Bulletin de l'APAD
7 1994)
Les sciences sociales et lexpestise en développement
Norman Long
Du paradigme perdu au paradigme.
retrouvé ? Pour une sociologie du
développement orientée vers les
acteurs.
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Norman Lang, « Ou paradigme perdu au paradigme... trouvé ? Pour une sociolgie du développement orentée
vers les acteurs , Bulletin de PAPAO [En lige 7 | 1996, mis en ligne le 13 décembre 2007, Cansuté le 12 janvier
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Bulletin de PAPRODuparaiigne pewuau paraigme...etouve ? Pour ure socologe du developement orient.)
Norman Long
Du paradigme perdu au paradigme...
retrouvé ? Pour une sociologie du
développement orientée vers les acteurs.
Ce chapitie ' est constitué de deux pasties. Le premier dépeint le carnctéxe paradigmatique
de Vopposition entre approche structurale et approche basée sur les acteurs dans Lérude
du développement et du changement social et se prononce en faveur de Tinjection dans
Jn sechesche empirique d'une perspective baste sur les acteurs plus approfondie et mieux
théosisée. Le second chapitye setmce mes propres expériences et mes propses luttes pour
concilier 1a théorie et la pratique dans mes travaux en Amérique Latine, au Pérou et au
Mexique. La conclusion souléve le probleme du changement de paradigme et Ia soi-disaat
“cxise" en sociologie contemporaine du développement *
L'univers des paradigmes de la recherche
On ne peut trouver meilleuse introduction au débat sur le développement et Je déclin des
paradigmes que le traitement intéressant que fait Cynthia Hewitt de Alcantara (1982) des
pamdigmes anthropologiques dans le Mexique post-sévolutionnaire. Hewitt setmce en détail
Thistoixe desécoles de pensée et des pratiques de la sechesche en anthropologie surla vie surale
et es problémes agraires au Mexique. Dans son exposé, elle souligne la fagon complexe dont
es approches et les découvertes théosiques se sont tmasformées pour s¢pondre aux conditions
changeantes de !€conomic et de Ia politique mexicaines, et Vinfluence exercée sur elles par
les luttes intellectuelles et politiques qui ont opposé "différentes communautés de chescheuss”
tant au Mexique qu’ ua aiveau international plus large.
Hewitt tie son concept de "paradigme” de Yceuvre originelle de Kun (1962) sur le caractére
et Ia succession de "paradigmes" ou "visions du monde” opposées, dans le développement
de la science. Eu le paraphrasant, ele décrt les parndigmies comme "constituant une sorte de
croyance métaphysique selon Iaquelle certains domaines de 1a nature, impliquant certaines
frontitres dlattention et engagement, sont particuliérement dignes d’étude, et forment la
ase de taditions spécifiques de secherche au sein desquelles Ia théorie est élaborte et
Jn méthodologie séglementée [sic ie. standasdisée] pour donuer un fondement seconau &
Jn pratique d'une discipline particulitre” (Hewitt de Alcantiva 1982 : 2-3). Kuhn soutient
par ailleurs que le développement scientifique soptse en passant par des pétiodes de ce
quill appelle "la science normale" oft une vue dominaate du monde structure V'investigation
scientifique selon un objet ct des méthodes spécifiques, pour atteindre des épisodes de
semous "sévolutionnaires” au cours desquelles un nouveau pandigae lutte pour émesges.
1 explique également que, par rapport aux sciences naturelles ct physiques, les sciences
sociales sont restéesa un stade "protoscientifique” étant dépourvues pour le moment d'un cadse
pamdigmatique universellement acceptable.
Hewitt (@ 1a suite de Mastemman (1970 : 74) ; voir également Mey (1982 : 223), modifie la
vision unilinéaire du développement des paradigmes de Kuhn, et suggére que les sciences
sociales ont toujours comporté une multiplicité de paradigmes, dont aucune n'a jusque la xéalisé
Je statut hégémonique de théorie centrale ou de paradigme universel Par conséquent, bien
que des théories ou des images pasticulitues de la société puissent étxe considéxées & cextaines
périodes comme plus crédibles que d'autres, 8 cause du soutien quelles recoivent de la part de
savants ow d institutions académiques, les vents du changement ne tardent pas A souffler. Cela
s produit, selon moi, essentiellement parce que les théories ct les métaphores en sociologie
sont surtout ancrées sur des épistémologies opposées, voire incompatibles ; clest-A-dire que
Ieurs conceptions des phénoménes sociaux sont tts différentes. Parilleurs, Ia caractétisation
par Kuhn des sciences sociales comme étant & un stade protoscientifique de développement
sévéle Ia prééminence quill accorde aux modéles positivistes et universalistes de la science
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comme T'déal A atteindre dans toute investigation ou explication. Ce point de vue, serait
ccontesté anjourd hui par beaucoup de chescheuss.
