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Information financière et comptabilité des groupes en IFRS

La première phase de la révision de la norme IAS 39

Mathieu Négri
Université Paris Dauphine – Master 1ère année Finance

Hélène Ovsepian Année 2009-2010

Introduction

La norme IAS 39 traitant de la comptabilisation et de l’évaluation des actifs et passifs

financiers est la norme qui a subi, de loin, le plus grand nombre de modifications depuis 1989,

date de l’introduction de la juste valeur par l’IASC.

Avant cette date, les instruments financiers étaient évalués via la méthode du coût

historique qui s’appuyait sur le coût d’acquisition tant que l’actif n’était pas vendu. Mais cette

méthode a été jugée peu pertinente avec l’évolution des marchés financiers : les entreprises

utilisaient de plus en plus d’instruments financiers complexes dont la volatilité devenait de

plus en plus intense. Les investisseurs et créanciers exigeaient une information plus utile pour

leurs décisions car le reporting en coût historique ne reflétait pas à temps les réelles situations

financières d’institutions utilisant ces instruments dérivés complexes qui disposaient d’un

large pouvoir discrétionnaire pour influer sur les résultats via les provisions pour risques

notamment.

Le projet se solde par deux normes : l’IAS 32 "Instruments financiers : informations à

fournir et présentation" en 1995, révisé en 1998 / 2000 / 2003 et IAS 39 “Instruments

financiers : comptabilisation et évaluation” révisé en 2000 et 2003 et amendée de nombreuses

fois.

Ces normes relatives aux IF ont été très critiquées depuis leur mise en place, jusqu'à

l’apogée, ces dernières années, où elles ont été accusées d’avoir amplifié la crise, voire d’en

être responsable. Les plus hautes instances politiques se sont même penchées sur le problème

obligeant l’IASB à réagir avec une nouvelle norme globale en cours de création : IFRS 9

"Instruments financiers".

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I ) Contexte de révision de la norme IAS 39

a) IAS 39 – Version avant révision

Champ d’application et définition : la norme IAS 39 doit être appliquée à tous les

instruments financiers(IF) qui ne sont pas clairement traités par une autre norme, telle

que les « avantages aux personnels » traités par IAS 19 par exemple.

Selon l’IAS 32, un IF est défini comme tout contrat qui donne lieu à un actif financier

pour une entité et à un passif financier ou à un instrument de capitaux propres pour une autre

entité. Cela inclut donc les prêts, créances, dettes, trésorerie, obligations, actions… mais

aussi tous les instruments dérivés tels que les options, les swaps, les titres issus d’opération de

titrisation…

Classification et évaluation : Pour tous ces instruments financiers, la norme donne une

classification et la méthode d’évaluation associée.

- Held For Trading : Actifs et passifs financiers évalués à la juste valeur constatée en

résultat (Instruments dérivés, VMP…) => Evalués à la juste valeur via P&L

- HTM: Tout instrument dérivé à échéance fixe que l’entreprise a l’intention expresse et

la capacité de conserver jusqu'à l’échéance (obligations…)=>Evalués au coût amorti

- Les prêts et créances : actif ou passif financier, à paiement fixe ou déterminable, non

coté sur un marché(créances clients, prêt à un salarié…)=> Evalués au coût amorti

- Actifs disponibles à la vente : intention de détention, sans spéculation, et pas

forcément jusqu'à l’échéance =>Evalués à la juste valeur via equity

- Les autres passifs financiers : créés par la doctrine pour les inclassables (emprunts

bancaires ou obligataires, dettes d’exploitation…) => Evalués au coût amorti

Juste valeur (fair value) : « Montant pour lequel un actif pourrait être échangé ou un passif

éteint entre des parties bien informées et consentantes dans le cadre d’une transaction

effectuée dans des conditions de concurrence normale »

