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Crise en 2009. Qu’en sera-t-il de 2010 ?

• Des chiffres – Une récession à 1 400 milliards de dollars


Au cours des douze derniers mois, le monde a créé 1 400 milliards de dollars de
richesse de moins qu'au cours de l'année précédente. Une perte essentiellement
imputable à l'Europe occidentale et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis et
à l'Europe de l'Est. C'est l'Asie émergente (principalement la Chine) qui contribue
le plus à amortir le choc, sans pouvoir le compenser.
L'Islande, Lehman Brothers, General Motors et Dubai entreront sans doute dans
l'histoire comme les principales victimes de la plus violente crise économique et
financière que le monde a dû affronter depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour
mieux en mesurer l'ampleur, encore faut-il ajouter à ces victimes célèbres 61
millions de salariés condamnés au chômage, selon l'Organisation internationale
du travail, et 100 000 entreprises qui, rien que dans les grands pays
industrialisés, n'ont pas résisté à une année de vaches maigres. Au total, près de
80 pays ont plongé dans la récession en 2009, du jamais vu.

• La ou les crises ?
Il vaut mieux parler des crises (pour distinguer la crise économique et la crise
financière) que de la crise. En fait, les choses ont commencé en 2007 dans le
secteur de la finance, puis en 2008 c’est le secteur bancaire qui est touché et,
enfin, en 2009, l’industrie et les services sont à leur tour dans l’œil du cyclone.
Au tournant de l’année 2008-2009 (hiver dernier), la crise est à son plus fort :
coup d’arrêt à la consommation et à l’investissement (les particuliers ont arrêté
de consommé, d’acheter leurs logements, etc., et les entrepreneurs ont cessé de
stocker et d’acheter des machines). En France, on a constaté un choc étonnant,
sans précédent historique. Au premier trimestre 2009, l’activité économique a
baissé de 1,5 % par rapport au trimestre précédent (cela correspondrait à une
baisse annuelle de l’ordre de 6 %) : des entreprises ont vu leur chiffre d’affaires
baisser de 30 à 80 % parfois.
C’est la plus grave crise de l’après Seconde Guerre mondiale.

On a beaucoup débattu pour savoir s’il y avait quelque chose de commun entre
cette crise de 2007-2009 et l’autre crise « historique », c’est de 1929. Peut-on
comparer la crise de 1929 et la crise de 2008 ?

1. Il existe quelques points de comparaison entre les deux crises :


D'abord leur dimension mondial : la crise de 1929 a commencé aux Etats-Unis et
s'est propagée à toutes les grandes économies de la planète. Aujourd'hui le
phénomène est encore plus mondialisé en raison d'une tradition de plus d'un
demi siècle d'ouverture des échanges, du commerce et de progrès des
communications sous toutes leurs formes.
Deuxième point de comparaison : la crise de 1929 commence par une crise
financière qui s'étend dans l'économie toute entière avec des conséquences
sociales et politiques très graves (notamment en Allemagne, comme on a pu le
voir dans les films ci-dessus).
Mais la comparaison ne peut pas être prolongée au-delà de ces deux points
(dimension financière de la crise au départ, puis extension mondiale).

2. La crise de 1929 et la crise de 2008 sont très différentes :

Différence évidente :
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On sait comment a fini la crise de 1929, alors que nous ne connaissons pas le
terme de la crise actuelle.
Il y a 4,6 milliards d’êtres humains en plus sur la planète aujourd’hui (2 milliards
d’habitants sur terre en 1929), et ce sont les masses qui vivent avec moins de 2
dollars par jour que l’impact sera le plus grand (et dans les zones de fractures,
car on est en train de changer de monde en termes géopolitiques : la corne de
l’Afrique, le Proche Orient, le Pakistan)

Ensuite, le contexte économique et institutionnel mondial a changé :


