Directeur de la publication : Bernard Jouanneau.
Octobre 2005 - No 46
E D I TO R I A L
DUR, DUR POUR LES NOIRS
E st-ce la fatalité ? Il semble par les temps
qui courent que le sort des Noirs ne soit
pas enviable.
A côté des fléaux permanents et récurrents
qui affectent l’Afrique : de la famine aux rav-
ages du Sida et du paludisme.
Après les souffrances imposées par la
traite, surviennent çà et là les génocides qui
ont touché le Rwanda et le Burundi et
atteignent aujourd’hui le Darfour. Sans cultiv-
er les clichés habituels, il y a de quoi s’in-
quiéter.
Et voilà subitement que surgissent en cette
fin d’été les images des victimes-toutes-Noires
des incendies survenus dans les immeubles
insalubres à Paris, celles aussi des évacuations
sommaires des occupants de ces immeubles
non encore sinistrés souvent en situation
irrégulière mais toujours noirs.
Les querelles juridico-administratives
auxquelles les unes et les autres donnent lieu
entre les pouvoirs publics (mairie et ministère
de l’intérieur) nous ramènent toujours au
manque de moyens et à l’insuffisance des
logements sociaux pour héberger les popula-
tions les plus pauvres. A quand les centres
d’hébergement pour les Noirs-en-difficulté ?
Quelle catastrophe faudra-t-il attendre pour
NOS PROCHAINES REUNIONS
Les lundis 10 Oct.,7 Nov., et 5 Dec.
à 20 heures
Attention : Changement d’adresse
25, rue Mesnil, 75016 Paris
Métro Victor Hugo
Après lecture, ne jetez pas ce journal,
donnez-le à vos amis !
qu’un réflexe de solidarité et d’humanité se
déclenche qui fasse que ces gens, quelle que
soient leur origine et leur situation administra-
tive, aient accès à un logement décent,
garantie primordiale de leur dignité ?
Les inondations qui ont envahi et sinistré la
Nouvelle Orléans ne sont pas de même nature,
mais elles révèlent cependant crûment que ce
sont encore les Noirs, et les plus pauvres des
Noirs, qui ont été oubliés, laissés sur place et
finalement les plus atteints par l’ouragan.
Faut-il oublier qu’ils sont noirs pour la plu-
part pour ne retenir d’abord qu’ils sont pau-
vres pour s’occuper d’eux après qu’il soit trop
tard ?
On me dit que les pouvoirs publics ont
localement différé leurs interventions par peur
des procès que celles-ci déclencheraient de la
part des sinistrés. Triste retour de flammes de
l’état de droit.
Mais l’évidence médiatique qui nous saisit,
c’est encore et toujours celle de la force
publique évacuant de force les Noirs rebelles
aux ordres et aux recommandations sanitaires.
Chaque fois qu’un pauvre déjà affecté par
sa situation est confronté à l’autorité qui le
contraint à partir, à quitter sa maison, son pays,
on ne peut rester indifférent.
Et pourtant, la police nationale fait son
devoir en protégeant les populations contre les
risques de l’occupation des immeubles insalu-
bres, même si c’est au passage l’occasion de
détecter des Noirs en situation irrégulière.
Et pourtant l’armée américaine remplit sa
mission en évacuant les zones infestées et
insalubres des bas quartiers de la Nouvelle
Orléans en attendant le retour à la normale.
N’en demeure pas moins que les épreuves
s’accumulent et que les victimes se ressem-
blent. Leur détresse ou leur révolte ne nous est
pas indifférente mais elle passe, et cède la
place à de nouvelles détresses.
Celle des familles de colons contraintes de
quitter leur maison, « victimes » elles aussi
d’une certaine manière, expulsées, trans-
portées par les forces de l’ordre agissant sur
ordre des autorités, dans le cadre de la mise en
œuvre d’un plan de paix au Moyen Orient.
Les colons ne sont pas des Noirs, ni même
des pauvres. Tsahal a, sous les yeux du monde
entier, accompli sans violence l’engagement
pris par Israël de restituer aux Palestiniens une
partie des territoires occupés.
Qui faut-il plaindre et soutenir ? Qui faut-il
approuver ? Peut-on même comparer toutes
ces misères et se faire juge de ceux qui y prê-
tent la main sur l’ordre de l’autorité ?
Au lieu de sacrifier à la compassion ou de
s’engager dans de vaines polémiques, ne pour-
rait-on intervenir pour soulager les épreuves
de ceux qui souffrent ?
C’est le parti que suggère Radu Mihaïleanu
dans son très beau film Va, vis et deviens.
Et pourtant, le héros du film, le petit Schlo-
mo n’était qu’un Noir!
Bernard Jouanneau.
*Voir, page 4, l’article Un été meurtrier, sur le
même sujet.
1
TEMOIGNAGES : E MOTION, FORCE ET EFFICAC I T E
Il arrive très souvent à notre amie Isa-
belle Choko d’aller dans les établisse-
ments scolaires pour témoigner de son
expérience d’ancienne déportée.
A chaque fois la force de son témoigna-
ge provoque chez les jeunes lycéens, une
prise de conscience extraordinaire dont
ils lui sont toujours reconnaissants.
Voici, parmi d’autres, trois lettres de
lycéens qui apportent la preuve de la
portée pédagogique et de l’importance
du témoignage pour la prise de conscien-
ce des générations futures.
Madame,
Je tenais à vous écrire pour vous remer-
cier d’être venue témoigner dans notre
cours des terribles événements que vous
avez vécus - le ghetto et la déportation -,
consciente qu’un effort réel est nécessaire
pour pouvoir raconter posément et en
détail une expérience aussi dure, qui relè-
ve de votre vie personnelle mais nous
concerne tous, dès lors que des êtres
humains décident d’anéantir des hommes,
des femmes et des enfants qui leur res-
semblent.
Je m’intéresse depuis longtemps à la
Seconde Guerre mondiale, j’aime l’histoi-
re car je trouve qu’elle donne à com-
prendre l’être humain, par le passé
comme par le présent, or j’ai du mal à réa-
liser comment l’idéologie d’un fou a pu
aboutir à une telle catastrophe. Comment
se fait-il que d’autres hommes aient pu le
suivre, qu’un tel système de rationalisa-
tion de meurtre ait pu être mis en place à
l’échelle d’un continent ? La machine
nazie a fait des êtres humains qu’elle a
déportés moins qu’un numéro qu’on
tatoue, moins qu’un animal dont on utili-
se la force de travail : elle en a fait une
masse informe, impersonnelle réduite à
souffrir et à mourir. La force d’un témoi-
gnage comme le vôtre, c’est de façonner
des identités, de faire ressurgir de cette
masse les personnalités d’une mère et de
sa fille, volontaires, avec leurs peurs et
leurs joies, leur fierté aussi et leurs
moments de faiblesse. Leur famille. Leur
vie. C’est montrer à la face du monde à
quel point ces êtres si humains ont pu être
déshumanisés. Alors que le racisme et
l’intolérance perdurent, faire prendre
conscience que nous sommes tous pareils,
est primordial.
