CULTURE littérature
y Bi Aur
dandy
refractaire
&
AITRE LE JOUR DES MORTS N’EST PAS LE
moindre des privileges de Jules-Amédée
Barbey d’Aurevilly, double comme ses
nom et prénom, tout entier contenu dans
cette date de naissance, le 2 novembre
1808, « 2 deux heures du matin, par sen temps dis
Diabe », dans le in fond da Cotentin, Un Nor-
« Duc de Guise de la littérature », spa cag Pas ecu Pssin gu rave
5 sjettras », «toi des lormandie, champion intaitable dela monarchie
nnétable des lettres », « roi des er erotomane compulsf tout ensemble vigie de la
ribauds », Barbey d’Aurevilly fut chouannerie ct sybarite 3 allure sardanapalesque.
un romancier sans pareil et un Cocke expos qu ce dandy doublé d'un ans
niste parvint malgré tout & stabiliser pour la raison
polémiste redoutable. Gallimard ‘quill mesurait rout 4 Paune de Pesthétique et du
réunit ses romans en « Quarto », panache.
tandis que les éditions Bartillat Sourent brandi, son catholicisme était fort peu
publient ses Lettres & Trebutien évang¢lique. Il procédait aurant du bourreau mais-
trien que du bicher espagnol. Lui-méme ne se
elec que de fruits delendvy ql cuca dans
des paradis non moins artificiels que ceux de Bau-
{lafe: Brolanc comme les flamnes de Penfer, i
-mplissait son bénitier d'eau-de-vie, jamais d'eau
PAR FRANGOIS Bousquet beni, quil eerachait sur les badauds els parc
Siens, histoire darise le feu. Le ous it déendat
la Sainte Inquisition et publiait des libelles furiew-
sement ultramontains. Le soir, il regagnait sa
chambre, 'Enfer de Dante, oit il couchait (au
double sens dui mor) dans le deusitme cerce, celui
des luxuricux, Lay il rédigeait Une vicille maitrese
— parue la méme année que ler Prophites ds passé
70 | LE SPECTACLE OU MONDE JUIH 2019 N* 601(1851) - ou des Diaholigues (1874),
tun recueil de nouvelles saisi et retiré
de la vente & sa sortie ~ des histoires
Padultére, de meurtre ec de vengeance
‘qui annoncent Hitoired’Oou certains
livres de Georges Bataille. Gallimard
les rete aujourben« Quaio»
4 obté des grands romans.
En cours chose, Ie connéeable des
lettres » fuyait Paurea mediocrisas,
autant le préchi-précha égalitaire que
les cagoteries sulpicicnnes. Au plat
triomphe de Monsieur Pradhomme
ete Mgr Dupanloup, il opposait son
Srangilede dandy, une sore de reper
toire stierien, « Punique »—lui, done
~ defiant le troupeau des gnous et des
punaises de sacristic. Gants blancs,
talons rouges et idées noires. Aucune
concession au monde, ni grammati-
cale ni religicuse, encore moins vesti-
mentaire. Tout se tenait pour lui. Le
feu dela passion ctle veloursdu style.
« Cestun men d’enfers, disait Anatole
France de sa langue somptueuse, les
piments ne retirant rien aux nuances
subtiles, méme sila cuisson était tou-
jours un peu lente avec lui. Les his-
toires mijotaient des heures durant
avec gourmandise. Avant d arrver & la
scene du crime, qui reste en général
dans la pénombre, on a traverse d'in-
nombrables pices qui s enchissent
‘comme son réci.
Causcur étourdissant il ft un des
dernier « conversationnistes » de son
sigele, comme il se plaisait dire, vol-
tairien par leton, maistrien et baude-
Iirien par le fond. A bien des égards,
ses romans sone des causeries. Il fait
parler par ventriloquie des person-
nages qui deviennent les narra-
reurs de leur propre histoi Ici portraituré par Roger Marie (1920-2007),
Art de la conversation hérité -Sauveur-le-Vicomte (Manche), musée Barbey-d’Aurevilly.
tout droit du xvii sigcle, jarbey d’Aurevilly est un superbe sans ambition et sans timidité qui,
comme le rappelle Philippe d'un geste bienveillant de sa cravache armoriée, écarte de lui bourgeois
Berthier dans sa préfice aux et princes, parce que les uns et les autres manquent désormals de cette
Lettres & Trebutien. Ce Trebu- distinction dont if ne saurait se passer et que les plus naits mendiants
tien, libraize 8 Caen, qui futson du bon Dieu montrent encore quelquefois dans leurs guenilles. » (Léon Bloy.)
‘confident, son premier éditeur
cet son archiviste, & qui il écrivit, pen-
eerie d'un tribunal des hor- tierdans Mademoiselle de Maupin? Pas
dant pls d'un quartde sitele, des cen-- ‘Areurs et d’un cabinet des excen- un de ses personages qui ne reléve
taines de lettres. Réunies en volume ¢, Barbey tenait registred'infan- d'une juridiction commune. A eux les,
par les éditions Bartillat, clles dessi-_ticides et de crimes d'amour qui nous tribunaux d'exception, Il fut le grand
nent un autoporteaic qui révBle toutes transportenc dans la Rome de Messa- _romancier de la volupré interdive. Ce
les facettes de auteur, 8 commencer line ou la cour d’'Hérode. époque qui Fintéressait, c était le cerritoire,
ar son pénic épistolaire — toujours n'était-lle pas au « roman charogne », alors inexploré, du désir trouble,
Perde dacoust’ batons rompus, pour taprchire Teapenton de Gaur des pustons coupable, romantsms
LESPECTACLE BU MONDE JUIN 2019.N¢ 80) 71Une Normandie omniprésente, man a Toga
nourrie des contes et légendes 2x, Dun mot,
dautrefois, tout a la fois patrie
charnelle et ailleurs envotitant
72
CULTURE
chargé de toutes les noirceurs. En bon
ronien, il prenait toujours parti
Pauw Cats coke Abel Ca es
Ling pare», comme le note Judith
TyonCaen dans sa présentation du
« Quarto»,
‘Tout contre-révolutionnaire qui
ait, il conceda & la Revolution un
méfite, celui @avoie ouvert une
pétiode de troubles, révellé les pas-
Eons sauvages et les tempéraments
barbares, les seus quil reconnaisait
etdonrenn cave este rliquaire no.
