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Le théâtre français en Roumanie contemporaine.

Matei Vişniec et le théâtre interrogatif

Le théâtre français a trouvé en Roumanie une audience considérable. En regardent les


programmes des théâtres d'aujourd'hui nous pouvons trouver parmi les pièces un nombre
généreux de pièces françaises. Commencer par les très connus pièces de Molière et de Marivaux
et arriver aux pièces contemporaines de l'auteur français le plus joué (en France), Jean-Luc
Lagarce et du l'auteur roumain le plus joué (en Roumanie), Matei Vişniec, les pièces français
sont un favori des directeurs roumains et également très apprécié par le public, sans compter
l'opinion des critiques qui n'hésitent pas à féliciter ces pièces de théâtre.

Peut-être qu'aujourd'hui, en XXIe siècle, les pièces françaises ne sont pas aussi souvent joués
que dans le dernier siècle, mais pièces des auteurs dramatiques de tout premier ordre: Samuel
Beckett, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Jean Anouilh, Georges Feydeau, Jean-Jacques Bricaire
et Eugène Ionesco - le représentant roumain du théâtre de l'absurde, un de ces rares auteurs à
avoir été reconnu de son vivant comme un « classique » - sont joués aujourd'hui sur des scènes
partout le pays.

On peut parler d'une préférence pour la nouvelle écriture théâtrale – le théâtre de l'absurde et
les toutes dernières tentatives de renouvellement que pour le théâtre de tradition. L'œuvre
dramatique de Sartre a suscité chez nous bien des commentaires. Romul Munteanu note que la
mission de la dramaturgie, selon l'écrivain, est de réaliser une communauté d'opinions avec le
public. Une constante de son œuvre est la place que l'intellectuel doit occuper dans la société.
Elena Vianu envisage la dramaturgie de Sartre comme une démonstration des thèmes
philosophique de l'écrivain. Alexandru Dumitru Păuşeşti remarque l'absence, dans l'œuvre de
l'écrivain, de l'analyse psychologique et du conflit tragique traditionnel. Le tragique dans l'œuvre
de Sartre résulte du conflit entre l'homme et la situation où il se trouve et qu'il doit dépasser.
Elena Gorunescu présente l'œuvre de Sartre comme celle d'un moraliste qui se souci des
problèmes qui déchirent l'homme de son époque. La solitude de l'homme, sa liberté et sa
responsabilité constituent les fondements de cette œuvre, le drame de l'homme face à son destin.

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Dès ces pièces, une nouvelle représentation de Huis Clos (1947), sous le nom Cu uşile
închise, est jouée sur l'une des scènes du Théâtre National de Bucarest depuis deux ans.

Le théâtre d'Albert Camus a bénéficié également de l'attention de critiques roumains, mais on


a aujourd'hui sur les scènes de théâtre moins représentations des pièces de cet écrivain que dans
le passé. On peut voir, par exemple, Le Malentendu (1944) sur la scène du Théâtre National de
Bucarest, pièce qui se joue depuis trois ans. Cristina Modreanu, journaliste de Gândul, apprécie:
"Le spectacle est, de même, directe, concis et profond, tandis que cette combinaison a l'effet d'un
poinçon dans l'estomac. Il touche les points extrêmes de l'être et il passe au-dessus du concret,
soulevant des pensées de libération."

Romul Munteanu note que pour l'écrivain français ce n'est pas l'univers qui est absurde mais la
relation entre celui-ci et l'être humain assoiffé de clarté. Il décrit le trajet du penseur de l'absurde
à la révolte, de la révolte à l'adhésion à l'acte créateur. Elena Gorunescu révèle un Camus qui
entend faire de la scène le lieu d'un débat, d'une rencontre des problèmes qui déchirent l'homme
moderne.

Jean Anouilh est un autre dramaturge représenté sur les scènes du théâtre roumain avec des
pièces comme Le Nombril (1981) sous le nom Egoistul (au Théâtre National de Bucarest) et
L'Orchestre (au Théâtre National de Iassy). Vladimir Streinu présente un théâtre qui, tragique ou
satirique, n'est pas du tout déprimant. Valentin Lipatti et Elena Gorunescu surprennent une
nostalgie de la pureté, du paradis perdu de l'enfance, vers lequel se tournent les héros du
dramaturge. Elle révèle aussi un écrivain qui d'une pièce à l'autre, d'une manière à l'autre précise
qu'il ne faut pas se mettre à changer le monde, mais à tenter de se faire une vie qui ressemble le
plus possible à l'idéal commun.

