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en cyrillique dans le texte
Octobre russe, Serge Rivron 2001 (extrait)
file, avant une bifurcation qu'on hésite à prendre, qu'on prend, des fois. Je sais pas
s'il a vu qu'il pleuvait, ça fait au moins trois demi tête-à-queue qu'on s'essaye, je
m'habitue. Je tente de repérer à travers l'eau un coin déjà vu, d'habitude ça marche
pas mal, j'ai souvent un bon feeling quand on arrive vers les abords du grand parc
qui jouxte notre quartier. Il en est à sa deuxième clope et, malgré mon horreur
nauséeuse à fumer en voiture, je me dis qu'après tout c'est peut-être mon dernier
cigare, je m'en offre un. Y a une espèce d'énorme statue en métal, très réalisme
populaire, qu'on n'arrête pas de croiser. On varie les angles. C'est deux personnages
debout plein d'élan, une femme un homme, jeunes, splendide cliché de travailleurs
en liesse, la terre et l'usine. Ils ont bien fait de la garder, celle-là. Ç'aurait été con de
la jeter avec l'eau du bain, pour l'Histoire. Et puis, quand on est en taxi dans le coin,
ça distrait. J'essayerais bien de l'inciter à revoir le plan, mais j'ai peur qu'il le prenne
mal. Ou peut-être profiter d'une grosse flaque, qu'il noie la voiture pour de bon, ça a
déjà failli arriver à deux reprises. Avec un peu de bol, l'eau sera encore montée le
prochain coup qu'on passera dedans…
Des fois, je repère une voie qu'on n'a pas essayée, je l'incite gentiment à la
prendre, pour voir. Il souffle un peu de vodka-fumée sur le volant, genre "je voudrais
pas vous décevoir, mais celle-là, je sais où elle va", et la partie continue. J'aime
vraiment bien cette statue, on la voit mieux encore d'ici. Comment tu peux faire des
visages, des attitudes, aussi ancrés dans la propagande ? Des archétypes aussi
formidables ? C'est vraiment dommage que je n'ai pas mon appareil sur moi, je me la
faisais plein cadre.
Je sais pas depuis combien de temps on roule quand tout à coup on se retrouve
dans une forêt. C'est peut-être notre chance, on va voir. À la lueur de quelques
sporadiques réverbères, ça ressemble au bois de Boulogne un jour de déluge, avec
moins de voitures arrêtées pour loger moins de putes, mais l'ambiance y est.
Pourrait-ce être mon fameux parc ? Je ne reconnais rien, trop sombre, trop de buée,
trop fatigué. Supertaxi ralentit, il y a l'ombre d'un type sous un abribus. On s'arrête à
sa hauteur, il ouvre la portière du passager pour lui demander notre chemin. Ça
rassure. Le type, doté de la voix de Donald Duck version russe, qui avait d'abord
manifestement cru qu'un micheton s'arrêtait enfin pour quelque rémunératrice
gaudriole lubrique, vu qu'il est en outre doté d'un rimmel dégoulinant qui lui a tout
barbouillé le devant du joli tailleur mauve qu'il arbore virilement sous son gentil
blouson de cuir, sait parfaitement où se trouve notre chemin. Il explique à l'autre zob.
Qui, évidemment, n'y entend rien. Mais qui a, enfin, un bon réflexe : il propose au
travelo, qui a lâché pendant son explication qu'il habitait dans la direction, de le
transporter à mes frais jusqu'à chez lui, ce dont je suis parfaitement aise, tu t'en
doutes. Je prie seulement pour que le chez lui de notre nouveau passager ne soit
pas trop éloigné avant mon chez moi à moi. J'ai pas envie de repartir pour un tour.
Nous voici donc re-chaotés, moi tout ouïe des indications cancanées par Donald,
Superdriver plus accroché à son volant que jamais, sans doute autant par
concentration que pour marquer la distance, crainte de se prendre une paluche
poilue sur la cuisse droite, faut-il qu'il ait été dans l'ennui pour faire monter à son
bord un personnage aussi inquiétant… Mais putain qu'il conduit mal, l'animal ! Au
second tonneau qu'il tente, je commence à craindre que notre providentiel canard ne
se barre en courant au prochain feu rouge. Rien ne le retient ici, lui ! Il est moscovite,
et vu le style de vie qu'il a choisi, il doit pas avoir trop peur de marcher seul dans le
noir sous la pluie. Il est pas du tout obligé à la sérénité Zen que j'ai réussi à trouver
depuis une heure. Oh ! Fan de coucourde ! Encore un sens interdit sur une bretelle
Octobre russe, Serge Rivron 2001 (extrait)