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Alimentation

Le café est-il bon, est-il mauvais ?


Haro sur le café ! Il est souvent accusé de tous les maux. Cancer, cholestérol,
maladies cardiaques, insomnies : on voit ses néfastes effets partout. Faut-il cr
oire ces rumeurs ?
par Marie-Laure MOINET
La composition du café est complexe. On n'a pas encore identifié tous ses compos
ants (plus de 2 000), et on continuait à débattre de leur action pharmacologique
, le 16 février dernier, à Seattle (Etats-Unis), lors de la réunion annuelle de
l'association américaine pour l'avancement des sciences. Gérard Debry, auteur de
l'unique livre en français sur le café et la santé (1), concluait en 1993 à la
nécessité de poursuivre les recherches. Pourtant, elles se font rares, surtout e
n France. A l'heure où se multiplient les sodas excitants, où la teneur en caféi
ne dépasse parfois le maximum légal de 150 mg par litre de boisson, que sait-on
des effets du « petit noir » et de sa principale substance active ?
Tout d'abord - et c'est l'une des raisons pour lesquelles on attribue souvent au
café des défauts et des vertus contradictoires -, nous ne sommes pas égaux deva
nt ses effets. La caféine, notamment, métabolisée au niveau du foie, se dégrade
plus ou moins rapidement : de quatre à six heures en moyenne, plus rapidement ch
ez les fumeurs (trois heures), plus lentement chez la femme enceinte ou sous con
traceptif oral, ou encore chez les personnes soignées par certains médicaments (
cimétidine, quinolones...). Elle parvient au cerveau en cinq minutes, et sa conc
entration dans le sang atteint son maximum d'une demi-heure à une heure après l'
ingestion.
Les effets dépendent également de la dose de caféine absorbée. Il faut donc savo
ir que le robusta en est presque deux fois plus riche (environ 2,4 %) que l'arab
ica (environ 1,3 %). Au demeurant, que penser des rumeurs qui courent sur notre
breuvage quotidien ?
Le café accroît la tension artérielle
La controverse est née dans les années 80. Et Jack James, de l'université de Mel
bourne (Australie), l'a rallumée dans la revue britannique Lancet du 25 janvier
dernier. Il soutient que l'effet vasopresseur de la caféine, sensible surtout lo
rsqu'on est à jeun, au réveil, dure plusieurs heures et persiste chez les habitu
és du café. Trois ou quatre tasses de café réparties dans la journée suffisent à
accroître durablement de 2 à 4 mm de mercure la pression diastolique (2). Eléva
tion qu'une simple contrariété peut provoquer de façon transitoire.
Pourtant, James n'y va pas par quatre chemins : sur la base de ce seul critère,
l'élimination de boissons riches en caféine (café, thé, cola, etc.) diminuerait
le risque des maladies cardio-vasculaires de 9 à 14 %, et celui des infarctus, d
e 17 à 24 % !
Le COSIC (Coffee Science Information Centre), émanation des industriels européen
s du café, installé près d'Oxford, dément : l'effet du café sur la tension est t
rès fugace et disparaît chez les consommateurs réguliers. Une étude néerlandaise
avait tout de même montré que le passage au café filtre décaféiné chez 45 sujet
s qui buvaient cinq tasses par jour avait fait baisser leur tension, de façon fa
ible (1 mm de mercure) mais significative. Quoi qu'il en soit, Caféidoscope, une
lettre d'information régulière adressée aux cardiologues et aux généralistes, a
ffirme que la restriction en caféine « ne fait pas partie des mesures intéressan
tes pour faire baisser les chiffres tensionnels des hypertendus ».
Le café augmente le cholestérol
Cette rumeur est encore plus ancienne (1963). Elle vient des pays scandinaves, o
ù l'on consomme environ deux fois plus de café par habitant qu'en France, et où
la mortalité coronarienne et le taux de cholestérol sont les plus élevés d'Europ
e. La polémique vient de rebondir du côté de l'équipe de Martijn Katan, à l'univ
ersité de Wageningen (Pays-Bas) : c'est le café bouilli - ainsi le boivent encor
e 25 % des Scandinaves - qui augmente le taux de « mauvais » cholestérol, celui
des LDL (low density lipoproteins). Les coupables sont non pas la caféine mais d
es résidus diterpènes, le cafestol et le kahweol, identifiés en 1994 dans la fra
ction huileuse des grains torréfiés. Le filtrage du café dépose les diterpènes d
ans le filtre. Mais les Scandinaves boivent leur décoction après une simple déca
ntation.
Dernière découverte de l'équipe néerlandaise : le café préparé dans une cafetièr
e à piston - à la mode britannique - est encore plus riche en diterpènes (8 mg p
ar tasse de 150 ml) que le café bouilli ou que le café turc. La consommation de
six tasses par jour (0,9 litre) pendant six mois a non seulement élevé chez les
buveurs le taux de LDL dans le sang, mais également celui de l'alanine aminotran
sférase, une enzyme dont la présence reflète une altération des cellules hépatiq
ues (3). Cependant, aucune preuve clinique de dommages pour le foie n'a été déce
lée.
Le café est mauvais pour le coeur
On a dit qu'il multipliait le risque de mortalité cardio-vasculaire par 1,4, pui
s par 1,2... Et, bientôt, on va dire qu'il le diminue ! Une importante étude pro
spective américaine, coordonnée par Walter Willet (Channing Laboratory, Boston),
