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Yasna SHAHABI

L’exposé du cours « littérature et guerre »

Le thème de la guerre dans Les cheveux à la fenêtre de Matei Vișniec

I. Introduction
Le thème de la guerre est un sujet récurrent et inséparable dans la littérature
puisque les hommes de plume de chaque époque tâchaient de partager avec les
lecteurs leurs propres expériences de guerre ; et en écrivant, ils dénonçaient ses
événements atroces qui ont toujours déchiré le monde depuis que l’homme
existait. Dans l’espace du théâtre contemporain, il faut situer la dramaturgie d’un
auteur comme Matei Vișniec, né en Roumanie, établi en France depuis 1984, qui
fait la transition entre deux pays la France et la Roumanie, et qui va surtout parler
universellement de l’horreur de la guerre dans Les cheveux à la fenêtre. L’auteur
roumain crée ensuite un théâtre lié à la réflexion poétique et existentielle, sans
quitter pour autant le terrain des implications politiques.

II. Qui est Matei Vișniec ?


Matei Vișniec, né en Roumanie, à Rădăuți en 1956, est un dramaturge et écrivain
franco-roumain, qui est aussi poète et journaliste à Radio France internationale. A
propos de sa double nationalité il précise :
« Je suis l'homme qui vit entre deux cultures, deux sensibilités, je suis
l'homme qui a ses racines en Roumanie et ses ailes en France. »
Et comme il a jouté, on sait par exemple qu'il est né dans une ville fabuleuse, au
nord de la Roumanie. Il paraît que cette ville, qui s'appelle Radauti, est coupée en
deux par une voie ferrée - la ville, mais aussi son cimetière et son âme ! - et que
cette voie ferrée a été depuis toujours l'axe de symétrie axiologique de ce créateur.
Dans la Roumanie communiste de Ceausescu, il a découvert très vite dans la
littérature un espace de liberté. Il s’est nourrit de Kafka, Dostoïevski, Camus,
Beckett, Ionesco, Lautréamont, etc. Et comme il déclare, il a aimé les surréalistes,
les dadaïstes, les récits fantastiques, le théâtre de l'absurde et du grotesque, la
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poésie onirique et même le théâtre réaliste anglo-saxon, bref, tout sauf le réalisme
socialiste.
Il a fait des études de philosophie à Bucarest. Il était actif dans les cercles littéraires
de Bucarest et a fait partie de la génération 80. Ce qui était en effet un mouvement
post-moderne et qui a bouleversé le paysage poétique et littéraire de la Roumanie
de l'époque.
D’après ses expériences dans un pays communiste et dictatorial de son époque, il
croit en la résistance culturelle et en la capacité de la littérature de démolir le
totalitarisme. Il croit surtout que le théâtre et la poésie peuvent dénoncer la
manipulation des gens par les "grandes idées".
Avant 1987 il s'est affirmé en Roumanie avec sa poésie épurée, lucide, écrite à
l'acide. A partir de 1977 il a commencé à écrire aussi des pièces de théâtre qui
circulaient abondement dans le milieu littéraire, mais qui sont resté tout de suite
après interdites de création.
C'est en réalité un auteur censuré par le régime de Nicolae Ceaușescu, président
de la république socialiste de Roumanie. En 1987 il a quitté la Roumanie, est arrivé
en France et a demandé l'asile politique. C’est là où il a commencé à écrire des
pièces de théâtre en français. Entre 1988 et 1989 il a travaillé pour la BBC, et à partir
de 1990 pour Radio France internationale. Puis il est naturalisé français en 1993.
Suivant son séjour en France, il a obtenu un diplôme d'études approfondis à l’École
des hautes études en sciences sociales à Paris, et a commencé une thèse de
doctorat avec le thème La résistance culturelle dans les pays de l'Europe de l'Est à
l'époque du communisme.
Après un premier succès aux Journées des Auteurs, organisées par le Théâtre les
Célestins de Lyon, en 1991, avec sa pièce Les Chevaux à la fenêtre, Matéi Visniec
est découvert par de nombreuses compagnies et ses pièces sont jouées à Paris,
Lyon, Avignon, Marseille, Toulouse, la Rochelle, Grenoble, Nancy, Nice, etc.
Depuis 1993 il est l'un des auteurs les plus joués au festival Off d'Avignon avec une
cinquantaine de créations. En Roumanie, depuis la chute du communisme, Matei
Vișniec est devenu l'auteur dramatique le plus joué. À part la France et la Roumanie
ses pièces de théâtre sont traduites et jouées dans plus de 30 pays.
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III. Les œuvres de Matei Vișniec