Cette petite fille que vous décrivez
2 Mémoire 2000. No 46 - Octobre 2005
dévorant les livres et se réfugiant dans la
littérature, elle me ressemble tellement !
Quand vous expliquiez combien votre
mère était fière de vos résultats scolaires
et parliez de votre enfance heureuse, je
me disais que j’aurais pu être à votre
place, que cela pourrait m’arriver aussi.
Personne n’a le droit de briser des vies, de
ravir le bonheur paisible des familles. Je
crois que rendre compte du processus de
déshumanisation et de rentabilisation du
corps humain n’est pas assez. C’est indis-
pensable, certes, mais pour mieux com-
prendre la monstruosité du système nazi il
faut montrer le bonheur de ces hommes et
de ces femmes AVANT d’être victimes et
pour cela il n’y a rien de tel qu’un témoi-
gnage comme celui que vous nous avez
offert, ceci pour la mémoire de tous les
êtres humains qui ont souffert et ont dis-
paru en déportation dans les camps nazis.
Il est de notre devoir de lutter contre les
génocides qui perdurent à notre époque.
J’ai été choquée que le président russe se
serve de la tragédie de la Shoah, lors des
cérémonies de commémorations de la
libération du camp d’Auschwitz, pour
justifier les tortures qu’il ordonne actuel-
lement en Tchétchénie sous prétexte de
lutte anti-terroriste. Tous les peuples
opprimés sont des êtres humains qui
aiment, pleurent et aspirent à une vie
libre, responsable et heureuse. Ceux qui
ont voulu (ou veulent encore) détruire ces
hommes et ces femmes, ont cherché à les
priver de leur identité : rendons-la
leur.[...]
Merci à vous de nous avoir fait part de
cette souffrance que vous avez connue, de
nous avoir permis d’imaginer l’horreur
des camps en sortant de la masse anony-
me des victimes une jeune fille de notre
âge qui voulait vivre, tout simplement.
Annaëlle Chatelain
Terminale ES
Lycée Condorcet
Chère Madame Choko,
Cela fait un mois déjà depuis votre
intervention, mais les mots et les faits que
vous nous avez relatés ne font que naître
dans mon esprit. En effet, même en étant
accroché à vos lèvres pendant votre récit
et en ouvrant mon esprit pour essayer
d’imaginer ce que vos paroles dessi-
naient, je n’avais pas, contrairement à ce
que je croyais, réalisé l’ampleur démen-
tielle d’Auschwitz-Birkenau et le courage
extraordinaire dont vous avez fait preuve.
Heureusement, j’ai eu la chance de visi-
ter, hier le 16 mars 2005, les deux sites
complices de l’innommable, et là, j’ai
vu...Oui, j’ai tout vu, mais je sais aussi
que je n’ai ...rien vu...Car ce que je
croyais savoir n’était en fait rien d’autre
qu’une atténuation de la vérité, le fantôme
d’un enfer.
J’ai été très touché par votre témoigna-
ge et j’admire très profondément votre
courage.
Merci de vous être déplacée pour nous
raconter votre vécu, car cela m’a permis
de commencer une réflexion qui n’est pas
prête d’arriver à maturation.
En espérant vous revoir un jour, je vous
envoie mes sentiments les meilleurs.
Merci.
Tarek Chehab
Terminale ES
Lycée Condorcet.
Chère Isabelle,
Votre témoignage nous a permis de voir
la vie autrement et cela nous a fait prendre
conscience de la chance que nous avons
de ne pas avoir vécu cette période tra-
gique.
Sachez que, dans notre livret, nous
avons fait tout notre possible pour regrou-
per le maximum d’éléments pour perpé-
tuer la mémoire pour les générations
futures.
Notre visite à Auschwitz nous a fait
porter un autre regard sur le monde et
nous promettons de transmettre votre his-
toire et celle des autres déportés à nos
enfants et petits-enfants.
Afin que tous ces actes de souffrances
ne se reproduisent plus jamais, nous
serons attentifs à tous ces signes qui nous
avertissent que le monde est en train de
mal tourner
Nous vous remercions d’avoir été à nos
côtés tout au long de ce voyage, car sans
vous cela n’aurait peut-être pas été la
même chose.
Nous vous embrassons et espérons vous
revoir un jour.
Nous vous souhaitons beaucoup de
bonheur.
Azzouz Kaméla, Yasin Besma,
Cathy Lauret, Amélie Laidet.
Elèves de 3ème.
 L ’ E M B E L L I E
L ’activité judiciaire de Mémoire 2000 au
cours de ces derniers mois a donné lieu
à quelques décisions qui méritent d’être
signalées, parce qu’elles se situent dans le
cadre de nos statuts et qu’elles contribuent
à la renaissance de l’utilité de l’association
dans les combats qu’elle mènent contre le
négationnisme.
1— Sur le terrain de la lutte contre la
propagation du négationnisme et de l’anti-
sémitisme sur Internet.
Nous avons participé depuis le mois de
mars 2005 à l’action entreprise par l’UEJF,
J’Accuse et la Ligue des Droits de l’Homme,
aux côtés du MRAP et de l’Union des Dépor-
tés d’Auschwitz, le Consistoire et la LICRA,
contre les hébergeurs des sites de
l’AAARGH,(Association des Anciens Ama-
teurs de Récits de Guerre et d’Holocauste) qui,
à partir des Etats-Unis mettent en ligne et dif-
fusent en plusieurs langues toute la littérature
antisémite, et en particulier les écrits négation-
nistes de la Shoah.
Soutenus par le Ministère public qui inter-
venait à l’audience des référés que tenait le
président Binoche, nous avons pour la premiè-
re fois en France mis en œuvre avec succès les
nouvelles dispositions de la loi du 21 juin
2004 dite loi sur la confiance en l’économie
numérique qui prévoit qu’en présence de la
diffusion sur internet de messages comportant
une incitation à la haine raciale ou la négation
des crimes contre l’humanité commis pendant
la Seconde Guerre mondiale, l’autorité judi-
ciaire peut prescrire en référé à toute personne
fournissant un service en ligne ou à défaut aux
fournisseurs d’accès, de prendre toutes
mesures propres à prévenir un dommage par le
contenu des services de communication en
ligne.
