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GUENAIS Baptiste

GUEB09058809

Culture et documentation du cinéma


CIN 1003 – Groupe D

Travail #3 : Commentaire de texte et Bibliographie sélective


Texte de Jean-Louis Leutrat ォ Le regard vampire サ
A l'origine, une remarque anodine : ォ Dans [Black Sunday], on ne perce pas le c?ur du
vampire, on lui crève l'?il gauche サ.
Ce qui intéresse l'auteur dans ce texte c'est le thème de la peur dans le cinéma de Mario
Bava, et la façon dont ce thème est étroitement lié au regard dans l'oeuvre du cinéaste. Plus
précisément, il tente ici de mettre à jour et de définir ce qu'il appelle un ォ regard vampire サ dans les
dispositifs de mise en scène, un regard ォ non assimilable サ à un personnage, une caméra affectée de
manière non subjective mais fantomatique, soumettant à sa volonté ceux qu'elle observe, détruisant
toute volonté du sujet pour lui en imposer une propre.
En s'appuyant sur une nouvelle de Tchekov, qui décrit comment un regard peut provoquer
la peur de trois manières différentes (mais qui finalement se recoupent) Leutrat définit la peur chez
le cinéaste de la manière suivante : la peur de l'homme en face à face avec lui-même,
l'inconsistance de sa conscience et son incapacité à déterminer le cours de sa vie de manière
raisonnée. Cette peur, provoquée chaque fois par ォ la fixité et l'impersonnalité d'un regard サ semble
être pour J-L Leutrat une pierre de rosette au c?ur des films de Bava, au point de l'ériger comme un
pilier majeur de son ?uvre. Sans nous étendre sur la pertinence de ce travail dans le cadre de notre
problématique de recherche, on peut d'ores et déjà remarquer la description d'un monde libéré des
procédés narratifs classiques où les personnages sont tant bien que mal livrés à eux-même et au
monde autour d'eux. Cette instrumentalisation des personnages est corrélative à un terrain de
questionnement du cinéma moderne dans les rapports entretenus à l'écran entre l'objet et le sujet.
En suivant l'ordre du texte commenté, on montrera comment l'auteur justifie l'existence
d'un troisième regard non assimilable au regard d'un personnage, puis la façon dont il argumentera
afin de décrire ce regard comme ォ vampirisant サ.

