désolé. » offrit-il, sa voix un peu trop rauque, un peu trop cassée. « Je suis vraiment,
vraiment désolé. Et, pour ce que ça vaut, si j’avais su… »

« Oh, garde tes excuses. » cracha Anthony. « Ça ne change rien. Et ne crois pas que je ne vais
pas parvenir à te tuer un jour. Tant que je serais vivant, toi et Snape, vous allez devoir vous
méfier de votre ombre. »

« Est-ce que Charlie savait ? » coupa-t-elle. Elle occluda la rage qui menaçait de la
submerger avant de perdre contenance et de lui hurler qu’elle le tuerait avant qu’il puisse
s’approcher à nouveau de Severus.

Lentement, le dragonnier décolla le regard de Sirius pour le reporter sur elle. « Précise. »

« Est-ce que Charlie savait que tu espionnais l’Ordre ? » clarifia-t-elle.

« Oui. » avoua Anthony. « Mais pas au début. Lorsqu’il a compris, nous nous sommes
disputés. Il voulait que j’aille tout dire à Dumbledore. Il pensait que Dumbledore
comprendrait. »

« Et ? » pressa-t-elle.

« Et j’ai dû le mettre sous Imperium. » soupira-t-il. « Mais c’était difficile de maintenir tous
les sorts de confusion et l’Imperium en même temps, surtout qu’il luttait contre le maléfice. Il
m’a échappé parfois. » Il eut une moue mécontente. « Je ne l’ai jamais vraiment demandé en
mariage, tu sais. Mais c’est tout ce qui m’est venu lorsqu’il a craqué dans ta cuisine. »

« Donc Charlie n’était absolument pas impliqué avant que tu ne l’y forces ? » insista-t-elle,
avec un soulagement qui menaça de lui couper les jambes.

Elle l’avait su, bien sûr, mais…

« Non. » déclara-t-il, avant de soupirer à nouveau. « C’était pour son bien, l’Imperium. Pour
notre bien. Quand je n’ai pas voulu aller voir Dumbledore et qu’il ne voulait pas comprendre
que je faisais ce qu’il y avait de mieux pour nous… Il m’aurait quitté. Je voulais juste lui
donner le temps de voir que j’avais raison. » Il lui jeta un regard suppliant. « Je peux le
voir ? »

« Il ne veut pas te voir. » gronda-t-elle. « Tu as violé son esprit. Pendant combien de temps
est-ce que tu l’as gardé sous Imperium? »

Cette fois-ci, Anthony parut partagé entre fureur et désespoir. Il se mordit la lèvre jusqu’au
sang pour éviter de répondre mais, au final, Occlumens ou pas, la potion était trop forte.

« Plusieurs mois. » lâcha-t-il finalement. « Et tu mens. Il voudra me voir. Nous nous aimons.
Nous sommes plus forts que ça. »

Elle le regarda longtemps, sans parvenir à réconcilier l’homme silencieux mais gentil qu’elle
avait appris à connaître et celui, ligoté sur cette chaise, qui ne paraissait pas…

« Comment est-ce que tu es parvenu à nous cacher ton déséquilibre si longtemps ? » s’enquit-
elle, un peu tristement.

« Je ne suis pas déséquilibré. » cracha-t-il. « Je suis parfaitement sain d’esprit. »


« Si tu étais sain d’esprit, Anthony, tu ne penserais pas que tout ce que tu as fait était pour le
mieux ou que c’était justifiable. Et tu ne penserais certainement pas que Charlie et toi avez un
quelconque avenir. » rétorqua-t-elle. « Mais, ok, laisse-moi reformuler : comment est-ce que
tu es parvenu à cacher ta duplicité aussi longtemps si tu nous détestais tous autant ? »

« Je ne vous détestais pas tous. » répondit-il, en fronçant les sourcils. « Tu es une de mes
meilleures amies, Tonks. » Il sembla attendre la réciproque puis, lorsqu’il comprit que ça ne
viendrait pas, il haussa les épaules. « Occlumencie. »

« Parle-moi du sort que tu as utilisé pour nous embrouiller. » exigea-t-elle. « Je veux savoir
comment il fonctionne, s’il laisse des séquelles et comment tu l’as maintenu aussi longtemps
sur tellement de gens sans t’épuiser. »

C’était un peu trop technique pour elle mais elle écouta attentivement quoi qu’il en fût,
sachant que Kingsley et Dumbledore voudraient probablement visionner le souvenir dans une
pensine plus tard de toute manière.

Elle enchaîna avec des questions précises mais nécessaires. Avait-il trahi la position de leurs
lieux sûrs ? Lesquels ? Avait-il dit aux Mangemorts où était le Q.G. ? Oui, elle savait qu’il
était sous Fidelitas mais cela ne l’aurait pas empêché de désigner la zone de Londres où se
trouvait le Square Grimmaurd… Quelles informations avaient-ils passées à l’ennemi ?

Une fois qu’il eut terminé, elle pressa la main de Sirius. « D’autres questions ? »

Son cousin commença par secouer la tête puis sembla changer d’avis. « Tu dis que tu voulais
me voir souffrir mais… Pourquoi tu n’as pas essayé de me tuer une fois que j’ai été
officiellement innocenté ? Je ne me méfiais pas. Ça aurait été facile. »

Le rictus d’Anthony était haineux. « J’allais le faire. »

Sirius avait raison.

Il avait eu beaucoup d’opportunités de tuer Severus ou Sirius… Et n’en avait saisi aucune.

« Tu as déjà tué quelqu’un, Anthony ? » demanda-t-elle.

« Pas encore. » grinça-t-il, en tournant ses yeux pleins de fureur vers Sirius. « Mais ça va
venir. »

« Tu es sûr ? » insista-t-elle. « Ou bien est-ce que, au fond, tu sais que tu ne serais pas
capable de tuer de sang-froid et c’est pour ça que tu as besoin d’intermédiaires ? »

Cette fois-ci, il se mordit jusqu’au sang plutôt que de répondre et refusa de desserrer les dents
de sa lèvre inférieure.

Incapable d’en supporter davantage, elle attrapa le bras de Sirius et le tira à l’extérieur où un
nouvel Auror avait pris le poste de garde. Il verrouilla la cellule derrière eux.

Nymphadora aurait été incapable de répéter les quelques mots qu’elle échangea avec lui.
Elle et Sirius s’éloignèrent lentement, le pas lourd et fatigué.

« Il est fou. » lâcha-t-elle, au bout de quelques minutes. « Comment est-ce qu’on ne s’est pas
aperçu qu’il était fou, sortilège ou pas ? »

« Parce qu’il pense qu’il est complètement équilibré et que c’est le reste du monde qui a un
problème. » murmura Sirius, avec un peu trop d’amertume.

Ou, peut-être, un peu trop d’expérience, songea-t-elle.

« Il n’est pas si fou que ça, si tu veux mon avis. » hésita-t-il, après quelques secondes. « Il est
juste… abîmé. »

Elle ouvrit la bouche pour contrer qu’il y avait pleins de gens abîmés par la vie, lui, Severus
et Remus entre autres, mais qu’aucun d’entre eux n’avait fait un truc aussi dégueulasse. Elle
la referma sans rien dire.

