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Les yeux du diable

Céline Mancellon

LES EDITIONS SHARON KENA

Tous droits réservés, y compris droit de reproduction totale ou partielle, sous toutes formes.

© 2014 Les Editions Sharon Kena

www.leseditionssharonkena.com
ISBN : 978-2-36540-536-2

* Avertissement

Roman non recommandé aux moins de 18 ans


Ce roman Boy’s love (romance homme/homme ou gay) comporte de nombreuses scènes érotiques ou
sexuelles qui peuvent choquer certains lecteurs. C’est un récit fictif et idéalisé destiné en premier lieu
à un public féminin.

Note : Cette romance est bien entendue une fiction et n‘a pas pour but de prévenir des risques des
relations non protégées ainsi que les réactions prudentes à avoir en situations « sanglantes ».
L’auteure compte sur votre bon sens pour sortir couverts… le plastique c’est fantastique ! (Vous
connaissez la chanson)

Dark Theme : l’histoire pourrait aborder des sujets dérangeants ou l’être dans le rapport entre les
personnages.
Table des matières
Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18
Chapitre 1

- De notre rencontre -

— Nath'… tu es sûr que c’est ici ?

Gabriel regardait l’immense portail noir, dont la peinture s’écaillait à plusieurs endroits, d’un air
dubitatif. Au-delà de celui-ci se déroulait un tapis grisâtre de petits galets menant à un immense
manoir des plus lugubres.

Nathan, son frère aîné, plus âgé que lui d’une dizaine d’années s’esclaffa joyeusement avant de lui
tapoter gentiment le dos.

— On dirait une maison hantée, marmonna encore l’adolescent.

— Je la trouve classe, moi, cette bâtisse ! répliqua son frère en désignant de la main la valise de
son cadet.

Le taxi était déjà parti depuis plusieurs minutes.

Les fils Ginto n’avaient pris avec eux que le strict nécessaire. Leurs parents étant décédés au cours
d’un terrible accident de la route causé par un camion. D’un commun accord, ils avaient décidé de
vendre la majeure partie des biens restants ; hormis quelques précieux souvenirs, le reste était trop
douloureux. De plus, Nathan, une semaine après l’enterrement, avait reçu un courrier annonçant qu’il
était accepté au poste de professeur particulier à Folkestone, village historique du comté du Kent. Il
devait enseigner le français à un certain James Longwood, mais également lui servir de tuteur en
l’absence de ses parents.
Ce que Gabriel savait d’eux, se résumait à ce qu’ils incarnaient la vieille famille anglaise typique,
issue probablement de la noblesse, et donc à priori, assez aisée.

Ce n’était pas la taille du domaine lui faisant face qui démentait les propos de Nathan à ce sujet.

Ce dernier appuya sur l’unique touche de ce qui ressemblait à un interphone. Bientôt, un étrange
son mécanique attira l’attention des deux hommes. Une caméra de vidéosurveillance, située sur l’un
des poteaux de la barrière se tourna, Gabriel nota même le bruit distinct que cette dernière fit en
zoomant.

Qui les regardait à travers l’œil froid de cet appareil ?

— Excusez-moi, commença son frère en s’approchant de la caméra. Je suis Nathan Ginto et voici
mon cadet, Gabriel… nous sommes attendus par la famille Longwood.

Le dispositif pivota bruyamment et parut se concentrer sur l’adolescent subitement mal à l’aise.

— Nous vous ouvrons, crachota une voix déformée par le système de l’interphone. Veuillez vous
rendre jusqu… perron… tout… oi.

— Nous devons seulement remonter l’allée, c’est bien ça ? insista l’aîné des Ginto.

— … ui.

Dans un grincement digne d’un film d’épouvante, le portail se déverrouilla pour finalement
s’ouvrir avec une lenteur agaçante.

Les frères s’avancèrent dès que l’espace entre les deux pans de ferraille, tourmenté en de
complexes arabesques, fut suffisant.

Gabriel fixa longuement le dos de son frère aîné tandis que ce dernier le précédait en faisant rouler
sa valise couleur tabac à priser.

Il était large et musculeux, bien plus que le sien. Quoique, l’adolescent n’avait pas vraiment à se
plaindre de son physique, car tout comme Nathan, il pratiquait la boxe depuis son plus jeune âge.
Leur père avait même été champion national dans la catégorie poids léger en 1975. Puis il avait créé
un centre pour jeunes délinquants afin de leur apprendre cette discipline sportive de façon à canaliser
leurs accès de violence. Cela faisait partie d’un programme de réinsertion dans lequel leurs parents
s’étaient investis tout au long de leur vie.

Il leur fallut une bonne dizaine de minutes pour arriver au bout du chemin constitué de petites
pierres polies. Le fameux perron était composé de plusieurs marches dont la surface virait au gris
maladif rongée par le temps et se terminait par une plateforme. Sur laquelle, postés tels des gardes
dans une posture des plus rigides, deux domestiques en habits de majordomes, dignes d’un film
d’époque, attendaient.
Alors que le plus petit devait avoir dépassé la soixantaine, le plus élancé n’était guère plus âgé
que Gabriel. Le regard de ce dernier croisa celui de l’adolescent pour aussitôt dévier sur la droite.
Le jeune homme n’eut même pas le temps de noter la teinte de ses yeux. Brun ? Noisette ? La frange
tomba soudain sur son regard, lui bloquant ainsi définitivement l’accès aux fenêtres de son âme.
Gabriel haussa les épaules, supposant que ce gars était sûrement timide de nature.

— Nous vous souhaitons la bienvenue, messieurs, déclara le vieux serviteur dans un français
presque parfait, mais avec tout de même un léger accent guindé. Madame et Monsieur vous attendent
dans le grand salon, si vous voulez bien nous suivre, nous allons vous y conduire. Helmont va porter
vos bagages… à ce propos, vous n’avez que ceux-là ?

Lorsque le dénommé Helmont se baissa afin de soulager l’adolescent de sa valise, Gabriel eut un
mouvement de recul puis secoua la tête.

— C’est inutile, commenta-t-il devant l’expression étonnée du jeune domestique des Longwood. Je
peux très bien m’en occuper.

— Mais… tenta d’insister Helmont.

Gabriel tiqua devant la mine brusquement paniquée de l’employé de maison. N’était-ce pas une
réaction un peu exagérée ? D’accord, il voulait porter lui-même son bagage, mais à la tête que le type
faisait, on aurait pu croire qu’il allait être jeté au cachot pour avoir manqué à son devoir !

Finalement, l’adolescent soupira et lui tendit la valise. Un immense soulagement se peignit sur les
traits d’Helmont. Il possédait un visage aussi juvénile que celui d’un enfant alors qu’on pouvait
remarquer l’ombre d’une barbe rasée le matin même sur sa mâchoire.

Nathan était déjà entré et discutait dans le hall avec le serviteur âgé. Quand il releva la présence
de Gabriel à ses côtés, il lui dédia un sourire qu’il voulait confiant, mais son frère cadet devina que
la réalité était tout autre. À son tour, l’adolescent sourit. Après un dernier échange de regards, le fils
aîné des Ginto suivit le majordome alors que Gabriel s’apprêtait également à pénétrer dans la pièce,
il perçut une sorte de picotement jusque dans les épaules. Comme si une personne le fixait avec une
telle intensité qu’il en ressentait physiquement les effets. Le jeune homme releva instinctivement la
tête pour découvrir, au-dessus de lui, les bras croisés sur une rambarde de balustres en bois, un
adolescent d’à peu près son âge. Il avait les cheveux d’un blond presque blanc dont les boucles folles
encadraient son front lisse. L’un et l’autre se dévisagèrent longuement, scrutant chaque détail
physique, comme pour les graver dans leur mémoire. Le temps parut s’être arrêté afin de leur
permettre cet intermède. Gabriel se demanda si celui qui l’observait avec autant d’attention était le
futur élève de son frère. De ce qu’il en voyait depuis l’endroit où il se trouvait, ce blond était figé
dans un uniforme scolaire. Il portait une chemise amidonnée, dont le col d’une blancheur immaculée
était fermé jusqu’au dernier bouton et seulement orné d’une cravate assortie aux couleurs bleu vert de
la veste. L’adolescent revint aussitôt au visage d’un des maîtres des lieux pour laisser glisser ses
yeux sur les pommettes plutôt saillantes, le nez droit, fin, et la mâchoire volontaire de l’individu
silencieux. Des traits très… aristocratiques, aurait décrit une jeune fille en fleur. Gabriel avait eu,
quant à lui, le nez cassé de nombreuses fois au cours de ses derniers combats de boxe. Il devait
paraître pataud, voire mal dégrossi, comparé à ce pur produit de la vieille Angleterre. Soudain,
l’observateur à l’allure soignée pencha la tête sur le côté comme si, au lieu de regarder Gabriel, il
contemplait un animal curieux et intrigant. Puis, un long sourire étira ses lèvres. Un sourire qui se
voulait avant tout amical, mais qui produisit l’effet inverse sur l’adolescent. Il se sentit glacé jusqu’à
l’os devant cette mimique. Il y avait une telle froideur dans ce sourire qu’il rappelait immédiatement
les deux prunelles au bleu polaire du supputé fils des Longwood. Gabriel eut presque la nausée face
à cet étrange charisme dépourvu de chaleur humaine. Son estomac se tordit bizarrement, pareillement
à des doigts invisibles encerclant l’organe pour l’étrangler. Car, oui, il émanait de ce garçon blond
une aura, mais il ne parvenait pas à en déterminer la véritable nature ; hormis cette détestable
sensation de se geler de l’intérieur.

— Gabriel ? l’appela doucement Nathan.

L’adolescent tourna la tête vers son frère. De ce qu’il en jugea, ce n’était pas le premier essai de
sa part pour ramener son esprit avec lui, et ce, avant d’entrer dans le salon.

Sans vraiment y réfléchir, Gabriel Ginto leva encore le visage là où s’était tenu le jeune homme
blond un peu plus tôt, pour constater qu’il avait tout simplement disparu.

***

— Sir Longwood, Madame… voici messieurs Nathan et Gabriel Ginto, les annonça
cérémonieusement le domestique.

Le couple, assis sur un élégant sofa deux places, se leva en les voyant s’avancer vers eux.

Le mari était le portrait craché, version quarantaine bien tassée, de l’adolescent croisé par
Gabriel, celui qui l’avait dévisagé depuis son poste d’observation, en haut des escaliers. Vêtu d’un
costume sombre à la coupe impeccable, il était parfaitement assorti à sa compagne, blonde,
certainement habillée, elle aussi, par une boutique de marques.

Ces deux-là parurent plus chaleureux, ou plus sincères, que leur rejeton. Après leur avoir serré la
main en guise de salutations, Gabriel écouta d’une oreille distraite leur conversation, préférant
laisser son regard errer sur la décoration luxueuse, mais pas clinquante de la pièce. Tous les meubles
devaient être de véritables antiquités dont la valeur marchande pouvait provoquer des
évanouissements à tout prolétaire. Ses yeux se posèrent naturellement sur les quelques cadres
renfermant des photos. Toutes, sans exception, avaient pour principal modèle l’enfant chéri du
couple. En tenue d’équitation près d’un cheval racé, tenant un trophée agrémenté d’un ruban coloré…
toutes les poses, clichées à souhait, de la famille bourgeoise étaient représentées, si le jeune homme
avait dû en élaborer la liste. Évidemment, le garçon, peu importait son âge au moment où l’image
avait été gravée sur papier glacé, affichait ce sourire effrayant de froideur, factice dans l’âme, mais
qui pouvait passer comme agréable ou engageant. Alors pourquoi Gabriel sentait-il un long frisson
lui secouer l’échine rien qu’en le regardant ?

— Oh… Vous avez remarqué ?

L’adolescent sursauta tel un enfant pris en faute sans en avoir commis aucune. C’était la femme
Longwood. Elle s’était approchée et dardait ses yeux bleutés sur le cadre représentant son fils chéri,
une cravache à la main, alors qu’il devait à peine avoir six ans le jour où il avait été immortalisé.

— James est un excellent cavalier, poursuivit l’Anglaise dans un français plus que correct. Je suis
certaine qu’il pourrait vous donner quelques cours, si vous le désirez.

— Je… commença Gabriel, ne sachant pas comment refuser poliment sans vexer son hôtesse.
Merci, termina-t-il simplement après un court silence.

Il pourrait toujours décliner ultérieurement.

— J’oubliais, intervint son mari en souriant et en fixant Nathan. Nous avons inscrit votre jeune
frère à la même école que James.

L’aîné des Ginto ouvrit la bouche afin de formuler, sûrement lui aussi, un refus poli, mais Sir
Longwood ne lui en laissa pas l’opportunité.

— Ne vous inquiétez pas, continua l’Anglais. Nous prenons les frais à notre charge puisque nous
vous imposons ce choix.

Gabriel et Nathan échangèrent un regard. Celui de son grand frère demeurait incertain tandis que le
sien démontrait qu’il se fichait bien de l’endroit où il serait obligé de suivre ses cours. Les études
n’étaient pas sa passion première. Ce qu’il convoitait par-dessus tout était de reprendre le centre de
ses parents, une fois sa majorité atteinte.

— Vous devez être fatigués du voyage… J’imagine que prendre l’Eurostar est épuisant. Gabriel ?
fit la femme.

Le jeune homme pivota vers elle.

— Tu peux m’appeler Grace et mon époux, Fergus. Nous avons encore à régler certains détails
avec ton frère, je te suggère de monter à l’étage, Helmont t’indiquera ta chambre et tu pourras te
reposer avant le repas.

— Bien… euh, madame.

— Grace, insista la mère de James avec un sourire.

— Bien… Grace, répéta Gabriel.


Il manqua de rougir sous le regard subitement perçant de l’épouse Longwood. C’était une très belle
femme, de plus, elle possédait un charme et une élégance absolument naturels. Quel homme aurait pu
y être insensible ?

Comme par magie, Helmont répondit à un appel silencieux et se présenta sur le seuil du salon.
L‘adolescent le rejoignit et se reprit de justesse lorsqu‘il faillit enfoncer ses mains dans les poches
de son jean, par habitude, se contentant de les frotter sur le tissu rugueux. Il ne connaissait rien à
l’étiquette, ou quoique ce fut aux règles de bienséance chez les personnes dites de la haute société.
Est-ce que mettre les mains dans ses poches faisait partie des choses déplacées ?

Gabriel suivit sagement l’employé de maison jusqu’à l’étage, là où avait surgi le fameux James.

Ils dépassèrent deux portes avant que le domestique ne stoppe afin d’ouvrir la troisième et entrer
dans la chambre. Au moment même où l’adolescent allait l’imiter, quelqu’un lui saisit le bas de sa
veste pour le tirer doucement, mais fermement, vers l’arrière. Gabriel se tourna vivement afin
d’identifier qui se trouvait derrière lui.

Et ne fut pas le moins du monde étonné de découvrir l’enfant prodigue de la famille Longwood.

— Bonsoir… Oh, je t’ai effrayé ? Si c’est le cas, j’en suis désolé.

James avait une voix posée et bizarrement grave pour un physique si angélique.

— J’ai été surpris… pas effrayé, rectifia automatiquement Gabriel en croisant le regard de son
interlocuteur.

L’inquiétant sourire de James réapparut.

— Je me présente… James Longwood, et comme tu dois t’en douter, le futur élève de ton frère.

Tout en prononçant cette phrase en français, le jeune homme blond tendit une main vers Gabriel.
Celui-ci hésita un court instant, jetant un rapide coup d’œil à la paume délicate, puis finalement la
serra aussi brièvement que possible.

— Gabriel Ginto, dit-il succinctement.

— Gabriel… répéta James, avec un fort accent anglais cette fois-ci.

Le fils Longwood s’adossa au mur tapissé de velours du couloir puis croisa les bras sur son torse
frêle.

— The power of God… really ?{1} murmura-t-il doucement. Damn... It’s very interesting{2}.

Le plus jeune des Ginto tourna nerveusement la tête en direction de sa chambre. Il ne parlait pas
anglais et se sentait idiot, en sus d’être mal à l’aise face aux prunelles inquisitrices de James.
— Helmont doit s’occuper des derniers préparatifs dans ta chambre, nous avons encore cinq
minutes pour discuter.

Le ton coupant, même enrobé d’une politesse sucrée, fit tiquer Gabriel qui se concentra une
nouvelle fois sur l’élève de son frère.

— En parlant de bavarder, je trouve ton français assez bon. Tu as vraiment besoin d’un
professeur ? s’enquit l’adolescent.

À l’origine, c’était davantage pour nourrir la conversation que parce que la réponse l’intéressait
réellement. Mais il se surprit à l’attendre non sans éprouver de la curiosité.

James eut un petit rire de gorge qu’il trouva un peu trop ironique. Cependant, pas de doute que les
demoiselles devaient en raffoler.

— Très cher… Gabriel, dans notre monde, « assez bon » signifie « mauvais ». Il n’y a de place
que pour l’excellence. Et… je me dois… d’être…

Le fils Longwood se rapprocha aussi rapidement que silencieusement du jeune boxeur, au point
que s’il le voulait, il pouvait poser son visage dans son cou. Gabriel se figea, ne sachant pas quelle
attitude adopter : le repousser violemment ou endurer cette sorte d’intimité comme si de rien
n’était… ?

Il décida de rester cool et d’en faire peu de cas.

—… excellent dans tous les domaines. You understand, little « Frightened Boy » ?{3} finit James
dans un souffle.

Gabriel tenta d’ignorer les pulsations frénétiques de son cœur. Pour une obscure raison, qu’il ne
comprenait pas lui-même, ce James Longwood lui fichait la frousse. Pas d’une manière physique où
il pourrait craindre des coups… ça, non. C’était… autre chose. Indéfinissable.

— Je ne comprends pas l’anglais. Du moins, pas assez pour suivre une discussion avec l’accent,
l’informa Gabriel en baissant ses yeux sur le visage étrangement pur du gars blond, toujours incliné
vers lui.

Longwood esquissa un sourire, comme pour s’excuser de s’être montré impoli, puis recula tout
aussi abruptement qu’il s’était rapproché.

— Je te prie de bien vouloir me pardonner.

D’accord, songea Ginto, son français est meilleur que le niveau « assez bon ». Et puis, après
tout, la raison pour laquelle il avait besoin de cours dans cette langue ne le regardait pas. Il ne faut
pas mordre la main qui vous nourrit !
— Monsieur Ginto… votre chambre est prête, annonça Helmont.

Gabriel ressentit un vif soulagement, qui fut de courte durée lorsqu’il comprit que James le suivait
à l’intérieur de la pièce.

Impossible pour l’adolescent de rater sa valise, d’un rouge sanguin, surtout placée sur un lit dont la
couverture était sombre. N’osant pas mettre Longwood dehors, il s’attela à ranger ses affaires. La
première chose qui lui sauta au visage fut le portrait encadré de ses parents. Gabriel serra les dents
pour s’aider à ravaler la douleur qui lui poignardait la poitrine. Son index effleura le verre froid
protégeant le cliché sur lequel son père et sa mère se tenaient tendrement enlacés.

— Ce sont tes parents ?

James n’avait posé la question que pour la forme, le ton de sa voix indiquait qu’il avait deviné
l’identité des deux personnes sur la photo.

Sans même demander la permission, l’Anglais prit le fragile petit cadre puis examina longuement
le portrait des Ginto.

Gabriel aurait voulu le lui arracher des mains, mais contint son accès de colère.

— Tu ressembles à ta mère, contrairement à ton frère, commenta le jeune homme blond avant de
rendre la photographie à son propriétaire.

L’adolescent choisit de l’exposer près de son lit, sur la table de nuit où se trouvait déjà une lampe
de chevet.

Les mains croisées dans le dos, Longwood déambula dans la chambre comme s’il cherchait un
objet précis pour finalement s’arrêter face à la grande fenêtre.

Il se mit à souffler sur la vitre de cette dernière afin d’y créer assez de buée pour dessiner dessus
pendant que Gabriel défaisait consciencieusement sa valise : livres, vêtements, MP3...

— Demain… nous irons ensemble au Lycée Holy Cross.

Ginto lui jeta un rapide coup d’œil.

— Une école catholique ?

James pivota le haut de son corps dans sa direction, son étrange sourire sur les lèvres.

— Anglicane, plutôt. Mais ne chipotons pas sur les détails.

— Vous êtes… branchés religion ? l’interrogea encore Gabriel tout en plaçant ses habits dans
l’armoire.
Il sentait le poids du regard de Longwood sur lui, comme si celui-ci épiait ses moindres gestes.

— Cela résume bien la situation. La… « religion » fait partie de notre famille depuis des
générations. Et toi, Gabriel… t’es branché religion ? Catholique ? Baptisé, peut-être ?

— Baptisé… mais je ne crois pas en tout ce « truc » de Dieu. Nos… nos parents ne nous ont
jamais forcés à fréquenter les églises, enfin, tu vois ?

— Je vois… je vois même très bien, susurra le blond.

Gabriel termina son rangement par plusieurs romans de science-fiction et autres. C’est avec un
sourire un peu gamin qu’il agita, pour James, un volume d’Harry Potter qu’il tenait dans la main.

— Un écrivain de chez vous, hein ? fit-il avant de le déposer sur le bureau, près de la fenêtre où
était encore Longwood.

Pour toute réponse, ce dernier eut ce que Gabriel aurait qualifié de « vrai » sourire. Pour la
première fois depuis qu’il avait rencontré le fils chéri du couple Anglais, l’adolescent vit un peu
d’émotion sincère derrière la grimace pseudo amicale de James.

— Sans me vanter, j’ai une bibliothèque fournie… n’hésite pas à venir dans ma chambre
m’emprunter un livre, proposa le jeune homme à la chevelure blonde.

Puis, Longwood se dirigea vers le lit de Gabriel afin de s’y laisser tomber, allongé sur le dos,
mais les pieds hors du matelas. Il glissa les bras sous sa nuque, les yeux rivés au plafond.

Ginto l’observa avant d’opiner.

— C’est sympa… merci.

— De rien, de rien, soupira James. Dis-moi… tu as une girlfriend, là-bas, en France ?

Gabriel afficha une mimique, un brin gêné, tout en se grattant nerveusement la gorge.

— Je… je n’ai jamais été doué pour les trucs romantiques, expliqua-t-il en appuyant légèrement
son postérieur sur le bureau, les doigts agrippés de chaque côté du meuble.

James émit son drôle de petit rire moqueur.

— Je ne suis pas une personne très habile dans ce domaine-là également. L’amour est un concept
nuisible et très ennuyeux, de toute façon. Le sexe, par contre…

L’adolescent eut la chair de poule sous l’inflexion grave, presque chuchotée qu’avait utilisé
Longwood pour prononcer la dernière phrase. C’était comme si le simple fait d’évoquer le sexe le
mettait en état d’excitation.
Gabriel garda la tête baissée, mal à l’aise et brusquement nerveux. Ce type… ce gars étrange… il
ne lui envoyait pas des signaux, si ?

Bénédicte, son amie du lycée, lui avait un jour parlé d’une théorie affirmant que les gens
envoyaient des signaux invisibles et inaudibles, mais perceptibles par le subconscient de la personne
visée. Et qu’en règle générale, cela provoquait une réaction de gêne ou un silence… comment avait-
elle appelé cela ? Un silence « crépitant ». Gabriel lui avait ordonné d’arrêter de lire les magazines
féminins, car ils ne racontaient que des conneries.

Néanmoins, quelque part dans son esprit, il ne pouvait s’empêcher de repenser à cette idée tout en
le comparant au silence plutôt pesant qui régnait dans sa chambre désormais.

— Je vais te laisser te reposer, annonça brusquement James. Tu m’aides à me relever ? Je suis tout
engourdi.

L’adolescent fixa, hésitant, la main tendue de Longwood. Il n’avait pas envie d’approcher de trop
près ce mec dont le visage à lui seul pouvait mettre n’importe qui dans ses petits souliers. Surtout ses
yeux et sa façon de vous regarder. Comme si une entité malsaine rampait derrière ces prunelles d’un
bleu glacé.

Finalement, Ginto se reprit et se dirigea vers le lit pour attraper les doigts de James afin de le tirer
d’un mouvement sec.

Jamais le jeune boxeur n’aurait pu imaginer ce qui se déroula dès que la main fine de James se
perdit dans la sienne, beaucoup plus large et calleuse. Ce fut Longwood qui le tira vers lui avec une
force inimaginable, insoupçonnée chez un mec de son gabarit. L’adolescent, ne s’y attendant pas,
atterrit sur le fils des propriétaires du manoir, l’écrasant même de son poids sans que James ne
sourcille.

— Oops… murmura-t-il en souriant froidement.

Il n’avait toujours pas lâché Ginto et leurs regards se nouèrent.

Les paupières du lycéen blond se plissèrent, ce qui ne fit qu’accentuer son air de prédateur
impitoyable.

Gabriel arracha brutalement sa main de celle de James et se releva aussi promptement qu’il le put.
Il recula même de plusieurs pas tout en scrutant Longwood, les sourcils froncés.

— Comment… comment… dit-il sans parvenir à terminer correctement son interrogation.

James rit franchement devant sa mine perdue et perplexe.

— Je suis un sportif de haut niveau, Gabriel. Même si je n’ai pas le corps massif d’un bûcheron…
ne sous-estime pas ma force, expliqua l’Anglais en se relevant par lui-même.
Puis, quand il fut à côté de Ginto, il stoppa un bref instant pour s’incliner vers lui et souffler d’une
voix suave :

— Tu ne devrais pas me sous-estimer du tout, en fait… see you later, little « Frightened Boy ».
Chapitre 2

- De ta peur -

Ce fut un long cri effroyable qui réveilla Gabriel en sursaut. À plat ventre sur son lit défait dont la
couverture s’était enroulée autour de ses jambes, il eut besoin de plusieurs secondes afin de se
remémorer l’endroit où il se trouvait. Pourquoi cette pièce baignée dans la pénombre lui paraissait-
elle si peu familière, avait-il réellement entendu une personne pousser un hurlement abominable ?

Quand ce dernier retentit de nouveau, encore plus effrayant que le précédent car il fut suivi d’un
interminable silence aussi opaque qu’angoissant. L’adolescent rejeta frénétiquement du pied le
dessus de lit pour s’asseoir sur le bord, tétanisé, à se demander qui pouvait crier ainsi et surtout
pourquoi. Il n’osait pas réellement imaginer ce qui pouvait obliger un être humain à hurler de la sorte.

Le jeune boxeur tâtonna ses poches à la recherche de son téléphone portable, puis fit glisser
l’écran de l’index afin d’activer l’interface du mobile et vérifier l’heure.

Trois heures du matin… Il avait raté le souper et avait même bien entamé sa nuit. Nathan n’avait
certainement pas osé le réveiller.

Cette fois-ci, une terrifiante plainte, proche du gémissement d’agonie lui dressa les poils des
avant-bras. L’adolescent se leva d’un bond, le cœur battant la chamade dans sa poitrine.

Encore vêtu de son jean et de son pull à capuche, Gabriel oublia de mettre ses baskets pour
s’avancer doucement vers la porte de sa chambre restée entrebâillée.

Là, il posa lentement sa main sur la clenche puis l’ouvrit de manière à passer sa tête dans
l’embrasure. Le couloir était désert et pas plus éclairé que sa chambre.

Soudain, il perçut l’écho de pleurs comme si un homme sanglotait derrière l’une des nombreuses
portes qui se trouvaient au second étage.

Ginto jura entre ses dents. Il n’était pas d’une nature peureuse, mais depuis le début, cette maison
lui fichait une frousse pas possible. Si en plus, l’on ajoutait la présence de l’héritier Longwood, cela
ne lui donnait pas des masses de courage.

Finalement, la curiosité, peut-être morbide, ou le secret espoir d’aider la personne qui ne cessait
de pleurer, l’incita à sortir de la pièce et à s’aventurer dans l’allée obscure tapissée de velours
sombre.

— Hé ho… chuchota faiblement Gabriel tout en avançant sans se presser.

Les sanglots paraissaient se répercuter de tous les côtés, ce qui rendait la localisation de la
personne à l’origine de ce son stressant assez ardue. « Hey ? Il y a quelqu’un ? »

Les pleurs cessèrent aussitôt, comme si le silence avait décidé de les étouffer brusquement.

L’adolescent se racla nerveusement la gorge puis tourna brièvement la tête en direction de sa


chambre, dont il commençait sérieusement à s’éloigner.

Subitement, un rire enfantin le fit sursauter. Gabriel s’écarta vivement de la porte se situant à sa
droite, tout en la contemplant, les yeux agrandis par la surprise.

Il pesa le pour et le contre durant plusieurs secondes. Devait-il ouvrir celle-ci pour découvrir qui
riait, pleurait, hurlait à lui faire exploser le taux d’adrénaline ? Ou devait-il retourner illico dans ses
quartiers ?

Avant même d’avoir pris sa décision, Ginto avait déjà ouvert la porte. Quoique ce fut, la curiosité
le poussa à voir par ses propres yeux.

Il s’agissait d’une chambre seulement éclairée par les rayons pâles de la lune. La pièce ne
possédait pas d’effets personnels pouvant indiquer si elle appartenait à un homme ou une femme. Du
moins, de ce qu’il en percevait. Son regard se posa sur une masse informe qui occupait une majeure
partie du lit, celle-ci était couverte d’un drap. Gabriel s’en approcha avec lenteur, son sang se
mettant soudainement à pulser sur ses tempes tant il appréhendait de découvrir ce qui se cachait en
dessous. Ses doigts se placèrent au-dessus de ce qu’il supposa être la « tête », puis ils saisirent
fébrilement un pan de tissu sur lequel il tira doucement en tremblant.

Le jeune boxeur eut un mouvement de recul en reconnaissant le visage de James. L’Anglais


semblait dormir, mais d’un sommeil anormal… celui d’un mort.

Gabriel patienta un moment en scrutant les traits blafards de l’héritier Longwood, puis se décida à
se pencher afin de vérifier s’il respirait toujours en glissant un doigt sous le nez du jeune homme.
Brusquement, les paupières de ce dernier s’ouvrirent sur deux prunelles noires dépourvues de
pupilles, tandis que les doigts osseux et agiles de James se refermèrent sur son poignet. Ginto se
débattit, cherchant à se défaire de l’emprise, paniqué et effrayé. Il n’était que réactions, son instinct
avait pris le relai et lui sommait de s’enfuir. Du sang, d’une teinte aussi foncée que ses yeux, se mit à
couler sur les joues blanches du lycéen Anglais alors qu’il attrapait Gabriel par la nuque, de son
autre main, afin de l’obliger à s’incliner davantage sur son propre visage.

— Noli me timere, Gabriel{4}, dit James d’une voix gutturale avant d’éclater d’un rire terrifiant.
Réveille-toi ! cria-t-il ensuite.

Le plus jeune des Ginto hurla.

— Oh ! s’exclama Longwood en s’écartant de lui.

Gabriel, en ouvrant les yeux, réalisa qu’il était dans son lit et que le soleil avait déjà envahi sa
chambre. En constatant la présence de James assis sur le matelas, le jeune boxeur recula jusqu’à
tomber carrément par terre.

— Tu es de ceux qui se lèvent du mauvais pied ? commenta James sans bouger de sa place tandis
que l’adolescent se remettait debout.

Il s’apprêtait à répliquer lorsque quelques coups frappés à la porte le coupèrent dans son élan.

— Gabe ! On part pour le Lycée dans trente de minutes ! s’écria Nathan, depuis l’autre côté du pan
de bois.

Gabriel lâcha un juron qui fit hausser un sourcil à celui qui s’était invité dans sa chambre pendant
qu’il dormait. Le jeune boxeur avait du mal à croire qu’il avait été victime d’un simple cauchemar. Il
frissonnait encore en se le remémorant. Sans vraiment y prêter attention, Ginto ôta son pull puis son t-
shirt.

Au moment où il s’attelait à la ceinture de son jean, il se figea.

James venait de poser sa main sur son dos. Pas de façon appuyée, non, il frôlait juste l’épiderme.
L’adolescent pivota légèrement la tête de côté.

Qu’est-ce que l’Anglais fichait ?!

— Your scars… where they come from ?{5} demanda Longwood dans un murmure.

Devinant plus que comprenant le sens de la phrase qu’il avait prononcée dans sa langue
maternelle, Gabriel répondit, tout en s’éloignant de James :

— Un accident lorsque j’étais enfant… un des élèves du centre de réinsertion que tenaient mes
parents… il y avait des types qui s’énervaient souvent contre les vitres. J’aidais ma mère à arroser
les plantes du jardin quand celle qui se trouvait derrière moi a volé en éclats. Mon débardeur ne m’a
pas protégé des morceaux de verres et pas mal se sont logés dans mon dos, mes épau…

James, comme fasciné par les boursouflures blanchies par les années, entreprit de les effleurer
l’une après l’autre.

D’un côté, Gabriel voulait le repousser, mais une autre partie de lui, pour une obscure raison,
désirait le laisser faire. Peut-être était-ce à cause de l’expression qu’il affichait ? Son hôte
ressemblait à un gosse devant un amoncellement de cadeaux le soir du réveillon de Noël.

Cette situation était vraiment étrange et totalement inédite pour le jeune boxeur.

James n’avait rien de la montagne de muscles, sans faire non plus la taille d’une fillette. Et il était
à moitié nu devant lui, pendant qu’il touchait délicatement ses cicatrices.

Inconsciemment, Ginto retint sa respiration, fixant l’Anglais, tandis que celui-ci, tout en lui
tournant autour, restait absorbé par les stigmates du malheureux incident dont le jeune boxeur avait
été victime durant sa jeunesse.

Puis, comme s’il réalisait soudainement que l’ambiance devenait pour le moins bizarre, James
releva les yeux afin de les nouer à ceux de Gabriel.

Ce dernier supportait toujours aussi mal le regard de Longwood. Il détourna donc immédiatement
le sien tout en marmonnant qu’il allait prendre une douche et serait de retour dans dix minutes.

James demeura immobile alors que Ginto pénétrait dans la salle de bain attenante à sa chambre, il
posa ensuite l’index et le majeur de sa main droite sur sa bouche où flottait un léger sourire, puis il
les lécha d’un rapide coup de langue pour finalement les écarter lentement de son visage.

— J’aime son odeur, chuchota-t-il, rêveur.

***

Une limousine… rien que ça ! songea Gabriel en s’installant sur l’une des banquettes arrière en
cuir beige.

Il s’étonna de se retrouver aux côtés de Helmont qui portait, tout comme James, l’uniforme scolaire
de l’école Holy Cross. Le jeune boxeur ne possédait pas encore le sien et allait sûrement détonner ou
se faire remarquer au premier coup d’œil.

Sur les sièges face aux leurs, son frère Nathan consultait la messagerie de son téléphone portable
tandis que Longwood, les bras croisés sur le torse, avait les yeux clos et les écouteurs d’un lecteur
mp3 dans les oreilles.

Ginto se racla la gorge puis se tourna vers le domestique.

— Alors… tu vas également à ce Lycée ?

Il éprouvait un besoin impératif de faire la conversation afin que son esprit ne se rappelle pas le
comportement étrange de James ce matin-là. Ou sa propre réaction, tout aussi bizarre.

Helmont lui adressa un faible sourire en guise de réponse affirmative.

— C’est quel genre d’école ? insista Gabriel. Les élèves sont sympas ?

S’il devait forcer son interlocuteur à échanger quelques mots avec lui, le jeune Français
l’obligerait coûte que coûte !

Le serviteur jeta un bref regard en direction de James pendant que ce dernier gardait toujours les
yeux fermés. Ginto scruta à son tour l’Anglais pour revenir à l’employé du manoir.

Craint-il de parler sans y être autorisé ? s’interrogea l’adolescent en trouvant l’idée


complètement aberrante.

— Même si nous portons des vêtements identiques, les classes sociales sont à respecter…
Monsieur Ginto…

— Appelle-moi Gabriel.

— Je… je ne peux pas… bégaya Helmont en rougissant, une lueur de panique éclairant la seule
prunelle à peu près visible, à cause de sa frange.

Puis, après plusieurs secondes de silence :

— Gabriel… répéta le serviteur sans oser affronter l’adolescent près de lui.

Soudain, Helmont poussa un petit cri plaintif pour se frotter aussitôt le tibia.

James le fixait, le regard flamboyant de colère. Le boxeur en déduisit que ce dernier venait de
donner un coup de pied à son domestique.

Ginto se redressa, furieux.

— Pourquoi l’as-tu frappé ? cracha-t-il entre ses dents.

Pour toute réponse, un sourire froid étira les lèvres de Longwood qui continuait à darder un regard
brûlant sur le pauvre Helmont.
Gabriel se pencha en avant, prêt à en découdre physiquement, mais son frère aîné s’en mêla,
faisant descendre de quelques paliers la tension régnant dans l’habitacle de la luxueuse automobile.

— Que se passe-t-il ? demanda Nathan Ginto en fixant tour à tour les trois jeunes gens.

— Helmont s’est cogné à son cartable… n’est-ce pas, Helmont ? expliqua James d’une voix
sirupeuse.

Gabriel ouvrit la bouche pour le contredire, mais l’intéressé le devança.

— C’est exact. Je vous prie de bien vouloir excuser ma maladresse.

— Tu es tout excusé, mon cher Helmont. Mais… que cela ne se reproduise plus.

L’adolescent suivait l’échange surréaliste, estomaqué, puis son regard s’accrocha à celui de
James.

Il remarqua du coin de l’œil un léger mouvement du torse de Longwood, celui-ci indiquait que
l’Anglais prenait une profonde inspiration sans le lâcher des yeux.

Ces yeux d’un bleu glacial… deux océans arctiques capables de crépiter d’un feu polaire.

Brusquement, Gabriel sentit qu’on effleurait sa jambe, incitant son regard à se baisser sur cette
dernière. James avait étendu l’une des siennes, et ce, Ginto en aurait juré sur sa propre tête, juste afin
qu’elle soit en contact l’une de l’autre.

Il avait une conscience aigüe du mollet de Longwood contre le sien, même à travers le tissu de
leurs vêtements respectifs. Ses prunelles se levèrent une nouvelle fois pour se lier à celles du Lycéen
aux cheveux blonds et aux traits fins.

Devant l’intensité de son regard, la salive déserta la cavité buccale de Gabriel et cette réaction
l’effraya.

Ce tumulte, autant émotionnel que physique, était nouveau pour lui. Se retrouver face à une
personne pouvant le happer par la seule force des fenêtres de son âme ou parvenant, en le touchant à
peine, à le figer malgré lui. Il n’avait jamais ressenti ce genre de sensations auparavant, ni avec une
fille, mais encore moins avec un mec.

Mais que lui arrivait-il, bon sang !

James ne souriait plus, il paraissait uniquement tendu.

Lorsque la limousine sembla ralentir, annonçant ainsi qu’ils étaient probablement à Holy Cross, il
y eut un curieux son mécanique. Gabriel pivota la tête vers la portière gauche, certain que le bruit
venait de là.
Le phénomène se répéta à nouveau, mais de manière beaucoup plus forte, puis le chauffeur baissa
la vitre teintée qui le séparait du reste des passagers.

— Je suis désolé… je crois que le système d’ouverture centralisée s’est bloqué. Je n’arrive pas à
déverrouiller les portières.

Nathan se redressa afin de mieux inspecter le côté conducteur et le tableau de bord.

— Où se trouve… ?

— Laissez, je m’en occupe, intervint brutalement James.

Avant que quiconque puisse dire le moindre mot ou essaie d’ouvrir la portière par lui-même,
Longwood gagna le siège où se trouvait Gabriel. Il posa son genou gauche sur le fauteuil, dans
l’étroit espace menant directement à l’entrejambe du jeune boxeur. James appuya ensuite son torse
contre celui de l’adolescent qui n’osa plus respirer, mais réussit à détourner le visage afin de ne pas
avoir le nez sur sa cravate.

Sous prétexte de manipuler la poignée, Longwood plaça sa main gauche sur l’épaule droite de
Ginto, pressant le haut de son corps sur lui plus que nécessaire. Quand Gabriel perçut nettement le
fameux genou de James contre ses parties intimes, il expectora le peu d’oxygène emmagasiné puis
tenta de le repousser d’une bourrade, en vain.

Le lycéen tourna la tête vers la sienne, et même si le jeune Français ne le regardait pas
franchement, il nota le geste de l’extrémité de son champ de vision. Si jamais Gabriel en faisait de
même, ils auraient leurs visages pratiquement collés.

— Je suis sincèrement désolé… commença Longwood avant de lui toucher davantage


l’entrejambe. J’y suis presque, termina-t-il.

Il aurait fallu être sourd pour ne pas entendre le sourire dans la voix de James. Cette fois-ci, le
boxeur n’y tint plus et le fusilla du regard.

L’Anglais le laissa se vider de sa colère via une longue œillade meurtrière pendant que lui-même
arborait une mimique démontrant le plaisir indicible que lui procurait cette situation.

Un clic salvateur retentit subitement et Ginto bouscula Longwood sans ménagement afin de sortir
de la voiture pour respirer de grandes goulées d’air.

Il avait failli s’asphyxier dans le spacieux véhicule.

***
Lorsque Nathan le rejoignit, son petit frère le suivit tout en jetant des regards aux alentours.
Nombreux élèves en uniformes, autant filles que garçons, le fixaient tout en échangeant des
commentaires à voix basse. Il aurait parié que ces murmures le concernaient.

Gabriel incarna le centre d’intérêt des élèves jusqu’à ce qu’ils atterrissent, avec Nathan, dans le
bureau du secrétariat. Sans réellement se concentrer dessus, le jeune boxeur observa les éléments
décoratifs ainsi que l’allure générale des locaux : ce bâtiment devait exister depuis des centaines
d’années… Sans être vétuste, il inspirait avant tout le respect des traditions. Ginto se sentait
minuscule et pas du tout dans son élément.

Puis il sentit le regard appuyé d’une personne dans son dos. L’adolescent se retourna pour croiser
les yeux noirs d’une fille d’un ou deux ans sa cadette. Elle avait de longs cheveux, aussi sombres que
ses prunelles, ils lui tombaient sur les joues en mèches graisseuses. Ses paupières étaient fardées de
poudre charbonneuse et son teint très pâle lui donnait un air plus fantomatique que sexy.

L’élève lui dédia un mince sourire, un maigre trait fendant le bas de son visage triangulaire.
Soudain, la bouche de la lycéenne remua comme si elle lui parlait alors que pas un de ses mots n’était
audible.

— Gabe ? l’interpella son frère aîné.

Gabriel sursauta, désorienté. Nathan fronça les sourcils devant l’expression troublée de son cadet.

— Que se passe-t-il ? Tu ne te sens pas bien ?

— Non… je… commença le boxeur avant de se retourner de nouveau vers l’Anglaise au drôle de
look.

Elle n’était plus là.

Sans comprendre pourquoi sa mémoire avait enregistré cette information, Ginto se souvint que la
jeune fille au style atypique, qui se tenait précédemment de l’autre côté du couloir, serrait contre elle,
presque jalousement, un livre volumineux et relié de cuir rappelant la nuance sombre de ses yeux.

Nathan l’encouragea à avancer en plaçant une main dans son dos et le poussa gentiment devant lui.

— Nous allons discuter avec le proviseur de Holy Cross, monsieur Peers, puis un élève de ta
classe te montrera les lieux et t’expliquera son fonctionnement.

— Tu sais que mon anglais est rudimentaire… alors faire la conversation avec ce monsieur
Peers…

— Pas de soucis, il connaît tes lacunes… c’est d’ailleurs pour cette raison que je lui ai suggéré
que ce soit James qui t’aide à t’habituer à ton nouvel environnement.
James ? Décidément… ce mec le suivait comme son ombre !

Une fois dans le bureau du proviseur de ce Lycée qui pouvait être qualifié de « huppé », et après
des salutations assez chaleureuses, Gabriel subit la conversation, se contentant parfois d’opiner en
souriant bêtement.

Quand quelques coups furent frappés à la porte, le cadet de Nathan pivota son buste par réflexe
afin de voir qui s’apprêtait à entrer.

Il ne fut pas le moins du monde surpris d’apercevoir la tignasse bouclée de James dans
l’embrasure. Ce dernier affichait un sourire poli et toute son attitude empestait l’humilité. Gabriel ne
fut pas dupe une seule seconde. Sa main à couper que James Longwood jouait la comédie… Chaque
fibre de son corps lui criait cette certitude.

L’étudiant salua son professeur dans un anglais aux sonorités distinguées. Comme s’il ne pouvait
pas s’en empêcher, Gabriel le scruta, fasciné par ses manières, son allure et même la tonalité de sa
voix.

Tout à sa discussion avec monsieur Peers, si James perçut l’attention de Ginto focalisée sur lui, il
n’en montra rien.

— Tu peux te lever, remercier le proviseur et suivre James à l’extérieur du bureau, lui chuchota
Nathan à l’oreille.

L’adolescent obéit puis quitta le fauteuil sur lequel il était assis afin de serrer la main tendue du
cinquantenaire bien portant, engoncé dans un costume gris anthracite, de l’autre côté du bureau en
bois précieux.

— Goodbye, mister Peers, and thank you very much for your kindness,{6} dit-il.

— You are welcome, young man. Be attentive and studious during lessons,{7} répondit le
proviseur en souriant.

Gabriel préféra seulement sourire. Bien qu’il avait compris le sens général de la réponse de Peers,
il préféra éviter d’en rajouter au risque de se retrouver aux prises d’une conversation dont il ne
saisirait pas un mot par la suite.

Dès qu’ils furent hors du secrétariat, James enfonça les mains dans les poches de son pantalon et
prit le couloir de droite. L’adolescent le suivit en silence dans les méandres du bâtiment scolaire.

Soudain, Longwood pila devant une porte dont il frappa le pan de son poing fermé. Une femme
frêle au regard d’aigle lui ouvrit. Elle portait un tailleur qui hésitait entre le jaune et le marron et ses
cheveux grisâtres étaient noués en un chignon austère.

James la salua puis échangea quelques mots avec elle. La femme, d’un âge bien avancé, posa ses
prunelles en forme de billes brunes sur Gabriel. Celui-ci tenta d’esquisser une grimace amicale.

En guise de réponse, il n’obtint qu’une œillade réprobatrice, ce qui ne l’étonna qu’à moitié.

Elle disparut subitement à l’intérieur de la pièce qu’elle occupait pour revenir une minute plus tard
avec un trousseau de clefs qu’elle donna au fils Longwood.

Lorsque la femme claqua la porte, Ginto interrogea James du regard.

— Nous devons aller chercher ton uniforme de Holy Cross à la buanderie. Peers croit que cela
pourrait t’aider à mieux vivre cette journée…

Là, un sourire narquois se dessina sur les lèvres de celui censé jouer les guides, accompagné d’un
regard inquisiteur.

— Tu penses survivre à cette journée, « Frightened Boy » ?

— Allons-y, dit Ginto, irrité.

La buanderie était un nom charmant pour désigner un étroit cagibi dont les murs étaient tapissés
d’étagères recouvertes d’uniformes sous protection plastique. Les vêtements étaient classés par
catégorie, mais également par taille.

James l’avait laissé entrer le premier pour refermer derrière lui. Gabriel jeta un coup d’œil à
l’unique ampoule éclairant la minuscule pièce puis commença à examiner les habits à la recherche de
ceux qui lui iraient.

— Tu connais la taille qui te correspond ? s’enquit Longwood en s’adossant à la porte avant de se


mettre à jouer avec le trousseau de clefs.

Le bruit produit par cette manipulation agaça prodigieusement Gabriel.

— Non.

— Dans ce cas… tu vas devoir les essayer. Pour un pantalon, un quarante-quatre français équivaut
à un trente-quatre ou trente-cinq anglais.

— Tu plaisantes ?! Tu veux vraiment que je me déshabille… ici ?

Gabriel hésita entre éclater de rire ou s’énerver, ce qui n’échappa pas à James qui haussa un
sourcil moqueur.

— Quoi ? Tu es gêné de te dévêtir devant moi ? Dois-je te rappeler être aussi un mec ?

Un mec qui a caressé mes cicatrices ce matin, un mec qui, y’a à peine une heure, m’a peloté
dans la voiture, songea immédiatement le jeune Français en fuyant le regard incisif de Longwood.
De toute façon… avait-il le choix ? Il fallait bien qu’il sorte de cette buanderie avec un uniforme à
sa taille !

Ginto attrapa un pantalon étiqueté trente-quatre sur l’étagère, puis tourna le dos au lycéen Anglais
qui étudiait scrupuleusement chacun de ses gestes. Il commença à défaire sa ceinture, tout en essayant
d’oublier la présence de James. Ce dernier ne devait sûrement pas rater une miette de ce striptease
improvisé.

Gabriel ôta son jean qu’il posa sur l’étagère la plus proche et déballa le pantalon après avoir
déchiré la protection avec ses dents. Un gloussement émis par son observateur l’incita à tourner la
tête dans sa direction.

— Quoi ? grogna-t-il, quand il eut recraché un petit bout de plastique se trouvant dans sa bouche.

L’Anglais le désigna d’un mouvement du menton.

— J’espère que tu es moins brutal avec un condom, commenta-t-il, rieur.

L’adolescent froissa le reste de l’emballage pour n’en faire qu’une boule puis la jeta ensuite aux
pieds de James. Ce dernier la regarda un long moment et, tout en souriant, leva doucement les yeux
pour les plonger dans ceux de Ginto.

Le sourire de Longwood lui donna la chair de poule. Tellement honteux d’éprouver une pareille
frousse face à un individu de son gabarit, le boxeur se détourna encore et s’activa pour enfiler le bas
de l’uniforme.

Il émit un bref soupir de soulagement en constatant que celui-ci lui allait parfaitement. Alors que
Gabriel s’apprêtait à partir en quête d’une chemise et d’une veste, Longwood lui tapota l’épaule d’un
doigt. L’adolescent fit volte-face dans un mouvement brusque. Il était étrangement agité et nerveux.
Être seul avec James dans une pièce aussi petite ne l’aidait pas vraiment à se calmer.

Longwood plaqua plusieurs sachets de vêtements pliés contre son torse tout en affichant encore sa
curieuse moue effrayante.

— Chemise, veste, cravate… énonça-t-il.

Apparemment, il n’avait pas l’intention de bouger, obligeant Gabriel à reculer de deux pas afin de
mettre un peu d’espace entre eux.

Cette fois, Ginto ne se tourna pas, il préféra feindre d’ignorer le jeune homme blond qui l’épiait
avec une féroce intensité.

Protections chiffonnées et abandonnées au sol, torse nu, le boxeur se vêtit de la chemise blanche
sentant le neuf à des kilomètres. Le tissu amidonné provoquait une sensation désagréable contre sa
peau.
— Attends… je vais t’aider, dit James en se rapprochant vivement de lui.

Avant même que Gabriel eut l’idée de le repousser, l’Anglais commença à boutonner la chemise
avec une agilité des plus véloces. Il le laissa faire, pris de court.

Le regard de Gabriel quitta les doigts de l’étudiant pour s’arrêter sur ses boucles blondes et pâles.

Quel effet ça fait de les toucher ? songea-t-il subitement.

Puis il se secoua mentalement, choqué d’avoir eu une pensée aussi… bizarre.

Seulement… ses yeux revinrent malgré lui à la masse soyeuse de Longwood, comme s’il était
hypnotisé par le reflet de ses mèches.

— Ouch ! gronda James en s’éloignant légèrement.

Le jeune homme tenait son doigt tendu.

— Tu t’es blessé ? l’interrogea Ginto.

Sans réfléchir, il attrapa la main de Longwood afin de l’examiner. Une aiguille, probablement de
celles qui maintenaient la chemise parfaitement pliée, était profondément enfoncée dans la chair de
l’index. Gabriel la saisit délicatement puis grimaça en la retirant doucement. Sans l’épingle, une
goutte de sang, de la taille d’une larme, se mit à couler le long du doigt pour se faufiler vers le
poignet.

James n’avait pas émis une seule plainte durant l’opération, mais ce qui préoccupait le boxeur,
c’était le liquide rouge vif qui menaçait de tacher la manche de l’Anglais.

— T’as pas un…

Ginto ne termina pas sa phrase. Son regard venait de rencontrer celui du lycéen de Holy Cross et
l’expression inscrite sur les traits fins de son visage le statufia. Les prunelles réfrigérantes, et
habituellement limpides de James, s’étaient obscurcies de façon absolument terrifiante.

— This is my blood… Gabriel. The blood of the convenant…{8} murmura-t-il.

Longwood positionna le doigt blessé et sanguinolent près de la bouche de Gabriel puis souffla
d’une voix éraillée :

— Lick.{9}
Chapitre 3

- De mon sang -

— Je ne vais pas faire ça ! s’écria Gabriel en s’écartant vivement du jeune homme blond.

Lorsqu’il tenta de regagner la porte, James lui barra le passage avant d’agiter le trousseau.

— C’est fermé à double tour, « Frightened Boy ».

Au moment où Ginto amorça un geste afin de le récupérer, Longwood recula pour glisser le petit
porte-clefs sous la ceinture de son pantalon.

— Tu les veux ? Viens les chercher, susurra-t-il, les paupières plissées.

Puis il éclata franchement de rire devant la mine interloquée du Français et lui tendit de nouveau
son doigt blessé où coulait toujours un filet de sang, mais de flux moindre.

— Tu le lèches afin de me montrer à quel point tu es désolé qu’il ait été meurtri par ta faute… ou
tu viens prendre les clefs par toi-même ?

— Tu plaisantes ? s’énerva Gabriel face à cet absurde ultimatum. Je ne suis pas un putain de
vampire ! Rends-moi le trousseau ! ordonna-t-il ensuite, hors de lui.

James laissa s’instaurer un silence qui alourdit l’air d’une tension électrique. Gabriel pinça
furieusement ses lèvres l’une contre l’autre et, en trois enjambées, effaça la distance entre lui et
l’étudiant Anglais. Ils se défièrent longuement du regard avant que Ginto ne saisisse brutalement la
main de Longwood, et ce, sans le quitter des yeux.
Il ne pouvait pas frapper le fils du patron de son frère, les hébergeant, qui plus est.

Tout en enserrant les autres doigts avec une force exagérée, Gabriel introduisit l’index blessé dans
sa bouche.

Sa langue entra immédiatement en contact avec le sang. Son goût âcre et métallique se répandit sur
la chair humide, forçant Ginto à déglutir. Il perçut la texture étrangement douce du doigt de James et,
au moment où il allait retirer celui-ci, il se figea en remarquant la mimique qu’arborait l’Anglais.

Longwood avait entrouvert ses lèvres tandis que ses prunelles d’un bleu glacé dévoraient l’image
que Gabriel renvoyait en suçant son index. Il eut une soudaine bouffée de chaleur comme si on l’avait
catapulté dans un bain de vapeur. Pressentant que le jeune Français allait enlever cette partie de lui
de l’écrin de sa bouche, James leva les yeux afin de les plonger dans les siens.

— Continue… please, don’t stop, Gabriel, fit-il l’accent suppliant. Lick again… please.{10}

Pour la première fois de sa courte existence, le frère de Nathan subit le violent assaut d’un puissant
désir physique. C’était si inattendu, si virulent, surtout causé par une personne de même sexe que lui,
que son esprit s’éparpilla pour ne plus arriver à fonctionner correctement. Sans qu’il lui en donne
l’ordre, sa langue s’agita et caressa le doigt de l’Anglais. Ce dernier poussa un faible gémissement
pendant que ses prunelles prenaient la teinte d’un océan en pleine tempête.

Qu’est-ce que je suis en train de faire ? paniqua Gabriel.

Dans un mouvement brusque qui leur fit perdre à tous deux l’équilibre, James récupéra son doigt
puis vint presser son corps contre celui du boxeur. Ginto se retrouva assis sur le sol avec Longwood
entre ses jambes.

D’abord désorienté, le Français se contenta de dévisager le lycéen. Les mains posées à plat sur le
carrelage froid, de chaque côté des hanches du frère cadet de Nathan, il dardait sur lui un regard
brûlant tandis que son buste penché vers l’avant se soulevait dans un rythme rapide.

— Pousse-toi, lâcha Gabriel d’une voix rauque.

Mais James n’obtempéra pas, au contraire, il pressa aussitôt son bassin contre celui de
l’adolescent. Les yeux de Ginto s’écarquillèrent en percevant le membre dur de l’Anglais appuyé
contre le sien, qui ne tarda pas à réagir sous l’attouchement. Loogwood esquissa un sourire vorace,
de prédateur… Brillant de jubilation face à la découverte de cette sorte de pouvoir qu’il avait sur le
jeune homme quasiment allongé sous lui.

Quand le boxeur tenta de le repousser, l’étudiant de Holy Cross frotta langoureusement ses hanches
aux siennes, lui arrachant un cri étranglé. Ce fut comme si chaque muscle de son corps devenait
prisonnier dans le marbre, le laissant dans l’impossibilité de bouger.

— Qu’est-ce que tu… commença-t-il sans finir sa phrase.


— Tu n’aimes pas, Gabriel ?

James répéta plusieurs fois le mouvement lascif qui consistait à frotter le sexe de Ginto au sien. À
son raidissement significatif, l’Anglais comprit que sa victime se faisait consentante. Le frère de
Nathan essaya de ravaler les plaintes indécentes qui remontaient le long de sa gorge.

— Oh… yes. You likes this, isn't it ? Such face… your face said the truth{11}, chuchota Longwood
en nichant sa tête dans le cou de Gabriel.

L’adolescent posa ses mains sur les épaules du jeune homme blond. Ce dernier ne cessait de le
masturber de son propre sexe et il chercha encore à le refouler, néanmoins, sans y mettre toute la
conviction souhaitée. La tentative fit rire doucement James qui prit un soin particulier à lui arracher
un râle en accentuant vigoureusement le frottement.

Ginto s’arrêta de lutter pour s’allonger complètement sur le sol avant de se couvrir le visage de
son avant-bras.

— Arrête ça… le supplia-t-il une dernière fois.

Il n’en pouvait plus. Son entrejambe était gorgé de sang, excité au point qu’il appréhendait de jouir
dans ses sous-vêtements.

C’était pire que lorsqu’il se soulageait seul. L’entrave du tissu de son pantalon et de son caleçon
ne l’empêchait pas d’en tirer du plaisir, trop même, et cela le menait aux portes de la folie.

Dans un geste brutal, James chassa le bras avec lequel Ginto se soustrayait à son regard ; il
semblait aussi furieux qu’au bord de l’orgasme.

— You burned me and you drives me crazy... show me your fucking face of excited boy !{12}

Sous l’impulsion d’un accès de fureur, car lui aussi était proche d’atteindre l’ultime jouissance,
Gabriel renversa James qui se retrouva dans la position précédemment occupée par le boxeur.

Tous deux avaient le visage baigné de sueur et Ginto fut, l’espace de quelques secondes, hypnotisé
par les boucles humides de Longwood, collées sur son front moite. Il nota la respiration erratique de
l’adonis blond, en parfaite synchronisation avec la sienne.

— Qu’est-ce que tu veux, James ? souffla le frère de Nathan, l’intonation brisée.

À son tour, il imprima un mouvement de va-et-vient sensuel et les traits de l’Anglais se crispèrent.

— C’est ça que tu veux ? poursuivit-il en sentant arriver la douloureuse vague de plaisir au creux
de ses reins.

À ce stade, aucun retour en arrière n’était possible. Surtout lorsque le lycéen noua ses doigts à sa
nuque afin d’approcher son visage. Le regard sauvage de James l’épingla tel un coup violent,
envoyant son âme aux tréfonds des abysses de la luxure.

Longwood émit un léger sifflement entre ses dents puis remua frénétiquement son bassin avant
d’unir sa bouche à celle de Gabriel.

Les paupières de ce dernier se fermèrent immédiatement lorsqu’il goûta la terrible et savoureuse


douceur des lèvres du jeune Anglais.

Ginto atteignit enfin la libération qui lui ceignait le bas du dos, rendant son érection pénible.
Quand la langue de James s’enroula voluptueusement à la sienne, son corps trembla, secoué par un
orgasme déchaîné. Longwood continuait de l’embrasser sans même prendre le temps de respirer. Il
s’enfonçait, approfondissait son baiser. Jamais Gabriel n’avait eu ce type d’échange, encore moins
de cette façon, et cela décupla son plaisir.

Il ressentit la jouissance de James quand celui-ci geignit longuement dans sa bouche.

Gabriel était anéanti, il éprouvait déjà un affreux sentiment de culpabilité entremêlé à une
plénitude émerveillée.

Qu’allait-il arriver ? Était-il perdu ? Devenait-il fou à lier ?

Un amoncellement de questions et de peurs surgit dans un recoin de son esprit.

Soudain, l’étudiant Anglais glissa un bras sous celui de Ginto puis fouilla dans la poche extérieure
de sa veste pour en sortir le fameux trousseau de clefs.

Il ne l’avait jamais placé dans son pantalon et encore moins dans ses sous-vêtements.

***

Gabriel supposa qu’il suivait actuellement le cours d’anglais, soit l’équivalent du français pour
lui. Il ne comprenait pas le dixième de ce que le professeur, nanti d’un ridicule nœud papillon,
pouvait bien raconter. Son débit de parole frisait l’apnée pendant qu’il martelait de temps à autre le
tableau noir.

L’adolescent s’agita sur sa chaise. Même s’il avait nettoyé dans les toilettes une majeure partie de
la révélation flagrante du plaisir pris dans la buanderie, il restait gêné par l’humidité encore présente
sur son sous-vêtement. Machinalement, ses yeux dévièrent vers James, installé à deux places de la
sienne, pour découvrir que ce dernier le fixait également. Puis, Gabriel remarqua le stylo avec lequel
l’Anglais jouait. Il le faisait lentement glisser entre son pouce et son index, celui-là même qui avait
été blessé par l’aiguille. Longwood affichait une mimique narquoise poussant le boxeur à éviter
soigneusement de croiser trop franchement son regard. Ce geste était équivoque, comme s’il cherchait
à faire comprendre à Ginto qu’il se remémorait, lui aussi, l’épisode dans le petit local sombre.

L’adolescent décida de recentrer son attention sur le tableau noir lorsque l’élève à sa droite, une
jeune fille à la crinière rousse et aux taches de son sur les joues, lui tira la manche. Elle lui demanda
son nom à voix basse, dans un français très approximatif.

Gabriel lui sourit puis le lui révéla tout aussi doucement.

Elle eut à peine le temps de lui souffler le sien : « Patty Ferguson », que ses yeux s’agrandirent et
son teint vira au rouge. L’élève porta les mains à sa gorge comme si elle étouffait.

Le jeune Français se leva d’un bond de sa chaise.

— Monsieur ! cria-t-il, les yeux rivés sur sa camarade de classe.

Puis, sans attendre la réaction du professeur, le frère de Nathan se plaça derrière elle. Il lui
octroya une grande claque dans le dos, juste entre les omoplates pour ensuite vérifier si elle avait
repris une respiration normale. En constatant que c’était un échec, il réitéra cinq fois l’opération et à
l’issue de la dernière, le jeune boxeur poussa un soupir de soulagement.

Tous les élèves de la classe, ainsi que le professeur, s’étaient amassés autour d’eux, tous… sauf
un : James.

Visiblement, il était resté à sa place et continuait de jouer avec son stylo tout en fixant Gabriel, un
air sombre, voire furieux, sur le visage.

Ginto trouva la situation plus qu’étrange… comme si…

Subitement, plusieurs adolescents le félicitèrent de bourrades amicales en bavardant bruyamment,


tandis que d’autres se pressaient vers Patty afin s’enquérir de son état. Mais le boxeur ne les vit plus
vraiment, ils devinrent un paysage d’ombres floues aux gestes ralentis où seul Longwood demeurait
net. Lui et le bruit régulier que produisait son stylo à chaque fois qu’il le tapait sur le bureau.

Était-il irrationnel de penser que James avait joué un rôle dans l’incident qui venait d’arriver à
Patty Ferguson ?

***

Cours de sport avant la pause déjeuner. Natation, pour être plus précis. L’entraîneur de l’équipe
officielle de l’école lui avait prêté un maillot de bain et Gabriel n’avait pas pu échapper au slip en
nylon orné d’une ridicule cordelette blanche.

Piscine couverte pour bassin de taille olympique. Avec le lycée privé Holy Cross… le jeune
Français ne jouait plus dans la même catégorie. Il en était même venu à se demander si le bâtiment
scolaire ne possédait pas également son propre spa !

Les élèves masculins, d’un côté, se pressaient vers les plongeoirs, tandis que les filles, de l’autre,
se cramponnaient à leurs serviettes bleu marine. Le tissu éponge arborait fièrement les armoiries
finement brodées de l’école : un blason orné d’une croix chrétienne en son centre et de chaque côté,
deux lions dressés sur leurs pattes arrière. Ginto l’effleura du doigt en pensant que les frais pour
intégrer Holy Cross devaient sûrement donner le tournis par son montant à plusieurs chiffres,
quand…

Dans un premier temps, il sentit seulement le violent coup dans son épaule, ce dernier lui fit perdre
l’équilibre puis basculer direct dans l’eau tiède de la piscine.

Son seul réflexe fut de donner une impulsion des jambes afin de retrouver rapidement la surface,
mais une personne, dont il n’arrivait pas à distinguer le visage, uniquement le corps musclé, le
maintenait férocement sous l’eau. Gabriel se débattit, envoyant les poings alors que son attaquant ne
capitulait pas.

Soudain, près de lui, surgit une tête beaucoup plus familière : James. Même s’il portait une paire
de lunettes petites et sombres, de celles qu’utilisaient nombreux nageurs professionnels, mais aussi un
bonnet de bain d’une teinte assortie aux serviettes, l’adolescent su qu’il s’agissait de lui.

Son assaillant appuyait toujours sur le sommet de son crâne tandis que la vision de l’Anglais, déjà
floutée par le liquide emplissant le bassin, devenait de moins en moins nette.

Longwood parut sourire méchamment, puis Gabriel comprit ce qu’il venait de faire en le voyant
agiter le maillot de bain de l’élève qui avait voulu le noyer ou, au mieux, lui filer une belle frayeur.

