Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
..............................................................................................................................................................................................................................................................................
Editorial
Cession de parts indivises : à propos des articles 129 et 130 du code des
droits d’enregistrement 2
André BAILLEUX
Isabelle DEBOIS
Fiscalité européenne
L’administration fiscale et la jurisprudence Fratelli Costanzo – 1re partie 5
Thomas VERMER
Alexandre DE MUNCK
Luc LAMY
Généralités
• Les numéros précédents de la Revue Générale de Fiscalité 25
• Les numéros précédents de l’Algemeen Fiscaal Tijdschrift 25
Isabelle DEBOIS
...........................................................................................................................................................................................
Une décision administrative récente révèle combien étant entendu que le but réel du contrat de société était
les articles 129 et 130 du code des droits d’enregistre- de rassembler des biens afin de réaliser des bénéfices.
ment sont obsolètes et doivent être revus. Cette déci- En partant du même raisonnement, la liquidation ul-
sion décrète qu’en cas de sortie d’une indivision térieure de la société était considérée comme un par-
constituée par une société et un associé de celle-ci, tage ordinaire (VAN TRICHT, E., « Acquisition par les
c’est le droit de vente qui est dû et non le droit de associés d’immeubles qui proviennent de la société
partage (décision du 22 septembre 2014, Rép. R.J., (art. 129 et 130 C. enreg.» In WERDEFROY, F., Doits
E129/27.01, reproduite par le Recueil Général de l’en- d’enregistrement 2012-1013, p.1329). Il est vrai qu’à
registrement et du notariat, 2015/1,). « Les textes lé- l’époque, une société était avant tout un contrat régi
gaux clairs ne nécessitent pas d’interprétation », se par le code civil.
justifie la décision qui ajoute : « la loi spécialisée
(art. 129 C. enreg.) a primauté sur les textes de loi gé- C’est une loi du 30 août 1913 qui introduisit les dispo-
néraux (art. 109 e.s. C. enreg.). Le fait qu’un associé sitions qui font l’objet des articles 129 et 130, c. enr.
soit traité autrement qu’un non-associé est une parti- L’objectif de ces dispositions était effectivement de
cularité de ces articles qui sont des articles anti- prévenir la fraude. Il s’agissait, selon l’exposé des mo-
fraude.» Cette décision est critiquable et critiquée. Elle tifs, de supprimer la possibilité de céder des im-
est aussi l’occasion de s’interroger brièvement sur la meubles sans droits d’enregistrement en en faisant
légitimité actuelle des articles 129 et 130, c. enr. d’abord apport à une société, puis en partageant le
fonds social par attribution desdits immeubles à
Première remarque. Selon la décision, c’est le droit de d’autres associés que ceux qui les avaient apportés.
partage (1 % en Région wallonne et bruxelloise, 2,5 % D’où l’introduction d’une disposition spéciale qui vi-
en Région flamande) qui est dû si le partage se fait sait à soumettre au droit de vente les attributions
entre une société et un tiers tandis que c’est le droit de d’immeubles sociaux à des associés de sociétés par
vente qui doit s’appliquer (12,5 % ou 10 % selon la actions.
Région) si le partage se fait entre une société et un de
ses associés. Autrement dit, sortir d’une indivision Les articles en question parlent de l’acquisition par
entre une société et un de ses associés est plus coû- un associé d’immeubles « provenant d’une société ».
teux que sortir d’une indivision entre la même société Peut-on considérer que lorsqu’on sort d’une indivi-
et un tiers. Si l’on prend l’article 129 au pied de la sion formée entre une société et une autre personne
lettre, comme le fait l’Administration, c’est en effet la (physique ou morale), l’immeuble attribué en partage
conclusion qui s’impose. Mais peut-on prendre le « provient d’une société » ? Oui sans doute puisque la
texte au pied de la lettre ? La première idée qui vient part de copropriété qui appartenait à la société passe
à l’esprit est que cette manière de le comprendre viole dans le patrimoine d’un tiers ; cette part provient donc
le principe d’égalité et de non-discrimination. Car bien d’une société.
qu’est-ce qui peut bien justifier cette différence de
traitement au détriment des associés ? Le fait qu’il Pourtant, le but du législateur n’était manifestement
s’agit d’un article anti-fraude, semble répondre l’Ad- pas de viser cette situation. Ainsi que le montre A.
ministration. Mais de quelle fraude parlons-nous ? Un Culot (Rec. gén. enr. not. 2015/1, p. 42), le législateur
peu d’histoire n’est pas inutile pour comprendre les envisageait l’attribution par partage du fonds social à
objectifs que poursuivait le législateur à l’époque. l’occasion d’une liquidation. Genin (commentaire du
code des droits d’enregistrement, 1950, n° 1097) parle
On sait que la loi du 22 frimaire an VII (12 dé- des associés qui, « en vertu de leur qualité d’action-
cembre 1798) resta la loi fondamentale de l’enregistre- naires, acquièrent des immeubles sociaux ». Or, ce
ment jusqu’à ce que parut le code des droits d’enregis- n’est pas l’hypothèse qui est envisagée par la décision
trement (arrêté royal du 30 novembre 1939). Sous litigieuse.
l’empire de cette loi, on estimait raisonnable de ne pas
imposer l’apport en société comme un acte de cession Que peut-on dès lors reprocher à cette décision ?
Comme on l’a dit, elle paraît violer le principe d’éga- nant d’une société de personnes, l’individualité juri-
lité garanti par la Constitution. Rappelons que, selon dique particulière de la société était ignorée. L’acqui-
la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, une dif- sition était censée avoir été convenue entre les pro-
férence de traitement n’est conciliable avec le prin- priétaires indivis et donnait lieu au droit de partage.
cipe d’égalité que si elle repose sur un critère objectif En revanche, s’il s’agissait d’une société par actions,
et si elle est raisonnablement justifiée compte du but l’acquisition par l’associé d’un bien appartenant à la
et des effets de la mesure concernée. Le principe d’éga- société était dans tous les cas assujettie au droit établi
lité est violé lorsqu’il n’existe pas de rapport raison- pour les ventes (VAN TRICHT, E, in WERDEFROY F.,
nable de proportionnalité entre les moyens employés op. cit., p. 1493).
et le but visé. Or, dans l’hypothèse traitée par la déci-
sion, l’interprétation donnée au texte par l’Adminis- Cette distinction entre sociétés de personnes et socié-
tration va bien au-delà du but visé (qui est de lutter tés de capitaux était faite dans les travaux prépara-
contre une forme précise de fraude fiscale). En effet, toires de la loi de 1913. Comme aujourd’hui, le texte
la lutte contre l’usage artificiel d’une société pour de la loi répartissait toutefois les sociétés selon leur
céder des immeubles sans paiement du droit ne peut forme : d’un côté les sociétés en nom collectif et en
pas avoir pour effet de sanctionner une acquisition en commandite simple, auxquelles on adjoignit plus tard
indivision entre une société et son associé. La diffé- les sociétés de personnes à responsabilité limitée, puis
rence de traitement entre un associé et un tiers n’est les sociétés agricoles. De l’autre, les sociétés par ac-
évidemment pas raisonnablement justifiée par l’objec- tion et les sociétés coopératives. Aujourd’hui, ce clas-
tif des textes qui était de faire obstacle à la fraude fis- sement demeure inchangé. Le texte ne connaît pas la
cale dont question plus haut. Autrement dit, si l’achat société privée à responsabilité qu’est devenue la SPRL
en copropriété a été fait par l’associé plutôt que, par pas plus que la société européenne.
exemple, par le conjoint de l’associé (un tiers), on
n’aperçoit pas en quoi le partage ultérieur serait consi- C’est une loi du 25 décembre 1958 qui a donné aux
déré comme davantage frauduleux dans le premier cas textes leur forme actuelle. L’acquisition par un asso-
que dans le second. cié d’un immeuble provenant d’une société de per-
sonne devenait, tout comme l’acquisition provenant
Deuxième remarque : de même qu’il y a la matière et d’une société de capitaux, assujettie au droit de vente.
l’antimatière, il y a l’abus fiscal et l’anti-abus fiscal, Un régime particulier fut conservé pour les sociétés
c-à-d l’abus fiscal commis par l’autorité administra- de personnes sur base de considérations d’équité que
tive. Il y aurait une thèse à écrire sur l’abus fiscal com- l’on peut concevoir comme des applications particu-
mis par les autorités dans l’interprétation de la loi. Le lières de la règle non bis in idem pour prévenir une
contribuable commet un abus fiscal lorsqu’en viola- double perception des droits de mutation (VAN
tion des objectif d’une disposition du code des droits TRICHT, E., in WERDEFROY, op. cit., p.1494). C’est
d’enregistrement, il se place en dehors du champ d’ap- pourquoi l’acquisition provenant d’une société de per-
plication de cette disposition (art. 18, § 2). A l’inverse, sonnes bénéficie d’une dérogation lorsque (1) l’asso-
n’y a-t-il pas abus fiscal de la part de l’autorité, cié acquéreur avait lui-même apporté le bien dans la
lorsqu’en violation des objectifs d’une disposition du société et lorsque (2) l’associé possédait cette qualité
code – ici les articles 129 et 130 -, elle place le contri- au moment où l’immeuble avait été acheté par la so-
buable dans le champ d’application de cette disposi- ciété. En bref, il s’agissait pour le législateur de préve-
tion ? Comme le relève A. Culot dans l’article précité, nir la fraude tout en aménageant certaines dérogations
« il serait inéquitable que l’Administration puisse se- en faveur de situations a priori non suspectes et dans
lon sa volonté s’en tenir au texte de la loi ou à la vo- lesquelles il aurait été excessif d’appliquer le droit de
lonté du législateur selon qu’elle y ait intérêt ou non ». vente puisqu’il avait déjà été appliqué une première
Autrement dit, il serait inéquitable que l’Administra- fois.
tion puisse faire appel à l’abus fiscal quand c’est son
intérêt mais qu’elle refuse de s’intéresser à la ‘réalité Mais pourquoi, par exemple, le législateur fiscal a-t-il
économique’ d’une opération lorsque l’application classé les sociétés coopératives parmi les sociétés de
stricte du texte légal lui est plus favorable. Certes, capitaux, à côté des sociétés par actions ? Apparem-
l’appel aux principes de bonne administration ou à ment, parce que la forme juridique de la société coo-
certaines règles constitutionnelles permet – parfois – pérative fut, par le passé, abusivement utilisée par des
d‘atténuer la rigueur des textes mais au terme de sociétés à vocation capitaliste (en ce sens NICAISE,
quelles procédures ! P., « Le nouveau droit des sociétés coopératives. La
loi du 20 juillet 1991. » in collection Droits des Socié-
Troisième remarque, qui sort du cadre de la décision tés, Vol. 4, Bruylant, Bruxelles, Academia, Louvain-
administrative litigieuse. Les articles 129 et 130 issus la-Neuve, 1992). Aujourd’hui, on n’aperçoit pas en
de la loi de 1913 distinguent les sociétés de personnes quoi ce type de société présenterait plus de danger que
et les sociétés par actions. A l’époque de la loi de 1913, les autres du point de vue des droits d’enregistrement.
pour la perception des droits d’enregistrement sur les
acquisitions par les associés d’un immeuble prove- Quoi qu’il en soit, on peut se demander si cette dis-
Alexandre DE MUNCK
Tax Consult S.A.
Luc LAMY
Tax Consult S.A.
...........................................................................................................................................................................................
......................................................................................................................