Par trois ordonnances successives rendues
à notre requête et à celle des autres associa-
tions, nous avons finalement obtenu le 13 juin
2005 qu’il soit fait injonction à France Télé-
com, Free, AOL France, Tiscali, Telé2 France,
Suez Lyonnaise Télécom et au Gip Renater, de
mettre en œuvre toutes mesures propres à
interrompre l’accès à partir du territoire fran-
çais au contenu du service de communication
en ligne hébergé à l’adresse:
www.vho.org/aaargh.
Mémoire 2000. No 46 - Octobre 2005
J U D I C I A I R E
Il a fallu d’abord mettre en cause les héber-
geurs de site américains qui n’ont pas voulu
comparaître. Sur les trois opérateurs détectés,
deux se sont spontanément décidés à inter-
rompre le service. Le troisième qui résistait
notamment sous l’impulsion d’un négationnis-
me français qui s’est illustré aux côtés de R.
Faurisson, s’est vu au moins privé d’accès aux
internautes français.
Certains parmi nous se sont interrogés sur
l’utilité de telles initiatives puisqu’un site qui
se ferme peut facilement ressurgir ailleurs.
Peut-être, mais un seul internaute exposé au
risque de la contamination du virus négation-
niste, protégé de la sorte est épargné et empê-
ché de redistribuer les messages que nous
combattons sans faiblesse.
Bien que les fournisseurs d’accès français
aient tous fait appel, ils se sont pour l’instant
inclinés. Nous serons présents devant la Cour
pour poursuivre l’action. Prévenez-nous si au
hasard de vos pérégrinations informatiques
vous détectez des failles du système.
2 — Sur le terrain de la lutte contre la
propagande turque tendant à déconsidérer
tous ceux qui cherchent à faire reconnaître
par les Nations l’existence du génocide
arménien.
Mémoire 2000 est en première ligne non
seulement parce que le CDCA (Comité de
Défense de la Cause Arménienne) a choisi de
confier sa défense à notre Président, mais
parce que les statuts de Mémoire 2000, dont la
rédaction remonte à 1992, avaient intégré
cette dimension et cette vocation et qu’ils ren-
dent recevables nos initiatives en ce domaine .
Alors que toutes ne le sont pas.
C’est en particulier ce qui nous a permis,
au titre du droit de réponse reconnu aux asso-
ciations qui se proposent de lutter contre la dif-
famation et la provocation à la discrimination
raciale, d’agir et d’obtenir satisfaction contre
Time Magazine, qui dans l’un de ses numéros
de juin 2005, a distribué un DVD produit par
la chambre de commerce d’Ankara tout entier
consacré à la propagande turque sur la ques-
tion arménienne.
Nous serons présents aux côtés des associa-
tions arméniennes pour l’action qui est sur le
point d’être engagée contre la diffusion en sept
langues de ce DVD, qui contient non seule-
ment la négation du génocide lui-même mais
des accusations portées contre les Arméniens
d’avoir eux-mêmes commis des crimes contre
l’humanité.(*)
3 — Sur le terrain de la diffusion par le
livre du message négationniste sur le géno-
cide arménien.
Mémoire 2000 a réussi au mois de juillet,
après trois années de lutte acharnée, à
convaincre les juges du tribunal civil de Paris
que le Quid contenait depuis plusieurs années
des informations tendancieuses dans la mesu-
re où la présentation des massacres subis par
les Arméniens en 1915 manquait à l’exigence
de sérieux, de neutralité et d’objectivité dont
se prévaut le Quid à l’égard de ses lecteurs.
C’est incontestablement une première vic-
toire, particulièrement difficile que nous avons
remportée avec nos amis arméniens et grâce
au soutien sans faille de l’UEJF et de J’Accu-
se, toujours présents dans nos combats com-
muns.
Pour la deuxième fois et à notre initiative le
Quid se voit sérieusement rappelé à l’ordre.
Pour Faurisson ils s’étaient inclinés. Mais ils
résistent (bien que l’édition 2006 en prépara-
tion ait été édulcorée) et viennent de faire
appel.
Nous avons donc encore du chemin à par-
courir, d’autant qu’il nous incombe aussi de
défendre la cause arménienne contre le site du
Consul général de Turquie qu’héberge France
Télécom. L’immunité diplomatique invoquée
en première instance est au cœur du débat du
côté turc, “l’irresponsabilité” des hébergeurs
est en cause dès lors que la négation du géno-
cide arménien, reconnu par la loi française,
n’est pas incriminée comme celle de la Shoah.
Le parcours législatif reste à parachever. Il
en est précisément question ces jours-ci devant
le parlement belge, où nous avons été invités
comme experts.
Que tous ceux qui contribuent à cette lutte
couronnée de succès soient remerciés pour
leur courage et leur fidélité.
Mathilde Jouanneau en particulier et Alain
Fisselier, notre avoué, qui ne refusent jamais
de répondre aux sollicitations de notre Prési-
dent.
* Time Magazine qui s’apprête à publier notre
réponse, dit regretter la diffusion de ce DVD et pré-
sente ses excuses à la communauté arménienne.
3

K A R L M A R X O U L A R E C U P E R AT I O N
D’UN MYTHE
Karl Marx ou l’esprit du monde .
Jacques Attali.
Ed. Fayard.
ondres, 1883 : “ Le 14 mars, à trois
L heures moins le quart de l’après-midi,
le plus grand penseur vivant à cessé de pen-
ser ”, constate Friedrich Engels sur la
tombe de Karl Marx, au cimetière de High-
gate. Onze personnes assistent à l’enterre-
ment, cinq membres de la famille et six
fidèles, dont précisément Engels, à qui
revient le redoutable honneur de résumer
la vie de l’homme le plus haï et le plus
vénéré de cette fin de siècle. “ Tout comme
Darwin a découvert la loi du développe-
ment naturel, poursuit Engels, Marx a
découvert la loi du développement
humain”.
Au lendemain de ses obsèques, Engels
et les deux filles de Marx sont les seuls à
pouvoir déchiffrer l’œuvre qu’il laisse,
sous forme de notes, de papiers épars, abré-
viations. C’est alors qu’il va devenir l’en-
jeu d’une gigantesque bataille dont nous
n’avons sans doute pas encore vu l’épi-
logue, et dont Jacques Attali retrace les
étapes, dans une passionnante traversée de
l’histoire d’un homme, d’une époque,
d’une idée — et de ce qu’il en advint —
Karl Marx ou l’esprit du monde.