L'œuvre d'Eugène Ionesco a trouvé une place de choix sur nos scènes, depuis La Cantatrice
chauve (1950) et Les Chaises (1952) créés à la Télévision. Maintenant, le théâtre d'Eugène
Ionesco est très bien représenté en Roumanie. La Cantatrice chauve se joue au Théâtre de
Comédie de Bucarest et au Théâtre National "Lucian Blaga" de Cluj. On peut voir Les Chaises,
l'une des pièces le plus représenté, joué par Oana Pellea et Răzvan Vasilescu et dirigé par Felix
Alexa au Théâtre Bulandra de Bucarest, pièce jouée aussi pour une période au
Théâtre Metropolis. "Le spectacle de Felix Alexa avec «Les Chaises» reconstitue la réverbération

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tragicomique du quotidien, la base nécessaire pour conduire vers la grand inquiétude de
l'absence. Alexa met en scène non seulement l'attente, mais le vide, des mots, de l'existence, du
monde. Mais, au delà des chaises, sur le fond, un certain genre de palimpseste se dévoile, qui
rappelle, poétiquement, une confusion générale dont des ruptures du sens se séparent ici et là. Il
est un "texte en éclats" comme le Journal d'Eugène Ionesco… les morceaux disparates sont
lisibles, mais la signification est muette. «Les Chaises» d'Alexa parlent d'un optimisme tombé,
d'un espoir considérablement annulé" commenta George Banu.

Autres pièces comme La Leçon (1951), Jacques ou la soumission (1955), Rhinocéros (1959),
Le salon de l'automobile, La Lacune (1966), La Jeune Fille à marier (1953) se joue sur les
scènes de nos théâtres. Horia Deleanu constate l'observation attentive et méticuleuse du monde et
des hommes, la fantaisie et l'ingéniosité inventive qui caractérisent l'écriture d'Ionesco.

Un autre grand représentant du théâtre de l'absurde vient d'être présenté sur la scène du
Théâtre National de Bucarest en 1980: Samuel Beckett, avec sa première pièce importante: En
attendant Godot. Aujourd'hui cette pièce ce joue en Sibiu au Théâtre National "Radu Stanca"
avec Fin de partie, pièce joué au Théâtre Metropolis aussi. Horia Deleanu présente l'œuvre de
Beckett comme une affirmation obsédante de la déréliction de l'homme, suspendue dans une
dimension infinie du temps. Romul Munteanu surprend l'intrigue circulaire construite en
exclusivité à l'aide des répliques et des images qui se répètent d'une manière obsédante.
L'intrigue dans les pièces de théâtre de Beckett n'est pas déterminée par l'action mais par
l'attente.

Étant le plus joué auteur de langue français en Roumanie, je le lui vais dédie la plus grande
partie de ce travail.

Après Eugène Ionesco, Matei Vişniec semble à devenir, jour après jour, une nouvelle "histoire
réussie" d'un écrivain roumain dans la dramaturgie de langue français. Bien plus, le contexte de
ces années, d'après 1989, donnent une chance en plus à la nouvelle étoile du théâtre: celle
d'exceller sur deux marchés littéraires, la roumaine et la française, en deux systèmes marqué
différents de l'art théâtrale, au moins.

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Parmi ces pièces jouée sur nos scènes je mentionne Jeanne et le feu (Ioana şi focul) au
Théâtre de Comédie, L’Histoire du communisme racontée aux malades mentaux (Istoria
comunismului povestită pentru bolnavii mintal) au Théâtre National de Bucarest et aussi au
Théâtre National "Lucian Blaga", Richard III n'aura pas lieu (Richard al III-lea se interzice) au
Théâtre Bulandra, Du Pain plein les poches (Buzunarul cu pâine) au Théâtre Metropolis et la
liste peut encore continuer.

