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Collection

KUBABA Éric Pirart


Série
Antiquité

Corps et âmes
du mazdéen
Le lexique zoroastrien de l’eschatologie individuelle
Corps et âmes du mazdéen
Le lexique zoroastrien de l’eschatologie individuelle
Reproductions de la couverture :
La déesse KUBABA de Vladimir Tchernychev
Après la Terre de Jean-Michel Lartigaud

Directeur de publication : Michel Mazoyer


Directeur scientifique : Jorge Pérez Rey

Comité de rédaction

Trésorière : Christine Gaulme


Colloques : Jesús Martínez Dorronsorro
Relations publiques : Annie Tchernychev, Sylvie Garreau
Directrice du Comité de lecture : Annick Touchard

Comité scientifique
Sydney Aufrère, Sébastien Barbara, Marielle de Béchillon, Pierre Bordreuil,
Nathalie Bosson, Dominique Briquel, Sylvain Brocquet,
Gérard Capdeville, Jacques Freu, Charles Guittard, Jean-Pierre Levet, Michel Mazoyer, Paul
Mirault, Dennis Pardee, Eric Pirart, Jean-Michel Renaud,
Nicolas Richer, Bernard Sergent, Claude Sterckx,
Patrick Voisin, Paul Wathelet

Ingénieur informatique
Patrick Habersack (macpaddy@free.fr)

Avec la collaboration artistique de Jean-Michel Lartigaud,


et de Vladimir Tchernychev

Ce volume a été imprimé par

© Association KUBABA, Université de Paris I,


Panthéon – Sorbonne,
12 Place du Panthéon 75231 Paris CEDEX 05

© L'Harmattan, 2012
5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-99286-3
EAN : 9782296992863
Collection KUBABA
Série Antiquité

Éric Pirart

Corps et âmes du mazdéen


Le lexique zoroastrien de l’eschatologie individuelle
Association KUBABA, Université de Paris I,
Panthéon – Sorbonne,
12 Place du Panthéon 75231 Paris CEDEX 05
L’Harmattan, 5 -7 rue de l’Ecole Polytechnique
75005 Paris

Bibliothèque Kubaba (sélection)


http://kubaba.univ-paris1.fr/

COLLECTION KUBABA
1. Série Antiquité
Dominique BRIQUEL, Le Forum brûle.
Jacques FREU, Histoire politique d’Ugarit.
——, Histoire du Mitanni
——, Suppiliuliuma et la veuve du pharaon.
Éric PIRART, L’éloge mazdéen de l’ivresse.
——, Guerriers d’Iran.
——, L’Aphrodite iranienne.
——, Georges Dumézil face aux démons iraniens.
——, La naissance d’Indra.
——, Kutsa.
Michel MAZOYER, Télipinu, le dieu du marécage.
Bernard SERGENT, L’Atlantide et la mythologie grecque.
Claude STERCKX, Les mutilations des ennemis chez les Celtes préchrétiens.
——, Mythes et Dieux Celtes.
Les Hittites et leur histoire en quatre volumes :
Vol. 1 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, en collaboration avec Isabelle KLOCK-
FONTANILLE, Des origines à la fin de l’Ancien Royaume Hittite.
Vol. 2 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, Les débuts du Nouvel Empire Hittite.
Vol. 3 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, L’apogée du Nouvel Empire Hittite.
Vol. 4 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, Le déclin et la chute du Nouvel Empire
Hittite.
Sydney H. AUFRÈRE, Thot Hermès l’Égyptien. De l’infiniment grand à l’infiniment petit.
Michel MAZOYER (éd.), Homère et l’Anatolie
Richard-Alain JEAN et Anne-Marie LOYRETTE, La mère, l’enfant et le lait en Egypte ancienne.
Daniel GRICOURT et Dominique Hollard, Cernunnos, le dioscure sauvage.
À la mémoire de Xavier Tremblay
Avertissements

Sur les manuscrits des textes avestiques, d’une manière générale, voir
Geldner 1886-1896 et http://ada.usal.es.
Sur les manuscrits F12 et G18a du VƯštƗsp Yašt, voir http://ada.usal.es.
Sur les manuscrits du DƝnkard, voir Dresden 1966.
Sur les manuscrits de la Zand-ƖgƗhƯh, voir Anklesaria 1956.

Dans les traductions, les signes ( ) entourent ce que j’introduis pour


l’intelligence des passages. Dans la translittération brute de passages pehle-
vis, les signes ( ) entourent les caractères biffés. J’y symbolise par W un
caractère illisible.
J’entoure de { } ce qui est à considérer comme une glose dans un texte
pehlevi, mais, ailleurs, ce qui est sous-entendu.
Les signes < > entourent ce que nous devons restituer, mais [ ], ce que
nous devons considérer comme secondairement interpolé.
Je fais précéder de + les formes corrigées sur la base des manuscrits ; de
×
, celles corrigées sans l’aide de la tradition manuscrite ; de †, les formes
dont l’analyse est désespérée ou qui sont contraires à nos attentes ; de *, les
formes théoriques.
Les mots translittérés figurent en caractères italiques, mais les trans-
criptions interprétatives du vieil iranien et du pehlevi sont respectivement
données en caractères gras ou soulignées. Dans les traductions, ceci n’est
pas observé.
En avestique, la composition graphique est notée au moyen du point
séparateur. En vieil iranien et en védique, | analyse les sandhi externes ; +,
les sandhi compositionnels ; -, les sandhi internes ; º indique l’amputation
arbitraire ; V sépare deux vers, mais, parfois aussi, deux hémistiches ou deux
syntagmes.
> = est à l’origine de ; < = provient de ; √ = racine ; :: = produit.

11
I

Présentation

1. Introduction

Il n’y a jamais eu de vivants chez les morts. Et pourtant. Que faites-vous


ici ? Au delà de la mort, il y a la vie authentique, professent de multiples
croyants, et ce que vous croyez être la vie n’est autre que la mort, enseigne-
t-on çà et là, comme si mort était vie et vie, mort. Et, pour nous en
convaincre, les textes nous assurent que plusieurs de nos semblables connu-
rent la mort de façon transitoire, purent revenir du fascinant au-delà et nous
rapporter ce qu’il s’y passe d’ordinaire : la vie.
Qu’allons-nous devenir ? Pourquoi ? Comment y serons-nous ? Pour
toujours ? Complètement ? En fonction de quels critères ? En qui faire
confiance ? Sur quoi pourrions-nous tabler ? Que devons-nous faire du
cadavre ? Serons-nous réduits au seul cadavre, à son inexcusable charogne ?
La sépulture honore-t-elle le mort, le relègue-t-elle ou l’élimine-t-elle ?
Décharge déguisée ? Quel est ce privilège qui fait des dieux ce qu’ils sont ?
Si, comme d’aucuns le disent, la mort donne sur la vie authentique et que les
dieux ne sont jamais que d’anciens morts, le suicide ne ferait-il pas le
meilleur des raccourcis ? Questions cruciales qui se posent à l’être humain
confronté à ses limites du fait même de pouvoir s’en rendre compte.
L’effroi de la mort, sa question, génératrice de doubles abstraits des
réalités sensibles, renvoie l’individu dans sa communauté comme le danger
ou l’inconnu font se réfugier l’enfant entre les jambes de sa mère : elle
apporte la réponse ou ce qui en tient lieu, la suggère. La doctrine religieuse
régente l’ensemble des rapports que la communauté entretient avec le
double abstrait du sensible1. Depuis l’une ou l’autre Préhistoire.
Chez les Grecs de l’Antiquité, la mort ôtait toute vigueur à l’individu : il
perdait son souffle vital pour se retrouver tout à la fois à l’état de corps
inerte et d’âme inconsistante, ombre évanescente jetée sur les routes du
monde d’en-bas sans que nous sachions exactement à quoi rime, du point de
vue général ou cosmique, l’idée que l’âme devrait traverser un fleuve, af-
fronter un Cerbère ou se soumettre aux volontés de trois juges avant de
connaître soit le Tartare soit quelque Paradis sur la définition duquel il y a
hésitation, les Champs Élysées ou l’Île des Bienheureux.

1
C’est la définition que Lévêque (1997 : 33) donne de la religion.

13
Orphée, le visiteur de l’au-delà resté le plus célèbre, serait l’auteur d’un
discours détaillé sur le sujet dont le secret n’a pu être guère levé : les textes
orphiques ne nous sont parvenus que sous forme de maigres fragments2 par
le biais de traditions souvent secondaires, et la haute antiquité qu’il faudrait
parfois leur attribuer reste mal vérifiable. Si le caractère fragmentaire de nos
informations rend leur interprétation malaisée, il semble pourtant que ce
discours, pour faire état tout à la fois de châtiments ou de récompenses et de
réincarnations des âmes, devait comporter une dimension éthique.
Selon un processus dont la curieuse complexité, pour nous, reste injus-
tifiée, Zeus qui, par ailleurs, se confond avec le premier né se serait pourtant
uni à sa propre mère pour engendrer une fille avec laquelle il pût engendrer
un libérateur, Dionysos. Ce nouveau dieu, pour jouer son rôle, mais en
contradiction avec sa nature divine, meurt assassiné ou démembré avant de
renaître ou d’être reconstitué, notamment grâce à l’intervention d’Athéna.
Tout ceci introduit une dimension circulaire ou une idée de retour dans la
conception orphique. Le châtiment des Titans criminels qui avaient ingur-
gité Dionysos serait à l’origine de l’homme, dès lors tout à la fois mauvais et
bon pour receler conjointement les traces du dévorateur criminel et du divin
dévoré. L’homme doit donc se purifier, se débarrasser de ce qu’il a hérité
des Titans pour ne garder que ce qui, en lui, est divin et provient de Dio-
nysos, mais nous ne comprenons ni la raison des incestes divins ni la
nécessité que les dieux sentirent de se plonger dans la mort.
Dans la Grèce ancienne, aucune doctrine, dans les limites où nous les
connaissons, ne permettait de répondre avec suffisamment de cohérence à de
telles questions. Dans l’Iran zoroastrien, par contre, l’excès serait presque la
norme en la matière : tout le système, comme nous le verrons, gravite de
façon logique et cohérente autour de la réponse donnée aux questions de la
mort et du mal.
Certes, les Orphée et Pythagore tentèrent d’apporter une réponse grec-
que. Cependant, comme la plupart des frontières du monde grec furent
iraniennes et que certaines sources prétendirent que Pythagore avait écouté
les leçons de Zoroastre3, nous ne pouvons faire l’économie de l’hypothèse
que, pour les conceptions qu’ils développèrent en matière d’eschatologie,
les Grecs fussent tributaires des Iraniens plutôt que de leurs propres ancêtres
proto-indo-européens. En effet, dès le VIe siècle avant l’ère commune,
l’empire perse se situait aux portes de la Grèce. Et, à des époques anté-
rieures, la culture des Iraniens des steppes ou de l’Europe centrale, avec les
chamanes thraces, scythes ou gètes, avait déjà gagné la Grèce. Les deux
filières iraniennes, celle des nomades iranophones venus du Nord et celle

2
Bernabé (2003) rassemble les textes et les témoignages qui concernent l’au-delà tel que
les orphiques devaient le concevoir.
3
Voir Kellens 1984b : 2.

14
des Perses venus de l’Est, sans doute se retrouvèrent aux alentours immé-
diats des colonies grecques de la Propontide. Les deux rives furent peuplées
de Thraces tandis que les Perses installèrent leur quartier général au centre
de la côte asiatique. Le promontoire d’Artakè et les îles voisines permirent
aux Perses de la proche Dascylium de contrôler la Propontide. Or, parmi les
premiers groupes pythagoriciens, il y avait celui de Cyzique4, à la racine du
promontoire d’Artakè. Le port d’Artakè, dont le nom pourrait être vieil-
iranien (< Ɩrta+ « farine »), actuellement Erdek, ravitaillait les îles voisines
ou y donnait accès, notamment à celle de Proconnèse. Nous savons princi-
palement par Hérodote que le cadavre d’un certain Aristéas5, mort dans la
boutique d’un foulon, devait disparaître de Proconnèse et que, quelques
années plus tard, ce poète y réapparut pour composer une épopée, les Ari-
maspées, relatant ce qu’il avait pu apprendre chez les iranophones des
steppes concernant le Grand Nord et notamment le peuple fabuleux des Ari-
maspes dont le nom s’avère être d’origine vieil-iranienne6. Aristéas n’était
donc pas mort, une donnée qui pourrait bien être reflétée par son nom : « qui
n’est pas mort », en vieil iranien, se dit a+rista-7. À mes yeux, il y a là trop
de coïncidences. Une étude approfondie devrait être consacrée aux indices
reliant le pythagorisme ou d’autres traditions grecques à celles que diverses
obédiences iraniennes véhiculaient. Qui étaient au juste les Abaris, Ana-
charsis, Salmoxis et Aristéas ? Quelles relations faut-il établir entre eux ?
Quel parallélisme leurs enseignements présentaient-ils avec ceux de Zoro-
astre ?
Discours essentiel de toutes les obédiences religieuses, réponse mythique
qu’elles apportent à la question de la mort, le récit des événements que
l’individu doit connaître après le corps fait bien évidemment aussi l’objet de
nombreux développements ou de nombreuses considérations traditionnelles
chez les mazdéens zoroastriens. La tradition recueille divers motifs qui peu-
vent les uns se retrouver ailleurs pour refléter sans doute des universaux ou
reposer sur des héritages communs et les autres faire tout à fait exception,
par là caractériser en propre le mazdéisme zoroastrien et en faire l’origi-
nalité. Sa singularité dérive en bonne partie de l’idée d’un temps linéaire et
fini dont le grand dieu avait ouvert la parenthèse au sein de l’infinie fixité
qui, en toute logique, ne pouvait qu’englober le mal. L’œuvre de l’en extir-
per passe par cette mise en quarantaine fatale que l’ouverture du temps
linéaire et forcément fini organise. Par nature, grevé d’incapacité, le mal se
4
Brontinos, le beau-père de Pythagore, était originaire de Cyzique.
5
Bolton (1962) qui a rassemblé les témoignages ne fait aucune allusion au contexte
géographique iranien ou iranophone de Proconnèse.
6
Pirart 1998.
7
Le nom d’Aristéas pourrait être expliqué comme le bahuvrƯhi en ºa- de arista- et de
ahu- : aristâhva- « possesseur d’une existence non morte ». Hérodote nous renseigne aussi
sur le clan d’Aristéas :෕‫ݰ‬Ԇۭࠗๆٗߥ཯໸Ǔဂۭࠗ‫ڗݰ‬ɘໆ‫ڗ‬࿰. Passait-il donc pour le descendant du Kavi
Husravah ?

15
laisse enfermer dans le fini où le mythe parvient à le décrire et à le résorber.
Nous ne savons pratiquement rien du processus par lequel le grand dieu put
ouvrir la parenthèse du temps linéaire et fini, mais l’antiquité de l’idée
ressort de sa communauté proto-indo-iranienne si l’Inde connaît aussi le
mythe d’un temps qui, amadoué, accepta la finitude8. La question du mal
ainsi aurait-elle trouvé une réponse bien ancienne.
La finitude du temps linéaire implique sa structure : le début et le terme
modèlent l’ensemble. Démarrages, rebondissements, signes avant-coureurs
de la clôture. L’histoire du monde et de l’Iran s’ordonne à l’intérieur de ce
temps linéaire ; cette histoire et les grandes étapes qui la configurent
refondent ou récupèrent d’anciens mythes proto-indo-iraniens, voire proto-
indo-européens. L’histoire est rythmée d’événements tout comme les saisons
configurent l’année ou les heures, le jour. Dans l’implacable perfection du
temps linéaire, la contiguïté des instants qui ne lui laisse aucune échappa-
toire enferme le mal dans d’inéluctables limites. La pensée mazdéenne
zoroastrienne dont les textes disponibles ne nous livrent plus que des bribes
comporte une vision eschatologique de la mécanique du temps. Les fêtes de
saison ou annuelles y font office de crans empêchant le retour en arrière.
Les personnages de l’histoire légendaire, dieux de ce monde voués à la
mort, par leurs prouesses ou grâce à l’intervention céleste, y échappent par-
fois ou la contournent pour revenir dans le futur eschatologique et reprendre
pied sur l’échiquier décisif où les forces ténébreuses perdront face aux lumi-
neuses. Plusieurs personnages des origines doivent réapparaître sur terre au
cours des derniers millénaires comme pour assurer la cohésion du fil du
temps, mais toutes les âmes, celles des hommes bons comme celles des
méchants, accéderont à la corporalité immortelle une fois refermée la paren-
thèse linéaire où les combats auront fait rage et lorsque les forces délétères
auront été extirpées de l’infini. Afin de les isoler, de les mettre en évidence
et de les éliminer définitivement, les âmes des hommes subiront les oppor-
tunes expiations au delà de la mort.
Dans le mazdéisme zoroastrien, d’après ce que nous pouvons com-
prendre d’une documentation parfois bien incomplète ou si peu explicite, les
discours sur le rituel ou la liturgie, ceux de l’histoire mythique et les escha-
tologies individuelle ou générale se rejoignent, sont intimement liés, s’arti-
culent les uns avec les autres de façon plus forte ou systématique que dans
d’autres provinces du monde indo-européen pour répondre tout à la fois aux
questions du mal, de la mort et des origines.
Pour l’examen de l’eschatologie individuelle, nous disposons de textes
assez généreux. Le plus célèbre d’entre eux est connu sous le sigle H 2 qui
le donne pour un fragment du Livre zoroastrien mal connu intitulé Haįaoxt
Nask. Je donne le titre « Les Trois Nuits » à ce fragment qui me servira de

8
Pirart 2003 : 143 n. 3.

16
point de départ parce qu’il nous explique le sort que l’âme connaît les trois
premières nuits qui suivent le trépas.
Point de départ si ce texte ne nous dira pas tout ou s’il présentera des
contradictions avec d’autres sources. Il faudra en effet non seulement com-
parer ce texte à d’autres témoignages, le compléter par ce biais et chercher à
comprendre la multiplicité ou les hésitations de la tradition, mais aussi exa-
miner en profondeur, sur base de l’ensemble des sources zoroastriennes, les
différents ingrédients clés du discours que les zoroastriens tenaient sur l’au-
delà.

2. De l’éloge de l’ivresse à celui du Moi


9
L’Avesta, le corpus des textes sacrés du mazdéisme zoroastrien, contient
notamment un texte intitulé Haom Staot, qui nous parle de hauma. Hauma
est tout à la fois une plante que l’on pressure rituellement, le suc de cette
plante obtenu par le pressurage rituel, l’ivresse que ce jus donne à celui qui
l’absorbe, l’ingrédient phare des libations offertes aux divinités et le dieu
qui représente et cette plante, et son jus, et son ivresse.
L’emploi du hauma dans la célébration des cérémonies sacrificielles
mazdéennes zoroastriennes est un héritage de la préhistoire proto-indo-
iranienne puisqu’il correspond à celui du sóma dans l’Inde védique. Si nous
nous penchons sur le traitement qui, selon les textes, est réservé à cette
plante, possible ersatz de l’homme, que les Iraniens appelaient hauma et les
Indiens sóma « objet ou produit du pressurage », la mécanique du sacrifice
et la conception qui le fonde peuvent être décryptées. La plante est lavée,
pressurée, c’est-à-dire immolée ; son jus est ensuite filtré et additionné du
lait d’une vache. Un peu de sève de grenadier fera cailler le mélange ou, du
moins, l’épaissira : le suc de hauma et le lait seront ainsi intimement unis.
Dans l’au-delà, le troisième jour après la mort qui, en définitive, est une
immolation, l’âme du défunt, nous explique le fragment H 2, verra venir à sa
rencontre une jeune femme particulièrement belle, à l’image de la beauté ou
de la pieuse correction avec laquelle ce fidèle aura, de son vivant, observé et
accompli les rites. Cette jeune femme représente la conscience religieuse
(dainƗ) qui fut celle de ce fidèle.
Détail important : elle est, semble-t-il, à peu près immédiatement
enceinte : sans doute des œuvres de l’âme du défunt. Or, la vache que l’on
immole est, elle aussi, une vache pleine. Il est donc bien clair qu’un
parallélisme doit être tracé entre les trois paires suivantes : l’homme pieux
et la vache sacrificielle, le jus de hauma et le lait, l’âme de l’homme pieux

9
Je reprends ici nombre d’idées déjà exprimées ailleurs (1996a : 4-8, 30-32 ; 2004a ;
2010b).

17
et la jeune femme en question. L’âme de la vache est symbolisée par son lait
et celle de l’homme pieux par le jus de hauma. Le précipité de leur mélange
est à l’image de la fécondité de la vache et de la jeune femme, faut-il
comprendre : un fils devra naître dans l’au-delà tout comme l’homme pieux
aura eu soin d’avoir, en ce monde, des fils. Ceux-ci, en effet, ont un rôle
fondamental dans le processus : à la mort de leur père, ils assureront la
relève, poursuivront la suite des cérémonies cultuelles, faisant ainsi du
monde sacré que les pratiques rituelles et la piété de leur père avaient char-
penté un monde continué, continu, éternel.
Nous voyons ainsi comment la cérémonie sacrificielle, comment le con-
tinuum espace-temps du rite est la préfiguration d’une existence éternelle
dans l’au-delà. L’âme de la vache ou le lait de la vache, ce qui semble reve-
nir au même, et, d’autre part, le suc de hauma sont eux aussi des préfigu-
rations. Envoyés aux dieux moyennant le pressurage et l’immolation, ils
occupent dans l’au-delà les places que, lors de cet ultime sacrifice qu’est la
mort, l’âme du sacrifiant et sa conscience religieuse viendront occuper. Les
pratiques religieuses ont donc pour fonction de produire des substituts qui
préparent dans l’au-delà la venue et la vie éternelle et fructueuse de l’âme.
L’ivresse de hauma, dans l’autre monde, pourrions-nous dire, réserve la
place que l’âme du fidèle compte occuper aux côtés des dieux.
La jeune femme que, selon les conceptions iraniennes, l’âme du défunt
rencontrera dans l’au-delà sera donc mère d’un fils. Qui est donc ce fils de
l’âme ? Pour moi, les fils des âmes pieuses sont à reconnaître sous le nom de
saušyant, ces êtres qui, à la fin des temps, auront grossi les rangs des
armées d’Ahura MazdƗ et lui permettront alors d’avoir définitivement
raison des forces ténébreuses. Le plus insigne des saušyant est bien évi-
demment le fils de l’âme de Zoroastre (Zaraduštra), l’homme pieux par
excellence, puisque c’est lui qui passe pour avoir donné au rituel sa forme le
plus adéquate, sa forme correcte.
Le monde éternel et spirituel s’appuie ainsi sur le monde matériel où le
rituel parvient à combattre le mal et les ténèbres pratiquement sur leur
propre terrain. Le rituel soustrait le spirituel au matériel et en frustre les
forces ténébreuses. La mort en devient cosmologiquement utile à la victoire
définitive du bien. L’homme est sacrifié pour que son âme, par de fruc-
tueuses amours, accroisse les forces lumineuses et que la fin des temps soit
aussi la fin des ténèbres.
La seule étymologie mystique du mot sóma- que les textes brƗhmaQiques
connaissent10 confirme que sóma est l’ersatz de l’âme. La pseudo-étymo-
logie (une paronomase) que le texte propose tire sóma- de svá- ... me
« propre de moi ».

10
ĝBM 3.9.4.22.

18
Autre confirmation : dans l’énumération védique des épouses des dieux,
l’une des séquences préparatoires de l’AgniVWoma11, le dieu Sóma a pour
épouse DƯkV», la déification de la séquence au cours de laquelle le sacrifiant,
qui vient du monde profane, est refabriqué sous une forme sacrée. Sóma,
immolé en lieu et place de l’homme, lui ressemble : le sacrifice de Sóma
compte neuf pressurages parce que l’homme à la place duquel il est immolé
comporte neuf orifices et, partant, neuf fonctions ou parties immortelles à
extraire de sa matière mortelle. Le grand dieu lui-même, s’il est là-bas, ne
peut qu’avoir été immolé. Le monde, qui n’est autre que sa matière, résulte
ainsi d’un sacrifice primordial.
Aux yeux des Indiens védiques, le mariage met les époux en condition de
sacrifier ou d’installer un monde sacré tandis que les funérailles introduisent
à l’au-delà. Dans l’au-delà aussi, l’âme se marie afin d’être en condition
d’installer ou de maintenir son éternité tout comme le mariage avait fait de
l’adorateur un homme capable d’offrir le sacrifice. Le mariage de Sóma avec
la fille du Soleil, Snjry», est le modèle de tout mariage : les GUhyasnjtra
(manuels des rites domestiques) exposent pour cette cérémonie l’importance
de recourir à la récitation des strophes du SnjryƗsnjkta, le « poème (du ma-
riage) de SnjryƗ »12. Le mariage de Sóma et de Snjry» doit symboliser celui de
l’âme. Ce mariage est préparé, préfiguré, dans la cérémonie sacrificielle, par
cette manipulation dont les textes font si souvent état, le mélange du suc de
sóma et du lait de la vache. Dans l’Avesta, le hauma entre également avec
le lait dans la composition de la matière oblatoire.
Le début du Haom Staot a une allure similaire à celui du fragment H 2 du
Haįaoxt Nask, un texte qui concerne le vécu de l’âme les premières nuits
après la mort. Dans le Haom Staot, le dieu Hauma tombe sur le rite que
Zaraduštra est occupé à mettre en place : il vient à la rencontre de sa
pratique religieuse. Dans le fragment H 2 du Haįaoxt Nask, l’âme rencontre
sa promise qui en est immédiatement enceinte. Cette promise n’est autre que
sa propre conscience religieuse, sa propre dainƗ (daƝnƗ-). Celle-ci repré-
sente la façon dont le sacrifiant a eu conscience de ses devoirs religieux et a
voulu s’en acquitter. Il faut donc envisager un parallélisme entre la pré-
paration faite du hauma dans la cérémonie et celle de l’âme par la mort : le
hauma, filtré, est uni au lait tout comme, dans l’au-delà, le ruvan (âme-
moi), une fois rendu le verdict (srauuah-) des juges divins et dictée l’expia-
tion, rencontre la dainƗ (conscience religieuse).
Après l’étude que j’ai donnée du Haom Staot dans L’éloge mazdéen de
l’ivresse13, il est ainsi tout naturel que je me penche sur le fragment H 2 du
livre de l’Avesta intitulé Haįaoxt Nask, mais, avant de l’aborder, remar-
11
La grande cérémonie brƗhmaQique du sacrifice de Soma.
12
5gvedasaPhitƗ 10.85.
13
2004a. Une nouvelle mouture de la traduction de ce texte figure dans Les Adorables de
Zoroastre (2010b).

19
quons qu’il est ici question de deux termes : ruvan (uruuan) et dainƗ
(daƝnƗ). L’être humain serait ainsi le siège d’au moins deux entités imma-
térielles immortelles, le siège de deux âmes : d’une part, ruvan, l’âme in-
dividuelle ou âme-moi, qui est masculine, et, d’autre part, dainƗ, la con-
science religieuse, qui est féminine.

3. L’individu et ses biens, du matériel à l’immatériel

C’est ici que les choses se compliquent puisque Jean Kellens a pensé
que, selon les conceptions avestiques, l’être humain était le siège non de
deux âmes, mais de cinq ; les parts immatérielles de l’individu serait au
nombre de cinq14 : le baudah « la faculté de perception sensorielle », l’uš-
tƗna « le principe du mouvement spontané, l’animation du corps, la faculté
de se mouvoir », le ruvan « l’identité de l’être, l’âme-moi », la dainƗ « la
conscience religieuse » et la fravUUti « l’état d’esprit avec lequel le sacrifiant
rend hommage à la divinité, à savoir la préférence qu’il a pour elle, l’allé-
geance sélective qu’il lui porte ».
À la mort, selon Jean Kellens, l’uštƗna et le baudah disparaissent ; le
ruvan, la dainƗ et la fravUUti subsistent. Ces trois derniers sont les âmes
impérissables. Il est à noter que le Veda ne nous offre aucune aide puis-
qu’aucun des termes de la liste n’y a de correspondant exact si nous laissons
de côté l’exception controversée de dainƗ.
Une première difficulté surgit : la disparition, la destruction du baudah
et de l’uštƗna n’est clairement exposée nulle part, les textes disant simple-
ment que la mort les sépare de l’os. Le verbe utilisé, vi+√ √ vris, littéralement,
me semble signifier « former une courbe de retour séparateur ». Je ne sais
s’il faut penser à des couches de peinture ou de vernis qui, se recroque-
villant, se décollent d’une porte sous l’effet d’agressions climatiques : les
deux facultés de la perception sensorielle et du mouvement sont-elles vues
métaphoriquement comme devant se décoller du squelette avec plus ou
moins de souffrance ? Sans doute le baudah et l’uštƗna jouaient-ils le rôle
de relais entre les parties matérielles et immatérielles de l’individu : tout en
étant immatériels, ils collent à l’os.
Une autre difficulté surgit : cette liste, aussi belle et cohérente soit-elle,
n’est jamais donnée dans les textes. Celles que nous y trouvons ou bien
seraient incomplètes, ou bien contiendraient encore d’autres termes. Bien
sûr, c’est en partie parce que de telles listes admettent en sus un certain
nombre de termes connotant des parts matérielles, intérieures ou extérieures,
de l’individu. Par ailleurs, soulignons que certains mots sont ambigus : ainsi

14
Le DƝnkard 3.218 dit que les principaux agents abstraits (mƗnyava) situés dans la
personne humaine sont au nombre de quatre : ruvan, uštƗna, fravUUti et baudah.

20
kUUp, qui désigne tout à la fois la chair, le corps ou même la charogne, mais
aussi l’apparence, la forme.
L’autre mot « corps », tannj, n’est pas très clair non plus : si le mot peut
désigner le corps de l’individu vivant ou mort et, donc, le cadavre, c’est
dans le cadre d’une opposition avec ruvan, l’âme individuelle, mais
d’autres oppositions existent, notamment avec gaișƗ, les troupeaux, ou avec
sti, l’ensemble des biens, oppositions qui, elles, conduisent à l’idée de « per-
sonne » et nous poussent à y reconnaître la désignation de l’individu lui-
même.
Sans vouloir augmenter ici la liste, ce qui doit n’avoir qu’un intérêt
limité, je pense qu’il faut aussi dresser un tableau provisoire des parts
matérielles sur base de telles listes. Voici le tableau général provisoire que
je propose donc, en partant de l’opposition tannj ļ sti, laquelle,
malheureusement, n’est attestée que dans le Veda. L’individu se compose
non seulement de lui-même (la tannj), mais aussi de ses biens (la sti).
Voyons tout d’abord sa personne, c’est-à-dire sa tannj.
Sa personne, la tannj qui est la sienne, comporte plusieurs types de
composants. Certains de ces composants sont matériels et voués à la
corruption à l’exception approximative du squelette. Car les cadavres sont
exposés, et les os, une fois complètement nettoyés par les chiens et les
vautours, sont recueillis bien blancs pour être conservés dans des ossuaires
(astadƗna).
La part matérielle de l’individu comporte donc, en plus des viandes, des
moëlles et d’autres viscosités, une partie moins infecte : l’os. C’est sur l’os
que vient se greffer la part immatérielle de l’individu. Deux composants
immatériels assurent la cohérence avec la part matérielle : ce sont le baudah
et l’uštƗna, les facultés de percevoir et de se mouvoir, que la mort décolle
de l’os à travers des souffrances plus ou moins effrayantes ou sans que cela
ne cause de souci, le tout étant de savoir si l’individu fut impie ou non.
Restent trois composants immatériels, les trois âmes : l’âme-moi, la con-
science religieuse et l’engagement (ruvan, dainƗ, fravUUti). Voici le tableau
résumant tout cela :

21
La tannj (personne)
ʊ sont corruptibles : la chair, les moëlles, etc.,
faisant la nasu (charogne) ;
ʊ incorruptible et matériel : l’ast (os) ;
ʊ incorruptibles et immatériels, mais collant à l’os :
ʊʊ le baudah (faculté de percevoir);
ʊʊ l’uštƗna (faculté de se mouvoir) ;
ʊ incorruptibles et immatériels, mais ne collant pas à l’os :
ʊʊ le ruvan (âme-moi) ;
ʊʊ la dainƗ (conscience religieuse, doctrine) ;
ʊʊ la fravUUti (engagement, préférence).

Venons-en à ce qui appartient à l’individu, à ses possessions, à la sti.


Bien sûr, en ce monde, il dispose d’un certain nombre de biens meubles et
de biens immeubles. Parmi ces biens matériels (sti astvatƯ), emphase toute
particulière est donnée aux troupeaux de bestiaux, les gaișƗ, la réserve de
possibles victimes sacrificielles.
La pratique religieuse, quant à elle, va générer certains types de richesses
spirituelles (sti *manahiyƗ), en quelque sorte tout à la fois les mérites dont
l’âme pourra se prévaloir dans l’au-delà et les richesses dont elle pourra y
jouir, sa gloire. Les biens spirituels sont de deux types : il y a tout d’abord
ceux qui dérivent de l’immolation de victimes offertes en sacrifice (sti
gaișiyƗ) : leurs âmes, richesses immatérielles, sont ce que réclament les
dieux. Ensuite, vu que, pour le sacrifice offert aux dieux, le sacrifiant doit
adopter un comportement rituel adéquat dans lequel trois niveaux sont à
distinguer, la pensée bonne, la parole bonne et le geste bon, la pratique
religieuse génère un second type de richesses spirituelles : la caractéristique
rituelle bonne ou mauvaise, le signe positif ou négatif de l’individu, son
cișra, fait de pensée, de parole et de geste, qui constitue sa sti mƗnyavƯ
« les biens découlant de l’opinion ». Résumons cela comme suit :

La sti (les biens)


ʊ la sti astvatƯ (les biens osseux ou matériels) : les gaișƗ (les troupeaux), etc. ;
ʊ la sti *manahiyƗ (les biens mentaux ou immatériels, les mérites, la gloire) :
ʊʊ les âmes des bestiaux immolés constituent la sti gaișiyƗ ;
ʊʊ le cișra (le signe), qui n’est autre que la sti mƗnyavƯ (les biens dérivant de
l’opinion), se compose des trois niveaux du comportement rituel :
ʊʊʊ le humata (la pensée bonne) ;
ʊʊʊ le huuxta (la parole bonne) ;
ʊʊʊ le huvUUšta (le geste bon).

22
4. Le contenu du fragment H 2

Forts de cette théorie, que l’Avesta n’expose jamais en clair, voyons


maintenant ce qui se passe entre le cadavre et le paradis en lisant le fameux
fragment H 2 du Haįaoxt Nask.
Ce texte est fait de deux parties, la première envisageant le cas du ruvan
de l’harmonieux, l’âme-moi du pieux défunt, et la seconde, celui de l’âme
de l’impie. La seconde partie, sauvagement abrégée en raison du parallé-
lisme phraséologique qu’elle présentait avec la première, est difficile à re-
constituer, et le contenu de la première, qui a été corrompue sous l’influence
de la seconde, est à amender çà et là. Je m’en tiens ici à la première partie,
celle qui concerne le ruvan de l’harmonieux. En voici le premier mou-
vement :

[1] Zoroastre demanda au Roi de la Sagesse : « Roi de la Sagesse qui, à


mon avis, es très savant, toi l’harmonieux qui mets en place les troupeaux
osseux, lorsque l’homme harmonieux trépasse, où son propre Moi passe-t-il
cette nuit-là ? » [2] Et le Roi de la Sagesse répondit : « Là-bas15 pour sûr, je
te le dis, harmonieux Zoroastre, il reste assis à proximité de la tête à réciter
la Cantate de l’Exclamation d’abondance et à miser sur l’exclamation
d’abondance qu’elle contient : "Que ce soit l’abondance pour celui, quel
qu’il soit, à qui le Roi de la Sagesse a le libre pouvoir de donner autant qu’il
veut !"16 À l’approche de cette nuit-là, le Moi connaît autant de quiétude que
toutes les quiétudes réunies qu’il a connues de son vivant ». [3] Zoroastre
demanda : « Roi de la Sagesse qui, à mon avis, es très savant, toi l’harmo-
nieux qui mets en place les troupeaux osseux, la deuxième nuit, où son
propre Moi la passe-t-il ? » [4] Et le Roi de la Sagesse répondit : « Là-bas
pour sûr, je te le dis, harmonieux Zoroastre, il reste assis à proximité de la
tête à réciter la Cantate de l’Exclamation d’abondance et à miser sur
l’exclamation d’abondance qu’elle contient : "Que ce soit l’abondance pour
celui, quel qu’il soit, à qui le Roi de la Sagesse a le libre pouvoir de donner
autant qu’il veut !" À l’approche de cette nuit-là aussi, le Moi connaît autant
de quiétude que toutes les quiétudes réunies qu’il a connues de son vivant ».
[5] Zoroastre demanda : « Roi de la Sagesse qui, à mon avis, es très savant,
toi l’harmonieux qui mets en place les troupeaux osseux, la troisième nuit
aussi, où son propre le Moi la passe-t-il ? » [6] Et le Roi de la Sagesse
répondit : « Là-bas pour sûr, je te le dis, harmonieux Zoroastre, il reste assis
à proximité de la tête à réciter la Cantate de l’Exclamation d’abondance et à
miser sur l’exclamation d’abondance qu’elle contient : "Que ce soit l’abon-

15
Un endroit qui est à nommer ou à préciser, là où il a trouvé la mort et où se trouve son
cadavre.
16
Plus exactement, le Moi n’en récite que cette première strophe (Y 43.1).

23
dance pour celui, quel qu’il soit, à qui le Roi de la Sagesse a le libre pouvoir
de donner autant qu’il veut !" À l’approche de cette nuit-là tout aussi bien, le
Moi connaît autant de quiétude que toutes les quiétudes réunies qu’il a
connues de son vivant.

Avec ce premier mouvement, fort répétitif, nous voyons que le ruvan,


complètement démuni, passe trois nuits à côté de la tête du cadavre. Toute
son activité est purement mentale : immobile, il récite mentalement une
strophe tirée des textes les plus vénérés, les Cantates (GƗșƗ), affichant ainsi
sa piété. Il connaît aussi un bonheur tout intérieur, confusément basé sur la
mémoire. Il est tranquille, très tranquille.
Lisons le deuxième mouvement :

[7] Au terme de la troisième nuit, je te le dis, harmonieux Zoroastre, le


Moi de l’homme harmonieux se sent poindre comme l’aurore le fait, se sent
transporter parmi les arbres fruitiers et les parfums. Et il sent un vent
souffler sur lui depuis le côté méridional, depuis les côtés méridionaux, plus
parfumé que les autres vents parfumés. [8] Et le Moi de l’homme harmonieux
s’étonne de percevoir ce vent dans les narines : "D’où souffle ce vent-ci pour
être vent comme jamais dans les narines je n’en ai perçu d’aussi par-
fumé ?"17

Dans ce deuxième mouvement, l’âme récupère la présence : elle se sent


poindre comme l’aurore point ; mais, surprise : voici le ruvan du pieux
défunt disposer de narines ! Lesquelles ? Car nous l’avions vu démuni,
immobile à côté de la tête du cadavre. Seule hypothèse possible : le ruvan a
pu acquérir un nez grâce au premier épisode au cours duquel il avait récité
une strophe. Bien sûr, ceci n’est pas immédiatement compréhensible, mais,
dans le Veda, lorsque le sacrifiant, pour entrer dans le monde sacré, est
reconstruit, c’est le fruit de la récitation de strophes que le prêtre exécute.
Le prêtre récite telle strophe pour lui donner des yeux, telles autres pour le
nez, les oreilles, etc. La ville que le corps humain constitue avec les sept ou
neuf portes que sont ses orifices ʊ la métaphore est exposée dans la théorie
védique concernant le sacrifice humain ʊ est ainsi reconstruite sous l’effet
des paroles sacrées tout comme, dans le mythe grec, Amphion, pour cons-
truire les murailles de Thèbes, la ville aux sept portes, en chantant lyre en
main, a pu faire se mettre spontanément en place les blocs de pierre. Autre
écho de ce mythe : dans le Veda, la fille du Soleil, lors de son mariage, est
vêtue des différents types de strophes : son extérieur est fait de paroles sa-
crées. Nous ne comprenons pas comment une strophe sacrée peut arriver à

17
Selon certaines versions du récit, le Moi pose cette question à Srauša, l’un des psy-
chopompes.

24
construire un homme, mais un discours mythique, un discours de vérité,
mythème venu des temps immémoriaux qui a laissé des traces dans plusieurs
traditions indo-européennes, l’affirme.
Le ruvan, disposant de l’organe, récupère dès lors le baudah, la faculté
de percevoir, faculté qui nécessite un support. Les parfums qui s’addi-
tionnent au sud, la région des morts, pour la création d’un parfum excep-
tionnel pourraient être les pieuses âmes, déjà devenues parfums, de défunts
antérieurs. Accumulation d’odeurs de sainteté. Et le vent parfumé transporte
le ruvan : avec l’aide des dieux ou du vent, il récupère la mobilité, récupère
l’uštƗna, la faculté de se mouvoir. Cette capacité lui permet, sait-on par
d’autres textes, d’arriver à cet endroit d’où part le pont par lequel il pourra
gagner le paradis. L’instant est celui de l’aurore du troisième ou quatrième
jour. L’orientation que le ruvan récupère avec ce vent parfumé venu du sud,
c’est aussi, si nous nous fions aux bijections upaniVadiques indiennes, la
capacité d’entendre, l’une des composantes du baudah. Car, selon de telles
spéculations, ce que le Soleil est à la vue, les points cardinaux le sont à
l’ouïe.
Troisième mouvement :

[9] Dans l’avancée de cette dernière aurore et sous ce vent si parfumé, il


sent vers lui s’avancer la doctrine18 qui lui est propre, sous les traits d’une
belle jouvencelle, splendide, aux bras de rose, pleine d’allant, du meilleur
âge, enjouée, de haute taille, les seins dressés, belle de corps, noble, avec le
signe positif d’avoir fait des offrandes et le développement de celle qui a
quinze ans, sous des traits d’autant de beauté qu’en présentent les très beaux
et brillants produits19 du splendide Soleil. [10] Et le Moi de l’homme harmo-
nieux lui adresse la parole pour lui demander : "Toi, qui es-tu pour être la
gravide comme, parmi les gravides, d’aussi belle d’aspect je n’en ai jamais
vu ?" [11] Et la doctrine qui lui est propre lui répond : "Pour sûr, moi qui
suis ta propre doctrine, jeune homme de pensée bonne, de parole bonne et de
geste bon, toi qui as bonne doctrine, j’appartiens à ta propre personne.
Chacun de nous les dieux t’a toujours aimé pour la grandeur, l’excellence et
la beauté, pour le parfum, la capacité que tu montrais de rompre les
obstacles démoniaques et le caractère inaltérable, qualités qui sont comme
ce que je trouve en toi maintenant. [12] Et toi qui as bonne doctrine, tu m’as
toujours aimée, jeune homme de pensée bonne, de parole bonne et de geste
bon, pour la grandeur, l’excellence et la beauté, qualités qui sont comme ce
que tu trouves en moi maintenant. [13] Quand toi, tu voyais l’autre20 bacler

18
Nous savons par certaines versions du récit qu’elle vient de l’est, ce qui est logique si
l’adorateur, en Iran comme en Grèce ou en Inde, rend un culte aux dieux en se tournant vers
l’est.
19
Les rayons.
20
L’impie.

25
l’allumage du feu et les préparatifs du sacrifice, effectuer les mauvaises
mises d’offrandes en présence du mauvais feu et passer à l’abattage d’arbres
fruitiers, toi, tu restais pourtant assis à réciter les Cantates, à consacrer dans
leurs fonctions les déesses Rivières et le Feu fils du Roi de la Sagesse, à
réserver bon accueil à l’homme harmonieux, le prêtre itinérant, qu’il vînt des
environs ou de loin. [14] Et, me rendant, de digne des propitiations que
j’étais, plus digne des propitiations ; de belle que j’étais, plus belle ; de
respectée que j’étais, mieux respectée, tu me fis asseoir, d’assise sur un socle
éminent que j’étais, sur un socle encore plus éminent grâce à la pensée
bonne, à la parole bonne et au geste bon" ».

Ce troisième mouvement fait coïncider la venue de la jeune femme qui


personnifie la conscience religieuse ou la doctrine (dainƗ) avec celle de la
troisième aurore. À l’instar de cette dernière à laquelle de nombreux traits
sont empruntés, la dainƗ vient de l’est, sait-on grâce aux inscriptions du
grand mage sassanide KirdƯr, l’est, tandis que souffle un parfum depuis le
sud, l’est, point cardinal de référence pour les cérémonies sacrificielles, car,
ne l’oublions pas, la dainƗ, la conscience religieuse, représente donc aussi
la pratique religieuse qui fut celle du défunt en ce monde.
Le ruvan voit la dainƗ : il a donc bien récupéré la capacité de voir, autre
composante du baudah. Il a récupéré aussi la faculté correspondant à
d’autres orifices : la voix, puisqu’il parle, pour s’adresser à la jeune femme
qui vient à sa rencontre.
Dans sa réponse aux questions du ruvan, la dainƗ le dit : elle est à
l’image de la pratique religieuse qui fut celle du défunt, mais le ruvan lui-
même, tout aussi bien : la pensée bonne, la parole bonne et le geste bon, qui
ont caractérisé le mazdéen et qui constituent son signe (cișra), ont fait de lui
un yuvan, un jeune mature, un être performant, lui en ont donné l’aspect
(kUUp) ou fait prendre le rôle : les trois niveaux du comportement rituel
correct, pensée, parole et geste, sont la semence avec laquelle il a fécondé la
jeune femme ; enceinte, elle donnera naissance à un saušyant, un fils de
l’âme, un combattant eschatologique qui viendra grossir les rangs des ar-
mées de la lumière victorieuse.
Il n’y a pas vraiment mariage du ruvan et de la dainƗ sur le chemin de
l’au-delà : le mariage a déjà eu lieu, dès avant la mort, et toute la pratique
religieuse que le pieux défunt avait montrée de son vivant, faite de pensées,
de paroles et de gestes adéquats, paraît avoir été le sperme avec lequel le
ruvan fécondait peu à peu la dainƗ. Maintenant que le ruvan la voit, c’est
pour se féliciter qu’elle est enceinte et qu’un saušyant naîtra.
Si la dainƗ est à l’image de l’activité rituelle qui fut celle du défunt, c’est
aussi qu’elle relève, comme le ruvan, d’une seule et même personne
(tannj) : elle est lui et lui est elle, pour reprendre les mots que s’adressent le

26
marié et la mariée dans le rite védique du mariage. « Toi, tu m’as toujours
aimée et chacun de nous t’a toujours aimé », dit la dainƗ au ruvan.
L’indicatif parfait du verbe √ kan « aimer » souligne que l’amour que la
dainƗ et le ruvan éprouvent l’un pour l’autre est une caractéristique per-
manente dont les origines plongent dans la vie rituelle qui fut en ce bas
monde celle du pieux adorateur. Le mariage du ruvan et de la dainƗ ne date
pas de leur rencontre aux portes du paradis ; c’est une permanence, une
caractéristique déjà présente lors des rites accomplis en ce monde. L’indi-
catif parfait : mode de l’accompli et de la permanence caractérisante.
Étant donné que l’âme du sacrifiant, lors des cérémonies sacrificielles,
était représentée par le hauma, ingrédient phare des libations offertes aux
dieux, l’épithète que reçoit la dainƗ, haumacanah « qui aime Hauma », est
expliquée. Et le parallélisme phraséologique du début du Haom Staot21 et
de H 2.10 se justifie pleinement.
On voit la dainƗ et le ruvan revêtir une apparence, acquérir un aspect,
une kUUp, mais il faut à tout prix distinguer ce mot de celui homophone qui
connote ce que les charognards dépècent, le cadavre.
Les dernières explications que la dainƗ fournit au ruvan sont particu-
lièrement intéressantes à l’instant de savoir où se trouve la fravUUti à l’inté-
rieur du processus. On a souligné que cette troisième âme n’apparaissait pas
dans le fragment H 2 du Haįaoxt Nask, mais, pour moi, les derniers mots de
la dainƗ permettent d’entrevoir le rôle de la fravUUti : «me rendant, de res-
pectée que j’étais, mieux respectée, tu me fis asseoir, d’assise sur un socle
éminent que j’étais, sur un socle encore plus éminent». Or, le respect, la
reconnaissance des mérites, bUUj, cela, sait-on par ailleurs, constitue la char-
nière de l’engagement du mazdéen, la charnière de sa déclaration de maz-
déen zoroastrien : c’est en fonction ou sur base de la reconnaissance des
mérites que l’homme pieux préfère la religion mazdéenne zoroastrienne
antidémoniaque avec laquelle se confond la dainƗ. Je dirais donc que la
fravUUti, littéralement « la préférence », est ce qui assure le lien entre le
ruvan et la dainƗ. Nous pouvons ainsi comprendre pourquoi l’épouse du
dieu védique BÌhaspáti, le maître de la reconnaissance de mérites, s’appelle
DhénƗ et pourquoi, dans certaines versions du mariage de la fille du Soleil,
c’est lui le mari en lieu et place de Sóma, le symbole de l’âme.
La place que la préférence permet d’accorder à la dainƗ sur l’aire sacri-
ficielle est une place gagnée de haute lutte, sait-on aussi par ailleurs, une
place pour laquelle d’éminents mazdéens se servirent de la préférence
comme d’une arme. Le FravardƯn Yašt, l’hymne sacrificiel qui glorifie les
déesses qui représentent les préférences que les hommes pieux montrèrent
pour la religion mazdéenne zoroastrienne, explique que de telles déesses
servirent d’armes dans la conquête du terrain sacrificiel que les mazdéens

21
Y 9.1.

27
entreprirent pour y installer la bonne religion. Si, dans H 2, la fravUUti n’est
pas là nommément, il est donc pourtant bien fait allusion à son rôle, celui
consistant à donner à la dainƗ une place assise sur l’aire sacrificielle désen-
combrée et à la faire voir aux dieux.
Le quatrième mouvement du texte commence avec la cérémonie des ob-
sèques lors de laquelle sacrifice était offert aux déesses fravUUti, mais,
comme notre texte, pour se contenter d’une allusion à la mécanique dans
laquelle la fravUUti intervient, ne l’a pas nommée, c’est maintenant à Ahura
MazdƗ que le sacrifice est offert :

Le Roi de la Sagesse ajouta : « Et les hommes m’offrent ensuite le


sacrifice de liturgie longue, à moi qui suis le Roi de la Sagesse, et s’entre-
tiennent22 avec moi. [15] Le Moi de l’homme harmonieux avance un premier
pas pour prendre pied dans Pensées-bonnes23. Le Moi de l’homme harmo-
nieux avance un deuxième pas pour prendre pied dans Paroles-bonnes. Le
Moi de l’homme harmonieux avance un troisième pas pour prendre pied
dans Gestes-bons. Le Moi de l’homme harmonieux avance un quatrième pas
pour prendre pied dans le monde des Jours qui n’ont ni début ni fin24.

Le sacrifice offert dans ce mouvement est donc vu comme un moyen


d’aider le ruvan à passer le pont, guidé par la bonne religion, et à récupérer
ses lettres de noblesses que sont les pensées bonnes, paroles bonnes et
gestes bons.
Le ruvan est comme ViVQu, le dieu védique célébré pour avoir franchi
tous les espaces en trois enjambées. D’autres textes nous informent que
l’âme de l’impie, quant à elle, incapable de marcher, est traînée par une
sorte de ViVQu démoniaque, Vizarša, à travers tous les étages de sa dé-
chéance25.
Lisons le dernier mouvement du texte.

[16] Et l’harmonieux qui a trépassé antérieurement lui adresse la parole


pour lui demander : "Toi l’harmonieux, comment as-tu trépassé ? Toi l’har-
monieux, comment as-tu quitté les domaines agricoles pourvus en vaches et
les clans pourvus d’une organisation rituelle ? L’état osseux pour l’état
mental ? L’état transitoire pour l’état définitif ? D’où vient que la longue
abondance te soit advenue ?" [17] Et je lui dis, moi qui suis le Roi de la Sa-

22
L’ensemble du Yasna (et du VƯsp-rat) combiné avec un texte rapportant des entretiens
que Zoroastre avait eus avec le Roi de la Sagesse tels que ceux que recueille la Loi qui
repousse les Daiva (VƯdaƝuu-dƗt).
23
La première des trois antichambres du paradis.
24
L’une des désignations du paradis.
25
Selon la Zand-ƗgƗhƯh (ZA 27.22, 30.4), Vizarša attaque le ruvan durant les trois nuits
qu’il passe sur terre. Il est assis à la porte du DƗužahava.

28
gesse : "À quoi bon lui poser les questions que tu poses ? Il a parcouru le
chemin qui, pour lui, fut sans effroi, sans risque et sans embûche, du
décollement de l’os et de la faculté de perception ! [18] Que, parmi les nour-
ritures, lui soit apporté du beurre de mi-printemps ! Telle est, pour le jeune
homme de pensée bonne, de parole bonne et de geste bon, qui a bonne
doctrine, la nourriture après le trépas. Pour sa jeune dame26 promotrice de
la pensée bonne, de la parole bonne et du geste bon, qui, soumise à de
bonnes instructions, en harmonieuse qu’elle fut, pouvait exercer sur nous les
dieux l’influence lors des séquences rituelles, telle est aussi la nourriture
après le trépas ».

Le dernier mouvement fait allusion aux biens meubles et immeubles du


pieux défunt : le troupeau de vache ; mais aussi aux biens qui attendent
l’âme du défunt dans l’au-delà : l’organisation religieuse du clan les avaient
générés. L’existence (ahu) ou état d’être profane y avait pour modèle
l’existence rituelle, et cette dernière, au delà de la mort, se convertit en
existence définitive, l’excellent état d’être mental (ahu vahišta).
Dans cette existence post mortem, le ruvan et son épouse la dainƗ se
nourrissent du beurre frais, à n’en pas douter, le beurre que fournissent les
vaches qui furent immolées et qui broutent les vastes et célestes prairies que
gèrent les dieux et, tout particulièrement Mișra, le dieu qui reçoit de façon
constante l’épithète de gérant de vastes prairies (varugauynjti).
Le corps de l’âme, au delà de la mort, est donc le fruit d’une recons-
truction : c’est au moyen d’une récitation mentale que l’âme se refait un
corps. Ce nouveau corps, bien sûr, n’est pas de la même nature que celui qui
avait hébergé l’âme avant la mort et qui a fini pitance des vautours et des
chiens : ce nouveau corps est tout aussi immatériel que le ruvan, c’est un
corps mental, un parfum, une image, une personne.
Si certaines énumérations rangent tannj et kUUp aux côtés de ruvan, fra-
vUUti et dainƗ, c’est pour la raison que le ruvan, grâce à la récitation de la
Cantate (GƗșƗ), possède un corps spirituel, support dont l’indispensable
acquisition constitue un préalable à la récupération des facultés de percevoir
et de se mouvoir.
La fravUUti n’est pas la grande absente du fragment H 2 : elle est là, mais
de façon dissimulée, dans l’ensemble des procès qui, du vivant de
l’adorateur, mettent en relation le ruvan avec la dainƗ. La fravUUti n’est
donc pas pour moi l’âme céleste que le ruvan rejoindrait avec l’aide de la
dainƗ vue comme âme du chemin, âme pérégrinante ou agente de liaison. À
mes yeux, il n’y a que deux âmes : le ruvan et la dainƗ ; la fravUUti n’est
jamais qu’un ensemble de procès mettant en relation le ruvan et la dainƗ ;
pour leur part, le baudah, l’uštƗna, la tannj, la sti, la kUUp, etc., ne con-

26
= sa bonne doctrine.

29
stituent jamais que des compléments que le tandem ruvan + dainƗ perd
momentanément, mais récupère tout de suite.
Dans ce premier chapitre de présentation, nous avons pris de l’avance par
commodité, mais, avec les suivants, nous allons revenir sur les étapes
brûlées : plusieurs termes affichés sur les tableaux de ce premier chapire
sont d’interprétation controversée ou délicate. Suite à cette réflexion limi-
naire centrée sur le sort post mortem de l’âme (ruvan) tel que l’expose le
fragment H 2 de l’Avesta, nous allons donc passer en revue les différents
éléments constitutifs de l’individu qui aient quelque importance dans le récit
des événements qui marquent les premières journées qui suivent son trépas.
L’objet dernier chapitre, une marginale, est de débrouiller la difficulté
morphologique d’adjectifs en -i- du type de mƗzdaiiasni- ou de Ɨhnjiri- « ap-
partenant aux mazdéens » qui concernent la dainƗ.
II

Ruvan, uštƗna et baudah,


être, vivre et sentir

1. Introduction

Après l’aperçu général donné de H 2 dans le chapitre précédent, nous


devons à présent passer en revue les différents éléments constitutifs de
l’individu qui jouent un rôle dans le récit, à commencer par l’âme-moi.
L’âme-moi n’a pas de nom indo-iranien commun, et les hymnes védiques
paraissent même en avoir ignoré ou négligé la notion puisque l’Ɨtmán-, au
vu de la comparaison faite avec v»ta- « le vent »1, est bien plutôt le souffle
vital2. L’absence de correspondant védique, cas de figure défavorable à
l’étude, est fréquente dans le dossier qui nous occupe. L’illustration la plus
nette en est sans doute qu’il n’y a pas en indien de mot pour « fravUti », cet
ingrédient si mazdéen de l’individu3.
L’unanimité des textes mazdéens zoroastriens n’est pas tout à fait com-
plète dans le choix du mot devant désigner l’âme-moi : si presque tous
recourent au mot ruvan (avestique uruuan-/ urun-, pehlevi lvb’n| [ruvƗn4]),
certains passages pehlevis paraissent préférer le mot gyƗn (écrit au moyen
de l’araméogramme HYA ou orthographié y’n|) qui, par ailleurs, rend habi-
tuellement l’avestique uštƗna- « faculté de se mouvoir, animation ». Cette
préférence peut provenir de l’emploi que certains passages spéculatifs5 font
des syntagmes ruvƗn Ư andar tan « âme située dans le corps » ou ruvƗn Ư tanƯg
« âme corporelle » pratiquement au sens de « uštƗna » par opposition à
ruvƗn Ư bƝrǀn « âme qui (peut) se situer à l’extérieur », l’âme qui, à rester
indépendante de la matière, peut, le temps du sommeil, quitter le corps
comme elle le fera lors du décès.

1
RS 1.34.7d, 7.87.2a.
2
Cette idée d’une âme vue fondamentalement comme « souffle, haleine, vie » est présen-
te aussi en Grèce où ȥȣȤ੾ s’explique à partir de ȥ઄ȤȦ « je souffle, émets un souffle » (Chan-
traine 1968 : II 1295a). Pour moi, malgré les réticences de Chantraine (1968 : I 134b) ou de
Mayrhofer (1992-2001 : I 164), le védique Ɨtmán-/tmán- (< pie. *H2éH1tmon-/*H2H1tmén-)
est étymologiquement apparenté au grec ਕIJȝંȢ « vapeur chaude » (< pie. *H2H1tmó-), à l’ho-
mérique ਷IJȠȡ « cœur » et à l’avestique ƗtΩrΩ- « feu » (< pie. *H2éH1tU-). Sur l’évolution de la
conception grecque de la ȥȣȤ੾, voir Bremmer 1983.
3
Il en sera traité au Chapitre VI.
4
Selon Mackenzie 1971, mais je suis enclin à y reconnaître un avesticisme uruuƗn
reproduisant le thème fort de l’accusatif sg. uruuƗnΩm.
5
Notamment dans les VZ.

31
Pour être complet, il faut encore mentionner l’emploi, isolé dans ce sens,
du syntagme ’sn| bvd (Ɨsn bǀy)6 ou du seul mot bvd (bǀy)7 qui, norma-
lement, correspond à celui de l’avestique baoįah- « faculté de percevoir ».
Ce sont ces concurrences qui, dans le présent Chapitre II, m’ont poussé à
présenter ensemble les trois notions de ruvan, d’uštƗna et de baudah.

2. Le baudah

Selon Jean Kellens 8 , comme celle de mouvement autonome qu’est


l’uštƗna, la faculté de perception, appelée baudah, disparaît avec la vie. Le
baudah, faculté de perception sensorielle9, est mortel comme le corps dont
il émane10. La disparition du baudah et de l’uštƗna, souligne Jean Kellens,
fait que le ruvan qui s’échappe du corps se trouve tragiquement démuni de
toute capacité à communiquer. Il est condamné en principe à rester
immobile et imperceptible auprès du cadavre, réduit à l’exercice de la
pensée, qui est immortelle et constitue, à travers la mort, la permanence de
l’individu. Pour Jean Kellens, le fragment H 2 du HN explique que ce
dénuement du ruvan ne lui interdit pas de faire entendre sa pensée si c’est
au moyen d’une strophe de l’Avesta ancien. Le ruvan conserve toutes ses
chances d’exister et d’être sauvé parce qu’il peut émettre une manifestation
de vie qui signale aux dieux sa présence et la qualité de sa piété. Jean
Kellens comprend que la magie qui le lui permet combine trois pouvoirs
invincibles : le mérite religieux acquis durant la vie, le caractère sacré du
texte qui l’exprime et la force merveilleuse de la parole.
Pour Jean Kellens, les événements qui s’enclenchent à l’apparition de la
troisième aurore correspondent à la récupération surnaturelle des facultés
perdues. La rencontre et le dialogue du ruvan et de la dainƗ se situent à la
charnière de ce processus, car ils ont pour condition la résurgence de la
communication et préludent à celle de la mobilité. La mise en présence des
deux âmes implique que le ruvan peut à nouveau entendre et voir, être
entendu et vu. Ceci signifie, pour le défunt, le retour à l’exercice plein du
baudah et des aspects de l’uštƗna qui permettent la manifestation de la
pensée.
Jean Kellens décèle que le discours de la dainƗ consiste à reconnaître les
qualités pieuses de l’individu à qui le ruvan appartint et à les définir par la
bonne triade rituelle : pensée bonne, parole bonne et geste bon. Cette

6
Notamment Dk 9.15.5.1.
7
Notamment Dk 9.15.5.1.
8
Kellens 1993 : 8.
9
La définition en est donnée dans le DD 15.2.3.
10
Kellens 1994-1995 : 698.

32
définition, estime Jean Kellens11, d’une part, entérine la permanence de la
pensée (manah) et le recouvrement de sa capacité de s’exprimer par le mot
(vacah) et par le geste (šyƗușna) ; d’autre part, constitue la condition même
du départ vers l’au-delà, puisque chaque caractéristique est une étape (d’où
le nom des trois antichambres du paradis : Humata « Bien-pensé », Huuxta
« Bien-dit », HuvUUšta « Bien-accompli ») sur le chemin que l’âme-moi par-
court pour rejoindre les Lumières infinies (Anagra Raucah), de sorte que la
mise en présence des deux âmes, après reconnaissance mutuelle, restitue au
défunt son pouvoir de mobilité autonome et détermine l’itinéraire décisif où
il va l’exercer.
Selon le processus que Jean Kellens décrit, le baudah et l’uštƗna se
reconstituent dans le monde de l’après-mort, indépendants cette fois de toute
base matérielle, et permettant l’accès au paradis, mais il est sans doute
inexact de parler de « reconstitution » si les PursišnƯhƗ12, pour l’expression
du procès, recourent plutôt au verbe frƗ+¥ iš « envoyer ». Il y est question
de l’envoi auquel le sacrifiant procède du baudah et du ruvan de la vache
immolée en même temps que de l’acuité (sauka)13 des yeux de l’homme :

P 33 ×frƗ14 tƝ ×gaospÅQte gaoš.hud¿×15 V baoįasca uruuƗnΩmca [fra]Ɲ-


šiiƗmahi V 16nazdišta upa.șȕaršta raoc¿ V narš<ca> cašman¿ snjkΩm
Nous envoyons (comme messagers aux dieux), lumières très proches qui
ont été découpées, ton baudah et ton ruvan, vache savante, vache de bonne
offrande, ainsi que l’acuité des yeux de l’homme.

Sans doute cette acuité visuelle de l’homme offre-t-elle un écho au


baudah de la vache qui l’accompagne sur l’aire sacrificielle. Nous pouvons
en déduire que c’est plutôt une opération rituelle exécutée à la demande de
la famille du défunt qui permet à l’âme-moi de ce dernier d’être accom-
pagnée de ses facultés de perception.
Dans les Livres pehlevis, il peut arriver que la faculté de percevoir ou de
sentir, pour se confondre facilement ou compréhensiblement avec celle de
ressentir, prenne quelque protagonisme et joue le rôle du ruvan17 ou se
fasse son interlocuteur18.

11
Kellens 1994-1995 : 699.
12
Cette collection de fragments avestiques a été éditée et traduite par JamaspAsa &
Humbach (1971).
13
Sur ce mot et ses graphies, Pirart 2007b : 98-99.
14
JH para. Les corrections sont données par rapport au texte qu’ont établi JamaspAsa &
Humbach (1971 : I 52) [JH].
15
JH gaospΩQta gaohud¿.
16
À mes yeux, le statut syntaxique de ce groupe nominatif-accusatif neutre singulier reste
incertain. Selon JH, accusatif de direction dans la rection de frƗ+¥ iš.
17
Ainsi DD 15.6.1 ; Dk 9.15.7.
18
Ainsi VZ 30.33.

33
L’étymologie de baudah (avestique baoįah-, pehlevi bvd [bǀy]) ne fait
aucune difficulté : c’est le dérivé neutre en -ah- de ¥ bud (= védique
BUDH) « se rendre compte, noter »19.

3. L’uštƗna

Pour Jean Kellens20, l’uštƗna, faculté de mouvement autonome21, tout


comme la faculté de perception qu’est le baudah, disparaît avec la vie.
L’uštƗna est mortel comme le corps dont il émane22. Jean Kellens23 le
déduit essentiellement d’un passage du VƯdaƝuu-dƗt, mais le contexte n’y est
pas si clair :

V 5.9.2-4 Ɨtarš narΩm jaiQti vƗ .·. Ɨa7 mrao7 ahurǀ mazd¿ .·. Ɨtarš narΩm
nǀi7 jaiQti V astǀ.vƯįǀtuš dim baQdaiieiti V vaiiǀ24 dim bastΩm naiieiti V Ɨtarš
haQdažaiti +asca25 uštanΩmca .·.
« Le feu tue-t-il l’homme ? » Et Ahura MazdƗ (lui répon)dit : « Le feu ne
tue pas l’homme, (mais, tandis qu’)Astah-VidƗtu 26 l’enchaîne 27 (et que)
VƗyu le conduit enchaîné, le feu lui consume les os et l’uštƗna28 ».

En effet, ce passage paraît bien disculper le feu de tout crime et plutôt


montrer du doigt deux Daiva29 : s’il lui consume les os et l’uštƗna, le feu ne
tue pas l’homme. Comme l’eau de la rivière lors d’une noyade, la théorie
veut que le feu, lors de l’incendie, ne soit pas le responsable de la mort.
Nous connaissons par ailleurs l’interdiction de jeter un mort aux flots de la
rivière ou aux flammes d’un bûcher si bien que, dans ce passage, c’est
d’accidents qu’il doit être question : de noyades ou d’incendies. L’antinomie
apparente de la négation de jaiQti « tue » avec le verbe haQdažaiti « réduit
en cendres, consume » de la dernière ligne se résout-elle à penser que le feu,

19
Voir Mayrhofer 1992-2001 : II 234.
20
Kellens 1993 : 8.
21
La définition en est donnée dans DD 15.2.3, 22.4.2.
22
Kellens 1994-1995 : 698.
23
1995a : 22.
24
Mis pour *vaiiuš.
25
Avec Kellens (1974a : 337), contre Geldner (1886-1896) asta.
26
Ces deux démons sont respectivement ceux de la dislocation du squelette et de
l’espace-temps funeste ou ténébreux.
27
Ou « le rend malade », si, contre la traduction pehlevie (zand), nous considérons qu’il
y a jeu entre les deux ¥ baQd (voir Pirart, apud Kellens 1995c : 80).
28
Le zand ajoute « la forme » : ’t’š ’v| hm dzyt tn| V y’n| <V> k’lpvt. Voir Chapitre III n.
71.
29
Les divinités négatives que le mauvais rituel entretient sont les Daiva. Pour les raisons
exposées dans Les Adorables de Zoroastre (2010b), je rends cette désignation catégorielle de
certains démons par « les Hasardeux ».

34
en les consumant, sauve les os et l’uštƗna ? Les réduire en cendres serait-il
vu comme une façon de les préserver ? D’autre part, il faut souligner que
l’uštƗna est ici consumé avec les os, sans doute pour ne pas avoir eu le
temps de s’en décoller. Le passage ne peut donc servir d’argument ou de
preuve à l’idée que la mort enlèverait la mobilité à l’individu : si son corps,
du fait d’un accident, devait être réduit en cendres, cette mobilité ne le
quitterait pas. Et, de fait, dans le cas du ruvan venant s’asseoir au chevet du
cadavre, la mobilité, de toute évidence, accompagne le ruvan30.
Jean Kellens fait état31 de ce que les strophes gâthiques Y 34.13 et 49.9
disent assez clairement que la dainƗ, cette partie spécialisée de l’âme du
sacrifiant, projetée sur le chemin rituel, accompagne l’âme de la victime.
C’est par ce motif que le sacrifice constitue une préfiguration symbolique de
la mort et du voyage final. Il est tentant et parfaitement licite de lire dans
quelques strophes que cette répétition funèbre se traduisait physiquement
par une mort feinte, que ce soit un pur mime ou le résultat de l’extase. Dans
la strophe Y 33.14, Zaraduštra fait don à Ahura MazdƗ de son uštƗna, la
mobilité de son corps.
Les textes ne font pourtant pas état de la destruction ou disparition du
baudah et de l’uštƗna : il y est question de leur séparation de l’os (ast), ce
qui est exprimé au moyen du verbe vi+√ vris dont le sens exact reste à
préciser. Je propose « décoller ». Cette séparation est nécessaire, nous
explique un passage du DƗdestƗn Ư DƝnƯg32, puisque le ruvan, pour se mou-
voir, dépend de l’uštƗna au point d’en prendre parfois le nom pehlevi de
gyƗn. La séparation, dans certains textes pehlevis, peut aussi passer par un
processus douloureux, la déchirure 33 ou l’arrachement 34 , mais, dans
d’autres, sa sortie du corps est comparée à celle du rougeoiement qui, faute
de combustible, quitte le feu35.
Jean Kellens précise36 que le mot uštƗna- n’a pas de prolongement en
moyen iranien, où il semble que gyƗn (HYA ou y’n| ; manichéen gy’n) s’y
soit substitué. Ce dernier, ajoute-t-il, semble correspondre à l’avestique
viiƗni- « intervalle entre deux respirations », mais ceci n’est jamais qu’une
conjecture puisque l’orthographe, la morphologie et le sens de ce mot
avestique ne sont guère assurés37. Et ceci sans compter que le traitement
moyen-iranien en gyƗº du vieil-iranien viƗº ne serait pas autrement illustré.

30
C’est ce qui ressort d’AVN 17.4.2 et de RPDD 23.19.2.
31
Kellens 1994a : 53.
32
DD 22.4.2.
33
DD 15.2.4.
34
ZA 30.30.2.
35
DD 22.2.2.
36
Kellens 1995d : 159.
37
L’existence du mot viiƗni-/ºƯ- (Bartholomae 1904 : col. 1478) est d’ailleurs incertaine.
Sur les passages censés l’attester, P 30, Y 29.6 et Y 44.7, voir JamaspAsa & Humbach (1971
: 46 sq.) et Kellens & Pirart (1988-1991 : II 308).

35
Pour ma part, j’explique plutôt gyƗn par le vieil-iranien *gayƗna- « ap-
partenant à la possibilité de vivre, principe de vie », le dérivé en ºƗna- de
gaya- (= védique gáya-)38.
L’étymologie de uštƗna- ne fait aucune difficulté : le sens premier de ce
dérivé masculin en ºƗna- de ušta- (= védique uVWá-) « voulu » doit être, à
mes yeux, « ce qui appartient au voulu ».
Les VizƯdagƯhƗ Ư ZƗdsparam39 contiennent une classification claire et
radicale des parts immortelles de l’individu dans laquelle quatre grandes
divisions sont envisagées dont une est le gayƗna. Celui-ci est, à son tour,
subdivisé en trois : le gayƗna proprement dit (y’n|), le baudah (bvd) et la
fravUUti (plv’hl).
Au terme du présent chapitre40, analyse est faite de passages du DƝnkard
qui distinguent l’uštƗna du gayƗna, mais nous y reviendrons aussi à la fin
du Chapitre VI.

4. Le ruvan

4.1. Sa nature

Parmi les ingrédients immatériels de l’individu, l’âme-moi occupe une


place centrale, mais aucun des textes avestiques ne le dit de façon explicite.
Ce qu’ils nomment ruvan n’est nulle part défini : c’est bien plutôt sur base
des spéculations pehlevies et du rôle étant le sien dans le récit de ce qui se
passe au delà de la mort que nous pouvons en avancer une définition : le
ruvan définit l’individu, lui donne le sentiment du Moi.
Le fragment avestique FrW 10.39-40 nous informe sur la nature du
ruvan :

<pÅrÅsa7 zarașuštrǀ ahurÅm mazdąm ahura mazda mainiiǀ spÈništa>


dƗtarÅ <gaƝșanąm astuuaitinąm a¹Ɨum .·.> †×kuua.cișra 41 ×zƯ 42 hΩQti V
43
iristanąm uruuąnǀ V y¿ a¹Ɨunąm frauua¹aiiǀ .·.

38
Sur le caractère illusoire de viiƗna- « âme » (Gershevitch [1959 : 213], d’après Benve-
niste [1935 : 38] et Bailey [1943 : 106 n. 4]), voir note précédente et Chapitre V n. 351.
39
VZ 30.22-35. Cf. Dk 3.218.3.
40
II 6.
41
Westergaard (1852-1854) kuua ișra. Fautif ou mis pour *ka7.cișra? De toute façon, la
place de zƯ impose d’admettre un composé.
42
Westergaard (1852-1854) zi.
43
Cf. Y 16.7.1 xvanuuaitƯš a¹ahe vΩrΩzǀ yazamaide V yƗhu iristanąm uruuąnǀ ך[Ɨ]iieiQti

yƗhu a¹aonąm frauua¹aiiǀ .·. « Nous offrons le sacrifice à la joie ensoleillée où habitent les
ruvan des morts et les fravUti des Utavan » (voir ci-dessous 4.4) ; Y 26.7.1 iįa iristanąm
uruuąnǀ yazamaide V y¿ a¹aonąm frauua¹aiiǀ .·. « Nous offrons ici le sacrifice aux ruvan des
morts et aux fravUti des Utavan » ; Yt 3.1.2g (voir Pirart 2003b : 105 sq.) ; Vr 19.2.5.

36
paiti šƝ aoxta ahurǀ mazd¿ V spΩQta7 haca mainiiao7 V zarașuštra aƝšąm
cișrΩm44 V vahištƗa7ca manaƾha7 .·.
<Zoroastre demanda au Roi de la Sagesse : « Roi de la Sagesse qui, à mon
avis, es très savant, toi l’harmonieux> qui mets en place <les troupeaux
osseux,> de quelle nature sont donc les Moi des défunts (et) les Préférences
des harmonieux ? »
Le Roi de la Sagesse lui répondit : « Leur nature, Zoroastre, est compara-
ble à celle du Savant Avis ou du Penser excellent ».

Le ruvan n’est donc pas de nature matérielle, son niveau d’existence


(ahu) étant du même type (cișra) que celui de l’opinion (manyu) ou de la
pensée (manah), le niveau appelé « existence mentale » (ahu manahiya)
qui, par définition, contraste avec le niveau « existence osseuse » (ahu
astvant). Nous y reconnaissons respectivement les mondes immatériel et
matériel. Bien évidemment, cela va de soi, si le défunt est Utavan « ac-
compagné de l’harmonie », c’est-à-dire un pieux adorateur, il peut être pré-
cisé que son ruvan s’apparente à l’opinion que MazdƗ est savant ou à
l’excellente pensée plutôt qu’à la funeste opinion ou à la très mauvaise
pensée. Le passage du DƗdestƗn Ư DƝnƯg qui recourt au syntagme mynvd Y
tn| (mainiiaoii Ư tan) « le mƗnyava de la tannj, le côté abstrait de la per-
sonne »45 pour désigner l’âme-moi ainsi s’inscrit-il parfaitement dans le
concert général des conceptions zoroastriennes.
Remarquons la préexistence des ruvan. En effet, ceux-ci, faut-il savoir,
viennent des dieux et retourneront chez eux, même ayant appartenu à des
drugvant « égarés » et même ayant, de ce fait, séjourné plus ou moins
longtemps dans l’enfer DƗužahava. Selon le DƝnkard46, la substance du ru-
van, pour venir du monde lumineux, est inaltérable, quand bien même le
commerce des Daiva lui eût infligé, dans le DƗužahava, de prendre la kUUp
« forme » de la grenouille ou du scorpion.
Les VizƯdagƯhƗ Ư ZƗdsparam47 font, quant à elles, état d’une classifica-
tion fine et complexe, voire un peu confuse, des parties immatérielles de
l’individu dans laquelle, semble-t-il, le ruvan porte le nom de lvb’n| Y BYN
tn| (ruvƗn Ư andar tan) s’il se trouve encore dans le corps, mais celui de
lvb’n| Y BYN l’s (ruvƗn Ư andar rƗh) « ruvan qui est en chemin » s’il l’a
quitté par opposition à la dainƗ qui reçoit le nom de lvb’n| Y PVN mynvd’n|
’hv’n| (ruvƗn Ư pad mainiiaoiiƗn axvƗn) « ruvan qui est dans l’existence des
(dieux) MƗnyava », c’est-à-dire en donnant cette fausse impression que

44
Pour la construction de cișra- avec l’ablatif, cf. Y 32.3ab (voir Pirart 2007a : 64).
45
DD 16.4.1 et 24.3, mais il n’est pas exclu que nous devions plutôt lire mynvd [Y] tn|
« la tannj mƗnyavƯ, la personne abstraite ». Les Livres pehlevis recourent à l’avestique mai-
niiaoiia- (manyaviya-) pour rendre aussi bien manyu- que mƗnyava-.
46
Dk 3.22.
47
VZ 30.38-61.

37
l’âme-moi ne serait pas un élément mƗnyava « abstrait ». En disant que la
dainƗ est une âme située dans les existences des MƗnyava, il est probable-
ment voulu dire qu’elle appartenait déjà au monde des divinités abstraites ou
célestes tandis que le ruvan, dans un premier temps, tout « abstrait » qu’il
soit, n’appartient pas encore à ce monde des dieux.
Vu la proximité de nature qui existe entre eux, il est assez attendu que
certains passages rassemblent Vahu Manah, l’allégorie de la pensée que le
sacrifiant développe dans le bon rituel, et les ruvan des harmonieux (UUta-
van) :

Y 42.4.1 manǀ vohnj urunascƗ a¹Ɨunąm yazamaidƝ .·.


Nous offrons le sacrifice au Penser bon et aux ruvan des harmonieux ;
Y 49.10-11 ta7cƗ mazdƗ V șȕahmƯ Ɨdąm nip¿«hƝ V manǀ vohnj V urunascƗ
a¹Ɨunąm V nΩmascƗ yƗ V Ɨrmaitiš ƯžƗcƗ V mązƗ.xšașrƗ V vazdaƾhƗ auuÈ
mƯrƗ .·.
a7 dušΩxšașrÈQg V duš.ĞiiaoșanÈQg dužuuacaƾhǀ V duždaƝnÈQg V duš.ma-
naƾhǀ drΩguuatǀ V akƗiš xvarΩșƗiš V paitƯ uruuąnǀ paitiieiQtƯ V drnjjǀ dΩmƗnƝ
V
haișiiƗ aƾhΩn astaiiǀ .·.48
Voici ce que tu abrites dans ta demeure, MazdƗ : Vahu Manah49, les Ru-
van des Utavan et Namah qu’accompagnent les (déesses) Aramati ou IžƗ et qui
permet (aux pieux adorateurs) d’exercer une influence sur les dieux, de les
vénérer et de les intéresser ;
mais, du fait de leur mauvaise influence, de leurs gestes mauvais, de leurs
paroles mauvaises, de leur mauvaise dainƗ et de leurs pensées mauvaises,
leurs (propres) ruvan font tribut de mauvaises nourritures aux Drugvant50. Ils
seront, pour leur (acte) cultuel, des hôtes dans la maison de Druj51 ;
Yt 13.74 Ɨsn¿ [yazamaide <.·.>] man¿ yazamaide .·. daƝn¿ [yazamai-
de .·.] saošiiaQtąm yazamaide .·. urunǀ [yazamaide .·.] pasukanąm yazamai-
de .·. ... frauua¹aiiǀ yazamaide .·.
Nous offrons le sacrifice aux pensées [Nous offrons le sacrifice] nobles
(ou : innées). Nous offrons le sacrifice aux dainƗ [Nous offrons le sacrifice]

48
tat ca mazdƗ V șvahmi Ɨ dam nipƗhai V manah vahu V rnjnah ca Utaunaam V namah
ca yƗ aramatiš ižƗ ca V manzaxšașrƗ V vazdahƗ avamƯrƗ .·. at dušxšașrƗnh V duĞĞyƗu-
V

șnƗnh dužvacahah V duždainƗnh V dužmanahah drugvatah V akƗiš hvarșƗiš V pati


ruvanah yanti V drujah dmƗnai V hașyƗ ahan astayah .·..
49
L’énumération comprend des entités abstraites symbolisant divers aspects ou ingré-
dients de la cérémonie sacrificielle : la pensée bonne, l’âme-moi des sacrifiants, l’hommage
rendu aux dieux, la déférence et l’offrande.
50
Ces personnages « que le dysfonctionnement ou l’erreur accompagne », comme bénéfi-
ciaires de tributs, devraient être les démons plutôt que les impies.
51
La demeure de l’anharmonie, erreur ou dysfonctionnement, désignation d’un au-delà
infernal (voir Chapitre VII 1.6).

38
des Saušyant52. Nous offrons le sacrifice aux ruvan [Nous offrons le sacrifice]
des animaux domestiques .... Nous offrons le sacrifice à leurs fravUti.

4.2. Dieux, animaux, végétaux, femmes, etc.

Outre l’homme ou la femme, d’autres êtres, selon les conceptions zoro-


astriennes, possèdent un ruvan53 : les dieux et les animaux. Si le ruvan de
la vache ou celui de la Vache prototypique sont souvent mentionnés54, les
textes rendent aussi un culte à ceux des différentes espèces animales domes-
tiques et sauvages :

V 13.55 para ahmƗ7 ya7 iįa udra.janǀ V hașra jatǀ nijanƗite V ya7 vƗ
aƝtahe udrahe V upa.dahmΩm55 uruuƗnΩm frƗiiaz¿Qte V șri.aiiarΩm șri.xša-
parΩm V 56saociQta7 paiti Ɨșra7 V frastΩrΩtƗ7 paiti barΩsmΩn V uzdƗtƗ7 paiti
haomƗ7.·.
jusqu’à ce que les tueurs de loutres soient exécutés simultanément ou que,
feu allumé, barsman57 brandi et hauma préparé, ils offrent, durant les trois
jours et les trois nuits (qui suivent son trépas), le sacrifice au ruvan assez
expert de cette loutre58 ;
Y 39.1-2 ișƗ Ɨ7 yazamaidƝ gÈuš uruuƗnΩmcƗ tašƗnΩmcƗ V ahmƗkÈQg Ɨa7
urunǀ pasukanąmcƗ V yǀi n¿ jƯjišΩQtƯ V yaƝibiiascƗ tǀi Ɨ V yaƝcƗ aƝibiiǀ Ɨ
aƾhΩn .·. daitikanąmcƗ aidiinjnąm hiia7 urunǀ yazamaidƝ .·.
a¹Ɨunąm Ɨa7 urunǀ yazamaidƝ V kudǀ.zƗtanąmcƯ7 narąmcƗ nƗirinąmcƗ V
yaƝšąm vahehƯš daƝn¿ V vanaiQtƯ vƗ vÈQghΩn vƗ vaonarÈ vƗ .·.
C’est ainsi que nous offrons le sacrifice à Gauš Ruvan et à Gauš Taxšan59,
mais nous offrons aussi le sacrifice à nos ruvan, à ceux des bestiaux qui
cherchent à gagner notre faveur60, à ceux de ceux pour qui ils sont présents, à

52
Je ne sais au juste si ces saušyant « qui apporteront l’opulence » sont les combattants
eschatologiques, les « futurs invigorateurs » qui doivent naître de l’union des ruvan et des
dainƗ, ou si c’est ici la désignation plus générale des sacrifiants du futur.
53
Le Dk 3.123.1 mentionne l’homme, le bétail et les « autres vivants ».
54
Sur le ruvan de la vache, voir ci-dessous 5.
55
Bartholomae (1904 : col. 1277) admet upa+frƗ+√ yaz, ce que le V 9.56 ne permet pas
de confirmer. Dans upa.dahma-, je donne à upa+ la valeur d’atténuation (« assez ») qu’il peut
avoir en sanscrit.
56
Les ablatifs qui suivent sont mis pour des locatifs. Le zand préfère une suite d’abstraits
instrumentaux suivis de compléments à une suite de locatifs absolus : PVN svcšn| <Y> QDM
’t’š <V> pr’c vstlšn[yh] <Y> QDM blsvm <V> LALA dhšn| <Y> PVN hvm[Y] .·. (correc-
tions par rapport à Jamasp 1907 : 490).
57
Faisceau de branches avec lequel le prêtre exécute certains mouvements.
58
La loutre était un animal vénéré pour l’entretien qu’il assure des rivières.
59
Sur ce tandem, voir ci-dessous 5.
60
La faveur que ces bestiaux cherchent à gagner est celle que le sacrifice qu’ils sont par
nature incapables de célébrer par eux-mêmes les sauve : leur immolation est le moyen de leur
assurer une existence dans l’au-delà (voir ci-dessous 5).

39
ceux de ceux qui le sont pour eux, aux ruvan des animaux sauvages pour
autant qu’ils soient inoffensifs.
Nous offrons aussi le sacrifice aux ruvan des Utavan hommes et femmes,
quelle que soit leur origine, de qui les meilleures dainƗ sont, seront ou furent
victorieuses ;
Yt 13.74 Ɨsn¿ [yazamaide <.·.>] man¿ yazamaide .·. daƝn¿ [yazamai-
de .·.] saošiiaQtąm yazamaide .·. urunǀ [yazamaide .·.] pasukanąm yazamai-
de .·. daitikanąm yazamaide .·. upƗpanąm yazamaide .·. upasmanąm yaza-
maide .·. fraptΩrΩjƗtąm61 yazamaide .·. rauuascarƗtąm yazamaide .·. +caQ
graƾhƗcąm yazamaide .·. frauua¹aiiǀ yazamaide .·.
Nous offrons le sacrifice aux pensées [Nous offrons le sacrifice] nobles
(ou : innées). Nous offrons le sacrifice aux dainƗ [Nous offrons le sacrifice]
des Saušyant. Nous offrons le sacrifice aux ruvan [Nous offrons le sacrifice]
des animaux domestiques et à ceux des sauvages, qu’ils soient aquatiques,
chtoniens ou ailés, libres de leurs mouvements ou attachés à une longe. Nous
offrons le sacrifice à leurs fravUti.

Plusieurs autres passages se donnent la peine d’indiquer la possibilité du


féminin, montrant ainsi que les femmes possèdent un ruvan au même titre
que les hommes :

Aog 48 †cim62 aošaƾvh¿ aošaƾvhaitƯ V ąstΩm ×isaite63 ×tanuui64 V †cim


×
uruni65 †cim frazΩQta V †cim vƗ gaƝșƗhuua mahrkașΩm
Pourquoi rechercher, que l’on soit mortel ou mortelle66, l’affliction de sa
tannj, de son ruvan et de sa descendance ou la destruction de ses bestiaux ?67 ;
FrD 3 nǀi7 cahmi68 ×zazuu¿69 V yǀ nǀi7 urune70 ×zazuu¿71 V nǀi7 cahmi72
×
zazuši73 V 74×yƗ nǀi7 ×urune75 ×zazuši76 V 77naƝciš ×așa78 zarașuštra snjš79
yașa80 hƯm81 ƗdarΩ ma¹iiƗka82

61
Sur ce mot, Pirart 2007b : 109 n. 479.
62
La série de fragments avestiques appelée AogΩmadaƝcƗ a été éditée et traduite par
JamaspAsa (1982) [Ja]. Le sens de l’interrogatif cim, un hapax legomenon, suggéré par la
traduction pehlevie, ne peut être confirmé par ailleurs. Sans doute est-ce un adjectif accordé
avec ąstΩm ... mahrkașΩm. Faudrait-il dès lors corriger cim en ×cnjm et y voir l’accusatif sg.
d’un thème cƯva- ?
63
Ja isaiti. Le moyen possessif me paraît préférable.
64
Ja tanuua.
65
Ja uruna.
66
Ce sens de aošaƾvhaQt- « soumis à destruction, mortel » que la traduction pehlevie
rend par ǀš-ǀmand, traditionnel, se heurte à l’étymologie : aušah+vant- « possesseur ou
accompagné d’un moyen de brûler ».
67
Ja : « Why does a mortal desire affliction unto a mortal; in respect to the body, why in
respect to the soul, why (does he desire) destruction unto the progeny or why unto the worldly
possessions ? »
68
Jp1, Ho ; ahmi K4, Jp 129 ; jahmi B29, R ; zahi M55. Sur le texte et les manuscrits du
Fragment Darmesteter (FrD), voir Hoffmann 1968 : 283 sqq. [Ho].
69
zazuua Jp1, Ho ; zazuša K4, Jp129 ; zauua B29, R, M55.

40
N’a rien gagné celui qui n’a rien gagné pour (son) ruvan. N’a rien gagné
celle qui n’a rien gagné pour (son) ruvan. Aucune prospérité ne s’(y)83
donne, (sache-le,) Zaraduštra, qui soit du genre de celle que disent les mor-
tels84 ;
Y 26.4.1 (= Yt 13.149.1)85 paoiriianąm 7kaƝšanąm V paoiriianąm sƗsnǀ.-
gnjšąm V iįa a¹aonąm a¹aoninąmca V ahnjmca 86 daƝnąmca baoįasca 87 V
uruuƗnΩmca frauua¹Ưmca yazamaide V yǀi a¹Ɨi88 vaonarΩ .·.

70
Jp1, K4, Jp129, B29, Ho ; urąn R ; urąni M55.
71
zazuua Jp1, Ho ; zazuša K4, Jp129, B29, R, M55.
72
Jp1, K4, Jp129, Ho ; zahmi B29, R, M55.
73
Ho ; zazuša Jp1, K4 (ou zazuši ?), Jp129 ; zazuš B29, R, M55.
74
La ligne manque dans Jp1, K4, Jp129. Pour le premier mot, Ho ; manuscrits yǀ.
75
Ho ; manuscrits uruuąni.
76
Ho ; zazuš M55 ; jazuš B29, R.
77
Manque dans B29, R, M55.
78
Comme corrélatif de yașƗ, contre les manuscrits (aįa Jp1, Jp129 ; iįa K4, Ho).
79
Jp1, Jp129, Ho ; siš K4. Sur ce nom-racine, Kellens 1974a : 100 sq.
80
K4, Ho ; yașƗ Jp1, Jp129.
81
Manque dans Jp1.
82
K4, Ho ; mašiiƗka Jp1, Jp129.
83
Dans l’au-delà? Hoffmann, qui lit iįa « ici » au lieu de ×așƗ « ainsi », donne la tra-
duction suivante : « Here on earth there is not any prosperity, Zarathustra, as ordinary people
call it ». Kellens (2006-2010 : III 106) fait de iįa l’adverbe de temps « à présent » (= védique
id»).
84
La teneur de ce passage rappelle celle du MX 0.27-34 ud az abestƗg paydƗg .·. knj-š nƝ
tis grift kƝ-š nƝ uruuƗn grift [.·. ud] tƗ <ǀ> nnjn <.·. ud> nƝ tis gƯrƝd kƝ nƝ uruuƗn gƯrƝd [.·.]
az-iz nnjn frƗz .·. cƝ mainiiaoii ud gaƝișii Ɲdǀn homƗnƗg ciyǀn ×drubušt Ư×1 dǀ .·. Ɲk Ɲvar
paydƗg knj be stƗnend ud Ɲk stadan nƝ šƗyed .·. « Et, sur base du texte original, ceci est clair :
n’a rien pris qui n’a pris ruvan, jusqu’ici, et ne prendra rien qui ne prendra ruvan, dorénavant.
Car les (mondes) mƗnyava (= abstrait, divin) et gaișiya (= concret, matériel) sont comparables
à deux forteresses : l’une se trouverait à notre portée tandis que l’autre nous resterait hors
d’atteinte ». Note : 1. Anklesaria (1913) dlpvšt|yh.
85
Certains manuscrits, suivis par les traductions médiévales, rattachent à Y 26.4.1 les
mots yǀi aișiiajaƾhǀ a¹auuanǀ .·. qui, chez Geldner, referment le paragraphe précédent, mais
le Yt 13.149 s’y oppose. Le passage est à rapprocher de Yt 13.155.1 vanΩQtąm va«hΩQtąm
×
vaonušąm1 daƝnǀ.sƗcąm iįa a¹aonąm a¹aoninąmca V ahnjmca daƝnąmca baoįasca V uruuƗ-
nΩmca frauua¹Ưmca yazamaide V yǀi a¹Ɨi2 vaonarΩ .·. « Nous offrons ici le sacrifice à l’ahu, à
la dainƗ, au baudah, au ruvan et à la fravUti des Utavan et des UtaunƯ qui, pour avoir étudié la
DainƗ (= la Religion), obtiennent, obtiendront ou obtinrent la victoire, pour la victoire qu’ils
(obtiennent, obtiendront ou) obtinrent grâce à l’harmonie». Notes : 1. Geldner vaonƗšąm. |||
2
. Mis pour l’instrumental ? Kellens (2006-2010 : III 106) accepte le datif : « ont [...] vaincu
pour (le triomphe de) l’Agencement ».
86
Dans le zand, ce mot, rendu par ’hv’n|, est glosé par g’s « socle » (voir Chapitre VII 2),
mais je ne vois pas bien pourquoi Bartholomae (1904 : col. 283) pose 2ahnj- fém. « Lebens-
kraft » pour ce seul passage. Pour moi, il est ici question de l’ahu manahiya « l’état d’être
mental, rituel ou abstrait », c’est-à-dire le statut non profane que les sacrifices accomplis ont
conféré à l’individu. Sur cet ahu, voir Chapitre VII 1.1.
87
Dans le zand, ce mot, rendu par bvd, est glosé par ’šn’k « acquainted with» (Mackenzie
1971), mais il est possible que ce soit le fruit d’une corruption pour ×’šnv’kyh « sens de
l’ouïe » si ce baudah doit être celui des étudiants auditeurs.
88
Mis pour l’instrumental ?

41
Nous offrons ici le sacrifice à l’ahu89, à la dainƗ, au baudah, au ruvan et à
la fravUti des premiers docteurs et à celles des premiers Utavan et UtaunƯ à
avoir écouté les leçons, pour la victoire qu’ils obtinrent grâce à l’harmonie ;
Yt 13.148 90vƯspanąmca ¿ƾhąm a¹aonąm a¹aoninąmca V iįa91 yazamai-
de frauua¹Ưš92 V yaƝšąm yašΩșȕa7ca93 uruuąnǀ V zaoii¿sca frauua¹aiiǀ .·.
×
94
vƯspanąmca ¿ƾhąm a¹aonąm a¹aoninąmca V iįa yazamaide ×frauua¹Ưš95 V
yaƝšąm nǀ ahurǀ mazd¿ a¹auua V 96yesne paiti va«hǀ vaƝįa .·. vƯspanąmca97
aƝšąm zarașuštrΩm V paoirƯm vahištΩm ƗhnjirƯm snjsrnjma98 7kaƝšΩm .·.
Nous offrons de la sorte le sacrifice aux fravUti de tous les Utavan et de
toutes les UtaunƯ aux ruvan et aux fravUti desquels il (nous) convient d’offrir le
sacrifice et d’adresser nos appels. Nous offrons de la sorte le sacrifice aux
fravUti de tous les Utavan et toutes les UtaunƯ au cours de chaque sacrifice
desquels Ahura MazdƗ sait ce qui est le mieux pour nous sur base de
l’agencement. Et nous avons écouté que, parmi tous ces (Utavan), Zaraduštra
fut le premier ou le meilleur docteur et adorateur d’Ahura (MazdƗ).

Fût-il celui d’une femme, le ruvan, faut-il souligner, est une entité
masculine. Cependant, la liste complète des êtres possesseurs d’un ruvan ne
peut être dressée avec certitude puisque les textes restent silencieux non
seulement concernant les végétaux ou les minéraux, mais aussi concernant
la plupart des divinités, car, ne l’oublions pas, parmi ces dernières, figurent
aussi des montagnes, des plantes ou des rivières. Les choses ne sont claires
qu’à propos d’Ahura MazdƗ ou du groupe des AmUUta Spanta :

Yt 13.83-84 yǀi hapta hamǀ.manaƾhǀ V yǀi hapta hamǀ.vacaƾhǀ V yǀi


hapta hamǀ.Ğiiaoșn¿ƾhǀ V yaƝšąm asti hamΩm manǀ V hamΩm vacǀ hamΩm
ĞiiaoșnΩm V hamǀ pataca frasƗstaca V yǀ daįuu¿ ahurǀ mazd¿ .·.

89
Voir la note 86.
90
La corrélation ¿Ëhąm ... yaƝšąm étant boiteuse, les mots vispƗnƗm ca ƗhƗm doivent
être mis pour vispaišƗm ca aišƗm.
91
Lire ×ișa ?
92
Geldner frauua¹Ưm.
93
yašÅșȕa7ca ... zaoii¿sca < yaštvƗ ca ... zaviyƗh ca : mise en parallèle du nominatif
masculin pluriel de l’adjectif verbal d’obligation en -șva- de ¥ yaz avec le nominatif féminin
pluriel de celui en -iya- de ¥ znj.
94
Voir la note 90.
95
Geldner frauua¹Ưm.
96
Passage inspiré de Y 27.15.3.
97
Mis pour vispaišƗm ca.
98
Cf. Yt 13.89.3. Sur l’emploi du parfait snjsrnjma, voir Kellens 1984a : 417.

42
yaƝšąm ainiiǀ ainiiehe V uruuƗnΩm aiȕi.vaƝnaiti V mΩrΩșȕΩQtΩm99 huma-
taƝšu V mΩrΩșȕΩQtΩm hnjxtaƝšu V mΩrΩșȕΩQtΩm huuarštaƝšu V mΩrΩșȕΩQtΩm
garǀ nmƗnΩm V yaƝšąm raoxšn¿ƾhǀ paQtƗnǀ V Ɨuuaiiatąm auui zaoșr¿ºoº
(les AmUta Spanta) qui tous les sept sont d’une même pensée, qui tous les
sept sont d’une même parole, qui tous les sept sont d’un même geste, qui ont
une même pensée, une même parole et un même geste, un même père et
instructeur dans la personne du fondateur Ahura MazdƗ,
(les AmUta Spanta) qui l’un de l’autre se contemplent le ruvan qui médite
sur les pensées bonnes, les paroles bonnes et les gestes bons (ou : qui médite
dans Humata, dans Huuxta, dans HuvUšta), qui médite dans Garah DmƗna100,
(les AmUta Spanta) qui, par des chemins de lumière, descendent rejoindre les
libations (qui leur sont offertes sur l’aire sacrificielle).

Cependant, le FravardƯn Yašt nous permet de combler, en partie du


moins, notre incertitude : s’il y est fait état du culte rendu aux fravUUti de ces
divinités dignes d’être l’objet des honneurs sacrificiels que sont les Ya-
zata101, ne devons-nous pas admettre que leurs ruvan devaient tout aussi
bien exister même si, dans le détail, ceci ne va pas toujours de soi102 ?
Le Manșra Spanta, ensemble des textes de la religion mazdéenne zoro-
astrienne, passe pour constituer le ruvan du grand dieu :

V 19.14.1 nizbaiiaƾvha tnj zarașuštra ×frauua¹Ưm103 V mana ya7 ahurahe


mazd¿ V auuąm yąm mazištąmca vahištąmca sraƝštąmca V xraoždištąmca
xrașȕištąmca 104 hukΩrΩptΩmąmca V a¹Ɨ7.apanǀtΩmąmca 105 V ye«he uruua
mąșrǀ spΩQtǀ .·.

99
Ce dérivé en +vant- du nom-racine de ¥ hmar est-il mis pour le participe présent ?
Quoi qu’il en soit, remarquons que l’abandon de l’octosyllabisme pour les lignes ouvertes
avec ce mot reste bien suspect.
100
La « maison du chant de bienvenue », désignation d’un au-delà paradisiaque dont
Humata « bien pensé », Huuxta « bien dit » et HuvUUšta « bien exécuté » sont les anti-
chambres. Voir Chapitre VII 1.2 et VII 3.1.
101
Yt 13.85-86.
102
Que faut-il donc entendre par « fravUti ou ruvan du Végétal » ? Cf. Y 12.7ab ×yƗ-
uuaran¿ Ɨpǀ +yƗuuaran¿ uruuar¿ (voir Chapitre VI 1.4).
103
Avec Pirart (2007b : 38 n. 10), contre Geldner frauua¹iš.
104
xrașȕišta- est monstrueux pour *xratumastΩma-. À ce propos, signalons que le Yt 1.7
donne le nom de xratumaQt- à Ahura MazdƗ.
105
ºca, interdit pour celle d’épithètes, est licite, voire obligatoire, pour la coordination
d’attributs. Dans le composé a¹Ɨ7.apanǀtΩma- dont la réalité se déduit de la position de ºca, le
premier terme, de valeur instrumentale, a pris, sur décision de la diascévase, la forme de
l’ablatif afin d’éluder le sandhi ou de l’analyser. Kellens (2006-2010 : I 12), qui ne reconnaît
pas la composition, fait confiance à la forme de l’ablatif : « qui, le premier, depuis l’Agence-
ment, a atteint (les chemins directs) ». Le diascévaste du Yt 11.9.2 (= Yt 11a.3.2, Y 57.4.2),
quant à lui, devait opter pour la forme du génitif1 : ratnjm bΩrΩzaQtΩm2 yazamaide V yim
ahurΩm mazdąm V yǀ a¹ahe.apanǀtΩmǀ V yǀ a¹ahe.jaȖmnjštΩmǀ3 .·. « Nous offrons le sacrifice
à Ratu BUzant2 qui n’est autre qu’Ahura MazdƗ, celui qui le mieux atteint son but avec 5ta,
qui le mieux (nous) vient (en aide) avec 5ta ». Vu la position de ºca, a¹Ɨ7.apƗnǀtΩma- ne peut

43
Invoque donc, Zaraduštra, la mienne fravUti si je suis Ahura MazdƗ, elle
qui est la plus grande, la meilleure et la plus belle, la plus dure et la plus
performante, la plus à même d’arriver à ses fins au moyen de l’harmonie, moi
qui ai le Manșra Spanta pour ruvan ;
Yt 13.81.1 ye«he uruua mąșrǀ spΩQtǀ V aurušǀ raoxšnǀ frƗdΩrΩsrǀ V
kΩhrpasca y¿ ×raƝșȕaiiete 106 V srƯr¿ amΩ¹anąm spΩQtanąm V vΩrΩzd¿
amΩ¹anąm spΩQtanąm .·.
(Ahura MazdƗ) de qui le ruvan est le Manșra Spanta, rose, brillant et
admirable, qui mélange (avec la sienne) les belles kUp (= qui adopte les traits)
des AmUta Spanta, les (kUp) invigorées des AmUta Spanta.

Dans ce dernier passage, le ruvan d’Ahura MazdƗ, faut-il voir, est syn-
taxiquement mis sur le même pied que l’ensemble de ses kUUp, mais cette
précieuse indication ne peut être exploitée de façon sûre en raison de l’in-
certitude sémantique qui grève non seulement ce mot, grosso modo « ap-
parence, corps, rôle », mais aussi le syntagme dans la formation duquel il
entre avec le verbe raƝșȕaiia- que j’ai rendu par « adopter ». Nous y revien-
drons donc dans le Chapitre III qui traitera des corps et formes, mais,
pouvons-nous avancer, l’idée doit être celle du mécanisme générateur des
hypostases du grand dieu que sont la série des entités divines abstraites
appelées AmUUta Spanta « Immortels savants »107.

qu’être un composé. Ces qualifications peuvent s’appliquer aussi à Ahura MazdƗ lui-même :
Y 1.1.2 xraoždištaheca xrașȕištaheca hukΩrΩptΩmaheca a¹Ɨ7.apanǀtΩmaheca .·. « (sacrifice
au cours duquel les noms de) "très dur", de "très performant", de "possesseur d’excellentes
manifestations" et de "mieux arrivant à ses fins au moyen de l’agencement" (sont donnés à
Ahura MazdƗ) ». La finale ablative du premier terme du composé a¹Ɨ7.apanǀtΩma- est donc
d’origine diascévastique. L’alternative du génitif que nous trouvons dans le Yašt, a¹ahe.-
apanǀtΩmǀ ... a¹ahe.jaȖmnjštΩmǀ « le plus à même d’arriver à ses fins au moyen de l’Agence-
ment ou de (nous) venir (en aide) au moyen de l’Agencement », ne fournit pourtant pas de
réponse fiable à la question du statut sémantique du premier terme puisque le génitif arboré
ne peut convenir naturellement à l’expression d’aucun type de complément que ce soit du par-
ticipe apƗna-. Comme la métrique des relatives nous invitent à reconnaître sous a¹ahe une
forme de deux syllabes seulement, je fais la conjecture de l’instrumental en m’inspirant de RS
9.80.1b Uténa dev»n havate divás pari « l’Agencement permet (au jet de Soma) d’appeler (et
de faire venir) les Deva du haut du ciel ». Notes : 1. Quoique le zand suggère plutôt l’ablatif :
MNV MN ’hl’dyh QDMtvm (scr. [pour Y 1.1] puQyƗt pradhƗnatamaPca « le plus important
grâce au 5ta »). Dehghan (1982 : 27 et 59) admet un génitif objectif, ce qui est inacceptable
grammaticalement : « welcher der beste Erlanger der Wahrhaftigkeit [...] (ist) ». ||| 2. « Plan
Haut », désignation du sommet de l’organigramme divin et de son principe. ||| 3. Phl. MNV
MN ’hl’dyh mt’ltvm. Le second terme, me semble-t-il sur base du védique ávas»gamiVWha-
(sur quoi Pirart 1995-2000 : II 300), sous-entend auuaƾha « en aide ». Dans cette hypothèse,
la première des deux relatives en yǀ exprimerait un mouvement ascendant et la seconde, un
mouvement descendant : le char du bon agencement rituel (cf. a¹auuƗzah- « qui a 5ta pour
véhicule », sur quoi Pirart 2004a : 261) permettrait à la divinité tout à la fois d’être ce qu’elle
est, c’est-à-dire d’avoir atteint le but, et, en retour, de venir en aide à son adorateur. Les deux
mouvements, pour caractériser la divinité, sont exprimés au parfait.
106
À mes yeux, le moyen possessif est requis, contre Geldner raƝșȕaiieiti.
107
Voir Chapitre III 2.4.