othique. Autant de personnages qui
Sivent dans le subline ec dans Thor-
feur ~ saints dans le crime et la
dechéance
“Toujours |'cxts, en bien ou cn mal.
Peters dafroqués,courtsanes ddbat
chee, vierges héroiqu, Jeanne dans
ion ou ese comings
sa passion pour abe de la Croix.
Jogan, defiguré par les Bleus dans les
fetes chouannes, et qu'on retrowve
fopée dang un lavoie. La souffrance
muettede Lasthénie dans Une bore
sans nom (1882), La Rosalba dans « A
tin diner Bathées », Pavant-deenitre
nouvelle des Diaboliguen La Velint
dans Une sville mare Nal ne fa
ic mieux que Jules Valles: Barbey
Svat «a ensblsé dune femme dans
tin corp dablite»
ia woul fe cuore normande »
selon ses mots. Ains son pays orgine
wart eavahir progressvement son
feuvre a partir des. romans de
Ts Quest»: PEmorclé (1852), le Ohe-
salen des Touobes (1864), Un prtre
‘marié (1865). Pour autant, la Norman
dlc next jamais, chez lui, que une des
modalités de Texotisme, Omnipré-
sente, mais corigée par lord Byron et
Walter Scot, plus mythique que rele
Le surmaturel et le fantastique qui &
impregnent ses ceuvres
constituaient, aux yeux de Barbey
d'Aurevilly, une évidence, doublée
de la conviction de la présence
palpable du Mal. (ci, illustration
‘du « Rideau cramoisi », une des
nouvelles des Diaboliques, 1874).
nourrie des contes et légendes d’autre-
fois est out’ afoisson «voyage en
Orient » et son retour au pays natal —
une patric charnelle et un ailleurs
envotitanc. « fai voulfaire du Shakes-
ere dans un fs dis Cotertin »y di
‘Ty cansplana la furcurdsebchaine
et les sorties sévillans, décor infemal
ct lande sinistre balayée par un vent
fhumide, pays brumeux peuplé de ladies
‘Macbeth bas-normandes ede sorcitres
rustiques.
1. NE FUT jamais économe de son
meprisnide su furcur si bien que les
méchantes langues le
surnommérent « Bar-
cerueifiait. D'un cra
il exécutait. La ora
vate autour du cou et
lneravache ala main:
avec la premitre, il
étranglaits avec la
seconde, il flagellait. Aux sors et aux
boas-bleus, qui a rossés tour au long
de sa vier if réservait sa cane. C'est
stirement le journaliste qui sest mis
littérature
dose plus grand nombre de directeurs
de journaux. Sa polémique n'a
‘fal, snon chee un SaneSinon, par
Ia souplesse de la langue, a lbercé de
ton, la férocité des formules. La plus
fine lame de son temps. Il excellait
dans toutes les manires de tuer. Ses
jugements tombaient & pics du haut
Bei laise de Cartetee, dans la
Manche, assenés avec une aucorité
pour ainsi dire absolutiste ~ le seul
égime politique qui avait ses faveurs.
‘Sell merchat comme on vba er es
nuage » a dit de lui Louis Veuillor.
Ainsi le jeune « lion » balzacien de la
monarchie de Juillet, qui exhibaic sur
Jes Boulevards des tenues baroques, ne
connut-il jamais le sort du « lion
devenu views » si bien décrit par
La Fontaine. Jusqu'au bout il resta
ébouriffant, avec la superbe d'un
grand égaré dans une portion Phu-
manitéeovahie de lilipaiens. Son
rugissement se fit plus rauque, plus
tril, plus puissant encore, animal
Enaitblessé, mais restait indomprables
Ie dandy mourait mais ne sc rendait
pas. Romantique attardé, gravure de
mode jaunie par le tempos if vécut aux
premier temps dela LF République
selon le gotic des années 1830, conti-
nuant de parader avec ses tenuis sur-
années, accoutrement improbable
auquel if ne renonga jamais. avait
choisi une fois pour toutes une
maniére de shabille, il sy tint sa vie
durant. Hier comme aujourd'hui, il
continue de nous soufllerorellece
‘quill répondit un jour au jeune admi-
rateur qui le suivic jusque chez lui
pour le contempler (était Léon
Boy): « Eh bien! Contemplez-mai! »
Les romans en « Quarto » et les
Lettres 3 Trebutien nous offrent l'oc-
casion de contempler en majesté ce
don Quichorte dune autre Manche,
au port de téte royal, 4 la erinié
teinte, aux moustaches ci
regard daigle, &
jabot. Un grand seigneur aussi
Incchant homme avec les seéieats
‘quaccueillant avec les réfractaires. a
Ato Do Jules Barboy aAurovily
Romans, Gallimard, colction
«Quarto , 1 216 pages, 25 €;
Lettres & Trebutien 1832-1258,
Bartle, 1 328 pages, 20 €.