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Le rideau s’ouvre sur la façade d’une très jolie auberge à une centaine de kilomètres

de Paris. Un perron occupe toute la longueur de cette façade et file de jardin à cour. A
l’arrière de ce perron, une porte-fenêtre, avec des voilages, ouvre sur une grande salle de
réception. Au milieu du perron, un escalier double descend vers le parc avec en son centre un
banc de pierre. Quelques photophores sont posés à même la pelouse ainsi que quelques
lampions donnant un air de fête au lieu…
Préambule sur une musique cubaine.
Ambiance fin d’après-midi paisible. C’est l’heure du vin d’honneur et tous les
convives sont en train de boire un verre sur le perron ; par petits groupes, les discussions
vont bon train.
Patrice Potier est entouré de Jean, Ivan et François. Ils sont debout près d’une table
et discutent voiture.
Yvonne est assise seule sur une chaise, un peu à l’écart des autres groupes ; les bras
croisés, elle semble ailleurs.
Christophe converse avec France.
Valérie parle de cinéma avec Cécile et Mathilde qui va décrocher rapidement.
La mère court de part et d’autre du perron ; elle entre puis sort et semble très
agitée…
Olivier, le photographe, prend des photos.
Toutes les actions sont jouées simultanément.
Peu à peu, les invités sortent du plateau et laissent Mathilde et François seuls ; les
deux jeunes gens s’assoient sur le banc. Ils rient, se regardent intensément. Il lui baise la
main.
La lumière décroît jusqu’au noir complet…
Après un long silence, qui tranche avec l’effervescence précédente, François prend la
parole.

François - … Voilà.
Mathilde – Mais pourquoi tu me dis ça maintenant ?
François – Je suis désolé.
Un nouveau silence puis une lueur apparaît à travers la porte-fenêtre qui mène au
perron. C’est Odette, une quinquagénaire à l’allure stricte qui porte un chandelier dans une
main et un pantalon de survêtement dans l’autre.
Odette – (à la lueur du chandelier) Mathilde ?
Mathilde – Oui ?
La lumière revient. Nous découvrons alors Mathilde, une jolie jeune femme vêtue
d’une robe de mariée. L’homme, avec lequel elle discutait, est resté immobile contre la
bordure du perron. Il s’agit de François, trente-cinq ans, très séduisant.
Odette – Deux coupures de courant en moins d’une heure, c’est incroyable ! Et quand tu vas
demander ce qui se passe au gérant de l’auberge, tout ce qu’il trouve à te répondre c’est : « Je
suis désolé, c’est les plombs qui sautent ! » Et moi, je ne suis pas désolée peut-être ?! Qu’est
ce qu’il veut que je fasse ? Que je les lui change moi-même ses plombs ? Je suis navrée, je ne
me promène pas avec une boîte de fusibles en permanence dans la poche de mon tailleur ! (A
sa fille) Ca va être le moment de la pièce montée les enfants. Si les choux sont aussi tendres
que la viande, j’en connais quelques-uns qui y laisseront leur bridge !... Il y a un problème ?
Mathilde – Non, non.
L’assistance réclame de nouveau la mariée.
Odette – Qu’est-ce qu’ils peuvent m’exaspérer tous ceux-là ! Et ça rigole ! Et ça boit ! Ils ne
savent pas s’amuser calmement ces pauvres gens ! Enfin, je préfère ne rien dire, on va encore
prétendre que je fais des histoires pour rien… Ceci étant, j’ai enfin trouvé un pantalon pour

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Papy… Il n’en aura pas loupé une aujourd’hui ton grand-père : un vol plané en sortant de
l’église, la main coincée dans la portière de la voiture et pour couronner le tout, il nous
renverse son verre de vin sur son pantalon ! Il perd la boule, je t’assure ! Bon, on s’en occupe
de cette pièce montée. (Mathilde semble ailleurs.) Mathilde…hou, hou ?...
Mathilde – (en sortant de ses songes) Oui ?
Odette – Je te parle.
Mathilde – Oui, oui… (A François) Tu viens ?
François – J’arrive.
Mathilde se dirige vers la salle de réception avec sa mère. François reste un moment
perdu dans ses pensées. Jean Attali fait son apparition sur le perron. C’est un homme du
même âge que François, au look plutôt démodé.
Jean – Je peux ?
François – (avec un léger sourire) Bien sûr…
Jean – Je m’en grille une vite fait ! (Il sort un paquet de cigarettes qu’il avait dissimulé dans
sa chaussette.) J’ai dit à Yvonne que j’allais aux toilettes ; si elle ne me voit pas revenir
rapidement, elle est capable d’aller y faire un tour et de frapper à toutes les portes jusqu’à ce
qu’elle me trouve ! Ca ne t’ennuie pas si je fume ?
François – Pas du tout… Tu m’en offres une ?
Jean – Je croyais que tu avais arrêté ?
François – J’ai repris.
Jean – Il y a longtemps ?
François – A l’instant…
Jean – Je ne sais pas si je dois.
François – S’il te plaît.
Jean – Tu as des soucis en ce moment ?
François – Oh…des petits problèmes avec la dernière campagne qu’on vient de lancer.
Jean – Ah ! (Temps.) J’ai mal aux pieds avec ces chaussures. Je les ai achetées hier pour le
mariage. On a pris les moins chères, alors forcément le cuir n’est pas d’excellente qualité…
François – Fallait pas les acheter si elles te font mal.
Jean – Va dire ça à Yvonne. Tu les trouves jolies ?
François – Non.
Jean – Moi non plus. De toute façon, tu me mets un costume Cerruti, je ressemble à un
pingouin qui va aux vêpres ! Toi tu t’en fiches, tu n’as pas ce genre de problème !
François – Tu plaisantes.
Jean – Attends, rappelle-toi l’époque où j’organisais des soirées… Je passais la journée à
choisir les vêtements qui feraient de moi le prince de la nuit, toi tu arrivais le soir comme un
pied nickelé, et bien, c’est toujours dans les bras du pied nickelé que les filles terminaient…
Le prince de la nuit, il finissait toujours tout seul devant une assiette de cacahuètes ! (Il jette
un coup d’œil de temps à autre à l’intérieur de l’auberge. Il s’amuse également de ses
propos.) C’était comment déjà l’expression que tu employais quand tu voulais repousser les
avances d’une fille sans vouloir la froisser ?
François – On se connaît trop…
Jean – (se marrant) C’est ça, « on se connaît trop » ! Il faudra que j’essaie avec Yvonne.
François – Comment elle va justement Yvonne ?
Jean – Mieux…elle remonte la pente petit à petit… Il faut du temps… (Temps.) Ca me fait
plaisir de te voir. (Silence.) Tu lui as parlé ?
François – Oui.
Jean – Ce soir ?
François – Eh oui…

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Valérie Potier fait irruption. C’est une rousse pulpeuse. Elle a un verre de vin rouge à
la main.
Valérie – Il y a une fumée dans cette salle, c’est intenable ! Je ne sais pas comment vous
faites encore pour fumer avec tout ce qu’on entend sur la cigarette ! Près de chez nous, on a le
mari d’une voisine qui vient de claquer à cause de ça. Il laisse une femme et deux enfants
derrière lui alors qu’il venait à peine de faire construire ! C’est malheureux, il n’a même pas
profité de sa maison ! Chez nous, je fais la guerre à Patrice pour qu’il arrête mais ce n’est pas
facile. Lui, il fume des cigarillos… C’est une horreur ! Ça empeste dans tout le pavillon, sans
compter la fumée, ça jaunit le papier peint. Patrice me dit qu’on n’a qu’à acheter du papier
peint déjà jaune comme ça il n’y aura plus de problème… C’est pas une solution. On a eu un
bel été…
François – Oui…
Valérie – Remarquez le mois de juin en principe… Quoique ce n’est pas toujours le cas :
l’année dernière à la même époque, il a fait un temps pourri. Enfin qu’est-ce que vous voulez,
comme dit mon mari, on n’a plus de saisons !... Vous êtes un ami de Mathilde ?
Jean – Je lui donnais des cours particuliers de français.
Valérie – Elle est belle Mathilde, hein ?
Jean – Oui…très belle.
Valérie – Je l’adore, c’est une fille formidable… Elle a son petit caractère, elle n’est pas
Bélier pour rien… Je connais bien. Mon mari est Bélier… ! Il est où d’ailleurs celui-là ? (Elle
regarde discrètement entre les voilages de la porte-fenêtre et lorsqu’elle l’a localisé, elle
laisse échapper un léger sourire narquois.) … Tu penses…dès que j’ai le dos tourné, ça y
va…
Jean – Vous êtes de la famille ?
Valérie – Oui, la cousine de Mathilde. On a la grosse BMW jaune anis. Vous êtes très
élégant, François !
François – Merci.
Valérie – Ca n’a pas l’air d’aller ?
François – (à froid) Non, j’ai Saturne à côté de ma Lune en maison trois !
Il quitte le perron.
Valérie – Il a l’air tristounet notre François. De toute façon, je trouve l’ambiance bizarre ce
soir.
Jean – Ah bon ?
Valérie – Oui…je ne sais pas…une impression…j’ai un sixième sens pour ça… C’est typique
des Capricorne ! Vous n’avez qu’à voir, les plus grands médiums sont Capricorne. Gérard
Majax, Elisabeth Tessier, Paco Rabanne, ce sont que des Capricorne… (Un homme distingué
apparaît. Il s’agit d’Ivan Marcelin.) Vous pouvez rester, vous ne nous déranger pas… Plus on
est de fous…
Ivan – Je ne voudrais pas vous importuner…
Jean – Il faut que j’aille retrouver mon épouse, elle va s’inquiéter.
Valérie – Votre dame, c’est pas la dame qui s’appelle Yvonne ?
Jean – Si.
Valérie – Alors, elle vous cherche. Elle est partie en direction des toilettes.
Jean sort, laissant Valérie en compagnie d’Ivan.
Valérie – Pour un petit Bordeaux, il a de la cuisse.
Ivan – Oui.
Valérie – Votre femme aussi… Elle est très jolie. Patrice et moi l’avons tout de suite
remarquée à l’église. Elle avait une robe sensass… C’est une Rodier à tous les coups ?
Ivan – (qui s’en fout) Non, une Lacroix…

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Valérie – Elles sont pas mal aussi, mais les Rodier sont vraiment de belles robes ! Elles ne
sont pas données non plus. Vous payez la qualité forcément ! (Un temps. Silence gêné.) Bon,
je vais aller retrouver mon homme… Des fois qu’il m’aurait déjà remplacée !
Valérie quitte le perron. Ivan s’empare de son portable sur lequel il compose fébrilement un
numéro en jetant des regards fréquents vers la salle de réception.
Ivan – Décidément, je sens que ça va être une grande soirée, ce soir… (Il tombe sur un
répondeur.) Oui Karine, c’est Ivan, il doit être aux alentours de minuit… Tu es peut-être en
train de dormir… Je t’appelle parce que j’avais envie de te parler… Voilà… Bon, visiblement
tu dors…euh… Dommage, j’avais envie de te parler… Je te l’ai déjà dit, ce n’est pas grave, je
le dis à nouveau…euh… Je t’embrasse fort… Bon, ben…bonne nuit…euh… Si tu veux, je
t’appellerai demain…euh… Bonne nuit. (Il éteint son portable.) Pas terrible comme
message…
Yvonne apparaît. C’est une femme triste, habillée de manière terne.
Yvonne – Il n’est pas là mon mari ?
Ivan – Non, je suis seul.
Yvonne – Je le cherche. Il m’a dit qu’il allait aux toilettes, je suis allée voir et il n’y est pas.
Si vous le trouvez, vous pouvez lui dire que je le cherche ?
Ivan – Absolument.
Yvonne – (fouillant le parc du regard) Ca m’inquiète. D’habitude, il ne met pas autant de
temps quand il va au petit coin ?
Ivan – Ne vous inquiétez pas. Si je le vois, je le préviens que vous le cherchez.
Yvonne – Il m’a dit qu’il allait aux toilettes. Comme il tardait, je suis allée voir, il n’y a
personne… En tout cas, pas lui !
Ivan – Vous pouvez compter sur moi, si je le vois, je lui dirai que vous le cherchez…
Yvonne – Ca fait un moment qu’il est parti maintenant… C’est peut-être le foie gras qu’il
n’aurait pas digéré… Il y a d’autres toilettes dans cette grande maison ?!
Ivan – Je ne sais pas… Peut-être à l’étage.
Yvonne – Oh ! Là, là !... Il faut que je monte. Ça m’inquiète parce qu’il allait bien cet après-
midi. (En partant.) Fait pas chaud ou je dois couver quelque chose.
Yvonne rentre dans l’auberge. Un homme arrive sur le perron en fumant un cigarillo. C’est
Patrice Potier, un grand moustachu dans un costume assez voyant.
Patrice – Bonsoir…je peux vous demander un service ?
Ivan – Oui, bien s…
Patrice – (le coupant) Les batteries de mon portable sont à plat. Auriez-vous la gentillesse de
me prêter le vôtre, je dois passer un coup de fil urgent à minuit, ça fait dix fois que je vais à la
réception, c’est tout le temps occupé…
Ivan – Allez-y, je vous en prie…
Patrice – Merci beaucoup… Putain, pourtant c’est le dernier Ericsson que j’ai acheté…l’extra
plat et les batteries sont déjà à plat. Ah ! Ces chinetoques, ils feront tout pour nous baiser ! Ca
baise bien les Asiates, à ce qu’il paraît ! (Il tombe sur son interlocuteur et prend une voix
mielleuse.) …Allô ? C’est Patrice, je te réveille ? Oh, je suis désolé mon ange, je voulais juste
te dire que je pensais beaucoup à toi…que je n’en peux plus dès que je suis loin de toi…
(Ivan se fait discret alors que Patrice baisse la voix.) …Oui, c’est très sympa comme
mariage… Ben oui, elle est venue avec moi. Je pouvais pas la laisser à la baraque, ce n’est pas
un teckel quand même… Mais, tu sais bien que c’est toi que j’aime. (A peine audible.) On se
voit toujours lundi soir ? Super. Je viendrai te chercher au salon avec la BM… Avec la
bagnole tu dois frimer, non ? Elles te disent quoi tes copines quand elles me voient arriver ?
Non, pas verte, jaune anis… Bon, je te laisse dormir. Je t’embrasse…partout… (Baissant
encore la voix.) Et quand je dis partout, c’est partout… J’essaie de t’appeler demain… Dors
bien, mon ange… (Rendant l’appareil.) Merci infiniment…