TABLE DES MATIÈRES néralement focalisées que sur ce principe en tant
qu’instrument de résolution des conflits mis à la dis-
Introduction 5 position des juridictions nationales2. Or, il apparaît, à
I. Primauté et effet direct du droit européen 6 la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice,
I.1. Principe de primauté du droit européen 6
qu’un principe similaire s’impose également aux au-
I.2. L’effet direct du droit européen 7
I.3. L’interprétation conforme au droit européen 10 torités administratives. C’est à l’occasion de l’arrêt
I.4. Relations entre la primauté, l’effet direct et l’interpré- Fratelli Costanzo du 22 juin 1989 que la Cour a énoncé
tation conforme 10 ce principe de la manière la plus concise, notamment
I.5. Acceptions en droit interne belge 12 lorsqu’elle indiquait, entre autres, que « tout comme
II. La jurisprudence Fratelli Costanzo 17
le juge national, une administration, y compris com-
II.1. Les administrations nationales et l’interprétation
conforme 17 munale, a l'obligation d'appliquer les dispositions
II.2. Historique de la jurisprudence Fratelli Costanzo 18 [européennes dotées de l’effet direct], et d'écarter l'ap-
II.3. La notion d’autorité administrative 21 plication de celles du droit national qui n'y sont pas
II.4. Jurisprudence Fratelli Costanzo et principe conformes »3.
d’effectivité du droit de l’Union 22
II.5. Les limites à la jurisprudence Fratelli Costanzo 23
Conclusions intermédiaires 24 La présente contribution s’attellera à exposer la juris-
...................................................................................................................... prudence développée par la Cour de justice à cet égard
et d’étudier les implications qu’elle peut engendrer en
droit fiscal belge.
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
1. C.J.C.E., 9 mars 1978 (Société anonyme Simmenthal c. Administration des Finances de l’Etat), C-106/77, Rec. C.J.C.E., 1978, p. 629.
2. A notre connaissance, seul jusqu’ici Edoardo Traversa semble avoir abordé la question de l’obligation pesant sur l’administration fiscale (cf. E. TRAVERSA, « Le
régime TVA des soins de santé », R.G.F., 2005, n° 11, p. 22).
3. C.J.C.E., 22 juin 1989 (Société Fratelli Costanzo c. Commune de Milan), C-103/88, Rec. C.J.C.E., 1989, I, p. 1861, §§ 30, 31 et 33.
4. M. DASSESSE, « Autonomie procédurale des Etats membres et droit européen », R.G.F., 2014, n° 4, pp. 5 à 12 ; « Principe de l’équivalence et Charte des droits
fondamentaux : les heureuses implications fiscales de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne », R.G.F., 2015, n° 3, pp. 4 à 13.
Avant d’aborder le vif du sujet, il nous semble utile de En ce sens, la primauté du droit européen implique
déterminer les contours de ces concepts juridiques et notamment les éléments suivants. Tout d’abord, toute
d’en commenter leur acception en droit interne belge, norme européenne même issue du rang le plus infé-
notamment en droit fiscal belge. rieur dans la hiérarchie des normes de droit européen
prime toute autre norme de droit interne, fût-elle de
I.1. Principe de primauté du droit européen rang constitutionnel11 et, par ailleurs, les juridictions
nationales ne peuvent contrôler la validité d’une dis-
Il est généralement admis que le principe de primauté position de droit européen à la lumière de leur droit
du droit européen a été consacré par ces deux arrêts interne12.
fondateurs et capitaux rendus sur question préjudi-
cielle par la Cour de justice de l’Union européenne5 La primauté du droit européen n’aboutit, cependant,
que sont l’arrêt Van Gend & Loos6 du 5 février 1963 et, pas à déclarer la nullité de la norme de droit interne
surtout, l’arrêt Costa c. Enel7 du 15 juillet 1964. Ledit incompatible. L’on peut considérer qu’elle se borne à
principe a, par la suite, été davantage précisé par un commander, dans le cas d’espèce, l’inapplication de
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
la norme de droit interne incompatible13 sans que le d'obligations que le traité impose d'une manière bien
juge « ait à demander ou à attendre l’élimination pré- définie tant aux particuliers qu'aux États membres et
alable de celle-ci par voie législative ou par tout autre aux institutions communautaires »19.
procédé constitutionnel »14. Dans le même ordre
d’idée, le juge ne devra pas pour autant requérir né- Ce constat ne peut être opéré que si la norme de droit
cessairement – bien que la question fasse l’objet de européen en jeu « n'est assortie d'aucune condition,
discussions – l’application du droit européen lui- ni subordonnée, dans son exécution, ou ses effets, à
même15. l'intervention d'aucun acte, ni des États, ni de la
Commission »20 de sorte qu’« elle est donc complète,
I.2. L’effet direct du droit européen juridiquement parfaite et, en conséquence, suscep-
tible de produire des effets directs dans les relations
En matière de droit international public, il est généra- entre les États membres et leurs justiciables »21.
lement admis que les règles de droit international is-
sues de conventions ou de traités ne lient que les Etats L’une des conséquences de l’effet direct du droit euro-
parties à ceux-ci. Cette conception est confirmée par péen consiste en ce qu’en cas de litige où apparaît une
l’article 26 de la convention de Vienne16 sur le droit contrariété entre une norme de droit interne et une
des traités du 23 mai 1969 lorsqu’il indique que « tout norme de droit européen22, la juridiction nationale ap-
traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par pelée à se prononcer sur l’espèce qui lui est soumise
elles de bonne foi ». Le droit établi dans un traité n’a doit écarter la norme nationale et appliquer la norme
pas vocation à produire des effets à l’égard d’Etats tiers de droit européen pourvue d’effet direct. Cette obliga-
ou de tout autre sujet de droit international17. tion a, entre autres, été énoncée dans l’arrêt Simmen-
thal du 9 mars 1978 lorsque la Cour y indique que
Ces principes font, toutefois, l’objet d’exceptions no- « tout juge national, saisi dans le cadre de sa compé-
tamment celles relatives au principe de l’effet direct tence, a l'obligation d'appliquer intégralement le droit
qui, concernant le droit européen, a été consacré dans communautaire et de protéger les droits que celui-ci
les arrêts Van Gend & Loos et Costa c. Enel précités. confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute
disposition éventuellement contraire de la loi natio-
La Cour y a mis en évidence qu’outre le fait de primer nale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la
le droit interne des Etats membres, le droit européen, règle communautaire »23.
« indépendant de la législation des États membres, de
même qu'il crée des charges dans le chef des particu- En présence d’une norme de droit européen dotée d’un
liers, est aussi destiné à engendrer des droits qui caractère suffisamment clair, précis et inconditionnel,
entrent dans leur patrimoine juridique »18 et que ces de sorte qu’elle n’est subordonnée à l’intervention
droits « naissent non seulement lorsqu'une attribution d’aucun acte pour être applicable, des discussions
explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
13. Cf. C.J.C.E., 9 mars 1978 (Administration des finances de l'État c. Société anonyme Simmenthal), C-106/77, Rec. C.J.C.E., 1978, p. 629, §§ 17 et 22 : « En vertu du principe
de la primauté du droit communautaire, les dispositions du traité et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit
interne des Etats membres, non seulement de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation
nationale existante, mais encore – en tant que ces dispositions et actes font partie intégrante, avec rang de priorité, de l’ordre juridique applicable sur le territoire de
chacun des Etats membres – d’empêcher la formation valable de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des normes
communautaires » et que « serait, dès lors, incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit communautaire toute disposition d’un ordre juridique
national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit communautaire par le fait de refuser au juge
compétent pour appliquer ce droit, le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives natio-
nales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes communautaires ». En ce sens et « tout en mettant en exergue le caractère fondamental de la
primauté pour l’ordre juridique communautaire, sans laquelle il se saborderait, la Cour de justice indique aussitôt quel est l’effet utile du principe. Celui-ci se déploie dès
l’instant où une contradiction apparaît entre une norme interne et une obligation issue du traité instituant la Communauté européenne, que le juge doit résoudre en
refusant d’appliquer le droit national contraire » (J. ETIENNE, « Cassation, effet direct, primauté et responsabilité », note sous Cass., 4 avril 2008, R.C.J.B., 2009, p. 271).
14. M. MAHIEU et J.van MEERBEECK, « Traité international et Constitution nationale », note sous Cass., 2 juin 2003, Cass., 9 novembre 2004 et Cass., 16 novembre 2004,
R.C.J.B., 2007, p. 74.
15. Cf. M. VERHOEVEN, The Costanzo Obligation. The Obligations of National Administrative Authorities in the Case of Incompatibility between National Law and European
Law, Anvers, Intersentia, 2011, p. 17.
16. Loi du 10 juin 1992 portant approbation de la Convention de Vienne sur le droit des traités, et de l'Annexe, faites à Vienne le 23 mai 1969, M.B., 25 décembre 1993.
17. Cf. J. VERHOEVEN, Droit international public, Bruxelles, Larcier, 2000, pp. 412 à 415 ; cf. article 34 de la convention de Vienne qui stipule qu’« un traité ne crée ni
obligations ni droits à un Etat tiers ou à une organisation tierce sans le consentement de cet Etat ou de cette organisation ».
18. C.J.C.E., 5 février 1963 (N.V. Algemene Transport- en Expeditie Onderneming van Gend & Loos c. administration fiscale néerlandaise), C-26/62, Rec. C.J.C.E., 1963, p. 23.
19. Ibidem.
20. C.J.C.E., 15 juillet 1964 (Flaminio Costa c. Enel), C-6/64, Rec. C.J.C.E., 1964, p. 1 162.
21. Ibidem.
22. Cf. E. DE BRABANDERE et A. LAGERWALL, « Le conflit entre le droit belge et le droit international : un conflit dont les multiples formes sont abordées par les juges
sous différents angles », R.B.D.I., 2012, pp. 399 et 400 : « On considère généralement que le juge est confronté à un conflit entre une norme de droit belge et une norme
de droit international lorsqu’il se trouve dans l’impossibilité d’appliquer à la fois l’une et l’autre à un cas d’espèce auquel elles trouvent pourtant toutes deux à s’appliquer
en raison de la “contradiction concrète et irréductible” (P. d’ARGENT, op. cit., n° 2, p. 360) à laquelle leur application simultanée aboutit. Un tel conflit suppose que les
deux normes soient en vigueur dans l’ordre juridique belge, qu’elles régissent le cas d’espèce et qu’elles postulent des résultats contradictoires. En ce sens, le conflit
apparaît comme une forme d’interaction particulière entre le droit belge et le droit international qu’il convient de distinguer d’autres formes d’interaction normative qui
peuvent renvoyer, par exemple, à un exercice d’interprétation de la norme de droit interne au regard de la norme de droit international ou à un exercice d’interprétation
de deux normes de droit international qui s’appliqueraient à une même situation » (cf. infra l’interprétation conforme au droit européen). En revanche et, à titre
d’information, « il est trivial de rappeler qu’en droit international, il n’y a pas de “conflit” normatif à proprement parler entre le droit international et le droit interne. En
effet, le droit interne y est essentiellement considéré comme du fait plutôt que comme du droit » (cf. P. d’ARGENT, op. cit., p. 356).
23. C.J.C.E., 9 mars 1978 (Société anonyme Simmenthal c. Administration des Finances de l’Etat), C-106/77, Rec. C.J.C.E., 1978, p. 629, § 21.