a suivi une population de 85 747 infirmières de 1980 à 1990. En dix ans, on a o
bservé 712 cas (mortels ou non) de maladies cardio-vasculaires : le risque était
identique chez les buveuses de six tasses de café ou plus et chez les non buveu
ses. Mieux : une étude de l'hôpital de Dundee (Ecosse), portant sur 10 359 homme
s et femmes, a trouvé moins de malades du coeur et des artères chez les buveurs
de café que chez les non-buveurs ! En revanche, lors d'une enquête épidémiologiq
ue menée par Julie Palmer, de l'école de médecine de l'université de Boston (Mas
sachusetts), la comparaison de 858 femmes ayant eu un infarctus et de 858 femmes
témoins a montré que le risque d'infarctus était d'autant plus grand qu'elles a
vaient bu plus de café : au-delà de cinq tasses par jour.
Même sur l'arythmie cardiaque (battements de coeur irréguliers), les spécialiste
s ne sont pas d'accord. A en croire le COSIC, la caféine ne la provoquerait ni n
e l'amplifierait. Pourtant, c'est un stimulant qui augmente la contractilité des
fibres musculaires. Selon le Pr André Vacheron, chef du service de cardiologie
de l'hôpital Necker, à Paris, le café décaféiné est « préférable ». Et, en dépit
du manque de preuves de sa nocivité, la Fondation du Québec des maladies du coe
ur établit à 200 mg de caféine, toutes sources confondues, la dose maximale pour
les patients cardiaques, les femmes enceintes ou celles qui allaitent. En Franc
e, on est plus laxiste : c'est l'alcool - dont le café n'est pas un antidote, co
ntrairement à une affirmation séduisante mais fausse -, la cigarette et le manqu
e d'exercice, trois habitudes de vie souvent associées à une grande consommation
de petit noir, qu'il faut combattre.
Le café donne le cancer
A peine a-t-on innocenté le café dans le cancer du pancréas qu'on le suspecte d'
accroître le risque de cancer de l'ovaire (4). Un soupçon qu'examine Françoise C
lavel-Chapelon (INSERM, Institut Gustave-Roussy) au moyen d'une étude prospectiv
e lancée en 1990 auprès de 100 000 femmes pour étudier les facteurs de risque de
s cancers. Selon d'autres études, le café réduirait le risque de cancer du sein
en diminuant le taux d'oestradiol dans le sang. De plus, l'acide caféique, un an
ti-oxydant plus puissant que la vitamine E, pourrait avoir une action protectric
e.
Le café donne des brûlures d'estomac
C'est vrai chez certaines personnes. Les sensations de brûlure sont d'ailleurs l
e plus souvent localisées dans la partie inférieure de l'oesophage. Mais quelles
sont les substances contenues dans le café qui irritent l'estomac ? On l'ignore
. L'acide chlorogénique (de 15 à 325 mg par tasse), responsable de l'amertume du
café, augmente la sécrétion acide de l'estomac. Mais on n'établit pas nécessair
ement un lien entre l'accroissement de ces sécrétions et l'« intolérance » au ca
fé.
Pourquoi le café nous réveille
Les propriétés de la caféine dérivent de sa structure chimique particulière - dé
couverte il y a cent ans. En effet, elle est très proche de celle d'un médiateur
chimique, appelé adénosine, qui agit notamment sur le système nerveux. En se fi
xant sur son récepteur, l'adénosine «chasse» une protéine appelée G. Celle-ci ch
ange de forme et inhibe une enzyme, l'adénylate cyclase, dont le rôle est de tra
nsformer les molécules (ATP) qui stockent l'énergie en d'autres molécules (AMP c
yclique), véritables messagers du métabolisme cellulaire. Conséquence, la produc
tion d'AMP cyclique (AMPc) est ralentie, et, avec elle, de nombreuses fonctions
: l'excitabilité des neurones, la vigilance, la motricité, etc. Lorsque la caféi
ne se substitue à l'adénosine, la protéine G prend une forme différente, qui sti
mule, au contraire, l'activité de l'adénylate cyclase. D'où un effet excitant su
r la vigilance, le rythme cardiaque, etc.
En revanche, l'acide caféique accroît l'excrétion de sels biliaires, qui favoris
ent la digestion des lipides. D'où l'intérêt de prendre un café à la fin du repa
s - d'autant plus que l'effet excitant de la caféine diminue le « coup de barre
» postprandial.
Les acides chlorogénique et caféique stimulent la motricité intestinale ? Là aus
si, la sensibilité varie d'une personne à l'autre. Lors d'une enquête portant su
r 100 personnes, 29 d'entre elles (18 femmes et 11 hommes) ont déclaré que boire
du café leur donnait un besoin impérieux et immédiat d'aller à la selle.
Le café au lait est indigeste
Encore une rumeur. Elle incrimine la précipitation dans l'estomac des protéines
du lait par les tanins du café. Mais on ne dit rien de tel à propos du thé, pour
tant plus riche en tanins. Comme l'excès de café est associé à l'ostéoporose (di
minution de la masse osseuse) chez les femmes après la ménopause, autant ne pas
supprimer le lait, car cette source de calcium agit efficacement contre l'ostéop
orose...
Le café empêche de dormir
C'est indiscutable. On prescrit de la caféine aux personnes atteintes d'hypersom
nie (qui dorment trop longtemps). James Horn, directeur du centre de recherche s
ur le sommeil de Leicester (Grande-Bretagne), recommande aux conducteurs fatigué
s de boire deux tasses de café (dont l'effet se fera sentir une demi-heure plus
tard), puis de faire un bref somme. Véhiculée par le sang, la caféine agit sur l
