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quels modèles pour les filles?
Sandra Rieunier-Duval
«Innombrables sont les femmes qui, à la naissance d'une fille, ont supporté et su
portent encore le silence ou la commisération manifeste des proches, des parents et
amis, le ressentiment et Vhostïlité du man ou des beaux-parents, Vhumiliation
s'entendre renvoyer l'impuissance à engendrer des enfants mâles. Innombrable
aussi celles qui ont vécu avec souffrance, culpabilité, mépris envers elles-même
envie pour les autres plus «chanceuses» ou plus «courageuses», l'absurde drame
ne réussir à mettre au monde que des filles; d'autres, pour le même motif, o
même été répudiées par leur mari. » (Belotti, 1973 : 16)
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Édito I Grand angle MgyQ^U^S Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Publicité, dessins animés: quels modèles pour les filles?
I Sandra Rieunier-Duval
Les deux «contes», médiéval ou moderne, sont fondés sur l'idée qu'il
faut avoir un fils. Les images sont révélatrices. Dans les deux cas, toutes les
petites filles sont vêtues de la même manière, elles sont une ribambelle de
bouches à nourrir indifférenciées. Leur nombre, opposé à l'unique fils
désiré, souligne leur moindre valeur. Elles sont une masse indistincte,
immobiles et passives comme des poupées dans un cas, grouillantes et
bruyantes comme de petits animaux dans l'autre. D'autant plus qu'elles ne
sont pas en âge de travailler ou de se marier: leur apport en termes de
capital économique ou symbolique est nul.
Il faut noter que c'est l'homme qui est mis en avant, qui se soucie de
nourrir et de loger sa famille, qui se préoccupe de sa succession. La femme
est toujours effacée, muette, réduite à son ventre rond. On suggère même
que c'est l'homme le seul procréateur, puisque dans la première publicité,
c'est lui qui doit boire l'eau merveilleuse pour avoir un garçon. Si sa femme
et sa progéniture font partie de ses possessions, sont l'indice de son hon-
neur, de sa virilité, de sa bonne réputation, alors c'est tout cela qui est
remis en question par le fait de ne pouvoir faire que des filles. Le seul
changement par rapport à ce que décrivait Belotti est que la femme ne
semble y être pour rien, c'est la virilité de l'homme qui est défaillante.
L'image du père est alors dévalorisée, soulignant sa faiblesse physique, voire
mentale : l'un est bossu et apparemment misérable, l'autre est un nigaud au
sourire niais. C'est une célébrité faisant aussi office de narrateur qui doit lui
expliquer les avantages que procure La Poste, en s'adressant à lui à la troi-
sième personne, sur un ton condescendant. Un père ne pouvant avoir de fils
ne peut être qu'un idiot ou un infirme. La grande maison ou la perte de la
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bosse étant clairement montrées comme une compensation pour le fait
d'avoir encore une fille, une relation d'équivalence s'établit automati-
quement entre les petites filles d'un côté et la difformité, la pauvreté,
l'idiotie de l'autre, bref toutes formes d'insuffisances, voire une sorte de
malédiction. Tel est le message sous-jacent de ces deux publicités.
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Sandra Rieunier-Duval
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dénouement lui donnera finalement la beauté d'une ogresse, et non celle
d'une princesse classique. Enfin nos héroïnes ne sont pas dénuées d'hu-
mour, ce qui est assez rare pour des personnages féminins. On peut
d'ailleurs noter que la voix française de Jane est celle de Valérie Lemercier,
actrice exerçant exclusivement dans le registre comique. Son timbre de
voix, sa façon de parler diffèrent totalement des voix habituelles des
héroïnes.
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Édito I Grand angle ΜΪΒτΒΒΒΠΙΗ Pa it o u rs | Comptes rendus | Collectifs
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Sandra Rieunier-Duval
peut choisir ou gagner. Pour elle, pas de choix, elle est réduite à un beau
portrait immobile, voire à sa simple valeur «marchande» symbolique:
grâce à ce mariage, Lord Farquaad pourra devenir roi.
5. J'entends par «conte traditionnel» le contetel qu'il a pu être utilisé pour des productions
dans sa version édulcorée tel qu'il a été réécrit à
audio-visuelles du type «Walt Disney».
des périodes récentes, à l'intention des enfants, et
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d'ailleurs que les pères des deux jeunes hommes sont morts peu avant. On
a donc l'impression que les filles rapportent à leur père moins un gendre
qu'un fils adoptif. Quel est le but de la quête des jeunes filles? Certes, elles
traversent des épreuves qui les révèlent à elles-mêmes, qui les transfigu-
rent et leur proposent un destin hors du commun. Mulan, par exemple, se
voit offrir par l'empereur de Chine lui-même une place au sein de son
conseil, mais elle refuse et préfère rentrer simplement chez ses parents.
Il semble qu'après tout ce qu'elles ont accompli et surmonté, les filles
gagnent seulement le droit d'épouser le héros, à la grande fierté du papa.
D'un point de vue symbolique, les aventures de Jane et de Mulan sont
moins l'histoire de leur émancipation que celle de la restauration de la
virilité du père par la quête d'un fils providentiel. D'ailleurs, dès que cela
est accompli, l'attitude de la jeune fille change. Mulan, de retour chez son
père, accueille le capitaine en lui demandant humblement s'il veut rester
dîner, signifiant ainsi son retour à la sphère privée réservée aux femmes,
et l'abandon des domaines masculins de la guerre et de la politique, aux-
quels elle avait pourtant gagné le droit de participer. Jane, auparavant si
dégourdie et moqueuse, se met à se blottir contre le torse de Tarzan, pour
se laisser soulever, les joues rouges et le regard humide. Chacun-e a
retrouvé sa place traditionnelle, tout est rentré dans «l'ordre». Malgré les
évolutions indéniables des personnages féminins, le dénouement est tou-
jours un retour à la norme.