44
4.3. Le culte de l’âme

Comme ils sont objets d’un culte au même titre que les dieux et que
même ces derniers n’hésitent pas à leur offrir le sacrifice (Yt 13.50.2)108,
qu’ils soient ceux d’animaux ou d’humains, à commencer par celui du
propre sacrifiant ou celui de la vache qui l’accompagne sur l’aire
sacrificielle, force nous est de penser que Zoroastre rangeait les ruvan au
nombre des Yazata :

Vr 11.1 ahurƗi mazdƗi V haomą ƗuuaƝįaiiamahƯ 109 V 110 ya7 uzdƗtΩm


sΩuuištΩm V vΩrΩșraȖne frƗda7.gaƝșƗi V ya7 huxšașrƗi a¹aone V ya7 ratu-
xšașrƗi a¹aone .·. amΩ¹aƝibiiǀ spΩQtaƝibiiǀ V haomą ƗuuaƝįaiiamahƯ .·.
aiȕiiǀ vaƾvhibiiǀ V haomą ƗuuaƝįaiiamahƯ .·. 111hauuahe urunǀ V haomą
ƗuuaƝįaiiamahƯ .·. 112vƯspaii¿ a¹aonǀ stǀiš V haomą ƗuuaƝįaiiamahƯ .·.
Nous consacrons les hauma pour Ahura MazdƗ, qui ont été préparés de
façon à lui donner la plus grande opulence, lui qui parvient à briser les
obstacles démoniaques et à multiplier les troupeaux, le Utavan sur qui
l’influence rituelle est bonne à exercer, le Utavan sur qui l’influence rituelle
est à exercer dans le respect des séquences. Nous consacrons les hauma pour
les AmUta Spanta113. Nous consacrons les hauma pour les bonnes rivières.
Nous consacrons les hauma pour notre propre ruvan. Nous consacrons les
hauma pour la sti114 de chaque Utavan ;
Y 3.4 ima7 barΩsma haįa.zaoșrΩm haįa.aiȕii¿ƾhanΩm V a¹aiia frastarΩ-
tΩm Ɨiiese yešti115 V xšnnjmaine amΩ¹anąm spΩQtanąm .·. vƗca humata hnjxta

108
Voir ci-dessous 4.6.
109
Pour le sens de ce verbe, voir Kellens 2006-2010 : I 58.
110
Mis pour l’accusatif masculin pluriel (Bartholomae 1904 : col. 719 ; voir Kellens
2006-2010 : III 92).
111
Mis pour le datif (hvahmƗi runai), mais, selon Kellens (2006-2010 : III 92 sq.), qui
s’appuie sur le Y 1.18 (voir Chapitre VI 3.4), nous devrions lire hauuahe urunǀ <frauua¹Èe>
et comprendre comme suit : « nous consacrons les haomas à (l’âme-élective de) notre âme-
moi ». Ni le zand ni le Y 3.4 ne me paraissent le permettre.
112
Mis pour vispahyƗi Utaunah stayai.
113
Catégorie de divinités abstraites constituant des synecdoques du sacrifiant. À côté
d’Ahura MazdƗ, la liste canonique nomme le Penser bon, l’Agencement excellent, l’Exer-
cice recommandé de l’influence rituelle, la Déférence savante, l’Immortalité et l’Exhaustivité.
114
L’ensemble des mérites (voir Chapitre IV 2).
115
Kellens (2006-2010 : I 30), qui le traduit par « j’introduis », critique légèrement l’ana-
lyse que j’ai produite de ce syntagme (Pirart 1997b). Ne serait-il possible que la racine ¥ yas
(= védique YAĝ, < pie. ¥ *HeN?), par laquelle j’explique Ɨiiese « je donne capacité » et yešti
« avec don de capacité », fût aussi celle du verbe isƝ (= védique ÇĞe, < pie. *Hí-HiN-H2oi) « je
suis capable » qui, dès lors, en raison de la place différente de la vocalisation radicale, ne
serait pas directement apparentée au gotique aih « je possède » (< pie. √ *HeiN-, voir Mayr-
hofer 1992-2001 : I 207) ?

45
huuaršta Ɨiiese yešti .·. gƗșanąmca sraoșrΩm [Ɨiiese yešti .·.] huuaršt¿
mąșr¿ [Ɨiiese yešti] .·. imąm aƾhuiiąmca ašiiąmca116 V rașȕąmca ratufri-
tƯm[ca]117 Ɨiiese yešti V xšnnjmaine118 yazatanąm a¹aonąm V mainiiauuanąm
gaƝșiianąm V [xšnnjmaine]119 hauuaheca urunǀ ºoº
En même temps que la libation (ou : la fonction de zautar120) et la cein-
ture, je mets en vigueur de la sorte ce barsman qui a été brandi avec souci
d’harmonie par égard pour les AmUta Spanta. Je valide de la sorte les deux
textes bien pensés, bien dits, bien accomplis que sont le GƗșƗnƗm Sraușra et
la collection des HuvUšta Manșra121. Je valide de la sorte l’ahuyƗ122, la
UtayƗ123 et la ratufrƯti des ratu124 par égard pour les Yazata harmonieux,
qu’ils soient mƗnyava ou gaișiya125, et mon propre ruvan ;
Y 4.2 Ɨa7 dƯš ƗuuaƝįaiiamahƯ V ahurƗica mazdƗi V sraošƗica a¹iiƗi126 V
amΩ¹aƝibiiasca spΩQtaƝibiiǀ V a¹Ɨunąmca frauua¹ibiiǀ V a¹Ɨunąmca uruuǀi-
biiǀ V ƗșraƝca ahurahe mazd¿ V rașȕaƝca bÅrÅzaite V vƯspaii¿s[ąca7]ca127
a¹aonǀ stǀiš V yasnƗica vahmƗica xšnaoșrƗi frasastaiiaƝca .·.
Nous les consacrons pour honorer du sacrifice, du chant, des attentions et
de la proclamation128 Ahura MazdƗ, Srauša 5taya129, les AmUta Spanta, les
fravUti des Utavan, les ruvan des Utavan, ƖtU (fils) d’Ahura MazdƗ, Ratu
BUzant et toute la sti du Utavan ;

116
Avec Bartholomae (1904 : col. 245 ; voir Kellens 2006-2010 : I 48), contre Geldner
aĞiiąmca.
117
Avec Kellens (2006-2010 : I 48).
118
La forme est celle de l’infinitif (xšnumanai), mais la rection génitive, celle du
substantif (xšnaumnai).
119
Avec Kellens (2006-2010 : I 48).
120
L’officiant chargé de réciter les manșra devant accompagner l’envoi des offrandes.
121
Parties liturgiques du corpus des textes sacrés, la première faite de récitations vieil-
avestiques ; la seconde, de manșra rédigés dans le dialecte moins ancien.
122
La volonté ou le projet de mettre en place l’existence rituelle.
123
La recherche du bon agencement des divers éléments du rite, la piété.
124
La satisfaction des divinités qui président aux divers éléments du rite.
125
Les entités divines abstraites et concrètes.
126
Je ne puis suivre Kellens (2006-2010 : I 59) quand il traduit sraoša- a¹iia- par
« l’Effort-pour-entendre qui accompagne la Mise-en-route ».
127
Selon Bartholomae (1904 : col. 580), il existerait une particule ºca7 « auch, selbst,
sogar » et nous devrions lire ×vƯspaii¿sΩ.ca7ca×, mais je vois mal comment ºca pourrait se
fixer sur cette particule. Bégaiement pour ×vƯspaii¿sca avec la métrique, mais contre FiO 728
ca7ca ašaǀnǀ stǀiš cyk’mcHD ZK Y ’hlvb’n| sty {KRA AYŠ HD l’d gvptk} « quelle qu’elle
soit, la sti du Utavan {pour tout un chacun en particulier} ». Cependant, comme FiO ne le
reprend pas, je ne puis écarter que ×vƯspaii¿sΩ soit secondaire, se soit introduit sous
l’influence des nombreuses attestations de la ligne vƯspaii¿ a¹aonǀ stǀiš. Dans cette
alternative, ca7 serait une forme particulière ou atrophiée de caiti (= védique káti) « chaque ».
128
Sur cette énumération, voir Pirart 2006b : 111 n. 28.
129
Outre le grand dieu, l’énumération divine fait place aussi au Discours soucieux de
l’agencement, aux principales entités abstraites, aux Préférences des sacrifiants, à leurs âmes-
moi, au feu rituel, à l’Organigramme qui doit assurer le bon agencement des divers éléments
du rite et à l’ensemble des mérites des sacrifiants.

46
Y 63.3.1-4 ahurΩm mazdąm V a¹auuanΩm a¹ahe ratnjm yazamaide V
amΩ¹Ɨ spΩQtƗ huxšașrƗ huį¿ƾhǀ yazamaide .·. apǀ †a7 130 yazamaide V
a¹Ɨunąm urunascƗ frauua¹ƯšcƗ yazamaide .·.
Nous offrons le sacrifice à Ahura MazdƗ, le Utavan Ratu de 5ta131. Nous
offrons le sacrifice aux AmUta Spanta qui permettent d’exercer une bonne
influence et de faire de bonnes offrandes. Nous offrons aussi le sacrifice aux
Ap132. Nous offrons le sacrifice aux Ruvan et aux FravUti des Utavan ;
Yt 6.4 yǀ yazaite huuarΩ ya7 amΩ¹Ωm raƝm auruua7.aspΩm V paitištƗtÈe
tΩmaƾhąm V paitištƗtÈe tΩmascișranąm daƝuuanąm V paitištƗtÈe tƗiiunąmca
hazasnąmca V paitištƗtÈe yƗtunąmca pairikanąmca V paitištƗtÈe ișiiejaƾhǀ
marΩšaonahe V yazaite ahurΩm mazdąm V yazaite amΩ¹È spΩQtÈ V yazaite
haom uruuƗnΩm V xšnƗuuaiieiti vƯspe mainiiauuaca yazata gaƝșiiƗca [yǀ
yazaite huuarΩ ya7 amΩ¹Ωm raƝm auruua7.aspΩm]133 .·.
Celui qui offre le sacrifice au Soleil splendide, l’immortel que la richesse
accompagne et qui a des chevaux d’attaque, en vue de contrer les ténèbres, de
contrer les Daiva apparentés aux ténèbres, de contrer les voleurs et les vio-
lents134, de contrer les YƗtu et les ParƯkƗ135, de contrer Ĭyajah qui suit de
furtives routes136, c’est comme s’il offrait le sacrifice à Ahura MazdƗ, l’offrait
avec les/aux AmUta Spanta, l’offrait à son propre ruvan. Il donne satisfaction
à tous les Yazata MƗnyava et Gaișiya137[, qui offre le sacrifice au Soleil
splendide, l’immortel que la richesse accompagne et qui a des chevaux
d’attaque] ;
Yt 14.54.1-2 †aįƗ7 uiti frauuaĞata 138 .·. vΩrΩșraȖnǀ ahuraįƗtǀ V nǀi7
×
narš139 yesniiǀ vahmiiǀ V gÈušca uruua dƗmi.dƗtǀ V ya7 nnjrΩm140 viiƗmbura
daƝuua V ma¹iiƗka daƝuuaiiƗzǀ V vohunƯm vƗ tƗcaiieiQti V 141×pairiš.haƝkΩm
vƗ ×[pairiš.]hiQcaiQti .·.
Alors VUșragna 142 , lui qu’Ahura (MazdƗ) mit en place, modula cet
avertissement : « On ne peut offrir le sacrifice ni adresser le chant aux ruvan

130
Le zand, pour donner ’ytvn|, peut inviter à corriger a7 en ×ișa.
131
Le grand dieu est tout à la fois l’Organigramme qui doit assurer le bon agencement
des diverses composantes du rite et l’une de celles-ci.
132
Tout à la fois les Rivières et l’eau lustrale qu’elles fournissent.
133
Répétition scolaire.
134
Sans doute faut-il y voir deux classes d’êtres surnaturels qui cherchent à entraver ou à
saboter le parcours que les offrandes et les âmes doivent accomplir pour arriver chez les
dieux.
135
Classes de génies malfaisants mâles et femelles liés à la pratique de la sorcellerie.
136
Sur ce démon de l’abandon, voir Pirart 2007a : 142 n. 566.
137
Sur la répartition des divinités dignes d’être l’objet des honneurs sacrificiels entre
« abstraites » et « sériables, concrètes », voir Pirart 2006a : 25 sqq. ; 2010b.
138
Hoffmann & Narten (1989 : 65 n. 96) : « cf. RS vacyáte ‘wogen, heraussprudeln’ ».
139
Geldner narǀ.
140
Mis pour nu.
141
Avec Pirart (2006b : 32), contre Geldner frašaƝkΩm vƗ frašicaQti.
142
Sur ce dieu, voir Pirart 2006a : 57 sqq. ; 2010b.

47
de l’homme ou de la vache, (êtres) que DƗmi143 mit en place, tant que les
Daiva Viambura144 (et) les mortels qui leur rendent un culte feront couler le
sang et verseront de tels liquides (sur les victimes sacrificielles)145 ».

4.4. Le couple du Moi et de la Doctrine

L’importance ou le succès du récit concernant son sort post mortem fait


que le ruvan apparaisse souvent en compagnie de la dainƗ ou de la fravUUti :

H 1.4 aƝšǀ zƯ vƗxš zarașuštra V ΩrΩžuxįǀ framruuąnǀ V Ɨ vacǀ ahunǀ


vairiiǀ fraoxtǀ V 146 amaheca vΩrΩșraȖnaheca V uruuaca daƝnaca ×span-
uuaiQti147 .·.
Le Vac 5žugda148 que l’on récite, (sache-le,) Zaraduštra, n’est efficace
qu’avant le texte de l’Ahuna Variya149 (= que s’il en est suivi) : (ainsi en va-t-
il des textes150 dont les incipit sont respectivement) « D’Ama151 et de VUșra-
gna » et « Le ruvan et la dainƗ accompagnée de chiens » ;
Y 46.11 xšașrƗiš ynjjÈn V karapanǀ kƗuuaiiascƗ V akƗiš ĞiiaoșanƗiš V
ahnjm mΩrΩQgΩidiiƗi ma¹Ưm152 V yÈQg xvÈ uruuƗ V xvaƝcƗ xraoda7153 daƝnƗ V

143
= Ahura MazdƗ en tant qu’organisateur des mondes.
144
Sur ces démons, voir Pirart 2006a : 177 ; 2010b.
145
Peut-être s’agit-il d’opérations rituelles néfastes ou effectuées dans un ordre de suc-
cession jugé néfaste.
146
H 1.4d = V 18.64.2c. Désignation du Yt 14 (cf. S 1.20, Yt 8.12.5) ?
147
Bartholomae (1904 : col. 1616), se fiant aux traductions pehlevies (ici amƗvandƯh ud
pƝrǀzgarƯh ud ruvƗn ud dƝn be abzƗyed), range cette forme et Y 51.21 spÈnuua7 sous ¥ spƗ ::
spanao-, mais Kellens (1984a : 215 n. 1) reste ici perplexe : « Que représente spanuuaQti ? ».
Il s’agit en réalité du nominatif fém. sg. du dérivé en +vant- de span- « chien » (voir Chapitre
V 6.6).
148
La « parole prononcée de façon rectiligne » désigne tout texte dont la récitation, faite
sans pause indue et avec observation des règles concernant les liaisons devant être effectuées
entre les mots, intervenait dans une célébration sacrificielle. C’est notamment le cas du Yašt
permettant d’honorer une divinité : un Ahuna Variya le clôture (exemples : Yt 14.64.2,
17.62.2).
149
Sur ce manșra provenant du Y 27.13, Pirart 2006b : 112 n. 4, 115 n. 53 et 141 n.
134.
150
Ces textes sans doute sont-ils le VarhrƗn Yašt (Yt 14) et un récit concernant, comme
H 2, le sort de l’âme du défunt.
151
Sur ces deux divinités, voir Pirart 2006a : 26, 30, 57 sqq. ; 2010b.
152
Fautif pour le pluriel ?
153
Cf. V 5.4 yezica aƝte1 nasƗuuǀ V yƗ apǀ.bΩrΩtaca2 vaiiǀ.bΩrΩtaca3 vΩhrkǀ.bΩrΩtaca
maxši.bΩrΩtaca4 nasuš V narΩm +ƗstƗraiieiQtƯm5 ¿«hƗ76 V ×išarΩ.štƗiti Ɨ×7 mƝ vƯspǀ aƾhuš
astuu¿ V 8išasΩm9 ji7.a¹Ωm10 xraoda7.uruua pΩ¹ǀ.tanuš V frÈna ¿ƾhąm nasunąm V y¿ paiti Ɨiia
zΩmƗ irƯrișarΩ11 .·. « Et, si ces charognes, celle qu’apporte l’eau, celle qu’apporte l’oiseau,
celle qu’apporte le loup, celle qu’apporte le vent ou celle qu’apporte la mouche, ne cessaient
de mettre l’homme en état de péché, les ruvan de toute l’existence osseuse que j’ai (mise en
place), ipso facto, regrettant la destruction de l’harmonie et la perte des individus,
montreraient leur colère devant l’abondance de ces charognes que l’on trouverait mêlées à la
terre ». Notes : 1. Mis pour le nominatif fém. plur. ||| 2. Emploi diascévastique de la forme

48
hiia7 aibƯ.gΩmΩn V yașrƗ cinuuatǀ pΩrΩtuš 154 V yauuǀi vƯspƗi V drnjjǀ
dΩmƗnƗi155 astaiiǀ .·.156
Les KUpan et les Kavi157, pour les atteler aux influences et aux mauvais
gestes, poussent les (mauvais) mortels à ravager l’existence rituelle, eux qui
révoltent leur propre ruvan et leur propre dainƗ dès qu’est en vue le pont du
Cinvant158 (qui doit faire d’eux), pour l’éternité, des hôtes dans la maison de
Druj159 ;
Y 51.13 160tƗ drΩguuatǀ marΩdaitƯ V daƝnƗ +ΩrΩzaoš haișƯm V yehiiƗ
uruuƗ xraodaitƯ V cinuuatǀ ×pΩrΩtƗu Ɨk¿161 V xvƗiš ĞiiaoșanƗiš hizuuascƗ V
a¹ahiiƗ nąsuu¿ pașǀ .·.162
La dainƗ du drugvant négligera l’utilité163 du (mot)164 rectiligne tandis
que son ruvan, pour avoir perdu le chemin de 5ta165 à cause de ses actes et de

d’acc. plur./gén. sg. en premier terme de composé. ||| 3. Emploi diascévastique de la forme de
nominatif pluriel en premier terme de composé. ||| 4. Sur la forme du nom de la mouche, voir
Chapitre III n. 130. ||| 5. Avec Kellens (1984a : 423), contre Geldner ºaQtº. Mis pour le
nominatif sg. si l’accord doit se fait avec nasuš, mais pour le nominatif pluriel s’il doit se faire
avec aƝte nasƗuuǀ. ||| 6. Kellens a commenté (1984a : 423) l’emploi que, dans la phrase, nous
trouvons des modes et des temps, mais il me semble que le participe présent est à même d’in-
diquer ici une continuité ; le parfait, une prégnance. ||| 7. Geldner išarΩ.štƗitiia. Je fais la
conjecture que le préverbe ×Ɨ vaudrait un indicatif présent « il se trouve ». ||| 8. Cf. Y 53.9b
aƝšasƗ dÈjƯ7.arΩtƗ pΩ¹ǀ.tanuuǀ. ||| 9. Mis pour le nominatif masc. sg. Il s’agit sans doute du
participe présent en ºa- de ¥ ižd :: išasa-. ||| 10. Mis pour le nominatif masc. sg. ||| 11. Je ne sais
comment justifier l’emploi du parfait.
154
Ce « trieur » (cinvant) pourrait être le dieu Rašnu qui juge les âmes aux portes de
l’au-delà, mais Kellens (1988) a pensé que ce serait plutôt Yama. Le zand de cinuuatǀ
pΩrΩtuš « le pont du trieur » est cyh vtlg « le passage du tri ».
155
Le zand en est dlvc| tm’n.
156
xšașrƗiš yujan V kUUpanah kavayah ca V akƗiš ĞyƗușnƗiš V ahum mUUngdyƗi
martiyƗnh V yƗnh hvah ruvƗ V hvai ca xraudat dainƗ V yat abigman V yașra cinvatah
pUUtuš V yavai vispƗi V drujah dmƗnai astayah .·..
157
Deux types de prêtres relevant de l’obédience réprouvée.
158
Le pont du Cinvant (« qui fait le tri »), sur lequel siège, balance en main, le juge
Rašnu, s’appuie ou commence, tout comme AnƗhƯtƗ, sur le sommet de la cordillère HarƗ et
conduit à l’au-delà.
159
Sur cette maison, voir Chapitre VII 1.6.
160
Pour le texte, voir Kellens & Pirart 1988-1991 : I 183 et III 259.
161
Nominatif-accusatif fém. plur. figé de Ɨka- (= védique Ɨká-) ? Selon Kellens (1974a :
340), le thème serait Ɨk¿ƾh-.
162
tat drugvatah mardati V dainƗ Uzauš hașyam V yahya ruvƗ xraudati V cinvatah
pUUtƗu ƗkƗh V hvƗiš ĞyƗușnƗiš hizuvah ca V Utahya nansvƗh pașah .·.. Comme la corrélation
tat ... yahya est fausse ou que l’antécédent de ce pronom relatif est en réalité drugvatah,
nous devons admettre que tat est adverbial tandis que yahya est issu de la fusion de yat et de
ahya.
163
Le Y 51.13 est à rapprocher du Yt 10.45 ye«he ašta1 ×arataiiǀ2 V vƯspƗhu paiti
barÅzƗhu3 V vƯspƗhu vaƝįaiianƗhu4 V spasǀ5 ¿ËhƗire mișrahe V mișrǀ.drujΩm6 hišpǀsÅmna7 V
+
auunj8 ×aipi.daiįiiatǀ9 V +auunj8 †aipi.hišmarΩQtǀ10 V yǀi †pauruua11 mișrÅm družiQti V
auuaƝšąmca12 pașǀ13 p¿Qtǀ V yim †isΩQti14 mișrǀ.drujǀ V haișƯm15 a¹auua.janasca druuaQtǀ16
« (Nous offrons le sacrifice à) Mișra au service de qui huit espions, assis sur les différents
sommets et les différents miradors, à la recherche de ceux qui tentent de le léser, repèrent ou
prennent note de ceux qui sont les premiers à tenter de le léser, protégeant ainsi le chemin au-
thentique que les harmonieux doivent suivre, mais empêchant de le suivre aux égarés qui

49
ceux de sa langue, se mettra en colère (une fois arrivé) face au pont du
Cinvant ;
Yt 13.74 : voir ci-dessus 4.1 ;
FrW 10.39 : voir ci-dessus 4.1 ;
N 52.7.1 a¹Ɨunąm urunasca frauua¹išca ýazamaide
Nous offrons le sacrifice aux ruvan et aux fravUti des Utavan ;
Y 16.7 166xvanuuaitƯš a¹ahe vΩrΩzǀ yazamaide V yƗhu iristanąm uruuąnǀ
+
š[Ɨ]iieiQti V ×yƗhu a¹Ɨunąm frauua¹aiiǀ .·. vahištΩm ahnjm a¹aonąm
yazamaide V raocaƾhΩm vƯspǀ.xvƗșrΩm167 .·.
Nous offrons le sacrifice aux plaisirs ensoleillés168 de l’harmonie169 où
habitent les ruvan et les fravUti des Utavan morts. Nous offrons le sacrifice à
l’excellente existence purement diurne et heureuse de chacun des Utavan ;

tentent de le léser ou à ceux qui frappent les harmonieux ». Notes : 1. Cf. RS 1.35.8a aVWáu vy
àkhyat kakúbhaK pUthivy»K « (SavitU) a regardé les huit sommets de la Terre ». ||| 2. = védique
2
aratí-, avec Humbach (1974 : 90), contre Geldner rƗtaiiǀ. ||| 3. Mis pour vispaišu pati
barzahu (< barzah+hu). ||| 4. Lire vispaišu vidayanaišu. ||| 5. Cf. notamment RS 1.25.13c
pári spáĞo ní Vedire ; 6.67.5cd, 7.87.3ab. ||| 6. Mis pour l’acc. plur. ? Kellens (1984a : 44, 193
n. 3) propose le gén. plur. ||| 7. Ou +hišpǀ.sÅmna. La chuintante, mal documentée dans les
manuscrits, est attendue (Kellens 1984a : 193 n. 4). Participe présent de l’intensif thématique
moyen (avec redoublement en ºiº typique de l’avestique ?) de √ spas :: hišpasyamna-. Contre
Kellens (1984a : 44) qui en fait un moyen passif. ||| 8. Avec Panaino (1990-1995 : I pour Yt
8.12.3a), contre Geldner auue. ||| 9. api+dƯdyatah, contre Geldner aipi daiįiiaQtǀ. |||
10
. Geldner aipi hišmarΩQtǀ. Que faire ? Car, pour l’intensif thématique (avec redoublement
en ºiº typique de l’avestique ?), la voix moyenne est requise (api+hišmaryamnƗ < pii.
*ºšmÍyamHna-) et, pour l’athématique actif, le degré zéro du suffixe de participe (api+hi-
šmratah). Le thème de l’intensif thématique est encore attesté par le Y 19.11 où il sert
(secondairement) d’adjectif d’obligation : hišmƗiriia- « à mémoriser ». Kellens (1984a : 193
n. 3) envisage une faute pour ×aipi.šmarÅQtǀ, ce qui arrange tout, mais contrevient à la mé-
trique. ||| 11. Si c’est une forme de pouru- (Darmesteter 1892-1893), elle est mise pour
paravah. Jean Kellens, pour sa part (1984a : 226), à la suite de Bartholomae et de Reichelt,
reconnaît un emploi de pauruua- « premier » comparable à celui que fait le védique de pu-
r» comme marque d’antériorité par rapport à la principale, mais cet emploi, avec un indicatif
présent, me paraît fort spéculatif. ||| 12. La particule ºca empêche de considérer que le pronom
auuaƝšąmº représente les mêmes êtres que +auunj ... +auunj. ||| 13. Ablatif singulier antécédent
de yim (contre Kellens 1974a : 149). ||| 14. ×išÅQti désidératif de √ i (contre Kellens 1984a :
156) ? ||| 15. Voir Yt 10.38.1d, où la situation n’est pas claire non plus. S’accorde avec yim.
Pour haișiia- épithète du chemin, cf. Y 43.3d. ||| 16. Nous devrions considérer ce mot comme
une interpolation pour arriver à huit syllabes.
164
Uzu- ne peut sous-entendre que « le chemin » (cf. notamment Y 53.2 et RS 1.41.5) ou
« la parole » (cf. notamment Uš+ugda- vac- et RS UjugƗtha-). En raison de RS satyav»c-, la
présence de hașya- est en faveur de la seconde possibilité, mais il est vrai que le chemin
rectiligne est aussi celui que la parole sacrée emprunte. Le caractère drugvant ainsi paraît-il
congénital : le drugvant a beau recourir à la parole rectiligne, le chemin de 5ta lui échappe.
165
Le « chemin du bon Agencement », bien connu du Veda (RS 1.46.11b, 1.79.3b, etc.),
est une désignation du déroulement de la fête sacrificielle dans laquelle diverses composantes
doivent s’agencer.
166
Pour l’établissement du texte, voir Pirart 2006b : 172 n. 192.
167
Pirart 2006b : 79 n. 179.
168
Kellens (2006-2010 : III 17) : « Nous sacrifions aux domaines ensoleillés de l’Agen-
cement ». Le zand y reconnaît le Garah DmƗna, mais nous pouvons y reconnaître l’allégorie

50
Y 56.2.1 170sΩraošǀ iįƗ astnj V apąm vaƾvhƯnąm yasnƗi V 171a¹Ɨunąmca
frauua¹ibiiǀ V y¿ nǀ išt¿ uruuǀibiiǀ V hiia7 paouruuƯm ta7 uštΩmΩmcƯ7 .·.
Que soit ici présent le dieu Srauša172 pour le sacrifice offert avec les
déesses rivières, avec les fravUti des Utavan auxquelles nous avons offert le
sacrifice et avec leurs ruvan ! Ce qui est au début (= de notre vivant ?) est
aussi à la fin (= dans l’au-delà ?) ;
Y 63.3 : voir ci-dessus 4.3 ;
Y 71.18 vƗca haQkΩrΩșa yazamaide [.·.] gƗșanąm auuƗurusta [yaza-
maide] .·. gƗș¿ spΩQt¿ ratuxšașr¿ a¹aonƯš yazamaide .·. staota yesniia yaza-
maide V yƗ dƗtƗ aƾhÈuš paouruiiehiiƗ .·. hauruuąm haQdƗitƯm staotanąm
yesniianąm yazamaide .·. haom uruuƗnΩm yazamaide .·. hauuąm frauua¹Ưm
yazamaide .·.
Nous offrons le sacrifice aux deux textes contenus dans la série des GƗșƗ
pour les délimiter173 [Nous offrons le sacrifice]. Nous offrons le sacrifice aux
savantes GƗșƗ, les UtaunƯ174 avec lesquelles l’influence (rituelle) est à exercer
(sur les dieux) dans le respect des séquences. Nous offrons le sacrifice (à
cette partie des) Stauta Yasniya175 (que marque la récurrence de l’hémistiche)
Y 33.1a2. Nous offrons le sacrifice à la collection complète des Stauta
Yasniya. Nous offrons le sacrifice à notre propre ruvan. Nous offrons le
sacrifice à notre propre fravUti ;
Yt 13.148 : voir ci-dessus 4.2.

Cependant, d’autres combinaisons existent.

du caractère diurne du bon rituel constitutif du soubassement ou de la préfiguration de l’au-


delà paradisiaque.
169
Le bon agencement des diverses composantes du rite.
170
Voir Pirart 2006b : 30 n. 28. Kellens (2011) compare abusivement sΩraošǀ ... astnj
avec RS 1.139.1a ástu ĞráuVaW « Qu’il soit là ! Qu’il écoute ! », comme si srauša- dérivait du
thème de subjonctif aoriste de √ sru. Avant d’être un théonyme, srauša- est un appellatif
signifiant « récitation ».
171
J’émets la conjecture que a¹Ɨunąmca frauua¹ibiiǀ ... uruuǀibiiǀ vaut pour **a¹Ɨ-
unąmca frauua¹inąm yasnƗi ... urunąmca et que l’absence de coordination entre frauua¹ibiiǀ
et uruuǀibiiǀ s’explique comme un dvandva.
172
Le dieu des récitations sacrificielles.
173
Littéralement : « les deux paroles qui, écartées (= sans y être retenues), conforment la
collection des GƗșƗ ». Ces deux manșra sans doute sont-ils l’Ahuna Variya (Y 27.13) et
l’Ɩryaman Išaya (Y 54.1) que nous trouvons respectivement en tête de la collection vieil-
avestique et en queue. Sur haQkΩrΩșa, voir Chapitre V 6.
174
Leur usage rituel justifie cette appellation de « pourvues de l’agencement » : la
récitation des GƗșƗ s’agence parfaitement dans les séquences de la cérémonie sacrificielle (cf.
Y 71.11, donné plus bas 4.6).
175
La partie centrale du Yasna.

51
4.5. Le ruvan dans d’autres combinaisons

Le ruvan peut même figurer au sein de listes assez longues :

ʊ Aog 48 : voir ci-dessus 4.2 ;


ʊ Y 26.4.1 : voir ci-dessus 4.2 ;
ʊ Y 45.2 a7 frauuaxšiiƗ V aƾhÈuš mainiinj pouruiiƝ V yaii¿ spanii¿ V njitƯ
mrauua7 yÈm aQgrΩm .·. nǀi7 nƗ man¿ V nǀi7 sÈQghƗ nǀi7 xratauuǀ V naƝdƗ
varanƗ 176 V nǀi7 uxįƗ naƝdƗ ĞiiaoșanƗ V nǀi7 daƝn¿ V nǀi7 uruuąnǀ ha-
caiQtƝ .·.177
Je vais proclamer les deux manyu fondamentaux de l’existence, quel est
celui des deux que l’on dira le plus savant et quel est le mauvais que les
pensées, les définitions, les performances ni les options, les paroles ni les
gestes, les dainƗ ni les ruvan ne suivent en aucun cas ;
Y 55.1-2 vƯsp¿ gaƝș¿sca tanuuasca V azdÈbƯšca178 uštƗnąsca kΩhrpas-
ca tΩuuƯšƯšca baoįasca V uruuƗnΩmca frauua¹Ưmca V pairica dadΩmahƯ
179

Ɨca vaƝįaiiamahƯ V Ɨa7 dƯš ƗuuaƝįaiiamahƯ V gƗșƗbiiǀ spΩQtƗbiiǀ ratu-


xšașrƗbiiǀ a¹aonibiiǀ .·.
y¿ nǀ hΩQti gƗș¿ harΩșrauuaitƯš V pƗșrauuaitƯšca mainiiuš.xvarΩș¿sca V
y¿ nǀ hΩQti urune.uuaƝm180 V xvarΩșΩmca vastrΩmca .·. t¿ nǀ hΩQti gƗș¿
harΩșrauuaitƯšca V pƗșrauuaitƯšca mainiiuš.xvarΩș¿sca 181 .·. [t¿ nǀ hΩQti
urune.uuaƝm182 V xvarΩșΩmca vastrΩmca .·.] t¿ nǀ buiiąn183 humižd¿ V aš.-
mižd¿ a¹ǀ.mižd¿ V parǀ.asnƗi 184 aƾvhe V pasca astasca baoįaƾhasca vƯ-
uruuƯštƯm .·.

176
Sur ce mot, voir Chapitre VI 1.4.
177
at fravaxšyƗ V ahauš manynj parviyƗ V yayƗh spanyƗh V uti mravat yam ahram .·.
na nu manƗh V na sanhƗ na xratavah V na u varnƗ V na ugdƗ na u ĞyƗușnƗ V na dainƗh V
na ruvanah hacantai .·..
178
Ce mot n’a plus été correctement identifié par les traducteurs médiévaux qui prirent sa
première syllabe pour la préposition pehlevie az et les deux suivantes, peut-être pour l’abstrait
dehbedƯh (ou da«hu.paitƯh) « statut de maître de pays » : V MNV MN p’t|hš’dyh QDM tn| (ud
kƝ az pƗdixšƗyƯh abar tan) « et ce qui d’autorité se trouve sur le corps ».
179
Sur ce mot, voir Chapitre III 3.
180
Mis ou fautif pour ruvabyƗ datif duel ? Le zand donne MNV LNE HVE|d ’v| lvb’n
KRA 2 hvlšn| V vstlg .·. (kƝ-mƗn hend ǀ ruvƗn harv dǀ xvarišn ud vastrag) «qui nous sont
pour le ruvan tout à la fois nourriture et vêtement».
181
ºca justifiable derrière attribut.
182
Mis ou fautif pour ruvabyƗ datif duel ?
183
Artificiel pour buiiƗrΩš.
184
Les traducteurs médiévaux ne purent plus identifier correctement ce mot : le zand
donne BRA PVN nzdyk ’hv’n| (bƝ pad nazdƯk axvƗn) « en vue de (?) la prochaine existence »
(cf. trad. scr. puraK samƗsannabhuvane | kila suvyƗpƗratayƗ puQyakƗryatayƗ ca « avant le
monde prochain, c’est-à-dire en se livrant à de bonnes et saintes activités »).

52
Nous sérions (/considérons un à un)185 et consacrons chaque troupeau,
chaque tannj, chaque ossature, chaque uštƗna, chaque kUp, chaque tavišƯ186,
chaque baudah, chaque ruvan et chaque fravUti. Nous les consacrons en
récitant les savantes GƗșƗ, les UtaunƯ avec lesquelles l’influence est à exercer
(sur les dieux) dans le respect des séquences.
Les GƗșƗ, nourriture des MƗnyava187, dont nous disposons pour notre
conservation et notre protection, si, pour nos ruvan, les GƗșƗ, nourriture des
MƗnyava, s’avèrent être nourriture et vêtement et que nous en disposons pour
notre conservation et notre protection. [Elles, pour nos ruvan, s’avèrent être
nourriture et vêtement] Puissent-elles nous réserver de bonnes récompenses,
de grandes récompenses et d’harmonieuses récompenses, pour l’existence qui
est au delà de l’os, après la séparation de l’os et du baudah.

Parmi les listes limitées à deux entrées, soulignons les combinaisons


unissant tannj, baudah ou les gaișƗ avec le ruvan :

FiO 219 (= Vn 20-21)188 tanuuaƝca haosrauuaƾhΩm V 189urunaƝca darΩ-


ȖΩm hauuaƾvhΩm
190
tn| hvslvb|yh V lvb’n| dgl <hv>’hvyh
Pour la tannj, le (privilège) d’un bon sravah191 ; pour le ruvan, l’(avantage)
de s’être (constitué) une bonne et longue existence ;
V 19.29-30 : voir Pirart, « Les Trois Nuits dans le VƯdaƝuu-dƗt » (à paraî-
tre dans Aula Orientalis, Sabadell) ;
P 33 : voir ci-dessus 2 ;
Y 68.4 snjkƗi mana«he V snjkƗi vaca«he V snjkƗi Ğiiaoșnahe V hauuaƾvhƗi
urune V fradașƗi gaƝșanąm V hauuaƾvhƗi a¹auuast<Ωm>anąm .·.
Pour l’acuité 192 , pour la pensée, pour l’acuité, pour la parole, pour
l’acuité, pour le geste, pour le droit d’accéder à la bonne existence, pour le
ruvan, pour la prospérité des troupeaux, pour le droit que les très Utavan ont
d’accéder à la bonne existence.

185
Je tire ce sens de pari+√√ dƗ construit avec plusieurs objets coordonnés de celui qu’il
montre en vieil-avestique de « séparer acc. de abl. » (sur quoi Kellens & Pirart 1988-1991 : II
36 et 236). Voir Chapitre VI 2.1.
186
La « capacité », entité divinisée (voir Pirart 2007a : 37), est-elle le droit de célébrer le
sacrifice ?
187
Les êtres abstraits parmi lesquels nous devons compter les âmes et certains dieux.
188
Les fragments avestiques du Frahang Ư ƿƯm (FiO) et du VaƝșƗ Nask (Vn) ont été
édités et traduits respectivement par Klingenschmitt (1968) ou Humbach & JamaspAsa
(1969).
189
Cf. A 1.11f. Voir Pirart 2006b : 191 n. 364.
190
tan hu-srauuƯh ud ruvƗn dagr hu-aƾvhƯh.
191
Le privilège que les dieux, à juger de notre âme aux portes de l’au-delà, émettent un
verdict favorable.
192
Sur saoka-/ snjka-, voir Pirart 2007b : 99.

53
De tels tandems opposent l’âme à la personne, la corporalité de cette
dernière restant présente à l’esprit ; l’âme, à la faculté de percevoir, la
corporalité du sensible étant ainsi soulignée ; l’âme, à la série des troupeaux
du monde concret.

4.6. Les rites au secours de l’âme

De nombreux passages de tout l’Avesta font bien évidemment allusion au


sort du ruvan du pieux défunt si lié au comportement rituel qui fut le sien
en ce monde. L’orant met tous ses espoirs dans l’efficace du sacrifice :

A 1.10-11 ƗfrƯnƗmi vauuanuu¿ V vana7.pΩ¹ΩnΩ193 buiie194 V vƯspΩm aur-


uuașΩm 7bišiiaQtΩm V vƯspΩm aȖΩm 7bišiiaQtΩm V arașȕiiǀ.manaƾhΩm ara-
șȕiiǀ.vacaƾhΩm arașȕiiǀ.ĞiiaoșnΩm .·.
vauuanΩ195 buiie V rașȕiia manaƾha rașȕiia vacaƾha rașȕiia Ğiiaoșna V
nijanΩ196 buiie V +vƯspÈ197 dušmainiinj +vƯspÈ daƝuuaiiasnÈ V zazΩ198 buiie V
vaƾhƗuca mižde vaƾhƗuca +srauuahi199 V 200urunaƝca darΩȖe hauuaƾvhe .·.
Par cette propitiation, j’espère vaincre les combattants adversaires, chacun
de ceux qui, pour négliger l’observance, sont nuisibles et de ceux qui, mau-
vais, sont nuisibles pour les emplois qu’ils font à contretemps de la pensée, de
la parole et du geste. Puissent la pensée opportune, la parole opportune et le
geste opportun m’apporter la victoire ! Puissent-ils me permettre d’abattre
tous les dušmanyu201 ou tous les daivayasna202 et de les laisser en arrière le
jour où il sera question pour mon ruvan de bénéficier pour longtemps de la
bonne récompense, du bon verdict et de la belle existence.

193
Fautif pour ×vana7.pΩ¹Ωnǀ ?
194
Devons-nous admettre des composés datifs en +buiie «pour devenir ...» (Hoffmann
1968 : 285 sq. n. 12 ; Kellens 1974a : 98 sq.) ? Comme cette solution convient mal la
première fois lorsque vana7.pΩ¹ΩnΩ, lui-même composé, devrait être premier terme de
composé, je préfère voir dans buiie un infinitif (= védique bhuvé ; avec Bartholomae 1904 :
col. 969 et 1017) et corriger la phrase comme suit : vauuanuu¿ ×vana7.pΩ¹Ωnǀ buiie ... va-
uuan<uuƗ>Ω buiie ... nija<Ȗ>n<uuƗ>Ω buiie ... zaz<uuƗ>Ω buiie ..., mais nous pouvons tout
aussi bien faire de buiie la première personne du singulier de l’optatif moyen (pii. *bhuH1-
iH1-H2é) aussi bizarre puisse être cette voix dans le cas de √ bnj, sur base du Y 62.1-3 qui
recueille des phrases en buiiƗ7, en buii¿ et en buiie pour établir un tableau de la conjugaison
de l’optatif singulier de √ bnj selon l’ordre grammatical scolaire indien (la tUtƯyƗ vibhakti est
celle de la première personne).
195
Forme amputée pour *vauuanuu¿.
196
Forme atrophiée pour *nijaȖnuu¿ (nijaganvƗh).
197
Geldner vƯspe.
198
Forme amputée pour *zazuu¿.
199
Avec Kellens 1974a : 98 n. 1, contre Geldner srauuahe.
200
Cf. FiO 219b.
201
Ceux qui se font une mauvaise opinion d’Ahura MazdƗ.
202
Ceux qui rendent un culte aux démons.

54
Le rachat d’une âme pécheresse passe bien évidemment par des expia-
tions :

A 3.7.1-2 paQcƗca cașȕarΩsatΩmca maiįiiǀi.zarΩmaiiehe V a¹ahe vahišta-


he dașušǀ .·. disiiƗ7 hƝ a«he auua7 miždΩm V parǀ.asnƗi aƾvhe yașa aƝtahmi
aƾhuuǀ ya7 astuuaiQti V hazaƾrΩm maƝšinąm daƝnunąm paiti.pușranąm V
narąm a¹aonąm a¹aiia vaƾhuiia V urune para.daișiiƗ7 V aƝuuahe203 hƗtąm
cinmƗne[he] ya7 a¹ahe vahištahe .·.
(Il faut compter) quarante-cinq (jours à partir du premier de l’an) pour
(arriver à) la fête de Madyaizarmiya204 (si celle-ci doit avoir lieu le jour) de
Dadvah205 (qui précède celui de Mișra dans le mois) de 5ta Vahišta206 (= le
cinq mai). Il faut lui indiquer que la récompense, dans l’existence située au
delà de l’os, en est identique à ce millier de brebis laitières pleines que, dans
cette existence osseuse, par souci d’harmonie et avec piété, il livrerait à des
hommes Utavan (membres de la caste sacerdotale) pour le rachat de son ruvan
(ou) le seul amour des êtres de l’excellent Agencement.

Le rachat n’est guère toujours aisé :

V 13.3 yasca dim jana7 V spitama zarașuštra V ... V nauua.naptiiaƝci7 hƝ207


uruuƗnΩm para.mΩrΩQcaite V yaƝšąm208 aƾha7 dužƗpƯm cinuua7.pΩrΩtnjm V yǀ
nǀi7 juuǀ sraošiiąm uzuuΩrΩziieiti .·.
Et, s’il le frappe, (sache-le,) Zaraduštra descendant de SpƯtƗma, c’est sur
neuf générations qu’il nuit à son propre ruvan en ce sens que le pont du
Cinvant leur restera d’un accès difficile s’il ne se soumet à l’expiation de son
vivant ;
V 13.8-9 yǀ aƝtaƝšąm snjnąm jaiQti V yim pasuš.hauruuąmca209 višhaur-
uuąmca 210 V vohunazgąmca 211 draxtǀ.hunaranąmca 212 V xraosiiǀ.tara<s>-
ca213 [nǀ] ahmƗ7 voiiǀ.tara<s>ca214 V h<a>uuǀ uruua parƗiti V parǀ.asnƗi
aƾvhe V yașa vΩhrkǀ vaiiǀi215 tnjite216 V ×draomnǀ217 barΩzište raznjire .·.

203
Complément déterminatif de hƗtąm, explicité par ya7 a¹ahe vahištahe.
204
Fête de mi-printemps.
205
Nom donné à Ahura MazdƗ lorsqu’il patronne le premier jour de la seconde semaine
ou le premier jour de chacune des deux huitaines. Sur le calendrier, voir Pirart 2006a : 28 sqq.
206
Sur les mois avestiques, voir Pirart 2006a : 32.
207
Fautif pour ×haom ?
208
Mis pour le datif.
209
Mis pour *ºum[ca].
210
Mis pour *ºum[ca].
211
Fautif pour ׺Ωm[ca].
212
Fautif pour ׺narΩmca.
213
Comparatif du participe en ºa- du divƗdi de √ xrus (vieil-iranien xrusya+tarah ca).
Sur √ xrus :: xraosiia-, voir Kellens 1984a : 35, 124. Il ne s’agit pas de l’adjectif verbal en -
iya- (pace Kellens 1974a : 97). Le zand donne hlvsytl.

55
nǀi7 hƝ aniiǀ uruua haom uruuƗnΩm V paiti irista bązaiti V xraosiiƗca218
voiiaca219 aƾvhe V naƝįa spƗna pΩ¹u.pƗna220 V paiti irista bązaiti221 V ×xrao-
siieiti222 voiiaca223 aƾvhe .·.
Celui qui frappe, parmi ces chiens, le gardien de bétail ou de volaille, le
vahunazga ou le dressé, en le rabrouant et en le poursuivant encore
davantage, son propre ruvan gagnera par malheur224 l’existence qui est au
delà de l’os. C’est comme si un loup, capable de poursuite, avait à courir dans
une très épaisse forêt225.
Nul autre ruvan ne vient lui soutenir le propre ruvan lors du décès : (tous)
le rabroueront et le pourchasseront lors(qu’il gagnera) l’existence (qui est au
delà de l’os)226. Et les deux chiens gardiens du pont ne viennent pas non plus
le soutenir : (tous) le rabroueront et le pourchasseront lors(qu’il gagnera)
l’existence (qui est au delà de l’os)227.

214
Comparatif du participe en ºa- de l’adƗdi de √ vƯ (vieil-iranien v(i)ya+tarah ca). Le
zand donne hvystktl.
215
Infinitif radical ou datif sg. du nom-racine tiré de √ vƯ (voir Kellens 1974a : 96 sq.).
216
Voir Kellens 1984a : 79, 88.
217
Avec Kellens (1984a : 106 n. 13), contre Geldner dramne. Sans reflet dans le zand.
218
Subjonctif (vieil-iranien xrusyƗt ca). Selon Kellens (1984a : 124), xraosiieiti de V
15.5 serait la seule attestation du thème xraosiia-. Quant au thème xraosa-, il serait attesté,
selon Klingenschmitt (1968 : 227) et Kellens (1984a : 102), par fraca +xraosǀi7 de A 3.13 et
xraosΩQtąm upƗ de Y 53.8, mais, pour la première, Bartholomae (1904 : col. 534) lit xrao-
siiǀi7 et, pour la seconde, une lecture xrusyantƗm upa est parfaitement envisageable. L’argu-
mentation que Klingenschmitt développe, non retenue par Kellens (1984a : 124 n. 3), selon
laquelle xraosiieiti de V 15.5 serait fautif pour ×xraosƗiti sous l’influence de vaiieiti ne tient
pas compte de V 15.5cde yǀ gaįȕąm yąm apușrąm V janaiti vƗ vaiieiti vƗ V xraosiieiti vƗ
pazdaiieiti vƗ .·. « celui qui frappe, poursuit, rabroue ou chasse la chienne qui attend un
petit », mais il est vrai que n’avaient été reconnus ni le statut de verbe conjugué des formes
xraosiiƗca et xraosiiƗiti (×xraosiieiti, ×xraosiiƗ7 ou ×xraosiiƗca ?) contenues dans V 13.9 ni la
confusion graphique régulière et générale que le subjonctif présent des verbes en ºiia- montre
à la 3e personne sg. act. en -ti avec l’indicatif.
219
Subjonctif (vieil-iranien vayat | ca).
220
Sur les chiens gardiens du pont, voir Chapitre V 6.6.
221
Mis pour le duel.
222
Subjonctif. Geldner xraosiiƗiti. Si cette ligne est la répétition (diascévastique?) de 9c,
xraosiiƗca et xraosiiƗiti sont à considérer comme des variantes. Et, si nous devions y trouver
huit syllabes, il faudrait restituer ×xraosiiƗ7 : xrusyƗt vayat ca ahavai.
223
Subjonctif.
224
Avec la locution « par malheur », je rends la nuance défavorable que le préverbe parƗ
apporte au verbe.
225
Je ne vois pas l’opportunité de cette comparaison.
226
Datif de temps.
227
Le zand passe par une compréhension assez différente : MNV OLEš’n KLBA’n|
MHYTVNyt| psvšhvlv| V vyšhvlv| V vhvnzg V dlhthvnl { ...} .·. hlvstytl MN ZK Y LNE glvtm’n|
hvystktl ZK Y NPŠE HYA BRA lpyt BRA PVN ZK Y nzdyk ’hv| .·. cygvn gvlg hvysyšn| tvb’nyk
{MNV hvysyšn| tvb’n| krtn|} MN ZK Y bvlnd vyšk {MN dvšk Y vyšk AMT PVN lcvl gvspnd} .·.
LA ’v| ZK Y ZK-HD lvb’n {Y ’p’ryk} ’š ZK Y NPŠE lvb’n| PVN BRA vtylšnyh b’lynyt| {AYKš
hdyb’l’vmndyh krtn| LA tvb’n|} MN hlvstkyh V hvystkyh ZYš BYN ’hv| krt| .·. LA KLBA
pvhlp’n| {KLBA Y KLBA’n| .·. AYT MNV ’pzvnyk pvhlp’n| YMRRVNyt| .·. yaii¿ asti aniiǀ
rašnuš razištǀ .·. PVN BRA vtylšnyh b’lynyt {AYKš hdyb’l’vmndyh krtn| LA tvb’n|} MN

56
L’orant, avec le sacrifice offert, demande aux dieux de lui être favorables
le jour venu de mourir :

Vr 5.1 vƯse228 vǀ amΩ¹a spΩQta V staota zaota zbƗta yašta V framarΩta


aibijarΩta V ynjšmƗkΩm yasnƗica vahmƗica V xšnaoșrƗica frasastaiiaƝca V ya7
amΩ¹anąm spΩQtanąm V ahmƗkΩm hauuaƾvhƗica V ratufritaiiaƝca a¹auuas-
tƗica V vΩrΩșraȖniiƗica huruniiƗica V ya7 saošiiaQtąm a¹aonąm .·.
Je me fais, vous les AmUta Spanta, votre laudateur, libateur, invocateur,
sacrificateur, déclamateur et chantre lorsque nous vous offrons le sacrifice, à
vous qui êtes les AmUta Spanta, vous adressons le chant, vous réservons des
attentions et proclamons vos prouesses dans le but, nous qui sommes les
Utavan saušyant229, d’avoir accès à la bonne existence, d’être capables de
satisfaire les dieux selon les séquences, de jouir du statut de Utavan, d’être
capables de briser les obstacles (que les Daiva peuvent dresser devant nous)
et de posséder un bon ruvan.

L’emploi qui est fait du hauma dans le sacrifice est justifié par rapport à
la mort :

Y 9.16.4 yașa xvarΩQte vahištǀ V urunaƝca230 +pƗșmainiiǀ.tΩmǀ231 .·.


(Hommage soit rendu à Hauma) puisqu’il est excellent pour celui qui le
boit et que c’est, pour le ruvan, le meilleur moyen de prendre son envol.

hlvstkyh V hvystkyh ZYš BYN ’hv’n| krt| ºoº « Celui qui frappe, parmi ces chiens, le gardien de
bétail, le gardien des oiseaux, le vahunazga ou le dressé {...} avec de grands cris, loin de notre
Garah DmƗna, et avec de grandes persécutions, son propre ruvan s’en va pour le monde
prochain, comme le loup capable de persécutions {qui est capable de mener la persécution}
s’éloi(gne) de la grande forêt {loin du fond (?) de la forêt alors que le mouton est dans la
forêt}. Du ruvan autre {d’autrui} alors son propre ruvan, lors du trépas, ne trouve aucun
appui {= ne peut se le rendre secourable} du fait des cris et des persécutions qui (furent) les
siens dans le monde. Des chiens gardiens du pont {chiens des chiens (= les meilleurs des
chiens) ʊ Il y a, (dans les textes de la DainƗ, des passages) selon lesquels les gardiens du
pont sont utiles : "L’un des deux est Rašnu rectiligne"}, lors du trépas, il ne trouve aucun
appui {= ne peut se les rendre secourables}, du fait des cris et des persécutions qui (furent) les
siens dans le monde ».
228
Modernisation artificielle de vƯsƗi (Y 14.1), la première personne du singulier de
l’indicatif présent de voix moyenne de √ vƯ :: vƯsa- « servir ».
229
Je ne sais si ce sont les fameux combattants eschatologiques ou la désignation, moins
prégnante, de sacrifiants « qui ont l’intention de se rendre utiles ».
230
Kellens (2006-2010 : II 58) paraît faire de ºca le corrélatif de yașa.
231
Avec Bartholomae (1904 : col. 887), contre Geldner ºǀtº. Ce genre de correction que
je n’ai pas toujours opérée est inutile en raison du caractère redondant que prend le point
séparateur à la suite du maquillage de ºa+ en ºǀ. L’allongement de la syllabe initiale est
secondaire. Superlatif en +tama- du participe en *ºá- du dénominatif de pașman- (Y 46.4 ;
= védique pátman-). Jean Kellens (1995a : 28) souligne que pașman- signifie non « le
chemin », mais « le vol ». Cependant, le sens exact de ce verbe ne peut être vérifié : « donner
envol », selon Kellens (2006-2010 : II 58).

57
La récitation de l’Ahuna Variya, ce manșra qui passe pour le concentré
de tout le corpus des textes ou leur germe, par sa force, est pour le ruvan la
clé qui donne le plus sûrement accès aux étages paradisiaques :

Y 19.6-7 yasca mƝ aƝtahmi aƾhuuǀ ya7 astuuaiQti V spitama zarașuštra V


baȖąm ahunahe vairiiehe marƗ7 V frƗ vƗ marǀ drΩQjaiiƗ7 V frƗ vƗ drΩQjaiiǀ
srƗuuaiiƗ7 V frƗ vƗ srƗuuaiiǀ yazƗite V șrƯšci7 tarǀ pΩrΩtnjmci7 hƝ uruuƗnΩm V
vahištΩm ahnjm frapƗraiieni V azΩm yǀ ahurǀ mazd¿ V 232Ɨ vahištƗ7 aƾhao7 V Ɨ
vahištƗ7 a¹Ɨ7 V Ɨ vahištaƝibiiǀ raocÈbiiǀ .·.
yasca mƝ aƝtahmi aƾhuuǀ ya7 astuuaiQti V spitama zarașuštra V baȖąm
ahunahe vairiiehe V drΩQjaiiǀ aparaoįaiiete V ya7 vƗ naƝmΩm ya7 vƗ șrišum V
ya7 vƗ cașrušum ya7 vƗ paƾtaƾhum V 233pairi dim tanauua V azΩm yǀ ahurǀ
mazd¿ V uruuƗnΩm haca vahištƗ7 aƾhao7.·. auuauuaitiia bązasca frașasca V
pairi.tanuiia 234 yașa Ưm z¿.·. astica Ưm z¿ auuaiti bązǀ V yauuaiti
frașasci7 .·.
C’est à trois reprises que je ferai passer le pont au ruvan de celui qui, dans
l’existence osseuse, (sache-le,) Zaraduštra, toi qui descends de SpƯtƗma, me
mémorise la bagƗ de l’Ahuna Variya 235 ou, la mémorisant, l’étudie ou,
l’étudiant, la récite ou, la récitant, y recourt pour offrir le sacrifice. (Je le lui
ferai passer) pour qu’il rejoigne l’Existence excellente, moi qui suis Ahura
MazdƗ, 236avant (= jusqu’à ce qu’il atteigne [?]) l’Existence excellente, avant
l’Agencement excellent, avant les Jours excellents.
Si quelqu’un, dans l’existence osseuse, (sache-le,) Zaraduštra, toi qui des-
cends de SpƯtƗma, se refuse à l’étude de ma bagƗ237 de l’Ahuna Variya, de sa
moitié, de son tiers, de son quart ou de son cinquième, moi qui suis Ahura
MazdƗ, j’empêcherai à son ruvan d’accéder à l’Existence excellente. (Comme
si) je (l’en) empêchais au moyen d’une (barrière)238 aussi vaste en épaisseur
et en largeur que cette terre. Et cette terre est aussi épaisse que large, (faut-il
savoir).

Le Manșra, forme réalisée de la DainƗ, pour être la salvation de l’âme,


est comparable à l’Athéna orphique, salvatrice de Dionysos.

232
La concurrence de vahištΩm ahnjm et de Ɨ vahištƗ7 aƾhao7 est inattenue. Collage ?
233
Cf. ci-dessous Y 71.15. Sur le sens de pairi+√ tan « retenir loin de », Kellens 1974 :
164.
234
Optatif évocatif (Kellens 2006-2010 : III 31).
235
Sur ce manșra provenant du Y 27.13, Pirart 2006b : 112 n. 4, 115 n. 53 et 141 n.
134.
236
Sur cette triade paradisiaque, voir Chapitre VII 1.6.
237
La bagƗ paraît être l’emploi d’un manșra comme balise des chapitres ou mouvements
d’une récitation liturgique.
238
L’idée de cette barricade apparaît notamment aussi dans DD 36 (Pirart 2007a : 125).

58
Déjà les Cantates liaient le sort du ruvan à l’activité rituelle, à la recher-
che d’un bon agencement et à l’emploi de paroles récitées ou chantées :

Y 28.4 yÈ uruuƗnΩm ×mÈm239 gairƝ V vohnj dadƝ hașrƗ manaƾhƗ V a¹ƯšcƗ


+
ĞiiaoșΩnanąm240 V vƯduš mazd¿ ahurahiiƗ V yauua7 isƗi tauuƗcƗ V auua7 xsƗi
aƝšƝ a¹ahiiƗ .·.241
Moi qui, pour rendre un culte à Ahura MazdƗ, impose à mon propre ruvan
de chanter en ne recourant qu’à la pensée bonne et aux envois de gestes, je
me dois de scruter autant que je le puis et en suis capable à l’instant de
rechercher l’Agencement ;
Y 34.2 a7cƗ Ư tǀi manaƾhƗ V +mainiiÈušcƗ +vaƾhÈuš vƯspƗ dƗtƗ V spΩQta-
[iiƗcƗ nΩrΩš ĞiiaoșanƗ V yehiiƗ uruuƗ a¹Ɨ hacaitƝ V pairigaƝșƝ xšmƗuuatǀ V
vahmƝ mazdƗ +garǀibƯš stnjtąm .·.242
Comme tu as établi toutes ces données (= dispositions, lois ?) en recou-
rant, selon le cas, à la pensée que dicte la bonne opinion ou au geste de
l’homme savant qui, le ruvan accompagné de l’Agencement, vous révère lors
du vahma parigaișa 243 , (concernant cet homme,) (Ahura) MazdƗ, (tu)
recour(s) aux chants de bienvenue parmi les éloges ;
Y 44.8 ta7 șȕƗ pΩrΩsƗ V ΩrΩš mǀi vaocƗ ahurƗ V mΩQdaidiiƗi V yƗ tǀi
mazdƗ Ɨdištiš V yƗcƗ vohnj V uxįƗ frašƯ manaƾhƗ V yƗcƗ a¹Ɨ V aƾhÈuš arÈm
vaƝdiiƗi V kƗ mÈ uruuƗ V vohnj uruuƗxša7 ƗgΩma7.tƗ .·.244
Je te le demande, dis-le-moi de façon rectiligne245, Ahura, pour mon infor-
mation et en vue d’une connaissance utile de l’existence : quelle est ton indi-
cation ; quelle, la pensée bonne avec laquelle je m’entretiens au moyen de la
parole ; quel, l’agencement ? (Dis-moi) par quel bon (chemin) mon ruvan
arrivera au but ;
Y 45.7 yehiiƗ sauuƗ V iš¿Qti rƗdaƾhǀ V yǀi zƯ juuƗ V ¿ƾharΩcƗ buuaQticƗ V
amΩrΩtƗitƯ V a¹Ɨunǀ uruuƗ aƝšǀ V utaiinjtƗ V yƗ nΩrąš sƗdrƗ drΩguuatǀ V tƗcƗ
xšașrƗ V mazd¿ dąmiš ahurǀ .·.246

239
Geldner mÈn. Mis pour *xvÈm puisque le sujet du verbe est identique au possesseur ?
Autre hypothèse chez Kellens & Pirart 1988-1991 : I 105, II 287 et III 22. Les traductions
médiévales font de mÈQgairƝ le locatif d’une forme du nom du Garah DmƗna.
240
Kellens & Pirart 1988-1991 : I 105.
241
yah ruvanam hvam garai V vahnj dadai hașra manahƗ V ƗrtƯš ca ĞyƗușnƗnaam V
viduš mazdaah ahurahya V yƗvat ƯsƗi tavƗ ca V Ɨvat xsaai aišai Utahya .·..
242
at ca it tai manahƗ V manyauš ca vahauš visvƗ dƗtƗ V spantahya ca nUUš ĞyƗușnƗ V
yahya ruvƗ UtƗ hacatai V parigaișai xšmƗvatah V vahmai mazdƗ garbiš stutaam .·..
243
Type de séquence chantée en présence des victimes sacrificielles ?
244
tat șvƗ pUUsƗ V Uš mai vauca ahura V manh+dadadyƗi V yƗ tai mazdƗ Ɨdištiš V yƗ ca
vahnj ugdƗ fraši manahƗ V yƗ ca UtƗ V ahauš aram vaidiyƗi V kƗ mah ruvƗ V vahnj vrƗxšat
V

ƗgmatƗ .·..
245
En observant une diction continue afin que les forces mauvaises ne puissent
intervenir.
246
yahya suvƗ V Ưšaanti rƗdahah V yai zi jƯvƗ V Ɨhar ca buvanti ca V amUUtƗti V Utaunah
ruvƗ aišah V utaynjtƗ V yƗ nÍÍnš sƗdrƗ drugvatah V tƗ ca xšașrƗ V mazdƗh dƗmiš ahurah .·..

59
Le ruvan du Utavan vers les succès duquel les dieux qui certes furent et
seront vivants cherchent à venir est capable d’accéder à AmUtatƗt et à Uta-
ynjti247 qui se dérobe(nt) aux hommes drugvant. C’est bien grâce à l’influence
(exercée sur lui) qu’Ahura MazdƗ est le fondateur (de l’Agencement) ;
Y 49.10-11 : voir ci-dessus 4.1.

L’orant est soucieux du sort réservé à son âme-moi, mais aussi du sort
qui attend ses troupeaux :

Y 50.1 ka7 mǀi uruuƗ V isƝ cahiiƗ auuaƾhǀ V kÈ mǀi pasÈuš V kÈ mÈ.nƗ
șrƗtƗ vistǀ V aniiǀ a¹Ɨ7 V șȕa7cƗ mazdƗ ahurƗ V azdƗ znjtƗ V vahištƗa7cƗ
manaƾhǀ .·.248
Quand et de quelle aide mon ruvan dispose-t-il ? Qui nous a-t-il été
clairement trouvé comme protecteur, pour mon bétail et pour moi-même,
d’autre que vous, 5ta, Vahu Manah et toi, Ahura MazdƗ, lors de l’appel (à
l’aide) ?
Y 60.11 249 yașa nǀ †¿ƾhąm 250 ĞiiƗtǀ man¿ 251 V +vaštǀ 252 uruuąnǀ V
253 v
x ƗșrauuaitƯš tanuuǀ V +hΩQtǀ254 255†vahištǀ aƾhuš† V ak¿scǀi7256 ×ahnjire
mazdƗi×257 jasΩQtąm258 .·.

247
Les déesses de l’immortalité et de la jouvence.
248
kat mai ruvƗ V Ưsai cahya avahah V kah mai pasauš V kah mana șrƗtƗ vistah V
anyah UtƗt V șvat ca mazdƗ ahura V azdƗ znjtƗ V vahištƗt ca manahah .·..
249
= Y 71.29, Hb 5.1.
250
J’accepte l’hypothèse que Kellens (1974a : 341 sq. ; 1995a : 35 n. 37) fait du sub-
jonctif : ×aƾhΩn. La corruption pourrait être due à l’interprétation pehlevie du passage. En
effet, le traducteur médiéval a fait de nǀ un nominatif ; de ¿ƾhąm, la première personne du
pluriel du subjonctif de ¥ ah ; de ĞiiƗtǀ man¿, un bahuvrƯhi : cygvn LNE HVEym š’t| mynšn
(ciyǀn amƗ hem šƗd-menišn).
251
Kellens (1974a : 341 sq. ; 1995a : 35 n. 37) fait de ĞiiƗtǀ le locatif de ĞiiƗiti- ou de
ĞiiƗtu-. Je préfère y voir le nominatif pluriel, maquillé en singulier (ou en premier terme de
bahuvrƯhi), de l’adjectif verbal en -ta- de ¥ ĞiiƗ.
252
Avec Bartholomae (1904 : col. 1394, sur base de Mf1, Pt4 et d’après le zand k’mk Y
lvb’n|1 que Geldner cite pourtant), contre Geldner vahištǀ. Jean Kellens (1974a : 341 sq. ;
1995a : 35 n. 37) fait de +vaštǀ le locatif de vaštu- « vouloir ». Je préfère y voir l’adjectif
verbal en -ta- de ¥ vaz, lequel, au vu du Yt 14.43.2de vašt¿Ëhǀ ahmiia nǀi7 vazii¿Qte2 V
jat¿Ëhǀ ahmiia nǀi7 janii¿Qte .·. « emmenés, ils ne sont alors pas emmenés ; frappés, ils ne
sont alors pas frappés », montre le degré plein radical. Le singulier serait mis pour le pluriel.
Notes : 1. Les manuscrits ne sont pas unanimes sur Y : J2, par exemple, donne V ou |. Pour ma
part, je considère un bahuvrƯhi second attribut et lis donc V k’mk| lvb’n| .·. (ud kƗmag-
ruvƗn .·.) « et possesseurs d’un ruvan qui est comme il est souhaité ». ||| 2. Avec Geldner,
contre Kellens 1984a : 42 n. 2, 127 n. 6, 128 sq.
253
Le zand saute cette ligne.
254
Avec Bartholomae (1904 : col. 274), contre Geldner hΩQti. Kellens (1974a : 341 sq. ;
1995a : 35 n. 37) fait de +hΩQtǀ le locatif de hΩQtu- « conquête », ce que j’accepte, mais
Kellens (1995a : 35) achève la phrase trop tôt ou trop tard avec +hΩQtǀ. En effet, pour moi, il
faut faire de vahištǀ aƾhuš son complément (nominatif mis pour le génitif) et considérer que
c’est xvƗșrauuaitƯš qui est à mettre sur le même pied que ĞiiƗtǀ et +vaštǀ, non +hΩQtǀ. Certains
manuscrits tels que J2, pour +hΩQtǀ vahištǀ aƾhuš, donnent comme zand ’m’n YHBVN’t ZK Y
p’hlvm ’hv’n, mais d’autres tels que Mf4 corrigent assez logiquement : (’m’n| YHBVN’t) ’m’n

60
(L’espoir) que, pour gagner le Vahišta Ahu, nos pensées soient tran-
quilles ; nos ruvan, transportés ; nos personnes, bienheureuses, à nous rendre
individuellement en présence d’Ahura MazdƗ ;
Y 68.2 xšuuƯįaƝca ƗznjtaiiaƝca V mƗuuaiiaca zaoșre paiti.jamii¿ V das-
uuarΩ baƝšazƗica V fradaișe 259 varΩdașƗica V hauuaƾvhe a¹auuastƗica V
haosrauua«he huruniiƗica V vΩrΩșraȖne frƗda7.gaƝșƗica .·.
Puisses-tu aller, (déesse Rivière,) à la rencontre du lait et de la libation
que je t’offre en tant que zautar260 et m’assurer ainsi le bel aspect et le
remède, la prospérité et la croissance, le droit d’accéder à la bonne existence
et le statut de Utavan, le privilège d’un bon verdict et la possession d’un bon
ruvan, la capacité de briser les obstacles démoniaques et celle de multiplier
les troupeaux ;
Y 71.11 vƯspaƝca 261 aƝte V a¹iš.hƗgΩ7 Ɨrmaitiš.hƗgΩ7 V <zbaiiemi>
yazamadaƝca V nipƗtaiiaƝca nišaƾharΩtaiiaƝca V harΩșrƗica aiȕiiƗxštrƗica V
hauuaƾhum mƝ buiiata .·. gƗșƗbiiǀ spΩQtƗbiiǀ V ratuxšașrƗbiiǀ a¹aonibiiǀ V
zbaiiemi yazamadaƝca V nipƗtaiiaƝca nišaƾharΩtaiiaƝca V harΩșrƗica aiȕiiƗ-
xštrƗica V hauuaƾhum mƝ buiiata .·. 262mƗuuǀiia hauuƗi urune V zbaiiemi
yazamadaƝca V nipƗtaiiaƝca nišaƾharΩtaiiaƝca V harΩșrƗica aiȕiiƗxštrƗica V
<hauuaƾhum mƝ buiiata> .·.
Mon invocation de tous les (dieux) avec $rti 263 et Aramati 264 nous
permet de leur offrir le sacrifice et de les inviter à nous abriter, préserver, pro-
téger et surveiller : « Puissiez-vous être (de ceux qui m’assureront) la bonne
existence ! » Pour (leur) invocation et le sacrifice (que nous leur offrons),
nous recourons aux savantes GƗșƗ, les UtaunƯ avec lesquelles l’influence
rituelle est à exercer (sur les dieux) dans le respect des séquences, afin

YHVVN’t ZK Y p’hlvm ’hv’n ([Ɨ-mƗn dahƗd] Ɨ-mƗn bavƗd Ɨn Ư pahlom axvƗn) « Que
l’excellente existence nous soit alors accordée ! ». En effet, le complément attendu avec le
verbe « qu’il donne » était **OL LNE (ǀ amƗ) au lieu de ’m’n| (Ɨ-mƗn). Le traducteur mé-
diéval, pour le rendre par YHVVN’t, faisait-il donc de +hΩQtǀ une forme de l’impératif de
¥ ah ?
255
Mis pour le génitif ?
256
Sur Ɨk¿sº, voir ci-dessus n. 162. Sur le conglomérat particulaire ºcǀi7 « individuelle-
ment », voir Kellens & Pirart 1988-1991 : II 129 sqq.
257
Locatif dans la rection de Ɨk¿sº, contre Geldner Ɨhnjire mazda. Pour cette rection, cf.
Y 51.13b2 cinuuatǀ ×pΩrΩtƗu Ɨk¿.
258
Accordé avec nǀ. Le traducteur médiéval y voit la première personne (du pluriel ?) de
l’optatif (?) présent : ’šk’lk ’v| ’vhrmzd YHMTVNm « Que nous arrivions en présence d’Ahura
MazdƗ ! ».
259
Par jeu ou dans un souci d’homogénéisation, la diascévase, pour chaque couple de
mots, a chaque fois choisi ºe pour le premier et ºƗi pour le second.
260
L’officiant chargé de verser les offrandes et de réciter les manșra qui doivent les
accompagner.
261
Ces mots donnés au nominatif (masculin pluriel) sont mis pour l’accusatif.
262
Curieuse concurrence du pronom fort mabya « pour moi » et du syntagme hvahmƗi
runai « pour la propre âme-moi ».
263
Sur cette déesse, Pirart 2006b.
264
Sur cette déesse, Pirart 2006b : 120 n. 67 ; 2007a : 37 n. 28 et passim.

61
qu’elles nous abritent, préservent, protègent et surveillent : « Puissiez-vous
être (de ceux qui m’assureront) la bonne existence ! » En faveur de mon
propre ruvan, je (les) invoque et nous leur offrons le sacrifice afin qu’ils (ou
elles) l’abritent, préservent, protègent et surveillent : « Puissiez-vous être (de
ceux qui m’assureront) la bonne existence ! ».

Le grand dieu promet à Zoroastre de sauver son ruvan si, au terme de son
existence terrestre, il est capable de réciter les premiers mots de la deuxième
Cantate :

Y 71.15-16 yeiįi zƯ zarașuštra 265aƝte vƗcǀ V ustΩme uruuaƝse gaiiehe


framrauuƗi266 V 267pairi tƝ tanauua V azΩm yǀ ahurǀ mazd¿ V uruuƗnΩm haca
acištƗ7 aƾhao7 V auuauuaitiia bązasca frașasca V pairitanuiia yașa Ưm z¿ .·.
astica Ưm z¿ auuaiti V bązǀ yauuaiti frașasci7 .·.
yașa vaši a¹Ɨum iįa268 aƾhǀ a¹auua V frapƗraii¿«he269 uruuƗnΩm V tarǀ
cinuuatǀ pΩrΩtnjm V †vahištahe aƾhÈuš† 270 a¹auua 271 jasǀ V uštauuaitƯm
gƗșąm srƗuuaiiǀ V uštatƗtΩm nimraomnǀ .·. [zǀ7 u raspƯ .·.] uštƗ ahmƗi ...
gaƝm manaƾhǀ ºoº
(Sache-le,) Zaraduštra, si tu récites ces paroles au dernier tournant de ta
vie, moi qui suis Ahura MazdƗ, j’empêcherai que ton ruvan rejoigne
l’existence très mauvaise. (Comme si) je le faisais avec une (barrière) aussi
épaisse et vaste que cette terre. Et, (faut-il savoir,) cette terre est bien aussi
épaisse que large ;
5tavan, pour vouloir être Utavan et l’être, tu permettras à ton ruvan de
franchir avec succès le pont de Cinvant, de rejoindre en Utavan l’Existence
excellente et de réciter l’UštƗvatƯ GƗșƗ272 en misant sur le mot «à volonté ! »
(qu’elle contient) [Les différents prêtres (récitent)] : « Y 43.1 ».

265
Mis pour l’accusatif ?
266
Mis ou fautif pour *framrauuahi (voir Kellens 1984a : 253).
267
Cf. ci-dessus Y 19.7.
268 ×
așa corrélatif de yașa ?
269
Moyen possessif par rapport à Y 19.6 (Kellens 1984a : 61).
270
Mis pour l’accusatif (ou le locatif d’après Y 43.6a ou 51.15b) dans la rection de
√ gam, mais la raison du changement ou la cause de la corruption me demeurent obscures.
271
Occupe la place qui est celle de a¹aonąm dans Y 9.19.1c. Les nominatifs a¹auua jasǀ
... srƗuuaiiǀ ... nimraomnǀ devraient s’accorder avec uruuƗnΩm. Ceci, sans compter que la
chronologie est bafouée, dénonce le caractère de copié-collé de ce passage. Cependant, si les
deux lignes suivantes coïncident avec H 2.2.2cd et la précédente, avec V 19.30.2e (voir Pirart,
« Les Trois Nuits dans le VƯdaƝuu-dƗt », à paraître dans Aula Orientalis, Sabadell), celle-ci,
en revanche, manque tout à fait de traçabilité.
272
Sur ce texte mis dans la bouche du ruvan les premières nuits qui suivent le décès, voir
H 2.2.3.

62
L’orant, dans l’espoir que les juges divins rendront un verdict favorable
et que son ruvan connaîtra l’excellente Existence, s’adresse à diverses
divinités :

Yt 10.33 dazdi273 ahmƗkÅm ta7 ƗiiaptÅm V yasÅ șȕƗ yƗsƗmahi snjra V


×
uruuaite dƗtan¾m srauuaËh¾m V ƯštƯm amÅm vÅrÅșraȖnÅmca V hauuaËhum
a¹auuastÅmca V haosrauuaËhÅm hurunƯmca V mastƯm spƗnǀ vaƝiįƯmca V
vÅrÅșraȖnÅmca ahuraįƗtÅm V vanaiQtLmca uparatƗtÅm V yąm a¹ahe vahiš-
tahe V paiti.parštƯmca mąșrahe spÅQtahe .·.
Accorde(-nous) la faveur qui nous revient et que nous te demandons, à toi
l’opulent, durant l’observance des DƗta Sravah274 : la capacité sacrificielle,
l’élan et la force de briser les obstacles, le droit d’accéder à la bonne
existence et le statut de Utavan, le privilège d’un bon verdict 275 et la
possession d’un bon ruvan, la force d’étudier, celle d’enseigner et la science,
(cela nous vous le demandons,) à toi (Mișra), à VUșragna AhuradƗta276, à
277
VanantƯ UparatƗt de 5ta Vahišta et à PatipUšti de Manșra Spanta.

Les dieux eux-mêmes avaient formulé le souhait que le sacrifice offert


les rendît à même de sauver le ruvan des hommes pieux :

Yt 13.50.1-2 278 kǀ nǀ stauuƗ7 kǀ yazƗite V kǀ ufiiƗ7 kǀ frƯnƗ7 kǀ


paiti.zanƗ7 V gaomata zasta vastrauuata V a¹a.nƗsa nΩmaƾha V 279kahe nǀ
iįa280 nąma ƗȖairiiƗ7 V kahe ×nǀ281 uruua fraiieziiƗ7 V kahmƗi nǀ ta7 dƗșrΩm
daiiƗ7 V ya7 hƝ aƾha7 xvairiiąn ajiiamnΩm V yauuaƝca yauuaƝtƗtaƝca .·.
(Les FravUti dirent :) Qui va nous honorer de l’éloge, nous offrir le
sacrifice, nous adresser le chant, nous propitier, nous accueillir, le (pot de lait
de) vache et le vêtement rituel à la main, avec l’hommage qui arrive jusqu’au
(bout du chemin rituel de) 5ta282 (ou : jusqu’au terme de la cérémonie

273
Pour l’établissement du texte, voir Pirart 2007b : 77 sq.
274
Nom d’un texte inconnu qui devait constituer une partie juridique du Manșra
Spanta.
275
Ceci fait sans doute allusion au sravah « verdict » (Pirart 2009a : 228) que Rašnu,
balance en main, fait connaître à l’âme-moi du défunt.
276
Sur ce dieu, Pirart 2006a : 57 sqq.
277
Sur ces deux déesses, Pirart 2006a : 116.
278
Cf. RS 6.47.15a ká ƯP stavat káK pUQƗt kó yajƗte.
279
Les anomalies grammaticales de l’emploi des désinences actives pour le passif et de
celui de l’enclitique nǀ pour en exprimer l’agent se répètent ici trois fois. La langue de
l’auteur de ces lignes me paraît bien étrange. Kellens (1984a : 277), dans la dernière de ces
trois interrogatives, fait de nǀ le complément de ta7 dƗșrΩm, mais pareille analyse qui,
effectivement, pourrait offrir aussi une solution dans la première ne fonctionne pas dans la
deuxième.
280
= védique id» ou ihá?
281
Geldner vǀ.
282
Le chemin du bon agencement est une façon de désigner le déroulement correct de la
célébration sacrificielle.

63
lorsque le 5ta Vahišta283 est récité) ? De qui allons-nous ici accepter pour
bonne la (récitation qu’il ferait de nos) noms ? De qui allons-nous consacrer
le ruvan ? À qui allons-nous assurer une nourriture inépuisable pour toujours
et pour l’éternité ?

Bref, le sort du ruvan fait l’objet de toutes les attentions aussi bien des
mazdéens que de leurs dieux. Soulignons que rien de semblable ne pourra
être dit des autres composants (ou composantes) immatériels de l’individu.

4.7. Étymologie

L’étymologie que Jean Kellens a donnée284 de uruuan- en y voyant un


dérivé de la racine √ ru/rnj « bruire, faire du bruit » doit être exacte, mais je
ne sais si cela renvoie bel et bien au fait que le ruvan, au début de
l’aventure, récite la strophe gâthique285. En effet, un argument objectif,
c’est-à-dire non-contextuel ou non-sémantique, y existe : parmi les diverses
racines *ru et *rnj de l’indo-iranien ancien, c’est la seule qui, en védique,
produise un dérivé en -an-. Ce dérivé est indirectement attesté en védique
par le verbe dénominatif ruvaQyáti «faire du bruit». Certes, c’est un hapax
legomenon : on ne le trouve que dans la phrase m» ruvaQyaK «ne crie
pas!»286 qui est adressée au prêtre qui récite les paroles sacrées. Quant à
l’adjectif ruvaQyú- «bruyant»287 qui est tiré de ce verbe dénominatif, autre
hapax legomenon, Louis Renou288 émet la conjecture que c’est un nom de
BÌhaspáti. Belle coïncidence donc ! Par la récitation de la strophe, le ruvan
se reconstruit un corps réceptacle des facultés de se mouvoir et de percevoir,
un corps pourvu de portes. Et, dans le Veda, BÌhaspáti récite les paroles
sacrées pour détruire les murailles des citadelles des impies289.
Il reste que, pour la désignation précise de l’âme-moi, le sens premier du
mot ruvan ne se justifie pas immédiatement : comment l’idée de bruire

283
Nom du manșra Y 27.14 (sur quoi Pirart 2006b : 151 n. 35) avec lequel toutes
séquences et, partant, tous textes étaient refermés.
284
1995a : 24 n. 13.
285
Le ĝBM 14.8.10.1 paraît offrir un écho à cette idée d’une âme qui bruit : ayám agnír
vaiĞvƗnaráK | yò ’yám antáK púruVe yénedám ánnaP pacyáte yád idám adyáte tásyaiVá
ghóVo bhavati yám etát kárQƗv apidh»ya ĞUQóti sá yadòtkramiVyán bhávati nàitáP ghóVa0
ĞUQoti «C’est Agni VaiĞvƗnara qui se trouve à l’intérieur de l’individu, par qui est cuite la
nourriture que l’on mange. Il est à l’origine de ce bruit que, les oreilles bouchées, l’on entend.
Dès lors, quand il est sur le point de s’échapper, l’on n’entend plus ce bruit».
286
RS 8.96.12c, où, selon Renou (1955-1969 : IV 27), le chantre est prié de ne pas crier
en récitant les paroles sacrées.
287
RS 1.122.5a, avec la traduction de Renou 1955-1969 : V 6.
288
1955-1969 : IV 27 et V 6.
289
Résultat inverse de celui qu’Amphion obtient en chantant lyre en main lors de la
construction des murs de la ville aux sept portes.

64
vaut-elle celle d’être Moi ? La conception zoroastrienne de l’âme est ainsi
l’aboutissement de l’évolution d’une conception préhistorique dont l’Inde
ancienne ne conserve que de rares traces.

5. Gauš Ruvan

La conception du mécanisme de la cérémonie sacrificielle place pratique-


ment sur un pied d’égalité le sacrifiant et la vache qui l’accompagne. Celle-
ci doit fournir le lait nécessaire à la composition de l’offrande. Le lait, pour
servir à couper le Hauma qui représente le ruvan du sacrifiant, sans doute
symbolise-t-il le ruvan de la vache. Dans les textes, l’occasion de l’immola-
tion de la vache n’est pas plus explicitée que celle de sa traite, mais nous sa-
vons290 que sa mise à mort avait pour objet d’envoyer son âme aux dieux.
Ceci serait logique si l’occasion en était les obsèques du sacrifiant puisque
la mort de ce dernier, en définitive, n’est rien d’autre que l’envoi de son
âme-moi chez les dieux, mais aucun texte non plus ne nous l’expose
clairement. Toujours est-il que la mise en tandem de l’homme (nar) et de la
vache (gau) est bien répertoriée291.
Cependant il existe aussi le tandem Gauš Ruvan + Gauš Taxšan. Je
partage l’opinion de Kellens292 qui s’est penché de façon approfondie sur
l’identification de ce Gauš Taxšan pour y reconnaître la déification du rôle
de l’immolateur de la vache. Sa mise à mort rituelle confère à la vache cette
existence mentale qui lui faisait défaut. Au départ, comme elle ne pouvait
prendre part aux cérémonies à la manière d’un sacrifiant, seule293 lui était
acquise l’existence osseuse (ahu astvant). L’existence mentale (ahu
manahiya) que son immolation lui octroie doit lui permettre de rejoindre les
dieux ou l’au-delà.
La Zand-ƗgƗhƯh294 nous informe que la vache de laquelle le dieu Gauš
Ruvan est le Moi n’est autre que la Vache archétypique (Gau AivadƗtƗ).
L’immolation de la vache sacrificielle doit donc reproduire l’opération par
laquelle Ahura MazdƗ avait pu tirer l’ensemble des quadrupèdes de la
Vache archétypique, mais nous en ignorons et les raisons et les modalités.
Je fais alors l’hypothèse que la vache immolée symbolise aussi la
conscience religieuse (dainƗ) du sacrifiant aux frais de qui, ne l’oublions
pas, l’existence mentale avait pu être générée jour après jour. En effet, l’une

290
Notamment par Strabon.
291
Cf. ci-dessus Yt 14.54.1-2 et Pirart 2007a : 47 sq.
292
1995b : 347-357.
293
Y 29.6b nǀi7 aƝuuƗ ahnj vistǀ V naƝdƗ ratuš a¹Ɨ7cƯ7 hacƗ « Jamais celui qui n’a qu’un
seul état n’a trouvé ni (un Maître) ni un plan adapté à l’Agencement » (traduction Kellens
1995b : 355).
294
ZA 4A.2, 26.26.

65
des formes que la dainƗ adopte sur le chemin de l’au-delà où le ruvan du
sacrifiant défunt vient à la rencontrer est précisément celle d’une vache295.
Le souhait qu’il en aille bien ainsi ouvre les GƗșƗ. Le sacrifiant y montre
sa conviction qu’Ahura MazdƗ, en réponse au recours fait à la pensée
bonne, accueillera son âme et celle de la vache au delà de la mort296 :

Y 28.1 ahiiƗ yƗsƗ †nΩmaƾhƗ V ustƗnazastǀ rafΩįrahiiƗ†297 V mainiiÈuš


mazdƗ paouruuƯm V spΩQtahiiƗ a¹Ɨ vƯspÈQg ĞiiaoșanƗ V vaƾhÈuš xratnjm298
manaƾhǀ V yƗ299 xšnΩuuƯšƗ gÈušcƗ300 uruuƗnΩm º du bƗr º .·.301
(La conviction que tu es) secourable et savant ou que tu pourras accueillir
(mon ruvan) et celui de la vache, cette conviction m’amène à dresser les bras
pour (vous) rendre hommage, MazdƗ, et à <vous> adresser à tous une
première demande en recourant au bon agencement, en faisant les gestes que
pareille conviction me dicte ou avec l’efficace du penser bon [(Strophe à
réciter) deux fois].

6. Deux textes fondamentaux

6.1. Dk 3.123.2

La deuxième des quatre parties du chapitre 123 du troisième livre du


DƝnkard302, texte fondamental pour notre propos, traite des entités abstraites
(mƗnyava) situées dans le concret ou en rapport avec lui que sont le ruvan
« le Moi », l’uštƗna « le principe de vie ou faculté de mouvement », le
baudah « la faculté de perception », le cișra « le signe » et la fravUUti « la
préférence » (lvb’n| ; y’n|, HYA ou ’všt’n| ; bvd ; cyhl ; plv’hl ou plvš). Pour
devoir y revenir dans de prochains chapitres303, je ne me pencherai pas ici

295
VZ 30.52.5, 30.57-58.
296
Y fait partiellement écho le V 19.31 dans lequel Vahu Manah se lève de son trône
d’or pour accueillir le ruvan du pieux défunt. Jean Kellens et moi avions traduit autrement
cette strophe (1988-1991 : I 105 et III 19 sq.).
297
rafΩįra- est le dérivé adjectif de raftar- « secourable ». Étant donné que le vers est
catalectique, que la césure désarticule le syntagme nΩmaƾhƗ ustƗnazastǀ et que le pronom
« vous » manque, je considère que ce premier vers est endommagé.
298
xratnjm est un instrumental que le passage du saPhitƗpƗWha au padapƗWha, par une
erreur due à la présence d’un mot commençant par m à sa suite, a maquillé en accusatif.
299
Il est impératif de faire de ahiiƗ le corrélatif de yƗ. Dès lors, ce pronom relatif est à
l’instrumental, et son antécédent est forcément ahiiƗ ... rafΩįrahiiƗ mainiiÈuš ... spΩQtahiiƗ.
300
Coordination elliptique du type BºcƗ.
301
ahya yƗsƗ ×rafșrahya V ustƗnazastah <vƗh> namahƗ× V manyauš mazdƗ parviyam
V
spantahya UtƗ vispƗnh ĞyƗușnƗ V vahauš +xratnj manahah V yƗ xšnavƯša gauš ca
ruvanam .·..
302
Dk 3.123.2 (Dresden 1966 : 742.15-741.17 ; Madan 1911 : 122.5-123.13 ; Bailey
1943 : 207 sq. ; de Menasce 1973 : 126 sq.).
303
IV 4, VI 3.2, VI 10.

66
sur les conclusions qu’il faut tirer de la lecture de cet exposé médiéval
concernant les deux dernières entités. Rien de ce que les textes avestiques et
pehlevis nous ont dit du ruvan, du baudah et de l’uštƗna n’entre réellement
en contradiction avec ce texte.
Parmi les difficultés rencontrées à l’instant de comprendre ce texte304
qui, comme la plus grande part du DƝnkard, figure dans le seul manuscrit de
Bombay (B), il convient de signaler que bǀy (bvd QE) y est souvent écrit
BRA (DQE)305 ou que, plusieurs fois, il est malaisé de décider entre vaxš
« principe de croissance ; esprit [?] »306 et gyƗn « principe de vie » : ';Q
(vhš) ou '($(HYA) ? En réalité, à l’exception de la deuxième phrase où
nous trouvons ×y’n| (déformé en ’hv| ?), nous devons partout y lire l’ara-
méogramme HYA (gyƗn). Le ductus, qui n’est guère fiable, paraît avoir subi
une simplification avec le changement de page, ce que Dh. M. Madan
(1911) reproduit fidèlement : sur la première des deux pages (Dresden
1966 : 742), le ductus comporte '(tandis que, sur la seconde (Dresden
1966 : 741), nous trouvons plutôt V(et même une fois <I).
Plusieurs incertitudes syntaxiques grèvent ce texte de 17 phrases307 : la
locution pad Ɨn Ư ka « en ce que » n’est pleinement donnée que deux fois
(phrases 10 et 13) sur cinq, ka manquant dans les phrases 8-9 et la locution
devant être complètement restaurée dans la phrase 12 tandis que 11 recourt à
×
cƝ ; la locution Ɲn Ư knj « ceci que » paraît devoir être restituée dans la phra-
se 4 ; les mots zǀrƗn Ư gyƗn ruvƗn me paraissent être de trop dans la phra-
se 6. Sans compter la lourde, mais impérative nécessité ressentie de restituer
une négation dans la dernière phrase.
L’homogénéité du texte transparaît notamment de l’écho que 12 vinnƗr-
dƗrƯh ou 13 vinnƗrišn trouvent en 16, de l’emploi d’adjectifs en -ƝnƗg ou de
celui récurrent des locutions verbales ham hend (abƗg) « se ressemblent »/
«ressemblent à » et jud ast / hend (az) « diffère(nt) »/ « diffère(nt) de ».
Les mots ’všt’n ’vmn|d (uštƗn-ǀmand) de la phrase 13 et ’všt’n yn’k|
(uštƗn-ƝnƗg) de la 14 laissent supposer un texte original avestique, mais il y
a plusieurs autres indices : l’hésitation graphique concernant le nom de la

304
La traduction que Jean de Menasce nous en offre, plutôt brute, est visiblement
désespérée.
305
Voir de Menasce 1973 : 396.
306
Chez Mackenzie (1971 : 88) figurent deux homographes homophones, le premier
rendu par « spirit » et le second par « profit, interest ». Sur ce mot, voir aussi Pirart 2010a :
118 sq. n. 86. Les signes vhš peuvent parfois aussi être lus vƗxš « Word » selon Zaehner
(1955 : 174 sq. n. 11), mais, dans l’exemple donné (Dk 3.123.3.2), il me semble préférable
d’y reconnaître vaxš « facteur de développement » : QDM yzd’n| AYT|yh ŠPYL vhš AYT| hlt|c
« Concernant l’essence des Yazata. Le facteur de développement du vahu, c’est le xratu »
(contre Zaehner : « the Word of the good, that is wisdom »). Il en va de même notamment
dans le Dk 7.1 où, contre Molé (1967 : 7 sqq.) qui veut y reconnaître « la Parole », vaxš est
un synonyme de xvarrah.
307
La cinquième est en partie la répétition de la troisième. Comme c’en est souvent le
cas, ces phrases, pour le style, s’apparentent à des théorèmes.

67
fravUUti généralement écrit plv’hl, mais, dans la phrase 8, apparaissant sous
la forme plvš ; la présence vraisembable de gloses ou de commentaires (je
les entoure de {...}).
Ajoutons-y le mot sty « entité », un avesticisme peu courant, qui apparaît
deux fois dans la phrase 8, mais il se pose la question de savoir si les
adjectifs mynvd et gytyy le sous-entendent. J’en émets la conjecture sur la
base des syntagmes avestiques mainiiΩuuƯ- sti- et gaƝișiiƗ- sti-, mais en leur
donnant les sens de « entité abstraite » et « entité concrète » un peu diffé-
rents de ceux que je serai appelé à leur reconnaître dans le chapitre IV 3.
L’importance du texte ressort déjà de l’attention que H. W. Bailey lui avait
prêtée308 :

[1] V BYN gytyy mynvdtlc AYT| lvb’n <Y> BYN tn| (ud andar gaƝișii309
mainiiaoii-tar-iz ast ruvƗn <Ư> andar tan) [2] V y’n| <Y> BYN lvb’n OL
d’l’kyh V l’dyn’kyh Y gytyy ’p’dšnyk (ud gyƗn310 <Ư> andar ruvƗn ǀ dƗrƗgƯh
ud rƗyƝnƗgƯh Ư gaƝișii abƗyišnƯg) [3] <V> mynvd <Y> BYN gytyy cygvn HYA
<Y> tn| zyv<yn>’k V ×bvd <Y> tn| vyn’kyn’k V lvb’n| <Y> tn| l’dyn’k (<ud>
mainiiaoii <Ư> andar gaƝișii ciyǀn gyƗn <Ư> tan-zƯv<Ɲn>Ɨg ud ×bǀy311 <Ư>
tan-vƝnƗgƝnƗg ud ruvƗn <Ư> tan-rƗyƝnƗg) [4] V vymnd Y mynvd <Y> BYN
gytyy <ZNE Y AYK> cygvn| HYA tn| zyvyn’k| <V> ×bvd tn| vyn’k<yn’k> (ud
vimand Ư mainiiaoii <Ư> andar gaƝișii <Ɲn Ư knj> ciyǀn gyƗn tan-zƯvƝnƗg <ud>
×
bǀy 312 tan-vƝnƗg<ƝnƗg>) [5] <V> ZK Y LA svhyhyt| PVN svhšn’n|
HZYTV<N>yhyt| PVN HYA vynšn| <V> KRA ME LA svhyhyt| PVN tn| svh-
šn’n| <V> HZYTV<N>yhyt| PVN HYA vynšn| mynvd AYT| (<ud> Ɨn Ư nƝ
sǀhƯhed pad sǀhišnƗn ×vƝnƯhed pad gyƗn vƝnišn <ud> harv cƝ nƝ sǀhƯhed pad
tan sǀhišnƗn <ud> ×vƝnƯhed pad gyƗn vƝnišn mainiiaoii ast) [6] V mynvd
vyn’lt cygvn lvb’n| KBD zvlc cygvn vyl <V> ’vš V hlt| V HYA [zvl’n Y HYA
lvb’n|] (ud mainiiaoii vinnƗrd ciyǀn ruvƗn vas zǀr-iz ciyǀn vƯr <ud> uš313 ud
xrad ud gyƗn [zǀrƗn Ư gyƗn ruvƗn]) [7] <V> hm HVE|d lvb’n| V HYA V cyhl
PVN ZK Y <AMT> KRA TLTA mynvd HVE|d (ud ham hend ruvƗn ud
+
gyƗn314 ud cihr pad Ɨn Ư <ka> 315harv se mainiiaoii hend) [8] V yvdt| HVE|d
lvb’n| <V> plv’hl MN [V]HYA PVN ZK Y <AMT> lvb’n| V plvš styc HVE|d

308
1943 : 206 sq.
309
Ici et plus loin, gaƝișii (gytyy ;7)) « (entité) concrète » ou ×gaƝișiiƯh (×gytyyh <;7)×)
« l’ensemble des (entités) concrètes, le monde matériel ». Le mot proprement pehlevi est
gƝhƗn (gyh’n| QYMH)).
310
Avec Bailey (jƗn) et de Menasce, le manuscrit B paraissant donner QYM; (’hv|) au lieu
de QYM(.
311
B et Madan BRA ; Bailey bƝ.
312
Avec de Menasce, contre B et Madan BRA ; Bailey bƝ.
313
Voir de Menasce 1973 : 396.
314
B et Madan vhš ; Bailey (suivi par de Menasce) vaxš au lieu de V HYA (ud gyƗn).
315
Cf. phrase 13.

68
V [V]HYA PVN sty (ud jud hend ruvƗn <ud> frauua¹ az ×gyƗn316 pad Ɨn Ư
<ka> ruvƗn ud frauua¹317 sti-z318 hend ud ×gyƗn319 pad sti320) [9] V yvdt|
HVE|d lvb’n| V plv’hl ’yvk| MN TVB PVN ZK Y <AMT> lvb’n| k’mk ’vmn|d
<V> k’myk k’l <V> plv’hl cyhl’vmn|d V cyhlyk k’l (ud jud hend ruvƗn ud
frauua¹ Ɲk az did pad Ɨn Ư <ka> ruvƗn kƗmag-ǀmand {<ud> kƗmƯg-kƗr}321
<ud> frauua¹ cihr-ǀmand {ud cihrƯg-kƗr}322) [10] V yvdt| AYT| HYA MN
lvb’n| PVN ZK Y AMT lvb’n| ×hvt’d Y [V]HYA V [V]HYA nylvk| Y PVN lvb’n|
(ud jud ast +gyƗn323 az ruvƗn pad Ɨn Ư ka ruvƗn ×xvadƗy324 Ư ×gyƗn325 ud
×
gyƗn326 nƝrǀg Ư pad ruvƗn) [11] <V> yvdt| HVE|d KRA TLYN-1 PVN<
v>cyn[yt ]k’lyh ×ME k’l Y [V]HYA [V] hlt|c vcynklyh’ V ZK Y plv’hl cyhl
hdyb’l vyš Y ptš V ZK Y lvb’n k’myk k’lyhc (<ud> jud hend †harv dǀ-Ɲv†327
×
pad vizƯnagƗrƯh×328 ×cƝ329 kƗr Ư ×gyƗn330 [ud] xrad-iz vizƯnagarƯhƗ ud Ɨn Ư
frauua¹ cihr ayƗr vƝš Ư331 padiš ud Ɨn Ư ruvƗn kƗmƯg-kƗrƯh-iz332) [12] [Y] V
yvdt| AYT| lvb’n| MN plv’hl <V> cyhl V [V]HYA <PVN ZK Y AMT> lvb’n|
vyn’lt’lyh <V> plv’hl V [V]HYA vynltk| HVE|d MN lvb’n| ([Ư] ud333 jud ast
ruvƗn az frauua¹ <ud> cihr ud ×gyƗn334 <pad Ɨn Ư ka> ruvƗn vinnƗrdƗrƯh
<ud> frauua¹ ud ×gyƗn335 vinnirdag hend az ruvƗn) [13] V hm HVE|d ’knyn|
PVN ZK Y AMT PVN hm YHMTVNšn| Y KRA TLTAd LVTE ’všt’n ’vmn|d v’t|
Y AYT| ×HYA vyn’lšn| Y ANŠVTA YHVVNyt| (ud ham hend336 ƗgenƝn pad Ɨn Ư
ka pad ham-rasišn337 Ư 338harv ×se abƗg uštƗn-ǀmand vƗd {Ư ast ×gyƗn339}340
vinnƗrišn Ư mardǀm baved) [14] <V> plv’hl PVN ’t’š cyhl ’všt’n yn’k| Y v’t|

316
B et Madan MNV hš ; Bailey (suivi par de Menasce) kƝ vaxš au lieu de MN HYA (az
gyƗn).
317
Orthographié plvš (VQ/S) au lieu de plv’hl (O';Q/S).
318
Avec B (&7)), Madan et de Menasce, contre Bailey gƝtƯk-iþ.
319
B et Madan V vhš ; Bailey (suivi par de Menasce) ut vaxš.
320
Avec B (7)), Madan et de Menasce, contre Bailey gƝtƯk.
321
Glose ?
322
Glose ?
323
Avec Bailey jƗn, contre B et Madan hš et de Menasce vaxš.
324
B et Madan hvtyh ; De Menasce « substrat » (xvadƯh ?) ; Bailey ruvƗn-xratƯh.
325
B et Madan vhš ; Bailey (suivi par de Menasce) vaxš.
326
B et Madan V vhš ; Bailey (suivi par de Menasce) ut vaxš.
327
Pourquoi n’avons-nous pas ici Ɲk az did au lieu de harv dǀ-Ɲv ?
328
Avec Bailey pat viþƯn[Ɲt]-kƗrƯh, contre B et Madan PVNcynyt k’lyh.
329
Au lieu de cƝ (ME +"), B et Madan donnent QDM (G) ; Bailey apar. Pourquoi n’a-t-il
pas été recouru, comme ailleurs, plutôt à la locution pad Ɨn Ư ka ?
330
B et Madan vhš ; Bailey (suivi par de Menasce) vaxš.
331
Bailey om.
332
Cf. phrase 9.
333
Bailey Ư [w].
334
Bailey (suivi par de Menasce) vaxš.
335
Bailey (suivi par de Menasce) vaxš.
336
Avec de Menasce, contre Bailey ut amƗvand.
337
Bailey hƝm rasišn.
338
Cf. phrase 9. Lesquels trois ? Sans doute le Moi, la préférence et le signe.
339
B et Madan HS (<I$) ; Bailey (suivi par de Menasce) *jƗn.
340
Glose ?

69
<V> PVN v’t| ’všt’n<’vmnd>yh zyvynyt’l Y tn| (341<ud> frauua¹ pad Ɨtarš
cihr uštƗn-ƝnƗg Ư vƗd <ud> pad vƗd uštƗn<ǀmand>Ưh zƯvƝnƯdƗr Ư tan) [15]
<V> lvb’n| <Y> BYN tn|< PVN ’všt’n>’vmndyh {<V> PVN [V]HYA’vmn|d
bvd ’p’kyh} vyn’kyn’k| l’dyn’k Y tn| (<ud> 342ruvƗn <Ư> andar tan< pad
uštƗn>-ǀmandƯh {<ud> pad gyƗn-ǀmand343 bǀy abƗgƯh} vƝnƗgƝnƗg ud344 rƗ-
yƝnƗg345 Ư tan) [16] V hm HVE|d ×bvd V HYA PVN mynvdyh Y vyn’lt’l Y AYT|
Y OLEš’n| hm HVE|d KRA PVN mltvm vyn’lt’lyh (ud ham hend ×bǀy ud×
gyƗn346 pad mainiiaoiiƯh Ư347 vinnƗrdƗr<Ưh> {Ư ast Ư avƝšƗn ham hend348 harv
pad mardǀm vinnƗrdƗrƯh}349) [17] V PVNc ZK hmyh Y plv’hl V [V]HYA[n]-
’vmn|d ×bvd vtlt| tn| <Y> LVTE ’hlvb| lvb’n| <LA> yvdt| HVE|d ×bvd <V>
plv’hl MN lvb’n| AMT lvb’n| dlvndyhytk|c ×’š bvd <V> plv’hl dlvnd hcš
vs’nyhynd (ud pad-iz Ɨn hamƯh Ư frauua¹ ud gyƗn-ǀmand350 ×bǀy351 vidard
tan <Ư> abƗg a¹auu ruvƗn <nƝ> jud hend352 ×bǀy353 <ud> frauua¹ az ruvƗn
<ud> ka ruvƗn druvandƯhƯdag-iz ×Ɨ-š354 bǀy <ud> frauua¹ <Ư> druvand aziš355
visƗnƯhend)
[1] Et l’(élément le) plus abstrait situé dans le concret est le Moi situé
dans la personne. [2] Et le principe de vie, situé dans le Moi, lui est
nécessaire au maintien et à la direction du concret. [3] Et, comme exemples
d’(entités) abstraites situées dans le concret autres que le Moi directeur de la
personne, (il y a) le principe de vie animateur de la personne et 356la faculté
de perception permettant à la personne de percevoir. [4] Et, pour la définition
d’une (entité) abstraite située dans le concret (tel que le Moi), (nous dispo-
sons donc des) exemples du principe de vie animateur de la personne ou en-
core de la faculté de perception qui lui permet de voir. [5] (En effet,) ce qui
n’est pas perçu au moyen des organes des sens est vu au moyen de la capacité
de vision du principe de vie. Et tout ce qui n’est pas perçu au moyen des
organes des sens de la personne, mais est vu au moyen de la capacité de
vision du principe de vie, c’est une entité abstraite. [6] Et le Moi, avec ses
multiples vitesses que sont mémoire, entendement, intelligence et principe de

341
Sur la phrase 14, voir Tavadia 1935-1936 : 196.
342
Cf. phrase 1.
343
Bailey (suivi par de Menasce) vaxšǀmand.
344
Bailey om.
345
Cf. phrase 3.
346
B et Madan BRA V hš ; Bailey bƝ vaxš ; de Menasce ×bǀy ut vaxš.
347
Bailey [y].
348
Avec de Menasce, contre Bailey amƗvand.
349
Glose ?
350
Bailey (suivi par de Menasce) vaxšǀmand.
351
Avec de Menasce, contre B et Madan BRA ; Bailey bƝ.
352
Dans plusieurs phrases précédentes, nous avns déjà rencontré ce syntagme, mais son
sens paraît être ici « s’éloigner de » plutôt que « différer de ».
353
Avec de Menasce, contre B et Madan BRA ; Bailey bƝ.
354
B V.
355
Bailey ut-aš.
356
Ce bout de phrase manque chez de Menasce.