Ils constituent ce que l’on appelle communément le En soi, les particuliers ne sont donc pas intéressés par
droit primaire de l’Union par opposition au droit dé- les directives de sorte que celles-ci ne leur sont pas
rivé de l’Union formé des normes et instruments juri- directement applicables et, par définition, n’ont pas
diques adoptés sur pied des traités. effet direct. La jurisprudence de la Cour de justice re-
connaît, néanmoins, qu’en l’absence de transposition
Les dispositions de ces traités ne sont pas toutes do- de la directive ou de transposition incorrecte de
tées de l’effet direct. Ce n’est que si elles répondent celle-ci à l’expiration du délai de transposition, les
aux conditions requises pour en jouir et telles que dé- dispositions de la directive en cause pourront être di-
finies ci-dessus dans l’arrêt Costa c. Enel qu’elles rectement applicables pour autant que celles-ci pré-
pourront avoir un effet direct en droit interne. sentent la précision, la clarté et l’inconditionnalité re-
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
quises par le principe de l’effet direct33. Pour ce qui peut intéresser le domaine fiscal, il
convient de souligner que les accords conclus dans le
En vue de préserver la sécurité juridique et les droits cadre de l’Organisation mondiale du Commerce en
des particuliers, l’effet direct d’une directive non matière de droits de douane ne semblent pas avoir
transposée ou insuffisamment transposée à l’issue du d’effet direct40, tout comme, en leur temps, les accords
délai de transposition ne peut consister qu’en un effet conclus dans le cadre du GATT41.
direct purement vertical et non un effet direct vertical
inversé ou horizontal. Cela signifie que, dans une telle I.2.e. La Charte des droits fondamentaux de
situation, les particuliers sont en droit d’invoquer à l’Union européenne
l’égard des Etats membres eux-mêmes une norme
consacrée par une directive (effet direct vertical) bien Dans le corpus législatif de l’Union européenne, il est
que cette faculté est déniée, d’une part, aux Etats utile de souligner l’existence de la Charte des droits
membres eux-mêmes vis-à-vis des particuliers (ab- fondamentaux de l’Union européenne qui, depuis le
sence d’effet direct vertical inversé) et, d’autre part, 1er décembre 2009, a force obligatoire.
aux particuliers eux-mêmes vis-à-vis d’autres particu-
liers (absence d’effet direct horizontal)34. La Charte consacre toute une série de droits fonda-
mentaux qui intéressent la matière fiscale, tels que le
Toujours est-il que, pour ce qui intéresse la fiscalité droit à un tribunal indépendant et impartial (article 47
directe, il existe une Directive capitale 88/361/CEE35 de la Charte), la présomption d’innocence et le droit
adoptée le 24 juin 1988 qui s’attelait à mettre en œuvre au silence (article 48), le respect de la vie privée et du
l’article du traité36 afférent à la libre circulation des domicile (article 7), le respect du droit de propriété
capitaux à l’époque où celui-ci, en raison de son li- (article 17) ou le principe non bis in idem (article 50).
bellé, n’avait pas effet direct. L’intérêt de la Directive
88/361/CEE consiste en ce qu’elle est accompagnée En vertu de l’article 51 de la Charte, celle-ci s’applique
d’une annexe I qui reprend une nomenclature des aux institutions de l’Union et aux Etats membres uni-
mouvements de capitaux faisant office de référence quement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de
pour la Cour de justice dans l’identification des mou- l’Union. En matière fiscale, la Charte ne pourra dès
vements de capitaux régis par ladite directive et l’ar- lors être invoquée par un contribuable que dans la
ticle 63 TFUE37. A cet égard, la Cour de justice a re- mesure où le cas d’espèce concerne, entre autres, la
connu, en son arrêt Bordessa38 du 23 février 1995, que T.V.A., les droits de douane et accises, les directives
la directive 88/361/CEE jouit de l’effet direct. en matière de fiscalité directe ou un tout autre impôt
direct ou indirect qui n’est pas régi en tant que tel par
I.2.d. Les accords internationaux le droit européen pour autant que, dans une situation
transfrontalière, est en jeu l’une des quatre libertés
En tant qu’organisation internationale, l’Union euro- fondamentales précitées et consacrées par le traité42.
péenne est amenée à conclure des conventions inter-
nationales. A cet égard, les règles normales afférentes A cet égard, il convient de noter que la Cour de justice
à l’effet direct s’appliquent de la même manière et ce, de l’Union européenne tient compte de la jurispru-
comme l’a reconnu la Cour lorsqu’elle indique dence de la Cour européenne des droits de l’homme
qu’« une disposition d’un accord conclu par la Com- pour la mise en œuvre des droits fondamentaux ga-
munauté avec des pays tiers doit être considérée rantis par la Charte43 d’autant que l’article 53 de
comme étant d’application directe lorsque, eu égard à celle-ci indique qu’« aucune disposition de la pré-
ses termes, ainsi qu’à l’objet et la nature de l’accord, sente Charte ne doit être interprétée comme limitant
elle comporte une obligation claire et précise, qui n’est ou portant atteinte aux droits de l'homme et libertés
subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à fondamentales reconnus, dans leur champ d'applica-
l’intervention d’aucun acte extérieur »39. tion respectif, par le droit de l'Union, le droit interna-
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
33. J. P. JACQUE, Droit institutionnel de l’Union européenne, Paris, Dalloz, 2006, 4e éd., p. 590.
34. Cf. C.J.C.E., 14 juillet 1994 (Paola Faccini Dori c. Recreb srl), C-91/92, Rec. C.J.C.E., 1994, I, p. 3347 ; C.J.C.E., 5 octobre 2004 (Bernhard Pfeiffer, Wilhelm Roith, Albert Süß,
Michael Winter, Klaus Nestvogel, Roswitha Zeller and Matthias Döbele c. Deutsches Rotes Kreuz, Kreisverband Waldshut eV.), C-397/01 à C-403/01, Rec. C.J.C.E., 2004, I,
p. 8878. Néanmoins, la Cour de justice semble avoir assoupli sa jurisprudence en matière de prohibition de l’effet direct horizontal (voir notamment C.J.C.E.,
26 septembre 2000 (Unilever Italia Spa c. Central Food Spa), C-443/98, Rec. C.J.C.E., 2000, I, p. 7 565 ; C.J.C.E, 17 janvier 2008 (Viamex Agrar Handels GmbH et
Zuchtvieh-Kontor GmbH (ZVK) c. Hauptzollamt Hamburg-Jonas), C-37/06 et C-58/06, Rec. C.J.C.E., 2008, I, p. 69 ; J. P. JACQUE, op. cit., p. 592 ; M. VERHOEVEN, op. cit.,
pp. 26 à 29). Nous ne nous attarderons pas davantage sur cette question et n’aborderons pas la problématique des situations triangulaires dans lesquelles un
particulier invoque l’effet direct d’une directive à l’égard de l’Etat dont l’applicabilité directe peut porter préjudice à un autre particulier.
35. Directive du Conseil du 24 juin 1988 pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité, J.O. du 8 juillet 1988, n° L 178/5.
36. La disposition du traité de Rome qui traitait, en 1988, de la libre circulation des capitaux était l’article 67. Désormais, il s’agit de l’article 63 à la suite de l’entrée en
vigueur du traité de Lisbonne.
37. Cf. C.J.U.E., 1er décembre 2011 (Commission européenne c. Royaume de Belgique), C-280/08, Rec. C.J.U.E., 2011, I, p. 12 341.
38. C.J.C.E., 23 février 1995 (Aldo Bordessa, Vicente Marí Mellado et Concepción Barbero Maestre), C-358/93 et C-416/93, Rec. C.J.C.E., 1995, I, p. 376.
39. C.J.C.E., 30 septembre 1987 (Meryem Demirel c. Ville de Schwäbisch Gmünd), C-12/86, Rec. C.J.C.E., 1987, I, p. 3 719.
40. Cf. C.J.C.E., 30 septembre 2003 (Biret International SA c. Conseil de l'Union européenne), C-93/02 P, Rec. C.J.C.E., 2003, I, p. 10 497, §§ 61 à 65.
41. Cf. C.J.C.E., 12 décembre 1972 (International Fruit Company N.V. et autres c. Produktschap voor Groenten en Fruit), C-21/72 à C-24/72, Rec. C.J.C.E., 1972, p. 1 219.
42. M. MORIS, Procédure fiscale approfondie en matière d’impôts directs, Limal, Anthemis, 2014, p. 38.
43. M. MORIS, Procédure fiscale approfondie en matière d’impôts directs, Limal, Anthemis, 2014, pp. 43 à 46.
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
44. C.J.C.E., 13 novembre 1990 (Marleasing SA c. La Comercial Internacional de Alimentacion SA), C-106/89, Rec. C.J.C.E., 1990, I, p. 4 135, § 8 ; cf. C.J.C.E., 10 avril 1984
(Sabine von Colson et Elisabeth Kamann c. Land Nordrhein-Westfalen), C-14/83, Rec. C.J.C.E., 1984, p. 1 891.
45. Cf. C. PIROTTE, « Quelles sanctions en cas de mauvaise application du droit des déchets : l’expérience communautaire », Amén., 2002, pp. 15 à 17.
46. C.J.C.E., 10 avril 1984 (Sabine von Colson et Elisabeth Kamann c. Land Nordrhein-Westfalen), C-14/83, Rec. C.J.C.E., 1984, p. 1891.
47. Cf. C.J.C.E., 29 avril 2004 (Björnekulla Fruktindustrier AB c. Procordia Food AB.), C-371/02, Rec. C.J.C.E., 2004, I, p. 5 791, § 13 : « Lorsqu’une juridiction nationale est
appelée à interpréter le droit national, qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à une directive, elle est tenue de le faire, dans toute la mesure du possible,
à la lumière du texte et de la finalité de ladite directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article 249, troisième alinéa, CE (voir, notamment,
arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106/89, Rec. p. I-4135, point 8, et du 12 février 2004, Henkel C-218/01, non encore publié au Recueil, point 60), et nonobstant
des éléments d’interprétation contraire qui pourraient résulter des travaux préparatoires de la règle nationale. »
48. Concernant le principe de coopération loyale, voir E. NEFRAMI, « L’exercice en commun des compétences illustré par le devoir de loyauté », X., Le commun dans
l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 179 à 201.
49. cf. M. VERHOEVEN, op. cit., p. 33.
50. cf. C.J.C.E., 4 juillet 2006 (Konstantinos Adeneler et autres c. Ellinikos Organismos Galaktos (ELOG)), C-212/04, Rec. C.J.C.E., 2006, I, p. 6 057, § 110 : « l’obligation pour
le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux
du droit, notamment dans ceux de sécurité juridique ainsi que de non-rétroactivité, et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit
national ». Ces précisions peuvent intéresser la matière fiscale quand on sait que le droit fiscal belge est régi par des principes stricts d’interprétation et notam-
ment le principe de la légalité de l’impôt (cf. T. AFSCHRIFT, L’évitement licite de l’impôt et la réalité juridique, Bruxelles, Larcier, 2003, 2e éd., pp. 50 à 67).
51. Cf. M. VERHOEVEN, op. cit., p. 34 ; C.J.C.E., 8 octobre 1987 (Kolpinghuis Nijmegen BV), C-80/86, Rec. C.J.C.E., 1987, p. 3969.
52. Cf. M. VERHOEVEN, op. cit., pp. 34 à 37.
La question de la relation entre ces principes intéresse autres formes de contrôle de compatibilité ou en tant
également l’interprétation conforme, certaines déci- que norme régissant l’espèce »58.
sions53 de la Cour semblant enjoindre les autorités na-
tionales à favoriser l’interprétation conforme au droit Si un conflit normatif se présente, il s’agit, dans un
européen avant d’étudier si la disposition européenne deuxième temps, de privilégier l’interprétation
concernée jouit ou non de l’effet direct, là où il conforme ou, si celle-ci est vaine, l’inapplication de la
conviendrait de considérer, à la lumière d’autres ar- disposition de droit interne contraire au droit euro-
rêts54, que l’interprétation conforme constitue le re- péen et ce, en vertu du principe de primauté59. En cas
mède ultime en présence d’une disposition euro- d’inapplication de la norme de droit interne, il se peut
péenne dépourvue d’effet direct. que le conflit soit résolu sans devoir raisonner plus
avant.