Tout cela est marqué comme masculin : Fiona ne fait que répéter les
gestes de Shrek, et Mulan doit apprendre à abandonner sa bonne éduca-
tion féminine pour ressembler à un garçon. Le petit dragon lui enseigne
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I Sandra Rieunier-Duval
S'il s'agit bien entendu d'une différence d'éducation selon le sexe, elle
devient dans Shrek et dans Tarzan une différence de civilisation et une dif-
férence de nature. En effet, si Jane et Fiona ont une apparence humaine,
Tarzan se comporte comme un gorille, et Shrek est un ogre pas vraiment
humain, avec sa peau verte et ses oreilles tubulaires. C'est sa nature d'ogre
qui lui permet de régaler les enfants de toute une série de gags scatolo-
giques. Quand la princesse en fait autant, les personnages comme le public
sont interloqués: un tel comportement n'est pas dans la «nature» d'une
fille, qui plus est d'une princesse. Or on apprend par la suite que la prin-
cesse se change en ogresse la nuit. Sa nature hybride est donc l'explication
à son attitude si peu «féminine». De même Tarzan, par son éducation de
gorille, n'a aucune idée des règles sociales humaines : il ne sait rien de la
galanterie, encore moins de ce que Jane appelle les «frontières person-
nelles», quand il s'approche de la jeune fille plus près que les convenances
ne le permettent et commence à la toucher. Sa vie est organisée selon le
schéma hyper-patriarcal des gorilles : pendant tout le film, il tente d'être
enfin admis par le mâle dominant (qui devrait être son père adoptif mais
qui le rejette), et à la mort de celui-ci, il devient lui-même chef du groupe,
nouveau mâle dominant et pousse son fameux cri.
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familièrement et ne s'encombre pas de bonnes manières. À l'opposé, Fiona
et Jane semblent issues de la «bonne société», que celle-ci soit une aristo-
cratie de conte de fées ou la bourgeoisie anglaise du début du XXe siècle.
Dans Mulariy la jeune fille et le capitaine sont tous deux humains et du
même milieu, mais on voit bien que les cultures féminine et masculine
sont radicalement différentes et surtout cloisonnées : d'ailleurs une femme
ayant vécu sous l'apparence d'un homme doit être mise à mort. Les deux
sexes sont aussi séparés et différents que deux civilisations, ou que deux
stades dans l'évolution, voilà le paradigme que répètent ces trois films.
Bien des péripéties seront donc nécessaires à leur rencontre.
«II faut remarquer cependant que dans la plupart des contes de fées occidentaux
la Bête est de sexe masculin et ne peut être délivrée de son sortilège que par
Γ amour d'une femme. (...) Il faut supposer que les inventeurs de ces contes
croyaient que pour que l'union soit heureuse, c'était la femme qui devait sur-
monter son dégoût du sexe et de sa nature animale. (...) Les contes du cycle de
V animal-fiancé nous disent que c'est surtout la femme qui doit modifier son
attitude envers la sexualité, en l'acceptant au lieu de la repousser; tant que les
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I Sandra Rieunier-Duval
choses sexuelles lui paraissent laides et animales, elles gardent leur nature ani-
male chez l'homme; c'est-à-dire qu'il n'est pas désensorcelé.» (Bettelheim,
1976:420-2).
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Peut-on réellement considérer comme une promotion sociale le fait
que dans ces films les filles se battent aussi? Filles et garçons ne s'y
battent pas pour les mêmes raisons, et c'est là toute la différence. Selon ce
qui nous est raconté, les garçons se battent parce que ce serait dans leur
nature. Les filles se battent à contre cœur, pour se défendre. Il serait
impensable qu'un garçon dédaigne la guerre, ou qu'une fille veuille en
faire sa profession. L'arrière-plan émotionnel, tel qu'il est mis en scène
dans les films, est d'ailleurs tout à fait différent chez les uns et chez les
autres. Dans Mulan, deux scènes sont intéressantes à mettre en parallèle.
Au début, sous son apparence de fille, Mulan prend la défense d'une petite
fille à qui de vilains garçons qui jouent à la guerre ont chipé la poupée :
Mulan, l'œil sévère, intervient et reprend la poupée. Plus tard, on voit le
méchant Shan-Yu, le chef des Huns, avec une autre poupée que lui a rap-
portée son oiseau pour le mettre sur la piste d'un village ; il sourit de façon
sinistre. Le village sera massacré, et Mulan, cette fois en soldat, ramasse
tristement la poupée parmi les décombres. Shan-Yu ne serait-il après tout
qu'un vilain petit garçon voleur de poupée? Les hommes se battent pour
«jouer» à la guerre :
«Les hommes (par opposition aux femmes) sont socialement institués et ins-
truits de manière à se laisser prendre, comme des enfants, à tous les jeux qui
leur sont socialement assignés et dont la forme par excellence est la guerre. »
(Bourdieu, 1998: 82)
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I Sandra Rieunier-Duval
9. Il faudrait étudier les modèles des «women war- dévêtues... Finalement une version «phallique» de
riors» à la Lara Croft qui sont souvent des concen-
l'éternelle femme-objet.
trés de fantasmes masculins, hyper-sexualisées, très
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