70
vie, est un exemple d’organisation d’(entité) abstraite [...]. [7] Et le Moi, le
principe de vie et le signe se ressemblent en ce que tous trois sont des
(entités) abstraites. [8] Et le Moi et la préférence diffèrent du principe de vie
en ce que le Moi et la préférence sont à proprement parler des entités tandis
que le principe de vie, (tout entité qu’il soit,) dépend d’une entité. [9] Et le
Moi et la préférence diffèrent l’un de l’autre en ce que le Moi est accompagné
de volonté {et possède une action dictée par la volonté} tandis que la préfé-
rence est accompagnée du signe {et possède une action significative}. [10] Et
le principe de vie diffère du Moi en ce que le Moi est le souverain (ou : le
possesseur) du principe de vie ou que la force du principe de vie dépend du
Moi. [11] Et ils diffèrent tous deux par le mode d’activité ; car l’activité du
principe de vie passe par (ou : suit) le discernement de l’intelligence tandis
que celle de la préférence est d’aider considérablement le signe du (Moi) et
que celle du Moi est d’agir volontairement. [12] Et le Moi diffère de la préfé-
rence, du signe et du principe de vie en ce que le Moi organise tandis que la
préférence et le principe de vie sont organisés par le Moi. [13] Et ils se
ressemblent tous en ce que, si tous trois se réunissent avec le vent doté de la
faculté de se mouvoir qui n’est autre que le principe de vie, l’organisation de
l’être humain alors a lieu. [14] Et la préférence, par le signe du feu, est (non
seulement) ce qui dote le vent de la faculté de se mouvoir, mais (aussi), par le
biais de la faculté de se mouvoir du vent, l’agent animateur de la personne.
[15] Et le Moi situé dans la personne, avec la présence de la faculté de se
mouvoir {= avec le concours de la faculté de percevoir accompagnée du prin-
cipe de vie}, permet à la personne de percevoir et de fonctionner. [16] Et la
faculté de perception et le principe de vie se ressemblent par le caractère abs-
trait de l’organisation, {c’est-à-dire qu’ils se ressemblent à l’instant d’organi-
ser l’humain}. [17] Et, du fait même de la similitude qu’elles présentent avec
lui, la faculté de percevoir accompagnée du principe de vie et la préférence de
la personne possédant un Moi d’harmonieux, suite au trépas, <ne> s’éloignent
<pas> de (ce) Moi, mais, si le Moi vient à être plutôt celui d’un égaré, la fa-
culté de percevoir et la préférence357 de (cet) égaré alors s’en écartent.

Selon le sommaire figurant en tête du chapitre 123, ce texte traite de la


définition des mƗnyava « abstraits » situés parmi les gaișiya « concrets »,
de leurs puissances, de ce qui les rapproche les uns des autres et de ce qui
les différencie les uns des autres.
Dire que le ruvan est un mƗnyava restant une définition peu précise qui,
de surcroît, ne fait jamais que déplacer la question, l’utilité est ressentie
d’afficher d’emblée, pour la suite de l’exposé, la relation qu’il entretient
avec le principe de vie. L’un des traits importants du texte est le distingo
opéré entre principe de vie (*gayƗna) et faculté de mouvement (uštƗna).

357
Donnée rarissime : les drugvant disposent d’une fravUUti.

71
Afin de donner une idée de ce mƗnyava qu’est le ruvan, comparaison
est établie avec le gayƗna et le baudah. Tous trois sont des mƗnyava situés
dans le concret. Peut-être devons-nous en déduire que la fravUUti et le cișra
dont il sera question bientôt sont des mƗnyava extérieurs à la personne. La
définition du gayƗna permet une meilleure approche de celle du ruvan,
mais, sans doute par prudence, il est signalé que ce dernier ne se limite pas
au gayƗna pour comprendre aussi vƯr, uš et xrad, mémoire, entendement et
intelligence, une triade qui rappelle, mais imparfaitement, celle du Yt
1.28.2-4358 uši ... xratnjm ... hizuuąm, entendement, intelligence et langue359.
La triade des trois mƗnyava que sont ruvan, gayƗna et cișra est alors
établie afin d’introduire ce dernier élément utile à la suite de l’exposé. En
effet, après la précision que, contrairement au ruvan ou à la fravUUti, le
gayƗna est une sti dépendant d’une autre sti, la relation spécifique que la
fravUUti entretient avec le cișra est affirmée. Même si ruvan, fravUUti et
cișra restent comparables pour configurer tous trois la personne au moyen
du gayƗna, il reste que le ruvan se distingue de la fravUUti, du cișra et du
gayƗna pour organiser la fravUUti et le gayƗna tandis que la fravUUti, comme
il a été dit, agit sur le cișra.
Le gayƗna, apprenons-nous par les gloses, n’est autre que le vƗta
uštƗnavant, le souffle accompagné de la faculté de mouvement. Il a aussi
été reconnu que, conformément à l’étymologie (ušta- et suffixe ºƗna- ĺ
« appartenant au voulu »), l’uštƗna contenait kƗma « le désir, la libido ».
L’activité du ruvan ainsi est-elle fonction du kƗma tout comme celle de la
fravUUti l’est du cișra. Celui-ci qui émane du Feu permet à la fravUUti de con-
figurer le gayƗna et, par suite, d’animer la personne. Celle-ci ne peut
fonctionner sans le baudah ni le gayƗna. Avec la fravUUti, ils ne quittent pas
le ruvan lors du trépas à moins que ce ruvan soit celui d’un drugvant.
Sans nul doute vus comme origines respectives du souffle de la
respiration et de la température du corps, mais aussi de la faculté dont la
personne jouit de se mouvoir (uštƗna) et du signe positif de son
comportement rituel (cișra), les Yazata VƗta et ƖtUU aident le ruvan à
organiser la personne humaine.
La fravUUti, en fonction du cișra que le feu rituel détermine, module la
faculté de mouvement (gayƗna) et la libido (kƗma) qui l’inspire, mais à la

358
Sur ce passage, voir Pirart 2007b : 63. Cf. Y 62.4.
359
L’étymon de 2vƯr « memory, mind » (Mackenzie 1971 : 91) ne peut être 2vƯra-
(Bartholomae 1904 : col. 1454) si ce dernier, présent uniquement dans framΩn.narǀ.vƯra-
(col. 988) et dans 2huuƯra- (col. 1858), en réalité, n’est pas distinct de 1vƯra- (Pirart 2010a :
136). Pour que vƯr reflétât sémantiquement hizuuąm, nous devrions alors l’expliquer éven-
tuellement par vaxΩįra- (Y 29.8), un hapax legomenon que la traduction pehlevie rend par
gǀvišn, mais dont le contexte reste malheureusement intraitable, et y reconnaître une désigna-
tion du don de la parole, une désignation de la capacité de réalisation sonore de la pensée ou
de la capacité de s’exprimer oralement.

72
condition que le ruvan dont cette faculté de mouvement ou cette libido
dépendent soit celui d’un Utavan.
La grande proximité que le gayƗna montre avec le ruvan ressort de
l’indication répétée qu’il lui appartient : situé à l’intérieur du ruvan (2), il
n’est jamais que l’une de ses quatre vitesses (6), une force dont le ruvan
dispose ou qui dépend de lui (10), organisée par lui (12), une entité non
autonome (8).

6.2. Dk 3.218

Le chapitre 218360 du troisième livre du DƝnkard se montre tout aussi


féru de définitions que le 123 concernant le ruvan et d’autres parts
immatérielles de l’individu. Les deux textes s’accordent assez entre eux et
présentent même de semblables difficultés. Dans le chapitre 218, il y a
notamment celle de la lecture du second gyƗn du troisième paragraphe, ce
que le parallèle VZ 30.22 permet d’aplanir361. Pour devoir y revenir dans de
prochains chapitres, je ne me pencherai pas ici sur les conclusions qu’il faut
tirer de ce texte concernant le cișra ou la fravUUti :

[0] QDM mynvd’n Y BYN mltvm [APš’n|] k’lykl APš’n k’l MN nkyc| Y
vyhdyn| .·. (abar mainiiaoiiƗn Ư andar mardǀm [u-šƗn] kƗrƯggar u-šƗn kƗr az
nigƝz Ư veh dƝn) [1] HVEt| MN ŠPYLdyn| nkyc| BYN ך’dstn|362 s’m’n <Y>
MN ’pvlšn V dhšn| (WW) <mynv>d’n| Y BYN mltvm tn| k’lykl m’tkvl ZNEc 4 Y
AYT| .·. lvb’n| <V y’n| V> plv’hl <V> bvd .·. (hƗd az veh dƝn nigƝz andar
šƗyistan sƗmƗn <Ư> az Ɨfurišn ud dahišn mainiiaoiiƗn Ư andar mardǀm tan V
kƗrƯggar mƗdagvar Ɲn-iz cahƗr Ư ast .·. ruvƗn <ud gyƗn ud> frauua¹ <ud>
bǀy .·.) [2] <V> lvb’n| AYT| ’hv| <V> hvt’d Y QDM tn| <V> cygvn ktkhvt’d
ktk V v’spvhl ’sp| <’ytvn|> l’dynyt’l[yh] <Y> tn| .·. (<ud> ruvƗn ast V ahu
<ud> xvadƗy Ư abar tan <ud> ciyǀn kadag-xvadƗy kadag ud vƗspuhr asp
<Ɲdǀn> rƗyƝnƯdƗr[Ưh] <Ư> tan .·.) [3] V y’n| <V> bvd V plv’hl KHDE +HYA Y
[V] ptš V BYNš’n| ’pz’l’vmn|d Y lvb’n| .·. (ud gyƗn <ud> bǀy ud frauua¹ V
hƗmist +gyƗn Ư [ud] padiš ud andar-išƗn abzƗr-ǀmand Ư ruvƗn .·.) [4] <V> y’n
v’t| Y MN pl<v>’hl <Y> cyhl <d’št’l> ’všt’nynytk| PVN ’všt’n<’vmnd>yh
’všt’n’vmn|d d’št’l [Y] AYT| Y tn| cygvn drvyst| hv’lt’l Y <ktk|> ktkhvt’d .·. V
k’lyk d’št’l Y ’sp| ’spv’l (<ud> gyƗn vƗd Ư az fra<uu>a¹ cihr uštƗnƝnƯdag pad
uštƗn-<ǀmand>Ưh uštƗn-ǀmand dƗštƗr [Ư] ast Ư tan ciyǀn drust xvƗrdƗr Ư

360
Dresden 1966 : 643.13-641.9 ; Madan 1911 : I 241.12-243.14 ; de Menasce 1973 :
230-231. [...] = interpolation. <...> = à restituer. (...) = biffé. W = signe non identifié ou
illisible. {...} = commentaire ou glose. <...> = endommagé.
361
Il faut tenir compte de VZ 30.22 gyƗnƯg se Ư ast gyƗn ud bǀy ud frauua¹, contre B
KHWW hš ; Madan KHDE vhš ; de Menasce vaxš « esprit ».
362
B š’yt| Wd.

73
<kadag> kadag-xvadƗy .·. ud kƗrƯg dƗštƗr Ư asp aspvƗr .·.) [5] <V> HNA Y
AMT MN tn| yvdt YHVVNyt| <’> tn| mlkyhyt| cygvn AMT stvn Y ktk| škyhyt|
<’> ktk ’vbdyhyt| (<ud> Ɲd Ư ka az tan jud baved <Ɨ> tan margƯhed V ciyǀn ka
stnjn Ư kadag škihed <Ɨ> kadag ǀbadƯhed) [6] V plv’hl cyhl d’št’l V plvlt’lc Y
tn| cygvn vyl’st’l V ’p’t’n| d’št’l Y ktkhvt’d [V] ktk| V m’tgd’l Y ’spv’l ’sp| (ud
frauua¹ cihr dƗštƗr ud parvardƗr-iz Ư tan ciyǀn virƗstƗr ud ƗbƗdƗn dƗštƗr Ư
kadag-xvadƗy [ud] kadag ud mƗdayƗr Ư aspvƗr asp) [7] <V> HNA Y AMT MN
tn| yvdt| YHVVNyt <’> tn| OZLVNt| zvl V ’k’l m’nyt| cygvn ktk| AMT MN
vyl’dšn| ŠBKVNyh-BYN <’> ’vgl’<dy>nyhyt .·. (<ud> Ɲd Ư ka az tan jud
baved <Ɨ> tan šud-zǀr ud agƗr mƗned ciyǀn kadag ka az virƗyišn hilƯhed <Ɨ>
ǀgrƗyƝnƯhed .·.) [8] V bvd lvšn| d’št’l Y ktk| hvt’d ktk V ×vyn’kyh363 <Y>
’spv’l ’sc| V vyn’kynyt’l Y ktk hvt’d BYN ktk| <V> ’spv’l QDM ’sp| cygvn
lvšnyh Y gyh’n| hvlšyt| <V> vcl’k <ZK> Y BYN ktk| .·. (ud bǀy rǀšn dƗštƗr Ư
kadag-xvadƗy kadag ud ×vƝnƗgƯh <Ư> aspvƗr asp ud vƝnƗgƝnƯdƗr Ư kadag-
xvadƗy andar kadag <ud> aspvƗr abar asp ciyǀn rǀšnƯh Ư gƝhƗn xvaršƝd <ud>
vizƗrag <Ɨn> Ư andar kadag .·.) [9] V HNA Y AMT MN tn| yvdt’kyhyt| <’>
lvb’n <Y> BYN tn| ’n’kyh V tn| <Y> BYNc zyvykyh ’m’lšn| YHVVNyt| .·. (ud
Ɲd Ư ka az tan judƗgƯhed <Ɨ> ruvƗn <Ư> andar tan anƗgƯh ud tan <Ư> andar[-iz]
zƯvƯgƯh ƗmƗlišn baved .·.) [10] V lvb’n| PVN plv’hl V bvd V y’n tn| ’pz’lyh
PVN hvyšk’lyh Y ’vbš ŠDRVNyt ’pyy v’hvkyh APš hvyšk’lyh V kvššnyk
v’nyt’lyh Y dlvc| cygvn ’spv’l PVN ’sp| zyn| ’pz’lyh zt’lyh V v’nyt’lyh
×
dvšmyn|364 .·. (ud ruvƗn pad frauua¹ ud bǀy ud gyƗn ud tan abzƗrƯh pad
xvƝškƗrƯh Ư aviš frƝstƯd abƝ-[v]ƗhǀgƯh u-š xvƝškƗrƯh kǀxšišnƯg vƗnƯdƗrƯh Ư druj
ciyǀn aspvƗr pad asp zƝn abzƗrƯh V zadƗrƯh ud vƗnƯdƗrƯh Ư ×dušmen .·.) [11] V
dvšmyn| Y lvb’n| cygvn dvšmyn|c ZYš ’pz’l’n| ×klyhynytk|365 Y dlvc| OL
mlncynyt’lyh Y d’m ’c| <V> vln| <V> ’šm V kyn| V ×’n’g366 V ’lyšk|c Y mt|
YKOYMVNyt OL tn| kvhššn| Y LVTE lcmyc tn| V lvb’n| PVN <v>’nynytn| Y
NTLVNynytn| Y MN lcm AYK PVN ZK Y OLE v’nyt’lyh mlnc<yn>’nd V
’k’l<yn>’n|d ’p’ryk kvššnyk dhšn’n Y ŠPYLyh .·. (ud dušmen Ư ruvƗn ciyǀn
dušmen-iz Ư-š abzƗrƗn ×kirƯhƝnƯdag Ư druj ǀ murnjƝnƯdƗrƯh Ư dƗm<Ɨn Ư ast> Ɨz
ud varԥn ud aƝšm ud kaƝn ud anƗg ud arԥšk-iz <Ư> mad ested ǀ tan kǀxšišn Ư
abƗg razm-iz tan ud ruvƗn pad <v>ƗnƝnƯdan Ư pƗyƝnƯdan Ư az razm knj pad Ɨn Ư
ǀy vƗnƯdƗrƯh murnj<Ɲn>Ɨnd ud agƗr<Ɲn>Ɨnd abƗrƯg kǀxšišnƯg dahišnƗn Ư
vehƯh .·.) [12] ’hv| <V> hvt’d V lcm pt| lvb’n AMT PVN plv’hl V bvd V y’n|
tn| ’pz’lyh ’mhr|scnd ZYš hdyb’l h’v<n>d Y kvššn| Y LVTE dlvc| vgl’t V
’lvnd PVN V ŠM NPŠE tkykyh dlvc| v’nyt’l V MN tn| BRA krt’l dlvc| MN
gyh’n| BRA gnn’k mynvd MHYTV<N>tn| V v’nyt| V ’p’thš’d krt| BNPŠE MN
dlvc| bht| ’hlvb| (ahu <ud> xvadƗy {ud razm-ped} ruvƗn ka pad frauua¹ ud
bǀy ud gyƗn ud tan abzƗrƯh amԥ¹-spand Ư-š ayƗr hƗva<n>d Ư kǀxšišn Ư abƗg
363
B vynk’dh.
364
B kl’nynytk|.
365
B vynk’dh.
366
B nng.

74
draojin vigrƗd ud arvand pad nƗm <Ư> xvƝš tagƯgƯh druj vƗnƯdƗr ud az tan bƝ-
kardƗr druj az gƝhƗn bƝ gannƗg mainiiaoii zad ud vƗnƯd ud a-pƗdixšƗy kard
xvad az druj bǀxt a¹auu) [13] AMTš PVNc škn| Y lhy[vn] <Y> 2 [Y] ’sp| <Y>
MN hmym’l MN tn| vyhyc| YHVVNyt| PVN NPŠE hvpk’lyh <V> hmvklvkyh
<’> pylvcyh’ OL bvn pln’mytn| V MN OLE Y hvt’d <Y> ŠDRVNyt’l Y OL
kvššn| plm’n| ×’plsl 367 Y pylvc’n mtn| <V> PVN y’vyt’n ’s’n| pvl ’vlv’hm368
g’s YTYBVNstn| (<ud> ka-š pad-iz šken Ư ×rah <Ư> dǀ-asp <Ư> az hamƝmƗl az
tan vihƝz baved pad xvƝš xnjb-kƗrƯh <ud> ham-nƝrǀgƯh <Ɨ> pƝrǀzƯhƗ ǀ bun
franƗmƯdan ud az ǀy Ư xvadƗy <Ư> frƝstƯdƗr Ư ǀ kǀxšišn framƗn ×abar-sar Ư
pƝrǀzƗn madan <ud> pad jƗvƝdƗn-ƗsƗn purr-uruuƗzԥm gƗș nišastan) [14]
AMT PVN ×plyp|369 Y MN hmym’l ’šg[y]h’n[yk] <V> ’s’nyh dvškyh’ BYN
kvššn| nst’l 370 V MN ’mhrspnd BRA ’hvg V OL dlvcn [p’c] pr’c ’hvg
YHVVNyt dlvhtn| V dlvndyhytn| V dlvcn ptš ’plvycyhytn V ’yvt’k BYN dlvc|šn|
[Y] <v>’lyhytn|371 V dst[’]glvbyk372 OL dlvc| gyv’k [kšyt] kšyhytn|373 OD
<OL> plškrt| glvh[h]yk374 ×zyvynyhytn|375 <PVN> ŠPYL dyn| pyt’kyh (ka
pad ×frƝb Ư az hamƝmƗl ×ažgahƗn[Ưg] <ud> ƗsƗnƯh dǀšagƯhƗ andar kǀxšišn
nistƗr ud az amԥ¹-spand bƝ-Ɨhǀg ud ǀ draojin [...] frƗz-Ɨhǀg baved druxtan ud
druvandƯhƯdan ud draojin padiš abar-vizƯhƯdan ud Ɲv-tƗg andar drǀzišn [Ư]
×
vƗlƯhƯdan V ud ×dast-gravƯg ǀ druj gyƗg [...] kišƯhƯdan <ud> tƗ <ǀ>
frašǀ.kԥrԥit grǀhƯg ×zƯvƝnƯhƯdan <pad> veh dƝn paydƗgƯh<ist>) [15] ZK ZYš
nyvk| ’hlvbyh <V> gytyy hvslvbyh V gyh’n| ptš <V ZK ZYš> ’n’k dlvndyh
<V> gytyy dvšslvbyh dhšk| psckyh’ ºoº (Ɨn Ư-š nƝk a¹auuƯh <ud> gaƝișii
husrauuƯh {ud gƝhƗn padiš} <ud Ɨn Ư-š> anƗg druvandƯh <ud> gaƝișii duš-
srauuƯh daxšag passazagƯhƗ ºoº)
[0] Exposé tiré de la bonne Doctrine concernant les agents des (entités)
abstraites intérieures à l’homme et leurs fonctions. [1] Il ressort de l’exposé
de la bonne Doctrine que, dans les limites du possible découlant de la
formation ou de la mise en place (des êtres), les principaux agents des
(entités) abstraites intérieures à la personne humaine sont au nombre de
quatre : le ruvan, le gayƗna, la fravUti et le baudah. [2] Et le ruvan est (tout à
la fois) le principe et le plan directeur qui régissent et dirigent la personne
tout comme le maître de maison (dirige) sa maison ou le prince héritier, son
cheval. [3] Et le gayƗna s’y subdivise en trois parties qui sont le gayƗna
proprement dit, le baudah et la fravUti. Tous trois y sont au service du ruvan.
[4] Et le gayƗna est le vent que la fravUti <porteuse du> signe (positif) dote de

367
B ’cdsl.
368
Ne pourrions-nous lire ’vlv’zym ?
369
Avec de Menasce, contre B plsc|.
370
De Menasce.
371
De Menasce.
372
De Menasce.
373
De Menasce kašƯhƯt.
374
De Menasce.
375
De Menasce lit zynd’nyhytn|.

75
la faculté de se mouvoir et qui, du fait d’être doté de cette faculté, en
maintient dotée la personne tout comme qui nourrit sainement la maison est le
maître de maison ou qui maintient le cheval en activité, le cavalier. [5] Et cela
si bien que, privée du gayƗna, la personne est détruite tout comme la maison,
sa colonne brisée, s’effondre. [6] Et la fravUti est l’agent qui maintient et
nourrit le signe de la tannj tout comme celui qui est chargé du développement
et du maintien de la prospérité de la maison du maître de maison ou celui qui
est chargé des soins du cheval du cavalier. [7] Et cela si bien que, s’il quitte la
tannj, celle-ci reste sans force et inactive tout comme la maison, privée
d’entretien, décline. [8] Et le baudah est l’agent qui maintient éclairée la
maison du maître de maison et la capacité de perception du cheval du cavalier
ou celui qui permet au maître de maison de voir dans la maison et au cavalier
sur le cheval tout comme le Soleil est la lumière du monde et la fenêtre, celle
de la maison. [9] Et cela si bien que, si le baudah est séparé de la tannj, le
ruvan qui s’y trouve connaît alors le désagrément et la tannj, au cours de sa
vie, le dégât. [10] Et le ruvan, grâce à la fravUti, au baudah, à l’uštƗna et à la
tannj, pour la fonction dont il est chargé, est sans défaut. Sa fonction consiste
à vaincre l’Erreur en combat tout comme le cavalier, grâce à l’arme de son
cheval, parvient à frapper et à vaincre son ennemi. [11] Et les ennemis du
ruvan sont comme les ennemis que l’Erreur se suscite comme instruments
dans le but de détruire les êtres, (à savoir) le Jaloux, le Blocage, le Furieux, la
Vengeance, le Mauvais376 et l’Envieux377, venus combattre la tannj avec la ba-
taille consistant à vaincre, à faire s’arrêter la tannj et le ruvan et, suite à cette
bataille où ils ont le dessus, à détruire ou à réduire à l’impuissance les autres
combattants que comptent les positions du bien. [12] Et le ruvan est le
principe et le plan directeur {= le général}. Et, quand, grâce à la fravUti, au
baudah, au gayƗna et à la tannj, l’Immortel Savant qui lui vient en aide se
mesure en combat avec le Trompeur, le ruvan, vif et vaillant avec la propre
vaillance de son nom, est vainqueur de l’Erreur, la coupe de la tannj, expulse
le Funeste Avis hors du monde et se sauve lui-même de l’Erreur pour autant
qu’il soit le ruvan d’un harmonieux. [13] Et, à s’échapper de la tannj par ses
propres moyens et forces rassemblés, malgré (?) la brisure du char à deux
chevaux que l’adversaire a causée, le ruvan alors prend triomphalement la
route de son origine et, sur ordre du seigneur qui l’avait envoyé au combat,
reçoit la couronne des vainqueurs et s’assoit sur le socle du bonheur éternel et
de la pleine joie. [14] Lorsque, du fait de l’égarement venant de l’adversaire,

376
Ou : « <l’Œillade> funeste » (voir note suivante).
377
Ɩzi, Varana, Išma, KainƗ, Aga et Arška. Dans la ZA 27, Išma (aƝšma-, ’yšm) est
défini après Arška (arΩška-, ’lyšk). Comme ce dernier (ZA 27.16) est donné pour le démon
de l’esprit vindicatif (kƝn-varƯh) et de l’envie (duš-cašmƯh « qualité de celui qui lance de
mauvais regards »), je ne puis écarter qu’Aga soit ici le fruit de la simplification d’AgâxšƯ
« œillade funeste » (aȖašƯ-, ’Ȗ’š) même si cette démone devra être mentionnée plus loin (ZA
27.41).

76
l’indolence les envahit, que, par amour du plaisir, ils se montrent négligents
dans la lutte et qu’ils se détournent des Immortels Savants pour se tourner
vers les Trompeurs, il est manifesté dans la bonne Doctrine que (les ruvan)
mentent et se font drugvant, que, de ce fait, les Trompeurs prennent le pas
(sur les Immortels Savants), que, du même coup, (les ruvan) s’accroissent
dans la tromperie et qu’ils sont traînés en guise de gages dans la Salle de
l’Erreur pour (y) séjourner en groupe jusqu’à ce que la Perfection ait lieu.
[15] La caractérisation d’être (de ceux) possédant le beau statut d’harmonieux
et méritant un bon verdict (lors de l’évaluation des actes) mondains ou d’être
(de ceux) possédant le laid statut d’égarés et méritant un mauvais verdict (lors
de l’évaluation des actes) mondains, c’est selon le cas.

Après avoir dressé la liste (1) des quatre mƗnyava principaux situés dans
la personne (tannj), le texte passe à la définition de chacun d’eux : le ruvan
(2), le gayƗna (4-5), la fravUUti (6-7) et le baudah (8-9).
La relation que gayƗna, fravUUti et baudah entretiennent avec le ruvan
est exposée aux paragraphes 3 et 10. Les VZ 30.22 confirment que tous
trois, intimement liés à l’instant de servir le ruvan, peuvent être vus comme
ne faisant qu’un. Il est néanmoins précisé que le gayƗna proprement dit ou
considéré à part, ainsi que le Dk 3.123.2 nous l’avait enseigné, n’est vƗta
uštƗnavant « souffle doté ou porteur de la faculté de mouvement » que sous
la houlette de la fravUUti ou grâce au signe (cișra) dont celle-ci est la
promotrice.
Les paragraphes restants, ne s’occupant plus de définir les mƗnyava de
l’individu, nous intéressent moins : le combat que le ruvan mène contre la
Druj fait la matière des paragraphes 10-14 ; le dernier évoque les statuts de
Utavan ou de husravah « méritant que Rašnu énonce un verdict favorable »
parallèlement à ceux de drugvant ou de dušsravah « méritant que Rašnu
énonce un verdict défavorable ».
III

Tannj et kUUp,
corps et formes

1. La tannj

1.1. Tannj et ast

Les mots tannj (védique tanÕ-) et kUUp (védique kÌp-), ambigus puisque
leurs emplois se recouvrent partiellement, méritent un examen approfondi.
Cette concurrence justifie que le second mot ait été exclu des tableaux du
premier chapitre, mais, comme on verra, il y a plus.
Selon Jean Kellens1, l’homme vivant possède un corps (avestique tannj-,
pehlevi tan)2, lequel se confond avec le squelette (ast), comme il ressort en
toute évidence de la comparaison de tanuuascƯ7 xva[ii¿ uštanÅm « l’uštƗna
de son propre corps »3 avec ahmƗkƗiš azdÈbƯš uštƗnƗišcƗ « au moyen de
nos os et de nos uštƗna »4. La combinaison de ce corps avec l’uštƗna expri-
me l’état même de l’homme vivant, de telle sorte que « rendre un uštƗna
osseux »5 ne signifie rien d’autre que donner naissance à une personne. À
l’inverse, la dissociation de l’os et de l’uštƗna est la définition même de la
mort physique :

V 19.7.3 nǀi7 astaca [nǀi7]6 uštanÅmca [nǀi7] baoįasca vƯ.uruuisiiƗ7


(ainsi) (mes) os ne se sépareront-ils ni de (mon) uštƗna ni de (mon)
baudah ;
P 20.3c vƯ mąm7 uruuaƝsaiiƗ7 astaca †uštƗnaca8
il ferait se séparer mes os et mon uštƗna.

1
Kellens 1995d : 159 n. 5.
2
L’étymologie en a été examinée de façon détaillée par Pinault (2001).
3
Y 33.14a2.
4
Y 37.3.2.
5
Comme le dit Y 31.11b2 : hiia7 astuuaQtΩm dad¿ uštanΩm « chaque fois que tu rends
l’uštƗna osseux ».
6
La répétition de nǀi7 est indue et secondaire si la coordination est déjà assurée par ºca ...
ºca ... ºca, à moins que nous devions biffer plutôt les ºca.
7
Mis pour le génitif.
8
Mis ou fautif pour l’accusatif sg. *uštanΩmca (JamaspAsa & Humbach 1971 : 34).

79
En réalité, comme je l’ai dit dans le deuxième chapitre9, cette séparation,
connotée par le verbe vi+√ √ vris (vƯ+√ uruuis), est plutôt un décollement :
l’uštƗna se décolle de l’os. Il convient alors de nuancer la mise en équi-
valence des termes tannj et ast : l’uštƗna, qui appartient à la personne, colle
à l’os de cette personne, mais, de son vivant, la matérialité de cette personne
vient à se confondre avec elle à tel point que le mot tannj désigne souvent le
corps. C’est ainsi qu’il se dit du corps des mortels au sens médical du
terme :

V 20.1.2 kǀ paoiriiǀ ma¹iiƗnąm V ... V Ɨșrǀ10 tafnuš11 dƗraiia7 V †ta-


nao712 haca ma¹iiehe .·.
Qui fut le premier des mortels à fixer la fièvre sur le feu hors de la tannj du
mortel ?

1.2. L’extension corporelle

Le mot tannj désigne aussi la dimension de l’individu, son extension cor-


porelle :

V 7.51 yasca mƝ13 aƝtaƝšąm ya7 daxmanąm V auuauuaQtÅm.mazǀ vƯkƗ-


naiiƗ7 V yașa hƝ tanuš aËha7 V +paititÅm14 hƝ manǀ aËha7 V +paititÅm vacǀ V
+
paititÅm ĞiiaoșnÅm V uzuuarštÅm hƝ manǀ aËha7 V uzuuarštÅm vacǀ V uz-
uuarštÅm ĞiiaoșnÅm .·.
Si, de ces tombeaux, quelqu’un détruit une partie de la grandeur de son
propre corps, cela lui sera pensée pardonnée, parole pardonnée, geste par-
donné, cela lui sera pensée rachetée, parole rachetée, geste racheté.

La tannj est le corps que nous devons laver suite à quelque souillure,
l’extérieur de l’individu, ce qui est nu ou vêtu :

9
II 3.
10
Mis pour le locatif, me semble-t-il, mais le zand comprend un génitif : APš ’t’š tpšn|
d’št MN tn| BRA ANŠVTA’n « et il a fixé la chaleur du feu hors du corps des humains ».
11
Ce nominatif singulier est mis pour l’accusatif, à moins de considérer que c’est l’accu-
satif pluriel.
12
Fautif pour *tanuua7? Quoi qu’il en soit, dans la langue originale, la forme de l’ablatif
sg. de tannj- était tanuvah.
13
Datif éthique ?
14
Geldner patitΩm.

80
N 95.5-6 <yezi>15 maȖnąm ×tannjm16 V aiȕiiƗstąm ×irƯriĞiiąn17 V nǀi7
anaiȕiiƗsti ×Ɨ.striieQte18 V ×Ɨa7 yezi×19 nǀi7 maȖnąm ×tannjm20 V ×aiȕiiƗstąm21
×
irƯriĞiiąn22 V anaiȕiiƗsti ×Ɨ.striieQte23
s’ils devaient rester le corps nu avec la ceinture pour tout vêtement, ils ne
seraient pas condamnables à ne pas la nouer, mais, s’ils ne devaient pas rester
le corps nu avec la ceinture pour tout vêtement, ils seraient (alors) condam-
nables à ne pas la nouer ;
Yt 10.122.2 șri.aiiarÅm șri.xšaparÅm V tannjm24 frasnaiiaiiaQta25 V șri-
satÅm26 upƗzananąm V pairi.ƗkaiiaiiaQta27 V mișrahe ×vouru.gaoiiaotǀiš28
V
yasnƗica vahmƗica .·.
(Les mazdéens), pour offrir le sacrifice et adresser le chant à Mișra Varu-
gauynjti, doivent s’être lavé le corps durant trois jours et trois nuits ou l’avoir
soumis à trente pénitences ;
V 5.54.3 Ɨa7 pasca șrixšaparƗ729 V us tannjm snaiiaƝta V us vastrƗ730
gÈuš maƝsmana V apƗca nauua upa maȖÅm31 V paiti auuașa yaoždaiiąn32 .·.
Et, après ce délai de trois nuits, elle se lavera le corps et les vêtements
avec de l’urine de vache et de l’eau, près des neuf trous, retrouvant ainsi sa
pureté ;
V 8.40.2 Ɨa7 ya7 hƝ zasta nǀi7 frasnƗta V Ɨa7 vƯspąm huuąm tannjm V
aiiaoždƗta33 kÅrÅnaoiti .·.

15
Avec Waag (1941 : 95). Les fragments avestiques du NƝrangestƗn (N) ont été édités et
traduits par Waag (1941). Le nouvel examen que Kotwal & Kreyenbroek (1992-2003 : II-III)
en ont entrepris n’est pas encore arrivé à ce passage.
16
Avec Waag. Il y a emploi du singulier pour le pluriel si le sujet de la phrase, qui est du
pluriel, est le possesseur du corps.
17
Waag ×irƯrƯšiiąn. Kellens (1984a) n’a pas enregistré cette occurrence. Est-ce la 3e
personne du sg. act. de l’optatif parfait de √ ric avec finale retouchée (ririĞyƗn pour
ririĞyƗrš) ? N’attendrions-nous pas la voix moyenne possessive (riricƯram « s’ils devaient se
laisser le corps nu ») ? Sur la possibilité de cet emploi des modes, voir Kellens 1984a : 423.
Le zand suggère plutôt le subjonctif présent (du causatif ?) de ¥ riš « subir un dommage ».
18
Waag ×a.striiΩnti. Voir Kellens 1984a : 126, 127 sq. n. 14.
19
Waag yezi Ɨa7.
20
Avec Waag.
21
Avec Waag.
22
Waag ×ririšiiąn.
23
Waag ×Ɨ.striiΩQti.
24
Mis pour le pluriel.
25
Optatif avec ºaiiaQta mis pour ºairam.
26
Mis pour l’instrumental (cf. vƯsaiti en Yt 10.122.3).
27
Optatif avec ºaiiaQta mis pour ºairam.
28
Geldner vouru.gaoiiaoitǀiš.
29
Cet ablatif est, en principe, mis pour l’accusatif, mais V 19.24 montre aussi l’ablatif.
30
Mis pour l’accusatif.
31
Mis pour le pluriel.
32
Forme figée du nominatif-accusatif neutre singulier de l’adjectif verbal d’obligation
tiré de yaoš+¥ dƗ : yauš+daiyam, mais sa correction en ×yaoždaiiąm pour l’accorder avec
tannjm est envisageable.
33
Mis pour ºąm ou locatif du dérivé en -ti- ?

81
Maintenant, s’il ne s’est pas lavé les mains, c’est tout son propre corps
qu’il laisse en mauvaise condition ;
V 9.1.2 kușa aƝtaįa aËhauua astuuaiQti V ma¹iiƗka hąm.vaƝn¿Qte34 tƝ V
yǀi hąm.nasnjm †paiti.iristÅm35 V tannjm yaoždaișiiąn36 .·.
Comment, dans le monde osseux, les hommes seront-ils alors choisis qui
purifieront le corps (de l’homme) qui aura été souillé par de la charogne ?

Le mot, dans de tels contextes, désigne donc le corps matériel de l’indivi-


du. Un passage du DƝnkard37 confirme cette possibilité sémantique à oppo-
ser la condition du ruvan abstrait à celle du ruvan situé dans la tannj. Et les
VizƯdagƯhƗ Ư ZƗdsparam détaillent cette matérialité du corps qui est composé
de solide, de liquide et de gaz38. La synonymie de tannj « corps matériel » et
de ast « os » est alors envisageable. C’est ainsi que, là où des passages
avestiques font état du fait que, lors du décès, il est décollé de l’os, la Zand-
ƗgƗhƯh dit que l’uštƗna est arraché de la tannj39.

1.3. Le cadavre

Le mot tannj désigne même aussi le corps devenu cadavre :

V 6.44.2 kuua narąm iristanąm tannjm40 barƗma V ahura mazda kuua


nidașƗma .·.
(Dis-moi,) Ahura MazdƗ, où nous devons porter et déposer le corps des
hommes morts ;
V 8.100.2 iįa iristahe tannjm auua.hišta41 V anaƝšÅm manǀ V anaƝšÅm
vacǀ V anaƝšÅm ĞiiaoșnÅm V isaƝta mƝ yaoždƗitƯm .·.
Comme vous me voyez, j’ai eu contact avec le corps d’un mort, et ma
pensée, ma parole et mon geste sont incapables. Cherchez la façon de me
(re)mettre en condition !

Cet emploi du mot se retrouve dans les Livres pehlevis42.

34
Sur la voix de hąm.vaƝn¿Qte, Kellens 1984a : 29.
35
√ rit « contaminer »,
Avec Bartholomae (1904 : col. 1522), c’est une forme de pati+√
fautive donc pour ×paiti.iristąm.
36
Optatif avec ºiiąn mis pour ºiiƗrΩš.
37
Dk 9.15.3.1.
38
VZ 30.3-21.
39
ZA 30.30.2.
40
Mis pour le pluriel.
41
Parfait ? Voir Kellens 1984a : 406.
42
Notamment Dk 9.15.5.2, RPDD 23.15.2, 24.1.

82
1.4. Le propriétaire

Cependant, opposé au pluriel de gaƝșƗ- (gaișƗ) qui désigne les biens


meubles, le mot tannj- se réfère à leur propriétaire :

Y 43.7de kașƗ43 +aiiƗrÈ daxšƗrƗ fΩrasaiiƗi dƯšƗ V aibƯ șȕƗhnj gaƝșƗhnj


×
tanuuicƗ .·.
44
(Dis-moi, MazdƗ,) ce qui caractérise le jour convenant à ce que tu sois
interrogé sur tes troupeaux et ta personne ;
Y 58.2.2 ahmƗi nÅma«hƝ ƗuuaƝdaiiamaidƝ V gaƝș¿scƗ tanuuascƗ V
nipƗtaiiaƝcƗ nišaËharÅtaiiaƝcƗ
Dans le cadre de cet hommage, nous (te) consacrons nos troupeaux et nos
personnes afin que tu en assures la garde et la conservation ;
Y 65.6-7 Ɨ hƗtąmca aËhušąmca V zƗtanąmca azƗtanąmca V a¹aonąm iįa
jasÅQtu frauua¹aiiǀ V yǀi hƯš baȕrarΩ ×paiti ƗpΩm×45 V nazdištaiiƗ7 apa7
haca .·.
mƗ nǀ Ɨpǀ dušmana«he V mƗ nǀ Ɨpǀ dužuuaca«he V mƗ nǀ Ɨpǀ
duš.ĞiiaoșanƗi V mƗ duždaƝnƗi V mƗ haĞi.7biše mƗ moȖu.7biše V mƗ varÅzƗnǀ.-
7biše mƗ nƗfiiǀ.7biše .·. mƗįa nǀ ahmi frƗįƗiti V Ɨpǀ vaËvhƯš vahišt¿
mazdaįƗt¿ a¹aonƯš V yǀ nǀ airƯricinąm irƯrixšƗite46 gaƝșanąm .·. mƗįa nǀ
ahmi frƗįƗiti V Ɨpǀ vaËvhƯš vahišt¿ mazdaįƗt¿ a¹aonƯš V yǀ nǀ airƯricinąm
irƯrixšƗite tanunąm .·.
Que viennent ici les fravUti des Utavan qui sont, celles de ceux qui furent,
celles de ceux qui sont nés et celles de ceux qui ne sont pas nés pour autant
qu’ils soient de ceux qui portent les (eaux) à contre-courant hors de la rivière
la plus proche !47
Que les eaux ne (viennent) ni pour celui d’entre nous qui a pensée mau-
vaise ni pour celui d’entre nous qui a parole mauvaise ni pour celui d’entre
nous qui a geste mauvais ni pour celui qui a mauvaise dainƗ, qui nuit à son
associé, qui nuit au mage, qui nuit à sa communauté, qui nuit à sa famille !

43
Pour le texte, Kellens & Pirart 1988-1991 : I 145 ; III 163.
44
Le zand en est le suivant : ciyǀn Ɨn daxšag Ư rǀz Ư frƗz ǀ hampursagƯh nimnjd Ɲsted {knj
daxšag ciyǀn kunem .·.} Ư abar Ɲd Ư tǀ gƝhƗn ud tan rƗy [nimnjd Ɲsted] .·. « Quelle est la
caractéristique du jour qui a été montrée en vue du débat {Comment puis-je distinguer}
portant sur tes biens terrestres et ta personne ? » Traduction sanscrite : kathaP vƗsarasya
cihnam praĞnakƗritƗyai nidarĞitam Ɨste | kila cihnaP kathaP karomi || upari tvadƯyƗyƗ
bhnjvibhnjtes tanoĞ ca.
45
En deux mots, contre Geldner paitiiƗpΩm. Il s’agit bel et bien du syntagme puisque
l’avyayƯbhƗva correspondant doit être *paitipΩm au vu de l’adjectif paitipa- (Yt 5.81) qui en
est tiré. L’idée qu’il a bien été recouru au syntagme plutôt qu’au composé adverbial est alors
confortée par la métrique.
46
Sur l’incertitude sur la diathèse, Kellens 1984a : 37, 196, 255, 274. Le participe parfait
airƯricinąm me paraît lever l’incertitude.
47
Voir Kellens 1984a : 413. Sans doute la phrase fait-elle allusion à l’installation d’un
système de canaux d’irrigation au départ d’une rivière.

83
Déesses rivières, (ne venez non plus) avec la prospérité, vous que MazdƗ mit
excellemment et harmonieusement en place, ni chez celui qui se montre négli-
gent envers nos troupeaux alors que nous ne sommes pas négligents (envers
les leurs) ni, déesses rivières, vous que MazdƗ mit excellemment et harmo-
nieusement en place, avec la prospérité chez celui qui se montre négligent
envers nos personnes alors que nous ne sommes pas négligents (envers eux) ;
Yt 6.1 ta7 xvarΩnǀ haQbƗraiieiQti V ta7 xvarΩnǀ nipƗraiieiQti V ta7 xvarΩnǀ
baxšΩQti V ząm paiti ahuraįƗtąm .·. frƗįatica a¹ahe48 gaƝș¿ V frƗįatica a¹a-
he49 tanuiiƝ50 .·.
Les voilà recueillir l’Aliment, les voilà transmettre l’Aliment, les voilà
distribuer l’Aliment sur la Terre que le Roi de la Sagesse mit en place. (Le
Soleil) favorise ainsi la multiplication harmonieuse des troupeaux et de la
personne (de leur propriétaire).

Il existe aussi une opposition de tannj avec ruvan, mais qui ne doit être
qu’apparente. En effet, comment comprendre FiO 219 tanuuaƝca haosra-
uuaËhÅm urunaƝca darÅȖÅm hauuaËhÅm selon lequel « le privilège d’un bon
sravah est pour la tannj ; la longue et bonne existence, pour le ruvan » ? Car,
ailleurs51, le privilège d’un bon sravah est mis sur le même pied que les
qualités d’avoir installé de son vivant une bonne existence rituelle, d’avoir
respecté le bon agencement des séquences rituelles pour fortifier l’harmonie
et d’être le possesseur d’un bon ruvan. Comme le privilège en question est
que Rašnu, aux portes de l’au-delà, énoncera un verdict favorable, je déduis
de cette mise sur le même pied que FiO 219 opère de la tannj et du ruvan
est le fruit d’une sorte d’hendiadys, que tannj y est « la personne » tandis
que ruvan y est à prendre comme n’étant jamais que l’une des composantes,
la principale, de cette personne. À mes yeux, la coordination est là non pour
mettre en relief aucun contraste entre tannj et ruvan, mais bien plutôt pour
amorcer une synonymie : l’âme-moi, c’est-à-dire la personne.
Dans l’énumération du Y 55.1,

vƯsp¿ gaƝș¿sca tanuuasca V azdÅbƯšca uštƗnąsca V kÅhrpasca tÅuuƯšƯšca V


baoįasca uruuƗnÅmca frauua¹Ưmca V pairica dadÅmahƯ Ɨca vaƝįaiiamahƯ52
V
Ɨa7 dƯš ƗuuaƝįaiiamahƯ V gƗșƗbiiǀ spÅQtƗbiiǀ ratuxšașrƗbiiǀ a¹aonibiiǀ .·.
Tout ce qui est troupeaux et personnes, os et mobilités, figures et capaci-
tés d’agir, sensibilités, âmes et engagements, nous déposons autour (du feu) et

48
Mis pour l’instrumental.
49
Mis pour l’instrumental.
50
Ce datif est mis pour l’accusatif à moins que nous devions comprendre « (Le Soleil)
favorise ainsi la multiplication harmonieuse des troupeaux au profit de la personne (de leur
propriétaire) ».
51
Y 68.2, Yt 10.33.
52
Pour le sens de ces deux verbes, Kellens 2006-2010 : I 58, mais voir Chapitre VI 2.1.

84
faisons connaître tout cela. Et nous consacrons tout cela en récitant les sa-
vantes et harmonieuses Cantates, elles qui (nous) permettent d’exercer l’em-
prise (sur les dieux) dans le respect des séquences rituelles,

les deux premiers termes, gaișƗ et tannj, ont été rassemblés pour être l’un
l’essentiel des biens et l’autre leur propriétaire ; les deux suivants, pour être
l’ossature et l’uštƗna qui colle à l’os ; mais je ne vois pas bien la ou les clés
sémantiques de l’ordre des termes qui suivent : le mot kUUp (védique kÌp-),
que j’ai traduit par « figure », désigne-t-il ici le corps ou la forme ? Concer-
nant les autres termes de la liste, remarquons que la tavišƯ ou capacité d’ac-
tion (védique táviVƯ-), par ailleurs, est très rarement nommée et que le ras-
semblement opéré en fin de liste du baudah, du ruvan et de la fravUUti, s’il
reste exceptionnel en avestique, est pourtant usuel dans les Livres pehlevis53.

1.5. La définition

Sans doute n’est-il pas anodin qu’un dieu aussi abstrait que Mișra
« l’Échange » dispose d’une tannj :

Yt 10.142.3-10.143.1 ×yasÅ54 tannjm ×raocaiiete55 V yașa m¿Ëhǀ †huuƗ-


raoxšnǀ56 .·. ye«h¿57 ainikǀ58 ×brƗzaite59 yașa ×tištriiǀ ×stƗrahe60

53
Voir Chapitre VI 3.3 et VI 10.
54
Geldner yașa.
55
Geldner raocaiieiti.
56
Il n’est pas certain que ce soit un nominatif mis pour le génitif. En outre, le thème de
l’adjectif huuƗraoxšnǀ (xvƗraoxšnÅm au Yt 11a.20.2e), qui certes n’est pas en ºan- (voir
Dehghan 1982 : 79 n. 3), est-il en ºa- ou, comme il serait plus logique (bahuvrƯhi pii. *saº +
substantif, comme dans védique svárociV-), en ºu- ? Si la possibilité d’une forme originale
mƗha- était vérifiée pour le nom du dieu Lune, la ligne pourrait être octosyllabique : yașƗ
mƗhahya hva+rauxšnauš. Cependant, l’heptasyllabisme d’une ligne introduite par yașa est
un phénomène répertorié (Pirart, « La métrique et l’histoire de l’Avesta », à paraître dans les
actes du colloque de Salamanca, sept. 2009). Dès lors, si nous gardons m¿ƾhǀ (mƗhah) et
acceptons d’y voir le correspondant du védique mƗsáKgén. de m»s- (contre le vieil-avestique
mÈQg), l’exception prosodique affecterait toutes deux comparatives en yașa : yah tanuvam
raucayatai (8) yașƗ mƗhah hva+rauxšnauš (7) yahya anƯkam brƗzatai (8) yașƗ tištriyahya
stUUš (7).
57
Mis pour le masculin (Gershevitch 1959). Cependant l’antécédent, dans le texte
d’origine auquel la phrase a été reprise, n’était peut-être pas Mișra, mais DainƗ. Bizarrement,
l’antécédent, chez Kellens (1974a : 390, contre Gershevitch 1959), est m¿ƾhǀ au lieu de
mișrΩm.
58
Le védique ánƯka- est de genre neutre.
59
Geldner brƗzaiti. Voir Kellens 1984a : 112.
60
Jeu pour **tištriiehe stƗrǀ (voir Duchesne-Guillemin 1936 : 136 ; Thieme 1960 : 266 ;
Kellens 1974a : 390), mais, de toute façon, **stƗrǀ, qui est la forme du nominatif pluriel, est
mis pour stUUš.

85
(Mișra) qui se fait briller le corps, comme la Lune, de sa propre lumière,
(Mișra) de qui le visage brille comme (celui) de l’astre Tištriya.

Car, en principe, Mișra, pour être un Yazata MƗnyava, un « adorable »


qui dépend de l’opinion (manyu) que les mazdéens se forgent de MazdƗ,
est invisible, comme l’affirme la traduction sanscrite médiévale du mot
mƗnyava, adUĞyamnjrti-. Quel est donc ce corps brillant de Mișra ? Si sa
tannj ne peut pas être « le Soleil » dès lors que Mișra est un Yazata MƗn-
yava « adorable abstrait » et que le Soleil est un Yazata Gaișiya « adorable
appartenant aux troupeaux (du monde visible et sériable) », la réponse doit
pourtant en être proche puisque la Zand-ƗgƗhƯh61 parle d’un « sombre Mi-
șra » (Mihr Ư tomƯg) à côté d’un démon « sombre Lune » et, dans la future
grande conflagration, oppose ce Mișra négatif au Soleil parallèlement à cet
autre démon que le dieu Lune devra affronter.
Je propose de reconnaître le corps invisible du bon Mișra dans la lu-
mière même du jour : la lumière permet de voir, mais ne peut être vue pour
elle-même. L’échange qui a lieu entre les hommes et les dieux, dont Mișra
porte d’ailleurs le nom et dont il est la déification, n’est, en définitive, rien
d’autre que l’accomplissement diurne de la cérémonie sacrificielle. Ainsi cet
échange se confond-il avec la lumière du jour, la lumière qui permet d’entrer
en relation avec les dieux. La tannj de Mișra est, en quelque sorte aussi, sa
définition.
Dans les Yašt, il est aussi question de la tannj d’une autre divinité abs-
traite : Ɩrti, la déesse qui représente62 tout à la fois ce que nous faisons
arriver chez les dieux et ce qui nous arrive de bon, la chance, en particulier
celle que nous naisse un fils. Que peut bien être la tannj d’Ɩrti ? Le passage
qui nous en parle est le Yt 17.55-56 :
63
ya7 mąm tura pazdaiiaQta V Ɨsu.aspa naotaraca V Ɨa7 azÅm tannjm aguze
V
aįairi pƗįÅm V gÈuš aršnǀ barÅmƗiiaonahe V Ɨa7 mąm fraguzaiiaQta V yǀi
apÅrÅnƗiiu tauruna V yǀi kainina anupaƝta [ma¹iiƗnąm] .·. ya7ci7 mąm tura
pazdaiiaQta V Ɨsu.aspa naotaraca V a7ci7 azÅm tannjm aguze V aįairi maƝšahe
garǀ V ya7 varšnǀiš satǀ.karahe V a7ci7 mąm fraguzaiiaQta V yǀi apÅrÅnƗiiu
tauruna V yǀi kainina anupaƝta [ma¹iiƗnąm] V ya7ci7 mąm tura pazdaiiaQta V
Ɨsu.aspaƝm naotaraca .·.
Quand ceux du clan de Tura ou de NƗutara64 qui ont de rapides chevaux
m’ont chassée, je me suis caché la personne sous les pieds d’un taureau en
pleine saillie, sans quoi les garçons impubères et les filles qui ne peuvent

61
ZA 5a.3,7.
62
Sur cette déesse, Pirart 2006b. En indien, »rti- a pris un sens défavorable : « ce qui
nous arrive de fâcheux ou nous affecte, la souffrance ».
63
Pour le texte, Pirart 2006b : 221 sqq.
64
Deux clans ou familles de l’entourage de Zaraduštra. Voir Pirart 2006b : 138 n. 126.

86
encore être approchées m’auraient gardée en secret. Quand ceux du clan de
Tura ou de NƗutara qui ont de rapides chevaux m’ont chassée, je me suis
caché la personne sous la gorge d’un bélier reproducteur environné d’une
centaine de femelles pleines, sans quoi les garçons impubères et les filles
vierges m’auraient gardée en secret. C’était quand ceux du clan de Tura ou de
NƗutara qui avaient de rapides chevaux m’avaient chassée.

La tannj d’Ɩrti, cachée sous le pied du taureau, pourrait être l’excitation


sexuelle avec laquelle l’animal en rut frappe le sol pour en arracher quel-
ques mottes, mais je ne vois pas ce que doit être la tannj sous la gorge du
bélier reproducteur. Quant aux chevaux rapides, ce sont probablement ceux
qui permettent aux âmes des pieux défunts de rejoindre sans encombre l’au-
delà paradisiaque, autrement dit : la chance pour le défunt d’avoir eu un fils
qui, au delà de la mort, poursuivît la série des sacrifices offerts, apportât de
la sorte un soubassement à l’éternité de son ruvan ou lui assurât la faculté
d’y accéder.
J’émets ainsi l’hypothèse que la tannj d’Ɩrti ne serait autre que son
essence, l’ardeur sexuelle, c’est-à-dire la capacité reproductive, et que celle-
ci se manifesterait de plusieurs manières : sous le pied du taureau et sous la
gorge du bélier, sans que je puisse pourtant interpréter ce second exemple de
manifestation, c’est-à-dire expliquer ce qui sous la gorge du bélier est une
manifestation de la tannj d’Ɩrti. Le mythe évoqué dans ce passage de l’Ɩrd
Yašt, inconnu par ailleurs, reste difficile à comprendre65, mais, quoi qu’il en
soit, nous avons bien le sentiment que notre traduction du mot tannj par
« corps » convient mal dans les cas de la tannj de Mișra et de celle d’Ɩrti.
Dans un cas comme dans l’autre, le sens de « définition, manifestation » me
satisfait donc davantage.
Un troisième cas ne nous aide guère, qui est celui de Srauša, le Yazata
MƗnyava de la déclamation qui est faite des textes et formules lors de la
cérémonie sacrificielle : ce dieu abstrait reçoit de façon récurrente l’épithète
de tanu.mąșra- « de qui la tannj est le Manșra ». Il est compréhensible que le
Manșra Spanta de la DainƗ MƗzdayasni ZƗraduštri, le « corpus des tex-
tes savants de la religion mazdéenne zoroastrienne », constitue la tannj de
Srauša, constitue la substance de la déclamation. Il est alors tout aussi atten-
du que Vištâspa, le Kavi à qui Zaraduštra et Ahura MazdƗ lui-même
enseignèrent les textes de la bonne religion, reçoive la même épithète, dès
l’instant précis où il put mémoriser cet enseignement. Le Manșra ferait
ainsi l’essence ou la substance de Vištâspa lors des sacrifices offerts, mais
les choses pourraient bien être encore plus complexes puisque, si ce Man-
șra Spanta peut constituer la tannj de Srauša, il n’en est pas moins aussi le

65
Pirart 2006b : 67.

87
ruvan de MazdƗ lui-même66. Sans doute devons-nous ici admettre que
Srauša est une hypostase de MazdƗ et que, pour l’occasion, tannj et ruvan
jouent comme synonymes approximatifs. Nous pouvons aussi penser que
Srauša, synecdoque du sacrifiant ou du déclamateur, reflète par sa presta-
tion le ruvan du grand dieu, en offre une image substantielle ou sensible.
Pour mieux apprécier le sens que le mot tannj prend dans les contextes
qui nous intéressent, il est évidemment utile de se pencher aussi sur les
emplois de kUUp67, lesquels paraissent parfois bien antinomiques entre eux, et
de lire, à la lumière de cette enquête, les quelques rares contextes qui ras-
semblent tannj et kUUp68.

2. La kUUp

2.1. Corps ou forme

Dans plusieurs de ses emplois, le mot tannj est concurrencé par kUUp
(avestique kÅhrp- fém., pehlevi klp|69). Et, comme nous verrons70, il doit y
avoir la confusion de deux mots, « le corps » et « la forme, l’apparence ».
Entre « corps » et « forme », il est parfois vain de choisir71 :

FiO 96 hukÅrÅfš hvklp cygvn psckyh| Y hnd’m72


(L’adjectif) hukÅrÅfš (signifie) « qui a belle forme », c’est-à-dire : « (avec)
une combinaison bien proportionnée des membres ».

2.2. Le cadavre

Tout comme tannj, kUUp peut désigner le corps de l’homme mort, le


cadavre :

V 3.20.2 aš.xvarΩtΩmaƝibiiǀ spΩQtǀ.mainiiauuanąm dƗmanąm V +kΩrΩfš.-


x arąm73 kΩrΩfš74 paiti.nisrinuiiƗ7 V vaiiąm75 ×kahrkƗsanąm76 uitiiaojanǀ .·.
v

66
Yt 13.81.1 (ci-dessous 2.4).
67
Ci-dessous 2.
68
Ci-dessous 3.
69
kirb dans le système de transcription interprétative de Mackenzie (1971).
70
Ci-dessous 2.6.
71
Je ne sais que penser du zand du V 5.9.4d Ɨtarš haQdažaiti +asca uštanΩmca qui
traduit ast par tan et uštƗna par gyƗn, mais ajoute kƗlbod « la forme » (voir Chapitre II n. 28).
72
hukirb ciyǀn passazagƯh Ư handƗm, dans le système de transcription interprétative de
Mackenzie (1971).
73
Pour les corrections, voir Kellens 1974a : 90.
74
Mis pour l’accusatif (Kellens 1974a : 348).

88
(L’homme qu’ils lui auront envoyé et qui lui aura coupé la sale tête) doit,
en disant ceci, lui abandonner le corps aux vautours, les plus voraces des êtres
charognards que Spanta Manyu met en place ;
V 3.40C yǀ narš a¹aonǀ irƯrișušǀ V †zÅmƝ kÅhrpa nikaiQti†77
Celui qui enfouit en terre le corps de l’homme Utavan mort ;
V 5.1fg upa78 [tąm]79 kÅhrpÅm fraËvharaiti V yąm80 iristahe ma¹iiehe .·.
(L’oiseau) vient se repaître du corps de l’homme mort ;
Yt 13.61.2 y¿ auuąm kÅhrpÅm aiȕiiƗxšaiieiQti V yąm sƗmahe kÅrÅsƗspahe
V
ya7 gaƝsƗuš gaįauuarahe V nauuaca nauuaitƯšca V nauuaca sata V nauuaca
hazaËra V nauuasÈsca baƝuuąn ºoº
(Nous offrons le sacrifice) aux 99999 (FravUti) qui veillent là-bas sur le
corps de SƗma KUsâspa81 aux cheveux bouclés, porteur de la massue.

Ce sens du mot est parfois à nuancer : comme il ressort d’un passage des
VizƯdagƯhƗ Ư ZƗdsparam82, lorsque les chiens et les oiseaux le dévorent, le
corps peut aussi prendre le nom de kUUp au lieu de celui de tannj si c’est à sa
forme alors altérée qu’il est fait allusion. Il y aurait ainsi ĞleVa entre deux
valeurs du mot, « corps matériel » et « apparence ». Cependant, la prudence
doit rester de mise si l’écheveau sémantique que peut causer la concurrence
des deux notions de tannj et de kUUp dans des passages pehlevis est parfois
bien difficile à dénouer83.

75
Mis pour le datif.
76
Geldner kahrkƗsąm. Mis pour le datif pluriel.
77
La rection de ni+¥ kan paraît être la suivante : locatif de ce qui est troué, accusatif du
trou et instrumental de ce qui doit aller dans le trou. Il est possible que ce soit sur décision de
la diascévase que la forme de locatif sg. du nom de la terre fût remplacée par celle de datif et
que le thème de présent de ¥ kan, authentiquement bhvƗdi, fût assez souvent amputé de ºnaº
non seulement en avestique, mais aussi en vieux perse (voir Kellens 1984a : 88 n. 2). Il est à
remarquer que, si nous faisons abstraction du pronom relatif qui ouvre le passage, celui-ci est
fait de deux octosyllabes pour autant, bien sûr, que nous y restituions le locatif de zam- et le
bhvƗdi de ¥ kan : [yah] nUUš Utaunah ririșušah (8) zami kUUpƗ nikanati (8).
78
L’emploi de upa me paraît préciser que l’oiseau s’approche du cadavre, l’aborde ou
n’en prélève qu’une partie. La métrique confirme son existence : upa kUUpam frahvarati (8)
yƗm ristahya martiyahya (8).
79
Le caractère d’eĪƗfe du pronom yąm ne permet pas de faire de tąm un corrélatif
original. Ce ne peut qu’être le fruit d’une intervention diascévastique ou d’une corruption.
80
EĪƗfe metri causa.
81
Sur la légende de KUUsâspa, Pirart 2010a : 145 sqq. Sur le rôle des FravUUti venues
monter la garde autour du corps de KUUsâspa, voir Chapitre VI 9.
82
VZ 30.32.6.
83
C’est notamment le cas du passage qui, dans le DƗdestƗn Ư DƝnƯg (DD 16.5), offre un
parallèle au Yt 13.61.2.

89
2.3. Le corps en vie

Tout comme tannj, le mot kUUp peut désigner le « corps » d’un homme ou
d’un animal encore vivant :

Y 9.30.1 paiti84 ažǀiš zairitahe V simahe vƯšǀ.vaƝpahe V kΩhrpΩm nƗšΩm-


nƗi a¹aone V haoma zƗire vadarΩ jaiįi .·.
En revanche, Suc jaune, au profit de l’harmonieux prêt à partir pour
(l’Existence excellente), frappe de ton arme le corps du Serpent jaunâtre, le
Défaut lance-venin ;
Yt 15.40.2 auua7 ƗiiaptÅm dazdi nǀ V vaiiuš yǀ uparǀ.kairiiǀ V ya7 †nmƗ-
nǀ.paitƯm85 †viQdƗma V †yuuƗnǀ sraƝštǀ.kÅhrpa86 V †yǀ nǀ †hubÅrÅtąm †barƗ7
V
yauuata gaiia juuƗuua V frazaiQtƯmca †hǀ †vÅrÅziiƗ7 V †daƾrǀ.daQtǀ †hi-
zuxįǀ87 .·.
Accorde-nous cette faveur, Espace des prouesses incomparables, que nous
puissions nous trouver (l’une un mari) maître de maison(; l’autre, un mâle),
jeunes et très beaux de corps, qui nous traitent bien toute la vie que nous
pourrons vivre et (qui), de leurs dents expertes ou de mots dits de leur
langue88, sachent honorer Frazanti89.

2.4. KUUp de plantes, de dieux et de démons

Il reste mal vérifiable si la déification est ou non responsable de l’emploi


du mot dans le cas de la plante de hauma :

84
Pour l’établissement du texte, Pirart 2004a : 86 sq.
85
Plusieurs mots qui devaient figurer au duel apparaissent au pluriel ou au singulier.
Kellens (1974b : 136 sq.) ne s’en est pas inquiété lorsqu’il propose de corriger hubΩrΩtąm en
+
hubΩrΩt¿. De surcroît, nous attendons la voix moyenne pour le verbe viQdƗma (contre
Kellens 1984a : 70) s’il faut lui donner le sens non de « fournir », mais de « trouver » : yașƗ
dmƗnapatƯ vinadƗvadai (ou : vindƯvadi) (?) yuvƗnƗ srayištakUUpƗ (8) yƗ nau hubUUtai barƗtah
(8)
yƗvatƗ gayƗ jƯvƗva (8) frazantim ca tƗ vUUzyƗtah (8) dahradantƗ hizvƗügdƗ (8).
86
BahuvrƯhi en ºa- comme aspǀ.kΩhrpƗ- (voir note 124) et șȕarštǀ.kΩhrpa- (voir note
109).
87
La métrique et la forme compositionnelle hizvƗ+ que hiznj- adopte en vieil-avestique
(sur hizuu¿.uxįa-, voir Kellens & Pirart 1988-1991 : II 328) suggèrent que hizuxįa- repré-
sente hizvƗ+ugda-.
88
Allusions aux mordillements et aux oaristys ?
89
Allégorie de la procréation. Son nom est probablement tiré de la variante aniW de √ zan
« engendrer ; naître », racine dès lors biconsonantique, pour que le degré plein radical ait pu
se maintenir devant le suffixe -ti-. D’autres exemples du maintien du degré plein devant un
suffixe réclamant normalement le degré zéro radical sont spΩQta- « savant » de √ (s)pan (aniW
avec s mobile), vaQtƗ- « séduite, possédée » de √ van (aniW < seW) et vašta- « véhiculé » de
√ vaz (aniW).

90
Y 9.16.3cd hukΩrΩfš90 huuarΩš91 vΩrΩșraj¿ V zairi.gaonǀ ×nąmi.ąsuš .·.
(Hauma,) le briseur des obstacles plein d’efficace, qui a bel aspect, une
fleur d’or et une tige flexible ;
Y 10.3.1 staomi 92 maƝȖÅmca vƗrÅmca V yƗ tƝ kÅhrpΩm vaxšaiiatǀ V
×
barΩšnušu paiti gairinąm .·.
Je fais l’éloge du brouillard et de la pluie : ils font croître ton corps sur le
sommet des montagnes.

Car les dieux disposent d’une kUUp :

Y 36.6 sraƝštąm a7 tǀi kÅhrpÈm V kÅhrpąm ƗuuaƝdaiiamahƯ V mazdƗ


ahurƗ imƗ raoc¿ V barÅzištÅm barÅzimanąm auua7 V yƗ7 huuarÈ auuƗcƯ .·.
Nous te reconnaissons, Ahura MazdƗ, le corps le plus beau des corps : les
lumières du jour que voici, en une (hauteur) qui, parmi les hauteurs, est aussi
haute que le Soleil vu d’ici-bas.

Que faut-il entendre par là ? Souvenons-nous : la tannj de Mișra devait


être la lumière du jour. Serait-elle dès lors identique à la kUUp de MazdƗ, à
toute cette masse de lumière diurne qu’il y a en hauteur, entre le terrain sa-
crificiel et le Soleil ? Et le nom d’Ahura MazdƗ, en khotanais, est d’ailleurs
devenu celui du Soleil.
Si la divinité n’est ni une abstraction ni l’objet d’une personnification, le
sens du mot kUUp peut se rapprocher de « matière ». Voici l’exemple du ciel
que le métal matérialise :

Yt 13.2 ¿Ëhąm raiia xvarÅnaËhaca V vƯįƗraƝm zarașuštra V 93aom asma-


nÅm yǀ usca V raoxšnǀ frƗdÅrÅsrǀ94 V yǀ imąm ząm Ɨca pairica buuƗuua95 V
mąnaiiÅn ahe yașa vƯš aƝm 96 V yǀ hištaite mainiiu.stƗtǀ V 97 handraxtǀ 98
dnjraƝkaranǀ 99 V aiiaËhǀ kÅhrpa xvaƝnahe V †raocahinǀ 100 †aoi 101 șrišu-
ua102 .·.

90
Pour l’établissement du texte, Pirart 2004a : 74.
91
Selon Kellens (2006-2010 : II 58), « qui donne une bonne joie ».
92
Pour l’établissement du texte, Pirart 2004a : 91.
93
Cf. RS 2.30.5ab áva kVipa divó áĞmƗnam ucc» V yéna Ğátrum mandasƗnó nijÕrvƗK
« (Indra,) du haut du ciel, précipite avec entrain la pierre qui te permette de calciner l’enne-
mi ! ».
94
Cf. Yt 8.2.2, Yt 11a.26.2, V 22.1.
95
Cf. RS 10.88.14c yó mahimn» paribabhÕvorvÇ « (VaiĞvƗnara) qui, dans sa majesté, en-
globe depuis toujours les deux vastes (mondes) ».
96
Sur aiia- « œuf », Henning 1954 : 289 sqq.
97
Cf. RS 7.99.3cd vy àstabhnƗ ródasƯ viVQav eté V dƗdhártha pUthivÇm abhíto mayÕkhaiK
« ViVQu, tu as étayé les deux mondes que l’on sait pour maintenir la terre (à distance) du (ciel)
avec des chevilles (placées) tout autour ».
98
Sans Q pointé.
99
Cf. RS 1.185.7a, 10.82.1cd.

91
Avec la richesse et l’aliment que les (FravUti) (m’apportèrent), moi je pus
fixer de façon distinctive, (sache-le,) Zoroastre, le Ciel en haut, brillant et
admirable, et la Terre ici-bas, (le Ciel qui, dans un premier temps, complète-
ment collé à cette Terre,) l’entourait exactement comme l’oiseau couve l’œuf,
(le Ciel) qui, (de nos jours,) en accord avec le Savant Avis, ne reste tenu que
par les lointaines limites de sa forme de métal103 belle à voir. (Je pus le fixer)
au moyen du tiers diurne104.

Et le mythe du disque solaire retaillé105 recourt au mot kUUp :

Y 19.8 fraca aƝta7 vacǀ vaoce V ya7 ahuma7 ya7 ratuma7 106 V para
auua«he ašnǀ d¿Ëhǀi7107 V para Ɨpǀ para zÅmǀ para uruuaraii¿ V para gÈuš
cașȕarÅ.paitištƗnaii¿ d¿Ëhǀi7 V para narš a¹aonǀ bipaitištƗnahe ząșƗ7108 V
para auua«he hnj +șȕarštǀ.kÅhrpaiia 109 V ape 110 amŹanąm spÅQtanąm
dƗhƯm ºoº

100
Mis pour l’instr. sg. Dérivé en -ina- de raocah- ? Cf. RS 2.27.9a trÇ rocan» divy»
dhƗrayanta « (les Ɩditya) fixèrent les trois clairières du ciel, (de l’espace et de la terre) »,
5.69.1ab trÇ rocan» varuQa trÇ0r utá dyÕn V trÇQi mitra dhƗrayatho rájƗPsi « Mitra-VaruQa,
vous fixez à nouveau les trois clairières, les trois ciels, les trois extensions », etc.
101
Pour moi, aoi est à lire ×aƝuua ; et il faut faire de ×aƝuua șrišuua un groupe instr. sg.
complément de vƯįƗraƝm.
102
Je ne pense pas qu’il faille, comme le veut Bartholomae (1904 : col. 812), corriger
șrišuua en +șrišuu¿ (F1) « strahlend nach (allen) Dritteln (der Erde) ». Voir note précédente.
103
Le mot asman « ciel », étymologiquement, signifie certes «pierre», mais le métal
(ayah) était vu comme une sorte de pierre.
104
Un tiers de l’univers, situé entre Ciel et Terre, qui permette la propagation de la
lumière du jour ou la contienne.
105
Voir Pirart 2003a : 164 n. 129.
106
L’expression aƝta7 vacǀ ... ya7 ahuma7 ya7 ratuma7 désigne l’Ahuna Variya (Y
27.13), la strophe qui contient les mots ahnj et ratuš et dont la récitation passe pour avoir
permis au grand dieu de tout mettre en place et à Zaraduštra de repousser les forces
démoniaques.
107
Pour la production du substantif en -i-, la racine ¥ dƗ s’étoffe de ºh- tout comme pour
celle de l’adjectif superlatif, dƗhišta- (contre Kellens 2006-2010 : III 5).
108
La naissance de l’homme (et du Soleil) contraste avec la mise en place des autres
termes de la liste sans que je puisse le justifier. Pour leur part, le zand et Neriyosangh
recourent partout au même terme : dhšn| ou YHBVNtn ; sUVWi- (sauf en h où datta- est
employé).
109
Bartholomae (1904 : col. 796) faisait de șȕarštǀ le locatif singulier de șȕaršti-, ce qui
est aussi mal justifiable morphologiquement (le loc. sing. de ºi- est ºa) que syntaxiquement
(on attend l’ablatif). Kellens (2006-2010 : III 32) y voit la mutilation probable de *șȕarštǀi7.
C’est à mes yeux le premier terme d’un bahuvrƯhi șȕarštǀ.kÅhrpa- épithète du Soleil. Avec le
Soleil dont le corps fut recoupé, ce passage constitue un parallèle pour la séquence mythique
indienne dans laquelle TvaVWU réduisait les rais de Vivasvant et lui conférait un charmant
aspect à moins que ce ne soit pour celle, plus cosmogonique, dans laquelle le Soleil, œuf
mort, dut être retaillé ou dégrossi avant de pouvoir être réanimé (par exemple, dans ĝBM
3.1.3.4). La traduction que Neriyosangh donne de la phrase, prƗk tasmƗt snjryasya vinirmita-
kƗyƗt | anƗloke cƗmarƗQƗP gurnjQƗP dattam « avant le corps façonné du Soleil et après la
mise en place des Immortels savants », suppose, dans le texte pehlevi (LOYN| MN ZK hvlhšyt|
blyn| klp| {tn| Y hvlhšyt} V PVN BRA ’y’pkyh Y ’mhrspnd’n YHBVNtn .·.), l’absence d’eĪƗfe

92
Et cette parole qui contient (les mots) ahu et ratu fut prononcée avant que
fussent mis en place 111le Ciel là-haut, la Rivière, la Terre, le Végétal et la
Vache, quadrupède (par excellence), avant que naquît l’Homme harmonieux
(= le pieux adorateur paradigmatique), bipède (par excellence), avant que là-
haut (naquît) le Soleil dont le corps fut recoupé112, (mais) après que les AmUta
Spanta furent mis en place.

En plus de leurs apparences naturelles, les Yazata Gaișiya ou dieux


visibles, les astres par exemple, peuvent adopter une apparence mythique,
c’est-à-dire une forme qui fonctionne à l’intérieur d’un discours de vérité,
mais les Yazata MƗnyava, même si leurs apparences naturelles concrètes
font logiquement défaut, le peuvent tout aussi bien :

Yt 8.13 paoirii¿ dasa xšapanǀ V spitama zarașuštra V tištriiǀ raƝuu¿


x arÅnaËvh¿ V kÅhrpÅm raƝșȕaiieiti113 V raoxšnušuua vazÅmnǀ V narš kÅhrpa
v

paQca.dasaËhǀ114 V xšaƝtahe spiti.dǀișrahe V bΩrΩzatǀ auui.amahe V ama-


uuatǀ hunairii¿Qcǀ115
Les dix premières nuits (du mois116, sache-le,) Zoroastre, toi qui descends
de Très-fructueux, Sirius, lui que la richesse et l’aliment accompagnent,
évoluant parmi les lumières, mêle ses traits aux traits117 de l’homme de quin-
ze ans, splendide, le regard clair, de haute taille, doté du Pouvoir offensif et
des aptitudes ;
Yt 13.107.1abc ye«he118 nmƗne a¹iš vaËvhi V srƯra xšǀișni fracaraƝta V
kainƯnǀ kÅhrpa srƯraii¿

entre hvlhšyt| et blyn| klp|, mais devons-nous l’entériner et rejeter ainsi la possibilité d’un
bahuvrƯhi blyn| klp| « possédant un corps délimité » ? Je ne le pense pas pour la raison sui-
vante : le zand primitif s’en était tenu au mot à mot, reproduisant ainsi le sous-entendu de
ząșƗ7 dont l’absence de restitution doit avoir conduit un interprète médiéval ultérieur à
rechercher un substantif que la locution prépositive LOYN| MN pût régir et à le reconnaître
dans klp|. Ce raisonnement aboutissait inévitablement à faire de blyn| l’épithète de klp| et de
hvlhšyt| son complément si bien que l’eĪƗfe dut être biffée. L’interprète médiéval, dans son
souci d’asseoir cette nouvelle relation grammaticale devant exister entre hvlhšyt| et klp|, s’est
d’ailleurs donné la peine de la préciser avec les mots tn| Y hvlhšyt : « avant la forme façonnée
du Soleil {le corps du Soleil}, mais une fois obtenue la mise en place des AmUta Spanta ».
110
Sur cette préposition, Morano 1987 ; Kellens 2006-2010 : III 22.
111
Sur ce type d’énumération, Pirart 2007a : 47 sq.
112
Contre Kellens (2006-2010 : III 32) « avant la taille du soleil là-haut sous forme-
visible ».
113
Rétablir la voix moyenne possessive ?
114
Mis pour *paQca.dasahe.
115
Sur la forme de cet adjectif, Pirart 2008 : 72 n. 54.
116
Tous les mois de l’année, selon le calendrier avestique, comptent 30 jours.
117
« Mêle ses traits aux traits ... » : sans doute ceci décrit-il le processus par lequel le
dieu adopte une forme (kUUp) qui lui permette de jouer un rôle dans ce monde, un processus
qui serait comparable à celui des avatƗra indiens.
118
Sur le texte, Pirart 2006b : 108.

93
(le héros) chez qui la belle et splendide déesse Ɩrti vivait sous les traits
d’une belle jeune fille ;
Yt 14.2.1 ahmƗi paoiriiǀ ƗjasƗ7 vazÅmnǀ V vÅrÅșraȖnǀ ahuraįƗtǀ V vƗ-
tahe kÅhrpa ×daršiiaoš119 V srƯrahe mazdaįƗtahe
Quand, pour la première fois, VUșragna120 AhuradƗta121 vint en char jus-
qu’à lui (= Zoroastre), ce fut sous la forme de l’audacieux et beau VƗta122
MazdƗdƗta123.

Quant à la rivière AspakUUpƗ124, nous ne pouvons déterminer si elle porte


ce nom pour fonctionner à l’intérieur d’un mythe et y revêtir l’apparence
d’une jument ou si c’est parce que son courant est à l’image d’une cavale125.
Le mot kUUp entre aussi dans l’expression mythique du processus généra-
teur des hypostases du grand dieu :

Yt 13.81.1 126ye«he uruua mąșrǀ spÅQtǀ V aurušǀ raoxšnǀ frƗdÅrÅsrǀ V


kÅhrpasca y¿ ×raƝșȕaiiete V srƯr¿ amŹanąm spÅQtanąm V vÅrÅzd¿ amŹanąm
spÅQtanąm .·.
(Ahura MazdƗ) de qui le ruvan est Manșra Spanta, rose, brillant et admi-
rable, et de qui la forme coïncide avec celles glorieuses et accrues des AmUta
Spanta.

Les démons eux aussi peuvent adopter une apparence, mais, parfois, c’est
un héros qui la leur impose :

Yt 19.29.2 ya7 barata aËrÅm mainiinjm V framitÅm aspahe kÅhrpa V


șrisatÅm aiȕi.gƗmanąm V uua pairi zÅmǀ karana .·.
(Rupi) qui put réduire le Funeste Avis à l’état de cheval et faire de lui sa
monture pour trente révolutions127 du Ciel sur les deux128 confins de la
Terre ;

119
Avec Bartholomae (1904 : 700), contre Geldner daršiiǀiš. Sur la forme de cet adjectif,
Pirart 2006b : 178 n. 226, 258 n. 56.
120
Sur ce dieu, Pirart 2006a : 57 sqq.
121
«qu’Ahura (MazdƗ) mit en place».
122
Le vent, dieu guerrier (voir Pirart 2006a : 30, 40, 57, 60, 61 ; 2010a : 129 sq.).
123
«qu’(Ahura) MazdƗ mit en place».
124
Sur cette rivière mythique, Pirart 2006a : 43, 46, 81, 82, 93. BahuvrƯhi en ºa- comme
sraƝštǀ.kΩhrpa- (voir note 86) ou șȕarštǀ.kΩhrpa- (voir note 109).
125
Le nom du cheval (ou de la jument) est fréquent dans l’hydronymie indo-iranienne.
126
Voir Chapitre II 4.2.
127
Trente ans. Dans abigƗman-, le préverbe conserve un sens proche de celui de son
correspondant grec ਕȝijȓ (< pie. *H2ۨbhí).
128
Seulement deux ?! Plutôt qu’aux points cardinaux, devrions-nous penser aux surfaces
supérieure et inférieure de la Terre ?

94
V 7.2.3 aƝša druxš yƗ nasuš upa.duuąsaiti V ×apƗxtaraƝibiiǀ129 naƝmaƝi-
biiǀ V †maxši 130 kÅhrpa ÅrÅȖaitiia 131 V 132 ×fraxšnaoš 133 apazaįaƾhǀ 134 V
akaranΩm.driȕii¿ V yașa zǀiždištƗiš xrafstrƗiš .·.
Cette Druj Nasu s’évapore des côtés septentrionaux sous les traits de la
mouche tumultueuse, genoux en avant et fesses rentrées, tachée de tous côtés
comme les plus repoussants (des êtres) lamentables.

Dans de tels cas, la concurrence entre tannj et kUUp peut être fort
compréhensible et la confusion prendre des allures circulaires : comme la
déesse adopte l’apparence d’une jeune fille qui exhibe un beau corps de
bonne apparence, les mots sraotannj- et hukÅhrp- en viennent apparemment
à jouer la synonymie. Et il est parfois malaisé de dénouer l’écheveau. C’est
notamment le cas du Y 51.17ab1 où, de surcroît, se pose la question de la
personnification :

129
Geldner apƗxÅįraƝibiiǀ. La déformation que nous y trouvons de ºtaraº en ºįraº est
parallèle à celle de pairiº en fraº dans frašicaQti (Yt 14.34.3d) qui est à corriger en
×
pairiš.hiQcaiQti (Pirart 2006b : 32).
130
Mis pour le génitif *maxšaii¿. Bartholomae (1904 : col. 1112) admet un composé
maxši.kΩhrp-, sans doute sur la foi de maxši.bΩrΩta- (V 5.3.2c, 5.4d), de maxši (FiO 499) et de
maxšinąm (V 14.6b), mais, à mes yeux, ces formes ne sont pas fiables si la succession de
jambages ºšiº peut résulter de la compression de ºšaº. Il est malaisé de savoir si le thème du
nom de la mouche est maxšƯ- (cf. prâcrit macchƯ-) ou maxšƗ- (cf. védique mákVƗ-, voir
Mayrhofer 1992-2001 : II 287) puisque, pour l’attestation que V 8.69.4b donne du génitif sg.,
les manuscrits sont partagés entre maxšii¿ et maxšaii¿ (Jp1, L1) et que, pour la désignation de
la femelle d’un animal, l’indo-iranien hésite entre ºƯ- (type védique meVÇ-) et ºƗ- (type védique
áĞvƗ-), mais l’habitude, en présence de kΩhrpa, est de recourir au génitif plutôt qu’à un pre-
mier terme de composition ; or, faut-il remarquer, la métrique du V 7.2.3c recommande le
thème en ºƗ- : maxšƗyƗh kUUpƗ UgașyƗh (8).
131
Mis pour *ΩrΩȖaișii¿. En effet, cet adjectif, d’après V 14.6b baƝuuarΩ maxšinąm
ΩrΩȖaitinąm, doit s’accorder plutôt avec le nom de la mouche qu’avec kΩhrpa. Le zand en est
PVN mhš klp| Y ’lgnd.
132
Le zand en est le suivant : 1’š ZK dlvc Y nsvš QDM dvb’lyt| MN ’p’htlnymk PVN mhš
klp|2 ’ylngd3 pr’c +z’nvk4 Y ’p’c kvn Y ’kn’lk dlym AYK dlym KN dlym ptvst| YKOYMVNyt
cygvn ZK byc’ytvm5 hlpstl6 lymntvm .·. Ce sont aussi les mots avestiques qui se cachent
derrière les pehlevis de l’AVN 17.9 : APš BYN ZK Y v’t HZYTVNt ZK Y NPŠE dyn| V kvnšn
<Y NPŠE PVN> NYŠE <klp> Y yh <Y> lvtk Y pvtk Y pšhtk (u-š andar Ɨn Ư vƗd dƯd Ɨn Ư xvƝš
dƝn ud kunišn <Ư xvƝš pad> zan<-kirb> Ư jeh <Ư> rnjdag Ư pnjdag Ư paššixtag) « et, à l’intérieur
de ce vent, (le ruvan) vit sa propre dainƗ et son action propre sous la forme de la sale femme,
les vêtements en lambeaux, dégoûtante et souillée ». Notes : 1. D’après Jamasp 1907 : 238. |||
2
. DPS ajoute Y. ||| 3. IM ’ylg ; DJE, DN, DJR ’ylnk ; DPS, Sp ’ylng ; gandƯde (glose en
caractères persans) ; DPS, Sp ajoutent Y. ||| 4. Ou šnvk. Sp, DJJ, IM, BU, MU1.2, DR šnk ;
z’nk (glose en caract. persans). ||| 5. DJR, DN, IM bvc’ktvm ; MU1.2 bvc’kyntvm. ||| 6. DPS, Sp
ajoutent Y.
133
Voir Duchesne-Guillemin 1936 : 186. Mis pour le féminin frašnuvah (cf. AS asita-
jñÕ- ; Debrunner 1954 : 493). Cf. AVN 17.9 Y pr’c +z’nvk Y ’p’c kvn (Ư frƗz-zƗnnjg Ư abƗz-
knjn).
134
Le maintien de ºdº intervocalique non spirantisé est exigé par ºzº.

95
bÅrÅxįąm mǀi fÅrašaoštrǀ V huuǀ.guuǀ daƝdǀišt kÅhrpÈm V ×daƝnaii¿
×
vaËhuii¿135
Fraxšauštra HƗugva me montre la kUp que je salue de la déesse DainƗ.

Autrement dit : si c’est d’apparence qu’il s’agit, sous quelle apparence


DainƗ apparaît-elle ? Et, si c’est de substance qu’il est question, où faut-il
reconnaître la substance ou la teneur de la bonne religion de tel ou tel
individu ? Dans un enseignement oral ou écrit qui fut effectivement mis en
pratique ? Ou alors devons-nous penser que, pour la lui présenter, l’on
dénude ici la future épouse de Zoroastre, HƗugvƯ ?

2.5. La kUUp, les jours et les textes

Et, comme les textes, les jours du mois et les dieux ont pu confondre
leurs noms, il est presque désespéré de savoir si le mot kUUp peut çà ou là
désigner le texte consacré à la divinité ou le jour qu’elle patronne plutôt que
l’apparence sous laquelle cette divinité fonctionne dans un mythe donné.
Souvenons-nous ici de l’emploi que le Y 36.6136 faisait de raucah « le
jour » en connexion avec la kUUp du grand dieu. L’idée que la kUUp d’une
divinité est identifiable au jour qu’elle patronne ressort encore du Yt
13.81.1137 et de passages comme celui-ci :

Y 71.4.2-3 †vƯspÅmca kÅrÅfš†138 ahurahe mazd¿ yazamaide .·. vƯspÈsca


amΩ¹È spΩQtÈ yazamaide .·.
Et j’offre le sacrifice à chaque kUp d’Ahura MazdƗ. Et j’offre le sacrifice à
tous les AmUta Spanta.

Cependant, la sécheresse de certaines énumérations dont l’ordre de


succession des termes ne reproduit pas celui des jours du mois nous
empêche d’entériner comme une certitude cette idée de kUUp identi-
fiables aux jours :

Yt 10.60.2 ye«he vohu haosrauuaËhÅm vaËvhi kÅrÅfš vaËvhi ×frasas-


tiš139 .·.
(Mișra) qui possède un divin hƗusravaha140, une divine kUp (= le Mihr
Yašt ?) et une divine proclamation141 ;

135
Contre Kellens & Pirart (1988-1991 : I 184) daƝnaiiƗi vaƾhuiiƗi.
136
Ci-dessus 2.4.
137
Ci-dessus 2.4.
138
Mis pour *vƯspąmca kÅhrpÅm*.
139
Geldner frasasti.

96
Yt 11.21 kÅhrpÅm sraošahe a¹iiehe yazamaide .·. kÅhrpÅm rašnaoš
razištahe yazamaide .·. kÅhrpÅm mișrahe ×vouru.gaoiiaotǀiš yazamaide .·.
kÅhrpÅm vƗtahe a¹aonǀ yazamaide .·. kÅhrpÅm daƝnaii¿ vaËhuii¿
mƗzdaiiasnǀiš yazamaide .·. kÅhrpÅm arštƗtǀ frƗda7.gaƝșaii¿
varÅda7.gaƝșaii¿ sauuǀ.gaƝșaii¿ yazamaide .·. kÅhrpÅm a¹ǀiš vaËhuii¿
yazamaide .·. kÅhrpÅm cistǀiš vaËhuii¿ yazamaide .·. kÅhrpÅm razištaii¿ cis-
taii¿ yazamaide .·.
Nous offrons le sacrifice à la forme de Srauša/ que prend Srauša142 qui se
soucie de l’Agencement. Nous offrons le sacrifice à la forme que prend le très
rectiligne Rašnu143. Nous offrons le sacrifice à la forme que prend Mișra qui a
de vastes prairies. Nous offrons le sacrifice à la forme que prend
l’harmonieux VƗta. Nous offrons le sacrifice à la forme que prend la déesse
DainƗ MƗzdayasni144. Nous offrons le sacrifice à la forme que prend la
(déesse) 5štƗt145 grâce à qui prospèrent les troupeaux, grâce à qui croissent
les troupeaux, grâce à qui les troupeaux prennent de l’embonpoint. Nous
offrons le sacrifice à la forme que prend la déesse Ɩrti146. Nous offrons le
sacrifice à la forme que prend la déesse Cisti147. Nous offrons le sacrifice à la
forme que prend la très rectiligne (déesse) CistƗ148 ;
Yt 11.22.1-7 kÅhrpÅm149 vƯspaƝšąm yazatanąm yazamaide .·. kÅhrpÅm
mąșrahe spÅQtahe yazamaide .·. kÅhrpÅm dƗtahe vƯdaƝuuahe yazamaide .·.
kÅhrpÅm darÅȖaii¿ upaiianaii¿ yazamaide .·. kÅhrpÅm150 amŹanąm spÅQta-
nąm yazamaide .·. kÅhrpÅm151 ahmƗkÅm saošiiantąm ya7 bipaitištanąm a¹a-
onąm yazamaide .·. kÅhrpÅm vƯspaii¿ stǀiš yazamaide .·.
Nous offrons le sacrifice à la forme de tous les Adorables/ que prennent
tous les Adorables. Nous offrons le sacrifice à la forme que prend le
Formulaire Savant152. Nous offrons le sacrifice à la forme que prend la Loi
qui repousse les Daiva. Nous offrons le sacrifice à la forme que prend la
longue Tradition. Nous offrons le sacrifice à la forme que prennent les
Immortels Savants. Nous offrons le sacrifice à la forme que prennent les

140
Ce mot abstrait se refère peut-être au rôle de juge des âmes que Mișra remplit aux
portes de l’au-delà si l’épithète husravah dont il dérive qualifie l’individu lors du jugement
duquel les dieux Rašnu, Mișra et Srauša rendent un bon verdict.
141
Cette proclamation est celle des exploits ou des fonctions de Mișra.
142
Cette suite de théonymes rappelle celle de patrons de jours du mois (voir Pirart
2006a : 30-31).
143
Sur ce dieu, Pirart 2009a ; 2010b.
144
Sur cette déesse, Pirart 2008 : 67 sq. ; 2010b.
145
Sur cette déesse, Pirart 2006b : 75 sqq. ; 2010b.
146
Sur cette déesse, Pirart 2006b ; 2010b.
147
Sur cette déesse, Pirart 2006b : 42 sqq. ; 2010b.
148
Sur cette déesse, Pirart 2006b : 42 sqq. ; 2008 : 68 sq. ; 2010b.
149
Mis pour le pluriel.
150
Mis pour le pluriel.
151
Mis pour le pluriel.
152
Le Manșra Spanta, l’ensemble des textes du mazdéisme zoroastrien.

97
Futurs Invigorateurs153 auxquels nous, les harmonieux bipèdes, nous donnons
naissance. Nous offrons le sacrifice à la forme que prend la Gloire154 de cha-
cun des harmonieux.

Dans de tels cas, je pense qu’il n’est pas trop aventureux de donner à
kΩhrp- le sens de « rôle, fonction ». Et cette fonction qui, pour certaines
divinités, se fait jour dans le calendrier, est explicitée par le yašt (« texte du
sacrifice offert ») puisque, sans le culte qui lui est rendu, la divinité ne peut
rien. Chacun des jours du mois, patronné par une divinité, est comme sa
manifestation ou l’occasion qu’elle a de jouer son rôle, celui-là même que le
texte sacrificiel (yašt) rappelle tout au long de ses mouvements. Ainsi le jour
de Mișra est-il la kUUp que le dieu Mișra adopte pour accomplir ce que le
Mihr Yašt, récité pour l’occasion, dit de lui. Et, dans le cas de textes comme
le DƗta Vidaiva ou la longue UpƗyanƗ, n’est-il pas tentant de rendre le mot
kUUp par « corpus » ?
Cette hypothèse, me semble-t-il, est utile aussi à la compréhension de
l’adjectif hukΩrΩptΩma- qui concerne tant Ahura MazdƗ que la FravUUti
d’Ahura MazdƗ :

V 19.14.1 155nizbaiiaËvha tnj zarașuštra ×frauua¹Ưm V mana ya7 ahurahe


mazd¿ V auuąm yąm mazištąmca vahištąmca sraƝštąmca V xraoždištąmca
xrașȕištąmca hukÅrÅptÅmąmca V a¹Ɨ7.apanǀtÅmąmca V ye«he uruua mąșrǀ
spÅQtǀ .·.
Invoque donc, ô Zaraduštra, la mienne fravUti : je suis Ahura MazdƗ ; et
cette fravUti est la plus grande, la meilleure et la plus belle, la plus dure, la
plus performante, la plus hukUp, celle qui le mieux atteint son but avec 5ta, et
le Manșra Spanta est mon ruvan ;
Y 1.1 niuuaƝįaiiemi haQkƗraiiemi156 dașušǀ ahurahe mazd¿ raƝuuatǀ
x arÅnaËvhatǀ mazištaheca157 vahištaheca sraƝštaheca xraoždištaheca xra-
v

153
Les Saušyant, combattants eschatologiques nés de l’union des âmes et des con-
sciences des pieux défunts.
154
Sur la Sti, l’ensemble des mérites de l’âme-moi, sa gloire, voir Chapitre IV.
155
Voir Chapitre II 4.2.
156
L’absence de coordination, inattendue, est confirmée par les traductions médiévales.
Le sens du second verbe est donné par la traduction sanscrite : nimantrayƗmi sampnjrQayƗmi
kilejisnau nimantrayƗmi sampnjrQƗP1 ca karomi « J’invite (et) j’intègre {= j’invite au sacri-
fice et je rends (le sacrifice) exhaustif en y nommant} (Ahura MazdƗ) ». Note : 1. Féminin
sans doute pour sous-entendre ijisnim, mais Kellens (1996 : 40) lit sampnjrQam.
157
L’emploi de la coordination, inattendu, dénonce que cette ligne et les suivantes ont été
reprises avec adaptation génitive à un passage où ces adjectifs étaient non épithètes (cf. Yt
17.16.1 ×ptƗ tƝ yǀ ahurǀ mazd¿ yǀ mazištǀ yazatanąm yǀ vahištǀ yazatanąm <yǀ sraƝštǀ
yazatanąm> .·. mƗta Ɨrmaitiš spΩQta), mais attributs ou introduits par l’eĪƗfe : Y 26.2bcd iįa
yazamaide frauua¹Ưm auuąm yąm ahurahe mazd¿ mazištąmca vahištąmca sraƝštąmca
« j’offre ici le sacrifice à cette Préférence-là du Roi de la Sagesse, la plus grande, la meilleure
et la plus belle » ; Yt 1.5.2abc frǀi7 mƝ ta7 nąma framrnjiįi a¹Ɨum ahura mazda ya7 tƝ asti
mazištÅmca vahištÅmca sraƝštÅmca « Récite-moi donc, harmonieux Roi de la Sagesse, ton

98
șȕištaheca hukÅrÅptÅmaheca a¹Ɨ7.apanǀtÅmaheca huįƗmanǀ 158 vouru.ra-
fnaƾhǀ yǀ nǀ daįa yǀ tataša yǀ tușruiiƝ yǀ mainiiuš spΩQtǀtΩmǀ .·.
J’annonce (le sacrifice et) y donne rang au Roi de la Sagesse qui met
(tout) en place, lui qui dispose de la richesse et de l’aliment, (sacrifice au
cours duquel les noms de) « très grand », d’« excellent » et de « très beau »
(lui sont donnés), (sacrifice au cours duquel les noms de) « très dur »159, de
« très performant », de « possesseur d’excellentes manifestations »160 et de
« mieux arrivant à ses fins au moyen de l’agencement »161 (lui sont donnés),
lui qui fait de bons cadeaux162 et offre un large secours, lui qui nous met en
place, nous configure et nous nourrit, lui qui, à mon avis, est très savant ;
Y 26.2 (= Y 59.19, Yt 13.80) vƯspanąmca ¿Ëhąm paoiriianąm frauua¹i-
nąm V iįa yazamaide frauua¹Ưm auuąm V yąm ahurahe mazd¿ V mazištąmca
vahištąmca sraƝštąmca V xraoždištąmca xrașȕištąmca V hukÅrÅptÅmąmca
a¹Ɨ7.apanǀtÅmąmca .·.
À cette fravUti-là d’Ahura MazdƗ nous sacrifions ici qui de toutes les
fravUti principales est la plus grande, la meilleure et la plus belle, la plus dure,
la plus performante, la plus hukUp et celle qui le mieux atteint son but avec
l’agencement.

C’est que, pour être le dieu suprême, Ahura MazdƗ, parmi les divinités,
doit assurément jouer le rôle le plus important, même si cette importance, en
dernière analyse, dépend du bon agencement rituel. Toute divinité, aussi
grande soit-elle, reste inféodée au rite qui l’honore ou l’a en ligne de mire.

2.6. Étymologie

L’écart sémantique qui, de façon assez antinomique, sépare le cadavre et


l’apparition de la jouvencelle, difficile à combler, suggère que l’étymologie
de kUUp doit être double ou que deux mots kUUp se sont confondus à la faveur
du degré zéro de racines (< pie. *kÌp-) qui, autrement, restent distinctes, la

nom le plus grand, le meilleur et le plus beau » ; Yt 13.91.2bc staota a¹ahe ya7 mazištaheca
vahištaheca sraƝštaheca « le laudateur de l’Agencement, lui qui le donnait pour ce qu’il y
avait de plus grand, de meilleur et de plus beau ».
158
Les attestations de duždƗman- ne permettent pas de reconnaître le piquet dans dƗman-
(contre Kellens 1996 : 44 sq.) : Y 61.2.1 hamistaiiaƝca nižbΩrΩtaiiaƝca aQgrahe maniiÈuš
ma7.dƗmanǀ duždƗmanǀ pouru.mahrkahe ; V 19.6.1-2 paiti ahmƗi adauuata duždƗmǀ aƾrǀ
mainiiuš mƗ mƝ dąma mΩrΩQcaƾvha a¹Ɨum zarașuštra .·..
159
Voir Kellens 1999 : 293-295.
160
Kellens (2006-2010 : I 12) « celui qui a la plus belle forme-visible ».
161
Kellens (2006-2010 : I 12) « qui, le premier, depuis l’Agencement, a atteint (les
chemins directs) ».
162
Kellens (2006-2010 : I 12) « le dieu au bon piquet ».

99
première pour montrer le thème I dans le latin corpus (< pie. *kérpos) et la
seconde, le thème II dans le grec SU{SZ (< pie. *krépoH2) « j’apparais ».

3. KUUp et tannj du ruvan ou de la dainƗ

Si la propre personne peut recevoir la désignation de tannj, certaines de


ses parties immatérielles ou immortelles, notamment le ruvan « âme-moi »,
la dainƗ « conscience religieuse, doctrine » et la fravUUti « engagement, pré-
férence, profession de foi », disposent d’une personnalité tout aussi bien
appelée tannj. Nécessaire à ce qu’elles puissent jouer un rôle à l’intérieur du
mythe, l’octroi d’une personnalité à de telles parties de la personne, au
même titre que les personnifications des dieux, passe par leur faire endosser
une ou plusieurs formes ou figures que les textes nomment kUUp. C’est ce
qu’il faut déduire de l’épithète sraotannj- que H 2.9.2e accorde à la jou-
vencelle sous la kUUp de laquelle la dainƗ apparaît au ruvan et du nom de
tannj qui, dans H 2.11.2d, désigne la personne à qui cette dainƗ appartient.
Sans doute sommes-nous éblouis par l’adjectif srƯra- « beau » à l’instant
d’apprécier la nuance qu’il convient de relever entre des composés tels que
sraotanu- « possesseur d’une belle personne » et sraƝštǀ.kΩhrpa- « posses-
seur d’une très belle apparence », mais nous ne pouvons limiter l’idée de
beauté au seul champ visuel. Et le ĝatapathabrƗhmaQa163, pour faire de cette
« beauté » l’un des aspects du sort enviable de l’âme des pieux défunts, nous
invite à y reconnaître bien plus qu’une beauté purement visuelle. Si la
beauté de la kUUp reste effectivement assez visuelle, celle de la tannj, par
contre, pourrait échapper à l’appréciation visuelle. L’incertitude sémantique
que peut causer la concurrence, relayée par la RivƗyat164, des deux mots kUUp
et tannj dans la description de la DainƗ ainsi est-elle levée.
Le mythe, discours de vérité que le grand dieu tient à Zaraduštra, donne
une forme, kUUp, tant au ruvan qu’à la dainƗ du défunt. Le ruvan y prend la
forme d’un « jeune homme » qui, dans le cas du pieux défunt, porte le nom
de yuvan « adolescent, mature, jeune homme »165 et, s’il est question de
l’impie, celui daivique de marya « (sale) jeune homme, (mauvais) guer-
rier »166. Pour sa part, Darius167 donne le nom de ma-ra-i-y-ka-168 « (bon)
jeune homme » au ruvan du pieux défunt.

163
ĝBM 10.4.1.11 ĞrÇmƗn yaĞasvy ànnƗdó bhaviVyasÇti « Tu seras splendide, glorieux,
repu » (traduction Minard 1949-1956 : II §112).
164
RPDD 23.7.
165
H 2.18.2a.
166
*H 2.36.2a.
167
DNb 50.
168
Kellens 2007 : 143-146.

100
Et la dainƗ, dans H 2, reçoit les désignations successives de kanyan
« jeune fille »169, de carantƯ « gravide »170 et de nƗrikƗ « dame »171 quand
elle est la conscience religieuse du pieux défunt, mais de jani ou jahƯ172, de
maryƗ173 et de jahikƗ174, tous termes daiviques ou péjoratifs, pour être
celle de l’impie.
La différence de terminologie que nous constatons entre bons et mauvais
défunts, ce qu’il est habituel de nommer « daivisme », vient souligner une
différence de kUUp : la description de celles du ruvan et de la dainƗ du pieux
défunt se fait élogieuse tandis que le ruvan et la dainƗ de l’impie prennent
des traits de toute hideur. Le DƗdestƗn Ư DƝnƯg175, dans une paronomase qui
réunit les mots pehlevis klp| « forme » et krpk| « bienfait »176, explique que
la kUUp de son ruvan est fonction des bienfaits que, de son vivant, le pieux
défunt put accomplir ici-bas177. C’est à ce titre que la kUUp trouve place parmi
les composantes abstraites de l’individu dans une énumération comme celle
du Y 55.1-2.
Plusieurs Livres pehlevis nous assurent que la bonne dainƗ peut adopter
bien d’autres formes que celle de la jouvencelle ou de la dame178. Et nous
verrons que la fravUUti, autre composante immatérielle et immortelle du
pieux individu, peut elle aussi prendre une forme, celle d’une cavalière
tandis que celle de l’impie est donnée pour une sorte de sanguinaire goule,
la hainiyƗ179.
Du fait même de la personnification et de l’adoption d’une ou plusieurs
kUUp, certaines des parties immortelles de l’individu peuvent accéder au sta-
tut de divinités et faire l’objet d’un culte. C’est notamment le cas des Fra-
vUUti qu’un texte sacrificiel, le FravardƯn Yašt180, honore de la même façon
que d’autres yašt sont consacrés à des divinités telles qu’AnƗhƯtƗ181 ou Mi-
șra182.
Les kUUp que le ruvan, la dainƗ ou la fravUUti peuvent adopter sont sté-
réotypées. Avec ses yeux clairs et toute sa fougue, le jeune homme de
quinze ans est la figure du ruvan, mais aussi de tel ou tel dieu. De même la
jouvencelle, figure fréquente de la dainƗ, est-elle décrite exactement dans

169
H 2.9.2a.
170
H 2.10.2a.
171
H 2.18.3a.
172
*H 2.27.2a.
173
H 2.28.2a.
174
H 2.36.3a.
175
DD 7.
176
Mackenzie (1971 : 51) en donne les transcriptions interprétatives kirb et kirbag.
177
H 2.11.2 et ses parallèles restent laconiques à ce sujet.
178
Les VZ 30.52 énumèrent jusqu’à douze formes différentes.
179
Au Chapitre VI 5.1.
180
Yt 13.
181
Yt 5.
182
Yt 10.

