Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Jeanne Siaud-Facchin
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5969-4
ISSN 2491-1062
La gratitude :
un amplificateur du positif
La gratitude est une émotion agréable que l’on éprouve lorsqu’on reçoit
une aide ou un don d’autrui et qu’il s’agit d’un geste intentionnel et
désintéressé. La gratitude est un mélange subtil de surprise, de joie,
d’émerveillement et d’un sentiment de connexion aux autres que je
qualifierais d’interdépendance positive : la prise de conscience que les êtres
humains peuvent être une source de bien-être pour les autres. La gratitude
peut aussi s’étendre à des bienfaits générés par l’existence comme une
découverte ou un paysage. Certaines personnes éprouvent également un
sentiment de gratitude envers une entité telle que Dieu ou envers la nature 5.
Certains auteurs distinguent la notion de gratitude envers autrui de la
notion d’appréciation qui se réfère au sentiment de reconnaissance envers
les bienfaits du quotidien tels que la chance de vivre dans un lieu paisible,
d’avoir contemplé un paysage marin ou encore d’avoir profité d’un repas
savoureux. Toutefois, ces deux émotions semblent étroitement liées 6. Ce
qui les caractérise c’est cette tendance à amplifier les aspects positifs des
situations sur lesquels l’attention se porte. Philip Watkins, chercheur à
l’Université East Washington, parle ainsi de la gratitude comme d’un
« amplificateur du positif ». Tel un amplificateur qui permettrait de rendre
plus audibles les sons, ou encore comme une loupe qui permettrait de
découvrir de nouvelles facettes de l’existence, la gratitude joue ce rôle
d’amplification de nos perceptions des aspects positifs du quotidien. Mais, à
la différence d’une simple expérience positive, l’émotion de gratitude est
associée à une augmentation des comportements altruistes 7.
Par exemple, si vous prenez le métro après une journée bien chargée et
que vous avez la chance de trouver une place libre, vous êtes content de
pouvoir vous y asseoir confortablement le temps du trajet. Le métro
continue de se remplir et vous vous gardez bien de regarder les autres
passagers de peur de devoir céder votre place. À l’inverse, si vous êtes
monté à une station où une personne vous a intentionnellement cédé sa
place vous éprouverez probablement de la gratitude et aurez tendance à
regarder les autres passagers entrants, restant à l’affût dans le but de voir si
une autre personne n’aurait pas encore plus besoin de la place que vous-
même.
Lorsqu’on interroge des personnes, au hasard des discussions, sur ce
que représente pour elles la gratitude, pour certaines la gratitude évoque
cette douceur dont les relations manquent parfois, pour d’autres elle résonne
comme une forme de politesse. D’autres encore considèrent ce terme
comme désuet. Pourtant les philosophes et, plus récemment, les chercheurs
en psychologie se sont penchés sur les effets spécifiques de cette attitude
que l’on peut développer envers autrui, et plus largement envers la vie.
Cicéron considérait la gratitude comme la vertu suprême. Pourquoi
accorder une telle place à la gratitude ? Ne s’agit-il pas simplement d’une
façon de rendre la pareille lorsqu’on se sent débiteur ? N’est-ce pas une
manifestation de politesse permettant de maintenir des relations cordiales ?
Gratitude et politesse
La politesse a été décrite comme un « ciment social ». Elle permet de
maintenir des relations constructives en signalant à l’autre que nous lui
portons attention et respect. Dès le plus jeune âge, les enfants apprennent à
dire « merci », par politesse, lorsqu’ils reçoivent un cadeau ou font l’objet
d’une attention particulière.
Avant d’arriver chez nos grands-parents suisses, notre mère nous
enjoignait de ne jamais oublier de dire merci chaque fois que l’on recevait
quelque chose : un cadeau, un bonbon, un compliment… Cela ne semblait
pas trop compliqué, car en suisse allemand on utilise le même terme qu’en
français, donc le seul mot qu’il fallait connaître pour pouvoir converser était
celui-ci : merci ! Dans ce contexte, la plus grande crainte de ma mère était
que nous soyons perçus comme des enfants ingrats… Dans cette situation,
l’expression de gratitude ne se distingue pas de la politesse. D’ailleurs, il
n’est pas garanti que nous éprouvions de la gratitude en une pareille
occasion… Mais si nous en éprouvions, qu’apporterait-elle de plus que la
politesse ? L’amplification de l’expérience positive.
La politesse constitue une forme d’interaction sociale apprise, tandis
que la gratitude est une émotion sociale qui surgit spontanément. À la
différence de la politesse qui devient un automatisme relationnel reposant
sur un effet d’attente, la gratitude repose sur l’effet de surprise : prendre
conscience de la chance que nous avons de recevoir cette attention. Il vous
arrive sans doute de faire vos courses et de dire machinalement « merci »
lorsqu’on vous tend le ticket de caisse. Il s’agit d’un acte de politesse qui
indique à autrui le respect que nous lui accordons. Mais voilà qu’un jour je
me trouve avec mes deux enfants en bas âge à la caisse, et je ne parviens
pas à porter l’ensemble des sacs d’aliments. Le caissier se lève et
m’accompagne jusqu’à la voiture. Cette fois, le remerciement n’est plus une
simple formalité ; il est empreint de gratitude, car ce comportement était
inattendu. Au-delà d’une distinction conceptuelle entre gratitude et
politesse, ce sont les conséquences qui diffèrent.
De même que la politesse, la gratitude constitue un terreau fertile aux
relations sociales. Toutefois, les effets de la gratitude dépassent de loin ce
qu’on peut imaginer lorsqu’on s’en réfère simplement au rôle de la politesse
dans les interactions sociales. Les résultats des travaux menés au cours des
dernières décennies montrent les effets bénéfiques de la gratitude sur les
trois dimensions du bien-être telles que définies par l’Organisation
mondiale de la santé : le bien-être physique, mental et social. Ressentir et
exprimer de la gratitude améliore notre état de santé, notre humeur et
renforce les relations. La gratitude représente donc bien plus qu’une simple
formalité et n’affecte pas seulement la personne qui la reçoit, mais aussi
celle qui l’exprime. C’est ainsi qu’un vaste champ de recherche s’est ouvert
sur cette question, et avec lui un cortège de pratiques visant à développer la
gratitude chez les individus dès l’enfance. Ce sera l’objet des deuxième et
troisième parties du présent ouvrage.
