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Le Web de L'humanité - J'ai Provoqué 150 Licenciements
Le Web de L'humanité - J'ai Provoqué 150 Licenciements
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Journal l'Humanité
RUBRIQUE POLITIQUE
Article paru dans l'édition du 20 janvier 2006.
ÉVÉNEMENT
Les débuts
La pente s’incline
« Suite à cela, je rentre à Écully, espérant que ce succès sera couronné par
mon embauche officielle. En vain... On me demande de patienter encore un
peu. Vu que je commence à sérieusement m’agacer de la situation, on me
propose dans la foulée une nouvelle mission sur le magasin de L’Isle-d’Abeau,
en Isère, en août 2002. Objectif, remplacer le chef de sécurité parti en
vacances qui, apparemment, est un incapable. J’accepte en bon soldat, sans
avoir aucune formation. Heureusement qu’il n’y a pas eu d’incident majeur !
En plus des caméras cachées, on me demande de dégager un responsable de
la sécurité externe pour "délit de sale gueule". »
Antisyndicalisme
« L’objectif de toutes ces missions, cela a toujours été de réussir à trouver des
preuves pour virer des gens. Ceux qui coûtent trop cher, ou encore, ceux trop
proches des syndicats. Sur l’hypermarché d’Écully, on m’a demandé de monter
une embuscade sur une hôtesse d’accueil à temps partiel. Elle osait prendre le
café avec des syndicalistes ! On a glissé un billet de cinquante euros dans un
portefeuille, quelqu’un le lui a remis et n’est pas resté avec elle pour vérifier le
contenu. Aucun papier d’identité dans le portefeuille, la fille a mis le billet dans
sa poche... Sans savoir qu’elle était filmée. Du jour au lendemain, cette fille
s’est - retrouvée sans un sou, avec toutes les difficultés que comporte un
licenciement pour "faute grave". Elle est tombée en dépression pendant de
longs mois. Elle vient à peine de retrouver du boulot. »
La carotte
« J’ai fait le chien dans l’espoir d’avoir une place. En gros, mon salaire net
était de 1 000 euros, de 1 500 quand j’acceptais des missions. J’étais employé
par une société prestataire de service mais je devais faire le faux membre de
Carrefour. À la limite, ma boîte n’était même pas au courant de ce qui se
passait. La plupart du temps, les donneurs d’ordre étaient les responsables
sécurité sous couvert des directeurs de magasins, voire sous celle du directeur
régional. Pour l’affaire de Reims, j’étais carrément sous la responsabilité d’un
directeur national. Pendant deux ans, j’ai marché à la carotte. J’ai participé à
faire licencier 150 personnes. »
Fausse consécration
« Les caméras cachées, c’est une pratique très courante au niveau national.
Une grosse partie du travail des agents de sécurité, c’est la surveillance du
personnel, non des clients. Et pour la surveillance, tous les moyens sont bons :
il n’y a aucune limite temporelle ou financière. On ne badine pas pour faire
installer le dimanche après-midi 200 mètres de câbles pour relier de nouvelles
caméras. De chef à chef, ils se refilent les infos pour savoir où acheter le
matériel. Que cela soit clair, ces caméras sont uniquement destinées à
surveiller le personnel et à faire tomber un maximum de gens. Toutes les
semaines, les chefs de sécurité s’envoient leur palmarès. Il y a des documents
type à renvoyer au directeur régional tous les lundis matins. Après, un
classement est organisé par magasin : cela peut s’accompagner de primes de
10 % par mois. Pour quelqu’un qui est au smic, comme le sont les agents de
sécurité, ça arrondit vraiment les fins de mois. »
le parfait traqueur
des écoutes téléphoniques. À Écully, par exemple, je sais que la CGT est
constamment écoutée : il y a une caméra et un micro dans le local syndical.
Sur Paris, à l’hypermarché de Belle-Épine, une vingtaine de caméras cachées
sont installées en plus de la centaine de caméras autorisées. Mais on ne
surveille pas le personnel que dans le magasin. Pour faire tomber un cadre, on
rentre dans sa vie personnelle. Qui fait quoi ? Qui couche avec qui ? Qu’est-ce
qu’il boit et combien ? On enquête aussi sur les comptes bancaires. En mai
2003, sur Écully, j’ai eu à "m’occuper" du chef du rayon décoration. Il était en
arrêt maladie pour dépression. On m’a demandé de le suivre pour connaître
ses heures de sortie, s’il avait éventuellement un petit job au noir à côté. Dans
quel - établissement il - allait, - combien de verres il buvait. "S’il en boit six, tu
en marques huit"... Il avait un ancien contrat, il coûtait trop cher... Il a été -
licencié et a tout perdu. Il a fini en - psychiatrie. Je l’ai retrouvé, je lui ai fait
une attestation en mea culpa pour qu’il puisse, s’il le souhaite, porter plainte
contre moi. J’assume, mais il faut que Carrefour lui paie tout ce qu’ils lui ont
fait subir. »
Épilogue
« À l’été 2003, j’étais vraiment en saturation. J’écris une lettre le 7 juillet, puis
une deuxième pour demander le respect des engagements. Mon chef réagit
par la menace pure et simple. Un soir, il s’invite à mon domicile en me disant
que si je ne tenais pas à la vie de ma femme et de mes enfants, j’allais avoir
des problèmes. Pour calmer le jeu, le directeur régional me promet un poste
dans les quarante-huit heures. Le 7 octobre 2003, je commence au Carrefour
Belle-Épine. Je déménage avec ma famille de Lyon à Paris. On me fait un
contrat de stagiaire cadre, avec une période d’essai de trois mois renouvelable.
Après m’avoir "offert" la place promise, il s’est révélé que cette fois je ne
faisais pas l’affaire... Et à mon tour, on m’a remercié. »
Retour du boomerang
« Ce que je fais aujourd’hui, c’est quelque part une vengeance bien sûr. Je ne
m’en cache pas. Mais ça fait surtout du bien à ma conscience. Car je rencontre
des gens que j’ai "cartonnés" et qui vont pouvoir demander réparation,
preuves à l’appui car j’ai gardé toutes les vidéos et tous les documents écrits.
C’est - évident, j’ai beaucoup de - remords.
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