Severus avait rejoint les Mangemorts.

Sirius l’avait harcelé et failli le tuer.

Remus… Remus n’était pas un exemple de stabilité dernièrement.

Peut-être que dans quinze ans, avec un peu plus de perspective, les actions d’Anthony ne lui
sembleraient plus si folles, juste désespérées…

°O°O°O°O°

Hermione excellait en recherche et elle avait actuellement à sa disposition une armée


d’assistants…

Pourtant, elle ne trouvait rien et elle sentait qu’elle n’allait rien trouver. Peut-être parce qu’il
n’y avait rien à trouver. Pour ce qu’elle en savait, Pettigrow avait conçu ce sort lui-même.
Après tout, il avait aidé à l’élaboration de la Carte des Maraudeurs, il devait bien s’y
connaître un minimum en Sortilèges…

Avec un soupir, elle referma le grimoire qu’elle était en train de parcourir, caressant
distraitement le cuir usé sans même s’en rendre compte.

« Rien ? » demanda Ginny, en se penchant vers elle pour ne pas être entendue par les autres
qui continuaient d’échanger des livres ou de se poser des questions, tout en consultant
régulièrement la liste des symptômes rédigée par Hermione et posée au centre de la table
pour référence.

Elle secoua la tête sans répondre, la gorge nouée.

Un elfe était venu chercher Draco, un quart d’heure plus tôt. La situation s’était apparemment
aggravée et Narcissa le voulait à ses côtés.

Hermione aurait voulu pouvoir faire plus.


À Noël, quand elle avait décidé de dire un au revoir probablement définitif à sa famille pour
leur sécurité, Draco avait été d’un tel soutien que… Elle aurait voulu lui rendre la pareille.
Elle aurait voulu lui épargner tout chagrin. Elle aurait voulu…

Ginny laissa échapper un bruit qui n’était pas tant amusé que las. « Je n’arrive pas à croire
qu’on soit en train d’espérer que Lucius Malfoy s’en sorte… »

Elle observa la quatrième année, notant les yeux rougis qu’elle frottait régulièrement.

« Tu tiens le coup ? » demanda-t-elle franchement. En temps normal, elle aurait usé de plus
de tact mais la nuit avait été trop courte, ses propres émotions la dépassaient et Ginny
appréciait la franchise plus que la diplomatie, de toute manière.

La jeune fille haussa les épaules. « Je ne crois pas que je réalise, pour le moment. Ça revient
par vagues. » Elle répéta le geste, de manière un peu plus prononcée, ses traits se tordant
alors qu’elle luttait contre ses larmes. Elle se racla la gorge mais ça n’empêcha pas sa voix de
se briser lorsqu’elle se remit à parler. « Et puis… Je sais que c’est très bête mais j’aurais aimé
qu’Harry… Percy est mort et je n’arrête pas de penser à la manière dont Harry m’a ignorée
et… »

Hermione grimaça. « Il était choqué, hier, tu sais… Et puis, Snape… »

« Je sais. » l’interrompit-elle. « Mais il n’a rien dit. Il m’a à peine regardée. Et depuis, pas un
message. Et… Merde, ce n’est pas comme si on était… » La quatrième année s’interrompit
puis soupira, jeta un regard vers Ron qui était occupé à discuter avec Neville. « On est
ensemble. Était ensemble. Franchement, je ne suis plus sûre de… »

« Oh. » lâcha Hermione, surprise. Non pas qu’elle ne l’avait pas vu venir mais elle n’avait
pas pris conscience qu’Harry s’était finalement décidé à agir. « Gin, je suis sûre qu’il est
juste… Snape compte énormément pour lui. »

« Plus que moi ? Plus que ma famille qui l’a pratiquement adopté pendant quatre ans ? »
cracha-t-elle, avant de plaquer une main sur sa bouche. Elle lui jeta un regard suppliant.
« Oublie ça. Je ne sais plus ce que je dis. Je suis triste et en colère et… » Elle prit une
profonde inspiration. « Et je suis déçue. Je suis horrible, hein ? »

« Bien sûr que non ! » protesta Hermione, en passant un bras autour de ses épaules. « Bien
sûr que non, Ginny. Mais… Hier soir, il croyait que son père était mort ou allait mourir et,
pour le moment, on ne sait pas ce qu’il a… Je suis sûr qu’il pense à toi. C’est juste que… »

Ginny l’écouta puis enfouit son visage dans ses mains. « C’est bien ce que je dis, je suis
horrible. »

« Tu n’es pas horrible. » insista-t-elle. « Tu viens de perdre ton frère. Tu as le droit de vouloir
que ton petit-ami te console. Ce n’est pas horrible. Je te promets que ce n’est pas horrible.
Souviens-toi juste que lui aussi traverse une période difficile. »

Luna se glissa dans le siège libre à gauche de la quatrième année et lui frotta le dos sans
prononcer un mot. Après s’être assurée que son amie allait bien – aussi bien que possible –
elle attrapa un nouveau livre de la pile qu’avait sortie Pince.

Elle espérait sincèrement que Bill et le Médicomage avaient plus de chance de leurs côtés
respectifs.

Elle ne lisait que depuis quelques minutes lorsque les portes de la bibliothèque s’ouvrirent en
grand et qu’une vieille sorcière dont le chapeau en forme de vautour, l’étole en peau de
renard et le sac à main étaient célèbres dans leur promotion depuis leur troisième année.

Les adolescents restèrent brièvement figés par l’arrivée d’une adulte incongrue dans un lieu
où ils avaient l’habitude de ne voir que des enseignants puis retrouvèrent leurs bonnes
manières et la saluèrent poliment.

Elle y répondit d’un geste sec du menton, avant de se tourner vers son petit-fils. « Neville,
nous partons. »

Neville la dévisagea avec une surprise et une incrédulité manifeste. « Mais… Grand-mère,
vous avez entendu le discours de Dumbledore… Il veut… »

« La Maison Londubat se rangera, bien entendu, derrière Dumbledore. » le coupa-t-elle.


« Mais ton oncle et moi pouvons faire autant pour lui, si ce n’est plus, du domaine et tu es
notre héritier. Ta place est… »

« Non. » l’interrompit Neville. Il était très visiblement nerveux mais cela ne l’empêcha pas de
se tenir un peu plus droit, les épaules rejetées en arrière. « Non, Grand-mère, je ne partirai
pas. C’est ici que la guerre va se décider et… »

« C’est ici que la guerre va se décider mais elle ne se décidera pas avec des adolescents. »
cingla la matriarche des Londubat. « Ne crois pas que nous n’allons pas avoir des mots sur ce
que tu as fait pendant la bataille, Neville. C’était, certes, très courageux, mais c’était
également extrêmement inconscient. » Sa bouche pincée s’adoucit légèrement. « Nous
pouvons emmener ceux de tes amis qui n’ont pas d’autres options, si tu le souhaites. Le
domaine est large et cela te fera de la compagnie. »

« Grand-mère, je ne vais nulle part. » répondit plus fermement le cinquième année.