Le lignée
L’histoire commence au début du XVème
siècle, lorsque Ha-Levi Minz quitte l’Alle-
magne pour fuir les persécutions qui
s’abattent sur cette lignée de rabbins, que
l’on retrouve à Padoue, Cracovie, Stras-
bourg, où Herschel Marx Levy, admirateur
de Napoléon, étudie le Droit. Il s’installe
comme avocat à Trèves en Rhénanie. Au
lendemain de Waterloo, tous les juifs des
provinces allemandes sont exclus des pro-
fessions libérales. Herschel, juif laïque et
avocat célèbre, finit par renoncer au
judaïsme, troquant son nom contre celui de
Heinrich Marx. Son premier fils, Karl va
faire, en 1855, une découverte majeure :
“ Celle, explique Jacques Attali, qui va lui
assurer toute sa place dans l’histoire des
idées. Celle qui va permettre à des dizaines
de millions de salariés d’éclairer leurs
luttes et qui se résume très simplement : le
4 Mémoire 2000. No 46 - Octobre 2005
salarié produit plus de valeur qu’il n’en
gagne ”. Cela s’appelle la plus-value et lui
vaudra une longue vie d’errance et de misè-
re entre Trèves Paris, Londres... Il sacrifie-
ra tout à cette étude, jusqu’à trois de ses
enfants, morts de la maladie de la misère.
Dénouement particulièrement pathétique,
si l’on songe aux affirmations péremptoires
et aux mensonges gravissimes que provo-
quera l’interprétation de sa pensée .
La haine du travail.
Karl Marx considérait le travail comme
une insupportable aliénation, responsable
de la lutte des classes, qui elle-même
accouche du capitalisme. Dans la société
communiste, chacun est libre d’organiser
son temps, les biens sont disponibles et gra-
tuits, puisque les moyens de production
appartiennent à la collectivité. L’Etat est
décentralisé et transparent, sans censure ni
bureaucratie, ni parti unique, etc... Que
penser alors de la perversité de tous les
“bienfaiteurs ” révolutionnaires qui défor-
meront sa pensée, et seront responsables de
deux effroyables perversions du siècle der-
nier, le nazisme et le stalinisme ?
Pendant que Marx et sa famille vivaient
dans les taudis de Londres ou d’ailleurs, le
monde bouillonnait. Beethoven et Goya
venaient de mourir, Balzac écrivait la
Comédie Humaine, Victor Hugo Notre
Dame de Paris, les agences de presse Reu-
ter et Havas s’installaient, les Grands Bou-
levards étaient éclairés au gaz. C’était le
temps de la tuberculose (cause de la mort
de Marx). Celui aussi des premières bicy-
clettes, de la Guerre de Sécession, de “l’ap-
pel au rassemblement des juifs en Palesti-
ne” de Moses Hess, de MacIntosh, de Louis
Vuitton...
Un siècle fait sur mesures pour un
homme à la curiosité insatiable, trahi par la
volonté de puissance de ses successeurs, et
— ironie suprême — par l’Histoire :
Engels, Lénine, Staline, la Première Guerre
mondiale, la Russie et la Prusse ont fait ce
qu’il fallait...
Reste, conclut Jacques Attali, qu’il a été
“le premier à appréhender le monde comme
un ensemble à la fois politique, écono-
mique, scientifique et philosophique”.
Colette Gutman.
UN ETE MEURT R IE R
I l n’a échappé à personne que cet été a
été fécond en catastrophes de toutes
sortes : naturelles, incendies, accidents
d’avions…Bref l’été fut, c’est peu de le
dire, meurtrier.
Mais si les catastrophes sont aveugles
et frappent au hasard, force est de consta-
ter qu’ en ce monde, certaines populations
« trinquent » plus et plus souvent .
Exemple : prenez les Etats-Unis, la
Louisiane et un ouragan. Que se passe-t-
il? Des éléments déchaînés s’abattent sur
une ville et laissent derrière eux mort et
désolation ; jusque-là, rien que de très
normal. Là où ça commence à poser ques-
tion c’est quand on s’aperçoit que dans les
quartiers riches de la ville, mieux proté-
gés par des digues, les dégâts sont
moindres que dans les quartiers pauvres,
moins bien équipés donc totalement inon-
dés et dévastés.
Et savez-vous qui habitent ces quar-
tiers pauvres ? Des Noirs, en majorité!
Alors, même si on peut accepter le fait
que tout le monde ne peut pas être riche,
on est quand même en droit d’espérer
qu’au moins, face à des catastrophes natu-
relles, riches et pauvres, noirs ou blancs,
tous, puissent bénéficier de la même pro-
tection, de la même considération. Faut
croire que non !
Et cela ne vaut pas que pour les Etats-
Unis. Regardons chez nous. Le feu, cet
été a pris plus que sa part. Des hôtels, des
habitations — quasi insalubres mais où
vivaient quand même, faute de mieux,
entassées, de nombreuses familles — ont
brûlés comme des allumettes.
Qui en ont été les victimes ? Des Noirs,
pauvres !!
Là aussi le constat est simple : Etre
Noir et de surcroît pauvre dans une socié-
té civilisée et policée semble condamner à
subir, sans que cela ne semble déranger
grand monde, les injustices les plus
criantes que sont celles de ne pouvoir
bénéficier d’une protection minimale ou
d’un logement décent.
Mais une fois les faits établis, chacun
après émotion et indignation de rigueur,
s’en retourne égoïstement rassuré d’être
né blanc et pas trop pauvre, alors que cette
répétition devrait faire réagir violemment.
A lieu de cela, inconsciemment sans
doute, et à l’instar des négriers et esclava-
gistes d’un temps maintenant largement
révolu, nous ne semblons pas encore
avoir totalement intégré qu’être noir ne
rend insensible ni au malheur, à la misère,
à la souffrance, ou à l’injustice.
Difficile de faire évoluer les esprits…
Lison Benzaquen.
 La Cérémonie du Vel d’Hiv’ A D I E U L ’ A M I

1 6 juillet 1942, 17 juillet 2005, 63 ans sépa-

rent ces deux dates.
Aujourd’hui, 17 juillet 2005. Un survivant
du camp de Gurs, Monsieur Atlas, témoigne
de son sauvetage par les habitants du Cham-
bon sur Lignon. Madame Simone Veil, présen-
te comme chaque année, le remercie. On la
sent très émue, son soutien nous est toujours
très précieux. C’est Monsieur Dominique de
Villepin qui représente l’Etat français, lui aussi
très ému. Il veut lire un petit mot qu’un jeune
garçon a jeté sur la voie de chemin de fer en
partant vers les camps de la mort, mais l’émo-
tion est trop forte. Il doit s’interrompre. Il
reprend : « Je ne sais pas où l’on m’emmène,
je n’ai rien fait de mal, je le jure. » Et je me
retrouve en 1942, dans cet affreux wagon à
bestiaux.