De même, la Cour de justice de Luxembourg semble
avoir affirmé que le principe d’interprétation Si l’inapplication de la norme nationale ne débouche
conforme était d’application dans l’ordre juridique de pas sur une situation satisfaisante, plusieurs options
l’Union européenne du fait que celui-ci « était com- se présentent, dans un troisième temps. Il y a lieu, tout
mandé par la primauté du droit international en droit d’abord, de substituer au droit national le droit euro-
de l’UE – alors qu’en réalité l’interprétation conforme péen doté de l’effet direct en faisant application de
permet précisément d’éviter de devoir recourir à ce celui-ci, par exemple parce que le conflit surgissait en
qui paraît l’expliquer, ou qu’en d’autres termes la pri- raison justement d’une revendication d’application de
mauté du droit international n’est appelée à s’appli- ce droit ou parce qu’un vide juridique apparaît. Il y a
quer qu’en cas d’échec de l’interprétation lieu, ensuite, de faire application d’autres dispositions
conforme »55. de droit national pour autant qu’une interprétation
conforme au droit européen soit envisageable. Enfin,
Nous ne nous attarderons pas davantage sur ces ques- si aucune de ces précédentes solutions n’est satisfai-
tions pour privilégier d’emblée, à l’instar de Maartje sante, la responsabilité de l’Etat défaillant pourrait
Verhoeven56, la méthode d’articulation de ces prin- être engagée.
cipes développée par Sacha Prechal57 au moyen de la
démarche suivante se déroulant en trois temps. Nous noterons d’emblée que ces principes peuvent,
en matière fiscale, engendrer des problématiques liées
Dans un premier temps, il s’agit, d’abord, d’enjoindre à la détermination de l’impôt, matière qui, sauf excep-
les juridictions nationales – et, eu égard au propos de tion (droits de douane), ne relève pas, sur pied des
cette contribution, les administrations nationales – à traités, de la compétence explicite des instances euro-
appliquer impérativement le droit européen, cette péennes à défaut d’accord entre les Etats membres.
obligation se confondant avec le principe d’effet di-
rect, à savoir, l’obligation, concernant les instances
précitées, « d’appliquer la disposition de droit euro-
péen pertinente en tant que critère de légalité ou
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
53. Selon Maartje Verhoeven, cette position pourrait être comprise à la lecture de l’arrêt Pfeiffer exhortant le juge national à user des méthodes d’interprétation
prévues par son droit interne aux fins d’une interprétation conforme de celui-ci aux dispositions d’une directive : « Si le principe d’interprétation conforme du droit
national, ainsi imposé par le droit communautaire, concerne au premier chef les dispositions internes introduites pour transposer la directive en cause, il ne se limite pas,
toutefois, à l’exégèse de ces dispositions, mais requiert que la juridiction nationale prenne en considération l’ensemble du droit national pour apprécier dans quelle
mesure celui-ci peut recevoir une application telle qu’il n’aboutit pas à un résultat contraire à celui visé par la directive (voir, en ce sens, arrêt Carbonari e.a., précité, points
49 et 50). » ; « À cet égard, si le droit national, par l'application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, permet, dans certaines circonstances, d'interpréter
une disposition de l'ordre juridique interne de telle manière qu'un conflit avec une autre norme de droit interne soit évité ou de réduire à cette fin la portée de cette
disposition en ne l'appliquant que pour autant qu'elle est compatible avec ladite norme, la juridiction a l'obligation d'utiliser les mêmes méthodes en vue d’atteindre le
résultat poursuivi par la directive. » ; « En l'espèce, il incombe dès lors à la juridiction de renvoi, saisie de litiges tels que ceux au principal, qui relèvent du domaine
d’application de la directive 93/104 et trouvent leur origine dans des faits postérieurs à l’expiration du délai de transposition de cette dernière, lorsqu’elle applique les
dispositions du droit national destinées spécialement à transposer cette directive, de les interpréter dans toute la mesure du possible d’une manière telle qu’elles puissent
recevoir une application conforme aux objectifs de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2000, Centrosteel, C-456/98, Rec. p. I-6007, points 16 et 17). » (C.J.C.E.,
5 octobre 2004, (Bernhard Pfeiffer, Wilhelm Roith, Albert Süß, Michael Winter, Klaus Nestvogel, Roswitha Zeller et Matthias Döbele c. Deutsches Rotes Kreuz, Kreisverband
Waldshut eV), C-397/01 à C-403/01, Rec. C.J.C.E., 2004, I, p. 8 835.)
54. cf. C.J.C.E., 4 juillet 2006 (Konstantinos Adeneler et autres c. Ellinikos Organismos Galaktos), C-212/04, Rec. C.J.C.E., 2006, I, p. 6 057, § 124 : « dans l’hypothèse de la
transposition tardive dans l’ordre juridique de l’État membre concerné d’une directive ainsi que de l’absence d’effet direct des dispositions pertinentes de celle-ci, les
juridictions nationales sont tenues, dans toute la mesure du possible, d’interpréter le droit interne, à partir de l’expiration du délai de transposition, à la lumière du texte
et de la finalité de la directive en cause aux fins d’atteindre les résultats poursuivis par cette dernière, en privilégiant l’interprétation des règles nationales la plus conforme
à cette finalité pour aboutir ainsi à une solution compatible avec les dispositions de ladite directive. »
55. P. d’ARGENT, op. cit., p. 361 ; cf. C.J.C.E., 10 septembre 1996 (Commission des Communautés européennes c. République fédérale d'Allemagne), C-61/94, Rec. C.J.C.E.,
1996, I, p. 3 989, § 52 : « En effet, lorsqu’un texte de droit communautaire dérivé exige une interprétation, il doit être interprété, dans la mesure du possible, dans le sens
de sa conformité avec les dispositions du traité. Un règlement d’exécution doit également faire l’objet, si possible, d’une interprétation conforme aux dispositions du
règlement de base (voir arrêt du 24 juin 1993, Dr Tretter, C-90/92, Rec. p. I-3569, point 11). De même, la primauté des accords internationaux conclus par la Communauté
sur les textes de droit communautaire dérivé commande d’interpréter ces derniers, dans la mesure du possible, en conformité avec ces accords ».
56. Cf. M. VERHOEVEN, op. cit., p. 39.
57. Cf. S. PRECHAL, « Direct Effet, Indirect Effect, Supremacy and the Evolving Constitution of the European Union », C. BARNARD, The Fundamentals of EU Law
revisited : Assessing the Impact of the constitutional Debate, Oxford, Oxford University Press, 2007, pp. 35 à 65.
58. Cf. M. VERHOEVEN, op. cit., p. 21 où l’auteur, citant Sacha Prechal (Directives, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 241), définit l’effet direct comme « the
obligation of national courts and administrative authorities to apply the relevant provision of European law as a standard for legality or other forms of compatibility
review or as a norm which governs the case ».
59. L’inapplication n’aboutit pas à la déclaration de nullité de la disposition de droit interne. Elle se limite à rendre inapplicable ladite disposition dans le cas d’espèce
où un conflit de normes a surgi.
I.5.a. Principe général du droit de la primauté du A l’instar de ce que préconisent Maartje Verhoeven et
droit européen sur toutes les normes nationales Sacha Prechal, la Cour de cassation paraît affirmer
qu’en cas de conflit normatif, celui-ci se doit d’être
Il est un arrêt bien connu de la Cour de cassation, à d’abord résolu en recourant à l’interprétation
savoir l’arrêt Le Ski60 du 27 mai 1971, par le biais du- conforme du droit interne au droit international66.
quel a été consacrée la primauté du droit international
sur le droit interne belge lorsque la norme de droit I.5.b. Droit européen et Constitution belge
international est dotée de l’effet direct. C’est,
d’ailleurs, à l’occasion d’un conflit entre une norme Une controverse persistante anime la jurisprudence et
de droit communautaire et une norme de droit belge la doctrine s’agissant des rapports qu’entretiennent la
que l’arrêt dont question a été rendu. Constitution belge et les normes issues du droit inter-
national – et notamment du droit européen – ayant
Par la suite, la Cour de cassation a précisé sa jurispru- effet direct en droit interne belge.
dence en proclamant expressément, dans le motif de
nombreuses décisions, que la primauté du droit inter- Comme précisé ci-dessus, la Cour de cassation a consi-
national ayant effet direct sur le droit interne belge déré à de multiples et permanentes reprises67 que
constitue un principe général du droit61. Plus précisé- semblables normes internationales priment toute
ment et pour ce qui nous intéresse, la Cour a énoncé norme de droit interne et, par la force des choses, toute
que la primauté du droit européen sur toutes les norme de rang constitutionnel. La primauté du droit
normes nationales constitue un principe général du européen68, d’une part, et de la Convention euro-
droit62.
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
péenne des droits de l’homme69, d’autre part, sur la de règles de droit dérogeant à celle-ci. L’argumentaire
Constitution a été confirmée par quatre arrêts de cas- du Conseil d’Etat ne repose toutefois pas sur l’exis-
sation datés des 2 juin 2003, 9 novembre 2004 et tence d’un principe général du droit, mais sur une in-
16 novembre 2004. terprétation de la Constitution elle-même qui, en son
article 34, indique que « l’exercice de pouvoirs déter-
Gardienne de la Constitution, la Cour constitution- minés peut être attribué par un traité ou par une loi à
nelle s’oppose, quant à elle, à la position adoptée par des institutions de droit international public ». Les
la haute juridiction de l’ordre judiciaire et ce, notam- faits de la cause pourraient intéresser notre propos,
ment par une jurisprudence amorcée dès l’arrêt raison pour laquelle nous pensons devoir les relater et
n° 12/94 du 3 février 199470 rendu sur question préju- reproduire certains passages de l’arrêt dont question.
dicielle lorsqu’elle était encore Cour d’arbitrage. En Le litige se rapportait à un arrêté royal du 26 sep-
effet, la Cour constitutionnelle, pouvant connaître de tembre 1994 qui autorisait l’accès à la fonction pu-
la constitutionnalité d’une norme législative sur ques- blique belge des citoyens ressortissants de l’Union eu-
tion préjudicielle ou recours en annulation, se recon- ropéenne et ce, sous certaines conditions. Cet arrêté
naît également compétente pour contrôler la confor- royal avait été adopté afin de transposer en droit belge
mité d’un traité international au regard de la Constitu- l’interprétation jurisprudentielle qu’a développée la
tion et ce, par le biais du contrôle de la loi, du décret Cour de justice à propos de la libre circulation des
ou de l’ordonnance portant assentiment au traité en travailleurs et en vertu de laquelle il est requis des
cause71. Dans le considérant B.4 de l’arrêt précité, elle Etats membres d’ouvrir aux citoyens de l’Union « les
y indiquait ainsi que « le Constituant, qui interdit que emplois dans l’administration publique qui ne com-
le législateur adopte des normes législatives internes portent aucune participation, directe ou indirecte, à
contraires aux normes visées par l’article 107ter de la l’exercice de la puissance publique et aux fonctions
Constitution, ne peut être censé autoriser ce législa- qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux
teur à le faire indirectement par le biais de l’assenti- de l’Etat ou des autres collectivités publiques ». Les
ment donné à un traité international. Par ailleurs, au- requérants introduisirent un recours en annulation
cune norme du droit international – lequel est une devant le Conseil d’Etat en contestant la légalité de
création des Etats – même pas l’article 27 de la l’arrêté royal litigieux. En effet, l’article 10, alinéa 2,
Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, de la Constitution souligne que seuls les Belges sont
ne donne aux Etats le pouvoir de faire des traités admissibles aux emplois civils et militaires sauf les
contraires à leur Constitution »72. exceptions prévues par la loi, ce que n’est pas un ar-
rêté royal, celui-ci étant au mieux une norme d’ordre
Le Conseil d’Etat poursuit une démarche différente – réglementaire. Eu égard à cet argument, le Conseil
du moins en sa section du contentieux administratif73 d’Etat motiva sa décision comme suit :
– de celles des deux cours suprêmes judiciaire et
constitutionnelle. Dans son célèbre arrêt Orfinger74 du « Que la question que le moyen impose de résoudre
5 novembre 1996, le Conseil d’Etat consacre non pas est donc celle de la compatibilité entre la Constitution
nécessairement la supériorité, mais davantage la et l’interprétation donnée à une disposition du Traité,
conformité du droit européen – à tout le moins pri- longtemps après l’adoption de celui-ci, par les autori-
maire – sur la Constitution et ce, en tant que corpus tés qu’il a instituées en vue de donner à ses disposi-
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Cour de justice et consacre ainsi le principe de la primauté du droit communautaire sur le droit national, en ce compris le droit constitutionnel, alors même qu’il ne lui
était pas expressément demandé de se prononcer sur le conflit opposant le droit communautaire et le droit constitutionnel » (M. MAHIEU et J.van MEERBEECK, op. cit.,
p. 65).
69. Cass., 9 novembre 2004, R.C.J.B., 2007, p. 31 ; Cass., 14 novembre 2004, R.C.J.B., 2007, pp. 36 et 40.
70. C.A., 3 février 1994, n° 12/94, M.B., 11 mars 1994, p. 6 137.
71. Il convient de noter qu’en vertu de l’article 26, § 1erbis, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, sont exclus de la possibilité de faire l’objet
de questions préjudicielles « les lois [...] par lesquelles un traité constituant de l’Union européenne ou de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales ou un Protocole additionnel à cette Convention reçoit l’assentiment ».