Aussitôt libre, le Français se précipita vers la surface afin de s’oxygéner. Deux brasses suffirent
pour qu’il puisse poser les bras sur le bord de la piscine, inspirant puis expirant rapidement en
toussotant. James vint tranquillement le rejoindre, calme, un sourire satisfait flottant sur ses lèvres.
L’étudiant Anglais le dévisagea longuement, comme s’il cherchait un détail particulier, puis ses
prunelles d’un bleu polaire se détournèrent du boxeur pour fixer froidement une personne se trouvant
derrière eux.

Gabriel suivit la direction de son regard et rencontra le visage furibond d’un des élèves de sa
classe. Il le reconnut sans peine, un dénommé Folley Kent, tout aussi grand que lui, mais nanti d’une
tignasse rousse virant presque au rouge.

Longwood lui renvoya habilement son slip de bain : Folley le reçut en pleine figure, ce qui
n’arrangea pas la lueur meurtrière qui luisait dans ses yeux d’un vert délavé. Le lycéen avait coupé
ledit maillot sur le côté, l’autre élève se retrouva donc nu comme un ver.
— Pourquoi… ? interrogea Gabriel dans un murmure, perplexe face à cette soudaine attaque.
Comment as-tu réussi à lui… ? commença-t-il, les yeux encore fixés sur le rouquin furibond.

James rit doucement.

— Cette andouille doit penser que sa dulcinée en pince pour toi, expliqua-t-il en croisant ses
avant-bras sur la pierre rugueuse du bord du bassin. Ne va pas lui boxer le nez, si personne n’est
intervenu, c’est parce qu’il est le petit fils du proviseur.

Le petit fils du proviseur ? Ginto arqua un sourcil.

— Sa dulcinée ?! Mais je…

— Patty, le coupa l’Anglais en lui adressant un bref regard en coin.

— Oh, souffla le Français en se rappelant la jeune fille qui s’était étouffée en classe. Quel
timbré… murmura-t-il par la suite. Tu t’es débrouillé de quelle manière pour lui déchirer son
maillot ?

Longwood resta silencieux, se contentant seulement d’esquisser un demi-sourire narquois. Puis il


déposa sur la pierre humide du rebord, une lame de rasoir avec laquelle il joua avant de la glisser
dans la rainure très profonde entre les deux dalles. Ainsi, l’arme du crime disparaissait sans blesser
personne.

— Il ne va pas te créer de problèmes ? demanda Gabriel.

— Je ne pense pas qu’il osera. Je ne suis pas un simple élève de basse extraction sociale, rétorqua
froidement James. Toi, par contre, si tu t’attrapes avec lui…

Le Français comprenait parfaitement la mise en garde. Il éviterait donc, autant que possible, le
dénommé Folley. Se bagarrer avec le petit-fils du proviseur, et ce, dès son premier jour à Holy
Cross, ne ferait pas joli-joli sur son dossier scolaire.

— Merci, dit-il après un court moment d’hésitation. Pour ton coup de main.

— C’était normal, rétorqua l’autre avant de poser son visage fin sur ses poignets entrecroisés, les
yeux rivés sur Ginto.

Subitement nerveux sous les prunelles scrutatrices de James, Gabriel se tourna, dos contre la paroi
de la piscine, pour laisser son regard errer sur les lycéens vaquant autour du bassin ou nageant dans
les rangées, non loin d’eux. Tout le monde semblait se ficher de l’incident. Ou feindre de l’ignorer.

— Rien ne te forçait à me venir en aide, indiqua le boxeur.

— Bien sûr que si. Tu es sous ma responsabilité. J’ai promis au proviseur de veiller sur toi. Je
n’ai pas pour réputation de faillir à mes devoirs, quel que soit leur nature ou mon désir de m’y plier.
Bizarrement, même si elle était logique, l’explication de James blessa le Français. Celui-ci émit un
bref ricanement avant de passer l’une de ses mains sur son visage afin d’en chasser l’eau qui perlait
ses sourcils et ses cils ou faisait « goutter » son nez.

— What ? s’enquit Longwood en le contemplant.

Gabriel remua négativement la tête. Comment aurait-il pu lui répondre alors qu’il n’en savait rien
lui-même ?

— Oh, damn ! s’esclaffa subitement l’Anglais après une poignée de secondes. Tu es… quoi ? Tu
es déçu ? Really ? Tu m’as pris pour ton chevalier servant, c’est cela ? Oh, Darling ! That’s cute !
You’re so cute !{13}

Longwood riait à présent, le visage enfoui dans ses bras, et l’adolescent ne put que constater
l’accès d’hilarité qui secouait ses épaules.

— Ce n’est pas… arrête de te marrer ! grommela Gabriel, gêné sans en connaître vraiment la
raison.

L’autre remit les lunettes qu’il avait positionnées sur son front, à moitié camouflé par le bonnet.

— Vu l’expression que tu affichais il y a moins d’une minute, il aurait été aisé de la confondre
avec de la déception, susurra James. Mais… c’est charmant. Je ne crois pas qu’on m’est associé à un
preux chevalier par le passé. C’est une première.

Il inclina sa tête vers Ginto pour lui chuchoter presque à l’oreille :

— Ça me rend… How say ? Ça me donne des pensées impures.

Sa voix réussit à baisser de plusieurs octaves.

— Tu veux que je te les décrive ? ajouta Longwood.

Gabriel le fusilla du regard. Et ce fut beaucoup plus facile pour lui d’assassiner James de cette
façon alors que ce dernier avait les yeux cachés par des lunettes de plongée.

Un sourire froid et moqueur se dessina sur les lèvres de l’autre étudiant avant qu’il ne se glisse
doucement sous la surface pour finalement s’éloigner de Gabriel.

Furieux de ne pas avoir eu le mot final, furieux d’avoir eu besoin du secours de James, furieux
d’éprouver des émotions inconnues et déstabilisantes en sa présence, le frère de Nathan donna un
coup de poing dans l’eau.
Chapitre 4

- De notre passé -

Le reste de sa première journée au Lycée, privé et privilégié, Holy Cross s’était relativement bien
déroulé. Il n’y avait eu aucun incident à signaler durant la pause déjeuner : la cafétéria de cet
établissement n’avait rien à envier à ce que l’on pouvait trouver dans un restaurant quatre étoiles.

Gabriel avait opté pour une place très éloignée de James, surtout en constatant que ce dernier
prenait son repas avec une dizaine de camarades. Leurs regards s’étaient souvent croisés et, à chaque
fois, le frère cadet de Nathan avait détourné le sien avant l’anglais.

Une fois dans le parking, Ginto chercha des yeux la limousine, supputant que cela serait le
chauffeur des Longwood qui les raccompagnerait.

Lorsqu’il perçut un souffle tiède sur sa nuque, l’adolescent sursauta et se tourna afin de découvrir
qui venait de se permettre un tel geste.

James se tenait devant lui, un demi-sourire sur les lèvres, les paupières légèrement baissées sur
son regard bleuté.

— « Frightened Boy », chuchota l’étudiant.

Ce fut leur seul échange, même quand Helmont les rejoignit. Tout le trajet s’effectua en silence.

Au manoir, le boxeur se précipita dans sa chambre sous les prunelles arctiques et attentives de
James.
Tout en déposant son sac à dos près du bureau, il reconnut l’écriture de Nathan sur un bout de
papier laissé en évidence. Son aîné lui indiquait qu’il avait dû passer la journée en ville afin de
régler des détails administratifs relatifs à leur séjour en Angleterre. En bas de la note, il lui indiquait
de ne pas l’attendre pour le souper. Gabriel soupira tout en froissant le billet, puis se laissa tomber
sur son lit pour fermer les yeux.

De toute manière, il n’avait pas faim. Il était contrarié par sa journée et n’arrivait pas à se sortir de
l’esprit la séance, pour le moins torride, survenue dans la buanderie de l’école.

Était-il gay ? Qu’est-ce qui pouvait bien l’attirer, l’exciter, chez James, au point de le faire jouir
dans son caleçon ?

Rien qu’en y songeant, son corps se raidit comme dans l’attente avide d’une caresse. Le boxeur
grommela un juron, puis changea de position pour s’installer sur le ventre. Cinq minutes plus tard, il
s’endormit sans s’en rendre compte.

Un rêve.

Cela devait sûrement être un rêve.

Gabriel avançait dans une pièce où un grand nombre de personnes dansaient, tanguaient,
s’enlaçaient… Il savait être lui-même, mais quelque chose le dérangeait.

Lorsque Ginto mit le doigt dessus, il stoppa net.

La musique et l’allure des gens. Voilà ce qui n’allait pas.

Un rêve… projeté dans les années 20 ?

Les femmes portaient des robes typiques de cette époque, plumes dans leurs coiffes comprises. Les
hommes arboraient fièrement des costumes aux fines rayures, tandis que certains d’entre eux
s’affichaient également avec une version rétro des smokings. Tous riaient, buvaient, flirtaient, sous
l’éclairage doux, rouge et intime qui régnait dans cet endroit.

Une fête ?

Pourquoi rêverais-je d’une fête se déroulant à cette époque ? s’interrogea Gabriel avant que son
regard ne se pose sur son propre reflet.

Dans un miroir ovale accroché sur le pan de mur face à lui, l’adolescent put se contempler. Il était
vêtu d’un costume noir rayé de rouge sombre et un chapeau-feutre couvrait ses cheveux noir de jais.
Ce qui le choqua le plus fut son apparence physique : il n’avait pas dix-sept ans… mais plutôt trente !

Sa main droite vint effleurer sa joue et en cet instant précis, il remarqua la chevalière ornant son
index. Elle était en argent agrémenté de pierres précieuses : des saphirs. Le tout formait un étrange
symbole… une fleur ? Un Lys ?

— La vanité n’est-elle pas un péché, Gabriel ? susurra une voix masculine dans son dos.

James ?

James était aussi dans cet étrange rêve !

Il était habillé d’un smoking noir, dont les pans de la veste courte partaient en pointe. Sa chemise
ainsi que son nœud papillon étaient d’un blanc éclatant.

L’Anglais paraissait également plus âgé. Manifestement, que Gabriel le dévisage de la sorte parut
lui plaire, car son sourire moqueur s’adoucit brusquement.

— Laisse-moi aussi te regarder… cela fait tellement longtemps, murmura Longwood en le


dévorant des yeux.

Ses cheveux blond pâle étaient plaqués en arrière, la brillantine utilisée en assombrissait la teinte,
mais dégageait son front lisse.

— Qu’est-ce que… commença Ginto en jetant un bref regard circulaire.

— J’ai été invité par notre illustre hôte, tout comme toi, je suppose.

Gabriel haussa un sourcil interrogateur. Il se demandait bien qui était l’hôte en question.

Soudain, l’Anglais alla ouvrir la porte se situant près du miroir dans lequel Ginto avait observé
son visage. D’un mouvement du menton, une expression amusée sur ses traits, il invita le boxeur à le
suivre à l’intérieur.

C’était apparemment un bureau décoré, à outrance, avec des objets d’art plutôt clinquants. Le
propriétaire possédait des goûts assez douteux… tout avait l’air cher, mais visuellement, ce n’était
pas une véritable réussite et encore moins flatteur pour son sens artistique.

Gabriel toucha de l’index le tissu bordeaux d’un sofa se trouvant sous un énorme tableau
représentant une partie de chasse au cor.

Il n’eut pas le temps d’éviter l’attaque de James qui le plaqua sur le minuscule canapé brodé et
ancien en 1920. Une paume à plat près de sa tête alors que l’autre agrippait le dossier du meuble,
Longwood était quasiment allongé sur lui. D’ailleurs, il inclina davantage son visage afin de plonger
son regard dans celui du Français.

— N’est-ce pas ce que l’on nomme le destin, Gabe ? À chaque réincarnation, nous nous retrouvons
encore et toujours dans cette situation. Nous avons beau subir une terrible punition, autant toi que
moi, cela ne nous empêche nullement de céder à notre passion… Je t’entraîne avec délectation dans
la luxure et tu me rends dépendant de ton corps, de ton odeur… de la saveur de ta peau, de la douceur
de tes lèvres et d’autres endroits, tout aussi, sinon plus, savoureux de ton être. Je te damne, mais tu
me rends la politesse au centuple en faisant de moi le terrible symbole que je suis, esclave du héros
de Dieu.

Tétanisé par l’éclat dangereux et fascinant des prunelles arctiques de James, mais également par
ses propos soufflés d’une voix basse, presque rauque, Gabriel ne songea pas une seconde à le
repousser.

— Je ne comprends rien à ce que tu racontes, murmura-t-il, la bouche sèche.

L’Anglais plissa les paupières, puis sa lèvre supérieure s’incurva en un sourire clairement
prédateur.

— Ta mémoire te jouerait-elle à nouveau de vilains tours ? Ou essaies-tu de me pousser au vice ?


Depuis le temps, tu devrais savoir que je n’ai absolument pas besoin qu’on m’encourage pour ce
genre de choses… non ? Ne joue pas avec mes nerfs, Gabriel. Tu n’as pas idée à quel point ton corps
m’a manqué. T’ai-je également manqué, Gab’ ?

Longwood susurra la dernière phrase à l’oreille du Français puis saisit délicatement le lobe entre
ses dents pour le mordiller et le lécher, tour à tour.

Sous la caresse, du feu se mit subitement à couler dans les veines de Ginto. Les yeux écarquillés, il
retint inconsciemment sa respiration.

— James ! s’étrangla-t-il au bout de quelques secondes, au bord de l’asphyxie.

Gabriel se débattit violemment en sentant que l’une des mains de l’Anglais cherchait à défaire sa
veste. Longwood lui saisit brutalement les poignets pour les placer au-dessus de sa tête. Si le regard
du boxeur devait lancer des éclairs, les prunelles de James, assombries par le désir, n’étaient pas en
reste question flamboiement.

— Ne sous-estime pas ma faim de toi, Gabriel, gronda ce dernier.

Sous l’impulsion de la colère, provoquée par la réponse sauvage de son corps au contact de celui
de James, le Français parvint à repousser Longwood et celui-ci tomba à terre. Leurs torses à tous
deux se soulevaient à un rythme effréné alors qu’ils se fixaient intensément. Ginto se leva, les jambes
flageolantes, avec l’intention de regagner la porte, mais fut brutalement projeté contre le mur par une
force invisible.

Cette dernière le maintenait immobile, les bras en croix.

Le frère cadet de Nathan lança une œillade interloquée à James qui n’avait pas bougé d’un cil.
L’Anglais éclata d’un rire mauvais avant de se relever doucement pour s’approcher de lui, le plus
près possible.
— Comment tu arrives à faire ça ? s’exclama Gabriel, paniqué, en tentant de décoller, en vain, ses
mains du mur.

Mais James l’ignora, il semblait hors de lui.

— Pourquoi ! hurla-t-il en serrant rageusement les poings. Pourquoi faut-il que tu luttes
systématiquement ! Pourquoi me rejettes-tu !

Longwood posa son front au niveau de la clavicule de Ginto, il courbait légèrement le dos, les
doigts accrochés à la veste du Français.

— Je ne le supporte plus. À chaque renaissance, à chaque vie… tu nous fais subir cela. Te
posséder, te perdre… encore, encore et encore. Parce que tu n’y vois que corruption… péché,
disgrâce… Je maudis ton amour pour Lui, je maudis la culpabilité que tu éprouves, je maudis ton
sens du devoir et ta dévotion envers ce Tout-Puissant. Je renie plus que jamais son existence !

Gabriel baissa son visage pour contempler les cheveux blonds de Longwood. Plusieurs mèches se
rebellaient de leur prison de brillantine. Son menton parvenait presque à les effleurer.

L’Anglais avait les épaules secouées par une espèce de sanglot silencieux.

— James… débuta le Français, hésitant. Je ne sais pas de quoi tu parles…

Quelque part, la détresse de la version adulte de l’étudiant le touchait bien plus qu’il n’aurait
voulu se l’avouer.

Ce rêve était vraiment perturbant !

Soudain, James s’écarta et le frère de Nathan put constater qu’il n’avait versé aucune larme,
bizarrement, ce fait eut davantage d’impact sur ses émotions qu’un visage baigné de pleurs.
Longwood recula d’un pas et commença à défaire les boutons de sa veste. Ginto paniqua en
réessayant de décoller son corps du pan de mur contre lequel il se retrouvait cloué de manière
totalement surnaturelle.

L’Anglais ne parut pas apitoyé par ses efforts pour se libérer. Un sourire avide sur ses lèvres
pleines, il s’attela au veston puis à la chemise du boxeur. Une fois sa tâche achevée, il écarta au
maximum les vêtements afin de dévorer des yeux les pectoraux enfin dévoilés.

De l’index, il suivit la ligne épurée de sa clavicule. Son prisonnier ne put réprimer le frisson que
ce contact provoqua. Longwood remarqua sa réaction, il leva son regard afin de le plonger dans celui
de Ginto. Dans ses prunelles azurées brillait toute l’intensité de son désir et cela leur conférait un
éclat hypnotique.

James vint se lover contre lui, et, même s’il restait légèrement plus petit en taille, cela n’empêcha
pas ses hanches de s’emboîter aux siennes. L’Anglais écarta aussi les bras afin d’apposer ses paumes
sur celle de Gabriel puis nicha son visage dans le cou de ce dernier.

— Ton odeur m’enivre… commença-t-il d’une voix ténue avant d’effleurer la peau sensible située
sous la mâchoire. Sais-tu que je pourrais la reconnaître parmi un millier d’effluves ? Son arôme me
fait tourner la tête.

James rit doucement en prononçant la dernière phrase.

— Détache-moi, lui demanda fermement le boxeur.

Longwood lui donna un rapide coup de langue sur sa pomme d’Adam.

— Je refuse. Je te veux et tu m’appartiens.

— James… gronda le Français.

Mais ce dernier ne l’écoutait plus, trop occupé à câliner de sa langue chaque centimètre
d’épiderme. Il descendait avec une lenteur insoutenable le long de la gorge de Gabriel. Celui-ci se
mordit la lèvre inférieure tout en fermant les paupières avec force. Il se refusait à émettre le moindre
gémissement qui aurait pu encourager son assaillant.

Longwood prolongea la torture jusqu’à ce que sa bouche happe le téton gauche de Ginto tandis que
ses paumes effleuraient les côtes du boxeur.

— Arrête ça… le supplia-t-il d’une voix éraillée.

Pour toute réponse, James lécha avec application le bout de chair érigé et crispé plusieurs fois
d’affilée. Gabriel sentait l’excitation le consumer de son feu impitoyable. Son sexe durcissait
davantage à chaque seconde, à chaque délicate torture buccale de James sur son mamelon. Cela lui
rendait le port de ses sous-vêtements, quels qu’ils fussent, gênant et désagréable.

Dans un cri féroce, Ginto arriva à décoller ses bras du mur, gagnant sa liberté millimètre par
millimètre, luttant contre des liens invisibles. Finalement, il réussit par s’écrouler entraînant
Longwood dans sa chute. Une passion insensée faisait vibrer chaque cellule de son corps, mais cela
n’était en rien comparable à l’horrible douleur qui lui labourait désormais le dos au point de lui
donner la nausée. Le Français, les yeux perdus dans le regard azuré de James, percevait un liquide
chaud qui commençait à imbiber sa chemise, mais aussi sa veste.

Que lui arrivait-il ?

— Gabriel, souffla Longwood, les prunelles rivées aux siennes.

Puis ce dernier ramena entre leurs deux visages ses propres mains, maculées de sang.

Son sang.
Ce liquide chaud qu’il sentait… c’était son sang. Était-il blessé ?

— Ça recommence, murmura James.

Le frère de Nathan n’eut pas le temps de rétorquer quoi que ce soit que ses yeux s’ouvraient déjà
sur sa chambre, au manoir.

Il était réveillé puis constata, horrifié et mortifié, qu’il empoignait fermement son sexe en érection.
Gabriel retira vivement ses doigts, comprenant qu’à cause de cet étrange rêve, il en était arrivé à se
masturber durant son sommeil.

Les ténèbres régnaient déjà en maîtresses absolues dans la pièce.

Ginto fixa le plafond durant un long moment, perdu et désorienté. Ce songe lui avait semblé bien
trop réel. Il avait le parfum du souvenir. Souvenir de quoi ?

Les secondes s’égrenaient dans un silence total et l’adolescent se mit à se remémorer les
délicieuses caresses de James. Son excitation revint au galop, enflant un peu plus son entrejambe déjà
raide pourtant. Le boxeur jura entre ses dents tout en baissant davantage son pantalon puis, les
paupières closes, commença à se donner du plaisir. Il laissa son esprit revivre mentalement l’épisode
concret de la buanderie, pour divaguer ensuite sur le fantasme chimérique où la langue vorace de
Longwood avait léché son torse. Ginto chavira complètement en imaginant les lèvres de James sur
son gland. Quel effet cela pouvait-il procurer d’être pris de cette façon par « lui » ? Ou… d’entrer en
lui… de goûter la chaleur de son corps… Pendant que les vagues de plaisir l’emportaient déjà sur les
rivages de l’orgasme, il n’eut pas conscience de prononcer le prénom de l’Anglais, entre deux râles.

La porte s’ouvrit brusquement et, dans un sursaut de lucidité, Gabriel se tourna à l’opposé, la main
encore sur son organe palpitant.

Le cœur battant la chamade, les yeux écarquillés, il savait d’instinct qui venait d’entrer dans la
pièce. Gabriel grimaça, puis ferma brièvement les yeux en percevant un poids qui fit grincer le
sommier du lit. Même s’il s’obligeait à demeurer complètement immobile, il ne parvenait pas à
feindre réellement le sommeil… son cœur pulsait anormalement vite, au point où il entendait presque
chaque martèlement se répercuter jusque dans ses tympans. Un corps vint se presser contre le sien,
avant qu’un souffle tiède n’effleure son oreille :

— Tu m’as appelé ? chuchota une voix sirupeuse qu’il reconnut immédiatement.

Le Français décida de rester muet. Son esprit ne fonctionnait plus, comme si un brouillard d’un
blanc laiteux avait enveloppé intégralement son cerveau.

Il y eut un bruissement de draps puis Gabriel sentit l’une des paumes de James frôler ses fesses,
comme s’il en dessinait la courbe rebondie.

— Je me demande bien… ce qui te tient éveillé si tardivement, poursuivit-il en laissant glisser ses
doigts près de l’entrejambe de Ginto. Oh… I found it{14}, dit-il ensuite.

Le sourire de Longwood était plus que perceptible dans l’intonation de la dernière phrase.

Gabriel se statufia complètement quand la main de James se superposa à la sienne, encore autour
de sa verge et toujours au summum de son excitation.

— Tu veux que je t’aide ? Est-ce la raison pour laquelle tu m’as appelé de façon si… pressante ?
susurra l’Anglais. Dis-le. Je veux l’entendre de ta bouche.

— No… ahaaa ! gémit le frère de Nathan.

James commençait à effectuer de longs va-et-vient et sa paume était si douce… le boxeur ôta la
sienne afin de laisser toute la « place » à Longwood. Il était vaincu d’avance.

Cette reddition sans combat provoqua un rire de gorge chez son visiteur nocturne. Gabriel trouva
ce son atrocement sensuel ; une musique chaude capable d’embraser ses sens.

— Dis-le, Gabriel… Dis-le ou j’arrête immédiatement pour retourner dans ma chambre, le


menaça-t-il, un brin cruel.

Ginto saisit brusquement le poignet de James afin de l’obliger à continuer sa caresse. Il le serra
fortement, presque désespéré à l’idée que Longwood retire sa main de son sexe brûlant.

— Oui… souffla-t-il.

— Oui, quoi ? insista le lycéen, avec une certaine avidité grondante dans la voix.

— Je veux que tu me… que tu…

— Si c’est trop difficile…

— NON ! Non… reste.

Le français inspira profondément :

— Je veux que tu me branles… James, avoua-t-il dans un murmure brisé.

Voilà.

C’était dit et, bizarrement, Ginto en fut soulagé.

Longwood se positionna aussitôt au-dessus de lui, ce qui l’obligea à se tourner sur le dos. Même si
la pièce était seulement éclairée d’une pâle lueur lunaire, l’adolescent distinguait les traits de son
visage. L’expression à la fois sérieuse et satisfaite de James exprimait un plaisir malsain de le tenir
en son pouvoir.
— Tes désirs sont des ordres, Gabriel, murmura l’Anglais d’un ton caressant.

Ses doigts se refermèrent sur le membre frissonnant puis imprimèrent les seuls mouvements
capables d’apaiser la douleur quasi physique que ressentait Ginto, et ce, jusque dans le creux de ses
reins.

Il suffit d’une poignée de secondes pour que sa raison bascule : après avoir planté âprement ses
ongles dans les draps, déjà moites de sueur, le boxeur prit le visage de James en coupe et le força à
s’approcher. Lorsque leurs bouches s’effleurèrent, dans un grognement sourd, Gabriel l’embrassa
fougueusement. Il était brutal et sa langue explorait celle de son amant avec une bestialité qu’il ne
contenait plus. Un son plus animal qu’humain vrombissait depuis son torse, remontant même le long
de son œsophage pour venir mourir dans la bouche de Longwood. Leurs salives s’entremêlaient,
passant de l’un à l’autre tandis que leur baiser s’approfondissait. James ne cessait pas pour autant de
prodiguer son attention voluptueuse sur l’entrejambe du Français tout en savourant le goût de Gabriel.

Ce dernier perdait pied, dévasté par la puissance phénoménale de son désir. Ce désir qu’il avait
de Longwood. Jamais il ne s’était cru capable d’une telle ardeur.

L’Anglais portait un pyjama en pure soie aussi bleu que ses yeux. Le frère de Nathan délaissa son
visage pour glisser ses mains sous la chemise. C’est fébrile qu’il partît à la conquête du corps de
James. Ses doigts lui apparaissaient rugueux au contact soyeux de la peau du lycéen. Le vêtement
entravait son besoin de le toucher et l’adolescent éprouva une sorte de fureur, aux limites de la haine,
pour ce haut boutonné jusqu’au col. Alors que Longwood détachait ses lèvres des siennes afin de
pouvoir reprendre un peu sa respiration, Ginto en profita pour déchirer la chemise, faisant sauter tous
les boutons d’un seul geste.

James le dévisagea brièvement, interdit.

L’excitation sexuelle chez le Français ressemblait à un volcan entrant subitement en éruption sans
que rien ne puisse le stopper.

Loin de l’effrayer, cette découverte l’émerveillait, et il se mit à masturber Gabriel avec encore
plus de vigueur pendant que celui-ci pressait ses paumes sur ses côtes.

La bouche entrouverte, les paupières baissées, James contemplait Ginto. Ce dernier appuyait
désormais une main sur sa nuque tandis que l’autre cherchait à s’aventurer sous le bas de son pyjama.
La mine fiévreuse du boxeur prouvait à elle seule qu’il n’était pas dans son état normal, mais
entièrement dominé par ses pulsions et cela plaisait énormément à Longwood.

L’Anglais poussa un faible gémissement lorsque Gabriel s’évertua à lui rendre la caresse.

Sous l’assaut libertin de la main large et calleuse, James eut des difficultés à maintenir sa position
au-dessus de lui.

— Oh my angel… my sweet angel, don’t stop, please. Yes… yes, like that.{15}
Sa voix chavirée, entrecoupée de soupirs, excitait le frère de Nathan au point qu’il crut jouir juste
en l’entendant révéler son plaisir. Cette inflexion chancelante qu’il utilisait pour bredouiller, dans sa
langue maternelle, avait le don extraordinaire de faire courir plus vite le sang dans ses veines.

Brusquement, Gabriel inversa leur position de manière à ce que Longwood soit sous lui. Ce ne fut
que quand ses doigts, qui avaient lâché son sexe, s’agrippèrent à l’élastique du pantalon de son
pyjama, que le lycéen comprit ce que le boxeur avait en tête. Cela le fit sourire. Un sourire empreint
de joie voluptueuse, mais également effrayant de noirceur lascive.

Ginto le débarrassa impatiemment de son pantalon pour le jeter au loin dans la chambre. Il écarta
sans ménagement les jambes de James, qui se laissa faire presque en ronronnant.

— Je veux te prendre, annonça le frère de Nathan en plantant son regard dans le sien.

Son intonation était si lourde de désir qu’il s’exprimait d’une voix hachée.

L’étudiant ne put réprimer un cri plaintif lorsque Gabriel le pénétra. Même s’il était horriblement
excité, sans préparation ou lubrifiant, la douleur se fit instantanément ressentir. L’adolescent se figea,
puis lui jeta un regard interrogateur, légèrement troublé.

— Je suis désolé… je ne suis peut-être pas… doué… avec un mec, bégaya le boxeur.

James humecta ses lèvres et lui sourit.

— Je t’appartiens, chuchota-t-il en guise de réponse. For the eternity.

Ébranlé par les paroles de son amant, l’adolescent recommença à se mouvoir. Il eut sur-le-champ
le souffle coupé par le plaisir que lui offrait le corps de Longwood. Ce dernier se contractait autour
de son membre et cela décuplait sa jouissance à l’infini.

Ils émirent rapidement des râles qu’ils étouffèrent à peine. L’Anglais murmurait des mots sans
suite, parfois en latin, parfois dans la langue de Shakespeare. Gabriel, lui, gémissait longuement pour
venir embrasser régulièrement son amant, le menant inéluctablement encore et toujours plus loin vers
le sommet de l’ultime orgasme.

Soudain, quelqu’un frappa à la porte et le couple s’immobilisa, le temps d’échanger un regard


incertain, voilé de luxure. Que faire ?

— Oui ? lança Ginto en réitérant ses va-et-vient sensuels.

Il n’arrivait pas à s’en empêcher. Le monde aurait pu s’écrouler, le lit prendre feu : James agissait
sur lui telle une drogue puissante.

— C’est Nathan… tout va bien ? J’ai entendu du bruit et…

Gabriel plongea sa langue dans la bouche de Longwood et la fit virevolter autour de celle du
lycéen pour finalement reculer suffisamment son visage afin de répondre à son frère :

— Ça va… j’ai… fait un cauchemar mais je vais… je vais… me recoucher.

Un petit silence où flottait l’arôme de la suspicion de la part de l’aîné des Ginto s’instaura. Après
ce qui sembla une éternité à son cadet, il lâcha :

— Okay. Bonne nuit, Gabe.

— Bonne…

Longwood, dans un acte frôlant le sadisme, accompagna le mouvement des hanches de Gabriel qui
défaillit aussitôt sous l’orgasme, incapable de terminer sa phrase.

— Gabe ? l’interpella Nathan, de l’inquiétude dans la voix.

— Bonne nuit ! cria l’adolescent comme s’il lui hurlait de dégager pour de bon.

Il avait atteint la jouissance et se répandait à l’intérieur de James. Ce dernier, quant à lui, avait la
tête renversée vers l’arrière et paraissait pousser un long cri silencieux.
Chapitre 5

- De ton cœur -

Lorsque Gabriel se réveilla, il ne réagit pas immédiatement. Allongé sur le ventre, les bras sous
les coussins, il frotta tout d’abord son visage sur le drap-housse recouvrant le matelas, tout en
poussant une sorte de grognement sourd.

Puis, il réalisa subitement ce qui s’était passé cette nuit, entre James et lui. Comme si cette pensée
venait de lui brûler l’esprit, il se redressa vivement pour constater que l’Anglais n’était plus dans le
lit.

Par réflexe, il jeta un coup d’œil circulaire et découvrit Longwood assis dans le fauteuil face à lui.
Il était vêtu d’un peignoir en soie rouge sombre, noué de façon négligée, ce qui laissait entrevoir une
bonne partie de son torse glabre. Sa jambe droite, posée sur le bras du siège, était également visible.
Pour porter un tel vêtement… était-il retourné dans sa propre chambre durant la nuit ?

Les yeux du boxeur remontèrent vers le visage de James, puis il nota que le lycéen fumait une
cigarette. Il n’aurait jamais cru que son amant issu de bonne famille puisse s’adonner à ce genre
d’addiction. C’était le fond de son taille-crayon, en forme de canette de soda, qui lui servait de
cendrier. L’étudiant inspira une longue bouffée tout en observant Gabriel entre ses cils, puis exhala
lentement la fumée bleutée.

— Good morning, murmura Longwood en écrasant le mégot avec application.

Ginto se racla la gorge. Il éprouvait de la gêne et ne savait plus quelle attitude adopter face au fils
des employeurs de son frère.
— Sa… lut.

James esquissa un sourire narquois. Il connaissait très bien la raison pour laquelle le petit Français
paraissait brusquement intimidé. Il noua son regard au sien.

— Bien dormi ? s’enquit-il avec nonchalance, sans bouger de son fauteuil.

Le boxeur se contenta d’opiner, puis se gratta les pectoraux sans souffrir réellement d’une
quelconque démangeaison.

Gabriel fuyait les prunelles à la teinte glaciale tandis que celles-ci le scrutaient attentivement.

— J’organise une garden-party, cet après-midi. J’aimerais beaucoup que tu y viennes… afin de
faire connaissance avec mes amis.

Le Français secoua négativement la tête tout en repoussant le drap qui cachait sa nudité jusqu’aux
hanches.

— Je ne… je ne suis pas à l’aise avec ce genre de… trucs, tenta-t-il d’expliquer en quittant le lit.

Il se dévoilait entièrement au regard de James. Même s’il feignait le contraire, Gabriel avait une
conscience aigüe de l’attention de l’Anglais rivée sur lui. Comme s’il arrivait à sentir physiquement
la caresse de son regard aux endroits où il le posait.

— Trucs ? répéta James, de l’incompréhension dans la voix.

Ginto ne se souvenait pas d’avoir ôté son pantalon, ni le reste de ses vêtements d’ailleurs… mais
la preuve était là : il ne portait même plus son caleçon ! L’adolescent s’accroupit pour se mettre à
fouiller parmi les habits jonchant le sol de sa chambre, à la recherche de son sous-vêtement.

— Les soirées de bourgeois… ces trucs, grommela-t-il.

Il finit par retrouver son bien et s’empressa de l’enfiler. Être nu devant James lui apparaissait
comme une très mauvaise idée… surtout tant qu’il n’aurait pas mis au clair ce qui se passait entre eux
deux.

De nouveau debout, Gabriel fit glisser nerveusement ses doigts dans l’épaisseur de ses cheveux en
bataille.

— Est-ce que… est-ce que toi et moi… commença-t-il, hésitant.

Leurs regards se croisèrent dès qu’il pivota la tête afin de l’affronter ouvertement.

Longwood haussait un sourcil moqueur, savourant visiblement la situation et les difficultés


qu’éprouvait Ginto pour exprimer distinctement ce qu’il souhaitait aborder.
Le Français prit une longue inspiration, surtout pour calmer son agitation intérieure.

— Cette nuit, nous avons… toi et moi, nous sommes un couple ou un truc dans le genre ? lâcha
Gabriel, nerveux.

— Truc ? répéta encore James, mais en souriant cette fois-ci.

Ce fut l’instant que ce dernier choisit pour se lever du siège qu’il occupait. Sans prendre la peine
de réajuster son peignoir, il croisa les bras sur son torse tout en dévisageant le frère de Nathan.

— Well... we are very away to be a couple. One night at to fuck is not enough for stick the label,
isn't it ? Even if the idea that you fuck with another guy already puts me in a state of fury
unnamed{16}.

Ginto devina immédiatement que James ne se rendait pas même compte qu’il s’exprimait dans sa
langue maternelle. Était-il possible qu’il soit, lui aussi, troublé par cette question ?

— James… ? fit doucement le boxeur.

— What ? I said something wrong{17} ? s’énerva Longwood.

Le Français fit de son mieux pour camoufler son envie de rire, mais face à l’air perplexe et agacé
de James, il eut toutes les peines du monde à y parvenir

— Je n’ai pas saisi un seul mot de ton discours, commenta Gabriel en tentant toujours de garder
son sérieux.

Quand son interlocuteur réalisa sa bévue, il porta l’une de ses mains à son visage pour s’en couvrir
la bouche.

— Holy shit{18}, souffla-t-il, ensuite contre sa paume.

L’adolescent éclata franchement de rire et en fut soulagé ; cette réaction inattendue de la part James
avait au moins réussi à dégeler l’atmosphère bizarre.

Lorsque le jeune boxeur remarqua la rougeur qui envahissait les joues de Longwood, son rire
mourut rapidement sur ses lèvres. Une telle expression de gêne sur le visage de l’effrayant James ne
faisait qu’étayer sa théorie selon laquelle, pour la première fois depuis qu’ils s’étaient rencontrés,
l’anglais avait perdu son sang-froid. Cet aspect de sa personnalité réveilla son désir ; l’identifiable
tension précédant la sensation de décharge électrique, prémices de son excitation sexuelle.
L’ambiance devint oppressante, chargée… d’érotisme ?

Surtout parce que Gabriel ne riait plus, mais fixait Longwood avec intensité.

Le Français ne parvenait pas à démêler ses émotions, tout ce qu’il savait, c’est que James
possédait un pouvoir indéniable sur lui. Difficile de le nier alors que cet impact grandissait d’heure
en heure, voire à chaque minute. Ginto avait conscience, même si l’admettre s’avérait difficile, que
seul l’étudiant de Holy Cross réussissait à le tenter. Jamais le frère de Nathan n’avait fantasmé sur
les hommes auparavant. Mais depuis que sa route avait croisé celle de James, un étrange lien s’était
créé, à l’instar d’une puissante attirance physique.

Longwood plissa les paupières, puis laissa tomber son bras le long du corps. Sans prononcer un
seul mot, Gabriel s’avança vers lui pendant que l’Anglais reculait jusqu’à ce que son dos rencontre le
mur, près de la porte.

Ginto plaça ses mains à plat de chaque côté de la tête blonde, et ce, sans le quitter des yeux.

L’un et l’autre se scrutèrent longuement, dans un silence tendu.

— Sommes-nous un couple, James ? demanda le boxeur d’une voix enrouée.

— What do you mea… que veux-tu dire ? se reprit-il après une courte inspiration.

Pour toute réponse, Gabriel le contempla avant d’incliner son visage et de l’embrasser. James ne
se fit pas prier pour entrouvrir ses lèvres et accueillir la langue chaude, humide, délectable, de Ginto.
Dans un gémissement plaintif et heureux, il noua ses bras autour du cou du boxeur qui pressa aussitôt
son corps contre le sien. Les mains du Français abandonnèrent le mur pour se faufiler sous le fin tissu
du vêtement que portait James.

Ses cuisses, ses hanches pour s’arrêter sur les fesses rondes et fermes du cavalier. Soudain, il
interrompit abruptement leur baiser, l’air interloqué.

Perdu, Longwood ne comprit pas tout de suite, mais quand il sentit Gabriel tâter plus brutalement
son postérieur, il repoussa maladroitement les doigts aventureux.

— C’est… c’est quoi ?! s’étrangla le boxeur.

— Damn, Gabriel… Je monte à cheval depuis l’âge de trois ans, marmonna l’Anglais en fuyant
son regard. C’est… usual{19} que la peau se soit endurcie à cet endroit à cause de la selle… Wha…
what are you doing, now ?! Gabriel ! That’s enough !{20}

Intrigué, Ginto s’était accroupi et cherchait à regarder d’un peu plus près les petites plaques de
peau dure.

Longwood, pour sa part, tentait de le repousser fermement, l’air visiblement contrarié.

— Que se passe-t-il, ici ? gronda une voix implacable.

Les deux adolescents tournèrent simultanément la tête en direction de la porte. Nathan se tenait sur
le seuil, une expression de fureur sur le visage.
***

Nathan regarda son petit frère se relever, arborant une mimique fermée. De celle qui signifiait
qu’il ne tirerait rien de lui. L’aîné des Ginto ancra ses prunelles à celle de son élève. Celui-ci
affichait une nonchalance glaciale et la lueur, brusquement mauvaise, au fond de ses yeux aurait dû le
faire hésiter, mais Nathan était trop en colère. Il n’était pas idiot et avait parfaitement saisi ce qui
s’était déroulé dans cette pièce durant la nuit.

— James... I can know that you doing in the bedroom of my brother ? Especially in this
outfit ?!{21} demanda-t-il d’un ton sec et agressif.

— It’s not your business, mister Ginto{22}, rétorqua froidement le jeune homme à la chevelure
blonde.

— Ça vous dérangerait de discuter en français afin que je puisse suivre la conversation ?


grommela le boxeur dans une tentative pour s’immiscer dans l’échange.

— This is my little brother, of course it's my business !{23} s’énerva Nathan, les doigts crispés sur
la poignée de porte.

Un sourire effroyable se dessina sur la bouche de Longwood. Son regard s’assombrit brutalement.

— Right... you're right, that's your brother, but... this is my lover and we had a very hot night
together, satisfied ?{24} sussura James, hargneux. He fucked me while you were behind the door. He
has enjoys in me and... I liked this, should I you describe the scene with more of details ?{25}

— Quoi ! rugit littéralement l’aîné des Ginto avant de saisir le fils de ses employeurs par le col.

Ce dernier se laissa faire sans se départir de son sourire impassible, mais empreint d’hostilité.

Gabriel intervint en les séparant avec force, puis instinctivement, se plaça entre son frère et
James… dans le but de protéger Longwood.

— Mais qu’est-ce que tu fous ! cria l’adolescent, hors de lui. Tu vas cogner le fils de tes patrons !
Qu’est-ce qui te prend ?

Nathan pointa un index rageur dans sa direction, le visage rouge de fureur.

— Il affirme avoir… avoir… avec toi, cette nuit ! Dis-moi immédiatement la vérité ! s’égosilla
Nathan.

L’expression de Gabriel se figea dans le marbre, mais il ne détourna pas le regard. Son long
silence fut plus équivoque qu’un simple aveu et son frère en tituba sous le choc.

— Mais… mais tu n’as jamais eu… ce genre de relation… bredouilla-t-il, subitement très pâle.

— James… est-ce que tu pourrais nous laisser, s’il te plaît ? dit finalement l’adolescent sans
lâcher son frère du regard.

Après plusieurs secondes, ce dernier le dépassa tout en renouant la ceinture de son peignoir, puis
il s’arrêta au niveau de son professeur, lui jeta une œillade assassine pour marmonner un mot que le
Français ne comprit pas. L’instant suivant, le plus âgé des Ginto tomba sur le sol et vint se cogner
violemment la tête contre le mur.

Une moue jubilatoire étira le coin de la bouche de James avant qu’il ne sorte de la pièce en
ricanant.

Stupéfait, Gabriel n’osa faire le lien entre la chute de son frère et le mot murmuré par Longwood.
Dans un premier temps, il se précipita pour aider Nathan à se relever, afin de le conduire jusqu’au lit
où il put s’asseoir. Légèrement sonné, son frère se massait doucement le crâne.

— Je n’arrive pas à le croire… gémit-il, de la douleur dans la voix. Tu… toi, tu ne peux pas être
gay !

— C’est si terrible ? l’interrogea Gabriel en s’installant à ses côtés, sur le matelas aux draps
défaits.

Sans même tourner la tête dans sa direction, le boxeur aperçut l’expression scandalisée de son
aîné.

— Je n’ai rien contre ces gens-là… mais tu es mon petit frère… Ça me donne le sentiment… cette
situation… comme si on abusait de toi !

Un fou rire secoua l’adolescent : il se souvenait parfaitement de ses ébats avec James… et si l’un
avait abusé de l’autre, ce n’était certainement pas l’Anglais !

— Et tu te permets d’en rire ? s’étrangla Nathan, au bord de l’apoplexie.

Gabriel s’essuya le coin des yeux, là où des larmes perlaient à ses cils bruns.

— Tu n’as rien à craindre. C’est… une relation… consentie.

Au vu de l’océan de trouble dans lequel il se débattait, c’était la meilleure explication qu’il puisse
fournir à son frère aîné.

— Il m’attire… je sais, ça paraît dingue. Je n’ai jamais maté ne serait-ce qu’un porno avec deux
mecs dans le même pieu… et pourtant… j’ai juste à le toucher… non, pire, j’ai seulement à poser
mes yeux sur lui et la seule idée qui m’obsède, c’est de le faire mien. Je comprends que cela puisse
t’effrayer… Parfois, James me fait également peur. Ou peut-être, est-ce ce que j’éprouve pour lui qui
me terrifie ? Je n’en sais foutre rien ! C’est incontrôlable, comme si on allumait un feu dans mon
estomac et qu’il se répandait dans tout le reste de mon corps… C’est… c’est, putain, c’est flippant !
sanglota Gabriel tout en se cachant le visage dans ses mains.

Nathan le fixa, interdit, se sentant complètement impuissant. Puis il leva lentement ses doigts,
hésita durant une poignée de secondes, pour finalement les poser sur l’épaule de son cadet en signe
de réconfort.

D’un geste tremblant, le boxeur se frotta les yeux du dos de la main afin de chasser l’eau qui s’y
trouvait.

— Ça va aller. J’essaie… j’ai essayé de lutter… enfin, non, pas vraiment. Mais c’est également
nouveau pour moi, figure-toi ! Cependant, je… je veux le vivre. Il… il m’attire énormément.

Le fils aîné des Ginto, désemparé, resta un long moment silencieux à scruter son petit frère.

— Je vois. Seulement… seulement, Gabriel, ne me demande pas d’accepter votre… votre relation,
c’est au-dessus de mes forces.

L’adolescent opina sans le regarder directement.

— Je comprends, fit-il d’une voix faible.

Nathan se racla la gorge avant de se relever, puis frictionna ses paumes moites sur le tissu rugueux
de son jean.

— Le chauffeur s’est blessé à la main…

— Il va bien ?

— Oui, oui… par contre, il ne peut pas nettoyer la voiture ce week-end… tu crois que tu pourrais
le faire pour lui ?

Gabriel se redressa à son tour tout en reniflant bruyamment.

— Pas de problème, accepta le boxeur.

— Bien, marmonna son frère en hochant brièvement la tête. Merci, Gabe… et…

Il laissa sa phrase en suspens pour venir étreindre son cadet l’instant suivant. Gabriel lui rendit
l’accolade affectueuse.

***
Une casquette portée visière vers l’arrière, un débardeur blanc, troué sur le devant et un vieux jean
usé, pieds nus, Gabriel déroula le long tuyau qui lui permettrait de nettoyer l’immense et luxueux
véhicule des Longwood. Une fois l’arrivée d’eau branchée, il se mit à arroser généreusement la
voiture en secouant le pistolet avec des mouvements brusques et répétitifs.

Même si c’était le printemps, la température n’était pas des plus élevées… mais le boxeur n’était
pas du genre frileux et puis, surtout, il refusait de fiche en l’air des vêtements potables.

— Tu es de corvée ? s’enquit une voix moqueuse dans son dos.

James.

Nul besoin de se retourner afin de vérifier.

— Ton chauffeur a le bras dans le plâtre et comme je suis un bon gars… je m’y colle. Tu veux
m’aider ?

En prononçant la dernière phrase, Ginto pivota légèrement en direction de l’Anglais puis, avec un
sourire malicieux, lui envoya un peu d’eau sur ses chaussures brillantes. Celui-ci recula vivement
tout en gardant les mains dans les poches de son pantalon noir. D’ailleurs, Gabriel nota mentalement
que James était entièrement vêtu de noir, chemise comprise. Cela tranchait avec la teinte pâle de ses
cheveux.

Il soupira : peu importait les frusques que Longwood avait sur le dos… il parviendrait
certainement à être séduisant habillé uniquement d’un sac- poubelle.

— Je ne suis pas un adepte du lavage d’automobile… en tant que loisir, rétorqua James, ironique.

Le Français lui tira une nouvelle fois dessus avec le pistolet du tuyau d’arrosage et Longwood
évita gracieusement la gerbe d’eau.

— Je suis extrêmement déçu que votre Altesse ne se joigne pas à moi afin de patauger dans la
mousse et la gadoue.

— Ga… doue ? What is it ?{26}

— De la boue, sir, expliqua l’adolescent en se retenant de rire.

James plissa les yeux, les lèvres pincées.

— You kidding me ? Why…{27} Pourquoi utilises-tu ce ton cérémonieux ? Ai-je l’air du prince
William ?

Pour toute réponse, le boxeur secoua la tête en souriant, puis ôta sa casquette et mouilla
abondamment ses cheveux, trempant son débardeur dans la foulée.

Lorsqu’il regarda à nouveau vers l’Anglais, il constata que celui-ci n’était pas du tout insensible à
sa petite mise en scène. Son air furieux avait vite été remplacé par une autre expression beaucoup
plus avide : la convoitise se lisait nettement dans ses yeux.

— Tu es sûr que tu ne veux pas passer l’après-midi à jouer avec moi au nettoyeur de limousine ?
lança Gabriel en arquant innocemment ses sourcils.

L’hésitation s’afficha sur le visage fin de James.

Ginto éprouva subitement une forme de tendresse envers lui. Il sentait son cœur se gonfler d’une
émotion douce-amère mais confortable… apaisante. Cela ne pouvait être que de la tendresse. Son
désir physique commençait à muer en un sentiment plus profond, surtout depuis sa discussion avec
Nathan… comme s’il avait réalisé quelque chose sans réussir à mettre un nom dessus.

Longwood avança d’un pas, puis son regard se baissa sur ses chaussures qui s’enfonçaient dans la
terre boueuse. L‘hésitation se peignit sur ses traits, comme s‘il se trouvait face à un choix Cornélien.
Le Français l’entendit même marmonner dans la langue de Shakespeare avant de lui lancer un rapide
coup d’œil.

— Pourrais-tu… pourrais-tu te rapprocher ? lui demanda-t-il poliment.

Gabriel s’appuya contre le capot de la voiture puis fit rouler ses muscles des épaules aux
abdominaux. En réaction, son interlocuteur aux boucles blondes s’humecta rapidement les lèvres en
le dévorant des yeux.

— Je n’en ai pas envie… mais si tu veux vraiment me rejoindre, je t’en prie… l’invita Gabriel,
l’inflexion sirupeuse.

Il accompagna sa proposition d’un mouvement du poignet, la main même qui tenait le tuyau.

James lui jeta un regard irrité puis vérifia qu’il n’y avait personne dans la cour intérieure de la
propriété.

Le cadet des Ginto l’observa attentivement. Les traits de son amant ne cessaient de passer d’une
expression à une autre toutes les secondes. Colère, agacement, besoin, contrariété, incertitude, envie.
Une véritable palette émotionnelle faisait un défilé sur son visage. Finalement, il jura entre ses dents,
dans la langue de sa patrie, puis marcha sur le sol détrempé jusqu’à l’adolescent qui ne le lâchait pas
des yeux, à la fois attendri et grave.

Dès qu’il eut enfin réduit toute distance entre eux, James prit son visage en coupe et l’embrassa
avec fougue.

Gabriel prit énormément sur lui pour ne pas simplement abandonner le pistolet et l’entourer de ses
bras. Il voulait tester James. Pour une obscure raison, qu’il ne connaissait pas lui-même, il cherchait
à le faire réagir…

Ce dernier perçut la tentative de self-control de son amant et détacha ses lèvres des siennes pour
fouiller son regard. La mine anormalement sérieuse de Ginto parut le déstabiliser au point où il
vérifia son entrejambe en posant directement sa paume dessus.

— Wow… Oh, ohoo ! s’étrangla le frère de Nathan en repoussant les doigts baladeurs. Si tu
commences à jouer avec… avec « ça », faudra terminer la partie !

Malgré la tension sexuelle crépitant autour d’eux, James ôta lentement sa main en gardant un
étrange mutisme. Ses prunelles polaires scrutaient intensément Gabriel.

— Tu as un souci ? Il s’est passé quelque chose ? l’interrogea le boxeur afin de le pousser à


parler.

— Viens avec moi à cette réception, demanda enfin James.

— Pourquoi ?

Le lycéen détourna les yeux avant de répondre.

— Je ne veux pas y aller seul, avoua-t-il d’une voix ténue.

— Pourquoi ? Explique-toi ! Tu as… tu crains quelque chose ? Quoi ?

James se contenta de coller son front contre le torse de Gabriel puis saisit doucement le bas de son
débardeur, de chaque côté de ses hanches.

— Je veux juste… que tu sois là.

Ginto contempla le sommet du crâne de l’Anglais en éprouvant le fort désir d’en caresser
gentiment les boucles soyeuses.

— D’accord, céda le Français en soupirant. Laisse-moi le temps de m’habiller correctement, mais


ne viens pas te plaindre si je commets une boulette à l’étiquette.

Il y avait comme de la peur dans l’attitude de l’étudiant et cela réveillait son instinct protecteur.

***

— Arrête de me tourner autour, ça me rend encore plus nerveux, grogna Gabriel tout en fermant la
chemise qu’il avait empruntée à son frère.

Il s’était également vêtu de noir, car les autres couleurs n’étaient pas réellement adaptées à ce type
d’évènement, du moins, c’est ce qu’il avait supposé, n’ayant jamais participé à une… « garden
party » avant celle-ci. L’un à côté de l’autre… avaient-ils l’air d’un couple ?

— Il y aura des élèves de Holy Cross, mais aussi… commença James.

L’Anglais s’arrêta pour effacer un faux pli du pantalon que portait Ginto.

— Mais aussi ? répéta le boxeur en le contemplant s’acharner sur le vêtement.

Puis constatant que James frissonnait, il lui saisit brutalement le poignet.

— Tu trembles… pourquoi ? gronda Gabriel.

James fuyait toujours son regard tandis que lui-même ne le quittait pas des yeux. D’un mouvement
brusque, le jeune aristocrate se défit de la prise du Français.

— Je suis seulement un peu anxieux. Il y a une personne que je déteste et une… autre qui me
terrorise, à cette réception.

— Pourquoi organiser ce genre de truc si ça te met dans tous tes états ?

— Truc ? You likes this word, isn’t it ?{28} C’est juste… tu comprendras assez vite…
whatever !{29}

Au moment où le boxeur ouvrait la bouche afin de l’obliger à s’expliquer plus clairement


quelqu’un frappa à la porte.

— Monsieur Longwood… monsieur Ginto ? Êtes-vous prêts ?

C’était Helmont.

— Oui, répondit James en allant ouvrir la porte au domestique pour ensuite le suivre dans le
couloir.

Gabriel demeura quelques secondes immobile dans sa chambre, le regard rivé sur le seuil de la
pièce, puis se décida à sortir également.

Il regardait le dos de son amant, qui l’attendait les mains enfoncées dans les poches de son
pantalon, quand brusquement, la porte claqua violemment derrière lui. Le Français pivota en
direction de cette dernière, le cœur tambourinant dans sa poitrine sous le flux soudain d’adrénaline.

Puis, avec une lenteur causée par la peur qui ankylosait ses membres, il se tourna à nouveau vers
Longwood. Ce dernier n’avait pas bougé d’un iota et il émanait de sa personne quelque chose de
noir, une aura qui lui provoqua la chair de poule.

— James ? l’appela-t-il doucement.

Mais l’Anglais resta silencieux.

— James… c’est toi qui… ? tenta encore le boxeur en désignant la porte de sa chambre.

Les ampoules éclairant le couloir se mirent subitement à grésiller, s’éteignant, s’allumant comme si
elles étaient sur le point de rendre l’âme. Gabriel les contempla, une expression effrayée sur le
visage.

— He’s coming{30}, lâcha l’étudiant de Holy Cross, lugubre.

— He’s… ? Qui… qui arrive ?

Ginto n’eut le temps de faire qu’un pas que le jeune homme blond devant lui s’accroupit pour
s’entourer de ses bras et commencer à se bercer faiblement.

— I don't want do that… I don't want do that… I don’t… I don’t…{31}

L’adolescent se précipita, puis se laissa tomber sur les genoux afin d’être au même niveau que
James.

Ce qu’il découvrit sur son visage lui retourna l’estomac. L’Anglais pleurait des larmes de sang.
Gabriel plaça ses mains en coupe sur ses joues afin de l’obliger à le regarder.

— I don't want do that… Gabriel… help me… help me{32}, murmura Longwood d’une voix brisée
où perçaient des sanglots.

— Qu’est-ce que tu as ? s’alarma le Français en nettoyant la peau maculée de traces rougeâtres de


ses pouces. Dis-moi ! Helmont ! hurla-t-il la seconde suivante. Helmont !

Qui arrive à pleurer du sang ?! C’est impossible ! songea-t-il.

Le jeune serviteur apparut comme par enchantement, la mine anxieuse.

— Oui ?

Le boxeur glissa tant bien que mal ses bras de manière à pouvoir porter James et y parvint après
deux essais infructueux.

— Dis aux invités qu’il se sent trop mal et qu’ils lui pardonnent son absence involontaire,
marmonna Gabriel en reprenant le chemin de sa chambre.

— Mais… c’est qu’il y a… enfin, l’oncle de monsieur Longwood qui…


— Je m’en branle ! La reine d’Angleterre elle-même peut se radiner… je m’en branle ! James
n’est pas en état de jouer les poupées bourgeoises ! Si quelqu’un n’est pas content, envoie-le-moi !
cria Gabriel avant d’entrer dans la pièce et fermer la porte d’un coup de pied.

Effectivement.

L’absence de James Longwood agaça une personne…

Samaël.
Chapitre 6

- De tes ténèbres -

Après avoir déposé Longwood sur son lit et avoir effacé les résidus de sang maculant ses joues,
Gabriel défit plusieurs boutons de sa chemise puis enleva les mocassins également empruntés à
Nathan. Il alla chercher le fauteuil d’où James l’avait observé le matin même, pour le tirer au plus
proche possible du sommier afin de s’y installer, les pieds sur le matelas.

Ginto entrecroisa ses doigts, qui camouflèrent le bas de son visage, tandis que ses yeux scrutaient
la forme de l’Anglais, endormie sous la couverture.

Trop de choses ne tournaient pas rond autour de ce dernier… le boxeur ne parvenait plus à ignorer
les phénomènes qui apparaissaient autour de lui. La question était la suivante : James avait-il
conscience de les déclencher ? Gabriel essaya de visualiser mentalement chaque événement étrange
en se focalisant sur les réactions de son amant.

La réponse était sans appel…

Indubitablement affirmative.

Une désagréable sensation s’insinua brusquement en lui. Elle partait de l’extrémité de ses orteils
pour remonter, glacée, rampante, le long de ses jambes. Des frissons lui dressèrent les poils des
avant-bras et ses prunelles se fixèrent automatiquement sur la porte close de sa chambre.

Quelqu’un arrivait, il en était persuadé.

Chacun de ses muscles se banda comme si son corps se préparait à combattre. Ginto finit même
par entendre les pas lents et feutrés de la personne qui se rapprochait.

Soudain, une douleur fulgurante lui déchira le dos… identique à celle ressentie dans son rêve. Il
tenta de l’occulter afin de pouvoir affronter le danger qu’il pressentait derrière le fragile pan de bois.
Il sentit la menace stopper juste devant ce mince rempart.

Sa respiration devint plus lourde, plus profonde tandis qu’il parvenait presque à percevoir ses
pupilles se dilater.

Son invité surprise, celui qui créait ce déferlement de réactions violentes chez lui, toqua pourtant
doucement à la porte.

Gabriel voulut répondre mais n’y parvint pas : ses cordes vocales refusaient de fonctionner
normalement !

L’individu réitéra calmement les coups signalant sa présence… comme si Ginto avait besoin de
cela pour savoir qu’il était de l’autre côté, peu importait son identité !

Puis, la clenche de la poignée s’agita pour se baisser tout doucement. La pénombre avait déjà
envahi la pièce, mais un filet de lumière artificielle, d’un jaune agressif, filtra quand la porte
s’entrebâilla. Une ombre masculine se découpait dans l’embrasure. Ce type, dont les traits n’étaient
pas encore visibles, à cause du contrejour occasionné par l’éclairage du couloir, devait mesurer dix
bons centimètres de plus que lui.

Une haine viscérale bouillonna dans le sang de l’adolescent. Il ne connaissait pas cet homme, mais
chaque cellule de son corps le détestait au-delà du possible !

— Il y a quelqu’un ? s’enquit l’inconnu en français et d’une voix grave, veloutée.

Gabriel n’arrivait toujours pas à prononcer la moindre parole et l’atroce souffrance qui lui
labourait les omoplates ne cessait de s’amplifier.

Un léger rire sarcastique répondit à son silence, puis l’homme s’adossa au chambranle tout en
croisant les bras sur son torse.

— Gabriel ? insista-t-il.

Il connaît mon prénom ! pensa aussitôt l’adolescent. Comment peut-il le connaître ? Helmont ?
Mon frère ?

— Qui êtes-vous ? l’interrogea Ginto d’un ton quasiment inhumain.

Que m’arrive-t-il ? paniqua le jeune homme

— Le… « Messager » a des pertes de mémoire ? susurra l’ombre. Tes nombreuses incarnations
dans ce tas de viande pensante t’ont rendu amnésique au point où tu ne me reconnais plus ?
En entendant ces mots, Gabriel se leva de son fauteuil. Il ferma les yeux quand un son mouillé lui
parvint. Il devina à l’odeur métallique que du sang s’écoulait de son dos, comme dans son rêve.

Sa vision se troubla un bref instant et il tituba.

L’étranger rit à gorge déployée, toujours dans la même position, alors que le boxeur s’approchait
de lui d’une démarche bancale.

— Regardez comme elle est splendide la Main Gauche de Dieu ! se moqua-t-il. Ce n’est pas joli-
joli à voir… « Celui Qui Ne Ment Pas » ? Ah, quelle tristesse ! Est-ce douloureux, Gabriel ? Cela
fait si longtemps que les « miennes » ont disparu, que j’ai du mal à me rappeler…

L’adolescent tomba, un genou à terre. Sa tête tournait, puis il se mit à hucher sans discontinuer,
l’estomac se tordant dans son abdomen sous les fortes nausées.

Subitement, l’inconnu décolla son épaule dans un mouvement gracieux et souple pour s’avancer
jusqu’à lui. Là, il posa élégamment un genou sur le sol froid de la chambre et saisit le menton du
boxeur entre ses doigts.

Les yeux de Ginto s’écarquillèrent devant la terrible beauté de celui qui lui faisait désormais face,
la figure à quelques misérables centimètres de la sienne.

Des cheveux d’un noir laqué descendaient chatouiller le col de sa chemise rouge, des traits d’une
pureté incroyable et des yeux d’un bleu limpide.

— Fut une époque lointaine où tu avais toi aussi ce visage… Gabriel. Quelle terrible tragédie que
d’être Son jouet cassé… brisé, qui n’a trouvé de réconfort que dans la passion la pire qui soit,
énonça l’étranger avec une expression faussement peinée. Veux-tu que je soulage toute cette douleur ?
– Sa voix baissa de plusieurs octaves. – Veux-tu que je mette fin à ce calvaire qui est devenu tien ?

— Samaël ! s’écria Longwood.

L’adolescent mais également le dénommé Samaël tournèrent la tête vers le jeune Anglais assis
dans le lit.

L’invité au physique éblouissant se releva, abandonna Gabriel, encore prostré sur le carrelage de
la chambre, pour regagner la porte.

— James ? Je te verrai demain, dit-il seulement avant de partir.

Ce dernier rejeta vivement la couverture pour se précipiter vers son amant.

— Gabriel ? Gabriel ? You alright ?{33}

Tout en l’aidant à se remettre sur ses jambes, James toucha par inadvertance la chemise, imbibée
du sang du jeune Français. Il porta ses doigts à la lumière et pâlit en voyant sa main couverte du
liquide rougeâtre.

— What happened ?{34} souffla Longwood, davantage pour lui-même que pour questionner le frère
de Nathan.

En le soutenant du mieux qu’il pouvait, James le conduisit jusqu’à la salle de bain attenante à la
chambre. Là, il appuya sur l’interrupteur et accompagna Gabriel, qui se laissa choir sur le sol, le haut
du corps voûté, étrangement silencieux. Le lycéen décida de défaire le reste des boutons afin d’ôter,
le plus délicatement possible, le vêtement humide de sang.

— Holy shit ! cracha-t-il entre ses dents en découvrant la cause des saignements.

Deux larges blessures, alignées en parallèle, ouvertes jusqu’à l’os, scarifiaient le dos de Ginto
dans le sens de la longueur. Elles remontaient presque au niveau des épaules pour se terminer au bas
de ses reins. Longwood approcha un doigt tremblant de celle de droite, effleura à peine la chair
suintante, puis le porta ensuite à son nez pour en humer la fragrance.

Il reconnut aisément l’odeur. Il savait que son attirance pour ce garçon français débarquant de nulle
part n’était pas anodine !

Un parfum de myrrhe. L’odeur sainte…

— Gabriel… you… s’étrangla l’Anglais en le fixant, choqué. Que t’a dit Samaël ? s’enquit-il
immédiatement après, d’un ton pressant.

Ginto releva la tête et la tourna légèrement, assez pour nouer ses yeux à ceux de James.

— Il a parlé… comme s’il me connaissait… depuis longtemps.

— Vraiment ? murmura James en s’asseyant, lui aussi sur le sol, comme s’il venait brusquement de
perdre l’équilibre.

Le frère cadet de Nathan opina.

— Quelque chose ne va pas avec moi… je ne sais pas ce que c’est… chuchota l’adolescent, d’une
voix éteinte. Je ne l’ai jamais vu et pourtant…

— Pourtant ? l’encouragea James, fébrile.

Gabriel détourna le regard pour se concentrer sur le carrelage blanc, sans réellement le voir.

— Je savais qui il était avant même qu’il n’atteigne la porte. J’ai entendu ses pas, je l’ai… je l’ai
senti dans ma chair… et dès que je me suis retrouvé face à lui… mon dos… mon dos…

Le reste se perdit dans un sanglot étouffé, puis le boxeur cacha son visage dans ses mains.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? Tout d’abord ce rêve… toi… et maintenant, ça… !

L’Anglais resta muet durant un long moment, contemplant son amant dont le sang gouttait sur le
dallage immaculé, dessinant de minuscules taches dont la teinte vive tranchait de manière quasiment
hypnotique.

— Je vais te soigner, annonça-t-il brusquement.

James se releva pour aller fouiller dans une pharmacie accrochée près du lavabo. Il en sortit
plusieurs bandages, des compresses stériles et un antiseptique. L’étudiant s’installa ensuite derrière
Gabriel, puis se mit à verser la solution à même les blessures du jeune Français qui ne tressaillit
même pas.

— Ça va ? s’enquit-il, étonné par le manque de réaction de Ginto.