Son écriture convoque un monde aux formes surréalistes qui ont été, dans un premier temps,
au service de la dénonciation des injustices de nos sociétés, puis d’une réflexion sur l’homme:
«Mais il y avait une urgence, celle de dire non au monde où je vivais. Maintenant, pour moi, c'est
urgent d'écrire sur le ciel, autrement dit sur les rapports pervers entre l'homme et la mort, entre
l'homme et l'immortalité, l'homme et l'amour, l'homme et la solitude de son être».

L’auteur laisse aux metteurs en scène le soin de choisir et organiser les scènes en fonction de
leurs propres options dramaturgiques. Cela est possible par le fait que les textes ne se suivent pas
selon une logique narrative mais offrent un panorama de situations. Il est évident que le
surréalisme, la fantasmagorie voire le symbolisme de l’écriture de Matei Visniec apportent eux
aussi une liberté à la mise en scène.

Matei Vişniec confronte le monde et explore par les dimensions spatiales les collisions, les
passages, les effleurements mais surtout les désillusions humaines. Ces pièces sont alors
semblables à des instantanés aux effets grossissants qui mêlent absurde, tragédie et poésie. L’œil
s’y penche mais ne retient de cette pluralité que l’essentiel de l’émotion suscitée. C’est ainsi que
nous émergeons de la lecture avec l’écho de quelques voix, de quelques paysages…

L’univers de Matei Vişniec est dans la division. Souvent deux personnages, ou deux idées se
croisent sans pouvoir se toucher. La division se traduit par la séparation, la « Frontière ». Cette
partie est la plus poétique des trois. L’univers de Vişniec est donc fragmenté, il se regarde avec
une distance mêlée d’effroi. Ce sentiment naît par le seul fait de la vérité indéniable de sa
retranscription. Quand le théâtre s’engage dans une « résistance culturelle », il emprunte des
passages qui laissent au spectateur un sentiment de culpabilité voire de honte. Il est voyeur de la

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misère humaine qui se déroule sous ses yeux, et elle ressemble étrangement aux images de sa vie
quotidienne.  
Vasile Dan (Arca) apprécie: "dans un contexte littéraire roumain, et non seulement, dans
lequel la métaphore semble comme lui est tombée dans le déshonneur par excès d'usage, Vişniec,
par contre, «la met inlassablement à travailler». Toutes ces pièces ont comme agent coulissant
fin, déchargé ensuite dans l'énergie la plus pure, la métaphore par le mot, scénique, la métaphore
de la lumière et des ombres distribuées miraculeusement."

Mircea A. Diaconu note dans le numéro 39 de România literară (29 septembrie 2006): "le
théâtre de Vişniec est l'un des inquiétudes devenues obsession; son monde, une des interrogations
qui explore dans la révolte, humanitarisme, mélancolie. Construites en cauchemaresque,
onirique, surréel – et cet abandonnement de réalisme est dû à la besoin de dramaturge
d'approximer, au-delà des surfaces visibles et superficielles, en vérité -, ces pièces instituent la
consistance fragile des quelques questions déplacés dans un déploiement métaphorique de
monde. Un théâtre qui explore dans énigmatique et construit des interprétations du monde. Le
contradictoire est réellement le principe d'organisation des certains visions alimentées de
mélancolie."

Avec les racines collées dans les expériences surréalistes, l'imaginaire de Vişniec a comme
finalité l'approximation de la vérité, de cette vérité accessible au rêve, à la sensibilité
métaphorique, aux expériences visionnaires. Sans doute qu'il coupe les limites de la
vraisemblance et celles de l'existence diurne. Le paradoxe, l'illogique, l'absurde abritent une autre
sorte de vraisemblable, qui se fondent sur la vérité, non sur la réalité.

Après Mircea A. Diaconu, avec Matei Visniec le théâtre devient une scène sur laquelle
l'homme authentifie de nouveau son être grâce à la provocation et l'exploration des questions et
pour ça il appelle le théâtre de Vişniec théâtre interrogatif.

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Bibliographie:

 La littérature française dans l'espace culturel roumain, Angela Ion (coord.),


Universitatea din Bucureşti, Facultatea de Limbi şi Literaturi Străine, Bucureşti, 1984
 Teatrul interogativ,  Mircea A. Diaconu, România literară, Nr. 39 / 29 septembrie 2006
 Teatrul lui Matei Vişniec, Vasile Dan, Arca, Nr. 4-5-6 / 2007

Văduva Carmen-Elena

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