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La VÉA®
Alix Mandron
Depuis la parution dans Fortune, en – les gestionnaires devraient s’efforcer Des ajustements au bénéfice net
septembre 1993, d’un article intitulé d’augmenter la richesse des actionnaires et au bilan
«The Real Key to Creating Wealth1», la de leur entreprise; la logique du système
notoriété de la notion de valeur écono- économique le veut ainsi; Dans la formule de l’encadré, le premier
mique ajoutée n’a cessé de croître dans le – le meilleur indicateur de la richesse, ajustement au bénéfice net (ou, plus
milieu des affaires. L’article en question ce sont les flux de trésorerie disponibles exactement, la première série d’ajuste-
vantait les mérites d’une mesure de pour les bailleurs de fonds, et non pas les ments6) répond à l’objectif de «mesurer
performance mise au point par la firme profits comptables : bien qu’à long terme, ce qui compte vraiment, c’est-à-dire
américaine Stern, Stewart & Co (ci-après il y ait cohérence entre les deux, seuls les l’argent disponible». Traditionnellement,
S&S), à savoir la mesure EVA®, pour premiers sont «dépensables» ou «con- pour passer du bénéfice comptable (basé
Economic Value Added, devenue en fran- sommables» à une date donnée, alors que sur la comptabilité d’exercice) aux flux
çais VÉA®, pour valeur économique les seconds ne sont que des «écritures»; de trésorerie générés par les opérations,
ajoutée. On ne compte plus les sémi- – une bonne mesure de performance on annule les revenus et charges sans
naires, conférences, tables-rondes et doit intégrer un seuil de référence, car il sorties de fonds. C’est ainsi que l’on
articles de magazines professionnels n’est pas suffisant de gagner un rende- dresse la première partie de l’état de
consacrés à cette mesure de performance, ment positif; il faut gagner le rendement l’évolution de la situation financière. Par
parfois décrite comme «révolutionnaire2». requis par les actionnaires; il faut, de exemple, on rajoute au bénéfice net la
La réussite marketing de la VÉA® ne fait plus, récupérer le capital investi. partie des impôts sur le revenu qui n’est
aucun doute. Mais qu’y-a-t-il réellement S&S proposent de mesurer «l’enri- pas exigible (les impôts «reportés»). En
derrière cette «marque déposée»? Nous chissement» des actionnaires par les flux effet, les états financiers destinés aux
allons tenter de l’expliquer et de prendre de trésorerie nets disponibles pour ces actionnaires sont dressés suivant des
du recul par rapport à tout le «battage derniers une fois que tout a été payé, y principes comptables qui peuvent
publicitaire» qui entoure la VÉA®. Notre compris le coût du capital. Pour une différer de ceux que l’on applique pour
objectif est de démystifier la mesure et de année donnée, la formule est la suivante4 : dresser les états financiers fiscaux. En
permettre à tout responsable financier de particulier, l’amortissement comptable
déterminer ce qu’il veut en retenir. Nous ne suit pas le même rythme que l’amor-
proposerons également une mesure plus bénéfice net tissement fiscal (même si les sommes
simple et plus exacte. + quelques dépenses sans sorties de simples des provisions comptables et des
fonds (ex. : les impôts reportés, mais provisions fiscales qui seront prises à
pas l’amortissement)
travers le temps sont égales). Les états
La VÉA® en bref + les intérêts nets d’impôt, les dividendes financiers montrent donc une charge
privilégiés et intérêts minoritaires
d’impôt «théorique» qui peut différer de
Trois principes de base + la R&D la charge réelle pour une année donnée.
La VÉA®, telle que décrite dans The Si l’on veut retrouver les véritables flux
= bénéfice d’exploitation ajusté
Quest for Value: the Guide for Senior (NOPAT5 dans le jargon de S&S)
de trésorerie générés par les opérations, il
Managers3, repose sur trois idées de base faut corriger le bénéfice net pour ne tenir
– (coût de capital pondéré x actifs nets
traduites dans une formule bien précise; ajustés)
compte que des impôts effectivement
c’est aussi le pivot d’un système de ges- exigibles.
tion financière intégré. Les trois prin- = VÉA® L’autre correction majeure que l’on
cipes de base sont les suivants : apporte de façon routinière au bénéfice
0
96 250
96 250
0
24 600
71 650
96 250
200 000
296 250
négative peut être assez longue, du reste.
On notera aussi que toute entreprise
activement occupée pendant quelques
années à investir pour profiter d’un
2008
405 274
0
– 11 937
393 337
200 000
55 735
337 602
646 470
646 470
0
avantage technologique, ou pour ne pas
se faire dépasser, aura globalement une
VÉA® négative pour assez longtemps.