Ea dépit de tout cela, comme étude de Hewitt te démontre ués bien, il est possible de
dépeindre 1a montée et le déclin de paradigmes dounés & wavers Ie temps et d'identifier
des pésiodes au cours desquelles cestaines images et certains types danalyse ont prédominé
sur les autres. Peu de spécialistes contesteroat par exemple Yobservation selon laquelle le
cours général des débats et des intexpsétations sur les processus de développement depuis la
Seconde Guesre Mondiale est passée des perspectives basées sur le concept de modemisation
(au milieu des années 50), pour se concentrer par la site sur celui de 1a dépendance
(au muiliew des années 60), puis sur celui de !€conomic politique (au milieu des années
70) et enfin sur une sovte de "post-sodemisme” mal défini au milieu des années 80.
Cette demise phase "post-modemmiste” est décrite dans beaucoup de suilieux (méime posi
certains marxistes structuralistes inconditionnels) comme entrainant une dé-construction des
coxthodoxies précédantes ‘et peut-€tre méme un agnosticism sure plan théorique que cestains
chercheurs situent& la lisitxe de Yempisisme *
Beaucoup pensent que nous vivons dans une période d'incertitude intellectuelle (assortic
de remous politiques et économiques dans plusicurs parties du monde). Cette incestitude a
cependant l'avantage de nous permettre de comiger Ia "vision du tunnel” (de Mey 1982 : 85)
proposée parles paradigmes existants (la soi-disant "science normale” de Kuhn), méme siclle
ne nous pesuet pas pour le moment dloffsis des alternatives bien élabortes. Je seviendrai plus
Ionguement sur Ia nature de cette “cvise" de la théorie vers la fin de ce chapitee.
Antécédents des signes actuels de crise
Un coup del sur Ia littérature daprés-guenre sur le développement et le changement social
smoatre claiement une division nette entre d'une post, les tavaus tritant de structures et de
tendances globales (souvent décrites comme "macro" por nature) et daub part, des études
ésisent Ia natwe des changements au aiveau des unités dopération et d'action
(souvent décrtes comme "micso") . Les premiéres situent généralement leurs analyses dans
le cadre de concepts tités de la théorie de la modernisation ou bien adoptent une perspective
structursle néo-marniste. Le deuxiéme groupe détudes, bien quil puisse également mettre en
lumiére des dimensions pestinentes pour ces mémes théories générales, est plus susceptible
de fournis une description détillée des séponses dfférentilles aux conditions structueles,
et dexplorer les statégies et les dispositions culturelles des acteurs sociaux: impliqués. A un
certain niveau, cette difference d'analyse coincide en gros avec la division entre 1économic,
Jes sciences politiques et Ia sociologie en opposition & Yanthropologie et Vhistoie ; ou plus
précisément entre les chescheurs préoccupés parla verification de modéles structusaux et cous
qui chescheat & dépeindse la manitze dont les geas se débsouillent face & des changements
stoucturaus. existe quelques études remarquables qui ont séussi& combines ces niveau avec
assez de bonheur, mais dans Yenseuble elles constituent des cas res et disperses
Une des sisons principales qui send difficile Yintégration des pesspectives structursles
et de celles basées sur les acteurs résident dans le fait qu’elles impliquent des postuats
épistémologiques opposés (ou tout au moins divergents), semblables aux paradigmes de
Kuha qui demeusent incompatibies jusqu’a ce quluue "sévolution scientifique” confisme la
suprématie de Tune dielles.
qui carsct
Convergences entre modéles structurels du développement
En dépit des différeaces évidentes dans leurs hamachements idéologiques et théoriques,
les modéles de ia modemisation et ceux ngo-mamistes conticunent des similaités sur Ie
plan parndigniatique. Ces similastés donnent des indices our certains faiblesocs analytiques
La théorie de 1a modemisation comprend 1e développement en tennes de mouvement
progresif vers des formes de societé"mmodeme”, technologiquetuent ct insttutionnellement
plus complencs et plus intéges, Ce processus est mis en marche et mainteaw gsice &
tine sri dinterventions impliquant le tiansfeit de technologies, de savoir, de sessources
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“
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ct de formes d'orgauisation des parties du monde ou du pays plus “développées” vers les
moins "développées. Ains, la "société taditionnelle” est propulsée dans le monde modeme
synduellement, non sans quelques soubresauts intitutionnels cependant (ie. ce quon désiane
souvent comme "les obstacles sociaux et cultuels au changement"), et son économie et ses
stouctures sociales acquitreat Yaccoutsement de la “modemnite”.