Nous ne sortons pas d’une guerre mondiale qui avait déséquilibré le monde au
plan économique et géopolitique, et l’Europe est désormais unie pour réagir
collectivement.
Les économies et les sociétés d’Occident ont constitué des mécanismes
stabilisateurs (retraites, assurance chômage, sécurité sociale) qui n’existaient
pas
L’économie était compartimentée en espaces pratiquant un relatif
protectionnisme en leur sein, alors qu’elle est totalement ouverte et mondialisée
aujourd’hui, ce qui paraît positif (encore que débattu, puisque c’est justement ça
qui tire les salaires vers le bas). Depuis le XVIe siècle, c’est l’Occident qui a le
monopole du capitalisme. Au cours du XXe siècle, ce sont les États-Unis qui
mènent la danse (créant les chocs, mais résolvant aussi les difficultés le cas
échéant). Aujourd’hui, on entre dans un monde complexe, multipolaire,
hétérogène et instable.
Il existe aujourd’hui un déséquilibre majeur entre la sphère financière et la
sphère productive (l’ensemble des transactions interbancaires représente 50 fois
l’économie réelle, c'est-à-dire les productions intérieures brutes des 1999 pays
principaux). Une telle financiarisation de l’économie pose problème aujourd’hui,
elle n’existait pas hier.

Et puis, les capacités d’analyse du phénomène sont totalement différentes


aujourd’hui :
En 1929, il n’y a pas de problème de doctrine. Deux grands économique Irving
Fischer (la déflation par la dette) et Keynes. Mais la Théorie générale de l’emploi,
de l’intérêt et de la monnaie, l’ouvrage majeur de Keynes, date de 1936, donc on
a créé à ce moment-là les instruments et on sait aujourd’hui qu’il faut faire 3
choses : sauver les banques, éviter la déflation (spirale à la baisse de l’activité,
des prix, des patrimoines, de l’emploi) et éviter le protectionnisme (qui entraîne
une chaine de dévaluations compétitives). Les États se sont mobilisés (à partir de
la faillite de Lehman Brothers) : masses financières considérables mises en
œuvre.
La différence majeure entre les deux crises concerne donc la pensée politique et
économique. En 1929, comme le dit Serge Berstein, « la pensée économique de
l'Europe était strictement fondée sur le libéralisme, c'est-à-dire que la crise a eu
lieu car on n'a pas respecté la loi de l'offre et de la demande, et qu'il y a eu des
excès, que l'on n'a pas respecté l'équilibre budgétaire, ou que l'on n'a pas
respecté l'orthodoxie monétaire. ». L'idée de relance tel qu'elle existe aujourd'hui
a été théorisée par Keynes et mise en œuvre aux Etats-Unis avec un succès
mitigé avant guerre (New Deal) et reprise largement après la guerre.
On voit bien aujourd'hui que les erreurs de base commises en 1929 n'ont pas été
reproduites (pas d'assèchement du crédit ; interruption de la purge de la bulle
financière par des interventions étatiques massives, sous forme de
nationalisations ou de garanties). Les Etats-Unis, où la tradition libérale fait office
de dogme chez beaucoup de politiques, ont compris que seule une intervention
de l'Etat pouvait enrayer la situation.
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Sur un plan plus strictement politique, on peut dire que le dialogue entre les
Nations a considérablement évolué, même si les égoïsme nationaux ne sont que
légèrement enfouis sous un mince vernis d'universalisme et de dialogue positif.

Dernière différence essentielle : le mécanisme de la titrisation. La titrisation est


au cœur de la crise financière. Le mécanisme de la titrisation est associé dès le
départ à l'endettement excessif et aux prêts « pourris ». Il fut un moyen
permettant de sortir du bilan des banques américaines les créances non
performantes sur les PVD résultant des prêts faits sur la base en particulier des
pétrodollars. Le mécanisme de titrisation est destiné à transférer au marché des
risques que les banques ne veulent pas ou ne veulent plus conserver. Les
créances sont transformées en actifs financiers.
Aux États-Unis la politique laxiste de prêt aux particuliers, que ce soit dans le
crédit immobilier ou dans le crédit à la consommation, s'est fondée sur
l'utilisation des techniques de titrisation. En ce qui concerne le crédit immobilier
les créances hypothécaires étaient vendues sur la base des garanties que
constituaient le bien immobilier. Les taux initiaux étaient faibles, la
documentation requise faible sinon inexistante, l'apport personnel réduit sinon
nul. La logique était de refinancements successifs. Le postulat était que le
marché immobilier ne pouvait que monter. La crise immobilière de 1990 avait
démenti le postulat similaire qui avait été fait concernant l'immobilier de
bureaux, mais comme la crise n'avait pas vraiment affecté l'immobilier de
logement il est clair que la leçon n'avait pas été tirée. La politique laxiste de
crédit a été fortement encouragée par les autorités américaines, en particulier
par la politique de refinancement de Freddie Mac et de Fannie Mae, car elle
mettait le financement de ce que l'on peut qualifier de « logement social » à la
charge des marchés. Par ailleurs elle créait un effet de richesse qui, dans une
économie dépendant à 75 % de la consommation, a été le moteur de l'expansion
américaine au début du XXIe siècle.
Enfin, il est clair qu'elle était à la base de l'énorme profitabilité des banques
américaines, qui ont représenté en 2007 40 % des profits du secteur privé alors
qu'elle ne représente que 15 % de la valeur ajoutée et 5 % des salaires.