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Ivan – De rien…
Assistance – (off) Un discours, un discours !
Patrice – Ah, j’ai l’impression que les mariés vont prendre la parole, faut pas rater ça ! Il est
veinard notre marié d’épouser une fille comme Mathilde ! Vous n’êtes pas de mon avis ?
Ivan – Si, si.
Patrice – Regardez cette grande brune ; elle est tellement maigre, tu la baises, tu te coupes !
(Il rit.) Vous par contre, vous êtes accompagné d’une très belle femme !
Ivan – Merci. Vous avez également une jolie femme.
Patrice – C’est un autre style.
Ivan – (narquois) Je parle de celle qui est avec vous.
Patrice – Oui, oui… J’en ai qu’une. (Il rit jaune. Mathilde entre sur le perron au même
moment.) Alors, tu ne vas pas nous faire un petit discours avec ton chéri ?
Mathilde – Tout ce monde, c’est intimidant. Vous avez passé une bonne journée ?
Ivan – Excellente…
Mathilde – Je suis contente que tu aies pu venir, Ivan…
Ivan – C’est surtout gentil à toi d’avoir pensé à m’inviter parce qu’on ne peut pas dire qu’on
se soit vu souvent ces dernières années… Tu es toujours à Saint-Faron ?
Mathilde – Non, je suis partie. Je suis en pédiatrie à la clinique des Fontaines.
Ivan – Ah, bonne réputation… Alors, heureuse ?
Mathilde – Très.
Patrice – Eh ben, on y croit vachement !
Une jeune femme très chic apparaît dans l’encadrement de la porte-fenêtre. Il s’agit de
France.
France – Ivan, il faut que je te présente quelqu’un !
Mathilde – (à Ivan) Vas-y… On a toute la nuit pour se parler…
France – C’est très gentil à vous de nous avoir conviés à votre mariage. Nous avons vraiment
passé ne agréable journée et puis, je vous le dis car je n’ai pas eu l’occasion de le faire
auparavant, vous faites une très jolie mariée.
Mathilde – Merci…
Ivan rentre avec France.
Patrice – Dis donc, elle est drôlement bien foutue cette fille. Par contre ce soir, il n’y a pas
que des bombes, il y a aussi des tas. Si la femme est l’avenir de l’homme, il y a des hommes
qui vont avoir de sacrées gueules dans quelque temps !... Oh Mathilde, souris ma poule ! Tu te
maries ; on ne va pas te ligaturer les trompes ! (Une trentenaire, plutôt masculine, fait
irruption. Il s’agit de Cécile.) Bonsoir…
Cécile – Bonsoir…
Patrice – Bon, on va aller remettre un peu d’ambiance, j’ai l’impression que c’est un peu
mort là-dedans ! Mathilde, dès qu’il y a un rock, tu m’en réserves un ! Tu vas voir ce que
c’est de danser un rock avec le « King of the rock’n’roll dance over the world » !
Patrice quitte le perron en se dandinant.
Cécile – Il a la patate, ton cousin ! Euh…merci le plan de table ! Je suppose que le fait que je
sois assise à une table uniquement composée de célibataires n’est qu’une pure coïncidence ?!
Ton neveu, il ne m’a pas lâchée de tout le dîner. Dis donc, il en tire une tête ton mec ! Vous
vous êtes engueulés ou quoi ?
Mathilde – (toujours dans ses pensées) Hein ? Oui, oui, ça va.
Cécile regarde Mathilde qui paraît absente.
Cécile – Bon, il est où le problème ?
Mathilde – De quoi tu parles ?
Cécile – Arrête ton char. Je te vois toute chose depuis un moment…qu’est-ce qui t’arrive ?

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Mathilde – Rien je t’assure. (Devant l’insistance du regard de Cécile, elle se décide à
parler.)…Ca reste entre nous ?
Cécile – (haussant les épaules) Non, je vais aller faire une annonce au micro !
Mathilde – … Tout à l’heure…
Odette revient avec le même pantalon de survêtement qu’au début.
Odette – Tu sais qu’il commence à me courir ton grand-père…le pantalon, ça ne lui convient
pas. Il est allergique au polyamide, il faut qu’il y en ait moins de 30% sinon ça lui crée des
irritations. Par contre, garder son pantalon qui sent la vinasse, ça, ça ne le dérange pas ! Je
vais finir par demander une jupe à la patronne de l’auberge et je vais te le mettre en jupe, moi,
tu vas voir, ça ne va pas traîner… Enfin, quand je dis une jupe et quand je vois cette pauvre
patronne, je devrais plutôt lui demander une bâche ! Enfin, je préfère ne rien dire… Tu viens
ouvrir le bal ?... Tu me diras, si le type qui s’occupe de la musique est aussi doué que le
traiteur, on risque d’aller au lit de bonne heure ! En tout cas, si c’est pour nous mettre de la
musique de sauvage jusqu’à l’aube, ne comptez pas sur moi pour faire le singe au milieu de la
piste ! (Elle aperçoit quelqu’un dans la salle.) En parlant de singe, j’en connais un qui passe
une bonne soirée, c’est déjà ça…
Un homme d’une trentaine d’années passe la tête par la porte-fenêtre. Il a une queue de
cheval et porte un costume années 50. C’est Olivier, le sympathique photographe.
Olivier – Je suis désolé de vous interrompre… Mathilde, j’ai besoin de vous pour une
photo…
Mathilde – J’arrive tout de suite…
Cécile – (prenant le bras de Mathilde) On pourra aussi en faire une toutes les deux ?
Olivier – Sans problème… On la fera dans le parc si vous voulez, j’ai repéré un endroit avec
une belle lumière…
Mathilde – (à Cécile)… Tu m’attends, je reviens.
Cécile – Je ne bouge pas de là…
Olivier se retire avec Mathilde.
Odette – Tu n’oublieras pas de venir ouvrir le bal ! Qu’est-ce qu’elle a Mathilde ?
Cécile – Ben, rien.
Odette – Elle ne vous a pas parlé ?
Cécile – Non.
Odette – Vous pouvez tout me dire ; je suis sa mère.
Cécile – Ok. Dès que j’ai des news, je vous envoie un mail !
Odette – De toute façon, je sais très bien ce qu’il y a. Ce n’est pas à un vieux singe comme
moi qu’on apprend à faire la grimace.
Jean apparaît.
Jean – Je peux ?
Cécile – Evidemment.
Jean – On se faisait une balade dans le parc avec François. C’est magnifique cet endroit.
Odette – Oui bof, pour le prix, je m’attendais à un parc un peu plus grand. Il va bien
François ?
Jean – Parfaitement bien.
Odette – Ah bon…vous m’excusez, j’ai un pantalon à trouver.
Jean – (à Cécile) Alors, mademoiselle Cécile passe une agréable soirée ?
Cécile – Ca peut aller.
Jean – C’est beau que les gens se marient encore de nos jours.
Cécile – Arrête, tout ça c’est du cinoche : « j’te promets fidélité, jusqu’à mon dernier souffle !
Je ne regarderai jamais personne d’autre que toi ! » Il y a un sacré paquet d’hypocrites autour
de nous alors, je peux te le dire ! Les mariages et les enterrements, ça permet surtout de revoir
les potes, c’est déjà ça… Tu n’aurais pas une clope ?

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Jean – Si… (Il lui offre une cigarette et la lui allume.)
Cécile – A quoi ça sert, sincèrement, Jean ? A compliquer les choses quand on se sépare,
pont-barre… On nous bassine depuis des lustres en nous disant qu’on n’est pas faits pour
vivre seuls, et bien honnêtement, je me le demande… Il suffit de regarder autour de toi le
nombre de couples qui se plantent : Vincent est séparé, Elodie est en train de divorcer et entre
Michel et Sylvie, y’a de l’eau dans le gaz…
Jean – Michel et Sylvie ?
Cécile – Elle a rencontré quelqu’un…
Jean – Je me disais aussi qu’il avait beaucoup maigri !
Cécile – C’est le meilleur des régimes. Tu veux maigrir ? Tu te fais larguer, c’est radical !
Jean – Il doit être mal le Michel. Il venait juste de se faire tatouer le visage de sa femme sur
son épaule !
Cécile – Eh ben, il n’aura qu’à rajouter deux cornes au stylo-feutre !
Jean – Il y a quand même de bons côtés dans la vie de couple… Enfin, je suppose. (Il sourit
de sa boutade.) Mais sans parler mariage, tu n’as pas encore trouvé l’homme de ta vie ?
Cécile – Si je l’ai trouvé, il n’a pas dû me voir !
Jean – Je suis pourtant persuadé, Cécile, que quelque part, il y a ton Tristan qui t’attend…
Cécile – Ouais, ben j’espère qu’il a pris un bon bouquin en m’attendant… Je te garantis que le
jour où je le trouve, je lui balance deux tartes dans la figure pour m’avoir fait attendre si
longtemps ! Ca fait combien de temps que tu es avec Yvonne ?
Temps.
Jean – Dix-sept ans… Depuis les épreuves du bac, rappelle-toi.
Cécile – Ah oui, ça me revient…
Jean – Elle venait de louper le rattrapage, je l’ai vue qui pleurait toutes les larmes de son
corps, toute seule dans son coin… Je suis allé la consoler et voilà…dix-sept ans de mariage
pour un demi-point manqué en philo…
Cécile – Comment elle va au fait ?
Jean – Le plus dur est passé… Au début, ça n’a pas été facile mais avec le temps, sa peine
s’est atténuée… Mais elle n’a toujours pas repris le travail…
Cécile – Ah oui, quand même… Dis-moi, François ne t’a pas parlé ?
Jean – A quel sujet ?
Yvonne fait son apparition sur le perron.
Yvonne – Tu fumes ?
Jean – (éteignant sa cigarette) Hein ?... Non…
Yvonne – Tu ne m’écoutes pas. Quand tu seras mort, il faudra pas venir te plaindre. Où tu
étais ? Je te cherchais partout. J’ai été voir aux toilettes, j’ai frappé à toutes les portes, je
m’inquiétais.
Jean – Je suis allé me promener dans le parc avec François.
Yvonne – Tu es sorti comme ça ? Tu n’as pas mis de veste ?
Jean – Non, il fait bon dehors…
Yvonne – Si tu tombes malade, il ne faudra pas venir te plaindre…
Cécile – T’inquiète pas, Yvonne, il est solide ton mari !
Yvonne – Non, il est fragile du cou et il fait frais dès que tu t’éloigne un peu dans les sous-
bois… (A Jean) Je t’ai mis une assiette de côté avec de la pièce montée…
Jean – Je ne suis pas très friand de dessert, tu sais.
Yvonne – Il faut que tu manges un peu de sucre, ça te fera du bien… (Elle se frotte les bras
pour se réchauffer.)… Moi, je trouve qu’il ne fait pas très chaud. Tu devrais mettre une veste,
tu vas attraper mal… Comme si on n’avait pas suffisamment de soucis comme ça… (A
Cécile.)… Ca va, toi ?
Cécile – Pleine forme…et toi ?

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Yvonne – (avec une tête d’enterrement) Pareil.
Yvonne reste pensive tandis que Cécile et Jean échangent un regard en coin.
Cécile – Je ne sais pas ce que fabrique Mathilde, on devait aller faire des photos… Bon, je
vais opérer un petit come-back à l’intérieur pour essayer de la trouver. J’espère que son neveu
va me lâcher un peu la grappe.
Jean – Il te drague ?
Yvonne – Jean, comment tu parles !
Cécile – Oui, c’est un petit jeune, ce n’est pas bien méchant. Qu’est-ce que ça peut être rigolo
un type qui drague ! Tu peux lui raconter n’importe quelle connerie, il sera toujours
subjugué ! Je viens de passer une plombe à lui expliquer que je n’avais pas de machine à laver
chez moi et que, du coup, j’étais obligée d’amener mon linge au lavomatic ; il trouvait ça
passionnant… Allez, à tout’.
Elle sort, laissant Jean et Yvonne sur le perron.
Yvonne – Remonte ton pantalon, tu fais débraillé… (Jean s’exécute docilement.) Il est dix
fois trop grand…
Jean – Non, je suis à l’aise.
Yvonne – (l’aidant comme un enfant) Ne dis pas que tu es à l’aise, tu flotte dedans…
Comment tu te sens au fait dans tes nouvelles chaussures ?
Jean – Bien…elles me font peut-être un peu mal quand même.
Yvonne – Ca m’aurait étonné que tu ne trouves rien à redire ! Tu es toujours en train de te
plaindre. Il y a des gens qui ne peuvent même pas s’en payer. Tu devrais t’estimer heureux.
Bon, et puis on ne tardera pas trop…
Jean – Tu veux déjà partir ?
Yvonne – Oui, je suis fatiguée…
Jean – On attend encore un peu ?
Yvonne – Non, je m’ennuie…
Jean – Ca ne te fait pas plaisir de revoir tous les amis ? Mathilde, Cécile ?
Yvonne – Si, mais bon…c’est déjà formidable qu’on soit venu avec tout ce que je viens
d’endurer…
Jean – On attend encore un petit moment et après on y va. Allez, on va voir s’il reste encore
de la pièce montée.
Yvonne – On ne part pas trop tard, je te préviens…
Jean – (du bout des lèvres) Non, non…
Yvonne – Jean, regarde-moi… On ne part pas trop tard ?
Jean – (obéissant) D’accord…
Yvonne – Et tu arrêtes de boire, tu conduis.
Jean – J’ai bu une bière sans alcool en tout et pour tout !
Yvonne – Il y a quand même 4% d’alcool dedans, ce n’est pas rien.
Patrice et Valérie Potier déboulent comme des malades.
Valérie – T’es malade ?! Qu’est-ce qui te prend ?!
Patrice – Ca va durer encore longtemps ton petit manège ?!
Valérie – Quel petit manège ?
Patrice – C’est ça, prend-moi pour un con ! Tu crois que je te vois pas faire avec le
photographe ?
Valérie – Qu’est-ce que tu racontes ?
Patrice – Et vas-y que je te pose des questions, et vas-y que je te fais des grands sourires.
C’est nouveau cette passion pour la photo !
Jean et Yvonne quittent discrètement le perron.
Valérie – Il s’est mis à côté de moi pour prendre une photo, on a plaisanté c’est tout, il n’y a
rien de mal là-dedans !