La première étape de l'argumentation est de poser que les films de Mario Bava, et plus
particulièrement sa première réalisation, comportent leurs lots de jeux de caméras, de travellings et
de panoramiques. Si la présence du regard peut être parfois explicité dans le film (par la présence
effective d'un oeil directement figuré à l'écran, ou d'un autre signe le rappelant métaphoriquement ),
Leutrat remarque qu'il est des cas ou la présence d'un regard est évoquée de manière plus
problématique, car elle n'est pas assimilable à celle d'un personnage mais est beaucoup plus libre.
Afin de préciser ce qu'il entend par là, il développe un exemple tiré des ォ Misérables サ de Victor
Hugo, ou Cosette au début du roman va chercher de l'eau pour les Ténardiers. Dans ce passage
Hugo évoque la présence d'un regard extérieur sous les noms de ォ Dieux サ et de ォ la mère サ de
Cosette (Fantine) morte et enterrée. Le regard de ces deux entités substantielles est assimilé en fait
à celui du lecteur, en faisant de lui le ォ dépositaire provisoire サ de ce regard (même si cet argument
paraît discutable on l'acceptera pour la durée de ce commentaire).
Après ce parallèle littéraire J-L Leutrat en revient à nos moutons cinématographiques en
décrivant trois types de regard dans le médium. Les deux premier sont assimilables à un personnage
de la diégèse, soit directement (on voit ce que le personnage regarde pour reprendre les termes de
l'auteur) soit indirectement (on voit le personnage regardant). Leutrat identifie le troisième regard
comme ォ non-assimilable サ à un personnage ou autre élément de la diégèse mais entrainant l'oeil du
spectateur dans son désir voyeuriste, tantôt permissif, tantôt répressif. Ce procédé de narration où la
caméra se met en mouvement ォ arbitrairement サ, adoptant une position d'altérité et permettant le
décalage des savoirs entre le spectateur et le personnage est décrit par les spécialistes (les
ォ savants サ comme le souligne ironiquement l'auteur) comme ォ l'ocularisation サ.
Mais bien loin de s'en satisfaire, au contraire ce-dernier s'en défie comme s'il il recherchait
quelque chose d'autre, une précision dans l'origine de ce regard, dans sa manière d'agir dans le film
et chez le spectateur, quand bien loin d'être arbitraire chez Mario Bava, il émane d'une entité
spirituelle (une substance pouvant prétendre à l'existence). Affecté au cadre du récit, le regard
atteste de la présence d'un ォ visiteur サ, exprimant dans un mouvement de caméra sa volonté, liée à
celle du spectateur, parfois satisfaisant sa curiosité, l'amenant là ォ où il y à pâture pour son
regard サ , parfois lui dévoilant des éléments inattendus (la ォ prise d'initiative サ selon Leutrat サ ).
Comme exemple l'auteur cite deux séquences mais seule la seconde fait l'objet d'une description
détaillée et c'est celle qui nous intéressera ici. Il s'agit de l'ouverture d'une scène avant le premier-
tiers du film où dans un travelling nous est dévoilée la famille Vajda, le père et les deux enfants.
Sans nous étendre dans une description détaillée, Katia (la fille de la famille) joue du piano de
profil. La caméra passe doucement dans son dos, puis devant le fils nettoyant son fusil avant de se
diriger vers son objectif, le pater familias qu'elle cadre également de profil avant de reculer pour
présenter le père et la fille dans le même espace. Comme le note Jean-Louis Leutrat, s'il n'est pas
justifié à l'écran par le déplacement d'un des personnages, ce mouvement est loin d'être arbitraire,
au contraire il est marqué selon lui par l'affect et l'intention (il remarque un peu plus loin que la
séquence condense des éléments déjà présentés dans le film comme le feu du bucher de la sorcière
et le feu qui crépite dans la cheminée). Pour mieux comprendre ce que nous venons de tenter de
synthétiser, cette phrase de l'auteur : ォ ce type de mouvement brouille les catégories du regard
telles qu'on a coutume de les établir. Il ne participe d'aucuns, tout en participant un peu de toutes.
Ce personnage fantôme qui hante le film est le vampire par excellence, qui se nourrit de tout ce qui
entre dans son champ de vision サ.

