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Acte 3
Acte 3
LA MORT
Même décor qu'au premier acte : c'est le soir.
C'est un sombre soir d'automne. On entend,
venant de très loin, comme du fond de la misère
humaine, un petit air de musique à bouche, triste
et plaintif.
Moineau est seul en scène. Il est assis sur le
trône du chef et lit un livre de "comtes". Appa
remment, cette lecture le passionne, puisqu'il
s'en ronge les ongles.
Au cours de ce dernier acte, les personnages
sont vêtus un peu plus chaudement; il faut
même qu'ils donnent l'impression d'avoir un peu
froid. Après un certain temps, Ciboulette fait
son entrée par le fond. Sa démarche est lente, son
regard n'est plus illuminé par la ferveur du
début. Elle est comme prise dans un mauvais
rêve et son visage est triste comme celui d'un
enfant seul. Elle entre et s'appuie contre la
palissade :
122 MARCEL DUBÉ
CIBOULETTE — Bonsoir Moineau.
MOINEAU, sans sortir de sa lecture — Salut,
Ciboulette !
Silence.
CIBOULETTE — Tu lis ?
MOINEAU — Oui.
Silence.
CIBOULETTE — Qu'est-ce que tu lis ?
MOINEAU — Une aventure. J'achève.
Silence
CIBOULETTE — Ça finit bien ?
MOINEAU — Non, ça se gâte. «Les mé
chants », comme ils disent, se font punir par les
« bons ».
Nouveau silence.
CIBOULETTE — Crois-tu qu'il sera con
damné, Moineau ?
MOINEAU — ...
CIBOULETTE — Moineau ! Je te parle.
MOINEAU — Attends... il me reste deux
images. (Il termine sa lecture, referme son livre
précieusement, le plie avec soin et le glisse dans
sa poche.)
MOINEAU — J'ai fini, Ciboulette. Tu veux
savoir quelque chose ?
CIBOULETTE — Je veux savoir s'ils vont le
condamner ?
MOINEAU —J'ai peur que oui. De coutume,
quand on tue, on est pendu.
CIBOULETTE — Avec une corde ?
MOINEAU — Oui.
ZONE 123
MOINEAU — Jamais.
PASSE-PARTOUT — Avec Tarzan, tu ré
pliquais pas, tu l'appelais chef gros comme le
130 MARCEL DUBÉ
bras en tremblant dans tes culottes, tu vas faire
la même chose avec moi.
MOINEAU — Non.
PASSE-PARTOUT — Veux-tu que je re
commence mon petit jeu ? (Il va (tour foncer à
nouveau sur Moineau, mais Ciboulette se place
dans son chemin.)
CIBOULETTE — Essaie pour voir.
PASSE-PARTOUT — C'est pas toi qui vas
m'en empêcher. Je vais te faire ramper toi aussi,
je vais te faire trembler. Enlève-toi de mon che
min.
CIBOULETTE — Non.
PASSE-PARTOUT — Enlève-toi de mon
chemin sans ça je témoigne contre Tarzan pen
dant le procès.
CIBOULETTE — Ça fait rien, on sera trois
à témoigner pour. Tu vas nous remettre l'argent
et on va lui payer un avocat.
PASSE-PARTOUT — Ils vont quand même
le condamner. Enlève-toi de mon chemin.
CIBOULETTE — Tu toucheras plus à Moi
neau.
TIT-NOIR — Quoi ?
TARZAN — Va-t-en tout de suite, Passe-
Partout, parce que si t'es pas parti dans dix se
condes, je te massacre le portrait.
Passe-Partout regarde tout le monde et sort en
reculant. Tit-Noir lui donne un croc-en-jambe
et le fait trébucher.
PASSE-PARTOUT — Non, pas ça, je veux
pas, je veux pas.
TARZAN — Tit-Noir ! Laisse-le sortir...
c'est moi qui mène ici.
PASSE-PARTOUT, qui s'est relevé — Merci,
Tarzan, merci... je t'ai pas trahi, je t'ai pas trahi...
c'est pas moi qui l'ai dit.
TARZAN, crie soudain — Va-t-en.
Passe-Partout sort en courant.
CIBOULETTE — C'est mieux comme ça,
Tarzan. T'as bien fait. Maintenant, faut que tu
partes toi aussi. T'es en danger si tu restes plus
longtemps.
TARZAN — Pas tout de suite. Je vais séparer
l'argent avant.
TIT-NOIR — Mais, t'es fou !
MOINEAU — On n'en veut pas nous autres.
C'est toi qui en as besoin, pas nous autres.
TARZAN — Vous en avez besoin autant que
moi et vous avez pas à répliquer.. Tiens, Tit-
Noir, prends ça. (Il lui tend une liasse de billets.)
TIT-NOIR — Non, Tarzan, je peux pas.
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TARZAN — C'est ta dernière fois que je te
demande de m'obéir, Til-Noir... la dernière fois...
prends : t'en auras besoin si tu veux te marier un
jour. (Il lui met l'argent dans la poche.) V'Ià ta
part, maintenant, Moineau. Avec, t'apprendras la
musique, tu deviendras un bon musicien et per
sonne te dira après que tu sais pas jouer.
MOINEAU — Quand tu seras parti, la musi
que m'intéressera plus.
TARZAN — Demain, t'auras oublié ce que
tu viens de dire. Prends ton argent, tu l'as gagné.
(Il le lui met de force dans la main puis il leur
tourne le dos et remonte la scène un peu.) Une
dernière chose maintenant... Je veux que vous me
laissiez seul avec Ciboulette. Partez sans parler,
c'est le dernier service que vous pouvez me ren
dre.
TIT-NOIR — Tarzan, je...
TARZAN — Fais ce que je t'ai demandé, Tit-
Noir.
MOINEAU, à Tit-Noir — Viens... Bonsoir
chef... Bonne chance, chef. (Il se met à joticr de
l'harmonica et se retire lentement.)
TIT-NOIR, ému — Salut mon Tarzan... Bon
voyage...
Fin de la pièce.
RIDEAU