CHAPITRE 2
L’orientation reconnaissante
Chacun d’entre nous présente une tendance à l’émotion de gratitude
plus ou moins marquée. Cette tendance est appelée « orientation
reconnaissante 29 ». Elle se mesure à la fréquence et à l’intensité des
émotions de gratitude éprouvées au cours d’une journée habituelle, au
nombre de personnes envers qui l’on éprouve de la gratitude (densité), ainsi
qu’à la quantité de choses pour lesquelles on se sent reconnaissant
(étendue) 30. Les individus ayant un degré élevé d’orientation reconnaissante
ont tendance à éprouver de la gratitude, même face à des choses qui
peuvent paraître insignifiantes à d’autres 31. Les individus dont l’orientation
reconnaissante est plus marquée ont une représentation plus positive de leur
environnement social et matériel 32 et repèrent davantage les événements
positifs de la vie 33.
Évaluez votre degré d’orientation
34
reconnaissante
Indiquez pour chaque affirmation à quel degré vous êtes en accord ou en
désaccord, sur une échelle allant de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait
d’accord).
Calculez votre score
— Additionnez les points des affirmations suivantes : 1, 2, 4 et 5.
— Pour les affirmations 3 et 6, inversez l’ordre des points : comptez 1 point pour
la note 7 ; 2 points pour la note 6 ; etc.
— Ajoutez les points inversés des affirmations 3 et 6 à la somme des points des
autres phrases. Le résultat vous donne votre score d’orientation reconnaissante. Il
se situe entre 6 et 42. Plus il est élevé, plus ce trait de personnalité est marqué
chez vous. Si vous vous situez dans la fourchette haute (> à 35), cela signifie qu’il
s’agit d’une force qui vous caractérise et sur laquelle vous pouvez vous appuyer
pour faire face aux situations difficiles que vous rencontrez.
Si vous vous situez dans la fourchette basse (< à 35), vous faites partie de ceux
qui bénéficieront le plus des pratiques de gratitude proposées en troisième partie
de ce livre. Développer cette attitude pourra vous être utile dans de nombreuses
situations et pourra améliorer votre bien-être de manière durable.
Le développement de la gratitude
chez l’enfant
Pourquoi s’intéresser
à la gratitude ?
La gratitude,
c’est bon pour le moral !
La gratitude,
c’est bon pour la société !
Gratitude et altruisme
Comme le sous-entend le titre de l’article « Un petit merci peut mener
loin 117 », les recherches démontrent que la gratitude affecte le bien-être des
individus et des groupes. Cet article décrit une expérimentation menée
auprès de 57 étudiants, en échange de 10 dollars, à qui l’on proposait de
participer à une étude en ligne sur les compétences rédactionnelles. Plus
précisément, chaque étudiant devait envoyer des commentaires concernant
une lettre de motivation (fictive) dans le but d’aider un autre étudiant à
candidater sur un poste. Il était précisé que cette aide entrait dans le cadre
de l’activité du centre de gestion de carrières de l’université. Après avoir
envoyé leurs remarques, les participants recevaient un e-mail en réponse
comportant une marque de reconnaissance pour l’aide apportée (groupe
« gratitude » : « J’ai bien reçu vos commentaires, un grand merci ! Je suis
vraiment reconnaissant pour ce travail ») ou un message neutre (groupe
contrôle : « J’ai bien reçu vos commentaires »).
Le lendemain, les participants des deux groupes recevaient un message
d’un autre étudiant (fictif) demandant à son tour de l’aide pour sa lettre de
motivation. La mesure du comportement prosocial consistait à compter le
nombre de participants de chacun des deux groupes (gratitude ou contrôle)
venant en aide au second étudiant. Les résultats de cette étude montrent que
les participants ayant reçu un message exprimant de la gratitude pour l’aide
apportée sont plus enclins à offrir de l’aide à une autre personne par la suite
(55 % du groupe gratitude contre 25 % du groupe contrôle). L’expression
de gratitude joue ainsi un rôle de renforcement des comportements
altruistes.
La gratitude tend à favoriser les comportements d’aide chez l’individu
qui reçoit une expression de gratitude, mais aussi chez celui qui éprouve
118
cette émotion, comme nous l’avons signalé plus haut. Dans une étude , il
était demandé à des participants de réaliser une tâche informatisée
fastidieuse. Avant de terminer la tâche, l’écran devenait soudainement noir.
Un autre participant assis dans la salle (en fait un membre de l’équipe de
recherche), au lieu de quitter la pièce une fois la tâche terminée, venait en
aide et trouvait la solution en rebranchant l’écran. Étant donné que cela
évitait de réaliser à nouveau toute la tâche, le participant cible éprouvait de
la gratitude pour l’aide reçue. Ces participants constituaient le groupe
« gratitude ». Une partie des participants (le groupe contrôle neutre), ne
recevait pas d’aide et n’avait pas de problème d’écran. Enfin, un troisième
groupe de participants (le groupe contrôle émotion d’amusement) n’avait
pas de problème informatique et terminait la tâche en visionnant une vidéo
amusante.
Après cette expérimentation, le participant allait au secrétariat remplir
une fiche qui lui permettait d’obtenir des crédits en échange de la
participation à l’expérience. On lui conseillait de compléter la fiche dans la
salle d’attente. À ce moment-là, le participant complice de l’équipe de
recherche, venait dans la salle d’attente et accostait l’autre participant en lui
demandant s’il serait d’accord pour réaliser une autre tâche cognitive
laborieuse, d’une durée d’au moins trente minutes. Il était précisé qu’il
pouvait s’arrêter à tout moment, mais que s’il allait jusqu’au bout cela
rendrait vraiment service pour l’étude qu’il menait. Le participant complice
notait discrètement le temps passé à la tâche cognitive comme indicateur du
degré d’altruisme.
Les résultats de cette étude montrent que, comparativement aux
participants des groupes contrôles, les personnes qui avaient reçu de l’aide
passaient en moyenne 21 minutes sur la seconde tâche cognitive, alors que
celles du groupe contrôle même en condition d’amusement passaient
seulement 12 minutes sur la seconde tâche. Cela a permis de démontrer que
la gratitude était une émotion positive qui avait un effet unique sur les
comportements prosociaux.
Ainsi, les recherches ont permis de mettre en lumière les liens existant
entre gratitude, confiance, sentiment de proximité sociale et relations
constructives 119. L’expression de la gratitude apparaît comme
particulièrement déterminante dans l’augmentation du bien-être social, étant
donné qu’elle favorise la création et le maintien de relations positives. De
plus, sur le plan des actions concrètes, la gratitude favorise la mise en
œuvre de comportements altruistes : plus un individu se sent reconnaissant,
plus il a tendance à mettre en œuvre des comportements d’aide, non
seulement envers la personne à l’origine du sentiment de gratitude, mais
aussi envers une tierce personne. Cultiver la gratitude apparaît donc comme
un moyen efficace d’œuvrer pour un mieux-être individuel et collectif.