Conséquences politiques : Les séismes (à l’exception du nazisme) ne sont pas


consécutifs des crises :
– la révolution russe a lieu 12 ans avant la crise de 1920
– la victoire de Mussolini, 7 ans avant la crise de 1929
– les régimes autoritaires en Europe centrale ou le Portugal de Salazar c’est
après la crise (1932)
Beaucoup des séismes politiques du début du siècle sont en réaction à la guerre
ou à l’arriération des systèmes politiques plus qu’à la crise (déséquilibre la
République de Weimar, mais les sources du nazismes sont plutôt à rechercher
dans la défaites à la Première Guerre mondiale).
Mais sinon, parmi les conséquences de la crise de 1929 on peut mentionner le
New Deal aux États-Unis, le Front populaire en France, l’épisode travailliste en
Grande Bretagne dans les années 1930. La crise économique en produit pas
mécaniquement un séisme politique, mais la durée de la crise (problème
conjoncturel ou récession à long terme) conditionne les conséquences politiques
de la crise.

La différence majeure avec la crise de 1929, c’est sans doute qu’on est plus armé
et plus conscient de l’étendue des dégâts. Le monde entier est atteint, et c’est
une crise qui se déroule sous l’œil vigilant des médias :
– ce qui a sans doute eu des effets pervers
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– mais aussi, à terme, des effets positifs car cela a peut-être permis aux
politiques de réagir assez vite à la dégradation de la situation et de mener
une réaction concertée au niveau mondial (au moins dans un 2e temps
avec Pittsburg, avec les réunions des G20), permettant une sortie de crise
plus rapide
La crise n’est pas encore terminée toutefois : c’est à la fois une crise industrielle
et une crise de comportement. On pense notamment qu’on va pouvoir s’en sortir
grâce au « vert » (industries éco-responsables, écologie, développement
durable), mais cela signifie que tout ce qui n’est pas vert est voué à une mort
certaine : la nouvelle voiture, la nouvelle maison… tout cela doit être vert.
L’ancien doit s’adapter (ce qui nécessite des investissements) : on navigue donc
entre espoir et importante nécessité de s’adapter.

• Quelles sont les spécificités de cette crise des années 2000 ? comparaison
avec la crise de 1929
Déroulement d’une récession « à l'ancienne » :
– difficulté de la production à suivre le rythme de la demande, donc situation
de manque, donc hausse des prix (inflation)
– donc hausse des taux d’intérêts qui coupent l'appétit des consommateurs
(s’endetter coûte trop cher, donc on ne consomme pas à crédit, et on
consomme moins)
– donc accumulation excessive de stocks de marchandises dans les
entrepôts, arrêt des usines, licenciements et récession (= ralentissement
de l’activité économique)
Or, depuis le milieu des années 1980, l’économie occidentale ne vit plus à ce
rythme là, mais elle avance au rythme des grands cycles financiers :
– c’est l'immobilier qui mène la danse à la fin des années 1980
– et aujourd'hui, c’est la Bourse (depuis la fin des années 1990)
En fait, on est sorti de la logique fordienne selon laquelle la hausse de la
consommation est soutenue par la hausse des salaires. Avec la mondialisation et
la possibilité de recourir à une main d’œuvre très bon marché dans les pays
émergents ou en développement (Inde et Chine), les salaires stagnent voire
baissent. Pour que les ménages puissent consommer, on leur prête donc de
l’argent (d’où, finalement, le drame des subprimes, qui sont des prêt à risque,
donc à taux plus élevé pour l’emprunteur, et donc avec un rendement plus
important pour le prêteur afin de rémunérer le risque de non remboursement,
cependant limité par la garantie hypothécaire1 prise sur le logement.
Pour que le crédit reste intéressant pour l’emprunteur, des montages
sophistiqués avec des taux variables et des produits financiers complexes
pouvaient permettre de maintenir des taux bas en début de prêt).
Problème : il ne s'agit plus, comme lors des récessions passées, de remettre à
l'unisson les usines et les magasins, à coups de rabais et de promotions, mais de
dégonfler un énorme stock de dettes dont le remboursement devient de plus en
plus difficile au fur et à mesure que les prix de la pierre ou des actions diminuent
(on pouvait puiser dans son patrimoine immobilier ou dans son portefeuille
boursier pour rembourser, ce qui devient difficile car la valeur des logements
tend à baisser, de même, et bien plus nettement d’ailleurs, que le prix des
actions).