Après avoir décrit la nature des regards à l'oeuvre dans le film (l'auteur cite beaucoup
ォ Black Sunday サ en tant qu'exemple mais on se sert aussi d'autres films postérieurs de Bava, de
manière à montrer la récurrence de cette thématique dès les débuts du réalisateur), Leutrat
s'intéresse désormais au côté ォ vampirisant サ de ce regard. Difficile en effet vu les figures gothiques
et mythologiques utilisées par ce cinéaste de genre, de passer à côté d'un parallèle entre les jeux
symboliques et iconographiques du film et les dispositifs de mise en scène qui les structurent et les
appuient.
L'auteur s'intéresse donc aux jeux d'appels/réponses entre la forme et le fond, et en énumère
un certain nombre. La scène originale où la sorcière est marquée d'un S, le dragon serpentant sur le
costume de Ianouvitch, ou le S sur la cheminée du château familial est établit comme préambule
des ォ abaresques サ que décrit la caméra en forme de S, pendant la résurrection d'Aza symbolisant le
retour de la malédiction (le sort qu'elle jette à ses bourreaux -dont son propre frère- dans la scène
d'ouverture du film). Sans nous arrêter plus longtemps sur cette description particulière, ces ォ effets
calligraphiques サ (selon les termes de l'auteur) permettent de renforcer la malédiction et d'assoir sa
permanence.
Mais plus, la 'confrontation' entre forme et fond peut déboucher sur des jeux symbolique
cachés. Ainsi Leutrat décrit comment un jeu triangulaire s'établit par la mise en scène dans la
séquence ou la famille Vajda est présentée dans son château, - et d'autres scènes ultérieures du films
entre les personnages ou parfois les portraits des personnages (si le rapport entre la peinture et la
vision n'est pas élaborée par l'auteur, cela pourrait nous fournir une piste intéressante dans le cadre
du travail final). Jeux de rapports triangulaires familiaux où la figure maternelle brille par son
absence, mis en exergue par la présence de ce symbole géométrique dans les plans précédant cette
séquence au château. Le carreau de verre sur lequel se coupe Kruvajan dans le tombeau, puis
dessiné au dessus du visage de la sorcière (indiquant la solution pour la détruire : frapper l'oeil
gauche), même dans les cadrages ou le visage de Barbara Steele dessine un angle droit, tous ces
symboles ramènent à une figure fermée, un symbole autarcique à mettre en parallèle avec la
malédiction qui frappe la famille. Jean-Louis Leutrat aboutit ainsi à l'idée que la relation entre
Ianouvitch et Aza serait implicitée dans le film comme incestueuse, Ianouvitch étant représentés
dans les fresques du château, et donc faisant lui aussi partie de la ォ famille サ.
Ce qui importe ici, ce n'est pas vraiment la conclusion de cette analyse filmique que nous
nous sommes évertué à décrire, la résurgence du sens, mais plutôt que la clef de l'interprétation
nous est dévoilé par le dispositif de mise en scène établissant dans le film au complet voir dans la
grande majorité de l'oeuvre du cinéaste un rapport entre les stéréotypes gothiques empruntés à la
littérature et les mouvements de caméra les dévoilant, voir mieux, les reliant . Ainsi, l'auteur
enchainera avec un autre exemple tiré d'un des films de Bava ォ Le corps et le fouet サ afin de rendre
compte du même procédé. Le thème de la décadence, de l'auto-dévoration familiale (le vampire ne
ォ mange サ -t-il pas ses victimes ?) vient de paire avec l'univers corrompu décrit pas Mario Bava,
rongé par un mal interne qui l'entrainera irrévocablement vers sa destruction (sa décomposition, au
sens biologique du terme).
Cette démonstration permet en effet de venir appuyer l'argument final de l'auteur, ainsi que
sa thèse de départ. L'argument final est présenté sous la forme d'un exemple. C'est le mouvement
circulaire décrit par la caméra à l'arrivée du docteur et de son assistant dans la crypte. Or ce
mouvement est intéressant dans la mesure où il dévoile d'abord l'espace, puis les personnages
principaux dans le champ de la caméra. Comme si ce qu'on aurait pu identifier comme un regard
subjectif se détachait des corps présent, se dépersonnifiait, devenait autre, comme si ォ à un
moment ce regard [avait] cessé d'êtres le leur サ. Ce regard, n'est pas motivé par la présence d'un
personnage, mais a pour fonction d'enfermer ceux-ci, de les faire prisonnier d'un espace clos d'où
leur regard ne peut s'échapper. Qu'on nous comprenne : il s'agit moins de marquer la présence d'un
ォ autre サ être substantiel dans la position du voyeur/spectateur que l'enfermement du personnage
face à face avec lui-même, et de la peur intense qu'engendre cet enfermement (on revient donc à la
thèse départ présentée dans l'introduction). Leutrat cite Bava ォ tout ce qui m'intéresse, c'est
l'homme seul dans sa chambre qui finit par avoir peur de lui-même サ. Le mouvement de la caméra
est devenu une substance autonome, portant en lui-même la promesse d'une menace latente, telle
une présence fantomatique planant au-dessus de ses victimes. C'est un nouveau personnage, un
nouveau regard qui se crée; invisible au point de ne pas se voir lorsqu'il passe devant un miroir,
drainant littéralement l'?il du spectateur, emprisonnant son regard et annihilant sa volonté. C'est le
regard d'un vampire.