Hermione hésitait à intervenir parce que la sorcière les distrayait de leurs recherches mais
sentait que ce n’était pas sa place alors, comme tous les autres, elle fit semblant de se
replonger dans son livre, tout en observant la situation sans en avoir l’air. Toutefois, elle était
prête à prendre la défense de Neville si nécessaire – comme ils l’étaient tous.

Mrs Londubat dut bien sentir que tous les adolescents étaient soudés parce qu’elle leur jeta
un regard sévère puis soupira. « Que faites-vous ici, de toute manière ? »

Clairement soulagé de ne pas avoir à la convaincre davantage, Neville lui montra les livres
d’un geste négligeant du bras. « On essaye de trouver quel maléfice a touché le père de
Malfoy. »
Il n’en fallut pas plus pour que le visage de la vieille dame se plisse de dégoût. « Et pourquoi
essayez-vous d’aider un Malfoy ? Bon débarras, si vous voulez mon opinion. »

« Parce que Draco n’est pas son père. » cracha Ginny, avant que Neville ait pu répondre, en
jetant un regard noir à la sorcière. « Et parce que personne ne devrait perdre quelqu’un qu’il
aime. Même si la personne en question est un Mangemort. »

« Et puis Mr Malfoy espionnait pour Dumbledore. » glissa Hermione.

Mrs Londubat ne se départit pas de son déplaisir. « Pour son gain personnel davantage que
par altruisme, sans aucun doute possible. Les Malfoy n’ont jamais engendré personne de
convenable. »

« Draco est mon ami. » déclara Neville, avec juste à peine un peu d’hésitation. Il se racla la
gorge. « Et puis, vous avez entendu ce qu’ont dit les autres dans la salle commune, hier soir.
Il a sauvé la moitié des élèves. On lui doit bien ça.

Lui et sa grand-mère s’affrontèrent longtemps du regard puis elle soupira, un éclat de tristesse
dans le regard. « Tu me rappelles de plus en plus Frank. Très bien, parlez-moi de ce
maléfice. »

Hermione sauta sur l’occasion, lui montrant la liste des symptômes tout en récitant de
mémoire tous les titres de livres qu’ils avaient déjà consultés, ce qu’avait dit le Médicomage
avant de partir pour Sainte Mangouste fouiller dans les archives et les conclusions de Bill
Weasley.

Mrs Londubat l’interrompit bien avant qu’elle ait terminé. « C’est un vieux maléfice connu
de seulement quelques Maisons. Vous ne le trouverez dans aucun livre, il se transmettait de
Chef de famille à héritier. » Elle secoua la tête, sans trop de compassion. « À ma
connaissance, il est mortel. »

La jeune fille eut l’impression qu’on lui versait un seau d’eau glacé sur la tête. « Mais…
Comment Pettigrow aurait-il pu… »

« La mère de Pettigrow était une Prewett avant de se marier avec un Moldu. » expliqua la
sorcière. « Le maléfice est noir et on s’attendrait à ce qu’il vienne des Black, des Malfoy ou
des Prince mais… C’est un Prewett qui l’a créé. »

Hermione ne s’intéressait pas tant à qui l’avait inventé qu’à comment le contrer. « Il doit bien
y avoir un moyen de l’annuler ? »

« Le maléfice n’a pas de contresort. » réfuta Mrs Londubat. « C’est pourquoi la plupart des
Maisons qui le connaissaient l’ont laissé tombé dans l’oubli. »

« Mais vous le connaissez. » rétorqua-t-elle, en attrapant un rouleau de parchemin vierge.


Ron lui colla une plume entre les mains avant qu’elle ait pu tenter d’en trouver une, elle lui
sourit brièvement avec reconnaissance. « Dites-moi tout ce que vous savez. Comment le jeter,
comment il fonctionne… Tout. » Ils pouvaient inventer un contresort. « Ron, envoie un
Patronus à ton frère. Dis-lui de revenir. »
« Non. » refusa la matriarche des Londubat, d’un ton ferme. « Je ne vais certainement pas
vous expliquer comment jeter un sort qui aurait dû sombrer dans l’oubli depuis longtemps. »

Hermione resta choquée et la dévisagea avant de s’exclamer avec colère. « Cela pourrait
sauver la vie d’un homme ! »

« La vie d’un Mangemort ? » releva Mrs Londubat, avec mépris. « Je ne verserai pas de
larmes sur sa tombe. Je suis désolée pour votre ami s’il est aussi bon que vous le
dites. Sincèrement. » Et elle avait l’air désolé, à défaut d’éprouver une quelconque
culpabilité. « Mais je ne vais certainement pas raviver le souvenir de ce sort. Et pas
seulement parce que, comme je l’ai dit, c’est un secret qui se passe de Chef de famille à
héritier. »

Ce n’était pas dit avec méchanceté mais Hermione le vécut comme une claque dans la figure.
La référence à son sang Moldu n’était pas mesquine mais était pourtant indéniable.

Même les membres de l’Ordre du Phoenix n’étaient pas exempts de snobisme.

« Grand-mère… » tenta Neville, après s’être raclé la gorge.

« Non, Neville. » refusa une nouvelle fois la sorcière. « Pas même à toi. Ce maléfice est de la
magie noire. Aucun de vous ne devrait y être exposé de près ou de loin. »

Hermione grinça des dents et se tourna vers Ron. « Appelle ton frère. »

Cela se révéla un petit peu plus difficile que prévu.

Ils avaient tous un peu de mal à produire des patronus, encore moins corporels. Ils perdirent
dix minutes à essayer pendant que Mrs Londubat s’emmurait dans son silence avant que
Luna parvienne finalement à produire un lièvre.

Cinq minutes plus tard, un elfe ramenait Bill dans la bibliothèque avant de s’éclipser dans la
seconde.

Hermione supplia Mrs Londubat de changer d’avis. Bill, une fois qu’ils lui eurent expliqué,
tenta de parlementer, puis de jouer la carte Dumbledore, mais rien n’y fit…

« Votre mère était une Prewett. » lâcha finalement Mrs Londubat. « Si elle souhaite divulguer
des secrets de famille pour sauver la pustule de la communauté magique, ça la regarde. »

Ils se précipitèrent donc tous à l’infirmerie – et se firent gronder par les quelques
Médicomages qui faisaient leurs rondes. Le gros du groupe se vit refuser l’entrée mais
Hermione, Bill, Ron et Ginny parvinrent à passer.

Mrs Weasley eut l’air alarmé lorsqu’elle les vit tous arriver au pas de charge, les jumeaux
s’empressèrent de tirer le rideau plus fermement autour du lit de Charlie… Une fois mise au
courant de la situation, elle secoua la tête.

