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Petits-conseils-de-guerilla
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Je sais : il est loin le temps où une certaine partie de la gauche radicale s’est posée la question de la lutte armée. Je sais aussi : ceux qui ont
vraiment envisagé la chose, puis l’ont appliquée, se sont souvent royalement plantés. Sang, tripes et boyaux, dévoiement et errements,
manipulations diverses et incompréhension des opinions publiques, isolement absolu et jusqu’au-boutisme meurtrier, ce pan de l’histoire de
l’extrême-gauche n’est pas le plus reluisant.
Ce préalable posé - parce que ça va mieux en le disant - , il serait tout aussi idiot de tresser d’absurdes louanges aux combattants des années 70
que de jeter le bébé (de l’action directe) avec l’eau du bain.
Parce que celle-ci - l’action directe, donc - recouvre des réalités différentes et des méthodes d’action disparates : entre la confection de bombes et
l’affrontement avec les forces de l’ordre lors des manifestations, l’enlèvement de figures économiques ou politiques et l’occupation d’usines, la
résistance légitime à une dictature et l’emballement d’une contestation au système, il est autant de points communs que d’essentielles distinctions.
Parce que - aussi - il est difficile de ne pas se poser aujourd’hui la question de la légitimité de la violence (au sens large, encore une fois) face à un
régime sans cesse plus dégueulasse, un système plus abêtissant, un pouvoir plus asservissant : la pensée trotte dans de nombreuses têtes, celle de
savoir quand il importe de se lever pour dire « non », de marquer brutalement son refus de l’évolution d’un monde, de ne pas accepter que les
choses empirent encore et encore, ad vitam eternam et jusqu’à la nausée définitive.
Parce que - enfin - on aime l’histoire à Article11, et que Le Manuel du guérillero urbain en fait partie, à l’évidence. Retour, donc, sur un livre à
part, en tentant de ne tomber ni dans l’imbécile mythification d’un passé sanglant (encore plus idiote quand elle est fait d’un rédacteur
bourgeoisement installé devant son ordinateur2), ni dans le discrédit tout aussi idiot de l’action directe. De la mesure, les enfants, de la mesure…
Guérilla urbaine : il y a un manuel pour ça ?
Un peu qu’il existe un guide de la guérilla urbaine ! Il doit même en exister plein, mais il en est un seul - avec, dans une moindre mesure,
l’ouvrage de théorisation de Che Guevara, La Guerre de guérilla - à avoir connu une si grande diffusion et exercé une telle influence. Le Manuel
du guérillero urbain, œuvre du militant communiste brésilien Carlos Marighella et conçu comme un véritable guide pratique et technique pour
ceux qui pratiquent la lutte armée, a servi à nombre de mouvements, dont la Fraction Armée rouge, qui a réutilisé le mode d’organisation en
cellules indépendantes prôné par l’auteur, les Brigades Rouges, l’IRA ou l’ETA. Plus largement, il faisait partie du vade-mecum de base du
militant dans nombre d’organisations clandestines des années 1970, en Europe, en Amérique Latine ou au Proche Orient.
Publié en 1969, l’ouvrage a été diffusé un peu partout dans le monde, plus ou moins officiellement. En
France, l’ignoble Raymond-la-matraque (Marcellin), alors ministre de l’Intérieur, en avait interdit la
publication en 1970. Qu’importe : il fut aussitôt réédité par un collectif de 23 éditeurs, dont Flammarion,
Robert Laffont, Minuit, Maspero, Gallimard ou Grasset - oui : à l’époque, ces maisons avaient encore une
certaine conception de l’honneur et une très vague envie d’insoumission…
Après quarante ans sans réimpression, les éditions Libertalia ont eu la bonne idée de le resortir, avec une
préface de Mathieu Rigouste. De cette dernière, qui revient sur la circulation paradoxale d’un livre ayant
aussi inspiré les théoriciens de la contre-guérilla, je ne peux vous parler : je n’ai lu que le texte brut de
Marighella, disponible en de nombreux lieux sur le net. Entre autres, ici, là ou aussi ici3.
Qui était Carlos Marighella ?
D’abord, le contexte : après une brève période plus ou moins démocratique, le Brésil retombe en 1964
dans un de ses vieux travers, la dictature. Comme un rappel du coup d’Etat de 1930 et surtout de
l’instauration du très autoritaire Estado Novo par Getúlio Vargas en 1937, le régime militaire qui s’instaure
en 1967, à la faveur d’un nouveau coup d’Etat, ne fait pas vraiment dans la dentelle. Soutenue par les
Etats-Unis, reposant sur cet anticommunisme-même qui va progressivement jeter presque tout le continent
sud-américain dans la nuit et le brouillard, la dictature militaire donne un rôle central à l’armée, pratique la
guerre contre-révolutionnaire, traque l’opposition à grand renfort d’escadrons de la mort et - de façon
générale - règle leur compte aux libertés publiques.
Face à la dictature, il est des citoyens courageux pour prendre les armes. Parmi eux,
Carlos Marighella, ancien député et figure historique du Parti communiste brésilien, dont
il est exclu en 1967 pour avoir défendu la guérilla comme seul moyen de mettre bas
l’impérialisme et de permettre aux masses d’accéder au pouvoir. L’homme créé alors - en
1968 - l’Açao Libertadora Nacional (ALN), groupe clandestin qui prône la lutte armée
dans tout le Brésil, et particulièrement en ville. Le temps d’une première action -
1 Ce billet fait partie d’un cycle de textes autour de la question de l’activisme et de la violence. tu trouveras ICI un autre billet sur la
question.
2 Même - figure-toi - j’écoute Robert Johnson en ce moment, le billet de Lémi m’ayant donné envie d’une petite infusion de blues, et
je ne crois guère qu’on puisse réellement causer guérilla urbaine en se tapant une troisième audition consécutive de Me and the Devil
Blue…
3 Mention spéciale à cette dernière version, québécoise, qui comprend une assez fantastique préface. Je ne résiste pas au plaisir de
vous en livrer un petit extrait : « Ce que les militants québécois doivent savoir dès aujourd’hui, c’est la véritable dimension de la
lutte qu’ils entendent mener, soit une organisation révolutionnaire québécoise dans l’objectif d’une libération mondiale. Ce que
chacun de nous doit déterminer immédiatement, c’est s’ils veulent vraiment la libération totale des exploitéEs de l’emprise du
capitalisme mondiale en vue de l’instauration d’une Masse véritablement libre où 7 milliards de personnes libérées pourront
s’autogérer dans les structures les plus démocratiques, à la lumière des expériences socialistes, anarchistes et autogestionnaires
qu’ont vécues certains pays à un moment ou l’autre des 80 dernières années. » Finalement, la Masse des sept milliards de personnes
en autogestion, ça ne s’est pas fait…
4 Une erreur stratégique que Guevara payera au prix fort, avec la désastreuse équipée bolivienne…
5 Voir l’excellent ouvrage d’Anne Steiner et Loïc Debray, RAF, Guérilla urbaine en Europe occidentale, récemment réédité.
6 Croa-croa, fait le corbeau…