72. Concernant le recours à l’argument touchant au droit international, Pierre d’Argent relève que cette position dénote « une étrange conception du droit internatio-
nal – même si, dans sa simplicité apparente l’affirmation, est exacte : aucune règle de droit des gens n’existe en effet en ce sens. En réalité, [...] le droit international
n’autorise ni n’interdit aux Etats de conclure des traités contraires à leur constitution. Il les laisse parfaitement libres à cet égard. Envisager la possibilité qu’il pourrait leur
“donner (ou ne pas leur donner) le pouvoir de faire des traités contraires à leur Constitution” revient dès lors erronément à considérer que le droit des gens constitue la
souveraineté étatique et attribue aux Etats membres leurs compétences. Ce qu’il n’est ni ne fait. Ce n’est donc pas parce qu’aucune norme de droit international ne donne
aux Etats le pouvoir de conclure des traités contraires à leur constitution qu’ils ne peuvent pas, en droit des gens, conclure de tels traités. L’absence de règle d’habilitation
ne signifie donc rien en droit international – et cette absence devrait être indifférente en droit constitutionnel. La preuve en est que le droit des gens tient pour parfaite-
ment valable le traité conclu au mépris des règles constitutionnelles. C’est tout le sens de l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités cité par la Cour,
duquel elle semble tirer une autre logique et dont elle passe sous silence l’exception, à savoir l’article 46 (violation manifeste d’une règle interne d’importance fondamen-
tale relative à la compétence pour conclure des traités) » (P. d’ARGENT, op. cit., pp. 367 et 368).
73. Il convient de noter que la position de la section de législation du Conseil d’Etat se distingue quelque peu de – mais ne contredit pas nécessairement (cf. Y.
LEJEUNE, op. cit., p. 391) – celle de la section du contentieux administratif. En effet, « l’interrogation fondamentale que suscite l’article 34 est de savoir si cette
habilitation est susceptible de couvrir aussi les dispositions de ces traités qui vont au-delà de l’attribution de l’exercice de pouvoirs à ces institutions et portent atteinte de
la sorte à d’autres dispositions constitutionnelles que celles auxquelles l’article 34 permet explicitement de déroger – c’est-à-dire à des règles substantielles inscrites dans
la Constitution -. Selon la section de législation du Conseil d’Etat, de telles dérogations ne peuvent être considérées comme “étant admises” par l’article 34 et appellent
donc une révision préalable de la Constitution » (Y. LEJEUNE, op. cit., p. 388 ; l’auteur renvoie ainsi aux avis de la section de législation du Conseil d’Etat sur le projet
de loi d’assentiment au Traité établissant une Constitution pour l’Europe, sur le projet de loi portant assentiment au Traité de Lisbonne et sur le projet de loi
portant assentiment au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Doc. parl., Sénat, sess. 2004-2005, n° 3-1091/1, n° 6, p. 529, § 6 ; sess. 2007-2008, n° 4-
568/1, n° 9, p. 340, § 9 ; sess. 1999-2000, n° 2-329/1, p. 95).
74. C.E. (6e ch.), Orfinger, n° 62.922, 5 novembre 1996, J.T., 1997, p. 256.
Considérant que l’article 34 de la Constitution permet Selon Yves Lejeune, l’article 34 de la Constitution
que l’exercice de pouvoirs déterminés soit attribué par « permet ainsi au Conseil d’Etat de justifier la confor-
un traité ou par une loi à des institutions de droit in- mité à la Constitution de l’interprétation donnée par
ternational public ; [...] ; que cet article ne détermine la Cour de justice de l’Union européenne, dans l’exer-
nullement les pouvoirs qui peuvent être attribués, et cice de ses fonctions, à une disposition du droit euro-
ne les limite donc nullement ; péen primaire qui, interprétée de la sorte, apparaîtrait
pourtant incompatible avec la Constitution. Et », Yves
[...] Lejeune de citer des arrêts de la Cour constitutionnelle
pour interpréter la logique animant le Conseil d’Etat,
Considérant que lorsqu’un conflit existe entre une « comme “l’interprétation que la Cour de justice
norme de droit interne et une norme de droit interna- donne d’une règle du droit de l’Union, dans l’exercice
tional qui a des effets direct dans l’ordre juridique in- de la compétence que lui confère l’article 267 du
terne, la règle établie par le traité doit prévaloir ; que, Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
selon une jurisprudence constante de la Cour de jus- éclaire et précise la signification et la portée de cette
tice des Communautés européennes, le recours à des règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et
dispositions de l’ordre juridique interne afin de limi- appliquée depuis le moment de son entrée en vi-
ter la portée des dispositions du droit communautaire gueur”75, toutes les contradictions entre la Constitu-
aurait pour conséquence de porter atteinte à l’unité et tion et le droit primaire de l’Union, qu’elles aient déjà
à l’efficacité de ce droit et ne saurait dès lors être été constatées ou qu’elles soient encore éventuelles,
admis, même si les dispositions de droit interne sont devraient être considérées comme autant de déroga-
celles de la Constitution (C.J.C.E., 2 juillet 1996, aff. tions autorisées par l’article 34 de la Constitution »76.
C-473/93, Commission c. Grand-Duché de Luxem-
bourg) ; que, du point de vue constitutionnel belge, Face aux divergences jurisprudentielles émanant des
l’autorité de l’interprétation donnée au Traité de trois cours suprêmes de l’ordre juridique belge, la
Rome par la Cour de justice repose sur l’article 34 de doctrine est elle-même partagée. Au-delà des considé-
la Constitution, quand bien même cette interprétation rations habituelles afférentes au monisme77 ou au dua-
aboutirait à arrêter les effets d’une partie des articles lisme78, Yves Lejeune comprend les principes de pri-
8 et 10 de la Constitution ; mauté du droit international en général et du droit
européen en particulier comme une expression juris-
[...] prudentielle circonstanciée du principe général du
droit relatif à la bonne foi en ce qu’« ils généralisent le
[Que] le principe de l’état de droit impose que les principe du respect des engagements pris par l’Etat
règles communautaires soient intégralement appli- [...], c’est-à-dire de la loyauté dans la conclusion et
quées ; l’exécution des actes juridiques »79 et ce, en raison de
la nature conventionnelle du droit international. Ces
[...] principes de primauté seraient ainsi matériellement
constitutionnels en ce qu’ils régissent les rapports
Considérant que l’obligation d’ouvrir aux ressortis- entre les règles de droit interne et les règles de droit
sants de l’Union européenne les emplois publics international, mais n’attribueraient aux traités eux-
autres que ceux qui comportent une participation, di- mêmes qu’une primauté infra-constitutionnelle sur
recte ou indirecte, à l’exercice de la puissance pu- toute autre règle de droit interne car « toute tentative
blique et aux fonctions qui ont pour objet la sauve- d’assujettir la Constitution elle-même à la primauté
garde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres du droit international sera inconstitutionnelle tant
collectivités publiques, existe dans le droit positif ap- que le Constituant lui-même n’en aura pas décidé au-
plicable en Belgique en vertu du Traité de Rome et de trement »80. En ce sens, Yves Lejeune produit une
l’interprétation que lui a donnée la Cour de justice des conception davantage classique des relations entre
Constitution et droit international, qui ne se distingue
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
75. C. const., n° 90/2012 du 12 juillet 2012, B.13.5 et n° 118/2012 du 10 octobre 2012, B.5.5.
76. Y. LEJEUNE, op. cit., p. 391.
77. La théorie moniste considère grosso modo que n’existe qu’un seul ordre juridique auquel appartiennent aussi bien le système relatif au droit international et le
système propre à chaque droit interne particulier, rassemblés dans une seule pyramide des normes. Au sein du monisme figurent différents courants, notamment
le monisme consacrant la primauté du droit international sur le droit interne, par opposition au monisme consacrant la primauté du droit interne sur le droit
international.
78. Sans entrer dans le détail, les théories dualistes proclament l’existence de l’ordre juridique international et des ordres juridiques internes séparés entre eux par
une cloison étanche. L’incorporation de règles internationales dans le droit interne s’opère par une transformation de ces règles en règles de droit interne par la
volonté propre de l’Etat les intégrant dans son ordre juridique interne. En l’absence de pareille incorporation, les particuliers seraient dépourvus du droit d’invo-
quer les règles de droit international en vue de les appliquer à leur situation.
79. Y. LEJEUNE, op. cit., p. 384.
80. Y. LEJEUNE, op. cit., p. 396.
du monisme ou du dualisme qu’en ce qu’elle ne se 2003/54/CE, celle-ci prévoyait que lesdites méthodes
rapporte pas à une expression traditionnelle de ces de calcul seraient désormais fixées par une autorité de
courants. régulation, in casu la CREG, le Roi ne jouissant plus
que du pouvoir d’approuver ou de rejeter les projets
Néanmoins, s’agissant du droit européen lui-même, de décision soumis par l’autorité de régulation, et non
Yves Lejeune semble abonder dans le sens du Conseil de les modifier. En ce sens, la directive dont question
d’Etat et agencer le droit européen et la Constitution, limitait le pouvoir exécutif fédéral du Roi et, par là
non pas seulement sur la base du principe de bonne même, dérogeait « à l’interprétation que deux disposi-
foi, mais sur la Constitution elle-même et son ar- tions de la Constitution [avaient] toujours reçue »84.
ticle 34 qui, en prévoyant la possibilité d’accorder La Cour constitutionnelle annule la loi de confirma-
l’exercice de pouvoirs déterminés par un traité ou par tion en cause pour violation des dispositions de la Di-
une loi à des institutions de droit international, confé- rective 2003/54/CE combinées avec le principe d’éga-
rerait au droit européen une valeur constitutionnelle lité et de non-discrimination alors que la directive
et, dès lors, la possibilité de déroger à la Constitution dont question apparaissait, à première vue, contraire
elle-même81. Dès lors, « l’interrogation fondamentale à la Constitution. Yves Lejeune de souligner qu’« en
que suscite l’article 34 est de savoir si cette habilita- d’autres termes, la directive qui déroge aux disposi-
tion est susceptible de couvrir aussi les dispositions tions constitutionnelles relatives à l’attribution du
de ces traités qui vont au-delà de l’attribution de pouvoir exécutif acquiert valeur constitutionnelle –
l’exercice de pouvoirs à ces institutions et portent at- sous réserve implicite de sa conformité au droit pri-
teinte de la sorte à d’autres dispositions constitution- maire de l’Union – et permet à la Cour constitution-
nelles que celles auxquelles l’article 34 permet expli- nelle d’annuler la loi qui ne la respecte pas »85.
citement de déroger – c’est-à-dire des règles substan-
tielles inscrites dans la Constitution »82. Jérémie van Meerbeeck et Michel Mahieu, pour leur
part, semblent admettre les conclusions auxquelles
L’approche d’Yves Lejeune paraît ainsi avoir été aboutit la jurisprudence de la Cour de cassation. La
confirmée par la Cour constitutionnelle elle-même primauté du droit européen – à tout le moins dérivé –
dans un arrêt 97/2011 du 31 mai 2011 rendu à la suite sur le droit interne belge, en ce compris constitution-
de l’introduction d’un recours en annulation, où était nel, aurait néanmoins pour limite un noyau dur
en cause la constitutionnalité d’une loi de confirma- constitutionnel, « sorte d’ordre public belge constitu-
tion d’un arrêté royal pris en matière de régulation de tionnel qui permettrait d’écarter la norme communau-
l’électricité et du gaz. En vertu dudit arrêté, le Roi avait taire qui y porterait atteinte et que l’on pourrait défi-
eu l’intention, à ce qu’il semble, d’exercer le pouvoir nir comme étant l’ensemble des règles constitution-
exécutif fédéral que lui attribuent les articles 33 et 37 nelles dont la violation entraînerait une dénaturation
de la Constitution83, en modifiant les propositions de radicale de l’ordre juridique dont elles constituent le
régulation arrêtées par la Commission de Régulation fondement »86. A cet égard, ces auteurs pensent au
de l’Electricité et du Gaz (ci-après la CREG) visant à principe de la séparation des pouvoirs87 et aux règles
fixer les méthodes de calcul des tarifs de distribution. répartitrices de compétences88.
