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LES MALADIES TROPICALES (1)

Le diagnostic biologique des mycétomes


Michel Develouxa,*, Adela Enache-Angoulvantb

RÉSUMÉ SUMMARY
On entend par mycétome tout processus au cours duquel des agents
d’origine exogène, actinomycosiques ou fongiques, produisent des grains. Biological diagnosis of mycetoma
Cette infection chronique s’observe dans les régions tropicales sèches. Mycetoma is the pathologic process in witch exo-
L’aspect clinique le plus fréquent est celui d’une tumeur sous-cutanée genous fungal or actinomycotic agents generate
intéressant le pied. La constatation de fistules émettant des grains est grains. This chronic infection is observed in dry tro-
caractéristique. Le diagnostic biologique est parfois difficile, les actinomy- pical aereas. The most frequent clinical feature is a
cétomes doivent être distingués des mycétomes fongiques (eumycétomes) subcutaneous tumor involving the foot. It is carac-
en raison de leurs traitements radicalement différents. L’examen direct teristic when sinuses with discharging grains are
des grains et du pus ainsi que l’histopathologie permettent de donner une observed. Biological diagnosis is somtimes difficult.
orientation diagnostique d’après l’aspect des grains. Malgré tout, seules However actinomycetoma and eumycetoma must be
les cultures mycologiques ou bactériennes permettent d’identifier précisé- distinguished because of their completely different
ment les espèces. Les cultures fongiques sont assez souvent négatives. treatments. Direct examination and histopathologic
Les techniques de biologie moléculaire ont été utilisées avec succès pour features of grains and/or pus are usefull for type of
l’identification des agents responsables de mycétomes à grains noirs. Les the grains identification, giving a good orientation of
tests sérologiques ne sont pas de pratique courante. the aetiological agent. However, usually, only fungal
or bacterial cultures allows species identification.
Mycétome – actinomycétome – eumycétome Eumycetoma cultures are often negatives. Molecu-
grains – examen direct – histopathologie – cultures. lar techniques have been successfully applied for
identification of black grains mycetoma agents, for
which fructification failed to be obtained. Serological
tests are not used in routine diagnosis.
1. Introduction Mycetoma – actinomycetoma – eumycetoma
grains direct examination – histopathology – cultures.
Les mycétomes se définissent comme « tout processus
pathologique au cours duquel des agents fongiques ou méthodes de diagnostic biologique, d’imagerie médicale
actinomycosiques d’origine exogène produisent des grains [7, 8] et par les résultats prometteurs obtenus avec de
parasitaires ». Ce sont des infections des régions tropicales nouvelles molécules utilisées ou non en association avec
arides, d’évolution lente. Leur principale localisation est la chirurgie [9]. Le rôle du laboratoire est primordial dans le
le pied avec à moyen terme le risque d’atteinte osseuse, diagnostic de l’infection. Celle-ci est affirmée par la mise
principale complication. Les mycétomes font partie de ces en évidence des grains. La deuxième étape consiste à
maladies tropicales « oubliées » au même titre que les bor- distinguer les actinomycétomes des mycétomes fongiques
rélioses ou les tréponématoses endémiques. On relève ces ou eumycétomes qui relèvent de traitements distincts. Le
dernières années un regain d’intérêt pour les mycétomes diagnostic d’espèce est souvent difficile à établir et parfois
comme en témoignent des revues récentes qui y ont été impossible à obtenir.
consacrées [1-6]. Ceci s’explique par l’amélioration des

a Laboratoire de parasitologie-mycologie
2. Agents pathogènes
Hôpital Saint-Antoine
184, rue du Faubourg Saint-Antoine Les agents étiologiques des mycétomes sont nombreux.
75571 Paris cedex 12 Welsh en 2007 répertoriait 13 espèces d’actinomycètes
impliquées contre 29 fongiques [5]. Certaines espèces
b Service de bactériologie-virologie-parasitologie
citées avaient été récemment décrites comme Nocardia
Laboratoire de parasitologie-mycologie mexicana identifiée en 2004 [10]. La liste est loin d’être
Hôpital Bicêtre (AP-HP) complète et de nouveaux agents sont régulièrement recon-
78, rue du Général-Leclerc nus comme à l’origine de mycétomes comme par exemple
94275 le Kremlin-Bicêtre cedex Phialophora verrucosa espèce connue jusqu’alors comme
responsable de chromomycose et de phaeohyphomycose
* Correspondance [11]. Les principales espèces fongiques et actinomyco-
michel.develoux@sat.aphp.fr siques responsables de mycétomes sont présentées dans
le tableau I. L’identification des espèces repose sur l’as-
article reçu le 31 décembre 2009
2009, accepté le 31 août 2010 pect histologique des grains et les données des cultures,
© 2011 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. elle a été récemment renforcée par l’apport de la biologie