Ce dernier hocha seulement la tête en guise de réponse. Troublé, Longwood continua les soins,
essuyant avec douceur les pourtours de la chair à vif à l’aide de gazes qu’il imbiba de produit
désinfectant afin de les appliquer directement sur les plaies. Une fois cette tâche terminée, il déballa
les bandes et entreprit de faire le tour du torse de Gabriel. Cette action l’obligea à se contorsionner,
la tête parfois près du dos du boxeur.

Leurs regards se croisèrent, et, l’espace d’une seconde qui sembla durer une éternité, ils ne furent
qu’un seul cœur.

Le lycéen se débrouilla pour faire un nœud afin que le bandage tienne en place.

— Voilà. Tu veux de… How it’s called ?{35} Des antalgiques ?

Soudain, le Français posa ses doigts sur la nuque de James et rapprocha brutalement son visage du
sien.

— Pourquoi te regarder dans les yeux m’est-il aussi pénible ? souffla-t-il. J’ai le sentiment que
cela revient à perdre mon âme.

Longwood ne parla pas immédiatement, scrutant d’abord l’adolescent dont le nez frôlait quasiment
le sien.

— Elle est déjà mienne… alors, quelle importance ? murmura à son tour l’Anglais.

Ils se dévisagèrent un très court instant, puis Gabriel émit un petit rire brisé, comme s’il se moquait
de lui-même.

— Tu as sûrement raison, commenta-t-il avec un étrange sourire amer sur les lèvres.

Dès que Ginto le libéra, James s’écarta légèrement afin de s’asseoir face à lui.
— Tu m’as évoqué un… rêve, right{36} ? Tu pourrais m’en dire plus ? demanda-t-il sur un ton
faussement indifférent.

Le frère de Nathan ne fut pas dupe : ses prunelles sombres se rivèrent aussitôt à celles arctiques du
fils unique des propriétaires de ce manoir. Inquisitrices.

Brusquement, il paraissait plus vieux… bien plus vieux qu’à l’aube de ses dix-huit ans.

— Tu étais dans mon rêve, James. Durant une époque que j’estimerais aux alentours de mille-neuf-
cent-vingt. Nous nous connaissions… nous étions également plus âgés qu’aujourd’hui.

— Et nous faisions quoi, dans ce rêve ? poursuivit Longwood d’un ton froid, limite poli.

— Du sexe, lâcha férocement Gabriel, sans le quitter des yeux.

— Oh. Well… This is not really different…{37}

— En français, s’il te plaît, l’interrompit-il sèchement.

James se racla la gorge, puis esquissa une moue à la fois glaciale et séductrice.

— Ce n’est pas vraiment différent de ce que nous avons fait il y a quelques heures.

— C’était très réaliste.

— Certains rêves érotiques peuvent l’être.

— Très… trop réaliste.

Le frère de Nathan avait appuyé exagérément sur chaque syllabe.

Un long silence s’installa dans la salle de bain. L’un et l’autre se dévisageaient sans céder un
pouce de terrain de ce bras de fer muet.

— Je vais retourner dans ma chambre et… débuta James.

— Non.

— Non ?

Une mimique moqueuse se dessina sur les traits de Longwood tandis que ses yeux prenaient une
teinte plus sombre.

— Je refuse que tu passes la nuit seul avec ce… « Samaël » dans les parages ! D’ailleurs, qui est-
il ? Pourquoi semble-t-il me connaître ? Que dois-je comprendre de ses étranges allusions ?
— Allons nous coucher, proposa James en se relevant. Nous parlerons… de tout ça.

Il tendit une main à Gabriel afin de l’aider. Ce dernier le jaugea pendant quelques secondes avant
d’accepter son assistance. Ce fut en grimaçant que le boxeur se remit sur ses jambes et suivit son
amant, le dos légèrement voûté.

Sans réellement vouloir l’épier, Ginto se retrouva pourtant à contempler le jeune blond à l’allure
élancée et à la musculature nerveuse.

Ce dernier se déshabillait en prenant le temps de plier minutieusement ses affaires. Percevant le


regard insistant du Français sur lui, il tourna doucement la tête vers l’arrière puis haussa un sourcil
narquois.

Qui es-tu ? semblaient demander les yeux de Gabriel et James sourit vaguement à cette
interrogation implicite.

Ses prunelles dévièrent afin de se concentrer sur les boutons de son pantalon qu’il défit
rapidement.

Qui suis-je ? s’interrogea-t-il ensuite en fixant le vêtement qu’il tenait dans une main. Mes
blessures ne sont pas normales… on dirait…

Il se souvint brusquement des paroles de l’invité à l’aura oppressante :

« Regardez comme elle est splendide la main gauche de Dieu ! se moqua-t-il. Ce n’est pas joli-
joli à voir… « Celui Qui Ne Ment Pas » ? Ah, quelle tristesse ! Est-ce douloureux, Gabriel ? Cela
fait si longtemps que les « miennes » ont disparu, que j’ai du mal à me rappeler… »

La main gauche de Dieu… Gabriel… qu’est-ce que Dieu a affaire avec moi ? rumina le jeune
homme. Je ne peux pas être…

Le doute lui serra violemment l’estomac. La réponse était évidente, elle se jouait de son esprit
alors que sa raison refusait de l’admettre. C’était impossible. Tout simplement impossible !

Lorsque Longwood s’installa dans le lit de son amant, celui-ci leva aussitôt le regard dans sa
direction. Il examina la forme de l’Anglais qui s’était déjà faufilé sous la couverture. Cette image le
renvoya méchamment à son cauchemar lors de sa première nuit dans cette demeure. Gabriel
frissonna.

Sa vie était devenue le théâtre suffocant d’évènements bizarres. Et le pire de tout, c’est qu’il se
sentait changer au fur et à mesure que les heures s’égrenaient à la pendule du temps.

Seulement vêtu de son caleçon, tout comme James, il le rejoignit gauchement, gêné de manière
incongrue à l’idée de dormir avec lui. Cela faisait tellement… « couple ». En soi, cela ne le
dérangeait pas, mais ça lui donnait une impression… curieuse.
James était allongé sur le côté, le visage près de l’épaule de Gabriel qui préférait la position sur le
dos, les mains croisées derrière la nuque et les yeux rivés au plafond. Si jamais il commençait à
reluquer les traits fins de Longwood… il ne parviendrait pas à se retenir d’en vouloir « plus ».

— Parle-moi de Samaël. Qui est-il pour toi ? Ton oncle, comme l’a dit Helmont ?

Quand des orteils ne lui appartenant pas taquinèrent les siens, il faillit en tomber du lit, surpris et
décontenancé.

— Pas vraiment. Il fait partie de la famille sans réellement en être. Il n’est pas non plus un ami
proche et pourtant il connaît nos secrets. La dénomination d’oncle est ce qui est le plus facile quand
nous devons le présenter.

Ginto laissa passer un bref silence avant de reprendre son interrogatoire :

— Il s’adresse à moi comme s’il me connaissait depuis des années… pourquoi ?

Ce fut au tour de James de rester muet durant un petit moment avant de se lancer dans une curieuse
histoire :

— Ce ne sont pas mes parents qui m’ont donné mon prénom. C’est… une autre personne.

Gabriel tourna vivement la tête dans sa direction, son cœur battit soudain beaucoup plus
rapidement.

— Samaël ? suggéra-t-il instinctivement, et l’éventualité qu’il ait raison lui déplut profondément.

— Non, souffla Longwood, un sourire dans la voix. C’est quelqu’un d’autre. Quelqu’un de très
important… for me{38}. En fait, le prénom James vient de Jacob et cela signifie : « Que Dieu
favorise ». En l’apprenant, plus tard, j’ai trouvé ce choix plutôt ironique mais à l’origine, c’est un
très beau présent que m’a fait cette personne. Bien avant la naissance du sauveur des chrétiens, le
messager Gabriel aurait combattu toute la nuit un être humain, désigné plus tard comme « patriarche »
de la foi judéo-chrétienne. Cet humain était un certain Jacob, petit-fils d’Abraham. Après cette lutte,
Gabriel lui aurait donné un autre prénom, Israël qui signifie « Celui qui s’est mesuré à Dieu ».
Certains attribuent ce combat au bras droit de Dieu… Mais je sais que c’était le « Messager ».

— C’est… très intéressant… mais pour quelle raison me racontes-tu…

— Tu… es… CE Messager.

Ginto se redressa brutalement pour fixer James, un air abasourdi sur le visage.

— Non ! s’écria-t-il.

Longwood devait certainement lui faire une mauvaise blague !


— Non ! répéta le boxeur en rejetant prestement le dessus-de-lit. Tu te rends compte de ce que tu
me sors comme connerie, là ?! Je ne suis pas un… un… putain d’ange !

L’Anglais se contenta de ne pas bouger ne serait-ce qu’un cil, les prunelles guettant chaque geste
du frère de Nathan.

Ce dernier descendit du matelas pour marcher sans but dans la chambre.

— Si ton histoire contient un pourcentage de vérité… mais, merde ! James ! Cela remonte à… à…

— Seizième siècle avant Jésus-Christ, lâcha succinctement le lycéen.

Gabriel fit volte-face.

— Tu fais plus jeune que ton âge, mec ! ricana l’adolescent.

— Cette anecdote concernant Israël… alias Jacob, date du seizième siècle avant Jésus-Christ.
Mais nous nous sommes rencontrés que plus tard.

— Tu délires… ! murmura Ginto, choqué. C’est impossible ! Nous avons seulement dix-sept ans,
tu te rappelles ?

À son tour, tout en poussant un soupir irrité, James sortit du lit afin de venir se placer face à son
amant. Il croisa les bras sur son torse puis lui jeta une œillade goguenarde.

— Notre essence se réincarne. Une fois que tu as habité un corps de chair, tu gardes ce droit
légitime… d’éternité. Seule ton enveloppe charnelle dépérit et meurt. Ce que beaucoup considèrent
comme l’âme… peu importe le nom qu’on lui donne, en fait, s’incarne… encore et encore. Pour deux
raisons principalement : soit pour terminer la mission que ton être s’est donnée, soit pour s’élever et
se purifier afin d’être digne de gagner le paradis. Toi et moi… sommes très vieux, Gabriel. Je dirais
même plus… TU… ES… très vieux. D’accord, là, tu as le corps athlétique et sexy d’un jeune adulte
de dix-sept ans, mais ton « âme » est plus ancienne que le monde… plutôt cool, isn’t it{39} ?

— Connerie ! s’exclama Gabriel en reculant.

Il se cogna à son bureau et s’agrippa à celui-ci tel un enfant pris en pleine tempête, qui s’accroche
à une bouée de sauvetage.

— Ce sont des conneries… réitéra-t-il, l’inflexion éraillée.

Longwood afficha une expression étrange, à la fois effrayante et fascinante. La clarté de la lune se
reflétait presque dans ses prunelles glacées.

— Si Samaël a réagi ainsi vis-à-vis de ton humble personne… humble personne qui possède ce
patronyme… Tu ne dois pas repousser la vérité. Accepte-la. Ou…
— Ou quoi ?!

Un mince sourire impitoyable étira les lèvres de James, qui, désormais, s’approchait de
l’adolescent.

— Je peux te le prouver, now{40}.

Avant même que Ginto puisse répliquer quoi que ce soit, avant même qu’il puisse réagir,
Longwood le rejoignit en un seul bond pour le saisir à la gorge et le soulever de terre avec une force
surhumaine. L’Anglais tenait Gabriel à bout de bras, les doigts sauvagement plantés dans la peau
fragile de son cou. Une grimace vorace déformait ses traits tandis que ses yeux prenaient une teinte
opaque.

Gabriel battit des pieds pendant que ses mains cherchaient désespérément à se défaire de
l’emprise de son assaillant.

— Tu ne rêves pas, Gabriel. Je pourrais, en cet instant, te briser tel un fétu de paille. Ton pouvoir
est prisonnier de ce carcan humain… EVEILLE-TOI, MESSAGER DE DIEU ! rugit-il d’une voix
sinistre.

Gabriel aurait voulu hurler, mais son larynx, écrasé par la pression des doigts de James, refusait
de fonctionner.

Dans un grognement sourd et animal, Longwood le jeta à terre. Le choc de la rencontre avec le sol
coupa le souffle au boxeur. Son corps fut subitement victime de violentes convulsions et s’agita sur le
carrelage. L’Anglais entra dans son champ de vision alors qu’il subissait cette étrange crise.

Accroupi près de Ginto, la tête penchée au-dessus de la sienne, James continuait de sourire avec
cruauté. Son regard noir d’encre suffit au frère de Nathan pour croire que sa dernière heure venait
d’arriver.

— Oh, Seigneur… éructa Gabriel dans un chuchotement écorché.

Longwood éclata d’un rire mauvais en entendant ces mots, puis replongea ses yeux dans ceux
paniqués du boxeur.

— Il n’est pas ici… Il n’est plus avec toi depuis des siècles. Depuis que tu as sali les doigts de la
Main du Tout-Puissant en faisant jouir mon corps. Ce jour-là… tu avais une tâche bien précise à
accomplir. Tu étais accompagné de Michel, ton ami, ton frère, ton modèle… Quelle était-elle ? Punir
Sodome ? Devant la porte de ce vieux pervers de Loth, votre beauté a attiré les humains telle la
flamme appelant les papillons de nuit… un désir brûlant, irrépressible, dressait leurs sexes, juste en
vous contemplant. Une nuée d’hommes qui salivaient à la seule idée de vous caresser… . Tu
t’apprêtais à les repousser par la grâce de ta force céleste, lorsque ton regard s’est lié au mien, le
sans-nom. Il a suffi d’à peine une seconde pour que ce qui faisait de toi l’être exceptionnel, la
créature au service de Dieu, qui ne vivait que pour exécuter les missions divines, ne vole en éclats.
Alors que je me tenais à l’écart, subjugué, à te dévorer des yeux, alors que Michel venait de
t’interdire de m’adresser ne serait-ce que la parole, tu as franchi la ligne qui te vouait à une
condamnation, la pire d’entre toutes. Cependant, il faut savoir qu’habiter un corps de chair et de sang,
posséder cette enveloppe vous affaiblit, vous rend susceptible de céder aux passions qui n’ont rien
de Christiques, Gabriel. Et cette passion qui nous attache, depuis des centaines de décennies, est
charnelle, physique, incontrôlable… elle t’a déchu comme tant d’autres avant toi. Tu n’as pas à t’en
défendre. Tu me voulais, je te voulais… tout comme tu me veux aujourd’hui, tout comme je te désire
plus que tout. C’est un amour qui survit, qui se réincarne, qui s’obstine à être. Pourtant, tu t’entêtes à
l’oublier, à chaque fois. Tu luttes, avec un désespoir touchant, afin de mieux y succomber pour te
noyer dans mon amour impur, parce que je suis… ce que je suis.

Les yeux écarquillés, la respiration sifflante, Gabriel scrutait James, dont la mimique infernale
s’effaçait peu à peu au profit d’une beaucoup plus tendre et douce.

— Qui es-tu ? réussit-il à demander d’un ton rauque.

Longwood arbora aussitôt une moue amusée.

— It's not fun if I tell you{41}. Découvre-le par toi-même, mon bel ange.
Chapitre 7

- De nos pulsions -

Un rêve. Encore un…

Gabriel ne reconnut pas le paysage semi-désertique qui s’étalait tout autour de lui. Le panorama en
devenait même presque irréel sous les lueurs orangées du soleil couchant.

Son regard se baissa sur son corps et il découvrit avec stupeur porter une sorte de robe, ou toge, en
lin. Il avait également des spartiates aux pieds.

Mais quelle époque était-ce encore ?!

Lorsque ses yeux se levèrent, James se tenait devant lui. Sa peau était plus foncée, ses cheveux
plus longs, mais toujours de ce blond qui parvenait à capter la moindre particule de lumière. Ses
prunelles luisaient étrangement tout en gardant leur teinte arctique. Le cœur de Gabriel se mit à battre
plus rapidement, comme toujours dès que l’Anglais le fixait de cette façon.

Ils restèrent un long moment à se contempler l’un l’autre.

Soudain, le sosie de James…, ou peut-être était-ce tout simplement lui, s’agenouilla avec grâce et
humilité.

L’adolescent se précipita afin de l’inciter à se relever, mais celui qui ressemblait à s’y méprendre
à Longwood résista.

— Ne t’agenouille que devant ton Seigneur, murmura Ginto d’une voix qu’il ne reconnut pas.
Elle avait des sonorités gutturales, et la langue employée n’était certainement pas du français !

Comment parvenait-il à la comprendre et à la parler ?

Ses doigts ancrés dans le bras de James, il perçut le corps de ce dernier s’agiter d’un tremblement.

L’Anglais redressa la tête et leurs regards se nouèrent à nouveau.

Le désir.

La passion à l’état brut.

Gabriel le lâcha puis hoqueta tout en reculant de quelques pas.

— Je n’ai pas de Seigneur, rétorqua-t-il en affichant une mimique attendrie, mais glaciale. Puis-
je…

La gorge sèche, le frère de Nathan déglutit avec beaucoup de difficultés.

— … vous laver les pieds ? termina ce « James » dans un souffle rauque.

Ginto lui répondit par un « non » silencieux, certain que si Longwood le touchait, et peu importait
la partie de son corps… il n’arriverait plus à lutter.

— J’insiste.

— Non. Je ne suis pas ici pour…

James se remit debout pour ensuite s’avancer lentement vers lui. Inconsciemment, le frère de
Nathan chercha la fuite dans le sens opposé.

Il ne connaissait pas ce feu qui le consumait. Non. « Ce » Gabriel n’arrivait pas à mettre un nom
sur ce qui le faisait réagir aussi violemment.

Une énorme pierre lui fit perdre l’équilibre et, sans le vouloir, il se retrouva assis sur elle, le
regard rivé sur James, qui ne cessait sa progression.

Une fois suffisamment près, Longwood prit son visage en coupe dans ses mains pour le scruter
avec intensité.

— Je suis à jamais ébloui par une telle beauté, chuchota-t-il. Vous avez planté ce glaive encore
rouge dans mon pauvre cœur… Gabriel, le Messager.

La salive déserta une nouvelle fois sa bouche.

— Qui es-tu ? demanda l’ange avec une inflexion enrouée.


James sourit. Un sourire empreint de convoitise et de quelque chose de plus suave.

— Celui qui va vous embrasser, mon Seigneur.

Les yeux de Ginto s’écarquillèrent.

Il vivait cette scène sans pouvoir intervenir réellement. Spectateur prisonnier de ce corps. Ce
corps humain qui s’enflammait instantanément.

Sans lui laisser le temps de répliquer, le sosie du lycéen Anglais profita que l’ange entrouvrait ses
lèvres pour fondre sur cette bouche bien trop tentante. Il ne devait pas ; il était censé être son
ennemi… mais il constata qu’il ressentait une sorte d’attraction irrésistible. De celles capables
d’annihiler tout le reste, de le reléguer au rang de détails sans importances importance.

Sa langue s’enroula fiévreusement autour de la sienne, la nourrissant de son désir, l’humectant de


sa propre salive. Ce baiser ne faisait qu’attiser sa faim de lui et le gémissement faible émis par l’être
à la beauté sans pareille possédait le goût enivrant de la capitulation.

Un doux parfum flotta subitement dans l’air. C’était délicieux et sucré. Le « Sans-Nom » ouvrit
doucement les paupières, sans interrompre leur échange fébrile et incandescent.

Pourtant, il faillit le faire de façon brutale en découvrant le spectacle qui se déployait devant ses
yeux ébahis : des ailes immenses, d’un blanc presque trop pur, trop éblouissant !

L’ange détacha lentement ses lèvres des siennes pour se mettre à déposer de légers baisers le long
de sa mâchoire tandis qu’il saisissait ses poignets afin de l’attirer davantage contre lui.

Le « Sans-Nom », les paupières quasiment closes, chaviré par la bouche de Gabriel sur son cou,
tenta de toucher l’une d’elles, l’index désespérément tendu.

Il répétait inlassablement des murmures d’encouragement afin que l’ange poursuive ses
explorations.

Soudain, Le Messager de Dieu le libéra, une expression mélangeant douleur et trouble sur le
visage.

— Je… commença-t-il, l’air perdu.

Le « Sans-Nom » baissa son regard dans la même direction que celui de Gabriel et comprit
immédiatement ce qui perturbait La Main de Dieu : une érection. Probablement la première qu’il
devait vivre dans son corps de chair.

Cela dessina une moue ravie sur son visage sombre.

— GABRIEL ! rugit une voix qui sembla familière à l’ange.


Mais il n’eut pas le loisir de se retourner afin de vérifier qui venait de hurler son nom avec tant de
fureur qu’une atroce douleur lui arracha un cri. Sa vue se brouilla immédiatement et il ne perçut de
son assaillant qu’une vague silhouette floue. La main de son agresseur était, quant à elle, beaucoup
plus visible… des plumes maculées de sang… son sang, en collaient les doigts. Il devina qui venait
de le frapper et avec quelle arme Divine.

Le bel étranger à la peau cuivrée chercha aussitôt à s’interposer, une expression terrible déformait
ses traits. Gabriel avait déjà vu la haine dans les yeux des hommes… mais la personne qui l’avait
caressé avec tant de passion était bien au-delà de cet état.

— Michel… gronda l’être blond, tout en découvrant ses dents dans une grimace venimeuse.

Il fallait qu’il protège cet humain sans défense !

Le Messager de Dieu se releva péniblement, vacillant, sans arriver à discerner autre chose que des
taches colorées.

— Non… murmura-t-il. Ne le touche pas… je te l’interdis.

— Tu me… ?

Un éclat de rire impitoyable termina la phrase du prince des anges.

— Le péché de chair ! Gabriel ! Les êtres parfaits ne doivent pas s’unir aux humains ! Nous avons
déjà perdu trop des nôtres ainsi ! Je te pensais au-dessus de cela, Main de Dieu !

— Je te pensais au-dessus du péché d’orgueil, Michel… comme quoi, nous ne sommes pas
infaillibles, répliqua l’ange, acide.

Il poussait le « Sans-Nom » de la main afin de l’obliger à fuir.

Mais c’était sans compter sur l’instinct divin du chef des armées célestes qui dégaina, depuis
l’invisible, son glaive luminescent de pureté.

— NON ! hurla Gabriel tout en se plaçant aussi rapidement qu’il le put entre le « Sans-Nom » et la
terrible lame.

Du sang lui envahit la bouche tandis qu’il s’effondrait sur le sol aride de ce pays inconnu. Un
silence, aussi lourd qu’un millier d’hommes, s’abattit sur les trois créatures. Michel tomba à genoux,
horrifié par ce qu’il venait de faire. Ses yeux s’emplirent de larmes misérables et il lâcha son épée
souillée du précieux fluide saint.

— Gabriel, souffla l’archange. Gabriel… qu’as-tu fait, mon ami ? Que m’as-tu forcé à commettre ?

La main gauche de Dieu tenta d’esquisser un sourire rassurant et ses doigts effleurèrent la joue de
Michel qui le contemplait, le regard égaré.
— Va… laisse-moi ici. Je panserais mes blessures, mon frère. N’aie nulle inquiétude.

Michel le scruta longuement puis baissa la tête afin de l’embrasser sur le front.

— Reviens-nous, Gabriel, le supplia-t-il d’une voix altérée.

Le chef des anges se redressa pour lever les bras en croix tandis qu’il psalmodiait des mots dans
une langue qui sonnait comme une longue série de cliquetis métallique aux oreilles des êtres humains.
Un halo de lumière blanchâtre et aveuglant l’entoura jusqu’à devenir une sphère. Cette dernière,
brillante étoile, se mit à évoluer doucement à l’horizontale pour partir en direction des cieux à une
vitesse fulgurante.

Il ne restait que le Messager de Dieu et l’étrange jeune homme aux cheveux pâles. Le premier avait
posé ses doigts sur la blessure provoquée par le glaive du chevalier du Tout-Puissant. Ouvrant et
fermant la bouche comme s’il cherchait à respirer à tout prix, les yeux grands ouverts sur le ciel
assombri par la venue de la nuit.

— Approche… s’il te plaît, crachota Gabriel.

Le « Sans-Nom » obtempéra avec empressement. Une souffrance vive lui transperçait le cœur.
Jamais il n’avait cru ressentir un jour une émotion aussi dévastatrice !

Il souleva délicatement, avec mille précautions, la tête de l’ange et glissa son avant-bras sous la
nuque pendant que sa main libre rejoignait les doigts du Messager sur son abdomen.

— Je… te…

La main gauche de Dieu cracha un jet de sang qui salit son menton pour tracer un large sillon le
long de sa gorge.

— Je te baptise Ja… Jacob. Que notre Seigneur favorise ta destinée.

— Je refuse de vous laisser partir, s’étrangla le dénommé Jacob. Vous me reviendrez… vous me
reviendrez… quoiqu’il m’en coûte. Je vous trouverai dans cette vie ou dans la prochaine.

Un faible sourire étira les lèvres ensanglantées de Gabriel qui noua sa main à la sienne.

— Trouve-moi, alors, Jacob. Amène-moi à toi, car si tu le désires assez fort… je serai obligé de
répondre à ton appel. Et si tu ne le fais pas… je viendrai te chercher… Ja… cob.

Sur cette promesse, la vie quitta le regard humain de l’ange et le jeune homme hurla son supplice.

Ses prunelles n’étaient plus que deux puits de ténèbres, dont les larmes noires caressaient ses
joues alors que le corps de la main gauche de Dieu se désagrégeait pour revenir à la poussière.
***

Ginto se réveilla en sursaut, couvert de sueur.

Ce n’était pas un fichu rêve ! Il savait que cela s’était passé… cela s’était forcément passé ! Une
éternité le séparait de cette époque.

Cette certitude lui noua l’estomac, au point qu’il porta vivement sa main à l’endroit même où il
avait été blessé par Michel.

Son regard se porta sur les boucles blondes près de lui. Endormi sur ses bras croisés, James
paraissait si paisible qu’il en devenait angélique.

Angélique…

James n’avait pourtant rien d’un être céleste, pareillement pour les prodiges dont il était capable…
une quintessence ténébreuse émanait du jeune homme. Et lui-même ? Était-il réellement ce
Gabriel-là ?

Les prunelles sombres de Guinto caressèrent chaque mèche folle de James ; de celle qui
s’incurvait gentiment sur son front à celle qui se faufilait dans le col de sa chemise.

Ce fut à cet instant qu’il remarqua que le lycéen était à nouveau vêtu de son uniforme scolaire.

Soudain, comme si ses doigts poussés par une volonté propre se glissèrent avec une extrême
lenteur dans la masse soyeuse de Longwood.

Gabriel se sentit sourire bêtement, il avait conscience de cette grimace idiote qui devait étirer sa
bouche en cet instant.

Puis, aussi promptement qu’elle était apparue, la mimique s’évapora.

Combien de vies avaient-ils vécues au juste ? Combien de drames semblables à cet horrible rêve
avaient-ils affrontés ?

Quand il pressentit le réveil de l’Anglais, Ginto retira vivement ses doigts, gêné. Deux topazes
givrées s’ouvrirent pour le dévisager silencieusement.

— Tu es enfin réveillé, dit-il, après plusieurs secondes de mutisme et en se redressant afin


d’occuper pleinement le fauteuil qu’il avait tiré près du lit.

— Tu as voulu me tuer, rétorqua sobrement l’adolescent.

Gabriel s’était attendu à toute sorte de réactions suite à ce commentaire, mais pas réellement à
celle qui s’ensuivit et qui se répercuta dans toute la pièce, aussi cristalline que le chant d’une rivière.

James porta le dos de sa main droite à la bouche, comme pour camoufler son accès d’hilarité en
minaudant.

Lorsqu’il fut certain de pouvoir se contenir, il la baissa pour la croiser élégamment avec l’autre,
sur ses genoux.

— Non, Gabriel. I have not wanted to kill you. I will never do this of kind thing, my love.
Never{42}.

Puis, comme s’il se rendit compte qu’il venait de s’exprimer dans sa langue maternelle, il reprit en
français :

— Pour rien au monde je ne te ferai du mal. Du moins… pas aussi radicalement, ajouta-t-il avec un
demi-sourire.

Longwood se leva de son siège avec grâce. Tous ses gestes semblaient empreints d’une distinction
que Gabriel associa mentalement à la noblesse. Il pouvait boire un verre d’eau dans une salle de bain
comme d’autres savouraient un thé dans un salon chic et cela le fascinait. Oui, il le reconnaissait :
James Longwood le fascinait autant qu’il l’attirait. Même son côté sombre, quelque peu malfaisant,
exerçait sur lui un attrait impossible à nier.

Ginto avait, pour sa part, le sentiment d’être plus empoté que céleste à ses côtés.

— Je suppose que tu dois être affamé après vingt-quatre heures de jeûne.

Le boxeur écarquilla les yeux de stupeur.

— Quel… quel jour sommes-nous ?

James haussa un sourcil moqueur.

— Lundi.

Il avait dormi une partie de la nuit du samedi jusqu’au… lundi matin ?

— Ton rêve devait se dérouler en deux parties distinctes : l’une très agréable et l’autre…
largement moins. J’ai raison ?

Gabriel perçut quasiment son sang se retirer de son visage et détourna les yeux du regard acéré de
l’Anglais.

Il était mort… on ne pouvait pas faire séquence plus déplaisante que vivre son propre décès… Par
contre son baiser avec James avait été fabuleux.
— Tu es resté ici durant tout ce temps ? s’enquit-il en cherchant ses vêtements du regard.

— Tu n’as pas répondu à ma question, lui rappela Longwood.

— Réponds en premier à la mienne.

— Non. Toi d’abord.

— Oui.

— Oui ?

— À ton tour.

— Oui.

— Oui ? fit Ginto, surpris.

L’idée que James veille sur lui pendant plus d’une journée lui gonflait bizarrement le cœur d’une
émotion aussi chaude que les rayons d’un soleil d’été.

Ce dernier le sonda longuement en plongeant ses yeux dans les siens.

— Ne me regarde pas ainsi, Gabriel.

— Comment ça ?

— Comme si tu avais envie de m’embrasser, « Sweetie{43} ».

Les joues du jeune Français se teintèrent aussitôt de rouge.

— Je ne… je n’ai pas… pensé à… ça.

— Liar{44}, commenta gentiment Longwood en esquissant un demi- sourire.

Gabriel détourna la tête tout en notant mentalement qu’il était passé de « Frightened Boy » à
« Sweetie » et en tira un peu trop de joie à son goût.

***

James n’était pas allé au Lycée et avait décidé de remplacer cette journée perdue par son
entraînement équestre quotidien. Ginto se retrouvait donc, à priori, seul dans la maisonnée. Son frère,
après l’avoir sermonné qu’il ne devait pas s’amuser à sécher l’école, comme par le passé, était
également parti faire quelques achats sans lui préciser leur nature.

Gabriel quitta sa chambre, vêtu d’un survêtement. Au moment où il s’apprêtait à allumer son
lecteur mp3, un cri sourd lui donna la chair de poule.

Il ôta lentement ses écouteurs enfoncés dans ses oreilles tandis que les pulsations de son cœur se
répercutaient jusque dans ses tempes.

Le hurlement ressemblait à celui de son cauchemar lors de sa première nuit au manoir.

Quand ce dernier se répercuta une nouvelle fois contre les murs du couloir de l’étage, Ginto
déglutit difficilement sa salive. Il respirait si vite qu’il frôlait l’hyperventilation.

Tout en s’avançant doucement, ses poings se serrèrent inconsciemment pendant que chaque muscle
de son corps se bandait, prêts à donner des coups.

Le jeune boxeur stoppa devant l’une des portes, la même que celle de son horrible rêve. Il fixa
longuement le pan de bois, désirant fuir, mais inexorablement poussé par une curiosité malsaine de
découvrir ce qui pouvait bien pousser quelqu’un à crier de cette manière…

Sa main vint se poser sur la clenche puis, d’un geste sec, avant que le courage ne le quitte pour de
bon, il ouvrit la porte.

Le spectacle qui l’attendait derrière lui coupa le souffle et agrandit son regard d’effroi.

Helmont, nu, couvert de sang et assis sur le sol. Gabriel remarqua également les étranges liens de
cuir qui l’emprisonnaient du cou aux chevilles.

Choqué, l’adolescent demeura prostré durant plusieurs secondes et ne réagit que lorsque ses yeux
rencontrèrent ceux remplis de larmes du domestique. Un foulard noué scindait sa bouche, l’empêchant
de parler normalement, mais pas de hurler sa douleur. Ce fut comme un électrochoc et le jeune
Français se précipita vers lui afin de le détacher.

Qui avait pu lui faire ça ?!

Les épaules de l’employé de maison étaient secouées par des spasmes et certainement de froid, car
l’endroit était glacial.

Gabriel ne parvenait pas à repérer le lien permettant de le libérer le plus efficacement possible.
Ses doigts tremblaient de fureur et d’horreur.

— Je vais me dépêcher, marmonna-t-il d’une voix éraillée par l’émotion. Juste encore un peu…
tiens encore un peu.

Le boxeur finit par trouver, au bas des reins d’Helmont, une espèce d’attache ressemblant
vaguement à une boucle de ceinture et put enfin défaire l’odieux assemblage.

Dès qu’il fut délivré de ses entraves de cuir, le corps du serviteur des Longwood s’écroula, inerte.
Il venait de s’évanouir.

Gabriel paniqua. Il y avait tant de sang qu’il n’osait même pas le prendre par les épaules. Il lui
tapota doucement les joues avec l’espoir de le réveiller.

— Helmont… Helmont ! Helmont ! Tu m’entends ? Helmont !

L’absence de réponse du domestique l’alarma davantage et sans plus attendre, Gabriel glissa un
bras sous ses genoux et l’autre sous la tête du pauvre lycéen inconscient.

Alors qu’il se tournait afin de sortir de la pièce, Helmont dans les bras, il tomba nez à nez avec
Samaël qui l’observait, nonchalamment adossé au chambranle de la porte, les mains dans les poches
de son pantalon à pinces. Il portait une chemise d’un rouge aussi sanguinolent que le liquide poisseux
recouvrant le malheureux membre du personnel des Longwood. Un sourire moqueur étirait sa bouche
tandis que ses prunelles dardaient sur lui un regard ironique.

— Ce n’est pas beau de voler les jouets des autres, Gabe.

La mâchoire de Gabriel se contracta violemment sous l’afflux soudain de haine dans ses veines et
dans son cœur.

— Dégage, gronda-t-il d’une voix qu’il ne reconnut pas.

Samaël haussa un sourcil.

— Serait-ce un ordre ?

Une force inconnue déferla subitement dans chaque atome du corps de Ginto, une puissance qui lui
parut illimitée et d’une nature complètement étrangère… mais bizarrement familière. Elle exultait de
lui, débordant comme si son être était devenu un verre plein sous le jet furieux d’un robinet ouvert.

— Je ne te le dirai qu’une seule fois, faux frère.

Son inflexion avait pris un ton sourd et menaçant, ce qui dessina une grimace sardonique chez son
interlocuteur.

— Ainsi ta mémoire est revenue… chuchota la créature, indubitablement démoniaque. Ou tout au


moins, un infime fragment. Si je te laisse partir avec mon jouet, j’exige quelque chose en échange…

— Ce n’était pas une proposition, mais un ordre, Samaël.

— Tu n’as jamais fait le poids face à moi. Le seul qui peut se vanter d’arriver à me battre c’est
notre très possessif Michel et comme tu peux le constater… il n’est pas ici. D’ailleurs, il ne risque
pas d’accourir à ta rescousse tant il t’en veut.

Ginto s’enlisait dans un brouillard intérieur où semblaient coexister deux entités bien distinctes :
lui, l’adolescent féru de boxe, et l’autre… l’ange ?

Non ! C’était impossible !

Pourtant…

Lorsque ses bras descendirent le long de son corps, il observa, devant lui, celui d’Helmont en
lévitation, suspendu dans les airs comme par magie.

Comment j’arrive à faire un truc pareil ? pensa-t-il, effrayé et subjugué par ses propres
prouesses.

Samaël se redressa lentement, sans le quitter des yeux, une expression brûlante remplaça
rapidement la moue railleuse qu’il affichait un peu plus tôt.

— Est-ce que les choses vont devenir plus intéressantes ? s’enquit-il, avec une douceur aussi
sucrée qu’empoisonnée.

Pour toute réponse, Gabriel s’approcha de lui tandis qu’un sourire flottait sur ses lèvres. Un
sourire mauvais au parfum de colère.

— Que veux-tu… que veux-tu de moi ?

Quand il estima être assez près, l’ange inclina son visage de manière à plonger son regard dans
celui du pseudo oncle de James et ce dernier se figea légèrement.

— Contrairement à ce que tu crois, frère, tes désirs ont toujours été d’une transparence…
pathétique. Tu penses sincèrement me tromper, moi ? Je suis celui qui te connaît le mieux. Plus que
Michel, plus que toute l’armée céleste réunie… voire mieux que ta dulcinée, Lilith. La jalousie est
ton destrier, mais c’est la passion qui souffle sur les braises de ta convoitise.

Soudain, Gabriel le saisit par la nuque et unit brutalement ses lèvres à celles de Samaël, qui
demeura tétanisé par l’attaque de l’ange. Ce dernier écrasait sa bouche de la sienne avec violence, la
blessant intentionnellement de ses dents dans la foulée.

Une fois la surprise passée, le déchu chercha mollement à se débattre contre son assaillant qui le
bloquait tout en enfonçant ses doigts dans la chair dure de ses bras. Gabriel démontrait une force
incroyable, insoupçonnée jusqu’alors. Et cela plut curieusement à Samaël qui cessa de résister pour
aussitôt céder à une terrifiante tentation. Il répondit furieusement au baiser de l’ange, glissant
langoureusement sa langue dans l’étroit espace offert, cherchant à apaiser une faim désespérée et qui
le dévorait depuis la nuit des temps.
Subitement, Gabriel coupa court à son élan avide et s’écarta avec rudesse, une mimique
impitoyable sur le visage.

Le déchu porta une main tremblante à ses lèvres malmenées et encore gonflées de leur baiser.

— Incestueux grand frère, cracha Gabriel. N’essaie plus jamais de me manipuler.

Samaël émit un petit rire rauque, troublé et amer.

— La main droite et la main gauche de Dieu… différentes et semblables, mais éternellement


rivales. Comment lutter contre ce genre d’attirance ? Je suis démasqué… Depuis quand… depuis
quand le sais-tu ?

L’expression de l’ange s’adoucit un bref instant. Il demeura muet, laissant le déchu dans
l’expectative, se contentant seulement de récupérer Helmont pour le porter définitivement hors de
cette chambre macabre, glaciale, seulement éclairée par des centaines de bougies à la lueur
vacillante. Il passa le seuil, ignorant intentionnellement le regard voilé de désir inassouvi de Samaël.

Gabriel n’avait pas fait quelques pas qu’il chancela et dut s’appuyer contre le mur du couloir afin
de ne pas s’affaler sous le poids de son fardeau.

Il aurait aimé pouvoir trouver une explication rationnelle et logique à ce qui venait de se dérouler
avec « l’oncle » de James, néanmoins, aucune ne paraissait appropriée.

C’était comme s’il avait été possédé ou quelque chose du genre.

Le goût acide de la bile remonta le long de son œsophage pour envahir sa bouche et il ferma
brièvement les yeux afin de se concentrer pour repousser la violente nausée lui contractant l’estomac.

Après une interminable minute, il emmena le domestique dans sa chambre même si ce dernier
réussissait à être toujours dans les vapes.

L’adolescent le déposa dans sa baignoire puis prit soin de régler la température de l’eau sans
éclabousser le jeune serviteur. Il le nettoya précautionneusement, découvrant une multitude de
coupures nettes à chaque fois que l’eau et le savon ôtaient le sang qui commençait à sécher sur
l’épiderme.

La colère l’envahit à nouveau.

Ce Samaël démontrait un niveau de cruauté abominable à torturer ainsi un plus faible que lui !

Dès qu’il eut terminé de soigner les fines plaies, il installa Helmont dans son lit pour aller ensuite
s’asseoir sur le fauteuil qu’affectionnait habituellement James. Gabriel posa un bras en travers de son
abdomen pour installer le coude de l’autre sur le poignet. Un index pensif vint se placer sur ses
lèvres tandis que l’ongle de son pouce frôlait régulièrement son menton, feignant de le gratter.
Son regard contemplait la forme immobile de l’employé des Longwood.

Rien n’était normal dans ce manoir. Il devait se rendre à l’évidence que lui-même ne se comportait
pas comme le Gabriel Ginto qu’il connaissait. Ses réactions, ses rêves… les étranges blessures dans
son dos… les paroles de James ou même de Samaël qui trouvaient singulièrement écho en lui. Les
phénomènes surnaturels foisonnant dans chaque recoin de cette fichue demeure médiévale.

Était-il réellement l’incarnation de l’ange dont il portait le patronyme ?

Oui.

Quelle autre explication pouvait-il y avoir aux récents événements ?

— Pourquoi restes-tu dans le noir ? s’enquit une voix qu’il identifia immédiatement.

— Helmont dort, répondit calmement le Français.

— Helmont ? répéta James, surpris, avant de refermer la porte derrière lui, sans allumer la lampe.

— Hum.

James s’avança dans sa direction sans même jeter un coup d’œil au lit où se reposait la victime de
Samaël.

Grâce à la clarté qu’offrait le soleil couchant, Gabriel put contempler l’Anglais dans sa tenue de
cavalier. Il tenait un casque bombé dans une main et une cravache dans l’autre. La veste sombre, à la
coupe parfaite, lui seyait autant que le pantalon crème moulant et les hautes bottes lustrées.

Le boxeur ne put s’empêcher de sourire bêtement en le fixant.

— T’es classe… commenta-t-il en le suivant des yeux.

James stoppa net pour lui jeter un regard étonné puis il baissa ses prunelles sur lui-même, comme
pour vérifier quelque chose.

— C’est seulement une tenue d’entraînement.

Sous l’accent faussement blasé de Longwood, le boxeur devina aisément que le compliment l’avait
atteint plus qu’il ne voulait le montrer.

— Eh bien… tenue d’entraînement ou pas, tu en jettes. Même si je pense que cela vient davantage
de ta fascinante personne que de tes fringues.

Gabriel en rajoutait sciemment, juste afin de savourer l’effet qu’avaient ses éloges sur le fils des
propriétaires du domaine.
Ce dernier ne fut pas dupe, mais au lieu de se murer dans une attitude maussade, il lui dédia un
éclatant sourire.

— Tenterais-tu d’apaiser mon irritation grandissante de trouver un autre homme dans ton lit ?

— Ça fonctionne ? répliqua le frère de Nathan, du tac au tac.

— Évidemment. Surtout venant de toi.

Ce à quoi Gabriel éclata joyeusement de rire, un brin enjôleur.

James avait ce pouvoir sur lui. Celui de le rendre plus confiant en son potentiel séducteur. Et Ginto
adorait découvrir ce nouveau talent, cette capacité aux sensations pures, douces et enivrantes. Cette
émotion toute neuve qui arrivait à faire vibrer son sang dans ses veines… mais que seul Longwood
parvenait à provoquer par sa seule présence.

Ce dernier alla déposer son casque de cavalier sur le bureau puis défit les deux boutons maintenant
sa veste fermée afin de la retirer pour la laisser tomber sur le dossier de la chaise. Le jeune boxeur le
contempla se rapprocher de lui dans cette tenue le collant telle une seconde peau. Surtout le sous-pull
fin à col roulé qu’il portait. Il nota également que l’étudiant avait gardé la cravache dans sa main et
eut un mauvais pressentiment, étrangement excitant. Remarquant le regard de Gabriel rivé sur celle-
ci, il stoppa afin de l’examiner à son tour puis un demi-sourire incurva la commissure de ses lèvres.

— L’expression sur ton visage raconte de drôles de choses, Gabriel. Have you any dirty
thoughts{45} ?

Le frère de Nathan détacha lentement ses yeux de l’objet que James caressait ostensiblement de
l’index pour les plonger dans ceux du terrible lycéen aux boucles blondes.

— Je ne suis pas très branché sur ce type de jeux… commença le Français, la voix enrouée.

Ce à quoi Longwood éclata de rire.

— Well… I don't really have the intention to making sexual games with... this thing{46}. Mais le
fait que tu l’associes à ça m’indique qu’il y a, subitement, une intéressante possibilité qui s’ouvre à
nous.

Soudain, à une vitesse étourdissante, James chevaucha Gabriel, les genoux coincés entre les
cuisses de l’adolescent et les bras du fauteuil. La mimique taquine de l’Anglais avait disparu,
métamorphosée en quelque chose de plus inquiétant et furieux.

— Je sens son odeur sur toi… gronda-t-il. Que s’est-il passé avec Samaël ?

Ginto essaya de se soustraire aux prunelles perçantes, mais son amant l’en empêcha en enfonçant
méchamment des doigts dans ses joues afin de l’obliger à le regarder.
— Ne me mens pas, Gab'. Il n’y a qu’une seule façon pour que sa pestilence rôde ainsi autour de ta
désirable personne… Un contact direct.

— Ce n’est pas ce que tu crois.

Un son désagréable et grinçant sortit de la bouche de James. Un ricanement aussi corrosif que
l’acide.

— En général, ceux qui nient en utilisant ces mots essaient de cacher leur bêtise. Quelle est-elle ?
Quelle est cette « bêtise » que tu as commise ? Gabe…

Longwood pressa son front contre celui du boxeur, les paupières closes, puis il libéra lentement le
visage de son amant.

— Gabriel… je suis d’une jalousie féroce. Je souffre facilement… ne me blesse pas de la sorte,
s’il te plait, hum ? murmura-t-il, déchiré.

Ne le supportant plus, Ginto lui saisit brutalement la nuque d’une seule main pour ensuite
l’embrasser avec violence. Ce baiser exprimait la douleur d’avoir meurtri les sentiments de James,
mais aussi la passion dévastatrice qui le consumait dès qu’il se retrouvait dans un périmètre trop
proche de l’étudiant. Longwood céda entièrement, consentant et soumis à cette caresse sauvage
qu’exerçait la langue du Français autour de la sienne.

Le frère de Nathan interrompit brusquement leur échange, à bout de souffle. Son torse se soulevait
à un rythme effréné et le désir lui vrillait les reins.

— Je n’étais pas vraiment moi-même quand j’ai… Samaël. Il a le don de faire sortir ce… cet…

— L’ange ? suggéra calmement James en le regardant franchement.

Gabriel opina silencieusement tandis que Longwood le scrutait avec attention. Puis celui-ci poussa
un léger soupir.

L’air se figea autour d’eux, lorsque, n’y tenant plus, Ginto s’agita sur le fauteuil comme si son
corps cherchait un contact plus satisfaisant avec celui du jeune homme au-dessus de lui et dont
l’entrejambe frôlait le sien.

Un sourire carnassier se dessina sur la bouche de James qui devina immédiatement la raison de ce
mouvement de hanches équivoque de la part de son amant.

— T’aurais-je laissé mourir de faim, « Sweetie » ? s’enquit-il d’un ton sucré.

L’adolescent porta aussitôt le dos de sa main contre ses lèvres tout en percevant une chaleur
inhabituelle sur son visage. Il rougissait !

— Je ne… je n’ai… balbutia Gabriel.


Il s’étrangla réellement quand il sentit les doigts de Longwood glisser entre leurs deux sexes
entravés par les vêtements. La paume de l’Anglais se posa délicatement sur la bosse déformant le
pantalon de Ginto.

— En effet, tu es très affamé, susurra James sans le lâcher des yeux pendant que l’adolescent
songeait sérieusement à mourir de honte d’être aussi réactif.

Cependant, ce fut pire lorsque James débuta un massage sensuel, imprimant une succession de
petits gestes rotatifs de sa main sur le membre déjà dur.

— Nous… nous ne som… sommes… pas… seuls ! bégaya Gabriel d’une voix étouffée.

— Et ?

Le frère de Nathan lui jeta une œillade désespérée tout en ravalant difficilement un flot de
gémissements érotiques.

L’Anglais affichait clairement que l’éventualité d’être surpris par Helmont, toujours dans le lit, ne
le gênait nullement. Cela semblait même l’amuser.

— Je t’en prie… le supplia Ginto, le regard implorant.

L’impitoyable tortionnaire vint déposer un doux baiser sur ses lèvres puis s’écarta à peine pour
s’adresser à lui :

— Je meurs de faim aussi, Gabe… je dirais même que je suis tellement affamé que je pense
sérieusement te dévorer sur-le-champ… qu’en penses-tu ? Je peux te croquer ?

— Qu’est-ce que tu…

Le Français n’eut pas le temps de terminer sa phrase que Longwood se laissa glisser pour finir à
genoux entre ses jambes. Il comprit les intentions de James quand celui-ci entreprit de baisser
l’élastique de son bas de jogging. Gabriel paniqua et tenta de le repousser, sans succès

— Non ! Non… James ! Non ! s’exclama Ginto à voix basse tout en jetant un coup d’œil furtif en
direction du domestique encore endormi. Oh… mon Dieu ! suffoqua-t-il ensuite.

L’adonis blond venait de le prendre dans sa bouche. D’ailleurs, en entendant le juron prononcé, ce
dernier manqua de s’étouffer.

— You… toi, tu penses que c’est le moment opportun pour L’appeler ? rit Longwood en relevant la
tête. Whatever{47}…, dit-il après, une grimace narquoise sur le visage. Cela serait peut-être instructif
qu’il constate par lui-même combien mon amour peut te transporter sur des rives que le sien
n’atteindra jamais ?

La seconde suivante, James avait repris ses audacieuses caresses. À chaque coup de langue sur son
gland, Gabriel gémissait dans les paumes moites de ses mains.

Il ne savait pas pour quelle raison il se cachait alors que la pénombre les protégeait plus au moins
d’un hypothétique regard curieux. Il éprouvait pourtant une espèce de gêne qu’il ne comprenait pas
très bien. Le plaisir que lui donnait la bouche, aussi délicate que douce, de Longwood le démolissait
autant que si un typhon l’avait emprisonné dans ses bras.

Au bord de l’orgasme, l’adolescent ne résista pas à l’envie de poser son regard sur Longwood.
Les cheveux pâles du lycéen étaient éclairés par la lueur mélancolique de la lune, déjà présente à
travers les carreaux de la fenêtre. Gabriel chavirait sous les vagues de jouissance que provoquait la
langue experte, et fixer les mouvements de la tête de son amant les rendait encore plus puissantes. Le
Français n’arrivait plus à contenir ses râles, quelques-uns qui ressemblèrent davantage à des plaintes
de supplicié lui échappèrent.

Ses doigts, mus par leur volonté propre, vinrent plonger dans la soyeuse chevelure blonde afin
d’accompagner amoureusement et en rythme la délicieuse caresse que lui prodiguait James. Sa tête se
renversa vers l’arrière, les yeux clos, il dévala, vaincu, le précipice le menant à l’orgasme. Comme
s’il percevait son état, Longwood s’activa avec plus de passion, le prenant totalement dans sa
bouche.

Lorsqu’il sentit qu’il atteignait la dernière ligne droite, ne pouvant plus endiguer la montée de sa
semence, il repoussa violemment la tête de James pour s’incliner vers lui et l’embrasser éperdument.
Ginto lui offrit un baiser déchaîné tandis que son corps était secoué de spasmes incontrôlables, causé
par l’éjaculation.

Ses lèvres se détachèrent lentement, aussi tremblantes et fébriles que le reste de son être. Il aimait
cet inquiétant Anglais. Il l’aimait au point que de simples mots n’étaient pas assez forts ou assez
précis pour décrire ses sentiments. Il n’existait aucune émotion connue en ce bas monde pour
retranscrire fidèlement ce qu’il éprouvait. Il aimait James de cette façon. Chaque molécule de son
corps vibrait en sa présence, son esprit devenait confus et obsédé par un amour irrationnel. Un amour
qui possédait l’odeur et les prunelles d’un bleu glacé de Longwood.

En se redressant doucement, pendant que son amant lui rendait son regard troublé, celui du boxeur
intercepta les yeux d’une autre personne qui les observait en silence : Helmont.

Tout en gardant son attention rivée au domestique qui continuait à les dévisager, Gabriel saisit
James par les épaules afin de le serrer contre son torse. Ce geste possessif avait deux significations :
la première, affirmer clairement ses sentiments envers le fils du propriétaire, mais aussi démontrer
que ce dernier lui appartenait. La seconde, éviter la colère de ce dernier ou d’éventuelles
représailles qu’il ferait subir à Helmont s’il réalisait que le domestique avait joué les voyeurs.
Chapitre 8

- De notre identité -

Le lendemain matin, son frère entra dans sa chambre tandis que Gabriel se préparait pour le Lycée.
Il n’avait même pas pris la peine de frapper comme s’il souhaitait le surprendre en « flagrant délit »
ou peut-être espérait-il secrètement interrompre quelque chose ?

Cette idée fit sourire le plus jeune des Ginto pendant qu’il vérifiait le contenu de son sac à dos.

— Ton rhume… tu te sens mieux ? s’enquit Nathan.

— Mon rhume ? répéta le boxeur sans se retourner.

Du coin de l’œil, il vit son aîné se poster à ses côtés.

— James m’a dit que tu avais attrapé froid, après m’avoir assuré qu’un peu de repos suffirait pour
te rétablir… Désolé de ne pas être venu plus tôt, mais j’ai été tellement occupé avec la présence de
cet invité surprise.

La main de l’adolescent, celle qui s’apprêtait à placer le roman imposé par le professeur
d’anglais, s’arrêta à mi-chemin de la besace.

— Samaël ? fit sobrement Gabriel.

— Tu le connais ? Où l’as-tu vu ? Ses appartements se trouvent à l’autre bout du manoir…

Son petit frère remonta d’un geste sec la fermeture éclair de son sac.
— Il est venu voir James, le soir de son arrivée. Comment ça, l’autre bout du manoir ? ne put-il
s’empêcher de demander ensuite.

Nathan garda le silence quelques secondes avant de se décider à lui répondre.

— Nous sommes dans la partie « amis » de la demeure. Seul le fils de monsieur et madame
Longwood a une chambre de notre côté mais également de l’autre, celle réservée à la famille proche.
Samaël Ferry réside dans cette dernière. Les membres du personnel m’ont pourtant confirmé qu’il
n’avait aucun lien de parenté avec les Longwood et…

Son frère s’arrêta brusquement, ce qui incita son cadet à se tourner vers lui afin de l’interroger du
regard. Nathan détourna les yeux un bref instant, puis passa nerveusement ses doigts dans l’épaisseur
de sa chevelure sombre.

— Je ne sais pas pourquoi… je n’aime pas cet homme. Il se dégage de lui quelque chose qui me
file la nausée, voire pire.

— Une haine viscérale et spontanée, murmura Gabriel.

Le jeune homme sentit davantage le poids du regard de son aîné qu’il ne le vit réellement. Puis,
comme s’il se réveillait brutalement d’un rêve, le boxeur sursauta et lui sourit maladroitement.

— Je… ne l’apprécie pas des masses, c’est tout. Tu nous accompagnes à Holy Cross ? enchaina-t-
il pour changer de sujet.

Celui du fameux « oncle » le mettait mal à l’aise.

Au moment où il amorça un mouvement vers la porte, Nathan l’attrapa par le bras. Gabriel inspira
longuement afin de montrer son agacement, car il se doutait que la discussion qui allait suivre
tournerait autour de James.

Il n’avait pas envie de parler de son amant, surtout avec son frère.

— Ne t’engage pas sur cette voie… oublie-le. Nous pouvons rentrer en France et…

— Arrête ça, tu veux ? cracha l’adolescent en se dégageant brutalement.

Son regard brillait d’une fureur mal contenue, mais une tristesse douloureuse inhabituelle dans
celui de son frère la fit tomber instantanément.

— J’ai un mauvais pressentiment, Gabe, souffla-t-il. Comme si un événement terrible se préparait


dans l’ombre, directement causé par notre entêtement.

Le plus jeune des Ginto préféra rester muet. Lui aussi ressentait cette angoisse inextricable,
présente dans chaque recoin, au-dessus de leur tête, telle une effrayante épée de Damoclès.
— Ne raconte pas de conneries, rien de ce genre ne va arriver ! grommela-t-il soudain, sans
parvenir à être convaincant. J’y vais, ils doivent tous m’attendre à l’heure qu’il est…

— Gabriel ? l’interpella Nathan lorsque son petit frère atteint le seuil de la chambre. Je te prépare
une surprise pour ce soir… rentre tôt.

L’adolescent eut le cœur subitement serré, étouffé par le remords, mais se contenta d’opiner avant
de sortir pour de bon de la pièce.

Quand il surgit dans la cour intérieure, il repéra Helmont près de la grande portière coulissante
donnant sur les luxueux sièges arrière de la limousine. Le domestique se tenait droit, dans une
position aussi rigide que s’il s’était transformé en statue de marbre.

La veille, après les avoir observés, James et lui, dans un moment d’intimité, le jeune serviteur
s’était caché sous les couvertures jusqu’à ce que son maître parte afin de regagner ses propres
appartements.

Puis, en colère, Gabriel s’était approché du lit. Il avait rejeté sèchement les draps et dardé un
regard noir sur Helmont. Ce dernier n’avait pas cillé, pas le moins du monde gêné de s’être fait
prendre « la main dans le sac ».

— Je t’ai sauvé de ce détraqué de Samaël, et c’est de cette façon que tu me remercies ? l’avait
attaqué Ginto, les traits durs.

Helmont s’était rapidement humecté les lèvres pendant que ses yeux avaient dévié afin de ne pas
affronter véritablement le Français.

— Merci… je vous suis sincèrement reconnaissant, mais…

— Mais ?

— Ne vous mêlez plus de mes affaires, monsieur Ginto, termina doucement le membre du
personnel de la maisonnée.

Bouche bée de stupeur, le boxeur n’avait pas répliqué immédiatement et ce ne fut que lorsque
l’employé des Longwood s’était mis à frissonner qu’il avait réalisé que ce dernier était nu comme un
ver. D’un pas rageur, il s’était dirigé vers son armoire, avait choisi un ensemble de jogging puis
l'avait jeté à la face de Helmont.

— Habille-toi et dégage de ma chambre ! cria Gabriel. Si ça te plaît tant que ça de t’amuser aux
jeux glauques de ce cinglé, grand bien te fasse !

Le jeune domestique avait serré les vêtements contre son torse peu musculeux, une expression
désespérée sur le visage.
— Vous ne comprenez pas…

L’adolescent avait éclaté d’un rire grinçant.

— Non, je ne comprends pas ! Comment peut-on se laisser maltraiter de la sorte et refuser une
main secourable ? Au fait, le spectacle t’a plu ? C’était à ton goût ?

Gabriel s’était détourné furieusement de lui tout en se massant le front, perdu et irrité. Alerté par
un sixième sens obscur, il avait pivoté légèrement la tête à nouveau en direction de Helmont, le plus
discrètement possible. Le Français avait alors surpris le jeune majordome en train de humer
l’ensemble de coton, les paupières closes.

Aussitôt, il avait détourné les yeux, ébranlé.

Lui et son frère avaient atterri dans une maison de fous !

— Dépêche-toi de te vêtir et sors d’ici ! avait-il ordonné avec rudesse.

Helmont ne lui avait pas répondu, mais aux sons qui lui parvenaient, il avait deviné que le jeune
Anglais obtempérait et s’habillait enfin !

Ginto croisait les bras sur son torse, patientant, les nerfs à vif. Soudain, il avait senti qu’on lui
encerclait la taille avec force.

— Qu’est-ce que tu… ! avait commençé Gabriel tout en cherchant à se défaire de cette étreinte.

Puis Helmont avait posé son visage contre son dos et le boxeur s’était figé sur-le-champ.

— Je vous prie de bien vouloir excuser mon audace. Mais votre odeur Sainte m’apporte tant de
réconfort… je sais pertinemment que vous n’êtes pas tout à fait vous-même, alors pardonnez-moi. Je
vous en supplie. Je peux entendre votre cœur battre. Tout comme le mien pulse dans ma poitrine.
Vous n’êtes pas revenu pour me sauver, je le sais bien… mais… mais je suis profondément ému que
vous m’ayez secouru. Je vous aime, Vrai Fils de Dieu. Mon amour et ma dévotion sont purs, n’ayez
crainte.

— Je ne sais pas de quoi tu parles, mais tu as intérêt à me lâcher, et vite ! l’avait menacé
l’adolescent d’une voix blanche.

Le serviteur s’était mis à frotter langoureusement sa joue contre le tissu souple du pull de Ginto.

— Vous le savez… au fond de vous, vous le savez.

« Vous le savez… au fond de vous, vous le savez. »

Archange… Celui Qui Ne Ment Pas. Ange. Vrai Fils de Dieu. Messager de Dieu. Main Gauche de
Dieu.
Dieu… qui était-il, au fond ?

Gabriel revint subitement à lui tandis qu’un étrange frisson remontait le long de sa colonne
vertébrale. Par réflexe, il réajusta l’emplacement de son sac à dos dont seule une des anses occupait
son épaule.

Le Français rejoignit le véhicule à pas lents. Ses enjambées souples ne provoquaient quasiment
pas de bruits sur le gravier.

Une fois près de Helmont, celui-ci s’effaça dans la seconde afin que le frère de Nathan puisse
pénétrer à l’intérieur. Son regard rencontra immédiatement celui de James qui avait des écouteurs de
mp3 enfoncés dans les oreilles. Longwood lui sourit narquoisement, mais de la tendresse illuminait
ses prunelles azurées. Et ce fut celles-ci qui déclenchèrent une expression sans nul doute criante
d’amour à son encontre en sus d’une multitude de papillons dansant dans le creux de son ventre.

Gabriel ne voulait pas lutter contre ce qu’il éprouvait pour James. Même si ce dernier était loin
d’être parfait, voire possédait un côté empli de ténèbres. C’était tellement exaltant, ce qu’il ressentait
pour lui, qu’il préférait ignorer, pour l’instant, son aspect sombre et peu reluisant.

Chacun des rêves bizarres était lié à Longwood. Il n’avait aucune raison valable de repousser la
vérité… toutes les vérités, surtout pas après les récents évènements. Il n’était peut-être pas
entièrement un « ange », mais une part de lui se révélait trop inhumaine pour qu’une explication
logique remplace cette possibilité.

Il ne prenait pas cela à la légère, c’était simplement un fait. S’il se mettait à paniquer maintenant :
sa première réaction serait de fuir à toutes jambes hors de ce manoir, ou plus encore : hors
d’Angleterre. N’étant pas très calé question religion chrétienne, ni même religion tout court, il fallait
qu’il se renseigne. Et il pouvait aussi interroger James, restait à savoir si ce dernier lui répondrait
sans mentir ou omettre des détails capitaux. La bibliothèque de Holy Cross lui fournirait certainement
de quoi cogiter sur le sujet…

— Well… Sweetie, tu montes où tu préfères que je vienne te chercher ?

La voix de James le fit sursauter et Gabriel se rendit compte qu’il encombrait encore le passage,
empêchant Helmont de grimper à son tour dans le véhicule. Le jeune boxeur grimaça puis alla
s’installer sur la banquette occupée par Longwood. Celui-ci le fixa silencieusement durant une bonne
minute, puis ôta ses écouteurs avec une lenteur nonchalante. Du coin de l’œil, Ginto nota que ses
lèvres s’incurvaient en une moue à la fois flattée et moqueuse.

Avait-il agi étrangement en prenant place à ses côtés ?

Ses doutes empirèrent lorsque le lycéen Anglais porta un poing à sa bouche afin de masquer un rire
ténu.

— Quoi ? marmonna-t-il, le cœur battant la chamade.


Il ne voulait pas se comporter de manière curieuse ou inhabituelle, et cette crainte accéléra les
pulsations de son palpitant.

Leurs regards se nouèrent et, aussitôt, les paupières de James se plissèrent sous le large sourire
qu’il tentait de camoufler.

— So cute{48} ! pouffa-t-il en détournant les yeux pour à nouveau le scruter la seconde suivante.

— Mais quoi ! s’écria Gabriel, mort de honte.

Pour toute réponse, Longwood se pencha vers lui jusqu’à ce que leurs visages se frôlent.
L’adolescent avait une vue imprenable sur les fenêtres de l’âme de l’Anglais. Il était complètement
hypnotisé par leur teinte froide… parfaite. S’il existait en ce bas monde un peintre capable de faire
honneur à cette couleur atypique, il méritait d’être exposé au Louvre.

James grignota millimètre par millimètre l’infime distance qui parvenait encore à les séparer puis,
au moment où il crut que l’étudiant allait l’embrasser, ce dernier s’inclina de façon à effleurer son
oreille de la bouche.

— Je t’aime, Gabriel Ginto. I love you so much{49}, avoua James dans un souffle tiède.

L’esprit du Français devint blanc tandis que son corps se statufiait. Il ne réussissait plus à réfléchir
ou respirer normalement, sous le choc.

Helmont contemplait la scène tout en arborant une expression indéchiffrable, les mains crispées sur
ses genoux.

***

La matinée en cours s’était relativement bien déroulée pour Gabriel. Suite à l’absence de l’un des
professeurs, une heure creuse avant le déjeuner venait idéalement s’inclure dans son planning de la
journée. Il décida d’investir la bibliothèque de l’établissement tout en sortant le plan des lieux
récupéré lors de son premier jour à Holy Cross.

Le nez dans le document, il ne prêta pas attention à la foule d’élèves chahutant dans le couloir.
Plusieurs d’entre eux le bousculèrent, mais ce fut Ginto qui percuta de plein fouet quelqu’un.

Sous la brutalité du télescopage, l’autre personne tomba au sol.

— Pardon, je… commença l’adolescent, en se précipitant vers l’étudiant afin de l’aider à se


relever.
Ou plutôt « l’étudiante ». Celle-là même qui l’avait fixé d’une manière bizarre quand il s’était
rendu au Lycée avec son frère aîné. La jeune fille aux cheveux et yeux noirs et à l’allure malingre,
même dans son uniforme coûteux.

Ginto garda néanmoins sa main tendue, l’inconnue la scruta longuement avant de l’accepter.

— I’m sorry for{50}…

— Ça va., je parle français, ne va pas te faire du mal ! le coupa-t-elle d’une voix grave, dès
qu’elle fut debout.

Le lycéen demeura un instant silencieux, ne sachant pas trop comment réagir à l’agressivité sous-
jacente qui émanait de son interlocutrice.