Ma maman, elle aussi a écrit un petit mot,
pour ses voisins non juifs. Elle remercie la per-
sonne qui aura la gentillesse de le faire parve-
nir à destination. Elle prend une mèche de mes
cheveux y enroule un billet, très serré, qu’elle
lance sur la voie.
Au printemps 42, j’ai neuf ans, ce 16 juillet
est le jour de l’opération «Vent printanier», qui
commence à l’aube, en catimini. Ces deux
policiers - ces policiers que mon père m’avait
décrits comme protecteurs en cas de mauvaise
rencontre, ou si je me perdais dans les rues de
Paris - nous réveillent, ils veulent emmener
papa. Maman leur explique qu’il est déjà parti
Une mémoire bien transmise
du camp de Pithiviers pour une destination
inconnue. Et eux de répliquer calmement :
«Alors ce sera vous et vos enfants, ne prenez
qu’un seul balluchon ». Ni nos pleurs, ni nos
supplications, ne les atteignent. C’est un cau-
chemar, les parents et les enfants pleurent dans
ce bus qui les conduit au Vélodrome d’hiver. Il
fait chaud et une pluie fine tombe, comme si le
ciel pleurait avec nous.
La nourriture, l’eau, je ne me souviens plus
très bien, les cris, les pleurs. Surtout la peur de
perdre ma mère de vue, et une envie d’aller
aux toilettes. Ma sœur aînée m’y conduit, ma
main dans la sienne, nous entrons, une peur
panique me saisit : il y a du sang partout. Ce
sang, synonyme de blessure et de mort, je ne
savais pas que c’était celui des femmes qui se
faisaient avorter, dans l’espoir de se faire hos-
pitaliser.
Comme chaque année, je me sens coupable
d’être sortie vivante de cet enfer, de ne pas
retrouver les petits amis de mon immeuble,
Lazare, Régine, Serge, tous les autres, partis
en fumée... Est-ce la main du destin qui m’a
choisie, qui a choisi les quelques rescapés qui
m’entourent, portant le même badge que moi
(«Les survivants du Vel d’Hiv , nous n’ou-
blions pas le 16 juillet 1942») ?
Merci, Messieurs les cheminots, le billet
est arrivé à destination.
Arlette Testyler.
J ’avais un ami, un frère, vivant en
Israël. Son nom : Arieh Yaari. Il vient
de mourir. Arieh était un de ces batisseurs
de paix dont parle David Chemla. Mais il a
commencé très tôt, dans les premières
années de la création d’Israël. Fondateur
de son Kibboutz, délégué en France du
Mapam pendant plusieurs années, il a été
de tous les combats, de tous les espoirs.
Je suis allé dans son kibboutz au pied
du mont Thabor, non loin du lac de Tibé-
riade, pour l’accompagner avec sa famille
et tous ses amis.
Pour parler de lui je voudrais simple-
ment qu’on lise les mots prononcés par
Régina, son épouse, sur cette tombe
ensoleillée.
D.R.
***
« Arieh, mon époux, ami, modèle d’hom-
me. Ce n’est pas un résumé de vie dont je
veux parler, mais d’un résumé d’esprit.
Le jour où je t’ai rencontré, j’ai trouvé
un homme qui voulait étreindre le monde.
Pas une partie seulement, mais le tout.
Comment naît-on avec un tel esprit, une
telle force pour rêver?
Je me souviens la vitesse et le talent
avec lesquels tu as appris le français. Et
tout de suite tu es allé avec audace et
courage, faire des discours aux Français.
La politique n’était pas pour toi, une
manière d’accéder à la gloire ou à la célé-
brité, c’était un feu sacré qui brûlait en toi,
un désir de réparer tort et injustice, de
combattre l’humiliation. A la “manière hon-

N ous avons reçu de Françine Christophe, notre fidèle témoin, un dossier remarquable éta-
bli par une enseignante de CM2 d’une école de la Goutte d’Or où 97% des jeunes étaient
issus de l’immigration, et qui s’est engagée dans la difficile voie de transmettre la mémoire et
groise”, tu aimais l’humanité et voulais la
réparer. Comme d’autres sont artistes, tu
étais politicien à tout heure, en toutes cir-
le refus de l’oubli de la Shoah à ses élèves. Voici ce qu’elle nous en dit :
“Passées les quelques semaines de la rentrée, je perdis toutes mes illusions ; la classe dont constances et partout.
je venais d’hériter rassemblait des élèves en très grande difficulté tant sur le plan scolaire que Si pour moi l’histoire est une représen-
sur le plan disciplinaire. Alors pendant trois mois je me suis battue pour me faire accepter et tation théâtrale qui se joue sur une scène,
surtout pour travailler dans un climat de tolérance et de non violence.[…]. Puis au fil du temps pour toi elle se déroule dans un champ
on s’est “apprivoisés” et j’ai compris que ces enfants issus de l’imlmigration étaient constam-
ment à fleur de peau dès qu’il s’agissait de racisme ou d’intolérance […]. Ainsi j’ai reconsidéré qu’il faut traverser, labourer et semer.
ma manière d’aborder un tel sujet. J’ai donc décidé d’aborder la Seconde Guerre mondiale à Si on te le demandait, tu acceptais de
travers la lecture de plusieurs albums. Nous en avons étudié trois ensemble :“La grande peur présider tout comité ou organisation poli-
sous les étoiles”, “Le petit garçon étoile” et “Grand-Père”. Bien sûr de telles lectures furent tique. Tu écrivais des articles et des livres
accompagnées de leçons d’Histoire afin de mieux faire comprendre le contexte historique. Dès
la première lecture un “miracle” s’est produit! Mes élèves s’intéressaient enfin à quelque chose! et le testament de Brenner qui dit :“Logi-
Les Résistants qui mouraient pour défendre leur pays, les juifs qui n’avaient plus aucun droit quement le peuple d’Israël n’a pas d’ave-
et que l’on exterminaient, furent autant de choses qui réveillaient en eux des sentiments pro- nir — mais tant qu’il te reste un souffle, il
fonds qu’ils n’avaient jamais exprimés avec des mots. Vers le mois de janvier, j’ai décidé, face te faut travailler” te servait de flambeau.
à leur motivation de les confronter à la réalité en invitant Francine Christophe à venir témoi-
gner.[…]. Parallélement à cette visite, nous avons décidé de monter une petite exposition pour Que dirais-je de plus ?
expliquer aux autres CM2, ce que fut la Seconde Guerre mondiale.[…]. Le dessin a majoritai- Quels enfants formidables tu m’as don-
rement été choisi comme moyen d’expression. Notre exposition de 12 dessins affichés a sus- nés : Michal, Amir, Elad et Anat. A les
cité nombre de questions des autres CM2. Ecoutant de loin je ne suis jamais intervenue, mes regarder on en perd le souffle.