« Non, mes chéris, je suis désolée… Je n’ai jamais entendu parler de ce maléfice. » s’excusa-
t-elle. « Grattel et moi étions de distantes cousines. Je n’ai aucune idée de ce qu’ont pu lui
dire ses parents… Les miens ne m’ont certainement jamais confié un secret pareil… Peut-être
Fabian et Gideon auraient-ils su mais pas moi. »

Les épaules d’Hermione s’affaissèrent. Elle se tourna vers Bill. « Et maintenant ? »

Il secoua la tête. « Je ne sais pas. Sans éléments concrets… »

« On ne peut pas abandonner. » insista-t-elle. « Il y a forcément quelqu’un à qui on peut


parler ou… Le Professeur Dumbledore peut forcer Mrs Londubat à tout nous révéler… »

« Personne n’a jamais forcé Augusta à faire quoi que ce soit. » marmonna Molly.

Hermione ne voulait pas l’entendre. « Je ne peux pas dire à Draco qu’on abandonne. Je ne
peux pas… »

« Je vais voir avec Dumbledore. » offrit Bill, en plaçant une main réconfortante sur son
épaule. « Et, le cas échéant, c’est moi qui parlerait à Draco, d’accord ? »

Elle accepta l’étreinte de Mrs Weasley parce qu’elle avait une boule dans la gorge et que, en
dépit de toute l’expérience qu’elle pouvait avoir avec les aventures un peu trop dangereuses,
ses parents lui manquaient terriblement.

Ginny se glissa derrière le rideau pour rejoindre les jumeaux auprès de Charlie et Ron soupira
qu’il allait voir comment allait Lavande.

« Lavande est blessée ? » s’inquiéta-t-elle.

Personne ne le lui avait dit.

Il y avait tant de choses qu’elle ignorait encore. Y avait-il seulement une liste des morts
quelque part qu’elle aurait pu…

« Elle est… Euh… Elle va se remettre. » balbutia Ron, en fuyant son regard. Il s’éloigna
avant qu’elle ait pu lui en demander plus.

« Je devrais aller voir Draco. » lâcha-t-elle, restée seule avec Mrs Weasley. « Voir comment il
va… »

« Je pense qu’il vaut mieux le laisser avec ses parents, pour l’instant. » conseilla la sorcière
gentiment. « Il va avoir besoin de toi, Hermione, mais, là tout de suite… C’est un temps pour
la famille. »

Elle était fatiguée et à court d’idées.

Ce fut la seule raison pour laquelle elle laissa Mrs Weasley les entraîner dans les couloirs,
Ginny et elle, jusqu’à une porte qui, jusqu’à la veille encore, avait été une salle d’étude mais
qui s’était apparemment transformée en appartements dans la nuit. Elle retint le mot de passe
par réflexe, ne fut pas autrement surprise de trouver sa malle au pied d’un lit simple dans une
minuscule chambre qu’elle allait visiblement partager avec Ginny.
Elle se sentit coupable lorsque Mrs Weasley la persuada de prendre une douche et de se
changer mais elle ne put nier qu’elle se sentait aussi un peu mieux lorsqu’elle émergea de la
salle de bain. Elle troqua son uniforme pour une paire de jeans, un tee-shirt et un gilet,
puisqu’il semblait évident que la période scolaire était terminée et que l’uniforme n’était plus
obligatoire…

Pendant que Ginny s’enfermait à son tour dans la salle de bain, Mrs Weasley la fit asseoir à
une table qui occupait la moitié de l’espace dédié au salon et la força à avaler une assiette de
spaghettis à la tomate. L’idée de manger lui avait d’abord retourné l’estomac mais, après
deux fourchettes, elle s’aperçut qu’elle était affamée et dévora le reste avec un empressement
qui ressemblait davantage à Ron.

« Tu devrais probablement t’allonger un peu. » offrit Mrs Weasley.

Hermione secoua immédiatement la tête. « Je veux aider Draco. Si Bill a réussi à convaincre
Dumbledore… »

« Ma chérie. » la coupa la sorcière, en couvrant sa main de la sienne. « Même si Bill a


convaincu Dumbledore, ce n’est pas forcément à toi de trouver une solution. Il y a différentes
manières d’aider les gens et ce n’est pas à toi de sauver tout le monde. »

Mais elle avait l’impression de renoncer, d’échouer.

Elle était celle qui trouvait toujours la solution, celle qui débloquait les situations…

La sorcière la plus intelligente de sa génération.

Elle…

Daphné et Blaise auraient pu l’aider.

Elle tenta de ne pas se mettre à pleurer. Après les pertes qu’avait endurées Mrs Weasley, ça
semblait… Elle essaya vraiment de résister.

Mais elle ne protesta pas lorsque la sorcière l’attira contre elle, en claquant la langue pour
l’apaiser, et la berça doucement.

Pour la première fois depuis longtemps, Hermione se sentait dépassée.

°O°O°O°O°

Albus émergea de la pensine en silence et fit les quelques pas qui le séparaient de la fenêtre,
laissant Kingsley tâtonner jusqu’à attraper l’accoudoir d’un fauteuil et s’y asseoir. Tonks
n’avait pas bougé de celui sur lequel elle s’était à moitié effondrée en entrant. La jeune
femme avait décliné son invitation à visionner avec eux le souvenir de l’interrogatoire
d’Anthony.

Elle semblait à deux doigts de s’écrouler à nouveau mais il savait qu’elle refuserait de
prendre soin d’elle tant qu’il y aurait des urgences à régler.
Il appela un elfe et demanda du thé et des sandwichs sur lesquels les deux Aurors se jetèrent
comme s’ils n’avaient rien avalé depuis des heures – ce qui était sans doute le cas.

« Je ne sais quoi en penser. » avoua-t-il, une fois qu’il eut servi trois tasses de thé et eut
récupéré la sienne. Il s’installa derrière son bureau et s’enfonça confortablement dans son
fauteuil, sentant le poids de la fatigue jusque dans ses os.

Il avait bon dos de reprocher à Tonks de ne pas prendre soin d’elle alors qu’il opérait lui-
même sur une heure de repos qui avait tenu davantage de la somnolence que du sommeil
réparateur dont il avait besoin.

« Il n’a pas toute sa tête. » commenta Kingsley, en remuant distraitement son thé. « Mais cela
ne signifie pas qu’il n’est pas dangereux. »

« Miss Tonks ? » demanda-t-il.

La jeune femme fit un effort pour se redresser légèrement. « Il n’a pas vendu la position
générale du Q.G., c’est déjà ça. Et nous avons toujours quelques lieux sûrs qui sont toujours
secrets, c’est mieux que rien. Pour les informations qui ont filtré… Nous n’y pouvons plus
rien. »

« Je l’ai sous-estimé. » déclara-t-il, en prenant une gorgée de thé.

Comme il avait sous-estimé Severus et Peter Pettigrow, quoi que pas pour les mêmes raisons.
Était-il donc condamné à répéter les mêmes erreurs ad vitam aeternam ? Il devait faire
mieux. Surtout à présent qu’il était aux commandes de la communauté magique.

« Nous étions sous l’influence de son sortilège. » remarqua Kingsley.

« Certes. Mais cela aussi j’aurais dû le remarquer. » soupira-t-il.

Son arrogance l’avait perdu. Jamais il n’avait soupçonné que qui que ce soit aurait pu
infiltrer son esprit mis à part peut-être Gellert ou Severus – et encore, dans le cas de Severus,
cela aurait probablement été une bataille acharnée.