1 Une hypothèque est une garantie apportée par l’emprunteur à son créancier. La
garantie est un bien immobilier. Elle est notamment utilisée dans le cas des emprunts
immobiliers. Ainsi, le bien immobilier à l’origine de l’emprunt sert de garantie au prêteur.
En cas de défaillance de l’emprunteur, les mensualités non payés par exemple, le
créancier fait jouer la garantie. Il se saisit alors du bien et le met en vente par voie
judiciaire afin de se rembourser sur le prix de vente.
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Jamais l'explosion du crédit n'avait atteint de telles proportions. Il représente


aujourd'hui 360 % du PIB aux Etats-Unis, contre 260 % lors de la crise de 1929.
« En Europe, 30 % des ménages pensent que leurs emprunts sont trop lourds par
rapport à leurs revenus, et 24 % éprouvent des difficultés à les rembourser »,
explique David Bowers, le stratège de Janus Capital, qui vient de réaliser un
sondage sur le sujet à l'échelle européenne.

• Quels sont les secteurs qui ont le plus souffert ?


Biens durables, transports, investissement, ont beaucoup souffert. Les choses
repartent actuellement grâce à la Chine qui, avec 6 % de croissance (c’est son
minimum), fait figure de moteur, de même que le Brésil. Le sentiment de rebond
est venu de ces pays dits « émergents ».

• Quels sont les secteurs qui n’ont pas trop souffert, et même qui en ont
peut-être bénéficié ?
Les secteurs « verts » ont le vent en poupe, de même que le secteur de la santé.
L’automobile fait figure de miraculée : c’est un miracle aidé (1000 € de prime à la
casse ont largement dynamisé les commandes, surtout en fin d’année). Le
miracle en question est donc relatif.
Il est plus que probable que l’environnement va être le moteur de la croissance
future. C’est la bonne nouvelle du moment : la plus grave crise économique
depuis 1945 se produit au moment où une vague d'innovations s'apprête à se
diffuser (ce qui donne au passage raison à Mensch contre Schumpeter), cette
fois-ci dans les nouvelles technologies de l'énergie, de l'environnement et de la
santé. Or l'histoire montre que ces ruptures technologiques majeures génèrent
une augmentation durable du potentiel de croissance économique (cf. le dossier
sur Schumpeter, désormais en ligne...).

• Pronostic pour la nouvelle année ?


Une seule certitude : la nouvelle année sera meilleure que la précédente.
Presque tous les grands pays sont sortis de la récession cet été. La plupart des
baromètres de l'activité ont retrouvé leurs niveaux d'avant la faillite de Lehman
Brothers, le commerce mondial repart et les Bourses ont regagné plus de 60 %
depuis le creux atteint l'hiver dernier. Les banques ont recommencé à se prêter
entre elles à des taux raisonnables, et les instruments financiers fustigés pendant
la crise, titrisation en tête, refont leur apparition. De quoi entretenir le moral des
« éconoptimistes », les tenants de la classique reprise en V. Leur
raisonnement : quand les crises sont profondes, les reprises sont vigoureuses, et
elles permettent de rattraper le retard de production accumulé. Ainsi des experts
réputés, Stephen Cecchetti, Marion Kohler et Christian Upper, estiment-ils, sur le
site VoxEU.org, que la production pourrait retrouver son niveau d'avant la crise
dès la mi-2010 aux Etats-Unis (c’est le scénario rose !).
Pourtant, l’année pourrait être pire que 2009 en cas d’erreur de politique
monétaire : l’endettement des États inquiète, il va leur falloir se mettre à la diète
pour se désendetter. Si des États souffrent, on peut être inquiet.
En fait, il est plus probable que la reprise économique sera modeste et lente.
L’investissement n’est actuellement pas reparti, mais on fait plutôt du
restockage. Il faut espérer plutôt 1 % de croissance pour l’an prochain.
L’accélération de la croissance, qui sera plus tardive, ne sera permise que grâce
à des investissements importants permettant un retour de la croissance (verte !)
et à des économies dans le secteur public.