Les théories néo-marxistes quant & elles, mettent Yaccent sur Ia nature exploiteuse de ces
processus, en esattribuaat.latendance expansionnisteinhérente au monde capitaliste et son
besoin constant douvrir de nouveaux marchés, d’augmenter Ie niveau d'extraction du surplus
et daccummuler du capital. Ii c'est image des intééts capitalistes,étrangers et nationau,
qui subordonnent (et probablement détruisent & long, terme) les modes et les selations de
production non capitalistes et qui ligotent les pays du Tiess-Monde et leurs populations
pauvies dans un filet de dépendance politique et économique. Bien que la période et le
degyé dintégration des pays dans économie politique du monde alent varé, le xésultat est
structurllement similaire : ils sont foscés de sejoindse Ia fratesnité des nations selon des
termes définis non pas par eux-mémes, mais par leurs "partenaires" industries plus riches et
politiquement plus puissants. Méme sicettethéorie n€o-masxiste comporte une vasieté diécoles
de pensée, au fond le message central demeuse fondamentalement le méme ; & savoir que les
schémas de développement danse Tiers. Monde peuvent mieux stexpliques dans e cadse d'un
modéle générique du développement capitaliste& échelle mondiale *
Cesdeus perspectives seprésentent des positions idéologiques opposées -1a premitve épousant
‘un point de vue dit "ibéral” et croyanten demiése analyse aux effets bénéfiques de Vextension
sgessive du développement, et la seconde qui prend la position dite "sadicale” et voit le
-veloppement” comme un processus inégal par essence impliquaat exploitation continue
des sociétés "péviphériques”. Pourtant & un autre aivean, les deux modeles sont similaires
fu seas oit tous les deux voient le développement et le changement social comme émanant
principalement des ceatres du pouvoir sous forme d'une intesvention de Itt ou des intséts
internationaus et suivant une piste de développement dont les grandes lignes sont détenminges
et jalonnées par des "stades de développement” ou par une succession de “modes domsinants
de production”. Ces forces extemes cement de toutes pasts les populations du Tiers-Monée,
séduisentIeurautonomie eta lafin spent toute forme de coopération etde solidavté endogéne,
ce qui aboutit A une différentiation socio-économique et 8 un contsble central aceru par des
youpes, des institutions ou des entreprises économiques ou, politiques puissants. A cet égard,
il semble peu importer que Thégémonie de Ita soit basée sur une idéologie capitaliste ou
socialiste: il se produit des tendances similaires vers une incorporation et une centralisation
de plus.en plus grandes.
Les deux modéles sont par conséquent entachés de vues déterministes, linéaires et
extemalistes du changement social ”. Le sésumé que je viens de faire de leurs points
de vue simplifie et caricature peut-éte leurs arguments, mais une lecture attentive de 1a
littérature sur le Tiers-Monde ménem, je cris, & la conclusion qu‘lles ont en commun
un ensemble de croyances pardigatiques. Cet argument est également souteau par une
comparnison analytique sécente des écoles de la commescialisation (Le. modesnisation) et de
‘marchandisation” dans 'érude du développement agmare (voir Vandergeest 1988 ; et Long
et van der Ploeg 1988).
Un paradigme basé sur les acteurs
Tatoujoussexisté une sorte de contrepoids&l‘analyse structuselle, quoigue moins bien auticulé
jusqu’a une période relativement récente, dans ta littérature sur le développement. Crest ce
ue jlappelle le pardigme orieaté vers les acteurs, Ce qui sous-tend (soit explicitemeat ou
implicitement) cet intérét pour les acteurs sociaux est la conviction que, méme si certains
changements stucturaux importants peuvent sésulter de l'impact de forces extemes (dues &
Jn pénétration du marché ou de 1Ftat), il est théoriquement peu satisfaisant de baser une
analyse sur le concept de détermination exteme. Toute fomme de domisation exteme entre
nécessairement dans les espaces de vie actuels des individus et des groupes sociaux quielle
affecte, ct est de ce fait tansmise ct transformée par ces mémes acteurs et structures. De
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uw
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méme, sides forces sociales
‘loignées” et de grande enverguse altévent les trajectoises de vie
ct le comportement des individus, elles ne peuvent le faire qu’en fagonnant, directement ou
indirectement, les expériences quotidiennes ct les perceptions des individus coucemmés,
Ainsi, comme lexprime James Scott (1985 : 42)
(Cees seulement en saisissant Yexpérience d'un phénomitne dans 1 quasi-totalite, que nous
pourons éte en mesure de die quelque chote de significatif sur ia manitre dont un systéme
ooncmigue doaue influence ceux qu le constituent et Lentetieunent ou le euerteat en cause,
Br, bien entendu, sl ccla est val pour fa paysanneric ou fe proletariat, cela est certainement vial
pour la bourgeoisic, la petite bourgeoisie, ct méme fe tumpen-profétarit.
(On a done besoin, pour comprendre le changement social, d'une approche plus dynamique
qui mette Faccent sur T'intesaction et la déternination sautuelle des facteurs et des relations
intemes” ct "extemes", et qui reconnaisse le réle central joué par Yaction et 1a conscience
humaines ".