C’était d’autant plus vexant qu’Anthony n’était pas particulièrement puissant. Pourtant, il
était évident qu’il était beaucoup plus intelligent qu’ils ne l’avaient soupçonné. Il s’était tapi
dans son coin comme un prédateur et avait attendu son heure…

« Je ne crois pas qu’il serait passé à l’acte seul. » lâcha Tonks, en s’emparant d’un nouveau
sandwich, sa tasse de thé en équilibre instable sur l’accoudoir. Avec sa maladresse chronique,
Albus anticipait un incident d’ici une minute ou deux. « Il a eu suffisamment d’opportunités
et il ne l’a pas fait. Il ne voulait pas se salir les mains. »

« Peut-être. » admit Kingsley. « Il n’empêche qu’il aura causé un sacré capharnaüm. »

Elle haussa les épaules tristement et, comme on pouvait s’y attendre, bouscula la tasse de thé
du coude. Albus était prêt et agita simplement la main. Elle se stabilisa dans les airs et flotta
placidement à hauteur du fauteuil. Tonks l’attrapa avec un regard d’excuse et la garda bien
sagement entre les mains.
« Que voulez-vous faire pour ses parents ? » demanda-t-elle, avec hésitation. « Severus et
Sirius… Techniquement, le Ministère pourrait… »

« Légalement, ils ne peuvent pas être jugés à nouveau pour le même crime » l’interrompit
Dumbledore, en balayant l’air de la main. « Considérons que c’était un incident malheureux
qui faisait parti des crimes de guerre pour lesquels ils ont déjà subi un procès. Ou pas dans le
cas de Sirius. » Il soupira. « En l’absence du Magenmagot, la décision me revient de toute
manière, et je ne compte pas perdre deux de mes meilleurs hommes pour quelque chose qui
s’est passé il y a plus de quinze ans. »

« Donc, il n’avait pas tort. » remarqua-t-elle. « Vous enterrez l’affaire. »

Albus la dévisagea par-dessus ses lunettes en demi-lune. « Souhaitez-vous voir Severus jeté
en prison ? »

Elle détourna le regard. « Bien sûr que non. C’est juste que… » Elle soupira. « Très
bien. N’en parlons plus. »

« La version officielle sera qu’il blâmait Severus et Sirius sans preuves. » intervint Kingsley.
« Il n’y aucun témoin pour corroborer ses dires et son témoignage n’est pas fiable. Il n’y a
aucune raison que leur réputation en souffre. Ils sont tous les deux trop connus comme étant
des membres de l’Ordre, si la chose devient publique, il nous faudra nous ranger fermement
derrière eux. »

Albus attendit quelques secondes, pour être certain que Tonks allait véritablement laisser
couler un double meurtre - accidentel ou non - aussi facilement. Quelques mois plus tôt
encore, elle aurait bataillé pour que justice soit faite. Mais, supposait-il, c’était différent
lorsque c’était la vie de l’homme que vous aimez qui était en jeu.

Albus en aurait fait autant à l’époque, s’il l’avait pu.

« Charlie est innocent. » déclara-t-elle, après s’être raclé la gorge.

Il inclina la tête. « Il nous faudra tout de même l’interroger lorsqu’il sera davantage…
remis. » Il leva la main, interrompant les protestations de la jeune femme. « Je suis conscient
que cela prendra du temps, j’ai parlé à Bill Weasley. »

Et à Augusta Londubat.

Cette femme était plus têtue qu’un hippogriffe.

Elle avait refusé de partager ce qu’elle savait sur le maléfice qui avait touché Lucius, pas
même lorsqu’il avait plaidé et tempêté. Le rapport que lui avait fait Andromeda sur l’état de
santé de son espion, une heure plus tôt, n’était pas bon.

Il semblait à présent évident que c’était trop tard, quoi qu’il en fût, et que Lucius…

Il en ressentit une pointe de tristesse. Non pas qu’il ait une quelconque amitié pour le Sang-
Pur mais, en politique, Lucius était un opposant qui méritait le respect. Il aurait pu leur
apporter beaucoup dans les semaines à venir.
« Dites aux gardes que vous placerez devant la cellule d’Anthony d’être particulièrement
vigilants la nuit. » ordonna-t-il. « Nyssandra est déterminée à venger Alastor. »

Et il ne pouvait pas lui jeter la pierre.

Quand il pensait à Gellert…

« Si Anthony meurt, Charlie meurt. » contra Tonks. « Et Charlie est innocent. Elle… »

« J’espère que non. » l’interrompit Albus. « Mais je préfère prévenir que guérir. » Il soupira.
« Parlant de guérir… Je me suis entretenu avec le Directeur de Sainte Mangouste qui a décidé
de placer l’établissement, ses Médicomages et leurs familles sous Fidelitas. Les soignants qui
souhaitent rester avec nous le peuvent mais il lui faut penser à la sécurité de ses patients à
long terme. »

« Et nous priver d’un accès aux Médicomages ? » contra Kingsley, en fronçant les sourcils.

Avec le bandeau de pirate qui lui cachait un œil, l’effet était incongru.

« Est-ce qu’un Fidelitas marcherait sur un lieu public ? » hésita Tonks. « Si tout le monde
connait déjà l’emplacement… »

« Cela devrait fonctionner, en théorie. » confirma-t-il. « Et cela m’a donné une idée. »

Les yeux de la jeune femme s’agrandirent immédiatement avec compréhension. « Vous


voulez placer l’école sous Fidelitas ? »

« Pas seulement l’école mais la région entière, Pré-au-Lard et la lande compris. » confirma-t-
il.

Kingsley se pencha en avant, calant ses coudes sur ses genoux. « C’est une idée mais ce n’est
pas viable sauf si nous décidons de ne plus bouger du tout, Albus. »

Tonks fit la grimace. « Il n’a pas tort. Ça voudrait dire qu’il n’y a qu’un petit groupe de gens
qui pourraient aller et venir en dehors de la zone et… Nous n’avons pas assez de troupes pour
nous limiter de cette manière. »

La solution présentait pourtant ses avantages. « Admettons que nous partagions le secret avec
les Aurors et les membres de l’Ordre… »

« Les Mangemorts savent très bien où est Poudlard. » contra Tonks. « Ils seront peut-être
incapables de nous voir ou d’approcher et, d’accord, c’est un avantage mais ça ne les
empêchera pas de nous encercler. Et puis… Vous venez de dire à la radio que les portes de
Poudlard étaient ouvertes à tout le monde… Si on jette un Fidelitas… »

Il soupira. « Soit. J’entends. »

« Un Langue-de-Plomb s’est présenté, il y a deux heures. Il était en mission en France et est


revenu par le premier ferry, ce matin. » annonça Kingsley. « Je vais voir s’il a une idée. » Il
tourna la tête vers Tonks pour pouvoir la regarder en face, malgré son angle mort. « Je veux
aussi organiser un briefing dans l’après-midi avec tout le monde. »

Elle acquiesça. « Oui, c’est une bonne idée. »

Albus termina sa tasse de thé en plusieurs longues gorgées. « J’ai déjà envoyé des hiboux aux
autres gouvernements magiques pour leur assurer que nous étions toujours là et apprécierions
l’aide de tous les Aurors qu’ils pourraient nous offrir. Je n’ai pas reçu de réponse, pour
l’instant. »

Et les chances qu’il en reçoive une étaient faibles tant qu’il n’était pas prêt à sacrifier leur
autonomie, supposait-il, or ils n’en étaient pas encore là.