Comment favoriser l’expérience de la gratitude sans la réduire à un acte
de politesse qui risquerait d’en atténuer la portée ? Vous avez sans doute
déjà reçu des remerciements qui semblaient dénués de l’émotion de
gratitude. Cette expérience n’aura apporté les bienfaits de la gratitude ni à
l’émetteur du message (qui s’est sans doute senti obligé de dire merci donc
n’a pas bénéficié des effets d’une émotion positive) ni au récepteur de ce
message (qui ne se sera pas véritablement reconnu dans ses efforts).
En matière d’émotions, on ne peut se mentir à soi-même ni aux autres.
En effet, les recherches portant sur l’expression faciale des émotions et la
posture corporelle montrent que l’individu perçoit des signaux subtils
évocateurs des émotions d’autrui, même s’il tente de les dissimuler 120. De
même, si vous cherchez à améliorer votre bien-être au travers de pratiques
de gratitude sans éprouver réellement de la gratitude, cela n’aura pas les
effets escomptés sur le plan de la santé physique (vitalité, amélioration des
défenses immunitaires…) et de la santé mentale (réduction du stress, de
l’anxiété, des symptômes dépressifs). Ainsi, l’objectif des pratiques de
gratitude n’est pas tant de favoriser la politesse comme convention sociale,
mais plutôt d’augmenter l’expérience d’une émotion de gratitude.
TROISIÈME PARTIE
Et si nous cultivions
la gratitude ?
« C’est peut-être parce que j’ai vécu plus longtemps que la plupart des
gens que j’ai mieux appris à connaître ce sens de l’amour. Je ne crois
pas m’être réveillé un seul jour de ma vie sans contempler la nature
avec un émerveillement nouveau. Si on continue à travailler et à
s’imprégner de toute la beauté du monde, on se rend compte
qu’avancer en âge ne signifie pas nécessairement vieillir. »
Pablo CASALS 121.
CHAPITRE 6
Dimension Effets
Physique Réduction des symptômes physiques communs
Meilleure qualité du sommeil
Meilleures défenses immunitaires
Augmentation de la vitalité
Augmentation de la variabilité de la fréquence cardiaque
Psychologique Diminution de l’intensité de la symptomatologie dépressive et
suicidaire
Augmentation du degré d’émotions positives et de satisfaction de la
vie
Augmentation du bien-être psychologique : sentiment d’autonomie,
contrôle de son environnement, sens de la vie, acceptation de soi et
épanouissement personnel
Sociale Relations positives
Motivation et comportements prosociaux, altruisme
Motivation à améliorer les relations et résoudre les conflits
Sentiment de confiance, de proximité et de connexion sociale
Soutien social perçu
Mais si vous imaginez que votre conjoint a acheté le pain que vous
aimez parce qu’il sait que sinon vous n’allez pas être contente, alors vous
ne percevez pas la dimension gratuite du geste, ce qui entrave la gratitude.
L’une des origines étymologiques de la gratitude est le terme gratis qui
signifie « accordé par grâce », qui est également à l’origine du mot
« gratuit » : ce que l’on accorde sans y être obligé. Plus on perçoit la
gratuité du geste, plus cela augmente le sentiment de gratitude. Par
exemple, vous éprouvez sûrement de la gratitude lorsque vous recevez un
cadeau de votre conjoint pour votre anniversaire. Mais cela peut aussi vous
sembler « normal ». Il en va tout autrement lorsque votre conjoint rentre un
soir et vous rapporte un cadeau, juste comme cela, sans raison
« extérieure ».
S’il vous est difficile de percevoir la gratuité d’un geste, pensez qu’en
d’autres temps ou dans d’autres cultures il en va tout autrement. Tout ce que
l’on considère comme étant un dû nous empêche d’éprouver de la gratitude.
Si nous prenons la perspective de quelqu’un qui aurait un regard tout à fait
neuf sur la situation, cela nous aiderait à percevoir davantage la gratuité du
geste. Une collègue racontait ainsi comment la prise de conscience du fait
que les membres de sa famille étaient des personnes avant d’être des
parents ou un frère ou une sœur, l’avait aidée à voir les choses sous un autre
angle 122. Même si les parents ont fait le choix d’avoir des enfants et que
cela implique des devoirs, ils n’en ont pas moins des intentions
bienveillantes envers leurs enfants que l’on retrouve dans les petites
attentions du quotidien. Elles passent souvent inaperçues… En y repensant
aujourd’hui, peut-être peut-on prendre conscience de ces intentions et de ce
qu’elles suscitent en nous.
Le journal de gratitude
Le journal de gratitude est l’une des pratiques les plus utilisées dans les
recherches sur l’orientation reconnaissante. Toutefois, il est à noter que la
psychologie positive ne prétend pas avoir « inventé » cet exercice. En effet,
de nombreuses personnes pratiquent à leur manière le journal de gratitude
par la prière, ou encore certains parents font spontanément ce type
d’exercice le soir en couchant leurs enfants, comme une sorte de bilan
positif de la journée pour s’endormir sur de belles pensées. Mon père, par
exemple, prenait un petit moment chaque soir, juste avant que je
m’endorme, pour remercier tous ceux qui avaient contribué à rendre cette
journée agréable et enthousiasmante. Il remerciait l’instituteur pour les
activités créatives qu’il nous proposait, mes amies qui étaient venues jouer
à la maison l’après-midi, notre voisine qui nous avait apporté des œufs tout
frais, mes grands frères qui avaient fait des jeux avec moi avant le
coucher… Tout cela contribuait à rendre plus visible l’importance d’autrui
dans les petits bonheurs du quotidien, ainsi que la chance de pouvoir
bénéficier de toutes ces petites attentions.
Pour formaliser ce type de pratique dans le cadre de protocoles de
recherche, le journal de gratitude est proposé comme une pratique à l’écrit,
avec la consigne suivante :
« Il y a beaucoup de choses dans nos vies, petites ou grandes, pour
lesquelles nous pouvons éprouver de la reconnaissance. Repensez à la
semaine qui vient de s’écouler et écrivez sur les lignes ci-dessous jusqu’à
cinq choses de votre vie pour lesquelles vous éprouvez de la gratitude ou de
la reconnaissance. »
Cette stratégie est appelée réévaluation positive. Elle permet de faire le point sur
les événements du passé qui nous préoccupent encore aujourd’hui et nous aide à
donner du sens à notre expérience et de l’importance aux bénéfices que nous
pouvons en retirer aujourd’hui.