élèves transmettaient eux-mêmes […].
Je tenais par mon témoignage à montrer toute l’utilité de mettre en place de tels projets dès Nous avons vécu 40 ans ensemble au
le CM2.” Kibboutz, nous avons eu la chance de
Le dossier de dessins incroyablement émouvants ne peut être reproduit dans ce journal, faire partie d’une aventure fascinante.
mais nous le tenons à la disposition notamment des enseignants qui souhaiteraient se mettre Tout valait la peine.
en rapport avec leur jeune collègue, initiatrice d’un aussi remarquable travail.
On se reverra bientôt ».

Mémoire 2000. No 46 - Octobre 2005 5

 Gaza : le désengagement
A près le désengagement israélien de la
bande de gaza, cet été, nous avons
demandé à Yoav Toker son opinion sur les
dimensions réelles de cet événement et sur
l’impact qu’il ne manquera d’avoir sur la
société israélienne. Yoav Toker est corres-
pondant à Paris de la revue israélienne
Koteret, et de plusieurs chaînes de télévi-
sion israéliennes.
***
– Le désengagement de Gaza, est-ce le
début d’un processus difficile de retrait de
tous les territoires ?
Yoav Toker : Oui, d’une façon certaine avec
ou sans que les protagonistes eux-mêmes le
reconnaissent et quelque soit la maîtrise direc-
te des uns et des autres — partisans autant
qu’opposants au retrait — sur les étapes à
venir.
Ils peuvent être pour le projet ou contre,
qu’ils le sachent ou pas, mais c’est un proces-
sus à long terme et ceux qui ont œuvré pour ou
en opposition y contribuent. Il y a déjà eu
depuis le retrait de Gaza plusieurs ballons
d’essai. D’autres évacuations ne sont pas à
exclure.
L’impact de cet énorme événement (qui
finalement s’est bien déroulé) sur la société
israélienne aujourd’hui est tel qu’une ouvertu-
La République laïque et métissée
A l’initiative du Conseil de la citoyenneté du
20ème arrondissement de Paris, une vingtai-
ne d’associations étaient regroupées pour pré-
senter leurs activités lors de la fête nationale du
14 juillet dernier au square Edouard Vaillant
dans une célébration de la « République laïque
et métissée ».
Le Conseil de la citoyenneté est un organe de
la démocratie locale, destiné à permettre aux
habitants non-européens, et donc exclus du droit
de vote aux élections locales, une forme de
représentation à titre consultatif. Une des mis-
sions de ce Conseil est de militer pour le droit de
vote des étrangers, et de manière plus générale
d’œuvrer pour une plus grande intégration de
ceux-ci dans la vie de la Cité.
Chaque année le Conseil organise cette
manifestation qui rassemble des associations
communautaires des droits de l’homme, et de
solidarité du 20ème et d’ailleurs. Pour la première
6 Mémoire 2000. No 46 - Ocotbre 2005
re se dégage dans un esprit de catharsis.
– Quel est l’impact de ce désengagement sur
l’image d’Israël dans le monde ?
Y.T. : L’aspect immédiat est net, avec cer-
tainement davantage de sympathie à l’égard
d’Israël. L’image la plus impressionnante fut
celle de Sharon à l’ONU. Il fut une vraie
vedette, alors qu’au delà des positions israé-
liennes en tant que telles, la personnalité de
Sharon est extrêmement controversée depuis
des dizaines d’années.
Mais il suffit de peu de choses pour modi-
fier tout ça et revenir aux caractéristiques du
« fort contre faible » etc..., puisque les effets
récents ne sont pas profonds. Israël avait et
aura un « problème d’image » de plusieurs
natures et ceux là demeurent.
Sur le plan immédiat, les six prochains
mois seront déterminants, en grande partie en
fonction de l’adaptation palestinienne à la
nouvelle donne.
– Comment, à partir de là, voyez-vous
l’avenir ?
Y.T. : Atypique. C’est le problème tradi-
tionnel du nœud israélo-palestinien. Il y a
beaucoup de possibilités et d’hypothèses qui
circulent dans l’air, mais pas d’ouverture. Pour
la première fois depuis bien longtemps il y a
un minimum d’ouverture possible et même
fois Mémoire 2000 était présente, non seule-
ment comme association active sur Paris, mais
avec des liens particuliers avec cet arrondisse-
ment d’où viennent beaucoup d’élèves qui parti-
cipent à nos programmes et où nous avons déjà
engagé des actions spécifiques, notamment la
semaine nationale d’éducation contre le racis-
me, en collaboration avec la LICRA.
C’est ainsi que, rejoints ponctuellement par
d’autres membres de l’association, nous avons
tout l’après-midi tenu notre stand mis à disposi-
tion par la Mairie (tente, table et chaises), et
agréablement abrités du soleil torride par les
grands marronniers du jardin, nous avons pu
profiter d’un excellent programme de concerts
et même de plats et bissons typiques proposés
dans certains stands.
On ne peut pas dire qu’il y ait eu “foule” ce
week-end de pont, mais les personnes qui se
sont arrêtées à notre stand ont été très intéressées
et même étonnées de l’activité de notre associa-
tion, trouvant originaux nos moyens d’action à
travers le cinéma, auprès des enfants. Les docu-
d’ouvertures concrètes. Il y a déjà eu une
modification significative et positive, mais qui
peut ne pas demeurer positive en soi, sans le
reste.
En plus, il ne fait jamais oublier que beau-
coup de choses significatives au Proche-Orient
ont « bougé » sans rapport direct avec le liti-
ge israélo-palestinien. Souvent dans le passé
des éléments extérieurs au conflit, comme la
guerre en Irak, le changement d’administration
aux Etats-Unis , etc... ont fait avancer ou recu-
ler la situation israélo-palestinienne. Donc
prudence et optimisme très mesuré, avec beau-
coup de bémols...
Il y a des incertitudes, comme la situation
en Syrie, au Liban, en Irak, même en Egypte...
Il y a aussi une certaine anomalie politique
et « ambiante » en Israël, où il n’existe tou-
jours pas, et depuis plusieurs années déjà, une
véritable gauche. C’est plutôt un homme seul ,
solitaire, Sharon, qui travaille peu avec des
assistant ou des conseillers, qui a fait avancer
les choses.