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Patrice – C’est ça, oui ! Vous voulez que je vous réserve une chambre à l’hôtel aussi pendant
que vous y êtes ! Je vais lui foutre une torgnole moi à ce petit connard !
Valérie – Oh ! Et puis tu ne vas pas me faire une scène parce que j’ai dit deux mots à ce type,
t’es plutôt mal placé pour la ramener !!
Patrice – (troublé) Quoi ?
Valérie – Tu crois que je ne t’ai pas vu faire le beau avec l’autre espèce de bourge ? Et France
par ci ! Et France par là !
Patrice – N’importe quoi…
Valérie – Ca avait l’air de te passionner ce qu’elle te racontait ? Vous parliez de quoi ? De
tricot ? De repassage ?
Patrice – Bon Valérie, tu arrêtes maintenant, sinon tu vas en prendre une. On parlait de
voyage si tu veux tout savoir.
Valérie – De voyage !
Patrice – Parfaitement, Madame, de voyage ! Elle rentrait de l’île de la Réunion, alors on en
parlait ensemble.
Valérie – Qu’est-ce que tu veux parler de l’île de la Réunion quand tu sais à peine où se
trouve l’île de Ré !
Patrice – Bon ça suffit ! Traite-moi de menteur aussi pendant que tu y es ! Et puis t’y vas
mollo sur la boutanche ! Poivrote.
Valérie – Quand t’arrêteras de reluquer le cul de toutes les bonnes femmes !
Patrice – Pauv’ fille.
Valérie – Si Mathilde me demandais mon avis, je lui dirais moi de ne pas se marier ! Si
c’était à refaire, je ne t’aurai pas fait deux mômes et je réfléchirais à deux fois.
Patrice – Ca te va bien de dire ça…t’en profites bien de ma tune quand même ?!
Ivan apparaît. Il est tout à la discussion qu’il a sur son portable. Valérie profite de son
arrivée pour rentrer dans l’auberge. Après un instant d’incompréhension, Patrice rentre à
son tour.
Ivan – (au portable) Karine, tu m’entends ? Moi, je t’entends mieux… Je suis vraiment
heureux que tu m’appelles. Tu dormais ? Et Justine ? Elle passe tout le week-end là-bas ! Et
toi, tu as passé une bonne soirée ? Comment ? Oui, je suis au mariage de Mathilde et
Christophe comme je t’avais dit… Oui, très agréable… Enfin pour l’instant… Non je ne peux
pas parler de ça au téléphone, je t’en dirais plus après mais je pense qu’il va se passer des
choses… C’est génial que tu me rappelles… Qu’est-ce que je voulais ? Rien de particulier, je
voulais parler un petit peu avec toi, simplement…comme ça…de…de…de tout…de…de
nous…oui de nous… Oui, j’y suis allé tout seul au mariage… Je ne suis plus avec France
depuis un petit moment maintenant… Je suis « open » comme on dit. (Il rit.) Ca serait bien si
on allait boire un verre un de ces soirs… Quand tu veux…dans la semaine ?... Mardi ça me
convient impeccable… Bon, ben, je t’embrasse…fort…et…euh…alors… C’est ça, bonne
nuit.
Il coupe son portable satisfait.
France arrive.
France – Qui était-ce ?
Ivan – Comment ?
France – La personne que tu avais au bout du fil ?
Ivan – Ah…c’était…la clinique…le nouvel interne voulait avoir des renseignements sur une
patiente…
France – Tu es une véritable anguille ce soir…
Ivan – Ah bon, tu trouves ?
France – Oui…je te sens tendu, tu ne tiens pas en place…
Ivan – Non…c’est cette patiente justement qui m’inquiète…

9
Elle l’enlace et l’embrasse.
France – Dis-moi que tu m’aimes…
Ivan – Je te l’ai déjà dit dans la voiture…
France – C’était il y a longtemps… Redis-le-moi…
Ivan – (sans grande conviction) Je t’aime…
France – C’est vrai ?
Ivan – Bien sûr, c’est vrai…
France – Tu me le dirais si tu ne m’aimais plus ?
Ivan – Pourquoi tu me poses ces questions brusquement ?
France – J’ai toujours peur qu’un jour tu me quittes… Je suis tellement heureuse avec toi…
Tu es resté marié combien de temps avec Karine ?
Ivan – Sept ans.
France – Tu crois qu’un jour on se mariera nous aussi ?
Ivan – Pourquoi pas ?
Un temps.
France – Il faudra que tu divorces alors ? (Silence d’Ivan.) Quand ?
Ivan – Ecoute, France, on ne va pas remettre ça sur le tapis, ce n’est ni l’heure, ni le lieu…
On verra…
Un temps.
Ivan entraîne France à l’intérieur. La scène reste déserte un moment. On entend seulement
les bruits de fête, les cris, les rires et la musique. Scène de danse. La fête bat son plein. Puis
on revient sur le perron.
Mathilde y fait irruption puis fixe le parc d’un air préoccupé. Les portes-fenêtres s’ouvrent
sur Cécile, une assiette emplie de choux à la main. Cécile s’accoude à côté de Mathilde. Un
silence s’installe entre les deux femmes.
Mathilde – Il m’arrive une drôle de chose…enfin drôle, c’est pas vraiment le terme…
(Temps.) Tout à l’heure, j’étais sur le perron en train de discuter avec François, quand il y a eu
cette coupure de courant… On s’est retrouvés tous les deux, dans le noir, avec chacun notre
part de brie à la main ; on écoutait les réactions des gens à l’intérieur de l’auberge, ça nous
faisait bien marrer – et puis au bout de quelques instants, on n’a plus rien dit. Il y a eu un long
silence comme ça et puis il m’a demandé s’il pouvait me parler. (Au moment où Mathilde
débute son récit, une nouvelle coupure d’électricité plonge le perron dans l’obscurité.) Il m’a
avoué qu’il m’aimait toujours…qu’il n’avait jamais cessé de m’aimer. Presque depuis notre
séparation en fait. (Cécile allume les bougies du chandelier qu’Odette avait laissé posé sur la
bordure du perron.) A l’époque, il avait eu la sensation que notre relation était trop sérieuse.
Il me voyait très amoureuse et il ne se sentait pas prêt pour envisager de vivre quelque chose
d’aussi intense… C’est pour ça qu’il a rompu… Et puis ensuite, assez rapidement, il s’est
rendu compte qu’il avait commis une erreur. A plusieurs reprises, il a tenté de reprendre
contact avec moi, mais il n’avait jamais le courage d’aller jusqu’au bout. Le problème c’est
que quand il s’est enfin décidé à me parler, je venais de rencontrer Christophe qui est un très
bon ami à lui, comme tu sais. Du coup, il a choisi de se taire. Il attendait patiemment que son
heure vienne – sans savoir si elle allait vraiment venir – jusqu’au jour où je lui ai annoncé que
j’allais me marier… Voilà.
Cécile – C’est de l’histoire ancienne quand même tout ça ?
Mathilde – Oui évidemment, mais…
Cécile – Mais quoi ?
Mathilde – Mais…tu sais bien ce qu’a représenté François pour moi et l’oublier a été très
difficile.
Cécile – Mais aujourd’hui, c’est fini ?
Mathilde – (avec peu d’assurance)… Oui, oui…

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Cécile – Tu en pinces encore pour lui ?
Mathilde – (après un long temps) … Euh… Je ne sais pas… Je ne sais plus… Peut-être.
Cécile – Tu ne te marries pas comme ça avec Christophe ?
Mathilde – Bien sûr que non. Il est adorable. Il m’a toujours fait confiance. C’est quelqu’un
de remarquable, je suis totalement épanouie avec lui. C’est un garçon très drôle, qui a une
vraie folie, attentionné, généreux ; c’est une épaule sur laquelle tu peux t’appuyer en toute
confiance. Comment ne pas tomber amoureuse de lui ?
Cécile – Déjà, on ne devrait pas dire « tomber amoureuse » ? Dans tomber, y’a se faire mal,
se planter, se ramasser. A la base, c’est négatif… Pourquoi il est venu te raconter toutes ces
salades ce soir lui aussi ?!
Mathilde – Je ne sais pas…l’énergie du désespoir peut-être.
Cécile – L’énergie du fouteur de bocson, oui !
Mathilde – J’étais tellement persuadée que c’était terminé.
Odette déboule soudain sur le perron et se saisit du chandelier.
Odette – C’est insensé, insensé… Vous vous rendez compte ! Une troisième coupure de
courant ! S’ils veulent qu’on déguerpisse, ils n’ont qu’à le dire franchement ! (La lumière
refait son apparition.) Je suis estomaquée. Les parents de Christophe m’avaient conseillé cet
endroit ! J’aurais mieux fait de me casser une jambe au lieu de les écouter ! Ceux-là aussi, je
les retiens…
Mathilde – Ce n’est pas grave, maman…
Odette – Ah bon, ce n’est pas grave ?! Alors tout à l’heure, les patrons de l’auberge vont nous
demander de parler moins fort parce qu’ils iront se coucher et ça ne sera pas grave non plus ?!
De toute manière avec toi, rien n’est grave, il n’y a jamais aucun problème, tout va toujours
divinement bien, c’est merveilleux, le monde est merveilleux, les hommes sont merveilleux.
C’est comme l’autre, il vient me narguer, sous mon nez, avec sa gamine et je devrais trouver
ça merveilleux !
Mathilde – Il ne vient pas te « narguer » !
Odette – Si, il vient me narguer ! Quand on passe devant moi avec un sourire jusqu’aux
oreilles en me demandant si ça va, j’appelle ça narguer !
Mathilde – Ils étaient tranquilles dans leur coin, c’est toi qui est allée leur tourner autour, je
t’ai vue faire…
Odette – Moi, j’ai été leur tourner autour ?! Pourquoi j’aurais fait ça ? Je m’en fiche
complètement de lui. Qu’il reste avec sa gamine. S’il est heureux comme ça, le pauvre
homme, après tout, ça le regarde ! Vous en pensez quoi, vous, franchement, Cécile ? Un
homme de son âge avec une fille de vingt-cinq ans, c’est grotesque !
Mathilde – (s’interposant) S’il est heureux avec elle, c’est son problème.
Odette – Ca ne se fait pas. Tu n’aurais pas dû l’inviter. En plus, elle est molle comme tout !
On dirait un chamallow, cette pauvre petite ! Si encore elle respirait l’intelligence, mais j’ai
l’impression que c’est tout sauf une lumière ! Dommage, si ça avait été le cas, elle aurait pu
nous servir ce soir.
Mathilde – C’est mon père. Il était hors de question qu’il ne vienne pas à mon mariage !
Odette – Il aurait pu venir au prochain.
Mathilde – Qu’est-ce que tu racontes ?
Odette – Oh ! Je t’en prie, je sais bien qu’à tous vous écouter, je ne suis qu’une
enquiquineuse, mais je reste avant tout une femme !
Mathilde – Maman, ça suffit, ne gâche pas tout.
Odette – Tu l’as dans la peau ce François, ça crève les yeux… Ca fait des années que ça dure.
Je me demande encore comment Christophe fait pour ne pas s’en rendre compte. Ce que je ne
comprends pas, c’est que tu aies pu rester amie avec ce garçon après tout ce qu’il t’a fait