2007
357 577
2 428
– 29 772
330 234
453 133
72 415
257 819
465 840
465 840
0
Pourtant, elle fait probablement ce que
ses actionnaires souhaitent qu’elle fasse…
Quels problèmes y a-t-il à véhiculer le
2006
273 481
4 856
– 76 252
202 084
588 740
102 945
99 139
450 298
450 298
0
mythe de la VÉA® positive? On pourrait
arguer qu’il est souhaitable de poser des
défis aux gestionnaires, de façon à les
inciter au dépassement. En leur fixant
2005
255 930
7 284
– 66 853
196 362
836 953
133 491
62 870
444 706
0
238 909
9 712
– 55 104
193 517
1 429 167 1 914 228 2 577 905 2 328 850 2 079 906 1 831 075 1 582 361 1 333 767 1 085 297
164 053
29 464
0
441 988
441 988
222 397
12 140
– 40 417
194 120
194 630
– 510
0
442 714
442 714
206 378
14 568
– 22 059
198 888
225 222
– 26 334
0
447 602
447 602
190 835
16 996
889
208 721
255 828
– 47 108
0
457 551
457 551
175 752
19 425
29 574
224 750
286 449
– 61 698
0
473 695
473 695
161 113
21 853
65 430
248 395
317 082
– 68 687
0
497 450
497 450
113 341
24 281
56 250
193 872
235 450
– 41 578
mesure-t-on réellement?
Finalement, le mythe de la VÉA®
positive crée un danger externe à l’entre-
prise. Devant la mystique grandissante
1997
45 791
0
54 000
99 791
175 788
– 75 996
144 730
0
0
0
0
8 937
– 29 167
8 937
(hors financement)
invest. en actifs à l.t.
= NOPAT*
700 000
VÉA-E$
400 000
300 000
200 000
100 000
– 100 000
– 200 000
– 300 000
1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
de flux de trésorerie, elle ne présente prendre le concept de VÉA aux membres et manipulations produisent par ailleurs
aucun intérêt pour le trésorier, comme d’une organisation; ils en font même une des VÉA® «maison», difficiles à comparer
nous avons pu le vérifier auprès de cer- source de revenus fort intéressante! d’une entreprise à l’autre. Comparati-
tains d’entre eux. Par exemple, lorsqu’il Cependant, ce qu’ils soulignent rare- vement, la VÉA-E$ est plus simple et plus
s’agit d’évaluer des projets d’inves- ment, ou très discrètement, c’est qu’il universelle : elle ne demande aucune
tissement, ce qui préoccupe le trésorier, faut tenir une comptabilité parallèle, ce capitalisation, aucun amortissement,
c’est non seulement de savoir si la pro- qui ne va pas sans coûts. Ainsi, il faut aucun report dans le temps des inves-
position est globalement rentable (VAN capitaliser les dépenses de R&D et les tissements effectués. Le seul «compte»
ou VMA® positive ou nulle), mais encore amortir par la suite, il faut ajuster le additionnel à suivre, c’est celui des récu-
de déterminer quand le projet sera bénéfice net pour certains éléments et, pérations notionnelles de mises de fonds.
consommateur net de fonds, quand il en dans certains cas, le bilan aussi. Ils ont
sera producteur net. La planification répertorié jusqu’à 135 redressements
financière en dépend. À cet égard, les possibles, même s’ils n’en retiennent Conclusion
VÉA® prévisionnelles n’apprennent rien. souvent que 4 ou 5 principaux pour une
Ce sont les flux de trésorerie générés par entreprise donnée. Il faut aussi se L’implantation d’un modèle de VÉA®
les opérations que le trésorier cherchera à rappeler qu’en période d’investissements dans l’entreprise peut avoir un effet
déterminer. La mesure VÉA-E$, quant à importants, la VÉA® chute et que, pour mobilisateur important. D’une part, un
elle, repose directement sur ces flux de ne pas démotiver les gestionnaires, on va tel modèle recentre la gestion sur un
trésorerie. Elle est donc reliée à ce qui temporairement retirer les investisse- objectif clairement défini, à savoir la
préoccupe le trésorier, même s’il n’a pas ments de la base de capital (voir le mythe satisfaction des propriétaires; sans enta-
besoin d’aller jusque là. n o 1). Tous ces éléments représentent mer de débat philosophique sur la fina-
clairement une comptabilité parallèle, lité de l’entreprise, il faut reconnaître que
Mythe no 4 : le «système» VÉA® est ouverte aux décisions arbitraires (ex. : si les propriétaires «n’y trouvent pas leur
simple
pour quelle durée va-t-on «ignorer» les compte», l’entreprise et ses employés
S&S ne cachent nullement la nécessité de investissements?), tout comme aux n’ont pas grand avenir. D’autre part,
passer un certain temps à faire com- manipulations intéressées. Ces décisions l’introduction de nouvelles idées, de
71 650
296 250
0
296 250
ne pas s’exposer aux lendemains diffi-
ciles. À cet effet, il vaut mieux déplacer
l’attention de l’impossible (les excédents
2008
337 602
646 470
0
0
646 470
répétés) vers le possible (gagner le coût
du capital et, si possible, récupérer un
peu de capital). Il est également préfé-
rable d’adopter la mesure de perfor-
2007
257 819
465 840
44 222
5 439
0
0
0
44 222
416 179
mance la plus simple possible et la moins
susceptible d’être manipulée. Il n’y a rien
de pire qu’un système dont on attendait
2006
99 139
450 298
440 356
54 164
0
44 222
0
396 134
0
trop et qui déçoit.