« J’aimerais que vous déployiez des patrouilles sur le Chemin de Traverse et dans toutes les
enclaves magiques. » continua-t-il.

« Et j’aimerais cinquante Aurors de plus. » rétorqua Tonks, dans un haussement d’épaules


fatigué. « Profe… Monsieur le Ministre, vous ne semblez pas… »

« Albus fera l’affaire en privé, Tonks. » l’interrompit-il aimablement.

Après tout, elle avait en sa possession son secret le plus intime. Ils n’en étaient plus aux
formalités.

Elle ne se laissa pas déstabiliser. « Nous n’avons pas assez de combattants pour tenir
Poudlard, Pré-au-Lard, et nous éparpiller dans le reste du pays. Si les gens se replient ici, je
suggère fortement que nous gardions le gros des troupes, ici. »

« Non, il a raison… » soupira Kingsley. « Si nous ne nous déployons pas, nous faisons
preuve de faiblesse. »

« Et il nous faut aller au contact de ceux qui refuseront de se battre. » acquiesça Albus.
« Tenter de les convaincre de nous rejoindre. Et s’ils ne le veulent pas… Il nous faut, tout de
même, nous assurer qu’ils vont bien, tenter de les mener en lieu sûr. J’ai parlé à Augusta, elle
est prête à accueillir autant de réfugiés que nécessaire sur le domaine des Londubat. Elle a
suggéré que nous y déplacions les enfants. »

Ni Tonks, ni Kingsley ne semblaient savoir si l’idée était bonne ou non. Il était lui-même un
peu partagé sur la question.

D’un côté, les protections des Londubat étaient importantes, d’un autre, elles n’avaient pas
arrêté les Lestrange durant le tristement célèbre Halloween de quatre-vingt-un.

« Quelles sont les probabilités pour qu’ils attaquent à nouveau d’ici à demain ou après-
demain ? » demanda soudain Tonks. Ils la regardèrent tous les deux avec des expressions
perplexes et elle grimaça. « Je suis vraiment désolée, je suis crevée, je n’arrive plus à
réfléchir. Est-ce qu’on est en danger immédiat ou pas ? »

« Je ne pense pas. » répondit Albus. « Tom a beau vouloir prétendre que c’était une victoire,
le fait est que nous l’avons repoussé et qu’il a eu des pertes. Moins importantes que les
nôtres, certes, toutefois… Le connaissant, il voudra jouir de sa victoire au Ministère et
terroriser un peu plus le pays, avant de revenir s’en prendre à nous. C’est un jeu pour lui. »

« D’accord, mais Harry lui a joué un sale tour, cette nuit. » insista-t-elle. « Est-ce qu’il ne va
pas vouloir… se venger ? »

« Sans aucun doute. » soupira-t-il.

Et c’était la raison pour laquelle il allait devoir mettre les Dursley sur le tapis très, très
bientôt. Une fois que Severus serait réveillé et Harry rassuré, il prendrait le garçon à part et
lui expliquerait la situation. Il était important que la protection de Lily soit renouvelée.

Tonks soupira. « Je n’aime pas l’idée que des gamins se retrouvent à nouveau coincés entre
nos deux armées mais… Pour le moment, je dirais qu’ils sont plus en sécurité ici, où il y a
beaucoup d’adultes pour les défendre ou les évacuer le cas échéant que sur un domaine où il
n’y aura pas d’Aurors et une minorité de sorciers ou sorcières. »

« Je suis assez d’accord avec vous. » offrit-il. « D’autant que l’option est là, si nous en avons
besoin. »

Il espérait simplement qu’ils n’en auraient pas besoin.

°O°O°O°O°

Draco sentait la corde se resserrer autour de son cou.

La respiration de Lucius était devenue rapide et irrégulière. Il avait perdu connaissance peu
après son arrivée et n’avait eu guère la force de lui offrir autre chose qu’un sourire. De l’autre
côté du lit, Narcissa lui tenait la main mais avait fermé les yeux, les traits tirés, le teint pâle.
Draco… Draco avait hésité parce que ce n’était pas ainsi qu’un héritier était censé se
comporter puis avait glissé sa main dans celle de son père et avait appelé de tous ses vœux un
miracle qui tardait à se manifester. Il l’observait à la dérobée, comme s’il pouvait empêcher
quoi que ce soit d’arriver par sa simple attention.

Andromeda ne cessait de se glisser dans la pièce pour jeter des sorts de diagnostics qui la
laissaient de plus en plus grave.

Elle n’avait même pas besoin de dire quoi que ce soit, Draco savait.

Il était impossible de regarder Lucius et de ne pas savoir.

Il essayait de se préparer au pire mais une part de lui s’accrochait avec entêtement à l’idée
qu’il allait y avoir un miracle, que Granger ou Bill ne tarderait à débarquer avec le remède,
que tout finirait bien.

Tout devait finir bien.

Blaise levait la tête.

Daphné…
Il déglutit difficilement et cessa d’inspecter son père avec angoisse pour étudier sa mère. Elle
ne semblait plus avoir de contractions mais elle semblait aussi avoir vieilli de dix ans depuis
qu’ils s’étaient retrouvés.

Il ne détourna le regard que quelques secondes.

Quelques secondes.

Lorsqu’il reporta les yeux sur Lucius, il était orphelin de père.

Et, comme pour mieux le confirmer, entre une inspiration et la suivante, il sentit le poids de
tout ce qu’être Lord Malfoy impliquait s’abattre sur ses épaules. Les protections du Manoir et
du domaine tiraillèrent sa magie avant de s’y incorporer, le laissant chancelant.

Narcissa entendit son inspiration sifflante et rouvrit les yeux. Lorsqu’ils tombèrent sur
Lucius, ils se remplirent immédiatement de larmes. « Non… Non. »

Andromeda et une équipe de sorciers en robes vertes entrèrent en trombe, probablement


alertés par une alarme magique.

Draco se laissa écarter, regarda, en sachant que c’était trop tard, ces gens essayer de le
ranimer…

C’était trop tard. L’âme de Lucius avait déjà passé le voile. Il n’aurait pas un parfait contrôle
des protections dans le cas contraire.

Au bout de quelques minutes, Andromeda se détacha du groupe pour se tourner vers Narcissa
qui secoua la tête, enfermée dans un déni instinctif que Draco aurait sans doute aimé partager.

Mieux valait du déni que ce sentiment de… vide.

Blaise levait la tête et le mur explosait.

Il levait sa baguette et le tunnel…

C’était un cauchemar.

Un cauchemar.

°O°O°O°O°

Sirius boitait sérieusement lorsqu’il parvint finalement à regagner ses appartements sans être
à nouveau interrompu. Des éclairs de douleur remontaient de sa cheville à son mollet et il se
promit de consulter Pomfresh ou Andromeda dès qu’il le pourrait – mais après qu’il se soit
écroulé quelque part pour quelques heures.