Le journal de Julie 2
La lettre de gratitude
Prenez un moment pour passer en revue votre vie et repenser à des
personnes qui sont encore vivantes et qui vous ont aidé ou ont contribué à
faire de vous ce que vous êtes aujourd’hui. Il y a parfois des personnes que
l’on n’a pas pu remercier pour ce qu’elles ont fait. Par exemple, votre
instituteur, votre marraine, une famille voisine quand vous étiez enfant…
Repensez à ce que cette personne vous a apporté, par ce qu’elle a fait ou par
ce qu’elle a été ou ce qu’elle représente pour vous. Si cela suscite de la
gratitude en vous, prenez le temps d’écrire une lettre à cette personne, en
détaillant ce qu’elle vous a apporté de manière concrète.
Les effets de cette pratique sont supérieurs à ceux du journal de
gratitude 138, notamment parce que l’on est amené à détailler davantage ce
pour quoi l’on éprouve de la gratitude et parce que l’on y ajoute une
dimension de partage social. De plus, on observe un effet cumulatif
lorsqu’on écrit plusieurs lettres de gratitude. Dans une étude menée par
Toepfer et Walker (2009), il était proposé à des étudiants de rédiger jusqu’à
trois lettres par semaine pendant huit semaines (environ 10-15 minutes par
lettre). Il s’agissait d’éviter les lettres triviales ou conventionnelles (par
exemple dire merci pour un cadeau d’anniversaire). Après l’écriture de
chaque lettre, les participants devaient répondre à un questionnaire
mesurant le degré d’émotions agréables : celles-ci augmentaient de plus en
plus, et trois quarts des participants ont souhaité poursuivre ce type de
pratique.
Lors d’une seconde étude, les chercheurs ont identifié les effets de cette
pratique sur la réduction de symptômes physiques communs et de
139
symptômes dépressifs . Dans la deuxième partie du présent ouvrage (ici)
sont précisés les mécanismes qui permettent de comprendre l’impact de la
gratitude sur le bien-être, mais le langage joue un rôle supplémentaire en
remaniant notre façon de voir la réalité : plus les individus utilisent un
vocabulaire de gratitude (cadeau, bénédiction, chance, inespéré, surprise,
etc.), plus ils développent une orientation reconnaissante. Ainsi, en
rédigeant des lettres de gratitude, ils modifient de manière durable leur
façon de considérer l’existence.
140
La lettre de gratitude
Fermez vos yeux. Laissez venir le visage d’une personne toujours en vie qui a dit
ou fait quelque chose qui a changé votre vie en mieux. Que ce soit un membre de
votre famille, un ami, un professeur, un manager, ou qui que ce soit, et qui n’a pas
pu recevoir l’expression complète de votre gratitude.
La pratique consiste à écrire une lettre de gratitude à cette personne. Celle-ci
devra être concrète et d’environ 300 mots. Soyez précis à propos de ce que cette
personne a fait pour vous (ou a été pour vous) et sur la manière dont cela vous a
affecté. Dites-lui ce que vous faites maintenant et comment vous vous souvenez
de ce qu’elle a fait pour vous.
La visite de gratitude
Selon les cultures il peut être plus ou moins facile d’exprimer sa
gratitude ouvertement. Aux États-Unis, où une fête traditionnelle est
consacrée à la gratitude (Thanksgiving), il semble plus naturel de rendre
visite à un proche pour le remercier. En France, on rencontre plus de freins.
Parmi les groupes de psychologie positive que nous avons animés à
l’université, les participants ont beaucoup apprécié l’exercice de la lettre de
gratitude, mais seule une personne sur dix a osé apporter ou lire la lettre au
destinataire.
Y a-t-il un intérêt à porter la lettre ou peut-on se contenter de l’écrire ?
Des recherches ont montré que le simple fait d’écrire la lettre augmentait
déjà le sentiment de connexion sociale et le bien-être de l’individu ayant
écrit la lettre. Toutefois, le corpus de connaissances en psychologie laisse
penser que le fait d’engager un acte de remerciement aurait des effets
distincts du simple sentiment de gratitude. On constate par exemple, que
lorsqu’un individu reconnaissant ne peut l’exprimer au bienfaiteur, cela
provoque une tension interne qui réduit le degré de bien-être.
La « visite de gratitude » consiste tout d’abord à rédiger une « lettre de
gratitude », puis à la remettre en main propre à la personne concernée. Cette
pratique donne souvent lieu à des rencontres d’une grande intensité
émotionnelle, permet de renouer le contact avec des personnes perdues de
vue et augmente d’autant plus le sentiment de lien et de soutien social. Les
effets bénéfiques d’une visite de gratitude perdurent jusqu’à un mois plus
tard. Ainsi, avec une visite de gratitude par mois vous pouvez déjà cultiver
votre bien-être !
Toutefois, pour certaines personnes cet exercice peut paraître
inconfortable. Il est possible de modifier la pratique en envoyant la lettre
plutôt que de se déplacer pour lire la lettre en personne. Une étude a montré
que, sur une population d’étudiants, les effets étaient aussi bénéfiques
lorsqu’ils envoyaient une lettre par courrier, par e-mail ou s’ils l’apportaient
lors d’une visite de gratitude 141. Cette recherche a également mis en
évidence que le fait d’apporter la lettre en main propre apportait plus de
bénéfices aux personnes extraverties. En effet, les individus plus introvertis
se sentent moins à l’aise dans cette situation, ce qui peut réduire les
bienfaits de cette pratique.
Pratiquer en famille
Le calendrier de l’attention
Une autre pratique qui peut être réalisée avec les enfants consiste à
confectionner un calendrier mensuel (comme un calendrier de l’avent).
Chaque matin, les enfants peuvent ouvrir une fenêtre du calendrier
confectionné avec leurs propres dessins sur lesquels figurent des éléments
du quotidien qu’ils apprécient et auxquels chacun peut porter davantage
d’attention ce jour-là. Par exemple, les enfants auront dessiné dans une
fenêtre un oiseau, dans une autre un arbre, dans une troisième une pomme,
etc. Chaque jour, pendant un mois, il y aura donc une attention particulière
portée à l’un des objets ou animaux côtoyés au quotidien.
Une autre variante consiste à dessiner des éléments du quotidien que
l’on apprécie sur des cartes. Après avoir mélangé le jeu de cartes
confectionné, tous les matins chacun pioche une carte au moment du petit
déjeuner et l’affiche dans la cuisine. Le soir venu, au moment de partager le
repas, on peut réaliser un tour de table de ce que chacun a pu observer au
cours de sa journée concernant l’objet qui figurait sur sa carte. Ces
pratiques peuvent également être adaptées pour un usage dans les classes.