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Coût amorti : Montant auquel un actif a été évalué lors de l’entrée dans le patrimoine,

diminué des remboursements en capital et de toute réduction pour dépréciation

Grâce à cette classification et à l’introduction de la juste valeur, l’IASB entend

proposer un système clair qui permet de mieux refléter la réalité économique des

organisations en indexant certaines données des reporting sur des valeurs de marché, censées

être la moins mauvaise des évaluations. Mais, tout n’est pas aussi parfait…

b) Crise et complexité de la norme : les parties prenantes réclament une

révision

Influence de la norme sur la crise

L’IAS 39, on l’a vu, oblige les organisations à comptabiliser certains actifs à la juste

valeur, c’est-à-dire une valeur de marché. En période de croissance, la norme est bénéfique

car elle permet d’enregistrer des plus-values virtuelles, non encore réalisées par la vente de

ces actifs. Cependant, en cas de crise financière internationale, les organisations qui possèdent

majoritairement des actifs financiers (les banques) sont contraintes d’enregistrer la juste

valeur de ces actifs – qui était fortement dévaluée- et donc en contrepartie enregistrer une

perte ou bien diminuer les capitaux propres. Dans tous les cas, les informations financières

publiées sont fortement impactées négativement par cette comptabilisation. Cette action va

déprécier la valeur boursière, et donc par le même mécanisme déprécier la valeur des capitaux

propres des organisations possédant ces titres… entraînant des réactions en chaîne.

De plus, les dépréciations de capitaux propres des banques les obligent parfois à se

recapitaliser pour éviter la faillite. En effet, les banques doivent respecter des seuils

conditionnés par des ratios fonctions des capitaux propres (Bâle I et II) tels que l'endettement

acceptable, le niveau de risque de l'entité ou le volume des prêts à la clientèle.

Afin de limiter cet effet procyclique dévastateur dans une situation exceptionnelle de

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marché inactif, l’IASB a publié en octobre 2008 un amendement « d’urgence » qui permet le

reclassement de certains instruments financiers en « prêts et créances » , non soumis à la juste

valeur. Cette option a été largement utilisée, des centaines de milliards d’euros d’actifs

reclassées par les banques pour la clôture 2008.

Complexité de la norme

La classification « basique » présentée avant

est en fait complétée par de très nombreuses

exceptions et cas particuliers.Par exemple, un

dérivé incorporé (contrat hybride) peut être

évalué en étant décomposé (contrat hôte + dérivé) ou non, et cela avec des méthodes

d’évaluation différentes selon les choix de l’entreprise… Ou encore, un instrument de

capitaux propres non coté, doit être évalué au coût amorti si la valeur ne peut pas être évaluée

de manière fiable… Pour ce qui est des opérations de couverture, il faut utiliser la juste valeur

mais seule la partie « non efficacement couverte » impactera le résultat…Enfin, il y a des

approches de dépréciation différentes pour les actifs disponibles à la vente et les actifs évalués

au coût amorti. Cela s’étale sur plus de 300 pages rien que pour IAS 39 !

De nombreuses parties prenantes, dont le G20 qui formule en novembre 2008 plusieurs

recommandations allant dans ce sens, ont indiqué que la comptabilisation des instruments

financiers était beaucoup trop complexe.

Le Board à réagi aux problèmes rencontrés lors de la crise, et aux demandes des

parties prenantes de simplification de la norme. Après avoir lancé de nombreux appels à

commentaires, lors du premier semestre 2009, l’IASB a mis en place une réforme des normes

relatives aux instruments financiers. L’IASB collabore avec le FASB pour mettre en place des

normes proches.

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II. Le projet de réforme de l’IAS 39 concernant la classification et

l’évaluation

a) Les principaux points traités

L’ED/2007/7 n’est que la première phase d’un projet de révision globale concernant

les instruments financiers. Ce premier exposé-sondage traite de la classification et de

l’évaluation. La dépréciation des actifs financiers et la comptabilité de couverture seront

traités lors des phases suivantes.