Il se traina vers sa chambre, jetant bottes, blouson et chemise en chemin, sachant que
Kreattur finirait bien par les ramasser. Il était en train de défaire sa ceinture et attaquait le
bouton de son jean lorsqu’il poussa la porte de la chambre et se figea.
Les épais rideaux de velours étaient tirés, l’obscurité dans la pièce était quasiment totale.

Oh.

Il avait oublié.

Il se sentit immédiatement coupable d’avoir oublié, surtout lorsqu’il entendit le cliquetis


métallique d’un briquet et qu’une flamme embrasa la mèche de la bougie qu’il gardait sur la
table de nuit. La lueur était douce et trop faible pour bannir complètement l’obscurité mais
elle lui suffit à apercevoir le visage de Nyssa qui l’observait avec des yeux un peu trop
brillants.

Elle ne prononça pas un mot.

Sirius ne dit rien, non plus.

Il se débarrassa simplement du reste de ses vêtements et avança vers le lit, le sommeil étant
désormais la dernière chose sur sa liste de priorités. Le temps qu’il grimpe sur le matelas et
rampe jusqu’à elle, elle avait repoussé les draps et ôté ses propres vêtements.

Ce fut plus rapide que ce que sa fierté aurait souhaité mais elle semblait suffisamment
satisfaite pour qu’il ne le ressasse pas. Au lieu de ça, il remonta les couvertures sur lui, ferma
les yeux et se laissa glisser dans cette torpeur agréable qui était un prélude au sommeil.

Ses ongles couraient sur son torse, presque trop acérés pour que ce soit véritablement une
caresse.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé avec Anthony ? » demanda-t-elle, le tirant du brouillard qui
succédait au plaisir dans lequel il aurait voulu s’enfoncer. « Vous l’avez interrogé ? »

« Charlie n’a rien fait, tu ne peux pas tuer Anthony. » marmonna-t-il, parce que c’était
l’information capitale. Il savait qu’elle n’aurait pas hésité à lui trancher la gorge dans le cas
contraire. Probablement avec ces mêmes ongles qui traçaient des symboles étranges sur son
ventre. « C’est ma faute, tout ça. Si j’avais fait plus attention cette nuit-là… Comment est-ce
que j’ai pu tuer une passante et ne même pas m’en rendre compte ? »

Ça le hantait.

Il ne s’en souvenait même pas.

Des échauffourées où il avait repéré Severus dans le camp adverse et avait été déterminé à le
tuer, il y en avait eu des tas. Et pourquoi ? Au nom d’une haine féroce qu’il ne pouvait même
plus s’expliquer ou justifier ? À présent qu’ils étaient amis, le passé lui semblait si lointain,
si…

« On ne sait pas si c’est vrai. » lui rappela-t-elle.

« C’est vrai. C’est forcément vrai. » soupira-t-il. Anthony ne serait pas allé inventer une
histoire pareille. Et Lily… C’était quelque chose que Lily aurait pu faire, que James aurait pu
faire… Pour le protéger. Pour… « Charlie est innocent. Je sais que tu veux te venger mais ne
fais rien tant qu’on n’a pas trouvé comment les séparer. S’il te plait. »

Elle laissa échapper un bruit qui était entre le feulement et le soupir mais s’installa plus
confortablement contre son flanc. Son corps était froid mais cela ne le dérangeait pas, il s’y
était habitué.

« Une troisième chambre est apparue… » remarqua-t-elle, avec une nonchalance un peu trop
étudiée.

Sirius fronça les sourcils et se tourna sur le côté pour mieux passer un bras autour de sa taille
et l’attirer contre lui. Elle nicha sa tête dans son cou. Il aurait probablement dû s’inquiéter
d’avoir la bouche d’une vampire aussi près de sa jugulaire mais il lui faisait une confiance
aveugle et se contenta de frotter le nez contre ses cheveux.

« Narcissa va probablement venir s’installer avec nous, au moins quelques temps. »


murmura-t-il, en refermant les paupières. « Si Lucius s’en sort, ce sera un miracle, et elle est
enceinte. Je ne veux pas qu’elle soit seule. Draco allait déjà vivre avec moi, de toute manière.
Un de plus, un de moins… »

Elle ne dit rien pendant un long moment et il était sur le point de basculer dans un sommeil
de plomb lorsqu’elle caressa son flanc d’une manière un peu trop délibérée.

« Je vais demander à Dumbledore de me trouver une chambre dans les cachots. » lâcha-t-elle.

Soudain beaucoup plus alerte, il se redressa légèrement pour tenter d’apercevoir son visage
dans le halo faiblissant de la bougie qui se consumait. Il n’aimait pas la distance qu’elle avait
mise dans sa voix, le regret.

« Tu n’es pas obligée. Tu peux rester. » contra-t-il immédiatement, avec une touche de
panique. Il ne savait pas pourquoi mais il avait l’impression que quelque chose d’important
était en train de lui glisser entre les doigts et il avait peur que ce soit elle. « Cissy est… Cissy
est snob et vous n’allez pas vous entendre du tout mais ça ne veut pas dire que… »

« Sirius… » Elle plaça une main sur sa joue. « Je t’aime beaucoup. »

Il fronça les sourcils avec l’impression désormais terriblement familière qu’une catastrophe
allait lui tomber dessus.

« Beaucoup. » répéta-t-il, sans aucune intonation.

Elle s’humecta les lèvres puis sembla lutter contre un sourire mais ses yeux étaient tristes.
« Peut-être un peu plus que beaucoup. »

Il se détendit d’un coup et, lui, ne chercha pas à s’empêcher de lui sourire. Il repoussa
tendrement les mèches brunes de son visage. « Moi aussi je t’aime un peu plus que
beaucoup. »

Au lieu de s’éclairer, ses yeux verts s’assombrirent encore un peu plus.


« Je ne peux pas… » murmura-t-elle. « Je ne veux pas d’une vie de famille. Ta cousine, un
bébé, tes gosses… Je ne peux pas. »

Il ouvrit la bouche puis la referma sans trop savoir quoi dire.

« C’est juste temporaire. » promit-il. « Ensuite… »

« Sirius. » l’interrompit-elle. « Je crois que… Il faut que tu réfléchisses à ce que tu veux


vraiment. »

« Je sais ce que je veux. » contra-t-il fermement, en resserrant son bras autour d’elle.
« Nyssa… »

« Nous n’aurons jamais d’enfants. » lâcha-t-elle, en détournant son regard. « Et je ne veux


pas m’attacher à ceux des autres parce qu’ils finiront par vieillir et par mourir. C’est
suffisamment difficile d’imaginer que toi, tu… Nous ne serons jamais une famille. Nous
n’habiterons même pas ensemble la plupart du temps parce qu’il faudra bien que je regagne
mon essaim à un moment donné et… Sirius, ce n’est pas juste pour toi. »

Il ne voulait rien de tout ça. « Ça m’est égal. Je veux juste… »

« Ça ne t’est pas égal. » nia-t-elle. « La famille c’est tout pour toi. »

Il voulut protester mais il ne pouvait pas prétendre, sans mentir, que sa famille n’était pas
importante. Celle qu’il s’était fabriquée tout autant que celle qu’il retrouvait.