Peu peuvent aujourd’hui se vanter de
savoir ce qu’il va faire. Sharon est très perfor-
mant en termes d’opérationalité politique, et
politicienne, mais il reste fragile, solitaire et
isolé d’un ensemble politique, d’un « courant»
ou d’une « ligne claire à long terme... »
Vibeke Knoop.
ments que l’on pouvait leur proposer (nouveau
dépliant, anciens numéros du journal) ont été,
semble-t-il appréciés et quelques plaquettes
Mémoire 2000 a 10 ans ont même trouvé pre-
neurs en échange d’une participation aux frais,
minime, certes, mais qui nous a permis de récol-
ter 20 euros pour l’association ! Plus important :
nous pensons avoir généré quelques adhérents
futurs...Déjà certaines personnes ont exprimé le
vœu d’assister aux prochaines réunions du
Conseil pour proposer leur aide éventuelle et
nous les avons invitées avec plaisir.
En conclusion, cette journée, modeste mais
utile, nous a permis de nous faire connaître un
peu mieux de la population mais aussi des auto-
rités de la Mairie de Paris qui nous ont déjà invi-
tés à participer à d’autres opérations et notam-
ment au Forum de la jeunesse début 2006.
Participation donc à renouveler l’année prochai-
ne en réfléchissant peut-être à une action un peu
plus marquante.
Joëlle Saunière et Marc Naimark.
 DROLES DE DEMOCRATES
L es vacances d’été quand elles ne sont pas
consacrées à un exode agité, sont propices
à la lecture et à la réflexion.
Aussi, ayant été sédentaire et plutôt contem-
plative (mais active du neurone quand même),
pendant un long mois, j’ai lu ou relu quelques
ouvrages qui ont nourri ma réflexion sur un
sujet qui me taraude et sur lequel je reviens
sans cesse pour essayer de comprendre, à
savoir, ce qui anime ceux que j’appellerai « de
drôles de démocrates ».
Depuis plusieurs années, je m’interroge sur
l’attitude de certains qui s’affichent démocrates
invétérés, mais qui, devant l’intégrisme,
notamment islamiste qui utilise la religion,
dévoyée, comme une arme, se montrent d’une
tiédeur et d’une tolérance extrêmes quand cela
commanderait d’être d’une fermeté intraitable.
Après les attentats de Londres de juillet der-
nier, dans un premier temps les réactions ont
été indignées et attristées, puis à un moment,
comme toujours, ces démocrates d’un genre
nouveau qui se situent généralement à l’extrê-
me gauche de l’échiquier politique, se mettent
à trouver des justifications, voire des excuses
au terrorisme, comme l’a fait, entre autres, le
mouvement anglais de G. Galloway, “Res-
pect”, mouvement de gauche allié aux islma-
misltes les plus durs.
COMBATTRE CONTRE L’OUBLI
S imon Wiesenthal, survivant de l’Holo-
causte, a consacré sa vie à pourchasser
les criminels nazis et à la lutte contre l’an-
tisémitisme. Il s’est éteint à 96 ans, à son
domicile à Vienne.
Wiesenthal est né à Buczacs, dans une
famille de juifs orthodoxes. Il a survécu à
l’invasion par les soviétiques à la fin des
années trente, pour subir l’arrivée des
nazis en 1941. Jeune architecte, il a vu sa
mère être emmenée pour être exécutée. Il
pensait sa femme Cyla morte aussi. Elle
avait échappé à l’exécution en prétendant
être polonaise. Lui-même a survécu à
quatre ans de camps de concentration. Une
fois, le peloton d’exécution s’était arrêté
juste avant lui, pour avaler une gorgée de
vodka. Les cloches se sont mises à sonner
et les soldats sont allés prier. Une autre
fois, il est aligné et déshabillé devant une
fosse commune, mais là encore, un soldat
l’en a sorti par miracle. Une seconde fois,
il échappe à la fosse commune , les soldats
nazis décidant de garder les juifs comme
«assurance-vie ».
A la fin de la guerre, il a finalement sur-
vécu à douze camps nazis. Il n’est plus
qu’un paquet d’os, pesant 45 kilos. 89
Mémoire 2000. No 46 - Octobre 2005
Comment peut-on au nom de la démocratie
justifier des actes aussi anti-démocratiques ?
J’ai trouvé une ébauche d’explication en
relisant Sartre parlant des démocrates et de
l’antisémitisme. Mais il me semble que cette
explication vaut encore aujourd’hui et peut
s’appliquer à ces défenseurs (involontaires ?)
du terrorisme.
Selon Sartre : Le démocrate, surtout celui
de la gauche radicale, fait profession de modé-
ration. [...] Il est tolérant par état, il a même le
snobisme de la tolérance, il l’étend jusqu’aux
ennemis de la démocratie. C’est bien de ce
paradoxe dont il s’agit. Mais pourquoi cet état
dont parle Sartre est-il à ce point imperméable
à la réalité ? Il y va peut-être de la tolérance
comme du reste et après la faillite des idéolo-
gies, elle en a pris la place et comme telle, est
devenue aussi aveugle que les précédentes.
Sans doute. Mais au-delà de cette explication
trop évidente, il doit en exister d’autres plus
complexes.
L’une d’elles, développée par Shmuel Tri-
gano me semble convenir à cette occurrence: Il
existe aujourd’hui, dit S. Trigano, une « figure
victimaire » et une « mystique du peuple en
danger », incarnées par les Palestiniens. Il sem-
blerait que, pour nos démocrates, si ces
concepts concernent prioritairement les Pales-
membres de sa famille ont péri dans les
camps. Simon Wiesenthal décide alors de
changer de vie pour devenir la voix de six
millions de juifs morts, et traquer les res-
ponsables pour les traduire en justice. De
son centre de Linz en Autriche, il a retrou-
vé et fait juger 1 100 criminels nazis. Le
plus célèbre, Adolf Eichmann le chef des
SS, est débusqué et sorti clandestinement
d’Argentine par les services secrets israé-
liens en 1960. Condamné à mort il est
pendu en 1962. Il réussit également à
retrouver Franz Stangl, le commandant du
camp de Treblinka, et le faire juger en
Allemagne en 1967. En revanche, Wiesen-
thal n’a pas pu faire traduire en justice
Joseph Mengele, L’ange de la mort. Ce fut
son grand regret. Mengele est mort au
Brésil en 1978.