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moléculaire. C’est le cas par exemple de Phaeoacremo- Ainsi au Mexique, Nocardia brasiliensis est isolé dans 86 %
nium kradjeni identifié pour la première fois comme agent des cas [5]. Au Sénégal, M. mycetomatis dans le cas des
de mycétome à grains blancs [12]. Grâce à la biologie eumycétomes, Actinomadura pelletierri et Actinomadura
moléculaire, la taxonomie des champignons à l’origine madurae dans celui des actinomycétomes totalisent 89 cas
de mycétomes est en train d’être notablement modifiée sur 109 soit 81,6 % [16]. Un cas tout à fait à part est celui
[13, 14]. A partir des séquences des gènes codant pour des mycétomes où les agents fongiques responsables
les ARN ribosomaux, Madurella mycetomatis a été repo- sont des dermatophytes [17]. Certains auteurs préfèrent
sitionné dans l’ordre des ascomycètes. Madurella grisea parler de « pseudo-mycétomes », les agents dans ce cas
espèce supposée jusqu’ici proche de la précédente a été n’étant pas d’origine exogène. Ils n’ont été observés que
montrée comme appartenant en fait à l’ordre des pleospo- chez le sujet noir en Afrique ou aux Caraïbes, leur phy-
rales. À partir de cultures identifiées initialement comme M. siopathologie étant mal connue. Ils réalisent des tumeurs
grisea par des méthodes classiques, quatre groupes géné- limitées du cuir chevelu dont l’aspect histologique est
tiques distincts ont été mis en évidence. Ceux du groupe I celui de grains blancs fongiques avec ciment contenant
étaient identiques à Pyrenochaeta romeroi correspondant de grosses vésicules. La réaction périphérique à cellules
à des isolats où la sporulation n’avait pu être obtenue. géantes est marquée. Les espèces parfois isolées ont été
Les groupes II et IV étaient génétiquement différents de très diverses : Microsporum canis, Microsporum langero-
P. romeroi ainsi qu’entre eux, n’ayant pas des séquences nii, Trichophyton soudanense, Trychophyton schoeleinii.
nucléidiques reconnues par les bases de données. Les
isolats des groupes III et IV appartiennent probablement
aux groupes des pléosporales et des sordariales, quant
3. Rappels épidémiologiques
à ceux du groupe II ils semblent être des Leptosphae- et cliniques
raecae. La révision de la taxonomie concerne également
les actinomycètes. L’étude en biologie moléculaire de La zone d’endémie des mycétomes se trouve dans les
9 souches cataloguées comme Streptomyces somaliensis régions tropicales de l’hémisphère nord de part et d’autre
par les méthodes d’identification classiques a permis de du 15e parallèle. Les principaux foyers sont l’Inde, la pénin-
distinguer une nouvelle espèce nommée Streptomyces sule arabique, l’Afrique sahélienne (Sénégal, Mauritanie,
sudanensis [15]. Il faut néanmoins garder à l’esprit que Mali, Niger, Tchad, Soudan, Djibouti), le Mexique. Des
suivant les régions d’endémie une à quatre espèces bien cas peuvent être observés en dehors de cette « bande
identifiées sont responsables de plus de 80 % des cas. des mycétomes » : Thaïlande, Pakistan, Iran, Maghreb,
Venezuela, Brésil, Caraïbes… Les cas importés ne sont
Tableau I – Les principales espèces pas exceptionnels en France, il s’agit essentiellement de
responsables de mycétomes. migrants originaires d’Afrique de l’Ouest. Les zones endé-
Répartition
miques sont caractérisées par une pluviométrie annuelle
Espèces Fréquence généralement inférieure à 1 000 mm, une courte saison des
géographique
Grains noirs : toujours fongiques
pluies et une longue saison sèche. La flore est dominée par
les épineux. Certains agents pathogènes ont été isolés du
Principale espèce Afrique sahélienne,
Madurella mycetomatis
fongique Yémen, Inde sol ou d’épines végétales. Les études menées en Afrique
ont montré que la répartition des principaux agents varie
Leptosphaeria Afrique de l’Ouest,
Assez fréquent selon le degré de pluviométrie. Streptomyces somaliensis
senegalensis Inde
Leptosphaeria tompkinsii Très rare Afrique
s’observe dans les régions désertiques, Madurella myceto-
matis préférentiellement entre les isoyètes 250 et 500 mm,
Pyrenochaeta romeroi Rare Zones tropicales
Actinomadura pelletieri dans les régions les plus humides
Madurella grisea Assez fréquent Amérique du Sud de la zone endémique. Scedosporium apiopsermum, agent
Exophiala jeanselmei Rare Zones tropicales de mycétomes à grains blancs fongiques, n’a été isolé
Grains blancs fongiques que dans des zones plus humides d’Afrique comme la
Scedosporium Afrique équatoriale, Côte-d’Ivoire ou la République démocratique du Congo.
Assez fréquent
apiospermum Etats-Unis Le mycétome fait suite à un ou plusieurs traumatismes,
Acremonium sp. Rare Zones tropicales il s’agit le plus souvent de microtraumatismes (piqûres
Fusarium sp. Rare Zones tropicales
d’épine, échardes) oubliés du patient. Après une incuba-
tion de quelques mois à plusieurs années, apparaissent
Grains blancs ou jaunes actinomycosiques
les premiers signes cliniques : petit nodule. La première
Streptomyces consultation est souvent retardée, après une évolution
Fréquent Zones désertiques
somaliensis
de plusieurs années. Les agents pathogènes sont très
Zones tropicales
Actinomadura madurae Fréquent
et tempérées
variables suivant les pays d’endémie comme en témoignent
les résultats des ces séries de différents pays d’endémie.
Mexique, zones
Nocardia brasiliensis Fréquent
tropicales humides
Les patients sont des ruraux adultes, la prédominance
masculine de la maladie est marquée. Le pied est atteint
Nocardia asteroïdes Rare Zones tropicales
dans 70 à 80 % des cas réalisant dans les formes avan-
Grains rouges : toujours actinomycosiques
cées le classique « pied de Madura ». Autrement l’infec-
Afrique de l’Ouest, tion peut siéger en n’importe quel endroit du corps. Une
Actinomadura pelletieri Assez fréquent
Inde
tuméfaction polyfistulisée est très évocatrice de la maladie,