La matière étant à l’époque régie par une Directive
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
81. Y. LEJEUNE, op. cit., p. 397. Pour une critique l’arrêt Orfinger du Conseil d’Etat, voy. P. d’ARGENT, op. cit., p. 369 : « Plus radicalement, on peut s’interroger sur le recours
à l’argument de la “primauté” par le juge du contentieux objectif de la légalité pour rejeter un grief d’incompétence interne. La “primauté” est en effet la solution à un
conflit de normes qui prétendent l’une et l’autre s’appliquer. La primauté désigne la seule norme à appliquer au bénéfice d’un particulier. Dans ces arrêts, le Conseil d’Etat
n’utilise pas la primauté pour écarter une règle de droit interne au profit d’une règle internationale d’effet direct appliquée au bénéfice de particuliers ; l’argument de
primauté est utilisé afin de changer de norme de référence servant au contrôle objectif de légalité. Les particuliers continuant de jouir des droits qui leur sont directe-
ment conférés par la norme internationale, la question est donc de savoir si l’acte réglementaire interne contraire à une règle fondamentale du droit interne peut échap-
per à la constatation de sa nullité parce qu’il serait conforme à une règle de droit international, ne faisant d’ailleurs que la répéter, l’incarner en une forme interne. La
“primauté” qui est en cause en ce cas n’a rien de commun avec la primauté du droit international directement applicable qui est en jeu dans le contentieux des droits
subjectifs. C’est que la “primauté” invoquée dans le contentieux objectif de la légalité cache en effet une question de répartition de compétences entre le droit interne et
le droit international, au sens où cette question se pose dans les Etats fédéraux entre autorités fédérées et fédérale. Le résultat auquel aboutit le Conseil d’Etat, qui réduit
l’arrêté royal entrepris à une simple mesure d’information vidée de toute substance normative par défaut de compétence des autorités belges en la matière, est très
éloquent à cet égard. Il n’est pas sûr que cette solution soit en tous points convaincante, non seulement parce que la logique de “primauté” utilisée pour y arriver est
inadaptée voire trompeuse, mais surtout parce que la conception des rapports entre les compétences nationales et communautaires qui s’y exprime procède d’une
certaine anticipation. »
82. Y. LEJEUNE, op. cit., p. 388.
83. L’article 33 stipule que « Tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution », tandis que l’article 37 indique qu’« Au Roi
appartient le pouvoir exécutif fédéral, tel qu’il est réglé par la Constitution ».
84. Y. LEJEUNE, op. cit., p. 394.
85. Y. LEJEUNE, op. cit., p. 394.
86. M. MAHIEU et J.van MEERBEECK, op. cit., pp. 83 et 84.
87. Le principe de la séparation des pouvoirs est consacré notamment par les articles 33, 36, 37 et 40 de la Constitution. L’article 36 stipule ainsi que « Le pouvoir
législatif fédéral s’exerce collectivement par le Roi, la Chambre des représentants et le Sénat », tandis que l’article 40 précise que « Le pouvoir judiciaire est exercé par
les cours et tribunaux. Les arrêts et jugements sont exécutés au nom du Roi ».
88. Les auteurs énoncent l’exemple suivant : « Une hypothèse comparable a été constatée par M. le premier avocat général Leclercq dans la mercuriale prononcée lors de
l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation le 1er septembre 2006. Commentant le traité Benelux en matière d’intervention policière transfrontalière du
8 juin 2004, dont plusieurs dispositions sont directement applicables, M. Leclercq relève que l’article 44 de ce traité, relatif à son interprétation et à celle du droit qui en
dérive, dispose : “(1) Un différend relatif à l’interprétation ou à l’application du Traité sera traité par une commission consultative instituée à cette fin ; cette
commission est composée de représentants des parties contractantes et elle se réunit à la demande d’une partie contractante ou en cas de nécessité afin de
tenter de régler un différend relatif à l’interprétation ou l’application du Traité ; (2) Un différend qui ne peut pas être résolu par la commission consultative
précitée sera réglée par la voie diplomatique”. M. Leclercq relève que “la solution me paraît moins heureuse dans le cas où des (justiciables) seraient en droit de
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
revendiquer l’application, à leur profit, de dispositions du Traité ou du droit dérivé du Traité parce que ces dispositions ont un effet direct. Selon moi, la solution
prévue par le Traité se heurterait, en droit belge, au principe général du droit de la séparation des pouvoirs, si d’aventure, invoquant un cas de nécessité (ar-
ticle 44.1) un juge belge posait une question préjudicielle à la commission consultative “trilatérale” composée (...) non pas de magistrats indépendants et appar-
tenant à l’ordre judiciaire dans l’un ou l’autre des trois pays, mais de – je cite le Traité – « représentants des parties contractantes »”. Le principe de la séparation
des pouvoirs, consacré par les articles 33, 36, 37 et 40 de la Constitution, constitue assurément un principe général relevant du droit constitutionnel bien qu’il ne soit pas
absolu. Invité à appliquer l’article 44 du Traité, et donc à se dessaisir de sa fonction juridictionnelle au profit d’un organe administratif, le juge national ne pourrait-il s’y
refuser, en considérant que cette règle conventionnelle méconnaît une règle constitutionnelle dont le contenu est à ce point essentiel qu’elle ne peut souffrir d’autre
exception que celles qui sont prévues par la Constitution ? » (M. MAHIEU et J.van MEERBEECK, op. cit., p. 85).
89. F. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour un théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002.
90. F. OST et M. van de KERCHOVE, ibidem, p. 49.
91. F. OST et M. van de KERCHOVE, ibidem, pp. 97 à 107.
92. F. OST et M. van de KERCHOVE, ibidem, pp. 65 à 78.
93. M. MORIS, « Le droit au respect de la sécurité juridique et autres principes de bonne administration en droit fiscal ou la consécration de l’insécurité juridique ? »,
J.D.F., 2002, pp. 152 à 155 ; cf. T. AFSCHRIFT et L. ACHTARI, « Les principes de sécurité juridique et de confiance légitime en droit fiscal », Les dialogues de la Fiscalité
– Anno 2012, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 429 à 436.
94. M. DASSESSE, « Principe de l’équivalence et Charte des droits fondamentaux : les heureuses implications fiscales de la jurisprudence de la Cour de justice de
l’Union européenne », R.G.F., 2015, n° 3, p. 4.
95. C.J.U.E., 26 février 2013 (Åklagaren c. Hans Åkerberg Fransson), C-617/10, non encore publié, § 44.
96. M. MORIS, « Le droit au respect de la sécurité juridique et autres principes de bonne administration en droit fiscal ou la consécration de l’insécurité juridique ? »,
J.D.F., 2002, p. 153.
97. M. MORIS, « Le droit au respect de la sécurité juridique et autres principes de bonne administration en droit fiscal ou la consécration de l’insécurité juridique ? »,
J.D.F., 2002, p. 154.
péenne des droits de l’homme, la fiscalité dans son national en cas de conflit entre les droits garantis par
ensemble s’intègrerait – eu égard à la question des cette convention et une règle de droit national »103.
droits fondamentaux – à l’ordre juridique de l’Union
d’autant que la Cour considère, par une jurisprudence
constante, que « si la fiscalité directe relève de la com-
pétence des Etats membres, ces derniers doivent tou-
II. La jurisprudence Fratelli Costanzo
tefois exercer celle-ci dans le respect du droit commu-
Sur la base des éléments développés jusqu’ici, il est
nautaire »98. En ce sens, la Convention européenne des
communément admis qu’en présence d’un conflit nor-
droits de l’homme régirait, en tant que principes géné-
matif, une juridiction nationale se doit d’écarter – en
raux du droit de l’Union, l’ensemble du droit fiscal,
raison de la primauté du droit de l’Union sur le droit
notamment dans les aspects afférents aux principes
interne – une norme de droit interne contraire à une
de bonne administration en général et de la sécurité
norme de droit européen dotée de l’effet direct et
juridique en particulier.
d’appliquer celle-ci à l’espèce qui lui est soumise.
Ce courant doctrinal a été consacré, en matière d’im-
Une obligation similaire, pourtant quelque peu mé-
pôts sur les revenus, par la jurisprudence belge, entre
connue, s’impose également aux administrations na-
autres, par le tribunal de première instance de
tionales. C’est ce qu’il ressort de la jurisprudence de
Bruxelles dans un jugement du 23 mai 200799 et par
la Cour de justice consacrée notamment dans l’arrêt
un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 9 sep-
Fratelli Costanzo104 du 22 juin 1989, lequel a donné
tembre 2014100 et, implicitement en matière de droits
son nom à l’obligation et la jurisprudence éponymes.
de succession, par un arrêt de la Cour d’appel de
Bruxelles du 9 septembre 2014101également.
La présente partie rappellera brièvement la première
obligation – relative à l’interprétation conforme – s’im-
Néanmoins, il semble que cette approche soit désor-
posant aux administrations nationales avant de tracer
mais contredite depuis l’entrée en vigueur de la Charte
l’historique de la jurisprudence dont question en s’at-
européenne des droits fondamentaux, qui eut lieu le
telant à décrire les faits de certains arrêts importants
1er décembre 2009, étant donné qu’en vertu de l’ar-
de la Cour, pour finir par déterminer à quelles admi-
ticle 51 de celle-ci, les dispositions de ladite Charte
nistrations s’impose l’obligation en question et les li-
qui recouperaient les droits fondamentaux consacrés
mites qui caractérisent celle-ci.
notamment par la Convention européenne des droits
de l’homme ne s’adresseraient plus « aux institutions,
organes et organismes de l'Union dans le respect du II.1. Les administrations nationales et l’inter-
principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres » prétation conforme
que dans la mesure où ils mettent en œuvre le droit de
Avant d’aborder le cœur de notre propos, il est utile
l'Union102. Le détour par le droit de propriété en tant
de rappeler dans un premier temps qu’à l’instar des
que droit intégré à l’ordre juridique européen ne suffi-
juridictions nationales, les administrations nationales
rait plus.
sont tenues d’appliquer le droit européen tel qu’il res-
sort de la position adoptée par Sacha Prechal.
Compte tenu de ces considérations et de l’intégration
Lorsqu’un conflit normatif apparaît, les administra-
de la Convention européenne des droits de l’homme
tions nationales se doivent d’abord d’interpréter le
au sein de l’Union européenne en tant que principes
droit national conformément au droit européen105.
généraux de celui-ci et dans la mesure où il est mis en
Cette obligation est essentiellement pertinente pour
œuvre un impôt régi par l’ordre juridique de l’Union,
l’application des directives soit incorrectement trans-
il nous semble concevable que, mutatis mutandis, il
posées en droit interne, soit non transposées dans le
peut être fait application ici des commentaires déve-
délai imparti.
loppés plus haut et afférents aux rapports qu’entre-
tiennent droit interne et droit européen bien que « le
La Cour de justice a précisé dans un arrêt Henkel106 du
droit de l’Union ne régit pas les rapports entre la CEDH
12 février 2004 que cette obligation s’imposait aux au-
et les ordres juridiques des Etats membres et ne déter-
torités administratives, à savoir en l’espèce, l’Office
mine pas non plus les conséquences à tirer par un juge
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
98. C.J.C.E., 13 avril 2000 (C. Baars c. Inspecteur der Belastingen Particulieren/Ondernemingen Gorinchem), C-251/98, Rec. C.J.C.E., 2000, I, p. 2787, § 17 ; cité par M. MORIS,
« Le droit au respect de la sécurité juridique et autres principes de bonne administration en droit fiscal ou la consécration de l’insécurité juridique ? », J.D.F., 2002,
p. 155.
99. Civ. Bruxelles, 23 mai 2007, Courr. fisc., 2007, p. 645.
100. Bruxelles, 9 septembre 2014, rôle n° 2012/AR/649, Fiscalnet ; cf. S. VAN COMBRUGGE, « I.Soc. ou IPM : le principe de sécurité juridique joue-t-il également un
rôle ? », Fiscologue, 2015, n° 1418, pp. 5 à 7.