La boîte de gratitude
Cet exercice est dans la même lignée que le tableau de gratitude.
L’enseignant donne des petits papiers aux élèves et chaque élève y inscrit ce
pour quoi il éprouve de la reconnaissance. L’élève dépose ensuite son
papier dans une boîte. Cet exercice peut se faire chaque jour, puis à la fin de
la semaine, l’enseignant ou les élèves ouvrent la boîte et lisent à haute voix
ce qui est écrit. Ce qui est noté sur les papiers peut être anonyme ou non,
selon le choix de l’élève. Des expériences ont montré que le tableau et la
boîte de reconnaissance sont des exercices qui améliorent le climat de
classe 151.
Au chapitre 2 de cet ouvrage, la critique de la génération « moi » a été
présentée comme ayant favorisé une prise de conscience de la tendance de
plus en plus marquée chez les jeunes de considérer les bénéfices de leur
quotidien comme allant de soi, ce qui les prive de l’émotion de gratitude.
En développant la gratitude à l’école, il serait possible de réduire cette
tendance ; c’est ce que semblent montrer les recherches effectuées dans les
établissements scolaires. Au cours d’une enquête réalisée auprès de jeunes
152
de 10 à 14 ans , après avoir demandé ce qu’ils souhaitaient changer dans
la société actuelle et à quoi ressemblerait leur monde idéal, la question
suivante était posée : « Alors que fais-tu concrètement ? » Voici l’une des
réponses d’un jeune classé parmi les 15 % les plus reconnaissants :
« J’essaie de mon mieux d’être ouvert d’esprit pour trouver de nouvelles
façons d’améliorer les choses. » Par contraste, voici la réponse d’un jeune
faisant partie des 15 % les moins reconnaissants : « Rien. J’ai l’impression
que les changements qu’il faudrait pour un nouveau gouvernement
prendraient énormément de temps, inutile d’essayer. Donc je pense que
153
mon monde idéal ne pourra pas exister . »
La gratitude offrirait également un moyen d’augmenter la patience et de
contrecarrer ainsi la tendance à vouloir « tout, tout de suite ». Une étude en
laboratoire proposait à des participants de se remémorer soit un événement
pour lequel ils éprouvaient de la gratitude, soit un événement heureux, soit
154
un événement habituel de leur quotidien (groupe contrôle) . Puis, ces
participants pouvaient choisir entre recevoir une somme d’argent tout de
suite ou une somme plus importante entre une semaine et six mois plus tard.
Les personnes ayant éprouvé de la gratitude étaient plus enclines à différer
la récompense en choisissant des sommes plus importantes à recevoir plus
tard.
Mesurer les progrès
Au-delà de l’expérience subjective que l’on découvre à travers ces
pratiques, il existe des mesures standardisées qui permettent d’identifier
avec précision certaines dimensions de l’attitude par rapport à soi-même,
aux autres, à la vie qui peuvent être modifiées par ces pratiques. Certaines
personnes aiment remplir des questionnaires, d’autres moins. Voici
quelques outils que vous pouvez utiliser pour repérer la progression au
cours des semaines de pratique. Une première échelle vise à mesurer
l’orientation de l’attention vers les aspects positifs de l’expérience. Le
second questionnaire permet de mesurer les différentes dimensions du bien-
être subjectif (satisfaction par rapport à la vie et émotions positives), ainsi
que le bien-être psychologique qui comprend le sentiment d’autonomie, de
maîtrise, d’accomplissement, les relations positives, le sens de la vie et
l’acceptation de soi.
155
Questionnaire d’orientation vers le positif
Entourez le chiffre correspondant à votre réponse sur une échelle allant de 1 à 4
(très rarement, assez rarement, assez souvent, très souvent), puis calculez le
score global d’orientation vers le positif en suivant les consignes ci-dessous.
En général…
Pour calculer votre score global d’orientation vers le positif, commencez par
inverser le score des phrases 2, 6, 7, 8 et 9 : si vous avez entouré le 1, comptez
4, si vous avez entouré le 2, comptez 3, etc. Puis additionnez l’ensemble des
scores
L’intérêt de cette échelle est de vous aider à repérer votre progression. Vous
pouvez donc calculer votre score une première fois aujourd’hui, puis dans un mois
lorsque vous aurez réalisé un certain nombre de pratiques de gratitude.
L’échelle d’orientation vers le positif comprend trois dimensions : une
tendance à porter attention au positif en général, une tendance à porter
attention au positif même lorsque cela va mal, et une tendance à porter
attention au négatif même lorsque tout va bien, ce qui est l’inverse de
l’orientation vers le positif, c’est pourquoi, lors du calcul du score, il est
important d’inverser le recodage de ces scores. Maintenir son attention sur
les aspects positifs de la situation malgré les difficultés n’a pas pour but de
vous faire oublier ce que vous êtes en train de vivre, mais de vous permettre
de chercher des solutions adaptatives et variées.
Une technique ludique qui vise à réorienter l’attention vers les aspects
satisfaisants d’une situation peut être utilisée comme moyen de mesurer par
vous-même votre progression. Vous pouvez expérimenter cette pratique
aujourd’hui avec un proche, puis l’essayer à nouveau après quelques
semaines de pratique de gratitude afin de voir s’il devient plus facile pour
vous de percevoir les aspects positifs d’une situation. La pratique s’appelle
« La bonne nouvelle, c’est que… 156 ».
Choisissez un proche avec qui vous allez expérimenter cette pratique :
la prochaine fois que vous le rencontrerez, par exemple lorsque vous arrivez
au travail ou lorsque vous rentrez le soir à la maison, essayez pendant cinq
minutes de commencer vos phrases par « La bonne nouvelle, c’est que… ».
Vous pouvez également tester cette pratique pour faire face à une situation
délicate. Vous présentez la situation – dans votre tête ou à un proche – puis
vous formulez plusieurs phrases commençant par : « La bonne nouvelle,
c’est que… » Cela vous permettra probablement d’entrevoir de nouvelles
portes qui pourront être ouvertes pour vous aider à résoudre le problème ou
faire face à la situation. Après avoir exprimé la phrase, prenez le temps de
repérer si vous éprouvez de la gratitude pour ce que vous venez d’évoquer.
En quoi ce que vous venez de préciser est une bonne nouvelle dans la
situation actuelle ? En quoi cela peut-il vous aider ? Comment vous
sentiriez-vous si vous n’aviez pas pu identifier cela ?