Notes
1. Voir Tully, 1993.
2005
62 870
444 706
788 123
96 939
5 439
440 356
0
347 766
0
2. Ainsi, dans la brochure de la conférence organisée à
Montréal le 30 avril 1997 par l’Institut international de
recherche, on pouvait lire : «Ne manquez pas cet évé-
nement sur l’outil révolutionnaire qu’est la VÉA®.»
2004
29 464
441 988
1 429 167 1 429 167 1 814 437 2 284 241 2 067 753 1 848 392 1 618 193 1 369 629 1 095 379
134 732
54 164
788 123
0
307 256
0
3. Voir Stewart, 1991.
4. Nous ne donnons ici qu’une formule générale qui
véhicule l’esprit du concept popularisé par S&S. Chaque
entreprise aura à développer sa propre formule pour tenir
2003
– 510
442 714
168 464
96 939
1 429 167 1 814 437 2 284 241 2 067 753 1 848 392 1 618 193 1 369 629 1 095 379
0
274 250
– 26 334
447 602
199 038
134 732
0
248 564
– 47 108
457 551
227 352
168 464
0
230 199
– 61 698
473 695
254 334
199 038
0
219 361
– 68 687
497 450
280 962
227 352
0
216 488
– 41 578
223 176
254 334
223 176
469 805
– 75 996
175 788
280 962
175 788
385 270
Références
Kensinger, J. W. et Martin, J. D., New Realities for
1996
0
8 937
8 937
8 937
VAN (@ 12,3 %)
en début de pér.
de cap. addit.
1987.
en fin de pér.
contributions
non gagné
(@ 12,3 %)
sur le cap.
VÉA-E$
flux net
actifs à long terme nets 1 400 000 1 810 000 2 437 000 2 184 000 1 931 000 1 678 000 1 425 000 1 172 000 919 000 666 000 413 000 280 000 200 000 0
amortissement fiscal 240 000 298 000 398 400 318 720 254 976 203 981 163 185 130 548 104 438 83 551 66 840 53 472 213 889
quantités vendues 300 000 600 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000
prix unitaire 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2
stock de produits finis ($) 51 400 70 452 72 425 74 453 76 538 78 681 80 884 83 148 85 477 87 870 90 330 0
quantités produites 350 000 616 667 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 733 333
stock de mat. premières ($) 29 167 52 828 70 452 72 425 74 453 76 538 78 681 80 884 83 148 85 477 87 870 82 803 0
quantités achetées 29 167 372 222 631 944 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 800 000 794 444 672 222
prix d’achat unitaire 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1
valeur des achats 29 167 382 644 667 829 869 099 893 434 918 450 944 167 970 603 997 780 1 025 718 1 054 438 1 076 435 936 333
niveau d’endettement 551 833 496 650 441 467 386 283 331 100 275 917 220 733 165 550 110 367 55 183 0
Bilan synthétique
capital investi
(long et court t.) 1 429 167 1 914 228 2 577 905 2 328 850 2 079 906 1 831 075 1 582 361 1 333 767 1 085 297 836 953 588 740 453 133 200 000 0
avoir des actionnaires 1 429 167 1 308 394 1 971 005 1 711 703 1 488 368 1 293 832 1 122 360 969 366 831 183 704 875 588 097 537 446 296 250 0
impôts reportés cumulés 0 54 000 110 250 175 680 205 254 206 143 184 085 143 668 88 564 21 711 – 54 541 – 84 313 – 96 250 0
1985.
781 p.
ed., Wiley, 1967.
61
Stewart III, G.B., «EVA: Fact and Fantasy»,