(On peut séaliser cela en conduisant des types d’analyses prenant en compte les acteurs,
conmne celles qui étaient populaises en sociologie générale et en anthropologie vers la fin
des années 60 et au début des années 70. Les approches basées sur les acteurs vasieat
des modéles uonsactionaels et de prise de décisions jusqu‘aux analyses internctionnistes
symboliqueset phénoménologiques. Un avantage de lapproche en tesmes dacteursestque lon
partd'un intéxét pour lexplication des s¢ponses différeatielles Ades cisconstances structuselles
similaires, méme si les circonstances semblent relativement homogénes. Ainsi, on admet
comme postulat que les schémas différentiels qui appasaisseat sont en pastic Ia cxéation des
acteurs eux-mémes, Les acteurs sociaux ae sont pas simplement vus comme des catégories
sociales désincamées (basées sur Ia classe ou tout autre critére de classification) ou comme
des récepteurs passifs de l'intervention, mais plutét comme des participants actifs qui traitent
Vinformation et poursuivent des stratégies dans leuss selations aussi bien avec divers acteurs
locaux qu'avec les institutions et le pessonnel extérieur. Les couss précis du changement et ce
quils signifieat pour ceux impliqués ae peuvent étxe imposés de lextésicur ni expliqués par
application d'une certaine logique structurelle inexorable, comme celle qu'implique le modéle
de la "périphérie désasticulée” de Janvry (1981) ". Les différents modéles d'organisation
sociale qui émergent sont les résultats des interactions, des négociations et des luttes sociales
qui oat cours entie les différents types d'acteuss, Ces desaiers comprennent non seulement
ccoux qui sont présents dans un face-A-face donné, mais également les absents qui influencent
anganmioins la situation en affectaat les actions et les sésultats
I nen demeuse pas moins aécessaise cependant de souligner les faiblesses de plusieurs
approches orientées vers les acteurs qui ont été promues dans les années 60 ct 70,
particuliérement par les anthropologues (voir Long 197b : 105-43). Dans leur tentative de
combattre les vues culturalistes et structuralistes simples du changement social, ces études se
sont concentiées sur le comportement novateur d'entrepreneurs et d opérateurs économiques,
sur les processus de prise de décision individuelle ou sur 1a maniére dont les individus
mobilisent les ressources & travers létablissement de séseaux sociaux, Poustant beaucoup de
ces études ne sont pas allées assez loin & cause de eur tendance A adopter une vue voloatariste
des prises de décision et des stmtégies tmasactiounelles sans accosder assez dlattention &
Yexamen de la maniéve dont les choix individuels soat fagonnés pas des cadves de signification
ct dlaction plus larges (i. par les dispositions culturelles, ow par ce que Bourdieu (1981
305) appelie habitus ou “histoire incamée” et par la distribution du pouvoir ct des ressources
dans Yaréne plus large). Et certaines études se sont embourbées en adoptant une forme
extéme dindividualisme méthodologique qui chesche & expliques Ie comportement social
cssenticllement en termes de motivations, d'intentions ct dintéréts individuels *.
Un autie type de sechesche orientée vers les acteuss (qui psévaut sustout parm les chescheurs
cen sciences politiques et ea économie sais également utilisée par des anthropologues
Economistes comme Schneider (1974) est celui qui utilise un modéle généralisé du choix
rationnel basé sur un nombre limité d’axiomes, tels que 1a maximisation des préférences ou
de Lutilite, Alors que les types d'analyse fondés sur les acteurs mentiounés ci-dessus oat
tendance A titer la vie sociale et particulitvement le changement social comme pouvant se
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séduire essentiellement aux actions constitutives des individus, l'approche du choix rationnel
propose un modéle “universe!” dont "les noyaux comportent les proprittés fondamentales
du comportement humain" (Gudeman 1986 : 31). La principale objection a cette approche
cst qulelle présente un modéle ethnocentrique occidental du comportement social bast sur
Vindividualisme de "homme utilitaiste” qui ne tient aucun compte des spécificités de la
culture et du coatexte.
L'importance centrale de I"'agency”, de la connaissance et
du pouvoir
Ea 1977, j'ai publié "Une Introduction & ta Sociologie du Développement” (Long, 19776).
A Lépoque, In sociologie du développement était sur le plan théorique A 1a croisée des
chemins et personne ae pouvait savoir avec certitude quelle disection les analyses et les
débats allaient prendre. Un objectif majeur que je visais en écsivant ce livre était d’encoumager
une discussion plus ouverte entre cheschewss de convictions théoriques différentes et de
plaider pour In nécessité de combiner les approches basées sur les acteurs et celles
hiistoriques-structurales. Depuis lors il sest passé beaucoup de choses, dont entre autres
Yexplosion d’écsits post-modesnistes et l€mergence de formes moins doctrinaises d économie
politique qui ont ouvest ua espace permettant de prendve en considération les questions et les
perspectives des acteurs. Cependant, ces efforts risquent davorter tant qu‘on a'affrontera pas
fraachement certains problemes méthodologiques clés. Le probléme le plus important & cet
égaud est celui de Ia conceptualisation de "Vacteus social”
Pour tenter d'améliorer des formulations antériewres, beaucoup d'auteurs sont revenus sur la
nature essentielle et 'importance de "I'actant” (human agency). Cette notion se trouve au coeur
méme de toute sevitalisation du paradigm de V'acteur social etcoastitue le pivot autour duquel
toument les discussions visant A séconcilier es notions de structuse et d'acteus. Mais avant de
retiacer ces discussions, il est important de souligner que la question d”"agency" n'a pas été
confismée uniquement dans le cescle des théoriciens et de leur audience sociologique, mais
quelle a également pénéu le travail empirique en sciences politiques (Scott 1985),en analyse
politique, (Blwert ct Bierschenk 1988) ten histoire (Stem 1987).