Le thème central d’un grand nombre de ses textes interroge les relations entre
l’individu et le pouvoir oppressif. Comme précise Pascal Papini :
« Sous son apparente comédie le théâtre de Visniec traite de l'identité.
Visniec vécut dans un monde où l'oppression et la délation mènent à la
négation de l'individu. Dans notre univers de communication et de
libéralisme cette problématique de l'identité se pose tout autant, et c'est
dans cette errance moderne que son théâtre nous parle. »
Parmi ses œuvres connues qui sont traduit, publié et même joué en Iran, on peut
mentionner Les Chevaux à la fenêtre (1996), L'Histoire des ours panda racontés par
un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort (1996), Trois Nuits avec Madox
(1995), Le Spectateur condamné à mort (2006), La Femme comme champ de
bataille (1997) et Richard III n'aura pas lieu (2005).
Vișniec qui a créé des centaines de différents personnages dans ses pièces, les
décrit comme un joli troupeau, trois cent environs, personnages principaux et
secondaires confondus. il avoue que ses personnages s'entendent bien ensemble
car son œuvre a une certaine cohérence. Parfois l’auteur les oblige à passer d'une
pièce à l'autre ; ils sont, en quelque sorte, ses météorites qui reviennent avec une
certaine régularité dans certaines de ses pièces.
Ils ont parfois des noms banals tel que Bruno, Grubi, Iuri Petrovski, Dorra,
Mayerhold, Staline, Tckekhov, etc. Mais parfois l’auteur les donne de noms bizarres
qu’ils deviennent La vieille dame qui fabrique 37 cocktails Molotov par jour,
l'Homme pour lequel la naissance a été une chute, ou bien le Laveur de cerveaux,
etc.
Mais ce qui compte, c’est que sur les terres que ses personnages peuplent au nom
de l'imagination et des angoisses de cet auteur, ils racontent des histoires. En les
lisant, son lecteur va bien sûr ressentir certaines émotions dont il ne veut pas que
nous ayons de honte, c'est en effet le but de l’auteur. Il essaye plutôt d’émouvoir
que de délivrer des messages clairs et fortifiants.
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Par suite c’est Gabriel Garan qui dit à propos de ce dramaturge roumain :
« Matéi Visniec est le maître de l'écriture laconique du petit format
concentré. Il y a chez ce roumain une parenté avec Kafka, Mrozek, Borgès, et
ce qui m'attire chez cet ancien otage d'une censure d'Etat refusant une
vingtaine de ses textes, c'est qu'il y ait répondu en usant d'une autre langue,
la nôtre. A Ionesco, Cioran, s'ajoute désormais Matéi Visniec. »