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endurer ! Tu n’as pas beaucoup d’amour propre ma petite chérie… Et je vais être franche avec
toi, je ne l’ai jamais apprécié ce François ; c’est un cavaleur !
Mathilde – Mais tu n’apprécies personne, de toute façon ! Tu n’apprécies pas François ; au
début, tu n’appréciais pas non plus Christophe, tu n’apprécies pas mes amis, tu n’apprécies
pas le traiteur, tu n’apprécies pas la musique, tu n’apprécies pas ton appartement, tu
n’apprécies pas la vie, tu n’apprécies RIEN !!!... Tu es une handicapée de l’amour et moi, je
n’ai pas envie de me retrouver à soixante balais en train de regarder mon ex-mari danser la
macarena avec une autre femme au mariage de mes enfants !
Odette – Tu modères tes propos, s’il te plaît. Vous maintenant, vous changez de bonshommes
pour un oui pour un non. Moi de mon époque, c’était pas comme ça ; nous avions des
principes…même si souvent l’idée m’a traversé l’esprit, ça ne se faisait pas.
Mathilde – Eh bien moi, de mon époque, ça se fait…et si j’ai envie de partir, je partirai.
Odette – Sache quand même que sans ces principes, tu ne serais peut-être pas là aujourd’hui.
Christophe, le marié, fait son apparition.
Christophe – (tout sourire) Tout va pour le mieux, belle-maman ?
Odette – Je nage dans le bonheur ! (Christophe embrasse tendrement son épouse.) Je vais
aller voir si le café se fait…enfin, quand je dis voir…à condition qu’il n’y ait pas de nouvelle
coupure de courant entre-temps !
Odette sort.
Christophe – Il y a un souci ?
Mathilde – Ce n’est pas intéressant.
Christophe – Bon, la suite des évènements : la jarretière, tu es prête ?
Mathilde – Quoi, la jarretière ? Ah non, non, non, moi je ne fais pas ça… Tu m’as bien
regardée ?
Christophe – Je sais, mais c’est Patrice qui a lancé l’idée ! Tout le monde attend… Allez, ce
ne sera pas long !
Mathilde – Il est lourd quand il s’y met celui-là !
Christophe – Allez, viens. Qu’est-ce que tu fais Cécile, tu restes là ? Viens, je vais te
présenter mon associé, c’est un passionné de théâtre et de cinéma, il est hyper calé…
Cécile – Et ton associé, il ne serait pas aussi hyper célibataire ?
Christophe – (se marrant) Pourquoi, c’est interdit ?... Je te marierai avant la fin de l’année, tu
verras… Tu viens ma chérie ?
Christophe sort. Mathilde va pour le rejoindre.
Mathilde – Qu’est-ce que tu ferais à ma place ?
Cécile – Attends, j’ai déjà du mal à gérer avec un, alors avec deux, je ne te raconte pas la
bérézina ! Tout ce que je peux te dire, c’est que la passion, c’est magnifique, ça te mets la tête
à l’envers, c’est fort, c’est tout ce que tu voudras, mais c’est aussi très éphémère.
Mathilde – Je sais, mais admettons que j’éprouve encore des sentiments pour François ?
Cécile – Tu me dis que tu aimes Christophe.
Mathilde – Oui…bien sûr…bien sûr… Je ne sais plus… On peut aimer deux personnes ?!...
Non ?
Cécile – Non. Il faut choisir. Maintenant, si tu as envie de te barrer avec François, fais-le.
Christophe repasse la tête par la porte-fenêtre.
Christophe – Tu viens mon amour ?
Mathilde le rejoint ; il l’embrasse et ils sortent ensemble laissant Cécile seule, dubitative.
Arrive François.
François – (voyant Cécile) La jarretière, c’est tout de même un grand moment de notre
patrimoine culturel !
Cécile – Le pot de chambre à six heures du mat’, c’est pas mal non plus !
François – C’est cool de se retrouver tous comme au bon vieux temps.

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Cécile – Oui, ça ne nous rajeunit pas malheureusement.
François – Toujours avec tes délinquants ?
Cécile – Oui, plus que jamais. La situation ne s’arrange pas. Je vois arriver au centre des
gamins de plus en plus jeunes, c’est désespérant. Parfois, je me demande vraiment si je sers à
quelque chose. Et toi, ton agence ?
François – Ca se développe pas mal !
Cécile – La pub, c’est toujours un secteur qui rapporte. Mais c’est aussi toujours aussi nul !
Celle de la mousse à raser en ce moment avec le chien qui s’épile, c’est grave de chez grave…
François – C’est notre agence qui a trouvé le concept !
Cécile – C’est une grosse merde, il n’y a pas d’autres mots.
François – Sinon, toujours avec ton jeune cadre dynamique ?
Cécile – Euh…non. Mon jeune cadre dynamique, il était tellement dynamique qu’il s’est
barré il y a trois mois. Je dois faire peur aux mecs peut-être. Même mon père s’est barré
quand je suis née, c’est pour te dire ! Et toi, beau comme tu es, directeur d’agence de pub en
plus, tu dois en harponner pas mal des minettes ?
François – Disons que j’ai plus d’aventures que l’Abbé Pierre, mais ça reste des coups, ça ne
va pas plus loin…
Cécile – Vous êtes tous les mêmes, vous nous faites votre petit numéro de séducteur, vous
vous soulagez bien les castagnettes et après, tchao bella… Le plus terrible, c’est qu’on le sait,
mais pourtant on continue de se faire avoir. On se dit que le prochain, il sera différent. Mon
cul, le prochain il est comme les précédents ! Le seul truc qui l’intéresse c’est de passer la nuit
avec toi, rien de plus ! Là je craquouille pour un type, et bien, je suis certaine que si je me
laisse aller, on va coucher ensemble, je vais m’accrocher et lui il va se tirer un de ces quatre
matins !… Et encore quand je dis un de ces quatre matins, je suis optimiste ; en général, c’est
le lendemain matin qu’il plie la tente !
François – C’est parce que nous aussi on cherche la bonne personne. Seulement on ne la
trouve pas forcément tout de suite et c’est sûr qu’il y en a qui paient pour le bon numéro !
Vaut mieux essuyer des échecs que nourrir des regrets.
Cécile – Ou fermer sa gueule.
François – Je ne te suis pas.
Cécile – Si, si, tu me suis très bien au contraire… Qu’est-ce que tu avais besoin de venir
foutre ton bordel ce soir ?… Tu nous emmerdes avec ton romantisme à quatre francs
cinquante ! On n’a plus quinze ans, François !… C’est avant qu’il fallait bouger, pas ce soir !
François – Ce n’est pas du romantisme à quatre francs ; je suis sincère.
Cécile – Arrête François ! Dès qu’un type voit son ex avec un autre, il commence sa
sérénade : « Je regrette, j’aurais pas dû te quitter, je m’aperçois que je t’aime toujours… » Il
faut vous faire comme avec les chats : vous mettre le nez dans la pisse pour que vous vous
rendiez compte de vos conneries ! T’es comme les autres ! La vie, c’est pas un roman-photo,
François ! Toi qui es si respectueux de certaines valeurs telles que l’honnêteté, la loyauté, je te
rappellerai simplement que Mathilde est une femme mariée depuis maintenant neuf heures et
quand on veut se la jouer seigneur, on se doit de l’être jusqu’au bout. Quel que soit le prix à
payer… Alors, n’endosse pas le rôle du martyr qui se sacrifie, tu n’as rien à y gagner !
Olivier le photographe surgit sur le perron.
Olivier – Cécile ?!
Cécile – C’est elle !
Olivier – Une petite photo avec la mariée, c’est toujours d’actualité ?
Cécile – Plus que jamais, mon jeune ami !
Jean arrive en maugréant.
Jean – Elle me tape sur le système parfois, Yvonne.
Cécile – T’as qu’à lui dire qu’elle te gonfle ?

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Jean – Pour faire encore des histoires…je préfère me taire.
Cécile – Si tout le monde pouvait faire comme toi. (Regard sur François.)
Olivier disparaît dans le salon en compagnie de Cécile.
Jean – Tu en veux une ?
François – Oui, je veux bien…
Jean sort une cigarette de son paquet toujours dissimulé dans sa chaussette.
Jean – (après un temps) J’ai beaucoup d’admiration pour ce que tu as fait… Tu es un modèle
pour moi.
François – Ce n’est pas de l’avis général… Je regrette, je n’aurais pas dû lui parler.
Jean – Pas du tout, c’est un acte très courageux…
François – Tu parles d’un acte courageux ! Je lui ai foutu sa soirée en l’air. Elle est mal à
l’aise, elle n’ose plus me regarder et vis-à-vis de Christophe, c’est limite enfoiré quand même.
Seulement, je n’arrive pas à tourner la page, y’a rien à faire. Mais qu’est-ce que tu veux, c’est
moi qui étais parti ; la fierté, l’amour propre, tu reviens pas en claironnant. Tu te fais discret et
tu dégustes dans ton coin. Je ne sais pas ce qui m’a pris de tout lui sortir ce soir… Si elle avait
vraiment eu envie de revenir avec moi, elle me l’aurait fait savoir…elle m’aurait pas demandé
d’être son témoin, tu ne crois pas ?
Jean – Pourquoi voulais-tu qu’elle parle à ta place ? Tu connais les femmes. Elles attendent
que tu avances ton pion le premier ; si ça leur plaît, elles te prennent, si ça ne leur plaît pas,
elles te ruinent le moral pour six mois, et c’est comme ça que tu te retrouves des mois entiers
déprimé devant ton téléviseur à regarder Les Feux de l’amour sans savoir pourquoi tu
regardes ce truc débile ! Mais toi, est-ce que tu lui as seulement fait comprendre que tu
désirais redevenir autre chose que son meilleur ami ?
François – Non…
Jean – Je me permets de te le faire remarquer en sachant pertinemment que ce n’est pas chose
facile… Je crois que j’en aurais été aussi incapable… Et quand je dis « je crois », j’en suis
sûr…sinon, il y a belle lurette que je l’aurais fait… Pas avec Mathilde évidemment ! Mais
avec Cécile, ça m’aurait plu. Pratiquement depuis le jour où nous nous sommes rencontrés au
lycée, tu vois, ça remonte… Pas de chance, elle, elle était bonne en philo ! J’étais amoureux
d’elle comme un fou… Mais moi, je n’ai jamais trouvé la force de le lui avouer… Ca
surprend. Ce n’est pas très sympa pour Yvonne, mais c’est pourtant la stricte vérité… Ca fait
dix-sept ans que je vis avec la sensation d’être passé à côté de quelque chose… Mais je n’ai
que ce que je mérite… Le renard quand il veut se libérer d’un piège, il se ronge la patte ; moi,
je n’ai jamais trouvé la force de me bouffer la main ! C’est pour cette raison que je trouve ton
attitude très courageuse !
François – Putain, tu caches bien ton jeu !…
Jean – Aussi bien que toi.
François – Tu n’as jamais tenté de lui parler ?
Jean – Je suis timide, lâche, avec un pourcentage de confiance en moi aussi élevé qu’un
yaourt maigre à 0% ! Ca dissuade toute tentative.
François – Tu m’en bouches un coin. J’ai des images avec Mathilde qui me hantent : les
petits déjeuners au lit… J’adorais aussi quand elle mettait mes pull…ils étaient toujours trop
grands pour elle avec les manches qui lui arrivaient jusque là…
Jean – Yvonne elle est plus large que moi, alors mes pulls, elle me les déformait sans arrêt !
… De toute façon, le petit déj’ au lit c’était interdit, elle trouvait que ça faisait trop de
miettes ! Qu’est-ce que tu comptes faire ?
François – J’en ai déjà fait pas mal, non ? Trop même peut-être…
Jean – Ou pas assez…
François – (souriant) Tu tiens vraiment à ce que je foute la merde, toi !
Jean – C’est pas moi qui ai commencé !

14
Yvonne fait son apparition sur le perron.
Yvonne – Ah, tu es là ! On y va maintenant, je suis fatiguée…
Jean – Attends encore un instant, je discute avec François.
Yvonne – Non, non, ça suffit, il faut rentrer… Sinon, on va se coucher tard et tu vas encore
passer tout ton après-midi affalé sur la banquette.
François – On n’a pas eu le temps de se voir beaucoup aujourd’hui mais je voulais dire que je
te trouvais en meilleure forme que la dernière fois…
Yvonne – Ah bon ! Pourtant on ne peut pas dire que ça aille vraiment.
François – Avec le temps, tout va s’arranger, tu vas voir… Tu iras de mieux en mieux…
Yvonne – Je ne suis pas certaine… Dans une semaine, ça fera quatre moi… (Larmoyante.)
Quatre mois qu’il est parti…
Jean – Ce n’est peut-être pas le moment de parler de ça…
Yvonne – Ce n’est jamais le moment avec toi… De toute façon, toi, tu n’as pas de cœur ; il
n’y a que tes élèves et tes bouquins qui t’intéressent… Tu ne peux pas imaginer la douleur
que c’est. Partir à sept ans, c’est injuste… Je n’arrive pas à m’en remettre… Son regard, ses
yeux remplis d’amour…et tellement éveillé !… A peine né, il comprenait déjà tout… Et puis,
au début de l’année, je ne sais pas ce qui lui a pris, il a commencé à ne plus vouloir manger, il
restait couché toute la journée dans sa panière. (A son époux) Ca devait être à force de te
regarder ! Et puis, peu à peu, Caramel a eu l’arrière-train qui a été paralysé et ensuite tout le
reste y est passé… Il est parti en une semaine… On l’a enterré dans une boîte de madeleines
au fond du jardin…
Jean – Pauvre pois chiche…
Yvonne – Arrête, tu sais que j’avais horreur de ce surnom !
Yvonne sanglote. Jean, qui trouve cette réaction ridicule, indique discrètement par des gestes
à François que le chien avait des flatulences difficilement supportables. Tout en réconfortant
Yvonne, François se retient pour ne pas rire.
François – Allez, il ne faut pas te mettre dans un état pareil pour un chi… (Il interrompt sa
phrase s’apercevant qu’il allait commettre une bévue.)… Tu veux un verre d’eau ?
Yvonne – Avec une aspirine, merci… Prends-moi plutôt un Aspégic, c’est meilleur.
(François sort. Jean console son épouse, sans toutefois éprouver de grande compassion.)
Pourquoi il m’a fait ça ? La maison est tellement vide sans lui. Ça ne te fait rien à toi ?
Jean – (sans conviction)… Si…
Yvonne – Eh bien, tu ne pleures pas beaucoup pour quelqu’un qui a de la peine !
Jean – C’est quand même qu’un chien qui est mort !
Yvonne – Et alors, on n’a pas le droit d’avoir du chagrin ?
Jean – Si, mais bon, ce n’est pas un être humain, non plus ; c’est ça que je veux dire…
Yvonne – Pour moi, c’est comme si c’était un être humain… On parlait tous les deux ; il ne
me répondait pas parce que c’était un chien mais je suis sûre que s’il avait pu le faire, il
m’aurait dit des mots gentils, lui… (Elle regarde son mari.) « Je t’aime, Yvonne »… « T’as
pas froid comme ça, ma chérie ? »…
Patrice rentre avec un grand sourire. Il a deux coupes de champagne à la main. Ce large
sourire et ces coupes devaient être destinés à quelqu’un d’autre car en les apercevant, il
semble déçu.
Patrice – Ah…euh… Quelque chose ne va pas ?
Jean – Il y a son caniche qui est mort il y a quatre mois, mais ça va s’arranger.
Patrice – Ah ben, ça m’étonnerait que ça s’arrange s’il est clamsé… (Se reprenant.) Euh…si
vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas.
Yvonne – (à son époux) Tu peux aller me chercher un Glifanan plutôt qu’un Aspégic ! Je
commence aussi à avoir mal au crâne.
Patrice – (à Jean) Attendez, j’y vais.