101
les mêmes termes que n’importe quelle déesse venant au secours d’un adora-
teur. Le mythe recourt ainsi à une collection de figures qui ne sont ex-
clusives ni de son propos ni d’aucune divinité bien déterminée y intervenant.
Par exemple, si sa figure, dans la lutte qui l’oppose au démon de la misère,
est celle du bel étalon rose, nous ne devons pas nécessairement faire de
l’astre annonciateur de la pluie Tištriya un dieu cheval. Chacune des âmes
ou des divinités, pouvons-nous résumer, a beau posséder une identité propre
(tannj), les formes ou figures (kUUp) qu’elles adoptent ne leur appartiennent
pourtant pas en propres. Néanmoins, aussi conventionnelles que soient leurs
couleurs, de telles formes, dans le discours mythique, fussent-elles animales
ou même minérales, explicitent de façon imagée les fonctions précises et
respectives que les dieux et les âmes remplissent dans le monde.
L’idée pehlevie qu’il acquerra une « tannj future » (tn| Y psyn|) lors du
grand parachèvement (fraxšakUUti) qui marquera le terme du temps fini et le
retour à l’infini doit probablement être comprise comme la récupération
pleine et entière que l’individu verra de son rôle et de son protagonisme ou
comme le parachèvement de l’accession qu’il connaîtra au statut divin. En-
tretemps, l’individu devra se contenter d’une apparence (kUUp) ; son ruvan,
habiter un corps provisoire fruit de sa piété183. Comme si l’âme ne pouvait
se passer d’un corps : chair et os pour commencer, l’apparence au delà du
cadavre ensuite, l’individualité du futur enfin.

4. Les composés contenant le mot tannj

Le composé xvaƝpaișe.tanu-184 est à biffer. Dans le H 2.11.2 (= Vyt


8.6.2),

azÅm bƗ tƝ185 ahmi186 yum187 V humanǀ188 huuacǀ189 huĞiiaoșna190 hu-


daƝna191 V yƗ192 hauua193 daƝna194 V ×xvaƝpaișii¿sÅ195 tanuuǀ .·.

183
Voir VZ 30.32.6.
184
Bartholomae 1904 : col. 1861.
185
K4 te ; M4 bƗtƝ ; M6 bƗte ; K20 bƗ.·.tƝ.
186
M6, K20, G18a ai ; F12 ahi ; L5 mƝ.
187
F12, K4, M4, L5 yąm ; G18a ýąm.
188
M4 hu.manǀ.
189
G18a hauuacǀ ; L5 huvacǀ.
190
K20 huWĞiiaǀșana ; G18a, M4 huĞiiaǀșnǀ ; F12 hušaoșnǀ ; K4 huĞaoșnǀ ; L5 hu-
Ğiiaoșnǀ.
191
L5 hudaeni ; F12 om.
192
G18a ýƗ.
193
TD28, F12, M4, L5 huua.
194
Vyt om.
195
M6, K20 xvaƝpaișe ; TD28 [aepaișe ; G18a, K4 xvaipaitƝ ; M4 [aipaitƝ ; F12[apai-
tƝ ; L5 [i.paiti.

102
Pour sûr, moi qui suis ta propre Doctrine, jeune homme de pensée bonne,
de parole bonne et de geste bon, toi qui as bonne Doctrine, j’appartiens à ta
propre personne,

les leçons que les manuscrits montrent pour ×xvaƝpaișii¿sÅ remontent à


un moignon (*xvaƝpaișii<¿sÅ!) ou à une forme accidentée (*xvaƝpai-
ș<ii¿s>Å). La reconstitution de ce génitif singulier haplologique (hvaipa-
șyƗh < *hvaipașyƗyƗh) est permise sur base de la forme d’accusatif pluriel
présente dans le Yt 10.23.2 :

tnjm ana196 mișrǀ.drująm [ma¹iiƗnąm]197 V auui xvaƝpaișii¿sÅ tanuuǀ198 V


șȕiiąm199 auua.barahi .·.
Toi, ainsi, tu envahis de terreur le propre corps des mortels qui vicient
l’échange.

Deux passages parallèles, Az 1 et Vyt 1.1, assez inabordables en raison


de leur mauvaise transmission200, contiennent un composé, très probable-
ment employé au nominatif pluriel, que, dans les manuscrits du premier,
nous lisons tanu.kΩrΩta et, dans ceux du second, tanu.kΩhrpa. Sans doute la
première leçon est-elle préférable201 sur base du védique tannjkÌt-202, mais le
sens de ce dernier est loin d’être assuré203. En réalité, l’octosyllabe qui,
dépourvu de zand, clôture Az 1.4b (us-zaii¿Qte tanu-kΩrΩta)204 et Vyt 1.1.4b
(zaii¿Qte tanu-kΩhrpa)205 est une anticipation secondaire du début de Az 5
(zaii¿Qte haca vǀ dasa pușra)206 ou du Vyt 1.3.1 (zaii¿Qte tanu-kΩhrpa dasa
pușra)207. Comme on voit, Az 1.4b est seul à donner tanu.kΩrΩta puisque Az
5 contient l’alternative haca vǀ, mais la leçon tanu.kΩhrpa est confirmée par
le zand du Vyt 1.3.1 : tn| k’lpvt| Y LKVM. Si ce zand a le mérite de
départager Az 1.4b et le Vyt 1.1.4b, sa fidélité débouche pourtant sur une

196
Comme forme servant à compléter la déclinaison de l’adjectif-pronom cataphorique
aƝm, ana doit, avec Gershevitch, annoncer Yt 10.23.3.
197
Interpolation sous l’influence de Yt 10.38.2. Même phénomène en Yt 10.26.1.
198
Pluriel par concordance avec le complément déterminatif.
199
La morphologie apparente de ce mot est instable : șȕiiąm, ici et Yt 10.37.1, mais
șȕaiiah-, dans șȕaiiaƾvhant-, et șȕaƝša(h)-, en Yt 11.13.1, Yt 13.20.2.
200
Nous manquons de manuscrits pour l’ƖfrƯn Ư Zardušt (Az), mais, pour le VƯštƗsp Yašt
(Vyt), l’équipe d’Alberto Cantera a récemment mis en ligne (ada.usal.es) les manuscrits F12
et G18a. Ces textes sont accessibles chez Westergaard (1852-1854) qui ne s’était basé que sur
les manuscrits K4 et L5.
201
Nous devrions corriger cette leçon en ×tanu.kΩrΩtǀ.
202
Voir Kellens 1974a : 349 n. 2.
203
Voir Renou 1955-1969 : XII 5 et 77 pour RS 1.31.9 ; 1955-1969 : IX 70 et 125 pour
RS 8.79.3 ; cf. 1955-1969 : VI 68 sur RS 8.86.1-3 tannjkUthá-.
204
Texte selon Westergaard 1852-1854.
205
Texte selon Westergaard 1852-1854.
206
Texte selon Westergaard 1852-1854.
207
Texte selon Westergaard 1852-1854.

103
énigme sémantique dans l’élucidation de laquelle l’alternative haca vǀ de
l’Az 5 doit nous guider. Je propose de faire de tanu.kΩhrpa le nominatif
masculin pluriel d’un bahuvrƯhi en ºa- signifiant « qui possède la forme de la
personne » et de l’accorder avec pușra. Les fils qui naîtront auront donc la
forme de la personne de leur père, naîtront à son image, faut-il penser. Par
ailleurs, alors même que Az 1.4b est seul à donner le préverbe us, le zand
d’Az 5.1 et de Vyt 1.3.1 paraissent bel et bien en posséder un reflet, BRA
(bƝ). Selon le commentaire médiéval, « forme de la personne » reviendrait à
dire « nom de la personne », mais nous ne pouvons guère lui accorder de
crédit :

Az 1.4b [us.zaii¿Qte ×tanu.kΩhrpa]


Vyt 1.1.4bc [<us.>zaii¿Qte tanu.kΩhrpa V kΩhrpa xaiiÈuš]
Az 5.1 <us.>zaii¿Qte haca vǀ V dasa pușra .·. z’dyn|d MN LKVM 10 pvs
.·. zƗýQd az ¹ΩmƗ dah pus .·.209
208

Vyt 1.3.1 <us.>zaii¿Qte tanu.kΩhrpa V dasa pușra .·. BRA YLYDVN-BYN


MN tn| k’lpvt Y LKVM 10 BRE| {AYK šmblt’l prznd LKVM YHVVN’t} .·.210
us-zƗyƗntai tannj-kUUpƗ V dasa pușrƗ .·. (/ us-zƗyƗntai haca vah dasa
pușrƗ .·.)
bƝ-zƗyend az tan-kƗlbod Ư ašmƗ dah pus {knj nƗm burdƗr frazand Ư ašmƗ
bƗd} (/ bƝ-zƗyƝnd az ašmƗ dah pus)
(Suite à la prononciation des paroles par lesquelles j’amènerai les dieux à
se montrer favorables envers vous), dix fils naîtront à votre image {= que
vous ayez une descendance porteuse de votre nom !} (/ dix fils vous naîtront).

Le contexte trop pauvre de la seule attestation de tanu.druj- « corrupteur


de la tannj » ne permet d’élaborer aucun raisonnement :

V 16.18.1 vƯspe druuaQtǀ tanu.drujǀ yǀ211 adÅrÅtǀ.7kaƝšǀ V vƯspe adÅrÅ


tǀ.7kaƝšǀ yǀ asraošǀ V vƯspe asraošǀ yǀ ana¹auuanǀ V vƯspe ana¹auuanǀ yǀ
tanu.pÅrÅșǀ ºoº
Ce sont tous des drugvant corrupteurs de la tannj212 que ceux qui ne res-
pectent pas les enseignements (d’Ahura MazdƗ), tous des irrespectueux des

208
Zand selon Dhabhar 1927.
209
PƗzand selon E1 (Kotwal & Hintze 2008).
210
Zand selon Dhabhar 1927.
211
Les mots yǀ adÅrÅtǀ.7kaƝšǀ ... adÅrÅtǀ.7kaƝšǀ yǀ asraošǀ ... asraošǀ yǀ ... yǀ tanu.-
pÅrÅșǀ sont mis pour le pluriel.
212
L’interprétation de ce composé reste incertaine : aucun passage ne contient le syn-
tagme permettant d’expliciter la relation qu’entretienent ses deux membres. Le sens « qui a la
tromperie au corps », suggéré par le zand (APš’n BYN tn| dlvc), avec un premier terme à
valeur locative (Bartholomae 1904 : col. 636 ; Duchesne-Guillemin 1936 : 155 ; Kellens
1974a : 41) contrevient aux règles de la composition : on attendait pour ce sens le type vájra-
hasta- « qui a le foudre en main ». Sans doute le recours au type vUkVákeĞa- « qui a les arbres

104
enseignements (d’Ahura MazdƗ) que ceux qui ne récitent pas (les Cantates),
tous des sauteurs de récitations que ceux qui ne sont pas harmonieux, tous des
anharmonieux que ceux qui sont criminels.

Dans le composé tanu.pÅrÅșa- « criminel » (phl. tn’pvhl ou tn’pvhlyk),


fréquent dans le NƝrangestƗn ou dans le VƯdaƝuu-dƗt et dont le sens littéral
pourrait être grosso modo « condamné à payer de sa personne », le second
terme, selon Christian Bartholomae213, est un substantif de genre neutre
signifiant « Verwirkung ». Le sens du composé est à déterminer sur base du
syntagme tannjm piriiete « il est soumis, pour réparation, à la confiscation de
son corps »214 : « des Leib verwirkt, dem Gericht verfallen ist ». Le composé
négatif atanu.pÅrÅșa- « qui n’est pas punissable pour ce qui est de la per-
sonne, non criminel » (phl. ’tn’pvhlyk) est un hapax legomenon :
216
V 18.62.2 jahi bƗ a¹Ɨum zarașuštra V yǀ215 xšudr¿ hąm.raƝșȕaiieiti V
dahmanąm adahmanąmca daƝuuaiiasnanąm adaƝuuaiiasnanąmca V tanu.-
V
217
pÅrÅșanąm atanu.pÅrÅșanąmca .·.
Pour sûr, c’est la jahƯ (= prostituée ?), (sache-le,) Utavan Zaraduštra, elle
qui mélange les liquides des experts et des inexperts, des adorateurs des
Daiva et de ceux qui ne leur rendent pas de culte, des criminels et de ceux qui
ne le sont pas.

Le composé tanu.mazah- « de la grandeur de la tannj » (phl. tn| ms’d),


que nous pouvons expliciter sur base du V 7.51218, est attesté dans deux
passages219, chaque fois à l’accusatif neutre singulier et avec le sous-entendu
du mot auquel il se rapporte :

P 17 220tanu.mazǀ a¹aiiƗiti V yǀ tanu.mazǀ ×draoxša7 .·. tanu.mazǀ zƯ ×aƝ-


tąmci7 a¹aiiąm ×pafre .·. ×yǀ nǀi7 yauua mișǀ mamne V nǀi7 mișǀ vauuaca V
nǀi7 ×mișǀ ×vƗuuarΩza .·.

pour cheveux » (Kellens 1974a : 41) est-il meilleur, mais je ne vois pas pourquoi le sens de
nom d’agent pour le second terme ne pourrait être retenu : « qui corromp le corps ».
213
1904 : col. 636, 637.
214
Kellens 1984a : 114.
215
Mis pour le féminin.
216
Mis pour le neutre.
217
Notons la curiosité du zand tn’pvhl(yk) qui reproduit un composé avestique un peu
distinct *tanu.ƗpΩ¹i- « qui se trouve avec la nécessité de se punir (< se faire passer) la
personne » dans lequel le second terme est le dérivé en -ti- de Ɨ+¥ par « faire passer,
sanctionner ». Et notons aussi la curiosité du renversement de signe que permet le préverbe Ɨ
dans *anƗpΩ¹a- « inexpiable » (Dk 9.31.3 : Pirart 2007a : 63 n. 90).
218
Voir ci-dessus 1.2.
219
Contre Bartholomae (1904 : col. 637) qui fait un distinguo entre deux mots
tanu.mazah-.
220
Pour le texte et la traduction, JamaspAsa & Humbach 1971 : I 28 sqq.

105
He shall perform righteousness of the size of the body, who shall have
committed evil of the size of the body. One has thus fulfilled the performance
of righteousness of the size of the body. When he never thought wrong,
neither uttered wrong and never acted wrong ;
V 18.29 yasca mƝ aƝtahe221 V mÅrÅȖahe ya7 parǀ.daršahe222 V tanumazǀ
gÈuš dașa7 V nǀi7 dim yauua V azÅm yǀ ahurǀ mazd¿ V bitƯm vƗcim paiti.-
pÅrÅsÅmnǀ buua223 V fraĞa fraiiƗi224 vahištÅm Ɨ ahnjm Ɨ ºoº225
Et celui qui donne un morceau de viande aussi grand que sa propre
personne à cet oiseau mien qui voit (les démons) avant (que ces derniers le
voient), moi qui suis Ahura MazdƗ, je ne me mettrai jamais à lui poser de
seconde question pour qu’il accède directement à l’Existence excellente.

Pour le composé tanumąșra- « de qui le Manșra Spanta constitue la


tannj », dit principalement de Srauša, de Mișra, de Vištâspa, du zautar et
de l’adorateur, voir ci-dessus 1.5. Ajoutons que Christian Bartholomae226,
ici aussi, pour s’inspirer du zand227, envisage un saptamƯbahuvrƯhi ou un
tUtƯyƗbahuvrƯhi : « mit dessen Leib das heilige Wort verbunden ist, der es in
sich aufgenommen, mit ihn eins geworden ist ».
La réalité du composé irista.tanu- ne peut être garantie pour figurer dans
un contexte que Christian Bartholomae228 taxe de « Wertlos » : Vd 12 pas-
caiti auui he irista tannjm upa daxma frabarǀiš229.
Sur pÅrÅtǀ.tanu-, pŹǀ.tanu- « de qui la tannj est perdue » et apÅrÅtǀ.-
tanu- « de qui la tannj n’est pas perdue », Pirart 2006b : 72 sq. Sur pÅšǀ.tanu-
« de qui la tannj est large », Pirart 2006b : 72 sq.
Le bahuvrƯhi vƯtÅrÅtǀ.tanu- « défiguré »230 est attesté dans la seule phra-
se V 2.29f = Yt 5.92e mƗ paƝsǀ yǀ vƯtÅrÅtǀ.tanuš .·. « ni le lépreux défiguré ! »
221
Mis pour le datif **aƝtahmƗi mÅrÅȖƗi [ya7] parǀ.darse ?
222
Cette forme diascévastique du génitif de parǀ.dΩrΩs- est du même type que celle du
vieux-perse da-a-ra-y-va-u-š-ha-y-a.
223
Subjonctif aoriste selon Kellens 1984a : 384, 389.
224
√ yƗ « avancer en char » ?
Infinitif radical datif de fra+√
225
L’interprétation traditionnelle du passage est toute autre : « Et celui qui donnera (à un
fidèle) une quantité de viande égale au corps de ce mien oiseau ParadUs, moi qui suis Ahura
MazdƗ, je ne l’interrogerai jamais deux fois au moment d’entrer dans l’excellente existence »
(voir Kellens 1974a : 36 ; 1984a : 335, 388).
226
1904 : col. 637.
227
V 18.14 tn| plm’n AYK tn| PVN plm’n| Y dhšn| d’lyt « tan-framƗn, c’est-à-dire qu’il
garde son corps aux ordres de la création ».
228
1904 : col. 1530.
229
Les manuscrits du VizƯrgard Ư DƝnƯg (Vd), ouvrage pehlevi contenant de nombreux
fragments avestiques, me sont inaccessibles. Sur cet ouvrage, voir Sanjana 1848 ; West 1880-
1897 : IV 438-447, 474-475, 485-487 ; Molé 1967 : 8-9, 122-135, 252-254.
230
Le sens que Christian Bartholomae (1904 : col. 1441) lui donne, « wobei der Leib, die
Person (an einen besonderen Ort) weggebracht, isolirt werden muss » < « weggebrachten Leib
habend », est basé sur le zand du VƯdaƝuu-dƗt, mais, dans la seconde mouture de ce dernier
qui est double, le composé *kǀft-tan, désarticulé par une interpolation, n’a plus été reconnu :
AL pys ×MNV yvdt krt| YKOYMVNyt tn| ×v’ck| ’y <MN> dynyk k’l [AL] .·. AYT MNV ’ytvn|

106
Le sens du composé vƯspǀ.tanu- « pour tout le corps » (phl. hlvsp| tn|)
n’est pas assuré :

Y 9.17.1 231nƯ tƝ zƗire maįÅm mruiiƝ V nƯ amÅm nƯ vÅrÅșraȖnÅm V nƯ


dasuuarÅ nƯ baƝšazÅm V nƯ fradașÅm nƯ varÅdașÅm V nƯ aojǀ vƯspǀ.tannjm V
nƯ mastƯm vƯspǀ.paƝsaËhÅm .·.
Suc jaune, je te fais part de mon souhait d’ivresse, d’avoir la force
d’attaquer (les puissances adverses) ou de briser les obstacles, de santé ou de
guérison, de prospérité ou de croissance, de puissance pour toute ma per-
sonne232 ou de compréhension de tous les ornements (de la Doctrine).

Sur sraotanu- « qui a une belle tannj » (phl. nyvk| tn|), voir ci-dessus 3.

5. Les composés contenant le mot kUUp

Le composé maxši.kΩhrp- est à biffer233. Sur kΩrΩfš.xvar- (phl. klp| hv’l),


voir Kellens 1974a : 90. Sur hukΩhrp- (phl. hvklp) et son superlatif hukΩrΩp-
tΩma- (phl. hvklptvm), voir ci-dessus 2.1, 2.4 et 2.5.
Soulignons que hukΩrΩpta « schöngeformt »234 est sans doute à corriger
×
en hukΩhrpa nom. masc. duel :

Yt 5.127.2 hƗ [hƝ]235 maiįim236 niiƗzata V †yașaca237 ×hukΩhrpa fštƗna V



yașaca aƾhÅn ×niiƗzƗna238 .·.
La (déesse AnƗhƯtƗ) se serrait la taille, se donnant ainsi bel aspect aux
hanches et aux seins239.

YMRVNyt ’y AL pys kvpt| [HNAc MNV yvdt krt YKOYMVNyt] tn| .·. « ni le lépreux, qui a eu
le corps placé à l’écart ʊ sous-entendu : <(à l’écart) des> actes religieux ʊ. Un (passage de
la DainƗ) dit ceci : ni le lépreux qui possède un corps endommagé [en ceci qu’il a été mis à
l’écart] ».
231
Voir Kellens 2006-2010 : II 59.
232
Cf. RS 1.140.6c ojƗyámƗnas tanvàĞ ca Ğumbhate « déployant une force redoutable, il
se pare le corps» (trad. Renou 1955-1969 : XII 32).
233
Voir ci-dessus n. 130.
234
Bartholomae 1904 : col. 1818.
235
hƝ qui ne peut en aucun cas servir de pronom réfléchi doit être biffé, mais voir la note
suivante.
236
Fautif ou mis pour madyamam (= védique madhyamá-) ? Une autre possibilité est de
corriger hƝ maiįim en ×humaiįima (humadyamƗ) et d’y voir un bahuvrƯhi accordé avec le
sujet : « elle, possédant un beau tour de taille, se (le) serrait ».
237
aƾhΩn est mis pour le duel. L’emploi de ºca ... ºca placé sur yașa et la répétition de
yașa me paraissent abusives : j’attends yașƗ hukUUpƗ ca stanƗ (8) ahatah niƗzƗnƗ ca (8).
238
Avec Humbach (1975 : 53 sq.), contre Geldner niuuƗzƗna.
239
Voir l’interprétation que Humbach (1975 : 53 sq. ; cf. Kellens 1984a : 47) a donnée
de ce passage.

107
Sur aspǀ.kΩhrpƗ-, șȕarštǀ.kΩhrpa- et sraƝštǀ.kΩhrpa-, voir ci-dessus
respectivement les notes 124, 109 et 86.

6. ¥ saQ
Qd

L’emploi que H 2 et d’autres textes font du verbe ¥ saQd « apparaître »


(= védique CHAND) est à signaler comme corollaire de celui de kΩhrp-.
C’est aux yeux du ruvan que la dainƗ apparaît sous telle ou telle forme
comme si la kUUp de la dainƗ était une émanation du ruvan qui la regarde.
De façon parallèle, ce dernier apparaît aux yeux de la religion sous la forme
qu’il mérite, mais aussi à ses propres yeux. Ceci explique qu’il est passé de
temps à autre de la voix active à la moyenne de ce verbe : le ruvan perçoit
la dainƗ et se perçoit. Le pehlevi ne disposant plus de ces nuances
diathétiques, le zand recourt au passif tout en restituant tan Ư xvƝš « sa
propre personne » comme sujet :

H 2.7.1f vƯdiįƗrΩmnǀ ×sadaiiete


(le ruvan) se sent transporter,
Ɨ-š be dƗšt sahed tan Ư xvƝš
sa propre personne (lui) apparaît être transportée.

Le sens exact du verbe ¥ saQd, faut-il préciser, n’est pas « être vu », mais
« être regardé, faire l’objet d’une considération ». Il connote une opinion
plutôt qu’une pure et simple perception. C’est ce qui ressort notamment des
emplois de son correspondant vieux-perse :

DB 4.49 avahya paru șadayƗti tayat mana kUUtam


Tel considérera que ce que je fis est beaucoup ;
DNa 58 hayƗ ahuramazdƗhah240 framƗnƗ hƗu tai gastƗ mƗ șadayat
Cesse de considérer telle injonction d’Ahura MazdƗ comme répugnante.

Les péripéties que le ruvan connaît au delà de la mort ainsi ont-elles une
consistance spéciale : leur récit relève non de la réalité immédiate, mais de
la vérité propre que l’individu aura pu échafauder tout au long de son
existence.

240
La diascévase a fabriqué ce génitif singulier morphologiquement monstrueux du
vieux-perse ahuramazdƗ- directement à partir de la forme du nominatif ahuramazdƗh
(comme dƗrayavahušahya à partir de dƗrayavahuš).
IV

GaișƗ et sti,
troupeaux et biens

1. Sti et tannj

Pour autant qu’il faille bien l’analyser comme le dérivé en -ti- de √ ah


« être »1, l’avestique sti- devrait être de genre féminin, ce que les adjectifs
accordés avec lui permettent de vérifier, mais les deux seules attestations de
son correspondant védique arborent une terminaison d’accusatif pluriel qui,
contre toute attente, est masculine : stÇn2. Faut-il dès lors accuser la diascé-
vase védique d’une retouche3 ?
La comparaison des tandems védiques stip»- + tannjp»- (RS 7.66.3a,
10.69.4c) et jagatp»- « protecteur du monde vivant (que sont nos trou-
peaux) » + tannjp»- « protecteur de notre personne » (RS 8.9.11b) conduit à
faire de stí- le synonyme de jágat- « monde vivant ». À l’intérieur du com-
posé stip»-, le sens de « appartenances » que Louis Renou donne la seconde
fois à stí- me paraît donc préférable à celui de « parentèle » qu’il lui attribue
la première fois :

RS 7.66.3 t» na stip» tannjp» V váruQa jaritÍQ»m | mítra sƗdháyataP


dhíyaK
tels (étant), qui protégez la parentelle [sic], qui protégez (aussi) nos pro-
pres (personnes, à nous) les chantres, ô VaruQa, ô Mitra, faites que (nos) pen-
sées-poétiques réussissent !4 ;
RS 10.69.4 yáP tvƗ pÕrvam Ưlitó vadhryaĞvaK V samƯdhé agne sá idáP
juVasva | sá na stip» utá bhavƗ tannjp» V dƗtráP rakVasva yád idáP te asmé
Toi que VadhryaĞva, invité (à le faire), avait enflammé pour la première
fois, ô Agni, apprécie donc ce (sacrifice) ! Deviens le protecteur de nos ap-
partenances et le protecteur de nous mêmes ! Veille sur cette donation qui
(émane) de toi envers nous !5

1
Voir Debrunner 1954 : 624, 629.
2
RS 7.19.11, 10.148.4. Wackernagel (1929-1930 : 160) mentionne mƗtÍn (RS 10.35.2b)
mis pour mƗtÍK, mais cet exemple ne figure pas en fin de pƗda.
3
En effet, comme le mot figure, les deux fois, en fin de pƗda, nous ne pouvons écarter un
aménagement secondaire.
4
Traduction Renou 1955-1969 : V 90.
5
Traduction Renou 1955-1969 : XIV 17.

109
L’équivalence védique de stí- et de jágat- pourra dès lors nous inviter à
détecter dans l’Avesta une certaine synonymie entre sti (sti-) et gaișƗ
(gaƝșƗ-) « troupeau, monde vivant », mais elle nous gênera en pehlevi du
fait de la ressemblance que le ductus de sty montre avec celui de gytyy/
gytyyh.
Louis Renou6 fait remarquer les contrastes que, dans ses attestations vé-
diques, stí- entretient avec les personnes elles-mêmes :

RS 10.148.4 im» bráhmendra túbhyaP ĞaPsi V d» nÌbhyo nUQ»P Ğnjra


ĞávaK | tébhir bhava sákratur yéVu cƗkann V utá trƗyasva gUQatá utá stÇn
Voici que les paroles sacrées ont été récitées pour toi, ô Indra : tu as
donné aux seigneurs (Marut), ô opulent, l’embonpoint des seigneurs ! Avec
eux qui te sont agréables, sois performant, protège les chantres et (leurs)
biens !

Le tandem de tanÕ- et de stí- est celui de la personne et de ce qui lui


appartient. En effet, le mot védique stí- désigne un type de richesse :

RS 7.19.11abc nÕ indra Ğnjra stávamƗna njtÇ7 V 8bráhmajnjtas tanvº vƗvU


dhasva | úpa no v»jƗn mimƯhy úpa stÇn
Opulent Indra, comme nous faisons à présent l’éloge de l’aide que tu nous
apportes, laisse les paroles sacrées te donner la force d’accélération ou
accroître ta personne (et, dans cette même mesure,) accorde-nous de connaître
(dans l’au-delà) nourritures et biens (sans restriction) !

De même, en avestique :

Y 52.1.1 9vaËhuca va«h¿sca ƗfrƯnƗmi V


vƯspaii¿ a¹aonǀ stǀiš V
haișiiƗi-
ca bauuąișiiƗica bnjšiiąișiiƗica

6
1955-1969 : VII 65, sur RS 7.66.3 ; XIV 83, sur RS 10.69.4.
7
Cf. RS 4.22.7ab átr»ha te harivas t» u devÇr V ávobhir indra stavanta svásƗraK « C’est
à cette occasion que les déesses tes sœurs, ô Indra Harivant, font à nouveau l’objet de nos
éloges pour les faveurs accordées ».
8
Cf. RS 3.34.1 índraK pnjrbhíd »tirad d»sam arkáir V vidádvasur dáyamƗno ví Ğátrnjn |
bráhmajnjtas1 tanvºvƗvUdhƗnó V bhÕridƗtra »pUQad ródasƯ ubhé « Indra briseur de citadelles
a dominé le dƗsa grâce aux chants, (ce dieu) qui procure les biens, qui disperse les ennemis ;
incité par la formule-sacrée, invigoré en son corps, (le dieu) aux donations abondantes a
empli les deux Mondes » (trad. Renou 1955-1969 : XVII 76). Note : 1. bráhmajnjtaK, épithète
détachée accordée avec le sujet de vƗvUdhasva, est une cheville pour bráhmaQƗ (cf. RS
1.31.18a).
9
Sur le texte, voir Pirart 2006b : 83.

110
Je rends propices et les (pensées, paroles et gestes) bons (de notre vivant),
et ceux qui s(er)ont encore meilleurs (dans l’au-delà), appartenant à la sti
éternelle de chaque Utavan10.

Comme je l’ai expliqué dans L’Aphrodite iranienne11, la sti dont il est ici
question est l’ensemble des richesses immatérielles que la pratique reli-
gieuse a pu accumuler, notamment les pensées, paroles et gestes bons.

2. VispƗ Utaunah sti

En avestique, le mot est le plus souvent attesté au singulier dans l’ex-


pression vƯspƗ- a¹aonǀ sti-12 « toute la sti du Utavan », c’est-à-dire « la sti de
chaque Utavan » où l’adjectif vƯspƗ- en souligne le caractère individuel : la
sti d’un Utavan, homme pieux ou harmonieux, n’est pas celle d’un autre
Utavan. Les biens que la personne possède, pourrions-nous avancer, la ca-
ractérisent.
Cette entité doit retenir toute notre attention pour être parfois déifiée au
même titre que la fravUUti, l’engagement que la personne marque à être
mazdéenne zoroastrienne :

Yt 11.17.7 haxaiia13 vƯspaii¿ a¹aonǀ stǀiš .·.


(Les deux déesses Ɩxšti et SnjyƗ14) associées de (l’allégorie qui repré-
sente) la sti de chaque Utavan.

10
Littéralement : « qui fut, est et sera ». Le zand, qui recourt au verbe ƗfrƯnƝnƯdan « atti-
rer (une qualité sur [ǀ]) », donne curieusement ŠPYL ZKLyh V ŠPYL NKByh ’plynynm ’v|
hlvsp| ZK Y ’hlvb’n sty {AYKš’n y’n YHVVN’t|} .·. MNV HVE|d V MNV YHVVNd V MNVc
YHVVNt HVE|d .·. (veh-narƯh ud veh-mƗdagƯh ƗfrƯnƝnƯnam ǀ harvisp Ɨn Ư a¹auuƗn sti {knj-šƗn
gyƗn bavƗd} .·. kƝ hend ud kƝ bavend ud kƝ bnjd hend .·.) «Je souhaite d’avoir hommes bons
et femmes bonnes à toute la série des Utavan {= qu’à leur âme advienne} du présent, du futur
comme du passé », ce que Neriyosangh rend comme suit : uttamƗ narƗ uttamƗ nƗryas teVƗm
ƗĞirvƗdayƗmi yat sarveVƗP muktƗtmanƗP pa1ktaye | ye saPjƗtƗK || vartamƗnƗnƗP cƗtƯtƗ-
nƗP ca bhaviVyƗQƗP ca || « {Que leur naissent} d’excellents hommes et d’excellentes fem-
mes, tel est le vœu que je formule pour la série de tous ceux de qui le ruvan est d’ores et déjà
sauvé, du présent, du passé ou du futur ».
11
2006b : 81 sqq.
12
V 10.5, Vr 11.1, 16.1, Y 4.2, 8.8, 19.9, 35.1, 52.1,4, 55.3, 68.22, 70.6, Yt 1.21, 5.89 ;
cf. G 3.7.
13
Nominatif-accusatif duel.
14
Ɩxšti est l’allégorie de la paix ou de la concorde fruit de l’influence que, par sa piété,
le souverain acquiert et exerce sur les dieux au profit du peuple. L’existence de la seconde
déesse se déduit du duel (contre Pirart 2006b : 48 n. 103), mais, pour connaître son nom, il
faut lire soit l’obscur Yt 11.14.3 yǀ 1Ɨxštišca uruuaitišca2 V †drujǀ spasiiǀ spÈništahe† .·.
« (Srauša) qui ... Ɩxšti et uruuƗiti », soit le Yt 15.1.1 yazƗi apΩmca baȖΩmca V yazƗi Ɨxš-
tƯm<ca> hąm.vaiQtƯm[ca] suiiąmca katarΩmci7 .·. « J’offre le sacrifice à la Rivière3 et à son
Guide4. J’offre le sacrifice tout à la fois à Ɩxšti HamavantƯ5 (« Concorde favorable ») et à Snj-
yƗ (« Prospérité ») ». Notes : 1. Mis pour l’accusatif. ||| 2. Cf. Y 46.5b ? ||| 3. = AnƗhƯtƗ. |||

111
Sa déification se reconnaît notamment au fait qu’elle est dite « avoir été,
être et devoir être », c’est-à-dire « éternelle », mais aussi au sacrifice qui lui
est offert :

Y 19.9 15frƗ mƝ spanii¿ mainiuu¿ vauuaca V vƯspąm a¹aonǀ stƯm V hai-


tƯmca bauuaiQtƯmca bnjšiieiQtƯmca V Ğiiaoșnǀ.tƗitiia16 .·. ĞiiaoșΩnanąm aƾ-
hÈuš mazdƗi .·.
Celui des deux Manyu qui est savant (= Ahura MazdƗ) m’a exposé (quelle
est) toute la sti de l’homme harmonieux, celle qui est, fut et sera, au moyen de
l’hémistiche Y 27.13b2 « (exercez) sur MazdƗ (l’influence) que les gestes
donnent à l’existence rituelle » ;
Y 58.4.2 hÈ ptƗ gÈušcƗ a¹a«hƗcƗ V a¹aonascƗ a¹Ɨ vairii¿[scƗ] stǀiš V
haișiiǀ vaËhud¿
(Ahura MazdƗ [?]) est le père de la vache17, (celui) de 5ta et, avec 5ta,
(celui) de la sti de choix du Utavan, l’authentique conféreur des biens (la
constituant)18 ;
Y 68.22.7-8 nÅmǀ zarașuštrahe spitƗmahe a¹aonǀ frauua¹Èe V nÅmÅm
vƯspaii¿ a¹aonǀ stǀiš V haișiiƗica bauuąișiiƗica bnjšiiąișiiƗica .·.
Hommage (soit rendu) à la fravUti du Utavan Zaraduštra descendant de
SpƯtƗma ! Hommage (soit rendu) à toute la sti qui est, fut et sera du Utavan ! ;
Y 70.6.3 vƯspaii¿ a¹aonǀ stǀiš yasnƗica vahmƗica xšnaoșrƗica frasas-
taiiaƝca sraošǀ astu .·.
Pour le sacrifice offert à toute la sti du Utavan, pour la mélodie, pour
l’attention et pour la proclamation, que Srauša19 soit !

La sti, dans le cadre du sort réservé à l’âme du défunt, serait-elle d’un


poids aussi important que la fravUUti ?
Çà et là, il est aussi question de la sti de l’impie, le drugvant suppôt et
fauteur de tout dysfonctionnement :

4
. = Ahura MazdƗ. ||| 5. À mes yeux, cette épithète constante de la déesse Ɩxšti signifie non
« victorieuse » (Bartholomae 1904 : col. 1532), mais « favorable » pour être le participe pré-
sent actif de hąm+¥ nj (= véd. sám AV). Le zand de cette épithète, hm’vndyh (non ’m’vndyh),
pour ne faire que reproduire l’avestique, permet de restituer la voyelle initiale de la racine
derrière le préverbe : vieil-iranien ham+avantƯ-.
15
Sur le texte, voir Pirart 2006b : 81 n. 186.
16
Pour Ğiiaoșnǀ.tƗitiia « avec la qualité de la strophe qui contient le mot ‘gestes’ »,
Kellens (2006-2010 : III 32) renvoie à Y 21.4 uštatƗitiiacƗ, mais la finale ºtiia reste inexpli-
quée si le mot est l’instrumental singulier d’un dérivé en +tƗt-.
17
La DainƗ, la religion mazdéenne zoroastrienne.
18
Un peu différemment, Pirart 1992 : 232 sq.
19
Le dieu déclamateur.

112
Y 8.8 rauuasca xvƗșrÅmca ƗfrƯnƗmi V vƯspaii¿ a¹aonǀ stǀiš .·. ązasca
dužƗșrÅmca ƗfrƯnƗmi V vƯspaii¿ druuatǀ stǀiš ºoº
20
Je propitie l’apparition de l’espace libre et du bonheur (qui découle) de
la sti de chaque Utavan ; je propitie l’apparition de l’étroitesse et du malheur
(qui découle) de la sti de chaque drugvant21 ;
Y 61.5.3 hamistÈe nižbÅrÅtÈe vƯspaii¿ druuatǀ stǀiš .·.
Pour lutter contre/ Pour résorber toute la sti du drugvant et s’en débar-
rasser.

Il n’y a donc pas ici de différence terminologique entre sti des Utavan et
sti des drugvant comme il en existe une entre fravUUti des Utavan et
hainiyƗ22 des drugvant.
L’opposition que Louis Renou a repérée en védique est confirmée par
l’Avesta où sti contraste avec l’homme (nar) ou avec son âme (ruvan) :

Vr 11.1.4-5 hauuahe urunǀ V haomą ƗuuaƝįaiiamahƯ .·. vƯspaii¿ a¹aonǀ


stǀiš V haomą ƗuuaƝįaiiamahƯ .·.
23
Nous annonçons les hauma pour le propre ruvan ; nous annonçons les
hauma pour toute la sti de l’(homme) harmonieux ;
Vr 16.1.6-7 narÅmca yim a¹auuanÅm yazamaide .·. vƯspąmca yąm a¹aonǀ
stƯm yazamaide .·.
Et nous offrons le sacrifice à l’homme harmonieux, et nous offrons le
sacrifice à toute la sti de l’(homme) harmonieux ;
Y 4.2 24Ɨa7 dƯš ƗuuaƝįaiiamahƯ V ahurƗica mazdƗi V sraošƗica a¹iiƗi V
amΩ¹aƝibiiasca spΩQtaƝibiiǀ V a¹Ɨunąmca frauua¹ibiiǀ V a¹Ɨunąmca uruuǀi-
biiǀ V ƗșraƝca ahurahe mazd¿ V rașȕaƝca bÅrÅzaite V vƯspaii¿s[ąca7]ca
a¹aonǀ stǀiš V yasnƗica vahmƗica xšnaoșrƗi frasastaiiaƝca .·.
Nous les consacrons pour honorer du sacrifice, du chant, des attentions et
de la proclamation Ahura MazdƗ, Srauša 5taya, les AmUta Spanta, les fravUti
des Utavan, les ruvan des Utavan, ƖtU (fils) d’Ahura MazdƗ, Ratu BUzant et
toute la sti du Utavan.

Au vu de certains passages confrontant bonheur et malheur, mentionnant


la vie éternelle ou contenant l’exclamation « à volonté ! » descriptive de la

20
Un peu différemment, Kellens 2006-2010 : II 14.
21
Phl. : pl’hvyh V hv’lyh ’plynynm ’v| hlvsp| ZK Y ’hlvb’n sty .·. tngyh V dvšhv’lyh ’ply-
nynm ’v| hlvsp| ZK Y dlvnd’n sty ; scr. : vUddhatvaP ca ĞubhaP cƗĞirvƗdayƗmi samagrƗyai
muktƗtmanƗP pa1ktaye | kila yƗvad amƯVƗP vUddhatvaP ĞubhaP ca bhavet || nƗstikyaP
cƗĞubhaP cƗĞirvƗdayƗmi samagrƗyai durgatimatƗP pa1ktaye | kila yƗvad amƯVƗP nƗstikyam
aĞubhaP ca bhavet ||.
22
Sur les HainiyƗ, forme négative des FravUUti, voir Chapitre VI 5.1.
23
Très différemment, Kellens 2006-2010 : III 93. Les traducteurs médiévaux comprirent
« nous annonçons notre propre ruvan à Hauma ; la sti de chaque Utavan à Hauma ».
24
Voir Chapitre II 4.3.

113
condition que les Utavan connaissent au paradis, il est clair que l’idée de sti
est liée à celle de rétribution post mortem :

Vr 18.1 ušta ahurÅm mazdąm yazamaide .·. ušta amÅ¹È spÅQtÈ yazamaide
.·. ušta narÅm a¹auuanÅm yazamaide .·. ušta paoiriiąm a¹aonǀ stƯm yaza-
maide .·. uštatƗtÅm naire a¹aone yazamaide .·.
À volonté ! Nous offrons le sacrifice à Ahura MazdƗ. À volonté ! Nous
offrons le sacrifice aux AmUta Spanta. À volonté ! Nous offrons le sacrifice à
l’homme harmonieux. À volonté ! Nous offrons le sacrifice aux possessions
fondamentales de l’harmonieux. À volonté ! Nous offrons le sacrifice à la
qualité de ce qui est à volonté en faveur de l’homme harmonieux ;
Y 43.13c2-e tÈm mǀi dƗtƗ V darÅgahiiƗ yaoš V yÈm v¿ naƝciš dƗrÅšt itƝ V
vairii¿ stǀiš V yƗ șȕahmƯ xšașrǀi vƗcƯ
Accordez-moi ce (désir) de longévité (= vie éternelle) que nul ne vous
contraint à exaucer, (désir) des biens de choix que l’on dit retirer de l’emprise
exercée sur toi.

La sti peut s’apparenter à une richesse purement matérielle, à un bien


immobilier ou mobilier :

Y 52.4.2 fradașƗi ahe nmƗnahe V fradașƗi vƯspaii¿ a¹aonǀ stǀiš V


hamistÈe vƯspaii¿ druuatǀ stǀiš .·.
Pour la prospérité de cette maison et de la sti de chaque Utavan, pour lutter
contre/ pour résorber la sti de chaque drugvant ;
Y 55.3.2 pƗșrƗi a¹ahe gaƝșanąm V harÅșrƗi a¹ahe gaƝșanąm V suiia-
mnanąmca saošiiantąmca V vƯspaii¿sca a¹aonǀ stǀiš .·.
Pour la défense et la conservation des troupeaux de 5ta qui prennent et
prendront de l’embonpoint ou de la sti de chaque Utavan.

3. Sti astvatƯ, sti manahiyƗ et sti gaișiyƗ

Le bien matériel n’est pas toute la sti : ce n’en est qu’une partie. En effet,
si existe la précision d’une sti astvatƯ, « osseuse », c’est-à-dire matérielle,
c’est que l’on peut en concevoir une de *manahiyƗ « mentale ». Cependant,
ce syntagme **sti manahiyƗ n’est pas attesté. La sti astvatƯ en vient à se
confondre ou à coïncider avec le monde matériel (ahu astvant « existence
osseuse ») de la même façon que gaișƗ ou, dans le Veda, jágat :

Yt 13.89-90 yǀ paoiriiǀ Ɨșrauua V yǀ paoiriiǀ rașaƝšt¿ V yǀ paoiriiǀ


vƗstriiǀ fšuiiąs .·. yǀ paoiriiǀ cișrÅm uruuaƝsata V daƝuuƗa7ca haotƗ7 ma-
¹iiƗa7ca .·. yǀ paoiriiǀ stǀiš astuuaișii¿ V stao7 a¹Åm nƗist daƝuuǀ V fra-
orÅnata mazdaiiasnǀ zarașuštriš vƯdaƝuuǀ ahura.7kaƝšǀ .·.

114
(Zaraduštra) qui fut le premier prêtre (d’obédience correcte), le premier
guerrier, le premier éleveur et pâtre, (Zaraduštra) qui fut le premier à frustrer
du cișra (= de la bonne caractéristique rituelle) le Daiva Huta25 et le mortel
(suppôt des démons), (Zaraduštra) qui fut le premier de la condition osseuse
(= sti astvatƯ) à faire l’éloge de 5ta26, à condamner les Daiva27 et à s’engager
à être mazdéen, zoroastrien ou ennemi des Daiva et à mettre en pratique les
instructions d’Ahura (MazdƗ)28, (Zaraduštra) qui fut le premier de la condi-
tion osseuse à dire le texte antidémoniaque contenant les instructions d’Ahura
(MazdƗ), qui fut le premier de la condition osseuse à réciter le texte anti-
démoniaque contenant les instructions d’Ahura (MazdƗ), (Zaraduštra) qui fut
le premier de la condition osseuse à déclarer que tout ce que les Daiva mirent
en place29 devait rester sans honneurs sacrificiels ni mélodiques.

La synonymie de gaișƗ et de sti ne peut être que partielle si seule une


partie de la sti est dite gaișiyƗ « relative aux gaișƗ » :

Y 35.1.3ab vƯspąm a¹aonǀ stƯm yazamaide mainiiÅuuƯmcƗ gaƝșiiąmcƗ


Nous offrons le sacrifice à toute la sti mƗnyavƯ et à toute la (sti) gaișiyƗ du
Utavan30.

Cette phrase, qui inaugure le très vénérable Yasna HaptahƗti, associe


tous les deux volets de la sti manahiyƗ, les volets gaișiya et mƗnyava, au
respect que l’adorateur marque pour deux données fondamentales : d’une
part, l’harmonie, idée vertébrale du mazdéisme zoroastrien comme du vé-
disme, et, d’autre part, sa propre conscience religieuse, autrement dit : le
culte de MazdƗ tel que l’homme se fait un devoir de le pratiquer sur base
des indications que MazdƗ lui-même donna à Zaraduštra.
Il n’est pas aisé de comprendre la portée du Vr 2.4 :
31
ahmiia zaoșre barÅsmanaƝca32 V șȕąm ratnjm Ɨiiese yešti V yim ahurÅm
mazdąm mainiiaom V mainiiauuanąm dƗmanąm V mainiiaoii¿ stǀiš V ahnjmca
ratnjmca .·. ahmiia zaoșre barÅsmanaƝca V șȕąm ratnjm Ɨiiese yešti V yim

25
Forme négative de Hauma.
26
Cf. Y 11.19.1.
27
Cf. Y 12.1.1.
28
Cf. Y 12.1.2.
29
Ou : « tout ce que le Daiva (Ahra Manyu) mit en place ».
30
Traduction pehlevie : hlvsp| ZK Y ’hlvb’n sty ycm MNV mynvd V MNVc gytyy .·. ; tra-
duction sanscrite : samagrƗP puQyƗtmanƯP1 sUVWim ƗrƗdhaye paralokƯyƗP cehalokƯyƗP ca ||.
Note : 1. Fautif pour puQyƗtmanƗP.
31
La compréhension que Kellens a de ce passage (2006-2010 : I 42) n’est que légère-
ment différente.
32
Locatif.

115
zarașuštrÅm spitƗmÅm gaƝșƯm V gaƝșiianąm dƗmanąm V gaƝșiiaii¿ stǀiš V
ahnjmca ratnjmca .·.
Lors de cet office du libateur et de l’emploi du barsman (= faisceau de
branches), je mets en vigueur ton statut de ratu33 mƗnyava (= principe ou
agent d’intégration spirituelle) parmi les dƗman mƗnyava, ô Ahura MazdƗ,
ton statut d’ahu et de ratu (= principe d’existence et principe d’intégration) de
la sti mƗnyavƯ. Lors de cet office et de l’emploi du barsman, je mets en
vigueur ton statut de ratu gaișiya parmi les dƗman gaișiya, ô Zaraduštra
descendant de SpƯtƗma, ton statut d’ahu et de ratu de la sti gaișiyƗ.

MazdƗ est ici présenté tout à la fois comme le principe d’existence (ahu)
de l’allégorie des biens manahiya relevant de la bonne opinion et comme le
principe de leur bonne intégration (ratu) au sein du groupe des dƗman
mƗnyava tandis que Zoroastre l’est de celle des biens manahiya qui, en
dernière analyse, représente les âmes des bestiaux immolés et le principe de
leur bonne intégration (ratu) au sein du groupe des dƗman gaișiya. Les
deux catégories de dƗman ne sont autres que l’ensemble des dieux parmi
lesquels certains sont des mƗnyava, à savoir les Yazata MƗnyava et les
AmUUta Spanta, et d’autres des gaișiya. C’est bien évidemment la consécra-
tion, le sacrifice, qui permet à MazdƗ de jouer ce rôle de première impor-
tance. Le bénéficiaire de l’opération est forcément à reconnaître en l’homme
pieux qui accomplit ce rite de consécration, et le bénéfice n’interviendra
qu’au delà de la mort.
Le paramètre temps a ici son importance : l’eschatologie individuelle dé-
marre avec la mort, mais, entre celle-ci et le terme du monde fini que la
victoire définitive du bien marquera, le temps doit encore s’écouler. C’est
du moins ce que je déduis de la question que pose le V 2.19C :

cuuaQtÅm zruuƗnÅm mainiiauua34 stiš a¹aoni dƗta as


Pour combien de temps l’harmonieuse sti mƗnyavƯ a-t-elle été mise en
place ?

33
< *H2re-tu-. Le modèle ou le paradigme vu comme élément d’harmonie, l’élément qui
s’agence avec d’autres pour former un ensemble harmonieux. Les différents éléments qui se
combinent correctement sont source d’harmonie, mais, pour qu’il en soit ainsi, ils doivent se
conformer à un plan ou à des modèles. Les divisions du temps qui se combinent entre elles ou
s’ajustent exactement l’une à l’autre reçoivent le même nom de ratu- dont le correspondant
védique approximatif Utú- n’a plus conservé que le sens de « temps opportun, saison » tandis
que le mot grec ‚UWºȢ recueilli par Hésychius qui le traduit par VºQWD[LȢ conserve le sens
fondamental du proto-indo-européen *H2Utú-. Chaque pièce d’un puzzle dans lequel aucune
n’est de trop ni manquante pour un emboîtement parfait tout comme chaque entrée d’un
organigramme tel que celui des fonctions sacerdotales et politiques correspondant aux cercles
d’appartenance sociale reçoivent aussi ce nom de ratu.
34
Mis ou fautif pour *mainiiÅuui.

116
Avant que meure un adorateur en particulier, d’autres êtres furent sacri-
fiés par la mort pour rejoindre l’au-delà. C’est le ciel ensoleillé qui fut le
premier à l’être pour être reconstruit là-haut :

Vr 7.4.4 asmanÅm xvanuuaQtÅm yazamaide V paoiriiǀ.dƗtÅm paoiriiǀ.-


frașȕarštÅm35 V gaƝșƯm gaƝșiiaii¿ stǀiš .·.
36
Nous offrons le sacrifice au ciel ensoleillé qui fut le premier gaișiya du
monde gaișiya à avoir été mis en place, le premier à avoir été configuré.

4. Sti et cișra

Un autre tandem, celui de la sti et du cișra, nous offre une nouvelle clé
d’interprétation : si le cișra, d’après le Y 58.137, s’avère être la caractéris-
tique du rite empreint de pensée bonne (humata) ou non, de parole bonne
(huuxta) ou non et de geste bon (huvUUšta) ou non, il est probable, voire
logique, que la sti dont il est question au Yt 19.12 soit la sti gaișiyƗ, ce bien
spirituel découlant de l’immolation de victimes sacrificielles choisies dans
les troupeaux, c’est-à-dire l’âme de l’animal sacrifié, à côté de la sti mƗn-
yavƯ que le cișra constituerait :

Yt 19.12.2 ništa7 paiti druxš nƗšƗite V yaįƗ7 aiȕici7 jaȖma7 V a¹auuanÅm


mahrkașƗi V aom cișrÅmca stƯmca V Ɨșa7ca maire V nƗšƗtaƝca mairiiǀ V așa
ratuš .·.
(Pour que) Druj, en revanche, se défît, surtout si elle était venue détruire
la (personne)-même du Utavan, sa (bonne) caractérisation et ses biens, que la
maryƗ (= l’archidémone Druj) tombât malade et que le marya (= l’archidé-
mon Ahra Manyu) disparût. En accord avec le plan.

La grande déesse iranienne veille sur les biens spirituels que l’adorateur,
accomplissant des sacrifices, accumule sa vie durant : il les retrouvera dans
l’au-delà. Cependant, la capacité de cet adorateur à en accumuler est inféo-
dée au respect des règles de la bonne mécanique rituelle, celles que Zara-
duštra diffusa. C’est là ce que je comprends des mots que la grande déesse
avait adressés à Zaraduštra :
35
La composition est secondaire d’autant plus que, dans la première phrase de Vr 7.4, le
premier terme régit un complément mis à l’ablatif : « les gaișiya qui ont été configurés avant
les autres ».
36
Assez semblablement Kellens 2006-2010 : III 23.
37
ta7 sǀidiš ta7 vÅrÅșrÅm dadÅmaidƝ V hiia7 nÅmÈ hucișrÅm V a¹iš.hƗgÅ7 Ɨrmaitiš.hƗgÅ7 V
ye«hƝ nÅmaËhǀ cișrÅm V humatÅmcƗ hnjxtÅmcƗ huuarštÅmcƗ .·. « Nous considérons que
l’hommage nous est protection et défense s’il a une bonne caractéristique, s’il est accompagné
d’Ɩrti et d’Aramati, si sa caractéristique est la pensée bonne, la parole bonne et le geste bon »
(un peu différemment Pirart 1992 : 227).

117
Yt 5.89 38ΩrΩzuuǀ a¹Ɨum spitama V șȕąm dașa7 ahurǀ mazd¿ V ratuš
astuuaișiiǀ gaƝșaii¿ V mąm dașa7 ahurǀ mazd¿ V nipƗtƗra V vƯspaii¿ a¹aonǀ
stǀiš .·. mana raiia xvarÅnaƾha<ca> V pasuuasca staorƗca V upairi ząm vƯca-
rÅQta V ma¹iiƗca bizÅQgra .·. azÅm bǀi7 tnjm tƗ nipaiiemi V vƯspa vohnj mazda-
įƗta a¹acișra V mąnaiiÅn ahe yașa pasnjm pasu.vastrÅm .·.
5tavan descendant de SpƯtƗma (qui observes une diction) rectiligne, Ahu-
ra MazdƗ fit de toi le ratu (= modèle) du monde osseux, mais de moi la con-
servatrice de la sti de chaque Utavan. Grâce à ma richesse et à mon hvarnah, le
gros bétail et le petit fouleront la terre, tout comme les humains bipèdes. Évi-
demment, moi je n’ai que ce pouvoir : je conserve les (DƗman)39 divins que
MazdƗ mit en place (et tous) les (textes) qui reflète 5ta40, exactement comme
la peau de l’animal (protège) l’animal. (Il t’incombe, quant à toi, de préparer
le monde osseux).

Les rôles de la déesse et de Zaraduštra entre eux se combinent harmo-


nieusement, sans empiéter l’un sur l’autre, tout comme, au cours d’une céré-
monie sacrificielle, les différents intervenants, qu’ils fussent sacrifiants ou
officiants. Zaraduštra paradigme du monde osseux et AnƗhƯtƗ conserva-
trice des mérites. Le contenu de ce passage est comparable à celui du Vr 2.4
où nous avons vu la répartition se faire entre le grand dieu et Zoroastre :

Vr 2.4 Yt 5.89
Ahura MazdƗ ratu mƗnyava conservatrice de la vispƗ Utaunah sti,
ou parmi les notamment des
AnƗhƯtƗ dƗman vispa vahu mazdƗdƗta Utacișra
mƗnyava

ahu et ratu
de la sti
mƗnyavƯ
Zaraduštra ratu gaișiya ratu de l’astvatƯ gaișƗ
parmi les
dƗman gaișiya

ahu et ratu de
la sti gaișiyƗ

38
Pour l’établissement du texte, voir Pirart 2003c : 213.
39
Ces DƗman divins sont les composantes du rite.
40
« Qui ont 5ta pour caractéristique, apparenté à 5ta ». La présence du mot 5ta dans ces
textes en constitue le cișra (« la caractéristique »). Les Indiens diraient : « le li1ga ».

118
Le VƯdaƝuu-dƗt 19 est sans conteste fort clair sur le sort des troupeaux
dont l’adorateur a pu, de son vivant, envoyer les âmes chez les dieux : à la
question de savoir ce qu’il adviendra des offrandes41, Ahura MazdƗ répond
que le sacrifiant les retrouvera au delà de la mort42. Et le DƗdestƗn Ư DƝnƯg43
précise que, dans l’au-delà, les bienfaits accomplis en ce monde viendront
conforter leur auteur.
Si l’apparence du ruvan ou de la dainƗ du défunt peut recevoir la qua-
lification de hucișra « avec un bon cișra » ou de dušcișra « avec un mau-
vais cișra », c’est en fonction des bienfaits ou des crimes accomplis de son
vivant. Cette qualité est vue aussi bien comme une bonne présentation que
comme un trésor44. Le sens de ces adjectifs ainsi est-il double, tout à la fois
« beau » ou « laid », de façon profane, et « pourvu des bonnes ou des mau-
vaises caractéristiques du sacrifice », de façon prégnante.
Pour ne rien oublier, il me reste à faire état d’un passage du Tištar Yašt
dont le contenu est assez particulier : parmi les types ou groupes d’êtres que
le Yt 8.48 énumère, il y a ceux qui, sans limites et sans début, se situent au
delà de la sti du Utavan. Sans doute sont-ce des êtres divins tels que le ciel,
le Soleil ou la Lune qu’il n’est pas question d’immoler ou qui, pour être déjà
là-bas, n’appartiennent pas aux possibles troupeaux du pieux adorateur :

Yt 8.48.2 yim vƯspƗiš paitišmarÅQte V yƗiš spÅQtahe mainiiÈuš dƗmąn


aįairi.zÅmƗišca upairi.zÅmƗišca V yƗca upƗpa yƗca upasma V yƗca fraptÅrÅ
jąn yƗca rauuascarąn V yƗca upairi t¿ akarana anaȖra a¹aonǀ stiš V Ɨiįi .·.
(Tištriya) qu’attendent tous les dƗman (= les êtres) appartenant à Spanta
Manyu, qu’ils vivent sous terre ou à la superficie, les aquatiques ou les terres-
tres, les volatiles ou ceux qui se déplacent sur le sol, ceux qui, sans limites et
sans début, se situent 45au delà des biens du Utavan, (Tištriya qu’attendent
tous les dƗman, contractant cette pensée :) Viens !

Le sens que le mot sti revêt dans ce passage, assez particulier, n’entre
donc pourtant pas en contradiction avec ceux rencontrés plus haut.
Un autre cas spécifique est celui du Dk 3.123.2 où, malgré le voisinage
de cișra, sti n’est la désignation ni de la gloire ni de la richesse du Utavan :
ce semble plutôt y être une façon de dire « entité »46. Quant à elle, la notion
de cișra paraît y occuper en partie la case qui avait été celle de la dainƗ
individuelle47.

41
V 19.27.1.
42
V 19.29.3.
43
DD 7.
44
E. g. DD 7.7, Dk 3.75.
45
Cf. Yt 15.46i (Pirart 2007b : 108 sq. n. 479).
46
Voir Chapitre II 6.1.
47
Voir Chapitre V 8.
V

DainƗ, la doctrine

1. Religion et conscience religieuse

Nous devrons rester conscients de l’anachronisme de l’emploi du terme


« religion » pour la désignation du mazdéisme antique. Homère non plus
n’avait pas de mot pour désigner la religion grecque. Je serai pourtant amené
à parler de « religion », mais en donnant à ce terme le sens de système de
croyances et de pratiques traditionnelles. Ce système était souvent l’une des
composantes définissant l’ethnie (paganisme), mais la différence étrangère
n’avait encore aucun poids et, lorsqu’elle était connue, ce n’était jamais qu’à
titre de curiosité. Le système était une façon préparée d’appréhender la
réalité ou de répondre à sa brutalité : comment y vivre ? Comme les an-
cêtres. Les grandes religions actuelles, pourtant fortement institutionalisées,
ne modèlent ni ne dictent ni ne justifient plus autant les gestes du quotidien
ni les habitudes de vie.
Selon Firouz Thomas Lankarany1, daƝnƗ- n’a acquis le sens de « reli-
gion » que dans l’Avesta récent, ce que nous vérifierons, tandis que, dans
l’Avesta ancien, ce mot ne désigne jamais rien d’autre que l’une des trois
âmes immortelles de l’homme, celle que Jean Kellens2 définit comme âme
itinérante, pérégrinante, qui, dans le symbolisme du rituel ou dans la réalité
mythique de l’eschatologie, assure la liaison avec le ruvan, l’âme intérieure
que la mort libère, et la fravUUti, l’âme céleste qui demeure auprès des dieux.
Jean Kellens ainsi précise3 qu’il y a, entre le ruvan, âme intra-corporelle
qui produit le sentiment du moi et que la mort libère, et la fravUUti, âme
céleste et préexistante, qui demeure auprès des dieux, une troisième âme
faisant office de trait d’union, la dainƗ, l’âme mobile et pérégrinante, l’âme
du chemin. La dainƗ4, à la mort, procéderait à la réunion du ruvan et de la
fravUUti.
Ma compréhension est toute autre. Surtout en ce qui concerne la fravUUti5.
La bonne dainƗ est à mes yeux tout à la fois la religion mazdéenne et sa
traduction individuelle qu’est la conscience religieuse d’un mazdéen en par-

1
1985.
2
1994b : 167.
3
1993 : 8 ; 1994a : 53 ; 1994-1995 : 698.
4
1994a : 53.
5
Voir Chapitre VI.

121
ticulier. Cette double valeur explique l’emploi des nombres grammaticaux :
si le mot dainƗ figure au pluriel, nous pouvons avoir la certitude qu’il n’a
jamais que le second sens : à l’inverse du français qui parle au singulier du
chapeau que portent plusieurs hommes alors même que, chacun d’eux en
portant un, il y a plusieurs chapeaux au total, l’avestique, comme le védique,
utilise le pluriel pour nommer la conscience religieuse des hommes pieux,
chacun d’eux en ayant une qui est distincte de celles des autres. Cependant,
au singulier, le mot dainƗ reste ambigu à pouvoir désigner non seulement la
conscience religieuse d’un individu en particulier, mais aussi la religion
mazdéenne zoroastrienne en général que tel individu partage avec ses core-
ligionnaires.
Les deux valeurs du mot s’accommodent aussi de figurations ou person-
nifications : la religion mazdéenne est une déesse donnée pour la fille
d’Ahura MazdƗ, et la conscience religieuse adopte les contours d’un jardin
paradisiaque, d’une vache au pis gonflé ou de cette femme qui vient à la ren-
contre de l’âme-moi du défunt sur le sentier de l’autre monde.
Les indices de la personnification de la DainƗ, qu’elle soit la conscience
religieuse de l’individu ou la doctrine que tout le groupe observe, sont nom-
breux dès les Cantates. Le Yasna HaptahƗti (Y 37.5) range d’ailleurs clai-
rement la DainƗ parmi les déesses du futur groupe des Immortels Savants :

vohucƗ manǀ yazamaidƝ vohucƗ xšașrΩm vaƾvhƯmcƗ daƝnąm vaƾvhƯmcƗ


fsΩratnjm vaƾvhƯmcƗ ƗrmaitƯm .·.
Nous offrons le sacrifice au dieu Penser, au dieu Exercice de l’influence, à
6
la déesse Doctrine, à la déesse Maîtrise et à la déesse Déférence.

6
La Fsratnj est l’une des entités vieil-avestiques (Y 33.12, 37.5, 39.5, 51.4). La racine
qui doit expliquer son nom, avestique √ fsar, védique PSAR, se retrouve probablement dans
les mots védiques apsarás-, devápsaras-, psáras-, psúr-, madhupsáras-, sapsará- et supsá-
ras-, mais son sens reste inconnu (voir Narten 1986 : 186 sq. ; Kellens & Pirart 1988-1991 :
II 271 ; Mayrhofer 1992-2001 : II 198). Bartholomae (1904 : col. 1027) donnait à fsΩratnj- le
sens eschatologique de « Vergeltung, Belohnung », mais, sur base du khotanais VVar-, il serait
possible de lui donner celui de « liesse ». La traduction pehlevie est, quant à elle, présidée par
l’assonance recherchée avec le mot original : srd’lyh (sƗlƗrƯh) « autorité » (traductions sans-
crites : prabhutvam, Ɨdhipatyam, svƗmitvam, adhipatitvam). Les contextes vieil-avestiques,
énumératifs, ne fournissent aucune piste, à l’exception éventuelle du Y 33.12 : us mǀi uzƗ-
rΩšuuƗ ahurƗ ƗrmaitƯ tΩuuƯšƯm dasuuƗ V spÈništƗ mainiinj mazdƗ vaƾhuiiƗ zauuǀ ƗdƗ V a¹Ɨ
hazǀ Èmauua7 vohnj manaƾhƗ fsΩratnjm .·. « Lève-toi devant moi, ô Maître, reçois la tonicité
par la Déférence, la vivacité par la divine présentation, la forte domination par l’Harmonie, la
... par la divine Pensée, (reçois tout cela) grâce à l’état d’esprit très bénéfique, ô MazdƗ ! »
(traduction Kellens & Pirart 1988-1991 : I 124). En effet, cette strophe établit quatre bijec-
tions entre deux séries, l’une donnée à l’instrumental et l’autre à l’accusatif : ƗrmaitƯ est mis
en relation avec tΩuuƯšƯm ; vaƾhuiiƗ ... ƗdƗ, avec zauuǀ ; a¹Ɨ, avec hazǀ Èmauua7; vohnj ma-
naƾhƗ, avec fsΩratnjm. Je relève que tous les trois autres accusatifs peuvent désigner des forces
impératives : TavišƯ « la Capacité », Zavah « l’Appel » (au lieu de « la Vivacité »), Hazah
Amavant « la Soumission moyennant la force offensive ». Le sens que la tradition médiévale
accorde à fsΩratnj- n’est dès lors pas dénué de fondement. Je propose « contrôle, maîtrise », ce
qui fera des Apsaras un groupe de fées irrésistibles ou incontrôlables.

122
La disparité numérique que, dans le vers Y 31.20c, daƝnƗ sg. montre par
rapport à v¿ ... drΩguuaQtǀ plur. doit alerter : de deux choses l’une, la dainƗ
qui les conduira en enfer n’est pas la leur d’égarés (drugvant), ou bien le
mot désigne leur mauvaise religion plutôt que leurs consciences religieuses
individuelles. Le sens «religion» serait éventuellement donc déjà gâthique :

tÈm v¿ ahnjm drΩguuaQtǀ ĞiiaoșanƗiš xvƗiš daƝnƗ naƝša7


Vous les égarés, vos propres gestes font que la Doctrine vous conduise à
pareille existence7.

2. La déesse aurorale

Jean Kellens a mis en lumière8 le caractère auroral de la dainƗ : comme


l’aurore védique, elle est une montreuse de chemin9. La dainƗ, dit-il10,
distingue le chemin, le fait distinguer au ruvan qu’elle guide et est elle-
même distinguée, aussi évidemment que l’on distingue l’aurore, par le
ruvan à la fin de la troisième nuit, et elle se révèle d’emblée bonne ou
mauvaise, par son apparence, aux dieux qui veillent sur l’au-delà. L’acte
psychopompe11 serait indissolublement lié à l’apparition de l’aurore, «à
l’éclairement du ciel», au moment où le ruvan a l’impression de devenir lui-
même aurore. Jean Kellens considère12 que la dainƗ est, de la sorte, la
transposition de l’aurore dans le domaine de l’eschatologie. Ce n’est plus le
signe même de l’existence du temps marqué par l’alternance du jour et de la
nuit, qui rythme le cours des choses depuis la cosmogonie. C’est l’aube
définitive, intérieure ou intériorisée, qui, pour chaque homme, au jour venu,
supprime le temps et signale le lever du jour qui n’alternera avec aucune
nuit. Mourir, pour le mazdéen, c’est sortir du temps.
L’instant de son apparition fait de la jeune femme qui vient à la rencontre
de l’âme-moi du pieux défunt une sorte d’aurore, mais l’âme-moi «point»
tout aussi bien. Que dainƗ soit la transposition de l’aurore dans le domaine
de l’eschatologie, cela me paraît tout aussi exact qu’inexact : la dainƗ n’est
que partiellement comparable à l’UVas védique en ce sens que la comparai-
son se limite surtout aux aspects conducteur et moteur : la dainƗ comme
UVas trace la route ; tout comme l’aurore, permettant aux êtres de recouvrer

7
Selon les traductions médiévale, pareille existence est le monde des ténèbres (’v|
tm ’hv’n ; tƗmisram ... bhuvanam).
8
Elle éclaire le chemin (Kellens 1993 : 4 ; cf. 1994-1995 : 703).
9
1994b : 168 sqq.
10
1994b : 169.
11
Kellens 1993 : 14 ; cf. 1994-1995 : 703.
12
1993 : 14 ; cf. 1994-1995 : 703.

123
leurs sens et leur mobilité pour les inciter à reprendre leurs activités, pousse
les hommes à offrir le sacrifice aux dieux, la déesse religion pousse le maz-
déen à recourir aux pensées, paroles et gestes bons dans la cérémonie sa-
crificielle. La conscience religieuse, sur le chemin de l’au-delà, les trans-
formera pour l’âme-moi en sensibilité et en mobilité nouvelles.
Par contre, voir dans la dainƗ l’aurore même d’un jour définitif qu’au-
cune nuit ne devrait plus interrompre, si cela de prime abord ne gêne guère
ʊ l’idée paraît même s’imposer ʊ, aucun texte ne vient pourtant le dire de
façon explicite et, toute réflexion faite, l’affirmer revient à superposer
eschatologie individuelle et eschatologie générale. Néanmoins, les Cantates
permettent de faire de dainƗ une sorte d’aurore dont le succès, définitif, est
lié à l’ensoleillement de l’aire sacrificielle (Y 53.4c2-d) :

manaƾhǀ vaƾhÈuš†13 xvÈnuua7 haƾhuš 14 mÈm bÈΩduš V mazd¿ dadƗ7
ahurǀ daƝnaiiƗi vaƾhuiiƗi yauuǀi vƯspƗi.Ɨ .·.
Le Roi de la Sagesse a établi que l’(influence)15 ensoleillée que la *Défé-
rence exerce (sur les dieux) fournit à la bonne dainƗ le moyen d’obtenir (la
récompense)16 éternelle mÈm bÈΩduš17.

Mourir est-il vraiment vu comme une sortie du temps ? L’idée n’a pour
elle que d’être alléchante, mais n’est-elle trop moderne ? En outre, plusieurs
indices s’y opposent : les fravUUti des morts reviennent périodiquement dans
leur famille ; entre la mort et la fin du temps, ceux-là mêmes qui, comme
PišiĞyƗușna18, avaient obtenus l’immortalité doivent attendre, et, comme le
temps à attendre est bien long, les voici dormir pour reprendre du service à
l’approche encore lointaine de l’instant décisif de la vraie sortie du temps
linéaire.
Jean Kellens pense19 que l’érotisme de l’aurore védique trouve sa con-
trepartie dans les deux grandes strates documentaires : l’allégeance aux
dieux de la dainƗ des sacrifiants est illustrée, dans l’Avesta ancien, par une
hiérogamie métaphorique ; la réunion du ruvan et de la dainƗ est conçue

13
L’anomalie métrique ne peut être levée que si nous considérons, sur base de Y 43.16d,
que manaƾhǀ vaƾhÈuš, au cours de la tradition ou suite à une intervention diascévastique, a
remplacé Ɨrmatǀiš. L’étroite relation unissant dainƗ et aramati s’argumente aussi sur base de
Y 31.11-12, 33.13, 44.10-11.
14
Accusatif neutre singulier du participe parfait actif de √ han. Les racines seW en ºan
peuvent perdre la nasale comme on le voit par exemple dans le védique KHAN :: cakhv»Ps-
(Pirart 1996b : 292-293).
15
Sur base de Y 43.16d xvÈQg darΩsǀi xšașrǀi [iiƗ7 Ɨrmaitiš « la Déférence doit avoir
lieu dans l’influence ensoleillée exercée (sur les dieux) ».
16
Sur base de Y 54.1c2-c3 yƗ daƝnƗ vairƯm hanƗ7 mƯždΩm ; cf. Y 40.1, 53.5.
17
Mots inconnus.
18
Sur ce personnage, voir Pirart 2006b : 72-74.
19
Cf. Kellens 1994-1995 : 703.

124
comme un mariage dans l’Avesta récent. La dainƗ20 est à coup sûr l’âme
féminine et vagabonde des êtres humains. Elle ne cesse d’aller et venir sur le
chemin de l’au-delà ; quand un homme meurt, elle s’unit matrimonialement
à l’âme masculine (ruvan) qui s’échappe du corps. Ce sera pour la guider
vers le paradis.
Et Jean Kellens admet21 que, par extension de sens, le mot dainƗ dési-
gne la technique qui assure la réunion des deux âmes, c’est-à-dire la com-
binaison d’une pratique sociale, le mariage incestueux, et d’une pratique
cultuelle, le sacrifice dont l’Avesta ancien est le récitatif. Les hôtes du pa-
radis22 seraient engendrés par l’union de l’âme masculine et de l’âme fémi-
nine de chaque défunt et en jailliront en tant que saušyant quand le temps
en sera venu.
Cependant, ceux que les Cantates appellent saušyant en relation avec les
dainƗ ne peuvent pas être les combattants eschatologiques de l’Avesta ré-
cent si nous devons reconnaître dans ces derniers les fils que les dainƗ, dans
l’au-delà, donneront aux ruvan. Il est vrai que cette généalogie des
saušyant nés de l’union des ruvan et des dainƗ n’est exposée nulle part de
façon explicite. En effet, si les Cantates parlent de dainƗ de saušyant, ces
derniers ne peuvent en être issus ; la dainƗ leur appartient comme il en est
une appartenant à des drugvant. Il s’ensuit que les saušyant des Cantates
ne sont autres que des sacrifiants et qu’il y a synonymie de saušyant avec
Utavan à la différence de ceux que l’Avesta récent classe parmi les dieux
(yazata). La bizarrerie de la coïncidence terminologique boiteuse que nous
trouvons alors entre les Cantates qui donnent le nom de saušyant aux sacri-
fiants 23 et l’Avesta récent qui le réserve d’habitude aux combattants
eschatologiques se résout si l’on sait que ces derniers, dans leur action qui
doit mener au grand parachèvement (fraxšakUUti), recourront précisément à
la célébration de ces sacrifices définitifs qui refermeront la parenthèse du
temps linéaire et permettront la restauration du temps fixe et infini. La
coïncidence terminologique trouve sans doute ses racines dans la polysémie
du suffixe -hya- : de pure indication de la disposition que les sacrifiants
gâthiques avaient d’invigorer les dieux, ce suffixe, dans l’Avesta récent, ne
fait plus référence qu’au futur extrême.
Dans la mesure où la dainƗ (daƝnƗ-) entretient, comme l’aurore, une
relation ambivalente, à la fois causative et passive, avec l’action de voir,
20
Kellens 2000 : 247.
21
2000 : 247.
22
Kellens 2000 : 253.
23
Participe actif du futur en -hya- de ¥ snj « invigorer ». Ses attestations vieil-avestiques
sont les suivantes : Y 34.13b daƝn¿ saošiiaQtąm yƗ hnj.kΩrΩtƗ a¹ƗcƯ7 uruuƗxša7 « le (chemin)
bien établi sur lequel l’agencement permet aux dainƗ des saušyant de cheminer » ; Y 45.11d
saošiiaQtǀ dÈQg patǀiš spΩQtƗ daƝnƗ « la savante dainƗ du saušyant maître de maison » ; Y
53.2d d¿ƾhǀ ΩrΩznjš pașǀ yąm daƝnąm ahurǀ saošiiaQtǀ dadƗ7 « le Roi (de la Sagesse) établit
que les chemins rectilignes du don constitue la dainƗ du saušyant ».

125
Jean Kellens incline24 à expliquer le mot par la racine pii. *dƯ « briller,
voir », plutôt que par *dhƯ « penser », de sorte que son sens originel serait
quelque chose comme « capacité de vision, voyance ». En définitive, la
dainƗ, selon cette analyse, serait une aurore intériorisée, qui étendrait son
action au domaine eschatologique en inaugurant les lumières infinies de
l’après-mort. Pour Jean Kellens25, non seulement son nom la définit comme
une capacité de voyance, mais elle entretient un rapport intime et multilaté-
ral, à la fois actif, passif et causatif, avec l’acte de voir, lequel s’exprime, en
ce qui la concerne, par le verbe √ cit « remarquer ». La dainƗ voit, est vue26,
fait voir. Elle est la seule chose que le ruvan qui a quitté le corps voit du
monde qui l’entoure. Elle distingue le chemin et le montre au ruvan qu’elle
guide. Par sa laideur ou sa beauté remarquable, elle fait apparaître aux
dieux, de manière immédiate, le mérite ou le démérite de celui qu’elle amè-
ne chez eux.
Pour moi, le sens de « vision » qu’il convient, quelle qu’en soit l’étymo-
logie, d’accorder au mot dainƗ n’est pas à comprendre aussi psychologique-
ment : la notion de dainƗ ne serait pas fort différente de celles que con-
notent les mots indiens darĞana ou dhyƗna. La vision serait ainsi celle d’un
système ou celle qu’un système structure. Pour le comprendre, nous pou-
vons observer la complémentarité de deux épithètes que les textes rassem-
blent sur la figure de l’adorateur modèle. La racine vieil-iranienne √ dƯ
« voir » est encore présente notamment dans bΩrΩzaiįƯ- (bUUzi+dƯ-27), l’une
des épithètes formulaires de l’adorateur modèle, qu’il soit humain (Viš-
tâspa) ou divin (Srauša) : « qui a une haute idée (d’Ahura MazdƗ) », ce qui,
l’hypallage résorbée, revient à dire : « qui voit (mentalement qu’Ahura
MazdƗ est) haut », mentalement même si cette vision trouve un point d’ap-
pui objectif, dans le cadre de la métaphore du Y 36.6 : une hauteur qui va
d’ici au Soleil. Une hauteur qui est aussi tout un programme : celui de
rejoindre d’ici le monde solaire. À cet endroit, nous nous souviendrons que
l’au-delà paradisiaque du Veda porte le nom de Svargaloka « monde so-
laire », mais aussi que les Saces avaient dû franchir la distance pour que,
dans les textes bouddhiques de Khotan, le nom d’Ahura MazdƗ pût encore
servir de désignation du Soleil. La vie extrêmement ritualisée des anciens,
qui est celle des sociétés dites traditionnelles, devait se plier aux exigences

24
1994b : 171 ; cf. 1993 : 13. Jean Kellens (1994-1995 : 698 et 703) reconstitue dayanƗ
au lieu de dainƗ.
25
1993 : 13 ; cf. 1994-1995 : 703.
26
Cf. Y 44.10bd tąm daƝnąm ... daidiia7 « ils voient la doctrine ». Je ne puis exclure que
daƝnąm doive ici être mis à la même enseigne que les strophes ou les mélodies dont les UVi
védiques avaient la vision : « voir un poème » revenait à dire « composer un poème ». Dans
cette hypothèse, le mot vieil-avestique pourrait déjà désigner la mise en forme d’un corpus de
textes, mais, au vu du contexte (voir Chapitre V 6.4), les poètes, cette fois, ne seraient autres
que les dieux.
27
Ou bUUzadƯ- < bUUzat+dƯ- ?

126
de la « vision » que le système religieux conforme et que les phrases figées
de la cérémonie ou du savoir sacerdotal imposent.
La vie du pieux individu est conforme à la teneur de telles phrases : sa
personne se réduit à une formule grammaticale, y compris au delà de la
mort. Aux abords de l’au-delà, l’âme-moi ne se refera de corps, de mobilité
et de sensibilité qu’à l’aide de mots. Le ruvan, avec l’UštƗvatƯ GƗșƗ, « se
récite » un corps. Et la vision le sanctionnera : il est beau, il est aussi beau
qu’elle est belle. Voilà pourquoi l’adorateur modèle reçoit encore l’épithète
formulaire de tanumąșra « de qui les formules forment le corps ». Charles
Malamoud évoque admirablement ce corps fait de parole28 à l’occasion de
son analyse de la dƯkVƗ védique. Les deux épithètes bUUzidƯ et tanumanșra
sont complémentaires : la vision dicte l’attitude.
Sur la façon dont je comprends l’autre racine vieil-iranienne « voir » que
Jean Kellens évoque dans ce contexte, √ cit, je ne puis que renvoyer à ce
que j’en ai dit dans L’Aphrodite iranienne29.

3. La déesse du chemin

Que la déesse religion ou conscience religieuse trace la voie, montre le


chemin ou guide l’âme-moi sur le pont qui va de ce monde à l’autre, voilà
qui me paraît assez exact : l’équivalence religion = chemin est d’ailleurs une
métaphore éculée, voire universelle. Pour rester dans le monde indo-euro-
péen ancien, citons les exemples du pontifex latin ou de l’adhvará védique
dont le sens littéral respectif nous présente le prêtre comme un fabricant de
chemin et la cérémonie sacrificielle comme un atlas routier.
Dans le Y 53, Jean Kellens pense30 que les jeunes filles du clan incar-
nent symboliquement les dainƗ des sacrifiants pérégrinant, lors de la céré-
monie, sur le chemin rituel, et celles des défunts accomplissant leur trajet
vers l’au-delà, en une image, voire un mime, qui les montre sexuellement
offertes aux dieux vers lesquels elles cheminent. Si les filles du cercle gâthi-
que, qui sont sexuellement offertes aux dieux31, représentent symbolique-
ment la dainƗ des sacrifiants et illustrent de cette façon particulière la sou-
mission avec laquelle ils se présentent devant la demeure des dieux, le
sacrifiant védique lui aussi, souligne Jean Kellens32, se compare parfois à
une femme offerte.

28
2005 : 15 sqq.
29
2006b : 42 sqq.
30
1994b : 171 ; cf. 1993 : 13 sq.
31
Cf. Kellens 1994-1995 : 701.
32
1993 : 13 sq.

127
Jean Kellens explique33 le rôle rituel de la dainƗ : le sacrifice représente
symboliquement l’acquisition des forces de vie promises pour le futur, et
une part spécialisée de l’âme du sacrifiant, la dainƗ, accompagne l’âme de
la victime dans l’au-delà34, ce qui se traduisait peut-être par une extase, une
scène de mort feinte35.
Le sacrifice figure symboliquement et actuellement l’acquisition des for-
ces de vie permanentes promises pour l’au-delà. Il est la répétition générale
de la mort, de la pérégrination vers l’au-delà et de l’accueil divin. C’est pour
cela36 que l’Avesta ancien, en parlant si souvent d’eschatologie, fait para-
doxalement peu usage des catégories grammaticales exprimant le futur. Car,
sur ce point, Helmut Humbach a raison : l’Avesta ancien ignore en pratique
le futur. Il parle le plus souvent au présent parce que l’expérience eschato-
logique qu’il décrit a lieu dans l’actualité symbolique du rite37.
Accompagnée des deux chiens38 qui gardent le passage menant à l’au-
delà et sont comparables à ceux du védique Yamá, la dainƗ, sur le chemin
d’accès décisif, la CinvatpUUtu39, vient à la rencontre du ruvan qui l’em-
prunte après un jugement. À l’aube du troisième jour40, la dainƗ apparaît au
ruvan sous la forme d’une femme, jeune ou vieille, belle ou laide en
fonction de ses mérites religieux, et elle le guide vers l’au-delà, où, il faut le
présumer, fusionnent les trois âmes et se reconstitue l’unité de l’individu.
Ahura MazdƗ41 accueille le nouveau venu en l’interpellant d’emblée par le
vocatif de Utavan (a¹auuan-) « partisan du bon agencement » ou de drug-
vant (druuaQt-) « partisan du dysfonctionnement ». C’est constater l’attitude
qu’il a eue, vivant, par son rituel, envers le bon agencement du monde et,
maintenant qu’il est défunt, l’identifier officiellement et définitivement
comme hôte de MazdƗ ou de la Tromperie (Druj, principe du dysfonc-
tionnement). Ce jugement lapidaire lui ouvre l’un des deux destins pos-
sibles. Ou bien, après avoir franchi l’ultime obstacle, le pont du Cinvant, le
mort sera accueilli dans la maison d’Ahura MazdƗ, là où, dans la lumière et
dans la joie, on jouit de l’immortalité et de la bonne nourriture, ou bien ce
sera exactement l’inverse : le cri d’hallali au lieu de l’accueil, les ténèbres

33
1993 : 7.
34
Cf. Kellens 1994a : 53.
35
Cf. Kellens 1994a : 53.
36
Kellens 1993 : 7 sq.
37
Le sacrifice constitue une préfiguration symbolique de la mort et du voyage final (Kel-
lens 1994a : 53).
38
Sur les deux chiens, voir Kellens 1988 : 330 ; ci-dessous 6.6.
39
Selon Kellens (1988 : 330), ce pont n’aurait pas d’équivalent dans la tradition in-
dienne. Kellens, par la suite, restera plus nuancé sur ce point (1993 : 11), en évoquant briève-
ment le setu védique. Ce pont ou ce gué permet de franchir une rivière, celle que l’Inde
appelle VijarƗ et la Grèce Styx ou Léthé (voir Kellens 1993 : 15).
40
Kellens 1993 : 8.
41
Kellens 1993 : 8 sq.

128
au lieu de la lumière et de la vie, la peur, la plainte et la colère au lieu de la
joie, la mauvaise nourriture au lieu de la bonne.
Jean Kellens précise42 que plusieurs strophes gâthiques font clairement
allusion au fait que la dainƗ, comme part spécialisée de l’âme du sacrifiant,
se trouve, à un moment donné de la cérémonie sacrificielle, projetée sur le
chemin rituel où elle accompagne le ruvan de la vache immolée. C’est, dit-
il, dans ce voyage de l’âme du sacrifiant que le rituel préfigure la mort et la
pérégrination vers l’au-delà, par assimilation du chemin rituel et du chemin
des enfers. L’âme pérégrinante43, la dainƗ, ferait défaut dans les conceptions
indiennes et présenterait, selon Jean Kellens, une allure étrangement chama-
nique.
Le rôle psychopompe que la dainƗ joue dans le récit avestique est, dans
les Livres pehlevis, généralement attribué au dieu Srauša. Cette alternative
est logique à plus d’un titre : la récitation de la GƗșƗ avec laquelle s’ouvre
le fragment H 2 et qui, pour son voyage, servira de moteur au ruvan n’est
autre que Srauša puisque sraoša- signifie « action de faire entendre, réci-
tation » ; le corps de Srauša, la substance de la récitation, n’est autre que le
Manșra Spanta de la DainƗ MƗzdayasni, l’ensemble des textes du maz-
déisme zoroastrien44.

4. DhenƗ

De nombreux articles ont été consacrés au problème de savoir si l’aves-


tique daƝnƗ- correspondait ou non au védique dhénƗ-, mais, comme ce der-
nier se rencontre dans des contextes particulièrement difficiles à commenter
ou trop différents et que les strophes gâthiques montrent que daƝnƗ- vaut
indubitablement trois syllabes, les spécialistes45 parmi lesquels, finalement,
il y a Jean Kellens et moi46, ont renoncé à ce rapprochement et ont établi que
daƝnƗ- était à lire non dainƗ-, mais dayanƗ-. Le védique dhénƗ- serait à sé-
parer de l’avestique daƝnƗ- pour des raisons métrique47 et sémantique48.
Boris Oguibénine49 a déjà judicieusement critiqué les méthodes et mis
en lumière les présupposés qui ont conduit H.-P. Schmidt à séparer daƝnƗ-

42
1993 : 9.
43
1993 : 13.
44
Voir Chapitre II 1.5.
45
Voir Schmidt 1975 : 165-179 ; Mayrhofer 1992-2001 : II 797 ; Kellens 2006-2010 : II
151.
46
1988-1991 : II 252.
47
Geldner (voir Schmidt 1975 : 167).
48
Humbach 1982 : 108 et 116 n. 14 ; Lankarany 1985 : 24. Le sens du mot dhénƗ- serait
« Milchstrom, nährender Strom, Strom der Rede » (Schmidt 1975 : 169 sqq. ; Mayrhofer
1992-2001 : II 797).
49
1980.

129
de dhénƗ-, mais, si, aujourd’hui, je suis partisan de retourner à l’ancienne
hypothèse qui voit dans daƝnƗ- le correspondant exact du védique dhénƗ-,
c’est pour d’autres raisons. À mes yeux, le trisyllabisme que le mot présente
dans les Cantates ne constitue plus une raison suffisante puisque certains
mots fondamentaux pouvaient y être prononcés selon une diction lente con-
duisant à une apparente catalexe50. Ce trisyllabisme ne peut plus nous empê-
cher de tenir compte d’une autre donnée objective qui, elle, me paraît avoir
un poids incontestable : le parallélisme formulaire. En effet, on51 n’a fait
état ni du parallélisme de RS 1.141.1d Utásya dhénƗ anayanta « les (sages)
conduisirent leurs dhenƗ de Uta » avec le Y 31.20c

tÈm v¿ ahnjm drÅguuaQtǀ VĞiiaoșanƗiš xvƗiš daƝnƗ naƝša7


Vous les drugvant, la dainƗ vous conduira à cette existence en raison de
vos propres gestes rituels

ni de ceux que tracent RS 4.19.2d prá vartanÇr arado viĞvádhenƗK « tu


traças les routes pour/avec (?) toutes les dhenƗ » et RS 7.21.3c tvád vƗvakre
rathyò ná dhénƗK « Suite à t(on exploit), les dhenƗ voguent comme des
auriges » avec le Yt 10.68.1

ye«he vƗ¹Ωm haQgrΩȕnƗiti52a¹iš vaËvhi yƗ bΩrΩzaiti ye«he53 daƝna mƗz-


daiiasniš ×xvƯtÈ54 pașǀ rƗįaiti55 .·.
(à Mișra) du char de qui la haute déesse Ɩrti tient les rênes, (pour le char)
de qui DainƗ MƗzdƗyasni56 trace des chemins faciles à suivre.

On a toujours cherché à interpréter les faits avestiques sur base des védi-
ques, mais, parfois, ne faut-il pas faire l’inverse : s’appuyer sur les contextes
avestiques pour comprendre les données védiques ? Sans doute est-ce à
n’avoir jamais suffisamment envisagé la situation sous cet angle que l’on
n’a pas non plus souligné57 le lien privilégié que daƝnƗ- entretenait avec le
verbe √ barj « saluer, reconnaître les mérites »58 tandis que la déesse vé-

50
Sur ce phénomène, voir Kellens & Pirart 1988-1991 : I 89 sq.
51
Schmidt 1975 : 169. Pour la commodité, j’indiquerai chaque fois la page de l’article de
Schmidt où il discute le passage védique envisagé.
52
Cf. RS 10.18.14cd pratÇcƯP jagrabhƗ v»cam V áĞvaP raĞanáyƗ yathƗ.
53
Mis pour le datif ?
54
hu+itƗnh, contre Geldner xvƯte. Voir Kellens 1984a : 344 sq. n. 2, contre Kellens
(1974a : 114) et Haudry (1977 : 360 et 439 n. 1).
55
Cf. RS 5.80.3c pathó rádantƯ suvit»ya devÇ. La longue radicale de rƗįaiti doit être se-
condaire (voir Kellens 1984a : 116).
56
La déesse « religion des mazdéens », ce faisant, joue un rôle que l’Inde védique attri-
bue à l’Aurore (RS 5.80.3c).
57
Voir Schmidt 1975 : 178.
58
Y 15.1 (= Y 35.1) frƗiieze bÅrÅja vaËhÈuš a¹ahe1 bÅrÅja daƝnaii¿ vaËhuii¿ mƗzda-
iiasnǀiš ºoº « Je procède à l’offrande du sacrifice en reconnaissant les mérites du bon Agence-

130
dique DhénƗ était l’épouse de BÌhaspáti59, le dieu qui, par son nom, est le
spécialiste de l’action connotée par le correspondant védique *B5H de ce
même verbe. Il n’est pas négligeable que, dans une version du mythe védi-
que du mariage de Snjry», la fille du Soleil, son mari soit non Sóma, le sym-
bole de l’âme, mais BÌhaspáti. Rappelons ici que l’adjectif haumacanah
« qui aime Hauma » concerne la dainƗ. Ajoutons que, si, en védique, *B5H
est sorti de l’usage, l’équivalent sémantique ávaKƖĝ «admettre, donner oc-
casion, reconnaître, prendre en compte», qui s’y est imposé, régit pourtant
deux fois l’accusatif de dhénƗ- :

RS 8.32.2260 ihí tisráK parƗváta V ihí páñca jánƗ0 áti | dhénƗ indrƗva-
c»kaĞat
Va sur les trois lointains ! Passant par les cinq peuples, Indra, admets
(leurs) dhenƗ ! ;
RS 10.43.6 víĞaPviĞam maghávƗ páry aĞƗyata V jánƗnƗP dhénƗ avac»
kaĞad vÌVƗ | yásy»ha ĞakráK sávaneVu ráQyati V sá tƯvráiK sómaiK sahate
pUtanyatáK
Le mâle Maghavan, à faire le tour de chaque clan, admit les dhenƗ des
gens : de fait, celui aux pressurages duquel se plaît ĝakra, à celui-là, les amers
soma lui permettent de dominer les adversaires.

ment et de la bonne religion mazdéenne » ; Y 51.17ab1 bÅrÅxįąm mǀi fÅrašaoštrǀ huuǀ.guuǀ


daƝdǀišt kÅhrpÈm ×daƝnaii¿ ×vaËhuii¿ (voir Chapitre III 2.4) ; Yt 10.77 yașa șȕƗ aiȕišaiia-
mna darÅȖa aiȕišaiiana hušitÅm bÅrÅȖmiia.šaƝtÅm2 .·. « (Puissé-je faire en sorte qu’il en soit
ainsi, en disant "Me voici te demander de l’aide et la faveur) que, grâce à ton aide, nous
vivions à jamais dans la résidence du bien vivre où habite BUgmi !" » ; Yt 10.90 bÅrÅjaiia7
ahurǀ mazd¿ bÅrÅjaiiÅn amŹ¿ spÅQta ye«he3 kÅhrpǀ huraoįaii¿ « Ahura MazdƗ et les
AmUta Spanta saluèrent (DainƗ) bien développée de qui le corps <...> » ; Yt 10.92 frƗ hƝ amÅ
¹¿ spÅQta bÅrÅja vÅrÅQta daƝnaiiƗi .·. « Les AmUta Spanta optèrent pour le respect qu’(Ahura
MazdƗ) montrait devant DainƗ ». Notes : 1. Sur le tandem daƝnƗ- + a¹a-, voir l’Appendice ad
RS 1.141.1. ||| 2. J’interprète le dernier mot comme étant un composé bUUgmi+ Ɨšitam : « (ré-
sidence) où habite celui qui salue/ respecte (la DainƗ) ». BUUgmi « celui qui salue/ respecte (la
DainƗ), en reconnaît les mérites », dont le nom dérive par suffixation en -mi- de √ barj
« saluer, respecter » (védique B5H), doit être Hauma, l’âme de l’adorateur représentée par
Hauma ou l’un des dieux symbolisant les attitudes et caractéristiques rituelles, qu’ils soient
AmUUta Spanta ou autres. ||| 3. Mis ou fautif pour le féminin.
59
VaitƗnasnjtra 15.3 (= GopathabrƗhmaQa 2.2.9) ... | pUthivy agneK patnƯ vƗg vƗtasya
patnƯ senendrasya patnƯ dhenƗ bUhaspateK patnƯ pathyƗ pnjVQaK patnƯ gƗyatrƯ vasnjnƗP patnƯ
triVWub rudrƗQƗP patnƯ jagaty ƗdityƗnƗP patny anuVWum mitrasya patnƯ virƗ' varuQasya
patnƯ pa1ktir viVQoK patnƯ dƯkVƗ somasya rƗjñaK patnƯti || ; TaittirƯyƗraQyaka 3.9.1-2 (= Ɩpa-
stambaĞrautasnjtra 11.3.14, etc.) sénéndrasya | dhénƗ bÌhaspáteK | pathyº pnjVQáK | v»g vƗyóK
| dƯkV» sómasya | pUthivy àgnéK | vásnjnƗP gƗyatrÇ | rudr»QƗP triVWúp | Ɨdity»nƗP jágatƯ |
víVQor anuVWúp || váruQasya vir»W | yajñásya pa1ktíK | praj»pater ánumatiK | mitrásya
Ğraddh» | savitúK prásnjtiK | sÕryasya márƯciK | candrámaso rohiQÇ | ÌVƯQƗm arundhatÇ |
parjányasya vidyút | cátasro díĞaK || cátasro’vƗntaradiĞ»K | áhaĞ ca r»triĞ ca | kUVíĞ ca vÌVWiĞ
ca | tvíViĞ c»patitiĞ ca | »paĞ cáuVadhayaĞ ca | Õrk ca snjnÌtƗ ca dev»nƗP pátnayaK || ; cf. VƗ-
rƗhagUhyasnjtra 13.1.
60
Voir Schmidt 1975 : 178.

131
De surcroît, il serait irrégulier que la séquence ºayaº se réduisît à ºaƝº en
syllabe ouverte devant nasale. Et nous disposons même du mot dayanƗ-
fém. ou dayana- nt. « vision » avec la séquence ºayaº écrite non ºaƝº, mais
bien ºaiiaº dans vaƝįaiianƗ- « mirador, poste de garde »61, dans pÅrÅșu.-
vaƝįaiiana- «qui dispose d’un large angle de vision ou d’un regard péné-
trant»62 et dans baƝuuarÅ.vaƝįaiiana- « aux dix mille fenêtres/ postes de
garde »63. Il faut donc préférer dainƗ à dayanƗ même si très peu de mots
sont exactement du même type morphologique que dhénƗ-64.
L’étymon unique que je défends depuis quelques années65 pour l’aves-
tique daƝnƗ- et le védique dhénƗ- demande un nouvel examen sémantique
de leurs attestations. Comme on verra dans l’Appendice qui suit, le sens
d’obédience religieuse ou de religion paraît même possible pour certaines
attestations du védique dhénƗ-. Les quelques concordances que nous avons
relevées ci-dessus entre l’avestique daƝnƗ- et le védique dhénƗ- ne suffisent
pas à démontrer qu’ils soient superposables l’un à l’autre : il faut encore
vérifier qu’une même valeur sémantique première du mot, soutenue par
l’étymologie, soit applicable à toutes les occurrences védiques. C’est ce qui
va être fait ci-dessous : chaque strophe de la RS qui contienne le mot, que ce
soit à l’état isolé ou en composition, sera analysée, voire disséquée.

Appendice. RS dhénƗ-

Étant donné que, pour les autres termes examinés dans Corps et âmes du
mazdéen, les correspondants védiques font généralement défaut ou ne sont
attestés que de façon exceptionnelle, nous ne bouderons pas l’abondance des
attestations du védique dhénƗ-, mais, bien évidemment, ce sera pour exa-
miner la possibilité de lui donner le sens de l’avestique daƝnƗ-66.

RS 1.2.367 v»yo táva prapUñcatÇ68 V dhénƗ jigƗti69 dƗĞúVe | urnjcÇ sóma-


pƯtaye « VƗyu, la dhenƗ de toi (= l’image mentale qu’il se fait de toi comme

61
Yt 10.45.
62
Yt 10.7.
63
V 18.28.
64
Je ne vois que le védique sénƗ- (= avestique haƝnƗ-) et le grec ȗȫȞȘ (cf. scr. r»snƗ-),
les rares autres dérivés en -nƗ- portant l’accent sur le suffixe (av. kaƝnƗ- = grec ʌȠȚȞȒ ; grec
ijȦȞȒ), étant d’accentuation inconnue (av. vǀiȖnƗ- ; sƗsnƗ-) ou présentant un degré zéro
radical (ÕrQƗ- = av. varÅnƗ- ; tÌVQƗ- ; sthÕQƗ- = av. stunƗ-).
65
Pirart 2006b : 43 sq. n. 83.
66
Lankarany (1985 : 1-28) a rassemblé la littérature concernant les questions du sens et
de l’étymon de daƝnƗ-, notamment celle de l’équation daƝnƗ- = védique dhénƗ-.
67
Schmidt 1975 : 175 : « O VƗyu, your nourishing stream, filling (the space with goods)
for the worshipper, comes expanding widely to drink soma ».
68
L’hypallage qui accorde prapUñcatÇ- avec dhénƗ- est du même type que celle qui, en
avestique, fait de spΩQta- l’épithète de mainiiu-. Le participe prapUñcatÇ- est le seul exemple

132
étant celui) qui le comble de richesses va au devant de l’adorateur, elle qui a
vaste regard70, en vue de boire le soma ».
Hypallage aidant71, dhenƗ est ici définissable tout à la fois comme hy-
postase de VƗyu et comme synecdoque de l’adorateur72, mais les deux
peuvent se confondre : la façon dont l’adorateur se représente la divinité et
envisage de lui rendre un culte coïncide avec l’attitude qu’il souhaite lui
voir adopter envers lui. La générosité de l’adorateur qui fait des offrandes se
confond avec la générosité que les dieux montreront à son égard. Comme
l’offrande ne peut leur parvenir que par le biais sacralisateur des paroles
rituelles, il est compréhensible que le contenu de ces dernières soit donné
pour ce qui permet à l’adorateur d’être généreux et de voir les dieux à leur
tour se montrer généreux envers lui. La dhenƗ, nommée au nominatif
comme sujet d’un verbe de mouvement, est ici personnifiée puisqu’elle
vient boire le soma. Il n’est donc pas échevelé de rendre dhénƗ- comme
l’avestique daƝnƗ- : « le contenu et l’emploi des paroles rituelles, la
conscience religieuse, la pratique religieuse, la religion ». N’est-ce pas la
pratique religieuse de son généreux adorateur qui permet à VƗyu, le dieu de
l’espace et du temps, de se montrer généreux envers lui ? Et cette dhenƗ
vient au devant du pieux adorateur tout comme la dainƗ du H 2 vient à la
rencontre du ruvan. Cette strophe védique ainsi est-elle bien à verser au
dossier des preuves que la dhenƗ védique n’est guère différente de la vieil-
iranienne dainƗ.

RS 1.55.4cd vÌVƗ chándur bhavati haryató vÌVƗ V kVémeQa dhénƗm


maghávƗ yád ínvati « Le mâle (Soma) se fait agréable et attirant quand Ma-

de P5C combiné avec prá, mais il faut admettre que prẠest le préverbe ou aussi le préverbe
de jigƗti (cf. 3.4.3a prá dÇdhitir viĞvávƗrƗ jigƗti ; 3.57.5b sómasya jihv» prá jigƗti cákVasƗ).
69
Cf. 10.47.6b bÌhaspátim matír áchƗ jigƗti ; 3.39.1 índram matír hUdá » vacyámƗ-
V
n» chƗ pátiP stómataVWƗ jigƗti | y» j»gUvir vidáthe ĞasyámƗnƗ (cf. 3.43.2c) ; 2.34.15d ó Vú
vƗĞréva sumatír jigƗtu.
70
Traduction conventionnelle de cette épithète qui est aussi celle de la langue d’Agni en
3.57.5. Un sens hypallagique est sans doute aussi à explorer : y» te jihv» mádhumatƯ sumedh»
V
ágne devéVnjcyáta urnjcÇ | táyehá víĞvƗ0 ávase yájatrƗn » sƗdaya V pƗyáyƗ cƗ mádhnjni « Ta
langue qui est à la hauteur de leur vastitude et leur présente (Manu) comme un sage ayant
prévu de les leur offrir doit te permettre, Agni, d’inviter tous les dieux honorables à le favo-
riser en s’assoyant ici et en buvant de tels sucres ».
71
Voir note 68.
72
Le cas de rƗtí- est assez parlant. Cette abstraction désigne aussi bien la générosité de
l’adorateur (notamment 8.13.4ab iyáP ta indra girvaQo V rƗtíK kVarati sunvatáK « Voici pour
toi couler la générosité du pressureur, ô Indra que les chants arrivent à charmer ») que la
générosité de la divinité (notamment 10.143.4b cité tád vƗP surƗdhasƗ rƗtíK sumatír aĞvinƗ
« à remarquer sont alors votre générosité et votre bienveillance, ô AĞvin, vous qui permettez
que nos sacrifices se soldent par un succès ») ; la générosité du dieu (cf. notamment 3.62.11c
bhágasya rƗtím Ưmahe « nous implorons la générosité de Bhaga ») peut devenir elle-même
une divinité (notamment 10.66.10d bhágo rƗtír vƗjíno yantu me hávam « Que Bhaga, RƗti et
les VƗjin viennent à mon appel ! »).

133
ghavan (= Indra en tant que bénéficiaire divin de l’échange sacrificiel), grâ-
ce à la paix, met la dhenƗ en mouvement ».
J’imagine que Soma se fait agréable et charmant parce que la dhenƗ vient
à sa rencontre, poussée par Indra même si le sens exact de kVéma- « lieu de
vie sûr, paix » peut rester ici incertain. Soma coïncide dans son action avec
la pratique religieuse des adorateurs : le soma, symbole de l’âme du sacri-
fiant, se fait agréable au dieu qui, de ce fait, répond aux pieuses attentes : la
dhenƗ, tout à la fois conscience religieuse du sacrifiant et image que ce
dernier se fait de la valeur divine, vient à la rencontre de l’âme. La con-
jonction sémantique harmonieuse des différentes paroles rituelles est favori-
sée par le dieu : 1.18.773 yásmƗd Uté ná sídhyati V yajñó vipaĞcítaĞ caná | sá
dhƯn»P yógam invati « Lui sans qui le sacrifice, même célébré par un en-
thousiaste, serait voué à l’échec, c’est lui qui met en mouvement l’attelage74
des idées (= le caractère approprié des idées que l’adorateur se fait de la
divinité) ». Indra tient ici de Savitar, le dieu qui donne le signal de départ
non seulement pour l’aurore et le Soleil qui doivent poindre ou se lever,
mais aussi pour toute l’activité rituelle. Ici aussi, donner à dhénƗ- le sens du
vieil-iranien dainƗ ne paraît pas être hors de propos : Indra, en donnant
impulsion à la pratique religieuse que serait la dhenƗ, réjouit le dieu Soma.
Nous remarquerons en outre que la racine de l’adjectif chándu- « don-
nant bonne impression, agréable » est aussi celle du verbe clé de H 2.7 et 9,
¥ saQd, dont j’ai traité au terme du chapitre III.