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elle devient pathognomonique si l’on constate l’émission Figure 1 – Mycétome du pied à grains noirs
de pus contenant des grains visibles à l’œil nu (figure 1). (flèches) dû à Madurella mycetomatis.
Parfois les grains ne peuvent être mis en évidence que
par la microscopie en raison de leur petite taille (Nocardia
sp.) ou les fistules ne pas être productives au moment de
l’examen. Les formes non fistulisées à type de nodule,
dont la fréquence est probablement sous-estimée, ne sont
diagnostiquées que par l’examen anatomopathologique.
L’évolution est lente se faisant sur des années, aboutis-
sant à plus ou moins long terme à des complications.
Les actinomycétomes (figure 2) sont généralement plus
inflammatoires, d’évolution plus rapide que les mycétomes
fongiques. La principale complication est l’atteinte osseuse
à l’origine de douleurs, elle s’observe surtout au niveau du
pied et de la main. Dans les cas évolués, l’atteinte du pied
peut entraîner une impotence fonctionnelle. Parmi les autres Figure 2 – Actinomycétome du pied dû
complications, il faut citer les métastases ganglionnaires, à Actinomadura pelletieri.
les envahissements et compressions (localisations à la tête
et au cou), les surinfections bactériennes. Le traitement
des actinomycétomes repose sur une antibiothérapie
(cotrimoxazle, aminosides) au long court. Le traitement
des mycétomes fongiques par des azolés (itraconazole,
voriconazole, posaconazole) peut connaître des échecs
et la plupart des auteurs recommandent un geste chirur-
gical suivant le traitement médical qui doit toujours être
fait dans un premier temps. Le prix des azolés fait qu’ils
ne peuvent pas toujours être utilisés en zone d’endémie
par les patients qui sont parmi les plus démunis.

