L'apport de la tradition islamique à l'Occident et le dialogue
Le Shaykh 'abd al Wâhîd ( Felice Pallavicini ) est Italien entré en Islam et actuel Maître spirituel d'une Confrérie Soufie
L'APPORT DE LA TRADITION ISLAMIQUE A L'OCCIDENT ET LE DIALOGUE INTER-RELIGIEUX
SHAYKH ABD-UL-WAHID PALLAVICINI Depuis les temps du cogito ergo sum-"je pense donc je suis"- inaugurés par Descartes, l'Europe, et avec elle tout l'Occident, se sont avancés sur le chemin d'un rationalisme et d'un psychologisme qui, avec le tunnel des Lumières, ont clos définitivement l'ouverture vers le haut, et ont ensuite conduit aux antres obscurs de la dimension pyschique inférieure, pour ne pas dire infernale. En invertissant la réalité d'un homme fait à l'image et à la ressemblance de Dieu, on a voulu faire; de l'homme- un être qui n'est que comme reflet de Celui qui seul est- non seulement un être pensant ou pensé, le cogitor- "je suis pensé" des nouveaux théologiens, mais une pensée qui prétend créer “l’être”, même si la formule de Descartes doit surtout être comprise dans le sens d'une preuve, sinon de “l’être”, du moins de l'existence qui n'est autre, étymologiquement, que le fait de "se tenir en dehors" de Dieu qui seul est véritablement. L'Europe avait jusqu'alors réussi à maintenir, avec la foi chrétienne originelle et orthodoxe, la disponibilité envers la spiritualité contenue dans les messages divins qui précèdent, et dans celui qui suit, l'avènement christique, et, en conséquence, le respect réciproque et la convivialité pacifique avec les peuples qui en avaint été particulièrement les destinataires. C'est dans cette Europe qu'est né notre monde occidental moderne, fermé à toute réalité divine transcendante ou immanente et à l'ordre théocratique nécessaire à la constitution des civilisations traditionnelles. Par rapport à ces dernières, l"'occidentalisme", qui s’est étendu désormais, non seulement vers l'Ouest, mais aussi, dans une certaine mesure, vers l'Est, représente l'unique exception, ou anomalie, face à ce qui devrait être la règle, la "norme", et donc la normalité. Après les revers des idéologies seculières et du missionarisme colonial, des prétentions hégémoniques fondées sur l'exclusivisme religieux, de l'illusion des technologies avancées, du progrès matériel et de la société du bien-être et de la consommation, peut-être est-ce seulement maintenant que les européens, qu'ils appartiennent, effectivement ou seulement nominalement, à quelque communauté religieuse, ou qu'ils n'y appartiennent pas du tout à la situation qui constitue, malheureusement, la très grande majorité des cascommencent à se rendre compte de la superficialité de leurs appartenances idéologiques et de l'utopie des systèmes forgés en dehors des religions. C'est justement à ce moment qu'arrivent en Europe les fidèles, en majorité orientaux et africains, de cette ultime Révélation divine qui fut, en Occident, reléguée pendant des siècles au rang des particularités ethniques et historico-géographiques, et qui attend toujours la reconnaissance officielle de son universalité par les membres des hiérarchies des autres religions, malgré les témoignages innombrables de spiritualité qu'elle fournit. Les musulmans d'origine viennent porter, en Europe, le témoignage des principes communs aux autres Révélations de la Tradition monothéiste abrahamique, et montrer la possibilité de vivre un tel témoignage en ces temps de la "grande apostasie", de l'abomination de la désolation, dans les lieux mêmes qui sont l'origine et la proie de la contre-tradition et dans lesquels le Dajjâl, l'Antéchrist, tentera, selon la parole de l'Evangile, "de tromper même les élus, si c'était possible". "Pas de contrainte en religion"1 dit le saint Coran. Il ne s'agit sûrement pas de forcer les gens à la foi, ni de convertir tous les hommes à l'Islam, même si nous, musulmans, savons que "la religion, auprès de Dieu, c'est l'Islam"2. Cependant, nous voulons considérer notre foi, non seulement comme l'ultime rappel à l'Unicité de Dieu, mais aussi comme la soumisssion à Sa Volonté et à Ses Lois, données à tous les peuples du monde, à diverses époques, à travers l'enseignement de Ses Envoyés, depuis le temps d'Adam (sur lui la Paix), premier homme et premier prophète islamique. "Je témoigne que Muhammad est l'Envoyé