RS 1.101.1075 mƗdáyasva háribhir yé ta indra V ví Vyasva Ğípre ví sUja-


sva dhéne | » tvƗ suĞipra hárayo váhantnjVĞán havy»ni práti no juVasva
« Laisse-toi enivrer avec les alezans qui sont tiens, ô Indra ! Délie tes
lèvres ! Libère-toi les deux dhenƗ ! Que les alezans te convoient (ici), toi qui
as de bonnes lèvres ! Accepte de bonne grâce nos libations ! ».
Qu’il faille considérer dhéne comme un duel elliptique76, c’est ce que la
strophe 3.1.9 suggère. De toute façon, le lien formulaire qui réunit dhénƗ- et
le verbe ví S5J est confirmé par le composé vísUVWadhenƗ- (7.24.2), mais il
concerne aussi dh»rƗ- : 5.32.1 ádardar útsam ásUjo ví kh»ni V tvám arQav»n
badbadhƗn»0 aramQƗK | mah»ntam indra párvataP ví yád váK V sUjó ví
dh»rƗ áva dƗnaváP han « Indra, tu fendis la source, libéras les trous, toi tu
rendis la joie aux flots enchaînés/ tu les apaisas et, lorsque (ton foudre)
ouvrit la grande montagne, tu libéras les jets et massacras le DƗnava ».
Comme le sens de dh»rƗ- ne fait aucun doute et qu’il s’agence parfaitement

73
Rapprochement Schmidt 1975 : 175 sq.
74
Cf. 10.114.9a.
75
Voir Schmidt 1975 : 176 sq.
76
Bloomfield 1926 : 307 sq.

134
à celui de ví S5J77, il est donc possible que ce soit par extension que ví S5J
admette dhénƗ- comme objet. Il est possible aussi que l’idée de « libérer »
admette d’autres objets sans que ce soit par extension. Comme on sait,
Indra, le dieu libérateur, délivra des étreintes démoniaques bien d’autres
trésors que les rivières ; il y a aussi les lumières ou aurores, les vaches, et
même les observances religieuses correctes : 10.65.11 bráhma g»m áĞvaP
janáyanta óVadhƯr V vánaspátƯn pUthivÇm párvatƗ0 apáK | sÕryaP diví
roháyantaK sud»nava V »ryƗ vrat»78 visUjánto ádhi kVámi « (Ce sont eux)
qui engendrent la Formule, la vache, le cheval, les plantes, les arbres de la
forêt, la terre, les montagnes, les eaux, qui font monter le soleil au ciel, (ces
dieux) aux beaux dons qui divulguent les vœux âryens à travers la terre »79.
Autre approche : si la terre est nommée dans l’énumération de RS 10.65.11,
nous pouvons avancer que dhéne désigne le couple ciel + terre et que pa-
reille dénomination procède de l’idée que l’adorateur se fait de ce couple
que le regard ne parvient jamais à embrasser pleinement et dont le statut de
l’existence doit beaucoup à notre déduction. On peut encore penser que les
deux dhenƗ seraient ciel et terre par synecdoque : il faudrait comprendre « la
dhenƗ du ciel et celle de la terre », les regards que portent respectivement
les dieux et les hommes sur le sacrifice. Indra serait alors présenté comme
celui qui, par sa victoire sur le démon, a libéré l’espace du sacrifice et donné
libre cours à l’échange de vues entre ciel et terre. Dans la strophe 1.101.10,
il n’est donc pas déraisonnable de donner à dhénƗ- un sens proche de celui
de l’avestique daƝnƗ- : il est demandé à Indra de donner libre cours à une
activité religieuse dans laquelle le ciel et la terre, c’est-à-dire les dieux et les
hommes, sont des partenaires nécessaires.

77
Cf. notamment 9.96.22a pr»sya dh»rƗ bUhatÇr asUgran. Habituellement, le verbe ví
S5J décrit la libération des rivières : 8.100.12 sákhe viVQo vitaráP ví kramasva V dyáur dehí
lokáP vájrƗya viVkábhe | hánƗva vUtráP riQácƗva síndhnjn V índrasya yantu prasavé vísUVWƗK
« Ami ViVQu, fais de plus grandes enjambées ! Donne au foudre l’espace du ciel à ouvrir, que
nous frappions VUtra et libérions les fleuves : sous l’impulsion d’Indra, (leurs flots), une fois
libérés, doivent partir ! ». Il reste que le verbe ví S5J est employé comme s’il était le causatif
de « couler ». C’est la conclusion à laquelle conduisent, d’une part, la confrontation des deux
racines dans 5.29.2d apó yahvÇr asUjat sártav» u et, d’autre part, la comparaison de 8.100.12d
avec 10.111.8b índrasya y»K prasavé sasrúr »paK « les rivières auxquelles Indra a permis de
couler ». Cependant, le passage le plus proche de 1.101.10 peut nous inviter à reconnaître en
dhénƗ- quelque chose de liquide : en 3.1.9, la répétition du préverbe coordonne dhénƗK à
dh»rƗK, mais la mise en parallèles que 7.36.1 opère des verbes víS5J et ví S5 nous réserve la
surprise que le second admette un complément aussi peu habituel que la terre ʊ court-
elle ? ʊ : prá bráhmaitu sádanƗd Utásya V ví raĞmíbhiK sasUje sÕryo g»K | ví s»nunƗ prthivÇ
sasra urvÇ V pUthú prátƯkam ádhy édhe agníK « Qu’aille en tête (cette) Formule, (émanant) du
siège de l’Ordre ! Le soleil a lâché en tous sens les vaches par ses rayons. / La terre avec son
dos s’est déhiscée, (toute) large ; vaste surface, le feu (rituel) a été enflammé » (traduction
Renou 1955-1969 : V 41).
78
Renou (1955-1969 : IV 122) : « vratá, ici "législation" ou "religion" ; ápavrata équi-
vaut à peu près à "hérétique" ».
79
Traduction Renou 1955-1969 : V 58.

135
Le parallélisme est frappant que ví sUjasva dhéne trace avec ví Vyasva
Ğípre : les attitudes religieuses du ciel et de la terre seraient comparables ou
identiques aux lèvres d’Indra prêtes à boire le soma. L’ouverture quoti-
dienne du monde coïncide alors avec l’écartement des lèvres du dieu ou, en
définitive, avec l’activité rituelle où Soma lui est offert à boire. Dans cette
hypothèse, le caractère elliptique du duel serait à réorienter : si la terre est le
lieu sacrificiel, celui d’où le sacrifiant s’adresse aux dieux et leur manifeste
l’idée qu’il se fait d’eux, le nom de dhenƗ convient plus strictement à sa
désignation qu’à celle du ciel. La mise à distance du ciel et de la terre,
conditio sine qua non de l’échange que le sacrifice établit entre les hommes
et les dieux, ainsi est-elle le fruit cosmique de ce même échange.

RS 1.141.180 bál itth» tád vápuVe dhƗyi darĞatáP V devásya bhárgaK


sáhaso yáto jáni | yád Ưm úpa hvárate s»dhate matír VUtásya dhénƗ81 ana-
yanta sasrútaK « Ah ! Comme il convient ! Le bel éclat du Deva Sahas d’où
(Agni) est né fait notre admiration. Même à s’approcher en cahotant, la pen-
sée va droit au but82 : les (sages) conduisirent leurs dhenƗ lisses de Uta
(= leur conception de l’harmonie) ».
H.-P. Schmidt83 ne fait pas état du parallélisme de dhénƗ anayanta avec
le Y 31.20 daƝnƗ naƝša784, qui, à vrai dire, n’est pas fort étroit. En effet,
dans la phrase védique, le statut grammatical de Utásya dhénƗK, au premier
abord, reste incertain : sujet ou objet du verbe anayanta ? La voix moyenne
du verbe, sans doute possessive, invite à faire de dhénƗK son objet. Et RS
5.45.10 invite aussi à en faire l’objet : » sÕryo aruhac chukrám árQó V’yukta
yád dharíto vƯtápUVWhƗK | udn» ná n»vam anayanta dhÇrƗ V ƗĞUQvatÇr »po
arv»g atiVWhan « Le Soleil monta, le flot clair, lorsque furent attelées les
(rivières) alézanes au dos droit ; les sages conduisirent leurs (idées) comme
une barque sur l’eau ; les rivières à l’écoute vinrent s’arrêter ici-bas». Ce

80
Schmidt (1975 : 169 sq.) discute le sens de sasrút- et opte pour «in full flow» sur base
de 4.28.1 pour donner alors cette traduction de 1.141.1d : « In full flow the milk-streams of
truth have led (Agni) ». Si le mot concerne les rivières à la strophe 4.28.1ab tv» yuj» táva tát
soma sakhyá V índro apó mánave sasrútas kaK « Avec ton aide ʊ telle est, Soma, la col-
laboration que tu apportes ʊ, Indra a pu rendre aux rivières de couler au profit de Manu », il
se rapporte aux chants en 9.34.6 sám enam áhrutƗ im» V gíro arVanti sasrútaK | dhenÕ vƗĞró
avƯvaĞat « Ces chants, courant sans accroc, confluent vers lui, liquides qu’ils sont. Le mu-
gissant Soma a fait mugir les vaches laitières » où l’assonance áhrutƗK ... sasrútaK est par-
lante : la voix, la parole ne chancèle ni ne trébuche tant elle est délayée, fluide, respectueuse
des sandhi, lisse.
81
Schmidt (1975 : 169 sq.) signale Utásya dh»rƗK (passim) et Utásya dhƯtí- (9.97.34).
82
Il n’est pas aisé de rendre compte sémantiquement du changement de temps qui
s’opère entre les verbes de c et celui de d. Les deux points ne sont jamais que le reflet de ma
perplexité.
83
1975 : 169.
84
Kellens 2006-2010 : II 153.

136
que conduisent les sages, c’est cette façon d’envisager l’harmonie que l’ob-
servance propose et le rituel traduit dans la pratique.
La relation que la dhenƗ doit de toute évidence entretenir avec le Uta ʊ
la dhenƗ l’envisage ʊ est aussi celle qui rassemble DainƗ et 5ta dans le Y
35.185. Disons que la notion de dhenƗ tourne autour de l’harmonie tout
comme le dharma. La religion devait en Inde adopter ce nom de « maintien
(de l’harmonie) » tandis que l’Iran lui donnait celui de « vision, configu-
ration (de l’harmonie) ».

RS 3.1.9 pitúĞ cid Õdhar86 janúVƗ viveda V vy àsya dh»rƗ asUjad ví


dhénƗK87 | gúhƗ cárantaP88 sákhibhiK Ğivébhir V divó yahvÇbhir ná gúhƗ
babhnjva « L’instinct / le fait d’être né (du ciel) (januV" lui (= à Agni ?)
permet toujours de trouver / c’est de nature que toujours il (= Agni ?) trouve
la mamelle de (Dyu) PitU. Il (= Agni ?) en a libéré les jets (de soma)89 et les
dhenƗ. Aux yeux d’(Agni) qui évolue en secret avec (les poètes/ les soma90
qui sont) de bons associés, il (= Soma ?) ne va jamais se cacher avec les
(rivières91 filles) cadettes de Dyu ».
Le nombre grammatical des jets du soma pressuré doit avoir contaminé
dhénƗ- : alignement numérique de dhénƗ- sur dh»rƗ-. Si dh»rƗK désigne le
soma, le couple que ce dernier formera avec la déesse DhenƗ serait ici
annoncé ou suggéré. Ce couple de Hauma et de DainƗ que l’épithète aves-
tique haomacanah- appliquée à cette dernière permet de postuler aussi en
Iran. L’idée que le sacrifiant se fait du grand dieu Dyu PitU est à la mesure
de la générosité avec laquelle ce dernier apporte la pluie. Si les jets de Soma
peuvent être assimilés à la pluie, c’est en vertu de la bijection fréquente que
les poètes opèrent entre les bienfaits que les hommes apportent aux dieux et
ceux que ceux-ci apportent aux hommes.
H.-P. Schmidt92 n’exploite pas la seconde moitié de la strophe. Ce-
pendant, la présence des poètes, même si elle est un peu cryptée, et celle
moins absconse des rivières forment une paire renvoyant à celle des jets et
des idées. Quoi qu’il en soit, avouons-le : sans imagination, la teneur de
cette strophe nous échapperait en bonne partie.

85
Voir note 60.
86
Cf. 5.44.13b víĞvƗsƗm ÕdhaK sá dhiy»m udáñcanaK « c’est lui qui puise (à) la mamelle
de toutes les inspirations » (traduction Renou 1955-1969 : V 27).
87
Cf. 7.36.1b ví raĞmíbhiK sasUje sÕryo g»K « De ses rayons le Soleil libère toujours les
vaches ».
88
Corriger en cátantam sur base de 1.65.1, 10.46.2 ?
89
Cf. 9.96.22a.
90
D’après 10.25.9b.
91
Cf. notamment 1.71.7b samudráP ná sravátaK saptá yahvÇK; 9.92.4d mUjánti tvƗ
nadyàK saptá yahvÇK.
92
1975 : 170.

137
RS 3.34.393 índro vUtrám avUQoc chárdhanƯtiK V prá mƗyínƗm aminƗd94
várpaQƯtiK95 | áhan vyàPsam uĞádhag96 váneVv V Ɨvír dhénƗ akUQod rƗmy»
QƗm97 « en conduisant le Ğardhas (= se trouvant à la tête de la troupe des
Marut), Indra bloqua VUtra et, grâce à des subterfuges, anéantit (la mauvaise
religion/ l’organisation/ les mensonges98) des artificieux ; brûlant à sa guise
dans les forêts, il frappa le (serpent) aux épaules disloquées (et) rendit mani-
festes les dhenƗ des RƗmya ».
L’objet de prá ... aminƗt doit être le vrata négatif des impies ou des
démons, c’est-à-dire les paroles inadéquates (ánUta- : cf. 7.84.4c), par
opposition à la bonne religion que professent les RƗmya. Ceux-ci ne peuvent
guère être identifiés ni même leur sexe être décidé : le mot n’est attesté que
deux fois au génitif pluriel (3.34.3, 7.9.2), sans que le genre n’apparaisse, et
une, au locatif pluriel féminin (6.65.1). Le féminin est possible pour 7.9.2 sá
sukrátur yó ví dúraK paQƯn»m V punƗnó arkám purubhójasaP naK | hótƗ
mandró viĞ»P dámnjnƗs V tirás támo dadUĞe rƗmy»QƗm, mais je ne crois pas
qu’il faille y voir une désignation des nuits comme on le veut habituelle-
ment : « Il (est le dieu) au beau pouvoir-spirituel qui ou(vre) les portes des
PaQi, clarifiant notre chant riche en bénéfices ; Oblateur réjouissant, (maître)
domestique des tribus, il s’est rendu visible à travers les ténèbres des
nuits »99. Pourquoi ne pas y voir une épithète de viĞ»m ? Les clans RƗmya
s’opposeraient ainsi à ceux des PaQi. Certes, le lien qui pourrait faire de
rƗmy»QƗm le complément de támaK paraît être confirmé par 6.65.1 eV» sy»
no duhit» divoj»K V kVitÇr uchántƯ m»nuVƯr ajƯgaK | y» bhƗnúnƗ rúĞatƗ
rƗmy»sv V ájñƗyi tirás támasaĞ cid aktÕn « Voici donc cette Fille (du ciel),
née du ciel. En luisant elle a éveillé les établissements humains, elle qui
avec son rayon rutilant, dans les nuits (mêmes), s’est laissé discerner par
delà les ombres des ténèbres »100, mais, dans cette dernière strophe, le mot
paraît faire double emploi avec tirás támasaĞ cid aktÕn. En réalité, rien
n’empêche d’y sous-entendre {vikVú}. Ce qui avait conduit les exégètes à
reconnaître ici une désignation de la nuit101, c’est la proximité morpholo-
gique que le mot présente avec rƗmÇ- et r»trƯ-102. L’hapax r»mya- de 2.2.8
n’est sans doute pas à séparer de rƗmyá- : sá idhƗná uVáso r»myƗ ánu V svàr
93
Voir Schmidt 1975 : 176.
94
Cf. 1.32.4b, 3.20.3c, 1.117.3c, 2.11.10c.
95
Sandhi interne spécial pour *Ğárdhas+nƯti- et *várpas+nƯti- ?
96
Cf. 3.6.7c apó yád agna uĞádhag váneVu, 7.7.2d jámbhebhir víĞvam uĞádhag vánƗni.
La morphologie du mot uĞádah- n’étant pas limpide (voir Debrunner 1957 : 15), son sens ne
peut être garanti : j’attendais que le nom-racine fût accentué au lieu du premier terme uĞáº
(< *uĞát+ ?).
97
2.2.8a, 6.65.1c, 7.9.2d.
98
Cf. 7.84.4c ánUtƗ.
99
Traduction Renou 1955-1969 : XIII 59.
100
Traduction Renou 1955-1969 : III 85.
101
Le NaighantukƗQ'a 1.7 donne r»myƗ- pour un rƗtrinƗman.
102
Voir Mayrhofer 1992-2001 : II 449.

138
Qá dƯded aruVéQa bhƗnúnƗ | hótrƗbhir agnír mánuVaK svadhvaró V r»jƗ
viĞ»m átithiĞ c»rur Ɨyáve, mais le statut que Louis Renou103 accorde à ce
mot dans la traduction de la strophe l’attestant n’est guère assuré : « Cet (A-
gni, une fois) allumé le long des aurores, (le long) des nuits, qu’il brille
comme le soleil avec son rayon fauve! Grâce aux oblations de l’Homme,
Agni rendant le rite efficace (devient) le roi des tribus, l’hôte précieux pour
l’Ɩyu ». Il y aurait une curieuse asyndète uVáso r»myƗK avant d’arriver à la
postposition ánu. À mes yeux, uVásaK est elliptique pour uVáso {vyùVWƗ}104
« lorsque l’aurore point » tandis que r»myƗK sous-entend {viĞáK} : « Cet
(Agni, une fois) allumé lorsque105 l’aurore (point) parmi106 les (clans) rƗ-
mya ». Reste dès lors la question de savoir ce que signifie víĞ- rƗmy»-/ r»
myƗ- : je propose « clan des descendants de RƗma », même si ce RƗma est
mal connu107.
La strophe 3.34.3 serait donc le théâtre d’une opposition entre les anUta
vacas des mƗyin et les dhenƗ des RƗmya, entre une mauvaise obédience
religieuse et une bonne, contre Jean Kellens108 pour qui nous trouverions
dans cette strophe l’unique identification de dhénƗ- et de l’aurore, mais il
souligne que, si elle évoque fortement l’apparition de la daƝnƗ du fragment
H 2 du Haįaoxt Nask, c’est sans force probante en dehors de tout parallé-
lisme terminologique. Nous remarquerons que la mise en lumière (ƗvíVK5)
des dhenƗ des RƗmya est pourtant comparable à la mise en avant de la Dai-
nƗ mazdéenne dont H 2.14 fait état et sur laquelle nous reviendrons au
chapitre VII 2.5.

RS 4.19.2 ávƗsUjanta jívrayo ná dev» V bhúvaK samr»l indra satyáyoniK |


áhann áhim pariĞáyƗnam árQaK V prá vartanÇr arado viĞvádhenƗK109 « Les
Deva furent comme des vieillards lorsqu’ils (te) laissèrent aller dans l’espoir
que tu devinsses le souverain, Indra, et suivisses la route véridique. Tu frap-
pas le serpent qui était lové autour du courant (et) traças les routes pour
toutes les dhenƗ ».
Le composé viĞvádhenƗ- est basé sur le syntagme víĞvƗK ... dhénƗK
(5.62.2, où les dhenƗ sont des vaches). Son accord avec vartaní- nous ren-
103
1955-1969 : XII 43.
104
On ajoutera cette occurrence à la liste que j’ai dressée dans 2004b : 146 n. 9.
105
Cf. 4.39.3b sámiddhe agn» uVáso vyùVWau.
106
Cf. jánƗ0 ánu = jáneVu.
107
Ce RƗma pourrait être un ancien sage ou chef de clan (cf. 10.93.14b rƗmé ... ásure
« chez le roi RƗma ») qui, comme Manu ou Zoroastre, aurait donné au rituel sa forme
adéquate. Si cet andronyme est courant dès le 10e maQ'ala de la RS (voir Macdonell & Keith
1912 : II 222), sans doute en est-ce la raison. La métrique de rƗmyá-/r»mya- invite à y
reconnaître le suffixe ºíya- formateur d’adjectifs patronymiques pour l’accentuation duquel la
tradition flotte considérablement (cf. túgrya- et kUVQiyá-).
108
2006-2010 : II 152.
109
SƗyaQa : viĞvadhenƗ viĞvasya prƯQayitrƯr vartanƯK sarvatra pravartikƗ nadƯK prƗradaK
prakarVeQa vilekhanaP kUtavƗn asi.

139
voie à la connexion de dhénƗ- avec le verbe NƮ (1.141.1). Il faut surtout
signaler le parallélisme formulaire que trace la séquence arado viĞvádhenƗK
avec le Yt 10.68cd ye«he daƝna mƗzdaiiasniš V ×xvƯtÈ pașǀ rƗįaiti .·.110
« (Nous offrons le sacrifice à Mișra du char) de qui la (déesse) DainƗ MƗz-
dayasni trace les chemins aisés à parcourir », bien que la strophe védique, à
l’inverse du passage avestique où daƝnƗ- figure comme sujet de √ rad, quant
à elle, fasse de dhénƗ- un élément de l’objet de RAD : la déesse avestique
DainƗ trace le chemin de Mișra, mais, dans la strophe védique, c’est pour
la dhenƗ que le chemin est tracé. Ce renversement des rôles, phénomène
déjà rencontré en 1.141.1 où dhenƗK faisait l’objet de anayanta alors que la
daƝnƗ gâthique était (Y 31.20) le sujet de naƝša7, mérite un commentaire ou
une explication. La qualité de satyáyoni- qu’Indra se voit attribuer dans le
deuxième pƗda nous met sur la voie : Indra, dans ses exploits, suivit le par-
cours rituel111 et alla frapper VUtra comme il serait allé s’asseoir sur le bar-
hiV112, le « coussin » d’herbes apprêté à l’intention des dieux sur l’aire sacri-
ficielle. L’objectif poursuivi (yóni-) des exploits divins se confond avec le
barhiV où viennent s’asseoir les dieux et avec les espoirs que les adorateurs
placent dans le sacrifice offert. La pratique rituelle, l’activité religieuse, le
sacrifice offert, c’est ce qui trace la voie et pousse les dieux à l’emprunter
aussi bien pour accomplir leurs exploits que pour accéder à l’aire sacrifi-
cielle, mais, en contrepartie, les dieux guideront les hommes et leur feront
toucher le but ultime. La théorie des pieux ancêtres, reflétée par le premier
terme du composé viĞvádhenƗ-, put gagner l’au-delà paradisiaque. La
souveraineté d’Indra est intimement liée à son culte et aux exploits que les
sacrifices offerts lui permirent d’accomplir. Tel est le sens de la formule
samr»j- satyá- que l’on trouve plusieurs fois à son endroit113 et qui est ici
amplifiée en samr»j- ... satyáyoni-. En outre, Indra, par ses exploits, ouvre
la voie à l’activité rituelle comme nous en avions déjà fait état à l’occasion
de la strophe 1.101.10. Comme on voit, il est donc envisageable de traiter ici
dhénƗ- de la même façon que le vieil-iranien dainƗ.

RS 4.19.6 tvám mahÇm avániP114 viĞvádhenƗP115 V turvÇtaye vayyºya


kVárantƯm | áramayo116 námasáijad117 árQaK V sutaraQ»0 akUQor indra sí-

110
Sur le texte, voir ci-dessus 4.
111
yóni-, dit satyá- ici et Utvíya- 3.29.10a.
112
Cf. 1.104.1a yóniV Wa indra niVáde akƗri « ce parcours (au terme duquel se trouve le
barhiV) t’a été donné pour que tu t’assoies, ô Indra » ; 7.24.1a.
113
Notamment 4.21.10a índraK satyáK samr»W. L’épithète satyá- « qui concerne ce qui
est » équivaut pratiquement à un locatif « lors des cérémonies » : cf. 3.55.7a, 3.56.5b
vidátheVu samr»W; 4.21.2c vidathyàK ... samr»W.
114
mahÇ- aváni- aussi 1.140.5c, 5.11.5c, 7.87.1d.
115
SƗyaQa : viĞvadhenƗP viĞvasya prƯQayitrƯm.
116
áramayo námasƗ : cf. 5.52.13cd tám UVe m»rutaP gaQám V namasy» ramáyƗ gir» ;
turvÇtaye vayyºya kVárantƯm | áramayaK: cf. 5.31.8ab tvám apó yádave turváĞƗyV »ramayaK

140
ndhnjn « Toi, l’hommage qu’il te rendit te permit, pour TurvƯti fils de Vaya,
d’apaiser le cours de la grande fontaine que (viennent toucher) toutes les
dhenƗ, de lancer le courant (et) de rendre les fleuves faciles à traverser, ô
Indra ».
L’association que plusieurs strophes font de dhénƗ- et des rivières est
certes un bel argument en faveur de l’explication de son nom par la racine
DHE « téter » et du sens de « courant » qui lui est donné. Cependant, c’est
souvent dans le cadre d’une comparaison ou d’une coordination. Ici le
bahuvrƯhi viĞvádhenƗm est épithète de la « grande source », mais cette der-
nière, qui, sans doute, avait une certaine importance à l’intérieur de l’his-
toire de TurvƯti, nous est fort mal connue. TurvƯti118 Vayya est un per-
sonnage mythique fameux pour l’aide qu’il reçut d’Indra 119 . Les trois
strophes qui nous en disent un peu plus120, 1.61.11d, 2.13.12ab121, 4.19.6abc,
s’accordent pour nous informer que l’aide qu’Indra lui apporta lui permit de
traverser une rivière dont le nom est passé sous silence. Le mythème de la
rivière infranchissable que la divinité permet de traverser à son protégé
existe aussi dans l’Avesta122. Elle y porte le nom de VaitahvatƯ « la rivière
des roseaux », mais le protégé se nomme non TurvƯti, mais Vistaru NƗuta-
riyƗna123. L’aide que la divinité put apporter à Vistaru est justifiée par le
grand nombre124 d’impies qu’il avait massacrés. La récompense de ce mas-
sacre des impies pourrait donc être d’accéder à l’au-delà réservé aux pieux
adorateurs. S’il en est bien ainsi, la rivière à franchir est une Styx. Une autre
Styx avestique est VidušƯ (cf. V 4.54-55), l’eau que doivent toucher ceux
qui prêtent serment tout comme les Olympiens recourent à celle de la Styx.
La VidušƯ, dans le Yt 10.80, pourrait bien couler sous la CinvatpUUtu :

sudúghƗK pƗrá indra « Toi, ô Indra, pour Yadu et TurvaĞa, tu as arrêté les rivières sur l’autre
rive (pour qu’elles fussent vaches) faciles à traire ».
117
Mis pour la 2e sg. ? Mais ce n’est pas la seule anomalie : le sens du syntagme éjad
árQaK « tu lances le courant » s’oppose au reste du contenu de la strophe à moins que ses trois
parties (ab + áramayo námasƗ ; éjad árQaK; d) ne soient à prendre comme l’énumération de
trois exploits distincts. Il est encore envisageable que éjad árQaK soit un bahuvrƯhi défait, de
type kVayádvƯra- et signifiant « dont les flots sont pleins d’élan », et vaille dès lors une
épithète qui s’accorderait avec avánim.
118
L’Avesta connaissait aussi un TurvƯti : FrƗciya TurvƯti (Yt 13.115).
119
1.54.6b, 1.61.11d, 2.13.12ab, 4.19.6abc. Il reçut aussi l’aide d’Agni (1.36.18d) et des
AĞvin (1.112.13b).
120
La strophe 2.15.5 semble faire allusion au même mythe : sá Ưm mahÇP dhúnim étor
aramQƗt V só asnƗtÍn apƗrayat svastí | tá utsn»ya rayím abhí prá tasthuK V sómasya t» máda
índraĞ cakƗra || « Il a fait s’arrêter (en sa) marche la grande (rivière) bruissante; il a fait passer
sains et saufs ceux qui ne nagent pas. Échappés à la baignade (= noyade), ils sont-partis-en-
expédition pour la richesse. Indra a fait ces choses dans l’ivresse du soma » (traduction Renou
1955-1969 : XVII 61).
121
Où (suite à quelque corruption ?) Vayya et TurvƯti seraient à considérer comme deux
personnages distincts en raison de leur coordination par ca ... ca.
122
Yt 5.76-78.
123
nstvr dans le ŠƗhnƗma. Fils de Zarivari et neveu de Vištâspa.
124
Voir Šn, Mohl 1838-1878 : IV 405, 419.

141
tnjm maƝșanahe pƗta V nipƗta ahi ×adrująm .·. tnjm varÅzƗnahe ×pƗta V
niš.harÅta ahi ×adrująm .·. șȕƗ.paiti zƯ haxÅįrÅm daiįe vahištÅm V vÅrÅșra-
ȖnÅmca ahuraįƗtÅm V yahmi sǀire mișrǀ.drujǀ V aipi ×vƯșuše jata V pauruua
ma¹iiƗk¿Ëhǀ .·.
Toi, (Mișra,) tu es le protecteur de la résidence, le défenseur de la rési-
dence pour ceux qui ne (te) nuisent pas. Toi, tu es le protecteur de la com-
munauté, le préservateur pour ceux qui ne (te) nuisent pas. Puissé-je donc,
sous ta protection, jouir de l’excellente association et de la capacité qu’Ahura
(MazdƗ) mit en place de rompre les obstacles, <...>125 où gisent ceux qui nui-
sent à l’échange, tués dans la rivière VidušƯ[, les premiers mortels]126 !

Or la rivière que touche rituellement Agni, à la strophe 1.140.5, porte le


nom de aváni- comme ici127 : »d asya té dhvasáyanto vÌtherate V kUVQám á-
bhvam máhi várpaK kárikrataK | yát sƯm avánim pr»bhí mármUĞad V
abhiĞvasán stanáyann éti n»nadat « C’est que les flammes du (dieu Agni) se
dressent à l’envi, soulevant de la fumée, façonnant une énorme et majes-
tueuse structure noire, lorsqu’il part (prá ... éti) touchant Avani, lui soufflant
dessus, tonnant et grondant ». Il semble que nous soyons alors en présence
d’une allusion au chemin d’accès conduisant à l’au-delà. Ce ne serait pas
sans intérêt si la dhénƗ védique pouvait remplir une fonction proche du rôle
que la dainƗ avestique joue de guider, via la CinvatpUUtu, l’âme du défunt
par-delà la rivière qui sépare les deux mondes. L’avani dont il est question
pourrait donc recevoir l’épithète de viĞvádhenƗ pour être l’eau qui sanc-
tionne la validité des dhenƗ : les pieux défunts touchent l’eau de ce Styx qui
juge de leur piété.

RS 4.58.6128 samyák sravanti saríto ná dhénƗ129 V antár hUd»130 mána-


sƗ pnjyámƗnƗK | eté arVanty njrmáyo ghUtásya V mUg» iva kVipaQór ÇVamƗnƗK
« La pensée permet aux dhenƗ (= les idées ?) de se clarifier quand celles-ci,
comme les rivières (dans l’océan), confluent à l’intérieur du cœur. De telles

125
Vu le contexte, je suppose qu’il manque des mots.
126
Interpolation probable.
127
Même s’il est vrai que aváni- puisse désigner toutes rivières : cf. notamment 5.11.5
túbhyedám agne mádhumattamaP vácas V túbhyam manƯV» iyám astu ĞáP hUdé | tv»P gíraK
síndhum ivƗvánƯr mahÇr V » pUQanti ĞávasƗ vardháyanti ca « Qu’à toi, ô Agni, cette parole-
ci, la plus riche en miel, qu’à toi cette réflexion poétique soit plaisante au cœur ! Les chants
t’emplissent comme les grandes rivières emplissent l’océan, et ils (t’)invigorent en force »
(traduction Renou 1955-1969 : XIII 26).
128
Schmidt (1975 : 173 sq.) : « These (streams of ghUta) flow from the ocean in the heart,
protected by a hundred fences in order not to be seen by the rascal. I see the streams of ghUta
clearly. The golden reed is in the middle of them ».
129
SƗyaQa : sarito na dhenƗK prƯQayitryo nadya iva.
130
Instrumental mis pour le locatif (cf. 4.58.11b, 9.73.8b) sous l’influence de pƗda tels
que 7.98.2c.

142
vagues de beurre courent comme les gazelles qui prennent la fuite devant le
chasseur ».
Si les dhenƗ sont comparables aux rivières, c’est qu’elles ne leur sont pas
identiques. Leur localisation dans le cœur et l’intervention de la pensée
rituelle (mánas-) sont en faveur de l’interprétation que je défends : la con-
science religieuse. Il reste que le nombre pluriel de dhénƗK invite à la pru-
dence : fait-il allusion à la multiplicité des membres de la communauté
tandis que le cœur serait à reconnaître comme une désignation du foyer ou
du terrain sacrificiel131 ?

RS 5.30.9132 stríyo hí dƗsá »yudhƗni cakré V kím mƗ karann abal» asya


sénƗK | antár hy ákhyad ubhé asya dhéne133 V áthópa práid yudháye dásyum
índraK « Comme le dƗsa (Namuci) fait toujours des femmes ses armes,
(Indra en vint à penser :) Que peuvent me faire ses armées sans force ?
Comme il lui empêchait de voir (?) les deux dhenƗ, Indra s’approcha du
dasyu pour le combattre ».
La difficulté de cette strophe affecte de plein fouet l’interprétation qui est
à donner du mot dhénƗ- : quel est le sens du verbe antáK KHYƖ qui le régit ?
Ce sens est controversé : H.-P. Schmidt donne « he had recognized ...
within », mais H. Grassmann 134 proposait « den Blicken entziehen, ver-
bergen ». La construction de ce verbe qui n’est attesté que deux fois (1.81.9,
5.30.9) me paraît être la suivante : « empêcher à gén. de voir acc. », le
génitif pouvant se comprendre comme celui du possesseur du regard. Si
nous devons entériner cela pour 1.81.9cd antár hí khyó jánƗnƗm V aryó védo
ádƗĞuVƗm V téVƗP no véda » bhara, la traduction en sera la suivante :
« Puisque tu as pu cacher aux gens impies la trouvaille de l’ari (= l’homme
qui se comporte rituellement de façon adéquate)135, apporte-la-nous ». Ce
n’est pas l’opinion de Louis Renou136 qui, en suivant plus ou moins l’avis
de K. F. Geldner, traduit : « Car tu vois à travers (leur cachette) la pos-
session des gens (du commun et celle) du chef qui ne donnent pas : apporte
nous leur possession ! » Si nous devons accepter cette autre compréhension,
le sujet d’antár ... khyát en 5.30.9d devrait être Indra : « Comme il l’aperçut

131
Rappelons ici, même si elle est controversée (voir Mayrhofer 1992-2001 : I 164), la
correspondance étymologique que j’approuve des noms avestique du feu, ƗtΩrΩ-, et homé-
rique du cœur,਷WRU.
132
Schmidt (1975 : 177) : « For the dƗsa had made women his weapons : ‘What shall the
powerless armies do to me?’ (asked Indra). Since he had recognized the two nourishing
streams within, Indra then went forth to fight the dasyu ».
133
SƗyaQa : dhene prƯQayitryau surnjpe ubhe dve striyƗv antar akhyad dhi gUhamadhye
nidadhe khalu.
134
1975 : 374.
135
Louis Renou confond a-ri- « qui ne fait aucune offrande, impie » avec arí- « adéquat,
pieux ».
136
1955-1969 : XVII 30.

143
entre les deux dhenƗ ». Et, dans ce cas, nous serions enclins à reconnaître
dans les deux dhenƗ nuit et jour ou nuit et aurore sur la base du mythe de
Namuci137 : Indra qui avait fait le serment de ne l’attaquer ni de jour ni de
nuit devait avoir raison de Namuci à l’aube, c’est-à-dire à la jonction du jour
et de la nuit qui n’est ni jour ni nuit. Que faire ? Nous avions reconnu la
terre et le ciel dans les deux dhenƗ de la strophe 1.101.10, mais Nuit et Au-
rore reçoivent le nom de dhenu « vaches laitières » à la strophe 3.55.12a.
Faut-il corriger dhéne en dhenÕ ou admettre l’existence d’un autre mot
dhénƗ- variante morphologique de dhenú- ? Et la même question se poserait
pour 5.62.2. Il reste que la dainƗ iranienne est elle aussi vue comme une
vache et que les prairies que gère Mișra Varugauynjti lui sont sans doute
destinées. Si pourtant nous nous en tenons à l’idée que dhéne seraient ciel et
terre et que Namuci serait le sujet du verbe antáK ... khyát dont le sens serait
« empêcher de voir », il se pourrait que l’action de Namuci fût celle d’abolir
la distance du ciel par rapport à la terre et d’empêcher que la conditio sine
qua non de l’espace ne fût remplie pour l’accomplissement du sacrifice.

RS 5.62.2138 tát sú vƗm mitrƗvaruQƗ mahitvám V Ưrm» tasthúVƯr áhabhir


duduhre | víĞvƗK pinvathaK139 svásarasya140 dhénƗ141 V ánu vƗm ékaK pavír
» vavarta « Telle est bien votre majesté, Mitra-VaruQa : (elles), restant au
même endroit, donnent du lait avec les jours (= jour après jour). Vous faites
gonfler (le pis de) toutes les dhenƗ de la bonne prairie. Votre jante unique
roule parmi (nous) ».
Ici aussi, nous pourrions invoquer le jeu de mots qui assimilerait les
dhenƗ aux dhenu : la prairie est là. Et, en effet, pour symboliser la piété du
sacrifiant, la vache sacrificielle peut porter le nom de dhenƗ.
Jean Kellens 142 cite cette strophe comme argument sémantique jugé
irréfutable : dhénƗ- dérive de DHE « téter ; allaiter », mais explique que le
mot n’est associé à la pensée poétique que par jeu d’assonance avec la
racine DHYƖ, qui établit un va-et-vient entre le sens littéral « flot de lait » et
le sens dérivé « flot de paroles ». Et si c’était l’inverse ?

137
Sur le mythe de Namuci, voir Muir 1860-1872 : IV 222 n. 201 ; 419-420 ; V 94 n. ;
Dumézil 1968-1973 : I 279.
138
Voir Schmidt 1975 : 168 sq.
139
Cf. 7.82.3d, 9.94.2c.
140
À ce propos, signalons qu’UVas est la patronne d’une bonne prairie (svásarasya pátnƯ
3.61.4b) et que les dhƯ sont gonflées comme les vaches le sont de lait sur la bonne prairie
(9.94.2c). Cf. 2.34.8c, 2.2.2b.
141
SƗyaQa : lokƗnƗP prƯQayitrƯr dyutƯK. La forme dhénƗK est-elle fautive pour ×dhenÕK
d’après 1.112.3c y»bhir dhenúm asvàm pínvatho narƗ? Sur PƮ et dhenú-, cf. notamment
1.153.3a.
142
2006-2010 : II 152.

144
Jean Kellens143, à la suite de F. Th. Lankarany144, signale le parallélisme
de RS 5.62.2c víĞvƗK pinvathaK svásarasya dhénƗK et de V 3.31

yǀ yaom kƗraiieiti V hǀ a¹Ωm kƗraiieiti .·. hǀ <imąm> daƝnąm mƗzda-


iiasnƯm frauuƗza vazaite .·. hǀ imąm daƝnąm mƗzdaiiasnƯm frapinaoiti <.·.
hǀ imąm daƝnąm mƗzdaiiasnƯm ... .·.> satΩm <paiti> +paitištananąm145 V
hazaƾrΩm paiti daranąm146 V baƝuuarΩ paiti yasnǀ.kΩrΩitinąm .·.
Qui sème le grain sème l’Agencement, offre un moyen de transport à cette
doctrine des mazdéens autant que cent jambes, la gonfle autant que mille jets
et <la protège> autant que dix mille textes sacrificiels,

mais il reste à savoir dans quelle direction la paronomase implicite s’opè-


re : la dainƗ est-elle vue comme une vache ou est-ce la vache qui est vue
comme une dainƗ ?

RS 7.21.3147 tvám indra srávitav» apás kaK V páriVWhitƗ áhinƗ Ğnjra


pnjrvÇK | tvád vƗvakre rathyò ná dhénƗ148 V réjante víĞvƗ kUtrímƗQi bhƯV»
« Toi, l’opulent Indra, tu fis en sorte que coulassent les rivières que le
serpent avait retenues en grand nombre. Suite à t(on exploit), (tandis que)
les dhenƗ voguent comme des auriges149, tous les artifices tremblent de
peur ».
La racine VAÑC s’applique aux mouvements de la pensée contenue dans
les hymnes : cf. 3.6.1ab prá kƗravo manan» vacyámƗnƗ V devadrÇcƯP nayata
devayántaK « O Bardes qui vous élancez par la pensée, conduisez en avant
(la cuiller oblatoire) tournée vers les dieux, vous qui aimez les dieux ! »150 ;
3.39.1 índram matír hUdá » vacyámƗn»VchƗ pátiP stómataVWƗ jigƗti | y»
j»gUvir vidáthe ĞasyámƗnƗ « Vers Indra (en tant que son) époux la pensée-
poétique, (partant) du cœur, va prenant son élan, façonnée en forme de
corps-de-louange, elle qui est vigilante, récitée au cours de la cérémo-
nie »151. Si les dhenƗ de 7.21.3 peuvent montrer de tels mouvements, c’est
donc du fait d’être des pensées poétiques. En outre, comme l’opposition des
pƗda c et d rappelle celle que nous avions rencontrée aux vers b et d de la
143
2006-2010 : II 153.
144
1985 : 135.
145
Avec Bartholomae (1904 : col. 837), contre Geldner paitištanąm.
146
Geldner paiti.daranąm. Génitif pluriel de dƗrƗ- = védique dh»rƗ-.
147
Schmidt (1975 : 177 sq.) : « You, o Indra, make the waters flow, the many encircled
by the serpent, o hero. From you the nourishing streams have meandered away, all the
artificial (fortifications) tremble for fear (from you) ».
148
SƗyaQa : dhenƗ nadyaĞ ca tvat tvatto heto rathyo na rathina iva vƗvakre nirgacchanti |
vaki kauWilya iti dhƗtuK |.
149
Cf. Yt 10.68 (ci-dessus 4) où Ɩrti est l’aurige du char de Mișra tandis que DainƗ lui
trace le chemin.
150
Traduction Renou 1955-1969 : XII 55.
151
Traduction Renou 1955-1969 : XVII 82.

145
strophe 3.34.3, nous pouvons avancer que de telles pensées représentent la
bonne obédience en face de ces artifices (kUtríma-) réprouvés dont la mau-
vaise est empreinte.

RS 7.24.2 gUbhƯtáP te mána indra dvibárhƗK V sutáK sómaK páriViktƗ


mádhnjni | vísUVWadhenƗ bharate suvUktír V iyám índraP jóhuvatƯ manƯV»
« Indra, ta pensée est exaucée : Soma qui a deux sommets a été pressuré, les
miels ont débordé. Voici le poème appeler Indra à grands cris et célébrer sa
libération des dhenƗ ».
Strophe composite si, pour nommer Indra, la différence de personne
grammaticale que nous constatons entre les deux moitiés ne peut être justi-
fiée. Bien évidemment, l’interprétation qui est à donner du composé adjectif
vísUVWadhenƗ doit suivre celle que nous avions proposée pour le syntagme
l’explicitant attesté à la strophe 3.1.9, mais, pour cela, nous devons admettre
une hypallage : vísUVWadhenƗ ... manƯV» « le poème (disant qu’Indra a) libéré
les dhenƗ ».

RS 7.94.4152 índre agn» námo bUhát V suvUktím153 érayƗmahe | dhiy»


dhénƗ154 avasyávaK « Dans le cas d’Indra ou d’Agni, c’est le haut hommage
qui convient : avec notre belle façon d’honorer et avec la dhƯ, nous qui
recherchons leurs faveurs, nous leur envoyons155 nos dhenƗ ».
Les strophes 7.24.2 et 7.94.4 établissent un lien entre suvUktí- et dhénƗ-
qu’il est malaisé de définir d’autant plus que la syllabe finale et le statut
grammatical de suvUktím ʊ l’accusatif est-il mis pour l’instrumental ? ʊ
restent incertains à la strophe 7.94.4. La réunion de námas- et de dhénƗ-
peut rappeler que, dans le Y 49.10156, Namah siège dans la maison de
MazdƗ avec Aramati « la Déférence ». L’idée d’envoyer la dhenƗ fait écho
à la vieil-avestique d’envoyer (a¹i-) vers les dieux les pensées, paroles et
gestes bons vus, notamment dans H 2, comme les constituants de la dainƗ.

RS 8.32.22 157 ihí tisráK parƗváta V ihí páñca jánƗ0 áti | dhénƗ 158
indrƗvac»kaĞat159 « Va sur les trois confins ! Passant au-delà des cinq peu-
ples, Indra, reconnais les mérites de leurs dhenƗ ! »

152
Schmidt 1975 : 170 sq.
153
Mis pour l’instrumental ?
154
SƗyaQa : dhenƗK | vƗ1nƗmaitat | apragƯtƗK stutivƗcaĞ ca. La proximité des deux mots
dhiy» dhénƗK est encore illustrée à la strophe 10.104.3 (dhénƗbhiK ... dhƯbhíK).
155
Moyen possessif direct.
156
Y 49.10abc1 ta7cƗ mazdƗ șȕahmƯ Ɨ dąm nip¿«hƝ V manǀ vohnj urunascƗ a¹Ɨunąm V
nÅmascƗ yƗ Ɨrmaitiš « voici ce que tu abrites dans ta maison, ô MazdƗ : la bonne pensée, le
ruvan des Utavan et l’hommage avec lequel il y a Aramati ».
157
Schmidt (1975 : 178) : « Pass by the three distances, pass by the five peoples, obser-
ving the nourishing streams, o Indra ? ».
158
SƗyaQa : asmadƯyƗK stutƯK.

146
Comme je l’ai signalé160, le syntagme dans lequel dhénƗ- est l’objet du
verbe ávaKƖĝ (ici et 10.43.6) correspond à l’avestique réunissant daƝnƗ- et
√ barj161.

RS 10.43.6 víĞaPviĞam maghávƗ páry aĞƗyata V jánƗnƗP dhénƗ avac»


kaĞad vÌVƗ | yásy»ha ĞakráK sávaneVu ráQyati V sá tƯvráiK sómaiK sahate
pUtanyatáK « Le mâle Maghavan, à faire le tour de chaque clan, reconnut les
mérites des dhenƗ des gens : de fait, celui aux pressurages duquel se plaît
ĝakra, à celui-là, les amers soma lui permettent de dominer les adversaires ».
Les trois strophes 1.55.4, 8.32.22 et 10.43.6 réunissent dhénƗ- et le plu-
riel de jána-, donnant à penser que le passage du sens de « contenu séman-
tique, façon de voir la divinité » à ceux de « conscience religieuse » et de
« religion » que l’on connaît pour l’avestique daƝnƗ- était préparé : les jana
« gens ou membres du clan » avaient développé leur propre façon de voir la
divinité et leurs poètes, pour l’honorer, y avaient mis les formes. La divinité
reconnaît les mérites des jana qui ont forgé cette conception de ce qu’elle
est grâce aux talents plastiques des poètes. Nous ne sommes pas loin de la
dainƗ que le mazdéen préfère en raison des mérites qu’il lui reconnaît.
Puisque les jana, comme le dit 10.43.6ab, sont regroupés en viĞ, nous pou-
vons ajouter à la liste des trois strophes qui établissent un rapport entre
jána- et dhénƗ- celle qui situe les dhenƗ dans les viĞ : 3.34.3 rƗmy»nƗm.

RS 10.104.3162 prógr»m pƯtíP vÌVQa iyarmi saty»m V prayái sutásya


haryaĞva túbhyam | índra dhénƗbhir163 ihá mƗdayasva V dhƯbhír víĞvƗbhir
ĞácyƗ gUQƗnáK « Je produis la puissante boisson véridique du mâle pressuré
pour que tu sois en mesure de partir (au combat), Indra HaryaĞva : laisse-toi
enivrer ici de (nos) dhenƗ, lorsque nous te chantons toutes nos dhƯ en raison
de ta ĞacƯ ! ».
La strophe, qui n’est sans doute pas assez explicite, donne dhénƗ- en
asyndète avec dhÇ- contre 7.94.4 où dhenƗ était envoyée ou adressée aux
dieux au moyen de la dhƯ : il semble que nous devions donc prendre dhénƗ-
comme la désignation du résultat de l’action connotée par dhÇ- et portant sur
la divinité ou, plus exactement, sur sa place et son rôle à l’intérieur de l’har-
monie (cf. 1.141.1, 9.97.34). Nous devrons aussi considérer que la dhenƗ est
identique à la manƯVƗ. La pratique religieuse qui consiste à soutenir (DH5)
l’harmonie porte ses fruits, l’abondance de richesse qui en dérive ʊ jeu de
159
9.32.4a, 10.136.4b.
160
Ci-dessus 4.
161
Voir note 58.
162
Voir Schmidt 1975 : 170, 173.
163
SƗyaQa : stutivƗgbhiK. Au vu des parallèles, le complément de mƗdaya- moyen, si
c’est le pressurage ou le soma, peut figurer aussi bien à l’instrumental qu’au locatif (4.41.3d
sutébhiK; 6.41.5c sutéVu), mais l’instrumental paraît être la seule possibilité si le mot est
svadh»- « considération ».

147
mots oblige avec DH5 ʊ est vue comme un jet (Utásya dh»rƗ-), à l’image
de ceux du soma que l’on prépare.

RS 10.104.10 vƯréQyaK164 krátur índraK suĞastír V ut»pi dhénƗ165 puru-


hnjtám ƯWWe | »rdayad vUtrám ákUQod u lokáP V sasƗhé ĞakráK pÌtanƗ abhi-
VWíK166 « Indra, capable de performances, défini favorablement, doit être
recherché comme héros (?). La dhenƗ adresse cette fois encore ses prières au
dieu que beaucoup invoquent. Il a terrassé VUtra et ouvert le monde. ĝakra
domine toujours les combats avec les assistances ».
DhenƗ est ici la claire synecdoque de l’adorateur.

5. DainƗ et Ánumati

La relation que le mot daƝnƗ- entretient avec le verbe anu+√ man doit
être examinée si le védique ánumati- dont le sens « conformité, confirma-
tion, approbation » est figuré ou secondaire s’avère être une alternative du
nom de la parèdre de BUhaspati. Certes ce verbe est assez rare en avestique
et son sens « suivre mentalement » y est primaire167, mais les deux attesta-
164
Hapax legomenon : voir Geldner.
165
SƗyaQa : dhenƗ | vƗ1nƗmaitat | prƯQayƯtrƯ stutivƗk.
166
Instrumental.
167
Il faut évidemment laisser de côté le Yt 10.137.3 mișrǀ maƝșanÅm Ɨcaraiti .·. yezi šƝ

yƗnƗįa1 †bauuaiti2 V saËhÅmci7 anu sastrƗi3 V saËhÅmci7 anu mainiiƗi3 .·. « Mișra fréquente
la résidence (de cet homme sensé) si les prières lui sont adressées, en accord avec la définition
qui figure dans le traité de rituel, en accord avec la définition qu’(en) donne l’(homme)
sensé »4, trop grevé d’incertitudes, mais nous pouvons tenir compte du N 7.1-4 (selon le
manuscrit HJ5) ýǀ gƗșanąm .·. anumaiti [vƗ] anumainaiti6 .·. « Celui qui suit mentalement les
GƗșƗ » MNV g’s’n PVN ’plmynšn| QDM| mynyt| {AYK KN MDMENyt| OL mynyt} .·. (kƝ
gƗșƗn pad abar-menišn abar mened {knj ǀh sahed ud ǀh mened} .·.) « Celui qui suit
mentalement les GƗșƗ {= a l’impression de les réciter}, » ainiiehe vƗ srƗuuaiiaQtǀ .·.
paitištaQti7 .·. « soit à se trouver en présence d’un autre qui les récite, » ’yvp OL ZK-HD OLE
Y PVN sl’dšn| QDM nydv<h>šyt|8 {AYK AYŠ-HD YMRRVNyt| ZK gvš YHSSNyt|} .·. (ayƗb ǀ
any ǀy Ư pad srƗyišn abar niyǀxšed {knj kas-Ɲv gǀved ud ǀy gǀš dƗred} .·.) « soit que, pour les
réciter, il écoute un autre {c’est-à-dire : quelqu’un dit et il tend l’oreille}, » aniiǀ vƗ he
dahmǀ srut¿ gƗș¿ daįƗiti ratufriš .·. « soit qu’un autre expert donne les GƗșƗ récitées, celui-
là satisfait la séquence ; » ’yvp OL OLE Y ZK-HD d’hm ZYš g’s’n| slvt| YHBVNyt| ltyh’
HVEd9 ×AYKm10 yšt-HD krt AP|m OL LK d’t| .·. (ayƗb ǀ ǀy any dahm Ư-š gƗșƗn srnjd dahed
radƯhƗ hend {×knj-m yašt-Ɲv kard u-m ǀ tǀ dƗd} .·.) « soit que l’autre expert qui a récité les
GƗșƗ (les) lui donne, (tous deux) satisfont la séquence {en disant : J’ai offert un sacrifice et te
l’ai donné} ; » <Ɨa7> asrut¿ daįƗiti <aratufriš> .·. « <mais,> s’il les lui donne sans les avoir
récitées, <non> ». <V> ZYš ’slvt| YHBVNyt| <’>ltyh’ HVEt {<AYK> plt<’k>11 LK l’d yšt|-
HD <O>BYDVNm} (<ud> Ư-š a-srnjd dahed radƯhƗ hƗd {<knj> fradƗg tǀ rƗy yašt-Ɲv kunam})
« <mais,> si cet autre qui ne les a pas récitées les lui donne, il n’y peut satisfaire {<en di-
sant :> Demain j’offrirai pour toi un sacrifice} ». Notes : 1. Mis pour le nominatif pluriel ?
Contre Gershevitch qui accepte l’ablatif sg., mais donne à yƗna- le sens de « favour » : « if as
a result of his (= the man’s) favour (shown to the priest), it (= the utterance of Mithra’s name)
is in accordance with the prescription for recitation ». ||| 2. Fautif pour le subjonctif
(pluriel ?). ||| 3. Mis pour le génitif. ||| 4. Trad. Pirart 2006a : 155. ||| 5. 37r4-37v2 (Sanjana

148
tions qui le combinent avec daƝnƗ- sont de celles qui se répètent plusieurs
fois :

Y 8.7 (= 11.14, 52.7, 60.10, 68.18, 71.28) haxšaiia168 azΩmci7 yǀ zara-


șuštrǀ V fratΩmą nmƗnanąmca vƯsąmca zaQtunąmca da[iiunąmca169 V a«h¿
daƝnaii¿ anumataiiaƝca anuxtaiiaƝca anuuarštaiiaƝca V yƗ Ɨhnjiriš zara-
șuštriš .·.
Moi qui suis Zaraduštra, puissé-je m’amener les chefs de maisons, de
clans, de tribus et de nations à conformer leurs pensées, leurs paroles et leurs
gestes avec la DainƗ de ceux qui adorent Ahura de façon zoroastrienne ;
Yt 5.18.4 (= Yt 5.105.4, 9.26.3, 16.15.2, 17.46.4, 19.79.2, 19.84.2) anu-
matÈe daƝnaiiƗi V anuxtÈe daƝnaiiƗi V anu.varštÈe daƝnaiiƗi .·.170
(Concède-moi la faveur de pouvoir me l’amener) à conformer ses pensées
avec DainƗ, conformer ses paroles avec DainƗ, conformer ses gestes avec
DainƗ !

Le premier terme du composé bÌhaspáti- « maître des vivats, époux de


*BUh », *bÌh- « respect, reconnaissance des mérites » (= avestique bΩrΩj-),
sorti de l’usage, a été remplacé à l’état isolé par ánumati- « conformité,
confirmation, approbation », dont assurément le sens est assez voisin. Ceci
explique comment Anumati pût devenir un nom de l’épouse de BUhaspati.
Les collections de mantra conservent plusieurs strophes réunissant BU
haspati et Anumati :

RS 10.167.3 sómasya r»jño váruQasya dhármaQi V bÌhaspáter ánumatyƗ


u ĞármaQi | távƗhám adyá maghavann úpastutau V dh»tar vídhƗtaK kaláĞƗ0
abhakVayam
Avec le soutien du roi Soma VaruQa, sous la protection de BUhaspati ou
d’Anumati, lors de ton éloge annexe, Maghavan instaurateur et différen-
ciateur, moi, ce jour, je consomme/ je (lui/te) fais consommer les écuelles ;
AVĝ 2.26.2 (= AVP 2.12.2, Khi 2.9.3) imáP goVWháP paĞávaK saP
sravantu V bÌhaspátir » nayatu prajƗnán | sinƯvƗlÇ nayatv »gram eVƗm V Ɨja-
gmúVo +ánumatir ní yachƗt+171

1894). ||| 6. Lire ×anu.mainiiete avec Kotwal & Kreyenbroek 1992-2003. ||| 7. Lire patištƗtƯ. |||
8
. Avec Kotwal & Kreyenbroek 1992-2003. ||| 9. Kotwal & Kreyenbroek hƗd. ||| 10. Avec
Kotwal & Kreyenbroek, contre HJ dddm. ||| 11. Avec Kotwal & Kreyenbroek.
168
Moyen possessif : cf. Yt 5.18.3a = 5.105.3a = 9.26.2a = 17.46.3a yașa azÅm hƗcaiie-
ne « (la faveur) que je puisse amener (quelqu’un à se conformer à ma dainƗ) ».
169
Le zand fait de Vištâspa le paradigme des Fratama « dirigeants suprêmes, empe-
reurs ».
170
Pour le texte, voir Pirart 2006b : 213.
171
Les corrections sont effectuées sur base d’AVP 2.12.2d et d’AVĝ 7.25.1d. Les manu-
scrits de l’AVĝ donnent anumate ní yaccha.

149
Que le bétail accourent à cette étable, que BUhaspati qui connaît (les
itinéraires) l’y conduise et que SinƯvƗlƯ y conduise la première tête, (de façon
qu’)Anumati retienne les arrivants !172
Khi 3.15.1-3 máma vraté hÌdayaP te dadhƗmi V máma cittám ánu cittáP
te astu | máma vƗcám ekavrat» juVasva V bUhaspátis tvƗ ní yunaktu máhyam
|| 1 || dhƗt» tvƗ máhyam adadan V máhyaP dhƗt» dadhƗtu tvƗ | prá dhƗt» tvƗ
máhyam prá yacchan V máhyaP tvƗnúmatir dadau || 2 || anúmaté ’nu ma-
nyasva V sv»numaté ’nu manyasva | máhyam enaP sámƗ kuru v»cƗ V cákVuVƗ
mánasƗ máyi sáPyatam || 3 ||173
Je place ton cœur dans mon observance : que ta pensée soit d’accord avec
la mienne ! Approuve ma parole pour une seule observance ! Que BUhaspati
t’adapte à moi ! DhƗtar t’a donné à moi. Que DhƗtar te place pour moi !
PradhƗtar t’a offert à moi. Anumati t’a toujours donné à moi. Anumati, sois
d’accord ! Anumati qui m’es propre, sois d’accord ! Conforme-le-moi à la
parole ! (Vous deux,) combinez(-le) en moi avec la vue et la pensée !

La strophe RS 10.167.3 appartient à un snjkta dans lequel le poète s’a-


dresse à Indra pour lui signaler que le soma préparé à son intention déborde
de l’écuelle et lui demander la richesse d’avoir de nombreux fils. Le rite
auquel cette strophe fait allusion comporte une consommation de soma sans
que, du fait de l’ambiguïté du verbe abhakVayam, il soit clair si le consom-
mateur est le poète, son client ou le dieu. Quoi qu’il en soit, remarquons
que, pour l’occasion, le poète s’adresse à Indra en l’affublant d’épithètes,
dh»tar vídhƗtaK, qui, dans d’autres contextes174, servent à nommer le dieu
artisan qui procède à la génération et à la mise en place des mondes (Vi-
Ğvakarman) ou préside à la conception de fils. Le nom de VidhƗtar convien-
drait à la traduction de celui de TvaVWar, le dieu qui différencie les êtres les
uns des autres alors même que tous les spermes se ressemblent175.
Comme les dieux nommés dans AVĝ 2.26 (VƗyu « l’espace libre »176,
TvaVWar « le différenciateur », Savitar « l’impulseur », BUhaspati « le maître
des vivats », l’Ilithyie védique SinƯvƗlƯ et Anumati) sont de ceux qui, par
ailleurs, sont invoqués pour un bon enfantement, il se peut que l’étable soit
ici comparée à une matrice. De fait, parmi les strophes dont le KauĞikasnjtra
59.19 recommande l’emploi à qui cherche à obtenir diverses richesses au

172
Zehnder (1999 : 48) donne la traduction suivante : « Zu diesem Kuhpferch hier sollen
die Tiere zusammenströmen, BUhaspati soll sie kundig herführen ; SinƯvƗlƯ soll ihre Spitze
herführen, die angekommenen wird Anumati hineinlenken ».
173
Texte corrompu donné d’après Sontakke & Kashikar 1933-1951 : IV 949-950.
174
RS 10.82.2, 10.184.1.
175
Voir Pirart 2003a : 159 sq.
176
Ou « le vent » ? Il est malaisé de faire la différence puisque le Vent sous son propre
nom de VƗta apparaît dans un charme visant à l’obtention de fils (5.78.7-9 [voir Pirart 1995-
2000 : II 330-332]) et qu’un dieu spécialisé de l’espace utile à la mise en place de l’embryon,
comme ViVQu, peut aussi être sollicité dans de tels charmes (10.184.1).

150
nombre desquelles figure notamment celle de pouvoir donner le jour à des
fils, il en est une qui se referme d’ailleurs avec les mêmes mots qu’AVĝ
2.26.2 :

AVĝ 7.25.1 yán na índro ákhanad177 yád agnír V víĞve dev» marúto yát
svárkƗK | tád asmábhyaP savit» satyádharmƗ V praj»patir ánumatir ní ya-
chƗt
Ce qu’Indra, Agni, les ViĞva Deva ou les Marut de leurs beaux hymnes
(ex)hument pour nous, c’est ce que Savitar, lui qui s’en tient aux vérités,
PrajƗpati et Anumati peuvent retenir178 pour nous.

Ce qu’Indra, Agni, les ViĞva Deva ou les Marut vinrent à creuser, ce peut
être, en effet, la matrice pour y placer le germe d’un fils tandis que Savitar,
PrajƗpati et Anumati se féliciteront de sa naissance.
Si la conception d’un fils requiert la participation ou la protection d’au-
tres dieux, BUhaspati et Anumati assistent l’Ilithyie védique SinƯvƗlƯ à sa
réception, à sa naissance, mais leur rôle, qui n’est pas celui de SinƯvƗlƯ, est
de constater que l’enfant est conforme aux attentes des dieux et de ses
parents. Nous devons donc en déduire que BUhaspati et Anumati ne sont pas
comme SinƯvƗlƯ des spécialistes de l’obstétrique, que leur fonction est plus
générale ou que leur implication dans le processus de la naissance est
secondaire pour dériver du rôle qu’ils jouent ou durent jouer habituellement
dans un autre contexte. Comme nous le savons notamment par les hymnes
qui lui sont adressés179, BUhaspati patronne surtout l’activité sacerdotale et,
en particulier, le recours que les prêtres ont aux paroles liturgiques. Dès
lors, nous pourrions avancer que BUhaspati et Anumati fondaient primiti-
vement l’acquiescement divin devant les paroles utilisées ou le fait qu’elles
étaient conformes aux exigences de la réussite sacrificielle. La naissance
d’un fils est ainsi à l’image de la réussite à laquelle la production des paro-
les sacrificielles requises doit conduire ou à l’image de leur homologation
(ánumati-) divine.
La strophe RS 10.59.6 paraît contenir les éléments nécessaires à la com-
préhension de l’évolution qui fit d’Anumati, déesse liée à la réussite sacri-
ficielle, une associée de l’Ilithyie védique :

ásunƯte púnar asm»su cákVuK V púnaK prƗQám ihá no dhehi bhógam |


jyók paĞyema sÕryam uccárantam V ánumate mUláyƗ naK svastí

177
Varia lectio : ásanat (voir Whitney 1905 : I 404).
178
Whitney (1905 : I 404) offrent la traduction suivante : « What Indra dug for us, what
Agni, all the gods, what the well-singing Maruts ʊ that may Savitar of true ordinances, may
PrajƗpati, may Anumati confirm to us ».
179
Voir Renou 1955-1969 : XV 46-77.

151
Conduite de l’existence, replace la vue en nous, re(place) le souffle, con-
fère-nous ici la nourriture que, longtemps encore, nous puissions regarder la
course du Soleil ! Anumati, par pitié, permets-nous d’accéder au bonheur !

D’abord nommée AsunƯti « conduite de l’existence », la déesse fait


l’objet de prières : il lui est demandé d’assurer le voyage du défunt et sa re-
naissance au terme du processus rituel appelé ásu- (= vieil-iranien ahu) qui,
de son vivant, démarre ici-bas, de rendre cákVuK et prƗQám à son âme, c’est-
à-dire, en définitive, ce que les mazdéens appellent baudah et uštƗna. Si
mourir est une nouvelle ou vraie naissance, le temps passé dans le monde
matériel est celui d’une grossesse dont les rites ont pour but d’éviter d’irré-
parables aléas. Si le nom d’Anumati doit être une alternative dans la dé-
signation de DhenƗ et que cette dernière, dans sa mouture vieil-avestique du
Y 31.20c, est une conductrice de l’existence, la strophe RS 10.59.6 pourra
servir à tempérer le peu de poids ou d’intérêt que nous avions pu accorder à
RS 1.141.1d180.
Le syntagme de l’Avesta récent qui réunit le causatif de √ hac et la triade
anumatÈe daƝnaiiƗi anuxtÈe daƝnaiiƗi anu.varštÈe daƝnaiiƗi paraît faire
écho à l’ensemble des deux strophes Y 31.11-12 de la première Cantate. En
effet, l’épithète d’Aramati, Ɨnuš.haxš « dévouée » (anušƗc-), y avoisine
daƝnƗ- et les trois niveaux du comportement rituel du sacrifiant, mais la
compréhension de ces deux strophes gâthiques bute sur de multiples ques-
tions ponctuelles de grammaire auxquelles les traductions médiévales, trop
inventives, ne nous permettent apparemment pas de répondre :

hiia7 nÈ181 mazdƗ paouruuƯm gaƝș¿scƗ tašǀ daƝn¿scƗ V șȕƗ182 manaƾhƗ


xratnjšcƗ183 hiia7 astuuaQtΩm dad¿ uštanΩm V hiia7 ĞiiaoșanƗcƗ sÈQghąscƗ184
yașrƗ varΩnÈQg185 vas¿ dƗiietƝ186 .·.
așrƗ vƗcΩm baraitƯ187 mișahuuac¿ vƗ ΩrΩš.vac¿ vƗ V vƯduu¿ vƗ ΩuuƯduu¿
vƗ ahiiƗ 188 zΩrΩdƗcƗ manaƾhƗcƗ V Ɨnuš.haxš Ɨrmaitiš mainiinj pΩrΩsaitƝ
yașrƗ maƝșƗ189 .·.

180
Ci-dessus 4 Appendice.
181
Datif notamment d’après RS 10.48.3a máhyaP tváVWƗ vájram atakVad Ɨyasám « C’est
pour moi que TvaVWar a façonné le foudre de métal ».
182
La justification de l’emploi de cet adjectif possessif reste à trouver, car, en principe, la
possession ne peut être marquée que si le possesseur est distinct du sujet du verbe.
183
Instrumental pluriel (cf. RS 10.105.6bc tatákVa ĞÕraK ĞávasƗ | Ubhúr ná krátubhir
mƗtaríĞvƗ). Hendiadys.
184
Hendiadys ?
185
Accusatif de relation ou de durée ? Voir note suivante.
186
Pour autant que √ dƗ « placer » produise bien un thème d’indicatif présent passif
dƗya- montrant le degré plein radical, la traduction littérale de l’hémistiche sera : « où les
volontés sont placées selon/ durant les choix ».
187
Cf. RS 6.16.47ab » te agna Uc» havír V hUd» taVWám bharƗmasi.

152
Comme les performances de la pensée t’ont permis de nous façonner d’a-
bord les troupeaux et les consciences, de placer la faculté du mouvement sur
l’os et de définir les (pensées, les paroles et les) gestes, (dès lors,) là où les
décisions rencontrent les choix,
avec ou sans respect de la bonne diction, s’y connaissant ou non, (l’orant,)
cœur et pensée, y porte la parole. Aramati, dévouée, s’entretient avec l’opi-
nion (qu’elle se fait de toi) sur les fondements de l’hésitation.

Cette première attestation du mot daƝnƗ- est exceptionnelle pour le nom-


bre grammatical pluriel affiché et pour le tandem formé avec gaƝșƗ-, mais la
compréhension du contexte n’est guère aisée.
Dans la première des deux phrases qui remplissent ces deux strophes,
nous sommes confrontés à des incertitudes lexicales (varΩnÈQg, dƗiietƝ,
Ɨnuš.haxš, maƝșƗ), à l’énigme du changement des personnes et des nombres
grammaticaux entre l’ensemble subordonné où prévaut la première personne
du pluriel (nÈgaƝș¿scƗ tašǀ daƝn¿scƗ ... varΩnÈQg vas¿) et la proposition
principale qui affiche la troisième personne du singulier (vƗcΩm baraitƯ
mișahuuac¿ vƗ ΩrΩš.vac¿ vƗ vƯduu¿ vƗ ΩuuƯduu¿ vƗ ahiiƗ zΩrΩdƗcƗ
manaƾhƗcƗ), à la probabilité de deux hendiadys (șȕƗ manaƾhƗ xratnjšcƗ,
ĞiiaoșanƗcƗ sÈQghąscƗ), à la polysémie des hiia7 qu’aucun corrélatif n’aide
à réduire, au sous-entendu du sujet principal, à celui du verbe de la troisième
subordonnée en hiia7 (hiia7 ĞiiaoșanƗcƗ sÈQghąscƗ) et à la question de la
relation sémantique que cette phrase doit entretenir avec celle du dernier
vers. La réalité de cette relation ressort du fait que l’épithète d’Aramati,
Ɨnuš.haxš, au voisinage de daƝnƗ-, fait écho au syntagme de l’Avesta récent
qui réunit le causatif de √ hac et la triade anumatÈe daƝnaiiƗi anuxtÈe
daƝnaiiƗi anu.varštÈe daƝnaiiƗi.
Sans doute pourrions-nous penser que la déesse Déférence, Aramati, sa
synecdoque, prend part avec l’opinion qu’il se forge de MazdƗ au méca-
nisme de la conviction de l’orant. Cette conviction le guide dans l’adoption
du comportement rituel requis, lui définit les pensées, les paroles et les
gestes, lève les hésitations qu’il pouvait encore ressentir et configure sa per-
sonnalité rituelle, mais, comme le nombre grammatical de daƝn¿sº concorde
avec celui de nÈ pour nous imposer d’y voir un ingrédient de l’individu, le
mot ne peut nommer la « religion ».

188
L’emploi de ahiiƗ, si, théoriquement, la possession ne peut être marquée que si le
possesseur est distinct du sujet du verbe, est à justifier non comme indication du possesseur
de zΩrΩdƗcƗ manaƾhƗcƗ (cf. RS 6.28.5d ich»mÇd dhUd» mánasƗ cid índram), mais bien plutôt
comme objet partitif dans la rection de vƯduu¿ « s’y connaissant » (cf. RS 7.31.4c viddhÇ tv
àsyá no vaso « Prends donc connaisance du nôtre, Vasu ! »).
189
Interrogation indirecte du type RS 1.164.34b pUch»mi yátra bhúvanasya n»bhiK « Je
pose la question de savoir où se trouve le nombril du monde ».

153
Cette concordance, dûment encore observée par la suite (varΩnÈQg vas¿),
ne caractérise pourtant pas l’uštƗna. De surcroît, la proposition principale
arbore le nombre singulier (așrƗ vƗcΩm baraitƯ mișahuuac¿ vƗ ...). Si, pour
expliciter la différence de nombre et de personne, nous avançons que le
pronom de la première personne du pluriel représente les prêtres que l’orant
a contractés pour offrir le sacrifice, nous sommes confrontés à la question de
l’opportunité que le choix ou la décision incomberait plutôt aux prêtres qu’à
l’orant.
Remarquons le rôle de MazdƗ qui façonne la dainƗ en même temps que
les troupeaux (gaƝș¿sº) ou lui donne un statut semblable : tout comme les
troupeaux, en plus de constituer la réserve des victimes sacrificielles, doi-
vent nourrir la famille de leur propriétaire, la dainƗ de cet individu est pla-
cée tout à la fois à son service et à celui des dieux. Il s’ensuit que la dainƗ
pourra aisément adopter les traits de la vache sacrificielle ou être offerte aux
dieux.
Nous ne lui voyons pas jouer ici le rôle qui sera celui de la doctrine ou de
son reflet individuel, la conscience religieuse. Si la doctrine adopte plutôt
les traits de la série des sÈQghąsº avec lesquels MazdƗ définit les pensées,
les paroles et les gestes requis de l’orant, nous devons alors nous repencher
sur la définition de la dainƗ. Si le mot dainƗ, dans les Cantates, s’avérait ne
désigner ni la doctrine ni la conscience religieuse, quel serait donc son
sens ?
Nous devons éviter l’écueil de cette question. Au lieu de l’envisager
comme la version individuelle de la doctrine que le grand dieu impartit aux
hommes et, dès lors, comme une partie prenante et active de l’individu,
mieux vaut, me semble-t-il, concevoir la dainƗ comme étant le simple récep-
tacle des injonctions divines ou ne reconnaître en elle que le côté passif de
la doctrine mise à disposition. Le côté purement actif réside d’ailleurs dans
la mise en œuvre des possibilités que MazdƗ offre aux orants en leur fixant
l’uštƗna sur les os. Le passage à l’acte, le recours fait à la faculté de se
mouvoir bien évidemment dépendra de la décision que l’individu prendra
sous la férule de l’opinion lorsque la place qu’il occupe sur cette terre le
confrontera à de cruciales alternatives. L’homme en qui MazdƗ a placé ce
réceptacle de la dainƗ ne peut plus éluder l’existence de la définition
donnée des pensées, paroles et gestes requis.
Cependant, nous avons vu que, contrairement à nos attentes, le choix
opéré entre la parole requise et celle qui ne l’est pas, une sorte de fravUUti,
était à la base d’une décision collégiale des prêtres. L’orant que les alter-
natives mișahuuac¿ vƗ ΩrΩš.vac¿ vƗ et vƯduu¿ vƗ ΩuuƯduu¿ vƗ dévisagent
serait ainsi soumis à leur examen : est-il capable de dire le texte avec la
diction requise ? connaît-il la parole (vƗcΩm) qu’il est opportun de dire ?
De telles déductions sont lourdes de conséquences : tandis que la faculté
de se mouvoir (uštƗna) et l’os (ast) dont il est question appartiennent à

154
l’orant et qu’il lui incombe de dire ou de connaître la parole sacrificielle, le
collège sacerdotal, pour sa part, est chargé d’en examiner la validité sur base
des définitions reçues du grand dieu et d’opérer un tri. Les prêtres sont en
mesure de connaître de telles définitions pour disposer d’une dainƗ et avoir
été rétribués : leurs troupeaux, comme le grand dieu en a institué l’usage,
sont issus des honoraires perçus.

6. Les épithètes avestiques récentes de daƝnƗ-

Firouz Thomas Lankarany190 a dressé fort utilement la liste des adjectifs


ou titres épithètes (ou attributs) que daƝnƗ- reçoit dans l’Avesta récent, mais
je ne partage pas souvent les analyses que Christian Bartholomae191 en a
données. Je vais donc les passer en revue.

6.1. La bonne et la mauvaise

Comme qualification de la dainƗ, aȖƗ- « funeste, mauvaise », serait attes-


té une seule fois, dans un passage qui, en creux, donne trois caractéristiques
de la bonne religion :

V 18.8-9 pΩrΩsa7 zarașuštrǀ ahurΩm mazdąm .·. ahura ... a¹Ɨum V kƗ asti
+
ișiiejǀ192 maršaonǀ .·. Ɨa7 mrao7 ahurǀ mazd¿ .·. aȖa daƝna disiiƗ7193 V
spitama zarașuštra V yǀ șrizarΩmaƝm ×xratnjm194 V aiȕii¿ƾh<an>ąm195 nǀi7
[aiȕii]Ɨsti196 V nǀi7 gƗș¿ srƗuuaiieiti V nǀi7 Ɨpǀ vaƾvhƯš +yazaite197 .·.
Zaraduštra posa cette question à Ahura MazdƗ : Ahura MazdƗ, ..., ô
Utavan, (dis-moi) avec qui se trouve Ĭyajah MUšƗĞyavana198. Et Ahura MazdƗ

190
1985 : 113-120.
191
1904.
192
Geldner ișiiej¿.
193
Passif avec usage factice de la finale de 3e sg. act. subj. prés. en lieu et place de la 3e
sg. moy. ind. prés.
194
D’après ƜrbedestƗn 12.3 șrizarΩmaƝm xratnjm a¹auuanΩm aiȕii¿ƾha7 .·. (se-zarԥmaƝm
xrad Ư a¹auuƗn abar be gƯrƝd .·.) « Il étudiera le xratu Utavan qui dure trois printemps », contre
Geldner ratnjm et contre Humbach & Elfenbein (1990 : 84) qui, dans ƜrbedestƗn 12.3,
restituent <ratnjm> entre șrizarΩmaƝm et xratnjm.
195
La comparaison faite avec l’indien abhyƗsa- (par exemple, MƗnavadharmaĞƗstra
4.149bcd brahmaivƗbhyasate punaK | brahmƗbhyƗsena cƗjasram anantaP sukham aĞnute
« il s’applique de nouveau à l’étude du texte, et l’étude du texte lui permet d’atteindre l’inal-
térable bonheur illimité ») suggère que le thème du mot avestique est aiȕii¿ƾha- masc., contre
Bartholomae (1904 : 99) qui pose aiȕii¿ƾhƗ- féminin. Nous en aurions ici le génitif pluriel,
certes contre le zand, mais en tablant sur un type de corruption assez fréquent.
196
Sur le caractère secondaire du préverbe, voir Pirart 2006b : 31 sq.
197
Avec Kellens (1984a : 29), contre Geldner yazaiti.
198
Sur ce démon, Pirart 2007a : 142 n. 566.

155
dit : La dainƗ est montrée (en être une de) mauvaise, (sache-le,) Zaraduštra
descendant de SpƯtƗma, (si c’est celle de) celui qui ne se consacre pas à
l’étude du xratu Utavan de trois printemps199, (mais) reste sans réciter les GƗșƗ
ni offrir le sacrifice aux bonnes Rivières.
AYK PVN ’n| <Y> SLYtl dyn| nmvt’l <’y> spyt’m’n| zltvšt ’šmvk Y plypt’l
MNV 3 zlmyy ×hlt Y×200 <’hlvb’n> ×’ypy’ng201 LA ×’ypy’ngynyt202 {...} V LA
g’s’n| sl’yt V LA MYA Y ŠPYL yzyt .·.
knj pad Ɨn Ư vattar dƝn nimnjdƗr V <Ɨi> spitƗmƗn zardušt V ašԥmaoȖ Ư frƝftƗr
V
kƝ se-zarԥmaii ×xrad Ư× <a¹auuƗn> aiȕii¿ƾh nƝ aiȕii¿ƾhƝned {...} ud nƝ gƗșƗn
srƗyed V ud nƝ Ɨb Ư veh yazed .·.
(Se trouve) avec celui qui enseigne une mauvaise religion, <ô> Zaraduštra
descendant de SpƯtƗma, le décevant Utamauga qui reste sans se consacrer à
l’étude du xratu Utavan de trois printemps {...}, sans réciter les GƗșƗ et sans
rendre de culte à l’eau bonne.

En effet, dans l’ƖfrƯn Ư PaygƗmbar Zardušt, selon Bartholomae, nous


devons admettre un composé aȖa.daƝna-203, mais ce texte est assez corrom-
pu. Non seulement, ce composé n’est pas dûment décliné, mais, en outre,
nous attendons plutôt duždaƝna-204. Je préfère dès lors y voir une paren-
thèse, un commentaire ou une glose. Pour autant, bien sûr, que, malgré la
version pƗzand, aȖa daƝna ne soit pas le fruit d’une corruption profonde
pour ×ƗuuaįaȖanahe « d’(Aji DƗhaka) rejeton d’AvadƗgƗ205 » :

Az 3.2 ×hazaƾra.yaoxštiš 206 bauuƗhi 207 yașa <șraƝtaonǀ jaQta> 208


ažǀiš dahƗkƗi209 [aȖa daƝna]
Que tu aies mille pouvoirs de purification comme <ĬrƗitauna lorsqu’il
frappa> Aji DƗhaka [ʊ La dainƗ (de ce dernier était) mauvaise ʊ] !

199
Littéralement : « qui n’étudie pas, entre (autres) objets d’études, le xratu Utavan de
trois printemps ». Je ne sais pas ce qu’est cette « performance qui, accompagnée du bon
agencement, dure trois ans ». Serait-ce la teneur ou la compréhension du Manșra Spanta,
lequel était triparti ? Chacune de ses trois parties serait ainsi étudiée durant un an.
200
Jamasp (1907) ltyh.
201
Jamasp (1907) ’ypy’gn|.
202
Jamasp (1907) ’ypy’gnynyt.
203
Lankarany 1985 : 120.
204
D’après Yt 19.47.
205
Sur AvadƗgƗ, voir Pirart, « Le nom de la mère d’Aji DƗhaka » (à paraître dans les
actes du colloque Démons iraniens, Liège, 5-6 février 2009).
206
Westergaard hazaƾra.yaoxštiiǀ ; P13, K12 hazaƾra.yaoxštii¿. Sur ce composé, voir
Pirart 2006b : 201 n. 464.
207
Mss. bauuƗhi ou bauuƗhe.
208
Pour cette correction qui va à l’encontre des versions zand (Dhabhar 1927 : 1000
|cvst’l byt cygvn dh’k Y SLYtl dyn|) ou pƗzand (E1 : hΩzƗr jǀstƗr bƯd cƯn Ɨzi dahƗki
[SLtl]vatar dƯn) et de la RPDD 47, je me suis basé sur le V 1.17.
209
Mis pour *dahƗkahe. La même entorse figure dans le V 1.17.

156
Le terme daƝnƗ-, dans ces deux passages, désigne la religion d’un indivi-
du en particulier, sa conscience religieuse.
Une seule occurrence de a¹aonƯ- « accompagnée du bon agencement,
harmonieuse », épithète pourtant bien attendue, qualifie la dainƗ, mais dans
un contexte offrant une belle manne d’autres épithètes :

Y 12.9.1-2 210 ƗstuiiƝ humatΩm manǀ V ƗstuiiƝ hnjxtΩm vacǀ V ƗstuiiƝ


huuarΩštΩm ĞiiaoșnΩm V ƗstuiiƝ daƝnąm vaƾvhƯm mƗzdaiiasnƯm V fraspƗiiao-
xΩįrąm niįƗsnaișišΩm
× v
x aƝtuuadaișƯm211 a¹aonƯm V yƗ hƗitinąmcƗ bnjšiieiQtinąmcƗ V mazištƗcƗ
vahištƗcƗ sraƝštƗcƗ V yƗ Ɨhnjiriš zarașuštriš .·.
J’adopte la pensée bien pensée, la parole bien dite et le geste bien exécuté.
212
J’adopte la VahvƯ DainƗ MƗzdayasni, qui crible de coups les mauvais mots
et lamine toute critique,
qui prône l’endogamie, UtaunƯ, la plus grande, la meilleure et la plus belle
de celles qui (furent,) sont et seront, la (DainƗ) de ceux qui offrent le sacrifice
à Ahura (MazdƗ) de façon zoroastrienne.

Comme dans d’autres contextes, a¹auuan- vient clôturer la série qualifi-


cative pour en constituer le terme résomptif : le bon agencement qui accom-
pagne ou caractérise la dainƗ est, en quelque sorte, défini par les épithètes
qui précèdent.
À ce propos, signalons que le VƯštƗsp Yašt explicite l’épithète a¹aonƯ- en
recourant au synonyme haca7.a¹Ɨ-213, un composé basé sur le syntagme yƗ ...
a¹Ɨ ... hacΩmnƗ qu’une strophe de la deuxième section de l’UštƗvatƯ GƗșƗ
documente précisément à propos de daƝnƗ-.
Le Y 12.9.1-2 ne sera pas la seule occurrence de a¹aonƯ- comme épithète
de la dainƗ si nous acceptons l’équation DainƗ « la Doctrine » = CistƗ « la
Référence » que le DƝn Yašt propose d’établir :

Yt 16.1 214razištąm cistąm mazdaįƗtąm a¹aonƯm yazamaide V [hu]pa-


șmainiiąm215 huaiȕitacinąm V nimarÅzištąm bara7.zaoșrąm a¹aonƯm V huna-
rauuaitƯm frasrnjtąm V Ɨsu.kairiiąm mošu.kairiiąm V huuƗiiaonąm ×xvƗsao-
kąm V yąm vaƾvhƯm daƝnąm mƗzdaiiasnƯm .·.

210
Geldner rattache ƗstuiiƝ ... ĞiiaoșnΩm au paragraphe précédent.
211
D’après V 8.13.2, contre Geldner xvaƝtuuadașąm.
212
Kellens (2006-2010 : II 138) : « D’un éloge, je salue mon âme-voyance maintenant
que je rends le sacrifice à (Ahura) MazdƗ. Elle fait tomber le harnachement, fait déposer
l’équipement, soutient l’Agencement en contractant mariage dans la lignée-familiale. Elle est
la plus grande, la meilleure et la plus belle des (déesses) qui sont et seront maintenant que je
professe la doctrine sur Ahura (MazdƗ) comme le fit Zarașuštra ».
213
Vyt 3.2, donné ci-dessous 6.4.
214
Pour l’établissement du texte, voir Pirart 2008.
215
Sur ce mot, voir Chapitre II n. 231.

157
Nous offrons le sacrifice à la (déesse) CistƗtrès rectiligne, la UtaunƯ que
MazdƗ situa, elle qui dispose de ce qu’il faut pour le voyage, qui bien accourt
(à notre secours), qui le mieux efface les défauts, qui apporte la libation,
UtaunƯ, talentueuse, fameuse, aux prouesses rapides, aux prouesses sans
retard, qui offre bon accès (au Garah DmƗna), bonne illuminatrice, à savoir :
la déesse DainƗ MƗzdayasni.

Nous remarquerons tout d’abord que le Y 12.9.1-2 fait état de la «bonne»


dainƗ. Sa désignation fréquente, daƝnƗ- vaƾvhƯ-, est aussi celle de la déesse
Religion, mais la personnification est ici pratiquement nulle. L’adjectif
vahu- est le titre général aussi bien de toutes les divinités bonnes que de
nombreuses autres composantes de la bonne obédience, dont certaines ne
sont jamais personnifiées. Dans le cas de dainƗ, vahvƯ- s’oppose à agƗ-. Les
composés hudaƝna- « de qui la dainƗ est vahvƯ » et duždaƝna- « de qui la
dainƗ est agƗ », bien attestés, nous y renvoient, mais, comme il s’agit de
celle d’un individu en particulier, la dainƗ que nous devons reconnaître dans
ces composés pourrait être plutôt ce reflet que la religion peut avoir dans
l’individu, sa conscience religieuse. Pour réunir les deux valeurs du mot,
nous pourrions le rendre par « la foi ».
Cette bonne caractéristique de la dainƗ lui vient d’être la religion de
ceux qui offrent le sacrifice à Ahura MazdƗ. Religion des mazdƗyasna ʊ
telle est l’interprétation que le zand en donne : dyn Y ŠPYL <Y> ×mzd-
ysn’n216 ʊ, elle est appelée mƗzdaiiasni-, une épithète que Neriyosangh
conserve dans sa traduction (dƯnim mƗzdaïasnƯm).
Cette précision sera reprise au terme de la phrase : yƗ Ɨhnjiriš zarașuštriš
« elle, la religion de ceux qui rendent un culte à Ahura (MazdƗ), à la façon217
de Zaraduštra ». En effet, tandis que le zand n’y voit jamais qu’une idée
d’appartenance ʊ MNV ’vhrmzd V zltvšt| NPŠE « qui appartient à Ahura
MazdƗ et à Zaraduštra » ʊ, je fais de la conjonction des deux adjectifs
Ɨhnjiri- et zarașuštri-, attestée quelque douze fois218, une définition de la
bonne religion. Ces deux adjectifs sont des dérivés par vUddhi de la syllabe
initiale et thématisation en ºi-219, sans nul doute parce que les mots dont ils
sont tirés sont des composés. En effet, Ɨhnjiri- ne peut être le dérivé du mot
simple ahura-. L’habitude morphologique pour un adjectif devant signifier
« qui appartient à Ahura » eût été de recourir au suffixe secondaire -iya-.
Tout comme mƗzdaiiasni- < mƗzdƗ+yasni- est tiré de mazdƗ+yasna- et
zarașuštri- < zƗrat+uštri-, de zarat+uštra-, Ɨhnjiri- doit l’être d’un compo-
sé. Celui-ci n’est autre que Ɨhnjiriia-, mot dont, malheureusement, l’analyse
n’a jamais non plus été donnée correctement. S’il doit signifier « adorateur
216
Manuscrits mzdyst’n.
217
« comme le fit Zarașuštra » (Kellens 2006-2010 : II 138).
218
Voir Lankarany 1985 : 113 n. 6.
219
Voir Debrunner 1954 : 302.

158
d’Ahura (MazdƗ) », ce mot doit à coup sûr montrer la même morphologie
que daƝuuaiia- « adorateur du Daiva »220. Il faut donc penser que la longueur
de sa voyelle initiale est secondaire, due à la prononciation liturgique, et que
les apparences suffixales, comme souvent, sont trompeuses. Je fais ainsi
d’Ɨhnjiriia- un composé en +yá- « qui adore »221, ahura+ya-. Et, pour un
adjectif devant signifier « qui appartient aux adorateurs d’Ahura », le re-
cours fait à la vUddhi de la syllabe initiale et à la thématisation en ºi- doit
passer par l’amuïssement régulier de la séquence ºa+yaº : Ɨhur(a+ya)i-. La
précision yƗ Ɨhnjiriš zarașuštriš signifie donc littéralement « (religion) qui
appartient à ceux qui adorent Ahura (MazdƗ) et à Zaraduštra ».

6.2. L’irréfutable

Les deux premières épithètes qui, dans le Y 12.9.1, suivent mƗzdaiiasnƯm


font état de la prépondérance que la religion mazdéenne montre sur toute
autre : fraspƗiiaoxΩįrąm niįƗsnaișišΩm. L’analyse qui a été donnée de ces
deux adjectifs composés et que Jean Kellens222 reproduit élude l’interdit
morphologique d’un premier terme nom-racine préverbé régissant : fraspƗ+
et nidƗ+. Il est vrai que le zand223 y invitait :

MNV pr’c LMYTVNt ’yvcšnyh V BRA224 HNHTVNt snyhyh


kƝ frƗz-abgand-ƗyǀzišnƯh ud bƝ-nihƗd-snehƯh

Pour qu’un premier terme d’origine verbale puisse en régir un second,


ses modèles morphologiques sont d’adopter la forme du thème de présent,
éventuellement étoffé de ºt+225, une forme spéciale dans laquelle la racine
montre le degré plein étoffé de ºá+ / ºát+226 ou, si la racine est en ºƗ, de
ºti+227.
Comme les analyses proposées ne sont pas recevables, j’avance, pour
fraspƗiiaoxΩįrƗ-, que le premier terme est le thème de présent du verbe
frƗ+√ spƗ, fraspƗya+, que le Yt 15.45d +fraspƗΩ documente de façon
linguistique228 et qui, à la 3e personne du singulier de la voix active de

220
Sur ce mot, voir Pirart 2004a : 292.
221
Le védique préfère +yú- ou +yánt-, mais +yá- est indirectement attesté par devayƗnƯ
« épouse de *devaya ».
222
« Elle fait tomber le harnachement, fait déposer l’équipement » (Kellens 2006-2010 :
II 138).
223
Cf. ZA 26.95.2.
224
Bartholomae (1904 : col. 1082) om.
225
Type védique maPhayádrayi-, vieux-perse da-a-ra-y-va-u-š.
226
Type védique kVayádvƯra-, grec IHU{RLNRM, v.-av. mązƗ.ri-.
227
Type védique d»tivƗra-.
228
Pirart 2007b : 106.

159
l’indicatif présent, apparaît sous la graphie fraspaiieiti « il crible de coups »
dans le Yt 10.43.1229. Le second terme du composé, dans cette hypothèse,
sera +uxșra- « (mauvais) discours », le dérivé daivique par suffixation
en -șra- de √ vac ; et le sens du composé, «criblant de coups le mauvais dis-
cours ». Cette interprétation est assez en accord avec les traductions médié-
vales pehlevie MNV pr’c LMYTVNt ’yvcšnyh (kƝ frƗz-abgand-ƗyǀzišnƯh) et
sanscrite parityaktaprativƗdƗm « qui porte à rejeter le discours contraire ».
L’adversaire ainsi sort-il du placard de l’anonymat où l’interprétation re-
prise chez Jean Kellens l’avait enfermé : c’est le mauvais discours.
Quant à niįƗsnaișiš-, le même type d’analyse, bien sûr, ne pourra pas
être avancé, mais une strophe des GƗșƗ et une de la 5gvedasaPhitƗ vien-
nent à notre secours :

Y 31.18 230mƗ ciš a7 vÈ drΩguuatǀ V mąșr¿scƗ231 gnjštƗ sƗsn¿scƗ V ƗzƯ


dΩmƗnΩm vƯsΩm vƗ V šǀișrΩm vƗ da[iinjm vƗ [Ɨ]dƗ7 V dušitƗcƗ +marΩkaƝcƗ V
așƗ Ưš sƗzdnjm snaișišƗ .·.
Que nul d’entre vous ne continue d’écouter les formules et les leçons du
drugvant ! Si (celui-ci) venait à plonger la maison, le domaine, le territoire ou
le pays dans la mauvaise habitation et dans la désolation, coupez de votre
couteau ses (formules et ses leçons) !
RS 4.4.15cd dáhƗĞáso rakVásaK pƗhy àsm»n V druhó nidó mitramaho
avady»t
(Agni,) toi qui as la grandeur de Mitra232, brûle les maudits fauteurs de
nuisances, écarte de nous le dysfoncionement, la critique et le défaut !

La strophe gâthique, par le biais d’une paronomase réuissant sƗsnƗ- « le-


çon » et sƗzdnjm « coupez », suggère que le second terme de niįƗsnaișiš-
régit le premier ; la strophe védique, que le premier terme est une forme du
nom-racine nid- « critique » (= védique níd-). La thématisation du nom-
racine est possible comme premier terme de vibhaktitatpuruVa comme on le
sait par bÌhaspáti- « maître du respect » qui combine bÌh- et páti- moyen-
nant la thématisation du premier et l’insertion rythmique du s mobile. Le
sens que j’attribue au composé est dès lors assez voisin de celui que j’avais
attribué au précédent : « qui est un couteau pour la critique, qui lamine toute
critique ». Voilà qui, à nouveau, nous permet de démasquer l’adversaire :
c’est la critique. L’ensemble des deux adjectifs composés, fraspƗiiaoxΩįrƗ-

229
Pirart 2007b : 106 n. 466.
230
Sur le texte, voir Kellens & Pirart 1988-1991 : I 117 et III 72 sq.
231
Mf4 mąșrąscƗ.
232
Messager et convoyeur d’offrandes, Agni va de ce monde à celui des dieux, couvrant
ainsi la distance qui les sépare ou les réunit. Cette distance est le lieu ou la dimension de
l’échange dont Mitra est la déification. Voilà pourquoi Agni peut recevoir l’épithète mi-
tramahas- « de la grandeur de Mitra ».

160
(fraspƗya+uxșrƗ-) et niįƗsnaișiš- (nida+snașiš-), présente donc la religion
mazdéenne comme une doctrine irréfutable devant laquelle celles que
d’autres obédiences peuvent échafauder ou développer seront mises à mal.
Cette supériorité de la religion mazdéenne est encore exposée par la
première des deux subordonnées relatives du Y 12.9.1-2, yƗ hƗitinąmcƗ bnjš-
iieiQtinąmcƗ V mazištƗcƗ vahištƗcƗ sraƝštƗcƗ « la plus grande, la meilleure
et la plus belle de celles qui (furent,)233 sont et seront ». Elle fait écho234 au
Y 44.10b tąm daƝnąm yƗ hƗtąm vahištƗ « la conscience religieuse qui est la
meilleure des Entités » où, pourtant, le sens de « religion » n’était pas
acquis. Les Entités, littéralement « les étants », ce qui correspond à l’ex-
pression « qui (furent,) sont et seront », est la désignation la plus générale
des êtres surnaturels235, mais ceci suppose ici une certaine personnification
de la dainƗ comme Jean Kellens y consent en introduisant le mot « déesse »
dans sa traduction236. Si l’hémistiche gâthique Y 44.10b2 se montre plus
général à refuser le féminin de haQt- « étant », le FravardƯn Yašt, par contre,
s’y résout237 :

Yt 13.91.2 ahu ratušca238 gaƝșanąm V staota a¹ahe V ya7 mazištaheca


vahištaheca sraƝštaheca V paiti.fraxštaca239 daƝnaiiƗi240 V ya7 haitinąm va-
hištaiiƗi241 .·.
(Zaraduštra qui fut tout à la fois) l’existence rituelle et le modèle que les
troupeaux (= le monde matériel) (se doivent d’adopter), (puisqu’il fut) le
laudateur de 5ta, (disant que c’était) ce qu’il y a de plus grand, de meilleur et
de plus beau, et l’exégète de la religion, (explicant qu’elle était) la meilleure
de celles qui sont.

Ce passage du FravardƯn Yašt a le mérite de montrer que, si la religion


mazdéenne zoroastrienne est la plus grande, la meilleure et la plus belle,
c’est du fait que le bon agencement l’accompagne. La relation étroite que le

233
Exprimer le passé au mode participe, ce fit difficulté chez les diascévastes comme le
montre la triade masculine hΩQtΩmca bauuaQtΩmca bnjšiiaQtΩmca (Vr 18.2, etc.).
234
Lankarany 1985 : 115 sq.
235
Kellens & Pirart 1988-1991 : II 326.
236
2006-2010 : II 138.
237
Voir Lankarany 1985 : 116 sq.
238
Le syntagme ahu ratušca paraît combiner un duel elliptique avec sa résolution sous la
forme d’une coordination de type B ºca : « les deux ahu, c’est-à-dire (l’ahu) et le ratu ». Il a
été fait usage de cette tournure par respect de la lettre de l’Ahuna Variya (Y 27.13) où ahnj
est en réalité un instrumental (Pirart 2006b : 141 n. 134). La bizarrerie syntaxique, certes
légitime dans la langue la plus ancienne, n’a plus été maintenue lorsqu’il s’est agi d’employer
l’accusatif : ahnjm ratnjmca (Yt 13.92.2).
239
Il y a, dans ce nom d’agent en -tar- tiré de paiti+√ fras « commenter » (Pirart 2004a :
300), emploi factice de xš pour š (Pirart 2004a : 35 sq.).
240
Mis ou fautif pour daƝnaii¿.
241
Mis ou fautif pour vahištaii¿.

161
5ta de toute évidence entretient avec la bonne Doctrine avait déjà retenu
notre attention lors de l’examen de RS 1.141.1. Nous voyons aussi que
vahištƗ- peut résumer la triade mazištƗ- + vahištƗ- + sraƝštƗ-.
L’ensemble du Y 12.9.1-2 insiste donc sur la supériorité ou la prépondé-
rance de la religion mazdéenne sans doute pour justifier son adoption. En
effet, je ne pense pas242 que le verbe ƗstuiiƝ fasse directement référence aux
compliments que la dainƗ et le ruvan s’échangent dans le Haįaoxt Nask (H
2.9-11). Comme les phrases en ƗstuiiƝ, où ce verbe figure en tête, font suite
à une variante de la profession de foi mazdéenne mazdaiiasnǀ zarașuštriš
frauuarƗnƝ (Y 12.8.1) dans laquelle le verbe figure en fin, il pourrait donc y
avoir diptyque tonal : « (Si) je m’engage à être mazdéen zoroastrien, c’est
que j’ai la conviction que cette religion est la meilleure ». Le verbe Ɨ+√ stu,
conjugué à la voix moyenne, signifie littéralement « faire l’éloge de (la
religion mazdéenne) devant soi-même [voix moyenne] pour (la) faire venir à
soi [préverbe Ɨ] », autrement dit : « se (la) recommander à soi-même et
(l’)adopter ».
Plus qu’une véritable référence faite aux compliments que la dainƗ et le
ruvan s’échangent dans H 2.9-11, je pense donc que c’en est un simple écho
logique : le sacrifiant s’entretient avec lui-même, et cet entretien sans doute
met-il son âme-moi face à sa conscience. L’accord sur lequel débouche l’en-
tretien et qui doit avoir eu l’engagement pour moteur, est un mariage de
l’âme-moi et de la conscience. Ceci me paraît justifier que la seule donnée
spécifique que le Y 12.9.1 exprime de la religion mazdéenne soit celle à
laquelle l’épithète xvaƝtuuadașąm fait allusion : le mazdéisme prône l’endo-
gamie à l’image de cette union de l’âme-moi et de la conscience d’un seul et
même individu.

6.3. L’endogamique

Lorsque daƝnƗ- a le sens de « conscience religieuse », il n’est d’ailleurs


pas rare que le fait d’appartenir au même individu que l’âme-moi lui soit
souligné au moyen de l’adjectif hvƗ- (xvƗ-, hauuƗ-) « sienne propre ». Cet
adjectif est encore à la base du premier terme du composé épithète xvaƝtu-
uadașąm « qui prône l’endogamie » que nous trouvons dans la manne du
Y 12.9.1-2.
La morphologie de cet adjectif ne va pas de soi : comment le tatpuruVa
*xvaƝtuuadașa-, si le second terme y est un abstrait de genre neutre
en -așa-243, peut-il donc faire office d’adjectif et signifier « épousée dans sa
propre famille » ? L’idée d’un bahuvrƯhi « possédant le mariage dans sa

242
Contre Kellens 2006-2010 : II 138.
243
Voir Debrunner 1954 : 171.

162
propre famille » est-elle bien naturelle? Au lieu de compter avec une valeur
ʊ de toute façon obsolète ʊ de suffixe d’adjectif d’obligation ou de possi-
bilité pour -așa- et de rendre le composé par « qui doit être épousée de l’un
de ses proches », il faudrait prendre daƝnƗ- dans son sens de « religion »
pour qu’un bahuvrƯhi signifiant « avec mariage endogamique, (religion)
possédant le mariage endogamique, c’est-à-dire le prônant » fût parfaitement
admissible, mais il se fait que la variante masculine xvaƝtuuadașa- est bel et
bien attestée deux fois concernant l’âme-moi appelée yuuan- « mature » ou
le sacrifiant qui, sur l’aire sacrificielle, en tient d’ores et déjà le rôle :

Vr 3.3-4 yuuƗnΩm humanaƾhΩm huuacaƾhΩm huĞiiaoșnΩm hudaƝnΩm Ɨs-


tƗiia .·. yuuƗnΩm uxįǀ.vacaƾhΩm244 ƗstƗiia .·. xvaƝtuuadașΩm ƗstƗiia .·. da«
hƗuruuaƝsΩm 245 ƗstƗiia .·. humƗim 246 pairijașnΩm 247 ƗstƗiia .·. nmƗnahe
nmƗnǀ.pașnƯm ƗstƗiia .·.
nƗirikąmca ƗstƗiia V frƗiiǀ.humatąm frƗiiǀ.hnjxtąm frƗiiǀ.huuarštąm V
huš.hąm.sƗstąm ratuxšașrąm a¹aonƯm V 248yąm ƗrmaitƯm spΩQtąm V 249y¿sca
244
Selon Kellens (2006-2010 : II 127), uxįǀ.vacah- se réfère à la récitation que le ruvan
fait du Y 43.1 dans le H 2.2-6, ce que le Vyt 8.1 paraît confirmer, et xvaƝtuuadașa- à la
rencontre matrimoniale qu’il a avec la dainƗ dans le H 2.9-10.
245
Kellens (2006-2010 : II 127) estime indéterminable le sens contextuel de ce composé
de da«hu- et de uruuaƝsa-. La transformation de ºu+ en ºƗº devant +vº rappelle le ºƗº de
buuƗuua < babnjva.
246
BahuvrƯhi de hu+ et de mƗiiƗ- (= mƗy»-) fém. « invention » (Kellens & Pirart 1988-
1991 : II 286). Il s’agit de l’organisation rituelle, qui, régie par la pensée bonne (Y 43.2d2
vaƾhÈuš mƗii¿ manaƾhǀ), prévaut dans la communauté des fidèles (cf. H 2.16.3c = Vyt
8.10.3c ×vƯžibiiasca [haca] mƗiiauuaitibiias[ca]).
247
Kellens (2006-2010 : II 127) estime indéterminable le sens contextuel de pairi.jașna-.
Pour ma part, je lui donne celui de « serviable ». C’est le nom d’agent dérivé en -șna- de
pairi+√ gam « servir » (contre Bartholomae [1904 : 865] qui posait un thème pairi.jașan-).
Ce type de dérivés en -șna- correspond au type védique en -tnú-, mais le védique, pour GAM
en particulier, recourt à un redoublement : jigatnú- (voir Debrunner 1954 : 696 sq.). Peut-être
est-ce sous l’influence du présent jígƗti de GƖ. D’autres suffixes en ºa- correspondent à des
suffixes en ºu- du védique : ceux des adjectifs dénominatifs (+ya- ~ +yú-) et désidératifs
(+ha- ~ +su-).
248
La ligne yąm ƗrmaitƯm spΩQtąm est l’incipit d’un manșra non identifié auquel fait
aussi allusion Vr 19.2.9 dƗmƯm yazamaide V yąm ƗrmaitƯm spΩQtąm V +ye«he1 +dƗșrahe2
a¹aheca V a¹aonąmca a¹a.paoiriianąm dƗmanąm .·. « Nous offrons le sacrifice à DƗmi3 (en
recourant aux textes dont les incipits respectifs sont) "Aramati SpantƗ que" (et) "(Ahura
MazdƗ) qui situe 5ta et les DƗman (AmUta Spanta) qui, accompagnés de 5ta, ont 5ta pour
chef4, (Ahura MazdƗ) de qui" (sur base du fait que le vers Y 34.10b rapproche les mentions
de DƗmi et de SpantƗ Aramati) », à moins que nous ne devions traduire ce passage comme
suit : « (En recourant au texte dont l’incipit est) "(Ahura MazdƗ) qui situe 5ta et les DƗman
(AmUta Spanta) qui, accompagnés de 5ta, ont 5ta pour chef, (Ahura MazdƗ) de qui" (sur base
du fait que la ligne Y 34.10b rapproche les mentions de DƗmi et de SpantƗ Aramati), nous
offrons le sacrifice au (mot) DƗmi (dont le Y 34.10b paraît faire une désignation) d’Aramati
SpantƗ ». Notes : 1. Geldner yehe. ||| 2. Geldner dƗșre. Mis pour dƗtUUš. ||| 3. « Le fondateur »,
nom d’Ahura MazdƗ. ||| 4. Sur la prééminence de 5ta au sein du groupe des AmUUta Spanta,
voir Kellens 2006-2010 : III 49 ; Pirart 2007a : 46 n. 51.
249
La ligne y¿sca ... ahura mazda est l’incipit de Y 38.1.2 (voir Kellens 2006-2010 : II
127).