4. Diagnostic biologique
Le diagnostic biologique comporte les étapes suivantes :
recueil et examen direct des grains dans les cas où il y a
émission de ceux-ci, culture des grains, biopsie et examen
anatomopathologique. Certaines méthodes ne sont pas
de pratique courante pour l’instant comme les méthodes
sérologiques ou la biologie moléculaire.

4.1. Examen direct émission de pus sans grains visibles, il ne faut pas omettre
Le recueil et l’examen direct des grains constituent la pre- d’examiner celui-ci à la recherche de grains de petites
mière étape. Certaines espèces sont assez productives tailles non visibles à l’œil nu (Nocardia sp.). Les aspects
avec émissions fréquentes de nombreux grains par les microscopiques des grains des principales espèces étio-
fistules (M. mycetomatis, A. pelletierri). Dans d’autres cas, logiques des mycétomes sont résumés dans le tableau I.
les grains sont rares et il existe de longues périodes où les Lorsqu’il n’y pas de fistules productives ou lorsque la lésion
fistules sont sèches, non productives (A. madurae). Dans est nodulaire, non fistulisée, certains auteurs préconisent
ce cas, il peut être nécessaire de demander au patient de une aspiration à l’aiguille fine au besoin sous échographie
se représenter au moment d’une période productive. Les [18]. Le produit d’aspiration montre des cellules de diffé-
grains sont recueillis avec un vaccinostyle ou un scalpel. Il rents types, des fragments tissulaires et des fragments
faut en recueillir un maximum pour augmenter les chances de grains souvent identifiables. Les produits d’aspiration
d’obtenir une culture positive. On notera la taille, la couleur, permettraient de distinguer les grains d’actinomycétomes
la consistance des grains, l’existence de ciment (figures 3A de ceux des mycétomes fongiques de manière aussi fiable
et 3B). Les grains noirs sont toujours fongiques, les grains que l’histologie.
rouges sont toujours actinomycosiques dus à A. pelletieri.
Les grains blancs peuvent être soit fongiques soit acti-
nomycosiques. L’examen microscopique si besoin après 4.2. Anatomopathologie
action d’un éclaircissant (potasse à 30, %, noir chlorazol) La biopsie est indispensable lorsqu’il n’y a pas de grains
permettra de distinguer les grains actinomycosiques (fila- retrouvés à l’examen direct ou à l’examen microscopique
ments de diamètre < 1 μ) des grains fongiques (filaments de du pus. Elle l’est également lorsqu’il n’y a pas de fistule,
diamètre > 3 μ). Cet examen simple, souvent négligé, peut dans ce cas comme pour d’autres formes atypiques,
donc déjà donner une orientation étiologique. Lorsqu’il y a le diagnostic sera une surprise anatomopathologique.