L’orientation vers les aspects satisfaisants de la situation ne représente
que l’un des effets de ce type de pratique. Certains d’entre vous auront déjà
des scores élevés à cette échelle au départ, donc auront peu de marge de
progression sur cette dimension, mais les autres dimensions pourront
évoluer, telles que la qualité des relations, le sentiment de satisfaction par
rapport à sa vie, le bien-être. Vous trouverez ci-après un questionnaire
permettant de mesurer le bien-être subjectif et psychologique. À la suite de
quelques semaines de pratique, vous pourrez regarder pour chacune des
157
affirmations, sur quelle dimension vous avez progressé .
La motivation à la pratique
Les pratiques développant l’orientation reconnaissante ne visent pas à
faire l’expérience de la gratitude tout le temps et pour toute chose. On peut
toutefois décider de s’entraîner à réorienter notre attention vers les aspects
satisfaisants de notre existence. L’orientation reconnaissante ne relève pas
simplement de la perception d’une émotion agréable au cours d’une
situation. Elle relève également d’une démarche active qui implique un
engagement dans une pratique visant à entraîner son regard et son attention
à percevoir les choses sous un angle différent.
Certains parlent d’une forme de rééducation, « un appel à sortir du
sommeil de nos habitudes et de nos conditionnements 161 ». Si l’on
considère qu’il s’agit d’une pratique à mettre en œuvre, on peut alors
aisément comprendre qu’il ne s’agit pas nécessairement d’une attitude à
conserver en permanence, quelles que soient les circonstances. En effet, il
ne s’agit en aucun cas de s’efforcer d’éprouver de la gratitude dans toute
interaction. De même que si l’on décide de pratiquer une activité physique
on ne fait pas pour autant du footing tout au long de la journée, si l’on
décide de réaliser des exercices de gratitude, cela se passe sur un temps
déterminé bien que les effets perdurent au-delà du temps de pratique et
entraînent une modification de la façon d’appréhender les événements par
la suite.
Jack KORNFIELD.
On ne peut être toujours calme, serein, joyeux ni même reconnaissant. Il
n’est pas facile d’éprouver de la gratitude dans certaines circonstances, lors
d’un changement de vie non choisi tel que la perte d’un emploi, un
déménagement ou encore lors de la perte d’un être cher. Le deuil comprend
plusieurs étapes qui débutent souvent par une phase de non-acceptation (il
semble si difficile même d’y croire), une phase de colère qui s’accompagne
souvent d’un sentiment d’injustice, suivie d’une phase de désespoir au
cours de laquelle la vie semble perdre de son sens. Ce n’est qu’après ces
différentes phases qu’une étape de reconstruction peut se dessiner. C’est au
cours de cette étape que la gratitude peut jouer un rôle important, à
commencer par la gratitude pour tout ce que l’on a reçu de la personne, la
gratitude pour ceux qui nous soutiennent dans cette épreuve, la gratitude
pour les petites choses du quotidien qui petit à petit redonnent du sens à la
vie. Robert Emmons soulignait ainsi que la gratitude, c’est se souvenir 162.
Se souvenir de l’être aimé, de ce qui nous a permis de nous construire
au travers de cette relation et qui reste présent aujourd’hui. Éprouver de la
gratitude dans ces conditions augmente le sentiment de proximité sociale et
l’énergie pour faire face à la situation. Lorsque les pratiques de gratitude
ont été réalisées en amont de l’événement, il est plus facile de se
reconnecter à ce sentiment de lien social et à ses ressources. Lorsque Jon
Kabat-Zinn invite à la pratique quotidienne de la pleine conscience, il
utilise une image très éclairante pour comprendre pourquoi il était utile de
pratiquer même lorsqu’on va bien : au moment où vous allez sauter de
l’avion il ne sera plus temps de tisser votre parachute ; il importe de le tisser
en amont, afin qu’il soit suffisamment solide pour vous permettre d’atterrir
sain et sauf.
Accorder une priorité à cet entraînement régulier implique le fait qu’on
ne réalise pas l’exercice seulement quand on est d’humeur à le faire… En
effet, pour progresser, un violoniste pratique ses gammes même lorsqu’il
n’en a pas envie. C’est la répétition de la pratique qui développe
progressivement les compétences. Lorsqu’on se trouve confronté à une
difficulté et que l’on ne parvient plus à trouver le courage d’y faire face ou
qu’on n’a l’impression d’avoir perdu de vue le sens et la cohérence de tout
ce que nous menons de front, il peut être utile de regarder la situation sous
un autre angle, afin de redonner du sens à ce que nous vivons et pouvoir
puiser dans l’énergie de l’optimisme pour surmonter la difficulté.
Pour mieux cerner comment il est envisageable de développer
l’orientation reconnaissante dans les situations difficiles, voici un petit
exercice.
1. Commencez par penser à une situation qui vous a affecté(e) au cours du
mois passé. Pour une première pratique, choisissez un événement pour
lequel l’intensité des émotions suscitées n’est pas trop élevée.
a. Quelle est la situation sur laquelle vous souhaitez vous pencher pour faire
l’exercice ?
...................................................................................................................................
........
Par exemple : J’avais décidé de m’inscrire enfin à une activité physique, mais le
cours était déjà complet, donc j’ai dû renoncer à cette pratique.
c. Si je prends cette situation et que j’essaie de voir les choses autrement : au lieu
de baisser les bras, est-ce que je peux identifier des conséquences positives
inattendues de cette situation ?
...................................................................................................................................
........
Par exemple : Je cherche d’autres manières de pratiquer une activité physique : je
peux marcher une fois par semaine avec ma fille dans la poussette en faisant une
boucle d’une heure trente en profitant des paysages montagneux alentour ; je
peux accompagner mon fils pour une balade à vélo une fois par semaine pour une
heure ; je peux faire du trampoline avec les enfants dans le jardin vingt minutes
par jour en rentrant de l’école… Finalement, beaucoup de pistes peuvent s’ouvrir
suite à cette mauvaise nouvelle. Comme la nouvelle a suscité de la colère, cette
énergie (il s’agit d’une émotion activatrice, c’est-à-dire qui mobilise de l’énergie)
peut être réinvestie dans d’autres pratiques qui nécessitent une plus grande
autodiscipline, mais dont les bénéfices sont plus importants que ceux de la
pratique visée à l’origine.
d. Si je regarde les choses autrement, qu’est-ce qui aurait rendu la situation pire ?
...................................................................................................................................
........