Le plus important pour Wiesenthal fut
de combattre contre l’oubli. Pour lui, il
était primordial de faire savoir aux gens
qu’il n’oubliait pas leurs ennemis. Moi, je
pourrais leur pardonner, disait-il, mais je
ne peux pas parler pour les millions qu’ils
ont tués. Il créa un grand centre de docu-
mentation juif à Vienne, et un bureau aux
USA. Simon Wiesenthal devint la
tiniens, ils peuvent aussi s’appliquer à tous les
peuples autrefois colonisés ou opprimés qui
méritent, il va sans dire, toute notre compas-
sion et exigent réparation. Mais, si cette
demande de réparation s’exprime par des
actions terroriste, peu leur chaut ; cette violen-
ce est considérée par nos démocrates comme
une sorte de « légitime défense »...
La conjonction de « l’état de tolérance » et
d’un sentiment compassionnel tellement grati-
fiant pour celui qui l’éprouve, induit une indul-
gence irrationnelle à l’égard de tous les abus et
dérives, fussent-ils préjudiciables à la démo-
cratie.
Cette attitude grande et généreuse, ces bons
sentiments qui consistent à prendre toujours le
parti de celui auquel on accorde le statut de
victime exemplaire est difficile à combattre
sans apparaître réactionnaire, intolérant, voire
raciste. Et cela paralyse, même si l’on pense
que les victimes n’ont pas toujours raison.
Le danger serait que, lassés et effrayés, les
peuples, victimes des terroristes, ne finissent
par se tourner vers un homme ou un Etat « pro-
videntiel » fort qui, lui, peu encombré par
quelque scrupule que ce soit, n’hésiterait pas à
appliquer des méthodes radicales.
Là, on pourrait dire adieu à la démocratie...
Lison Benzaquen.
«conscience mondiale » de la Shoah.
Nous vivons une époque de vulgarisa-
tion du mot Holocauste, déplora-t-il dans
une interview à Associated Press en 1999.
Ce qui est arrivé aux juifs ne peut en
aucun cas être comparé avec tous les
autres crimes. Chaque juif était sous le
coup d’une condamnation à mort sans en
connaître la date. C’est ainsi que Wiesen-
thal disait vivre pour les morts .
Simon Wiesenthal ne fut pas épargné
par les critiques. On lui reprocha d’avoir
gonflé son rôle dans l’arrestation d’Eich-
mann et de ne rien avoir dit sur le passé
nazi de Kurt Waldheim, devenu secrétaire
général de l’ONU. Cela ne saurait ternir
son image. Il a réussi sa mission et comblé
les lacunes de la justice allemande et inter-
nationale. Selon Serge Klarsfeld, il a mené
une action persistante, tenace et irrempla-
çable pendant cinquante ans.
Les meurtriers de masse que j’ai cher-
chés je les ai trouvés. Je leur ai tous sur-
vécu. Si il y en avait que je n’ai pas cher-
chés, ils sont aujourd’hui trop vieux pour
être poursuivis, disait Wiesenthal au
magazine autrichien Format en 2003.
Vibeke Knoop.
7
A LIRE…
BATISSEURS DE PAIX
David Chemla
Ed. Liana Levi.
David Chemla est président du mouvement
Les amis de la Paix Maintenant.
Pour ce livre d’entretiens, il a parcouru
Israël et la Palestine.
Dans cette région dévastée par un conflit de
plus de cinquante ans, il a rencontré des Israé-
lien, des Palestiniens aux itinéraires parfois
parallèles, profondément enracinés dans leur
société, mais qui sont arrivés à la conclusion
(ce qui n’est pas si simple) qu’il n’y a pas
d’autres solutions que l’existence de deux
Etats.
Il ne s’agit pas de s’aimer, mais de vivre
côte à côte.
C’est passionnant à lire.
Surtout l’existence de tels hommes est
encourageante pour l’avenir.
LE PENTATEUQUE ET LES CINQ
LIVRES D’ISAAC
Angel Wagenstein
Ed. L’Esprit des Péninsules.
Beaucoup de ceux, Juifs, qui ontème
réussi à sur-
vivre aux événements du XX siècle, à un
moment ou à un autre ont envie de raconter
leur histoire.
Wagenstein est de ceux-là.
Humour, émotion, histoires drôles, naïveté,
espoir, tout y passe.
Mais quel talent, quel plaisir de le lire.
On ne saurait trop vous le conseiller, mal-
gré les drames racontés, c’est décapant.
Daniel Rachline.
LAISSEES - POUR - COMPTE TU COMPRENDRAS PLUS TARD
Robert Bober Jérôme Clément
Ed. POL. Ed. Grasset.
Depuis Quoi de neuf sur la guerre ? nous Le président d’Arte nous fait entrer peu à peu
avions laissé M. Robert et Mme Léa dans un dans le passé de sa famille qu’il n’a découvert
atelier de confection de la rue de Turenne. que tardivement. On y rencontre des person-
Robert Bober nous y fait retourner, mais, nages fascinants, parents, grands-parents,
cette fois, nous suivons les destins non plus de décrits avec pudeur, comme si cette incursion
personnages, mais de trois vestes “laissées dans leur histoire se faisait à pas feutrés, à tra-
pour compte” sur leurs cintres, dans les années vers un voile de mystère et de regrets.
de l’après-guerre. Elles finiront par vivre elles
aussi leur vie, sur le dos de leurs propriétaires NULLE PART
successifs, dans les cinémas, les théâtres, les Yasmina Réza
rues, les autobus à plate-forme, les chansons à Ed. Albin Michel
la mode.
Une étonnante évocation de l’air du temps Recueil de réflexions douces-amères sur l’en-
à travers ses musiques : Mon cœur est un vio- fance, la vie, la recherche de ses racines. C’est
lon, Je chante, Mes jeunes années. A Paris. Un à la fois rafraîchissant et mélancolique, débor-
Monsieur attendait, Les Grands Boulevards, dant de tendresse et de sensibilité, et toujours
Où sont tous mes amants, La Vie en rose... intelligent.
Piaf, Montant, Lemarque, Ulmer... Un voyage Claudine Hanau.
nostalgique dans le tissu de la vie.
Colette Gutman.
Chers amis,
réservez-nous
LA MALEDICTION DU POUVOIR votre soirée du 25 octobre.
Etienne Jaudel Vous vous en féliciterez.
Ed. Michel Houdiard. Nous vous offrons
en avant-première
Une très intéressante et originale analyse d’un le très beau film
« Judenrat », celui de Lodz, à travers la per-
BELZEC
sonnalité très contestée de son chef, Chaïm
de G. Moscovitz.
Rumkowski.
L’auteur s’élève contre les idées reçues et
La soirée aura lieu
sans nier la paranoïa du pouvoir qui avait
au cinéma Majestic Passy
envahi le chef du Conseil juif, il montre com-
au profit de Mémoire 2000.
ment il a essayé de sauver ce qu’il pouvait de
Nous comptons sur vous !
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8 Mémoire 2000. No 46 - Octobre 2005