de Dieu". Si le Prophète (sur lui la Paix et la Bénédiction de Dieu) était "avant Adam", selon ses paroles, alors toutes les religions qui sont communément considérées comme différentes, si elles restent orthodoxes, ne sont autres que les communautés des sincères de tous les prophètes islamiques (sur eux la Paix) qui ont précédé la venue de leur Sceau. Après lui, il n'y en aura aucun autre, tandis que nous attendons la venue de Jésus, fils de Marie, sayyiduna `Isâ Ibn Maryam (sur eux deux la Paix), comme "Sceau de la sainteté" et "annonce de l'Heure". Il ne s'agit pas, non plus, de retransmettre une doctrine qui, pendant une histoire de quatorze siècles, s'est étendue juridictionnellement, dans une aire géographique déterminée, à près d'un milliard de croyants. Cependant, cette doctrine reste toujours universelle parce qu'elle est adressée par Dieu à tous les hommes de la terre, même si elle ne s'est pas étendue effectivement à toute la planète. La modestie relative de l'adhésion à l'Islam des européens, par rapport à celle des habitants des autres continents, ne dépend pas seulement de la médiocre connaissance de ses principes et de l'opposition des autres institutions religieuses. Elle provient surtout de l'aridité et de l'hostilité des occidentaux modernes eux-mêmes, face à la spiritualité orientale et à la sacralité de la Révélation divine, qui étaient bien présentes au moment des Révélations- elles aussi orientales et orientées vers la réalisation métaphysique, l'union avec Dieu... de leurs propres doctrines et pratiques religieuses d'origine. On ne peut pas faire prononcer le témoignage de foi à un européen s'il n'a pas encore retrouvé la foi en Dieu. La foi, l'îmân, avant tout puis, in sha'a-Llâa, les rites et la loi de l'Islam et, finalement, l'ihsân, la perfection contemplative, parce que les hommes ne se convertissent pas à l'Islam s'ils ne se sont pas d'abord reconvertis à Dieu. Nous ne pourrions sûrement pas dire lâ ilâha illâ-I-islàm, "il n'y a pas de dieu si ce n'est l'Islam", au lieu de lâ ilâha illâ-Llâh, "il n'y a pas de dieu Si ce n'est Dieu". Si quelque européen exceptionnel a pu aussi parler de l'Unicité de Dieu, et de l'Unité transcendante des Révélations, nous devons vérifier que ceux qui, aujourd'hui, s'approchent de l'Islam ont encore le sens de l'immanence de Dieu, de Sa Présence spirituelle en ce monde et en eux-mêmes. Il ne s'agit pas ici seulement de ceux qui apartiennent à d'autres religions, auxquels l'exemple de tout vrai musulman peut faire retrouver la foi et la pratique rituelle dans leur propre communauté religieuse d'origine, mais aussi de ceux qui, parmi les musulmans nés en Europe même, se sont "occidentalisés". Peut-être sans même s'en apercevoir, ils ont adopté la mentalité, les modes et les idéologies typiques du monde moderne, dans la sécularisation et dans la désacration de leur propre foi, réduite au niveau de ce qui est appelé aujourd'hi, par les auteurs d'analyses psychologiques, la `recherche de l'identité". La véritable identité de tout homme repose sur l'identité de Dieu, sur sa possible identification avec Lui, dans ce qu'on nomme l’ “Identité suprême”. C'est cette identité qu'il faut rechercher, parce que la vraie recherche dans l'Islam est celle de la Vérité qui est Dieu Lui-même, dans notre vie d'ici-bas, par la pénétration de Son Livre sacré, le Coran, par la soumission à Sa Loi et par l'imitation de l'exemple de Son Prophète, l'homme parfait, rapporté par la sunnah, la tradition prophétique. Wa la-dhikru-Llâhi akbar, dit-on à la fin de chaque sermon, lors de la prière du vendredi. Gui, le "souvenir de Dieu est plus grand". Plus grande aussi est l'invocation de Son Nom, ce dhikr qu'un groupe d'européens musulmans a pu réciter récemment, pendant des heures, dans la Grande Mosquée de Paris, durant la Nuit du Destin, laylat al-qadr, la vingt-septième nuit du mois béni de Ramadân, au cours de laquelle descendit le Coran. Cette invocation fut accomplie devant la ummah, la communauté islamique, qui remplissait tous les espaces intérieurs et extérieurs du sanctuaire inauguré soixante-dix ans auparavant, ou peu s'en faut, par le saint algérien "du vingtième Siècle", le Shaykh Ahmad al-Alawî (que Dieu soit satisfait de lui), au nom du saint marocain du XlXème Siècle, le Shaykh Ahmad