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Jean – Non, ne vous dérangez pas, je vais y aller moi-même.
Patrice – Ah, on s’attache à ces petites bêtes ; nous, quand on a perdu Poulidor, notre
hamster, ça a été pareil. On l’a retrouvé un matin, dans sa roue, mort…sûrement
d’épuisement, à force de pédaler comme ça comme un con… Eh ben, ça nous a foutu un
coup… Allez, séchez vos larmes… (Il lui tend un Kleenex.)… Ca ne doit pas pleurer une jolie
femme comme vous ! Une femme, c’est fait pour sourire, pour rire, pour donner de la joie !
Une femme doit rester l’incarnation du rêve, de la sensualité. (Yvonne se mouche sans aucune
discrétion.) Tenez. (Il lui donne un nouveau mouchoir.)… J’adore les femmes qui pleurent.
Ça vous rend tellement plus belles. Ah, là, là ! La vie n’est pas toujours facile,
malheureusement… Mais y’a pas que du mauvais non plus… Moi, je crois beaucoup en la
vie, pas vous ?
Yvonne – Non…
Patrice – Pourquoi ça ? Y’a plein de mauvais moments, mais y’en a aussi des bons… En fait,
c’est dans l’homme que je crois, plus qu’en la vie… Vous n’êtes pas d’accord ?
Yvonne – Vous pourriez me prêter un autre mouchoir s’il vous plaît ?
Patrice – Bien sûr…tenez, gardez le paquet… Vous croyez au hasard, vous ?
Yvonne – Je n’ai pas le nez qui coule ?
Patrice – Non. Moi, je n’y crois pas, je pense que tout est écrit… Je suis certain que le
moment que nous vivons, là, tous les deux, sur ce perron, devait être écrit. Après, il faut
savoir pourquoi il était écrit. Pourquoi devions-nous nous rencontrer ?
Yvonne – Ca, je ne pourrais pas vous dire.
Patrice – C’est vrai que je vous trouve très belle femme, mais est-ce vraiment l’unique
raison ? N’est-ce pas plutôt le choix du Créateur ? Eh là, on en vient à parler de Dieu, de la
destinée, de l’immortalité de l’âme… Je suis certain que notre rencontre fait partie de notre
destin !
Yvonne – Sinon, plus sérieusement, pour rejoindre Paris, vous pensez que c’est préférable de
prendre la nationale ou l’autoroute ?
Patrice – Euh…je sais pas…l’autoroute sûrement…
Yvonne – C’est ce que je pensais… On ne va pas reprendre la nationale pour rentrer.
Excusez-moi…
Yvonne quitte le perron. Patrice est dégoûté.
Patrice – T’as qu’à rentrer par la nationale ou par la départementale, qu’est-ce que j’en ai à
cirer ! Tu peux aller te faire péter le cul sur un chemin communal, c’est pareil…
France – (arrivant dans son dos) Alors, et ma coupe ?
Patrice – (retrouvant le sourire) J’étais justement en train de vous chercher quand je suis
tombé sur une amie de Mathilde qui avait le moral au plus bas. Je suis resté quelques instants
avec elle, histoire de la réconforter !
France – Vous êtes un véritable gentleman…
Patrice – Je ne sais pas, mais j’essaie d’aider les gens quand ils en ont besoin.
France – En tout cas, vous m’avez vraiment fait rire avec votre blague tout à l’heure…
Patrice – J’en ai toujours quelques-unes en réserve… J’adore faire rire. Et vous savez ce
qu’on dit : « Femme qui rit est à moitié dans ton l… » (Il réalise ce qu’il est en train de dire.)
France – Vous avez un talent évident… (Il lui donne une coupe.) Tchin…
Patrice – J’ai de nombreux talents…paraît-il… Tchin… (Ils boivent sans se quitter des yeux.
France commence à onduler légèrement sur place tout en sirotant sa coupe. Patrice la dévore
des yeux.) Vous croyez au hasard, vous ?
France – Oh, là ! Je ne me suis jamais posé la question… Pourquoi me demandez-vous ça ?
Patrice – Comme ça… J’ai la sensation que notre rencontre était programmée…
France – Et qu’est-ce qui vous donne cette sensation ?

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Patrice – Je ne sais pas… Nous avons discuté, je vous ai fait rire, je vous trouve charmante au
possible, j’ai l’impression que le courant passe plutôt entre nous…
France – Vous êtes un grand séducteur, « cher monsieur »…
Patrice – Est-ce pour vous déplaire ?
France – Nullement. Mais vous savez qu’il y a quelqu’un dans ma vie ?
Patrice – Quelle chance il a !
Arrive Ivan.
Ivan – Je te cherche partout.
France – J’étais en train de boire une coupe tranquillement avec mon ami Patrice…
Ivan – Il faut que je te parle.
France – Je vais danser avec Patrice et on voit ça après. A tout à l’heure, mon amour…
Ivan – On peut savoir à quoi tu joues ?
France – Mais à rien, mon amour, à rien… Enlève ta main s’il te plaît…
Ivan – Qu’est-ce qui te prend ?
France – Enlève ta main, tu me fais mal.
Patrice – (revenant sur le perron) Ne vous inquiétez pas, je vous la rends. C’est juste pour
une danse. (Il rit.)
France – (guillerette) Ah, on ne sait jamais ! Nous y allons ? (Cécile fait son apparition et
croise Patrice qui sort fièrement avec France. A Ivan) Je te laisse en bonne compagnie. Vous
avez probablement des tas de souvenirs à vous remémorer !
Elle sort. Cécile la foudroie du regard.
Cécile – (sèche) T’as pas vu Mathilde ?… Je la cherche pour faire une photo avec elle.
Ivan – Je l’ai vue en grande conversation avec sa mère.
Cécile – OK.
Elle s’apprête à rentrer.
Ivan – Sinon, ça va, toi ?
Cécile – Impec.
Ivan – (gêné) Ca faisait un petit moment qu’on s’était pas vus.
Cécile – Oui…
Ivan – Tout va bien ?
Cécile – Tout va bien.
Ivan – Le boulot ?
Cécile – Ca va.
Ivan – Bien… Je suis ravi de toutes ces bonnes nouvelles. Au fait, Justine t’embrasse.
Cécile – C’est gentil…comment va-t-elle ?
Ivan – Elle grandit…
Cécile – Elle a dû changer ?
Ivan – Ca devient une petite jeune fille maintenant.
Cécile – Je pense souvent à elle. Tu l’embrasseras très fort de ma part.
Ivan – C’est promis.
Cécile – N’emploie pas ce mot-là s’il te plaît, tu ne sais pas ce que ça veut dire.
Ivan – Tu m’en veux toujours ?
Cécile – (elle sourit)… Non… Tu es une lopette mais t’es pas méchant…
Ivan – Je regrette le mal que je t’ai fait.
Cécile – Tu peux. Et ta femme ? Tu l’as toujours pas quittée (Tête d’Ivan.) ou tu l’as toujours
pas quittée… ?
Ivan – (dans un demi-sourire) C’est compliqué…
Cécile – C’est toujours compliqué avec toi. Il faudra quand même que tu t’achètes une paire
de couilles un de ces jours !
Ivan – (après un temps) En fait, je suis en train de revenir avec elle !

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Cécile – Ah, mister girouette ! T’es sûr ou c’est encore une de tes lubies ?
Ivan – Je suis sûr.
Cécile – J’espère. On ne joue pas avec les gens, Ivan.
Ivan – Je ne joue pas avec elle. Je m’aperçois que je ne peux pas me passer d’elle…et de ma
fille… Je les aime.
Cécile – Tu ne sais pas ce que c’est que d’aimer ; t’es trop égoïste pour ça.
Ivan – Je suis égoïste seulement quand je n’aime pas…
Cécile – Merci, je connais ce refrain. Elle est de bonne composition, ta femme.
Ivan – Oh ! J’en ai bavé quand même pour la reconquérir
Cécile – Tu croyais tout de même pas qu’elle t’accueillerait avec la fanfare et les majorettes !
Ivan – Non, bien sûr. Maintenant, il faut que je l’annonce à France. Je vais lui faire tellement
de peine. Les femmes ne se rendent pas compte à quel point c’est difficile d’être lâche…
Cécile – Tu n’as pas changé, Ivan… Tu restes toujours quelqu’un sur qui on ne peut pas
compter… Finalement, c’est toi qui avait raison ; il ne fallait pas le garder cet enfant.
Aujourd’hui, il verrait son papa de temps en temps…entre sa clinique et ses maîtresses… Et
effectivement, ça n’était pas un beau cadeau à lui faire. Alors maintenant, avec France, tu
prends ton courage à deux mains et tu lui dis la vérité…
Ivan – Je prends exemple sur François.
Cécile – Pourquoi tu dis ça ?
Ivan – Il l’aime toujours, c’est flagrant. Et elle aussi… Ca aussi c’est flagrant.
Cécile – Tu nages en plein délire, mon pauvre.
Ivan – Je t’en prie Cécile…et quand je vois le regard de François plein de regrets, je me dis
que je n’ai pas envie de passer à côté de celle qui finalement compte le plus pour moi.
Soudain, Mathilde fait irruption, en larmes.
Cécile – Qu’est-ce qu’il y a ?
Christophe, inquiet, arrive également suivi de près par Patrice.
Christophe – Mathilde ?
Mathilde – Ca va, ne t’inquiète pas...c’est le contrecoup de la journée.
Ivan – On va te laisser deux minutes.
Christophe – Qu’est-ce qu’il y a eu ?
Mathilde – Mais rien, je te dis… (Elle s’aperçoit de sa réponse très sèche.) Excuse-moi, je ne
sais pas ce qui m’a pris. J’ai besoin de calme…quelques instants.
Ivan et Cécile quittent le perron.
Christophe – Quelque chose t’a contrariée ?
Mathilde – Non…
Patrice – Mais c’est normal qu’elle pleure…elle vient de réaliser ce qui lui arrivait et elle est
en train de regretter ! (Il rit de sa blague.) Hein, Christophe, t’es pas de mon avis ?!
Christophe – Si, c’est sûrement ça… (A Mathilde.) Tout se passe à merveille; les gens sont
ravis, tu es remarquable et moi, je suis le plus heureux des hommes.
Patrice – (à Mathilde) T’inquiète pas ma chérie, le jour où tu ne veux plus de ton mari, moi je
te prends ! (A Christophe.)… En plus, tu me connais, tu sais qu’elle est entre de bonnes
mains !
Mathilde – (ironique) Je ne pourrais jamais faire une chose pareille à ma cousine.
Patrice – Ne t’en fais pas pour ça, c’est un détail !
Mathilde – (ton glacial) Oui, je pense qu’elle doit être rodée, la cousine.
Patrice – Tu sais Mathilde, je parle beaucoup, mais ça ne va pas plus loin ; j’aime Valérie et
même si parfois elle est chiante, ça reste quand même ma femme ! Ceci étant, personne n’est
à l’abri et il vaut mieux se séparer que de rester ensemble pour s’engueuler ! Je n’arrive pas à
comprendre les femmes qui restent avec des connards !
Mathilde – Moi non plus !

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Patrice – C’est le grand débat que j’ai souvent avec les commerciaux de chez nous. Peut-on
tromper sa femme et continuer à l’aimer ? Moi, je pense que oui…
Mathilde – Le contraire m’aurait étonné…
Patrice – Il y a tellement de sollicitations autour de nous qu’à un moment t’es obligé de
craquer ! Franchement Christophe, tu n’es pas d’accord avec moi ?
Christophe – Si tu es comblé avec ton épouse, pourquoi aller voir ailleurs ?
Patrice – Attends, il y a des filles quand tu les vois, tu rêverais d’être un thermomètre…
Mathilde – (agacée) Bon qu’est-ce que tu cherches, Patrice ? Tu veux savoir si tout le monde
fornique comme toi à chaque coin de rue ? Tu veux qu’on te donne notre bénédiction ?
Patrice – Pas du tout. Je parle ; on a le droit de parler quand même ! (Il s’efforce de rire pour
décrisper la situation.) Allez, je vais retrouver ma moitié, à moins qu’elle ait rencontré
l’homme de sa vie entre-temps !
Mathilde – (ironique) C’est impossible Patrice, tu le sais parfaitement ! Quand on a la chance
d’être avec un homme comme toi, on ne cherche plus…
Patrice – C’est ce que je me tue à lui dire !
Il sort.
Mathilde – A la Saint-Con, il sera couvert de fleurs celui-là !
Christophe – Laisse-le parler ! (Il la regarde longuement en souriant.)
Mathilde – Pourquoi tu souris ?
Christophe – Parce que je trouve que j’ai beaucoup de chance d’être ton mari. Je ne sais pas
qui je dois remercier : toi ou (Il lève les yeux au ciel.) au-dessus ?
Mathilde – C’était sûrement écrit comme ça.
Christophe – Je remercie l’auteur alors ! Maintenant on ne connaît pas non plus la suite de
l’histoire : « ils se marièrent », c’est fait, « ils eurent beaucoup d’enfants », ça reste à faire !
Mathilde – Ah ! Voir chapitre suivant.
Christophe – Cela dit, il n’y a pas que du faux dans son discours. Peut-être que le compte à
rebours de notre séparation s’est déclenché le jour même où l’on se rencontrait.
Mathilde – Pourquoi tu t’es marié alors ?
Christophe – Parce que je sais que nous c’est plus fort.
Christophe laisse un silence dans l’attente d’une réponse qui ne vient pas.
Cécile revient avec une coupe dans chaque main.
Cécile – Une petite coupette ?
Christophe – Merci… Je vous laisse. Je ne veux pas laisser la soirée entre les mains de
Patrice. Tu en es où avec mon associé ?
Cécile – Ah ! Bonne nouvelle, on se fiance demain après-midi.
Christophe – Réfléchis bien quand même.
Cécile – Je ne fais que ça.
Christophe – Dites, vous ne trouvez pas que François fait une drôle de tête ?
Mathilde – Euh… Non…
Cécile – Il a des problèmes de boulot, je crois.
Christophe – Ah ! D’accord.
Il sort.
Cécile – Qu’est-ce qui s’est passé?
Mathilde – Ma mère s’est sentie obligée de faire la leçon à François comme à un gamin de
cinq ans. J’espère que cette histoire n’arrivera pas aux oreilles de Christophe. Tu n’as pas un
petit « pet » sur toi ?
Cécile – Si, toujours…
Cécile renverse son paquet de cigarettes pour en faire sortir un joint tout en lorgnant sur la
salle. Elle l’allume, aspire une bouffée et le tend à la mariée.