Ea terme général, 1a notion d"agency" attribue A V'acteur individuel ta capacité de titer
Texpérience sociale et d’élaborer des moyens pour se débattre dans ta vie, méme sous les
formes les plus extrémes de coercition. Dans les limites dues 8 Vinfonmation,& 'incertitude, et
‘aux autres contrainte s (¢.g, physiques, normatives, politico-¢conomiques), les acteurs sociaux
sont "compétents” (knowledgeable), et "capables’. Is tentent de sésoudre des problémes,
apprennent comment intervenir dansle flot des événements sociaux autour d'eux, et surveillent
continucllement Ieurs propres actions, en observant comment les autres séagissent leur
comportement, eten prenant note des diverses citconstancesdu moment (Giddens 1984: 1-16)
Pourtant, bien que Ia quintessence de l'action humaine puisse sembler se matérialiser dans
Vindividu, les simples individus "ne sont pas les seules entités qui prennent des décisions
ct agissent en conséquence. Les entieprises capitalistes, les organismes étatiques, les partis
politiques et les organisations des églises sont des exemples d'acteuss sociaux : ils out tous
les moyens datteindse et de fosmuler des décisions et dagir au moins sur cestaines deatre
elles.” (Hindess 1986 : 115). Mais comme Hindess le soutient plus loin, 1e concept d'acteur
ne devrait pas éte utilisé pour représeater des collectivités, des agrégats ou des categories
sociales qui n'ont pas une fagoa discemable de formuler et d'exéouter des décisions. Suggérer
par exemple que "Ia société" dans le sens global du teste, ou les classes et autres catégories
sociales basées sur l'ethnicité ow le sexe, prennent des décisions et essaient de les mettre en
ceuwre, clest leur attribuer& tort Ia qualité d'actant “. Cela tend également vers une sification
des schémas classificatoises qui font pastie de Yappareillage conceptuel qu'ua individu ou
uae organisation utilise pour titer les données du monde social aubiant et pastir desquels
Yaction est entyeprise. Nous devons donc aous attacher & sestycindse Lutilisation du tesme
“acteur social” uniquement aux entités sociales auxquelles on peut de maniése significative
attribuer le pouvoir d'agence.
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imposte également de soulignes que!”agency" ne se séduit pas tout simplement A aptitude &
Ja prise de décisions. L”agency” humaine, que nous econnaissons quand des actions données
sésultent en un état daffaires ou en une touure des événements différents de ceux qui
existaient auparavant, est composée de relations sociales et ne peut devenir effective qu’a
travers elles. Une agence efficace requiest par conséqueat des capacités éorganisation ; elle
ae découle pas simplement de Ia possession de certains pouvoiss de pessuasion ou de formes
de charisme. La capacité& influencer les autres ou donner des ordtes (c.g. pourles amener
A accepter un message de vulgavisation agyicole donné) repose fondamentalement sur “les
actions d'une chaine d'agents oi chacua les "traduit” en fonction de ses propres projets"..tle
"pouvoirest x ici etmaintenanten ens6laat beaucoup dacteurs dans.ua progsasnsne politique
ou social donné” (Latour 1986 : 264) Ea d'autres temes, laction (ete pouvoir) dépendent de
amaniéve critique de Vémergence d'un séseau dacteurs qui deviennent portiellement, et presque
jamais complétemeat, engagés dans les "projets" d'ua aube ou d'autres pessonses. Liefficacité
de agency sequiert donc la création/manipulation stratégique d'un réseau de wations sociales
et la canalisation de certains éléments spécifiques(tels que les revendications, les commande,
Jes biens, les instruments et Vinfommation) & travers certains “points aodaux" interaction
Comme te dit Clegg (1989 : 199)
Pow alice une action stat gique i faut suis ia lbest de mance des sues acta: dans
te melieurdes as, dupont de vue du stattge ces autes actants deviendrot des relals autres,
des extentions de Inctant suatégique. Ques que soient es intéets que ces actati-teais pulsient
avoir, ils serieat [dans le cas extéme] entitement ceux que Tact statégiquesuboriaateur
seurateibue
1 devient essentiel par conséquent que les acteurs sociaux gaguent les luttes qui se méneat
pour attribution de sens sociaux spécifiques & des événements, des actions ou des idées
données. Vus sous cet angle, les modétes particuliers (ou idéologies) d'intervention ca
développement deviennent des ames stratégiques dans les mains de ceux chargés de les
promouvois. Toutefois, Ia bataille n'est jamais tenminée puisque tous les acteurs exercent
une fosme de "pouvoir", méme ceux qui sont dans des positions tes subordonnées. Comme
Texplique Giddens (1984 : 16), "toute forme de dépendance offre des ressources permettant &
ceux qui sont subordonnés d'influencer les activités de leurs supérieurs’. Et de cette minniére,
iis sont activement eagagés (bien que ce ac soit pas toujouss au aiveau de 1a conscience
discursive) dans ta construction de leurs propres mondes sociaux, méme si, comme nous le
fait observer avec prudence Marx (1962 :252), les circonstances qu'ils rencontrent ne sont pas
toujours choisies par eux-miémes,
Bsaminant les selations entre acteur et structure, Giddens soutient de fagon convaincante que
Inconstitution des structures sociales, qui A In ois limite et permet le comportement social, ne
peut €t comprise sans accomder une place a la capacité d'action humaine. D écrit
Bn suivant ies routines de ma vie quotidiemne, jnide a reprodulte des institutions sociales pour fa
cxfation desquelles je ala joue aucun s6le, Bes ue sout pas seulement leavisoanement de mes
actions daas ia mesure oU..elles entrent de fagoa constitutive dans ce que je fas en tant quiaget.