163
te ȖΩn¿ ahura mazda .·. narΩmca a¹auuanΩm ƗstƗiia V frƗiiǀ.humatΩm250 frƗ-
iiǀ.hnjxtΩm frƗiiǀ.huuarštΩm V vƯstǀ.fraorΩitƯm Ωuuistǀ.kaiiaįąm V 251 ye«he
ĞiiaoșnƗiš gaƝș¿ a¹a frƗdΩQte .·.
(Sur l’aire sacrificielle,) je donne sa place rituelle au jeune homme ac-
compagné d’une pensée bonne, d’une parole bonne et d’un geste bon, doté
d’une bonne conscience religieuse. Je donne sa place rituelle au jeune homme
qui dit le texte, se plie à l’endogamie, parcourt le pays252 et preste un service
bien planifié. (De façon qu’elle tienne le rôle de la dainƗ du sacrifiant,) je
donne sa place rituelle à la maîtresse de maison d’une maison (= l’épouse qui,
faisant de lui un maître de maison, légitime la présence du sacrifiant sur l’aire
sacrificielle).
Et, (recourant aux manșra dont les incipits respectifs sont) «Aramati
Spanta que» (et) «Et à elles qui sont tes femmes, Ahura MazdƗ», je donne sa
place rituelle à la jeune dame promotrice de la pensée bien pensée, pro-
motrice de la parole bien dite et promotrice du geste bien exécuté, qui,
soumise à de bonnes instructions, en UtaunƯ qu’elle est, exerce (sur les dieux)
l’emprise lors des séquences rituelles. Et, (recourant au manșra qui dit que),
par ses gestes, les troupeaux prospèrent harmonieusement, je donne sa place
rituelle à l’homme Utavan promoteur de la pensée bien pensée, promoteur de
la parole bien dite et promoteur du geste bien exécuté, qui a prononcé la
FravUti253 et s’est détourné du KayƗda254 ;
Vyt 3.5 vƯspǀ 255 ynjnǀ 256 humanaƾhǀ huvacaƾhǀ 257 huĞiiaoșanahe 258
hudaƝnahe 259 vƯspǀ ynjnǀ uxįa.vacaƾhǀ 260 vƯspǀ xvaƝtuuadașahe 261 vƯspǀ

250
Selon Kellens (2006-2010 : II 127), «dont la pensée a été supérieurement pensée». Je
préfère analyser frƗiiǀ+ comme la forme compositionnelle de √ frƯ : «qui promeut». Ou, en
tout cas, donner à frƗiiah-, alors acc. nt. adverbial correspondant au latin plnjs, sa pleine
valeur comparative : «qui possède de plus nombreux humata», c’est-à-dire «qui multiplie les
humata».
251
La ligne ye«he ... frƗdΩQte est la citation de Y 43.6c (voir Kellens 2006-2010 : II 127).
252
Le sacrifiant dont il est question est-il le prêtre itinérant?
253
La FravUUti, déclaration solennelle avec laquelle le mazdéen s’engage à offrir le
sacrifice à Ahura MazdƗ, est un préalable obligatoire de la fête sacrificielle. Voir Chapitre
VI.
254
Ceci permet de connaître que l’engagement que les impies prennent d’honorer les
Daiva pouvait se remarquer à leur avarice d’offrandes. Sur les démons KayƗda qui
personnifient cet aspect de l’impiété, voir Pirart 2006a : 104 n. 6.
255
Celui-ci et les quatre suivants montrent le nominatif mis pour le génitif (Lankarany
1985 : 123 n. 54). D’autres mots de la phrase se plient à la même entorse : huĞiiaoșnǀ (L5),
pairi.jașnǀ.
256
F12, G18a, K4 ici et ensuite ýƯnǀ.
257
F12, L5, M4 hu.vacaƾhǀ.
258
F12 hu.Ğiiaoșnahe ; K4 huĞiiaǀșanahe ; L5 hu.Ğiiaoșnǀ.
259
F12, L5 hu.daenahe.
260
F12 uxįǀ.vacaƾhǀ.
261
F12 [aƝșuua.daƝșahe ; G18a xvaƝșuuadașe ; K4 [aƝșuua.dașahe ; L5 [ișuuadașahe
; M4 [aƝșuua.dașahe.

164
da«hƗuruuaƝsahe262 vƯspǀ humƗiiehe263 pairi.jașnǀ264 vƯspǀ265 nmƗnahe266
nmƗnǀ.pașnii¿267 .·.268
De chaque jeune homme accompagné de la pensée bonne, de la parole
bonne et du geste bon, doté d’une bonne conscience religieuse, de chaque
jeune homme qui dit le texte, se plie à l’endogamie, parcourt le pays269 et
preste un service bien planifié, de chaque maîtresse de maison d’une maison.

Le VƯdaƝuu-dƗt vient à notre secours en suggérant de corriger ºașąm en


×
ºaișƯm :

V 8.13.2 pasuuąm vƗ staorąm vƗ V nǀi7 narąm nǀi7 nƗirinąm V paragΩ7


duuaƝibiia yǀi 270 aƾhΩn 271 V xvaƝtuuadașasca xvaƝtuuadaișƯ[š]ca V aƝte

maƝsma 272 maƝzaiiaQta V yaƝibiiǀ 273 aƝte nasukaša 274 V +frasnaii¿Qte 275
varΩs¿sca276 tannjmca277 .·.
De (l’urine de) petit ou de gros bétail, non (de celle) d’homme ou de
femme à moins que les deux aient contracté l’union endogamique. Ceux-là
fourniront les urines dont les porteurs de cadavres se laveront cheveux et
corps.

En effet, si le féminin de xvaƝtuuadașa- est plutôt en ºƯ- qu’en ºƗ-, cela


signifie que le mot devait comporter une vUddhi de la syllabe initiale,
devenue invisible comme c’est souvent le cas pour les diphtongues, et se lire
hvƗituvadașa/Ư- «concerné/ée par le mariage endogamique». Cela le
distinguait donc du tatpuruVa abstrait *hvaituvadașa- qui a survécu en
pehlevi (hvytvkds).

262
F12 dai«hƗuruuaisahe ; K4, L5, M4 daƾhƗuruuaisahe ; G18a daƾhƗ<........>sahe.
263
M4 humƗiiahe. Le zand (Dhabhar 1927 : 192), pour ce mot et le suivant, donne hvpl-
m’nyh Y dyn| QDM BRA YHMTVNyt’l l’d.
264
F12 pairi.jașanǀ ; L5 para.jașnǀ ; Westergaard pairijașnǀ. Mis pour le génitif.
265
Mis pour le génitif féminin.
266
L5 nƗmƗnahe.
267
F12 nmƗnǀ.pașanii¿ ; L5 namƗnǀ.pașanii¿.
268
Westergaard seul.
269
Traduction conjecturale. Le zand (Dhabhar 1927 : 192) donne MTA vltšn.
270
Au duel, le féminin l’emporterait-il ?
271
Mis pour le duel.
272
Bartholomae (1904 : col. 1108) distingue deux thèmes, maƝsma- masculin et maƝs-
man- neutre, mais le premier n’apparaît que sous la forme ºma à laquelle est attribuée la
valeur d’accusatif pluriel ; le second, que sous la forme ºmana à laquelle est attribué le statut
d’instrumental singulier. Cependant, pour l’acc. plur. de ºma- masc., nous attendions ºmÈ et,
pour l’instr. sg. de ºman- nt., ºmaini ou ºmÈni. Voilà qui est bien problématique.
273
Mis pour l’instrumental.
274
Sur ce mot, Pirart 2001b : 109 sq.
275
Avec Kellens (1984a : 144), contre Geldner frasnii¿Qte.
276
Mis pour le masculin?
277
Mis pour le pluriel?

165
6.4. L’intégrale de la diversité

Un passage du VƯštƗsp Yašt contient lui aussi une belle manne d’épi-
thètes de daƝnƗ- :

Vyt 3.2-3.3abc ahurΩmca mazdąm V sraošΩmca278 a¹Ưm279 V daƝnąm-


ca mƗzdaiiasnƯm281 V vƯspąm282 †×vƯspǀ.afsmanąm283 V vƯspąm284 vƯspǀ.-
280

vΩrΩziiąm V vƯspąm285 ×vƯspǀ.hΩQkΩrΩișiiąm286 V +haca7.a¹ąm287 frƗda7.gaƝ-


șąm 288 <varΩda7.gaƝșąm> †sraota.gaošąm 289 †vouru.rafnahƯm 290 [narąm
a¹aonąm291] V nipƗșrƯm292 narąm a¹aonąm V nišaƾharΩșrƯm293 narąm a¹ao-
nąm <.·.>
yƗ294 haca.taƝca295 a¹Ɨ296 V ×varΩįatica297 ×a¹ahe298 <gaƝș¿> V 299frƗ-
įatica300 a¹ahe301 gaƝș¿302 <sƗuuaiiatica a¹ahe gaƝș¿>303

278
K4 sraǀšΩmca ; L5 srošΩm.ca ; M4 sraǀ¹Ωmca.
279
L5 ašƯm.
280
L5 daenąmca.
281
F12 mazdaiianƯm.
282
L5 vƯspąmca.
283
Avec Westergaard (1852-1854) ; F12, G18a, K4 vƯspǀ.aȕasmanąm ; L5 vƯspǀ.ava-
smanąm ; M4 .·.vƯspǀ.·.aȕasmanąm. Elle a beau être confirmée par Vr 14.1, cette forme du
féminin est inattendue : voir ci-dessous.
284
L5 vƯspąmca.
285
L5 vƯspąmca. Dans G18a, les mots vƯspąm.vƯspǀ. sont écrits en-dessous de la ligne.
286
Westergaard vƯspǀ.haQkΩrΩșiiąm ; F12 vƯspǀ.hQkΩrΩșiiąm ; G18a vƯspǀ.haįarΩ.șiiąm ;
K4 vƯspǀ.hąkrΩșiiąm ; L5 vƯspǀ.hΩQkΩrΩșiiąm ; M4 vƯspǀ.hQkrΩșiiąm.
287
Avec Bartholomae (1904 : col. 1753), contre Westergaard haca7.aƝ¹ąm (= M4) et
contre le traducteur pehlevi (Dhabhar 1927 : 190) qui doit être fort tardif pour avoir visible-
ment travaillé sur un texte fort corrompu. Le zand qu’il donne, MN OLEš’n| slvt| OŠMENšn,
relie haca7 aƝšąm, interprété comme si c’était haca aƝibiiǀ, à sraota.gaošąm pour ne traiter
de frƗda7.gaƝșąm qu’ensuite. Bonne partie du zand du Vyt n’est sans doute pas authentique.
F12, K4 haca7.aƝšąm ; G18a haci7.aƝšąm ; L5 haca7.ašąm.
288
G18a frƗda7.gaƝtąm ; L5 frƗda7.gașąm.
289
G18a, K4 sraǀta.gaǀšąm ; L5 srota.gošąm ; M49 sraǀta(7).gaǀšąm. Fautif pour
*sauua7.gaƝșąm (cf. Yt 11.16) plutôt que pour *sru7.gaošąm (cf. Yt 10.107, 19.35) ?
290
F12, G18a, L5 vǀuru.rafnahƯm. En principe, nous attendons ×vouru.rafnaƾhΩm (cf. Y
1.1, A 3.4), mais Bartholomae (1904 : col. 1431) admet que le féminin puisse être en ºƯ-.
291
Celui-ci et les suivants, K4 a¹aǀnąm ; L5 ašonąm.
292
Avec Westergaard ; F12, G18a, K4, L5, M4 nipƗșrΩm.
293
L5 nišžarașrƯm ; F12, G18a, K4, M4 nišaƾharașrƯm.
294
G18a, K4, M4 ýƗ.
295
À lire en un mot s’il faut y voir la 3e personne du singulier de la voix moyenne de
l’indicatif présent de √ hac, contre le traducteur pehlevi qui doit être fort tardif pour avoir
visiblement travaillé sur un texte fort corrompu : MNV MN OLEš’n| tlsk’syh {...} ’k’synynd
{...} APš ’hl’dyh pl’dhšnyh gyh’n| AYT|.
296
L5 ašƗ.
297
D’après A 4.6.2, contre Westergaard ; F12 vaiįiiaca ; L5 viįiiaca ; G18a, K4, M4
vaiįaiiaca.
298
F12, G18a, Westergaard a¹Ωm ; K4, M4 ašΩm.
299
= Yt 6.1.4a.

166
Et à Ahura MazdƗ, et à Srauša 5taya, et à DainƗ MƗzdƗyasni, (la religion)
de chaque (mazdéen) dont le texte comporte chacun des vers, chacun des
offices et chacun des ordonnancements (des sacrifices qui sont à offrir), qui
est accompagnée du bon agencement pour la multiplication, la croissance et
la prospérité des troupeaux, munie qu’elle est d’une vaste et secourable (cou-
verture) pour la protection des hommes Utavan et leur défense,
accompagnée qu’elle est du bon agencement pour la croissance, la multi-
plication et la prospérité des troupeaux (qui dépendent) du bon agencement ;
Y 44.10 ta7 șȕƗ pΩrΩsƗ V ΩrΩš mǀi vaocƗ ahurƗ V tąm daƝnąm V yƗ hƗtąm
vahištƗ V yƗ mǀi gaƝș¿ V a¹Ɨ frƗdǀi7 hacÈmnƗ V Ɨrmatǀiš V uxįƗiš ĞiiaoșanƗ
ΩrΩš daidiia7V ma[ii¿ cistǀiš V șȕƗ.Ưštiš usÈn304 mazdƗ .·.
Je te pose la question. Roi, dis-moi sans détour : (les dieux) jugent-ils de
ma conscience en regardant si c’est la meilleure des Entités, si, recourant à
l’harmonie, elle accroît les troupeaux, (si elle le fait) en recourant aux paroles
de la déférence305 et au geste avec lequel je me signale, elle qui permet de te
rendre un culte, MazdƗ qui le veux ?

Cette strophe gâthique montre que les deux épithètes ×haca7.a¹ąm frƗ-
da7.gaƝșąm que le Vyt 3.2 accorde à DainƗ sont indissociables. Ceci est
encore confirmé par la succession yƗ haca.taƝca a¹Ɨ V ×varΩįatica ×a¹ahe
<gaƝș¿> V frƗįatica a¹ahe gaƝș¿ qui figure dans le Vyt 3.3.
Les trois lignes vƯspąm ×vƯspǀ.afsmanąm V vƯspąm vƯspǀ.vΩrΩziiąm V vƯs-
pąm vƯspǀ.haQkΩrΩșiiąm, possible écho du caractère triparti du Grand Aves-
ta, font difficulté. Certes nous pouvons expliciter la première, vƯspąm
×
vƯspǀ.afsmanąm, sur base du Y 71.4.5-6 vƯspąmca daƝnąm mƗdaiiasnƯm ya-
zamaide .·. vƯspΩmca afsmanΩm306 yazamaide .·. « Et nous offrons le sacri-
fice à la dainƗ de chaque mazdéen. Et nous offrons le sacrifice à chaque
vers », mais, pour un bahuvrƯhi dont le second terme est un substantif nt.
dérivé en -man-, le matériel indien où nous trouvons par exemple viĞvá-

300
L5 frƗdașaca ; G18a frƗdaișica.
301
L5 ašahe.
302
Avec Westergaard et le Yt 6.1.4a ; F12 gaƝșƗi ; K4, L5, M4 gaiș¿.
303
Cf. Yt 13.129.2 auuașa saošiiąs yașa vƯspΩm ahnjm astuuaQtΩm sƗuuaiiƗ7 .·. ; A 4.6.2
yașa vƗtǀ ... vƯspΩm ahnjm astuuaQtΩm frƗįatica varΩįatica ×sauuaiiatica1 aiȕica +[a]ĞƗiti2
+
jƗmaiieiti3. Notes : 1. Geldner saošiiaQtica. ||| 2. Geldner a¹Ɨite. Voir Benveniste 1935 : 48. |||
3
. Geldner jƗmaiiƗiti.
304
Vocatif du participe présent de √ vas « vouloir » ? Le védique documente l’emploi du
vocatif du participe présent de VAĝ : RS 10.30.2ab ádhvaryavo havíVmanto hí bhnjt»VchƗpá
itoĞatÇr uĞantaK « Vous les adhvaryu, pour vous être munis des offrandes, allez aux rivières
qui veulent, vous qui voulez ! » ; RS 10.70.6cd » vƗP dev»sa uĞatƯ uĞánta V uráu sƯdantu su-
bhage upásthe « Que les Deva qui le veulent s’assoient, heureuses qui voulez, dans votre
giron ! ».
305
Cf. Y 46.12c Ɨrmatǀiš V gaƝș¿.frƗdǀ șȕaxšaƾha « grâce au labeur d’Aramati qui
accroît les troupeaux ».
306
Mis pour le neutre (*afsma).

167
nƗmnƯ- « qui possède tous les noms » (AS) et qui ne fournit pas d’exemples
de thématisation en ºa-, suggère de corriger les deux attestations de vƯspǀ.-
afsmanąm (Vr 14.1 et ×Vyt 3.2) en ×vƯspǀ.afsmainƯm. Quant à elle, la deu-
xième des trois lignes, vƯspąm vƯspǀ.vΩrΩziiąm, est à corriger sur base du Y
57.4.4 (= Yt 11a.3.4, 11.9.4) vƯspaca huuaršta Ğiiaoșna yazamaide V varšta-
ca varΩšiiamnaca .·. « Et nous offrons le sacrifice à tous les gestes bien
accomplis de tous les temps », mais en faisant de vƯspǀ.vΩrΩziiƗ- un upapa-
dasamƗsa de vƯspa- et du thème de présent de √ varz307. L’explicitation de la
troisième ligne, vƯspąm ×vƯspǀ.hΩQkΩrΩișiiąm, est compliquée par l’incerti-
tude sémantique dont est grevé le second terme du composé vƯspǀ.hΩQ
kΩrΩișiiƗ-. Si nous pouvons admettre un bahuvrƯhi en ºa-308, ce second terme
pourra être haQkΩrΩiti-, un mot aux rares attestations duquel je joins ci-
dessous les deux du douteux haQkΩrΩșa- :

Y 19.16-19 309aƝta7ca vacǀ mazdaoxtΩm V șri.afsmΩm310 cașru.pištrΩm


paQca.ratu V rƗiti haQkΩrΩșΩm311 .·. kƗiš312 hƝ afsmąn .·. humatΩm hnjxtΩm
huuarštΩm .·.
313
kƗiš pištrƗiš .·. Ɨșrauua rașaƝšt¿ vƗstriiǀ fšuiiąs hnjitiš V +vƯspaiia.-
irina 314 hacimna +nairi 315 ×a¹aoni 316 V +arš.manaƾha 317 +arš.vacaƾha 318

307
Type védique dhiyaPjinvá-.
308
Pour sa défense, le matériel indien n’offre qu’un exemple incertain : faut-il bien, dans
RS 10.39.6c ánƗpir ájñƗ asajƗty»matiK « sans proche, sans parent, sans congénère, sans
personne qui pense à moi » (cf. Renou 1955-1969 : XVI 70), faire confiance au padapƗWha
| asajƗty» | ámatiK | et séparer asajƗtyá- de sajƗtiyà- nt. « communauté d’origine » pour le
rapprocher de sajƗti- « congénère » ? La métrique reste ambiguë.
309
Analyses parfois différentes et littérature chez Kellens (2006-2010 : III 47 sqq.).
310
Mis pour *șri.afsma.
311
Contre Bartholomae (1904 : col. 1520) qui admet un composé adjectif. Il lui donne
avec hésitation le sens « dessen Vollziehung durch Dienstwilligkeit oder Freigebigkeit ge-
schieht (?) » sur base du commentaire pehlevi. Pour ma part, je fais de rƗiti une forme du
dérivé en -ti- non de √ rƗ « donner » correspondant au védique rƗtí- comme le fait Kellens,
mais de √ rƗ « observer une diction » : l’instrumental « avec diction ».
312
Factice pour le nominatif.
313
Factice pour le nominatif.
314
Avec Darmesteter (1892-1893 : I 169 n. 60), contre Geldner qui considère deux mots.
Le zand donne YVM LYLYA.
315
Avec Pt4, Mf1, Mf2, J6b, O2 (cf. nƗiri J2 ; nƗiri K5 corrected sec. m. to nairi), contre
Geldner naire (S1, P11, K4, K11, H1, J7, Lb2, L13, L2, L3). En principe, les formes naire
a¹aone sont celles du datif dont l’emploi serait factice ou fautif pour l’instrumental, mais quel
est au juste l’instrumental sing. de nar- a¹auuan- ? En effet, la correction de naire a¹aone en
+
nairi ×a¹aoni pourrait faire apparaître des formes protérodynamiques de l’instrumental. Une
fois écartées les occurrences du nominatif-accusatif duel (duua nara) ou celles de la
corruption du génitif sing. ×narš (Pirart 2007b : 54), la forme nara que Kellens (1974a : 386)
avance pour l’instrumental singulier de nar- pourrait bien relever d’illusions nourries par le
Veda. Et l’attestation du védique nárƗ instrumental singulier n’est d’ailleurs pas assurée.
Dans une phrase telle que V 7.23.2 ka7 tƗ nara yaoždaiiąn aƾhΩn V a¹Ɨum ahura mazda V yƗ
nasƗum fraƾvharƗ7 V snjnǀ vƗ para.iristahe ma¹iiehe vƗ .·. « Quand, Utavan Ahura MazdƗ, les
hommes sont-ils purifiables s’ils mangent le cadavre du chien mort ou celui du mortel
(mort) ? » (cygvn OLEš’n| GBRA yvšd’sl HVEd ’hlvb| ’vhrmzd MNV ns’d pr’c OŠTENd

168
+
arš.Ğiiaoșna 319 .·. +ratuš.mΩrΩta 320 daƝnǀ.sƗca 321 V 322 ye«he ĞiiaoșnƗiš
gaƝș¿ a¹a frƗdΩQte .·. kaiia323 ratauuǀ .·. nmƗniiǀ vƯsiiǀ zaQtumǀ da[iiumǀ
zarașuštrǀ puxįǀ V ¿ƾhąm da[iiunąm y¿ anii¿ †rajǀi7324 zarașuštrǀi7325 .·.
cașru.ratuš raȖa zarașuštriš .·. kaiia a«h¿ ratauuǀ .·. nmƗniiasca vƯsiiasca
zaQtumasca zarașuštrǀ tnjiriiǀ .·.
ka7 humatΩm .·. †a¹auuanΩm manaspaoiriiǀ†326 .·. ka7 hnjxtΩm .·. mąșrǀ
spΩQtǀ .·. ka7 huuarštΩm .·. 327staotƗiš a¹a.paoiriiƗišca †dƗmÈbƯš328 .·.
Et la parole dont MazdƗ a prononcé la structure complète (?) avec diction
(= l’Ahuna Variya) comporte trois vers, quatre couleurs et cinq composantes.
Que sont ses vers ? Le bien pensé, le bien dit, le bien exécuté.
Que sont ses couleurs ? Le prêtre, le guerrier, le pâtre éleveur, l’artisan,
eux qui, jour après jour, sont accompagnés de l’homme Utavan qui, faisant
montre d’une pensée rectiligne, d’une parole rectiligne et d’un geste
rectiligne, mémorise les séquences et étudie la religion, (l’homme Utavan)
grâce aux gestes de qui les troupeaux prospèrent harmonieusement.
Quelles sont ses composantes ? L’officiant domestique, l’officiant clani-
que, l’officiant tribal, l’officiant national et le zaraduštra qui vient en
cinquième lieu dans le cas des nations autres que celle des Rajiya 329
ZƗraduštri, RagƗ ZƗraduštri ne comportant que quatre composantes. Quelles
sont ses composantes ? L’officiant domestique, l’officiant clanique, l’officiant
tribal et le zaraduštra qui vient en quatrième lieu.
Quel est le bien pensé ? Les (trois niveaux du comportement du) Utavan, le
premier concernant la pensée330. Quel est le bien dit ? Le Manșra Spanta.

KLBA BRA vltlt| ’yvp ANŠVTA’n| .·.), comparable à V 6.42.2 ka7 tƗ haoma yaoždaiiąn aƾhΩn
V
a¹Ɨum ahura mazda V yƗ nasƗum auua.bΩrΩta V snjnǀ vƗ para.iristahe ma¹iiehe vƗ .·.
« Quand, Utavan Ahura MazdƗ, les Hauma sont-ils purifiables si les a infectés le cadavre du
chien mort ou celui du mortel (mort) ? » (cygvn OLEš’n| hvm yvšd’sl HVEd ’hlvb| ’vhrmzd
MNV ns’d QDM BRA bvlt| YKOYMVNyt KLBA BRA vltlt| ’yvp ANŠVTA’n| .·.), je ne vois
guère comment donner le sens de l’instrumental à nara même si toutes deux phrases, il est
vrai, sont grevées d’une syntaxe assez énigmatique et de la difficulté du statut de yaoždaiiąn
(Benveniste 1935 : 21).
316
Geldner a¹aone (tous les mss. à l’exception de J2, K5 a¹aona). Voir note précédente.
317
Geldner aršmanaƾha.
318
Geldner aršuuacaƾha.
319
Geldner aršĞiiaoșna.
320
Avec Kellens (1974a : 143), contre Geldner qui considère deux mots.
321
La longue doit être secondaire (épenthèse en ºƗº de ºa sur ºaº).
322
Repris au Y 43.6c.
323
kaya- (= védique káya-) ou kai u (= védique ké | u) ?
324
Voir Chapitre VIII.
325
Factice pour zƗraduštraiš.
326
Fruit d’une syntaxe retouchée.
327
Emploi factice de l’instrumental pour le nominatif.
328
Fautif pour ×dƗmÈniš, lequel est lui-même artificiel pour le nominatif.
329
Voir Chapitre VIII.
330
Sur Vahu Manah qualifié de « premier », Pirart 2007a : 36 n. 27.

169
Quel est le bien exécuté ? Les Stauta et les DƗman (= les AmUta Spanta)
parmi lesquels 5ta est le premier331.

Les explications que Jean Kellens donne n’emportent pas ma


conviction, mais je n’ai rien à proposer en échange quant à savoir
comment, par exemple, les divers officiants cités peuvent être des
« composantes » (ratu) de l’Ahuna Variya ou leur être assimilés.
Le sens de l’adjectif haQkΩrΩșa- doit pouvoir rendre compte de la
diversité arithmétique évoquée et suggérer que la quantité de trois
vers de l’Ahuna Variya est compatible avec celles des quatre « cou-
leurs » et des cinq « composantes ».
L’emploi de haQkΩrΩșa- adjectif accordé avec « la parole » se
retrouve au Y 71.18.1-2332. Il est donc assez clair que l’idée de haQ
kΩrΩiti- concerne la « parole », ce que vient confirmer le Y 71.1.3 :

ka7 asti rașȕąm333 +framΩrΩitiš334 V ka7 gƗșanąm +haQkΩrΩitiš335 .·.


336
Quand a lieu (ou : En quoi consiste)337 la mémorisation des séquen-
ces ? Quand, l’ordonnancement des Cantates ?

La diversité que l’adjectif-pronom vispa- souligne, au vu du Vyt 3.2,


pourrait faire office de réponse à la question concernant la hankUUti. Dans le
Y 19.16, la parole telle qu’Ahura MazdƗ l’a prononcée combine à la
perfection vers, « couleurs » et « composantes » au moyen de la diction
(rƗiti).
Si yasna- « le sacrifice», en dernière analyse, désigne un type de parole,
l’emploi que le Yt 15.54.1 fait de hΩQkΩrΩiti- est en consonance avec celui
des passages précédents :

kana338 șȕąm339 yasna yazƗne V kana340 yasna frƗiiazƗne V †


kana șȕƗ
yasna†341 paiti hÅQkÅrÅitiš †auua.hištƗ7342

331
Sur 5ta Vahišta considéré comme le premier des AmUUta Spanta, Pirart 2007a : 46
n. 51. 5ta, si nous devons admettre ici sa confusion avec le Y 27.14, est aussi le premier des
Stauta « textes d’éloges ».
332
Voir Chapitre II 4.4.
333
Artificiel pour ratunąm.
334
Geldner ºΩrΩtiš.
335
Geldner ºΩrΩtiš.
336
À cette question que Fraxšauštra lui pose, Zaraduštra répond par une litanie en
yazamaide dont la plupart des phrases sont ouvertes par vƯspa-.
337
L’emploi de asti « existe » est à remarquer : nous ne pouvons nous contenter de le
rendre comme un simple verbe copule. L’interrogatif ka7 est forcément adverbial à moins que
nous devions y voir le fruit de la retouche discévastique de kƗ nom. fém. sg.
338
< kƗ nu ?
339
Mis pour l’enclitique.
340
< kƗ nu ?

170
(VƗyu, dis-moi :) Quel genre de sacrifice vais-je t’offrir? Comment vais-je
procéder pour t’offrir le sacrifice? Avec quelle (séquence) l’ordonnancement
des séquences du sacrifice (que je veux t’offrir) sera-t-il effectif ?

L’attestation gâthique du mot ham+kUUti- (Y 31.14) est la plus difficile à


cerner du fait du cas grammatical arboré et de l’absence de toute désignation
de la parole :
343
tƗ344 șȕƗ pΩrΩsƗ ahurƗ V yƗ zƯ345 ƗitƯ jÈQghaticƗ V y¿ išudǀ dadΩQtƝ346
V
dƗșranąm hacƗ a¹Ɨunǀ V y¿scƗ mazdƗ +drΩguuǀ.dΩbiiǀ347 V yașƗ t¿ aƾhΩn
hÈQkΩrΩtƗ hiia7348 .·.
Je te pose cette question, Ahura MazdƗ : lors de l’ordonnancement,
qu’adviendra-t-il, s’ils (vous) les destinent, des tirs d’offrandes venant du
Utavan ou des drugvant, puisqu’elles vont et iront ?

Le sens de haQkΩrΩiti- sans doute est-il celui de l’abstrait correspondant


au verbe qui, au présent, montre le thème haQkƗraiia-. Jean Kellens a
examiné le sens de ce dernier et le traduit par « organiser »349. Comme son
procès, dès le début du Yasna, est lié à celui d’annoncer le sacrifice, son
organisation, me semble-t-il, tient aussi de la mise en route, de l’ordonnan-
cement ou du fait de prendre en compte les divers éléments du sacrifice. Il

341
L’emploi de l’instrumental, repris des deux lignes précédentes, doit, vu la présence de
paiti, être ici fautif ou factice pour celui du locatif, mais, s’il faut que l’interrogatif s’accorde
avec yasnai locatif, la place de paiti est inattendue. Que faire ?
342
Fautif ou factice pour le moyen-passif ?
343
Sur le texte, Kellens & Pirart 1988-1991 : I 116. Strophe grevée des incertitudes
lexicales išudǀ et hÈQkΩrΩtƗ. L’impossibilité phonétique (Kellens & Pirart 1988-1991 : III 70
sq.) où nous sommes de reconnaître Ưš- comme premier terme du composé išud- (= védique
*iVudh- : voir Mayrhofer 1986-2001 : I 200 sq.) conduit à une autre découpe : pii. *išu+dhH-
« mise de la flèche, tir ».
344
Résultat probable du sandhi de tat devant șvƗ, tƗ ne peut servir de corrélatif à yƗ si ce
dernier est un nominatif neutre pluriel. De toute façon, mieux vaut en faire l’annonce de
l’interrogatif indirect yașƗ.
345
Si nous voulons bien y voir le fruit d’un sandhi, la séquence yƗ zƯ peut certes provenir
de yƗzi < yazzi < yat | zi (= védique yád dhí). C’en serait ainsi une graphie faussement analy-
tique par opposition à l’univerbation attendue yezƯ (Kellens & Pirart 1988-1991 : II 185).
Quoi qu’il en soit, le singulier des verbes qui suivent suggère que le sujet en est le neutre
pluriel {dƗșrƗ} et que yƗ s’accorde avec lui.
346
Ce subjonctif se justifie par le schéma de l’éventuel. L’emploi de la voix moyenne en
combinaison avec hacƗ + abl. équivaut à celui du passif accompagné d’un complément
d’agent.
347
La différence numérique que nous constatons entre a¹Ɨunǀ et drΩguuǀ.dΩbiiǀ souligne
leur opposition.
348
hiia7 sans doute souligne-t-il la valeur métonymique du locatif de temps hÈQkΩrΩtƗ,
mais nous ne pouvons la préciser.
349
2006-2010 : I 11 sqq.

171
s’agirait d’intégrer chacun d’eux dans l’ensemble de sorte que celui-ci fonc-
tionnât pleinement et fût exhaustif, complet.
Il reste à examiner les trois vƯspąm du Vyt 3.2. Comme y reconnaître, sur
base du zand MN hlvspyn, la corruption du génitif vƯspanąm « parmi toutes »
ne paraît guère pratiquable, mieux vaut, me semble-t-il, faire confiance à Y
71.4.5 vƯspąmca daƝnąm mƗdaiiasnƯm yazamaide .·.350, mais vƯspa- n’est pas
synonyme de hauruua- : le premier envisage la diversité, la multiplicité, la
série tandis que le second, la totalité ou le caractère complet. Et, employé au
singulier, vƯspa- focalise l’attention sur chacune des pièces d’une diversité.
Le syntagme vƯspƗ- daƝnƗ- pointe donc la conscience religieuse indivi-
duelle de chacun des mazdéens.
L’épithète de vƯspǀ.hΩQkΩrΩișiiƗ-, combinaison de vƯspa- et de haQkΩrΩi-
ti-, que le Vyt 3.2 lui accorde cherche à réduire, à gérer cette diversité ou à
en rendre compte. Elle exprime que la dainƗ, pourrions-nous dire, est tout à
la fois diverse, multiple ou individuelle et unique, divine.

6.5. D’autres épithètes

Deux épithètes de daƝnƗ- que nous n’avons pas rencontrées jusqu’ici,


srƯrƗ- et pΩrΩșu.frƗkƗ-, figurent dans le Mihr Yašt :

Yt 10.64.2 yahmi viiƗne 351 352 daƝnaiiƗi V srƯraiiƗi pÅrÅșu.frƗkaiiƗi V


353
maza amauua niįƗtÅm354
355
(Nous offrons le sacrifice à Mișra,) lui qui toujours se tient au service
de la belle DainƗ au large front, (car,) en lui, (Ahura MazdƗ) plaça la grande
et offensive (force antidémoniaque appelée VUșragna).

350
Lankarany 1985 : 117.
351
Cette forme en ºƗna- de √ vƯ moy. «servir» (cf. V 2.3.2, Yt 13.99.3 = 19.85.2) paraît
faire office de participe parfait. Épithète du régime de nƯ+√ dƗ (cf. Y 32.14a, Yt 10.32.2d,
etc.). Sur √ vƯ moy. dont le thème de présent est vƯsa-, Pirart 2004a : 332 n. 106. Pour moi,
viiƗna- « âme » (Gershevitch [1959 : 213], d’après Benveniste [1935 : 38] et Bailey [1943 :
106 n. 4]) n’existe pas, et le pehlevi gyƗn (y’n| ou HYA ; manich. gy’n), qui traduit
généralement l’avestique uštƗna- « relatif au voulu, faculté de se mouvoir », provient du vieil-
iranien *gayƗna- « relatif à la vie, principe de vie », le dérivé en ºƗna- de gaiia- (= védique
gáya-). Voir Chapitre II 3.
352
Mis ou fautifs pour le génitif ? Cf. V 2.3.2, Yt 13.99.3 (= 19.85.2).
353
Selon Gershevitch (1959 : 103) : « in whose soul (there is) a great, powerful peldge to
the [...] Religion ». Deux épithètes au nom. nt. sg. avec alignement de la finale de la première
(*maza7) sur celle de la seconde qui montre le sandhi de ºt > ºØ devant nº : padap. mazat
amavat nidƗtam > shp. mazad amava(n) nidƗtam. Dans le Vr 15.3.1, les formes maza
amauua, pour être employées comme épithètes nom. masc. sg. de sraoša-, doivent avoir été
empruntées sans discernement grammatical au Yt 10.64.2.
354
Le sujet nt. sg. sous-entendu est vUUșragnam d’après le Yt 14.38.
355
Traduction d’après Pirart 2006b : 126.

172
L’épithète srƯrƗ- « glorieuse, belle » est empruntée à la description que H
2.9 ou V 19.30 donnent de la jeune femme sous les traits de laquelle la con-
science religieuse apparaît aux yeux de l’âme-moi du pieux défunt sur le
chemin de l’au-delà.
Comme elle qualifie aussi Ap 5dvƯ SnjrƗ AnƗhƯtƗ, l’épithète pΩrΩșu.-
frƗkƗ- pourrait appartenir au stock auquel les poètes puisaient pour remplir
leurs octosyllabes :

Y 65.1.2 356 pΩrΩșnj.frƗkąm baƝšaziiąm V vƯdaƝuuąm ahurǀ.7kaƝšąm V


yesniiąm357 aƾvhe astuuaite V vahmiiąm aƾvhe astuuaite
(J’offre le sacrifice à Ap 5dvƯ SnjrƗ AnƗhƯtƗ), elle qui a large front, qui
guérit, l’ennemie des Daiva, qui observe les enseignements d’Ahura (MazdƗ),
à qui l’existence osseuse doit offrir le sacrifice, à qui l’existence osseuse doit
adresser le chant.

C’en serait une, comme beaucoup d’autres, de descriptive stéréotypée,


mais, à y regarder de plus près ou à voir que les épithètes voisines font écho
aux termes de la FravUUti, force nous est de penser que, si Ap 5dvƯ SnjrƗ
AnƗhƯtƗ partage avec DainƗ l’épithète pΩrΩșu.frƗkƗ-, ce doit être en raison
de la proximité de nature des deux déesses : le Haom Staot358 compare ou
identifie la première, qui n’est autre que la rivière céleste, la Voie lactée, à
la ceinture de la seconde359. Je ne puis donc exclure que pareille épithète soit
spécifique et qu’elle fasse allusion au caractère incisif ou polémique de la
doctrine mazdéenne. En effet, l’adjectif pΩrΩșu-, étymologiquement ambigu,
peut aussi bien signifier « large » que « pénétrant, incisif » et s’appliquer à
une arme360. Et le second terme du composé pΩrΩșu.frƗkƗ- pourrait être tout
aussi ambigu que le premier : à l’instar du védique ánƯka-, tout à la fois
« visage » et « pointe d’arme ».
Le Sraoš Yašt Ư az Haįaoxt Nask recourt au superlatif haișiia.dƗtΩmƗ-
pour affirmer la supériorité de la religion mazdéenne :

Yt 11.3.3 mąșrǀ spÅQtǀ V mainiiÅuuƯm drujÅm nižbairištǀ V ahunǀ vairiiǀ


V
vacąm vÅrÅșrająstÅmǀ V aršuxįǀ vƗxš V yƗhi361 vÅrÅșrająstÅmǀ V daƝna

356
= Yt 5.1.3, Yt 13.4.2, Ny 4.2.3.
357
Adjectif verbal d’obligation en -iya- tiré du dénominatif de yasna-, accompagné d’un
complément d’agent dûment exprimé au datif.
358
Y 9.26.
359
Voir Pirart 2004a : 83 sq.
360
Sur 2pΩrΩșu- « traversant, perforant, perçant », voir Kellens & Pirart (1988-1991 : II
268) et Pirart (2004a : 303).
361
Employé ici au locatif singulier, le substantif yƗh-, dérivé neutre en -ah- de √ yƗ
« demander pour avoir », doit avoir le sens de « demande, prière ».

173
mƗzdaiiasniš362 V 363vƯspaƝšu vaËhušu V vƯspaƝšuca a¹ǀ.cișraƝšu V haișiia.-
dƗtÅma364
Ce qui le mieux permet d’évacuer l’Erreur issue du Funeste Avis365, c’est
le Formulaire Savant366. Le texte qui le mieux permet de briser les obstacles,
c’est la Formule du Choix de l’Existence367. Celui qui le mieux permet de
briser les obstacles au cours de la séquence précative du rite, c’est le Texte
qui est à réciter de façon rectiligne368. Ce qui le mieux permet de donner leur
efficacité rituelle aux pensées, aux paroles et aux gestes au cours de toutes les
bonnes célébrations sacrificielles ou de la récitation de tous les Textes qui
sont du même type que la Formule de l’Agencement excellent369, c’est la
Doctrine de ceux qui m’offrent le sacrifice, à moi le Roi de la Sagesse370.

Le contexte est pourtant trop laconique pour qu’une interprétation fine de


l’épithète puisse être avancée.

362
Certains manuscrits insèrent ici ×vƯspaƝšu ×frašnaƝšu. D’autres placent ces mots après
vaËhušu.
363
Sur ces syntagmes, Pirart 2007b : 75.
364
Bartholomae (1904 : col. 1761) renvoie au Y 34.15c2 fΩrašÈm vasnƗ haișiiÈm d¿
ahnjm ºoº.
365
Druj MƗnyavƯ, le « dysfonctionnement né de l’opinion (funeste) », l’un des noms de
la mauvaise dainƗ, sait-on par le DD 31.9.2.
366
Manșra Spanta, le nom authentique de tout le corpus avestique primitif (Pirart
2006a : 33 sq.).
367
Ahuna Variya, nom du Y 27.13, sur lequel voir Pirart (2006b : 141 n. 134), mais
l’interprétation de Kellens (2006-2010 : III 39 sq.) diverge assez fortement de la mienne. Ce
manșra passe pour le germe de tous les autres et du triple Avesta, exactement comme la
SƗvitrƯ indienne (RS 3.62.10), pour celui du triple Veda. La strophe Y 27.13, placée en tête
du corpus vieil-avestique, est, comme la SƗvitrƯ, faite de trois vers. D’autres parallélismes
existent entre les strophes iranienne et indienne : le premier vers de toutes deux contient
l’adjectif verbal passif d’obligation de « choisir » (vairiia-, váreQya-) ; le commentaire qu’en
donne le Y 19, sur base du Y 31.17c2, avance que les mots dazdƗ manaƾhǀ du deuxième vers
de l’Ahuna Variya signifient « propulseur de la pensée » (fradaxštƗrΩm +manaƾhǀ), une idée
que, pour sa part, RS 3.62.10c contient bel et bien (dhíyo yó naK pracodáyƗt).
368
Le terme de 5žugda Vac, « le discours qui a fait l’objet d’une diction rectiligne ou
continue », sans doute désigne-t-il la version de type saPhitƗpƗWha des manșra utilisés dans
les cérémonies du culte, une entité divinisée qu’il n’est pas rare de voir figurer à la suite du
groupe des AmUUta Spanta (Pirart 2007a : 67 sqq. et 152 sqq.).
369
Étant donné que certains manuscrits mentionnent aussi « toutes les questions », ce qui
fait allusion à des textes du genre du VƯdaƝuu-dƗt, nous devons considérer que les Vahu et les
5tacișra sont des textes, sans doute les manșra qui entourent le corpus vieil-avestique (Y
27.13, 27.14, 27.15.3, 54.1).
370
DainƗ MƗzdƗyasni, « la Doctrine de ceux qui offrent le sacrifice à Ahura MazdƗ »,
paraît faire double emploi avec Manșra Spanta « (ensemble des) manșra savant(s de la reli-
gion mazdéenne) ». En réalité, d’autres entrées de la liste, tout aussi bien : l’Ahuna Variya
est le germe ou le concentré du Manșra Spanta et l’un des textes qu’il convient de réciter de
façon rectiligne.

174
6.6. Les deux chiens

F. Th. Lankarany n’a pas retenu l’épithète spanuuaitƯ- ou spƗnauuaitƯ-


« accompagnée des deux chiens » tout simplement parce que son modèle
Bartholomae ne l’avait pas reconnue. Accompagnée des deux chiens qui
gardent le passage menant à l’au-delà et sont comparables à ceux du védique
Yamá371, la dainƗ, sur le chemin d’accès décisif, vient à la rencontre du
ruvan qui va s’y engager au terme d’un jugement :

H 1.4 372aƝšǀ zƯ vƗxš zarașuštra V ΩrΩžuxįǀ framruuąnǀ V Ɨ vacǀ ahunǀ


vairiiǀ fraoxtǀ V amaheca vΩrΩșraȖnaheca V uruuaca daƝnaca ×spanuuaiti .·.
Car, ô Zaraduštra, le Texte rectiligne (= le Yasna 44 ?) a toute son effica-
cité lorsqu’il est récité avant le texte appelé Ahuna Variya373, (avant le texte
contenant les mots) "et de la force offensive et de la capacité de briser les
obstacles374" (= le Yašt 14 ?)375 et (avant le texte contenant les mots) "le
ruvan et la dainƗ accompagnée des (deux) chiens" (= un texte inconnu consti-
tuant une alternative à H 2 ?) ;
V 13.9 (voir Chapitre II 4.6) ;
V 19.30.1 376hƗu srƯra kΩrΩta taxma V huraoįa jasaiti spƗnauuaiti V ×nƯ-
uuiuuaiti +pusauuaiti V ×yaoxštiuuaiti hunarauuaiti .·.
La gravide une telle, vaillante et belle, bien développée, vient avec les
deux chiens, vêtue de la chasuble et couronnée, pourvue de moyens d’adé-
quation et d’aptitudes.

Si le premier de ces passages nomme une dainƗ forcément personnifiée


au vu des chiens qui l’escortent, le dernier, en revanche, nous décrit non
exactement la dainƗ même, mais la jeune femme sous les traits de laquelle
la dainƗ vient à la rencontre du ruvan.
La fonction ou raison d’être des deux chiens n’est pas tout à fait claire :
certes ils gardent le pont, mais aucun texte ne nous révèle à qui son passage

371
RS 10.14.11 yáu te Ğv»nau yama rakVit»rau V caturakVáu pathirákVƯ nUcákVasau |
t»bhyƗm enam pári dehi rƗjan V svastí cƗsmƗ anamƯváP ca dhehi « Tes deux chiens, ô Yama,
ces gardiens à quatre yeux, qui gardent la route et surveillent les hommes, confie-leur cet
(homme que voici), ô Roi ! Assure lui le bien-être et l’absence de mal ! » (traduction Renou
1956 : 61).
372
Voir Chapitre II 4.4 et Pirart, « Le sens de l’avestique haįaoxta- et la raison du titre
du Haįaoxt Nask » (à paraître dans le Boletín de la Asociación Española de Orientalistas,
Madrid).
373
Sur ce manșra provenant du Y 27.13, voir Pirart 2006b : 112 n. 4, 115 n. 53 et 141 n.
134.
374
Sur ces deux divinités, voir Pirart 2006a : 26, 30, 57 sqq.
375
D’après le SƯh-rǀzag.
376
Voir Pirart, « Les Trois Nuits dans le VƯdaƝuu-dƗt » (à paraître dans Aula Orientalis,
Sabadell).

175
devait être interdit. La présence de chiens à l’entrée de l’au-delà n’est pas un
trait typiquement zoroastrien : il y a notamment Cerbère dans la mythologie
grecque, et nous ne repousserons pas la comparaison avec l’égyptien Anubis
sous prétexte qu’il est plutôt un chacal. En effet, Anubis tient la balance tout
comme le fait Rašnu, et le zand du V 13.9 contient un commentaire selon
lequel Rašnu serait l’un des deux chiens.

6.7. Conclusion

La plupart des épithètes de daƝnƗ-, la Foi, que ce terme nomme la


religion mazdéenne dans l’absolu ou seul le reflet qu’elle a chez l’individu,
la conscience religieuse, ne nous informent guère sur les conceptions
mazdéennes pour se limiter à nous dire que cette religion est la meilleure. Et
l’exception de ×xvaƝtuuadaișƯ- n’explique de toute façon pas la raison de ce
point de doctrine de recommander l’endogamie. Certes d’autres points sont
évoqués tels que la présence requise du feu ou celle de l’eau, mais ils ne
sont que trop attendus. Ci-dessus, j’ai tenté de donner un début d’explication
de l’endogamie si le recours à des exemples mythiques, au lieu de débou-
cher sur une compréhension, permet uniquement de vérifier que les dieux se
plient depuis toujours à cette recommandation. L’originalité mazdéenne
zoroastrienne ainsi est-elle difficile à cerner en dehors du ton polémique que
sa doctrine arbore. Fort théorique, ce ton ne semble pourtant pas avoir eu
d’autres cibles qu’internes. La religion que le mazdéisme zoroastrien attaque
est plutôt sa propre négation interne qu’une autre obédience.

7. La fille d’Ahura MazdƗ

La DainƗ, divinisée, est donnée pour la fille d’Ahura MazdƗ, une


déesse à laquelle le sacrifice est offert avec la récitation du DƝn Yašt (Yt
16). Nous pouvons émettre la conjecture que SpantƗ Aramati était sa mère
et qu’elle occupait la place qui, en Grèce, était celle d’Athéna377.
La relation qu’Ahura MazdƗ entretient avec la déesse DainƗ est
explicitée aussi par la Zand-ƗgƗhƯh selon laquelle, dans l’Avesta, daƝnƗ- est
le nom donné à l’omniscience du grand dieu378 ou à ce qui est tout à la fois
son savoir et le refuge que SpantƗ Aramati cherche ou trouve en lui379.
Ceci me paraît assez clair : la religion mazdéenne n’est autre que la sagesse

377
Voir Pirart 2010a.
378
ZA 1.2.2.
379
ZA 26.95.1.

176
du grand dieu vers qui les pieux adorateurs que la déesse Terre (SpantƗ
Aramati) représente n’ont de cesse de se tourner.

8. L’absence de la dainƗ

Dans les Livres pehlevis, dyn| est toujours la désignation de la religion.


La dainƗ n’apparaît plus en tant que part immatérielle de l’individu à de
rares exceptions telles que celles de certains zand qui se sont efforcés de
rester fidèles ou de coller à la lettre de l’original avestique tandis que
d’autres en sont arrivés à ne plus hésiter à l’instant de troquer dyn| pour
kvnšn|380 « actes, gestes ».
Certains passages du DƗdestƗn Ư DƝnƯg peuvent recourir à d’autres noms
que dyn| pour la désignation de la conscience religieuse du pieux individu :
kvnšn| « le geste » (assez souvent), mynvd Y tn| « la MƗnyavƯ de la tannj »
(DD 15 ?), ×nk’spt| Y gncvbl Y krpk| « le gardien et trésorier des bienfaits »
(DD 23.5), mynvd Y NPŠE hvmt| V hvvht| V hvvlšt| «la MƗnyavƯ de ses
propres pensées, paroles et gestes bons » (DD 23.6). Pour celle de l’impie,
remarquons qu’existe, en plus des expressions correspondantes, le syntagme
dlvc Y mynvd Y NPŠE vn’s « la Druj MƗnyavƯ née de son propre crime »
(DD 31.9.2).
Dans le Dk 3.123.2, cyhl « le signe positif/ négatif, le cișra » semble
jouer le rôle de la dainƗ individuelle381. Ceci est assez compréhensible :
dans H 2, la triade des adjectifs humanah-, huvacah- et huĞyƗușna- est
suivie de hudaina-, et, par le Y 58.1, nous savons que, pour être hucișra-,
la célébration du sacrifice doit comporter pensée bonne, parole bonne et
geste bon.
La substitution de dainƗ- par d’autres mots a permis qu’il fût réservé à la
désignation de la Doctrine ou de la déesse qui la représentait. Comme
désignation du Grand Avesta, ce n’est jamais que l’effet d’une brachylogie.
Cependant, l’ancienne valeur du mot reste connue. En effet, le Dk 3.333,
par exemple, nous éclaire382 sur les relations existant entre DainƗ « doctrine
religieuse », DainƗ « corpus des textes de cette doctrine » et dainƗ « reflet
individuel de cette doctrine », respectivement brƗh Ư ohrmazd xƝm « éclat de
la nature d’Ahura MazdƗ », paydƗgƯh « manifestation » et bun « fonde-
ment » :

[0] QDM bvn <V> pyt’kyh Y ŠPYL V SLYtl dyn| MN nkyc| Y vyhdyn| .·.
(abar bun <ud> paydƗgƯh Ư veh ud vattar dƝn az nigƝz Ư veh dƝn .·.) [1] HVEt|
380
Sur kvnšn| = dainƗ, voir Tavadia 1935-1936 : 193.
381
Voir Chapitre II 6.
382
Dresden 1966 : 583.15-582.2 ; Madan 1911 : I 326.1-13 ; de Menasce 1973 : 309-
310.

177
vyhdyn| bl’h AYT| Y ’vhrmzd hym APš bvn PVN ’hv| <V> mynšn| <V>
pyt’kyh PVN ’všmvlšn| <V> vlcšn| Y m’nsl Y BNPŠE AYT| Y ptm’n KNc
vyhdyn| bvn ’hv| mynšn| hnd’ck| <Y> ’vlvl hm ’dvn| V lyšk| Y ’pyt’kyh’
×
hcdl383 bvm APš pyt’kyh PVN ’všmvlšn| V vlcšn| <Y m’nsl> hnd’ck| <Y>
’vlvl hm t’k V vyšk| V vlg V vškvp| V bl Y pyt’kyh’ hcpl zmyk (hƗd veh dƝn
brƗh ast Ư ohrmazd xƝm u-š bun pad axv <ud> menišn <ud> paydƗgƯh pad
ǀšmurišn <ud> varzišn Ư mąșr Ư xvad ast Ư paymƗn V ǀh-iz veh dƝn bun <Ư
pad> axv <ud> menišn handƗzag <Ư> urvar ham Ɲvan ud rƝšag Ư apaydƗgƯhƗ
×
azƝr bnjm u-š paydƗgƯh <Ư> pad ǀšmurišn ud varzišn <Ư mąșr> handƗzag <Ư>
urvar ham tƗg ud vƝšag ud varg ud viškǀf ud bar Ư paydƗgƯhƗ azabar zamƯg)
[2] <V> SLYtl dvt| AYT| Y dlvc<n>tvm APš bvn BYN ×plypt’l384 ’hlmvk|
<V> pyt’kyh PVN KDBAyh Y dl’dšn| V k’l Y ’kdyn| <Y> BNPŠE AYT| dlvcyk
pl’ybvt|<yh V> ×’pyybvt|yh 385 KNc SLYtl bvn <Y> BYN [SLYtl] plypt’l
’hlmvk| hnd’ck| <Y> z’hl <Y> BYN m’l APš pyt’kyh <Y> PVN KDBAyh
<Y> dl’dšn| dvš<y>hyh k’l [Y] hnd’ck| <Y> pyt’kyk dlt| V mlgc Y ystk| Y MN
m’l ºoº (<ud> vattar dnjd ast Ư draoj<in>tom V u-š bun andar ×frƝftƗr a¹ԥmaoȖ V
<ud> paydƗgƯh pad drǀƯh Ư drƗyišn ud kƗr Ư aȖ-daƝn <Ư> xvad ast druzƯg ×frƗy-
bnjdƯh ud abƝ-bnjdƯh× V ǀh-iz vattar bun <Ư> andar [vattar] frƝftƗr a¹ԥmaoȖ han-
dƗzag <Ư> zahr <Ư> andar mƗr u-š paydƗgƯh <Ư> pad drǀƯh <Ư> drƗyišn ud
dušƯhƯg kƗr [Ư] handƗzag <Ư> paydƗgƯg dard ud marg-iz386 Ư jastag Ư az mƗr ºoº)
[0] Exposé que la bonne Doctrine donne sur le fondement et la manifesta-
tion de la bonne Doctrine et de la mauvaise. [1] Voici. La bonne Doctrine
n’est autre que l’éclat de la nature du Roi de la Sagesse387. Et, tandis qu’elle
trouve son fondement dans la réflexion et dans la pensée388, ce qui la ma-
nifeste, ce sont l’étude et la mise en pratique du Formulaire (savant), lequel
n’en est autre que la modulation. Aussi pouvons-nous comparer le fondement
que la bonne Doctrine trouve dans la réflexion et dans la pensée à l’ensemble
du tronc et des racines d’une plante qui, sous le sol, restent invisibles, mais
l’étude et la mise en pratique du Formulaire (savant) la manifestant, à l’en-
semble de la tige, des branches, des feuilles, des fleurs et des fruits qui, au-
dessus de la terre, sont visibles. [2] Pour sa part, la mauvaise Doctrine n’est
autre que l’exhalaison du pire des Trompeurs. Et, tandis qu’elle trouve son
fondement dans le trompeur qui fait dévier l’Agencement, ce qui la manifeste,
c’est l’inexactitude présente dans la vocifération et dans les actes de celui qui
professe une mauvaise doctrine, qui n’est autre que sa désastreuse tendance à

383
B khdl.
384
B plst’l.
385
B ’ybybvt|.
386
Ceci rappelle le tandem avestique que forment axti- et mahrka- (V 2.5, 6.43, Yt
10.50).
387
Comme, selon le Yt 13.81 et le V 19.14, le Manșra Spanta n’est autre que le ruvan
du grand dieu, nous pourrions donc poser l’équation DainƗ = ruvan d’Ahura MazdƗ.
388
Ceci rappelle le tandem que aƾvhƗ- et manah- forment dans l’Avesta (Y 62.10, Yt
1.2).

178
l’excès ou à l’insuffisance. Aussi pouvons-nous comparer le fondement
qu’elle trouve dans le trompeur qui fait dévier l’Agencement au venin qu’il y
a dans le serpent, mais l’inexactitude que la vocifération et les actes malen-
contreux manifestent, à la douleur vive ou à la mort que la morsure du serpent
cause.

Étant donné que, bien évidemment, la DainƗ est aussi sa dainƗ, nous
devons reconnaître dans le brƗh Ư ohrmazd xƝm le signe positif (cișra) du
grand dieu. Disons que la lumière illustre le caractère positif du cișra divin.
VI

FravUUti, la préférence

1. L’étymologie de fravUUti

1.1. frauuarƗnƝ

Dans la liste d’interrogations que Jean Kellens1 dresse concernant les


FravUUti, la première est celle de l’étymologie de leur nom.
Les étymologies qui ont été proposées2 de frauua¹i- sont inspirées des
paronomases pehlevies3 ou du caractère guerrier que les FravUUti présentent
parfois dans le FravardƯn Yašt, la plupart des FravUUti y étant d’ailleurs aussi
celles de héros4, mais, dès que nous reconnaissons le texte ouvert avec le
verbe frauuarƗnƝ comme étant ce qui fondamentalement porte le nom de
FravUUti, le doute n’est plus permis : si elle est le fait que l’individu pro-
nonce, a prononcé ou prononcera le texte qui, dans le Yasna5, commence
avec la phrase frauuarƗnƝ6 mazdaiiasnǀ zarașuštriš vƯdaƝuuǀ ahura.7kaƝšǀ
« Je choisis d’être de ceux qui offrent le sacrifice au Roi de la Sagesse en
suivant les recommandations de Zoroastre, de repousser les Hasardeux et de

1
2008-2009.
2
Voir Gignoux 2001 : 16.
3
Les VizƯdagƯhƗ Ư ZƗdsparam (VZ 29.2, 30.35), par exemple, contiennent un exposé sur
la fravUUti cherchant à justifier l’étymologie que la tradition avance souvent de son nom en
recourant à fra+¥ vard ou à fra+¥ vaxš : elle serait la capacité de développement de
l’embryon. Le FravardƯn Yašt (Yt 13.11,15) permettait d’argumenter cette explication. Voir
Gignoux 2001 : 17 sq. La traduction sanscrite vUddhi- que Neriyosangh offre de frauua¹i- est
tributaire de ce genre de spéculations. Voir ci-dessous 3.2.
4
Cf. persan gord « héros » < vieil-iranien *vUUta- ; avestique hąm.varΩiti- < ham+vUUti-
« bravoure » (sur cette déesse, Pirart 2010a : 131 sqq.). Sur le caractère guerrier de la troupe
des FravUUti, voir ci-dessous 4.
5
Y 11.16.2.
6
Kellens (2006-2010 : II 94) cherche à justifier le subjonctif en disant que le sens de ce
verbe comporte une intention inhérente, mais le fait resterait isolé, y compris pour fra+√√ var.
Comme ce serait la seule fois que le subjonctif aoriste servît à l’expression du cas de
coïncidence, il me paraît raisonnable de voir dans frauuarƗne la première personne du
singulier moyen de l’indicatif présent : frauuarƗne < *frauuaraine < vieil-iranien fravUUnai.
Selon cette analyse, ºUUº est orthographié ºaraº pour recevoir l’épenthèse. Pareille graphie se
retrouve dans l’adjectif relatif yƗuuarana- du Y 12.7 (ci-dessous 1.4) s’il s’agit bien d’un
composé (vieil-iranien yƗvUUna-) du type védique sadƗpUQá- (voir Wackernagel 1905 : 181).
Ajoutons que faire de frauuarƗnƝ un indicatif présent permet une meilleure correspondance
de la triade stƗumƯ + nƗismƯ + frauuarƗnƝ avec la version prétéritale qu’en offre le Yt 13.89
(stao7 + nƗist + fraorΩn̩ta : voir ci-dessous 2.2).

181
me plier aux enseignements du Roi de la Sagesse »7, son nom de fravUUti est
√ var « choisir, opter pour »8.
clairement le dérivé en -ti- de fra+√
Et, en effet, à la suite de Herman Lommel, de Gerd Gropp, de Bernfried
Schlerath et de Johanna Narten9, Jean Kellens10 y voit le dérivé en -ti- de
fra+√√ var « choisir, opter pour », mais précise que le texte dont FravUUti
n’est, dans un premier temps, que le titre est une déclaration qui ne peut être
vue comme un banal credo : elle constitue bien plutôt un acte liturgique
lourd par lequel le prêtre officiant achève de construire sa personnalité
sacrificielle. Dire ce texte est la traduction verbale solennelle du fait de
choisir d’être quelqu’un qui adresse le sacrifice à Ahura MazdƗ (frauuarƗ-
nƝ mazdaiiasnǀ). Le fait d’y procéder inscrit l’officiant dans une lignée
ininterrompue que l’Inde nomme pravará-.

UQe
UQ
1.2. prá vUQ

Précisons tout de suite que le pravará, rite par lequel le sacrifiant appelle
et institue un officiant à la fonction qui lui incombera dans le sacrifice11,
pouvait rester une notion sans grand rapport apparent avec celle de fra-
uua¹i-, mais RS 3.19.1 nous en garantit la bonne compréhension en parlant
du choix de l’officiant :

agníP hótƗram prá vUQe miyédhe V gÌtsaP kavíP viĞvavídam ámnjram | sá


no yakVad devátƗtƗ yájƯyƗn V rƗyé v»jƗya12 vanate magh»ni
Je me choisis Agni comme hotar en vue du banquet13, lui qui est avide,
attentif, connaisseur de chaque (génération divine), sans égarement. Il nous
fera un meilleur officiant lors de la cérémonie, nous gagnera les bénéfices en
vue de la richesse et de la sécurité alimentaire.

7
Texte et traduction Pirart 2006b : 151 sq. et 109 ; 2010b : 57. La traduction que Kellens
en offre (2006-2010 : II 130) n’est pas essentiellement différente.
8
Il faudrait tenir compte du zand de fra+√ √ var, mais la syntaxe qui devait compléter
franƗftan me paraît avoir perdu part de son exactitude si, au lieu d’un groupe objet, nous
attendions que l’attribut du sujet eût complété le verbe : franƗmem mazdaiiasnƯh Ư zardušt Ư
jud-dƝv Ư ohrmazd-dƗdestƗn {knj-š andarag vattarƗn be gǀvem} « je fais la promotion du
mazdéisme zoroastrien qui repousse les Hasardeux et s’accorde avec la loi du Roi de la
Sagesse {en ce sens que je prends la parole au beau milieu de ceux qui sont mauvais envers
lui} » (prabravƯmi mƗzdaƯasnƯP zarathustriyƗP vibhinnadevƗP hormizdanyƗyavatƯm | kila
madhye pƗpakarmiQƗm bravƯmi). L’engagement personnel du sacrifiant se serait-il mué en
déclaration de prosélyte ?
9
1985 : 36 sqq.
10
Kellens 1989 : 101 ; 2008-2009.
11
Caland & Henry 1906 : I xxxvii, 166, 186 sqq.
12
Comme dans les Yašt qui répètent si souvent ahe raiia xvarΩnaƾhaca, tel est le but du
sacrifice.
13
Au lieu d’y voir un locatif (« lors du banquet »), mieux vaut faire de miyédhe un datif
de temps en *ºƗi réaménagé en ºe.

182
L’élection d’Agni rejoint l’idée de Jean Kellens14 que le vieil-avestique
ƗuarΩna-, dont il sera traité plus loin15, désigne le choix des dieux auxquels
l’orant va offrir le sacrifice. Fait curieux pourtant, à l’instant de leur pré-
sentation, Jean Kellens16 n’a mis de façon explicite ou clairement expresse
les déesses du nom de FravUUti en relation avec la profession de foi maz-
déenne que tardivement : « la forme verbale frauuarƗnƝ exprime le procès
correspondant au nom d’action frauua¹i »17.

1.3. fraorΩiti- = frauua¹¹i-

En effet, nous ne pouvons séparer frauua¹i- de fraorÅiti- : la guerrière


FravUUti et la profession de foi mazdéenne sont une seule et même donnée ;
frauua¹i- et fraorÅiti- ne sont jamais que deux orthographes d’un seul et mê-
me mot18. L’engagement que l’homme prend de soutenir l’harmonie ou d’of-
frir le sacrifice à Ahura MazdƗ, selon moi, constitue la substance de sa troi-
sième âme à côté du tandem formé de l’âme masculine (ruvan « le Moi ») et
de l’âme féminine (dainƗ « la doctrine, la conscience religieuse »).
Il faut d’ailleurs remarquer que, dans le FravardƯn Yašt, la première gra-
phie (frauua¹i-) est attestée une fois pour le sens de « Formule/ Texte de la
préférence » habituellement supporté par la seconde (fraorÅiti-) :

Yt 13.105.2 yǀ 19 fraƝštΩm ×usij[an]ąm gƗșrǀ.raiiaQtąm a¹ΩmaoȖanąm


ana¹aonąm anahunąm aratunąm simanąm auuascastǀ.frauua¹inąm auua.-
jaȖna7
(Nous offrons le sacrifice à la Préférence de l’harmonieux Dit-les-for-
mules fils de Résorbe-les-défauts, maître d’école et bûcheron), connu pour
avoir éliminé la plupart des mauvais officiants20 qui bredouillaient de mau-
vais textes, faisaient dévier l’Agencement, n’étaient pas harmonieux, ne con-
figuraient aucune existence (mentale), ne respectaient pas les séquences, cau-
saient des déréglements et sautaient la Formule de la Préférence. Nous le
faisons afin de contrer la nuisance que le Sans-envoi nous occasionne.

À mes yeux, la présence du mot dans le Yasna HaptaƾhƗiti (YH) n’est


aucunement la preuve du contraire : si le texte que nous avons de cette pro-
14
1994c : 65 sq.
15
1.4.
16
Kellens 1989 : 99-114.
17
2006-2010 : II 149.
18
Pirart 2001b : 130.
19
Sur le texte, voir Pirart, « La métrique et l’histoire de l’Avesta » (à paraître dans les
actes du colloque qui s’est tenu à Salamanca en sept. 2009).
20
Les usij.

183
fession de foi, à contenir le mot récent mazdƗyasna- au lieu du vieil-
avestique ahuraya- pour la désignation des adorateurs d’Ahura MazdƗ,
n’était probablement pas celui qui était en vigueur à l’époque de la rédaction
du YH, cela ne signifie pas que le concept ou qu’un texte équivalent et plei-
nement rédigé en vieil avestique n’existait pas.
Jean Kellens21 parle de degré plein ou apparemment plein et reconstitue
fravarti- au lieu de fravUUti- alors que les données védiques enseignent que
cette racine veW22 devient aniW23 devant un suffixe ou une désinence com-
mençant par une dentale sourde24. La graphie fraorΩiti- impose d’ailleurs
que la racine y soit aniW et au degré zéro25.
Mot inexistant en védique, ce dérivé en -ti- de fra+√ √ var « choisir »26
est absent aussi des Cantates, mais apparaît pourtant bien dans le Yasna
HaptaƾhƗiti, un texte en prose, vieil-avestique. La notion est donc bien an-
cienne, et le nom de l’ancêtre de la dynastie mède (VIIIe siècle) ou du roi
mède PhraórtƝs, père du Cyaxare qui détruisit Ninive en 612, vient le con-
firmer27.

1.4. frauuarΩtƗ et varΩna-

Cependant, deux remarques doivent être faites : d’une part, le texte de la


FravUUti comporte aussi une phrase dans laquelle figure le mot varΩna-, sé-
mantiquement proche de frauua¹i-, que les GƗșƗ connaissent ; d’autre part,
√ var non seulement possède un correspondant dans les hym-
le verbe fra+√
nes védiques, mais est en outre connu des GƗșƗ.
Dans la FravUUti (Y 11.16-Y 12), la phrase Y 12.7 indique que le choix
proclamé s’impose pour être précisément celui que les rivières ou les plantes
opèrent. Leur choix y porte le nom de varΩna- :
×
yƗuuaran¿28 Ɨpǀ +yƗuuaran¿ uruuar¿ +yƗuuaranƗ gƗuš hud¿ +yƗuua-
rΩnǀ ahurǀ mazd¿ ... tƗ varÅnƗcƗ29 7kaƝšƗcƗ mazdaiiasnǀ ahmƯ ooo

21
Kellens 1989 : 101 ; 1994-1995 : 698.
22
Avec laryngale finale instable.
23
Dépourvue de laryngale finale.
24
C’est ainsi que la forme de l’injonctif aoriste est vUta, avec la racine dépourvue de sa
laryngale finale, face à celles de l’optatif vurƯta et du participe urƗQá-, qui montre bel et bien
cette laryngale.
25
Voir Pirart 2001b : 103 sq., 126 sqq.
26
Narten 1985 : 36 sqq.
27
Kellens 1989 : 104.
28
Vieil-iranien yƗvUUnƗh. Geldner (1886-1896) a préféré les leçons qui analysent le com-
posé. Par anticipation, tous les manuscrits ou beaucoup d’entre eux donnent ºnƗ au lieu de
ºn¿. Je ne comprends pas comment Kellens (2006-2010 : II 136) peut arriver à considérer que
la composition est secondaire.
29
Vieil-iranien varnƗ ca.

184
Le choix qu’opèrent les rivières, le choix qu’opèrent les plantes, le choix
qu’opère la vache de bonne offrande, le choix qu’opère le Roi de la Sagesse,
tels sont le choix et la conduite qui font de moi un mazdéen.

Le même mot varΩna- est employé dans les Cantates précisément là où


nous pourrions attendre frauua¹i-. En effet, la strophe contenant la première
attestation de varΩna- (Y 31.11) suit celle où figure le verbe fra+√√ var (Y
31.10) :

Y 31.8 a7 șȕƗ mÈ«hƯ paouruuƯm mazdƗ yaznjm stǀi manaƾhƗ V vaƾhÈuš


patarÈm manaƾhǀ hiia7 șȕƗ hÈm cašmainƯ hÈQgrabΩm V ×hișąm a¹ahiiƗ
dąmƯm aƾhÈuš ahurΩm ĞiiaoșanaƝšnj .·.
J’ai la conviction, Roi de la Sagesse, que tu es le premier quoi que tu sois
le cadet, depuis que j’ai saisi par la vue que tu étais le père de Penser bon, le
fondateur actif de l’Agencement et le roi de l’existence (rituelle) lors des
gestes (qui la marquent).
Y 31.9 șȕǀi as Ɨrmaitiš șȕÈ Ɨ gÈuš tašƗ +aš.xratuš V mainiiuš mazdƗ
ahurƗ hiia7 a[iiƗi dad¿ pașąm V vƗstriiƗ7 vƗ ƗitƝ yÈ vƗ nǀi7 aƾha7 vƗstriiǀ .·.
Ta fille la Déférence et ton fils le très performant Configurateur de la
Vache, Roi de la Sagesse, furent à la base de ma conviction. Lorsque, parmi
les chemins, tu donnes à (ta fille le choix) de suivre celui qui vient de chez le
pâtre ou (celui qui vient de chez) qui ne l’est pas,
Y 31.10 a7 hƯ aii¿ frauuarΩtƗ vƗstrƯm a[iiƗi fšuiiaQtϷm V ahurΩm a¹auua-
nΩm vaƾhÈuš fšÈ«hƯm manaƾhǀ V nǀi7 mazdƗ auuƗstriiǀ dauuąscinƗ humΩrΩ-
tǀiš baxštƗ .·.
elle, des deux, choisit comme pâtre éleveur le roi harmonieux qui recourt
au penser bon pour attacher la (vache) si aucun non pâtre, du fait de son
mauvais discours (?), Roi de la Sagesse, n’accorde de bonne mise à mort.
Y 31.11 30hiia7 nÈ mazdƗ paouruuƯm gaƝș¿scƗ tašǀ daƝn¿scƗ V șȕƗ ma-
naƾhƗ xratnjšcƗ hiia7 astuuaQtΩm dad¿ uštanΩm V hiia7 ĞiiaoșanƗcƗ sÈQ
ghąscƗ yașrƗ varΩnÈQg31 vas¿ dƗiietƝ .·.

30
Voir Chapitre V 5.
31
Accusatif de relation ou de durée. Cf. Y 30.2b1 ƗuuaranƗ vƯcișahiiƗ ; Y 45.1e1 akƗ
varanƗ ; 45.2d1 naƝdƗ varanƗ. Dans Y 48.4c, le tandem zaošÈQg ... varΩnÈQg revient à dire
**zaošÈQg ... vƗrÈQg d’après Y 33.2c vƗrƗi ... zaošƝ ; dans la strophe Y 49.3, varΩnƗi, positif,
s’oppose curieusement à 7kaƝšƗi, négatif. L’Avesta récent connaît aussi le mot varΩna-, mais
nous ne pouvons pas tirer grand profit de la lecture de litanies telles que celle du Y 16.2 ras-
semblant la fravUUti, les sravah, la dainƗ, le varna et le tkaiša de Zoroastre : zarașuštrΩm
a¹auuanΩm a¹ahe ratnjm yazamaide .·. Ɨbiiǀ rƗtƗbiiǀ zaoșrƗbiiǀ aršuxįaƝibiiasca vƗȖžibiiǀ
vƯspΩmca a¹auuanΩm gaƝșƯm yazatΩm yazamaide .·. zarașuštrahe a¹aonǀ frauua¹Ưm yaza-
maide .·. zarașuštrahe srauu¿ yazamaide .·. zarașuštrahe daƝnąm yazamaide .·. zara-
șuštrahe varΩnΩmca 7kaƝšΩmca yazamaide ºoº « Nous offrons le sacrifice à Zoroastre,
l’harmonieux participe de l’Agencement. Avec ces libations offertes et ces paroles qui sont à
prononcer de façon rectiligne. Et nous offrons le sacrifice à chacun des harmonieux Ado-
rables organisés en troupeaux. Nous offrons le sacrifice à la Préférence de l’harmonieux

185
Comme les performances de la pensée t’ont permis de nous configurer
d’abord les troupeaux et les doctrines, de placer la faculté du mouvement sur
l’os et de définir les (pensées, les paroles et les) gestes, (dès lors,) là où les
décisions rencontrent les choix,
Y 31.12 32așrƗ vƗcΩm baraitƯ mișahuuac¿ vƗ ΩrΩš.vac¿ vƗ V vƯduu¿ vƗ
ΩuuƯduu¿ vƗ ahiiƗ zΩrΩdƗcƗ manaƾhƗcƗ V Ɨnuš.haxš Ɨrmaitiš mainiinj pΩrΩ-
saitƝ yașrƗ maƝșƗ .·.
avec ou sans respect de la bonne diction, s’y connaissant ou non, (l’orant
ou l’officiant,) cœur et pensée, y porte la parole. Aramati, dévouée, s’entre-
tient avec l’opinion (qu’elle se fait de toi) sur les fondements de l’hésitation.

Concernant le lien devant exister entre le concept de fravUUti et la forme


frauuarΩtƗ, l’attestation que nous trouvons de fra+√ √ var dans la strophe
gâthique Y 31.10, il convient de signaler que la diascévase a recueilli cette
3e personne du sg. de l’aoriste pour l’utiliser comme accusatif pluriel de
frauua¹i- dans le fragment H 2.37 (= Yt 1.30.2-3) que N. L. Westergaard33 a
édité à la suite de ceux du Haįaoxt Nask :
34
ahe narš a¹aonǀ frauua¹Ưm yazamaide V yǀ asmǀ.xvanuu¿ nąma .·. aįƗ7
aniiaƝšąm a¹aonąm V fraxšti yazƗi frauuarΩta .·.
Nous offrons le sacrifice à la fravUti de l’homme harmonieux nommé Ciel-
ensoleillé. Ensuite, à profusion, j’offre le sacrifice aux fravUti des autres har-
monieux.

La forme du substantif avestique frauua¹i-/ fraorΩiti-, pour nommer la


nécessaire réactualisation de son engagement, préalable de chaque sacrifice,
à laquelle le sacrifiant, ancré dans l’éphémère, doit se soumettre, fait écho à
celle de l’aoriste avestique frauuarΩta, plus apte à marquer le résultat d’un
procès qui vient de s’accomplir et dont les effets ne sont pas définitifs puis-
que demain est un autre jour. Par contre, le système du parfait convient à
l’expression du procès de la séparation du ciel et de la terre : cet acte cos-
mogonique, qui ne date pas d’hier, reste d’actualité ou ne cesse de se
prolonger. Un air de parenté le souligne que montre le substantif désignant
ce procès, védique vidh»ra-35, avec le thème du parfait du verbe correspon-

Zoroastre. Nous offrons le sacrifice aux Énoncés de Zoroastre. Nous offrons le sacrifice à la
Doctrine de Zoroastre. Nous offrons le sacrifice au choix et à la conduite de Zoroastre ».
32
Voir Chapitre V 5.
33
1852-1854 : 299.
34
Sur ce passage, voir Pirart 2007b : 65. Le zand en est le suivant : ǀy Ư mard Ư a¹auu
frauua¹ yazem kƝ asmǀ.xvanuuat nƗm .·. ud pas ×ǀy Ư anyƗn×1 a¹auuƗn vas yazem .·.. Note :
1
. K20 OLEš’ny’n.
35
RS 9.110.3 vidh»re (voir Pirart 2001a : 336).

186
dant, avestique vƯdiįƗra36, que la diascévase a employé à sa place37 dans le
Yt 13.28.1abc :

t¿ mazd¿ zbaiia7 auua«he V auua«he ašnǀ vƯdiįƗra V apasca zΩmasca


uruuaraii¿sca
Le (Roi) de la Sagesse appela les (FravUti) à l’aide dans son labeur de
fixer de façon distinctive là-haut le Ciel et l’Eau, (ici-bas) la Terre et la
Plante.

Quoique la portée exacte de la section Y 31 ne puisse être aisément dé-


terminée, nous devons pourtant reconnaître l’existence d’un lien entre le
varna et le premier des trois niveaux du comportement rituel de l’adorateur
ou de l’officiant. Ceci est assez clair à la lecture de la strophe Y 45.2 :

a7 frauuaxšiiƗ aƾhÈuš mainiinj pauruiiƝ V yaii¿ spanii¿ uitƯ mrauua7 yÈm


aQgrΩm V nǀi7 nƗ man¿ nǀi7 sÈQghƗ nǀi7 xratauuǀ V naƝdƗ varanƗ nǀi7 uxįƗ
naƝdƗ ĞiiaoșanƗ V nǀi7 daƝn¿ nǀi7 uruuąnǀ hacaiQtƝ .·.
Je vais proclamer que, des deux avis fondamentaux de l’existence, celui
que les pensers, les définitions, les performances ni les choix, les paroles ni
les gestes, les doctrines ni les âmes ne suivent jamais est celui des deux que
l’on donnera non pour le plus savant (et utile), mais pour le funeste.

L’énumération contenue dans cette strophe est organisée de façon tout à


la fois assez complexe et rigide : les trois niveaux du comportement rituel
sont coordonnés au tandem que le ruvan forme avec la dainƗ, mais le
premier niveau, quant à lui, est coordonné à trois de ses facettes, le sanha
« sanction, définition », le xratu « performance, intelligence » et le varna
« choix, décision ». Nous voyons donc combien le tandem du ruvan et de la
dainƗ, dans sa solidité, dépend du recours fait aux trois niveaux de ce com-
portement. Nous voyons aussi que le premier niveau n’acquiert toute sa
pertinence qu’une fois le choix opéré, c’est-à-dire lorsque la définition et
l’intelligence auront pu y mener.
Dans la section Y 31, le choix que le verbe frauuarΩtƗ connote est opéré
entre deux ensemble de données, l’un positif et l’autre négatif, affectant
d’abord l’immolateur. Et c’est la Déférence (Aramati), synecdoque du sa-

36
Pirart 2007b : 65 n. 232. La vocalisation en i du redoublement du parfait est secon-
daire, due à une manipulation diascévastique. D’autres exemples sont H 2.8.2c +jigauruua
(jigraba) face au védique jagrabha, Vyt 8.6.3a cikana (cikƗna) face au védique cƗkƗna, le
participe parfait jiȖƗuruuƗh- « toujours en éveil » face au védique jƗgUv»Ps- et l’adjectif
jiȖƗurnj- (jigarnj-) qui lui sert de féminin face au védique jƗgarÕkƗ-.
37
C’est ce que la métrique suggère aussi : tƗh mazdƗh zbayat avahai (8) avahya ašnah
vidƗrƗi (8) apah [ca] zmah [ca] urvarƗyƗh ca (8).

187
crifiant, qui vient à l’opérer. Il y est donc question de choisir un officiant, ce
qui correspond à l’usage que la strophe védique RS 3.19.1 fait de prá V5.
Comme le choix de l’officiant est aussi celui de la façon d’offrir le sacri-
fice et que celle-ci passe par le recours fait aux trois niveaux du compor-
tement rituel requis que sont la pensée, la parole et le geste bons, nous pou-
vons avancer que ce choix est bien une fravUUti en ce sens que celle-ci, sait-
on par des passages pehlevis38 qui font d’elle l’agent qui maintient cette
bonne caractérisation rituelle (cișra), incline le sacrifiant à y recourir. Cette
idée est confortée aussi par le contenu des phrases Y 11.17.2-3 de la Fra-
vUUti :
39
aibigairiiƗ daișƝ40 vƯspƗ humatƗcƗ hnjxtƗcƗ huuarΩštƗcƗ .·. paitiriciiƗ
daișƝ vƯspƗ dušmatƗcƗ dužnjxtƗcƗ dužuuarΩštƗcƗ .·.
Je considère devoir adopter toutes les pensées bonnes, toutes les paroles
bonnes et tous les gestes bons. Je considère devoir rejeter toutes les pensées
mauvaises, toutes les paroles mauvaises et tous les gestes mauvais.

Remarquons que, dans la strophe Y 45.2, les critères du choix appelé


varna lui sont coordonnés : la définition (sanha) et la capacité mentale de la
comprendre (xratu). Déterminante, la définition est fournie dans l’entretien
que l’adorateur peut avoir avec l’opinion (manyu) que cet adorateur se fait
du Roi de la Sagesse, c’est-à-dire dans la doctrine que cet entretien per-
mettra d’échafauder ou dans la façon qu’il se forgera de voir (dainƗ) le
grand dieu.
Comme on voit, tous les ingrédients sont là même si la fravUUti, pour n’y
avoir pas encore acquis son importance, ne s’est pas encore érigée comme
troisième composante immortelle immatérielle de l’individu à côté de son
ruvan et de sa dainƗ.

2. Évolutions

2.1. Évolution des conceptions

Le choix opéré du bon rituel, l’engagement pris de s’y plier reste, dans
les Cantates, une donnée dont l’expression n’est pas encore figée dans un
seul et même vocable. Aucune contraction sémantique ne l’a encore menée
au statut d’âme, mais il est difficile de dire si les conceptions changèrent
fondamentalement après les Cantates ou si le nouveau statut que l’engage-
38
Dk 3.218.4, ŠGV 5.87 (voir ci-dessous 3.2).
39
Texte et traduction Pirart 2006b : 147 sqq. et 107 sq. ; 2010b : 56.
40
Indicatif présent. Kellens (2006-2010 : II 94) envisage la possibilité de l’optatif, mais,
finalement (2006-2010 : II 132), ne la retient pas.

188
ment pris put acquérir de troisième âme fut porteur d’une conception ré-
ellement nouvelle.
Pour aborder l’évolution des conceptions, Jean Kellens41 compare l’énu-
mération du Y 45.2 avec celles du YH 37.3 et du Yasna récent (Y 26.4, Y
55.1), mais, pour la compréhension de la strophe gâthique qui contient
varana- là où les passages récents mentionnent la fravUUti, Jean Kellens ne
prête guère d’attentions au verbe hacaiQtƝ dont l’objet est « le funeste
avis ». Le funeste avis ni n’emporte la conviction des âmes du Utavan ni ne
guide les trois niveaux de son comportement rituel. Le premier niveau de ce
comportement est détaillé au moyen de l’apposition qui lui est faite de la
coordination de trois termes, sÈQgha-, xratu- et varana-42.
Les deux passages récents, quant à eux, montrent comme verbes l’un ya-
zamaide (Y 26.4 «nous offrons le sacrifice aux âmes des premiers doc-
teurs»), l’autre pairica dadΩmahƯ Ɨca vaƝdaiiamahƯ (Y 55.1 « nous sérions
et annonçons »). Cependant, dans ce dernier passage, pour une raison in-
connue, plusieurs des accusatifs compléments figurent au pluriel tandis que
les trois derniers restent au singulier : vƯsp¿ gaƝș¿sca tanuuasca azdÈbƯšca
uštƗnąsca kΩhrpasca tΩuuišƯšca baoįasca uruuƗnΩmca frauua¹Ưmca. Faut-il
y voir le signe de deux groupes que l’action connotée par le verbe pari+
√ dƗ sépare l’un de l’autre43 ?
Jean Kellens44, dans la perspective diachronique qu’il envisage entre les
Cantates qui ne connaissent pas les fravUUti, le Yasna HaptaƾhƗiti où l’hapax
frauua¹i- garde le sens abstrait et l’Avesta récent où les FravUUti sont mytho-
logisées, fait grand cas de l’absence que l’on constate de la doctrine des
millénaires dans les Cantates ou dans le YH. Je ne puis le suivre sur ce che-
min : le silence des Cantates qui pourrait être dû à leurs dimensions ou à
leur objet n’est pas significatif si la théorie des quatre âges que nous
pouvons y détecter n’a rien d’incompatible avec la doctrine des millénaires.
Cependant, sachons que la portée exacte du paragraphe qui, dans le YH,
atteste le mot frauua¹i- n’est pas clairement établie. Selon la compréhension
que j’en ai actuellement, les officiants offrent le sacrifice à Ahura MazdƗ
en s’impliquant à fond dans leur office, corps et âme (Y 37.3.2 tÈm ahmƗ-
kƗiš azdΩbƯšcƗ uštƗnƗišcƗ yazamaidƝ), mais en impliquant aussi tout le
groupe pour lequel ils officient et qui leur en donne la force : ils le font forts
qu’ils sont du choix que les mazdéens ont opéré de se détourner des Daiva
si la mention de leurs fravUUti suppose déjà cette idée (Y 37.3.3 tÈm a¹Ɨunąm
frauua¹Ưš narąmcƗ nƗirinąmcƗ yazamaidƝ). En effet, la grammaire, me

41
2008-2009 : 760.
42
Ce dernier mot apparaît aussi combiné avec le préverbe Ɨ dans Y 30.2b1 +ƗuuaranƗ vƯ-
cișahiiƗ « les préférences résultant du discernement ». Cf. Y 46.18e ta7 mǀi xratÈuš manaƾ-
hascƗ vƯcișΩm « tel est le discernement de mon intelligence et de ma pensée ».
43
Cf. gâthique pari+√ √ dƗ « séparer acc. de abl. ». Sur Y 55.1, voir Chapitre III 1.4.
44
2008-2009.

189
semble-t-il, empêche de comprendre Y 37.3 comme Jean Kellens le fait45 :
nous ne pouvons facilement accorder a¹Ɨunąm avec le sujet de yazamaidƝ
pour traduire « nous lui sacrifions avec nos fravUti de partisans de 5ta »46.

2.2. Évolution de la rection

Il faut encore souligner l’évolution de la rection du verbe fra+√ √ var.


Comme régime accusatif pouvant le compléter, la strophe védique RS 3.19.1
s’accorde avec la strophe gâthique Y 31.10 pour nous proposer la dési-
gnation d’un officiant, mais, dans les Yašt, ce verbe régit l’instrumental de
daƝnƗ- :

Yt 10.92.1 (= Yt 11a.23.2) aiia daƝnaiia fraorÅQta V ahurǀ mazd¿ a¹auua


V
frƗ vohu manǀ V frƗ a¹Åm vahištÅm V frƗ xšașrÅm vairƯm V frƗ spÅQta
+
Ɨrmaitiš47 V frƗ hauruuata.amÅrÅtƗta .·.
Yt 10.92.2-4 frƗ hƝ48 amŹ¿ spÅQta V bÅrÅja ×vΩrΩnata49 daƝnaiiƗi50 .·.
frƗ hƝ51 mazd¿ huuƗp¿ V ratușȕÅm ×bara752 gaƝșanąm V yǀi53 șȕƗ54 †vaƝ-
nÅn55 dƗmǀhu56 V ahnjm ratnjmca gaƝșanąm V †yaoždƗtƗrÅm ¿Ëhąm†57 dƗ-
manąm †vahištąm58 .·.
Yt 10.93.1 (= Yt 11a.24.1) †<frƗ>59 †aįa60 uuaƝibiia ahubiia

45
2008-2009.
46
Pour que ce fût possible, j’attendais **tÈm a¹auuanǀ ahmƗkƗiš frauua¹Ưš narǀ nƗirƯšcƗ
yazamaidƝ.
47
D’après Yt 11a.23.2, contre Geldner (1886-1896) Ɨrmaiti.
48
Ahura MazdƗ ?
49
Avec Kellens (1984a : 234 n. 1), contre Geldner (1886-1896) vΩrΩQta.
50
Fautif pour le génitif ?
51
Ce pronom représente Mișra, selon Kellens (1984a : 268) ; pour moi, c’est DainƗ.
52
Avec Kellens (1984a : 268), contre Geldner (1886-1896) barƗ7, mais Hoffmann &
Narten (1989 : 58 n. 78) parlent de subjonctif consécutif : « er wollte übertragen ; damit er
übertrage ».
53
Les AmUUta Spanta, selon Gershevitch (1959) ; certains des DƗman ou les mazdéens,
selon moi.
54
Mișra, selon Gershevitch (1959) ; DainƗ, selon moi.
55
Fautif pour le subjonctif (vainƗnti) ? Kellens (1984a : 233) accepte l’injonctif.
56
Mis pour le génitif comme en Yt 10.6.1b, mais il est gênant que le mot figure deux fois
dans la phrase : voir la note sur d ¿ƾhąm.
57
Comme yaoždƗtƗrΩm n’est pas coordonné à ahnjmca ratnjmca, que le démonstratif
¿ƾhąm ne se justifie guère et que la double présence de dƗman- dans la phrase n’est accep-
table que si sa seconde mention figure dans une principale par rapport à la relative qui, intro-
duite par yǀi, en contient la première, une correction ×yaoždƗtƗrǀ aƾhΩn× est à envisager.
58
Gershevitch (1959), contre Geldner (1886-1896) qui suggère ×vahištΩm, y reconnaît
DainƗ comme complément de yaoždƗtƗrΩm : « who consider you (= Mithra) [...] the one who
purifies the best (Religion) for the creatures ». J’opte pour ×vahištanąm.
59
D’après Yt 11a.24.1, mais Dehghan (1982) y biffe le mot alors que les traductions
médiévales le reflètent.

190
L’harmonieux Roi de la Sagesse, le Penser bon, l’Agencement excellent,
l’Exercice de l’Influence recommandée, la Savante Déférence, l’Immortalité
et la Complétude optèrent pour cette Doctrine.
Les (autres) Immortels Savants optèrent pour le respect que le Roi de la
Sagesse montrait envers la (Doctrine). Le Roi de la Sagesse et des bonnes
œuvres la chargea d’être le modèle des troupeaux61 en lui disant ceci :
« Ceux qui, parmi les êtres, te regarderont, Doctrine, comme l’existence et le
modèle des troupeaux, ceux-là seront, parmi les êtres, les meilleurs purifi-
cateurs ».
La Présentation des offrandes (optait aussi pour ce respect) dans les deux
existences.

En réalité, sur base de la strophe védique RS 7.59.11, nous devons sup-


pléer {yasnΩm} dans la rection de fraorÅQta :

ihéha vaK svatavasaK kávayaK sÕryatvacaK | yajñám maruta » vUQe


Vous les Marut qui tirez de vous-mêmes votre force de frappe/ votre
capacité, vous les Attentifs baignés de soleil, je choisis en toutes circon-
stances de vous offrir le sacrifice.

C’est aussi ce que suggère le passage du VƯsp-rat dans lequel la mention


instrumentale de la dainƗ se combine avec la série nominative des attributs
du sujet marquant les engagements du locuteur (Vr 5.3.1) :
62
frƗ tƝ vΩrΩne ahe63 daƝnaiia a¹Ɨum ahura mazda mazdaiiasnǀ zarașuš-
triš vƯdaƝuuǀ ahura.7kaƝšǀ .·.
Roi de la Sagesse, je fais le choix d’être de ceux qui t’offrent le sacrifice
en suivant les recommandations de Zoroastre, de repousser les Hasardeux et
de me plier à tes enseignements en recourant à cette doctrine (qui n’est autre
que) ta (fille).

60
Mis pour le nominatif sg. de ƗdƗ- ? Dehghan (1982) pense que la traduction de aįa par
ADYN| (Ɲg) a été lue AYT| (ast) par Neriyosangh qui la rend par vidyate. Malheureusement
son texte est fragmentaire : prakUVWaP vidyata ubhayor bhuvanayoK <...>.
61
La Formule ou Strophe du Choix de l’Existence (Ahuna Variya) contient deux mots
auxquels une grande importance était accordée, ahu « existence » et ratu « modèle », qui
recouvrent des notions fondamentales de la pensée zoroastrienne. L’existence dont il est ici
question est celle que génère ou installe le sacrifiant, l’existence rituelle, souvent appelée
« existence mentale » par opposition à la profane appelée « existence osseuse ». L’existence
mentale, en plus d’offrir un modèle à l’existence osseuse, préfigure l’existence que l’âme-moi
pourra connaître dans l’au-delà ou en constitue le fondement. Il va de soi que la bonne
Doctrine représente ou structure l’existence mentale, inspire un modèle à l’existence osseuse
ou à ses troupeaux et donne dès lors un soubassement à l’Existence excellente du Moi des
pieux défunts.
62
Cf. Kellens 2006-2010 : II 141.
63
Mis pour aiia.

191
Le premier de ses engagements est d’être de ceux qui offrent le sacrifice
au Roi de la Sagesse. Nous voyons donc que la dainƗ est donnée pour l’in-
strument de cet engagement pris à offrir le sacrifice. Nous pourrions alors
reconstruire la phrase pléthoriquement explicite suivante : « Je fais le choix
d’être de ceux qui offrent le sacrifice au Roi de la Sagesse en recourant à la
doctrine de ceux qui offrent le sacrifice au Roi de la Sagesse et en choi-
sissant les officiants qu’elle requiert ». La relation étroite que l’action de
fra+√√ var entretient avec daƝnƗ- est reflétée bien évidemment dans la pro-
pre désignation complète de la Formule de la Préférence, FravUUti DainƗyƗh
MƗzdƗyasnaiš « Formule de la Préférence marquée pour la Doctrine maz-
déenne » :

Y 13.8.1-4 ahunΩm vairƯm yazamaide .·. a¹Ωm vahištΩm sraƝštΩm amΩ¹Ωm


spΩQtΩm yazamaide .·. fraorΩitƯm hƗitƯm yazamaide .·. fraorΩitƯmcƗ Ɨstao-
șȕanΩmcƗ daƝnaii¿ mƗzdaiiasnǀiš yazamaide .·.
Nous offrons le sacrifice à la Formule du Choix de l’Existence. Nous
offrons le sacrifice à la Formule de l’Agencement excellent qui est le plus
beau des Immortels Savants. Nous offrons le sacrifice à la Section qui est ou-
verte avec la Formule de la Préférence. Nous offrons le sacrifice au texte de
la Préférence marquée pour la Doctrine mazdéenne64 et au texte de son A-
doption.

À ce propos, la mention que le passage suivant du FravardƯn Yašt (Yt


13.89) fait du cișra me paraît lourde de sens :

yǀ paoiriiǀ Ɨșrauua V yǀ poiriiǀ rașaƝšt¿ V yǀ paoiriiǀ vƗstriiǀ fšuiiąs .·.


yǀ paoiriiǀ cișrΩm65 uruuaƝsaiiata V daƝuuƗa7ca haotƗ766 ma¹iiƗa7ca .·. yǀ
paoiriiǀ stǀiš astuuaișii¿ V 67stao7 a¹Ωm 68nƗist daƝuuǀ V 69fraorΩnata maz-
daiiasnǀ zarașuštriš vƯdaƝuuǀ ahura.7kaƝšǀ .·.
(Zoroastre) qui fut le premier prêtre, le premier guerrier monté sur char, le
premier pâtre éleveur, qui fut le premier à frustrer du cișra (= signe positif)
l’Hasardeux mauvais Jus et son suppôt mortel, qui fut le premier du monde

64
Je ne comprends pas la raison de la complication que Kellens (2006-2010 : II 141)
introduit en traduisant la dernière phrase comme suit : « Nous sacrifions au Texte du Choix et
au Texte de l’Éloge de l’âme-voyance quand le sacrifice est rendu à (Ahura) MazdƗ ».
65
Le cișra, comme nous le savons notamment par le Y 58.1 (Chapitre IV n. 37 ; Pirart
2006b : 62), est la caractéristique ou le corollaire bénéfice du sacrifice marqué par la bonne
pensée, la bonne parole et le bon geste.
66
Sur ce démon, voir Pirart, « Le nom de la mère d’Aji DƗhaka » (à paraître dans les
actes du colloque Démons iraniens organisé à Liège les 5-6 février 2009) §8.
67
Cf. Y 11.19.1.
68
Cf. Y 12.1.1.
69
Cf. Y 12.1.2.

192
osseux à faire l’éloge de l’Agencement, à condamner les Hasardeux et à pré-
férer être de ceux qui, pour offrir le sacrifice au Roi de la Sagesse, suivraient
*ses (propres) recommandations, repousseraient les Hasardeux et se plieraient
aux enseignements de ce grand dieu.

En effet, nous pouvons y déceler ce lien dont nous avons déjà fait état ci-
dessus existant entre le choix et le cișra : le choix détermine la caracté-
risation positive du sacrifice et du sacrifiant. Tout en fomentant ce signe
positif d’un sacrifice marqué par les trois niveaux du comportement rituel
requis, le choix, comme nous l’avions vu dans le Y 31, concernait aussi
l’immolateur et, bien évidemment, la victime sacrificielle. Sans doute est-ce
sur cette base que nous devons interpréter le Vr 4.2abc qui réunit le datif du
√ var :
mot « vache » et l’infinitif en -dyƗi de fra+√

frƗ gauue vΩrΩQdiiƗi mazdaiiasna zarașuštraiiǀ Ɨ hƯm vaƝįaiiamahƯ


Afin de choisir la vache et d’être de ceux qui (l’)offrent en sacrifice au
Roi de la Sagesse en suivant les recommandations de Zoroastre, nous la con-
sacrons70.

La phrase clé de la FravUUti, c’est-à-dire celle qui est à l’origine de sa


dénomination, passe donc par de multiples sous-entendus que plusieurs de
ses autres phrases et certaines strophes gâthiques permettent de combler.
L’ensemble des phrases de la FravUUti constitue un préalable sacrificiel, la
mise en forme de l’engagement de l’individu qui se prépare à offrir le
sacrifice. Ce préalable figure bien évidemment dans le Yasna, mais nous le
trouvons logiquement aussi au début de tous les Yašt. La déclaration est un
engagement solennel. Une fois pris, il ne pourra plus être revenu sur cet
engagement. Telle est la portée que, me semble-t-il, nous devons reconnaître
au Y 12.8.1 :

mazdaiiasnǀ zarașuštriš frauuarƗnƝ V ƗstnjtascƗ frauuarΩtascƗ .·.


(Lorsque) je (déclare) choisir d’être de ceux qui offrent le sacrifice au Roi
de la Sagesse en suivant les recommandations de Zoroastre, (ce sacrifice) est
adopté et choisi71.

70
Jean Kellens (2006-2010 : II 130), contre la grammaire, fait de hƯm un pronom repré-
sentant le zautar et, en outre, interprète différemment le datif gauue : « Afin qu’il dise à la
Vache notre choix d’offrir le sacrifice à (Ahura) MazdƗ comme le fit Zarașuštra, nous
consacrons le (libateur) ». Le zand qui, certes, n’est pas limpide paraît faire de hƯm un pronom
qui reprend gauue : frƗz gǀspand rƗyƝnem ǀ mazdaiiasnƗn Ư zardušt ud avƝšƗn ǀ Ɲn vƝyƝnem
« Je présente la victime aux mazdéens de Zoroastre et les lui (= la leur ?) fais connaître ».
71
L’interprétation que Jean Kellens (2006-2010 : II 137) donne des deux nominatifs co-
ordonnés qui clôturent la phrase passe par l’hypothèse d’une brachylogie inusuelle : « (Ayant
déclaré) "je choisis de rendre le sacrifice à (Ahura) MazdƗ comme le fit Zarașuštra", me voici
dans l’état de celui qui a récité l’ƖstuiiƝ et le FrauuarƗnƝ ».

193
Certains passages sont affectés par la brachylogie consistant à passer du
choix fait du sacrifice en recourant à la bonne doctrine au choix pur et
simple de cette doctrine. Ceci est pratiquement attendu si le choix de la
bonne doctrine est mis grammaticalement sur le même pied que la célébra-
tion du sacrifice ainsi adoptée. C’est ce qui peut être constaté dans un
passage du VƯdaƝuu-dƗt (V 19.2) :

zarașuštrǀ ahunΩm vairƯm +frasrƗuuaiiǀi772 .·. yașƗ ahnj vairiiǀ ... vƗs-
tƗrΩm .·. Ɨpǀ vaƾvhƯš frƗiiazaƝta vaƾhuii¿ dƗitiiaii¿ V daƝnąm mƗzdaiiasnƯm
fraorΩnaƝta .·. druxš hƝ stΩrΩtǀ apa.duuara7 V bnjiti daƝuuǀ V ișiiejǀ mar-
šaonΩm V †dauuaž¿73.·.
(Comme) Zoroastre récita la Strophe du choix de l’existence, offrit le sa-
crifice aux bonnes eaux de la bonne Rivière de la Loi et opta pour la religion
mazdéenne, abasourdis, l’Erreur, l’Hasardeux Fantasme et l’Abandon route-
vaine74 ne purent, en détalant, que rejoindre le DƗužahava (= le monde infer-
nal).

3. La définition de la fravUUti

3.1. Le cișra de la fravUUti

Le FrW 10.39-40 nous informe sur la nature (cișra-) de la fravUUti :


75
<pÅrÅsa7 zarașuštrǀ ahurÅm mazdąm ahura mazda mainiiǀ spÈništa>
dƗtarÅ <gaƝșanąm astuuaitinąm a¹Ɨum .·.> †×kuua.cișra ×zƯ hΩQti V irista-
nąm uruuąnǀ V y¿ a¹Ɨunąm frauua¹aiiǀ .·.
paiti šƝ aoxta ahurǀ mazd¿ V spΩQta7 haca mainiiao7 V zarașuštra aƝšąm
cișrΩm V vahištƗa7ca manaƾha7 .·.
<Zoroastre demanda au Roi de la Sagesse : « Roi de la Sagesse qui, à mon
avis, es très savant, toi l’harmonieux> qui mets en place <les troupeaux
osseux,> (dis-moi :) de quelle nature sont donc les Moi des défunts (et) les
Préférences des harmonieux ?
Le Roi de la Sagesse lui répondit : « Leur nature, Zoroastre, est compara-
ble à celle du Savant Avis ou du Penser excellent ».

72
Avec Kellens (1984a : 310), contre Geldner (1886-1896) ºa7. Hypothèse de l’optatif
prétérital.
73
Mis pour l’accusatif singulier de daožaƾvha-.
74
Sur ces démons, voir Pirart 2007a : 123.
75
Voir Chapitre II 4.1.

194
La fravUUti ainsi ressemble-t-elle à la pensée ou est-elle à définir comme
une composante mentale de l’individu. Le Škand-gumƗnƯg VizƗr n’hésite
d’ailleurs pas à la ranger parmi d’autres données mentales mises au service
du Moi :

ŠGV 1.8 Ɲdǀn-iz vƯr ud uš ud xrad ud dƗnišn ud bǀy ud frauua¹ Ư hend


ruvƗn abzƗrƗn
76
Ainsi aussi l’entendement, la conscience, l’intelligence, la connaissance,
la faculté de perception et la fravUti sont-ils des outils dont le ruvan dispose.

La clarté parfaite que Jean Kellens77 trouve dans la séquence iristanąm


uruuąnǀ y¿ a¹aonąm frauua¹aiiǀ « les âmes des morts, à savoir les Fra-
uua¹is des partisans d’A¹a » me paraît douteuse. En effet, y¿, au lieu d’intro-
duire une subordonnée relative nominale et d’avoir uruuąnǀ pour antécédent
tout en étant attiré au genre de frauua¹aiiǀ vu comme attribut du sujet, pour-
rait très bien n’être qu’une eĪƗfe destinée à signaler que le mot a¹Ɨunąm est
le complément de frauua¹aiiǀ78.
Pour moi, frauua¹aiiǀ se trouve donc placé en asyndète avec uruuąnǀ.
Certes, la coordination eût été préférable : nous attendions y¿sca au lieu de
y¿. L’anomalie grammaticale, qui, de surcroît, marque aussi les passages pa-
rallèles, m’oblige donc à ne pas rejeter complètement l’interprétation que
Jean Kellens donne de la séquence, mais cette identification qui serait faite
de la fravUUti avec le ruvan resterait exceptionnelle ou isolée : ailleurs, à ma
connaissance, seul le chapitre 65 de la RivƗyat pehlevie accompagnant le
DƗdestƗn Ư DƝnƯg permettrait de la défendre à donner, semble-t-il, le nom de
fravUUti aux ruvan.
Le sens de « nature » que je donne à cișra « caractérisation, type » n’est
bien évidemment qu’un effet de traduction, mais, quoi qu’il faille penser de
ce sens, le mot, dans le FrW 10.39-40, ne me paraît pas revêtir le sens tech-
nique de « caractérisation rituelle, signe ».