19
Mathilde – je ne te l’ai jamais dit, mais au tout début où je fréquentais Christophe, je
recommençais également à revoir François, amicalement, et un après-midi, je suis allée le voir
chez lui pour savoir si je devais tirer un trait définitif sur notre histoire ou pas.
Malheureusement, il n’était pas là. Je suis repartie et je n’ai jamais réessayé. (Voyant sa
copine fumer le pétard.) Tu es gentille, tu ne t’endors pas sur le jointos !
Cécile – (lui tend le joint) Ah oui, tu étais bien mordue quand même !
Mathilde – (elle tousse et se tape la poitrine pour s’en remettre.) La vache, il est costaud…
Je ne peux quand même pas faire un coup pareil à Christophe et…que vont dire les gens !
Cécile – Qu’est-ce que tu en as à cirer des gens ? T’es pas mariée avec eux ? Et puis OK, tu es
mariée, mais tu n’es pas non plus en prison !
Mathilde – Qui a dit que le mariage est le plus beau jour de sa vie ?
Cécile – Ah ! Pas moi… (Les deux copines se regardent et sourient.) Dis-moi, tu le trouves
comment le photographe ?
Mathilde – (complice) Attends, qu’est-ce que tu me fais là ?
Cécile – (amusée) Quoi ? Je le trouve pas mal ; je le trouve rigolo… Et j’ai l’impression que
je ne le laisse pas indifférent…
Mathilde – T’es incroyable toi !
Cécile – Il m’a dit un truc qui m’a fait complètement craquer ; il m’a dit : « vos yeux, on
dirait la cathédrale de Chartres » ! (Les deux filles se mettent à rire.) Je vois pas bien le
rapport mais je trouve ça hyper touchant !
Mathilde – (morte de rire) Tu m’étonnes, c’est très émouvant, tu veux dire !
France rentre seule, calme.
France – Ca va mieux ?
Mathilde – Oui merci. (Elle tousse tandis que Cécile tente de dissimuler le joint.) France, si
un type vous dit que vos yeux ressemblent à la cathédrale de Chartres, vous répondez quoi ?
France – Qu’il aille dessaouler !
Cécile et Mathilde rient ; le joint commence à faire son effet.
Mathilde – Et est-ce que vous pensez que le mariage est le plus beau jour de la vie d’une
femme ?
France – Oui, je le pense. C’est la plus belle preuve d’amour que l’on puisse apporter à la
personne qu’on aime.
Ivan rentre, un peu embarrassé en voyant France et Cécile ensemble.
Mathilde – On va demander l’avis d’un homme maintenant.
Ivan – (faussement décontracté) A quel sujet ?
Mathilde – Au sujet du mariage. France estime que c’est la plus belle preuve d’amour que
l’on puisse faire !
Ivan – (sourire embarrassé) Ah.
France – Oui, cet engagement est un acte d’amour. Si on ne s’engage pas, c’est peut-être que
l’on n’aime pas suffisamment la personne, ou que l’on doute de son sentiment.
Cécile – (qui tire sur le joint) Ca, ce sont des idées judéo-chrétiennes d’un autre âge !
France – Pour vous peut-être, pas pour moi… (Ivan est dans ses petits souliers alors que
Cécile, sous l’effet du pétard, ne semble pas plus atteinte que ça !)… C’est aussi un
engagement face à Dieu…
Cécile – Et Dieu, il dit quoi quand on est la maîtresse d’un homme marié ?
France – (calmement) Il dit qu’il vaut mieux être la maîtresse d’un homme marié que la
maîtresse de pas d’homme du tout… Moi au moins, j’aime quelqu’un et quelqu’un m’aime.
(Elle regarde Ivan qui acquiesce assez maladroitement.) Il faut faire attention avec des idées
aussi arrêtées, on finit souvent seule, amère et sans amour. (Cécile rit. Est-ce de la gêne ou
simplement de l’ironie ?) En tout cas, Mathilde, vous formez un très beau couple avec
Christophe. Vous êtes vraiment faits l’un pour l’autre.

20
Cécile tire à nouveau sur le joint.
Valérie rentre, passablement éméchée.
Valérie – (chantonnant)… « Sans chemise, sans pantalon… » Ca fait du bien de danser !
Vous savez que quand on voit quelqu’un danser, on sait comment il fait l’amour. Eh bien, j’ai
l’impression qu’il n’y a pas que des champions alors à ce mariage ! (Elle rit et boit une
gorgée de champagne.) Ca sent une drôle d’odeur ici, c’est ta cigarette qui sent comme ça ?
Cécile – (tirant sur le joint) Oui, c’est nouveau, ça vient de sortir, c’est pour arrêter de
fumer…
Valérie – Aaaahhhh, voilà une bonne décision ! (A Mathilde.) En tout cas, je suis vachement
heureuse pour toi ma chérie, mais crois-en une femme qui a quinze ans de mariage derrière
elle, le plus difficile va commencer ! Parce que je peux te dire que les hommes, il faut se les
farcir… Mais si tu veux le retenir, sache qu’il y a deux choses pour ça : la bouffe et le sexe…
surtout le sexe…très important dans un couple, le sexe ! (Cécile repasse le joint à Mathilde.)
S’il n’y a pas d’entente à ce niveau-là, c’est le plantage assuré ! En zone urbaine, 68,5% des
couples se séparent parce qu’au lit, ça se passe mal, contre seulement 21,9% dans le secteur
rural…l’air de la campagne, ça tient en forme ! (Elle rit.)… J’ai lu ça dans une revue
scientifique qui traînait chez ma coiffeuse… Moi, j’ai ma voisine qui est prête à se séparer de
son mari parce que sexuellement, c’est devenu un drame… Pourtant, il a l’air d’avoir tout ce
qu’il faut, là où il faut. (Cécile et Mathilde éclatent de rire.) Parfois on voit de ces trucs. Ça
fait un gros paquet comme ça dans le pantalon !
Mathilde – Il y a des femmes qui aiment…pas vrai, Cécile ?
Cécile – Les grosses bites ? J’adore…
Valérie – On dit de ces conneries quand même ! Mon Patrice, lui, c’est le champion du
monde du missionnaire ! Il ne connaît que ça ! Le missionnaire et puis basta ! Ca fait quinze
ans qu’il me la refourgue, je peux vous dire que je connais par cœur… Par contre, il adore
qu’on s’occupe de lui. Moi, c’est pas mon truc. C’est fatigant et puis ça fait mal à la mâchoire
au bout d’un moment…enfin « au bout d’un moment » avec Patrice, c’est quand même très
rapide… C’est plus un sprinter qu’un coureur de fond, si vous voyez ce que je veux dire.
Mathilde éclate de rire.
Cécile – Ah bon, il est du genre…
Valérie – Speedy Gonzales…équipé d’un turbo même ! Vous commencez à peine à vous
sentir en jambe que pépère il est déjà le dos tourné en train d’écraser…
Les trois femmes éclatent de rire. Yvonne fait son apparition toujours aussi triste.
Yvonne – Il n’est pas là, Jean ?
Mathilde – Ah… Euh… Je ne sais pas. (Elle regarde autour d’elle.) Il n’est pas là Jean ?
Cécile – Non… Ah si, il est suspendu tout nu au balcon !
Yvonne – (horrifiée) Quoi ?!... Mais non, il n’y a personne.
Les filles sont écroulées de rire.
Mathilde – Ah ben, il a dû s’envoler alors !
France va pour sortir.
Ivan – Il faudra qu’on parle tous les deux !
France – (avant de sortir) Quand tu veux.
Elle sort, Ivan reste encore quelques instants.
Cécile – Dis-moi, Yvonne…on se demandait si tu étais adepte de la fellation ?
Yvonne – Pardon ?
Valérie – On se demandait si vous suciez ?
Yvonne – Si je suçais quoi ?
Cécile – La bite de ton mari, tiens !
Yvonne – Comment ?
Valérie – La bite de ton mari !!

21
Yvonne – Vous êtes malades…
Mathilde – On plaisante, Yvonne.
Yvonne – Avec ce qui vient de m’arriver, je n’ai pas trop le cœur à rire.
Cécile – Oh, tu nous bassines avec ton clebs ! Il est mort et ben comme ça, il ne pètera plus et
puis voilà !
Yvonne – Tu y vas fort quand même… Ca se voit que tu n’as jamais perdu quelqu’un que tu
aimais…
Cécile – (digne) Non, c’est vrai, tu as raison…
Ivan, mal à l’aise et se sentant peut-être coupable ou visé, préfère quitter le perron. Yvonne
commence à pleurnicher.
Valérie – Ah non, pas de pleurs, pas ce soir !
Yvonne – Vous avez raison, plus tard.
Jean rejoint les quatre femmes avec un grand sourire.
Jean – Cécile, tu te souviens de cette chans…
Yvonne – Jean, on y va maintenant…
Valérie – Vous n’allez pas rentrer tout de suite ! On commence juste à rigoler.
Yvonne – Si, si, on est fatigués… Allez, on dit au revoir !
Jean – Attends encore un peu.
Mathilde – Mais oui, reste encore un peu, on ne se voit pas si souvent…
Valérie – Oui, tout le monde s’amuse, il faut rester !
Yvonne – C’est gentil, mais il y a de la route à faire pour rentrer à Paris. Jean a eu une
semaine difficile, ce n’est pas raisonnable…
Jean – Je ne suis pas fatigué, je t’assure…
Yvonne – Ne dis pas que tu n’es pas fatigué, tu n’arrêtais pas de bâiller tout à l’heure à table !
Allez, je te dis au revoir, Mathilde et encore merci pour cette journée… (Elle commence à
l’embrasser.)… Encore toutes mes félicitations et tous mes vœux de bonheur pour cette
nouvelle vie qui commence.
Mathilde – Au revoir, Yvonne…bon courage…
Yvonne – Il en faut. (Elle embrasse Cécile.) A bientôt Cécile, tu nous appelles, hein ?
Cécile – Sans faute…
Yvonne – (à Valérie) Au revoir, Madame…
Valérie – (guillerette) Au revoir et bon retour, alors ! Et pas de bêtises dans la voiture, hein ?
C’est dangereux.
Yvonne – (à son mari) Tu dis au revoir, je range les affaires et on y va…et arrange ton col…
(A Mathilde.) Pour les dragées, je demande à ta mère ?
Mathilde – Je viens avec toi.
Valérie – Il y en a des super bonnes au caramel ! (Yvonne chancelle mais Mathilde la retient
avant qu’elle ne s’écroule totalement. Puis elles sortent.) Elle devrait être plus discrète sa
mère, d’ailleurs. Elle la ramène trop. Bon, je retourne à l’intérieur sinon Jeannot Lapin, il va
encore me faire une scène…
Valérie rejoint la salle. Cécile et Jean restent seuls sur le perron.
Jean – C’est vrai que des fois, j’en reviens un peu de l’idée du couple !
Cécile – Change de nana.
Jean – Je n’oserai pas, je n’ai jamais rien osé !
Cécile – Pourquoi ? Une de perdue, dix de retrouvées.
Jean – Ca se voit que ce n’est pas toi qui cherches !
Cécile – Dans une relation de couple, on devrait pouvoir prendre un bail, comme pour un
appart’ : un 3, 6, 9 renouvelable ou pas !
Jean – J’aurais dû commencer par une location saisonnière ! (Il fixe Cécile tandis qu’elle
regarde dans le lointain.) Je t’aime bien, Cécile…