De fa méme manitre, mes actions constituent et reconstituent les conditions institutionnetles des
actions des autes, tout comme leur actions agissent sur ies micanes... Mes activités soat ainsi
Integrées dans les propsetés suuctustes dinstitutions sétendaat bien au-dela de mol-néaae dans
Je temps et espace eten sont des ¢léments constitutifs. (Giddens 1987 : 11)
Cette intégsation de V'action dans les structures et les processus institutionnels ne signifie pas
bien sir que le choix d'un comportement est remplacé par une routine immuable. En effet,
comme nous Yavons souligné plus haut, Lnalyse orientée vers les acteurs suppose que les
facteurs sont capables (miéme dans un espace social txts resteint) de fonmuler des décisions,
dlagir surelies, etd innover ou d'expérimenter).Par ailleurs, “un tat caractéristique de Vaction
cestque lagent, 8 tout moment, “aurait pu agirautement” : soit positivement sous forme d'une
tentative d'intervention dans fe processus des "événements du monde”, ou négativement par
abstention” (Giddens 1979 : 56).
Hindess (1986 : 117-19) pousse argument plus loin en faisant remarquer que pour atteindre
tune décision, il faut utiliser explicitement ou implicitement" des moyens discursifs” dans la
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formulation des objectifs et dans la psé sentation des arguments en faveus de la décisioa prise.
Ces moyens discussifs ou types de discouss (ie. les constructions cultuelles utilisées pour
cexprimes soit vesbalement soit parla pratique sociale, des points de vue ou des jugements de
valeur) " varient et ne sont pas seulement des traits inhérents aux acteurs eux-mémes : ils font
partie du stock différencié de connaissances et de ressousces disponibles a difféseats types
acteurs. Comme la vie sociale n'est jamiais assez unitaise pour qu’on puisce la bats sur un seul
type de discours, il sen suit que, quelles que soient les limites de leurs choix, les acteurs ont
toujours devant eux quelques altematives pour formuler leurs objectifs, déployer des modes
spécifiques d'action et donner des saisons pour leur compostesneat,
I est important de dise ici que la secounaissance daltemnatives de discouss utilisées ou
susceptibles d’éue utilisées par les acteurs, remet en cause, d'une part, 1a notion que 1a
rationalité est une propriété intrinséque de Vacteur individuel, et d'aute part, qutelle refléte
tout simplement Ia localisation structurelle de Lacteur dans Ia société. Toutes les sociétés
renferment en leur sein un sépertoire varié de styles de vie, de formes culturelles et de
sationalités que ses membres utilisent dans leur recherche de Yordse et du sens et ces
membres joueat eux-mémes ua séle (voloataise ou involostaire) dans leur confismation ou
leur sestructuration. Ainsi donc les stntégies et les constructions cultuselles employées par
les individus ne susgissent pas du néant sais sont tixées d'un stock de discours (vesbaux et
non verbawx) disponibles qui sont dans une certaine mesure partagés par d'autres individus
contemporains ou peut-eue par des pxédécesseurs. Cest A ce point que lindividu est, ea
quelque sorte, transmué métaphoriquement en un acteur social, ce qui signifie que Vacteur
social est une construction sociale plutét qu‘un simple synonyme dlindividu ou de membre
de Thomo sapiens. On doit également distinguer deux types différents de construction sociale
associés au concept d'acteus social : d'abosd celui qui est cultusellement endogene au sens oft
illest base sures genses de seprésentations camctéristiques de Ia culture dans laquelle Vacteur
social particulier est ancré ; ct deuxiémement celui qui nait des catégories ct des orientations
théoriques des chescheurs et des analysteseux-snémes (quiestbien entendu également cultusel
dans ce sens quill est associé A une école pasticuliére de pensée et A une communauté de
savant)
Cette construction sociale des acteurs touche crucialement le probléme de I"agency". Nous
poustions cestes prétendse savoir parfaitement ce que nous voulons dize avec “competence”
et “capacité” (mowledgeability and capacity) - les deux principaux éléments de Tagency
identifiés par Giddens -, mais en fait ces concepts doivent étre traduitsen fonction du contexte
cultuel de leur utilisation avant qu'ils ne preanent toute leur signification. On ue devrait
done pas présumer (méme si Yon est en mesure de produise, par exemple, des évidences
d'une marchandisation et d'une occidentalisation accrues) d'une intexprétation constante,
‘universelle” et transculturelle du concept de Vagency. Il est condamné & vavier dans sa.
constitution et dans sa rationalité culturelle. Pour cela, nous avons besoin de découvrir ce
que Marilyn Strathem (1985 : 65) appelle la "théoric endogéne de lagency". Se basant sur
des exemples afticains et mélanésiens, Strathern montre comment des notions d'agency sont
constwuites différemment dans différentes cultures. Elle démontre que des attsibuts tels que
connaissance, pouvoir et prestige soat attachés différemment au concept de "pessonne”. Ea
Afrique, la notion de personnalité (personhood )est généralement lie AV idée de "fonction” ic.