Il opta pour se présenter correctement et proposa encore sa main.

— Je m’appelle Gabriel Gin…

— Je sais qui tu es ! l’interrompit-elle une nouvelle fois en ignorant la main tendue. Tout le monde
ici te connaît, crétin !

Alors que l’étudiante s’apprêtait à récupérer son sac à dos pour continuer son chemin, Gabriel la
retint par le bras, confus.

— Je ne pense pas être aussi populaire, tenta-t-il, en esquissant un sourire qui se voulait amical.
Qu’entends-tu par « tout le monde ici te connaît » ?

La jeune fille lui jeta un regard noir, puis ses prunelles obscures se posèrent sur les doigts du jeune
boxeur. Ce dernier les retira vivement.

Là aussi, elle le scruta longuement avec une franchise limite haineuse. Puis, comme si elle venait
de trancher sur une question connue seulement d’elle-même, l’élève poussa un soupir vaincu.

— Urielle.

— Urielle ?

— C’est mon nom, gros débile ! cracha-t-elle.

Ce prénom sembla vaguement familier au frère de Nathan sans parvenir à mettre le doigt sur où et
quand il l’avait entendu.

Soudain, elle croisa les bras sous sa maigre poitrine et désigna du menton le plan qu’il tenait.

— Tu te rends où, exactement ?


— Bibliothèque.

— Pour… ?

— Des recherches. Des recherches sur la religion, précisa-t-il après un court instant.

La jeune fille éclata brusquement d’un rire sonore qui incita plusieurs élèves, curieux, à se tourner
vers eux.

Gabriel se gratta le front, un brin gêné d’attirer l’attention des autres lycéens.

— Tu te fous de moi, Messager de Dieu ? s’exclama Urielle, amusée.

Le Français se statufia en entendant ce surnom. Il perçut même son propre sang se figer dans ses
veines.

— Comment… ?! bredouilla l’étudiant, livide.

— Tss, tss, tss… fit-elle tout en secouant lentement la tête de droite à gauche et sans le quitter des
yeux. Et il n’a pas la moindre idée de l’endroit où il a atterri, l’andouille… Pourquoi fallait-il que ça
tombe sur moi ? Ses voies impénétrables, mon cul, ouais !

Urielle l’agrippa subitement par un bout de sa veste, au niveau de l’épaule, puis l’entraîna
violemment à sa suite.

Cinq minutes plus tard, ils étaient dans l’immense et antique bibliothèque de Holy Cross, dans un
coin, à l’abri des oreilles indiscrètes. Assis l’un en face de l’autre, Gabriel subit longtemps le
mutisme goguenard de la lycéenne avant que celle-ci se décide à le briser.

— Tu ne trouveras rien dans cet endroit qui pourra éclairer le marasme dans lequel tu trouves
actuellement, Gabriel.

— Qui es-tu exactement ?

Le Français se montrait autant, sinon plus, belliqueux qu’elle désormais. En réaction, la jeune
élève fit glisser ses paumes sur la surface lisse et brillante du bureau qui les séparait pour finalement
poser son menton sur les doigts entrelacés. Urielle le dévisageait, à la fois amère et ironique.

— C’est hyper vexant que tu ne te souviennes plus de tes frères. Je sais bien que le dicton chante
que nous ne choisissons pas notre famille, uniquement nos amis… mais quand même !

— Serais-tu en train de prétendre être… mon frère ?!

Ginto faillit s’étrangler sous la montée d’un incroyable fou rire. Cette nana était complètement
folle, oui !
— Qu’est-ce qui te fait autant te marrer, abruti ? Que je te révèle être ton frère ou… parce que je
suis enfermée dans ce corps féminin ? Tu t’es regardé ? Tu penses ressembler au Gabriel que je
connais ? Eh bien, laisse-moi dégonfler la citrouille qui te sert de cervelle : tu ne possèdes pas le
centième de beauté de ton apparence physique d’antan, lèche-botte de mes deux !

— Ce que tu peux être violente… pour un ange, ça craint, non ? fit Gabriel en haussant un sourcil.

Une mimique grimaçante déforma brièvement les traits émaciés de la jeune fille tandis qu’elle se
redressait sur son siège.

— Je suis le « Feu de Dieu », ne t’attends pas à ce que je sois aussi introvertie et polie que
Raphaël. Un autre imbécile dans ton genre… Je ne sais pas ce que Michel vous trouve, ou pire, ce
qui le pousse à te sauver systématiquement depuis des lustres. J’en ai marre d’être scellé dans les
corps de chair de « Ses » enfants. Ras-le-bol, comme si cette fichue guerre éternelle n’était pas assez
épuisante !

Urielle cessa brutalement de débiter ses récriminations et son expression s’adoucit quelque peu.
Ginto était estomaqué par les sautes d’humeur de l’étudiante affirmant être un ange.

— Tu es important pour nous, Gabriel. Ne renonce pas… tu hésites depuis tellement longtemps que
cela nous fait revenir au même point aujourd’hui. Ton choix final n’est jamais le bon, il n’est jamais
totalement tranché d’un côté ou de l’autre. Tu as cette seule erreur au tableau de tes fautes, mon frère,
mais s’Il a pardonné à Samaël, Il te pardonnera également… tu dois juste revenir parmi les tiens.
Mhm ?

Tout en parlant, la lycéenne avait saisi les mains du boxeur dans les siennes. Gabriel la
contemplait, perdu, alors que son cœur se serrait étrangement dans sa poitrine.

— Je… je ne sais pas de quoi tu parles ! Je n’ai pas le moindre souvenir de quoi que ce soit
concernant Dieu… les anges… hormis ce que tout le monde sait. Apparemment, tu cherches à me
convaincre de revenir… mais revenir où ? Je n’ai même pas l’impression d’être parti quelque part !
Tu comprends ?

Urielle demeura muette pendant plusieurs secondes, puis soupira à fendre l’âme tout en libérant ses
doigts.

— Je vois, lâcha-t-elle enfin. Tu as le cerveau en mode bouillie de pois et ta mémoire n’est pas au
meilleur de sa forme. J’imagine qu’au fur et à mesure de tes vies, tu digères mieux de connaître ta
véritable identité, c’est déjà ça de gagné. Je me souviens d’une époque où tu as fini ton existence au
fond d’un cachot, complètement fou.

À ces mots, la stupéfaction et l’incrédulité se peignirent sur le visage de Gabriel.

— Ne me regarde pas ainsi, rétorqua la jeune fille avec irritation. Ce n’était pas de ma faute.
— Tout ceci me dépasse… murmura Ginto.

Pour la énième fois, Urielle soupira bruyamment.

— Tu vis chez celui qui est à l’origine de cet interminable cycle. Il n’y a pas de salut prévu pour
nous, les Vrais Fils de Dieu. L’homme a droit au repentir… c’est un luxe qui nous est inaccessible.
Pourquoi, me diras-tu ? Parce que le péché n’existait pas lors de notre création, or, le péché a été
instillé par l’un des nôtres : Samaël. Mais ce dernier… ce n’est pas le péquin moyen ; nous avons
besoin de lui pour la lutte finale. En ce qui te concerne…

L’adolescent se redressa vivement.

— Attends… Explique-moi pour Samaël.

La lycéenne arqua les sourcils et un éclat intéressé fit luire ses prunelles ténébreuses.

— Tu l’as rencontré ?

Gabriel se contenta de hocher lentement la tête.

— Très bien. Je vais te donner la version simpliste : Samaël a toujours été le bras droit de Dieu.
Mais il est aussi le véritable instigateur du premier péché officiel, celui commis avec Ève, la
seconde femme d’Adam. Beaucoup d’humains le confondent avec Lucifer. Non. Samaël est
l’Aveugle, le Venin de Dieu et Lucifer est le Porteur de Lumière. Il a séduit Ève, mais… mais
également Adam. Parce que Samaël, malgré sa place auprès du Très-Haut, abritait en lui les passions
et les désirs charnels. Il a commis le péché de fornication, tenté Ève. Lucifer est celui qui a défié
Dieu par orgueil avant d’entraîner plusieurs des nôtres dans sa chute.

Urielle leva sa main droite à l’horizontale.

— Samaël a péché par goût de la luxure, séduisant tour à tour Adam et Ève.

Puis la jeune fille leva ensuite la main gauche, au même niveau que la première.

— Lucifer a péché par orgueil, par insoumission, créant une scission parmi les anges en remettant
en cause la légitimité de la hiérarchie en place.

Gabriel déglutit péniblement sa salive.

— Quelle est sa relation avec moi ? Je veux dire, Samaël.

— C’est ton frère. Ton reflet dans le miroir. Vous êtes à la fois terriblement différents et
horriblement similaires. Tu es la Main Gauche, lui… la Droite. Ce qui est la raison principale au fait
que beaucoup chipotent à vous voir déchus pour de bon, malgré vos grosses bêtises… même le Grand
Patron. Et le plus comique dans l’histoire, c’est que votre tentation est également identique : la
passion pour un être de chair. Samaël demeure la seule exception d’un simulacre de repentir… je te
rappelle que c’est un luxe que nous n’avons pas, nous autres. Michel, dans ton cas précis,
t’emprisonne depuis des décennies dans un corps de chair, il s’entête à vouloir te sauver coûte que
coûte. Et Samaël… visiblement, commence déjà à te tourner autour, je peux presque sentir à quel
point il salive à l’idée de t’avoir. En gros… tu es dans un couloir qui ne possède que deux portes…
et à chaque fois que tu prends celle de ta Tentation… retour à la case départ pour tout le monde.
Merci qui ? Merci, Michel, de nous obliger à revivre le même scénario depuis tout ce temps !

C’était incroyable… et ô combien difficile de croire que tout ceci avait une réalité bien palpable.
Gabriel était partagé entre la partie de lui qui adhérait déjà aux propos de l’étudiante le fixant d’un
air grave et celle qui criait que ce n’était que des mensonges bons pour un mauvais film fantastique !

— Si ce que tu me racontes est vrai… que j’ai toujours choisi James…

En entendant le prénom, Urielle émit un grognement à mi-chemin entre le rire sardonique et un son
guttural. Le Français lui dédia un regard glacial et la jeune fille se calma aussitôt.

— Je disais donc, apparemment, j’ai toujours choisi James… James est-il un démon ? Un ange
déchu ? Il a des pouvoirs… qui ne sont pas à prendre à la légère.

Pour la première fois depuis leur rencontre, l’étudiante détourna les yeux, gênée.

— Eh bien ? insista Ginto face à ce soudain mutisme.

— Ce n’est ni un déchu, ni quoi que ce soit de comparable à nous.

— Il m’a dit être très ancien… pas autant que moi, cependant. Je… j’ai fait des rêves étranges où
je le rencontrais à différentes époques, un être humain ne peut pas être présent à tous les moments de
l’histoire du monde !

Urielle s’agita sur son siège, subitement mal à l’aise… ou honteuse ?

Devant sa réaction, l’adolescent comprit, tout devint limpide :

— Tu ne le sais pas, murmura-t-il en esquissant un sourire un brin mauvais. Tu ne sais pas ce qu’il
est ou qui il est.

La lycéenne lui octroya une œillade furibonde.

— Oui ! Là ! Oui ! Je n’ai pas été mis dans le secret ! Content ?! Seul Michel et toi connaissez sa
véritable identité. La seule chose qu’il a bien voulu nous confier, et uniquement aux Archanges
Majeurs, c’est que James œuvrait définitivement pour le mal. Le reste n’est que des suppositions ou
des hypothèses, construites d’après quelques déductions. Je suis toutefois certain qu’il parvient à se
réincarner seul, sans l’aide de quiconque, et ceci afin de te retrouver. Michel t’a enfermé dans un
cercle temporel, mais sans ta propre volonté à revoir ce James, ses efforts auraient été vains. Bref,
vous deux, vous êtes de formidables emmerdeurs !
Gabriel ouvrit la bouche avec la ferme intention de répliquer, mais une sonnerie ressemblant aux
tintements graves d’une cloche annonça l’heure du déjeuner, invitant les élèves à se rendre au
réfectoire.

Urielle bondit de sa chaise, puis attrapa son sac d’un geste rageur.

— J’ai la dalle… on s’casse.

***

À la cafétéria, cet endroit bondé de la très sélective progéniture du gratin de la société anglaise,
James le fuyait. Lorsque, vexé, Ginto l’avait interrogé, pensant que le lycéen avait honte de lui,
Longwood avait souri, non sans une certaine amertume. L’étudiant lui avait expliqué qu’il était
extrêmement populaire parmi les élèves et que s’il ne s’affichait pas avec lui, c’était seulement dans
le but de le protéger de tous ces sots.

Le frère de Nathan avait eu la curieuse impression que James omettait plusieurs informations dans
cet éclaircissement. Mais avec la présence de Urielle, pour une fois, il ne mangerait pas seul.
L’adolescent détestait de plus en plus se tenir éloigné de son amant. Cela le mettait en colère de
façon totalement irrationnelle.

Tandis qu’il choisissait une entrée à l’étal approprié, le Français perçut un picotement, presque
familier, au niveau de la nuque, sensation qu’il éprouvait quand on le fixait avec une attention
poussée. Il releva la tête pour rencontrer immédiatement le regard délicieusement bleuté de James.

Il sut instantanément que ce dernier était furieux et en devina la raison en voyant les prunelles
glacées se poser sur Urielle qui se trouvait juste devant lui.

Quel idiot ! songea-t-il tout en ressentant une forme de joie face à la jalousie évidente de
Longwood.

Ils échangèrent à nouveau un regard, bien plus long cette fois-ci, puis le lycéen de Holy Cross
pinça violemment ses lèvres l’une contre l’autre. Ses tourments créaient une extraordinaire tempête
dans ses yeux.

Gabriel en eut le souffle coupé et l’irrépressible désir d’aller à sa rencontre afin de le serrer dans
ses bras lui vrilla l’estomac.

— Je vais finir par vous ordonner d’aller prendre une chambre au premier motel miteux si vous
continuez à vous bouffer du regard. Je sens que ça me gratte… sûr que je fais une crise d’urticaire
face à tant de guimauve !
Ginto sursauta en entendant la voix acerbe de la jeune fille puis eut le bon goût de paraître un
minimum embarrassé tout en continuant de garnir son plateau.

— Je me prends sa haine de plein fouet… ça me file la gerbe, grommela-t-elle ensuite. Possessif,


le petit… Je me demande s’il a deviné qui j’étais ou si c’est seulement la réaction d’un petit fiancé
jaloux. Allons nous remplir le ventre !

Après avoir passé sa carte d’étudiant à la borne tenue par l’une des restauratrices, il suivit Urielle
jusqu’à une table sous le regard pesant de James qui semblait ne pas perdre une miette de leurs
mouvements.

Alors qu’il allait s’installer de manière à pouvoir, lui aussi, observer l’Anglais, sa nouvelle amie
l’en empêcha en lui prenant le bras. Gabriel lui décocha une œillade interrogatrice à laquelle elle
répondit par un sourire suave.

— Laisse-moi m’amuser un peu, mon frère. Je vais me placer dans la ligne de mire du gosse.

— Je refuse.

Urielle haussa un sourcil pour finalement éclater de rire avant de prendre d’assaut la place qu’elle
convoitait. Ginto lui jeta un regard noir en se mettant face à elle. Il avait le sentiment que les yeux de
James le perforaient entre les omoplates. Il se raidit imperceptiblement, puis s’ordonna mentalement
de ne pas se retourner afin de vérifier l’état de nerfs de son amant

L’adolescent piqua rageusement sa fourchette dans l’innocente laitue qui ornait son entrée pour
l’enfourner et la mâcher avec irritation.

— Ne tire pas cette tronche… on pourrait croire que t’es pas content de ce déjeuner en tête à tête
avec mon irrésistible personne, se moqua l’étudiante avant d’engloutir sa propre salade.

Gabriel la contempla un instant, ébahi de découvrir à quelle vitesse l’ange parvenait à vider les
petites assiettes.

— Tu le mets où tout ça ? Vu ton gabarit, un simple courant d’air suffirait pour t’envoler par la
fenêtre…

La jeune fille s’étouffa avec son énorme bouchée. Ses joues remplies ressemblaient à celles d’un
hamster et ses yeux exorbités exprimaient seulement son envie de rire.

— Gabriel… toi… tu sais parler aux femmes ! éructa l’Archange tout en se tapant la poitrine du
poing afin de faire descendre une partie de la nourriture ingurgitée. Je suis l’Ange du Châtiment…
j’ai besoin de beaucoup de calories à cause de mon métabolisme et… de mon job.

— L’Ange du Châtiment, hein ? Ça consiste en quoi ? À donner des fessées ? plaisanta le Français
avant de se remettre à manger.
Urielle le foudroya de ses prunelles sombres.

Elle a vraiment un caractère instable, pensa aussitôt le frère de Nathan.

— À l’origine, j’étais le gardien de l’Éden, celui dont l’épée de feu détruisait les désirs impurs
d’un seul coup. C’est moi qui ai enterré Adam. Moi qui ai prévenu Noé du Déluge. Tous pensent que
je suis devenu fou, mais je m’en balance !

Au moment où le jeune boxeur allait ouvrir la bouche pour énoncer une nouvelle question, une
tignasse rousse, voire rouge, entra dans son champ de vision. Folley Kent… celui qui lui avait
cherché des noises à la piscine.

L’élève Anglais s’approcha de leur table avec une démarche qu’il voulait décontractée tandis que
ses deux comparses ricanaient comme des hyènes. Puis, d’un geste brutal, il poussa violemment le
plateau de Gabriel. Les assiettes et le verre terminèrent leur course sur le carrelage de la cafétéria
avant que Ginto ne puisse réagir. Puis, comme si cette provocation ne suffisait pas, Kent vida une
briquette de lait sur la tête du frère de Nathan tout en murmurant :

— I hates the french people… really. You’re so arrogant, guys{51}.

Le liquide blanchâtre dégoulina sur le front, mais aussi le visage de Gabriel, il vint même tremper
sa chemise.

L’adolescent resta stoïque le temps que la colère se mette à enflammer ses veines, telle de la lave
en fusion. Un silence de plomb s’était abattu dans tout le réfectoire, aussi lourd qu‘un trente-huit
tonnes. Chaque étudiant avait le regard braqué vers eux, retenant sa respiration dans la crainte qu’un
seul bruit ne provoque un cataclysme.

Gabriel se redressa avec force, renversant sa chaise dans la foulée. Ses yeux se plantèrent dans
ceux de Folley qui cilla légèrement. Le boxeur serra les poings : il voulait frapper ce sale gosse de
riche ! Lui ravager la tête d’uppercuts !

Soudain, le lycéen aux cheveux rouges fut bousculé par… James.

Longwood venait de lui donner un petit coup d’épaule tandis que ses mains demeuraient enfoncées
dans les poches du pantalon de son uniforme scolaire.

Il affichait une expression faussement nonchalante sans même accorder un regard à son amant.

— What’s happen{52} ? s’enquit-il avec flegme.

Kent détourna les yeux, les joues quasiment de la même teinte que sa tignasse.

— No… nothing,{53} James.


Les paupières de ce dernier se plissèrent pendant qu’un rictus froid incurvait sa bouche. Il ne
quittait pas l’autre des yeux.

— Oh. Really ? susurra-t-il. We'll speak of this later, Folley. Now, I have to repair your
nonsense... it's painful{54}.

— So… sorry. I’m so sorry, James. I can{55}… bredouilla le rouquin.

— No ! le coupa sèchement Longwood. It’s my job... I'm your senior, you are under my
responsabilitie, stupid boy{56}.

Puis James se tourna vers Gabriel, un sourire doux comme du miel sur les lèvres, alors que ses
yeux ressemblaient davantage à deux pics à glace.

— Cher camarade, commença-t-il, l’inflexion caressante. Je vous prie de bien vouloir excuser cet
élève pour son manque d’éducation. N’en doutez pas, il sera puni en conséquence. Holy Cross ne
tolère pas ce genre de comportement indigne des valeurs que prône notre établissement. Veuillez me
suivre, je vais vous aider à nettoyer tout cela…

— C’est inutile, lâcha froidement Gabriel.

L’attitude bizarre de Longwood le rendait dingue.

— J’insiste.

La voix de son amant avait baissé de plusieurs octaves, ce qui déclencha une série de frissons le
long de sa colonne vertébrale et réveilla son désir. La tension entre eux électrisa l’air, faisant
quasiment apparaître des étincelles.

James voulait lui parler seul à seul, mais Ginto n’avait pas envie de céder, juste par… jalousie ?
Pourquoi était-il jaloux ?! Folley Kent ?! Impossible !

À contrecœur, le frère de Nathan accepta d’un hochement de tête et suivit Longwood hors du
réfectoire, sous le regard intéressé d’Urielle.

Une fois devant les toilettes réservées aux hommes, James s’effaça afin de laisser passer son
amant. Lorsque Gabriel le frôla à cause de l’étroitesse du passage, il se raidit immédiatement.

Un seul minuscule contact… et ses pensées dérivaient toutes vers le sexe. L’adolescent éprouvait
subitement l’envie de se frapper la tête contre les murs d’être tant sous l’influence de ses sentiments
envers cet adonis aux boucles d’or pâle.

James referma doucement la porte derrière lui puis s’y adossa. Pour Ginto, cela eut une légère
saveur de « déjà-vu ».
— Qui est-ce ? attaqua-t-il immédiatement.

— Qui donc ? fit l’adolescent en déboutonnant sa chemise et en se dirigeant vers l’un des lavabos.

— Cette brindille au teint cadavérique qui te suit partout depuis ce matin.

Tout en fixant son reflet que lui renvoyait le miroir au-dessus de la vasque, le Français retira son
vêtement humide dans un bruissement mouillé.

— Tu m’espionnes ?

Tous les robinets se mirent aussitôt à trembloter comme s’ils allaient recracher de véritables
geysers d’eau. Gabriel recula d’un petit bond, les regarda s’ouvrir brutalement, les yeux écarquillés
de stupeur.

Puis, son regard se détacha de l’étrange spectacle pour venir se poser sur Longwood dont les
prunelles étaient noircies par la fureur.

— Je t’ai dit que j’étais d’une jalousie féroce… cela vaut également pour les donzelles
faméliques ! gronda-t-il.

— Et qu’y a-t-il eu entre toi et ce rouquin ? Vu son comportement, je dirais qu’il n’en a pas après
la pauvre Patty… mais toi ! rétorqua méchamment le Français, bien décidé à ne pas se laisser
impressionner par les « pouvoirs » de son amant, même s’il n’en menait pas large, au fond.

Les fontaines improvisées cessèrent dans la seconde de cracher leurs gerbes d’eau tandis que la
surprise remplaçait la colère sur le visage de Longwood.

— Il… ça remonte à bien trop loin… tu n’as rien à craindre. Crois-moi !

Ginto se détourna de lui, secrètement heureux de sa réaction, et se pencha au-dessus du lavabo


avant d’ouvrir le robinet de ce dernier.

Le frère de Nathan n’était pas naïf au point de croire son amoureux dépourvu de conquêtes, mais le
regard de l’Anglais à cet instant l’avait définitivement convaincu d’être réellement le « seul » dans
son cœur actuellement.

Il rinça abondamment ses cheveux et faillit se cogner la tête au mitigeur en percevant les mains
fraîches de James sur le haut de ses hanches.

— Qu’est-ce que tu… s’étrangla Gabriel en se contorsionnant.

Nullement gêné par les tortillements désespérés, le lycéen Anglais se mit à déposer une pluie de
baisers sur le dos courbé tandis que ses bras encerclaient le jeune boxeur.

— A… arrête ça ! s’écria-t-il d’une voix aigüe en sentant les doigts de Longwood tenter de se
glisser sous sa ceinture.

N’importe qui pouvait entrer dans les toilettes et cette idée le paniquait. Quel genre de problèmes
auraient-ils s’ils se faisaient surprendre dans une situation pareille ?!

L’étudiant de Holy Cross répondit à sa réaction par un gloussement ténu.

— Tu es vraiment sensible, n’est-ce pas ? My sweet love… I’m very lovey-dovey with you… you
know{57} ?

Soudain, James poussa un grognement frustré, car il ne réussissait pas à faufiler sa main dans le
pantalon de son amant. Il parvint tout de même à déboucler la ceinture et défaire deux boutons avant
que Ginto ne s’écarte de lui, manquant de peu se casser la figure sous l’effort que cela lui avait
demandé.

Bras tendu vers l’avant, la paume en direction de son affectueux tortionnaire, comme si ce geste
avait le pouvoir de stopper l’élan séducteur de ce dernier.

— Ce n’est pas l’endroit… ni le moment… bégaya-t-il.

Il voulait à tout prix ignorer le désir, plus que visible, de Longwood, surtout au niveau de
l’entrejambe, et ordonner à ses yeux de regarder partout sauf à cet endroit précis de son anatomie.

Lui-même commençait déjà à souffrir des affres de l’excitation, mais si en plus il focalisait
visuellement son attention sur celle de James : il était complètement fichu !

Au sourire carnassier de son amoureux, il aurait dû se douter que celui-ci n’en resterait pas là.
Pourtant, ses muscles se détendirent brièvement en le voyant appuyer son postérieur sur le rebord en
faïence de la rangée de lavabos. Ce fut un répit de courte durée, l’Anglais défaisait sa ceinture. Son
pouls s’accéléra dans la seconde pendant que son regard s’agrandissait de stupéfaction.

Il n’allait pas vraiment faire ce qu’il supposait ? Si ?!

L’expression interdite de Gabriel élargit instantanément la joyeuse grimace qu’arborait James. Il


éclata franchement de rire lorsque celui-ci émit un son étouffé alors qu’il libérait son membre durci
par le désir.

— Ne fais pas ça ! le supplia ce dernier en se cachant le visage dans sa chemise trempée.

— J’ai terriblement envie de toi, and{58}, je ne peux pas me rendre en classe dans cet état… tu me
refuses un câlin… ai-je d’autres alternatives ? dit James d’une voix douce et taquine.

— Va t’enfermer dans un des WC ! suggéra immédiatement Gabriel, la figure toujours plaquée


contre son vêtement.

— Cela ne serait pas aussi drôle et excitant, rétorqua Longwood, l’inflexion suggestive.
Une poignée de secondes plus tard, ce dernier se fit un devoir de ne pas taire un seul des
gémissements de plaisir que lui provoquaient ses propres caresses.

— Je vais devenir fou, murmura Ginto, au supplice.

Il n’en pouvait plus : il mourait d’envie de regarder, mais savait pertinemment que s’il le faisait…
il ne parviendrait pas à garder ses mains loin du corps de son soupirant.

— Si quelqu’un entre… tu risques… fit-il dans une ultime tentative.

— Personne… ne pourra… répondit l’étudiant dans un faible râle.

Lentement, comme si le moindre mouvement brusque était capable de lui faire perdre le peu de
contrôle qu’il avait sur lui-même, Gabriel baissa, millimètre par millimètre, le fin tissu de sa
chemise. Lorsque la tête penchée vers l’arrière de James lui apparut, son cœur se mit à tambouriner
furieusement.

— Je vais devenir dingue, chuchota-t-il, davantage à son intention que pour le jeune homme blond
qui se masturbait tout près de lui.

Finalement, le vêtement lui échappa des mains et, bouche bée, fasciné, il contempla l’objet de tous
ses désirs, celui qui occupait ses pensées et lui dévorait le cœur. Son regard effleura son visage,
crispé par le plaisir, dessinant un masque à la sensualité redoutable. Ses yeux descendirent plus bas,
beaucoup plus bas, là où les doigts de Longwood imprimaient des va-et-vient incessants.

Son esprit explosa. Un feu d’artifice brûlant dévasta sur-le-champ chaque cellule de son cerveau
pour immédiatement se répercuter dans le reste de son corps. Gabriel ne sut pas comment il parvint à
avancer sans s’étaler de tout son long tant ses jambes tremblaient sous la vive émotion qu’il
ressentait, mais le résultat était là : il avait réussi à rejoindre James. Ce dernier le couva d’un regard
humide et vague qui eut raison de lui, consumant allègrement les vestiges de sa volonté.

Il lui saisit le visage dans la coupe de ses mains et l’Anglais s’immobilisa illico. Leurs yeux se
lièrent durant une interminable minute, se scrutant l’un l’autre au rythme de leurs respirations
désordonnées.

— James, débuta l’adolescent d’une voix enrouée. James Longwood… je ne sais pas si je suis
réellement un ange, je ne sais pas si nous sommes vraiment prisonniers d’une sorte de malédiction…
parce que tout ça semble un peu… surréaliste, mais… il existe une chose dont je suis certain. Une
chose concrète, sûre à deux mille pour cent… Je t’aime. Je t’aime comme un fou. Je perds
complètement les pédales dès que tu es dans les parages et lorsque tu n’y es pas, je deviens encore
plus cinglé… comme si c’était possible, ajouta-t-il plus bas. Que cela soit bien clair : tu es à moi.
Tes yeux, ton nez, ta bouche, ta gorge et tout ce qui se trouve autour m’appartient. Ton cœur est
marqué au fer rouge de mon amour et ton âme est tatouée de mon nom, compris ?
Des larmes envahirent le regard de James puis, tout en essayant de réprimer un sanglot, il opina
doucement, autant que le lui permettait l’emprise de Gabriel.

— Okay… murmura Ginto. Okay. Maintenant que tu le sais, assure-toi que cette porte ne s’ouvre
pas. Mais vraiment pas.

Longwood rit à travers ses larmes.

— Idiot !
Chapitre 9

- De ta rage -

L’adolescent Français n’avait pas vraiment l’esprit au cours de physique. Il se remémorait encore
ce qui s’était passé entre James et lui un peu plus tôt.

Finalement, rien de sexuel ou torride n’était arrivé, Ginto s’était seulement contenté de le prendre
dans ses bras et de lui embrasser tendrement le front. Longwood avait beaucoup pleuré, et ce, durant
plusieurs minutes, le visage posé tout contre son cœur. Il était sûr, voire certain, que les battements
affolés de ce dernier n’avaient pas dû lui échapper.

Gabriel sursauta sur sa chaise en sentant une pointe se planter dans son épaule. Lorsqu’il pivota
afin de lancer une œillade mauvaise à l’élève placé derrière lui, il découvrit la mimique narquoise
d’Urielle.

— C’est pas ton mec qui se promène avec le petit merdeux accro aux produits laitiers, là ?

Le frère de Nathan regarda dans la direction indiquée par l’extrémité du stylo de sa nouvelle amie.
Effectivement, par la fenêtre, il repéra James et Folley. Tous deux semblaient se rendre à une espèce
de hangar, à l’opposé du bâtiment où lui-même se trouvait. C’était l’endroit où Holy Cross
entreposait les vieux bureaux et autres mobiliers scolaires, en attendant de les offrir à des
établissements en difficultés financières.

Un mauvais pressentiment lui tordit l’estomac. Sans même réfléchir davantage, Gabriel sauta de sa
chaise pour se rendre auprès du professeur. Il demanda à quitter le cours, prétextant des douleurs au
ventre, tant bien que mal dans un anglais approximatif. Une fois l’accord obtenu, Ginto ne prit pas le
chemin de l’infirmerie du Lycée, mais celui de la cour.

Il ne craignait pas que James le trompe, non, ce qu’il redoutait avait le goût métallique du sang.
L’adolescent arrivait à deviner ce qui allait se produire s’il n’intervenait pas rapidement parce que
des images apparaissaient subitement dans son esprit : et toutes étaient teintées de rouge.

Le frère de Nathan descendit les nombreux escaliers en sautant plusieurs marches à la fois puis se
rendit au hangar au pas de course. Face à la porte, il essaya de l’ouvrir en secouant la poignée : sans
succès. Le Français recula légèrement et chercha des yeux une autre entrée possible, les battements
de son cœur résonnaient jusque dans ses oreilles.

Finalement, une fenêtre sur le côté de la bâtisse attira son attention. Gabriel retira sa veste afin
d’entourer son poing du vêtement en guise de protection et donna un coup sec dans la vitre. Celle-ci
se brisa immédiatement, ce qui lui permit de passer le bras à l’intérieur et la déverrouiller.

Ginto se laissa tomber sur le sol poussiéreux pour se relever aussitôt puis scruter le lieu qu’il
venait de pénétrer.

Des tas de bureaux et de chaises empilés les uns sur les autres, comme il s’y attendait. Des
tableaux noirs recouverts de draps sales, mais également tout un amoncellement d’autres objets de
nature inconnue.

Soudain, un cri de terreur retentit dans l’entrepôt. L’adolescent s’immobilisa, l’épiderme glacé par
la chair de poule.

— James !

Sa voix avait une tonalité suraigüe par rapport à sa tessiture habituelle.

Tout en jetant des regards inquiets autour de lui, Gabriel s’avança lentement parmi les meubles
abandonnés.

— James ! réitéra-t-il.

Ses pas le menèrent dans un espace moins encombré et lorsque ses yeux se posèrent sur James,
tranquillement adossé contre une sorte de pilier brisé, probablement utilisé en section de théâtre, son
visage crispé jusqu’alors se détendit instantanément.

Longwood tira nonchalamment une bouffée sur sa cigarette, le regard levé vers le plafond. Son
expression affichait un certain amusement, mais il émanait de son être quelque chose d’obscur, de
malfaisant.

Les prunelles de Gabriel quittèrent l’Anglais pour se diriger également sur ce qui semblait
captiver son amant.
La bouche de Ginto s’entrouvrit sans qu’aucun son ne parvienne à en sortir.

Folley Kent était crucifié par les poignets sur une des poutres porteuses du bâtiment tandis que ses
jambes pendaient dans le vide.

— Qu’as-tu fait… murmura Gabriel, horrifié. James… MAIS QU’EST-CE QUE TU AS FAIT !
finit-il par hurler devant la mise en scène macabre.

Le Français se précipita en -dessous des pieds de l’élève punaisé tel un vulgaire insecte singeant
Jésus Christ. Ses yeux fouillèrent l’endroit à la recherche d’une échelle ou tout autre chose
susceptible de lui permettre de grimper assez haut pour décrocher le pauvre garçon.

— Je crois qu’il a compris, lâcha seulement Longwood avant d’expirer bruyamment une volute de
fumée bleutée.

Ginto se tourna vivement vers lui, abasourdi.

— Comprit quoi ? Tu te rends compte de ce que tu lui as fait subir ?! Ce que tu risques s’il
décède ?! Je ne suis même pas sûr qu’il respire encore ! Seigneur… faites qu’il soit vivant, chuchota-
t-il ensuite.

Le sourire de James se figea et ses paupières se plissèrent.

— Tu n’es pas content, il semblerait, commenta-t-il simplement tout en libérant le mégot d’entre
ses doigts afin de l’écraser de la pointe de sa chaussure, non sans une certaine application.

— Content ? CONTENT ! Quel est son crime ? Me renverser du lait sur la tête ?

— Oui, souffla posément Longwood.

— James ! Mais tu es complètement siphonné de torturer un mec pour un truc pareil !

Dès qu’il eut prononcé cette phrase, le frère de Nathan entreprit d’empiler bureaux et chaises dans
l’espoir d’atteindre Folley.

Son amant le regardait s’échiner à transporter le mobilier, une moue contrariée sur le visage.

— Je n’aime pas quand tu es en colère après moi.

Un rire hystérique échappa à Gabriel.

— Je suis à un niveau bien plus élevé que la « colère », James. J’ai envie de… bordel. Tu
mériterais de te prendre mon poing dans la gueule !

L’air devint subitement aussi compact qu’un mur, et aussi glacé qu’une bise sibérienne. La
respiration de Ginto se transforma en condensation à chaque exhalation, puis son regard se noua à
celui de son amant.

— Tu veux que je le descende de son perchoir ? demanda ce dernier, suave.

L’adolescent n’osa pas répondre par l’affirmative, ne valait-il pas mieux que leur camarade
demeure cloué à la poutre que d’être décroché par James ?

— Eh bien ? insista l’Anglais, la voix beaucoup plus stridente. Cela ne prendra qu’une seconde,
you know{59} !

Sans attendre l’accord de son amant, Longwood dressa sa main droite puis se mit à agiter les
doigts comme s’il manipulait quelque chose d’invisible. Un grincement sinistre se fit entendre,
aussitôt suivi d’un second bruit ; un son visqueux… dégoûtant.

Le visage de James était devenu une espèce de grimace démoniaque tandis que son regard passait
du bleu topaze au noir d’encre.

Le corps du pauvre élève à la tignasse rougeâtre se décolla subitement de la poutre sans que cela
ne le réveille de son étrange état d’inconscience.

Est-il mort ? s’interrogea Gabriel, tétanisé.

L’étudiant flottait désormais dans les airs, au-dessus de la tête du jeune Français, les bras étendus,
formant une horrible croix macabre.

Des coups sourds se répercutèrent brusquement, comme si quelqu’un cherchait à défoncer la porte
d’entrée. Puis, plusieurs actions se déroulèrent simultanément : le pan de bois céda sous les assauts
brutaux pendant que le corps inerte de Kent s’abattit sur Gabriel, le faisant tomber au sol sous son
poids.

Entravé par Folley, Gabriel ne réussit pas tout de suite à discerner qui venait d’arriver en fanfare,
il parvenait uniquement à distinguer James dont l’expression restait inchangée… peut-être même
qu’elle s’assombrissait davantage de seconde en seconde alors qu’il lorgnait les nouveaux venus.

— C’est quoi ce foutoir… ah, ouais, quand même.

Gabriel identifia aussitôt Urielle.

— Aide Gabe à se sortir de là-dessous, ordonna une voix qu’il ne reconnut pas.

— Dis donc, Ron, c’est plutôt un boulot pour toi, ça ! C’est pas moi qui ressemble à Conan le
Barbare, j’te signale ! maugréa la jeune fille.

Toutefois, la lycéenne vint à sa rescousse et souleva délicatement Folley pour le déposer aux côtés
de Ginto.
— Il… il est… commença le boxeur sans pour autant oser regarder le rouquin.

— Il est vivant, le rassura Urielle.

Gabriel poussa un soupir tremblant, totalement soulagé, puis le dénommé « Ron » apparut devant
lui. C’était un véritable géant tout en muscles, bizarrement familier. Où l’adolescent avait-il pu voir
cet homme ?

Mais oui ! Le professeur de sport !

Pourquoi était-il ici ? Avec Urielle, de surcroît ? Comme si les deux se connaissaient plutôt
intimement !

Le jeune Français n’eut pas le temps de se poser d’autres questions, car James se mit à hurler tel
un damné. Gabriel se releva sur-le-champ pour le rejoindre. Longwood était accroupi, les doigts
subitement raides et exsangues, enfoncés dans sa chevelure blonde.

— James ? l’appela doucement Ginto, inquiet. Ça ne va pas ?

Le lycéen continuait à crier, pareil à s’il endurait mille morts. Impuissant, Gabriel le saisit
doucement par les épaules afin d’essayer de le « déplier » et croiser son regard.

— Tu ne te trompes pas de « victime », là, Messager de Dieu ? lança l’étudiante avec ironie, et
probablement postée derrière lui. Parce qu’aux dernières nouvelles, et à moins que tu ne souffres
d’un gros problème ophtalmologique spontané, en sus d’une mémoire qui part en sucette… le petit
blondinet qui piaille, c’est le bourreau.

— Uriel, ça suffit, je vais m’en occuper, intervint le fameux Ron.

— Urielle, chéri… dans cette chienne de vie, je suis née avec un vagin, mon poussin. Va falloir t’y
faire.

— Contacte Raphaël au lieu d’essayer de m’apitoyer. Nous avons besoin de lui pour sauver ce
pauvre Folley.

— Urielle, fais-ci, Urielle, fais-ça… nia nia ni, nia nia nia… grommela l’ange du Châtiment tout
en obtempérant.

Gabriel essaya une nouvelle fois de redresser le visage de Longwood. Celui-ci était subitement
silencieux, seules ses épaules continuaient d’être secouées par des sanglots étouffés.

— James… James, regarde-moi, l’implora Ginto, angoissé.

— Ne me déteste pas… ne me déteste pas… ne me déteste pas…

Cette litanie chuchotée lui broya le cœur dans l’étau invisible de la détresse.
— Je ne te déteste pas.

— Ne me déteste pas… ne me déteste pas…

Une barre soucieuse apparut sur le front habituellement lisse de Gabriel.

— James ! Je ne te déteste pas !

Soudain, les doigts de l’Anglais quittèrent le sommet de son crâne pour s’agripper à la chemise de
l’Archange. Les yeux de Ginto se baissèrent sur les phalanges pâles et une boule émotionnelle lui
obstrua l’œsophage.

— James… murmura-t-il, troublé. Je vais te ramener à la maison, OK ? Calme-toi, d’accord ? Je


vais aider les autres avec Kent, toi, tout ce que tu dois faire c’est… rester tranquille.

Longwood opina faiblement, mais lorsque le frère de Nathan essaya de s’éloigner, il raffermit sa
prise sans montrer son visage.

Gabriel posa ses mains sur les siennes, le regard doux.

— Je n’en ai pas pour longtemps… nous ne pouvons pas laisser Folley mourir, tu comprends ?

Le lycéen de Holy Cross hocha encore la tête puis accepta finalement de le libérer.

Le jeune homme eut juste le temps de se remettre sur ses pieds que la porte de l’entrepôt s’ouvrit
sur… l’infirmier de l’école privée.

Le professeur de sport… et maintenant l’infirmier. Il allait en surgir beaucoup de surprises de ce


genre ?!

Autant le dénommé Ron ressemblait à un Viking échappé de la mythologie nordique, autant celui-ci
avait un faux air asiatique : des yeux en amandes derrière des lunettes de forme rectangulaire et une
chevelure mi-longue d’un noir lustré.

— « Et Raphaël accourut aussi vite que ses courtes gambettes le lui permirent », chantonna Urielle,
moqueuse, comme si elle citait les paroles d’un poème lyrique.

Quand il aperçut Gabriel, celui que l’on appelait « Guérison de Dieu » stoppa net et une
expression de joie illumina ses traits. Il fit un pas dans sa direction, hésitant. Ginto ne comprenait pas
sa réaction, mais en déduisit qu’il s’était sûrement bien entendu avec cet homme dans une autre vie
étant donné son attitude actuelle.

— Peux-tu soigner l’élève, Raphaël ? lui demanda Ron.

L’Archange sursauta, puis se tourna vers le géant aux cheveux blonds cuivrés pour ensuite
contempler le corps de Kent, toujours étendu sur le sol. Il vint aussitôt s’agenouiller près de ce
dernier et examina longuement, l’un après l’autre, les poignets meurtris de la victime de James.

L’infirmier inspira profondément, ferma les yeux pendant que le jeune Français s’approchait de lui,
curieux et fasciné. Quelque chose l’attirait, un effet bizarre, qui l’aimantait brusquement.

Une étrange aura lumineuse et dorée commença à entourer Raphaël : cela provenait de son être, il
rayonnait… véritablement !

Là, l’incroyable se produisit : deux immenses ailes, d’une blancheur éclatante, apparurent dans son
dos pour se déplier majestueusement dans un bruissement doux et soyeux. Elles étaient gigantesques,
composées d’une multitude de plumes irisées. Celles-ci déclenchèrent un vif émoi dans le cœur de
Gabriel qui les fixait, les yeux agrandis d’émerveillement. Un bonheur indicible se mit à courir dans
ses veines au point où il sentit chacune d’elles prendre vie dans tous ses membres.

— Moi, Raphaël, médecin des âmes et des corps, commença-t-il à prier d’une voix extrêmement
douce, guérisseur des yeux de Tobit…

— Toi, Raphaël, reprirent Ron et Urielle en chœur. Médecin des âmes et des corps, guérisseur des
yeux de Tobit...

— Moi, Raphaël, offre à ton regard la lumière physique et à ton âme la lumière spirituelle. Je
t’éloigne des ténèbres par cette céleste supplication… Ainsi soit-il.

— Ainsi soit-il, répétèrent la jeune fille et la montagne de muscles.

L’attention de Ginto quitta l’Archange pour observer, stupéfait, les blessures de Folley Kent se
refermer d’elles-mêmes pendant que des couleurs revenaient teinter ses joues blafardes.

Ron soupira de soulagement, visiblement heureux que l’élève de Holy Cross soit désormais hors
de danger.

— Je pense que je vais l’emmener à l’infirmerie, annonça Raphaël tout en se relevant.

Ses ailes avaient disparu ainsi que le halo lumineux émis un peu plus tôt, durant la prière.

Puis, lorsqu’il se retourna et que son regard se lia une nouvelle fois à celui de Gabriel, l’air parut
crépiter autour d’eux.

— Gabriel…

Mais l’Archange ne termina pas sa phrase. Ron se trouvait à présent à ses côtés, portant Kent dans
ses bras. Les prunelles sombres de Raphaël se détournèrent de Ginto pour se fixer brièvement sur
Urielle, inhabituellement calme.

— Allons-y, ordonna gentiment l’infirmier avant de marcher vers l’entrée du hangar, escorté de
près par le géant blond.
Gabriel et l’ange du Châtiment les suivirent des yeux jusqu’à ce que leurs silhouettes s’effacent
complètement dans la clarté extérieure.

— Qui est-ce ? se renseigna l’adolescent, en parlant de Ron.

Urielle sembla savoir à qui il faisait référence, car elle se contenta de lui répondre :

— Ron est le diminutif de Métatron. Il… il est différent de nous.

Le frère de Nathan pivota afin de la scruter, l’air surpris.

— Comment cela « différent » ? Ce n’est pas un ange ?

La jeune fille grimaça avec amertume.

— Si, il l’est. Pas à l’origine. Il est devenu un ange, ce n‘était pas sa condition première. C’est le
fils adoptif de la famille, si tu préfères.

— Hein ?!

Son interlocutrice éclata d’un rire bref puis soupira, le regard de nouveau braqué vers l’entrée.

— Il est désespérément terrestre. Son nom originel était Enoch, c’est à la fois le premier d’entre
nous et le dernier… On le mentionne comme étant le « Chancelier du Ciel » ou encore le « Grand
Écrivain de la Vie des Hommes », chargé de retranscrire chaque acte humain dans le Livre Sacré.
C’est lui qui lie Dieu au peuple de la Terre. Notre fabuleux attaché de presse… la sagesse et la vertu
en plus.

— Mais… est-ce possible d’être… adopté par Dieu ?!

— Ron est le seul… une sorte d’exception qui confirme la règle. Homme si pieux et bon, même
entouré par le péché, que Notre Père s’est réellement pris d’affection pour lui et a décidé de
l’introduire au sein de la hiérarchie Céleste. Si tu te demandes pourquoi il te regarde avec tant de
respect et d’amitié… c’est simplement parce que les deux anges qui l’ont mené au Tout-Puissant,
pour recevoir son incroyable promotion, sont Michel et toi. Une fois assis aux côtés du trône de Dieu,
celui-ci l’a instruit personnellement… Ron connaît même des secrets que nous ignorons… tu parles
de piston !

— Des secrets ? De quel genre ? s’enquit Gabriel, curieux.

— Le mode d’emploi de la Création dans ses moindres détails. Il sait même tout à propos de la fin
du monde et du service après-vente, ronchonna Urielle tout en faisant racler la semelle de sa
chaussure sur le carrelage sale de l’endroit où ils se trouvaient. Michel, Raphaël et toi… le tiercé
gagnant… foutu tiercé, foutu tiercé !

Gabriel, qui avait ramassé sa veste et était en train de la dépoussiérer, l’esprit éparpillé en mille
morceaux à force de tenter d’assimiler toutes ces informations, suspendit son geste pour dévisager la
jeune lycéenne. Cette dernière s’acharnait toujours sur le sol.

— Que veux-tu dire par « tiercé gagnant » ?

— Ce que je veux dire, hein ? Ce que je veux dire…

Soudain, elle se redressa, droite comme un « i » pour se mettre à sautiller un peu partout,
aléatoirement.

— Vous êtes le boy's band du ciel… les stars. Toutes les missions importantes vous étaient… vous
sont destinées. Vous êtes les princes, les chouchous, les petits préférés… inséparables. Le leader et
chanteur du groupe, Michel botte le cul des rebelles puis les éjecte du ciel… Wouhouu !

Urielle se mit à imiter une foule en délire et Ginto la regarda exécuter des tas de petits bonds tout
en feignant d’applaudir et de crier.

Elle a vraiment un gros souci psychologique, songea-t-il en la contemplant se donner en


spectacle.

— Raphaël, le bassiste, redonne la vue à la famille Tobias, joue les gardes-chiourmes auprès du
rejeton… v’la le bodyguard qui annonce la couleur : yeah les frangins, les anges sont dans la place,
ils assurent un max !

Là aussi, Urielle mima l’ovation d’un public invisible, puis, subitement elle s’arrêta, la respiration
haletante pour se tourner vers Gabriel, un sourire triste sur les lèvres.

— Et toi, Gabriel… le batteur irrésistible qui affole les cœurs… qui a fait se pâmer la Sainte
Marie en lui apportant l’email de sa vie… tu as offert l’espoir à l’humanité avec la nouvelle de tous
les temps : l’arrivée de la rédemption ! Rien que ça… Michel, l’ultime combattant, le chevalier du
Ciel, Raphaël, le super docteur et protecteur, et Gabriel… aux télécommunications. Voilà le tiercé
gagnant, mon pote. Et en plus, vous possédez une belle gueule qui crève l’écran ! Sortez vos
mouchoirs, mes frères !

Il y avait tant d’amertume derrière l’humour douteux de l’ange du Châtiment que Ginto ne préféra
pas insister. De toute façon, il en avait assez appris pour au moins plusieurs jours ! Inutile d’espérer
en ingurgiter davantage.

Le jeune boxeur Français se détourna de l’étudiante pour revenir auprès de James qui s’était
assoupi, le dos contre le fameux pilier de la section théâtre. Il glissa un bras sous ses genoux, puis un
autre sous sa nuque et le souleva le plus délicatement possible.

Chargé de son fragile fardeau, Gabriel se dirigea vers la sortie. Au moment où il s’apprêtait à
franchir le seuil, il s’arrêta sans se retourner, néanmoins. Ceci afin de poser la dernière question qui
lui brûlait les lèvres :
— Où est-il ? demanda l’adolescent, dans un souffle.

Urielle ne répondit pas immédiatement et il s’écoula plusieurs secondes avant qu’elle ne se décide
à parler.

— Qui ça ? Le plus puissant de tous ? Michel ?

Ce fut au tour de Ginto de rester muet et la lycéenne prit son silence pour un « oui ».

— Il ne se montre jamais. À chacune de tes vies, de tes incarnations terrestres… pas une seule
fois… pas une seule fois, il ne s’est vraiment montré à nous. Je suppose qu’il doit pas mal t’en
vouloir… que vas-tu choisir, Gabriel ? QUI VAS-TU CHOISIR ? s’écria-t-elle dans son dos, en
gloussant, pendant que Ginto reprenait son avancée.

Il ne put s’empêcher de penser que le rire d’Urielle, en hurlant ces mots, ressemblait plus à des
sanglots réprimés qu’à un ricanement.
Chapitre 10

- De ta beauté -

Gabriel referma doucement la porte de sa chambre.

Durant tout le trajet en limousine jusqu‘à la demeure des Longwood, il avait gardé James dans la
chaleur de ses bras tandis que ce dernier somnolait, les doigts désespérément accrochés au revers de
sa veste, la joue posée sur son torse. Les siens s’étaient employés à caresser avec tendresse les
boucles soyeuses, geste aussi apaisant pour Ginto que pour le jeune Anglais blotti contre lui.

Après l’avoir emmitouflé dans la couverture de son lit, le jeune Français était sorti sur la pointe
des pieds, estimant que son terrible amoureux aux multiples facettes avait besoin d’une seule chose
dans l’immédiat : du repos.

Il descendit les escaliers menant au rez-de-chaussée, et, au moment où il allait prendre la direction
des cuisines, stoppa brutalement en reconnaissant la voix de son frère, mais également celle de
Samaël. Gabriel revint légèrement sur ses pas afin de découvrir où les deux hommes se trouvaient.
Son dos recommença aussitôt à l’élancer, ce qui le fit grimacer.

Son frère aîné et l’ange déchu se trouvaient dans le grand salon et leur conversation paraissait très
animée, limite haineuse.

Même s’il n’avait pas eu l’intention de les espionner, la curiosité de Ginto le poussa à se cacher,
sagement posté dans l’embrasure de la porte entrouverte.

Il voyait uniquement Samaël, Nathan devait sûrement être assez éloigné de celui-ci : impossible de
parvenir à l’apercevoir sans pousser davantage le pan de bois, prenant ainsi le risque de se faire
repérer.

— Il s’agit seulement d’une soirée conviviale, objecta Samaël, un demi-sourire sur les lèvres.

— Je ne crois pas, non, répliqua froidement son frère.

Accoudé sur la poutre de l’imposante cheminée, l’ange entreprit de défaire le nœud de sa cravate,
puis saisit un verre à ballon où gisait un fond de vin rouge pour le porter à sa bouche afin d’en boire
une gorgée. Son expression paraissait songeuse.

— De toute manière, il ira… avec ou sans ton accord. James y sera… donc… il s’y rendra.

« Il » ? « James » ?

Les deux hommes devaient certainement parler de lui.

Quelle soirée ? se demanda aussitôt Gabriel.

Apparemment, Nathan se gardait bien d’émettre le moindre commentaire. Réaction qui provoqua
un petit rire chez son ténébreux interlocuteur.

— Ô combien je comprends ta frustration, Nath’, soupira Samaël avant de vider son verre d’un
seul trait.

— Fais-moi une faveur… évite de nous comparer.

La voix de son frère venait de claquer dans les airs, tel un fouet, avec une froideur digne d’un vent
polaire.

L’ambiance s’alourdit instantanément, même le jeune Français pouvait le sentir de là où il se


trouvait.

Puis, comme si un sixième sens l’avait averti qu’il était observé, Samaël tourna la tête dans sa
direction et leurs regards se nouèrent.

Ce contact visuel lui rappela immédiatement le baiser qu’ils avaient échangé, mais Ginto
s’obligea, au prix d’un effort surhumain, à ne pas détourner les yeux le premier, tant les prunelles de
l’ange déchu semblaient pouvoir le transpercer de part en part.

Samaël dut sentir les difficultés de l’adolescent à soutenir son regard, car son sourire s’élargit
pour devenir promptement une moue carnassière et séductrice.

En entendant subitement des pas qui se précipitaient vers lui, Gabriel se plaqua contre le
renfoncement du mur dans la seconde.
La porte s’ouvrit brutalement et il en déduisit qu’il avait échappé de justesse à Nathan. Tout en
retenant volontairement sa respiration, le boxeur fixa le dos de son aîné, cherchant sûrement qui avait
déclenché cette mimique sur le visage de Samaël.

— Ta conscience te travaillerait-elle au point que tu crois être sans arrêt épié par un tiers ? lança
l’ange déchu en se retenant de rire franchement.

Cela transparaissait dans son intention : la situation l’amusait beaucoup.

— Au moins, moi j’en ai une, grommela Nathan avant de retourner dans la pièce, en prenant soin
cette fois-ci de bien verrouiller la porte.

Gabriel expectora un souffle, son cœur battait la chamade, mais quel soulagement ! Son frère ne
l’avait pas pris en flagrant délit d’indiscrétion.

Une chose était certaine, néanmoins… Samaël et Nathan paraissaient plutôt familiers l’un envers
l’autre.

***

Ginto venait à peine de finir de se préparer un sandwich lorsque Samaël apparut dans la cuisine.
En fait, l’adolescent ne s’était rendu compte de sa présence qu’en levant les yeux, suite à la sensation
dérangeante d’être observé avec attention.

Il était adossé au chambranle de la porte, cravate largement dénouée sur une chemise d’une
blancheur impeccable. L’épaule contre l’encadrement supportait sa veste de blazer noir, jetée par-
dessus et seulement retenue par un index replié.

Encore une fois, leurs regards se lièrent brièvement avant que le jeune Français se concentre à
refermer le pot de confiture. Il ne pouvait pas nier que Samaël le rendait nerveux. D’une, parce que
sa présence lui donnait d’atroces souffrances dans le dos, ouvrant des blessures qui étaient non sans
rappeler celles d’hypothétiques ailes. De deux… il réveillait en lui une espèce de seconde
personnalité et Gabriel détestait ça.

La position immobile de l’ange déchu ne l’aidait pas à se détendre. Ce dernier se contentait de


scruter chacun de ses gestes comme s’ils revêtaient une importance capitale.

N’y tenant plus, le cadet des frères Ginto se jeta à l’eau :

— Je peux vous aider ?

Il s’était employé à user d’un ton aussi décontracté que possible.


Aucune réponse.

Gabriel faillit lui balancer son encas à la figure, afin de passer ses nerfs. Mais au lieu de cela, il
appuya ses paumes sur le plan de travail en marbre puis redressa la tête vers Samaël.

Celui-ci souriait de toutes ses dents et une véritable bonne humeur faisait luire ses prunelles.

Puis, le pseudo oncle de James tendit son index libre en direction du pain de mie.

— Tu m’en fais un ? Beurre de cacahuète et confiture à la fraise, c’est ça ?

— De quelle soirée parliez-vous avec mon frère ? Répondez à cette question et je vous en fais un,
proposa Gabriel avec une nonchalance feinte.

Les paupières du déchu se plissèrent dans la seconde, lui donnant un air vaguement prédateur.

— Tu es sûr de vouloir passer un « deal » avec moi… Gabe ? susurra-t-il. Mes informations
coûtent plus cher qu’un misérable bout de pain. D’ailleurs, un sandwich… c’est bien trop peu pour
combler ma faim.

Tout en parlant de cette intonation douce et sombre, Samaël s’était rapproché de lui. Il stoppa à
moins d’un mètre afin de laisser choir son blazer sur le dossier d’une des chaises.

Ginto se raidit instinctivement quand le déchu se plaça tout près de lui. Leurs bras se frôlaient et il
crut sentir sa peau brûler, même à travers l’épaisseur de sa chemise ajoutée à celle de la sienne.

Cette sensation empira lorsque Samaël pressa le bras en question afin de s’emparer du sachet de
pain de mie.

Ses yeux rencontrèrent de nouveau ceux de l’ange. Le visage de celui-ci était dangereusement
proche et il ne souriait plus. Il le scrutait intensément, comme s’il arrivait à plonger dans les abîmes
de son âme par la seule force de son regard. Les battements de son cœur s’emballèrent en totale
synchronisation avec la douleur qui lui labourait le dos.

Les prunelles obscures quittèrent les siennes pour se fixer, un court instant, sur la bouche de
Gabriel, puis revinrent avec une très grande lenteur aux fenêtres de ses pensées.

Le temps cessa de s’écouler dans son sablier, aussi figé que l’était l’adolescent à cette minute
précise.

— Mon âme a son secret, ma vie a son mystère. Un amour éternel à un moment conçu… Le mal
est sans espoir, aussi j’ai dû le taire. Et celui qui l’a fait n’en a jamais rien su. Hélas ! J’aurais pu
passer près de lui inaperçu. Toujours à ses côtés et pourtant solitaire… Et j’aurais jusqu’au bout
fait mon temps sur Terre, n’osant rien demander et n’ayant rien reçu, récita l’ange dans un
murmure avant de rapprocher ses lèvres de celles de Ginto, sans le quitter des yeux. « Pour lui, bien
que Dieu l’ait fait doux et tendre, il suit son chemin sans entendre ce murmure élevé sur ses pas…
À l’austère devoir, pieusement fidèle, il dira, en écoutant ces vers remplis de lui, « qui est donc cet
homme ? » et ne comprendra pas ».

Un lourd silence s’abattit sur eux dès que Samaël prononça le dernier mot du poème. La bouche
sèche, fasciné malgré lui par le charisme de la Main Droite de Dieu, Gabriel humecta
inconsciemment ses lèvres. L’air se mit aussitôt à crépiter, vibrant d’une tension électrique presque
visible à l’œil nu.

— Adaptation intéressante de « L’amour caché » de Félix Arvers, commenta subitement


l’adolescent sans réussir à parfaitement dissimuler son trouble.

L’ange éclata bruyamment de rire, puis s’éloigna doucement pour réaliser lui-même son encas.

Une fois prêt, il mordit joyeusement dedans, souriant tout en mâchant sa bouchée avec
enthousiasme.

— N’est-ce pas ? fit-il en haussant un sourcil, amusé, après avoir avalé le morceau de sandwich.

Décidé à ne pas laisser durer plus longtemps ce petit jeu auquel s’adonnait la créature à ses côtés,
Gabriel pivota avec la ferme intention de quitter rapidement la cuisine. Soudain, il perdit l’équilibre
et fut rattrapé in-extremis par Samaël. L’adolescent aurait pu jurer que ce dernier lui avait fait un
croche-patte !

Le déchu en profita pour le serrer contre lui, d’une seule main posée sur son dos, alors que l’autre
tenait toujours fermement sa collation.

— Fais plus attention, Gabe… tu pourrais te faire mal en tombant sur quelque chose de dur…

Le sous-entendu était d’une clarté limpide, d’autant plus que le jeune Français percevait bien la
« chose dure » en question, en dessous de la ceinture de Samaël.

Gabriel se débattit, mais l’ange avait déjà desserré son étreinte, se satisfaisant de le dévisager, une
moue narquoise sur la bouche.

Au moment où il passait le seuil de la porte, le faux oncle de James l’interpella :

— Si tu veux, j’ai moult recueils de poèmes dans ma chambre. Tu es libre de venir les feuilleter
quand bon te semble, Gabriel. Nous pourrions même les lire ensemble !

À ces mots, ce dernier se tourna dans sa direction pour le fusiller du regard, puis fut poursuivi par
l’écho de son rire. Le rire d’un ange déchu dont la puissance des désirs charnels rivalisait avec celle
de ses pouvoirs divins.
***

L’adolescent n’avait grimpé que quelques marches lorsque son frère prononça son prénom afin
d’attirer son attention.

— J’ai une surprise pour toi, fit-il en souriant.

— Une surprise ?

Nathan opina sans se départir de sa joyeuse mimique.

— Pour ton anniversaire, qui arrive bientôt, mais aussi pour me faire pardonner de te délaisser
depuis notre arrivée en Angleterre.

Gabriel sourit à son tour. Sa vie était tellement sens dessus dessous qu’il n’avait même pas songé
une seule seconde à lui en vouloir, cependant, il ne cracherait certainement pas sur un cadeau.

— Suis-moi… lui demanda-t-il, tout en accompagnant ses paroles d’un mouvement de tête.

L’adolescent jeta un rapide regard en direction de l’étage, où James devait encore se reposer, puis
rejoignit son frère.

Ce dernier le guida à travers les méandres des couloirs du manoir pour finalement stopper devant
une porte menant vers le sous-sol. Face à la mine interrogatrice de son cadet, Nathan se contenta de
lui adresser un clin d’œil, une expression de joie anticipée sur le visage.

Il sortit un trousseau de clefs de la poche de son jean, puis déverrouilla et invita Gabriel à le
précéder d’un mouvement de la main.

Après une seconde d’hésitation, le jeune Français descendit les escaliers éclairés par une ampoule
électrique de faible intensité. Ce qu’il découvrit, une fois parvenu tout en bas, le laissa sans voix.

— Comment… murmura-t-il, les yeux écarquillés.

Une salle d’entraînement. Il y avait tout ! Du sac de frappes au petit ring, en passant par les
appareils de musculation : tapis roulant, rameur… Il y en avait pour une véritable fortune !

— Je me suis dit que cela devait te manquer et que ton jogging quotidien n’était peut-être pas
suffisant, expliqua Nathan, dès qu’il fut à ses côtés. Monsieur Longwood m’a donné son autorisation
et Helmont m’a aidé à tout transporter discrètement.

Pour toute réponse, Gabriel se tourna vers son frère afin de le serrer dans ses bras avec force, les
yeux brillants de larmes contenues.
— Merci ! souffla l’adolescent contre son épaule.

Les mains de son aîné se soulevèrent, s’arrêtèrent brièvement en cours de route, pour finalement
venir tapoter gentiment le dos du boxeur.

— De rien… joyeux anniversaire en avance. Demain, on se fera un petit match amical, qu’en dis-
tu ?

Ginto junior hocha la tête, puis recula subitement en reniflant bruyamment. Il éprouvait de la gêne à
se montrer si ému et donc n’osait pas regarder franchement Nathan. Celui-ci rit doucement tout en lui
ébouriffant les cheveux.

— Sale môme ! commenta-t-il avant que son téléphone portable ne sonne. Ah ? Le père de James
aimerait me voir… il a un dîner d’affaires et souhaiterait que j’y participe.

— Il t’a envoyé un texto ? s’enquit l’adolescent tout en se rapprochant d’un petit banc de bois
accolé au mur.

— Hum.

Gabriel déplia la petite pile d’affaires s’y trouvant et fut heureux de constater que c’était son
ancien ensemble d’entraînement, celui offert par leur père. Il décida sur-le-champ de se déshabiller
afin de se vêtir du bermuda gris, mais également d’enfiler ses chaussures de boxe.

— Gabe ?

— Ouais ?

Tandis qu’il serrait les lacets, assis sur le banc, le jeune Français ne pouvait s’empêcher de
sourire bêtement. Il devait sûrement avoir un air complètement idiot sur la figure, mais s’en fichait un
peu.

— J’aimerais que tu me rendes un service…

Au ton de la voix anormalement sérieux de Nathan, son frère releva la tête et croisa son regard
soucieux.

— Ce que tu veux… c’est oui d’avance ! lança-t-il.

Son cadet grimaça légèrement puis enfonça les mains dans ses poches.

— James n’est venu à aucune de mes leçons et je ne sais pas comment l’annoncer à son père.

Le sourire de Gabriel s’effaça immédiatement.

— Aucune ?
Pour toute réponse, son aîné secoua négativement la tête en détournant les yeux.

— Cela risque de devenir problématique si je ne fais pas le travail pour lequel on m’a embauché.

L’adolescent se redressa d’un bond, sautilla sur place afin de tester ses chaussures, puis agita ses
muscles, des épaules aux abdominaux. Il faisait une chaleur étouffante dans le sous-sol, sûrement
causé par la présence de plusieurs chaudières, et il préférait rester torse nu que de se retrouver dans
une heure avec un t-shirt trempé et collant de transpiration.