22
Cécile – Moi aussi, Jean
On sent que Jean a envie de lui révéler ce qu’il a sur le cœur. Il hésite.
Jean – Je t’aime beaucoup, quoi…
Cécile – Ouais, mais moi aussi.
Jean – Enfin…, tu…tu…me plais.
Cécile – (après un léger temps) Excuse-moi, Jean, mais tu veux en venir où ?
Jean – (lui souriant) Tu ne comprends pas ? (Elle le regarde longuement puis semble peu à
peu saisir les sous-entendus de son ami. Elle essaie de retenir son rire, mais elle a de plus en
plus de mal à se contenir.) Pourquoi tu ris ?
Cécile – (dans les rires) Jean…enfin écoute…tu nous vois tous les deux ensemble ?
Jean – (presque naïf) Ben ouais.
Cécile – Jean…on se connaît trop… (Elle rit.)
Jean – Ah, on se connaît trop !...
Cécile – Excuse-moi ; je ne me moque pas de toi, mais je te considère comme mon ami…rien
de plus…
Jean accuse le coup lorsqu’Yvonne réapparaît sur le perron.
Yvonne – Bon alors, ça y est, tu as dit au revoir ?
Jean – Qu’est-ce que tu attends ? Je te préviens, je ne vais pas coucher là…
Olivier sort sur le perron.
Olivier – Cécile, si vous voulez qu’on fasse les portraits, on peut les faire maintenant…
Cécile – D’accord…bon ben, Jean, je t’embrasse, si on se revoit pas. Et n’oublie pas de
m’écrire, j’adore tes lettres. T’es vraiment un brave type.
Jean – Hum…ça rime souvent avec pauvre type…
Cécile – Idiot… Salut Yvonne…et la « pêche » !
Yvonne – Ca ne sera pas facile… (Cécile disparaît, radieuse, en compagnie d’Olivier. Jean
reste planté sur le perron avec Yvonne qui l’attend.) Qu’est-ce que tu fais ! Tu nous concoctes
encore une de tes poésies ?... Jean, je t’attends !
Jean – J’arrive !
Yvonne – Qu’est-ce qui te prend de me répondre sur ce ton !
Jean – Je te réponds sur le ton que je veux !
Yvonne – Tu ne m’as jamais parlé ainsi.
Jean – Il y a un début à tout !
Yvonne – On rentre, tu commences à divaguer.
Jean – Non.
Yvonne – Je n’ai pas rêvé, tu m’as dit « non » ?
Jean – Absolument.
Yvonne – Allez viens, tu dis n’importe quoi.
Jean – Non. On partira quand j’en aurai envie.
Yvonne – Quoi ?
Jean – (il crie) On partira quand j’en aurai envie !!
Yvonne – Mais qu’est-ce qui t’arrive brusquement ? Tu as bu ou quoi ! Je t’avais dit que 4%
d’alcool c’était beaucoup. Et remonte ton pantalon au lieu de dire des bêtises !
Jean remonte énergiquement son pantalon le plus haut possible.
Jean – Comme ça, ça va ? Il est bien remonté ?!
Yvonne – Jean, je prends encore des médicaments. Tu as entendu le médecin, je suis fragile.
Jean – Mais ouais, je sais que t’es fragile ! Le monde entier sait que tu es fragile !
Yvonne – Si tu es malade, mon pauvre garçon, il faut te faire soigner…
Jean – (il crie) Tu me fais chier, tu entends ?! Tu me fais chier !! (Ivan et France arrivent.) Il
reste du champagne ?
France – Il me semble.

23
Jean – Je vais m’en jeter une petite coupe derrière les oreilles, tiens !
Yvonne – Tu ne supportes pas l’alcool ! Jean ! Vous avez vu comment il m’a parlé ?
Yvonne disparaît à l’intérieur sur les traces de son mari. Ivan reste seul face à France.
France – Alors, qu’est-ce que tu voulais me dire d’important ?
Ivan – D’abord, je voudrais que tu saches que je t’aime…et que je tiens à toi… J’ai
parfaitement conscience qu’il t’est difficile de supporter cette situation quelque peu…bâtarde
dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui…mais…comment dire ?... C’est vrai, je crois
qu’il est nécessaire que nous clarifions notre relation et…euh…enfin, qu’est-ce que tu en
penses ?
France – Tu sais parfaitement ce que j’en pense. Nous étions d’accord pour bâtir quelque
chose de durable ensemble mais c’était à condition que tu quittes ta femme et, pour l’instant,
tu n’as rien fait. Je ne me trompe pas là-dessus ?
Ivan – Non, non, tu as raison. Tu comprends aisément que ça n’est pas facile à faire non plus.
France – (le coupant net) Tout à fait, Ivan… Ivan, je suis enceinte. Tu vas être papa. Justine
va avoir un petit frère ou une petite sœur.
Ivan – Mais… Pourquoi ? Enfin…je veux dire…tu es sûre ?
France – Certaine… Ton bonheur fait plaisir à voir !
Ivan – Hein ?... Non… Et tu veux le garder ?
France – Bien sûr que je veux le garder ! Qu’est-ce qui te prend de me poser cette question ?
Ivan – Je disais ça comme ça.
France – Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureuse… Tu ne m’embrasses pas ?
Ivan – …Si…
Ils s’embrassent.
France – Pardonne-moi pour tout à l’heure avec l’autre type, je voulais seulement te faire
réagir. Tu ne m’en veux pas ?
Ivan – Il y a plus grave !
France – On va pouvoir se marier nous aussi.
Patrice fait irruption en dansant la lambada. Dégoulinant de sueur, il semble assez éméché.
Patrice – Alors, on prend l’air ?... Puis-je me permettre d’inviter de nouveau votre charmante
épouse à danser ?
Ivan – Il faut lui demander… (A France.)… Je vais boire un verre…pour fêter la nouvelle.
Ivan repart dans l’auberge.
Patrice – Vous passez une bonne soirée ?
France – Excellente…
Patrice – J’espère que j’y ai un peu contribué ?
France – Beaucoup même…
Patrice – Ca vous ennuierait si je vous disais que vous me plaisez ?
France – Quelle femme cela ennuierait-il ?
Patrice – Alors, je vous le dis, vous me plaisez. J’aimerais vraiment mieux vous connaître…
France – Vous risquez d’être déçu…
Patrice – J’en doute. C’est peut-être moi qui vous décevrai.
France – J’en doute.
Patrice – Moi aussi.
France – Je connais déjà beaucoup de choses sur votre compte…
Patrice – (flatté) Ah bon, vous vous êtes renseignée ?
France – Je sais que vous êtes concessionnaire BMW à Pantin… Vous avez d’ailleurs une
magnifique auto verte.
Patrice – Non, jaune anis.
France – Ah, je la voyais verte.
Patrice – Ben oui, mais c’est jaune anis.

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France – Va pour jaune anis ! Je sais également que vous êtes un grand amateur de sport
automobile et de tennis…que vous avez été vous-même un grand joueur…
Patrice – (très fier) J’ai été 15/30 en 92…effectivement.
France – Que vous faites admirablement la cuisine… Je sais également que vous aimez les
femmes qui ont de la classe… Que vous êtes un homme attentionné… Que vous sentez la
transpiration et que vous êtes un éjaculateur précoce !
Patrice – Pardon ?
France – Que vous êtes un éjaculateur précoce…
Patrice – Mais…euh… D’où vous tenez ça ?
France – C’est ce que votre épouse raconte à qui veut l’entendre… (Cécile revient en riant
en compagnie d’Olivier. France apostrophe Cécile.) Cécile, vous étiez là tout à l’heure quand
la femme de monsieur nous a dit qu’il était un éjaculateur précoce ? Ou alors, j’ai mal
compris…
Patrice – Oh putain ! La tournée de torgnoles qu’elle va prendre la connasse !
Il sort, vexé comme un pou.
France – Les hommes sont d’un susceptible, ces temps-ci !... (A Cécile.) Je voudrais vous
présenter toutes mes excuses. J’ai eu un comportement à votre égard qui frisait la muflerie…
Je vous prie de croire que je le regrette sincèrement et pour vous témoigner ma considération,
je serais heureuse que vous puissiez venir avec votre ami à mon mariage… Ivan et moi allons
nous marier.
Cécile – Ivan et vous, vous allez vous…
France – …marier, oui.
Cécile – Euh…d’accord…mais excusez-moi de vous poser cette question : il est au courant ?
France – Bien sûr.
Cécile – (sourit)…Nous viendrons… Enfin, je viendrai !
France – Ca lui fera plaisir ! Je sais qu’il vous apprécie toujours énormément.
France rejoint la fête. Cécile et Olivier restent seuls.
Olivier – Pourquoi tu souris ?
Cécile – Il y en a qui ont le don de se mettre dans le pétrin, c’est incroyable.
Olivier – Tu vas te mettre ici, c’est ce qu’il y a encore de mieux ! (Cécile s’installe. Elle est
toute raide, les mains dans le dos comme une écolière bien sage et ne sourit pas.) Ouais,
bien… Tu me fais un beau sourire, s’il te plaît.
Cécile fait un rictus coincé.
Cécile – Comme ça ?
Olivier – Ouais super, super mais tu peux sourire encore un tout petit peu plus ?
Cécile propose un sourire encore un peu plus coincé et disgracieux.
Cécile – Là, c’est mieux ?
Olivier – Génial… Bon, j’ai ce qu’il me faut… Je les développe et je te les envoie, ou on peut
se voir, c’est comme tu veux…
Cécile – Ce que tu préfères…
Olivier – C’est comme tu veux, toi…
Cécile – Je ne sais pas… Tu habites où ?
Olivier – Aubervilliers…
Cécile – Ca existe, ça ? Je plaisante… Moi, je suis à Paris…
Olivier – C’est vraiment à côté… Tu es où dans Paris ?
Cécile – Dix-huitième…
Olivier – C’est sympa comme coin… J’ai une copine qui y habite, elle s’y plaît beaucoup…
Cécile – Oui, c’est très agréable, ça fait petit village ; tout le monde se connaît, c’est vraiment
très sympa…
Olivier – Quelle rue tu es ?

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Cécile – Rue Lamarck…
Olivier – Elle, c’est rue des Saules… La rue Lamarck, elle est où exactement ? Je vois pas
exactement…
Cécile – Tu as la rue Ordener qui monte vers la place Clichy…
Olivier – Ouais…
Cécile – Un peu après le square Clignancourt, tu as une rue sur la droite…
Olivier – Je vois le square Clignancourt, mais je vois pas la rue…
Cécile – Y’a une agence immobilière qui fait l’angle.
Olivier – OK, je vois…
Cécile – Eh bien là, tu as une rue qui coupe, c’est la rue Lamarck…
Olivier – Ah, d’accord…
Cécile – Et moi, j’habite là, juste au-dessus d’un lavomatic, où je vais laver mes affaires
d’ailleurs.
Olivier – Ah ! Tu vas au lavomatic ?
Cécile – Oui, je n’ai pas de machine chez moi.
Olivier – Ah, d’accord…c’est pratique le lavomatic quand on n’a pas de machine.
Cécile – Oui. J’y vais, je mets mon linge, je bouquine, ça passe assez vite.
Olivier – Mais ça lave bien les lavomatic, parce que j’ai entendu dire que ça ne lavait pas si
bien que ça ?
Cécile – Ecoute, le mien il lave bien…ça dépend aussi du produit que tu utilises, c’est
toujours pareil. Moi je prends de la lessive en poudre, ça nettoie bien.
Olivier – Les avis sont partagés. Avant, je prenais en poudre et une fois j’ai essayé la lessive
liquide…eh ben, j’ai pas été déçu.
Cécile – En fait, les deux sont aussi valables, il doit y avoir de bonnes marques et des
marques moins bonnes. (Cécile et Oliver sont intimidés l’un par l’autre, d’où la platitude des
propos.) Au fait, tu me diras combien je te dois…
Olivier – Pour ?
Cécile – Pour les photos !
Olivier – Tu me dois rien…
Cécile – Si, si, tu plaisantes ou quoi !
Olivier – Arrête avec ça.
Cécile – Non, non, il n’y a pas de raison.
Olivier – Si, il y en a une ! C’est pas du chien que tu as, c’est le chenil tout autour.
Mathilde arrive avec une assiette de choux à la crème qu’elle dévore avec un appétit de petite
fille.
Mathilde – (sous l’effet du pétard) Ca va les amoureux ?
Cécile – Au poil !
Mathilde – Profitez-en, ça ne dure pas longtemps en général. (Elle explose de rire.) Au fait, il
y a Ivan qui te cherche ; je l’ai vu en grande discussion avec sa nana…ça y est, il est burné…
oh ! Pardon !
François rentre au moment ; il avait vu Mathilde s’isoler.
Cécile – Bon, je vais aller voir ce qu’il me veut. Tu viens.
Le photographe la suit. Mathilde voit François et, tout en le regardant, elle continue de
manger.
Mathilde – (la bouche pleine) Et à part ça, quoi de neuf ?
François – Je vais peut-être monter une nouvelle agence sur Toulouse.
Mathilde – Toulouse…là, où on mange de la saucisse de Strasbourg ? (Elle rit de sa blague.)
Excuse-moi, c’est nul ce que je dis…mais Cécile m’a fait fumer et je n’ai plus l’habitude.
François – (sérieux) Tu peux venir avec moi si tu veux…
Mathilde – Où ça ? A Toulouse ?