es cellules des muscles, du coeur, du cerveau... Elle bloque principalement les
récepteurs de l'adénosine, un médiateur chimique qui a une action inhibitrice su
r les centres nerveux et sur le système immunitaire (voir le dessin). De nombreu
x analgésiques contiennent de la caféine. Pourtant, selon la revue Prescrire (ma
rs 1997), elle ne renforce pas l'effet antalgique du paracétamol. Médicaments et
compléments alimentaires (guarana) sont ainsi une source souvent insoupçonnée d
e caféine. Bu entre une demi-heure et une heure avant le coucher, le café retard
e l'endormissement et modifie l'architecture du sommeil : la caféine allonge la
phase de sommeil léger, raccourcit la phase de sommeil profond et augmente le no
mbre de réveils spontanés. Le sommeil sera plus court et moins réparateur, mais
le sommeil paradoxal (phase du rêve) restera intact.
Le Dr Hakki Onen, du CHU de Clermont-Ferrand, reçoit des patients qui présentent
des troubles du sommeil lorsqu'ils absorbent au moins 400 mg de caféine par jou
r (voir le tableau). Certains sont atteints de « caféisme », syndrome lié à l'us
age chronique du café ou à la consommation d'une forte dose de caféine (plus de
300 mg) en une seule prise : palpitations, irritabilité, angoisse extrême, débit
urinaire accru, soubresauts musculaires, fuite des idées.
Le café est une drogue
Le café rompt la fatigue ou l'ennui, donne de l'énergie et de l'assurance. On es
time qu'une dose de caféine de 100 à 300 mg par jour accroît la vigilance, la ra
pidité des réflexes, l'endurance physique. Au-delà de 400 mg pour les uns, de 60
0 mg pour les autres, elle peut rendre anxieux, nerveux.
Comme le vin, le sucre et le chocolat, le café agit sur les circuits du plaisir
du cerveau. Est-ce pour autant une drogue ? Ainsi que l'écrit Jean-Paul Tassin,
dans Drogues et Toxicomanies (éd. Nathan-INSERM), une drogue se caractérise par
trois éléments : la tolérance, la dépendance physique et la dépendance psychique
. La tolérance est une perte de sensibilité à la drogue. En ce qui concerne le c
afé, selon Astrid Nehlig, directeur de recherche à l'INSERM (Strasbourg), cette
tolérance n'existe pas au niveau cérébral : chaque tasse bue est stimulante. En
revanche, il existe une dépendance physique : le sevrage s'accompagnerait de mau
x de tête, de nausées et de somnolence chez environ un individu sur deux. Mais c
e syndrome dure peu. Enfin, la dépendance psychique et le « craving » qui l'acco
mpagne (tout faire pour se procurer la drogue) n'existe pas. Le café est une boi
sson plutôt conviviale qui n'éloigne pas de la vie en société... Selon l'étude d
e Walter Willet sur les infirmières américaines, le taux de suicide était plus f
aible chez les buveuses de café, pourtant souvent stressées et adeptes du tabac.
Le café décaféiné est toxique
Non, car il ne contient pas de solvants. Or, ce sont les solvants qui sont toxiq
ues. Le café est décaféiné avant d'être torréfié. On ébouillante les grains vert
s traités à la vapeur pour les faire gonfler. La caféine est extraite à l'aide d
e solvants, puis les grains sont rincés. Mais, de plus en plus, on envoie simple
ment de l'eau chaude sur les grains, et la caféine est ensuite retenue par un fi
ltre à charbon spécifique ou par du gaz carbonique supercritique. Le taux final
de caféine est de 0,02 à 0,05 %.
Le café ralentit la croissance foetale
Oui, mais seulement chez les femmes qui fument... L'étude la plus récente, parue
dans le British Medical Journal (30 novembre 1996), a confirmé que le métabolis
me de la caféine est ralenti pendant la grossesse : de 2,35 microgrammes (mg) pa
r millilitre (ml) de sang, au début de la grossesse, la concentration maximale p
asse à 4,12 mg/ml, à trente-six semaines, pour la même consommation. L'étude a é
galement confirmé que les fumeuses boivent davantage de café (50 % de plus), mai
s ont une plus faible concentration sanguine en caféine, puisque fumer accélère
le métabolisme de la caféine. Sage précaution à prendre : cesser de fumer et res
treindre le café. Selon la plupart des études, le café n'affecte ni la fertilité
, ni le risque d'avortement spontané, ni celui d'accouchement prématuré. Cependa
nt, on conseille de limiter la consommation en fin de grossesse et pendant l'all
aitement.
Quelle est la dose toxique ?
A chacun de déterminer le seuil critique. On ne risque pas la mort par overdose,
car elle ne survient que si l'on absorbe de 5 g à 10 g de caféine en une seule
prise, soit de 50 à 100 tasses de café. Les palpitations arrivent avant...
Beaucoup de choses encore ont été dites sur le café : qu'il est diurétique (vrai
), qu'il fait vomir (faux), qu'il dilate les bronches (vrai), qu'il est vasodila
tateur (faux, au moins pour le cerveau et les reins), qu'il rend plus précoces l
es symptômes d'une hypoglycémie (vrai), qu'il fait maigrir (faux), qu'il contien
t des vitamines (vrai, une tasse apporte 20 % des besoins quotidiens en vitamine
PP), etc. Mais, in fine, son mystère reste entier, depuis qu'il a quitté les ha
uts plateaux d'Ethiopie pour se répandre aux quatre coins du monde.
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Caféine : faites les comptes