— Je vais lui parler, annonça sérieusement Gabriel. Je te dirai ce qu’il en est demain… mais tu
peux rassurer monsieur Longwood.

Nathan s’abstint de tout commentaire face à l’assurance des propos de son petit frère, il le fixa
longuement avant de se tourner en direction des escaliers.

— Je te vois plus tard, dit-il en agitant ses doigts en guise d’au revoir, juste avant de monter les
marches quatre par quatre.

Ginto le suivit des yeux et regarda encore dans cette direction même après avoir entendu la porte
se refermer.

Pourquoi James évitait-il les cours de son frère ? À cause de leur relation ? Le détestait-il à ce
point-là ?

Gabriel poussa un soupir, puis son attention fut attirée par une corde à sauter suspendue au mur
grâce à un gros clou. Sa bonne humeur revint aussitôt au galop et il s’empressa de la détacher.

Il adorait cet exercice, qui avait pour objectif de décupler sa capacité à produire des mouvements
plus puissants, en un laps de temps relativement court. Il avait aussi un effet extenseur sur les mollets
et quadriceps non négligeable.

Sans s’en rendre compte, le jeune Français s’exerça durant plus d’une heure avant d’être
interrompu par la sensation d’être observé.

En sueurs, il tourna la tête vers les escaliers et remarqua James, seulement habillé de son peignoir
de soie, largement ouvert sur son torse glabre et pâle. Ce dernier le dévisageait, interdit, une main sur
la vieille rampe.

Le boxeur eut un sourire malicieux et troublé sous la lueur admirative qu’il discernait dans les
prunelles glacées de Longwood.

— Comment m’as-tu trouvé ? s’enquit-il en déposant la corde à sauter sur le banc.

Le lycéen blond ne répondit pas immédiatement, puis avoua doucement :

— À l’odeur.
Gabriel, qui s’essuyait le visage dans une serviette, suspendit son geste, stupéfait, avant de lui
lancer une brève œillade.

— Je « sens » tant que ça ? ronchonna-t-il, vexé.

Du coin de l’œil, il distingua James s’approcher de lui d’une démarche souple et silencieuse.

— Non. Pas du tout. Quoiqu’en voyant toute cette sueur dégouliner de ton front à ton nombril, je
n’en jurerais pas, ajouta-t-il.

Son expression tendre contredisait les paroles taquines et l’adolescent ne put s’empêcher de
frissonner. Son cœur se gonflait étrangement dès que James se trouvait près de lui.

— À l’odeur, hein… répéta Ginto, songeur. Tu pourrais bosser dans une parfumerie avec un tel
talent.

— Je suis uniquement sensible à celles de… certaines personnes. Toi, en particulier.

— Moi ?

— Mhm… fit seulement Longwood en caressant du bout des doigts le dos de Gabriel.

L’adolescent se figea en percevant le frôlement sur la peau sensible de ses cicatrices.

— Ta fragrance est envoûtante, sucrée et spécifique à ceux de ta race.

— Ceux de ma race ? réitéra l’adolescent d’une voix enrouée.

Mais James n’alla pas plus loin dans son explication, comme s’il était conscient d’aborder un sujet
qui raviverait les récents événements, notamment ceux vécus durant la journée.

— Tu es vraiment musclé, commenta subitement Longwood tandis que Gabriel s’éloignait.

Ce dernier utilisa sa serviette pour frapper un vieux sofa dont le tissu montrait des traces d’usures
visibles. Un nuage de poussière s’éleva, le faisant tousser puis, une fois satisfait, Ginto s’y laissa
choir, les jambes écartées.

Il nota, sans vraiment y prêter attention, la psyché placée face au petit canapé miteux où il se
trouvait car elle lui renvoyait son reflet.

— Jaloux ? plaisanta le jeune Français en fermant les yeux.

Il souhaitait seulement se reposer un peu avant que l’heure du souper ne sonne.

— Horriblement, rétorqua James.


Au son proche de sa voix, Gabriel devina qu’il l’avait suivi et retint un cri étranglé en le sentant
s’asseoir à cheval sur lui. Surtout que l’Anglais était totalement nu sous son fin peignoir !

Quand il ouvrit les paupières, son regard plongea directement dans deux lacs arctiques. Ses
prunelles ne dévièrent du fascinant spectacle que pour se poser sur l’épaule dénudée de Longwood,
morceau de peau dévoilé à cause du glissement du seul vêtement qu’il portait.

La salive déserta aussitôt la cavité buccale du boxeur et il dut lutter contre l’envie irrépressible de
poser sa bouche sur cette sublime parcelle du corps de son amant.

James parut lire dans ses pensées, car il esquissa un sourire aguicheur. Puis, le lycéen s’amusa à
glisser lentement ses doigts dans l’épaisse chevelure de Gabriel, comme pour le coiffer.

— Tu ne m’en veux plus pour… tout à l’heure ? demanda sobrement Longwood.

— Je ne t’en ai jamais voulu. J’étais… furieux et effrayé.

James se statufia pour fouiller le regard de l’adolescent du sien, tendu.

— Je te fais peur ? s’enquit-il dans un murmure.

— Je n’ai pas peur de toi au sens où tu l’entends… j’ai peur de certaines de tes réactions. Il y a
une partie de toi qui semble si… je crains parfois qu’elle ne te dévore.

Gabriel enchaîna sans lui laisser le temps de parler :

— C’est complètement idiot, ajouta-t-il dans un rire forcé.

L’Anglais se remit à faufiler ses doigts dans les cheveux de Ginto, tirant en l’air certaines mèches,
s’ingéniant à modeler ces dernières.

— Tu t’es déjà demandé ce que j’étais ? le questionna encore Longwood.

Le jeune boxeur réfléchit longuement avant de se décider à lui répondre.

— Oui, avoua-t-il. Si je ne suis… enfin, si c’est vrai que je ne suis pas humain. Je suis certain que
tu ne l’es pas non plus.

— Mhm…

— C’est tout ce que tu as en stock comme explication ?

Les mains de James descendirent du sommet de son crâne pour venir se nouer sur sa nuque, puis il
posa son visage dans le creux qu’offrait l’espace entre l’épaule et le cou de Gabriel.

— Tu sais, tes rêves bizarres…


— Oui ?

L’Anglais aux boucles blondes inspira profondément tout en resserrant son étreinte. Ginto y
répondit naturellement en lui encerclant la taille de ses bras.

— J’en ai toujours fait. Les mêmes. Je revivais des périodes de ma vie que je n’avais jamais
vécues jusque-là et tu étais présent dans chacune d’elles. Cependant… cependant, je ne voyais jamais
les traits de ton visage. Celui-ci s’est dévoilé uniquement lorsque tu es venu habiter ici. Je crois que
nous avons eu une sorte de connexion et qu’elle s’intensifie à travers nos songes.

— Es-tu en train de me dire que toi et moi faisons les mêmes rêves ? Tu le savais ?

— Mhm.

— Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé quand je les ai évoqués ?

Gabriel perçut subitement les battements affolés du cœur de James et, aussitôt, il raffermit son
étreinte en pressant davantage le corps du lycéen contre le sien.

— Tu oublies tout à chaque fois… moi, j’ai tiré un enseignement de nos erreurs passées. Je me
souviens de ces vies… j’évite donc de répéter les fautes d’antan. Révéler certaines choses en fait
partie.

— Tu ne me divulgueras rien sur ta… nature ? Alors que tu sais tout de la mienne ? C’est injuste !

— C’est le moyen que j’ai trouvé pour éviter que l’on soit séparé trop rapidement. À chaque
fois… je veux dire, dans nos autres vies, à chaque fois que tu as découvert ma véritable identité… le
sort t’a arraché à moi.

Est-ce que rester dans le noir absolu concernant cette information suffirait à Gabriel ? Avait-il le
choix ?

Soudain, James pouffa, le tirant de ses réflexions.

— Quoi ? lança l’adolescent, perplexe devant ce subit accès d’hilarité de la part de son
compagnon.

Longwood recula suffisamment pour lier son regard au sien, les yeux brillants et un sourire amusé
sur les lèvres.

— Tu es excité, lâcha-t-il en essayant de ne pas éclater de rire.

Les joues de Ginto se colorèrent sur-le-champ tandis qu’il fuyait les prunelles bleutées de
l’étudiant assis sur lui.

— Je ne peux rien faire contre ça… t’es nu là-dessous et, en plus, tu n’arrêtes pas de gigoter sur
moi, marmonna-t-il, gêné. J’ai l’impression de revivre la terrible période de ma puberté avec des
érections à tout va… et ce, dès que tu me touches ! Arrête de rire ! Je ne trouve pas ça drôle !

James lui saisit les mains, alors que, mortifié, le jeune Français essayait de lui échapper. Ce qui
accentua le fou rire du lycéen.

— C’est humiliant… si encore je te faisais le même effet ! rouspéta Gabriel.

Cette fois-ci, l’Anglais lui enserra fortement le poignet puis le guida jusqu’à son bas-ventre où la
paume de l’adolescent entra en contact avec la texture soyeuse du sexe de son amant. Il hoqueta en
découvrant que Longwood était aussi dur, sinon plus, que lui.

— Cette réponse suffit-elle à apaiser tes doutes sur la question ? susurra James, l’inflexion aussi
douce que du velours.

— Oui… oui, chuchota Gabriel, l’esprit brutalement vide.

Même quand James le libéra, le jeune Français ne retira pas pour autant sa main. Son sang
bouillonnait dans ses veines tandis qu’il se sentait devenir avide.

Très lentement, Ginto releva la tête jusqu’à ce que son regard rencontre celui du seul être qui
réussissait à enflammer ses sens avec une déconcertante facilité.

Longwood ne souriait plus et quand il humecta délicatement ses lèvres, Gabriel perdit
définitivement le peu de raison qui lui restait en cet instant. La vue de la délicieuse pointe rosâtre
venait de le jeter dans les feux voraces du désir, sans retour en arrière envisageable.

Lorsque le boxeur empoigna doucement le membre raide, James entrouvrit la bouche pendant que
ses paupières s’abaissaient. Ses mains se crispèrent sur les épaules larges de Ginto ; son corps entier
était tendu, torturé par l’insupportable attente que lui faisait subir le jeune homme.

Gabriel posa ses doigts libres sur la nuque du fascinant éphèbe qui le chevauchait, puis l’obligea à
rapprocher son visage du sien afin de l’embrasser, non sans une certaine férocité. Il écrasa ses lèvres
des siennes, inséra sa langue avec ardeur pour l’enrouler fiévreusement autour de celle de James,
l’emportant dans une danse frénétique.

L’adolescent se retrouvait, comme à chaque fois, pris dans la tourmente de la passion et de


l’amour qu’il éprouvait pour son amant. Il ne parvenait plus à se contrôler, ne désirant qu’une seule
chose : s’unir à celui qui le faisait tant vibrer, qui le bouleversait de toutes les façons possibles et
imaginables.

Quand l’Anglais commença à pousser de faibles gémissements sous l’assaut brûlant, Gabriel
imprima de longs va-et-vient sur son sexe. Pour toute réponse, Longwood écarta davantage ses
cuisses afin de lui offrir une plus grande marge de manœuvre sans que les deux hommes ne cessent de
s’embrasser.
Face à ce geste d’abandon ressemblant à une muette supplique, Ginto émit un grognement sourd qui
se répercuta dans la bouche de James. Ce dernier, au bord de l’asphyxie, détacha ses lèvres des
siennes. Elles étaient gonflées et rouges de leur baiser furieusement passionné. Il cherchait à
reprendre son souffle, mais Gabriel n’avait pas l’intention de lui accorder une seconde de répit et
revint à la charge en les unissant de nouveau. Il le maintenait fermement, les ongles plantés dans la
peau fragile de sa nuque. Longwood n’eut pas d’autre choix que de lui céder et répondit avec ferveur
à la caresse fougueuse de la langue du jeune Français. Celui-ci calqua aussitôt ce rythme effréné à
celui que prodiguaient ses doigts sur la verge turgescente.

N’y tenant plus, l’Anglais rejeta brusquement sa tête en arrière tout en poussant un râle. Ginto en
profita pour dévorer sa gorge, alternant baiser, langue et coups de dents. Puis, d’une main placée au
bas de ses reins, il renversa James sur les coussins du sofa pour venir se positionner au-dessus de
lui. Son regard se vrilla au sien et ce ne fut qu’en se noyant dans celui, voilé, de Longwood, qu’il
consentît à relâcher son érection au summum de son excitation. Ce dernier exprima sa frustration d’un
petit cri suppliant, ce qui déclencha un sourire ravageur chez Gabriel.

La respiration altérée, James le fixait, souffrant visiblement le martyre, mais supplicié totalement
volontaire. Sans prononcer le moindre mot, son tortionnaire s’inclina jusqu’à ce que sa bouche
effleure sa pomme d’Adam puis entreprit de descendre inexorablement avec une lenteur diabolique.
Quand il perçut la langue chaude et humide de Ginto sur son téton droit, la chair sensible se raidit
instantanément et, aussitôt, Longwood glissa ses doigts dans les cheveux de son impétueux bourreau.
Cette vive réaction incita Gabriel à réitérer sa caresse, plus franchement cette fois-ci.

Il martyrisa, en alternance, les extrémités érectiles, les léchant et les aspirant tour à tour.

Chaque expiration de James se terminait par un gémissement tandis que ses ongles se plantaient
dans le cuir chevelu de son amant, cela ne découragea nullement ce dernier à poursuivre sa
délicieuse besogne.

Puis, les lèvres du boxeur reprirent leurs sensuelles ascensions, savourant la peau de Longwood
tel un met particulièrement succulent.

Parvenu au niveau du nombril, il embrassa délicatement celui-ci, provoquant un long frisson chez
l’homme dont il était éperdument amoureux.

Gabriel avait, plus que tout, envie de le combler, autant que James le comblait à chaque instant
depuis leur rencontre. Il était subitement nerveux à l’idée de ne pas savoir s’y prendre correctement,
mais repoussa ses doutes sans ménagement. Lui-même se retrouvait dans un tel état d’excitation que
rien, pas même ses craintes, ne pouvait l’arrêter.

Les mains sur les hanches de l’étudiant Anglais, Ginto déposa une pluie de baisers sur le ventre,
puis sa bouche s’aventura dans l’aine pendant que sa main prenait la jambe de Longwood afin de la
passer par-dessus son épaule. Devinant ses intentions, James posa l’autre au sol, s’offrant
entièrement à celui qu’il aimait à la folie.
Sans hésitation, attisé par son propre désir, Gabriel le prit dans l’écrin de sa bouche et se mit à
effectuer de longs mouvements langoureux, presque identiques à ceux réalisés un peu plus tôt par sa
main. Il partait de la base du membre turgescent pour remonter le plus lentement possible jusqu’à
l’extrémité, dédiant parfois d’exquis coups de langue sur le gland ou léchant et embrassant
délicatement le frein.

Les halètements de James devinrent de plus en plus bruyants, se transformant parfois en


gémissements plaintifs comme s’il était à l’agonie. Lorsque son amant commença à accélérer le
rythme, les doigts du lycéen abandonnèrent la tête de Ginto pour griffer violemment le tissu du sofa. Il
murmurait des mots sans suite dans sa langue natale, de temps à autre ponctué par le prénom de
l’ange.

En entendant la voix alourdie de plaisir de Longwood, Gabriel sentit un brusque afflux sanguin
dans son sexe tandis qu’une insoutenable tension lui tiraillait le bas-ventre. Il arrivait à ses limites.

Ne souhaitant pas faire souffrir James, d’instinct, le jeune Français entreprit d’humidifier l’orifice
tentateur de sa salive grâce aux caresses de ses lèvres et de sa langue, puis introduisit un doigt. Sous
l’intrusion, le sphincter se resserra automatiquement pour se détendre la seconde suivante et accepter
avec empressement l’attention.

James ne gémissait plus, il poussait de véritables cris et cela embrasait le sang de Ginto. Jamais ce
dernier n’aurait pu imaginer un seul instant qu’entendre le plaisir de l’autre soit un aussi puissant
aphrodisiaque.

Aux portes de la folie, ivre des sentiments qu’il ressentait pour l’être allongé sur le canapé,
éblouissant de beauté et de fragilité, Gabriel le pénétra. Tout d’abord avec douceur et quand il fut
certain que le corps de son amant l’acceptait, il se mit à se mouvoir en lui. Il avait la sensation que
chaque molécule de son être se consumait allègrement dans le tourbillon dévastateur de la jouissance.
Elle se répercutait partout, éclatant ses pensées telles des bulles de savon s’opposant aux rayons d’un
soleil brûlant. Alors qu’il s’apprêtait à se pencher pour embrasser James, il perçut les muscles de
celui-ci se durcir pendant qu’il emprisonnait ses hanches de ses jambes. Longwood jouit
soudainement, expulsant de courts jets saccadés qui atteignirent l’abdomen et le torse de Gabriel, qui,
surpris, cessa tout mouvement du bassin.

Leurs regards se lièrent l’un à l’autre puis l’Anglais détourna rapidement le sien en rougissant.

— I… I’m sorry{60}… bégaya-t-il, honteux. I couldn’t… restrain myself. You have given to me
much pleasure…{61}

Puis James se couvrit le visage de ses mains.

— I'm so shameful{62}… gémit-il misérablement.

Ginto lâcha un petit rire ténu avant d’expectorer brutalement un souffle ; le corps de James venait
de se contracter subitement autour de son membre raide. Tout en reprenant une respiration normale, il
ôta doucement les doigts qui lui dissimulaient la figure de son amant, alors que lui-même affichait une
expression irradiant d’amour, dans sa facette la plus pure.

Gabriel lui caressa ensuite tendrement la joue pour l’embrasser chastement sur les lèvres. James
noua aussitôt les bras autour de sa nuque afin d’approfondir timidement leur baiser, certainement
encore sous le joug de la gêne.

La passion enflamma à nouveau leurs sens et cette fois-ci, ils accédèrent ensemble aux sommets
vertigineux et grisants de l’ultime orgasme, les laissant sans forces, complètement alanguis d’un
bonheur indicible.

Pour le jeune Français, James Longwood était l’être le plus beau de la création. Parfait… jusque
dans ses imperfections.
Chapitre 11

- De notre bataille -

Sous la douche, Gabriel savourait les bienfaits du jet d’eau brûlant sur son corps lorsqu’une
terrible douleur lui vrilla l’estomac. La souffrance fut si soudaine et violente que le jeune Français se
courba légèrement tout en posant une main sur son ventre.

C’était comparable à un puissant coup de poing.

Le mal parut s’éloigner et Ginto se redressa, une mimique perplexe sur le visage, tout en terminant
de se rincer. Puis, brutalement, une douleur identique à la précédente, voire pire, lui tordit les
entrailles et, cette fois-ci, l’adolescent tomba à genoux, le souffle coupé.

Sa vision se troubla, lui donnant l’impression de regarder ce qui l’entourait à travers le fond d’une
bouteille en verre. Tout se déformait, s’étirait, avec exagération.

— Ja… James ! parvint-il à éructer avant de s’apercevoir, en rapprochant sa main de sa figure,


qu’il venait de cracher du sang.

À nouveau, son abdomen fut assailli par des milliers de griffes acérées et invisibles qui semblaient
vouloir le déchirer de l’intérieur.

— James ! cria le boxeur. Nathan ! À l’aide… fit-il ensuite dans un souffle éraillé.

Toujours dans le bac de faïence blanche, Gabriel se recroquevilla sur lui-même, persuadé que sa
dernière heure était arrivée.
Soudain, la porte s’ouvrit très lentement et il entendit vaguement des pas se rapprocher de lui.

— James, murmura encore Ginto sans arriver à tourner sa tête afin de vérifier si c’était bien le
lycéen.

Du coin de l’œil, il n’aperçut qu’une vague silhouette s’accroupir à ses côtés. Qui que ce fût, il
portait une tenue sombre, même son visage paraissait aussi noir que de la suie. Seules… seules deux
prunelles, d’un rouge luminescent, demeuraient extrêmement visibles et elles le fixaient avec une
attention malsaine. Tellement, d’ailleurs, que cela lui provoqua d’autres spasmes atroces, le forçant à
vomir du liquide au goût de métal. Du sang. Son sang.

Gabriel hurla, longuement, jusqu’à ce que son visage en devienne rouge tandis que la créature, un
pur concentré de mal, une entité indubitablement néfaste, souriait tranquillement en le regardant
souffrir mille morts.

L’être à l’aura hideuse inclina son visage de ténèbres au-dessus du sien, afin de lui murmurer
d’une voix inhumaine :

— Adorable jouet… vais-je me faire jouir avec la Main Gauche de Dieu ? Tu… seras… l’outil de
la Divine Destruction. Tu es fini.

Ginto s’évanouit, voyant toujours les yeux diaboliques, même dans l’obscurité de l’inconscience.

Sans arriver à déterminer à quel moment, l’adolescent ouvrit un court instant les paupières
lorsqu’il se sentit soulevé du sol. Malgré une vue défaillante, il reconnut le visage de Samaël.

— Toi… murmura-t-il faiblement, la bouche sèche.

— Ne parle pas, lui ordonna rudement le déchu tandis qu’il le transportait jusqu’au lit.

Gabriel se laissa manipuler sans même chercher à se débattre : son état actuel ne lui permettait pas
de remuer, ne serait-ce que le petit doigt.

— C’était toi… l’accusa le jeune Français pendant que le pseudo oncle de James le recouvrait
d’un drap.

Celui-ci ne répondit pas immédiatement et le frère de Nathan perçut le tremblement de ses doigts
quand il remonta également la couverture vers son visage.

— Tu as une piètre opinion de ma personne, commenta-t-il posément. Remarque, qui pourrait t’en
vouloir ? Je ne suis pas un modèle de vertu.

Soudain, l’adolescent se mit à convulser. Son corps s’arc-boutait avec violence, provoquant des
coups brutaux de la tête de lit contre le mur. Samaël jura entre ses dents puis se déshabilla le plus
rapidement possible pour se glisser tout contre Gabriel afin de l’entourer de ses bras.
Il utilisait sa force pour l’immobiliser et au contact de la peau brûlante de l’ange, les spasmes de
Ginto s’apaisèrent graduellement puis, finalement, disparurent totalement.

Le Français était gelé, ses dents s’entrechoquaient tandis que des frissons faisaient réagir son
épiderme sous forme de chair de poule.

Samaël libéra peu à peu son emprise, puis sa main commença à caresser les cheveux trempés de
sueurs de celui que l’on nommait « Le Messager de Dieu ».

— Quel ignoble individu, chuchota-t-il. La quintessence du mal n’est jamais agréable à affronter
quand on ne possède pas une nature de guerrier, n’est-ce pas ? Surtout pour un ange amputé de Sa
Grâce et de ses ailes… mon doux prince… j’aurais tant aimé vous éviter cette épreuve.

Samaël était intégralement nu contre lui et, même l’esprit embrumé, Gabriel eut du mal à ignorer
son désir de plus en plus raide contre sa cuisse.

— Éloigne-toi de moi, sale obsédé… marmonna le jeune Français.

Le déchu poussa un soupir à fendre l’âme. Dans un mouvement aussi léger que le déplacement d’un
papillon, il vint se positionner au-dessus du jeune rescapé. Les mains à plat de chaque côté du visage
de ce dernier, il plongea son regard dans le sien.

— Ton corps de chair a subi un choc. Tu aurais pu tomber en hypothermie, je n’ai fait que te
réchauffer tout en m’assurant que tu ne te briserais pas les reins sous les convulsions. Tu as une drôle
de façon de me remercier…

— Où est James ? demanda Gabriel en claquant des dents.

— Avec son père et ton frère… discussion de leçons. Ou plutôt, l’absence de leçons… C’est trop
dur de dire simplement « merci, Samaël » ?

— Sors de mon lit !

— Tu es encore gelé, contra l’ange, sérieux.

— Je m’en f…

Mais Ginto ne termina pas sa phrase. Deux gigantesques ailes, aussi noires que les ténèbres, se
déployèrent depuis le dos du déchu. À elles deux, elles devaient mesurer facilement trois mètres
d’envergure !

— Ne peux-tu pas seulement me laisser m’occuper de toi ? As-tu la mémoire sélective ?!

Il garda le silence durant à peine deux secondes avant de reprendre :

— C’est vrai… ta mémoire est aux abonnées absentes, soupira-t-il.


Il n’était pas aisé pour Gabriel de nier que l’ange ne lui était pas indifférent. Néanmoins, un autre
sentiment prévalait sur ce trouble : la haine qu’il éprouvait à son encontre. Elle était spontanée et
absolument irrationnelle.

Quand Samaël se coucha sur lui en exprimant bruyamment son contentement, Ginto tenta aussitôt de
le repousser, même handicapé par sa faiblesse musculaire. Le résultat fut bien pire que s’il s’était
tenu tranquille.

Le boxeur se mordit également la lèvre jusqu’au sang afin de s’aider à garder le contrôle sur ses
réactions physiques. Il refusait tout bonnement d’avoir l’ombre d’une érection parce que son
entrejambe était en contact direct avec le membre gonflé du déchu !

— Je n’ai plus froid, tu peux quitter mon lit, ordonna-t-il avec une certaine urgence dans la voix.

Cela conférait une étrange tonalité aigüe à celle-ci, attisant ainsi la curiosité de celui qui se servait
de son corps pour le dégeler. Pour toute réponse, Samaël tourna lentement son visage vers le sien,
réduisant de façon significative la distance entre leurs lèvres.

— Bouge, gronda Ginto.

Le déchu se contenta uniquement d’abaisser au maximum ses paupières.

— BOUGE ! réitéra furieusement l’adolescent.

Là encore, l’ange demeura silencieux, faisant seulement bruisser doucement ses incroyables ailes à
la teinte obscure pour les laisser se replier sur elles-mêmes.

Tandis que sur sa bouche se dessinait un sourire équivoque, Samaël accentua la pression de ses
hanches contre celles de Gabriel.

— J’ai un aveu à te faire, murmura-t-il, doucereux.

Le souffle de son haleine effleura la commissure des lèvres du boxeur, brusquement tétanisé.

— Quand j’ai baisé avec Adam… jamais je n’aurais pu imaginer une seule seconde être anéanti
par ce genre d’orgasme. Mais sais-tu pourquoi ? Pourquoi j’ai été dévasté de la sorte ?

— Je suppose que tu vas me le dire.

Ginto avait voulu user d’un ton sarcastique, mais ce que sa gorge expulsa ressemblait tout juste à
une voix éraillée par le désir. Or, il ne voulait pas ressentir ce genre d’attirance pour le plus grand
félon parmi les félons des Cieux !

— Parce qu’il n’était qu’un pâle substitut à celui qui m’a voué aux flammes ardentes du désir…
« Il me semble l’égal de Dieu, celui qui de ta voix s’enivre… qui lit son bonheur dans tes yeux, et
qui près de toi se sent vivre ! Ce doux sourire quand je te vois me trouble. Interdit, oppressé, sur
ma lèvre expire ma voix… et ma langue reste glacée. Je brûle de feux inconnus qui en moi courent
de veine en veine. Je n’entends plus rien, je ne vois plus rien, je suis tremblant et sans haleine.
J’éprouve une froide sueur plus pâle que l’herbe flétrie, je ne sens plus battre mon cœur… je
n’ai… plus… un souffle de vie. »

Sous le choc de la révélation, Gabriel se retrouva totalement muet. Son sang pulsait étrangement au
niveau de ses tempes.

— Tu ne me demandes pas à qui j’ai volé ces vers ? s’enquit doucement Samaël face au silence de
l’adolescent. J’ai pris sur moi de l’adapter, mais quelle grande poétesse que cette Sappho !
L’aristocratie grecque dans toute sa splendeur…

À la façon dont il dévorait sa bouche du regard, le jeune Français crut qu’il allait l’embrasser. Il
se demanda s’il allait ou non le repousser, mais contre toute attente, le déchu se redressa lentement.

— Tu es désormais plus chaud que je ne le suis, commenta narquoisement l’ange. Je crois que je
n’ai plus d’excuse valable pour me frotter à toi.

Gabriel resta pétrifié tout en l’observant descendre du lit pour ensuite se vêtir de son pantalon
avec des gestes suintants de sensualité.

— Je ne te comprends pas, commenta l’adolescent avant de redevenir promptement silencieux.

Les ailes de Samaël se replièrent davantage, encore et encore, jusqu’à entrer dans la peau et
disparaître entièrement sous le regard médusé du jeune français.

Le déchu baissa la tête puis se mit à rire doucement.

— Je n’arrive pas à fermer mon pantalon, gloussa-t-il d’une voix ténue, comme s’il se parlait
seulement à lui-même.

Il poussa un long soupir et finit par s’asseoir sur le rebord du lit, les avant-bras posés sur ses
cuisses.

— Je vais être obligé d’attendre d’être moins excité, marmonna-t-il en ramassant sa chemise d’une
main et reprenant sa position initiale.

— Que veux-tu réellement, Samaël ? De quel côté es-tu ? Connais-tu la créature que j’ai vue dans
la salle de bain ?

L’ange tourna légèrement la tête vers le boxeur, toujours allongé sous la couverture.

— Toi. Le mien. Oui.

Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres, tandis que Gabriel le dévisageait longuement,
perplexe. Puis, ce dernier se redressa tant bien que mal pour sortir du lit. Ses jambes étaient
flageolantes, ce qui lui donna l’impression d’être un très vieux monsieur qui s’aventurait en terrain
glissant sans son déambulateur.

Lorsqu’il se sentit perdre l’équilibre, il échappa de justesse à une violente rencontre avec le sol de
sa chambre grâce à la rapidité de réaction du déchu, qui vint le soutenir en lui enserrant le bras et la
taille.

— Ça va ? s’enquit ce dernier.

Ginto se dégagea vivement d’une bourrade et, sous le regard attentif de Samaël, se dirigea d’une
démarche faible, vers son armoire.

— Cesse donc d’être sur la défensive avec moi ! Je ne vais pas te sauter dessus et te prendre de
force ! lança l’ange, visiblement irrité. Je ne t’ai jamais rien fait de tel depuis tout ce temps et,
franchement, il serait ô combien difficile de s’amuser à dater mon amour à sens unique.

L’adolescent se figea alors qu’il enfilait un sweat-shirt, puis une seconde plus tard passa sa tête à
travers l’encolure afin de lui jeter un rapide coup d’œil.

Une fois vêtu décemment, il pivota en direction de l’ange.

— Je ne t’ai pas accusé de quoi que ce soit, répondit sobrement le jeune Français. Malgré ton
comportement souvent limite.

Samaël éclata d’un rire franc, le visage renversé en arrière, pour immédiatement plonger un regard
brûlant de colère dans le sien.

— Oh ! Pitié ! Gabriel ! cracha-t-il. Je flirte, soit… c’est la seule chose que je m’autorise afin
d’apaiser un peu ma frustration. Essaie d’imaginer que je te désire depuis la nuit des temps et qu’à
chacune de tes foutues incarnations dans un corps de chair, tu termines inéluctablement avec ce petit
freluquet, dont la nature même devrait t’inciter à t’en détourner sans pitié ni remords ! N’insulte pas
l’amour que je te porte… parce que, sache-le, tu es le seul qui bénéficie de mon affection.
Seulement… seulement, il n’y en a toujours eu que pour Notre Père, Michel, Raphaël et Jacob… ou
devrais-je dire « James ». Ceci n’est pas cité par ordre de préférence, cela a changé au cours de ces
innombrables décennies, termina-t-il avec une ironie emplie d’amertume.

Ginto demeura muet plusieurs minutes avant de lui poser la première question qui lui vint à
l’esprit :

— C’est la jalousie qui t’a poussé à nous trahir ? demanda-t-il d’une voix douce.

— Oui ! Et moi dans tout cela ? J’étais, et je reste, celui le mieux placé pour te comprendre ! Je
suis la Main Droite de Dieu, toi, la Gauche ! Identiques et fusionnels ! Différents et indépendants !
J’aurais dû être le premier vers qui tu aurais dû te tourner, le premier à être aimé de toi, le premier
que tu aurais dû admirer et respecter, le premier à attiser ton désir… Mes yeux étaient constamment
posés sur toi mais les tiens… les tiens se sont à peine levés dans ma direction lorsque j’ai chuté et
disparu hors du regard de Dieu ! Je t’ai haï autant que je t’ai aimé… que je t’aime encore.

— Quelle touchante déclaration ! Je ne sais pas si je dois être ému aux larmes ou très en colère
que tu te confesses à mon amoureux, jeta une voix glaciale.

Gabriel sursauta tandis que Samaël bougea à peine un cil.

— Si tu savais à quel point ta réaction m’importe peu… tu ne prendrais même pas la peine de
l’évoquer et économiserais passablement ta salive, rétorqua le déchu, sans quitter Gabriel des yeux
pendant qu’il s’adressait à James qui venait de dévoiler sa présence.

Les meubles se mirent aussitôt à trembler comme si un séisme était à l’origine de ce soudain
remue-ménage.

— James ! cria l’adolescent en se plaquant contre le mur.

Le seul qui demeurait imperturbable était le déchu, celui-ci bouclait tranquillement sa ceinture sans
prêter attention à l’Anglais. Même lorsqu’un vase, en forme de gant de boxe, lui passa près du visage
pour aller s’écraser non loin de la fenêtre.

— GET OUT{63} ! hurla Longwood en serrant les poings.

Ginto lui octroya une œillade paniquée, mais Samaël se contenta d’y répondre par un demi-sourire
goguenard tout en boutonnant nonchalamment sa chemise.

De nouveau, plusieurs objets volèrent dans la pièce.

— Voilà ce que donne une éducation trop permissive, se moqua l’ange, feignant d’être las – puis il
se tourna enfin vers son soi-disant neveu – James, tu es un vilain garçon ! le réprimanda-t-il.

Soudain, le déchu exécuta un mouvement brusque du bras et James fit un vol plané, seulement
arrêté par le mur qu’il percuta.

— Avec QUI crois-tu t’amuser, sale mioche ? gronda Samaël.

Au moment où l’ange fit un pas en direction de Longwood, Gabriel bondit en avant et le retint pas
le bras.

Le déchu se figea, puis regarda la main du jeune homme avant de glisser jusqu’aux fenêtres de son
âme.

Une immense tristesse contracta ses traits, l’espace d’un court instant.

— Comme toujours… tu joues son chevalier servant, chuchota-t-il.


À ces mots, Ginto détacha lentement ses doigts tout en ressentant une espèce de culpabilité.

Samaël plissa les yeux pendant qu’un sourire revenait sur ses lèvres.

— Eh bien ? Aurais-je réussi à t’émouvoir pour de bon ?

Sans lui laisser le temps de répondre ou de s’écarter de lui, l’ange le saisit par le poignet afin de
l’emprisonner dans une étreinte d’acier. Il lui offrit un profond regard avant de fondre sa bouche
contre la sienne.

Le jeune Français eut un blanc, puis chercha immédiatement à se débattre. Efforts parfaitement
vains face à tant d’inégalité dans leur force physique. Samaël adoucit son baiser, taquina ses dents de
la pointe de sa langue, comme s’il quémandait la permission d’entrer. Chose que lui refusa Ginto,
provoquant un grognement sourd, mais suppliant chez son assaillant.

L’ange poussa un gémissement implorant, rapprocha le corps de Gabriel encore plus près du sien,
comme s’il cherchait à ne faire plus qu’un avec lui. Ses lèvres se décollaient à peine pour mieux
revenir.

Finalement, l’adolescent céda ; il abandonna la lutte et le déchu ne se fit pas prier pour conquérir
ce territoire tant convoité. Sa langue s’enroula autour de celle de Ginto pour ne plus lui laisser une
seconde de répit.

Subitement, contre toute attente, ce fut Samaël qui interrompit leur baiser. Il pressa ensuite son
front contre celui de Gabe.

— Ne me donne pas d’espoir, dit-il d’une voix éraillée.

Puis il libéra le jeune Français pour marcher à pas lents jusqu’au seuil de la chambre ; il s’arrêta
brièvement avant de sortir définitivement.

Gabriel était anéanti par ses propres réactions, et totalement perdu. Ses yeux se posèrent sur
James, inconscient sur le sol. Face à cette image, il se détesta au-delà des mots.

***

Le jeune Français, allongé aux côtés de Longwood, le regardait, un bras replié sous la tête. James
avait l’air si paisible quand il dormait. Fragile aussi. Comme si la moindre épreuve pouvait
l’anéantir.

Qui était-il réellement ? Tout le monde autour de lui semblait le savoir, sauf lui. L’Anglais lui
avait affirmé que découvrir sa nature ou son identité mettrait aussitôt un terme à son existence.
Pouvait-il croire cela ? Pouvait-il accepter d’être lui-même, un de ces êtres évoqués dans plusieurs
religions ?

Soudain, les yeux de James papillonnèrent légèrement avant de s’ouvrir sur Gabriel. Son petit ami
le fixa longuement, sans paraître en colère ou de bonne humeur. Il arborait une expression
excessivement neutre.

— Coucou, fit le boxeur, un sourire penaud sur les lèvres.

Mais Longwood ne répondit pas, préférant uniquement le dévisager.

— Tu m’en veux ? Je veux dire… Pour Samaël. Ce n’est pas ce que tu crois, il m’a juste aidé, car
j’ai reçu la visite de… de quelque chose qui m’a… j’ai cru mourir et…

— Je sais.

Ginto referma aussitôt la bouche, surpris.

— Tu sais ? Tu sais ce qu’était cette… « chose » ?

— Ça aussi… je le sais.

Juste après avoir prononcé ces mots, James inspira profondément puis expira un long soupir tout en
se positionnant sur le dos, la main posée sur son front.

— Je hais Samaël.

— Pourquoi ? s’enquit immédiatement Gabriel, curieux.

Longwood lui jeta un rapide regard irrité.

— Parce qu’il te tourne toujours autour, tiens ! What else{64} ? C’est… ça me rend nerveux et ce
genre d’angoisse génère des réactions bizarres chez moi. Il est si… tout ce que je ne suis pas. Je te
connais, Gabriel. Certainement mieux que tu ne te connais toi-même, mais j’ai le sentiment de ne pas
pouvoir lutter contre Samaël s’il se décide à passer à l’attaque.

— À l’attaque ? Je ne suis pas un trophée et c’est encore moi qui décide avec qui je sors ou avec
qui j’ai une relation amoureuse ! s’énerva Gabriel.

James entrouvrit et referma plusieurs fois de suite les lèvres, sûrement dans le but de s’exprimer,
puis sembla se raviser.

— Parle ! lui intima le jeune Français. Je n’ai droit qu’à de vagues allusions alors que tous, sans
exception, vous paraissez connaître la vérité !

— Tu veux que je te révèle qui est venu te voir ? Ce n’est pas un secret… c’est le Diable.
— Tu te fous de moi ?

— J’en ai l’air ?

Gabriel le scruta attentivement, sans trouver un indice lui signifiant que son amant s’amusait encore
à ses dépens.

— Qu’est-ce que le diable, Gabe ? C’est un nom pour désigner l’essence du mal, « il » n’est pas
réellement une entité à part entière. « Il » est une nécessité à l’équilibre de l’univers. Sans nous, le
bien n’existe pas.

Le frère de Nathan se redressa brusquement.

— « Nous » ? répéta-t-il, le cœur battant la chamade.

James et lui se fixèrent et l’adolescent se sentit subitement très mal à l’aise. Comme lorsqu’il était
arrivé au manoir des Longwood.

— Comme si tu ne t’en doutais pas, Sweetie, fit l’étudiant en esquissant un demi-sourire. Toi et
moi n’avons jamais été du même côté de la barrière. Cependant, je ne suis qu’un pion, tout comme
toi… mais si jamais l’un de nous deux refuse de jouer pleinement son rôle, cela met en péril la guerre
éternelle que se livrent nos partis respectifs. Beaucoup imaginent la lutte du bien contre le mal
comme quelque chose d’épique, à grand renfort de « battles{65} » dignes d’un film fantastique, effets
spéciaux compris. Ce n’est rien de tout cela… c’est horriblement banal, ressemblant davantage à une
prise de pouvoir politique ou à une concurrence agressive de deux grosses sociétés désirant
ardemment le monopole du monde. Bien sûr, nombre des employés ne sont pas humains et possèdent
certains dons, c’est juste dans leur nature. Toutefois, le statu quo a été prononcé à cause de notre
relation. Liberum arbitrium{66}, Gabe. C’est le libre arbitre qui les rend dingues et les empêche
d’user de la force afin de nous séparer pour de bon. C’est le seul concept que respectent nos deux
partis. Le tien, par défaut, car sans libre arbitre, point d’erreur et sans erreur, pas de punition Divine,
il faut donc, en toute logique, avoir la possibilité d’en commettre une… le nôtre, car offrir l’occasion
de fauter est une chance sur deux d’apporter de l’eau au moulin de notre œuvre. Même si le degré
d’appréciation de ladite faute est sujet à discussion d’un camp à l’autre… termina James en riant
doucement.

Ginto passa nerveusement les doigts dans l’épaisseur de ses cheveux.

— Quoi ? Ils attendent tous que l’un de nous deux rejette l’autre pour reprendre leurs
« activités » ?

James le contempla, stupéfait, puis éclata bruyamment de rire à en avoir les larmes aux yeux. Il
plaça même ses mains sur son ventre, signe que son fou rire en devenait douloureux.

— Gabe… you kill me, you know{67} ? hoqueta-t-il en s’asseyant à son tour. Oui, fit-il ensuite en
s’essuyant le coin de chaque œil. Oui, c’est à peu près ça. Cela ne signifie pas que tout se déroule à
la loyale et que chaque côté n’essaie pas de tirer un avantage de la situation. Néanmoins, c’est la
première fois que le « Destructeur » intervient aussi directement. Nous avons toujours répété le même
cycle, encore et encore, et tout ceci s’est terminé également d’une façon identique. Quelque chose
doit avoir changé cette fois-ci…

— Et c’est bon signe ?

Longwood tendit son bras pour lui caresser tendrement la joue pendant que l’incertitude voilait son
regard et assombrissait son expression.

— Je n’en sais rien… peut-être.

« Ou pas » ajouta mentalement le frère de Nathan.

— Je ne veux plus rencontrer cette… ce… truc, annonça Gabriel en ravalant une nausée.

James retira vivement ses doigts, détourna les yeux pour se mettre à tirer sur un fil de la
couverture.

— Tu ne risques rien… Samaël l’empêchera de t’atteindre physiquement, murmura-t-il.

— Samaël n’est qu’un ange déchu et… comment l’as-tu appelé ? Le « Destructeur », c’est le mal
absolu.

James émit un petit rire amer.

— Samaël… ô combien je le déteste, ajouta-t-il rapidement d’une voix inaudible. Samaël, reprit-il
plus fort, n’a jamais tenté de s’interposer, il s’est seulement contenté d’assister au spectacle, auditeur
silencieux et presque neutre. De temps à autre, il essayait de te séduire, mais… là, il vient clairement
de prendre position en te portant secours. Il possède une puissance phénoménale. Comparativement
parlant, Lucifer est un petit joueur. Et si je devais lui trouver un alter ego à l’un des vôtres, je ne suis
pas certain que Michel parvienne à le battre. Toi… toi aussi tu pourrais être très fort, mais tu t’es
toujours bridé, tu t’es trop souvent plié au simple rôle de Messager alors que, concrètement, tu n’as
rien à envier au chef de l’armée Céleste ou à Samaël. Tu as toujours souffert d’un gros manque
d’ambition, pouffa ensuite l’étudiant, plus joyeux. Mais c’est aussi ce qui fait ton charme…

— Ravie de l’apprendre, bougonna Gabriel en descendant du lit. Je change de sujet, parler de


Samaël ne me plaît pas plus qu’à toi ; pourquoi ne vas-tu pas aux leçons de mon frère ? Tu sais qu’il
va finir par être renvoyé, et moi avec, si tu persistes à faire l’école buissonnière.

— Buissonnière ? What is it{68} ? demanda l’Anglais, avec perplexité.

Ginto se tourna brutalement dans sa direction, l’index tendu, un air faussement furieux sur le
visage.
— Tu le saurais si tu n’avais pas manqué les leçons !

James sourit. Il s’agissait d’un vrai sourire, dépourvu de malice ou d’ironie.

— Allright, it’s okay{69}. J’irai aux leçons de mister{70} Ginto Nathan… Mon père, toi… vous avez
gagné. À une seule condition.

Le boxeur haussa un sourcil interrogateur et Longwood lui adressa une œillade artificiellement
humide en réponse :

— Que tu y viennes aussi.


Chapitre 12

- De ta flamme -

Gabriel regardait le polycopié sans vraiment déchiffrer les phrases. Il s’amusait à tapoter
régulièrement son stylo contre ses lèvres. Il était en cours et devait bosser sur un projet de physique,
par équipe. Forcément, James lui avait fait comprendre d’un seul regard qu’il travaillerait avec lui.
Urielle s’était incrustée d’office, un large sourire sur la bouche, même si celui-ci semblait scander
« c’est juste pour te rendre dingue ». Assis face à l’Anglais, Ginto n’osait pas lever la tête de la
feuille tant il se sentait observé par le lycéen.

Brusquement, il sentit quelque chose lui frôler le genou et son stylo vola dans les airs quand il
comprit que c’était le pied déchaussé de Longwood qui venait de se poser sur son entrejambe.

Il jeta un rapide coup d’œil à James avant de se cacher le visage d’une main tandis que l’autre
essayait de repousser les orteils audacieux.

« Arrête ça ! » formula sa bouche sans émettre un seul son.

« No » s’amusa à lui répondre l’Anglais de la même façon.

Le quatrième élève faisant partie de leur équipe et qui se trouvait juste à la droite de Longwood
parut ne rien remarquer, mais l’ange posté à ses côtés capta son agitation.

Lorsqu’il perçut son regard appuyé, puis entendit son ricanement moqueur, il sut qu’Urielle avait
compris le manège de James et crut mourir de honte. Surtout que son sexe réagissait plutôt bien à la
caresse qu’il subissait.
Soudain, n’y tenant plus, il repoussa le pied avec force, le regard braqué sur la fenêtre près de lui,
comme si de rien n’était.

L’Anglais étouffa un rire pendant que Gabriel, les joues en feu, essayait de penser à quelque chose
de triste afin de calmer son excitation.

Le reste de la journée se déroula plutôt bien, jusqu’à ce que son petit ami le rejoigne à la
bibliothèque. Le boxeur cherchait plusieurs romans dans la langue de Shakespeare, dans le but
d’améliorer son niveau.

— Hello, you{71}… fit une voix qu’il reconnut sans peine.

L’adolescent tourna la tête dans sa direction, un livre dans chaque main. James était accolé à l’une
des étagères, les bras croisés sur le torse, et le contemplait, une moue séductrice sur les lèvres.

— Tu n’as pas cours sur un truc d’économie, là ? l’interrogea le jeune Français tout en reprenant
ses recherches.

— Truc, truc, truc… chantonna Longwood. I Likes this word… and No{72}. Je dois partir, j’ai une
leçon d’équitation en vue d’un concours… tu veux venir avec moi ?

— Désolé mais j’ai pas mal de boulot à f… attends, d’habitude, tu ne me proposes jamais. Y’a une
raison particulière derrière cette offre ?

— Se rouler dans le foin, for that you can touch me everywhere{73}.

— Liar{74}, rétorqua Gabriel sans le regarder.

— No ! That’s true ! You really can touch me… everywhere{75}.

Le jeune Français s’accroupit pour replacer un ouvrage dans le rayon avant de finalement pivoter
vers James. Il le dévisagea longuement, l’air sérieux.

— C’est quoi le problème ? demanda-t-il après plusieurs secondes de silence.

— Anything{76}.

— Tu ne t’adresses à moi pratiquement qu’en Anglais, il y a forcément un souci.

Devant l’expression fermée qu’affichait Longwood, Gabriel soupira et l’invita à se rapprocher de


lui de l’index. James hésita un court instant puis se décida à obtempérer pour venir s’accroupir à son
tour près de son amant.

— What{77} ? lança-t-il, bougon.

Le boxeur lui pinça les joues, rit devant la figure déformée du jeune aristocrate puis prit son visage
en coupe, son regard plongé dans le sien.

Il se pencha brutalement afin de l’embrasser, mais le mouvement brusque entraîna leur chute à tous
deux.

Se rendant compte de la position équivoque dans laquelle ils se retrouvaient, Gabriel esquissa un
geste afin de se relever, mais James l’emprisonna en passant ses bras derrière sa nuque.

Leurs yeux demeurèrent liés un long moment avant que Longwood ne baisse lentement ses
paupières tout en cherchant sa langue de la sienne.

Ils risquaient de se faire surprendre, mais le jeune Français perçut une émotion imprégnée de
désespoir dans l’attitude de James. Il le serrait avec force et son baiser possédait le goût de la peur.
Que craignait-il ?

Gabriel ferma lui aussi les yeux afin de répondre avec passion à son étreinte, une main sur la
cuisse droite de son petit ami, tandis que l’autre caressait doucement les boucles blondes en un geste
qui se voulait apaisant.

Puis, finalement, James le libéra, le regard étrangement triste. Ginto l’observa minutieusement,
fouillant les fenêtres de l’âme de l’étudiant anglais en quête d’une explication inconsciente de sa part.

— Que t’arrive-t-il ? l’interrogea-t-il d’une voix ténue.

Longwood prit une profonde inspiration sans fuir l’examen inquisiteur des prunelles de celui qu’il
aimait.

— Samaël m’a envoyé un texto m’informant qu’il t’attendait à la sortie des cours, lâcha-t-il d’une
seule traite.

Gabriel arqua un sourcil.

— Et c’est ça qui te met dans cet état ?

James détourna la tête tout en le repoussant gentiment.

— Tu ne comprends pas ce que je ressens.

Tandis que le lycéen se relevait, le boxeur toujours au sol, le fixait, perplexe.

— Non, je ne comprends pas que tu ne me fasses pas confiance… sachant que tu es le mieux placé
pour dire que je ne t’ai jamais trahi, même par le passé, visiblement.

— Je t’ai également dit que, cette fois-ci, les choses avaient l’air différentes, objecta Longwood en
défroissant machinalement sa veste.
— Que Samaël se comporte autrement, soit. Mais quel rapport avec ce que j’éprouve pour toi ?

— Il se comporte autrement, car Toi tu agis autrement.

Gabriel se redressa, une expression effarée sur le visage.

— Je n’ai quasiment aucun souvenir de nos anciennes vies, hormis des bribes, et ce, grâce à mes
rêves… comment veux-tu que je puisse agir consciemment d’une autre façon ? C’est… ça me dépasse
ce que tu me sors là !

— Tu l’as toujours ignoré, fais de même dans cette vie ! s’énerva James. Dès qu’il est dans les
parages, tu… you look this guy with a fucking attitude of dog in heat !{78}

— Hein ! fit l’adolescent, interloqué autant par ce qu’il avait compris des propos que par la colère
subite de son amant.

— It’s true{79} ! hurla James, en se tournant vivement vers lui. Oh, whatever ! You can fuck with
him !… Bullshit !{80}

Sur ce dernier mot, Longwood sortit d’un pas furieux de la bibliothèque, sous le regard médusé de
Gabriel.

Avait-il réellement des réactions ambigües vis-à-vis de l’ange déchu ?

***

Une fois dans le couloir, Gabriel ressentit subitement une étrange atmosphère. Le bâtiment semblait
s’étirer comme si sa vision devenait floue et il dut poser une paume contre le mur le plus proche tant
cela lui donnait le tournis. Le jeune homme éprouva également des difficultés pour respirer
normalement tandis que son estomac se tordait sous de furieuses crampes.

Les élèves présents revêtirent une forme hideuse n’ayant plus rien d’humaine. Leurs teints se
parèrent d’une couleur cendrée, leurs yeux se réduisirent à deux globes d’un blanc laiteux et leurs
bouches lui semblèrent mutilées de la plus horrible des manières.

Ginto porta une main tremblante à sa gorge, puis distingua une silhouette noire non loin de lui. Une
silhouette lui rappelant vivement celle rencontrée dans la salle de bain. Les prunelles rouge sang
confirmèrent son hypothèse.

Le « Destructeur » restait là, le scrutant de son regard sanguinolent tout en souriant.

Les battements de son cœur redoublèrent si bien que le jeune Français décida aussitôt de se rendre,
le plus rapidement possible, vers la sortie, située dans le hall principal. Il devait fuir… et tout de
suite !

Dès qu’il posa un pied dans la cour extérieure, il inspira plusieurs grosses goulées d’air afin de
s’aider à chasser la nausée le torturant.

Tout en s’avançant en direction du portail, sa démarche devint moins vacillante. Intrigué, il stoppa
net en remarquant un petit attroupement de jeunes étudiantes. Puis en comprit immédiatement la
raison…

Cette dernière était appuyée contre une superbe Porsche, aussi noire que le costume et la chemise
qu’elle arborait. D’ailleurs, celle-ci était largement déboutonnée sur le torse. Une paire de lunettes
de soleil lui tombait légèrement sur le nez, pendant qu’un sourire séducteur étirait sa bouche
incroyablement sensuelle. Pas étonnant que les demoiselles agglutinées à l’entrée frôlaient l’hystérie.

Lorsqu’il extrait une cigarette de son paquet, rangé dans la poche intérieure de sa veste type blazer,
elles retinrent leur respiration, complètement hypnotisées. Gabriel leva les yeux au ciel devant tout ce
cinéma, bizarrement agacé par son succès… sans néanmoins être véritablement jaloux de lui.

Était-il envieux que le déchu se donne en spectacle afin d’attiser la convoitise et exciter la bande
de péronnelles en fleur ?

Il s’interrogeait encore à ce sujet quand Samaël, dans toute la splendeur d’une séduction passive,
alluma ladite cigarette pour en tirer une longue bouffée.

Ce fut à cet instant précis que l’ange remarqua Ginto pour aussitôt sceller son regard au sien. Le
déchu recracha nonchalamment la fumée bleutée par les narines ainsi que la bouche. L’ultime touche
« mauvais garçon » faisant se pâmer la tribu féminine dans la seconde. Celle-ci se mit à caqueter de
petits cris dignes de fans de rockstar.

L’expression irritée de Gabriel provoqua une mimique amusée chez Samaël, qui, de l’index,
replaça ses lunettes probablement afin de soustraire ses yeux aux rayons peu agressifs du soleil
anglais.

Lorsqu’elles réalisèrent que le séduisant propriétaire du luxueux véhicule était là pour le nouvel
élève, les lycéennes s’écartèrent telle la mer rouge face à Moïse.

Elles le scrutèrent avec dépit, mais aussi de l’envie dans le regard.

Mal à l’aise face à cette attention renvoyant tant d’ondes négatives, Ginto chemina vers le
prestigieux véhicule tout en réajustant l’anse de son sac à dos sur son épaule. Il affichait un air
faussement décontracté qu’il était très loin de ressentir.

— Bonjour, bel étudiant… avez-vous comblé à satiété votre désir d’apprendre et êtes-vous prêts
pour un tout autre enseignement ? Je vous promets que ce dernier sera bien plus stimulant ! le salua
l’ange déchu avant de lui ouvrir galamment la portière.

— Pourquoi est-ce toi qui es venu me chercher ? demanda abruptement Gabriel, en guise de
réponse.

Un sourire prédateur se dessina sur les lèvres de l’ange.

— Mon initiative aurait-elle malencontreusement créé quelques dissensions entre les deux jeunes
amants ? Si c’est le cas…

Au moment où l’adolescent s’engouffrait dans la Porsche, Samaël s’inclina afin de lui murmurer à
l’oreille la fin de sa phrase :

—… je n’en suis pas le moins du monde désolé. Je dirais même que cela me réjouit.

Celle-ci lui valut un regard noir de la part de Ginto, attitude qui provoqua un gloussement
typiquement masculin chez le propriétaire de la voiture à l’allure ostentatoire.

Après avoir jeté son mégot et l’avoir écrasé de la pointe de sa chaussure, Samaël alla prendre
place du côté conducteur.

Gabriel, totalement admiratif, apprécia malgré lui l’intérieur sportif du coupé.

Une Porsche Cayman S, la « black édition » s’il vous plaît ! Cet engin devait passer du zéro au
cent kilomètres par heure en cinq secondes à peine…

Samaël fit vrombir le moteur en démarrant la sportive, une moue goguenarde sur le visage.

— Tu aimes ? s’enquit-il.

— Qui ne l’aimerait pas ? marmonna l’adolescent en attachant sa ceinture de sécurité.

Le déchu éclata d’un rire sonore, puis accéléra pour s’engager sur la route déserte.

— Tu n’as toujours pas répondu à ma question, le relança Gabriel en fixant son profil.

L’ange, l’attention braquée sur la route, passa une vitesse et la Porsche poussa un puissant
ronronnement proche du rugissement.

— Notre connaissance commune en a après toi. Ce soir, je préfère garder un œil sur ta séduisante
personne.

— Qui entends-tu par « connaissance commune » ? Le « Destructeur » ?

Le conducteur ricana brièvement.


— Oui, on peut le nommer ainsi… je suppose. C’est James qui lui donne ce charmant sobriquet ?

— Que me veut-il ? Me tuer ? se renseigna Gabriel en tirant machinalement sur l’anse de son sac à
dos, posé sur ses genoux.

— Non. Bien trop simple. Il veut que tu passes de son côté. Il t’aime beaucoup et te déteste avec
autant de force, sinon plus.

— Il… quoi ?! s’étrangla le jeune Français en lui jetant un regard en biais.

Une expression amère, voire cynique, figea les traits du déchu.

— Tu es à la fois ce qu’il convoite pour gagner sa bataille et tout ce qu’il rejette. Vois-le comme
un grand PDG qui désire s’approprier l’un des employés de la société concurrente.

— James a fait une analogie similaire, murmura Gabriel, l’attention verrouillée sur sa besace.

— Ah bon ? Ce n’est pas étonnant, cela correspond parfaitement à la situation.

Un long silence s’instaura entre eux, seulement rythmé par la conduite du fabuleux véhicule qui
filait à une vitesse étourdissante sur l’étroite route bordant le ravin. Du côté conducteur de la voiture
se trouvait l’océan, et du côté de Ginto, le pan abrupt et rocheux d’une montagne. Il y avait quelque
chose de celtique dans le paysage anglais où il habitait désormais.

— Nous allons où ? Chez toi ?

Samaël lui accorda une rapide œillade en souriant avant de poser ses prunelles en direction du
pare-brise.

— Oui… mais seulement après avoir fait quelque chose.

— Quel genre de chose ? l’interrogea l’adolescent, soupçonneux.

— Si j’en juge par ton expression, tu es en train d’imaginer que je souhaite accomplir des actions
perverses à ton égard, me trompé-je ?

— Ce n’est pas le cas ? rétorqua Gabriel, acide.

Là encore, le déchu rit bruyamment.

— J’ai toujours envie de te faire des vilaines choses afin d’entendre le chant mélodieux de tes
orgasmes, multiples de préférence… mais non. Ce n’est pas ce que j’ai en tête, du moins, ce n’était
pas ce que j’avais en tête avant que la conversation ne dévie sur le sujet, rectifia-t-il.

Soudain, Samaël fit effectuer un brutal demi-tour au coupé, pour l’arrêter près de l’extrémité d’une
falaise surplombant la mer. Le soleil couchant teintait le ciel d’un rose tirant sur l’orangé. Perplexe,
le jeune Français se tourna vers le conducteur.

Sans une explication, le déchu défit sa ceinture de sécurité puis sortit du véhicule, tandis que Ginto
préféra attendre sagement à l’intérieur.

Le boxeur le suivit des yeux, mais sursauta quand l’ange commença à ôter sa veste pour ensuite
défaire sa chemise, bouton par bouton.

Mais que lui prenait-il ?!

Une fois torse nu, le déchu pivota dans sa direction afin de l’inviter à le rejoindre d’un mouvement
de la tête. Gabriel hésita, jeta un regard circulaire et se libéra de son entrave sécuritaire pour ouvrir
la portière. Il enfonça les mains dans ses poches tout en marchant vers Samaël d’un pas mal assuré.

Brusquement, l’adolescent s’immobilisa en réalisant que l’homme lui faisant face reculait jusqu’à
frôler le bord du précipice.

Leurs yeux s’ancrèrent ; ceux de Ginto s’agrandirent pendant que les paupières du conducteur se
plissaient jusqu’à n’être que deux fentes.

— À quoi t’amuses-tu ? l’attaqua le jeune Français.

L’ange ne répondit pas immédiatement, se contentant de lever les bras vers le ciel, tête penchée en
arrière, comme s’il savourait réellement être à demi nu par un temps pareil !

— Ton dos te fait encore atrocement souffrir, n’est-ce pas ? s’enquit-il en articulant exagérément
chaque syllabe.

Puis il baissa son visage pour à nouveau le fixer attentivement. Gabriel détourna le regard avant
d’opiner, en signe d’assentiment.

Dès qu’il était dans un périmètre trop proche de celui que l’on surnommait la « Main Droite de
Dieu », c’était comme si des griffes invisibles acérées lui déchiquetaient les omoplates.

— Gabriel… tu n’es pas humain.

À cette curieuse affirmation, ce dernier l’affronta directement, les sourcils froncés. Mais Samaël
enchaîna sans lui laisser le temps de répliquer :

— Je sais que tu ne me détestes pas… enfin, je l’espère, parce que je m’apprête à accomplir un
acte suicidaire. Je vais sauter de cette falaise et si tu ne veux pas avoir la mort de mon corps de chair
sur la conscience, il va falloir que tu les laisses « sortir » et que tu me sauves.

— Qu’est-ce que… mais… sortir quoi ?!

— Tes ailes, Gabe… tes ailes ! expliqua le déchu juste avant de se jeter dans le vide.
Au début, Ginto ne réagit pas ; il était trop choqué par le geste de l’ange pour parvenir à ne bouger
qu’un cil. Puis il réussit à expulser un long cri horrifié quand son esprit se remit à fonctionner
normalement. Le boxeur se hâta jusqu’au bord, le buste incliné en avant, cherchant désespérément des
yeux le fou furieux propriétaire de la divine Porsche Cayman.

Il n’allait certainement pas sauter !

C’était complètement insensé !

Gabriel ne cessait de s’éloigner du point de chute pour y revenir aussitôt, et guetter Samaël. Son
dos l’élançait de plus en plus, les insoutenables douleurs arrivant même à lui entrecouper
régulièrement la respiration.

Soudain, presque machinalement et sans y penser, il se débarrassa prestement de sa veste et de sa


chemise. Il recula de plusieurs pas, prit une ultime inspiration et se mit à courir avant de sauter dans
le vide.

Le temps s’arrêta. Il ne s’écoula plus un grain dans l’éternel sablier et sa chute dura pendant un
moment indéterminé. Ni trop long, ni court… juste insaisissable.

Son corps se mit à tomber, tomber, encore et encore. Gabriel hurla à s’en brûler les poumons. Il
n’était pas un ange. Il allait juste mourir, broyé par les vagues et la force d’impact sur la surface
agitée de l’océan. C’était une mort excessivement stupide, provoquée parce que, l’espace d’une
minute, il y avait cru et maintenant tout était fini… Il imagina le désespoir de son frère… celui de
James. Il vit même ses parents. Une espèce d’hallucination : ils étaient là, serrés l’un contre l’autre,
le regard triste.

Gabriel cria, sans en être sûr, à cause du bruit infernal du ressac contre les rochers. La douleur
cessa brutalement après une dernière souffrance à la limite du soutenable et un miracle se produisit.

Samaël venait de l’entourer de ses bras. Ginto percevait sa chaleur tandis que son torse se
retrouvait pressé contre le sien. Il leva des yeux brouillés de larmes vers le visage du déchu qui
dardait sur lui un regard doux et bienveillant. Les gigantesques ailes, d’un noir de jais, effectuèrent de
longs battements pour les aider à prendre une position verticale. Par réflexe, le jeune Français
s’agrippa à ses larges épaules puis découvrit avec stupeur d’autres ailes. Elles n’étaient pas
blanches, ni aussi noires que celles de Samaël. Leur teinte était d’un gris pâle irisé. En les
apercevant, Ginto eut une série de hoquets totalement incontrôlables. L’ange plaça ses pieds sous les
siens afin de l’aider à se maintenir debout. Si un témoin les avait surpris, il aurait pu se figurer qu’ils
étaient en train de s’offrir une petite danse romantique, langoureuse… dans les airs !

— J’ai cru mourir ! s’écria Gabriel, toujours sous le choc.

Il avait envie d’insulter le déchu, de le remercier de son aide, mais également de le frapper pour
lui avoir fait frôler la mort d’aussi près !
— Elles ne sont pas blanches, commenta-t-il en souriant pour seule réponse.

— Hein ? couina l’adolescent, perdu.

Mais le déchu n’alla pas plus loin dans ses explications, il préféra garder sa mimique attendrie tout
en resserrant son étreinte.

— Prêt ? fit-il soudainement.

— Prêt à qu… ahaaaaaaa !!

L’ange l’entraîna, tête la première vers la mer, piquant du nez tel un avion. Gabriel continua à
s’époumoner tandis que ses ongles s’enfonçaient dans la chair dure des épaules de Samaël. Ce qui
déclencha un fou rire chez ce dernier, éclat que l’adolescent sentit plus qu’il ne l’entendit, car ils
fendaient l’air à une vitesse que leur auraient envié des parachutistes.

Ginto eut le souffle coupé par la température glacée de l’océan lorsqu’ils plongèrent ensemble. Il
ne voyait rien, hormis des bulles provoquées par leurs mouvements, et n’eut pas le temps de
s’inquiéter qu’ils étaient à nouveau dans les cieux.

C’était… c’était… magique ! Extraordinaire !

Le jeune Français éprouvait un sentiment de liberté unique et était complètement ébloui par cette
sensation. Il leva les yeux vers l’ange aux ailes sombres et celui-ci dut le percevoir, car il baissa les
siens.

Leurs regards se lièrent instantanément, étrangement connectés.

En une poignée de secondes à peine, le déchu amorça un atterrissage en douceur, non loin de la
voiture. Ils étaient trempés jusqu’aux os, Gabriel commençait même à ressentir la morsure du froid.

Tandis qu’il grelottait, les fesses sur le sol, Samaël, lui, se redressa, majestueux, tout en grâce. Ses
ailes, ainsi que les plumes noires qui les composaient, s’écartèrent au maximum afin de profiter de la
minuscule brise. Cette dernière fit tomber les petites gouttes d’eau salée.