Mais pour autant…

« Nyssa. » déclara-t-il, en prenant une profonde inspiration. Il n’avait aucune idée de ce qu’il
allait bien pouvoir dire – son esprit était bien trop fatigué pour ce genre de conversation
sérieuse – mais il était déterminé à faire le discours de sa vie pour se sortir de cette mauvaise
passe.

Avant qu’il ait pu prononcer une syllabe de plus, un blaireau argenté apparu au pied du lit.

« Andy a besoin de toi à l’infirmerie. Malfoy est mort. » annonça la voix de Ted.

« Merde. » cracha-t-il.

Il était déjà à moitié sorti du lit lorsqu’il se rendit compte qu’il avait oublié… Il se tourna
vers la vampire qui n’avait pas bougé et l’observait avec un sourire un peu triste.

« Vas-y. » l’encouragea-t-elle.

« Cette conversation n’est pas terminée. » insista-t-il, en pointant un doigt vers elle. « On va
la finir. Et ceci n’est pas une rupture, soyons très, très clair. »

Elle semblait un peu trop vulnérable à l’instant. « Je vais quand même m’installer ailleurs. »

« D’accord, très bien… » Il agita la main pour balayer cet argument. « Mais je t’aime. »
« Ce n’est pas toujours une solution miracle à tout, Sirius. » murmura-t-elle, en baissant les
yeux.

À cet instant, il aurait volontiers étranglé Fol’Œil pour avoir été un lâche pleins de préjugés
et pour lui avoir brisé le cœur encore et encore.

Il mit un genou sur le lit, glissa une main derrière la nuque de la vampire et l’attira dans un
baiser qui ne laissait planner aucun doute quant à ses sentiments.

« Je t’aime. » répéta-t-il fermement contre sa bouche, parce que ça ne lui coûtait rien et que,
lorsqu’elle s’éloigna légèrement, il vit l’éclat d’espoir dans son regard. « Et je veux qu’on
finisse cette discussion. »

Elle l’observa un moment puis acquiesça.

Il aurait dû s’asseoir et terminer cette conversation à l’instant.

Andromeda pouvait gérer Narcissa. Mais Draco…

Il ne pouvait pas se résoudre à abandonner son cousin.

°O°O°O°O°

Draco ne pouvait pas détourner les yeux du lit sur lequel gisait Lucius.

Leurs trois elfes de maison s’étaient déjà présentés à lui, s’inclinant profondément, pleurant
comme s’ils avaient le cœur brisé alors que personne n’aurait pu accuser les Malfoy d’avoir
jamais été tendres avec eux – il ne fallait pas chercher à comprendre les elfes de maison, n’en
déplaise à Hermione. Ils avaient senti le changement de propriétaire et ils voulaient savoir ce
qu’ils devaient faire : préparer le corps, préparer une chambre au manoir pour l’accueillir,
préparer le caveau ancestral, préparer les funérailles…

Préparer, préparer, préparer…

La tête lui tournait et il ne savait pas quoi répondre.

Narcissa n’était pas en état de le faire à sa place.

Elle était pâle, la respiration sifflante et avait avalé sans un mot les potions qu’Andromeda lui
avait tendu. La Médicomage voulait qu’elle s’allonge.

Narcissa refusait de quitter la pièce.

Elle ne pleurait pas, elle ne disait rien… Elle non plus ne semblait pas capable de détourner
les yeux de l’homme couché dans ce lit.

Draco était vaguement conscient que Granger les avait rejoints à un moment, qu’elle avait
pris sa main, qu’elle lui parlait et, qu’à défaut d’obtenir une réponse, elle s’était tournée vers
les elfes de maison et avait fait quelques suggestions qui les en avaient débarrassé.
Lorsque Sirius poussa la porte, avec une légère hésitation, il fut presque soulagé de le voir.
Leurs regards se croisèrent immédiatement et, s’il s’arrêta brièvement pour serrer l’épaule de
sa cousine, ce fut vers lui qu’il se dirigea.

« De quoi tu as besoin ? » demanda l’Animagus, directement.

C’était la première question qui perçait clairement le brouillard qui entourait son cerveau.

« D’air. » lâcha-t-il automatiquement.

Sirius hocha la tête. « Alors, vas prendre l’air. Je m’occupe de ta mère. »

« Le… Le corps. » balbutia-t-il. « Les elfes veulent savoir s’il faut le ramener au Manoir
ou… »

« On n’est pas obligé de décider tout de suite. » l’interrompit Sirius, avec gentillesse. « Sors
respirer un peu. On en parlera quand ta mère sera en état, d’accord ? Je vais la ramener dans
mes appartements. Rejoins-nous quand tu es prêt. »

Il se sentit hocher la tête, sentit ses pieds qui le guidaient hors de la pièce alors même que son
regard continuait de s’accrocher à la dépouille de son père… Jusqu’au dernier moment, ses
yeux demeurèrent sur lui.

Il avait à peine fait un pas dans la partie centrale de l’infirmerie lorsqu’il sentit le poids de
tous ces regards qui l’observaient comme pour mieux se repaître du spectacle. Même ceux de
ses amis étaient…

« Tu veux aller dans le parc ou… » hésita Granger, toujours accrochée à sa main.

« J’ai besoin d’être seul. » marmonna-t-il, en arrachant ses doigts des siens. Il leva les yeux
vers elle, un peu perdu. « Je… Merci, mais j’ai besoin… »

« Oui, bien sûr. » accepta-t-elle immédiatement. Son expression demeura inquiète. « Mais je
suis là si… Je suis là. »

Il lui caressa la joue, tenta de forcer un sourire qui mourut sur sa bouche. « Je sais. »

Il ne laissa rien paraître lorsqu’il traversa l’infirmerie. Il garda la tête haute, les épaules en
arrière, le pas régulier et les yeux secs.

Il était Lord Malfoy, à présent.

Et Lord Malfoy ne faisait pas preuve de faiblesse.

°O°O°O°O°

Il lui avait fallu être très convainquant pour que Kreattur accepte de le laisser seul mais
Harry, après avoir perdu à trois différents jeux de société contre un elfe de maison qui avait
un peu trop l’esprit de compétition, avait besoin de solitude. Il était resté assis un long
moment à côté de Severus, avait osé lui prendre la main plusieurs fois, avait vaguement dans
l’idée qu’il aurait dû lui parler, lui dire…

Il ne savait pas quoi lui dire.

Il était tout à fait conscient que lorsque Severus se réveillerait, il allait probablement le tuer –
métaphoriquement, du moins.

Sirius avait dit qu’il était puni de tout, il était presque certain que son père allait être d’accord
avec cette décision. Harry ne parvenait pas à en être attristé. Il se souvenait encore de la
première fois où Severus l’avait puni de sortie à Pré-au-Lard, dans le passé. De la drôle de
sensation qu’il avait éprouvée. Il avait

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