- Difficile de savoir quelle quantité de caféine on absorbe chaque jour. Le caf


é en est la principale source, mais sa teneur en caféine varie selon de nombreux
paramètres : le cru récolté, le mélange conditionné, le mode de préparation (fi
ltre, instantané, express...), la quantité de café mise en oeuvre, la finesse de
la mouture, la quantité d'eau qui la traverse, sa température, sa pression, etc
. Une chose est sûre : les cafés torréfiés arabicas contiennent de 1 à 1,5 % de
caféine ; la majorité des robustas ont une teneur en caféine de 2,2 à 2,5 %. Un
mélange commercial courant contient 30 % de robusta et 70 % d'arabica.
Très soluble, la caféine passe à 95 % dans le café filtre ; l'extraction est moi
ns efficace dans l'express, surtout si la mouture est très tassée, ou hétérogène
... On met de 6 à 7 g de café par tasse (150 ml) de café filtre, autant pour un
bon express, de 2 à 3 g pour une tasse de café soluble (qui contient de 2,5 à 4
% de caféine). Le café décaféiné ne peut renfermer plus de 0,1 % de caféine. Le
thé contient de 3 à 4 % de caféine, la graine de cola, 4 %, les fèves de cacao,
de 0,2 à 0,4 %. Selon le magazine 60 Millions de consommateurs (numéro de févrie
r 1997), les boissons excitantes comptent de 30 à 38 mg de caféine par canette d
e 25 cl - excepté XEnergy Drink, dont la teneur en caféine est illégale : 77 mg
par canette.
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(1)Le Café et la Santé, éd. John Libbey.

(2) C'est le second chiffre de la tension artérielle. Il mesure la pression entr


e deux contractions cardiaques et avoisine généralement 8, soit 80 mm de mercure
.

(3)British Medical Journal, 30.11.1996.

(4)Alimentation et Cancer, revue de synthèse coordonnée par Elio Riboli, éd. Tec
-Doc.
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Science & Vie N°955, Avril 97, page 122


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