Ginto réalisa qu’il ne pouvait toujours pas remuer les siennes. Il tenta bien d’imiter le déchu, en
vain.

— Pourquoi je n’arrive pas à les bouger ! grommela-t-il, visiblement frustré.

— Tu ressembles à un bébé qui désire courir avant de savoir marcher ! rétorqua l’ange en riant
franchement. Gabe, adorable bambin qui me rend fou… soupira-t-il ensuite tout en se rapprochant du
boxeur encore assis. De toutes tes incarnations dont j’ai été le spectateur, c’est la première fois
« qu’elles » apparaissent. Laisse-toi… un temps d’adaptation.

Ginto lui lança un regard en biais, légèrement boudeur tout en étant subitement nerveux.
Il comprenait parfaitement la raison qui poussait le déchu à se préoccuper de son sort ; il aurait été
difficile de l’ignorer alors que l’ange ne s’en cachait pas le moins du monde… Mais il devait
également reconnaître qu’il devenait lui-même de plus en plus sensible au charme de ce « démon ».

Tout en l’aidant à se relever, Samaël « rentra » ses ailes alors que l’adolescent en demeurait
incapable.

— Je t’emmène chez moi… tu retourneras au manoir des Longwood seulement demain.

— Je refuse.

— Ce n’est pas comme si je te laissais réellement le choix, spécifia l’ange, comme s’il s’adressait
à un enfant récalcitrant. Le seul qui pourrait vraiment te protéger de… du « Destructeur » n’est pas
franchement pressé de se montrer, donc, tu restes avec moi.

Après avoir ouvert la porte passager de la Porsche, le pseudo oncle de James saisit délicatement
les ailes grises de Gabriel.

Le jeune Français se figea, transpercé par un violent désir qui lui causa immédiatement une
érection qu’il tenta de cacher en s’asseyant rapidement sur le siège.

— Pas si vite… tu risques de te blesser et je dois… Gabriel ? l’appela le déchu, interrogateur. Tu


as un problème ?

Ginto secoua négativement la tête, impuissant face à la réaction de son corps lorsqu’il avait senti
les doigts de l’ange sur cette « nouvelle » partie de lui. C’était aux limites du supportable et le
terrassait entièrement.

— Gabriel ? réitéra Samaël, plus doucement.

Un lourd silence s’instaura entre eux. L’adolescent refusait d’expliquer son malaise et sa gêne.

— C’est normal, lâcha brusquement l’ange d’une voix étrangement basse. Ce n’est pas seulement
un accessoire pour se rendre d’un point à un autre, c’est l’essence même de ce que nous sommes…
notre âme, notre corps, notre nature… l’extase mystique propre à ceux de notre race. Car oui, nous
possédons une âme… sinon, comment pourrions-nous être bannis du paradis à cause de nos péchés ?
N’aie pas honte du plaisir que tu en tires quand je les touche.

Joignant le geste à la parole, la « Main Droite de Dieu » caressa longuement les plumes pâles,
partant de l’intérieur vers l’extérieur, causant sur-le-champ une série de violents orgasmes chez
l’adolescent. Ce dernier se plia aussitôt en deux afin de camoufler les convulsions secouant son
corps. Il respirait bruyamment, ou plutôt, cherchait à aspirer de grosses goulées d’air tout en
gémissant, les yeux écarquillés.

Puis, Samaël retira lentement sa main sans cesser de le fixer avec une attention brûlante pour
finalement s’accroupir devant lui et placer gentiment ses pieds dans la voiture.

Le chemin jusqu’à l’antre du déchu se déroula dans un silence tendu, plein de désir latent et
d’émotions exacerbées.

***

L’antre en question était d’une propreté irréprochable. Il renvoyait même un fort sentiment de
« vide », de solitude, et son style art moderne renforçait cette impression. Du noir et du blanc.
L’éternelle dualité entre l’achromatique et celle obtenue à partir de toutes les lumières des couleurs
existantes. Gabriel se demanda si cela ne résumait pas simplement la personnalité de Samaël. Deux
extrêmes pour un seul et même être.

Ses yeux glissèrent sur la bibliothèque contenant de nombreuses rangées, régulières, de gros
ouvrages. Il remarqua qu’aucune tranche ne dépassait, puis son regard vint englober le reste de la
pièce principale de façon plus générale. Pas une plante verte, ni de poisson rouge en vue. Uniquement
des tableaux monochromes accrochés aux murs en guise de décoration plus que sommaire. Sans vie…
froid, et pourtant… Pourtant, il y avait une ambiance oppressante, vibrante.

En percevant les mains du déchu sur ses hanches, le jeune Français sursauta. Quand il amorça un
mouvement afin de se tourner vers lui, l’ange le pressa aussitôt contre son corps. Ses doigts
s’aventurèrent sur la boucle de la ceinture de Ginto qui les observa, pétrifié par leur audace. Il y
avait un parfum d’érotisme dans la façon de faire de Samaël. Le torse de ce dernier frôlait à peine les
ailes de Gabriel, mais force était de constater que ce contact était amplement suffisant, il était
désormais victime de petites ondes électriques sillonnant son épiderme subitement sensible.

— Enlève ton pantalon… tu vas t’enrhumer si tu restes dans des vêtements mouillés.

L’intonation veloutée et grave employée par l’ancien archange lui hérissa les poils des avant-bras
en une délicieuse chair de poule.

Puis, comme si déboutonner son habit n’était pas assez, Samaël parvint à nicher son menton dans
l’espace creux de l’épaule de Gabriel.

L’adolescent commençait à perdre pied ; seule une partie de lui persistait à lutter ardemment
contre le désir. Celui-ci se déployait dans le réseau de ses veines, déloyal et vénal poison, en quête
d’une victoire tout en accélérant le rythme des battements de son cœur.

Les paumes curieusement chaudes de l’ange effleurèrent subrepticement son abdomen pour
s’insinuer brièvement sous l’élastique de son caleçon. Gabriel cessa instantanément de respirer et sa
position, déjà bien rigide, devint encore plus tendue. Samaël parut le réaliser, car il se figea
également.

Un instant.

Un seul instant pouvant durer une éternité, épinglé à l’échine fragile du temps. Voilà ce qu’ils
vivaient.

Dans un geste inconscient, les lèvres de Ginto s’entrouvrirent, réponse muette à la soudaine
dilatation de ses pupilles : il était sur la pente dangereuse de l’excitation.

Ce ne fut qu’en percevant brusquement le souffle du déchu qu’il comprit que lui aussi s’était arrêté
de respirer lors de ce fameux « instant ». La main de Samaël, jusque-là parfaitement immobile à la
frontière de son pubis, y resta pendant plusieurs secondes avant qu’il ne la retire avec lenteur, non
sans trembler. Preuve indéniable de son trouble.

— Je vais t’aider à les laver… il faut ôter le sel mélangé à la substance qui les protégeait jusqu’à
ce qu’elles sortent.

Dans l’impossibilité d’émettre le moindre son, Gabriel opta pour un bref hochement de la tête afin
de signaler son accord.

Il se fichait royalement que la mer ait laissé des résidus sur son « plumage ». Son unique obsession
se résumait aux possibles caresses de cette athlétique créature ténébreuse, confinée au rang de démon
par les humains.

Samaël s’écarta silencieusement pour disparaître dans une autre pièce, laissant l’adolescent au
bord d’un cataclysme mental sans précédent pour lui.

Il ne pouvait pas céder à l’appel de la luxure sous prétexte que son corps réagissait avec
enthousiasme aux attentions de l’ange déchu !

Que devenait James ?

Son amour pour lui était-il devenu si superficiel ?

Non ! Évidemment que non !

Le jeune Français s’accroupit pour cacher son visage dans les mains. Elles dévièrent
graduellement vers sa bouche tandis que ses yeux se perdaient dans la contemplation de son
environnement, sans réellement le scruter.

Il voulait embrasser Samaël. Il voulait que Samaël le touche, qu’il le… Seigneur !

Ce qui sortit de sa gorge, en irritant son palais de la saveur amère de la culpabilité, ressembla fort
à un sanglot étouffé.
S’il devait reconnaître qu’à chaque étreinte échangée avec James, une forme ardente de la
possessivité l’avait incité à « prendre » son amoureux, avec le déchu, il en allait tout autrement. Une
grande part de lui-même réclamait cette attirante emprise. C’était autrement plus perturbant de se
retrouver face à un besoin primitif d’être dominé, pas au sens sadomasochiste du terme… non, au
sens où il était naturel d’être possédé par l’autre. Par l’esprit, le cœur et le corps ; ceux-ci
entièrement offerts, pris dans les filets avides de l’attente, espoir fébrile que cela se produise pour
être enfin apaisé.

Ses prunelles dérivèrent jusqu’à stopper sur l’une de ses ailes grises. Elles tombaient, traînant sur
le sol carrelé, semblables à des poids dénués de vie. Le jeune étudiant tenta bien de les faire bouger
par la seule force de sa volonté, mais abandonna très rapidement ses efforts inutiles.

— Le bain est prêt, annonça soudainement Samaël.

Gabriel se figea brièvement avant de pivoter légèrement sur ses pieds pour le dévisager. Rien ne
paraissait transpirer sur les traits du déchu, il semblait anormalement… « normal ».

Le boxeur se redressa tout en soupirant puis le suivit à travers la maison.

Lorsqu’il s’arrêta sur le seuil de la seule pièce, éclairée dans le très longiligne couloir où ils se
trouvaient, l’ange s’effaça dans la pénombre afin que Gabriel pénètre le premier. Ce dernier nota
mentalement que les prunelles du déchu luisaient bizarrement, un peu comme celles des chats quand
la luminosité venait à manquer.

Il releva également que Samaël avait changé de chemise, optant cette fois-ci pour une blanche.
Sans plus attendre, il entra et découvrit avec stupeur que la salle de bain possédait seulement une
immense baignoire. Il n’y avait ni lavabo, ni miroir, rien de tout cela… juste une micro piscine
olympique au beau milieu de la pièce. Bassin rempli de mousse à la teinte virginale.

Sa surprise ne passa pas inaperçue car elle déclencha un rire chez celui qui se situait juste dans
son dos.

— C’est… atypique, commenta-t-il, le plus sobrement qu’il put.

— Je suis… atypique, répliqua Samaël, avec un certain amusement.

Ginto termina d’enlever son pantalon préalablement défait par l’ange. Il éprouva quelques
difficultés à retirer ses chaussures, le poids de ses ailes ne lui facilitant pas la tâche. Néanmoins,
l’autre créature présente se garda bien de l’aider, préférant l’observer à loisir.

Être obligé de se déshabiller devant l’ange le gênait autant que cela ravivait son excitation. Même
si son membre était loin d’être dur, il n’était pas totalement sans réaction.

Gabriel se hâta de plonger dans l’immense vasque mousseuse, essayant diverses positions afin de
ne pas être encombré par ses ailes.
Soudain, Samaël s’approcha et, d’une main appuyée contre sa nuque, l’incita à se pousser vers
l’avant. L’adolescent, majeur d’ici quelques jours, obtempéra et attendit que l’ange entreprenne le
nettoyage des « choses » envahissantes qui ornaient ses omoplates. Quel ne fut pas son étonnement
lorsque le déchu, même si pieds nus, entra encore habillé dans la baignoire. Une gerbe d’eau
savonneuse alla joyeusement arroser le sol tandis que l’intrus s’installait plus confortablement sous
les coups d’œil réguliers et épouvantés du jeune homme.

Celui nommé la « Main Droite de Dieu » allongea doucement ses jambes contre les siennes tout en
manipulant délicatement les ailes de Gabriel.

— Pourquoi… commença le boxeur sans trouver une formulation satisfaisante à la question qui lui
brûlait les lèvres.

— Mon sang-froid a ses limites, Gabe. T’avoir nu sous les yeux, t’aider à te nettoyer… soit. Je
peux composer avec… mais si ma peau entre en contact avec la tienne pendant que j’ai les mains sur
tes ailes et que par malheur tu te tortilles en gémissant sous l’extase du touché… je crains de me jeter
sur toi tel un affamé sur un buffet garni. Faible rempart que mes vêtements, je te le concède, mais
nous n’avons que cela sous la main. Cela répond à ta question ?

Ginto chercha à déglutir sa salive sans y parvenir, et pour cause : celle-ci avait déserté sa bouche,
la laissant étrangement asséchée.

Si l’étudiant avait songé un seul instant pouvoir se contrôler, ses certitudes s’ébranlèrent à la
seconde où les doigts de Samaël se posèrent sur ses ailes. Il les lavait avec application et à chaque
effleurement, Gabriel défaillait. Il remerciait la providence de tourner le dos au déchu. Ce dernier ne
pouvait donc pas apercevoir son expression extatique, au bord de l’orgasme. Les paupières closes,
les lèvres entrouvertes, les mains crispées sur ses propres genoux. Les caresses incessantes sur ses
organes angéliques l’enfonçaient dans le sable mouvant de la convoitise charnelle. Son sexe
répondait à l’appel de cette sensation enivrante en se raidissant de manière significative, devenant
rapidement palpitant et gorgé de sang.

Le jeune homme ravalait difficilement chacun des râles qui remontaient obstinément le long de sa
gorge. Discerner la contraction, peut-être involontaire, des muscles des cuisses de l’ange ne l’aidait
pas vraiment. Au contraire, il se mit à désirer violemment que le corps du déchu se love contre le
sien, l’étouffe de son poids… Ginto crut que la folie avait décidé de l’entraîner encore plus loin dans
son côté le plus primitif.

— Samaël… gronda-t-il d’une voix qu’il reconnut à peine.

D’ailleurs, en l’entendant, le déchu stoppa immédiatement sa besogne.

La respiration de Gabriel était si haletante qu’elle se répercutait en un curieux écho dans toute la
pièce.

Comme pour le pousser à bout, ou le tester afin de vérifier si le changement chez le jeune boxeur
provenait de là, l’ange passa amoureusement une paume sur une bonne partie de l’aile gauche de
Ginto, lui arrachant sur-le-champ une plainte de supplicié.

N’y tenant plus, vidant presque la totalité du liquide parfumé emplissant la baignoire, Gabriel se
tourna pour l’embrasser sauvagement.

Samaël ne le repoussa pas, sans néanmoins lui céder totalement.

Ginto avait posé les mains sur ses joues et sa langue tentait avec désespoir de franchir la barrière
des lèvres du déchu.

Une lamentation frustrée s’échappa de la bouche du jeune Français puis une de ses mains partit à la
conquête du corps dont il avait une faim dévorante. Les doigts griffèrent le fin tissu de la chemise
pour se diriger sans hésitation vers l’entrejambe de l’ange. Quand il sentit l’érection de ce dernier,
cela embrasa son propre désir, même s’il avait cru cela impossible vu l’état dans lequel il se trouvait
déjà.

Les mains de Samaël, elles, s’agrippaient férocement sur les rebords de l’énorme vasque au point
où il pensa les briser.

Il subissait l’assaut de Gabriel le plus stoïquement possible, parfaitement conscient que s’il
baissait sa garde, ne serait-ce qu’une seconde : il était fichu. Seulement, l’amour de sa vie… de
toutes ses vies, n’était pas prêt. Le déchu voulait plus qu’une union de leur corps de chair : il désirait
obtenir aussi son cœur, voire son âme. C’était tout ou rien. Même si l’idée de posséder au moins son
corps était la pire des tentations qu’il ait eu à affronter depuis tout ce temps !

Finalement, il capitula sous le baiser enfiévré. Juste un baiser, se promit-il intérieurement tout
caressant tendrement la langue de l’adolescent déchaîné, toujours sur lui.

Quand il perçut les doigts de Ginto sur sa ceinture, il paniqua légèrement et essaya de le repousser
gentiment, en vain.

Tous deux glissaient sous l’eau de la gigantesque baignoire sans interrompre leur échange
passionné.

Samaël comprit qu’il allait craquer ; même s’il réussissait à éloigner les mains insatiables de
Gabriel, ce dernier s’était mis à le stimuler en frictionnant son sexe, toujours prisonnier de son
pantalon. L’ange n’avait plus la force de l’en empêcher, bien au contraire…

Puis, sous l’impulsion du désespoir, il se redressa brutalement, envoyant valdinguer le jeune


homme, sans ménagement, à l’autre bout de la grande vasque. Sa chemise était devenue transparente
et collait chaque renflement musculeux de son torse tandis qu’il incendiait Ginto du regard. L’un et
l’autre respiraient bruyamment, se scrutant attentivement, tourmentés par les affres de la passion.
Mais lorsque les yeux du déchu se posèrent sur la verge dressée de l’étudiant Français, sa raison
parut s’effondrer et un sourire infernal incurva aussitôt ses lèvres. Dans un mouvement trop rapide
pour être une capacité humaine, il se laissa tomber au-dessus de Gabriel, se rattrapant à la dernière
seconde aux rebords. Son visage n’était qu’à quelques millimètres du sien, tant que les mèches de
cheveux de l’ange gouttaient régulièrement sur les joues de l’adolescent.

Samaël le dévorait du regard ; ses prunelles paraissaient être le foyer de flammes capables de tout
ravager sur leurs passages, capables de le consumer… lui. Loin de l’effrayer, cette éventualité attisa
davantage son envie du déchu. Ce désir dut se lire clairement sur ses traits, car la créature au-dessus
de lui plissa immédiatement les paupières, l’air prédateur.

— Tu mériterais que je te prenne ici et maintenant… commença-t-il d’une voix grondante.

Bien que Gabriel demeura immobile, ses yeux, quant à eux, tinrent un discours plus qu’éloquent.

— Ne me pousse pas, Gabriel. Je ne suis pas James. Le jour où tu te donneras à moi… n’espère
même plus pouvoir t’échapper ou revenir en arrière. Parce que ce jour-là tu m’appartiendras et
quiconque osera, ne serait-ce que lever les yeux dans ta direction… je lui arracherai le cœur pour
l’écraser sans éprouver une once de pitié. Alors, réfléchis bien à la portée de tes actes. C’est la
dernière chance que je te laisse. Tu n’en auras pas une de plus, compris ?

Avant même que Ginto puisse réagir, Samaël sortit en un seul bond de la baignoire pour atterrir
doucement sur le carrelage de la salle de bain.

L’adolescent, interdit, fixait son dos large tandis que l’ange se dirigeait vers la porte. La
véhémence de ses propos avait douché son désir, mais pas suffisamment pour ne pas éprouver l’envie
d’accepter la terrible proposition.
Chapitre 13

- De sa prison -

Ce ne fut qu’une fois Gabriel sorti de la baignoire et sagement entouré d’un drap de bain que
Samaël réapparût, à nouveau parfaitement maître de lui-même. Il tenait une pile de linge propre qu’il
déposa à même le sol, à un des rares endroits encore secs. Tout au-dessus se trouvait un sèche-
cheveux dont il se saisit afin d’aller le brancher à l’une des prises murales.

D’un petit geste de la main, le déchu invita Ginto à se rapprocher. Celui-ci obéit tout en nouant la
serviette sur ses hanches. Il évitait de regarder l’ange dans les yeux, honteux de son comportement.

— Assieds-toi, je vais te les sécher avec ceci… et ne t’inquiète pas : cela va être seulement
« agréable » et non te déclencher des extases.

Il n’y avait aucune trace de moquerie dans le ton de sa voix, Gabriel se détendit légèrement.

L’adolescent obtempéra une fois de plus et se laissa choir sur le carrelage tiède. Une pincée de
secondes plus tard, l’air chaud du sèche-cheveux caressait ses ailes en émettant un doux
ronronnement le berçant presque. Les yeux clos, Ginto n’était pas loin de s’endormir.

Soudain, un bruit strident retentit à plusieurs reprises, comme si quelqu’un s’acharnait sur la
sonnette de la porte d’entrée. Samaël ne s’affola pas pour autant et stoppa en toute tranquillité sa
tâche. Le jeune Français lui lança un regard interrogateur auquel il répondit par un demi-sourire
forcé, accompagné d’un clin d’œil.

Quelques minutes après être sorti de la pièce, un éclat de voix qu’il identifia immédiatement lui
parvint, l’incitant à quitter également la salle de bain.

Dans le salon se tenait James Longwood, complètement échevelé, le teint livide de colère tandis
que la fureur faisait luire ses prunelles glacées.

— If you are trying to take me Gabriel, I will kill you… you understand ?{81}

— Such child… You bore me{82}, répliqua Samaël, un sourire froid sur les lèvres.

— Fucking Fallen angel… I hate you{83} ! cracha James entre ses dents.

— Ça suffit ! s’écria Ginto tout en s’avançant d’un pas dans leur direction.

Longwood et le déchu se tournèrent simultanément vers lui. James afficha instantanément une
expression effarée en voyant les ailes de son amant pendant que l’autre ange partait à la recherche de
son paquet de cigarettes, non sans avoir auparavant octroyé un long regard indéchiffrable au frère de
Nathan.

James porta les doigts à sa bouche, les yeux agrandis par la stupéfaction.

— So beautiful{84}… murmura ce dernier sans cesser de s’approcher lentement.

Gabriel ne put s’empêcher d’être agacé par la fascination qu’exerçaient ses nouveaux
« ornements » angéliques sur son amoureux.

— Il n’y a rien de beau dans ces « choses » gênantes, j’ai l’impression de porter un sac à dos de
plusieurs kilos, grommela l’adolescent en détournant le regard.

Mais Longwood l’ignora et tendit une main fébrile vers l’une des ailes. Lorsque Gabriel comprit
son intention, il effectua un bond en arrière, paniqué.

— Non ! Non… ne les touche pas… bafouilla-t-il.

L’étudiant aux boucles blondes lui adressa une œillade interrogatrice tout en suspendant son geste.

— C’est… douloureux ? s’enquit James, intrigué.

— Pas du tout, intervint Samaël.

Il fixa son rival entre ses paupières baissées puis exhala nonchalamment la fumée bleutée de sa
cigarette à peine entamée. Un sourire équivoque se dessina sur sa bouche pleine et l’expression qu’il
afficha en cet instant ressemblait fort à celle d’un serpent se délectant par avance de faire souffrir sa
proie.

— En fait… ça lui donne des orgasmes à la chaîne et l’excite de façon totalement indécente,
poursuivit-il d’un ton lascif.
James pivota vivement afin de l’affronter directement.

— What ?!{85}

Sans même prendre la peine de chercher un cendrier, le déchu tapota son mégot pour ensuite
plonger de nouveau ses yeux dans ceux de l’Anglais.

— Oh… j’oubliais un détail… vu ta… « nature », cela ne lui fera sûrement pas le même effet.

Samaël inspira profondément puis soupira, singeant d’éprouver une sincère désolation envers
James.

— La vie est terriblement injuste. Je l’ai vu jouir d’une façon qui demeurera un insondable mystère
pour toi.

Longwood serra les poings, les traits crispés par une rage froide pour finalement arborer une
mimique détendue la seconde suivante, presque aussi joueuse que celle de l’ange.

— Tout comme tu ne connaîtras jamais son expression quand il succombe à la petite mort,
profondément ancrée en toi, shitass{86}.

Gabriel se passa une main lasse sur le visage. Il était seulement vêtu d’une serviette éponge
humide et spectateur d’un pitoyable combat de coqs.

— Vous avez fini tous les deux ? lâcha-t-il, fatigué. Dans le cas contraire, je vous laisse continuer
à jouer à « qui pisse le plus loin »… moi, je vais me coucher.

Ginto leur tourna simplement le dos pour s’enfoncer dans le couloir sans réaliser qu’il ne savait
pas dans quelle pièce se rendre. Néanmoins, il eut le loisir d’entendre quelques bribes de la
conversation des deux créatures s’invectivant dans le salon :

— Pourquoi je le retrouve avec des ailes et surtout complètement nu ? Fucking of perv !{87}

— You bore me… again, James. I likes so much his body. Gabriel is so sexy, isn't it ?{88}

— I hate you !{89}

— Me too, my dear.{90}

Ginto ouvrit plusieurs portes et finalement opta pour une chambre très ordonnée, supposant qu’elle
était inoccupée. Il ôta prestement la serviette puis s’allongea sur le ventre, épuisé, le cœur serré avec
un seul désir : appeler son frère et tout lui raconter. L’adolescent s’endormit rapidement sans même
s’en apercevoir.
***

— Cinq chambres et tu choisis la mienne… les voies du Grand Patron sont impénétrables, lui
chuchota une voix aussi câline qu’amusée.

Le cerveau de Gabriel enregistra bien les propos murmurés, mais il était encore trop prisonnier du
sommeil pour parvenir à réellement émerger.

Ce fut une audacieuse caresse sur ses fesses qui lui insuffla l’énergie de soulever ses paupières,
voire d’amorcer, un mouvement afin de se redresser.

— Debout « beau au bois dormant »… ton très agaçant petit ami t’attend avec impatience à la
deuxième porte à gauche en sortant de ma tanière.

Mais avant qu’il puisse totalement se lever, Samaël s’allongea sur lui, appuyant son torse contre
ses ailes. Quand le frère de Nathan sentit que le déchu était lui aussi entièrement nu, il poussa une
exclamation à moitié étouffée par la couverture. Finalement, il arriva à tourner son visage sur le côté
et s’insurgea :

— Mais qu’est-ce que tu fous ?!

L’ange glissa ses mains entre le matelas et le bas-ventre de Gabriel.

— Je me recharge, répondit très sérieusement le déchu.

— Tu te… ! Je peux savoir pourquoi tu es à poil ?

Samaël rit doucement tout en pressant davantage ses hanches au postérieur rebondi et musclé du
jeune homme sous lui.

— Tu dors nu… je dors nu… Tu as des ailes, moi aussi. Tous ces points communs sont un signe,
Gabe. Tu es un ange… tu ne dois pas ignorer les signes.

— Je t’en foutrais des signes ! s’énerva ce dernier.

Il se contorsionna afin d’échapper au corps avachi sur le sien, ce qui provoqua un franc éclat de
rire chez Samaël qui se mit à lui chatouiller les côtes.

Le boxeur redoubla d’efforts et réussit même à le faire basculer sur le côté, seulement l’ange en
profita pour lui prendre le visage en coupe et l’embrasser. Ses lèvres s’écrasèrent sur sa bouche avec
passion, mais l’adolescent perçut bien plus que cela. La langue de l’ange vint s’enrouler autour de
celle de Gabriel et celui-ci faiblit sous le délicieux assaut.

— Je t’aime tellement, souffla le déchu contre ses lèvres.


Puis il approfondit son baiser pendant que ses doigts glissaient vers la nuque de Ginto. Ce dernier
gémit alors que son corps s’arquait, se tendait vers celui de Samaël.

Oui, il sentait son amour. À sa façon de le toucher, de l’embrasser, dans le ton de sa voix tandis
qu’il prononçait son prénom comme on soupire des mots tendres.

— Viens à moi, Gabe, le supplia-t-il.

Désormais, il déposait savamment une pluie de baisers le long de la mâchoire du jeune Français,
incarnation vivante d’un des plus respectés des archanges. La bouche de Samaël descendait
inexorablement, venant se lover amoureusement contre les veines palpitantes de sa gorge alors que
ses doigts partaient explorer le corps du boxeur.

— Je t’aime… donne-toi à moi, mon amour, mhm ?

Gabriel, dont l’érection frôlait l’abdomen du déchu, se laissait emporter par les caresses. Elles
étaient semblables à des vagues brûlantes d’une mer de désir brut cherchant à l’emmener plus loin,
vers des rives qu’il voulait atteindre plus que tout.

Ses mains s’agrippèrent aux cheveux soyeux de l’ange comme un noyé s’accroche à une bouée de
sauvetage.

— Aime-moi, Samaël, gémit-il, vaincu. Aime-moi…

Sitôt cette requête énoncée, le déchu posa ses mains sur le haut de ses cuisses, enfonça ses ongles
dans la peau ferme de Gabriel afin de le ramener au plus près de son propre, entrejambe dressé.

Soudain, une douleur fulgurante arracha un cri à l’étudiant Français ; des crochets invisibles
s’acharnaient subitement sur ses omoplates. Ginto hurla encore et Samaël le relâcha immédiatement,
comprenant ce qui se passait : les ailes regagnaient leur écrin de chair. Le déchu l’aida à s’asseoir
sur le lit, puis lui encercla affectueusement la taille pour commencer à le bercer doucement.

— Ça va aller, tenta-t-il de le rassurer d’une voix apaisante.

Le frère de Nathan posa sa joue sur l’épaule de l’ange, complètement sonné par la souffrance qu’il
subissait. Elle inondait son dos, lames impitoyables partant du bas de ses reins pour venir mourir
dans sa nuque.

Ce fut dans cette position que James les découvrit en ouvrant brutalement la porte. Gabriel avait
certainement mis trop de temps à le rejoindre et la jalousie l’avait poussé à en vérifier la raison.

— SAMAËL ! vociféra-t-il depuis le seuil de la chambre.

L’ange détacha un bras du corps tremblant de Ginto et le plaça lentement vers l’arrière sans même
tourner la tête en direction de l’Anglais. Il écarta doucement les doigts et une salve de pouvoir,
imperceptible pour un œil humain, s’en dégagea pour envoyer Longwood contre le mur du couloir.

En réponse à ce geste, un véritable séisme secoua la maison, puis un long grondement sourd,
totalement inhumain, retentit depuis le torse de James. Ce dernier restait immobile, le visage
camouflé par ses avant-bras croisés.

Gabriel souleva péniblement ses paupières afin de chercher son amant du regard et s’assurer qu’il
n’était pas blessé.

— James, l’appela-t-il mollement. Samaël… lâche-moi, s’il te plaît, réclama-t-il ensuite, tout
aussi faiblement.

Le déchu se raidit, le scruta brièvement pour finalement soupirer et le libérer à contrecœur.

Ginto s’écarta avec des mouvements d’une maladresse digne d’un bébé âgé de quelques mois, mais
parvint à descendre du lit sans s‘effondrer. Complètement nu, s’aidant des murs ou des meubles, il
avança, d’une démarche saccadée, jusqu’à la créature aux boucles blondes qui continuait à émettre un
étrange son colérique.

— Ne me regarde pas, cracha James de son affreux timbre.

L’épaule appuyée contre le chambranle afin de s’aider à maintenir une position stable, Gabriel
l’observa longuement, le corps en sueur et agité par une multitude de frissons.

— James, l’appela-t-il encore, d’un ton très doux.

— Pourquoi m’abandonnes-tu pour lui ? sanglota Longwood de sa voix méconnaissable. Pourquoi


faut-il qu’il soit toujours celui qui t’éloigne de moi ?

Un pauvre sourire étira la bouche de Ginto.

— Je ne comprends pas un traître mot de ce que tu racontes…

Mais il n’eut pas le temps d’en dire davantage que James se releva et s’enfuit rapidement vers le
salon.

Vêtu d’un pantalon noir, Samaël surgit à ses côtés pour lui offrir un bas de jogging. Ginto
contempla le vêtement un court instant, indécis, puis leva les yeux jusqu’à rencontrer ceux du déchu.
Les prunelles de l’ange ressemblaient à des forteresses impénétrables et l’adolescent ne réussit pas à
y lire autre chose que son propre reflet.

— Tu aurais raison d’être en colère, lâcha-t-il subitement.

— Je le suis à chaque fois que tu me repousses, surtout pour lui… mais malheureusement, cela ne
dure jamais bien longtemps. Tu as un sale effet sur moi, Gabe. Tu me rends meilleur que je ne le suis
réellement.
Puis le déchu quitta à son tour la chambre pour retrouver celui qu’il estimait n’être qu’un sale
gosse capricieux et trop gâté.

Quant à Gabriel, la culpabilité qu’il ressentait le rongeait presque autant que la passion
grandissante qu’il éprouvait envers la « Main Droite de Dieu ». Des problèmes de toutes sortes lui
étaient tombés dessus depuis son arrivée en Angleterre et il commençait à sévèrement saturer !

L’adolescent batailla pour enfiler le pantalon généreusement prêté par Samaël. Même si ses ailes
ne le gênaient plus, son équilibre restait assez précaire. Lorsqu’enfin il réussit, Ginto s’aventura
aussitôt dans le couloir en quête des deux autres créatures.

Il les retrouva dans le salon : James était accroupi dans l’angle de la pièce, la tête cachée dans ses
bras, genoux repliés. Il se berçait d’avant en arrière, tout en marmonnant des paroles inintelligibles.
L’ange, lui, le contemplait, les mains enfoncées négligemment dans les poches.

À son apparition, le déchu se tourna dans sa direction, une expression neutre sur le visage.

— Plus la date de son anniversaire approche, plus il devient… ingérable. Surtout quand il s’agit
de toi.

Le jeune Français l’interrogea du regard, mais pour toute réponse, Samaël se contenta d’esquisser
un sourire mauvais.

— Mais qui est-il ? Un ange déchu ? Un… un démon ? insista Gabriel avant de reposer ses yeux
sur son amant qui continuait à se balancer.

L’homme se tenant à sa droite éclata d’un rire aussi franc que bruyant.

— Un démon ? James ? s’esclaffa-t-il. Un démon… répéta-t-il encore en soupirant. Non, il est bien
pire que ça, il…

Des coups violents, frappés à la porte d’entrée, interrompirent l’ange dont les traits se durcirent
sur-le-champ.

Les prunelles de Ginto allèrent de l’un à l’autre plusieurs fois d’affilée. Il se sentit brusquement
anxieux.

Samaël se dirigea vers la porte, chacun de ses muscles visibles paraissait tendu à l’extrême.
Lorsqu’il l’ouvrit, le jeune Français ne réussit pas à identifier la personne qui provoquait cette
curieuse réaction chez le déchu.

— Tu ne me laisses pas entrer ? demanda une voix grave et douce.

— Tu n’es pas le bienvenu, Luc.

— Tu as des…
L’étranger ne termina pas sa phrase, car il venait de se pencher afin de jeter un œil à l’intérieur.
Son regard s’arrêta sur Gabriel, qu’il scruta attentivement, faisant glisser sur le boxeur deux
prunelles, si sombres, qu’elles en paraissaient entièrement noires.

— Je vois, termina-t-il en souriant froidement. Cela explique pour quelle raison… notre
connaissance commune se radine chez toi.

Le déchu le jaugea longuement pour finalement s’effacer afin que Luc puisse pénétrer dans la
maison.

Ce dernier était vêtu intégralement de noir de la tête aux pieds. Jean slim et une sorte de pull aux
mailles très larges dans un style un peu punk. Ses cheveux, couleur ailes de corbeau, étaient dressés
sur sa tête à l’aide d’une bonne dose de gel. C’était un homme très séduisant, mais auquel il était
difficile de donner un âge… malgré son look, son regard démentait la vingtaine qu’il semblait avoir,
et il dégageait de lui une sorte de lumière qui piquait les yeux de Gabriel.

Tandis que l’adolescent le dévisageait, le nouvel invité en fit de même.

— Mais voyez un peu ce que nous avons là, chantonna Luc, moqueur. Comment te portes-tu, mon
vieil ami ?

Puis, sans attendre la réponse, il se tourna vers Samaël, qui se tenait toujours près de l’entrée, l’air
contrarié.

— Tu as sincèrement un gros problème d’addiction, Sam. Il faudrait que tu cesses pour de bon de
lui courir après… cela en devient pathétique.

— Je t’emmerde, Lucifer, répliqua sèchement le déchu.

Lucifer ? Le Lucifer ?

Gabriel arbora une mimique ébahie qui provoqua un petit gloussement chez le nouvel ange déchu
les ayant rejoints.

— Tes soucis de mémoire, mhm ? fit Luc comme si l’éventualité que cela soit effectivement le cas
le divertissait encore plus.

— Ignore-le, Gabe. C’est un gros frustré de nature, lâcha Samaël en marchant vers ce qui semblait
être la cuisine.

Le sourire de Lucifer s’élargit pendant qu’il glissait les mains dans les poches de son pantalon
moulant.

Au moment où Gabriel s’apprêtait à répliquer, les volets de la maison se mirent à claquer avec
violence contre les fenêtres. Seul le jeune Français sursauta.
Soudain, toutes les lumières s’éteignirent et le gloussement bizarrement joyeux de Luc alourdit
l’ambiance, déjà pesante à cause de la subite obscurité.

— Tu as un autre invité, Sam, ricana-t-il ensuite.

— Tais-toi ! lui ordonna sèchement ce dernier.

Gabriel se tourna instinctivement vers Samaël, se fiant à sa voix, il se sentit tranquillisé lorsque le
déchu posa une main rassurante sur son épaule.

— C’est… c’est Lui ? s’enquit nerveusement Ginto.

— Mhm.

— Où est notre petite star à la crinière pâle ? interrogea Lucifer.

Celui que la Vulgate nommait le « Porteur de Lumière » mit à profit cette appellation en se servant
de son téléphone portable sur mode « flash » et balayer la pièce avec le faisceau.

James ne se trouvait plus dans le coin où il était resté prostré jusqu’à présent.

Un long cri résonna dans les murs. Un hurlement de souffrance, un son qu’aucun humain ne pourrait
reproduire, même sous la torture.

— James ? appela Gabriel, le cœur battant à tout rompre. James !

Le boxeur le chercha aussitôt en tâtonnant autour de lui, l’estomac noué par l’inquiétude, pendant
que les volets frappaient toujours furieusement les vitres des fenêtres.

— James ! s’écria-t-il.

— Gabriel ! Reviens ici ! s’égosilla Samaël afin de couvrir le bruit infernal qui secouait la
demeure.

— Il faut que je retrouve James ! rétorqua l’adolescent tout en poursuivant son exploration.

Il se figea brusquement dans ce qui devait être le couloir. La température avait sérieusement baissé
et devait frôler le niveau zéro. Des frissons, causés par l’air soudainement glacial, entraînaient une
sensation de chair de poule continue.

Gabriel stoppa.

Lucifer surgit derrière lui avec son téléphone et le Français put admirer la vapeur formée par son
haleine. Un large nuage translucide qui sortait régulièrement d’entre ses lèvres et qui l’hypnotisait.

L’ange rebelle éclaira le mur de gauche, lentement, comme pour ne rater aucun détail qui pourrait
les renseigner davantage sur la situation, puis il fit glisser le faisceau sur le sol pour le diriger ensuite
vers le mur de droite et l’arrêta.

La porte de la chambre de Samaël était entrebâillée. Au niveau du seuil, sur le carrelage blanc,
s’étalait une large tache d’un rouge atrocement vif. Du sang.

Le sang de James, songea immédiatement Gabriel, de plus en plus paniqué.

Lorsqu’il esquissa un mouvement en direction de la pièce, Luc le retint par le bras.

— Si j’étais toi, j’éviterais d’y aller, lui conseilla l’ange rebelle d’une voix neutre.

Mais Ginto se dégagea vivement sans même lui jeter un regard. Ses yeux étaient rivés à la trace
d’hémoglobine et tout un tas de scénarios, aux fins tragiques, agitait déjà son esprit. Il avança à pas
lents, prisonnier d’un état second.

— Samaël ! cria Luc. Samaël, l’objet de ton affection va faire la boulette de sa vie… radine ton
joli cul si tu ne veux pas le récupérer en kit !

Trop tard.

Gabriel pénétra dans la chambre et son regard se porta instantanément sur la fenêtre ouverte dont
les rideaux se soulevaient pour claquer bruyamment sous les courants d’air.

Qui était entré ? Qui était blessé ?

Il cligna des paupières à plusieurs reprises, cherchant à s’acclimater à la pénombre afin d’y voir
plus clair. Un pas… encore un autre… puis un autre. Ses genoux butèrent contre le lit, mais il sentit à
peine la douleur. Les palpitations de son cœur devenaient assourdissantes, se répercutant dans sa
gorge, ses oreilles et même ses tempes.

Il se déroula plusieurs choses en simultané : des bras lui encerclèrent la taille pour le projeter sur
le matelas, la lumière vive du portable de Lucifer illumina un visage, horriblement mutilé par des
coupures mettant la chair et les os à vif, des prunelles verdâtres, teintées de jaunes ocres, croisèrent
les siennes et une bouche déformée, grande ouverte sur des petites dents pointues, lui cracha une
haleine de souffre au visage. Cette chose voulait le dévorer !

Gabriel ne reconnut pas cette figure hideuse, qui déclencha chez lui une énorme poussée
d’adrénaline, accompagnée d’un hurlement de terreur.

Lucifer jura tout en lâchant son téléphone. Il eut un bruit de lutte, suivi d’autres sons qui n’avaient
rien d'humain.

— Ce n’est pas James ! vociféra Ginto tandis que Samaël le maintenait sur le lit en se servant de
son corps comme un bouclier. Ce n’est pas James !
Mais le déchu ne répondit pas et son silence fut la pire des réponses.
Chapitre 14

- De sa folie -

La lumière n’était toujours pas revenue et Lucifer avait dû relâcher sa « prise ». D’étranges échos
de voix, dont les propos demeuraient incompréhensibles, résonnaient dans chaque recoin. Des
murmures, à l’intonation masculine, ne disant parfois qu’un seul mot ou paraissant tenir une
conversation dont le sens restait obscur.

Samaël libéra l’adolescent, mais celui-ci demeura immobile, bien trop choqué par l’apparition
cauchemardesque qu’il avait entraperçue.

— Ce n’était pas James, souffla-t-il encore.

Il désirait s’en convaincre à tout prix.

Cela ne pouvait pas être James.

— Je vais essayer de le retrouver, annonça Lucifer. Tu devrais garder un œil sur ton protégé, très
cher, ajouta-t-il, un brin moqueur à l’intention Samaël.

Une fois l’ange rebelle sorti de la chambre, Gabriel agrippa instinctivement le bras de l’homme
toujours assis à ses côtés, plantant ses ongles dans la chair fine, mais dure de cette partie de son
anatomie.

— Qui est-il ? Dis-le-moi.


Sa voix était éraillée par la peur et l’angoisse, mais son besoin de vérité venait d’atteindre son
paroxysme.

— Es-tu réellement sûr de vouloir le savoir ? le questionna sobrement celui qui fut la « Main
Droite de Dieu ».

Ginto déglutit péniblement sa salive, subitement aussi compacte qu’une boule d’étain.

— Il est celui qui conduira l’assaut final de Satan contre le Christ et ses disciples, juste avant le
retour physique de Jésus sur Terre afin d’y établir son royaume. Ça, c’est selon Saint-Jean.
L’Apocalypse le nomme « l’homme du péché » ou encore le « fils de la perdition ». C’est le
chevalier de l’ultime conspiration… c’est l’Antéchrist. Il a été choisi, il y a fort longtemps… le jour
où tu l’as rencontré à Sodome et Gomorrhe. Les disciples de Satan ont placé dans son corps les
espérances et les forces des ténèbres faisant de lui ce qu’il est aujourd’hui. Et tout ceci en grande
partie à cause de toi et de ta tentation de répondre à l’appel de la luxure qu’il incarnait déjà… Le
« Destructeur » l’a sélectionné parce que lui seul a été capable de détourner le plus fidèle des anges.
Un tel homme était donc digne de mener la Grande Intrigue. Deux étapes précèdent son apparition
publique… la première se nomme : « le mystère de l’iniquité »… cela signifie que l’Antéchrist se
doit d’être sans foi, ni loi. Il doit rejeter tout attachement à Dieu. Il doit représenter le libertinage
dans son extrême. Quoi de plus extrême que de faire succomber et s’attacher la « Main Gauche de
Dieu » ? Sans le vouloir, tu as provoqué cette première marche vers l’ascension des ténèbres. Dans
la foulée, tu as également engendré la seconde étape… nommée « L’apostasie » qui veut dire
« s’écarter et chuter », d’où la couleur de tes ailes. Tu es sur la pente de ta chute depuis ta première
incarnation, sauvé à chaque fois in extremis par ce cher James, qui, avec sa puissance, te fait revenir
encore et encore. Eh non, Gabe… Michel n’a rien à voir avec tes incarnations. Quant à la dernière
étape, la « disparition de ce qui retient l’Antéchrist », c’est… ta propre mort. Ta véritable mort.
Selon les textes, le jour où ce qui « freine » « l’homme du péché » disparaîtra… le Jour du Seigneur
commencera.

— Tu veux dire que… si je meurs définitivement, Dieu gagne contre Satan ?! s’étrangla Gabriel.

— C’est ce que racontent les textes sacrés… maintenant, va savoir ce qui est de l’eau de source ou
de l’eau de mer.

Ginto cacha son visage dans ses paumes.

— Je suis à l’origine de tout ça… je ne peux pas le croire… c’est impossible.

Le frère de Nathan sanglotait. Il arrivait au bout de ce qu’il était capable de supporter.

— Gaaaabrieeeeeel, susurra une voix suintante.

Elle provenait de l’extérieur. Dans un mouvement synchrone, Samaël et Ginto pivotèrent vers la
fenêtre encore ouverte.
— Viens à moi, bel enfant… poursuivit l’affreuse créature au timbre métallique et moite.

Le déchu se redressa, puis un bruit « mouillé », suivi d’un bruissement doux, indiqua à
l’adolescent que l’ange sortait ses ailes.

— Reste ici, lui ordonna brutalement Samaël. Je savais que c’était lui qui avait emmené James,
marmonna-t-il plus bas.

— Lui ? Qui ? s’exclama Gabriel en sautant sur ses pieds.

— L’anathème… le « véhicule » de Satan. L’offrande de chair. Satan est une puissance


désincarnée, pas une entité à part entière. Il a besoin d’un anathème pour apparaître sous forme plus
ou moins humaine, lui expliqua le déchu avant de passer une jambe à travers la fenêtre.

Ce ne fut qu’une fois dehors que l’ange déploya ses gigantesques ailes noires. Il émanait de son
être une aura de feu bleuté, nimbée de particules sombres, telles des bulles de savon opaques.

— Poison de la mort, persifla la voix… ce n’est pas avec toi que je désire m’entretenir !

— Je suis le grand serpent du Zohar… je ne te crains pas, rétorqua l’ange, tout en arrogance.

— Mem ou Sa’el tu n’es pas encore, petit prince. Fais venir la « Main Gauche » que je m’amuse.

— Il faudra me passer sur le corps avant de parvenir à toucher ne serait-ce qu’un cheveu de sa
tête, gronda le déchu avant de tendre une main devant lui.

Ce à quoi l’être « invisible » rit. Cet éclat fut comparable au crissement d’une craie sur un tableau
noir.

— Si je détruis l’anathème, tu auras quelques soucis niveau logistique. « Il » n’est pas immortel…
« Il » est terriblement fragile, comme tous les humains qui peuplent la Terre.

Un sifflement furieux lui répondit.

— Il ne sera pas toujours dans ton giron, poison de la mort. Tu ne pourras pas le protéger à chaque
instant.

Soudain, les volets cessèrent de claquer et un étrange silence s’abattit sur la maison, ainsi que ses
alentours. La lumière revint également, faisant plisser les paupières de Ginto qui leva une main au
niveau de ses yeux. Lorsque ceux-ci s’habituèrent enfin à l’intensité de l’éclairage, une brusque envie
de vomir lui noua le ventre, provoquant des renvois acides le long de son œsophage.

Tous les murs de la pièce étaient couverts de sang : il y avait des traces de mains, comme si la
personne blessée avait souhaité étaler un maximum le liquide épais et rougeâtre.

Puis il remarqua, au-dessus de la tête de lit, des mots écrits avec l’hémoglobine :
Cette inscription le tétanisa. James n’était plus lui-même, c’était évident. Il s’était blessé juste afin
de tartiner de son propre sang les murs de la chambre du déchu...

— Je l’ai avec moi ! beugla Lucifer depuis le salon.

Ginto tressaillit, puis parvint difficilement à détacher ses yeux de la phrase rédigée par Longwood.

James est l’Antéchrist. James est l’Antéchrist par ma faute. J’ai créé sa folie, son enfer et sa
prison.

Ces pensées ne cessaient de tourner et virer dans son esprit, pareilles à ces fonds d’écrans
d’ordinateur qui agitaient une phrase dans un sens totalement aléatoire.

***

Samaël, accompagné de Lucifer, les avait ramenés James et lui au manoir.

Longwood avait la tête dissimulée sous la veste blazer de son uniforme scolaire et refusait
catégoriquement que Gabriel l’approche. Ce dernier était pratiquement collé à la portière droite de la
banquette arrière et jetait de temps à autre un coup d’œil sur l’étudiant se trouvant à sa gauche.

Il avait énormément de mal à ne pas revoir mentalement l’épouvantable faciès scarifié quand ses
yeux se posaient sur son petit ami.

Le jeune Français appuya un coude sur le fin rebord de la vitre puis, comme aimanté, son regard
croisa celui du déchu dans le rétroviseur. Les prunelles de l’ange le fixaient avec une intensité
brûlante, le capturant dans les flammes de leurs filets acérés.

Luc sembla repérer leur manège, car il tourna la tête afin de scruter attentivement Ginto.
Finalement, ses yeux plissés dévièrent sur James.

— Notre starlette boude ? lança l’ange rebelle. On l’a vu sans maquillage alors « elle » panique ?

Urielle et lui feraient une sacrée équipe, songea amèrement Gabriel.

Sous le regard appuyé du jeune Français, James planta méchamment ses ongles griffus et jaunes
dans la mousse de la banquette arrière. Forcément, les yeux de l’adolescent dévièrent sur les doigts
curieusement noueux, mais surtout anormalement longs de Longwood. Semblable à de minuscules
nuages vaporeux, le rembourrage s’obstinait à y rester accroché.

Un horrible sentiment de culpabilité l’étreignait, serrant sa poitrine dans un étau invisible et assez
puissant pour lui donner l’impression que ses côtes allaient se briser.

C’est de ma faute. S’il est devenu un monstre… c’est entièrement de ma faute. Tout ce gâchis…
cette guerre… James. C’est de ma faute !

— Ce n’est pas le timing idéal pour un Mea Culpa, Gabe.

C’était Samaël. Il dardait toujours sur lui un regard incendiaire, via le petit miroir fixé au pare-
brise. Samaël qui devinait encore trop facilement ses pensées, comme s’il lisait un livre ouvert,
lorsque ses yeux se posaient sur le visage du boxeur.

« Seule ma mort peut régler cette situation en un claquement de doigts », disaient les prunelles
de Gabriel.

Celles du déchu se fixèrent un bref moment sur la route avant de revenir se lier aux siennes.

« Je t’interdis formellement de mourir. » répliqua l’ange, les pupilles largement dilatées.

Ginto émit un petit ricanement étouffé.

« Et alors ? Ne suis-je pas mort des milliers de fois ? »

« Tu ne t’es jamais sacrifié pour James. Une main t’a toujours ôté la vie, te permettant de
revenir ultérieurement dans un corps de chair… mais si jamais tu meurs spécialement pour lui…
le Jour du Seigneur sera en marche. Tu perdras ta capacité à renaître sur le bûcher du grand
sauvetage de l’humanité et moi je te perdrai, toi. Ce que je refuse. »

Le jeune Français n’était pas sûr et certain d’avoir bien entendu ces propos dans son esprit, mais
une petite voix, au fond de son être, lui assurait que Samaël était capable de prodiges beaucoup plus
impressionnants que ce petit tour.

Dès qu’ils furent arrivés et que le conducteur de la voiture arrêta le moteur, James n’attendit
personne et courut se réfugier à l’intérieur de l’immense bâtisse, serrant désespérément sa veste
autour de sa tête.

Gabriel ne désirait pas rentrer. Il avait même davantage envie de s’enfuir dans la direction
opposée au manoir. À l’autre bout de cette histoire de fou, d’anges et d’Apocalypse. Au fur et à
mesure que les heures s’égrenaient sur l’échelle éternelle et redondante du temps, cette réalité prenait
une terrifiante ampleur, mais surtout un goût d’âpre vérité. Le doute se réduisait, triste peau de
chagrin, à un infime grain de poussière, et Gabriel se voyait entraîné dans un combat qu’il avait lui-
même provoqué sans même réussir à s’en souvenir. C’était effrayant. C’était douloureux. Aussi
douloureux que l’incontrôlable désir et faim qu’il avait de Samaël, aussi douloureux que l’amour
passionné et tendre qu’il portait à James. Son corps et son âme se scindaient en deux, s’étiraient
jusqu’au déchirement.

Il suffisait que Samaël le touche pour que son épiderme s’enflamme au point où le jeune homme
s’attendait à y voir fleurir des cloques, que son corps réclame qu’il apaise une soif qu’aucun mot ne
pouvait décrire avec exactitude. Néanmoins, dès que ses yeux se posaient sur James, son cœur se
gonflait d’une émotion qui s’épanouissait pour atteindre les tréfonds d’un coin sombre de son esprit
et l’embraser de « pur amour ». Qu’allait-il advenir de lui ?

De Nathan ? De Urielle… Ron… des parents de James ? De ce monde dans lequel les hommes
s’agitaient, petits êtres inconscients des terribles enjeux de cette incessante bataille entre le « bien »
et le « mal », de son impact sur leurs fragiles, éphémères et dérisoires vies ?

Samaël stoppa en arrivant à son niveau, faisant tressauter l’étudiant Français en frôlant son épaule
de la sienne. Puis, avec une lenteur prédatrice, il inclina son visage afin de pouvoir prendre une
longue et profonde inspiration dans son cou. Le déchu fit brutalement claquer sa langue contre son
palais :

— Ton trouble se sent à des kilomètres, Gabe. Tu vas rencontrer des tas de personnes qui ne
rêvent que de déchiqueter ta chair de leurs dents acérées… reprends-toi et vite.

Ginto tourna la tête, leurs visages se retrouvèrent à quelques misérables millimètres l’un de
l’autre.

L’adolescent retint spontanément sa respiration, subitement tendu, aux prises avec une intolérable
attente qui lui renvoyait mentalement leurs brèves caresses, échangées dans la chambre de l’ange
avant que James n’arrive.

Samaël esquissa cet agaçant demi-sourire qui lui était désormais propre, comme s’il savait,
comme s’il connaissait réellement la nature de ses pensées en cet instant précis.

— Bien que cet effluve me plaise énormément, poursuivit le déchu avec un accent suave et
sardonique, retiens ces appétissants relents de désir charnel, sinon nous allons jouer toute la nuit à
chat avec l’enfant roi de la maisonnée.

L’ange avança vers le manoir avant de piler et de montrer son profil :

— Cependant, tu connais le chemin qui mène jusqu’à ma chambre.

Une fois cette proposition lâchée, d’une intonation érotique à faire exploser le taux d’hormones de
n’importe quel individu, homme et femme confondus, Samaël pénétra à son tour dans le manoir.

***
Quand il passa devant la porte du salon, une voix cristalline l’interpella. Gabriel reconnut
immédiatement la mère de James.

Si ce dernier était l’Antéchrist, cela signifiait-il que son père était le… « Destructeur » ? Satan ?
Sa mère était-elle humaine ?

Fergus et Grace. Grace… quel prénom plein d’ironie pour la mère de « L’homme du péché ».

Lorsque son regard glissa sur l’impeccable Madame Longwood et son tout aussi irréprochable
mari, Ginto ne parvint pas à voir en eux des démons, ou quoi que ce soit de « mauvais ». Ils
semblaient si… humains. Ils ne dégageaient pas d’aura maléfique comme le « Destructeur » quand il
lui apparaissait sous sa forme humanoïde, noire et aux yeux rouge sang.

D’ailleurs, une pensée en entraînant une autre, Gabriel en vint à se poser la question suivante : qui
était l’anathème ? Le fameux « véhicule » du mal à l’état pur ?

— Tu entres, ou dois-je te pousser ?

Gabriel se tourna vers Lucifer, puis s’écarta légèrement pour l’inviter d’un geste, quelque peu
sarcastique, de la main à le précéder.

Tout en mâchant bruyamment un chewing-gum, certainement exprès, l’ange rebelle le fixait de ses
prunelles sombres et moqueuses. Son attitude démontrait clairement à quel point il le détestait et se
retenait à grande peine de se jeter sur lui.

Alors pourquoi l’avait-il aidé chez Samaël ? Pour ce dernier, justement ? Quelle était la nature de
leur relation ? Amis ? Amants ? Autre chose ? Un peu tout cela à la fois ?

Les dents aiguisées de la jalousie lui dévorèrent joyeusement le cœur, pour distiller ensuite dans
chaque parcelle de son corps, avec un sens inné de la torture, son délicat et très efficace poison.

— Cher Gabriel, nous sommes très heureux de te revoir, dit Grace Longwood.

Un sourire exquis et déconcertant de sincérité étirait ses lèvres vermeilles.

— Nous aimerions que tu viennes à la fête d’anniversaire de James, ce samedi, enchaîna Monsieur
Longwood.

Bien qu’un peu plus froid, sa mimique engageante n’avait rien à envier à celle de sa femme.

Était-il possible que… qu’ils ne connaissent pas la nature de leur fils ?

Gabriel chercha instinctivement le regard de la seule autre personne présente dans la pièce :
Lucifer. Ce dernier ne fuit pas les yeux interrogateurs, mais opta pour y répondre par une simple
inclinaison de la tête, sur le côté, sans cesser de mâchouiller son bonbon mentholé avec entrain. Il ne
s’agissait ni d’un « oui » ni d’un « non ».

— Tu peux également inviter tes propres amis si cela te permet d’être plus à l’aise, ajouta Grace
en prenant sûrement le silence de Ginto pour de l’hésitation.

Non, le jeune homme Français n’hésitait pas le moins du monde, puisqu’il était tout de même
question de l’anniversaire de son petit ami. C’était plutôt que cette date revêtait une certaine
importance s’il se fiait aux allusions de Samaël.

Très loin d’être à l’aise en présence du couple, anormalement calme et « humain », Gabriel
écourta rapidement la conversation en acceptant du bout des lèvres, pour se diriger ensuite vers sa
chambre, à l’étage. Devant la porte, il hésita pour finalement redescendre vers l’autre aile de la
vieille bâtisse anglaise, celle destinée à la famille et aux proches, où se trouvait la chambre de
James, mais aussi celle de Samaël.

Il n’allait pas accepter la proposition aussi attirante qu’indécente de celui-ci. Il voulait seulement
savoir si James était redevenu… difficile de dire « lui-même » ne sachant pas quelle partie de son
être dominait l’autre.

L’adolescent déambula sans trop savoir quelle porte donnait sur la chambre de son amant aux
boucles blondes. Soudain, l’une d’elles s’ouvrit sur l’ange déchu. Son avant-bras, placé bien au-
dessus de sa tête, prenait appui sur l’encadrement tandis que sa main gauche tenait une bouteille de
bière. Sa chemise était largement déboutonnée sur son torse musclé, ses cheveux, d’un noir lustré,
partaient étrangement dans tous les sens, comme s’il avait glissé encore et encore ses doigts à travers
leur douce épaisseur, en proie à une agitation que seul ce geste parvenait à apaiser.

Leurs regards se croisèrent après ce minutieux examen, somme toute mutuel, puis l’ange afficha
aussitôt sa mimique narquoise favorite, ses prunelles luisant étrangement.

— Laquelle cherches-tu ? La mienne ou… la sienne ? s’enquit-il en détachant soigneusement


chaque syllabe.

Était-ce un effet secondaire de l’alcool ingéré ? Ou était-il en mode prédateur, prêt à dévorer sa
proie en une seule bouchée ?

Gabriel s’abstint de répondre, simplement parce qu’à cette seconde précise, il n’en savait
absolument rien et se refusait à mentir.

Samaël prit son silence pour une réponse affirmative, puis, d’un déhanchement souple et félin, se
détacha du chambranle afin de s’approcher du jeune Français.

Il faisait danser le liquide dans la bouteille de verre brun foncé, trois doigts pinçant le goulot
s’amusant à la faire tourner dans le sens inverse d’une aiguille d’une montre. Un sourire vorace
flottait sur les lèvres pleines, les rendant encore plus sensuelles.
Instinctivement, Gabriel recula jusqu’à se cogner contre le mur du couloir pendant que son regard
fuyait celui, un peu trop brûlant, du déchu.

— Quelle fascinante expression que celle qui se trouve sur ton visage, Gabe. Tous les combats du
monde s’y reflètent. La tête contre le cœur ? Le cœur contre… eh bien…

Sa voix avait baissé de plusieurs octaves, aussi veloutée et onctueuse que du chocolat.

L’avant-bras du déchu, qui avait occupé l’encadrement de la porte de sa chambre, vint se placer
au-dessus de la tête de Ginto. Il ajusta son corps afin que son visage soit au même niveau que celui de
l’adolescent.

Tout en plissant doucement les paupières, l’ange le fixait avec une attention similaire à celle du
serpent observant son prochain repas. Son visage grignotait chaque millimètre le séparant de Gabriel
tandis que ce dernier s’entêtait à braquer son regard sur le côté.

— Contre quoi ton cœur se bat-il, mon tendre et adorable amour ?

Le déchu inspira longuement comme s’il cherchait à respirer l’odeur du frère de Nathan jusqu’à la
lie.

— Le parfum de ton excitation sexuelle est un puissant aphrodisiaque, Gabe, ronronna-t-il après
quelques secondes de silence. Cela me donne envie de te faire jouir.

Les joues de Ginto se colorèrent. Il n’était pas pudibond, mais une telle phrase dans la bouche de
Samaël avait de quoi donner des vapeurs à n’importe quel être vivant.

— J’ai très envie de jouir en toi, également, poursuivit l’ange de sa voix grave et chaude.

Le rythme cardiaque du jeune Français atteignit des records de vitesse.

— Ne dis pas ce genre de choses avec autant de légèreté, le rabroua Gabriel en tentant de le
repousser du plat de ses mains.

Mais tout ce qu’il obtint fut que le déchu pressa son torse contre les paumes fébriles de
l’adolescent.

— Nous avons payé un prix exorbitant afin de profiter d’un corps de chair et de pouvoir savourer
chaque orgasme qu’il nous procure. Pour quelle raison ne dirais-je pas à voix haute ce que je désire
faire… te faire avec cette enveloppe charnelle à l’aspect fort distrayant ?

Suite à ce petit discours, Gabriel commit l’erreur fatale de tourner la tête pour affronter
franchement le regard du déchu. Ce qui déclencha aussitôt un sourire carnassier chez ce dernier.

— Tant de colère dans ces yeux… qui brillent de mille feux. On ne peut me connaître mieux que
tu me connais, tes yeux dans lesquels nous dormons tous les deux… ont fait à mes lumières
d’homme un sort meilleur qu’aux nuits du monde.

— Paul Eluard, lâcha Ginto, complètement hypnotisé par les flammes qui dansaient dans les
prunelles incendiaires de son interlocuteur.

Sans desserrer le goulot de sa bouteille, en changeant seulement la position de ses doigts, Samaël
rapprocha sa main du front du jeune Français. De l’index, il repoussa gentiment une mèche menaçant
de lui tomber sur l’œil.

— J’aime quand tu reconnais les poètes que je cite. Du temps béni où je n’avais pas encore
disjoncté et fait de grosses bêtises, du temps où j’errais à tes côtés, à la fois absent et présent. Absent
de ton cœur, mais présent de douleur… je te déclamais souvent des poèmes humains. Peu importe ce
que tu faisais, tu t’arrêtais dans la seconde pour me regarder et tu me… « voyais »… enfin.

Gabriel ressentit un profond sentiment de culpabilité. Combien d’êtres avait-il fait souffrir sans
même s’en apercevoir ?

— Ai-je été si égoïste ? murmura le boxeur, son regard perdu dans celui, incandescent, de Samaël.

Ce dernier esquissa un sourire triste, teinté de tendresse.

— Les Vrais Fils de Dieu sont les créatures les plus égoïstes qui existent. Les plus arrogantes
également. Nous sommes persuadés de valoir mieux que les humains, nous l’avons même argué avec
une prétention risible avant de nous vautrer encore plus bas qu’eux. Éolithe d’orgueil, nous nous
fichons bien du devenir humain. Tout ce à quoi nous avons toujours aspiré, depuis la nuit des temps,
était d’obéir… obéir pour être aimé de Lui. Obéir afin de demeurer dans Sa lumière. N’est-ce pas un
but purement égoïste ? N’avons-nous jamais seulement cherché à élever les hommes pour la beauté
de l’acte ? Nous leur avons donné la pâtée comme ils nourrissent leurs animaux domestiques.
Messages Divins, regain de foi et distribution de miracles comme d’autres jettent à foison des
sucreries le soir d’Halloween. Mais après avoir découvert que, finalement, leurs existences étaient
bien plus enviables que les nôtres… nous avons décidé qu’ils méritaient de se donner à nous, qu’ils
méritaient d’apprendre de nous, cependant juste afin de satisfaire nos propres appétences et nos
désirs. Un ange, mon bel amour, c’est l’autre mot pour désigner l’égoïsme. Ne t’en veux pas… telle
est ta nature.

Gabriel aspira brusquement une goulée d’oxygène, réalisant de ce fait qu’il avait retenu sa
respiration durant tout le discours du déchu.

Aucune créature en ce monde ne possédait autant de charisme que celle se tenant en face de lui.
D’une beauté si inhumaine qu’il suffisait d’un seul coup d’œil sur l’ange pour croire à la Gloire du
Seigneur. Poser ses yeux sur lui équivalait à regarder la splendeur, l’écouter était prendre le risque
de se retrouver prisonnier de ses mots. Des mots à la résonance puissante et dont l’éclat hypnotique
parvenait à vous happer dans ses tornades. Il… était… dangereux.

Ginto crut sincèrement que Samaël allait l’embrasser. Sa bouche était terriblement proche de la
sienne et l’adolescent commençait même à percevoir une sorte de picotement sur l’épiderme fragile
de ses lèvres. Il était dans l’attente de ce baiser. Il l’espérait à se désintégrer l’âme sous n’importe
quelle arme létale.

Après un long silence, insoutenable, pendant lequel l’un et l’autre se contemplèrent avec toute la
force brutale de la passion mal contenue, au prix d’un effort qui visiblement lui coûtait, l’ange déchu
s’éloigna sans le quitter de ses yeux flamboyants de désir.

— Je pense que tu devrais aller panser les blessures de la chose qui se meurt d’amour pour toi…
la porte. Celle qui se trouve à ta droite.

Puis Samaël lui tourna le dos pour disparaître dans ses appartements.
Chapitre 15

- De cet autre moi -

Il régnait un silence absolu dans la chambre de James. La pénombre y étendait ses bras généreux,
créant dans leur espace une protection immatérielle dans laquelle le jeune Anglais semblait décidé à
se cacher. Il en avait même rajouté une couche en confiant le rôle de coquille à sa couverture.