IV. A propos de Les cheveux à la fenêtre


Pour donner un résumé simple de cette pièce de théâtre, on peut dire que l’intrigue
est simple. La pièce est divisée en trois parties. Dans chaque partie le spectateur va
voir la communication de deux personnes, un homme et une femme, ceux qui les
membres d’une famille, et ils sont soit le fils et la mère, soit le père et la fille, ou le
mari et la femme. C’est en effet l’histoires de ces femmes soucieuses de leurs
hommes qui est a vécu la guerre et qui ont presque perdu leur raison. Elles parlent
de leurs angoisses et essayent en vain de leur rendre la logique. Ce qui met en
commun ces trois parties séparées c’est le messager qui arrive et annonce la perte
de l’homme pendant la guerre avec une mort tout à fait dénouée de sens et sans
honneur.
Au début de son œuvre l'auteur donne une note que la pièce peut être jouée par
deux comédiens, un homme pour tous les rôles masculins, une femme pour tous
les rôles féminins. Ou bien deux hommes et une femme (le même comédien pour
LE FILS, LE PERE et LE MARI, la même comédienne pour LA MERE, LE FILS, LA
FEMME)
Cette pièce est une allégorie grotesque sur la guerre, sur la manipulation au nom
des grandes idées, sur l'absurdité de l'héroïsme et notamment sur le vide qui se
cache très souvent derrière des concepts comme "patrie" ou "devoir". Le
Messager, personnage clef de la pièce, rend visite à la Mère, à la Fille et à la Femme
pour annoncer toujours une mauvaise nouvelle : le fils est mort accidentellement
avant d'entrer dans la bataille, le père est devenu fou après la bataille, le mari est
mort écrasé par les siens pendant la bataille.
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Au loin, on entend toujours la bataille fait rage. Dans le décor nous avons une
fenêtre et à la fenêtre, des chevaux qui attentent, qui constatent les événements
de la maison et qui même causent le mauvais accident de la mort de l’homme. Pour
bien définir, on peut dire que Les Chevaux à la fenêtre, est une allégorie grotesque
sur le monde comme champ de bataille. C’est la démolition en règle de la «
comédie du patriotisme », comme si Godot, Vladimir et Estragon de la pièce de
Ionesco partaient subitement à la guerre.
Il y a un proverbe africain qui dit : « Quand les éléphants se battent, c’est l’herbe
qui est piétinée ». Quand Visniec parle de la guerre, c’est pour dépecer l’absurdité
d’un enfer à broyer les chairs, à pétrifier les âmes et à faire imploser les raisons.
Le texte, écrit en 1987, avant le départ de l’auteur de Roumanie, est d’abord
accepté par la censure, qui y perçoit l’exaltation patriotique avant de finalement
l’interdire. Matéi Visniec explique que « Je voulais justement démolir la comédie
du langage patriotique et toutes les formes du discours qui ont conduit au lavage
des cerveaux et à agir aveuglément. »
Il a choisi de mettre en scène cette écriture pour ce qu’elle amène : une réflexion
philosophique, anthropologique et politique, et par l’harmonie qui s’opère entre
un réalisme acerbe, un surréalisme lyrique et un humour féroce.
Comme Visniec ridiculise le pourquoi, tout peut se jouer dans la fantaisie, la
légèreté. C'est à vrai dire plus tard qu'on pourra se dire que ce n'était pas drôle, en
fait cette fenêtre n'ouvre sur rien d'autre que la folie guerrière des états et notre
fainéantise à la combattre.
Ce qui est marquant dans les caractéristiques des personnages comme le colonel
ou le mari, c’est ce qu’ils meurent pour des idées – sans même parler de leur nature
-, est-ce véritablement une bonne idée ? La patrie mérite-t-elle le sang qu’on verse
pour elle ? Qui est-on et que cherche-t-on à vouloir se poser en héros ? En quoi se
battre ? est-il un acte de bravoure ?
On voit plusieurs saynètes sketch qui mettent en scène le père, le mari, le fils. Celui
qu’on arrache et que l’amour même ne retient plus ou ne fait plus revenir à la
pensée claire. Car, ce n’est pas le rouleau compresseur de la guerre dans son
horreur qui est seulement dénoncé par la pièce ; c’est aussi l’insondable pouvoir
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qu’elle détient sur nous, nous poussant à la sauvagerie, ou bien le sinistre empreint
qu’elle laisse sur les raisons.
On rencontre le père qui est obsédé par ses milliers de médailles. Il y a aussi la
complicité dangereuse de ceux qui se prennent pour des héros, ces exaltés qui
mettent toute leur vitalité à servir la cause nationale. Comment ne pas lire la vanité
d’un certain type d’engagement politique et le fanatisme auquel il conduit ? On
peut bien entrevoir la chair à militer que les partis et les hommes politiques savent
bien utiliser à leur profit. Et on ne peut pas à ce point se laisser envahir par des
sentiments artificiels jusqu’à en perdre la raison.
La pièce sera d’abord étrangement prise pour l’apologie de l’héroïsme du
combattant soviétique. Pourtant le Messager annonçant la mort du mari précise
bien que ce dernier a dérapé bien avant la bataille, qu’il a été piétiné par ses
propres compagnons d’armes, et que sa tombe consiste en un amas de bottes
envahissant la scène. Ici l’allégorie tourne au ridicule et l’héroïsme est dérisoire.

V. Conclusion
Aujourd’hui quand on lit les pièces de Visniec concernant ses soucis pour son pays
natal et son refus de la guerre, même si le monde s’est transformé depuis l’écriture
des Chevaux à la fenêtre, la pièce, elle, a pris une coloration nouvelle. Le mur est
tombé, le bloc soviétique n’existe plus. Cependant la métaphore de Visniec résonne
autrement. Ces personnages parlent étonnement d’aujourd’hui, de nos
inquiétudes, de nos questions sans réponses, de nos idéologies qui s’abattent, de
nos combats qui nous semblent perdus d’avance.
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J’ai regardé dans mes poches


J’ai regardé dans mes poches : rien
j’ai regardé autour de moi, j’ai desserré grand mes paumes :
rien
j’ai pensé plus profondément, je me suis concentré
les yeux fermés : rien
j’ai couru à la maison et j’ai ouvert
mes armoires et mes tiroirs
j’ai fouillé dans mes papiers et
tous mes livres je les ai ouverts à la même
page : rien
j’ai frappé du poing contre le mur blanc
et l’un après l’autre tous les murs de la ville
se sont effondrés comme des cartes à jouer
je suis passé parmi les corps écrasés
j’ai regardé dans leurs yeux :
rien

Matei Vișniec

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