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Figure 3 – Examen direct. Elle nous paraît souhaitable même lorsqu’il y a élimina-
tion de grains. La biopsie à l’emporte-pièce est souvent
insuffisante et une biopsie large chirurgicale peut être faite
d’emblée ou en cas de négativité de la première. Il ne faut
pas fixer toute la biopsie et penser à garder une partie du
prélèvement pour tentative de culture. La coloration par
hématine-éosine est généralement suffisante pour étudier
les grains mais, selon leur aspect, on peut être amené
à pratiquer des colorations spécifiques : PAS, Gomori-
Grocott (champignons), Gram (actinomycétes). On diffé-
rencie facilement les grains fongiques (filaments de 2 à
A. Grain de M. mycetomatis x 40 – B. Grains type Nocardia x 160. 4 microns de diamètre et parfois présence de vésicules)
des grains actinomycosiques (filaments de plus petit dia-
mètre). On notera là encore la présence ou non de ciment,
Figure 4 – Examen anatomopathologique.
de « massues » périphériques (figures 4A et 4B ; 5A et
5B). Les aspects histologiques des principaux grains sont
résumés dans les tableaux II et III. L’aspect de certains
grains permet de porter un diagnostic d’espèce (M. myce-
tomatis, M. grisea, A. pelletieri, A. madurae, S. somaliensis)
[19]. Il serait préférable de parler par exemple de grains
« type » M. mycetomatis ou M. grisea puisque la biologie
moléculaire a montré que certaines cultures attribuées
à ces deux espèces appartiendraient en fait à d’autres
espèces non encore identifiées. L’aspect histologique
des grains ne permet qu’un diagnostic de genre dans le
cas de Leptosphaeria et Nocardia. En ce qui concerne les
grains blancs fongiques on ne peut répondre que grains
type « Scedosporium-Acremonium-Fusarium ». La réaction
A. Grain vésiculeux de M. mycetomatis (H&E x 100) – B. Périphérie d’un grain autour des grains est variable, généralement granuloma-
type Leptopshaeria montrant l’hyperpigmentation et la prédominance des
vésicules en bordure (x 400). teuse avec des polynucléaires au contact du grain, le tout
entouré d’histiocytes et lymphocytes avec néovaisseaux.
Une troisième couche est constituée de fibrose. En cas
Figure 5 – Examen anatomopathologique. de grains contenant du ciment, on observe volontiers une
réaction à cellules géantes (M. mycetomatis, S. somaliensis,
dermatophytes). Parfois les granulomes ne contiennent pas
de grains, il faut alors multiplier les coupes. Les situations
les plus difficiles, heureusement rares, sont les suspicions
cliniques où ni l’examen direct ni l’examen histologique ne
permettent de mettre en évidence de grains. Il peut être
alors nécessaire de refaire les examens après une période
de surveillance.
Le diagnostic différentiel anatomopathologique est la
botriomycose (« bactériose à grains ») où l’on observe
A. Grains d’A. pelletieri (H&E x 100) – B. Grain d’A. madurae (H&E x 25).
des grains dus à des Cocci Gram positifs ou des bactéries
Gram négatives (Enterobacteriaceae).
Figure 6 – Examen anatomopathologique :
grain de S. somaliensis. 4.3. Cultures
Pour effectuer les cultures il faut recueillir un maximum
de grains. Ils sont en effet constitués de filaments enche-
vêtrés, morts en majorités. Un certain nombre de grains,
non viables, ne pousseront pas. Avant d’être ensemencés,
les grains doivent être lavés, débarrassés des impuretés
qui les entourent, la surinfection bactérienne fréquente ne
fait qu’augmenter les difficultés habituelles de culture de
ces agents. On utilise du sérum physiologique, additionné
d’antibiotiques lorsqu’il s’agit de grains fongiques. Les
grains sont déposés dans des milieux en tube, un par un
à 2 cm de distance sur milieu de Sabouraud-antibiotiques
sans actidione s’ils sont fongiques, sur Sabouraud sans
antibiotiques ou milieu de Loewenstein s’ils sont actino-
H&E x 100.
mycosiques ou s’il s’agit de pus contenant des grains

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microscopiques type Nocardia. Lorsque l’on hésite entre tions et des repiquages sur milieux pauvres (Malt, pomme
une étiologie fongique ou bactérienne (grains blancs), deux de terre-carotte) s’avèrent nécessaires pour les obtenir. Le
types de milieu doivent être ensemencés. Les tubes sont diagnostic d’espèce s’appuie sur l’aspect macroscopique
mis à 27-30 °C et à 37 °C, certains agents se développant (figure 7) des cultures (recto-verso, pigment diffusible)
mieux à l’une ou l’autre de ces températures. Selon les et l’aspect microscopique. L’aspect macroscopique peut
espèces, les cultures sont plus ou moins longues, plus varier de façon notable selon les souches. Les fructifica-
ou moins faciles à obtenir. Les principaux caractères des tions caractéristiques de certaines espèces (figure 8A et
cultures des agents prédominants des mycétomes sont 8B) ne s’obtiennent pas toujours et lorsqu’elles sont pré-
réunis dans les tableaux II et III. Les grains noirs des sentes n’apparaissent qu’après un intervalle de plusieurs
espèces fongiques les plus communes ont une pousse semaines à plusieurs mois. Le diagnostic d’espèce d’un
lente, les cultures ne débutant qu’au bout de deux semaines mycétome fongique est donc long et difficile et nécessite
en moyenne. Les cultures sont généralement plus rapides l’avis d’un laboratoire spécialisé. En zone d’endémie où les
pour les espèces fongiques donnant des grains blancs. possibilités diagnostiques sont limitées, il est rarement fait
Bien souvent, on n’obtient que peu ou pas de fructifica- et l’on se base alors sur la couleur des grains et leur aspect

Tableau II – Principaux agents fongiques des mycétomes.