— James ?

Gabriel avait parlé de sa voix la plus douce, repoussant le plus loin possible dans son esprit les
terrifiantes images qui essayaient, avec une étonnante vivacité, de ressurgir et de lui montrer, sans
aucune pitié, le visage boursouflé et putride qu’il avait eu le malheur d’apercevoir chez Samaël.

— Reste où tu es ! lui ordonna le jeune homme d’un timbre étouffé par l’épaisseur de la couette le
recouvrant intégralement.

Ginto poussa un soupir. Il ne pouvait s’empêcher d’éprouver un élan de tendresse envers James.
C’était même plus que cela ; il se retrouvait subitement empli d’une émotion à la douceur extrême,
indescriptible et ça débordait de lui telle une rivière au chant limpide. Il ne pouvait le contenir. Cet
amour pur, ce fort désir de le protéger, de l’aimer et de le toucher comme il le convoitait. Gabriel, le
Gabriel tapi au fond de son être, le Gabriel qui veillait sur le monde qui l’entourait d’un œil aguerri
se gonflait, s’épanouissait en présence de James. Il s’agissait de son obligation, de sa destinée, de sa
pénitence pour un choix fait en son âme et conscience. La boucle serait sans fin jusqu’à ce que les
siens et lui-même, adolescent aux ailes grisâtres, comprennent enfin… trouvent la réponse ultime qui
enjoindrait Dieu, leur père, à stopper le rouage éternel de ce terrible scénario.
Après l’avoir longuement observé, scruté avec acuité la masse ronde qui montait et descendait au
rythme de sa respiration, Ginto s’approcha de Longwood. Lentement, défiant la partie de lui qui se
traînait dans la peur, la crainte de ce monstre, celui qui occupait également l’être du garçon de son
âge au physique aussi doux qu’inquiétant.

Le jeune Français s’allongea tout près de James puis l’entoura d’un bras protecteur.

— Laisse-moi ! éructa Longwood.

Il paraissait blessé, pareil à un petit chat furieux crachant son anxiété, faute de savoir communiquer
ses appréhensions autrement.

Loin d’obtempérer, Gabriel resserra son étreinte, plongea son nez dans l’épaisseur de la
couverture, en quête d’une chaleur plus intense que l’écho résiduel qu’il ressentait actuellement. Son
odeur aussi. La fragrance de James qui lui rappelait leurs délicieuses étreintes. Il voulait à tout prix
se focaliser sur ce souvenir-là afin d’effacer l’autre. Le monstre aux petites rangées de dents
pointues, carnassières… effroyable. James n’était pas que ça. James n’était pas que cette
représentation, ce véritable cliché d’épouvante du mal. Lorsqu’il se perdait dans la jouissance, James
était d’une beauté époustouflante, irréelle. Pas aussi douloureuse que celle de Samaël, mais
sincèrement, il n’avait rien à lui envier. C’était sur cette image que Gabriel souhaitait ardemment se
focaliser.

— Je sais ce que tu es.

En prononçant cette phrase, le jeune Français pensait apaiser les angoisses de Longwood, tout
comme il croyait s’obliger à accepter l’affreuse et écœurante vérité.

— Je sais que tu sais ! cracha James.

— Je suis tellement désolé… tout est de ma faute, gémit Gabriel, les paupières serrées avec force.

À cette phrase qui impliquait pénitence et réclamait éventuellement un châtiment, la boule que
formait James s’agita jusqu’à ce que sa tête sorte, non loin de celle de Ginto.

Ses boucles blondes auréolaient son visage longiligne, tels des feux follets excentriques, lui
conférant un air étrangement enfantin, voire innocent. Gabriel ne put s’empêcher de sourire avant
d’avancer une main afin de saisir une mèche incurvée entre son index et son pouce. Il la caressa pour
la replacer doucement derrière l’oreille de son amant. Durant tout ce temps, James était resté figé, les
yeux remplis de larmes.

— C’était le prix à payer pour t’avoir, Gabriel.

Il avait chuchoté ces mots dans un souffle presque inaudible, mais cela n’ôta en rien l’impact
puissant de cette révélation.
— Un prix trop élevé, James, répondit le Français en laissant courir ses doigts le long de sa
mâchoire aussi douce que de la soie.

— J’ai rejeté la foi et Dieu, j’ai embrassé le vice de Sodome et Gomorrhe afin d’atteindre un
niveau de libertinage satisfaisant. Mon objectif a… toujours été… toi. Je n’étais qu’un homme. Un
humain ébloui par ta Grâce. J’ai vécu le coup de foudre quand mes yeux ont osé se poser sur ta
Gloire et ta Magnificence. Quand, alors que je n’en espérais pas tant, j’ai goûté à la chaleur de tes
bras et à la saveur de tes lèvres… j’ai été irrémédiablement perdu. Les humains ne sont pas prêts
pour aimer les anges. Ils ne sont pas… how say{91} ? Ils ne sont pas faits pour les aimer et être aimés
d’eux. Tu m’as damné sans le vouloir, je me suis damné pour que tu me désires. Il n’y a aucun regret,
je serais prêt à revivre chaque souffrance, même à les multiplier par un nombre infini, si cela me
permettait de demeurer enfin à tes côtés. Parce que je t’aime. Voilà la grandeur de mon amour. Parce
que sans toi… il n’y a que du vide, parce qu’avec toi je suis entier.

— Je ne mérite pas tant de dévotion, James. Je ne mérite pas ce genre de sacrifice. Il faut que tout
ceci s’arrête… on ne peut pas continuer à jouer avec l’avenir du monde… avec celui des hommes.

Les prunelles glacées de Longwood s’éclairèrent subitement d’une lueur mauvaise et impitoyable.

— Si je te perds… sache que je le détruirai sans aucune hésitation. J’anéantirai ce monde si tu


tentes de disparaître. Aucun plan n’est parfait, aucune prophétie… même l’Apocalypse contient des
failles. Tu veux préserver les hommes ? Leurs espoirs ? Leurs fugaces vies bassement matérielles ?
Reste avec moi pour toujours. Aime-moi, comme tu l’as toujours fait. Ignore Samaël et sa passion
malsaine à ton égard. N’affiche pas cet air interloqué… Vous êtes, vous, les archanges, vous… sortez
tous du même œuf, du même grain de puissance, coucher avec lui reviendrait à baiser avec ton propre
reflet. Malsain… malsain ! Et je m’y connais !

— C’est plus compliqué que ça, tenta Gabriel en détournant les yeux.

Il ne souhaitait pas aborder le sujet Samaël, encore moins avec James… surtout connaissant les
réactions de ce dernier lorsqu’il se retrouvait sous le joug féroce de la jalousie.

Pour toute réponse, James ricana méchamment.

— C’est vraiment plus complexe, insista Ginto.

Il ne supportait pas l’idée qu’on salisse sa relation avec le déchu. Peu importait la nature réelle de
ce lien, de ce besoin de l’autre qui les dévorait à les rendre fous. Il souhaitait, à défaut d’y laisser
libre cours, le protéger tel un savoureux secret.

— Complexe ! Complexe, dis-tu ?

La voix de l’étudiant blond s’était faite suraigüe, limite insupportable, et le jeune boxeur grimaça
malgré lui sous les notes désagréables.
— Ce n’est pas parce que votre apparence physique diffère aujourd’hui que votre nature et votre
essence font de même, gronda James, tel un animal furieux. La Main Droite et la Main Gauche de
Dieu sont des jumeaux maudits. Autant je félicite la créature perverse de désirer empoigner son
propre frère afin d’assouvir son appétit de luxure, autant je pose mon veto parce qu’il s’agit de mon
bien-aimé. Qu’il retourne baiser Adam, Ève, Lilith et tous les chiens de l’enfer !

C’en fut trop pour l’incarnation de l’archange qui se leva d’un bond après avoir repoussé James.
C’était sans compter la rapidité inhumaine de ce dernier, car avant qu’il ne puisse seulement toucher
la clenche, Longwood s’interposa entre lui et la porte d’entrée, les bras ouverts en croix, le regard
couleur tempête.

— Pousse-toi, lui intima sèchement Gabriel.

— Je refuse ! Tu devras me passer sur le corps si tu souhaites sortir de cette pièce !

Cette phrase suffit à embraser le sang dans les veines de Ginto. Il avait parfois le sentiment que,
dès qu’il se trouvait en contact avec Longwood, une part de lui remontait à la surface de sa
conscience pour broyer de ses doigts impitoyables sa personnalité actuelle. Celle qui se manifesta
par la suite n’était que faim, désir, et virilité exacerbée. À chaque fois, James parvenait à réveiller un
monstre à l’appétit féroce, capable de le briser tel un fétu de paille. Dans un premier temps, ce
changement s’était fait subtilement, mais désormais, il devenait chaque jour plus significatif et
impétueux.

Les paupières de Ginto se plissèrent et un étrange sourire incurva ses lèvres. L’Anglais nota sur-
le-champ ce changement d’attitude et en fut brièvement déstabilisé.

— Tu crois que c’est là quelque chose qui me rebute ? chuchota le boxeur. Est-ce une façon
détournée de m’avouer que tu me veux en toi, James ?

Gabriel le saisit par les épaules, enfonça méchamment ses doigts jusqu’à pincer les os à travers la
fine protection de chair et de peau, puis le libéra aussi soudainement qu’il l’avait attrapé.

Avec des gestes lents, sans quitter son amant des yeux, Gabriel commença à se dévêtir. Le haut,
qu’il jeta d’un mouvement nonchalant, puis il fit doucement glisser le bas de jogging prêté par
Samaël.

James songea qu’il était d’une beauté terrifiante. Ses muscles luisaient sous la faible clarté de la
Lune, tout comme ses prunelles qui brillaient d’un éclat dangereux et fascinant.

Il est sur la pente raide… il est proche de l’Ultime Disgrâce… en cet instant… il
m’appartient… presque, pensa Longwood, émerveillé.

Puis elles se déployèrent. Elles s’élevèrent à ses côtés, majestueuses gardiennes de sa nature,
teintée de sa déchéance. Elles n’étaient plus grises… mais d’un noir profond, aussi opaque que la
nuit qui s’étalait en nappe soyeuse derrière la fenêtre de sa chambre.
Elles l’inondaient de leurs ombres, luxuriantes, preuves indéniables que c’était Gabriel, le
Messager de Dieu, qui le toisait de son désir érigé entre ses jambes.

James tremblait. Il convulsait véritablement d’amour devant le tableau somptueux que lui offrait
l’archange… L’aura claire obscure qui en émanait exerçait sur lui une terrible attraction, quasi
animale.

Celui qui n’incarnait, il n’y avait pas si longtemps, qu’un simple étudiant bientôt majeur, se
dévoila soudain beaucoup plus ancien physiquement. Une expression carnassière sur le visage, il
effaça la distance entre eux deux.

Dès que son corps dénudé frôla celui du lycéen Anglais, toujours habillé, Gabriel déposa
tendrement une paume brûlante sur sa joue. Du pouce, il caressa brièvement la pommette de
Longwood, complètement hypnotisé.

— Je t’ai créé, mon beau Jacob. Je t’ai conduit sur le chemin des ténèbres… et je m’en suis voulu,
terriblement. Tu étais si… exquis, auréolé de ta jeunesse lascive. Il n’y en a eu aucun autre avant toi,
et aucun après. Je te suis fidèle.

— Mais… Samaël… bredouilla James, les yeux humides de larmes.

L’archange sourit affectueusement et son regard se voila légèrement.

— Il n’a rien à voir avec toi. Il ne s’agit pas du même amour.

— Comment…

— Il n’est qu’une autre partie de moi qui cherche de nouveau à ne faire qu’UN. Nous sommes tous
une partie les uns des autres. Une extension d’un devoir aveugle et sourd, finement découpé en
plusieurs morceaux. Nous marchons depuis si longtemps à travers les millénaires que, parfois,
lorsque nous nous arrêtons, fatigués, usés, perdus, nous souhaitons seulement revenir à l’état d’un
tout, à l’état d’UN. Samaël s’est perdu et demande à redevenir UN avec moi. Je suis affaibli par ces
incarnations, je me perds à mon tour, je m’épuise… vois en notre désir d’union charnelle deux êtres
qui convoitent l’unité rassurante débordante de force. L’union fait notre force. C’est la force des
choses unies. Le fondement même de la foi, principe repris par l’humanité.

Gabriel détacha sa main du visage de James pour lui présenter ses doigts écartés et tendus devant
sa figure.

— Vois comme elle est fragile, lui dit-il.

Puis il les serra jusqu’à former un poing.

— Vois comme elle est plus forte. Samaël est éreinté d’être fragile… il cherche à redevenir fort.
Longwood détourna les yeux.

— Samaël veut te baiser… il te désire physiquement, cela n’a rien à voir avec quelque chose de
spirituel.

L’archange éclata d’un rire mélodieux.

— Comment exprimer autrement ce que nous éprouvons, ainsi enfermés dans des corps de chair ?
Cette enveloppe nous limite à des réactions primitives. Le sexe est enivrant, les sensations qui en
résultent : puissantes. Il permet cette union que nous désirons avec tant d’ardeur. S’il est responsable
de beaucoup de péchés dans l’histoire humaine et angélique, ce n’est pas le fruit d’un malheureux
hasard.

Le jeune Anglais tressaillit.

— Es-tu le… vrai Gabriel ? Toi, celui qui me parle en cet instant ?

Une nouvelle fois, un sourire féroce étira ses lèvres.

— Il n’existe pas de plusieurs. Il n’existe qu’un Messager. Celui qui est venu ici, en ta demeure,
n’est qu’un infime pourcentage de Moi. Je ne peux pas m’exposer entièrement. Aucun d’entre nous ne
le peut. Les humains ne supportent pas notre contact avec notre totalité… ils tombent en extase,
changent et mutent. Deviennent fous pour les plus faibles. Nous sommes trop… trop…

— Lumineux ? suggéra instinctivement Longwood.

Le sourire de l’archange s’élargit.

— C’est un adjectif convenable… mais qui reste insuffisant pour nous définir.

Brusquement, la main de Gabriel se posa sur l’entrejambe de James qui poussa un gémissement.
Cela faisait plusieurs minutes que son membre raide palpitait dans son sous-vêtement et le contact
direct de l’ange sur ce dernier ravivait douloureusement son désir.

— Que je sois… celui que je suis… ne devrais-tu pas me détester ou me combattre ? demanda
l’Anglais d’une voix hachée.

— Je t’ai créé, répondit Gabriel comme si cette information expliquait tout.

Il se mit à caresser le sexe de Longwood, les prunelles rivées à son visage, comme s’il se
nourrissait de l’expression sensuelle que ce dernier arborait.

James renversa sa tête vers l’arrière, la cognant légèrement à la porte qui séparait sa chambre du
couloir. Il tenta de ravaler les délicieux gémissements de jouissance que les mouvements circulaires,
imprimés par la paume de l’archange, provoquèrent.
— Oui… mais… tenta-t-il dans un souffle.

Il désirait comprendre, profiter un maximum de cette part de Gabriel qui ne se montrait jamais
habituellement, cependant… si l’archange continuait, il allait juste le supplier de le prendre avant
d’être réduit en cendres sous la violence du plaisir ressenti.

— Je t’ai créé, gronda celui qui ne ressemblait plus au jeune frère de Nathan. Ouvre ta bouche,
exprime ton plaisir. J’exige de l’entendre.

Puis, comme si le toucher uniquement à travers l’étoffe de ses vêtements ne le satisfaisait plus,
Gabriel chercha à défaire la ceinture de James. L’opération lui semblant trop longue, il lâcha un
grognement frustré.

— Déshabille-toi, Jacob. Je te veux.

Longwood obtempéra et se débarrassa prestement de son pantalon, ne gardant sur lui que sa
chemise.

En temps normal, Ginto dégageait déjà une belle aura, gorgée de testostérones, mais en cet instant
précis, le taux suintant par chaque pore de sa peau semblait être capable de faire exploser une ville
entière.

Emprisonner un ange dans un corps de chair revenait à enfermer un animal mythique, au savoir
infini, dans une cage dont les barreaux n’auraient été que de simples brindilles. Il agissait de manière
absolument primitive face au sexe, mais réfléchissant et parlant comme un être supérieur, voire
inaccessible.

Lorsque Gabriel se colla à lui, le pressant avec force contre la porte, James réalisa à quel point il
était grand, plus grand et plus fort que d’ordinaire. Celui-ci planta l’extrémité de ses doigts dans
chacune de ses cuisses, cherchant à les griffer, puis remonta jusqu’au niveau de ses hanches. La
douleur fut source de frissons et Longwood défaillit, s’accrochant aux larges épaules musclées.
L’archange saisit ensuite, sans ménagement, son sexe, au paroxysme de son excitation, afin de lui
prodiguer une caresse pleine de douceur. Les doigts lisses et chauds descendirent et remontèrent le
long de la peau fine et sensible, déclenchant régulièrement des spasmes dans le corps de James.

Les râles timides se muèrent rapidement en de véritables cris. Gabriel, attentif, calqua son rythme
sur le chant de son amant, musique particulièrement mélodieuse à ses oreilles. Finalement, le sentant
près de l’orgasme, il ralentit cruellement l’allure, fixant avec une attention aiguisée son visage. Le
frôlant à peine, écoutant ses plaintes aux accents de sanglots, celles qui le suppliaient indirectement
de le mener à la jouissance. L’Anglais imprimait désespérément de petits mouvements de hanches
vers la main de l’ange, quémandant un soulagement complet par l’orgasme.

Seulement, Gabriel ne parut pas disposé à le lui offrir, préférant seulement le contempler avec
avidité. Son regard luisait d’un désir violent, renvoyant une image à des années-lumière de celle que
les Hommes se faisaient des créatures telles que lui.
Il se mit à octroyer de petits coups de langue à la commissure des lèvres de Longwood, tandis que
ses doigts délaissaient le membre palpitant et gonflé pour venir flatter langoureusement les lourds
replis crispés sous la verge dressée.

James était douloureusement suspendu au bord d’un précipice sensoriel. Il souffrait jusque dans
ses os, chaque muscle de son être était contracté dans l’attente fébrile de se répandre. Mais dès que
l’ange percevait qu’il approchait de la libération ultime, il stoppait brutalement quelques secondes
durant lesquelles la respiration de son amant n’était qu’un imperceptible sifflement d’agonie. Sans
relâche, l’archange le mit au supplice, n’épargnant aucun millimètre de son sexe, savourant, de sa
main soyeuse, chaque parcelle et grain de peau, de la base au gland, au point où James faillit
s’évanouir.

— Je t’en prie… sanglota ce dernier. Je n’en peux plus !

Pour toute réponse, Gabriel lui mordilla l’oreille pour aussitôt pénétrer le sage orifice de la pointe
de sa langue et en dessiner les reliefs. Ce fut l’attouchement érotique de trop et l’Anglais jouit
bruyamment en se déversant sur la main de l’ange en jets saccadés.

Longwood était dévasté par l’orgasme qu’il venait de ressentir ; il ne parvenait même plus à se
tenir aux épaules de son impitoyable tortionnaire. Ce dernier le maintenait dans une position verticale
en l’étreignant contre la porte. S’il avait eu le malheur de le lâcher, James se serait effondré, telle une
poupée de chiffon alanguie, assommé par le plaisir.

Loin d’en avoir terminé avec son tendre amant aux boucles blondes, Gabriel glissa ses bras sous
lui de façon à le porter jusqu’au lit et le déposer délicatement sur le ventre.

James perçut l’affaissement du matelas lorsque l’archange le rejoignit. En fait, il se plaça au-
dessus de lui sans réellement peser de tout son poids, se contentant de déposer une pluie de baisers
sur sa nuque et ses épaules avant de planter doucement ses dents sur l’une d’elles. Il mordilla, suçota,
puis lécha avec tendresse la portion de chair malmenée.

— Tu m’appartiens, Jacob.

Il avait murmuré ces paroles au creux de son cou, les lèvres délicieusement appuyées contre
l’épiderme. Ce simple effleurement déclencha une série de frissons chez James.

Soudain, il sentit une partie de la main de l’ange s’insinuer entre ses fesses et étant donné
l’humidité qui paraissait les imprégner, il s’agissait des doigts sur lesquels l’étudiant avait dispersé
son plaisir.

Quelque chose remua depuis les abîmes de son être. Quelque chose qui l’envahissait parfois, le
possédant complètement : la puissance de ses ténèbres. Celles qui le faisaient renaître, tel un phénix,
à chaque fin de vie. Celles qui le noyaient tout en lui insufflant un pouvoir inouï.

Le visage pratiquement enfoncé dans les oreillers, James lui dévoila le chemin, s’offrant de
manière totalement impudique à celui qu’il aimait depuis plusieurs éternités.

Gabriel utilisa la semence de Longwood à la fois pour le préparer, mais aussi pour prolonger
l’exploration sensuelle du corps de son terrible amant, « L’homme du péché ». Il s’insinuait, avec une
lenteur intolérable, plus loin que l’aine pour mieux revenir à l’endroit qu’il convoitait.

La douceur de ses caresses exprimait son amour, celui qui se passe de mots tant il est profond.

— Tu es mien, gronda l’ange avant d’entrer en lui.

Longwood poussa un râle, submergé d’un bonheur indicible d’être empli de cette créature à qui il
s’était entièrement dévoué cœur et âme.

Oui, il était sien, tout comme Gabriel lui appartenait.

Ni Dieu, ni Frères, ni la destinée elle-même ne pourraient le lui enlever.

***

James Longwood, repu de plaisir et d’amour, s’endormit rapidement dans les bras de l’archange,
la joue posée sur son torse musclé. Ce dernier avait les yeux grands ouverts et fixait le plafond tout
en jouant avec les mèches soyeuses de ses cheveux.

— Je sens ta présence, Samaël, dit-il subitement, d’une voix ténue et en souriant légèrement.

— Quant à moi, j’ai perçu la tienne il y a un petit moment déjà, rétorqua l’intéressé. Juste avant le
premier orgasme du sale gamin. Alors… on prend goût au péché de luxure ?

Un rire silencieux secoua le Messager de Dieu, provoquant un vague marmonnement de la part de


son amant qui remua dans son sommeil, libérant ainsi l’entité angélique sur laquelle il reposait.

Gabriel le contempla longuement, une mimique tendre sur le visage.

— Il a une apparence si pure, c’est curieusement paradoxal quand on connaît sa véritable nature.

Le déchu demeurait tapi dans le coin le plus obscur de la chambre et il ne distinguait de lui que le
bout régulièrement rougeoyant de sa cigarette.

Ce ne fut que lorsque celui-ci expulsa la fumée inspirée, en soufflant exagérément, que l’archange,
avec mille précautions, quitta le lit, découvrant la splendeur de sa nudité. Il s’étira voluptueusement,
mouvement qui écarta brièvement les plaies stigmatisant ses omoplates.
— Sachant que je ne perdais pas une miette du spectacle, l’ignorer aurait relevé du Saint Miracle
étant donné le raffut que vous avez fait, je suppose que cela a dû décupler ton plaisir, lâcha Samaël
d’un ton aigre. Je commence à préférer quand tu laisses le petit aux commandes du vaisseau…

Cette fois-ci, Gabriel éclata d’un rire plus sonore car les propos de Samaël contenaient une grande
part de vérité : l’archange avait souhaité le torturer sachant que le déchu entendrait leurs ébats.

— Cesse de jouer avec mes nerfs, Gabe. Je ne suis pas réputé pour ma patience, loin de là.

L’archange humecta lentement ses lèvres tout en regardant le coin sombre où son « frère » se
tenait. Puis, par pure provocation, il se tourna dans cette direction, suffisamment éclairé par les
douces lueurs de la Lune pour que celui qui fut jadis la « Main Droite de Dieu » puisse l’admirer tout
son saoul.

Le déchu répliqua par un grognement sourd suivi de quelques insultes dans un langage plus ancien
que l’humanité.

— Cette minuscule partie de Moi te plaît, car elle est plus « malléable » ? l’interrogea Gabriel en
penchant la tête sur le côté.

Samaël ne répondit pas immédiatement, savourant de tirer quelques bouffées supplémentaires sur
le mégot avant de l’éteindre en l’écrasant directement dans le creux de sa paume. Puis, il s’avança à
découvert afin que l’autre ange puisse également le voir distinctement.

Tout en sensualité, il portait une chemise noire déboutonnée presque jusqu’à la ceinture, un jean de
même teinte, pieds nus.

Les deux créatures se dévisagèrent en silence puis le déchu frotta nonchalamment ses mains l’une
contre l’autre afin de chasser les dernières traces de cendres.

— Eh bien… j’aurais aimé te répondre par l’affirmative.

— Ce n’est pas le cas ?

Gabriel paraissait sincèrement étonné.

— Ce qui me… « plaît »… hum, j’ai presque honte de l’avouer tant cela risque de ternir ma
réputation d’adorateur de tous les péchés existants et pour lesquels je devrais me repentir durant des
milliers d’années… Non, ce qui me « plaît », c’est son honnêteté. Oui, cette infime particule de tout
ton… « Toi » m’a avoué, avec une déconcertante sincérité, me vouloir autant que je le veux. Que je
te veux. Ce que le gros pourcentage ici présent s’obstine à nier envers et contre tout. Quitte à…
« baiser » avec tout ce qui symbolise le total opposé de la bannière qu’il défend, ceci seulement afin
de lutter contre lui-même, de me convaincre, mais aussi de se persuader dans la foulée. Voilà. Voilà
ce qui me « plaît » dans le « petit » Gabriel.
— Ton imagination ne connaît pas de limites, Sam.

— C’est un peu le concept du « truc ». L’imagination n’en possède pas. Ce sont les pensées
humaines qui les brides et vois-tu… je ne suis pas humain, ça tombe bien, non ?

Gabriel ne riait plus, ses prunelles flamboyaient de colère.

— Tu ne m’auras jamais, Samaël. D’aucune façon.

Brusquement, le déchu fonça sur l’archange à une vitesse étourdissante. Il s’arrêta uniquement
lorsqu’il put le tenir dans l’espace de ses bras.

La Main Gauche de Dieu ne chercha pas à se débattre, optant pour une attitude stoïque, voire
dédaigneuse, ce qui provoqua un sourire chez son assaillant.

Les doigts du déchu glissèrent le long de son dos pour terminer leurs courses indécentes sur les
fesses de son prisonnier. Tandis que leurs regards semblèrent croiser le fer, les paumes de Samaël se
firent plus câlines et insistantes. Une raideur significative au niveau de l’entrejambe de Gabriel
arracha une mimique victorieuse à ce dernier.

— Tu devrais en informer ta queue, mon amour, susurra le déchu. Elle ne semble pas au courant…
et surtout, tu ne pourras pas toujours occuper en intégralité le corps de chair du gentil Ginto junior.
Un Messager reste un Messager tant qu’il n’a pas pris un aller simple pour les ténèbres. J’ai donc
encore… toutes mes chances de te posséder.
Chapitre 16

- De ses révélations -

Quand la sonnerie stridente du réveil l’extirpa des bras de Morphée, Gabriel, courbaturé, ne sut
pas immédiatement où il se trouvait. Ce ne fut que lorsque ses yeux découvrirent les boucles blondes
de James qu’il se remémora s’être rendu dans sa chambre.

Il avait l’impression que plusieurs trains lancés à grande vitesse lui étaient passés dessus tant ses
muscles étaient endoloris. Ginto se redressa suffisamment pour tendre le bras afin de saisir l’odieux
objet qui chantait à tue-tête et stopper sa détestable musique. Il réalisa soudain être complètement nu
et un seul coup d’œil sur le corps, à peine recouvert d’un drap, de Longwood lui suffit pour en tirer
les conclusions qui s’imposaient : ils avaient fait l’amour sans qu’il en garde le moindre souvenir !

Gabriel passa une main sur son torse comme si le contact avec sa propre nudité apportait une
preuve plus matérielle à cette idée.

Un goût métallique lui emplit soudainement la bouche ; la saveur du sang. Avait-il mordu James ?
Ou était-ce un résidu de son étrange rêve ?

Il avait encore été victime d’un songe ressemblant davantage à une bribe d’une de ses nombreuses
vies passées… il s’était revu brièvement, ligoté à une chaise, entouré de personnes vêtues à la
manière des agents SS durant la Seconde Guerre mondiale lui hurlant dessus avant de le bourrer de
coups.

L’adolescent secoua la tête afin de chasser les horribles images.


Un gémissement émis de l’être lové tout contre lui attira à nouveau son attention et Ginto ne put
s’empêcher de sourire bêtement en contemplant James qui paraissait, même pendant son sommeil,
chercher sa chaleur.

Cela le dérangeait de n’avoir aucun souvenir de sa nuit avec lui. Ses doigts vinrent naturellement
caresser la masse douce et blonde qui encadrait le visage du bel endormi. Cet effleurement provoqua
une sorte de flash dans son esprit, il se « vit » exécuter le même geste, dans ce lit, sans être certain
qu’il s’agissait bien de lui.

Le jeune boxeur s’allongea de nouveau puis, comme s’il avait eu en sa possession un radar interne,
James vint se nicher aussitôt contre son torse, non sans avoir glissé un bras sur sa hanche. Gabriel
déposa un baiser sur le sommet de son crâne avant de l’étreindre également.

Le corps de l’étudiant Anglais était doux et chaud ; il lui procura un sentiment de plénitude qui
l’apaisa profondément.

Ginto se raidit en entendant quelques coups secs frappés à la porte.

— Monsieur Longwood… c’est l’heure, annonça Helmont depuis le couloir.

Le monsieur Longwood en question grommela des paroles inintelligibles, déclenchant un petit rire
chez l’adolescent le tenant dans l’espace de ses bras.

— Nous nous levons ! grogna-t-il plus fort, sans pourtant bouger d’un millimètre.

Un long silence accueillit ce « nous ».

— Très bien, je vous apporte le petit déjeuner, répondit finalement le jeune employé du manoir
avant que le bruit de ses pas ne s’éloigne.

Une exclamation étranglée s’échappa de la bouche de Gabriel quand il perçut ce qui semblait être
la langue de James sur son téton.

Son corps était hypersensible ce matin et cette simple caresse déchaîna une série de petites ondes
électriques dans chacun de ses membres. L’adolescent le repoussa gentiment puis se frotta le
mamelon humidifié comme pour en effacer les effets érotiques.

Longwood se redressa à son tour, un sourire comblé scindait pratiquement son visage en deux. Il
avait tout de celui qui avait passé des heures à combler son appétit sexuel. Même si une partie de son
cerveau s’enorgueillissait d’être à l’origine d’une telle expression, une autre, tout aussi importante,
n’appréciait pas son amnésie concernant cette nuit !

— James… commença Gabriel, hésitant.

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase que la bouche du lycéen Anglais se pressait
amoureusement contre la sienne. Ce chaste baiser fut amplement suffisant pour que Ginto ne songe à
plus rien d’autre dans l’immédiat. Il entrouvrit naturellement les lèvres afin d’envahir le délicieux
espace de sa langue, qui s’enroula sur-le-champ à celle de Longwood pour un échange plus sensuel.
Néanmoins…

— Bonjour, dit-il d’une voix atrocement rauque, après avoir coupé court à leur douce salutation
matinale.

— Good morning{92}, répondit James, l’inflexion câline et les paupières plissées.

— Hum… est-ce que cette nuit… toi et moi…

— Tu ne te souviens de rien.

C’était là une simple affirmation, pas le moindre étonnement ne s’affichait sur le visage de
l’Anglais. L’explication qui s’ensuivit gela l’esprit de Gabriel. S’il se fiait aux propos de Longwood,
l’archange sommeillant en lui avait en quelque sorte occupé davantage « d’espace » dans son corps,
comme si une grosse partie de l’entité angélique avait enfilé sa tenue de pilote afin de prendre les
commandes, le laissant, lui, Gabriel Ginto, étudiant de dix-sept ans, sur le carreau.

Non seulement le concept était aberrant et, par-dessus le marché, Ginto se sentait trahi par James,
mais aussi – ridiculement ? – jaloux de… lui-même !

Alors qu’il s’apprêtait à lâcher un flot de reproches sur son amant, la porte s’ouvrit sur Helmont,
chargé d’un plateau à la rutilante teinte argentée. Gabriel le suivit du regard, éprouvant subitement un
étrange malaise en sa présence. D’un geste machinal, il remonta le drap plus haut sur ses hanches
ainsi que sur celles de James.

D’ailleurs, ce dernier était curieusement silencieux et ses prunelles prenaient une nuance assez
inquiétante… le bleu glacier paraissait disparaître au profit d’une couleur plus ténébreuse.

Quand les yeux de l’adolescent français dévièrent du visage pour glisser sur les doigts crispés de
Longwood, il retint de justesse un hoquet. Ses ongles s’allongeaient de façon démesurée, déchirant
allègrement le fin tissu couvrant ses jambes.

Samaël avait évoqué une espèce d’instabilité chez James… ce qui le renvoya cruellement à la
véritable nature de son amoureux. Brusquement tendu, Gabriel serra les dents sans relâcher son
attention.

— Sros ed am embrach, slif ed neihc ! gronda le lycéen, en s’adressant au serviteur.

Le boxeur ne reconnut pas la langue avec laquelle Longwood venait d’aboyer ce qui ressemblait
fort à un ordre ou un avertissement.

Helmont, un sourire factice placardé sur ses lèvres, après avoir déposé son fardeau sur la table,
inclina respectueusement le buste et partit silencieusement de la pièce.

Aussitôt l’employé sorti, James redevint lui-même comme si rien ne s’était passé.

— Qu’est-ce que… qu’est-ce que tu viens de lui dire ? l’interrogea Ginto.

Mais l’œillade perplexe que lui offrit le jeune Anglais en réponse à sa question fut bien plus
éloquente que des mots : James ne le savait pas !

***

— Sros ed am embrach, slif ed neihc ? répéta Urielle.

Gabriel opina avant d’enfourner un énorme morceau de steak dans sa bouche.

La matinée au lycée s’était déroulée plutôt calmement et nombre de ses cours n’étaient pas en
commun avec James. Cela lui permettait de souffler et éventuellement de prendre du recul vis-à-vis
de la situation ainsi que de la masse d’informations qu’il avait dû ingérer en si peu de temps.

Il avait également profité de la pause déjeuner en compagnie d’Urielle pour lui raconter ses
dernières mésaventures paranormales, certes, sans les « détails » érotiques qui les agrémentaient.
Lorsque la jeune fille avait appris la véritable nature de James, elle avait lâché un interminable
chapelet de jurons qui aurait fait rougir un marin en personne.

— C’est quoi ? Du latin, de… l’hébreu ou quelque chose dans ce goût-là ? s’enquit-il en
découpant vigoureusement un nouveau morceau de bœuf dans son assiette.

Ce n’était qu’une broutille bassement matérielle, mais en cet instant, il appréciait plus que tout
d’avoir enfin un véritable couteau pour découper sa viande ! Tous les établissements scolaires qu’il
avait fréquentés semblaient faire une espèce d’allégeance aux couverts qui servaient davantage
d’ornements qu’à trancher quoi que ce soit. Encore une fois, Holy Cross se détachait de ses
compatriotes et prouvait sa qualité supérieure en matière de service scolaire !

— Du tout… du français.

La fourchette de Ginto s’arrêta à mi-chemin de sa bouche sous le regard goguenard de l’ange


gardien de l’Éden dans son temps.

— Il s’est exprimé à… l’envers, dirons-nous.

— À l’envers ?
— À l’envers.

— Ce n’est pas ce qui m’a semblé.

— C’est un niveau plus poussé que le « verlan », là c’était carrément toutes les lettres et non les
syllabes… le sale petit frimeur ! Cela donne : « sors de ma chambre, fils de chien ».

— Oh, fit Gabriel avant d’engloutir sa bouchée.

— T’as l’air déçu… Tu sais, j’ai vu mieux comme tour dans le film L’exorciste, quand la gosse
tourne sa tête à trois cent soixante degrés et qu’elle gerbe un volcan de machin dégueulasse
verdâtre…

— Ca ne te dérange pas trop que je mange, là ? marmonna l’adolescent en repoussant son assiette
sous le regard amusé, voire carrément joyeux, de la jeune fille.

— Pas du tout… tu veux ma gelée à la menthe ? Et puis, c’est pas moi qui m’envoie en l’air avec
son sosie cosmique, surtout si je me fie à ce que tu m’as raconté y’a pas dix minutes.

— Je… James n’a rien d’un possédé démoniaque de film d’épouvante, rétorqua-t-il.

— Ah oui… c’est ça, mon petit père, continue ! Le déni, rien de mieux pour persister à jouer au
docteur avec l’Antéchrist en toute tranquillité. Puis je m’en voudrais d’être à l’origine d’une panne
de « popol » et éventuellement de gâcher une soirée romantique en évoquant des images peu
excitantes, telles qu’une sale gueule ravagée par le Mal, hein…

Ginto lui jeta un regard assassin auquel elle répliqua par un haussement de sourcil narquois.

— Va te faire foutre, Urielle ! grogna Gabriel, énervé.

— Je suis vierge, pure… l’agneau qui vient de naître, c’est moi et j’aime ça… De plus, c’est pas
en apprenant où ont traîné toutes les quéquettes du coin que ça va m’inciter à me faire dépuceler.
Plutôt embrasser les fesses de Lucifer un jour de grosse canicule.

— Faudrait déjà que je t’autorise à poser ta sale bouche sur les fesses en question, intervint une
voix qui fit sursauter les deux élèves de Holy Cross.

— Fais pas ton difficile, Lucky, le tireur le plus rapide de l’enfer. Tu baiserais même un
portemanteau pour peu qu’il soit bien gaulé, rétorqua aussitôt Urielle, ironique.

— Tu prêches pour ta paroisse ? Parce que de profil, l’un à côté de l’autre, je ne serais pas certain
d’arriver à faire la différence… susurra le déchu avant de prendre place à leur table.

— Et c’est en cet instant précis, quand on sait que ton prénom signifie « Lumière », que je goûte le
Grand Sarcasme de l’Univers. Tu ne serais même pas capable de différencier ta queue de ton
appendice nasal… euh, attends… c’est peut-être Bonnet-Blanc et Blanc-Bonnet, au temps pour moi.
Sentant la moitié des élèves leur lancer des regards curieux, Ginto s’agita sur sa chaise.

— Vous ne voulez pas la boucler tous les deux ?! Je ne suis pas sûr que se faire remarquer soit
l’idée du siècle… d’ailleurs, Lucif… – l’adolescent buta sur le prénom de l’ange rebelle puis se
reprit – Luc, que fais-tu ici ?

— Je suis professeur à Holy Cross, expliqua le déchu avec un sourire froid.

— Était, rectifia instantanément Urielle.

— Était, répéta-t-il en jetant un bref regard irrité en direction de la lycéenne assise à sa gauche.

— C’est important de préciser que tu t’es fait éjecter de l’école, souligna la jeune fille avant
d’arborer une mimique exagérée, comme si elle venait subitement de comprendre quelque chose. Elle
axa davantage son corps vers Lucifer et poursuivit : « En fait, c’est inévitable chez toi, genre
karmique comme le disent les humains ; tu en reviens toujours au même point : tu es l’éternel chômeur
qui se fait jeter de partout… Putain, c’est fendard, mec ! »

Là, elle composa un « L » de son index et son pouce puis le colla sur son front en fixant l’ange
rebelle tandis que ses lèvres formaient le mot « Looser ».

— Continue à me chercher, Urielle, et je te désosse, la prévint Lucifer, les prunelles orageuses.

Nullement impressionnée, l’étudiante afficha une moue amusée.

— J’ai vraiment la trouille là… tu entends mes genoux qui jouent des castagnettes ? Non ? Bah,
normal… Si encore tu avais la carrure de bulldozer de Ron, j’aurais éventuellement peur.
Éventuellement dans le sens où je songerais peut-être à éprouver une forme diluée d’appréhension,
genre vendredi prochain, entre quatorze heures quinze et quatorze heures seize minutes. Attends, je
vais noter le créneau dans mon agenda, si par exemple tu prends des stéroïdes d’ici là, sait-on
jamais. Maintenant qu’on s’est fait des mamours pour nos deux cents prochaines vies, pourquoi est-ce
que tu viens pourrir notre oxygène ?

Un nerf agitait la mâchoire de Lucifer pendant que ses yeux paraissaient lancer des éclairs alors
qu’il scrutait Urielle. Il était à un cheveu de se lever et de la réduire en bouillie, Gabriel en était
persuadé.

— Je rends service à Samaël en surveillant Gabriel, leur avoua-t-il finalement.

— Tant de sollicitude de votre part, ça me file la nausée… cracha-t-elle avant d’extraire une
sucette d’une des poches de son sac à dos.

L’adolescent se racla la gorge, las de leurs joutes verbales, puis la regarda ôter le papier
d’emballage de la sucrerie avec application.
Soudain, tous les élèves présents dans le réfectoire se figèrent, comme pétrifiés.

Même Urielle et Lucifer se retrouvèrent statufiés.

Ginto eut l’impression que son cœur allait sortir de sa poitrine tant ses battements étaient devenus
subitement lourds et assourdissants. Lentement, il leva une main tremblante au niveau du visage figé
de la jeune fille assise face à lui, l’agita doucement, pétri d’espoir qu’elle révèle un signe d’activité,
de vie, n’importe lequel. L’étudiante ne bougea pas d’un cil et la peur galopa plus vite dans les
veines de Gabriel. Cette situation inédite et totalement anormale l’oppressa.

Un son strident lui vrilla les tympans, il ne provenait pas de l’extérieur, mais de sa tête. Sous la
douleur, il apposa machinalement les paumes sur ses oreilles pour ensuite se recroqueviller sur lui-
même en quête d’un soulagement quelconque.

Dans la grande salle, la lumière parut se faire dévorer par une curieuse obscurité, presque
palpable, tandis qu’un silence opaque étranglait la cafétéria de ses doigts invisibles.

L’adolescent se redressa avec difficultés, pressant fortement les mains, puis le terrible son
disparut aussi rapidement qu’il l’avait agressé.

Ginto découvrit alors les traces de sang sur ses paumes. Il comprit que le bruit insoutenable, celui
qui avait résonné dans sa boîte crânienne un peu plus tôt, était parvenu à blesser sérieusement ses
tympans. Le choc auditif l’avait rendu complètement sourd. Il scruta attentivement le réfectoire, les
étudiants transformés en statues de sel tandis que la « chose » engloutissait chaque parcelle de
lumière restante, le laissant dans une salle noyée de ténèbres.

Il les vit. Il Le vit. Tout au fond, droit devant lui, silhouette étrangement brillante, car auréolée
d’une brume rougeâtre. Les prunelles sanglantes le fixaient pendant qu’un sourire malfaisant dévoilait
doucement une rangée de dents très blanches.

Yeux de sang. Les yeux du Diable. De Satan. Le Mal.

— Bonjour, Gabriel, dit-il gentiment comme on salue un vieil ami.

Le jeune Français l’entendait parfaitement alors qu’il aurait juré que ses oreilles étaient désormais
incapables d’identifier le moindre bruit. Mais il l’entendait, Lui.

— Que me voulez-vous ! hurla Ginto.

Sa voix résonnait en sourdine dans son propre corps. Pourtant sûr d’avoir crié, il n’en avait perçu
qu’un murmure étouffé.

— Toi, répondit laconiquement le « Mal ».

Ce dernier avança lentement, très lentement même, afin d’effacer les quelques mètres qui le
séparaient de Gabriel. Une traînée fantomatique et écarlate le suivait, tel un animal de compagnie
obéissant, formant à chacun de ses pas des lambeaux de nuages vermeils, presque translucides,
léchant avec amour les chevilles de l’entité maléfique.

— Tu es la clef qui m’ouvrira le monde. James est la serrure… rejoins-nous, Gabriel. Tu es si


près de faire partie de notre grande famille. Tu te tiens juste à côté de la ligne qui nous divise. Tu
pourrais protéger James… pauvre, pauvre James. Il a passé tant de siècles à souffrir, à te désirer et à
t’aimer. Tu veux sauver James, n’est-ce pas, Gabriel ? C’est cela qui te pousse à accepter toutes ces
incarnations de chair, les unes après les autres, encore… et encore, à t’enfermer inlassablement dans
les habitacles putrides de ceux dont l’image est à jamais salie par un goût prononcé pour le péché.
Les humains ne méritent qu’une seule chose, Gabriel…

Satan stoppa son inquiétante avancée vers l’adolescent, et, même si les détails physiques de son
apparence étaient impossibles à distinguer nettement – car il n’était qu’une forme humanoïde
totalement noire, hormis ses prunelles sanguines –, il effectua un mouvement qui ressembla fort à
celui d’enfoncer les mains dans ses poches.

— À ton avis, Gabriel ? Que méritent-ils ? As-tu une opinion sur le sujet, maintenant que tu
n’obtempères plus aveuglément à ton Dieu ? Que sont-ils, ces animaux primitifs pour lesquels IL a
tant fait ? Tant donné ? Des créatures perpétuellement affamées, nourries aux pires vices, aux
perversités les plus écœurantes… Dévorées par la jalousie, régie par des instincts cruels et égoïstes,
prisonniers de leurs propres faiblesses… non, je dirai même « gouvernés » par ces dernières. Ils ne
méritent rien, Gabriel. Ni pardon, ni paradis. Rien. Ah… si. Ils nous méritent, nous. Nous, dont la
nature profonde est la somme de tout ce qu’ils sont réellement. JE suis celui qui les accuse, car je
reconnais ce en quoi ils sont faits. Ils m’appartiennent. Ce n’est que du bon sens, Gabriel. Ils
détruisent : JE suis le Destructeur. Ils haïssent : JE ne suis que haine. Ils jalousent : JE suis l’envie.
Ils manigancent : JE suis le Grand Conspirateur de l’Univers. Ils sont moi et JE suis eux. Ils sont à
mon image, pas à LA Sienne. Aide-moi à reprendre ce monde qui est mien de toute manière. Les
humains ne changeront pas… jamais. Ils aiment trop se complaire dans ce qu’ils nomment le « Mal ».
C’est une lutte vaine et inutile que nous menons, Gabriel. Cesse de combattre et rejoins mes rangs. Je
viendrai à toi demain soir, sois prêt.

Brusquement, les rayons du soleil envahirent de nouveau la pièce, les élèves se remirent à bouger,
manger, rire et parler tandis que Ginto se tenait parmi eux dans une attitude prostré, choqué.

Ce fut Urielle qui tenta la première de le tirer de son étrange état à la limite de la catatonie, puis,
aidée de Lucifer en personne, ils l’accompagnèrent à l’infirmerie où se trouvait Raphaël.

***

— Que lui est-il arrivé ? s’enquit une voix qu’il reconnut vaguement.
Elle avait des inflexions douces, calmes, presque « aimantes ». Voilà, c’était cela, ce timbre
n’était qu’amour

Gabriel hucha. Une première fois discrètement, puis de façon plus violente avant de vomir.

— Ah putain ! Il dégueule maintenant ! s’écria une autre voix, plus féminine.

Le jeune Français enregistrait tout ce qui se disait, car il parvenait maintenant à entendre les sons,
les personnes. Son ouïe s’améliorait au fur et à mesure que les minutes passaient.

— Il a reçu la visite de mon Boss. Ça empestait le mal à vous donner le tournis. Pour nous, il a dû
se dérouler quelque chose comme à peine une seconde, mais à mon avis… cela a duré largement plus
longtemps pour notre jeune ami.

— Mais pourquoi il a pas salopé les godasses de Lucky ! se plaignit encore la voix féminine.

Un ricanement lui répondit.

— Ça te fait marrer, hein ! dit-elle d’un ton accusateur.

— Je ne vais pas le nier… et pourtant, sache que j’adore mentir, rétorqua l’autre.

— Il a de la famille, ici ? s’enquit une voix très grave, profonde, comme si elle détenait toute la
sagesse du monde sur sa langue.

— Je crois, Ron… je n’en suis pas sûre. Je l’ai à peine croisé le jour de la rentrée, sans le voir
vraiment, à croire qu’il se planquait de moi ! marmonna la jeune fille.

— Il a un frère.

C’était celui qui connaissait très bien le « Mal ». Il avait prononcé son affirmation sobrement,
craignant peut-être de trop en révéler. Trop sur quoi ?

— Je vais regarder dans son dossier scolaire et le contacter afin qu’il vienne le chercher, annonça
la voix « amour ».

Soudain, une curieuse chaleur se mit à lui picoter les voûtes plantaires pour se diffuser
agréablement dans tous ses pieds. Gabriel gloussa. C’était doux, très bon, il aimait cette sensation.

— Allongez-le sur le lit, ordonna gentiment la voix « sagesse ».

— Je n’arrive à joindre personne au numéro fixe… ni sur le portable, indiqua « amour », un brin
contrarié.

Gabriel compta les « lumières ». Il y avait trois lumières, éblouissantes et vives, qui ondulaient
près de lui. Il s’agissait des « voix ». Une autre se tenait plus en retrait : elle, par contre, était noire,
dégoûtante, mais bizarrement attirante… d’ailleurs, en la regardant, la chaleur qu’il ressentait se
propagea plus vite, jusqu’à ses cuisses, jusqu’à… bien plus haut.

Le jeune Français identifia un linge humide sur sa bouche avant qu’on l’encourage à boire un
liquide à la fois sucré et très parfumé, très frais. De… la menthe ?

— Lucifer, rends-toi utile pendant que je nettoie mes chaussures avant de rendre également mon
déjeuner : enlève-lui sa chemise.

— Pourquoi moi ? s’insurgea la lumière noire.

— Parce que sinon on se met à trois sur ta gueule pour te refaire le portrait, ça te suffit comme
raison ? grogna la voix féminine, très agressive.

Lumière noire marmonna des insultes puis s’inclina au-dessus de Gabriel, absolument fasciné par
son éclat ténébreux.

La chaleur se transforma en lave douloureuse, surtout au niveau de son entrejambe. Cela devint
carrément insoutenable quand Ginto goûta le contact de ses doigts sur son torse pendant que lumière
noire défaisait les boutons de sa chemise. N’y tenant plus, il plaça ses doigts derrière la tête de cette
ombre délicieusement captivante et l’approcha de son visage pour l’embrasser. Lumière noire eut un
mouvement de recul, mais Gabriel pressa plus fort et l’ombre au goût succulent céda. Il mêla
fiévreusement sa langue à la sienne, lui arrachant un gémissement affriolant.

— Bordel ! Mais qu’est-ce que tu fous ! hurla voix féminine. Je t’ai dit de lui ôter sa chemise pas
de lui bouffer les amygdales, connard ! Aidez-moi à gicler ce sale pervers, vous autres !

Gabriel grogna férocement quand il le séparèrent de lumière noire : il était subitement frigorifié, le
froid mordait sa chair de ses dents pointues au point qu’il en sanglota.

— Ne… ne me regardez pas comme ça ! C’est lui qui m’a sauté dessus comme la misère sur le
monde ! cria lumière noire d’une voix curieusement aigüe. Et puis, il est loin d’être vilain à
regarder… et il embrasse très… enfin, c’est très correct.

— Je vais te mettre mon poing dans la tronche ! cracha la fille.

— Je ne comprends pas, murmura voix « amour », interloqué.

— Il a été… « intoxiqué » par la présence quasi originelle de l’Adversaire. Je ne vois que ça.

C’était « Sagesse » qui venait de parler.

— Je le pense aussi, renchérit lumière noire.

Il avait une drôle intonation qui provoqua un sourire vorace sur les lèvres du jeune Français.
— Pourquoi il sourit de cette façon ? demanda, calmement cette fois, la voix féminine.

Un silence s’abattit sur l’infirmerie, telle une chape de plomb, et toutes les lumières trop brillantes
se tournèrent vers la seule et fascinante lueur obscure.

— Eh bien, il… « sent » mon… euh… mon excitation. Arrêtez de me fixer ainsi ! À cet instant,
Gabriel me trouve aussi attractif qu’un lampadaire l’est pour un papillon de nuit et en ce qui me
concerne… il ressemble à un bonbon sur pattes. Je n’y peux rien !

— Le fait que je sois dans l’obligation d’entendre ça en plus de me brûler les rétines avec ton
érection… me donne juste envie de me pendre, persifla fille agressive.

Sans quitter lumière noire des yeux, chemise largement ouverte sur ses pectoraux, Gabriel s’étira
langoureusement avant de se caresser brièvement le sexe en une invitation explicite.

Ombre obscure poussa une espèce de feulement inhumain et son aura s’intensifia.

— Si en plus il m’allume… comment voulez-vous que je résiste ? marmonna-t-il.

— Quel est le moyen de le « désintoxiquer » ? Oh ! Le pervers ! Réponds-moi au lieu de le


reluquer comme un végétarien au régime mate une salade de tomates !

— Absorber le « Mal » tel un aspi-venin, expliqua sèchement lumière noire. Vous pouvez essayer,
je vous en prie, susurra-t-il ensuite, un peu trop gentiment.

— Lucifer… cesse de jouer et indique-nous la manière de procéder, exigea posément « Sagesse ».

— Il n’y a pas trente-six façons : prendre le « Mal » qu’il a ingéré au contact du « Destructeur » et
si vous y arrivez, l’assimiler puis le recracher. Un contact physique rapproché demeure le plus
efficace.

— Un contact physique… ? Tu te fous de notre gueule, enfoiré ! aboya fille agressive. Et c’est
bizarrement à ce moment-là que tu te proposes, hein !

— Eh bien, vu que tu abordes le sujet… un peu plus ou un peu moins d’essence maléfique en
moi… je veux bien me sacrifier afin que vous retrouviez ce bon vieux Gabe, fit l’ombre ténébreuse
avec un sourire dans la voix.

— Je vais le massacrer ! beugla la voix féminine.

Il eut des bruits de luttes, de choses renversées, mais Gabriel s’en fichait. Il venait de découvrir
que frotter sa main d’une certaine façon sur son membre gonflé, prisonnier de son pantalon, apaisait
la chaleur lui dévorant le corps et cela l’occupait entièrement.

— Ça suffit ! ordonna brutalement « Sagesse ». Est-ce qu’il existe un autre moyen pour le libérer
de l’emprise de L’Adversaire ?
— Pas que je sache, bougonna lumière noire. Par contre, si vous restez en contact prolongé, vous
risquez de vous retrouver dans le même état que lui… les corps de chair sont plutôt faibles, ajouta-t-
il, sarcastique. Je vais appeler Samaël. Il saura quoi faire et surtout… vous ne vous amuserez pas à le
malmener, lui !

La porte de l’infirmerie claqua peu de temps après les paroles d’ombre obscure. Il ne restait que
des lumières vives dans la pièce et Ginto gémit. Elles étaient trop éblouissantes, c’était
insupportable !

— Je sors dans le couloir aussi… j’ai pas envie de finir en chaleur comme Gabriel, cracha fille
agressive. Non, mais regardez-le ! Faut que je prenne l’air… vite !

Un petit silence s’instaura dans la minuscule pièce, seulement entrecoupé par les plaintes de
plaisir émises par le jeune Français qui s’activait toujours sur son entrejambe.

— On ne… peut pas le laisser comme ça, hoqueta voix « amour ».

— C’est certain, Raphaël, approuva « Sagesse ». Surveille-le, je vais m’occuper de récupérer ses
affaires et d’avertir ses professeurs qu’il rentre chez lui.

— Non ! Ne me laisse pas seul avec lui… alors qu’il…

— Que crains-tu, Raphaël ? Il reste Gabriel… tente de le guérir, il se pourrait que tu parviennes à
le sauver. Je me dépêche.

Une minute plus tard, il ne restait plus qu’une lumière blanche et elle vacillait régulièrement sous
les yeux de Gabriel. Elle ressemblait à la flamme d’une bougie dansant fébrilement sous le souffle
d’un courant d’air taquin.

Ginto descendit souplement du lit, pareil à un félin en chasse. La lumière blanche reculait d’un pas
à chaque fois qu’il en avançait d’un dans sa direction.

— Gabriel… retourne te coucher, s’il te plaît.

Ombre claire vacillante devenait moins vive au fur et à mesure qu’il s’approchait d’elle. Elle
commençait même à avoir un goût agréable qu’il fit claquer contre son palais. Cela fut suffisant pour
accentuer la chaleur déchiquetant tous ses muscles, et plus précisément celui entre ses jambes. Avec
des gestes lents, Gabriel ôta sa chemise pour la laisser tomber par terre, puis entreprit de
déboutonner son pantalon sans cesser de marcher vers la lumière blanche. Cette dernière était
acculée contre le mur, totalement à sa merci.

— Gabriel ! Arrête ça ! l’implora « amour ».

Dès qu’il fut enfin tout contre la voix, elle s’éteignit pour de bon, sans devenir pour autant d’un
noir succulent.
Il percevait nettement son souffle tiède sur son visage, il était irrégulier, comme si Lumière-plus-
blanche n’arrivait plus à respirer ou oubliait de le faire une fois sur deux. Ginto en ronronna tout en
lui saisissant délicatement la main pour la guider là où c’était le plus douloureux, là où la chaleur
s’acharnait sur son corps. Le pantalon défait, Gabriel n’eut qu’à guider les doigts de « amour » sous
le dernier rempart gênant de vêtement et lâcha un grognement de satisfaction au contact apaisant.
Devant l’immobilité de Lumière-plus-blanche, il décida de lui montrer la voie en bougeant
lascivement les hanches, très doucement, afin que voix « amour » comprenne bien ce qu’il désirait,
comment le soulager du feu le faisant souffrir.

— Gabriel… s’il te plaît… ne me force pas à… s’étrangla Lumière-plus-blanche.

Mais déjà, il percevait la reddition, il humait le parfum de sa propre chaleur sur voix « amour ».

Il connaissait parfaitement la souffrance que provoquait la « brûlure » et décida de l’aider aussi en


posant sa propre main là où devait se concentrer la douleur chez Lumière-plus-blanche.

Il avait raison. Cet endroit était dur, tout autant que le sien.

Gabriel pressa ses lèvres sur la bouche humide de voix « amour » et ce dernier perdit pied avant
de se déchaîner. Un grognement de plaisir roula dans la poitrine de l’adolescent quand Lumière-plus-
blanche lui effleura les côtes de sa main libre. Il enfonça même sa langue plus profondément pour lui
arracher un son magique.

Soudain, des bras lui encerclèrent la taille et le tirèrent violemment en arrière, ce qui le rendit fou
de rage. Il rugit presque aussi férocement qu’un lion, cherchant à se libérer de l’entrave.

— Raphaël ! Dégage ! ordonna une voix grave qu’il identifia facilement.

Lumière-plus-blanche décampa sans demander son reste et Gabriel cessa de se débattre. Il avait
toujours mal, la « chaleur » s’acharnait sur son corps avec plus d’ardeur… mais il se sentait
étrangement plus calme.

La pointe d’une langue vint titiller l’un des lobes de ses oreilles, le faisant frissonner de plaisir.

— Je sens que je vais adorer les dix prochaines heures, murmura Samaël.
Chapitre 17

- De cette nuit -

Son odeur était partout ; elle l’envahissait quand il la respirait, la goûtait de sa langue lorsque sa
bouche s’ouvrait sur sa peau afin de la lécher amoureusement. C’était enivrant, délectable.

— Gabriel… arrête ou je ne vais plus arriver à me retenir, gronda voix sensuelle.

Car en plus d’être une lumière noire savoureuse, il possédait un arôme exquis, alors pourquoi
arrêterait-il ? Il apaisait la brûlure, l’insoutenable chaleur juste avec ce contact !

— Il a dû détruire le mental de son « véhicule » afin de t’intoxiquer de la sorte ! marmonna voix


sensuelle en le repoussant doucement, mais fermement. « Gabriel… si tu continues… nous allons
certainement avoir un accident. La puissance de la luxure, hein… ce cher Patron n’avait-il rien
d’autre sous la main ? »

Voix sensuelle ne semblait pas s’adresser à lui et à vrai dire, Ginto s’en fichait. Il avait trouvé une
parcelle d’épiderme découverte et s’employait à la grignoter.

Lumière noire délicieuse sursauta sur son siège quand il posa sa paume sur sa cuisse et finit même
par se tortiller lorsque Gabriel aventura ses doigts là où une autre chaleur appelait la sienne.

— Nous sommes presque arrivés chez moi, alors du calme… oh là ! Non ! Gabriel ! Oh… c’est ce
qui se nomme la punition divine… ah ! Suffit ! Vaurien !

Après beaucoup d’efforts, il avait enfin réussi à libérer le trésor convoité ! Ce dernier se dressait
fièrement, palpitant, soyeux et marbré de veines gonflées. Il l’engloutit avec mille précautions puis en
lécha le gland. Sa langue s’appliquait à en dessiner les pourtours afin de lui rendre tout l’hommage
qui lui était dû.

Voix sensuelle enfonça la pédale de frein afin de stopper la voiture qui n’apprécia guère la
violente manœuvre. Elle planta ses doigts dans l’épaisseur de la chevelure de Gabriel puis ses
hanches se mirent à ondoyer en de faibles coups de reins afin de venir à la rencontre de la bouche
vorace qui montait et descendait inlassablement sur son sexe.

Samaël balbutiait des litanies dans une langue étrange, la tête renversée vers l’arrière, les yeux
clos. La caresse, chaude et humide, que lui prodiguait l’incarnation de l’archange il en avait rêvé des
milliers de nuits, c’était au-dessus de ses forces de le repousser même en sachant qu’il n’était pas
lui-même. Les frottements doux et tièdes de ses lèvres, mais aussi de sa langue sur sa verge
annihilaient sa maigre volonté de lui résister. Tout était question de « chaleur », mais il en désirait
une autre… une bien plus animale et primitive qui l’envelopperait de manière totale. Quand le déchu
sentit les muscles, à la base de son membre, se contracter tandis que des frissons remontaient le long
de ses reins, il sut qu’il allait jouir. Machinalement, il tenta de s’extraire des lèvres de Gabriel, mais
ce dernier ne l’entendait pas de cette oreille et poursuivit sa voluptueuse caresse. Les contractions
atteignirent leurs paroxysmes et il se répandit, en poussant des râles, dans la bouche de Ginto. Le
plaisir se propagea dans tout son être, laissant son corps subitement indolent sous la puissance de
l’orgasme. Son esprit voguait en apesanteur et des centaines de frissons hérissaient sa peau.

Lorsque Ginto releva son visage vers le sien, il constata que celui-ci avait un regard voilé,
totalement absent et la culpabilité l’étreignit. Gabriel était le seul à déclencher chez lui des émotions
humaines telles que la peine, la tristesse ou la mauvaise conscience. Sa main glissa jusqu’à la joue de
l’archange, puis son pouce vint effleurer la bouche malmenée par l’attouchement libertin qu’elle avait
offert à son sexe. L’expression qu’affichait l’étudiant ne reflétait que faim, démence et autre chose de
plus archaïque encore. Le « mal » lui avait injecté une dose massive d’excitation sexuelle… peut-être
afin de l’attacher définitivement à James ?

Mais ce n’était pas le gosse Longwood qui bénéficiait de la frénésie charnelle du plus désirable
des archanges… et il en éprouvait une satisfaction possessive.

Samaël laissa ses doigts courir le long de la gorge du lycéen puis releva à nouveau les yeux pour
les nouer directement à ceux de Ginto, cherchant à y lire une quelconque trace de conscience sur
l’identité de celui qui le touchait en cet instant.

Un pli amer étira le coin de sa bouche en constatant que l’esprit de Gabriel était bel et bien
embrumé. Un corps de chair demeurait un corps de chair… faible et fragile, aisément manipulable,
voire destructible, par les créatures tels que les anges, déchus ou pas. Les « possédés » humains s’en
sortaient rarement indemnes, mais Gabriel n’était pas tout à fait humain. Il savait comment le sauver,
le ramener…

Brusquement, l’adolescent lui attrapa la main pour la poser directement sur la bosse déformant son
pantalon au niveau de l’entrejambe. Il bandait tellement qu’il n’était pas difficile de comprendre ce
qu’il désirait et cela provoqua un petit rire masculin, empreint de tendresse, chez le déchu qui haussa
ensuite un sourcil, amusé.

— Cela serait terriblement égoïste de ma part de te laisser dans cet état, n’est-ce pas ? murmura-t-
il, sachant parfaitement que Gabriel ne l’écoutait pas vraiment. Assieds-toi sagement sur ton siège, je
te promets de m’occuper très sérieusement du souci qui te… « préoccupe » quand nous serons dans
ma tanière.

Après avoir plaqué ses larges paumes sur les épaules musclées de l’étudiant, il obligea ce dernier
à reprendre place sur le fauteuil passager, puis prit soin de reboucler sa ceinture. Ce faisant, il dut se
pencher et son torse frôla cuisse et bas-ventre de son compagnon, lui arrachant un gémissement
chaviré.

Samaël retint malgré lui sa respiration pour ensuite tourner la tête vers Gabriel afin de l’observer.
Celui-ci était figé dans un masque de souffrances qui lui serra le cœur tout en l’excitant.

Les yeux du lycéen s’écarquillèrent au contact des doigts du déchu sur sa braguette.

— Un prêté pour un rendu, souffla l’ange, l’attention rivée à sa tâche.

Lorsqu’il libéra l’érection de Ginto, il réalisa que c’était lui qui avait poussé un geignement
pathétique et non l’adolescent. Le désir n’est pas loin de me propulser derrière les portes de la folie,
songea-t-il en fixant la verge tendue au point d’en découvrir le gland.

— Je dois me calmer, s’intima-t-il à lui-même. Je ne veux pas te faire mal, ce qui risque d’arriver
si je ne me retiens pas mais… par l’enfer… que j’ai envie de te dévorer, Gabriel !

Son propre sexe était à nouveau au summum de son excitation à la simple idée de prendre dans sa
bouche celui qui le hantait depuis toujours.

Avec une infinie délicatesse démontrant ô combien il essayait de se contrôler, rendant ses gestes
légèrement maladroits et saccadés, il enserra le membre chaud puis inclina son visage jusqu’à ce que
ses lèvres se posent sur les parties souples et jumelles un peu plus bas. Tandis que sa langue
s’ingéniait à en explorer les replis de peau, taquinant chaque endroit de sa pointe, en simultané, ses
doigts commencèrent leurs doux va-et-vient.