Les tenants du scénario rose sous-estiment aussi la fragilité des deux


principaux moteurs de la reprise :
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1. On compte sur la fin de l’écoulement des stocks accumulés après


l’effondrement des commandes, fin 2008, ce qui doit donner un coup de
fouet à l'activité industrielle, mais ce ne sera que temporaire, comme à
chaque fois.
2. Surtout, le formidable soutien des plans de relance – l'équivalent de 15
300 milliards de dollars de nouvelles dettes publiques depuis 2007, plus de
cent fois le plan Marshall – n'aura qu'un temps. « Comme les sommes
engagées sont concentrées entre l'automne 2009 et l'été 2010, la fin des
plans de relance aura un impact négatif sur la croissance à partir de la mi-
2010, en Europe comme aux Etats-Unis », souligne Natacha Valla,
l'économiste de Goldman Sachs à Paris.

Dès lors qu'on exclut le scénario rose, le plus optimiste, deux autres restent
possibles : un scénario gris, dans lequel on retrouve le même rythme de
croissance qu'avant la crise, mais sans pouvoir compenser la richesse perdue
pendant la récession. Ce scénario « en N qui penche à droite » est
historiquement le plus probable, selon les travaux du FMI, qui a passé au crible
les 88 crises bancaires survenues au cours des quarante dernières années.

Dernière possibilité, le scénario noir, dans lequel la crise a détruit tellement


d'usines, d'entreprises et de main d'œuvre compétente que la croissance ne
retrouvera jamais ses rythmes antérieurs. C'est le quotidien du Japon depuis
l'éclatement de la bulle immobilière et boursière, au début des années 90.
« C'est malheureusement le scénario le plus probable », avertit Michel Aglietta, le
conseiller scientifique du Cepii et de Groupama Asset Management.
Les raisons de le redouter sont en effet nombreuses. D'abord, les ménages ne
sont pas près de retrouver l'appétit d'ogre qui les poussait à jouer les cigales.
Entre 2001 et 2007, la richesse nette des Américains a augmenté de 42 100 à 63
900 milliards de dollars, mais elle est retombée à 51 100 milliards début 2009,
selon l'institut McKinsey. « Un effet d'appauvrissement qui va entretenir une
préférence durable pour l'épargne », avertit David Rosenberg, le chef économiste
de la Banque Merrill Lynch. En France aussi, où le patrimoine des ménages a
perdu 2 % de sa valeur en 2009, après 3 % en 2008, du jamais vu depuis 1945.
Le robinet du crédit a d'autant moins de chances de retrouver son débit d'avant
crise que les banques occidentales ne sont pas tirées d'affaire. Selon le FMI, leurs
mauvaises créances (créances non recouvrées) représentent 2 800 milliards de
dollars, dont 1 500 n'ont pas encore été pris en compte. Les banques auraient en
outre besoin de 2 500 à 3 500 milliards en capitaux frais pour se renflouer, tandis
qu'elles se trouvent face à un mur de 1 500 milliards de dollars de dettes à
rembourser d'ici à 2012 et qu'elles sont fragilisées par la crise de l'immobilier de
bureau.
Autre inquiétude : les pertes d'emploi définitives vont être massives, d’où la
couverture du dossier d’Alternatives économiques pour le mois de janvier. « Avec
les réductions de voilure dans des secteurs comme la construction, la finance ou
l'automobile, et l'accélération des délocalisations vers des continents où les
marchés sont dynamiques et la main d'œuvre, bon marché, l'Espagne pourrait
perdre 7 % des emplois qui existaient avant la crise, les Etats-Unis et le Royaume
Uni, 5 %, l'Allemagne, la France et le Japon, 2 %. Cela représente environ 6
millions de jobs outre-Atlantique et 500 000 dans l'Hexagone », redoute Patrick
Artus, de Natixis.