Grains Culture
Espèces
Examen direct Anatomopathologie (HE) Macroscopie Aspect microscopique

0,5 à 1 mm
Ferme à dur Grains filamenteux ou Lentes, 37 °C Filaments 3 à 4 μm
Madurella
Marron à noir vésiculeux Beige à marron Milieux pauvres : sclérotes noirs,
mycetomatis
Filaments et Ciment brun Pigment noirâtre diffusible phialides + spores de 2 μm de diamètre
vésicules

Centre clair avec filaments Meilleur à 30 °C Filaments hyalins ou fuligineux


0,3 à 0,6 mm
Madurella grisea Mou à ferme Colonie noire parfois en bambou, brunâtres,
Noir
Périphérie vésiculeuse noire Mycélium aérien gris rares chlamydospores

Centre dense
0,3 à 1 mm Croissance rapide 30°C Picnides noires
Pyrenochaeta homogène clair
Mou à ferme Compacte noire (85-120 μm)
romeroi Périphérie vésiculeuse brune
Ronds ou ovales Mycélium aérien grisâtre Conidies bacilliformes jaunâtres
Pas de ciment

Milieux pauvres : périthèces noirs (100


0,5 à 1 mm Centre clair Lente 30 à 37°C
Leptosphaeria à 300 μm), asques en éventail massués
Ferme à dur Ciment noir périphérique Compacte noire
senegalensis contenant 8 ascospores formées de
Noir charbon Vésicules dans le ciment Mycélium aérien gris-brun
5 cellules (6 à 7 pour L. tompkinsii)

Grains non hématéiphile Croissance rapide à 30°C


0,2 à 1 mm Filaments et conidies terminales ovales
Pseudallescheria Pas de ciment Duveteuse, blanche puis
Mou Milieux pauvres : cleistothèces bruns de
boydii Filaments, vésicules brune
Blanc jaunâtre 50 à 200 μm + asques évanescents
périphériques Revers brun à noir

Tableau III – Principaux agents actinomycosiques des mycétomes.


Grains
Espèces Culture Microscopie Biologie
Examen direct Anatomopathologie (HE)

T° = 30-37°C
Aérobie
Nocardia 50-150 μm Rond, lobule, vermiforme Pousse rapide Eléments
Acido-résist+, gélatine+, lait+,
brasiliensis Blanc jaune Peu hématéiphile Blanc à orange bacillaires
caséine+, xanthine+, mannitol+
Colonie plissée crayeuse

Pousse rapide Acido-résist+


Nocardia Pas de ciment Eléments
Mou Blanc orange caséine-, galatose-, xanthine-,
asteroïdes Parfois massues bacillaires
Colonie glabre puis duveteuse actidione-

Régulier T° = 30°C
Streptomyces 0,5-2 mm Chaînette de Acido-résist+
Bord net Colonie blanche à noire
somaliensis Jaune, très dur spores ovalbumine++, maltose++
Ciment, très hématéiphile Cireuse puis duveteuse

T° = 37°C
Irrégulier
Actinomadura 0,5-10 mm Pousse très lente Chaînettes Acido-résist-
Bord hématéiphile
madurae Blanc, mou Colonie jaune ou blanche de spores amidon+, mannitol++, xylose++
Pas de ciment, massues
cérébriforme

Régulier, rond T° = 37°C


Actinomadura 0,3-0,5 mm Ovalaire fragmenté Pousse lente Chaînettes Acido-résist-
pelletieri Rouge, ± mou Hématéiphile Colonie rouge et surface de spores Hydrolyse-
Pas de ciment ni massue plissée

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Figure 7 – Culture sur Sabouraud de M. mycetomatis, l’identification des agents de mycétomes, plus particuliè-
avec pigment diffusant dans la gélose. rement ceux à grains noirs. Les techniques d’identification
moléculaire s’appuient sur l’amplification de l’ADN codant
pour les régions ITS1-2 (internal transcribed spacer) des
gènes codant pour les ARN ribosomaux.
La PCR amplifiant la région ITS 1, avec les amorces ITS 4 et
ITS 5, combinée avec la RFLP (restriction fragment length poly-
morphism) et/ou le séquençage des produits de PCR obtenus
avec les amorces 26.1 A et 28.3 A, spécifiques d’espèce, ont
été mises au point pour l’identification de M. mycetomatis
et ont permis également de le différencier de M. grisea [23].
Plus récemment, il a été montré que l’amplification de la
région ITS 1-2, utilisant les amorces V9D et LS266 suivie
du séquençage, était une technique fiable pour l’identifi-
cation d’espèce des agents responsables de mycétomes
à grains noirs [13].