Plutôt que de nous étendre sur la conclusion de notre analyse (on considère que l'on a
suffisamment mis en relief l'argumentation et la structure du texte pour ne pas avoir à les
synthétiser une nouvelle fois) on décrira brièvement les raisons qui nous amènent à considérer ce
texte dans le cadre de notre travail final. Plutôt que de faire un texte traitant précisément du même
sujet (à savoir démontrer la modernité cinématographique -à prendre au sens esthétique- dont Mario
Bava fait preuve dans ォ Black Sunday サ) on en a préféré un qui se penche sur une problématique
précise s'inscrivant dans un ensemble plus général qui nous servirait dans notre travail final, à
savoir le traitement de la question objet/sujet dans les différentes conceptions des partisans du
modernisme et du classicisme. Pour développer, la disparition dans le système moderne des
mécanisme de causes à effets du récit classique (mécanisme induisant les critères de vraisemblance
et de continuité) change le rapport entre le sujet et l'objet. L'instrumentalisation des personnages (et
c'est là ou nous voulions en venir au début du texte), le glissement effectué par les sujets vivants
vers des rôle d'objets qui n'ont plus aucune prise sur les transformation d'un univers concourent non
seulement à les réduire non seulement à leurs fonctions primaires mais les obliges à êtres
déterminés par les objets qui les entourent (qui ont eux-mêmes glissés vers un rôle de sujet,
acquérant une existence propre) . Le vampire chez Bava ne semble jamais ni pouvoir ni vouloir
sortir de sa condition, il est réduit dans ses comportements à des mécanismes non pas instinctifs
mais érigés et figé par les lois du cinéma classique, et que le cinéma moderne en les révélant
comme des stéréotypes, s'empresse de déconstruire, de démystifier. Sans entrer dans les détails, on
comprendra que le concept ici forgé par Jean-Louis Leutrat du ォ regard vampire サ dans le masque
du Démon, annihilant la volonté de celui qui est observé (et donc le transformant en objet entre les
mains d'un être supérieur) sera nécessaire pour amener et argumenter cette conception.

Bibliographie Sélective

− Jean-Louis Leutrat, 1994, ォ Le Regard Vampire サ, Dans Jean-Louis Leutrat (dir), ォ Mario
Bava サ, pp 41-48, Liège, Editions du CEFAL, ォ coll. grand écran/petit écran サ

− Jean-François Rauger, 1994, ォ Mario Bava, cinéaste moderne ? サ, Dans Jean-Louis Leutrat
(dir), ォ Mario Bava サ, pp 41-48, Liège, Editions du CEFAL, ォ coll. grand écran/petit
écran サ

− Paul Coastes, 1991, Chapter 1 : ォ Silent cinema and expressionim サ, dans ォ The Gorgon's Gaze,
German cinema expressionism and the image of horror サ, pp 19-73 Melbourne, Cambridge
University Press.

− Zbigniev Folejewski, 1991, ォ Les Années Folles, les Mouvements d'Avant-Garde Européens サ,
Ontario, Les conférences Vannier, Université d'Otawa.

− Carlos Clarens, 1967, ォ Doubles, Demons and the Devil Himself (Germany 1913-1932) サ dans
ォ An Illustrated History of the Horror Film サ, pp 9-36, New-York, G.P Putnam's Sons.

− Gordon Fraser, 1973, ォ The Characteristics of English Gothic Litterature, the Tempteous
Lovliness of Terror サ dans ォ A heritage of horror (the English Gothic cinema, 1946-1974) サ,
pp 11-21, Norwich, Fletcher & Son

− Pascal Martinet, 1984, ォ Le masque du démon サ dans ォ Mario Bava サ, Paris, Edilig


− Dennis Emmanuel, 2005, ォ Le masque du démon : l'horreur selon Mario Bava サ, Paris, l'écran
fantastique, n ー 256, été 2005, pp. 96-97

− Torok Jean-Paul, 1961, ォ Le cadavre exquis : le masque du démon サ , Paris, Positif, n ー 40,
juillet 1961, pp. 24-28

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