Jes gens "occupent” certaines positions, "jouent” certains soles, subissent des rites d'initiation
ctdinstallation en vue d'assumer ces fonctions, et sont perpts comme exergant des influences
surlesautres en vertu de leur position relationnelle par rapport eux. Par contre,en Mélanésic,
statut et autres attibuts igs & la personne sont moins pexgus comme attachés en permanence
ux individus ou définis en selation avec une smatrice de position donnée ; au contiaize, ils
font continuellement lobjet de transactions, de négociations ou de contestations. De méme,
Yon peut identifier des continstes similaixes ent les theories cultuselles du pouvoir et de
influence de différents segments des société latino-américaines ; par exemple entre paysans
ct populations urbaines, ou au sein de 1a bureaucratic, de 1Eglise et de Yamée.
De telles différences reafoscent Importance que sevét lexamen des différentes manitses dont
les notions de personnalité et donc d'agency (compétence et capacité) se constituent selon
Bulletin de TAPAD, 7 | 1098Duparaiigne pewuau paraigme...etouve ? Pour ure socologe du developement orient.)
les cultures et influencent Ia gestion des relations intexpersonnelles et les types de controle
que des acteurs peuvent chercher 8 exescer les uns vis-a-vis des autres, Dans le domaine
du développement rural, ceci revient & analyser comment des conceptions différentes du
pouvoir, de Tinfluence, de la connaissance et de Ia capacité fagonneat les réponseset strategies
de différents acteurs (par exemple paysas, agents de développement, propritares terriens,
fonctionnaises locaux). On devrait aussi chercher& savoir quel point la notion d'agency, qui
varie en fonction du type de politique mise en oeuvre, peut te imposée & des groupes locaux.
Iki, je pense par exemple aux concepts de "participation", “ciblage des pauvres” ow "Ie sole du
paysan leader dans le développement planifie” "
Par ailleurs, si nous considérons que nous avons affaise A des “séalités multiples", a des
intéxéts sociaux et normatifs potentiellement conflictuels, et des configurations diverses et
discontinues de Ia connaissance alors, nous devons chercher & savoir quelles interpretations
cou quels modéles (par exemple ceux des agronomes, des politiciens, des paysans ou des
valgarisateurs), dominent sur ceux d'autres acteurs et dans quelles conditions. Les processus
de Ja connaissance sont intégiés dans des processus sociaux qui impliquent des aspects
de pouvoir, d’autorité et de légitimation ; et ils sont tout autant susceptibles de refléter et
Golimenter le conflit entre groupes sociaux qu'ils sont supposés conduise & ltablissement
diintéréts et de perceptions communs.
Cette discussion fait ressortie certains paralléles entre les processus du pouvoir et ceux de la
connaissance. Comme le pouvoir, la connaissance n'est pas simplement quelque chose qui est
possédée et accumulée (Foucault, in Gordon 1980). Elle ne peut pas non plus étre mesurée
de moniéve précise en terme d'une quelcongue notion de quantité ou de qualité. Elle jaillit des
processusd interaction sociale etestessentiellementun produit conjoint de la rencontre et de la
fusion d’horizons. Eile devrait donc, comme le pouvoir, tre abondée de maniére relationnelle
ct non traitée comme si elle pouvait étre épuisée ou comme si 'on pouvait en tier pastic. Le
fait que quelqu'un ait du pouvoir et de Ia connaissance n‘implique pas que d'autres en soient
dépourvus. Un modéle & somme nulle est ainsi déplacé. Néanmoins, pouvoir et connaissance
peuvent étre réifiés dans la vie sociale. Souvent, nous les considérons comme étant des choses,
matérielles réelles possédées par les acteurs, et nous tendons a les considérer comme des
données que l'on ne peut remettre en question. Ce processus de tification est, bien sti, une
composante essentielle des luttes courantes & propos du sens et du contréle des relations et
ressources stratégiques. Les rencontres relatives la connaissance comportent Ia lutte entre
des acteurs qui visent A en enséler d'autres dans leurs “projets”, a les amener & accepter
leurs schémes patticuliers de signification et & les convaincre de leurs points de vue. ils y
séussissent, alors d'autres parties leur "déleguent” du pouvoir. Ces luttes se focalisent autour
de Ia cristallisation de points clés qui permettent le contréle surles échanges et attributions de
sens (y compris V'acceptation de notions rifiées telles que celle d"autorité
Cette discussion a clarfié, je Tespére, In mison pour laquelle le concept dagency est
d'une importance théorique centrale. Comme nous Vavons suggéxé plus haut, une approche
centrée sur les acteurs commence avec Ia simple idée que des formes sociales différentes
se développent dans des cisconstances structurelles identiques ou similaires. Ces différences
reflétent des variations dans In manitre dont les acteurs tentent de se soisir, de fagon
cognitive et organisationnelle, des situations quils rencontrent. Dés lors, une comprehension
des différents modéles du comportement social doit étre enmacinée dans Ia "connaissance des
sujetsactifs” (Knorr-Cetina, 1981b : 4),etnon simplement vue comme Yimpactdifférentiel de
lrges forces sociales (telles que Ia pression démographique ou écologique, ou incorporation
danse capitalisme mondial). Dés lors, une tache principale pour Yanalyse est didentifieret de
camnctéviser les différentes stratégies et rationalités des acteurs, les conditions dans lesquelles
elles émergent, leur viabilité on efficacité 4 sésoudse des problémes spécifiques, et leurs
résultats structurels. Ce demier aspect souléve deux autres questions clés que je ne pousrai pas
border ici pour des questions de place. II sagit de l'étude des situations interactionnelles &
petite échelle et de leur importance pour la comprehension des soi-disant macro phénoménes ;
etde la nécessité de Ia notion de structures et de contextes "émergents” qui prennent naissance
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cen tant que sésultats combinés de conséquences intentionnelles et non intentiounelles de
action sociale "
Défi théorique a la recherche dans les hautes terres du
Pérou
Je voudrais maintenant tenter de rendre plus conciéte cette longue excursion plutot théorique
en lint tout cela A mes propres tentatives dallier Ia théorie et la pratique dans le contexte
de Amérique Latine ". Cela donnera, je crois, une toile de fonds oi resituer mes arguments
théoriques.