Ibn Idrîs (que Dieu soit satisfait de lui), et fit ainsi retrouver à certains des spectateurs, avec le souvenir des pratiques de l'enfance et de l'adolescence, celui de la pureté, de l'innocence et de la sainteté des hunafâ, les purs compagnons du Prophète, dans la Nature spirituelle primordiale, la fitrah. Des années d'expérience dans le dialogue islamo-chrétien avec le Secrétariat du Vatican, autrefois dénommé "pour les Non-Chrétiens", et qui s'appelle désormais por dialogo inter religiones, "pour le Dialogue entre les Religions", nous laissaient prévoir les conséquences que nous avons aujourd'hui devant nos yeux éblouis par les écrans de télévision: le succès dans les négociations pour la paix au Proche-Orient et pour la reconnaissance réciproque entre Israël et le Vatican. Il ne suffit pas, en effet, d’un ‘accord" forcé par des médiations s'appuyant sur des conceptions pragmatiques entre représentants d'organisations ou d'états, pour démontrer une vraie volonté de paix, si cette paix n'est pas celle des "hommes de bonne volonté", c'est- dire si elle n'est pas fondée sur la justice, et si cette dernière n'est pas éclairée par une connaissance effective. Cette connaissance porte sur la structure anthologique de l'homme, la triade médiévale toujours valide spiritus, anima corpus, esprit, ûme, corps, ainsi que sur ces principes métaphysiques fondamentaux des doctrines religieuses qui, au lieu de nous séparer, devraient nous unir, dans la conscience de la vérité de toutes les Révélations orthodoxes, indépendamment de la diversité des formulations théologiques. Pour réaliser la paix, en effet, ne suffisent ni la conception d'une fraternité universelle, ni l'affirmation d'une commune descendance abrahamique entre des religions qui sont considérées, de façon erronée, comme les seuls monothéismes. Il faut la reconnaissance réciproque de la validité salvifique et spirituelle de chacun d'elles, parce qu'elles dérivent, non seultment d'un même patriarche, mais aussi d'un même Principe, d'un Dieu qui est l'Unique et le même pour tous. Ce ne sont pas les religions, comme certains voudraient nous le faire croire aujourd'hui, qui poussent les hommes à se combattre, mais ce sont les hommes qui, n'étant plus assez religieux, se combattent entre eux, soit parce qu'ils ne suivent plus les Lois que Dieu leur a données, soit parce qu'ils sont convaincus que "leur" Dieu est le seul "vrai Dieu", et qu'il n'est pas le même que celui de leurs adversaires. Peut-être nous, musulmans, sommes-nous davantage responsables de cette dernière aberration, parce que, en embrassant ces conceptions, nous abandonnerions notre témoignage de foi, qui s'ouvre avec l'affairmation lâ ilâha illâ-Llâh, "il n'y a pas de dieu si ce n'est Dieu". De même, nous renoncerions au message de la Révélation prophétique, qui reconnait les fidèles des autres communautés religieuses comme disciples des prophètes islamiques précédant Muhammad (sur lui la Paix et la Bénédiction de Dieu), à partir, non seulement d'Abraham, mais d'Adam lui-même, premier prophète islamique. Pour nous, en effet, la lumière prophétique est une, selon les paroles mêmes du Prophète qui disait: "J'étais Prophète alors qu'Adam était encore entre l'esprit et le corps". Néanmoins, l'on ne peut pas absoudre de cette responsabilité les communautés religieuses précédant la Révélation coranique, sous le prétexte que les Révélations successives ne correspondraient pas à celles annoncées dans leurs livres sacrés. En effet, vingt siècles après la venue de Jésus (sur lui la Paix) et quatorze siècles après celle de Muhammad, il n'est plus concevable que ces communautés, qui comptent chacune environ un milliard de fidèles, ne se reconnaissent pas réciproquement comme communautés des disciples de prophètes inspirés par le même et unique Dieu, qui est aussi celui d'Abraham et de Moïse (sur eux deux la Paix). Ces considérations ne doivent absolument pas suciter de doute sur la vérité de sa propre foi d'origine, ni pousser nécessairement à se convertir aux messages divins successifs. Au contraire, c'est plutôt dans la conservation de sa propre intégrité confessionnelle, et dans l'obéissance aux precriptions dogmatiques et rituelles que celle-ci comporte, que l'on devrait aussi reconnaître au Dieu Tout-Puissant la possibilité de