Ce projet tel qu’il est prévu entraînerait un changement radical de la norme IAS 39

actuelle.

o Deux grandes catégories d’évaluation

Parmi les changements les plus importants on peut citer la suppression des cinq

groupes d’instruments financiers. Il n’y a dès lors que deux groupes, évalués soit à la juste

valeur, soit au coût amorti. La catégorie d’instruments financiers évalués au coût amorti doit

satisfaire deux critères. Ils doivent d’une part présenter les caractéristiques de base d’un prêt

et d’autre part ces instruments doivent être gérés sur la base d’un rendement contractuel. Les

instruments qui ne satisfont pas ces deux conditions sont évalués à la juste valeur.

Le Board définit les caractéristiques de base d’un prêt comme les « termes

contractuels qui génèrent à des dates définies à l’avance des flux de trésorerie qui sont

constitués du paiement du principal et des intérêts sur le principal échu ». Les intérêts

rémunèrent non seulement la valeur temps de l’argent mais également le risque de crédit

associé au montant du principal.

Parmi les caractéristiques de base d’un prêt on peut citer par exemple:

- le détenteur d’un instrument perçoit un montant fixe, un rendement fixe ou un

rendement qui varie sur la base d’un seul taux de référence qui peut être ajusté d’une

marge fixe

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- le contrat prévoit un rendement à taux fixe combiné à un rendement à un taux variable.

- le contrat ne dépend pas d’évènements futurs. Le paiement anticipé n’est possible que

dans la mesure où ce paiement représente surtout le montant impayé du principal et

des intérêts. Si le remboursement anticipé permet de protéger le prêteur contre une

détérioration du risque de crédit de l’emprunteur, on ne peut considérer qu’il s’agit là

d’un événement qui dépend du futur.

Notons que lorsque plusieurs tranches de dettes existent, qui sont différenciées entre elles par

leur ordre de privilège et de risque de crédit, seule la tranche la plus privilégiée présente les

caractéristiques de base d’un prêt telles qu’elles sont définies dans l’exposé sondage, c’est

donc la seule qui peut être évaluée au coût amorti, toutes les autres étant évaluées à la juste

valeur.

Intéressons nous à présent au critère de la gestion de l’instrument financier sur la base

d’un rendement contractuel. Ce critère est satisfait si les instruments financiers « sont gérés

et leurs performances évaluées par les principaux dirigeants de l’entité, sur la base des flux de

trésorerie contractuels générés lorsqu’ils sont détenus ou émis ». Il ne s’agit cependant pas

d’évaluer instrument par instrument mais de déterminer si un portefeuille d’instruments

répond au critère de gestion sur la base d’un rendement contractuel.

Notons que la classification dans l’une ou l’autre des catégories serait effectuée lors de

la comptabilisation initiale et point non négligeable : les reclassements ne sont pas autorisés.

o Option d’évaluation à la juste valeur

Même si un actif, passif ou instrument financier satisfait les deux conditions pour être

évalué en coût amorti, il peut être évalué à la juste valeur via P&L à la condition que cette

évaluation élimine ou réduise significativement une incohérence.

o Dérivés incorporés

L’exposé sondage propose de considérer ces contrats hybrides comme un

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ensemble.Selon que l’ensemble du contrat satisfait ou non les conditions pour être évalué au

coût amorti, il est évalué au coût amorti ou à la juste valeur.

o Investissements dans des instruments de capitaux propres

L’exposé sondage propose que tous les investissements en instruments de capitaux,

ainsi que les dérivés sur ces instruments soient mesurés à la juste valeur, y compris en

l’absence de prix de marché et impossibilité de mesurer la juste valeur de façon fiable.

Or concernant ce type d’investissement, l’IAS 39 établit actuellement que l’évaluation

est faite au coût. Des tests d’impairment sont imposés et les pertes sont comptabilisées

aussitôt qu’elles sont constatées.