Par exemple : Il y a deux ans, il n’était pas possible d’envisager de m’inscrire à
une activité physique étant donné que je venais d’accoucher, que les enfants
étaient en bas âge, que toute notre attention était tournée vers la meilleure façon
de répondre aux besoins de chacun des enfants. Prendre conscience de la
possibilité de faire une activité pour soi permet déjà de susciter des émotions
positives et de l’optimisme ce qui favorise la capacité à rebondir et à trouver
d’autres solutions pour répondre à la situation.
L’imagination incarnée
Vous utilisez spontanément la mémoire prospective dans la vie courante
pour vous aider à ne pas oublier un rendez-vous téléphonique, la prise d’un
médicament ou ne pas manquer l’horaire de sortie de l’école. Plus vous
parvenez à visualiser en détail les conditions de la mise en œuvre de l’acte,
plus vous augmentez vos chances de réaliser cette action : comment est la
situation ? Qui est présent ? Quelles sensations éprouvez-vous dans cette
situation (en image mentale) ? Il importe d’identifier précisément ce que
vous percevez au moment où vous allez réaliser l’acte en image mentale,
comme si vous y étiez « pour de vrai ». C’est ce que l’on appelle
l’imagination incarnée.
Pour vous aider, appuyez-vous sur toutes les perceptions que l’on peut
avoir dans une situation donnée : lorsque je suis en train de pratiquer,
qu’est-ce que je perçois à travers mes cinq sens ? Je suis assise à la table de
la cuisine et je viens de poser mon cahier devant moi. Il est plutôt léger et
très doux ; la couverture brille un peu. Je prends quelques secondes pour
penser à ce pourquoi je ressens de la gratitude en ce moment. Pendant que
je pense, il n’y a pas de bruit autour de moi, les enfants sont déjà couchés et
mon conjoint est en train de lire. Je prends mon stylo et je commence à
écrire une première chose pour laquelle je suis reconnaissante aujourd’hui.
J’entends le bruit du stylo sur le cahier…
Plus vous pouvez détailler cette expérience en image mentale, plus vous
facilitez sa mise en œuvre par la suite. Cette technique serait une forme
d’« imagination incarnée ». Des chercheurs ont montré que le fait de répéter
mentalement une tâche requérant de la dextérité améliorait
165
considérablement son exécution par la suite . Les sportifs de haut niveau
se préparent ainsi à leur compétition en répétant leur parcours mentalement.
Cette technique pourra donc vous être utile pour devenir des experts de la
mise en pratique de vos intentions ! Et si cette technique n’est pas assez
efficace pour vous, une autre méthode a fait ses preuves : l’implémentation
de l’intention.
L’implémentation de l’intention
Lorsque vous vous êtes donné pour objectif de pratiquer un exercice de
votre choix, il est utile d’identifier les leviers et les freins à la mise en
166
œuvre concrète. L’implémentation de l’intention est une technique qui
vise à mieux vous préparer à affronter ces situations si vous voyez que vous
rencontrez toujours une bonne raison pour ne pas pratiquer !
Imaginez que la situation suivante se produise : vous êtes assis
tranquillement à votre table et vous allez commencer l’exercice. Le
téléphone sonne. Que faire ? Faut-il répondre ? S’agit-il d’une urgence ou
est-ce que cela peut attendre quelques minutes ? Pour vous préparer à cette
situation, vous pouvez utiliser la formule suivante : « Si la situation X se
présente, alors je vais réaliser le comportement Y. » L’implémentation de
l’intention favorise ainsi l’identification des situations et la réponse choisie
en amont afin d’atteindre le but fixé (réaliser la pratique). Cette méthode
aide à stocker en mémoire la réponse pour en faciliter la mise en application
le moment venu. Il existe deux manières de procéder, soit avec la
formulation originale qui consiste à verbaliser la phrase en « si…, alors »,
soit en visualisant l’image de la situation et de l’action réalisée en réponse.
Une combinaison des deux méthodes apparaît comme étant le plus
167
efficace .
L’implémentation de l’intention a été testée dans de nombreuses
recherches et s’est montrée utile pour divers comportements tels que la
168
prise de médicaments ou la réduction des comportements addictifs . Elle
complète ainsi l’utilisation de la mémoire prospective en potentialisant son
169
efficacité . Pour ceux qui ne sont pas familiers ou qui ne sont pas à l’aise
avec ces méthodes d’imagerie mentale, il existe un autre type de moyen
pour augmenter la pratique. Il s’agit de techniques d’engagement.
L’engagement
On envisage généralement le changement de comportement comme la
170
conséquence d’un changement d’attitude . Ainsi, il suffirait de modifier
ses croyances ou attitudes pour modifier son comportement. Si votre
objectif est d’améliorer votre bien-être en portant davantage votre attention
aux aspects positifs de votre existence, les travaux sur la gratitude vous
auront peut-être convaincu du bien-fondé des pratiques de gratitude.
Pourtant, il ne suffit pas d’être convaincu pour une mise en œuvre effective
des pratiques. Vous êtes sûrement convaincu du bien-fondé du don de sang
et pourtant une partie d’entre nous n’a pas encore mis en œuvre cette
pratique.
Jusqu’à présent, un grand nombre d’interventions de prévention se sont
fondées sur cette idée selon laquelle il suffit de convaincre pour changer les
comportements. C’est ainsi que nous avons été abreuvés d’informations
concernant les risques du tabac, des maladies sexuellement transmissibles,
etc. sans pour autant que cela aboutisse nécessairement à des modifications
tangibles et durables des conduites. À titre d’exemple, les résultats d’une
étude longitudinale portant sur une intervention de 65 séances visant la
prévention du tabagisme auprès d’élèves de 8 à 17 ans montrent que la
probabilité d’être fumeur à 17 ans n’est pas plus faible chez des élèves
ayant suivi le programme de sensibilisation comparé aux élèves n’ayant pas
171
assisté à ces séances . L’information n’est pas inutile, mais reste
insuffisante dans une majorité de cas. Nombre de recherches illustrent ce
172
décalage existant entre les idées et les actes . Alors comment faire pour
vous aider à mettre en œuvre les pratiques ?
Il existe un champ de recherche portant sur l’engagement qui offre de
nombreuses pistes pour vous aider, ainsi que pour favoriser ce premier pas
173
vers la pratique pour d’autres personnes . Parmi ces pistes, il est possible
de retenir qu’un engagement réalisé publiquement a plus de chances d’être
suivi d’un comportement effectif. Si vous décidez de mettre en œuvre un
journal de gratitude, vous aurez plus de chances de vous y tenir si vous en
informez une tierce personne. Toutefois, il importe de garder à l’esprit que
vous avez choisi librement cette pratique et qu’elle correspond à vos
valeurs.