Qu'est-ce qui fera pencher la balance en faveur du scénario gris ou du scénario


noir ? « Simplement la capacité de chaque pays à générer des gains de
productivité pour augmenter son potentiel de croissance, estime Michel Aglietta.
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Notre chance, c'est que la vague d'innovations qui arrive autour des technologies
de l'environnement est un formidable levier pour relever ce défi », un peu
comme les technologies de l'information au début des années 1990, qui
représentent désormais 3 % des emplois aux Etats-Unis et en Europe. Les études
actuellement disponibles montrent un potentiel de 600 000 à 700 000 emplois
verts en France, de 16 à 37 millions aux Etats-Unis.
Autre piste : miser sur les emplois de services à haute valeur ajoutée. Les
technologies de l'information ouvrent de nouveaux horizons en matière de
services. Les consommateurs n'auront plus de raison d'acheter des voitures ou
des machines à laver. Ils seront libérés de toutes les corvées – les choisir, les
acheter, les assurer...
« Cette nouvelle économie peut engendrer dans nos pays une croissance forte et
des millions d'emplois à la fois bien rémunérés et indélocalisables, dans le
respect des équilibres environnementaux et sociaux », assure l'économiste
Michèle Debonneuil.

La bonne nouvelle, c’est que de cette crise sortira un monde plus équilibré :
moins dépendant de la consommation à crédit aux Etats-Unis, moins assis sur les
exportations en Chine, où le gouvernement, en créant un filet minimal de
protection sociale, veut inciter les familles à puiser dans leur épargne pour
consommer. Idem en Allemagne et au Japon, dont le modèle de croissance
repose sur l’hypercompétitivité du secteur exportateur au détriment des salaires,
et qui devra être rééquilibré vers les services, aujourd’hui sous-développés.
La mauvaise nouvelle, c’est qu’entre les Etats-Unis, en avance sur les
technologies vertes, et la Chine, en train de passer d’un modèle de croissance
extensif à un modèle intensif, l’Europe risque d’être la perdante de la nouvelle
donne économique. Surtout que le grand rééquilibrage de l’économie mondiale
ne pourra se faire qu’au prix d’un dollar faible dont la zone euro sera la principale
victime (cela signifie un euro fort par comparaison, ce qui handicape les
exportations européennes). Difficile donc d’annoncer plus qu’une embellie à
l’horizon des douze prochains mois. L’Europe occidentale sera la seule zone de la
planète à ne pas atteindre 1 % de croissance en 2010.

• Et pour la France ?
Pour 2010, le Fonds monétaire international s’attend à une reprise lente et
progressive en France, avec une croissance de l’ordre de 0,5 % par an. Le FMI ne
donne par d’estimation chiffrée pour l’évolution du produit intérieur brut français,
mais ses pronostics sont comparables à ceux du gouvernement. Le Fonds
monétaire international s’attend une reprise lente et progressive en 2010, avec
une croissance économique annuelle de 0,5 %, alors que le PIB français a baissé
de 1,2 % au premier trimestre 2009. La baisse de l’activité, qui a commencé à
l’automne 2008, avec un PIB en baisse de 1,4 %, devrait se poursuivre au
troisième trimestre à un rythme de 0,2 %, avant de se stabiliser au dernier
trimestre, selon les dernières prévisions de l’Insee. Pour l’Insee comme pour le
gouvernement, la chute du PIB devrait atteindre 3,0 % en 2009, du jamais vu
depuis 1949. Le FMI estime que « la récession mondiale impose un lourd tribut à
l’économie française ».
Le Fonds note les « mesures importantes » prises par le gouvernement pour
« soutenir le secteur financier », en particulier les injections de capital dans les
banques, qui ont atteint plus de 13 milliards d’euros. D’une manière générale,
estime le FMI, « les banques françaises se sont montrées comparativement
résistantes face à la crise jusqu’ici », mais les « pressions montent » sur leur
chiffre d’affaires et leur rentabilité, et la « tourmente financière devrait continuer
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à avoir des conséquences négatives » sur le secteur « pour quelque temps »


encore.
« Bien qu’il y ait des signes de stabilisation de l’économie » française, celle-ci
reste encore sujette aux risques, et notamment à celui d’une « contraction plus
forte » dans l’Union européenne, à laquelle sont destinées « deux tiers des
exportations françaises », ajoute le rapport. Le FMI estime en outre que « des
mesures supplémentaires pourraient être nécessaires pour renforcer la stabilité
financière ». A cet égard, le Fonds, qui plaide pour que les banques soient
déchargées des actifs invendables accumulés pendant la dernière bulle
immobilière, note que ceux-ci « sont toujours dans les bilans » des banques
françaises.

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