101. Bruxelles, 9 septembre 2014, rôle n° 2012/AR/1441, Fiscalnet.
102. M. MORIS, Procédure fiscale approfondie en matière d’impôts directs, Limal, Anthemis, 2014, p. 80.
103. C.J.U.E., 26 février 2013 (Åklagaren c. Hans Åkerberg Fransson), C-617/10, non encore publié, § 44.
104. C.J.C.E., 22 juin 1989 (Société Fratelli Costanzo c. Commune de Milan), C-103/88, Rec. C.J.C.E., 1989, I, p. 1 861.
105. Cf. M. VERHOEVEN, op. cit., p. 82.
106. C.J.C.E., 12 février 2004 (Henkel KGaA), C-218/01, Rec. C.J.C.E., 2004, I, p. 1 725.
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
condamna la pratique douanière allemande comme ment une question préjudicielle par laquelle elle de-
étant contraire aux dispositions européennes préci- mandait si, à l’instar des juridictions nationales, une
tées116. A cette occasion, l’arrêt contenait les prémices administration avait l’obligation d’écarter une dispo-
de ce qui allait devenir la jurisprudence Fratelli Cos- sition de droit interne contraire aux dispositions d’une
tanzo. En effet, la position du juge européen apparaît directive et, par là même, de faire application de
davantage claire sur la question qui nous occupe celles-ci. La Cour de rappeler qu’en présence d’une
lorsqu’il statue qu’« il convient de remarquer d'abord directive dotée de l’effet direct si « les particuliers sont
qu'en vertu de l'article 189 du traité117le règlement fondés à invoquer les dispositions d'une directive de-
“est obligatoire dans tous ses éléments et est directe- vant les juridictions nationales, c'est parce que les
ment applicable dans tout État membre”. La directive obligations découlant de ces dispositions s'imposent
“lie tout État membre destinataire quant au résultat à à toutes les autorités des États membres ». En ce sens,
atteindre”, tout en laissant aux instances nationales il serait, dès lors, « contradictoire de juger que les par-
la compétence quant à la forme et aux moyens. Selon ticuliers sont fondés à invoquer les dispositions d'une
la jurisprudence de la Cour, l'effet contraignant de la directive remplissant les conditions dégagées ci-des-
directive implique qu'une autorité nationale ne peut sus, devant les juridictions nationales, en vue de faire
opposer à un particulier une disposition législative ou censurer l'administration, et d'estimer néanmoins que
administrative nationale qui ne serait pas conforme à celle-ci n'a pas l'obligation d'appliquer les disposi-
une disposition de la directive qui aurait toutes les tions de la directive en écartant celles du droit natio-
caractéristiques nécessaires pour pouvoir être appli- nal qui n'y sont pas conformes. Il en résulte que,
quée par le juge » et « de la même façon, un justi- lorsque sont remplies les conditions requises par la
ciable ne peut se voir opposer par une autorité natio- jurisprudence de la Cour pour que les dispositions
nale des dispositions législatives ou administratives d'une directive puissent être invoquées par les parti-
qui ne seraient pas conformes à une obligation incon- culiers devant les juridictions nationales, tous les or-
ditionnelle et suffisamment précise de la directive »118. ganes de l'administration, y compris les autorités dé-
centralisées, telles les communes, sont tenus de faire
Dans la chronologie que nous établissons, vient le tour application de ces dispositions ». C’est pourquoi,
de l’arrêt Fratelli Costanzo119 du 22 juin 1989. L’af- « tout comme le juge national, une administration, y
faire concernait l’offre soumise par la société éponyme compris communale, a l'obligation d'appliquer les
dans le cadre d’un marché public que la ville de Milan dispositions de l'article 29, paragraphe 5, de la direc-
avait l’intention d’octroyer en vue de la rénovation tive 71/305 du Conseil, et d'écarter l'application de
d’un stade de football. La ville de Milan avait écarté celles du droit national qui n'y sont pas
l’offre soumise par la société Fratelli Costanzo car elle conformes »120.
la considérait anormalement basse. Cependant, elle
n’avait pas permis à la société de s’expliquer sur les Au moyen de considérants limpides et on ne peut plus
tarifs qu’elle pratiquait car la loi italienne ne prévoyait clairs, la Cour a fondé une obligation à l’égard des au-
pas cette possibilité en cas d’offre anormalement torités administratives comparable à celle qui existait
basse. La société décida de contester la décision adop- jusqu’alors à l’égard des juridictions nationales. Il faut
tée par la ville de Milan au motif, notamment, qu’elle remarquer que cette obligation s’applique, peu im-
lui semblait illégale. En effet, la loi italienne sur la- porte l’existence ou non d’une décision préalable éma-
quelle ladite ville se fondait lui semblait incompatible nant de la Cour de justice ou de tout autre organe juri-
avec le libellé d’une directive 71/305 dont l’article 29, dictionnel déclarant la norme de droit interne
§ 5, indiquait qu’une offre anormalement basse pou- contraire au droit de l’Union121.
vait être écartée par le pouvoir adjudicateur après
avoir laissé la possibilité au soumissionnaire de four- Un arrêt Commission c. Italie122 du 19 janvier 1993
nir les justifications nécessaires à cet égard. Saisie sur confirme à nouveau cette jurisprudence dans un cas
question préjudicielle, la Cour de justice jugea la loi afférent à la T.V.A. où l’Italie avait été préalablement
italienne contraire à la directive précitée. A l’occasion condamnée dans un arrêt C-203/87. A l’issue de ce
du litige en cause, la juridiction italienne posa égale- dernier arrêt, l’Italie avait persévéré dans l’infraction
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
116. C.J.C.E., 7 juillet 1981 (Rewe-Handelsgesellschaft Nord mbH et Rewe-Markt Steffen c. Hauptzollamt Kiel), C-158/80, Rec. C.J.C.E., 1981, p. 1 807, §§ 13 et 17 : « Il convient
d'observer en outre que le septième considérant du règlement expose “qu'il y a lieu... de préciser expressément, afin d'éviter tout abus d'interprétation, que la franchise
des droits du tarif douanier commun ne s'applique qu'à l'égard des voyageurs en provenance d'un pays tiers”. La volonté du Conseil d'éviter des abus apparaît clairement
de ce considérant. On ne saurait donc considérer comme voyageur en provenance d'un pays tiers pouvant bénéficier de la franchise des droits du tarif douanier commun
celui qui, au cours d'une croisière à partir d'un port d'un État membre, ne fait pas escale dans un pays tiers ou n'y fait qu'une escale symbolique sans y effectuer un véritable
séjour, c'est-à-dire un séjour au cours duquel il aurait effectivement la possibilité de réaliser des achats. » ; « II y a donc lieu de répondre à la deuxième question que le
règlement n° 1544/69 contient une réglementation exhaustive concernant la franchise de marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs en pro-
venance des pays tiers, qui ne laisse aux États membres aucune compétence pour accorder, dans le domaine couvert par le règlement, une franchise qui dépasserait celle
prévue par le règlement. »
117. Actuel article 288 TFUE.
118. C.J.C.E., 7 juillet 1981 (Rewe-Handelsgesellschaft Nord mbH et Rewe-Markt Steffen c. Hauptzollamt Kiel), C-158/80, Rec. C.J.C.E., 1981, p. 1807, §§ 41 et 43.
119. C.J.C.E., 22 juin 1989 (Société Fratelli Costanzo c. Commune de Milan), C-103/88, Rec. C.J.C.E., 1989, I, p. 1 861.
120. C.J.C.E., 22 juin 1989 (Société Fratelli Costanzo c. Commune de Milan), C-103/88, Rec. C.J.C.E., 1989, I, p. 1 861, §§ 30, 31 et 33.
121. M. VERHOEVEN, op. cit., p. 286.
122. C.J.C.E., 19 janvier 1993 (Commission des Communautés européennes c. République italienne), C-101/91, Rec. C.J.C.E., 1993, I, p. 191.
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
123. C.J.C.E., 19 janvier 1993 (Commission des Communautés européennes c. République italienne), C-101/91, Rec. C.J.C.E., 1993, I, p. 191, § 24.
124. C.J.C.E., 29 avril 1999 (Erich Ciola c. Land Vorarlberg), C-224/97, Rec. C.J.C.E., 1999, I, p. 2 530.
125. C.J.C.E., 29 avril 1999 (Erich Ciola c. Land Vorarlberg), C-224/97, Rec. C.J.C.E., 1999, I, p. 2530, §§ 30, 31 et 34.
126. Selon une certaine doctrine, l’arrêt Ciola constituerait, en matière d’actes administratifs individuels, davantage un arrêt de circonstances plus que de principe car
il semble qu’« à la lumière de la jurisprudence européenne la plus récente, l’administration ne devrait donc refuser d’appliquer un acte individuel définitif mais contraire
au droit communautaire directement applicable que dans deux hypothèses : lorsque cet acte n’a pu faire naître une véritable apparence de droit dans le chef de son
destinataire ou pour les cas où le droit national l’autorise à agir de la sorte à l’égard de questions purement interne » (T. BOMBOIS, op. cit., p. 173).
127. C.J.C.E., 9 septembre 2003 (Consorzio Industrie Fiammiferi (CIF) c. Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato), C-198/01, Rec. C.J.C.E., 2003, I, p. 8 979.
128. Actuels articles 101 et 102 TFUE.
129. Actuel article 4, § 3, TUE.
constante, la primauté du droit communautaire exige a reçu pour mission, notamment, de veiller au respect
que soit laissée inappliquée toute disposition d'une de l'article 81 CE a l'obligation de laisser inappliquée
loi nationale contraire à une règle communautaire, cette législation nationale [...] »133. L’enseignement qui
qu'elle soit antérieure ou postérieure à cette der- peut être tiré de l’arrêt CIF est que, selon la Cour, le
nière ». A cet égard, « ce devoir de laisser inappliquée traité pourrait étendre les compétences des autorités
une législation nationale contraire au droit commu- administratives nationales, notamment celles char-
nautaire incombe non seulement aux juridictions na- gées de la concurrence, alors même que la législation
tionales, mais également à tous les organes de l'État, nationale à laquelle elles sont subordonnées limite
en ce compris les autorités administratives [...], ce qui leur fonction dans un cadre plus restreint134. La Cour
implique, le cas échéant, l'obligation de prendre précise, par ailleurs, que l’obligation Fratelli Costanzo
toutes dispositions pour faciliter la réalisation du ne peut aller jusqu’à porter atteinte à la sécurité juri-
plein effet du droit communautaire [...] »130. La Cour dique des justiciables, notamment en aboutissant à
poursuit en indiquant qu’il serait porté atteinte à l’ef- l’infliction de sanctions pénales ou administratives à
fet utile du droit européen de la concurrence si une ceux-ci du fait qu’ils se sont conformés à une loi na-
autorité nationale de la concurrence chargée seule- tionale contraire au droit européen135.
ment de lutter contre les pratiques anticoncurren-
tielles des entreprises prohibées en vertu de l’ar- Sans procéder à d’évolutions significatives, la Cour a
ticle 101 TFUE, d’une part, constatait semblable depuis confirmé sa jurisprudence dans plusieurs
comportement et, d’autre part, ne pouvait laisser inap- autres décisions, notamment les arrêts Petersen136 du
pliquée une disposition nationale de droit interne 12 janvier 2010, Fuß137 du 14 octobre 2010, Seyda-
contraire aux articles 101 TFUE et 4, § 3, TUE combi- land138 du 16 décembre 2010 et Gavieiro & Torres du
nés alors même que celle-ci promouvrait ces pratiques 22 décembre 2010. Ce dernier arrêt mérite attention
prohibées131. Par ailleurs, « il importe peu que, dans car la Cour y souligne l’articulation entre interpréta-
l'hypothèse où la législation nationale impose à des tion conforme et application intégrale du droit euro-
entreprises d'adopter des comportements anticoncur- péen et ce, en confirmant qu’« à défaut de pouvoir
rentiels, une violation des articles 81 CE et 82 CE ne procéder à une interprétation et à une application de
puisse être également reprochée à celles-ci [...]. En la réglementation nationale conforme aux exigences
effet, les obligations pesant sur les États membres au du droit de l’Union, les juridictions nationales et les
titre des articles 3, paragraphe 1, sous g), CE, 10 CE, organes de l’administration ont l’obligation d’appli-
81 CE et 82 CE, qui sont distinctes de celles découlant quer intégralement celui-ci et de protéger les droits
pour les entreprises des articles 81 CE et 82 CE, n'en qu’il confère aux particuliers, en laissant au besoin
subsistent pas moins, de sorte que l'autorité nationale inappliquée toute disposition contraire du droit in-
de la concurrence conserve l'obligation de laisser terne »139.
inappliquée la mesure nationale en cause »132. Et la
Cour de conclure en indiquant que « au vu des consi- II.3. La notion d’autorité administrative
dérations qui précèdent, il convient dès lors de ré-
pondre à la première question préjudicielle que, en Avant de préciser davantage la jurisprudence Fratelli
présence de comportements d'entreprises contraires à Costanzo, il est utile de déterminer à l’égard de quelles
l'article 81, paragraphe 1, CE, qui sont imposés ou fa- instances elle s’applique.
vorisés par une législation nationale qui en légitime
ou en renforce les effets, plus particulièrement en ce La notion d’autorité administrative recouvre un large
qui concerne la fixation des prix et la répartition du champ d’application dans la jurisprudence la Cour de
marché, une autorité nationale de la concurrence qui justice. Ainsi, dans un arrêt Foster140 du
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
130. C.J.C.E., 9 septembre 2003 (Consorzio Industrie Fiammiferi (CIF) c. Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato), C-198/01, Rec. C.J.C.E., 2003, I, p. 8 979, §§ 45,
48 et 49.