3.2. La fravUUti et le cișra

Par contre, je pense que nous devons lui attribuer ce sens technique dans
les passages pehlevis suivants qui concernent la définition de la fravUUti :

76
Traduction sanscrite : evaP ca caitanyasya smUteĞ ca buddheĞ ca jñƗnasya ca jƯvasya
ca vUddheĞ ca | yƗni santy ƗtmanaK ĞastrƗQi.
77
2008-2009 : 748.
78
Comme uruuąnǀ et frauua¹aiiǀ sont des nominatifs, le Y 26.7.1 où ces formes fonc-
tionnent comme accusatifs est à considérer comme secondaire par rapport à FrW 10.39 ou à
Y 16.7.1.

195
ŠGV 5.86-87 ud bǀy Ư xvad vƝnƗgƯh Ư ruvƗn V ud frauua¹ Ư xvad cișr dƗštƗr
Ư tan
79
Le baudah est la faculté que, de lui-même, le ruvan possède de perce-
voir ; la fravUti, le soutien que, par elle-même, la personne apporte à (son
propre) cișra ;
ŠGV 8.60 pad zǀr Ư dƗrƗg80 ud parvƗlƗg Ư cișr hamkƗr Ư dƝnƯg frauua¹
xvƗnƯhed
81
Avec la force de maintenance et d’alimentation qui, collaborant avec le
cișra, porte, dans la DainƗ (= dans l’Avesta), le nom de fravUti ;
Dk 3.218.4 ud frauua¹ cișr dƗštƗr ud parvardƗr-iz Ư tan
La fravUti, c’est ce qui maintient et nourrit le cișra de la personne (ou :
c’est ce qui, dans la personne, maintient et nourrit le cișra).

En effet, dans de tels passages, je suis partisan de faire du cișra ce que le


premier paragraphe du Fšnjša Mąșra82 en dit : il s’agit de la caractéristique
du sacrifice ou du sacrifiant, leur signe, qui est positif s’il est recouru à la
pensée, à la parole et au geste bons. Ceci me paraît logique : le choix opéré
dont la fravUUti porte le nom est essentiellement celui de la pensée, de la
parole et du geste bons à l’instant d’offrir le sacrifice.

3.3. La fravUUti dans les listes de forces mentales

Afin de la définir de façon plus précise, nous devons analyser les rap-
ports que la fravUUti entretient avec les autres forces mentales de l’individu,
mais les listes données des éléments constitutifs de la personne ne sont
guère faciles à ordonner de façon compréhensive.
Je trouve bien étrange que, dans les Livres pehlevis, la dainƗ ait disparu
des listes des forces mentales83, mais, dans un passage de la Zand-ƗgƗhƯh
auquel Jean Kellens84 s’est référé, la situation est plus spéciale qu’il ne veut
bien le dire, influencée qu’elle est, me semble-t-il, par des spéculations de
type upaniVadique85 qui établissent des bijections entre plusieurs listes. Il

79
Traduction sanscrite : jƯvaĞ ca nijasya nirƯkVaQam ƗtmanaK | vUddhiĞ ca nijarnjpadhƗtrƯ
tanoK.
80
Cf. DD 2.13 frauua¹ Ư dƗrƗg.
81
Traduction sanscrite : prƗQena dhƗtrƗ pratipƗlayitrƗ rnjpasya sarveVu kƗryeVu yƗ dƯnƯ-
yeVu vUddhir ity ƗkƗryate.
82
Y 58.1 (Chapitre IV n. 37).
83
Kellens 1973 : 136 sq.
84
1973 : 136 sq.
85
Voir par exemple l’AitareyopaniVad 2.3-4 (citée Kellens 1993 : 16).

196
est ici question d’une liste de cinq éléments constitutifs de l’individu mise
par deux fois en regard de listes de données cosmiques (ZA 3.13)86 :

u-š mardǀm pad panj bazišn frƗz dƗd Ư tan ud gyƗn ud ruvƗn ud ƝvƝnag ud
frauua¹
ud ciyǀn tan Ɨn Ư <pad> gaƝișiiƯh <ested> ud gyƗn Ɨn Ư abƗg vƗd payvast
ested ud gǀn Ɨvarišn ud barišn ud ruvƗn Ɨn Ư abƗg bǀy andar tan <ested ud>
Ɨšnaved ud vƝned ud gǀved ud dƗned ud ƝvƝnag Ɨn Ư pad xvaršƝd pƗyag ested
ud frauua¹ Ɨn Ư pƝš Ư ohrmazd <Ư> xvadƗy <ested>
pad Ɨn cim Ɲdǀn brƝhƝnƯd knj andar aibigaitƯh mardǀm mƯrend <ud> tan ǀ
zamƯg ud gyƗn ǀ vƗd ud ƝvƝnag ǀ xvaršƝd ud ruvƗn ǀ frauua¹ payvast knj-šƗn
ruvƗn murnjƝnƯdan nƝ tuvƗn bƗd .·.
Et le (Roi de la Sagesse) produisit l’homme en cinq parties qui sont le
corps (tan), le principe de vie (gyƗn), le Moi (ruvƗn), la silhouette (ƝvƝnag)87
et la préférence (frauua¹).
Si le corps est ce qui se trouve dans l’ensemble des êtres sériables (gaƝi-
șiiƯh = ce monde) ; le principe de vie, ce qui se trouve en relation avec le vent
(vƗd) et assure l’apport ou le transport de la couleur ; le Moi, ce qui, avec la
faculté de percevoir (bǀy), se trouve dans le corps pour écouter, voir, parler et
savoir ; la silhouette, ce qui se trouve dans la station du Soleil (xvaršƝd) ; la
préférence, ce qui se trouve en présence du seigneur Roi de la Sagesse (ohr-
mazd Ư xvadƗy),
c’est du fait que celui-ci a arrangé que, durant l’irruption (du Funeste
Avis), les hommes meurent tout en ayant joint leur corps à la terre, leur
principe de vie au vent, leur silhouette au Soleil et leur Moi à la préférence de
façon que les (Hasardeux) ne puissent leur détruire le Moi.

Soulignons que, dans un second temps (B), les trois premiers tandems
bijectionnels s’établissent entre l’ensemble des composantes de l’individu
(le plan adhyƗtmam des UpaniVad) et celui des éléments cosmiques (le plan
adhidaivatam des UpaniVad) tandis que la dernière bijection rassemble deux
données appartenant à un seul et même ensemble, ruvƗn et frauua¹ :

86
Anklesaria 1956 : 40-41 ; DH:168r9-15 (Khanlari 1971) ; TD1:14r 15-21 (Khanlari
1970) ; TD2:34.4-13 (JamaspAsa & alii 1978).
87
Ce sens est suggéré notamment par VZ 29.4.

197
B adhyƗtmam adhidaivatam

1 tan (tannj) zamƯg

2 gyƗn (uštƗna ?) vƗd

4 ƝvƝnag (kUUp) xvaršƝd

3 ruvƗn (ruvan) 5 frauua¹ (fravUUti)

Le côté upaniVadique de la bijection transparaît aussi du fait que la com-


posante de l’individu n’est possible que si l’élément cosmique existe : sans
la lumière du Soleil, l’individu ne peut présenter de silhouette.
En revanche, dans un premier temps (A), la liste des éléments cosmiques
était augmentée d’une seule unité, ohrmazd :

A adhyƗtmam adhidaivatam

1 tan (tannj) gaƝișiiƯh

2 gyƗn (uštƗna ?) vƗd

3 ruvƗn (ruvan) 1 tan (tannj)


avec bǀy (baudah)

4 ƝvƝnag (kUUp) xvaršƝd

5 frauua¹ (fravUUti) ohrmazd

Les deux listes ne coïncident donc que pour les premier, deuxième et
quatrième tandems. Dans la première (A), la colonne adhidaivatam est en-
vahie par la répétition de tan et, dans la seconde (B), par frauua¹. Cette
divergence doit avoir sa source dans la différence de statut des deux listes :
tandis que la première concerne l’homme vivant, la seconde envisage l’hom-
me mort. Autrement dit : lorsque l’homme est vivant, son Moi et sa préfé-
rence sont séparés, mais, lorsqu’il meurt, les voici se retrouver. L’anomalie
de la divergence ainsi est-elle réduite, voire aplanie, mais il convient de
savoir ce que fait la fravUUti là-bas, dans l’au-delà, dès le vivant de l’homme.
Si nous savons que le ruvan, au delà de la mort, retrouve les pensées,
paroles et gestes bons qui avaient caractérisé sa vie religieuse et avaient été
envoyés aux dieux et si la fravUUti fut ce qui l’avait incliné à opter pour ce
comportement rituel requis, il est tout à fait compréhensible que la Zand-
ƗgƗhƯh nous dise que le ruvan rejoindra la fravUUti.

198
Cependant, je ne pense pas que nous devions pour autant voir dans la
fravUUti l’âme céleste de l’homme par opposition au ruvan qui serait d’ori-
gine terrestre et à la dainƗ qui ferait le pont entre elle et le ruvan. Jean
Kellens88 met la fravUUti sur le même pied que le ruvan ou la dainƗ en se
basant sur Y 26.4 ou Y 55.1, mais les listes ressortant des énumérations que
nous trouvons dans ces deux passages du Yasna récent ne correspondent
que très partiellement à celles que dresse le passage analysé ci-dessus de la
Zand-ƗgƗhƯh. Tout d’abord, les deux listes du Yasna ne partagent l’une avec
l’autre que leurs trois dernières entrées. Ceci correspond aussi à la diffé-
rence de nombre grammatical qui peut être constatée dans Y 55.1 entre les
premières entrées figurant au pluriel et les trois dernières figurant au sin-
gulier :
Y 26.4 Y 55.1

ahu (sg.) gaișƗ (plur.)


dainƗ (sg.) tannj (plur.)
ast (plur.)
uštƗna (plur.)
kUUp (plur.)
tavišƯ (plur.)

baudah (sg.) baudah (sg.)


ruvan (sg.) ruvan (sg.)
fravUUti (sg.) fravUUti (sg.)

La comparaison de ces deux listes avec celles de la Zand-ƗgƗhƯh met en


évidence l’absence de dainƗ dans ces dernières (A et B) :

Y 26.1 Y 55.1 A B
ahu gaișƗ 1 tan 1 tan
dainƗ 1 tannj

ast 2 gyƗn 2 gyƗn


2 uštƗna

4 kUUp 3 ruvƗn 4 ƝvƝnag


tavišƯ avec 3b bǀy

3b baudah 3b baudah 4 ƝvƝnag 3 ruvƗn


3 ruvan 3 ruvan

5 fravUUti 5 fravUUti 5 frauua¹ 5 frauua¹

88
2008-2009 : 748.

199
Le bloc que forme la triade d’éléments communs aux deux listes du Yas-
na ressort encore d’un passage du DƝnkard selon lequel Ahura MazdƗ mit
en place la fravUUti des humains en même temps leur ruvan et leur baudah
lors du premier trimillénium (Dk 3.370.2) :

kƝ dǀ Ɲk Ɨn Ư pad bun-dahišn Ư ohrmazd abƗg ruvƗn ud bǀy ud frauua¹ Ư


mardǀm ... dƗd
De ces deux (forces qui dérivent du bien), l’une est celle qu’Ahura MazdƗ
mit en place avec le ruvan, le baudah et la fravUti des humains lors de la mise
en place primordiale89.

3.4. La fravUUti du ruvan

Cependant, le ruvan ne peut être mis sur un même pied que le baudah
ou la fravUUti : comme nous l’avons vu ci-dessus, le ŠGV 1.8 met le baudah
et la fravUUti au service du ruvan. Le caractère inféodé que la fravUUti montre
par rapport au ruvan se déduit aussi de la séquence avestique hauuahe
urunǀ frauua¹Èe dans laquelle la fravUUti apparaît comme une partie du ru-
van :

Y 1.18 niuuaƝįaiiemi haQkƗraiiemi V a¹Ɨunąm frauua¹inąm V uȖranąm


aiȕișnjranąm V paoiriiǀ.7kaƝšanąm frauua¹inąm V nabƗnazdištanąm frauua¹i-
nąm V hauuahe urunǀ frauua¹Èe .·.
90
J’annonce (le sacrifice offert) aux puissantes Préférences des harmo-
nieux, elles qui jamais ne chancèlent, aux Préférences des premiers Docteurs
et aux Préférences des Voisins immédiats du nombril (de la Terre) et complè-
te, à les y intégrer, la liste (des divinités à honorer de ce sacrifice), pour la

89
Les VZ offrent les énumérations similaires suivantes : 30.22 gyƗnƯg se Ư ast gyƗn ud
bǀy ud frauua¹ ; 30.43 gyƗn ud bǀy ud frauua¹ ud ruvƗn ; 30.44 gyƗn ud bǀy ud frauua¹ ud
ruvƗn Ư andar rƗh ud ruvƗn Ư nigƗhbed.
90
Traductions médiévales : nivƝyƝnem ud hangirdƝnem a¹auuƗn frauua¹ Ư cƝrƗn Ư abar-
vƝzƗn ud paoiriiǀ.7kaƝšƗn frauua¹ ud nabƗnazdištƗn frauua¹ {...} ud Ɨn Ư xvƝš ruvƗn fra-
uua¹ .·. ; nimantrayƗmi sampnjrQayƗmi | muktƗtmanƗP vUddhƯr baliVWhƗnƗm adhikaĞaktƯnƗm |
pnjrvanyƗyavatƗP ca vUddhƯK | navanyƗyanikaWƗnƗP ca vUddhƯK | nijƗtmanaĞ ca vUddhƯm. Cf.
Y 23.4.1 Ɨiiese yešti a¹Ɨunąm frauua¹inąm V uȖranąm aiȕișnjranąm V paoiriiǀ.7kaƝšanąm
frauua¹inąm V nabƗnazdištanąm frauua¹inąm V hauuahe urunǀ frauua¹Èe .·.. Dans la traduc-
tion que Kellens donne de ce passage (2006-2010 : I 22), les nabƗnazdišta- sont « les plus
proches parents », à la suite de Mayrhofer (1992-2001 : II 14) qui donne « nächstverwandt »,
mais, à mes yeux, nous ne pouvons attribuer à nazdišta- ce sens figuré. Le nombril présent
dans le nom du sage védique n»bhƗnédiVWha- doit faire allusion à celui de la Terre (RS n»bhƗ
pUthivy»K), c’est-à-dire l’aire sacrificielle toujours vue, quelle que soit sa situation réelle,
comme marquant le centre de la Terre. Jean Kellens (2006-2010 : I) donne aussi une inter-
prétation aventureuse du syntagme hauuahe urunǀ frauua¹Èe « avec la mention "pour l’âme-
élective de ma propre âme-moi" ».

200
fravUti de mon propre ruvan (= en vue d’engager mon propre ruvan/ afin que
mon propre ruvan s’engage à embrasser la religion mazdéenne zoroastrienne).

Le mot frauua¹i- pourrait bien avoir encore pleinement conservé ici sa


valeur première de nom d’action proche de celle de l’infinitif. Quoi qu’il en
soit de cette possibilité, la dépendance de la fravUUti que ce passage montre
par rapport au ruvan ne nous permet donc pas de lui accorder le même
statut qu’au ruvan ou à la dainƗ.
Afin de rester exhaustifs concernant la nature ou la définition des fravUU
ti, nous devons nous pencher sur la nature des êtres qui en possèdent une et
notamment sur le fait que, contrairement à nos attentes ʊ mais le Y 12.7
nous y avait préparés91 ʊ, les végétaux, par exemple, possèdent eux aussi
une fravUUti, mais je n’y ai trouvé aucune explication92 :

Yt 13.86.1 (a¹Ɨunąm ... frauua¹aiiǀ yazamaide) yąmca rašnaoš razištahe


yąmca mișrahe vouru.gaoiiaotǀiš yąm mąșrahe spΩQtahe yąmca ašnǀ yąmca
×
apǀ yąmca zΩmǀ yąmca uruuaraii¿ yąmca gÈuš yąmca gaiiehe yąmca
×
spaoiiǀ a¹Ɨuuaoiiǀ .·.
(Nous offrons le sacrifice aux Préférences des harmonieux,) à celle du
Parcours très rectiligne, à celle de l’Échange roi des vastes prairies, à celle du
Formulaire Savant, à celle du Ciel, à celle de l’Eau, à celle de la Terre, à celle
de la Plante, à celle de la Vache, à celle du Principe de Vie et à celles des
deux Chiens harmonieux93 ;
RPDD 18D.20 ud avƝšƗn tǀ burzend kƝ Ɨb ud kƝ urvar ud kƝ a¹auuƗn
frauua¹
Et les FravUti de l’Eau, de la Plante et des 5tavan t’honoreront.

Je puis tout au plus avancer qu’il s’agit ici non de la plante, mais de la
déesse Plante, mais c’est en désespoir de cause.
Pour moi comme pour Jean Kellens, le caractère proprement zoroastrien
des FravUUti ne fait aucun doute. Si la notion n’en est pas complètement
absente du Veda, l’importance prise et la mythologisation connue en Iran le
montrent à suffisance.

91
Ci-dessus 1.4.
92
Le DD 36.109 parle des fravUUti et des ruvan des lacs, des fleuves, des montagnes, des
plantes et des « autres eaux ».
93
Ceux qui gardent le Pont du Tri par lequel les âmes des pieux défunts rejoignent la
Maison de la Bienvenue.

201
4. La préexistence de la fravUUti

4.1. Préexistence et mythe étiologique

Pour Jean Kellens94, la fravUUti est l’âme céleste et préexistante, qui, de-
meurant auprès des dieux, resterait incapable d’intervention terrestre. Après
la mort de son propriétaire, elle se fondrait dans la troupe des ancêtres. Le
caractère préexistant des FravUUti se déduit de l’aide qu’elles apportèrent à
Ahura MazdƗ dans son œuvre de mise en ordre du monde, mais il reste
incertain que toutes les FravUUti, même celles des futurs mortels, aient
effectivement pris part à ce travail. En effet, dans un passage95 de la RivƗyat
pehlevie qui traite du mythe étiologique du rôle des FravUUti des hommes de
nos jours, nous voyons clairement que, si la fravUUti est antérieure à l’homme
auquel elle sera attachée96, c’est pourtant uniquement parce qu’elle en est le
projet :

ud paydƗg knj ohrmazd ka mardǀm[Ɨn] Ư pad Ɲn ƗvƗm be ǀ ƗvƗm Ư Ɲdǀn


škeft brƝhƝnƯd ud dƗd Ɨ frauua¹ Ư mardǀmƗn Ư pad Ɲn ƗvƗm pad garzišn pƝš
<Ư> ohrmazd Ư xvadƗy estƗd hend .·.
Et il appert (à la lecture de la DainƗ) que, lorsqu’il vint à façonner et à
mettre en place les humains de ce temps en ces temps si durs, leur FravUti qui
se plaignaient se tinrent alors devant le seigneur Ahura MazdƗ.

Ce passage me paraît mettre en évidence que les fravUUti ne sont rien


avant que le Roi de la Sagesse ait satisfait la plainte qui leur est prêtée ni
avant qu’elles aient pris du service auprès d’un homme ou de son ruvan. La
préexistence n’est d’ailleurs pas réservée aux seules fravUUti comme nous le
savons par cette indication trouvée dans le DƝnkard que le baudah et le

94
1993 : 8 ; 1994a : 53 ; 1994-1995 : 698.
95
RPDD 17D.13.
96
Selon VZ 6.1, la fravUUti de Zoroastre se trouvait déjà dans le hauma ; son hvarnah,
dans le lait que burent ses parents. De même, Dk 7.1.14 : Ɲk Ɲd Ư paydƗg knj dƗdƗr ohrmazd Ɨn
Ư zardušt frauua¹ tar hǀm ǀ pidarƗn Ư zardušt vidƗrd pad abd-varz-kardag .·. « Un tel fait ne se
produisit qu’une fois : c’est à travers le Hauma et de façon miraculeuse que le fondateur
Ahura MazdƗ transmit la fravUti de Zoroastre à ses parents». MX 17.17 nous informe que les
fravUUti des humains ne sont pas antérieures au premier homme, Gaya Martan : knj mardǀm
ud hamƗg frauua¹ Ư frašǀ.kԥrԥit kardƗrƗn a¹auuƗn narƗn ud nƗirikƗn az tan Ư ǀy dƗd <hend> .·.
« (Le second avantage de Gaya Martan fut) que les humains et toutes les fravUti des Utavan
hommes et dames qui participeront au parachèvement ont été tirés de son corps » (yan
manuVyƗK samagrƗĞ ca vUddhayo yƗ vUddhikarmatƗkƗriQƗm muktƗtmanƗP narƗQƗP nƗrƯQƗP
ĞarƯrƗd asya sUVWƗK). Cf. Y 26.10.

202
ruvan sont à la même enseigne97. La fravUUti devient effective une fois
qu’Ahura MazdƗ lui donne le droit de bénéficier des honneurs sacrificiels.
Comme le fait remarquer Jean Kellens98, les FravUUti prêtèrent assistance
aux dieux et, tout particulièrement à Ahura MazdƗ, et ce n’est pas comme
guerrières puisque leur assistance avait permis au grand dieu de mener à
bien son œuvre d’ordonnancement de l’univers, quand il avait notamment
placé là-bas le ciel et ici la terre. C’est par leur pratique rituelle qu’elles
assistèrent Ahura MazdƗ, c’est-à-dire en installant l’harmonie et excluant
l’intervention des forces ténébreuses.
Jean Kellens renoue99 avec l’idée de Wilhelm Caland100 que les FravUUti,
s’il faut qu’elles correspondent à un groupe divin de l’Inde, sont compa-
rables aux A1giras, les ancêtres primordiaux qui avaient assisté Indra par
leurs chants rituels lorsque celui-ci, en tuant le dragon, libérait les rivières et
donnait vie à l’univers.
Comme nous l’avons vu ci-dessus avec le mythe étiologique de leur rôle,
la particularité des fravUUti d’être préexistantes101 n’est guère assurée en ce
sens que cette préexistence est limitée à leur principe. Pour défendre leur
préexistence, Jean Kellens102 affirme sur base de la doctrine des millénaires
que, comme entités immatérielles qu’elles sont fondamentalement, les fra-
vUUti sont antérieures à la matière, mais, avec les Livres pehlevis, nous pou-
vons produire le même raisonnement concernant le ruvan, le baudah ou
l’uštƗna.
Liées à la mise en place du temps linéaire, les fravUUti ont alors été vues
comme formant un groupe assez compact même si plusieurs d’entre elles
sont invoquées de façon isolée pour être chacune celle d’un héros qui s’était
distingué dans la lutte contre certaines forces délétères précises. Ainsi, selon
DD 36.67, la FravUUti de Yama est-elle invoquée pour contrer l’Abandon
(syc) et le Danger (shm) ou celle de ĬrƗitauna dans la lutte menée contre le
Dégât (byš) et le démon Jaloux (’c)103. Le culte qui leur est rendu présente
donc des variantes ou des apartés : elles peuvent être honorées du sacrifice
une à une, chacune en raison d’une spécialisation, mais aussi être l’objet
d’un culte qui ne les distingue pas l’une de l’autre. En tant que groupe, les
FravUUti, du fait d’appartenir à la fois au passé, au présent et au futur,

97
Dk 3.370.2. Sur la préexistence des fravUUti, voir ZA 26.100 ; sur celle du baudah et de
la fravUUti, voir ZA 3.23.2.
98
Kellens 1989 : 111.
99
Kellens 1989 : 112.
100
Caland 1888 ; 1893.
101
Kellens 2008-2009 : 747 sqq.
102
2008-2009 : 755.
103
Confusion d’Ɩzi et d’Aji DƗhaka. Sur l’affrontement de ĬrƗitauna et d’Aji DƗhaka,
voir Pirart 2010a : 107 sqq. Ces données tirées du DD ne correspondent pas avec celles du Yt
13.130-131.

203
garantissent la continuité des mazdéens et jouent dès lors un rôle dans la
procréation, font figures d’Ilithyies.
La préexistence des FravUUti qui, à mes yeux, n’est pas fondamentale
n’est clairement dite nulle part. Elle pourra résulter de leur groupe où celles
du futur sont mises sur le même pied que celles du passé. Leur rassemble-
ment les a fait se ressembler les unes aux autres, mais, lorsqu’il n’est pas
envisagé, chacune d’elle garde son individualité ou sa spécialisation : telle
sera honorée du sacrifice dans un but bien précis, chez celui qui espère sur-
monter un danger bien précis, pour être celle d’un héros qui en avait
prononcé le texte et avait pu de la sorte, avec bonheur, faire face à un même
type de danger.
La polychronie que Jean Kellens104 pense déceler dans le concert des
âmes à parler du « nom » comme âme datant du premier âge, de la fravUUti
comme âme fondatrice et résorbante, du ruvan comme âme liée au corps
mortel et de la dainƗ comme âme devant reconcilier la matière et l’immorta-
lité me paraît résulter de réflexions, parfois lyriques, que les textes ne sup-
portent en tout cas pas de façon décisive. Il est vrai que notre compré-
hension des conceptions et croyances mazdéennes passent souvent par la
nécessité de boucher des trous dans l’information qui est à notre portée et de
le faire sur base de déductions ou d’extrapolations plus ou moins fortes à
partir de ce que nous disent les textes, mais Jean Kellens me paraît abuser de
cette nécessité.
En conclusion, Jean Kellens105 reconnaît bien dans les FravUUti le groupe
correspondant à celui des pitÌ indiens, mais avec des particularités tenant à
la dialectologie religieuse indo-iranienne : l’idéologie iranienne des cercles
concentriques d’appartenance sociale était, à ses yeux, incompatible avec la
désignation des ancêtres comme « pères ». Le mot fravUUti, qui s’appliquait
par synecdoque à l’âme humaine, se recommandait, juge Jean Kellens106,
parce que les ancêtres sont censés se comporter avec préférence. Jean Kel-
lens ajoute107 enfin que la notion d’âme préexistante a pu se développer
comme une rationalisation de celle d’ancêtres primordiaux.
Bien sûr, l’idée d’un statut céleste et externe de la fravUUti par opposition
au ruvan, âme intra-corporelle, et à la dainƗ, âme faisant office d’agent de
liaison, n’emporte pas non plus ma conviction. La relation existant entre les
trois types d’âmes doit, à mon sens, être tirée de l’observation du Yt 10.92108
qui combine la mention de la dainƗ, le verbe fra+√ √ var et un Ahura MazdƗ
qui est, comme le ruvan du pieux défunt, affublé de l’épithète de Utavan.

104
2008-2009 : 756.
105
Kellens 1989 : 112.
106
Kellens 1989 : 112 sq.
107
Kellens 1989 : 113.
108
Ci-dessus 2.2.

204
La mise en exergue des fravUUti des Utavan est excessive même s’il est
vrai que leurs ruvan ne sont pas arrivés comme elles à patronner un jour du
mois, mais il reste que les ruvan des Utavan faisaient l’objet d’un culte au
même titre qu’elles ou que les dieux dits Yazata. On ne peut mettre la
fravUUti sur un plan supérieur par rapport au ruvan.

4.2. La fravUUti au service du ruvan

On ne peut non plus mettre la fravUUti sur un même pied que le ruvan et
la dainƗ de l’homme ou de la femme : au lieu de dire « sa fravUti », il est
plus exact de parler de la fravUUti que son ruvan fait de sa dainƗ, mais il est
vrai que les textes recourent souvent à la brachylogie ou à l’hypallage.
Le caractère instrumental que la fravUUti revêt auprès du ruvan se déduit
encore de la séquence qui coordonne sa désignation à celle de l’envoi (Ɨrti)
des pensées, des paroles et des gestes bons109. Cette coordination fait de la
fravUUti une action rituelle au même titre que la xšnuti « attentions, satis-
faction », même si la fravUUti de l’individu sacrifiant est une action purement
mentale ou verbale, moins motrice que son Ɨrti. Ce caractère purement men-
tal doit avoir permis de rapprocher assez souvent les désignations du ruvan
et de la fravUUti110.

4.3. Les FravUUti, la cosmogonie et l’AĞvamedha

L’analyse que Jean Kellens111 avance de la cosmogonie figurant dans le


FravardƯn Yašt passe par l’idée que l’œuvre d’Ahura MazdƗ se situe dans
un passé accompli une fois pour toutes. À mes yeux, la mise en place des
éléments du cosmos se déroule tout au long du temps linéaire, et l’appel à
l’aide qu’Ahura MazdƗ lance aux FravUUti se justifie précisément par leur
succession. Le maintien du monde se situe dans le temps linéaire dont les
FravUUti, pour former un groupe appartenant autant au passé le plus révolu
qu’au futur le plus extrême ou à ce présent ponctué de fêtes sacrificielles,
constituent le moteur.
Les fêtes qui, faisant la clôture du sacrifice du cheval (ham+aspa+
șmaidiya)112, les honorent plus particulièrement, appelées FravardƯgƗn, sont
célébrées tout au long des cinq derniers jours de l’année et des cinq jours

109
Pirart 2006b : 91-94.
110
Quelques exemples : N 52.7.1 a¹Ɨunąm urunasca frauua¹išca ýazamaide « Nous
offrons le sacrifice aux Âmes-moi et aux Préférences des harmonieux » (voir Chapitre II 4.4) ;
Y 4.2 (voir Chapitre II 4.3) ; Y 56.2.1 (voir Chapitre II 4.4) ; Y 71.18 (voir Chapitre II 4.4).
111
2008-2009 : 753 sqq.
112
Sur l’étymologie de ce nom composé, Pirart 2010c.

205
tampons qui préparent la nouvelle année. Certaines d’entre elles étaient au
début qui participèrent aux premiers mouvements cosmogoniques telles que
celles de certains dieux, mais d’autres s’inscrivent pleinement dans le temps
linéaire comme celles des premiers docteurs113 ou encore celles des com-
battants eschatologiques. Ce sont bien évidemment ces autres qui participent
à la mise en mouvement du monde ou au maintien de ce mouvement.
Nous ne devons pas oublier ce que sont fondamentalement les FravUUti :
le choix déclaré des Utavan d’être de ceux qui offrent le sacrifice à Ahura
MazdƗ, ce qui est aussi une déclaration de guerre contre les Daiva ; or, si
guerre il y a contre eux, c’est forcément dans le cadre du déroulement du
temps linéaire.
Il est abusif, me semble-t-il, de voir en elles des atlantes. Les postures
des FravUUti assises en silence ou se tenant debout sont décrites dans le
FravardƯn Yašt à l’image de ceux qui ont d’ores et déjà prononcé le texte
appelé FravUUti. Nous pourrions avancer que le sacrifiant prononçait la
FravUUti avec les officiants, mais que, dans la suite de la cérémonie, seuls ces
derniers faisaient usage de paroles.

5. La troupe guerrière des FravUUti

5.1. Une troupe à cheval

Les FravUUti sont parfois présentées dans les textes avestiques récents et
dans les Livres pehlevis114 comme une troupe nombreuse de déesses guer-
rières : le FravardƯn Yašt (Yt 13) leur est consacré. Les impies, quant à eux,
sont représentés non par des FravUUti, mais par des démones, les san-
guinaires HainiyƗ115 qui hantent les champs de bataille, mais aussi par les
KayƗda116.
Leur apparence de cavaliers que Jean Kellens a pu déterminée117 lui a
permis de retrouver les FravUUti dans l’inscription de KirdƯr118 où elles
apparaissent avant la dainƗ : les cavaliers se manifestent dès l’entrée dans
l’au-delà. Jean Kellens reconnaît dans le groupe que forment le sosie de

113
Selon Albert de Jong (apud Kellens 2008-2009 : 751 n. 7), les paoiriia 7kaƝša « pre-
miers docteurs » ne sont autres que les personnages cités dans ces catalogues que certains
Yašt dressent de personnages qui, antérieurs à Zoroastre, ont pourtant su offrir le sacrifice de
façon correcte aux dieux. Cf. Y 23.2.
114
Exemples : VZ 3.3abcd u-š a¹auuƗn frauua¹ Ư artƝštƗrƗn pƝrƗmǀn Ư drubuštƯh asvƗrag
ud nƝzag-dast ǀvǀn be vinnƗrd ciyǀn vars abar sar ; ZA 6A.3 u-š frauua¹ Ư artƝštƗrƗn Ư a¹auuƗn
gurd-asp ud nƝzag-dast pƝrƗmǀn Ư drubuštƯh ǀvǀn be gumƗrd ciyǀn homƗnƗg Ư mǀy abar sar.
115
Sur ces démones, Pirart 2004a : 130 ; 2006a : 54 sq.
116
Sur ces démons, Pirart 2000 : 96 n. 58.
117
Kellens 1973 : 134 sq.
118
Kellens 1973 : 135.

206
KirdƯr et la jeune femme avec un troisième personnage nommé štrd’ly le trio
formé du ruvan, de la dainƗ et de la fravUUti119, mais l’identification reste
incertaine.
Plusieurs hypothèses ont été avancées120 pour ce qui est de l’origine de
ce type de déesses que sont les FravUUti : le scepticisme caractérise la posi-
tion de W. W. Malandra121 ; l’excès guerrier domine l’origine que Gherardo
Gnoli122 leur suppose ; le côté ange gardien explique, pour Johanna Narten,
la double personnalité des FravUUti comme âmes des ancêtres et protectrices
guerrières de l’univers. Cependant, la relation entretenue avec les individus
dont elles sont les âmes ne se fait que de façon sociale : nul homme n’invo-
que sa propre FravUUti123, mais chacun s’adresse à leur troupe, même si celles
des ancêtres illustres de la communauté sont énumérées une à une avec soin.
Il ne s’agit donc pas d’anges gardiens individuels puisque leur protection
concerne le groupe, le clan, la tribu ou la nation.
Pour justifier le côté guerrier des FravUUti, nous devons souligner que le
texte de la FravUUti ne se limite pas à la déclaration du choix que l’officiant
ou le sacrifiant fait d’être de ceux qui adressent le sacrifice à Ahura
MazdƗ. Ce choix est polémique, militant : le mazdéen s’affirme aussitôt
comme vidaiva, adversaire des Daiva et de leurs suppôts mortels. Peut-être
faut-il donc chercher là l’origine de l’allure guerrière que le FravardƯn Yašt
donne à la troupe des FravUUti.

5.2. Et les Marút

Le comparatiste Georges Dumézil124 avait voulu y reconnaître la version


réformée des dieux védiques appelés Marút dont la troupe bruyante escorte
le champion Índra, mais de nombreux détails ne collent pas. Citons-en
deux : les Marút ne sont pas des parties immatérielles immortelles d’êtres
humains et n’ont apparemment pas le même sexe que les FravUUti.
Pour moi, le caractère guerrier des FravUUti dérive très logiquement du
contenu polémique et militant de la Formule de la préférence qui a donné
leur nom générique. Quant à la détermination de l’origine de la traduction
mythologique de ce caractère guerrier, nous pouvons effectivement regarder
du côté des Marút védiques, mais je pense que ceux-ci sont à considérer
119
Kellens 1973 : 136.
120
Kellens 1989 : 105-108.
121
1971.
122
1982 : 339-347.
123
Mais il est posible d’y trouver des exceptions. Exemple : Y 71.18.7 hauuąm frauua-
¹Ưm yazamaide. La disparité que nous constatons ici entre le nombre grammatical du sujet et
celui de l’objet alors que la concordance est requise peut provenir d’un collage puisque yazƗi
est une alternative.
124
Dumézil 1953.

207
comme des figures ayant hérité, au même titre que les FravUUti, de certains
ingrédients communs proto-indo-iraniens plutôt que comme des prototypes
proto-indo-iraniens déjà constitués. Les FravUUti ni n’héritent rien ni ne sont
la féminisation de Marút proto-indo-iraniens tout simplement parce qu’il
n’existe pas de Marút proto-indo-iraniens. Les Marút védiques et les Fra-
vUUti partagent de mêmes ingrédients, mais leur combinaison iranienne n’est
pas superposable à l’indienne.
Embourbé dans des analyses trifonctionnelles, Georges Dumézil n’avait
pas relevé les points communs existant entre les Marút et les FravUUti qui les
séparassent du monde guerrier, tels ceux auxquels l’AitareyabrƗhmaQa fait
allusion. Comme la prononciation du texte de la FravUUti, la mention des
Marút constitue l’un des préalables du sacrifice :

AitareyabrƗhmaQa 1.9 maruto vai devƗnƗP viĞas tƗ evaitad yajñamu-


khe ’cƯkۜpat
Comme les Marut sont les clans des dieux, ce sont les clans que, ce
faisant, il a disposés au début du sacrifice.

Les FravUUti tout comme les Marut gardent les accès de l’au-delà :

MX 49.15 ud stƗrag Ư haptǀiriQg abƗg nǀ ud navad ud nǀ sad ud nǀ hazƗr


ud nǀ bƝvar frauua¹<Ɨn> Ư a¹auuƗn pad dar ud vidarag Ư daožaƾvh gumƗrd
ested
C’est de concert avec 99999 FravUti que les étoiles de la Grande Ourse
gardent la porte et le passage menant au DƗužahava ;
AitareyabrƗhmaQa 1.10 maruto ha vai devaviĞo ’ntarikVabhƗjanƗs tebhyo
ha yo ’nivedya svargaP lokam etƯĞvarƗ hainaP ni vƗ roddhor vi vƗ mathitoK
Les Marut, sait-on, sont les clans des dieux et occupent l’espace médian si
bien que celui qui va au Svarga Loka sans s’être fait annoncer aux Marut,
ceux-ci sont capables de l’en empêcher ou de l’en détourner.

5.3. Les FravUUti et la distribution de l’eau

Quoi qu’il en soit de la possibilité très évasive qu’elles fussent ou non de


primitives déesses de l’orage, les FravUUti ne sont pas les seules figures
divines qui interviennent dans le cycle des eaux125. Pour la distribution des
eaux, elles ne sont d’ailleurs guère toujours nommées.

125
Selon le Dk 3.112, elles y ont un rôle assez discret pour se limiter à aider le dieu
BUUzant ApƗm NapƗt à dispenser la pluie aux divers secteurs de la Terre.

208
Jean Kellens126 a rétabli plusieurs pans de la personnalité des FravUUti
trop rapidement analysés ou même passés sous silence par Georges Dumézil
et Gherardo Gnoli : le côté guerrier des FravUUti est loin d’être le seul, même
si, pour une bonne part de leur activité, ce sont incontestablement des guer-
rières127. Il ne faut pourtant pas occulter l’importance de leur rôle dans le cy-
cle des eaux : elles en assurent la distribution aux groupes humains dont
elles sont issues. Jean Kellens128 croit reconnaître ici la raison primitive de
leur nom de « préférences » : telle FravUUti accourt apporter l’eau aux siens
plutôt qu’à d’autres, selon cette préférence que tout individu aura pour les
siens.
Comme ce serait lors de la fête des FravUUti célébrée dans le cadre du
clan les dix derniers jours de l’année qu’avait lieu la levée annuelle des
contingents129, Jean Kellens130 pense que la fête pouvait consister, entre
autres choses, à placer les guerriers sous la protection préférentielle des
ancêtres du clan. Leur nom de fravUUti serait ainsi à nouveau justifié. Pour
Kellens131, les FravUUti sont ainsi les génies tutélaires, selon le cas, de la fa-
mille, du clan, de la tribu ou de la nation. Les Livres pehlevis paraissent
pourtant préciser que toutes les FravUUti ne sont pas guerrières : les guer-
rières sont celles des guerriers132.
Jean Kellens lie l’activité guerrière des FravUUti à la répartition des eaux
qu’elles se disputeraient entre elles chacune au profit des siens, mais je ne
vois nulle part que, pour de l’eau, une FravUUti en vienne aux mains avec une
autre. Il me semble plus prudent de penser qu’elles luttent de concert contre
des forces démoniaques et œuvrent ainsi à la sauvegarde des mazdéens.

6. Les sacrifices offerts aux FravUUti

Le rôle psychopompe des FravUUti est rarement ou marginalement men-


tionné. Nous pourrions citer l’ArdƗy VƯrƗz NƗmag133 où elles restent fort
discrètes. Les dieux mentionnés y sont les suivants :

126
Kellens 1989 : 108-113.
127
Kellens 1973 : 134 sq.
128
Kellens 1989 : 110 sq.
129
J’ignore d’où sort cette donnée.
130
Kellens 1989 : 111.
131
Kellens 1989 : 111.
132
VZ 3.3, ZA 6A.3.
133
AVN 5.2-5.3.1.

209
Srauša AVN 5.2
ƖtUU AVN 5.2
Mișra AVN 5.3
Rašnu AVN 5.3, ZA 26.116,120
VƗyu ou RƗman AVN 5.3, ZA 26.20,29
VUUșragna AVN 5.3
5štƗt AVN 5.3, ZA 26.120
Hvarnah AVN 5.3
DainƗ AVN 5.3
les FravUUti AVN 5.3
les autres MƗnyava AVN 5.3
Vahu Manah ZA 26.14
MƗh ZA 26.20
Gauš Ruvan ZA 26.20
Zam ZA 26.120

Lors des funérailles, les FravUUti font pourtant l’objet d’un culte. Selon le
DƗdestƗn Ư DƝnƯg, lors des trois nuits qui suivent le trépas, sacrifice est
offert à Srauša134, mais, le quatrième jour, un sacrifice est offert aux Fra-
vUUti135.
Ceci correspond, chez KirdƯr, avec la vision des cavaliers à son arrivée
dans l’au-delà136. Cependant, le fragment H 2 du Haįaoxt Nask ne men-
tionne pas les FravUUti, et le sacrifice offert l’est à Ahura MazdƗ.

7. Les composés contenant fraorΩiti- ou frauua¹¹i-

7.1. Ɨfrauua¹¹i

Christian Bartholomae137 a corrigé Ɨfrauua¹i pour y lire deux mots, mais


c’est sans compter avec les spéculations grammaticales de la diascévase dite
scolaire : le syntagme qui devait combiner la préposition Ɨ avec l’ablatif fut
remplacé par l’avyayƯbhƗva :

134
DD 27.1-6. C’est la raison du titre donné au Yt 11a : Sraoš Yašt Ư Se-šabag « Le
sacrifice offert à Srauša durant les trois nuits ».
135
DD 27.7. Voir Gignoux 1968 : 223.
136
Kellens 1973 : 137.
137
1904 : col. 330.

210
Y 23.2 Ɨiiese yešti138 Ɨfrauua¹i V ahurahe mazd¿ V amΩ¹anąm spΩQtanąm
V
ma7 vƯspƗbiiǀ a¹aonibiiǀ frauua¹ibiiǀ V y¿ mainiiauuanąm yazatanąm .·.
Ɨiiese yešti Ɨfrauua¹i V gaiiehe marΩșnǀ V zarașuštrahe spitƗmahe V kauuǀiš
vƯštƗspahe V isa7.vƗstrahe zarașuštrǀiš V ma7 vƯspƗbiiǀ a¹aonibiiǀ frauua-
¹ibiiǀ V y¿ paoiriianąm 7kaƝšanąm .·.
Je mets en vigueur/ rends efficaces (toutes les FravUti) depuis celle d’Ahu-
ra MazdƗ (ou celles) des AmUta Spanta sans oublier celles harmonieuses des
Yazata MƗnyava. Je tiens compte de (toutes les FravUti) depuis celle de Gaya
Martan, celle de Zoroastre descendant de Très-fructueux, celle de l’Attentif
Chevaux-désharnachés ou celle de Cherche-pâtures fils de Zoroastre, sans
oublier celles harmonieuses des premiers docteurs.

Cependant, l’opportunité de ce syntagme Ɨ fravUUtaiš ahurahya mazdâh


qui doit être articulé avec celui que la préposition hmat introduit reste
difficile à appréhender139.

7.2. auuascastǀ.frauua¹¹i- et vistǀ.fraorΩiti-

Les deux seuls autres composés contenant fravUUti- sont eux aussi des
hapax legomena. Ce sont auuascastǀ.frauua¹i- (Yt 13.105.2)140 et vistǀ.-
fraorΩiti- (Vr 3.4). Soulignons que le premier où fravUUti- est écrit avec ¹
paraît pourtant se référer à la formule tandis que nous devons reconnaître la
mention d’un être mythique dans la graphie fraorΩiti- présente dans le se-
cond :
141
Vr 3.4 nƗirikąmca ƗstƗiia V frƗiiǀ.humatąm frƗiiǀ.hnjxtąm frƗiiǀ.hu-
uarštąm huš.hąm.sƗstąm ratuxšașrąm a¹aonƯm V yąm ƗrmaitƯm spΩQtąm V
V

y¿sca te ȖΩn¿ ahura mazda .·. narΩmca a¹auuanΩm ƗstƗiia V frƗiiǀ.humatΩm


frƗiiǀ.hnjxtΩm frƗiiǀ.huuarštΩm V vƯstǀ.fraorΩitƯm Ωuuistǀ.kaiiaįąm V ye«he
ĞiiaoșnƗiš gaƝș¿ a¹a frƗdΩQte .·.
Et, (recourant aux manșra dont les incipits respectifs sont) « Aramati
Spanta que » (et) « Et à elles qui sont tes femmes, Ahura MazdƗ », je donne
sa place rituelle à la jeune dame promotrice de la pensée bien pensée, pro-
motrice de la parole bien dite et promotrice du geste bien exécuté, qui,
soumise à de bonnes instructions, en UtaunƯ qu’elle est, exerce (sur les dieux)
l’emprise lors des séquences rituelles. Et, (recourant au manșra qui dit que),
par ses gestes, les troupeaux prospèrent harmonieusement, je donne sa place

138
Sur ce syntagme, voir Chapitre II n. 114.
139
Le zand n’est d’aucun secours puisque Ɨfrauua¹i y est traité comme si ce fût frauua-
¹Ưm : xvƗham ǀ Ɲn yazišn frauua¹ Ư ohrmazd.
140
Voir ci-dessus 1.3.
141
Voir Chapitre V 6.3.

211
rituelle à l’homme Utavan promoteur de la pensée bien pensée, promoteur de
la parole bien dite et promoteur du geste bien exécuté, qui a prononcé la
FravUti et s’est détourné du KayƗda.

En effet, dans ce passage, le contexte paraît indiquer que fraorΩiti- dé-


signe la profession de foi mazdéenne zoroastrienne si ce n’est que l’opposi-
tion qui rassemble les deux composés vƯstǀ.fraorΩiti- et Ωuuistǀ.kaiiaįa-
pourrait nous inciter à reconnaître dans fraorΩiti- la désignation d’êtres
mythiques qui, pour les leur opposer, fussent à mettre sur le même plan que
les KayƗda. Malheureusement, ces derniers et la notion qu’ils personnifient
ne sont guère connus, sans compter que nous ne pouvons vérifier ni la
personnification de kaiiaįa- dans Ωuuistǀ.kaiiaįa- ni le sens de ce composé
en l’absence de passage contenant le syntagme l’explicitant.
Sur la base d’une spéculation étymologique et en corrigeant sa traduction
pehlevie kastƗrƯh « qualité de celui qui commet des destructions » en ×kƗs-
tƗrƯh « qualité de celui qui provoque des diminutions », j’ai avancé que ka-
yƗda représentait le peu d’offrandes, l’avarice142. Tous deux composés vis-
tǀ.fraorΩiti- et Ωuuistǀ.kaiiaįa- évoqueraient dès lors des séquences ri-
tuelles, mais celles-ci sont vues aussi comme des caractéristiques de l’indi-
vidu, comme des facettes de son âme. L’engagement que les impies
prennent d’honorer les Daiva pouvait se remarquer à leur avarice d’of-
frandes faites aux dieux.
Il reste de toute façon à déterminer de quelle racine vid est tiré l’adjectif
verbal vista-, mais le zand ne nous aide guère en rendant vistǀ.fraorΩitƯm
Ωuuistǀ.kaiiaįΩm par kƝ paydƗg franamišn Ư ǀ kƗr ud kirbag u-š [frƗz paydƗg]
kastƗrƯh143 {knj-š vinƗhgƗrƯh} nƝ paydƗg « qui se distingue par l’engagement
pris de mener à bien des actes vertueux et non par ses méfaits (< ×son
avarice) {= sa tendance à commettre des crimes} ».
Si fraorΩiti-, dans le composé vistǀ.fraorΩiti-, pouvait désigner l’une des
âmes de l’individu, sa combinaison avec vista+ pourrait avoir un parallèle
dans l’anthroponyme vistauru-144 pour autant que ce dernier fût le composé
de vista- et d’une forme courte (compositionnelle ?) de uruuan-. Comme ce
sont les dieux qui donnent une âme aux hommes, le composé vistǀ.fraorΩiti-
pourrait y faire allusion : « celui à qui (les dieux) ont donné une fravUti ».
Parallèlement, Ωuuistǀ.kaiiaįa- reviendrait à dire « celui à qui (les Daiva)
n’ont pu inculquer l’avarice »145.
142
Sur les démons KayƗda qui personnifient cet aspect de l’impiété, voir Pirart 2000 : 96
n. 58 ; 2006a : 104 n. 6.
143 ×
kƗstƗrƯh ?
144
Yt 5.76 vistauruš yǀ naotairiiąnǀ (vista+ruš yah nƗu+tar[iy]Ɨnah) où la cheville
métrique de l’eĪƗfe est à remarquer ; Yt 13.102 vistaraoš naotairiiąnahe (vista+rauš nƗu+
tar[iy]Ɨnahya).
145
Le védique ne possède que vittájƗni- (RS 1.112.15) « celui à qui (les AĞvin ont
permis) de trouver épouse » (voir Pirart 1995-2000 : I 145 sq.).

212
8. La fravUUti et le fragment H 2

Jean Kellens fait remarquer146 le caractère marginale de H 2 où la fra-


vUUti n’apparaît pas alors que les spéculations avestiques réunissaient souvent
fravUUti et dainƗ. Pour moi, la fravUUti y est présente, mais en pointillé, ce
que j’expliquerai de façon détaillée au chapitre VII 2.

9. La garde du corps de KUUsâspa

KUUsâspa, l’un des héros du passé appelés à revenir, est un personnage clé
de la fin du temps linéaire pour y venir à bout des Daiva les plus virulents,
Aji DƗhaka et Ahra Manyu147. Les nombreuses FravUUti qui montent la
garde autour de son corps le maintiennent (dƗrƗg) à l’abri des injures de
Druj et préparent de la sorte l’éviction définitive de ce feu de la mauvaise
obédience qu’est Aji DƗhaka. En effet, le corps de KUUsâspa lui sera né-
cessaire si la grande conflagration aura lieu en ce bas monde, c’est-à-dire à
l’intérieur de la parenthèse linéaire et finie que le grand dieu avait pu ouvrir
dans l’infini avec le projet d’y enfermer les forces délétères.
Comme il s’agira de combattre la mauvaise obédience sur son propre
terrain et que la victoire permettra de refermer heureusement la parenthèse
linéaire, spécialisées qu’elles sont aussi dans le parachèvement des années,
les FravUUti sont dès le début mises à contribution. Celui qui doit avoir
raison des forces mauvaises est d’ailleurs aussi très significativement un
héros plutôt qu’un dieu. Et par « héros » nous entendrons « dieu de ce bas
monde ».

10. Le troisième livre du DƝnkard

Le troisième livre du DƝnkard, concernant les parties immatérielles de


l’individu, contient plusieurs exposés dans lesquels des définitions données
de la fravUUti viennent compléter ou confirmer ce que nous avons pu tirer des
textes avestiques. Les plus importantes d’entre elles figurent dans Dk
3.123.2148 et dans Dk 3.218149.
À mes yeux, même si la dainƗ n’y est pas nommée, c’est précisément en
vue d’assurer les relations qu’il doit entretenir avec elle que la fravUUti se
146
Kellens 1973 : 136.
147
Sur les exploits de KUUsâspa, voir Pirart 2010a : 145 sqq.
148
Voir Chapitre II 6.1.
149
Voir Chapitre II 6.2.

213
trouve placée au service du ruvan. En effet, la fravUUti y est définie comme
la promotrice du signe positif (cișra) de l’individu, une notion proche de
celle que couvre dainƗ150. Étant donné que ce signe, congénital, peut avoir
une traduction physique (cécité, bosse, malformation, etc.)151, il est compré-
hensible que l’action de la fravUUti soit déterminante dans le bon fonction-
nement vital de l’individu : elle s’appuie sur le cișra à l’instant de régir le
principe de vie (gayƗna).
Sans doute est-ce cette proximité de la fravUUti et du gayƗna qui a conduit
les VZ 30.22 à les rassembler avec le baudah sous l’étiquette générique de
composantes gayƗniques (gyƗnƯg se Ư ast gyƗn <ud> bǀy <ud> frauua¹).

150
Voir Chapitre IV 4.
151
Cf. Yt 5.92-93 (Pirart 2003c : 217 sq.).
VII

Ahu, dmƗna et gƗtu,


états et lieux

1. Existences et maisons

1.1. Les deux existences

Dès les Cantates, une distinction est faite1 entre l’existence (ahu2) « os-
seuse » (astvant3) et celle de la pensée (manahah, manahiya4). L’osseuse,
qui n’est autre que l’existence matérielle et profane de l’individu, dans
l’Avesta récent, sera confondue avec ce bas monde5. Elle est fonction de
l’existence « mentale » vue comme fondamentale, parviya « première »6, la-
quelle est définie par les trois niveaux du comportement rituel de l’adorateur
que sont la pensée, la parole et le geste. L’existence profane en vient
logiquement alors à prendre la désignation de dvitiya « seconde »7. Par sa
pratique religieuse, l’adorateur génère8 ainsi une existence distincte de celle
qu’il connaît par ailleurs, mais cette nouvelle existence conditionnait d’ores
et déjà sa vie profane. L’engendrement est donc plutôt une réactualisation de
cette existence fondamentale sans laquelle l’existence matérielle resterait
dépourvue de fondement et de sens.
La dénomination de l’aire sacrificielle sur laquelle l’adorateur développe
son activité religieuse épouse de mêmes contours lexicaux pour reléguer
l’existence osseuse dans l’ici-bas : cette dernière est dès lors « celle-ci »9,
pour devenir, dans l’Avesta récent, la désignation courante de ce bas monde,
mais le hasard des textes ne nous a pas conservé que le nom de la première,
de façon parallèle, pût être « cette existence-là ». Par exemple, dans H 2.16

1
Voir Kellens & Pirart 1988-1991 : II 213.
2
Le correspondant védique ásu- est d’une discrétion telle que rien d’utile à notre propos
ne peut en être tiré.
3
ºasº (Y 53.5) ; aƾhÈuš astuuatǀ (Y 43.3) ; ahuu¿ astuuatasº (Y 28.2).
4
mana[iiƗiº (Y 40.2) ; manahƯm ahnjm (Y 53.6) ; ahnjm yÈ vaƾhÈuš manaƾhǀ (Y 53.5) ;
vaƾhÈuš ... manaƾhǀ ... aƾhÈuš (Y 27.13) ; manaƾhasº (Y 43.3) ; hiia7º manaƾhǀ (Y 28.2).
5
Exemple : aƝtahmi aƾhuuǀ ya7 astuuaiQti dans le Y 19.6.
6
paouruiia- : Y 28.11, 33.1, 48.6.
7
daibitiia- : Y 45.1.
8
Le syntagme aƾhÈuš ząșǀi « lors de l’engendrement de l’existence » (Y 43.5, 48.6) ain-
si doit-il signifier « lors des préparatifs ou du démarrage de la cérémonie sacrificielle ». Le
pieux adorateur comme son substitut le feu rituel sont huzantu « capables d’un bon engen-
drement » (Y 43.3, 46.5, 49.5).
9
ahmƗiº (Y 40.2), ahiiƗ (Y 43.3).

215
comme dans H 2.34, ahu astvant et ahu manahiya sont les désignations
respectives de l’ici-bas et de l’au-delà.
Bien évidemment, si, dans l’AVN 11.5.2, nous trouvons « ce lieu-ci »
pour nommer cette existence-là, c’est que la parole est donnée à ceux qui s’y
trouvent :

knj namƗz ǀ tǀ ardƗy vƯrƗz V drust Ɨmad heh V az Ɨn <Ư> ișiiaj-ǀmand


gaƝișiiƯg V ǀ Ɲn <Ư> abƝzag gyƗg Ư rǀšn [Ɨmad heh]
Hommage à toi, Utavan VirƗza : tu es arrivé sain et sauf depuis le monde
transitoire à ce lieu-ci qui est pur et lumineux !

L’existence première ou mentale, de toute évidence, n’est donnée pour


« excellente » (ahu vahišta10) que si c’est un pieux individu qui la génère,
mais, dans le cas contraire, il est alors question de « l’existence très mau-
vaise » (ahu acišta11). Toutes deux sont situées dans l’espace, respective-
ment dans la « maison de la pensée bonne »12 et dans « la maison de la
pensée très mauvaise »13, autrement dit : sur l’aire sacrificielle.

1.2. La maison des dieux

Sur l’aire sacrificielle était édifiée une hutte qui, censée devoir accueillir
les dieux, recevait, dans les GƗșƗ, le nom de « maison du chant de bien-

10
Y 44.2.
11
Y 30.4.
12
Les traducteurs médiévaux de Y 32.15c tǀi ƗbiiƗ bairii¿QtƝ V vaƾhÈuš Ɨ dΩmƗnƝ
manaƾhǀ .·. « eux se verront portés dans la maison de la pensée bonne malgré ces deux
(offices de kUpan et de kavi) » n’étaient plus en mesure d’en comprendre la teneur exacte : ǀ
ǀy Ư tǀ avƝšƗn harv dǀ barend {ǀ ǀy Ư tǀ așrƗun hauruuatƗt ud amԥrԥtƗt} andar Ɨn Ư vohu.man
dԥmƗn {andar garǀ.nmƗn} .·. « au tien, eux apportent ces deux {à ton prêtre, Intégrité et Im-
mortalité}, dans la maison de Vahu Manah {dans le Garah DmƗna} » (tvadƯyƗnƗP te dvita-
yaP haranti uttamasyƗntaK sthƗne manasaK | antar garothmƗne tvadƯyƗnƗm ƗcƗryƗQƗP dvi-
tayam avirdƗdim amirdƗdim || « Eux portent la paire aux tiens dans le séjour de la meilleure
pensée {dans le Garah DmƗna, à tes professeurs, la paire faite de HarvatƗt et d’AmUtatƗt} »).
13
Les traducteurs médiévaux de Y 32.13a yƗ xšașrƗ grÈhmǀ hƯšasa7V acištahiiƗ dΩmƗnƝ
manaƾhǀ « l’influence rituelle grâce à laquelle le mauvais puiseur1 cherche à prendre place
dans la maison de la pensée très mauvaise », qui n’étaient plus en mesure d’en comprendre la
teneur exacte, ont même fini par ne plus reconnaître le mot « maison » : kƝ xvadƗyƯh pad
grahmag xvƗhed {knj pƗdixšƗyƯh pad pƗrag xvƗhed} Ɨ-š Ɨn Ư vattar andar Ɨnǀh pad menišn {knj
pad Ɲd menišn xvƗhed knj sad be daham ud dǀ sad abƗz stƗnam} .·. « celui qui recherche la
souveraineté au moyen du grahma {= recherche l’autorité au moyen de la portion,} avec
pensée vile à cet endroit, {recherche avec la pensée de donner un cent et de recevoir deux
cents en retour} » (trad. scr. : ye rƗjyaP lañcayehante’nena manasehante yac ×chatam ekaP
[mss. chataikaP] dadƗmo dve Ğate †ca vyƗvUtya gUhQƯmaK || « ceux qui convoitent la royauté
au moyen de dons avec pensée vile dans la poitrine (!), avec cette pensée de pouvoir gagner
deux cents au retour de donner un cent »). Note : 1. grahma- < *graf-ma-.

216
venue » (garah dmƗna14). À l’imitation du bon accueil qu’il lui réserve, le
pieux adorateur espère qu’Ahura MazdƗ l’accueillera là-bas, au delà de la
mort, dans sa propre demeure (« ta maison » șva dam15).
L’« excellente existence » et la « maison du chant de bienvenue » se veu-
lent ainsi deux préfigurations de l’existence paradisiaque à tel point que la
maison d’Ahura MazdƗ, dans l’Avesta récent, prendra le nom de la hutte
qui, dans les GƗșƗ, se dressait bel et bien encore ici-bas, sur l’aire sacri-
ficielle. Le nom du préfigurateur substitue ainsi celui du préfiguré. De même
la « maison de la pensée bonne »16, autre nom de cette hutte si ce n’est celui,
plus général, de toute l’aire sacrificielle, doit-elle être à l’origine de cette
maison où, selon le V 19.31.1, Vahu Manah, assis sur un trône d’or, ac-
cueille l’âme du pieux défunt. Et, pour la hutte que dresse celui qui n’obéit
pas aux mêmes critères rituels que les mazdéens, les Cantates connaissent
aussi les désignations de « maison de la pire pensée »17 ou de « maison de
Druj »18.

1.3. Soubassement et projection

Le hasard des textes conservés doit avoir fait disparaître la désignation


de « maison de 5ta » que pouvait aussi recevoir la hutte mazdéenne. Vahu
Manah « Pensée bonne » et 5ta Vahišta « Agencement excellent » sont les
deux entités divines le mieux à même de représenter la piété de l’adorateur
pour résumer les trois niveaux de son comportement rituel ou illustrer la
grande correction avec laquelle il agence les diverses séquences du culte.
Deux mouvements se dessinent donc depuis l’existence mentale : celui de
fournir un modèle à l’existence osseuse et celui de préfigurer l’excellente
existence qui prévaut chez les dieux et que le pieux adorateur aspire à re-
joindre le moment venu. Ceci se schématise comme suit :

Ahu Vahišta

Ahu Manahiya → Ahu Astvant

Il est possible de trouver dans les Livres pehlevis des passages tels que
Dk 6.E31A où la désigntion de « socle de Vahu Manah » ne se réfère pas
14
garǀ dΩmƗnƝ (Y 51.15), dΩmƗnƝ garǀ (Y 45.6).
15
Y 48.7, 49.10.
16
vaƾhÈuš Ɨ dΩmƗnƝ manaƾhǀ (Y 32.15).
17
acištahiiƗ dΩmƗnƝ manaƾhǀ (Y 32.13).
18
drnjjǀ dΩmƗnƝ (Y 46.11, 49.11, 51.14).

217
encore à l’au-delà, mais préfigure, au sein même de la personne, le socle
qui, dans le Garah DmƗna, sera celui du ruvan, la place qui lui sera réser-
vée auprès des dieux.

1.4. De multiples étages

L’Avesta récent et les Livres pehlevis distinguent plusieurs niveaux dans


l’existence post mortem dont jouit l’âme-moi du pieux défunt. Ceux-ci sont
vus aussi comme des lieux : c’est ce qui ressort notamment de l’énumération
que dresse le Rašn Yašt19. En effet, après les sept secteurs de la Terre, le lac
Varukarta et l’arbre qui s’y trouve au centre, les flots et la berge de la
RahƗ, le bord, le centre et n’importe quel endroit de la Terre, la cordillère
de HarƗ ainsi que ses deux cimes Hukarya et TƯra, les astres Vega et Si-
rius ainsi que le groupe de la Grande Ourse, trois groupes d’astres non iden-
tifiés (les Ap+cișra, les Zma+cișra et les UrvarƗ+cișra), les astres Span-
ta+mƗnyava, groupe lui aussi non identifié, ainsi que la Lune et le Soleil, la
liste que dresse le Rašn Yašt mentionne trois niveaux paradisiaques : les
« jours sans début ni fin » (Anagra Raucah), l’« excellente existence »
(Ahu Vahišta) et la « maison du chant de bienvenue » (Garah DmƗna).
Les conceptions ont ainsi évolué de celles d’états d’être ou d’existences à
celles de lieux. Le Rašn Yašt (Yt 12) établit aussi une gradation ou une suc-
cession qui, vue de bas en haut, commence avec la Terre pour s’achever
avec trois étages paradisiaques en passant par les astres :

haut
§29 Garah DmƗna
§28 Ahu Vahišta
§27 Les Anagra Raucah
§26 Soleil
§25 Lune
§24 Les astres SpantamƗnyava
Les astres UrvarƗcișra
§§21-23 Les astres Zmacișra
Les astres Apcișra
§20 Grande Ourse
§19 Sirius
§18 Vega
§17 Le sommet TƯra de HarƗ
§16 Le sommet Hukarya de HarƗ
§15 Le reste de HarƗ

19
Voir Pirart 2009a : 226.

218
§§12-14 Contours, centre et reste de la Terre
§10-11 Les flots et la berge de la RahƗ
§§8-9 Le lac Varukarta et son arbre
§§1-7 Les sept secteurs de la Terre
bas

Quelques remarques :
ʊ le Soleil est au plus près des trois étages paradisiaques. Ceci n’est pas
sans rappeler que l’un des noms du paradis indien est Svargaloka « monde
solaire ». À ce propos, signalons que, dans la Zand-ƗgƗhƯh, le Soleil est sans
hésitation donné pour identique au Garah DmƗna20 ;
ʊ le lac Varukarta ne doit pas être cherché dans le ciel si sa mention,
en compagnie de celle de la RahƗ, se trouve insérée entre celles des sept
secteurs, des contours, du centre et du reste de la Terre21 ;
ʊ la haute cordillère HarƗ (« la Vigie ») fait figure de transition entre
Terre et Ciel ;
ʊ le Ciel est représenté par ses astres principaux, mais certains d’entre
eux, les SpantamƗnyava, la Lune et le Soleil font figures de transition entre
Ciel et monde paradisiaque ;
ʊ certaines données des Livres pehlevis restent difficilement compati-
bles avec le tableau. Par exemple, la ZA 2.7 situe le DƗužahava du côté
nord par rapport à la Grande Ourse22 tandis que la ZA 9.10-11 parle d’un
lieu souterrain auquel le lieu appelé « la Nuque d’Argenté » (Arzurahya
GrƯvƗ) donne accès23.
Comme le dieu Rašnu ne fréquente évidemment pas les trois étages
infernaux, le Yašt qui permet de lui rendre un culte les a exclu de sa liste.

20
ZA 30.26.2 ; cf. Dk 3.110.12.
21
Ce que le V 19.35 paraît confirmer à établir la liste suivante : Terre + Varukarta +
Ciel + Anagra Raucah + Vahišta Ahu + Garah DmƗna + CinvatpUUtu.
22
u-š haptǀiriQg pad kustag Ư abƗxtar Ɨnǀh V knj ka aibi.gait andar dvƗrist V daožaƾvh bnjd
gumƗrd V ud az haft kišvar {ud az harv kišvar-Ɲv} V band-Ɲv aviš payvast ested V vinnƗrdƗrƯh Ư
kišvarƗn Ư andar gumƝzišn rƗy V ... « Et les Sept Points furent placés du côté nord, là où,
quand l’Adversité y déboula, se trouvait le DƗužahava. Et un lien des sept Secteurs, {de cha-
cun des Secteurs} y fut attaché en vue de l’organisation des Secteurs de l’époque du mé-
lange ».
23
arԥznjr grƯv cakƗt-Ɲv V pad dar Ư daožaƾvh V kƝ-š ham-vƗr ham-dvƗrišnƯh Ư dƝvƗn padiš V
knj hamƗg drǀzišn Ɨnǀh kunend .·. ciyǀn gǀved V knj zamƯg kadƗr gyƗg must-ǀmandtar V guft
hƝd V <knj> arԥznjr grƯv V pad dar Ư daožaƾvh V kƝ-š ham-dvƗrišnƯh Ư dƝvƗn padiš baved .·. « Un
pic est la Nuque d’Arzura aux portes du DƗužahava par où sans cesse vont et viennent les
Daiva afin de perpétrer tous leurs forfaits. En effet, il est dit dans la DainƗ (= dans l’Avesta)
que, devant la question de savoir quel est du sol l’endroit le plus désastreux, il faut répon-
dre que c’est la Nuque d’Arzura, (la montagne située) aux portes du DƗužahava par où sans
cesse vont et viennent les Daiva ».

219
1.5. Les confusions d’étages

Les diverses moutures, principalement pehlevies, du récit du sort que


l’âme-moi du défunt connaît au delà de la mort, qui soient parallèles à H 2,
ne concordent pas toutes à mentionner l’une ou l’autre des trois localisa-
tions. C’est donc comme si, malgré l’énumération du Yt 12, elles n’en fai-
saient qu’une : tandis que H 2 oppose les Anagra Raucah (ZK Y ’sl lvšnyh)
« jours sans début » aux Anagra Tamah (ZK Y ’sl t’lykyh) « ténèbres sans
début »24, le VƯdaƝuu-dƗt 19, qui n’est pas homogène, oppose le Garah
DmƗna (glvtm’n|) « maison du chant de bienvenue » au DƗužahava
(dvšhv|) « (lieu) appartenant à ceux qui se sont généré une mauvaise exis-
tence » ou aux Tamah « ténèbres »25, le commentaire spécifiant que ces der-
nières sont « un lieu aussi sombre que le DƗužahava » (tm AYK gyv’k Y
t’lyk| cygvn dvšhv|) ; le NƗmag Ư KirdƯr Ư Movbed et le DƝnkard, pour leur
part, opposent sans hésitation le Vahišta (vhyšty ; vhšt|) « excellent » au
DƗužahava (dvšhvy ; dvšhv|)26 et la Zand-ƗgƗhƯh, le Garah DmƗna (glv-
tm’n|) au DƗužahava (dvšhv|)27 là où l’ArdƗy VƯrƗz NƗmag et la RivƗyat
pehlevie hésitent entre Vahišta (vhšt|28) et Garah DmƗna (glvtm’n|) pour le
premier terme de l’opposition établie avec le DƗužahava (dvšhv|)29 et où le
DƗdestƗn Ư Mainiiaoii Xrat préfère opposer les Anagra Raucah (ZK Y ’sl
lvšn|yh) au DƗužahava (dvšhv|)30.
La situation dans le DƗdestƗn Ư DƝnƯg est assez complexe : dans un pre-
mier temps, ce livre pehlevi se limite à opposer le Vahišta (vhšt|) au DƗuža-
hava (dvšhv|), tout en expliquant que le premier est l’« excellente existen-
ce » (p’hlvm ’hv’n|)31 et que le second, la « pire existence » (vttvm ’hv’n|)32,
mais, dans un deuxième temps, établit une distinction assez claire entre trois
étages paradisiaques en fonction du degré de sainteté du défunt : de bas en
haut, la HamyastakƗnƗ (hmydstk’n|) « la salle de ceux (de) qui (les gestes

24
H 2.15.4 (= Vyt 8.9.4) ļ H 2.33.4.
25
V 19.32 face à 19.29.1 et à 19.30.2.
26
NKM 22 et 29 ; Dk 6.16,50,287,D5. Pour sa part, le Dk 6.298 oppose d’abord Garah
DmƗna et DƗužahava, puis Vahišta et DƗužahava.
27
ZA 30.25-26.
28
Dans la graphie de cet avesticisme, le ductus de la séquence hš doit avoir absorbé le
yod que NKM conserve dûment.
29
AVN 5.4.2, etc. et 10.1, etc., face à 5.5, etc. et 17.20.4 ; RPDD 23-24.
30
MX 1.146, 2.166, 2.185.
31
Au vu de sa variante p’švm, le pehlevi p’hlvm n’est probablement ni à rapprocher du
védique prathamá- « premier » ni à lire pahlom (contre Mayrhofer 1992-2001 : II 179). La
variation hl / š impose d’y voir un avesticisme même si le mot avestique *pƗ¹Ωma- n’est pas
attesté. Ce mot, appartenant donc à une tradition avestique inconnue, remonterait à vieil-
iranien pUUtama-, lequel offrirait une alternative morphologique au védique paramá- « excel-
lent ». Dès lors, je propose pƗ¹ԥm.
32
DD 13.5.

220
bons) sont mélangés (aux mauvais) », le Vahišta (vhšt|) et le Garah DmƗna
(glvtm’n|)33. Ceci est en accord avec le DƝnkard34. Par contre, même s’ils y
sont évoqués, les trois étages infernaux ne sont ni nommés ni détaillés35.
Dans un troisième temps enfin, le DƗdestƗn Ư DƝnƯg fait mine de dresser une
liste36 qui, au premier des trois étages paradisiaques, donnerait le nom de
« lumières sans début » (ZK Y ’sl lvšnyh)37 comme si la station des Anagra
Raucah devait être identique à la HamyastakƗnƗ, mais les indications que
cette station est « illimitée dans l’espace et dans le temps » et que « les frus-
tations n’y ont aucune place » feraient plutôt des Anagra Raucah une dé-
signation générale de l’ensemble des étages paradisiaques.
En revanche, la liste des étages infernaux, par la suite, nous est donnée
de façon systématique38 : l’ensemble infernal y porte le nom de DƗužahava
(dvšhv|) et, de pis en pis ou de haut en bas, ses trois étages sont la Hamyas-
takƗnƗ « la salle des mêlés » (hmydstk’n|), l’Acišta Ahu « la pire existen-
ce » (ZK Y vttvm ’hv’n|) et la DrujaskƗnƗ « la salle de l’Erreur » (dlvcs-
k’n|).
Le flou qui entoure ce que les syntagmes pluriels des Anagra Raucah et
des Anagra Tamah désignent au juste ne peut être facilement levé si, de
surcroît, le FravardƯn Yašt39 range les Anagra Raucah parmi les astres dont
les FravUUti déterminèrent le cours.
L’identité de nom du premier étage paradisiaque et du premier étage
infernal, la HamyastakƗnƗ40, est à commenter sur base d’une indication du
cinquième livre du DƝnkard qui la situe « entre le centre de la Terre et le
centre de la station des étoiles »41. Faudrait-il en déduire que l’étagement
total de l’au-delà comprît la Terre ou passât par elle ? Je reproduis cette
bizarrerie dans le schéma suivant :

33
DD 19.4, 23.6.
34
Dk 3.350.
35
DD 19.5.
36
DD 30.19-20.
37
Ce que le V 19.35 paraît confirmer à contenir la séquence Anagra Raucah + Vahišta
Ahu + Garah DmƗna.
38
DD 32.
39
Yt 13.57.2 y¿ strąm m¿ƾhǀ hnjrǀ V anaȖranąm raocaƾhąm V pașǀ daƝsaiiΩn a¹aonƯš.
Cf. Y 1.16, 71.9.
40
Son nom, en avestique *hÈm.miiastakanƗ- «salle de ceux dont les bonnes et mauvaises
actions sont mêlées», repose sur la strophe gâthique Y 33.1 (voir Pirart 2011 : 66).
41
Dk 5.8.1.5. Sur la HamyastakƗnƗ vue à la fois comme étage le plus bas du paradis et
comme étage le moins enfoncé des enfers, voir DD 32.

221
haut
Garah DmƗna
+
Vahišta
HamyastakƗnƗ
± Terre
HamyastakƗnƗ
Acišta

DrujaskƗnƗ
bas

Nous ne pouvons attribuer la bizarrerie de cette liste à une inconséquence


de la tradition ou à une mauvaise transmission puisqu’un autre livre du DƝn-
kard42 donne une gradation assez semblable (DƗužahava, HamyastakƗnƗ,
Vahišta, Garah DmƗna).

1.6. Toponymie variable

Remarquons ici que les désignations de plusieurs de ces étages con-


naissent, du moins approximativement, des précédents gâthiques. Celle de
DrujaskƗnƗ ou Drujah KƗnƗ (phl. dlvcsk’n|) « salle de l’Erreur », qui est
connue du V 19.41.2 et qui, au vu de ce qu’en dit le DƗdestƗn Ư DƝnƯg, ne
doit pas être distincte du Drujah GUUda (dlvc| glystk|) « palais de l’Erreur »
dont parle le V 3.743, par exemple, paraît continuer celle de Drujah DmƗna
(dlvc| tm’n) « maison de l’Erreur », présente dans les Cantates. D’autre part,
ces deux passages du VƯdaƝuu-dƗt, en ne recourant pas au même mot nou-
veau, pourraient refléter des écoles différentes.
Un cas de figure isolé est celui du Y 19.644 qui fait état d’une triade pa-
radisiaque, inconnue par ailleurs, dont l’orientation ou l’ordre de succession
des étages n’est pas déterminable :

Vahišta Ahu « excellente existence »


Vahišta 5ta « excellent agencement »
Vahišta Raucah « excellents jours »

Si nous connaissions déjà le Vahišta Ahu et que les Vahišta Raucah


nous rappellent les Anagra Raucah, la présence du Vahišta 5ta est, par
contre, exceptionnelle, voire énigmatique. En effet, il est inattendu de trou-
42
Dk 6.D1B.
43
Ce palais de Druj pourrait avoir été nommé dans DD 18.6.2 : <gilistag Ư> druj.
44
Voir Chapitre II 4.6.

222
ver ici la mention du manșra Y 27.14 ou du plus insigne des AmUUta Span-
ta. Cependant, la dénomination de « salle, palais ou maison de l’Erreur »
qu’un étage infernal reçoit depuis les Cantates suggère qu’une « maison de
l’Agencement excellent » avait dû exister parmi les étages paradisiaques et
que « excellent Agencement » put constituer une façon brève de la nommer.
Comme la comparaison faite avec la triade du Yt 12 nous impose, par éli-
mination, de tenir la « maison de l’excellent Agencement » pour une dési-
gnation de l’étage le plus élevé, le Garah DmƗna, il faudrait accuser de
désordre la succession que le Y 19.6 donne des étages paradisiaques.
Le vocabulaire technique des textes avestiques est déjà l’aboutissement
de toute une longue évolution dans laquelle des aléas durent jouer pour que
certains rouages logiques fussent rompus. Ainsi l’emploi du dérivé par
vUddhi de la syllabe initiale et thématisation en ºa- du composé de duš+ et
de ahu- n’est-il plus parallèle à celui du même type de dérivé du composé
de hu+ et de ahu- : si dƗužahava- « appartenant à qui est dužahu » en est
venu à désigner les enfers, hƗuahava- « appartenant à qui est huahu » est
plutôt le nom donné à l’une des qualités du pieux défunt, sans doute celle
d’avoir généré de son vivant une bonne existence rituelle, laquelle existence,
certes, sera la sienne dans l’au-delà45.
Il faut ici souligner la nature fondamentalement adjective des termes et
notre ignorance des mots éludés, forcément distincts, sur lesquels de tels
adjectifs avaient dû porter primitivement. En outre, l’opposition que de
nombreux textes se contentent d’établir entre le Vahišta et le DƗužahava
suppose elle aussi toute une évolution puisque, de façon stricte, le premier
ne désigne par ailleurs que l’un des étages paradisiaques et le second, l’en-
semble des infernaux. Tandis que le terme de Vahišta, qui sous-entend ahu,
put subsister dans les Livres pehlevis qui recourent à l’avesticisme vhšt|,
celui d’Acišta Ahu, non : c’est toujours à sa traduction ZK Y vttvm ’hv’n|
qu’il est recouru.
L’emploi d’expressions telles qu’Ahu Vahišta « état excellent d’exis-
tence » face à Ĭva Dam « ta maison(, ô MazdƗ) »46 ou Ahu Acišta « état
très mauvais d’existence » face à Drujah DmƗna « maison de l’Erreur »
montre que les idées d’états et de lieux coexistaient de façon distincte dans
la strate gâthique tandis que celle de l’Avesta récent les confond. Les phases
de l’évolution qui va de la distinction logique et de la transparence termino-
logique qui prévalent dans les Cantates à la confusion des concepts et à

45
C’est ce qui ressort de la présence d’ahu dans l’énumération que le Y 26.4.1 (voir
Chapitre II 4.2) dresse des composantes de l’individu qui sont dignes d’être l’objet d’un culte.
46
Dans les Cantates, mais aussi dans le Yt 1.25i-l iįa hauruuata.amÅrÅtƗta V yǀi stǀ miž-
dÅm a¹aonąm V parǀ.asti1 jasÅQtąm V mana +dąma2 zarașuštra ... « (sache-le,) Zaraduštra,
ici, dans ma maison, se trouvent HarvatƗt et AmUtatƗt qui toutes deux constituent le lot des
Utavan qui s’en vont au delà de l’os (= au delà de l’existence osseuse) ». Notes : 1. Pirart
2007b : 60 n. 199. ||| 2. Pirart 2007b : 61 n. 200.

223
l’utilisation apparemment hasardeuse des termes que nous constatons dans
l’Avesta récent ou dans les Livres pehlevis nous sont inconnues, mais, si les
conceptions religieuses impliquées ne paraissent pas avoir fondamentale-
ment changé, l’évolution terminologique, profonde, qui, notamment, passe
par la désignation d’un lieu au moyen de celle d’un état d’existence, me
paraît avoir demandé un laps de temps relativement long même si, bien sûr,
nous restons incapables de préciser cette longueur.
En effet, les seuls documents dont la composition est pleinement datée,
c’est-à-dire ceux de première main que sont les inscriptions achéménides et
celles de KirdƯr, restent trop étroits, distants ou marginaux par leurs con-
tenus pour nous permettre d’avancer aucune estimation chiffrée. Comme le
caractère fort cantonné à quelques passages pehlevis d’une distinction fine
qui est à faire entre les divers étages des existences ou des mondes de l’au-
delà s’appuie pourtant sur une terminologie différenciée dont les ingrédients
sont d’origine ancienne, nous ne pouvons facilement prétendre que de tels
distingos relevassent de l’innovation et que la majorité des textes avestiques
récents ou des Livres pehlevis auxquels nous pouvons joindre le NƗmag Ư
KirdƯr Ư Movbed ne se fussent pas livrés à de la simplification à ne nommer
qu’un seul tandem, par exemple Vahišta ↔ DƗužahava.
Ne l’oublions pas, nous devons compter avec d’immenses pertes de tex-
tes et avec la certitude que la plupart des Livres pehlevis contiennent des
zand de textes avestiques perdus ou de nombreuses pages en dérivant. Ainsi
l’impression du caractère apparemment fort marginal ou exceptionnel d’un
passage, aussi tardif soit-il, peut-il n’être jamais que le fruit du naufrage.
L’exception que, par exemple, un passage des VizƯdagƯhƗ Ư ZƗdsparam con-
stitue à recourir, pour la désignation de l’au-delà ou d’un au-delà (positif ?),
à un terme ignoré des autres Livres pehlevis, Ham+jamana « (lieu de) ras-
semblement » (hncmn|)47, en plus d’opposer, par ailleurs, le Vahišta (vhšt|)
au DƗužahava (dvšhv|)48, doit être sérieusement tempérée si le mot s’avère
être un avesticisme et avoir un correspondant védique49.
Afin de rester exhaustif, signalons encore le nom énigmatique de mi-
suuan- gƗtu-50 « endroit intermédiaire » que le SƯh-rǀzag paraît donner à la
HamyastakƗnƗ :

S 1.30 anaȖranąm raocaƾhąm xvaįƗtanąm V raoxšnahe garǀ nmƗnahe V


51
misuuƗnahe gƗtuuahe xvaįƗtahe V cinuua7.pΩrΩtnjm mazdaįƗtąm ;

47
VZ 30.46-47.
48
VZ 30.52.
49
RS 10.14.1.
50
Selon Bartholomae (1904 : col. 1187), le premier terme du syntagme dérive de
*misva-, mais je préfère y reconnaître une suffixation primaire en -van-. Le traducteur peh-
levi, par erreur, y détecte la présence de la racine snj « prospérer » : hamƝšag snjd gƗș.
51
Mis pour *misunǀ gƗtÈuš.

224
S 2.30 anaȖra raoc¿ xvaįƗt¿ yazamaide V raoxšnΩm garǀ nmƗnΩm yaza-
maide V misuuƗnΩm gƗtnjm xvaįƗtΩm yazamaide V cinuua7.pΩrΩtnjm mazda-
įƗtąm a¹aonƯm yazamaide
Les jours illimités qui se sont mis d’eux-mêmes en place. La lumineuse
maison de bienvenue. L’endroit intermédiaire qui s’est mis de lui-même en
place. Le pont que, pour faire le tri, Ahura MazdƗ a mis en place.

Cette énumération fait place à deux étages paradisiaques avant de nom-


mer le Misvan GƗtu et de se clôturer avec la mention de la Cinvat-pUUtu
«passerelle du trieur» donnant accès à tous trois étages :

les Anagra Raucah


le Garah DmƗna
le Misvan GƗtu
la Cinvat-pUUtu

Le V 19.36 ne confirme ce tableau que de manière bien imparfaite, le


syntagme misuuan- gƗtu- y apparaissant étonnamment en tant que complé-
ment de cinuua7.pÅrÅtu-, mais je n’ai pas de solution à proposer ; de sur-
croît, le Vahišta y figure à la place des Anagra Raucah :

nizbaiiemi V vahištÅm ahnjm a¹aonąm V raocaƾhÅm vƯspǀ.xvƗșrÅm V niz-


baiiemi V garǀ nmƗnÅm V maƝșanÅm ahurahe mazd¿ V maƝșanÅm amŹanąm
spΩQtanąm V maƝșanÅm aniiaƝšąm a¹aonąm V nizbaiiemi V misuuƗnahe gƗ-
tuuahe xvaįƗtahe V cinuua7.pÅrÅtnjm mazdaįƗtąm .·.
Je convoque (à la cérémonie sacrificielle le génie représentant) l’Exis-
tence excellente et diurne où chacun des harmonieux trouve le bien-être. Je
convoque (à la cérémonie sacrificielle le génie représentant) la maison de
bienvenue, demeure du Roi de la Sagesse, des Immortels Savants et des
autres harmonieux. Je convoque (à la cérémonie sacrificielle le génie
représentant) la passerelle du trieur que le Roi de la Sagesse a mise en place
et qui donne accès à l’endroit intermédiaire.

Cette variation énigmatique laisse planer un doute sur la définition exac-


te du Misvan GƗtu :

le Vahišta Ahu
le Garah DmƗna
la Cinvat-pUUtu du Misvan GƗtu

225
2. Socles

2.1. gƗtu- en avestique récent

Présent notamment dans le syntagme misuuan- gƗtu-, le terme gƗtu


« pouvoir aller, accès, là où l’on peut aller, endroit », dont certains zand font
usage pour la traduction de ahu « état d’être, existence », sémantiquement
proche de pUUtu « pouvoir passer, pont, passerelle » et de haitu « pouvoir
rejoindre, digue », revêt une importance non négligeable dans le lexique de
l’eschatologie mazdéenne. Généralement employé de façon prégnante,
l’avestique récent gƗtu- n’apparaît guère au sens non technique d’« endroit »
que dans le FravardƯn Yašt :

Yt 13.57-58 a¹Ɨunąm ... yazamaide V y¿ strąm m¿ƾhǀ hnjrǀ V anaȖranąm


raocaƾhąm V pașǀ daƝsaiiΩn a¹aonƯš V yǀi para ahmƗ7 hame gƗtuuǀ darΩȖΩm
V 53
hištΩQta †afrašƯmaQtǀ52 V daƝuuanąm parǀ 7baƝšaƾha7 V daƝuuanąm parǀ
draomǀhu .·.
54
Ɨa7 tƝ nnjrąm frauuazΩQti V dnjraƝuruuaƝsΩm aįȕanǀ V uruuaƝsΩm nƗšΩ-
mna V yim frašǀ.kΩrΩtǀi7 vaƾhuii¿ºoº
Nous offrons le sacrifice aux FravUti des harmonieux, elles qui détermi-
nèrent le cours des étoiles, de la Lune, du Soleil et des jours sans début ni fin.
Ceux-ci, auparavant, longtemps au même endroit, restèrent sans en bouger,
avant la nuisance des Hasardeux,
mais, de nos jours, progressent sur le chemin dont le point de retour se
situe dans le lointain : ils n’atteindront ce point que lors de la bonne Per-
55
fection .

2.2. gƗtu- dans les Cantates

Le Y 28.5ab est le seul passage vieil-avestique attestant le mot gƗtu. Les


parallèles védiques56 suggèrent que le mot y a non le sens qu’il aura dans
l’Avesta récent, mais celui de « possibilité d’aller, accès », tandis que les
traducteurs médiévaux, très souvent incapables de dénouer les arcanes du
52
Cf. P 58. À corriger en ×afraĞnjsaQtǀ « sans avancer ».
53
parǀ, ici et dans le syntagme suivant, est mis pour parƗ (= védique pur»).
54
aįȕanǀ, une forme de nominatif pluriel (advƗnah), est mis pour le génitif singulier
(adunah) si nous devons y voir le complément de dnjraƝuruuaƝsΩm et faire donc de ce dernier
un substantif, mais aįȕanǀ est mis pour l’accusatif singulier (advƗnam) si dnjraƝuruuaƝsΩm
est un adjectif devant s’accorder avec lui.
55
Lorsque la parenthèse du temps linéaire se refermera et que la fixité de l’infini aura re-
pris.
56
Relevés chez Kellens & Pirart 1988-1991 : III 23.

226
texte vieil-avestique, y reconnurent un lieu spécifique, un endroit attitré,
celui d’Ahura MazdƗ :

a¹Ɨ ka7 șȕƗ darΩsƗnƯ V manascƗ vohnj vaƝdΩmnǀ


Ô 5ta, toi et Vahu Manah, quand vous verrai-je et trouverai-je
’švhšt AYMT LK HZYTVNm PVN ZK Y vhvmn ’k’s dhšnyh {ZNE YDOY-
TVNm AYKt BYN ZK zm’n HZYTVNm AMT KRA AYŠ PVN pl’lvnyh ’k’s
AYMT YHVVN<y>t} .·.
a¹-vahišt kay tǀ vƝnem V pad Ɨn Ư vohu.man ƗgƗh-dahišnƯh {Ɲn dƗnem V
knj-t andar Ɨn zamƗn vƝnem V ka harv kas pad frƗrǀnƯh ƗgƗh kay baved} .·.
Ô 5ta Vahišta, quand l’information que Vahu Manah fournit me per-
mettra-t-elle de te voir ? {(Quand) saurai-je ceci : le moment où je te verrai,
lorsque tout un chacun, du fait de son honnêteté, connaîtra, quand sera-ce ?}
he aĞavahista | he dharma | kadƗ tvƗm paĞyƗmi V manasa uttamasya
vettUtayƗ | kila taP kƗlaP kadƗ paĞyƗmi V yatra tvƗP sarvaK ko’pi sadvyƗ-
pƗritayƗ vettƗ bhavati ||
Ô 5ta Vahišta {Ô Dharma}, quand la sagesse de la pensée excellente me
permettra-t-elle de te voir ? {Quand me viendra l’occasion de voir que tout un
chacun, du fait de son honnêteté, te connaîtra ?}

gƗtnjmcƗ ahurƗi V sΩuuištƗi sΩraošΩm57 mazdƗi


le moyen de me présenter devant le très opulent Ahura MazdƗ avec la
récitation du (manșra) ?
<V> g’sc Y ’vhrmzd AYMT HZYTVNm Y svt hv’st’l ZK g’s Y PVN slvš
YDOYTVNyhyt {AYK AMT dstvbl YHSNNd š’yt| YDOYTVNstn| AYK nyvkyh
Y MN ZK g’s ME} .·.
<ud> gƗș-iz Ư ohrmazd kay vƝnem V Ư snjd-xvƗstƗr Ɨn gƗș Ư pad sraoš
dƗnƯhed {knj ka dastvar dƗrend V šƗyed dƗnistan V knj nƝkƯh Ư az gƗș cƝ} .·.
et quand verrai-je le socle d’Ahura MazdƗ soucieux de prospérité, ce
socle qui est connu de Srauša ? {Lorsque les juges tiennent (la balance), il est
possible de connaître la beauté émanant du socle}.
sthƗnaP ca svƗmino lƗbhƗbhilƗVataK V ĞraoĞa[na]parijñeyam | tad api
kadƗ paĞyƗmi V ced ×gurau58 gUhQanti V Ğaknuvanti prajñƗtuP V yac chu-
bhaP tasmƗt sthƗnƗt kim ||

57
Selon une nouvelle analyse, il faut renoncer à interpréter ce vers en y reconnaissant le
schéma de coordination AºcƗ B : sΩraošΩm n’y est pas coordonné avec gƗtnjmcƗ. Ce dernier
appartient plutôt à une coordination elliptique, « la possibilité et {le moyen} de se déplacer »,
qui sous-entend {xratnjmcƗ} (cf. RS 1.151.2c, 9.44.6b, etc.), tandis que sΩraošΩm est à consi-
dérer comme le fruit d’une erreur pour l’instrumental (cf. RS 2.51.5a, 6.6.1b, etc.) : le pada-
kƗra a restitué abusivement ºm devant mº.
58
Dans le sanscrit de Neriyosangh, ced n’est pas enclitique ! De surcroît, ce serait l’intro-
duction d’une complétive dans la rection de paĞyƗmi. ||| Je fais la conjecture d’un locatif abso-
lu, mais les manuscrits donnent guruP.

227
Et (quand verrai-je) le séjour du Seigneur soucieux de prospérité que
Srauša doit connaître ? {Et quand verrai-je aussi si, le juge prenant (la ba-
lance), ils peuvent connaître la beauté qui émane de ce socle ?}

Pour commenter ce texte vieil-avestique et ses traductions médiévales,


nous pouvons nous appuyer sur la Zand-ƗgƗhƯh. Elle fait des Anagra Rau-
cah le nom du socle d’Ahura MazdƗ59 et des Anagra Tamah celui du so-
cle d’Ahra Manyu60, explique qu’un vide appelé VƗyu séparait initialement
les lumières du socle d’Ahura MazdƗ et les ténèbres d’Ahra Manyu61.
Tandis que la Zand-ƗgƗhƯh place ceux du Roi de la Sagesse et des Im-
mortels Savants au delà du Soleil, dans les Anagra Raucah62, le socle de la
Doctrine, comme nous le savons par H 2.14.1 et ses parallèles des Livres
pehlevis, se situe ici-bas, sur l’aire sacrificielle. Il préfigure ce socle que le
Moi se verra assigner dans l’au-delà ainsi que nous en informe le DƗdestƗn Ư
DƝnƯg : la Doctrine conduira le Moi du pieux défunt vers le Vahišta ou vers
le Garah DmƗna, là où il y a son socle63, en présence du Roi de la Sa-
gesse64. Il y trouvera la quiétude déjà ressentie les trois premières nuits
passées au chevet de la dépouille, mais le Moi de l’impie souffre lorsque
l’uštƗna et le baudah se décollent de l’os ou que la Nasu fait son socle du
cadavre après en avoir expulsé l’uštƗna et le baudah65. D’horribles tour-
ments endurés dans le palais de Druj66 prolongeront sa souffrance. Il est
alors assez compréhensible que la Nasu, l’allégorie de la charogne soit
souvent confondue avec Druj, l’Erreur.

2.3. gƗtu- dans H 2

À l’aurore du troisième ou quatrième jour, le Moi du pieux défunt, grâce


au vent parfumé venu du sud, récupère pleinement la mobilité et s’éloigne
du cadavre. Dans ce vent, le Moi voit venir à sa rencontre, mais depuis l’est,
une jeune femme dont la beauté reflète la piété qui fut la sienne en ce bas
monde : c’est sa conscience religieuse, ce reflet individuel de la Doctrine de
ceux qui offrent le sacrifice au Roi de la Sagesse en suivant les recom-
mandations de l’homme qui avait de vieux chameaux, la religion mazdéenne
zoroastrienne. À l’étonnement ou au ravissement de la voir si belle, le Moi,

59
ZA 1.2.1.
60
ZA 1.4.
61
ZA 1.5.
62
ZA 2.13.
63
DD 30.1.2.
64
AVN 11.1-4, DD 30.3.1-3.
65
DD 16.6.2.
66
DD 18.6.2.

228
qui s’entretient alors avec elle, écoute en guise de réponse l’éloge que la
Doctrine fait de lui. Je lis :

« Pour sûr, moi qui suis ta propre Doctrine, jeune homme de pensée
bonne, de parole bonne et de geste bon, toi qui as bonne Doctrine, j’appar-
tiens à ta propre personne. Chacun de nous les dieux t’a toujours aimé pour la
grandeur, l’excellence et la beauté, pour le parfum, la capacité que tu mon-
trais de rompre les obstacles démoniaques et le caractère inaltérable, qualités
qui sont comme ce que je trouve en toi maintenant. [12] Et toi qui as bonne
Doctrine, tu m’as toujours aimée, jeune homme de pensée bonne, de parole
bonne et de geste bon, pour la grandeur, l’excellence et la beauté, qualités qui
sont comme ce que tu trouves en moi maintenant. [13] Quand toi, tu voyais
l’autre67 bacler l’allumage du feu et les préparatifs du sacrifice, effectuer les
mauvaises mises d’offrandes en présence du mauvais feu et passer à
l’abattage d’arbres fruitiers, toi, tu restais pourtant assis à réciter les Cantates,
à consacrer dans leurs fonctions rituelles les déesses Rivières et le Feu fils du
Roi de la Sagesse, à réserver bon accueil à l’homme harmonieux, le prêtre
itinérant, qu’il vînt des environs ou de loin. [14] Et, me rendant, de digne des
propitiations que j’étais, plus digne des propitiations ; de belle que j’étais,
plus belle ; de respectée que j’étais, mieux respectée, tu me fis asseoir,
d’assise sur un socle éminent que j’étais, sur un socle encore plus éminent
grâce à la pensée bonne, à la parole bonne et au geste bon ».

Dans cette dernière phrase, il est question d’un socle. Le mot utilisé est
gƗtu-, le dérivé de ˲ gƗ « aller » au moyen du suffixe -tu- de possibilité.
Étymologiquement, le mot signifie donc « ce qui permet d’aller, l’accès »68,
mais, comme dans le cas du grec ȕȐıȚȢ « pas, base »69 qui dérive de ȕĮȓȞȦ
« je marche », nous devons envisager une évolution sémantique puisque le
gƗtu est ce sur quoi est assise la Doctrine, d’où ma traduction « socle, base,
piédestal, fondation ».
Le zand de l’énumération que certains passages70 dressent des com-
posantes de l’individu qui sont dignes d’être l’objet d’un culte glose ahu-
(’hv|) « existence » par gƗtu- (g’s) « socle ». Cela peut se défendre : l’exis-
tence mentale ou rituelle que le sacrifiant a générée de son vivant, tout au
long de sa vie, peut aussi être vue comme l’une de ses parties immortelles
ou comme l’existence même qu’il devra vivre dans l’au-delà. État d’être et
lieu d’être sont devenus, en pratique, synonymes, et ce sont les dieux,
balance à la main, qui jugent de la place qui doit être assignée au ruvan
« âme-moi » du défunt en fonction de l’existence rituelle générée ici-bas.
67
L’impie.
68
Voir Mayrhofer 1992-2001 : I 484.
69
Chantraine 1968 : I 156.
70
Principalement le Yasna 26.4.1 (voir Chapitre II 4.2).

229
La place qui lui revient étant aussi celle qui lui soit accessible au terme
de ce jugement, nous comprenons mieux comment le nom védique et vieil-
avestique de l’accès (proto-indo-iranien *gƗtu-) put en venir à désigner la
place que les dieux attribuent au ruvan du défunt, le socle qu’il occupera
désormais dans l’au-delà au même titre que les dieux siègent sur des socles.
Je dis « socle » pour une traduction assez large qui convienne tant à la
désignation de l’autel ou du piédestal qu’à celle du trône. En effet, quand H
2.14.1 et H 2.32.1 font état du socle que le sacrifiant, de son vivant, avait
assigné à la religion mazdéenne, sans doute pourrions-nous comprendre
qu’il lui eût élevé un autel tandis que le socle d’or duquel, selon le V 19.31,
Vahu Manah, l’allégorie du bon comportement rituel, se lève pour ac-
cueillir le ruvan du pieux défunt aux portes de l’au-delà doit plutôt faire
office de trône. Ceci ne nous conduit pourtant pas à donner le sens spéci-
fique de « trône » à gƗtu-. En effet, le Veh Yašt, le texte honorant le dieu de
l’Espace, paraît bien indiquer que l’or dont il serait fait n’est jamais qu’une
façon imagée de dire que ce gƗtu est baigné de lumière.
Comme VƗyu, l’Espace, alternativement diurne et nocturne, est un dieu
ambigu, il convient, précise le Veh Yašt, de réserver l’offrande du sacrifice
à sa seule mouture diurne. Le soi-disant trône d’or est donc en réalité la dé-
signation d’une aire sacrificielle dûment diurne (Yt 15.2) :

tÅm yazata V yǀ daįuu¿ ahurǀ mazd¿V airiiene vaƝjahi V vaƾhuii¿ dƗitiia-


ii¿ V zaranaƝne71 paiti gƗtuuǀ V zaranaƝne72 paiti fraspƗiti V zaranaƝne paiti
upastÅrÅne 73 V frastÅrÅtƗ7 paiti 74 barÅsmÅn 75 V pÅrÅnÈbiiǀ 76 paiti ȖžƗra-
iia7biiǀ77 .·.
Le Roi de la Sagesse, lui qui met tout en place, lui offrit le sacrifice dans
le Tourbillon iranien de la bonne Rivière de la Loi78, sur le socle d’or, sur le
tapis d’or, sur le coussin d’or, une fois brandi le Faisceau de branches et
remplies d’abondance les cuillers79.

71
zaranaƝne, ici et dans le second des deux syntagmes suivants, est approximatif pour
×
zaranaƝni locatif masc.-nt. sg. du dérivé en -in- (= védique hiraQín- « en or ») de zaraniia-
« or » (= védique híraQya-). L’amuïssement du yod devant -in- confirme le timbre de la
voyelle suffixale : zaran(y)in-i.
72
Loc. fém. sg. : proto-indo-iranien *ĨhUHan()ínaHa.
73
Approximatif pour ×upastarΩne locatif sg. < proto-indo-iranien *upa+ starHana-.
74
Ici et dans le syntagme suivant, paiti paraît être fautif pour ×haca dont le ductus est
assez similaire.
75
Locatif mis pour l’ablatif ?
76
pΩrΩnah- = védique párƯQas-.
77
La diascévase a retouché ce participe présent, mais il est vrai que la graphie de la
forme attendue, proto-indo-iranien *gžƗraant+bhas, est difficile à restituer : *ȖžƗrΩn.biiǀ ?
78
Cette curieuse désignation du pays où Zoroastre aurait vécu reste mal expliquée.
79
Littéralement : « une fois que le plein (des cuillers) déborde ».

230
Et, de toute évidence, Vahu Manah, pour être la déification de la bonne
triade comportementale rituelle (pensée bonne, parole bonne et geste bon)80,
ne peut occuper qu’une place diurne.

2.4. gƗșu- en vieux perse

Les textes cunéiformes achéménides vieux-perses confirment que gƗtu-


n’est pas un mot signifiant spécifiquement «trône»81. Le mot y désigne un
endroit, concret, abstrait ou figuré, réservé, assigné à quelqu’un ou conve-
nant à quelque chose. Cette nuance de réserve rend compte de l’emploi du
suffixe -tu- de possibilité.
Darius, dans l’inscription DNa de Naqš-e Rostam, dit au lecteur qui cher-
cherait à savoir quels étaient les peuples soumis de regarder le bas-relief et
d’y remarquer les représentations de ceux qui portent l’endroit qui (lui)
correspondait (patikarƗnh dƯdi ta-yai gƗșum baranti), à savoir son trône,
mais ce sens de « trône » ne peut être maintenu pour un autre passage de la
même inscription : « À voir quelle était l’ébullition de cette terre (ahu-
ramazdƗh yașƗ avainat imƗm bnjmƯm yaudantƯm), le Roi de la Sagesse
dès lors me la confia (pasƗ-avat-dim mana frƗbarat) et m(’y) chargea de
l’exercice de l’influence rituelle (mƗm xšƗyașyam82 akunauš). Une fois
chargé de l’exercer (adam xšƗyașyah ahmi), la volonté du Roi de la Sa-

80
Pirart 2007a : 36 n. 27.
81
Quel que soit le cas oblique requis, le mot y apparaît presque toujours sous la forme
ga-a-ș-va-a, c’est-à-dire gƗșvƗ. Au lieu de considérer ga-a-ș-va-a comme une forme de
locatif singulier gƗșau accompagnée de la postposition Ɨ, je préfère y voir la forme de
l’instrumental même si d’aucuns pourraient objecter que cette lecture interprétative supposât
une graphie *ga-a-ș-u-va-a. En effet, on leur opposera que la règle selon laquelle une semi-
consonne placée derrière une consonne s’écrit au moyen de la voyelle correspondante suivie
de la semi-consonne souffre des exceptions (exemple : ºhyº écrit -ha-y-) et que șv ne s’écrit ș-
u-va- qu’en position initiale (le seul exemple est șvƗm, accusatif du pronom de la deuxième
personne du singulier, écrit ș-u-va-a-ma). La seule attestation de l’accusatif, par analogie,
sous l’influence des autres attestations, montre que l’emploi du ș, justifiable uniquement
devant consonne, lui a été étendu : ga-a-ș-u-ma (gƗșum). Cependant, je ne puis écarter que ș
soit dû au u qui suit, le vieux perse possédant notamment aussi xrașum (< *xratum) et la
diascévase avestique ayant installé ș dans des mots tels que zarașuštra-, vƯșušƯ-, dașuš-. Dans
cette dernière hypothèse, nous pourrions conserver une lecture locative gƗșau-Ɨ, mais, de
toute façon, en tablant sur l’analogie pour la justification de ș.
82
xšƗyașya- dérive de *xšayati- « charge d’exercer l’influence rituelle sur les dieux »
comme le théonyme védique n»satya-, de *nasati- « le retour ». Les mots *xšayati- et *nasa-
ti- sont des dérivés en +ti- de thèmes de présent, de √ xšƗ :: xšaya- « exercer l’emprise rituelle
sur les dieux » et de NAS :: nasa- « revenir à la maison ». D’autres exemples de ce type de dé-
rivé en +ti- de thèmes de présent sont dÇdhiti- « la pensée, la conception » de DHƮ « penser,
concevoir » (dÇdheti), ƗzaiQti- « la transposition mot à mot » (< pie. *+ƣs·H3-nH2+ti-) de Ɨ+
√ xšnƗ « reconnaître » (= védique »JÑƖ :: ƗjƗn»ti), vasati- « le nid » de VAS « passer la
nuit ».