4.5. Sérologie
La sérologie présente théoriquement plusieurs intérêts dans
cette infection. Le premier est diagnostique par la mise
en évidence d’anticorps dans les formes cliniques sans
CNRMA : Centre de référence mycoses et antifongiques,
émission de grains. La sérologie pourrait aussi préciser
Institut Pasteur, Paris. l’espèce causale par la mise en évidence d’anticorps spé-
cifiques lorsque les cultures sont négatives ou lorsqu’elles
Figure 8 – A. Sclérote de M. mycetomatis ne permettent pas une identification précise. Le deuxième
B. Asques de L. senegalensis. intérêt de la sérologie est la surveillance après traitement. La
guérison d’un mycétome est difficile à affirmer nécessitant
un suivi clinique de plusieurs années. Le risque de récidive
après traitement est particulièrement élevé surtout en cas
de mycétomes fongique pouvant dépasser 50 % des cas
[2]. La disparition des anticorps est un bon critère de gué-
rison, leur réapparition ou remontée est en faveur d’une
reprise du processus infectieux. Les auteurs soudanais ont
utilisé diverses méthodes sérologiques (immunodiffusion,
immunoélectrophorèse, ELISA) [24, 25]. Malgré des résul-
tats intéressants, elles ont été abandonnées car utilisant
des antigènes non standardisés, donnant des réactions
croisées, de faux négatifs ou de faux positifs. Au Mexique
A. CNRMA – B. Laboratoire de parasitologie du CHU d’Angers.
où N. brasiliensis est l’agent prédominant, il a été mis au
point une méthode ELISA utilisant la P24, antigène 24-kDa
à l’examen direct pour distinguer actinomycètes et cham- immunodominant de cette bactérie [26]. Le taux d’anticorps
pignons en l’absence de laboratoire d’anatomopathologie. élevé était retrouvé en cas d’infection active et leur baisse
La sensibilité des agents fongiques de mycétomes aux était constatée parallèlement à l’amélioration clinique sous
différents antifongiques disponibles, en particulier azolés, traitement. Récemment, une méthode expérimentale ELISA
a été étudiée [20]. La mise au point de méthodes adap- a été mise au point utilisant le premier antigène cloné de
tées à ces agents a été délicate. Surtout il n’apparaît pas M. mycetomatis [27]. Avec ce nouveau type d’antigène,
exister de corrélation entre les données obtenues in vitro le taux d’anticorps mis en évidence s’est révélé corrélé
et les résultats obtenus in vivo. à la taille de la tumeur et la durée de son évolution. Ces
Le diagnostic microbiologique des actinomycètes est assez résultats prometteurs entraînent un regain d’intérêt pour le
différent [21, 22]. On notera également l’aspect macros- diagnostic sérologique des mycétomes fongiques.
copique et microscopique des colonies : filaments non
acido-résistants ou partiellement acido-résistants (Nocar-
dia sp.). Surtout on étudiera les caractères biochimiques
5. Conclusion
pour différencier les espèces : tableau III.
Le diagnostic biologique d’un mycétome est souvent diffi-
cile en raison de l’absence ou du nombre réduit de grains,
4.4. Biologie moléculaire forme in vivo de l’agent causal, pouvant être recueillis pour
Devant les insuffisances que peuvent connaître méthodes examen direct et cultures. L’examen direct des grains et
microbiologiques classiques pour l’identification des leurs aspects en coupe anatomopathologique permet
espèces, de nouvelles méthodes diagnostiques s’avè- de distinguer l’origine fongique ou actinomycosique. Les
rent nécessaires. La biologie moléculaire a été appliquée à cultures des grains lorsqu’elles sont possibles restent

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négatives dans un nombre non négligeable de cas ou ne velles espèces à partir de cultures attribuées initialement
fructifient pas lorsqu’il s’agit d’agents fongiques ne per- à d’autres agents par les méthodes d’identification habi-
mettant pas une identification précise de l’espèce respon- tuelles. Elle permet de réviser la taxonomie des espèces
sable. La biologie moléculaire nouvellement appliquée au responsables de mycétomes et une meilleure connaissance
diagnostic biologique des mycétomes permet d’obtenir un de leur épidémiologie.
diagnostic d’espèce rapide et fiable à partir de cultures
fongiques ne développant pas ou peu de fructifications. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
Cette technique a permis de mettre en évidence de nou- conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2011 - N°430 // 67

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