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François – Oui.
Mathilde – Et qu’est-ce qu’on fera ? On mangera de la saucisse de Strasbourg ? (Un temps.
Mathilde rit de moins en moins. François s’approche d’elle et l’embrasse. Elle se laisse faire.
Après ce baiser, elle le regarde intensément.) Un jour, je suis venue chez toi pour savoir si tu
voulais qu’on recommence tous les deux…mais tu étais absent. Je suis repartie.
Odette – Je dérange peut-être ?
Mathilde – Non, on parlait saucisse !
Odette – Il y a ton père qui te cherche pour te dire au revoir ! Il rentre, il faut qu’il mette bébé
au lit… (Mathilde s’éclipse laissant sa mère avec François.) François, vous êtes un petit
con…mais c’est vous qui avez raison. Il faut aller au bout de ses idées…même si, en
l’occurrence, je pense que vous n’aimez pas vraiment ma fille…sinon, vous lui auriez parlé
avant qu’elle ne se marie. C’est louable de vouloir parler, mais ça a tellement plus de sens
quand c’est fait en temps et en heure…
Elle écrase sa cigarette et le laisse avec toutes ses questions. Valérie arrive éméchée.
Valérie – Ah ben, il est là, l’amoureux transi ! On ne vous a jamais dit que vous étiez beau
mec ?
François – Non.
Valérie – Menteur. Moi, je vous trouve beau mec, viril, je suis sûre que vous êtes un bon
coup.
François – J’sais pas.
Valérie – J’ai envie que vous me fassiez l’amour. Le lundi après-midi de préférence, on ne
sera pas dérangé.
Patrice fait son apparition.
Patrice – Je me disais aussi ! Ca te fait pas trop chier de draguer ma femme ?!
François – Je ne drague pas votre femme, elle a trop bu, c’est différent…
Valérie – On faisait rien de mal, on parlait !
Patrice – Allez, dégage ou tu prends mon poing dans la gueule !! (Valérie, complètement
ivre, éclate de rire. François sort. Patrice décoche soudain une gifle terrible à son épouse.)
Celle-là, tu l’as pas volée !
Valérie – Connard !
Patrice – Salope !
Valérie va pour le gifler à son tour, mais Patrice la contre.
Valérie – Tu me fais pas peur ! Vas-y, frappe-moi, je m’en fous de toute façon ! J’ai
l’habitude depuis le temps ! Sale con… Il n’était pas en train de me draguer, c’est moi qui le
draguais, et tu sais pourquoi ? Pour me faire sauter ! (Patrice la gifle froidement se font moins
violentes car les révélations qu’elle lui assène lui font à chaque fois l’effet d’un uppercut.)
Pourquoi tu t’imagines que je te trompe ? Uniquement pour faire comme toi qui te moques de
moi depuis toutes ces années ? Qui me trompes à tire-larigot ? Eh bien non, mon petit chéri,
j’ai une bien meilleure raison à ça…légitime pour une femme… J’ai tout simplement envie de
savoir comment ça fait de prendre son pied ! Connaître un vrai plaisir qui fait qu’une femme
pardonne beaucoup de choses ! (Elle commence à se calmer.)…Ca fait longtemps que ça me
travaille. Au début, je pensais que ça venait de moi et puis je suis allée voir quelqu’un qui m’a
rassurée… J’ai essayé de t’en parler, mais penses-tu ! Tu m’aurais prise pour une gourde,
comme toujours ! De toute façon, tu n’as plus aucun respect pour moi, Patrice. Tu ne me vois
plus, tu ne me touches plus… A quoi ça sert de rester ensemble alors dans ces conditions ?
C’est vrai que ma poitrine a moins d’allure qu’à vingt-cinq ans. Que mes hanches ont pris
quelques rondeurs. Je sais que je suis moins bandante qu’avant ! (Elle craque et elle pleure.)
…Mais putain, il n’y avait pas que mon cul qui comptait, quand même ?!... Maintenant, j’ai
l’impression que si… Mais tu t’en occupes tellement mal…tellement mal…
Patrice est K.-O. debout. Jean fait irruption. Il est ivre mort.

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Jean – Amis du soir, bonsoir !! Continuez à parler, je ne vous écoute pas, je me bouche les
oreilles ! Continuez à parler, je vous dis que je ne vous écoute pas ! Qu’est-ce que vous
disiez ?!
Patrice – Lâche-nous !
Jean – C’est ça que vous disiez ?! Eh ben, mon vieux, c’est drôlement intéressant ! Moi j’ai
envie de parler de…de rien… Si, de voitures ! Alors les voitures… Eh bien, je n’ai rien à dire
là-dessus. Et vous, vous avez un truc à dire là-dessus ? Oh ! Le Casanova de banlieue, avec la
BM jaune anis, ça doit y aller avec les petites minettes, non ? Oh, j’te parle, l’Apollon du 93.
La BM, ça doit ramasser. Elle sait la dame que son Don Juan, il soulève des nanas mariées
avec sa belle BM jaune poussin ?
Patrice – (bousculant Jean) Petit branleur !
Valérie – (à son mari) Tu me dégoûtes !
Elle quitte le perron avec Patrice qui tente de la rejoindre.
Jean – (se relevant avec difficulté) D’abord, je suis pas petit, je suis grand…je suis un grand
branleur ! (Jean monte sur la table dans un équilibre précaire. Il entonne l’air du Titanic.
Fort, à qui veut l’entendre.) I’m the king of the world !
Yvonne découvre son mari, perché sur la main-courante.
Yvonne – C’est toi qui hur… !
Jean – Tiens, la voilà, l’autre ! Miss Valium. Les deux orphelines à elle toute seule !
Yvonne – Jean, descends, tu vas te faire mal !
Jean – Je fais ce que je veux…
Yvonne – Jean, je t’en supplie, descends…
Jean – Je t’écoute plus ! Je t’ai assez entendue ! A me gonfler jour et nuit pour un oui ou pour
un non ! A chialer des mois entiers pour un clébard qui n’arrêtait pas de loufer et qu’il a fallu
que j’enterre dans une boîte de madeleines ! Eh bien aujourd’hui, c’est pas au clébard que je
pense, c’est aux petits poussins qui sont morts pour faire les œufs de ces putains de
madeleines au beurre ! Ca te fait pas pleurer, ça ? La tête de maman poule qui voit ses petits
poussins transformés en madeleines ?! C’est pourtant triste ! Tu pourrais peut-être nous
refaire une petite dépression de six mois ! En solidarité avec la maman poule !!
Cécile arrive à son tour en compagnie d’Olivier.
Cécile – Jean !
Jean – (les voyant) Ah ! Voilà ma fiancée ! Alors, il est toujours aussi craquant le petit
photographe ?
Yvonne – Jean, descends, je t’en prie…
Cécile – Fais attention…pour moi !
Jean – Pour toi ! Qu’est-ce que tu en as à foutre de moi ?! Je vais sauter et m’écraser comme
une merde et tout le monde me marchera dessus sans s’en rendre compte parce que… (Puis il
continue en hurlant.) Personne ne me verra ! Parce que je n’intéresse personne ! Je sers à
rien !
Yvonne – Jean, arrête…
Jean – Ecrase, je te dis ! Je ne t’aime pas, je ne t’ai jamais aimée !!!
Yvonne – Ca ne fait rien…moi, je t’aime…
Jean – Laissez-moi mourir comme une merde, c’est tout ce que je demande. (Réalisant,
presque amusé.) De toute façon, ne vous inquiétez pas, ça meurt même pas une merde, ça
sèche !
Mathilde rentre au même moment avec François.
Jean – Ah, v’là Roméo et Juliette !
François – Descends, sois sympa…

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Jean – N’approchez pas ou je saute !!! (Il aperçoit Odette.) Ca va, la vioque ! Alors, il se la
donne l’autre avec la petite jeunette ! Faut qu’il fasse gaffe à son cœur ; ça a la santé, ces
petites salopes !
Odette pousse un cri. Jean perd l’équilibre et tombe. La lumière s’éteint brusquement…

Le jour se lève. Les convives sont installés sur le perron et mangent leur soupe à l’oignon
dans une ambiance de mort. Seul le bruit des cuillères, tintant contre les bols, est perceptible
dans ce silence de cathédrale…
Tous semblent défaits. Le photographe apparaît du fond du parc.
Olivier – Il y avait des biches qui s’abreuvaient à la rivière, on aurait dit une toile du douanier
Rousseau… (Pas de réaction de la part de l’assistance.) Une petite photo souvenir avant de
se quitter ? (Ils lèvent tous la tête.) Un beau sourire ! (Ils font tous la gueule ; il prend la
photo.) Merci.
Il sort. Un nouveau silence. Puis France se lève et quitte le perron, en larmes.
France – T’es vraiment un salaud Ivan ! Tout ce qui te plaît, c’est de faire du mal autour de
toi. T’es un menteur, tu ne vaux rien.
Christophe sort pour la réconforter.
Ivan – (à Cécile) Je m’en suis acheté une paire mais ce n’est pas facile à porter. (Il va pour
sortir.) Ca m’a fait plaisir de t’avoir revue…
Cécile – Moi aussi… Embrasse fort Justine de ma part.
Ivan – Prends soin de toi.
Il quitte à son tour le perron.
Valérie – Je vais réveiller les enfants. Je t’attends dans la voiture.
Patrice – Tu veux un coup de main, ma puce ?
Elle le foudroie du regard avant de sortir. La mère apparaît avec des draps pliés.
Odette – Ton grand-père a fait sous lui, faut que je change tous les draps ! Vivement qu’il
claque lui aussi, tiens ! (Puis elle ressort.)
Yvonne – (à Jean) T’as pas froid comme ça ?... (Pas de réponse.) Jean ?
Jean – …Arrête, ou je me fous à poil !
Yvonne – (prenant les autres à témoin) Qu’est-ce que j’ai dit de mal, nom d’un chien ?!
Elle se remet à pleurer.
Christophe – (revenant du parking) Patrice, il y a ta BM vert anis qui gêne !
Patrice – J’arrive. Je vais la repeindre cette putain de caisse.
Jean – (à Mathilde) Excuse-moi.
Mathilde – T’inquiète pas.
Jean – (à Mathilde) Je vais m’allonger cinq minutes.
Yvonne – Où tu vas ?
Jean – Je vais me taper la mère de Mathilde.
Il sort tandis que Mathilde glousse.
Yvonne – Quoi ? Jean, viens là… (Elle sort. En off) Je ne suis pas d’accord…
Olivier – C’est à qui la twingo noire immatriculée à Paris ?
François – A moi.
Olivier – Vous pourriez la déplacer, s’il vous plaît ; je n’arrive pas à sortir ma moto… Merci.
Il regarde Cécile et ils échangent un sourire.
Pendant que François sort, Cécile se lève à son tour.
Cécile – Je vais y aller moi aussi… Je vais manger des fruits de mer à Honfleur avec le
photographe. Je sais pas où ça me mène, mais tant pis, je fonce… J’ai pas envie de réfléchir…
Tu te sens comment, ce matin ?

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Mathilde – Chahutée… J’ai pris une décision. L’amour, c’est comme le judo, on devrait
d’abord nous apprendre à tomber… (On entend démarrer la moto d’Olivier.) Allez, vas-y…
Cécile – C’est trop perso pour que je puisse t’être d’un bon conseil.
Cécile et Mathilde s’embrassent comme deux sœurs. Christophe rentre.
Christophe – Alors, tu laisses mon associé en plan ?
Cécile – Eh oui, il est fort sympathique mais je ne supporte pas les mecs qui ne parlent que
d’eux.
Christophe – Je crois surtout que tu préfères ceux qui ont une moto. Ne te bile pas, il s’en
remettra ; c’est la loi du genre, il faut toujours qu’il en reste un sur le carreau !
Cécile – Au revoir, Christophe.
Cécile se précipite vers le parking. Mathilde la regarde partir.
Christophe – Tu es très belle… (Mathilde lui répond par un sourire mitigé.) La direction me
propose un poste d’un an au Brésil, départ le mois prochain… Ils t’ont déjà trouvé une place
dans un dispensaire… J’ai quinze jours pour donner ma réponse… Je peux refuser… Tu
décides.
Un temps.
Mathilde – Je vais prendre un café…tu en veux un ?
Christophe – Volontiers… Mathilde…tu es ce qui compte le plus au monde pour moi…
Mathilde rentre dans l’auberge. Christophe reste assis, en proie à mille questions. François
sort sur le perron et aperçoit son ami. Il s’assoit à ses côtés.
François – J’ai parlé à ta femme hier soir.
Christophe – Je sais… Tu ne peux pas savoir à quel point une coupure de courant peut
éclairer parfois ! Je fumais une cigarette au coin de l’auberge… J’en ai fumé plusieurs
d’ailleurs pour ne rien te cacher.
François – Tu as tout entendu ?
Christophe – Ah, je n’ai rien loupé, j’étais aux premières loges. Ceci dit, je n’aurais pas payé
pour entendre ça.
François – Pourquoi tu n’as rien dit ?
Christophe – Qu’est-ce que ça aurait changé ? On se serait foutu sur la gueule et mon
mariage virait au cauchemar… ! J’ai préféré attendre la suite des évènements…
François – Je suis désolé, Christophe. Je sais ce que tu ressens pour Mathilde mais…
Christophe – Arrête François, s’il te plaît…arrête. Où tu vas ?
François – Je pars. T’inquiète pas, tu n’entendras plus parler de moi.
Christophe – Non, tu vas rester. On ne sait pas ce que veut faire Mathilde finalement. Je
préfère qu’elle me quitte maintenant que de devoir vivre dans le doute. J’ai perdu un ami cette
nuit, j’espère seulement que je ne perdrai pas ma femme le même jour !
Christophe rentre dans l’auberge sans un regard pour François qui reste assis. Après un
moment seul, Mathilde revient avec un plateau portant des tasses et une cafetière.
Mathilde – Où est Christophe ?
François – Il est rentré…
Mathilde – Tu veux un café…il n’est pas sucré…
François – Ca ira. (Mathilde et François boivent leur café face à face, en silence.) Il est
fort…
Mathilde – C’est ma mère qui l’a fait… Elle trouvait celui du traiteur pas assez costaud…
Elle n’a pas arrêté de râler de toute la soirée…depuis que mon père est parti, elle a pété les
plombs…
François – Elle avait l’air plus calme à un certain moment ?
Mathilde – Oui, elle a eu une grande discussion avec mon père. Il lui a dit qu’il trouvait ça
miraculeux de ne pas avoir eu un cancer des testicules après qu’elle lui a cassé les bonbons
pendant vingt ans !

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François – C’est sûr, ça calme !
Un temps important.
Mathilde – Je pars au Brésil avec Christophe le mois prochain…définitivement.
François qui était en train de boire lorsque la jeune femme lui a fait part de sa décision, ne
montre aucune réaction.
François – Ca manque quand même d’un petit peu de sucre… (François va pour rentrer
dans l’auberge alors que Mathilde continue de boire son café naturellement. Juste avant de
rentrer.) Dis-moi seulement que tu ne m’aimes pas, Mathilde.
Mathilde souffle sur son café avant d’en boire une gorgée.
Mathilde – Il y a des sucrettes, si tu préfères…
François – Merci.
François rentre dans l’auberge. Mathilde termine son café, se lève, récupère le plateau et
regarde partir François. Christophe sort sur le perron. Il observe sa femme. Il s’approche
d’elle, dans son dos, la prend par la taille. Elle se retourne et se blottit dans ses bras.
On entend un moteur de voiture qui s’éloigne. Mathilde plaque son visage contre la poitrine
de son mari. Ils restent ainsi, debout, en silence…
FIN

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