Selon les périodes de votre vie, vous aurez plus ou moins de facilité à
mettre en œuvre les comportements de votre choix et vous pourrez vous
appuyer sur l’une ou l’autre de ces techniques d’aide à la mise en pratique,
ou sur une combinaison de plusieurs méthodes. Vous pouvez aussi varier
selon les jours ou les semaines pour maintenir un degré de motivation
174
optimal. Les approches centrées sur les compétences s’avèrent également
particulièrement utiles pour vous aider à identifier ce qui vous a permis de
mettre en œuvre les pratiques et en quoi cela parle de vos qualités, des
valeurs qui sont importantes pour vous et qui constituent une boussole qui
vous guide dans vos actions.
CONCLUSION
Le pouvoir de l’attitude
Apprendre à réorienter notre attention vers les aspects que nous avons
tendance à laisser au second plan est un changement d’attitude qui peut
modifier en profondeur notre rapport à l’existence. La consigne du journal
de gratitude est particulièrement éclairante quant au pouvoir de l’attitude :
« Il y a beaucoup de choses dans nos vies, petites ou grandes, pour
lesquelles nous pouvons éprouver de la reconnaissance… » Nul besoin
d’attendre que tout soit parfait ou qu’il vous arrive quelque chose de
particulièrement positif pour éprouver de la gratitude. L’orientation
reconnaissante offre des lentilles permettant de repérer les aspects positifs
des situations rencontrées tout au long de l’existence, quels que soient les
événements ou les conditions de vie. L’orientation reconnaissante rend plus
attentif aux petites choses qui augmentent la perception que la vie vaut la
peine d’être vécue. Ces petites choses auxquelles on a parfois du mal à
prêter attention tant les stimulations publicitaires multiples attirent notre
attention vers ce dont nous manquons. Le pouvoir particulier de
l’orientation reconnaissante est que plus on aiguise cette attitude, plus on
perçoit de raisons d’être reconnaissant, ce qui augmente en retour les
émotions positives éprouvées.
Nous ouvrons les yeux sur ce qui nous entoure et nous percevons la
chance que nous avons, pour des choses toutes simples, « banales », comme
le fait de pouvoir percevoir le monde à travers nos sens, de pouvoir nous
déplacer pour aller à la rencontre d’autrui, de pouvoir éprouver des
émotions et les partager. La chanson « Gracias a la vida » de Violeta Parra
dépeint avec simplicité la gratitude envers ces cadeaux de la vie et comment
ils nous permettent de mieux aimer autrui.
179
Extrait de la chanson « Merci à la vie »
Merci à la vie qui m’a tant donné,
elle m’a donné le rire et elle m’a donné les pleurs,
ainsi je distingue bonheur et déchirement,
les deux matériaux qui composent mon chant,
et votre chant à vous, qui est le même chant,
et le chant de tous, qui est mon propre chant.
Merci à la vie
Violeta PARRA
Le pouvoir du don
Éprouver de la gratitude nous pousse à plus de bienveillance envers
autrui, même inconnu. Cette émotion augmente ainsi la tendance à offrir en
retour et à aider les personnes que nous rencontrons sur notre chemin. Au-
delà des bénéfices que l’on peut ressentir suite au don que l’on fait à autrui,
nous recevons aussi en retour la confiance de l’autre et sa bienveillance.
C’est la spirale ascendante de la gratitude : plus on éprouve de la gratitude,
plus on a tendance à donner en retour, ce qui encourage l’autre à donner à
son tour, augmentant à chacune de ces étapes le bien-être des deux parties.
Les comportements prosociaux induits par le sentiment de gratitude
permettent de répondre au mieux aux trois besoins psychologiques
fondamentaux que sont : le sentiment d’autonomie (sentir que l’on peut
choisir les comportements que l’on met en œuvre, qui sont ainsi fondés sur
une motivation intrinsèque), le sentiment de compétence (pouvoir donner à
autrui implique que l’on a les compétences pour le faire) et le sentiment de
proximité sociale.
Le pouvoir du sens
L’impossibilité de donner du sens entraîne un mal-être indéfinissable. À
l’inverse, lorsque l’individu trouve un sens à sa vie, cela procure un
sentiment de bonheur durable, malgré l’adversité 180. Etty Hillesum, jeune
femme juive, déportée et décédée à l’âge de 29 ans à Auschwitz, écrivait
dans son journal, malgré l’injustice et les conditions de vie déplorables
qu’elle devait supporter : « Pourtant, je trouve cette vie belle et riche de
sens 181. » Les témoignages de cette femme rapportés dans ses lettres et dans
son journal sont un symbole de la capacité de l’être humain à pouvoir faire
face à des situations dramatiques, en s’appuyant sur l’orientation de
l’attention vers les aspects de l’existence qui permettent de tenir malgré
tout.
Les recherches portant sur les facettes de l’existence qui donnent du
sens à celle-ci, ont montré que, quel que soit l’âge, ce sont les relations qui
182
jouent le rôle le plus important . Les pouvoirs de la gratitude évoqués ci-
dessus contribuent à augmenter le sens de la vie notamment par le biais de
la qualité des relations que la reconnaissance permet. Être capable de
savourer davantage les expériences positives quotidiennes, de consolider les
relations positives, constitue un atout essentiel pour surmonter les
difficultés que l’on rencontre et garder le cap malgré les aléas de la vie.
C’est ce qui explique pourquoi l’orientation reconnaissante est si
étroitement liée au bien-être. Cultiver le jardin de la gratitude peut modifier
en profondeur notre regard sur nous-même et sur nos expériences et nous
offre la possibilité de partager le bonheur qui en découle. Le philosophe
Alain écrivait : « Le bonheur, j’entends celui que l’on conquiert pour soi,
est l’offrande la plus belle et la plus généreuse 183. » Il rejoint en cela les
184
propos d’André Gide qui considérait le bonheur comme un devoir moral .
Comme nous l’avons montré au travers des nombreuses recherches citées
dans ce livre, la gratitude permet de contribuer au bonheur d’autrui. Ainsi,
le choix de développer l’orientation reconnaissante, au-delà d’une quête de
bien-être individuel, contribue au bien-être social.
Titre
Copyright
Dédicace
Prologue
Introduction
Gratitude et politesse
L’orientation reconnaissante
Gratitude et altruisme
Le journal de gratitude
La visite de gratitude
Pratiquer en famille
La motivation à la pratique
L’imagination incarnée
L’implémentation de l’intention
L’engagement
Le pouvoir de l’attitude
Le pouvoir du don
Le pouvoir du sens
Z-Access
https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
ffi
fi