Révélations successives, diverses seulement dans la forme, de cette unique Vérité absolue qui est Dieu Lui-même. Seule cette fidélité peut faire que les hommes soient vraiment des frères, et non une prétendue générosité humanitariste fondée sur des préjugés exclusivistes, élitistes ou hégémoniques, qui portent seulement à la "tolérance", et non à la “reconnaissance”, dans l'espérance mal dissimulée de convertir l'autre, plutôt que de se reconvertir soi-même à Dieu, ou dans l'illusion de réaliser tous eusemble un utopique "paradis sur terre". Encore plus relatifs sont les résultats qui peuvent être atteints par les accords auxquels nous avons fait alusion plus haut, surtout quand ils sont passés entre représentants, non de religions, mais d'états s'affrontant pour le partage d'un territoire qui devrait être considéré plutôt comme la Terre sainte sur laquelle Dieu seul est Souverain, et où réapparaîtra le Messie que tous les juifs, chrétiens et musulmans orthodoxes attendent encore. Comment le Vatican peut-il reconnaître l'Etat d'Israël sans reconnaître aussi la validité du Judaïsme jusqu'à la fin des temps, et sa capacité à offrir le salut sans que soit, pour autant, nécessaire la conversion au Christianisme? Comment Israël peut-il reconnaître le Vatican, tout en continuant à ignorer la première venue du Messie, comme si le Vatican n'était rien d'autre qu'un état laïque et le Pape, un représentant politique comme les autres? Comment peut-on parler de serbes, de croates et de "musulmans", comme si ces derniers constituaient, eux aussi, une ethnie, au lieu de représenter - dans l'étymologie même de leur nom- tous ceux qui sont soumis à la Volonté de Dieu? Il faudrait, en effet, considérer comme musulmans, au sens large, tous ceux qui sont soumis au Dieu Unique, dans le respct de Ses Lois et de Ses Envoyés, et appartiennent aux communautés que nous appelons les "Gens du livre". "Que font les religions pour la paix?" nous demande-t-on. En fait, quand elles ne sont pas instrumentalisées aux fins d'une guerre qu'on ose appeler “sainte”, il semble vraiment que les religions- ou, tout au moins, ceux qui parlent en leur nomne s'occupent que de "non- belligérance", en laissant leur but ultime, la connaisance de Dieu pour le salut et la vraie paix en Dieu. L'unique acte vraiment important que les structures religieuses devraient faire pour la paix, tandis qu'au contraire elles s'en gardent bien, c'est justement la reconnaissance officielle et réciproque de toutes les confessions orthodoxes. Cette démarche n'est pas l'adhésion à une quelconque forme de syncrétisme religieux, ni à un soi-disant oecuménisme qui rassemblerait les religions, les sectes et même les idéologies athées, sur le plan des conceptions de la simple morale laïciste et de la ‘non-violence’. Il s'agit, en revanche, de reconnaître réproquement la vétité sacrée des doctrines révélées et la nécessité des pratiques rituelles originelles, dans le respect des diverses identités religieuses qui toutes conduisent à la connaissance de Dieu et à l'attente des mêmes événements eschatologiques. Pour atteindre ce but, s'il plaît à dieu, nous sentons en Europe le besoin réel de mieux faire connaître l'Islam. Nous avons le sentiment que, dans le vide spirituel de nos sociétés occidentales, les intellectuels, comme le grand public, recherchent une information sur les principes et les valeurs de l'Islam, dans la mesure où ceux-ci leur seraient présentés autrement qu'avec des discours stéréotypés. Ce sont les raisons pour lesquelles nous avons créé, en Italie et en France, l'Association Internationale pour l'Information sur l'Islam et l'institut des Hautes Etudes Islamiques. Ces associations s'efforcent de présenter l'Islam dans son unité et sa diversité, en dehors de toute interférence politique ou idéologique, comme une religion de connaissance, d'amour et de pardon, ferme sur ses principes doctrinaux, mais ouverte au dialogue "par en haut", au nom de Dieu Unique, avec les autres religions. Nous voudrions insister sur la réalité exceptionnelle que constituent ces associations, où se retrouvent des musulmans européens de naissance qui s'attachent à donner le témoignage d'une vie spirituelle ancrée dans la vie de chaque jour, et apportent ainsi la preuve concrète de l'universalité de l'Islam.