231
gesse (vašnƗ ×ahura-mazdƗhah) me permit d’asseoir la (terre) à l’endroit
qui lui correspondait (adam-šim gƗșvƗ nƯšƗdayam) ».
Certes, le sens de « trône » serait admissible pour l’interprétation du qua-
trième paragraphe de l’inscription XPf de Persépolis dans lequel Xerxès
nous livre cette information : « Darius avaient d’autres fils (dƗraya-va-
<ha>uš puçƗh anyai-cit Ɨhan-tƗ), mais il plut au Roi de la Sagesse
(ahura-mazdƗm avașƗ kƗmam Ɨhat) que mon père Darius (dƗraya-vahuš
ha-yah mana pitƗ) me fît après sa personne le plus grand (pasƗ ta-
nu<va>m mƗm mașištam akunauš) si bien que, lorsque mon père Darius
quitta l’endroit lui correspondant (yașƗ-mai pitƗ dƗrayavahuš gƗșvƗ
ašyavat) (= mourut), la volonté du Roi de la Sagesse (vašnƗ ×ahura-maz-
dƗhah) me permit de devenir chargé d’exercer l’influence rituelle (adam
xšƗyașyah abavam) à la place de mon père (piçah gƗșvƗ) ». À la rigueur,
« sur le trône de mon père ».
Par contre, l’idée de «trône» convient très mal à d’autres contextes. Par
exemple, dans le quatorzième paragraphe de la grande inscription que
Darius fit graver sur le rocher de BƯsotnjn en 519 avant l’ère commune (DB),
nous lisons : « Darius, chargé d’exercer l’influence rituelle sur les dieux,
expose : La charge d’exercer l’influence rituelle sur les dieux (xšaçam,
prérogative royale ou charge définissant le statut de roi,) avait été enlevée à
notre lignée, mais je l’ai restaurée (avat adam patipadam akunavam), l’ai
installée à l’endroit qui lui correspond (adam-šim gƗșvƗ nišƗdayam),
rendue exactement comme elle était auparavant (yașƗ parvam-cit avașa
adam akunavam) ».
Le syntagme de DNa, adam-šim gƗșvƗ nišƗdayam, dans lequel le sens
de « trône » ne peut être maintenu, constitue un parallèle d’une grande im-
portance à l’instant d’appréhender la phrase avestique qui retiendra notre
attention, d’autant que « moi j’ai fait s’asseoir la terre sur le gƗșu, je l’ai
installée à l’endroit qui lui correspond » revient à dire : « j’y ai généré et in-
stallé l’existence rituelle requise ».

2.5. Le frataratara gƗtu de H 2

Le fragment H 2 du Haįaoxt Nask comporte deux volets, le premier


concernant le Moi du pieux défunt et le second, le Moi de l’impie. Ce texte
est répété dans le VƯštƗsp Yašt (« Texte sacrificiel d’Hystaspe », issu lui
aussi d’un livre GƗșƗnƯg), avec quelques différences qui n’affectent pourtant
pas la phrase qui nous intéresse. Dans le premier volet, que nous appellerons
« version positive », le socle (gƗtu-) où était assise la dainƗ « Doctrine » est
dit fratara- « situé devant » tandis que celui où le Moi, grâce à sa piété, l’a
installée est dit fratarǀtara- « situé tout devant » (H 2.14.1de) :

232
Ɨa7 mąm 83 ... V frataire gƗtuuǀ ¿Ëhanąm 84 V fratarǀtaire 85 gƗtuuǀ 86
×
niš.hƗįaiiǀiš87 .·.
Tu me fis asseoir, d’assise sur un socle éminent que j’étais, sur un socle
encore plus éminent.

Le VƯštƗsp Yašt 8.8.1de confirme ces données :

Ɨa7 mąm ... V fratairƝ88 gƗtuuǀ89 ¿Ëhanąm90 V +fratarǀtairƝ91 gƗtuuǀ92


×
niš.hƗįaiiǀiš93
Tu me fis asseoir, d’assise sur un socle éminent que j’étais, sur un socle
encore plus éminent.

La phrase est un diptyque droit à protase participiale. Le participe ¿Ëha-


nąm « étant assise » et le verbe principal ×niš.hƗįaiiǀiš « tu fis asseoir » sont
tous deux complétés d’un locatif : frataire gƗtuuǀ « sur un socle éminent,
situé dans les premiers rangs » ; +fratarǀtaire gƗtuuǀ « sur un socle encore
plus éminent, situé au tout premier rang ». Pour apprécier la teneur de cette
phrase, une fois n’est pas coutume, nous sommes parfaitement équipés. En
effet, nous disposons des traductions moyen-perses de H 2 et du Vyt qui,
tous deux, en plus de les rendre de façon littérale et servile, y commentent
certains de leurs mots ou les glosent. En outre, nous disposons de l’écho que
cette traduction et cette glose purent trouver conjointement ou séparément
dans la littérature moyen-perse.
L’adjectif qui qualifie le socle dans la protase est tiré du préverbe frƗ au
moyen du suffixe +tara- des comparatifs. Il s’agit donc d’un socle situé vers
l’avant plutôt que vers l’arrière. Dans l’apodose, cet adjectif comparatif est
augmenté d’un second suffixe +tara- pour indiquer que le socle est situé da-
vantage vers l’avant.
Les zand se contentent de la fadeur de deux propositions indépendantes
coordonnées, mais, comme ils auront l’intelligence de rendre cette partici-
piale par une subordonnée conjonctive introduite par ka « lorsque », les re-

83
Mis pour l’enclitique.
84
K20 ¿ËhanÅm. Sur la brève de ¿ƾhanąm, de Vaan 2003 : 143 sq.
85
K20 fratarǀ.tare.
86
M6 gƗtauuǀ.
87
M6 (niša)nišƗįaiiǀiš ; TD28 nišƗįaiiǀiš ; K20 ni¹Ɨįaiiǀiš. L’optatif est mis pour
l’injonctif.
88
L5 fratirƝ ; G18a frașairƝ ; M4 fratiirƝ. Cette dernière leçon peut-être illustre-t-elle le
ductus yod de l’aleph ʊ il faudrait alors lire fratairƝ ʊ que l’on connaît aussi en pehlevi.
89
G18a gƗșauuǀ.
90
L5 om.
91
Avec H 2 fratarǀtaire, contre F12 fratarǀtarƝ ; K4 fratǀtarƝ ; L5 om. ; M4, G18a fra-
tǀtarƝ.
92
L5 om.
93
K4, M4, G18a nišhƗįaiiǀi7 ; F12 nišhaįaiiǀi7; L5 nišhƗįiiǀi7.

233
flets qu’ils eurent dans la littérature pehlevie ouvriront l’apodose avec un
corrélatif Ɨ ou Ɲg « alors ».
Les zand et leurs reflets n’ont pas toujours rendu comme tel le locatif que
nous trouvons dans l’apodose, un adjectif accordé avec le sujet lui en ayant
souvent tenu lieu (« tu m’as installée en un lieu situé tout devant » > « tu
m’as située tout devant »). Dans le zand de H 2.14.1de, le syntagme locatif
de la protase et celui de l’apodose font tous deux l’objet d’un commentaire
dont l’interprétation exacte est incertaine :

<V> PVN ZK Y pr’ctl g’s YTYBVNst94 HVEm {Y cšmky95} V APt [PVN


ZK Y] pr’ctvmtl <g’s YTYBVN’st>96 HVEm {AYK97 g’s <Y>98 ms BRA krt
[HVEm]} .·.
<ud> pad Ɨn Ư frƗz-tar gƗș nišast hem {Ư cašmage} V u-t [pad Ɨn Ư] frƗz-
tom-tar <gƗș nišƗst> hem {knj gƗș meh be kard [hem]} .·.
Et j’étais assise sur un socle placé devant {et en vue}, et tu me fis asseoir
tout à fait devant {= socle (encore) plus grand (m’)était offert}.

Le zand du VƯštƗsp Yašt 8.8.1de opère de même :

<V> PVN ZK <Y>99 pr’ctvm g’s YTYBVNst|100 HVEm {×Y cšmky×101} V


APt PVN ZK Y pr’ctvmtl g’s ×YTYBVN’st 102 HVEm {AYK g’s Y ms
<BRA>103 krt [HVEm]} .·.
<ud> pad Ɨn <Ư> frƗz-tom gƗș nišast hem {×Ư cašmage×} u-t pad Ɨn Ư
frƗz-tom-tar gƗș ×nišƗst hem {knj gƗș Ư meh <be> kard [hem]} .·.
Et j’étais assise sur un socle placé devant {et en vue}, et tu me fis asseoir
tout à fait devant {= socle (encore) plus grand (m’)était offert}.

L’adjectif fratara- de la protase est rendu en pehlevi par le comparatif ou


le superlatif de frƗz « orienté vers l’avant », frƗz-tar « plutôt orienté vers
l’avant » ou frƗz-tom « très orienté vers l’avant », tandis que, pour l’adjectif
fratarǀtara- de l’apodose, il a été recouru à la curieuse forme frƗz-tom-tar,
le comparatif du superlatif de frƗz : « davantage très situé vers l’avant ». Ces
formations artificielles ou forcées, destinées à rendre au plus près les mots
originaux avestiques, ont alors été commentées ou glosées.

94
K20 YTYBVNst.
95
M6 Y cšmk Y ; K20 Y cšmk.
96
D’après Vyt ×8.8.1, AVN 4.14.1 et 17.16-17.
97
K20 AYK mt.
98
D’après Vyt.
99
D’après M6, K20.
100
F12 YTYBVNst.
101
F12, Dhabhar (1927) ’c dhmky.
102
F12, Dhabhar (1927) YTYBVNst.
103
Avec M6, K20.

234
Nous devons examiner à présent les difficultés de ces commentaires. Le
premier est Ư cašmage, le génitif singulier de cašmag « en vue ». En effet,
remarquons la brachylogie du français « socle en vue » pour « socle sur
lequel la personne est en vue ». Ce statut de génitif en ºe est confirmé par le
pluriel en ºƗn que le mot arbore dans le parallèle de l’ArdƗy VƯrƗz NƗmag
4.14.1.
Quant au second commentaire, B. N. Dhabhar et le manuscrit F12 nous
conduisent à le lire AYK g’s Y ms BRA krt HVEm (knj gƗș Ư meh be kard
hem) « le socle plus grand j’ai été rendue », c’est-à-dire sans que l’agent de
<be> kard « rendue » ne soit spécifié et sans que la fonction grammaticale
de gƗș Ư meh « le socle plus grand » ne soit explicite.
Ce second commentaire est à amender en ××AYKt PVN g’s Y ms BRA krt
HVEm (××knj-t pad gƗș Ư meh be kard hem) « tu m’as placée sur un socle plus
grand », c’est-à-dire en restituant pad afin de préciser la fonction de gƗș. À
moins de considérer que hem est de trop : ××AYK g’s Y ms BRA krt (××knj gƗș
Ư meh be kard) « socle plus grand (m’)a été fait ». Cette dernière solution
nous épargnerait de devoir restituer pad devant gƗș. Cependant, pour amen-
der la lettre de ces commentaires, nous ne pouvons ignorer l’ArdƗy VƯrƗz
NƗmag (AVN 4.14.1de) :

V AMT PVN g’s Y104 cšmk’n105 YTYBVNst HVEm ×’t106 ×cšm<k>g’stl107


×
YTYBVN’st108 HVEm
ud ka pad gƗș Ư cašmagƗn nišast hem ×Ɨ-t ×cašmag-gƗș-tar ×nišƗst hem
Et, lorsque j’avais place assise parmi ceux qui sont en vue, tu me fis
asseoir à une place (encore) plus en vue.

En effet, les commentaires ont ici fait leur chemin dans le texte. La place
où la Doctrine se trouvait est à présent décrite au moyen de cšmk’n,
apparemment le génitif pluriel de cšmk : « sur le socle de ceux qui sont
visibles ». Par contre, dans l’apodose, nous trouvons cšmg’htl (cašmagƗh-
tar) sans la présence du mot gƗș, donc « tu m’as assise encore plus en vue »,
mais, comme Philippe Gignoux le fait remarquer, la graphie du mot est inat-
tendue : nous attendions ×cšmk’stl109. Une lecture ×cšmkg’stl (×cašmag-gƗș-
tar) « mieux en possession d’un socle en vue » n’est donc pas à écarter dans

104
K20 om.
105
Avec Vahman (1986), sur base des manuscrits, contre Gignoux (1984) cašmagƗhƗn
(cšmk’<s’>n).
106
Avec Gignoux (1984), contre mss. APt et Va u-t.
107
Vahman, sur base de K20 cšmg’htl, donne cašmagƗhtar. Gignoux (1984), pensant
avoir affaire au comparatif de cšmk’s (cašmagƗh) « obvious public, notorious » (Mackenzie
1971), fait remarquer que cašmagƗhtar est écrit sous sa forme persane, cšmg’htl, et que la
graphie attendue eût été *cšmk’stl.
108
Avec Gignoux (1984) et Vahman (1986), YTYBVNst est à corriger en ×YTYBVN’st.
109
Mackenzie 1971.

235
laquelle k se serait amuï en raison de g qui le suit, et s aurait réduit son
jambage au point de lui donner l’aspect de h. L’examen du zand ainsi nous
apprend-il que fratara- « situé dans les premiers rangs », aux yeux de la
tradition qui en avait glosé certains mots, signifiait cašmag « bien visible, en
vue ».
La version négative de H 2 ou du VƯštƗsp Yašt n’a malheureusement pas
été conservée. Cependant, il est possible de la reconstituer, le NƯrangestƗn
61.7 et le VƯštƗsp Yašt 4.6 nous permettant de savoir que l’antonyme de
fratara- était apara- « en arrière, plutôt retiré ». Voici dès lors la reconsti-
tution que nous devons proposer de l’abestƗg de H 2.32.1de :

<apaire gƗtuuǀ ¿Ëhanąm V aparǀtaire gƗtuuǀ niš.hƗįaiiǀiš .·.>


<Comme j’étais assise sur un socle retiré, tu me fis asseoir sur un socle
(encore) plus retiré>.

Dans la protase de cette version négative, il serait donc fait usage de


l’adjectif apara- « en arrière » tiré du préverbe apa tandis que l’apodose en
contiendrait le comparatif aparǀtara- « encore plus en arrière ».
L’ArdƗy VƯrƗz NƗmag 17.18ab le confirme, mais de façon imparfaite :

<V> AMT <PVN ZK Y> ’p’htl gyv’k110 YTYBVNst HVEm ×’t111 ’p’htltl
×
nš’st112 HVEm
<ud> ka <pad Ɨn Ư> abƗxtar gyƗg nišast hem V ×Ɨ-t abƗxtar-tar ×nišƗst hem
Et, lorsque j’étais assise à une place septentrionale, tu me fis asseoir alors
encore plus au nord.

Dans cette mouture que l’ArdƗy VƯrƗz NƗmag donne de la version néga-
tive, aucun commentaire ne vient nous éclairer sur la place septentrionale de
la mauvaise Doctrine, mais deux remarques doivent être faites. La première
est que ’p’htl (abƗxtar) « septentrional » n’est pas l’antonyme de frƗz-tar que
nous lisions dans H 2 ou dans le VƯštƗsp Yašt. L’antonyme attendu est
×
’p’ctl (×abƗz-tar) « plutôt en arrière », un mot ressemblant à celui que les
manuscrits nous livrent ici, ’p’htl. Le passage sans doute est-il donc
corrompu. La deuxième remarque est que le commentaire a dû exister au vu
de la mouture que nous trouvons de cette phrase dans le DƗdestƗn Ư Mai-
niiaoii Xrat 1.181 :

V AMT PVN g’s Y †cšmk’d’n|113 YTYBVNst HVEm ADYN|t †cšmk’dtlc114


BRA krt| HVEm .·.
110
Sous la ligne dans K20.
111
Avec Gignoux (1984), contre les manuscrits APt et contre Vahman (1986) u-t.
112
Avec Vahman (1986), contre les manuscrits et contre Gignoux (1984) nšst.
113
Anklesaria (1913) ’cšmg’s’n| ; TD2 cšmk’d’n| ; K43a cšmk’d’n.

236
ud ka pad gƗș Ư †... nišast hem V Ɲg-it †...-tar-iz be kard hem .·.
Et, lorsque j’étais assise sur le socle dont la vue est gênée, tu m’occultais
alors encore davantage.

En effet, la place de la mauvaise Doctrine, cette fois-ci, est décrite dans


la protase au moyen d’un complément, g’s Y cšmk’d’n| (TD2) ou g’s Y
cšmk’d’n (K43a), mais Tehmuras Dinshaw Anklesaria115 proposait de lire
×
’cšmg’s’n|, donc plutôt ×’cšmk’s’n| (a-cašmagƗhƗn), le génitif pluriel de
’cšmk’s « non en vue ». Le syntagme PVN g’s Y ×’cšmk’s’n| pourra dès lors
signifier « sur le socle de ceux qui ne sont pas en vue »116.
Dans l’apodose, comme le socle n’est pas mentionné, nous supposerons
que l’adjectif cšmk’dtlc (TD2) ou cšmk’stlc (K43a avec s non lié à t) con-
corde avec le sujet de hem. Ici aussi, T. D. Anklesaria117 proposait de resti-
tuer un adjectif négatif : ×’cšmg’stlc, donc plutôt ×’cšmk’stlc (×a-cašmagƗh-
tar-iz) « encore moins en vue ». Cette possibilité peut être défendue sur base
de la traduction sanscrite dans laquelle ×adarĞanƯyatarƗm « encore bien plus
invisible » reflète bien ×’cšmk’stlc :

yadi ca sthƗne ’darĞanƯya118 upaveĞitƗsmi tatas ×tvayƗ119 ×adarĞanƯya-


tarƗP120 viĞeVeQa kurvƗQƗsmi ||
Et, lorsque j’avais été assise à un endroit peu visible, tu m’as alors rendue
encore moins visible.

Cependant, le reflet pƗzand du passage ne le confirme pas :

u ka pa gƗh i cašm.xƗhišn nišast hǀm aigit cašm.xƗhišntarca bÈ kard


hǀm .·.
Et, lorsque j’étais assise sur le socle dont la vue est gênée, tu m’occultais
alors davantage encore.

114
Anklesaria (1913) ’cšmg’stlc ; TD2 cšmk’dtlc ; K43a cšmk’stlc (mais avec le ductus
de s non lié à t).
115
1913.
116
Quant à elle, la proposition que, jouant avec une litote aussi inusuelle qu’invrai-
semblable, H. S. Nyberg (1964-1974 : II 53) avait avancée sans doute est-elle résolument à
rejeter : cšmk’y dont cšmk’d’n| serait tiré signifierait « having (all) eyes fastened (on oneself)
= exposed to people’s (contemptuous) looks, an object of derision, dishonoured ». En outre,
pour Nyberg, ce cšmk’y ne serait jamais qu’une variante phonétique de cšmk’s.
117
1913.
118
adarĞanƯye loc. sg. est accordé avec sthƗne (« endroit invisible ») au lieu de figurer au
génitif pluriel (« endroit où l’on est invisible ») : le traducteur sanscrit n’a pas suivi le pehlevi
sur ce point.
119
Anklesaria (1913) tvƗP.
120
Anklesaria (1913) adarĞanƯyataraP.

237
Il est important de voir que l’apodose, dans les trois moutures du DƗ-
destƗn Ư Mainiiaoii Xrat, recourt au verbe « faire », ce qui n’est pas sans
rappeler le commentaire que nous avions rencontré dans H 2 et dans le
VƯštƗsp Yašt : knj gƗș Ư meh be kard [hem] « socle plus grand (m’)était fait».
« Faire, rendre » convient mieux que « faire s’asseoir » lorsque le socle n’est
pas mentionné. Cet emploi vient d’ailleurs confirmer l’authenticité de l’ab-
sence du socle et nous permet d’accuser l’ArdƗy VƯrƗz NƗmag (AVN 4.14.1
et 17.18) d’avoir réintroduit le verbe « faire s’asseoir » dans l’apodose sous
l’influence de la protase. Remarquons que, par leur imperfection, les
manuscrits de H 2 et du VƯštƗsp Yašt vont effectivement dans ce sens ou
s’en font écho pour donner nišast (YTYBVNst ou nšst) dans l’apodose
comme dans la protase alors que, dans l’apodose, nous attendions plutôt le
causatif ×nišƗst (×YTYBVN’st ou nš’st).
Revenons à la forme de ce qui complète g’s dans la protase. D’après le
reflet que le pƗzand nous offre du DƗdestƗn Ư Mainiiaoii Xrat, nous devrions
considérer cšmk’d’n| comme un composé dans lequel le second terme serait
à expliquer par la racine de k’stn| (kƗstan) « diminish, decrease, lessen »121,
le causatif tiré de √ kas « être petit ». Le socle où était assise la mauvaise
Doctrine ainsi serait-il « pourvu d’une diminution de la vue » ou em-
pêcherait-il la Doctrine qui s’y trouve assise d’être en vue. Un jeu de mots a
donc dû exister entre cšmk’s (cašmagƗh) « en vue », dont le génitif pluriel
est cašmagƗhƗn, et +cšmk’s’n / ×cšmk’sšn (+cašm-kƗhƗn122/ ×cašm-kƗhišn)
« empêchant la vue ». Le jeu aurait ensuite causé des perturbations chez
ceux qui n’étaient plus en mesure de l’apprécier. Cette interprétation se dé-
fend aussi pour offrir un écho au commentaire pehlevi figurant dans l’apo-
dose de H 2 et du VƯštƗsp Yašt, knj gƗș Ư meh be kard [hem], puisque « plus
petit » est l’antonyme de « plus grand ». À propos de jeux de mots, remar-
quons aussi qu’un bahuvrƯhi cšm(k)g’s (cašmag-gƗș) « possesseur d’un socle
en vue » offre une troublante ressemblance avec cšmk’s (cašmagƗh) « en
vue » et avec +cšmk’s’n/ ×cšmk’sšn (+cašm-kƗhƗn/ ×cašm-kƗhišn) « empê-
chant la vue ».
Ceci étant dit, l’apodose pehlevie contiendrait cšmk’dtlc. Logiquement,
cet adjectif qui doit s’accorder avec le sujet ne peut signifier « diminuant
davantage la vue ». Pour la cohérence, nous attendons « étant diminuée pour
la vue ». Dès lors, je propose d’aménager différemment les jambages du mot
pour y reconnaître un composé contenant ks (keh) « plus petit » : ×cšmkstlc
(×cašm-keh-tar-iz) « encore plus petite pour la vue ». Une autre possibilité
serait de lire ×cšmk’sttlc (×cašm-kƗst-tar-iz) en y admettant l’adjectif verbal
kƗst de kƗstan : « encore bien plus diminuée pour la vue ».

121
Et de k’synytn| (kƗhƝnƯdan) « decrease, lessen » (Mackenzie 1971).
122
Avec suffixation -Ɨn du thème verbal comme dans arzƗn « valuable, worthy » (Mac-
kenzie 1971).

238
En conclusion, si nous pouvons dire que le fratara- de H 2 et du VƯštƗsp
Yašt, « éminent, situé dans les premiers rangs », aux yeux de la tradition qui
l’avait commenté ou glosé, revenait à dire « bien visible, en vue », voilà qui,
pour sûr, rencontre le sens étymologique du nom vieil-iranien de la doctrine
ou de la religion, dainƗ- (avestique daƝnƗ-, pehlevi dyn|, arabe ’l-dyn) « la
vision, ce qu’il faut voir », que ce soit ce que nous devons voir, comprendre
des dieux, du monde et de la mort ou ce que les dieux doivent pouvoir
apprécier de nous, c’est-à-dire notre façon de nous donner à voir aux dieux,
ce que nous faisons sur l’aire sacrifcielle en leur honneur ou à leur intention.
Nous comprenons mieux aussi le sens de frataratara- grâce à cette tradi-
tion : la pratique du pieux individu augmente la visibilité de la bonne doc-
trine.

2.6. FravUUti et gƗtu

La place que l’adorateur, du fait de la Préférence (frav৚ti) marquée pour


elle, accorde à la DainƗ sur l’aire sacrificielle est une place gagnée de haute
lutte, sait-on par ailleurs, une place pour laquelle d’éminents adorateurs du
Roi de la Sagesse se servirent de la Préférence comme d’une arme. Le Fra-
vardƯn Yašt, le texte sacrificiel qui glorifie les déesses qui représentent les
préférences que les hommes pieux montrèrent pour la bonne Doctrine, ex-
plique que de telles déesses servirent d’armes dans la conquête du terrain
sacrificiel que les adorateurs du Roi de la Sagesse entreprirent pour y in-
staller la bonne religion (Yt 13.99-100) :

kauuǀiš vƯštƗspahe a¹aonǀ frauua¹Ưm yazamaide .·. taxmahe tanumąșra-


he V darši.draoš Ɨhnjiriiehe 123 V 124 yǀ druca pauruuąnca 125 V a¹Ɨi rauuǀ
×
iiaƝša126 V yǀ druca pauruuąnca V a¹Ɨi rauuǀ vƯuuaƝįa127 V yǀ bƗzušca
upastaca128 vƯsata V a«h¿ daƝnaii¿ya7 ×Ɨhurǀiš129 zarașuštrǀiš .·.

123
La voyelle longue initiale de Ɨhnjiriia- « adorateur d’Ahura (MazdƗ) » est non le fruit
d’une vUddhi, mais celui du rythme que la longueur de ce mot fait de quatre syllabes (ahu-
ra+ya-) a généré dans l’élocution liturgique médiévale. L’antonyme de Ɨhnjiriia- est daƝuua-
iia- (daiva+ya-), et Ɨhnjiri-, synonyme de mƗzdaiiasni-, en est le dérivé par vUddhi de la syl-
labe initiale et thématisation en ºi-. Voir Chapitre VIII.
124
À partir d’ici, = Yt 19.85-86.
125
Forme d’accusatif pluriel employée en lieu et place de l’instrumental singulier, contre
Hintze (1994) +pauruuąnaca. ||| Skjærvø (1996 : 625) voit dans draoca pauruuąnca des loca-
tifs : « who sought free space for Order in tree and stone ».
126
Avec Hintze 1994 : 357.
127
Sur vƯuuaƝįa, Kellens 1984a : 411, 414.
128
Contre Kellens (1974a : 231) qui voudrait corriger cette forme en ×upast¿sca.
129
Avec Hintze (1994 : 358) contre Geldner (1886-1896) ahurǀiš.

239
yǀ hƯm stƗtąm hitąm haitƯm V uzuuaža7130 haca hinnjiȕiiǀ V nƯ hƯm dasta <
... > V maiįiiǀišƗįΩm 131 bΩrΩzi.rƗzΩm 132 V ×hașrakauuaitƯm 133 a¹aonƯm V
șrąfįrąm134 gÈušca vƗstraheca V frișąm gÈušca vƗstraheca .·.
Nous offrons le sacrifice à la Préférence (fravUUti) de l’harmonieux Hys-
taspe, l’Attentif, le valeureux qui était entièrement acquis au Formulaire Sa-
vant et propulsait une javeline audacieuse, l’adorateur du Roi de la Sagesse,
lui qui, s’aidant de la javeline et du fléau, chercha l’aire (ravah § gƗtu) de
l’Agencement, qui, s’aidant de la javeline et du fléau, ouvrit l’aire de
l’Agencement, servit de bras et de soutien de cette Doctrine de ceux qui, pour
offrir le sacrifice au Roi de la Sagesse, suivraient dorénavant les recomman-
dations de Zoroastre, Hystaspe qui parvint à la libérer des chaînes avec les-
quelles la Horde (= les HainiyƗ ou contrepartie négative des FravUti) l’avait
attachée, à l’asseoir mieux au centre, à mieux la diriger vers le haut, à faire en
sorte que le Consensus ou l’Agencement l’accompagnassent et qu’elle pût
apporter la prospérité à la vache et à la pâture, rendre propices la vache et la
pâture.

130
Skjærvø (1996 : 625 n. 92) y voit, comme Bartholomae (1904 : col. 1386), un
subjonctif aoriste.
131
Sur maiįiiǀišad- « assis au milieu », Kellens 1974a : 306.
132
Sur bΩrΩzi.rƗz- « qui ordonne à voix haute », Kellens 1974a : 280 sqq.
133
Geldner (1886-1896) afrakaįauuaitƯm. Cf. Yt 13.26.2. Et contre Kellens (1974a : 284
sq.) qui pose ×afrakauuaitƯm « à qui appartient le premier rang ».
134
șrąfįrąm « qui réjouit » ? șrąfįąm « to be satisfied by cow and grass » (Skjærvø
1996 : 625). șrąfįº (Bartholomae 1904 : 805-806) : Yt 1.22, 5.26, 13.42,100, Y 9.20, 57.14,
FiO 654 (șrąfįǀ ptyhvyh), MX 2.2. Les traductions médiévales sont phl. ptyhv| (padƝxv) et
scr. samUddhaK. L’étymologie, le sens et la rection génitive de ce mot font difficulté. La
rection génitive se retrouve dans le syntagme suivant où elle est tout aussi problématique.
Remarquons l’apparente différence de degré radical existant entre șrąfįrąm et frișąm. En
revanche, tous deux montrent une spirantisation du suffixe ou un suffixe caractérisé par une
spirante dentale. P. O. Skjærvø opte pour un sens passif, mais la rection génitive me paraît s’y
opposer. Tout se passe comme si nous étions en présence de noms d’agents en -tar-. Faut-il
donc lire ×șrąfįrƯm ... fraƝșrƯm× sur base de RS 4.41.5ab índrƗ yuvám varuQƗ bhnjtám asy» V
dhiyáK pret»rƗ vUVabhéva dhenóK « O Indra, ô VaruQa, vous deux, devenez les amants de ce
poème-ci, comme deux taureaux (le sont) d’une vache-laitière ! » (traduction Renou 1955-
1969 : V 96) ? Il est malaisé d’expliquer șrąfįº à partir de √ T5P « réjouir » :: tUmpáti (contre
Bartholomae 1904 : col. 805 sq.) puisque poser un proto-indo-iranien *tUmptrƯ- ne permet pas
de rendre compte de șº. L’octosyllabisme de Yt 5.26.4d garantit l’existence d’un abstrait
nominatif singulier monosyllabique +șrąfšº (J10), mais le degré plein radical surprend pour un
nom-racine, et Kellens (1974a) ne l’a pas enregistré. Par erreur, FiO 654 le confond avec
l’adjectif șrąfį<r>a-. Ce dernier est combiné avec des adjectifs verbaux d’obligation dans le
vers Yt 13.42h șrąfį<r>ąm yesniiąm vahmiiąm, ce qui est en faveur du sens passif. Ce sens
passif convient aussi dans Y 57.14.2b +șrąfΩįrǀ asti paiti.zaQtǀ, mais, de prime abord, ne
s’impose pas dans Y 9.20.1c yașa aƝšǀ amauu¿ șrąfΩįǀ. Ceci dit, si la correction en ׺įra-
n’était pas à opérer, la seule façon d’en justifier le consonantisme spirant serait de supposer
un suffixe proto-indo-européen *-tH2o-, lequel n’est pas plus en faveur d’un sens actif.
L’avantage de penser aux suffixes proto-indo-iraniens *-tra- et *-tar- est qu’ils permettent de
justifier aisément le degré radical.

240
Nous pouvons donc dire que la fravUUti est présente en pointillé dans H 2
ou dans le dernier chapitre du VƯštƗsp Yašt. La fravUUti est l’une des compo-
santes immatérielles et immortelles de l’individu. Elle est au service de son
âme-moi au même titre que les facultés de se mouvoir et de percevoir135. La
fravUUti ainsi peut-elle être vue comme une partie du Moi136. Elle est l’enga-
gement que l’individu prend d’offrir le sacrifice à Ahura MazdƗ en suivant
les recommandations de Zoroastre, c’est-à-dire le choix opéré d’un type dé-
fini de sacrifice137, le choix d’officiants138 et le choix d’une vache139. C’est
la conviction qu’Ahura MazdƗ est le plus savant qui définit ou conditionne
ce type de sacrifice. Pareil engagement a été fixé sous la forme d’une série
de phrases140 dont la prononciation constitue un préalable obligé de toute
cérémonie sacrificielle. Le bon choix, pour ses conséquences positives et
harmonieuses, est aussi celui que notamment les plantes et la vache atten-
dent du sacrifiant141. Ce choix accroît la valeur de la bonne triade comporte-
mentale rituelle de l’individu ; la fravUUti est ainsi la promotrice de son signe
positif142.
Le caractère préalable de ce choix est illustré de façon mythique : dans
son œuvre de mise en place des mondes, le grand dieu recourut aux fravUU
ti143. L’œuvre du grand dieu constitue alors le modèle pour lequel le pieux
sacrifiant mazdéen et les entités divines qui lui font côtés ou sont ses synec-
doques vont opter144. Le nom complet de l’engagement est fravUUti dainƗyƗh
mƗzdayasnaiš145 «la préférence marquée pour la Doctrine mazdéenne».
Le caractère préalable de la séquence rituelle ainsi nommée est encore
illustré de façon historique : selon Hérodote146, l’ancêtre de la dynastie mède
portait le nom de Phraortès, c’est-à-dire FravUUti. La vie de ce FravUUti con-
stitua un préalable à la montée de la lignée mède sur le trône : il était le père
du fondateur de cette lignée, un certain Déiocès que Ctésias147, en accord
avec certaines sources assyriennes, appelle Cyaxare, du même nom que
celui qui détruisit Ninive.
Le processus par lequel le sacrifiant réserve la meilleure place à la bonne
Doctrine et qui fait d’elle l’épouse de son âme-moi, c’est donc la fravUUti,
cette fondatrice individuelle de la bonne obédience. La fondation de la
135
Voir VZ 30.22, ŠGV 1.8.
136
Voir Y 1.18.
137
Voir RS 7.59.11.
138
Voir RS 3.19.1.
139
Voir Vr 4.2.
140
Voir Y 12.
141
Voir Y 12.7.
142
Voir Dk 3.218.4, ŠGV 8.60.
143
Voir Yt 13.28, Dk 3.370.2.
144
Voir Y 31, Yt 10.92.
145
Voir Y 13.8.4.
146
1.96.
147
apud Diodore de Sicile.

241
bonne Doctrine est permanente pour être le fait de chaque mazdéen de cha-
que génération. La fravUUti, cette promesse que l’individu répète avant cha-
que sacrifice de passer immédiatement à l’action, inaugure la cérémonie.
Une dernière remarque. La Zand-ƗgƗhƯh 30.16.2 s’exprime de façon fort
expéditive :

<AYK> 148 L 149 HVEm 150 ’hlvb|151 dyn| Y LK ×AYK 152 kvnšn|153 ZYt 154
vlcyt|155 AMT|156 LK nyvkyh krt|157 L LK l’d ×’ytvn|158 YHVVNt|159 HVEm160
<knj> an hem a¹auu dƝn Ư tǀ {×knj kunišn Ư-t varzƯd} V ka-t nƝkƯh kard161 V
an162 tǀ rƗy ×Ɲdǀn bnjd hem
(Jeune homme) harmonieux, moi je suis la doctrine tienne {= le geste que
tu accomplissais}. Comme tu accomplissais la beauté, moi, grâce à toi, je suis
devenue ainsi.

Sa version négative est tout aussi laconique (ZA 30.20.2) :

AYK ’y dlvnd L dyn| Y163 LK MNVt NPŠE kvnšn164 HVEm AMT|165 LK


ZK Y SLYtl <kvnšn> vlcyt|166 ×’ytvn|167 LK l’d YHVVNt HVEm168
knj Ɨi druvand an dƝn Ư tǀ {knj-t xvƝš kunišn} hem V ka-t Ɨn Ư vattar
<kunišn> varzƯd V ×Ɲdǀn tǀ rƗy bnjd hem
Ah! égaré, moi je suis la doctrine tienne {= ton propre geste}. Comme tu
accomplissais le geste mauvais, par ta faute, je suis devenue ainsi.

Cependant, Xerxès qui, à Persépolis, s’exprime de façon semblable (XPh


§4c ; XPg) nous permet une avancée :

148
Avec Anklesaria.
149
TD1 saute le mot.
150
DH (HVEt) HVEm ; TD1 HVHVMA.
151
Après ce mot, TD1 insère Y.
152
Mss. ZK.
153
TD2 et DH kvn.
154
TD1 avec |. DH colle ce mot au précédent (kvnZYt).
155
TD1 sans |.
156
DH sans |.
157
TD1 sans |.
158
Mss. LTME.
159
TD1 et DH sans |.
160
TD1 suivi de .·..
161
N’attendions-nous pas plutôt ka-t Ɨn Ư nƝk kunišn varzƯd ?
162
La présence de an ... ×Ɲdǀn a permis d’éluder Ɨ corrélatif de ka.
163
TD1 suivi d’une tache.
164
TD1 et DH avec |.
165
TD1 sans |.
166
TD1 sans |.
167
Contre Anklesaria et les manuscrits qui donnent LTME.
168
TD1 suivi de =LK=.

242
tayat duškUUtam akaryat V avat adam nƯbam akunavam
Ce qui avait été mal accompli, moi je l’ai rendu beau ;
tayat nƯbam akunauš uta frƗmƗyata V dƗrayavahuš xšƗyașyah V
hayah mana pitƗ V vašnƗapi ahuramazdƗhah V adam abƯjƗvayam abi
avat kUUtam V uta frataram akunavam
Le beau que, chargé d’exercer l’influence rituelle sur les dieux, mon père
Darius avait pu accomplir ou ordonner, cette réalisation, c’est aussi par la
volonté du Roi de la Sagesse que moi j’ai pu l’accroître et la mettre en avant.

Ce dernier syntagme qui décrit la mise en avant du geste beau fait écho à
la mise en avant avestique ou pehlevie de la belle doctrine dans laquelle
nous devions reconnaître le geste beau. Le verbe vieux-perse abƯjƗvayam
« j’ai fait prospérer, j’ai accru »169, en traduisant les effets de la fravUUti de
Xerxès, fait écho au mot sanscrit que Neriyosangh, au XIIIe siècle de l’ère
commune, choisit pour traduire fravUUti : vUddhi- « accroissement ». Cet ac-
croissement transparaît aussi dans l’emploi de l’adjectif fratara- « en
avant ».
L’attestation du syntagme vieux-perse nƯbam √ kar « accomplir le geste
beau », faut-il remarquer par la même occasion, donne quelques lettres de
noblesse à celui que nous trouvons dans la Zand-ƗgƗhƯh, nƝkƯh kardan « ac-
complir la beauté ». Les Livres pehlevis, constellés d’avesticismes ren-
voyant aussi bien à de l’avestique connu qu’à de l’avestique inconnu, sont
aussi les héritiers d’une tradition mazdéenne proprement perse ou, du moins,
non avestique. En plus de cette conclusion annexe, l’examen du texte et du
zand de la phrase qui, dans le fragment H 2 du Haįaoxt Nask ou dans le
huitième chapitre du VƯštƗsp Yašt, nomme le gƗtu et la comparaison établie
avec plusieurs passages pehlevis ou vieux-perses font apparaître que la
fravUUti dont l’absence pouvait étonner est bel et bien là. Et il en ressort que
l’un des rôles de la fravUUti, un rôle sans doute bien important, est de fonder
ou d’affermir la bonne Doctrine de l’individu. Cette fondation de la bonne
Doctrine consiste à la donner à voir, à la placer au tout premier rang, à en
augmenter la visibilité.

3. Les étapes

3.1. Les antichambres de l’au-delà

Le fragment H 2 du Haįaoxt Nask fait passer le ruvan par trois anti-


chambres avant de lui faire atteindre les Anagra Raucah (H 2.15) ou les

169
Causatif de √ gu « prospérer » construit avec le préverbe abi, mais avec retouche
diascévastique pour *abƯgƗvayam. La diascévase a aussi procédé à la répétition du préverbe.

243
Anagra Tamah (H 2.33) : Humata, Huuxta et HuvUUšta dans le cas du
ruvan du pieux défunt ; Dušmata, Dužuxta et DužvUUšta s’il est question de
celui de l’impie. Les termes employés, fondamentalement adjectifs, appa-
raissent pour la première fois dans le Y 49.4 et dans le YH où ils fonction-
nent comme substantifs de genre neutre, c’est-à-dire avec le sous-entendu
des mots manah « pensée », vacah « parole » et ĞyƗușna « geste ». Ce qui,
dans les Cantates, avait pu recevoir le nom de « maison de la pensée bonne »
en est ainsi venu à prendre, dans ce passage de l’Avesta récent, celui de
« (pensée) bien pensée » pour autant, bien sûr, qu’il soit effectivement
question de la même chose et que nous fermions les yeux sur le transfert ter-
minologique qui dut s’opérer entre l’aire sacrificielle et l’au-delà.
Ici-bas, quand, par sa pratique, il prend place sur l’aire sacrificielle et
entre de ce fait dans la sphère mentale, le sacrifiant développe une pensée
bonne ou mauvaise que la configuration des lieux devait pouvoir sym-
boliser. De même, dans l’au-delà, un lieu fut imaginé sur la route du ruvan
du sacrifiant défunt qui pût y constater ou recouvrer ce qui, de son vivant,
avait ou non fait de lui un humanah « un homme ayant développé une pen-
sée bonne ».
La localisation des trois antichambres est précisée dans plusieurs Livres
pehlevis tels que l’ArdƗy VƯrƗz NƗmag170 ou le DƗdestƗn Ư DƝnƯg171. Il y est
enseigné que les trois antichambres du paradis correspondent aux zones
respectives des étoiles, de la Lune et du Soleil :

haut

Garah DmƗna
ou les
Anagra Raucah

HuvUUšta zone du Soleil

Huuxta zone de la Lune

Humata zone des étoiles

bas

Comme ceci n’est pas sans nous rappeler les termes du Rašn Yašt, force
nous est de formuler l’hypothèse que de telles localisations que les Livres
170
AVN 7-10.
171
DD 33.

244
pehlevis donnent des antichambres du paradis ne relèvent pas de l’innova-
tion.
Par contre, même si c’est compréhensible, l’AVN 17 reste silencieux sur
la localisation des antichambres infernaux pour nous suggérer que le sys-
tème a ses limites et que de telles localisations ne sont aucunement fonda-
mentales. Existait-il, par exemple, un Soleil négatif dans la zone duquel l’on
pût situer une antichambre du DƗužahava ?

3.2. Les montagnes et le pont

La localisation de plusieurs autres étapes, les montagnes de la cordillère


HarƗ (Hukarya, TƯra, CakƗta), le pont du Cinvant, la balance de Rašnu,
les bouches du monde infernal, la « Nuque d’Argenté » et le « calcul des
trois soirs », ou leur ordre de succession présentent des difficultés dont il ne
sera pas traité ici. En effet, si pour sûr elles en mériteraient un, l’examen de
telles données topologiques, que, de toute façon, le fragment H 2 et le
huitième fragard du VƯštƗsp Yašt éludent, nous éloignerait de l’objet du pré-
sent ouvrage, la définition des corps et âmes du mazdéen.
VIII

Le suffixe tertiaire indo-iranien -i-

Si nous suivons Christian Bartholomae1, la déclinaison du nom de la


capitale religieuse avestique (C5ƒJDL)2 non seulement serait bizarre, mais
différerait aussi de celle qu’il montre en vieux perse : avestique raȖa (no-
minatif Y 19.18), raȖąm (accusatif V 1.15), vieux-perse ra-ga-a (nominatif
DB 2.71 sq.), ra-ga-a-y-a (ablatif DB 3.2 sq.) ; avestique rajǀi7 (ablatif Y
19.18). En réalité, la forme rajǀi7appartient à un adjectif « rhagien » qui en
est tiré et sous-entend da«hu- « province ». Nous verrons que « rhagien »
signifie plus exactement « appartenant aux descendants de Raga » :

Y 19.18
kaiia ratauuǀ3 V nmƗniiǀ vƯsiiǀ zaQtumǀ dƗ[iiumǀ zarașuštrǀ puxįǀ .·.
kt’l lt| m’npt| V vyspt| V zndpt V dhyvpt| V zltvšt| pncvm .·.
kadƗr rat V mƗn-pat ud vƯspat ud zand-pat ud da«hu.pat ud zarașušt
panjom .·.
ke guravaK | gUhapatir vƯsapatir jandapatir grƗmapatir jarathuĞtraK pa-
ñcamaK | saptanaranƗrƯyugmaP gUham pañcadaĞanaranƗrƯyugmaP vƯsaP
triPĞannaranƗrƯyugmaP jandam pañcƗĞannaranƗrƯyugmaP grƗmam ||
Quels sont les niveaux d’autorité ? Ce sont le domestique, le clanique, le
tribal et le provincial avec le zoroastrique en cinquième lieu ʊ le gUha
compte sept couples mariés ; le vƯsa, quinze ; le janda, trente ; le grƗma,
cinquante ʊ

¿ƾhąm da[iiunąm y¿ anii¿ rajǀi7 zarașuštrǀi7 V cașru.ratuš raȖa zarașuš-


triš .·.
OLEš’n MTA<’n> MNV ZK HD MN lk Y zltvšt| 4 ltyh lk Y zltvšt| .·.
avƝšƗn da«hu<Ɨn> kƝ +any az raȖ Ư zarașušt V cahƗr-radƯh4 raȖ Ư zara-
șušt .·.
teVu grƗmeVu yƗny anyƗni ragƗj jarathuĞtrƯyƗt | catvƗro guravo rage ja-
rathuĞtrƯye ||

1
1904 : col. 1497.
2
Voir Pirart 2010b : 17.
3
Sur le sens et l’étymon de ratu-, Pirart 2007b : 38, 110 n. 27, 141 n. 134 ; 2010b : 349,
355, 360, 363.
4
var. lect. 4 lt|.

247
pour toutes les provinces à l’exception de celle des descendants de Raga
dont Zoroastre était l’un des membres. En effet, la zoroastrienne RagƗ ne
compte que quatre niveaux d’autorité.

kaiia a«h¿ ratauuǀ V nmƗniiasca vƯsiiasca zaQtumasca zarașuštrǀ tnji-


riiǀ .·.
kt’l ZK Y OLE lt| m’npt| V vyspt| V zndpt| V zltvšt| tsvm
kadƗr Ɨn Ư ǀy rat V mƗn-pat5 ud vƯs-pat ud zand-pat ud zarașušt tasom .·.
ke tasmin guravaK | gUhapatir vƯsapatir jandapatir jarathuĞtraĞ catu-
rthaK|
Quels y sont alors les niveaux d’autorité ? Ce sont le domestique, le cla-
nique et le tribal avec le zoroastrique6 en quatrième lieu,

HVEt AMT PVN MTA Y NPŠE YHVVNt ’š zm’n OBYDVNtc Y tsvm QDM
YHVVNt .·.
hƗd ka pad da«hu Ư xvƝš bnjd V Ɨ-š zamƗn-kard-iz7 Ư tasom abar bnjd .·.
tasmin grƗme yat svƯyam8 ƗsƯd V asau guruĞ caturtho ’bhnjt ||
car, comme il se trouvait dans sa propre province9, Zoroastre y
occupait alors en même temps la fonction du quatrième niveau10.

Ceci dit, la forme de cet adjectif est irrégulière à plus d’un titre : pour
cette formation secondaire, nous attendions une vUddhi ; et le suffixe -i-11
qui devrait aller de pair avec la vUddhi, partout ailleurs suppose que la for-
mation, en réalité, est plutôt tertiaire. Dans la 5gvedasaPhitƗ, nous trouvons
»gniveĞi-, páurukutsi-, pr»tardani-, pl»yogi-, váidadaĞvi-, s»rathi-, s»varQi-
(et †s»PvaraQi-12), mots tous tirés de composés ; dans l’Avesta13, avec çà et
là une vUddhi invisible sur laquelle nous reviendrons, nous trouvons, d’une
part, auuƗraoštri- « descendant d’AvƗraüštra », aspǀ.stƗni- « valet d’écu-

5
Le zand confond les dignités sacerdotales (nmƗniia-, etc.) et politiques (nmƗnǀ.paiti-,
etc.).
6
Ailleurs appelé zarașuštrǀ.tΩma- « successeur de Zoroastre ».
7
var. lect. zm’n krtc.
8 ×
svƯye ?
9
V 1.15 ast kƝ Ɲdǀn gǀved V knj zardušt az Ɨn gyƗg bnjd « un passage de l’Avesta nous
informe que Zoroastre était de là ».
10
Tout comme le Pape est à la fois l’évêque de Rome.
11
Debrunner 1954 : 301-303. Dans les chapitres précédents, j’ai parlé de thématisation
en ºi-.
12
Voir Macdonell & Keith 1912 : II 442.
13
Sans tenir compte de quelques mots dont l’analyse n’est guère établie : dƗsmaini- (voir
Pirart 2004a : 295), dƗštaiiƗni-, dƗštƗȖni-, paiti.biši- (voir Pirart 2004a : 300), maxšti-, vi7ka-
uui-, vƯspǀ.șauruuǀ.ašti- (voir Pirart 2006b : 215), rƗštarΩ.vaȖΩQti-, sƗininąm, sƗimuži-, zi-
Ȗri-. Sur xšƗfnƯmca snjirƯmca, axšafni xšafnƯm et asnjiri snjirƯm, Pirart 1999 : 491 n. 91. Sur
xšuuaš.ašƯm, Pirart 2004a : 278-279. Quant à lui, kΩrΩsƗni- est à corriger en +kΩrΩsƗna- «re-
jeton du Bandit» (Pirart 2004a : 276 ; 2010b : 350).

248
rie » (ƗspastƗni- ⇐14 aspǀ.stƗna- « écurie »), uštrǀ.stƗni- « valet chame-
lier » (ƗuštrastƗni- ⇐ uštrǀ.stƗna- « enclos des chameaux »), gauuǀ.stƗni-
« valet de bouverie » (gƗvastƗni- ⇐ gauuǀ.stƗna-15 « étable, bouverie»),
daȕrƗmaƝši- « decendant de Dabramaiša », dƗzgrƗspi-16 « descendant de
DƗzgrâspa », pasuš.hasti- « valet de bergerie » (pƗsušasti- ⇐ pasuš.hasta-17
« bergerie »), frƗrƗzi-18 « descendant de *FrarƗza », maiįiiǀim¿«hi- « des-
cendant de MadyaimƗha », mƗzdaiiasni- « appartenant aux mazdéens » (⇐
mazdaiiasna- « mazdéen »), vaQdarΩmaini- « descendant de *Vandruyam-
na19 », vƗrΩșraȖni- « appartenant à VUșragna », sƗiiuždri- « descendant de
*Sayuždra20 », stipi-21 « descendant de Stipa » (stƗipi-), siiƗuuaspi- « des-
cendant de SyƗvâspa », zarașuštri- « descendant de Zoroastre ou apparte-
nant à Zº », haƾhauruši- « descendant de Hº » (⇐ haƾhauruša-22), mots tous
tirés de composés, et, d’autre part, ƗșȕiiƗni-23 « (clan) des descendants d’Ɩ-
șpiya » (⇐ *ƗșȕiiƗna- « descendant d’Ɩșpiya » ĸ Ɨșȕiia-24) et xštƗuui-/
xštΩuui- 25 « descendant de Sixte » (⇐ xštuua- « sixième » ĸ xšuuaš
« six »)26, mots tirés de dérivés secondaires ; en vieux perse, avec çà et là
une vUddhi invisible, nous trouvons *Ɨdukani- « (mois) du creusement des

14
Avec les signes ⇐ et ←, j’indique des processus de dérivations respectivement ter-
tiaire et secondaire.
15
gava+ est une forme compositionnelle de gau- bien attestée en sanscrit (contre Bar-
tholomae [1904 : col. 485] qui propose de corriger en +gaostƗni- alors que cette leçon contre-
vient à la loi du sandhi : *gaoštƗna- était attendu).
16
Le premier terme de *dƗzgrƗspa- se retrouve dans dƗzgrǀ.gu-.
17
Bartholomae (1904 : col. 881) explique le second terme de pasuš.hasta- à partir de
√ had et signale le parallélisme de 5gvedasaPhitƗ 9.97.1 sádma paĞum»nti.
18
Nous trouvons aussi des composés dont le premier terme est un préverbe en védique,
mais en-dehors de la 5gvedasaPhitƗ (exemple : áupaveĞi- ⇐ upaveĞa-), et en vieux perse
(pƗtišvari-).
19
« Embobineur » (Pirart 2010b : 354).
20
« Soutien-d’orphelins » (Pirart 2010b : 366) ; *saiiu(š)- = védique Ğayú- « orphelin »
(Pirart 2010a : 57 sq. et 277 sqq.).
21
La vUddhi fait anormalement défaut : Yt 13.123.1-2 frƗrƗzǀiš tnjrahe a¹aonǀ frauua¹Ưm
yazamaide .·. stipǀiš rauuatǀ a¹aonǀ frauua¹Ưm yazamaide .·. «Nous offrons le sacrifice à la
Préférence de l’harmonieux Tura (« Quatrième ») descendant de FrarƗza (« Qui-s’adresse »).
Nous offrons le sacrifice à la Préférence de l’harmonieux Ruvant (« Rugissant ») descendant
de Stipa (« Protège-les-biens ») ». Pour *stipa-, cf. védique stip»- (voir Mayrhofer 1977 :
nº 300). La différence de thème se retrouve avec le sanscrit classique adhipa- comparé avec le
védique adhip»-.
22
Contre Bartholomae (1904 : col. 1768) qui pose haƾhauruuah-. La forme attestée,
haƾhaurušǀ (Yt 13.104), employée en tant que génitif, est en réalité celle du nominatif. Autre
exemple de ce phénomène : gauuaiiƗnǀ « fils de Gavaya » (Yt 13.96).
23
Pirart 2004a : 266.
24
Devant le suffixe -Ɨna-, la forme Ɨșȕiia- est à considérer comme primaire même si, en
réalité, pour elle-même, elle est celle du dérivé en -iya- de *Ɨșȕa- § védique Ɨtapá- (Pirart
2010a : 105).
25
Bartholomae sépare xštƗuui- (1904 : col. 556) et xštΩuui- (1904 : col. 555-556). Mayr-
hofer, avec une entrée unique xštauui- (1977 : nº 398), coupe la poire en deux.
26
Sur l’étymologie de xšuuaš, xštuua-, xštƗuui-/ xštΩuui-, xštƗuuaƝniia- voir l’Appen-
dice.

249
canaux » (si a-du-u-ka-na-i-š-ha-y est à prendre comme une forme mons-
trueuse de génitif [type da-a-ra-y-va-u-š-ha-y-a] ; ⇐ perse *Ɨdukana-), u-š-
b-a-ra-i-ma accusatif singulier « équipage de l’homme allant à dos de cha-
meau, chargement du chameau » (ƗušçabƗri- ⇐ perse *ušça+bƗra- « hom-
me allant à dos de chameau »27), ș-a-i-ga-ra-ca-i-š : ma-a-ha-y-a : « mois de
la récolte de l’ail » génitif singulier (șƗigraci- ⇐ proto-indo-iranien
*Ğigra+caa- « récolte de l’ail »), ga-u-b-ru-u-va : p-a-ta-i-š-u-va-ra-i-š :
« Gobryas fils de Pº » nominatif singulier (pƗtišvari- « 3DWHLVFRUHlM » ⇐
perse *patišvara- < *pati+hvara- « Répercute-les-sons »28), b-a-ga-y-a-da-
i-š : ma-a-ha-y-a : « mois du culte rendu aux dieux » génitif singulier (bƗga-
yƗdi- ⇐ perse *baga+yƗda- « culte rendu au/aux Baga »), mots tous tirés de
composés, et ka-a-p-i-š-ka-a-na-i-š : na-a-ma-a : di-i-da-a : « forteresse du
nom de KƗpišakƗni » nominatif singulier (kƗpišakƗni- ⇐ perse *kapišakƗ-
na- « descendant de Kapišaka »), tiré d’un dérivé secondaire comme l’aves-
tique ƗșȕiiƗni- :

Formations Formations Formations


primaires secondaires tertiaires
mazdƗ- mazdaiiasna- mƗzdaiiasni-
et yasna-
Ɨșȕiia- ƗșȕiiƗna- ƗșȕiiƗni-

Contre l’idée que la formation devrait être tertiaire, d’aucuns pourraient


invoquer hƗuuani- « temps matinal du pressurage »29 (ĸ hauuana- « pres-
surage »), Ɨhnjiri- (ĸ ahura-), xšƗudri- « élixir, liqueur » (ĸ xšudra- « li-
quide ») et tƗiinjiri- nom d’une sorte de pain, mais nous ne pouvons séparer
l’analyse de hƗuuani- de celle que nous donnerons de arΩzahi-30 « secteur
des affrontements »31 ou de sƗuuahi-32 « secteur de l’embonpoint33 ; l’Em-
bonpoint34 ». Ce dernier nous oblige en effet à envisager dans de tels cas une
dérivation tertiaire si le suffixe -i- qui doit prendre la place d’une voyelle

27
Cf. a-s-b-a-ra- « cavalier ».
28
Cf. sanscrit pratisvara- « son répercuté, écho ».
29
Génie de la première des cinq périodes du jour (voir Pirart 2004a : 350 ; 2006b : 110
n. 26 et 152 nn. 39-40 ; 2010b : 367).
30
arΩzahƯ- chez Bartholomae (1904 : col. 202), mais, à mes yeux, il s’agit plutôt du
dérivé par suffixation en -i- et vUddhi invisible de arΩzah- « combat, affrontement ».
31
L’un des sept secteurs de la Terre, au nord-est-est. Pour une tentative de justification
du nom de ce secteur, voir Pirart 2010b : 365.
32
sauuahƯ- et sƗuuahi- chez Bartholomae (1904 : col. 1562 et 1572).
33
Mot de genre neutre. L’un des sept secteurs de la Terre, au sud-est-est (voir Pirart
2010b : 366).
34
Mot de genre masculin. L’un des auxiliaires agricoles du génie du temps matinal du
pressurage (voir Pirart 2006b : 110 n. 26, 152 nn. 39 et 41 ; 2010b : 354).

250
thématique ºa- ne peut augmenter de thème consonantique : ⇐ *sƗvaha- ou
*savahiya- ĸ sauuah-.
Quant à Ɨhnjiri-35, son emploi le donnant pour le synonyme de mƗz-
daiiasni- « appartenant à ceux qui offrent le sacrifice à (Ahura) MazdƗ »,
nous devons plutôt l’expliquer à partir de Ɨhnjiriia- « adorateur d’Ahura
(MazdƗ) ». La graphie de ce dernier est trompeuse : il s’agit de ahura+ya-
avec allongement secondaire de la syllabe initiale dû au tétrasyllabisme et
amuïssement tout aussi secondaire de ºa+º. L’antonyme daƝuuaiia-36 « ado-
rateur du Daiva » (cf. védique devayƗnƯ- « épouse de l’adorateur du Deva »)
montre la même formation. L’ablation que, dans Ɨhnjiri-, nous trouvons de la
séquence ºayaº devant le suffixe tertiaire -i- est illustrée aussi par le vieux-
perse ș-a-i-ga-ra-ca-i- < proto-indo-iranien *ĞƗigraci- « (mois) où l’on récol-
te l’ail » ⇐ *Ğigra+caa- « récolte de l’ail ».
Restent alors xšƗudri- et tƗiinjiri-. Le dernier, d’étymologie inconnue, est
probablement à analyser comme le premier avec lequel il forme un tandem
dans le V 16.7. Pour trouver en védique aussi bien raudrá- que rudriyá-37
au sens de « fils de Rudra », nous ne pouvons écarter que xšƗudri- dérive de
xšudra- indirectement, c’est-à-dire via le dérivé par vUddhi de la syllabe
initiale ou via celui en -iya- : xšƗudri- ⇐ *xšƗudra- ou *xšudriya- ĸ
xšudra-. L’amuïssement de -iya- devant -i- est admissible sur base des mots
védiques hiraQín- « en or » ĸ híraQya- « or » et »rƯ- « Indienne » ĸ »rya-
« Indien ».
Comme son emploi est parallèle à celui de ƗșȕiiƗni- ordonné avec vƯs-
« clan » ou à celui de kƗpišakƗni- accordé avec didƗ- « forteresse », force
nous est de considérer raji-, qui sous-entend da«hu- « province »38, comme
un adjectif tertiaire, c’est-à-dire comme tiré d’un dérivé secondaire. Dès
lors, raji- est à corriger en ×rƗgi- « appartenant aux descendants de Raga »
(⇐ *ragiya- ĸ *raga-), sur base de védique pái1gi- « appartenant aux des-
cendants de Pi1ga » (⇐ pai1gya- ĸ pi1ga-)39, ou à corriger en ×rƗji- (⇐
*rajiya- ĸ *raga-), sur base du vieux-perse ma-ca-i-y- « 0ƒNDL » qui
dérive du toponyme ma-ka-. Ceci nous conduit à poser *raȖa- comme nom
de l’ancêtre éponyme des Rhagiens40, et les Livres pehlevis, pour connaître
un certain l’k parmi les ancêtres de Zoroastre, confortent cette hypothèse.
L’épaisseur mythique du personnage, restée nulle pour nous, ne doit pas
avoir été négligeable. Le nombre pluriel que la forme classique C5ƒJDL (Rha-
35
Pirart 2004a : 269.
36
Pirart 2004a : 292.
37
Pirart 1990 : 261.
38
sƗininąm da[iiunąm (Yt 13.144.1-2) est ambigu : devons-nous lire sƗinƯ- « nations qui
descendent de Saina » ou sƗini- « nations des descendants de Saina » ?
39
D’autres exemples de l’absence de conversion de g en j devant un suffixe secondaire
commençant par i sont vieux-perse așangin- « en pierre » ← așanga- « pierre » et sanscrit
ƗrĞyaĞU1gi- « descendant de 5º » ⇐ UĞyaĞU1ga-.
40
Pirart 2006b : 138 n. 126.

251
gae) arbore ou bien plaide en faveur d’une compréhension « cité des des-
cendants de Raga », ou bien fait écho au caractère triparti (șrizaQtnj-41) de
cette ville. Sur base de cette triplicité42, nous admettrons que Raga eut trois
fils même si deux seuls sont repérables : l’ancêtre de Zoroastre et celui de
Kavi Apivahu.
Cependant, deux difficultés ternissent l’idée d’une RagƗ43 porteuse de
ce nom pour être la ville où résident les *Ragiya ou *Rajiya « descendants
de Raga ». La première concerne la vUddhi invisible ou absente de rajǀi7. La
vUddhi iranienne est visible et avérée dans Ɨhnjiri-, ka-a-p-i-š-ka-a-na-i-,
xšƗudri-, ș-a-i-ga-ra-ca-i-, p-a-ta-i-š-u-va-ra-i-, frƗrƗzi-, b-a-ga-y-a-di-i-,
mƗzdaiiasni-, vƗrΩșraȖni- et sƗiiuždri-, mais, par ailleurs, elle est souvent
invisible. Son absence ou son caractère invisible peut être dû à une analogie
favorisée par l’analyse graphique du mot (aspǀ.stƗni-, uštrǀ.stƗni-,
gauuǀ.stƗni-, pasuš.hasti-). Il y a bien sûr aussi le cas de mots commençant
déjà avec une syllabe en ºƗº (ƗșȕiiƗni-, dƗzgrƗspi-, siiƗuuaspi- ; vieux-perse
a-du-u-ka-na-i-), mais le vieux-perse u-š-b-a-ra-i- reste épineux. Le tétra-
syllabisme du mot allié à l’ouverture de sa première syllabe justifie égale-
ment cette absence apparente (auuƗraoštri-, zarașuštri-), mais certains
exemples sont moins clairs (daȕrƗmaƝši-, maiįiiǀim¿«hi-, vaQdarΩmaini-,
haƾhauruši-). Plusieurs exemples montrent une vUddhi instable (xštƗuui-/
xštΩuui-, sƗuuahi-/ sauuahi-, hƗuuani-/ hauuani-). Restent deux cas où l’ab-
sence paraît bien intraitable : arΩzahi- et stipi-. Devons-nous donc considé-
rer que la prononciation de la vUddhi se fût relâchée du fait de la concurren-
ce du ton que, sur la foi des exemples védiques, elle devait porter ? Comme
on voit, la correction de rajǀi7 qui rétablit graphiquement la vUddhi est donc
bien indécise.
La seconde difficulté est de décider entre g et j dans la correction de
rajǀi7. Il est ici remarquable que les Livres pehlevis eux-mêmes hésitent tout
autant entre les deux phonèmes à l’instant d’orthographier le nom de l’ancê-
tre de Zoroastre. Dans la généalogie de Zoroastre, nous trouvons lcn| (Zand-
ƗgƗhƯh 35.52 selon les manuscrits DH, TD1 et TD2)44, rajan (en caractères
avestiques, selon les manuscrits K20 et K20b)45, razašna (Bundahišn pƗzand
25.1, selon Antia 1909), arj (VizƯdagƯhƗ Ư ZƗdsparam 7, en caractères avesti-
ques, selon Gignoux & Tafazzoli 1993), ’ylyc (DƝnkard 7.1.70, selon le ma-
nuscrit B)46, rajišn (VizƯrgard Ư DƝnƯg, en caractères avestiques, selon San-
41
C’est l’origine du nom d’Arizantes (ਝȡȚȗĮȞIJȠȓ) qu’Hérodote donne à l’une des tribus
mèdes et que nous devons donc amender en « Thrizantes ».
42
Connue de YƗqnjt.
43
La « ville des Raga » tout comme la sanscrite épique AyodhyƗ est la « ville des
invincibles » ou la vieux-perse YadƗ, « celle des pieux ».
44
Sur ces manuscrits, voir respectivement Khanlari 1971, Khanlari 1970, JamaspAsa &
alii 1978.
45
Sur ces manuscrits, voir Christensen 1931.
46
Sur ce manuscrit, voir Dresden 1966.

252
jânâ 1848 : 28) ; dans celle d’Apivahu, l’k (Zand-ƗgƗhƯh 35.37 selon les
manuscrits DH, TD1 et TD2) ; pour le nom du « canton »47 (rǀstƗg) où se
situe la « famille »48 (dnjdag) des SpƯtƗma, ’l’k (DƝnkard 7.1.9.2, selon le
manuscrit B). J’ai pourtant bien l’impression que trois types de leçons sont à
reconnaître : la première, l’k, nous oriente vers *raȖa- « Raga » ; la deu-
xième, ×lyc|, vers *rajiia- « Rajiya, descendant de Raga » ; la troisième, lcn|,
rajan ou rajišn, vers ×l’cyd’n| ou *rƗjaiiana- « RajiyƗna, descendant de
Raga ». Dans les deux dernières, l’ethnonyme aurait donc pris la place de
l’andronyme, et nous devrions alors opter pour j à l’instant de rendre compte
de rajǀi7: rƗji- dahyu- « province des descendants de Raga ».

Appendice. L’étymologie de xšuuaš et de ses dérivés

La forme avestique de l’adjectif numéral cardinal xšuuaš qui, par compa-


raison avec celles qu’il montre dans les autres langues indo-européennes
anciennes (proto-indo-européen *séۖs > latin sex, etc. ; *séۖs > dorien Fȑȟ,
etc.)49, reste surprenante. Et nous ne pouvons invoquer de métathèse proto-
iranienne *haxš > xšuuaš pour expliquer l’initiale x puisque la consonne
occlusive dorsale, au vu du védique VáW50, devait être non pas la vélaire, mais
bien la palatale et que la cacuminale védique doit être expliquée comme
celle qu’arbore le nominatif singulier víW de víĞ- « clan ». L’adjectif numéral
ordinal nous ouvre pourtant une piste. En avestique, xštuua- « sixième »
montre une forme tout aussi inattendue que xšuuaš. En effet, le gaulois
suexos, pour nous inviter à poser proto-indo-européen *seۖs-tH2o-, conduit
à penser que la séquence proto-iranienne *ºaº se serait déplacée : *h ašta-
> *hšta a-. L’aspirée initiale, entrée en collision avec la chuintante, serait
alors devenue x : *hštaa- > xštava-. Nous devons lire xštuua- de la sorte
avec deux syllabes, même si c’est sur la seule base de l’indien VaVWhá-
puisqu’aucun passage l’attestant n’est métrique, ce qui nous aurait permis de
vérifier son nombre de syllabes. En admettant cette explication de xštuua-,
nous sommes en mesure d’invoquer une analogie pour celle de xšuuaš :
*haš > xšvaš d’après xštava-.
Comme *hašta- (> xštuua-) est une formation secondaire par rapport à
*haš (> xšuuaš), xštƗuui-51 est bien évidemment à considérer comme une
47
Molé 1967.
48
Molé 1967.
49
Voir Mayrhofer 1992-2001 : II 680-681.
50
La chuintante cacuminale initiale de VáW provient d’une assimilation comme dans
áVƗ'ha- « irrésistible » < á+sah-ta-.
51
xštƗuui- (Yt 13.37-38) : a¹Ɨunąm vaƾvhƯš snjr¿ spΩQt¿ frauua¹aiiǀ yazamaide pouru-
spƗį¿ yastǀ.zaii¿ uzgΩrΩptǀ.drafš¿ bamii¿ .·. y¿ uȖrƗhu pΩ¹anƗhu taįa nijasΩn xštΩuuiȕiiǀ .·.
taįa yǀi taxma xštƗuuaiiǀ dƗnubiiǀ azΩn pΩ¹an¿ .·. ynjžΩm taįa tauruuaiiata vΩrΩșrΩm dƗnu-
nąm tnjranąm .·. ynjžΩm taįa tauruuaiiata 7baƝš¿ dƗnunąm tnjranąm .·. ynjšmaoiiǀ parǀ

253
formation tertiaire, et sa vUddhi est parfaitement attendue. Par contre, le
vUddhi que nous trouvons dans xštƗuuaƝniia-52 a toute chance d’être illu-
soire puisque ni -Ɨna- ni -iya-53 ne l’exigent. La longueur de la voyelle de la
syllabe initiale est donc bien plutôt le fruit des conditions conjuguées que lui
ont imposées son ouverture et le tétrasyllabisme du mot : xštavƗniya-
< *hštaƗniya-. Notons au passage que ce même tétrasyllabisme, allié à
l’infection palatale et à l’ouverture, doit être la cause de la graphie ºaƝº de la
deuxième syllabe comme dans tištriiaƝnƯ- « épouse de Tištriya »54 que nous
devons lire tištriyƗnƯ-.
Ajoutons que xštƗuuaƝniia-, expliqué de la sorte, constitue alors un argu-
ment en faveur de la lecture xštava- de xštuua-.

karšnazǀ huuƯra baon sΩuuišta yǀi taxma xštƗuuaiiǀ yǀi taxma saošiiaQtǀ yǀi taxma vΩrΩ-
șrƗjanǀ xrnjm¿ asÈbiš fraziQta dƗnunąm baƝuuarΩ.paitinąm ºoº « Nous offrons le sacrifice
aux bonnes, opulentes et savantes Préférences des harmonieux, elles qui forment une troupe
nombreuse, armée, les étendards dressés, lumineuse, les puissantes qui, dans les combats,
vinrent en aide aux descendants de Hvašta (« Sixte ») lorsque ceux-ci, valeureux, livraient
combat aux rejetons de DƗnu (« Sécheresse ») et qu’ils dirent aux Préférences : "Vous,
surmontez l’obstacle que les rejetons de DƗnu et de Tura (« Maladif ») nous occasionnent !
Vous, surmontez les nuisances que les rejetons de DƗnu et de Tura nous occasionnent !" Nous
leur disons : "Avec votre aide et pour lutter contre les Fauteurs de noires ténèbres, les va-
leureux descendants de Hvašta eurent de bons fils, eux les valeureux Futurs Invigorateurs, les
valeureux Briseurs d’obstacles. Les myriarques du clan de DƗnu furent dépossédés des ré-
gions ensanglantées" ».
52
Bartholomae 1904 : col. 556 ; Mayrhofer 1977 : nº 398 ; Yt 13.111.4-5 pouruįƗxštǀiš
xštƗuuaƝniiehe a¹aonǀ frauua¹Ưm yazamaide .·. xšuuiȕrƗspa[na]he xštƗuuaƝniiehe a¹aonǀ
frauua¹Ưm yazamaide .·. « Nous offrons le sacrifice à la Préférence de l’harmonieux ParudƗšti
(« Multiples-octrois ») descendant de Hvašta. Nous offrons le sacrifice à la Préférence de
l’harmonieux Xšvibrâspa (« Chevaux-vibrants ») descendant de Hvašta ».
53
La concurrence ou redondance des deux suffixes n’est pas expliquée. Nous la retrou-
vons, mais selon l’ordre inverse, notamment dans naotairiiąna- « descendant de NƗutara
(« Passeur-en-barque ») » (NƗutariyƗna- [Pirart 2010b : 362]) qui dérive de naotara-. Ceci
dit, *NƗutarƗna- est attesté dans les Livres pehlevis et NƗutariya-, dans notre Avesta même
(Pirart 2008 : 88).
54
Pirart 2010b : 99.
Index locorum

A = ƖfrƯnagƗn
1.10-11 ... 54.
1.11 ... 53.
3.4 ... 166.
3.7 ... 55.
3.13 ... 56.
4.6 ... 166, 167.

Qa
AitareyabrƗhmaQ
1.9 ... 208.
1.10 ... 208.

AitareyopaniVVad
2.3-4 ... 196.

Aog = AogΩmadaƝcƗ
48 ... 40, 52.

ƖpastambaĞrautasnjtra
11.3.14 ... 131.

AVN = ArdƗy VƯrƗz NƗmag


4.14 ... 234, 235, 238.
5.2-3 ... 209-210.
5.4 ... 220.
5.5 ... 220.
7-10 ... 244.
10.1 ... 220.
11.1-4 ... 228.
11.5 ... 216.
17 ... 245.
17.4 ... 35.
17.9 ...95.
17.16-17 ... 234.
17.18 ... 236, 238.
17.20 ... 220.

PhitƗ de PaippalƗda
AVP = AtharvavedasaP
255
AVĝ = AtharvavedasaP PhitƗ de ĝaunaka
2.26 ... 150.
2.26.2 ... 149, 151.
7.25.1 ... 149, 151.

Az = ƖfrƯn Ư Zarașušt
1 ... 103, 104.
3 ... 156.
5 ... 104.

DB = inscriptions de Darius à BƯsotnjn


- ... 232.
2.71 ... 247.
3.2 ... 247.
4.49 ... 108.

DD = DƗdestƗn Ư DƝnƯg
2.13 ... 196.
7 ... 101, 119.
7.7 ... 119.
13.5 ... 220.
15 ... 177.
15.2 ... 32, 34, 35.
15.6 ... 33.
16.4 ... 37.
16.5 ... 89.
16.6 ... 228.
18.6 ... 222, 228.
19.4 ... 221.
19.5 ... 221.
22.2 ... 35.
22.4 ... 34, 35.
23.5 ... 177.
23.6 ... 177, 221.
24.3 ... 37.
27.1-6 ... 210.
27.7 ... 210.
30.1 ... 228.
30.3 ... 228.
30.19-20 ... 221.
31.9 ... 174, 177.
32 ... 221.

256
33 ... 244.
36 ... 58.
36.67 ... 203.
36.109 ... 201.

Dk = DƝnkard
3.22 ... 37.
3.75 ... 119.
3.110 ... 219.
3.112 ... 208.
3.123 ... 39, 66, 71, 73, 77, 177, 213.
3.218 ... 20, 36, 73, 188, 196, 213, 241.
3.333 ... 177.
3.350 ... 221.
3.370 ... 200, 203, 241.
5.8.1 ... 221.
6.16 ... 220.
6.50 ... 220.
6.287 ... 220.
6.298 ... 220.
6.D1B ... 222.
6.D5 ... 220.
6.E31A ... 217.
7.1 ... 67.
7.1.9 ... 253.
7.1.14 ... 202.
7.1.70 ... 252.
9.15.3 ... 82.
9.15.5 .. 32, 82.
9.15.7 ... 33.
9.31.3 ... 105.

DN = inscriptions de Darius à Naqš-e Rostam


DNa ... 108, 231, 232.
DNb ... 100.

Ɯrb = ƜrbedestƗn / AƝșrapaitistƗn


12.3 ... 155.

FiO = Frahang Ư ƿƯm (d’après Klingenschmitt 1968)


96 ... 88.
219 ... 53, 54, 84.
499 ... 95.

257
654 ... 240.
728 ... 46.

FrD = Fragment avestique Darmesteter


3 ... 40.

FrW = Fragments avestiques Westergaard


10.39 ... 50, 195.
10.39-40 ... 36, 194, 195.

G = GƗh / GƗș
3.7 ... 111.

GopathabrƗhmaQ Qa
2.2.9 ... 131.

H = Fragments du Haįaoxt Nask


1.4 ... 48, 175.
2 ... 18 sqq. 146, 210, 213, 220, 228, 232, 233, 236, 238- 241, 243, 245.
2.1-18 ... 23 sqq.
2.2 ... 62.
2.2-6 ... 163.
2.7 ... 108, 134.
2.8 ... 187.
2.9 ... 100, 101, 134, 173.
2.9-10 ... 163.
2.9-11 ... 162.
2.10 ... 27, 101.
2.11 .. 100, 101, 102.
2.14 ... 139, 228, 230, 232, 234.
2.15 ... 220, 243.
2.16 ... 163, 215.
2.18 ... 100, 101.
2.27 ... 101.
2.28 ... 101.
2.32 ... 230, 236.
2.33 ... 220, 244.
2.34 ... 216.
2.36 ... 100, 101.
2.37 ... 186.

Hb = Hǀš-bƗm / Uš-bƗm
5.1 ... 60.

258
Khi = Khila de la 5gvedasaP
PhitƗ
2.9.3 ... 149.
3.15.1-3 ... 150.

MƗnavadharmaĞƗstra
4.149 ... 155.

MX = DƗdestƗn Ư Mainiiaoii Xrat


0.27-34 ... 41.
1.146 ... 220.
1.181 ... 236 sqq.
2.2 ... 240.
2.166 ... 220.
2.185 ... 220.
17.17 ... 202.
49.15 ... 208.

N = NƯrangestƗn
7.1-4 ... 148.
52.7 ... 50, 205.
61.7 ... 236.
95.5-6 ... 81.

NKM = NƗmag Ư KirdƯr Ư Movbed


- ... 220, 224.
22 ... 220.
29 ... 220.

Ny = NiyƗyišn
4.2 ... 173.

P = PursišnƯhƗ
17 ... 105.
20 ... 79.
30 ... 35.
33 ... 33, 53.
58 ... 226.

RPDD = RivƗyat accompagnant le DƗdestƗn Ư DƝnƯg


17D.13 ... 202.
18D.20 ... 201.
23-24 ... 220.

259
23.7 ... 100.
23.15 ... 82.
23.19 ... 35.
24.1 ... 82.
47 ... 156.

RS = 5gvedasaP PhitƗ de ĝƗkalya


1.2.3 ... 132.
1.18.7 ... 134.
1.25.13 ... 50.
1.31.9 ... 103.
1.31.18 ... 110.
1.32.4 ... 138.
1.34.7 ... 31.
1.35.8 ... 50.
1.36.18 ... 141.
1.41.5 ... 50.
1.46.11 ... 50.
1.54.6 ... 141.
1.55.4 ... 132, 147.
1.61.11 ... 141.
1.65.1 ... 137.
1.71.7 ... 137.
1.79.3 ... 50.
1.81.9 ... 143.
1.101.10 ... 134, 135, 140, 144.
1.104.1 ... 140.
1.112.3 ... 144.
1.112.13 ... 141.
1.112.15 ... 212.
1.117.3 ... 138.
1.122.5 ... 64.
1.139.1 ... 51.
1.140.5 ... 140, 142.
1.140.6 ... 107.
1.141.1 ... 130, 131, 136, 140, 147, 152, 162.
1.151.2 ... 227.
1.153.3 ... 144.
1.164.34 ... 153.
1.185.7 ... 91.
2.2.2 ... 144.
2.2.8 ... 138.
2.11.10 ... 138.

260
2.13.12 ... 141.
2.15.5 ... 141.
2.27.9 ... 92.
2.30.5 ... 91.
2.34.8 ... 144.
2.34.15 ... 133.
2.51.5 ... 227.
3.1.9 ... 134, 135, 137, 146.
3.4.3 ... 133.
3.6.1 ... 145.
3.6.7 ... 138.
3.19.1 ... 182, 188, 190, 241.
3.20.3 ... 138.
3.29.10 ... 140.
3.34.1 ... 110.
3.34.3 ... 138, 139, 146, 147.
3.39.1 ... 133, 145.
3.43.2 ... 132.
3.55.7 ... 140.
3.55.12 ... 144.
3.56.5 ... 140.
3.57.5 ... 133.
3.61.4 ... 144.
3.62.10 ... 174.
3.62.11 ... 133.
4.4.15 ... 160.
4.19.2 ... 130, 139.
4.19.6 ... 140, 141.
4.21.2 ... 140.
4.21.10 ... 140.
4.22.7 ... 110.
4.28.1 ... 136.
4.39.3 ... 139.
4.41.3 ... 147.
4.41.5 ... 240.
4.58.6 ... 142.
4.58.11 ... 142.
5.11.5 ... 114, 142.
5.29.2 ... 135.
5.30.9 ... 143.
5.31.8 ... 140.
5.32.1 ... 134.
5.44.13 ... 137.

261
5.45.10 ... 136.
5.52.13 ... 140.
5.62.2 ... 139, 144, 145.
5.69.1 ... 92.
5.78.7-9 ...150.
5.80.3 ... 130.
6.16.47 ... 152.
6.28.5 ... 153.
6.41.5 ... 147.
6.47.15 ... 63.
6.65.1 ... 138.
6.67.5 ... 50.
7.7.2 ... 138.
7.9.2 ... 138.
7.19.11 ... 109, 110.
7.21.3 ... 130, 145.
7.24.1 ... 140.
7.24.2 ... 134, 146.
7.31.4 ... 153.
7.36.1 ... 135, 137.
7.59.11 ... 191, 241.
7.66.3 ... 109.
7.82.3 ... 144.
7.84.4 ... 138.
7.87.1 ... 140.
7.87.2 ... 31.
7.87.3 ... 50.
7.94.4 ... 146, 147.
7.98.2 ... 142.
7.99.3 ... 91.
8.9.11 ... 109.
8.13.4 ... 133.
8.32.22 ... 131, 146, 147.
8.79.3 ... 103.
8.86.1-3 ... 103.
8.96.12 ... 64.
8.100.12 ... 135.
9.32.4 ... 147.
9.34.6 ... 136.
9.44.6 ... 227.
9.73.8 ... 142.
9.80.1 ... 44.
9.92.4 ... 137.

262
9.94.2 ... 144.
9.96.22 ... 135, 137.
9.97.1 ... 249.
9.97.34 ... 136, 147.
9.110.3 ... 186.
10.14.1 ... 224.
10.14.11 ... 175.
10.18.14 ... 130.
10.25.9 ... 137.
10.30.2 ... 167.
10.35.2 ... 109.
10.39.6 ... 168.
10.43.6 ... 131, 247.
10.46.2 ... 137.
10.48.3 ... 152.
10.59.6 ... 151, 152.
10.65.11 ... 135.
10.66.10 ... 133.
10.69.4 ... 109.
10.70.6 ... 167.
10.82.1 ... 91.
10.82.2 ... 150.
10.85 ... 19.
10.88.14 ... 91.
10.93.14 ... 139.
10.104.3 ... 147.
10.104.10 ... 148.
10.105.6 ... 152.
10.111.8 ... 135.
10.114.9 ... 134.
10.136.4 ... 147.
10.143.4 ... 133.
10.148.4 ... 109, 110.
10.167.3 ... 149, 150.
10.184.1 ... 150.

S = SƯh-rǀzag
1.20 ... 48.
1.30 ... 224.
2.30 ... 225.

ĝBM = ĝatapathabrƗhmaQ
Qa des MƗdhyandina
3.1.3.4 ... 92.

263
3.9.4.22 ... 18.
10.4.1.11 ... 100.
14.8.10.1 ... 64.

ŠGV = Škand-gumƗnƯg VizƗr


1.8 ... 195, 200, 241.
5.86-87 ... 196.
5.87 ... 188.
8.60 ... 196, 241.

TaittirƯyƗraQQyaka
3.9.1-2 ... 131.

V = VƯdaƝuu-dƗt
1.15 ... 247, 248.
1.17 ... 156.
2.3 ... 172.
2.5 ... 178.
2.19C ... 116.
2.29 ... 106.
3.7 ... 222.
3.20 ... 88.
3.31 ... 145.
3.40C ... 89.
4.54-55 ... 141.
5.1 ... 89.
5.3 ... 95.
5.4 ... 48, 95.
5.9 ... 34, 88.
5.54 ... 81.
6.42 ... 169.
6.43 ... 178.
6.44 ... 82.
7.2 ... 95.
7.23 ... 168.
7.51 ... 80, 105.
8.13 ... 157, 165.
8.40 ... 81.
8.69 ... 95.
8.100 ... 82.
9.1 ... 82.
9.56 ... 39.
10.5 ... 111.

264
13.3 ... 55.
13.8-9 ... 55.
13.9 ... 56, 175, 176.
13.55 ...39.
14.6 ... 95.
15.5 ... 56.
16.7 ... 251.
16.18 ...104.
18.8-9 ... 155.
18.14 ... 106.
18.28 ... 132.
18.29 ... 106.
18.62 ... 105.
18.64 ... 48.
19 ... 220.
19.2 ... 194.
19.6 ... 99.
19.7 ... 79.
19.14 ... 43, 98, 178.
19.24 ... 81.
19.27 ... 119.
19.29 ... 119, 220.
19.29-30 ... 53.
19.30 ... 62, 173, 175, 220.
19.31 ... 66, 217, 230.
19.32 ... 220.
19.35 ... 219, 221.
19.36 ... 225.
19.41 ... 222.
20.1 ... 80.
22.1 ... 91.

VaitƗnasnjtra
15.3 ... 131.

VƗrƗhagUUhyasnjtra
13.1 ... 131.

Vd = Fragments av. contenus dans le VizƯrgard Ư DƝnƯg


‫ ޤ‬... 106, 252.
12 ... 106.

265
Vn = VaƝșƗ Nask
20-21 ... 53.

Vr = VƯsp-rat
2.4 ... 115, 118.
3.3-4 ... 163.
3.4 ... 211.
4.2 ... 193, 241.
5.1 ... 57.
5.3 ... 191.
7.4 ... 117.
11.1 ... 45, 111, 113.
14.1 ... 166, 168.
15.3 ... 172.
16.1 ... 111, 113.
18.1 ... 114.
18.2 ... 161.
19.2 ... 36, 163.

Vyt = VƯštƗsp Yašt


- ... 232, 233, 238, 239, 245.
1.1 ... 103, 104.
1.3 ... 103, 104.
3.2 ... 157, 167, 168, 170, 172.
3.2-3 ... 166.
3.3 ... 167.
3.5 ... 164.
4.6 ... 236.
8 ... 243.
8.6 ... 102, 187.
8.8 ... 233, 234.
8.9 ... 220.
8.10 ... 163.

VZ = VizƯdagƯhƗ Ư ZƗdsparam
3.3 ... 206, 209.
6.1 ... 202.
7 ... 252.
29.2 ... 181.
29.4 ... 197.
30.3-21 .. 82.
30.22 ... 73, 77, 214.
30.22-35 ... 36, 200, 241.

266
30.32 ... 89, 102.
30.33 ... 33.
30.35 ... 181.
30.38-61 ... 37.
30.43 ... 200.
30.44 ... 200.
30.46-47 ... 224.
30.52 ... 66, 101, 224.
30.57-58 ... 66.

XP = inscriptions de Xerxès à Persépolis


XPf ... 232.
XPg ... 242.
XPh ... 242.

Y = Yasna
1.1 ... 44, 98, 166.
1.16 ... 221.
1.18 ... 45, 200, 241.
3.4 ... 45.
4.2 ... 46, 111, 113, 205.
8.7 ... 149.
8.8 ... 111, 113.
9-11 ... 19.
9.1 ... 27.
9.16 ... 57, 91.
9.17 ... 107.
9.19 ... 62.
9.20 ... 240.
9.26 ... 173.
9.30 ... 90.
10.3 ... 91.
11.14 ... 149.
11.16 ... 181.
11.16-Y 12 ... 184.
11.17 ... 188.
11.19 ... 115, 192.
12 ... 241.
12.1 ... 115, 192.
12.7 ... 43, 181, 184, 201, 241.
12.8 ... 162, 193.
12.9 ... 157, 158, 159, 161, 162.
13.8 ... 192, 241.

267
14.1 ... 57.
15.1 ... 130.
16.2 ... 185.
16.7 ... 36, 50, 195.
19.6 ... 62, 215, 222, 223.
19.6-7 ... 58.
19.7 ... 62.
19.8 ... 92.
19.9 ... 111, 112.
19.11 ... 50.
19.16 ... 170.
19.16-19 ... 168.
19.18 ... 247.
21.4 ... 112.
23.2 ... 206, 211.
23.4 ... 200.
26.2 ... 98, 99.
26.4 ... 41, 52, 189, 199, 223.
26.7 ... 36, 195.
26.10 .. 202.
27.13 ... 48, 51, 58, 92, 161, 174, 175, 215.
27.14 ... 64, 170, 174, 223.
27.15 ... 42, 174.
28.1 ... 66.
28.2 ... 215.
28.4 ... 59.
28.5 ... 226.
28.11 ... 215.
29.6 ... 35, 65.
29.8 ... 72.
30.2 ... 185, 189.
30.4 ... 216.
31 ... 187, 193, 241.
31.8 ... 185.
31.9 ... 185.
31.10 ... 185, 186, 190.
31.11 ... 79, 185.
31.11-12 ... 124, 152.
31.12 ... 186.
31.14 ... 171.
31.17 ... 174.
31.18 ... 160.
31.20 ... 123, 130, 136, 140, 152.

268
32.3 ... 37.
32.13 ... 216, 217.
32.14 ... 172.
32.15 ... 216, 217.
33.1 ... 51, 215, 221.
33.2 ... 185.
33.12 ... 122.
33.13 ... 124.
33.14 ... 35, 79.
34.2 ... 59.
34.10 ... 163.
34.13 ... 35.
34.15 ... 174.
35.1 ... 111, 115, 130, 137.
36.6 ... 91, 96, 126.
37.3 ... 79, 189, 190.
37.5 ... 122.
38.1 ... 163.
39.1-2 ... 39.
39.5 ... 122.
40.1 ... 124.
40.2 .. 215.
42.4 ... 38.
43.1 ... 23, 62, 163.
43.2 ... 163.
43.3 ... 50, 215.
43.5 ... 215.
43.6 ... 62, 164, 169.
43.7 ... 83.
43.13 ... 114.
43.16 ... 124.
44.2 ... 216.
44.7 ... 35.
44.8 ... 59.
44.10 ... 126, 161, 167.
44.10-11 ... 124.
45.1 ... 185, 215.
45.2 ... 52, 185, 187, 188, 189.
45.6 ... 217.
45.7 ... 59.
45.11 ... 125.
46.4 ... 57.
46.5 ... 111, 215.

269
46.11 ... 48, 217.
46.12 ... 167.
46.18 ... 189.
48.4 ... 185.
48.6 ... 215.
48.7 ... 217.
49.3 ... 185.
49.4 ... 244.
49.5 ... 215.
49.9 ... 35.
49.10 ... 146, 217.
49.10-11 ... 38, 60.
49.11 ... 217.
50.1 ... 60.
51.4 ... 122.
51.13 ... 49, 61.
51.14 ... 217.
51.15 ... 62, 217.
51.17 ... 95, 131.
51.21 ... 48.
52.1 ... 110, 111.
52.4 ... 111, 114.
52.7 ... 149.
53 ... 127.
53.2 ... 50, 125.
53.4 ... 124.
53.5 ... 124, 215.
53.6 ... 215.
53.8 ... 56.
53.9 ... 49.
54.1 ... 51, 124, 174.
55.1 ... 84, 189, 199.
55.1-2 ... 52, 101.
55.3 ... 111, 114.
56.2 ... 51, 205.
57.4 ... 43, 168.
57.14 ... 240.
58.1 ... 117, 177, 192, 196.
58.2 ... 83.
58.4 ... 112.
59.19 ... 99.
60.10 ... 149.
60.11 ... 60.

270
61.2 ... 99.
61.5 ... 113.
62.1-3 ... 54.
62.4 ... 72.
62.10 ... 178.
63.3 ... 47, 51.
65.1 ... 173.
65.6-7 ... 53.
68.2 ... 61, 84.
68.4 ... 53.
68.18 ... 149.
68.22 ... 111, 112.
70.6 ... 111, 112.
71.1 ... 170.
71.4 ... 96, 167, 172.
71.9 ... 221.
71.11 ... 51, 61.
71.15 ... 58.
71.15-16 ... 62.
71.18 ... 51, 170, 205, 207.
71.28 ... 149.
71.29 ... 60.

YH = Yasna HaptaƾhƗiti
- ... 183.
- ... voir Y 35-41.

Yt = Yašt
1.2 ... 178.
1.5 ... 98.
1.7 ... 43.
1.21 ... 111.
1.22 ... 240.
1.25 ... 223.
1.28 ... 72.
1.30 ... 186.
3.1 ... 36.
5 ... 101.
5.1 ... 173.
5.18 ... 149.
5.26 ... 240.
5.76 ... 212.
5.76-78 ... 141.

271
5.81 ... 83.
5.89 ... 111, 118.
5.92 ... 106.
5.92-93 ... 214.
5.105 ... 149.
5.127 ... 107.
6.1 ... 84, 166, 167.
6.4 ... 47.
8.2 ... 91.
8.12 ... 48, 50.
8.13 ... 93.
8.48 ... 119.
9.26 ... 149.
10 ... 101.
10.6 ... 190.
10.7 ... 132.
10.23 ... 103.
10.26 ... 103.
10.32 ... 172.
10.33 ... 63, 84.
10.37 ... 103.
10.38 ... 50, 103.
10.43 ... 160.
10.45 ... 49, 132.
10.50 ... 178.
10.60 .. 96.
10.64 ... 172.
10.68 ... 130, 140, 145.
10.77 ... 131.
10.80 ... 141.
10.90 ... 131.
10.92 ... 131, 190, 241.
10.93 ... 190.
10.107 ... 166.
10.122 ... 81.
10.137 ... 148.
10.142-143 ... 85.
11.3 ... 173.
11.9 ... 43, 168.
11.13 ... 103.
11.14 ... 111.
11.16 ... 166.
11.17 ... 111.

272
11.21 ... 97.
11.22 ... 97.
11a ... 210.
11a.3 ... 43, 168.
11a.20 ... 85.
11a.23 ... 190.
11a.24 ... 190.
11a.26 ... 91.
12 ... 218, 220, 223.
13 ... 101, 206.
13.2 ... 91.
13.4 ... 173.
13.11 ... 181.
13.15 .. 181.
13.20 ... 103.
13.26 ... 240.
13.28 ... 187, 241.
13.37-38 ... 253.
13.42 ... 240.
13.50 ... 45, 63.
13.57 ... 221.
13.57-58 ... 226.
13.61 ... 89.
13.74 ... 38, 40, 50.
13.80 ... 99.
13.81 ... 44, 88, 94, 96, 178.
13.83-84 ... 42.
13.85-86 ... 43.
13.86 ... 201.
13.89 ... 42, 181, 192.
13.89-90 ... 114.
13.91 ... 99, 161.
13.92 ... 161.
13.96 ... 249.
13.99 ... 172.
13.99-100 ... 239.
13.100 ... 240.
13.102 ... 212.
13.104 ... 249.
13.105 ... 183, 211.
13.107 ...93.
13.111 ... 254.
13.115 ... 141.

273
13.123 ... 249.
13.129 ... 167.
13.130-131 ... 203.
13.144 ... 251.
13.148 ... 42, 51.
13.149 ... 41.
13.155 ... 41.
14 ... 48.
14.2 ... 94.
14.34 ... 95.
14.38 ... 172.
14.43 ... 60.
14.54 ... 47, 65.
14.64 ... 48.
15.1 ... 111.
15.2 ... 230.
15.40 ... 90.
15.45 ... 159.
15.46 ... 119.
15.54 ... 170.
16 ... 176.
16.1 ... 157.
16.15 ... 149.
17.16 ... 98.
17.46 ... 149.
17.55-56 ... 86.
17.62 ... 48.
19.12 ... 117.
19.29 ... 94.
19.35 ... 166.
19.47 ... 156.
19.79 ... 149.
19.84 ... 149.
19.85 ... 172.
19.85-86 ... 239.

ZA = Zand-ƗgƗhƯh
1.2 ... 176, 228.
1.4 ... 228.
1.5 ... 228.
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und Seele (daenƗ-, fravaši- und kΩhrp-) », dans Zeitschrift für Indologie und
Iranistik 10, Leipzig, 1935-1936, 192-200.
Paul Thieme, « Remarks on the Avestan Hymn to Mithra », dans Bulletin
of the School of Oriental and African Studies 23, London, 1960, 265-274.
Fereydun Vahman, ArdƗ WirƗz NƗmag. The Iranian ‘Divina Commedia’,
Curzon Press, London - Malmø, 1986.
Anatol Waag, Nirangistan. Der Awestatraktat über die rituellen Vor-
schriften herausgegeben und bearbeitet, Hinrichs, Leipzig, 1941.
Jakob Wackernagel, Altindische Grammatik II,1. Einleitung zur Wort-
lehre. Nominalkomposition, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1905.
Jakob Wackernagel, Altindische Grammatik III. Nominalflexion – Zahl-
wort – Pronomen, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1929-1930.
Edward William West, The Book of the Mainyo-i-Khard. The Pazand
and Sanskrit Texts, (in Roman characters) as arranged by Neriosengh
Dhaval in the fifteenth century. With an English Translation, a Glossary of
the Pazand Text, containing the Sanskrit, Persian and Pahlavi Equivalents,
a sketch of Pazand Grammar, and an Introduction, Grüninger, Stuttgart ;
Trübner, London, 1871.

285
Edward William West, Pahlavi Texts, 5 vol. [I : The Bundahis, Bahman
Yast, and Shâyast Lâ-Shâyast (1880) ; II : The Dâdistân-î Dînîk and the
Epistles of Mânûskîhar (1882) ; III : Dînâ-î Maînôg-î Khirad, Sikand-
Gûmânîk Vigâr, Sad Dar (1885) ; IV : Contents of the Nasks (1892) ; V :
Marvels of Zoroastrianism (1897)], Oxford University Press, Oxford, 1880-
1897.
Niels Ludvig Westergaard, Zendavesta or the Religious Books of the
Zoroastrians. Vol. I : The Zend Texts, Gyldendal, Copenhagen, 1852-1854.
William Dwight Whitney, Atharva-Veda-SamhitƗ. Translated into En-
glish with a critical and exegetical commentary, 2 vol. (Harvard Oriental
Series 7-8), Cambridge (Mass.), 1905.
Robert Charles Zaehner, Zurvan. A Zoroastrian Dilemma, Clarendon,
Oxford, 1955.
Thomas Zehnder, Atharvaveda-PaippalƗda Buch 2. Text, Überstzung,
Kommentar. Eine Sammlung altindischer Zaubersprüche vom Beginn des 1.
Jahrtausends v. Chr., Schulz-Kirchner, Idstein, 1999.
Table des matières

Avertissements 11

I Présentation 13
1. Introduction 13
2. De l’éloge de l’ivresse à celui du Moi 17
3. L’individu et ses biens, du matériel à l’immaté-
riel 20
4. Le contenu du fragment H 2 23

II Ruvan, uštƗna et baudah, être, vivre et sentir 31


1. Introduction 31
2. Le baudah 32
3. L’uštƗna 34
4. Le ruvan 36
4.1. Sa nature (36-39). 4.2. Dieux, animaux, végétaux,
femmes, etc. (39-44). 4.3. Le culte de l’âme (45-48). 4.4.
Le couple du Moi et de la Doctrine (48-51). 4.5. Le ruvan
dans d’autres combinaisons (52-54). 4.6. Les rites au se-
cours de l’âme (54-64). 4.7. Étymologie (64-65).
5. Gauš Ruvan 65
6. Deux textes fondamentaux 66
6.1. Dk 3.123.2 (66-73). 6.2. Dk 3.218 (73-77).

III Tannj et kUUp, corps et formes 79


1. La tannj 79
1.1. Tannj et ast (79-80). 1.2. L’extension corporelle (80-
82). 1.3. Le cadavre (82). 1.4. Le propriétaire (83-85). La
définition (85-88).
2. La kUUp 88
2.1. Corps ou forme (88). 2.2. Le cadavre (88-89). 2.3. Le
corps en vie (90). 2.4. KUUp de plantes, de dieux et de
démons (90-96). 2.5. La kUUp, les jours et les textes (96-99).
2.6. Étymologie (99-100).
3. KUUp et tannj du ruvan ou de la dainƗ 100
4. Les composés contenant le mot tannj 102
5. Les composés contenant le mot kUUp 107
6. √ saQd 108

287
IV GaișƗ et sti, troupeaux et biens 109
1. Sti et tannj 109
2. VispƗ Utaunah sti 111
3. Sti astvatƯ, sti manahiyƗ et sti gaișiyƗ 114
4. Sti et cișra 117

V DainƗ, la doctrine 121


1. Religion et conscience religieuse 121
2. La déesse aurorale 123
3. La déesse du chemin 127
4. DhenƗ 129
Appendice. RS dhénƗ- (181-202)
5. DainƗ et Ánumati 148
6. Les épithètes avestiques récentes de daƝnƗ- 155
6.1. La bonne et la mauvaise (155-159). 6.2. L’irréfutable
(159-162). 6.3. L’endogamique (162-165). 6.4. L’intégrale
de la diversité (166-172). 6.5. D’autres épithètes (172-
174). 6.6. Les deux chiens (175-176). 6.7. Conclusion
(176).
7. La fille d’Ahura MazdƗ 176
8. L’absence de la dainƗ 177

VI FravUUti, la préférence 181


1. L’étymologie de fravUUti 181
1.1. frauuarƗnƝ (181-182). 1.2. prá vUQe (182-183). 1.3.
fraorΩiti- = frauua¹i- (183-184). 1.4. frauuarΩtƗ et varΩna-
(184-188).
2. Évolutions 188
2.1. Évolution des conceptions (188-190). 2.2. Évolution
de la rection (190-194).
3. La définition de la fravUUti 194
3.1. Le cișra de la fravUUti (194-195). 3.2. La fravUUti et le
cișra (195-196). 3.3. La fravUUti dans les listes de forces
mentales (196-200). 3.4. La fravUUti du ruvan (200-201).
4. La préexistence de la fravUUti 202
4.1. Préexistence et mythe étiologique (203-205). 4.2. La
fravUUti au service du ruvan (205). 4.3. Les FravUUti, la cos-
mogonie et l’AĞvamedha (205-206).
5. La troupe guerrière des FravUUti 206
5.1. Une troupe à cheval (206-207). 5.2. Et les Marút (207-
208). 5.3. Les FravUUti et la distribution de l’eau (208-209).
6. Les sacrifices offerts aux FravUUti 209

288
7. Les composés contenant fraorΩiti- ou frauua¹i- 210
7.1. Ɨfrauua¹i (210-211). 7.2. auuascastǀ.frauua¹i- et vis-
tǀ.fraorΩiti- (211-212).
8. La fravUUti et le fragment H 2 213
9. La garde du corps de KUUsâspa 213
10. Le troisième livre du DƝnkard 213

VII Ahu, dmƗna et gƗtu, états et lieux 215


1. Existences et maisons 215
1.1. Les deux existences (215-216). 1.2. La maison des
dieux (216-217). 1.3. Soubassement et projection (217-
218). 1.4. De multiples étages (218-219). 1.5. Les confusi-
ons d’étages (220-222). 1.6. Toponyie variable (222-225).
2. Socles 226
2.1. gƗtu- en avestique récent (226). 2.2. gƗtu- dans les
Cantates (226-228). 2.3. gƗtu- dans H 2 (228-231). 2.4.
gƗșu- en vieux perse (231-232). 2.5. Le frataratara gƗtu
de H 2 (232-239). 2.6. FravUUti et gƗtu (239-243).
3. Les étapes 243
3.1. Les antichambres de l’au-delà (243-245). 3.2. Les
montagnes et le pont (245).

VIII Le suffixe tertiaire indo-iranien -i- 247


Appendice. L’étymologie de xšuuaš et de ses dérivés (253-
254).

Index locorum 255


Références 277
Table des matières 287
L’Iran
aux éditions L’Harmattan

rente (La) en République islamique d’Iran


Les mésaventures d’une économie confisquée
Sous la direction de Djamchid Assadi
Analysant les facteurs spécifiques de l’économie rentière en République islamique d’Iran,
les auteurs parlent d’un système de rente bicéphale. Celui-ci est composé d’une part par le
pouvoir politique qui assigne et se fait assigner des privilèges économiques considérables en
dehors de toute concurrence, d’autre part par des acquéreurs des prérogatives économiques
qui partagent le pactole avec les sponsors politiques.
(Coll. L’Iran en transition, 26.00 euros, 248 p.) ISBN : 978-2-296-96852-3
Juifs (Les) d’Iran à travers leurs musiciens
Chaoulli Alain
Préface de Pierre Lafrance
Les documents écrits sur l’histoire des Juifs d’Iran ne sont pas nombreux. On connaît peu leur
communauté et leurs conditions de vie au quotidien. Un premier chapitre s’attache à présenter
une partie de leur histoire sur la période du XIXe et du XXe siècle, avant d’aborder les arts,
essentiellement la musique. C’est à travers elle que les Juifs trouveront à s’identifier à l’iranité
et montreront leur attachement à la culture iranienne.
(Coll. L’Iran en transition, 37.50 euros, 370 p.) ISBN : 978-2-296-96637-6
Yima
Structure de la pensée religieuse en Iran ancien
Tzatourian Audrey
Yima, ancêtre de l’humanité, homme et démiurge, tantôt magicien de l’immortalité, tantôt
bâtisseur de la survie, est une figure incontournable et complexe, qui ancre les Mazdéens dans
leur histoire. Cette approche pluridisciplinaire du mythe nous introduit remarquablement à
l’anthrogonie mazdéenne.
(Coll. Kubaba, 44.50 euros, 470 p.) ISBN : 978-2-296-96997-1
L'HARMATTAN, ITALIA
Via Degli Artisti 15; 10124 Torino

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ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA L’HARMATTAN CONGO


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Corps et âmes du mazdéen
Le lexique zoroastrien de l’eschatologie individuelle

Selon les conceptions mazdéennes, l’individu posséderait plusieurs


types d’âmes. Est-ce vrai ? Et qu’advient-il de telles âmes au-delà de la
mort ? De quel sexe sont-elles ? Et le corps ?

Pour répondre à de telles questions, Éric Pirart, professeur de


langues et littératures indo-iraniennes à l’université de Liège, analyse
les textes zoroastriens des diverses époques anciennes ou médiévales et
y décrypte le lexique de l’eschatologie individuelle.

Les religions nous offrent une réponse devant la mort, mais, chez
Zoroastre, l’originalité de cette réponse étonnera : l’âme-moi d’une femme
est une entité masculine, mais la conscience religieuse d’un homme,
une entité féminine ; les âmes, privées du corps, en retrouveront un…

Éric Pirart, spécialiste du Véda et de l’Avesta, est l’auteur de


nombreux ouvrages de philologie et de mythologie indo-iraniennes
parmi lesquels L’Aphrodite iranienne (2006), Georges Dumézil face
aux démons iraniens (2007), Les Adorables de Zoroastre (2010), La
naissance d’Indra (2010), Kutsa (2011).

Illustration de couverture :
Après la Terre, peinture de Jean-Michel Lartigaud.

ISBN : 978-2-296-99286-3
29 e

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