131. C.J.C.E., 9 septembre 2003 (Consorzio Industrie Fiammiferi (CIF) c. Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato), C-198/01, Rec. C.J.C.E., 2003, I, p. 8979, § 50 :
« Dès lors qu'une autorité nationale de la concurrence telle que l'Autorité est investie de la mission de veiller, notamment, au respect de l'article 81 CE et que cette
disposition, combinée avec l'article 10 CE, impose un devoir d'abstention à la charge des États membres, l'effet utile des règles communautaires de la concurrence serait
amoindri si, dans le cadre d'une enquête sur le comportement d'entreprises au titre de l'article 81 CE, ladite autorité ne pouvait pas constater qu'une mesure nationale
est contraire aux dispositions combinées des articles 10 CE et 81 CE et si, en conséquence, elle ne la laissait pas inappliquée ».
132. C.J.C.E., 9 septembre 2003 (Consorzio Industrie Fiammiferi (CIF) c. Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato), C-198/01, Rec. C.J.C.E., 2003, I, p. 8 979, § 51.
133. C.J.C.E., 9 septembre 2003 (Consorzio Industrie Fiammiferi (CIF) c. Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato), C-198/01, Rec. C.J.C.E., 2003, I, p. 8 979, § 58.
134. Cf. M. VERHOEVEN, op. cit., p. 95.
135. C.J.C.E., 9 septembre 2003 (Consorzio Industrie Fiammiferi (CIF) c. Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato), C-198/01, Rec. C.J.C.E., 2003, I, p. 8 979, § 53 : « si
une loi nationale exclut la possibilité d'une concurrence susceptible d'être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises, il y a lieu
de constater que, sous peine de violer le principe général de droit communautaire de la sécurité juridique, l'obligation pour les autorités nationales de la concurrence de
laisser inappliquée une telle loi anticoncurrentielle ne saurait exposer les entreprises concernées à des sanctions, qu'elles soient de nature pénale ou administrative, pour
un comportement passé, dès lors que ce comportement était imposé par ladite loi. »
136. C.J.U.E., 12 janvier 2010 (Domnica Petersen c. Berufungsausschuss für Zahnärzte für den Beirk Westfalen-Lippe), C-341/08, Rec. C.J.U.E., 2010, I, p. 47, § 81.
137. C.J.U.E., 14 octobre 2010 (Günter Fuß c. Stadt Halle), C-243/09, Rec. C.J.U.E., 2010, I, p. 9 849, §§ 61 et 63.
138. C.J.U.E., 16 décembre 2010 (Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe GmbH & Co. KG c. BVVG Bodenverwertungs- und -verwaltungs GmbH), C-239/09, Rec. C.J.U.E., 2010, I,
p. 13 083, § 52.
139. C.J.U.E., 22 décembre 2010 (Rosa María Gavieiro Gavieiro et Ana María Iglesias Torres c. Consellería de Educación e Ordenación Universitaria de la Xunta de Galicia),
C-444/09 et C-456/09, Rec. C.J.U.E., 2010, I, p. 14 031, § 73.
140. C.J.C.E., 12 juillet 1990 (A. Foster e.a. c. British Gas plc), C-188/89, Rec. C.J.C.E., 1990, I, p. 3 343.
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
141. C.J.C.E., 12 juillet 1990 (A. Foster e.a. c. British Gas plc), C-188/89, Rec. C.J.C.E., 1990, I, p. 3 343, § 20.
142. Cf. D. RENDERS, Droit administratif, Bruxelles, Larcier, t. III, 2010, pp. 71 et 72.
143. C.J.C.E., 12 juillet 1990 (A. Foster e.a. c. British Gas plc), C-188/89, Rec. C.J.C.E., 1990, I, p. 3 343, § 19 ; C.J.C.E., 19 janvier 1982 (Ursula Becker c. Finanzamt Münster-
Innenstadt), C-8/81, Rec. C.J.C.E., 1982, p. 55.
144. T. BOMBOIS, op. cit., p. 174.
145. Cf. Point III.3. ci-dessous.
146. Cf. D. RENDERS, Droit administratif, Bruxelles, Larcier, t. III, 2010, p. 400.
147. C.J.C.E., 22 juin 1989 (Société Fratelli Costanzo c. Commune de Milan), C-103/88, Rec. C.J.C.E., 1989, I, p. 1 861, § 31.
148. J. P. JACQUE, J. P., op. cit., p. 602.
149. J. P. JACQUE, op. cit., p. 602 ; adde J. ETIENNE, op. cit., pp. 266 et 267.
actes des institutions de l'Union. Les États membres notion de juridiction au sens de l'article 234 CE155ne
facilitent l'accomplissement par l'Union de sa mis- peut désigner qu'une autorité qui a la qualité de tiers
sion et s'abstiennent de toute mesure susceptible de par rapport à celle qui a adopté la décision atta-
mettre en péril la réalisation des objectifs de quée »156.
l'Union »150. La coopération loyale apparaît comme le
corollaire du principe de primauté en tant qu’« ex- D’autre part, l’administration n’est pas autorisée à
pression de la fidélité aux engagements consentis »151 écarter le droit européen dérivé qui serait contraire au
par les Etats membres en adhérant à l’Union bien que droit primaire. Seule la Cour de Luxembourg est com-
le devoir de loyauté « consiste non pas dans l’exécu- pétente pour apprécier cette contrariété et, le cas
tion de la norme commune, une telle obligation résul- échéant, pour invalider la norme de droit dérivé157. Ce
tant du principe de primauté, mais dans l’effectivité pouvoir réservé au juge de l’Union s’explique en réa-
de son exécution lors de l’exercice des compétences lité par le souci de promouvoir l’uniformité de l’appli-
étatiques d’exécution, ou encore dans la contribution cation du droit européen. Nonobstant cette interdic-
effective à la réalisation des objectifs du traité »152. tion, la Cour a admis, en son arrêt Zückerfabrik158 du
21 février 1991, une hypothèse dans laquelle une juri-
II.5. Les limites à la jurisprudence Fratelli diction nationale peut limiter l’application du droit
Costanzo européen dérivé, laquelle limitation consiste en la fa-
culté de suspendre provisoirement l’application de la
Malgré une jurisprudence qui étend largement les norme de droit dérivé et de surseoir à l’exécuter
pouvoirs de l’administration en lui attribuant des pou- jusqu’à ce qu’une décision du juge européen se soit
voirs comparables à ceux dont jouissent les juridic- prononcée sur la question. Néanmoins, les conditions
tions nationales et, par là même, en l’érigeant, selon le pour ce faire sont relativement strictes en ce « que le
mot de Thomas Bombois153, en juge de la légalité du sursis à l'exécution d'un acte national pris en exécu-
droit l’Union, celui-ci énonce néanmoins deux limites tion d'un règlement communautaire ne peut être ac-
à l’action de l’administration. cordé par une juridiction nationale que :
– si cette juridiction a des doutes sérieux sur la vali-
D’une part, l’article 267 TFUE tel qu’interprété par la dité de l'acte communautaire et si, pour le cas où
Cour de justice ne confère pas à l’administration le la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de
droit de lui poser des questions préjudicielles. Ce validité de l'acte contesté, elle la lui renvoie elle-
critère constitue une critique constante que la doctrine même ;
fait à l’égard de la jurisprudence Fratelli Costanzo. – s'il y a urgence et si le requérant est menacé d'un
Ainsi, « l’autorité administrative n’a pas la possibilité préjudice grave et irréparable ;
de saisir la Cour de justice, même si elle ignore totale- – si cette juridiction prend dûment en compte l'inté-
ment la manière dont il convient d’interpréter la dis- rêt de la Communauté »159.
position de droit communautaire qui pourrait, dans
une de ses acceptions possibles, être incompatible Quid si l’administration se trouve dans une situation
avec une disposition nationale »154. D’ailleurs, ce qui analogue à la juridiction nationale décrite par la Cour
étonne le plus cette doctrine, ce sont les raisons évo- de Luxembourg et que celle-ci a été saisie d’une ques-
quées par la Cour pour refuser à l’administration la tion préjudicielle à propos d’une norme de droit dé-
possibilité de poser des questions préjudicielles, à sa- rivé ? Peut-elle surseoir à exécuter ladite norme si les
voir le fait qu’elle ne présente pas à suffisance l’indé- conditions prévues par la jurisprudence Zückerfabrik
pendance et l’impartialité caractérisant une juridic- sont réunies ? Dans un arrêt Abna du 6 décembre 2005,
tion. Ainsi, en vue de distinguer l’autorité administra- la Cour de justice estime que non au motif que le sta-
tive de la juridiction nationale, « la Cour tient compte tut même de l’autorité administrative « n'est, en règle
d'un ensemble d'éléments, tels l'origine légale de l'or- générale, pas susceptible de garantir, dans son chef,
ganisme, sa permanence, le caractère obligatoire de le même degré d'indépendance et d'impartialité que
sa juridiction, la nature contradictoire de la procé- celui reconnu aux juridictions nationales. De même,
dure, l'application, par l'organisme, des règles de il n'est pas certain que de telles autorités bénéficie-
droit, ainsi que son indépendance » d’autant que « la ront de la contradiction propre au débat judiciaire,
..............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
150. Concernant le principe de coopération loyale, voy. E. NEFRAMI, « L’exercice en commun des compétences illustré par le devoir de loyauté », X., Le commun dans
l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 179 à 201.
151. E. NEFRAMI, ibid., p. 180.
152. E. NEFRAMI, ibid., p. 191.
153. T. BOMBOIS, op. cit., p. 169.
154. T. BOMBOIS, op. cit., p. 173.
155. Actuel article 267 TFUE.
156. C.J.C.E., 30 mai 2002 (Walter Schmid), C-516/99, Rec. C.J.C.E., 2002, I, p. 4573, §§ 34 et 36.
157. T. BOMBOIS, op. cit., p. 170.
158. C.J.C.E., 21 février 1991 (Zuckerfabrik Süderdithmarschen AG c. Hauptzollamt Itzehoe et Zuckerfabrik Soest GmbH contre Hauptzollamt Paderborn), C-143/88 et 92/89,
Rec. C.J.C.E., 1991, I, p. 415.
159. C.J.C.E., 21 février 1991 (Zuckerfabrik Süderdithmarschen AG c. Hauptzollamt Itzehoe et Zuckerfabrik Soest GmbH contre Hauptzollamt Paderborn), C-143/88 et 92/89,
Rec. C.J.C.E., 1991, I, p. 415, § 33.
160. C.J.C.E., 6 décembre 2005 (The Queen, à la demande de ABNA Ltd et autres c. Secretary of State for Health et Food Standards Agency, Fratelli Martini & C. SpA et Cargill
Srl c. Ministero delle Politiche Agricole e Forestali et autres, Ferrari Mangimi Srl et Associazione nazionale tra i produttori di alimenti zootecnici (Assalzoo) c. Ministero
delle Politiche Agricole e Forestali et autres et Nederlandse Vereniging Diervoederindustrie (Nevedi) c. Productschap Diervoeder), C-453/03, C-11/04, C-12/04 et C-194/
04, Rec. C.J.C.E., 2005, I, p. 10423, § 108.
161. M. VERHOEVEN, op. cit., p. 286.