Gabriel, malgré l’entrave de la ceinture de sécurité, projeta ses hanches en avant tout en glissant
ses doigts dans les cheveux du déchu. La supplique était claire, il en connaissait parfaitement le sens,
car il était nanti du même réflexe primitif. L’ange obtempéra avec empressement, l’engloutissant sans
pour autant oublier cette parcelle flexible sous la verge turgescente qu’il se mit à malaxer tendrement.

La position dans laquelle il se retrouvait était inconfortable, de plus, sa propre érection


compressée était excessivement douloureuse, mais au fond, peu lui importait, ce n’était que d’infimes
détails. Rien ne pouvait endiguer ou entamer le plaisir, mais aussi le bonheur qu’il éprouvait en cet
instant.

L’étudiant abandonna la tête de Samaël pour venir griffer furieusement le plafond du véhicule et
ses jambes cherchèrent désespérément à s’étendre pendant que ses fesses se décollaient presque
entièrement du siège. Cela ne perturba pas le déchu qui continua à lui prodiguer la voluptueuse
caresse, alternant, grâce à une science expérimentée des jeux sensuels, langue et rythme de sa bouche
sur son sexe, tout en le masturbant d’une main.

Gabriel poussait des râles indécents, chaque muscle de son corps était tendu au point qu’il se
trouvait dans une position quasi horizontale dans la voiture.

Encouragé par les sons de sa jouissance, le déchu accéléra la cadence, son application à le mener
à l’orgasme relevait presque de l’acharnement et il en tirait lui-même une forme de plaisir.

Ce fut à la crispation des testicules de Ginto sous ses doigts qu’il devina que l’étudiant avait atteint
le sommet sensoriel attendu par son corps. Gabriel ne chercha pas à se retirer et de toute façon,
Samaël ne le lui aurait pas permis. Il accepta l’offrande sous forme de plusieurs jets chauds,
entrecoupés, mais manqua de s’étouffer en entendant l’étudiant hurler son prénom.

Le déchu se redressa brutalement pour immédiatement le regarder droit dans les yeux. Les
prunelles de l’adolescent lui renvoyaient un regard clair, dépourvu de trouble. Il était essoufflé, son
teint légèrement rouge et ses membres convulsaient encore sous les vagues de plaisir, en écho à son
ultime orgasme.

Ni l’un ni l’autre ne prononcèrent le moindre mot et ils restèrent ainsi durant un long moment.

La seule pensée qui traversa l’esprit de celui qui avait été la « Main Droite de Dieu » fut que
Gabriel avait été absolument conscient de son identité pendant qu’il l’avait dans sa bouche. Il ne
l’avait pas repoussé, n’avait pas prétendu être encore sous le joug du « Mal » et avait même crié son
nom au moment de jouir.

Son esprit fonctionnait au ralenti, peut-être trop ivre de joie, trop effrayé à l’idée d’être encore
rejeté… trop de… trop.

— Je t’aime, Samaël, chuchota Gabriel d’une voix tremblante.

Le déchu se serait giflé pour son manque de réaction. Il était englué dans une masse de sentiments
aussi différents que contradictoires. Peut-être était-ce là le résultat de tant de siècles à attendre et
espérer. Son plus grand désir se trouvait enfin à portée de main… c’était si incroyable que cela le
rendait craintif d’une éventuelle déception. Perdre Gabriel après ce qui venait de se produire entre
eux le dévasterait plus que la multitude de vies passées dans l’espoir.

— Dis quelque chose, gémit l’étudiant au comble de la gêne.

Comme s’il se réveillait brutalement, Samaël sursauta pour à nouveau plonger réellement dans le
regard de Ginto.

— Quelque chose, répéta instinctivement l’ange.

Gabriel éclata d’un charmant rire timide. La petite blague que venait de lui faire l’homme à la
beauté surréaliste détendit imperceptiblement l’atmosphère.

Samaël le dévora des yeux.

Il le voulait.

Il lui appartenait.

Il l’aimait.

Il prendrait tout de lui.

Il lui donnerait tout en retour.

C’était là le prix de son amour.

***

– Samaël –

Après s’être lavé, Gabriel s’était endormi – encore une fois – dans son lit. Samaël prépara un broc
de café en servant des grains qu’il venait juste de moudre. Il aimait beaucoup procéder ainsi au lieu
d’acheter des sachets sous vide.

Le déchu savait pertinemment qu’il allait recevoir de la visite, et pas n’importe laquelle. Si une
certaine personne parvenait à se cacher de tous, elle n’arrivait à se dissimuler de lui. Cette pensée
incurva sa lèvre supérieure en une moue arrogante.

Comme pour lui donner raison, la sonnette de la porte d’entrée retentit plusieurs fois. Ce fut d’une
démarche nonchalante qu’il alla ouvrir à son invité.

— Je t’attendais, fit-il en dévisageant l’homme qui se tenait près du seuil.

— Il est chez toi ?


— Où veux-tu qu’il soit ? Ton emploi du temps surchargé ne te permet pas de t’occuper
correctement de lui… heureusement que je suis là, rétorqua froidement Samaël.

Un pli soucieux barra le front de l’homme.

— J’ai énormément de responsabilités… je ne peux pas être partout à la fois, je ne suis pas Lui,
omnipotent et omniscient.

Samaël éclata d’un rire dénué de toute forme de joie puis s’effaça afin de le laisser entrer.

— Mais tu m’auras étonné dans cette vie… d’habitude, tu es beaucoup plus discret en attendant ton
heure. Qu’est-ce qui t’a poussé à t’investir davantage ?

— Je suis fatigué de ne pas essayer de le ramener chez… nous. IL m’a clairement interdit de
m’impliquer depuis le début de cette situation. Mais c’est difficile de rester en retrait, c’est difficile
de ne pas chercher à l’influencer et je ne peux pas dire que ta présence me rassure.

— Je suis flatté d’être à l’origine de ta décision… commenta le déchu, amusé. Je t’en prie,
assieds-toi… café ? Je l’ai fait moi-même de « A » à « Z ».

L’homme eut un sourire las puis opina.

— Tu sembles tellement à l’aise dans ton corps de chair et ta vie humaine… alors que moi, je
déteste ça.

Samaël haussa les épaules puis se dirigea vers la cuisine, suivie par son invité.

— Il y a certes des inconvénients, mais je dois avouer que les avantages que j’en tire les
surpassent… Tu sucres ?

— Deux. Quels avantages ? Le sexe ? ricana l’homme avant de s’adosser au chambranle de la


porte.

Le déchu gloussa tout en sortant deux tasses du placard qui se trouvait au-dessus de sa tête, il jeta
ensuite un bref coup d’œil à celui qui se tenait derrière lui dans une posture décontractée.

— Évidemment, le sexe, Michel ! Jouir est une sensation qui vaut bien une damnation éternelle.

— Je me contenterai de te croire sur parole, je ne souhaite pas être déchu à cause d’une chose
aussi triviale, répliqua l’archange.

— Tu rates un sacré truc… tiens, ton café. Tu es venu le récupérer ? Il dort pour l’instant.

Samaël tendit un mug rempli de la boisson amère et Michel l’accepta avant d’y tremper ses lèvres.
Il releva la tête vers l’ange, surpris.
— Il est très bon, commenta-t-il, de l’étonnement dans la voix.

Un large sourire étira la bouche du déchu.

— Je sais. Tout ce que je fais est méchamment bon.

Michel leva les yeux au ciel en réponse à cette réflexion qu’il jugea puérile.

— Tu sais que demain est le dernier jour. À chaque fois que Gabriel a su pour James tout s’est
déroulé très vite. Et comme le hasard n’existe pas, il y a sa fête d’anniversaire où… nous serons tous
réunis.

— Tu y participes ? s’étonna Samaël avant de boire quelques gorgées à son tour. N’as-tu toujours
pas pris soin de ne pas interférer… te montrer, même ?

L’archange le fusilla du regard.

— Tu sais très bien que cette incarnation est différente des autres, sinon tu n’aurais pas pris autant
de risques en le protégeant !

Le déchu ne cilla pas sous l’accusation. Il reconnaissait les faits, surtout que son interlocuteur avait
entièrement raison : cette incarnation différait grandement des précédentes. Pourquoi ? Il en avait une
vague idée, cependant, cela restait au stade diffus et flou de l’impression. Et puis… il avait
complètement craqué pour la personnalité de Gabriel. À chaque vie, l’ange avait revêtu une identité
directement prélevée de son « Moi » entier, telle une des nombreuses facettes d’un prisme,
simplement parce que les corps de chair ne supportaient pas d’abriter l’entité dans sa totalité. Ce
Gabriel âgé de presque dix-huit ans en 2014 était entré dans son cœur pour ne plus s’en déloger.
Samaël avait le sentiment de tomber amoureux une seconde fois de lui, comme si une chose pareille
était possible !

— Ton objectif est louable, dans le fond, Michel… mais sacrifier un de tes frères ne te pose
réellement aucun problème de conscience ? s’enquit-il, en feignant la nonchalance. James le fera
encore revenir avant que le Jour du Seigneur n’ait que l’ombre d’un espoir de poindre enfin à
l’horizon humaine.

— Je ne suis pas toi. Je n’ai aucun intérêt personnel dans cette situation. Je n’ai pas d’enjeu, je ne
suis que la Voie du Seigneur, celle qui a été tracée bien avant les Hommes, et bien avant « nous ».

Samaël émit un petit rire ténu tout en déposant sa tasse dans l’évier.

— Le Devoir et l’amour sont deux choses différentes, Michel. N’aimes-tu pas Gabriel, comme un
frère se doit d’aimer un membre de sa famille ? N’éprouves-tu pas de honte, de désespoir ou un
quelconque autre sentiment d’être forcé de courir après sa mort, tel un chien chassant le lapin à
travers la forêt ? Tu l’as regardé ? Je veux dire, l’as-tu vraiment regardé ? Lui, en tant qu’être de
même essence que la tienne et pourtant si fragile, enfermé dans ce corps de chair ? T’imagines-tu le
tuer, une nouvelle fois… parviens-tu à accepter son sang venir encore entacher tes mains ?

Les prunelles de Michel n’étaient plus que deux lacs sombres aux eaux opaques. Le pli dur qui
déformait ses lèvres démontrait à quel point les paroles, faussement désinvoltes, de l’ange face à lui
l’atteignaient plus qu’il ne voulait se l’avouer. Samaël, en son for intérieur, jubila de réussir à le
blesser en lui rappelant qu’il avait occis Gabriel un nombre incalculable de fois, et tout ceci pour que
L’Apocalypse se réalise.

— Tu… penses que je prends du… plaisir… d’être celui qui lui arrache chaque dernier soupir ?
gronda Michel en serrant furieusement les poings.

Il avança d’un pas raide en direction de la créature vouée à la damnation éternelle, une lueur
meurtrière dans le regard.

— Je n’ai pas à éprouver de la compassion, de l’amour ou tout autre sentiment humain. Je suis une
arme, l’arme de Dieu. Pour que la Gloire de Notre Seigneur éclaire ce monde, Gabriel doit mourir,
ce n’est pas ma volonté et je n’ai pas à en avoir !

— Brave soldat, persifla Samaël, les yeux plissés et la mimique haineuse.

En réponse, l’archange rugit, véritablement : un long cri plein de souffrance, contenant toute la
rancœur accumulée depuis des décennies. Il se libérait de toutes ces émotions enfouies au tréfonds de
son être.

Le hurlement s’acheva en un long sanglot déchiré. Michel se tint fébrilement à l’une des chaises
non loin de lui, la tête inclinée en direction du sol, cachant son visage marqué de douleur au regard
perçant du déchu.

— Tu l’as sali, murmura-t-il d’une voix éteinte. Cet humain l’a également sali. Vous avez bafoué
sa lumière de votre concupiscence, vous l’avez entraîné loin de…

L’archange s’interrompit brusquement, à bout de souffle, tandis que ses épaules se soulevaient et
s’abaissaient à un rythme effréné.

— Loin de qui ? poursuivit Samaël d’un ton brusque. Loin de qui ? Réponds ! De Dieu ?

— DE MOI ! Vous me l’avez arraché pour le souiller ! Lui qui n’était que droiture et obéissance
envers Notre Père ! Je vous méprise, je vous exècre, je vous maudis !

Des larmes striaient les joues de Michel, des larmes de sang embaumant la Myrrhe.

— Puisse sa Glorieuse Lumière vous brûler et vous renvoyer dans les entrailles infernales, puisse
le Jour du Seigneur arriver afin de nettoyer cette Terre putride et viciée !

Sur ces mots, l’archange se dirigea hors de la cuisine pour gagner la porte d’entrée. Lorsque ses
doigts touchèrent la clenche de cette dernière, Samaël l’interpella. Il suspendit son geste, mais ne se
tourna pas pour affronter l’autre être angélique.

— Tu ne vas même pas voir comment il va avant de partir ?

De ce qu’il voyait depuis sa place, le déchu songea que l’archange hésitait. Oui, il devait mourir
d’envie de se précipiter dans la chambre où dormait Gabriel. Qui n’aurait pas voulu se rassasier de
son visage et de l’aura qu’il dégageait ? Qui pouvait résister à l’attrait qu’exerçait le « Messager de
Dieu » ?

Le dos voûté de Michel se redressa soudain, comme s’il venait de retrouver ses esprits et sa verve
de grand Chef de l’Armée Céleste, et il sortit sans même un regard en arrière.

***

– Gabriel –

Le jeune Français avait terriblement chaud. Le drap qui le couvrait pudiquement collait son corps,
rendant ce dernier encore plus moite.

Avait-il de la fièvre ?

Ses lèvres semblaient tiraillées par un assèchement anormal et l’adolescent avait l’impression que
s’il les remuait de façon vive, elles se couperaient comme sous l’effet de gerçures.

Soudain, une brise fraîche lui effleura le torse, soulageant un peu la sensation de chaleur qui
paraissait le dévorer de la pointe des orteils à la cime des cheveux. Une voix étrange se mit à
l’envelopper de mots au sens inconnu, peut-être parce qu’ils étaient prononcés dans une langue qu’il
ne parlait pas lui-même, mais dont l’écho lui était vaguement familier.

Des doigts glacés lui caressèrent ostensiblement les pectoraux, presque amoureusement.

James ?

Ginto se rendit compte qu’il avait réellement prononcé le prénom quand l’étrange voix gloussa en
réponse.

Non. Ce n’était pas son amant aux boucles blondes et soyeuses. La personne qui s’amusait à le
toucher dégageait une odeur lui tordant l’estomac dans une brutale nausée. Gabriel tenta de repousser
la main qui essayait désormais de s’aventurer plus bas que son ventre.

— Gabriel… Gabriel… chantonnait l’intrus avec une étrange inflexion.

Il y avait de la folie dans son timbre et le jeune Français paniqua. Il était englué dans une sorte de
torpeur l’empêchant de bouger normalement ses membres, comme si ces derniers pesaient des
tonnes ! Il ne parvenait même pas à appeler à l’aide !

Ses craintes empirèrent quand il perçut une lame froide, indubitablement celle d’un couteau et pas
de la taille d’un petit canif !

— Je vais t’éventrer et me purifier dans tes boyaux, Messager de Dieu ! Ta mort va me sauver…
elle va sauver l’humanité tout entière !

Son assaillant termina ses horribles divagations par un rire hystérique avant qu’un son sourd se
répercute dans toute la pièce, immédiatement suivie d’autres lui indiquant qu’il y avait apparemment
lutte. Lutte entre qui et qui ? Ce fut la question qui lui tortura l’esprit pendant qu’il essayait
difficilement de se relever.

Après avoir péniblement ouvert les yeux, Gabriel ne réussit à discerner que deux ombres de
formes humaines échangeant des coups. Une massive et l’autre plus fine. Quelque chose dans celle
qui était de taille plus imposante lui sembla familière, ou peut-être était-ce dans sa manière de donner
des coups… ?

Ginto, à force de tâtonnements sur la petite table de nuit, non loin de lui, finit par trouver
l’interrupteur de la lampe de chevet.

Quand la lumière anéantit enfin les ténèbres dans lesquelles la pièce était plongée, il découvrit
avec stupeur l’identité des deux personnes qui se battaient.

***

– Michel –

L’archange venait tout juste de fermer la porte de la maison de Samaël qu’il était déjà taraudé par
un seul désir : celui de retourner sur ses pas pour foncer dans la chambre qu’occupait Gabriel.

Son cher Gabriel…


Le plus incorruptible de tous, lui mis à part. Le plus admiré, le plus respecté, le plus aimé. Parce
que Gabriel avait toujours eu cet effet sur les autres. Un effet apaisant sur leurs frères, un effet
éblouissant sur les Hommes qu’ils avaient rencontrés durant leurs missions.

Du moins, il en avait été ainsi jusqu’à ce jour maudit où ils avaient dû se rendre à Sodome et
Gomorrhe, lieu de vices dont se repaissaient nombreux Humains, faisant honte à l’image de Dieu
dont-ils étaient les représentants. Là, le tentateur de Gabriel, avec un visage taillé dans l’innocence,
s’était montré et l’avait entraîné dans la fosse des désirs charnels.

Comment La Main Gauche du Seigneur avait-elle pu se révéler si faible alors que rien n’avait pu
le détourner des Voies et des Devoirs Sacrés jusqu’ici ?

La perte de Gabriel avait ébranlé Michel, au point que le Très-Haut lui avait demandé de ne pas
participer à l’œuvre dont son Messager était désormais prisonnier. Cela avait été au-dessus de ses
forces… Le Chef de l’Armée Céleste avait donc pris sur son temps libre pour surveiller chaque
incarnation de Gabriel, se gardant bien d’intervenir… jusqu’à la première requête du Tout-Puissant :
celle de lui ôter la vie terrestre.

La première fois, Michel avait été si choqué par cet ordre qu’il était resté silencieux durant des
journées et des journées humaines. IL lui demandait de commettre cet acte en raison de la nature de
Jacob. Jacob, devenu « James » les décennies suivantes. Car si Gabriel mourait, le Jour du Seigneur
illuminerait le monde… Seulement… seulement, il était terriblement partagé entre son désir de
sauver le Messager de Dieu, son frère, son ami, celui avec qui il menait les missions Divines depuis
une éternité, et son obéissance envers Son Seigneur.

Cependant, Le Chef de l’Armée Céleste avait rapidement compris une chose : il disposait d’un
délai, de durée aléatoire, afin de ramener Gabriel dans leurs rangs ; dès que ce dernier connaissait la
véritable identité de Jacob, Dieu lui ordonnait systématiquement de lui offrir la « mort ». Néanmoins,
durant la période précédent cette requête, il était affranchi de veiller sur lui, et, malgré la marge de
manœuvre plutôt étroite que lui permettait le libre arbitre, il tentait de le détacher de Jacob avec ses
pauvres moyens.

Jusqu’à présent, il avait échoué. Jusqu’à présent Samaël s’était tenu relativement tranquille.

Il avait encore raté son coup, mais Samaël était décidé à se mettre en travers de sa route par-
dessus le marché. Même s’il affirmait le contraire, au fond de lui, il souhaitait que le déchu parvienne
à l’empêcher de le tuer, au moins cette fois-ci… pour la première incarnation depuis des siècles, il
s’était monstrueusement attaché au Gabriel « Terrestre ».

Michel fut tiré de ses pensées moroses par une ombre bougeant furtivement, près du mur, à sa
droite.

Ses narines frémirent en humant la fragrance nauséabonde de la folie, mélangée à celle du « Mal »
à l’état brut.
L’anathème, songea l’ange avec effroi.

Sans attendre une seconde de plus, il se précipita à sa suite et eut juste le temps de le voir
s’engouffrer dans la maison grâce à une fenêtre, sûrement mal verrouillée par son propriétaire.

En s’approchant, la pestilence le saisit violemment, lui provoquant une forte nausée qu’il eut du
mal à réprimer.

Tout d’abord, incertain quant à intervenir ou non, Michel se contenta d’observer la scène de
l’extérieur, puis, quand les lueurs de la Lune renvoyèrent l’éclat métallique d’une lame, son cœur
cessa de battre dans la poitrine de son corps de chair. L’entité maléfique qui s’était subrepticement
introduite dans la pièce où se trouvait Gabriel – car il reconnaissait son odeur particulière – avait
visiblement la ferme intention de mener à bien sa propre mission.

Que devait-il faire ? La logique voulait que le Chef de l’Armée Céleste ferme les yeux et laisse les
choses suivre leur cours… mais une voix, tapie au fond de lui, hurlait de sauver Gabriel.

Avant qu’il ne puisse réellement s’en rendre compte, Michel était déjà dans la pièce et ceinturait
l’assaillant de l’incarnation de son « frère ».

Il lui asséna une série de coups de poing de manière totalement instinctive : droites, gauches… les
uppercuts pleuvaient sur l’être servant de véhicule à l’Adversaire. Cela le faisait même jubiler de
s’acharner ainsi sur cette maudite créature au service du « Mal » absolu. Il se vidait de toute sa
rancune, de sa frustration accumulées durant tous ces siècles. Chaque percussion de ses phalanges sur
la masse tiède le libérait, agissant telle une véritable délivrance pour son cœur.

Soudain, la lumière l’éblouit et Michel cligna plusieurs fois des paupières tandis que sa main
gauche tenait l’anathème par le col et que la droite demeurait suspendue dans les airs, déjà prête à
fondre sur le véhicule répugnant de Satan.

L’archange tourna la tête en direction du lit où se trouvait encore Gabriel. Ce dernier le fixait,
éberlué, le visage légèrement rouge de fièvre. Puis les prunelles de l’adolescent dérivèrent sur sa
victime, presque inconsciente.

— Nathan ? Helmont ? Mais qu’est-ce que… murmura le jeune Français, perdu.

***

– James –
Le jeune Anglais tournait et virait, tel un lion en cage, dans la pièce. Cela faisait déjà longtemps
que la nuit avait étendu ses bras dans les cieux et Gabriel n’était toujours pas rentré.

Ses parents refusaient qu’il se rende chez celui qu’il supposait être le responsable du retard de son
amant : Samaël.

Ni son petit ami, ni le déchu ne répondaient à leur téléphone portable. L’étudiant avait bien essayé
de joindre son frère aîné, Nathan, mais là aussi, il s’était heurté à la voix mécanique et monotone du
répondeur.

James, pour la énième fois, porta son pouce à la bouche afin d’en martyriser l’ongle. Il le glissait
dans le faible écartement de ses deux incisives supérieures, répétant la désagréable opération tant
que le stress et l’angoisse le tenaillaient.

Non pas que le geste avait un véritable effet apaisant sur lui, il avait simplement cette manie depuis
l’enfance.

Il s’arrêta encore face à la fenêtre, scrutant désespérément la cour, généreusement éclairée par les
nombreux lampadaires qui balisaient celle-ci et l’allée y menant. Il ordonnait mentalement
l’apparition de son amoureux avec une ferveur aux limites de la démence.

Le lycéen hantait la chambre habituellement occupée par Gabriel afin d’adoucir la terrible attente.
Le fait d’évoluer parmi ses affaires personnelles, de tenir sa veste et de humer le parfum qui s’était
attardé dessus, de pouvoir caresser la couverture des livres sur son bureau le rassurait étrangement. Il
n’était pas parti, il n’avait pas déménagé en catimini, on ne lui avait pas enlevé son Gabriel.

Mais le danger rôdait, il possédait même de multiples visages, tous aussi hideux et détestables les
uns que les autres… divers noms, également : Samaël, Urielle, le « Destructeur », Dieu… tous étaient
niché dans l’ombre, guettant la moindre brèche pour s’y engouffrer et prendre l’ange dans leurs filets
avides.

James les haïssait tous. Chacun d’entre eux était une épine dans son flanc. S’il avait accepté le rôle
qui lui était désormais attribué, c’était pour une seule raison : Gabriel.

Le jour où ses yeux s’étaient posés sur la plus sublime créature que l’univers a eu la chance
d’apercevoir de son regard couleur d’éternité, tout son être n’avait aspiré qu’à un seul désir : lui
appartenir.

Longwood avait une certitude : Le Gabriel qui l’avait bouleversé, cœur et âme, il y avait tant de
décennies en arrière, ne ressemblait pas physiquement à celui qui était venu habiter chez lui. Ce
Gabriel là, celui dont le patronyme était Ginto, malgré ses dix-sept ans, imposait naturellement le
respect de par sa carrure de sportif ; des épaules plus larges que celles de plupart des jeunes adultes
de son âge, de longues jambes musclées dont on pouvait remarquer la puissance selon les pantalons
qu’il portait. Son visage aussi était une ode à la virilité : une mâchoire carrée et volontaire, souvent
ombrée par une barbe naissante étrangement douce au touché, des pommettes saillantes, des yeux vifs
et des sourcils fournis. Son nez souffrait d’un léger épatement qui devait résulter de plusieurs
combats de boxe, mais Gabriel Ginto entrait définitivement dans la catégorie des hommes très
séduisants, et sûrement qu’il le deviendrait davantage avec les années. Sa manière de se mouvoir
participait également à son charisme. Il y avait quelque chose de félin dans sa démarche, une
assurance qui provenait assurément de sa véritable nature, car il était tout en grâce, possédant une
aura de force tranquille… telle une rivière pouvant déboucher sur des chutes impitoyables à
n’importe quel moment.

James n’arrivait pas franchement à se souvenir du « vrai » Gabriel, celui de Sodome. Cette image
restait floue, il était davantage capable de trouver une série d’adjectifs le désignant que de véritables
détails physiologiques précis. Et plus le temps passait, plus l’image de Ginto devenait le « vrai »
Gabriel. C’était son Gabriel.

Longwood gémit tout en se prenant la tête des mains. Il ne supportait plus son absence, l’imaginant
dans les bras de Samaël comme la fois où il les avait surpris dans le lit de ce dernier. Ça le rendait
fou et la folie ne lui seyait guère… lui donnant une apparence hideuse de monstre de film d’horreur.

Quand il avait croisé le regard de son amant alors qu’il était revêtu de son visage à la laideur
maléfique, James avait cru mourir, complètement dévasté par la réaction, même légitime, du jeune
Français. Il se serait certainement donné la mort si cette dernière ne présentait pas un trop grand
risque de l’éloigner définitivement de celui qu’il aimait plus que tout.

Brusquement, un mouvement dans la cour attira son regard et l’Anglais se colla pratiquement
contre la vitre. Ses paumes brûlantes se posèrent sur la surface lisse et glacée de celle-ci, tandis que
ses prunelles scrutèrent attentivement l’extérieur. Quand il reconnut celui qu’il nommait « fils de
chien » car, même si tous deux faisaient partie du même camp, il le détestait tout autant qu’il haïssait
les autres… son cœur s’emballa sous les effets d’une peur brutale et justifiée.

Helmont empruntait, apparemment, la voiture du jardinier et qui sait ce que ce fou avait en tête : on
ne peut pas être le véhicule de Satan et s’en tirer indemne psychologiquement.

Il devait partir du manoir. Il devait impérativement rejoindre Gabriel avant qu’un évènement
terrible ne le sépare une nouvelle fois de son amant.
Chapitre 18

- De cette nuit (bis) -

– Urielle –

Passer ses soirées dans les bars enfumés où la mauvaise musique était le maître mot question
ambiance, voilà à quoi pouvaient se résumer les fins de journée de l’archange.

Tout comme ses compagnons, depuis que Gabriel avait entamé sa longue déchéance, elle avait été
assignée au rôle de garde-chiourme du Messager de Dieu.

Chacun avait reçu l’ordre de ne pas intervenir directement dans sa vie, il fallait lui laisser, vaille
que vaille, son fameux « libre arbitre ».

Ce détail lui tapait particulièrement sur le système. Si cela n’avait tenu qu’à elle, elle aurait chopé
Gabe par la peau du cou et l’aurait renvoyé dans ses quartiers célestes à coup de pied dans le
postérieur !

Mais voilà, Urielle n’était pas celle qu’on écoutait, surtout depuis que beaucoup la taxaient d’avoir
pété les plombs après avoir perdu l’Éden.

Une sucette dans laquelle elle s’amusait à planter les dents de temps à autre dans la bouche,
l’étudiante s’occupait en essayant de battre son propre record au jeu préinstallé dans son téléphone
portable.
Elle était assise à l’une des tables du café bruyant appartenant à son beau-père, enfin, celui qui
avait ce rôle dans cette incarnation, le dos accolé au mur et les pieds posés sur la chaise près d’elle.

La jeune fille ne releva même pas la tête quand elle perçut qu’une personne s’installait de l’autre
côté de la table. Elle reconnaissait son odeur et n’éprouvait absolument pas l’envie de le saluer en
minaudant comme un humain normal l’aurait fait à sa place. Elle détestait sa condition d’ange incarné
et encore plus de se retrouver enfermée dans le corps d’une femme. Leur fonctionnement hormonal,
mental et émotionnel était tellement complexe et imprévisible qu’elle avait le sentiment d’être une
bombe à retardement, s’agaçant parfois elle-même.

— Alors « Raphinou », c’était comment de rouler une pelle au Messager de Dieu ? lança-t-elle,
réussissant même à esquisser un sourire narquois malgré la présence de la sucrerie encombrant sa
bouche.

L’archange n’eut pas besoin de regarder le nouveau venu pour être certaine que celui-ci devait
probablement rougir ou arborer un air gêné.

Le sexe ou toute relation charnelle était un péché pour les créatures dans leur genre, cependant,
ceux qui se laissaient tenter n’étaient pas entravés par le « genre ». Homosexuel, hétérosexuel ou
bisexuel ne faisait pas partie de leur façon de penser. Un ange pouvait tout aussi bien être tenté par un
homme ou une femme, humain ou angélique. Ils se devaient d’être plus moraux que les Hommes tout
en étant dénués de préjugés et de carcans éthiques qui emprisonnaient ces derniers… un fabuleux
paradoxe – un parmi tant d’autres – qui régissait l’univers.

— Moque-toi tant que tu veux, si cela t’amuse, marmonna Raphaël, visiblement bougon.

L’étudiante ricana, puis finalement abandonna son jeu après avoir perdu une partie et déposa le
portable près d’elle, sur la table.

Elle sourit encore en découvrant la mine empourprée de l’ange face à elle.

— Tu as eu la trique ? l’interrogea-t-elle encore, presque sincèrement curieuse.

Celui qui représentait l’espoir de tous les malades sur Terre lui jeta une œillade meurtrière tandis
que ses joues viraient au cramoisi.

— Ah ouais… quand même, pouffa Urielle. Tu en pinçais pour lui avant qu’il te coince et te pelote
à l’infirmerie ?

— Mon admiration et mon amour pour lui étaient purs…

— Bien sûr, jusqu’à ce qu’il enfonce sa langue dans ta gorge, opina la jeune fille, feignant d’être
compatissante, juste afin de l’énerver. Là, forcément, avec ce nouveau point de vue… « tactile »… tu
dois avoir une autre opinion sur le sujet, nan ?
— Cesse de le torturer, Uriel.

— Urielle, Ron, Urielle… pour toi, c’est qu’un détail, mais moi ça régit ma putain d’incarnation,
alors respect pour ce que j’endure, mec !

L’ange Métatron repoussa ses pieds d’une pichenette afin de pouvoir s’asseoir sur la chaise que
ces derniers occupaient. Urielle ne put s’empêcher de trouver l’image du petit adopté de la famille
incongrue. Il semblait déplacé dans ce bar rempli d’ivrognes désœuvrés, avec son air de Gandhi sur
le visage et ses fesses posées sur une chaise en plastique menaçant de rendre l’âme à tout instant sous
son poids de lutteur grec.

— J’ai reçu un texto de Samaël… commença Ron.

— Petit pistonné, va ! le coupa la lycéenne d’un ton moqueur.

Commentaire qui lui valut un regard impérieux du géant assis à ses côtés et auquel elle répondit
par une moue irritée.

— J’ai reçu un message de Samaël… nous sommes invités demain à la célébration de


l’anniversaire de Jacob… je veux dire, James.

Cette annonce déclencha un fou rire hystérique chez la jeune fille et une légère pâleur chez
Raphaël.

— Oh merde… on va manger à la bonne franquette avec toute la racaille de l’enfer… je suis sûre
qu’ils vont faire un barbecue ! J’apporte la bière ? s’esclaffa encore Urielle.

***

– Gabriel –

Que faisait son frère dans la chambre du déchu ?

Ou encore mieux… Pourquoi Nathan tabassait-il Helmont ?

Le jeune Français n’eut pas le loisir d’exprimer à voix haute ses interrogations que Samaël ouvrait
violemment la porte avec la posture raide de celui qui va en découdre physiquement. Son regard
assombri et sa mimique tendue laissèrent rapidement place à une expression rassérénée quand il
constata que Gabriel était en un seul morceau, puis, lorsque ses prunelles se posèrent sur le spectacle
qu’offraient Nathan Ginto et Helmont, il afficha clairement la stupéfaction.
— Michel ? ne put-il s’empêcher de murmurer sous le coup de l’étonnement.

Même l’esprit embrumé par la fièvre, ce prénom n’échappa pas aux oreilles du plus jeune des
frères, qui se statufia en l’entendant.

L’ambiance devint subitement pesante ; cette révélation involontaire venait d’agir comme une
avalanche sur les trois personnes conscientes et présentes dans la pièce.

Nathan/Michel lâcha Helmont, qui s’effondra sur le sol, sans oser affronter directement Gabriel,
toujours figé, sur le lit.

Réalisant trop tard sa bévue, le déchu prit le parti de voir cela du bon côté tandis qu’il
s’approchait du jeune Français dont la mine enfiévrée l’inquiétait. Il posa une paume sur son front et
le trouva le brûlant. D’une pression de la main sur son épaule, il obligea le lycéen à s’allonger de
nouveau avant de sortir de la pièce en quête de paracétamol et d’un linge humide afin de l’aider à
faire tomber sa température corporelle.

Tout en gardant un œil sur le véhicule de chair du « Mal », son frère aîné s’avança jusqu’à son
cadet, tout en prenant soin d’éviter les prunelles de ce dernier.

— Tu es… commença Gabriel d’une voix faible. Tu es vraiment ce Michel ?

L’adolescent ne savait pas trop comment réagir face à cette information ; il éprouvait de la colère à
cause de ce terrible mensonge par omission, mais aussi du soulagement que Nathan sache tout de lui,
de la « situation »… Il ne savait pas à quelle émotion donner la priorité et dans le doute, opta
seulement pour une attitude calme.

— Oui, souffla l’archange avant de s’asseoir sur le rebord du lit sans lâcher des yeux l’employé
des Longwood. Je ne te l’ai pas dit, car j’ai à peine le droit de me trouver à tes côtés… Tu es
prisonnier sur un terrain que je qualifierais de « neutre », juste placé entre celui de Notre Seigneur
et… l’autre. Et comme nous nous devons de respecter ton Libre Arbitre, je peux seulement me
satisfaire de veiller plus ou moins sur toi. Gabriel, fit-il ensuite d’une voix plus vive et en se tournant
face à son frère : « Abandonne James, renie ce qu’il représente pour toi et fais pénitence pour tes
péchés… Dieu est amour, il n’est que pardon… tout n’est pas trop tard ! »

Le débit précipité accentuait l’intonation désespérée du Chef de l’Armée Céleste, malgré lui,
Gabriel en fut ému jusque dans ses os.

— Si Dieu est amour… il est à même de comprendre ce que j’éprouve pour James.

… et Samaël, ajouta-t-il mentalement tout en le taisant à Nathan.

Les traits de l’archange se déformèrent un bref instant sous la colère, puis, à nouveau, il détourna
les yeux du côté de Helmont.
— Ce n’est pas de l’amour, Gabe, c’est… c’est de la concupiscence ! répliqua le Chef de l’Armée
Céleste d’un ton frémissant.

Subitement, Gabriel se sentit empli d’une sorte de paix intérieure très douce, très lumineuse, tel un
flux chaud et réconfortant. Il posa délicatement une main sur le bras de son frère aîné dans cette
incarnation, celui qui était aussi son frère angélique. À ce contact, les prunelles de Nathan se
baissèrent sur ses doigts, une mimique incertaine sur le visage.

— Il n’y a pas différents amours, Michel. Il y a juste différentes façons de le montrer. Ouvre ton
cœur comme tu ouvres ton esprit à l’univers, à l’œuvre de Notre Père. Si tu commences à juger, tu
n’es plus celui que tu dois être. Dieu réprouve mon choix, car j’aime celui qui incarne l’Antéchrist,
IL ne réprouve pas mes sentiments. Je le sais. Nombre d’Hommes ont utilisé Sa Voix pour oppresser
leurs frères, passant pour Vérité leur propre vision… mais n’es-tu pas le mieux placé pour connaître
vraiment ce qu’il en est ?

L’archange ne chercha pas à refouler les larmes qui glissaient lentement sur ses joues pendant qu’il
contemplait le Messager de Dieu, auréolé de sa Divine Grâce.

— J’ai douté, murmura-t-il d’une voix tremblante.

Gabriel opina tout en souriant avec tendresse.

— Je sais.

— Je t’ai tué, sanglota-t-il pour de bon, cette fois-ci. J’ai tellement souffert de cela… je m’en
veux… je t’ai tué, Gabriel. J’ai osé t’arracher la vie… moi…

Nathan s’effondra, laissant libre cours à son chagrin et l’adolescent se redressa complètement afin
de le prendre dans l’espace de ses bras.

***

– James –

Il avait appelé un taxi et par la suite, l’expression « filer à l’anglaise » avait pris l’exacte
dimension de son emploi francophone.

Lorsque l’étudiant régla rapidement sa note au chauffeur, il ne put s’empêcher de jeter plusieurs
des coups d’œil anxieux en direction de la maison de Samaël, comme si cette dernière pouvait
disparaître de la surface de la Terre à chaque seconde.
Il laissa même un généreux pourboire afin d’écourter sa conversation avec le quarantenaire au
volant du véhicule noir, typiquement anglais.

Sans perdre une minute de plus, le jeune homme courut jusqu’à la porte d’entrée pour investir les
lieux telle une tornade échevelée.

D’instinct, il se dirigea, sans ralentir l’allure, vers la chambre de Samaël. Il ouvrit la porte de cette
dernière avec une certaine brutalité et découvrit le frère de Gabriel dans les bras de celui-ci. Son
regard rencontra rapidement celui de son amant.

Ginto lui sourit avec un tel amour dans les yeux que le cœur du lycéen Anglais explosa en un
millier de particules sucrées, puis il plaça délicatement un index sur ses lèvres, lui demandant d’être
discret par rapport à Nathan qui semblait pleurer sur son épaule.

Mais pour quelle raison ? s’interrogea James, indécis sur l’attitude à adopter : entrer ou attendre
dans le salon ?

Les affreuses morsures de la jalousie lui déchiquetant l’âme, il désirait entrer et tirer Nathan des
bras de celui qu’il aimait. D’un autre côté, c’était son frère, et aurait été mal venu de sa part, même
en tant que petit ami, de ressentir aussi peu de compassion pour lui alors que visiblement, il n’était
pas au mieux de sa forme.

— Laisse-moi passer, lâcha une voix grave derrière lui.

Longwood se tourna puis se plaqua le plus près possible contre la porte afin de laisser assez
d’espace à Samaël. Ce dernier était chargé d’un plateau sur lequel étaient disposés un bol de soupe,
des médicaments ainsi qu’une serviette éponge repliée.

N’y tenant plus, il le suivit de près, telle une ombre.

Nathan dut s’apercevoir de leur présence, sans même se retourner, car il se leva promptement tout
en essuyant vivement ses yeux du dos de ses mains. James le scruta intensément, car il émanait de lui
une aura très différente de celle qu’il percevait habituellement. Ses paupières se plissèrent alors que
son professeur se réfugiait dans un angle de la pièce.

Ce fut à cet instant précis qu’il remarqua « fils de chien », écroulé sur le sol, pareille à une poupée
de chiffon. Cette délicieuse vision étira un sourire jubilatoire sur sa bouche, lui donnant même envie
de s’approcher du corps inerte et d’y planter ses griffes pour en extraire les boyaux, un par un.

Il a donc osé, le sale chien des enfers… pensa James, le cœur rongé par l’acide de la haine qu’il
éprouvait à l’encontre de Helmont.

Nathan saisit le jeune homme, encore dans les vapes, et le traîna hors de la chambre tandis que
Samaël, désormais assis auprès de Gabriel, lui donnait quelques cuillerées de bouillon.
Face au tableau de l’ange déchu aux petits soins pour l’objet de son amour, la colère et la jalousie
se mélangèrent allègrement à son sang, le faisant bouillonner

— James… peux-tu m’aider ?

La voix du frère de son amoureux l’obligea à détacher son regard du douloureux spectacle pour
venir s’arrêter sur Nathan.

Pourquoi ne semblait-il pas surpris par la situation ? Pour quelle raison traîner le domestique du
manoir lui paraissait aussi naturel que tirer un paquet de linge sale ?

Qui est réellement Nathan Ginto ? se demanda brusquement Longwood.

La réponse, Nathan, ou plutôt Michel, la lui donna une fois qu’ils furent dans le salon et après
avoir solidement attaché Helmont à une chaise.

***

– Samaël –

— Je peux très bien manger tout seul.

Ce commentaire dessina une moue rieuse sur les traits de l’ange déchu, mais ce ne fut pas pour
autant qu’il reposa la cuillère dans le bol, bien au contraire, il la maintint proche de la bouche du
jeune Français.

— Samaël… insista-t-il comme s’il hésitait entre la gêne et l’agacement.

— Haaa ! fit l’homme à l’autre bout du couvert en réponse.

Gabriel plongea son regard dans celui d’ordinaire si limpide, mais assombri par tant de ténèbres.
Après un examen minutieux, durant lequel il tenta de sonder son âme et face au cuisant échec qui en
résulta, les pensées du déchu restèrent un insondable mystère, le jeune Français ouvrit la bouche afin
d’accepter la nourriture.

— Je t’aime, Gabriel.

La soupe fit fausse route dans la gorge de Ginto qui se mit à toussoter, le visage rouge, mais sans
que la fièvre y soit pour quelque chose. L’adolescent se tapota machinalement la poitrine afin de
calmer son émoi autant que pour récupérer une respiration fonctionnelle.
— Ne dis pas cette phrase aussi facilement, le sermonna-t-il, troublé.

Samaël baissa les yeux sur le bol qu’il tenait d’une main puis se mit à touiller pensivement la
soupe. Il paraissait hypnotisé par la danse des minuscules morceaux de légumes dans le liquide
parfumé.

— J’ai davantage besoin de te le dire que toi de l’entendre, cependant…

— Je t’aime aussi.

— Mais tu ne quitteras pas James.

Le silence du jeune Français fut plus éloquent qu’aurait pu l’être une phrase prononcée à haute et
intelligible voix.

L’ange inspira profondément puis osa enfin poser son regard dans celui du séduisant boxeur assis
dans son lit.

— Je le savais, dit-il avec un pauvre sourire. Si seulement… si seulement c’était moi que tu
choisissais… si… bref, n’en parlons plus, termina-t-il en ravalant la douleur qui lui broyait le cœur
en cet instant.

Cette ignoble souffrance l’étouffait, lui donnait envie de faire du mal à quelqu’un, et n’importe qui
aurait fait l’affaire. Humain, ange… n’importe quel individu doté d’un souffle de vie et qu’il aurait pu
écraser du doigt afin de soulager l’atroce pression lui enserrant la cage thoracique dans son étau.

Soudain, le déchu perçut les mains anormalement chaudes de Gabriel sur ses joues, comme si ce
dernier désirait l’obliger à le fixer dans les yeux. Samaël céda à contrecœur.

Il y avait de l’amour dans les prunelles de Ginto, énormément d’amour. Ce dernier débordait,
parvenait même à l’inonder, lui. Cet amour, aussi brûlant que les flammes, l’atteignait dans chaque
atome de son être, se déployant dans les recoins les plus obscurs de son âme

— J’ai choisi il y a bien longtemps de cela, Sam.

C’était l’autre. L’autre Gabriel.

Les palpitations cardiaques du déchu redoublèrent en le découvrant.

— Mais tu avais raison. J’ai nié, repoussé, rejeté… mais au final, tu avais raison. Tu as été le
premier, Main Droite de Dieu. Tu pensais que je ne te voyais pas alors qu’au contraire… mes yeux
ne réussissaient pas à percevoir tout ce qui n’était pas toi. Néanmoins… c’était là un interdit que je
n’aurais jamais pu dépasser, Samaël. Et que je ne peux toujours pas… Je…

Des larmes de sang dévalèrent les monts tendres et légèrement grignotés par un duvet soyeux de
barbe pour venir mourir sur sa mâchoire.
Gabriel pleurait silencieusement, les doigts crispés sur le visage de celui qui demeurait le seul et
l’unique, de par sa nature et les sentiments qu’il lui inspirait.

— Je ferai pénitence en sauvant Jacob de sa propre damnation par mon amour éternel. Je
continuerai à être dévoré par la passion que tu m’inspires, par l’amour que tu déverses dans mon
cœur. Tes poèmes… ton odeur, ta voix, le contact de tes mains sur moi… tout cela me manque
cruellement au point où je désire déchirer ma peau de mes ongles. Je croyais que te le taire apaiserait
autant ta peine que la mienne de ne pouvoir vivre cet amour maudit. Samaël… souffla l’archange, la
voix chargée d’émotions intenses. Sauve-toi. La rédemption peut te sauver et je veux plus que tout
que tu retrouves ta place auprès des nôtres… des tiens. Fais-le par amour pour moi, honore mes
sentiments à ton égard. Honore ma passion, honore ce qui nous lie… offre-moi cet ultime cadeau, qui
sera certainement le plus beau de tous. Je me meurs, Samaël. Mon corps de chair ne survivra pas plus
de vingt-quatre heures.

Le déchu sentit le sang se retirer de visage.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? s’enquit-il d’une voix blanche.

— L’Adversaire… il a détruit cette fragile enveloppe, car il a deviné le Grand Œuvre de Notre
Père. La fièvre va augmenter jusqu’à ce que mon cerveau ne le supporte plus.

L’esprit de Samaël se gela.

C’était impossible… non.

— Je peux te sauver, chuchota ce dernier. JE PEUX TE SAUVER !

Le jeune Français secoua doucement la tête, un pli d’une infinie tristesse affaissait la commissure
de ses lèvres.

— Il en est ainsi, c’était prévu… c’est l’éternel scénario qui se répètera encore et encore si…
personne ne décide de le changer. Demain, nous nous rendrons chez « eux », comme c’était prévu et
j’espère… j’espère que… s’arrêtera…

Le corps de Gabriel devint subitement moue comme s’il avait été un simple pantin dont on venait
de couper les fils et sa tête tomba sur l’amoncellement d’oreillers.

Par réflexe, les mains de l’ange déchu tentèrent de le rattraper, puis, lorsque les paupières de
Ginto se soulevèrent avec difficultés, un inextricable soulagement délesta Samaël d’un énorme poids.

Il est vivant… il est vivant !

— Sam… embrasse-moi, s’il te plaît. Embrasse-moi avant que je ne laisse la place à cette petite
partie de moi qui te séduit tant, dit l’archange avec un faible sourire.
La gorge nouée, le déchu s’inclina au-dessus de celui qu’il aimait et pressa, avec une très grande
douceur, sa bouche sur la sienne pour un chaste baiser vibrant d’amour.

***

– Gabriel –

Le jour n’allait pas tarder à se lever et pourtant James venait seulement de réussir à s’endormir.
Gabriel se sentait à nouveau lui-même hormis que cette fois-ci, il gardait un souvenir très net de ce
qui s’était déroulé. Son « Tout » l’avait laissé écouter l’intégralité de sa conversation avec Samaël,
ne lui épargnant aucune émotion, ni aucune pensée. Il avait ensuite demandé à ce dernier de réunir
Nathan, Ron, Raphaël, Urielle et même Lucifer pour leur annoncer la terrible nouvelle.

Lorsque le « Mal » lui avait rendu visite ce jour-là au réfectoire de Holy Cross, il avait compris
une chose que le Gabriel Ginto ignorait, mais que son entité angélique savait. Qu’elle savait même
depuis fort longtemps. Un destin que le Messager de Dieu avait accepté bien avant que ses yeux ne
croisent ceux de Jacob. Un terrible secret entre lui et le Tout-Puissant. Une mission spéciale qu’il
avait enfin réussie.

Gabe entendait encore l’écho de sa discussion silencieuse avec le reste de ce qui était « Lui », ce
secret qu’il avait soigneusement protégé durant des centaines d’années suite à de nombreux échecs.
Cependant, affaiblie, la Main Gauche de Dieu avait laissé échapper inconsciemment une information
que Satan était parvenu à capter.

Comme le disait si souvent Lucifer et Samaël : les corps de chair souffraient d’une terrible
fragilité… et les multiples incarnations avaient grandement affaiblis l’archange. Chaque petite partie
de « Lui » qui avait été utilisée, jusqu’à épuisement total, avait fini par gangrener son « Tout ».
Faiblesse qui lui était fatale, encore une fois.

Michel n’avait pas semblé soulagé de ne pas être celui qui mettait un point définitif à l’une de ses
vies terrestres, bien au contraire, l’expression de son visage avait été criante de tristesse.

Gabriel avait réclamé de passer quelques heures seul avec James et ce dernier n’avait cessé de
pleurer jusqu’à ce que ses yeux rougis et gonflés ne parviennent plus à produire l’ombre d’une larme.
Finalement, il avait fini par s’endormir, anéanti, dans la chaleur de ses bras rongés par la fièvre qui
ne cessait d’augmenter.

Si les caresses, passionnées, échangées dans la voiture de Samaël avaient retardé l’atroce chaleur,
grâce au pouvoir de celui-ci, elle était revenue rapidement à la charge et gagnait du terrain à chaque
seconde.

— Bon anniversaire, murmura Gabriel en embrassant tendrement la masse soyeuse de boucles


pâles, allongée tout près de lui.

James gémit puis s’agita pour presser son visage contre le torse de son amant. Le sourire doux
qu’affichait Ginto s’effaça en percevant les tremblements du corps de son petit ami. Ce dernier
pleurait à nouveau et sa peine ne faisait qu’accroître misérablement la sienne.

— Partons, enfuyons-nous loin d’ici, loin du manoir, loin du « Destructeur », le supplia-t-il d’une
voix étranglée.

— Cela ne servirait à rien et tu le sais. C’est ainsi que cette incarnation doit se terminer.

Longwood releva brutalement la tête, les paupières terriblement gonflées par les pleurs et le
manque de sommeil, que la teinte bleue polaire de ses prunelles en devenait translucide. Son regard
exprimait colère, fureur et détresse.

— Jusqu’au bout… jusqu’au bout tu te seras sacrifié pour Lui ! Pas pour moi, pas pour Samaël ou
n’importe qui… Je le renie cent fois ! Mille fois ! Plus que l’éternité ! s’écria James.

Le jeune Français essaya d’apaiser son amant d’une autre façon que par les paroles : il glissa une
main brûlante sous sa chemise afin d’effleurer ses côtes, une moue séductrice sur les lèvres.

— Tu ne veux pas savourer « autrement » nos derniers instants ensemble ? lui proposa-t-il d’un ton
enroué par le désir.

L’Anglais voulut repousser les doigts aventureux, s’entêtant à vouloir convaincre Gabe de ne pas
affronter le « Mal », persuadé que c’était là la solution pour le sauver.

Mais Ginto décida de son côté de ne pas jouer cette lutte passive à la loyale et sa bouche
commença à dévorer amoureusement la peau fine et sensible de son cou.

— Je… débuta James, déjà embrasé par le savoureux contact des lèvres chaudes de son petit ami.
Gabe… non…

— Ton « non » ressemble davantage à un « oui » alors je le prends en tant que tel, répliqua
l’adolescent dans un souffle.

Il déboutonna fébrilement le pantalon de Longwood, lui était déjà nu et plus que prêt à laisser libre
cours à toute la passion dont il était capable.

— J’aime l’odeur de ta peau, chuchota-t-il tandis que ses doigts se glissaient sous l’élastique du
caleçon de James.

— J’aime aussi la tienne, répondit ce dernier, tout aussi chaviré et rejetant sa tête en arrière afin de
mieux s’offrir aux baisers tendres et voraces de Gabriel.

— James…

— Oui…

— Trouve-moi, James. Trouve-moi dans ma prochaine vie, car si tu ne le fais pas… c’est moi qui
te chercherai.

Une ultime larme roula sur la joue du jeune homme blond tandis qu’il l’étreignait avec tout le
désespoir de sa peur de ne plus jamais revoir Gabriel.

Ginto répondit avec autant de force à l’enlacement, se refusant à pleurer, mais il était trop tard :
ses yeux étaient remplis d’eau amère.

— Je te trouverai. Tu répondras à mon appel.

***

– Urielle –

L’éternel combat du bien et du mal n’a jamais été quelque chose d’épique, digne d’un film de
science-fiction avec des tas d’effets spéciaux. Pour ceux qui sont persuadés que l’Apocalypse surgira
dans leur vie tel un épisode spécial de la série Star Wars, ils risquent d’être déçus.

Ce fut dans un silence de mort que nous nous rendîmes au Manoir Longwood, comme il était
convenu peu de temps avant. Nous fûmes accueillis normalement pour une réception d’une étrange
banalité.

J’ai gardé, pour une fois, mon humour empreint de folie pour moi. Je n’avais pas le cœur à
malmener mes amis parce que je reste emprisonné dans un corps de chair. Alors oui, j’ai un cœur et
je ne suis pas totalement dénuée de sentiments, voire de compassion.

James n’a pas lâché la main de Gabriel une seule fois entre le moment où ils ont quitté la chambre
et celui où monsieur Longwood a invité Gabe à pénétrer dans son bureau pour ne plus jamais en
sortir.

Je savais qu’il était déjà affaibli par cette étrange fièvre, celle qui ne l’avait pas quitté depuis ce
fameux incident à la cafétéria. Le « Mal » n’est pas à prendre à la légère… quand on a affaire à lui, il
s’immisce en vous, vous empoisonne de son venin et avant que vous l’ayez réellement compris, vous
êtes déjà mort.

Jusqu’à la dernière seconde, j’ai cru que Samaël n’irait pas. Son visage exprimait mille tourments
que, probablement, je ne pourrais jamais imaginer… même dans ses traits les plus grossiers.

Je n’ai vraiment su, je n’ai vraiment compris le Grand Œuvre qu’au moment où il est également
entré dans le boudoir de l’enfer, qu’à l’instant où James en est ressorti… seul.

Un combat puissant livré dans le silence le plus total. Ça, c’est flippant. Ça… je reconnais que
cela m’a effrayé. Si nous avions suivi Gabriel en dégainant nos armes divines, flamboyants de foi, si
nous avions combattu vaillamment comme tant d’Hommes nous ont peints au fil de l’histoire
Humaine… je pense que j’aurais aimé. Je pense que j’aurais été fière de moi, fière d’être ce que je
suis. Mais les plus grands sacrifices ne se font pas forcément dans les cris, les plus grandes guerres
ne se gagnent pas inévitablement dans le sang.

Gabriel, auréolé de sa Gloire, brillant, éblouissant, s’est avancé droit dans cet antre où j’ai
ardemment désiré prendre sa place. Parce que, lorsque je songe, comme ce soir, à la terrible douleur
qu’il a endurée depuis ce qui ressemble à l’éternité… sans jamais se confier, sans jamais montrer sa
souffrance… j’aurais voulu lui offrir ma vie en récompense. Qu’il la prenne et l’utilise pour aimer
comme il a aimé Jacob, comme il aime Samaël. Nous nous sommes tous sentis inutiles, désœuvrés
quand, sans l’ombre d’une plainte, ils se sont éteints comme on souffle sur la flamme précaire d’une
bougie.

Samaël s’est sacrifié pour Gabriel. Gabriel s’est sacrifié pour Samaël. Les deux se sont sacrifiés
pour Notre Seigneur.

Le secret, le Grand Œuvre de l’archange Messager de Dieu a toujours été celui de ramener la Main
Droite de Dieu… à Dieu.

Gabriel, se sentant responsable de la déchéance de son « frère », ce jumeau désiré avec passion et
repoussé avec autant de force pour ne pas entacher le Chœur Céleste, briser la Force Unie des
Anges… a demandé à Notre Père d’être celui qui le ferait revenir parmi les siens, même au prix de
plusieurs vies : les siennes. Les Nôtres. Les leurs.

Mais pour cela, il fallait que Samaël le veuille, sans que quiconque mette en péril son Libre
Arbitre. Tout ce vaste plan pour que l’Armée du Seigneur retrouve son plus puissant combattant en
vue de remporter la seule et unique victoire, celle qui compte vraiment.

Le Diable n’a rien vu venir, pensant sincèrement que l’intérêt de celui qu’il cherche à renverser se
trouvait ailleurs… Le Menteur dupé. Jusqu’à un certain point, néanmoins. Satan avait lancé sa
dernière offensive, par dépit, par vengeance… parce que c’est dans sa nature d’être un mauvais
perdant.

Il avait contaminé le corps de chair de Gabriel Ginto… soit, même si Samaël acceptait de mourir
pour Gabriel, il gagnait sa rédemption, mais de toute façon… il perdait Gabriel Ginto.
Gabriel Ginto, presque dix-huit ans, désirant reprendre le centre de réinsertion de ses parents plus
tard, celui qui heureux, avait rencontré l’amour, s’était fait des amis… celui qui m’avait ému malgré
moi, ce bon « gars » que je n’oublierai jamais. Que je regretterai.

La guerre continue.

L’Apocalypse ne montre pas encore le bout de son nez.

Par contre, qui sait si votre nouveau voisin, celui qui vient d’emménager n’est pas un petit bout de
« Lui ».

Moi je le guette, je l’attends. Je crois que James aussi. »

Fin.

Remerciements :

Je tiens à remercier beaucoup de personne mais une en particulier : Sandra Paillard qui m’a
accompagnée sur ce projet, elle a travaillé dur et sur son temps libre pour m’aider à améliorer le
bébé (elle l’a couvé avec moi lol jusqu’à sa naissance). Sandra est une personne formidable (mon
doudou officiel è_é) que j’embrasse très fort ; n’oubliez pas d’entrer dans son univers le mardi 15
avril 2014 avec : Black Diamond, Tome 1, Visions Mortelles aux éditions SK.

Je remercie également Helene Wales Stackhouse pour sa correction/relecture en dernière ligne


droite afin de me sauver d’une mort prématurée par stress... elle a fait un travail remarquable en peu
de temps ! Je t’aime !

Je remercie aussi la fine équipe de lectrices pour leur soutien : Tsuki, Valérie Bottini, Qhuay,
Rosa, Alexandra, Mama et encore beaucoup d’autres. Fou rire et bonne humeur sans compter les
encouragements : je vous fais des gros poutoux.

Merci aussi à n’hom et les enfants : patients, aimants, je ne peux rêver de mieux comme meute.

Merci à mon éditrice, Cyrielle Walquan, de toujours me suivre dans mes projets, pour sa patience
et son soutien !
Merci à mon illustratrice adorée qui a déjà « signé » plusieurs de mes romans en donnant une
seconde vie à mes personnages : Mokolat San ( devianart )

Et je ne vous oublie pas, vous, lecteurs, merci de votre confiance, merci d’aimer mes univers
(enfin j’espère que vous aimerez celui-ci en tout cas lol), sans vous je ne suis que l’ombre de mon
rêve.

À très bientôt !

C.M
Couverture réalisée par Céline Mancellon

Illustrations réalisées par Mokolat


N° éditeur : 917089-36540

dépôt légal : mars 2014


{1}
Gabriel signifie « Force de Dieu » - The Power of God

{2}
Traduction : Merde… c’est très intéressant.

{3}
Traduction : Tu comprends… petit garçon effrayé ?

{4}
Traduction : Ne me crains pas, Gabriel.

{5}
Traduction : Tes cicatrices… d’où viennent-elles ?

{6}
Traduction : Au revoir, Monsieur Peers, et je vous remercie beaucoup de votre gentillesse.

{7}
Traduction : Ce n'est rien, jeune homme. Soyez attentif et studieux durant les cours.

{8}
Traduction : Ceci est mon sang… Gabriel. Le sang de l’alliance.

{9}
Traduction : Lèches.

{10}
Traduction : ... s'il te plaît, ne t'arrête pas, Gabriel. Lèche encore... s'il te plaît.

{11}
Traduction : Oh… oui. Tu aimes ça, n’est-ce pas ? Une telle expression… ton visage dit la vérité.

{12}
Traduction : Tu me brûles et tu me rends fou… Montre-moi ton putain de visage de garçon excité !

{13}
Traduction : Oh, chéri ! C’est mignon ! Tu es trop mignon !

{14}
Traduction : Je l’ai trouvé.

{15}
Traduction : Oh mon ange… mon doux ange, ne t’arrêtes pas, s’il te plaît. Oui… oui, comme ça.

{16}
Traduction : Eh bien... nous sommes très loin d'être un couple. Une nuit à baiser n'est pas suffisant pour se coller
l'étiquette, n'est-ce pas ? Même si l'idée que tu baises avec un autre gars me met déjà dans un état de fureur sans nom.

{17}
Traduction : Quoi ? J'ai dit quelque chose de faux ?

{18}
Traduction : Putain de merde !

{19}
Traduction : Courant

{20}
Traduction : Qu’est-ce que… que fais-tu, maintenant ?! Gabriel ! Ça suffit !

{21}
Traduction : James... je peux savoir ce que tu fais dans la chambre de mon frère ?

{22}
Traduction : Ce ne sont pas vos affaires, monsieur Ginto.

{23}
Traduction : C'est mon petit frère, bien sûr que ce sont mes affaires !
{24}
Traduction : Vrai... vous avez raison, c'est votre frère, mais...c'est mon amant et nous avons eu une nuit torride, satisfais
?

{25}
Traduction : Il me baisait pendant que vous étiez derrière la porte. il a jouit en moi et j'ai adoré ça, désirez vous que je
vous décrive la scène avec davantage de détails ?

{26}
Traduction : Qu'est-ce que c'est ?

{27}
Traduction : Tu te fiches de moi ? Pourquoi... ?

{28}
Traduction : Tu aimes ce mot, n'est-ce pas ?

{29}
Traduction : Peu importe !

{30}
Traduction : Il arrive...

{31}
Traduction : Je ne veux pas faire ça... Je ne veux pas faire ça... Je ne veux pas... Je ne veux pas...

{32}
Traduction : Je ne veux pas faire ça... Gabriel...aide-moi... aide-moi...

{33}
Traduction : Tu vas bien ?

{34}
Traduction : Qu'est-il arrivé ?

{35}
Traduction : Comment ça s’appelle ?

{36}
Traduction : Vrai

{37}
Traduction : Eh bien... ce n'est pas vraiment différent.

{38}
Traduction : pour moi.

{39}
Traduction : n'est-ce pas ?

{40}
Traduction : maintenant.

{41}
Traduction : Ce n'est pas amusant si je te le dit.

{42}
Traduction : Je n'ai jamais cherché à te tuer. Je ne ferai jamais ce genre de chose, mon amour. Jamais.

{43}
Traduction : Chéri dans le sens "petit ami"

{44}
Traduction : Menteur

{45}
Traduction : As-tu des pensées "sales" (dans le sens perverses / érotiques ) ?
{46}
Traduction : Eh bien... je n'avais pas vraiment l'intention de pratiquer des jeux sexuels avec... cette chose.

{47}
Traduction : Peu importe.

{48}
Traduction : Trop mignon.

{49}
Traduction : Je t'aime tellement.

{50}
Traduction : Je suis désolé pour...

{51}
Traduction : Je déteste les français... vraiment. Vous êtes tellement arrogants, les gars.

{52}
Traduction : Que s'est-il passé ?

{53}
Traduction : Rie... rien.

{54}
Traduction : Oh, vraiment ? Nous en reparlerons plus tard, Folley. Maintenant, je dois réparer vos sottises... c'est chiant.

{55}
Traduction : Dé... désolé. Je suis désolé, James. Je peux...

{56}
Traduction : Non ! C'est mon travail... je suis votre senior, vous êtes sous ma responsabilité, stupide gamin.

{57}
Traduction : Mon doux amour... je deviens très "lovey-dovey" avec toi. ( lovey-dovey est une expression qui signifie que
dans une relation intime la personne devient très démonstratrice dans ses sentiments, très "sucrée")

{58}
Traduction : et

{59}
Traduction : Tu sais.

{60}
Traduction : Je suis désolé...

{61}
Traduction : Je n'ai pas pu me retenir. Tu m'as donné tellement de plaisir...

{62}
Traduction : Je suis mort de honte...

{63}
Traduction : DEHORS !

{64}
Traduction : Quoi d'autre ?

{65}
Traduction : Batailles.

{66}
Traduction : (en latin ) Libre Arbitre.

{67}
Traduction : Gabe... tu me tues, tu sais ?

{68}
Traduction : Qu'est-ce que c'est ?
{69}
Traduction : C'est bon, c'est d'accord.

{70}
Traduction : Monsieur.

{71}
Traduction : Bonjour, toi...

{72}
Traduction : J'aime ce mot... et non.

{73}
Traduction : Que tu puisses me toucher partout.

{74}
Traduction : Menteur.

{75}
Traduction : Non ! C'est vrai ! Tu peux vraiment me toucher... de partout.

{76}
Traduction : Rien.

{77}
Traduction : Quoi ?

{78}
Traduction : Tu mates ce mec comme un chien en chaleur !

{79}
Traduction : C'est vrai ! Oh, peu importe ! Tu peux baiser avec lui !

{80}
Traduction : Foutaises !

{81}
Traduction : Si tu essaies de me prendre Gabriel, je te tuerai... tu comprends ?

{82}
Traduction : Sale gosse... tu m'ennuies.

{83}
Traduction : Putain d'ange déchu... je te hais !

{84}
Traduction : Tellement beau...

{85}
Traduction : Quoi ?

{86}
Traduction : Connard.

{87}
Traduction : Putain de pervers !

{88}
Traduction : Tu m'ennuies... encore, James. J'aime tellement son corps. Gabriel est trop sexy, non ?

{89}
Traduction : Je te hais !

{90}
Traduction : Moi aussi, très cher.

{91}
Traduction : Comment dire ?
{92}
Traduction : Bonjour.
Page titre
Table des matières
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18

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