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Le Cocuage Voltaire

Publication: 1716 Source : Livres & Ebooks

Jadis Jupin, de sa femme jaloux, Par cas plaisant fait pre de famille, De son cerveau t sortir une lle, Et dit : "Du moins celle-ci vient de nous". Le bon Vulcain, que la cour thre Fit pour ses maux poux de Cythre, Voulait avoir aussi quelque poupon Dont il ft sr, et dont seul il ft pre : Car de penser que le beau Cupidon, Que les Amours, ornements de Cythre, Qui, quoique enfants, enseignent lart de plaire, Fussent les ls dun simple forgeron, Pas ne croyait avoir fait telle affaire. De son vacarme il remplit la maison ; Soins et soucis son esprit tenaillrent ; Soupons jaloux son cerveau martelrent. A sa moiti vingt fois il reprocha Son trop dappas, dangereux avantage. Le pauvre dieu t tant quil accoucha 1

Par le cerveau : de quoi ? de Cocuage. Cest l ce dieux rvr dans Paris, Dieu malfaisant, le au des maris. Ds quil fut n, sur le chef de son pre Il essaya sa naissante colre : Sa main novice imprima sur son front Les premiers traits dun ternel affront. A peine encore eut-il plume nouvelle Quau bon Hymen il t guerre immortelle : Vous leussiez vu, lobsdant en tous lieux, Et de son bien semparant ses yeux, Se promener de mnage en mnage, Tantt porter la amme et le ravage, Et des brandons allums dans ses mains Aux yeux de tous clairer ses larcins ; Tantt, rampant dans lombre et le silence, Le front couvert dun voile dinnocence, Chez un poux le matois introduit Faisait son coup sans scandale et sans bruit. 2

La Jalousie, au teint ple et livide, Et la Malice, loeil faux et perde, Guident ses pas o lAmour le conduit ; Nonchalamment la Volupt le suit. Pour mettre bout les maris et les belles, De traits divers ses carquois sont remplis : Flches y sont pour le cur des cruelles ; Cornes y sont pour le front des maris. Or, ce dieu-l, malfaisant ou propice, Mrite bien quon chante son ofce ; Et, par besoin ou par prcaution, On doit avoir lui dvotion, Et lui donner encens et luminaire. Soit quon pouse ou quon npouse pas, Soit que lon fasse ou quon craigne le cas, De sa faveur on a toujours faire. O vous, Iris, que jaimerai toujours, Quand de vos vux vous tiez la matresse, Et quun contrat, traquant la tendresse, 3

Navait encore asservi vos beaux jours, Je ninvoquais que le dieu des amours : Mais prsent, pre de la tristesse, LHymen, hlas ! vous a mis sous sa loi ; A Cocuage il faut que je madresse : Cest le seul dieu dans qui jai de la foi.

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