En 1071, jétais dans ta Vallée du Mantaro au centre du Pérou, oit jai trvaillé avec Bryan
Roberts sur des problémes de développement régional, de migmation, de petites entreprises et
de changement social en milieu rural et urbain (Long et Roberts 1978 et 1984). En venant
4’Aftique, jai été fappé A la fois par les similortés et les differences dans le processus social
Comme ces villageois Zamibiens avec lesquels jiavais vécu et travaillé dans les années 60,
Ja main-d’ceuvre paysanne dans la vallée était intégée A un secteur minier A travers une
migration tempomise, et une partie des économies quelle réalisait était eapatriée au village
pour financer des activités de petites entreprises. De nombreuses petites boutiques dans le
village ot nous vivions étaient gérées par des épouses ou des veuves de mineurs. La grande
différence cependant est que le centre du Pérou avait conan le commerce depuis des siécles,
depuis Varsivée des colons espagnols. I présentait donc une économie complexe, diversifiée
et orientée vers léconomie de marché dans les domaines de Vagyiculture, du commerce, du
‘wansport, de la petite industrie et des mines. La propriété fonciéve était tits fmgmentée et
dans une grande mesure privatisée. C'était une population mue par Vesprit du capitalisme.
Les Zambiens que j'ai connus étaient "habiles’, mais les populations locales de 1a Vallée du
“Mantaro avaient Vopportunité de lt encore plus.
Tai également été frppé parla grande mobilité gEographique des gens. Toutle monde semblait
@tre en train de bouger, s‘occupant de leurs lopins de terre ici et 18, de leurs troupeaux,
ailleurs dansles paturnges des hautes teres, et de leurs petits investissements dans Thabitatet
Yéducation en dehors du village. I y avait un flot incroyable de produits écoulés. travers les
marchés locaux, mais encore plus transférés directement des villages vers Lima et les villes
ainiéres. Ces divers schémas économiques et sociaux sentrelagaient dans une vie culturelle
siche faite d'événements familiaux, de fétes de saints patrons, de clubs xégionaux et de réseaux,
informels d’amis et de compadces.
Cette nouvelle situation de terrain représentait un défi sur 1e plan analytique. Mon profil
G'anthropologue social me donnait les moyens de décrire et d'analyser les micro-processus
sais ne me donnait pas tellement un cadre théorique pour cemer la maniére dont ces processus
senchainent pour former des systémes économiques et sociaux & grande échelle. Je me suis
alors toumé vers la littérature Iatino-amricaine sur le développement. Les éléments que je
rencontrais dans mes lectures apportaient progressivement un éclairage sur différents aspects
du théme mais, en demiére analyse, les modéles de dépendance ne semblaient pas expliquer
certains desaspects les plus intéressants de la situation & Mantoro. Le probléme le plus difficile
que nous devions affronter était que, tout en étant tres influencé parla présence d'une enclave
nize possédée par des étrangers, Yamiéve-pays était caractérisé par un secteur dynamique
de paysannerie et de petites entreprises, au sein duquel il se produisait une accumulation
de capital. Cela semblait contredise Jes hypotheses du modéle de dépendance de Yenclave.
Une autre difficulté théorique est qu'il n'existat pas une chaine ou une hi¢rarchie évidente de
dépendance lint Ie village au centre provincial, & la capitale régionale, 8 la métropole. Cela
{etait également le doute sur les formulations sur la dépendance.
Les données du Mantoro nous présentaient une montagne de complexités dont l'une était
comment analyser une région en prenant en compte non seulement des crttres économiques
ct administratifs mais aussi des dimensions culturelles et socio-politiques. Un autre probleme
Giait de savoir comment analyser les interrelations entre proces du travail et formes
organisation économique capitalistes et non capitalistes. Nous avons également essayé de