Lorsque des instruments de capitaux sont achetés à des fins stratégiques, l’évaluation

est faite à la juste valeur via OCI.

o Une approche alternative

Des approches alternatives d’évaluation et de classification ont été envisagées. Parmi

celles-ci le Board a proposé que seuls les actifs financiers qui satisfont les deux conditions et

qui correspondent à la définition de « prêts et créances », soient évalués au coût amorti. Les

autres actifs, même s’ils satisfont les deux conditions seraient évalués à la juste valeur.

Cependant à chaque période, les variations de la juste valeur seraient ventilées comme suit :

-via résultat (P&L) pour les variations de valeur déterminées sur la base du coût amorti

-via les autres éléments du résultat global (OCI) pour la différence entre la juste valeur et le

coût amorti.

Deux variantes sont proposées à cette approche :

-les variations de la juste valeur seraient comptabilisées en résultat global (P&L) pour les

deux composantes, mais présentées de façon séparée

-tous les actifs et passifs seraient évalués à la juste valeur. Aucun instrument financier ne

serait ainsi évalué au coût amorti.

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La date d’entrée en vigueur précise n’a pas encore été fixée, cependant les

changements prévus par l’exposé sondage ne seront probablement pas applicables avant le 1er

janvier 2012. Il est cependant possible sous certaines conditions d’appliquer de manière

anticipée les dispositions prévues.

b) L’avis de l’Union Européenne sur les changements prévus

La Commission Européenne considère que la catégorie d’instruments financiers

pouvant être mesurés au coût amorti est trop restreinte. Les deux critères à remplir pour

l’évaluation au coût amorti ne sont pas considérés comme définis avec suffisamment de

précision. De plus l’interdiction de reclassification ne semble pas souhaitable car une

reclassification permettrait de refléter les changements dans le business model.

Deux problèmes sont soulevés. Tout d’abord la Commission Européenne considère

qu’une importance plus grande devrait être accordée au business model en tant que critère de

classification. En effet la classification d’instruments financiers devrait être fondée sur le

business model, les caractéristiques de celui-ci ne devraient être que secondaires. De plus la

démarcation entre les instruments évalués au coût amorti et à la juste valeur semble

inappropriée pour certains instruments.

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Conclusion

Cet exposé sondage prévoit une simplification radicale de la classification des

instruments financiers, avec seulement deux catégories possibles : les instruments évalués à la

juste valeur et ceux évalués au coût amorti. Cette dernière est de plus jugée comme trop

restrictive par certains acteurs, dont la Commission Européenne.

Cette réforme aboutirait à une simplification de la classification tant réclamée.

Cependant elle a pour conséquence une application étendue de la juste valeur. Lorsque le

G20 et l’ECOFIN réclamaient une réforme de l’IAS 39, il ne s’agissait pas d’une simple

simplification de la norme, mais l’élaboration d’une norme qui favorise la stabilité financière

toute en améliorant l’utilité et la pertinence de l’information donnée pour la prise de décision.

Les critères de classement semblent peu pertinents et ne reflètent pas suffisamment le

business model de l’entreprise. L’information financière devrait chercher à donner une image

fidèle de la réalité économique de l’entreprise. Dès lors la classification devrait être fondée

sur une vision globale du modèle économique de l’entreprise.

Les critiques concernant le projet de réforme ont été prises en compte dans la première

version définitive de la norme IFRS 9 « Instruments financiers » , qui à terme remplacera

l’IAS 39, publiée le 12 novembre 2009. Notons que les dispositions de la version définitive ne

concernent que les actifs et plus les passifs , qui étaient initialement inclus.

La norme définitive accorde la prééminence au business model. En effet le classement

des actifs financiers est effectué en fonction des « objectifs définis lors de l’élaboration du

business model pour la gestion des actifs financiers et des caractéristiques contractuelles des

flux de trésorerie». Ce n’est que si un actif financier peut être évalué au coût amorti, sur la

base du business model, qu’on vérifie que les flux de trésorerie générés par l’actif répondent

aux caractéristiques définies.

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